« Plus à me frapper on s’amuse,
« Tant plus de marteaux on y use. » « Tant plus (Théodore de Bèze)
tome premier
PARIS
librairie ab. cherbuliez et Cie
rue de tournon, 17.
genève, même maison.
1841
j’ai dédié cet ouvrage
à la mémoire
des pasteurs français du désert,
qui au milieu des proscriptions et des martyres,
soutenus par la main de dieu,
ont défendu la liberté religieuse
et restauré
le culte évangélique
au dix-huitième siècle,
dans les églises réformées de notre patrie.
C. C.
PRÉFACE.
Cette histoire est rédigée en grande partie d’après des
pièces manuscrites et inédites. En la publiant, j’accomplis
un dessein conçu depuis plusieurs années, et que des
occupations d’un autre genre m’avaient obligé de remettre.
Je n’aurais jamais songé à l’entreprendre, si je n’eusse
été favorisé dans mes recherches par une circonstance
que je ne puis appeler fortuite, puisqu’elle est le résultat
d’une longue amitié. Mme Rabaut-Pomier, veuve du second
fils de l’illustre pasteur du désert Paul Rabaut, et belle-sœur
de Rabaut Saint-Étienne, voulut bien me confier
tous les manuscrits et les lettres de sa famille. On sait
combien le nom de Rabaut est resté cher à tous les amis
de la liberté, comme à tous les fidèles des églises réformées
françaises. C’est en quelque sorte le dépouillement
de cette volumineuse collection de manuscrits que j’offre
aujourd’hui au public.
Dès que je me vis en possession de ces richesses historiques,
je songeai à les augmenter. Je fis des démarches
auprès de plusieurs de mes amis qui voulurent bien s’y
porter efficacement, tant pour la cause de l’histoire en
général, que pour l’intérêt spécial des églises où ils déploient
leur zèle évangélique. Je dois citer spécialement
M. Soulier, ancien pasteur ; MM. les pasteurs Durand,
Massé, Lanthois, Lombard, Vors, E. Frossard ; tous
m’ont procuré beaucoup de pièces intéressantes. J’éprouve
le regret de ne parler ici que du souvenir de ma reconnaissance envers plusieurs amis que nous avons perdus
assez récemment, qui m’avaient aussi remis des porte-feuilles
de pièces ou de lettres ; je songe, sous ce rapport,
à mes anciens amis les pasteurs P.-H. Marron,
A. Sabonadière ; et aussi à M. de Végobre, juge au tribunal
de Genève.
Les pièces historiques et personnelles de Paul Rabaut,
surtout sa vaste et précieuse correspondance avec les pasteurs
du désert, sont très abondantes, spécialement de
1750 à 1775. Ce sont des actes de synodes provinciaux
ou nationaux ; des requêtes au roi, aux ministres, aux
intendants ; des brouillons de lettres adressées aux diverses
autorités administratives et ecclésiastiques ; des mémoires
apologétiques en faveur des églises du désert ; des listes
de condamnés pour la foi ; des carnets ou journaux de
notes concernant ses démarches privées ou les dangers de
son ministère ; des récits plus ou moins développés sur
les événements religieux les plus marquants du Languedoc.
La correspondance de Paul Rabaut se compose de
toutes les lettres que ses collègues du désert lui adressaient
journellement, dès qu’ils se trouvaient dans une position difficile, ce qui formait leur vie de tous les jours.
On voit bien vite en la lisant que pendant de très-longues
années Paul Rabaut fut le centre et l’âme des affaires des
églises du désert, non seulement pour le midi de la
France, mais aussi pour les autres portions du pays.
Dès que Mme Rabaut-Pomier m’eut remis ces pièces
et dès que j’eus terminé le travail assez considérable de
leur classement, nous convînmes, mon ancienne amie et
moi, que la destinée naturelle de ces documents était
d’appartenir un jour au public des églises réformées.
C’est une volonté commune que j’accomplirai, en ayant
soin que les manuscrits de la collection Paul Rabaut,
grossis des autres pièces que j’ai reçues de mes amis,
soient placés dans un établissement national et public de
nos églises françaises, pour y être conservé à toujours.
Je saisirai même cette occasion pour rappeler à toutes
les personnes que l’histoire du désert intéresse, nos obligations
envers une période si mémorable et si inconnue
des annales des protestants français ; toute lettre, tout
acte, toute pièce historique quelconque a de l’importance
et doit être placée dans un dépôt public. Cette précaution
est d’autant plus un véritable devoir, qu’il existe,
comme tout le monde sait, très-peu de mémoires ou de
livres imprimés sur l’histoire des églises françaises du
désert pendant tout le dix-huitième siècle. On trouvera à
la fin de ce volume une description sommaire de la série
des manuscrits dont j’ai profité pour cette première partie
de mon travail. Je ferai connaître ensuite le reste de mes
ressources manuscrites, tant celles de ma collection que
celles des autres collections où j’aurai pu puiser.
On voit en conséquence que tout l’intérêt de ce livre réside dans les citations de nos pièces manuscrites. J’en
ai fait le plus que j’ai pu, par devoir et aussi par inclination.
Il me semble que l’histoire existe avant tout dans
les faits, dans les actes officiels et dans les impressions
des contemporains.
Je dois dire un mot sur le genre et l’esprit de ce travail
historique touchant une période si intéressante et
encore si peu connue. On ne trouvera point ici de traces
des théories dites philosophiques, que tant d’écrivains appliquent
aujourd’hui si facilement à l’histoire. J’ai voulu
raconter les faits, et je n’ai point toujours réussi à me
les expliquer à moi-même. J’envie beaucoup la bonne
fortune de ceux qui connaissent les lois de l’humanité en
général. En particulier, j’admire plus encore la position
de ceux, qui ont découvert ce qu’on appelle de nos jours
la mission providentielle, fatale et européenne de la France.
J’ignore tout cela. Mais je vois très-clairement, en me
bornant à l’histoire restreinte que j’ai étudiée, qu’une
foule de choses auraient pu être faites autrement et bien
mieux ; je vois qu’une foule de choses très-mauvaises et
continuées très-longtemps auraient pu être évitées ; je vois
surtout que la véritable et saine opinion publique ne fut
presque jamais consultée dans notre patrie, et que dans les
deux derniers siècles, très-souvent, la France a laissé aller
les choses et s’est peu mêlée de ses propres affaires ;
de sorte que des mesures très-considérables ont été prises
sans son aveu ; ce dont les siècles de Louis XIV et de
Napoléon offrent des exemples trop évidents. Cependant,
ce côté indubitable des choses que l’on expliquera bien ou
mal, n’est pas uniquement triste. On voit, par ces derniers
temps, comme par l’étude des précédents siècles, que toutes les fois que la France, en la personne de
représentants librement choisis et délibérants, a été consultée,
alors son avis a été sage, humain et avancé parmi
les autres nations. En France, la voix du peuple aurait
pu être la leçon et le salut des rois, et si on l’eût écoutée
régulièrement et fréquemment, elle eût réformé les abus
sans convulsions et sans catastrophes sanglantes.
Ces considérations ne sont point déplacées dans notre
préface. En contemplant, dans les annales des églises du
désert, l’un des plus inconcevables abus de l’ancien régime,
les citoyens seront portés à apprécier plus encore le régime
constitutionnel et parlementaire, qui fait désormais
partie de notre droit public, et dont les principes étaient
dans les vœux de la France depuis quatre cents ans au
moins.
La tolérance absolue, la liberté de conscience, l’égalité
des cultes devant la loi, sont des maximes, il faut
l’espérer, définitivement conquises et assurées aujourd’hui.
Aussi les Français catholiques de nos provinces méridionales
qui virent tant de persécutions autrefois, les catholiques
du Languedoc, ne songent plus qu’à rivaliser de
patriotisme et de lumières avec leurs frères de la religion
protestante. Les deux clergés unissent leurs efforts pour
le progrès des populations. Ainsi les souvenirs que notre
ouvrage réveille et qu’on ne saurait supprimer qu’en supprimant
l’histoire, feront mieux ressortir les bienfaits et
les avantages immenses de cet amour des concitoyens d’une
même patrie, et de cette charité mutuelle, sans laquelle il
n’y a de christianisme dans aucune secte ni dans aucune
église. Quant à ce qui touche aux églises réformées de
France, quant à ces églises, dont la marche dans le désert fut si longue et si orageuse avant d’aboutir à la liberté,
il est inutile que nous disions dans quel but spécial nous
avons écrit. Il est bien inutile que nous disions quelles
idées fortifiantes pour la foi, pour le patriotisme, pour le
souvenir des aïeux, les protestants de France pourront
puiser dans les manuscrits de Paul Rabaut et dans tout ce
tableau des malheurs de leurs pères, malheurs qui sont
si complètement réparés aujourd’hui et dont il ne reste
que la gloire.
HISTOIRE
DES
ÉGLISES DU DÉSERT
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE I.
Plan de l’ouvrage. — Mort et dernières mesures de Louis XIV. — Première renaissance du culte réformé après la guerre des Cévennes, — Premières lois disciplinaires et premiers synodes.
Nous nous proposons de raconter, dans cet
ouvrage, un épisode remarquable et peu connu de
l’histoire générale de la France. Il n’entre point
dans notre plan d’indiquer les caractères de la monarchie
de Louis XIV, et moins encore de rapporter
les événements politiques et philosophiques du
xviiie siècle, qui commença par la guerre des Camisards
des Cévennes et qui se termina par les luttes
bien autrement fondamentales de la démocratie de
1789. Le jour viendra sans doute où des historiens
consciencieux et doués de beaucoup de patience
auront le courage de surmonter le dégoût des frivolités
de cour et du règne des maîtresses, depuis la régence jusqu’à Louis XVI, afin de découvrir sous
tant d’abus et tant de dissipations guerrières ou voluptueuses,
les véritables sentiments des peuples et cet
instinct profond d’améliorations et de réformes qui
s’était emparé des esprits éclairés dans presque toutes
les classes sociales. Ils auront à dépeindre une position
peut-être sans précédent dans l’histoire, celle
d’une nation où les idées et les mœurs avaient tellement
dépassé les lois civiles et politiques, que dès
que les états-généraux, si longtemps oubliés, proclamèrent
le vœu national, toute l’ancienne organisation
s’écroula en un jour. On avait vu les peuples
de l’antiquité et les nations chrétiennes améliorer
avec plus ou moins d’impatience leurs coutumes et
leurs lois ; il était réservé à l’impétuosité française de
raser les fondements mêmes d’une société. Nous
n’avons point le dessein d’entrer dans ces questions ;
c’est seulement un côté du tableau qui sera traité
dans ces pages. Parmi les points divers, touchant
lesquels il y avait divorce entre les idées d’une part,
les lois judiciaires et les édits d’administration d’autre
part, au sein de la France du xviiie siècle, ceux de
la tolérance et de l’égalité religieuse figuraient au
premier rang. Il s’agit de savoir quel était, après la
révocation de l’édit de Nantes, après ses lois barbares,
et ses nombreuses émigrations, l’état des églises
qui n’avaient pu se résoudre à l’exil. Il s’agit de
savoir ce que firent les calvinistes dans les derniers
jours du grand roi et sous la monarchie dissipée,
mais presque philosophique, de Louis XV. C’est le
sort d’une portion très-notable des habitants du
royaume à cette époque, c’est, en un mot, le sort des
citoyens protestants français au xviiie siècle de notre
monarchie que nous venons expliquer.
Nous serons bien obligés d’écrire d’après des manuscrits
et sur des pièces inédites et secrètes ; car
toute cette portion de la société française était alors
proscrite. Son existence même était déniée par la loi.
Elle n’avait ni ministres protégés, ni écoles, ni temples,
ni établissements, ni littérature nationale d’aucun
genre. La terre d’exil avait reçu ses savants, ses
théologiens, ses orateurs, ses philosophes. Tout un
code d’édits, qui nous paraissent maintenant sauvages,
pesait sur elle. Ses réclamations perpétuelles
ne pouvaient se faire jour qu’en dehors de la légalité.
Ses nombreux rapports et correspondances avec
le gouvernement ne pouvaient être qu’indirects et
mystérieux. Cependant elle ne cessa de durer et de
fleurir. Un sentiment où la piété donnait toute sa ferveur
au bon droit, qui fut tantôt alimenté et tantôt
contenu par une foule d’hommes courageux et vraiment
évangéliques, sauva ces troupeaux des ravages
d’une persécution constante de plus de cent ans de
durée. Après de longues années d’une lutte plus ou
moins vive et cruelle, les églises réussirent à gagner
les années heureuses de Louis XVI, où enfin, l’administration
et les parlements, malgré les instances
du clergé, reculèrent devant l’application des édits
de Louis XIV et finirent tardivement par s’en
dépouiller tout à fait.
Jusque-là, c’est-à-dire aussi tard que la fin de l’an
1787, toute qualité de protestant français, ministre
ou laïc, et tout exercice de culte, était nul ou était
sévèrement prohibé par la législation, au milieu de
laquelle, toutefois, ces églises existaient en nombre
considérable. C’est cette situation qu’on a autant de
peine aujourd’hui à comprendre qu’à définir ; c’est ce
code d’antithèses et de contradictions ; c’est cette existence de communautés illégales et vivantes, souterraines
et victorieuses, que nous entreprenons de
raconter. Nous tâcherons d’écrire fidèlement, sans
amertume, mais sans indifférence. Nous ne serons
froids ni devant le mal, ni devant le bien. Surtout
nous bannirons de notre étude historique une pensée
fausse et souvent invoquée du poète Lucrèce ;
nous reportant aux malheurs d’un siècle passé, parvenus
à un tranquille rivage, nous ne pourrons nous
résoudre, même par le souvenir, à contempler sans
émoi ceux qui furent si longtemps battus par la tempête.
D’ailleurs, les caractères généraux de la position
de ces églises peuvent être indiqués en peu de mots.
Trois époques principales divisent l’histoire des protestants
de France. La première fut celle qui commença
sous François Ier et Henri II, lorsque ces souverains,
sans véritables vues politiques, laissèrent
échapper l’occasion si bien avouée plus tard par le
cardinal de Sainte-Croix, de faire de la France une
nation protestante ; ce qui eût donné au système parlementaire
et représentatif parmi nous une antiquité
de près de trois siècles et eût amené des conséquences
immenses pour la liberté, l’industrie, la
puissance et pour toutes les véritables lumières[1].
Au lieu de ce changement fécond, il y eut une lutte
sanglante de plus d’un demi-siècle, où la nationalité
faillit périr sous une ligue que Rome et les étrangers
soudoyaient ; l’héroïsme des martyrs et la bravoure
de la noblesse huguenote sauvèrent notre patrie de
l’inquisition espagnole et des procédés d’une politique
italienne dont la Saint-Barthélemy fut l’application.
Ce fut la première époque, époque de lutte et de
combats acharnés, où le seul principe de la réformation
triompha en France. Ce principe reçut bientôt
une déplorable atteinte par l’abjuration de
Henri IV, abjuration qui ajourna de deux cents ans
nos réformes politiques.
Dans le cours de la seconde époque, tandis que le
protestantisme des communes d’Angleterre produisait
des fruits si réels pour le progrès et pour la liberté
britanniques, Richelieu et Mazarin détruisirent l’aristocratie
française. Ils ruinèrent l’organisation évidemment
imprudente et prématurée de la fédération
calviniste, démocratique et représentative. Sous les
remparts de La Rochelle furent ensevelies les
espérances de nos libertés. Alors, et plus tard, le protestantisme
fleurit par sa littérature, par sa science, par
ses académies ; mais toute son importance politique
avait été anéantie. Ce fut la seconde époque de l’histoire
des protestants de France. Elle se prolongea
jusqu’au moment où Louis XIV, voulant établir le
plus profond et le plus brillant despotisme qui eût
jamais asservi un peuple éclairé, dut naturellement
commencer par proscrire tous les calvinistes, c’est-à-dire
tous ceux qui croyaient, avoir quelques droits
ou quelques opinions en dehors de la volonté absolue
du prince. Les religionnaires furent poursuivis en
même temps que la piété politiquement libérale des
écrivains de Port-Royal. Tout progrès politique fut
rendu impossible en France. La grande aristocratie
territoriale disparut. Il n’y eut bientôt plus que des
nobles aux livrées de la cour. Les Châtillon et les
Guise furent les premiers hauts valets de Louis XIV.
La féodalité, cet élément germain de toute la liberté
moderne, fut étouffée, et ses vertus se réfugièrent
dans le tiers-état. Mais la conséquence déplorable de
toutes ces mesures, c’est que la plus ancienne monarchie
de l’Europe fut précipitée un siècle plus tard
dans le volcan révolutionnaire, que de Sages réformes
et une indépendance protestante eussent immanquablement
conjuré.
La troisième époque est celle que nous entreprenons
de peindre. Elle comprend les années où cette
portion des calvinistes, qui avaient résisté à la grande
émigration de la révocation de l’édit de Nantes, en
persistant à demeurer dans la patrie, lutta pour ses
droits religieux et pour ses libertés de conscience,
avec une fermeté et une suite dont l’histoire offre
bien peu d’exemples. En lisant les pièces du temps, on voit évidemment que si les états provinciaux du
Languedoc avaient pu se garnir de leur tiers-état
protestant, sans doute alors de solides libertés politiques
se seraient élevées sur la base des libertés religieuses.
Déjà le midi de notre patrie avait autrefois
donné un semblable exemple. Sans les guerres d’extermination que les papes dirigèrent contre les Albigeois,
il est probable que la renaissance des lettres
eût éclaté deux siècles plus tôt. Alors sans doute le
bienfait d’une indépendance de ce despotisme romain,
allié fidèle des rois absolus, se fût consolidé par
l’exemple du royaume de Provence, et eût assuré à
l’Europe l’influence d’établissements politiques équitables.
Une cour brillante et polie eût remplacé la
rudesse du moyen âge. La Provence eût transformé
l’Europe par l’ascendant d’une langue élégante, d’un
ensemble d’arts et d’une littérature supérieurs à
tout ce que possédaient les contemporains, et bien
antérieurs aux vers de Pétrarque et de Dante comme
aux madones de Cimabue de Florence, et aux sculptures
des artistes de Pise. Moins heureux que les
calvinistes français du xviiie siècle et victimes d’une
affreuse croisade, les Provençaux réformés ne purent
conserver, même secrètement, leurs arts chevaleresques,
leur religion épurée et leur poésie délicieuse.
Tout périt sans retour au xiiie siècle par les massacres
d’une armée de dévots atroces ; mais les disciples
français de la réforme du xvie siècle, habitant
presque les mêmes montagnes et des plaines non
moins fertiles que l’Albigeois, purent sauver leurs
principes et leur existence, grâce aux progrès de la
civilisation, à l’influence d’un temps plus éclairé, et
à un affranchissement plus complet de la barbarie de
l’époque des croisades. Leur victoire, fruit d’une si longue persistance, forme l’objet de cet ouvrage.
Nous allons nous hâter d’arriver plus spécialement
à notre sujet, en nous bornant, pour préliminaires,
aux généralités historiques, très-superficielles mais
très-incontestables, que nous venons de poser. Nous
devons maintenant, par une transition rapide, parler
des temps immédiatement antérieurs à l’histoire des
églises du désert. Plus tard, nous donnerons l’esquisse
de la législation des conseils de Louis XIV touchant
les affaires religieuses et civiles de ses sujets protestants ;
nous dirons ensuite quel fut le premier réveil
et la première réorganisation de leur foi courageuse.
Seulement, afin de pouvoir démêler le fil de ces événements
compliqués, il convient de signaler d’abord
quelles furent les influences puissantes qui présidèrent
en France à leurs destinées et à de si longs malheurs.
La première de ces influences fut domestique, et
fut un résultat des mœurs de la cour ; la seconde,
d’un caractère plus noble, fut une conséquence
du plan politique et des idées de suprématie de
Louis XIV.
En considérant toute l’époque de la fin du
xviie siècle, où le pouvoir en France recula jusqu’au
fanatisme des Valois, on est forcé de reconnaître que
l’impulsion toute dévote que reçut alors la cour de
Versailles dut être attribuée surtout à l’influence
qu’une nouvelle maîtresse exerça sur le monarque.
Moins séduisante que ses devancières, mais beaucoup
plus habile, la veuve de Scarron fut la seule de toutes
les maîtresses de rois de France, qui réussit à confondre
la religion et la galanterie, au point de faire
changer en un nœud légitime des liaisons d’un caractère
équivoque ; ce seul fait donne la mesure de l’esprit d’une femme, dont la fortune fut si prodigieuse,
et dont la dévotion, partant d’un cœur où se
mêlaient la pruderie, l’intrigue et l’ambition, causa
des maux inouïs aux réformés du royaume. Le brave
et savant Agrippa d’Aubigné, austère ami de Henri IV,
avait été l’un des derniers caractères où se montra la
grandeur de la réforme des premiers temps. Il avait
épousé la dame de Lezay, de la maison des Lusignan,
et comme lui, zélée calviniste. M. d’Aubigné, issu de
ce mariage, homme d’assez mauvaises mœurs, épousa
Jeanne de Cardillac, laquelle accoucha dans la prison
de Niort d’un enfant, Françoise d’Aubigné ; ce fut
cette petite fille du grand d’Aubigné, qui devint la
duchesse de Maintenon et l’épouse de Louis XIV.
Son père mourut en laissant après lui de mauvaises
affaires ; les autres filles d’Agrippa d’Aubigné avaient
recueilli la jeune huguenote, leur nièce, lorsqu’un
ordre d’Anne d’Autriche vint la retirer d’entre leurs
mains. Elle fut mise dans un couvent à Paris, où elle
ne se convertit qu’après une longue résistance, vers
l’âge de quatorze ans ; encore Françoise d’Aubigné
ne voulut abandonner sa foi qu’à condition qu’on ne
l’obligeât point de croire que sa tante, Catherine
d’Aubigné, marquise de Villette, qu’elle avait vue
vivre comme une sainte, serait damnée.[2] Ce point
fut bientôt réglé, et Françoise abandonna la religion
de ses pères.
Lorsque la jeune d’Aubigné fut devenue la femme,
puis la veuve de Scarron, un esprit de dévotion
profonde ne l’empêcha pas de songer à son avenir
temporel. Soit par goût de piété, soit à cause de sa liaison avec le maréchal d’Albret, parent de Mme de
Montespan, et qui présenta la veuve de Scarron à la
favorite du jour, elle s’occupa sans relâche à convertir
sa famille à la foi catholique. Elle jeta d’abord
les yeux sur le marquis de Villette, son cousin ; mais
celui-ci, parce qu’il résistait aux obsessions, fut éloigné
de Versailles, et reçut l’ordre de faire un voyage
de long cours. La veuve de Scarron ayant fait éloigner
le père, put tout à l’aise séduire ses enfants. Elle
emmena à Saint-Germain l’une des filles, sa petite
cousine, Mme de Caylus, qui nous raconte ainsi sa
conversion. « Je pleurai d’abord beaucoup : mais je
trouvai le lendemain la messe du roi si belle, que je
consentis à me faire catholique, à condition que je
l’entendrais tous les jours et qu’on me garantirait du
fouet. C’est là toute la controverse qu’on employa et
la seule abjuration que je fis[3]. » Bientôt les deux
frères de Mme de Caylus, petits-fils par leur mère du
grand d’Aubigné, furent acquis à la foi dominante,
l’un par une charge de cornette aux chevau-légers,
et l’autre par le commandement du régiment de la
reine-dragons ; leur père suivit cet exemple, et, à ce
qu’il paraît, avec plus de conviction. Tels furent les
premiers succès qui, réunis à un esprit agréable et à
une figure distinguée, recommandèrent la veuve de
Scarron à l’amitié de Louis XIV.
Mais le grand roi eut bientôt l’occasion de mieux
profiter de son zèle. Il commençait à vieillir. Ses
amours, d’abord inspirés par la volupté, tendaient à se
purifier par des attachements dévots. Ce fut alors que
la veuve de Scarron, nommée dame d’atours de la
dauphine de Bavière, ensuite dame du palais de la 1674-1675.reine, prit le titre de Maintenon, à cause d’une terre
que le roi lui avait achetée en récompense de son
zèle pour la conversion des huguenots. Les premiers
services qu’elle rendit au roi très-chrétien consistèrent
d’abord à élever avec soin et même avec tendresse,
les nombreux enfants adultérins que Mme de
Montespan, aussi belle qu’ambitieuse, lui avait donnés.
En quelque sorte et à la fois nourrice, sage-femme,
confidente et gouvernante, Mme de Maintenon prouva
que l’ambition fait supporter tous les genres de services.
Ainsi l’empire de Mme de Montespan fut dès lors
ébranlé. À mesure que l’âge calmait les passions de
Louis XIV, en laissant croître sa dévotion, il dut se
ranger de plus en plus sous la direction d’une femme
qui joignait à un esprit solide une pruderie d’égoïsme,
entièrement analogue au caractère du monarque. Il
en résulta bientôt que l’altière Mme de Montespan,
cette favorite qui avait vu sans émotion son carrosse
passer sur le corps d’un pauvre homme au pont de
Saint-Germain, cette femme qui avait désigné Bossuet
pour gouverneur de monseigneur, et qui avait protégé
Racine et Boileau, cette femme qui avait su anéantir
le crédit de Louvois, ne put triompher de l’habileté
d’une dévote sèche et précieuse.
Enfin, Mme de Montespan se retira de la cour,
avertie par Bossuet, dont on regrette de rencontrer la
grande figure au milieu de cette affaire, et le règne
de Mme de Maintenon commence. Il suffit de ces traits
de l’élévation d’une telle reine dévote pour expliquer
quel rôle funeste elle a pu jouer au milieu des délibérations
qui amenèrent tant d’édits vexatoires ou
cruels. Ce fut la première influence, secrète et incessante,
qui agit sans cesse contre les droits et contre
le repos des protestants.
Il faut maintenant déterminer aussi fort brièvement
l’influence politique qui les accabla. Elle se dessina
surtout dans les dernières années d’un règne si brillant
aux yeux de la foule. Louis XIV eut un seul but
politique, bien appréciable et bien constant, la prédominance
sans partage de l’influence française, c’est-à-dire
de sa couronne, sur toute l’Europe. De cette
idée ambitieuse et déraisonnable, mais grande, découlait
aussi l’établissement de la religion du prince.
Vers le commencement du xviiie siècle, l’étoile victorieuse
de Louis XIV pâlit tout à coup. En acceptant
la couronne d’Espagne, héritage du faible et
irrésolu Charles II, au profit de son petit-fils Philippe,
duc d’Anjou, le monarque français avait déchiré
le traité de Ryswick, trois ans après sa signature ;
il avait prononcé ce grand mot politique : « Il n’y a
plus de Pyrénées. » Et ces paroles superbes armèrent,
1700. toute l’Europe. Cependant le roi n’avait point formé
de dessein plus vaste et d’une politique plus hardie.
Il eut l’idée de contenir la maison de Savoie, prétendant
à la succession d’Espagne ; d’abaisser la maison
d’Autriche, en excluant du trône espagnol l’archiduc
Charles, héritier des droits de la maison d’Habsbourg ;
de détruire la révolution religieuse et politique de
l’Angleterre en proclamant roi d’Angleterre et d’Irlande
le prétendant, fils de ce Jacques II, qui venait
de mourir à Saint-Germain entre les bras des jésuites,
dont les conseils l’avaient détrôné. Ainsi la France
attaquait à la fois la prééminence de l’empire catholique
autrichien et les intérêts de la ligue protestante.
Suprématie politique absolue, avec l’unité religieuse
générale, tel fut le projet gigantesque d’un monarque
que tant de victoires avaient enivré. Louis ne put résister
aux puissants intérêts que son ambition devait soulever. La funeste journée de Bleinheim, où Eugène
et Marlborough obligèrent les Français à évacuer la 1704. 13 août.Bavière, fut suivie, coup sur coup, des désastres sanglants
de Ramillies, d’Oudenarde et de Malplaquet.
Alors on vit Toulon investi ; Lille, Tournai, Douai et
Bouchain occupés ; les finances épuisées ; les troupes
sans paye et souvent sans vivres ; les peuples écrasés
d’impôts ; le commerce anéanti ; au milieu de tant
de causes de décadence une cour assidue à toutes les
minuties de l’étiquette et de la dévotion, essayant de
déguiser sous le faste une misère qui peuplait de
mendiants jusqu’aux cours de Versailles : toutes ces
causes diverses parurent plonger le roi et la nation
dans le désespoir. La tristesse du vieux monarque
augmentait toujours, bien qu’il eût essayé d’aller
« courir le cerf, » sans montrer nul changement sur
son visage, et repoussant les consolations du père
La Chaise[4]. Mais Dangeau lui-même, ce modèle des
courtisans égoïstes, ne put s’empêcher de manifester
« sa surprise et sa douleur » lorsqu’il vit M. de Biron
arriver à Versailles parce que « les ennemis lui avaient
donné congé pour un mois, » et lorsqu’il apprit que
les alliés tenaient enfermés dans Oudenarde seule
quatre mille prisonniers français et sept cents1708.
officiers. Louis XIV lui-même laissait échapper l’expression
de sa douleur, quand il s’écriait amèrement,
après la prise facile d’Exilles, « qu’il avait peine à
comprendre les Français, » Cependant le roi de France
mérita vraiment le nom de grand dans ses malheurs.
Il était déjà question de diviser la France ; on exigeait
qu’il détrônât lui-même son petit-fils Philippe V.
Alors le roi répondit en publiant ces propositions
déshonorantes et déclara qu’il périrait plutôt à la tête de la noblesse, qu’il avait tant humiliée dans les antichambres
de Versailles. Bientôt le maréchal de Villars,
commandant des troupes électrisées par un tel
1712. 24 juillet. exemple, força les lignes de Denain, que l’intrigue d’ailleurs lui avait ouvertes, et rétablit la fortune
chancelante de la France. La lassitude générale, secondée
par la futile disgrâce de Marlborough, amena
1714.des négociations, qui se terminèrent par les traités
d’Utrecht, de Rastadt et de Bâle. L’unité politique,
rêvée par Louis XIV, disparut. L’Angleterre acquit
la reconnaissance de sa dynastie nouvelle, avec Dunkerque,
qu’elle céda plus tard, et Gibraltar, qu’elle
ne céda plus : ainsi s’évanouit également le projet
de ruiner la confédération protestante. Seulement
Philippe V, d’Espagne, se donna la vaine consolation
de stipuler, en cédant la clé de la Méditerranée aux
Anglais, que tout juif ou Maure serait banni de
Gibraltar, et que la forteresse ne communiquerait
avec l’Andalousie que pour les denrées nécessaires à
la vie, de peur que ce voisinage d’hérésie n’infectât le
royaume catholique. Des publications diplomatiques
importantes, qui ont eu lieu récemment, ont dévoilé
les petites causes de ce grand avortement, en même
temps qu’elles ont établi la portée des projets de la
France. Mais ce fut grâce aux victoires de cette ligue
vengeresse, qui comptait tant d’officiers et tant de
soldats levés dans les rangs des réfugiés, que la monarchie
de Louis XIV et de ses successeurs dut renoncer
sans retour à rétablir en Europe l’unité de
religion. Cette salutaire nécessité politique eût peut-être
empêché la révocation de l’édit de Nantes si elle
eût été plus tôt imposée par les éventualités ; la cour
ne s’exposa plus dès lors aux émigrations en masse.
Louis XIV fut vaincu par la coalition de l’Europe. Nous verrons que ces édits le furent aussi par la résistance
intérieure d’une faible minorité de ses sujets.
Cette nouvelle situation, dont le trait le plus saillant,
en ce qui touche l’histoire religieuse protestante,
fut l’admission définitive de la nouvelle dynastie
anglaise anti-catholique dans le droit national
européen, en la personne de George 1er, dut exercer
une grande influence sur la situation des protestants
et sur la conduite de la cour de France à leur égard.
Si, d’un côté, la paix permettait à Louis XIV de couvrir
le midi du royaume de troupes aguerries et fort
nombreuses, de l’autre, la coalition avait ruiné tout
projet sérieux d’unité religieuse en Europe, et avait
confirmé à jamais les transactions tolérantes du traité
de Westphalie. Les rigueurs de Louis XIV ne pouvaient
donc plus avoir d’autre objet que celui de
faire régner une unité intérieure et de plier tout
sujet à la religion du prince. La dévotion restait tout
entière ; mais elle n’avait plus de but politique. Aussi,
après tous ces événements, qui coïncidèrent avec la
fin de la guerre des Cévennes, les persécutions contre
les protestants du midi du royaume diminuèrent
d’intensité et de suite. Quelques hommes, distingués
au plus haut degré par le courage et le zèle, unis à
une foi sans fanatisme, purent se livrer à l’espoir de
faire renaître le culte protestant et son organisation
régulière, dans des contrées, qui n’avaient pas cessé
d’en être le foyer, malgré tant de combats, de désordres
et de supplices. À peine le traité d’Utrecht
eut-il été signé et à peine la guerre des camisards fut-elle
arrivée à son terme, autant par les négociations
que par les défaites, que la foi tranquille et patiente
des anciens réformés se retrouva tout entière, et
qu’on tenta, non sans succès, de réunir encore une fois dans un lien vraiment national et évangélique,
les débris de ces églises si longtemps désolées.
Chose bien digne de remarque, ces tentatives
heureuses coïncidèrent à peu près avec la mort de
Louis XIV. 1715. septemb.Jetons un regard sur ses derniers moments. Par une destinée singulière, ou pour mieux dire, providentielle,
ce monarque mourant, tellement craint
encore dans son agonie que le duc d’Orléans en suivait
les progrès absolument seul dans son palais de
Marly, subit deux témoins froids et inflexibles, qui
tinrent un journal exact des faits et paroles de ses
dernières années et de ses heures dernières. Sous
leur plume amère, l’étiquette fit place à la sévère
histoire. Ces témoins furent Dangeau et Saint-Simon.
Suivant Dangeau, le monarque expira, non sans avoir
appris quatre mois avant sa mort, par Torcy, que les
paris s’ouvraient publiquement en Angleterre sur le
peu de temps qu’il avait à vivre ; il mourut après
avoir, en quelque sorte, chargé les cardinaux de
Rohan et de Bussy de répondre devant Dieu de ce
qu’en matière religieuse « il aurait porté son autorité
trop loin[5] ; » il mourut, affilié probablement par
des vœux laïcs à la société des Jésuites, et couvert de
reliques de la vraie croix, que Mme de Maintenon lui
avait cédées ; il mourut abandonné par cette femme
même qu’il avait trop écoutée, et qui, nous dit Dangeau
avec un prodigieux sang-froid : « malgré sa douleur
de l’état où elle voyait le roi, n’a été occupée
que de sa conscience » ; il mourut, sans toutefois que
le sérieux de ce moment solennel l’empêchât de
tromper, même dans son agonie, le duc d’Orléans, à
qui il garantit sept jours avant sa mort « qu’il n’y
avait rien dans son testament dont il ne dût être content ; » il mourut, et son testament fut déchiré le
lendemain même, et son corps fut transféré à Saint-Denis
au milieu des coups de pierre et des huées du
peuple. Lorsque son cœur fut porté aux Jésuites de
la rue Saint-Antoine, « pas six personnes de la cour, »
hormis celles dont les fonctions obligeaient la présence,
assistèrent à cette lugubre cérémonie.
Suivant Saint-Simon[6], le 26 août 1716, Louis XIV
mourant dit au petit nombre de personnes qui étaient
restées dans son cabinet, et notamment aux cardinaux
de Bussy, de Rohan, et au père Tellier, qu’il
mourait dans la foi et la soumission à l’Église ; puis
il ajouta, « en arrêtant ses yeux sur eux, qu’il était
fâché de laisser les affaires de l’Église en l’état où elles
étaient, qu’il y était parfaitement ignorant, qu’ils
savaient et qu’il les en attestait qu’il n’y avait rien
fait que ce qu’ils avaient voulu ; qu’il y avait fait tout
ce qu’ils avaient voulu ; que c’était donc à eux à
répondre devant Dieu pour lui de tout ce qui s’y
était fait, et du trop ou du trop peu ; qu’il protestait
de nouveau qu’il les en chargeait devant Dieu, et
qu’il en avait la conscience nette, comme un ignorant
qui s’était abandonné à eux dans toute la suite de
l’affaire, » paroles solennelles et vraies, qui résument la
conduite et les longues erreurs d’un souverain, dont
l’esprit, naturellement juste et grand, ne devint persécuteur
que par les suggestions de dévots intéressés.
Telle fut la fin de ce monarque, souverainement
despote par goût, par politique et par égoïsme, dont
les armes avaient fait trembler les nations, dont tous
les prodiges de l’art, de l’esprit et de la beauté, avaient
orné la cour. Il fut ennemi de la liberté de conscience
par dévotion autant que par tyrannie. Mais toutes les mesures d’une intolérance si constante, si
ingénieuse et si cruelle ne purent jamais réussir à
ramener les peuples protestants, ni à déraciner les
réformés du milieu du sol de son royaume. Une
grande leçon que légua sa politique, c’est qu’il ne fut
pas donné au règne le plus absolu et le plus brillant
peut-être qui fut jamais, d’arriver à la consommation
définitive d’une grande injustice.
En effet, nous allons voir les églises du midi de la
France sortir glorieusement de leurs ruines. Les difficultés
étaient immenses. D’un côté, dans la province
de Languedoc, dans le Vivarais, et dans tout le district
des hautes et basses Cévennes, le zèle s’était, il
est vrai, conservé. La foi si longtemps proscrite était
encore vivante dans les cœurs d’une forte partie des
habitants ; mais, de l’autre côté, c’était aussi dans ces
contrées que les désordres avaient régné le plus longtemps,
que les plus grands excès avaient été commis,
et que la guerre la plus sanglante avait confondu ses
ravages avec ceux d’un fanatisme porté jusqu’au
désespoir. Cet état de choses avait amené la clôture de
toutes les écoles, la destruction de toutes les églises,
et la suppression des synodes. Plus d’académies d’où
il pût sortir de nouveaux ministres. Ceux qui avaient
fui le sol natal n’étaient guère disposés à revenir dans
cette partie de la France à peine pacifiée, où leurs travaux
eussent été interrompus par un martyre presque
inévitable, après les premières années qui suivirent
la guerre des camisards.
