Traités sur saint Jean
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)
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CINQUIÈME SÉRIE.

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TRAITÉS SUR SAINT JEAN.

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TRAITÉS SUR L’ÉVANGILE DE SAINT JEAN.

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PREMIER TRAITÉ.

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LE VERBE.

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Pareil à une montagne qui s’élève jusqu’au ciel, Jean va y puiser la connaissance des mystères supérieurs à l’esprit humain ; puissions-nous, en le suivant, arriver au même but ! Le Verbe est la parole de Dieu, parole intérieure, immatérielle, éternelle ; par qui toutes choses ont été faites ; il est l’archétype, le principe vivifiant de toutes les créatures, et, en particulier, la lumière de l’homme.

SUR CE TEXTE DE JEAN : « AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE ET LE VERRE ÉTAIT EN DIEU », JUSQU’À CES MOTS : « ET LES TÉNÈBRES NE L’ONT POINT COMPRISE. » (Chap. 1,4-5.)

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1. Quand, d’une part, je considère ce que nous venons d’entendre de la leçon de l’Apôtre, à savoir que l’homme animal ne perçoit point les choses qui sont de l’esprit de Dieu [1] quand je remarque, d’autre part, que, dans cette multitude formée par votre charité, il s’en trouve nécessairement plusieurs, que conduit encore la sagesse de la chair, et qui sont incapables de s’élever jusqu’à l’intelligence des choses spirituelles, non hésitation est grande, et je ne sais comment, avec la grâce de Dieu, j’expliquerai et développerai, selon mes faibles moyens, ce qui a été lu de l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette parole, en effet, l’homme animal ne la comprend pas. Hé quoi ! mes frères ? Est-ce pour nous un motif de garder le silence ? Pourquoi lire, s’il faut se taire ensuite ? À quoi bon écouter ce que personne n’explique ? Et pourquoi expliquer, si l’on n’est pas compris ? Mais comme, d’un autre côté, je ne puis douter qu’il n’y en ait parmi vous quelques-uns, non seulement pour comprendre mes explications, mais même pour les deviner d’avance, je ne frustrerai pas ceux qui ont l’intelligence, par la crainte d’adresser des paroles incompréhensibles, et par conséquent inutiles à ceux auxquels elle manque. La miséricorde divine viendra peut-être, d’ailleurs, donner satisfaction à tous, et accorder à chacun la grâce de comprendre comme il peut, parce que celui-là même qui parle dit aussi ce qu’il peut. Car, qui pourrait dire ce qu’est le Verbe ? Je me hasarderai à le dire, mes frères peut-être Jean lui-même n’a-t-il pas dit ce qu’il est, et s’est-il borné à en parler de son mieux, puisqu’il n’était qu’un homme et qu’il parlait de Dieu ? Il était, à la vérité, inspiré d’en haut ; mais, en définitive, il était homme ; parce qu’il était inspiré, il a parlé ; s’il ne l’avait pas été, il n’aurait rien dit, parce qu’il était inspiré, mais homme, il n’a pas dit tout ce qui est ; mais ce que l’homme peut dire, il l’a dit.
2. Aussi bien, mes très-chers frères, Jean était une de ces montagnes dont il est écrit que « les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines la justice[2] ». Les montagnes sont les âmes élevées ; les collines, les âmes communes. Mais si les montagnes reçoivent la paix, c’est afin que les collines puissent recevoir la justice. Quelle est cette justice que reçoivent les collines ? C’est la foi ; car « c’est de la foi que vit le juste[3] ». Or, les âmes du commun ne recevraient pas la foi, si les âmes d’élite appelées montagnes n’étaient éclairées par la Sagesse elle-même, et rendues capables de transmettre aux plus faibles ce que celles-ci sont capables de recevoir, les collines vivant de la foi, parce que les montagnes reçoivent la paix. Par ces montagnes il a été dit à l’Église : Que la paix soit avec vous ; et en annonçant cette paix à l’Église, ces montagnes ne se sont pas séparées de celui qui la leur avait donnée[4] ; car alors elles annonceraient, non une paix véritable, mais une fausse paix.

3. Car il se rencontre aussi d’autres montagnes fertiles en naufrages, contre lesquelles se brise l’esquif de celui qui va s’y butter lorsque les nautoniers en péril aperçoivent la terre, il leur est facile de chercher à s’en approcher ; mais cette montagne, qui leur semble être de la terre, ne recèle souvent, sous ses dehors trompeurs, que des rochers dangereux, et quiconque vient y aborder, se brise infailliblement contre les récifs dont elle se trouve hérissée ; au lieu d’y rencontrer le salut, on n’y rencontre que la mort. De même certains hommes ont été des montagnes, et ont paru grands parmi leurs semblables ; et ils ont fait des hérésies et des schismes, et ils ont divisé l’Église de Dieu. Mais ceux qui ont divisé l’Église de Dieu n’étaient pas les montagnes dont il est dit : « Que les montagnes reçoivent la paix pour votre peuple ». Comment, en effet, auraient pu recevoir la paix, ceux qui ont divisé l’unité ?

4. Pour ceux qui ont reçu la paix afin de l’annoncer au peuple, ils ont contemplé la Sagesse elle-même, autant que l’esprit de l’homme peut contempler ce que l’œil « n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme[5] ». Si cette Sagesse n’est pas montée au cœur de l’homme, comment est-elle montée au cœur de Jean ? Jean n’était-il pas un homme ? Ou bien, si elle n’était pas montée au cœur de Jean, le cœur de Jean n’était-il pas monté vers elle ? Car ce qui monte au cœur de l’homme part d’en bas et s’élève vers l’homme ; mais ce vers quoi monte l’homme, est au-dessus de lui. Ainsi, mes frères, on peut dire que la Sagesse est montée au cœur de Jean ; elle y est montée, si nous pouvons nous exprimer ainsi, en proportion de son élévation au-dessus de la nature humaine. Qu’est-ce ceci ? Jean n’était-il pas homme ? Il avait cessé de l’être dans la mesure de sa participation à la nature des anges ; car tous les saints sont des anges, vu qu’ils annoncent Dieu. Aussi, que dit l’Apôtre aux hommes charnels et animaux, incapables de percevoir ce qui est de Dieu ? « Lorsque vous dites : Moi je suis de Paul, moi d’Apollo, n’êtes-vous pas hommes[6] ? » Que voulait-il donc faire d’eux en leur reprochant d’être des hommes ? Voulez-vous savoir ce qu’il en voulait faire ? Écoutez le Psalmiste : « J’ai dit : Vous tous, vous êtes des dieux, vous êtes les fils du Très-Haut[7] ». Dieu nous appelle, afin que nous ne soyons plus des hommes. En effet, nous serons d’autant moins des hommes que nous nous reconnaîtrons comme tels ; en d’autres termes, pour arriver à cette hauteur, il nous faut prendre l’humilité pour point de départ, de peur que, pensant être quelque chose tandis que nous ne sommes rien, non seulement nous ne recevions pas ce que nous ne sommes point, mais aussi que nous ne perdions ce que nous sommes déjà.

5. Donc, mes frères, du nombre de ces montagnes était Jean qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette montagne avait reçu la paix, elle contemplait la divinité du Verbe. Quelle montagne était Jean ? Qu’il était élevé ? Il s’était élevé au-dessus de tous les monts, au-dessus de toutes les plaines de l’air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et des légions des auges. En effet, si Jean n’était monté par-delà toutes les choses créées, il ne serait pas parvenu à celui par qui ont été faites toutes les choses. Vous ne pouvez imaginer au-delà de quoi il s’était élevé, si vous ne considérez le but qu’il a atteint. Parles-tu du ciel et de la terre ? Ce sont des créatures. Parles-tu de ce qui est au – ciel et en la terre ? À plus forte raison est-ce aussi l’ouvrage du Créateur. Parles-tu des créatures spirituelles, des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des vertus, des principautés ? Elles aussi, elles ont été faites. Après avoir énuméré tous ces êtres, le Psalmiste conclut ainsi : « Il a dit, et elles ont été faites ; il a ordonné, et elles ont été créées [8] ». S’il a dit et elles ont été faites, c’est par le Verbe qu’elles ont été faites. Or, si elles ont été faites par le Verbe, le cœur de Jean n’est pas parvenu à ce qu’il annonce : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », à moins de s’être préalablement élevé au-dessus de ce qui a été fait par le Verbe. Encore une fois, quelle montagne était Jean ! Qu’il était saint ! Qu’il était élevé au-dessus des autres montagnes qui ont reçu la paix pour le peuple de Dieu, afin que les collines pussent recevoir la justice !
6. Prenez-y garde, mes frères, Jean lui-même n’est peut-être pas du nombre de ces montagnes dont nous avons chanté tout à l’heure : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours ». Si vous le voulez savoir, levez les yeux vers cette montagne, je veux dire, élevez-vous jusqu’à l’Évangéliste ; élevez-vous jusqu’à la hauteur de sa pensée. Mais parce que ces montagnes reçoivent la paix, et que la paix n’est pas possible à qui place son espérance en l’homme, n’élevez pas vos yeux vers la montagne, en ce sens que vous pensiez pouvoir mettre en l’homme votre espérance, et dites : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », de manière à ajouter aussitôt : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[9] ». Aussi, levons les yeux vers les montagnes d’où nous viendra le secours et cependant ce n’est pas dans les montagnes que notre espérance doit être placée ; elles-mêmes, en effet, reçoivent ce qu’elles nous donnent ; par conséquent, il nous faut porter notre espérance à l’endroit d’où le secours vient aux montagnes. Dès lors que nous levons les yeux vers les Écritures parce que les hommes nous les ont transmises, nous levons les yeux aux montagnes d’où nous viendra le secours. Ceux qui ont écrit les livres saints étaient des hommes qui ne brillaient pas d’un éclat qui leur fût propre ; mais celui-là était leur lumière véritable [10], qui illumine tout homme venant en ce monde. Jean-Baptiste, qui a dit : « Je ne suis pas le Christ[11] » était aussi une montagne ; il craignait que quelqu’un plaçant son espérance en la montagne, ne s’écartât de celui par qui les montagnes sont éclairées ; aussi confesse-t-il lui-même que « nous avons tous reçu de sa plénitude[12]  ». Ainsi dois-tu dire : « J’ai levé les yeux aux montagnes d’où me viendra le secours », afin que ce secours qui te vient, tu ne l’imputes pas aux montagnes, mais que tu ajoutes ce qui suit « Mon secours est du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». [13]
7. Mes frères, lorsque vous avez dressé vos cœurs vers les Écritures, au moment où retentissaient à vos oreilles ces paroles du saint Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », comme aussi les autres qui ont été lues, j’ai voulu vous faire comprendre que vous avez levé les yeux aux montagnes. Car, si les montagnes ne vous disaient cela, il vous serait impossible d’en avoir la moindre idée. Des montagnes vous est venu le secours, même pour que vous puissiez l’entendre ; mais vous n’êtes pas encore capables de comprendre ce que vous avez entendu. Demandez le secours du Dieu qui a fait le ciel et la terre. Car, si les montagnes ont pu vous parler, elles n’ont pas pu vous éclairer ; puisqu’elles ont été elles-mêmes illuminées par ce qu’elles ont entendu. C’est à cette source, mes frères, que Jean a puisé ces paroles avant de les prononcer ; il a reposé sur la poitrine du Seigneur, et il a bu ce qu’il devait nous communiquer à son tour. Mais ce qu’il nous a donné, ce sont les paroles ; car pour l’intelligence, tu dois aller la chercher à la source où il a puisé lui-même avant de te désaltérer. Tu dois donc lever les yeux vers les montagnes d’où te viendra le secours, afin de recevoir d’elles ton breuvage, c’est-à-dire l’effusion de la parole ; et aussi parce que ton secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre, afin de remplir ton cœur là où Jean a rempli le sien ; c’est pourquoi tu as dit : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Que celui donc qui le peut, remplisse son cœur, mes Frères, je le répète ; que chacun élève son cœur autant qu’il peut le faire, et qu’il reçoive ce dont il s’agit. Mais, direz-vous peut-être que je vous suis plus présent que Dieu ? Loin de vous une telle pensée Dieu vous est beaucoup plus présent ; car si j’apparais à vos regards, il gouverne vos consciences, À moi vos oreilles, à lui votre cœur, afin que tout se remplisse. Vous dirigez vers nous vos yeux et les sens de votre corps ; mais non, ce n’est pas vers nous, car nous ne sommes pas une de ces montagnes dignes d’être regardées ; mais c’est vers l’Évangile, vers l’Évangéliste lui-même ; pour votre cœur, élevez-le vers le Seigneur afin qu’il le remplisse. Que chacun l’élève de manière à savoir ce qu’il élève, vers quoi il l’élève. Qu’ai-je dit ? Ce qu’il élève et vers quoi il l’élève ? Qu’il considère quel cœur il élève ; car il l’élève vers le Seigneur, et il doit prendre garde qu’alourdi parle poids des voluptés charnelles, ce cœur ne tombe avant même d’avoir été soulevé. Mais chacun se voit-il chargé du fardeau de sa chair ? Que du moins il s’applique à purifier par la continence ce qu’il élève vers Dieu. Bienheureux, en effet, ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[14].
8. Aussi bien, à quoi bon avoir proféré ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ? » Nous aussi, nous en avons proféré au moment où nous parlions. La parole qui est en Dieu, leur ressemblerait-elle ? Nos paroles n’ont-elles pas retenti pour s’évanouir ensuite ? La parole de Dieu résonne-t-elle de même, et disparaît-elle aussi ? Comment alors toutes choses ont-elles été faites par elle, et rien n’a-t-il été fait sans elle ? Comment gouverne-t-elle ce qu’elle a créé, si elle est un bruit qui a résonné et qui a passé ensuite ? Quelle est donc cette parole qui se dit et ne passe pas ? Que votre charité soit attentive, le sujet le mérite par son importance. Nous par. Ions tous les jours, et nos paroles perdent leur valeur ; en effet, elles font un peu de bruit, puis elles disparaissent, et, à cause de cela, on y attache peu de prix, et on ne les considère que comme des paroles. Or, il y a dans l’homme une parole qui demeure à l’intérieur ; car, pour le son, il sort de la bouche pour se produire au-dehors. Il est une parole véritablement prononcée par l’esprit, dont la parole matérielle te donne une idée, mais qui n’est pas le son lui-même. Quand je dis Dieu, je profère une parole. Qu’elle est courte cette parole ! Quatre lettres et deux syllabes ! Quatre lettres et deux syllabes, est-ce là Dieu tout enlier ? Ne voyez-vous pas qu’autant cette parole est peu de chose en elle-même, autant est digne d’amour ce qu’elle signifie ? Que s’est-il passé dans ton cœur lorsque tu as entendu le mot : Dieu ? Que s’est-il passé dans le mien lorsque je disais : Dieu ? Une grande et souveraine substance est devenue le sujet de ma pensée, substance élevée au-dessus de toute créature muable, charnelle et animale. Et si je te demande : Dieu est-il muable ou immuable ? tu me répondras aussitôt : Loin de moi de croire ou de soupçonner quelque mutabilité en Dieu : Dieu est immuable. Ton âme est petite, elle est peut-être encore charnelle, par conséquent elle n’a rien pu me répondre au sujet de Dieu, sinon qu’il est immuable, Comment donc ton intelligence a-t-elle été capable de porter ses regards sur un être supérieur à toutes les créatures, de manière à ce que tu me répondes avec certitude que Dieu est immuable ? Qu’y a-t-il donc en ton cœur, quand tu penses à une substance vivante, perpétuelle, toute-puissante, infinie, partout présente, partout entière et nulle part enfermée ? Cette pensée, c’est la parole venue de Dieu en ton cœur. Pourtant est-ce là le son formé de quatre lettres et de deux syllabes ? Donc, ce qui se dit et passe, c’est le son, les lettres, les syllabes. En tant que la parole passe, elle est un son ; mais l’idée signifiée par le son, l’idée qui reste dans la pensée de celui qui parle et dans l’intelligence de l’auditeur, demeure toujours bien que le son disparaisse.
9. Ramène ton attention sur cette parole. Suppose que tu as dans l’esprit une parole, qui soit comme une pensée issue de ton intelligence, en sorte que ton âme semble engendrer cette pensée, et que celle-ci se trouve en ton intelligence comme son enfant, comme son fils. D’abord, ton esprit conçoit une pensée, celle de construire un édifice, d’élever sur terre un immense bâtiment. Celte pensée a déjà donc pris naissance, mais l’ouvrage que tu médites de faire, n’est pas encore accompli : tu vois ce que tu dois faire, mais personne autre ne peut l’admirer, si tu ne le fais pas, si tu ne construis point ton édifice, si tu n’amènes pas ton bâtiment au degré de perfection qu’il doit atteindre sous le ciseau du sculpteur. Alors seulement les hommes portent les regards sur l’œuvre de tes mains ; ils admirent la pensée qui a présidé à cette construction ; ils s’étonnent de ce qu’ils voient, et vont jusqu’à aimer ce qu’ils ne voient pas ; mais y a-t-il un homme capable de considérer ta pensée ? Si donc un grand édifice élevé par l’homme mérite des louanges, veux-tu voir quelle est la pensée de Dieu Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire le Verbe de Dieu ? Regarde l’édifice de ce monde. Vois ce qui a été fait par le Verbe, et alors tu sauras ce qu’est le Verbe. Regarde les deux parties de l’univers, le ciel et la terre. Par quelles paroles expliquer les beautés du ciel ? Par quelles paroles, la semence de la terre ? Par quelles louanges célébrer dignement la succession des saisons, la vertu des semences ? Vous voyez ce que je passe sous silence ; je crains, par une énumération plus longue, de laisser mon discours trop au-dessous de vos pensées. Que le grand ouvrage du monde vous fasse comprendre quel est le Verbe qui l’a fait, et ce n’est pas la seule chose qu’il ait faite. Car tout cela se voit et tombe sous les sens du corps. Le Verbe a aussi créé les anges. Par ce Verbe ont été faits les Archanges, les Puissances, les Trônes, les Dominations, les Principautés ; par ce Verbe ont été faites toutes choses. De là faites-vous une idée de ce qu’est le Verbe.

10. Je ne sais qui me répondra peut-être : Mais ce Verbe, qui est-ce qui le pense ? Quand on dit, le Verbe, ne va pas te former une grossière représentation et croire entendre les paroles que tu entends chaque jour : Un homme a dit telles paroles, voici les paroles qu’il a prononcées, tu me les rapportes. Car à répéter continuellement ce mot parole, il semble que la parole en soit avilie. Aussi, quand tu entends : « Au commencement était le Verbe », ne t’imagine pas quelque chose l’ordinaire, semblable à ce qua coutume de lu rapporter la parole humaine ; car écoute ce que tu dois penser : « Le Verbe était Dieu ».

11. Que je ne sais quel Arien infidèle, se présente maintenant et dise : Le Verbe de Dieu a été fait. Comment se peut-il que le Verbe de Dieu ait été fait, quand c’est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Si le Verbe de Dieu lui-même a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si tu dis qu’il est le Verbe d’un Verbe qui l’aurait fait, je le déclare, celui-ci est le Fils unique de Dieu. Si tu ne dis pas qu’il est le Verbe du Verbe, accorde donc que celui qui a fait toutes choses n’a pas lui-même été fait. Car il n’a pu être fait par lui-même celui par qui toutes choses ont été faites. Crois à l’Évangéliste. Il pouvait dire : Au commencement, Dieu a fait le Verbe, comme Moïse a dit : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre », pour continuer son énumération en ces termes : Dieu a dit : Que cela soit fait, et cela a été fait[15]. Si quelqu’un a parlé, qui a parlé ? Assurément Dieu. Et qu’est-ce qui a été fait ? Une créature. Entre Dieu qui a parlé et la créature qui a été faite, qu’est-ce qui se trouvait pour faire ce qui a été fait ? N’est-ce pas le Verbe, puisque Dieu a dit : Que cela soit fait, et que cela a été fait ? Tel est le Verbe immuable : quoique les choses muables aient été faites par le Verbe, lui il demeure immuable.

12. Ne va donc pas croire que celui par qui toutes choses ont été faites, ait été fait lui-même ; de peur de n’être pas refait par ce Verbe, par qui toutes choses sont refaites. En effet, tu as déjà été fait par le Verbe, mais il faut qu’il te crée de nouveau ; or, si la foi relativement au Verbe n’est pas pure, tu ne pourras être refait par lai. Si tu as pu être fait par le Verbe, tu es pour toi-même une cause de déchéance, et si par toi-même Lu ne peux que déchoir, daigne celui qui t’a fait te réparer encore. Si de toi-même ta ne peux que perdra, daigne celui qui t’a créé, te rendre ta grandeur première. Mais comment te relèvera-t-il par son Verbe, si tu ne penses pas bien de son Verbe ? L’Évangéliste dit : « Au commencement était le Verbe », et toi tu dis : Au commencement a été fait le Verbe. Il dit : « Toutes choses ont été faites par lui », et, selon toi, le Verbe lui-même a été fait ? L’Évangéliste pouvait dire : Au commencement a été fait le Verbe ; mais qu’a-t-il dit ? « Au commencement était le Verbe ». S’il était, il n’a pas été fait pour que toutes choses fussent faites par lui et que sans lui rien ne fût fait. Si donc : « Le Verbe était au commencement, si le Verbe était en Dieu, et si le Verbe était Dieu », et que tu ne puisses comprendre ce qu’il est, attends que ton intelligence se développe. Il est l’aliment des forts ; reçois le lait, afin d’être nourri et de devenir assez fort pour supporter une alimentation solide.
13. Quant à ce qui suit : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait », prenez garde, mes frères, de le comprendre en ce sens que le néant serait quelque chose. En effet, pour plusieurs qui entendent mal cette parole : « Sans lui rien n’a été fait », c’est une habitude de penser que le néant est quelque chose. À coup sûr, le péché n’a pas été fait par lui ; aussi est-il manifeste que le péché est le rien, et que les hommes tombent à rien quand ils pèchent. De même, les idoles n’ont point été faites par le Verbe : il est vrai qu’elles ont une certaine forme humaine, mais l’homme dans son entier a été fait par le Verbe. Pour la forme de l’homme qui est en l’idole, elle n’a point été faite par le Verbe, et il est écrit : « Nous savons que les idoles ne sont rien [16] ». Donc, elles n’ont pas été faites par le Verbe, mais bien toutes les choses qui se font naturellement, qui existent dans les créatures, qui se trouvent dans le ciel, qui brillent au firmament, qui volent dans ses régions inférieures, qui se remuent dans l’universalité des êtres ; en un mot, toute créature, et pour mieux me faire comprendre, je dirai d’un seul mot, tout depuis l’ange jusqu’au vermisseau, tout a été fait par le Verbe. Parmi les créatures, y a-t-il rien de plus élevé que l’ange ? Dans l’échelle des êtres y a-t-il rien de plus bas que le vermisseau ? Celui qui a fait l’ange a fait aussi le vermisseau ; mais il a fait l’ange digne du ciel, et le vermisseau, il l’a fait pour la ferre. En les créant, il les a mis à leur place. S’il avait placé le vermisseau au ciel, tu le lui reprocherais ; tu agirais de même s’il lui avait plu de tirer les anges d’une chair tombée en pourriture ; et cependant Dieu le fait ou à peu de chose près, et il n’est pas répréhensible. Car, tous les hommes nés de la chair, qui sont-ils, sinon des vert de terre ? Et de ces vers, Dieu fait des anges. Car, si le Seigneur dit de lui-même : « Je suis un ver et non pas un homme [17] », qui craindra de dire à son tour ce qui est écrit au livre de Job : « Combien plus l’homme est-il de la pourriture, et le fils de l’homme un ver de terre[18] ? » D’abord il a dit : « L’homme est de la pourriture » ; et ensuite : « Le fils de l’homme est un ver de terre ». Voilà ce qu’a voulu devenir pour toi « celui qui au commencement était le Verbe, et Verbe en Dieu, et Verbe Dieu ». Pourquoi est-il devenu cela pour toi ? Afin de te donner à sucer du lait, puisque tu ne pouvais manger encore. Vous devez donc, mes frères, entendre dans le sens le plus large ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui et rien n’a été fait sans lui ». Car toutes les créatures ont été faites par lui ; les grandes, les petites, les supérieures, les inférieures, les spirituelles, les corporelles, c’est lui qui les a faites. Aucune forme, aucun corps, aucun assemblage de parties, aucune substance de quelque nature qu’elle soit, rien de ce qui peut être pesé, compté, mesuré, n’a été fait que par ce Verbe, par ce Verbe créateur auquel il a été dit : « Vous avez disposé toutes « choses avec poids, nombre et mesure[19] ».
14. Que personne donc ne vous induise en erreur, quand par hasard il vous voit importunés par les mouches. Car le diable s’est moqué de plusieurs, et les mouches ont suffi à les prendre. C’est, en effet, la coutume des oiseleurs de placer des mouches dans leurs pièges, afin de tromper les oiseaux affamés ; ainsi le diable a pris ces hommes avec des mouches. J’en trouve la preuve dans ce qui est arrivé à je ne sais quel individu que les mouches importunaient. Rencontré par un Manichéen au plus fort de cette importunité, il lui dit qu’il ne pouvait souffrir ces mouches, et qu’il les détestait par-dessus tout ; alors le Manichéen lui adressa cette question : Qui est-ce qui a créé ces mouches ? Importuné comme il l’était, et dans l’excès de sa haine contre les mouches, il n’osa pas dire : Dieu les a faites ; pourtant c’était un catholique. Si Dieu n’en est pas l’auteur, reprit aussitôt le, Manichéen, qui donc les a faites ? À parler franchement, dit le catholique, selon moi c’est le diable qui les a créées. Si le diable a fait la mouche, comme je te vois en convenir, parce que tu es un homme d’esprit et d’intelligence, qui est-ce qui a fait l’abeille qui est un peu plus grosse que la mouche ? Le catholique n’osa pas dire, que Dieu n’ayant pas fait la mouche, n’avait pas fait l’abeille, parce qu’entre l’une et l’autre la différence était presque imperceptible. Le Manichéen le mena à la sauterelle, de la sauterelle au lézard, du lézard à l’oiseau, de l’oiseau au quadrupède ; de là au bœuf, de là à l’éléphant, finalement à l’homme. Ainsi ce malheureux, pour n’avoir pas su endurer l’importunité des mouches, est devenu mouche, pour tomber ensuite au pouvoir du diable. Béelzébub signifie, en effet, dit-on, Prince des mouches ; c’est d’elles qu’il est écrit : « Les mouches mourantes détruisent la suavité du parfum[20] ».
15. Qu’est-ce donc, mes Frères, et pourquoi ai-je dit ces choses ? Fermez les oreilles de votre cœur aux suggestions malignes de l’ennemi ; comprenez que Dieu a fait toutes les créatures et qu’il a rangé chacune d’elles à sa place. Mais pourquoi avons-nous tant à souffrir de la part de ces créatures que Dieu a faites ? Est-ce parce que nous avons offensé Dieu ? Ces maux, est-ce que les anges les endurent ? Nous aussi peut-être devrions-nous ne les avoir point à craindre dans cette vie. Ta peine, tu dois l’attribuer à ton péché, et non à ton juge. Car c’est à cause de notre orgueil que Dieu a tiré du néant cette créature si petite et si abjecte, pour en faire. l’instrument de notre supplice. Ainsi au moment même où l’homme se laisse emporter à la superbe et se révolte contre Dieu, au moment où, mortel, il veut faire trembler d’autres mortels et méprise son semblable, au moment où il s’exalte il se voit assujetti à une puce. Pourquoi donc te laisser enfler par l’orgueil humain ? Un homme t’a dit une parole d’outrage, et tu te gonfles de colère ; résiste donc aux puces, essaie de dormir en dépit de leurs morsures et sache qui tu es. Apprenez, mes Frères, que ces insectes qui nous importunent, ont été créés pour humilier notre orgueil ; car Dieu aurait pu dompter le peuple superbe de Pharaon avec des ours, des lions et des serpents, et il s’est borné à leur envoyer des mouches et des grenouilles[21] afin que la superbe fût domptée par ce qu’il y a de plus vil.
16. « Toutes choses » donc, mes Frères, « toutes choses sans exception ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Mais comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? « Ce qui a été fait, en lui est vie ». Ce qui peut se dire encore en cette façon : « Ce qui a été fait en lui, est vie ». Donc si nous construisons ainsi cette phrase, tout est vie. Qu’y a-t-il en effet qui n’ait pas été fait en lui ? Il est la sagesse de Dieu, et il est dit en un psaume : « Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse ». De même donc que toutes choses ont été faites par lui, de même « elles « ont été faites en lui n. Que si toutes choses ont été faites en lui, mes très-chers Frères, et si ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc le bois aussi est vie. À la vérité, il est un bois que nous appelons vie, mais nous entendons le bois de la Croix, d’où nous avons reçu la vie. Donc la pierre aussi est vie. Inconvenante manière de comprendre les choses, qui nous ferait retomber dans les abominables erreurs des Manichéens, et nous ferait dire qu’une pierre a la vie, qu’un mur aussi a une âme, comme aussi un petit filet, la laine, un vêtement. Voilà ce que débitent d’ordinaire ces hérétiques en délire ; et quand ils se voient réprimés et confondus, ils tirent en quelque sorte de l’Écriture leur justification, et ils disent : Pourquoi donc a-t-il été écrit : « Ce qui a été fait en lui, est vie ? » Car si tout a été fait en lui, tout est vie. Garde-toi de te laisser entraîner à leur suite. Lis de cette manière : « Ce qui a été fait » ; arrête-toi là, puis continue et ajoute : « est vie en lui ». Qu’est-ce à dire ? La terre a été créée, mais cette terre, qui a été créée, n’est pas vie : au sein de la Sagesse se trouve l’archétype immatériel d’après lequel la terre a été faite, et cet archétype est vie.
17. Je vais expliquer ceci à votre charité, comme je le pourrai. Un menuisier fait un coffre. D’abord, il conçoit l’idée de ce coffre, car s’il n’en avait pas le plan dans la tête, qu’est-ce qui le guiderait dans l’exécution de son ouvrage ? Mais ce coffre n’est pas, dans la pensée de l’ouvrier, ce qu’il est quand il apparaît aux regards des spectateurs ; invisible dans le plan, il sera visible quand il sera fait. Le voilà, il a passé en œuvre ; a-t-il cessé pour cela d’exister en idée ? Un coffre a été fait, mais celui qui était dans la pensée reste le même. En effet, le premier peut tomber en poussière, et de nouveau on en peut faire un autre d’après celui qui est en l’idée. Considérez donc qu’il y a deux coffres, l’un en idée, l’autre en œuvre. Le coffre en œuvre n’est pas vie, le coffre en idée est vie, parce qu’il vit dans la pensée de l’ouvrier, où tout ce qu’il fait existe avant d’être produit au-dehors. Pareillement, mes frères, la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont été faites, possède en elle-même l’archétype de tous les êtres antérieurement à leur création ; d’où il suit que ce qui se fait d’après cet archétype n’est pas vie pour cela. Mais tout ce qui a été fait est vie en Dieu. Tu vois la terre, cette terre existe aussi dans l’idée de Dieu ; tu vois le ciel, le ciel existe aussi dans la pensée de Dieu ; tu vois le soleil et la lune, ils y existent aussi. Mais tels que tu les vois au-dehors, ils sont des corps ; tels qu’ils se retrouvent dans la pensée de Dieu, ils sont vie. Comprenez comme vous le pourrez ; car ce que je viens de vous dire est grand. S’il ne tire pas de moi sa grandeur et que je ne puisse y contribuer en aucune façon, il la puise dans son objet même. Je suis, en effet, trop peu de chose pour vous tenir de moi-même un pareil langage ; mais celui vers qui je porte mes regards afin de pouvoir vous parler, ne peut m’être comparé. Que chacun prenne ce qu’il peut, autant qu’il le peut ; pour celui qui ne peut rien prendre, qu’il nourrisse son cœur afin de pouvoir. De quoi le nourrir ? Qu’il le nourrisse de lait, afin d’en venir ensuite à une alimentation plus solide. Qu’il ne s’éloigne pas de Jésus-Christ, né selon la chair, jusqu’à ce qu’il parvienne à Jésus-Christ, né d’un Dieu unique, Verbe Dieu, demeurant en Dieu, par qui toutes choses ont été faites, parce que c’est la vie qui en lui est la lumière des hommes.
18. Car voici ce qui suit : « Et la vie était la lumière des hommes » ; en effet, c’est cette même vie qui les éclaire. Les bêtes n’ont pas cette lumière, parce qu’elles n’ont pas d’âme raisonnable capable de voir la sagesse. Mais l’homme, fait à l’image de Dieu, a une âme raisonnable par laquelle il peut la percevoir. Donc, cette vie par laquelle toutes choses ont été faites, cette même vie est lumière, non pas la lumière des animaux quels qu’ils soient, mais la lumière des hommes. Aussi l’Évangéliste dit peu après : « Elle était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Jean-Baptiste a été éclairé par cette lumière comme aussi Jean l’Évangéliste. De cette lumière était rempli celui qui a dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est celui qui vient après moi, et dont je ne suis pas digne de délier, les cordons des souliers [22] ». De cette lumière était éclairé celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Donc cette vie est la lumière des hommes.
19. Mais peut-être des cœurs insensés se trouvent-ils dans l’impossibilité de recevoir les rayons de cette lumière parce qu’ils sont appesantis par leurs péchés, qui leur en interceptent la vue. De ce qu’ils sont incapables de l’apercevoir, qu’ils n’aillent pas croire à sa non-existence, car ils sont devenus ténèbres à cause de leurs fautes : « Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise ». De même qu’un aveugle, placé en face du soleil, est absent pour lui, quoique celui-ci l’inonde de ses rayons ; ainsi tout insensé, tout pécheur, tout impie est aveugle en son cœur. La sagesse est devant lui, mais comme elle brille aux yeux d’un aveugle, elle est pour lui comme absente. Non qu’elle soit absente à lui, mais parce que lui est absent d’elle. Que lui faut-il donc faire ? Qu’il purifie ce qui peut lui faire voir Dieu. Si un homme ne peut voir parce qu’il a les yeux souillés et malades, parce que la poussière, l’humeur ou la fumée viennent les obscurcir, le médecin lui dit : Nettoie tes yeux, ôte ce qu’il y a en eux de mauvais, afin qu’ils puissent voir la lumière. La poussière, l’humeur, la fumée, ce sont tes péchés et tes fautes. Ôte-les de ton cœur, et tu apercevras la sagesse qui est toujours présente devant toi ; car Dieu est cette sagesse, et il est écrit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[23] ».

DEUXIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « IL Y EUT UN HOMME ENVOYÉ DE DIEU, NOMMÉ JEAN », JUSQU’À « PLEIN DE GRÂCE ET DE VÉRITÉ ». (Chap. 1, 6-14.)

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SAINT JEAN, PRÉCURSEUR DU CHRIST.

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L’homme ne saurait, ni par lui-même, ni par un autre moyen humain, se faire une idée de la nature du Verbe ; mais pour l’instruire, le Fils de Dieu s’est fait chair et est mort sur use croix. Il est la lumière véritable ; néanmoins, afin de n’être pas méconnu, il a envoyé devant lui une lampe destinée à ménager la faiblesse de nos yeux et à nous faire voir ce soleil qui éclaire le monde, ce maître qui le gouverne. Malgré cela plusieurs ne l’ont pas reçu ; pour ceux qui lui ont fait bon accueil, ils sont devenus par la grâce de l’incarnation les enfants adoptifs de Dieu, et ils ont reconnu en Jésus-Christ le Fils de l’Éternel.


1. Il est bon, mes frères, lorsque nous nous appliquons à étudier les divines Écritures, principalement le saint Évangile, de n’omettre autant que possible aucun passage, afin de nous en nourrir selon notre capacité, et de nous faire part ensuite de ce qui nous a été donné. Il nous souvient d’avoir expliqué hier, dimanche, les paroles du premier chapitre, c’est-à-dire : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe tétait Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait est vie en lui ; et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ». Si je ne me trompe, voilà jusqu’où nous avons poussé nos explications ; tous ceux qui se trouvaient ici s’en souviennent ; pour vous, qui étiez absents, croyez à ma parole et à celle des personnes qui ont bien voulu venir nous entendre. Il nous est impossible de revenir sans cesse sur nos pas ; car nous deviendrions ennuyeux, si, sous prétexte de ne point priver les absents d’hier, nous répétons ce que nous avons déjà dit devant ceux qui étaient alors présents, et qui désirent entendre la suite. Daignent donc les personnes gui n’ont pas assisté à notre première dissertation, ne point exiger de nous un retour en arrière, et se mettre avec les autres à écouter ce que nous devons dire aujourd’hui.
2. Voici la suite : « Il y eut un homme ennoyé de Dieu, qui s’appelait Jean ». Aussi bien ce qui a été dit plus haut, mes très-chers frères, a été dit de l’ineffable divinité duVerbe, et dans un langage presque ineffable. En effet, qui pourra comprendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ? » Afin que ce nom de Verbe ne te semble pas commun, en raison de l’habitude où l’on est de prononcer tous les jours des verbes, Jean ajoute : « Le Verbe était Dieu ». C’est de ce même Verbe que nous avons abondamment parlé hier. Dieu veuille que de tant de paroles, quelques-unes au moins aient trouvé accès jusqu’à votre cœur. « Au commencement était le Verbe ». Il est toujours le même, toujours de la même manière ; ce qu’il est, il l’est toujours, il ne peut changer ; être ainsi c’est être. Être, voilà son nom. Il l’a dit à son serviteur Moïse : « Je suis celui qui suis ». Et encore : « Celui qui est m’a envoyé [24] ». Encore une fois, qui est-ce qui pourra le comprendre, quand on voit que ce qui est mortel est changeant ; non seulement les corps sont soumis à des modifications diverses, comme naître, croître, s’affaiblir, mourir ; les âmes elles-mêmes s’étendent et se déchirent sous l’effort des désirs qui les sollicitent en sens contraires ; quand on voit les hommes capables de percevoir la sagesse, s’ils se soumettent à l’influence de sa lumière et de sa chaleur, capables aussi de la perdre, si leurs affections déréglées les en éloignent ? Quand donc vous voyez tant de vicissitudes en toutes choses, de quel œil pouvez-vous considérer ce qui est ? Ne vous semble-t-il pas placé bien au-dessus des êtres qui sont comme s’ils n’étaient pas ? Encore une fois, qui pourra le comprendre ? De quelque façon qu’il emploie les forces de son esprit pour s’élever de son mieux jusqu’à ce qui est, n’importe de quelle manière et dans quelle proportion il puisse le faire, un homme sera-t-il jamais capable d’y parvenir ? Ainsi en est-il de celui qui voit de loin sa patrie, mais qui en est séparé par la mer ; il a beau voir le but où il doit diriger ses pas, les moyens lui manquent pour s’y transporter. Pareillement nous voulons parvenir à cette patrie permanente où se trouve ce qui est véritablement, parce que seul il est toujours de telle façon qu’il ne peut jamais cesser d’être. Entre elle et nous s’étend la mer du siècle présent qu’il nous faut traverser ; toutefois dès maintenant nous voyons où nous allons ; mais plusieurs ne le voient même pas. Afin de nous procurer le moyen d’y parvenir, celui-là est venu vers qui nous voulions aller. Et qu’a-t-il fait ? Il a préparé un navire sur lequel nous pourrons traverser la mer. Personne, en effet, ne peut traverser la mer de ce siècle, à moins que la croix de Jésus-Christ ne le porte. Celui-là même dont la vue est faible s’attache parfois à cette croix : que le chrétien, même celui qui est incapable d’apercevoir de loin le terme de son voyage ne s’en dessaisisse point, et elle le conduira au port.
3. Voici donc, mes Frères, ce que j’ai eu dessein d’insinuer à vos cœurs : Si vous voulez vivre avec piété et chrétiennement, attachez-vous à Jésus-Christ selon ce qu’il s’est fait pour nous afin de parvenir à lui selon ce qu’il est et selon ce qu’il était. Il s’est approché de nous, afin de devenir tel pour nous ; il est devenu tel, afin que les faibles soient portés par lui, qu’ils traversent la mer et parviennent à la patrie où tout navire cessera d’être nécessaire, parce qu’il n’y aura plus de mer à franchir. Il vaut donc mieux ne pas voir en esprit celui qui est, et cependant ne pas se séparer de la croix de Jésus-Christ, que le voir en esprit et mépriser la croix du Sauveur. Il est préférable encore, et singulièrement meilleur, devoir, s’il est possible, où il faut aller, et de se tenir attaché à ce qui peut nous y porter. C’est ce qu’ont pu faire ces grandes âmes appelées du nom de montagnes, éclairées plus que toutes les autres de la lumière de la justice. Elles ont pu le faire, et elles ont vu ce qui est. Car c’est pour l’avoir vu que Jean disait : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », Elles l’ont vu et, pour parvenir à ce qu’elles voyaient de loin, elles ne se sont pas dessaisies de la croix de Jésus-Christ, elles n’ont pas méprisé ses abaissements. Pour les petits qui n’ont pas la même intelligence, s’ils ne restent pas étrangers à la croix, à la passion et, à la résurrection de Jésus-Christ, le navire qui mène au port ceux qui voient, les conduira eux-mêmes à ce qu’ils ne voient pas.
4. Mais certains sages de ce monde ont existé, qui ont cherché le Créateur par l’intermédiaire de la créature ; car on peut le trouver par ce moyen, suivant cette formelle déclaration de l’Apôtre : « Ce qui est invisible en Dieu est vu et compris par ce qu’il a fait depuis le commencement du monde ; comme aussi sa puissance éternelle et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ». Et ensuite : « Parce qu’ayant connu Dieu » ; il ne dit pas : parce qu’ils ne l’ont pas connu, mais bien : « parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces, mais ils se sont évanouis en leurs pensées, leur cœur s’est obscurci et est demeuré sans intelligence ». Comment obscurci ? Il continue et dit plus ouvertement : « Se vantant d’être sages, « ils sont devenus fous ». Ils ont vu où il fallait venir ; mais, ingrats à l’égard de celui qui leur avait donné de le voir, ils ont voulu s’attribuer ce qu’ils avaient vu et, devenus orgueilleux, ils ont mérité de le perdre ; après quoi ils se sont tournés vers les idoles, les simulacres et le culte du démon, ils ont adoré la créature et méprisé le Créateur. À la vérité, ils étaient déjà brisés quand ils ont fait ces choses ; mais ils s’étaient vu briser parce qu’ils étaient devenus des orgueilleux, et, parce qu’ils s’étaient abandonnés à l’orgueil, ils s’étaient vantés d’être sages. Ceux dont Paul a dit : « Parce qu’ayant connu Dieu », ont donc vu ce que dit Jean, c’est-à-dire que toutes choses ont été faites par le Verbe. Car on trouve cette vérité dans les livres des philosophes ; on y voit aussi que Dieu a un Fils unique par lequel toutes choses existent. Ils ont pu voir ce qui est, mais ils ont vu de loin ; ils n’ont pas voulu s’attacher aux abaissements de Jésus-Christ ; montés sur ce navire ils seraient parvenus sûrement à ce qu’ils avaient pu voir de loin. Mais la Croix de JésusChrist leur a inspiré du dégoût. Il faut passer la mer, et le bois qui te porte tu le méprises ? O sagesse orgueilleuse, tu te moques de Jésus crucifie ! Mais c’est celui-là même que tu as vu de loin ! « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Mais pourquoi a-t-il été crucifié ? Parce que le bois de ses abaissements t’était nécessaire. Pour toi, tu étais enflé d’orgueil ; tu te trouvais jeté à une distance énorme de la patrie, les flots de ce siècle te coupaient le chemin qui conduit à la patrie, tu n’avais pas d’autre ressource que d’y être porté sur le navire. Ingrat, tu te moques de celui qui vient à toi pour faciliter ton retour ! Il s’est fait la voie, et la voie au travers des flots. De là vient qu’il a marché sur la mer [25], pour montrer que sur la mer était la voie. Mais toi, qui ne peux comme lui marcher sur la mer, fais-toi porter par le vaisseau, par le bois de la croix ; crois-tu au Crucifié et tu pourras arriver. C’est pour toi qu’il a été crucifié, afin de t’apprendre l’humilité, et aussi parce que s’il était venu comme Dieu, il ne serait pas venu pour ceux qui ne pouvaient voir Dieu. Il n’est donc pas venu du ciel, il n’y est pas retourné en tant que Dieu, puisque comme tel il est partout et n’est renfermé nulle part. Comment donc est-il venu ? Tel qu’il nous a apparu, avec la nature humaine.
5. Aussi, parce qu’il était un homme, mais un homme en qui Dieu était caché, il a envoyé devant lui un homme extraordinaire dont le témoignage le fit reconnaître comme étant une nature supérieure à celle de l’homme. Quel était ce personnage extraordinaire ? « Il y eut un homme ». Comment pouvait-il dire la vérité sur Dieu ? « Il était envoyé de Dieu ». Son nom ? « Il s’appelait Jean ». Pourquoi est-il venu ? « Il est venu pour rendre témoignage, pour rendre témoignage de la lumière, afin que tous crussent par lui ». Qui était-il pour rendre témoignage de la lumière ? C’était quelque chose de grand, grand mérite, grande grâce, grande élévation ! Admirez-le, oui, admirez-le, mais admirez-le comme une montagne. Or, une montagne demeure dans les ténèbres, à moins que la lumière ne vienne l’éclairer de ses rayons. Ainsi, n’admirez Jean que pour entendre ce qui suit : « Il n’était pas la lumière », de peur que, prenant la montagne pour la lumière, tu y trouves non pas la consolation, mais le naufrage. Mais que dois-tu admirer ? La montagne comme montagne. Cependant dresse-toi vers celui qui illumine la montagne, élevée pour recevoir la première les rayons de la lumière et la refléter ensuite à tes yeux. Donc, « il n’était pas la lumière ».
6. Pourquoi donc est-il venu ? « Pour rendre témoignage de la lumière ». Pourquoi ce témoignage ? « Afin que tous crussent en lui ». Quelle était cette lumière dont il devait rendre témoignage ? « Il était la lumière véritable ». Pourquoi l’Évangéliste a-t-il ajouté le mot véritable ? Parce que l’homme éclairé est appelé lumière, tandis que la lumière véritable est celle qui éclaire. En effet, nos yeux sont aussi appelés lumières ; et cependant, si de nuit on n’allume pas une lampe, ou si de jour le soleil ne se rencontre pas, c’est inutilement que ces lumières sont ouvertes. Ainsi Jean était la lumière, mais non la lumière véritable ; parce que, avant d’être éclairé, il était ténèbres, et que, après avoir été éclairé, il est devenu lumière. S’il n’avait pas reçu les rayons de la lumière, il serait resté ténèbres, comme tous les impies auxquels, même après leur conversion à la foi, l’Apôtre disait : « Autrefois, vous étiez ténèbres ». Cependant, parce qu’ils avaient reçu la foi, qu’ajoutait-il ? « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur [26] ». S’il n’avait pas ajouté : « Dans le Seigneur », nous n’aurions pas compris ce qu’il voulait dire. « Vous êtes », disait-il, « lumière dans le Seigneur ». Vous étiez ténèbres, mais noms dans le Seigneur ; car « autrefois vous étiez ténèbres » ; là il n’ajoute pas dans le Seigneur. Donc vous étiez ténèbres en vous, et lumière dans le Seigneur. Ainsi, « Jean n’était pas la lumière, mais il était venu pour en rendre témoignage ».
7. Mais la lumière même, où est-elle ? « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde ». S’il éclaire tout homme venant en ce monde, il éclairait aussi Jean ; il éclairait donc celui par qui il voulait être montré. Que votre charité s’applique à m’entendre. Il venait à des esprits infirmes, à des cœurs blessés, à des âmes dont l’œil était malade. Tel était l’objet de sa venue. Et comment l’âme aurait-elle pu voir ce qui a la perfection de l’être ? De la manière dont il arrive souvent de connaître, par les rayons tombés sur un corps étranger, le lever du soleil que nous ne pouvons encore voir de nos yeux. Comme ceux qui ont les yeux malades, sont capables de voir un mur, une montagne, un arbre, ou tout autre objet illuminé et éclairé par le soleil, et par le moyen de cette lumière autre que la sienne, de s’apercevoir qu’il est levé ; ce que leur regard trop faible ne peut découvrir directement : ainsi tons ceux vers qui Jésus-Christ était venu étaient trop peu à même de le voir. Il a répandu son éclat sur Jean ; et en avouant qu’il reçut les rayons et la lumière, qu’il n’était ni les rayons ni la lumière, Jean a fait connaître celui qui illumine, celui qui éclaire, celui qui remplit de sa plénitude. Et celui-là qui est-il ? « Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Car si l’homme n’était déchu d’ailleurs, il n’aurait pas eu besoin d’être éclairé de la lumière ; mais elle lui est nécessaire en ce monde, parce qu’il est déchu de l’endroit où il lui était loisible de l’avoir toujours.
8. Quoi donc ? S’il est venu ici, où était-il ? « Il était dans le monde ». Il était ici et il y est venu. Il y était par sa divinité, il y est venu var son incarnation ; car, bien qu’il fût ici par sa divinité, les ignorants, les aveugles et les méchants ne pouvaient le voir. Les méchants sont les ténèbres dont il est écrit : « La « lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise[27] ». Voici qu’il est ici à cette heure, et il y était, et il y est toujours ; jamais il ne s’en éloigne, et il y est partout présent. Il te faut de quoi voir ce qui ne s’éloigne jamais de toi ; il te faut ne pas t’éloigner du soleil qui remplit tous les lieux de sa présence. Pour ne pas être abandonné de lui, il ne faut jamais t’en séparer. Ne tombe pas et il ne disparaîtra pas ; si tu tombes, il disparaît à tes yeux. Si tu demeures debout, il est présent devant toi ; mais si tu n’es pas resté debout, souviens-toi d’où tu es tombé ; d’où tu as été précipité par celui qui est tombé avant toi. Il t’a précipité, non par la force, non par la violence, mais par un acte de ta volonté. Car, si tu n’avais pas consenti au anal, tu serais debout, et tu aurais continué à être éclairé. Mais maintenant que tu es tombé et que tu as été blessé au cœur, comment cette lumière pourra-t-elle venir jusqu’à toi ? Il est venu dans des conditions telles que tu fusses à même de le voir ; et il s’est montré homme à ce point de rechercher le témoignage d’un homme. Dieu a un homme pour témoin ; mais c’est à cause de l’homme : car nous sommes si faibles ! Au moyen de la lampe nous cherchons le jour, puisque Jean a été appelé une lampe, suivant ces paroles du Seigneur : « Il était une lampe ardente et luisante, et vous avez voulu pour un peu de temps vous réjouir à sa lumière ; pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean [28] ».
9. Il le montre donc ; c’est pour les hommes qu’il a voulu qu’une lampe le fît voir ; il l’a voulu pour exciter la foi de ceux qui devaient croire, et pour confondre par elle tous ses ennemis. Ces ennemis c’étaient ceux qui lui demandaient pour le tenter : « Dites-nous : Par quel pouvoir faites-vous ces choses-là ? – Et moi, leur répondit-il, je vous adresserai seulement une question : Dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel, ou des hommes ? Et ils furent troublés, et ils se dirent en eux-mêmes : Si nous répondons du ciel, il nous dira : Pourquoi donc n’avez-vous pas cru à sa parole ? » Car il avait rendu témoignage à Jésus-Christ, et il avait dit : « Je ne suis pas le Christ, mais c’est lui[29] ; car ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et parce qu’ils n’avaient pas voulu le laisser pénétrer dans leur âme, parce qu’ils avaient nié ce qu’ils savaient ; le Sauveur ne s’ouvrit pas non plus à eux, car ils n’avaient pas frappé. Il est dit, en effet : « Frappez et l’on vous ouvrira[30] ». Quant à eux, non seulement ils n’avaient pas frappé pour qu’on leur ouvrît ; mais, par leur mensonge, ils avaient même fermé la porte à leur propre détriment. Et moi, leur dit le Seigneur : « Je ne vous dis pas non plus par quel pouvoir je fais ces choses[31] ». Ainsi furent-ils confondus par Jean, et cette parole s’accomplit en eux : « J’ai préparé une lampe pour mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis[32]. « Si, au contraire, nous répondons des hommes, nous craignons que le peuple ne nous lapide, parce qu’on regardait Jean comme un Prophète ». Craignant d’être lapidés, mais craignant davantage encore de dire la vérité, ils répondirent par un mensonge à la vérité, mais l’iniquité se mentit à elle-même[33] ».
10. « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ». Ne pense point qu’il était dans le monde, comme y est la terre, comme y est le ciel, comme y sont le soleil, la lune, les étoiles, comme y sont les arbres, les animaux, les hommes. Ce n’est pas ainsi qu’il était dans le monde. Mais comment y était-il ? Comme un ouvrier qui gouverne ce qu’il a fait. Non, toutefois, qu’il ait fait son œuvre comme un ouvrier fait la sienne : hors de l’ouvrier est le coffre qu’il façonne ; ce coffre est placé dans un endroit autre que celui où il se trouve lui-même, pendant qu’il le fabrique : et bien que l’ouvrier se tienne à côté de son œuvre, il est cependant ailleurs et en dehors de l’objet de son travail. Pour Dieu il est répandu dans le monde qu’il crée, il demeure dans toutes ses parties, il ne se retire nulle part ailleurs ; il n’est point placé au-dehors du monde, pour le laisser en quelque sorte tomber de ses mains. Par la présence de sa majesté il fait ce qu’il fait, par sa présence il gouverne ce qu’il a fait. Ainsi il était donc dans le monde comme celui par qui a été fait le monde : « Car le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».
11. Qu’est-ce à dire : « Le monde a été fait par lui ? » Le ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve s’appellent le monde. En outre, et dans un autre sens on appelle de ce nom les amis du monde. « Le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ». Quoi ! les cieux n’ont point connu leur Créateur ? les anges ne l’ont point connu ? les astres ne l’ont point connu, lui dont les démons confessent là puissance ? En tous lieux, toutes choses lui rendent témoignage. Mais qui sont ceux qui ne l’ont point connu ? Ceux qui, aimant le monde, ont été appelés de ce nom ; car où se trouvent nos affections, nous y habitons par le cœur. Aussi, dès lors qu’ils aimaient le monde, ils ont mérité le nom du lieu où ils avaient fixé leurs affections. Ainsi lorsque nous disons : Mauvaise est cette maison, ou bonne est cette maison, nous ne jetons pas plus un blâme sur les murailles de la première, que nous ne faisons l’éloge de la seconde. Mais, en disant qu’une maison est mauvaise, nous entendons que ceux qui l’habitent sont des méchants ; et en disant qu’elle est bonne, nous voulons dire que ceux qui y demeurent sont des gens honnêtes. Ainsi, par le monde nous entendons ceux qui y ont fixé leurs affections. Qui sont-ils encore une fois ? Ceux qui l’aiment, parce qu’ils y habitent par le cœur. Car pour les autres qui n’aiment pas le monde, leur corps est bien dans le monde, mais leur cœur habite au ciel, comme dit l’Apôtre : « Notre conversation est au ciel [34] ». Donc, « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».
12. « Il est venu chez soi », parce que tout cet univers a été fait par lui. « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Qui les siens ? Les hommes qu’il a créés. Les Juifs qu’il a dès le commencement élevés au-dessus de toutes les nations. Car les autres peuples adoraient les idoles et servaient les démons ; mais les Juifs étaient issus de la race d’Abraham ; ainsi ils étaient particulièrement les siens parce qu’ils lui appartenaient par le lien de la chair dont il a daigné se revêtir pour notre amour. « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont pas reçu ». A-t-il été absolument rejeté de tous ? Aucun d’eux ne l’a-t-il reçu ? Aucun d’eux n’a-t-il été sauvé ? Car personne ne sera sauvé à moins de recevoir Jésus-Christ.
13. Mais il ajoute : « Quant à ceux qui l’ont « reçu ». Que leur a-t-il accordé ? Étonnante miséricorde ! Admirable bienveillance ! Unique par sa naissance, il n’a pas voulu demeurer seul. Plusieurs n’ayant pas eu d’enfants, et l’âge où l’on peut en avoir étant passé pour eux, ils en adoptent, et par leur volonté ils se donnent ce que leur a refusé la nature : ainsi font les hommes. Mais si quelqu’un a un fils unique, il en éprouve une joie d’autant plus vive, parce que celui-ci est seul appelé à posséder tout le bien de son père, et qu’il n’aura point à partager avec d’autres son héritage en le partageant il s’appauvrirait. Il n’en est pas ainsi de Dieu. Le Fils unique qu’il avait engendré, et par qui il avait fait toutes choses, il l’a envoyé dans le monde afin qu’il ne fût pas seul, mais qu’il eût des frères adoptifs. Pour nous, en effet, nous ne sommes pas nés de Dieu comme son Fils unique ; mais nous avons été adoptés par sa grâce. Ce Fils unique est venu pour nous délivrer des péchés dans lesquels nous étions enveloppés, et qui formaient un obstacle à notre adoption. Aussi a-t-il d’abord délivré de leurs fautes ceux dont il voulait faire ses frères, puis il les a rendus ses cohéritiers. Voilà, en effet, ce que dit l’Apôtre : « S’il est fils, il est aussi héritier par la grâce de Dieu [35] ». Et encore : « Héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ[36] ». Il n’a pas craint d’avoir des cohéritiers ; car le grand nombre de ceux qui possèdent son héritage, ne peut en amoindrir la valeur ; il y a plus : ses cohéritiers deviennent son bien et son héritage, et lui-même il devient leur héritage à son tour. Écoute, voici comment ils deviennent son héritage. « Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage[37] ». Mais lui, comment devient-il leur héritage ? Il est dit en un psaume : « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice[38] ». Puissions-nous le posséder, et puisse-t-il nous posséder nous-mêmes ? Qu’il nous possède comme étant Notre-Seigneur, possédons-le comme notre salut, possédons-le comme notre lumière. Qu’a-t-il donc donné à « ceux qui l’ont reçu ? » « À ceux qui croient en son nom, il leur a donné d’être enfants de Dieu », afin qu’ils se tiennent attachés au bois qui doit leur faire traverser la mer.
14. Et comment naissent-ils ? C’est en devenant enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ qu’ils naissent, cela est évident. Si, en effet, ils ne naissaient pas, comment pourraient-ils être fils ? Les enfants des hommes naissent de la chair et du sang, par un effet de la volonté de l’homme et de l’usage de l’union conjugale. Pour eux, comment naissent-ils ? « Ceux qui ne sont pas nés du sang ». Il entend, par là, le sang de l’homme et de la femme. Sang au pluriel n’est pas latin, mais parce que ce mot est employé au pluriel dans le grec, l’interprète a préféré l’employer ainsi à son tour, et par une expression moins latine, au gré des grammairiens, mettre la vérité au niveau des intelligences des faibles. S’il eût dit sang au singulier, il n’eût pas expliqué ce qu’il voulait, car les hommes naissent du mélange des sangs de l’homme et de la femme. Disons-le donc aussi, sans craindre les férules des grammairiens, s’il nous est possible par là d’arriver à une connaissance de la vérité plus claire et plus solide. Celui qui comprend, condamne cette manière de parler ; sa facilité à saisir les choses le rend intraitable. « Ceux qui ne sont pas nés des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme » : l’Évangéliste emploie le mot chair pour celui de femme ; car, lorsqu’elle fut formée de la côte d’Adam celui-ci s’écria : Voici l’os de mes os et la chair de ma chair [39] » ; et l’Apôtre a dit : « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même, car personne ne hait sa propre chair [40] ». Ce mot chair est donc employé pour désigner la femme, de même que le mot esprit est quelquefois mis pour désigner le mari. Pourquoi ? Parce que l’esprit gouverne et que la chair est gouvernée, parce que l’un doit commander et l’autre obéir. En effet, où la chair commande, l’esprit obéit, c’est une maison en désordre. Y a-t-il rien de pire qu’une maison où la femme a le commandement sur l’homme ? Une maison bien ordonnée est celle où l’homme commande, et où la femme obéit ; ainsi, encore, l’homme n’est lui-même dans l’ordre, qu’autant que chez lui l’esprit est le maître, et que le corps est l’esclave.
15. « Ils ne sont donc pas nés de la volonté u de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Pour que l’homme pût naître de Dieu, d’abord Dieu est né de l’homme. Car Jésus-Christ est Dieu, et Jésus-Christ est né de l’homme. À la vérité, il n’a cherché qu’une mère sur la terre, parce qu’il avait déjà un Père au ciel. Il est né de Dieu pour nous créer, et il est né de la femme pour nous refaire. Ne t’étonne pas, ô homme, de ce que tu deviens fils de Dieu par la grâce, de ce que tu nais de Dieu par son Verbe ; Le Verbe a voulu d’abord naître de l’homme, afin que tu fusses assuré de naître de Dieu, et que tu fusses à même de te dire à toi-même : Ce n’est pas sans motif que Dieu a voulu naître de l’homme, il faut qu’il m’ait jugé comme ayant quelque valeur, pour me rendre immortel, et pour, naître lui-même mortel à cause de moi. L’Évangéliste a donc dit : « Ils sont nés de Dieu » ; mais afin que nous ne soyons ni étonnés ni effrayés de cette grâce immense en vertu de laquelle ; chose presque incroyable ! des hommes sont devenus enfants de Dieu, il veut, en quelque sorte, te rassurer, et il ajoute : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Pourquoi t’étonner que des hommes soient nés de Dieu ? Fais attention que Dieu lui-même est né de l’homme. « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ».
16. « Le Verbe s’étant donc fait chair, et ayant habité parmi nous », il nous a, par sa naissance, préparé un collyre pour guérir nos yeux, et nous aider à apercevoir sa grandeur cachée sous le voile de ses abaissements. « Le Verbe s’est donc fait chair, et il a habité parmi nous », il a guéri nos yeux. Que lisons-nous ensuite ? « Et nous avons vu sa gloire ». Sa gloire, personne n’aurait pu la voir, à moins d’être guéri par l’humilité de sa chair. Pourquoi nous était-il impossible de la voir ? Que votre charité soit attentive, et comprenez bien mes paroles. L’œil de l’homme s’était comme rempli de poussière ou de terre, et sa vue en était troublée ; il ne pouvait voir la lumière. On applique le remède sur cet œil malade ; la terre avait fait son mal, on met de la terre pour le guérir. Car tous les collyres et tous les médicaments pour les yeux ne tirent leur vertu que de la terre. La poussière t’avait aveuglé, la poussière te guérit ; ton aveuglement était venu de la chair, de la chair est venue ta guérison. L’âme était, en effet, devenue charnelle par le consentement qu’elle avait donné aux désirs de la chair ; c’est ce qui avait crevé l’œil de ton cœur. « Le Verbe s’est fait chair », et le médecin t’a préparé un collyre. Et parce qu’il est venu afin d’éteindre en sa chair les vices de la nôtre, et de tuer notre mort par la sienne, il s’est fait en toi, et ainsi : « Le Verbe s’étant fait chair », tu peux dire que « nous avons vu sa gloire ». Quelle gloire ? Quel fils de l’homme est-il devenu ? C’est là pour lui de l’humiliation, et non de la gloire. Mais jusqu’où s’est porté le regard jel’homme, une fois qu’il a été guéri par la chair ? « Nous avons vu sa gloire », dit l’Evangéliste, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité ». Cette grâce et cette vérité, si Dieu nous en fait la grâce, nous en parlerons plus au long une autre fois, quand nous expliquerons d’autres passages de ce même Évangile. Que ceci nous suffise pour aujourd’hui. Quant à vous, cherchez votre édification dans le Christ : que votre foi s’affermisse ; soyez attentifs à pratiquer toutes sortes de bonnes œuvres ; ne laissez point échapper de vos bras le bois qui doit vous aider à traverser la mer.

TROISIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « JEAN REND TÉMOIGNAGE DE LUI » JUSQU’À CET AUTRE : « LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PÈRE, L’A RACONTÉ LUI-même ». (Ch. 1, 15-18.)

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LOI ET GRÂCE.

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Le médecin, venu jour guérir ceux qui étaient sous la loi, c’est le Verbe fait chair. Il était Fils de Dieu, véritable lumière du monde : celui-ci ne l’a pas connu : aussi, Jean est-il venu le montrer au monde, comme source de grâce et de bonheur. Par Adam, nous étions condamnés à la mort éternelle ; par le Christ, nous avons été amenés à avoir la foi et à mériter la récompense des élus. La loi rendait les hommes coupables ; la grâce et la vérité du Christ nous ont donné l’innocence. Les observateurs de la loi ne recevaient qu’une récompense temporelle ; si nous accomplissons la loi nouvelle, la vie éternelle sera notre partage.


1. Distinguer des dons de l’Ancien Testament, parce qu’elles appartiennent au Nouveau, la grâce et la vérité de Dieu, dont était rempli son Fils unique notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, lorsqu’il apparut aux saints, telle est la tâche que nous avons entreprise au nom du Seigneur et que nous avons promis à votre charité de remplir. Soyez donc attentifs, afin que Dieu m’accorde autant de savoir que mon esprit peut en comporter, et vous donne toute l’intelligence dont vous êtes susceptibles. Si cette semence répandue dans vos âmes n’est pas emportée par les oiseaux, si les épines ne l’étouffent pas, si elle n’est pas desséchée par la chaleur, si la pluie de mes exhortations quotidiennes unie à vos bonnes pensées vient encore faire en votre cœur ce que la rosée fait dans les champs où elle ameublit la terre, couvre la semence et l’aide ainsi à germer, facilite son développement, il vous restera pour votre part, à produire une moisson qui fasse la joie et le contentement du laboureur[41]. Que si, pour cette bonne semence et pour cette pluie bienfaisante, vous produisez, non du blé, mais des épines, on n’en accusera ni la semence, ni la pluie, mais les épines seront réservées au feu qu’elles méritent.
2. Nous sommes des hommes, et ce qui, à mon avis, ne demande pas de longs raisonnements pour le persuader à votre charité, nous sommes des chrétiens ; si nous sommes des chrétiens, ce titre montre que nous appartenons à Jésus-Christ. Nous en portons le signe sur le front ; nous ne devons pas en rougir, pourvu toutefois que nous le portions aussi sur notre cœur. Ce signe du Sauveur n’est autre que son humilité ; une étoile a servi à le faire connaître aux Mages : c’était le signe donne par, le Seigneur, signe brillant et venu du ciel[42] ; il n’a pas voulu qu’une étoile fût marquée comme signe sur le front des fidèles, il a choisi la croix. Le principe de ses humiliations est devenu celui de sa gloire. Nous étions plongés dans un abîme ; il s’est abaissé, il y est descendu et il nous en a retirés. Nous appartenons donc à l’Évangile, nous appartenons au Nouveau Testament. « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ». Interrogeons l’Apôtre, il nous enseigne que nous sommes sous l’empire, non de la loi, mais de la grâce[43], et il nous dit : « Dieu a donc envoyé son fils, formé de la femme, formé sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi et nous rendre enfants adoptifs[44] ». Voilà pourquoi Jésus-Christ est venu ; c’était pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que désormais nous ne soyons plus sous l’empire de la loi, mais sous celui de la grâce. Qui a donné la loi ? Celui-là même a donné la loi, qui a donné la grâce ; mais la loi, il l’a envoyée par son serviteur, la grâce, il est descendu pour nous l’apporter. Mais comment les hommes étaient-ils venus se ranger sous la loi ? En n’accomplissant pas la loi. Celui qui accomplit la loi n’est pas sous la loi, mais quiconque est sous la loi, en est écrasé au lieu d’en être soulagé. Aussi tous les hommes placés sous la loi, la loi les rend criminels, c’est pourquoi elle est sur leur tête, non pour ôter leurs péchés, mais pour montrer qu’ils sont pécheurs. La loi ordonne, mais pour accomplir ce qu’ordonne la loi, la miséricorde du législateur est indispensable. En s’efforçant d’accomplir les préceptes de la loi avec leurs propres forces, les hommes ont été entraînés dans l’abîme par cette présomption téméraire et irréfléchie, et au lieu d’être avec la loi, ils sont tombés sous la loi, et sont devenus criminels ; mais comme, par leurs propres forces, ils n’ont pu accomplir la loi, ils sont tombés sous la loi et sont devenus coupables ; alors ils ont imploré le secours du Libérateur. Ainsi cette culpabilité sous la loi a rendu malades les superbes. La maladie des superbes leur a inspiré l’humilité et les a portés à avouer leur faiblesse ; déjà les malades confessent leur mal, vienne le médecin et qu’il les guérisse.
3. Quel est ce médecin ? Jésus-Christ Notre. Seigneur. Qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Celui qui s’est montré même à ceux qui l’ont crucifié, celui qui a été pris, souffleté, flagellé, couvert de crachats, couronné l’épines, attaché à la croix, qui est mort, qui a été percé d’une lance, descendu de la croix et mis dans un sépulcre. C’est bien Jésus-Christ Notre-Seigneur, oui, c’est lui, c’est lui seul qui a mis le remède sur nos blessures, c’est le crucifié qu’on a accablé d’injures, devant qui les bourreaux passaient en secouant la tête et en disant : « Il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix [45] ». Voilà notre unique médecin ; oui, c’est lui. Pourquoi donc n’a-t-il pas montré à ses insulteurs qu’il était le fils de Dieu ? S’il leur a permis de l’élever en croix, au moins, lorsqu’ils lui disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix », pourquoi n’en est-il pas descendu, ne leur a-t-il pas montré qu’il était le vrai Fils de Dieu dont ils avaient osé se moquer ? Il ne l’a pas voulu. Pourquoi ne l’a-t-il pas voulu ? Était-ce défaut de puissance ? Non, assurément. Quel est en effet le plus difficile, de descendre d’une croix ou de sortir vivant du tombeau ? Cependant, il a supporté les insultes, car sa croix devait lui servir à nom donner, non pas une preuve de sa puissance, mais un exemple de patience. Ainsi il a guéri tes blessures, là où les siennes l’ont fait longtemps souffrir ; il t’a guéri des atteintes de la mort éternelle, là où il a daigné mourir de la mort du temps. Est-ce lui qui est mort, ou bien est-ce la mort qui est morte en lui ? Quelle mort que celle qui a tué la mort ?
4. Mais était-ce bien Notre-Seigneur Jésus-Christ tout entier que l’on voyait, dont on s’emparait, que l’on crucifiait ? Était-ce bien lui tout entier ? Oui, certainement, mais non pas tel que le voyaient les Juifs, car ce qu’ils voyaient n’était pas le Christ dans tout son entier. Qu’était-ce donc encore que le Christ ? « Au commencement était le Verbe ». Quel commencement ? « Dieu en qui était le Verbe ». Et quel Verbe ? « Le Verbe était Dieu ». Le Verbe aurait-il été fait par Dieu ? Non. Car « au commencement il était en Dieu ». Hé quoi ! les autres choses que Dieu a faites ne sont-elles pas semblables au Verbe ? Non, car « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? Parce que « ce qui a été fait, était vie en lui », et avant que cela fût fait, c’était la vie. Ce qui a été fait n’est pas vie, mais dans le plan, c’est-à-dire dans la sagesse de Dieu, avant d’avoir été fait, cela était la vie. Ce qui a été fait passe, ce qui est dans la sagesse de Dieu ne peut passer. Ce qui a été fait était vie en lui. Quelle était cette vie ? Comme l’âme est la vie du corps, notre corps a sa vie propre ; dès qu’elle se sépare de lui, il meurt. La vie dont nous parlons était-elle pareille à celle-là ? Non. « Mais la vie était la lumière des hommes ». Était-elle aussi la lumière des bêtes ? Cette lumière qui nous éclaire est tout à la fois la lumière des bêtes et celle des hommes. Il y a une lumière propre aux hommes, voyons ce qui distingue les hommes des bêles et alors nous comprendrons quelle est cette lumière des hommes. Tu ne diffères des bêtes que par l’intelligence, car pour tout le reste tu n’as pas sujet de te préférer à elles. Tu as confiance en tes forces ? Les bêtes sont plus fortes que toi. Ton agilité t’enorgueillit ? Les monstres sont plus agiles. Tu te vantes de ta beauté ? Quelle beauté dans les plumes du paon. En quoi leur es-tu supérieur ? En ce que tu es fait à l’image de Dieu. Où est cette image de Dieu ? Dans ton esprit, dans ton intelligence. Si donc tu vaux mieux que la bête, c’est parce que tu es doué d’un esprit capable de comprendre ce que les bêtes ne peuvent saisir. Tu es homme, parce que tu es supérieur aux animaux. La lumière des hommes est donc la lumière des esprits. La lumière des âmes est au-dessus d’elles et les surpasse toutes. C’était là la vie par laquelle toutes choses ont été faites.
5. Où était-elle ? Était-elle ici ? Ou bien était-elle dans le Père, sans être ici ? Ou, ce qui est plus exact, était-elle ici ou dans le Père ? Si elle était ici, pourquoi ne la voyait-on pas ? Parce que « la lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise ». O hommes ne soyez pas ténèbres, ne soyez pas infidèles, injustes, ennemis de l’équité, ravisseurs, avares, amateurs du siècle ; être tels, c’est être ténèbres. La lumière n’est pas absente, mais c’est vous qui êtes absents par rapport à la lumière. Le soleil est présent pour l’aveugle sur qui tombent ses rayons ; mais l’aveugle est absent par rapport au soleil. Ne soyez donc pas ténèbres. Voilà en quoi consiste la grâce dont nous vous parlerons plus tard ; c’est que nous ne soyons plus ténèbres, et qu’à nous s’appliquent ces paroles de l’Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur [46] ». Cependant, comme on ne voyait pas la lumière des hommes, c’est-à-dire la lumière des esprits, il fallait qu’un homme lui rendît témoignage, et pour cela, il était nécessaire qu’il fût, non point plongé encore dans les ténèbres, mais déjà enveloppé des rayons de la lumière. Toutefois, pour être brillant, il n’en était pas davantage la lumière même, « mais il était pour rendre témoignage de la lumière ». Car « il n’était pas la lumière ». Et quelle était cette lumière ? « C’était la lumière véritable qui éclaire tout u homme venant en ce monde ». Et où était-elle ? « Elle était en ce monde ». Et comment « était-elle dans le monde ? » Cette lumière était-elle dans ce monde comme y est la lumière du soleil, de la lune, des lampes ? Non, car « le monde a été fait par lui, et le monde « ne l’a pas connu o, c’est-à-dire : « La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ». En effet, le monde est ténèbres, parce que les amateurs du monde c’est lui. La créature n’a-t-elle pas reconnu son Créateur ? Le ciel lui a rendu témoignage par une étoile[47] ; les vents lui ont rendu témoignage, à son ordre ils se sont apaisés[48] ; la terre lui a rendu témoignage, elle a tremblé au moment de sa mort[49] ; la mer lui a rendu témoignage, en portant le Christ, pendant qu’il marchait sur ses flots[50]. Si toutes ces créatures lui ont rendu témoignage, comment peut-on dire que le monde est demeuré sans le reconnaître, si ce n’est que par le monde il faille entendre les amateurs du monde, ceux qui s’y trouvent fixés par leurs affections ? Ainsi mauvais est le monde, parce que mauvais sont ceux qui l’habitent, de même que mauvaise est une maison, non à cause de ses murailles, mais à cause de ceux qui y demeurent.
6. « Il est venu chez soi », c’est-à-dire dans ce qui était à lui, et « les siens ne l’ont pas reçu ». Quelle espérance nous reste-t-il donc si ce n’est que « tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». S’ils deviennent enfants, ils naissent ; s’ils naissent, comment naissent-ils ? « Ce n’est pas de la chair, ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Qu’ils se réjouissent donc, puisqu’ils sont nés de Dieu, qu’ils ne craignent pas de croire qu’ils lui appartiennent ; voici la preuve de leur divine origine : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Si le Verbe n’a pas rougi de naître de l’homme, les hommes rougiraient de devenir les enfants de Dieu ? Ce qu’il a fait, il l’a réparé, parce qu’il l’a fait ; qu’il l’ait réparé, nous en avons la preuve. Parce que « le Verbe s’est fait chair en habitant parmi nous », il est devenu notre remède ; la terre nous aveuglait, c’est par de la terre qu’il nous a guéris. Que voulait-il nous faire voir en nous guérissant ? « Et nous avons vu sa gloire », dit Jean, « sa gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité [51] ».
7. « Jean rend témoignage de lui et il crie en disant : Voilà celui dont je vous ai dit : Celui qui vient après moi a été fait avant moi ». Il est venu après moi, et il m’a précédé. Qu’est-ce à dire ? « Il a été fait avant moi ». C’est-à-dire : il m’a précédé, non qu’il ait été fait avant que je n’aie été fait moi-même, mais il m’a été préféré ; voilà ce que signifie : « Il a été fait avant moi ». Comment a-t-il été fait avant toi, puisqu’il n’est venu qu’après toi ? « Parce qu’il était avant moi ». Avant toi, ô Jean ? Qu’y a-t-il d’étonnant, s’il est avant toi ? c’est vraiment chose admirable, puisque tu lui rends témoignage. Écoutons en effet ce qu’il dit de lui-même. « Je suis avant Abraham [52] ». Par sa naissance Abraham a tenu le milieu dans la vie du genre humain ; mais écoute ce que le Père dit à son Fils : « Je t’ai engendré avant Lucifer[53] ». Celui qui a été engendré avant Lucifer éclaire évidemment tous les hommes. On a donné le nom de Lucifer à cette créature déchue de la dignité d’ange et tombée à l’état de démon ; l’Écriture a dit de cet être « Lucifer est tombé, lui qui se levait au point du jour[54] ». Pourquoi lui donner le nom de Lucifer ? Parce qu’il reflétait la lumière qu’il avait reçue d’ailleurs. Comment s’est-il obscurci ? Parce qu’il ne sut pas tenir dans la vérité [55]. Jésus-Christ devait donc avant Lucifer, avant tout, être éclairé. De fait, celui dont la lumière brille dans tous les êtres susceptibles d’être éclairés, celui-là doit nécessairement être avant tout illuminé.
8. Aussi Jean ajoute : « Et nous avons tous reçu de sa plénitude ». Qu’avez-vous reçu ? « Et grâce pour grâce ». Ainsi lisons-nous dans le texte évangélique, copié sur les exemplaires grecs. Il n’est pas dit : nous avons reçu de sa plénitude grâce pour grâce ; mais : « Nous avons tous reçu de sa plénitude et grâce pour grâce », sous-entendu nous avons reçu. L’Évangéliste veut nous donner à entendre que nous avons reçu je ne sais quoi de la plénitude de Jésus-Christ, et en outre grâce pour grâce. De sa plénitude nous avons d’abord reçu la grâce, puis nous avons reçu une grâce nouvelle que l’Évangéliste appelle grâce pour grâce. Quelle est la première grâce reçue ? La foi. Dès lors que nous marchons dans la foi, nous marchons dans la grâce. Par quoi l’avons-nous méritée ? Par quels mérites antécédents ? Que personne ne se flatte, que chacun rentre en soi-même, qu’il scrute ses pensées les plus secrètes, qu’il remonte anneau par anneau la chaîne de ses œuvres, qu’il ne fasse pas attention à ce qu’il est, si tant est qu’il soit déjà quelque chose, mais à ce qu’il a été pour être quelque chose, et il trouvera qu’il n’a jamais mérité que le supplice. Si tu n’as rien mérité que le supplice, et si le Christ est venu non pour punir tes péchés, mais pour te les remettre, tu as donc reçu une grâce et non une récompense. Pourquoi la grâce s’appelle-t-elle ainsi ? Parce qu’elle est donnée gratuitement. En effet, ce que tu as reçu, tu ne l’as acheté au prix d’aucun mérite antécédent. Le pécheur a donc reçu cette première grâce pour la rémission de ses fautes. Qu’avait-il mérité ? S’il interroge la justice, il n’avait droit qu’à être puni : s’il le demande à la miséricorde, elle lui accorde la grâce. Dieu l’avait promise par l’organe des Prophètes ; aussi lorsqu’il vint pour accomplir sa promesse, donna-t-il, non seulement la grâce, mais encore la vérité. En quoi s’est manifestée la vérité ? En ce que Dieu a donné suite à ses promesses.
9. Qu’est-ce donc à dire : « Grâce pour grâce ? » Par la foi nous méritons Dieu ; nous ne méritions pas le pardon de nos péchés, et parce que nous étions indignes de ce don immense que nous avons reçu, ce don porte le nom de grâce ; que signifie grâce ? Donnée gratuitement. Que veut dire donnée gratuitement ? Accordée comme présent et non comme récompense. Si elle était due, c’était une récompense méritée, et non pas un don gratuit. Si elle était vraiment exigible, c’est que tu aurais été bon ; mais si, ce qui est indubitable, tu as été mauvais, comme néanmoins tu as cru en celui qui justifie l’impie [56], (qu’est-ce à dire : qui justifie l’impie ? Qui rend pieux l’homme impie), songe aux maux dont te menaçait la loi et aux biens que t’a procurés la grâce. En recevant cette grâce de la foi, tu deviendras juste par la foi (car le juste vit de la foi[57]), et en vivant de la foi tu mériteras Dieu : et alors que tu auras mérité Dieu par cette vie de la foi, tu recevras pour récompense l’immortalité et la vie éternelle. Et cette récompense est elle-même une grâce. Car, en, considération de quoi reçois-tu la vie éternelle ? En considération de la grâce. Effectivement, si la foi est une grâce et si la vie éternelle est, en quelque sorte, la récompense de la foi, en te donnant la vie éternelle Dieu semble s’acquitter d’une dette. (A l’égard de qui l’aurait-il contractée ? À l’égard du fidèle qui, par sa foi, y aurait acquis un droit.)Mais parce que la foi est elle-même une grâce, la vie éternelle est une grâce pour une grâce.
10. Écoute Paul : il reconnaît la grâce et ensuite, il réclame un dû. Comment Paul reconnaît-il la grâce ? « J’étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un diseur « d’injures ; mais », ajoute-t-il, « j’ai trouvé miséricorde [58] ». Il se reconnaît indigne d’avoir obtenu miséricorde, il a trouvé grâce cependant, non par suite de ses mérites, mais par un effet de la miséricorde divine. Il vient d’avouer qu’il a reçu une grâce imméritée : maintenant, il exige un dû ; écoute-le. « Pour moi », dit-il, « je suis au moment de mon sacrifice et le temps de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai conservé la foi : il me reste à recevoir la couronne de justice qui m’est réservée ». Il réclame un dû, il exige le paiement d’une dette ; car, vois ce qui suit : « Que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra au dernier jour [59] ». Pour recevoir d’abord la grâce, il lui fallait la miséricorde de Dieu ; pour la récompense de la grâce, il lui faut la justice du Juge. Celui qu’il n’a pas condamné pendant qu’il était impie, le condamnera-t-il maintenant qu’il est fidèle ? Et cependant, si tu y réfléchis bien, tu verras que Dieu t’a d’abord donné la foi par laquelle tu l’as mérité ; car tu n’as point mérité par toi-même qu’il fût redevable envers toi de quelque chose. Aussi, quand il t’accorde ensuite la récompense de l’immortalité, il couronne ses dons et non pas tes mérites. Donc, mes frères, « tous nous avons reçu de sa plénitude », de la plénitude de sa miséricorde, de l’abondance de sa bonté, Qu’avons-nous reçu ? La rémission de nos péchés qui nous a mis à même d’être justifiés par la foi. Quoi encore ? « Grâce pour grâce », c’est-à-dire pour cette grâce de la vie de la foi, nous recevrons une autre grâce. Que pourrions-nous recevoir, sinon une grâce ? Car, si je dis que cela m’est dû, je m’adjuge donc quelque chose, comme si Dieu me le devait ; or, ce que Dieu couronne en nous, ce sont les dons de sa miséricorde, à condition, cependant, que nous marchions jusqu’à la fin dans cette grâce qu’il nous a donnée.
11. « Car la loi a été donnée par Moïse » cette loi retenait les hommes dans le péché. En effet, que dit l’Apôtre ? « La loi est survenue pour faire abonder le péché[60] ». L’abondance du péché, voilà le bénéfice des orgueilleux ; car les hommes se donnaient beaucoup à eux-mêmes, ils attribuaient beaucoup à leurs forces, et ils étaient incapables, cependant, d’accomplir la justice sans le secours de Celui qui l’avait commandée. Pour dompter leur orgueil, Dieu leur a donné la loi comme pour leur dire : Tenez, accomplissez-la et ne vous imaginez pas que vous n’avez pas de maître ce qui manque, ce n’est pas celui qui commandera, c’est celui qui obéira.
12. Que si l’homme manque pour accomplir la loi, pourquoi ne l’accomplit-il pas ? parce qu’il est né esclave du péché et de la mort. Issu d’Adam, il traîne avec soi ce qu’il a puisé à cette source empoisonnée ; le premier homme est tombé, et tous ceux qui sont nés de lui en ont hérité la concupiscence de la chair. Il fallait qu’un autre homme vînt au monde, qui ne traînât à sa suite aucune concupiscence. Il y a donc un homme et un homme. Un homme pour la mort, et un homme pour la vie. Ainsi parle l’Apôtre : « Comme la mort est par un homme, par un homme aussi la résurrection des morts ». Par quel homme la mort, par quel homme la résurrection des morts ? Patience, l’Apôtre continue et ajoute : « Comme tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ[61] » Qui sont ceux qui appartiennent à Adam ? Tous ceux qui sont nés d’Adam. Qui sont ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ? Tous ceux qui sont nés par Jésus-Christ. Pourquoi tous les hommes naissent-ils dans le péché ? Parce qu’il n’en est aucun qui ne soit né d’Adam. Mais naître d’Adam, c’est le résultat de la nécessité imposée par sentence divine ; naître de Jésus-Christ, c’est l’effet de la volonté et de la grâce. Les hommes ne sont pas contraints de naître par Jésus-Christ. Ce n’est pas leur volonté qui les a fait naître d’Adam ; tous ceux, cependant, qui sont nés d’Adam, sont nés avec le péché et sont pécheurs ; tous ceux qui naissent par Jésus-Christ, naissent justifiés et justes, non en eux-mêmes, mais en lui. Car, si tu les considères en eux-mêmes, ils sont d’Adam ; si tu les considères par rapport au Christ, ils sont de lui. Comment cela ? Parce que notre chef, Jésus-Christ Notre-Seigneur, est venu sans l’héritage du péché, bien qu’il soit venu avec un corps.
13. Chez les pécheurs, la mort était un châtiment ; en Jésus-Christ, elle était non la punition du péché, mais la preuve de sa généreuse miséricorde. Car il n’y avait rien en Jésus-Christ qui pût lui faire mériter la mort. Il le dit lui-même : « Voici que vient le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Pourquoi donc mourez-vous ? « Mais pour que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[62] ». Il n’y avait rien en lui qui pût lui faire mériter la mort, et néanmoins il est mort ; et toi, qui as mérité de mourir, tu refuses de le faire. Consens à souffrir de bon cœur, puisque tu l’as mérité, ce qu’il a bien voulu endurer lui-même pour te délivrer de la mort éternelle. Il y a donc un homme et un homme. Mais l’un n’est que cela, l’autre est Dieu et homme tout ensemble. L’un est l’homme du péché, l’autre est l’homme de la justice. Tu es mort en Adam, ressuscité en Jésus-Christ ; car, de part et d’autre, voilà ton lot. Tu crois déjà en Jésus-Christ, tu paieras cependant la dette que tu as contractée en Adam. Mais le péché ne te retiendra pas à jamais captif, parce qu’en mourant dans le temps, Notre-Seigneur a tué en toi la mort éternelle. C’est là, mes frères, la grâce ; c’est là aussi la vérité : parce qu’il y a eu une promesse et qu’elle a été exécutée.
14. Elle n’existait pas dans l’Ancien Testament. La loi y faisait des menaces aux hommes, mais ne leur venait pas en aide ; elle ordonnait, mais ne guérissait pas ; elle montrait la maladie, mais n’apportait pas le remède. Cependant elle frayait par là le chemin au médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. Ainsi fait un médecin qui, voulant guérir un malade, lui envoie d’abord son serviteur afin de le trouver lié quand il viendra lui-même. L’homme était malade, il ne voulait pas la guérison, et pour ne pas se laisser guérir, il se vantait d’être en santé. La loi lui a été envoyée, elle l’a lié, il se trouve coupable, et du milieu de ses entraves il crie déjà. Notre-Seigneur vient : il le guérit au moyen de remèdes parfois âcres et amers. Patience, dit-il au malade, courage ; n’aime pas le monde ; point d’emportement : que le feu de la continence te guérisse ; que le fer des persécutions cautérise tes blessures. Quoique garrotté, tu frémissais d’épouvante ; mais ton médecin, bien que libre de toute entrave, a goûté le breuvage qu’il te présentait, il a souffert le premier pour te réconforter ; il semblait te dire : ce que ta crains de souffrir pour toi-même, je l’endure le premier pour toi. Voilà une grâce et une grande grâce. Qui est-ce qui pourrait en faire dignement l’éloge.
15. Je parle, mes frères, des humiliations du Christ : que vous dire de sa divinité et de ses grandeurs ? Pour vous dire : pour vous expliquer d’une manière quelconque les humiliations du Sauveur, notre parole ne suffit pas, les expressions nous manquent. Nous laissons à vos pensées le soin de suppléer à notre impuissance, car nous ne sommes point capables de vous satisfaire par nos discours. Pensez donc aux avertissements de Jésus-Christ. Mais, diras-tu, qui nous les expliquera, si tu ne nous en parles ? Que lui-même en parle à votre cœur. Celui qui habite en vous parle mieux que celui dont la voix frappe vos oreilles. Celui qui a commencé à demeurer dans vos cœurs vous fera apprécier le bienfait de ses humiliations. Toutefois, si nous nous trouvons déjà réduits à l’impuissance, rien qu’à vouloir vous en parler et vous en donner une idée, comment vous entretenir de ses grandeurs ? Si nous tremblons quand il nous faut discourir sur « le Verbe fait chair », comment vous expliquer qu’au commencement était le Verbe ? » Aussi, mes frères, tenez-vous-en là comme à un solide fondement.
16. « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ». Donnée par le serviteur, la loi a fait des coupables ; donnée par le Maître, la grâce a délivré les criminels. « La loi a été donnée par Moïse ». Que le serviteur ne s’attribue rien de plus que ce qu’il a fait lui-même. Choisi pour remplir une charge importante comme un serviteur dans la maison de son maître, mais cependant comme un serviteur, il peut agir selon la loi, il ne peut délivrer de l’état de péché qu’établit la loi. « La loi donc a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ ».
17. Pour que personne ne dise : La grâce et la vérité n’ont-elles pas aussi été apportées par Moïse, qui a vu Dieu ? Jean ajoute aussitôt : « Personne n’a jamais vu Dieu ». Comment donc Dieu s’est-il fait connaître à Moïse ? En ce que le Seigneur lui a fait une révélation. Quel Seigneur ? Jésus-Christ lui-même, qui a d’abord envoyé la loi par son serviteur, et qui est venu lui-même, avec la grâce et la vérité. « Car personne n’a jamais vu Dieu ». S’il en est ainsi, comment s’est-il montré à ce serviteur autant que les facultés de Moïse pouvaient le lui permettre ? « Mais », ajoute-t-il, « le Fils unique qui est dans le sein du Père le lui a raconté ». Qu’est-ce à dire : « dans le sein du Père ? » Dans le secret du Père. En effet, Dieu n’a pas de sein comme nous en avons un sous nos vêtements ; nous ne devons pas nous figurer qu’il s’assoie comme nous le faisons nous-mêmes, ou qu’il se ceigne pour se faire un sein ; mais comme notre sein est caché sous nos vêtements, le secret du Père s’appelle le sein du Père. Celui donc qui connaît le Père parce qu’il est dans son secret, l’a lui-même raconté ; car « personne n’a jamais vu Dieu ». Il est donc venu lui-même, et il a raconté tout ce qu’il a vu. Qu’a vu Moïse ? Il a vu une nuée, il a vu un ange, il a vu une flamme. Créature que tout cela. C’était l’image du Seigneur, non sa personne. Sans doute, car tu lis formellement au livre de la loi : « Moïse parlait avec le Seigneur, face à face, comme un ami avec son ami » ; mais continue ta lecture, tu verras que Moïse disait : « Si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-vous à moi à découvert, afin que je vous voie ». Et c’est peu qu’il ait ainsi parlé, écoute ce qu’on lui répond : « Tu ne peux voir ma face [63] ». Mes frères, l’ange parlait donc avec Moïse, et cet ange était L’image de Dieu et tout ce qui a été fait par l’ange, en cette circonstance, était la promesse de cette grâce et de cette vérité réservée aux temps à venir. Ceux qui étudient sérieusement les Écritures, ne l’ignorent pas, et lorsque l’occasion opportune de vous en parler se présente à nous, autant que Dieu nous fait la grâce de nous le faire connaître, nous avons soin de vous le découvrir.
18. Sachez donc que toutes ces représentations corporelles aperçues par Moïse n’étaient pas la substance de Dieu. En effet, nous voyons de pareils signes avec les yeux de notre corps ; mais le moyen de voir la substance de Dieu ? Interroge l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu [64] ». Des hommes se sont rencontrés qui, déçus par la vanité de leur cœur, ont dit : Le Père est invisible, mais le fils est visible. En quoi visible ? Si c’est en sa chair, puisqu’il a pris un corps, cela est manifeste. Car de ceux qui ont vu Jésus-Christ en sa chair, quelques-uns ont cru en lui, d’autres l’ont crucifié. Et parmi ceux qui ont cru, il en est dont la foi a chancelé à l’heure de son crucifiement ; et si après sa résurrection ils ne l’avaient touché de leurs mains, la foi ne leur serait pas revenue. Si donc, c’est à cause de la chair que le Fils est visible, nous l’accordons, et c’est la foi de l’Église catholique ; mais si, comme ils disent, le Fils était visible avant sa chair, ou, en d’autres termes, avant son incarnation, leur folie est grande ; grande est leur erreur. Car ces représentations corporelles se faisaient par le moyen de la créature pour donner une idée de Dieu ; elles ne montraient, ni ne manifestaient sa substance. Voici qui vous le fera exactement entendre, que votre charité l’écoute avec attention. La sagesse de Dieu ne peut être vue par les yeux. Mes frères, si Jésus-Christ est la sagesse de Dieu, s’il est la vertu de Dieu [65], s’il est le Verbe de Dieu, la parole de l’homme ne pouvant être vue par les yeux, comment la parole de Dieu le pourrait-elle ?
19. Chassez donc de vos cœurs toute pensée charnelle à cet égard, afin d’être vraiment sous l’empire de la grâce et d’appartenir au Nouveau Testament ; c’est pour cela que dans le Nouveau Testament est promise la vie éternelle. Lisez l’Ancien Testament. Alors le peuple était encore charnel, et pourtant on lui avait imposé des obligations pareilles aux nôtres. Car, nous aussi, nous avons reçu l’ordre d’adorer un seul Dieu : « Ne prends pas le nom de Dieu en vain » ; on nous le commande comme à eux. C’est le second précepte. « Observe le jour du sabbat ». Ce précepte est plus étendu pour nous, parce qu’il nous est ordonné de l’observer selon l’esprit. Car les Juifs observaient servilement le jour du sabbat, l’employant à l’ivrognerie et à la débauche. Leurs femmes n’auraient-elles pas mieux fait, ce jour-là, de travailler leur laine que de danser sur la terrasse de leurs maisons ? Loin de nous, mes frères, la pensée de dire que par là ils observaient le sabbat. Pour le chrétien, observer le sabbat selon l’esprit, c’est s’abstenir de toute œuvre servile. Qu’est. ce s’abstenir de toute œuvre servile ? C’est se préserver du péché. Et comment le pouvons-nous ? Interroge Notre-Seigneur : « Tout homme qui fait le péché est l’esclave du péché[66] ». Il nous est donc commandé d’observer le sabbat selon l’esprit. Quant aux autres préceptes, ils s’adressent à nous encore plus qu’aux Juifs, et nous devons les observer plus parfaitement qu’eux : « Vous ne tuerez pas. Vous ne commettrez pas de fornication, d’adultère ; vous ne déroberez pas ; vous ne direz pas de faux témoignage ; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez pas le bien de votre prochain ; vous ne désirerez pas la femme de votre prochain [67] ». Tout cela ne nous est-il pas aussi commandé ? Mais si tu cherches à savoir quelle récompense était promise à l’observation de la loi, tu verras qu’il y est dit : « Afin que tes ennemis soient chassés de ta présence et que tu entres en possession de la terre promise par Dieu à tes pères[68] ». Comme ils étaient incapables d’apprécier les biens invisibles, on les retenait par la promesse des biens matériels. Pourquoi ? Pour les empêcher de périr tout à fait et d’en venir à adorer les idoles. Néanmoins, mes frères, ils l’ont fait, comme nous le lisons, se montrant ainsi oublieux de tant de merveilles opérées par Dieu sous leurs yeux. La mer s’est séparée en deux à leur approche, un chemin leur a été frayé au milieu des flots, les ennemis accourus à leur poursuite ont été engloutis sous ces mêmes flots qui leur avaient livré passage [69], et quand Moïse, l’homme de Dieu, a disparu à leurs regards, ils ont réclamé une idole et ils ont dit : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous, puisque cet homme nous a quittés ». Toute leur espérance était fondée sur un homme, et non sur Dieu. Cet homme fût-il mort, le Dieu qui les avait tirés de la terre d’Égypte était-il mort aussi ? Lorsqu’ils se furent fait l’image d’un veau, ils l’adorèrent en disant : « O Israël, voici tes dieux, les dieux qui t’ont délivré de la terre d’Égypte[70] ». Combien peu de temps il leur a fallu pour oublier une grâce aussi éclatante ! Par quel moyen donc retenir dans le devoir un pareil peuple, sinon par des promesses charnelles ?
20. Ainsi les mêmes commandements se trouvent pour eux et pour nous au décalogue de la loi ; mais les promesses n’y sont pas les même s. Que nous promet-on à nous ? La vie éternelle. « Or, la vie éternelle est de vous connaître vous seul vrai Dieu et Jésus-Christ que vous avez envoyé [71] ». La connaissance de Dieu, voilà ce qui nous est promis, voilà la grâce pour la grâce. Maintenant, mes frères, nous croyons, nous ne voyons pas. Cette foi aura sa récompense, ce sera de voir ce que nous croyons. Les Prophètes ont connu ce mystère, bien qu’il fût caché avant la venue de Notre-Seigneur. Ainsi un ami de cette récompense qui, soupirant après elle dans ses psaumes, a dit : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Mais, diras-tu, que demande-t-il ? Est-ce la terre, d’où découlent matériellement le lait et le miel ? bien qu’il faille se mettre à sa recherche et la demander dans le sens spirituel. Est-ce l’assujettissement de ses ennemis, la mort de ceux qui veulent lui nuire, les hautes places ou les richesses du siècle ? Il aime avec ardeur, il soupire grandement, il brûle, il est hors d’haleine ; voyons ce qu’il demande : « Je n’ai demandé qu’une seule chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Qu’est-ce donc que cette chose ainsi recherchée ? « C’est d’habiter », dit-il, « dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ». Et quand habiteras-tu dans la maison du Seigneur, en quoi y trouveras-tu ton bonheur ? « Et d’y contempler », continue-t-il, « les délices du Seigneur [72] ».
21. Mes frères, quand jetez-vous des cris de joie ? Quand travaillez-vous d’allégresse ? Quand vous sentez-vous portés à aimer ? N’est-ce point lorsqu’une étincelle de charité se montre à vous ? Je vous le demande : quel est l’objet de vos désirs ? Pouvez-vous le voir de vos yeux ? Le toucher de vos mains ? Y découvrez-vous des charmes qui fascinent vos regards ? Certes, nous aimons grandement les martyrs ; et quand nous célébrons le souvenir de leurs souffrances, il suffit à enflammer notre amour. Qu’aimons-nous en eux, mes frères ? Leurs membres déchirés par les bêtes féroces ? Quoi de plus hideux pour les yeux de ton corps, quoi de plus beau pour les yeux du cœur ? Que vous semble le plus beau jeune homme, s’il est voleur ? Le dégoût et l’horreur se peignent dans tes yeux. Mais sont-ce bien tes yeux de chair qui frémissent à sa vue ? À juger par eux, rien de pins correct que le corps de ce jeune homme ; rien de mieux ordonné : la belle proportion de ses membres, la fraîcheur de son teint captivent ton admiration ; mais si tu apprends qu’il est un voleur, ton cœur se détourne aussitôt de lui. D’autre part, un vieillard se présente à toi ; il est plié en deux, et il s’appuie sur un bâton ; il a peine à se mouvoir ; son corps est partout couvert de rides : y a-t-il là rien qui puisse charmer tes yeux ? On te dit qu’il est juste ; c’en est assez : tu l’aimes et tu l’embrasses. Telles sont, mes frères, les récompenses qui nous sont promises. Que de tels biens possèdent vos affections : soupirez après ce royaume ; que cette patrie soit l’objet de vos désirs ; si vous prétendez parvenir à ces biens apportés par Notre-Seigneur, lors de sa venue, c’est-à-dire à la grâce et la vérité. Si, au contraire, tu désires recevoir de Dieu une récompense temporelle, tu es encore sous la loi, et il t’arrivera de ne pas même l’accomplir ; car dès le moment où tu verras que les biens temporels sont abondamment accordés à ceux qui offensent Dieu, tes pas chancelleront et tu te diras : Voici que j’honore Dieu, je cours tous les jours à l’Église, je brise mes genoux à force de prier et je suis continuellement malade. D’autres, au contraire, se livrent à l’homicide et aux rapines, ils sont dans l’allégresse et l’abondance ; tout leur réussit. Étaient-ce donc là les biens que tu demandais à Dieu ? Il est sûr pourtant que tu appartenais à la grâce. Si Dieu t’a donné ce qu’on appelle la grâce, parce qu’il te l’a donnée gratuitement, aime-le donc gratuitement. N’aime pas Dieu pour la récompense ; qu’il soit seul ta récompense ; que ton âme s’écrie : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et de contempler les délices du Seigneur ». Ne crains pas de faiblir sous le poids de l’ennui. Tel sera le charme de la beauté divine que, toujours présente à tes yeux, elle ne te rassasiera jamais, ou plutôt, qu’elle te rassasiera toujours sans que tu sois jamais rassasié. Car, si je disais que tu ne seras jamais rassasié, ce serait dire que tu auras faim, et si je disais que tu le seras, ce serait t’annoncer le dégoût ; mais puisqu’en Dieu on ne sera ni dégoûté ni affamé je ne sais vraiment de quels termes me servir. Mais comme Dieu le possède en lui-même, il peut nous montrer ce qu’il nous est impossible d’exprimer, et nous faire entrer en possession de ce que nous croyons.

QUATRIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « ET TEL EST LE TÉMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYÈRENT DE JÉRUSALEM DES PRÊTRES » ; JUSQU’À CES PAROLES : « C’EST LUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT ». (Chap. 1,19-33.)

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Par son Incarnation le Fils de Dieu s’était si profondément abaissé, que les Juifs le méconnurent néanmoins, comme ils attendaient le Messie, et que la vertu de Jean les étonnait, ils envoyèrent des députés à celui-ci pour lui demander qui il était : « Je ne suis pas le Christ ; mais un autre, plus grand que moi, vient après moi c’est l’agneau de Dieu, c’est son Fils ». Ainsi par ses paroles et son baptême Jean-Baptiste a-t-il rempli, pour le premier avènement du Christ, le même rôle qu’Élie pour le second, et fait reconnaître notre Sauveur, malgré les abaissements de son humanité, pour le Messie envoyé de Dieu.


1. Bien souvent votre sainteté l’a entendu dire, et vous le savez parfaitement, Jean-Baptiste a d’autant mieux mérité de devenir l’ami de l’Époux, qu’il a été plus grand parmi les enfants des hommes, et qu’il s’est montré plus humble pour connaître le Sauveur. Il était jaloux, non de son honneur personnel, mais de celui de l’époux ; il recherchait, non sa propre gloire, mais la gloire de son juge, de celui devant qui il marchait comme un héraut pour l’annoncer. Aussi, tandis que les Prophètes, ses prédécesseurs, ont seulement prédit les événements relatifs au Christ, il a eu le privilège de le montrer du doigt. Comme avant sa venue, le Sauveur n’était pas connu de ceux qui refusaient de croire aux Prophètes ; ainsi fut-il méconnu d’eux, même quand il vivait parmi eux. À son premier avènement il s’est fait voir dans un état d’humiliation où il était difficile à reconnaître, d’autant plus difficile qu’il était plus humilié ; aussi les hommes, aveuglés par leur orgueil à cause de ses profonds abaissements, ont crucifié leur Sauveur, et, par là ils se sont préparé en lui un juge qui les condamnera.
2. Mais celui qui d’abord est venu caché parce qu’il est venu humble, ne sera-t-il pas facile à reconnaître quand il viendra plus tard, puisque alors il sera élevé au-dessus de toutes choses ? Vous venez d’entendre dire au Psalmiste : « Dieu viendra manifesté à tous, c’est notre Dieu, et il ne se taira plus ». Il s’est tu, afin d’être jugé. Il ne se taira pas quand il commencera à juger à son tour. Le Psalmiste ne dirait pas : « Il viendra manifesté à tous », si auparavant il n’était venu caché ; aussi pareillement il ne dirait pas « Il ne se taira plus », si d’abord il n’avait gardé le silence. Comment s’est-il tu ? Interroge Isaïe : « Il a été mené à la mort comme une brebis, comme un agneau devant celui qui le tond ; il est demeuré sans voix, il n’a pas ouvert la bouche [73] ». Cependant « il viendra manifesté et il ne se taira plus ». Comment sera-t-il « manifesté ? ». La flamme marchera devant lui, et à ses côtés une violente tempête[74] ». La tempête doit enlever de son aire toute la paille qui s’y trouve maintenant foulée aux pieds. Le feu brûlera ce qu’aura emporté la tempête. Aujourd’hui le Christ se tait. Il se tait comme juge, il ne se tait pas comme docteur. Car si Jésus-Christ se tait tout à fait, à quoi bon les Évangiles ? À quoi bon les accents des Apôtres, les cantiques du Psalmiste, les prédictions des Prophètes ? En tout cela Jésus-Christ ne se tait pas. Aujourd’hui il se tait en ce qu’il ne se venge pas mais il ne se tait pas sous le rapport de notre instruction. Un jour il viendra, il se manifestera pour la vengeance ; il apparaîtra à tous, même à ceux qui ne croient pas en lui. En attendant, comme il était caché aux yeux des hommes, bien qu’il se trouvât au milieu d’eux, il fallait qu’on le méprisât ; car si on ne l’avait pas méprisé, on ne l’aurait pas crucifié ; s’il n’avait pas été crucifié, il n’eût point répandu ce sang au prix duquel il nous a rachetés. Afin de pouvoir donner pour nous cette rançon, il a été crucifié ; pour être crucifié, il a été méprisé ; pour être méprisé, il s’est fait voir dans un état d’humiliation.
3. Cependant, parce qu’il s’est montré dans un corps mortel, comme dans les ombres de la nuit, il a allumé une lampe afin qu’elle aidât à le voir. Cette lampe était Jean, dont je vous ai déjà beaucoup parlé [75]. Et la leçon de l’Évangile que nous venons d’entendre renferme les paroles de Jean, et d’abord cette importante confession qu’il n’était pas le Christ. Telle était l’excellence de Jean, qu’on aurait pu aisément le prendre pour le Christ, et ç’a été la preuve de son humilité, que pouvant être pris pour le Christ, il a déclaré qu’il ne l’était pas. « Voici donc le témoignage de e Jean, quand les Juifs envoyèrent vers lui, de Jérusalem, des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui êtes-vous ? » ce qu’ils n’auraient point fait s’ils n’avaient eu une haute idée de son excellence et de l’autorité qui lui donnait la hardiesse de baptiser. « Et il confessa, et il ne le nia pas ». Que confessa-t-il ? « Et il confessa qu’il n’était pas le Christ ».
4. « Et ils lui demandent : Qui donc es-tu ? « Es-tu Élie ? » Car ils savaient qu’Élie devait précéder le Christ chez les Juifs ; le nom du Christ n’était inconnu de personne. Ils n’ont pas reconnu pour le Christ celui qui l’était véritablement ; mais ils n’ont pas cru que le Christ ne dût jamais venir. Tout en espérant qu’il viendrait, ils n’ont pas laissé de se heurter à sa présence, quand il est venu parmi eux : ils se sont heurtés à ses abaissements comme à une pierre. Quoique petite encore, cette pierre était déjà détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. C’était d’elle que parlait le prophète Daniel quand il disait avoir vu une pierre détachée de la montagne, sans le secours de main d’homme. Mais que dit-il ensuite ? « Et cette pierre vint à grossir, et elle devint une grande montagne, et elle couvrit la surface de la terre [76] ». Que votre charité remarque ce que je dis : mis en présence des Juifs, le Christ était détaché de la montagne ; cette montagne était leur royaume. Toutefois, le royaume des Juifs ne couvrait pas la surface de la terre. C’est de là qu’a été séparée la pierre, parce que c’est de là qu’est sorti selon la chair Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et pourquoi sans le secours de main d’homme ? Parce qu’une vierge l’a enfanté sans le secours de l’homme. Cette pierre était donc déjà détachée de la montagne sans le secours de main d’homme, puisqu’elle se trouvait placée sous les yeux des Juifs ; mais elle était encore toute petite. En cela, rien d’étonnant ; car elle n’était pas encore devenue grande ; elle n’avait pas encore rempli l’univers. Le Christ l’a fait plus tard avec son royaume qui est l’Église ; car il a couvert la surface de la terre. Comme donc il n’avait pas encore pris tout son développement., les Juifs se sont heurtés à lui comme à une pierre ; et ainsi s’est vérifié en eux ce qui est écrit : « Celui qui tombera sur cette pierre s’y brisera, et ceux sur lesquels elle tombera, elle les écrasera[77] ». D’abord ils sont tombés sur Jésus-Christ humilié, il viendra tomber sur eux du haut de sa grandeur ; mais pour que sa grandeur les écrasât un jour, il a fallu qu’auparavant son humilité les brisât. Ils se sont heurtés à lui et s’y sont brisés ; il les a non pas broyés, mais brisés ; il viendra dans sa grandeur et il les brisera. Or, les Juifs sont excusables de s’être heurtés à cette pierre car elle était encore petite. Mais qui sont ceux qui se sont heurtés à la montagne elle-même ? Ceux dont je veux vous parler, vous les connaissez. Ceux qui nient l’Église répandue par tout l’univers ; ce n’est pas a la petite pierre qu’ils se heurtent, c’est à la montagne elle-même ; car, en grandissant, cette pierre est devenue une montagne : en raison de leur aveuglement, les Juifs n’ont pas vu la petite pierre ; mais de quelle cécité ne faut-il pas être frappé pour ne pas voir la montagne ?
5. Les Juifs ont donc vu Jésus-Christ dans l’abaissement, et ils ne l’ont pas reconnu. Une lampe le leur montrait ; car d’abord cet homme, le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, leur dit : « Je ne suis pas le Christ ». On lui demande ensuite : « Es-tu donc Élie ? » Il répond : « Je ne le suis pas ». Car le Christ devait envoyer Élie devant lui. Cependant il répond : « Je ne le suis pas » ; et par là il soulève une difficulté qu’il nous faut résoudre. Il est à craindre, en effet, que quelques-uns peu avancés dans la connaissance des Écritures ne croient voir une contradiction entre les paroles de Jean et celles de Jésus Christ. Le Sauveur parlant de lui-même dans un autre endroit de l’Évangile, ses disciples lui dirent : « Comment donc les scribes », c’est-à-dire les habiles dans la science de la loi, « disent-ils qu’Élie doit d’abord venir ? » Et le Seigneur leur dit : « Élie est déjà venu et ils l’ont traité comme ils ont voulu ; et si vous le voulez connaître, c’est Jean-Baptiste ». Notre-Seigneur Jésus-Christ répondit : « Élie est déjà venu, c’est Jean-Baptiste ». Cependant, Jean, interrogé, confesse qu’il n’est pas Élie, de la même manière qu’il avait confessé n’être pas le Christ. Et de fait, comme sa confession était véritable quand il reconnaissait n’être pas le Christ, elle ne l’était pas moins quand il reconnaissait n’être pas Élie. Comment accorder ensemble les paroles du juge et les paroles de celui qui l’annonce ? Il s’en faut de tout que le héraut soit un menteur ; car ce qu’il dit, il le dit sous l’inspiration du juge. Pourquoi donc Jean dit-il : « Je ne suis pas Élie », et le Seigneur : « Il est Élie ? » Parce que Notre-Seigneur a voulu par là annoncer figurément son avènement futur, et dire que Jean était venu dans l’esprit d’Élie. Car ce que Jean était pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Comme donc il y aura deux avènements du Juge, ainsi y aura-t-il deux envoyés qui l’annonceront ; le juge sera le même ; il y aura bien deux envoyés différents ; mais il n’y aura pas deux juges. Il fallait d’abord que le juge vint pour être jugé. Il s’est fait précéder d’un premier envoyé, qu’il a appelé Élie, parce qu’Élie sera pour le second avènement ce que Jean a été pour le premier.
6. Que votre charité remarque combien est vrai ce que je dis. Lorsque Jean fut conçu, ou plutôt lorsqu’il vint au monde, le Saint-Esprit fit de lui cette prophétie, qui devait s’accomplir un jour : « Il sera le précurseur du Très-Haut dans l’esprit et la vertu d’Élie [78] ». Il n’était donc pas Élie ; mais « il devait venir dans l’esprit et la vertu d’Élie ». Qu’est-ce à dire, « dans l’esprit et la vertu d’Élie ? » C’est-à-dire à la place d’Élie et dans le Saint-Esprit comme lui. Pourquoi à la place d’Élie ? Parce qu’au premier avènement Jean a rempli le rôle qu’Élie doit remplir au moment du second. Ainsi, la réponse de Jean est juste, mais au sens propre. Notre-Seigneur avait dit en figure : « Il est Élie ». Mais Jean dit au sens propre, ainsi que je l’ai expliqué : « Je ne suis pas Élie ». Si tu considères sous le rapport figuratif la mission de précurseur, Jean est Élie ; car ce qu’il est pour le premier avènement, Élie le sera pour le second. Mais si tu t’arrêtes à la propriété de la personne, Jean est Jean, Élie est Élie. C’est pourquoi Notre-Seigneur, parlant en figure, a dit avec justesse : « Il est Élie » ; et Jean, parlant selon la propriété des personnes, a dit avec non moins de justesse : « Je ne suis pas Élie ». Ni Jean, ni le Seigneur, ni le précurseur, ni le juge n’ont parlé contre la vérité ; seulement il faut les bien comprendre. Mais qui les comprendra ? Celui qui aura imité l’humilité du précurseur et reconnu la grandeur du juge. Rien, en effet, de plus humble que ce Précurseur. Mes frères, Jean n’a jamais eu de plus grand mérite que celui dont l’humilité a été pour lui la source, eu la circonstance présente : il pouvait, en effet, tromper les hommes et se faire regarder comme le Christ et passer pour lui (tant étaient grandes sa grâce et son excellence !) Cependant il t’a déclaré ouvertement et il l’a dit : « Je ne suis pas le Christ. Es-tu donc Élie ? » S’il avait dit : Je le suis, ç’aurait donc été le second avènement du Christ où il viendra comme juge, et non plus le premier où il est venu afin d’être jugé. Mais comme pour leur dire : Élie doit venir, il répond : « Je ne sus pas Élie ». Remarquez, cependant, qu’il s’agit du Christ humilié, dont Jean a été le précurseur, et non du Christ élevé en gloire que doit précéder Élie. Car voici le complément donné par Notre-Seigneur : « Jean est Élie qui doit venir ». Il est déjà venu pour être en figure ce qu’Élie sera en réalité. Alors Élie sera Élie en personne, maintenant Jean n’est Élie que par ressemblance. En réalité, maintenant Jean est Jean, par similitude il est Élie. Ils étaient tous les deux des précurseurs : chacun d’eux a rempli le même ministère que l’antre, sans perdre toutefois sa personnalité ; mais pour l’un comme pour l’autre, il n’y a eu qu’un seul Seigneur, qu’un seul juge.
7. « Et ils lui demandaient : Qui êtes-vous donc ? Êtes-vous Élie ? et il répondit : non. Et ils lui dirent : Êtes-vous prophète ? et il répondit : non. Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous afin que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous donc de vous-même ? Il leur répondit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Isaïe l’avait déjà dit [79]. Cette prophétie s’est accomplie en Jean-Baptiste : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ». Que crie-t-elle ? « Redressez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu ». À votre avis n’est-ce pas le rôle d’un héraut de dire : Sortez d’ici ? Le héraut dit : Sortez d’ici, et Jean dit : Venez ; voilà la différence. Jean appelle vers le Sauveur humble pour qu’on n’ait rien à souffrir du juge lorsqu’il viendra dans sa grandeur. « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ; redressez les voies du Seigneur, comme dit le prophète Isaïe ». Il ne dit pas : Je suis Jean, je suis Élie, je suis un prophète ; mais que dit-il ? Voici mon nom : « La voix de celui qui crie dans le désert, redressez les voies du Seigneur », je suis la prophétie même.
8. « Et ceux qui airaient été envoyés étaient du nombre des Pharisiens », c’est-à-dire des principaux d’entre les Juifs. « Et ils l’interrogèrent et lui dirent : Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? » Ce leur semblait être une sorte de témérité que de baptiser, ils lui demandaient : Au nom de qui le fais-tu ? Nous l’avons demandé si tu étais le Christ ; tu nous as répondus que tu ne l’étais pas ; si tu es son précurseur ; car nous savons qu’avant l’avènement du Christ, Élie doit venir. Tu nous as aussi dit que tu n’es pas Élie ; serais-tu par hasard quelque personnage envoyé longtemps avant les précurseurs, c’est-à-dire un prophète qui aurait la puissance de baptiser ? Tu ne te donnes pas non plus comme prophète. En effet, Jean n’était pas prophète, il était plus grand qu’un prophète. C’est le témoignage qu’a rendu de lui Notre-Seigneur. « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent ? » Assurément tu supposes qu’il n’en était pas ainsi de Jean ; car il ne ressemblait en rien à ce que le vent agite. Car être agité du vent, c’est subir de tous côtés le souffle de tout esprit séducteur. « Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu avec mollesse ». Or, les vêtements de Jean étaient grossiers : c’était une tunique faite de poils de chameau. « Car ceux qui sont vêtus avec mollesse, c’est dans les palais des rois qu’ils habitent ». Vous n’êtes donc pas allés voir un homme vêtu avec mollesse. « Mais qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, il est plus qu’un prophète »[80]. Car les Prophètes ont annoncé le Christ longtemps avant sa venue, Jean l’a montré pendant qu’il était présent sur la terre.
9. « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni prophète ? Jean leur répondit : Pour moi, je baptise dans l’eau, mais au milieu de vous demeure celui que vous ne connaissez pas ». Les abaissements du Christ faisaient obstacle à ce qu’on le vît ; c’est pourquoi la lampe a été allumée. Voyez comment il cède la place, lui qui aurait pu se faire passer pour ce qu’il n’était pas. « C’est lui qui est venu après moi, qui a été fait avant moi » ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà expliqué, qui m’a été préféré. « Et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». Comme il s’est abaissé ! C’est pourquoi il a été grandement élevé parce que celui qui s’abaisse sera exalté[81]. Votre sainteté doit le comprendre maintenant. Si Jean s’est humilié jusqu’à dire : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers », quel sujet de s’humilier ont ceux qui disent : C’est nous qui baptisons, ce que nous donnons est à nous, ce qui est à nous est saint ! Jean dit : Ce n’est pas moi, c’est lui. Eux disent : c’est nous. Jean se reconnaît indigne de délier les cordons de ses souliers ; s’il avait reconnu en être digue, combien déjà il se serait montré humble ! S’il s’en était déclaré digne et qu’il eût dit : Celui-là est venu après moi, qui a été fait avant moi, je ne suis digne que de délier les cordons de ses souliers, il se serait déjà beaucoup humilié. Mais avouer qu’une telle fonction est bien au-dessus de ses mérites, il n’y a qu’un homme véritablement rempli du Saint-Esprit qui l’ait pu faire, et le serviteur qui a ainsi reconnu son maître a mérité de devenir son ami.
10. « Ceci se passa en Béthanie, au-delà du Jourdain où Jean baptisait. Un autre jour Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit : Voici l’Agneau de Dieu, voilà celui qui enlève les péchés du monde ». Que personne ne s’en fasse accroire et ne dise qu’il enlève lui-même les péchés du monde. Remarquez, dès maintenant, quels orgueilleux Jean désignait du doigt. Les hérétiques n’étaient pas encore nés, et déjà le Précurseur les faisait connaître. Du milieu du fleuve il criait déjà contre ceux contre lesquels il crie dans l’Évangile. Voici venir Jésus, et que dit Jean ? « Voici l’Agneau de Dieu ». Si, pour être agneau il suffit d’être innocent, Jean est agneau. Lui aussi n’est-il pas innocent ? Mais quel innocent est-il ? Et jusqu’à quel point l’est-il ? Tous viennent de cette souche, tous sortent de cette source au sujet de laquelle David chante et gémit ainsi : « Moi j’ai été conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a enfanté dans le péché [82] ». Celui-là seul est donc agneau, qui n’est pas venu en cette manière. En effet, il n’a pas été conçu dans l’iniquité, puisqu’il n’a pas été conçu par le fait d’un mortel ; sa mère ne l’a pas, non plus, enfanté dans le péché, puisqu’une vierge l’a conçu et mis au monde. C’est par la foi qu’elle l’a conçu ; c’est aussi par la foi qu’elle l’a enfanté. Donc, « voici l’agneau de Dieu », celui-là ne tire pas d’Adam son origine. Il ne lui a emprunté que son corps, sans en prendre le péché ; il n’a pas puisé l’iniquité à cette source empoisonnée. C’est pourquoi il enlève notre péché. « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ».
11. Certains hommes, vous le savez, disent quelquefois : Nous sommes saints, nous ôtons les Péchés du monde ; car, ajoutent-ils, si celui qui baptise n’est pas saint, comment, étant rempli de péchés, peut-il ôter le péché d’autrui ? À des arguments de cette nature n’opposons pas nos paroles, lisons notre Évangile : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ». Que des hommes ne cherchent pas à l’emporter sur d’autres hommes ; que le passereau ne se retire pas sur la montagne, qu’il se confie au Seigneur [83]. Et s’il lève les yeux vers les montagnes d’où lui viendra le secours, qu’il reconnaisse que ce secours lui vient du Seigneur, Créateur du ciel et de la terre[84]. Telle était l’excellence de Jean, qu’on lui dit : Tu es le Christ ? Non, répondit-il. Tu es Élie ? Non. Tu es prophète ? Non. Pourquoi donc baptises-tu ? « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôta le péché du monde. C’est lui de qui j’ai dit : Après moi est venu un homme qui a été mis devant moi, parce qu’il était avant moi. Il est venu après moi », parce que ma naissance a précédé la sienne ; « il a été mis devant moi », parce qu’il m’a été préféré ; « il était avant moi, parce qu’au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ».
12. « Pour moi », continue-t-il, « je ne le connaissais pas, mais afin qu’il fût manifesté à Israël, je suis venu baptiser dans l’eau. Et Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui. Cependant je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer est celui qui baptise dans le Saint-Esprit. Je l’ai vu, et j’ai rendu le témoignage qu’il est le Fils de Dieu ». Que votre charité veuille être un peu attentive : À quel moment le précurseur Jean a-t-il connu le Christ ? D’abord il est envoyé pour baptiser dans l’eau ; on lui demande pourquoi il baptise : « Afin », répond-il, « qu’il soit manifesté à Israël ». Quel a été l’utilité du baptême de Jean ? Mes frères, si le baptême de Jean avait été utile, il se donnerait encore, les hommes seraient encore baptisés du baptême de Jean, et ils arriveraient ainsi au baptême de Jésus-Christ. Mais que dit-il ? « Afin qu’il soit manifesté à Israël, c’est-à-dire au peuple d’Israël. C’est donc pour manifester le Christ au peuple d’Israël que Jean est venu baptiser dans l’eau. Jean a reçu la mission de baptiser et de préparer la voie au Seigneur par l’eau de la pénitence, avant l’apparition du Christ ; mais le Sauveur une fois connu, il était inutile de lui préparer la voie, car il s’est fait lui-même la voie de tous ceux qui le connaissent. C’est pourquoi le baptême de Jean n’a pas été de longue durée. Mais dans quel état s’est manifesté le Christ ? Dans un état d’humilité, jusqu’à confier à Jean le baptême que Notre-Seigneur devait recevoir.
13. Mais le Sauveur avait-il besoin d’être baptisé ? Je vous demande à mon tour : Notre-Seigneur avait-il besoin de se faire homme ? d’être crucifié ? de mourir ? d’être mis dans un tombeau ? Puisqu’il s’est ainsi abaissé pour nous, pourquoi donc n’aurait-il pas reçu le baptême ? Et puisqu’il a reçu le baptême de son serviteur, qu’en conclure, sinon que tu ne dois pas dédaigner de recevoir celui de ton maître ? Que votre charité soit attentive. Il devait y avoir plus tard dans l’Église des catéchumènes doués d’une grâce plus parfaite. Ainsi voyez-vous quelquefois un catéchumène s’abstenir de tout commerce charnel, dire adieu au siècle, renoncer à tous ses biens, les distribuer aux pauvres, et quoique simple catéchumène, connaître peut-être mieux la doctrine du salut qu’un grand nombre de fidèles. Il est à craindre pour lui qu’il n’arrive à se dire intérieurement au sujet du saint baptême par lequel les péchés sont remis Que recevrai-je que je n’aie déjà ? Déjà je suis meilleur que tel ou tel fidèle ; ce disant, il pensera à tels et tels fidèles, les uns mariés, les autres peut-être dépourvus d’intelligence, les autres possédant encore leurs biens, tandis que lui-même a déjà distribué les siens aux pauvres. Alors il s’estimera meilleur que ces fidèles déjà baptisés, et il dédaignera de se présenter au baptême. Après tout, se dira-t-il en ayant soin de porter son attention sur ceux dont il fait moins de cas, je ne recevrai que ce que tels et tels ont reçu, et il regardera comme indigne de lui de recevoir ce qu’il sait avoir été reçu par d’antres qu’il juge lui être inférieurs, Cependant, tous ses péchés demeurent sur lui, et à moins qu’il se présente à ce baptême salutaire où les péchés sont remis, il ne peut, même avec toute sa supériorité de mérites, entrer dans le royaume des cieux. Aussi, afin d’attirer à son baptême un homme si supérieur aux autres, et de lui ménager, par ce moyen, le pardon de ses péchés, le Sauveur est-il venu lui-même se faire baptiser par son serviteur : il n’y avait en lui rien à remettre, rien à effacer, et pourtant il a reçu de son serviteur le baptême. Par là il semblait s’adresser à ce fils orgueilleux et superbe qui ne daigne pas recevoir avec les simples ce qui lui procure la grâce du salut. Par là il semblait lui dire : Si étendues que soient tes prétentions, si haut que monte ton orgueil, quels que soient ton excellence et tes mérites, peuvent-ils être plus grands que les miens ? Hé quoi ! je suis venu à mon serviteur, j’ai reçu son baptême et tu dédaignerais de venir à ton maître et d’être baptisé par lui ?
14. Sachez-le bien, mes frères, aucun péché n’obligeait Notre-Seigneur à venir vers Jean ; les autres Évangélistes nous apprennent que le Seigneur arrivant pour être baptisé, Jean lui dit : « Vous venez à moi ? C’est moi qui dois être baptisé par vous ». Et que lui répondit Jésus-Christ ? « Laisse présentement, il faut que toute justice s’accomplisse [85] ». Qu’est-ce à dire : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Je suis venu mourir pour les hommes, n’est-ce pas juste que je sois aussi baptisé pour eux ? Qu’est-ce encore : « Il faut que toute justice s’accomplisse ? » Il faut que je porte à son comble mon humilité. Jean était un bon serviteur, et le Christ n’aurait pas permis à Jean de le baptiser, quand il a permis à de mauvais serviteurs de le faire souffrir et mourir ? Remarquez bien ceci : Puisque Jean baptisait afin que son baptême fît connaître l’humilité du Sauveur, le Christ étant baptisé, personne autre ne devait-il désormais recevoir le baptême de Jean ? Plusieurs ont reçu le baptême de Jean ; mais après que Jésus-Christ l’eut reçu, le baptême cessa aussitôt d’être donné. En effet Jean alors fut mis en prison ; car l’on ne voit pas qu’à partir de ce moment quelqu’un ait été baptisé par lui. La raison d’être du baptême de Jean a été de nous manifester l’humilité de Notre – Seigneur ; et nous devons conclure de là que si le Christ a reçu le baptême de son serviteur, nous ne devons pas dédaigner de recevoir celui de notre maître. Mais puisque telle a été la raison d’être du baptême de Jean, il semble que celui-ci n’aurait dû baptiser que le Sauveur. Toutefois si Jean n’avait baptisé que Jésus-Christ, plusieurs se seraient rencontrés qui auraient regardé le baptême de Jean comme plus saint que celui de Jésus-Christ, sous ce prétexte que Jésus-Christ seul a mérité de recevoir le baptême de Jean, tandis que tous les hommes peuvent prétendre à celui de Jésus-Christ. Que votre charité m’écoute avec attention. Nous avons tous reçu le baptême de Jésus-Christ : en disant cela, j’entends parler non seulement de nous-mêmes, mais encore de l’univers tout entier ; et jusqu’à la fin des siècles c’est ce baptême que l’on recevra. Lequel d’entre nous, n’importe sous quel rapport, peut se comparer à Notre-Seigneur, dont saint Jean a dit qu’il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ? Si donc le Christ, lui si parfait, lui Homme-Dieu, avait été seul à recevoir le baptême de Jean, que n’auraient pas dit les hommes ? Quel baptême a été celui de Jean ! Quel admirable baptême ! Vois : Le Christ seul a mérité de le recevoir. Ainsi le baptême du serviteur aurait dans l’idée générale primé celui du maître. D’autres donc ont reçu le baptême de Jean, afin qu’il ne semblât pas meilleur que celui de Notre-Seigneur, et Notre-Seigneur l’a reçu à son tour, afin qu’ayant consenti humblement à être baptisé par le serviteur, les autres serviteurs ne dédaignassent pas le baptême du maître. Voilà donc pourquoi Jean a été envoyé.
15. Mais Jean connaissait-il Jésus-Christ ou ne le connaissait-il pas ? S’il ne le connaissait pas quand Jésus-Christ vint au bord du Jourdain, pourquoi disait-il : « C’est moi qui dois être baptisé par vous ? » N’était-ce pas dire : Je sais qui vous êtes ? Si donc à ce moment il ne le connaissait pas déjà, assurément il a appris à le connaître quand il a vu la colombe descendre sur lui. Il est certain que la colombe n’est descendue sur le Seigneur qu’après qu’il fut sorti des eaux du Jourdain. Après avoir été baptisé, se Sauveur sortit de l’eau, et alors les cieux s’ouvrirent. Or, Jean vit descendre sur lui la colombe : la colombe n’est descendue qu’après le baptême de Notre-Seigneur. Avant de le baptiser, Jean lui a dit : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; dès lors il savait quel était celui à qui il disait : « Comment venez-vous à moi, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » ; Comment donc a-t-il pu dire ensuite : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur lequel tu verras descendre le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». Question importante, mes frères en saisir la difficulté, c’est déjà beaucoup ; daigne le Seigneur nous accorder la grâce de la résoudre. Voici Jean-Baptiste, vous le savez ; il est sur les bords du Jourdain, arrive Notre-Seigneur demandant le baptême qu’il n’a pas encore reçu, Jean va parler : « Comment », s’écrie-t-il, « vous venez à moi, mais c’est à moi d’être baptisé par vous ! » Déjà donc il connaît Notre-Seigneur puisqu’il veut être baptisé par lui. Après avoir été baptisé, Notre-Seigneur sort de l’eau, les cieux s’ouvrent, le Saint-Esprit descend sur lui. Alors Jean apprend à le connaître. Si, alors seulement, il apprend à le connaître, comment a-t-il pu dire quelques instants auparavant : « C’est à moi d’être baptisé par « vous ? » Mais s’il n’apprend pas alors à le connaître parce qu’il le connaissait déjà, comment peut-il s’exprimer ainsi ? « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ».
16. Mes frères, essayer de répondre aujourd’hui à cette question, ce serait, je n’en doute pas, vous fatiguer ; car je vous ai parlé déjà bien longuement. Il faut néanmoins que vous le sachiez ; cette question est si importante lue de sa solution dépend l’anéantissement du parti de Donat. J’en ai entretenu votre charité, afin, selon mon habitude, de vous exciter à être attentifs. Je l’ai fait aussi, afin que vous priiez Dieu pour nous et pour vous ; car nous avons besoin, nous de parler d’une manière digne d’un pareil sujet ; et vous, de nous bien coin prendre. Aujourd’hui permettez-moi de ne point aborder ce sujet. Je vais en attendant vous dire ce petit mot : Interrogez, en esprit de paix, sans animosité, sans contention, sans querelles, loin de toute disposition haineuse, cherchez eu vous-mêmes et demandez aux autres ; dites-leur : Notre évêque nous a proposé aujourd’hui cette question qu’il nous a promis de résoudre avec l’aide de Dieu. Mais que je puisse la résoudre ou que j’en sois incapable, cette difficulté que je vous ai proposée rue préoccupe, je vous l’assure, et me préoccupe beaucoup. Jean dit au Christ, comme s’il le connaissait déjà : « Je dois être baptisé par vous ». S’il ne connaissait pas celui dont il voulait recevoir le baptême, c’était, de sa part, une grande imprudence de lui dire : « C’est à moi d’être baptisé par vous ». Donc il le connaissait. Or, s’il le connaissait, que signifie ce qu’il dit : « Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ? » Que dirons-nous ? Que nous ne savons pas quand est venue la colombe ? Mais ne laissons pas aux partisans de Donat ce moyen de défense. Lisons le récit des autres Évangélistes qui ont parlé d’ une manière plus précise de la descente de la colombe, et nous l’y trouverons clairement marquée au moment où le Seigneur sortit de L’eau. Ce fut, en effet, après le baptême du Sauveur que les cieux s’ouvrirent et que Jean-Baptiste vit descendre le Saint-Esprit [86]. Si Jean n’a connu Jésus-Christ qu’après son baptême, comment pouvait-il dire au moment où le Sauveur s’approchait de lui, pour en recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous ? » Occupez-vous intérieurement de cette difficulté ; jusqu’à notre prochaine réunion conférez-en les uns avec les autres, traitez-la par ensemble. Plaise au Seigneur notre Dieu d’en révéler d’abord la solution à quelqu’un d’entre vous, avant le jour où je dois vous en entretenir. Quoi qu’il en soit, mes frères, la question sera résolue, retenez-le bien : sur la question de la grâce du baptême, les Donatistes jettent de la poussière aux yeux des ignorants, ils tendent des lacets, pour y prendre, comme on prendrait des oiseaux au vol, les esprits inconsidérés. Aujourd’hui ils lèvent la tête ils cesseront de la lever, et nous leur fermerons parfaitement la bouche.

CINQUIÈME TRAITÉ.

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LA COLOMBE.

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ENCORE SUR CES PAROLES « JE NE LE CONNAISSAIS PAS, ETC. », OU IL EST MARQUÉ CE QUE JEAN À APPRIS DE NOUVEAU TOUCHANT NOTRE SEIGNEUR ET QUI LUI A ÉTÉ ENSEIGNÉ PAR LA COLOMBE. (Chap. 1, 33.)

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LE BAPTÊME DU CHRIST.

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Saint Jean était véridique, puisqu’il a été envoyé par la Vérité même : comment donc, au moment de baptiser le Christ, a-t-il pu dite qu’il devait être lui-même baptisé par le Christ, tandis qu’un peu plus loin il ajoute : « Je ne le connaissais pas ? » Jean baptisait, mais en son propre nom : bien différent est le baptême du Christ ; ceux qui le donnent, le donnent en son nom seul ; car s’il a commandé à ses Apôtres d’administrer le baptême, il s’est réservé le pouvoir de le rendre efficace. Jean savait que le Christ était le Seigneur, mais il ignorait que le baptême du Christ ne porterait pas d’autre nom et n’aurait de vertu que par lui.

Les Donatistes l’ignorent aussi ou feignent de l’ignorer, puisqu’ils réitèrent le baptême conféré par les hérétiques, concluant des défauts du ministre à son invalidité. La colombe a instruit Jean du contraire ; en cela consiste notre foi et notre tranquillité, et s’il a fallu réitérer le baptême de Jean, parce qu’il était celui de Jean, nous savons qu’il ne faut point réitérer celui du Christ, quels qu’en soient les ministres, parce qu’il tire de lui seul toute son efficacité.


1. Puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de nous amener au jour marqué pour l’accomplissement de ma promesse, il nous accordera sans doute aussi sa grâce, pour que nous puissions nous acquitter de notre dette. Tout ce que nous vous disons n’est utile ni à vous, ni à nous, qu’autant qu’il vient de lui ; car ce qui vient de l’homme, n’est que mensonge, suivant celte parole de Jésus-Christ Notre-Seigneur : « Celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien ». Personne, en effet, n’a du sien que mensonge et péché. Mais ce que l’homme a de vérité et de justice, il le puise à celte source où nous devons chercher à nous désaltérer dans le désert de cette vie, afin d’y puiser au moins quelques gouttes qui nous rafraîchissent et nous consolent pendant notre pèlerinage, qui nous empêchent de tomber en défaillance dans le chemin et nous conduisent finalement au repos et à la satiété dont il est le principe. « Si donc celui qui dit des paroles de mensonge, parle du sien », celui qui dit la vérité parle d’après Dieu. Jean disait la vérité, et le Christ, c’est la Vérité même ; Jean disait la vérité, mais tout homme qui dit la vérité reçoit de la Vérité même, le don de la dire ; si Jean dit la vérité et si l’homme ne peut la dire qu’autant que la Vérité elle-même lui en donne le pouvoir, de qui Jean tenait-il donc le pouvoir de dire la vérité, sinon de celui qui a dit : « Je suis la Vérité [87] ? » La Vérité ne peut donc pas plus démentir celui qui parle d’après elle, que celui qui parle d’après la Vérité ne peut la démentir à son tour. La Vérité avait envoyé celui qui disait vrai, et il ne disait vrai que parce que la Vérité l’avait envoyé. Si la Vérité avait envoyé Jean, c’était de Jésus-Christ qu’il tenait sa mission. Mais ce que le Christ fait avec son Père, son Père le fait, et ce que le Père fait avec le Christ, le Christ le fait à son tour. Le Père ne fait rien séparément du Fils, comme le Fils ne fait rien séparément du Père ; en eux la charité, l’unité, la majesté, la puissance sont inséparables, suivant ces paroles formelles de Jésus-Christ lui-même « Mon Père et moi sommes une même chose [88] ». Qui donc a envoyé Jean ? Si nous disons que c’est le Père, nous disons vrai ; si nous disons que c’est le Fils, nous disons vrai encore ; mais pour parler plus juste, il faudrait dire que c’est le Père et le Fils. Mais celui qui a été ainsi envoyé par le Père et le Fils, c’est un seul et même Dieu qui l’a envoyé, parce que le Fils a dit : « Mon Père et moi, nous sommes une seule nature ». Comment donc Jean ne connaissait-il pas celui qui l’avait envoyé ? Il l’affirme pourtant : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, lui-même m’a dit ». J’adresse à Jean cette question : que vous a dit celui qui vous a envoyé pour baptiser dam l’eau ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Jean, est-ce bien là ce que vous a dit celui qui vous a envoyé ? Oui, c’est cela. Qui donc vous a envoyé ? Serait-ce le Père ? Dieu le Père est la Vérité, comme aussi Dieu le Fils : si le Père vous a envoyé sans le concours du Fils, Dieu vous a envoyé sans le concours de la Vérité ; mais si vous êtes véridique, parce que vous dites la vérité, et que vous parlez d’après la Vérité ; le Père ne vous a pas envoyé indépendamment de son Fils, mais le Père et le Fi ! s vous ont envoyé par ensemble. Si donc le Fils vous a envoyé d’accord avec le Père, comment ne connaissez-vous pas celui par qui vous avez été envoyé ? Celui que vous aviez vu dans la vérité, vous a envoyé, afin que vous le fissiez connaître dans sa chair, et il vous a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ».
2. Ce que Jean a entendu lui a-t-il été dit pour lui faire connaître celui qu’il ne connaissait pas encore ou pour lui faire connaître plus pleinement celui que déjà il a appris à connaître ? Car s’il ne l’avait pas connu, du moins en partie, il ne lui aurait point dit, au moment où il venait vers le Jourdain pour recevoir le baptême : « C’est à moi d’être baptisé par vous, et vous venez à moi [89] ! » Il le connaissait donc déjà. Quand, en effet, la colombe est-elle descendue du ciel ? Après le baptême de Jésus-Christ et sa sortie de l’eau. Puisque celui qui a envoyé Jean lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit » ; puisque d’ailleurs Jean ne le connaissait pas alors et ne l’a connu qu’à la descente de la colombe ; puisque la colombe est descendue seulement après que Jésus-Christ fut sorti de l’eau du fleuve ; puisqu’enfin Jean le connaissait déjà au moment où le Sauveur vint à lui pour recevoir le baptême, il est évident pour nous qu’en un sens, Jean connaissait Notre-Seigneur, et qu’en un autre sens il ne le connaissait pas encore. À moins de comprendre ainsi les choses, nous devrions considérer Jean comme un menteur. Comment donc a-t-il pu dire en toute vérité, et par suite de la connaissance qu’il en avait déjà : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous ? » A-t-il dit vrai en parlant de la sorte ? D’un autre côté encore, comment a-t-il parlé selon la vérité, quand il a dit : « Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, c’est le même qui m’a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe a donc fait connaître le Christ à Jean, non comme à un homme qui ne le connaissait pas du tout, mais comme à un homme qui le connaissait sous certains rapports, sans le connaître sous d’autres. C’est donc à nous de chercher ce que Jean ne connaissait pas en Notre-Seigneur et ce que la colombe lui on a appris.
3. Pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de baptiser ? Je me souviens d’avoir déjà répondu de mon mieux à cette question, en présence de votre charité. Si le baptême de Jean était nécessaire à notre salut, aujourd’hui encore on devrait le donner. Car aujourd’hui encore les hommes parviennent au salut, ils y parviennent même en plus grand nombre : autre n’était pas alors le salut, autre il n’est pas aujourd’hui. Si Jésus-Christ a changé, notre salut a changé aussi ; mais si notre salut se trouve en Jésus-Christ et si Jésus-Christ est le même, notre salut aussi est le même. Cela étant, pourquoi Jean a-t-il été envoyé avec la mission de donner le baptême ? Parce qu’il fallait que Jésus-Christ fût baptisé ; mais pourquoi fallait-il que Jésus-Christ fût baptisé ? Pourquoi fallait-il qu’il vînt au monde ? Pourquoi fallait-il qu’il fût crucifié ? Car puisque c’était pour nous montrer la voie de l’humilité qu’il était venu en ce monde, et puisqu’il devait lui-même devenir celte voie, il fallait qu’en toutes choses il pratiquât l’humilité. Par là il a daigné relever à nos yeux la valeur de son propre baptême et apprendre à ses serviteurs avec quel joyeux empressement ils devaient courir au baptême du maître, puisque le maître n’avait pas dédaigné le baptême de son serviteur. Tel a été le privilège de Jean, que le baptême qu’il donnait portait son nom.
4. Que votre charité remarque attentivement ceci ; qu’elle ne fasse point confusion ; qu’elle me comprenne bien. Le baptême que Jean a reçu la mission de donner a été appelé de son nom. Jean a été le seul à recevoir un pareil privilège. Ni avant lui, ni après lui, aucun juste n’a reçu le pouvoir de conférer un baptême qui fût appelé de son nom. Jean a reçu le pouvoir de baptiser, car de lui-même il n’était capable de rien ; tout homme, en effet, qui parle de lui-même, ne peut de lui-même que dire des mensonges. Et de qui a –-t-il reçu ce pouvoir, sinon de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Celui de qui il a reçu le pouvoir de baptiser, c’est celui qu’il devait baptiser ensuite ; ne vous étonnez pas ; car Jésus-Christ a agi à l’égard de Jean, commue il a agi à l’égard de sa mère. En effet il est dit du Christ : « Toutes choses ont été faites par lui [90] ». Si le Christ a fait toutes choses, il a donc aussi fait Marie qui, Plus tard, l’a mis au monde. Que votre charité soit attentive. De même que Jésus-Christ a formé Marie et a été ensuite formé par elle ; ainsi il a donné à Jean le pouvoir de baptiser et a été baptisé par lui.
5. Voilà donc pourquoi il a reçu le baptême de Jean, c’était afin que, recevant de son inférieur ce qui était au-dessous de lui, il encourageât les inférieurs à recevoir ce qui était au-dessus d’eux. Mais pourquoi n’a-t-il pas été le seul baptisé par Jean, si la mission de Jean consistait à le baptiser et à préparer la voie au Seigneur, c’est-à-dire à Jésus-Christ ? Nous en avons déjà donné la raison, mais nous y revenons parce que la question présente l’exige. Si Notre-Seigneur Jésus-Christ seul avait été baptisé par Jean, retenez bien nos paroles, que le monde ne soit pas assez puissant pour effacer de vos cœurs ce que l’Esprit de Dieu y a mis ; que les épines des sollicitudes mondaines ne prévalent pas au point d’étouffer en vous la bonne semence que nous y jetons, car pourquoi sommes-nous forcés de répéter plusieurs fois les mêmes choses, si ce n’est parce que nous ne sommes pas assez sûrs de la fidélité de votre mémoire ? Si donc Notre-Seigneur seul avait reçu le baptême de Jean, plusieurs se seraient rencontrés, qui auraient regardé le baptême de Jean comme supérieur et préférable à celui du Christ ; car ils auraient dit : Ce baptême l’emporte à tel point sur l’autre, que le Sauveur a seul mérité de le recevoir. Aussi, pour nous donner un exemple d’humilité et nous procurer le salut auquel nous ne pouvions parvenir que par le baptême, il a reçu celui dont il n’avait nul besoin pour lui-même, mais qui lui était nécessaire à cause de nous : il a voulu aussi empêcher les hommes de préférer au sien propre le baptême qu’il avait reçu de Jean, et pour cela il a permis que son précurseur en baptisât d’autres que lui. Mais à ceux-là le baptême de Jean n’a pas suffi ; aussi ont-ils été baptisés du baptême du Christ, parce qu’en effet le baptême de Jean n’était pas le baptême du Christ. Ceux qui reçoivent le baptême du Christ ne cherchent pas à recevoir celui de Jean ; mais ceux qui ont reçu le baptême de Jean ont cherché à recevoir celui du Christ. Ainsi le baptême de Jean n’a suffi qu’au Christ. Et comment ne lui aurait-il pas suffi, puisqu’il ne lui était pas même nécessaire ? Le Sauveur n’en avait nul besoin, mais s’il a reçu le baptême de son serviteur, ç’a été pour nous encourager à recevoir le sien. Et afin que le baptême du serviteur ne fût point préféré à celui du maître, plusieurs autres ont reçu le baptême d’un homme qui était serviteur de Dieu comme eux. Mais il leur était indispensable de recevoir aussi le baptême du maître, tandis que le baptême du maître dispensait de recevoir celui du serviteur.

6. Jean avait donc reçu le pouvoir de donner le baptême qui s’appelait proprement le baptême de Jean. Mais le Christ n’a voulu donner à personne la propriété du sien, non pas qu’il fût dans son intention de dispenser n’importe qui de l’obligation de le recevoir, mais parce qu’il voulait ne pas cesser de le conférer lui-même : de là il est résulté que le Sauveur en personne donne le baptême, même quand il le donne par l’intermédiaire de ses ministres ; en d’autres termes, lorsque les ministres de Jésus-Christ baptisent, c’est lui qui baptise et non pas eux. Car, autre chose est de baptiser comme représentant d’une tierce personne, autre chose est de baptiser en son nom propre. Le baptême, en effet, ressemble à celui par le pouvoir de qui il se donne, et non à celui qui l’administre. Ainsi tel était Jean, tel était son baptême ; ce baptême était saint, parce que c’était celui d’un saint. Malgré sa sainteté, Jean n’était qu’un homme ; mais il avait reçu de Notre-Seigneur la grâce extraordinaire d’être digne de précéder le Juge, de le montrer du doigt et d’accomplir cette parole de sa propre prophétie : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur ». Au contraire, tel était Jésus-Christ, tel était aussi son baptême ; le baptême de Jésus-Christ était donc divin, puisque Jésus Christ était Dieu.
7. À la vérité, Notre-Seigneur Jésus-Christ aurait pu, s’il l’avait voulu, accorder à quelqu’un de ses serviteurs le pouvoir de conférer le baptême en son propre nom ; il était le maître de renoncer à la propriété de son baptême, d’en disposer en faveur de quelqu’un de ses ministres et de communiquer à ce baptême, ainsi donné en propre à d’autres, la même vertu que s’il l’administrait lui-même ; mais il ne l’a pas fait parce qu’il voulait que les baptisés missent leur espoir en celui dont ils reconnaîtraient avoir reçu le baptême : il n’a pas prétendu que le serviteur mettrait son espérance dans le serviteur. Aussi, quand l’Apôtre voyait des hommes placer en lui leur espérance, leur disait-il hautement : « Paul a-t-il été crucifié pour vous ? ou avez-vous été baptisés au nom de Paul [91] ? » Paul a baptisé comme ministre, mais non comme ayant de lui-même le pouvoir de le faire ; tandis que Jésus-Christ a baptisé en vertu de sa propre puissance. Remarquez-le bien. Le Sauveur aurait pu donner à ses serviteurs le pouvoir de baptiser en leur propre nom : il ne l’a pas voulu. S’il leur eût donné un tel pouvoir, c’est-à-dire, si le baptême de Notre-Seigneur était devenu, le leur, il y aurait eu autant de baptêmes que de ministres, et ainsi, comme on disait : le baptême de Jean, on aurait pu dire : le baptême de Pierre, le baptême de Paul, le baptême de Jacques, le baptême de Thomas, de Matthieu, de Barthélemy. Car le baptême de Jean porte son nom. Mais peut-être quelqu’un refuse de le croire et dit : Prouvez-nous que le baptême donné par Jean a été appelé son baptême ? Je le prouverai par le témoignage de la Vérité même. Interrogée par les Juifs, elle a dit : « Le baptême de Jean, d’où est-il ? du ciel ou des hommes[92] ? » Afin qu’on ne pût compter autant de baptêmes qu’il y aurait de ministres pour baptiser en vertu du pouvoir conféré par Notre Seigneur, Jésus-Christ a gardé pour lui le pouvoir de baptiser, et il n’en a donné que la charge à ses serviteurs. Le serviteur dit qu’il baptise et il dit bien ; l’Apôtre le dit aussi : « Pour moi, j’ai encore baptisé ceux de la famille de Stephanas[93] », mais c’est comme ministre. De cette façon, un méchant peut devenir le ministre du baptême ; les hommes peuvent ne pas connaître son indignité, mais Dieu ne l’ignore pas ; et il permet que ce ministre confère le baptême dont il garde pour lui-même le pouvoir.8. Or, voilà ce que Jean ne connaissait pas à Notre-Seigneur. Que Jésus-Christ fût le Seigneur, il le savait bien ; qu’il dût baptiser Jésus Christ, il le savait encore, et il confesse que le Sauveur dit la Vérité et que lui, homme véridique, avait été envoyé par la Vérité ; et il savait tout cela. Que ne savait-il donc pas relativement à Notre-Seigneur ? C’est que Jésus-Christ conserverait par-devers lui la propriété de son baptême, sans la transmettre ni la conférer à aucun de ses ministres : de cette manière que le ministre du baptême fût digne ou indigne d’administrer ce sacrement, le baptisé ne devait reconnaître, comme l’auteur de sa régénération, que celui qui avait conservé pour lui le pouvoir de baptiser. Sachez-le bien, mes frères, voilà ce que Jean ignorait par rapport à Jésus-Christ. Voilà ce que lui a appris la colombe. Ainsi donc Jean connaissait le Sauveur ; mais ce qu’il ignorait, c’est que Jésus-Christ dût se réserver pour lui-même et en propre le pouvoir de baptiser et ne le communiquer à aucun de ses ministres. Telle est la raison de ces paroles : « Pour moi, je ne le connaissais pas ». Si vous voulez être assurés qu’il a reçu en ce moment la connaissance de cette vérité, écoutez attentivement ce qui suit : « Mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifie : c’est lui ? Le Seigneur. Mais il avait déjà appris à connaître le Seigneur. Supposez donc que jusqu’ici Jean a dit : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit ». Que lui a-t-il dit ? Le voici : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe ». N’allons pas plus loin, cependant soyez attentifs. « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui ». Que signifient ces mots : « c’est lui ? » Qu’a voulu m’enseigner par la colombe celui qui m’a envoyé ? Qu’il était le Seigneur ? Je connaissais déjà celui qui m’a envoyé ; je connaissais déjà celui à qui j’ai dit : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est à moi d’être baptisé par vous » ; je savais si bien sa qualité de Seigneur, que j’aurais mieux aimé être baptisé par lui que le baptiser moi-même. C’est alors qu’il m’a dit : « Laisse faire maintenant, il faut que toute justice s’accomplisse [94] ». Je suis venu pour souffrir et je ne serais pas venu pour être baptisé ? « Que toute justice s’accomplisse », m’a dit mon Dieu, que toute justice s’accomplisse, que j’enseigne l’humilité dans sa perfection. Je sais qu’il se rencontrera des orgueilleux dans mon futur peuple, je sais qu’il se trouvera des hommes ornés de certains dons particuliers de la grâce. Quand ces hommes verront les simples recevoir le baptême, comme ils croiront valoir mieux, soit à cause de leur continence, soit en raison de leurs aumônes eu de leur science, ils dédaigneront peut-être de recevoir ce qu’auront reçu leurs inférieurs. Il me faut les guérir et les empêcher de s’éloigner avec dédain du baptême de leur maître, puisque je serai venu au baptême de mon serviteur.
9. Voilà donc ce que Jean savait déjà, et il connaissait le Seigneur. Que lui a donc appris la colombe ? Qu’a voulu lui apprendre pas la colombe, c’est-à-dire par le Saint-Esprit venant sous sa figure, celui qui a envoyé Jean et qui lui a dit : « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même ». Que signifient ces mots, « c’est lui-même ? » Le Seigneur. Je le savais déjà. Mais savez-vous que ce Seigneur qui avait le pouvoir de baptiser, ne le donnerait à aucun de ses serviteurs et le garderait pour lui seul, en sorte que tout homme baptisé par le ministère d’un serviteur ne pût attribuer la grâce de son baptême à ce serviteur, mais uniquement au maître ? Est-ce là ce que vous saviez ? Non, je ne le savais pas encore. Aussi, que m’a-t-il dit ? « Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est lui-même qui baptise dans le Saint-Esprit ». Il ne m’a pas dit : C’est le Seigneur ; il ne m’a pas, dit : C’est le Christ ; il ne m’a pas dit : C’est Dieu ; il ne m’a pas dit : C’est Jésus ; il ne m’a pas dit : C’est Celui qui est né de la Vierge Marie, qui est venu après toi et qui est avant toi ; il ne m’a pas dit cela, car déjà je le savais. Qu’est-ce donc que Jeanne connaissait pas ? Ce pouvoir unique de donner le baptême que le Seigneur posséderait et se réserverait pour lui seul, pouvoir qui serait son apanage, soit pendant sa vie mortelle, soit quand, après son ascension dans les cieux, il ne cesserait d’exercer sur la terre sa puissance ; pouvoir en vertu duquel ni Pierre, ni Paul ne pourraient dire : Mon baptême. Aussi remarquez la manière dont se sont exprimés les Apôtres : faites-y bien attention ; aucun d’eux n’a dit : mon baptême. Bien que le même Évangile fût commun à tous, il s’en est trouvé pour lire : mon Évangile ; tu n’en trouveras aucun qui ait dit : mon baptême.
10. Voilà, mes frères ce que Jean a appris. Mais ce qu’il a aussi appris par la colombe, apprenons-le à notre tour. Car la colombe n’a pas instruit Jean, sans vouloir instruire aussi l’Église, cette Église à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe[95] ». Que la colombe instruise donc la colombe. Que la colombe apprenne à connaître ce que Jean a appris de la colombe. C’est le Saint-Esprit qui est descendu en forme de colombe. Mais ce que Jean a ainsi appris, pour qui a-t-il dû l’apprendre de la colombe ? Assurément cette science lui était nécessaire, mais peut-être était-il aussi indispensable qu’il la reçût de la colombe ? Que dirai-je de la colombe, mes frères ? Mon cœur et ma langue me permettront-ils d’en dire ce que je voudrais et comme je le voudrais ? Ce que je veux en dire est peut-être au-dessous de ses mérites, si tant est, néanmoins, que je puisse seulement m’exprimer comme je le désirerais, à plus forte raison, comme il le faudrait. Aussi aimerai-je mieux entendre sur ce sujet un plus savant, que vous en parler moi-même.
11. Jean apprend donc à connaître celui qu’il connaissait déjà ; mais il apprend à le connaître sous un rapport sous lequel il ne le connaissait pas encore, et non à un point de vue où il le connaissait déjà. Que connaissait-il déjà ? Le Seigneur. Que ne savait-il pas encore ? Que le pouvoir de donner le baptême du Christ ne serait transmis par le Sauveur à aucun homme, tandis que la mission de le conférer en son nom serait confiée par lui à ses serviteurs ; en d’autres termes, il ignorait que la propriété du baptême resterait au Christ et que la mission de le donner en son nom passerait à ses serviteurs bons ou mauvais. Que la colombe ne considère pas avec horreur le ministère des méchants, qu’elle considère le pouvoir du Seigneur, Pourquoi t’inquiéter du méchant ministre, là où le Seigneur est bon ? En quoi te nuit la malice de celui qui marche devant le juge, si tu es sûr de la bienveillance du juge ? C’est là ce que Jean a appris par la colombe. Qu’a-t-il donc appris ? Que lui-même vous le dise encore une fois : « Celui qui m’a envoyé m’a dit : Celui sur qui tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui qui baptise dans le Saint-Esprit ». O colombe, ne te laisse donc pas tromper par des séducteurs qui disent : C’est nous qui baptisons. Vois, ô colombe, ce que la colombe t’a enseigné : « C’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». La colombe te dit que c’est lui, et si tu penses être baptisé par le pouvoir de ceux par le ministère desquels tu reçois le baptême, si tu penses ainsi, tu n’es plus du corps de la colombe, et si tu ne fais plus partie du corps de la colombe, il n’est pas surprenant que la simplicité te manque ; car la colombe est surtout Le symbole de la simplicité.
12. Pourquoi, mes frères, est-ce la simplicité de la colombe qui appris à Jean que « c’est le Christ qui baptise dans le Saint-Esprit ? » N’est-ce point parce que tous ceux qui sèment le trouble dans l’Église ne sont pas des colombes ? Ils sont des mitans et des oiseaux de proie. La colombe ne déchire pas. Aussi, tu le vois, ils nous en veulent et s’en prennent à nous, comme si nous étions les auteurs des persécutions qu’ils ont eu à subir. Ils semblent avoir souffert des tourments corporels ; en effet, Dieu les a punis dans le temps, pour les ramener au bien et ne point les punir pendant l’éternité, si toutefois ils comprennent et se corrigent. Mais en réalité, ils persécutent l’Église, puisqu’ils ne cessent de lui tendre des pièges : ils la blessent plus grièvement au cœur, puisqu’ils la frappent du glaive de leur langue, ils répandent le sang d’une façon plus cruelle qu’un homicide, puisqu’ils tuent le Christ dans leurs semblables, autant que cela dépend d’eux. Ou voit qu’ils sont effrayés, comme si les puissances les jugeaient. Pourquoi craindre la puissance, si tu es bon ? Si, au contraire, tu es méchant, redoute la puissance, « car ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive », dit l’Apôtre [96], Ne tire pas le glaive pour frapper Jésus-Christ. Chrétien, que persécutes-tu dans le chrétien ? Qu’est-ce que l’empereur a persécuté en ta personne ? Il a persécuté le corps, et toi, dans le chrétien, tu persécutes l’âme. Toi, tu ne tues pas le corps. Et toutefois ils ne s’en privent pas toujours : autant ils ont pu en frapper, autant ils en ont fait mourir ; ils n’ont épargné ni les leurs ni les autres. Cela est connu de tous. La puissance leur est odieuse, parce qu’elle s’exerce légitimement ; celui qui agit selon le droit, ils ne peuvent le supporter ; ils ne supportent que le violateur des lois. Que chacun de vous, mes frères, considère ce qu’a le chrétien. En qualité d’homme, il ressemble à beaucoup d’autres ; comme chrétien, il se distingue d’un grand nombre, et il est bien plus précieux pour lui d’être chrétien que d’être homme. Parce qu’il est chrétien, l’image de Dieu a été restaurée en lui par celui-là même qui, en le créant, l’avait fait à son image [97] ; mais, comme homme, il pourrait être un méchant, un païen, un idolâtre. Tu persécutes dans le chrétien ce qu’il a de meilleur, car lu veux lui ravir le principe de sa vie ; l’esprit de vie, qui anime son corps, le fait vivre pendant le temps ; mais la vie de l’éternité, il l’a puisée dans le baptême, qu’il a reçu de Dieu. Tu veux donc lui ravir ce que Dieu lui a donné, tu veux lui enlever ce qui le fait vivre. Lorsque des voleurs se décident à dépouiller un homme, leur intention est de s’enrichir à ses dépens et de ne rien lui laisser ; pour toi, tu enlèves au chrétien ce qu’il a, sans espérance d’en devenir toi-même plus riche ; car de ce que tu le dépouilles, il n’en résulte rien pour ton avantage : voilà bien ce que font ceux qui ravissent l’âme d’autrui, sans avoir eux-mêmes pour cela deux âmes.
13. Que veux-tu donc enlever ? En quoi te déplaît celui que tu veux rebaptiser ? Tu ne peux lui donner ce qu’il a déjà. Mais tu lui fais renier ce qu’il a. En quoi agissaient plus cruellement les païens persécuteurs de l’Église ? En tirant le glaive contre les martyrs, en lançant sur eux les bêtes, en approchant d’eux les flammes. Pourquoi tout cela ? Pour faire dire au patient : Je tue suis pas chrétien. Le motif qui portait autrefois le persécuteur à employer les flammes, est le même qui te fait employer ta langue. Tes séductions produisent l’effet que n’ont pu produire ses supplices. Mais que donneras-tu et à qui le donneras-tu ? Si le chrétien te dit vrai, si tes artifices ne parviennent pas à l’entraîner et à le rendre menteur, il te dira : J’ai le baptême. Tu lui demanderas : As-tu le baptême ? – Je l’ai, te répondra-t-il. – Mais, diras-tu, je ne le lui donnerai pas tant qu’il répondra : Je l’ai, et ne me le donne pas, car ce que tu veux me donner ne peut demeurer en moi, ce que j’ai reçu ne pouvant m’être enlevé. – Attends, néanmoins, que je voie ce que tu prétends m’enseigner. – Dis d’abord : Je ne l’ai pas. – Mais je l’ai et si je dis : je ne l’ai pas, je suis un menteur, car ce que j’ai, je l’ai. – Tu ne l’as pas, te dis-je. – Montre-moi que je ne l’ai pas. – Un méchant te l’a donné. – Le Christ est donc un méchant. – Je ne dis pas que le Christ soit méchant, mais ce n’est pas le Christ qui te l’a donné. – Qui donc me l’a donné ? réponds-tu : moi, je sais l’avoir reçu du Christ. – Ce n’est pas le Christ qui te l’a donné, mais c’est je ne sais quel traditeur des Écritures. – Je voudrais bien savoir qui a été le ministre ; je voudrais savoir qui a parlé au nom du Juge ; je n’en suis pas sur l’officier, je ne considère que le juge. Peut-être que dans tes reproches contre l’officier, tu es un menteur ; mais je ne veux ni discuter, ni connaître La cause de son officier ; le Seigneur est son juge et le tien ; si j’exigeais de toi des preuves, peut-être ne les donnerais-tu pas. Mais tu es un menteur ; car il a été prouvé que tu ne pouvais rien prouver. Or, ce n’est pas là-dessus que je fonde ma cause, de peur que si j’entreprends avec ardeur la défense d’hommes innocents, tu ne t’imagines que je mets mon espérance dans les hommes, même innocents. Que les hommes soient donc ce qu’ils veulent ; pour moi, ce que j’ai, je l’ai reçu du Christ c’est par le Christ que j’ai été baptisé. – Non pas, c’est tel évêque qui t’a baptisé, et cet évêque communique avec les traditeurs. – C’est par le Christ que j’ai été baptisé, je le sais. – Qui te l’a dit ? – Je l’ai appris de la colombe qu’a vue Jean. Cruel milan, tu ne m’arracheras pas des entrailles de la colombe. Je suis l’un des membres de la colombe, parce que je sais ce que m’a appris la colombe. Tu me dis : C’est un tel ou un tel qui t’a baptisé ; à toi et à moi il est dit par la colombe : « C’est celui-là qui baptise ». À qui dois-je croire ? au milan ou à la colombe ?
14. Réponds-moi donc, afin que tu sois confondu par cette même lampe qui a confondu autrefois les premiers ennemis du Seigneur, les Pharisiens tes pareils. Ils demandaient un jour à Jésus-Christ par quelle puissance il faisait ces choses : « Et moi », leur répondit-il, « je vous interrogerai à mon tour ; dites-moi : le baptême de Jean, d’où est-il, du ciel ou des hommes ? » Et eux qui se préparaient à lui décocher les traits de leurs ruses, se virent embarrassés par cette question ; ils réfléchirent donc : « Si nous répondons », se dirent-ils, « qu’il est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi ne l’avez-vous pas cru ? » Car Jean avait dit du Seigneur : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ». Pourquoi donc me demandez-vous par quelle puissance je fais ces choses. O loups, ce que je fais, je le fais par la puissance de l’Agneau ; mais afin de connaître l’Agneau, pourquoi n’avez-vous pas cru à cette parole de Jean : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface le péché du monde ?[98] » Sachant donc ce que Jean avait enseigné du Seigneur, ils se dirent : « Si nous répondons que le baptême de Jean est du ciel, il nous répliquera : Pourquoi donc ne l’avez-vous pas cru ? Si nous répondons qu’il est des hommes, nous serons lapidés par le peuple ; car il regarde Jean comme un prophète ». D’un côté, ils craignaient les hommes, de l’autre ils avaient honte de dire la vérité. Les ténèbres firent une réponse de ténèbres, mais la lumière les confondit. Que répondirent-ils en effet ? « Nous ne savons pas ». Ils le savaient bien, et néanmoins ils dirent : « Nous ne savons pas ». Et le Seigneur : « Ni moi non plus », leur répondit-il, « je ne vous dis au nom de qui je fais ces choses[99] ». Ainsi furent confondus les premiers ennemis du Christ. Par quoi ? Par la lampe. Qui était cette lampe ? C’était Jean. Prouvons-nous qu’il était une lampe ? Nous le prouvons. En effet le Seigneur a dit : « Jean était une lampe ardente et luisantes[100] ». Prouvons-nous que c’est par elle que les ennemis du Christ ont été confondus ? Oui, écoutez le Psalmiste : « J’ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis[101] ».
15. Plongés encore dans les ténèbres de cette vie, nous marchons à la lueur de la lampe de la foi ; tenons aussi en main cette lampe qui est Jean ; avec elle confondons à notre tour les ennemis du Christ. Ou plutôt, que le Christ lui-même confonde ses ennemis par sa lampe. Adressons-leur la même question que le Seigneur adressait aux Juifs ; faisons-leur la même question et disons : Le baptême de Jean, d’où est-il ? Du ciel ou des hommes ? Que diront-ils ? Voyez, si eux aussi ne sont pas, comme autrefois les ennemis du Sauveur, confondus par la lampe ? Que diront-ils ? S’ils disent que ce baptême est des hommes, les leurs eux-mêmes les lapideront ; s’ils disent, du ciel, nous leur répondrons : Pourquoi donc n’y croyez-vous pas ? – Ils répliqueront : Peut-être nous y croyons. – Comment donc dites-vous que vous baptisez, tandis que, d’après le témoignage de Jean, « c’est celui-là qui baptise ? » Mais, selon eux, les ministres d’un si grand Juge doivent être justes, puisqu’ils donnent le baptême. Moi aussi je dis, et tous nous disons que les ministres d’un si grand Juge doivent être justes. Que les ministres soient donc justes, s’ils le veulent ; mais si ceux qui sont assis dans la chaire de Moïse s’y refusent, mon maître me tranquillise ; car l’Esprit a dit, en parlant de lui : « C’est celui-là qui baptise ». Et comment me tranquillise-t-il ? « Les Scribes », a-t-il dit, « et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ce qu’ils disent, faites-le, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas [102] ». Si le ministre est juste, je le mets avec Paul, je le range avec Pierre ; avec eux je range les ministres ; mais les saints ministres ne cherchent pas leur gloire, ils sont ministres et ils ne veulent point passer pour des juges ; ils verraient avec indignation les hommes mettre en eux leur espérance. Un tel ministre, je le range avec Paul. En effet, que dit Paul : « Pour moi, j’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a fait croître. Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui fait croître[103] ». Quant au ministre orgueilleux, il a sa place à côté du diable ; mais le don du Christ n’est point pour cela profané. Il coule par le canal de ce ministre, il coule limpide et pur, il arrive à la terre fertile : supposé que le canal est fait de pierre et que l’eau n’y peut produire aucun fruit ; toujours est-il qu’elle passe par ce canal de pierre et qu’elle arrive jusqu’au réservoir. Elle ne produit rien dans le canal, j’en conviens ; mais, parvenue au jardin, elle lui fait produire des fruits abondants. La vertu spirituelle des sacrements est comme la lumière, ceux qu’elle éclaire la reçoivent dans toute sa pureté et, pour passer en des milieux impurs, elle n’est nullement souillée. Que les ministres soient purs, qu’ils ne recherchent point leur propre gloire, mais la gloire de celui dont ils sont les ministres ; qu’ils ne disent pas : mon baptême, parce qu’il n’est pas le leur. Que Jean soit leur modèle. Cet homme était rempli du Saint-Esprit qui avait reçu du ciel, et non des hommes, la mission de baptiser ; mais dans quel but ? Uniquement, comme il l’a dit lui-même pour « préparer la voie au Seigneur [104] ». Mais aussitôt que le Seigneur a été connu, lui-même est devenu sa voie, et dès lors le baptême de Jean n’était plus nécessaire pour préparer la voie au Seigneur.
16. Cependant, qu’est-ce que les Donatistes, nous disent d’ordinaire ? Après Jean on a baptisé. En effet, avant que cette question ait été traitée à fond dans l’Église catholique, plusieurs, même de grands et saints personnages, sont tombés à cet égard dans l’erreur ; mais parce qu’ils étaient du nombre des membres de la colombe, ils ne s’en sont pas retranchés et en eux s’est accompli ce qu’a dit l’Apôtre : « Si vous pensez en quelque point autrement qu’il ne faut, Dieu vous le révélera[105] ». Aussi, pourquoi ceux qui se sont séparés de l’Église sont-ils devenus indociles ? Qu’ont-ils donc coutume de dire ? Voilà qu’après Jean on a baptisé ; et après les hérétiques on ne baptiserait pas ? Ainsi raisonnent-ils, parce que certaines personnes qui avaient reçu le baptême de Jean ont reçu de Paul l’ordre de se faire baptiser de nouveau[106] ; car elles n’avaient pas le baptême du Christ. Pourquoi donc exagérer le mérite de Jean et s’en faire un prétexte de nous reprocher le malheur des hérétiques ? Pour moi, je t’accorde que les hérétiques sont criminels ; mais, bien qu’hérétiques, ils ont donné le baptême du Christ et Jean ne l’a pas donné.
17 Je reviens à Jean, et je dis : « C’est celui-là qui baptise », Jean était meilleur qu’un hérétique, comme aussi il était meilleur qu’un homicide. Devons-nous réitérer le baptême donné par un homme qui vaut moins que Jean, par la raison que les Apôtres ont rebaptisé après le Précurseur ? Supposons qu’un donatiste ait été baptisé par un ivrogne ; je ne parle ici ni d’un homicide, ni du satellite d’un scélérat, ni du ravisseur du bien d’autrui, ni de ceux qui oppriment les orphelins, ni de ceux qui séparent les époux ; non, je ne parle pas de ces sortes de gens ; je parle seulement de ce qui est publiquement connu, de ce qui se voit tous les jours, je me borne à citer le nom que l’on donne à tous, même en cette ville, quand on leur dit : « Enivrons-nous, prenons du bon temps ; dans cette fête des premiers jours de janvier, on ne jeûne pas ». Vous le voyez, je vous parle de choses qui comptent pour rien, parce qu’elles arrivent tous les jours. Eh bien ! qu’une personne soit baptisée par un homme en état d’ivresse, je te demande lequel des deux, de Jean ou de l’ivrogne, est le meilleur ? Réponds, si tu peux, que ton ivrogne est meilleur que Jean ; tu n’oseras jamais. Toi qui es sobre, baptise donc après ton ivrogne. Car si les Apôtres ont baptisé après Jean, à bien plus juste titre l’homme sobre doit-il baptiser après l’ivrogne ? Mais tu diras peut-être : Cet ivrogne est en communion avec moi. Jean, l’ami de l’Époux, n’était donc pas en union avec l’Époux ?
18. Mais n’importe qui que tu sois, je te dis : qui est le meilleur, toi ou Jean ? Tu n’oseras pas dire : Je suis meilleur que Jean. Que tes partisans baptisent donc après toi, s’ils sont meilleurs que toi ; car, puisqu’on a baptisé après Jean, rougis si l’on ne baptise pas après toi. Tu me diras : Mais moi ; j’ai le baptême du Christ et j’enseigne en ce sens. Reconnais donc enfin le Juge, et ne sois pas un crieur orgueilleux. Tu donnes le baptême du Christ, c’est pourquoi on ne baptise pas après toi. On a baptisé après Jean, pourquoi ? Parce qu’au lieu de donner le baptême du Christ, il donnait le sien ; il avait, en effet, reçu le pouvoir de conférer ce baptême en son propre nom. Tu n’es donc pas meilleur que Jean, mais le baptême que tu donnes est meilleur que celui de Jean. Car c’est celui du Christ, tandis que celui de Jean était le sien, Le baptême donné par Paul et le baptême donné par Pierre, était celui du Christ, et si jamais Judas a donné le baptême, ç’a été celui du Christ, Judas a baptisé et l’on n’a point baptisé après lui : Jean a baptisé et l’on a baptisé après Jean ; c’est que si Judas a donné le baptême, ce baptême était celui du Christ, et que le baptême donné par Jean était celui de Jean. Ce n’est pas que nous préférions Judas à Jean, mais nous préférons le baptême du Christ, même donné par les mains de Judas, au baptême de Jean, même donné par les mains de Jean. En effet, il est dit de Notre-Seigneur, qu’avant sa passion il baptisait plus de personnes que Jean, après quoi l’Évangéliste ajoute : « Encore qu’il ne baptisât pas lui-même, mais ses disciples [107] ». Ils prêtaient au Christ leurs services pour baptiser, mais le pouvoir de baptiser demeurait tout entier en lui. Donc ses disciples baptisaient, et Judas se trouvait encore parmi eux. Ceux que Judas a baptisés, ne l’ont pas été une seconde fois, et ceux que Jean a baptisés, l’ont-ils été de nouveau ? Évidemment, oui. Mais on ne leur a pas donné un nouveau baptême ; car ceux que Jean avait baptisés, c’était Jean qui les avait baptisés ; ceux au contraire que Judas a baptisés, ont été baptisés par le Christ. De même en est-il de ceux qu’a baptisés un ivrogne ou un homicide, ou un adultère ; si ce baptême était celui du Christ, ils ont été baptisés par le Christ. Je ne crains ni l’adultère, ni l’ivrogne, ni l’homicide, parce que je fais attention aux paroles de la colombe « C’est celui-là qui baptise ».

19. Au reste, mes frères, c’est une folie de prétendre que, sinon Judas, du moins n’importe quel autre homme, a été plus riche en mérites que celui dont il a été écrit : « Parmi les enfants des hommes, il n’en a paru aucun meilleur que Jean-Baptiste[108] ». On ne lui préfère donc aucun serviteur ; mais on préfère le baptême du maître, même donné par un méchant serviteur, au baptême du serviteur, ami du maître. Écoute quels sont ceux que l’apôtre Paul appelle des faux frères : ce sont ceux qui prêchent la parole de Dieu par jalousie. Qu’en dit-il ? « Et je m’en réjouis, et je m’en réjouirai toujours ». En effet, ils annonçaient le Christ par jalousie ; mais enfin c’était le Christ[109] qu’ils annonçaient ; ne considérez point le mobile qui dirige le prédicateur, mais le sujet de sa prédication. Est-ce par motif d’envie qu’on t’annonce le Christ ? Porte ton attention sur le Christ et évite l’envie. N’imite pas le mauvais prédicateur, mais suis les traces du bon Sauveur qu’on t’annonce. Ainsi, certaines gens prêchaient le Christ par jalousie. Qu’est-ce que la jalousie ? C’est un mal horrible. C’est lui qui a fait tomber le diable ; cette peste maligne en a fait tomber beaucoup d’autres. Certains hommes qui prêchaient le Christ, en étaient atteints ; cependant l’Apôtre les laissait prêcher. Pourquoi ? Parce qu’ils prêchaient le Christ. Toutefois, la jalousie ne va pas sans la haine ; et de celui qui hait, que dit l’apôtre Jean ? Écoutez, voici ses paroles : « Celui qui hait son frère est homicide [110] ». Voilà qu’on a baptisé après Jean ; après un homicide on ne l’a pas fait, parce que Jean a donné son baptême, tandis que l’homicide a donné celui du Christ. Ce sacrement est si saint qu’un ministre homicide ne le souille pas.

20. Je ne rejette pas Jean ; j’aime mieux croire à Jean. Par rapport à quoi croirai-je Jean ? Par rapport à ce que lui a appris la colombe. Qu’a-t-il appris par la colombe ? « C’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ». Donc, mes frères, tenez-vous-en là et pénétrez vos cœurs de cette vérité. Car si je voulais aujourd’hui développer entièrement ma pensée et vous dire pourquoi Jean a été ainsi instruit par la colombe, je n’en finirais pas. Que Jean eût appris par la colombe ce qu’il ne savait pas du Christ, bien qu’il connût déjà le Christ, je crois l’avoir expliqué à votre sainteté ; mais cette connaissance, pourquoi a-t-il dû la recevoir par l’intermédiaire de la colombe ? Si je pouvais vous le dire en quelques mots, je vous le dirais ; mais il me faudrait beaucoup de temps pour vous l’expliquer ; je ne veux pas vous être à charge, Vos prières m’ont aidé à accomplir la promesse que je vous ai faite ; aidé encore, et plus efficacement, par vos pieuses dispositions et vos vœux secourables, je vous ferai voir pourquoi Jean n’a pu apprendre que par la colombe ce qu’il a appris du Seigneur, à savoir que « c’est lui qui baptise dans le Saint-Esprit » et qu’il n’a légué à aucun de ses serviteurs le pouvoir de baptiser.

SIXIÈME TRAITÉ.

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SUR LE même ENDROIT DE L’Évangile. « POURQUOI DIEU À VOULU MONTRER LE SAINT-ESPRIT VU SOUS LA FORME DE COLOMBE », (Chap. 1, 32, 33.)

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LA COLOMBE.

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Pourquoi l’Esprit-Saint a-t-il été figuré par une colombe au baptême de Jésus-Christ ? Comme le corbeau est l’image de l’orgueil, de la cruauté et de la discorde, ainsi la colombe est l’emblème de l’humilité, de la simplicité, de la douceur et de la paix : et est le signe de l’unité en Dieu, dans le baptême, dans l’Église, et, par conséquent de l’union des cœurs dans la charité. Hors de là point de salut : le baptême est inutile et même nuisible : témoin celui de Simon le Magicien La colombe rapportant un rameau d’olivier dans l’arche est la preuve de ce que nous disons : d’ailleurs la foi sans les œuvres est stérile, et les œuvres sans la charité ne servent de rien pour le ciel ; sur quoi alors les Donatiens peuvent-ils s’appuyer et se tranquilliser ?


1. J’en fais l’aveu à votre sainteté : la rigueur du temps m’avait donné lieu de craindre que votre zèle se refroidît et que vous ne vous réunissiez pas ici ; mais, je le vois, et votre affluence en est la preuve, la solennité que nous célébrons a trouvé en vous des cœurs chauds : d’où je conclus que vous avez prié pour moi, afin de m’aider à vous payer ma dette. En effet, la brièveté du temps m’empêchant de vous dire avec les développements convenables pourquoi Dieu a voulu montrer le Saint-Esprit sous la forme de colombe, je vous ai promis de traiter aujourd’hui cette question au nom du Christ ; le moment est donc venu de l’expliquer, et je sens que le désir de m’entendre, ainsi que votre pieuse dévotion, vous ont rassemblés en plus grand nombre. Que Dieu tire de ma bouche de quoi remplir votre attente. C’est par affection à coup sûr que vous êtes venus, mais cette affection, quel en est l’objet ? Si c’est nous, il n’y a rien en cela que de bien ; car nous voulons être aimés de vous, mais nous ne voulons pas l’être en nous. Comme Dieu, nous vous aimons en Jésus-Christ, à votre tour aimez-nous en lui et que notre affection mutuelle nous porte à élever vers Dieu les gémissements de notre âme ; car gémir c’est le propre de la colombe.
2. Le propre de la colombe est de gémir, nous le savons tous, et c’est l’amour qui la fait gémir aussi, prête l’oreille à ce que dit l’Apôtre, et ne sois plus étonné que le Saint-Esprit ait voulu se montrer sous la forme d’une colombe : « Ce que nous devons demander comme il faut », dit-il, « nous l’ignorons ; mais le Saint-Esprit interpelle lui-même pour nous par des gémissements ineffables [111] ». Quoi donc, mes frères ! dirons-nous que l’Esprit-Saint gémit dans cette éternelle et parfaite béatitude où il est avec le Père et le Fils ? Car l’Esprit-Saint est Dieu, comme le Fils de Dieu est Dieu ; comme le Père est Dieu. J’ai dit trois fois Dieu, mais je n’ai pas dit trois dieux, parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu : vous le savez parfaitement. Donc, ce n’est pas en soi-même, ni sans sortir de soi-même, dans la Trinité, dans la béatitude, dans l’éternité de substance que gémit l’Esprit Saint ; c’est en nous, parce qu’il nous fait gémir. Et ce n’est pas peu de chose que l’Esprit-Saint nous apprenne à gémir. En effet, il nous apprend que nous sommes pèlerins, il nous apprend à soupirer vers la patrie, et ces soupirs eux-mêmes sont nos gémissements. Celui à qui tout sourit en ce monde, disons mieux, celui qui pense que tout va bien pour lui, qui tressaille de la joie des choses charnelles, de l’abondance des biens temporels et de la vaine félicité du siècle, celui-là a la voix du corbeau ; car la voix du corbeau est stridente : il ne gémit pas. Celui au contraire qui se sait sous le pressoir de cette mortalité et qui reconnaît en lui-même un pèlerin éloigné du Seigneur [112] celui qui sait ne pas être encore en possession de cette béatitude éternelle qui nous est promise, mais la possède en espérance puisqu’il y entrera seulement, lorsque le Seigneur viendra, manifesté dans la gloire, après être d’abord venu sous le voile de l’humilité ; celui-là gémit, et aussi longtemps qu’il gémit pour ce motif il gémit bien, l’Esprit-Saint lui a enseigné à gémir, la colombe lui a appris à le faire. Car plusieurs gémissent plongés dans les malheurs de cette vie, brisés par les pertes, accablés par les maladies, enfermés dans les prisons, retenus par des chaînes, battus sur les flots par la tempête, ou embarrassés dans les pièges que leur tendent leurs ennemis ; ils gémissent donc, mais ils ne gémissent pas du gémissement de la colombe et par l’amour de Dieu, en esprit. Aussi, lorsque de tels gens se voient sortis de l’épreuve, ils poussent de grands cris de joie, d’où il paraît bien qu’ils étaient des corbeaux, et non des colombes. Aussi, lorsque le corbeau fut mis hors de l’arche, il ne revint pas ; la colombe au contraire y revint. Noé envoya hors de l’arche ces deux sortes d’oiseaux [113]. Il avait sous la main un corbeau, il avait aussi une colombe ; car l’arche renfermait ces deux espèces d’animaux : et s’il est vrai que l’arche figurait l’Église, vous le voyez facilement, c’est nécessaire que dans le déluge du siècle l’Église renferme tout à fois le corbeau et la colombe. Qui sont les corbeaux ? Ceux qui cherchent leurs intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ [114].
3. C’est pourquoi, lorsque Dieu a envoyé l’Esprit-Saint, il l’a montré visiblement en deux manières, par la colombe et par le feu. Par la colombe, sur le Seigneur après son baptême ; par le feu, sur les Apôtres réunis. En effet, lorsque le Seigneur eut passé quarante jours avec ses disciples et qu’il fut remonté au ciel après sa résurrection, il leur envoya, le jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint qu’il leur avait promis. Venant alors, l’Esprit remplit le lieu où ils étaient ; d’abord un grand bruit, pareil au bruit d’un vent violent, se fit entendre du ciel, ainsi que nous lisons dans les Actes des Apôtres ; et « il parut des langues comme de feu qui se divisèrent et reposèrent sur chacun d’eux, et ils se mirent à s’exprimer en diverses langues selon que « l’Esprit leur donnait de parler[115] ». D’un côté, nous avons vu la colombe descendre sur le Seigneur, de l’autre les langues de feu se partager sur les Apôtres réunis ; d’un côté la simplicité, de l’autre la ferveur. Car il y en a qui passent pour simples et qui sont paresseux ; on appelle simples des personnes qui en réalité sont nonchalantes. Tel n’était pas Étienne, cet homme rempli du Saint-Esprit. Il était simple, parce qu’il ne nuisait à personne ; il était fervent, parce qu’il gourmandait les impies. En effet, il ne garda pas le silence devant les Juifs. De lui sont ces paroles de feu : « Cœurs et oreilles incirconcis, vous avez toujours résisté au Saint-Esprit ». Paroles grandement impétueuses ; toutefois, même en sévissant, la colombe n’y met pas de fiel. Voici la preuve qu’elle n’y mettait pas de fiel. Les Juifs, qui étaient des corbeaux, ayant entendu ces paroles, coururent aussitôt aux pierres pour écraser la colombe ; Étienne commence à être lapidé ; tout à l’heure, sous l’émotion et la ferveur de son esprit, il avait fait sur eux comme sur des ennemis cette sortie impétueuse ; sa violence apparente s’était emportée en ces paroles de flamme et de feu que vous avez entendues : « Têtes dures, « cœurs et oreilles incirconcis ». C’était au point que celui qui les aurait entendues se serait imaginé que si Étienne l’avait pu il les aurait fait passer par le feu ; néanmoins, lorsque les pierres lancées par eux vinrent le frapper, il se mit à genoux et s’écria : « Seigneur, ne leur imputez point ce péché [116] ». Il s’était étroitement attaché à l’unité de la colombe. Ainsi avait agi le premier le maître sur lequel est descendue la colombe. Cloué à la croix, il dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font [117] ». La colombe signifie que les fidèles sanctifiés par l’Esprit ne doivent pas user de ruse, et le feu, que leur simplicité ne doit pas être de glace. Or, ne sois pas effrayé de la division des langues. Les langues sont à une certaine distance les unes des autres ; c’est pourquoi l’Esprit-Saint est apparu sous forme de langues divisées : « Des langues comme de feu se divisèrent et se reposèrent sur chacun d’eux ». Les langues sont distantes les unes des autres ; mais cette distance des langues les unes par rapport aux autres, n’est pas le schisme. Dans la division des langues ne redoute pas de rencontrer la désunion, sache que dans la colombe se trouve l’unité.
4. Ainsi donc, ainsi fallait-il que se montrât l’Esprit-Saint en venant sur le Seigneur ; car par là chacun doit comprendre que s’il a reçu l’Esprit-Saint il doit être simple comme la colombe, avoir avec ses frères cette paix désirable dont le baiser des colombes est le symbole. Les corbeaux donnent aussi leur baiser, mais en eux se trouve une fausse paix ; dans les colombes est la véritable. Il ne faut donc pas écouter comme des colombes tous ceux qui disent Que la paix soit avec vous. Comment alors distinguer les baisers des corbeaux d’avec les baisers des colombes ? Les corbeaux donnent leur baiser et déchirent en même temps ; par nature, les colombes sont innocentes de pareils procédés ; où il y a déchirements, les baisers ne sont pas le signe d’une paix véritable ; ceux-là ont la véritable paix qui n’ont pas déchiré l’Église. Les corbeaux se repaissent de chairs mortes, ce que ne fait pas la colombe ; elle se nourrit des fruits de la terre, sa nourriture est innocente, ce qui est, mes frères, véritablement à admirer dans la colombe. Il est des oiseaux très-petits qui se nourrissent néanmoins de mouches ; rien de pareil chez la colombe, car elle ne se nourrit pas de chairs mortes. Ceux qui ont déchiré l’Église cherchent à se nourrir avec des morts. Dieu est puissant, prions-le que ceux-là revivent qui sont dévorés par eux et ne le sentent pas. Plusieurs le reconnaissent parce qu’ils revivent, et tous les jours nous nous félicitons en Jésus-Christ de leur retour. Pour vous, soyez simples de manière à être aussi fervents, et que votre ferveur se montre dans vos paroles : ne gardez pas le silence, parlez avec feu, embrasez ceux qui sont froids.
5. Qu’ajouter, mes frères ? Qui ne voit ce que les Donatistes refusent de voir ? En cela rien d’étonnant. En effet, ceux qui ne veulent pas revenir sont comme le corbeau envoyé hors de l’arche. Qui ne voit ce qu’ils refusent de voir ? Mais ils sont ingrats envers le Saint-Esprit. La colombe est descendue sur le Seigneur, et sur le Seigneur baptisé ; elle est aussi apparue au même endroit, cette sainte et véritable Trinité qui pour nous est un seul Dieu. Car le Seigneur sortit de l’eau, ainsi que nous le dit l’Évangile, « voilà que les cieux furent ouverts, et il vit le Saint-Esprit descendre et demeurer sur lui en forme de colombe, et aussitôt cette voix se fit entendre : Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu [118] ». Là paraît manifestement la sainte Trinité, le Père dans la voix, le Fils dans l’homme, l’Esprit dans la colombe. Dans cette Trinité au nom de laquelle les Apôtres ont été envoyés, apercevons ce qu’il est surprenant que les Donatistes n’y aperçoivent pas. Car il est sûr qu’ils ne l’y voient pas et qu’ils ferment leurs yeux à ce qui leur frappe le visage. Où donc les Apôtres ont-ils été envoyés, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, par Celui de qui il a été dit : « C’est Celui-là qui baptise ? » Celui qui se réservait le pouvoir de baptiser le leur a dit.
6. Voilà ce que Jean a vu en lui, voilà ce qu’il ne connaissait pas et ce qu’il a appris à connaître. Certes, il le connaissait comme Fils de Dieu, comme Seigneur et comme Christ. Il n’ignorait même pas qu’il dût baptiser dans l’eau et le Saint-Esprit ; il le savait. Mais qu’il dût se réserver le pouvoir du baptême et ne le transmettre à aucun de ses ministres, voilà ce qu’il a appris par la colombe. En effet, ce pouvoir que le Christ a gardé pour lui seul et qu’il n’a transmis à aucun de ses ministres, bien qu’il ait daigné baptiser par leur ministère, ce pouvoir maintient l’unité de l’Église. Cette unité est symbolisée par la colombe dont il est dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère.[119] » Comme je l’ai déjà dit, en effet, mes frères, si le Seigneur avait transmis à ses ministres le pouvoir de baptiser, autant il y aurait de ministres, autant il y aurait de baptêmes, et l’unité du baptême serait détruite.
7. Faites-y attention, mes frères : avant que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt pour être baptisé (car c’est après son baptême que la colombe est descendue et a appris à Jean une particularité, quand il lui fut dit : « Celui sur qui tu verras le Saint-Esprit descendre et demeurer en forme de colombe ; c’est Celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit) » ; avant ce moment, Jean savait que Jésus-Christ baptisait dans le Saint-Esprit. Mais que le pouvoir de baptiser il ne dût le donner à personne, bien qu’il dût en confier à d’autres le ministère, voilà ce qu’il a appris alors. Comment prouver que Jean savait déjà que le Seigneur baptiserait dans le Saint-Esprit ? Comment le prouver de manière à faire bien comprendre que, d’après l’enseignement de la colombe, le Précurseur a su que le Sauveur baptiserait dans le Saint-Esprit, sans toutefois abandonner à personne ce pouvoir ? Encore une fois, comment le prouver ? Le voici. Le Sauveur était déjà baptisé quand la colombe est descendue sur lui ; mais avant qu’il vînt pour recevoir le baptême de Jean dans le Jourdain, nous l’avons dit, le Précurseur le connaissait comme il le marque par ces paroles : « Vous venez à moi pour être baptisé, c’est moi qui dois être baptisé par vous ». Voici donc qu’il connaissait le Seigneur, il connaissait le Fils de Dieu. Comment prouvons-nous qu’il le connaissait comme devant baptiser dans le Saint-Esprit ? Avant que Jésus-Christ vînt au fleuve, plusieurs accouraient auprès de Jean pour être baptisés et il leur dit : « Pour moi je vous baptise dans l’eau ; mais Celui qui vient après moi est plus grand que moi, je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers ; c’est Lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et le feu [120] ». Il savait donc déjà cela : par conséquent, qu’est-ce que la colombe lui a fait connaître, afin que plus tard nous ne le reconnaissions pas comme un menteur (ce que Dieu nous garde de penser) ? C’est évidemment cette particularité, savoir, que la sainteté du baptême serait attribuée à Jésus-Christ seul, quoique beaucoup de ministres justes ou injustes dussent le conférer. En effet, au moment où la colombe descendait sur lui, on entendit une voix qui disait : « C’est Celui-là qui baptise « dans le Saint-Esprit ». Que Pierre baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Paul baptise, c’est Celui-là qui baptise ; que Judas baptise, c’est Celui-là qui baptise.

8. Car si la sainteté du baptême est en proportion des mérites de ceux qui le confèrent, il ! aura autant de baptêmes que de sortes de mérites, et chacun croira en avoir reçu un meilleur, d’autant meilleur, que le ministre en paraîtra plus méritant. Les saints eux-mêmes, comprenez bien ceci, mes frères, les gens de bien appartiennent à la colombe, les citoyens de la sainte Jérusalem, les gens de bien qui font partie de l’Église, ceux dont l’Apôtre dit : « Le Seigneur connaîtra ceux qui sont à lui[121] », ont reçu des grâces différentes, tous n’ont pas les mêmes mérites ; il en est qui sont plus saints et meilleurs que d’autres. Comment dons, par exemple, si l’un est baptisé Par un ministre juste et saint, l’autre par un ministre inférieur en mérites auprès de Dieu, inférieur en élévation, en continence, en sainteté de vie, comment tous deux cependant reçoivent-ils une même et pareille grâce, une grâce égale en l’un et en l’autre, sinon parce que « c’est Celui-là qui baptise ? » Comment donc, selon que le ministre du baptême est bon ou meilleur, l’un ne reçoit-il pas une chose bonne et l’autre une chose meilleure ? Et quoique de deux ministres l’un est bon et l’autre meilleur, comment se fait-il qu’on reçoive un baptême unique et égal qui ne soit ni meilleur venant de l’un, ni de moindre valeur venant de l’autre ? De même en est-il lorsque le baptême est donné par un méchant, que l’Église ne connaît point comme tel, ou qu’elle tolère ; car on n’y connaît pas les méchants, ou bien on les y tolère : c’est de la paille ; on la tolère donc jusqu’au moment où enfin l’aire sera purgée. Ce que donne un pareil homme est de même nature : il n’est pas de moindre valeur en raison des moindres mérites du ministre ; c’est partout et toujours un baptême égal et pareil ; car : « c’est Celui-là qui baptise ? ».

