L’Encyclopédie/1re édition/REGNE, EMPIRE

◄  REGNANT
REGNER  ►

REGNE, EMPIRE, s. m. (Gram. Synonymes.) Empire a une grace particuliere, lorsqu’on parle des peuples ou des nations. Regne convient mieux à l’égard des princes : Ainsi on dit, l’empire des Assyriens, & l’empire des Turcs, le regne des Césars, & le regne des Paléologues.

Le premier de ces mots, outre l’idée d’un pouvoir de gouvernement ou de souveraineté, qui est celle qui le rend synonyme avec le second, a deux autres significations, dont l’une marque l’espece, ou plutôt le nom particulier de certains états ; ce qui peut le rendre synonyme avec le mot de royaume ; l’autre marque une sorte d’autorité qu’on s’est acquise ; ce qui le rend encore synonyme avec les mots d’autorité & de pouvoir. Il n’est point ici question de ces deux derniers sens ; c’est seulement sous la premiere idée, & par rapport à ce qu’il a de commun avec le mot de regne, que nous le considérons à présent, & que nous en faisons le caractere.

L’époque glorieuse de l’empire des Babyloniens, est le regne de Nabucodonozor ; celle de l’empire des Perses, est le regne de Cyrus : celle de l’empire des Grecs, est le regne d’Alexandre : & celle de l’empire des Romains, est le regne d’Auguste.

Le mot d’empire s’adapte au gouvernement domestique des particuliers, aussi-bien qu’au gouvernement public des souverains ; on dit d’un pere, qu’il a un empire despotique sur ses enfans ; d’un maître, qu’il exerce un empire cruel sur ses valets ; d’un tyran, que la flatterie triomphe, & que la vertu gémit sous son empire. Le mot de regne ne s’applique qu’au gouvernement public général, & non au particulier ; on ne dit pas qu’une femme est malheureuse sous le regne, mais bien sous l’empire d’un jaloux. Il entraîne même dans le figuré cette idée de pouvoir souverain & général ; c’est par cette raison qu’on dit le regne, & non l’empire de la vertu ou du vice ; car alors, on ne suppose ni dans l’un ni dans l’autre, un simple pouvoir particulier, mais un pouvoir général sur tout le monde, & en toute occasion. Telle est aussi la raison qui est cause d’une exception dans l’emploi de ce mot, à l’égard des amans qui se succedent dans un même objet, & de ce qu’on qualifie du nom de regne, le tems passager de leurs amours ; parce qu’on suppose que selon l’effet ordinaire de cette passion, chacun d’eux a dominé sur tous les sentimens de la personne qui s’est successivement laissé vaincre.

Ce n’est ni les longs regnes, ni les fréquens changemens qui causent la chûte des empires, c’est l’abus de l’autorité.

Toutes les épithetes qu’on donne à empire, pris dans le sens où il est synonyme avec regne, conviennent aussi à celui-ci ; mais celles qu’on donne à regne, ne conviennent pas toutes à empire, dans le sens même où ils sont synonymes. Par exemple, on ne joint pas avec empire, comme avec regne, les épithetes de long & de glorieux ; on se sert d’un autre tour de phrase pour exprimer la même chose.

L’empire des Romains a été d’une plus longue durée que l’empire des Grecs : mais la gloire de celui-ci a été plus brillante par la rapidité des conquêtes. Le regne de Louis XIV. a été le plus long, & l’un des plus glorieux de la monarchie françoise. Synonymes de l’abbé Girard. (D. J.)