Cependant, même en l’absence de tous conducteurs,
les troupeaux fidèles, éclaircis par les combats
et les persécutions, continuèrent à célébrer, quoique
d’une manière fort irrégulière, ce culte que tant de
malheurs semblaient leur faire chérir davantage. Jamais les habitants des plaines brûlantes du Languedoc
méridional, ni les montagnards des Cévennes,
du Vivarais et du Gévaudan, ne se résignèrent à
abandonner sans retour la foi de leur conscience, et
la religion de leurs martyrs. Ces paysans, débris de
tant d’églises florissantes, ne professèrent point une
obéissance passive aux ordres rigoureux de la cour. Il
semblait que leur imagination, excitée encore par les
souvenirs d’une guerre qui ne fut point sans gloire et
où ils apprirent à sentir leurs forces, leur fit éprouver
le plus impérieux besoin de s’assembler de nouveau,
et de se réunir pour célébrer leur culte au milieu de
dangers de toute espèce, et sous les yeux des garnisons
nombreuses qui occupaient leurs montagnes.
Ces tendances se manifestèrent dès l’époque de la paix
d’Utrecht. Les réformés commencèrent alors, tout en1712.,
renonçant à des levées d’armes et à des moyens hostiles,
à se rassembler de nuit dans des cavernes, dans
des bois, en rase campagne, ou abrités par des rochers
élevés, loin de toute habitation. Ces lieux déserts et
sauvages, dont l’aspect leur fournissait des allusions
tirées des livres saints ; l’obscurité, l’heure nocturne, le
mystère, les fatigues et les dangers qu’il leur fallait
braver ; l’irruption des troupes qui pouvaient à chaque
instant les surprendre ; la tactique souvent très-étudiée
à laquelle ils avaient recours pour se préserver de
ces alertes ; toutes ces circonstances étaient de nature
à exalter au plus haut degré leur imagination religieuse.
Dans de pareils périls, la piété a tout le charme
de la poésie et du mystère ; mais aussi elle est portée
à nourrir cet esprit fanatique et sauvage qui détruit
toute organisation ecclésiastique régulière. Cet esprit
donnait prise à leurs vigilants ennemis[7]. Telle fut l’origine cependant de ces Assemblées du désert, qui
furent continuées avec tant de persévérance pendant
tout le reste du xviiie siècle, et qui devinrent l’asile
de la foi réformée.
Toutefois, les sévérités des édits, le séjour des troupes,
et les rigueurs des gouverneurs des provinces, ne
furent point le seul obstacle qui s’opposait à la renaissance
régulière du culte et de la discipline protestante.
D’autres difficultés intérieures, qui tenaient à
l’esprit des protestants eux-mêmes, pouvaient compromettre
cette restauration. Le fanatisme avait laissé
des profondes traces dans les âmes, et on sait qu’une
tendance de ce genre, s’emparant d’une masse populaire,
ne peut se calmer tout d’un coup. Aussi, après
la pacification de ces provinces, les plus ardents huguenots,
camarades des anciens camisards, entraînés
par leur fougue autant que par leurs souvenirs, appelaient
encore avec une entière bonne foi l’inspiration
du Saint-Esprit, et prenaient la parole dans les assemblées,
à défaut de ministres dûment établis. C’étaient
principalement des femmes qui se distinguaient par
cette exaltation. (Mss. veg.) Enfin, tous les excès des
prophètes camisards se reproduisaient dans les prêches
clandestins, auxquels ce pauvre peuple était
forcé de recourir. On conçoit alors quelles immenses
difficultés durent rencontrer ceux qui tentèrent les
premiers de remettre la religion et le culte sur un
pied de sage organisation et de piété sans fanatisme.
Le ministre Antoine Court fut le principal ouvrier
de cette œuvre. Né à Villeneuve-de-Berg, en Vivarais,
l’an 1696, il se voua dès l’adolescence à secourir ses
frères, et il conçut même des desseins étonnants à
un âge aussi tendre. La nature l’avait formé pour ce
rôle apostolique. A. Court était doué d’un sens droit
et ferme, d’un courage intrépide joint à une prudence
consommée ; il avait une vigueur surprenante qui lui
donnait la force de supporter les plus grandes fatigues
sans en être abattu : chez lui, l’âme participait de la
vigueur du corps ; il s’exprimait par écrit ou par la
parole avec une extrême facilité ; cette force d’entendement
n’excluait pas une agréable aménité de
commerce ; il joignait à beaucoup de tact et de connaissance
des affaires une persévérance, une pureté
de vues et une intégrité de mœurs, qui le faisaient
apprécier et chérir : qu’on ajoute à ces qualités un
dévouement inébranlable aux intérêts de la foi et à
ceux de ses frères, et on pourra se faire l’idée d’un
caractère que la série nombreuse de ses lettres familières
et intimes nous a révélé dans tout son éclat, et
qui rendit les plus éminents services aux églises désolées
de sa patrie. Telles furent les qualités toutes de
naissance qui distinguèrent ce courageux pasteur. Un
assez grand nombre des manuscrits de ses études, de
fragments de controverse, de notes de critique sacrée
et d’histoire, de morceaux d’une véritable éloquence,
nous ont prouvé qu’il avait su réparer par son travail
le manque d’une éducation classique, dont le désordre
des temps et l’absence de toute ressource académique
l’avait privé ; nous aurons de nombreuses occasions
d’apprécier les services qui lui ont fait décerner le titre
« de Restaurateur du protestantisme en France, rôle plus difficile que celui de fondateur de secte, puisque
c’était contre un enthousiasme dégénéré en fanatisme
qu’il dut diriger ses premiers coups. » (M. de Vegobre.
Mss. Ib.)
1715.Il paraît que, dès l’âge de dix-sept ans, Antoine
Court jeta les bases de son grand dessein, quatre ans
après la fin de la guerre des Cévennes. Cet esprit si
jeune, mais déjà doué d’un sens profond, avait étudié
le véritable état des choses en exerçant ses fonctions
de lecteur et de prédicateur dans les réunions nocturnes
du Vivarais. Il reconnut avec une parfaite
justesse que la secte trop répandue encore des Inspirés,
malgré la ferveur de ses intentions pieuses,
risquait d’amener l’extinction définitive de l’Église
réformée, au moins dans son ancienne organisation
et dans sa forme historique. Il redoutait de voir leur
effervescence s’user et s’éteindre après quelques années
d’existence, et ensuite les descendants des vieux
protestants nationaux se seraient trouvés sans discipline
régulière, sans culte bien ordonné, et ils eussent
manqué absolument de ministres instruits. Ce besoin
était bien urgent toutefois, en présence de la foi catholique,
de ces prêtres, qui, soutenus par la cour,
employaient tantôt la violence, tantôt la séduction,
pour convertir à leur dogme.
On voit donc que la guerre des Cévennes avait tout
interrompu, qu’elle avait rompu tout lien de discipline,
qu’elle avait dispersé les troupeaux, exilé ou
fait périr les pasteurs, et, ce qui était plus fâcheux
encore, qu’elle avait laissé tous les esprits en proie
à toutes les aberrations d’un fanatisme aussi funeste
que la persécution même. Il fallut faire renaître
l’ordre du sein de ce chaos. Les constants efforts
qui furent faits en ce sens et qui furent couronnés d’un admirable succès sont presque inconnus aujourd’hui,
même dans les contrées qui en furent le théâtre.
Si on a conservé les noms de quelques-uns de ces
hommes vraiment apostoliques, à peine une vague
tradition a-t-elle sauvé de l’oubli les faits généraux
d’une entreprise à laquelle ils se dévouèrent avec
tant de foi et de courage. L’histoire du dernier siècle,
qui a transmis jusqu’à notre temps tant de mémoires
graveleux et tant de futilités de cour, ne s’est point
chargée de nous dire quelles furent la conduite, les dangers
et les vues de ceux qui accomplirent un dessein
aussi beau. Nous allons donc insérer ici un récit authentique
émané de la plume du principal ouvrier[8].
Seulement, comme ces détails se trouvent placés incidemment
dans un mémoire justificatif qu’il fut obligé
de composer, et que c’est ainsi lui-même qui nous
raconte sa carrière, c’est rendre justice à cet homme
si digne d’admiration que d’observer qu’il nous dit en
commençant « qu’il se voit dans la dure nécessité de
parler de soi et d’en dire des choses qui peuvent être
soupçonnées de vanité ou qui mettent au moins la modestie dans une cruelle souffrance. » Voici le précis
très-attachant que le ministre Antoine Court nous a
laissé sur son but et sur ses travaux ; on nous saura
bon gré de le laisser parler lui-même.
« Ce fut en 1715 qu’il plut à Dieu de m’appeler au
service de cette église (Nîmes). Et qui pourra dépeindre
l’état où se trouvait à cette époque et cette
église et la religion en France. À peine en connaissait-on
quelque trace. La persécution d’un côté,
l’ignorance et le fanatisme de l’autre, l’avaient entièrement
ou anéantie ou défigurée. Le plus grand
nombre de ceux qui conservaient dans leur cœur le
plus d’attachement pour elle, démentaient et déshonoraient
cet attachement par leur conduite extérieure.
Ils tenaient, pour ainsi dire, d’une main l’Évangile et
de l’autre l’idole. Pendant la nuit ils rendaient à Dieu,
dans leurs maisons, un culte secret, et pendant le
jour ils allaient publiquement à la messe. Quels soins
ne fallut-il pas pour les retirer d’une conduite aussi
déshonorante et si contraire aux maximes de l’Évangile ?
Combien n’en fallut-il pas pour retirer la
religion de l’état déplorable où les causes dont j’ai parlé
l’avaient conduite ?
« Quatre moyens, avec la bénédiction du Seigneur
que j’implorais sans cesse, se présentèrent à mon esprit.
Le premier fut de convoquer les peuples et de
les instruire dans des assemblées religieuses ; le second,
de combattre le fanatisme qui, comme un embrasement,
s’était répandu de tous côtés, et de ramener à
des idées plus saines ceux qui avaient eu la faiblesse
ou le malheur de s’en laisser infecter ; le troisième, de
rétablir la discipline, l’usage des consistoires, des
anciens, des colloques et des synodes ; le quatrième,
de former autant qu’il serait en mon pouvoir de jeunes
prédicateurs, d’appeler des ministres des pays étrangers ;
et s’ils manquaient de vocation pour le martyre
et qu’ils ne fussent pas disposés de répondre à mes
pressantes incitations, de solliciter auprès des puissances
protestantes des secours en argent, pour aider
aux études et à l’entretien des jeunes gens en qui je
trouverais assez de courage et de bonne volonté pour
se dévouer au service et au salut de leurs frères. »
« Tel fut le plan qu’il plut à Dieu de m’inspirer dès
ma plus tendre jeunesse (car je venais d’entrer dans
ma dix-huitième année), et que je n’ai jamais perdu
de vue, et qui n’a cessé de m’occuper depuis quarante
ans que je suis au service de son église.
« Je ne l’eus pas plutôt formé que j’en commençai
l’exécution, et le même Dieu, qui, dans les vues miséricordieuses
qu’il avait conservées pour sa chère
église, me l’avait inspiré, me fit la grâce de n’être
retenu ni par les sacrifices qu’il fallut faire, ni par
le tendre attachement que je conservais pour une
mère veuve et dont je faisais toute l’espérance ; ni
d’être découragé, ni par la grandeur de l’entreprise, ni par les soins et les périls qui devaient l’accompagner.
« Mes premières courses eurent pour théâtre le
Vivarais. Là les échafauds et les gibets étaient encore
ensanglantés de l’exécution de plusieurs protestants
que l’esprit de fanatisme avait conduits dans celui de
la rébellion. Ici se trouvaient quelques hommes et
une quinzaine de femmes ou filles qui au titre de prédicants réunissaient celui de prophètes. Je
craindrais de n’être pas cru si je rapportais tout ce
que ces esprits fourbes ou séduits disaient de puéril,
d’indigne et de déshonorant pour la religion. Je
m’attachai à convaincre les premiers d’imposture, et
à ramener les autres par mes instructions. Il n’était
pas rare de voir dans les assemblées, si peu nombreuses
qu’elles fussent, deux, trois femmes, et quelquefois
des hommes, tomber en extase et parler tous
à la fois comme ces Corinthiens à qui saint Paul
adresse ses censures. Bientôt, je passai, comme un
autre Élie, pour être le fléau des prophètes, avec
cette différence que mon zèle n’était point destructif
et qu’il se bornait à convaincre et à instruire. Il fait la guerre à Dieu, disaient au commencement tous
ceux qui croyaient à l’inspiration. Mes discours ne
laissaient pas d’être accompagnés des plus heureux
succès, et mes progrès d’être des plus rapides. Dans
peu le fanatisme n’osa plus paraître e » public ; ceux
qui en conservaient encore quelque teinture ne s’en
entretenaient plus qu’en secret.
« Dieu ne répandait pas de moindres bénédictions
sur les soins que je me donnais pour convoquer les
peuples, pour les éclairer et pour ranimer leur foi
presque éteinte. Ces convocations furent d’abord
rares et peu nombreuses ; c’était beaucoup lorsqu’à force de soins et de sollicitations, je pouvais disposer
dans un même lieu six, dix, douze personnes à me
suivre dans quelque trou de roche, dans quelque
grange écartée ou en rase campagne pour rendre à
Dieu leurs hommages et entendre de moi les discours
de piété que j’avais à leur adresser. Quelle consolation
aussi ne fut-ce pas pour moi de me trouver en
1744 dans des assemblées de dix mille âmes, au
même lieu où à peine, dans les premières années de
mon ministère, j’avais pu assembler quinze, trente,
soixante, ou tout au plus cent personnes…
« De quelques progrès que fussent accompagnés
mes premiers soins, je compris que, pour les étendre
et les rendre plus efficaces, il était absolument nécessaire
que je travaillasse incessamment au rétablissement
de la discipline.
« Je trouvai, en effet, que les désordres, que la malheureuse
affaire des Camisards jointe au fanatisme
avaient produits, avaient tellement indisposé les
esprits et décrédité à un tel point chez les protestants
même, que tout ce qui se nommait prédicant ou
assemblée était regardé avec une espèce d’horreur ;
que, d’un autre côté, la licence de s’ériger en prédicateur
était telle, que quiconque en formait le dessein
pouvait l’exécuter sans obstacle ; qu’hommes,
femmes, tout le monde se mêlait du métier ; qu’une
telle licence ne pouvait qu’introduire dans l’Église de
fort mauvais sujets ; qu’elle était d’ailleurs peu propre
à dissiper les idées désavantageuses-que les protestants
eux-mêmes avaient conçues contre les prédicants et
contre les assemblées. Quoi donc, me dis-je, de plus
nécessaire, que d’apporter quelque remède à ces
désordres et que d’arrêter le cours de si grands
maux ?
« Pour y parvenir, j’avais convoqué pour le
21 août 1715 tout ce qu’il y avait de prédicants dans
les Cévennes et le bas Languedoc ; j’avais invité à
cette assemblée quelques laïcs des plus éclairés ; je
leur fis à tous une vive et touchante peinture de
l’état des choses : je leur représentai la nécessité qu’il
y avait d’y apporter tous les remèdes, qui seraient en
notre pouvoir ; qu’un des plus efficaces, outre le bon
exemple que chaque prédicateur était obligé à donner
de la purification du sanctuaire de tout fanatisme,
était le rétablissement de la discipline ; que je m’étais
rendu ce jour-là au milieu d’eux dans le dessein d’en
jeter les premiers fondements ; qu’il fallait commencer
par établir un modérateur et un secrétaire,
l’un pour présider aux délibérations et l’autre pour
les rédiger par écrit. Tous ayant accédé à ma proposition,
je fus établi à la pluralité des suffrages, non
seulement pour être le président de la petite assemblée,
mais aussi pour en être le secrétaire.
« On commença par conférer la charge d’ancien
aux laïcs qui se trouvaient dans l’assemblée, et il fut
convenu qu’on en établirait dans tous les lieux où la
prédication et les prédicants seraient reçus ; qu’ils
seraient chargés, 1o de veiller sur les troupeaux en l’absence
des pasteurs et sur la conduite des pasteurs
mêmes ; 2o de choisir des lieux favorables pour la
convocation des assemblées ; 3o de les convoquer avec
toute la prudence et le secret possibles ; 4o de faire
des collectes pour assister les pauvres et les prisonniers ;
5o de procurer des retraites sûres aux prédicateurs
et de leur fournir des guides pour les conduire
d’un lieu à l’autre.
« Je fis mettre ensuite en délibération, 1o que selon
l’ordre de saint Paul il serait défendu aux femmes de prêcher à l’avenir ; 2o qu’il serait ordonné de s’en
tenir uniquement à l’Écriture Sainte comme à la seule
règle de la foi et qu’en conséquence l’on rejetterait
toutes les prétendues révélations, qui avaient la
vogue parmi nous, et qu’on les rejetterait non seulement
parce qu’elles n’avaient aucun fondement dans
l’Écriture, mais encore à cause des grands abus
qu’elles avaient produits. Ces deux articles passèrent
à la pluralité ; le reste de la journée fut employé à
l’examen des mœurs de tous ceux qui composaient le
petit collège. La manière en parut nouvelle. Deux des
membres qui donnèrent dans la suite bien de l’exercice
et que la providence conduisit en 1723 à une
mauvaise fin, s’y opposèrent ; je leur en représentai la
nécessité, et ils s’y soumirent comme les autres.
(L’auteur veut parler ici des prédicateurs Jean Huc
et Jean Vesson, dont nous rapporterons plus bas les
actes et le sort.)
« Les règlements de cette petite assemblée, dont
j’eus grand soin de faire des copies et de les répandre,
firent du bruit et produisirent d’excellents effets. Elle
fut qualifiée du nom de synode et fut suivie de plusieurs
autres, qui portèrent le même nom ?
« C’est d’une de ces assemblées tenues en 1719 que
je fis écrire à M. Jacques Basnage pour lui donner
avis de ce qui se passait parmi nous[9]. Notre lettre
était datée de notre assemblée synodale, et était
signée du modérateur et du secrétaire. Cette lettre
fit grand plaisir à ce pasteur. Il nous en assura en ces
termes : « Il serait difficile de vous exprimer la joie que m’a causée votre lettre. La date même m’a fait
un plaisir extrême aussi bien que les noms signés.
Je bénis Dieu de ce qu’il a commencé son œuvre
parmi vous. Toutes les règles de discipline que vous
observez sont conformes à celles de nos pères, dont
Dieu a béni les soins et les courageux efforts. » (Lett.
du 18 juill. 1719). L’approbation de ce ministre ne
fut pas un faible encouragement pour mes compagnons
et pour moi ; elle servit encore à nous mériter
celle de plusieurs de nos frères, qui n’entraient pas
dans toutes nos idées, »
Tel fut le dessein étonnant, conçu et exécuté par
le jeune Antoine Court. La seule idée d’un projet si
délicat, à un âge aussi tendre, et chez un enfant pour
ainsi dire, est une chose extraordinaire. La prudence
et la sagesse qu’il montra touchant les mesures
à prendre, ne le furent pas moins. On ne peut qu’admirer
l’esprit de logique, qui le porta avant tout à
éclairer le peuple et à combattre des sectaires exaltés.
Il reconnut avec évidence que l’objet capital était de
donner une organisation commune aux débris des
églises, et de leur imprimer une marche uniforme
qui pût protéger la foi et réprimer tout excès. Et
cependant que de difficultés, que de périls venaient
de toutes parts contrarier un tel dessein. Ce n’était
pas encore assez qu’une foule d’édits persécuteurs
défendissent les assemblées sous peine de galères, et
frappassent tout ministre de condamnation à mort ;
de plus, et grâce aux mesures de police des intendants,
il y avait une foule d’individus malveillants,
de délateurs soudoyés par la cour, qui s’étaient glissés
dans les églises. Il fallait rappeler au bercail le troupeau
dispersé, abattu et timide, en partie livré aux
égarements du fanatisme. Il fallait fonder une hiérarchie qui n’existait plus depuis longtemps. Il fallait
ranger tous ces fidèles exaltés dans les limites salutaires
d’une discipline dont il n’y avait plus que des
lambeaux. Il fallait, en un mot, guérir les désordres
qu’une guerre furieuse avait laissés après elle dans
presque tous les esprits. Il fallait en outre s’entendre
avec les autres pasteurs, dont le zèle avait survécu
à tant d’agitations, et qui avaient eu le courage de
rester dans ces contrées encore teintes du sang de
leurs frères.
Ce fut l’œuvre d’Antoine Court et le but de sa vie,
avant l’âge de vingt ans. Ce fut le plan admirable
d’où est sortie lentement, au travers de mille persécutions,
la réorganisation des églises réformées du
midi de la France. Ce fut dans ce but que le jeune Court
eut l’idée touchante d’appeler les conseils et en
quelque sorte les bénédictions de l’illustre Jacques
Basnage, qui put ainsi saluer de ses derniers vœux la
renaissance d’une Église dont il fut peut-être le plus
spirituel défenseur. Au 21 du mois d’août 1715, déjà
Louis XVI se mourait au milieu des magnificences de
Versailles. Tandis que ce puissant monarque, qui avait
fait frapper les médailles de l’hérésie éteinte, était prêt
d’aller rendre compte au tribunal suprême ; alors sur
les montagnes du Vivarais, tant ravagées par la
guerre et par le supplice, l’hérésie renaissait de ses
cendres par les soins d’un enfant sans nom et de
quelques prédicateurs obscurs et illettrés. Jamais, dans
les affaires du monde, le doigt de la Providence ne
fut plus manifeste.
Il paraît qu’immédiatement après cette première
réunion préparatoire de 1715, deux autres assemblées
successives eurent lieu pour arrêter le sommaire
d’une organisation nouvelle, appropriée à la gravité des circonstances et aux malheurs des temps. La
première fut tenue dans la province de Dauphiné,
le 11 août 1716, et la seconde au commencement
de 1717. Là, le jeune Court fit encore le tableau de
la position des églises. Il détermina cinq pasteurs, ses
collègues, à faire revivre les anciens synodes, et à
dresser une ébauche qui servît de point de départ à
l’organisation nouvelle, et de transition entre les
temps postérieurs à la guerre des camisards et ceux
du dernier siècle. Nous avons été assez heureux pour
retrouver la minute de ce vénérable monument de la
foi des réformés français ; trois petites pages d’écriture
grossière, bien défigurées par le temps, portent
les délibérations de cette assemblée, signées en original
par A. Court, secrétaire, et par les autres pasteurs
qui prirent part à cette œuvre mémorable. Ce sont
les pasteurs P. Durand, J. Crotte, Jean Huc, Jean
Vesson et Étienne Arnaud. On va voir, par cette délibération,
que déjà l’impulsion que le jeune Court
avait donnée produisait d’excellents fruits, et que les
bases d’une solide et sage organisation étaient solidement
jetées.
« Règlements et délibérations du synode du Dauphiné,
tenu le 22 août 1716, et du synode du Languedoc,
tenu le 2 mars 1717, lesquels doivent être
observés dans toutes les églises réformées où les
pasteurs ordinaires et extraordinaires exposent la
prédication de l’Évangile ; et cela pour la gloire de
Dieu, pour une plus grande édification du public, et
pour porter tant les pasteurs que les troupeaux à la
sanctification. Nous soussignés, pasteurs de Jésus-Christ
et anciens signés dans l’original, assemblés
pour prendre les mesures les plus propres et les plus
conformes au temps et surtout à l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir invoqué la miséricorde
divine et les lumières du Saint-Esprit, nous
avons fait les règlements suivants :
I. On lira, à l’exemple de l’église réformée de Genève, les commandements de Dieu avant la prédication.
II. On fera réciter le catéchisme après la prédication, en expliquant ce qui peut s’y trouver de moins clair.
III. Les pères de famille seront exhortés à faire trois fois le jour la prière en commun avec leurs enfants et leurs domestiques, et à la faire réciter tour à tour par les personnes de la maison afin de les porter à ce saint exercice avec plus de diligence.
IV. On doit destiner au moins deux heures à la dévotion du dimanche, à laquelle tous ceux de la maison se doivent rendre.
V. On doit reprendre en public, après la première, la deuxième et la troisième admonition, tous ceux qui commettent des crimes noirs et scandaleux.
VI. On ne doit pas appeler les fidèles d’un mandement dans les assemblées qui sont convoquées dans un autre mandement.
VII. On doit écouter la parole de Dieu comme la seule règle de notre foi, et en même temps refuser toute prétendue révélation dans laquelle nous n’avons rien qui puisse soutenir notre foi ; et, à cause des grands scandales qui sont arrivés de notre temps, les pasteurs sont obligés d’y veiller avec soin.
VIII. Les pasteurs ayant l’approbation des anciens doivent faire toutes les fonctions de leurs charges prêcher, administrer les sacrements et bénir les mariages.
IX. On doit veiller sur la conduite des pasteurs, et s’ils commettent quelque crime qui soit en scandale à leurs frères ou à l’église, ils doivent être démis de leur charge pour quelque temps, à moins que celui qui serait tombé dans quelque faute n’en témoignât un repentir sincère.
X. Les pasteurs, étant arrivés à un lieu, doivent s’informer des vices les plus communs et les plus éminents pour y apporter toutes sortes de remèdes afin d’en interrompre le cours.
XI. Les pasteurs doivent se rassembler, de six mois en six mois, pour voir si tous ont eu soin de visiter les malades, d’ordonner les collectes pour les secourir, en un mot, s’ils ont rempli le devoir de leur charge sans reproche.
XII. S’il arrive quelque cas qui demande une assemblée avant les six mois pour décider quelque chose, comme pour appliquer quelque censure à quelque pasteur ou à quelque troupeau, ou pour quelque autre cas survenu, trois pasteurs, avec quelques anciens, se pourront assembler en colloque pour cela.
XIII. Enfin les anciens exhorteront les fidèles d’avoir soin de tous les pasteurs que la divine Providence leur enverra, tant pour leur sûreté que pour leur entretien.
Nous ajoutons aux articles ci-dessus ceux qui suivent :
I. Les pasteurs n’emploieront pas plus d’une heure, ou tout au plus cinq quarts d’heure, à leurs prédications, à l’exemple des prédicateurs de l’église de Genève, et suivant l’usage ci-devant établi dans les églises réformées de France.
II. Les sieurs Durand, Crotte et Court, pasteurs, administreront le sacrement de la sainte Cène dans toutes les églises où la prudence chrétienne le leur permettra, ce qu’ils pratiqueront jusqu’à nouvel ordre.
III. On n’accordera aucun secours dans leurs souffrances à ceux qui se jetteront aveuglément dans le danger, soit en allant, soit en revenant des assemblées religieuses, à cause de leur imprudence et témérité ; mais on assistera au contraire de tout son pouvoir ceux qui se seront conduits selon la prudence chrétienne, et que la Providence divine aura appelés à souffrir à cause de son nom : on exhortera les personnes pieuses à les assister, non seulement eux, mais encore leurs pères, mères, femmes et enfants.
IV. S’il arrive que quelque pasteur, par un zèle précipité et une chaleur inconsidérée, vienne à jeter témérairement ses frères dans le danger, il sera démis de sa charge jusqu’à ce qu’il donne des preuves de sentiments plus sages, se conduisant selon la prudence chrétienne.
V. Les pasteurs ne convoqueront les assemblées que de huit jours en huit jours, si ce n’est dans le cas d’une dévotion extraordinaire, comme en un temps de jeune ou de cène.
VI. Si un pasteur donne scandale à l’église, soit par ses mauvaises mœurs, soit par sa mauvaise conduite, et ne veut pas se soumettre à la discipline ecclésiastique et à l’instruction commune de ses frères, il sera proclamé partout et même à la tête des assemblées, excommunié, lui et ceux qui le soutiendraient dans son impiété, jusqu’à ce qu’il obéisse aux commandements de l’apôtre, qui dit que l’esprit des prophètes est soumis aux prophètes (1ère aux Corinth. xiv, 32, mss. P. R.).
Cet acte synodal, délibéré et signé au désert, est
une pièce fondamentale en ce qui touche l’histoire de
la renaissance des églises réformées après la dernière
guerre de religion. On remarquera combien elle porte
l’empreinte des temps. Tout y est dirigé vers l’affermissement
de la discipline et vers le but d’attacher
quelque garantie à l’exercice des fonctions du ministère.
Les précautions sévères prises contre les excès
des inspirés, la rigueur extrême de l’article qui décide
que nulle aide ne sera accordée à ceux qui iraient au-devant
de la persécution, au lieu de l’attendre avec
courage et de l’éviter avec prudence ; tout atteste un
temps encore agité, plein de difficultés et de périls, et
aussi tout y confirme les détails rapportés par le ministre
Court dans sa notice personnelle. Ce qui donne
une idée exacte des dangers auxquels s’exposaient ces
courageux ministres, et aussi de la rareté de pasteurs
vraiment à la hauteur de l’œuvre, et ce qui attache
un nouvel intérêt à ce monument vénérable, c’est le
sort des signataires de la délibération. Il paraît que
le ministre Court, malgré tout son discernement et
ses recherches, n’avait pu trouver des collègues tels
qu’il les souhaitait. En effet, des six signataires de
cette délibération, deux, « Jean Huc et Jean Vesson,
furent l’un et l’autre pendus à Montpellier, le 22 avril
1723 ; le premier se fit catholique, et le second fut
conduit dans les prisons vêtu d’une aube à la façon
des anciens sacrificateurs. Il était devenu le chef de la
plus extravagante secte que l’esprit humain ait peut-être jamais enfantée » (Mém. des arbitres, par Court,
mss. P. R.) ; deux autres, Étienne Arnaud et P. Durand,
furent également exécutés, « et firent une mort fort
édifiante. » Ainsi plus de la moitié des signataires de
ce premier synode, après la mort de Louis XIV périt
dans les supplices ; ce qui n’empêcha pas le jeune
Court de rester avec ses collègues échappés aux bourreaux,
et même de s’adjoindre bientôt, en la personne
du ministre Corteis, un collaborateur peut-être moins
éclairé, mais aussi zélé et aussi courageux que lui-même.
CHAPITRE II.
Législation générale de Louis XIV touchant les affaires de la religion
réformée.
L’historien des églises du désert est nécessairement
obligé de connaître, au moins dans ses dispositions
essentielles, l’ensemble des lois qui régissaient ces
communautés infortunées à l’époque de la fin de
Louis XIV. L’esquisse que nous devons tracer à ce
sujet est peut-être la plus triste obligation que notre
travail nous impose. Nous aurions bien préféré de
nous en affranchir ; mais cette connaissance est un
préliminaire indispensable. Puisque nous devons décrire
leur constance, leurs aventures et leurs malheurs,
il faut bien que nous sachions d’une manière
approchée quelles étaient les mesures qui pesaient
sur elles, et quels étaient les édits contre lesquels
elles avaient à lutter. On verra alors trop nettement que les poursuites et les condamnations presque
innombrables, dont elles furent la victime dans le
cours du xviiie siècle, étaient parfaitement conformes
à la législation, et que les parlements, commandants
et intendants ne faisaient qu’en appliquer rigoureusement
les dispositions. Les esprits impartiaux décideront
si l’histoire d’aucun temps et d’aucun pays
offre l’exemple d’un code aussi minutieusement persécuteur,
et si jamais société humaine, temporelle
ou dogmatique, fut aussi complètement enlacée sous
le triple rapport de son existence civile, politique et
religieuse.
Ce sont les nécessités de notre sujet qui nous
obligent à entrer dans ce dédale d’oppression. Nous
n’essaierons point d’y trouver un principe arrêté ni
un plan fixe, bien convaincus qu’il n’y en eut réellement
aucun. Les causes générales de ces systèmes d’intolérance,
qui chassèrent sans retour tant de Français
industriels du sol de la patrie, se résument dans
l’égoïsme superbe et si peu éclairé de Louis XIV, consigné
sèchement dans les dépêches de son ministre
Louvois écrivant cette instruction, le 5 novembre 1685,
au duc de Noailles, commandant en Languedoc : « Sa
Majesté désire que vous vous expliquiez fort durement
contre ceux qui voudront être les derniers à professer
une religion qui lui déplaît. » (Histoire de l’édit de Nantes, tom. iii, p. 868.) Ce caprice d’un despotisme
théologique et peureux des peines de l’enfer
fut la vraie cause de la révocation de l’édit de Nantes.
Ainsi d’aussi minces motifs d’un souverain absolu
viennent souvent bouleverser les peuples. Après un
siècle environ de malheurs et de mécomptes, Montesquieu
épuisait son génie à concevoir les contradictions
flagrantes des lois de Louis XIV contre l’émigration des religionnaires[10]. Nous verrons un sage
et intègre magistrat, Joly de Fleury, interrogé par le
Conseil de Louis XV, essayer vainement de formuler
une consultation précise au milieu de la confusion
où les édits avaient jeté l’état civil des protestants.
Plus tard nous verrons l’équitable Malesherbes, Breteuil
et Rulhière, cherchant à montrer que de si
longues persécutions, en ce qui touchait la position
de l’état civil de toute une classe de Français, reposaient
sur un malentendu. Tout ceci nous montrera surabondamment que, dans ce malfaisant système
législatif, il n’y avait d’arrêté et de méthodique
que l’arbitraire du prince et les griefs du clergé ;
mais il est impossible de découvrir aujourd’hui la
moindre méthode dans ce plan d’où la justice fut si
inflexiblement bannie. Nous n’essaierons point de
suppléer à la logique des persécuteurs. Nous ne
ferons point de réflexions sur ces lois cruelles ; mais comme parmi les hommes illustres, remplis de ferveur
et d’élévation, que ce code chassa de France,
figure au premier rang l’éloquent ministre de La Haye,
Jacques Saurin, nous n’avons pu résister à saisir l’occasion
de placer en notes quelques fragments de ces
mâles prédications, où le grand orateur flétrit les
cruautés de l’intolérance, et où il raconte les malheurs
de ses frères. Ainsi, en regard des édits de
Louis XIV nous placerons les commentaires de
Jacques Saurin.
Nous ne saurions nous engager dans l’immense
entreprise même de donner les titres des très-nombreux
édits, déclarations, ordonnances, arrêts du Conseil,
qui émanèrent directement de l’autorité royale
sous Louis XIV, concernant les affaires de ses sujets
protestants. Nous devons soigneusement nous borner
à caractériser le plus brièvement possible cet ensemble
de lois, seulement sous les divers rapports
nécessaires pour l’intelligence de la suite de notre
histoire. Commençons la triste série par les lois sur
ou contre les émigrations. C’est un ordre que les événements
nous imposent. En effet, ce fut après avoir
obtenu l’abjuration de Turenne et signé la paix d’Aix-la-Chapelle
que Louis XIV rendit la fameuse et longue
déclaration de 1669, pour régler ce qui devait être
observé par ceux de la religion prétendue réformée. En
lisant les quarante-neuf articles de cette déclaration,
on ne saurait méconnaître déjà les inclinations dévotes
et intolérantes du monarque, qui annonçait alors, du
milieu de l’éclat d’une gloire encore pure, et à l’âge
de trente-un ans, les excès de dévotion despotique
auxquels il devait plus tard s’abandonner. Ce fut le
1er février 1669 que parut cette déclaration si féconde
en chicanes intolérantes et jésuitiques. Cependant cinq jours plus tard eut lieu, par les ordres du roi, « la
grande résurrection du Tartuffe » (troisième placet
de Molière, du 5 février 1669).
En passant rapidement sur ce rapprochement vengeur,
il est nécessaire de remarquer que cette loi
immense et très-inquiétante fut suivie presque immédiatement
de la première mesure contre les émigrations,
chapitre trop fécond par lequel nous ouvrirons
notre exposé de cette législation, qui fut continuée
dans un seul et même esprit jusqu’à la veille de la
révolution française. En effet, on voit quelques mois
ensuite que Louis XIV ordonna que nul des sujets du
roi n’aurait la faculté de quitter le royaume et de s’établir
dans un pays étranger, sous peine de confiscation
de corps et biens et être réputés étrangers, avec défense
de servir dans la marine étrangère comme matelots
ou ouvriers, sous peine de la vie (Décl. d’août
1669, donnée à Saint-Germain-en-Laye). En 1682, on
déclara nuls tous les contrats de vente d’immeubles
faits un an avant la sortie du royaume, et trois ans plus
tard on interdit tous mariages à l’étranger ; on prononça
contre tous parents ou tuteurs qui y auraient
consenti les galères perpétuelles, ou le bannissement
avec la confiscation des biens. Pour arrêter les émigrations,
on déclara que la moitié des biens des protestants
qui sortiraient de France serait donnée au
dénonciateur, et on défendit à toutes personnes de
contribuer à l’évasion, et notamment aux capitaines,
pilotes, ou maîtres de barques. Bientôt le roi ordonna
l’établissement de corps-de-garde sur les frontières,
et voulut que les bardes et effets qui se trouveraient
sur les religionnaires saisis fussent distribués aux soldats,
et un tiers seulement desdits effets aux espions
qui donneraient avis de leur passage (Décl. du 26 août 1686, Versailles, signéColbert). Même les nouveaux
convertis ne pouvaient sortir du royaume, afin
qu’ils ne trouvassent pas dans les pays étrangers « la
malheureuse liberté de continuer dans les mêmes erreurs,
» et, si on les pouvait saisir, ils étaient condamnés,
les hommes aux galères à perpétuité, et les femmes
à être rasées et recluses pour le reste de leurs jours
(Décl. du 7 mai 1686. Versailles, signéPhélypeaux).