9. Voyons donc, mes bien-aimés, ce que ne veulent pas voir les Donatistes ; (non pas ce qu’ils ne pourraient voir, mais ce qu’ils auraient mal de voir), comme si c’était impénétrable pour eux. Où les disciples ont-ils été envoyés pour baptiser comme ministres au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ? Où les a-t-on envoyés ? « Allez », leur dit Jésus-Christ, « baptisez les nations ». Vous savez, mes frères, comment est venu cet héritage : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession toute l’étendue de la terre[122] ». Vous savez comment la loi est sortie de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem [123] ». Nous sommes devenus attentifs lorsque nous avons entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit[124]. C’est à Jérusalem, en effet, que les Apôtres ont entendu ces paroles : « Allez baptiser les nations au nom « du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit[125] ». C’est un seul Dieu ; il n’est pas dit : Aux noms du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; mais : « Au nom du Père et du Fils et du « Saint-Esprit ». Dès lors qu’il n’y a qu’un seul nom, il n’y a qu’un seul Dieu. Ainsi l’Apôtre Paul explique-t-il le passage où il est parlé de la race d’Abraham : « En ta descendance seront bénies toutes les nations ; Dieu ne lui dit pas : En tes descendances, comme s’il « s’agissait de plusieurs ; mais, voulant parler d’un seul : En ta descendance, qui est le Christ[126] ». Comme donc il n’est pas dit en cet endroit : En vos descendances, et qu’en conséquence l’Apôtre a voulu t’apprendre qu’il n’y a qu’un seul Christ ; de même, lorsqu’il est dit ici : « au nom », non pas, aux noms, absolument dans le même sens qu’il a été dit ailleurs : « en la descendance », et non, en tes descendances, c’est la preuve qu’il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit.
10. Mais, disent les disciples au Seigneur, voici que nous savons au nom de qui nous devons baptiser, vous nous avez faits vos ministres et vous nous avez dit : « Allez baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Mais où irons-nous ? Où ? Vous ne l’avez pas entendu ? Dans mon héritage. Vous me demandez : Où irons-nous ? Dans la propriété que j’ai achetée de mon sang. Où donc ? Dans les nations. Je pensais qu’il aurait dit Allez, baptisez les Africains au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Grâces à Dieu, le Sauveur a tranché la question, la colombe a fait entendre ses enseignements ; grâces à Dieu, les Apôtres ont été envoyés vers les nations ; c’est vers les nations, c’est vers toutes les langues. Ainsi l’a marqué le Saint-Esprit en se montrant sous l’apparence de plusieurs langues et d’une seule colombe. D’un côté, les langues signifient la division ; de l’autre, la colombe indique l’union. Les langues des nations se sont mises d’accord ensemble seule la langue des Africains serait en discordance avec les autres ? Y a-t-il rien de plus évident, mes frères ? Dans la colombe l’unité, dans les différentes langues des nations l’accord. Car l’orgueil a mis le désaccord dans les langues, et d’une seule en a fait plusieurs. En effet, après le déluge l’orgueil porta les hommes à se fortifier en quelque sorte contre Dieu ; et comme s’il y avait un lieu où il ne pût atteindre, comme si l’orgueil pouvait trouver un abri contre lui, ils élevèrent une tour, pour ainsi dire avec l’intention d’échapper au déluge s’il venait à recommencer. Ils avaient entendu dire, et ils s’en souvenaient, que toute iniquité avait été détruite par le déluge ; ne voulant pas s’abstenir de l’iniquité, ils cherchaient dans la hauteur d’une tour un abri contre le déluge. C’est pourquoi ils construisirent une tour élevée. Dieu vit leur orgueil et leur envoya un esprit d’erreur, afin qu’ils ne s’entendissent plus ; c’est ainsi que l’orgueil devint la cause de la division des langues [127]. Si l’orgueil a été le principe de la division des langues, l’humilité du Christ les a réunies. Ce que cette tour avait dispersé, l’Église le recueille. D’une langue il s’en est fait plusieurs : ne t’en étonne pas : c’est le résultat de l’orgueil. De plusieurs langues il s’en est fait une seule : n’en sois pas surpris, c’est le fruit de la charité. Car, bien que dans les diverses langues on ne s’exprime pas de la même manière, le même Dieu est invoqué au fond du cœur, la même paix est gardée par tous. Mes bien-aimés, le Saint-Esprit pouvait-il mieux se manifester comme signe d’unité que sous la forme d’une colombe, afin que l’on pût dire de l’Église établie dans la paix : « Une est ma colombe ? » L’humilité pouvait-elle être symbolisée plus parfaitement que par un oiseau simple et gémissant ? Un oiseau aussi orgueilleux, aussi fat de lui-même que le corbeau, était incapable de nous en donner l’idée.
11. Peut-être diront-ils : Il y a une colombe, elle est unique ; donc en dehors de cette unique colombe il ne peut y avoir de baptême. Si c’est chez toi que se trouve la colombe, ou si tu es toi-même cette colombe, quand je viens à toi, donne-moi donc ce que je n’ai pas. Vous le savez, mes frères, voila leur langage ; vous y reconnaîtrez bientôt le cri du corbeau, et non la voix de la colombe. Que votre charité y soit un peu attentive. Prenez garde, ils sont rusés, défiez-vous ; recevez les paroles de ces contradicteurs pour les rejeter aussitôt, et non pour leur dominer accès en vos âmes et les laisser passer jusqu’à votre cœur. Imitez Notre-Seigneur, quand ses bourreaux lui offrirent un breuvage amer, « il le goûta et refusa d’en boire[128] ». Ainsi doit-il en être de vous écoutez leurs paroles et rejetez-les aussitôt. En effet, que disent-ils ? Ainsi donc, ô Église catholique, c’est toi qui es la colombe, c’est à toi qu’il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Oui, c’est à toi que ces paroles s’adressent.— Attends, ne m’interroge pas. Commence par prouver que c’est à moi que s’appliquent ces paroles. Si c’est à moi qu’elles s’appliquent, je veux le savoir tout de suite. – Oui, c’est à toi. – Je réponds C’est à moi. Cette réponse que ma bouche seule a prononcée est aussi, je n’en doute pas, sortie de vos cœurs, et tous ensemble nous avons dit : Ces paroles s’appliquent à l’Église catholique : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Ils ajoutent : Hors de la colombe, il n’y a pas de baptême ; pour moi, j’ai été baptisé hors de la colombe, donc je n’ai pas le baptême : si je n’ai pas le baptême, pourquoi ne me le donnes-tu pas quand je viens à toi ?
12. À mon tour je les interroge, En attendant, ne nous inquiétons pas de savoir à qui il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Car il s’agit de savoir si c’est à moi ou à toi que s’applique ce passage mais laissons pour le moment cette question de côté. Je demande donc ceci : La colombe est-elle simple, innocente, sans fiel, pacifique dans ses baisers ? Ses ongles font-ils jamais des blessures ? Les avares, les hommes de rapine, les trompeurs, les ivrognes, les libertins appartiennent-ils à son corps, sont-ils du nombre de ses membres ? Évidemment non. En effet, mes frères, qui oserait le soutenir ? Je veux me borner ; je ne parle que des ravisseurs du bien d’autrui, Ils peuvent bien être membres d’un oiseau de proie ; mais de la colombe, jamais. Les milans, les éperviers, les corbeaux vivent de rapines. Les colombes ne ravissent rien et ne déchirent pas : les hommes de rapines ne sont donc pas membres de la colombe. Donatistes, n’y a-t-il jamais eu parmi vous, ne fût-ce qu’un seul ravisseur du bien d’autrui ? Comment et, pourquoi le baptême donné par l’épervier, et non par la colombe, ne doit-il pas être remplacé par un autre ? Pourquoi chez vous ne baptise-t-on pas après les ravisseurs du bien d’autrui, après les adultères, les ivrognes, les avares qui comptent dans vos rangs ? Tous ceux-là sont-ils membres de la colombe ? Vous déshonorez votre colombe, au point de lui donner des membres de vautour. Eh quoi ! mes frères, que disons-nous ? Dans l’Église catholique il y a des bons et des méchants ; parmi eux, il n’y a que des méchants. Peut-être est-ce par animosité que j’en parle ? nous en donnerons plus tard la preuve. eux-mêmes en conviennent, il y a parmi eux des bons et des méchants ; car s’ils disent que parmi eux il n’y a que des bons, que leurs partisans les croient sur parole, et j’y souscris. Qu’ils disent : Il n’y a dans nos rangs que des hommes saints, justes, chastes, sobres il n’y a ni adultères, ni usuriers, ni trompeurs, ni parjures, ni ivrognes, qu’ils le disent leurs paroles ne sont rien pour moi : il me suffit de mettre la main sur leurs cœurs. Vous aussi vous les connaissez ; leurs partisans les connaissent ; et vous membres de l’Église catholique, votre conduite n’est un mystère ni pour vous, ni pour eux : ne leur adressons aucun reproche : qu’ils n’examinent même pas leur conscience. Nous l’avouons, il y a dans l’Église des bons et des méchants, mais comme dans une aire il y a du grain et de la paille. Quelquefois celui qui est baptisé par le grain n’est que de la paille, et celui qui est baptisé paria paille est du grain, Autrement, si le baptême était bon par cela même qu’il viendrait du grain, ou mauvais parce qu’il viendrait de la paille, il serait faux de dire : « C’est Celui-là qui baptise ». Si au contraire il est vrai de dire : « C’est Celui-là qui baptise », le baptême est bon, même quand il vient de la paille ; le méchant baptise tout aussi bien que la colombe, non pas que le méchant soit la colombe, ou qu’il soit tin de ses membres ; on ne peut le dire, non plus, ni parmi les catholiques, ni parmi les Donatistes, si tant est qu’ils prétendent que leur Église est la colombe. Qu’entendons-nous par là, mes frères ? C’est chose manifeste et connue de tous, et quand même ils n’en voudraient pas convenir, la preuve en est là : quand, chez eux, des méchants confèrent le baptême, on ne le réitère pas ; et lorsque parmi nous des méchants baptisent, on ne rebaptise pas non plus après eux. La colombe ne baptise pas après les corbeaux, pourquoi le corbeau pré. tendrait-il baptiser après la colombe ?
13. Que votre charité soit attentive. Au baptême de Notre-Seigneur, une colombe, c’est-à-dire le Saint-Esprit en forme de colombe, descendit et demeura sur le Christ ; en conséquence la colombe a révélé à Jean qu’un certain pouvoir réservé relativement au baptême se trouvait en Notre-Seigneur. Mais pourquoi une colombe ? et que pouvait-elle signifier ? C’est que, selon que je l’ai déjà dit, par ce pouvoir réservé se trouvait assurée la paix de l’Église. Il peut donc se faire que quelqu’un reçoive le baptême en dehors de la colombe ; mais qu’alors ce baptême lui serve, c’est impossible. Que votre charité soit attentive et comprenne bien ce que je dis ; car par le moyen de cette ruse nos adversaires trompent souvent ceux de nos frères qui sont indolents et tièdes. Soyons plus simples et plus fervents. Ai-je, disent-ils, reçu le baptême ou ne l’ai-je pas reçu ? Je réponds : Tu l’as reçu. Si je l’ai reçu, il n’y a aucun motif de me le donner ; j’ai lieu d’être tranquille, tu en conviens toi-même ; pour ma part, j’affirme avoir reçu le baptême, et toi, tu le reconnais formellement. Notre mutuel accord fait ma sécurité. Alors, que me promets-tu ? Pourquoi veux-tu me faire catholique, quand tu n’as rien de plus à me donner, quand d’après ton aveu j’ai déjà reçu ce que tu prétends avoir ? Pour moi, quand je dis : Viens à moi, je soutiens que tu n’as pas ce que tu avoues lire en ma possession ; pourquoi donc me dis-tu : Viens à moi ?
14. La colombe nous le fait savoir. Car, de dessus la tête du Seigneur où elle se trouve placée, elle répond en disant : Tu as le baptême, mais la charité qui me fait gémir, tu ne l’as pas. Qu’est-ce que cela veut dire, répond le donatiste ? J’ai le baptême et je n’ai pas la charité ? Ne te récrie pas ; montre-moi comment peut avoir la charité celui qui divise l’unité. Moi, j’ai le baptême. Oui, sans doute ; mais ce baptême sans la charité ne te sert de rien, parce que sans la charité tu n’es rien. Non pas que, même dans celui qui, n’est rien ; le baptême soit rien ; car ce baptême est quelque chose, et même quelque chose de grand, à cause de celui dont il a été dit : « C’est celui-là qui baptise ». Mais ne vas pas supposer que cette chose si grande puisse avoir quelque utilité pour toi, si tu n’es pas dans l’unité ; car la colombe est descendue sur Jésus-Christ baptisé, comme pour dire : Si tu as le baptême, sois dans la colombe, de peur que ce que tu as ne te serve de rien. Viens donc, leur disons-nous, viens à la colombe, non pour commencer à avoir ce que tu n’avais pas, mais afin que ce que tu avais commence à te servir, car ayant le baptême en dehors de la colombe, tu l’avais pour ta perte ; quand tu l’auras au dedans d’elle, il commencera à te servir pour ton salut.
15. Non-seulement le baptême ne te servait de rien, il était même nuisible pour loi. Car les choses saintes elles-mêmes peuvent nuire. Chez les bons elles contribuent à leur salut ; chez les mauvais, elles sont le principe de leur jugement. Il est sûr, mes frères, que nous savons ce que nous recevons ; et certainement ce que nous recevons est saint ; et personne ne prétend que cet aliment ne l’est pas. Que dit l’Apôtre ? : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement [129] ». Il ne dit pas que ce soit une chose mauvaise ; mais il soutient que le méchant, en la recevant mal, reçoit pour son jugement la bonne chose qu’il reçoit. Cette bouchée donnée à Judas par le Seigneur [130] était-elle mauvaise ? À Dieu ne plaise. Le médecin n’aurait pas donné le poison, le médecin a donné le salut ; mais en le recevant indignement, Judas l’a reçu pour sa perte parce qu’il ne l’a pas reçu dans la paix. Ainsi en est-il de celui qu’on baptise. J’ai, dis-tu, le baptême. Tu l’as, je l’avoue, fais bien attention à ce que tu as. De cela même résultera ta condamnation. Pourquoi ? Parce que tu as le bien de la colombe en dehors de la colombe. Si tu l’avais dans la colombe, par cela même que tu l’aurais, tu serais en sûreté. Suppose que tu es soldat : tu portes la marque de ton chef ; tu pourras combattre en toute sûreté mais si tu la portes en dehors, non seulement elle ne te servira de rien pour le combat, mais elle te fera punir comme déserteur. Viens donc, viens et ne dis pas : j’ai le baptême et il me suffit ; viens, la colombe t’appelle, elle t’appelle par ses gémissements. Mes frères, je vous le dis, appelez-les par vos gémissements, non par des querelles ; appelez-les par vos prières, par vos invitations, par vos jeûnes ; qu’ils comprennent que c’est votre charité pour eux qui vous fait trouver la séparation douloureuse. Je n’en doute pas, mes frères, s’ils voient votre douleur, elle les couvrira de confusion et les ramènera à la vie. Viens donc, viens, ne crains pas de venir ; crains plutôt si tu ne viens pas, je dirai même : en ce’ cas, ne crains pas, mais verse des larmes. Viens, si tu m’écoutes tu ressentiras une grande joie ; à la vérité tu ne laisseras pas de gémir au milieu des tribulations de ce pèlerinage ; mais l’espérance te remplira de joie. Viens où est la colombe, à laquelle il a été dit : « Une est ma colombe, elle est une pour sa mère ». Tu aperçois une seule colombe sur la tête du Christ ; mais ne vois-tu pas que les langues sont répandues par tout l’univers ? Le même Esprit qui s’est manifesté par la colombe, s’est aussi manifesté par les langues. Si l’Esprit qui s’est montré dans la colombe est celui-là même qui s’est montré dans les langues, le Saint-Esprit a été donné à l’univers. Tu t’en es séparé pour crier avec le corbeau, au lieu de gémir avec la colombe. Viens donc.
16. Mais peut-être es-tu dans l’inquiétude et dis-tu : Baptisé en dehors de la colombe, je crains que le baptême que j’ai ainsi reçu me rende coupable. Tu as déjà commencé à apprendre de quoi il faut gémir. Tu dis vrai : en effet, tu es coupable, non pas d’avoir reçu le baptême, mais de l’avoir reçu en dehors de la colombe ; garde donc ce que tu as reçu, et répare la faute de l’avoir reçu en dehors. Tu as reçu le bien de la colombe en dehors de la colombe ; voilà deux choses : tu as reçu, et tu as reçu en dehors de la colombe. Que tu aies reçu, je n’y vois que du bien ; que tu aies reçu en dehors de la colombe, je te blâme. Garde donc ce que tu as reçu, on n’y changera rien, on le reconnaîtra : c’est la marque de mon roi ; je ne la profanerai pas, je changerai le déserteur, sans changer la marque.
17. Ne te glorifie pas de ton baptême, parce que je dis que c’est un vrai baptême. Oui, je le dis, c’est mm vrai baptême. L’Église catholique le dit comme moi : C’est un vrai baptême. La colombe le considère, elle le reconnaît ; elle gémit parce que tu l’as en dehors d’elle ; elle y voit quelque chose à avouer, quelque chose à corriger. C’est bien le baptême, Viens. Tu te glorifies de ce qu’il est un vrai baptême, et tu refuses devenir ? Qu’en est-il des méchants qui n’appartiennent pas à la colombe ? La colombe te dit : Les méchants parmi lesquels je gémis, et qui ne sont pas du nombre de mes membres, et parmi lesquels il est nécessaire que je gémisse, n’ont-ils pas ce que tu te glorifies d’avoir ? Plusieurs ivrognes n’ont-ils pas le baptême ? Le baptême n’a-t-il pas été reçu par nombre de gens avares, par beaucoup de gens idolâtres et, ce qui est pire, qui le sont eu secret ? Les païens ne vont-ils pas ou n’allaient-ils pas publiquement adorer les idoles ? Maintenant les chrétiens vont secrètement à là recherche des sorciers, ils consultent secrètement les devins. Et pourtant, tous ces gens-là ont reçu le baptême, mais la colombe gémit de se trouver au milieu de ces corbeaux. Pourquoi donc te réjouir de ce que tu as ? Ce que tu as, le méchant l’a aussi. Aie l’humilité, la charité, la paix ; reçois le bien qui te manque, afin que celui que tu possèdes te serve à quelque chose.
18. Car ce que tu as, Simon le magicien l’a eu aussi. Témoin le livre des Actes des Apôtres, ce livre canonique qui doit se lire chaque année dans l’Église. Dans les solennités qu’elle célèbre annuellement, après avoir fait mémoire de la passion du Seigneur, vous savez qu’elle fait la lecture de ce livre : on y trouve le récit de la conversion de l’Apôtre, qui de persécuteur est devenu prédicateur [131] ; et aussi l’histoire de la descente du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte sous forme de feu partagé en diverses langues[132]. Là nous lisons que plusieurs habitants de Samarie reçurent la foi par la prédication de Philippe : ce Philippe était l’apôtre ou le diacre ; car nous lisons encore qu’on ordonna sept diacres, au nombre desquels se trouvait un nommé Philippe[133]. Les Samaritains crurent donc à cette prédication de Philippe, et Samarie commença à se remplir de fidèles. Alors s’y trouvait ce Simon le magicien qui, par ses artifices magiques, avait trompé le peuple au point de se faire passer pour la vertu de Dieu. Cependant cet homme, frappé des prodiges opérés par Philippe, crut aussi à son tour ; mais la suite lit bien voir de quelle nature était sa foi. Néanmoins il fut aussi baptisé comme les autres. Les Apôtres qui étaient à Jérusalem apprirent ce qui se passait à Samarie, ils y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci y trouvèrent un grand nombre de baptisés, mais ils n’y rencontrèrent personne qui eût reçu le Saint-Esprit, comme il descendait alors sur les fidèles et leur faisait parler différentes langues pour marquer la diversité des nations qui devaient être appelées à la foi. Les Apôtres leur imposèrent donc les mains en priant pour eux, et ils reçurent le Saint-Esprit. Ce Simon n’était pas une colombe dans l’Église, ce n’était qu’un corbeau ; car il recherchait ses intérêts, au lieu de rechercher ceux de Jésus-Christ[134] ; dans le christianisme il préférait donc à la justice le pouvoir de faire des miracles. Voyant que les Apôtres donnaient le Saint-Esprit par l’imposition des mains (non qu’ils le donnassent par eux-mêmes, mais parce que leurs prières l’obtenaient de Dieu), il leur dit : « Combien voulez-vous d’argent, afin que par l’imposition de mes mains « l’Esprit-Saint soit donné ? » Et Pierre lui répondit : « Que ton argent demeure avec toi pour ta perte, parce que tu as cru que le don de Dieu pouvait s’acquérir par de l’argent ». À qui Pierre disait-il : « Que ton argent demeure avec toi tour ta perte ? » À un homme baptisé ; car Simon avait reçu le baptême, mais il n’était pas uni aux entrailles de la colombe. Écoute ; voici la preuve qu’il n’y était pas uni, fais attention aux paroles de Pierre ; il continue ainsi : « Tu n’as pas de part à cette foi, car je vois que tu es plein d’un fiel amer [135] ». La colombe n’a pas de fiel, Simon en avait ; aussi était-il séparé des entrailles de la colombe. À quoi lui servait son baptême ? Ne te glorifie donc pas du tien, comme s’il suffisait pour ton salut de l’avoir reçu cesse de te mettre en colère, dépose ton fiel, tiens à la colombe. Alors te sera utile ce qui ne te servait de rien, ce qui était même nuisible pour toi, parce que tu l’avais reçu en dehors de la colombe,
19. Ne dis point : Je ne viendrai point parce que j’ai été baptisé en dehors de la colombe. Commence à avoir la charité, commence à porter le fruit de ce que tu as reçu ; que l’on trouve ce fruit en toi, et la colombe s’introduira au dedans. C’est ce que l’on trouve dans l’Écriture. L’arche avait été construite avec du bois incorruptible[136]. Ce bois incorruptible n’est autre que les saints, que les fidèles qui appartiennent au Christ, De même, en effet, que les pierres vives dont le temple était construit étaient la figure des fidèles, ainsi le bois incorruptible de l’arche représente les hommes qui Persévèrent dans la foi. Dans l’arche il y avait donc des bois incorruptibles : cette arche, c’est l’Église ; la colombe y donne le baptême, car l’arche était portée sur les eaux, et ses bois incorruptibles y ont été plongés. Nous trouvons que d’autres bois étrangers à l’arche y ont été aussi submergés : c’étaient les arbres plantés sur toute la surface de la terre : c’était, néanmoins, partout la même eau, et non une eau différente ; car elle était venue soit du ciel, soit des abîmes des fontaines. C’est dans la même eau que furent plongés et les bois incorruptibles dont l’arche était composée, et les bois qui n’étaient pas entrés dans sa construction. La colombe fut envoyée ; d’abord elle ne trouve pas où se poser ; elle revient vient à l’arche, car tout était rempli d’eau ; elle aima mieux revenir que d’être baptisée de nouveau. Le corbeau fut envoyé avant la disparition des eaux : après avoir été se rebaptiser, il ne voulut plus revenir, et il périt dans ces eaux. Que Dieu nous préserve d’une pareille fin. Aussi bien, pourquoi ne revint-il pas ? C’est que les eaux l’en empêchèrent. Pour la colombe, ne trouvant où se poser, quoique l’eau lui criât de toutes parts : Viens, viens, plonge-toi ici, de même que ces hérétiques te crient : Viens, viens, ici on donne le baptême ; la colombe, ne trouvant pas où se reposer, revint à l’arche. Et Noé l’envoya de nouveau, de même que l’arche vous envoie pour parler à ces égarés : après cela, que fit la colombe ? Parce que les bois étrangers au corps de l’arche avaient été plongés dans l’eau, elle rapporta vers l’arche un rameau d’olivier. Ce rameau portait des feuilles et du fruit [137]. Ne te contente pas de parler, de porter des feuilles, porte aussi des fruits : tu reviendras à l’arche, tu n’y reviendras pas de toi-même, mais la colombe t’y rappellera. Gémissez en dehors, afin que ceux qui s’y trouvent soient rappelés au dedans.
20. Car si nous cherchons à savoir ce qu’était ce fruit de l’olivier, nous l’apprendrons. Le fruit de l’olivier représente la charité. Comment le prouvons-nous ? De même que l’huile ne peut être maintenue au-dessous d’aucun liquide, qu’elle se fraie un passage et remonte à leur surface, ainsi la charité ne peut être retenue prisonnière en des régions inférieures ; elle tend de toute nécessité à monter vers le ciel. C’est pourquoi l’Apôtre dit d’elle : « Il est encore une voie plus élevée qu’il me faut vous montrer ». Nous avons dit que l’huile s’élève toujours au-dessus ; or, pour ne pas appliquer à autre chose qu’à la charité ces paroles de l’Apôtre : « Il est encore une voie plus élevée « qu’il me faut vous montrer », Écoutons ce qui suit : « Quand je parlerais le langage « des hommes et des anges, si je n’ai pas la « charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante[138] ». Va maintenant, Donat, et crie : Je suis éloquent ! Va maintenant, et crie : Je suis docte ! Combien éloquent ? Combien docte ? Aurais-tu parlé le langage des anges ? Et quand même tu l’aurais parlé, si tu n’as pas la charité, je n’entendrais qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Je veux quelque chose de plus solide, je veux trouver du fruit dans les feuilles : que les paroles ne soient pas seules, qu’elles portent l’olive, qu’elles reviennent à l’arche.
21. Mais, diras-tu, j’ai le sacrement. Tu dis vrai. Ce sacrement est divin ; tu as le baptême, et je l’avoue. Mais que dit le même Apôtre ? « Quand même je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais le don de prophétie et que j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes ». Il parlait ainsi pour t’empêcher de dire : Je crois, cela me suffit. Mais que dit Jacques ? « Les démons aussi croient, et ils tremblent[139] ». Grande chose que la foi ! mais chose inutile sans la charité. Les démons aussi confessaient le Christ : c’était de leur part avec foi en lui, mais ils ne l’aimaient pas, quand ils disaient : « Qu’y a-t-il u entre vous et nous[140] ? » Ils avaient la foi, mais ils n’avaient pas la charité : c’est pourquoi ils étaient des démons. Ne te glorifie pas d’avoir la foi ; car il serait encore possible de te comparer aux démons. Ne (lis pas au Christ « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » L’unité du Christ te parle, elle te dit : Viens à moi, sache où est la paix, rentre dans les entrailles de la colombe. Tu as été baptisé en dehors d’elle, porte du fruit et tu reviendras à l’arche.
22. Mais, diras-tu, pourquoi nous chercher, puisque nous sommes des méchants ? Voilà précisément pourquoi nous vous cherchons, c’est que vous êtes méchants ; car si vous n’étiez pas méchants, nous vous aurions trouvés et nous ne vous chercherions pas. Celui qui est bon est déjà trouvé ; celui qui est méchant, on le cherche encore ; c’est pourquoi nous vous cherchons. Revenez à l’arche. Mais j’ai le baptême. « Quand même je saurais tous les mystères, quand j’aurais le don de prophétie, et une foi jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». Que je voie du fruit en toi, que j’y voie l’olive, et bientôt tu seras dans l’arche.
23. Mais que dis-tu ? Voilà que nous endurons beaucoup d’épreuves, Si seulement vous souffriez pour le Christ, et non pour les honneurs. Mes frères, écoutez ce qui suit : ils se vantent parfois de faire de grandes aumônes, de souffrir de mauvais traitements ; mais c’est pour Donat, ce n’est point pour le Christ. Remarque pourquoi tu souffres : si c’est pour Donat, tu souffres pour un orgueilleux, tu n’es pas dans la colombe dès là que tu souffres pour Donat. Il n’était pas l’ami de l’Époux ; car s’il avait été l’ami de l’Époux, il aurait recherché la gloire de l’Époux au lieu de rechercher la sienne propre [141]. L’ami de l’Époux ne dit-il pas : « C’est celui-là qui baptise ? » Il n’était pas l’ami de l’Époux celui pour qui tu souffres. Tu n’as pas la robe nuptiale, et si tu viens au festin on te mettra dehors[142]. Que dis-je ? c’est parce que tu as été mis dehors que tu es misérable ; reviens donc enfin et cesse de te glorifier. Écoute ce que dit l’Apôtre : « Quand même j’aurais distribué tout mon bien aux pauvres et livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité ». Voilà ce que tu n’as pas. « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes », même pour le nom du Christ, comme il en est plusieurs qui le font par orgueil, et non par charité, Paul ajoute : « Quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien[143] ». Ceux-là l’ont fait par charité, qui au temps de la persécution ont souffert le martyre ; ils ont agi par charité ; mais les Donatistes le font par sentiment d’orgueil et de superbe ; car, le persécuteur venant à manquer, ils se jettent d’eux-mêmes dans les précipices. Viens donc, afin d’avoir la charité. Mais nous avons des martyrs. Quels martyrs ? Ils ne sont point de la colombe ; aussi sont-ils tombés du haut de la pierre, quand ils ont voulu s’envoler.
24. Tout donc, vous le voyez, tout crie contre eux, toutes les pages divines, toutes les prophéties, tout l’Évangile, toutes les épîtres des Apôtres, tous les gémissements de la colombe, et cependant ils ne s’éveillent pas encore, ils ne sortent pas de leur sommeil. Pour nous, si nous sommes la colombe, gémissons, supportons-les, espérons ; la miséricorde de Dieu viendra pour échauffer du feu du Saint-Esprit votre simplicité ; et alors ils viendront. Il ne faut pas désespérer ; priez, prêchez, aimez, Dieu est tout – puissant. Déjà ils ont commencé à reconnaître leur audace ; plusieurs l’ont reconnue ; plusieurs en ont rougi ; le Christ viendra, et d’autres encore le reconnaîtront. Qu’au moins, mes frères, il ne reste parmi eux que la paille ; que tous les grains soient recueillis ; que tout ce qui chez eux porte du fruit revienne à l’arche, porté par la colombe.
25. Ainsi mis en défaut sur tous les points, ne trouvant plus rien à dire, que nous objectent-ils ? Ils nous ont pris nos maisons de campagne ; ils nous ont enlevé nos propriétés ; ils exhibent des testaments. Voici, disent-ils, la preuve que Gaïus Seïus a donné un fonds de terre à l’Église, à la tête de laquelle se trouvait Faustinus. De quelle Église Faustinus était-il évêque ? C’est l’Église à laquelle présidait Faustinus ; Faustinus était à la tête non pas d’une Église, mais d’un parti. La colombe seule est l’Église. Pourquoi crier ? Nous n’avons pas dévoré ces maisons de campagne : que la colombe les possède, que l’on sache qu’elle est la colombe et qu’elle les possède. Car, vous le savez, mes frères, ces maisons de campagne n’appartiennent pas à Augustin ; si vous l’ignorez, vous supposez que mon bonheur est de les posséder ; mais Dieu ne l’ignore pas, il sait ce que j’en pense, ce que je souffre à leur endroit ; il connaît avec quels gémissements, en raison de ce qu’il a daigné me confier des biens de la colombe. En tout cas, voilà ces biens. En vertu de quels droits les revendiques-tu ? Est-ce en vertu du droit divin ou du droit humain ? Qu’ils répondent, le droit divin, nous l’avons dans les Écritures ; le droit humain, dans les lois des empereurs, Ce que chacun possède, de quel droit le possède-t-il ? Car, de droit divin, la terre et tout ce qu’elle renferme est au Seigneur[144]. Dieu a fait les hommes, les pauvres et les riches, d’un même limon ; pauvres et riches ne sont-ils pas supportés par la même terre ? C’est donc de droit humain que l’on dit : Ce bien est à moi, cette maison m’appartient, cet esclave est ma propriété. Si c’est de droit humain, c’est du droit des empereurs. Pourquoi ? Parce que Dieu s’est servi des empereurs et des princes du siècle, pour faire entre les hommes le partage de leurs droits. Voulez-vous que nous lisions les lois des empereurs et que nous tranchions par elles la question de possession de ces biens ? Si vous prétendez posséder de droit humain, récitons les lois des empereurs. Voyons si elles ont voulu accorder aux hérétiques le droit de posséder. Mais, disent-ils, que me fait l’empereur ? Cependant, c’est par son droit que vous possédez quelque portion de terre. Ou bien, fais disparaître le droit des empereurs, et alors qui osera dire : Ce bien est à moi, ou bien cette maison et cet esclave m’appartiennent ? Que si pour les avoir il leur a fallu admettre le droit des empereurs, voulez-vous que nous récitions leurs lois pour vous donner le contentement d’y voir que si vous avez mm seul jardin vous ne le devez qu’à ta mansuétude de la colombe, et parce qu’elle vous permet de le conserver ? En effet, nous lisons des lois manifestes des empereurs, où ils défendent à ceux qui usurpent le nom de chrétiens sans appartenir à la communion de l’Église catholique et qui ne veulent pas adorer en paix l’auteur de la paix, de rien oser posséder au nom de l’Église.
26. Mais, objectent-ils toujours, qu’y a-t-il entre nous et l’empereur ? Je le leur ai déjà dit : Il s’agit de droit humain. Or, l’Apôtre a voulu que l’on obéît aux princes ; il ordonne de les honorer, et il a dit : « Révérez le prince [145] ». Ne dis donc pas : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? En ce cas, qu’y a-t-il entre toi et le droit de posséder ? C’est par le droit des princes que l’on possède. Tu dis : Qu’y a-t-il entre nous et le prince ? Ne parle donc plus de tes possessions, puisque tu as renoncé au droit humain sur lequel elles sont fondées. Mais, reprennent-ils, je me fonde sur le droit divin. En ce cas, relisons l’Évangile, voyons jusqu’où s’étend l’Église catholique, l’Église du Christ sur lequel est descendue la colombe et dont elle nous a appris « que c’est Celui-là qui baptise ». Lorsque l’Écriture dit : « Une est la colombe, elle est une pour sa mère » ; pourquoi avez-vous déchiré la colombe ? Je dis mieux, pourquoi avez-vous déchiré vos entrailles ? Car, après que vous vous êtes déchirés, la colombe demeure intacte. Puis donc, mes frères, qu’ils n’ont plus rien à dire, moi je leur dis ce qu’ils ont à faire, Qu’ils viennent à l’Église catholique, et ils posséderont avec nous, non seulement la terre, mais encore celui qui a créé le ciel et la terre,

SEPTIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS L’ENDROIT OU IL EST ÉCRIT : « ET MOI JE L’AI VU, ET J’AI RENDU TÉMOIGNAGE QU’IL EST FILS DE DIEU », JUSQU’À « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL « OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DESCENDRE SUR LE FILS DE L’HOMME ». (Chap. 1, 34-51.)

LES TÉMOINS DU CHRIST.

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La colombe a fait connaître à Jean l’unité du baptême et l’union des cœurs dans le Christ par la charité qui vivifie les œuvres et même la foi, et les rend dignes du ciel ; aussi cet Apôtre en a-t-il rendu témoignage et affirmé que Jésus est « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ». À ces paroles du Précurseur, les deux disciples, qui étaient là, s’approchèrent du Christ vers la dixième heure pour lui adresser une question, et trouvèrent en lui l’auteur et le docteur de la loi que nous devons accomplir dans le sentiment de la charité, avec le secours et la grâce de notre maître. Pierre vint ensuite, qui reçut de Jésus le privilège de figurer l’Église, cette pierre sur laquelle seule peut reposer solidement l’édifice de notre sanctification. Puis, Nathanaël lui succéda, homme docte et digne, à cause de sa droiture. D’être sinon choisi comme apôtre, du moins guéri par le céleste médecin. À la première parole du Christ, il reconnut effectivement en lui le Fils de Dieu à cause de sa miséricorde pour les pécheurs ; il crut donc, mais sa foi devait s’accroître encore à la vue des vertus et des travaux des Apôtres.


1. Je veux d’abord me réjouir avec vous de votre grand nombre, et de ce que vous êtes venus ici avec un empressement qui dépasse toutes nos espérances. C’est là ce qui nous réjouit et nous console dans tous les travaux et les périls de cette vie, votre amour pour Dieu, la piété de votre zèle, la fermeté de votre espérance et votre ferveur. Vous avez entendu à la lecture du psaume que le pauvre et l’indigent crient vers Dieu en cette vie [146]. Cette voix, vous l’avez entendu dire souvent, et vous ne devez pas en avoir perdu le souvenir, cette voix, ce n’est pas la voix d’un seul homme, et pourtant elle est la voix d’un seul ; elle n’est pas la voix d’un seul à cause de la multitude des fidèles, grains nombreux mêlés à la paille où ils gémissent, et répandus par tout l’univers ; elle est la voix d’un seul parce que tous sont les membres du Christ et forment ainsi un seul corps. Ce peuple indigent et pauvre ne sait tirer ses joies de ce monde : ses douleurs comme ses joies sont au dedans de lui ; elles se trouvent où celui-là seul porte ses regards, qui écoute les gémissements et couronne les espérances. Les joies du siècle ne sont que vanité. Cette joie, on l’attend avec une fiévreuse impatience, et quand elle est venue on ne peut la retenir. Ainsi ce jour, qui est un jour de joie pour les débauchés de cette ville, ne sera plus demain, et eux-mêmes ne seront plus demain ce qu’ils sont aujourd’hui. Ainsi, tout passe, tout s’envole, tout s’évanouit comme la fumée, et malheur à ceux qui y attachent leurs affections. Car toute âme suit ce qu’elle aime. Toute chair est comme l’herbe, et toute la gloire de la chair est comme la fleur des champs ; l’herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur demeure éternellement[147]. Voici ce qu’il te faut aimer, si tu veux demeurer toujours ; mais, vas-tu me dire : Comment puis-je saisir le Verbe de Dieu ? Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous [148].

2. C’est pourquoi, mes bien-aimés, que le rôle de notre indigence et de notre pauvreté soit de pleurer ceux qui sont riches à leurs yeux. Car leur joie ressemble à celle des frénétiques. Un frénétique se réjouit de sa folie, il en rit ; mais celui qui jouit de son bon sens, pleure sur le sort de cet infortuné. Ainsi devons-nous faire, mes bien-aimés, si nous avons reçu le remède descendu du ciel ; car, tous aussi nous étions des frénétiques ; mais nous avons été guéris, car nous cessons d’aimer ce que nous aimions alors ; gémissons devant Dieu sur le malheur de ceux qui sont encore fous. Aussi bien il est assez puissant pour les guérir à leur tour. Pour cela, il est besoin qu’ils se regardent et qu’ils se déplaisent. Ils veulent voir, et ils ne savent pas se voir eux-mêmes. S’ils veulent jeter un instant les yeux sur eux-mêmes, ils verront des sujets qu’ils ont de rougir. Jusqu’à ce qu’ils le fassent, nous avons d’autres soucis d’autres soins réclament notre attention ; mieux vaut notre douleur que leur joie. Pour ce qui regarde le nombre de nos frères, il me semble difficile que les divertissements de cette journée nous en aient ravi quelques-uns ; mais en ce qui regarde nos sœurs, c’est pour nous le sujet d’une grande tristesse et d’une profonde douleur, de voir qu’elles n’ont pas été plus empressées à venir à l’Église. Car, à défaut de la crainte de Dieu, le sentiment de la pudeur aurait dû les éloigner du tumulte de la rue. Que celui qui voit tout, jette les yeux sur elles, et que sa miséricorde vienne les guérir toutes. Pour nous qui sommes assemblés ici, nourrissons-nous au festin de Dieu, et que sa parole fasse notre joie. Il nous a invités à entendre son Évangile, il est lui-même notre nourriture ; il n’y en a pas de plus douce, à condition, néanmoins, que le palais de notre cœur puisse en apprécier la saveur.
3. J’ai sujet de le croire, votre charité n’a pas oublié qu’on lui fait une lecture suivie et convenable de l’Évangile. Vous vous souvenez sans doute de ce que nous avons déjà dit, principalement en dernier lieu, de Jean et de la colombe. Au sujet de Jean, nous avons dit ce qu’il avait appris de nouveau sur le ministère de la colombe relativement au Sauveur, bien qu’il le connût déjà. Avec l’assistance du Saint-Esprit, nous nous sommes aperçus que Jean connaissait le Seigneur ; mais que le Seigneur dût baptiser de manière à ne communiquer à personne le pouvoir du baptême, voilà ce que Jean a appris par la colombe lorsqu’il lui a été dit : « Celui sur lequel tu verras descendre et demeurer le Saint-Esprit en forme de colombe, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit-Saint [149] ». Qu’est-ce à dire : « C’est celui-là ? » C’est-à-dire nul autre, quoique par un autre. Mais pourquoi Jean l’a-t-il appris par la colombe ? J’en ai donné plusieurs raisons qu’il m’est impossible de vous rappeler en totalité ; d’ailleurs, pas n’est besoin d’y revenir. La principale de toutes était le motif de la paix. En effet, les bois qui n’avaient pas servi à la construction de l’arche avaient été comme les antres plongés dans l’eau, et parce que la colombe avait trouvé du fruit sur leurs branches, elle en avait rapporté dans l’arche. Vous vous souvenez, en effet, que Noé avait envoyé la colombe hors de l’arche, et que cette arche, portée sur les eaux du déluge, en était baignée, mais non submergée. Ayant donc été envoyée au-dehors, la colombe t’apporta un rameau d’olivier ; mais le rameau n’avait pas seulement des feuilles, il avait aussi du fruit [150]. De là nous avons conclu que ce qu’il faut désirer à nos frères baptisés hors de l’Église, c’est de porter du fruit, la colombe ne les laissera pas dehors, elle les ramènera dans l’arche. Ce fruit est tout entier dans la charité, sans laquelle l’homme n’est rien, quoi qu’il ait d’ailleurs. Et nous avons rappelé et cité ces paroles formelles de l’Apôtre à ce sujet : « Quand même je parlerais le langage des anges et des hommes, si je n’ai pas la charité, je suis devenu comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand j’aurais la science de toutes choses, quand même je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais surabondamment le don de prophétie, quand j’aurais la perfection de la foi », (qu’entend-il par cette perfection de la foi?) « c’est-à-dire jusqu’à transporter les montagnes, quand même j’aurais distribué tous mes biens aux pauvres, quand j’aurais livré mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me servira de rien [151] ». Or, ceux qui détruisent l’unité ne peuvent en aucune manière prétendre avoir la charité. Voilà ce que nous avons dit ; voyons la suite.
4. Jean a rendu témoignage parce qu’il a vu. Quel témoignage a-t-il rendu ? « Que celui-là est le Fils de Dieu ». Il fallait donc que celui-là baptisât qui est le Fils unique de Dieu par nature, et non par adoption. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique. Le Fils unique a le pouvoir, les fils adoptifs ont le ministère, Quoique le baptême soit vraiment conféré par un ministre qui n’est pas du nombre des fils adoptifs, à cause de sa mauvaise vie et de sa mauvaise conduite, quel sujet de consolation avons-nous ? « C’est celui-là qui baptise ».
5. « Le lendemain Jean était encore là, et deux de ses disciples avec lui, et, regardant Jésus qui marchait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ». Il est sûr que cet Agneau est unique de ce nom ; bien que ses disciples aient aussi été appelés de ce nom : « Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups [152] ». Il a été dit qu’ils étaient la lumière : « Vous êtes la lumière du monde[153] »Jésus-Christ était aussi la lumière, mais d’une manière bien différente, puisqu’il a été dit de lui : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde[154] ». Pareillement il est l’Agneau, mais cet Agneau est unique ; il est le seul qui n’ait pas de tache, le seul qui n’ait pas de péché : en lui nulle souillure n’a été effacée, parce qu’il n’en portait aucune. Eh quoi ! parce que Jean disait du Sauveur : « Voici l’Agneau de Dieu », n’était-il pas lui-même un agneau ? N’était-il pas sain ? N’était-il pas l’ami de l’Époux ? À Jésus-Christ seul pouvaient s’appliquer réellement ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu », parce que les hommes n’ont pu être rachetés que par le sang de cet Agneau unique.
6. Mes frères, si nous reconnaissons que le prix de notre rançon c’est le sang de l’Agneau, de quel nom appeler ceux qui célèbrent aujourd’hui la fête du sang de je ne sais quelle femme ? Qu’ils sont inconséquents ! Un pendant, à ce qu’ils disent, a été arraché de l’oreille de cette femme, le sang a coulé ; l’or a été mis sur un plateau ou une balance, le sang dont il était imprégné a donné à l’or plus de poids. Si le sang d’une femme a été capable de faire incliner le plateau de la balance où se trouvait l’or, quel poids a dû ajouter au monde le sang de l’Agneau qui a créé le monde ? Je ne sais quel esprit apaisé par ce sang ajoutait ainsi au poids de l’or. Car les esprits impurs connaissaient l’avènement futur de Jésus-Christ ; ils l’avaient appris des anges et des Prophètes, ils ne doutaient pas qu’il ne dût venir. S’ils en avaient douté, se seraient-ils écrié : « Qu’y a-t-il entre vous et nous ? Êtes-vous venu nous perdre avant le temps ? Nous savons qui vous êtes, le Saint de Dieu[155] ». Ils savaient qu’il devait venir ; mais ils ignoraient le temps de sa venue. Mais qu’avez-vous entendu dire au Psalmiste touchant Jérusalem ? « Parce que ses pierres ont plu à vos serviteurs, et que sa poussière les a émus, vous vous lèverez, Seigneur, et vous aurez pitié de Sion, puisque le temps est venu d’en avoir pitié[156] ». Quand fut venu le temps où Dieu devait en prendre pitié, l’avènement de l’Agneau eut lieu. Quel était cet Agneau que redoutent les loups ? Quel était cet Agneau qui en mourant a tué le lion ? Il a été dit du démon qu’il est un lion tournant et rugissant, cherchant une proie [157]. Ce lion a été vaincu par le sang de l’agneau. Voilà à quels spectacles assistent les chrétiens. Spectacles d’autant plus excellents que dans les autres les yeux de la chair ne voient que vanité, et qu’ici la vérité s’étale aux regards de notre cœur. Ne pensez pas, mes frères, que Dieu nous ait privés de spectacles ; car s’il n’y en a pas pour nous, pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ? Ce que nous vous avons dit, vous en avez la preuve, vous avez acclamé nos paroles. L’auriez-vous fait si vous n’aviez rien vu ? Non, évidemment. C’est un grand spectacle donné par tout l’univers que celui du lion vaincu par le sang de l’Agneau, que celui des membres du Christ arrachés de la mâchoire du lion et réunis au corps du Christ. Aussi, par je ne sais quelle imitation de la vérité, un esprit mauvais a voulu que son image fût achetée par le sang ; car il savait qu’un jour un sang précieux rachèterait le genre humain. C’est ainsi que les esprits malins se procurent comme une ombre d’honneur afin de tromper ceux qui suivent le Christ. C’est au point que ceux-là même qui séduisent les autres par des sortilèges, des enchantements et toutes les machinations de l’ennemi, y mêlent le nom du Christ ; car, ne pouvant plus séduire les chrétiens jusqu’à leur présenter le poison tout pur, ils y ajoutent un peu de miel. Ainsi l’amertume du breuvage disparaît à la faveur de ce qu’ils y mêlent de doux, et les chrétiens le boivent pour leur perte. J’ai connu autrefois un prêtre de Castor qui avait coutume de dire : Castor aussi est chrétien. Pourquoi cela, mes frères ? C’est que les chrétiens ne peuvent être séduits par d’autres moyens.
7. Ne cherchez donc le Christ que là où il a voulu vous être annoncé ; et comme il a voulu être prêché, gardez-le et inscrivez-le dans votre cœur. Il est le mur qui doit vous préserver contre tous les assauts et toutes les embûches de l’ennemi. Ne craignez rien ; car cet ennemi ne peut pas même vous tenter qu’il n’en ait reçu la permission ; il est constant aussi qu’il ne peut rien faire qu’il n’en ait reçu l’ordre ou la permission. Il agit par commandement, quand il est envoyé comme un ange mauvais par la puissance qui le domine. 2 agit par permission, quand il demande et obtient quelque chose. L’un et l’autre n’ont lieu que pour l’épreuve des justes et la punition des méchants. Que crains-tu donc ? Marche dans le Seigneur ton Dieu, et sois tranquille. Ce qu’il ne veut pas que tu souffres, tu ne le souffriras pas ; et s’il permet que tu souffres, ce sera de sa part la correction d’un père, et non la condamnation d’un juge. Il veut nous préparer à l’héritage éternel, et nous refusons d’être corrigés ! Mes frères, à un enfant qui refuserait de recevoir un soufflet ou des coups de verge de la main de son père n’aurions-nous pas le droit de dire qu’il est un orgueilleux et qu’il n’offre plus aucune ressource, puisqu’il méconnaît l’intérêt que lui porte son père ? Cependant, pourquoi un père forme-t-il son fils, puisqu’il est un homme comme lui ? Pour l’empêcher de dissiper les biens temporels qu’il lui a acquis, qu’il a amassés pour lui, qu’il ne veut pas lui voir perdre et qu’il lui abandonne parce qu’il ne peut lui-même les posséder toujours. Il n’élève pas un fils qui doive posséder ses biens conjointement avec lui, mais un fils qui les possédera après lui. Mes fières, si un père élève avec ce soin un fils destiné à n’être que son successeur, et si ce fils ainsi élevé ne doit lui-même posséder ces biens que transitoirement, comme les possède celui qui le dirige, comment voudrions-nous n’être pas formés par notre Père dont nous ne devons pas être les successeurs, mais les associés, avec qui nous demeurerons à jamais dans un héritage qui ne passe pas, qui ne finit pas, qui n’a à craindre ni les orages ni les tempêtes ? Cet héritage n’est autre que lui-même, et il est notre père. C’est lui que nous posséderons, et nous ne voudrions pas recevoir de lui des leçons ? Supportons donc les enseignements d’un père. Quand la tête nous fait mat, ne recourons ni aux enchantements, ni aux sortilèges, ni aux vains remèdes. Mes frères, comment pourrai-je ne pas gémir à votre sujet ? Tous les jours je vois pareilles choses, et qu’y faire ? N’aurais-je donc pas encore réussi à persuader à des chrétiens qu’ils doivent mettre toutes leurs espérances dans le Christ ? Si quelqu’un est mort après avoir fait usage de ces remèdes (et de fait combien sont morts avec ces remèdes, et combien n’ont pas laissé de vivre sans y avoir recouru), de quel front sou âme est-elle allée vers Dieu ? Le signe du Christ a été effacé en lui, et sur lui a été tracé le signe du diable. Peut-être dira-t-il : Je n’ai point perdu le signe du Christ. Tu as donc porté en même temps le signe dit Christ et le signe du diable ? Le Christ ne veut pas de partage ; il veut posséder tout entier ce qu’il a acheté, Il l’a acheté assez cher pour le posséder seul, tu lui donnes pour copartageant le diable auquel tu t’es vendu par le péché. Malheur à ceux qui ont le cœur double[158], qui font dans leur cœur une part à Dieu et une part au diable, Dieu, irrité de voir qu’une part y est faite au diable, s’en éloignera, et le diable le possédera tout entier. Aussi n’est-ce pas sans raison que l’Apôtre a dit : « Ne donnez pas de place au diable [159] ». Connaissons donc l’Agneau, mes frères, connaissons le prix de notre rachat.
8. « Jean était là, et deux de ses disciples avec lui ». Voilà avec Jean deux de ses disciples. Jean était un si sincère ami de l’Époux, qu’il ne cherchait pas sa propre gloire mais qu’il rendait témoignage à la vérité. A-t-il prétendu voir ses disciples demeurer avec lui et ne pas suivre le Seigneur ? Au contraire il leur montre lui-même celui qu’ils doivent suivre : ils le regardaient comme l’Agneau ; mais il leur disait : Pourquoi me considérer comme tel ? Je ne suis pas l’Agneau, « Voici l’agneau de Dieu », le même dont il avait dit plus haut encore : « Voici l’Agneau de Dieu ». À quoi nous sert l’Agneau de Dieu ? « Voici celui qui efface le péché du monde ». L’ayant entendu, les deux disciples qui étaient avec Jean suivirent Jésus-Christ.
9. Voyons la suite : « Voici l’Agneau de Dieu ». C’est Jean qui parle. « Les deux disciples l’ayant entendu parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus s’étant tourné, et les voyant qui le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? Ceux-ci lui dirent : Rabbi, c’est-à-dire : Maître, où demeurez-vous ? » Ils ne le suivirent pas comme s’ils devaient rester désormais attachés à sa personne ; la circonstance où ils s’attachèrent à lui est connue ; c’est lorsqu’il leur fit quitter leur barque. En effet, l’un de ces deux disciples était André, ainsi que vous l’avez entendu tout à l’heure. Or, André était frère de Pierre, et nous savons par l’Évangile que le Seigneur fit quitter leur barque à Pierre et à André, en leur disant : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes [160] ». Et de ce moment ils s’attachèrent à lui et ne te quittèrent plus. De ce que les deux disciples le suivent alors, il ne résulte pas qu’ils le suivirent pour ne plus le quitter ; mais ils voulurent voir où il demeurait et faire ce qui est écrit : « Que ton pied use le seuil de sa porte, lève-toi souvent pour aller le voir et t’instruire de ses Préceptes [161] » Il leur montra où ils demeuraient, ils vinrent et passèrent ce jour-là à causer avec lui. Quel bienheureux jour ils passèrent ! Quelle bienheureuse nuit ! Qui nous dira ce qu’ils ont entendu de la bouche du Sauveur ? Bâtissons, nous aussi, dans notre cœur, et faisons-lui une maison où il vienne nous instruire et s’entretenir avec nous.
10. « Que cherchez-vous ? Ils lui dirent : « Rabbi, c’est-à-dire Maître, où demeurez-vous ? Il leur dit : Venez et voyez. Et ils vinrent et ils virent où il demeurait, et passèrent avec lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure ». Pensons-nous que l’Évangéliste n’avait aucun motif de nous dire quelle heure il était ? Est-il possible qu’il n’ait rien voulu nous faire remarquer ? qu’il n’ait pas voulu nous exciter à découvrir quelque chose ? Il était dix heures. Ce nombre dix signifie la loi, parce que la loi a été donnée en dix préceptes. Or, le temps était venu où la loi serait accomplie par la charité ; car les Juifs ne pouvaient l’accomplir par la crainte. Ce qui fait dire à Notre-Seigneur : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir[162] ». C’est donc avec raison que, sur la parole de l’ami de l’Époux, ses disciples se mirent à la suite du Christ à la dixième heure, et qu’au même moment le Sauveur fut appelé par eux : « Rabbi », c’est-à-dire Maître. Si le Seigneur s’entendit appeler : « Rabbi », à la dixième heure, et si le nombre dix marque la loi, le Maître de la loi n’est autre que celui qui a donné la loi. Que personne ne dise : Autre est celui qui a donné la loi, autre est celui qui enseigne. Celui-là l’enseigne qui l’a donnée. Il est à la fois le Maître et le docteur de la loi. Ses paroles sont empreintes de miséricorde ; aussi enseigne-t-il miséricordieusement la loi, ainsi qu’il est dit de la Sagesse : « Elle porte la loi et la miséricorde sur sa langue [163] ». Ne crains donc pas de ne pouvoir accomplir la loi ; aie recours à la miséricorde. Si c’est trop pour toi d’accomplir la loi, utilise ce contrat, le titre est la prière que l’a donnée et qu’a composée pour toi ce jurisconsulte céleste.
11. Ceux qui ont un procès et qui veulent adresser à ce sujet une supplique à l’empereur, cherchent quelque légiste habite qui rédige leur requête ; car ils ont peur, s’ils demandent autrement qu’il ne faut, non seulement de ne pas obtenir ce qu’ils demandent, mais même de se voir punis au lieu d’être favorisés. Les Apôtres voulaient adresser une supplique à l’Empereur-Dieu, et ne savaient comment s’y prendre pour arriver jusqu’à lui : c’est pourquoi ils dirent au Sauveur : « Seigneur, enseignez-nous à prier », c’est-à-dire, notre jurisconsulte, notre conseiller, ou plutôt, notre assesseur, composez-nous notre prière. Et, par une formule puisée au livre de la jurisprudence céleste, le Seigneur leur apprit à prier, et dans cette formule même il mit une condition : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs[164] ». Si tu ne demandes pas selon la loi, tu deviens criminel. Devenu criminel, crains-tu le Juge ? Offre le sacrifice de l’humilité, offre le sacrifice de la miséricorde, dis en tes prières : Remettez-moi, comme je remets. Mais si tu le dis, fais-le. Que feras-tu, en effet ? Où iras-tu, si tes prières sont des mensonges ? Comme on dit au barreau, non seulement In seras privé du bénéfice de ton rescrit, mais ce rescrit lui-même tu ne l’obtiendras pas. C’est une maxime de droit : quand un homme a menti dans sa requête, la grâce qu’il a obtenue devient nulle. Ceci a lieu parmi les hommes, car l’homme a pu être trompé, l’empereur a pu être induit en erreur quand lu lui as présenté ta requête ; tu as dit ce que tu as voulu, et celui à qui tu l’as dit ignore si tu as dit la vérité. Aussi laisse-t-il à ton adversaire le soin de prouver ton mensonge, afin que si tu en es convaincu devant le juge, tu sois privé du bénéfice de ce rescrit que tu as porté devant lui ; car il n’a pu s’empêcher de t’accorder la grâce que tu sollicitais, vu qu’il ignorait si tu disais vrai ou non. Mais Dieu, qui sait si tu dis la vérité ou un mensonge, n’agit pas seulement de manière à rendre ta requête nulle à son tribunal : il l’empêche même d’y arriver, parc que tu as osé mentir à la vérité.
12. Que feras-tu ? dis-le-moi. Accompli de tout point la loi, en sorte que lu n’ manques en rien, c’est difficile. La faute est donc certaine ; refuseras-tu d’user du remède Voyez, mes frères, quel remède Dieu a pré paré contre les maladies de l’âme. Lequel donc ? Lorsque tu as mal à la tête, nous te louons si tu y mets l’Évangile au lieu de l’envelopper de linges. L’infirmité des hommes est si grande, ceux qui recourent aux bandages sont tellement à plaindre, que nous sommes forcés de nous réjouir quand nous voyons un homme couché dans un lit, en proie à la fièvre et aux douleurs, ne mettre sa confiance que dans le livre des Évangiles et le placer sur sa tête, non pas que l’Évangile soit destiné à pareil usage, mais parce qu’il est préféré aux bandages. Dès lors qu’on le met sur sa tête pour en calmer la douleur, pourquoi ne point le placer sur son cœur pour le guérir de ses péchés ? Qu’on le fasse donc. Qu’on fasse quoi ? Qu’on l’applique sur son cœur, afin que ce cœur soit guéri. Il est bon, oui il est bon que tu n’aies d’autre souci de ta santé que de la demander à Dieu. S’il sait qu’elle te sera utile, il te l’accordera ; et s’il ne te la donne pas, c’est qu’il prévoit qu’elle note serait pas profitable. Combien demeurent dans leur lit sans commettre de péchés, qui se portant bien se laisseraient aller à toute sorte de crimes ? À combien de gens la santé est nuisible ? Le brigand qui se jette à la gorge d’un homme pour le tuer n’aurait-il pas plus d’avantages à être malade ? Celui qui se lève de nuit pour miner un mur étranger, n’aurait-il pas plus d’avantages à être tourmenté de la fièvre ? Malade, il resterait innocent ; en sauté, c’est un scélérat. Dieu sait ce qui nous convient. Faisons seulement en sorte que notre cœur soit libre de tout péché, et s’il nous arrive d’être éprouvés en notre corps, prions Dieu. L’apôtre Paul lui a demandé d’éloigner de lui l’aiguillon de la chair, et il ne l’a pas voulu. Paul s’est-il troublé ? s’est-il laissé aller à la tristesse ? s’est-il plaint d’être abandonné ? Au contraire, il s’est d’autant moins dit abandonné, que ce dont il demandait l’éloignement lui demeurait pour la guérison de sa faiblesse. Il l’a reconnu à cette parole du médecin : « Ma grâce te suffit ; car la vertu se perfectionne dans l’infirmité [165] ». Pourquoi Dieu ne veut-il pas te guérir ? C’est qu’il est encore avantageux pour toi d’être éprouvé. Comment pourrais-tu savoir jusqu’à quel point est pourri ce que retranche le médecin, quand il plonge son instrument dans une plaie ? Ne sait-il pas comment et jusqu’où il doit le faire ? Les hurlements du malade opéré éloignent-ils la main de l’habile opérateur ? L’un crie, l’autre coupe. Est-il cruel pour ne pas entendre les cris ? Ou plutôt ne se montre-t-il pas miséricordieux en poursuivant le mal jusqu’à sa racine, afin de guérir plus sûrement le malade ? Je vous ai dit ceci, mes frères, pour que personne ne cherche du secours ailleurs qu’en Dieu, quand il arrive que le Seigneur nous châtie. Prenez garde de périr, prenez garde de vous éloigner de l’Agneau et d’être dévoré par le lion.
13. Nous avons dit pourquoi à la dixième heure. Voyons la suite : « André, frère de Simon Pierre, était un de ceux qui avaient entendu Jean et avaient suivi Jésus. Il rencontra Simon son frère et lui dit : Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ ». Messie, en hébreu, c’est comme Christ, en grec, et oint, en latin. De son onction lui vient le nom de Christ. Chrisma, en grec, veut dire onction, donc le Christ veut dire : oint. Onction unique, onction particulière et à laquelle participent tous les chrétiens et lui aussi, mais plus excellemment que tous. Voici comment en tarie le Psalmiste, écoute-le : « C’est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a oint d’une onction de joie par-dessus tous ceux qui la partageront avec vous[166] ». Les copartageants, ce sont les saints ; mais il est, lui, tout particulièrement le Saint des saints ; il a reçu une onction qui est propre à lui seul ; il est le Christ d’une manière unique.
14. « Et André l’amena à Jésus. Jésus l’ayant regardé lui dit : Tu es Simon, fils de Jean, tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire Pierre ». Ce n’est pas chose étonnante que le Sauveur ait dit à Pierre de qui il était fils, Qu’y a-t-il de grand pour le Sauveur ? Il connaissait le nom de tous les saints qu’il s’était prédestinés avant la constitution du monde, et tu es surpris qu’il ait dit à un homme : Tu es le fils d’un tel, et tu t’appelleras de tel nom ? Le merveilleux en cela, c’est qu’il ait changé son nom et qu’il l’ait appelé Pierre ; car ce nom de Pierre est emprunté à celui de la pierre ; or, cette pierre, c’est l’Église, Ainsi le nom de Pierre préfigurait l’Église. Qui est-ce qui bâtit avec assurance, sinon celui qui bâtit sur la pierre ? En effet, que dit le Seigneur ? « Celui qui écoute mes paroles et les met en pratique, je te comparerai à un homme prudent qui bâtit sur la pierre » (il ne cède pas aux tentations) : « la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle n’est pas tombée ; car elle était fondée sur la pierre. Celui qui écoute mes paroles et ne les met pas en pratique » (ici que chacun de vous tremble et se mette sur ses gardes), « je le comparerai à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable : la pluie est tombée, les fleuves sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés sur cette maison, et elle est tombée, et il s’en est fait une grande ruine [167] ». À quoi sert d’entrer dans l’Église, si l’on veut bâtir sur le sable ? En écoutant la parole sans la mettre en pratique, on bâtit, c’est vrai, mais on bâtit sur le sable. Si l’on n’écoute rien, on ne bâtit rien ; si l’on écoute, on bâtit. Mais il faut savoir que quiconque écoute et agit bâtit sur la pierre, celui qui écoute et n’agit pas bâtit sur le sable. Il y a donc deux sortes d’hommes qui bâtissent, les uns bâtissent sur le sable, les autres bâtissent sur la pierre. Que dire de ceux qui n’écoutent pas ? Peuvent-ils se croire en sûreté ? Le Sauveur dit-il qu’ils n’ont rien à craindre parce qu’ils ne bâtissent pas ? Ils sont sans abri, exposés aux vents, aux fleuves, et lorsque la tourmente arrive, elle les enlève eux-mêmes avant que de renverser les maisons. Il n’y a donc de sécurité qu’à bâtir et à bâtir sur la pierre. Si tu veux écouter sans rien faire, tu bâtis, mais tu prépares une ruine. Lorsque la tentation surviendra, elle renversera ta maison et t’engloutira sous ses décombres, Si tu n’écoutes pas, tu es sans abri, et c’est toi que la tentation emportera tout d’abord. Écoute donc et agis, voilà l’unique remède. Combien peut-être qui, pour avoir écouté sans agir, ont été emportés par le torrent de la solennité de ce jour ! Ils ont écouté et n’ont rien tait, le fleuve, c’est-à-dire l’anniversaire de cette solennité est venu ; le torrent s’est rempli ; il passera et se desséchera ensuite ; mais malheur à celui qu’il aura emporté ! Que votre charité ne l’ignore pas : à moins d’écouter et d’agir, on ne bâtit pas sur la pierre, et l’on n’a rien de commun avec ce nom si grand que le Seigneur a mis si bien en relief. Par là il a voulu fixer ton attention ; car si dès le premier abord Pierre avait porté ce nom, tu ne saisirais pas aussi bien le mystère de la pierre, et tu supposerais que s’il portait ce nom, c’était par un effet du hasard, et non par une disposition spéciale de la Providence. C’est pourquoi Dieu a voulu que son Apôtre eût d’abord un autre nom, afin que le changement de ce nom fît mieux ressortir le mystère du nom nouveau.
15. « Et le lendemain Jésus voulut s’en aller en Gaulée, et il rencontra Philippe. Il lui dit : Suis-moi. Or, Philippe était de la même ville qu’André et Pierre. Philippe » (déjà appelé par Jésus-Christ) « rencontra Nathanaël, et il lui dit : Celui dont a écrit Moïse dans la loi, et que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, fils de Joseph ». Il passait pour le fils de celui à qui sa Mère était mariée. Mais qu’il ait été conçu et qu’il soit né de cette Mère demeurée Vierge, c’est ce que tous les chrétiens savent d’après l’Évangile. Voilà ce que Philippe dit à Nathanaël au sujet de Jésus, en y ajoutant même le nom de son pays : « De Nazareth. Et Nathanaël lui dit : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ? ». Que faut-il entendre par là, mes frères ? Il ne faut pas construire cette phrase comme plusieurs la construisent, car d’ordinaire c’est par mode d’interrogation qu’on prononce : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ? » Après quoi vient la réplique de Philippe : « Viens et vois ». Ces deux derniers mots peuvent suivre les précédents, n’importe laquelle des deux manières de prononcer la phrase on aime mieux adopter. Soit que Nathanaël ait dit, avec le ton de l’affirmation : « De Nazareth peut venir quelque chose de bon », soit qu’il ait dit, comme en interrogeant : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth », Philippe peut avoir ajouté : « Viens et vois ». Aussi, comme l’un et l’autre énoncés conviennent également bien aux paroles qui suivent, c’est à nous de chercher comment nous devons les entendre de préférence.
16. Quel a été ce Nathanaël, nous le montrons par ce qui suit. Écoutez, voici ce qu’il était : le Seigneur même lui rend témoignage. Tel que nous le fait connaître le témoignage de Jean, le Sauveur est grand. Bienheureux nous apparaît Nathanaël, d’après le témoignage de la Vérité. Certes, le Seigneur n’avait nul besoin d’être recommandé par le témoignage de Jean ; car il se rendait à lui-même témoignage ; la Vérité se sert à elle-même de témoin, et cela est suffisant pour elle. Mais parce que les hommes étaient incapables de trouver la Vérité, ils la cherchaient au moyen d’un flambeau ; aussi Jean fut-il envoyé pour montrer le Seigneur. Écoute le Seigneur rendant témoignage à Nathanaël : « Et Nathanaël dit à Philippe : De Nazareth il peut venir quelque chose de bon, Philippe lui dit : Viens et vois. Et Jésus vit Nathanaël qui venait à lui, et il dit : Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Témoignage considérable qui n’a été rendu ni à André, ni à Pierre, ni à Philippe, mais uniquement à Nathanaël. « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ».
17. Qu’est-ce à dire, mes frères ? N’aurait-il pas dû être le premier des Apôtres ? Non – seulement on ne le trouve pas au premier rang parmi eux ; on ne le trouve ni à un rang intermédiaire, ni même au dernier, ce Nathanaël auquel le Fils de Dieu a rendu un si grand témoignage : « Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Quelle en est la cause ? Autant que le Seigneur me la fait connaître vraisemblablement, la voici. Nous devons comprendre que Nathanaël était un homme instruit et habile dans la loi : or, le Seigneur n’a pas voulu le mettre au nombre de ses disciples, parce qu’il ne voulait choisir que des ignorants, afin de confondre le monde. Écoute, voici comme s’en exprime l’Apôtre : « Considérez, mes frères, ceux qui parmi vous ont été appelés, il s’y trouve peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et ce qui n’est « rien comme ce qui est, afin que ce qui est soit détruit[168] ». Si Nathanaël, qui était savant, avait été choisi, peut-être aurait-il pensé que sa science l’en avait rendu digne. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant briser l’orgueil des superbes, ne s’est pas servi d’orateurs pour prendre le pêcheur, mais par un pêcheur il a gagné l’empereur. Cyprien est un grand orateur, mais avant lui est venu Pierre le pêcheur, par qui devait croire non seulement l’orateur, mais encore l’empereur. Aucun noble, aucun savant n’a été choisi pour commencer : Dieu n’a choisi que ce qui était faible selon le monde pour confondre ce qui était fort. Ainsi ce grand homme en (lui il n’y avait pas de ruse n’a pas été choisi, et ç’a été uniquement parce que Dieu ne voulait pas paraître avoir choisi des savants. Il connaissait si bien la loi, que quand il entendit prononcer le nom de Nazareth (car il avait étudié à fond les Écritures ; il savait qu’on devait attendre de là le Sauveur du monde, ce que les Pharisiens et les autres docteurs de la loi ne connaissaient pas aussi bien), quand donc cet homme profondément versé dans la science des Écritures, et qui les connaissait si parfaitement eut entendu dire à Philippe : « Celui dont Moïse a écrit dans la loi, que les Prophètes ont annoncé, nous l’avons trouvé, c’est le Fils de Joseph, Jésus de Nazareth ». Au seul nom de Nazareth il sentit se raviver ses espérances et il dit : « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon ».
18. Voyons ce qui le concerne encore : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse ». Qu’est-ce à dire : e En qui il n’y a pas e de ruse ? o N’était-il pas pécheur ? N’était-il pas malade ? Le médecin ne lui était-il pas nécessaire ? Non, personne ici-bas n’est venu au monde avec ce privilège de n’avoir nul besoin d’un tel médecin. Que signifie donc : « En qui il n’y a pas de ruse ? » Redoublons d’attention pour un moment, et bientôt la grâce de Dieu nous le fera découvrir. Le Seigneur se sert du mot ruse ou dol, et quiconque comprend le latin sait que dol consiste à faire une chose et à en penser une autre. Que votre charité remarque bien ceci. Dol n’est pas la même chose que douleur, et si je le dis, c’est que plusieurs de nos frères, peu habiles dans la langue latine, s’y trompent souvent, et disent : le dol le tourmente, au lieu de, la douleur le tourmente, Le dol est une fraude, une dissimulation. Par exemple, un homme cache une chose dans son cœur et en dit une autre, voilà un dol. C’est comme s’il avait deux cœurs, deux appartements, dans l’un desquels il voit la vérité, tandis que dans l’autre il machine le mensonge. Telle est l’idée que vous devez avoir du dol ; car il est écrit dans le psaume « Langues pleines de dol ». Qu’est-ce à dire : « Langues pleines de dol ? » Écoutez la suite : « Ils ont un cœur, et un cœur pour dire le mal [169] ». Qu’est-ce à dire : « Un cœur et un cœur », sinon un cœur double ? Puis donc qu’il n’y avait pas de dol en Nathanaël, le médecin le jugeait guérissable, mais non en santé. Autre chose est d’avoir la santé, autre chose est de pouvoir être guéri, autre chose encore est de ne pouvoir guérir. Le malade dont on espère la guérison, on dit de lui qu’il peut guérir ; le malade dont on désespère, on le dit inguérissable ; quant à celui qui est en santé, il n’a pas besoin de médecin. Le médecin venu pour rendre la santé aux hommes jugea donc que Nathanaël pouvait être guéri, puisqu’il n’y avait pas de dol en lui. Comment n’y avait-il pas de dol en lui ? C’est que s’il était pécheur, il en convenait. Si, étant pécheur il s’était dit juste, le dol se serait trouvé dans sa bouche. Ainsi le Seigneur loua en Nathanaël l’aveu qu’il faisait de son péché ; mais il ne jugea pas qu’il fût exempt de fautes.
19. Les Pharisiens, qui se croyaient justes, faisaient au Sauveur un reproche de ce que le médecin se mêlait aux malades. Aussi disaient-ils : « Voyez avec qui il mange, c’est avec des Publicains et des pécheurs ». Le médecin répondit à ces frénétiques : « Ce n’est pas aux bien portants que le médecin est nécessaire, mais aux malades : je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs[170] ». Vous vous croyez justes, quoique vous soyez pécheurs ; vous vous croyez bien portants, quoique vous soyez malades ; voilà pourquoi vous repoussez le remède et demeurez malades. Ainsi ce Pharisien qui avait invité le Seigneur à manger chez lui se croyait en santé ; une femme malade apparut brusquement en cette maison sans être invitée ; mais poussée par le désir de sa guérison, elle s’approcha, non pas de la tête, non pas des mains, mais des pieds du Seigneur, les arrosant de ses larmes, les essuyant avec ses cheveux, les couvrant de baisers, les oignant de parfums ; pécheresse, elle fit sa paix avec les pieds du Seigneur. Se croyant en santé, le Pharisien qui était à la table du médecin lui fit intérieurement un reproche et se dit à lui-même : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme lui touche les pieds ». Ce qui lui faisait croire à l’ignorance du Seigneur, c’est que Jésus ne repoussait pas cette femme ; car, à son avis, le Christ n’aurait pas voulu se laisser toucher par des mains aussi impures ; mais Jésus-Christ la connaissait, et il lui permit de le toucher et de trouver la guérison dans cet attouchement. Le Seigneur voyant la pensée du Pharisien, lui proposa cette comparaison : « Un créancier avait deux débiteurs. L’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi le payer, il remit à chacun sa dette. Lequel des deux l’aima le plus ? Simon répondit : Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Et se tournant vers la femme, Jésus dit à Simon : Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas donné d’eau pour laver mes pieds ; elle, au contraire, les a lavés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baisers ; mais elle n’a pas cessé de baiser mes pieds. Tu ne m’as pas donné d’huile pour ma tête ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de parfums ; c’est pourquoi je te dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui on remet peu aime peu [171] ». Ce qui était lui dire : Tu es plus malade qu’elle, mais tu te crois en santé, tu penses qu’on te remet peu, bien que tu doives davantage. C’est à bon droit que cette femme en qui il n’y a pas de dol a mérité d’être guérie. Qu’est-ce à dire : En elle il n’y a pas de dol ? Elle confessait ses péchés. Aussi, ce que le Seigneur loue en Nathanaël, c’est l’absence de tromperie. En effet, plusieurs d’entre les Pharisiens, quoique remplis de péchés, se disaient justes, et par cette tromperie rendaient leur guérison impossible.
20. Ayant vu que cet homme n’avait pas de ruse, le Seigneur dit : « Voici un véritable Israélite en qui il n’y a pas de ruse. Nathanaël lui dit : Comment me connaissez-vous ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’eût appelé lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu », c’est-à-dire sous l’arbre de figues où tu étais. « Nathanaël lui répondit : Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Sans doute Nathanaël a entrevu quelque chose de grand sous cette parole : « Pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu avant que Philippe t’appelât », puisqu’il répondit par cette confession : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël » ; la même que fit Pierre si longtemps après, lorsque le Seigneur lui dit : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jean ; car ce n’est ni la chair, ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est au ciel [172] ». Ce fut alors qu’il lui donna le nom de Pierre et qu’il le loua comme étant devenu par cette foi le fondement de son Église. Nathanaël dit : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël ». Pourquoi parle-t-il ainsi ? parce que le Seigneur lui a dit : « Avant que Philippe t’ait appelé, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ».
21. Il nous faut chercher, mes frères, si ce figuier est un symbole. Soyez donc attentifs, Nous trouvons dans l’Évangile un figuier maudit parce qu’il ne portait que des feuilles et pas de fruits[173]. À l’origine du genre humain, Adam et Eve ayant péché se tirent des ceintures de feuilles de figuier[174]. Les feuilles de figuier représentent donc le péché. Nathanaël sous le figuier, c’est donc Nathanaël assis à l’ombre de la mort. Le Seigneur l’a vu, lui dont il est écrit : « Une lumière s’est levée sur ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort[175] ». Qu’est-ce donc qui a été dit à Nathanaël ? Tu me demandes, ô Nathanaël : « Comment me connaissez-vous ? » Tu commences à me parler parce que Philippe t’a appelé. Jésus-Christ a vu comme appartenant déjà à son Église celui qu’il a appelé par l’intermédiaire de son Apôtre. O Église, ô Israël, ô toi en qui ne se trouve aucune ruse, tu connais déjà le Seigneur par les Apôtres, comme Nathanaël l’a connu par Philippe. Mais avant que tu le connusses, lorsque tu gisais encore sous le péché, sa miséricorde avait jeté les yeux sur toi. Est-ce nous qui avons les premiers cherché le Christ ? N’est-ce pas lui qui nous a cherchés ? Malades, sommes-nous venus les premiers au médecin ? Ou le médecin a-t-il couru au-devant des malades ? Cette brebis n’était-elle pas égarée, et le pasteur laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres ne l’a-t-il pas cherchée, retrouvée et rapportée sur ses épaules ? Et avec quelle joie ne l’a-t-il pas fait ? La drachme n’était-elle pas perdue, et la femme n’a-t-elle pas allumé sa lampe et cherché dans toute sa maison jusqu’à ce qu’elle fût retrouvée ? Et alors : « Réjouissez-vous avec moi », dit-elle à ses voisins, parce que j’ai retrouvé la drachme que j’avais perdue [176] ». Ainsi nous étions égarés comme la brebis, nous étions perdus comme la drachme, et notre pasteur a retrouvé la brebis, mais pour l’avoir cherchée ; la femme a trouvé la drachme, mais en la cherchant. Qu’est-ce que cette femme ? La chair du Christ. Qu’est-ce que sa lampe ? « J’ai préparé une lampe à mon Christ [177] ». Donc on nous a cherchés pour nous retrouver, on nous a retrouvés et nous parlons. Ne nous laissons donc pas entraîner à des sentiments d’orgueil ; car avant d’être retrouvés nous étions égarés ; nous aurions péri si Jésus-Christ ne nous avait cherchés. Que ceux que nous aimons et que nous voulons gagner à la paix de l’Église catholique, ne nous disent donc pas : Pourquoi nous voulez-vous ? Pourquoi nous chercher si nous sommes pécheurs ? Nous vous cherchons pour vous empêcher de vous perdre. Nous vous cherchons, parce qu’on nous a cherchés nous-même s. Nous voulons vous retrouver, parce que nous avons nous-mêmes été retrouvés.
22. C’est pourquoi Nathanaël ayant dit : « Comment me connaissez-vous ? » le Seigneur lui répondit : « Avant que Philippe t’appelât, pendant que tu étais sous le figuier, je t’ai vu ». O Israël, toi qui es sans ruse, ô qui que tu sois, peuple vivant de la foi, avant de t’appeler par mes Apôtres, pendant que tu étais assis à l’ombre de la mort et que tu ne me voyais pas, je t’ai vu. « Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses ». Qu’est-ce à dire : « Tu verras de plus grandes choses ? » Et il lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis : Tu verras le ciel ouvert, et les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ». Mes frères, je viens de dire je ne sais quoi de plus admirable que ceci : « Je t’ai vu sous le figuier ». De fait, en nous justifiant après nous avoir appelés, le Seigneur a fait plus qu’en jetant les yeux sua nous, et en nous voyant assis à l’ombre de la mort. Il nous a vus, mais quel profit es aurions-nous retiré, si nous étions restés d l’endroit où il nous a aperçus ? N’y serionsnous pas encore ? Qu’y a-t-il donc de plus considérable que nous ayons vu les anges monter et descendre sur le Fils de l’homme ?
23. Je vous ai déjà parlé de ces anges qui montaient et descendaient sur le Fils de l’homme ; mais de peur que vous rie l’ayez oublié, je vous le rappelle brièvement. Je le ferais plus longuement s’il était question de vous l’apprendre ; pour le moment je me contente de vous le rappeler à la mémoire. Jacob vit en songe une échelle, et sur cette échelle des anges qui montaient et descendaient ; en outre il oignit la pierre qu’il avait mise sous sa tête [178]. On vous a expliqué que le Messie est le Christ, et que Christ ou oint est la même chose. Jacob n’avait pas mis là cette pierre qu’il oignit ensuite, dans l’intention de venir l’adorer ; car c’eût été de sa part un acte d’idolâtrie, et sa pierre n’aurait pas été une figure du Christ. Elle a donc été une figure, autant du moins que cela a été nécessaire, et cette figure a été celle du Christ. La pierre a été ointe, mais non pour devenir une idole. La pierre a été ointe, pourquoi une pierre ? « Voici que je place en Sion une pierre choisie et précieuse, et celui qui croira en elle ne sera pas confondu[179] ». Pourquoi : a été ointe ? Parce que Christ vient de chrisma. Mais qu’est-ce que Jacob vit sur l’échelle ? Des anges qui montaient et descendaient. Ainsi est l’Église, unes frères. Les anges de Dieu, ce sont les bons prédicateurs, ceux qui annoncent le Christ, c’est-à-dire qui montent et descendent sur le Fils de l’homme. Comment montent-ils et comment descendent-ils ? L’un d’eux nous sert d’exemple. Écoute l’apôtre Paul ; ce que nous rencontrerons en lui, croyons-le des autres prédicateurs de la vérité. Vois monter Paul, « Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut ravi, il y a quatorze ans, jusqu’au troisième ciel ; si ce fut en son corps ou avec son corps, je ne le sais pas, Dieu seul le sait. Et il y entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter[180] ». Tu l’as vu monter, vois-le maintenant descendre. « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels : comme à des enfants en Jésus-Christ je vous ai donné le lait, et non une nourriture solide [181] ». Ainsi descend celui qui était monté ; jusqu’où était-il monté ? « Jusqu’au troisième ciel ». Jusqu’où était-il descendu ? « Jusqu’à donner du lait aux enfants ». Écoute : voici comment il est descendu : « Je me suis fait », dit-il, « petit au milieu de vous, comme une nourrice qui nourrit ses enfants[182] ». Nous voyons les nourrices et les mères descendre jusqu’à leurs enfants ; bien qu’elles sachent parler correctement le latin, elles écourtent néanmoins leurs paroles ; elles brisent en quelque sorte leur langage et, d’une langue accoutumée à bien dire, elles tirent des mots capables d’amuser de petits enfants. Car si elles parlaient suivant leur habitude, leurs enfants ne les entendraient pas et n’en profiteraient pas non plus. Ainsi en est-il d’un père éloquent, habitué à ébranler le forum et à faire retentir les tribunaux de sa parole, s’il a un petit enfant ; de retour en sa maison, il descend des hauteurs de cette éloquence dont il avait atteint le sommet au forum, et s’abaisse jusqu’à son enfant par la familiarité de sa conversation enfantine. Vois encore dans un même endroit l’Apôtre montant et descendant, et nous le découvrons dans une seule phrase : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous [183] ». Qu’est-ce à dire : « Soit que nous sortions de nous-mêmes, c’est pour Dieu ? » sinon : « afin de voir des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter ? » Qu’est-ce à dire : « Quand nous sommes calmes, c’est pour vous ? » sinon : « Je n’ai fait profession de rien savoir parmi vous, que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié[184] ? » Enfin, si le Seigneur lui-même est monté et descendu, il est manifeste que ses prédicateurs montent quand ils l’imitent, et descendent quand ils l’annoncent.
24. Si je vous ai retenus un peu plus longtemps que de coutume, ç’a été à dessein et pour laisser passer ces heures de réjouissances importunes. Je pense que les absents en ont fini avec leurs vanités, Pour nous, mes frères, nourris de mets salutaires, employons le temps qui nous reste de telle manière qu’après avoir passé la solennité du jour du Seigneur dans les joies spirituelles nous puissions comparer les joies de la vérité avec celles de la vanité. Cette comparaison nous inspirera de l’horreur pour ces frivolités ; cette horreur excitera notre douleur à l’égard de ce qu’ont fait nos frères, nous fera prier ; notre prière sera exaucée, et dès lors que nous serons exaucés, nous les gagnerons à Dieu.

HUITIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT : « TROIS JOURS APRÈS, DES NOCES SE FIRENT À CANA EN GALILÉE », JUSQU’À : « FEMME, QU’EST-CE QUE CELA FAIT À VOUS ET À MOI ? MON HEURE N’EST PAS ENCORE VENUE ». (Chap. 2,1-4.)

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LES NOCES DE CANA.

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Toutes les œuvres visibles ou invisibles qu’opère le Verbe sont admirables. Néanmoins l’habitude de les contempler affaiblit notre admiration nous ne l’accordons qu’à celles dont le spectacle s’offre moins souvent à nos yeux. Aussi, le Fils de Dieu fait homme a-t-il accompli des prodiges pour frapper nos sens et nous amener à la foi ; il en est de celui-ci comme des astres. Jésus est venu aux noces de Cana, comme par son Incarnation il était venu célébrer les noces de sa divinité avec son humanité, de son Église avec lui-même. De ces paroles à Marie : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Certains hérétiques concluent que le Christ n’avait pas un véritable corps : le contexte les condamne ; d’ailleurs on demandait un prodige que le Sauveur ne pouvait opérer qu’en tant que Dieu : comme tel, il ne reconnaissait pas Marie pour mère, puisqu’il n’en avait pas ; il ne devait la reconnaître pour telle que sur la croix. D’autres infèrent de ces autres paroles « Mon heure n’est pas encore venue », que Jésus n’était pas libre ; cette interprétation est fautive, car il a dit : « J’ai le pouvoir de quitter ma vie et de la reprendre ». Son œuvre n’étant pas accomplie au moment des noces de Cana, l’heure n’était pas encore venue de reconnaître Marie pour sa mère. Voilà le vrai sens de ces paroles.


1. Assurément le miracle par lequel Notre-Seigneur Jésus-Christ a changé l’eau en vin, l’a rien d’étonnant pour ceux qui savent que l’est un Dieu qui l’a fait. Aussi bien Celui qui en ce jour de noces a changé l’eau en vin dans ces six urnes qu’il avait ordonné de remplir [185], est le même qui chaque année opère dans les vignes un prodige pareil. En effet, comme l’eau versée dans les urnes par les serviteurs a été convertie en vin par l’œuvre du Seigneur, ainsi par l’œuvre du même Seigneur l’eau que versent les nuées est convertie en vin. Ce dernier prodige ne nous étonne point, parce qu’il se renouvelle tous les ans ; oui, parce qu’il s’opère continuellement, il n’a plus rien de merveilleux pour nous : cependant, il exigerait bien plus d’attention de notre part que celui qui a été opéré dans les urnes remplies d’eau. Où est, en effet, l’homme capable de considérer ce que Dieu fait dans le gouvernement et l’administration des choses de ce monde, sans tomber dans la stupeur et se voir comme écrasé sous le poids des merveilles qu’il opère ? Si l’on se rend compte de la vertu d’un seul grain, de n’importe quelle semence, l’œuvre divine apparaît avec des proportions si étonnantes, qu’on éprouve involontairement une impression d’effroi. Mais les hommes attentifs à d’autres objets ont perdu de vue les œuvres de Dieu qui devaient les porter à offrir chaque jour, au Créateur, leurs louanges. Aussi Dieu s’est-il, en quelque sorte, réservé d’opérer certaines œuvres inaccoutumées, voulant, par ces merveilles, tirer les hommes de leur assoupissement et les rendre plus vigilants pour son culte. Qu’un mort reparaisse, tout le monde s’en étonne ; des milliers d’hommes naissent tous les jours, et personne ne s’en occupe. À considérer les choses avec attention, c’est une plus grande merveille de donner la vie à qui ne l’avait pas, que de la rendre à qui l’avait précédemment ; néanmoins, le même Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, fait tout cela et gouverne ses créatures par son Verbe. Il a fait les premières de ces merveilles par son Verbe, Dieu en lui ; les secondes, il les a faites par son Verbe incarné et devenu homme pour nous. Comme nous admirons les œuvres de Jésus-Christ homme, admirons les œuvres de Jésus-Christ Dieu, Par Jésus-Christ Dieu ont été faits le ciel et la terre, la mer, toute la parure des cieux, la richesse de la terre, la fécondité de la mer ; en un mot, tout ce qui s’étale à nos regards, c’est Jésus-Christ Dieu qui l’a fait. Nous le voyons, et si l’esprit de Jésus-Christ se trouve en nous, la joie que nous cause un pareil spectacle nous anime et nous porte à en louer l’auteur, et ainsi nous ne nous tournons pas tellement vers l’œuvre, que nous nous détournions de l’ouvrier ; nous n’appliquons pas notre visage à l’ouvrage, au point de tourner le dos à celui qui l’a fait.
2. Toutes ces merveilles, nous les voyons, elles sont exposées à nos regards ; mais que dire de ce que nous ne voyons pas, des Anges, des Vertus, des Puissances, des Dominations et de tous les habitants de cette demeure céleste que nos yeux ne peuvent contempler ? Les Anges, quand il l’a fallu, se sont néanmoins souvent montrés aux hommes. N’est-ce point par sou Verbe, c’est-à-dire par son Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur, que Dieu a fait toutes ces créatures ? Que dire de l’âme humaine, invisible aux yeux du corps, mais qui par les œuvres qu’elle opère dans son corps offre un merveilleux spectacle aux yeux de ceux qui savent y être attentifs ? Qui est-ce qui l’a créée ? N’est-ce pas Dieu ? Et par qui a-t-elle été faite, sinon par son Fils ? Mais je ne parle pas encore de l’âme humaine. Quel empire l’âme de n’importe quelle bête n’exerce-t-elle pas sur la matière de son corps ? Elle met en mouvement tous ses sens, ses yeux pour voir, ses oreilles pour entendre, ses narines pour percevoir les parfums, son palais pour discerner les saveurs, tous ses membres enfin, pour faire remplir à chacun d’eux son office particulier. Est-ce le corps, ou plutôt, n’est-ce pas l’âme, c’est-à-dire, l’habitant du corps qui fait tout cela ? Cependant elle demeure invisible, mais par ce qu’elle fait elle excite l’admiration. Considère maintenant l’âme de l’homme elle-même, cette âme douée par Dieu d’intelligence pour connaître son Créateur, pour distinguer et discerner le bien du mal, c’est-à-dire, le juste de l’injuste. Que ne fait-elle point par l’intermédiaire du corps ? Voyez comme toutes les parties de l’univers sont admirablement coordonnées dans la république des hommes ! Quelle organisation des gouvernements ! Quelle hiérarchie dans les pouvoirs, quels agencements dans la constitution des villes ; quelles lois, quelles mœurs, quels arts ! C’est l’âme qui dirige tout cet ensemble de choses, et pourtant, cette puissance de direction qu’elle exerce, personne ne la voit. Retirez-la du corps, il ne reste plus qu’un cadavre ; laissez-la dans le corps, sa première action est d’en relever, en quelque sorte, le mauvais goût. Car la chair est sujette à se corrompre ; elle tombe en pourriture à moins que l’âme, pareille à un assaisonnement, n’en retarde la putréfaction. Ce privilège, l’âme des bêtes le partage avec elle ; mais bien autrement admirables sont les facultés spéciales de l’homme, dont j’ai parlé, qui découlent de son esprit et de son intelligence et par lesquelles il renouvelle en lui les traits du Créateur, à l’image de qui il a été formé [186]. Quelle sera la puissance de l’âme, lorsque le corps aura revêtu l’incorruptibilité et que, de mortel, il sera devenu immortel [187] ? Si l’âme peut faire de si grandes choses au moyen d’une chair corruptible, que ne pourra-t-elle pas faire après la résurrection des morts avec un corps spiritualisé ? Cette âme, comme je l’ai dit, si merveilleuse par sa nature et sa substance, est néanmoins invisible a des yeux autres que ceux de l’intelligence ; toutefois elle a été faite par Jésus-Christ Dieu, parce qu’il est le Verbe de Dieu, car toutes choses ont été faites par lui, sans lui rien n’a été fait [188].
3. Puisque nous voyons de si grandes choses faites par Jésus-Christ Dieu, y a-t-il rien d’étonnant à ce que l’eau ait été changée en vin par Jésus-Christ homme ? Aussi bien, il ne s’est pas fait homme pour perdre ce qu’il était comme Dieu : l’humanité s’est approchée de lui, la divinité n’en a pas été éloignée. Celui qui a fait ce miracle est donc le même qui a fait toutes choses. Par conséquent, ne soyons pas surpris que Dieu ait fait ce prodige, mais aimons-le parce qu’il l’a fait parmi nous et pour notre salut. D’ailleurs ses actions mêmes ont un but ; celui de nous instruire. Selon moi, il n’est pas venu à ces noces sans motif. Indépendamment du miracle, cette action de Notre-Seigneur cache un secret et un mystère. Frappons à la porte, afin qu’il nous ouvre et nous enivre d’un vin invisible ; car nous aussi, nous étions de l’eau, et il nous a changés en vin ; nous étions des insensés, et il nota a rendus sages de la sagesse que donne le goût de la foi qui vient de lui. Et sans doute, il est de cette sagesse de chercher, à l’honneur de Dieu, à la louange de sa majesté, en reconnaissance de sa miséricorde toute-puissante, à avoir l’intelligence des circonstances de ce miracle.
4. Invité aux noces, le Seigneur s’y rendit. Quelle merveille que des noces l’aient fait venir en cette maison, lui que des noces ont fait venir en ce monde ? Car si ce ne sont pas des noces qui l’ont fait venir, ici donc il n’a pas d’Epouse. Mais alors qu’a voulu dire l’Apôtre : « Je vous ai fiancés à un unique Époux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure ? » Pourquoi craindre que la pureté de cette Epouse du Christ ne soit flétrie par l’artifice du diable ? « Je crains », dit-il, « que comme Eve a été séduite par l’artifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ [189] ». Ici donc il a une épouse rachetée par lui avec son sang, et à laquelle il a donné comme arrhes le Saint-Esprit[190]. Il l’a délivrée de l’esclavage du diable, il est mort pour ses péchés, il est ressuscité pour sa justification [191]. Quel époux offrira de tels présents à son épouse ? Que les autres hommes offrent des ornements mondains, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des chevaux, des esclaves, des champs et des terres ; y en aura-t-il un seul parmi eux pour offrir son sang ? car s’il s’en trouvait un pour donner son sang à son épouse, il ne pourrait plus se marier avec elle. Mais le Seigneur n’a pas eu cette crainte à l’heure de sa mort. L’Epouse pour laquelle il a donné son sang et qu’il s’était déjà unie dans le sein d’une Vierge, il est assuré de l’avoir après sa résurrection. L’Époux, c’est le Verbe ; l’épouse, c’est la nature humaine ; et la réunion des deux forme Jésus-Christ, Fils de Dieu, et en même temps Fils de l’homme. Le lit nuptial où il est devenu chef de l’Église, c’est le sein de la Vierge Marie ; c’est de là qu’il est sorti comme l’époux de son lit nuptial, suivant cette prophétie contenue dans les Écritures : « Semblable à un époux, sortant de son lit nuptial, il s’est élancé comme un géant pour courir sa voie [192] ». Jésus-Christ est donc sorti de son lit nuptial comme un époux, et il est venu aux noces, auxquelles il avait été invité.
5. Certainement ce n’est pas sans mystère qu’il semble méconnaître sa Mère, du sein de laquelle il est sorti comme de son lit nuptial, et qu’il lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? mon heure n’est pas encore venue ». Et quoi ! est-il venu aux noces pour y apprendre aux enfants à mépriser leur mère ? Certes, celui dont les noces l’avaient fait venir ne prenait une épouse que pour mettre des enfants au monde, et ces enfants qu’il souhaitait en voir naître, il désirait aussi les voir honorer leur mère. Jésus-Christ serait-il venu aux noces pour mépriser sa mère, quand les noces se célèbrent et qu’un homme prend femme pour avoir des enfants, et quand Dieu fait à ces enfants un commandement exprès de respecter leurs pères et mères ? Mes frères, il y a sous cette conduite du Sauveur un mystère. Oui, il y a là un grand mystère, car certains hommes dont l’Apôtre nous a avertis de nous garder, ainsi que nous l’avons rapporté plus haut, lorsqu’il nous dit : « Je crains que comme Eve a été séduite par l’artifice du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la pureté qui est en Jésus-Christ », certains hommes qui abusent de l’Évangile et prétendent que Jésus n’est pas né de la Vierge Marie, se sont efforcés d’y trouver des arguments pour la défense de leur erreur. Voici leurs paroles : Comment serait-elle sa mère, puisqu’il lui a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » C’est à ceux-là qu’il faut répondre, et c’est à eux qu’il faut expliquer pourquoi le Seigneur a parlé ainsi, de peur qu’ils n’aient pas l’air d’avoir, dans leur fureur contre la vraie foi, trouvé le moyen de corrompre la pureté de l’Epouse, c’est-à-dire d’ébrécher la foi de l’Église. Assurément mes frères, elle est corrompue la foi de ceux qui préfèrent le mensonge à la vérité. Car ceux qui, sous prétexte d’honorer le Christ, nient qu’il ait pris une chair, ne font rien moins que le signaler comme un menteur. Et ceux qui élèvent parmi les hommes un édifice de mensonge, que bannissent-ils de leur cœur, sinon la vérité ? Ils introduisent le démon, ils chassent Jésus-Christ ; ils introduisent un adultère, ils chassent l’Époux : paranymphes, ou plutôt entremetteurs du serpent, ils n’élèvent la voix que pour faire régner le serpent et pour détrôner le Christ, Quand le serpent règne-t-i !? Lorsque règne le mensonge. Où règne le mensonge, là règne le serpent ; où règne la vérité, là règne le Christ. Car le Sauveur a dit de lui-même : « Je suis la vérité[193] » ; au lieu qu’il a dit du serpent : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n’était pas en lui[194] ». Le Christ est tellement la vérité que tout en lui doit être par toi considéré comme vrai, un vrai Verbe, Dieu égal au Père, une vraie âme, une vraie chair, un vrai homme, un vrai Dieu, une vraie naissance, une vraie passion, une vraie mort, une vraie résurrection. Si un seul de ces points te semble faux et que tu le dises tel, la corruption entrera dans tous les autres ; du venin du serpent naîtront les vers du mensonge ; rien ne demeurera intact.

6. Mais, dira l’adversaire, que signifient ces paroles du Sauveur : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Peut-être dans ce qui suit nous montrera-t-il pourquoi il a ainsi parlé. « Mon heure », dit-il, « n’est pas encore venue ». Car, voici ses paroles « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue », Pourquoi a-t-il ainsi parlé ? C’est ce qu’il faut essayer de découvrir. C’est par là qu’il nous faut d’abord résister aux hérétiques. Que dit le vieux serpent, l’antique siffleur et souffleur de poisons ? Que dit-il ? Jésus n’a point eu pour mère une femme. Quelle preuve en donnes-tu ? C’est que le Christ a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pour le croire, nous voudrions savoir qui l’a dit. Qui donc l’a dit ? L’Évangéliste Jean. Mais le même Évangéliste Jean a dit : « Et la mère de Jésus y était ». Car voici son récit : « Trois jours après, il se fit des noces à Cana, en Galilée, et la mère de Jésus y était. Il y vint aussi, convié avec ses disciples ». Nous avons cette double assertion de l’Évangéliste. « La mère de Jésus y était », l’Évangéliste le dit. Ce que Jésus dit à sa mère, l’Évangéliste le dit aussi. Il rapporte la réponse de Jésus à sa mère, mais seulement après avoir dit : « Sa mère lui dit ». Faites attention à ceci, mes frères, afin de fortifier la pureté de votre cœur contre la langue du serpent. Là, dans le même Évangile, le même Évangéliste vous dit : « La mère de Jésus y était » ; et encore : « Sa mère lui dit ». Qui a fait ce récit ? L’Évangéliste Jean. Et qu’est-ce que Jésus a répondu à sa mère ? « Femme, qu’y a-t-il de « commun entre vous et moi ? » Qui fait ce récit ? Le même Évangéliste Jean. O Évangéliste très-fidèle et très-véritable, vous me rapportez que Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pourquoi lui avoir donné une mère qu’il ne connaît pas ? Car vous avez dit aussi : « La mère de Jésus était là » ; et encore : « Sa mère lui dit ». Pourquoi n’avoir pas dit de préférence : Marie était là, et Marie lui dit ? Vous rapportez l’un et l’autre : « Sa mère lui dit », et : « Jésus lui répondit : Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Pourquoi cela, sinon parce que l’un et l’autre sont vrais. Mais les hérétiques consentent à ajouter foi à l’Évangéliste lorsqu’il raconte que Jésus dit à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » et refusent de le croire lorsqu’il dit : « La mère de Jésus était là », et : « Sa mère lui dit ». Maintenant, quel est celui qui résiste au serpent, qui garde la vérité, qui ne laisse pas la pureté de son cœur se corrompre aux artifices du diable ? C’est celui qui regarde l’un et l’autre comme vrais, à savoir que « la mère de Jésus était là », et que Jésus a ainsi répondu à sa mère. Mais si cet hérétique ne comprend pas encore en quel sens Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » qu’il croie du moins que Jésus l’a dit et qu’il l’a dit à sa mère. Qu’il ait d’abord la soumission pieuse de la foi, et le fruit de l’intelligence viendra ensuite.

7. Chrétiens fidèles, c’est vous que j’interroge : La mère de Jésus y était-elle ? Répondez : Elle y était. Comment le savez-vous ? Répondez : L’Évangile le dit. Qu’est-ce que Jésus a répondu à sa mère ? Répondez : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? mon heure n’est pas encore venue ». Et comment le savez-vous ? Répondez : L’Évangile le dit. Que personne ne corrompe votre foi sur ce point, si vous voulez conserver intacte à l’épouse votre virginité. Si l’on vous demande pourquoi il n ainsi répondu à sa mère, que celui qui le comprend le dise ; pour celui qui ne le comprend pas, qu’il se contente de croire d’une foi très-ferme que Jésus a fait cette réponse et qu’il l’a faite à sa mère. Par cette soumission pieuse, il méritera de comprendre pourquoi Jésus a fait cette réponse, s’il frappe à la porte de la vérité par ses prières et ne s’en approche pas avec un esprit de contention et de querelle. Seulement, qu’il y prenne garde ; au lieu d’avoir l’intelligence de cette réponse ou de rougir de ce qu’il ne l’aurait pas, il pourrait être forcé de croire que l’Évangéliste a menti en disant : « La mère de Jésus y était » ; ou que le Christ lui-même a souffert pour nos péchés une mort simulée ; qu’il a montré pour notre justification de fausses cicatrices ; qu’il a dit faussement : « Si vous demeurez en ma parole, vous êtes véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité nous rendra libres [195] ». Car si sa mère n’est que supposée, comme aussi sa chair, comme sa mort, comme les blessures de sa Passion, comme les cicatrices de sa Résurrection, ce n’est plus la vérité qui rendra libres ceux qui croient en lui, mais c’est la duperie. Que plutôt la duperie laisse la place à la vérité, et qu’ils soient confondus ceux qui en paraissant véridiques veulent prouver que le Christ était menteur. Ils ne veulent pas qu’on leur dise : Nous ne vous croyons pas parce que vous mentez, bien qu’ils accusent de mensonge la Vérité même. Cependant, si nous leur demandons : Comment savez-vous que le Christ a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » ils répondent qu’ils en croient l’Évangéliste. Pourquoi n’en croient-ils pas l’Évangile, lorsqu’il dit : « La mère de Jésus y était » ; et : « Sa mère lui dit » ; ou bien, si l’Évangile est menteur en ce point, pourquoi croient-ils que Jésus a dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Ou plutôt, pourquoi ces malheureux ne croient-ils pas fidèlement que le Seigneur a ainsi répondu, non à une étrangère, mais à sa mère, et ne cherchent-ils pas pieusement pourquoi il a fait cette réponse ! Car, il y a une grande différence entre celui qui dit : Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère et celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu n’était pas sa mère. Autre chose est de vouloir comprendre ce qui n’est pas clair, autre chose de ne vouloir pas croire ce qui est évident. Celui qui dit : Je voudrais savoir pourquoi le Christ a ainsi répondu à sa mère, demande qu’on lui fasse comprendre l’Évangile auquel il croit ; mais celui qui dit : Je sais que la femme à laquelle le Christ a ainsi répondu n’était pas sa mère, accuse de mensonge l’Évangile lui-même, puisqu’il croit que le Christ a fait cette réponse.