Ici commence pour notre histoire la série de ces
édits funestes qui désolèrent si longtemps les églises
réformées, et qui tous portent le scel des secrétaires
d’état Phélypeaux. Ce même surnom général répond
cependant à des membres distincts de la tige des La
Vrillière et des Pontchartrain. Plusieurs des édits de
Louis XIV, concernant les réformés, de 1676 à 1700,
sont contresignés de Balthasar Phélypeaux, seigneur
de La Vrillière, chargé du département des affaires
de la religion réformée, depuis l’an 1676 jusqu’à sa
mort, en 1700. Beaucoup d’autres ont la signature de
son fils Louis Phélypeaux de Saint-Florentin, qui eut
le département des églises depuis 1700 jusqu’à sa mort
en 1725. Mais la grande majorité des lois passèrent
sous le contre-seing de Louis Phélypeaux, comte de
Pontchartrain, secrétaire d’état en 1690, chancelier
de 1699 à 1714, année où il se retira des grandeurs
pour aller mourir pieusement dans la maison de l’Oratoire
à Paris. Ce fut cette famille des secrétaires d’état
Phélypeaux, avec sa double tige des La Vrillière Saint-Florentin
et des Pontchartrain-Maurepas, qui administra
les affaires de la religion réformée dans un
esprit uniforme d’intolérance ou de tracasserie depuis
son premier secrétaire d’état sous Louis XIII, en 1621,
jusqu’au comte de Saint-Florentin qui enfin transmit
ce portefeuille, sous Louis XVI, à l’illustre et bienfaisant Malesherbes. En contemplant la série des édits que
nous étudions, qui sont presque tous de la plume de
Pontchartrain, on se figure difficilement la haute réputation
de connaissance des hommes que ce magistrat
s’acquit, ni ses causeries philosophiques avec
Boileau, sous les bocages d’Auteuil. Saint-Simon dit
que ce secrétaire d’état était charmant en riens comme en affaires ; mais il ne le fut sous aucun rapport dans
son système d’édits à l’égard des sujets protestants de
son maître.
La sévérité du Conseil allait toujours en augmentant[11]. La cour prononça la peine de mort contre ceux
« qui auraient directement ou indirectement favorisé
et contribué à l’évasion et retraite des nouveaux convertis
hors du royaume, soit en les conduisant eux-mêmes, soit en leur indiquant des routes ou des guides
pour les en faire sortir. » (Décl. du 12 octobre 1687.)
Plusieurs autres lois furent rendues pour exciter les
religionnaires fugitifs à retourner, par la promesse de
rentrer dans leurs biens confisqués, et enfin on revint
à la peine des galères et réclusions perpétuelles contre
tout protestant qui tenterait d’émigrer (Décl. du 13
septembre 1699). Les mêmes peines furent rendues
contre ceux qui fuiraient en quittant les lieux de
France où ils auraient été exilés par ordre du roi. Enfin
une dernière ordonnance tâcha laborieusement de
distinguer entre les voyages des religionnaires établis
dans les pays étrangers et ceux des Français catholiques
qui voudraient en revenir ou y aller trafiquer
(Ordon. du 18 septembre 1713). Il y avait là un labyrinthe
de dispositions capables d’effrayer le plus subtil
administrateur, et il ne faut pas s’étonner qu’en
France une partie considérable de la population protestante,
ainsi pressée de toutes parts, ne pouvant ni
rester ni sortir, se soit pliée, pour obtenir la paix,
aux pratiques extérieures du culte dominant. Ce ne
fut pas toutefois sans le blâme sévère des pasteurs du
désert.
Après l’énumération des lois principales qui empêchaient
les protestants de quitter la France, il faut
maintenant indiquer celles qui régissaient leur état
civil et politique dans la patrie où on les retenait. Avant
la révocation totale de l’édit de Nantes, une foule de
mesures avaient été prises contre les églises, sous le
rapport civil[12]. On commença par défendre aux ministres de faire des prêches et des assemblées les jours
que les archevêques ou évêques feraient leurs visites
pastorales ; à tous seigneurs hauts-justiciers d’établir
dans leurs terres des officiers autres que catholiques,
et aux receveurs généraux des finances de traiter du
recouvrement des tailles avec aucune personne de la
religion prétendue réformée (Arrêts des 31 juillet et
6 nov. 1679, et du 17 août 1680). En novembre 1680,
le roi rendit un édit portant défense, sous peine d’incapacité
de succession pour les enfants, à tous catholiques
de contracter mariage avec ceux de la religion
prétendue réformée, Sa Majesté « ayant reconnu que
la tolérance de ces mariages expose les catholiques à
une tentation perpétuelle de se pervertir. » Bientôt
un nouvel arrêt établit la disposition inouïe par laquelle
Sa Majesté a « accordé à tous ses sujets de la
religion prétendue réformée qui feront abjuration de
ladite religion terme et délai de trois ans pour le paiement
du capital de leurs dettes, faisant Sa Majesté
défense à leurs créanciers de faire aucunes poursuites
contre eux pendant ledit temps. » (Arr. du Conseil du
18 nov. 1680, Versailles.) Ce fut Colbert qui signa ce dernier
arrêt. On conçoit facilement tout ce que dut coûter
à cet esprit, qui avait des idées commerciales et
économiques en avant de son siècle sous plusieurs rapports,
une mesure si monstrueuse en droit commercial ;
aussi il est difficile de se figurer la confusion qui dut
résulter d’une telle législation. Il fallut expliquer que
ce bénéfice de trois années de surséance ne comprenait
point les lettres de change et billets, ni les affaires
des marchands français avec les étrangers, ni les
transactions des nouveaux convertis les uns avec les autres
(Arr. du 5 nov. 1685 et du 12 janv. 1686, donnés à
Fontainebleau et à Versailles ; signésColbert). Enfin
on s’aperçut d’une chose en effet très-naturelle, c’est
que ce droit de surséance « était préjudiciable non-seulement
auxdits créanciers, mais encore aux débiteurs,
avec lesquels personne ne veut entrer en commerce,
ni traiter d’aucunes affaires, dans la crainte
qu’on a qu’ils ne se servent de ladite surséance. » Il
fallut donc révoquer totalement cette faculté extraordinaire
(Arr. du Conseil du 16 déc. 1686, Versailles ;
signéColbert). En ce qui touche les biens des consistoires,
on trouve un édit remarquable, ordonnant que
ces biens seront attribués aux hôpitaux les plus voisins,
avec charge de recevoir les malades de la religion
prétendue réformée « sans qu’ils puissent être
contraints de changer de religion, » disposition rare
et douce, qui fut bientôt annulée par des édits subséquents
(Édit du 21 août 1684, Versailles ; signéColbert).
En effet, il devint nécessaire de promulguer tout un
code pour disposer des confiscations des biens saisis
après l’émigration des réfugiés[13]. L’édit de révocation avait ordonné la saisie des biens de tous ceux qui étaient
sortis du royaume, à moins qu’ils ne revinssent dans
quatre mois, à partir du jour de la publication de
l’édit ; le roi prorogea ce terme jusqu’en mars 1687,
« voulant encore donner à nos sujets, pour leur salut
et pour la conservation de leurs biens, de profiter de
notre bonté et indulgence ; » mais un an plus tard, le
roi ordonna que les biens des consistoires, des ministres,
et ceux de tous fugitifs de la religion prétendue
réformée, seraient enfin réunis au domaine royal,
pour en être fait des baux aux fermiers des domaines
de chaque généralité ou autres particuliers et derniers
enchérisseurs, le tout pour être employé au
bien des écoles, hôpitaux, et généralement de la religion ;
ceux « qui seront convaincus d’avoir prêté leurs
noms aux ministres ou à nos sujets fugitifs pour
mettre à couvert tout ou partie de leurs biens » seront
contraints au paiement du double de la valeur entière,
et ceux qui dénonceront des biens recelés ou cachés
des ministres ou fugitifs recevront moitié de la valeur
des meubles, et dix ans du revenu des immeubles
(Édit de janvier 1688). Peu de temps après, le roi ordonna
qu’il fût fait un état général des biens meubles
et immeubles des consistoires, ministres et religionnaires
fugitifs (Arr. du Conseil, 31 mars 1688 ; signé,
Colbert). Bientôt on modifia ces dispositions qui
réduisaient en domaine de main-morte une notable
partie de la propriété du royaume. On accorda les
biens des fugitifs à leurs héritiers naturels et présents
(Décl. du roi, de déc. 1689). Une disposition encore
plus raffinée fût dirigée même contre les protestants
qui s’étaient convertis et qui étaient restés en France ;
le roi ordonna que tous ses sujets « qui ont fait profession
de la religion prétendue réformée » ne pourraient
vendre ni leurs biens immeubles, ni l’universalité
de leurs biens meubles, pour 3,000 livres et au-dessus,
sans une autorisation expresse d’un secrétaire
d’état (Décl. du roi du 5 mai 1699). Telle est la déclaration
fameuse qui fut prorogée de trois années en
trois années, jusque dans les dernières années du
règne de Louis XVI. Par ce moyen, l’administration
royale avait sans cesse la main sur les propriétés des
protestants.
Sous le rapport des charges et professions de la
société, cette législation renfermait un assez grand
nombre de dispositions que nous devons rappeler.
Une des premières lois de ce genre interdirait aux
réformés les fonctions de sages-femmes, par des motifs
on ne peut plus bizarres : « Il arrive encore que
lorsque lesdits de la religion prétendue réformée sont
employés à l’accouchement de femmes catholiques,
quand ils connaissent qu’elles sont en danger de la
vie, comme ils n’ont point de croyance aux sacrements,
ils ne les avertissent point de l’état où elles se trouvent. » (Décl. du roi du 20 février 1680.) Nous
citerons en entier un autre arrêt du conseil, en 1682,
dont la disposition assez ridicule forme contraste avec
la gravité de ces lois iniques. Arrêt du conseil portant
que les catholiques qui voudront se charger de
la fourniture des chevaux de louage seront préférés
à ceux de la relig. prét. réf. — « Le roi voulant
pourvoir par tous moyens à ce que ceux qui sont
chargés ou employés au service du public ne puissent
être d’autre religion que de la catholique, apostolique
et romaine, Sa Majesté étant en son conseil, a
ordonné et ordonne que les catholiques qui voudront
se charger de la fourniture des chevaux de louage
dans les villes et bourgs de son royaume seront préférés
à ceux de la religion prétendue réformée. Enjoint
aux fermiers des droits établis sur lesdits chevaux de
louage à s’y conformer, et aux intendants et commissaires
départis dans ses provinces d’y tenir la main.
Fait au conseil d’état du roi. Sa Majesté y étant, tenu
à Saint-Germain-en-Laye, le 9 mars 1682. » Signé,
Colbert. (Recueil des édits rendus au sujet de la rel. prét. réf., édit. de 1714, p. 123 ; édit. de 1729, p. 54.)
Un autre arrêt du 6 avril 1682, presque digne de
figurer à la suite du précédent, ordonne « que les
avocats catholiques concluront et porteront la parole
en toutes occasions pour le corps desdits avocats, à
l’exclusion de ceux de la religion réformée, quoique
plus anciens » (Arrêt du cons. du 6 avril 1682). Bientôt
il fut défendu aux réformés de faire aucune fonction
de notaires, procureurs, postulants, huissiers, et
sergents ; il fut défendu aux acquéreurs des charges
« d’habiter avec leurs résignants, directement ou indirectement,
ni de souffrir dans les études leurs enfants
ou parents pour travailler avec eux. » (Décl. du roi du 15 juin 1682.) Le même ordre fut donné à tous les
réformés qui posséderaient des charges civiles quelconques
dépendantes des maréchaussées ou sénéchaleries
du royaume, ou des maisons royales (Arrêt du
cons. du 29 sept. 1682, et du 4 mars 1683. SignésColbert). Un autre arrêt appliqua les mêmes exclusions
aux charges de conseillers, secrétaires, et il les
étendit aux veuves protestantes des titulaires décédés
(Arr. du cons. du 19 janv. 1684. Versailles. SignéColbert).
Il fut défendu également aux parties de nommer
des experts de la religion réformée, ni des conseillers
rapporteurs, et enfin, les protestants furent
exclus des professions d’apothicaires, d’épiciers, de
domestiques, de lingères, d’orfèvres, de libraires,
d’imprimeurs, de clercs, d’avocats, ou de médecins.
Une autre loi du caractère le plus étrange
jugea à propos d’exclure de la connaissance de tous
procès où les ecclésiastiques et même les nouveaux
convertis auraient intérêt, les juges qui auraient
des femmes de la religion prétendue réformée, attendu
que ces officiers, « par le moyen de leurs
femmes, aux prières et sollicitations desquelles se
laissent entraîner, n’ont pas l’exactitude à laquelle
leur devoir les engage pour faire exécuter régulièrement
nos édits et déclarations, et soutenir l’intérêt de
l’Église catholique. » Cette loi de précaution fut rendue
à Versailles, le 11 juillet 1685. Enfin, dans les
détails de cette législation et de ses effets civils, il ne
faut pas omettre d’enregistrer la plus fameuse et la
plus déplorable peut-être de toutes ces mesures ; ce
fut l’ordonnance qui recelait en germe les exécutions
militaires que l’histoire a flétries du nom de dragonnades,
et qui fut, dans l’origine, une menace assez simple et analogue à toutes les autres ; elle déchargeait
ceux des sujets du roi qui s’étaient convertis ou qui
se convertiraient ci-après, du logement des gens de
guerre, tant infanterie que cavalerie, française et
étrangère, et de toutes contributions, à l’occasion de
ces logements, pendant deux années. Ce fut cette loi
qui fut plus tard tant perfectionnée, et qui produisit
de si funestes effets sous la direction du ministre
Louvois. Cette première charte des dragonnades fut
rendue au château de Saint-Germain-en-Laye, le 11
avril 1681, et elle porte le contre-seing de Letellier[14].
Nous arrivons maintenant à la législation de la
révocation de l’édit de Nantes, sous le rapport de ses
effets religieux[15], qui continuèrent si longtemps à
peser sur les églises du désert. Ici, nous devons tâcher
encore plus de resserrer le tableau ; car malheureusement,
les documents s’accumulent de plus en plus.
Dans la législation de Louis XIV, touchant les protestants
français, spécialement comme société religieuse,
il faut distinguer les mesures qui consommèrent la révocation définitive de l’édit de Nantes d’avec
celles qui préparèrent cet événement. Ces dernières,
sauf les lois contre les émigrations et celles des
incompatibilités pour certaines professions, avaient
plutôt le caractère de mesures vexatoires que de
persécutions franches. La première de cette série,
qui s’étend dans un espace de seize années, depuis
1669 jusqu’en 1685, année de l’édit de révocation,
est cette longue et minutieuse déclaration du 1er février
1669, qui règle une foule de points tracassiers,
mais d’importance secondaire ; les ministres ne
devaient point s’intituler pasteurs, ni se servir de
termes injurieux dans leurs prêches, ni porter robes
et soutanes que dans l’enceinte des temples, et les
réformés étaient obligés de rendre certains honneurs
lors du passage des processions ; d’ailleurs, le préambule
de la déclaration annonce le projet de conserver
entre protestants et catholiques << une bonne amitié,
union et concorde. » Dix ans plus tard, une loi bien
plus sévère prononça le bannissement, l’amende
honorable, et la confiscation contre toute personne
qui, ayant fait abjuration, reviendrait à la religion
réformée (Décl. du 13 mars 1679, donnée à Saint-Germain-en-Laye).
La même année, une disposition
plus précise pourvoit à ce que les actes d’abjuration
soient déposés au greffe des procureurs royaux des
sièges (Décl. du 10 octobre, donnée à Saint-Germain-en-Laye).
Bientôt les édits allèrent un peu plus loin ;
deux déclarations de 1680 défendirent à tous catholiques
d’embrasser la religion réformée, et ordonnèrent
que, dans les cas de maladies graves des réformés,
les juges ordinaires ou les consuls se transporteraient
en leurs domiciles « pour savoir d’eux s’ils
veulent mourir dans ladite religion. » L’année suivante,
parut un des édits les plus extraordinaires de
toute cette série ; c’est la loi qui ordonne « que tous
sujets de la religion prétendue réformée ayant atteint
l’âge de sept ans puissent et qu’il leur soit loisible
d’embrasser la religion catholique, apostolique et
romaine ; et qu’à cet effet, ils soient reçus à faire abjuration
de la religion prétendue réformée, sans que
leurs pères, mères, ou parents, y puissent donner
aucun empêchement ; » cette même loi stipulait aussi
qu’après leur conversion, les enfants auraient le droit
de retourner dans leur maison paternelle, ou de se
retirer ailleurs, et de se faire donner une pension
proportionnée à leurs conditions et facultés ; les
parents reçurent défenses expresses, sous peine de
confiscation de leur revenu, de faire élever leurs
enfants en pays étrangers, et ceux qui y avaient
envoyé leurs enfants furent tenus de les rappeler[16](Décl. du 17 juin 1681, donnée à Versailles. SignéPhélypeaux). D’autres mesures vinrent bientôt interdire
toute assemblée de réformés, ailleurs que dans
les temples, leur reconnaissant ainsi ce dernier droit ;
mais il fut modifié par une autre déclaration qui stipulait
qu’il y aurait dans les temples une place réservée
pour les catholiques, « pour y entendre ce que
les ministres disent dans leurs prêches, afin, non seulement
de les pouvoir réfuter s’il est besoin, mais
aussi de les empêcher, par leur présence, d’avancer
aucune chose contraire au respect dû à la religion
catholique, apostolique et romaine. » (Décl. du 22
mai 1683.) L’année suivante, il fut ordonné que les
ministres ne pourraient faire leurs fonctions plus
de trois ans dans un même lieu, ni tenir de consistoire
plus fréquemment que tous les quinze jours ; enfin,
sur la demande du clergé réuni en assemblée générale
à Saint-Germain-en-Laye, le culte réformé fut
interdit dans toutes les villes épiscopales, la démolition
des temples y fut ordonnée ; ce fut la première
mesure générale contre les édifices consacrés au culte
protestant français (Arr. du cons. du 30 juillet 1685,
fait à Versailles. SignéColbert). Sur les instances
de la même assemblée du clergé, il intervint un autre
édit pour empêcher les calomnies des ministres et de
leurs adeptes contre la religion dominante ; il ordonne
de ne composer aucuns livres contre la foi officielle,
et on y remarque cette singulière disposition : « Défendons
aux ministres de parler directement ni indirectement,
en quelque manière que ce puisse être,
de la religion catholique. « (Édit du mois d’août 1685,
donné à Versailles.) Enfin fut rendu l’édit de révocation
générale, qui était assez clairement annoncé par
tous les précédents, mais qui, cependant, les dépassait
tous de beaucoup. On sait qu’il pose d’abord dans le
préambule, comme fait acquis, « que la meilleure et
la plus grande partie des sujets du roi de la relig. prét. réf. ont embrassé la religion catholique. » En
conséquence, il ordonnait la démolition de tous les
temples ; il contenait défense de s’assembler en aucun
lieu que ce puisse être ; il enjoignait à tous ministres
non convertis de sortir de France, sous peine des
galères ; il stipulait que tous les enfants seraient élevés
catholiques, et enjoignait aux parents de les
envoyer aux églises ; enfin, il prononçait la confiscation
définitive des biens contre tous protestants qui
ne seraient point rentrés dans l’espace de quatre mois,
et ordonnait que nul ne pourrait sortir du royaume,
sous peine des galères pour les hommes, et de la confiscation
de corps et de biens pour les femmes ; toutefois,
l’édit consentait à ce que ceux de la religion
réformée, non convertis, restassent en France, sans pouvoir être troublés ni empêchés, « à condition de
ne point faire d’exercice, ni d’assemblées, sous prétexte
de prières ou de culte de ladite religion »
(Donné à Fontainebleau, au mois d’octobre 1685.
SignéLetellier et Phélypeaux)[17]. Il fut pris,
l’année suivante, une autre disposition, qui devint la
source de ces enlèvements d’enfants, dont nous
voyons des exemples constants jusque sous le règne
de Louis XVI ; elle consista en un édit du roi qui
ordonne que, huit jours après la publication, tous les
enfants de ceux qui faisaient encore profession de la
religion prétendue réformée, depuis l’âge de cinq ans
jusqu’à celui de seize, soient mis, à la diligence des
procureurs-royaux, entre les mains de leurs parents
catholiques, et à défaut de parents de cette religion,
entre les mains de telles personnes catholiques, qui
seront nommées par les juges (Édit de janv. 1686)[18].
Un peu plus tard, il fut publié une lettre du roi au
lieutenant-général Ménars, intendant de la généralité
de Paris, pour obliger les parents réformés à envoyer
leurs enfants aux écoles et catéchismes, et à leur défaut, les enfants devaient être mis, de l’ordonnance des
juges des lieux, « les garçons dans des collèges, et les
filles dans des couvents. » (Lettre écrite à Versailles,
du 2 mai 1686. SignéColbert.) Une nouvelle déclaration
explicative de l’édit de révocation assigne, pour
la première fois, la peine de mort, comme punition
de tout ministre saisi en France, rentré ou non sorti ;
contre tout sujet qui leur donnerait assistance ou
secours ; elle prononçait contre les hommes, les
galères à perpétuité, et contre les femmes, la prison
perpétuelle ; 5,500 livres étaient promis à ceux qui,
par leurs avis, donneraient lieu à la capture d’un
ministre. La même loi contenait cette disposition
inexorable, qu’il fallut bientôt modifier : « (Art. V).
« Voulons pareillement, et entendons que tous ceux
de nos sujets qui seront surpris faisant dans notre
royaume et terres de notre obéissance des assemblées
ou quelque exercice de religion autre que la catholique,
apostolique et romaine, soient punis de mort,
(Donné à Versailles, le 1er juillet 1686. SignéPhélypeaux.) Toutefois, le droit des gens obligea
Louis XIV à insérer, dans cette déclaration, une exception
en faveur des ambassadeurs ayant des chapelains
de la religion protestante, et auxquels il fut
permis de faire toutes leurs fonctions religieuses sans
aucun trouble ni empêchement, dans l’enceinte des
logements desdits ambassadeurs (art. IV). Cette loi
n’ayant nullement empêché les assemblées, surtout
dans le Dauphiné et le Vivarais, une ordonnance
subséquente enjoignit que les religionnaires saisis en
flagrant délit d’assemblée subiraient seuls la peine de
mort, tandis que, « à l’égard des autres qui n’auront
pu être arrêtés sur-le-champ, » ils seront envoyés
incontinent, et sans autre forme, ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté, pour y servir comme
forçats durant toute leur vie (Fait à Versailles, le
12 mars 1689. SignéLetellier). Cette ordonnance
acquit un triste renom, parce qu’elle dérogea à la
juridiction des sièges prévotaux et sénéchalleries
avec appels aux parlements, et que pour la première
fois elle attribua le jugement des religionnaires aux
gouverneurs de province et aux intendants, procédure
sommaire que nous verrons souvent appliquer.
Arrêtons-nous un moment à cet endroit de cette
déplorable série de lois, pour remarquer que, lorsque
Louis XIV signa cette mesure où sont prodigués les
galères et la mort, il venait d’assister (janvier 1689)
aux représentations de Saint-Cyr où Esther et Mardochée
plaignaient les proscriptions des Juifs, dans
les vers immortels de Racine ; sans doute tous ces
admirables conseils du vieillard israélite rehaussés
par la beauté de Mme de Caylus, ou ne furent point
compris par le monarque, ou furent réfutés par les
jésuites de son confessionnal. Pour compléter cette
trop longue série, il nous reste à signaler la dernière
loi de Louis XIV, laquelle eut des suites aussi funestes
que fécondes, parce qu’elle admettait que tous les
Français sans exception, qui se trouvaient dans le
royaume, étaient par cela même censés « avoir embrassé
la religion catholique, apostolique et romaine,
sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés. »
Cette loi, se combinant avec celle du 29 avril 1686,
ordonne que tous sujets nés de parents qui ont été
de la religion prétendue réformée, avant ou depuis
la révocation de l’édit de Nantes, et qui, dans leurs
maladies, auront refusé aux curés, vicaires ou autres,
de recevoir les sacrements, et auront déclaré qu’ils
veulent persister ou mourir dans la religion prétendue réformée, soient réprimés par les peines suivantes ;
s’ils reviennent à la santé, ils seront condamnés,
« à l’égard des hommes, à faire amende honorable
et aux galères perpétuelles avec confiscation
de biens, et à l’égard des femmes et filles, à faire
amende honorable et être enfermées, avec confiscation
de leurs biens, et quant aux malades, qui auront
fait abjuration et qui auront refusé les sacrements…
et seront morts dans cette malheureuse disposition,
nous ordonnons que le procès sera fait aux cadavres
ou à leur mémoire…… et qu’ils soient traînés sur la
claie, jetés à la voirie, et leurs biens confisqués. »
(Donné à Versailles, le 29 avril 1686 et le 8 mars
1715. SignéPhélipeaux.)
Enfin, il est presque inutile d’ajouter qu’au milieu
de ces dispositions qui comprimaient toute l’existence
civile et religieuse des réformés, la condamnation de
leur littérature et de leurs livres ne fut pas oubliée.
Peu de temps avant la révocation définitive, le roi
ordonna que nuls livres concernant la rel. prét. réf.,
sauf ses confessions de foi, prières et discipline, ne
seraient imprimés ni débités sous peine de bannissement
et confiscation : « Voulons que tous les livres
qui ont été faits jusqu’à cette heure contre la religion
catholique par ceux de la rel. prét. réf. soient supprimés.
» Et quant aux libraires qui débiteraient de
pareils livres, la loi prononçait 1 500 livres d’amende
avec privation de l’état (Donné à Versailles, août
1685. SignéColbert). Peu de jours après cette loi,
le parlement de Paris chercha à faire un état des
ouvrages compris dans cet édit ; mais un tel catalogue
surpassant les lumières ou la patience des conseillers,
il fut adopté que « l’archevêque de Paris fera
un état des livres qu’il estimera nécessaire de supprimer suivant l’édit du roi. » (Arr. du 29 août 1685.)
Après la révocation ces mesures furent portées beaucoup
plus loin. Citons uniquement une ordonnance
rendue dans le Bas-Languedoc : « Le marquis de la
Trousse, commandant pour Sa Majesté en Languedoc.
Il est ordonné à tous les nouveaux convertis de porter
dans les vingt-quatre heures après la publication
de la présente ordonnance, entre les mains des sieurs
grands-vicaires, ou en celles des curés ou missionnaires,
tous les livres qu’ils ont de prières, psaumes,
bibles de Genève et autre nature de livres, pour,
après avoir été examinés, être les bons rendus à ceux
à qui ils appartiendront, et les autres jetés au feu, à
peine contre les désobéissants de punition sévère et
de grosses amendes. Enjoignons aux consuls de se
transporter avec le curé, ou autre ecclésiastique, dans
les maisons desdits nouveaux convertis pour y faire
une recherche exacte des livres qu’ils auront cachés ;
mandons aux commandants de faire accompagner
lesdits consuls, ou ecclésiastiques, par un officier
lorsqu’ils feront leur visite. » (Montpellier, 5 février
1686.) On voit que ces mesures plus ou moins sévères
embrassaient la capitale et les provinces. Elles expliquent
comment les ouvrages de la vieille littérature
protestante de France, malgré leur nombre et la
richesse de leur source, ont péri presque tous et sont
en général rares encore aujourd’hui.
Après cette triste énumération[19] il ne sera point
sans intérêt de songer aux sentiments que tant de
Français exilés de leur pays avaient gardés encore et
aux souvenirs qu’ils entretinrent sans cesse de la patrie absente. Pour peindre un tel état de choses, on
ne saurait mieux faire que d’emprunter les paroles
contemporaines de Saurin, dans ce fameux discours
du commencement de l’année 1710, où, au nom de
toutes les églises du refuge, il adresse ses vœux
annuels et à la France et au monarque auteur de
tant de maux. Ce passage célèbre, qui figure parmi
les chefs-d’œuvre classiques de l’éloquence sacrée,
servira comme de résumé à notre tableau législatif.
« Nos vœux sont-ils épuisés, s’écriait l’orateur exilé.
Hélas ! dans ce jour de joie, oublierions-nous nos
douleurs ? Heureux habitants de ces provinces, importunés
tant de fois du récit de nos misères, nous nous
réjouissons de votre prospérité, refuseriez-vous votre
compassion à nos maux ? Et nous, tisons retirés du feu (Ép. de Paul aux Cor., 3, 13), tristes et vénérables
débris de nos malheureuses églises, mes chers frères,
que les malheurs des temps ont jetés sur ces bords,
oublierons-nous les malheureux restes de nous-mêmes ?
Gémissements des captifs, sacrificateurs sanglotants,
vierges dolentes, fêtes solennelles interrompues, chemins
de Sion couverts de deuil, apostats, martyrs,
sanglants objets, tristes complaintes, émouvez tout
cet auditoire. « Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite
s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon
palais si je ne me souviens de toi, si je ne fais de toi
le principal sujet de ma joie. » Jérusalem, que la paix
soit dans tes murs ! Dieu veuille être touché, sinon
de l’ardeur de nos vœux, au moins de l’excès de nos
misères, sinon des malheurs de notre fortune, du
moins de la désolation de ses sanctuaires ; sinon de
ces corps que nous traînons par tout l’univers, du
moins de ces âmes qu’on nous enlève.
« Et toi, prince redoutable, que j’honorai jadis comme mon roi, et que je respecte encore comme le
fléau du Seigneur, tu auras aussi part à mes vœux. Ces
provinces que tu menaces, mais que le bras de l’Éternel
soutient ; ces climats que tu peuples de fugitifs, mais
de fugitifs que la charité anime ; ces murs, qui renferment
mille martyrs que tu as faits, mais que la foi
rend triomphants, retentiront encore de bénédictions
en ta faveur. Dieu veuille faire tomber le bandeau
fatal qui cache la vérité à ta vue. Dieu veuille oublier
ces fleuves de sang dont tu as couvert la terre et que
ton règne a vu répandre ! Dieu veuille effacer de son
livre les maux que tu nous as faits, et en récompensant
ceux qui les ont soufferts, pardonner à ceux qui
les ont fait souffrir. Dieu veuille qu’après avoir été
pour nous, pour l’Église, le ministre de ses jugements,
tu sois le dispensateur de ses grâces et le ministre de
ses miséricordes. Je reviens à vous, mes frères, je vous
comprends tous dans mes vœux… Mais il faut les
puiser à la source, il ne suffit pas qu’un homme mortel
ait fait des vœux en votre faveur, il faut aller jusqu’au
trône de Dieu même, lutter avec le Dieu fort, le forcer
par nos prières et par nos larmes, et ne point le laisser
aller qu’il ne nous ait bénis (Exode, 32, 32). Magistrats,
peuple, soldats, citoyens, pasteurs, troupeaux,
venez, fléchissons le genou devant le monarque du
monde. Et vous, volées d’oiseaux, soucis rongeants,
soins de la terre, éloignez-vous, et ne troublez point
notre Sacrifice. » (Sermon sur les dévotions passagères.) Ces touchantes et belles paroles font aussi
partie de l’histoire ; à l’ouverture d’un récit des
luttes des églises de la patrie, il était bon qu’on eût
sous les yeux le tableau des sentiments des Français
protestants qui en avaient été chassés et qui en traînaient
avec eux le douloureux souvenir : on verra que l’esprit de cette invocation de Saurin, où la conviction
de l’Évangile se mêle à la fierté du citoyen, et
où l’on croit entendre battre le cœur du Français sous
la robe du ministre banni ; on verra que cet esprit,
véritablement huguenot et patriote, fut toujours
celui qui anima les églises du désert. Ces paroles si
graves et si instructives pour les rois, il est plus que
probable que Louis XIV ne les connut jamais. Pendant
que Saurin parlait ainsi à La Haye, les journaux
de la cour de Versailles font mention des promenades 1710 Janvier.
du roi à Trianon et à Marly, ainsi que de la comédie
chez madame la duchesse de Bourgogne. « Le spectacle
fut fort beau, nous rapporte le marquis de Dangeau
dans ses notes ; il n’y avait que des dames considérables
et des courtisans. » Ce même mois, le
25 janvier 1710, « le soir, à cinq heures, il y eut des
marionnettes chez madame la duchesse de Bourgogne
pour monseigneur le duc de Bretagne. C’était lui qui
était en place, et madame la duchesse de Bourgogne
se mit auprès du théâtre comme une particulière. »
Tels furent, à Versailles, les événements contemporains
des souhaits de l’orateur de La Haye.
D’ailleurs, ce qui est fort remarquable, toutes les
rigueurs de ce code inouï de lois n’arrêtèrent nullement
les assemblées des réformés. Malgré les confiscations,
les émigrations, les supplices et les exécutions militaires,
malgré la clôture de tous les temples, les
protestants se réfugièrent dans les endroits les plus
écartés. L’édit de Nantes fut révoqué en octobre
1685, et dès le mois de novembre, les assemblées du
désert commencèrent dans les Cévennes. La première
qui fut surprise avait été convoquée pour la nuit
du 19 au 20 février 1686, entre Durfort et Saint-Félix.
On y fit des prisonniers, dont deux furent exécutés
à la Salle, et de ce nombre était le père d’un ministre
réfugié en Suisse, Teissier Viguier, de Durfort. Dans
cette même année, beaucoup d’autres réunions furent
surprises ; les carrières de Mus, près de Nîmes, les
bois près d’Uzès, les vallons du Vigan ne purent servir
d’asile aux assemblées : les Bétrine, les Pradet, les de
Belcastet, les de Tomeyrolles, qui furent ou blessés
ou suppliciés par suite des mesures de l’intendant
Baville, ouvrirent la longue série des confesseurs[20].
De tels détails nous écarteraient bien loin de notre
sujet ; nous rappelons les premiers événements de
la fin de 1685 et ceux de 1686 pour faire voir que
jamais les assemblées ne cessèrent tout à fait, et
que dans le même mois où le somptueux temple
de Charenton, près de Paris, fut nivelé avec le sol,
en novembre 1685, les assemblées religieuses des
Cévenols se passèrent de tout édifice humain et s’ouvrirent
sous les voûtes du ciel.
Il est impossible de ne pas faire quelques courtes
réflexions sur des événements aussi singuliers et aussi
graves. De quelque manière que l’on juge la politique
de la cour de France, à propos de la révocation complète
de la liberté religieuse, il est permis de supposer
que le roi ignora absolument les détails des
mesures qui avaient été prises, et que le clergé l’entraîna
sans doute bien plus loin qu’il n’aurait été lui-même.
Il est certain que les mesures militaires, qui
ont reçu le nom de dragonnades, furent de l’invention de Louvois, qui gémissait, après la paix de
Nimègue, de l’inaction de son département, et qui
voulut occuper les régiments par ces promenades
catholiques. Tous les jours le ministre répétait au roi :
« Tant de gens se sont convertis, comme je l’avais dit à Votre Majesté, à la seule vue de ses troupes[21]. »
On disait hautement à la cour que les cruautés commises
auraient été punies par le monarque si elles
fussent venues à sa connaissance[22]. Tant de soins
et tant de rigueurs ne purent produire la chimérique
unité de foi que l’on cherchait. On voulut des conversions,
et pour une grande famille que l’on acheta
par des charges ou que l’on effraya par des disgrâces,
cent huguenots plus obscurs sortirent de France la
haine dans le cœur. D’autres, toujours prêts à se soulever,
restaient chez eux, sans avoir le courage de
s’exiler, ni la lâcheté d’obéir à la force catholique ; la
cour ne pouvait ignorer qu’un grand nombre de bons
officiers français huguenots s’étaient engagés sur la
flotte, que le prince d’Orange rassemblait, pour détrôner
le dernier des Stuarts, ce roi que le peuple anglais
regarda partir si froidement, et qui vint à Saint-Germain
jouir de la noble hospitalité de Louis XIV,
non sans traiter minutieusement les questions d’étiquette
et chasser tous les jours, conduite qui lui
attira de la bouche du père de Louvois, l’archevêque
de Reims, cette remarque peu ecclésiastique : « Voilà
un fort bon homme ; il a quitté trois royaumes pour
une messe[23]. » Jacques II était obsédé de jésuites ; plus les Français le voyaient, moins ils le plaignaient de la perte de sa couronne. Plus tard, lorsque l’Europe
entière menaçait Louis XIV, il fallut laisser une
armée au centre de la France pour contenir les mouvements
religieux, tandis que les flottes combinées
d’Angleterre et de Hollande étaient garnies par une
foule d’excellents matelots calvinistes, que les côtes
de la Saintonge surtout avaient fournis à l’étranger.
Une foule d’autres circonstances, en apparence petites,
mais fort influentes, ajournèrent tout adoucissement
dans les mesures de persécution, lorsque la carrière
de Louis XIV fut accomplie.
Bossuet était mort ; et ce qui fut peut-être un malheur
pour les intérêts des protestants, l’illustre et tolérant
Fénelon, qui avait connu les amertumes d’une persécution
injuste, mourut en disgrâce dans son archevêché
1715. de Cambrai, non moins pleuré des réformés que des
catholiques, laissant la réputation d’un homme, suivant
l’admirable peinture de Saint-Simon, « qui fut
partout un vrai prélat, partout aussi un grand seigneur,
partout encore l’auteur de Télémaque[24]. »
Déjà son crédit renaissait, déjà une noble ambition
semblait le rappeler à la cour, où le règne de madame
de Maintenon penchait vers sa fin, lorsque la mort le
ravit à tant d’avenir. Tout eût peut-être changé de
face s’il eût rempli le poste qu’occupa si stérilement
à sa place l’évêque de Fréjus, depuis cardinal de Fleury.
À l’autre extrémité de la France, ce fut aussi un événement
fâcheux pour les réformés que la nomination
du servile et vénal La Parisière à l’évêché de Nîmes,
à la place de Fléchier. À ces événements privés se joignit
un dernier acte de faiblesse d’une cour bigote ;
l’ambassadeur de Louis XIV, le comte de Luc, renouvela l’alliance suisse avec les seuls cantons catholiques.
D’autre part, la cour brillante de la reine Anne, toute
livrée à des rivalités de grandes dames, ne demanda
que très faiblement la tolérance des protestants, lors
des conférences presque victorieuses de la paix d’Utrecht.
La faible et bonne reine Anne, au milieu des
menées des Churchill, oubliant son titre de défenseur
de la foi, laissait jouer à Windsor des sortes de marionnettes
presque aussi futiles que celles de la jeune
duchesse de Bourgogne dans les soirées de Versailles.
Que pouvaient les intérêts sacrés de tant de milliers
de fugitifs et les droits immortels de leur conscience,
contre tout cet égoïsme des rois et des reines de
l’une et de l’autre religion ?
Nous ne pouvons résister en terminant cet exposé
à faire une remarque plus consolante. Il ne faudrait
pas croire que toutes ces lois intolérantes de Louis XIV
fussent d’une exécution facile, ni même qu’elles fussent
de tous points approuvées par le parti même qu’elles
devaient le plus servir, nous voulons dire, par le clergé
catholique. Nous trouvons une preuve remarquable
du contraire ; elle est consignée précisément dans
ce petit recueil commode de près de deux cents lois
et édits que la cour autorisa, et qui forme le véritable
code pénal des Français protestants de l’époque. Nous
y voyons une circulaire remarquable, adressée aux
évêques de France par le ministre Phélypeaux de
Pontchartrain, selon l’ordre du roi, où cet administrateur
tance très-formellement les prélats, à cause
de l’espèce de froideur qu’une partie du clergé mettait
à exécuter les édits intolérants, surtout en ce qui concernait
la présence forcée des enfants des réformés
aux écoles catholiques. « Vous savez, dit Phélypeaux
à l’évêque de Chartres, les soins que le roi s’est donnés pour faire établir des écoles dans tous les lieux de son
royaume, et combien de fois Sa Majesté a fait écrire
à messieurs les prélats pour exciter leur attention, à
ce que les nouveaux convertis eussent soin d’y envoyer
leurs enfants. Elle apprend néanmoins avec surprise
qu’il y a des diocèses où ces écoles sont entièrement
négligées ; que les juges, à qui il est enjoint de prononcer
des amendes contre les pères et mères qui se
dispensent d’y envoyer régulièrement leurs enfants,
s’excusent sur ce que les curés ne les avertissent point
et que ceux-ci, par un scrupule mal placé, ne veulent pas les dénoncer, de peur de s’attirer la haine des
nouveaux convertis. Ils tombent encore dans une négligence
bien plus blâmable. Par l’édit du mois d’août
1686, les curés sont obligés de visiter les nouveaux
convertis dans leurs maladies, et lorsqu’à l’extrémité
de leur vie ils refusent de les écouter, ils doivent
avertir les juges de se transporter chez les malades,
pour recevoir leurs déclarations, afin que s’ils persistent
dans leurs erreurs, ils puissent faire le procès
à leur mémoire. Le roi apprend que tout cela ne s’exécute
point, par la faute particulièrement des curés,
qui ont la délicatesse de ne vouloir pas se porter délateurs, sous prétexte, disent-ils, qu’ils se rendraient
odieux aux nouveaux convertis, qui n’auraient plus
de confiance en eux. Cependant, il meurt très-fréquemment
des relaps, lesquels sont enterrés secrètement
pendant la nuit, dans les champs ou dans les
caves des maisons, sans qu’il soit fait aucune poursuite
contre leur mémoire, ce qui est directement contraire
à la disposition de l’édit… Vous jugez bien que de si
grands abus ne doivent pas être tolérés ; ainsi. Sa
Majesté m’ordonne de vous écrire que vous fassiez
des reproches très-vifs aux curés de votre diocèse qui peuvent être tombés dans ces négligences, et qu’en
général vous les avertissiez que le roi est très-mécontent
de leur peu d’exactitude à l’exécution de ses ordonnances ;
qu’ils aient à l’avenir à y être plus attentifs,
et qu’ils ne doivent jamais, par quelque considération
que ce soit, ni par aucun respect humain, se dispenser
de faire leur devoir dans les choses qui intéressent si
fort la religion. » (Versailles, le 6 février 1715.) Cette
épître est doublement remarquable. Elle fait bien
ressortir l’esprit qui animait le Conseil de Louis XIV
contre ses sujets réformés ; en même temps, elle honore
le clergé catholique du royaume. On se sent en
vérité serrer le cœur en lisant les odieuses réprimandes
de Pontchartrain contre ceux qui répugnaient à se
faire les ministres dociles des édits. D’un autre côté,
cette épître prouve fort bien qu’en une foule de points
de la France, les barbaries inquisitoriales contre les
parents réformés, contre les moribonds et contre les
cadavres, n’étaient pas du goût de beaucoup de dignes
prêtres des autels. On n’a pas assez signalé cette résistance
des curés aux édits de Louis XIV. Elle confirme
ce que disait le célèbre Jean Claude, lorsque avec
des compagnons d’infortune tels que Basnage, Bayle
et le jeune Jacques Saurin, obligé de fuir la France,
il protesta que toutes ces barbaries n’avaient pas l’approbation
de ses compatriotes catholiques[25]. Il serait en effet assez difficile de le penser. Et cette impopularité
s’explique assez bien par le genre de gouvernement
qui alors était celui de la France. Sous la
monarchie absolue de Louis XIV, la nation n’avait
aucune espèce de moyen, ni par ses assemblées, ni par
ses écrits, ni par des remontrances quelconques, soit
de faire prévaloir ses vœux, soit même de les émettre.
L’institution des intendants-proconsuls, et la force
d’une armée immense et permanente réussit évidemment
alors à étouffer toutes les libertés provinciales,
et à rendre toute résistance impossible. On a dit de
Louis XIV qu’il était surtout un roi administrateur.
La révocation de l’édit de Nantes fut un exercice de
ce génie administratif. L’air servile de Versailles, la
fierté du conquérant et l’humilité profonde de tous
les gens de robe, avaient bien persuadé au monarque
enivré qu’il lui serait possible de rendre uniforme
la doctrine de ses sujets. Il n’avait aucune idée
des résistances individuelles que pouvait faire naître
la foi outragée. Il ne comprit jamais la portée d’une
œuvre immense, qui, vue à travers ses idées étroites
et despotiques, se déforma et acquit la futile
proportion d’une affaire administrative. Louis XIV voulut
administrer les consciences ; il vit que ce n’était pas
chose facile. Aussi, sa tentative hardie eut pour résultat
de faire beaucoup de mal, de priver la patrie
d’une portion très-sensible de ses populations les plus
utiles ; mais elle ne réussit aucunement à établir l’uniformité
de religion. Louis le Grand fut obligé de
traiter avec les camisards des Cévennes.
On peut surtout s’étonner que tout cet assemblage
de mesures n’ait point révolté l’équité naturelle du
monarque ; il faut cependant faire ici quelques observations.
D’abord, les adulations de sa brillante cour, et
l’encens perpétuel des arts et des lettres n’ont pu manquer
de l’égarer et d’obscurcir un esprit naturellement
ferme et droit. Il est plus évident encore que
Louis XIV ignora toujours le véritable état des choses.
Le témoignage bien authentique de Saint-Simon
nous le dépeint comme enfermé dans Versailles, sans
communication possible avec le véritable pays. Il
était excessivement difficile, et toujours fort téméraire
de faire lire un placet ou d’adresser quelques
paroles à Louis XIV. Les sultans d’Asie de la race
pure des Seldjoucides peuvent seuls nous donner une
idée de la position de ce roi au milieu de la France.
Ces choses méritent d’être prises en considération par
l’histoire. À moins qu’il ne tombe aux mains d’un
homme très-supérieur, il est de la nature du pouvoir
absolu de ne savoir ni ce qu’il fait, ni où il va.
Aussi, la tyrannie au milieu d’un peuple éclairé, peut
quelquefois produire une solitude involontaire, qui
en est la conséquence et le châtiment.
L’équité nous porte à développer en quelques
mots ces réflexions, en les appuyant sur les seules
autorités compétentes, celle des témoignages contemporains. C’est dans l’ère de notre plus brillante littérature
que l’on peut les choisir. Il y avait alors à la
cour de Louis XIV une étonnante légèreté dans les
jugements que l’on portait touchant les protestants.
Mme de Sévigné, qui ne prend guère au sérieux que
son amour pour sa fille et le cordon bleu de M. de Grignan, s’exprime avec une grâce un peu dure sur
la position des réformés dauphinois, que la cruauté
des édits allait troubler dans leurs montagnes :
« M. de Grignan a fait un voyage d’une fatigue épouvantable
dans les montagnes du Dauphiné pour séparer
et punir de misérables huguenots, qui sortent de
leurs trous, et qui disparaissent comme des esprits,
dès qu’ils voient qu’on les cherche, et qu’on veut les exterminer. Ces sortes d’ennemis volants ou invisibles
donnent des peines infinies, et qui, au pied de la
lettre, ne sauraient finir ; car ils disparaissent en un
moment, et dès qu’on a le dos tourné, ils ressortent
de leurs tanières. » (Lett. au comte de Bussy ; 16 mars,
1689.) Voilà pour les résultats de la révocation, et
pour les guerres intestines qui en furent la suite.
Veut-on maintenant se faire une idée de la manière
dont la révocation même fut appréciée par la haute
société du temps, et par les belles dames dont la
sensibilité s’épanchait sur les pastorales de l’hôtel de
Rambouillet ; voici leur jugement :
« (Le P. Bourdaloue) s’en va, par ordre du roi,
prêcher à Montpellier et dans ces provinces où tant
de gens se sont convertis sans savoir pourquoi. Le
P. Bourdaloue le leur apprendra. Les dragons ont
été de très-bons missionnaires, jusque-là. Les prédicateurs
qu’on envoie présentement rendront l’ouvrage
parfait. Vous aurez vu, sans doute, l’édit par
lequel le roi révoque celui de Nantes. Rien n’est si beau que tout ce qu’il contient, et jamais aucun roi
n’a fait et ne fera rien de plus honorable. » (Lett. de
Mme de Sévigné au comte de Bussy. 28 octobre 1685.)
« J’admire la conduite du roi pour ruiner les huguenots ;
les guerres qu’on leur a faites autrefois, et les
Saint-Barthélemi ont multiplié et donné vigueur à
cette secte. Sa Majesté l’a sapée petit à petit, et l’édit
qu’il vient de donner, soutenu des dragons et des
Bourdaloue, a été le coup de grâce. » (Lett. du comte
de Bussy à Mme de Sévigné, 14 nov. 1685.) « Tout est
missionnaire présentement ; chacun croit avoir une
mission, et surtout les magistrats et les gouverneurs
de province, soutenus de quelques dragons ; c’est la
plus grande et la plus belle chose qui ait été imaginée
et exécutée. » (Lett. de Mme de Sévig. au président
de Moulceau, 24 nov. 1685.) Il serait superflu
de faire la moindre réflexion sur ces badinages. Ils
montrent assez tout ce qui manquait au grand siècle.
D’autre part, il arriva souvent, à cette époque, qu’un
rigorisme apparent vint couvrir toute cette frivolité
de jugements en matières théologiques. L’esprit
religieux du plus beau temps de Louis XIV se peint
fort exactement dans ce qui arriva lors de la mort de
Molière, qui expira le 17 février 1673. En réponse à
la requête de sa veuve, l’archevêque de Paris accorda
la sépulture ecclésiastique « à condition, néanmoins,
que ce sera sans aucune pompe, et avec deux prêtres
seulement, et hors des heures du jour, et qu’il ne
sera fait aucun service solennel. » (Voyez les pièces
authentiques, Vie de Molière, par Auger, éd. de Paris,
1819, p. 164.) Ce docte commentateur remarque que
ce même archevêque de Paris, Harlay de Champvallon,
qui refusait la sépulture à Molière, parce qu’il
était mort presque sur le théâtre, mourut lui-même presque dans les bras d’une de ses maîtresses, et que
tous les honneurs furent accordés à sa cendre, même
l’oraison funèbre. Mais le soir de l’inhumation de
Molière, une vile populace vint insulter ses restes.
Deux cents personnes conduisirent silencieusement
le cortège nocturne du plus beau génie dont la France
s’honore.
Des autorités infiniment plus graves que celle de
Mme de Sévigné purent égarer la cour de Versailles
sur sa conduite envers les protestants. Le conseiller
d’Aguesseau succéda, en 1673, à M. de Bezons, qui
était depuis vingt ans intendant de Languedoc ; il
s’attacha fortement au grand objet de la religion
réformée. Voici le jugement que porta sur la conduite
de son père le chancelier d’Aguesseau, honneur
de notre magistrature, et dont la statue brille
aujourd’hui devant le péristyle du temple des lois. « Il
approuvait l’usage de ces lois temporelles, dont je ne
doute pas même qu’il n’ait inspiré plusieurs, par lesquelles
le roi excluait les protestants des fonctions
publiques ou de la participation de certains privilèges… Cette voie légitime en soi, lui plaisait principalement,
parce qu’elle excitait les religionnaires à
rentrer en eux-mêmes, à approfondir les causes de
leur séparation, et à se convaincre mieux par un
examen qu’ils n’avaient peut-être jamais fait, de l’injustice
des prétextes qui avaient porté les premiers
réformateurs à quitter la route de leurs pères… Aucunes
lois ne lui paraissaient devoir être plus rigoureusement interprétées que celles où des sujets rebelles
avaient forcé leur roi, les armes à la main, de
leur accorder le pouvoir d’élever dans son royaume
autel contre autel. On vit en effet tomber, par ses
jugements, un grand nombre de temples. » (Discourssur la vie de M. d’Aguesseau, par le chancelier,
adressé à ses enfants.) Les principes et la conduite
du conseiller d’Aguesseau, austère de mœurs et sincèrement
pieux, lorsqu’il fut nommé intendant du
Languedoc, donne beaucoup à penser, quant à la
disposition des esprits en France à cette époque
presque inexplicable. Le chancelier nous raconte
que, malgré les édits, les assemblées des religionnaires
commencèrent à Saint-Hyppolite, dont le conseiller
avait fait démolir le temple. On prit les armes
des deux côtés, dans le Languedoc et le Vivarais. Le
conseiller recommandait les moyens de douceur ;
malgré lui, des troupes envoyées par le ministre Louvois
pénétrèrent en Dauphiné. « Quelques escadrons
de dragons ayant attaqué un corps de rebelles qui
allaient tenir une assemblée, passèrent environ deux
cents hommes au fil de l’épée, qui firent même assez
chèrement acheter leur mort. » (Disc. du chancelier d’Aguess.) Après toutes ces luttes avec les chefs
militaires, vinrent les jugements du conseiller intendant :
« Ce fut au moins une grande consolation pour
mon père, dans ce qui le regardait personnellement,
d’avoir pu finir cette grande affaire sans qu’il en
coûtât plus d’un seul supplice à son humanité. Le
ministre Homel fut l’unique coupable dont le sang
répara le crime de tous les autres[26]. Mon père le condamna à la roue, après lui avoir fait son procès
dans les formes ordinaires. » (Discours du chancel. d’Aguess.) Cette mesure du conseiller d’Aguesseau,
intendant de Languedoc, et la manière dont elle est
jugée par son fils, l’illustre chancelier, laisse voir,
mieux que toutes réflexions, la manière dont les
choses se passaient alors, et quels jugements on
croyait pouvoir rendre en toute sûreté de conscience.
Et il faut ajouter, qu’en une foule de circonstances,
le père du chancelier de France fait des réflexions
très-sensées et très-humaines sur les conversions par
voie d’exécution militaire, et qu’il prédit avec une
parfaite perspicacité combien elles seraient passagères,
et combien peu elles atteindraient le grand but
de l’unité de la foi. Cependant, le juge rigoureux du
vieux ministre Homel dut être bien regretté, lorsqu’il
fut remplacé en qualité d’intendant du Languedoc,
par Lamoignon de Baville, dont le malfaisant génie,
ayant pour devise, « toujours prêt, et jamais pressé »
(Saint-Simon) rappelle tout ce que l’action administrative
eut jamais de plus impitoyable[27]. Nous ferons
connaître, dans la suite de cette histoire (Pièc. just.,
noii), une lettre de ce fameux intendant, qui se
souilla de tant de supplices envers les réformés, et
dont la vie fut, en quelque sorte, expiée par la conduite
opposée de son illustre descendant Lamoignon
de Malesherbes, qui se plaisait à redire avec autant
de grâce que d’humanité : « Il faut bien que je rende
quelques bons offices aux protestants ; mon ancêtre
leur a fait tant de mal. »
En ce qui concerne les flatteries inouïes dont
Louis XIV fut l’objet, au moment même où son pouvoir
se signalait par tous ces édits si intolérants,
consignons d’abord comme mesure préparatoire le
compliment de Racine à propos du dictionnaire de
l’académie, compliment dont on peut dire qu’il est
l’un des plus extraordinaires qui aient été jamais
adressés même par un poète à son maître :
« Ce dictionnaire, qui de soi-même semble une
occupation si sèche et si épineuse, nous y travaillons
avec plaisir ; tous les mots de la langue, toutes les
syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous
les regardons comme autant d’instruments qui
doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur »
(Discours pron. à l’Acad. franc., à la réc. de
l’abbé Colbert, le deuxième fils du ministre ; 30 octobre
1678.) Plus tard on entendit l’auteur d’Athaliel’année même de la révocation de l’édit de Nantes,
faire fumer devant Louis XIV ce nouveau tribut :
« Ce grand prince, plein d’équité, plein d’humanité,
toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité,
sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus
parfait de tous les hommes. » (Disc. pron. à l’Acad. franc, à la réc. de MM. Thomas Corneille et Bergeret ;
2 janvier 1685.)
On vit La Fontaine, qui parlait peu de la politique,
se mettre de la partie contre les protestants, et
renonçant, au moins dans une occasion officielle, à la
philosophie de ses fables, louer Richelieu « d’avoir
doublement triomphé de l’hérésie et par la persuasion
et par la force. » Jusque-là ce n’était que de l’histoire
bonne ou mauvaise ; mais il y eut quelque chose de
beaucoup plus direct, en 1684, à féliciter Louis XIV
« d’avoir réduit l’hérésie aux derniers abois. » (Rem. de réc. à l’Acad. franc. ; 2 mai.) De quoi se mêlait le bonhomme ?
Les discours et louanges du clergé eurent un caractère
bien plus insinuant et bien plus dangereux.
Quelque difficile qu’il soit de supposer qu’il ignorât
réellement les violences inouïes qui se passaient, il
eut au moins la charité de vouloir faire prendre le
change à Louis XIV. Aussi on essaya sans cesse de
persuader à ce monarque que les voies de conversion
étaient douces, et que la seule conviction amenait
les changements les plus satisfaisants. Nous nous bornerons
à citer un seul exemple, mais frappant, de
ce genre d’argumentations, qui dut préparer un
champ plus libre aux persécuteurs tout en rassurant
la conscience du roi. Voici ce que le clergé disait au
monarque abusé :
« Aussi faut-il l’avouer, Sire, quelque intérêt que nous ayons à l’extinction de l’hérésie, notre joie l’emporterait
peu sur notre douleur, si, pour surmonter
cette hydre, une fâcheuse nécessité avait forcé votre
zèle à recourir au fer et au feu, comme on a été
obligé de faire dans les règnes précédents. Nous prendrions
part à une guerre qui serait sainte, et nous
en aurions quelque horreur, parce qu’elle serait sanglante ;
nous ferions des vœux pour le succès de vos
armes sacrées, mais nous ne verrions qu’avec tremblement
les terribles exécutions dont le Dieu des
vengeances vous ferait l’instrument redoutable ; enfin
nous mêlerions nos voix aux acclamations publiques
sur vos victoires, et nous gémirions en secret sur un
triomphe qui, avec la défaite des ennemis de l’Église,
envelopperait la perte de nos frères.
« Aujourd’hui donc que vous ne combattez l’orgueil
de l’hérésie que par la douceur et par la sagesse du
gouvernement, que vos lois, soutenues de vos bienfaits,
sont vos seules armes, nous n’avons que de
pures actions de grâces à rendre au ciel, qui a inspiré
à Votre Majesté ces doux et sages moyens de vaincre
l’erreur, et de pouvoir, en mêlant avec peu de sévérité
beaucoup de grâces et de faveurs, ramener à
l’Église ceux qui s’en trouvaient malheureusement
séparés Ce que votre zèle a déjà fait, la postérité
le regardera toujours comme la source de vos prospérités
et le comble de votre gloire. » (Disc. pron. à
la tête du clergé, par l’abbé Colbert, coadjuteur de
Rouen, pour remercier Louis XIV de l’édit du 22 octobre
1685, révoquant celui de Nantes.)
Les arts mêmes furent appelés à fêter ces victoires
déplorables contre une hérésie si industrieuse et si
pacifique. Faudra-t-il rappeler les figures hideuses
que le calice met en fuite, dans un des plus brillants salons de Versailles, sous le chaste pinceau de Lesueur ?
Faudra-t-il rappeler cette statue élevée à l’hôtel-de-ville
de Paris (1689), monument de la plus honteuse
flatterie, dû au ciseau de Coysevox, et consacré spécialement
au roi destructeur de l’édit de Nantes[28].
Des bas-reliefs d’airain mentionnaient cette offrande
des prévôt et échevins de la ville de Paris ; ils dessinaient
une affreuse chauve-souris aux larges ailes
enveloppant les œuvres de Jean Hus et de Calvin.
Tous ces bronzes ont été changés, l’an 1792, en
canons révolutionnaires qui allèrent tonner à Valmy ;
les inscriptions adulatrices ne sont plus ; mais la postérité
doit se souvenir à jamais qu’on y grava ces
paroles : Ludovico magno, victori perpetuo, ecclesiæ ac regum dignitatis assertori.
Nous bornons ici ces exemples déjà nombreux et
qu’il eût été facile de multiplier. Ils ont bien quelque
chose de surprenant et de douloureux. Par des
citations remarquables choisies dans les discours les
plus solennels du clergé, dans les harangues des littérateurs
les plus élevés, dans la jurisprudence bien
autrement grave de magistrats austères, dans les
compositions des arts et jusque dans les confidences
des ruelles, nous venons de voir combien l’esprit
du temps était âpre ou léger sur des mesures qui
nous semblent si condamnables aujourd’hui. Ces
traits de mœurs et d’opinions, venant de tant de côtés, expliquent jusqu’à un certain point comment
Louis XIV put ignorer le véritable état des choses,
ou put se tromper si gravement sur leurs suites.
Qu’on ajoute à toutes ces illusions la faiblesse d’un
esprit dévot et la hauteur du pouvoir absolu, et
peut-être pourra-t-on se rendre raison de tant de
mesures dont la postérité a dû exiger un compte
sévère. Elles suffisent toutefois et trop bien pour nous
faire trouver insupportable cette seconde apothéose,
dont on nous fatigue depuis quelque temps.
Nous n’avons point l’intention de nous arrêter sur
l’histoire proprement dite de la révocation, sur les
excès de tous genres qu’elle entraîna, sur les conséquences
longues et funestes qui en dérivèrent, ni sur
les insuccès dont elle fut une mémorable école.
Nous ne parlerons non plus de ces colonies de
réfugiés français, dont elle peupla à peu près toute
l’Europe protestante, dont elle jeta des débris dans
le Nouveau-Monde, et même jusqu’au cap de Bonne-Espérance.
Triste tableau, puisque tandis qu’en
France Louis XIV fondait une régie spéciale pour la
confiscation et la spoliation des biens saisis sur ses
compatriotes, en Prusse, Frédéric-Guillaume 1er fondait
une charge spéciale pour les protéger et les servir.
En France, c’était le conseiller et contrôleur
général Chamillart et ses successeurs qui furent préposés
par Sa Majesté « à la recette des biens des religionnaires
qui ont contrevenu aux édits » (Arrêt du
23 septembre 1704) ; et en Prusse, c’était le comte
de Denhoff, général, gouverneur de Memel, qui exerçait
les fonctions de directeur et protecteur des
affaires des Français réfugiés (Délibér. des réfugiés
franç. de Berlin, 3 janvier 1718). Voilà sans contredit
un renversement de rôles qui pénètre de tristesse.
D’ailleurs on ne peut qu’admirer les vifs mouvements
de charité, dont les Français réfugiés ou prisonniers
dans leur patrie furent l’objet dans l’Europe entière.
En Hollande, comme en Allemagne, en Suisse et en
Angleterre, c’étaient des étrangers qui venaient secourir
et chérir les Français gémissant sur les galères
de la France. Nous citerons à la fin de ce volume
une pièce bien douloureuse, mais remarquable et
par les détails qu’elle nous conserve sur les martyrs
et par la tendre sympathie de leurs frères des Provinces-Unies,
(Voy. Pièc. just. noiii.) Nous ne voulons
pas cependant examiner quelle pouvait être la
population exacte de cette masse de Français chassés
par l’intolérance. La question, assez fâcheuse et dénuée
d’intérêt, est à peu près insoluble aujourd’hui.
On ne pourrait la tenter qu’en recherchant dans tous
les pays protestants de l’Europe les colonies de calvinistes
français qui s’y réfugièrent ; encore il faudrait
distinguer celles qui sont éteintes aujourd’hui
par leur fusion avec les nationaux. Cette circonstance
a dû arriver très-souvent, et finira par arriver
toujours. « Une des plus puissantes consolations de
ces troupes fugitives, disait le pasteur réfugié de La
Haye, c’est que vous ne dédaignez pas de les confondre
avec ceux qui ont eu le bonheur de naître sous
votre gouvernement, c’est que vous n’exigez pas qu’il
y ait deux peuples au milieu de vous ; c’est que vous
avez la condescendance de nous considérer comme
si nous vous devions la naissance, ainsi que quelques-uns
de nous vous doivent leur entretien, et que
tous vous doivent leur repos et leur liberté. » (Saurin,
Sermon sur l’amour de la patrie,[29] On voit que déjà vers le commencement du siècle dernier les réfugiés
tendaient à cesser d’être un peuple distinct chez
les nations qui les avaient accueillis comme des
frères ; on peut juger combien serait vaine l’entreprise
de vouloir démêler aujourd’hui ces races étroitement
confondues depuis au moins quatre ou cinq
générations.
Cependant il nous est bien difficile de quitter ce
sujet sans au moins consacrer un souvenir à tous ces
hommes distingués, qui furent contraints de quitter
la France, ou à tous ceux dont la foi et les principes
furent si étrangement traités par les ineptes jésuites,
qui dirigeaient la conscience de Louis XIV. On choisit
pour calomnier la foi protestante le moment où plusieurs
des plus grands génies qui honorent l’humanité
en faisaient profession ouverte, et donnaient
à leurs immortels résultats scientifiques la couleur
d’une piété qui comprenait à la fois les lois et l’auteur
de la nature. C’était le moment où Newton
publiait son livre des Principes de la philosophie naturelle (1687) et le calcul de l’infini en variant
ces méditations sublimes par des commentaires sur
les livres les plus difficiles du Nouveau Testament, et
en partageant le même génie et la même dévotion avec
un autre protestant, son digne rival et coreligionnaire,
Leibnitz. C’était l’instant même où, par la plume habile
autant que religieuse de Samuel Clarke et de Locke,
les hautes vérités de l’existence divine recevaient
ces démonstrations, dont la force et dont la clarté
n’ont point été surpassées, comme aussi un illustre
réfugié français, Jacques Abbadie, presqu’au moment
même où la révocation fut signée, donna son traité,
le plus solide ouvrage qu’on ait composé en faveur
de la religion chrétienne. Il est remarquable que les
livres de ces trois philosophes si éminemment pieux
parurent en 1684, 1695 et 1704, précisément au
milieu de la série innombrable des édits où Louis XIV
et son secrétaire Phélypeaux attachaient des peines
capitales à leur foi. À ce moment aussi Huyghens fut
obligé, quoi qu’on en ait dit[30], à fuir Versailles et cette contrée où toute liberté de conscience et de culte
lui aurait été interdite ; il rapporta en Hollande son
analyse des ondulations de la lumière, et la magnifique
découverte de l’horloge oscillante. D’autre part, en
France, tandis que les édits interdisaient aux réformés
le métier d’huissier, de domestique ou de loueur
de chevaux, Denis Papin, de la famille des pasteurs
de Blois, allait à Londres et à Marbourg, en Hesse,
construire le premier modèle d’une machine à vapeur
mise en pratique (1690). Si cet homme de génie,
physicien et médecin illustre, fut resté sur les terres de
France, passé 1685, il n’eût pu, en qualité de protestant,
être reçu docteur, en vertu de la déclaration
du 6 août, signée Phélypeaux de Pontchartrain.
Il serait d’ailleurs fort difficile de compléter cette
énumération et de rappeler la foule d’hommes distingués
en tous les genres que ces mesures nous
ont enlevés. Les Estienne, l’honneur de l’imprimerie
française, s’établirent définitivement en Suisse. Pendant
que la peinture officielle de Lebrun et son art
des grandes machines régnaient en despote à Versailles,
les descendants de Jean Goujon, qui balança
la gloire de la sculpture florentine, et ceux de Bernard
Palissy, qui avait gravé sur ses poteries émaillées le
chaste dessin de Raphaël et les jeux de Jean d’Udine,
furent contraints de fuir le sol natal comme ceux du
peintre Jean Cousin et de Goudimel, le naïf et pieux
musicien des psaumes. La mémoire d’Ambroise Paré,
cet homme illustre qui fit réellement de la chirurgie
un art divin, ne put sauver ses descendants de l’exil
et de la persécution. Abraham Duquesne, ce grand
homme de mer et le digne adversaire de Ruyter, ce
guerrier intrépide, le père de notre marine, non-seulement
ne put obtenir durant sa vie, de Louis XIV,
les dignités qu’il eût honorées, mais après sa mort il
ne put obtenir un tombeau. Il vécut assez (1688) pour
voir la révocation ruiner sa foi et ses temples, et la
vallée alpine d’Aubonne, dans l’état de Berne, seule
recueillit sous un simple marbre ce cœur du marin qui
avait tant combattu pour la France. Il est vrai qu’aujourd’hui
son buste monumental s’élève enfin dans
le vieux palais des rois (Louvre, Musée de marine) : tardive
réparation de tant d’ingratitude. Toutes les professions
libérales avaient leur part de cette oppression
insensée ; elle atteignit ensemble l’honnête littérateur
Conrart, le courageux voyageur Chardin, et le savant
chimiste Lemery. L’architecte de Bott, le médecin
Bauhin, le grammairien Boyer, le pharmacien Charas
portèrent leurs services chez les étrangers, qui déjà
avaient recueilli tout l’éclat philosophique qui jaillissait
de la veine intarissable et trop sceptique de
Bayle.
Mais nos pertes en écrivains sérieux et érudits, en
hommes pieux, qui eussent continué les débats de la
science avec Port-Royal, et qui eussent peut-être fini
par s’entendre avec ces théologiens armés et consciencieux
comme eux-mêmes, furent bien plus sensibles
et bien plus irréparables encore. Le docte Pierre Allix alla servir à Londres une église du rit anglican. Les
descendants du pieux Drelincourt allèrent se fixer
en Hollande, en Angleterre ou en Allemagne, où
ils rencontrèrent les Basnage, les David Durand,
les Graverol, les Jaquelot, les Ancillon, les Janicon,
les Jansse, les Morin, les Jurieu, les Lecène, les
Lenfant, les Superville, les Élie Saurin, les Beausobre,
les David Martin, les de La Placette, les Bernard, les
Louis Cappel, les Rapin-Thoyras, les Rivet, les Bouhereau,
les Desmarets, les Desvignoles, les du Bosc,
les Bruguier, les Colomiez, les Le Courayer, les Daillon,
et tant d’autres chez lesquels un savoir profond se
mêlait à l’esprit critique et à une piété fervente. Tout
une littérature et tout une influence scientifique
partit avec eux. Des tombes de Port-Royal, labourées
par la charrue des persécuteurs, aucune voix ne
s’éleva, pas plus que des débris des académies et des
temples des réformés. La saine et grave théologie
française fut remplacée par la philosophie du xviiie siècle, qui nous gouverne et qui nous domine encore
aujourd’hui. Terminons ici cette esquisse littéraire,
qui n’est pas tout à fait une digression dans notre sujet.
Elle laisse entrevoir tout ce que la France a perdu.
En présence de tant de maux irréparables, dus au
caprice d’une cour ignorante et absolue, on se prend
à songer combien nos destinées seraient aujourd’hui
différentes, si des conseils plus sages eussent prévalu
dans les conseils de nos rois, ou, ce qui revient au
même, si la véritable opinion de la France eût pu se
faire jour. Mais de semblables considérations ne seraient
plus du domaine de l’histoire.
CHAPITRE III.
Assemblées des Églises sous la croix. — Prières du culte privé et du culte public.
Nous venons de terminer une tâche déplorable.
Nous avons tracé bien succinctement le code des lois
de Louis XIV concernant ses sujets protestants. Nous
avons dû interrompre le récit de la première renaissance
du culte et de la convocation périlleuse de ses
premières assemblées. Il est temps de reprendre le
cours de ces faits consolants, et c’est un récit que nous
ne devons plus interrompre.
On ne peut se dispenser d’abord d’apprécier les
graves changements qui survinrent en France, presque
aussitôt que Louis XIV eut fermé les yeux. Sous quels
rapports purent-ils affecter les églises réformées ? En
effet, avant de reprendre le tableau des efforts, pour
ainsi dire héroïques, qui furent accomplis pour restaurer
le culte réformé dans le midi du royaume, il convient
de jeter les regards sur la nouvelle législation du
commencement du règne de Louis XV, concernant
les protestants. Le duc d’Orléans, Philippe, s’était fait
décerner la régence par le parlement de Paris, et
cette même assemblée, qui disposait du sort de l’État,
cassa le testament de Louis XIV le lendemain même
de sa mort. Les droits des princes bâtards adultérins,
fils de Mme de Montespan, furent écartés, et ce fut
peut-être le seul événement de la régence où la morale
se trouva d’accord avec la raison politique. Le
duc du Maine et le comte de Toulouse furent réduits à d’inutiles cabales, qui n’aboutirent qu’à l’impuissante
intrigue qu’on a nommée la conspiration de
Cellamare. Ainsi, le parti de l’esprit prêtre, dont
Mme de Maintenon avait essayé de perpétuer l’empire,
en donnant au testament de son royal époux la direction
de ses vues dévotes, fut écarté.
D’autres événements d’une plus grande portée politique
signalèrent le commencement de la régence.
L’influence espagnole, toujours si funeste à la France,
se réveilla. Poussé par l’esprit brouillon du cardinal
Albéroni, Philippe V, ce petit-fils de Louis XIV, dont
le trône avait été cimenté par tant de sang français,
fit à son tour un rêve de monarchie universelle. Il
afficha hautement ses droits à la tutelle du petit
Louis XV, et tenta en même temps, par son ministre-cardinal,
de soulever la France, d’enlever la Sardaigne
à l’empereur, la Sicile à la maison de Savoie,
l’Angleterre à Georges 1er ; en un mot de rayer toutes
les dispositions de la précédente paix. Il est probable
que des projets d’unité religieuse se mêlaient à ces
illusions de domination politique, grâce aux confesseurs
jésuites qui entouraient le trône d’Espagne.
Mais le prêtre intrigant, qui troublait l’Europe par
les menées du cabinet de Madrid, se trouva en face
d’un adversaire qui portait la même robe à Versailles ;
c’était l’abbé Dubois, plus extraordinaire comme
prêtre que comme ministre. Toutefois, les traités de
la triple et de la quadruple alliance dissipèrent tous
les projets d’Albéroni et de son maître. L’Allemagne,
l’Angleterre, la France et la Hollande se rangèrent contre l’Espagne, dont la flotte fut engloutie sous1718. les boulets anglais, près de Syracuse. L’année suivante, l’Espagne, partout battue, accéda au traité1719. de paix, et Albéroni reçut son congé de premier ministre. Les événements politiques vinrent bientôt
se compliquer d’événements religieux. La cour de
France, une fois rassurée sur les prétentions de
régence qu’avait affichées la cour d’Espagne, rentra
dans l’ancienne politique de l’alliance des deux
branches de la maison de Bourbon. Le régent voulut
faire épouser sa fille, Mme de Montpensier, au prince
héréditaire d’Espagne, don Louis, et obtenir qu’on
donnât l’infante à son pupille le roi de France. Les
jésuites d’Espagne avaient fait de la réception pure
et simple de la bulle Unigenitus par le parlement de
Paris la condition de ces alliances réciproques ;
1720.Dubois s’en chargea, l’obtint et devint cardinal. Les
jansénistes furent ainsi victimes de la politique du
régent. D’un autre côté, les folies financières de Jean
Law, en précipitant la nation entière dans un agiotage
effréné et en ruinant tant de fortunes, avaient
démontré que c’était chose impossible que de prétendre
rejeter d’un coup le fardeau des dettes de
Louis XIV. Toutefois, il est probable que la suite
du gouvernement de Philippe d’Orléans, même
comme premier ministre, rassuré sur les prétentions
de l’Europe, eût abouti à quelque adoucissement dans
les mesures contre les protestants ; mais la même année
vit la déclaration de majorité de Louis XV, la mort
1723. 2 décembr.du Cardinal Dubois et celle de son maître le régent.