8. Si vous y consentez, mes frères, laissons dans leur aveuglement les malheureux destinés à y croupir toujours, à moins que l’humilité ne les guérisse ; puis cherchons pourquoi le Seigneur a ainsi répondu à sa mère. Il y a cela de singulier en Notre-Seigneur, qu’il est né d’un père sans le secours d’une mère, et d’une mère sans l’intermédiaire d’un père : comme Dieu, il n’avait pas de mère ; comme homme, il n’avait pas de père : avant le temps, il était sans mère ; il était sans père, avant la fin des temps. Ce qu’il a répondu, il l’a répondu à sa mère ; car, « la mère de Jésus y était » et « sa mère lui dit ». Tout cela se trouve dans l’Évangile. Il nous apprend que « la mère de Jésus y était », et que Jésus lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue ». Croyons le tout, et ce que nous ne comprenons pas encore, cherchons à le saisir ; mais d’abord prenez garde, car de même que les Manichéens ont trouvé un prétexte à leur perfidie dans cette parole du Seigneur : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » ainsi les mathématiciens trouveront peut-être un prétexte à leurs mensonges dans cette autre : « Mon heure n’est pas encore venue ». Et si le Seigneur l’a dite en leur sens, nous avons commis un sacrilège en brûlant leurs livres. Si, au contraire, nous avons eu raison d’imiter ce qui se faisait du temps des Apôtres[196], le Seigneur n’a pas dit en leur sens : « Mon heure n’est pas encore venue ». Les hâbleurs et ceux qui séduisent les autres après s’être laissé séduire eux-mêmes, disent : Tu vois bien que le Christ était soumis à la fatalité, puisqu’il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue ». Auxquels donc répondrons-nous d’abord : aux hérétiques ou aux mathématiciens ? Les uns et les autres procèdent de l’ancien serpent, puisqu’ils veulent tous corrompre la virginité du cœur de l’Église qui se trouve dans l’intégrité de sa foi. Commençons, si vous le trouvez bon, par ceux que nous avons mis les premiers en avant, et auxquels nous avons déjà en grande partie répondu. Cependant, pour leur ôter cette idée que nous n’avons rien à dire sur cette réponse de Notre-Seigneur à sa mère, nous allons achever de vous prémunir contre eux ; car, pour les réfuter, je crois que ce que nous avons dit jusqu’ici est suffisant.
9. Pourquoi donc le fils dit-il à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue ». Notre-Seigneur Jésus-Christ était Dieu et homme tout ensemble. En tant que Dieu, il n’avait pas de mère, en tant qu’homme il en avait une. Elle était donc la mère de son corps, la mère de son humanité, la mère de l’infirmité qu’il a prise à cause de nous. Or, le miracle qu’il allait faire, il allait le faire selon sa divinité, et non selon son humanité ; en tant qu’il était Dieu, et non en tant qu’il était né dans la faiblesse. Toutefois, ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes [197]. Sa mère lui demanda donc un miracle ; mais comme il allait faire une œuvre divine, il sembla oublier qu’il était né d’elle et lui dire : Ce qui en moi fait des miracles, vous ne l’avez pas enfanté ; ce n’est pas vous qui avez donné l’être à ma divinité ; mais comme vous avez donné le jour à mon infirmité, je vous reconnaîtrai lorsque mon infirmité sera attachée à la croix ; voilà le sens de ces mots : « Mon heure n’est las encore venue ». Alors, en effet, il l’a reconnue, quoiqu’il ne l’eût jamais méconnue. Avant de naître d’elle, et au moment où il la prédestinait, il l’avait connue comme sa mère avant de créer, comme Dieu, celle dont il devait être formé comme homme, il la connaissait comme sa mère ; mais à une certaine heure, il la méconnaît mystérieusement, comme encore à une certaine heure qui n’était pas encore venue, il devait mystérieusement la reconnaître. Alors, en effet, il la reconnut, lorsque mourait ce qu’elle avait enfanté ; car ce qui mourut en ce moment, ce fut non pas ce qui avait formé Marie, mais ce qui avait été formé de Marie ; non pas la divinité, mais l’infirmité de la chair. Il a donc répondu ainsi, afin de distinguer en lui, dans la foi de ceux qui devaient croire, ce qu’il était, de celle par qui il était venu. Le Dieu et Seigneur du ciel et de la terre a donc eu pour mère une femme. Comme Seigneur du monde, comme Seigneur du ciel et de la terre, il est aussi le Seigneur de Marie ; comme Créateur du ciel et de la terre, il est aussi le Créateur de Marie ; mais en tant que s’appliquent à lui ces paroles : « Formé d’une femme, formé sous la loi [198] », il est le fils de Marie. Le Seigneur de Marie est en même temps le fils de Marie ; celui qui a créé Marie a été formé de Marie. Ne sois pas surpris de voir qu’il soit à la fois son fils et son Seigneur ; car s’il a été appelé le fils de Marie, il a été aussi appelé le fils de David, et il a été le fils de David précisément parce qu’il a été le fils de Marie. Entends l’Apôtre ; il dit formellement « qu’il lui est né de la race de David selon la chair [199] ». Écoute encore : Il a été aussi appelé le Seigneur de David. Que David le dise lui-même : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite[200] ». Et Jésus lui-même a proposé ce passage aux Juifs, et s’en est servi pour les confondre[201]. Comment donc est-il en même temps le fils et le Seigneur de David ? Il est le fils de David selon la chair, il en est le Seigneur selon la divinité. Il est pareillement le fils de Marie selon la chair, et son Seigneur selon la majesté. Comme Marie n’était pas la mère de la divinité, et comme c’était la divinité qui devait opérer le miracle demandé par Marie, il lui dit : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Ne croyez pas cependant que je vous renie pour ma mère : « Mon heure n’est pas encore venue ». Je vous reconnaîtrai au moment où mon infirmité, dont vous êtes la mère ; sera attachée à la croix. Voyons si cela est vrai. Quand fut venue l’heure de la passion du Christ, voici ce qui se passa d’après le témoignage de l’Évangéliste même qui connaissait la mère du Seigneur et qui nous la représente maintenant comme assistant aux noces : « La mère de Jésus était près : de la croix, et Jésus dit à sa mère : Femme, voici votre fils ; et au disciple : Voici votre mère [202] ». Il recommande sa mère à son disciple, car il devait mourir avant elle et ressusciter avant sa mort ; il la recommande à Jean ; homme, il recommande à un homme l’humanité d’où il est sort !. Voilà ce que Marie avait enfanté. Alors était venue l’heure dont il dit aujourd’ hui : « Mon heure n’est pas encore venue ».
10. Si je ne me trompe, mes frères, nous avons répondu aux hérétiques ; répondons maintenant aux mathématiciens. Pourquoi ceux-ci prétendent-ils que Jésus était soumis à la fatalité ? C’est, assurent-ils, parce qu’il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue ». Donc, nous croyons à sa parole. Et s’il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens. Mais, disent-ils, voici ses paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ». Si donc il avait dit : Je n’ai pas le moment, il aurait mis hors de cause les mathématiciens ; il n’y aurait pas de prétexte à leurs calomnies ; mais comme il a dit : « Mon heure n’est pas encore venue », que pouvons-nous opposer à ses paroles ? C’est merveille de voir les mathématiciens ajouter foi aux paroles de Jésus-Christ et s’efforcer en même temps de convaincre les chrétiens que le Christ a vécu nus la fatalité d’une heure. Qu’ils ajoutent donc foi aux paroles de Jésus-Christ lorsqu’il dit : « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau ; personne ne me l’enlève, mais je la quitte de moi-même, et de nouveau je la reprends [203] ». Un tel pouvoir dépend-il du destin ? Un homme qui a le pouvoir de décider quand il mourra, et combien de temps il vivra, est-il soumis à la fatalité ? Qu’ils nous le montrent donc ! Mais ils ne le montreront pas. Qu’ils ajoutent par conséquent foi à ces paroles du Sauveur « J’ai le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre de nouveau » ; qu’ils cherchent ensuite pourquoi il a dit : « Mon heure n’est point encore venue », et qu’en raison de ces paroles ils ne soumettent pas à la fatalité l’auteur du ciel, le créateur et l’ordonnateur des astres. D’ailleurs, si les astres étaient les maîtres du destin, celui qui a créé les astres ne pouvait être assujetti à la nécessité qu’ils imposent. Ajoute à cela que ce que tu appelles le destin, le Christ, non seulement n’y est pas soumis, mais ni toi, ni moi, ni un autre, ni personne, n’en subissons la fatalité.

11. Quoi qu’il en soit, et parce qu’ils se sont laissé séduire, ces malheureux cherchent à séduire à leur tour : ils proposent aux hommes leurs moyens de séductions, ils tendent leurs pièges pour les prendre, et cela sur les places publiques. Au moins ceux qui tendent des pièges aux animaux sauvages choisissent pour cela les forêts et les lieux déserts. Combien sont malheureux et vains ceux à qui l’on tend des pièges jusque sur les places publiques, afin de les prendre ! Les hommes reçoivent de l’argent pour se vendre à d’autres hommes, et ceux-ci donnent le leur pour se vendre à la vanité ! Car ils entrent chez un astrologue pour s’y procurer des maîtres tels qu’il plaît à cet homme de leur en donner : Saturne, Jupiter, Mercure, ou tout autre de nom aussi sacrilège. Il est entré libre, afin, pour son argent, de sortir esclave. Que dis-je ? Il ne serait pas entré s’il avait été libre ; mais il est entré là où l’erreur, où la cupidité l’attiraient pour en faire leur esclave. C’est ce qui a fait dire à la vérité : « Tout homme qui commet le péché est l’esclave du péché[204] ».

12. Pourquoi donc Jésus-Christ a-t-il dit : « Mon heure n’est pas encore venue ? » C’était surtout parce que, ayant le pouvoir de mourir quand il le voudrait, il ne jugeait pas opportun d’en user encore. Pourquoi, par exemple, mes frères, disons-nous : L’heure est venue de partir afin de célébrer les mystères ? Si nous sortons avant l’heure convenable, ne nous con luisons-nous pas en dehors de la règle et à contre-temps ? Mais, si nous ne sortons qu’au moment opportun, est-ce que la fatalité dicte nos paroles ? Quel est donc le sens de ces paroles : « Mon heure n’est pas encore venue ? » L’heure n’est pas encore venue pour moi de savoir que le moment de souffrir est venu pour moi, et que ma passion sera utile. Quand elle sera venue, alors je souffrirai volontairement. De cette façon seront vrais pour toi ces deux passages : « Mon heure n’est pas encore venue » ; et : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et de la reprendre à nouveau ». Jésus-Christ était donc venu avec le pouvoir de choisir le moment de sa mort. Mais s’il était mort avant d’avoir choisi ses disciples, à coup sûr il eût agi à contre-temps. Or, s’il n’avait pas eu le pouvoir de choisir l’heure de sa mort, il aurait pu mourir avant de choisir ses disciples ; et s’il était mort après les avoir choisis et instruits, c’eût été un effet, non pas de sa propre volonté, mais de la volonté d’autrui. Mais il était venu avec le pouvoir de s’en aller et de revenir, de s’avancer jusqu’où il voulait, de tenir l’enfer devant lui, non seulement après sa mort, mais même après sa résurrection, afin de faire briller à nos yeux l’espérance de voir son Église durer toujours ; par conséquent, il a marqué dans le chef ce que les membres avaient droit d’attendre. Il est ressuscité comme chef, il ressuscitera donc aussi dans ses membres. Son heure n’était donc pas encore venue, ce n’était pas encore le moment opportun. Il lui fallait appeler ses disciples, annoncer le royaume des cieux, opérer des prodiges, prouver sa divinité par des miracles, et son humanité par les souffrances de son corps. En effet, il avait faim parce qu’il était homme, et néanmoins, avec cinq pains il nourrit cinq mille hommes, parce qu’il était Dieu ; il dormait comme homme, et, comme Dieu, il commandait aux vents et aux flots. Il fallait d’abord en donner des preuves, afin que les évangélistes eussent de quoi écrire, et les Apôtres de quoi prêcher au sein de l’Église. Mais lorsque le Christ eut fait ce qu’il jugeait utile de faire, alors vint l’heure fixée, non par la nécessité, mais par son choix ; non par la condition de sa nature, mais par sa puissance.


13. Toutefois, mes frères, de ce que nous ayons répondu aux hérétiques et aux mathématiciens, s’ensuit-il que nous devions ne pas vous dire ce que signifient les urnes, l’eau changée en vin, le maître d’hôtel, l’époux, la présence de la mère du Christ à cette mystérieuse cérémonie, et ces noces elles-mêmes ? Il nous faut vous dire tout cela, mais il nous faut aussi ne pas vous fatiguer. À pareil jour qu’hier, nous avons l’habitude de faire un sermon à votre charité ; nous aurions voulu en profiter pour vous en entretenir au nom du Christ : mais des difficultés insurmontables sont venues y mettre obstacle. Si votre sainteté le trouve bon, nous remettrons à demain à vous expliquer ce que cette circonstance a de mystérieux et, ainsi, nous ne surchargerons ni votre faiblesse, ni la nôtre. Peut-être en est-il plusieurs que la solennité du jour, et non le désir d’entendre prêcher, a fait venir ici ; que ceux qui viendront demain, viennent pour s’instruire ; par là, nous ne priverons pas ceux qui veulent s’instruire, et nous ne fatiguerons nullement ceux qui n’en ont pas le désir.

NEUVIÈME TRAITÉ.

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SUR LA MÊME LEÇON DE L’ÉVANGILE. – DU MYSTÈRE RENFERMÉ DANS LE MIRACLE OPÉRÉ AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. (Chap. 2,1-11.)

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LE MIRACLE DE CANA.

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Tous les actes du Sauveur ont leur signification, sa présence aux noces de Cana a la sienne comme les autres circonstances de sa vie. Le prodige opéré en cette occasion a deux sens :

1° L’eau changée en vin figurait les prophéties relatives au Messie, lettre morte, paroles sans vertu qu’il a vivifiées par son incarnation ; les six âges du monde, tous prophétiques, étaient représentés par les six urnes pleines d’eau ; et de même que celte eau devait être changée en vin par le Christ ainsi les prophéties devaient recevoir toute leur valeur de leur application à sa personne ; enfin par les deux mesures contenues dans les urnes s’entendent le Père et le Fils, et par les trois le mystère de la sainte Trinité ;

2° Les prophéties des six âges venaient du peuple Juif, mais elles avaient trait à toutes les nations dont se compose le peuple chrétien. Ainsi l’union d’Adam et d’Eve en une seule chair représentait l’union de Jésus-Christ avec son Église : l’arche de Noé était l’image du bois de la croix réunissant près de lui et sauvant toutes les nations ; le sacrifice d’Abraham préfigurait celui du Calvaire ; les psaumes de David ont incessamment trait à l’empire de Dieu sur tous les peuples ; ta pierre détachée de la montagne et devenant elle-même une montagne qui remplit toute la terre, n’est-ce pas Jésus-Christ issu du peuple Juif par sa naissance virginale et exerçant sa puissance sur le monde entier ? Et la conversion des Gentils à la foi n’est-elle pas l’accomplissement des paroles adressées aux Juifs par Jean-Baptiste ? Les deux mesures représentent les circoncis et les incirconcis dont se compose le peuple chrétien, elles trois mesures sont les trois races humaines dont les fils de Noé ont été la source.


1. Que le Seigneur notre Dieu soit avec nous pour nous donner d’accomplir notre promesse. Hier, si votre sainteté s’en souvient, les limites du temps ne nous ont pas permis d’achever l’instruction commencée ; nous avons donc remis à aujourd’hui de vous découvrir avec l’aide de Dieu, les mystères renfermés dans cet événement dont le récit vous a été lu dans le saint Évangile. Il est inutile de nous arrêter longtemps à relever la grandeur de ce prodige opéré par Dieu ; c’est, en effet, le même Dieu qui en opère tous les jours dans toutes les créatures, et s’ils ne font plus d’impression, ce n’est pas qu’ils soient plus faciles à produire, c’est qu’ils sont sans cesse sous nos yeux. Le Verbe incarné pour nous en a donc fait d’autres plus rares, et l’esprit humain en a été frappé davantage. Ce n’est pas qu’ils aient été plus grands que ceux que Dieu opère tous les jours dans les créatures. Ceux qui se font tous les jours semblent être le résultat de la loi naturelle qui règle le cours ordinaire des choses ; les seconds, au contraire, apparaissent aux yeux de l’homme comme l’œuvre d’un pouvoir qui s’exerce actuellement. Nous vous l’avons dit, et vous vous en souvenez : un mort est sorti vivant du tombeau ; et cet événement a jeté les hommes dans la stupeur ; tous les jours, des enfants qui n’existaient pas viennent au monde, et personne n’en est surpris. Ainsi, qui ne s’étonne de voir changer l’eau en vin ? Pourtant Dieu fait cela tous les ans dans les vignes. Toutefois, comme en opérant ces prodiges, Notre-Seigneur a voulu, non seulement stimuler nos cœurs, mais encore élever en eux l’édifice de la foi, il nous faut rechercher l’à-propos, c’est-à-dire la signification de ce qui concerne celui-ci. Car, vous vous en souvenez, c’est cette explication que nous avons remise à aujourd’hui.
2. De ce que le Seigneur a été invité à des noces et qu’il y est venu, indépendamment de toute explication mystérieuse, ressort, suivant l’intention du Sauveur lui-même, la preuve qu’il est l’auteur du mariage. En effet, des hommes, dont parle l’Apôtre, devaient défendre de se marier[205], et enseigner que le mariage est un mal, et que son auteur est le diable. Au contraire, le Seigneur interrogé sur la question de savoir s’il est permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif, a répondu que cela n’est pas permis, excepté pour cause de fornication. À cette réponse il a ajouté ceci, s’il vous en souvient : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni [206] ». Ceux qui sont bien instruits dans la foi catholique savent que Dieu a établi le mariage, et que, comme l’union conjugale est d’institution divine, le divorce est l’œuvre du diable ; et si dans le cas de fornication il est permis de renvoyer sa femme, c’est que, la première, elle a renoncé à être épouse, puisque la première elle a foulé aux pieds la foi conjugale. Quant à celles qui ont voué à Dieu leur virginité, bien qu’elles soient à un degré plus élevé d’honneur et de sainteté dans l’Église, elles n’ont pas pour cela renoncé entièrement aux noces ; car elles ont part avec toute l’Église à ces noces où l’Époux est le Christ. Ayant été invité aux noces, le Sauveur s’y est rendu pour resserrer le lien de chasteté conjugale, et nous révéler ce qu’il y a de mystérieux dans les noces ; car, dans la circonstance présente, la personne de Notre-Seigneur était figurée par l’époux à qui il fut dit : « Tu as conservé le bon vin jusqu’à présent ». En effet, le Christ a conservé le bon vin jusqu’à présent, c’est-à-dire son Évangile.
3. Commençons donc dès maintenant à vous dévoiler les secrets de ces mystères, autant du moins que nous en fera la grâce Celui au nom de qui nous vous l’avons promis. Dès les temps anciens il y eut des prophéties, et jamais aucune époque n’en fut privée : mais quand on n’y reconnaissait pas le Christ, ces prophéties n’étaient que de l’eau. Car d’une certaine manière l’eau recèle du vin. Que devons-nous entendre par cette eau ? L’Apôtre nous le dit : « Jusqu’aujourd’hui, quand on leur lit Moïse, les Juifs ont un voile posé sur leur cœur, voile qui n’en est pas retiré, parce qu’il n’est enlevé que dans le Christ. Mais », continue-t-il, « lorsque tu seras passé au Seigneur, le voile sera enlevé [207] ». Par, ce voile il entend l’obscurité qui empêchait de comprendre les prophéties : le voile se lèvera, et avec lui disparaîtra l’ignorance lorsque tu seras passé à Notre-Seigneur, et ce qui était de l’eau se changera pour toi en vin. Lis tous les livres prophétiques ; si tu n’y aperçois pas Jésus. Ch net, qu’y a-t-il de plus insipide et de plus fade ? Si, au contraire, tu y vois Jésus-Christ, non seulement tu trouves de la saveur à ce que tu lis, mais encore ta lecture te jette dans l’ivresse, ton âme s’élève au-dessus des corps, et en oubliant le passé elle s’étend pour saisir les choses à venir [208].
4. Ainsi, dès les temps anciens et depuis le premier anneau de la chaîne des générations humaines, il y a eu des prophéties concernant le Christ ; mais il s’y tenait caché : ce n’était encore que de l’eau. Comment prouvons-nous que, dans toute la durée des temps antérieurs à la venue du Christ, des prophéties relatives à sa personne n’ont jamais éprouvé de solution de continuité ? D’après ses propres paroles. Car après sa résurrection d’entre les morts il trouva ses disciples dans le doute à l’égard de. Celui qu’ils avaient suivi, ils l’avaient vu mourir et n’espéraient pas le voir ressusciter, leur confiance en lui était anéantie. Aussi le larron fut-il loué et mérita-t-il d’entrer le même jour dans le paradis. Pourquoi ? Parce que, étant attaché à la croix, il confessa Jésus-Christ [209], tandis que ses disciples doutaient de lui. Il les trouva donc chancelants et se reprochant en quelque sorte d’avoir espéré qu’il délivrerait Israël. Ils s’affligeaient de l’injustice de sa mort, car son innocence leur était connue. eux-mêmes le lui dirent après sa résurrection, au moment où il fit la rencontre de deux d’entre eux qui marchaient plongés dans la tristesse. « Êtes-vous seul étranger à ce point dans Israël, que vous ignoriez ce qui s’est passé ces derniers jours ? Quoi donc ? leur répliqua-t-il. Touchant Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en œuvres et en paroles en présence de Dieu et de tout le peuple ; comment nos prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Cependant nous espérions que ce serait, lui qui rachèterait Israël, et voici maintenant le troisième jour depuis que ces événements se sont accomplis ». Après ces discours et d’autres prononcés par l’un de ceux que Jésus-Christ avait rencontrés sur le chemin du village voisin, il leur répondit en ces termes : « O insensés et cœurs tardifs à croire ce qui a été dit par les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses, et qu’ainsi il entrât dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et tous les Prophètes, il leur expliqua ce qui était dit de lui dans l’Écriture ». Ainsi s’exprima-t-il encore dans une autre circonstance, voulant se faire toucher de ses disciples afin de leur donner une preuve palpable de la réalité de sa résurrection ; il leur dit : « Voilà ce que je vous avais annoncé lorsque j’étais encore avec vous, savoir que tout ce qui est écrit de moi dans Moïse, les Prophètes et les psaumes, devait être accompli. Alors il leur ouvrit l’intelligence afin qu’ils comprissent les Écritures, et leur dit : Car il est écrit que le Christ devait souffrir et ressusciter d’entre les morts le troisième jour, que la pénitence et la rémission des péchés devaient en sen nom être prêchées par toutes les nations, à commencer par Jérusalem ».
5. Si nous comprenons bien ces passages du saint Évangile, et certes ils ne renferment rien d’obscur, nous saisirons parfaitement tous les mystères contenus dans le miracle qui nous occupe. Faites attention à cette parole du Sauveur, qu’il fallait que tout ce qui a été écrit du Christ eût en lui son accomplissement. Où se trouve ce qui a été écrit de lui ? Il l’a dit : « Dans là loi, dans les Prophètes et dans les psaumes ». Il n’omet aucune des anciennes Écritures. C’était de l’eau ; aussi le Seigneur appelle-t-il insensés les deux disciples d’Emmaüs, parce que cette eau leur plaisait encore et qu’ils n’avaient pas encore de goût pour le vin. Comment Jésus-Christ a-t-il changé cette eau en vin ? Lorsqu’après leur avoir ouvert l’intelligence il leur a expliqué les Écritures, commençant par Moïse et continuant par les Prophètes ; c’est pourquoi ils se sentaient déjà comme enivrés et disaient : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous sur le chemin lorsqu’il nous « découvrait les Écritures [210] ? » Ils avaient, en effet, découvert ce qu’ils ne savaient pas auparavant, c’est que ces livres avaient trait au Christ. Le Sauveur a donc changé l’eau en vin, et aussitôt ce qui leur était insipide est devenu agréable pour eux ; et ce qui ne les enivrait pas les a enivrés. Il aurait pu commander de vider l’eau qui se trouvait dans les urnes, pour y mettre du vin qu’il aurait tiré de je ne sais quelle source cachée ; il avait ainsi fait venir du pain quand il rassasia tant de milliers d’hommes. Car cinq pains n’étaient capables ni de nourrir cinq mille personnes, ni de remplir au moins douze corbeilles [211] ; mais sa puissance était comme un réservoir où il était à même de trouver du pain. Il aurait donc pu d’abord vider l’eau, puis mettre du vin à sa place ; mais s’il l’avait fait, il aurait semblé improuver les anciennes Écritures. Au contraire, en changeant l’eau elle-même en vin, il nous a montré que l’Ancien Testament vient de lui ; car c’est par son ordre que les urnes ont été remplies. C’est donc du Seigneur que viennent les anciennes Écritures ; mais si l’on n’y reconnaît pas Jésus-Christ, elles n’ont pas de saveur.
6. Considérez ce qu’il dit lui-même : « Ce qui a été écrit de moi dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes ». Nous savons de quelle époque part le récit de la loi c’est dès l’origine du monde. « Au commencement ; Dieu fit le ciel et la terre [212] ». Depuis celte époque jusqu’au temps présent, on compte six différents âges ; on vous l’a dit souvent, et vous le savez. Le premier âge va d’Adam à Noé ; le second, de Noé à Abraham, selon l’ordre qu’établit et suit l’Évangéliste Matthieu ; le troisième va d’Abraham à David le quatrième, de David à la captivité de Babylone ; le cinquième, de la captivité de Babylone à Jean-Baptiste[213] ; le sixième, de Jean-Baptiste à la fin du monde. Dieu a fait l’homme à son image le sixième jour[214], parce que c’est en ce sixième âge que s’est manifesté par l’Évangile le renouvellement de notre esprit, selon l’image de celui qui nous a créés[215]. En ce jour, L’eau s’est changée eu vin, afin que nous goûtions le Christ manifesté dans la loi elles Prophètes. C’est pour cela que les urnes qu’il ordonnait de remplir avec de l’eau étaient au nombre de six. Ces six urnes signifiaient donc les six âges du monde pendant lesquels il y eut toujours des prophéties. Ainsi distribués et distingués les uns des autres comme par des articulations diverses, ces six âges auraient été comme des vases vides si Jésus-Christ ne les avait remplis. Pourquoi même donner le nom d’âges ides temps qui se seraient inutilement écoulés si, pendant leur cours, le Seigneur n’avait pas été annoncé ? Les prophéties ont reçu leur accomplissement, on a rempli les urnes ; mais pour que l’eau soit changée en vin, il faut que dans toutes ces prophéties on reconnaisse Jésus-Christ.
7. Que signifient donc ces paroles : « Elles contenaient deux ou trois mesures ? » Cette manière de parler signale à notre attention un grand mystère. L’Évangéliste appelle metreta des vases servant de mesures, comme une urne, une amphore ou bien un objet pareil. Le mot métrète est le nom de la mesure, et ce nom de mesure dérive lui-même du mot mesure. En effet, metron en grec, signifie mesure ; de là le mot métrète. « Elles renfermaient donc deux ou trois mesures ». Que disons-nous, mes frères ? S’il n’était question que de trois mesures, notre esprit se reporterait tout droit au mystère de la Trinité. Mais de ce que l’Évangéliste a dit : « deux ou trois », il ne suit peut-être pas que nous devions renoncer immédiatement à cette interprétation. Car le Père et le Fils étant une fois nommés, il faut nécessairement supposer l’existence du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit n’est pas seulement l’Esprit du Père ou seulement l’Esprit du Fils, il est tout à la fois l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils. En effet, il est écrit : « Si quelqu’un aime le monde, l’Esprit du Père n’est point en lui[216] ». Et ailleurs : « Quiconque n’a pas l’Esprit du Fils n’est point de lui[217] ». Le Père et le Fils ont donc le même Esprit ; d’où il suit que nommer le Père et le Fils, c’est sous-entendre le Saint-Esprit, puisqu’ils ont tous deux un même Esprit. Quand on nomme le Père et le Fils, c’est comme si l’on disait deux mesures ; et quand on entend parler du Saint-Esprit, c’est trois mesures. Aussi l’Évangile ne dit-il pas que les urnes contenaient, les unes deux mesures, les autres trois ; mais que les six urnes « contenaient deux ou trois mesures ». Comme s’il disait : Quand je dis deux mesures, je veux que l’Esprit du Père et du Fils soit compris avec eux ; et quand je dis trois, j’énonce plus clairement la sainte Trinité.
8. Ainsi, quiconque nomme le Père et le Fils, doit sous-entendre la charité mutuelle du Père et du Fils, qui est le Saint-Esprit. Peut-être même (et je ne dis pas ceci comme si j’étais en mesure de le prouver aujourd’hui, ou comme si personne ne pouvait trouver une autre manière d’interpréter ce texte), peut-être même l’examen et la discussion des Écritures montreraient-ils que le Saint-Esprit est la charité même. En tous cas, ne supposez pas que la charité soit chose méprisable. La charité pourrait-elle n’avoir aucun prix quand de tout ce qui a du prix nous disons qu’il est cher ? Si donc tout ce qui n’est pas de vil prix est cher, peut-il y avoir rien de plus cher que la charité même ? Aussi l’Apôtre la relève-t-il au point d’en dire ceci : « J’ai à vous montrer une voie suréminente. Quand je parlerais la langue des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonnant et une cymbale retentissante. Quand je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science, quand j’aurais le don de prophétie, quand toute foi me serait donnée jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, il ne me sert de rien[218] ». La charité est donc bien précieuse, puisque sans elle tout est inutile, puisque avec elle tout est profit. Toutefois, cet éloge si brillant et si flatteur que l’apôtre Paul fait de la charité, en du moins que ce petit mot de l’apôtre Jean dont nous expliquons l’Évangile ; car il n’a pas craint de dire : « Dieu est charité[219] ». Et il est encore écrit « que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[220] ». Qui donc nommera le Père et le Fils, sans entendre parler aussi de la charité du Père et du Fils ? Celui qui a cette charité a le Saint-Esprit, et quiconque ne l’a pas, le Saint-Esprit n’est pas en lui. Séparé de son esprit, qui est ton âme, ton corps est mort. Ainsi en est-il de ton âme ; sépare-la du Saint-Esprit, c’est-à-dire de la charité, c’est comme si elle était morte. « Les urnes contenaient donc deux mesures », parce qu’à toutes les époques le Père et le Fils ont été annoncés dans les prophéties : mais le Saint-Esprit l’était aussi bien qu’eux ; de là cette addition, « ou trois mesures ». « Moi et mon Père », dit Jésus-Christ, « nous sommes un[221] » ; mais à Dieu ne plaise qu’il soit fait exclusion du Saint-Esprit là où le Sauveur dit : « Moi et mon Père sommes un ». Cependant le Père et le Fils étant seuls nommés à cet endroit, accordons que « les urnes contiennent seulement « deux mesures » ; mais le texte ajoute : « ou trois mesures ». En voici la raison : « Allez, baptisez les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit[222] ». Ainsi, quand l’Évangile dit : « deux mesures », il ne fait pas mention expresse de la Trinité, il la sous-entend ; mais lorsqu’il dit : « trois mesures », il la déclare formellement.
9. Il y a de ce passage une autre interprétation qu’il ne faut pas passer sous silence. Je vais vous la dire, et alors chacun choisira celle qui lui conviendra le mieux ; pour nous, nous ne voulons pas vous frustrer de ce que Dieu nous donne. Car vous êtes à la table du Seigneur, et il n’est pas juste que celui qui y sert retranche une partie des aliments aux convives, surtout à des convives comme vous, qui se montrent si affamés. Les prophéties qui ont eu lieu dès les temps anciens ont pour but le salut de toutes les nations. Sans doute Moïse a été envoyé au seul peuple d’Israël ; c’est à ce peuple seul que la loi a été donnée par son ministère ; c’est des rangs de ce peuple que sont sortis les Prophètes ; c’est en vue de ce peuple que la distinction des âges a été établie ; aussi est-il dit des urnes qu’elles étaient destinées « aux purifications en usage chez les Juifs ». Toutefois, que ces prophéties aient aussi été faites aux autres nations, on n’en saurait douter, puisqu’en ce peuple était caché Jésus-Christ, en qui toutes les nations de la terre sont bénies suivant cette promesse de Dieu à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en Celui qui sortira de toi [223] ». Mais Jésus-Christ n’était pas encore reconnu, parce que l’eau n’avait pas encore été changée en vin. Les prophéties avaient donc lieu pour toutes les nations. Pour faire ressortir plus clairement à vos yeux cette vérité, nous allons, dans les limites du temps dont nous pouvons disposer, vous parler de ces différents âges que figuraient les six urnes de notre Évangile.
10. Au commencement Adam et Eve étaient les premiers parents de tous les hommes, et pas seulement des Juifs. Par conséquent, tout ce qui en Adam figurait le Christ était du domaine de toutes les nations, puisqu’elles n’ont de salut qu’en Notre-Seigneur. Que dirai-je de mieux approprié à l’eau de la première urne que ce que l’Apôtre a dit d’Adam et d’Eve ? Personne, en effet, ne pourra trouver mauvaise ma manière de comprendre les choses, puisqu’au lieu de l’inventer de moi-même, je l’emprunte à l’Apôtre. C’est à lui seul un étonnant mystère relativement au Christ, que celui auquel l’Apôtre fait allusion dans ce passage : « Ils ne feront tous deux«  qu’une seule chair : ce mystère est grand[224] ». Et afin que personne n’imagine que cette grandeur du mystère se trouve en chacun de ceux qui ont une femme, il ajoute : « Mais je dis en Jésus-Christ et en l’Église ». Où se trouve donc le grand mystère : « Et ils ne feront tous deux qu’une seule chair ? » Le voici : parlant d’Adam et d’Eve, la Genèse en vient à ces paroles : « C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et ils seront tous deux dans une chair une[225] ». Toutefois si Jésus-Christ s’est attaché à son Église de manière à ce qu’ils fussent deux en une seule chair, comment a-t-il quitté son Père ? Comment a-t-il quitté sa mère ? Il a quitté son Père, parce qu’étant en la forme de Dieu et pouvant sans larcin se dire son égal, il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave[226]. Voilà le sens de ces paroles : Il a quitté son Père, non qu’il l’ait abandonné ou se soit éloigné de lui, mais parce que ce n’est pas dans la forme selon laquelle il est égal au Père, qu’il est apparu aux hommes. Comment a-t-il quitté sa mère ? En quittant la synagogue des Juifs, de laquelle il est né selon la chair, et en s’attachant à l’Église, qu’il a composée en réunissant toutes les nations. Ainsi la première urne contenait l’annonce du Christ ; mais tout, le temps que ces vérités ne lurent pas prêchées aux peuples, cette prophétie n’était encore que de l’eau, elle n’était pas encore changée en vin. Maintenant donc que le Seigneur nous a éclairés par l’Apôtre pour nous faire connaître le sens caché de cette simple parole : Ils ne feront tous deux qu’une seule chair, ce mystère est grand en Jésus-Christ et dans l’Église », nous sommes en droit de chercher le Christ partout et de puiser le vin à toutes les urnes. Adam s’endort pour qu’Eve soit formée pendant son sommeil ; le Christ meurt pour donner naissance à l’Église. De la côte d’Adam endormi Eve est formée[227] ; après sa mort Jésus-Christ est percé d’une lance au côté[228], et de ce côté coulent les sacrements qui doivent former l’Église. Qui ne voit dans les événements d’alors la figure de ce qui devait arriver plus tard, surtout quand l’Apôtre nous enseigne que le premier Adam était le type du futur Adam ? « Il était la figure de celui qui devait venir[229] ». Tous les événements étaient mystérieusement figurés en lui. Était-ce afin de l’empêcher rie souffrir que Dieu attendit le moment de son sommeil pour lui retirer une côte et en former la femme ? Où est l’homme capable de dormir assez profondément pour qu’on puisse, sans l’éveiller, lui ôter des os ? Ou bien Adam a-t-il été insensible à l’enlèvement d’une de ses côtes, parce que c’était Dieu lui-même qui la lui ôtait ? Dieu, qui pouvait enlever cette côte à Adam pendant son sommeil, pouvait donc aussi la lui enlever sans lui causer aucune douleur, pendant qu’il était éveillé. Mois sans aucun doute cette première urne était remplie d’eau, elle contenait pour ce premier âge l’annonce des événements réservés à l’avenir.
11. Le Christ a été aussi figuré dans Noé et ‘dans cette arche qui renfermait tous les êtres vivants de l’univers. En effet, pourquoi tous les animaux ont-ils été renfermés dans cette arche [230], sinon pour figurer toutes les nations ? Dieu ne manquait pas de puissance pour les créer de nouveau ; car, quand aucune créature n’existait, n’a-t-il pas dit : « Que la terre produise, et la terre a produit[231] ? » Il les avait créées une première fois, il pouvait les créer encore. Une première fois sa parole les avait fait sortir du néant, elle était à même de réitérer son œuvre. Mais il voulait nous signaler un mystère, il remplissait la seconde urne par une prophétie, il nous montrait en figure la vie de l’univers conservée par le bois, parce qu’au bois devait être vraiment attachée la vie du monde entier.
12. Nous voici à la troisième urne, c’est-à-dire à Abraham, je vous en ai déjà fait la remarque, il a été dit à ce patriarche : « Toutes les nations seront bénies en Celui qui sortira de ta race ». Il est facile de reconnaître celui que figurait le fils unique du père des croyants : au moment où son père le conduisait vers la montagne sur le sommet de laquelle on devait le faire mourir, ne portait-il pas lui-même le bois nécessaire au sacrifice ? De fait le Seigneur porta sa croix, comme le dit l’Évangile[232]. À l’endroit de la troisième urne cette remarque suffit.
13. Quant à David, est-il besoin de dire que ses prophéties concernaient toutes les nations ? Parmi les psaumes il n’en est pas un seul qui n’y ait trait, aussi bien que celui dont nous venons d’entendre la lecture : tous l’avoueront sans peine. Je l’ai dit, nous avons chanté tout à l’heure ces paroles si positives : « Levez-vous, Seigneur, jugez la terre, toutes les nations seront votre héritage [233] ». Et par là les Donatistes sont comme rejetés des noces. En effet, l’homme dépourvu de la robe nuptiale, qui vint aux noces après avoir été invité, en fut chassé parce qu’il n’était pas vêtu de manière à faire honneur à l’Époux. De même en est-il de celui qui cherche sa propre gloire, et non la gloire de Jésus-Christ. Il n’a pas la robe nuptiale, car il refuse de s’associer à la parole de l’ami de l’Époux et de dire avec lui : « C’est celui-là qui baptise[234] ». Celui qui n’avait pas la robe nuptiale mérita de s’entendre donner par reproche un titre auquel il n’avait pas droit : « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici ? » Et de même qu’il demeura muet[235] à cette question, ainsi les Donatistes demeurent muets à leur tour. En effet, à quoi bon remuer les lèvres et tant parler, si le cœur reste muet ? Car ils savent bien intérieurement qu’ils n’ont rien à répondre. Aussi restent-ils muets au dedans, quoiqu’ils fassent beaucoup de bruit au-dehors. Ils entendent, bon gré mal gré, chanter parmi eux ces paroles : « Levez-vous, Seigneur, jugez la terre, parce que toutes les nations vous seront données en héritage ». Ainsi, se séparant de la communion de toutes les nations, qu’apprennent-ils sinon qu’ils ne font plus partie de cet héritage ?
14. J’ai donc dit, mes frères, que les prophéties regardaient toutes les nations de la terre ; mais je veux vous montrer que ces paroles : « Elles contenaient deux ou trois mesures », ont encore un autre sens. Les prophéties, dis-je, ont trait à toutes les nations ; nous venons de le prouver en ce qui concerne Adam ; car « il était la figure de l’autre Adam ». Qui ne sait, en effet, que de lui sont sorties toutes les nations, et que les quatre lettres de son nom désignent les quatre parties du monde telles que les appelaient les Grecs. Car si vous prononcez en grec les mots : Orient, Occident, Midi, Nord, dénominations sous lesquelles en différents endroits l’Écriture désigne ces quatre parties du monde, vous le verrez, les premières lettres de ces mots vous donnent celui d’Adam. En effet, voici comment se nomment, dans la langue grecque, les quatre points cardinaux : anatole, dusis, arktos, mesembria.
15. Pour ce qui est du cinquième âge représenté par la cinquième urne, Daniel voit une pierre détachée de la montagne sans qu’aucune main y ail part ; cette pierre brise dans sa chute tous les royaumes de la terre, et elle grossit au point de devenir une grande montagne, si grande qu’elle couvre toute la surface de la terre [236]. Mes frères, y a-t-il rien de plus clair ? Une pierre se détache de la montagne. C’est cette pierre mise au rebut par ceux qui bâtissent, et qui est devenue la tête de l’angle[237]. De quelle montagne est-elle détachée, sinon du royaume des Juifs, au sein duquel Jésus-Christ est né selon la chair ? Elle s’en détache sans le secours d’aucune main d’homme, car Jésus-Christ est né d’une vierge sans le concours charnel d’aucun homme. La montagne dont cette pierre est détachée ne couvrait point toute la terre, parce que le royaume des Juifs ne s’étendait pas à toutes les nations. Mais nous voyons le royaume de Jésus-Christ occuper toutes les parties de l’univers.
16. Reste le sixième âge, auquel appartient Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes, de qui il a été dit : « Il est plus grand qu’un prophète[238] ». Comment, à son tour, Jean montre-t-il que Jésus-Christ a été envoyé à toutes les nations ? Le voici : les Juifs venaient à lui pour être baptisés ; afin de les empêcher de s’enorgueillir du nom d’Abraham qu’ils portaient, il leur dit : « Race de vipères, qui vous a enseigné à fuir la colère prête à venir ? faites donc de dignes fruits de pénitence » ; c’est-à-dire, soyez humbles. En effet, il parlait à des orgueilleux. D’où leur venait leur orgueil ? De ce qu’ils descendaient d’Abraham selon la chair, et non point de ce qu’ils imitaient sa conduite. Aussi, quel langage leur tient-il ? « Ne dites pas : Nous avons pour père Abraham. Car Dieu peut, de ces pierres mêmes, susciter des enfants d’Abraham [239] ». Il donnait aux nations le nom de pierres, non qu’elles en eussent la solidité, comme cette pierre mise au rebut par ceux qui bâtissaient mais parce qu’elles étaient endurcies dans la sottise et l’imbécillité. N’étaient-elles pas, en effet, devenues pareilles aux pierres qu’elles adoraient ? Pourquoi avaient-elles perdu le sens ? Parce qu’il est dit dans un psaume : « Qu’ils deviennent semblables aux idoles, ceux qui les font et ceux qui mettent en elles leur confiance [240] », Aussi, quand les hommes ont commencé à adorer le Dieu véritable, que leur recommande-t-on ? « Soyez les enfants de votre Père qui est au ciel et qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes [241] ». Si donc l’homme devient semblable à ce qu’il adore, que veulent dire ces paroles : « Dieu peut susciter de ces pierres des enfants d’Abraham ? » Interrogeons-nous nous-mêmes, et remarquons que ce fait est accompli en nous. Nous sommes sortis des rangs des Gentils ; or, nous n’en serions jamais sortis, si Dieu n’avait fait sortir de ces pierres des enfants d’Abraham. Nous avons été faits enfants d’Abraham, parce que nous avons imité sa foi, et non parce que nous descendons de lui selon sa chair. Comme les Juifs ont dégénéré de cette foi, ils ont été exclus de l’héritage, et si, nous autres, nous avons été adoptés, c’est que nous avons marché sur ses traces. Ainsi, mes frères, la prophétie représentée par la sixième urne était relative à toutes les nations. C’est pourquoi il est dit de toutes les urnes : « Elles contenaient deux ou trois mesures ».
17. Mais comment montrer que toutes les nations étaient désignées par ces termes « Deux ou trois mesures ? » En réduisant au nombre de deux les mesures qu’il disait être au nombre de trois, il y avait de la part de l’Évangéliste une sorte d’évaluation. Par là, l’écrivain sacré voulait nous signaler un mystère. Pourquoi donc « deux mesures ? » Pour désigner la circoncision et l’incirconcision. L’Écriture fait mention de cette division des peuples en deux classes, et elle n’en omet aucun lorsqu’elle dit : « La circoncision et l’incirconcision [242] » Sous cette double dénomination sont donc comprises toutes les nations : voilà les deux mesures. C’est pour unir en sa personne ces deux murailles venues de côtés opposés, que Jésus-Christ est devenu la pierre de l’angle[243]. Montrons aussi qu’à ces mêmes nations, sans exception aucune, ont aussi trait les trois mesures. Noé avait trois fils, par eux a été renouvelé le genre humain [244] ; c’est ce qui a fait dire à Notre-Seigneur : « Le royaume des cieux est semblable à un levain qu’une femme prend et mêle à trois mesures de farine jusqu’à ce que toute la pâte soit levée [245] ». Quelle est cette femme, sinon la chair du Seigneur ? Quel est ce levain, sinon l’Évangile ? Quelles sont ces trois mesures, sinon toutes les nations à cause des trois fils de Noé ? Donc, « les six urnes renfermant deux ou trois mesures », sont les six âges du monde, et ces âges ont chacun leur prophétie particulière concernant toutes les nations ; qu’on les partage en deux catégories, les Juifs et les Grecs, comme les appelle souvent l’Apôtre[246], ou en trois, à cause des trois fils de Noé, peu importe. Cette prophétie en figure s’étendait à toutes les nations, et c’est même parce qu’elle devait s’étendre à elles toutes que cette prophétie est appelée une mesure. Ainsi l’Apôtre a dit : « Nous avons reçu la mesure de nous étendre jusqu’à vous[247] » Annoncer l’Évangile aux Gentils, c’est là ce qu’il appelle : « la mesure de s’étendre jusqu’à vous ».

DIXIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile « APRÈS QUOI IL DESCENDIT À CAPHARNAÜM, AINSI QUE SA MÈRE », JUSQU’A : « OR, IL DISAIT CELA DU TEMPLE DE SON CORPS ». (Chap. 2,12-21.)

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LE TEMPLE DE DIEU.

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Jésus vint à Capharnaüm avec sa mère, ses frères, c’est-à-dire ses parents charnels ; puis il monta à Jérusalem. Arrivé au temple, il en chassa les vendeurs avec un fouet fait de cordes. Ce fouet était une image de nos péchés, qui nous précipitent dans les ténèbres extérieures ; les vendeurs de brebis et de colombes représentaient ceux qui cherchent leur profit temporel dans la dispensation des dons du Saint-Esprit ; les vendeurs de bœufs figuraient ceux qui altèrent les oracles des Prophètes et des Apôtres pour s’attirer mie gloire humaine ; à l’exemple de Jésus nous devons être animés, même dans nos maisons, du zèle des intérêts de Dieu. Les Juifs lui demandèrent une preuve du pouvoir en vertu duquel il agissait ainsi, et il répondit : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ». Il s’agissait de son corps.
1. Vous venez d’entendre dans le psaume les gémissements de ce pauvre dont, jusqu’à ta fin des siècles, les membres souffrent persécution par toute la terre. Faites donc tous vos efforts, mes frères, pour être avec ces membres et du nombre de ces membres ; car toute persécution passera. « Malheur à ceux qui se réjouissent », dit la Vérité [248] ; « bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés [249] ». Dieu s’est fait homme ; que deviendra l’homme en faveur de qui Dieu s’est incarné ? Que cette espérance nous console dans toutes les tribulations et les épreuves de cette vie. Notre ennemi ne cesse de nous persécuter, et quand il ne sévit pas à découvert, il nous tend secrètement des embûches. Que fait-il en effet ? « A leur fureur ils ajoutaient la ruse[250] ». C’est pourquoi il est appelé lion et dragon. Mais qu’est-ce qui est dit à Jésus-Christ ? « Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon [251] ». Il est lion, à cause de sa vigueur qui agit à découvert ; il est dragon, à cause de ses embûches cachées. Dragon, il a chassé Adam du paradis terrestre ; lion, il a persécuté l’Église, selon cette parole de Pierre : « Car le diable votre ennemi tourne comme un lion rugissant qui cherche quelqu’un à dévorer [252] ». Ne pense pas que le diable ait rien perdu de sa fureur, quand il flatte ; c’est alors qu’il est plus à craindre. Mais que faire au milieu de ces tentations et de ces embûches ? Ce que nous recommande le Psalmiste : « Pour moi, quand mes ennemis m’étaient à charge, je me revêtais du cilice et j’humiliais mon âme par le jeûne ». Il a quelqu’un pour t’exaucer ; prie avec confiance ; Celui qui t’exauce demeure en toi. Ne dirige pas tes regards vers les montagnes, ne lève pas les yeux vers la lune, le soleil ou les étoiles ; ne pense pas qu’il t’exauce de préférence, quand tu vas sur la mer pour le prier ; au contraire, aie de telles prières en horreur. Purifie seulement la chambre de ton cœur, et, n’importe où tu sois, n’importe où tu lui adresses tes prières, celui qui peut t’exaucer au dedans de toi, dans cette retraite intérieure que le Psalmiste appelle son sein, lorsqu’il dit : « Ma prière retournera dans mon sein » ; celui qui t’exauce n’est pas hors de toi ; ne va pas au loin, ne t’élèveras comme pour l’atteindre avec la main. Bien plus, si tu t’élèves, tu tomberas ; mais si tu t’abaisses, il s’approchera de toi. C’est le Seigneur notre Dieu, le Verbe de Dieu, le Verbe fait chair, le Fils du Père, le Fils de Dieu, le Fils de l’homme ; il est grand pour nous élever ; il s’est humilié pour nous racheter ; il a vécu au milieu des hommes, il a souffert ce que souffre l’homme, et caché ses grandeurs divines.
2. « Il descendit », comme dit l’Évangile, « à Capharnaüm, ainsi que sa mère, ses frères et ses disciples, et ils y demeurèrent peu de jours ». Jésus-Christ a donc une mère, des frères et des disciples ; il a des frères par la même raison qu’il a une mère. Nos livres saints ont l’habitude d’appeler du nom de frères les enfants d’un même père et d’une même mère, ou d’une même mère, ou d’un même père, quoique d’une mère différente, et les cousins germains, enfants à degré égal, de deux frères ou de deux sœurs ; mais ils ne sont pas seuls à être appelés frères par l’Écriture. Comme elle parle, il faut la comprendre. Elle a sa manière de parler ; quiconque ne la saisit pas) se trouble et dit Comment ? Jésus-Christ a eu des frères ? Marie a-t-elle mis au monde d’autres enfants ? Non : c’est de là qu’est venue la dignité des vierges. Marie a pu être mère, elle n’a pu être femme. Si on lui a donné ce nom, c’est en raison de son sexe, et non à cause de la perte de son intégrité virginale. On le lui a donné d’après la manière de s’exprimer propre à l’Écriture même. Vous le savez, Adam n’a pas connu Eve aussitôt après qu’elle a été formée d’une de ses côtes, et pourtant elle a porté le nom de femme, immédiatement après sa création ; « et de cette côte il forma une femme [253] ». Quels étaient donc ces frères du Seigneur ? C’étaient les parents de Marie, n’importe à quel degré. Comment le prouvons-nous ? Par l’Écriture. Loth a été appelé frère d’Abraham[254] ; or, il était le fils de son frère. Lis l’Écriture, et tu verras qu’Abraham était l’oncle paternel de Loth [255] ; cependant ils ont été appelés frères. Pour quelle raison, si ce n’est à cause de leur parenté. De même Jacob avait pour oncle maternel Laban, le Syrien ; en effet, Laban était frère de la mère de Jacob, c’est-à-dire de Rébecca, femme d’Isaac[256]. Lis l’Écriture, et tu verras que l’oncle et le fils de sa sœur sont appelés frères [257]. Cette règle établie, tu comprendras que tous les parents de Marie étaient les frères de Jésus-Christ.
3. Mais ses disciples pouvaient plus justement encore être appelés ses frères. En effet, ses parents n’auraient pas été ses frères, s’ils n’avaient été ses disciples, ou ce titre de frère ne leur aurait servi de rien, si dans leur frère ils n’avaient reconnu leur maître. Aussi, un jour qu’il s’entretenait avec ses disciples, on vint à l’endroit où il se trouvait, pour lui annoncer que sa mère et ses frères l’attendaient dehors ; « ma mère », dit-il, « et qui sont mes frères ? Puis étendant la main sur ses disciples : Voici mes frères. Et quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est ma mère, mon frère et ma sœur [258] ». Ainsi Marie elle-même a été sa mère, parce qu’elle a fait la volonté du Père. Ce que le Seigneur a loué en elle, c’est d’avoir fait la volonté du Père, et non pas de l’avoir enfanté selon la chair. Que votre charité soit attentive. Le Sauveur excitait un jour l’admiration de la multitude par les merveilles et les prodiges qu’il opérait, par les preuves qu’il donnait de sa divinité cachée sous les apparences d’un homme. Aussi certaines âmes émerveillées s’écrièrent-elles : « Heureux le sein qui vous a porté ». « Bien plus heureux », reprit-il, « ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique [259] ». C’était dire : Ma Mère elle-même, que vous appelez bienheureuse, l’est en raison de la fidélité avec laquelle elle garde la parole de Dieu, et non parce que le Verbe s’est fait chair en elle, pour habiter parmi nous [260]. Elle est heureuse parce qu’elle garde cette Parole de Dieu par qui elle a été faite et qui s’est faite chair en elle. Que les hommes ne se réjouissent donc pas de la fécondité de leur union temporelle, qu’ils se réjouissent si leur âme est unie à Dieu. Nous avons ainsi parlé à cause de ce passage de l’Évangile où il est dit que Jésus habita peu de temps à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples.
4. Que dit ensuite l’Évangéliste ? « La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem ». L’Évangéliste passe à un autre récit, selon que sa mémoire le lui fournit. « Et ayant trouvé dans le temple des gens qui vendaient des bœufs, des brebis et des colombes et des changeurs assis, il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du temple, ainsi que les moutons et les bœufs ; il répandit par terre l’argent des changeurs et renversa leurs tables, et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Ôtez tout cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic ». Que venons-nous d’entendre, mes frères ? Ce temple n’était qu’une figure, et cependant le Seigneur en chasse tous ceux qui n’y venaient que pour leurs intérêts, qui s’y rendaient comme à un marché. Cependant, qu’y vendaient-ils ? Ce dont les hommes avaient besoin pour les sacrifices de ce temps-là. Car votre charité ne l’ignore pas ; afin d’empêcher les Juifs de se laisser entraîner au culte des idoles, Dieu leur avait ordonné des sacrifices proportionnés à la grossièreté de leur esprit et à la dureté de leur cœur ; aussi immolaient-ils dans le temple des bœufs, des brebis et des colombes ; vous le savez, pour l’avoir lu. Ce n’était donc pas un grand mal de la part de ces marchands de vendre dans le temple ce qu’on leur achetait pour l’offrir ensuite dans le temple ; et cependant, Jésus-Christ les en chasse. Que ferait-il donc s’il trouvait ici des ivrognes ? Que ferait-il ? Ceux qui vendaient des choses permises par la loi, sans enfreindre les règles de la justice (car ce qu’on achète sans blesser l’honnêteté, se vend licitement), le Sauveur n’a pas hésité à les exclure du temple ; il n’a pas souffert que la maison de la prière devînt une maison de commerce. Si la maison de Dieu ne doit pas devenir une maison de négoce, doit-elle devenir une maison de débauche ? Quand nous parlons de la sorte, les coupables grincent des dents contre nous ; mais nous trouvons notre consolation dans les paroles du psaume que vous venez d’entendre : « Ils ont grincé des dents contre moi ». Nous savons aussi, par ce que nous entendons, nous guérir de leurs coups, bien qu’à vrai dire leurs fouets retombent sur Jésus-Christ ; car c’est sa parole qui est flagellée : « Leurs traits se sont réunis contre moi, et ils ne l’ont pas su ». Jésus-Christ a été flagellé par les fouets des Juifs, il est flagellé aujourd’hui par les blasphèmes des mauvais chrétiens ; ils multiplient les coups de fouet contre leur Seigneur, et ils ne le savent point. Faisons, nous autres, avec le secours de sa grâce, ce qui est marqué au même psaume : « Pour moi, lorsqu’ils m’étaient à charge, je me revêtais d’un cilice et j’humiliais mon âme dans le jeûne [261] ».
5. Disons-le pourtant, mes frères, Jésus-Christ n’a pas épargné les Juifs, et celui qui devait être flagellé par eux les a flagellés le premier. Et ce n’est pas sans vouloir nous signaler un mystère que, pour flageller ces indisciplinés qui faisaient du temple de Dieu une maison de commerce, il a composé un fouet avec de petites cordes. En effet, tout pécheur se fait à lui-même une corde de ses péchés. « Malheur », dit le Prophète, « à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde[262] ». Quel est l’homme qui fait de ses péchés une longue corde ? C’est celui qui ajoute péché à péché. Comment ajoute-t-on péché à péché ? En recouvrant sous d’autres péchés les péchés déjà commis. Quelqu’un a volé : pour que son vol ne soit pas découvert, il s’adresse à un magicien. C’était assez d’avoir volé, pourquoi vouloir ajouter péché à péché ? En voilà deux. Lorsque ton évêque te détend d’avoir recours à un magicien, tu blasphèmes contre lui, voilà trois péchés. Lorsque tu l’entends dire : Mettez-le hors de l’Église, tu dis : Je vais m’engager dans le parti de Donat ; voilà un quatrième péché ajouté aux trois autres. La corde s’agrandit, prends-y garde. Lorsqu’elle sert ici-bas à te flageller, il est bon que tu te corriges, dans la crainte d’entendre, à la fin des siècles, ces paroles « Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures ». « Car chacun est lié par la corde de ses péchés [263] ». La première de ces sentences est tirée de l’Évangile ; la seconde, d’un autre endroit de l’Écriture ; mais c’est le Seigneur qui les a prononcées toutes les deux : Les hommes sont liés par leurs péchés, et ils sont jetés dans les ténèbres extérieures.
6. Maintenant, quels sont ceux qui vendent les bœufs ? Cette action est comme une figure dont il nous faut chercher le sens mystérieux. Quels sont ceux qui vendent des brebis et des colombes ? Ce sont ceux qui recherchent leurs intérêts au lieu de rechercher ceux de Jésus-Christ[264]. Ceux-là sont prêts à tout vendre, qui ne souffrent pas qu’on les rachète ; ils ne veulent pas être achetés, et ils veulent vendre. Il leur serait pourtant bon d’être rachetés par le sang du Sauveur, car ils pourraient, par là, parvenir à la paix qui vient de lui. À quoi sert, en effet, de se procurer en ce monde quelque avantage passager et temporel, l’argent, le plaisir du gosier et du ventre, la gloire qui résulte des louanges humaines ? Qu’est-ce que tout cela ? Du vent et de la fumée : autant de choses qui passent et s’en vont avec la rapidité de l’éclair. Malheur à ceux qui s’attachent aux choses passagères, parce qu’ils passeront avec elles ! Qu’est-ce que tout cela ? Un torrent impétueux qui se précipite dans la mer. Malheur à ceux qui y tombent, parce qu’il les entraînera avec lui dans l’abîme ! Nous devons donc éloigner nos affections de pareils objets. Mes frères, ceux qui cherchent à se procurer ces sortes de biens sont des vendeurs. Simon le Magicien voulait acheter le Saint-Esprit [265] pour avoir ensuite à le vendre ; il pensait que les Apôtres étaient des marchands semblables à ceux que le Seigneur chassa du temple avec un fouet. Car tel il était pour son propre compte, et il voulait acheter pour revendre. Cet homme était du nombre des vendeurs de colombes. En effet, le Saint-Esprit est apparu sous forme de colombe [266]. Quels sont ceux qui vendent des colombes, mes frères, sinon ceux qui disent : Nous donnons le Saint-Esprit ? Qui est-ce qui les fait parier ainsi, et quel est le prix de ce trafic ? C’est l’honneur qu’ils en retirent. Ils reçoivent pour prix de hautes places, et par là ils ont l’air de vendre des colombes. Qu’ils prennent garde au fouet de cordes. La colombe ne se vend pas, elle se donne gratuitement, parce qu’elle est appelée grâce. Aussi, mes frères, comme les marchands étaient aux yeux de tout venant leur marchandise, ainsi chacun des hérétiques vante ce qu’il vend. Que d’étalages ils ont établis ! À Carthage, Primien tient une boutique et Maximien en tient une autre ; Rogat en a ouvert une en Mauritanie ; d’autres et d’autres encore, dont la nomenclature serait trop longue, ont placé les leurs en Numidie. Un homme va d’étalage en étalage, pour se procurer une colombe, et chaque trafiquant, assis à son comptoir, fait à ce client l’éloge de sa marchandise. Que celui-ci détourne son cœur loin de ces vendeurs ; qu’il vienne à l’endroit où se donne gratuitement la colombe. Toutefois, mes frères, ces marchands ne rougissent pas du grand nombre de fractions entre lesquelles ils se sont partagés, à la suite d’amers et malicieux dissentiments, en s’attribuant les qualités qu’ils n’ont pas, en se vantant d’être quelque chose, tandis qu’ils ne sont rien [267]. Aussi, parce qu’ils ne veulent pas se corriger, se vérifie parfaitement en eux ce qui est marqué au psaume : « Ils ont été séparés, mais sans être amenés au repentir ».
7. Quels sont donc ceux qui vendent les bœufs ? Sous le nom de bœufs sont compris ceux qui nous dispensent ! es Écritures. Par eux sont désignés les Apôtres et les Prophètes. C’est ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Tu ne lieras pas la bouche au bœuf qui foule le grain. Dieu se met-il en peine des bœufs ? Ou plutôt, ne parle-t-il pas pour nous ? Sans doute, il parle pour nous afin de nous montrer que celui qui laboure doit labourer avec espérance d’en profiter, et celui qui bat le grain, avec l’espérance d’y avoir sa part [268] ». Ces bœufs nous ont donc laissé le mémorial des Écritures. Ils ne nous les ont pas dispensées comme leur bien propre, parce qu’ils ont cherché la gloire de Dieu. En effet, que dit le Psalmiste ? « Qu’ils disent toujours : Glorifié soit le Seigneur, ceux qui aiment la paix de son serviteur [269] ». Voilà le serviteur de Dieu, voilà son peuple, voilà son Église. Ceux qui aiment la paix de l’Église, qu’ils glorifient le Seigneur, et non pas son serviteur ; « et qu’ils disent toujours : Glorifié soit le Seigneur ! Qui sont ceux qui parlent ainsi ? Ceux qui aiment la paix de son serviteur ». Évidemment, c’est la voix du peuple lui-même ; c’est la voix même du serviteur, que vous avez entendue dans les chants si tristes du Psalmiste ; vous avez entendu avec, émotion la voix de ce peuple, parce que vous en faites partie. Aussi ces chants d’un seul homme partaient du cœur de tous. Heureux ceux qui se reconnaissaient dans cette voix, comme dans un miroir ! Quels sont ceux qui aiment la paix de son serviteur, la paix de son peuple, la paix de celle qu’il appelle son unique et qu’il désire voir arrachée de la gueule du lion, lorsqu’il dit : « Arrachez mon unique de la gueule du chien [270] ? » Ce sont ceux qui disent toujours : « Glorifié soit le Seigneur ! » Ces bœufs ne se sont donc pas glorifiés eux-mêmes, c’est le Seigneur qu’ils ont glorifié. Voyez un bœuf qui glorifie son Seigneur, parce que ce bœuf a connu son maître [271]. Considérez un bœuf qui craint que le maître soit abandonné et qu’on mette en lui sa confiance, comme il redoute ceux qui seraient tentés de placer en lui leur espérance ! « Paul a-t-il été crucifié pour vous Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés [272] ? » Ce que j’ai donné, ce n’est pas moi qui l’ai donné, vous l’avez reçu gratuitement ; la colombe est descendue du ciel pour vous l’apporter. « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l’accroissement. Ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne l’accroissement, Dieu [273] ». «  Qu’ils disent donc toujours : Glorifié soit le Seigneur, ceux qui aiment la paix de son serviteur ».
8. Les hérétiques se servent des Écritures mêmes pour tromper les peuples, pour en recevoir des honneurs et des louanges, au lieu de chercher à ramener les hommes à la vérité. Et comme ils se servent des Écritures pour tromper les peuples et en obtenir des honneurs, ils vendent les bœufs, ils vendent aussi les brebis, c’est-à-dire les peuples eux-mêmes. Et à qui les vendent-ils, si ce n’est au diable ? Car, mes frères, s’il n’y a qu’une Église du Christ, elle doit être une ; tout ce qui s’en détache, se trouve emporté, et par qui ? Par le lion rugissant, qui tourne et cherche quelqu’un à dévorer [274]. Malheur à ceux qui se détachent de l’Église ; pour elle, elle demeure dans son entier ; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui [275]. Cependant, autant que cela dépend d’eux, ces trafiquants vendent les bœufs, les brebis et aussi les colombes : qu’ils prennent garde au fouet formé par leurs péchés. S’il leur arrive d’être frappés, en punition de leurs iniquités, puissent-ils reconnaître dans leurs péchés les cordes dont Dieu a fait un fouet pour les flageller ! Puissent-ils reconnaître qu’il les avertit de se convertir et de renoncer à leur trafic ! Car s’ils ne se convertissent pas, ils entendront à leur mort cet arrêt : « Liez-leur les pieds et les mains, et jetez-les dans les ténèbres extérieures ».
9. « Alors les disciples se souvinrent qu’il était écrit : Le zèle de votre maison m’a dévoré ». C’est, en effet, par le zèle de la maison de Dieu que le Seigneur chassa du temple ces vendeurs. Mes frères, que chaque chrétien, puisqu’il est membre du Christ, soit dévoré du zèle de la maison de Dieu. Qui est-ce qui est dévoré du zèle de la maison de Dieu ? Celui qui, voyant ici-bas quelque dérèglement, s’efforce de le corriger, désire l’amendement des pécheurs et ne prend aucun repos, tant qu’ils ne sont pas convertis ; et s’il ne peut parvenir à les rendre meilleurs, il les supporte en gémissant. Car le bon grain n’est pas jeté hors de l’aire, il y endure le voisinage de la paille, et plus tard, quand on l’a séparé d’avec elle, il entre dans le grenier. Pour toi, si tu es un bon grain, ne désire pas, avant le moment d’être enfermé au grenier, être jeté hors de l’aire ; car les oiseaux te mangeraient, et l’on n’aurait pas le temps de te mettre au grenier. Les puissances aériennes sont comme les oiseaux du ciel, elles épient l’heure propice où elles pourront enlever le grain ; mais elles ne le peuvent que s’il est battu hors de l’aire. Que le zèle de la maison de Dieu te dévore donc ; que le zèle de la maison de Dieu, dont il est membre, dévore chaque chrétien ; car aucune maison n’est plus véritablement tienne que celle où lu as le salut éternel. Tu entres dans ta maison pour y trouver le repos du temps, tu entres dans la maison de Dieu pour y trouver le repos de l’éternité. Si tu fais en sorte qu’aucun désordre n’ait lieu dans ta maison ; dans la maison de Dieu où l’on te propose le salut et un repos éternel, supporteras-tu, autant du moins que cela dépendra de toi, qu’il s’y passe quelque désordre sous tes yeux ? Par exemple, tu vois ton frère courir au théâtre ; si le zèle de la maison de Dieu te dévore, empêche-le, avertis-le, montre-toi affligé. En vois-tu d’autres courir pour aller s’enivrer, et prêts à faire dans l’Église ce qui n’est permis nulle part ; empêche ce que tu peux, arrête ceux que tu peux arrêter, effraie ceux que tu peux effrayer, retiens par des caresses ceux que tu peux retenir ; au moins, ne consens jamais à demeurer tranquille. Est-ce un ami ? avertis-le avec douceur. Est-ce ta femme ? réprime ses écarts avec la dernière sévérité. Est-ce ta servante ? ne crains pas de l’arrêter, même par des châtiments. Fais tout ce que tu peux, eu égard à la qualité des personnes, et tu justifieras pleinement cette parole : « Le zèle de votre maison m’a dévoré ». Que si, au contraire, tu demeures froid, indifférent, attentif à toi seul, satisfait comme s’il ne s’agissait que de toi et comme te suffisant à toi-même, te disant Ai-je besoin de m’inquiéter des péchés d’autrui ? mon âme me suffit ; c’est assez pour moi de la conserver entière pour Dieu, je te dirai : C’est très-bien, mais ne te souvient-il plus de ce serviteur qui cacha son talent et refusa de le faire valoir ? De quoi fut-il accusé ? De l’avoir perdu ? Non ; mais de l’avoir conservé sans en tirer profit [276]. Apprenez donc par cet exemple, mes frères, à n’être pas les indolents témoins du péché de vos frères. Je vais vous donner un conseil, ou plutôt, celui qui habite en vos cœurs vous le donnera ; car, bien qu’il se serve de mon intermédiaire, c’est lui-même qui vous parle. Vous savez ce que chacun de vous peut faire dans sa famille, avec son ami, son compatriote, son client, avec celui qui est au-dessus de lui et avec celui qui se trouve au-dessous : en quelque façon que Dieu vous donne entrée dans leur âme, en quelque façon qu’il en ouvre la porte à vos paroles, ne perdez pas une seule occasion de les gagner à Jésus-Christ, parce qu’il vous a lui-même gagnés.
10. « Les Juifs lui dirent : Quel signe nous « montrez-vous qui vous autorise à faire ces choses ? » Et le Seigneur : « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. Les Juifs lui dirent donc : On a mis quarante-six ans à le bâtir, et vous vous dites : je le relèverai en trois jours ? » Ils étaient chair et comprenaient but dans un sens charnel, et Jésus-Christ leur parlait dans un sens spirituel. Lequel d’entre eux aurait pu comprendre de quel temple il parlait ? Pour nous, nous n’avons nul besoin de chercher longtemps ce qu’il voulait dire ; il nous l’a fait connaître par son Évangéliste, il nous a dit de quel temple il voulait parler. « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. On a mis quarante-six ans à le bâtir, et vous le relèverez en trois jours ? Mais, ajoute l’Évangéliste, il parlait du temple de son corps ». C’est un fait avéré : Le Sauveur a été mis à mort et est ressuscité trois jours après. Cette vérité est aujourd’hui connue de nous tous ; si elle est impénétrable pour les Juifs, c’est qu’ils se tiennent hors de l’Église ; nous en avons la claire vue, parce que nous savons en qui nous croyons. Bientôt nous célébrerons la solennité anniversaire de la destruction et de la réédification de ce temple ; nous exhortons ceux d’entre vous qui seraient encore catéchumènes à s’y préparer, afin de recevoir la grâce. Voici le moment favorable pour engendrer ce qui doit naître alors. Cette vérité, nous la connaissons donc.
11. Mais peut-être voulez-vous apprendre de notre bouche si les quarante-six années employées à bâtir le temple n’indiquent pas quelque mystère. Assurément il y aurait beaucoup à dire à ce sujet : quoi qu’il en soit, nous vous dirons ce qui n’exige pas de longs développements et ce que vous pouvez facilement comprendre. Si je ne me trompe, mes frères, nous vous l’avons dit hier, Adam a été un simple homme ; et néanmoins il était le genre humain tout entier. Voilà, s’il vous en souvient, ce que nous avons dit[277]. Cet homme unique s’est comme fractionné dans les autres hommes ; mais en dépit de cette dispersion de 1ui¨-même, il est recueilli pour ainsi dire et comme réuni de nouveau en un seul par le lien de la société et de la concorde des esprits. Ce pauvre unique, cet Adam gémit, mais il se renouvelle en Jésus-Christ ; car ce nouvel Adam est venu sans le péché, afin de détruire en sa chair le péché du vieil Adam et de refaire en sa personne un Adam qui fût l’image de Dieu ; le corps de Jésus-Christ vient donc d’Adam : c’est d’Adam qu’a été formé ce temple détruit par les Juifs et relevé par Dieu après trois jours ; car il a ressuscité sa chair. C’est la preuve qu’il était Dieu, égal à son Père. Mes frères, l’Apôtre a dit : « C’est Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts ». De qui parle-t-il ? Du Père. « Jésus-Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort de la croix ; c’est pourquoi Dieu l’a tiré d’entre les morts et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom [278] ». Le Seigneur est donc sorti vivant d’entre les morts, et il a été exalté. Par qui ? Parle Père à qui il dit dans un psaume : « Rétablissez-moi, et je les punirai [279] ». Donc c’est le Père qui l’a ressuscité. Le Fils ne s’est donc pas ressuscité lui-même ? Mais que fait le Père sans son Verbe ? Que fait le Père indépendamment de son Fils unique ? Écoute : voici la preuve de la divinité du Fils : « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours ». A-t-il dit : détruisez ce temple, et mon Père le rétablira en trois jours ? Non ; mais comme, lorsque le Père ressuscite un mort, le Fils ressuscite avec lui ; ainsi, lorsque le Fils ressuscite un mort, le Père le ressuscite aussi, parce que le Fils a dit : « Mon Père et moi nous sommes un [280] ».
12. Cependant, que signifie ce nombre de quarante-six ? Nous avons montré hier qu’Adam se trouve dans toutes les parties du monde ; les lettres initiales de quatre mots grecs nous ont servi à le faire. Si, en effet, tu unis l’un sous l’autre les quatre noms des quatre parties dont le monde se compose, c’est-à-dire l’Orient, l’Occident, le Nord et le Midi, ce qui a fait dire au Seigneur que lorsqu’il viendra juger, il rassemblera ses élus des quatre vents [281] si donc tu écris ces quatre noms, l’Orient, anatole, l’Occident, dysis,le Nord, arctos, le Midi, mesembria, les premières lettres de ces quatre mots, anatole, dysis, arctos, mesembria, te donneront le nom d’Adam. Mais comment y trouvons-nous aussi le nombre quarante-six ? En ce que le corps de Jésus-Christ venait d’Adam. Chez les Grecs, les lettres servent de chiffres. Notre lettre a, s’écrit dans leur langue, alpha, et s’appelle alpha, un. Si, pour compter un nombre, ils emploient le bêta, qui est leur b, cette lettre représente le chiffre deux ; gamma, trois ; delta, quatre, et ainsi de suite pour toutes les autres lettres. Ce que nous appelons, ils l’appellent my, et cette lettre, dans les nombres, équivaut à quarante, en grec, tessarkonta. Voyez maintenant quel nombre forment les lettres qui composent le nom d’Adam, et vous trouverez les quarante-six années employées à la construction du temple. Le mot Adam se compose d’un alpha, un ; d’un delta, quatre ; ce qui signifie déjà cinq ; puis d’un autre alpha, un ; ce qui fait six ; il y a enfin un my, quarante ; en tout quarante-six. Mes frères, nos anciens pères ont dit tout cela avant nous et ils ont trouvé dans ces quatre lettres le nombre quarante-six. Et parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a reçu son corps d’Adam, sans en recevoir le péché, il y a pris le temple de son corps sans y prendre l’iniquité qui devait être chassée du temple. Cette chair qu’il a reçue d’Adam (Marie, en effet, descendait d’Adam, et la chair du Seigneur était de Marie), les Juifs l’ont crucifiée. Mais il devait ressusciter après trois jours, ce corps que les Juifs devaient faire mourir sur la croix. Ils ont détruit le temple bâti en quarante-six ans, et lui l’a ressuscité en trois jours.


13. Nous bénissons le Seigneur notre Dieu de nous avoir rassemblés pour nous remplir d’une joie toute spirituelle. Demeurons toujours humbles de cœur, et que notre joie soit en Dieu. Ne nous laissons pas enorgueillir par les prospérités du siècle, mais sachons qu’il n’y aura pour nous de bonheur qu’au moment où seront évanouies toutes les choses du temps. Mes frères, que notre joie ici-bas soit en espérance ; que personne ne la mette dans le présent, de peur de demeurer en chemin. Que l’espérance soit donc la source de toutes nos joies ; que tous nos désirs aient pour objet la vie éternelle. Que tous nos soupirs s’élèvent vers Jésus-Christ : il est l’unique beauté ; il a aimé ceux mêmes que déparait la laideur, afin de les rendre beaux ; souhaitons donc de lui être unis ; dirigeons vers lui seul notre course et nos gémissements, et que ceux-là « disent toujours : Loué soit le Seigneur, qui aiment la paix de son serviteur ».

ONZIÈME TRAITÉ

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(Prêché un peu avant Pâques, d’après le n° 1, et un dimanche, d’après le traité suivant n° 1.)

DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT : « PENDANT QUE JÉSUS ÉTAIT À JÉRUSALEM, À LA FÊTE DE PÂQUES, PLUSIEURS CRURENT EN LUI », JUSQU’À « SI QUELQU’UN NE RENAÎT DE L’EAU ET DU SAINT-ESPRIT, IL NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU ». (Chap. 2, 23-25 ; 3, 1-5).

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LA SECONDE NAISSANCE.

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Beaucoup croyaient au Christ, mais il ne se fiait pas à eux ; ils croyaient en lui à cause de ses miracles. De ce nombre fut Nicodème, fidèle image des catéchumènes Cet homme vint de nuit à Jésus pour être éclairé. Il avait encore des pensées charnelles ; c’est pourquoi il ne jugeait point sainement des choses spirituelles et ne comprenait pas qu’il pût y avoir une seconde naissance puisée en Dieu et dans l’Église. Comme la naissance corporelle, la naissance spirituelle est unique. Ainsi, parmi les enfants d’Abraham d’Isaac et de Jacob, il s’en est trouvé pour recevoir la vie d’une esclave, et qui ont néanmoins hérité de leur père ; d’autres étaient nés d’une mère libre et n’ont eu aucune part à l’héritage paternel. De même, parmi les enfants de l’hérésie plusieurs seront sauvés, et parmi ceux de l’Église catholique plusieurs seront condamnés L’hérétique et le catholique doivent donc, pour parvenir au salut, non pas lutter avec celui qui a reçu le baptême catholique et qui vit spirituellement, comme Israël luttait avec Isaac, et Esaü avec Jacob ; mais se rapprocher de lui par la soumission et s’unir à lui par les liens de la charité.


1. Le Seigneur nous a ménagé l’heureuse occasion de lire aujourd’hui ce passage, tout en suivant l’ordre que nous nous sommes tracé ; car votre charité doit l’avoir remarqué, nous avons entrepris de méditer et de traiter, par ordre, toutes les parties de l’Évangile selon saint Jean. C’est donc une favorable coïncidence que vous ayez entendu lire aujourd’hui ces paroles de l’Évangile : « Si un homme ne renaît de l’eau et de l’esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». Le moment est en effet venu de vous exhorter, vous qui êtes encore catéchumènes et qui, malgré votre foi en Jésus-Christ, portez cependant encore le poids de vos péchés. Or, aucun homme chargé de ses péchés ne verra le royaume de Dieu ; aucun homme, si ce n’est celui à qui ils auront été remis, ne régnera avec le Christ ; et ils ne peuvent être remis qu’à celui qui renaît de l’eau et de l’Esprit. Mais examinons attentivement la teneur de ces paroles, afin que ceux qui sont négligents à se débarrasser du fardeau de leurs fautes, apprennent avec quel empressement ils doivent le faire. Ah ! s’ils portaient quelque lourd fardeau, comme du bois, des pierres, fût-ce même quelque objet de valeur, comme du blé, du vin ou de l’argent, combien ils auraient hâte de s’en défaire ! Ils portent le fardeau de leurs péchés, et ils ne montrent aucun empressement à s’en décharger. Il n’y a pas de temps à perdre, il leur faut s’alléger au plus vite, ce fardeau les écrase et les enfonce dans l’abîme.
2. Vous venez de l’entendre : Pendant que Jésus-Christ Notre-Seigneur « était à Jérusalem à la fête de Pâques, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu’il faisait ». « Beaucoup crurent en son nom ». Que lisons-nous ensuite ? « Cependant Jésus ne se fiait pas à eux ». Que signifie ce langage ? Ils croyaient en son nom et « Jésus ne se fiait pas à eux ? » Est-ce que par hasard ils ne croyaient pas en lui, tout en feignant d’y croire ? Était-ce à cause de cela que Jésus ne se fiait pas à eux ? Mais l’Évangéliste ne dirait pas : « Plusieurs crurent en son nom », s’il n’avait dessein de témoigner que leur foi était véritable. Voilà une mystérieuse chose, une chose vraiment singulière : il y a des hommes qui croient en Jésus-Christ, et Jésus ne se fie pas à eux. C’est précisément parce que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qu’il a volontairement souffert ; s’il n’y avait pas consenti, il n’aurait pas souffert, de même que, s’il l’eût voulu, il ne serait pas né ; il aurait pu vouloir naître, mais sans vouloir mourir ; et tout se serait accompli selon sa volonté, par cette raison qu’il est le Fils tout-puissant d’un Père tout-puissant. Prouvons-le par des exemples. Lorsque les Juifs voulurent s’emparer de lui, il leur échappa. C’est l’Évangile qui le dit : « Et comme ils voulurent le précipiter du haut de la montagne, il échappa de leur main sans avoir reçu aucun mal[282] ». Après que le traître Judas le leur eut vendu, croyant bien qu’il était en son pouvoir de livrer son maître et son Seigneur, ils se saisirent de sa personne : à ce moment-là même le Sauveur leur fit voir que, s’il souffrait, c’était volontairement, et non par nécessité. En effet, comme les Juifs s’apprêtaient à le saisir, « il leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent Jésus de Nazareth. C’est moi », leur dit-il. « A cette parole ils reculèrent et tombèrent par terre[283] ». Dès lors qu’il les renversait par terre rien qu’en leur répondant, il montrait sa puissance, et il faisait voir d’avance que quand ils s’empareraient de lui, ce serait par un libre effet de sa volonté. S’il a souffert, sa miséricorde en a donc été la cause. En effet, il a été livré pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification[284]. Écoute ce qu’il dit lui-même : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre : personne ne me l’ôte ; mais je la donne moi-même, afin de la reprendre [285] ». Puisqu’il avait ce pouvoir, puisqu’il se l’attribuait dans ses discours et le prouvait par ses œuvres, pourquoi ne se fiait-il pas à eux ? Pouvaient-ils lui nuire ou lui faire du mal en dépit de sa volonté ? Pourquoi ne se fiait-il pas à eux, puisqu’ils croyaient en lui ? Ceux dont l’Évangéliste a dit : « Plusieurs crurent en son nom », sont les mêmes dont il est dit : « Mais Jésus ne se fiait pas à eux ». Pourquoi ? « Parce qu’il les connaissait tous et qu’il « n’était pas besoin que personne lui rendît témoignage de l’homme, sachant bien lui-même ce qui était dans l’homme ». Comme architecte il savait mieux ce qu’il en était de son œuvre, que l’œuvre elle-même ne savait ce qui était en elle. Créateur de l’homme, il connaissait dans l’homme ce que l’homme sa créature n’y connaissait pas lui-même. Ne prouvons-nous pas par Pierre qu’il ne connaissait pas ce qui était en lui lorsqu’il disait : « Avec vous jusqu’à la mort ? » Écoute, voici la preuve que le Seigneur connaissait ce qui était en l’homme : Toi, avec moi, jusqu’à la mort ? « En vérité, en vérité je te le dis, avant que le coq chante tu me renieras trois fois[286] ». L’homme ne savait donc pas ce qui était en lui-même ; mais le Créateur de l’homme savait ce qui était en l’homme. Toujours est-il que plusieurs crurent en son nom, et que Jésus ne se fiait pas à eux. Que dire, mes frères ? La suite nous expliquera peut-être ce qu’il y a de mystérieux dans ces paroles. Que plusieurs aient cru en Jésus-Christ, c’est évident, rien de plus vrai, personne n’en peut douter ;- l’Évangile ledit, l’Évangéliste l’atteste, et son témoignage est véritable ; de même, que Jésus-Christ ne se soit pas fié à eux, la chose est certaine, aucun chrétien n’en doute ; l’Évangile le dit aussi et le même Évangéliste l’affirme. Comment donc plusieurs ont-ils cru en son nom, et comment ne s’est-il pas fié à eux ? Voyons la suite.

3. « Il y avait parmi les Pharisiens un homme, nommé Nicodème, un des premiers Juifs. Il vint de nuit vers Jésus et lui dit : « Rabbi » (Rabbi, vous le savez, veut dire Maître), « nous savons que vous êtes un maître venu de Dieu, car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». Ainsi ce Nicodème était du notable de ceux qui croyaient en son nom, en raison des prodiges et des merveilles qu’il opérait. C’est, en effet, ce que l’Évangile marque plus haut : « Comme il était à Jérusalem à Pâques, le jour de la fête, plusieurs crurent en son nom. ». Pourquoi crurent-ils ? Il le marque ensuite : « Voyant les miracles qu’il opérait ». Et de Nicodème qu’est-il dit ? « Il y avait un des principaux d’entre les Juifs, nommé Nicodème, qui vint la nuit vers Jésus et lui dit : Rabbi, nous savons que vous êtes un maître venu de Dieu ». Celui-là croyait donc en son nom. Pourquoi croyait-il ? Le voici : « Car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». Puisque Nicodème était du nombre de ceux qui avaient cru au nom de Jésus-Christ, cherchons maintenant dans ce même Nicodème le motif pour lequel Jésus-Christ ne se fiait pas a eux. « Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité je vous le dis, si l’homme ne renaît une seconde fois, il ne peut voir le royaume de Dieu ». Jésus se fie donc à ceux qui sont nés une seconde fois. Les autres croyaient en son nom, et cependant Jésus ne se fiait pas à eux. Tels sont les catéchumènes. Ils croient déjà en Jésus-Christ, et cependant Jésus ne se fie pas à eux. Que votre charité y fasse attention, et elle comprendra ce que je veux dire. Si nous demandons à un catéchumène : Crois-tu en Jésus-Christ ? il répond : J’y crois, et il fait sur lui-même le signe de la croix. Il porte la croix de Jésus-Christ sur son front, et jl n’en rougit pas. Voilà donc qu’il croit en son nom. Demandons-lui cependant : Manges-tu la chair du Fils de l’homme et bois-tu son sang ? Il ne sait ce que nous disons, parce que Jésus-Christ ne se fie pas encore à lui.

4. De ce nombre était Nicodème ; aussi vient-il à Notre-Seigneur. Mais il y vient de nuit. Cette circonstance n’est peut-être pas indifférente à notre sujet. Il vint à Notre-Seigneur, et il y vint de nuit ; il vint à la lumière, et il vint au milieu des ténèbres. Quant à ceux qui sont nés de nouveau de l’eau et de l’Esprit, que leur dit l’Apôtre ? « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre-Seigneur ; marchez donc comme des enfants de lumière [287] ». Et encore « Mais nous qui sommes enfants du jour, soyons sobres[288] ». Ceux donc qui sont nés une seconde fois étaient auparavant enfants de la nuit, et ils sont maintenant enfants du jour ; ils étaient ténèbres, et ils sont lumière. C’est pourquoi Jésus se fie déjà à eux ; ils ne viennent pas à lui pendant la nuit, comme Nicodème, ils ne cherchent pas la lumière au milieu des ténèbres. De tels hommes professent hautement leur foi ; aussi Jésus s’approche-t-il d’eux ; il opère en eux le salut, comme il l’a dit lui-même : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». Quant aux catéchumènes, le signe de la croix qu’ils portent sur le front prouve qu’ils font partie de la grande famille. Ils en sont les serviteurs ; puissent-ils en devenir les enfants ! Dès lors qu’ils appartiennent à la grande famille, ils ne sont pas considérés comme rien. Quand le peuple d’Israël mangea-t-il la manne dans le désert ? Après qu’il eut passé la mer Rouge. Que signifie cette mer Rouge ? Écoute l’Apôtre : « Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez comment nos pères ont tous été sous la nuée, et comment tous ont passé la mer ». Et comme si tu lui demandais pourquoi ils ont passé la mer, il ajoute : « Et tous ont été baptisés par Moïse dans la nuée et dans la mer [289] ». Si la mer, qui n’était qu’une figure, a pu opérer un tel effet, que n’opérera pas la réalité du baptême ? Si le passage figuratif d’Israël au travers des eaux de la mer Rouge a conduit ce peuple jusqu’à la manne, qu’est-ce que le Christ donnera à son peuple, quand celui-ci aura effectué le véritable passage et qu’il aura traversé les eaux du baptême ? Par son baptême il fait passer tous ceux qui croient en lui ; il fait disparaître tous leurs péchés comme s’ils étaient des ennemis acharnés à leur poursuite ; il agit à l’égard de ces péchés de la même manière que Dieu a agi à l’égard des Égyptiens dans la fluer Rouge. Où les fait-il passer, mes frères ? Où les fait passer par son baptême, ce Jésus figuré par Moïse, le conducteur des Juifs au travers de la mer Rouge ? Où les fait-il passer ? À la manne. Qu’est-ce que cette manne ? « Je suis », dit-il, « le pain vivant descendu du ciel [290] ». Les fidèles reçoivent la manne ; mais auparavant ils ont traversé la mer Rouge. Pourquoi la mer Rouge ? D’abord, pourquoi la taler ? Ensuite, pourquoi la mer Rouge ? Cette mer Rouge figurait le baptême de Jésus-Christ. D’où vient que le baptême de Jésus-Christ est rouge ? C’est parce qu’il a été consacré par le sang de Jésus-Christ. Où donc Jésus-Christ conduit-il ceux qui croient en lui et qui ont été baptisés ? À la manne. J’ai dit à la manne. Ou sait ce qu’a reçu le peuple juif, le peuple d’Israël on sait ce que Dieu a fait tomber du ciel pour le nourrir ; et les catéchumènes ignorent ce que reçoivent les chrétiens. Qu’ils rougissent donc de leur ignorance, qu’ils passent par la mer Rouge, qu’ils mangent la manne, afin de croire au nom de Jésus, et de voir Jésus se fier à eux en retour.

5. Pour toutes ces raisons, mes frères, considérez ce que répondit à Jésus ce Nicodème qui était venu à lui pendant la nuit. Il était venu vers Jésus ; mais il y était venu pendant la nuit. Aussi lui parle-t-il encore du milieu des ténèbres de sa chair. Il ne comprend pas ce que lui dit le Seigneur, ce que lui dit la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[291]. Déjà le Seigneur lui a dit : « S’il ne renaît de nouveau, nul homme ne verra le royaume de Dieu. Nicodème lui répond : « Comment l’homme peut-il naître de nouveau, quand il est vieux ? » L’Esprit lui parle et il n’a que des idées charnelles, il juge les choses suivant ses idées charnelles, parce qu’il n’a pas encore goûté la chair du Christ. En effet, lorsque le Seigneur Jésus eut dit : « Celui qui n’aura pas mangé la chair du Fils de l’homme et qui n’aura point bu son sang n’aura pas la vie », ceux qui le suivaient furent scandalisés et se dirent les uns aux autres : « Ce discours est dur, qui peut l’entendre ? » Selon eux, Jésus voulait dire qu’on pourrait le couper eu morceaux comme un agneau, le faire cuire et le manger. Un pareil langage leur faisait horreur ; aussi se retirèrent-ils loin de lui et ils ne voulurent plus le suivre dans la suite. Après quoi l’Évangile ajoute : « Le Seigneur resta seul avec les douze. Et ceux-ci lui dirent : Seigneur, voici qu’ils vous ont abandonné. Et Jésus leur dit : Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Par là, il voulait leur montrer qu’il n’avait pas besoin d’eux, mais qu’eux avaient besoin de lui. Que personne ne s’imagine faire peur au Christ, quand on l’invite à se faire chrétien ; comme si en devenant chrétien tu le rendais plus heureux ! C’est un bien pour toi d’être chrétien ; mais si tu ne l’es pas, le Christ n’en souffrira aucun dommage. Écoute le Psalmiste : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens[292]. Vous êtes donc mon Dieu, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens ». Si tu es sans Dieu, tu es plus petit ; si tu es avec Dieu, il n’en est pas plus grand. Pour être avec toi, Dieu n’en est pas plus grand, mais sans lui tu es plus petit. Prends donc en lui de l’accroissement. Ne te soustrais pas à lui, comme s’il devait devenir plus faible par ton éloignement. En t’approchant de lui tu te fortifieras tu t’affaibliras, au contraire, en t’en éloignant. Avec toi il n’acquiert rien ; sans toi, il demeure dans son entier. Aussi lorsqu’il eut dit aux disciples : « Est-ce que vous voulez aussi vous en aller ? » Pierre, cette pierre, lui répondit au nom de tous : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Son Palais avait savouré comme il le fallait la chair du Seigneur. Le Seigneur leur expliqua sa pensée en ces mots : « C’est l’esprit qui vivifie ». En effet, après qu’il eut dit : « Si l’homme ne mange la chair du Fils de l’homme, et s’il ne boit son sang, il n’aura pas la vie en lui », il voulut les empêcher d’entendre ces paroles d’une manière charnelle. Aussi leur dit-il : « C’est l’Esprit qui vivifie ; pour la chair, elle ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie [293] ».
6. Le goût de cet esprit et de cette vie, ce Nicodème venu à Jésus-Christ pendant la nuit ne l’avait pas encore. Jésus lui dit : « Si l’homme ne renaît de nouveau, il ne verra pas le royaume de Dieu ». Imbu d’idées charnelles, et ne savourant pas encore la chair du Christ, il dit : « Comment un homme peut-il naître de nouveau, quand il est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau ? » Cet homme ne connaissait qu’une manière de venir au monde, celle par laquelle on est enfant d’Adam et d’Eve ; il ne connaissait pas encore celle qui nous fait enfants de Dieu et de l’Église ; il ne connaissait que les parents qui engendrent pour la mort, il ne connaissait pas encore ceux qui engendrent pour la vie ; il ne connaissait que les parents qui engendrent des successeurs, il ne connaissait pas encore ceux qui, parce qu’ils vivent toujours, engendrent des co-partageants de leur éternité. Il y a deux sortes de naissance, il n’en connaissait qu’une. L’une tient de la terre, l’autre du ciel ; l’une de la chair, l’autre de l’esprit ; l’une de la mortalité, l’autre de l’éternité ; l’une de l’homme et de la femme, l’autre de Dieu et de l’Église. Mais toutes deux n’ont lieu qu’une fois ; ni l’une ni l’autre ne peuvent être renouvelées. Nicodème avait une idée juste de la naissance selon la chair : ainsi dois-tu penser de la naissance selon l’esprit. Quel était le raisonnement de Nicodème ? « Un homme peut-il entrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » De même si quelqu’un veut te faire naître vine seconde fois selon l’esprit, réponds-lui avec Nicodème : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois ? » Une fois déjà je suis né d’Adam ; Adam ne peut m’engendrer de nouveau : je suis né une première fois du Christ, le Christ ne peut m’engendrer de nouveau ; on ne peut rentrer dans le sein de sa mère, par conséquent il est impossible de rentrer dans les eaux du baptême.
7. Celui qui naît de l’Église catholique vient en quelque sorte de Sara ; il naît de la femme libre. Celui quai naît de l’hérésie, naît de l’esclave, quoiqu’il descende d’Abraham. Que votre charité remarque la grandeur de ce mystère. Dieu fait un serment : voici ce qu’il dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». N’y a-t-il pas d’autres patriarches ? N’y a-t-il pas avant eux le saint Noé, qui seul, parmi tous les hommes, mérita avec toute sa famille d’être préservé du déluge et de devenir en sa personne et en celle de ses enfants la figure de l’Église ? Portés sur le bois, ils échappent au déluge [294]. Depuis, n’y a-t-il pas eu les grands hommes qui nous sont connus, que célèbre l’Écriture, par exemple Moïse, ce serviteur fidèle dans toute la maison de Dieu[295] ? Cependant, eux seuls sont nommés comme s’ils étaient seuls à l’avoir mérité. « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est là mon nom pour l’éternité[296] ». Grand mystère ! Dieu a tout pouvoir pour ouvrir et ma bouche et votre cœur, afin que je puisse vous l’expliquer comme il a daigné me le faire entendre, et que vous puissiez recevoir ce que je vous en dirai de la façon la plus avantageuse à votre salut.
8. Ces patriarches étaient donc au nombre de trois : Abraham, Isaac et Jacob. Vous le savez, Jacob a eu douze fils, qui sont devenus la souche du peuple d’Israël. Jacob, en effet, s’appelait Israël, et le peuple d’Israël se composait de douze tribus, et chacune d’elles se rattachait à chacun des douze fils d’Israël. Abraham, Isaac et Jacob, voilà donc trois pères, et de ces trois pères un seul peuple. Ces trois pères étaient comme ce peuple en germe, ils en étaient les représentants ; et ce peuple primitif était la figure du peuple de Dieu actuel. En effet, le peuple juif était la figure du peuple chrétien. Là était la figure, ici la réalité là était l’ombre, ici le corps ; car l’Apôtre a dit : « Or, ces choses leur arrivaient en figure ». C’est la parole de l’Apôtre. Et encore : « Ces choses », dit-il, « ont été écrites pour nous qui arrivons à la fin des temps[297] ». Ramenez maintenant votre pensée à Abraham, Isaac et Jacob. Nous voyons qu’ils out des enfants de leurs femmes libres et de leurs servantes. Nous trouvons aussi la prospérité des unes bien distincte de celle des autres. La servante n’indique rien de bon : « Chassez la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec le fils de la femme libre ». L’Apôtre nous rappelle ce passage, et nous explique qu’en ces deux fils d’Abraham étaient figurés les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau. À l’Ancien Testament appartiennent les amateurs des choses temporelles, les amateurs du siècle ; au Nouveau appartiennent les amateurs de la vie éternelle. Aussi, ta Jérusalem terrestre était la figure de la Jérusalem d’en haut, notre mère qui est au ciel. Ce sont les paroles de l’Apôtre[298]. Cette cité, loin de laquelle nous vivons comme des exilés, vous la connaissez, vous en avez souvent entendu parler. Mais, chose remarquable t dans ces diverses naissances, c’est-à-dire dans ces progénitures, dans ces enfants des femmes libres et des servantes, nous trouvons quatre races d’hommes figurant d’une manière complète et d’avance, le peuple chrétien. De la sorte, il n’y a plus lieu ne s’étonner que Dieu, parlant de ces trois patriarches, ait dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». En effet, mes frères, remarquez bien ce qui se passe dans l’universalité du peuple chrétien des méchants engendrent des bons, ou des bons engendrent des méchants ; ou des bons ont pour pères de pareils qu’eux, ou des méchants n’ont pour enfants que des méchants ; en dehors de ces quatre hypothèses, il n’en existe pas d’autre. Je répète, faites-y attention, retenez bien : Remuez-vous ; pas de dormeurs. Pour ne pas être pris, apprenez quelles sont les quatre catégories d’origine parmi les chrétiens. Ou les bons naissent de parents bons ; ou les méchants viennent de parents bons ; ou les méchants viennent de gens mauvais ; ou les bons viennent de personnes méchantes. Rien de plus clair, ce me semble. Les bons naissent des bons, quand celui qui baptise est bon et que ceux qui sont baptisés croient comme il faut et sont légitimement comptés parmi les membres de Jésus-Christ. Les méchants naissent des méchants, lorsque celui qui baptise est mauvais, que ceux qui sont baptisés s’approchent de Dieu avec un cœur double et ne conforment pas leurs mœurs à la règle qu’on leur donne à l’Église, pour faire d’eux, non pas de la paille, mais du bon grain. Combien d’individus appartiennent à cette catégorie, votre charité le sait. Les bons naissent des méchants : ainsi un adultère donne le baptême, mais celui qui le reçoit est justifié. Les méchants naissent des bons ; quelquefois ceux qui donnent le baptême sont saints, mais ceux qui le reçoivent ne veulent pas marcher dans a voie des commandements de Dieu.