Telles étaient les circonstances politiques du pays ;
elles n’avaient rien de contraire au développement de
la liberté religieuse. Nous verrons plus tard quelles
influences de cour firent avorter les espérances qu’on
avait pu concevoir sur un changement dans la législation
pénale des églises. Elles parurent renaître
un instant par suite des intrigues politiques dont
le midi du royaume faillit être le théâtre. Nous venons d’indiquer rapidement les vues ambitieuses
du ministre de Philippe v, le cardinal Alberoni. Il
avait espéré trouver des appuis chez les protestants
français, et surtout chez ceux au sein desquels il
croyait le plus facile d’exciter des soulèvements. Ses
plans s’adressèrent de préférence aux églises des Cévennes
et du bas Languedoc. Le régent de France conçut
de vives inquiétudes. Afin de s’assurer un moyen
d’action confidentiel sur les églises, le gouvernement
du régent eut l’idée assez politique de s’adresser au
ministre et diplomate, Jacques Basnage, l’un des plus
illustres d’entre les réfugiés, homme dont le patriotisme
égalait les lumières et la prudence. À cet effet,
le régent dépêcha un gentilhomme à la cour de La
Haye, pour entrer en pourparler avec Basnage. Le sage
ministre indiqua au gouvernement du régent le jeune
pasteur Antoine Court. Ce dernier eut des conférences
avec les agents de son propre gouvernement.
C’étaient M. Genac de Beaulieu, gentilhomme du Dauphiné,1819. qui fut envoyé en Languedoc, et M. de la Bouchetière,
colonel de cavalerie au service de la Grande-Bretagne,
qui fut envoyé en Poitou, sa province d’origine.
Antoine Court leur déclara que les églises
avaient déjà éconduit les agents du cardinal d’Espagne,
que la rigueur des édits pouvait seule faire soulever
les protestants, et que, d’ailleurs, il travaillait
journellement et au péril de sa vie à détruire jusques
aux dernières traces du fanatisme. Il paraît certain
qu’après ces réponses claires et rassurantes, le gouvernement
du régent fit offrir une pension considérable
au ministre Antoine Court, avec faculté d’aliéner
ses biens, et même de s’établir hors du royaume.
Il refusa tout, à cause de l’espèce d’exil auquel ces
faveurs le condamnaient.
Nous avons d’ailleurs fort peu de détails sur ces
négociations curieuses, qui révélaient chez le gouvernement
de la régence une connaissance réelle de
l’état des choses dans le midi du royaume. Nous ne
connaissons ces faits que par quelques minces renseignements
sur ce ministre, détails que, bien plus tard,
son fils, Court de Gebelin relégua dans un coin de son
immense ouvrage[31]. Ce fut un grand bonheur pour
les églises que le ministre ait résisté aux offres brillantes
du régent. Elles auraient fait de ce pasteur un
agent politique et privé du cabinet. Elles eussent probablement
fermé la carrière évangélique qu’il parcourut
avec tant de zèle et de succès.
Ce fut à la même époque, sur les instances du
comte de Morville, ambassadeur de France en Hollande,
et sur la demande du régent, que Basnage fut
chargé d’écrire cette instruction pastorale, qui fut
imprimée à Paris, qui fut distribuée à profusion
dans toutes les provinces, et surtout dans celles du
midi du royaume. Elle avait pour but d’affermir les
populations dans la fidélité due au roi, et de les préserver
des intrigues étrangères. La lettre de Basnage
est écrite avec beaucoup de sagesse, et indirectement
ses conseils voilent avec adresse une diatribe contre
les maximes ultramontaines de la déposition des rois.
Mais il eût été à souhaiter que l’illustre pasteur et
écrivain y eût inséré quelques espérances, ou au
moins quelques vœux pour la liberté religieuse de ses
compatriotes, qui n’étaient pas, comme lui, en sûreté
de personne et de conscience chez un peuple hospitalier. Au reste, elle seconda puissamment l’œuvre
conciliatrice de Court. Ainsi, le plus illustre des pasteurs
du refuge et le jeune ministre du désert s’unirent
l’un et l’autre pour raffermir le patriotisme des
troupeaux. Il est bien certain toutefois, que si, d’une
part, les nombreuses assemblées qui se tinrent de
1715 à 1720, présentèrent de graves périls aux assistants,
d’autre part, les commandants ni les intendants
ne poursuivirent pas les réunions avec le zèle acharné
qu’ils avaient déployé naguère. Les pièces attestent
que ce fut la crainte de rallumer de nouveaux soulèvements
de camisards, qui imposa plus de douceur à
l’administration. Nous verrons cette crainte salutaire
se reproduire sans cesse dans tout le cours du siècle,
et couvrir les églises d’une sorte de protection.
Lorsque le régent s’appuya, pour la tranquillité
publique, de l’intervention du ministre Antoine Court,
il n’y avait pas très-longtemps que le fanatisme terrible
des camisards avait jeté ses dernières lueurs.
Ce ne fut réellement qu’en 1713 que les Cévennes
furent calmées. Longtemps après la capitulation et la
retraite de leur chef (1704), les camisards continuèrent
leurs réunions, et de nouvelles révoltes désolaient
encore le Languedoc. L’affreux Baville redoublait de
vigilance et de supplices ; mais les prophètes retirés à
Londres et en Hollande versaient sans cesse une nouvelle
ardeur visionnaire dans les esprits de leurs frères
persécutés. Malgré la perte de toutes leurs espérances
en Languedoc, les frères s’organisaient encore à la
fin de 1709, à Londres, en corps d’armée mystique,
divisé à l’instar des douze tribus d’Israël, offrant le
plus singulier mélange d’adeptes anglais et de noms
de réfugies. Il est encore question des « deux frères
Audemard et Nolibet, qui ont eu ordre de l’esprit confirmé par diverses bouches, de passer en Hollande,
pour, de là, être envoyés ailleurs. » Jusqu’en 1716, on
voit David Flotard, agent, pour la couronne anglaise,
du marquis de Remiremont, réclamer de Georges 1er
le prix de ses tentatives de soulèvements en Languedoc[32] (Placet au roi d’Angleterre, Mss. P. R.). Ces faits
expliquent assez les inquiétudes de la cour de France,
et ses sages démarches auprès des ministres du Languedoc.
On se rappelait d’ailleurs que les réformés
français avaient des amis dans les congrès étrangers.
Dès 1709, aux conférences de Gertruydenberg, préparatoires
à la paix générale d’Utrecht, les plénipotentiaires
des alliés réformés s’étaient un peu émus
du sort de leurs frères protestants. Les réfugiés en
Hollande avaient excité sur ce sujet le zèle des états généraux.
Ils avaient demandé que la liberté de conscience
pour leurs compatriotes de France devînt une
des conditions de la paix, et ce fut Jacques Basnage
qui dirigea toute l’affaire de ces justes réclamations
(The Tatler, no du 10 mai 1709). Mais les ministres
de Louis XIV n’eurent point de peine à repousser la
faible insistance des alliés, et d’aucune part on ne
voulut subordonner la fin d’une guerre qui avait si
longtemps embrasé l’Europe, à des transactions intérieures entre le roi de France et ses sujets. Les alliés
durent se contenter d’assurances générales et vagues.
Sans doute, on leur répéta les paroles qu’avaient dites,
dans les conférences de Versailles, le contrôleur général
Chamillard et le duc de Beauvilliers, lorsqu’ils négociaient
avec le baron d’Aygaliers, gentilhomme d’Uzès,
la capitulation de Cavalier et de sa troupe. Voici les
paroles du ministre d’état à l’envoyé des protestants
du Languedoc : « Que ceux qui ne peuvent pas s’accommoder
de notre religion prient Dieu chez eux ;
on ne les ira point troubler, pourvu qu’ils ne fassent
point d’assemblées. »
Un homme de guerre qui connaissait bien le Languedoc
et le Dauphiné, où il avait eu le malheur de
commander avec Baville, le maréchal de Berwick, ne se
dissimulait pas la portée politique de ces mouvements
insurrectionnels. Il disait que si les camisards eussent
vécu en chrétiens, et qu’ils se fussent seulement déclarés
pour la liberté de conscience et la diminution
des impôts, tous les huguenots du Languedoc se
seraient joints à eux. Il redoutait, dans ce cas, que la
contagion ne gagnât les provinces voisines, et même
que beaucoup de catholiques ne fissent cause commune
avec ces libérateurs. Alors le royaume risquait
d’être entièrement bouleversé, si les Anglais et les
Hollandais fournissaient des chefs puissants et des
subsides plus puissants encore[33]. Assurément, l’avis de ce belliqueux rejeton du sang des Marlborough
annonçait beaucoup d’intelligence politique. En général, ce fut là l’expression de la politique secrète
des dernières années de Louis XIV et de la régence
d’Orléans envers les églises réformées françaises. Jamais
la cour ni les ministres qui se succédèrent au
pouvoir n’oublièrent les embarras inouïs de la guerre
des camisards, ni les liaisons qui s’étaient établies
entre les révoltés du midi et les étrangers. On n’oublia
pas la visite maritime de l’amiral anglais Showel
aux côtes du bas Languedoc, en 1703, ni le débarquement
du général Saissan, en 1710, qui occupa
Cette et Agde, conquêtes éphémères que lui arracha
aussitôt l’intrépidité du maréchal de Noailles. On sentit,
dès ce moment, les graves dangers qu’il pouvait
y avoir à réduire au dernier degré du désespoir une
population guerrière, qui, des collines de la côte,
pouvait correspondre avec les vaisseaux ennemis.
Aussi, dans les premières années qui suivirent la
mort de Louis XIV, l’inquisition des consciences
perdit un peu de sa rigueur. Le culte réformé des
Cévennes et du Languedoc fut souvent confiné dans
l’enceinte des maisons. Cette circonstance seule,
outre le mystère qui enveloppait alors toutes les habitudes
des protestants, aurait suffi pour rendre
très-rares les preuves de la piété de ces populations,
obligées de se renfermer ainsi dans le foyer domestique.
Il faut remarquer encore que ce genre de culte,
opposé à la discipline qui suppose toujours une
réunion d’églises et un acte public, n’avait pas l’approbation
entière des pasteurs courageux, qui travaillaient
à réorganiser ces communautés. Toutefois
nous devons recueillir un monument intéressant du
culte privé avant de parler des témoignages bien plus
frappants que nous a laissés le culte public. Nous trouvons,
dans nos pièces, une copie d’une courte prière, usitée pour le culte privé, dans des localités du Languedoc
où l’on ne pouvait espérer de visite pastorale.
Nous en plaçons la date approximativement à l’an 1718,
avant les grandes tournées et les réunions importantes
qui furent provoquées par le pasteur Antoine
Court. On ne pourra qu’être frappé de la simplicité et
de la naïveté éloquente de ce morceau (Mss. Fab. Lic.)[34].
« Prière pour les fidèles qui lisent ensemble la
parole de Dieu et un sermon, mais qui sont privés
de l’exercice public de leur religion.
« Grand Dieu, que les cieux des cieux ne peuvent
comprendre, mais qui a promis de te trouver où deux
ou trois sont assemblés en ton nom, tu nous vois
assemblés dans cette maison pour t’y rendre nos
hommages religieux, pour y adorer ta grandeur, et
pour y implorer tes compassions. Nous gémissons en
secret, et d’être privés de nos exercices publics, et de
n’entendre point dans nos temples la voix de tes serviteurs. Mais bien loin de murmurer contre ta providence,
nous reconnaissons que tu pouvais avec justice
nous accabler par tes jugements les plus sévères ;
ainsi nous admirons ta bonté au milieu de tes châtiments.
Mais nous te supplions d’avoir pitié de nous.
Nous sommes sans temple. Mais remplis cette maison
de ta glorieuse présence ! Nous sommes sans pasteur ;
mais sois toi-même notre pasteur. Instruis-nous des
vérités de ton Évangile. Nous allons lire et méditer ta
parole. Imprime-la dans nos cœurs ! Fais que nous y
apprenions à te bien connaître, et ce que tu es et ce
que nous sommes ; ce que tu as fait pour notre
salut et ce que nous devons faire pour ton service ;
les vertus qui te sont agréables et les vices que tu
défends ; les peines dont tu menaces les impénitents,
les tièdes, les timides, les lâches et les profanes, et
la récompense glorieuse que tu promets à ceux qui
te seront fidèles. Fais que nous sortions de ce petit
exercice plus saints, plus zélés pour ta gloire, et pour
ta vérité, plus détachés du monde, et plus religieux
observateurs de tes commandements. Exauce-nous,
par ton fils. »
Après cet exemple de culte privé, nous devons
parler du culte public. Les efforts des pasteurs qui se
dévouèrent à cette œuvre courageuse, sont au plus
haut degré dignes de mémoire.
Tous ces travaux vraiment apostoliques, tendant
à réédifier le culte et la discipline réformée sur les
cendres encore fumantes de la guerre des Camisards
et au milieu des aberrations de leurs derniers prophètes,
eurent lieu dans un espace de trois années,
depuis 1715 jusqu’en 1718, depuis l’époque de la
mort de Louis XIV jusqu’à l’abaissement de l’Espagne
par les victoires de la régence d’Orléans et de l’Angleterre. Ils coïncidèrent avec les succès de la quadruple
alliance, ligue qui unit les cours de l’Europe
sans distinction de doctrine, et qui consolida l’égalité
diplomatique de tous les cabinets sous le point de
vue religieux. Cependant, à l’époque même où des
hommes aussi évangéliques que courageux se dévouaient
à l’œuvre de rallier les églises désolées, le
conseil de Louis XIV poursuivait son œuvre avec une
constance égale ; à l’époque de cette même année 1715,
où Antoine Court réunissait les prédicateurs et les
laïcs des églises dans quelque grange solitaire ou dans
les grottes inaccessibles du Vivarais et des Cévennes,
six mois ne s’étaient pas écoulés depuis que le jésuite
Letellier et Mme de Maintenon, obsédant la couche
mortelle de Louis XIV, avaient obtenu une nouvelle
déclaration, où, tout en proclamant la catholicité de
tous ses sujets comme un fait déjà consommé et irrévocable,
il ordonnait derechef, contre les nouveaux
convertis rebelles aux sacrements, les galères et l’outrage
des cadavres. « Depuis la révocation de l’Édit
de Nantes, disait le vieux monarque presque mourant,
après soixante-douze années de règne, nous
n’avons rien oublié de ce qui pouvait dépendre de
nous pour retirer des erreurs de la religion prétendue
réformée, ceux de nos sujets qui y étaient nés, et
pour procurer l’éducation de leurs enfants dans la
véritable, et nous avons eu la satisfaction de voir
que Dieu a béni en cela nos pieuses intentions, par
le grand nombre des personnes qui ont fait abjuration… d’autant que le séjour que ceux qui ont été
de la religion prétendue réformée, ou qui sont nés
de parents religionnaires, ont fait dans notre royaume,
est une preuve plus que suffisante qu’ils ont embrassé
la religion catholique, apostolique et romaine, sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés. » (Déclaration
du roi, 8 mars 1715. ) Au moment même
où le secrétaire d’état, Phélypeaux de Pontchartrain,
vigilant administrateur d’une si longue oppression,
faisait apposer le grand sceau de cire jaune à cette
dernière intolérance de son vieux maître, rien ne
l’avertissait sans doute que de fervents synodes
renaissaient alors dans un coin obscur du Languedoc,
et que leur zèle serait encore plus puissant que ses
édits. Tels furent les travaux de ces trois années,
accomplis dans le midi du royaume, par des pasteurs
modestes et peu lettrés ; ils dureront sans doute aussi
longtemps que les œuvres des théologiens catholiques
contemporains, aussi longtemps que les belles impressions
des conciles de Hardouin sous les presses
du Louvre, et que les discours de Massillon au milieu
des magnificences de la Sainte-Chapelle.
Ce n’était pas assez de prendre des mesures générales
pour régulariser le culte et le sacerdoce, et pour
prévenir les abus de personnes sans instruction et
sans mission, usurpant la parole dans les assemblées.
Il fallait pouvoir envoyer des ministres régulièrement
ordonnés. Il n’y en avait aucun dans cette partie du
royaume qui eût reçu l’imposition des mains, hormis
un ministre du Dauphiné, Jacques Roger, qui avait été
consacré dans le Wurtemberg, et qui n’avait pas
craint de braver la loi capitale, qui lui interdisait de
retourner en France. Dans tout le Languedoc, le
ministre Court, non plus que ses collègues, n’avaient
d’autre mission que leur zèle, ni d’autre titre que
celui que des assemblées consistoriales de laïcs leur
avaient conféré. Ils ne pouvaient donc, à la rigueur
ni validement, bénir les mariages, ni conférer les
sacrements. Antoine Court chercha les moyens de remédier à ce vide fâcheux. Pour donner à toutes ces
mesures la sanction qu’elles devaient recevoir d’un
caractère sacré, il détermina un des plus distingués
de ses collègues, le ministre P. Corteis, à se rendre
à Zurich pour y recevoir l’imposition des mains, suivant
le rit de la discipline helvétique. Le pasteur
Corteis, dont nous avons souvent trouvé le nom au
bas d’actes synodaux du désert, en Languedoc, n’hésita
pas à faire ces périlleux voyages. De retour, il 1718.
consacra le ministre Antoine Court, à la tête d’un
synode ; et ce furent ainsi les pasteurs Court, Corteis
et Roger qui sauvèrent, pour la France réformée,
la filiation de l’ordination suivant la règle apostolique,
au milieu des épreuves d’une si longue intolérance,
après la guerre des Cévennes. Dès
lors, grâce aux sages mesures de ces ministres, la
consécration au saint ministère put devenir valide
dans le midi du royaume, et c’est de leurs mains
courageuses qu’elle a été transmise jusqu’à nos jours
aux florissantes églises du Languedoc et des Cévennes.
De si beaux efforts devaient être couronnés de
succès. Bientôt il put se réunir au milieu des églises
de ces deux provinces, un synode qui rassembla1718. 7 février.,
quarante-cinq membres, tant pasteurs que membres
anciens et laïcs. On décréta que nul ne serait reçu
pasteur « qu’après un sérieux examen de sa doctrine
et de ses mœurs. » On arrêta que tous pasteurs
« doivent avoir le témoignage de mener une sainte
vie, irrépréhensible, et qu’ils possèdent les lumières
et les connaissances requises pour s’acquitter d’un si
glorieux emploi. » — « Et comme dans ce temps de
calamités nous recevons des pasteurs qui n’ont point
reçu l’étude des langues, au moins faut-il qu’ils aient les qualités ci-dessus nommées : sur cela, la compagnie
a reçu le nommé Jean Bétrine pour prêcher le
saint Évangile par toutes les églises où la Providence
l’appellera. » (Syn., cop. cert. mss. P. R.) À cet article,
qui porte si naïvement l’empreinte du malheur des
temps, il faut ajouter une disposition remarquable
de la même assemblée, par laquelle, reconnaissant
sans doute l’extrême difficulté de rebaptiser tous les
enfants qui, depuis trente ans, avaient reçu ce sacrement
par contrainte de la main des prêtres, elle décréta
pour cette fois « que le baptême de l’église
romaine est bon, quoiqu’on ne puisse toutefois y
présenter des enfants sans se polluer. » (Art. 3.) D’ailleurs, l’assemblée jugea nécessaire de confirmer en
leur charge tous les ministres qui n’avaient pu recevoir
que l’approbation des anciens.
Ces sages mesures étaient appuyées quelquefois de
jugements sévères et fortement motivés, qui prouvent
combien ces pasteurs de la renaissance du culte
veillaient à la stricte observation de la discipline qu’ils
essayaient de rétablir. 1720 13 décembr.Ainsi peu d’années après les
premiers synodes, le ministre Jean Vesson fut déposé
et fut interdit de sa charge pour cause de schisme,
pour avoir administré le baptême à des enfants,
n’ayant point d’ordination « ni approbation des anciens
élus et choisis par les fidèles, ce qui est un
grand crime et une grande irrégularité, » et attendu
« que s’il est permis, à la vérité, à des anciens élus
à la pluralité des voix dans un temps de persécution,
d’établir un homme en qui ils connaissent les qualités
requises, et de lui donner puissance et autorité
de faire toutes les fonctions d’un pasteur, le sieur
Vesson n’a été reçu dans aucun consistoire de pasteurs
ou d’anciens. » (Syn., cop. cert. mss, P. R.) En même temps, on songeait déjà à prendre des mesures
pour assurer quelques faibles honoraires aux ministres
qui prêchaient au milieu de tant de périls.
Deux synodes de cette même année prirent des dispositions
remarquables : le premier, composé de deux
pasteurs, de huit proposants et de quarante-huit 9 mai.
anciens, délibéra en ces termes : « Il sera baillé, pour
les habits et pour l’entière couverture des pasteurs
et des proposants qui prêchent dans les églises désolées
de France, la somme de soixante-dix livres chaque
année. » Il prit aussi des mesures contre le danger des
improvisations trop vives, en ordonnant, à l’égard
d’un proposant, qu’il communiquerait ses sermons
d’avance à une commission pour les faire approuver,
et que s’il ne pouvait pas les apprendre mot à mot,
au moins serait-il obligé d’en conserver et dire le véritable
sens. L’autre assemblée délibéra en ces termes
l’art. 5 de ses règlements, qui donne une idée de la 1720 20 septemb.
position périlleuse de ces pasteurs. « Les circonstances
fâcheuses demandant qu’on prenne de plus grandes
précautions pour la conservation des assemblées, il
a été délibéré que les anciens auront le soin de fournir
des sentinelles dans les lieux où il y aura des garnisons. » Une autre disposition, aussi naïve dans sa
forme que prudente au fond, montrera la vigilance
de ces assemblées pour la réputation des ministres.
« A été délibéré que les pasteurs et proposants n’iront
point dans les maisons où il y aura soupçon qu’ils
aiment quelque fille d’une amour temporelle, et cela
pour éviter les scandales et les maux qui pourraient
s’y glisser ; les anciens sont exhortés d’y veiller soigneusement. »
(Art. 3. Syn., cop. cert. mss. P. R.)
À mesure qu’on avance dans ce siècle et qu’on suit
l’histoire des églises du midi de la France, les seules où alors le culte protestant eût repris quelque chose
de son ancienne organisation, on voit clairement
d’année en année les efforts des premiers ministres
qui consolèrent ces contrées, grandir et produire de
meilleurs résultats. Les assemblées synodales deviennent
plus considérables et plus fréquentes ; leurs
délibérations prennent plus de hardiesse et plus de
vigueur. Rien de plus intéressant que de suivre ainsi,
sur les documents mêmes de ces courageux labeurs,
les progrès de la discipline, et que de voir les troupeaux
se retrouver et l’ordre renaître du sein de la tempête.
Ainsi, sept années s’étaient à peine écoulées depuis la
première assemblée de 1716, que l’on vit un synode
rassembler le nombre de cinquante-quatre membres
et faire des règlements très-formels tant pour arriver
à une forte organisation, que pour prévenir tout
1723. 19 mars.mélange avec le rit romain, qui pût compromettre le
pur dogme réformé. En présence de tant d’édits oppresseurs,
et sous le coup toujours suspendu des
arrêts les plus cruels, cette assemblée n’hésite pas à
fulminer contre cette question : Si l’on pouvait assister
aux mariages et aux baptêmes de l’église romaine ?
« La vénérable assemblée, après avoir examiné mûrement la chose, a dit que cela ne se pouvait point 1723.
faire ; c’est pourquoi a délibéré que toutes les personnes
qui y auront assisté seront suspendues de la sainte cène, jusqu’à ce qu’elles auront fait réparation publique et donné des marques d’une véritable repentance. » Vigilante contre l’abus des prédicateurs non
autorisés, l’assemblée « avertit les fidèles qu’à l’avenir
ils ne donnent la main à aucune personne, si elle ne
montre son approbation, sous peine aux anciens
d’être démis de leur charge, » et que personne ne
pourra même faire la lecture et lever le chant des psaumes, à moins d’être élue par les anciens, et qu’à
défaut, les anciens eux-mêmes feront ce service. Pour
venir au secours de ceux dont, selon les termes des
édits, on confisquait les biens et dont on forçait les
maisons, le synode fit cette déclaration remarquable :
« Encore il a été proposé qu’en plusieurs endroits il
pourrait y avoir des nécessités telles que l’église particulière
ne pourrait pas y subvenir, soit à l’égard de
quelque chef de famille qui pourrait être pris au sujet
de la religion, ou des maisons qui pourraient souffrir
quelque dommage pour avoir logé quelque pasteur :
ainsi a été délibéré que toutes les églises y contribueraient
en général ; c’est pourquoi la vénérable
compagnie a chargé les pasteurs et proposants d’exhorter
les fidèles d’élargir leur charité et d’enjoindre
aux assemblées que, outre l’argent qui se lève pour
les pauvres, elles feront une collecte, et ainsi tiendront
une autre bourse en cas de nécessité. » (Syn., cop. cert. mss. P. R.) Enfin, voulant faire disparaître
toutes traces de la désorganisation générale que les
guerres avaient produite, et détruire jusqu’aux occasions
où une église isolée s’établirait sans règle aucune
au risque de voir le fanatisme y renaître, le
même synode déclara qu’attendu « que dans les villes
et lieux où il n’y a point d’anciens, il est arrivé des
désordres et des scandales, il a été délibéré qu’on en
établirait incessamment, et faute de ce faire et s’il y
a un refus de la part des fidèles, ils ne seront point
visités des pasteurs, ni avertis pour aller aux assemblées. » Quelle punition, pour une infraction à la discipline,
que de n’être averti d’aller à des assemblées
qui, si elles étaient surprises, attiraient sur le
ministre la peine du gibet, et les galères perpétuelles
pour les assistants !
Ces vigoureuses mesures d’administration étaient
secondées par les exercices d’un culte dont les dangers
et l’action puissante sur les âmes concouraient
également à ranimer et à entretenir l’ancienne ferveur.
Mais il est malheureusement difficile de découvrir
aujourd’hui des monuments bien certains des
prédications protestantes du désert, vers le commencement
du xviiie siècle, et par conséquent appartenant
à une époque très-antérieure au ministère de
Paul Rabaut. Alors les plus grandes précautions
étaient mises en usage pour cacher toute preuve de
ces exercices solitaires, que des lois cruelles interdisaient
au prix de rigoureuses condamnations. Que si
l’on retrouve aujourd’hui dans les pièces inédites de
ces temps quelques morceaux de sermons, on voit
que le plus souvent ils traitent de matières religieuses
générales, ou bien que la date des exercices est omise,
ce qui empêche de les citer en regard des événements
dont ils portent l’empreinte. Cependant nous avons
rencontré dans notre collection synodale (1700-1737)
une seule page de la main du ministre A. Court. D’après
les ratures et le désordre de la rédaction, elle est
sans aucun doute l’écriture hâtive et le premier jet
du style d’une composition du désert, prêchée cinq
ans après la mort de Louis XIV. La date peut être
même bien fixée. Ce fragment est transcrit sur le verso
du procès-verbal en grosse 1720. 9 mai.de l’un des premiers
synodes, qui ordonna « de convoquer, le 19me du
mois de may, un jeûne général, afin de tascher moyen
d’arrester la colère de Dieu et l’appaiser envers nous. »
(Art. 3.) Cette page porte le fragment suivant, qui
fut évidemment adressé au peuple par le ministre dans
le culte de ce jour d’humiliation. Ces paroles, d’une
éloquence si fervente et si chaleureuse, furent dites aux fidèles probablement après la dernière prière, au
moment de congédier l’assemblée.
« Cependant puisque la colère de Dieu paraît toujours
embrasée sur le peuple de ce royaume à cause
de son impénitence, et que d’un autre côté notre
prince ne se trouve pas en état de nous redonner la
précieuse liberté que ses prédécesseurs nous ont injustement
ôtée, que la persécution semble redoubler
toujours quand nous attendions quelque soulagement,
que d’ailleurs vous ne pouvez donner gloire à
Dieu dans ce royaume sans vous exposer à de grands
maux ;
« Dieu veuille graver dans vos cœurs et dans vos
mémoires les salutaires instructions qu’il a plu à sa
bonté de vous donner aujourd’hui par mon ministère,
d’un caractère qui ne s’efface jamais ; Dieu veuille
que le jeûne que nous avons célébré aujourd’hui ne
soit pas seulement une abstinence de deux repas de
viande, mais une entière privation du péché et de
tout ce qui serait capable de nous perdre et d’allumer
de plus fort la colère de Dieu contre nous ; Dieu
veuille que notre humiliation lui soit agréable, que
nos prières parviennent au trône de sa miséricorde ;
qu’elles lui fassent tomber les verges qu’il a en main
pour nous frapper ; qu’elles fassent découler sur nous
et sur nos troupeaux affligés les richesses de sa grâce
et les influences de sa miséricorde ; Dieu veuille nous
fortifier lui-même par son Saint Esprit et mettre lui-même
ses paroles dans notre bouche, afin que vous
puissiez édifier et désarmer ceux qui vous affligent ;
Dieu veuille sanctifier et consoler vos cœurs ; Dieu
veuille toucher lui-même, convertir et bénir ceux
qui persécutent sa vérité sans la connaître ; Dieu
veuille nous donner des jours de paix et de consolation auprès des jours malheureux auxquels nous
avons senti tant de maux ; Dieu veuille encore ouïr
les cris et gémissements de nos pauvres frères prisonniers,
galériens, exilés ou en fuite, et leur donner
matière de joie et de consolation en les délivrant de
leurs souffrances ; Dieu veuille enfin rétablir sa pauvre
Jérusalem, nous combler tous de ses bénédictions les
plus précieuses et nous élever un jour dans le palais
de sa gloire pour nous y rendre éternellement heureux !
Ô grand Dieu ! qui es le Dieu de compassion
et de miséricorde, aie pitié de ta pauvre colombe,
de ta chère Sion de France ; mets fin bientôt à toutes
ses misères et à toutes ses souffrances, hâte le jour de
ta venue, fais bientôt échoir ce temps assigné de sa
délivrance ! — Seigneur, tes serviteurs sont affectionnés
à ses pierres et ont pitié de la voir toute en
poudre. » (Mss. P. R.)
C’est avec un soin religieux que nous avons déchiffré
ce brouillon informe bien taché et bien usé par le
temps autant que par le frottement de courses perpétuelles,
et que nous remettons au jour ces graves et touchantes
invocations, si profondément empreintes de
foi, de résignation et de confiance. La solennité de la
réunion, les périls qui l’assiégeaient, les lois cruelles qui
en proscrivaient le culte, devaient donner à ces prières
un caractère d’intérêt et de grandeur, qu’heureusement
nous ne pouvons plus ressentir aujourd’hui.
On tâche cependant de se figurer de tels vœux retentissant
au milieu d’une assemblée à genoux, réunie
nuitamment à l’ombre des rochers ou au fond des
cavernes, entourée de sentinelles de distance en distance
pour surveiller l’invasion des soldats, et composée
de fidèles dont les parents et les amis étaient en
fuite, en prison ou dans les bagnes. On croit entendre la voix émue de ces ministres qui, par cet acte même,
commettaient un crime capital. Alors seulement on
peut se former une faible idée de tout ce qu’un pareil
culte a dû offrir de recueillement sublime et d’imposante
solennité. Sous le point de vue de la forme du
langage, il faut ajouter que de tels vœux, d’un style
si énergique et même si pur, prononcés par un jeune
homme de vingt-quatre ans, privé de tout avantage
d’éducation, hormis celle qu’il s’était donnée à lui-même,
font voir que tous les désordres des persécutions
et la ruine des académies n’avaient pu interrompre
cette tradition de bonne éloquence, dont
l’église réformée et l’école de Saurin avaient fourni
tant de modèles.
Après le tableau de cette première renaissance du
culte réformé, qui suivit immédiatement la mort de
Louis XIV, il est facile de voir, que si d’un côté les
premiers pasteurs eurent bien des obstacles à détruire,
de l’autre côté, ils durent trouver de nombreux appuis
dans les mœurs des populations. On ne peut observer,
sans un profond intérêt, par quelle série de mesures
et d’habitudes ces hommes courageux et zélés luttaient
contre l’inquisition de leurs vigilants ennemis.
Les réformés, chassés de l’exercice de toutes les professions
libérales et officielles, s’étaient réfugiés avec
honneur dans celles de l’industrie et de l’agriculture.
En contact avec les seuls officiers du fisc, ils supportaient
les charges de l’état avec empressement. Le
manufacturier opulent comme le pauvre montagnard
n’avaient qu’à satisfaire l’église catholique par quelques
signes de dévotion extérieure, pour ne plus pouvoir
en être inquiétés et pour réduire à l’impuissance
le clergé, alors même qu’il se défiait le plus des apparences.
Cette hypocrisie, qu’imposait la cruauté des lois, et que condamnait la discipline, fut cependant
l’arme la plus habile qu’ils purent opposer à
l’intolérance. Le clergé mettait son dogme sous la
protection des édits les plus dénaturés ; il en résulta
que foule de réformes pensèrent qu’il était légitime
d’opposer la dissimulation à la tyrannie. Dès ce moment,
mille plaintes véhémentes et amères déposent
des angoisses des évêques, qui voyaient le troupeau
protestant durer, se perpétuer, et fleurir obstinément
sous le masque catholique. Nous ferons ressortir
plus tard les graves résultats de cette conduite
prudente. D’un autre côté, une adhésion simulée au
rit des persécuteurs ne déshonorait point les fidèles,
parce qu’elle était toujours suivie d’un repentir public
et véritable. On vit souvent dans les montagnes du
Vivarais des groupes de religionnaires, qui s’étaient
laissé intimider un instant, s’adresser les plus véhéments
reproches avant de fléchir le genou tous ensemble
en poussant des gémissements vers le ciel. Ces
rétractations ajoutaient même à la ferveur de la foi
populaire. La vie extérieure et hardie de ce peuple
des montagnes lui faisait goûter quelque charme dans
les hasards mêmes de ces réunions proscrites. La foi
se présentait à lui sous la forme d’un danger mystérieux.
La simplicité de la croyance, qui dispense le
culte réformé de toute pompe et de tout symbole,
s’accordait bien avec ces réunions nocturnes qui, une
fois dispersées, ne laissaient aucune trace de leur culte
solitaire. Leurs chants et leurs prières s’accordaient
sans peine avec les lieux sauvages où ils cherchaient un
asile. C’était sous la voûte du ciel, et au travers des
rangs d’une assemblée que la présence de ses dangers
rendait plus fervente, que l’on portait, avec peine,
après les chances d’une longue course, le jeune enfant pour l’initier, par l’eau du baptême, aux rits d’une
église, où peut-être de cruelles épreuves l’attendaient ;
c’était là que se réhabilitaient, après une confession
de repentir, ces mariages catholiques que le fanatisme
des prêtres imposait aux époux, tandis que d’autres
familles demandaient à leur foi le noble et triste
courage de ravir les restes de leurs proches aux
insultes du fanatisme, en les déposant, au milieu
des ténèbres, dans les caves de leurs propres maisons.
Les ministres étaient rares et, en général, peu lettrés ;
mais leur parole grave et fervente venait suppléer au
poli de la forme, dont les paysans des Cévennes ignoraient
le raffinement. Leurs livres religieux avaient
été saisis ou détruits ; mais tous savaient les psaumes
par cœur ; la lecture assidue de la Bible en avait
gravé les passages et les traits dans leur mémoire. Il
faut ajouter, à tous ces avantages, le souvenir et la
présence des martyrs, et surtout l’exaltation profonde
que le fanatisme des camisards avait allumée dans les
âmes. Leurs exploits incroyables, leurs vengeances
contre le clergé, leur capitulation glorieuse avec
l’armée du grand roi, toutes ces choses entretenaient
au loin, dans les lieux témoins de leur valeur, un
courage qui semblait s’appuyer sur une confiance
surnaturelle. Aussi le pasteur Court, et les premiers
compagnons de ses courses, sentirent avant tout l’extrême
importance de ramener les esprits à une foi
moins désordonnée. Aussi, par leurs soins, et grâce
à leurs sages conseils, l’entraînement d’une foi exagérée
disparut. Elle fut circonscrite par la surveillance
d’une vigilante discipline, et il ne resta qu’un
courage plus froid et plus réglé. Ce fait laisse concevoir
comment des assemblées régulières s’organisèrent
avec tant d’ordre et tant de rapidité.
Les églises recevaient encore bien peu d’encouragement
et de secours des états protestants de l’Europe,
dont la générosité s’épanchait sur l’infortune
plus voisine de très-nombreux réfugiés. Elles furent
donc réduites à peu près aux ressources de leur vie
intérieure, qu’une foi très-vive venait alimenter, et
qu’entretenait sans cesse cet esprit d’opposition que
la tyrannie excite. Nous verrons aussi que les églises
communiquaient avec leurs galériens, et leur faisaient
passer des dons, qui étaient suivis des missives les
plus touchantes. Chaque lettre, datée du bagne de
Toulon ou des tours de Constance, contenait une
exhortation des victimes adressée à leurs frères. Tout
se trouvait donc disposé pour faire germer les semences
que le pasteur Court versait sur ce champ
périlleux. Dans la montagne comme dans la plaine,
les fidèles organisèrent facilement une véritable police
au service de la foi persécutée. Les lettres étaient
toujours adressées à de tierces personnes d’une fidélité
à toute épreuve ; le nom des destinataires disparaissait
sous des anagrammes indéchiffrables. Des
émissaires braves et dévoués allaient annoncer de
vive voix la tenue des assemblées. Plusieurs des plus
intrépides et des mieux aguerris aux courses aventureuses,
escortaient le ministre, s’assuraient en avant
de sa visite, des pièges calculés des persécuteurs, et
le guidaient pendant la nuit dans des chemins couverts.
Souvent des travestissements ingénieux, et
même grotesques, déguisaient le signalement du pasteur.
La course des soldats était soigneusement observée ;
des sentinelles, placées sur les hauteurs,
étaient chargées de surveiller leur approche, et très-souvent
des intelligences, ménagées avec les protestants
des villes, avertissaient à l’avance et de la sortie des détachements, et des quartiers sur lesquels ils
marchaient. Les ministres changeaient de demeure
chaque nuit ; les fidèles regardaient comme un honneur
de s’exposer avec eux aux peines qui frappaient
l’hospitalité. On redoublait de précautions et de mystères
pour la tenue des synodes ; on les convoquait
à demeure par des agents discrets ; on les réunissait
en rase campagne ou dans le creux des vallées ; dans
tout le cours du siècle, un assez petit nombre de ces
assemblées furent surprises. En hiver, ou lorsque le
temps était trop âpre, une métairie solitaire les abritait.
Lorsque le danger était trop pressant et que les intendants
redoublaient de violence ou de ruse, la foi de
cette population eût paru éteinte ; mais elle se maintenait
toujours fervente dans le culte domestique. Chacun
des chefs de famille réunissait chez lui une petite
assemblée qui, par le profond secret de sa convocation,
échappait à la fois à la délation et à la violence.
La majorité des curés se résignait à la durée d’une foi
que rien n’avait pu vaincre ; mais il y en avait d’autres
qui opposaient la ruse à la ruse, et qui se servaient
contre les réformés des moyens mêmes qui faisaient
leur salut. Il y en eut qui organisèrent aussi leur
police et qui soudoyaient des observateurs choisis
dans les rangs d’une fanatique populace. Plus rarement
ils réussirent à tenter quelque misérable par
l’appât des louis d’or promis pour la tête d’un ministre.
Cependant nous verrons qu’ils y parvinrent
dans une occurrence notable, mais que l’agent du fanatisme
périt par la main de ceux qu’il venait dénoncer.
Les intendants aussi varièrent leurs mesures et déployèrent
mille stratagèmes pour envelopper les
assemblées dans des embuscades meurtrières. Ces
deux remarques expliquent comment un assez grand nombre de ministres furent conduits au supplice, et
comment plusieurs assemblées qui se croyaient en
sûreté furent surprises et dispersées par le feu des
soldats. Enfin loin de laisser dépérir sa foi sous l’excès
des souffrances qu’il endurait pour elle, le peuple du
Languedoc avait soin de perpétuer, par la tradition,
le tableau de l’héroïsme de ses confesseurs. Nous
citerons plusieurs des complaintes populaires, où les
peuples célébraient en une poésie aussi religieuse que
naïve, la perte des courageux pasteurs, qui avaient
marché au gibet en bénissant leurs frères et en
chantant les psaumes des martyrs. Il est superflu de
dire que nulle violence ne pouvait étouffer la foi
secrète d’une population ainsi disposée. Ni la surveillance
toujours présente du clergé, ni les caprices
belliqueux des commissions militaires, ni l’arbitraire
administratif des intendants, ni les poursuites intéressées
de la caisse des économats, ni les barbaries héréditaires
de la magistrature, ne pouvaient atteindre
des actes dont la trace se perdait dans le for intérieur.
C’est ainsi que ces populations ferventes et dévouées
puisaient, dans les pratiques de leur indomptable piété,
des armes bien plus difficiles à vaincre que celles de
la résistance guerrière et déclarée des Camisards.
Leur constance sut triompher de ce code inouï de
déclarations et d’édits cruels, que depuis plus d’un
demi-siècle la cour de Versailles dirigeait contre leurs
personnes, contre leurs biens, contre leur religion,
et même contre leur existence civile.
CHAPITRE IV.
Situation des Églises sous la régence d’Orléans. — Projets pour l’abolition des lois pénales et le rappel des fugitifs.
Il n’est point facile de pénétrer les secrets de la
politique du régent touchant les réformés de France,
qui avaient salué son élévation comme l’aurore de
leur délivrance. Les protestants français, fatigués,
comme toutes les autres classes de citoyens, de l’interminable
durée d’un règne dont tant de désastres
avaient déshonoré les derniers jours, avaient souffert
bien plus encore que le reste de leurs compatriotes
des persécutions violentes, que l’empire des prêtres
et des dévotes n’avait cesser de fomenter contre eux.
Lorsqu’ils virent Louis XIV expirer en dissimulant
jusqu’au dernier moment avec son neveu, le futur
régent[35] ; lorsqu’ils virent le peuple couvrir les statues
du grand roi des vengeances tardives de sa justice,
et insulter à son convoi par des outrages ignobles ;
lorsqu’ils virent surtout la cour des pairs et le parlement
écouter à peine la lecture d’un testament rédigé avec tant d’artifice, et le casser « avec moins de formalités
qu’on n’en eût mis à dissoudre la ferme d’un
arpent de terre » (Lemontey) ; lorsqu’ils virent la
faveur du peuple saluer Philippe d’un enthousiasme
égal aux défiances populaires envers le feu roi : alors
ils purent espérer que le changement s’étendrait jusqu’aux
lois cruelles qui pesaient sur eux, et que la
révocation de l’édit de Nantes serait annulée en même
temps que les dernières volontés de son auteur. Ces
espérances étaient beaucoup trop hâtives. Georges Ier,
dont la cour devait bientôt s’allier si étroitement à
celle de France, ne fit aucune démarche officieuse
pour ses frères persécutés, et même son ambassadeur,
lord Stairs, blessa le régent par le faste de son insolence
diplomatique.
L’indifférence que le roi d’Angleterre, Georges Ier,
montra pour le sort des réformés français aurait pu
cependant être combattue par des raisons personnelles
et pour ainsi dire de famille. Il était descendant de
réfugié. La duchesse de Zell était fille d’Alexandre
Desmiers, seigneur d’Olbreuse, gentilhomme du Poitou,
protestant, qui sortit du royaume à la révocation
de l’édit de Nantes, passa en Allemagne, et s’établit
en Brandebourg, où sa fille fut fille d’honneur
de l’électrice duchesse de Zell. Georges-Guillaume,
frère du premier mari de cette électrice, qui était
Charles-Louis, duc de Zell, devint amoureux de la fille
d’honneur et l’épousa. Il mourut en 1703 et elle en
1722, ne laissant qu’une fille mariée en 1682 à son
cousin germain Georges-Louis, duc de Hanovre, électeur
et successeur de la reine Anne à la couronne
d’Angleterre, dont le fils fut Georges Ier. Tels sont
1722.les curieux détails que Saint-Simon nous a conservés (Mém., t. xx, p. 216), et on peut l’en croire dans ses manies généalogiques. Mais, pour ainsi dire,
ce rapport de parenté avec leur cause ne les servit
point. Des influences domestiques et internes furent
plus puissantes. Cependant le petit Louis XV, 1715. 12 septemb.âgé de
cinq ans, enfant maladif et débile, confirma, dans
un lit de justice, le pouvoir du régent, qui s’occupa
bientôt à tarir la source des dilapidations du grand
règne. Il méprisa les censures du clergé tonnant
contre les ennemis des jésuites. Il délivra les exilés
et les prisonniers jansénistes, sans délivrer toutefois
tous les galériens des églises, martyrs plus obscurs
peut-être, mais non moins innocents. Enfin il y eut
réaction contre les jésuites qui triomphaient depuis
si longtemps. Le père LeTellier, instigateur de tant
de mesures cruelles contre les huguenots, ne survécut
pas longtemps à son exil et à l’octroi dédaigneux
d’une pension de six mille livres par le régent.
Le cardinal de Noailles, haï de Rome comme janséniste,
fut nommé président du conseil de conscience.
L’austère d’Aguesseau eut les sceaux de France, quoique
gallican prononcé. Le duc de Noailles, ennemi
des jésuites, devint de fait premier ministre. Le régent
tint à honneur de faire paraître le Télémaque proscrit
par Louis XIV, comme plus tard il s’honora
en plaçant au grand jour le chef d’œuvre d’Athalie.
En un mot l’influence sacerdotale parut disparaître
du timon de l’État, et le caractère privé du régent
semblait une garantie plus que suffisante contre la
restauration du confessionnal. Tout paraissait donc
servir les vœux des protestants opprimés. Mais mille
projets et des plus graves, fâcheux héritage du grand
règne, vinrent donner une tout autre direction aux
idées de la régence. La refonte générale des espèces,
la revue critique de tous les billets publics, l’inquisition financière des chambres de justice frappant
sur les enrichis, plongèrent l’État dans mille embarras
de détail, qui firent perdre de vue des réformes plus
urgentes et plus faisables. Bientôt l’agiotage effréné
du système financier de Law, à la tête duquel le
régent s’était jeté en prince aventurier, se mit à la
place de l’esprit dévot et hautain de Louis XIV.
La politique extérieure de la cour de France prit
à la même époque un caractère qui aurait pu exercer
quelque influence sur le sort des protestants. Le régent
avait accueilli avec foule de pompeux honneurs
le fondateur schismatique de la civilisation d’un
grand peuple, ce czar Pierre, qui, après avoir fait
sonder pendant trois ans et à Rome même l’esprit du
Vatican, renonça pour toujours à se faire catholique
en disant « qu’il voulait être maître chez lui. » « Tels
sont les biens que les papes et leur cour font à
l’Église, » remarque Saint-Simon[36]. Le roi d’Espagne,
Philippe V, séduit par la prière que lui transmit la
main mourante de son aïeul Louis XIV, partagea
l’une des plus grandes fautes du vieux monarque, en
se déclarant en faveur de Jacques III, héritier légitime
et détrôné de la couronne d’Angleterre. La mère
du prétendant, qui tenait encore une cour intrigante
et dévote à Saint-Germain, et le parti jacobite
anglais, mirent tout en œuvre pour entraîner Philippe
d’Orléans vers la même politique. Les jacobites
anglais ne dédaignèrent pas d’envoyer au régent une
dame d’une rare beauté pour appuyer leur diplomatie
(Lemontey, t. I, p. 90). Le régent aima mieux
profiter de ces influences que de leur céder, et après
quelques mois d’une marche douteuse, il prit la plus
sage mesure, par les conseils du plus fou des ministres ; Dubois courut à La Haye, et arrangea, dans une
taverne hollandaise, avec le lord Stanhope, à la1716. 24 août.
1717. 4 janvier.
lueur d’une mauvaise lampe, et à la suite d’une conversation
aiguisée des mots les plus piquants, les articles
du traité de la triple alliance, qui changea
la face politique de l’Europe, défit l’alliance du pacte
de famille, garantit la succession protestante à la couronne
d’Angleterre, et eut pour résultat l’expulsion
des Jacobites de Paris, et l’ordre intimé par le
régent à Jacques III de passer les Alpes. Au moins
dans cette circonstance, il faut reconnaître que le
futur cardinal préféra les intérêts de son pays à ceux
de Rome.
On voit ainsi qu’une alliance intime avec la première
puissance protestante de l’Europe fut la mesure
politique la plus décidée du commencement de la
régence ; mais, pour compléter l’attente des protestants
français, il fallait que la cour de Versailles se
brouillât ouvertement avec le cabinet semi-monastique
de l’Escurial. C’est ce qui ne tarda pas à survenir
par les rêves belliqueux du cardinal Alberoni,1718. 2 août.
qui décidèrent le régent à signer le traité de la quadruple alliance, où la France, l’Angleterre, la Hollande
et l’Empire, si longtemps divisés, se réunirent
contre le cabinet de Madrid. Ces grands bouleversements
diplomatiques se tramaient par deux prêtres,
l’un, Dubois, les scella pour défendre son maître et
son élévation ; l’autre, Alberoni, les rendit nécessaires
par ses artifices provocateurs : mais finalement les
stratagèmes guerriers du cardinal durent céder aux
finesses prudentes de l’abbé. D’ailleurs le récent
plein d’insouciance et incapable de réaliser la moindre
amélioration qui eût coulé à sa paresse, laissait aller
les lois fiscales contre les protestants. En vain M. de Laforêt, gentilhomme français réfugié, au service
de Hanovre, appuyé de tout le crédit de l’Angleterre,
réclama-t-il ses biens injustement ravis[37] ; le régent
ne put empêcher que sa requête ne fût annulée au
conseil de régence. En cette même année, le farouche
Lamoignon de Baville, dont le gouvernement pesait
depuis trente ans sur la province du Languedoc « dont
il était la terreur et l’horreur[38], » fut rappelé à Paris,
après avoir vu sans doute poindre le rétablissement
d’un culte qui avait lassé ses rigueurs. Cet homme
cruel, retiré en soi-même, atteint d’une surdité absolue,
passa le reste de sa carrière, sans remords, dans
une solitude presque complète. En lisant la série continuelle
et atroce des supplices ordonnés par cet
intendant en Languedoc, et le sang-froid inouï avec
lequel il gouverna par les roues, les gibets, et même
les bûchers, assistant lui-même souvent à la question
des prisonniers, on ne trouve, dans les temps modernes,
que la nature de Fouquier-Tinville qui puisse
être comparée à la sienne par le calme et la tenue
parfaite d’esprit au milieu de supplices journaliers.
Le don de la sérénité dans le sang ne fut peut-être
jamais porté aussi loin.
Une autre circonstance, au premier abord bien futile,
vint donner au gouvernement du régent une couleur
assez inquiétante pour les réformés du royaume.
Le financier Jean Law était fils d’un presbytérien
écossais. Ce fut cet homme d’un esprit hardi, qui fit
de l’agiotage une théorie sublime, et qui parvint à persuader au régent qu’il réussirait à combler le
gouffre du déficit de Louis XIV, en aidant les revenus
chanceux de l’État par les bénéfices chimériques d’un
commerce dans le Nouveau-Monde. Nous n’avons pas
à juger ici ses opérations financières, qui finirent par
des confiscations méthodiques. Mais l’esprit dévot de
la cour perça jusque dans les préliminaires de cette
vaste banqueroute. Nous laisserons Saint-Simon
nous apprendre comment on leva les difficultés. Il
fallut écarter les deux obstacles d’étranger et d’hérétique,
« Pour cela il fallut trouver un convertisseur,
qui n’y prît pas garde de si près. L’abbé Dubois
l’avait tout trouvé pour ainsi dire dans sa poche.
C’était l’abbé Tencin, que le diable a poussé depuis
à une si étonnante fortune, tant il est vrai qu’il sort
quelquefois de ses règles ordinaires pour bien récompenser
les siens. » (Saint-Simon, tome xviii,
page 2.)
La sœur de l’abbé de Tencin, professe des religieuses
de Montfleury, près de Grenoble, avait secondé
et appuyé toutes les intrigues de son frère, et avait
obtenu du pape un changement d’état. Elle devint
chanoinesse, et ensuite maîtresse de l’abbé Dubois.
Elle ne négligea pas de s’acquérir Law, par les spéculations
duquel elle fit gorger d’or le futur cardinal
son frère. « Ils en étaient là quand il fut question de
ramener au giron de l’Église un protestant ou anglican ;
car lui-même ne savait guère ce qu’il était. On peut
juger que l’œuvre ne fut pas difficile, mais ils eurent
le sens de la faire et de la consommer en secret, de
sorte que ce fut quelque temps un problème, et qu’ils
sauvèrent par ce moyen les bienséances du temps de
l’instruction et de la persuasion, et une partie du
scandale et du ridicule d’une telle conversion opérée par un tel convertisseur. » Voilà des tableaux qu’on
ne se lasse pas de citer.
Il ne faudrait point penser toutefois que la position
des réformés, leur sort, les rigueurs de la législation
qui les opprimait, et les moyens de la faire cesser,
n’eussent pas été pris en sérieuse considération par
le régent. Ce prince éclairé concevait mille projets
utiles que sa faiblesse et sa soumission aux influences
d’autrui rendaient absolument stériles. Saint-Simon
nous a encore conservé des détails, aussi curieux
que naïfs, concernant les vues de Philippe d’Orléans
à l’égard des réformés et de tous ceux qu’on enveloppait
sous le titre général de nouveaux convertis.
Dès la première année de la régence, un assez grand
nombre de protestants avaient quitté l’étranger et
étaient venus grossir le nombre de ceux qui voulaient
braver les persécutions de l’intérieur. Comptant sur
la tolérance, ou au moins sur un relâchement marqué
dans les mesures d’oppression religieuse, ils
avaient formé des assemblées considérables en Poitou,
en Saintonge, en Guyenne et dans le Languedoc. Les
troupes dissipèrent celles de la Guyenne, et le récit
de l’expédition, transmis au conseil, fut grossi d’une
circonstance sans nul doute inventée. On rapporta
que les huguenots avaient été surpris sans armes,
mais que des charrettes chargées de fusils avaient été
saisies dans les environs. On découvrit qu’à Paris même,
vers le bout du faubourg Saint-Antoine, les protestants
se réunissaient pendant la nuit. D’un autre côté, le
régent voyait journellement évoquer au Conseil une
foule d’arrêts, souvent contradictoires, dont la confusion
provenait de la complication même des édits
et déclarations qui les avaient motivés. Il devenait
sensible qu’il était impossible de statuer sur des matières régies par des lois confuses, d’où dépendait
cependant la validité des actes les plus importants de
la vie civile de beaucoup de Français. « Enfin, dit
Saint-Simon, il n’y avait que le roi qui pût s’interpréter
soi-même dans ces diverses contradictions[39]. » Le
régent, ennuyé de tous les embarras de procédure,
et peut-être aussi troublé par un état de choses qui
blessait son équité naturelle, en parla à son ami et
confident intime Saint-Simon. Les conseils du duc
furent loin de répondre aux équitables intentions de
son maître. Philippe lui parla de la cruauté avec laquelle
le feu roi avait traité les huguenots, de la faute
de la révocation de l’édit de Nantes, du préjudice
immense que l’État en avait souffert dans sa population,
dans son commerce, dans les haines qu’il s’était
attirées ; il appuya sur la situation d’appauvrissement
et de ruine où Louis XIV avait laissé le royaume, et
sur « le gain de peuple, d’arts, d’argent et de commerce
» qui suivrait la rentrée des huguenots. Enfin
il finit par proposer nettement leur rappel. C’était
une mesure beaucoup trop hardie et trop forte pour
que le régent pût s’y tenir. Aussi les malfaisantes
remontrances de Saint-Simon ne tardèrent pas à le
faire changer d’avis, ou au moins à lui faire oublier
sa première idée. Profitant « de l’heureuse et sage
timidité » de Philippe, le duc sut habilement accumuler
devant lui tous les vieux sophismes et tous les
fantômes surannés, qui avaient sans cesse présidé aux
persécutions des protestants de France. Il représenta
les guerres civiles dont les huguenots avaient été
cause ; il se récria sur la position des sujets qui se
donnaient le droit de ne l’être qu’en partie, qui prétendaient
avoir des places de sûreté, des garnisons, des subsides, un gouvernement particulier, organisé,
républicain, des cours de justice érigées » exprès pour
leurs affaires, des chefs élus par eux, des correspondances
étrangères, des députés à la cour, et qui en
un mot formaient un État dans un État. Il insista sur
les soins multipliés que s’était donné Louis XIII pour
abattre cette hydre sans cesse renaissante, et sur les
succès qu’ils avaient eus et qui avaient mis le feu roi
en état de s’en délivrer et pour jamais. Il pria le régent
de réfléchir qu’il n’était pas besoin de raisonner sur
le danger de changer la douce et paisible position
des affaires, en une mesure dont les suites pouvaient
tout troubler, et que le feu roi avait repoussée alors
même que les coalisés la lui proposaient comme
unique moyen de mettre des bornes à leurs conquêtes
et de finir une guerre que ce monarque n’avait aucun
moyen de soutenir. Il ajouta qu’après la triste et
cruelle expérience que les huguenots avait faite de
l’abattement de leur puissance, des rigoureux traitements
qui l’avaient suivie et qui duraient encore, il
ne fallait pas s’attendre qu’ils s’exposassent à revenir
sans prendre de fortes précautions, qui ne pouvaient
qu’être les mêmes que celles qui avaient troublé cinq
règnes.
À toutes ces raisons politiques, il en mêla d’autres
d’une couleur commerciale, bien plus étranges encore ;
il soutint que ces hommes, ce commerce, cet
argent, dont le rappel des proscrits semblerait devoir
enrichir le royaume, « seraient hommes, argent, et
commerce, ennemis et contre le royaume », et que
cette faute incomparable et irréparable rendrait pour
toujours les puissances maritimes et les autres protestants
de l’Europe maîtres et arbitres du sort de la
France au dedans et au dehors. La conclusion de tous ces raisonnements fut que, puisque, suivant Saint-Simon,
Louis XIV avait fait la faute beaucoup plus
dans la manière de l’exécution que dans la chose
même, puisque l’Europe s’y était accoutumée, et les
protestants hors de toute raisonnable espérance là-dessus,
il fallait bien se garder d’aller de gaieté de
cœur, et dans un temps de régence, s’embarquer
dans les malheurs certains et sans ressource qui plusieurs
fois avaient failli bouleverser la France. Le succès
de ces conseils fut tel, qu’il ne fut plus question
du rappel des huguenots, et que l’on résolut de ne
se point départir de ce que le feu roi avait statué,
« autant que les contradictions et quelques impossibilités
effectives de ses ordonnances en rendaient
l’exécution possible[40]. » Ainsi des projets de sage
tolérance et de lucrative pacification furent étouffés
dans leur germe. Ainsi, lorsque la vérité se glisse dans
le cœur d’un prince, il se trouve toujours à ses côtés
un courtisan pour l’éteindre.
Cependant il n’est guère permis de douter que saint
Simon ne fût de bonne foi en adressant ses conseils
au régent ; son avis mérite de l’attention, comme nous
initiant à ces défiances et à ces erreurs que les gens
de cour nourrissaient alors contre les réformés, et
dont la tradition, continuée durant presque tout ce
siècle, retarda si longtemps des mesures réparatrices
qui étaient dans l’intérêt de tous. Si ce duc, infatué
de ses prétentions de pairie et si gonflé de mépris pour
la robe comme pour le tiers état, n’eût pas été d’une
robuste ignorance sur la position et les vœux des
églises, il aurait su qu’elles étaient fort loin, alors
même qu’on eût rappelé tous les exilés, de demander
des places fortes, des privilèges, des troupes ou des tribunaux mixtes. De telles idées ne percent dans aucune
de leurs requêtes. Loin d’exiger autant, il n’est pas
douteux qu’elles se fussent montrées reconnaissantes de
la restauration de leur état civil, de l’adoucissement du
code cruel qui les opprimait, et qu’elles se fussent
contentées de la tolérance même la plus exiguë.
C’est ce qui ressort le plus clairement de toutes leurs
suppliques. Pourquoi donc ce conseiller funeste est-il
allé remuer devant son maître les cendres à jamais
éteintes de la ligue de La Rochelle. Quelques considérations
étrangères expliquent jusqu’à un certain
point son avis. Le régent était alors occupé à resserrer
son alliance avec l’Angleterre et avec la Hollande,
puissances protestantes qui s’intéressaient à leurs
coreligionnaires, et qui s’étaient rendues favorables,
sous ce point de vue, les autres ministres influents,
le duc de Noailles, l’abbé Dubois et le secrétaire
Canillac. Lord Stairs, l’ambassadeur d’Angleterre,
paraît avoir un peu manœuvré en ce sens. Mais la
nouvelle ligne politique que la France s’était tracée,
et qui la rapprochait intimement des puissances protestantes,
excite constamment la bile de l’irascible
Saint-Simon. Par orgueil aristocratique, il était jacobite
violent ; loin d’approuver des alliances dont
1716.la condition première était l’abandon des droits de
Jacques iii au trône d’Angleterre, il déclara même
que le rôle de la France eût été de tâcher d’opérer le
renvoi de la maison d’Hanovre en Allemagne. Il faut
ajouter que les conseillers du traité de la triple alliance
qui se préparait alors, Dubois et Canillac, lui étaient
odieux, comme bafouant ses intrigues obstinées en
faveur de la pairie et des puérilités du bonnet, et le
duc de Noailles, comme s’étant ostensiblement rapproché
du parlement. Sa haine contre ce renégat de l’étiquette ducale allait jusqu’à la rage. Ces causes
diverses obscurcirent un esprit d’ailleurs habile à
saisir les véritables raisons d’état, et lui firent remporter
la plus déplorable victoire sur les intentions
droites de Philippe d’Orléans. Il est d’ailleurs plus
que probable que ni l’Angleterre ni la Hollande n’agissaient
sérieusement en appuyant un rappel des
réfugiés, qui les eût exposées à se dessaisir de tant
de richesses industrielles au profit de la France.
On voit donc que les menées de cour, comme les
influences diplomatiques, se réunirent contre un
projet d’une si évidente justice. Il eût autrement honoré
l’administration du régent que le fol achat du
gros diamant, que Saint-Simon recommanda si éloquemment
à son maître, et qu’il obtint de sa prodigalité.
Ces tristes avis des courtisans de la régence
portèrent des fruits déplorables. À la même époque,
et peut-être immédiatement après la réfutation de la
tolérance du duc d’Orléans par ses favoris, il parut
une déclaration ainsi conçue : « Sa Majesté, informée
que quelques particuliers nouveaux convertis, s’étant
imaginé sans fondement que les assemblées pouvaient
être permises entre eux, pourvu que l’on n’y portât
point d’armes, en ont tenu quelques-unes au préjudice
des ordonnances rendues à cet égard, et voulant
sur cela faire savoir ses intentions et les détromper
des idées chimériques que des esprits mal intentionnés leur
ont suggérées, de l’avis de M. le duc d’Orléans,
régent, a déclaré que les édits rendus sur le fait des
assemblées des nouveaux convertis soient ponctuellement
exécutés, fait défense à toutes personnes de se
trouver à aucune, sous peine d’être punies. » Paris,
16 mai 1716. (Placard ; mss. Fab., Lic.)
Nous ne devons pas passer sous silence une autre mesure de la régence de Philippe, mesure par suite
de laquelle on se fût attendu à quelque résultat favorable
ou au moins à quelque adoucissement dans la
législation à l’égard des protestants. D’Aguesseau, fils
du conseiller, ancien intendant du Languedoc, après
avoir été avocat-général au parlement de Paris à vingt-deux
ans, et procureur-général à trente-deux ans, fut
nommé par le régent, chancelier et garde des sceaux.
Sa pénétration, son éloquence, l’austérité de ses
mœurs, un esprit orné et profond joint à la pratique
d’une vertu incorruptible, l’indiquèrent à ce poste
éminent qu’il occupa pendant près de quarante années.
D’où vient donc qu’un tel magistrat tenant les
sceaux, les édits les plus intolérants et les plus inexécutables
n’aient pas cessé d’être appliqués contre les
protestants pendant toute la durée de sa charge ? La
contradiction s’explique quand on songe que d’Aguesseau,
en secret attaché aux doctrines jansénistes, et
animé d’un esprit parlementaire prononcé, portait
jusqu’au scrupule l’amour des formes légales. Des
traditions de robe, un long séjour au parquet, un
respect poussé jusqu’à l’adoration pour la mémoire
de son père le conseiller, l’avaient pénétré d’engouement
pour la législation fondamentale, basée sur
le fait de la non-existence des protestants dans le
royaume. Il était sans cesse porté à appliquer sur ce
point cette maxime janséniste ; savoir, que le fait extérieur
des sacrements suffisait, et qu’il devait être
interdit aux prêtres de pénétrer dans le for intérieur
et de sonder les consciences. Il est bien probable que
cet homme juste autant que droit, pensa que les réformés,
au prix de quelques actes extérieurs, rentreraient
par le fait dans l’exercice de leurs droits religieux,
et qu’administrés par les lois comme catholiques, ils n’en resteraient pas moins protestants au
fond de la conscience, où nulle recherche ne pourrait
les troubler. On découvre ici clairement le mélange
des lumières de palais et des convictions jansénistes ;
tout cela se passait dans l’âme de ce grand
magistrat avec le sentiment d’équité le plus inviolable.
Mais il ne prévit point que les réformés, pas
plus qu’une forte partie du clergé catholique, ne
consentiraient qu’avec répugnance à se plier à ces
accommodements. Aussi l’entreprise ne porta que de
mauvais fruits. Nous verrons de bien nombreux
exemples de la malfaisante influence qu’exerça le
jansénisme parlementaire contre les protestants, dont
les intérêts eussent semblé devoir rester bien en
dehors de ses débats.
Ainsi en résumant tous ces faits, on ne voit pas
comment les événements politiques et administratifs
des premières années de la régence purent exercer
une influence un peu sentie sur le sort des protestants.
La misérable querelle des ducs et pairs avec le Parlement,
où la plus puérile vanité anima jusqu’au fanatisme
les prétentions de l’étiquette de cour, ne put
même effleurer leurs intérêts. La question de la destitution
honorifique des princes légitimés eut des
suites plus graves et plus lointaines. Les fils de Mme de Montespan, dont l’aîné, le duc du Maine, avait cependant
épousé la princesse Bénédicte de Condé, privés
de tous privilèges de princes du sang, réduits au
simple rang de leur pairie, achevèrent, par leur
abaissement, la destruction du testament de Louis XIV.
Ce coup hardi, dans lequel la morale s’étonna d’être
du côté du régent et de l’abbé Dubois, fut frappé
pour complaire au « fanatisme ducal » de Saint-Simon,
pour satisfaire la jalousie légitime du duc de Bourbon et faire passer sous sa direction inepte
l’éducation de Louis XV, et surtout pour ruiner les
intrigues d’Albéroni, qui fomentait chez le parti des
légitimés et dans les mystères poétiques et voluptueux
de la cour de Sceaux et de la duchesse du
Maine, un foyer sans cesse renaissant d’intrigues où
éclatait une méchanceté impuissante, mais tracassière.
Les résultats de ce coup d’état de famille furent
fort importants, non à cause de cette autre intrigue
dite la conspiration de Cellamare, où l’habile Dubois
ourdit un complot sérieux sur un fonds de ressentiment
de femme et de vanité blessée, mais parce que
la disgrâce des légitimés prépara la rupture avec
l’Espagne, et disposa de loin la chute d’Albéroni, qui
représentait l’influence catholique en Europe. D’autres
mesures marchaient de front avec celle-ci, et ne
furent pas sans influence sur le sort futur des protestants.
Les querelles des jansénistes renaissaient de toutes
parts, et le régent se vit réduit à se mêler de théologie,
en ordonnant vainement le silence à d’aussi obstinés
sectaires. Voulant avant tout la paix, et désirant
en même temps effacer la couleur de parti qu’il
avait paru prendre en s’entourant des amis des appelants,
tels que le cardinal de Noailles et d’Aguesseau,
il résolut d’en finir, et il choisit le parti qui ne
termine jamais rien, c’est-à-dire, les négociations
avec Rome. On vit Philippe d’Orléans faire alterner
dans le Palais-Royal des conférences théologiques de
pacification sur les affaires de la grâce et de la bulle
avec des réunions d’un tout autre genre, qui soulevaient
les sarcasmes populaires contre ce cynique
palais, et allumaient les représailles de calomnies
dont La Grange Chancel noircit ses vers. Tout se termina par l’injonction de se taire adressée à tous les
partis : « J’ai pitié du prince, dit Lemontey, qui demande
le repos et qui prescrit le silence à une église
dont le prosélytisme est le premier devoir, dont l’intolérance a fait la fortune, et dont le nom d’église
universelle ou catholique est une hostilité permanente » (Hist. de la rég., ch. vi). Aussi les jansénistes,
entrant avec ardeur dans la réaction anti-moliniste,
firent agir la Sorbonne ; les docteurs, comme pour
expier les violences de leurs devanciers contre le
grand Arnauld, accueillirent avec enthousiasme l’appel1717. 5 mars.
de quatre évêques contre la bulle. Ces prélats
étaient MM. de Mirepoix, de Sénez, de Montpellier,
et de L’Angle, ou autrement, les évêques de La Broue,
Soanen, Colbert, et de L’Aigle. Le régent se jeta au
milieu des combattants et cassa leur appel. Rome
effrayée suspendit l’expédition de toute bulle d’institution
mais céda bientôt au premier bruit de la colère
sérieuse de la cour de France. Le Parlement, dont
l’appui ne manquait jamais au parti janséniste, et qui
embarrassait à tort ou à raison toutes les mesures
financières arrêtées par la régence, fut frappé du
même coup qui atteignit les princes légitimés ; un
lit de justice supprima ses remontrances, et le capitaine
des gardes saisit plusieurs de ses conseillers ;
enfin, dans ce retour aux maximes d’état de Louis XIV,
les Conseils, où la haute aristocratie gouvernait avec
le régent, furent dissous, et les affaires furent remises
comme autrefois à des ministres, plutôt les commis
que les conseillers du prince. Ce changement ne fut
pas sans effet sur les intérêts des protestants ; car si
les Conseils eussent existé sous le ministère du duc
de Bourbon, il n’eût pu sans doute promulguer le
code cruel de 1724 avec une si malfaisante légèreté.
Enfin, la guerre, fomentée par l’obscure intrigue
du prince de Cellamare contre le régent, et plus encore
par les conseils intéressés de l’Angleterre, éclata
contre l’Espagne. On vit le jeune prince de Conti,
qui plus tard négocia sourdement avec les protestants
de France, envahir, à la tête de quarante mille
Français, les états du petit-fils de Louis XIV ; position
non moins bizarre que celle du maréchal de Berwick,
qui marchait aussi contre les armées où s’était réfugié
le prétendant Jacques III, comme lui du sang
des Stuarts, et même son frère naturel. L’Espagne fut
battue aux Pyrénées et sur l’Océan ; Albéroni tomba
au milieu des malédictions du peuple, et Philippe V,
délivré de ce cardinal belliqueux, fut contraint de
signer la quadruple alliance et de renier la cause
catholique du prétendant Jacques. 1720. 17 févrierBientôt la chute du
système de Law, dont nous avons raconté l’abjuration,
et l’effroyable confusion qui en fut la suite, vint absorber
tous les soins de la cour, comme elle déchaîna
la cupidité de tous les rangs. D’ailleurs, la réconciliation
avec l’Espagne ne présageait rien de bon ; on
pouvait craindre qu’elle n’exerçât une influence
catholique sur la cour de France. Comme gage de la
paix et de l’alliance des deux maisons, la petite
infante d’Espagne, âgée de quatre ans, devait épouser
Louis XV qui en avait douze. Mlle de Montpensier,
fille du régent, future épouse du jeune prince
des Asturies, fut échangée avec l’infante, dans l’île
des Faisans, à la frontière d’Espagne et de France.
L’infante, avant son départ, avait envoyé à Louis XV
une ceinture de la Vierge, et ce pudique présent dut
passer par les mains de l’abbé Dubois pour être
remis au jeune monarque devant les dames des salons
du régent ; une église de Versailles ouvrit son sanctuaire à cette solennité hypocrite. Mais l’Espagne, de
son côté, offrit à la princesse d’Orléans un joyau de
noce mieux assorti aux mœurs d’un catholicisme
africain. On arrêta les regards de cette jeune fille sur
les flammes d’un auto-da-fé, célébré en grande
pompe ; à la même époque, Madrid, Cuença, Tolède,
Séville, Grenade, Valladolid, Cordoue, souillèrent leurs
murs de nombreux sacrifices humains[41]. La Providence
ne permit pas l’accomplissement des alliances
préparées sous de tels auspices.
À la même époque, la politique de la cour du régent,
dont Dubois était l’âme, n’eut plus qu’un but
d’intérêt personnel pour son adroit ministre. Ce fut
la grande affaire du chapeau de cardinal. L’histoire
a conservé le tableau des préparatifs lointains, des
menées infiniment adroites, et des dons prodigieusement
coûteux qui lui procurèrent enfin cette dignité
si recherchée ; il ne l’obtint qu’après être passé par l’archevêché de Cambrai, dont il reçut le sacre des
mains du cardinal de Rohan, des évêques de Tressan
et Massillon, comblé en un seul jour de tous les
ordres de la prêtrise, comme si l’abondance de telles
faveurs en eût déguisé le scandale. Dubois procura
à la cour de Rome une satisfaction plus douce encore
peut-être que celle de l’or qu’il versait au Vatican.
Par un coup d’autorité bien rare dans notre histoire,
il institua un Grand Conseil entièrement soumis ; il
1720effraya le faible cardinal de Noailles ; il gagna le Parlement
en le rappelant à Paris ; et, grâce à tous ces
ressorts, la bulle Unigenitus fut reçue et érigée en
loi de l’État, Le parti janséniste se révolta sans succès,
et la minorité de cette opinion consciencieuse fut
réduite à s’ensevelir dans l’exil prudent d’Utrecht.
Dès lors Dubois eut la haute main dans le conclave,
et il réussit facilement à faire nommer un cardinal
1721. 8 mai. 16 juillet.nul, le vieux Conti, à charge par l’élu de lui donner
le chapeau, qu’il obtint bientôt ; « le chapeau de
Dubois coûta environ huit millions à la France, » dit
Lemontey, qui avait compulsé les états de cette dépense
simoniaque. De cette nuée de basses intrigues
il ne sortit qu’un seul résultat de nature à intéresser
le sujet de cette histoire, et ce fut encore une cabale
qui le suscita. Le cardinal de Rohan revenait triomphant
de Rome, et pour premier honneur il fut appelé
au conseil de régence et fut rangé avant les ducs
et les maréchaux ; les ducs furieux quittèrent le Conseil,
entraînant avec eux le chancelier d’Aguesseau,
qui se retira dans sa terre de Fresnes. D’Aguesseau,
cédant trop vite à son juste éloignement pour des
prêtres indignes de ce titre, dut se repentir d’avoir
abandonné les sceaux à Fleuriau d’Armenonville,
plus tard ministre trop complaisant du duc de Bourbon. Le vieux duc de Villeroi fut violemment séparé
de son royal pupille, et le cardinal Dubois fut déclaré
premier ministre, prévoyant le jour où Philippe
remettrait au jeune roi la prérogative royale pour se16 février.
la faire rendre aussitôt. Bientôt la mort vint interrompre
la soif d’ambition de Dubois, qui grandissait
avec ses honneurs ; d’ingrats amis de sa fortune jouèrent
à ce premier ministre, malade et septuagénaire,
le tour cruel de lui renvoyer toutes les affaires sans
exception, afin d’assister, hors de tout risque de complot,
au plaisir affreux d’une agonie hâtée par un
travail dévorant, Le cardinal succomba bientôt. L’histoire1723. 10 août.
politique et impartiale de la France, prenant
tout en considération, a disputé non sans succès sa
mémoire aux chroniques infâmes où on a tant cherché
à l’ensevelir. Le duc d’Orléans suivit de près son2 décembre.
favori et son maître dans l’art de gouverner ; sa mort
fit passer le premier pouvoir de l’État entre les mains
du duc de Bourbon. Nous allons voir que le chef de
la maison d’Orléans toléra assez doucement les protestants,
tandis qu’au contraire, l’impétueux et opiniâtre
représentant des Condé plongea les églises dans
de nouveaux désastres. »
Voici donc quels furent les traits généraux de la
régence envers les protestants. Lors de son avènement
au pouvoir, le duc d’Orléans se vit en présence du
code volumineux où les conseillers du feu roi avaient
épuisé l’arbitraire le plus raffiné contre les religionnaires.