9. Je le suppose, mes frères, on n’ignore pas dans l’Église ce que je viens de dire, et, tous les jours, des exemples viennent corroborer mes paroles. Considérons ce qui a eu lieu chez nos pères, les premiers chrétiens, et nous verrons que parmi eux, comme parmi nous, se sont rencontrées ces quatre sortes d’origines. Les bons naissent des bons : Ananie a baptisé Paul[299]. Comment les méchants naissent-ils des méchants ? L’Apôtre parle de certains prédicateurs de l’Évangile qui, suivant lui, ne l’annoncent pas avec des intentions pures, mais qu’il tolère dans la société chrétienne. « Qu’importe », ajoute-t-il, « pourvu que le Christ soit annoncé, de quelque manière que ce puisse être, soit par occasion, soit par un vrai zèle, je m’en réjouis [300] ». Était-il malveillant, et se réjouissait-il du mal d’autrui ? Non ; mais il parlait ainsi, parce que la vérité et le Christ étaient annoncés par l’organe même des méchants. Si ces derniers baptisaient de leurs pareils, les méchants baptisaient les méchants ; s’ils baptisaient de ceux qu’averti Jésus-Christ, lorsqu’il dit : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font [301] », les méchants baptisaient les bons. Enfin les bons baptisaient les méchants, comme il arriva lorsque Philippe baptisa Simon le Magicien [302]. Voilà donc bien quatre sortes d’origines, mes fières ; je les répète à nouveau, retenez-les, comptez-les, faites-en la distinction, évitez les mauvaises, conservez les bonnes. Les bons donnent naissance aux bons, lorsque les saints baptisent les saints ; les méchants donnent naissance aux méchants, lorsque baptisants et baptisés vivent dans l’impiété et l’injustice ; les méchants donnent la vie aux bons lorsque les baptisants sont mauvais et que les baptisés sont bons ; les bons engendrent les méchants, lorsque ceux qui baptisent étant bons, ceux qui sont baptisés vivent mal.
10. Comment reconnaître ces diverses catégories parmi les enfants de ces trois hommes dont Dieu dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? » Nous rangeons leurs servantes parmi les méchants, et leurs femmes libres parmi les bons ; ces dernières enfantent les bons : Sara met au monde Isaac[303] ; les servantes enfantent les méchants : Agar met au monde Ismaël[304]. Dans la seule famille d’Abraham, nous rencontrons la catégorie des bons engendrés par les bons, et celle des méchants engendrés par les méchants. Mais la naissance des méchants par le ministère des bons, où en est la figure ? Rébecca, femme d’Isaac, était une femme libre : lisez néanmoins. Elle a mis au monde deux jumeaux, dont l’un était bon et l’autre méchant. La sainte Écriture te le dit ouvertement par la voix de Dieu : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü[305] ». Rébecca a donc eu ces deux fils : Jacob et Esaü ; l’un d’eux est choisi, l’autre est mis de côté ; l’un succède à l’héritage de son père, l’autre se voit déshérité. Dieu ne tire pas son peuple d’Esaü, il le tire de Jacob. Une même semence, fruits divers ; même sein, enfants différents ! La femme libre qui a enfanté Jacob n’est-elle pas la même qui a enfanté Esaü ? Ces deux jumeaux s’entrechoquaient dans le sein de leur mère ; au moment de cette lutte il a été dit à Rébecca : « Il y a deux peuples dans ton sein [306] ». Deux hommes, deux peuples : le peuple bon, le peuple méchant. Mais enfin, tous deux s’entrechoquaient dans le même sein. Combien de méchants se rencontrent dans l’Église ! Ils s’y trouvent avec les bons, dans le même sein, en attendant le moment suprême où se fera le discernement des uns et des autres. Les bons crient contre les méchants, les méchants se récrient contre les bons, et tous luttent ensemble dans les entrailles de la même mère. Y resteront-ils donc toujours ? À la fin on viendra à la lumière, le mystère de la naissance, annoncé ici en allégories, sera mis à découvert ; alors se vérifieront ces paroles : « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü. »
11. Déjà, mes frères, nous avons remarqué la naissance des bons opérée par les bons : Isaac est né de la femme libre ; et celle des méchants opérée par les méchants : Ismaël est né de la servante ; celle des méchants opérée par les bons : Esaü est né de Rébecca : où trouvons-nous trace de bons engendrés par des méchants ? Reste Jacob, c’est lui qui doit parfaire l’ensemble des quatre catégories d’origines qu’il nous faut trouver dans la race des trois patriarches nommés dans l’Écriture. Jacob a eu pour épouses des femmes libres et des servantes ; femmes libres et servantes lui donnent des enfants ; et ces enfants sont les douze fils d’Israël [307]. Si tu examines de quelles mères ils sont nés, lu verras que les uns sont venus de femmes libres, les autres de servantes ; mais que tous indistinctement ont eu le même père. « Eh quoi ! mes frères ? ceux dont les mères étaient des servantes, ne sont-ils pas entrés en possession de la terre promise, concurremment avec leurs frères ? Nous y rencontrons tout à la fois les enfants de Jacob nés de femmes libres, et ses enfants nés de servantes, et tous étaient bons. Le titre de servantes afférent aux mères des derniers ne leur a porté aucun préjudice, parce qu’ils ont reconnu dans le même père leur commune origine et ainsi ils ont partagé l’héritage avec les autres. Ceux qui avaient pour mères des servantes, n’ont donc aucunement souffert de la nature de leur origine ; ils sont entrés en possession du royaume et de la terre promise comme leurs autres frères : ils ont tous reçu une part égale : la condition servile de leur mère ne leur a porté aucun préjudice ; car leur origine paternelle a seule prévalu. De même en est-il pour ceux qui ont reçu le baptême de la main des méchants ; ce sont, en quelque sorte, des servantes qui les ont mis au monde ; pourtant, commue ils ont été engendrés par la parole de Dieu que symbolisait Jacob, qu’ils se consolent : ils partageront l’héritage avec leurs frères. Que celui dont le père est bon soit tranquille, seulement qu’il n’imite pas sa mère, si sa mère est une servante. Garde-toi d’imiter une mauvaise servante qui montre de l’orgueil. Pourquoi, en effet, les enfants de Jacob nés de servantes, sont-ils entrés comme leurs frères en possession de la terre promise, tandis qu’Ismaël, né aussi d’une servante, a été privé de l’héritage ? Pourquoi ? Parce que lui était orgueilleux et que les autres étaient humbles. Ismaël releva la tête et voulut séduire son frère en jouant avec lui.
12. Il y a là un grand mystère. Ismaël et Isaac jouaient ensemble ; Sara les vit et dit à Abraham : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac ». Et comme la tristesse s’était emparée d’Abraham, le Seigneur confirma les paroles de sa femme. Voilà bien la preuve qu’il y avait un mystère ; car je ne sais ce que préparait pour l’avenir cette circonstance. Sara voit jouer ces enfants, et elle dit : « Chasse la servante et son fils ». Qu’est-ce que cela, mes frères ? Quel mal Ismaël avait-il fait au petit Isaac en jouant avec lui ? En jouant avec Isaac, il se jouait de lui, ce jeu cachait une dérision. Il y a assurément là un grand mystère, que votre charité y fasse attention. Ce jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution ; il donne à ce jeu le nom de persécution, car il dit : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, ainsi en est-il encore aujourd’hui » ; c’est-à-dire qu’aujourd’hui encore ceux qui sont nés selon la chair persécutent ceux qui sont nés selon l’esprit. Quels sont ceux qui sont nés selon la chair ? Les amateurs du monde, les amateurs du siècle. Quels sont ceux qui sont nés selon l’Esprit ? Les amateurs du royaume des cieux, ceux qui aiment le Christ, ceux qui désirent la vie éternelle, qui servent Dieu sans préoccupation intéressée. Ismaël joue avec Isaac, mais l’Apôtre dit qu’il le persécute. C’est pourquoi, après avoir dit ces paroles : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’Esprit, ainsi en est-il encore aujourd’hui », l’Apôtre montre de quelle persécution il veut parler, et il ajoute : « Mais que dit l’Écriture ? Chasse la servante et son fils, car il ne sera pas héritier avec mon fils Isaac[308] ». Nous cherchons en quel endroit de l’Écriture se lisent ces paroles, afin de voir si, avant de jouer, Ismaël s’était livré à quelque voie de fait à l’égard d’Isaac ; et nous remarquons que Sara a parlé ainsi pour avoir vu les enfants jouant ensemble. Ce qu’a vu Sara et ce que l’Écriture appelle un jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Combien davantage vous persécutent ceux qui vous séduisent en se jouant de vous ; qui vous disent : Viens, viens ; fais-toi baptiser chez nous ; chez nous se trouve le vrai baptême. Ne joue pas, il n’y a qu’un vrai baptême ; c’est un jeu : tu t’y laisseras prendre et il te fera beaucoup de mal. Il vaudrait mieux pour toi gagner Ismaël et lui faire mériter une part dans le royaume. Mais Ismaël fait la sourde oreille, parce qu’il veut jouer. Pour toi, garde l’héritage de ton père et sois attentif à ces paroles : « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac ».
13. Les hérétiques osent soutenir que les rois ou les princes catholiques leur font d’ordinaire souffrir persécution. Quelle persécution endurent-ils ? Quelques châtiments corporels. En ont-ils réellement enduré, et jusqu’à quel point ? C’est à eux de le savoir et de consulter à cet égard leur conscience. Quoi qu’il en soit, supposons qu’ils aient eu à endurer des peines corporelles, la persécution qu’ils font souffrir est bien autrement cruelle. Prends-y garde ; quand Ismaël veut jouer avec Isaac, quand il te flatte, quand il te fait l’offre d’un autre baptême, réponds-lui : J’ai déjà le baptême, Si ce baptême est véritable, celui qui veut t’en donner un autre veut se jouer de toi. Mets-toi en garde contre le persécuteur de ton âme. Ce que les Donatistes ont pu quelquefois souffrir de la part des princes catholiques, c’est dans leur corps qu’ils l’ont souffert, on n’a pas persécuté leur âme en lui imposant l’erreur. Écoutez et voyez, dans ce qui a eu lieu autrefois, le signe et l’indice de ce qui devait arriver plus tard ; Nous voyons que Sara frappe Agar, Sara était libre. Agar la servante ayant voulu regimber, Sara s’en plaignit à Abraham et lui dit : « Chasse la servante, elle s’est montrée insolente envers moi ». Et comme si Abraham y était pour quelque chose, elle se plaignit de lui. Abraham tenait à sa servante, non par amour du désordre, mais uniquement par désir d’avoir des enfants, Sara la lui ayant donnée pour cette fin. Il répondit : « C’est ta servante, fais-en ce que tu voudras ». Et Sara la châtia rudement, en sorte qu’Agar s’enfuit de devant sa face. La femme libre châtie la servante, et l’Apôtre ne donne pas au châtiment le nom de persécution. Le fils de la servante joue avec son maître, et ce jeu, l’Apôtre l’appelle une persécution. Le châtiment infligé par la maîtresse ne s’appelle point persécution, et le jeu du serviteur est qualifié de cette dénomination. Qu’est-ce qui vous en semble, mes fières ? Ne comprenez-vous pas ce que cela signifiait ? Ainsi quand il plaît à Dieu d’animer les puissances contre les hérétiques, les schismatiques et contre ceux qui veulent ruiner l’Église, qui essaient de faire disparaître Jésus-Christ, qui blasphèment son baptême, que nul ne s’en étonne. C’est Dieu qui excite Sara à châtier Agar. Qu’Agar se reconnaisse, qu’elle s’humilie ; en effet, lorsqu’Agar se fut humiliée et qu’elle eut quitté sa maîtresse, un ange vint se présenter à elle et lui dire : « Que fais-tu, Agar, servante de Sara ? » Et comme elle se plaignait de sa maîtresse, que lui répondit l’ange ? « Retourne à ta maîtresse [309] ». On la châtie donc, mais c’est pour la contraindre à revenir ; plaise à Dieu qu’elle revienne, car alors son enfant, comme les enfants de Jacob, entrera en possession de l’héritage conjointement avec ses frères.
14. Les hérétiques s’étonnent de ce que les princes chrétiens se déclarent contre ces hommes détestables qui veulent détruire l’Église. De bonne foi, pourraient-ils demeurer tranquilles ? Mais alors, comment rendre compte à Dieu de l’exercice de leur puissance ? Que votre charité remarque ce que je vais dire, à savoir que c’est une obligation imposée aux princes par leur titre de chrétiens, de donner pendant leur règne la paix temporelle à leur mère la sainte Église, puisqu’elle leur a donné la vie spirituelle. Lisons le récit des visions et des actions prophétiques de Daniel. Les trois jeunes gens louent le Seigneur au milieu des flammes, le roi Nabuchodonosor s’étonne de les entendre chanter les louanges du Seigneur et de voir les flammes s’élever inoffensives autour d’eux. Dans un sentiment de l’admiration, que dit le roi Nabuchodonosor ? Je ne parle ici ni d’un juif, ni d’un circoncis ; je parle de celui-là même qui avait tait élever sa statue, et qui avait forcé tout le monde à l’adorer. Profondément ému par le cantique des trois enfants, témoin de la puissance divine qui se manifestait jusque dans la fournaise, que dit-il ? « Je ferai un décret pour tous les peuples et toutes les nations de mon empire ». Quel décret ? « Quiconque blasphémera le Dieu de Sidrac, de Misach et d’Abdénago, sera mis à mort et sa maison ravagée[310] ». Tel fut l’acte de sévérité accompli par ce roi étranger, pour empêcher le blasphème contre le Dieu d’Israël ; car il l’avait vu préserver des atteintes du feu les trois jeunes gens, et les hérétiques ne permettent pas à des rois chrétiens de sévir quand on veut faire disparaître Jésus-Christ ; Jésus-Christ qui préserve du feu éternel, non pas trois enfants, mais l’univers tout entier et les rois avec lui ? Car, remarquez-le, mes frères, Dieu n’a préservé ces trois enfants que d’un feu passager. Le Dieu des Macchabées n’était-il pas le même que celui des trois jeunes hébreux ? Ceux-ci ont été mis à l’abri des flammes, les autres ont perdu sur dus bûchers la vie de leur corps ; mais en revanche leur âme a persévéré dans l’observation des commandements de la loi. Les premiers ont été ostensiblement délivrés, les autres ont été couronnés, mais d’une manière cachée [311]. Mieux vaut être délivré des flammes de l’enfer que d’un feu allumé par les hommes. Si donc le roi Nabuchodonosor a loué Dieu, a célébré son nom et lui a rendu gloire parce qu’il avait délivré des flammes ces trois jeunes gens ; s’il l’a honoré, au point de publier ce décret par tout son royaume : « quiconque blasphémera le Dieu de Sidrac, de Misach et d’Abdénago, il sera mis à mort et sa maison ravagée », les princes chrétiens pourraient-ils demeurer dans une froide inaction, quand ils voient, non pas trois enfants délivrés d’une fournaise, mais leurs propres personnes mises à l’abri des flammes de l’enfer ; quand ils s’aperçoivent qu’on veut faire disparaître du milieu des chrétiens le Christ, leur libérateur ; quand ils entendent donner à un chrétien ce conseil : Dis que tu n’es pas chrétien ? Voilà ce que les hérétiques trouvent bon de faire ; mais ils ne trouvent pas bon qu’on les en punisse.
15. Considérez cependant ce qu’ils font et ce qu’ils endurent. Ils tuent les âmes et on les châtie dans leur corps ; ils donnent la mort éternelle, ils se plaignent de souffrir la mort temporelle. Et pourtant, que souffrent-ils ? Ils nous vantent sans cesse je ne sais quels martyrs que leur aurait faits la persécution. Par exemple, un Marcule précipité du haut d’un rocher ; un Donat de Bagaïes, jeté dans un puits. Quand les autorités romaines ont-elles ordonné des supplices de ce genre ? À quelle époque ont-elles fait jeter un coupable dans un précipice ? Qu’est-ce que répondaient les nôtres ? J’ignore ce qui s’est passé ; mais encore une fois, que répondent les nôtres ? Selon eux, ces martyrs se sont précipités eux-mêmes, et ils ont fait retomber sur les autorités l’odieux de leur mort. Rappelons-nous la manière dont agissent ordinairement les autorités romaines, et voyons à qui il faut en croire. Les nôtres disent qu’ils se sont précipités eux-mêmes ; mais puisqu’ils ne sont pas les disciples de ceux qui ont choisi ce genre de mort sans y être contraints par personne, ne les croyons pas ; toutefois, y a-t-il rien d’étonnant à ce qu’ils aient fait ce qu’on fait d’ordinaire dans leur parti ? Jamais les autorités romaines n’ont usé de ce genre de supplice. Qu’est-ce, d’ailleurs, qui les empêchait de les faire mourir en public ? Rien. Mais ceux qui ont voulu se faire honorer après leur mort, n’ont pas imaginé de moyen plus capable de se rendre illustres. Quoi qu’il en soit, au fond, je l’ignore. En tous cas, ô Donatistes, si l’Église vous a infligé quelque châtiment corporel, c’est Sara qui a puni en vous Agar ; « revenez à votre maîtresse ». Il nous a fallu nous arrêter ici trop longtemps pour qu’il nous soit maintenant loisible de vous expliquer en entier tout le texte évangélique dont nous vous avions donné lecture. Mes frères, que ceci suffise à votre charité ; car ce que nous vous dirions maintenant pourrait vous faire oublier ce que nous vous avons dit. Retenez-le, répétez-le, sortez d’ici plein d’un feu qui enflamme les plus froids.

DOUZIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT : « CE QUI EST NÉ DE LA CHAIR EST CHAIR », JUSQU’À : « MAIS CELUI QUI À FAIT LA VÉRITÉ VIENT À LA LUMIÈRE, AFIN QUE SES ŒUVRES SOIENT MANIFESTÉES, PARCE QUE C’EST EN DIEU QU’ELLES ONT ÉTÉ FAITES ». (Chap. 3,6-21.)

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LA NAISSANCE SPIRITUELLE.

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L’homme ne peut naître spirituellement qu’une seule fois, comme il ne peut qu’une seule fois naître corporellement, Qu’il reçoive le baptême dans l’Église catholique, dans l’hérésie ou le schisme, peu importe pourvu qu’il soit soumis à Jésus-Christ. La naissance spirituelle est indispensable au salut, mais elle n’a lieu qu’autant qu’on se rapproche du Sauveur par l’humilité. Pour comprendre ce mystère, il faut croire à celui de l’Incarnation du Verbe. Le Verbe s’est humilié jusqu’à la mort, afin de nous élever jusqu’à la vie éternelle ; mais tous ne participent point à sa rédemption, car il en est que leurs péchés empêchent de croire. Reconnaissons et confessons nos fautes, et nous arriverons à la foi et à la justification.

1. L’attention avec laquelle vous avez écouté le sujet que nous avons traité hier, me fait comprendre comment il se fait que vous soyez aujourd’hui si empressés et si nombreux. Cependant, si vous le trouvez bon, nous suivrons l’ordre accoutumé de ces lectures de l’Évangile, et nous vous en donnerons l’explication ; après quoi votre charité apprendra ce que nous avons déjà fait, ce que nous espérons faire encore pour la paix de l’Église. Pour ce moment, que toute votre attention se porte sur le saint Évangile, que personne ne laisse divaguer ses pensées. En effet, si celui qui s’applique à le comprendre peut à peine y parvenir, celui qui se partage en une foule de pensées diverses, ne laissera-t-il pas échapper ce qu’il aura saisi ? Votre charité se souvient que dimanche, dernier, dans la mesure du secours qu’il a plu à Dieu de nous donner, nous avons traité de la régénération spirituelle[312] ; nous vous avons fait donner encore une fois lecture du même passage, afin que ce qui n’a pas été dit alors, nous puissions, au nom de Jésus-Christ et avec l’aide de vos prières, vous le dire aujourd’hui.

2. On ne peut être régénéré spirituellement qu’une seule fois, comme on ne peut qu’une seule fois naître corporellement. Nicodème s’exprimait avec justesse, quand il disait à Notre-Seigneur, que l’homme devenu vieux ne peut rentrer dans le sein de sa mère et en sortir de nouveau. À la vérité, il ne parle que de l’homme devenu vieux, paraissant supposer que s’il était encore enfant, il serait à même de le faire. Or, il n’en est capable à aucune époque de sa vie, ni au temps de la plus tendre enfance, ni à l’âge le plus avancé, il ne peut rentrer dans le sein de sa mère, pour en sortir une seconde fois. Et comme les entrailles de la femme ne peuvent enfanter le même homme qu’une fois, ainsi pour la naissance spirituelle, le sein de l’Église ne peut la donner au même homme qu’une fois ; aussi chacun ne peut recevoir qu’une fois le baptême. Que personne, cependant, ne dise : un tel est né dans l’hérésie, un tel dans le schisme ; car, s’il vous en souvient, toute difficulté a été tranchée à cet égard par ce que nous vous avons dit au sujet des trois patriarches ; le Seigneur a voulu s’appeler leur Dieu, non qu’il n’y ait eu d’autres patriarches, mais parce que eux seuls ont suffi à figurer parfaitement le peuple futur. Nous avons vu que le fils de la servante a été privé de l’héritage, et que le fils de la femme libre a été appelé à en jouir. Nous avons vu aussi qu’un fils de la femme libre a été déshérité, tandis qu’un fils de la servante a été constitué héritier. Né de la servante, Ismaël[313] est déshérité ; né de la femme libre, Isaac[314] devient héritier ; né de la femme libre, Esaü[315] est dépouillé de la succession paternelle ; et les enfants de Jacob[316] nés de ses servantes lui succèdent dans ses biens. Ainsi, en ces trois patriarches apparaît en son entier l’image du peuple futur, et c’est avec justice que Dieu a dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; c’est là mon nom pour l’éternité[317] ». Pour le mieux comprendre, rappelons-nous la promesse faite à Abraham, cette promesse a été renouvelée à Isaac et à Jacob. Quelle a été cette promesse ? « En votre race seront bénies toutes les nations[318] ». Abraham crut alors ce qu’il ne voyait pas encore, les hommes le voient et ferment les yeux. Ce qui a été promis à un seul homme a reçu son accomplissement parmi les nations, et ceux-là se séparent de leur communion, qui refusent de voir ce qui s’est accompli. Mais à quoi leur sert de vouloir fermer les yeux sur ce fait éclatant ? Bon gré, mal gré, ils le voient ; il leur est impossible d’en nier l’évidence, elle frapperait les yeux même quand on ne voudrait pas les ouvrir.

3. Ce Nicodème, auquel répond le Sauveur, était du nombre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et auxquels cependant il ne se fiait pas. Il y en avait, en effet, plusieurs auxquels Jésus-Christ ne se fiait pas, bien que déjà ils crussent en lui. Voici le texte évangélique : « Plusieurs crurent en son nom, à la vue des miracles qu’il opérait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux ; et il n’avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d’aucun homme ; car il savait ce qui était dans l’homme[319] ». Voilà donc des hommes qui déjà croyaient en Jésus-Christ, et à qui il ne se fiait pas. Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas encore régénérés dans l’eau et le Saint-Esprit. C’est le motif qui nous a portés déjà et qui nous porte encore à exhorter nos frères les catéchumènes à ne pas différer leur baptême. Car, si tu les interroges, tu verras qu’ils croient déjà en Jésus-Christ ; mais comme ils n’ont pas encore reçu la chair et le sang de Jésus-Christ, il ne se fiait pas encore à eux. Qu’ont-ils à faire pour que Jésus-Christ se fie à eux ? Qu’ils renaissent de l’eau et du Saint-Esprit. L’Église les a engendrés, qu’elle les mette au monde. Déjà ils sont conçus, qu’ils apparaissent à la lumière, l’Église a des mamelles qui les nourriront ; qu’ils ne craignent pas d’être étouffés après leur naissance ; qu’ils ne s’éloignent pas du sein maternel.

4. Aucun homme ne peut rentrer dans le sien de sa mère pour en sortir à nouveau ; mais quelqu’un, je ne sais qui, est-il né de la servante ? Est-ce que les enfants que les patriarches ont eus autrefois de leurs servantes sont rentrés dans le sein des femmes libres, pour naître une seconde fois ? Ismaël lui-même est venu d’Abraham, et si ce patriarche a eu le pouvoir de se donner un fils par l’intermédiaire de la servante, c’est l’épouse qui le lui donne. C’est l’époux qui engendre Ismaël, sinon de son épouse, du moins d’après son consentement[320]. Est-ce pour être né de la servante qu’Ismaël s’est vu déshérité ? Mais, s’il avait été déshérité en raison de sa naissance, aucun enfant de servante n’aurait été admis à l’héritage. Les enfants de Jacob ont hérité de leur père ; quant à Ismaël, s’il a été déshérité, ce n’est point parce qu’il est né de la servante, c’est à cause de son orgueil envers sa mère et envers le fils de sa mère. Car Sara était sa mère bien plus qu’Agar. L’une a prêté son sein, l’autre a donné son consentement Abraham n’eût pas agi sans le consentement de Sara ; Ismaël est donc plutôt le fils de Sara, que celui d’Agar. Mais parce qu’il a été orgueilleux envers son frère, et orgueilleux en jouant avec lui, c’est-à-dire en se jouant de lui, que dit Sara ? « Chasse la servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera pas héritier avec mon fils Isaac[321] ». Ce n’est donc pas sa naissance de condition servile, mais son orgueil qui l’a fait déshériter ; eût-il été libre, il lui suffisait d’être orgueilleux pour devenir esclave, et, qui pis est, pour devenir esclave d’une méchante maîtresse, de l’orgueil. C’est pourquoi, mes frères, à celui qui vous demanderait si un homme peut naître de nouveau, répondez hardiment : Non. Toute réitération est un jeu, toute réitération est une tromperie. Ismaël joue ; chassez-le. Sara les ayant vus jouer ensemble, dit à Abraham : « Chasse la servante et son fils ». Ce jeu des enfants déplut à Sara ; sans doute elle aperçut dans ce jeu quelque nouveauté les mères ne désirent-elles pas voir jouer leurs enfants ? Celle-ci les vit jouer, et elle désapprouva leur jeu. J’ignore ce qu’elle vit en ce jeu, elle y vit quelque tromperie, elle remarqua l’orgueil du fils de la servante, le fit chasser. Les enfants des servantes sont chassés lorsqu’ils sont méchants. Ainsi en est-il encore d’Esaü, le fils de la femme libre. Que personne donc ne se rassure en s’appuyant sur ce prétexte, qu’il est né d’un homme de bien ou qu’il a été baptisé par un saint. Celui qui a été baptisé par un saint doit craindre d’être, non pas un Jacob, mais un Esaü. Aussi, mes frères, je vous le dis : il vaut mieux recevoir le baptême de la part d’hommes esclaves de leurs intérêts et amateurs du monde (ce que signifie le nom de servante), et rechercher en esprit l’héritage de Jésus-Christ, afin de ressembler aux enfants que Jacob a eus de ses servantes, que d’être baptisé par des saints et mériter par son orgueil d’être rejeté comme le fut Esaü, bien qu’il fût né d’une femme libre. Mes frères, retenez-le bien, nous ne vous caressons pas. Ne mettez pas en nous votre espérance, nous ne flattons ni vous ni nous ; car chacun de nous porte sa besace. Notre devoir est de vous dire la vérité, pour ne point subir un jugement sévère ; le vôtre est de nous écouter, et de nous prêter l’oreille de votre cœur, pour ne pas avoir à rendre compte de ce que nous vous communiquons ; ou plutôt, que ce compte, quand on vous le demandera, se trouve être à votre avantage, au lieu de se trouver à votre détriment.

5. Le Seigneur réplique à Nicodème par une exposition plus développée du mystère : « En vérité, en vérité, je te le dis : si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». C’est la naissance charnelle que tu as en vue, quand tu dis : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir à nouveau ? » Pour entrer dans le royaume de Dieu, il faut naître par l’eau et le Saint-Esprit. Pour qu’un homme succède à un autre homme, à son père, dans la possession de ses biens temporels, il doit nécessairement naître d’une mère charnelle mais celui qui veut posséder l’héritage éternel de Dieu, de son Père céleste, il lui faut puiser la vie dans le sein de l’Église. C’est par l’intermédiaire de son épouse qu’un père sujet à la mort engendre le fils destiné à lui succéder un jour. Dieu engendre par l’Église des enfants destinés, non pas à lui succéder, mais à demeurer éternellement avec lui. Le Christ ajoute : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit ». Nous naissons donc selon l’Esprit, et cette naissance spirituelle provient de sa parole et du sacrement. Le Saint-Esprit intervient pour nous faire naître, et si le Saint-Esprit intervient d’une manière invisible pour te faire naître, la raison en est que ta naissance même est invisible. C’est pourquoi Jésus-Christ continue et dit : « Ne sois pas étonné de ce que j’ai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau ; l’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Personne ne voit l’Esprit, mais comment entendons-nous sa voix ? Le Psalmiste nous parle, c’est l’Esprit qui nous parle ; nous entendons l’Évangile, c’est la voix de l’Esprit qui retentit à nos oreilles. « Tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Si tu nais de l’Esprit, il en arrivera de même de toi ; et celui qui ne sera pas encore né de l’Esprit ne saura ni d’où tu viens, ni où tu vas. Voilà bien ce que dit ensuite Notre-Seigneur : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit ».

6. « Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire ? » Toujours des idées charnelles ; il ne comprenait pas. En lui se vérifiait ce qu’avait dit le Seigneur ; il entendait la voix de l’Esprit, sans savoir ni d’où il venait, ni où il allait. « Jésus lui dit : Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ! » Hé quoi ! mes frères, penserons-nous que le Seigneur ait voulu insulter ce docteur des Juifs ? Le Seigneur savait ce qu’il faisait ; il voulait le faire naître de l’Esprit. Nul, à moins d’être humble, ne naît de l’Esprit. C’est, en effet, l’humilité qui nous fait naître de l’Esprit, et le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur brisé[322]. Nicodème était fier de sa qualité de maître en Israël ; il se croyait un personnage d’importance parce qu’il était docteur en Israël ; Jésus-Christ abaisse son orgueil afin de le faire naître selon l’Esprit ; il se moque de lui comme s’il n’était qu’un ignorant, sans vouloir néanmoins paraître supérieur à lui. Qu’y aurait-il de si étonnant en cela ? D’un côté, un Dieu ; de l’autre, un homme ; d’un côté, la vérité ; de l’autre, le mensonge. Doit-on penser, croire et dire que le Christ fut plus que Nicodème ? Dire que le Christ soit supérieur aux anges, ne serait-ce pas ridicule ? Il est incomparablement au-dessus de toute créature, Celui qui a fait toutes les créatures. Mais Jésus-Christ veut mettre à bout l’orgueil de l’homme : « Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ? » C’était lui dire : Tu vois bien que tu ne sais rien, docteur orgueilleux ; mais donc de l’Esprit, alors seulement tu marcheras dans la voie de Dieu et tu imiteras l’humilité du Christ. Il est si élevé au-dessus des anges que, « ayant la forme de Dieu, il a pu sans usurpation s’estimer son égal, et qu’il s’est néanmoins anéanti en prenant la forme d’esclave, en se rendant semblable aux hommes ; et, reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui, il s’est humilié lui-même et il est devenu obéissant jusqu’à la mort » ; et pour que tu n’imagines pas un genre de mort digne d’envie, il ajoute : « Et jusqu’à la mort de la croix[323] ». Il était attaché à la croix, et on l’insultait. Il pouvait descendre de la croix, mais il différait de le faire, afin de sortir glorieux du sépulcre. Comme maître, il a supporté l’insolence de ses serviteurs ; comme médecin, il a supporté celle de ses malades. Si telle a été sa manière d’agir, quelle doit être celle des hommes, pour qui c’est une obligation de naître du Saint-Esprit ? Comment doivent-ils se conduire, quand le maître, non seulement des hommes, mais des anges, leur a donné un pareil exemple ? En effet, ce que savent les anges, ils l’ont appris du Verbe de Dieu cherchez à savoir qui est-ce qui les a instruits, et l’Évangile vous dira : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[324] ». Voilà qui ôte à l’homme sa tête, mais sa tête dure et rebelle, pour lui en donner une qui se courbe sous le joug du Christ, joug dont il est dit : « Mon joug est doux et mon fardeau est léger[325] ».

7. Le Sauveur ajoute : « Si lorsque je vous ai dit des choses de la terre, vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » Mes frères, quelles choses terrestres le Sauveur leur a-t-il dites ? « Si quelqu’un ne naît une seconde fois » ; est-ce là une chose de la terre ? « L’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, et personne ne sait ni d’où il vient, ni où il va » ; est-ce là une chose de la terre ? Voulait-il parler du vent, comme quelques-uns l’ont déclaré lorsqu’on leur demandait ce que le Sauveur avait pu dire de terrestre d’après ces paroles : « Si lorsque je vous ai dit des choses de la terre vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » En effet, quand on a demandé à certains hommes ce que le Sauveur a pu dire de terrestre, ils se sont trouvés embarrassés et ils ont prétendu qu’il avait fait allusion au vent dans ces paroles : « L’esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Dans son entretien avec Nicodème, qu’a-t-il dit qui ait trait à la terre ? Il parlait de la naissance spirituelle ; puis il a ajouté : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’esprit ». En outre, mes frères, lequel d’entre nous ne s’aperçoit point, par exemple, que le vent se dirige du Midi à l’Aquilon, ou qu’il va de l’Orient à l’Occident ? Dès lors, comment peut-il se faire que nous ne sachions ni d’où il vient, ni où il va ? Qu’a donc dit le Christ en fait de choses terrestres, que les hommes ne voulaient pas croire ? Est-ce l’allusion qu’il a faite à son corps, à ce temple qu’il devait rétablir en trois jours ? Ce corps, en effet, il l’avait reçu de la terre, et c’était cette terre qu’il avait prise dans un corps terrestre qu’il se disposait à ressusciter. Or, cette résurrection de la terre, on ne croyait pas qu’il l’opérerait. « Si, lorsque je vous ai dit des choses de la terre, vous ne m’avez pas cru, quand je vous dirai des choses du ciel, comment me croirez-vous ? » C’est-à-dire, si vous ne croyez pas que je puisse relever le temple de mon corps quand vous l’aurez détruit, comment croirez-vous que les hommes puissent être régénérés par le Saint-Esprit ?

8. Il ajoute : « Et personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel ». Ainsi, Jésus-Christ était sur la terre et il était au ciel ; sur la terre par son corps, au ciel par sa divinité, ou plutôt en tous lieux par sa divinité. Il était sorti du sein de sa mère, sans quitter celui de son Père. Car il y a deux naissances en Notre-Seigneur, l’une divine et l’autre humaine, l’une qui nous donne la vie, l’autre qui nous la rend : naissances également admirables, puisque l’une s’effectue sans mère, et l’autre sans père. Comme il tenait son corps d’Adam, vu que Marie venait d’Adam ; comme, d’ailleurs, c’était le même corps qu’il devait ressusciter, il avait dit quelque chose de terrestre en prononçant ces paroles : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai dans l’espace de trois jours[326]. Mais il avait dit quelque chose de céleste, quand il avait dit : « Si l’homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne verra pas le royaume de Dieu [327] ». Bien qu’il fût un homme et qu’il vécût sur la terre dans un corps mortel, l’apôtre Paul avait néanmoins sa conversation dans le ciel ; et le Dieu du ciel et de la terre ne pourrait être en même temps dans le ciel et sur la terre ?
9. Si donc personne que Jésus-Christ n’est descendu du ciel et n’y remonte, quelle espérance ont les autres ? Leur espérance est fondée sur ce fait que le Christ est descendu du ciel pour que tous les hommes ne fissent qu’un en lui et avec lui, pour être à même d’y monter par lui. L’Apôtre fait cette remarque : « L’Écriture ne dit pas : Et ceux qui naîtront, comme si elle avait voulu en marquer plusieurs ; mais elle dit, comme en parlant d’un seul : Celui qui naîtra de toi, qui est le Christ ». Puis il dit aux fidèles : « Vous êtes du Christ ; si vous êtes du Christ, donc vous êtes la race d’Abraham[328] ».En parlant d’un seul, le Sauveur a parlé de nous tous. C’est pourquoi, dans les psaumes, tantôt plusieurs chantent, et en cela nous devons reconnaître la pluralité dans l’unité ; tantôt un seul chante, pour marquer l’unité dans la pluralité. C’est pour la même raison qu’un seul malade a été guéri à la piscine de Bethsaïda [329], tandis qu’aucun des autres n’y retrouvait la santé. Cette unique personne est le symbole de l’unité de l’Église. Malheur aux ennemis de l’unité, à ceux qui se forment des partis parmi les hommes ! Qu’ils écoutent l’Apôtre : il veut ne faire qu’un seul en un seul, et pour un seul ; qu’ils l’écoutent quand il dit : Gardez-vous de vous faire plusieurs. « C’est moi qui ai planté, Apollo a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement. Celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement[330] ». Ils disaient : « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas » ; et il répondait : « Jésus-Christ est-il divisé [331] ? » Soyez en un seul, soyez une seule chose, soyez un seul. « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel ». Mais nous ioulons être à vous, disaient-ils à Paul ; et il leur répondait : Je m’y refuse, ne soyez pas à Paul ; mais soyez à celui à qui Paul est avec vous.
10. Car il est descendu et il est mort, et par sa mort il nous a délivrés de la mort. Au moment où la mort le tuait, il la tuait lui-même. Vous le savez, mes frères, c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. « Dieu n’a pas fait la mort », dit l’Écriture, « et », ajoute-t-elle, « il ne se réjouit pas de la perte des vivants ; car il a créé toutes choses afin qu’elles soient [332] ». Mais qu’ajoute le sage ? « C’est par un effet de l’envie du diable que la mort a fait son entrée dans le monde[333] ». L’homme n’aurait pu être amené par la force à prendre le breuvage de la mort, que le diable lui avait proposé, car le diable n’avait pas le pouvoir de le violenter ; il n’avait rien que celui de le persuader par la ruse. Si tu n’avais pas donné ton consentement à ses suggestions, il ne t’aurait pas fait de mal, mais parce que tu y as cédé, ô homme, tu as été condamné à mourir. Nous sommes nés mortels d’un père mortel ; d’immortels que nous étions nous sommes devenus sujets à la mort. Par Adam, tous les hommes sont condamnés à la mort ; mais Jésus, Fils de Dieu, Verbe de Dieu, par qui toutes choses ont été faites, le Fils unique et l’égal du Père, s’est fait homme mortel, parce que le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous [334].
11. Jésus-Christ s’est donc revêtu de la mort et il l’a attachée à la croix, et par cette mort, il délivre ceux qui y sont sujets. Ce mystère avait été représenté en figure chez les anciens, et Notre-Seigneur y fait allusion au saint Évangile. « De même », dit-il, « que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». Mystérieuse annonce de l’avenir ; tous ceux qui l’ont lue la comprennent. Toutefois, écoutez-en le récit, vous tous qui ne l’avez pas lue ou qui, après l’avoir lue ou entendue, en avez perdu le souvenir. Dans le désert, Israël tout entier gisait, à terre, victime de la morsure de serpents. Une multitude innombrable d’hommes tombaient sous les coups de la mort, car Dieu frappait durement son peuple, pour le corriger. Alors se manifesta l’admirable symbole de ce qui devait arriver un jour. Notre-Seigneur lui-même y fait allusion dans la leçon d’aujourd’hui, et personne n’a le droit de l’interpréter autrement que ne le fait la Vérité même, ni, par conséquent, de l’appliquer à d’autres qu’à elle. Le Seigneur dit donc à Moïse de faire un serpent d’airain, de le placer sur un bois élevé dans le désert et de recommander aux Israélites de porter leurs regards sur ce serpent attaché au bois, s’ils venaient à être mordus par un serpent vivant. Ses ordres turent accomplis. Dès que les hommes étaient mordus, ils jetaient les yeux sur le serpent d’airain, et ils étaient guéris [335]. Que représentent les serpents et leurs morsures ? Les péchés enfantés par la corruption de la chair. Que représente le serpent élevé dans le désert ? Notre-Seigneur mort sur la croix. Comme la mort venait des serpents, elle a été représentée sous l’emblème d’un serpent. La morsure d’un serpent donnait la mort, la mort de Notre-Seigneur donne la vie. On jetait les yeux sur le serpent, afin que le serpent fût inoffensif. Qu’est-ce à dire ? Pour que la mort n’ait sur nous aucun pouvoir, il nous faut regarder la mort ; la mort de qui ? La mort de la vie ; oui, la mort de la vie, si l’on peut s’exprimer ainsi, et précisément parce qu’on peut s’exprimer de la sorte, c’est un admirable langage. Mais pourquoi ne pourrait-on pas dire ce qui a pu se faire ? Eh quoi ! craindrais-je de dire ce que Jésus-Christ a daigné faire pour moi ? Jésus-Christ n’était-il pas la vie ? Et cependant il a été attaché à la croix. Jésus-Christ n’était-il pas la vie ? Et cependant il est mort. Mais dans la mort de Jésus-Christ, la mort a trouvé la sienne, parce qu’en mourant, la vie a tué la mort, la plénitude de la vie l’a engloutie, elle a été anéantie dans le corps de Jésus-Christ. C’est ce que nous dirons nous-mêmes au moment de notre résurrection, lorsque dans notre triomphe nous nous écrierons : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » Cependant, mes frères, pour être guéri du péché, jetons les yeux vers Jésus-Christ en croix, puisque selon sa parole : « comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle ». De même que la morsure des serpents était de nul effet pour ceux qui regardaient le serpent d’airain, ainsi le péché n’a rien de dangereux pour ceux qui considèrent des yeux de la foi le Christ mourant. Dans le désert, les Juifs n’étaient préservés que de la mort du temps, ni ramenés qu’à une vie fugitive ; mais le Christ est mort, pour que les hommes aient la vie éternelle. Telle est, en effet, la différence qui se trouve entre la réalité et la figure, entre la figure qui donnait la vie du temps et la réalité qu’elle symbolisait et qui procure la vie éternelle.
12. « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde, pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ». Ainsi le médecin s’approche du malade, pour lui rendre, autant que possible, la santé. Mais le malade se donne à lui-même la mort, s’il refuse d’observer les prescriptions du médecin. Le Sauveur est venu en ce monde ; pourquoi l’appelle-t-on Sauveur du monde, si ce n’est qu’il est venu pour sauver le monde et non four le juger ? Tu refuses le salut qu’il t’apporte ? Tu seras jugé d’après ta conduite. Que dis-je, tu seras jugé ? Écoute ce que dit Jésus : « Qui croit en lui ne sera point jugé ; mais qui n’y croit pas », à ton avis que va-t-il dire ? Il sera jugé ? Non ; « il est déjà jugé ». Le jugement n’a pas encore paru, mais le jugement est déjà rendu. Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, il connaît ceux qui sont destinés à recevoir la couronne et ceux qui doivent être jetés dans les flammes ; il sait quel est le froment qui se trouve dans son aire, il sait aussi quelle est la paille, il distingue entre le bon grain et l’ivraie. Celui qui ne croit pas est déjà jugé. Pourquoi ? « Parce qu’il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu ».
13. « Or, voici le jugement : la lumière est venue en ce monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ; car leurs œuvres étaient mauvaises ». Mes frères, où sont ceux dont le Seigneur trouve les œuvres bonnes ? Nulle part ; car il a trouvé mauvaises les œuvres de tous. Comment donc y en a-t-il eu pour agir selon la vérité et venir à la lumière ? Il y en a eu, puisque le Sauveur ajoute : « Mais celui qui accomplit la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées parce qu’elles sont faites en Dieu ». Comment certains hommes ont-ils opéré le bien, de façon à venir à la lumière, c’est-à-dire à Jésus-Christ ? Comment d’autres ont-ils préféré les ténèbres ? Car si Jésus-Christ trouve tous les hommes pécheurs, s’il les guérit tous de leurs péchés, si le serpent, figure du Sauveur mis en croix, guérissait ceux qui avaient été mordus, si enfin le serpent n’a été élevé qu’en raison de ta morsure des serpents, c’est-à-dire si le Seigneur est mort pour les hommes trouvés par lui dans le péché et condamnés à mourir, quel sens donner à ces paroles : « Voici leur jugement ; la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises ? » Qu’est-ce que cela ? Quels sont ceux dont les œuvres étaient bonnes ? N’êtes-vous pas venu pour justifier des pécheurs ? Mais, ajoute-t-il : « Ils ont préféré les ténèbres à la lumière ». Là se trouve toute la force du raisonnement du Sauveur. Plusieurs, en effet, ont aimé leurs péchés, plusieurs les ont confessés ; or, celui qui confesse ses péchés et s’en accuse, commence à agir conjointement avec Dieu. Dieu accuse tes péchés ; si tu en fais autant, tu te joins à lui. Il y a en nous comme deux choses distinctes : l’homme et le pécheur. Comme homme, nous sommes l’ouvrage de Dieu ; comme pécheurs, nous sommes notre propre ouvrage. Détruis ce que tu as fait, afin que Dieu sauve ce qu’il a créé. Il faut haïr en toi ton œuvre et y aimer l’ouvrage de Dieu. Or, quand ce que tu as fait commencera à te déplaire, alors tu commenceras à faire le bien, puisque tu accuses tes mauvaises œuvres. Le commencement du bien n’est autre chose que la confession du mal. Dès lors que tu fais la vérité, tu ne te trompes pas toi-même, tu ne te flattes pas, tu ne t’en fais pas accroire, lu ne dis pas : Je suis juste, alors que tu es pécheur et que tu commences seulement à faire la vérité. Mais tu viens à la lumière, afin que tes œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu. Car ton péché te déplaît ; mais il ne te déplairait pas, si la lumière de Dieu ne t’éclairait, et si la vérité ne te le montrait à découvert. Mais celui qui, même après cet avertissement, aime encore son péché, hait la lumière qui L’avertit ; il s’en éloigne pour ne point entendre ses reproches an sujet des œuvres mauvaises qu’il aime. Pour celui qui fait la vérité, il condamne ce qu’il y a de mal en lui, il ne s’épargne pas, il ne se pardonne pas ; car il veut que Dieu lui pardonne. En effet, ce dont il désire le pardon de la part de Dieu, il le reconnaît ; il vient à la lumière et il lui rend grâce de lui avoir montré ce qu’il devait haïr en lui-même. Il dit à Dieu « Détournez vos yeux de mes péchés », et de quel front pourrait-il parler de la sorte s’il n’ajoutait aussitôt : « parce que je connais mon iniquité et que mon péché est toujours devant moi [336] ? » Vois ce que tu désires que Dieu ne voie pas. Si tu rejettes derrière toi ton péché, Dieu le remettra devant tes yeux, et il choisira, pour le faire, le moment où il ne te servira plus de rien de t’en repentir.
14. Courez donc, mes frères, de peur que les ténèbres vous surprennent[337]. Réveillez-vous pour opérer votre salut, réveillez-vous tandis que vous le pouvez ; que nul ne se montre lent à venir au temple de Dieu ; que nul ne se montre lent à faire l’œuvre du Seigneur ; que nul ne cesse de prier continuellement ; que nul ne se relâche de sa dévotion accoutumée. Réveillez-vous, puisqu’il fait jour, le jour luit ; ce jour, c’est Jésus-Christ. Il est prêt à excuser, mais ceux qui s’accuseront ; comme aussi à punir ceux qui se défendront, qui se vanteront d’être justes, qui se croiront quelque chose, quand ils ne sont rien. Pour celui qui marche dans sa miséricorde et dans son amour, alors même qu’il est délivré des péchés graves et mortels, comme les crimes énormes, les homicides, les vols, les adultères, il rend hommage à la vérité en confessant les fautes légères qu’il a commises dans ses conversations, dans ses pensées, dans l’usage immodéré des choses permises. Aussi vient-il à la lumière par la pratique des bonnes œuvres ; car, en se multipliant, les petits péchés donnent la mort à l’âme, si on n’y prend garde. Ce sont de petites gouttes d’eau qui alimentent le cours des rivières, les grains de sable sont presque perceptibles ; néanmoins, si vous en mettez une grande quantité sur les épaules d’un homme, ils le surchargent et l’écrasent. Ce que fait la violence des flots, l’eau qui s’infiltre dans la sentine peut le faire aussi, quand on n’y porte pas remède ; elle s’y introduit petit à petit ; à force de s’y accumuler, sans jamais en sortir, elle finit par entraîner le navire dans l’abîme. Qu’est-ce que vicier la sentine, sinon empêcher par les bonnes œuvres, les gémissements, les jeûnes, les aumônes, le pardon des injures, que nos péchés nous entraînent dans le précipice ? Le chemin de cette vie est difficile, il est hérissé d’obstacles. La prospérité peut y donner de l’orgueil, le malheur peut nous y abattre. Celui qui t’a départi les joies de la vie présente, le fait pour te consoler, et non pour te donner l’occasion de te corrompre. Par la même raison, celui qui te châtie en ce monde, le fait pour te corriger, et non pour te punir. Accepte les leçons de Dieu comme celles d’un père, afin qu’un jour il ne te punisse pas comme ton juge. Nous vous disons cela tous les jours, et il faut le dire souvent ; car tout cela est bon et utile pour votre salut.

TREIZIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT DE L’ÉVANGILE : « APRÈS CELA JÉSUS VINT EN JUDÉE AVEC SES DISCIPLES », JUSQU’À « MAIS L’AMI DE L’ÉPOUX, QUI SE TIENT DEBOUT ET QUI L’ÉCOUTE, EST RAVI DE JOIE À CAUSE DE LA VOIX DE L’ÉPOUX ». (Chap. 3,22-29.)

JEAN, TÉMOIN DU CHRIST.

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Jusqu’alors Jean avait rendu témoignage au Christ, sans néanmoins affirmer qu’il fut Dieu. Pour le voir sous son enveloppe mortelle, il faut, comme les anges, le contempler des yeux de l’âme, et se servir de son humanité afin de parvenir jusqu’à sa divinité. Jean baptisait donc en Enon : Jésus aussi ; de là, grande discussion entre les disciples de Jean et les Juifs. Loin de se glorifier, le précurseur en prit occasion de s’humilier : Je ne suis pas le Christ, dit-il, je ne suis que l’ami de l’époux et je défends son épouse par la pureté de ma charité et l’unité de ma foi. Les hérétiques, qui pensent avant tout à eux-mêmes, et prêchent la division imitent-ils Jean ? Évidemment non. Ne nous laissons donc séduire ni par leurs paroles, ni par leurs prodiges, et conservons la simplicité de la foi dans l’union de la charité.

1. Comme peuvent se le rappeler ceux l’entre vous qui ont souci de leur profit spirituel, nous suivons un ordre dans la lecture de l’Évangile selon Jean. Eu suivant cet ordre, nous sommes précisément amenés à vous expliquer aujourd’hui ce que vous venez d’entendre. Ce qui a été lu depuis le commencement de l’Évangile jusqu’à la leçon de ce jour, nous l’avons expliqué, vous vous en souvenez, Et quand même vous auriez oublié plusieurs des choses que nous vous avons dites, l’idée du ministère que nous remplissons s’est du moins conservée en vous, Pour ce qui a été dit du baptême de Jean, il se peut que vous n’ayez pas tout retenu, je ne doute pas cependant que vous n’en ayez retenu quelque chose. Vous vous souvenez aussi du motif pour lequel le Saint-Esprit est apparu en forme de colombe ; vous vous rappelez également comment nous avons tranché cette difficulté presque inextricable : qu’est-ce que la colombe a pu faire découvrir à Jean dans la personne de Notre-Seigneur, qu’il ignorât encore, puisqu’il le connaissait déjà. Ne lui avait-il pas dit, en effet, au moment où il venait pour recevoir le baptême. « C’est à moi d’être baptisé par vous, et vous venez à moi ? » Et Jésus-Christ ne lui avait-il pas répondu : « Laisse-moi faire présentement, afin que s’accomplisse toute justice[338] ? »

2. L’ordre de nos lectures nous ramène donc forcément aujourd’hui au précurseur. C’est de lui que parlait à l’avance le prophète Isaïe, quand il disait : « On entend la voix de celui qui crie dans le désert : préparez la voie au Seigneur, rendez droits ses sentiers[339] ». En effet, c’est en ces termes que Jean a rendu témoignage à Jésus-Christ son Seigneur, et par un privilège de la grâce à son ami. À son tour, le Seigneur et ami de Jean lui a rendu aussi témoignage ; car il a dit de lui : « Parmi ceux qui sont nés de la femme, il n’y en a pas de plus grand que Jean-Baptiste ». Mais Jésus-Christ s’était proclamé supérieur à Jean ; et ce qui le rendait supérieur au fils d’Elisabeth, c’était sa divinité. Mais « celui qui est le plus petit », continue-t-il, « dans le royaume des cieux, est « plus grand que lui[340] ». Il lui est inférieur par l’âge, mais il est plus grand que lui par sa puissance, par sa divinité, par sa majesté, par la splendeur de sa gloire : car il est « le Verbe qui était dès le commencement, le Verbe qui était en Dieu, le Verbe qui était Dieu ». Dans les lectures précédentes, nous avons vu que Jean rendait témoignage à Notre-Seigneur, au point de le proclamer Fils de Dieu, sans néanmoins déclarer ou nier qu’il fût Dieu. À cet égard il avait gardé le silence : par conséquent, il ne s’était point prononcé pour la négative, peut-être même avait-il tant soit peu penché pour l’affirmative : nous en trouvons, ce me semble, la preuve dans la leçon d’aujourd’hui. Jean l’avait donc appelé Fils de Dieu ; mais les hommes n’ont-ils pas aussi été appelés de ce nom ? Il l’avait déclaré si grand, qu’à l’entendre, il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers[341]. Voilà déjà un degré de grandeur qui donne beaucoup à penser, le plus grand parmi ceux qui sont nés de la femme n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers. C’était le mettre au-dessus des anges et des hommes. Car nous lisons dans l’Écriture qu’un homme ayant voulu se jeter aux pieds d’un ange, celui-ci s’y opposa. En effet, l’Apocalypse nous apprend qu’un ange montra une vision à l’Apôtre même qui a écrit cet Évangile. Effrayé de la grandeur de ce qu’il avait vu, Jean se jeta à ses pieds : « Lève-toi », lui dit l’ange, « garde-toi de le faire, adore Dieu seul ; car pour moi, je suis comme toi et comme les frères, un de ses serviteurs[342] ». Voilà donc un ange qui empêche un homme de se jeter à ses pieds. De là n’est-il pas évident que le Christ est supérieur à tous les anges, puisque le plus grand de ceux qui sont nés de la femme a dit qu’il était indigne de délier les cordons de ses souliers ?

3. Néanmoins, Jean va nous dire quelque chose de plus positif : il va nous dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu. Nous allons le voir dans cette leçon, car n’est-ce pas déjà à lui que s’appliquent les paroles du Psalmiste que nous venons de chanter : « Dieu a régné sur toute la terre ? » Voilà une parole que refusent d’entendre ceux qui restreignent à l’Afrique les limites de son royaume. C’est évidemment du Christ qu’il a été dit : « Dieu a régné sur toute la terre ». Avons-nous, en effet, un roi autre que Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Oui, il est notre roi. Quelles paroles avez-vous encore entendues lorsqu’on chantait tout à l’heure l’un des derniers versets du psaume : « Chantez notre Dieu, chantez notre roi, chantez ». Celui qu’il appelle notre Dieu, il l’appelle aussi notre roi, « chantez notre Dieu, chantez notre roi, chantez avec intelligence ». Garde-toi de réduire à une seule partie de la terre la puissance de celui dont tu chantes : « Parce que le roi de toute la terre est Dieu[343] ». Comment est-il le roi de toute la terre, celui qui n’a été vu que dans une des parties du monde, dans la Judée, à Jérusalem, où il a conversé avec les hommes, où il est né, où il a sucé le lait de sa mère, où il a grandi, où il a bu et mangé, où il a veillé et dormi, où, étant fatigué, il s’est assis près d’un puits ; où il a été saisi, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, attaché à la croix, percé d’une lance, où il est mort et a été enseveli ? Comment reconnaître en lui le roi de toute la terre ? Ce qui se voyait dans un lieu n’était que sa chair ; sa chair apparaissait aux yeux de la chair ; mais sous les dehors d’une chair mortelle se cachait sa majesté immortelle. Quels yeux pouvaient apercevoir cette majesté immortelle voilée par une enveloppe de chair ? Il y a d’autres yeux que ceux-là, il y a les yeux de l’âme. Certes, Tobie n’était pas entièrement privé de la vue quand il donnait à son fils des préceptes de vie[344]. Le fils donnait la main à son père pour guider ses pas le père donnait des conseils à son fils pour l’aider à marcher dans la voie de la justice. Ici je vois réellement des yeux, là j’en devine. Les yeux de celui qui donnait des conseils valaient mieux que les yeux de celui qui lui servait de guide. C’étaient de tels yeux que cherchait Jésus-Christ, lorsqu’il disait à Philippe : « Depuis si longtemps je suis avec vous, « et vous ne me connaissez pas encore ». C’était à de tels yeux qu’il faisait allusion quand il disait : « Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père [345] ». Ces yeux sont les yeux de l’intelligence, ces yeux sont les yeux du cœur. C’est pourquoi, après avoir dit : « Dieu est le roi de la terre », le Psalmiste ajoute aussitôt : « Chantez avec intelligence » ; c’est-à-dire qu’en disant : « Chantez notre Dieu, chantez », j’appelle Dieu notre roi. Vous avez vu notre roi pareil à un homme vivant au milieu des autres hommes, vous l’avez vu souffrant, crucifié, mort ; sous le voile de cette chair que vos yeux charnels pouvaient contempler se cachait quelque chose. Qu’était-ce ? « Chantez avec intelligence », ne cherchez pas à voir avec les yeux du corps ce que vous ne pouvez apercevoir que des yeux de l’âme. « Chantez » avec votre langue, en tant que nous l’avons vu comme homme au milieu de nous ; mais en tant qu’il « est le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous », que notre corps loue son humanité et que notre âme adore sa divinité. « Chantez avec intelligence », et reconnaissez que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous ».

4. Qu’à son tour Jean rende témoignage à Jésus-Christ. « Après cela », est-il dit, « Jésus vint en Judée avec ses disciples ; il y demeurait avec eux et baptisait ». Après avoir été baptisé, il baptisait ; mais il ne donnait pas un baptême pareil à celui qu’il avait reçu. Le naître baptise après avoir été baptisé par le serviteur, il avait voulu nous indiquer par là le chemin de l’humilité, et nous conduire au baptême du maître, c’est-à-dire à son propre baptême, en se montrant assez humble pour ne pas dédaigner le baptême de son serviteur. Le baptême du serviteur préparait la voie au maître, et le Seigneur, en le recevant, s’est fait la voie de ceux qui viennent à lui. Écoutons-le, lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie[346] ». Si tu cherches la vérité, suis la voie qui y mène, car la voie est en même temps la vérité. Le but où tu tends, la voie qui t’y conduit, c’est la même chose ; autre n’est pas le chemin, et autre le but où il conduit : tu n’arrives pas au Christ par une voie différente de lui-même : tu vas au Christ par le Christ. Comment cela ? Tu vas par Jésus-Christ homme à Jésus-Christ Dieu, par le Verbe fait chair, au Verbe qui dès le commencement était Dieu, en Dieu ; par celui qui est la nourriture des hommes, à celui qui est la nourriture quotidienne des anges. En effet, il est écrit : « Il leur a donné le froment du ciel, l’homme a mangé le pain des anges[347] ». Quel était le pain des anges ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Comment l’homme a-t-il mangé le pain des anges ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[348] ».

5. Mais parce que nous avons parlé du pain qui fait la nourriture des anges, ne vous les représentez pas comme mangeant à notre manière. Car si telles étaient vos pensées, le Dieu dont se nourrissent les anges serait déchiré en morceaux. Peut-on partager la justice ? Mais, me dira encore quelqu’un : Peut-on se nourrir de la justice ? Comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés [349] ? » Le pain que tu manges pour te restaurer disparaît ; pour te rendre la force, il se consume ; mange la justice, tu renouvelles tes forces, et elle demeure intacte. Ainsi, quand nous jouissons de la lumière matérielle, son éclat répare en nous les forces du sens de la vue, et pourtant cette lumière n’est qu’un objet corporel perçu par les yeux du corps. Pour être demeurés trop longtemps dans les ténèbres, plusieurs ont senti leurs yeux s’affaiblir ; car ils avaient comme jeûné en fait de lumière. Privés de leur aliment, car la lumière les nourrit, les yeux se fatiguent et s’affaiblissent sous l’influence de ce jeûne, en sorte qu’ils ne peuvent même plus supporter cette lumière qui devrait restaurer leurs forces ; et s’ils en sont trop longtemps privés, ils finissent par s’éteindre, et le sens de la perception visuelle meurt pour ainsi dire en eux. Eh quoi ! parce qu’elle alimente tous les jours une si grande quantité d’yeux, cette lumière diminue-t-elle ? Non, les yeux se restaurent et la lumière reste dans son entier. Puisque Dieu a pu faire de la lumière matérielle l’aliment des yeux du corps, sans qu’elle en souffre aucune atteinte, pourquoi ne communiquerait-il pas aux cœurs purs une lumière infatigable, toujours entière, incapable de faiblir ? Quelle est cette lumière ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu ». Voyons si Dieu est en effet une lumière. « En vous est la source de la vie, et « nous verrons la lumière dans votre lumière[350] ». Sur la terre autre chose est une source, autre chose est la lumière. Si tu as soif, tu cherches une source, et pour y arriver tu cherches la lumière ; et s’il fait nuit, tu allumes une lampe afin de parvenir à la source. Jésus-Christ est en même temps source et lumière : source pour celui qui a soif, lumière pour celui qui ne voit pas. Ouvrons les yeux pour voir cette lumière, ouvrons la bouche de notre cœur pour boire à cette source ; ce que tu bois, tu le vois : tu l’entends, Dieu est tout pour toi, parce qu’il est pour toi l’ensemble de ce que tu aimes. Si tu ne penses qu’à des choses visibles, il est sûr que Dieu n’en est pas. il n’est ni du pain, ni de l’eau, ni le soleil, ni un vêtement, ni une maison ; car toutes ces choses sont visibles et distinctes les unes des autres. Ce qui est du pain n’est pas de l’eau, ce qui est un vêtement n’est pas une maison, et l’ensemble de tout cela n’est pas Dieu ; car tout cela est visible. Dieu, au contraire, est tout pour toi. As-tu faim ? Il te sert de pain. Es-tu altéré ? Il te rafraîchit. Es-tu dans les ténèbres ? Il est ta lumière, parce qu’il reste incorruptible. Es-tu nu ? Il sera le vêtement de ton immortalité, lorsque ce corps corruptible aura été revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura été revêtu d’immortalité[351]. De Dieu on peut dire tout, et l’on n’en peut rien dire qui soit digne de lui. Rien de plus riche que cette indigence. Si tu cherches un nom qui lui convienne, tu n’en trouves pas, et si tu veux parler de lui, c’est à ne pas tarir. Y a-t-il une similitude quelconque entre un agneau et un lion ? L’Écriture a donné au Christ ces deux noms : « Voici l’Agneau de Dieu [352] ». Comment est-il un lion ? « Le lion de la tribu de Juda a vaincu [353] ».
6. Écoutons Jean « Jésus baptisait ». nous avons déjà dit que Jésus baptisait ; comment était-il Jésus ? Comment était-il le Seigneur ? le Fils de Dieu ? le Verbe ? Mais « le Verbe s’est fait chair ». « Jean baptisait aussi dans Ennon, près de Salim ». Ennon est le nom d’un lac. Comment savons-nous que c’était un lac ? « C’est qu’il y avait là beaucoup d’eau, et que plusieurs y venaient pour être baptisés ; car Jean n’avait pas encore été mis en prison ». S’il vous en souvient, je vous ai déjà dit, et je vous le répète, pourquoi Jean baptisait en voici la raison : il fallait que le Sauveur reçût le baptême. Et pourquoi fallait-il que le Sauveur fût baptisé ? Parce que plusieurs se croyant plus privilégiés de la grâce que les autres fidèles, auraient dédaigné de se faire baptiser. Par exemple un catéchumène dans la continence mépriserait le fidèle engagé dans les liens du mariage, et se croirait meilleur. Ce catéchumène dirait peut-être dans son cœur Qu’ai-je besoin de recevoir le baptême pour avoir ce qu’a celui-là, puisque je vaux mieux que lui ? Afin d’empêcher la présomption de perdre ceux que le mérite de leur propre justice pourrait enorgueillir, le maître a voulu recevoir le baptême de la main de son serviteur : et, par là, il semblait dire à des fils orgueilleux : Pourquoi vous élever ? pourquoi vous mettre au-dessus des autres ? Parce que vous avez, l’un la prudence, l’autre la science, celui-ci la chasteté, celui-là une patience inébranlable ? Pensez-vous avoir ces vertus au même degré que moi qui vous les ai données ? Cependant j’ai reçu le baptême de mon serviteur, et vous, vous dédaignez le baptême de votre maître ! Voilà ce que signifient ces paroles : « Afin que toute justice s’accomplisse[354] ».
7. En ce cas, dira quelqu’un, il suffisait que Jean baptisât Notre-Seigneur ; quelle nécessité y avait-il pour lui d’en baptiser d’autres ? À cela nous avons répondu que si Notre-Seigneur avait seul reçu le baptême de Jean, plusieurs n’auraient pas manqué de penser que le baptême de Jean était meilleur que celui de Notre-Seigneur. Voyez, auraient-ils dit, quelle était la valeur du baptême de Jean ! Jésus-Christ seul a été digne de le recevoir ! Le Christ a donc voulu faire voir la supériorité de son propre baptême relativement à celui de Jean : il a voulu que l’un fût considéré comme celui du serviteur, et l’autre comme celui du Maître ; il a voulu nous donner un exemple d’humilité, il s’est donc fait baptiser. Mais il n’a pas été seul à recevoir ce baptême, par la raison que ce baptême ne devait pas être considéré comme préférable à celui du Seigneur. Par là encore, nous vous l’avons dit, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ a agi de manière à empêcher certains hommes, infatués de la grandeur de leurs mérites, de regarder comme indigne d’eux la réception de son propre baptême. Quels que soient, en effet, les progrès d’un catéchumène dans le chemin de la vertu, il porte toujours le fardeau de ses péchés, et il n’en sera déchargé que quand il sera venu recevoir le baptême. De même que les Israélites n’ont été délivrés des Égyptiens qu’après avoir traversé la mer Rouge[355], ainsi personne ne sera délivré du poids de ses fautes qu’après avoir été plongé dans la piscine du baptême.
8. « Il s’éleva donc une dispute entre les disciples de Jean et les Juifs, touchant la purification ». Jean baptisait, Jésus-Christ baptisait aussi : les disciples de Jean s’en émurent ; car si l’on venait au baptême de Jean, on accourait en foule à celui de Jésus-Christ. Ceux qui venaient demander le baptême à Jean, celui-ci les renvoyait à Jésus-Christ ceux, au contraire, que le Christ baptisait, il ne les envoyait pas à Jean. Les disciples du Précurseur en furent donc troublés, et comme il arrive d’habitude en pareil cas, une contestation s’éleva entre eux et les Juifs. Il est facile de l’imaginer, les Juifs prétendaient que Jésus-Christ était supérieur à Jean, et qu’en conséquence il fallait aller à lui. Les disciples de Jean n’étaient pas éclairés comme ils le furent plus tard ; aussi défendaient-ils le baptême de leur maître. On vint trouver Jean lui-même pour lui faire résoudre la difficulté. Que votre charité soit attentive. Voici qui montre combien l’humilité est utile ; nous allons voir si dans une circonstance où les hommes pouvaient se tromper, Jean a voulu profiter de leur penchant à l’erreur, pour se faire valoir. Il aurait pu dire : vous parlez juste ; c’est avec raison que vous discutez : mon baptême est le meilleur. Je vais vous donner une preuve de son excellence, c’est que j’ai baptisé le Christ. Dès lors qu’il avait baptisé le Christ, Jean pouvait parler ainsi. La belle occasion de s’élever, s’il avait voulu le faire ! Mais il savait mieux devant qui il devait s’humilier. Celui qu’il précéda par l’âge, il a voulu lui céder le pas et proclamer son excellence ; car il savait que le Christ était son Sauveur. Auparavant déjà, il avait dit : « Nous avons tous reçu de sa plénitude [356] ». C’était le reconnaître comme Dieu. Si, en effet, il n’est pas Dieu, comment tous les hommes peuvent-ils recevoir de sa plénitude ? Car s’il est homme, sans être en même temps Dieu, il reçoit de la plénitude de Dieu, et par conséquent il n’est pas Dieu. Si, au contraire, tous les hommes reçoivent de sa plénitude, il est la source, eux y boivent. Quand on boit à une source, c’est qu’on est susceptible d’avoir soif et de boire. Pour la source, elle n’a jamais soif, elle n’a pas besoin d’elle-même. Les hommes ont besoin de la source, Lorsque leurs entrailles sont enflammées et que leur gorge se trouve sèche, ils courent à la source afin de s’y rafraîchir ; la source coule pour rafraîchir les gens altérés. Ainsi en est-il du Seigneur Jésus.
9. Voyons donc ce que Jean répondit : « Ils vinrent à Jean et lui dirent : Maître, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, auquel tu as rendu témoignage, voilà qu’il baptise maintenant, et tous vont à lui ». C’était lui dire : Qu’en dis-tu ? Ne faut-il pas les en empêcher, afin qu’ils viennent de préférence à toi ? Jean leur répondit : « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel ». À votre avis, de qui Jean a-t-il voulu parler ? de lui-même. Puisque je suis homme, ce que j’ai, je l’ai reçu du ciel. Que votre charité soit attentive. « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel. Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j’ai dit : Je ne suis pas le Christ ». C’était leur dire : Pourquoi vous tromper vous-mêmes ? Comment ? c’est vous-mêmes qui m’adressez une pareille question ? Pourquoi me dire : « Maître, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, et à qui tu as rendu témoignage ? » Vous savez donc quel est le témoignage que je lui ai rendu. Vous dirai-je, maintenant, qu’il n’est pas celui que je vous ai dit ? Moi qui ai reçu du ciel le privilège d’être quelque chose, vous me prenez donc pour rien, puisque vous voulez que je parle contre la vérité ? « L’homme ne peut rien recevoir qu’il ne lui ait été donné du ciel. Vous me rendez vous-mêmes témoignage que je vous ai dit : Je ne suis pas le Christ ». Tu n’es pas le Christ ; mais qui es-tu, puisque tu es plus grand que lui, vu que tu l’as baptisé ? « Je suis son envoyé » : moi je suis le héraut, lui est le juge.
10. Mais écoute tin témoignage beaucoup plus fort et plus exprès. Voyez donc de quoi il s’agit pour nous, voyez ce que nous devons aimer. Remarquez – le bien : aimer un homme à la place de Jésus-Christ, c’est commettre un adultère. Pourquoi m’exprimé-je ainsi ? Faisons attention à la réponse de Jean. On pouvait se tromper à son endroit, on pouvait le prendre pour ce qu’il n’était pas ; il rejette loin de lui l’honneur qui ne lui est pas dû, pour s’attacher à la Pierre solide de la vérité. À l’entendre, qui est le Christ ? Qu’est-il lui-même ? « Celui qui a l’épouse est l’époux ». Soyez chastes, aimez l’époux. Mais, qui êtes-vous, vous qui nous dites : « Celui qui a l’épouse est l’époux ? Pour l’ami de l’époux, qui se tient debout et qui l’écoute, il est rempli de joie parce qu’il entend la voix de l’épouse ». Le Seigneur notre Dieu, qui sait les pensées de mon cœur et l’abondance des gémissements dont il est plein, m’aidera à vous dire ma douleur. Mais, je vous en conjure par ce même Jésus-Christ, suppléez par la pensée à ce que je ne pourrai dire ; car, je le sens, mes paroles ne sauraient exprimer l’amertume de mes peines. En effet, je vois beaucoup de ces adultères qui veulent posséder l’épouse que le Seigneur a rachetée à un si haut prix, qu’il a aimée en dépit de sa laideur, pour la rendre toute belle, qu’il a délivrée, qu’il a richement ornée. Je les vois employer tous les artifices de la parole pour se faire aimer aux dépens (le l’époux. C’est de l’époux que Jean a dit : « Voilà celui qui baptise [357] ». Qui ose s’avancer et dire : C’est moi qui baptise ? Qui ose s’avancer et dire : C’est ce que je donne qui est saint ; il serait avantageux pour toi d’être régénéré par moi ? Écoutons l’ami de l’époux, au lieu d’écouter les adultères ; Écoutons celui qui montre du zèle, mais pour un autre que pour lui-même.
11. Mes frères, retournez par la pensée dans vos maisons. Je vous parle d’une manière charnelle et terrestre, je vous parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair [358]. Plusieurs d’entre vous sont mariés, plusieurs veulent l’être, plusieurs qui ne le voudraient pas le sont ; plusieurs qui ne consentiraient jamais à avoir de femmes doivent leur naissance à celles qu’ont épousées leurs pères, Enfin il n’y a pas de cœur à l’abri d’affections de cette nature ; il n’y a aucun homme, assez différent des autres hommes dans l’appréciation des choses humaines, pour ne pas sentir ce que je vais dire. Supposez donc qu’un mari, partant pour un voyage lointain, recommande sa femme à son ami. Tu es mon ami, lui dit-il, veille, je te prie, à ce que pendant mon absence elle n’en aime point d’autre que moi. Cet homme chargé de veiller sur la fiancée ou l’épouse de son ami, s’occupe soigneusement de ne lui en laisser aimer aucun autre ; mais il s’arrange de façon à se faire aimer lui-même, et à obtenir les bonnes grâces de celle qui lui a été confiée ; ne le jugera-t-on pas digne de l’exécration de tout l’univers ? Qu’il la voie regarder trop hardi ment un homme par la fenêtre ou badiner avec lui, vite il s’y oppose ; quel zèle jaloux il y met ! Je le vois empressé, mais je voudrais savoir au profit de qui il déploie tout ce zèle, Est-ce pour son ami absent ? Est-ce pour lui-même ? Appliquez ceci à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il a confié son épouse à son ami, et il est parti dans une région lointaine pour prendre possession d’un royaume, comme il le dit lui-même dans son Évangile[359]. Toutefois il ne cesse pas d’être présent par sa majesté. On peut tromper l’ami qui voyage au-delà des mers ; néanmoins, malheur à celui qui le trompe ! Mais pourquoi essayer de tromper Dieu, Dieu qui voit le fond des cœurs et qui en sonde tous les replis ? Voici cependant un hérétique qui dit : C’est moi qui donne le baptême, c’est moi qui sanctifie, c’est moi qui justifie. Je ne prétends pas que tu iras à un autre, montre un zèle ardent, j’en conviens ; mais vois au profit de qui. S’il disait : Ne va pas aux idoles, son zèle serait de bon aloi ; s’il disait : Ne va pas aux devins, son zèle serait dans l’ordre. Voyons donc au profit de qui il déploie son zèle. Ce que je donne est saint, parce que c’est moi qui le donne ; celui que je baptise est véritablement baptisé ; celui que je ne baptise point n’est pas baptisé, Écoute maintenant l’ami de l’époux, il t’apprendra à faire du zèle au profit de l’époux. Entends-le dire : « C’est celui-là qui baptise ». Pourquoi donc, ô hérétique, prétends-tu t’arroger ce qui n’est point à toi ? Est-il absent à ce point celui qui a laissé ici-bas son épouse ? Ignores-tu que celui qui est ressuscité d’entre les morts est assis à la droite de son Père ? Si les Juifs l’ont méprisé lorsqu’il était attaché à la croix, oserais-tu le mépriser aussi ? Il est assis dans le ciel, ne l’oublie pas. Ah ! si votre charité savait combien je souffre de pareilles choses ! Mais, je vous l’ai dit, suppléez par la pensée â ce que je ne puis vous dire. Quand je vous parlerais toute la journée, il me serait impossible de vous communiquer toute ma peine ; j’aurais beau me plaindre du matin au soir, je n’en finirais pas : ce ne serait pas assez pour moi, je ne dis pas, comme le Prophète [360], d’avoir une fontaine de larmes, mais de me changer en larmes, de devenir des larmes, de me changer en langues, de devenir des langues.
12. Revenons au Précurseur et voyons de nouveau ce qu’il dit : « Celui qui a l’épouse est l’époux ». Ce n’est pas mon épouse. Leurs noces ne t’inspirent donc aucun sentiment de joie ? Au contraire, dit-il, je m’en réjouis. « Car l’ami de l’époux, qui se tient debout et qui l’écoute, est ravi de joie parce qu’il entend la voix de l’époux ». Ce n’est pas d’entendre ma voix, qui me réjouit, c’est d’entendre la voix de l’époux. Moi, je n’ai qu’à écouter, et lui n’a qu’à parler ; moi, je dois recevoir les rayons de la lumière, et lui est la lumière ; je suis l’oreille, il est la parole, Aussi, l’ami de l’époux se tient debout et l’écoute. Pourquoi se tient-il debout ? Parce qu’il ne tombe pas. Pourquoi ne tombe-t-il pas ? Parce qu’il est humble. Voyez le Précurseur ; il se tient ferme : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers[361] ». Tu t’humilies suivant l’ordre : c’est pourquoi, au lieu de tomber, tu te tiens debout, tu écoutes l’époux et tu te réjouis à sa voix. Ainsi faisait l’Apôtre, cet autre ami de l’époux. Il était rempli de zèle, non point pour son profit personnel, mais pour celui de l’époux. Écoute, voici la preuve de son zèle : « Je vous aime pour Dieu d’un amour de jalousie. Cette jalousie n’est pas à moi, elle n’est pas pour moi, c’est la jalousie de Dieu ». D’où vient votre jalousie, ô grand Apôtre, quelle est-elle ? Quel en est l’objet ? Qui est-ce qui en profite ? « Je vous ai fiancés à cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure ». Que craignez-vous, et pourquoi votre jalousie ? « Je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, de même vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est en Jésus-Christ [362] ». Considérée en son ensemble, l’Église est appelée vierge. Vous le voyez, elle a différents membres qui jouissent de dons divers ; les uns ont des femmes, les autres des maris. Ceux-ci ont perdu leurs femmes, et n’en cherchent pas de nouvelles ; celles-là sont veuves et ne veulent plus avoir de maris ; ceux-ci ont conservé leur intégrité virginale depuis leur bas âge, celles-là ont voué à Dieu leur virginité. Les dons sont divers, mais tous ceux qui les possèdent ne forment qu’une seule vierge. Où réside cette virginité ? D’ordinaire ce n’est pas dans le corps. Quelques femmes la possèdent et, sans chercher si ce titre peut appartenir aux hommes, il est certain que dans l’Église cette intégrité du corps appartient à un petit nombre d’entre eux ; mais ce membre de l’Église n’en est que plus respectable. Pour tous les autres, leur virginité n’est pas la virginité du corps, mais celle de l’âme. Qu’est-ce que cette virginité de l’âme ? C’est l’intégrité de la foi, la fermeté de l’espérance, la sincérité de l’amour. Voilà la virginité que craignait de voir corrompre par le serpent celui qui brûlait de zèle pour l’époux. En effet, comme la virginité du corps se perd par la corruption de quelqu’un de ses membres, ainsi les artifices de la langue corrompent la virginité de l’âme. Que celui-là donc évite la corruption de l’âme, qui veut, avec raison, la virginité de son corps.
13. Que vous dirai-je donc, mes frères ? Les hérétiques ont aussi des vierges, et parmi eux il s’en trouve même beaucoup. Mais voyons s’ils aiment l’époux au point de lui conserver leur virginité. Pour qui doit-on la garder ? « Pour le Christ », dit l’Apôtre. Voyons si c’est pour le Christ, et non pour Donat qu’ils la gardent. Voyons pour qui se garde leur virginité. Vous pouvez bien vite le savoir : Je leur montre l’époux, parce qu’il se montre lui-même. Jean lui rend témoignage : « C’est celui-là qui baptise ». O vierge, si c’est pour cet époux que tu gardes ta virginité, pourquoi courir à celui qui dit : C’est moi qui baptise, puisque l’ami de ton époux dit au contraire : « C’est lui qui baptise ? » De plus, ton époux règne par tout l’univers, pourquoi corrompre ta virginité en la gardant pour celui qui n’en possède qu’une partie ? Quel est ton époux ? « Dieu est le roi de la terre entière [363] ». Ton époux règne par toute la terre, parce qu’il l’a rachetée tout entière. Remarque à quel prix il l’a rachetée, et tu sauras ce qu’elle vaut. Quel prix en a-t-il donné ? Son sang. Quand a-t-il donné son sang ? Quand l’a-t-il répandu ? Pendant sa Passion. N’est-ce pas à ton époux que tu chantes ou que tu viens de chanter ces paroles, en souvenir du prix dont il a racheté l’univers tout entier : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, ils m’ont regardé et considéré attentivement, ils ont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort ? » Tu es l’épouse, reconnais la robe de ton époux. Sur quelle robe le sort a-t-il été jeté ? Interroge l’Évangéliste. Vois à qui tu as été fiancée. Sache de qui tu as reçu des arrhes. Interroge l’Évangéliste, vois ce qu’il te dit dans le récit de la Passion du Seigneur. « Il y avait là une robe ». Voyons ce qu’elle était : « D’un seul tissu du haut en bas ». Cette robe d’un seul tissu du haut en bas, que signifie-t-elle, sinon la charité ? Que signifie-t-elle, sinon l’unité ? Fais attention que cette tunique n’a pas été partagée même par les bourreaux du Christ ; car l’Ecrivain sacré s’exprime ainsi : « Ils se dirent les uns aux autres : ne la coupons pas, mais tirons-la au sort[364] ». Les bourreaux du Christ n’ont donc pas déchiré la robe. Voilà bien ce que vous venez d’entendre dire au Psalmiste ; et des chrétiens déchirent l’Église !
14. Mais que dire, mes frères ? Essayons de voir de plus en plus clairement ce qu’il a acheté ; car il l’a acheté, là où il a versé le prix. Pour quelle étendue de terrain l’a-t-il versé ? S’il l’a versé seulement pour l’Afrique, soyons Donatistes : au lieu de nous appeler Donatistes, appelons-nous chrétiens, puisque Jésus-Christ n’a racheté que l’Afrique, et bien qu’il ne s’y trouve pas seulement que des Donatistes. Dans son négoce il n’a pas gardé le secret sur ce qu’il achetait : il l’a inscrit sur ses tablettes. Grâces à Dieu, il ne nous y a pas trompés. Il faut que l’épouse en écoute la lecture, pour apprendre à qui elle a voué sa virginité : le texte s’en trouve précisément dans le psaume où il est dit : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os ». Ces paroles désignent clairement la Passion de Notre-Seigneur. On donne lecture de ce psaume tous les ans pendant la dernière semaine, aux approches de la Passion du Christ, en présence de tout le peuple attentif. Cette lecture se fait chez eux aussi bien que chez nous. Remarquez bien, mes frères, les paroles du Prophète. Vous y verrez ce que Notre-Seigneur a acheté : on va lire les tablettes commerciales du Christ ; vous y verrez ce qu’il a acheté. Écoutez : « Les peuples les plus reculés se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations se prosterneront en sa présence, parce qu’à lui appartient l’empire et qu’il régnera sur tous les peuples[365] ». Voilà ce qu’il a acheté, voilà l’accomplissement de ces paroles : « Dieu est le Roi de toute la terre ». Voilà ton époux. Pourquoi vouloir condamner à porter des haillons un époux si riche ? Fais-y donc attention, il a tout acheté, et tu lui dis : Voilà votre part ! Ah ! si, avant de lui parler, tu n’étais pas tombée dans la corruption et, qui pis est, dans la corruption non du corps, mais de l’âme ! À la place du Christ tu aimes un homme, tu aimes celui qui dit : C’est moi qui baptise, tu n’écoutes pas l’ami de l’époux lorsqu’il dit : « C’est lui qui baptise » ; et encore : « Celui qui a l’épouse est l’époux. Pourquoi dit-il : Je n’ai pas l’épouse, que suis-je donc ? « L’ami de l’époux qui se tient debout et qui est ravi de joie à cause de la voix de l’époux [366] ».
15. Évidemment, mes frères, il ne sert de rien aux Donatistes de conserver la virginité, de garder la continence, de donner l’aumône ; aucune de ces œuvres louangées à si juste titre dans l’Église ne leur est utile, parce qu’ils déchirent l’unité, c’est-à-dire la tunique de la charité, figurée par celle du Sauveur. Que font-ils ? Plusieurs d’entre eux sont de beaux diseurs, ils ont de grandes langues, ils versent des torrents de paroles. Parlent-ils aussi bien que les anges ? Qu’ils écoutent un ami de l’époux, ami jaloux pour le compte de l’époux, et non pour lui-même : « Quand je parlerais le langage des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante ».
16. Mais, disent-ils, nous avons le baptême. Tu en as un, mais il n’est pas le tien. Autre chose est de l’avoir, autre chose est d’en avoir la propriété. Tu as le baptême, parce que tu as été baptisé ; tu as le baptême et ses lumières, si toutefois tu ne les éteins pas volontairement sous les ténèbres ; et quand tu le donnes, tu le donnes parce que tu en es le ministre et non le maître, tu es un héraut et non un juge. Un juge parle toujours par l’organe de son héraut ; pourtant les actes publics ne portent jamais : Le héraut a dit ; mais : Le juge a dit. C’est pourquoi, vois si ce que tu donnes t’appartient en propre en vertu d’un pouvoir inhérent à ta personne. Puisque tu as reçu le pouvoir de le donner, confesse donc avec l’ami de l’époux que « l’homme ne peut rien recevoir qui ne lui ait été donné du ciel » ; et aussi que « celui qui a l’épouse est l’époux, mais que l’ami de l’époux se tient debout et l’écoute ». Plaise à Dieu que tu te tiennes debout pour l’écouter, et que tu ne tombes pas pour avoir voulu t’écouter toi-même ! En écoutant tu serais debout et tu entendrais ; mais tu parles, et ta tête se gonfle d’orgueil. Pour moi, dit l’Église, parce que je suis son épouse, puisque j’ai reçu de lui des arrhes et que j’ai été rachetée au prix de son sang, j’écoute sa voix, j’écoute aussi la voix de l’ami de l’époux, si c’est à l’époux qu’il rend gloire et non à lui-même. Que cet ami dise donc : « Celui qui a l’épouse est l’époux ; pour l’ami de l’époux, il se tient debout et l’écoute, et il est rempli de joie parce qu’il entend sa voix ». Oui, tu as les sacrements, et j’en conviens : tu as l’apparence d’un sarment, mais tu es séparé du cep ; tu ressembles à un pied de vigne, mais je voudrais voir ses racines ; si les racines lui manquent, jamais le cep ne produira de raisins. Et quelles sont ces racines, si ce n’est la charité ? Écoute Paul : il va te montrer un sarment, mais un sarment sans racines : « Quand même je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais le don de prophétie, quand j’aurais toute la foi possible » (qu’une pareille foi serait grande !) « jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien [367] ».
17. Que personne ne vienne donc vous débiter ces fables : Ponce a fait un miracle, Donat a prié, et Dieu lui a répondu du haut du ciel. D’abord, ceux qui parlent ainsi ou sont trompés ou vous trompent. Supposons encore qu’ils transportent les montagnes ; mais rappelons-nous les paroles de Paul : « Si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». Voyons si Ponce ou Donat a eu la charité ; je le croirais s’il n’avait pas rompu l’unité. Mon Dieu m’a précautionné contre ces faiseurs de miracles, si je puis m’exprimer ainsi, lorsqu’il a dit : « Dans les derniers temps s’élèveront des faux prophètes qui feront des miracles et des prodiges de manière à induire en erreur les élus eux-mêmes, si la chose était possible : « voici que je vous l’ai prédit[368] ». L’époux nous a donc mis sur nos gardes, afin que nous ne soyons pas trompés même par des miracles. Il arrive quelquefois qu’un déserteur suffit à faire peur à un paysan ; mais s’il est dans un camp, peut-il se prévaloir des insignes dont il est revêtu ? Non ; car il y a là pour l’examiner des gens qui ne veulent se laisser ni effrayer, ni séduire. Attachons-nous donc à l’unité, mes frères ; car en dehors de l’unité celui même qui fait des miracles n’est rien. Le peuple juif se trouvait dans l’unité, et néanmoins il n’opérait pas de miracles ; les magiciens de Pharaon étaient hors de l’unité, ce qui ne les empêchait pas de faire des miracles comme en faisait Moïse[369]. Je l’ai dit : il n’y en a pas eu d’opérés par le peuple juif. Lesquels ont été sauvés par Dieu ? Ceux qui faisaient des miracles ou ceux qui n’en faisaient pas ? L’apôtre Pierre a ressuscité un mort[370]. Simon le Magicien a opéré plusieurs prestiges[371] : il y avait alors un grand nombre de fidèles incapables de faire les miracles de Pierre et les prodiges de Simon. Cependant ils ne laissaient pas de se réjouir et pourquoi ? Parce que leurs noms étaient écrits dans le ciel. C’est, en effet, ce que le Sauveur disait à ses disciples au moment où ils revenaient de leurs courses apostoliques, et en parlant ainsi il voulait éclairer la foi des peuples. Les apôtres étaient tout fiers de ce qu’ils avaient fait ; aussi, lui disaient-ils : « Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis à cause de votre nom ». Leurs paroles étaient un aveu digne d’éloges ; ils rapportaient l’honneur de leurs prodiges au nom du Christ. Néanmoins que leur répond Jésus ? « Gardez-vous de vous glorifier de ce que les démons vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel [372] ». Pierre a chassé les démons : une pauvre vieille femme, le premier venu d’entre les laïques qui a la charité et qui garde l’intégrité de la foi n’en fait pas autant. Pierre est l’œil dans le corps de l’Église, ce laïque en est le doigt ; toutefois il appartient à ce même corps dont Pierre fait partie, et bien que le doigt vaille moins que l’œil, il n’est pas pour cela séparé du corps. Mieux vaut être le doigt et demeurer dans le corps, qu’être l’œil et s’en voir séparé.
18. Ainsi, mes frères, que personne ne vous trompe, que personne ne vous abuse. Aimez la paix de Jésus-Christ : quoiqu’il fût Dieu, il a été crucifié pour vous. « Celui qui plante n’est rien », dit Paul, « non plus que celui qui arrose ; mais c’est Dieu qui donne l’accroissement ». Lequel d’entre nous oserait dire qu’il est quelque chose ? Si nous disons que nous sommes quelque chose, si nous ne rapportons pas à Dieu toute la gloire, nous sommes des adultères, nous voulons nous faire aimer au lieu de faire aimer l’époux. Pour vous, aimez le Christ et aimez-nous en lui, c’est en lui que nous vous aimons à notre tour. Que les membres s’aiment entre eux, mais que tous vivent unis sous la direction du chef. Ma douleur m’a forcé, mes frères, à vous parler longuement, et pourtant ce que j’ai dit est peu de chose. Je n’ai pu achever de vous expliquer ce qui a été lu ; mais Dieu me donnera la grâce de le faire en temps opportun. Je ne veux point surcharger vos cœurs : il faut qu’ils aient le loisir de gémir et de prier pour ceux qui sont sourds à ces vérités et qui ne les comprennent pas.

QUATORZIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « CETTE MÊME JOIE EST DONC REMPLIE », JUSQU’A « CELUI QUI NE CROIT POINT AU FILS, NE VERRA POINT LA VIE ; MAIS LA COLÈRE DE DIEU DEMEURE SUR LUI ». (Chap. 3,29-36.)

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LE CHRIST, SOURCE DE TOUTE VÉRITÉ.

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Saint Jean affirme qu’il surabonde de joie, car il est uni au Sauveur par la foi et la charité ; et, continuant à professer l’humilité la plus profonde, il avoue que le Christ doit être de plus en plus connu et glorifié, parce qu’il est la source de toute lumière et de toute grâce, tandis que lui-même doit déchoir, chaque jour davantage dans l’opinion des hommes, parce qu’il n’est rien et ne sait rien que par l’entremise du Verbe. En effet, le Verbe divin est seul pour avoir vu et entendu le Père, pour avoir pu nous en parler. Les hommes, prédestinés à la damnation, ne reçoivent point son témoignage ; mais ses futurs élus savent qu’il est la vérité même, puisque Dieu le Père lui a révélé tous les mystères de son essence infinie, et qu’il l’a envoyé pour nous en instruire. Nul autre moyen de posséder la vie, que de croire à sa parole.


1. Cette leçon du saint Évangile nous apprend l’excellence de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l’humilité de l’homme qui a mérité d’être appelé l’ami de l’Époux. Elle nous aide ainsi à distinguer la différence qui se trouve entre un homme et un homme-Dieu. Homme-Dieu, tel est, en effet, Jésus-Christ Notre-Seigneur. Dieu avant tous les temps et homme dans le nôtre ; Dieu engendré par son Père, homme né de la Vierge ; mais un seul et même Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ Fils de Dieu, Dieu et homme. Pour Jean, privilégié de sa grâce, il a été envoyé devant Notre-Seigneur, il a été éclairé par celui qui est la lumière. Car il a été dit de Jean : « Il n’était pas la lumière ; mais il devait rendre témoignage à la lumière[373] ». En un sens on peut sans doute l’appeler lumière et on lui donne ce nom avec justice ; mais il était une lumière d’emprunt qui en reflétait une autre. Autre, en effet, est la lumière qui éclaire par elle-même et la lumière qui reçoit d’ailleurs son éclat ; ainsi nos yeux sont appelés lumière, et cependant ouvrez-les dans les ténèbres, ils ne verront rien. Au lieu que la lumière qui éclaire, c’est par sa nature qu’elle est lumière, elle s’éclaire elle-même, sans qu’une, autre vienne lui communiquer ses rayons, elle luit sans le secours d’aucune autre, et tous les autres êtres en ont besoin pour ne point rester dans les ténèbres.
2. Cette lumière, Jean l’a reconnue publiquement, vous le savez pour l’avoir entendu. Jésus réunissait autour de lui un grand nombre de disciples ; on vint dire à Jean comme pour l’aigrir, et lui inspirer de la jalousie : Voilà qu’il fait plus de disciples que toi. Mais Jean confessa ce qu’il était, et il mérita de lui appartenir en ne se faisant point audacieusement passer pour ce qu’était le Sauveur. Voici donc ce que dit Jean : « L’homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel ». Conséquemment, c’est le Christ qui donne, et l’homme qui reçoit. « Pour vous, vous me rendez vous-mêmes témoignage que j’ai dit : Je ne suis pas le Christ, seulement j’ai été envoyé devant lui. Celui qui a l’épouse est l’époux ; mais pour l’ami de l’époux qui se tient auprès de lui et l’écoute, il est ravi de joie à cause de la voix de l’époux[374] ». Ainsi Jean n’a pas pris en lui-même le sujet de sa joie. Car celui qui veut trouver en lui-même le sujet de sa joie, tombera dans la tristesse. Mais celui qui ne veut se réjouir que de Dieu sera toujours dans la joie, parce que Dieu est éternel. Ainsi faisait Jean. « L’ami de l’époux », dit-il, « se réjouit de la voix de l’époux », et non de la sienne propre, « et il se tient debout et l’écoute ». S’il tombe, il ne l’entend pas selon ce qui a été dit de celui qui est tombé, comme il a été dit du diable : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité[375] ». Ces paroles s’appliquent au diable. L’ami de l’Époux doit donc se tenir debout et l’écouter. Qu’est-ce que se tenir debout ? Demeurer dans la grâce après l’avoir reçue. Et il écoute la voix de l’Époux qui doit le réjouir. Ainsi en était-il de Jean. Il savait d’où venait sa joie, et il ne s’arrogeait point les qualités qu’il n’avait pas. Il savait qu’il recevait la lumière, mais qu’il ne donnait point. Pour Jésus, « il était la lumière véritable qui », au dire de l’Évangéliste, « éclaire tout homme venant en ce monde [376] ». Tout homme ; par conséquent Jean comme les autres, puisqu’il était du nombre des hommes. À la vérité, parmi les enfants de la femme nul n’a paru plus grand que Jean [377] ; cependant il est du nombre de ceux qui sont nés de la femme. Peut-on le comparer avec celui qui est né parce qu’il l’a voulu et dont l’enfantement a été tout nouveau, parce que toute singulière a été sa naissance ? En effet, les deux naissances de Notre-Seigneur, sa naissance divine et sa naissance humaine, se sont accomplies en dehors de l’ordre accoutumé. Comme Dieu il n’a pas de mère, comme homme il n’a pas de père. Jean était donc un homme comme les autres, mais un homme tellement privilégié de la grâce, que, parmi les enfants nés de la femme, il n’en a paru aucun d’aussi grand que lui. Néanmoins il a rendu à Notre-Seigneur Jésus-Christ un témoignage si éclatant qu’il n’a pas craint de l’appeler l’époux et de s’en dire l’ami, et de déclarer qu’il était indigne de dénouer les cordons de ses souliers. Votre charité nous a maintes fois entendu parler sur ce sujet. Voyons donc ce qui suit : le sens m’en paraît assez difficile à saisir ; mais comme Jean lui-même a dit : « que l’homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel », tout ce que nous ne comprendrons pas, nous le demanderons à celui qui, du haut du ciel, nous départit tous ses dons. Nous ne sommes que des hommes, et nous ne pouvons rien recevoir à moins qu’il ne nous soit donné par celui qui n’est pas un homme.
3. Voici donc ce qui suit : Jean continue en ces termes : « Ma joie est accomplie ». Quelle est sa joie ? Celle que lui cause la voix de l’Époux. Elle est accomplie en moi, ce qu’il me faut de grâce est arrivé à son comble ; je ne prétends à rien de plus, dans la crainte de perdre ce que j’ai reçu. Quelle est donc cette joie ? « Il est ravi de joie à cause de la voix de l’Époux ». Que l’homme comprenne qu’il ne doit pas trouver le sujet de sa joie dans sa propre sagesse, mais dans celle qu’il a reçue de Dieu. Qu’il n’en demande pas davantage, et il ne perdra pas ce qu’il a trouvé. Plusieurs, en effet, sont devenus insensés parce qu’ils se sont donnés comme sages. Ce sont eux que l’Apôtre reprend en ces termes : « Ce que l’on peut connaître de Dieu leur est connu ; car Dieu le leur a manifesté ». Mais Parce que plusieurs d’entre eux se sont montrés ingrats et impies, écoutez ce que dit Paul : « Car Dieu le leur a manifesté. En effet, les perfections invisibles de Dieu, aussi bien que son éternelle puissance et sa divinité, sont devenues visibles, depuis la création du monde, dans tout ce qui a été fait, en sorte qu’ils sont inexcusables ». Pourquoi sont-ils inexcusables ? « Parce que connaissant Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé fut rempli de ténèbres ; ces hommes qui se disaient sages sont devenus fous [378] ». En effet, s’ils avaient connu Dieu, ils auraient en même temps reconnu que toute leur sagesse ne venait que de lui. Ils ne se seraient donc pas attribué ce qu’ils n’avaient pas d’eux-mêmes, mais ils l’auraient attribué à celui de qui ils l’avaient reçu. C’est pour ne lui en avoir pas rendu grâces qu’ils sont devenus insensés. Ce que Dieu leur avait donné gratuitement, il le leur a ôté puisqu’ils se sont montrés ingrats. Jean n’a pas voulu se conduire ainsi, il a voulu être reconnaissant ; aussi a-t-il déclaré hautement que ce qu’il avait il le tenait de Dieu, et que toute sa joie venait de ce qu’il entendait la voix de l’époux : « Ma joie est accomplie ».
4. « Quant à lui, il faut qu’il grandisse et moi que je diminue ». Qu’est-ce à dire ? Il faut qu’il s’élève et moi que je m’humilie. Comment Jésus peut-il grandir ? Comment Dieu peut-il croître ? Ce qui est parfait n’est pas susceptible d’accroissement. Aussi Dieu ne saurait-il ni croître ni diminuer. Car s’il grandissait, il ne serait point parfait ; s’il pouvait diminuer, il ne serait pas Dieu. Puisque Jésus est Dieu, comment peut-il croître ? S’il est question de son âge, comme Jésus-Christ a daigné se faire homme, il a été enfant ; bien qu’il soit le Verbe de Dieu, il a été couché dans une crèche ; bien qu’il soit le Créateur de sa mère, il lui a cependant demandé le lait de son enfance : parce qu’avec l’âge Jésus-Christ a grandi dans son corps, c’est peut-être le motif pour lequel Jean a dit : « Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue ». Mais même sous ce rapport, que signifie cette parole ? Au point de vue de leurs corps, Jean et Jésus étaient du même âge, il n’y avait entre eux que six mois de différence [379] ; ils avaient grandi dans la même proportion, et s’il avait plu à Notre-Seigneur de demeurer plus longtemps sur la terre avant de mourir et de faire partager à Jean sa longévité, ils auraient vieilli ensemble, comme ils auraient grandi. Pourquoi donc dire : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ? » D’abord Notre-Seigneur avait déjà trente ans [380]. À cet âge est-on encore assez jeune pour grandir ? L’âge de trente ans n’est-il pas le moment où les hommes arrivent à leur retour et commencent à décliner vers un âge où l’on devient plus lourd et où l’on touche à la vieillesse ? D’ailleurs, si Jean avait voulu faire allusion à leur enfance mutuelle, il n’aurait pas dit : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue » ; mais : il faut que nous grandissions l’un et l’autre. Mais l’un avait trente ans, l’autre aussi, les six mois qui les séparaient ne constituaient pas une différence sensible entre eux : on connaît cette différence parce qu’on la lit ; mais les yeux n’aident aucunement à la découvrir.
5. Que veulent donc dire ces paroles : « Il faut qu’il grandisse, et moi que je diminue ? » Grand mystère ! Que votre charité s’applique à le comprendre. Avant la venue du Seigneur Jésus, les hommes se glorifiaient en eux-mêmes ; il s’est fait homme pour diminuer la gloire de l’homme et augmenter celle de Dieu. En effet, il est venu sans péché, et il a trouvé tous les hommes plongés dans le péché. Puisqu’il est venu pour remettre les iniquités des hommes, que Dieu leur en accorde le pardon et qu’ils les confessent. Pour l’homme, avouer ses fautes c’est s’humilier. Pour Dieu, pardonner c’est grandir. Si donc Jésus-Christ est venu pour remettre les péchés de l’homme, que l’homme reconnaisse sa bassesse, et que Dieu lui octroie sa miséricorde. « Il faut qu’il grandisse et moi que je diminue », c’est-à-dire : c’est à lui de donner et à moi de recevoir, à lui la gloire, et à moi l’humiliation de l’aveu. Que l’homme reconnaisse où est sa place, qu’il avoue à Dieu sa faute, qu’il écoute l’Apôtre. Il dit à l’homme orgueilleux et superbe, à l’homme qui veut s’élever plus haut qu’il ne lui appartient : « Qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu ? Si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu[381] ? » Que l’homme qui voulait dire sien ce qui n’est pas à lui, comprenne qu’il l’a reçu, et que par là il diminue ; car il est avantageux pour lui que Dieu soit glorifié en lui. Qu’il diminue en lui-même pour grandir en Dieu. Ces témoignages et cette vérité, Jésus-Christ et Jean en ont tracé le caractère par la nature même de leur mort. Jean a été diminué de la tête, Jésus a exalté sur la croix, et tous deux ont ainsi indiqué le sens de cette parole : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue ». De plus, quand Jésus-Christ est né, les jours commençaient à croître, et la naissance de Jean a coïncidé avec la diminution des jours : et leur naissance et leur mort, par conséquent, ont rendu témoignage à ces paroles de Jean : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue ». Que la gloire de Dieu grandisse donc en nous, que la nôtre diminue, afin qu’à son tour celle-ci trouve en Dieu sa grandeur. Car l’Apôtre et l’Écriture sainte s’accordent pour nous dire : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[382] ». Veux-tu te glorifier en toi-même ? Sans doute tu veux grandir, mais tu grandis mal, et pour ton malheur. Celui qui grandit mal diminue à juste titre. Que l’on voie donc croître en toi le Dieu qui est toujours parfait, qu’on le voie croître en toi. Mieux tu comprends Dieu, mieux tu en saisis les perfections, plus il semble grandir en toi ; mais en lui-même, comme il est toujours parfait, il ne saurait grandir. Hier, tu avais quelque intelligence de Dieu, aujourd’hui cette intelligence est plus grande, demain elle sera plus grande encore ; c’est la lumière de Dieu qui grandit en toi, et, en une certaine manière, c’est Dieu lui-même, quoique toute sa perfection lui demeure toujours. Ainsi, quand un homme depuis longtemps aveugle vient à guérir, il commence à voir quelque peu la lumière ; le lendemain il en voit davantage ; le troisième jour encore plus ; il semble que la lumière grandisse pour lui. Cependant elle demeure toujours ce qu’elle est, qu’on l’aperçoive ou qu’on ne l’aperçoive pas. Un phénomène pareil a lieu dans l’homme intérieur. Il grandit en Dieu et Dieu paraît grandir en lui, à la condition pourtant qu’il diminue, et que de sa propre gloire, il se relève dans la gloire de Dieu.
6. Déjà donc s’éclaircit et se manifeste dans le sens caché des paroles que nous venons d’entendre : « Celui qui est venu d’en haut est au-dessus de tous ». Vois ce que Jean dit de Jésus-Christ. De lui-même, que dit-il ? « Celui qui est sorti de la terre est de la terre et parle de la terre. Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous ». Voilà Jésus-Christ. « Celui qui vient de la terre est de la terre et parle de la terre ». Voilà Jean. Jean vient de la terre et parle de la terre ; est-ce là tout ? Ce témoignage qu’il rend de Jésus-Christ vient-il tout entier de la terre ? La voix de Dieu ne se fait-elle pas entendre à Jean, lorsqu’il rend témoignage du Christ ? En quel sens parle-t-il donc de la terre ? En ce sens qu’il parle de l’humanité du Sauveur. Comme hommes, nous sommes de la terre et nous parlons de la terre ; s’il nous arrive de parler de choses divines, c’est que Dieu nous éclaire. Sans cette lumière, nous serions terre et nous parlerions de la terre. Autre est donc la grâce de Dieu, autre la nature de l’homme ; cherche ce qu’est l’homme, considère-le dans sa nature. Il naît, il grandit, il apprend ce qui se passe d’ordinaire parmi les hommes. Qu’apprend-il, sinon à avoir de la terre des idées terrestres ? Ses paroles, ses connaissances, ses appréciations sont tout humaines. Il est chair, et ses idées et sa science tiennent de la chair. Voilà l’homme. Vienne la grâce de Dieu, qu’elle dissipe ses ténèbres, comme dit le Prophète : « Seigneur, vous ferez luire ma lampe ; mon Dieu, vous éclairerez mes ténèbres [383]. Qu’elle élève l’âme humaine, pour l’approcher de ses rayons ; et alors l’homme commence à dire avec l’Apôtre : « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[384] » ; et encore : « Je vis, ou plutôt ce n’est pas moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi[385] » ou, en d’autres termes : « Il faut qu’il grandisse et moi que je diminue ». Ainsi Jean, en tant que Jean, est terre et parle de terre ; et s’il lui arrive de dire des choses divines, le mérite en est à Celui qui donne la lumière, et non celui qui la reçoit.
7. « Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous, et ce qu’il a vu et entendu il en rend témoignage, et ce témoignage, personne ne le reçoit. Celui qui est venu du ciel, et qui est au-dessus de tous », c’est Notre Seigneur Jésus-Christ, dont il a été dit plus haut : « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est au ciel [386] ». Il est au-dessus de tous, « et ce qu’il a vu et entendu, il le dit ». Car le Fils de Dieu a un Père ; il a un Père et il l’écoute. Qu’est-ce que le Fils de Dieu entend dire à son Père ? Qu’est-ce qui pourra t’expliquer ? Quand mon cœur, quand ma langue pourront-ils suffire, mon cœur à comprendre, ma langue à exprimer ce que le Fils de Dieu a entendu dire à son Père ? Peut-être le Fils a-t-il entendu la parole du Père ? Bien plus, le Fils est la parole même du Père. Vous voyez combien seraient inutiles tous les efforts de l’homme pour comprendre un pareil mystère : vous voyez la caducité de nos appréciations et la pâleur des lumières d’une âme enveloppée de ténèbres. J’entends l’Écriture m’affirmer que le Fils dit ce qu’il a entendu dire à son Père ; dans un autre endroit elle m’assure que ce même Fils est la parole du Père : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce que nous disons passe et s’envole ; à peine ta parole a-t-elle résonné hors de ta bouche, qu’elle n’est plus : un peu de bruit, puis, le silence. Peux-tu poursuivre le bruit qu’elle a fait pour l’arrêter et le rendre immobile ? Néanmoins la pensée reste telle et, tout en persévérant, elle enfante une multitude de paroles passagères. Que disons-nous, mes frères ? Quand Dieu a parlé, a-t-il employé une voix, des sous, des syllabes ? S’il l’a fait, quelle langue a-t-il parle ? La langue grecque, la langue hébraïque, la langue latine ? Car il est indispensable de parler la langue des différentes nations au milieu desquelles on se trouve. Mais ici personne ne peut dire que Dieu ait parlé telle ou telle langue. Examine ce qui se passe en ton cœur. Quand tu conçois une parole que tu veux proférer : (je dirai de mon mieux ce que nous pouvons remarquer en nous, sans vouloir prétendre que nous devions le comprendre ;) quand donc tu conçois une parole que tu veux proférer, tu as l’intention de dire quelque chose, et ce quelque chose, ainsi conçu en ton esprit, est déjà une parole. Cette parole ne s’est pas encore fait entendre au-dehors ; mais elle est déjà née en toi, et elle y demeure jusqu’au moment où elle en sortira. Mais avant de la laisser sortir, tu fais attention à celui à qui tu dois l’adresser, à qui tu parleras. Si c’est un latin, tu cherches un mot Latin ; si c’est un Grec, tu ne choisis que dès expressions grecques ; si c’est un carthaginois, tu vois si tu connais les termes de sa langue ; enfin, selon la diversité d’origine de ceux qui t’écoutent, tu emploies des langues diverses pour donner un corps à la parole que tu as conçue intérieurement ; mais la chose même ainsi conçue n’est circonscrite dans les termes d’aucune langue. Puisqu’en parlant Dieu n’employait aucun idiome particulier et ne choisissait pas l’un de préférence à l’autre, comment le Fils l’a-t-il entendu, puisqu’il a parlé son Fils même ? Tu as dans l’esprit la parole que tu prononces, elle se trouve en toi, elle y demeure à l’état de conception spirituelle ; car ton âme étant spirituelle, la parole que tu conçois participe à sa nature tant qu’elle n’est pas revêtue de sons et divisée en syllabes, et qu’elle demeure dans la conception de ton esprit et dans l’image que s’en forme ta pensée. Ainsi en est-il de Dieu, il prononce intérieurement sa parole, c’est-à-dire il engendre son Fils. Avec cette différence, toutefois, que l’enfantement, même intérieur de ta parole, s’opère dans le temps ; tandis que Dieu a engendré son Fils en dehors des limites du temps, puisque c’est par lui qu’il a créé tous les temps. Le Fils de Dieu est donc sa parole, il nous a dit, non pas sa propre parole, mais celle du Père ; par conséquent, il nous a dit lui-même en nous disant la parole du Père. Jean nous a enseigné ce mystère comme il le fallait et comme il convenait de le faire ; mais nous l’avons expliqué comme nous avons pu. Quant à celui qui n’a pu parvenir à s’en faire une idée aussi relevée, il sait où il faut se rendre, frapper, en chercher, en demander l’intelligence, il sait qui la lui accordera.
8. « Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, et ce qu’il a vu et entendu, il en rend témoignage ; mais nul ne reçoit son témoignage ». Si personne ne reçoit son témoignage, pourquoi est-il venu ? Nul, veut lire : nul d’entre quelques-uns. Il y a tout un peuple préparé pour subir la colère de Dieu, et qui doit être condamné avec le diable ; parmi ce peuple personne ne reçoit le témoignage du Christ. Car si tu entends le mot nul dans le sens d’aucun homme, que signifie ce qui suit : « Mais celui qui reçoit son témoignage atteste que Dieu est véritable ? » Ainsi donc, ô Jean, il en est qui reçoivent ce témoignage, puisque vous dites vous-même : « Celui qui le reçoit, atteste que Dieu est véritable ». Peut-être, à cette question, Jean répondrait-il : Je sais pourquoi j’ai dit : personne ? C’est qu’il y a un peuple né pour subir la colère de Dieu, et connu à l’avance. Car, et ceux qui doivent croire, et ceux qui ne doivent pas croire, Dieu les connaît tous ; ceux qui persévéreront dans la foi et ceux à qui il arrivera d’en déchoir, lieu les connaît encore. Il a compté tous ceux qui parviendront à la vie éternelle, et ce peuple choisi, il le distingue d’entre les autres. Et il a communiqué cette science aux Prophètes, et en particulier à Jean ; Jean voyait donc les choses à l’aide d’une lumière, mais d’une lumière qui ne lui appartenait pas en propre ; car, à le considérer en lui-même, il était de la terre et il parlait de la terre ; mais par la grâce de l’Esprit, qu’il avait reçue de Dieu, il avait vu qu’il y attirait un peuple impie et infidèle ; et c’est en le voyant plongé dans son infidélité qu’il a dit : « Le témoignage de celui qui vient du ciel, personne ne le reçoit ». Personne parmi quels hommes ? Personne parmi ceux qui doivent être mis à la gauche, ceux à qui il sera dit : « Allez au feu éternel, préparé pour le diable et pour ses anges ». Qui sont ceux qui reçoivent ce témoignage ? Ce sont ceux qui doivent être placés à la droite, et à qui il sera dit : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde [387] ». Ainsi, dans l’Esprit de Dieu, Jean voyait les deux peuples divisés, tandis que dans la réalité ils sont actuellement mélangés ensemble, et ce qui n’est pas encore séparé par les distances, il le sépare en son esprit. Il les séparait en pensée, il les voyait formant deux peuples, le peuple des fidèles et celui des infidèles. Fixant ses regards sur les infidèles, il dit : « Celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous, et ce qu’il a vu et entendu il lui rend témoignage ; personne ne reçoit témoignage ». Ensuite, sa pensée quittant la gauche et se tournant vers la droite, il poursuit en ces termes : « Quand celui qui reçoit son témoignage, il atteste que Dieu est véridique ». Qu’est-ce à dire : « Il atteste que Dieu est véridique ? » sinon que l’homme est menteur et que Dieu dit la vérité ; qu’aucun homme ne peut dire la vérité, à moins d’être éclairé par Celui-là seul qui ne peut mentir. Dieu seul est donc véridique, et Jésus-Christ est Dieu. En veux-tu faire l’expérience ? Reçois son témoignage, et tu verras que « celui qui reçoit son témoignage atteste que Dieu est véridique ». Qui est ce Dieu véridique ? Celui qui vient du ciel et qui est au-dessus de tous. Mais si tu ne le reconnais pas encore pour Dieu, tu ne reçois pas encore son témoignage ; reçois-le comme Dieu, et tu attesteras la vérité de son témoignage ; commence par le reconnaître pour Dieu, et tu verras clairement qu’il est véridique.
9. « Car celui que Dieu a envoyé annonce les paroles de Dieu ». Il est le Dieu véridique, et Dieu l’a envoyé. Un Dieu a envoyé un Dieu. Réunis-les ensemble, ils ne sont qu’un seul Dieu ; un Dieu véridique a été envoyé par un Dieu. Demande de chacun séparément qui il est : il est Dieu. Demande-le de tous les deux ensemble : il est encore Dieu. Chacun d’eux ne constitue pas une divinité particulière, en sorte qu’à eux deux ils en fassent deux. Mais chacun d’eux est Dieu, et tous deux ne font qu’un seul Dieu. La charité du Saint-Esprit qui règne entre eux est si vive, la paix et l’union si parfaites, que si tu demandes de chacune des trois personnes ce qu’elle est, on te répondra Elle est Dieu. Si tu le demandes des trois personnes ensemble, on te répondra encore : Elles sont Dieu. S’il est vrai de dire qu’un homme attaché à Dieu forme un seul esprit avec lui, suivant la parole formelle de l’Apôtre : « Celui qui s’attache à Dieu est avec lui un seul esprit » ; à bien plus forte raison du Fils, qui est égal au Père et lui est intimement uni. Voici un autre témoignage ; écoutez-le. Vous savez combien grande fut la multitude des croyants, au moment où les fidèles vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût distribué à chacun selon ses besoins. Vous n’ignorez pas non plus en quels termes l’Écriture parle de cette assemblée de saints. « Ils n’avaient tous qu’un cœur et qu’une âme dans le Seigneur [388] ». Si la charité avait fait de tant d’âmes une seule âme, et de tant cœurs un seul cœur, que peut faire celle qui unit le Père et le Fils ? Elle est sans doute plus ardente que celle qui unissait les chrétiens et faisait de leurs cœurs un seul cœur. Si donc par l’effet de la charité les cœurs de plusieurs frères deviennent un seul cœur, et leurs âmes une seule âme, diras-tu que Dieu le Père, et Dieu le Fils sont deux Dieux ? S’ils sont deux Dieux, la charité entre eux n’est donc pas souveraine. Eh quoi ! la charité peut devenir assez parfaite pour ne faire de ton âme et de l’âme de ton ami qu’une seule âme, et elle serait incapable d’unir en un seul Dieu le Père et le Fils ? Une foi sincère ne peut admettre pareille anomalie. Voyez plutôt la grandeur de la mutuelle charité qui unit les personnes divines : j’en trouve en ceci la preuve. Autant d’hommes, autant d’âmes ; si la charité les unit, on dit que cette multitude n’a qu’une âme ; et pourtant chez les hommes cette union de la charité n’est jamais si grande que la pluralité des âmes ne subsiste ; mais en Dieu on peut dire qu’il y a un seul Dieu, mais on ne peut dire qu’il y en ait deux ou trois. De là, tu dois conclure combien est souveraine et suréminente cette divine charité, puisqu’il est impossible d’en imaginer de plus grande.

10. « Car celui que Dieu a envoyé annonce les paroles de Dieu ». Jean parlait ainsi du Christ, pour se distinguer de lui. Eh quoi ! Jean lui-même n’est-il pas envoyé de Dieu ? N’est-ce pas lui qui a dit : « J’ai été envoyé devant lui[389] ? » Et encore : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau[390] ? » Enfin, n’est-ce pas de lui qu’il a été dit : « Voici que « j’envoie mon ange devant vous ; il vous préparera la voie ? » Celui-là n’annonce-t-il pas aussi les paroles de Dieu, dont il a été dit qu’il était plus que prophète[391] ? Si donc lui aussi a été envoyé de Dieu, si lui aussi annonce les paroles de Dieu, comment pouvons-nous comprendre qu’il a voulu se distinguer du Christ, lorsqu’il a dit : « Celui que Dieu a envoyé annonce les paroles de Dieu ? » Vois ce qu’il ajoute : « Car Dieu ne donne pas son Esprit avec mesure ». Qu’est-ce à dire, « car Dieu ne donne pas son Esprit avec mesure ? » Nous lisons quelque part que Dieu a donné son esprit avec mesure. Écoute l’Apôtre : il nous parle de la « mesure du don de Jésus-Christ [392] ». Aux hommes, Dieu donne avec mesure ; à son Fils unique, il donne sans mesure. Comment donne-t-il aux hommes avec mesure ? « À l’un est donnée par l’Esprit la grâce de parler avec sagesse ; à un autre, par le même Esprit, celle de parler avec science ; à celui-ci, la foi dans le même Esprit ; à celui-là, la prophétie ; à l’un, le don des langues ; à l’autre, la guérison des maladies. Tous sont-ils Apôtres ? Tous Prophètes ? Tous docteurs ? Tous font-ils des miracles ? Tous guérissent-ils les maladies ? Tous parlent-ils diverses langues ? Tous peuvent-ils être interprètes[393] ? » L’un a une chose, l’autre une autre ; ce qu’a l’un, l’autre ne l’a pas. Il y a dans ces dons de Dieu mesure et partage. En distribuant ses dons aux hommes, Dieu agit donc avec mesure ; et la concorde qui en résulte fait, de toutes les parties du corps, un seul corps. Autre, en effet, est le don d’agir, octroyé à la main ; autre celui de voir, accordé à l’œil ; autre celui d’entendre, concédé à l’oreille ; autre celui de marcher, donné aux pieds ; toutefois, c’est une âme unique qui fait tout cela, qui agit par la main, qui marche par le pied, qui entend par l’oreille, qui voit par l’œil. Ainsi en est-il des dons accordés aux fidèles : ils sont différents les uns des autres, et Dieu les distribue dans une proportion convenable à chacun des fidèles, comme à autant de membres d’un même corps. Mais Jésus-Christ, de qui ils les tiennent, les a reçus sans mesure.

11. Écoute encore ce qui suit. Jean avait dit du Fils : « Car Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure. Le Père aime le Fils, et il a mis toutes choses entre ses mains ». Puis il ajoute : « Il a mis toutes choses entre ses mains », pour le faire connaître la manière spéciale dont « le Père aime le Fils ». Quoi donc, le Père n’aime-t-il pas Jean ? Cependant il n’a pas mis toutes choses entre ses mains. Le Père n’aime-t-il pas Paul ? Cependant il ne lui a pas non plus commis toutes choses. « Pour le fils, le Père l’aime », mais à la manière dont un père aime son fils, non à celle dont un maître aime son serviteur. Il l’aime comme Fils unique, et non comme Fils adoptif. C’est pourquoi « il a mis toutes choses entre ses mains ». Qu’est-ce à dire, toutes choses ? C’est-à-dire qu’il a donné au Fils d’être aussi grand que le Père lui-même. Il l’a engendré pour en faire son égal[394]. Celui qui était en la forme de Dieu a pu sans usurpation prétendre à l’égalité avec lui. « Le Père aime le Fils, et a mis toutes choses entre ses mains[395] ». Ainsi le Père a daigné nous envoyer son Fils. Mais ne pensons pas qu’il nous ait envoyé moins que lui. En envoyant son Fils, le Père nous a envoyé un autre lui-même.
12. Telle fut l’erreur dans laquelle étaient tombés les disciples du Sauveur ; ils voyaient en lui un homme sans y découvrir encore un Dieu. Aussi lui dirent-ils : « Seigneur, montrez-nous le Père, et il nous suffit ». C’était lui dire : Déjà nous vous connaissons, nous vous bénissons de cette connaissance, nous vous rendons grâces de vous être montré à nous ; mais votre Père, nous ne le connaissons pas encore ; aussi notre cœur est-il tourmenté par un saint désir de voir le Père qui vous a envoyé. Montrez-le-nous donc et nous ne vous demanderons plus rien nous serons contents lorsqu’une fois nous aurons vu celui dont la grandeur ne peut être surpassée par aucune autre grandeur. Précieux désir, souhait digne d’éloges, mais intelligence bornée. Le Seigneur Jésus, voyant ces hommes si petits se mettre en quête de si grandes choses, comparant sa propre grandeur à leur petitesse, considérant d’ailleurs qu’il s’était fait petit pour se placer à leur niveau, répondit à Philippe, celui de ses disciples qui lui avait parlé de la sorte « Depuis si longtemps je suis avec vous, Philippe, et vous ne me connaissez pas ? » Et comme ici Philippe aurait pu lui répondre : Sans doute, nous vous connaissons, mais est-ce que nous vous avons dit : Montrez-vous à nous ? nous vous connaissons, mais nous cherchons aussi à connaître votre Père ; il ajoute aussitôt : « Celui qui m’a vu a vu mon Père ». Si donc c’est l’égal du Père qui nous a été envoyé, ne jugeons pas de lui d’après la faiblesse de son humanité, songeons au contraire que si sa majesté s’est revêtue de notre chair, elle n’en est pas accablée. En effet, Jésus-Christ comme Dieu est resté dans le sein de son Père, il s’est fait homme au milieu des hommes, afin que par le Dieu fait homme nous devinssions capables de connaître Dieu. Pourquoi l’homme ne pouvait-il connaître Dieu ? Parce qu’il était dépourvu de ces yeux du cœur qui pouvaient le lui faire voir. Il y avait, au dedans de lui, une partie malade, et, au-dehors, une partie saine : les yeux de son corps étaient sains, ceux de son cœur étaient malades. Le Fils de Dieu s’est donc fait homme et s’est rendu visible aux yeux du corps. Par là tu devais croire en celui qui se montrait à toi, et devenir assez sain pour apercevoir des yeux de l’âme, celui que tu ne pouvais ainsi voir auparavant. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui m’a vu, a aussi vu mon Père ». Pourquoi ses disciples ne le voyaient-ils pas ? Ils le voyaient, mais ils ne voyaient pas son Père ; ils voyaient son corps, mais sa majesté se dérobait à leurs yeux. Ce que voyaient ses disciples qui l’aimaient, les Juifs qui l’ont crucifié le voyaient également, c’était à l’intérieur que Jésus-Christ se trouvait tout entier ; mais il était tout entier à l’intérieur dans sa chair, de telle façon qu’il demeurait aussi en son Père ; car il n’a pas abandonné son Père quand il s’est incarné.
13. Les intelligences charnelles ne comprennent pas mes paroles ; qu’elles remettent à plus tard pour comprendre et qu’elles commencent déjà par croire. Qu’elles écoutent ce qui suit : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; mais celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Tous ceux qui naissent sujets à ! a mort, portent avec eux la colère de Dieu. Quelle colère de Dieu ? celle qui est tombée dès le principe sur Adam. En effet, le premier homme est devenu pécheur, et il a entendu cette condamnation : « Tu mourras de mort [396] » ; il est donc devenu mortel ; dès lors les hommes furent sujets à mourir par le fait de leur naissance ; car nous sommes nés sous le poids de la colère de Dieu. C’est de cette source qu’est sorti le Fils de Dieu, n ais sans en apporter avec lui le péché : il s’est incarné, mais il a pris notre condition mortelle. Après qu’il a bien voulu partager avec nous le fardeau de la colère de Dieu, nous montrerons-nous lents à partager avec lui sa grâce ? Celui donc qui ne veut pas croire au Fils, « la colère de Dieu demeure sur lui ». Quelle colère de Dieu ? Celle dont parle l’Apôtre : « Nous étions par nature enfants de colère comme les autres [397] ». Tous nous sommes des enfants de colère, parce que en vertu de la malédiction prononcée contre le péché nous naissons mortels. Crois à Jésus-Christ, qui pour toi s’est fait mortel, afin de le posséder plus tard dans le séjour de l’immortalité ; car, ayant alors part à son immortalité, tu cesseras toi-même d’être mortel. Il vivait et tu étais mort. Il est mort, afin de te rendre la vie. Il a apporté la grâce de Dieu et fait disparaître sa colère ; comme Dieu il a vaincu la mort, afin que la mort ne demeurât pas victorieuse de l’homme.

QUINZIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « JÉSUS DONC, AYANT SU QUE LES PHARISIENS AVAIENT APPRIS QU’IL FAISAIT UN PLUS GRAND NOMBRE DE DISCIPLES », JUSQU’À CET AUTRE : « ET NOUS SAVONS QU’IL EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE ». (Chap. 4,1-42.)

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LA SAMARITAINE.

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Jésus, baptisant par lui-même ou part ses disciples plus que Jean, et sachant que les Pharisiens prendraient de là occasion de le persécuter, s’en alla en Galilée et passa par Samarie. À six heures, il se trouva près d’un puits, et la fatigue du voyage l’y fit asseoir. Ce voyage figurait son Incarnation ; sa fatigue, la faiblesse où il s’est réduit pour nous rendre forts ; l’heure indiquait le sixième âge du monde, et le puits marquait la profondeur de nos misères. Une femme, image de l’Église des Gentils, vint puiser de l’eau et le rencontra. Après lui avoir demandé un peu d’eau pour se rafraîchir, le Sauveur offrit à cette femme une eau qui étancherait sa soif pour toujours ; mais, avec des idées toutes charnelles, elle ne pensait qu’à un breuvage ordinaire, signe trop fidèle des voluptés mondaines, et non à cette boisson spirituelle qui est la vérité. Alors le Christ lui dit d’appeler son mari, c’est-à-dire d’employer toute son intelligence à l’écouter. Je n’en ai point. C’est vrai, car tu en as cinq, et celui que tu as n’est pas le tien ; en d’autres termes, tu as eu pour guides tes sens corporels, et rien, sinon l’erreur, n’est venu les remplacer. Appelle donc ton intelligence à ton aide. Et elle l’appela, et elle comprit qu’à la venue du Messie tonte séparation cesserait entre es Juifs et les Samaritains ou Gentils, et elle reconnut le Messie dans celui qui lui parlait, et elle crut en lui, et elle devint l’apôtre des Samaritains dont plusieurs crurent à ses paroles.


1. Ce n’est point chose nouvelle pour vous d’entendre dire que, pareil à l’aigle, Jean prend son vol dans les hauteurs, qu’il s’élance au-dessus des ténèbres de la terre, et fixe sur la lumière de la vérité des regards pleins d’assurance. Déjà, avec l’aide de Dieu, nous vous avons expliqué plusieurs passages de son Évangile ; en suivant l’ordre de nos lectures, nous avons été amenés au passage que nous venons d’entendre. Plusieurs d’entre vous y reconnaîtront ce qu’ils savaient déjà et n’apprendront rien de nouveau. Cependant, bien qu’il s’agisse de rafraîchir une connaissance, et non pas d’en acquérir une nouvelle, votre attention n’en doit pas être affaiblie. On vous a lu, et c’est ce que nous avons entre les mains pour en faire la matière de notre instruction, on vous a lu l’entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine auprès du puits de Jacob. En cet entretien se trouvent résumés de grands mystères ; le Sauveur y fait allusion à de grandes choses, bien propres à nourrir les âmes affamées et à ranimer celles qui languissent.
2. Notre-Seigneur « ayant donc su que les Pharisiens avaient appris qu’il faisait un plus grand nombre de disciples et baptisait plus de personnes que Jean (bien que Jésus ne baptisât point par lui-même, mais par ses disciples), il quitta la Judée et alla de nouveau en Gaulée ». Ici pas n’est besoin de longs développements. Car, en nous arrêtant à ce qui est clair, nous nous trouverions enfermés dans un espace de temps trop étroit, lorsqu’il s’agirait d’exprimer et d’expliquer les passages obscurs. Si le Seigneur avait prévu que les Pharisiens, apprenant qu’il avait plus de disciples, et qu’il baptisait plus de personnes que Jean, en profiteraient pour leur salut et se rangeraient à sa suite pour devenir ses disciples et se faire baptiser par lui, certainement il n’aurait pas quitté la Judée, il y serait plutôt resté à cause d’eux. Toutefois, et ce n’était pas pour lui un mystère, ils savaient ce qu’il en était de lui ; mais ils étaient animés à son égard d’un grand mauvais vouloir ; ils avaient appris à le connaître, mais pour le poursuivre, au lieu de le suivre. Il quitta donc le pays : non pas que, même en y demeurant, il n’eût pu éviter d’être pris et tué par eux contre son bon vouloir ; car il pouvait ne pas naître s’il l’avait voulu, mais parce qu’en total ce qu’il faisait comme homme, il avait dessein de servir d’exemple aux hommes qui devaient croire en lui. En effet, aucun serviteur de Dieu ne pèche en passant d’un lieu dans un autre, lorsqu’il voit que certaines gens le persécutent avec fureur, ou cherchent à l’entraîner au mal. Il craindrait néanmoins d’offenser Dieu en agissant de la sorte, s’il n’avait pour s’y autoriser l’exemple du Seigneur. Car cette conduite, le bon Maître l’a tenue dans l’intention de nous instruire, et non par un motif de crainte personnelle.
3. Peut-être quelqu’un s’étonnera-t-il de ce que l’Évangéliste ait dit : « Jésus baptisait plus de personnes que Jean », et qu’après ces paroles : « Jean baptisait », il ait ajouté : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Quoi donc ? Était-ce d’abord une assertion fausse, redressée ensuite par cette addition : « Quoique Jésus ne baptisât pas par lui-même, mais par ses disciples ? » Ou plutôt, est-il également vrai que Jésus baptisait, et ne baptisait pas ? Il baptisait parce qu’il purifiait les âmes, et il ne baptisait point parce qu’il ne répandait pas l’eau sur les corps. Les disciples prêtaient le concours de leur ministère corporel ; pour lui, il les aidait de sa puissance. Comment, en effet, peut cesser de baptiser Celui qui ne cesse pas de purifier, et dont l’Évangéliste nous dit en répétant les paroles rapportées de Jean-Baptiste : « C’est celui-là qui baptise [398] ? » Donc Jésus baptise encore, et tant qu’il y aura des hommes pour recevoir le baptême, c’est Jésus qui le leur donnera. Approchons-nous donc avec confiance du serviteur malgré son infériorité, parce qu’il a le Maître au-dessus de lui.
4. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, le Christ confère le baptême en esprit, mais il ne le donne pas extérieurement : par là, quiconque reçoit visiblement et corporellement le sacrement de baptême, semble le tenir d’un autre que de lui. Veux-tu une preuve qu’il baptise non seulement en esprit, mais encore avec l’eau ? Écoute l’Apôtre : « Comme Jésus-Christ », dit-il, « a aimé l’Église et s’est livré à la mort pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant dans le baptême de l’eau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien qui y ressemble ». En la purifiant de quelle manière ? « Dans le baptême de l’eau par la parole de vie ». Qu’est-ce que le baptême du Christ ? Un baptême d’eau uni à la parole. Ôte l’eau, il n’y a plus de baptême ; ôte la parole, le baptême n’existe plus.
5. Après ces préliminaires qui conduisent l’Évangéliste à l’entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, voyons, le reste : il est rempli de vérités cachées et de gros mystères. « Il fallait », dit l’Ecrivain sacré, « qu’il passât par Samarie. Il vint donc en une ville du pays de Samarie, nommée Sichar, près de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph. Là était la fontaine de Jacob ». C’était un puits : tout puits est une fontaine ; mais toute fontaine n’est pas un puits. Car dès qu’une eau sort de terre et qu’on la puise pour en faire usage, on l’appelle une fontaine ; toutefois, s’il est facile de la voir et qu’elle se trouve â la surface de la terre, elle s’appelle simplement une fontaine. Si, au contraire, elle se voit dans les profondeurs de la terre, on l’appelle un puits, bien qu’alors le nom de fontaine puisse encore lui convenir.
6. « Jésus donc, fatigué du chemin, s’assit sur la fontaine. C’était vers la sixième heure ». Déjà commencent les mystères. Ce n’est pas sans raison que Jésus se fatigue : ce n’est pas sans raison que nous voyons accablée de lassitude la vertu même de Dieu, celui qui calme nos fatigues, celui dont l’absence est pour nous une cause d’épuisement et dont la présence restaure nos forces. Cependant Jésus est fatigué, il est fatigué sur le chemin et il s’assied, il s’assied au bord d’un puits, et c’est à la sixième heure du jour. Autant de circonstances significatives, qui nous donnent à penser et nous indiquent quelque chose : elles nous rendent attentifs et nous engagent à frapper. Qu’il ouvre donc a vous et à moi, celui qui a daigné nous encourager à frapper, en nous disant : « Frappez, et il vous sera ouvert [399] ». C’est pour toi, mon frère, que Jésus est fatigué du chemin. Nous voyons en Jésus, et la force et la faiblesse : il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti. Il est puissant, car « au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; au commencement était en Dieu ». Veux-tu savoir quelle est la puissance de ce Fils de Dieu ? « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait » Y a-t-il rien de plus fort que celui qui a fait toutes choses sans éprouver de lassitude ? Veux-tu t’assurer qu’il a été faible ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[400] ». Par sa puissance, le Christ t’a créé ; il t’a donné une nouvelle vie, en s’anéantissant ; par sa puissance, il a fait ce qui n’était pas ; en devenant faible, il a empêché ce qui était de périr. C’est en sa force qu’il nous donne l’être ; c’est en son infirmité qu’il nous a attirés à lui.
7. Jésus-Christ s’est fait infirme pour nourrir des infirmes, pareil en cela à la poule qui nourrit ses poussins ; c’est la comparaison qu’emploie le Sauveur lui-même. « Combien de fois », dit-il à Jérusalem, « j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule ramasse ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu[401] ! » Vous savez, mes frères, comme une poule se fait petite par amour pour ses petits ; de tous les oiseaux, elle est la seule qui se montre véritablement mère. Nous voyons les passereaux faire leur nid sous nos yeux ; il en est de même des hirondelles, des cigognes, des pigeons ; mais nous ne nous apercevons qu’ils ont des petits qu’au moment où nous les voyons dans leurs nids. Pour la poule, elle se fait si petite pour ses petits que, même lorsqu’ils en sont éloignés et même sans qu’on les voie, on reconnaît qu’elle est mère. En preuve, ses ailes pendantes, ses plumes hérissées, la rudesse de sa voix, le laisser-aller et l’abattement de son corps, tout en elle, comme j’en ai fait la remarque, dénote une mère, lors même qu’on ne la verrait point suivie de sa petite famille. Voilà l’image de l’infirmité de Jésus fatigué par le chemin. Son chemin, c’est la chair qu’il a prise pour notre amour. En effet, quel chemin pouvait suivre celui qui se trouve partout et ne manque nulle part ? Où pouvait-il aller ? D’où pouvait-il venir ? Évidemment il venait vers nous, et il n’y venait qu’en se revêtant de la forme visible de notre corps. Puisqu’il a daigné venir parmi nous en prenant un corps, en se montrant dans la forme de serviteur, son incarnation est donc son chemin. C’est pourquoi « la fatigue qu’il a ressentie du chemin » n’est autre chose que la fatigue résultant pour lui de son Incarnation. L’infirmité de Jésus-Christ vient donc de son humanité ; mais ne t’affaiblis pas toi-même. Que l’infirmité de Jésus-Christ soit ta force ; car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que tous les hommes [402].
8. Sous ce point de vue Adam, image de l’homme futur[403], nous a donné un remarquable indice de ce mystère, ou plutôt Dieu nous l’a donné en sa personne. Car ce fut en dormant qu’il dut recevoir son épouse, formée d’une de ses côtes pour lui être donnée[404]. En effet, de Jésus-Christ endormi sur la croix devait sortir l’Église, elle devait sortir de son côté pendant son sommeil : car c’est de Jésus-Christ attaché à la croix et de son côté ouvert par la lance[405] que sont sortis les sacrements de l’Église. Mais, mes frères, pourquoi me suis-je exprimé ainsi ? C’est que l’infirmité de Jésus-Christ fait notre force. Cette figure ainsi montrée en Adam nous annonçait donc à l’avance un grand mystère. Sans doute, pour en former la femme, il aurait pu retirer de l’homme une portion de sa chair, et il semble même que cette façon d’agir aurait été plus convenable ; car il s’agissait de former le sexe le plus faible ; or, il est évident que la faiblesse serait provenue plutôt de la chair que des os, car les os sont ce qu’il y a de plus ferme en notre corps. Cependant il n’a pas retiré de la chair pour en former la femme ; mais il a retiré un os, et de cet os la femme a été formée, et à la place de cet os il a fait croître de la chair. Dieu pouvait y remettre un autre os ; il pouvait, pour former la femme, employer, non pas un os, mais de la chair. Qu’a-t-il donc voulu nous apprendre ? Parce que la femme a été formée d’une côte, elle semble forte, et la chair créée en Adam indique sa faiblesse. Le Christ est aussi l’Église : sa faiblesse est le principe de notre force.
9. Mais pourquoi la sixième heure ? Parce que c’était le sixième âge du monde. Dans le langage de l’Évangile, on doit regarder tourne une heure le premier âge qui va d’Adam à Noé, le second qui va de Noé à Abraham, le troisième qui va d’Abraham à David, le quatrième qui va de David à la capitale de Babylone, le cinquième qui va de la captivité de Babylone au baptême de Jean ; le sixième enfin, qui a cours maintenant. Y a-t-il en cela de quoi t’étonner ? Jésus est venu, il est venu près d’un puits, c’est-à-dire qu’il s’est humilié ; il s’est fatigué à venir, parce qu’il s’est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce tue c’était le sixième âge du monde. Il est venu près d’un puits, parce qu’il est descendu jusque dans l’abîme qui faisait notre demeure. C’est pourquoi il est écrit au psaume : « Du fond de l’abîme, Seigneur, j’ai crié vers vous [406] ». Enfin il s’est assis près d’un puits, car je l’ai dit déjà, il s’est humilié.
10. « Vint une femme ». Figure de l’Église non encore justifiée, mais déjà sur le point laie devenir, car cette justification est l’œuvre de la parole. Elle vient dans l’ignorance de ce qu’était Jésus ; elle le trouve, il entre en conversation avec elle. Voyons ce qu’elle est venue faire ; voyons ce qu’elle est venue chercher : « Une femme de Samarie vint pour puiser de l’eau ». Les Samaritains n’appartenaient pas à la nation juive, et bien qu’habitant un pays voisin, ils étaient regardés comme étrangers. Il serait trop long de vous expliquer l’origine des Samaritains ; de telles digressions nous arrêteraient et nous ôteraient le temps pour le nécessaire. Qu’il nous suffise donc de mettre les Samaritains au nombre des étrangers. Ne me soupçonnez pas d’avoir mis à vous faire cette assertion plus de hardiesse que de vérité ; écoutez Notre-Seigneur lui-même ; remarquez ce qu’il dit de ce Samaritain, le seul des lépreux guéris par lui, qui fût revenu lui rendre grâces. « Tous les dix n’ont-ils pas été guéris ? Où sont les neuf autres ? Il ne s’en est pas trouvé qui soit revenu rendre gloire à Dieu, sinon cet étranger[407] ». Les convenances du mystère figuré demandaient que cette femme, qui représentait l’Église, vînt d’un peuple étranger. L’Église, en effet, devait venir des Gentils et d’un peuple étranger aux Juifs. Dans ses paroles Écoutons les nôtres, reconnaissons-nous dans sa personne et rendons grâces à Dieu de ce qu’il fait en elle pour nous. Elle était une figure, et non la réalité ; mais pour avoir été d’abord une figure, elle est devenue ensuite la réalité ; car elle a cru en celui qui nous la proposait comme une figure. « Elle vint donc puiser de l’eau ». Elle était venue en toute simplicité puiser de l’eau, comme le font d’habitude les hommes et les femmes.
11. « Jésus lui dit : Donnez-moi à boire ; car ses disciples s’en étaient allés en ville pour acheter de quoi se nourrir. Or, cette femme Samaritaine lui dit : Comment se fait-il qu’étant Juif vous me demandiez à boire, à moi qui suis Samaritaine ? car les Juifs ne communiquent pas avec les Samaritains ». Vous le voyez, c’étaient des étrangers pour les Juifs : ceux-ci ne voulaient pas même se servir des vases qui étaient à leur usage. Et comme cette femme portait avec elle un vase pour puiser de l’eau, elle s’étonne qu’un Juif lui demande à boire. Car les Juifs n’avaient pas coutume de le faire. Mais si Jésus lui demandait à boire, c’était en réalité de sa foi qu’il avait soif.
12. Enfin quel est celui qui lui demande à boire ? Écoute, l’Évangéliste va le dire : « Jésus lui répondit : Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit : Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais-tu demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Il demande et il promet à boire. Il a besoin en tant qu’il demande ; et chez lui il y a surabondance, puisqu’il doit satisfaire tous les désirs. « Si tu connaissais le don de Dieu ». Le don de Dieu, c’est le Saint-Esprit. Mais il parle à cette femme à mots couverts, et peu à peu il entre en son cœur : peut-être même l’instruit-il déjà. Où trouver une exhortation plus douce et plus engageante ? « Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te dit : « Donne-moi à boire, peut-être lui en aurais-tu demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Jusqu’ici il tient en suspens l’esprit de cette femme. Dans le langage ordinaire on appelle eau vive celle qui sort de la source. Quant à la pluie qu’on recueille dans des bassins ou des citernes, on ne lui donne point le nom d’eau vive. L’eau vive est celle qui coule de source et qu’on puise dans son lit. Telle était l’eau de la fontaine de Jacob. Que lui promettait donc celui qui lui en demandait ?
13. Cependant cette femme ainsi tenue en suspens lui dit : « Seigneur, vous n’avez pas de vase pour puiser, et le puits est profond ». Reconnaissez à cela ce qu’elle entendait par eau vive. Elle entendait l’eau de la fontaine de Jacob. Vous voulez me donner de l’eau vive, mais le vase pour la puiser je l’ai entre mes mains, et il vous manque. Cette eau vive, elle est ici, comment pouvez-vous m’en donner ? Elle ne comprend pas les choses dans le vrai sens : elle en juge encore d’une manière charnelle ; et, toutefois, elle frappe d’une certaine manière pour que le maître lui ouvre la porte encore fermée. Elle frappe par son ignorance, non par ses désirs, elle était digne de la pitié du Sauveur, mais pas encore de ses instructions.
14. Le Seigneur lui parle de cette eau vive en termes plus clairs. Cette femme lui avait dit : « Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits ; et lui-même en a bu, et ses enfants, et ses troupeaux ? » En d’autres termes : vous ne pouvez me donner de cette eau vive, car vous n’avez pas de vase pour en puiser ; sans doute celle que vous me promettez a sa source ailleurs. Pensez-vous donc valoir mieux que notre père, qui a creusé ce puits pour son usage et celui des siens ? C’est le moment que le Seigneur lui explique ce qu’il entend par eau vive. « Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante jusqu’à la vie éternelle ». Ici le langage de Notre-Seigneur est plus clair : « Cette eau deviendra en lui une source jusqu’à la vie éternelle. Celui qui boira de cette eau n’aura jamais soif ». Était-il possible de marquer plus clairement que s’il promettait de l’eau, c’était une eau invisible, et non pas une eau visible ; qu’il parlait selon l’esprit et non selon la chair ?
15. Néanmoins cette femme comprend encore les choses dans un sens charnel ; heureuse de penser qu’elle n’aurait plus soif, elle supposait que le Sauveur lui avait fait une pareille promesse dans le sens matériel : sans doute cette promesse se réalisera un jour, mais au jour de la résurrection des morts. La Samaritaine voulait la voir s’accomplir immédiatement. Aussi bien Dieu avait autrefois donné à son serviteur Élie de demeurer quarante jours sans éprouver ni faim, ni soif[408]. Celui qui a pu accorder une pareille grâce pendant quarante jours, ne peut-il pas l’accorder toujours ? Elle soupirait donc, ne voulant ni manquer d’eau, ni s’en procurer avec tant de fatigue. Venir continuellement à cette fontaine, s’en retourner chargée de la provision nécessaire pour subvenir à ses besoins ; puis, cette provision épuisée, se voir de nouveau contrainte à revenir, c’était là son travail de tous les jours, parce que cette eau qui soulageait la soif ne l’éteignait pas. Joyeuse de la promesse que lui fait le Christ de cette eau vive, elle demande au Seigneur de la lui donner.
16. Toutefois, n’oublions pas que le Sauveur lui promettait un don spirituel. Qu’est-ce à dire : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif ? » Parole véritable, si on l’applique à cette eau véritable encore, si un l’applique à ce dont elle était la figure. L’eau, au fond de ce puits, c’est la volupté du siècle dans sa ténébreuse profondeur. La cupidité des hommes, voilà le vase qui leur sert à y puiser. Leur cupidité les fait pencher vers ces profondeurs jusqu’à ce qu’ils en touchent le fond et y puisent le plaisir ; mais toujours la cupidité marche et précède. Car celui qui ne fait pas d’abord marcher la cupidité ne peut arriver au plaisir. Supposez donc que la cupidité est le vase avec lequel on puise, et que l’eau que l’on doit tirer du puits c’est le plaisir lui-même, et le plaisir mondain que l’on goûte, c’est le boire, le manger, le bain, les spectacles, l’impureté ; celui qui s’y adonne n’en sera-t-il plus désormais altéré ? Donc Jésus dit avec raison : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif » ; mais si je lui donne de mon eau, « il n’aura jamais soif ». Nous serons rassasiés, a dit le Prophète, « de l’abondance des biens de votre maison[409] ». De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit : « En vous est la source de vie ? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de l’abondance de votre maison[410].
17. Ce que promettait donc Notre-Seigneur, c’était la plénitude et la satiété dont le Saint-Esprit est l’auteur. La Samaritaine ne le comprenait pas encore, et dans son intelligence que répondait-elle ? « Cette femme lui dit : « Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour en tirer ». Travail pénible auquel la contraignaient ses besoins et qui rebutait sa faiblesse. Si seulement elle entendait ces paroles : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai[411] ! » Car ce que lui promettait Jésus, c’était la délivrance de sa peine ; mais elle ne le comprenait pas encore.

18. Aussi, pour lui donner l’intelligence, « Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, viens ici ». Qu’est-ce à dire : « Appelle ton mari ? » Voulait-il lui donner de cette eau par l’entremise de son mari ? Ou bien voulait-il, par l’intermédiaire de celui-ci, lui enseigner ce qu’elle ne comprenait pas encore ? Peut-être parlait-il dans le même sens que l’Apôtre, lorsqu’il dit des femmes : « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons ? » Mais Paul fait aux femmes cette recommandation : « Qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons », pour le cas où Jésus n’est pas là afin de les instruire lui-même ; d’ailleurs l’Apôtre s’adressait aux femmes à qui il défendait de parler dans l’Église[412]. Mais le Seigneur était là, et il parlait directement à la Samaritaine : y avait-il dès lors nécessité de se servir de son mari pour l’instruire ? Était-ce par l’intermédiaire de son mari qu’il parlait à Madeleine, au moment où celle-ci, assise à ses pieds, l’écoutait attentivement, et où Marthe, tout entière à la multitude des soins de son ministère hospitalier, murmurait cependant de la félicité de sa sœur[413] ? Donc, mes frères, prêtons l’oreille et tâchons de comprendre ce que Notre-Seigneur dit à cette femme : « Appelle ton mari ». Ce mari de notre âme, cherchons à le connaître. Pourquoi Jésus ne serait-il pas le véritable époux de notre âme ? Puissiez-vous me bien comprendre ! car ce que j’ai à dire ne peut être compris, même par les personnes attentives, que dans une faible mesure. Puissiez-vous me comprendre et l’intelligence de mes paroles sera peut-être l’époux de vos âmes.

19. Voyant que cette femme ne le comprenait pas, et voulant lui faire saisir sa pensée, Jésus lui dit : « Appelle ton mari ». Tu ne comprends pas encore ce que je dis, parce que ton intelligence n’est pas encore ouverte ; je parle selon l’esprit et tu m’entends selon la chair. Ce que je dis ne flatte ni les oreilles, ni les yeux, ni l’odorat, ni le goût, ni le sens du toucher ; l’esprit seul le saisit, l’entendement seul peut en faire sa propriété. Or, cet entendement tu ne l’as pas encore ; comment donc pourrais-tu comprendre mes paroles ? « Appelle ton mari » ; amène ici ton entendement. Car à quoi te servirait d’avoir seulement une âme ? Il n’y aurait là rien de merveilleux, car les bêtes en ont aussi une. D’où vient ta prééminence sur elles ? De l’entendement que tu as et qu’elles n’ont pas. Quel est donc le sens de ces paroles : « Appelle ton mari ? » Tu ne m’entends pas, tu ne me comprends pas ; je te parle du don de Dieu, tu penses à ton corps ; tu ne veux plus que ton corps ait soif, je m’adresse à l’esprit : ton entendement n’y est pas, « appelle ton mari ». Ne sois pas comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence [414]. Donc, mes frères, avoir une âme et n’avoir point d’entendement, ou en d’autres termes l’avoir inutilement et n’en pas faire la règle de notre vie, c’est mener une vie de bête. Car il y a en nous quelque chose qui tient de la bête, et fait vivre notre corps ; ce quelque chose, l’entendement doit le régir. Ainsi l’esprit doit imprimer une direction plus noble aux mouvements de l’âme quand elle se laisse influencer par le corps et qu’elle désire se précipiter sans mesure dans les plaisirs de la chair. Qui est-ce qui doit être appelé le mari ? Celui qui se laisse conduire ou celui qui dirige ? Évidemment, dans toute vie bien réglée, le guide de l’âme, c’est l’entendement qui fait partie de l’âme. Car il n’est pas différent d’elle-même, il en est une partie ; comme l’œil n’est pas chose différente du corps, mais en est une portion. Cependant, bien qu’il soit une portion du corps, l’œil seul jouit de la lumière ; les autres membres peuvent en recevoir les rayons mais ils sont incapables de les percevoir, l’œil seul en est pénétré et en jouit. Ainsi dans notre âme il est une faculté qui s’appelle entendement, Cette faculté appelée esprit, intelligence, reçoit les rayons d’une lumière supérieure. Or, cette lumière supérieure dont l’intelligence humaine se trouve éclairée, c’est Dieu. En effet, « il était la lumière véritable qui éclairé tout homme venant en ce monde[415] ». Cette lumière, c’était le Christ, cette lumière s’entretenait avec la Samaritaine, mais cette femme était absente par son entendement ; son intelligence ne pouvait être éclairée par cette lumière ; elle était incapable, non pas d’en recevoir les rayons, mais de les percevoir. Aussi, comme pour lui dire : je veux éclairer quelqu’un, mais ce quelqu’un me manque, il lui adresse ces paroles : « Appelle ton mari », appelle ton entendement afin qu’il t’instruise et te gouverne. Représente-toi donc l’âme séparée de l’entendement sous l’emblème d’une femme, et l’entendement sous l’emblème de son mari. Toutefois le mari ne dirige bien sa femme qu’autant qu’il obéit lui-même à une direction venant de plus haut, Car le chef de la femme, c’est l’homme ; et le chef de l’homme, c’est le Christ [416]. Le chef de l’homme parlait avec la femme, et l’homme n’y était pas, et, comme si le Sauveur disait à la femme : Fais venir ton chef afin qu’il se soumette au sien, il prononce ces mots ; « Appelle donc ton mari et viens ici avec lui », ou en d’autres termes : viens ici ; mets-toi devant moi ; tu es comme absente aussi longtemps que tu n’entends pas la voix de la vérité qui se trouve devant toi. Mets-toi devant moi, mais n’y viens pas seule ; que ton mari s’y présente avec toi.
20. Mais comme cette femme n’a pas encore appelé son mari, elle n’entend pas, ses pensées demeurent charnelles. En effet, son mari est absent. « Je n’ai pas », dit-elle, « de mari ». Cependant le Seigneur continue à lui parler en mystère. Véritablement cette femme n’avait pas alors de mari ; mais, ainsi que tu le devines, elle vivait dans je ne sais quel commerce honteux et illégitime, dans le commerce non pas d’un mari, mais d’un adultère. Aussi le Seigneur lui répondit-il : « Tu as bien parlé, tu n’as pas de mari ». Pourquoi donc me disiez-vous : « Appelle ton mari ? » Remarque-le bien, Notre-Seigneur savait parfaitement qu’elle n’avait pas de mari. En voici la preuve : « Et il lui dit, etc. » Aussi, pour ne vas laisser à cette femme la pensée qu’il lui avait répondu : « Tu as bien parlé, tu n’as pasde mari », uniquement parce qu’elle venait de l’en instruire, et non parce que la lumière de sa divinité le lui avait fait découvrir, il lui réplique : Voici ce que tu ne m’as pas dit : « En effet, tu as eu cinq maris et celui que tu as n’est point ton mari ; ce que tu as dit est vrai ».
21. Par là Notre-Seigneur nous contraint de chercher avec plus d’attention quelque sens caché touchant ces cinq maris. Plusieurs ont cru, non sans fondement et même avec une certaine probabilité, voir dans les cinq maris de cette femme les cinq livres de Moïse. En effet, ils étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs : voilà sans doute pourquoi la circoncision était en usage chez ces deux peuples ; mais à cause de la difficulté que présentent les paroles suivantes « Et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari », nous pouvons plus aisément comprendre, ce me semble, que, sous l’emblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de l’âme. Car à sa naissance, et avant d’avoir l’usage de son esprit et de sa raison, chaque homme n’a pour le régir que ses sens corporels. Ce qui tombe sous le sens de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher, voilà chez le petit enfant tout l’objet de ses répugnances ou de ses désirs. Ce qui flatte ses sens, il le recherche, il repousse ce qui les blesse ; car ce qui les flatte est plaisir, ce qui les blesse est douleur. C’est donc sous l’influence de ces cinq sens comme d’autant de maris que l’âme vit d’abord, parce que c’est par eux qu’elle est régie. Pourquoi leur donne-t-on le nom de maris ? Parce qu’ils sont légitimes. C’est Dieu qui les a formés, c’est Dieu qui les a donnés à l’âme. Elle est infirme tant qu’elle demeure sous la loi des sens et qu’elle agit sous l’autorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si l’âme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à l’empire et à l’influence des sens l’empire et l’influence d’un seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres ; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de l’éternité. Loin de nous imprimer une direction qui aboutisse à l’éternité, les sens ne nous portent que vers les choses du temps, soit pour nous les faire désirer, soit pour nous en inspirer le dégoût. Mais dès que l’entendement pénétré par la sagesse a pris le gouvernement de l’âme, il ne lui apprend plus uniquement à éviter les fossés et à suivre le chemin droit que les yeux indiquent à son âme débile, ou à écouter avec plaisir les sons mélodieux et à fermer les oreilles aux sons discordants, à se complaire aux odeurs agréables et à repousser les odeurs nauséabondes, à aimer le miel et à détester le vinaigre, à toucher avec plaisir ce qui est poli et à éprouver une sensation désagréable au contact des aspérités. Toutes ces connaissances, l’âme infirme en avait besoin. Dans quel sens l’entendement y ajoute-t-il sa direction ? Il vient discerner, non plus le blanc du noir, mais le juste de l’injuste, le bien du mal, l’utile de l’inutile, la chasteté de l’impudicité, l’une pour l’aimer, l’autre pour la fuir ; la charité de la haine, la première pour y demeurer, la seconde pour s’en garantir.
22. Chez cette femme, les cinq premiers maris n’avaient pas encore cette sorte de successeur ; car, où l’entendement ne succède pas aux sens, là règne l’erreur, elle domine en maître. En effet, dès qu’elle commence à devenir capable de raisonner, l’âme se laisse conduire par la sagesse ou par l’erreur. Or, l’erreur ne gouverne pas, elle conduit aux abîmes. Après avoir subi l’empire de ses sens, cette femme était donc encore en butte à l’erreur, et l’erreur la ballottait comme aurait fait un vent violent. Cette erreur n’était pas un mari légitime, mais un adultère ; c’est pourquoi le Seigneur lui répond : « Tu as dit avec justesse : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris ». Les cinq sens de ton corps ont été tes maîtres ; tu es parvenue à l’âge de raison, mais non à la sagesse ; tu es tombée dans l’erreur : aussi, « après ces cinq maris, celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ». Mais s’il n’était pas le mari, qu’était-il donc, sinon un adultère ? « Appelle-le », non « l’adultère,», mais « ton mari », afin de m’entendre selon l’Esprit, et non selon l’erreur qui te donnerait de moi de fausses idées. En effet, c’était de la part de cette femme une erreur de penser à l’eau du puits de Jacob, quand c’était du Saint-Esprit que lui parlait le Seigneur. Pourquoi se trompait-elle, sinon parce qu’elle vivait avec un adultère, au lieu de vivre avec son mari légitime ? Débarrasse-toi donc de cet adultère qui te corrompt : « va, et appelle ton mari ». Appelle-le et reviens, et tu me comprendras.
23. « Cette femme lui dit : « Seigneur, je vois que vous êtes un prophète ». Voici que le mari commence à venir, mais il n’est pas encore tout à fait venu. Elle jugeait que le Seigneur était un prophète. Sans doute, il en était un ; car il a dit de lui-même « Nul Prophète n’est bien reçu dans son pays [417]. Dieu avait encore dit de lui à Moïse : « Je leur susciterai d’entre leurs frères un Prophète semblable à toi [418] ». Semblable par la forme du corps, mais bien différent sous le rapport de la grandeur. Nous voyons donc que Notre-Seigneur a été appelé Prophète dans les temps anciens ; la Samaritaine ne se trompe donc pas beaucoup lorsqu’elle dit : « Je vois que vous êtes un Prophète ». Par cette réponse, elle commence à appeler son mari et à chasser l’adultère : « Je vois que vous êtes un Prophète ». Elle commence ainsi à rechercher ce qui avait coutume de l’émouvoir ; car l’objet de la dispute entre les Samaritains et les Juifs, c’était que les Juifs adoraient Dieu dans le temple construit par Salomon, tandis que les Samaritains, éloignés de ce temple, adoraient Dieu ailleurs. En conséquence, les Juifs se vantaient de leur être supérieur, parce qu’ils adoraient Dieu dans le temple. « Les Juifs n’ont donc aucun commerce avec les Samaritains ». Et ceux-ci, de leur part, répliquaient par cette réponse : Pourquoi vous vanter et vous dire supérieurs à nous ? Parce que vous avez un temple que nous n’avons pas ? Nos pères ont été aimés de Dieu, et pourtant l’ont-ils adoré dans ce temple ? N’était-ce pas sur cette montagne où nous nous trouvons ? Adressées à Dieu du haut de cette montagne, nos prières sont donc préférables aux vôtres, puisque c’est là que nos pères ont eux-mêmes prié. Les uns et les autres trouvaient dans leur ignorance ample motif à dispute, parce qu’ils n’étaient pas avec le mari. Ceux-ci étaient fiers de posséder leur montagne ; ceux-là d’avoir leur temple ; de là leur mutuel antagonisme.
24. Comme si cette femme commençait à avoir son mari auprès d’elle, le Sauveur se met à l’instruire ; et que lui dit-il ? « Elle lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un Prophète. Nos pères ont adoré Dieu sur cette montagne, et vous autres vous dites que le lieu où il le faut adorer est Jérusalem. Jésus lui dit : Femme, crois-moi. » Voici venir l’Église, comme il est écrit au Cantique des Cantiques. « Elle viendra, et elle s’avancera du commencement de la foi[419] ». Elle viendra pour s’avancer, et elle ne le peut que « par le commencement de la foi ». Maintenant que le mari est présent, c’est avec justice qu’il lui dit : « Femme, crois-moi ». À cette heure il y a en toi ce qui peut croire, puisque ton mari est présent. Ton intelligence a commencé à manifester sa présence, lorsque tu m’as donné le nom de Prophète. « Femme, « crois-moi » ; car si vous ne croyez pas, vous serez incapables de comprendre[420]. Donc, « Femme, crois-moi, parce que viendra l’heure où vous n’adorerez le Père, ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous adorerez ce que vous ne comprenez point ; pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs ; mais viendra l’heure ». Quand ? « Et la voici maintenant ». Quelle est cette heure ? « Cette heure où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » non pas sur cette montagne, non pas dans le temple, mais en esprit et en vérité ; « car le Père demande de semblables adorateurs ». Pourquoi le Père demande-t-il de pareils adorateurs, non sur cette montagne ou dans le temple, mais en esprit et en vérité ? « Dieu est Esprit ». Si Dieu était corps, il faudrait adorer Dieu sur cette montagne qui est matérielle, ou dans le temple qui est un être corporel. « Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils le doivent adorer ».
25. Nous l’avons entendu, et rien n’est plus manifeste ; nous étions allés au-dehors, et nous avons été renvoyés à l’intérieur. Oh, se dira quelqu’un, si je trouvais quelque montagne élavée et solitaire ! car je crois que Dieu habite les endroits élevés, et qu’il m’entend mieux du faîte de ces hauteurs. Pour être sur une montagne, tu te crois proche de Dieu ; tu te considères comme plus à portée d’être entendu de lui, vu que tu t’adresses à lui de plus près. À la vérité, il habite les hauteurs, « mais il regarde les humbles. Dieu est proche ». De qui ? Peut-être de ceux qui sont élevés ? « De ceux qui ont brisé leur cœur[421] ». Chose merveilleuse ! Il habite les hauteurs, et il est proche des humbles. « Ce qui est humble, il le regarde ; ce qui est élevé, il ne le connaît que de loin [422] ». Les orgueilleux, il les voit de loin, et ils lui sont d’autant moins proches qu’ils se jugent plus élevés. Tu cherchais donc une montagne ? Descends pour y parvenir. Mais veux-tu monter ? Monte, mais sans chercher une montagne. « Il a placé dans son cœur les degrés par lesquels il s’élève » (ainsi s’exprime le Psalmiste) « au travers de cette vallée de larmes[423] ». Toute vallée est basse, c’est dans ton cœur que tout doit se passer. Que s’il te faut quelque lieu élevé, quelque lieu saint, fais de toi-même et intérieurement un temple au Seigneur. Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[424]. Veux-tu prier dans un temple ? Prie en toi-même ; mais auparavant, sois le temple de Dieu ; car c’est dans son temple qu’il écoute ceux qui le prient.
26. « Vient donc l’heure, et elle est déjà venue, où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons ; vous autres, vous adorez ce que vous ignorez ; car le salut vient des Juifs ». Ces paroles donnent beaucoup aux Juifs ; mais garde-toi de considérer ces Juifs comme réprouvés ; considère-les, au contraire, comme étant ce mur auquel est venu, s’en réunir un autre, afin que tous deux fussent fortifiés et réunis par la pierre angulaire qui est le Christ. Le premier mur est formé des Juifs ; le second des Gentils ; et tous deux sont éloignés l’un de l’autre jusqu’à l’endroit où ils se réunissent ensemble par le moyen de la pierre de l’angle. Les Gentils étaient hors de l’alliance et étrangers aux promesses de Dieu[425]. C’est pourquoi il est dit : « Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons », ce qu’il faut entendre des Juifs, non pas de tous les Juifs, non pas des Juifs réprouvés, mais des Juifs tels que furent les Apôtres, les Prophètes et tous les saints qui vendirent tous leurs biens et en déposèrent le prix aux pieds des Apôtres[426]. Car Dieu n’a pas repoussé le peuple qu’il s’est prédestiné[427].
27. Cette femme l’entend, et elle ajoute. Faites attention à sa réponse. Déjà elle l’avait appelé Prophète ; mais voyant que celui avec qui elle parlait disait des choses plus grandes que celles qui pouvaient convenir à un prophète : « Je sais », lui dit-elle, « que le Messie, qui se nomme le Christ viendra, et que quand il viendra il nous apprendra toutes choses ». Qu’est-ce à dire ? En ce moment, les Juifs disputent pour leur temple, et nous pour notre montagne ; mais lorsque le Messie viendra, il méprisera la montagne et renversera le temple ; il nous apprendra toutes choses en nous apprenant à l’adorer en esprit et en vérité. Déjà elle savait qui pouvait l’instruire ; mais elle ne savait pas que ce docteur lui parlait déjà. Aussi était-elle déjà digne de le reconnaître. Le Messie a été oint ; le mot oint signifie Christ, en grec, Messie, en hébreu ; delà vient que, dans la langue punique, Messie signifie : oignez. La raison de cette ressemblance vient de la parenté et du voisinage des trois langues hébraïque, punique et syrienne.
28. « Cette femme lui dit donc : Je sais que de Messie, qui se nomme le Christ, viendra, et que quand il sera venu il nous annoncera toutes choses. Jésus lui dit : Moi qui te parle, je suis le Christ ». Elle a appelé son mari, le mari est devenu le chef de la femme, le Christ est devenu le chef de l’homme [428]. Déjà elle se met d’accord avec la foi, elle suit la règle qui la fera bien vivre. Après avoir entendu ces paroles « Moi qui te parle, je suis le Christ », que pouvait ajouter cette femme à qui Notre-Seigneur avait voulu se manifester en lui disant : « Crois-moi ? »
29. « En même temps arrivèrent ses disciples, et ils s’étonnèrent de ce qu’il parlait à une femme ». Jésus cherchait celle qui était perdue, car il était venu chercher ce qui périssait ; et ils s’en étonnaient. Ils admiraient le bien, ils ne soupçonnaient pas le mal. Aucun pourtant ne lui dit : « Que cherchez-vous, ou pourquoi parlez-vous avec elle ? »
30. « Cette femme donc laissa là sa cruche ». Après avoir entendu ces paroles : « Moi qui te parle, je suis le Christ », et reçu dans son cœur le Christ Notre-Seigneur, qu’avait-elle de plus à faire qu’à laisser là sa cruche et à courir annoncer qu’il était venu ? Elle se débarrasse au plus vite de sa cupidité, elle se hâte d’aller annoncer la vérité : grande leçon pour ceux qui veulent annoncer l’Évangile ! Qu’ils laissent là leur cruche. Rappelez-vous ce que je vous ai précédemment dit sur cet objet. C’était un vase destiné à puiser l’eau ; il tire son nom du grec hydria, parce que dans cette langue le mot udor signifie eau ; c’est donc comme si l’on disait : réservoir d’eau. Elle laisse là sa cruche qui, loin de lui être utile, devient pour elle un fardeau ; car elle n’a plus qu’un désir, celui de boire à longs traits l’eau dont lui a parlé le Christ. Pour annoncer le Christ, elle se débarrasse donc de son fardeau ; « elle court à la ville et dit aux habitants : Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ». Elle ne parle qu’avec mesure, de peur d’exciter leur colère et leur indignation et d’être persécutée : « Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. N’est-il point le Christ ? Ils sortirent de la ville et vinrent vers lui ».
31. « Cependant ses disciples le priaient, disant : Maître, mangez ». Car ils étaient allés acheter des vivres, et ils étaient revenus. « Mais il leur dit : J’ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas. Les disciples se disaient donc les uns aux autres : Quelqu’un lui a-t-il apporté à manger ? » Y a-t-il rien d’étonnant à ce que cette femme n’ait pas compris de quelle eau il s’agissait, quand les disciples eux-mêmes ne comprenaient pas de quelle nourriture le Sauveur leur parlait ? Pour lui, il a connu leurs pensées et il les instruit comme leur maître, non par une voie détournée, ainsi qu’il avait fait avec cette femme dont il voulait entretenir le mari, mais directement. « Ma nourriture », leur dit-il, « est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Il lui disait donc : « J’ai soif, donnez-moi à boire », pour établir la foi en elle et s’en faire un breuvage, et par la foi faire d’elle un membre de son corps. Car le corps de Jésus-Christ, c’est l’Église. Aussi dit-il : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ».
32. « Vous autres, ne dites-vous pas qu’il y a encore quatre mois et la moisson viendra ? » Il s’échauffait à son œuvre et se disposait à envoyer des ouvriers à la moisson, Vous autres, vous comptez quatre mois jusqu’à la moisson, moi je vous en montre une qui a déjà blanchi et qui est toute prête. « Et moi, je vous, dis : Levez les yeux et voyez, les campagnes sont déjà blanches pour la moisson ». Donc il enverra des moissonneurs, «  Car il y a du vrai dans cette parole : Autre est celui qui moissonne, autre est celui qui sème, afin que celui qui sème se réjouisse et avec lui celui qui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner où vous n’avez pas travaillé ; d’autres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux ». Quoi donc ? A-t-il envoyé ceux qui moissonnent, et nous pas ceux qui sèment ? Où a-t-il envoyé ceux qui moissonnent ? Là où les autres ont déjà travaillé ; car où l’on avait travaillé on avait certainement semé, et ce qui avait été semé était déjà mûr et n’attendait plus que la faux et le fléau. Où devaient donc être envoyés les moissonneurs ? Là où les Prophètes, véritables semeurs, avaient prêché ; car s’ils n’ont – pas été des semeurs, comment cette femme a-t-elle pu dire : « Je sais que le Messie viendra ? » Déjà elle était elle-même un fruit mûr : c’était une moisson qui avait déjà blanchi et qui réclamait la faux du moissonneur. « Je vous ai donc envoyés ». En quel endroit ? « Moissonner ce que vous n’avez pas semé ; d’autres ont travaillé et vous, vous êtes entrés dans leurs travaux ». Qui sont ceux qui ont travaillé ? Abraham, Isaac, Jacob. Lisez le détail de leurs travaux ; dans tous leurs travaux ils prophétisaient Jésus-Christ ; ils étaient par conséquent des semeurs. Moïse elles autres Patriarches, et les Prophètes, que n’ont-ils pas souffert dans cette froide saison où ils semaient ? Donc en. Judée la moisson était déjà prête. Il est sûr que la récolte était parvenue à maturité au moment où tant de milliers d’hommes apportaient le prix de leurs biens, les mettaient aux pieds des Apôtres, se débarrassant ainsi du fardeau des possessions temporelles, et se mettaient à la suite de Notre-Seigneur. Véritablement la moisson était mûre. Qu’est-il résulté de cela ? Quelques grains récoltés alors ont servi à ensemencer l’univers entier, et cette femme a produit une autre moisson destinée à être recueillie à la fin des siècles. C’est de cette moisson qu’il est dit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans la joie [429] » ; moisson pour laquelle seront envoyés non plus les Apôtres, mais les anges. « Les moissonneurs », dit Jésus-Christ, « sont les Anges [430] ». C’est là cette moisson qui croît au milieu de l’ivraie et qui attend le moment où elle en sera séparée à la fin des siècles, Quant à celle à laquelle les disciples ont d’abord été envoyés et qu’avaient préparée les Prophètes, elle était déjà mûre, Cependant, mes frères, considérez ce qui est dit : « Afin que se réjouissent ensemble et celui qui sème et celui qui moissonne ». L’époque de leur travail a été différente, mais ils entreront en possession de la même joie ; la même récompense, c’est-à-dire la vie éternelle, deviendra leur partage.
33. « Or, plusieurs des Samaritains de cette ville crurent en lui sur la parole de la femme qui avait rendu ce témoignage : Il m’a dit tout ce que j’ai fait. Les Samaritains étant donc venus à lui, ils le prièrent de demeurer parmi eux, et il y demeura deux jours. Et un bien plus grand nombre crurent en lui à cause de ses discours, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus sur ta parole que nous croyons ; car nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est véritablement le Sauveur du monde ». Il importe de s’appliquer un peu à ces paroles qui terminent la lecture de ce jour. La femme a d’abord annoncé Notre-Seigneur ; ensuite les Samaritains ont cru à son témoignage, puis ils ont prié Jésus-Christ de demeurer avec eux, et il y est demeuré deux jours et plusieurs crurent en lui, et après avoir cru, ils dirent à la femme : « Ce n’est plus d’après ton récit que nous croyons, mais nous-mêmes nous l’avons connu et nous savons qu’il est le Sauveur du monde ». Leur conversion commencée par la réputation de Jésus-Christ, s’est achevée par sa présence. Ainsi en arrive-t-il de nos jours avec ceux du dehors qui ne sont pas encore chrétiens, Jésus-Christ leur est annoncé par des amis chrétiens. Par l’effet de la prédication de l’Église, dont cette femme est l’image, ils viennent au Christ, ils croient en lui, décidés par tout ce qu’on leur en raconte ; il reste avec eux deux jours, c’est-à-dire il leur donne les deux préceptes de la charité. Ainsi s’augmente le nombre et s’affermit la force de ceux qui croient en lui et reconnaissent qu’il est véritablement le Sauveur du monde.

SEIZIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CET ENDROIT DE L’Évangile : « OR, DEUX JOURS APRÈS, IL SORTIT DE LÀ, ET S’EN ALLA « EN GALILÉE », JUSQU’À CET AUTRE : « ET IL CRUT, LUI ET TOUTE SA MAISON ». (Chap. 4,43-53.)

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LE SERVITEUR D’UN OFFICIER GUÉRI.

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Après avoir séjourné à Samarie, Jésus vint en Galilée, et alors se vérifia, une fois de plus, ce proverbe « Un prophète n’est jamais honoré dans son pays ». En effet, sans voir un seul prodige, à sa seule parole, les Samaritains crurent au Christ. En Galilée on avait sous les yeux ses miracles, et l’on ne croyait pas en lui ; un seul, un officier, eut la foi, et encore, pour l’y amener, fallut-il d’abord guérir son serviteur. Les Galiléens préfiguraient donc le peuple Juif, qui demeura incrédule en dépit des merveilles opérées par le Sauveur ; pour les Samaritains, ils étaient l’image du peuple chrétien, qui a embrassé la loi sans avoir été le témoin d’aucun de ses miracles, et qui est devenu ainsi, par adoption, la race spirituelle d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.


1. Le passage de l’Évangile, que nous avons lu aujourd’hui, suit immédiatement la leçon d’hier : c’est de ce passage qu’il nous faut vous donner l’explication. Il n’est pas difficile à comprendre, mais il mérite qu’on vous en développe le sens, qu’on vous le fasse admirer, et qu’on en prononce l’éloge devant vous, En vous l’expliquant, nous avons donc plutôt à vous en recommander l’excellence, qu’à vous aider à en résoudre les difficultés. Après avoir séjourné à Samarie, « Jésus s’en alla dans la Galilée », où il avait été élevé. L’Évangéliste ajoute : « Car, Jésus témoigna lui-même qu’un Prophète n’est point honoré dans son pays ». Le Sauveur ne quitta point Samarie après le séjour qu’il y avait fait, parce que les Samaritains ne l’honoraient pas ; car Samarie n’était point son pays natal, c’était la Galilée ; néanmoins, puisqu’il la quitta sitôt pour retourner en son pays d’origine, c’est-à-dire en Galilée, pourquoi l’Évangéliste dit-il « qu’un Prophète n’est point honoré en son pays ? » Cette réflexion aurait été, ce semble, plus opportune, pour le cas où le Sauveur eût dédaigné de retourner en Galilée, et fût resté à Samarie.
2. Que votre charité veuille bien y faire attention : ce passage nous indique un grand mystère : daigne le Seigneur me suggérer et m’accorder ce que je dois vous en dire ! Vous voyez la difficulté : cherchez à la résoudre. Mais recommençons à vous la proposer : il nous sera, par là, plus aisé de vous donner une réponse satisfaisante. Nous sommes surpris d’entendre dire à l’Évangéliste : « Car Jésus témoigna lui-même qu’un prophète n’est point honoré dans son pays ». Dans notre embarras, nous avons lu à nouveau les paroles qui précèdent, afin de découvrir le motif pour lequel l’Évangéliste a ainsi parlé ; mais nous n’y avons rencontré que ces mots : « Deux jours après, il partit de là et s’en alla en Galilée ». O Évangéliste, vous avez dit que, au témoignage de Jésus lui-même, un Prophète n’est point honoré dans son pays ; et pourquoi ? parce que, deux jours après, il a quitté Samarie et s’est hâté de retourner en Galilée ? Il me semble pourtant plus raisonnable de supposer que si Jésus n’était pas honoré dans son pays, il ne se hâterait point de quitter Samarie pour y retourner. Mais, si je ne me trompe, ou plutôt, c’est la vérité, et je ne me trompe pas, l’Évangéliste a su mieux que moi ce qu’il devait dire : il voyait mieux que moi la vérité ; car il la puisait au cœur même du Sauveur. Il est, en effet, ce même apôtre Jean, qui, préférablement à tous ses autres collègues, reposa sur la poitrine du Christ : c’est lui que Jésus aimait par-dessus tous les autres, bien qu’il dût éprouver à leur égard les sentiments affectueux de la charité[431]. Pourrait-il donc se tromper, et moi, pourrais-je me trouver dans le vrai ? Mais non et même, si je me montre pieusement sage, j’écouterai avec soumission ce qu’il a dit, pour mériter de comprendre ce qu’il a lui-même compris.
3. Voici ce que j’imagine : Mes très-chers, écoutez-moi donc, mais sachez-le bien je ne veux nullement porter préjudice à ce que vous pourriez supposer de plus juste : car nous avons tous un seul et même maître ; nous sommes tous des condisciples réunis dans la même école. Voici mon sentiment : à vous de voir s’il n’est pas conforme à la vérité ou s’il ne s’en approche pas. Jésus passa deux jours à Samarie, et les habitants de cette ville crurent en lui : il vécut longtemps en Caillée, et les Galiléens n’ajoutèrent aucune foi à sa mission. Rappelez-vous et composez à nouveau, dans votre esprit, la leçon et le sermon d’hier. Jésus était venu à Samarie ; près de cette ville et à côté du puits de Jacob, il avait entretenu une femme de grandes et mystérieuses choses, et cette femme l’avait fait avantageusement connaître à ses concitoyens : ceux-ci vinrent le voir et l’écouter, et alors ils crurent en lui sur la parole de cette femme, et leur foi comme leur nombre s’accrut en raison de ses propres paroles. Voilà le récit évangélique. « Après deux jours passés à Samarie » (ce nombre de jours était le mystérieux symbole des deux préceptes qui renferment la loi et les Prophètes [432] : nous vous l’avons ainsi expliqué dans notre instruction d’hier : vous ne l’avez pas oublié), Jésus retourne en Galilée et se rend dans la ville de Cana, de Galilée, où il avait précédemment changé de l’eau en vin. À la vue de ce prodige étonnant de l’eau changée en vin, ses disciples avaient cru en lui : l’Évangile de Jean en fait foi [433]. On ne saurait non plus le nier la maison des noces se trouvait alors remplie d’une multitude de convives. Le Sauveur opéra en leur présence ce miracle inouï, et toutefois nul d’entre eux, en dehors des disciples, ne crut en lui. Dans la circonstance présente Jésus se dirigea encore vers cette ville de la Galilée. « Or, il y avait un grand de la cour dont le fils était malade à Capharnaüm ; celui-ci alla vers lui, et le pria de descendre » dans cette ville ou dans sa maison, « et de guérir son fils, car il était près de mourir ». L’homme qui le priait ne croyait-il pas en lui ? Pourquoi attendre ma réponse à cet égard ? Interroge le Sauveur lui-même, il te dira ce qu’il en pensait ; car à cette demande de l’officier il a répondu : « Si vous ne voyez des prodiges et des miracles, vous ne croyez point ». Par là, il reprenait cet homme de la tiédeur ou de la froideur de sa foi, ou de son manque absolu de foi ; car celui-ci ne cherchait évidemment, à l’occasion de la guérison de son fils, qu’à savoir ce qu’était le Christ, qu’à connaître ce personnage et sa puissance. Nous avons entendu sa prière, sans néanmoins voir les sentiments de défiance qui l’animaient : mais nous avons appris à les connaître de la bouche même de celui qui avait entendu ses paroles et sondé les secrets replis de son cœur ; d’ailleurs, l’Évangéliste nous en a donné une preuve dans sa manière même de raconter les choses ; tout en venant prier le Sauveur de descendre dans sa maison pour guérir son fils, l’officier ne croyait pas encore en lui ; Jean nous dit en effet ceci : Lorsqu’on fut venu lui annoncer que son fils était guéri, il s’aperçut que sa guérison avait eu lieu au moment même où le Sauveur lui avait dit : « Va, ton fils se porte bien ; alors il crut, lui et toute sa famille ». Donc, s’il a cru, lui et toute sa famille, parce qu’on est venu lui annoncer la guérison de son fils, et qu’il a remarqué une concordance parfaite entre l’heure désignée par les envoyés et celle où Jésus lui avait parlé, il ne croyait pas encore au moment où il adressait au Christ sa demande. Les Samaritains n’avaient, pour croire, attendu l’opération d’aucun miracle ; pour cela, il leur avait suffi de l’entendre ; quant à ses concitoyens, ils méritèrent de recevoir de lui cette apostrophe : « Si vous ne « voyez des prodiges et des miracles, vous ne « croyez point ». Et, dans la circonstance dont il s’agit, la miraculeuse guérison du fils de l’officier ne réussit toutefois encore qu’à le convertir, lui et sa famille. À l’entendre seulement, une foule de Samaritains avaient cru en lui ; à voir ce prodige, la famille en faveur de laquelle il avait été opéré fut la seule pour lui donner sa foi. Mes frères, qu’est-ce que le Seigneur a voulu nous faire remarquer ? Alors la Galilée de Judée était la patrie de Jésus, parce qu’il y avait été élevé ; il en est autrement aujourd’hui ; en effet, le fait qui nous occupe renferme une prédiction ; car ce n’est pas sans motif qu’on a donné à de pareils événements le nom de prodiges ; ils sont évidemment l’annonce de quelque chose. Le mot prodige se rapproche du mot prophétie, qui veut dire et signifie : annonce faite d’avance et qui laisse entrevoir un fait à venir. Comme tout cela était l’annonce et la prédiction de quelque événement futur, donnons pour le moment une patrie à Jésus-Christ considéré comme homme (il n’a pu en avoir une sur la terre qu’en raison de l’humanité dont il s’y est revêtu). Supposons que la nation juive lui a servi de patrie. Or, il est sûr qu’il n’y jouit d’aucun honneur. Examine, en effet, en quel état se trouve aujourd’hui la masse du peuple Juif ; elle se voit dispersée dans toutes les contrées de l’univers, elle a été arrachée de son sol ; ses rameaux brisés, coupés, jetés de côté et d’autre, ont perdu leur sève, et l’olivier sauvage a été greffé à la place des branches rompues[434]. Considère attentivement la masse de ce peuple. Que dit-il maintenant ? Celui que vous adorez, devant lequel vous fléchissez le genou, était notre frère. Réponds-lui : « Un prophète n’est point honoré dans sa patrie ». Le Seigneur Jésus a vécu au milieu d’eux ; il a fait des prodiges ; il a rendu la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, l’usage de la langue aux muets, le mouvement aux paralytiques ; il a devant eux marché sur la mer, commandé aux vents et aux flots, ressuscité les morts ; et tous ces miracles opérés sous leurs yeux, ont à peine décidé quelques-uns d’entre eux à croire en lui. Je n’adresse au peuple de Dieu ; nous formons une multitude innombrable de croyants, et pourtant, de quels prodiges avons-nous été les témoins ? Donc, ce qui se passait alors en Judée présageait ce qui se passe aujourd’hui parmi nous. Les Juifs ont été ou sont encore pareils aux Galiléens ; pour nous, nous ressemblons aux Samaritains. Nous avons entendu prêcher l’Évangile et nous y avons donné notre assentiment ; l’Évangile nous a fait croire au Christ ; nous n’avons vu opérer aucun miracle, et pour croire, nous n’en avons exigé aucun.

4. Le disciple Thomas a désiré mettre ses doigts dans les plaies du Sauveur : c’est pourquoi il a été un israélite et a fait partie de la nation du Christ. En effet, Jésus lui a fait le même reproche qu’à l’officier. Il a dit à celui-ci : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez point ». Et à celui-là : « Parce que tu as vu, tu as cru ». Il était venu chez les Galiléens, après avoir quitté Samarie : les habitants de cette ville avaient ajouté foi à sa parole, sans l’avoir vu accomplir aucun prodige ; il s’était séparé d’eux plein de sécurité sur la solidité de leur foi, car il restait avec eux par sa divine présence. Au moment où le Sauveur disait à Thomas « Viens, mets ici ta main, et sois, non pas incrédule, mais fidèle », celui-ci toucha les plaies du divin Crucifié, et s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Alors son Maître lui adressa ce reproche : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ». Pourquoi cela ? Évidemment, parce qu’« un Prophète n’est point honoré dans son pays ». Mais comme ce Prophète est honoré chez des étrangers, que lisons-nous ensuite ? « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru[435] ». Voilà une prédiction qui nous concerne : et ce dont le Christ a fait l’éloge bien avant notre naissance, il a daigné l’accomplir en notre personne. Les hommes qui l’ont fait mourir sur la croix l’ont vu et touché, et, cependant, il s’en est trouvé, parmi eux, un bien petit nombre pour croire en lui ; et nous, qui ne l’avons ni vu de nos yeux ni touché de nos mains, il nous a suffi d’en entendre parler, et nous y avons cru. Puisse la béatitude, qu’il nous a promise, s’opérer et se perfectionner en nous, d’abord ici-bas, parce que nous avons été préférés à ceux de son pays, et, enfin, dans le siècle à venir, car nous avons été entés à la place des branches rompues !

5. Qu’il dût briser ces branches, et enter à leur place cet olivier sauvage, le Christ nous l’a annoncé par sa conversation avec le centurion. Celui-ci lui avait dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ; mais prononcez seulement une parole, et mon enfant sera guéri. Je suis, en effet, un homme soumis à d’autres, et j’ai des soldats à mes ordres ; je dis donc à celui-ci : Va, et il va ; et à celui-là : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait ». Emu d’une foi pareille, « le Sauveur se tourna vers ceux qui le suivaient et leur dit : « En vérité, je vous le dis, je n’ai pas rencontré une pareille foi en Israël ». Pourquoi n’a-t-il pas trouvé une pareille foi en Israël ? Parce qu’ « un Prophète n’est jamais honoré dans sa patrie ». Est-ce que Jésus ne pouvait pas dire à ce centurion ce qu’il avait dit à l’officier « Va, ton fils est guéri ? » Voyez la différence qui se trouvait entre eux ! L’officier désirait voir le Sauveur descendre jusque dans sa maison : le centurion, de son côté, s’en disait indigne. À celui-ci, Jésus disait : « J’irai et je le guérirai » et à l’autre : « Va, ton fils est guéri ». Il promettait de visiter l’un, et il guérissait l’autre d’une parole ; l’officier cherchait à lui arracher la faveur d’une démarche, le centurion s’en proclamait indigne. Le Christ céda à l’orgueil du premier, et concéda à l’humilité du second la grâce qu’elle n’osait demander. Par ces mots : « Va, ton fils est guéri », Jésus semblait dire à t’officier : Laisse-moi donc tranquille ; et, par ces autres : « Si vous ne voyez des prodiges et des miracles, vous ne croyez point » : Tu prétends me faire entrer dans ta maison, sache qu’il me suffit de parler pour guérir ton fils ; ne réserve donc pas ta foi pour le cas d’un miracle ; car cet étranger, ce centurion a cru qu’il me suffisait d’un mot pour opérer un prodige, et il a eu foi en moi avant même que je le fisse ; et vous, « si vous ne voyez des prodiges et des miracles, vous ne croyez point ». Puisqu’il en est ainsi, que les rameaux orgueilleux se brisent donc, et qu’à leur place soit greffé l’humble olivier sauvage ; pourvu, néanmoins, que demeure toujours la racine, malgré la rupture des uns et l’entêtent de l’autre. Où demeure la racine ? Dans la personne des Patriarches ; en effet, la patrie du Christ n’était autre que le peuple d’Israël, parce que, selon la chair, il en venait ; mais les saints patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, formaient la racine de cet arbre. Et où se trouvent ces personnages ? Dans le sein de la paix, en Dieu, au séjour de la gloire suprême : ils s’y trouvent : aussi, le pauvre Lazare, aidé de la grâce, a-t-il été élevé, après sa mort, jusque dans le sein d’Abraham, et placé là si haut, que, de loin seulement le riche orgueilleux pouvait l’y apercevoir [436]. La racine demeure donc, et elle obtient des éloges ; mais les rameaux superbes ont mérité d’en être retranchés, et de sécher, faute de sève ; quant à l’humble olivier sauvage, il a été greffé au lieu et place des branches rompues.
6. Comment se fait-il que les rameaux naturels aient été coupés, et l’olivier sauvage enté à leur place ? Écoute : l’exemple du centurion, que j’ai cru devoir comparer à l’officier, va te l’apprendre. « En vérité », dit le Sauveur, « en vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une foi pareille en Israël ; c’est pourquoi« quoi je vous le déclare, beaucoup viendront d’Orient et d’Occident ». Sur quelle immense étendue de terrain s’étaient portées les branches et les racines de l’olivier sauvage ? Le monde a été une forêt de bois amers ; mais en raison de leur humilité, parce qu’ils auront dit : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, beaucoup viendront d’Orient et d’Occident ». Et parce qu’ils viendront, que deviendront-ils ? S’ils doivent venir, c’est qu’ils ont été préalablement coupés dans la forêt : sur quel autre arbre les greffera-t-il pour qu’il ne se dessèche pas ? « Et ils s’assoiront avec Abraham, Isaac et Jacob ». À quelle table ? Car ils doivent être invités à prendre un breuvage qui les fasse vivre toujours, et non pas à s’enivrer. « Ils s’assoiront avec Abraham, Isaac et Jacob ». Où ? « Dans le royaume des cieux ». Alors, qu’adviendra-t-il de ceux qui sont sortis de la souche d’Abraham ? Que fera-t-on des branches qui garnissaient, en grand nombre, le tronc de l’arbre ? Qu’arrivera-t-il ? Évidemment, on les retranchera pour enter à leur place les rameaux de l’olivier sauvage. Apprends donc qu’elles seront coupées : « Les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures [437] ».
7. Puisque le Prophète n’a pas été honoré dans sa patrie, honorons-le donc. Il n’a pas été honoré dans le pays où il est né, puisse.-t-il l’être dans la patrie qu’il s’est formée ! Celui qui a donné la vie à tous les hommes, a reçu la vie dans la première, selon la forme d’esclave, cela s’entend. Quand il était Verbe de Dieu dans le sein du Père, il a formé Sion, la ville qui lui a donné le jour, la nation juive, en un mot, Jérusalem. Car « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Cet homme dont nous nous sommes entretenus aujourd’hui, ce médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme[438], a été prédit même par le Psalmiste en ce passage : « Un homme dira : Mère Sion ». Un homme, l’homme qui sert de médiateur entre Dieu et les hommes, dit : « Mère Sion ». Pourquoi dit-il : « Mère Sion ? » Parce qu’en elle il s’est incarné ; parce qu’en elle est née la Vierge Marie, dans le sein de laquelle il a pris la forme d’esclave et daigné nous apparaître sous les dehors de la plus profonde humilité. « Un homme dit : Mère Sion » ; et l’homme qui dit : « Mère Sion », s’est formé en elle ; « Il s’est fait homme dans son sein ». Car, avant qu’elle fût, il était Dieu, et il s’est fait homme en elle. Celui qui s’est fait homme en elle, « c’est le Très-Haut, et il l’a lui-même fondée [439] ». « Il s’est fait homme », et s’est anéanti ; car « le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». C’est « le Très-haut », qui « l’a fondée » parce qu’« au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu toutes choses ont été faites par lui[440] ». Mais parce qu’il s’est formé cette patrie, il y est honoré. La patrie au sein de laquelle il s’est incarné l’a repoussé : puisse la patrie qu’il a régénérée le recevoir !

DIX-SEPTIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS L’ENDROIT OÙ IL EST ÉCRIT « APRÈS CELA ARRIVA LA FÊTE DES JUIFS, ET JÉSUS MONTA À JÉRUSALEM », JUSQU’À CET AUTRE : « LES JUIFS CHERCHAIENT À LE FAIRE MOURIR, NON SEULEMENT PARCE QU’IL AVAIT VIOLÉ LE SABBAT, MAIS ENCORE PARCE QU’IL DISAIT QUE DIEU ÉTAIT SON PÈRE, SE FAISANT ÉGAL À DIEU ». (Chap. 5,4-18.)

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GUÉRISON DU PARALYTIQUE.

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Ce miracle est l’image de la guérison des âmes : de là son importance. La piscine figure le peuple Juif, et les cinq portiques, la loi de Moïse qui ne justifiait aucun de ses sujets. Il fallait que le Christ vint, par sa prédication, jeter le trouble parmi les pécheurs ; alors, quiconque croirait humblement en lui dans l’unité de l’Église, serait sauvé. Le paralytique, malade depuis trente-huit ans, représente l’âme pécheresse, qui n’observe point les deux préceptes de la charité, et ne peut en conscience observer ni la loi ni l’Évangile, figurés par le nombre quarante. Pour le guérir, le Sauveur lui commande de prendre son lit sur ses épaules, c’est-à-dire d’aimer le prochain qu’il voit, et de marcher, c’est-à-dire d’en venir à aimer Dieu qu’il le voit pas. À sa voix, le malade se lève, marche et finit par reconnaître son céleste médecin dans la solitude du temple. Pour les Juifs, au lieu de voir en lui le Verbe, par qui Dieu fait toutes choses, ils demeurent dans leur aveugle endurcissement.

1. Il ne doit point paraître surprenant que Dieu ait opéré un miracle, mais ce serait chose merveilleuse que l’homme en fît. Nous devons donc nous réjouir, au lieu de nous étonner, de ce que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ s’est fait homme, plutôt que nous réjouir et nous étonner de ce que Dieu a fait, parmi les hommes, des œuvres dignes de lui. Son Incarnation parmi les hommes a contribué à notre salut plus que ses miracles, et c’était de sa part un bienfait plus considérable de guérir les âmes de leurs vices, que de délivrer de leurs maladies des corps destinés à mourir. Mais, d’une part, l’âme humaine ne connaissait point Celui qui devait la guérir ; d’autre part, l’homme avait, dans son corps, des yeux pour venir des faits matériels, sans avoir encore, dans son cœur, des yeux assez sains pour apercevoir le Dieu invisible : le Seigneur a ainsi opéré des œuvres susceptibles d’être vues par l’homme, pour purifier en lui l’organe dont l’infirmité ne lui permettait pas de contempler le Tout-Puissant. Jésus entra donc en un endroit où gisait une grande multitude de malades, d’aveugles, de boiteux, de paralytiques et comme il était le médecin des âmes et des corps, comme il était venu guérir toutes les âmes de ceux qui devaient croire en lui, parmi tous ces infirmes il en choisit un, pour lui rendre la santé. Cet unique élu devait être l’emblème de l’unité de l’Église. Si nous considérons ce miracle du Sauveur avec un cœur étroit, avec une intelligence et des idées tout humaines, le prodige ne nous paraîtra pas extraordinaire, eu égard à sa puissance et nous avouerons facilement que, relativement à sa bonté, Jésus a fait là peu de chose. Il y avait, devant lui, tant de malades, et il n’en a guéri qu’un seul, bien qu’il eût pu, d’un seul mot, les remettre tous sur pied ! Comment donc comprendre sa conduite ? Le voici, sans aucun doute en pareille circonstance, sa puissance et sa bonté s’exerçaient bien plus à faire ce que les âmes devaient comprendre pour leur salut éternel, qu’à opérer, pour la guérison temporelle des corps, les miracles qu’ils pouvaient réclamer. Nous ne jouirons, en effet, qu’à la fin des siècles et au moment de la résurrection des morts, de cette inamissible santé que nous attendons de la bonté de Dieu : ce qui vivra alors ne sera plus exposé aux coups du trépas ; ce que le Seigneur guérira alors ne courra plus aucun danger de maladie ; ce qui sera alors rassasié n’éprouvera jamais plus le tourment de la faim ou de la soif ; ce qui sera renouvelé, ne vieillira plus désormais. Mais les aveugles, auxquels notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a, pendant sa vie mortelle, rendu la vue, la mort leur a de nouveau fermé les yeux ; les membres des paralytiques, raffermis par lui, ont fléchi encore sous les atteintes du trépas, et la mort a fait disparaître derechef la santé momentanément rendue à des membres sujets à ses coups destructeurs ; mais pour l’âme, vivifiée par la foi, elle est, à ce moment-là, entrée dans le séjour de la vie éternelle. La guérison de ce paralytique a été, de la part de Notre-Seigneur, une figure frappante de l’âme qui devait croire en lui, et dont il était venu effacer les péchés, et guérir les infirmités par l’excès de ses humiliations. Dans la figure et la réalité, j’aperçois un profond mystère : c’est de ce mystère que je veux présentement vous parler, de mon mieux, comme Dieu m’en fera la grâce ; aidez-moi à le faire malgré ma faiblesse, en me soutenant par vos prières, en m’encourageant par votre attention. Si je ne puis vous dire tout ce qu’il faudrait, celui avec le secours de qui je ferai mon possible y suppléera en vous.

2. Il m’en souvient : j’ai, très-souvent, parlé de cette piscine environnée de cinq portiques, où se trouvaient couchés des malades en grand nombre : j’entreprends donc une tâche, abordée par moi plusieurs fois déjà ; aussi, plusieurs d’entre vous auront-ils plutôt à rafraîchir des souvenirs, qu’à apprendre des choses nouvelles. Toutefois, il n’est pas hors de propos de rappeler des choses même précédemment expliquées ; car on peut ainsi instruire ceux qui ne les connaissent pas encore, et confirmer dans leur science ceux qui les connaissent déjà. C’est pourquoi nous passerons brièvement sur ce que vous savez, sans nous y arrêter comme s’il était question de vous en parler pour la première fois. Cette piscine et l’eau qu’elle renfermait me semblent avoir préfiguré le peuple juif. Que les peuples se trouvent désignés sous le nom des eaux, c’est chose clairement indiquée dans l’Apocalypse de Jean. Un jour, en effet, il avait aperçu de grandes eaux : il demanda ce que c’était, et on lui répondit : Ce sont les nations [441]. Cette eau, environnée de cinq portiques, était donc l’emblème du peuple juif, régi par les cinq livres de Moïse ; mais ces livres montraient les infirmités des Israélites sans les guérir ; car la loi établissait la culpabilité des pécheurs, et ne la faisait pas disparaître : la lettre, sans la grâce, faisait donc des coupables ; et quand ils s’avouaient tels, la grâce les délivrait. Voici ce que l’Apôtre dit à ce sujet : « Si la loi qui a été donnée avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi la loi a-t-elle été donnée ? Paul continue en ces termes : « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient [442] ». Y a-t-il rien de plus évident ? Ces paroles ne nous ont-elles pas mis sous les yeux les cinq portiques et la multitude des malades qui s’y trouvaient couchés ? Les cinq portiques ne sont autres que la loi. Pourquoi ne guérissaient-ils pas les infirmes qu’ils renfermaient ? Parce que, « si la loi, qui a été donnée, avait pu communiquer la vie, il serait vrai de dire que la justice viendrait de la loi ». Pourquoi contenaient-ils des hommes qu’ils ne guérissaient point ? Parce que « l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi en Jésus à ceux qui croiraient ».

3. Comment donc se faisait-il qu’après l’agitation de l’eau, ceux qu’on y plongeait y retrouvaient la santé, au lieu qu’ils restaient malades tout le temps qu’ils demeuraient sous les portiques ? Il est bon de le remarquer, l’eau semblait tout à coup s’agiter, et il était impossible de voir qui l’agitait. Soisen bien convaincu : un ange venait d’habitude la remuer, et son action n’était pas sans indiquer l’existence d’un grand mystère. Immédiatement après qu’il avait ainsi remué l’eau de la piscine, l’un des malades, celui qui le pouvait, y descendait, et il était seul à obtenir sa guérison : après lui, quiconque s’y plongeait le faisait sans résultat. Qu’est-ce que cela signifie ? Que le Christ est venu vers le peuple juif, et qu’en opérant des prodiges, en enseignant une doctrine précieuse, il a pu seul troubler les pécheurs, remuer l’eau par le fait de sa présence, et agiter les Juifs au point qu’ils le firent mourir. Mais quand il agissait ainsi, on ne le connaissait point ; car si les Israélites avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié [443]. Descendre dans l’eau, après qu’elle a été agitée, c’est donc croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul malade était guéri dans l’eau de la piscine : c’était l’emblème de l’unité de l’Église : quiconque y descendait ensuite, n’obtenait pas sa guérison, car, en dehors de l’unité, il est impossible d’obtenir la rémission de ses fautes.