Nous avons vu que la mort de Louis XIV, que
l’allégresse qui suivit ses funérailles, que la disgrâce des
jésuites, que l’isolement où Mme de Maintenon, leur
plus constante ennemie, se vit jetée ; enfin, que l’impatience
avec laquelle la nation dépouilla le froc
dévot dont le pénitent du P. Letellier avait voulu la couvrir ; enfin que toutes ces circonstances réunies durent faire
espérer aux protestants que les jours de la tolérance
allaient luire pour eux. Quelques émigrés du
Piémont et de la Suisse regagnèrent timidement leurs
foyers. Des assemblées religieuses osèrent affronter
les édits, dans les quatre provinces où le zèle était
le plus fervent, c’est-à-dire dans le Poitou, dans
le Dauphiné, dans la Guyenne, et surtout dans le
Languedoc. Le régent, qui était personnellement le
contraire d’un dévot, ne s’effraya pas sans doute des
mouvements de ces communautés impuissantes à
troubler l’État ; mais leur renaissance accusait l’impuissance
manifeste des convertisseurs. Il n’aurait pu les
reconnaître officiellement sans se mettre sur les bras
tout le clergé et sans heurter de front toutes les traditions
de Louis XIV, si puissantes encore. Il est donc
facile de voir qu’une politique élémentaire dut conduire
le régent à laisser subsister les édits, tout en
adoucissant leurs rigueurs par des instructions secrètes.
Ce fut là le sens de son administration. Mais
l’esprit de Louvois, continué par le vieux Baville, qui
vivait encore au commencement de la régence, guidait
les actes et la surveillance des intendants et commandants
de provinces. La magistrature, imbue de
l’esprit janséniste, continuait à se dédommager de
son acharnement contre les ultramontains par son
zèle persécuteur de l’hérésie calviniste. Dans cette
position des choses, le régent dut corriger plus d’une
fois et les ordres des commandants et les arrêts des
cours souveraines. Le comte de Médavy, gouverneur
de Dauphiné, opposa de nouvelles dragonnades aux
premières réunions publiques des réformés. Le duc
de Roquelaure couvrit le Languedoc de troupes vigilantes
contre les prêches du désert. Le duc de Berwick, voyant les réunions religieuses de Clairac et de
Nérac, ne craignit pas de proposer à la cour le massacre
des religionnaires ; il fallut que le régent, « tout
en approuvant le désarmement et que les prédicants
devaient être punis de mort, » réprimât le fanatisme
farouche de ce bâtard des rois (Lemontey, Hist. de la rég., chap. xvi). Des ordres de Paris enlevèrent les
victimes à la répression sanglante de Berwick pour
les remettre au parlement de Bordeaux ; le régent
dut encore s’interposer contre les poursuites des magistrats,
comme il l’avait fait contre les mesures brutales
du vainqueur d’Almanza. « Le comte de Chamilly
surpassa dans la Saintonge les fureurs de Berwick ;
et il imagina l’expédient atroce de porter la flamme
dans les maisons de ceux qui fréquentaient les prêches ;
la cour éteignit les torches de cet incendiaire,
mais lui abandonna la tête des ministres. » Ces faits,
que Lemontey a trouvés dans les registres du conseil
de la guerre, sous la régence, de septembre 1715
jusqu’en août 1717, nous peignent fidèlement et l’esprit
de l’administration et le courage des églises qui
luttaient contre elles, et qui souffraient de l’indulgence
du régent presque autant que de la sévérité
d’un prince ouvertement fanatique[42].
Cependant les hommes d’état, qui formaient les conseils du régent pour les affaires séculières, ne
pouvaient fermer les yeux aux maux de la révocation
et à l’idée utile de rappeler les fugitifs dans leur patrie.
Cherchant à tourner les édits de Louis XIV par une
marche adroite plutôt qu’à les renverser d’un coup,
ils communiquaient au régent la pensée de former une
colonie de rappelés à Douai, qui aurait pu s’embellir
ainsi d’un centre brillant de manufactures et d’industrie.
Dans cette ville de refuge pour les bannis,
les vieux temples calvinistes eussent relevé leurs
sanctuaires. Le midi du royaume, si nouvellement
délivré des désastres des Camisards, n’eut point vu
les imaginations ardentes de ses contrées réveillées
par le retour triomphal de ses confesseurs, et par
leur choc contre un clergé dans l’attitude des vaincus.
Ces vœux fort sages prenaient naissance dans le
conseil de l’intérieur, où le duc d’Antin présidait.
Mais à côté de ce comité purement administratif
siégeait pour les affaires religieuses le conseil de conscience,
présidé par le cardinal de Noailles, et où
figuraient l’archevêque de Bordeaux, le chancelier
d’Aguesseau, l’abbé Pucelle. Le trop fameux Lavergne
de Tressan, évêque de Nantes, en était le secrétaire ;
ce prélat aussi persécuteur que roué, préparait
dès cette époque ces armes meurtrières qu’il
ne montra tout à fait qu’après la mort du prince qui
le protégeait. L’influence janséniste dominait ces délibérations,
suivant la position où se trouvait la cour
vis-à-vis de l’opposition parlementaire. Aussi tout
projet de ménagement envers les réformés fut repoussé
par ce conseil, en 1717, par l’esprit janséniste, et en
1722 par l’esprit contraire. Dès lors le conseil laïc de
l’intérieur, assez indifférent sur le fonds des questions
religieuses, et n’osant violenter l’obstiné fanatisme de
ces prêtres, qui ne cessèrent pendant tout le cours
du siècle de réclamer l’exécution des édits, se vit
réduit au rôle de modérateur ; il dut se borner à
adoucir des excès dont sa politique méticuleuse
n’osait tarir entièrement la source. Les registres le
montrent mettant un frein à la police insupportable
que s’arrogeaient les curés du Languedoc, les empêchant
de casser à leur gré les mariages du désert, et
arrêtant les atroces exécutions où les plus viles populaces
de France vengeaient sur les cadavres des
huguenots leur attachement à une foi proscrite. Cette
lutte entre des administrateurs et des prêtres, entre
le conseil de l’intérieur et celui de conscience, se
prolongea pendant tout le reste du xviiie siècle ; la
victoire de l’un ou de l’autre décidait du repos ou du
malheur des églises. Cette position donne la clé des
mesures si vagues et si futiles que prit la régence en
faveur des réformés ; elle explique parfaitement comment
les espérances que les églises s’étaient faites du
nouveau gouvernement ne purent se réaliser ? Elle
motive complètement ce jugement d’un historien
impartial, jugement auquel il n’y a rien à ajouter :
« S’il s’agissait de juger la part qu’eut la régence dans
la destinée des religionnaires, on dirait que manquant
de fixité dans ses principes et d’accord entre
ses agents, elle fit un peu de bien, un peu plus de mal, et ne répara aucun des maux passés. » (Lemontey.)
Cependant le cardinal Dubois ne les avait point
persécutés. Lorsqu’il obtint le chapeau de cardinal qui
lui coûta ses trésors et la vie, lorsqu’il se couvrit
moribond de cette pourpre de prince de l’église, qui
a rendu tant d’hommes d’état esclaves de Rome, sa
mort trop prompte l’empêcha d’offrir la proscription
redoublée des protestants en hommage au saint-siège.
Peut-être même cet esprit habile et posé n’eût-il
jamais commis pareille faute d’administration. Vers
la fin de la régence, deux influences bien opposées,
donnèrent un peu de relâche aux églises ; l’une fut la
suite de l’abandon de toute illusion, quant à la protection
et à la justice qu’elles avaient espéré du nouveau
gouvernement ; l’autre fut la conséquence de
l’affreuse peste de Marseille, qui absorbant l’attention
de la cour et effrayant la Provence et le Languedoc,
agit comme une trêve de mort dans les poursuites
d’une si persévérante intolérance. La pitié
profonde excitée dans toute l’Europe par ce fléau ne
fut nulle part plus profondément sentie que dans les
provinces étrangères que la persécution avait peuplées
de réfugiés. Un pathétique sermon de Saurin
prononcé à La Haye développe les jugements du Dieu
des vengeances en la peste qui ravageait l’ancienne
patrie de l’orateur. Ce ministre aussi patriote qu’éloquent
ne manque pas de faire remarquer, que les
populations sur lesquelles le fléau s’appesantissait,
étaient les alliés, les frères, les compatriotes des réfugiés,
unis avec eux par les liens les plus tendres
(Sermon pour le Jeûne de 1720). Une autre peste,
qui cette fois avait franchi les cordons, celle du commerce
des actions de Law, est également conjurée
dans ce discours énergique.
Il est temps de rentrer dans les limites de nos événements
domestiques, et de caractériser d’après nos
pièces la conduite des églises sous la régence et le
sort de leurs premières assemblées. Ces événements
furent, les uns, antérieurs aux premiers voyages
d’Antoine Court, et les autres furent contemporains
de ses tournées. Celles que nous ferons connaître
par de longs extraits de ses lettres furent heureuses,
et eurent à souffrir non pas des hommes, mais des
éléments. D’autres réunions furent moins tranquilles
Nous avons vu par les extraits des registres du conseil
de la guerre, cités par Lemontey, de quelles dévastations
fut accompagnée la dispersion de plusieurs
de ces convocations. Ces dernières ayant eu
lieu même avant les visites de Court, nous n’avons
trouvé dans ses pièces que des renseignements fort
incomplets sur elles, d’autant qu’elles précédèrent
de longtemps la véritable organisation du culte, et
qu’elles suivirent l’époque des événements de l’histoire
des Camisards dont A. Court nous a laissé le
récit fidèle. Nous devons donc nous borner à donner
la sèche énumération contenue dans le manuscrit
historique de Rabaut-Dupuis. Les premières assemblées
un peu nombreuses et régulières eurent lieu en
1709, après la pacification définitive des bandes qui
n’avaient pas voulu suivre Cavalier : les premières
eurent pour lieu de rendez-vous Sommières et les
environs de Nîmes ; l’une et l’autre furent surprises,
et elles entraînèrent de nombreuses condamnations
aux galères. L’an 1710, assemblée surprise à Millerines,
deux des assistants condamnés à mort et exécutés
à Montpellier ; l’an 1712, assemblées à Bordeaux,
chez une nommée Debora Phelipeaux, jugement
du parlement, du 3 août, condamnant cette personne à faire amende honorable, à être enfermée,
et sa maison de Chassardau rasée ; l’an 1713, le
19 septembre, assemblée surprise dans une bergerie
près le Cayla, en Languedoc, condamnations aux
galères et bergerie démolie ; l’an 1715, mars, assemblée
surprise à Vauvert ; l’an 1716, assemblée surprise
à Mandagout, dans les Cévennes, plusieurs assistants
condamnés aux galères, maison de l’assemblée rasée ;
l’an 1717, fusillade d’une assemblée près d’Anduse,
femmes capturées et enfermées à Carcassonne et à la
tour de Constance ; fin de 1718, plusieurs assemblées
en Dauphiné, elles attirèrent dans la province huit
compagnies du régiment de Navarre qui y vécurent à
discrétion, maisons d’assemblées rasées à Crupies, à
Vest et à Besaudun ; l’an 1719, assemblées en Poitou,
et, à leur occasion, un grand nombre de personnes
arrêtées et condamnées, les unes aux galères, et les
autres à mort ; de ce nombre, Joseph Foiseaux et
Jacques Chouillet exécutés, l’un à Mougon, et l’autre
à Fonmedure ; en 1720, deux cents hommes envoyés
contre une assemblée de protestants de Nîmes
dans une caverne appelée la Baume de Fades ; il en
résulta des condamnations aux galères, et, comme
c’était alors le règne des spéculations de Law, une
foule de femmes et de filles furent condamnées à être
transportées au Mississipi, mesure absurde qui fut
bientôt commuée par le régent en un bannissement
en Angleterre. L’an 1721, le 22 septembre, assemblées
convoquées à Castres et à Saint-Hippolyte, dispersées
par la troupe, fusillade[43] ; les prisonniers sont condamnés à servir de fossoyeurs pour enterrer les cadavres à Alais où la peste de Marseille avait étendu
ses ravages. Dans cette partie du bas Languedoc,
les fureurs du fanatisme se mêlaient au fléau d’une
contagion mortelle.
Ces notes fort concises de nos pièces reproduisent
toutefois le témoignage des registres de la régence. On
y reconnaît les exploits du comte de Médavy, en Dauphiné,
du duc de Roquelaure en Languedoc, et du
duc de Berwick en Guyenne. On y voit aussi la trace
des hauts faits du marquis de Chamilly, ce chef de la
noblesse bourguignonne, qui se signala dans la
Saintonge et le Poitou en obtenant l’exécution de
plusieurs ministres. Cet incendiaire passionné est plus
connu du public par l’exaltation un peu érotique de
la religieuse des Lettres Portugaises. On voit que ces
valeureux hommes de guerre n’hésitaient pas, quoique
fort peu dévots, à déployer leur tactique contre
des compatriotes dont la religion déplaisait à la cour.
CHAPITRE V.
Édit de 1724 contre les églises réformées. — Principes et conséquences de ce code de lois.
À peine le duc d’Orléans eut-il fermé les yeux,
que l’évêque de Fréjus, depuis le cardinal de Fleury,
détermina son élève, le jeune Louis XV, à confier la patente de premier ministre à Louis, duc de Bourbon ; seulement l’évêque, qui exerçait déjà tout l’ascendant d’un vieillard spirituel et grave sur un triste et débile adolescent, ne remit le pouvoir au duc que
dans le dessein bien arrêté de cultiver soigneusement
le crédit nécessaire pour le lui ôter sans retour.
Cependant l’apparition de la maison de Condé à la
direction des affaires de France fut comme destinée,
par une bizarre fatalité de cour, à mettre le dernier
sceau aux calamités qui pesaient sur les églises
réformées.
Pour expliquer, ou au moins pour tâcher de concevoir
la violence inouïe que le duc de Bourbon
montra contre les protestants dans son passage au
premier poste de l’État, il faut reprendre les choses
de plus haut. La maison de Condé, qu’il représentait,
issue d’un frère d’Antoine, roi de Navarre, père de
Henri IV, avait vu une formidable concurrence, dans
la ligne des princes du sang, naître contre elle par la
résurrection de la nouvelle branche d’Orléans, provenue
d’un frère de Louis XIV. La rivalité des deux
maisons ne tarda pas à se faire jour, plutôt, il est
vrai, par des intrigues que par des querelles. Lors du
1713. 15 mars.traité d’Utrecht et de l’enregistrement des lettres
patentes, qui confirmaient la renonciation de Philippe
v à tous droits sur la couronne de France, le
duc de Bourbon, alors un jeune homme de vingt-un
ans et d’un esprit plus que médiocre, s’avisa, contre
ses intérêts évidents, puisque la renonciation le rapprochait
du trône, de protester en secret. Le véritable
motif de cette ambition maladroite fut sans
doute, que l’absence du duc d’Anjou et de sa ligne
était encore plus favorable à la maison d’Orléans qu’à
celle de Condé. Toutefois, sous la régence, un intérêt,
ou plutôt une vanité commune, rapprocha les deux
branches. L’impulsion vint du duc de Bourbon. Le
régent eût laissé volontiers les princes légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse, s’éteindre
dans les honneurs sous lesquels le feu roi avait déguisé
le scandale de leur naissance ; mais, le duc de
Bourbon entraînant avec lui ses jeunes frères, le
prince de Conti et le comte de Charolais, poursuivait
avec fureur la dégradation des légitimés. Voici le portrait
que Lemontey donne du duc de Bourbon : « Le
bel héritage de gloire laissé par le grand Condé à sa
famille n’y avait pas été recueilli. À deux princes affligés
de manie succédait un jeune homme farouche,
d’une intelligence grossièrement ébauchée, d’un
aspect hideux depuis qu’il avait perdu un œil, et
brutal dans ses haines comme dans ses amours. »
(Vol. i, ch. vi.) Aussi ce prince, qui vint renchérir
encore sur le code persécuteur de Louis XIV, était
cependant le même qui, sous la régence, voulut forcer
le maréchal de Montesquiou à quitter un nom
porté par celui qui assassina le premier prince de
Condé sur la sanglante plaine de Montcontour. Cet
esprit aussi borné que vaniteux ne vit donc pas que
la plus digne manière d’honorer les cendres du héros
calviniste, c’eut été de laisser respirer les protestants.
Le duc de Bourbon atteignit le faîte du pouvoir
dès que le roi d’Espagne, en remontant sur le trône
par l’ordre de ses jésuites, eut dissipé les craintes que
son abdication prématurée avait soulevées à la cour
de France. Le premier soin du chef de la maison de
Condé, dont Mme de Prye devint la duchesse de Maintenon,
fut de se constituer fortement en place et
d’entreprendre des réformes multipliées pour flatter
la cour, ou pour se concilier le peuple écrasé par les
traitants. L’aristocratie eut sa part en de très-nombreuses
promotions au cordon bleu ; sept maréchaux
de France furent nommés en pleine paix. En élevant à cette dignité le duc de Roquelaure et le comte de
Medavy, on eût dit que Monsieur le duc voulût décorer
les auteurs des dragonnades languedociennes et
dauphinoises, que ces courtisans avaient dirigées
contre les églises après la mort de Louis XIV. Il voulut
tout régler. Les finances, la mendicité, le code
contre le vol, le code noir, dont d’Aguesseau tenta vainement
d’adoucir l’horreur, portèrent les marques de
l’inhabileté de Monsieur le Duc et du garde des sceaux
Fleuriau d’Armenonville. Il était facile de croire
que sous un tel maître, l’esprit de l’ancien conseil de
conscience, comprimé par le sens droit du duc d’Orléans
et de Dubois, romprait bientôt toutes les bornes.
Ce fut ce qui arriva. Il est vraisemblable que Monsieur
le Duc, qui apportait en tout la plus incroyable légèreté,
voulut régler, ou du moins voulut laisser régler
d’un coup tout ce qui regardait l’état des dissidents
réformés, et que ce fut cette manie qui l’emporta au
point de promulguer le fameux édit dont rien ne
semblait motiver les rigueurs extraordinaires. S’il est
plus que probable qu’il n’eut pas l’initiative de cette
loi désastreuse, tous ses actes attestent qu’il dut subir
docilement les influences diverses qui la lui dictaient.
En effet, parmi les prélats les plus ambitieux et
aussi les moins austères, figurait Lavergne de Tressan,
ex-aumônier de Philippe, qui était devenu évêque de
Nantes et secrétaire du conseil de conscience. Il avait
pour collègue le cardinal de Noailles, et il avait été
témoin des efforts inouis de Rome pour faire abjurer
le jansénisme au premier pasteur de Paris. Il avait vu
la pourpre de l’Église récompenser le zèle du cardinal
de Bissy pour la même cause, comme plus tard elle
alla décorer la vie scandaleuse de l’abbé de Tencin. Cette soif du cardinalat qui avait consumé Dubois
vint s’emparer de l’évêque de Nantes, qui voyait dans
le chapeau un pas de fait vers le poste de premier
ministre déjà convoité par l’évêque de Fréjus. Mais
le jansénisme était comprimé ; ce champ épineux
ne paraissait plus promettre des récompenses prochaines.
Alors l’évêque de Nantes chercha à remplir
auprès du duc de Bourbon le rôle vacant par l’absence
des jésuites ; il crut trouver dans les fonctions
d’un autre Letellier le moyen sûr de s’attirer la plus
haute bienveillance de Rome. On conçoit qu’après
avoir vainement sollicité dans le sens de sa cause et
le duc d’Orléans et Dubois, il se soit empressé de
l’offrir au duc de Bourbon, dont l’esprit était entièrement
incapable d’en saisir toutes les conséquences,
et aux yeux duquel les protestants ne paraissaient
qu’une petite fraction de sectaires séditieux. Ces dispositions
devaient d’autre part flatter la cour, et
entrer dans les vues de ces grands seigneurs commandants
du midi, dont le duc de Bourbon venait
de récompenser le vigilant fanatisme. Ainsi, l’ardeur
des dignités de l’Église, la vanité nobiliaire, et la
manie gouvernementale, semblaient se réunir pour
inspirer un retour vers l’ancienne intolérance. À côté
de toutes ces vues diverses, le cauteleux Fleury laissait
faire, sans pousser au fanatisme et sans s’y opposer,
espérant par là éviter l’odieux d’une cruauté
gratuite, et se réservant, sans y prendre une part
directe, un certain mérite auprès de Rome pour le
chapeau qu’il convoitait en silence. Le duc de Bourbon
fut donc joué en toute cette affaire par les espérances
ambitieuses de deux prêtres, qui surent faire tourner
à leur profit personnel l’odieux dont ils le couvraient.
Ces manœuvres si bien déguisées expliquent comment le nouvel édit éclata si subitement, sans préparation
aucune, en produisant autant de surprise chez les
grands corps de l’État que de stupéfaction chez les
victimes qu’il frappait[44].
Nous ne prétendons point que les considérations
précédentes donnent la clé complète de la promulgation
de l’édit meurtrier de Monsieur le Duc. C’est le
sort des cours absolues, où les mesures les plus grandioses
dépendent des prétentions de quelque ambition
subalterne ou du manège de quelques intrigues obscures ;
elles ne sauraient elles-mêmes rendre compte
de leurs actes. De là il suit que l’historien, concluant
de la gravité des résultats à la gravité des causes, est
exposé à chercher de grands motifs aux choses qui n’en
eurent que d’imperceptibles, axiome qui s’est confirmé
de plus en plus à la cour de Louis XV. Quoi qu’il en
soit, ce qui prouve démonstrativement que le duc de
Bourbon et que l’évêque de Nantes rêvaient un système
complet et bien suivi d’intolérance, c’est que Tressan
eut soin de confier la rédaction des instructions secrètes
pour les intendants au vieux Baville : l’ancien intendant
du Languedoc ranima tous les secrets de sa longue
et odieuse expérience, pour porter les derniers coups
à une secte qui avait bravé son génie ; « mais, dit Lemontey
en son énergique coloris, la mort le surprit,
achevant cet ouvrage et savourant cette odeur de
proie qui charmait ses derniers jours. » Ainsi, les
églises délivrées de Mme de Maintenon et du père Letellier,
furent condamnées, neuf ans après la mort de Louis XIV, à voir reparaître l’inquisition de cet intendant
farouche, qui avait peuplé les galères de protestants et
désolé le Languedoc de combats et de supplices.
Ce fut un malheur que cet obstiné vieillard ne vécut
pas assez, pour voir ses lois homicides succomber sous
l’impossibilité de leur pratique, sous l’indulgence
forcée des magistrats, et sous l’indignation d’un siècle
aussi corrompu que le sien, mais d’une corruption
moins dévote et moins impitoyable.
Lorsque l’édit de 1724 fut rendu, le duc de Bourbon,
gouverné par la marquise de Prye, était premier
ministre en titre. Fleury, l’évêque de Fréjus, était
membre du Conseil ; il assistait à toutes les délibérations
les plus secrètes, et il continuait en réalité la
charge de précepteur du roi, même après sa majorité.
Phélypeaux de Saint-Florentin était ministre de la
maison. Tonnelier de Breteuil tenait la direction de
guerre. Fleuriau d’Armenonville avait les sceaux,
pendant l’exil volontaire de d’Aguesseau à sa terre de
Fresnes. L’évêque Lavergne de Tressan était le directeur
des mesures religieuses du duc de Bourbon. Ce fut
ce prélat, qui devint plus tard archevêque de Rouen,
et dont le neveu, académicien caustique et brillant
militaire, rajeunit en français nos vieux romans de
chevalerie et les riantes fictions de l’Arioste. On ne
comprend guère comment les salons de son oncle,
rendez-vous de toute la belle société du Palais-Royal,
auraient pu laisser passer sans critique des projets
aussi peu chevaleresques que ceux de l’édit de 1724,
qui semblait inspiré par le génie de Philippe II. Ce fut
une bien légère expiation de tant de calomnies contre
les églises réformées que la traduction véritablement
classique qu’a donnée de nos jours le dernier descendant
de cette maison, l’abbé de Tressan, d’un des ouvrages les plus estimés de la chaire réformée, les
Sermons de Hugh Blair.
Il faut donc avoir soin de renvoyer à qui de droit la
responsabilité de l’édit de 1724. Il fut l’œuvre de M. le duc de Bourbon, et surtout de Lavergne de Tressan,
évêque de Nantes et ensuite archevêque de Rouen.
Monsieur le Duc, que sa naissance et non ses talents
avait porté au premier pouvoir, et qui se mêlait peu
de politique, laissa faire les magistrats administrateurs
et les dévots. Peu de temps après cette mesure,
l’évêque de Fréjus prit sa place et le renvoya pour
jamais dans le brillant exil de Chantilly, où il mourut
en 1740. Phélypeaux de la Vrillière, comte de Saint-Florentin,
grand administrateur et infatigable signataire
des lois les plus opposées, signala les dernières
années de ses charges par cette mesure, qui ne lui
coûta pas plus que tant d’autres d’un esprit analogue.
On a peu parlé du ministre de la guerre de Breteuil,
qui mourut en 1743, et qui, ainsi que Lamoignon de
Baville suivi de Malesherbes, fut remplacé longtemps
après l’édit de 1724 par le baron de Breteuil,
d’une autre branche, qui rendit une éclatante justice
aux droits des réformés. Enfin les sceaux du
chancelier, en l’absence momentanée de d’Aguesseau,
étaient alors tenus par d’Armenonville, qui les conserva
de 1722 à 1727, et qui termina ses jours dans
une assez douce disgrâce au château de Madrid. On
voit donc que dans ce ministère si peu solide, où le
chef du cabinet, Monsieur le Duc, n’était remarquable
que par son importante nullité, où le cardinal
de Fleury n’était pas encore le maître, et d’où
l’intègre d’Aguesseau s’était retiré, on ne sait sur qui
faire reposer la responsabilité de l’édit funeste de
1724. Surtout elle ne saurait atteindre le sage historien Claude Fleury, confesseur du jeune roi Louis XV,
dont tous les écrits déposent contre un tel système,
et qui d’ailleurs termina sa carrière (1723) avant que
ce code fût promulgué.
Le cardinal Dubois et Philippe d’Orléans, son
maître, étaient morts tous les deux. C’est à tort qu’on
a voulu charger leur mémoire de ce code cruel. Enfin
lorsqu’on fit prendre cette mesure à Louis XV il
n’était majeur que depuis treize mois environ ; il avait
précisément quatorze ans et deux mois d’expérience.
Est-ce bien à un enfant de cet âge qu’il faut renvoyer
la responsabilité d’un tel forfait ?
Nous allons maintenant rapporter les dispositions
principales de cet édit trop fameux, et il sera facile
de remonter de la teneur de sa jurisprudence à l’esprit
qui dut le dicter. On fait dire au jeune roi ces
paroles dans le préambule de la déclaration : « De
tous les grands desseins que notre très — honoré seigneur
et bisaïeul a formés dans le cours de son règne,
il n’y en a point que nous ayons plus à cœur de suivre
et d’exécuter que celui qu’il avait conçu d’éteindre
entièrement l’hérésie dans son royaume, à quoi il a
donné une application infatigable jusqu’au dernier
moment de sa vie. Dans la vue de soutenir un ouvrage
si digne de son zèle et de sa piété, aussitôt que nous
sommes parvenus à la majorité, notre premier soin a
été de nous faire représenter les édits, déclarations
et arrêts du Conseil, qui ont été rendus sur ce sujet,
pour en renouveler les dispositions, et d’enjoindre à
tous nos officiers de les faire observer avec la dernière
exactitude. Mais nous avons été informés que
l’exécution a été ralentie depuis plusieurs années, surtout dans les provinces qui ont été affligées de contagion, et dans lesquelles il se trouve un plus grand nombre de nos sujets, qui ont ci-devant fait
profession de la religion prétendue réformée, par
les fausses et dangereuses impressions que quelques
uns d’entre eux, peu sincèrement réunis à la religion
catholique et excités par des mouvements étrangers,
ont voulu insinuer secrètement pendant notre minorité ;
ce qui nous ayant engagé à donner une nouvelle
attention à un objet si important, nous avons
reconnu que les principaux abus qui se sont glissés
et qui demandent un prompt remède, regardent principalement
les assemblées illicites, l’éducation des
enfants, l’obligation pour tous ceux qui exercent
quelques fonctions publiques de professer la religion
catholique, les peines ordonnées contre les relaps, et
la célébration des mariages : sur quoi nous avons
résolu d’expliquer bien directement nos intentions…
Nous avons dit et ordonné que la religion catholique
soit seule exercée dans notre royaume, pays et terres
de notre obéissance ; défendons à tous nos sujets, de
quelque état, qualité ou condition qu’ils soient, de
faire aucun exercice de religion autre que ladite religion
catholique et de s’assembler, pour cet effet, en
aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse
être, à peine, contre les hommes, des galères perpétuelles,
contre les femmes, d’être rasées et enfermées
pour toujours, avec confiscation des biens des uns
et des autres (art. 1er…) Étant informé qu’il s’est
élevé, et s’élève journellement dans notre royaume
plusieurs prédicants, qui ne sont occupés qu’à exciter
les peuples à la révolte et les détourner des exercices
de la religion catholique…, ordonnons que tous les prédicants qui auront convoqué des assemblées, qui
y auront prêché, ou fait aucunes fonctions, soient punis de mort…, sans que ladite peine de mort puisse à l’avenir être réputée comminatoire… ; défendons à
tous nos sujets de recevoir lesdits ministres ou prédicants,
de leur donner retraite, secours et assistance,
d’avoir directement ou indirectement aucun commerce
avec eux ; enjoignons à tous ceux qui en auront
connaissance de les dénoncer aux officiers des lieux,
le tout à peine, en cas de contravention, pour les
hommes, des galères perpétuelles, et pour les femmes
d’être rasées et enfermées pour le reste de leurs jours, avec confiscation des biens des uns et des
autres (art. 2). Ordonnons à tous nos sujets, et notamment
à tous ceux qui ont autrefois professé la
religion prétendue réformée…, de faire baptiser leurs
enfants dans les églises des paroisses où ils demeurent,
dans les vingt-quatre heures après leur naissance ;
enjoignons aux sages-femmes, et autres personnes
qui assistent les femmes dans leurs accouchements,
d’avertir les curés des lieux de la naissance des enfants,
et nos officiers et ceux des sieurs, qui ont la
haute justice, d’y tenir la main et de punir les contrevenants par des condamnations d’amendes, même par de plus grandes peines, suivant l’exigence des
cas (art. 3)… Quant à l’éducation des enfants…
nous défendons à tous nos susdits sujets d’envoyer
élever leurs enfants hors du royaume, à moins qu’ils
n’en aient obtenu de nous une permission signée de
l’un de nos secrétaires d’état, laquelle nous n’accorderons qu’après que nous aurons été suffisamment informés de la catholicité des pères et mères, et ce à peine d’une amende, laquelle sera réglée à proportion des biens et facultés…, et néanmoins ne pourra être moindre que de la somme de 6,000 livres, et sera
continuée par chaque année que leurs susdits enfants
demeureraient en pays étranger… (art. 4)… Voulons qu’il soit établi, autant que cela sera possible, des
maîtres et maîtresses d’écoles dans toutes les paroisses
pour instruire tous les enfants de l’un et de
l’autre sexe des principaux mystères et devoirs de la
religion catholique, les conduire à la messe tous les jours ouvriers autant qu’il sera possible, et avoir soin
qu’ils assistent au service divin les dimanches et les
fêtes (art. 5) Enjoignons à tous les pères, mères
et tuteurs, chargés de l’éducation des enfants, et nommément
de ceux dont les pères et mères ont fait profession
de la religion prétendue réformée… de les
envoyer aux écoles et aux catéchismes jusqu’à l’âge
de quatorze ans, même pour ceux qui sont au-dessus
de cet âge jusqu’à celui de vingt ans ; enjoignons aux
curés de veiller avec une attention particulière sur
l’instruction desdits enfants dans leurs paroisses,
même à l’égard de ceux qui n’iraient pas aux écoles.
Ordonnons aux pères et mères qui en ont l’éducation
de leur représenter les enfants qu’ils ont chez eux
lorsque les archevêques et évêques l’ordonneront
dans le cours de leurs visites, pour leur rendre compte
de l’instruction qu’ils auront reçue touchant la religion,
et à nos juges, procureurs, et à ceux qui auront
la haute justice, de faire toutes les diligences, perquisitions
et ordonnances nécessaires pour l’exécution
de notre volonté à cet égard, sous peine de condamnation
d’amendes, qui seront exécutées par provision,
à telles sommes quelles puissent monter (art. 6)
Voulons que nos procureurs se fassent remettre, tous les mois… un état exact de tous les enfants qui n’iront
pas aux écoles et catéchismes, pour faire ensuite les
poursuites nécessaires contre les pères et mères, tuteurs
et curateurs (art. 7)… Les secours spirituels n’étant
en aucun temps plus nécessaires, surtout à ceux de nos sujets qui sont nouvellement réunis à l’église,
que dans des occasions de maladie où leur vie et leur
salut sont également en danger, voulons que les médecins,
et à leur défaut les apothicaires et les chirurgiens
qui seront appelés pour visiter les malades,
soient tenus d’en donner avis aux vicaires et curés
des paroisses aussitôt qu’ils jugeront que ladite maladie
pourrait être dangereuse, afin que nos sujets
nouvellement réunis à l’église puissent en recevoir
les avis et les consolations spirituelles… Enjoignons
aux parents, serviteurs, et autres personnes qui seront
auprès desdits malades, de les faire entrer auprès
d’eux et de les recevoir avec la bienséance convenable
à leur caractère, et voulons que ceux desdits
médecins, apothicaires et chirurgiens qui auront
négligé de ce qui est de leur devoir à cet égard, et
pareillement les parents, serviteurs et autres
soient condamnés en telle amende qu’il appartiendra
(art. 8)… Enjoignons pareillement à tous curés de
visiter soigneusement les malades, de quelque état
et qualité qu’ils soient, notamment ceux qui ont
ci-devant professé la religion prétendue réformée, ou
qui sont nés de parents qui en ont fait profession, de
les exhorter en particulier et sans témoins, à recevoir
les sacrements de l’église… Et en cas qu’au mépris de
leurs exhortations et avis salutaires, lesdits malades
refusent de recevoir les sacrements qui leur seront
par eux offerts, et déclarent ensuite publiquement
qu’ils veulent mourir dans la religion prétendue réformée…, voulons que s’ils viennent à recouvrer la
santé, le procès leur soit fait et parfait…, et voulons
qu’ils soient condamnés au bannissement à perpétuité,
avec confiscation des biens… Si, au contraire,
ils meurent dans cette malheureuse disposition, nous ordonnons que le procès sera fait à leur mémoire
par nos dit baillifs et sénéchaux, pour être leur dite
mémoire condamnée, avec confiscation des biens
(art. 9)… Voulons que le contenu au présent article
soit exécuté, sans qu’il soit besoin d’autre preuve
pour établir le crime de relaps que le refus qui aura
été fait par le malade des sacrements de l’église, offerts
par les curés, vicaires, et autres ayant charge des
âmes…, sans qu’il soit nécessaire que les juges du
lieu se soient transportés dans la maison desdits malades…, et sans que lesdits curés ou vicaires soient
tenus de requérir le transport desdits officiers, ni de
leur dénoncer le refus ou la déclaration qui aura été
faite (art. 10)… Et attendu que nous sommes informés
que ce qui contribue le plus à confirmer lesdits malades
dans leurs anciennes erreurs est la présence et
l’exhortation de quelques religionnaires cachés qui
les assistent secrètement en cet état, et abusent des
préventions de leur enfance et de la faiblesse où la
maladie les réduit pour les faire mourir hors du sein
de l’église, nous ordonnons que le procès soit fait à
ceux qui se trouveront coupables de ce crime…, savoir :
les hommes aux galères perpétuelles ou à temps, et les femmes à être rasées et enfermées à perpétuité
ou à temps (art. 11)… Ordonnons que, suivant
les anciennes ordonnances des rois nos prédécesseurs,
nul de nos sujets ne pourra être reçu… en
aucune charge de judicature, et généralement en
aucun office ou fonction publique…, sans avoir une
attestation de l’exercice actuel qu’ils font de la religion
catholique (art. 12)… Voulons pareillement que
les licences ne puissent être accordées, dans les universités
de ce royaume, en droit ou en médecine, que
sur des attestations semblables que les curés donneront (art. 13)… Les médecins, chirurgiens et apothicaires,
et les sages-femmes, ensemble les libraires et
imprimeurs, ne pourront être admis à exercer leur
profession dans aucun lieu de ce royaume… sans rapporter
pareille attestation. (art. 14)… Voulons que
les ordonnances sur le fait des mariages soient exécutées,
suivant leur forme et teneur, par nos sujets
nouvellement réunis à la foi catholique (art. 15)… Les
enfants mineurs, dont les pères et mères se sont retirés
en pays étrangers pour cause de religion, pourront
valablement contracter mariage sans attendre
ni demander le consentement de leurs dits pères et
mères, à condition néanmoins de prendre le consentement
et avis de leurs tuteurs et curateurs, s’ils en
ont dans le royaume, sinon il leur en sera créé à cet
effet (art. 16)… Défendons à tous nos sujets… de consentir
ou approuver que leurs enfants, ou ceux dont
ils seront tuteurs ou curateurs, se marient en pays
étrangers sans notre permission expresse et par
écrit à peine des galères à perpétuité pour les hommes, et de bannissement perpétuel contre les
femmes, et de confiscations de biens des uns et des
autres (art. 17)… Voulons que dans tous les arrêts
et jugements qui ordonneront la confiscation des
biens de ceux qui l’auront encourue… il sera pris sur
les biens confisqués une amende qui ne pourra être
moindre que de la valeur de la moitié desdits biens,
laquelle tombera, ainsi que les biens confisqués, dans
la régie des biens des religionnaires absents pour être
employés… à la subsistance de ceux de nos sujets nouvellement réunis qui auront besoin de ce secours, ce
qui aura lieu pareillement à l’égard de toutes les
amendes (art. dernier)… Versailles, le 14 mai 1724.