4. Voyons donc ce que le Christ a voulu nous faire entendre par ce paralytique ; car le Sauveur, comme je l’ai dit en commençant, a respecté, lui aussi, ce que le nombre un a de mystérieux, et, de tous les malades rangés autour de la piscine, il n’a daigné guérir que celui-là. Dans l’âge de cet homme il a trouvé un nombre d’années qui indique une maladie : « Il était malade depuis trente-huit ans ». Comment ce nombre d’années indiquait-il plutôt la maladie que la santé ? C’est ce que nous allons expliquer avec un soin plus particulier. Je désire que vous me prêtiez toute votre attention : le Seigneur nous aidera, moi, à vous parler convenablement, et vous, à me bien comprendre. Le nombre quarante nous est signalé comme un nombre sacré, parce qu’en un sens, il est parfait. Votre charité, je le suppose, n’en ignore pas ; et les divines Écritures l’attestent en maints endroits. Vous le savez, le jeûne tire sa consécration de ce nombre de jours. En effet, Moïse a jeûné quarante jours[444] ; Élie a fait de même[445] ; et notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a aussi jeûné le même espace de temps[446]. Moïse représentait la loi, Élie les Prophètes, et Jésus-Christ l’Évangile : c’est pourquoi ils apparurent tous les trois sur la montagne où le Sauveur se manifesta à ses disciples avec un visage et des vêtements tout radieux. Dans cette apparition, Jésus se trouvait entre Moïse et Élie[447], comme si l’Évangile tirait sa force du témoignage de la loi et des Prophètes [448]. Qu’il s’agisse donc de la loi, des Prophètes ou de l’Évangile, le nombre quarante nous est signalé comme consacré au jeûne. Considéré dans son sens large, et pris en général, le jeûne consiste à s’abstenir de tout péché et de toutes les iniquités du siècle ; oui, voilà le véritable jeûne : « C’est renoncer à l’impiété, aux désirs du siècle, et vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice et avec piété ». Quelle est la récompense réservée à cette sorte de jeûne ? L’Apôtre nous le dit, car il ajoute ces paroles : « Attendant la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ[449] ». Dans le cours de cette vie, nous observons, en quelque sorte, l’abstinence du carême, lorsque nous nous conduisons bien et que nous nous abstenons du péché et des plaisirs défendus. Mais parce que cette abstinence ne manquera pas d’être récompensée, « nous attendons la félicité que nous espérons, et l’avènement glorieux du grand Dieu, de notre Sauveur, Jésus-Christ ». Quand notre espérance aura fait place à la possession de la réalité, nous recevrons le denier qui doit constituer notre récompense. D’après l’Évangile, vous vous en souvenez, je crois, la même rémunération est accordée à tous ceux qui travaillent dans la vigne du père de famille : il est inutile de vous rappeler tout cela, comme si vous étiez des personnes ignorantes et grossières. Le denier donné aux ouvriers tire son nom du nombre dix, lequel, ajouté à quarante, forme celui de cinquante ; voilà pourquoi l’observation de la Quadragésime exige de nous, avant Pâques, de pénibles sacrifices ; mais après Pâques, il semble que nous devions recevoir notre récompense, car nous célébrons la Quinquagésime dans les transports de la joie. Au travail salutaire des bonnes œuvres, qui a trait au nombre quarante, viendra s’ajouter le denier du repos et du bonheur, qui parfera le nombre cinquante.

5. Tout cela, le Seigneur Jésus a voulu nous le faire entendre plus parfaitement encore, quand, après sa résurrection, il a consacré quarante jours à converser sur la terre avec ses disciples[450]. Le quarantième jour, il monta au ciel, et dix jours après il leur envoya, comme récompense, le Saint-Esprit[451]. Ceci a été préfiguré, et la réalité a été annoncée d’avance par certains emblèmes. La vue de ces emblèmes nous sert comme d’aliment, pour nous fortifier et nous aider à parvenir à la réalité même. Nous sommes, en effet, des ouvriers, et nous travaillons encore à la vigne ; le jour fini, l’ouvrage terminé, Dieu nous rémunérera de nos peines. Mais quel est l’ouvrier capable de persévérer dans le travail, jusqu’à l’heure du paiement ? Celui-là seul qui prend de la nourriture dans le cours de la journée ; car il est sûr que tu ne te bornes pas à donner à tes ouvriers leur salaire : ne leur donnes-tu pas aussi de quoi réparer leurs forces épuisées par le travail ? Oui, tu nourris ceux que tu dois rémunérer. Les emblèmes contenus dans les Écritures sont donc l’aliment dont Dieu nous nourrit pendant le pénible cours de notre vie ; car s’il nous enlevait la joie de comprendre toutes ces mystérieuses figures de l’avenir, nous tomberions, au milieu de notre travail, sous le poids de la fatigue, et nul d’entre nous ne serait capable de voir arriver l’heure de la récompense.

6. Pourquoi donc le nombre quarante indique-t-il que le travail est arrivé à son terme ? Peut-être parce que la loi a été donnée en dix préceptes, et qu’elle devait être annoncée par tout l’univers ; car le monde se divise en quatre parties : l’Orient, l’Occident, le Midi et l’Aquilon. Aussi, dix multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Peut-être est-ce encore parce que la loi se trouve parfaitement accomplie par l’Évangile, qui se compose de quatre livres ; il est dit, un effet, dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir[452] ». Quel que soit le motif en question ; que ce soit celui-ci ou celui-là, ou tout autre, inconnu de nous, mais connu de plus savants, peu importe ; il est certain, néanmoins, que le nombre quarante indique en un sens que les bonnes œuvres sont arrivées à leur terme : par bonnes œuvres j’entends surtout un certain retranchement des désirs coupables du siècle, c’est-à-dire, le jeûne pris dans son acception la plus étendue. Écoute l’Apôtre. Voici ce qu’il dit lui-même : « L’amour est la plénitude de la loi[453] ». Comment nous vient la charité ? Par là grâce de Dieu, par l’Esprit-Saint. Nous ne pouvons la posséder de nous-mêmes, comme si nous la faisions ; c’est un don de Dieu, et un don inappréciable : « Car », dit Paul, « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné [454] ». La charité accomplit donc la loi, et c’est en toute vérité qu’il a été dit : « La charité est la plénitude de la loi ». Voyons comment Dieu nous recommande cette vertu. Rappelez-vous ma proposition : je veux vous parler des trente-huit ans du paralytique de l’Évangile ; je veux vous expliquer comment il se fait que le nombre trente-huit indique plutôt la maladie que la santé ; je l’ai dit : La charité accomplit la loi : et à l’entier accomplissement de la loi, en n’importe quelles œuvres, se rapporte le nombre quarante. Mais, relativement à la charité, nous avons reçu deux commandements. Je vous en prie, réfléchissez bien à ce que je vous dis, et gravez-le profondément dans votre mémoire : tenez du cas de mes paroles ; car, autrement, votre âme ressemblerait à un grand chemin où ne germe point le grain qui y tombe : « Les oiseaux du ciel viendront », dit le Sauveur, « et ils le mangeront [455] ». Comprenez ceci, et renfermez-le soigneusement dans votre cœur. Par rapport à la charité, le Seigneur nous a donné deux commandements ; les voici : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes [456] ». La veuve de l’Évangile n’a-t-elle pas fait don à Dieu de deux misérables pièces d’argent qui composaient tout son avoir[457] ? Est-ce que l’hôtelier n’a pas reçu deux deniers pour veiller à la guérison du malheureux blessé que des voleurs avaient laissé à moitié mort sur le chemin[458] ? Jésus n’a-t-il point passé deux jours chez les Samaritains, pour les affermir dans la charité[459] ? Lorsqu’il s’agit de quelque bonne œuvre, le nombre deux a donc trait au double précepte de la charité : de là il suit que le nombre quarante indique l’entier accomplissement de la loi, et que la loi n’est accomplie que par l’observation du double précepte de la charité : alors, pourquoi s’étonner si celui à qui le nombre deux manquait pour parvenir à quarante, gisait sous le poids de la maladie ?
7. Voyons donc par quelle mystérieuse action du Sauveur ce malade est revenu à la santé. Jésus, maître de la charité, rempli de charité, a paru sur la terre, donnant au « monde » comme il a été prédit de lui, « une parole abrégée[460] », et il a montré que les deux Préceptes de la charité renferment toute la loi et les Prophètes. En eux a donc consisté le mérite du jeûne de quarante jours observé par Moïse, et de celui d’Élie, consacrés, tous deux, par l’autorité et l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur se présente alors devant le paralytique, et lui rend la santé ; mais, auparavant, il lui dit : « Veux-tu être guéri ? » Celui-ci lui répond qu’il n’a personne pour le descendre dans la piscine. En réalité, pour guérir, il lui fallait un homme, mais l’homme qui est en même temps Dieu : car « il n’y à qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme [461] ». L’homme indispensable s’approche de lui : pourquoi sa guérison serait-elle différée ? « Lève-toi », lui dit-il, « prends ton lit, et marche ». Voilà trois mots sortis de sa bouche : « Lève-toi, prends ton lit, et marche ». « Lève-toi » ; par ce mot, il ne commande pas d’agir, il rend la santé. Une fois guéri, le paralytique reçoit deux commandements : « Prends ton lit, et marche ». Je vous le demande : pourquoi ne pas se contenter de dire : « Marche ? » Ou bien, n’aurait-il pas suffi de dire « Lève-toi ? » Il est sûr, en effet, qu’après avoir repris l’usage de ses membres, il ne serait pas resté en place. Ne se serait-il pas levé pour s’en aller ? Voilà donc, pour moi, un nouveau sujet de surprise ; car j’entends le Sauveur faire deux commandements à cet homme qu’il a trouvé couché sur son lit, parce qu’il lui manquait deux pour atteindre quarante ; en lui imposant deux préceptes, Jésus suppléait au nombre qui lui faisait défaut.
8. Dans ces deux préceptes du Christ, comment pouvons-nous trouver trace des deux commandements de la charité ? « Prends ton lit », dit-il, « et marche ». Quels sont, mes frères, ces deux commandements ? Veuillez y réfléchir avec moi. Ils doivent vous être parfaitement connus, et, par conséquent, vous ne devez pas vous borner à y penser quand nous vous en parlons ; jamais ils ne doivent s’effacer de votre mémoire. Rappelez-vous-le donc toujours : il faut aimer Dieu et le prochain. Il faut aimer « Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, et le prochain comme soi-même ». Voilà ce à quoi nous devons toujours penser ; ce qu’il nous faut sans cesse méditer, graver dans notre mémoire, mettre en pratique et accomplir. L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements : dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain. Celui qui t’imposerait, en deux préceptes divers, l’obligation d’aimer l’un et l’autre, ne te désignerait pas d’abord le prochain, comme objet de ton affection, pour donner à Dieu le second rang : il te parlerait d’abord de Dieu, et, ensuite, du prochain ; mais comme tu ne vois pas encore Dieu, tu mérites de le voir en aimant ton prochain : l’affection que tu portes à ton frère purifie l’œil de ton âme, et le rend capable de contempler Dieu ; car Jean dit en termes formels : « Comment celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas [462] ? » On te dit : Aime Dieu. Si tu me dis à ton tour : Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que Jean lui-même nous enseigne : « Jamais « personne n’a vu Dieu [463] ? » Mais ne va pas t’imaginer qu’il te soit complètement impossible de voir Dieu. « Dieu », dit le même Apôtre, « Dieu est charité ; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu [464] ». Aime donc ton prochain ; puis, examine attentivement pour quel motif tu lui donnes ton affection ; et en lui, tu verras Dieu, autant, du moins, que tu peux le voir. Commence donc par aimer le prochain. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois, sous ton toit, celui qui est sans abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le, et ne méprise point la chair dont tu es formé ». Quelle sera, pour toi, la conséquence de toutes ces bonnes œuvres ? « Alors, ta lumière brillera comme l’aurore [465] ». Ta lumière, c’est ton Dieu. Il sera pour toi la lumière de l’aurore, parce qu’il succédera, pour toi, aux ténèbres de ce monde ; et comme il demeure éternellement, il ne se lève, ni ne se couche comme le soleil. Il se lèvera pour toi, lorsque tu reviendras à lui, comme il s’est couché toutes les fois que tu t’en es éloigné. Donc, par ces paroles : « Prends ton lit », Jésus a dit, ce me semble : Aime ton prochain.
9. Mais la chose ne me paraît pas encore bien clairement établie : à mon avis, il nous faut expliquer plus au long comment il est question de la charité fraternelle dans le fait de l’enlèvement d’un lit ; car peut-être sommes-nous offusqués de voir qu’un lit, dépourvu de sens et d’esprit, soit l’image du prochain. Que notre frère ne s’irrite point d’être représenté à nos yeux sous la figure d’un objet sans âme ni intelligence. En effet, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a lui-même reçu le nom de pierre angulaire, établie pour relier ensemble les deux murs de l’édifice [466]. On lui a aussi donné le nom de ce rocher du sein duquel s’échappe une source : « Et cette pierre était le Christ [467] ». Si le Christ a été appelé Pierre, y a-t-il rien d’étonnant à ce que le prochain soit appelé bois ? Il ne s’agit pas ici, néanmoins, d’un bois quelconque, pas plus qu’il ne s’agissait de n’importe quelle pierre ou de n’importe quel rocher. Car il était question du rocher qui fournit de l’eau pour désaltérer les Israélites, et de la pierre angulaire qui réunissait entre eux des murs bâtis en des sens différents. Tout bois n’est pas propre à figurer le prochain : un bois de lit en est seul capable. Je te le demande ; qu’y a-t-il à remarquer dans ce bois de lit ? Rien, sinon qu’il servait à porter le paralytique pendant qu’il était malade, tandis qu’il était à son tour porté par ce même homme revenu en santé. Qu’a dit l’Apôtre ? « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ[468] ». La loi de Jésus-Christ, c’est la charité, et nous ne pouvons accomplir le précepte de la charité, qu’à la condition de porter les fardeaux les uns des autres ; et il dit ailleurs : « Vous supportant avec charité les uns les autres, travaillant soigneusement à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix [469] ». Lorsque tu étais malade, ton prochain te portait : tu es revenu à la santé, porte donc, à ton tour, ton prochain. « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». C’est ainsi, ô homme, que tu porteras ce qui te manquait. « Prends donc ton lit » ; mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, « marche ». En aimant ton prochain, en prenant soin de lui, tu fais du chemin. De quel côté diriges-tu tes pas ? Vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit. Il nous est encore impossible d’arriver jusqu’à lui, mais avec nous se trouve notre prochain. Porte donc ton frère, puisque tu voyages avec lui, et par là tu arriveras jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer toujours. « Prends » donc « ton lit et marche ».
10. Voilà ce que fit le paralytique, et les Juifs en furent scandalisés. Ils voyaient, en effet, un homme qui portait son lit le jour du sabbat : néanmoins ils ne faisaient point au Sauveur un reproche de ce qu’il l’avait guéri ce jour-là ; car il aurait pu leur répondre : « Qui d’entre vous, voyant son âne ou son bœuf tombé dans un puits, ne l’en retirerait aussitôt, et ne le sauverait le jour même du sabbat [470] ? » Ils ne reprochaient donc pas à Jésus d’avoir guéri cet homme le jour du sabbat ; mais ils faisaient à celui-ci un crime d’avoir porté un lit à pareil jour. De ce qu’il fallait immédiatement guérir ce malheureux, s’ensuivait-il qu’on pût ou dût lui prescrire une œuvre servile ? « Il ne t’est point permis », lui dirent-ils, « de faire ce que tu fais, de porter ton lit ». À cette observation méchante il opposa l’autorité de celui qui avait opéré sa guérison. Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri, m’a dit : Prends ton lit, et marche ». Celui qui m’a rendu la santé n’avait-il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres ? Et ils lui demandèrent : « Quel est celui qui t’a dit : Prends ton lit, et marche ? »
11. « Et celui qui avait été guéri ne savait point qui lui avait donné cet ordre ». Car, après l’avoir guéri, et lui avoir commandé de prendre son lit et de marcher, « Jésus s’était éloigné de lui et perdu dans la foule ». Voyez comment ceci s’accomplit aussi par rapport à nous. Nous portons notre prochain et nous marchons vers Dieu ; mais celui vers qui nous dirigeons nos pas, nous ne le voyons pas encore : c’est pourquoi le paralytique ne connaissait pas non plus, à ce moment-là, le Seigneur Jésus. Voici la mystérieuse chose que le Christ a voulu nous apprendre : nous croyons en lui, bien que nous ne le contemplions pas encore, et, pour nous empêcher de l’apercevoir, il se perd dans la foule. Or, il est difficile de découvrir le Christ au milieu de la foule ; il faut donc établir notre âme dans une sorte de solitude, et quand par notre intention nous serons ainsi devenus solitaires, nous verrons Dieu. Dans la foule se lait entendre un bruit confus pour contempler le Seigneur, la tranquillité de la solitude est indispensable. « Prends ton lit » ; après avoir été porté par lui, porte ton prochain, « et marche », afin d’arriver jusqu’à Dieu. Ne cherche pas Jésus dans la foule, comme s’il était un de ceux qui la composent ; il n’est pas d’avec eux, car il les précède tous. Cet énorme poisson a été le premier à sortir de lamer pour monter au ciel, où il est assis et intercède en notre faveur ; comme autrefois le grand prêtre, il a pénétré seul derrière le voile, dans le Saint des saints, tandis que la foule reste au-dehors. Pour toi, marche, puisque tu portes ton prochain : auparavant, il te portait ; marche, si tu as appris à le porter à ton tour. Enfin, pour le moment, tu ne connais pas encore Jésus, tu ne le vois pas encore. Que lisons-nous ensuite ? Parce que le paralytique ne se lasse point de porter son lit et de marcher, « Jésus le trouva plus tard dans le temple ». Ce malade n’avait point vu Jésus dans la foule, il le vit dans le temple. Le Sauveur l’avait aperçu même du milieu de la multitude, et aussi dans le temple ; mais lui n’avait point vu le Christ dans la foule ; il ne le reconnut qu’au temple. Il parvint donc jusqu’au Seigneur ; il le vit dans le temple, dans un édifice consacré à son culte, dans le lieu saint. Et que lui dit alors Jésus ? « Voilà que tu es guéri ; ne pèche plus désormais, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pis ».
12. À peine le paralytique eut-il aperçu le Christ et reconnu l’auteur de sa guérison, qu’il s’empressa de le signaler à l’attention de tous. « Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri ». Il le leur annonçait, et les Juifs perdaient le sens ; il leur faisait hautement connaître celui qui l’avait guéri, et les Juifs s’entêtaient à ne point reconnaître leur Sauveur.
13. « C’est pourquoi les Juifs poursuivaient Jésus, parce qu’il avait fait ces œuvres le jour du sabbat ». Quelle réponse Jésus adressa-t-il alors aux Juifs ? La voici, Écoutons-la. Je vous l’ai déjà dit : quand il s’agissait d’hommes guéris le jour du sabbat, le Christ avait pour habitude de dire à ses ennemis : À pareil jour, vous ne manquez jamais de porter secours à vos animaux domestiques, et de leur donner la nourriture nécessaire. Quant à l’enlèvement de son lit par le paralytique, quelle fut la réponse du Christ ? On ne pouvait le nier : une œuvre servile s’était faite au vu et au su des Juifs ; c’était, non pas la guérison corporelle d’un malade, mais l’action qu’on lui avait commandée : il est sûr que cette action n’était pas aussi urgente que la guérison. Que le Sauveur nous fasse donc clairement connaître la mystérieuse signification du sabbat ; qu’il nous dise que l’observation d’un jour par semaine avait été, pour un temps, imposée aux Juifs comme un symbole, et qu’il était venu pour nous montrer, dans sa personne, la réalité de ce symbole. « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Il occasionna au milieu d’eux un grand trouble par son avènement, il agita l’eau, mais, tout en la remuant, il demeurait caché ; néanmoins, l’agitation de l’eau devait guérir un grand malade, mais un malade unique, tandis que la mort du Sauveur devait guérir le monde entier.
14. Voyons donc ce que répondit la Vérité : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». Elle est donc fausse cette parole de l’Écriture : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour[471] ? » et le Seigneur Jésus lui-même s’inscrit donc en faux contre cette assertion de Moïse, quand il dit aux Juifs : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi, car c’est de moi qu’il a écrit[472] ? » Voyez donc si, en nous affirmant que « Dieu s’est reposé de toutes ses œuvres le septième jour », Moïse n’a pas voulu nous faire connaître quelque chose de mystérieux. Dieu ne s’était point fatigué en donnant l’être à ses créatures, et, par conséquent, il ne ressentait pas, comme l’homme après son travail, le besoin de se reposer. Comment aurait pu se lasser celui qui avait pu, d’un seul mot, créer toutes choses ? Néanmoins, rien de plus vrai que ce passage : « Dieu se reposa de toutes ses œuvres le septième jour » ; rien de plus vrai encore que ces paroles de Jésus : « Mon Père agit toujours ». Mes frères, de quelles expressions me servir pour vous le démontrer ? Ne suis-je pas un homme, et n’êtes-vous pas des hommes ? Je suis faible, et ne m’adressé-je pas à des faibles ? Je suis ignorant, et vous désirez apprendre de moi des choses mystérieuses ! Si, par hasard, j’en saisis quelque peu le sens caché, il m’est impossible de le mettre à la portée des personnes semblables à moi, et de le leur faire comprendre : et quand même elles le saisiraient comme moi, quand même il ne serait pas absolument au-dessus de mes forces de leur en donner une explication précise, j’éprouverais toujours une difficulté extrême à le faire. Encore, une fois, mes frères, quelles expressions employer, pour vous faire comprendre comment Dieu agit, même en se reposant, et comment il se repose, même au moment où il agit ? Patience, je vous en conjure ; attendez, pour le comprendre, que vous soyez plus avancés : car la révélation d’un pareil mystère ne peut se faire que dans le temple d Dieu, dans un lieu saint : portez donc le prochain et marchez : et vous mériterez de le contempler face à face, sans avoir besoin de la parole humaine pour vous en faire une idée.
15. Voici peut-être l’explication la plus plausible qu’il nous soit permis de vous donner. En disant que « Dieu se reposa le septième jour », Moïse a voulu, dans un sens mystérieux bien digne de fixer notre attention, désigner d’avance notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le même qui disait ces paroles « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». En effet, le Seigneur Jésus est Dieu : nul doute cet égard ; car il est le Verbe, et, vous le savez, « au commencement était le Verbe » ce n’était pas un Verbe quelconque, mais « le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui [473] ». Moïse a peut-être voulu nous dire qu’il se reposerait de toutes ses œuvres le septième jour. Lisez l’Évangile, et vous verrez effectivement combien d’œuvres merveilleuses ont été accomplies par Jésus. Afin que fussent réalisés eu lui tous les oracles des Prophètes, il a opéré notre salut mur l’arbre de la croix : il a été couronné d’épines et attaché à un gibet ; il a dit : « J’ai soif », et, au moyen d’une éponge, on l’a abreuvé de vinaigre, et ainsi s’est vérifiée cette parole : « Ils ont étanché ma soif avec du vinaigre [474] ». Mais la veille du sabbat, quand il eut opéré toutes ses œuvres, il inclina la tête et rendit l’esprit ; puis ayant été, le jour du sabbat, déposé dans un sépulcre, il se reposa de toutes ses œuvres[475]. Il semblait donc dire aux Juifs : Pourquoi attendre de moi que je n’agisse point le jour du sabbat ? L’observation de ce jour-là vous a été prescrite pour me préfigurer. Vous contemplez les œuvres de Dieu. J’étais là quand elles se faisaient : c’est par moi que toutes choses ont été faites ; je le sais : « Mon Père agit toujours ». Mon Père a fait la lumière, mais il a dit : que la lumière fût [476] ; et, puisqu’il a parlé, il a agi par son Verbe : j’étais et je suis son Verbe. Dans l’œuvre de la création, le monde a été formé par moi : je le gouverne par mes œuvres actuelles. Mon Père a agi au moment où il créait l’univers ; il agit encore aujourd’hui en le gouvernant : c’est donc par moi qu’il l’a créé au commencement, et qu’il le gouverne actuellement. Voilà ce que le Sauveur disait aux Juifs ; mais à quels hommes parlait-il ? À des aveugles, à des sourds, à des boiteux, à des malades qui ne reconnaissaient pas leur médecin, et qui, dans les transports d’une sorte de frénésie, voulaient s’en débarrasser en le faisant mourir.
16. Aussi, que dit ensuite l’Évangéliste ? « C’est pourquoi les Juifs cherchaient plus activement à le faire mourir, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son propre père ». Il ne le disait pas dans le premier sens venu ; mais comment le disait-il ? « Se faisant égal à Dieu ». Nous, nous disons tous à Dieu : « Notre Père, qui êtes aux cieux [477] ». Nous lisons que les Juifs eux-mêmes lui disaient : « Vous êtes notre Père[478] ». Ils s’irritaient donc, non pas de ce qu’il appelait Dieu son père, mais de ce qu’il l’appelait de ce nom d’une manière toute différente de celle dont le faisaient les autres hommes. Voilà que les Juifs comprennent ce que ne comprennent pas les Ariens. Ceux-ci, eu effet, disent le Fils inférieur au Père, et telle est la raison pour laquelle ces hérétiques ont été retranchés du sein de l’Église. Les aveugles eux-mêmes, les meurtriers du Christ ont donc compris tonte la portée de ces paroles. Ils ne voyaient pas qu’il fût le Christ, le Fils de Dieu mais, de ses paroles ils concluaient qu’il était question d’un Fils de Dieu, égal à Dieu. Qui était-il en réalité ? Ils n’en savaient rien : seulement, ils le reconnaissaient comme un homme, qui « appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu ». N’était-il donc pas égal à Dieu ? Ce n’était pas lui qui se faisait égal à Dieu ; mais c’était Dieu qui l’avait engendré égal à lui-même. S’il se faisait lui-même égal à Dieu, il se rendrait usurpateur, et se précipiterait dans l’abîme. En effet, celui qui a prétendu se faire égal à Dieu, tandis qu’il ne l’était pas, tomba dans l’enfer [479] ; et d’ange qu’il était, il se transforma en démon ; et l’orgueil, qui l’avait fait déchoir de son rang, il s’efforça de l’inspirer à l’homme ; car cet ange dégradé, jaloux de voir nos premiers parents dans l’état de grâce, ne craignit pas de leur dire : « Goûtez de ce fruit, et vous serez comme des dieux [480] ; c’est-à-dire, devenez des usurpateurs : prenez ce que Dieu ne vous a pas donné en vous créant ; car je l’ai pris moi-même, et je suis tombé. Les termes dont il se servait, étaient plus voilés, mais c’était là le sens de ses conseils. Pour le Christ, il ne s’était pas fait l’égal de Dieu, car il était né tel : il était né de la substance du Père. Voici donc en quels termes l’Apôtre nous parle de Dieu : « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Il n’a pas cru que ce fût une usurpation ? » Il n’a pas usurpé l’égalité avec Dieu il la possédait, puisqu’il était né avec elle. Et nous, comment pouvions-nous devenir semblables à cet égal de Dieu ? « Il s’est anéanti lui-même « en prenant ta forme d’esclave [481] ». Si donc il s’est anéanti, c’est, non pas en perdant ce qu’il était, mais en prenant ce qu’il n’était pas. Faisant peu de cas de cette forme d’esclave, les Juifs ne pouvaient comprendre que le Seigneur Christ fut égal à son Père ; et, pourtant, ils étaient intimement persuadés qu’il se disait tel : c’est pourquoi ils le persécutaient : et, néanmoins, il les supportait encore, et cherchait à les guérir, malgré leurs mauvaises dispositions à son égard.

DIX-HUITIÈME TRAITE.

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SUR CE PASSAGE DE L’Évangile : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE : QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS AUSSI LE FAIT COMME LUI », (Chap. 5, 19.)

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LE VERBE ÉGAL AU PÈRE.

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Les Juifs s’irritaient de ce que le Christ s’égalait à Dieu, car ils ne voyaient en lui qu’un homme, et n’y apercevaient point le Verbe. Alors Jésus ajouta : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Les Ariens concluent de ces paroles que le Fils est inférieur au Père ; mais ils sont forcés d’avouer que le Verbe est Dieu, qu’il est en Dieu, que tout a été fait par lui, et que, par conséquent, les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils. Mais comment le Fils voit-il ce que fait le Père ? Mystère inexplicable ! Servons-nous, toutefois, d’une comparaison tirée de la nature de notre âme. Il n’en est pas d’elle comme du corps : celui-ci peut exister sans voir ni entendre ; pour celle-là, voir et entendre par elle-même, c’est l’essence même de son être ; ainsi en est-il du Verbe.


1. De préférence aux autres Évangélistes, ses condisciples et collègues, Jean avait reçu du Sauveur un privilège extraordinaire et à lui personnel. Il s’était en effet reposé sur la poitrine de Jésus pendant la dernière cène [482], et c’était le signe qu’il puiserait dans son divin cœur, la connaissance de mystères plus profonds. Ce privilège consistait à dire du Fils de Dieu des choses capables d’éveiller l’attention des âmes enfantines, mais incapables de leur fournir un aliment qu’elles ne pouvaient encore supporter : des choses propres à occuper et à nourrir des esprits plus développés et arrivés, en quelque sorte, à l’âge viril. Vous avez entendu la lecture des paroles de cet Apôtre, et vous vous souvenez de quelle source elles émanaient. Hier, en effet, on vous a lu ceci : « C’est pourquoi les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus, non seulement parce qu’il avait violé le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu [483] ». Ce qui déplaisait aux Juifs plaisait à son Père, et plaît aussi, sans aucun doute, à tous ceux qui honorent le Fils, comme ils honorent le Père ; car si pareille chose leur déplaisait, ils déplairaient à leur tour. À te déplaire, Dieu ne deviendrait pas plus grand ; mais s’il te déplaisait, tu en deviendrais plus petit. Le Sauveur répond à leur accusation, qui trouvait sa raison d’être, soit dans leur ignorance, soit dans leur méchanceté. Ses paroles ne sont point tout à fait à leur portée, mais elles sont de nature à les jeter dans l’agitation et le trouble, et peut-être à les faire profiter de leur trouble même pour chercher celui qui pouvait les guérir. Elles étaient aussi, dans son intention, destinées à être consignées dans des livres, qui devaient ensuite contribuer à nous instruire. Voyons donc ce qui se passa dans le cœur des Juifs, au moment où ils entendirent ces paroles. Quel effet produisent-elles aujourd’hui en nous ? C’est à nous d’y réfléchir davantage encore. D’où sont venues les hérésies, et certaines erreurs désastreuses, qui angarient les âmes et les précipitent dans l’abîme ? Évidemment, de ce que des Écritures saintes ont été mal comprises, et de ce qu’on a soutenu avec une audacieuse témérité le sens pervers qu’on y attachait. Aussi, mes très chers, devons-nous entendre, avec une scrupuleuse circonspection, les passages que la faiblesse de notre intelligence ne nous permet point de saisir ; que les sentiments de la piété et, comme il est écrit, la crainte de Dieu, nous portent à suivre cette règle salutaire : ce que nous pouvons en comprendre d’accord avec la foi dont nous faisons profession, regardons-le comme un aliment parfaitement sain, et prenons-le avec joie. Si, au contraire, nous appliquons la règle infaillible de la foi, et que ces passages nous offrent encore d’impénétrables obscurités, alors écartons tous les doutes ; ne cherchons pas à les comprendre pour le moment. En d’autres termes, si nous n’y voyons rien, regardons-les néanmoins comme incontestablement bons, comme l’expression même de la vérité. Mes frères, pour moi qui ai entrepris de vous parler, vous devez bien considérer qui je suis, et, aussi, la tâche que je me suis imposée : je ne suis qu’un homme, et je veux vous entretenir des choses divines ; je suis charnel, et je veux développer devant vous un sujet tout spirituel ; je mourrai, et j’ai pris pour thème de mon discours l’éternité même. Puissé-je, mes très chers, me tenir à l’abri de toute vaine présomption, afin de vous enseigner une saine doctrine dans la maison de Dieu, c’est-à-dire, dans son Église, qui est la colonne et le fondement de la vérité[484]. Je prendrai pour mon guide la règle de conduite que je vous ai tracée à vous-mêmes : là où le sens de l’Écriture sera à ma portée, je m’en nourrirai avec vous ; et je frapperai avec vous, quand la porte m’en sera fermée.

2. Les Juifs s’émurent donc et s’indignèrent ; ils l’eussent fait à juste titre, si Jésus eût été un pur homme, et se fût, comme tel, vanté d’être égal à Dieu ; mais leur colère tombait à faux, parce que sous son enveloppe humaine ils auraient dû apercevoir sa divinité. Ils voyaient l’homme, et méconnaissaient le Dieu : ils avaient sous les yeux la maison, mais ils n’apercevaient point celui qui l’habitait. Le corps du Christ était un temple à l’intérieur duquel résidait la divinité. Ce que Jésus déclarait égal à son Père, ce n’était pas son humanité : ce qu’il comparait au Très-Haut, c’était, non pas la forme d’esclave dont il s’est revêtu à cause de nous, mais ce qu’il était au moment où il nous a créés. Car qui est le Christ ? Je parle à des catholiques : vous le savez donc, puisque vous suivez les enseignements de la vraie foi : le Christ n’est ni le Verbe seul, ni l’Homme seul ; il est le Verbe fait chair pour habiter parmi nous le vous rappelle ce que vous savez relativement au Verbe : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Voilà la preuve de son égalité avec son Père. Mais « le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous [485] ». Comme homme, il est inférieur à son Père. Ainsi, le Père est en même temps égal au Christ, et plus grand que lui : il lui est égal, en tant que celui-ci est le Verbe : il est plus grand que lui, en tant que celui-ci est homme : il est égal à celui par qui il nous a faits ; mais il est plus grand que celui qui a été fait pour nous. Voilà ce que nous enseigne la vraie foi catholique : voilà la règle de croyance que vous devez particulièrement connaître : et si vous la connaissez, puissiez-vous vous y tenir toujours, ne jamais vous en écarter, ne jamais vous la laisser enlever par n’importe quel raisonnement ! Conformons à cette règle tout ce que nous comprenons ; et, s’il est des choses que nous ne puissions saisir, remettons à un autre temps, pour les y rapporter attendons que l’intelligence nous en soit donnée. Nous savons donc que le Fils de Dieu est égal à son Père, puisqu’au commencement le Verbe était Dieu. Pourquoi donc « les Juifs voulaient-ils le faire mourir ? Non-seulement parce qu’il violait le sabbat, mais aussi parce qu’il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu ». En lui, ils voyaient l’homme, sans y voir le Verbe. Que le Verbe se serve donc de son humanité pour leur parler et les convaincre d’erreur. Que celui qui habite l’intérieur de la maison emploie cette maison même pour se faire entendre ; alors ceux qui en seront capables apprendront quel en est le maître.
3. Que leur dit-il donc ? « C’est pourquoi Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne le voie faire au Père ». À cela que répliquèrent les Juifs ? L’Écriture n’en fait pas mention : peut-être gardèrent-ils le silence. Néanmoins, certains personnages, qui se disent chrétiens, ne se taisent pas, et, de ces paroles du Sauveur, ils s’imaginent pouvoir tirer des arguments contre nous. Ni pour eux, ni pour nous, nous ne pouvons laisser de tels arguments sans réponse. À entendre les hérétiques Ariens, le Fils, qui s’est fait homme, est inférieur au Père, non point par le fait même de son Incarnation, mais même dès avant son Incarnation, et il n’est nullement de la même substance que le Père : les paroles précitées leur fournissent un prétexte d’attaque, et ils nous répondent : Vous le voyez : à peine le Seigneur Jésus eut-il remarqué l’émotion qu’il avait suscitée parmi les Juifs en se déclarant égal au Père, qu’il se hâta d’ajouter les paroles en question pour leur démontrer qu’il n’avait jamais eu pareille intention. Les Juifs s’indignaient contre le Christ, parce qu’il se disait égal à Dieu ; pour calmer leur émotion, et leur prouver que le Fils n’est pas égal au Père, c’est-à-dire à Dieu, Jésus leur adressa en quelque sorte ces paroles : Pourquoi vous irriter ? Pourquoi vous indigner contre moi ? Je ne suis pas son égal, puisque « le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père ». En effet, ajoutent-ils, celui qui « ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père », est évidemment inférieur à lui, et n’est pas son égal.
4. Ainsi, la règle suivie par ces hérétiques est tordue et pliée ; néanmoins qu’ils nous écoutent : nous ne les réprimandons pas encore, nous semblons être encore à la recherche de la vérité ; qu’ils nous expliquent toute leur pensée. Qui que tu sois, (car supposons que l’un de ces Ariens se trouve là, devant nous), tu reconnais avec nous, j’imagine, qu’au commencement était le Verbe. – Oui, me dit-il. – Et que « le Verbe était en Dieu ». – Oui, encore. – Continue donc, et reconnais plus formellement encore que « le Verbe était Dieu ». – Je le reconnais, mais l’un était plus grand, et l’autre moindre. – Cela sent je ne sais quoi de païen, et pourtant je croyais parler avec un chrétien, S’il y a un Dieu plus grand, il y a évidemment aussi un Dieu moindre : nous adorons donc, non pas un seul Dieu, mais deux dieux. – Pourquoi cela, me répond l’Arien ? N’avoues-tu pas toi-même qu’il y a deux Dieux égaux l’un à, l’autre ? – Je ne dis pas cela : car je me fais de cette égalité entre le Père et le Fils une idée telle que je les regarde comme unis ensemble par les liens d’une indivisible charité ; et puisqu’à mes yeux règne entre eux une indivisible charité, je reconnais donc qu’en eux se trouve une parfaite unité. En effet, s’il est vrai de le dire, comme les actes des Apôtres l’affirment en ces termes, au sujet des fidèles qui croyaient en Jésus, et s’aimaient les uns les autres : « Ils n’avaient tous, pour Dieu, qu’un cœur et qu’une âme[486] ; si la charité, envoyée du ciel aux hommes, fait d’un grand nombre de cœurs un seul cœur, et de plusieurs âmes une seule âme ; si, lorsque nous avons les mêmes pensées, et que nous nous aimons, mon âme et la tienne ne font plus qu’une seule âme : qu’à bien plus forte raison, à la source même de l’amour, le Père Dieu et le Fils Dieu font un seul Dieu !
5. Mais remarque bien les paroles qui ont jeté le trouble dans ton cœur : revoyons ensemble ce que nous avons cherché à découvrir au sujet du Verbe. Nous le reconnaissons déjà : « Le Verbe était Dieu ; je dis plus car, après ces mots : « Il était au commencement en Dieu », l’Évangéliste ajoute aussitôt : « Toutes choses ont été faites par lui ». Maintenant, je te presse de questions, je te remue, je te secoue et t’interpelle contre ta propre personne : tout ce que je te demande, c’est de ne pas oublier « que le Verbe était Dieu » et que « toutes choses ont été faites par lui ». Écoute maintenant les paroles qui t’ont jeté dans le trouble et porté â dire que le Fils est inférieur au Père ; voici ces paroles, elles sont celles de Jésus lui-même : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, que « ce qu’il voit faire au Père ». – C’est bien cela, dit l’Arien. – Explique-moi donc un peu ce passage : autant que je puis me l’imaginer, voici comme tu le comprends : Le Père fait certaines choses, et le Fils examine la manière dont il les fait, afin de pouvoir faire lui-même ce qu’il aura vu faire au Père. À l’entendre, ce sont deux ouvriers bien distincts l’un de l’autre : le Père et le Fils sont ainsi comme un patron et un apprenti on dirait un père apprenant à son fils l’exercice de son art. Tu le vois, je m’abaisse au niveau de ton intelligence charnelle ; pour un moment, mes pensées se conforment aux tiennes. Examinons donc si cette manière de comprendre les choses peut s’accorder avec ce que nous avons mutuellement dit du Verbe, avec ce que nous en pensons l’un et l’autre, à savoir que « le Verbe était Dieu »et que « par lui toutes choses ont été faites ». Suppose donc que le Père est un artisan occupé à faire certains ouvrages ; et que le Fils est un apprenti, puisqu’ « il ne peut rien faire « de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père » ; il jette, en quelque sorte, ses yeux sur les mains de son Père, afin de prendre modèle sur lui et de limiter parfaitement dans l’accomplissement de ses propres œuvres. Mais toutes ces œuvres qu’il fait lui-même et sur lesquelles il veut que son Fils porte ses regards pour en faire à son tour de pareilles, par qui le Père les fait-il ? Il te faut maintenant en revenir à ta première idée, à celle que tu as étudiée et adoptée avec moi, c’est-à-dire, qu’« au commencement était le Verbe », que « le Verbe était en Dieu », que « le Verbe était Dieu », et que « par lui toutes choses ont été faites ». Tu es convenu avec moi que toutes choses ont été faites par le Verbe ; puis, te laissant entraîner par un sens tout charnel et un mouvement irréfléchi, tu te figures à nouveau, d’une part, un Dieu qui agit, de l’autre un Verbe qui étudie ses opérations, afin d’agir ensuite lui-même de la manière dont ce Dieu l’aura fait. Qu’est. ce que Dieu fait sans l’intermédiaire de son Verbe ? S’il fait quelque chose sans le Verbe, toutes choses n’ont donc pas été faites par lui, et tu as cessé d’avouer ce que tu avouais ; mais si toutes choses ont été faites par le Verbe, corrige donc ce qu’il y a de défectueux dans ton sentiment. Le Père a fait des œuvres, et il ne les a faites que par son Verbe ; comment, alors, le Verbe peut-il porter ses regards sur le Père opérant sans le Verbe, afin d’accomplir ensuite lui-même des œuvres semblables ? Tout ce que le Père a fait, il l’a fait par le Verbe ; ou bien nous devons considérer comme faux ce passage : « Par lui toutes choses ont été faites ». Mais il est vrai que « toutes choses ont été faites par lui ». Ces paroles ne te semblaient peut-être pas assez formelles. En voici d’autres : « Et, sans lui, rien n’a été fait ».
6. Arrière donc les subtilités charnelles : cherchons ensemble à découvrir le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Cherchons-le, et puissions-nous être dignes de le découvrir. Je ne saurais vous le cacher, c’est une mystérieuse chose, une chose singulièrement ardue, de comprendre que le Père agit par le Fils, que les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils, mais que chacune des œuvres du Père se fait par l’intermédiaire du Fils, de manière à ce que le Père ne fasse rien sans le Fils, ou le Fils sans le Père ; en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Ceci étant solidement établi sur le fondement de la foi, en quel sens devons-nous entendre ce passage : Le Fils ne « peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ? » Tu voudrais, j’imagine, savoir comment le Fils opère : cherche d’abord à savoir comment il voit le Père. Que dit-il ? Le voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Remarque bien ces paroles : « Que ce qu’il voit faire à son Père ». D’abord il voit ; puis, il agit : il regarde pour agir. Comment voudrais-tu savoir la manière dont il opère, quand tu ne sais pas encore de quelle façon il regarde son Père ? Pourquoi courir après le conséquent, et laisser de côté l’antécédent ? À l’entendre, il regarde et il fait ; mais il ne dit pas : Je fais, et puis, je regardai ; car « il ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Veux-tu que je t’explique comment il agit ? Explique-moi d’abord comment il voit. Si tu es incapable de m’expliquer l’un, serai-je à même de t’expliquer l’autre ? Si tu ne peux te faire une idée de l’un, je ne puis davantage me faire une idée de l’autre. Cherchons donc tous deux ; frappons : par là, nous nous rendrons dignes de recevoir ce que nous désirons. Tu ne sais rien, et comme si tu avais le droit de me croire plus ignorant que toi, tu m’attaques ? Nous sommes aussi incapables l’un que l’autre de comprendre, moi, la manière dont le Fils agit, et toi, la manière dont il voit agir son Père ; interrogeons donc notre mutuel maître, et ne nous disputons pas comme les enfants des écoles. Nous avons déjà appris ensemble que « par lui toutes choses ont été faites »c’est donc déjà chose certaine pour nous : le Père ne fait pas des œuvres à lui personnelles, que le Fils regarde faire pour en accomplir à son tour de semblables : il fait exactement les mêmes que son Fils, et par son intermédiaire ; car toutes choses ont été faites par le Verbe. Maintenant, comment Dieu agit-il ? Qu’est-ce qui le sait ? Comment a-t-il créé, je ne dis pas, le monde, mais ton œil, cet œil charnel qui te dirige, et avec lequel tu compares les choses visibles aux choses invisibles ; car les idées que tu conçois de Dieu sont de la nature de celles que t’inspirent les yeux de ton corps : néanmoins, si nous pouvions voir Dieu de nos yeux corporels, le Christ n’aurait pas dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[487] ». Tu as donc dans ton corps des yeux pour apercevoir un artisan, mais tu n’as pas encore les yeux du cœur pour contempler Dieu : voilà pourquoi tu voudrais attribuer à Dieu lui-même les opérations que tu attribues d’ordinaire à un simple ouvrier. Laisse à terre les choses terrestres, et élève ton cœur jusqu’au ciel.
7. Eh quoi, mes très chers ? nous vous avons demandé comment le Verbe voit le Père, comment le Père est vu par le Verbe, et, pour le Verbe, qu’est-ce que voir, et nous essaierions de vous l’expliquer ? Je ne suis ni assez audacieux, ni assez téméraire pour promettre une telle explication de votre part ou de la mienne. Sans doute je ne puis que supposer votre impuissance, mais je suis sûr de la mienne. Si vous le trouvez bon, au lieu de nous arrêter plus longtemps sur ce passage, nous parcourrons toutes les parties de notre leçon, et nous verrons les paroles du Sauveur troubler les cœurs charnels, mais les troubler de manière à leur faire abandonner les fausses idées qu’ils nourrissent. Agissons comme si nous ôtions à des enfants je ne sais quel amusement dangereux qui les expose à se faire du mal, afin de pouvoir leur mettre plus tard entre les mains des objets Plus utiles, et inspirer par là des goûts plus sérieux à des êtres jusqu’alors tout terrestres. Lève-toi donc, cherche, désire, soupire ardemment, frappe à cette porte encore fermée. Si nous ne désirons pas encore, si nous ne souhaitons pas, si nous en sommes encore à commencer de soupirer, il est sûr que nous jetterons des pierres précieuses sous les pieds des premiers venus, et si nous en trouvons nous-mêmes, dans quelles dispositions serions-nous pour en tirer profit ? Puissé-je, mes très chers, exciter les désirs de votre âme. Telles mœurs, telle intelligence des choses ; chaque nature différente même a un genre de vie différent. Autre est la vie terrestre, autre la vie céleste : les animaux, les hommes, les anges ne vivent point de même façon. L’existence des bêtes se consume dans le désir et la jouissance des plaisirs matériels : elles ne recherchent que cela ; elles s’y portent d’instinct, et s’y précipitent naturellement. Vivre, c’est, pour les anges, posséder les biens éternels la vie des hommes tient de celle des anges et de celle des bêtes. Si l’homme vit selon ses appétits charnels, il descend au niveau des brutes ; si nous vivons selon l’esprit, nous entrons en société avec les esprits bienheureux. Supposons que tu vives de la vie angélique ; il te reste à savoir si elle se trouve en toi à l’état de vie enfantine, ou si elle y est parvenue à son entier développement. Si tu n’es encore qu’un enfant, les anges te disent : Grandis, le pain est notre aliment pour toi, nourris-toi de lait, du lait de la foi ; et ainsi tu mériteras de te nourrir de la claire vue. Mais quand on ne soupire qu’après de sales voluptés, quand on occupe encore son esprit des moyens de frauder, que toujours on profère le mensonge et qu’au mensonge on joint le parjure, avec un cœur si corrompu a-t-on bien le droit de me dire Explique-moi comment voit le Verbe ? Fussé-je capable d’élucider cette question, parce que je la saisirais parfaitement moi-même, aurait-on le droit de me l’adresser ? Mais, je l’avoue, si je suis étranger à la manière de vivre de pareils interrogateurs, je suis loin aussi de comprendre le mystère dont il s’agit. Que peut-il en être, par conséquent, de celui qui n’éprouve encore aucun désir des choses célestes, et que toutes ses pensées appesantissent et font ramper sur la terre ? Entre l’homme qui déteste une chose, et l’homme qui la désire, se trouve une énorme distance ; de même en est-il entre celui qui la désire et celui qui en jouit. Vis-tu à la manière des bêtes ? tu détestes ; pour les anges, ils jouissent : mais toi, si tu ne mènes pas une vie animale et charnelle, tu n’en es déjà plus à détester : tu désires quelque chose, sans le posséder encore ; mais, par tes désirs, tu as commencé à vivre de la vie des anges puisse-t-elle croître et se perfectionner en toi ; c’est ainsi que tu saisiras la difficulté proposée, et celui qui t’aidera à le faire, ce sera non pas moi, mais le Dieu qui nous a créés tous les deux.
8. Remarque-le bien : le Sauveur ne nous a pas, à cet égard, entièrement abandonnés à notre propre sens. Par ces paroles, en effet : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père », Jésus n’a pas voulu nous faire comprendre que le Père fait des œuvres destinées à être vues par le Fils, et à devenir le modèle d’autres œuvres toutes différentes qu’il accomplirait ensuite lui-même ; mais il a voulu nous dire que le Père et le Fils font les mêmes œuvres. En voici la preuve, car il ajoute aussitôt : « Quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Le Fils n’attend pas que le Père ait fini d’agir pour faire des œuvres pareilles, mais « quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Puisque le Fils fait ce que fait le Père, le Père agit par le Fils, et puisque le Père fait par le Fils ce qu’il fait, les œuvres du Père et celles du Fils ne sont donc point distinctes les unes des autres : ces œuvres sont exactement et matériellement les mêmes. Mais comment le Fils fait-il les mêmes œuvres que le Père ? « Il les « fait comme lui ». Impossible de supposer qu’il les fasse différemment ; car, dit-il, « il les a faits aussi comme lui ». Comment pourrait-il les faire, saris les faire comme lui ? Prenez un exemple : la comparaison ne vous sera pas difficile à saisir. Lorsque nous écrivons des – lettres, elles se forment d’abord dans notre esprit, pour être ensuite tracées par notre main. Pourquoi avez-vous fait entendre un cri unanime ? Évidemment, c’est parce que vous m’avez compris. Ce que j’ai dit ne peut soulever le moindre doute : c’est chose parfaitement claire pour chacun de nous. Les lettres se forment donc d’abord dans notre esprit, puis notre corps les trace à son tour : l’esprit commande, ta main obéit, et tous deux concourent également à faire les mêmes lettres. L’esprit forme-t-il celles-ci, tandis que la main exécute celles-là ? Non. La main trace des lettres, qui sont identiquement les mêmes que les lettres formées par l’esprit, mais, pour cela, elle n’agit pas de la même manière ; l’esprit se borne à les former dans son entendement, et la main les exécute de manière à les rendre visibles. Voilà comme des choses semblables se font d’une manière différente : c’est pourquoi le Sauveur ne s’est point contenté de dire : « Tout ce que fait le Père, le « Fils aussi le fait » ; il a donc ajouté : « Comme lui ». Peut-être aurais-tu supposé que le Fils accomplit des œuvres pareilles à celles du Père, de la même manière que la main exécute les choses qu’exécute l’esprit, c’est-à-dire d’une façon toute différente ? Mais Jésus ajoute : « Le Fils aussi les fait comme lui ». Puisque le Fils fait les mêmes œuvres que le Père, et les fait comme lui, ranime-toi ; que le juif s’arrête, que le chrétien ait la foi, que l’hérétique se regarde comme condamné : le Fils est égal au Père.
9. « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait lui-même [488] ». Remarque bien cette parole : « Il montre » À qui « montre-t-il ? » Évidemment, à quelqu’un qui le voit. Nous voici donc revenus en face de cette difficulté qu’il nous est impossible de résoudre : comment le Verbe voit-il ? L’homme a été créé par le Verbe ; mais il a, dans son corps, des yeux, des oreilles, des mains, en un mot, différents membres. Les yeux lui servent à voir, les oreilles à entendre, les mains à travailler, les différents membres à remplir l’office qui leur est naturellement dévolu. Un membre ne peut se charger des fonctions de l’autre ; mais pour que toutes les parties du corps se confondent dans une mutuelle union, l’œil voit pour son propre compte, et pour celui de l’oreille, et l’oreille perçoit les sons pour elle-même et pour l’organe de la vue. Toutes choses ayant été faites par le Verbe, devons-nous en conclure qu’il en est de lui comme de ses créatures ? Voici ce que dit l’Écriture elle-même dans un endroit des Psaumes : « Comprenez, vous qui êtes insensés au milieu du peuple ; hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » Celui qui forma votre oreille ne vous entendra pas ? et celui qui fit vos yeux ne nous verra point[489] ? » Dès lors que le Verbe a créé toutes choses, il a formé l’œil et fait l’oreille ; nous ne pouvons, par conséquent, dire : Le Verbe n’entend pas, il ne voit rien ; car le Psalmiste nous condamnerait par ces paroles : « Hommes stupides, quand aurez-vous l’intelligence ? » De là il suit que si le Verbe voit et entend, le Fils voit aussi et entend de même façon. Mais, pourtant, sommes-nous autorisés à chercher en lui la place des yeux et des oreilles, comme ils se trouvent dans le corps humain en des endroits différents ? Y a-t-il, dans son être, une partie qui voie, et une autre partie qui entende ? Son oreille est-elle incapable de faire ce que fait son œil, et son œil ne peut-il jouer le rôle de son oreille ? Est-il tout entier dans l’organe de la vue ou l’organe de l’ouïe ? Peut-être. Mais ce n’est pas assez dire, j’ajoute : Certainement, oui ; avec cette réserve, toutefois, qu’en lui, voir et entendre sont bien différents de ce qu’ils sont en nous. La vue et l’ouïe se trouvent ensemble dans le Verbe, mais sans que la première soit autre que la seconde chez lui, la vue n’est pas différente de l’ouïe, et l’ouïe n’est pas autre que la vue.
10. Pour nous, en qui l’ouïe et la vue sont choses absolument différentes, pouvons-nous comprendre un pareil mystère ? Oui, peut-être, si nous nous replions sur nous-mêmes, à condition, toutefois, de ne pas être des prévaricateurs, car à de pareilles gens il a été dit : « Hommes de péché, rentrez dans votre cœur [490] » ; rentrez en vous-mêmes : pourquoi vous en éloigner, et, par là, vous exposer à périr ? Pourquoi courir en des chemins solitaires ? Vous ne suivez pas la véritable voie ; aussi vous égarez-vous ; revenez. Où ? Au Seigneur. Mais c’est trop tôt : commence par rentrer en toi-même : hors de toi, loin de ton cœur, tu t’égares ; tu ne te connais pas même, et tu voudrais connaître ton Créateur ? Reviens, rentre dans ton cœur, arrache-toi à ton corps. Ton corps est comme ta demeure ; il est pour ton cœur la source d’une foule de sensations, mais ils sont bien différents l’un de l’autre : laisse donc là ton corps pour rentrer dans ton cœur. Dans ton corps, l’œil occupe une place, et l’oreille une autre place : en est-il ainsi pour ton cœur ? Est-il dépourvu de la faculté d’entendre ? Qu’est-ce donc que le Sauveur avait en vue, quand il disait : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende[491] ? » Est-il privé de la faculté de voir ? Pourquoi, alors, l’Apôtre dit-il : « Qu’il éclaire les yeux de votre cœur[492] ? » Rentre en toi-même, et, par ce que tu y verras, tu pourras peut-être te faire une idée de ce qu’est Dieu ; car ton âme en est l’image. Le Christ habite dans l’homme intérieur [493]. Au dedans de toi se renouvelle l’image de Dieu : en elle, reconnais les traits de son auteur. Vois comment les sens du corps font connaître au cœur les impressions qui leur viennent du dehors remarque le grand nombre de ministres attachés au service de ce maître unique qui règne à l’intérieur, et aussi les opérations secrètes qu’il accomplit sans leur concours. Les yeux signalent à l’âme le blanc et le noir ; les oreilles transportent jusqu’à elle les harmonies et les dissonances ; par l’odorat, elle distingue les émanations embaumées des corps d’avec leurs émanations fétides ; le goût lui sert à savourer les douceurs et à reconnaître les amers ; au moyen du tact, elle fait la différence entre les surfaces polies et les autres ; enflai, elle se suffit à elle-même pour apprécier le juste et l’injuste. Elle voit et entend tout ensemble, elle porte des jugements sur tous les êtres matériels, et elle discerne même ce à quoi ne peuvent atteindre les sens du corps, c’est-à-dire, la justice et l’injustice, le bien et le mal. Montre-moi ses yeux, ses oreilles, son organe de l’odorat. Son appréciation s’exerce sur une foule d’objets, et pourtant nous n’apercevons point en elle différents sens. En ton corps se trouvent, ici l’organe de la vue, là celui de l’ouïe : en ton âme se rencontrent, en même temps et à la même place, et l’ouïe et la vue. S’il en est ainsi de l’image, n’en est-il pas, à plus forte raison, ainsi de celui qu’elle représente ? Donc, le Fils voit et entend ; je dis plus : il est la vue et l’ouïe mêmes ; en lui, voir et entendre, c’est être. En toi, la vue est chose distincte de l’existence ; car tu peux perdre la vue sans perdre la vie, comme tu peux cesser d’entendre sans cesser de vivre.
11. Pensons-nous avoir déjà frappé ? Notre intelligence s’est-elle suffisamment éveillée pour nous laisser soupçonner d’où lui vient la lumière ? Je le suppose, mes frères ; car, à parler de pareilles choses et à les méditer, nous nous exerçons. Et lorsque nous nous y exerçons, et qu’entraînés par notre faiblesse naturelle nous retombons dans notre premier état, nous ressemblons à des personnes dont les yeux chassieux sont mis tout à coup en présence de la lumière, après y avoir été jusqu’alors fermes et avoir été déjà soignés par les médecins. Quand un homme de l’art veut savoir si la guérison s’opère et à quel point elle en est arrivée, il essaie de présenter à l’organe malade ce qu’on veut contempler, et ce qu’on ne pouvait voir pendant qu’on était aveugle : si peu que la prunelle de l’œil s’éclaircisse, dès qu’elle aperçoit la lumière, les rayons s’en réfléchissent en elle, et elle donne ainsi au praticien la réponse qu’il attendait. Que fait-il alors ? il force les yeux à se fermer comme auparavant, et il y applique un collyre : par là, il inspire en quelque sorte aux malades le désir de contempler les objets qu’ils ont aperçus sans pouvoir les distinguer parfaitement ; ainsi les dispose-t-il à guérir d’une manière complète ; en faisant emploi des mordants pour leur rendre la santé, il allume en eux l’amour de la lumière et les porte, par un effort suprême, à se dire : Quand donc pourrai-je fixer ma vue sur ces objets, sur lesquels je n’ai pu arrêter encore mes regards trop affaiblis par l’infirmité ? ils pressent le médecin de prendre soin d’eux et de les guérir. Quelque chose de pareil à cela, mes frères, s’est peut-être opéré dans vos âmes ; vous avez élevé vos pensées pour voir le Verbe ; puis, après avoir reçu un rayon de sa lumière, vous êtes retombés dans votre première ignorance. Prions le céleste médecin de nous appliquer de mordants collyres, c’est-à-dire de nous imposer les règles de la justice. Il y a quelque chose à voir, mais l’organe qui nous aidera à le voir nous fait défaut. Lorsque, précédemment, je te disais qu’il y a quelque chose à voir, tu ne me croyais pas : conduit par certaines réflexions, tu as été amené en sa présence, tu t’en es approché, tes regards se sont dirigés de ce côté-là, ton cœur a palpité, puis tu as reculé. Oui, il y a quelque chose à voir, et tu le sais pertinemment ; mais, tu ne l’ignores pas davantage, tu n’es pas capable de le contempler. Il put donc te guérir. Mais quels collyres employer ? Il ne faut ni mentir, ni parjurer, ni commettre l’adultère, ni voler, ni te rendre coupable de fraude. Cependant tu en as contracté l’habitude, et il t’en coûte de la contrarier ; et c’est précisément ce sacrifice pénible qui te rendra la vue. Car, je te le dis en toute liberté, et sous l’impression d’une crainte que je voudrais te faire partager : Si tu abandonnes ta cure, si tu négliges de guérir tes yeux et de les rendre propres à jouir de la lumière, tu aimeras les ténèbres, et cette prédilection pour l’obscurité l’y fera persévérer, et, en y persévérant, tu mériteras d’être précipité môme dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents[494]. Si l’amour de la lumière est incapable de te porter vers elle, du moins que la crainte de la douleur opère en toi cet effet.
12. À mon avis, j’ai suffisamment parlé, et pourtant je n’ai pas fini d’expliquer cette leçon de l’Évangile. Si je voulais achever ma tâche, je vous fatiguerais et j’aurais lieu de craindre que vous veniez à perdre l’eau vive que vous avez puisée : que ceci suffise donc à votre charité. Nous sommes vos débiteurs, non pas seulement pour le moment actuel, mais toujours, mais pour tout le temps de notre existence ; car c’est pour vous que nous vivons. Néanmoins, cette existence si faible, si occupée, si périlleuse, que nous menons en ce monde, faites-en la consolation par vos bonnes mœurs ; ne nous contristez pas, ne nous écrasez point par une conduite déréglée. Si vous nous blessez par des habitudes mauvaises, si vous nous forcez à nous écarter de vous et à ne plus nous en approcher, ne vous plaindrez-vous pas et ne vous direz-vous pas : Lors même que nous serions malades, ne devriez-vous pas nous soigner ? Quand même nous serions infirmes, ne devriez-vous pas nous visiter ? Nous vous soignons et vous visitons ; mais puissent ne point s’appliquer à nous ces paroles de l’Apôtre : « Je crains d’avoir inutilement travaillé parmi vous [495] ».

DIX-NEUVIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CES PAROLES : « LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MÊME QUE CE QU’IL VOIT FAIRE AU PÈRE », JUSQU’À CES AUTRES : « PARCE QUE JE CHERCHE, NON POINT MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap. 5,19-30.)

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LES DEUX RÉSURRECTIONS.

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Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, car il déclare par là ou que, par jalousie, le Père n’a pas voulu engendrer son égal, ou qu’il lui a été impossible de l’engendrer. Au contraire, le Fils étant le Verbe du Père, celui qui écoute le Verbe et croit au Père, passe de la mort spirituelle à la vie de la grâce par la foi. Cette vie, supérieure à celle du corps, le croyant la puise, non en lui-même, mais à sa seule et véritable source, qui est Dieu, tandis que pour avoir été engendré par le Père, le Fils a cette vie en soi, et la communique à ceux auxquels il veut la donner. Comme Fils de Dieu, il ressuscite donc les âmes ; comme Fils de l’homme, il ressuscitera aussi les corps, parce que son Père lui a donné le jugement. Il sera seul à juger les vivants et les morts, afin que les méchants ne puissent voir en lui la forme de Dieu, et aussi pour glorifier sa vie sainte.


1. Autant que Dieu a bien voulu échauffer mon cœur, et venir en aide à ma faible intelligence pour l’éclairer, je vous ai entretenus, dans le discours précédent, de ce passage que nous avons lu dans l’Évangile : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il unit faire au Père » ; je vous ai dit ce que c’est, pour le Fils, que voir agir le Père : et mon entretien avait aussi pour objet la vision du Verbe ; car le Fils n’est autre que le Verbe : toutes choses ayant été faites par le Verbe, vous avez compris en quel sens on peut dire que le Fils regarde d’abord la manière dont le Père agit pour accomplir lui-même ce qu’il lui a vu faire ; car le Père n’a rien fait sans l’intermédiaire du Fils. « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Remarquez-le, néanmoins ; en vous parlant, je n’ai pas fait disparaître toute l’obscurité de ce mystère, et la raison en est toute simple : c’est que je n’ai pu le pénétrer. Parfois, les expressions font défaut, lors même que l’intelligence saisit nettement la vérité. Est-il étonnant qu’elles manquent, lorsque l’esprit ne peut arriver à la comprendre ? Maintenant, selon la mesure de la grâce divine, nous allons rapidement parcourir la leçon d’aujourd’hui, et tâcher de nous acquitter entièrement de notre dette envers vous. Cela fait, s’il nous reste assez de temps ou de forces, nous ferons un retour en arrière ; et, autant que le permettra ma capacité et la vôtre, je m’efforcerai d’expliquer à nouveau ce que c’est, pour le Verbe, que voir agir le Père ; ce que c’est, de la part du Père, que montrer ses agissements au Verbe. Nous avons dit plus haut tout ce qu’il était possible de dire : si on le comprend d’une manière purement humaine et charnelle, avec un esprit rempli d’idées fantasmagoriques, on se représente, en quelque sorte, deux hommes dont l’un serait le père, et l’autre le fils ; dont l’un se montrerait aux regards de l’autre, dont le premier parlerait pour se faire entendre du second ; de pareilles images doivent être comme des idoles dressées dans l’esprit qui les conçoit : si nous sommes parvenus à les expulser de leurs temples, doivent-elles trouver leur refuge en des âmes chrétiennes ? Bien moins encore.
2. L’Évangéliste dit donc : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ». C’est vrai, et vous devez le croire ; mais croyez aussi ce que Jean vous a dit à la première page de son livre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » ; n’oubliez pas, surtout, cet autre passage : « Toutes choses ont été faites par lui ». Ne séparez point l’un de l’autre, dans votre esprit, ces deux endroits du texte sacré ; mais qu’ils s’y accordent tous deux. Bien que « le Fils ne puisse rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père », le Père, néanmoins, ne fait rien sans l’intermédiaire du Fils. En effet, le Fils est son Verbe, et, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, et toutes choses ont été faites par lui ; car tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui [496] ». Cela, et non pas autre chose, non pas d’une manière différente, mais comme lui.
3. « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Aux paroles précitées, « que ce qu’il voit faire au Père », semblent se rapporter celles-ci : « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Mais si le Père montre ce qu’il fait ; si, d’ailleurs, le Fils ne peut rien faire avant que le Père lui ait montré ses propres œuvres ; si, enfin, le Père ne peut les montrer au Fils avant de les avoir accomplies, il est de toute évidence qu’en agissant le Père ne se sert point de l’intermédiaire de son Fils. Mais en admettant, comme hors de doute et à l’abri de toute discussion, que le Père fait toutes choses par son Fils, nous reconnaissons, par là même, qu’il les montre au Fils avant de les faire. En effet, si le Père ne montre ses œuvres au Fils qu’après les avoir accomplies, afin que le Fils les voie et les fasse lui-même, on ne saurait le nier : il faut que ces œuvres soient faites avant d’être montrées, et que le Père agisse indépendamment du Fils. Mais le Père ne fait rien sans le Fils, parce que le Fils de Dieu n’est autre que son Verbe, et que toutes choses ont été faites par lui. Il nous reste donc peut-être cette ressource, à savoir que le Père montre au Fils ce qu’il doit faire, afin que celui-ci le fasse. Car si le Fils fait ce que le Père lui montre comme étant déjà accompli, ces œuvres, montrées par lui comme déjà faites, il les a évidemment opérées sans le Fils ; le Père pouvait-il, en effet, les montrer au Fils si elles n’avaient pas été préalablement accomplies ? Le Fils pouvait-il faire autre chose que ce qu’on lui montrait ? Certainement non : par conséquent, ces œuvres étaient accomplies parle Père sans le Fils ; mais il n’est pas douteux que « toutes choses ont été faites par lui » ; donc, elles ont été montrées avant d’être faites. Il nous faut pourtant quitter ce sujet pour le traiter plus tard ; car, nous l’avons dit, il nous faudra y revenir, lorsque nous aurons expliqué toutes les parties de la leçon, pourvu, ai-je ajouté, qu’il nous reste assez de temps ou de forces pour revenir sur ce que nous différons d’expliquer.
4. Écoutez, voici quelque chose de plus grand et de plus difficile à saisir : « Et il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci ? ». « Plus grandes que celles-ci ? Quelles sont celles-ci ? C’est facile à deviner. Il s’agit des œuvres dont vous avez entendu parler, c’est-à-dire de la guérison des maladies corporelles. Car, vous le savez, le discours du Sauveur, qui nous occupe en ce moment, avait été amené par la guérison qu’il avait opérée sur la personne du paralytique de trente-huit ans. Voilà pourquoi le Sauveur pouvait dire : « Il lui montrera d’autres œuvres plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Car il est des œuvres plus grandes, et le Père les montrera au Fils. Il ne les lui a pas montrées, comme au prétérit, mais « il » les lui « montrera », au futur, c’est-à-dire, il les lui fera voir, Ici se présente encore une question difficile à résoudre. Y avait-il dans le Père quelque chose qui n’eût pas encore été montré au Fils ? Y avait-il dans le Père quelque chose que le Fils ignorât encore au moment où il parlait ainsi ? En effet, « s’il devait le lui montrer », c’est-à-dire, lui faire voir plus tard, il ne le lui avait donc pas encore montré, et il devait le lui montrer en même temps qu’aux interlocuteurs du Christ ; car voici ce que nous lisons plus loin, et « vous en serez dans l’admiration ». Il n’est pas plus aisé de comprendre ce passage que le précédent ; comment, en effet, se figurer que le Père, qui est éternel, montre, en quelque sorte, dans le temps, certaines choses à son Fils, qui lui est coéternel et qui connaît tout ce qui se trouve dans le Père ?
5. Mais, enfin, quelles sont ces œuvres plus grandes ? Ceci est peut-être facile à saisir. « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il certains hommes, tandis que le Fils en vivifie d’autres ? Non, car toutes choses sont faites par lui. Ceux que ressuscite le Fils sont les mêmes que ressuscite le Père, car le Fils ne fait pas autre chose que le Père, ni d’une manière différente ; mais « ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Voilà ce qu’il faut bien comprendre et à quoi il faut bien s’en tenir ; mais me l’oubliez pas : « Le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ici il est question, non seulement de l’impuissance du Fils, mais encore de sa volonté. Le Fils vivifie ceux qu’il veut : ainsi en est-il du Père ; et ceux que le Père veut vivifier sont précisément les mêmes que le Fils veut vivifier aussi ; par conséquent, la puissance et la volonté sont les mêmes dans le Père et dans le Fils. Que signifient donc les paroles suivantes : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ? » Évidemment le Sauveur ajoute ceci pour expliquer ce qui précède. Ce passage me saisit, attention ! Le Fils vivifie ceux qu’il veut vivifier ; ainsi en est-il du Père : le Fils ressuscite les morts de la même manière que le Père lui-même les ressuscite. « Car le Père ne juge personne ». S’il faut que les morts ressuscitent à l’heure du jugement, et si le Père ne juge personne, comment ressuscite-t-il les morts ? « Il a », en effet, « donné tout jugement au Fils ». Or, à l’heure de ce jugement, les morts ressusciteront, les uns pour la vie, les autres pour le châtiment. Si ce doit être l’œuvre exclusive du Fils, le Père n’y contribuera donc en rien, puisque « le Père ne juge personne, et qu’il a donné tout jugement au Fils ». Mais ce passage semble être en contradiction avec celui-ci : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Ils ressuscitent donc également les morts : or, s’ils les ressuscitent tous deux, ils les vivifient de même, et, par conséquent, ils les jugent aussi pareillement ; comment alors peut subsister cette parole : « Car le Père ne juge personne, et il a donné tout jugement au Fils ? » En attendant, si les difficultés proposées nous embarrassent, le Seigneur nous aidera à les éclaircir et nous fera trouver de la joie dans leur solution. Non, mes frères, nous n’éprouverons jamais de joie à voir une difficulté résolue, si notre attention ne se laisse point surexciter par son exposé. Que le Seigneur daigne nous guider ! peut-être écartera-t-il un peu le voile qui couvre la vérité cachée à nos yeux ! En effet, il a caché sa lumière derrière un nuage ; et il n’est pas aisé de s’élever, comme ferait un aigle, au-dessus de toutes les vapeurs qui enveloppent la surface entière de ce monde[497], et d’apercevoir, à travers les paroles du Christ, les rayons lumineux dans toute leur pureté. Dieu percera peut-être la couche épaisse de nos ténèbres par l’ardeur de son soleil, et daignera nous manifester un peu la vérité dans les passages suivants ; laissons donc les premiers pour un instant et passons à d’autres.
6. « Quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé ». C’est la vérité, et lien n’est plus facile à comprendre. Car « il a donné tout jugement au Fils », comme il a déjà été dit plus haut, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Et s’il y en avait pour honorer le Père sans honorer le Fils ? C’est chose impossible, car « quiconque n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père, qui l’a envoyé ». Personne ne peut donc dire : Moi, j’honorais le Père parce que je ne connaissais point le Fils. – Si tu n’honorais pas encore le Fils, tu n’honorais pas davantage le Père : qu’est-ce, en effet, qu’honorer le Père, sinon reconnaître qu’il a un Fils ? Autre chose est te parler de Dieu en tarit qu’il est Dieu, autre chose est l’en parler en tant qu’il est Père. Lorsqu’on te parle de Dieu en tant que Dieu, on te parle du Créateur, du Tout-Puissant, de la suprême Intelligence, de l’Esprit éternel, invisible, immuable ; mais, lorsqu’il s’agit de Dieu en tant qu’il est le Père, on ne veut évidemment que te parler du Fils ; car on ne peut donner à Dieu le nom de Père qu’autant qu’il a un Fils ; comme il est impossible d’imaginer un Fils, s’il n’y a pas de Père. Mais ne va pas honorer le Père, comme s’il était plus grand que le Fils, et celui-ci comme s’il était plus petit que le Père ; ne me dis pas : J’honore le Père, car je sais qu’il a un Fils ; et je ne me trompe pas en lui donnant le nom de Père, parce que je ne le conçois pas comme n’ayant point de Fils ; quant au Fils, je l’honore comme inférieur au Père. Le Fils t’arrête et te rappelle à la vérité par ces paroles : « Afin que tous honorent le Fils », non pas d’une manière moindre, mais « comme ils honorent le Père ». « Celui », donc, « qui n’honore point le Fils, n’honore pas non plus le Père qui l’a envoyé ». – Moi, dis-tu, je veux rendre au Père un honneur plus grand, et au Fils un honneur moindre. – Tu refuses l’honneur au Père, dès que tu en rends un moindre au Fils. À considérer ainsi les choses, ne fais-tu point profession de dire que si le Père n’a pas engendré un Fils égal à lui, c’est qu’il ne l’à pas voulu ou qu’il en a été incapable ? S’il ne l’a pas voulu, ç’a été jalousie de sa part ; s’il en a été incapable, c’est que la puissance lui manquait. Ne vois-tu pas que cette manière de voir est injurieuse au Père, tout en paraissant plus honorable pour lui ? Honore donc le Fils, comme tu honores le Père1 afin de les honorer également l’un et l’autre.
7. « En vérité, en vérité, je vous le dis : Celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera point condamné, il passe de la mort à la vie ». Faites attention à ceci : « Celui qui écoute ma parole » ; et le Sauveur n’ajoute pas : Croit en moi, mais : « à Celui qui m’a envoyé ». Qu’on écoute donc la parole du Fils et qu’on croie au Père. Pourquoi écouter votre parole et croire à un autre ? Quand nous Écoutons un homme, ne croyons-nous pas à ce qu’il nous dit ? Ne lui donnons-nous pas toute notre confiance ? Qu’a donc voulu exprimer le Sauveur par ces mots : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé ? » Ceci, évidemment : sa parole se trouve en moi. Que signifie ce passage : « Écoute ma parole ? » Il veut dire m’écoute. « Et croit à celui qui m’a envoyé ? » En croyant à lui, il croit à sa parole, et en croyant à sa parole, il me croit, parce que je suis le Verbe du Père. La paix règne dans les Écritures ; tout s’y trouve disposé dans un ordre admirable ; rien n’y peut donner lieu à dispute. Chasse donc de ton esprit toute idée de chicane ; remarque l’accord de nos livres saints. La vérité se mettrait-elle en contradiction avec elle-même ?
8. « Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ; il est passé de la mort à la vie ». Vous vous en souvenez : nous avons trouvé, tout à l’heure, une difficulté dans ces paroles : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». La lumière commence à se faire ; le Sauveur commence à parler de la résurrection des morts, et nous voyons déjà les morts sortir du tombeau. Car « celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne sera pas condamné ». Prouvez que celui-là est ressuscité. Mais, dit le Sauveur, « il est passé de la mort à la vie ». Personne ne saurait en douter : celui qui est passé de la mort à la vie est évidemment ressuscité, Comment, en effet, passer de la mort à la vie, si l’on ne s’est d’abord trouvé dans un état de mort, si l’on n’est premièrement privé de vie ? Mais en passant de la mort à la vie, on se trouve dans l’une, et l’on n’est plus dans l’autre. Celui-là était donc mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé [498]. Une sorte de résurrection s’opère, par conséquent : les hommes passent d’une certaine espèce de mort à un certain état de vie, de la mort de l’incrédulité à la vie de la foi, de la mort de l’erreur à la vie de la vérité, de la mort du péché à la vie de la justice : c’est donc là une sorte de résurrection des morts.
9. Daigne le Sauveur s’ouvrir davantage à nous, et continuer à faire briller plus vivement à nos yeux la vérité de cette résurrection. « En vérité, en vérité, je vous dis que l’heure vient, et elle est déjà venue ». Nous nous attendions à entendre parler de la résurrection des morts qui doit se faire à la fin du monde, à laquelle nous croyons depuis que nous sommes chrétiens, qui fait l’objet de nos espérances, et dont il nous est impossible de douter ; le point de foi qui concerne ta résurrection finale des trépassés a la vérité sur fondement. Mais le Seigneur Jésus voulait nous parler d’une certaine résurrection qui précéderait celle des morts, mais qui ne ressemblerait ni à celle de Lazare [499], ni à celle du fils de la veuve [500], ni, enfin, à celle de la fille du chef de la synagogue[501]. Toutes ces personnes ont ressuscité pour mourir à nouveau, (car après être descendues dans la tombe, elles en sont sorties avant que s’accomplisse la résurrection générale) : en effet, le Christ n’a-t-il pas dit, pour nous indiquer mm genre différent de résurrection : « Il a la vie éternelle et ne sera point condamné, mais il est passé de la mort à la vie ? » À quelle vie ? À la vie éternelle. Il ne s’agit donc pas d’une résurrection pareille à la résurrection corporelle de Lazare, car il a passé de la mort du tombeau à la vie humaine : mon pas à la vie éternelle, mais à une vie qui devait finir encore : ceux, au contraire, qui doivent ressusciter à la fin des temps, passeront à la vie éternelle. Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Maître, le Verbe du Père, et la Vérité aime, voulait donc nous parler d’une certaine résurrection des morts qui aboutirait à la vie éternelle,.et précéderait la résurrection générale des trépassés qui doit mettre un terme aux vicissitudes du temps. Aussi dit-il ; « L’heure vient ». Imbu des idées de la foi concernant la résurrection de la chair, tu pensais évidemment à la dernière heure de tous les siècles, au jour du jugement suprême ; mais pour détourner ton esprit d’une idée pareille, le Christ a ajouté : « Et elle est déjà venue ». Par conséquent, en disant : « L’heure vient », il ne prétendait point faire allusion à la dernière de toutes les heures, à ce moment où, « le signal ayant été donné parla voix de l’archange et par la trompette du Seigneur, le Sauveur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers ; ensuite, nous qui vivons et serons demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au – devant de Jésus-Christ, et ainsi, nous serons « éternellement avec le Seigneur[502] ». Elle viendra, cette heure-là, mais elle n’est pas encore venue. Quelle est cette autre heure ? Remarquez-le bien. « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Qu’est-ce qui se fait à pareille heure » ? Qu’est-ce ? La résurrection des morts, et rien autre chose. Et en quoi consiste cette résurrection ? En ce que ceux qui ressuscitent passent à la vie éternelle. Ainsi en sera-t-il encore à la dernière heure.
10. Eh quoi ? quelle idée nous faisons-nous de ces deux résurrections ? Ceux qui ressuscitent maintenant sont-ils destinés à ne pas ressusciter plus tard ? La résurrection des uns doit-elle avoir lieu présentement, tandis que celle des autres ne se fera qu’à la fin du monde ? Non. Si, en effet, nous avons la vraie foi, nous sommes déjà ressuscités une fois, et, malgré cela, nous espérons ressusciter encore à la fin des siècles : nous avons donc, au temps présent, ressuscité pour la vie éternelle, si nous persévérons avec fermeté dans la règle de la foi ; et, au moment de la consommation des siècles, quand viendra pour nous l’heure d’être égalés aux anges, nous ressusciterons encore pour la vie qui n’a pas de fin [503]. Que le Seigneur lui-même vous fasse bien voir et bien comprendre ce que j’ai osé vous dire, à savoir : Comment peut se faire, avant la résurrection générale, une résurrection qui s’étende, non pas seulement à ceux-ci ou à ceux-là, mais à tous indistinctement, qui soit différente de celle de Lazare et aboutisse à la vie éternelle ? Il nous fera parfaitement saisir ce mystère. Écoutez donc le Maître : il va nous éclairer ; il va faire parvenir jusqu’à nos cœurs les rayons de notre soleil : ici, bien entendu, je ne parle pas de l’astre que nos yeux charnels aiment à contempler, mais de celui sur lequel notre esprit aime à porter ses regards. Encore une fois, Écoutons le Maître. « En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront ». Pourquoi le Christ a-t-il ajouté « Ceux qui l’auront entendue vivront ». Ceux-là pourraient-ils l’entendre, s’ils ne vivaient pas ? Il lui aurait donc suffi de dire « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ». Nous aurions compris, par là, qu’ils ne seraient pas daims l’état de mort au moment où ils entendraient la voix du Fils de Dieu ; car comment l’entendraient-ils, s’ils ne vivaient pas ? Or, il n’a pas dit : Ils entendent, parce qu’ils vivent ; mais, ils revivent, parce qu’ils entendent, « Ils entendront, et ceux qui auront entendu vivront ». Qu’est-ce donc à dire : « Ils entendront ? » Ils écouteront. Si l’on ne s’en tient à l’action matérielle de l’organe de l’ouïe. Il est sûr que ceux qui entendront ne vivront pas tous ; car il en est beaucoup qui entendent et ne croient pas : ils entendent et ne croient point : c’est pourquoi ils n’écoutent pas, et parce qu’ils n’écoutent pas, ils ne vivent pas. Les mots : « Qui entendront », n’ont donc ici d’autre sens que celui-ci : Qui écouteront. Aussi, ceux qui auront écouté vivront. On prêche le Christ, Verbe et Fils de Dieu, par qui toutes choses ont été faites. Par un effet particulier de la grâce, il s’est revêtu de notre humanité et il a pris naissance dans le sein d’une Vierge : on l’a vu enfant, il est devenu adolescent, il a souffert, il est mort, ressuscité et monté au ciel ; il a promis la résurrection des corps et celle des âmes, et, d’après sa promesse, les âmes doivent ressusciter avant les corps, et les corps après les âmes. Celui qui entend et écoute, vivra celui qui entend et n’écoute pas, c’est-à-dire, celui qui entend et méprise, qui entend et ne croit point, ne vivra pas. Pourquoi cela ? Parce qu’il n’entend pas. Qu’est-ce à dire Il n’entend pas ? Il n’écoute pas. Donc, « ceux « qui auront entendu vivront.
11. Écoute, maintenant, ce dont nous avons dit vouloir différer l’explication, pour la donner à ce moment-ci autant qu’il dépendra de nous. Au sujet de cette résurrection, le Christ ajoute aussitôt : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Qu’est-ce à dire : « Le Père a la vie en soi ? » Il ne la puise pas ailleurs, il la trouve en lui-même. La vie ne lui vient pas d’une autre source, elle n’est pas pour lui chose étrangère ; c’est son bien propre, elle réside en lui : personne ne la lui prête, pour ainsi parler ; il n’en devient point participant, comme si elle était différente de sa propre substance ; mais il a la vie en soi, de telle façon que cette vie, c’est lui. S’il m’était possible de vous parler encore un peu à cet égard, je me servirais de quelques exemples afin de porter une lumière plus vive dans vos esprits ; avec l’aide de Dieu, et votre bonne volonté, j’y réussirai. La vie est en Dieu : elle est aussi en notre âme ; mais en Dieu, elle n’est sujette à aucune vicissitude ; en notre âme, elle est exposée à subir des changements : en Dieu, elle ne croît ni ne décroît : il est toujours en lui-même, il est incessamment ce qu’il est, toujours pareil à lui-même aujourd’hui, demain, hier ; pour la vie de l’âme, elle est singulièrement changeante et différente de ce qu’elle était précédemment : d’abord manquant de prudence, puis éclairée par la sagesse ; tantôt souillée de péchés, et tantôt ornée de justice : aujourd’hui, servie par une mémoire heureuse, demain, incapable de rassembler ses souvenirs : parfois s’instruisant, et parfois ne pouvant rien apprendre ; oubliant un jour ce qu’elle avait appris, et apprenant l’autre jour ce qu’elle avait oublié : telle est l’inconstance de la vie de notre âme. Pour elle, vivre dans l’état de péché, c’est être constituée dans un état de mort ; et devenir juste, c’est participer à une autre vie, différente d’elle-même ; car alors, en s’élevant vers Dieu, en s’attachant à lui, elle en reçoit la grâce de la justification. Il est dit, en effet : « Lorsqu’un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice [504] ». En s’éloignant de Dieu, l’âme devient pécheresse, elle devient juste en s’en approchant. Ne te semble-t-il pas voir comme un objet froid qui s’échauffe à mesure qu’on l’approche du feu, ou un objet chaud qui se refroidit à mesure qu’on l’en éloigne ? Ce qui est plongé dans les ténèbres ne s’éclaire-t-il pas si on l’approche de la lumière ? ne devient-il pas noir une fois qu’il en est séparé ? Il en est de même de notre âme, mais il n’en est pas ainsi de Dieu. L’homme lui-même peut dire que la lumière se trouve maintenant dans ses yeux. Que les yeux disent donc, s’ils le peuvent, dans une sorte de langage qui leur serait propre : Nous avons, la lumière en nous-même s. Mais on est en droit de leur dire : Vous dites que vous avez la lumière en vous-mêmes : réellement, cela n’est pas vrai. Vous avez la lumière, mais elle vous vient du ciel : s’il fait nuit, vous avez la lumière, elle se trouve dans la lune, dans un flambeau, mais pas en vous ; enfermez-vous, et vous cesserez de recevoir les rayons qui vous éclairent lorsque vous vous ouvrez. Vous n’avez pas la lumière en vous ; car, le soleil une fois couché, retenez la lumière en vous, si c’est possible ; il est nuit, vous jouissez d’une lumière de nuit : eh bien ! ôtez le flambeau, et conservez en vous la lumière ; puisqu’en faisant disparaître le flambeau, vous restez dans les ténèbres, c’est la preuve que vous n’avez pas en vous la lumière. Avoir la lumière en soi-même, c’est donc n’avoir aucun besoin de la recevoir du dehors. « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Si vous comprenez bien ces paroles, vous devez le voir, le Sauveur y donne la preuve que le Fils est égal au Père : de là aussi vous devez conclure qu’entre le Père et le Fils se trouve cette seule différence, que le Père possède en lui-même une vie qu’il m’a reçue de personne, et que le Fils a en lui-même une vie qu’il a reçue de son Père.
12. Ici se présente une question dont l’obscurité exige l’explication ; qu’au lieu de s’affaiblir, notre attention se réveille : nous avons, devant nous, pour notre âme, des pâturages ; ne nous en détournons point par dégoût : à cette condition, nous aurons la vie. Voilà que tu l’avoues toi-même, me dis-tu : le Père a donné la vie à son Fils, afin que celui-ci ait la vie en soi comme le Père l’a en soi ; afin que le Fils n’ait pas plus besoin de la puiser ailleurs, que son Père n’en a lui-même besoin ; afin que le Fils soit la vie, comme le Père est la vie ; et que l’un et l’autre, unis ensemble, fassent une seule vie et non deux vies ; car il n’y a qu’un seul Dieu et il n’y en a pas deux, et il doit en être de même de la vie. Comment donc le Père a-t-il donné la vie au Fils ? Il ne la lui a pas donnée en ce sens qu’avant de la recevoir le Fils en aurait été dépourvu, et que pour vivre il aurait nécessairement dû recevoir la vie de mon Père : s’il en était ainsi, il n’aurait pas la vie en soi. Mais j’ai parlé de l’âme. Elle existe : quoiqu’elle ne soit pas douée de sagesse, quoiqu’elle ne soit point ornée de justice, elle n’en est pas moins une âme ; le début de piété ne l’empêche pas d’être. Pour elle, autre chose est donc d’être une âme, autre chose, d’être sage, juste, pieuse. Il lui manque d’être sage, juste, pieuse, et c’est quelque chose, ce n’est pas rien ; et pourtant on ne saurait dire qu’elle ne vit pas du tout ; car elle montre, par certaines de ses œuvres, qu’elle a la vie, quoiqu’elle ne manifeste ni sagesse, ni piété, ni justice. Si elle ne vivait pas, elle ne communiquerait point le mouvement au corps : elle ne commanderait, ni aux pieds de marcher, ni aux mains de travailler, ni aux yeux de voir, ni aux oreilles d’entendre : elle ne nous ferait point ouvrir la bouche pour parler, ni remuer la langue pour proférer distinctement. Par ces opérations diverses, elle donne la preuve évidente de son existence ; elle montre qu’elle est d’une nature supérieure à celle du corps ; mais, par là, prouve-t-elle aussi qu’elle soit sage, pieuse ou juste ? Les fous, les impies, les pécheurs n’ont-ils pas, eux aussi, l’usage de leurs jambes, de leurs mains, de leurs yeux, de leurs oreilles, de leur langue ? Mais lorsqu’elle s’élève à quelque chose qui n’est pas elle-même, qui lui est supérieur, qui est son principe, alors elle y puise la sagesse, la piété et la justice : pendant qu’elle en était privée, elle était morte ; elle n’avait point la vie qui pouvait l’animer elle-même ; elle ne possédait que la vie en vertu de laquelle elle animait le corps : car autre chose est ce qui dans l’âme communique le mouvement aux membres corporels, autre chose, ce qui dans l’âme la fait agir elle-même. Elle est meilleure que le corps, mais Dieu est meilleur qu’elle. Quoique insensée, pécheresse ou impie, elle est, pour le corps, le principe de sa vie. Mais sa vie, à elle, se trouve en Dieu : quand elle anime le corps, elle lui communique la vigueur, la beauté, le mouvement, l’usage de ses membres ; par analogie, lorsque Dieu, qui est sa vie, habite en elle, il lui communique la sagesse, la piété, la justice, la charité. Il y a donc une grande différence entre ce que l’âme donne au corps, et ce que Dieu donne à l’âme : elle donne la vie et elle la reçoit ; et, quand elle est morte, si Dieu ne l’anime pas, elle n’est pas moins, pour le corps, le principe de la vie. La parole de Dieu venant à se faire entendre et à Pénétrer dans le cœur de ceux qui l’écoutent, et ceux-ci devenant, non seulement attentifs, mais encore obéissants à cette parole, l’âme quitte son état de mort pour arriver à ce qui constitue sa vie, ou, en d’autres termes, elle sort de l’iniquité, de sa folie, de son impiété, pour retourner à son Dieu, qui est pour elle la source de la sagesse, de La justice et de la lumière. Qu’elle s’élève vers lui, qu’il l’illumine. « Approchez-vous de lui », nous dit le Psalmiste. Qu’en retirerons-nous ? « Et vous serez éclairés[505] ». Si vous êtes éclairés en vous approchant de lui, et qu’en vous en éloignant vous tombiez dans les ténèbres, c’est la preuve que votre lumière a sa source, non en vous, mais en Dieu. Approchez de lui, pour qu’il vous renie la vie ; vous mourrez, si vous vous en écartez. Puisqu’en vous approchant de lui vous vivez, et que vous mourez en vous en écartant, votre vie n’avait donc pas en vous son principe : votre vie et votre lumière sont donc une seule et même chose. « Parce qu’en vous se trouve la source de la vie, et que dans votre lumière nous verrons la lumière [506] ».
13. Avant d’être éclairée de Dieu, l’âme est dans un état tout différent de celui où elle se trouve ensuite, et elle devient meilleure dès que la participation à un être plus parfait vient à l’illuminer : il n’en est pas ainsi du Verbe de Dieu, du Fils de Dieu : avant de recevoir la vie il n’est pas autre chose qu’après l’avoir reçue ; il n’est pas en possession de la vie comme s’il en devenait participant avec le Père : il l’a en lui-même, et il est lui-même la vie. Que veulent donc dire ces paroles : « Il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même ? » Le voici, en deux mots. Le Père a engendré le Fils. Le Fils n’a pas reçu la vie après en avoir été un certain temps dépourvu, mais par sa génération, il est la vie. Le Père est la vie sans être engendré ; le Fils est la vie parce qu’il est engendré. Le Père n’a pas de père qui l’engendre : le Fils est engendré de Dieu le Père. Le Père ne tient de personne ce qu’il est : il est Père à cause du Fils ; le Fils est tel à cause de son Père, et ce qu’il est, il le tient du Père. Ces paroles : « Il a donné la vie au Fils, afin qu’il l’ait en lui-même », veulent donc dire ceci : Le Père qui est en lui-même la vie, a engendré son Fils qui serait aussi la vie en lui-même. Car pour ce qu’il en est du verbe engendrer, le Sauveur a voulu nous le faire entendre dans le sens de donner ; comme si nous disions à quelqu’un : Dieu t’a donné l’être. À qui a-t-il donné l’être ? Si l’homme, auquel il a donné l’être, existait déjà, il ne le lui a pas donné. Comment donner la vie à celui qui l’avait déjà, et comment celui-ci aurait-il pu en recevoir le bienfait, puisqu’il le possédait déjà ? Ces paroles : Il t’a donné l’être, signifient donc que tu n’existais pas, qu’en conséquence tu pouvais recevoir la vie, et que, par ce fait même que tu as commencé d’exister, tu as reçu l’être. Un architecte a donné à une maison d’exister. Que lui a-t-il donné ? De devenir une maison. À qui a-t-il accordé un tel bienfait ? À cette maison. Que lui a-t-il donné ? D’être une maison. Comment a-t-il pu donner à une maison de devenir une maison ? Si elle existait déjà, y avait-il réellement possibilité de lui donner de devenir ce qu’elle était ? Que veulent donc dire ces mots : Il lui a donné de devenir une maison ? Il l’a fait devenir maison. Qu’est-ce que le Père a donné au Fils ? Il lui a donné d’être son Fils ; il t’a engendré pour qu’il fût la vie ; c’est-à-dire : « Il lui à donné d’avoir la vie en lui-même », afin qu’il fût la vie même, qu’il n’eût pas besoin de la puiser ailleurs, et qu’on ne le regardât point comme ayant une vie d’emprunt. Si, en effet, il n’avait qu’une vie reçue d’ailleurs, il pourrait la perdre, et, par là, n’en plus avoir : tu ne dois rien supposer ou imaginer, ou croire de pareil à l’égard du Fils. Le Père est donc toujours la vie, et il en est de même du Fils : le Père a la vie en soi, mais il ne la tient pas de son Fils ; le Fils a aussi la vie en soi, mais il la tient de son Père : il a été engendré de son Père, afin d’être la vie en lui-même ; mais le Père n’a pas été engendré pour être la vie en soi. Le Fils n’a pas été engendré plus petit que le Père, pour grandir ensuite et devenir son égal. Lui qui, dans la plénitude de la perfection, a créé tous les temps, il n’a pas eu besoin du temps pour se perfectionner. Avant tous les siècles, il est coéternel au Père. Jamais le Père n’a été sans le Fils, et comme il est éternel, le Fils lui est donc coéternel. O âme humaine, que dire de toi ? Tu étais morte, tu avais perdu la vie ; écoute le Père dans la personne de son Fils ; lève-toi, reprends la vie ; puise en celui qui a la vie en soi, celle qui ne se trouve pas en toi-même. Le Père te vivifie, et le Fils aussi : alors s’opère ta première résurrection, quand tu ressuscites pour recevoir la vie que tu n’as pas, et qu’en la recevant tu deviens vivant. Sors de ton état de mort ; reviens à ta vie qui est ton Dieu : passe de la mort à la vie éternelle. En effet, le Père a la vie éternelle en lui – même, et si le Fils qu’il engendre n’était point pareil à lui, et n’avait point la vie en soi, il serait incapable de donner la vie à ceux qu’il voudrait, de la même manière que le Père la donne aux morts en les ressuscitant.
14. Que dire de cette résurrection du corps ? Pour ceux qui écoutent et qui vivent, d’où vient qu’ils vivent,-sinon de ce qu’ils entendent ? « L’ami de l’époux, qui se tient debout et l’écoute, est plein de joie à cause de la noix de l’époux[507] », et non à cause de la sienne propre ; c’est-à-dire, ils n’existent pas d’eux-mêmes : ils puisent la vie en Dieu voilà comment ils écoutent et vivent ; et tous ceux-là vivent, qui écoutent, parce que tous ceux qui obéissent ont la vie. Seigneur, dites-nous aussi quelque chose de la résurrection de la chair. Il y en a eu pour la nier, et soutenir que la résurrection opérée par la foi est la seule à laquelle on doive croire. Le Christ nous a parlé tout à l’heure de cette résurrection, et il a voulu nous animer d’une sainte espérance en nous disant que « les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et qu’ils vivront ». Il ne dit pas que, de tous ceux qui l’entendront, les uns mourront et les autres vivront ; mais que tous « ceux qui l’entendront vivront » ; car ceux qui obéiront auront la vie. Il est ici question de la résurrection des âmes, mais ne perdons pas la toi à la résurrection des corps. Seigneur, si vous ne l’affirmez pas vous-même, quelle autorité opposerons-nous à nos contradicteurs ? Toutes les sectes, assez audacieuses pour faire adopter aux hommes une religion quelconque, n’ont pas élevé le moindre doute à l’égard de la résurrection des âmes ; elles auraient craint qu’on pût leur dire : Si l’âme ne ressuscite pas, pourquoi me parles-tu ? Quel effet prétends-tu opérer en moi ? Si, de méchant que je suis, tu ne veux pas me rendre meilleur : si tu ne veux pas me retirer du péché pour me constituer dans la justice, à quoi bon me parler ? Dès lors que d’un pécheur tu fais un juste, que tu rends pieux un impie, que tu transformes un insensé en un homme sage, tu avoues que mon âme ressuscite, si je t’obéis, si j’ajoute foi à tes paroles. En cherchant à imposer aux autres leurs idées, aucun des propagateurs de fausses religions n’a pu nier cette résurrection des âmes : tous se sont accordés à l’admettre ; mais beaucoup ont nié celle de la chair, et ils ont dit que la foi l’avait déjà opérée. C’est contre de telles gens que s’élève l’Apôtre, quand il dit : « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont renversé la foi de quelques-uns [508] ». À les entendre, la résurrection avait déjà eu lieu, mais de telle manière qu’on ne devait plus en espérer une autre. Aussi condamnaient-ils les hommes qui espéraient la résurrection de la chair, comma si la résurrection promise s’opérait déjà dans les âmes par la foi. L’Apôtre les condamne à son tour. Pourquoi ? Ne disaient-ils pas ce que Jésus-Christ disait lui-même tout à l’heure ? « L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Mais, te dit Jésus, je ne te parle encore que de la résurrection des âmes, et non de celle des corps : je parle de la vie de ce qui anime les corps, c’est-à-dire des âmes, qui sont pour eux la source de la vie ; car, je le sais, il y a des corps dans les tombeaux ; vos corps y seront eux-mêmes, un jour, renfermés. Je ne vous parle nullement de leur résurrection : je ne fais allusion qu’à celle de vos âmes ; ressuscitez donc spirituellement, afin de ne point ressusciter corporellement pour les supplices éternels. Toutefois, remarquez-le bien, je parle aussi de la résurrection de la chair ; car j’ajoute : « Comme le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Cette vie, qui n’est autre que le Père et le Fils, à quoi a-t-elle rapport ? À l’âme ou au corps ? Cette vie de la sagesse ne pénètre point le corps, mais seulement l’âme raisonnable : de plus, toute âme ne ressent pas les influences de la sagesse ; car les bêtes ont une âme, et cette âme-là n’en éprouve point les impressions : l’âme de l’homme peut donc être vivante de cette vie que le Père a en soi, et qu’il a donné au Fils d’avoir en soi ; car c’est là évidemment « la lumière véritable qui éclaire », non pas toute âme, mais « tout homme venant en ce monde ». Puisque je parle à l’âme, qu’elle m’écoute, c’est-à-dire, qu’elle m’obéisse et qu’elle vive.
15. Seigneur, ne gardez pas le silence au sujet de la résurrection de la chair ; car les hommes pourraient ne pas y croire, et, au lieu d’être des prédicateurs, nous ne serions que des ergoteurs. Ainsi, « comme le Père a la vie en soi, de même a-t-il donné au Fils d’avoir en soi la vie ». Que ceux qui entendent, comprennent : qu’ils croient pour comprendre, qu’ils obéissent pour vivre. Qu’ils écoutent encore ce qui suit, afin de ne pas croire que c’en est fini avec la résurrection : « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ». Qui est-ce qui a donné ce pouvoir ? Le Père. À qui l’a-t-il donné ? Au Fils, car le pouvoir même de rendre les jugements a été donné par lui à celui à qui il a donné d’avoir la vie en soi, « parce qu’il est le Fils de l’homme ». Ce Christ est en même temps Fils de Dieu et Fils de l’homme. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : il était, au commencement, avec Dieu ». Voilà comment le Père a donné au Fils d’avoir la vie en soi ; mais parce que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous[509] », parce qu’il est né homme de la Vierge Marie, il est le fils de l’homme. De ce qu’il est le Fils de l’homme, qu’a-t-il reçu ? Le pouvoir même de rendre le jugement. Quel jugement ? Le dernier, à la fin du monde : alors aura lieu la résurrection des morts, c’est-à-dire, des corps. Le Seigneur ressuscite donc les âmes par le Christ, en tant que Fils de Dieu : pour les corps, il les ressuscite par le même Christ, en tant que fils de l’homme. « Il lui a donné le pouvoir ». Ce pouvoir, il ne l’aurait pas, s’il ne l’avait reçu, et il serait un homme sans pouvoir. Mais s’il est fils de l’homme, il est, en même temps, Fils de Dieu. Le fils de l’homme s’étant attaché au Fils de Dieu en union de personne, il s’est formé une seule personne, qui est, tout à la fois, Fils de Dieu et fils de l’homme. Il faut voir de quels éléments se compose cette personne, et pourquoi. Le fils de l’homme a une âme et un corps : le Fils de Dieu a notre humanité, comme l’âme a le corps. De même que l’âme, unie au corps, fait, avec lui, non pas deux personnes, mais un seul homme ; ainsi, le Verbe, uni à notre humanité, forme avec elle, non deux personnes, mais un seul Christ. Qu’est-ce que l’homme ? Une âme raisonnable revêtue d’un corps. Qu’est-ce que le Christ ? Le Verbe de Dieu revêtu de notre humanité.
16. Maintenant, je ne vous dirai pas : Écoutez-moi, mais : écoutez le Seigneur vous parler de la résurrection de la chair ; il va le faire pour ceux qui sont ressuscités et sortis des bras de la mort en s’unissant à la vie. À quelle vie ? À celle qui ne connaît point la mort. Et quelle est la vie qui ne connaît pas la mort ? C’est celle qui ne subit aucune vicissitude. Pourquoi n’est-elle sujette à aucun changement ? Parce qu’elle est la vie en soi. « Et il lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement, parce qu’il est le fils de l’homme ». Quel est ce jugement ? De quelle nature est-il ? « Ne vous étonnez pas » que je vous aie dit : « Il lui a aussi donné la puissance même de rendre le jugement, parce que l’heure vient ». Il n’a pas ajouté : « Et elle est déjà venue ». Il veut évidemment nous parler d’une certaine heure, de la fin du monde. C’est maintenant, pour les morts, l’heure de ressusciter : ce sera à la fin des temps, pour les morts, l’heure de revenir à la vie. C’est maintenant, pour eux, le moment de ressusciter d’une manière spirituelle : ce sera, plus tard, celui de la résurrection de leurs corps ; qu’ils ressuscitent aujourd’hui spirituellement par la puissance du Verbe, Fils de Dieu ; à la fin des temps, leur chair reviendra à la vie par la puissance du Verbe fait chair et devenu Fils de l’homme. Car ce n’est point le Père qui viendra juger les vivants et les morts, quoiqu’il soit inséparable du Fils. En quel sens donc ne viendra.-t-il pas lui-même ? Parce qu’il n’apparaîtra pas à l’heure du jugement : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé [510] ». Il apparaîtra comme juge avec la forme qu’il avait au moment où il a été jugé : elle a subi un jugement inique, elle rendra un jugement juste. La forme de l’esclave viendra donc, et ce sera elle qui se fera voir alors. Quant à la forme de Dieu, comment pourrait-elle se manifester aux bons et aux méchants ? Si le jugeaient n’avait lieu qu’à l’égard des justes, la forme de Dieu se montrerait à eux en raison de leur justice ; mais parce que le Seigneur jugera en même temps les justes et les pécheurs, et que ceux-ci ne méritent pas de voir Dieu, « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[511] », le souverain Juge apparaîtra de telle manière qu’il puisse être contemplé et par ceux qu’il couronnera et par ceux qu’il condamnera. On verra donc alors la forme d’esclave ; celle de Dieu demeurera cachée aux regards des hommes dans la personne de l’esclave, le Fils de Dieu disparaîtra pour ne laisser apercevoir que le Fils de l’homme, « parce qu’il a reçu le pouvoir même de rendre le jugement ». De ce que le Fils de l’homme se manifestera seul dans la forme d’esclave, et aussi parce que le Père ne s’est pas revêtu de notre humanité, le Père ne se laissera pas voir au jour du jugement. Voilà pourquoi le Sauveur a dit plus haut : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout le jugement au Fils ». Nous avons donc été bien inspirés d’attendre, puisqu’il nous a expliqué lui-même ce qu’il nous avait dit. Pour commencer, ces paroles étaient obscures pour nous ; maintenant nous comprenons, ce me semble, ce qu’il a voulu nous dire : « Le Père lui a donné le pouvoir même de rendre le jugement ; en effet, le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils tout le jugement », car il fera le jugement avec la forme humaine que n’a point le Père. De quel jugement est-il ici question ? « Que cela « ne vous étonne pas ; l’heure vient » : non pas l’heure présente où doivent ressusciter les âmes, mais l’heure à venir où les corps sortiront vivants du tombeau.
17. Que le Christ s’exprime à ce sujet d’une manière plus claire encore, afin d’ôter à l’hérétique qui nie la résurrection de la chair tout prétexte d’attaquer noire foi : que ses paroles, déjà comprises, brillent d’un nouvel éclat. Lorsque, précédemment, il eut dit : « L’heure vient », il ajouta : « et elle est déjà venue ». Maintenant il dit : « L’heure vient », sans ajouter : « Et elle est déjà venue ». Toutefois, que par la claire manifestation de la vérité, il ôte à nos ennemis toute occasion, tout moyen de prise sur nous ; qu’il fasse disparaître toutes les subtilités à l’aide desquelles ils voudraient nous embarrasser. « Que cela ne vous étonne pas : l’heure vient, où tous ceux qui sont dans les tombeaux ». Y a-t-il rien de plus évident, de plus formel ? Ce sont les corps qui se trouvent dans les tombeaux ; les âmes, quelles qu’elles soient, justes ou pécheresses, n’y sont pas. L’âme du juste a été reçue dans le sein d’Abraham ; celle du méchant était tourmentée dans l’enfer [512] ; dans le tombeau ne s’est trouvée ni l’une ni l’autre. Je vous en prie, faites attention aux paroles qu’il a précédemment prononcées : « L’heure vient, et elle est déjà venue ». Vous le savez, mes frères : c’est par le travail qu’on arrive à se procurer le pain matériel ; pour le pain de l’âme, que de peines il faut s’imposer ! Il vous en coûte pour rester là et prêter attention à nos paroles ; mais pour rester ici et vous parler, il nous en coûte bien davantage. Puisque nous travaillons pour vous, ne devez-vous pas unir vos efforts aux nôtres, afin d’atteindre au même but ? Après avoir dit, précédemment : « L’heure vient », et avoir ajouté : « et elle est déjà venue », comment a continué le Sauveur ? « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront ». Il n’a pas ajouté : Tous les morts l’entendront, et ceux qui l’entendront vivront : il voulait parler des pécheurs morts à la grâce. Mais tous les pécheurs écoutent-ils l’Évangile ? L’Apôtre dit formellement : « Tous n’obéissent pas à l’Évangile [513] ? » Néanmoins, ceux qui écoutent, vivront, parce que tous ceux qui obéissent à l’Évangile passeront par la foi, dans le sein de la vie éternelle ; mais tous ne lui obéissent pas, et c’est maintenant ; mais, à la fin des temps, « tous ceux qui sont dans les tombeaux », c’est-à-dire, les justes et les pécheurs, « entendront sa voix et sortiront ». Pourquoi n’a-t-il pas voulu dire : « Et ils vivront ? » C’est que, si tous doivent sortir de leurs tombeaux, tous ne vivront pas. Quand il a dit plus haut « Et ceux qui auront écouté, vivront », il a voulu nous faire comprendre qu’écouter la voix du Fils de Dieu, c’est avoir la vie éternelle et bienheureuse que ne posséderont point tous ceux qui sortiront des tombeaux. De cette mention des tombeaux et de ce fait que les morts en sortiront, nous devons, sans hésiter, conclure à la résurrection des corps.
18. « Tous entendront sa voix et sortiront ». Où sera le jugement, si tous doivent entendre et sortir ? Tout ici me semble confusion ; rien ne me paraît clairement défini. Évidemment, vous avez reçu le pouvoir de juger, puisque vous êtes le fils de l’homme : vous assisterez au jugement ; les corps ressusciteront ; dites-nous donc quelque chose du jugement lui-même, c’est-à-dire du discernement qui se fera alors entre les bons et les méchants. Écoute encore ceci : « Ceux qui auront bien fait, en sortiront pour la résurrection de la vie, mais ceux qui auront mal fait, en sortiront pour la résurrection du jugement ». En parlant, plus haut, de la résurrection des esprits et des cœurs, a-t-il établi entre eux une différence ? Non ; ceux qui écouteront vivront, parce que l’obéissance sera pour eux la source de la vie ; niais, tout en ressuscitant et en sortant de leurs tombeaux, tous ne parviendront pas à la vie éternelle ; il n’y aura pour cela que ceux qui auront bien fait : ceux qui auront mal fait ressusciteront pour le jugement. Le Sauveur entend le mot jugement dans le sens de supplice. Et alors aura lieu la séparation des uns et des autres, mais bien différente de celle qui existe aujourd’hui. À l’heure présente, nous sommes séparés, non par la distance, mais par nos mœurs, nos affections, nos désirs, notre foi, notre espérance, notre charité. Nous vivons côte à côte avec les pécheurs ; mais, chez tous, la conduite n’est pas la même ; nous sommes désunis, séparés les uns des autres, d’une manière imperceptible à l’œil. Nous ressemblons au froment, quand il se trouve dans l’aire, et non quand il est renfermé dans le grenier. Dans l’aire, les grains de froment sont tout à la fois séparés les uns des autres, et mélangés ensemble : ils sont séparés, lorsqu’on les fait sortir de la paille ; ils sont mélangés, puisqu’on ne les a pas encore criblés. Alors se manifestera la différence de la vie d’après celle de la conduite, et la différence des corps d’après celle de la sagesse des mœurs. Ceux qui auront bien fait iront vivre avec les anges de Dieu ; ceux qui auront mal fait iront partager les tourments du démon et de ses anges. Alors disparaîtra la forme d’esclave. Comme il se sera présenté avec cette forme pour lui faire exercer le jugement, il se retirera de ce monde immédiatement après, conduisant à sa suite le corps dont il est le chef, et il remettra à Dieu son royaume [514]. À ce moment apparaîtra, dans toute sa splendeur, la forme divine qu’il aura forcément voilée aux regards dès méchants, pour ne leur laisser voir que sa forme d’esclave. Voici ce qu’il en dit ailleurs : « Ceux-ci » (il veut désigner ceux qui seront à gauche) « iront au e feu éternel ; mais les justes iront dans la vie sans fin [515] ». Parlant de cette vie sans fin, il s’exprime ainsi en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé[516] ». Alors, dans le séjour de la vie éternelle se manifestera celui qui, étant Dieu, n’a point cru que ce fût de sa part une usurpation de s’égaler à Dieu [517]. Alors il se montrera tel qu’il a promis de se montrer à ceux qui l’aiment. « Celui qui m’aime garde « mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi aussi je l’aimerai, et je me montrerai moi-même à lui ». Il se trouvait devant ceux auxquels il parlait ; mais s’ils avaient sous les yeux sa forme d’esclave, ils ne voyaient point sa forme divine. Ils ont été conduits sur une bête de somme à l’hôtellerie pour y recouvrer la santé : une fois guéris, ils verront, car « je me montrerai moi-même à eux ». Et comment voit-on qu’il est égal au Père ? Il l’indique lui-même par ces paroles adressées à Philippe : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père[518] ».
19. « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ». Nous pourrions être tentés de lui dire : Vous jugerez, et votre Père ne jugera pas, puisqu’il est dit : « Il a donné tout jugement au Fils ». Par conséquent, ce n’est pas d’après votre Père que vous jugerez ; aussi a-t-il ajouté : « Je ne puis rien faire de moi-même : je juge ainsi que j’entends, et mon jugement est juste ; car je ne cherche point ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Évidemment, le Fils donne la vie à ceux à qui il veut la donner. Il ne cherche pas sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé. Je ne cherche pas ma volonté, c’est-à-dire ma volonté propre, la volonté du Fils de l’homme, une volonté qui résiste à celle de Dieu. Quand les hommes font ce qu’ils veulent au lieu de faire ce qu’ordonne le Seigneur, ils agissent suivant leur volonté, et non suivant celle de Dieu ; mais lorsqu’ils font leur volonté, de manière à ce qu’elle reste subordonnée à celle de Dieu, ils n’agissent nullement suivant leur volonté propre, quoiqu’ils fassent ce qu’ils veulent. Fais volontairement ce qu’on te commande ainsi feras-tu même ce que tu veux, et, au lieu d’agir à ta volonté, tu feras celle de ton supérieur.
20. Mais que signifient ces paroles : « Ainsi que j’entends, je juge ? » Le Fils entend, le Père se montre à lui, et le Fils voit agir le Père. Nous avions différé de vous expliquer ce passage, afin de le faire de notre mieux et d’une manière un peu plus à votre portée, à condition qu’il nous resterait, pour cela, après la lecture, assez de forces et de temps. Si je vous disais qu’il m’est encore possible de parler, vous me répondriez peut-être que vous n’êtes plus capables de m’entendre : peut-être aussi, dans un désir ardent d’écouter la sainte parole, me diriez-vous : Nous pouvons continuer. Je préfère donc vous avouer ma faiblesse, car je suis déjà fatigué, il m’est impossible de vous entretenir davantage ; puisque vous êtes bien rassasiés, à quoi bon vous servir de nouveaux aliments, que vous ne pourriez suffisamment digérer ? Aussi, la promesse que je vous avais faite pour aujourd’hui, au cas où il me resterait assez de temps, je m’en acquitterai demain avec l’aide de Dieu : Considérez-moi donc comme votre débiteur à cet égard.

VINGTIÈME TRAITÉ.

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ENCORE SUR CE PASSAGE : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE PAR LUI-MÊME, QU’IL NE LE VOIE FAIRE AU PÈRE. QUELQUE CHOSE QUE CELUI-CI FASSE, LE FILS LE FAIT AUSSI COMME LUI ». (Chap. 5, 19.)

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UNITÉ D’ACTION DANS LA SAINTE TRINITÉ.

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Quoiqu’il soit dit, dans l’Écriture, que Dieu se reposa le septième jour, cette parole du Sauveur est vraie : « Le Père agit toujours ». En effet, si le Fils agit, c’est par le Père, car, en lui, voir et être, exister et pouvoir agir sont la même chose ; puisque le Père lui a donné l’être, il lui a donc aussi donné ta puissance. De là, néanmoins, il ne suit pas que le Fils soit inférieur au Père étant inséparables l’un de l’autre, et tous deux éternels, loin d’agir l’un sans l’autre, ils agissent par ensemble et pareillement. Pour se faire, autant que possible, une idée de ce mystère, il faut s’élever par de là le monde des esprits jusqu’à Dieu, comme l’apôtre saint Jean.


1. L’Apôtre Jean ne s’est pas appuyé sans motif sur la poitrine du Sauveur ; il voulait y puiser les secrets d’une sagesse surhumaine et nous transmettre dans son Évangile ce qu’il aurait, par son amour, puisé à cette source. Aussi, les paroles du Christ, qu’il nous rapporte, sont-elles plus mystérieuses et plus difficiles à saisir que toutes celles rapportées par les autres Évangélistes : elles ont un sens tellement profond, qu’elles jettent dans le trouble les hommes dont le cœur est perverti, et surexcitent l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit. C’est pourquoi j’engage votre charité à fixer toute son attention sur le peu de paroles qu’elle vient d’entendre lire. Voyons si, avec la grâce et le secours du Sauveur, nous pourrons comprendre les paroles qu’il a voulu faire arriver jusqu’à nous, qu’il a prononcées lui-même et fait écrire autrefois pour que nous les lisions aujourd’hui. Que signifient donc les paroles que vous lui avez entendu prononcer tout à l’heure : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ; tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ? »
2. À quelle occasion ces paroles furent-elles prononcées ? Il faut vous rappeler le commencement de la leçon précédente. Dans les cinq portiques de la piscine de Salomon se trouvaient un certain nombre de malades : le Sauveur avait guéri l’un d’eux, et lui avait dit : « Prends ton grabat, et retourne dans ta maison ». Ceci se passait un jour de sabbat. Grand sujet d’émoi pour les Juifs ; ils prirent de là prétexte de l’accuser comme violateur et destructeur de la loi. Alors il leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi [519] ». Ces Juifs comprenaient dans un sens tout charnel l’obligation d’observer le sabbat, et s’imaginaient qu’après avoir travaillé à la création du monde Dieu était jusqu’alors resté plongé dans une sorte d’assoupissement ; aussi avait-il sanctifié ce jour-là à partir du moment où il avait, en quelque sorte, commencé à se reposer de ses fatigues. Il est sûr que l’observation du précepte du sabbat, imposée autrefois à nos pères, est chose sacrée [520]. Nous autres Chrétiens, nous avons pour lui un respect tout spirituel ; en ce jour nous nous abstenons de toute œuvre servile, c’est-à-dire de tout péché, parce que le Seigneur a dit : « Quiconque commet le péché est l’esclave du péché[521] » et ainsi gardons-nous le repos dans notre cœur ; en d’autres termes nous y conservons la tranquillité de l’âme. Tous nos efforts tendent à ce but pendant le cours de cette vie mortelle ; il nous sera néanmoins impossible d’arriver à la quiétude parfaite avant notre sortie de ce monde. On dit que Dieu s’est reposé, parce qu’après avoir mis la dernière main à toutes ses œuvres, il n’a plus fait sortir du néant aucune créature ; c’est ce que l’Écriture appelle le repos du Seigneur, pour nous avertir, qu’à la suite de nos bonnes œuvres, nous nous reposerons. Nous lisons en effet, dans la Genèse : « Et Dieu fit toutes choses extrêmement bonnes, et il se reposa le septième jour[522] ». O homme, quand tu vois que Dieu s’est reposé après avoir accompli des œuvres excellentes, tu ne dois donc pas espérer le repos si tu ne fais pas des œuvres bonnes. Le sixième jour Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance et mis le sceau de la perfection sur ses ouvrages, qui étaient tous extrêmement bons ; puis, le septième jour venu, il a pris du repos : ainsi ne peux-tu compter sur le repos qu’à la condition de réimprimer sur toi l’image du Créateur, dont le péché a fait disparaître les traits primitivement imprimés en ton âme. Il ne faut pas dire que Dieu a travaillé, parce qu’il a parlé et que toutes choses ont été faites. Quiconque posséderait une aussi grande facilité de travailler, voudrait-il prendre du repos, comme s’il avait éprouvé une grande fatigue ? Qu’un homme donne un ordre, et qu’on lui résiste ; qu’il commande un ouvrage, et qu’on ne le fasse pas, et qu’il se donne lui-même la peine de le faire,, je dirai avec raison qu’il s’est reposé, le travail fini. Mais nous lisons tout autre chose dans le livre, déjà cité, de la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière se fasse, et la lumière se fit : Dieu dit : que le firmament se fasse, et le firmament fut fait[523] » ; et toutes choses lurent faites sitôt qu’il eut parlé ; le Psalmiste lui-même l’atteste en ces termes : « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé[524] ». Comment, après avoir créé le monde, aurait-il cherché le repos à la manière des hommes qui terminent un travail, celui qui ne s’était point fatigué à donner ses ordres ? Ces paroles ont donc un sens caché : elles ont été placées là pour nous avertir de n’espérer le repos d’après cette vie, qu’autant que nous l’aurons mérité par nos bonnes œuvres. Nous l’avons dit : les Juifs s’étaient scandalisés de voir le Sauveur opérer la guérison d’un homme le jour du sabbat ; pour condamner leur impudence et leurs fausses idées, pour leur montrer qu’ils n’avaient pas sur Dieu des pensées justes, Jésus leur dit : « Mon Père agit toujours, et moi aussi ». N’allez donc point vous imaginer que mon Père se soit reposé le septième jour, de telle manière que, à partir de ce moment-là, il n’ait plus rien fait : comme il agit encore aujourd’hui, j’agis aussi moi-même ; toutefois, le Père travaille sans fatigue, et le Fils travaille de même sans éprouver de lassitude. « Dieu a dit et tout a été fait » ; le Christ a dit à un malade : « Prends ton grabat, et retourne en ta maison », et la chose s’est accomplie.
3. Selon la croyance catholique, le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Voilà ce dont je veux, autant que possible, entretenir votre charité ; mais c’est bien ici le cas de répéter ces paroles du Seigneur : « Comprenne qui pourra[525] ». Celui qui ne peut me comprendre ne doit point m’en attribuer la faute : il ne peut en accuser que la lenteur de son esprit ; c’est donc pour lui un devoir de se tourner vers celui qui ouvre les cœurs, et de lui demander qu’il fasse pénétrer en lui ses enseignements : et si quelqu’un ne saisissait point ma pensée, parce que je ne la traduirais pas comme il le faudrait, je le prie de pardonner à mon humaine fragilité, et d’implorer en ma faveur le secours d’en haut. Nous avons, au dedans de nous, pour maître le Christ lui-même. Toutes les fois qu’une parole, sortie de ma bouche et venue à vos oreilles, vous paraîtra incompréhensible, tournez-vous intérieurement vers celui qui m’instruit de ce que je dois vous dire, et vous distribue sa parole au gré de sa généreuse bienveillance. Celui qui sait ce qu’il donne, et à qui il le donne, sera attentif à la demande du chrétien qui le priera, et il ouvrira à l’homme qui frappera à la porte : néanmoins, s’il ne nous accorde pas ce que nous désirons, ne nous croyons point, pour cela, abandonnés de lui ; car si parfois il diffère d’octroyer ce qu’on lui demande, il ne laisse personne dans le besoin. Il nous fait attendre, pour mettre notre patience à l’épreuve, mais il ne méprise nullement nos prières. Voyez donc, et remarquez attentivement ce que je veux dire, quoique je ne puisse peut-être m’exprimer comme je le désirerais. Selon les enseignements de la toi catholique, établie par l’Esprit de Dieu dans le cœur de tous les saints pour les prémunir contre toute perverse hérésie, il est certain que le Père et le Fils n’agissent point séparément l’un de l’autre. Qu’ai-je dit ? De même que le Père et le Fils, les œuvres de tons deux sont inséparables. Comment le Père et le Fils le sont-ils ? Le Sauveur l’a dit lui-même : « Mon Père et moi nous sommes un [526] ». D’ailleurs, le Père et le Fils ne sont pas deux dieux, mais un seul Dieu : le Verbe et celui dont il est le Verbe, sont un ; ils sont l’Unité : le Père et le Fils, unis l’un à l’autre par l’amour, et, avec eux, leur unique Esprit d’amour, ne font qu’un seul Dieu ; en sorte que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu’une seule et même Trinité. Comme non seulement le Père et le Fils, mais encore le Saint-Esprit, sont personnes égales entre elles et inséparables ainsi leurs œuvres sont inséparables : je vais dire encore plus clairement ce que j’entends par ces mots, leurs œuvres sont inséparables. La foi catholique ne dit pas que Dieu le Père a fait une chose, et Dieu le Fils une autre ; mais ce qu’a fait le Père, le Fils l’a fait, et aussi le Saint-Esprit. Toutes choses, en effet, ont été faites par le Verbe quand Dieu a dit, et qu’elles ont été faites, elles ont été faites par le Verbe, par le Christ : car, « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu toutes choses ont été faites par lui[527] ». Puisque toutes choses ont été faites par lui, Dieu ayant dit : Que la lumière soit faite, « et la lumière ayant été faite », il l’a donc faite dans le Verbe, et il l’a faite par le Verbe.
4. Nous venons d’entendre l’Évangile : nous savons la réponse que Jésus fit aux Juifs indignés de le voir, non seulement violer le repos du sabbat, mais encore appeler Dieu son Père, et se dire égal à Dieu [528]. Voilà ce qui est écrit au commencement du chapitre. Après avoir fait celte réponse à ses ennemis, si injustement indignés, le Fils de Dieu, la Vérité même leur adressa ces autres paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire par lui-même, si ce n’est ce qu’il a vu faire au Père ». C’était dire, en d’autres termes : Pourquoi vous scandalisez-vous de m’entendre dire que Dieu est mon Père, et que je suis égal à Dieu ? Je lui suis égal en ce sens qu’il m’a engendré : je lui suis égal en ce sens qu’il n’est pas de moi, mais que je suis de lui. Voilà ce que signifient ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». C’est-à-dire, tout ce que le Fils a le pouvoir de faire, il tient de son Père le pouvoir de le faire. Pourquoi tient-il de son l’ère le pouvoir d’agir ? Parce que, sans le Père, il ne serait pas le Fils. Mais comment le Père lui a-t-il donné d’être le Fils ? Parce qu’il tient de lui le pouvoir, parce qu’il en a reçu l’être. Pour le Fils, être et pouvoir sont une même chose. Il n’en est pas ainsi relativement à l’homme. Notre fragilité humaine se trouve en un tel état d’infériorité, qu’elle ne peut servir de terme de comparaisons élevez donc plus haut vos pensées ; et si, par hasard, quelqu’un d’entre nous vient à saisir une partie de ce mystère, et que, effrayé de la soudaine apparition d’une vive lumière, il en conçoive quelque idée de manière à ne point persévérer dans son ignorance, cet homme ne doit pas s’imaginer qu’il comprend tout ; car il en deviendrait orgueilleux, et son orgueil lui ferait oublier tout ce qu’il aurait appris. Pour l’homme, autre chose est d’exister, autre chose est de pouvoir. Tout homme qu’il est, il est parfois incapable de faire ce qu’il veut ; et parfois, aussi, ce qu’il veut, il peut le faire. L’être et le pouvoir sont donc choses fort différentes ; si c’était la même chose, on pourrait agir à sa volonté. En Dieu, il n’y a aucune différence entre la substance qui constitue son être et la puissance qu’il a d’agir ; tout ce qui est de lui lui est consubstantiel, et tout ce qui est de lui est ce qui est, parce qu’il est Dieu. Être et pouvoir ne sont donc pas en lui deux choses différentes ; il possède en même temps l’existence et la puissance, parce que la volonté et l’action lui appartiennent toutes les deux. Puisque le pouvoir du Fils vient du Père, par là même la substance du Fils en vient aussi ; et réciproquement, puisque la substance du Fils vient du Père, sa puissance en vient pareillement. Dans le Fils, la puissance ne se distingue pas de la substance elles y sont toutes deux une seule et même chose : la substance pour qu’il existe, la puissance pour qu’il soit à même de faire ce qu’il veut. Aussi, parce qu’il vient du Père, le Fils a-t-il dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même » ; dès lors qu’il n’existe point par lui-même, il ne peut, non plus, rien faire par lui-même.
5. Il semblerait qu’il s’est fait plus petit que le Père, en disant : Le Fils ne peut rien « faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». Ici la vaniteuse hérésie relève la tête : je veux parler de l’hérésie qui regarde le Fils comme intérieur au Père, comme ayant un pouvoir, une grandeur, une faculté d’agir bien moins étendus, parce qu’elle ne saisit pas la mystérieuse signification des paroles du Christ. Cependant, que votre charité veuille bien y faire attention ; voyez comment ces paroles du Sauveur troublent maintenant leurs idées toutes charnelles. N’ai-je pas dit, tout à l’heure, par avance, que la parole de Dieu trouble les cœurs pervers, et surexcite l’intelligence de ceux qui ont le cœur droit ? En m’exprimant ainsi, j’ai voulu surtout faire allusion à celle que rapporte l’Évangéliste Jean : ce qu’il dit n’est pas du nombre des choses communes et faciles à comprendre : ce sont de mystérieuses choses. À entendre ces paroles, l’hérétique se redresse et nous dit : Voilà bien là preuve que le Fils est intérieur au Père. Écoute les paroles du Fils lui-même ; il te dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, que ce qu’il a vu faire au Père ». – Attends : l’Écriture te le recommande : « Écoute avec douceur ce que l’on te dit, afin de le comprendre [529] ». Supposez que ce passage me jette dans l’embarras, puisqu’en raison de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père », je prétends que le Fils est égal à son Père en puissance et en majesté. Ce passage m’embarrasse donc ; mais puisque tu crois l’avoir compris, je vais te faire une question : Nous savons, d’après l’Évangile, que le Fils a marché sur la mer [530] : où l’hérétique a-t-il vu que le Père a marché sur les eaux ? À son tour, il se trouble : oui, il se trouble lui-même. Laisse donc de côté ce que tu avais compris, et cherchons ensemble à comprendre. Que faisons-nous donc ? Nous avons entendu les paroles du Sauveur : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Il a marché sur les eaux : le Père n’y a jamais marché : pourtant, « le Fils ne fait rien par lui-même qu’il ne l’ait vu faire au Père ».
6. Retourne avec moi à ce que je disais tout à l’heure : peut-être comprendrons-nous les choses, de manière à sortir, tous les deux, de la difficulté : pour moi, la foi catholique m’apprend le moyen d’en sortir, sans me blesser, sans me butter à aucun obstacle : enfermé dans ton inextricable cercle, tu cherches une issue. Vois par où tu es entré. Peut-être n’as-tu pas même compris ce que j’ai dit : vois par où tu es entré ; écoute donc le Sauveur ; voici les paroles qu’il t’adresse : « Je suis la porte[531] ». Ce n’est pas sans cause que tu cherches une issue et que tu n’en trouves pas ; car, au lieu d’entrer dans le bercail par la porte, tu y es tombé du haut de la muraille. Agis donc de ton mieux ; retire-toi de l’endroit de ta chute, et entre par la porte : ainsi entreras-tu sans te blesser ; ainsi sortiras-tu sans faire fausse route. Viens par le Christ, et ce que tu dis, ne le tire pas de ton propre cœur : ne parle que de ce qu’il te fait connaître. Voici comment la foi catholique triomphe de la difficulté présente. Le Fils a marché sur la mer, il a posé les pieds de son corps sur les flots : sa chair marchait sur les eaux, et sa divinité en domptait le liquide élément. À ce moment où, comme homme, il était porté sur les eaux, et où, comme Dieu, il s’en montrait le maître, le Père n’était-il pas avec lui ? Si le Père était alors éloigné du Fils, comment celui-ci a-t-il pu dire : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les mêmes œuvres que moi[532] ? » Si le Père demeure dans le fils, et fait les mêmes œuvres que lui, cette marche du corps du Christ, le Père l’exécutait, et il l’exécutait par son Fils, et elle est tout à la fois l’œuvre du Père et celle du Fils. Je vois l’un et l’autre accomplir ici la même œuvre, le Père demeurant inséparablement uni au Fils, et le Fils ne se séparant nullement du Père. Ainsi, tout ce que fait le Fils, il ne le fait que conjointement avec le Père, parce que le Père ne fait rien qu’il ne le fasse avec le Fils.

7. Nous voilà sortis de là. Remarquez-le nous nous exprimons avec justesse en disant que les œuvres du Père, du Fils et du Saint-Esprit sont celles de ces trois personnes en même temps. Selon ta manière de voir, Dieu a fait la lumière, et le Fils la lui a vu faire ainsi le comprends-tu d’une manière toute charnelle, toi qui veux considérer le Fils comme inférieur au Père, à cause de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il a vu faire au Père ». Dieu le Père a fait la lumière : quelle autre lainière le Fils a-t-il faite ? Dieu le Père a fait le firmament, ce ciel placé entre les eaux et les eaux, Le Fils l’a vu : c’est ainsi que tu conçois les choses avec ton esprit lourd et grossier : puisque le Fils a vu son Père créer le firmament, et qu’il a dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Montre-moi donc un autre firmament. N’as-tu point perdu ton point d’appui ? Bâtis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, tandis que Jésus-Christ est lui-même la principale pierre de l’angle, les fidèles trouvent dans le Sauveur une paix profonde [533]. Ils ne disputent point, et ne se jettent plus dans les erreurs de l’hérésie. Nous comprenons que si le Père a fait la lumière, il l’a faite par le Fils : le firmament est sorti de ses mains par l’opération du Fils : « Car toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Débarrasse-toi donc de ce que j’appellerais, à coup sûr, non pas ton intelligence, mais ta sottise. Dieu le Père a créé le monde : quel autre monde a-t-il créé par son Fils ? Dis-moi où est ce monde créé par le Fils ? Le monde où nous vivons, de qui, du Père ou du Fils, est-il l’œuvre ? Par lequel des deux a-t-il été fait ? Dis-le-nous. Si tu réponds : par le Fils et non par le Père, tu te sépares du Père. Si, au contraire, tu dis par le Père, et non par le Fils, voici ce que t’oppose l’Évangile : « Et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu[534] ». Reconnais donc Celui par qui le monde a été fait, et ne te mets pas au nombre de ceux qui n’ont pas connu le Créateur du monde.

8. Le Père et le Fils agissent donc par ensemble. Mais voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Ainsi en serait-il, si le Sauveur disait : Le Fils n’existe pas de lui-même. En effet, s’il est le Fils, il est né ; et s’il est né, il tient son existence de celui qui l’a engendré. Pourtant, le Père a engendré son égal, rien ne lui a manqué pour cela : puisqu’il engendrait un Fils coéternel à lui-même, le temps ne lui était pas nécessaire ; et puisqu’il engendrait de lui-même son Verbe, il n’avait à cet effet nul besoin de l’intermédiaire d’une femme. Dès lors, enfin, qu’il n’engendrait point un Fils inférieur à lui, il lui était inutile d’être plus avancé en âge. Quelqu’un dira peut-être que Dieu a eu son Fils dans sa vieillesse, après un grand nombre de siècles. Il n’y a eu ni vieillesse chez le Père, ni accroissement chez le Fils ; l’un n’a point fléchi sous le poids des années, l’autre n’a pas grandi : le Père a engendré son égal ; éternel, il a engendré un Fils éternel comme lui. Comment, dira quelqu’un, comment l’Éternel peut-il engendrer un Fils éternel ? Comme la flamme, qui ne dure qu’un instant, engendre une lumière de même durée. La flamme et la lumière qui s’en dégagent sont du même instant, et la flamme n’est pas plus ancienne que la lumière dont elle est le principe. Au moment où naît la flamme, à ce moment-là naît la lumière. Donne-moi une flamme sans lumière, et je te donnerai Dieu le Père privé de Fils. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père » : pour le Fils, voir n’est autre chose qu’être né du Père : en lui, voir et être sont une seule et même chose, comme aussi le pouvoir et la substance ne sont pas différents l’un de l’autre. Tout ce qu’il est, il le tient du Père ; tout ce qu’il peut, il l’a reçu du Père, car ce qu’il peut et ce qu’il est, c’est la même chose, et tout cela lui vient du Père.

9. Mais le Sauveur continue à parler : il jette le trouble dans l’esprit des Juifs qui le comprennent mal, afin de leur faire quitter leur erreur, et de les ramener à une saine appréciation de ses paroles. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne l’ait vu faire au Père ». Nais une manière de comprendre toute charnelle pouvait séduire les âmes et les détourner de la vérité : l’homme pouvait se faire l’idée de deux artisans dont l’un aurait été le maître ; l’autre, en qualité d’apprenti, aurait semblé suivre des yeux les mouvements de son patron, pour lui voir faire par exemple un coffre, et en faire, à son tour, un autre sur le modèle du coffre du maître, et par les moyens qu’il lui aurait vu employer. Le Christ voulut donc empêcher dans l’esprit humain l’existence de cette grossière supposition, de deux agents dans la Divinité, qui est toute simple. Aussi continua-t-il en disant : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Le Père ne fait pas une chose, et le Fils une autre semblable : ils font, tous les deux, les mêmes choses. Car le Sauveur ne dit pas : Le Père fait certaines choses, et le Fils en fait d’autres pareilles ; mais voici comment il s’exprime : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Ce que fait l’un, l’autre le fait : le Père a créé le monde ; avec lui et comme lui, le Fils et le Saint-Esprit ont créé ce même monde. S’il y avait trois dieux, il y aurait trois mondes ; mais comme il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, il n’y a, non plus, qu’un seul monde, que le Père a créé par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc ce que fait le Père, et il ne le fait pas d’une manière différente : il fait ce que fait le Père, et il le fait comme lui.
10. Il avait déjà dit : « Il le fait » ; pourquoi a-t-il ajouté : « il le fait pareillement ? » C’était afin d’écarter de l’esprit de ses auditeurs toute interprétation maligne ou erronée. Tu vois l’ouvrage d’un homme. L’homme se compose d’un esprit et d’un corps ; l’esprit commande au corps, mais, entre l’un et l’autre, se trouve une immense différence. Le corps est visible, l’esprit ne l’est pas : et il n’y a aucune comparaison à établir entre la puissance et l’énergie de l’esprit, et l’énergie et la puissance de n’importe quel corps, fût-il même céleste. L’esprit intime au corps ses volontés, et celui-ci les accomplit, et ce qu’on voit faire à l’esprit, le corps le fait aussi. Le corps fait donc évidemment ce que fait l’esprit, mais il ne le fait point pareillement. Comment fait-il la même chose, sans la faire de la même manière ? L’esprit parle en lui-même, il donne ses ordres à la langue, et elle profère les paroles qu’il a lui-même intérieurement prononcées : l’esprit a parlé, la langue aussi : le maître du corps et son serviteur ont agi l’un et l’autre ; mais, avant d’agir, le serviteur a appris de son maître ce qu’il devait faire, et, sur son ordre, il l’a fait. Tous les deux ont donc fait la même chose ; mais l’ont-ils faite pareillement ? Cependant, dit quelqu’un, comment ne l’ont-ils pas faite d’une manière semblable ? Le voici : La parole que prononce mon esprit reste au dedans de moi : celle que ma langue profère va frapper l’air : elle passe, elle n’est déjà plus. Lorsque tu as dit un mot dans ton esprit, et que ta langue l’a répété, rentre en toi-même, et tu l’y retrouveras. Est-il resté sur ta langue, comme il est resté dans ton esprit ? Ce mot, sorti avec sonorité de ta bouche, ta langue l’a créé en le prononçant, et ton esprit, en y pensant ; mais les sons émis par ta langue se sont évanouis, et ce qu’a pensé ton esprit continue à exister. L’esprit et le corps ont donc fait la même chose, sans la faire de la même manière. Ce qu’a fait l’esprit, il le conserve en lui-même ; ce qu’a fait la langue résonne et va, par les vibrations de l’air, frapper l’oreille. Poursuis-tu les syllabes pour leur donner la durée ? Ainsi n’agissent point le Père et le Fils, car ils font la même chose, et ils la font l’un comme l’autre. Si Dieu le Père a créé le ciel qui dure toujours, Dieu le Fils a créé ce même ciel, qui dure toujours. Si le Père à créé l’homme qui meurt, le Fils a fait aussi sortir du néant cet homme, qui est sujet à la mort. Toutes les choses que Dieu a faites pour toujours, le Fils les a faites aussi pour toujours, et celles que le Père n’a faites que pour un temps, le Fils ne les a non plus faites que pour un temps ; car non seulement il les a faites, mais il les a faites pareillement : en effet, le Père les a faites par son Fils, parce que, par le Verbe, il a fait toutes choses.
11. Cherche, dans le Père et le Fils, le manque d’ensemble, tu ne le trouveras pas, lors même que tu t’élèverais et que tu atteindrais à des régions supérieures à celles de ton âme. Si tu te nourris des idées creuses d’un esprit vagabond, tu t’entretiens avec ton imagination, et non avec le Verbe de Dieu : elle te jette dans l’illusion. Élève-toi au-dessus de ton corps, et prise ton esprit : élève-toi même au-dessus de ton esprit, et saisis Dieu. Impossible d’atteindre jusqu’à Dieu, à moins de t’élever au-dessus de ton âme : à plus forte raison, n’y parviendras-tu pas, si tu t’arrêtes à ce corps grossier. Qu’ils sont loin de priser ce qui est Dieu, ceux qui ont du goût seulement pour leur corps ! Jamais même ils n’arriveraient à posséder Dieu,’s’ils se bornaient à avoir du goût pour leur âme. L’homme s’éloigne énormément de la divinité, quand il n’a que des pensées charnelles : entre son corps et son âme se trouve une incalculable distance ; il en est encore, néanmoins une plus grande entre l’âme et Dieu. Si lu occupes ta pensée de ton esprit, tu tiens le milieu : si, de là, tu abaisses tes regards, tu aperçois le corps ; si tu les élèves, tu vois Dieu. Porte-les donc plus haut que ton corps, porte-les plus haut que toi-même. Écoute ce que dit le Psalmiste : il t’apprendra comment tu dois priser Dieu. « Jour et nuit, mes larmes sont ma nourriture, parce qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » test comme si les païens nous disaient : Voici nos dieux : où est le vôtre ? De telles gens montrent alors des divinités visibles : pour nous, nous adorons un Dieu qu’on ne voit pas. À qui pourrions-nous le montrer ? À des hommes qui manquent de tous moyens pour le voir ? S’ils ont les yeux du corps pour contempler leurs dieux, nous avons, nous, des yeux tout autres pour apercevoir notre Dieu : encore faut-il qu’il les purifie ; sans cela il nous serait impossible de le voir ; car, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu [535] ». Le Psalmiste nous dit donc qu’il se troublait, parce qu’on lui disait sans cesse : « Où est ton Dieu ? Je ne puis oublier qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » Aussi semblait-il vouloir saisir Dieu, et s’écriait-il : « Je repassais ces paroles en mon cœur, et je répandais mon âme en moi-même [536] ». Pour arriver jusqu’à taon Dieu, jusqu’à Celui dont on me disait : « Où est ton Dieu ? » je n’ai point répandu mon âme sur mon corps, mais sur moi-même ; je me suis élevé au-dessus de moi-même, afin de parvenir jusqu’à lui. Celui qui n’a créé est au-dessus de moi : on ne va à lui qu’à la condition de devenir supérieur à soi-même.
12. Qu’est-ce que ton corps ? Ne l’oublie pas : il est sujet à la mort, terrestre, fragile, corruptible : arrière donc. Mais notre chair est du temps. Reporte tes pensées sur les autres corps, sur les corps célestes ; ils sont plus grands, ils sont meilleurs, ils brillent d’un vif éclat ; regarde-les : ils roulent de l’Orient à l’Occident, et ne s’arrêtent pas ; les hommes, les animaux eux-mêmes les contemplent. Élève-toi plus haut. – Comment, me diras-tu, comment m’élèverai-je au-dessus des corps célestes, moi qui rampe en quelque sorte sur la terre ? – Corporellement, tu ne le peux pas : élève-toi donc sur les ailes de ton âme. Arrière donc aussi les corps célestes : ils ont beau briller, ce ne sont que des corps ; quoiqu’ils nous inondent des flots de leur lumière, ce sont des corps. En les considérant tous, tu ne sais peut-être où tu pourrais aller : viens avec moi. – En quel lieu, au-delà des astres, pourrais-je monter ? Au-dessus de quel monde m’élèverai-je sur les ailes de mon âme ? – As-tu considéré tous ces mondes ? — Oui. – En quel endroit t’étais-tu placé pour les contempler ? Voyons qui est-ce qui les considère. Ce qui les examine, les discerne, les distingue les uns des autres, et les pèse en quelque sorte dans sa balance, c’est l’intelligence. L’intelligence qui, en toi, a pensé à tous ces mondes, est évidemment préférable à eux tous ; elle est un esprit et non un corps. Pour voir où il faut que tu arrives, compare d’abord cette intelligence à ton corps. Ah ! de grâce, ne t’abaisse pas à une pareille comparaison. Compare-la à l’éclat du soleil, de la lune, des étoiles : son éclat le surpasse de beaucoup. Vois d’abord combien elle est prompte : ses pensées ne ressemblent-elles pas à des éclairs qui l’emportent en vivacité sur les plus vifs rayons du soleil ? Si tu réfléchis à la marche du soleil levant, qu’elle doit te sembler lente en comparaison de la marche de ton esprit ? Tu imagines, en un instant, ce que fera l’astre du jour ; il ira d’Orient en Occident, et à peine se lève-t-il, que déjà tu songes à son coucher : par la pensée, tu as fait ce qu’il doit faire, tu as parcouru sa route, et lui la parcourt encore, tant il est lent à la fournir. Que l’esprit humain est une grande chose ! Mais pourquoi dire : Il est ? Elève-toi même au-dessus de lui, car il a beau être préférable à tout ce qui est matière, il est sujet au changement. Aujourd’hui il sait, demain il ne sait plus : un jour il oublie, un autre jour il se souvient : tantôt il veut, tantôt il ne veut pas : parfois il commet le péché, parfois il conserve la justice. Va donc au-delà de tout ce qui peut changer, qu’il soit visible ou non. Tu t’es placé au-dessus de tous les êtres corporels visibles, du soleil, de la lune et des étoiles, que contemplent nos yeux : place-toi aussi au-dessus de tout être susceptible de variations. Devenu supérieur à la matière, tu en étais arrivé à ton esprit ; mais là, encore, tu as trouvé des preuves d’instabilité. Pour Dieu, est-il sujet à vicissitude ? Marche donc, ne t’arrête pas à ton esprit : répands ton âme au-dessus de toi-même, afin de parvenir jus. qu’à Dieu ; car on te dit : « Où est ton Dieu ? »
13. Ne t’imagine pas pouvoir faire ce qui dépasse les forces de l’homme. Jean l’Évangéliste l’a fait néanmoins. Il s’est élevé au-dessus de son corps, au-dessus de la terre qu’il foulait à ses pieds, au-dessus des mers qu’il contemplait, au-dessus des airs que parcourent les oiseaux, au-dessus du soleil, de la lune et des étoiles, au-dessus de tous les esprits invisibles, au-dessus de son âme, enfin il s’est élevé au-dessus de toutes ces créatures par l’effet de sa raison et de son intelligence. Arrivé à une région supérieure, répandant son âme au-dessus de lui-même, où est-il parvenu ? Qu’a-t-il vu ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Si tu vois un ensemble dans la lumière, pourquoi ne pas vouloir qu’il y ait unité dans l’action ? Voilà Dieu, voilà son Verbe ; Dieu ne fait qu’un avec le Verbe, lorsque le Verbe parle, et, pour parler, il ne se sert point de mots ; pour lui, manifester l’éclat de sa sagesse, c’est parler. Que dit de la sagesse divine la sainte Écriture ? « Elle est la splendeur de la lumière éternelle [537] ». Réfléchis à la lumière du soleil, Le soleil est au ciel, il répand ses rayons sur toutes les terres et sur toutes les mers ; et, pourtant, on ne saurait le nier, sa lumière est matérielle. Si tu peux séparer du soleil sa propre lumière, le Verbe peut être aussi séparé de son Père. Je parle du soleil. D’un flambeau s’échappe une flamme unique, toute petite, toute mince : on peut l’éteindre d’un souffle ; et, cependant, elle projette son éclat sur tous les objets qu’elle domine. La lumière dont cette flamme est le foyer, se répand de tous côtés ; tu la vois sortir de ce foyer, mais la vois-tu s’en séparer ? Certainement non. Comprenez donc, mes très-chers frères, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont inséparablement unis ensemble ; que cette Trinité ne fait qu’un seul Dieu, et que toutes les œuvres de ce Dieu unique sont tout à la fois les œuvres du Père, et celles du Fils, et celles du Saint-Esprit. Pour ce qui suit et fait partie du discours de Notre-Seigneur Jésus. Christ, rapporté dans l’Évangile, nous vous l’expliquerons ; car demain nous devons vous adresser la parole. Venez donc nous entendre.

VINGT-ET-UNIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CES PAROLES : « CAR LE PÈRE AIME LE FILS ET LUI MONTRE TOUT CE QU’IL FAIT », JUSQU’À CES AUTRES « CELUI QUI N’HONORE PAS LE FILS, N’HONORE PAS LE PÈRE QUI L’A ENVOYÉ ». (Chap. 5,20-23.)

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LES ŒUVRES DU CHRIST.

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« Le Fils ne fait que ce qu’il a vu faire à son Père, et le Père lui montre tout ce qu’il fait », c’est-à-dire, le Père est l’archétype de toutes les créatures ; il les voit en lui-même, et cette vision et la science qui en résulte, ne sont autre chose que son Verbe : de là il suit que, pour le Verbe, voir, apprendre, connaître, c’est être. Quant au Christ considéré comme homme et comme représentant de tous les membres de l’Église, Dieu doit lui montrer à opérer des merveilles plus admirables que la guérison d’un paralytique. Comme Dieu, il ressuscitera les morts à la fin du monde. Comme homme, il les jugera, afin que tous l’honorent de la même manière qu’ils honorent le Père.


1. Autant que Dieu nous en a fait la grâce, et selon qu’il nous a été possible de le comprendre et de le dire, nous vous avons expliqué, dans l’instruction d’hier, comment il peut se faire que les œuvres du Père et du Fils soient inséparables : comment les œuvres du Père, au lieu d’être différentes de celles de Fils, sont exactement les mêmes, en ce sens que le Père les fait par son Fils, comme par son Verbe. N’est-il pas écrit, en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui rien n’a été fait ? » Aujourd’hui, nous avons à examiner les passages qui suivent prions le Seigneur de nous accorder sa bénédiction, espérons-la de sa part ; peut-être nous jugera-t-il dignes de comprendre la vérité contenue dans ses paroles ; et si nous nous trouvons incapables de la saisir, peut être sa grâce nous empêchera-t-elle de tomber dans l’erreur. Car mieux vaut ignorer que se tromper ; mais la science est bien préférable à l’ignorance : aussi devons-nous, avant tout, nous efforcer de savoir. Si nous le pouvons, Dieu en soit loué ; mais s’il nous est impossible de parvenir jusqu’à la vérité, ne nous jetons pas dans l’erreur. Qui sommes-nous ? Que cherchons-nous à comprendre ? ce qu’il nous faut examiner. Nous sommes des hommes revêtus d’un corps, nous sommes des pèlerins ici-bas ; la parole de Dieu nous a, sans doute, communiqué le germe d’une nouvelle vie ; mais, bien que renouvelés dans le Christ, nous ne sommes pas encore entièrement dépouillés du vieil Adam. En nous, le corps qui se corrompt appesantit l’âme [538] ; il nous vient d’Adam, c’est chose manifeste, et personne ne saurait en douter. Mais le principe spirituel qui rend notre âme supérieure au monde est un don de ce Dieu miséricordieux qui a envoyé son Fils unique sur la terre, pour partager notre condition mortelle et nous faire entrer en possession de son immortalité. Il est notre maître et doit nous apprendre à ne point pécher : il sera notre défenseur, si, après avoir péché, nous confessons nos fautes et revenons au bien ; il sera notre avocat au moment où nous demanderons à Dieu quelque bienfait, et, conjointement avec le Père, il nous accordera l’objet de nos désirs ; car le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, Les paroles qui vont nous occuper, il les adressait aux hommes en qualité d’homme ; en lui le Dieu se cachait et l’homme se montrait, pour faire des dieux avec de simples hommes ; étant Fils de Dieu, il est devenu fils de l’homme, afin de rendre enfants de Dieu les enfants des hommes. Par quelle mystérieuse invention de sa sagesse a-t-il agi ainsi ? Ses paroles mêmes nous l’apprennent. Il s’est fait petit pour parler à des petits ; mais bien que petit, il n’a pas cessé d’être grand ; et nous, si nous sommes petits par nous-mêmes, nous devenons grands par notre union avec lui : il nous parle donc comme une nourrice parle à son bien-aimé nourrisson, qu’elle aide à grandir à force de soins.
2. Il avait dit : « Le Fils ne peut rien faire par lui-même que ce qu’il voit faire à son Père [539] ». Nous l’avons compris : le Père ne fait aucune œuvre séparément du Fils ; et le Fils ne le regarde point pour faire, à son tour, quelque chose de pareil à ce qu’il lui aurait vu faire. Voici la raison pour laquelle le Sauveur a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père » ; c’est que le Fils tient du Père tout ce qu’il est : sa substance et sa puissance tout entières lui viennent de Celui qui l’a engendré. Il avait dit qu’il fait, comme le Père, les mêmes œuvres que le Père ; mais il a voulu nous insinuer que le Père et le Fils ne font pas des œuvres différentes, mais que les opérations du Fils procèdent de la même puissance que celle du Père, puisque le Père les fait par l’intermédiaire de son Fils : aussi a-t-il ajouté ce que nous avons entendu lire aujourd’hui : « Car le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce qu’il fait ». Le Père montre à son Fils tout ce qu’il fait : donc, dira quelqu’un, le Père agit séparément, afin que le Fils soit à même de voir ce qu’il fait. Nous voici donc, encore une fois, revenus à une manière humaine de considérer les choses : nous voici de nouveau en face de nos deux artisans ; on dirait qu’il s’agit encore d’un ouvrier qui apprend son métier à son fils, et qui lui montre son propre ouvrage, afin qu’à son tour il puisse en faire autant. « Il lui montre tout ce qu’il fait ». Par conséquent, lorsque le Père agit, le Fils reste dans l’inaction, uniquement occupé à regarder ce que fait son Père. En est-il vraiment ainsi ? Il est sûr que « toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n’a été fait ». Par là, il nous est facile d’imaginer comment le Père montre au Fils ce qu’il fait, puisque le Père ne tait rien que ce qu’il fait par le Fils. Qu’a fait le Père ? Le monde. Mais l’a-t-il créé d’abord, et l’a-t-il ensuite montré au Fils, pour lui fournir le modèle d’un autre monde ? Alors, qu’on nous fasse voir ce second univers, sorti des mains du Fils seul. « Mais toutes les choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait, et c’est lui qui a fait le monde [540] ». S’il a fait le monde, et si toutes choses ont été faites par lui, le Père ne fait donc rien qu’il ne le fasse par son Fils. Mais où le Père montre-t-il au Fils ce qu’il fait ? Dans le Fils même par qui il le fait, et pas ailleurs. En quel autre lieu le Père pourrait-il montrer au Fils ses propres œuvres ? Est-ce qu’il habite, est-ce qu’il agit comme dans un endroit exposé au regard ? Le Fils examine-t-il le Père, comme s’il travaillait extérieurement ? Où se trouve l’indivisible Trinité ? Où est le Verbe, dont il a été dit qu’il est la puissance et la sagesse de Dieu [541] ? Où voir ce qu’est la Sagesse elle-même, an dire de l’Écriture : « Elle est la splendeur de la lumière éternelle [542] ? » Où contempler ce qu’indique encore cet autre passage : « La Sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur [543] » Si le Père, dans ses opérations, agit par le Fils, par sa propre sagesse, pal sa propre puissance, ce n’est pas à l’extérieur qu’il lui montre ce qu’il doit voir et faire, c’est en lui-même.
3. Qu’est-ce que voit le Père, ou, plutôt, qu’est-ce que le Fils voit dans le Père, afin de le faire ensuite lui-même ? Si je pouvais le dire, y aurait-il quelqu’un pour me comprendre ? Si j’étais capable de m’en faire une idée, serais-je à même de l’expliquer convenablement ? Mais serais-je seulement apte à me l’imaginer ? La distance qui se trouve entre la Divinité et nous est égale à celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortalité de la vicissitude des choses destinées à périr, l’éternité de ce qui est du temps. Qu’il nous inspire et nous fasse la grâce de comprendre. Que de cette source de vie, qui est lui-même, il fasse tomber sur nous quelques gouttes de rosée pour étancher notre soif : ainsi serons-nous préservés des ardeurs brûlantes de ce désert. Nous avons appris à lui donner le nom de Père ; crions pour lui dire : Seigneur. Ne craignons pas de le faire, car il nous a autorisés à nous permettre cette hardiesse : seulement, vivons de manière à ce qu’il ne nous dise pas : « Si je suis votre Père, où sont mes honneurs ; et si je suis votre maître, où me craint-on [544] ? » Disons-lui donc : Notre Père ! À qui disons-nous : Notre Père ? Au Père du Christ. Et celui qui dit au Père du Christ : Notre Père ! que dit-il au Christ ? Notre Frère, et rien autre chose. Il faut néanmoins le remarquer, Dieu n’est pas le Père du Christ au même titre qu’il est le nôtre, car jamais le Christ ne nous a unis à lui, de manière à faire disparaître toute distance entre lui et nous. Il est, en effet, le Fils de Dieu, égal à son Père, éternel comme lui, coéternel à lui : pour nous, nous avons été créés par le Fils et adoptés par l’Unique ; aussi, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à ses disciples, jamais il n’a dit du Dieu souverain, son Père : Notre Père ; niais : Mon Père, ou bien : Votre Père. Il n’a pas dit : Notre Père ; cela est si vrai que, dans un certain endroit de l’Évangile, il a proféré ces deux paroles : « Je m’en vais à mon Dieu et à votre Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Notre Dieu ? « Et à mon Père et à votre Père [545] ». Il n’a pas dit : Notre Père. Il parle donc de manière à unir les choses sans les confondre, et à les distinguer les unes des autres sans les séparer ; il veut montrer que nous ne faisons qu’un en lui, et que le Père et lui ne font qu’un.
4. Nous aurons beau comprendre et beau voir, même lorsque nous aurons été égalés aux esprits angéliques, jamais nous ne versons comme voit le Fils. Lors même que nous ne voyons pas, nous sommes quelque chose, et, alors, que sommes-nous ? Évidemment, des hommes qui ne voient pas. Bien que ne voyant pas, nous existons cependant, et, afin de voir, nous nous tournons vers celui qu’il nous faut voir, et ainsi s’opère en nous la vision qui ne s’y trouvait point auparavant, quoique nous existions. L’homme qui ne voit pas, n’en est pas moins un homme, et quand une fois il est parvenu à voir, on dit toujours de lui qu’il est un homme, mais un homme qui voit. Car, pour lui, autre chose est de voir, autre chose est d’être un homme ; si, en effet, voir et être homme était, pour lui, la même chose, jamais il ne pourrait exister sans voir. Dès lors qu’il ne voit pas et qu’il cherche à voir ce qu’il ne peut encore contempler, il est donc à même de chercher à voir et de se convertir pour y arriver ; et s’il se convertit sincèrement et qu’il parvienne à voir, après avoir été un homme qui ne voyait pas, il devient un homme qui voit. La vue lui est donc accordée ou retirée, selon qu’il se tourne vers Dieu ou qu’il s’en éloigne. En est-il de même du Fils ? Non. Y a-t-il jamais eu un temps où le Fils n’ait pas vu, et un autre temps où il ait commencé à voir ? Mais voir le Père et être le Fils, c’est, pour lui, une seule et même chose. En nous détournant de Dieu pour nous jeter dans l’iniquité, nous perdons de vue les rayons de la lumière d’en haut : aussitôt que nous revenons à lui, l’éclat de cette lumière vient à nouveau frapper nos yeux. Il n’y a aucune similitude entre la lumière qui vient nous éclairer, et nous-mêmes ; car cette lumière ne se détourne pas d’elle-même, et ne perd jamais rien de son éclat, parce qu’elle est essentiellement la lumière. Le Père montre donc au Fils ce qu’il fait, en ce sens qu’en son Père le Fils voit toutes choses, et qu’il y est toutes choses. Par le fait qu’il voyait, il est né, et par cela même qu’il est né, il voit. Remarque-le, néanmoins : il n’a jamais été Sans exister, et jamais il n’a commencé à être : il n’a jamais été sans voir, et jamais il n’a commencé à voir. Car, en lui, voir et être ne constituent qu’une seule et même chose : en lui se rencontrent, tout à la fois, l’existence, la permanence, l’immuabilité, la vie éternelle, sans commencement et sans fin. Ne nous nourrissons donc point d’illusions matérielles : le Père n’est point assis, ne travaille pas, et ne montre pas au Fils ce qu’il fait : à son tour, le Fils ne regarde pas l’œuvre opérée par le Père, pour en faire lui-même une pareille, mais dans un autre endroit et avec des matériaux différents ; car « toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait ». Le Fils est la Parole du Père, et Dieu n’a rien dit qu’il ne l’ait dit en son Fils. En disant, en son Fils, ce qu’il devait faire par lui, le Père a engendré ce même Fils par lequel il devait faire toutes choses.
5. « Et il lui montrera de plus grandes œuvres que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Nouveau sujet d’embarras. Qui pourrait jamais sonder parfaitement un pareil mystère ? Mais comme il a daigné nous parler, le Sauveur nous en a mis la clef dans les mains. Il n’aurait certainement pas voulu nous dire ce qu’il ne voudrait pas nous voir croire : puisqu’il a bien voulu nous adresser la parole, il est sûr qu’il a eu l’intention de nous rendre attentifs, et puisque tel a été son dessein, nous abandonnerait-il maintenant à nous-mêmes ? Nous vous l’avons dit de notre mieux : La science du Fils n’a rien qui tienne du temps : autre chose n’est pas la science du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; autre chose n’est pas la vision du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; mais la vision, la science et la sagesse du Père, c’est le Fils : elles sont éternelles, elles viennent de l’éternel, et sont coéternelles à celui dont elles viennent : là, rien n’est sujet aux vicissitudes du temps ; rien n’y vient à la vie de celui n’était pas ; rien n’y meurt de ce qui était. Nous l’avons expliqué comme nous avons pu. Maintenant, que fait ici le temps ? Le Sauveur ne dit-il pas, en effet : « Et il lui montrera de plus grandes choses ? » Il doit lui montrer, c’est-à-dire, il lui fera voir plus tard. Il a montré est bien différent de : il montrera. Il a montré s’entend du passé ; il montrera s’entend de l’avenir. Mes frères, que faisons-nous, que disons-nous à présent ? Nous avons, tout à l’heure, prétendu que le Fils, coéternel au Père, n’éprouve aucune variation de la part du temps, qu’il ne se meut ni dans l’espace des lieux, ni dans l’espace des moments, qu’il demeure toujours dans la vision avec le Père, qu’il voit le Père, et que cette vision constitue son existence ; et voilà qu’il nous rappelle encore une fois à la pensée du temps, puisqu’il nous dit : « Et il lui montrera de plus grandes choses ! » Le Père montrera donc au Fils quelque chose qu’il ne connaît pas encore ? Que faire ? En quel sens comprendre ces paroles ? Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait dans les hauteurs de l’éternité ; le voilà qui redescend au niveau des choses terrestres. Quand était-il si élevé ? Quand il disait : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi comme lui ». Comment est-il descendu ? « Il lui montrera de plus grandes choses ». O Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites, qu’est-ce que le Père vous montrera que vous ne sachiez pas encore ? Y a-t-il, dans le Père, quelque chose d’inconnu pour vous ? Quelles œuvres plus grandes doit-il vous montrer ? Ou bien, quelles œuvres seront surpassées par celles qu’il vous montrera ? Car si Jésus a dit : « plus grandes », il nous faut retourner en arrière pour y trouver celles qui sont moins prodigieuses.
6. Rappelons-nous la circonstance qui a donné lieu à ce discours. C’est évidemment celle où fut guéri le paralytique de trente-huit ans, et où le Sauveur commanda à cet homme de prendre son lit sur ses épaules, et de s’en retourner dans sa maison. Ce fait suffit à soulever l’indignation des Juifs avec lesquels il s’entretenait : il parlait à leurs oreilles et ne disait rien à leur intelligence. Il laissait, en quelque sorte, entrevoir sa pensée à ceux qui voulaient l’entendre, mais il la cachait à ceux qui se laissaient emporter par la colère : irrités de voir le Seigneur Jésus agir ainsi le jour du sabbat, les Juifs lui donnèrent donc, par leurs mauvais sentiments, l’occasion de prononcer ce discours. Pour bien entendre les paroles qui nous occupent maintenant, nous ne devons donc pas oublier ce qui a été précédemment dit : au contraire, reportons nos regards sur ce paralytique, malade depuis trente-huit ans, et subitement rendu à l’usage de ses membres, en présence des Juifs qui ne pouvaient s’empêcher d’admirer une pareille guérison, et s’en fâchaient pourtant. Témoin de leur aveugle fureur, Jésus leur adressa la parole et leur dit : « Il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci ». « Plus grandes que celles-ci » : celles-ci ? Lesquelles ? Ce que vous venez de voir, c’est-à-dire : la guérison de cet homme, qu’une paralysie avait tenu, l’espace de trente-huit ans, couché sur son lit, n’est rien en comparaison de ce que le Père montrera à son Fils. Que lui montrera-t-il de plus étonnant ? Le voici ; car le Sauveur ajoute : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », Il est sûr que ceci est bien autrement admirable : c’est, en effet, un plus grand prodige de ressusciter les morts, que de rendre un malade à la santé : il n’y a pas le moindre doute à cet égard. Mais quand le Père montrera-t-il à son Fils une pareille œuvre ? car le Fils n’en a-t-il pas déjà la connaissance ? Et au moment où il parlait, ne savait-il pas ressusciter les morts ? Il avait fait toutes choses : avait-il encore besoin d’apprendre à faire sortir les morts, tout vivants, des entrailles du tombeau ? Celui qui nous a donné l’être et la vie, lorsque nous n’existions pas encore, avait-il besoin d’apprendre à nous ressusciter ? Que veut-il donc nous dire par là ?
7. Il s’est abaissé jusqu’à nous, et lui qui, tout à l’heure, nous parlait comme Dieu, a commencé de nous parler comme homme. Tout Dieu qu’il est, il n’en partage pas moins avec nous la nature humaine ; car Dieu s’est fait homme, mais il est devenu ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était, L’humanité s’est donc adjointe à la divinité : ainsi, celui qui était Dieu est devenu un homme, de manière, toutefois, qu’en prenant notre nature, il ne perdît pas sa nature divine. Nous l’écoutions tout à l’heure comme notre créateur, Écoutons-le donc maintenant comme notre frère, Il est notre Créateur, car, au commencement était le Verbe ; il est notre frère, parce qu’il a pris naissance dans le sein de la Vierge Marie ; en qualité de Créateur, il existait avant Abraham, avant Adam, avant la terre, avant le ciel, avant toutes les créatures corporelles et spirituelles ; en qualité de frère des hommes, il est né de la race d’Abraham, de la tribu de Juda, d’une vierge israélite. Si, dans celui qui nous parle, nous reconnaissons un Dieu et un homme, sachons discerner les paroles du Dieu d’avec celles de l’homme ; car parfois il dit des choses qui ont trait à la majesté divine, et, parfois, il en dit qui se rapportent à la faiblesse humaine ; n’est-il pas en même temps et souverainement grand, et aussi souverainement petit, puisqu’il s’est anéanti pour nous élever jusqu’à lui ? que dit-il donc ? « Le Père » me « montrera des choses plus grandes que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». C’est donc à nous qu’il les montrera, et non pas à lui et comme c’est à nous que le Père les montrera, le Sauveur a eu bien soin de dire : « Et vous serez dans l’admiration ». Il nous a expliqué ce qu’il a voulu nous faire entendre par ces mots : « Le Père » me « montrera ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Le Père vous montrera, au lieu de dire : « Il montrera » au Fils ? Parce que nous sommes les membres de son Fils, et que celui-ci apprend en quelque sorte dans la personne de ses membres, ce que nous apprenons. De quelle manière acquiert-il en nous quelque science ? De la même manière qu’il y souffre. Où est la preuve des souffrances qu’il endure en nous ? Dans ces paroles venues du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » N’est-ce pas lui qui, à la fin du monde, s’assoira sur un tribunal pour juger tous les hommes ? N’est-ce pas lui qui, en plaçant les bons à sa droite, et les méchants à sa gauche, prononcera ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ? » Les justes lui répondront : « Seigneur, quand vous avons-nous vu avoir faim ? » Alors il ajoutera : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même[546] ». Il a donc dit : « Lorsque vous avez donné quelque chose à l’un des moindres de mes frères, vous me l’avez donné à moi-même ». Par conséquent, interrogeons-le maintenant, et disons-lui Seigneur, quand apprendrez-vous quelque chose, puisque c’est vous qui enseignez toutes choses ? Et aussitôt, par l’organe de notre foi, il nous répondra : Lorsque l’un des moindres de mes frères s’instruit, c’est moi qui m’instruis.
8. Félicitons-nous donc, et rendons grâces à Dieu de ce que nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ lui-même. Comprenez-vous, mes frères, appréciez-vous dignement la grâce que Dieu nous fait en devenant notre chef ? Soyez dans l’admiration, réjouissez-vous, nous sommes devenus le Christ ! Car s’il est notre chef, nous sommes ses membres ; nous composons, lui et nous, son humanité tout entière. Voilà bien ce que dit l’apôtre Paul : « Afin que nous ne soyons plus flottants comme des enfants, et que nous ne nous laissions pas emporter à tout vent de doctrine ». Mais auparavant, il s’était exprimé en ces termes « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge, de la plénitude du Christ[547] ». Le chef et les membres, voilà ce qui constitue la plénitude du Christ. Qu’est-ce à dire : Le chef et les membres ? Le Christ et l’Église. Nous arroger un privilège pareil serait, de notre part, de l’orgueil, mais le Sauveur a daigné nous le promettre lui-même, car il nous a dit par la bouche du même Apôtre : « Or, vous êtes le corps du Christ et ses membres[548] ».
9. Dès lors donc que le Père montre quelque chose aux membres du Christ, il le montre par là même au Christ. Il se fait à ce moment comme un grand miracle, mais un miracle réel. Ce que le Christ savait déjà se fait voir au Christ, et c’est le Christ lui-même qui le lui fait connaître. Voilà une chose étonnante et merveilleuse, mais l’Écriture nous l’affirme : Nous mettrons-nous en antagonisme avec la parole de Dieu ? Ne faut-il pas plutôt la comprendre damas son vrai sens, et remercier de cette grâce d’en haut, Celui qui nous l’a accordée ? Qu’ai-je dit : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ?. C’est la tête qui montre aux membres. Ce phénomène se passe en toi, Veuille le remarquer. Suppose que tes yeux sont fermés et que tu veux saisir un objet : ta main ne sait où se porter, et, néanmoins, tu ne saurais en douter, ta main est du nombre de tes membres, puisqu’elle n’a pas été précédemment séparée de ton corps. Ouvre les yeux ; alors elle voit de quel côté elle doit se diriger ; la tête a fait apercevoir l’objet, et le membre est allé le saisir. Puisqu’en toi-même nous remarquons ce fait que ton corps montre un objet à ton corps, et que par l’intermédiaire de lui-même, ton corps aperçoit cet objet, il n’y a plus sujet de t’étonner de mes paroles, quand je dis : C’est le Christ lui-même qui fait connaître au Christ. Le chef montre, afin que les membres aperçoivent ; il enseigne, afin que les membres s’instruisent ; et, cependant, la tête et les membres ne forment tous ensemble qu’un seul homme. Il n’a pas voulu se séparer de nous, mais il a daigné s’unir à nous. Il se trouvait loin de nous, et singulièrement loin ; car, qu’y a-t-il de plus éloigné que la créature à l’égard du Créateur ? que Dieu et l’homme ? que la justice et le péché ? que l’éternité et la condition d’un être mortel ? Ainsi était éloigné de nous « le Verbe qui au commencement était Dieu en Dieu, et par qui toutes choses ont été faites ». Par quel moyen s’est-il donc rapproché de nous, au point de devenir ce que nous sommes et de manière à ce que nous soyons en lui ? « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous [549] ».
10. Il nous montrera donc cela, comme il l’a montré à ses disciples pendant le cours de sa vie terrestre. Qu’est-ce cela ? « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». Le Père vivifie-t-il ceux-ci, et le Fils ceux-là ? Certainement, toutes choses ont été faites par lui. Que disons-nous, mes frères ? Le Christ a ressuscité Lazare ; quel mort le Père avait-il fait sortir vivant du tombeau, afin d’apprendre au Fils, par son exemple, la manière dont il devait ressusciter Lazare ? Ou bien, quand le Sauveur a rendu la vie à Lazare, le Père ne l’a-t-il pas aussi ressuscité ? le Fils a-t-il été seul à opérer ce prodige, et l’a-t-il opéré indépendamment du concours de son Père ? Lisez le récit de cette résurrection, et vous verrez qu’au tombeau de Lazare, le Christ a invoqué son Père et l’a prié de rendre la vie à ce mort [550]. En tant qu’homme, il invoque le Père ; en tant que Dieu, il agit de concert avec lui : en conséquence, la résurrection de Lazare s’est effectuée par la coopération simultanée du Père et du Fils avec la grâce et comme don du Saint-Esprit, et ce merveilleux événement est l’œuvre de la Trinité entière. Ces paroles « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut », ne doivent donc pas être entendues en ce sens, que le Père ressuscite et vivifie les uns, tandis que le Fils ressuscite et vivifie les autres ; mais nous devons en conclure que le Père et le Fils ressuscitent également et par ensemble les mêmes morts ; car, « toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Aussi, pour montrer que sa puissance, bien que lui venant du Père, était néanmoins égale à celle du Père, le Sauveur a-t-il ajouté : « Ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut » : ces paroles prouvent l’existence de sa propre volonté. Que personne ne dise : Le Père ressuscite les morts par le Fils ; mais c’est comme tout-puissant, c’est parce qu’il possède le pouvoir de le faire. Pour le Fils, il n’agit qu’en vertu d’une puissance étrangère à sa personne, et qu’en qualité de ministre, comme ferait un ange ; que personne ne parle ainsi, carie Christa affirmé son pouvoir, en disant : « De même, le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En effet, le Père ne veut pas autre chose que ce que veut le Fils ; mais comme ils ont ensemble une seule et même substance, ainsi n’ont-ils qu’une seule et même volonté.
11. Qui sont ces morts que vivifient le Père et le Fils ? Sont-ce ceux dont nous avons parlé, Lazare, le Fils de la veuve de Naïm[551], ou la fille du chef de la synagogue[552] ? Car, nous le savons, ces trois morts ont été rappelés à la vie par le Christ. Dans le passage précité, le Sauveur veut nous faire entendre qu’il s’agit d’autre chose, c’est-à-dire de la résurrection des morts que nous attendons tous pour la fin du monde, et non de celle qui a été accordée à quelques-uns pour amener les autres à la foi. Enfin, si Lazare est sorti vivant du tombeau, il devait cependant y rentrer un peu plus tard ; et nous, quand nous ressusciterons, ce sera pour ne plus quitter la vie. Est-ce au Père, est-ce au Fils à opérer cette résurrection finale ? Mieux que cela C’est au Père dans le Fils. Le Fils et le Père dans le Fils l’opéreront donc. Maintenant, comment prouver qu’il est ici question de la résurrection universelle ? Le voici : Le Sauveur avait dit : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». En conséquence de ces paroles, nous aurions pu nous imaginer qu’elles avaient trait, non pas à la résurrection qui doit servir de prélude à la vie éternelle, mais une simple résurrection miraculeuse ; pour nous détourner d’une pareille interprétation il ajoute : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Qu’est-ce à dire ? Il parlait de la résurrection des morts, puisqu’il disait : « Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le « Fils vivifie ceux qu’il veut » ; pourquoi ajoute-t-il aussitôt, en manière d’explication, ces paroles relatives au jugement : « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ? » Il voulait évidemment nous faire comprendre qu’il avait fait allusion à la résurrection des morts, que suivra le jugement général.
12. « Car », dit-il, « le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Tout à l’heure, nous supposions que le Père fait ce que ne fait pas le Fils, et nous étions portés à le croire à cause de ces paroles : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il a fait » : comme si le Père agissait, et que le Fils se bornât à le regarder. Une manière tinte charnelle d’interpréter ce passage en dérobait donc le vrai sens à notre esprit, et nous faisait croire, d’une part, que le Père agissait sans le concours du Fils, et, d’autre part, que le Fils regardait le Père lui montrer ce qu’il faisait. Le Père nous semblait donc faire ce que ne faisait pas le Fils ; maintenant le Fils nous apparaît comme faisant ce que le Père ne fait pas. Comme Dieu tourne et retourne nos esprits ! Il les conduit d’ici de là, ne leur permettant de s’arrêter à aucune pensée charnelle en les agitant ainsi, il les exerce, en les exerçant il les purifie, en les purifiant il les dilate, afin de les remplir ensuite. Qu’est-ce que toutes ces paroles du Sauveur font de nous ? Que disait-il tout à l’heure ? Que dit-il maintenant ? Tout à l’heure, il nous disait que le Père montre au Fils tout ce qu’il fait ; aussi me semblait-il voir le Père agir, et le Fils le regarder ; maintenant je crois voir le contraire, c’est-à-dire, le Fils dans l’action et le Père dans le repos. « Car le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Quand le Fils exercera-t-il le jugement, sans que le Père l’exerce en même temps avec lui ? Qu’est-ce que cela vent dire, et comment le comprendre ? Vous êtes le Verbe Dieu ; moi, je ne suis qu’un homme. Vous dites « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Et moi, je lis, quelque part ailleurs, ces autres paroles tombées de vos lèvres : « Je ne juge personne, il y a quelqu’un pour rechercher et juger[553] ». De qui parlez-vous, quand vous dites : « Il y a quelqu’un pour rechercher et juger ? » Du Père, évidemment. Il recherche les injures qu’on vous fait, et il porte sur elles son jugement. Alors, comment se fait-il que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Interrogeons maintenant l’apôtre Pierre Écoutons-le nous dire dans son Epître « Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant un grand exemple, afin que vous suiviez ses traces : lui qui n’a commis aucun péché, et dans la bouche de qui le mensonge n’a pas été trouvé ; quand on le maudissait, il ne répondait point par des injures ; quand on le maltraitait, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait au pouvoir de Celui qui juge avec justice [554] ». Comment peut-il être vrai que « le Père ne juge personne, mais qu’il ait donné tout jugement au Fils ? » Nous voilà dans l’embarras, dans un embarras qui nous fera suer, et, en nous faisant suer, nous purifiera. Efforçons-nous, avec l’aide de Dieu, de découvrir le sens profondément mystérieux de ces paroles. En voulant discuter et scruter les paroles de Dieu, nous agissons peut-être avec témérité. Mais pourquoi les a-t-il prononcées ? N’est-ce pas afin que nous en sachions la portée ? Pourquoi ont-elles retenti à nos oreilles ? N’est-ce pas afin que nous les entendions ? Pourquoi les avoir écoutées, si ce n’est pour les comprendre ? Que Dieu nous fortifie donc, et qu’il nous accorde l’intelligence dans la mesure qui lui semble convenable, et si nous ne pouvons encore puiser à la source, puissions-nous, du moins, nous désaltérer à un petit ruisseau ! Jean lui-même nous tiendra lieu de ce ruisseau, car il est allé puiser à la source ; il a fait descendre le Verbe du haut du ciel jusqu’à nous : il l’a abaissé, et, en quelque sorte, terrassé. Nous n’avons plus, par conséquent, à redouter ses grandeurs ; il s’est humilié, approchons-nous donc de lui.
13. Il y a certainement une manière vraie et solide de comprendre ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » : puissions-nous la bien saisir ! Voici la raison pour laquelle elles ont été prononcées ; c’est qu’au jugement le Fils seul apparaîtra aux regards des hommes. Le Père se cachera, et le Fils se montrera. Comment se montrera-t-il ? Dans la forme avec laquelle il est monté au ciel. Comme le Père, il se dérobera à la vue dans sa forme de Dieu, mais il se manifestera dans sa forme d’esclave. « Donc, le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils », tout jugement public, cela s’entend. Dans ce jugement public, ce sera le Fils qui jugera, parce qu’il se fera voir à ceux qu’il devra juger. L’Écriture nous enseigne, de manière à nous enlever jusqu’à l’ombre d’un doute, qu’alors il se manifestera à tous les yeux. Quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel en présence de ses disciples, et un ange vint leur dire : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux ? Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel en reviendra de la même manière que vous l’y avez vu monter[555] ». En quel état l’y voyaient-ils aller ? Dans ce corps qu’ils avaient touché et palpé, dont ils avaient contrôlé les cicatrices, avec lequel il pénétrait au milieu d’eux et sortait de leur assemblée pendant quarante jours, se montrant à eux en toute vérité, sans supercherie, non pas comme une ombre, un fantôme ou un esprit, mais tel qu’il dit lui-même, d’accord avec la réalité : « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai[556] ». Ce corps est digne d’habiter le ciel, car il n’est plus exposé aux atteintes de la mort, ni aux vicissitudes des différents âges. Pour parvenir à l’état où il se trouvait alors il avait dû traverser la distance qui sépare l’enfance de la jeunesse, mais il ne parcourra pas l’espace qui se trouve entre la jeunesse etla vieillesse : il restera tel qu’il était au moment de son ascension, et il reviendra tel vers ceux auxquels il a voulu faire prêcher sa parole avant son retour. Il apparaîtra donc dans sa forme humaine : cette forme se montrera même aux regards des impies ; ceux qui seront placés à droite, et ceux qui seront placés à gauche le verront également cela est écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé[557] ». Puisqu’ils doivent voir celui qu’ils ont percé, ils verront donc ce même corps qu’ils ont frappé avec une lance ; car une lance n’a pu blesser le Verbe : les impies seront donc à même de contempler ce qu’ils ont été capables de blesser. Ils ne verront pas le Dieu qui sera caché sous la forme humaine ; niais, après le jugement, il se fera voir à ceux qu’il aura placés à sa droite. Voici donc le sens de ces paroles : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ». Le Fils viendra publiquement juger les hommes : alors, il leur apparaîtra sous sa forme humaine et dira à ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de mon royaume » ; et à ceux qui se trouveront à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges [558] ».
14. Le Sauveur se fera donc voir, dans sa forme d’homme, aux fidèles et aux impies, aux justes et aux pécheurs, à ceux qui auront eu la foi et à ceux qui ne l’auront pas eue, à ceux pour lesquels sa présence sera un sujet de joie, et à ceux dont elle fera le désespoir, à ceux qui auront mis en lui leur confiance, et à ceux que le jugement aura couverts de confusion : on le verra donc comme homme. Et quand il se sera ainsi montré sur son tribunal, quand la sentence aura été prononcée et que se sera vérifiée cette parole : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils » ; car le Fils apparaîtra au jugement dans la forme qu’il a empruntée à notre nature, alors qu’arrivera-t-il ? Quand se montrera-t-il dans sa forme de Dieu, que tous les saints brûlent de contempler ? Quand verront-ils ce qui était au commencement, c’est-à-dire le Verbe, le Dieu en Dieu, par qui toutes choses ont été faites ? Quand apercevront-ils cette forme de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu [559] ? » Qu’elle est admirable, cette forme divine, puisque malgré sa forme humaine le Fils n’a pas cessé d’être égal au Père ! Elle est ineffable et incompréhensible, surtout pour les petits. Quand la verra-t-on ? Voilà les justes placés à droite, et les pécheurs à gauche ; tous aperçoivent le Christ-homme, le Fils de l’homme qui a été percé, crucifié, humilié, et qui est né d’une Vierge ; ils contemplent l’Agneau de la tribu de Juda. À quel moment contempleront-ils le Verbe, Dieu en Dieu ? Au jugement, il sera le Fils du Tout-Puissant, mais la forme seule de l’esclave se manifestera en lui. Aux esclaves il montrera sa forme d’esclave, et sa forme divine aux enfants de Dieu. Que les esclaves deviennent donc enfants du Très-Haut ; que ceux qui se trouvent à droite, entrent en possession de l’héritage éternel, de cet héritage depuis si longtemps promis, à l’existence duquel les martyrs ont cru avant de le voir, pour l’acquisition duquel ils ont, sans hésiter, versé tout leur sang, parce qu’il était promis à leurs efforts : qu’ils entrent dans cet héritage, ils y contempleront l’objet de leurs désirs. Quand pourront-ils y entrer ? Le Sauveur va lui-même nous l’apprendre : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle[560] ».
15. Jésus vient de prononcer le nom de la vie éternelle. Nous a-t-il dit que, au sein de cette vie éternelle, nous verrons et connaîtrons le Père et le Fils ? Mais à quoi nous servirait de vivre toujours, si nous ne devions point en même temps les voir ? Écoute : voici un autre passage où le Christ parle de la vie éternelle et nous dit avec précision en quoi elle consiste. Ne crains rien, je ne veux point t’induire en erreur ; ce n’est pas sans motif que j’ai fait cette promesse à ceux qui m’aiment : « Celui qui a mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime. Or, celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; je l’aimerai aussi, et je me manifesterai à lui[561] ». Répondons au Seigneur, et disons-lui : Seigneur notre Dieu, qu’y a-t-il en cela de si grand, de si merveilleux ? Vous vous montrerez à nous ? Eh quoi ? Ne vous êtes-vous pas fait voir même aux Juifs ? Ceux qui vous ont crucifié ne vous ont-ils pas aussi contemplé de leurs yeux ? Vous vous manifesterez à nous, quant au jour du jugement vous nous placerez à votre droite : ceux mêmes qui se trouveront à votre gauche ne vous apercevront-ils pas ? Que signifie cette promesse de vous manifester à nous ? Ne vous voyons-nous pas, maintenant que vous nous parlez ? Le Sauveur nous répond : Vous voyez aujourd’hui ma forme d’esclave, je me manifesterai plus tard à toi dans ma forme divine. Je ne te tromperai point, ô homme fidèle ; crois-le bien, tu me verras. Tu m’aimes sans me voir ; supposes-tu que ton amour pour moi ne te méritera pas le privilège de me contempler ? Aime-moi, et persévère dans mon amour ; je ne le frustrerai point, moi qui ai purifié ton cœur. Pourquoi l’ai-je purifié, sinon afin qu’il pût contempler Dieu ? En effet, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu [562] ». Mais le serviteur ne s’arrête pas là ; il discute en quelque sorte avec le Sauveur et lui réplique Vous n’avez pas dit cela d’une manière expresse, dans ce passage. « Les justes iront à la vie éternelle » ; car vous n’avez pas dit : Ils y entreront pour m’y contempler dans la forme de Dieu, et y voir le Père dont je suis l’égal. Remarque ce qu’il a dit en un autre endroit : « C’est la vie éternelle de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé [563] ».
16. Après le jugement dont nous venons de parler, et que le Père a donné au Fils parce qu’il ne juge lui-même personne, qu’arrivera-t-il ? Que lisons-nous ensuite ? « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». Les Juifs honoraient le Père, et méprisaient le Fils ; car ils considéraient le Fils comme un esclave, et honoraient le Père comme un Dieu. Alors, on verra le Fils égal au Père ; car il se montrera tel, « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Pour le moment, nous en sommes encore à le croire. Que le juif ne dise pas : J’honore le Père ; mais qu’y a-t-il de commun entre le Fils et moi ? – Le Christ va lui répondre. « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore point le Père ». – Tu dis un affreux mensonge : tu blasphèmes le Fils, et tu fais injure au Père. Car le Père a envoyé son Fils, et tu méprises celui qui l’a envoyé, Comment peux-tu dire que tu respectes l’envoyeur, quand tu blasphèmes son envoyé ?
17. Voilà un fait, dira quelqu’un : c’est que le Fils a été envoyé : le Père est donc plus grand que lui, puisqu’il l’a envoyé. – Arrière toute pensée charnelle ! Le vieil homme ne songe qu’à des vieilleries : mais toi, sache donc reconnaître la nouveauté dans l’homme nouveau. Cet homme nouveau pour toi, c’est l’Ancien des jours, le Perpétuel, l’Éternel qu’il daigne te ramener à la saine appréciation des choses ! Le Fils serait-il inférieur au Père, par ce fait qu’on le dit envoyé par le Père ? Il s’agit de mission, et non point de séparation. – Mais pourtant, continue-t-on, les usages de la vie nous l’apprennent : celui qui envoie est supérieur à l’envoyé. – Les choses humaines obscurcissent l’œil de notre âme, et les choses divines le rendent plus clairvoyant. Fais abstraction de ce qui se passe en ce monde, où celui qui donne une mission semble plus grand que celui qui la reçoit. D’ailleurs, remarque-le : il est des circonstances de la vie qui plaident contre toi. Ainsi, quand un homme veut demander femme, et qu’il ne peut le faire par lui-même, il charge de cette commission un ami plus influent que lui. Ce n’est pas, à beaucoup près, le seul cas où l’on choisisse unie personne d’un rang supérieur à celle qui l’envoie. Pourquoi alors t’appuyer sur ce faux prétexte que le Père a envoyé le Fils, et que celui-ci n été envoyé par le Père, pour conclure contre le Fils ? Le soleil envoie ses rayons, mais il ne s’en sépare pas : la lune envoie sa lumière, mais lui reste unie ; une lampe projette son éclat, sans faire scission avec lui : en ces différents cas, je vois bien une émission ; mais, nulle part, je n’aperçois de séparation. Hérétique vaniteux ! Tu veux trouver ici-bas des exemples pour y appuyer ton erreur ; je te l’ai dit tout à l’heure : en maintes circonstances, les choses humaines se déclarent contre toi et te condamnent ; mais enfin, considère la différence qui se trouve entre les choses divines et les choses humaines parmi lesquelles tu voudrais trouver un exemple. L’homme qui envoie demeure à sa place, et celui qui est envoyé s’en va l’envoyeur marche-t-il avec son envoyé ? Pour le Père, qui a envoyé le Fils, il ne s’en est jamais séparé. Écoute le Sauveur : voici ses propres paroles : « L’heure viendra où vous serez dispersés chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul : cependant, je ne suis pas seul, car mon Père est avec moi[564] ». Comment le Père a-t-il envoyé le Fils, puisqu’il est venu avec lui ? Comment l’a-t-il envoyé, puisqu’il ne s’en est jamais séparé ? Le Christ a dit ailleurs : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais[565] ». Le Père se trouve donc dans le Fils, et il y agit. L’envoyeur ne s’est point séparé de l’envoyé, parce que tous les deux ne font qu’un.

VINGT-DEUXIÈME TRAITÉ.

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DEPUIS CES PAROLES : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS : CELUI QUI ÉCOUTE MES PAROLES ET CROIT À CELUI QUI M’A ENVOYÉ, À LA VIE ÉTERNELLE », JUSQU’A CES AUTRES : « PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI M’A ENVOYÉ ». (Chap. 5,24-30.)

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LE CHRIST, VIE ET RÉSURRECTION.

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Écouter le Sauveur et croire à sa parole, c’est la condition requise pour parvenir à la vie spirituelle, qui est la véritable vie, et ne pas être soumis à un jugement de condamnation. La vie spirituelle consiste dans la justice et la charité ; le moment d’y arriver dure depuis l’avènement du Christ et durera jusqu’à la fin du monde. Jésus-Christ en est la source, car il la possède en lui-même, et non par emprunt. Quant à la résurrection des corps, il l’opérera plus tard, et, alors, il jugera les hommes suivant les règles de la justice éternelle, et la volonté de son Père.


1. À la suite du passage de l’Évangile, qui a servi de texte à nos discours d’avant-hier et d’hier, vient celui qu’on nous a lu aujourd’hui nous allons traiter, l’une après l’autre, les différentes parties de cette leçon, non pas, sans doute, aussi bien qu’elles le mériteraient, niais, du moins, selon la mesure de nos forces : car, en ce qui vous concerne, il vous est impossible d’absorber toutes les eaux qui découlent de cette source si pure ; vous n’en pouvez prendre qu’en raison de votre capacité. Nous ne pouvons nous-même, dans les instructions que nous vous adressons, vous communiquer tous les enseignements qui proviennent de là ; nous en sommes réduits à vous dire ce que nous sommes à même d’y puiser : les accents de notre voix parviendront donc jusqu’à vous : plaise à Dieu d’adresser à vos cœurs des leçons plus étendues que celles qui retentiront dans vos oreilles. Nous ne sommes pas grand ; nous sommes, au contraire, singulièrement petit, et, néanmoins, il nous faut traiter de bien grandes choses ; mais nous avons tout espoir et toute confiance en celui qui, malgré sa grandeur, s’est fait petit pour nous. Il nous serait impossible d’arriver à saisir quelque chose de sa divinité, s’il n’avait pris lui-même notre condition mortelle et n’était descendu jusqu’à nous pour nous faire entendre le langage de son Évangile ; il est donc indispensable qu’il nous exhorte et nous invite à le comprendre, qu’il ne nous abandonne pas en raison de notre bassesse ; aussi a-t-il voulu entrer avec nous en participation de ce qui se trouve en nous d’abject et de moindre : sans cela, nous serions autorisés à croire que celui qui s’est abaissé jusqu’à notre infirmité n’a point voulu nous communiquer sa grandeur. En parlant ainsi, j’ai voulu prévenir, chez les uns, la tendance à me reprocher comme une audace téméraire la tâche que j’entreprends de vous expliquer ce passage, et, chez les autres, la crainte désolante de ne point saisir, même avec la grâce de Dieu, les paroles que son Fils a bien voulu leur adresser. Il nous a parlé : nous devons donc le croire, sa volonté est que nous comprenions ce qu’il nous dit si nous sommes dans l’impossibilité de le faire, prions-le, et il nous accordera cette faveur, puisque sans en avoir été prié, il nous a accordé celle de sa parole.
2. Voici le passage mystérieux qui doit nous occuper, écoutez-moi attentivement : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». C’est chose indubitable, nous tendons tous à la vie éternelle, et, malgré cela, le Sauveur dit : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle ». A-t-il voulu que nous entendions sa parole sans la comprendre ? Il est certain que si l’on acquiert la vie éternelle en écoutant et en croyant la parole de Dieu, on y arrive plus sûrement encore en saisissant cette même parole. Pour avancer dans la piété, il faut la foi, et le fruit de la foi n’est autre que l’intelligence, et par l’intelligence on parvient à la vie éternelle au sein de cette vie, on ne nous lira pas l’Évangile ; abstraction faite de ce livre sacré, de toute lecture et de toute interprétation, celui qui nous a donné, pour la vie présente, son Évangile, apparaîtra aux yeux de tous ses fidèles réunis, dont le cœur aura été purifié, et dont le corps, désormais immortel, n’aura plus à craindre les atteintes du trépas : alors, il les rendra tout à fait purs et les éclairera, et ils vivront, et ils verront « le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu ». Maintenant donc, considérons ce que nous sommes, pensons à ce qu’est celui qui va nous parler. Le Christ est Dieu, et il parle à des hommes : il veut en être compris, qu’il les eu rende capables ; il veut en être vu, qu’il ouvre leurs yeux. Ce n’est point sans motif qu’il s’adresse à nous, car rien de plus réel que ce qu’il nous promet.
3. « Celui », dit le Sauveur, « qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle et ne passera point en jugement ; mais il passe de la mort à la vie ». Où et quand passons-nous de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement ? En ce monde, on passe de la mort à la vie ; en cette vie, qui n’est point encore la véritable, on passe de la mort à la vie. En quoi consiste ce passage ? « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé ». En gardant ces paroles, tu y crois et tu passes. Peut-on passer sans changer de place ? Certainement. Le corps garde sa place, et l’on passe spirituellement. Où était-on, pour s’éloigner, et où passe-t-on ? On passe de la mort à la vie. Imagine-toi qu’un homme se trouve ici, en qui se réalise ce que nous disons. Il est là, il écoute n peut-être ne croyait-il pas encore ; mais en entendant, il croit : tout à l’heure, il n’avait pas la foi, il l’a maintenant : il est, en quelque manière, sorti du pays de l’infidélité, pour entrer dans la région de la foi n son corps est demeuré immobile, son cœur seul est changé de place en ce sens qu’il s’est porté au bien : ceux, en effet, qui s’écartent de la règle de la foi, ne se portent-ils pas au mal ? Voilà comment en cette vie, qui n’est pas, je l’ai dit, la véritable, on passe de la mort à la vie, de manière à ne pas entrer en jugement. Pourquoi ai-je dit que cette vie n’est pas encore la vie ? C’est que, si elle était la vie, le Sauveur n’aurait pas dit à quelqu’un : « Si tu veux parvenir à la vie, garde les commandements [566] ». Il n’a pas dit : Si tu veux parvenir à la vie éternelle ; il n’a pas ajouté le mot : éternelle ; il s’est borné à dire : « la vie ». Cette vie-ci ne mérite donc pas d’être appelée la vie, parce qu’elle n’est point la véritable vie. Quelle est la véritable vie, sinon la vie éternelle ? Écoute l’Apôtre ; voici ce qu’il dit à Timothée : « Ordonne aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d’être charitables et bienfaisants, riches en bonnes œuvres ; de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens aux pauvres ». À quoi bon tout cela ? Écoute ce qui suit : « De se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie [567] ». Puisque les riches doivent se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable, la vie dont ils sont aujourd’hui en possession est donc une vie fausse. Car, pourquoi vouloir embrasser la véritable vie, si déjà tu la possèdes ? Tu veux embrasser la vraie vie ? Il te faut donc sortir de la vie fausse. Par où passer ? Où aller ? Écoute et crois, et tu effectues le passage de la mort à la vie, et tu n’entres pas en jugement.
4. Que veulent dire ces paroles : Et tu ne viens pas au jugement ? Peut-il y avoir quelqu’un de meilleur que l’apôtre Paul, qui disait : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps [568] ? » Paul a dit : « Nous devons tous comparaître au tribunal de Jésus-Christ » ; et toi, tu oses te promettre de ne pas venir au jugement ? – Dieu me préserve d’oser me promettre de moi-même un tel privilège : mais je crois à la parole de celui qui me l’a promis. C’est le Sauveur qui parle ; c’est la Vérité qui promet ; car le Christ m’a dit : « Celui qui écoute mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il passe de la mort à la vie, et il ne viendra pas en jugement ». J’ai donc entendu les paroles de mon Seigneur, et j’y ai cru : d’infidèle que j’étais, je suis devenu fidèle : suivant l’avis qu’il m’en a donné, je suis passé de la mort à la vie, et je ne viens pas au jugement ; et si je m’exprime ainsi, ce n’est point par l’effet de ma présomption, mais en conséquence des promesses de mon Sauveur. – Paul parle donc d’une manière différente de celle du Christ ? Le serviteur se met donc en contradiction avec son Seigneur, le disciple avec son maître, et l’homme avec Dieu ? Le Christ n’a-t-il pas dit, en effet : « Celui qui écoute et qui croit, passe de la mort à la vie, et ne viendra pas au jugement ? » D’un autre côté, à entendre l’Apôtre, « ne faut-il pas que nous comparaissions tous au tribunal de Jésus-Christ ? » En vérité, si celui-là ne vient pas en jugement, qui comparaît devant un tribunal, c’est à n’y plus rien comprendre.
5. Le Seigneur notre Dieu nous révèle et nous enseigne par ses Écritures dans quel sens nous devons entendre le mot jugement, dont il se sert. Veuillez, je vous prie, me prêter toute votre attention. Parfois le jugement s’entend dans le sens de punition, et parfois dans celui de discernement. C’est en ce dernier sens qu’il est employé dans ce passage : « Il faut que nous comparaissions tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps ». Distribuer des récompenses aux bons et des punitions aux méchants, voilà lien en quoi consiste le discernement. Si le mot jugement devait toujours être pris en mauvaise part, le Psalmiste n’aurait pas dit : « Seigneur, jugez-moi ». À entendre ces paroles du Prophète : « Jugez-moi, Seigneur », quelqu’un s’étonnera peut-être ; car l’homme a pour habitude de dire : Que Dieu me pardonne ! Seigneur, épargnez-moi ! Mais lui a-t-on jamais entendu dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Il arrive parfois que, dans le psaume, ce verset se répète : le lecteur le dit une fois, et le peuple le chante ensuite. Ne se laisse-t-on pas effrayer ? Ne craint-on pas de s’adresser à Dieu et de lui dire : « Jugez-moi, Seigneur ? » Non, le peuple des croyants chante ces paroles, et il ne pense nullement à se souhaiter du mal, en redisant ce qu’il a appris dans les saints livres : et quand même il ne le comprendrait point parfaitement, il suppose que ce qu’il chante est bon. Toutefois, le Psalmiste lui-même a voulu nous donner l’intelligence de ses paroles ; car il continue, et, dans le verset suivant, il nous montre de quel jugement il a parlé : il a fait allusion, non pas au jugement de condamnation, mais à celui de discernement. Il dit effectivement : « Jugez-moi, Seigneur ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi, Seigneur ? Et séparez ma cause de celle d’une nation impie ». C’est donc pour ce jugement de discrétion que « nous devons comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ ». Pour le jugement de condamnation, c’est de lui qu’il s’agit dans ce passage : « Celui qui écoule mes paroles et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et il ne viendra pas au jugement, mais il passe de la mort à la vie ». Que veut dire : « Il ne viendra pas au jugement ? » Il ne sera pas condamné. Prouvons, d’après les Écritures, que le mot jugement a été employé dans le sens de punition : vous le verrez tout à l’heure ; dans la suite même de la leçon qui nous occupe, ce mot n’a été employé qu’avec le sens de condamnation et de punition[569]. Ecrivant à ceux qui profanaient le corps que vous connaissez en qualité de fidèles, l’Apôtre dit quelque part, qu’à cause de leur sacrilège, ils étaient frappés de la main de Dieu. Voici en quels termes il s’exprime : « C’est pourquoi il y en a beaucoup parmi vous qui sont malades et languissants, et plusieurs dorment profondément ». C’est pourquoi, aussi, beaucoup d’entre eux mouraient. Il ajoute : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu » ; ou, en d’autres termes : Si nous nous corrigions nous-mêmes, Dieu ne nous corrigerait pas. « Mais lorsque nous sommes jugés, c’est Dieu qui nous reprend, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde [570] ». Il en est donc que Dieu juge ici-bas, c’est-à-dire qu’il punit afin de les épargner dans l’autre monde : il y en a d’autres qu’il épargne dans la vie présente, pour les punir plus sévèrement dans l’avenir : d’autres, encore, éprouvent de grandes peines sans être punis néanmoins, lorsque les châtiments de Dieu n’ont pu les amener au repentir ; ils ont méprisé, sur la terre, les sévères leçons de leur Père céleste, aussi subiront-ils l’arrêt de condamnation qu’il prononcera contre eux, lorsqu’il sera leur juge. À la fin du monde, il y aura donc un jugement où Dieu, c’est-à-dire le