Louis Phélipeaux. »
Telle fut la loi, aussi confuse et inexécutable que
cruelle et inique, dont un conseil de courtisans et de
prêtres ne craignit pas de déshonorer les premières
années du jeune Louis XIV. Nous avons déjà vu, quant
au personnel des auteurs de la déclaration, qu’aucun
homme d’état d’une certaine portée n’y figura directement.
La mort du sage et tolérant prieur d’Argenteuil,
Claude Fleury, aussi vertueux et plus éclairé
que son collègue Fénelon, était venu interrompre ses
consciencieuses fonctions de confesseur du jeune
monarque. Le cardinal Dubois avait précédé de fort
peu son maître au tombeau. Le parti politique du
Conseil était dirigé par l’ancien évêque de Fréjus et
par le duc de Bourbon ; le parti religieux, par l’évêque
de Tressan : à côté d’eux se montrait l’influence de la
haute magistrature, dignement représentée par le
grand d’Aguesseau et par le procureur-général Joly
de Fleury. Il faut pénétrer plus avant les diverses influences
qui s’agitaient ambitieusement autour du
duc de Bourbon, et surtout il faut démêler les fils
secrets du système janséniste. Nous avons vu que
l’évêque de Nantes, Tressan, encouragé par les honneurs
des cardinaux de Bissy et de Rohan, et appuyé
de l’inertie prudente de l’ancien évêque de Fréjus,
obsédait le duc de Bourbon de ses projets d’intolérance
pure et simple, qu’il revêtait de toute la grandeur
d’une tradition de Louis XIV. Joly de Fleury, qui
succéda en 1717 à d’Aguesseau dans les fonctions de
procureur-général au Parlement de Paris, charge qu’il
remplit avec éclat pendant près de trente ans, était
un magistrat sage, prudent, et praticien consommé ;
ainsi que son ami d’Aguesseau, il se montra vigilant
gardien des maximes gallicanes, dont la profession
est voisine de l’esprit janséniste. Joly de Fleury, longtemps après cette époque, se démit de ses fonctions ;
la retraite de ce sage magistrat, bien différente de
celle du cruel Baville, fut honorée par une foule de
mémoires législatifs, où il déposait le fruit de sa longue
expérience et de ses habitudes formalistes. Malesherbes
publia sous Louis XVI une consultation lumineuse
de Joly de Fleury sur la situation des protestants
en 1752. Si d’un côté on y voit la trace profonde
des habitudes d’un esprit parlementaire aveuglément
imbu de la routine des anciennes lois ; de l’autre, on
y découvre nettement le véritable esprit selon lequel
l’édit de 1724 fut disposé, édit sur lequel Joly de
Fleury lui-même ne fut pas sans influence.
On y voit clairement que dans les idées de la haute
magistrature d’alors, la renaissance religieuse des
églises du Languedoc, qui avait signalé la venue du
régent, n’était qu’un trop confiant espoir qu’il fallait
refouler. On voulut y remédier par une nouvelle loi
qui devait renfermer la substance de tant d’édits tombés
en désuétude ; on voulut en faire un corps, et les
coordonner entre eux. « M. le chancelier d’Aguesseau
y travailla. Son séjour à Fresnes suspendit l’ouvrage.
On reprit le système d’une nouvelle loi après la mort du
duc d’Orléans, » disait le vieux Joly de Fleury au Conseil
du roi Louis XV. Il est impossible de méconnaître
par l’exposé des idées du procureur-général, que la
déclaration de 1724 avait un double objet ; d’abord le
projet appuyé par l’évêque de Tressan et par l’esprit
moliniste ultramontain, de poser en fait qu’il n’y avait
plus que des catholiques en France, et de poursuivre
à toute outrance les dissidents avoués ; ensuite le
projet que soutenait toute la magistrature jansénienne,
de tirer parti de cette fiction pour empêcher le clergé
d’être le juge du fait de la conversion sérieuse ou stimulée des ouailles, et pour l’obliger d’accorder les
sacrements sans enquête à ceux qui les demanderaient
l’édit à la main. « Les magistrats, dit plus tard Malesherbes,
étaient encore plus attachés à ce système
que les ministres. » La déclaration fut donc le produit
d’un rapprochement facile, qui mit au jour tout ce que
l’esprit moliniste et tout ce que l’esprit janséniste recelaient
de plus monstrueux ; le premier esprit s’y
déclara par des rigueurs cruelles, dont l’habitude lui
était chère, quoiqu’elle eût si mal réussi ; le second
esprit attacha la présomption légale de la foi à des
communions religieuses machinales et obligatoires.
Ce fut là le véritable sens de cette déclaration fatale,
où l’esprit ultramontain personnifié en l’évêque de
Nantes, montra au moins de la franchise, mais où l’esprit
janséniste chercha à produire l’unité religieuse
par des formalités de palais et des condescendances
indignes. Toute l’argumentation de Joly de Fleury,
qu’il appuie à la fois sur la jurisprudence séculière et
sur le droit canonique, se concentre en ce principe,
que les demandes de baptême, de mariage et d’enterrement,
faites par des nouveaux convertis, réputés
anciens catholiques par la loi, sont des faits auxquels
le clergé ne peut refuser son concours, et que ce sont
des actes dont le clergé n’a nullement le droit de scruter
le for intérieur.
Cependant ni d’Aguesseau, ni l’esprit éminemment
logicien de Joly de Fleury, ne purent espérer sérieusement
de rallier par de tels moyens à la religion dominante,
des sectaires, que tant de tourments, frappant
sur les corps et les biens, n’avaient pu ni convaincre,
ni disperser ; mais les magistrats crurent sans doute,
en entraînant les protestants au confessionnal et en
effaçant sans retour leur nom de reformés, obliger le clergé d’accepter en paix un fait accompli et extérieur.
Ils purent même espérer que l’adhésion extérieure des
protestants, rendue complète par l’obligation où le
clergé était de la recevoir, deviendrait une garantie
de paix publique, que l’édit ne serait guère qu’un
épouvantail sans effet, et que des rites bien ou mal
observés par les religionnaires laisseraient dormir à
jamais les sanctions cruelles dont leur loi était confirmée.
Ils cherchèrent, en un mot, à obtenir de l’hypocrisie
ce qu’on n’osait plus espérer des supplices.
Il faut peser l’ensemble de ces motifs pour s’expliquer
comment des magistrats, tels que d’Aguesseau, Joly
de Fleury, et en général, les parlementaires, ne craignirent
pas de disposer et de favoriser une œuvre si
profondément entachée de cruauté et d’injustice.
Nous apprécierons plus tard l’effroyable désordre qui
en résulta. Toutefois, il faut bien avouer que le
chancelier d’Aguesseau dut avoir nécessairement une
forte part à la conception de l’édit de 1724. Dès 1698,
on le voit au conseil d’état conférer sur un nouveau
système de répression avec le cardinal de Noailles et
le ministre Pontchartrain, et faire prédominer avec le
cardinal le mode de la législation jansénienne. Son
projet était entièrement bâti sur l’idée artificieuse, que
tous les sujets du roi s’étaient convertis, bien que
toutes les instructions secrètes avouassent le grand
nombre de calvinistes qui étaient restés en France.
Tandis que les évêques du parti opposé demandaient
qu’on retranchât de la loi l’horrible scandale des
cadavres traînés sur la claie, d’Aguesseau remarque,
dans des mémoires secrets que Rulhière affirme avoir
vus, « que s’il est bon d’ôter cette peine, qui fait tant
d’horreur, il est bon de la laisser craindre. » On
retrouve fidèlement cette théorie dans l’édit de 1724, qui résuma toutes les lois précédentes en un code
incohérent. Ses dispositions cruelles devaient être
corrigées par les ordres précis transmis aux intendants.
Elles devaient être prodigieusement adoucies
dans l’exécution. L’idée fondamentale se résume évidemment
en cet axiome janséniste : à savoir, que les
prêtres devaient, sous l’autorité des magistrats, accorder
les sacrements sans examen aux nouveaux convertis,
précisément de même qu’aux appelants de la
constitution Unigenitus au futur concile. D’ailleurs,
le conseiller d’Aguesseau, que Rulhière appelle « le
plus grand adversaire des héritiers calvinistes, » le
père du chancelier, avait été chargé par Louis XIV de la direction de la régie spoliatrice des biens des religionnaires ; il ne quitta ces fonctions que lorsqu’un
arrêt du Conseil du régent (10 août 1716) les transféra
au conseil de conscience, et ce fut ensuite Lavergne
de Tressan, archevêque de Rouen, et auteur de
l’édit de 1724 » qui dirigea les affaires de cette intolérance
fiscale. Nous verrons plus tard le vieux procureur-général
Joly de Fleury jetant ses regards en
arrière sur cet ouvrage artificieux. On jugera, par ses
aveux mêmes, qu’il se trompa doublement, lorsqu’il
pensa d’abord que des curés molinistes se contenteraient
de l’adhésion extérieure de disciples suspects,
et lorsqu’il crut ensuite que la foi indomptable des
nouveaux convertis pourrait revêtir sans peine un
masque aussi lâche. Aussi l’on verra que les prêtres
reculèrent devant le sacrilège, comme les réformés
devant la dissimulation. L’édit de 1724 fut cassé dans
la suite par la bonne foi des persécuteurs et par
l’héroïsme des persécutés. Tandis que la cour du duc
de Bourbon, excitée par la soif d’honneurs qui dévorait
quelques prélats, voyait ses mesures cruelles adoptées et tournées en un sens favorable par les jansénistes,
les inflexibles synodes du désert ne cessaient
de fulminer contre ces décrets ; toutes les mesures
adroites et toutes les mesures violentes venaient se
briser contre la patiente autorité de leur foi.
Mais mille causes vinrent s’opposer même à cette
partie de l’édit. En déclarant qu’il n’y avait plus que
des catholiques dans le royaume, ses auteurs ne virent
pas que le décret d’un parchemin royal ne pouvait
changer la conscience des gens pieux, et qu’il était
par trop dérisoire d’en espérer un résultat que la
perspective du bagne toujours ouvert n’avait pu arracher.
Il est probable, comme Malesherbes le remarqua
longtemps après[45], qu’ils jugèrent des dispositions
des provinces les plus lointaines d’après celles
de Paris, où la foi se perd par la dissipation, et où la
corruption rend indulgent sur l’hypocrisie. Mais il
n’en était pas de même dans les contrées ferventes de
la Provence et du Languedoc, au milieu des rochers
du Vivarais et dans les vallées montagneuses du Dauphiné
et des Cévennes, Là, le culte était populaire, et
la piété devait être publique. On pouvait cacher sa
foi aux intendants et aux juges ; on ne pouvait, on
ne voulait la cacher à ses frères d’infortunes et de
constance. Obtenir que les protestants se mariassent
tous à l’église catholique devant des prêtres, qui savaient
très-bien que ce n’était qu’une comédie, était
la chose honteuse et impraticable. Vainement espérait-on,
qu’au moins ces unions empreintes d’une dévotion
simulée engageraient les enfants nés de telles
alliances, à fréquenter de bonne foi les sanctuaires
où leurs parents n’étaient entrés qu’un seul jour. On
se trompait encore. Les enfants grandissant en présence des prêches du désert et de la dissimulation de
leurs proches, apprenaient au plus à se conduire avec
la même prudence, sans être plus catholiques.
Personne d’ailleurs ne voulait s’exposer au mépris
général par une apostasie sérieuse. Ceux même que
la crainte de l’édit avait égarés un moment étaient
bientôt contraints par pudeur, si ce n’était par zèle,
à se rallier plus étroitement à la tribu proscrite, tandis
que les bons catholiques autant que les bons protestants
s’indignaient de ces sacrilèges complaisances,
dont la législation devait supporter tout l’odieux.
Aussi plus tard, les prêtres se fatiguèrent du rôle de
marieurs et de baptiseurs d’hérétiques qu’ils connaissaient
pour tels. L’édit de 1724 finit par devenir
inexécutable, de quelque côté qu’on voulût s’y
prendre pour l’appliquer, et quoique le clergé comme
la magistrature, l’entendant chacun dans son sens,
eût espéré y trouver la voie la plus sûre pour ses fins.
L’édit paraissait satisfaire les prétendues exigences
de l’ordre public et les souvenirs de Louis XIV, dont
le duc de Bourbon cherchait à s’armer ; il fut donc
appuyé par le conseil administratif de l’État. Le parti
jésuite ultramontain, qui alors relevait la tête, l’accueillit
avec joie, par l’organe de l’archevêque de Tressan,
comme une réorganisation complète de l’ancienne
intolérance. La haute magistrature jansénienne y vit
un moyen couvert et ingénieux d’enchaîner le sacerdoce
aux tribunaux, qui se réservaient de le forcer à
administrer les sacrements à tous les sujets du roi.
Joly de Fleury prit plaisir plus tard à retourner ce
dernier point de vue sous toutes les faces imaginables,
et il trahit ainsi les véritables intentions des auteurs de
cette loi dont les origines furent si compliquées. Mais
jamais édit ne remplit moins son but. Cette arme meurtrière se brisa entre les mains de tous les partis.
Les hommes d’état hésitèrent à s’en servir ; le clergé
rejeta le rôle passif auquel la loi le condamnait ; les
prétendus convertis persistèrent dans leur ancienne
foi. Une longue suite de barbaries, sans suite, sans
liaison et sans fruit, en furent l’unique résultat. Ainsi,
cet odieux arbitraire recelait le germe de sa mort.
Il restait enfin les clauses pénales ; mais si les mesures
religieuses de l’édit devaient être frappées de
nullité par leur absurdité même, les dispositions pénales
à leur tour devaient succomber sous leur atrocité
impuissante. En général, on ne peut révoquer en
doute que les magistrats, qui prirent part à cette mesure,
n’eussent bien aperçu que la loi qu’ils rendaient
échapperait à l’application de la justice. On a besoin
de croire que cette considération dut voiler à leurs
yeux ce qu’un pareil édit avait de palpable iniquité.
Il devait leur être de toute évidence que cette loi
resterait en ses articles principaux absolument inexécutable.
Appliquée quelquefois aux ministres, et plus
souvent aux laïcs, elle n’eut jamais pour résultat de
faire condamner aux galères perpétuelles, ou à un
perpétuel emprisonnement, indistinctement tous ceux
qui assistaient aux assemblées ou qui donnaient asile
à des pasteurs sous un prétexte quelconque. Faire
subir de pareilles peines à des populations entières,
envoyer au bagne des réunions de trois mille personnes
et plus était chose impossible et outrée. Nous
verrons les réformés braver ouvertement ses dispositions.
D’autre part, les intendants et les juges des
pays où les protestants formaient au moins le tiers
de la population, cherchaient en vain à suivre un code
aussi monstrueux. Des condamnations très sévères,
mais individuelles, venaient de temps à autre produire des résultats de colère, qui ne servaient qu’à redoubler
le zèle des opposants et à faire mieux ressortir l’impuissance
de la législation. D’ailleurs cette mesure,
dès que le cardinal de Fleury devint maître des affaires,
ne fut plus dans sa pensée qu’un épouvantail toujours
suspendu sur les religionnaires, et dans lequel il
comptait trouver des moyens de répression sévère,
si des mouvements sérieux eussent éclaté. C’est le
seul moyen de concevoir la longue durée d’une intolérance
écrite, si minutieuse, telle que tout homme
d’état, doué de sens, dut en découvrir sur-le-champ
l’impossibilité pratique. Ce fut donc plutôt une mesure
de réserve que d’action. Aussi nous verrons les assemblées
être chaque jour plus fréquentes et plus nombreuses
même sous l’empire de cette loi. Nous verrons
de vrais prêtres supplier le gouvernement de fermer
cette source féconde de sacrilèges ; nous verrons
le subdélégué du Languedoc Daudé, quatre ans après
sa promulgation, être témoin en quelque sorte des réunions
protestantes et ne pas les troubler. Nous verrons
même l’intendant comte de Saint-Maurice résister
assez fortement au clergé, qui demandait quelquefois
l’exécution intégrale de la déclaration ; nous verrons
l’administrateur opposer aux curés et à leur évêque
cette raison péremptoire, que les prisons de la province
ne suffiraient pas pour renfermer le troupeau rebelle.
Toutefois on peut juger des effets désastreux que
dut produire une telle arme toujours prête à frapper,
dont l’usage était réglé par une foule de chances capricieuses
et passagères, telles que l’esprit plus ou
moins dévot de la cour, le zèle des intendants, la sévérité
des parlements et l’activité des procureurs du
roi. Cette minutieuse tyrannie offrait une large prise
à l’injustice de détail. Si le progrès des lumières aidé de l’impossibilité administrative la fit tomber en désuétude,
cependant elle occasionna de bien grands
malheurs dans le cours d’un siècle, où la jurisprudence
variait beaucoup dans les diverses provinces
de la France. Une foule de familles protestantes furent
atteintes par ses dispositions cruelles. Aussi cette Déclaration
fameuse de 1724, plus d’une fois enrichit
le fisc des dépouilles des protestants, peupla les galères
de leurs citoyens, et les prisons de leurs femmes
et de leurs filles. Nous verrons cependant, tant est
grande l’influence des mœurs et des idées sur les
législations, que même après leur condamnation aux
termes de cet édit, souvent leurs chaînes furent brisées
par ordres transmis de la cour. Il est vrai que la
cupidité servait d’encouragement à la clémence, et
que plus d’un protestant n’obtint sa liberté qu’au
prix de sommes assez fortes qui allaient se perdre,
sans doute à Paris, dans les vestibules des ministères.
Résumons le caractère général de la législation de
1724, en ce qui concernait les églises, qui avaient rêvé
un tout autre avenir. Dans l’état civil, les mariages
célébrés au désert et non par les curés étaient réputés
illégitimes ; les enfants étaient bâtards et inhabiles à
hériter. Par un odieux raffinement, les réformés ne
pouvaient, sous peine des galères, consentir au mariage
de leurs enfants à l’étranger ; mais les enfants,
pourvu qu’ils se mariassent à l’intérieur, devant
l’église, étaient dispensés de leur demander permission,
et dépendaient d’un conseil de collatéraux catholiques.
Pour leur état religieux, le code de Louis XIV
restait en entier : les ministres punis de mort ; les
hommes coupables d’avoir assisté aux assemblées
envoyés aux galères à perpétuité, et les femmes à la
détention sans fin. Les mêmes peines frappaient ceux qui donneraient asile à des pasteurs ou qui n’iraient
point les dénoncer pour le supplice ; le tout appuyé
de confiscations et d’amendes comme sanction de
l’observation des cérémonies catholiques. Tel fut le
cercle de supplices et d’extorsions où l’édit de 1724
renfermait les églises du désert.
Ce fut là l’esprit général de cette législation. À ces
formes brutales se mêlaient d’autres dispositions
d’une absurdité telle, que les parties ne purent les
subir, pas plus que les juridictions ne purent les appliquer.
Ainsi le procès fait à la mémoire des morts,
avant l’inhumation, devait être nécessairement anticipé
dans ses résultats par une populace impatiente,
qui changeait les lenteurs de la justice en horrible
émeute contre un cadavre ; frénésie repoussante que
bientôt les ordres positifs de la cour rendirent de plus
en plus rare. L’article premier, qui punissait du plus
infamant supplice après la mort, et de la perte de
tous les biens, tout exercice de foi protestante et
toute assemblée en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être, livrait le culte privé et domestique
aux rigueurs d’une justice fanatique. Cependant
les parlements et les intendants appliquèrent
très-souvent cette disposition, mais en la restreignant
presque toujours aux assemblées publiques. La disposition
qui condamnait à mort tous ministres ayant
fait aucunes fonctions, était un adoucissement illusoire
à la déclaration de Louis XIV, du 13 décembre
1686, art. 1er qui punissait de mort leur seule présence
à cause du vague illimité de ce terme de fonctions ;
les parlements appliquèrent d’ailleurs plus
d’une fois cet article sanguinaire, qui non seulement
fit traîner les ministres au gibet, mais qui de plus
frappait d’une peine infamante tous ceux de leurs fidèles qui n’allaient pas les livrer aux bourreaux, ou qui
leur donnaient asile. Nous verrons plusieurs réformés
subir cette noble flétrissure. Au surplus, les intendants
eux-mêmes reculèrent souvent devant l’obligation
de faire monter à l’échafaud les pasteurs, pour le
crime simple de prêcher l’Évangile ; nous les verrons
au contraire correspondre directement avec des ministres,
sur lesquels, par cette qualité, l’arrêt capital
restait toujours suspendu. Rarement les garde-malades
et sages-femmes exécutèrent l’injonction de
l’art. 3, parce que les protestants avaient l’attention
toute simple de ne s’entourer que des leurs, ou de
gens incapables de trahir de tels secrets. À chaque
année du siècle, nous verrons les art. 4, 5, 6 et 7 de
la déclaration cassés cent fois par les pasteurs comme
par les laïcs, qui non seulement se gardaient bien
d’envoyer leurs enfants aux instructions de la religion
qui les persécutait, mais qui fondèrent une académie
étrangère pour le ministère sacré. Ce fut de là, c’est-à-dire
de Lausanne, qu’un grand nombre de jeunes
ministres, tout prêts au martyre, revenaient parmi
eux pour le braver. Cependant, les articles autorisant
l’enlèvement des enfants et leur assistance forcée aux
écoles catholiques, donnèrent lieu, par leur application
obstinée, à de cruels désordres. L’autorité paternelle
fut méconnue sous le prétexte de conversions
qui souvent disparaissaient un peu plus tard. On ne
vit presque jamais les médecins et autres gens de
l’art accepter le rôle que la déclaration leur assignait
par son art. 8, en les obligeant à dénoncer
leurs malades. Le plus communément, avertis par le
bruit public d’une agonie qui allait leur échapper,
des prêtres venaient s’asseoir, malgré toute une
famille en pleurs, au chevet d’un mourant qui les repoussait : encore faut-il reconnaître que même dans
les contrées où le fanatisme était le plus âpre, la majorité
des curés ne voulut jamais profiter de cet
odieux privilège. Mais nous donnerons la preuve
qu’il y eut des arrêts fiscaux et personnels, prononcés
en vertu de l’art. 11, qui punissait des galères et de
la confiscation les exhortations et les consolations
dernières, dont les familles protestantes entouraient
le lit de mort de leurs proches ; disposition empreinte
d’un si sauvage fanatisme, que l’on peut douter si
le code d’aucun peuple a jamais frappé de peines
infamantes les épanchements sacrés de la piété filiale.
Quant à toutes les fonctions dont les réformés furent
exclus par les art. 12, 13 et 14, ils se dédommageaient
de cette gêne par les travaux d’une industrie
florissante ; et pour cela, plus tard dans ce siècle, ils
obtenaient souvent, contre l’injonction réitérée des
synodes, des certificats de catholicité, qui ne trompaient
plus ni eux-mêmes ni personne. L’artificieux et
habile art. 17, qui affectait toujours la moitié des
confiscations et amendes à des secours en faveur des
abjurations, révolta les esprits par la crudité de l’appât
qu’il leur offrait, plutôt qu’il ne séduisit de
timides consciences. Nos pièces ne nous ont pas montré
un seul exemple de ces cupides apostasies.
Des dispositions neuves et capitales ajoutaient le
plus haut degré de raffinement au code de Louis XIV ;
telles furent celles des art. 9 et 10 : l’un enjoignait
aux curés et vicaires, au premier bruit du danger de
mort d’un nouveau converti, de le visiter en particulier, ou sans témoins, « ce qui livrait les familles
à l’impudeur de conférences secrètes » ; l’autre empirait
de beaucoup les lois de Louis XIV, du 19 novembre
1680 et du 29 avril 1686, en dispensant les prêtres de toute information des juges pour établir le
crime de relaps, et en faisant résider la preuve en la
seule déposition des curés et vicaires. Il y avait, à la
rigueur, présomption légale de relaps contre tout
nouveau converti qui donnait le moindre signe
d’adhésion à son ancienne foi ; d’où résultait pour le
mort procès à la mémoire, et pour le vivant bannissement
perpétuel et confiscation des biens. Et comme
la déclaration ouvrait la porte de toute demeure au
clergé sans témoins, comme d’autre part la réputation
de nouveau converti ne pouvait guère s’établir
que sur le bruit public, en combinant ces articles
avec ceux qui chargeaient les évêques de faire suivre
les devoirs religieux à toutes leurs ouailles indistinctement,
il résultait que ces mesures auraient pu envelopper
tous les Français. Afin de mieux atteindre les
protestants dans ce réseau subtil, le duc de Bourbon
et le Conseil se trouvaient avoir armé le clergé de
pouvoirs, qui n’avaient alors d’analogie qu’avec les
statuts de l’inquisition d’Espagne. Mais, d’une part,
la magistrature janséniste recula devant son ouvrage,
et, d’autre part, les réformés luttèrent plus noblement
encore contre un joug aussi compliqué : ajoutons
que les recherches minutieuses de Lemontey
l’ont conduit à attribuer les deux derniers articles
que nous avons indiqués, à l’invention malfaisante de
l’évêque Lavergne de Tressan. Mais ce code fut surtout
blessé à mort par les suites de l’art. 15. Cette
rédaction naïve démontre que le Conseil était loin de
penser que la plus simple de ses mesures deviendrait
la plus inexécutable. En ordonnant que les mariages
des nouveaux convertis se fissent tout simplement
suivant les formes canoniques ordinaires, il ne prévit
pas qu’il condamnait les protestants à vivre dans une hypocrisie commode, et les prêtres à tremper
dans des sacrilèges inévitables. Cet état de choses finit
par rendre manifeste la nécessité de supporter des
sectaires qu’il était absolument impossible de détruire
ou de ramener.
Tel fut le code monstrueux qui sortit inopinément
du milieu d’une cour incrédule et dissolue, encore
toute peuplée de ces grands seigneurs de la régence,
que la tradition nomma les roués, comme pour écarter
d’avance de leur mémoire tout symptôme de véritable
dévotion. Remarquons que ce fut deux ans seulement
après la déclaration de 1724 contre les protestants, que
Rome décora de sa pourpre l’évêque de Fréjus, le cardinal
Fleury, ancien chanoine de Montpellier, issu du
Languedoc, où ce code intolérant allait produire tant
de calamités. Nous avons cherché à indiquer les diverses
influences au milieu desquelles il fut promulgué.
Nous allons maintenant voir comment il fut reçu.
Nous allons raconter ce qu’il devint au milieu des
églises réformées, par quelles mesures elles combattirent
son oppression, et comment elles se conduisirent
en présence de cet arsenal d’une tyrannie inépuisable.
CHAPITRE VI.
Tournées évangéliques du pasteur Antoine Court. — Fondation du séminaire français de Lausanne.
Au moment même où l’enfance du gouvernement de Louisxv fut marquée par des mesures aussi sévères
contre les protestants, mesures que lui dictait la coalition des traditions du dernier siècle et de l’esprit
parlementaire janséniste, les assemblées religieuses
du culte proscrit devenaient toujours plus
fréquentes en Languedoc. L’organisation ecclésiastique
prenait une plus grande consistance. Ce n’étaient
plus, comme aux années qui suivirent immédiatement
la mort de Louis XIV, des synodes ou des réunions
prudentes d’un petit nombre de personnes ; c’étaient
de vastes assemblées, convoquées d’avance, où les
sacrements étaient régulièrement distribués à une
foule fervente. Toutefois, comme toujours, bon nombre
de ces réunions furent surprises par les détachements.
En 1725 et 1729, ce furent les protestants
d’Alais qui souffrirent le plus ; à la première de ces
époques, dans cette dernière ville, le mystère du culte
privé ne fut pas respecté ; une maison de réunion
religieuse fut investie et surprise (Mss. Rab. Dup.).
En 1727, les cachots de la tour de Constance reçurent
des femmes prisonnières en grand nombre, qu’on
avait arrêtées dans les assemblées mêmes. Le besoin
le plus impérieux de cette organisation disciplinaire
naissante était celui des pasteurs. Antoine Court nous
apprend lui-même que de tous les prédicants camisards
dont les débris existaient encore dans ces contrées,
aucun n’avait reçu l’ordination régulière suivant
le rit des églises. Aucun ne pouvait servir de collaborateur
aux ministres constitués.
Ces derniers étaient en petit nombre. Dans toute
cette époque de l’enfance de Louis XV et de la régence,
les souvenirs de la guerre des Cévennes étaient
encore palpitants. On conçoit comment, au milieu
d’un désordre à peine apaisé, les églises manquaient
encore de conducteurs habiles, joignant la science au
zèle, en dépit de tous les soins de Court et de ses premiers collègues, parmi lesquels nous devons citer
les pasteurs P. Courteis, Bourbonnous, Betrine et
Rouvière (Certificat dél. au min. Pierredon du 21 nov. 1718. Or. Mss. P. R.). De plus, il était impossible
de fixer la circonscription de leurs églises avec la
netteté que les anciens règlements de la discipline
exigeaient. On se rassemblait où l’on pouvait et quand
on pouvait, suivant les mouvements des troupes.
C’était pour chaque pasteur une affaire d’occasion et
de courage qu’il était impossible de régler. Les premières
délibérations synodales eurent plutôt pour
résultat, de répandre quelques principes d’ordre, que
de le rétablir tout à fait parmi ces fidèles sur lesquels
l’orage grondait encore. De là est arrivé que des ministres
fervents et intrépides se firent une loi, non de
résider en un endroit spécial où ils eussent pu être
découverts et où leur action eût été restreinte à la
localité, mais ils entreprirent de longues courses
et des visites nombreuses dans tout le district protestant.
Devenus missionnaires par la force des choses
et le malheur des temps, leurs voyages eurent l’immense
avantage de porter les secours spirituels à de
vastes contrées, couvertes de communautés éparses.
Sous la vieille discipline, dont la persécution avait
abrogé plus d’un article, les coureurs auraient été
sévèrement réprimés ; mais la nécessité des temps
rendait alors ce genre de ministère nomade également
utile et périlleux. Ce furent ces visites, exécutées
avec suite et avec une infatigable ardeur dans les
districts du midi, où nul ministre régulier ne pouvait
s’établir, qui contribuèrent le plus à nourrir l’ancienne
piété, et à empêcher les vieilles églises de s’éteindre,
en quelque sorte absorbées par le prosélytisme vigilant
du clergé de l’État, et sans cesse tourmentées par des vexations, des chicanes et des procès, quand
elles ne l’étaient pas par la force ouverte et par les
condamnations criminelles.
On voudrait connaître tous les détails de ces courses
accompagnées de tant de dangers, ainsi que la manière
de convoquer les assemblées, les précautions
prises pour le salut commun, les rapports des ministres
avec les fidèles proscrits, la méthode par laquelle
on annonçait les réunions, la durée et le lieu des
exercices, l’étendue des courses, les émotions que
les réformés venaient chercher dans leur culte, le
rit que les ministres y pratiquaient ; en un mot, on
désirerait retrouver un tableau de ce singulier mélange
d’alarme, de ferveur et de courage, qui constituait
la religion de ces jours de danger et de gloire.
Ce sont encore les rapports du ministre Antoine Court
à ses amis, qui nous ont laissé à ce sujet des renseignements
pleins d’intérêt et de vérité. Cet infatigable
soutien de la cause reformée, dans le midi du royaume,
méditait un dessein, qui, par l’importance du but et
les suites extrêmement heureuses qu’il devait avoir
un jour, fut peut-être le plus grand service qu’il rendit
dans sa carrière évangélique. Méditant sur les
moyens d’établir quelque part une académie, qui pût
fournir des pasteurs prudents et instruits à des communautés,
lesquelles n’avaient aucun moyen d’en former,
il entreprit plusieurs longues tournées pastorales,
pour bien s’assurer des besoins des fidèles et de l’état
des choses. Cet homme courageux n’avait pas échappé
à la médisance. Des propos malveillants circulaient
contre lui au sein même des églises qu’il chérissait
d’un véritable amour, et auxquelles il rendit tant
de périlleux offices. On lui reprochait d’une part
de perdre son temps auprès de son épouse et, ce qui était bien pis, d’aimer passionnément la chasse.
« Non, écrivait-il pour sa justification à son ami monsieur
Du Plan, gentilhomme d’Alais, zélé comme lui
pour le bien des églises, prétendre que ma Rachel
ou que les plaisirs de l’exercice dont vous me parlez
me soustraient à mes nobles fonctions, c’est en attribuer
la cause à des objets qui y contribuent peu…
Non, des choses trop importantes roulent sur mes
bras pour m’arrêter à de vains amusements, et la
connaissance que vous avez de ma conduite, jointe
aux journaux que je vous ai envoyés quelquefois de
mes voyages, sont des moyens plus que suffisants
pour confondre les infidèles rapports que l’on vient
de vous faire sur mon compte. » On ne s’arrêterait pas
ici à faire mention de ces petites calomnies dirigées
contre un homme d’un si beau caractère, si heureusement
elles ne lui eussent fourni l’occasion d’adresser
à son ami Du Plan le récit succinct d’une tournée de
deux mois entiers, que cet infatigable ministre accomplit
dans le Languedoc, de mai à juillet 1728, et
qui présente le tableau fidèle d’une course de ce
genre, alors si utile et si aventureuse[46]. On pourra juger quelle était la vie de ces pasteurs de la renaissance du culte après la guerre des Camisards.
1728.« Après le mois d’avril, je travaillai à composer les
pièces qui devaient me servir pendant la visite générale
que je méditais de toutes les églises des Cévennes
et du bas Languedoc : cela achevé je me mis en campagne
et j’assemblai le jour même, dans la nuit, les
églises de Nîmes, de Caveirac et de Milhau, etc. L’assemblée
fut nombreuse ; elle surpassa par cet endroit toutes celles qui s’étaient faites depuis longtemps
dans le même lieu ; bon nombre de nouveaux embarqués
n’y contribuèrent pas peu ; tout y fut tranquille,
quoique deux catholiques romains, qui étaient
à l’affût, eussent aperçu une foule de gens qui se rendaient
de trop bonne heure sur la place. — Deux autres
catholiques, qui allaient de Nîmes à Calvisson, furent
arrêtés sur leur chemin par une troupe de nos gens
et conduits sur la place ; leur peur ne fut pas petite,
surtout lorsqu’on leur fit quitter le grand chemin
pour traverser une guarigue[47]. L’assemblée finie,
on leur donna le congé et on leur commanda le secret.
Ils le tinrent : et il ne fut pas au pouvoir de l’un
des nôtres, qui était leur voisin, de leur faire confesser
leur aventure. Ils disaient bien en général qu’il
leur en était arrivé une fâcheuse ; mais lorsqu’il était
question de savoir quelle, ils les payaient d’un : Nous ne pouvons pas vous le dire. La convocation de cette
assemblée fut pourtant sue ; l’évêque de Nîmes en
fut informé dès le grand matin, aussi bien que les
officiers du château ; mais cela n’eut point de suites.
Il n’y eut que les missionnaires dont je vous parlai
dans la précédente qui firent du vacarme. Ces charlatans
osèrent publier en chaire, que le prédicateur
de cette assemblée avait fait plus de mal en une
seule nuit, qu’eux n’avaient fait de bien dans toute
leur mission.
« Le mercredi, j’assemblai l’église de Calvisson et
celles de son voisinage. Il ne se passa rien de particulier
dans cette assemblée : tout y fut tranquille ; le
nombre des communiants n’y fut pas aussi considérable
qu’à la précédente, parce que, quoique très-nombreuse,
elle ne l’était pas autant. Je me transportai de cette assemblée du côté de Sommières, où j’assemblai, le 7 mai.vendredi, l’église de cette ville, celle de Lunel,
de Marsillargues. L’assemblée fut nombreuse. Bon
nombre de gens de distinction, qui n’avaient pas
encore paru, firent leur première sortie. L’église de
Marsillargues se signala surtout sur cet article. Si une
seconde assemblée eût suivi de près cette première,
selon toute apparence, les catholiques seraient restés
seuls. Mais n’est-il pas écrit : Soyez prudents.
« Le dimanche suivant, je convoquai l’église de
9 mai.Beauvert, de Beauvoisin, etc. Les précédentes assemblées
avaient été éclairées par des flambeaux ; celle-ci
le fut par l’astre du jour, et ne se passa pas moins
heureusement que s’il avait été de nuit. Quelle différence
pour la dévotion ! La Pentecôte approchant me
prescrivit la retraite et le silence. C’est une de nos
maximes de ne point faire de convocations pendant
les fêtes solennelles, parce qu’alors, ainsi que je vous
l’ai dit autrefois, les détachements roulent beaucoup
plus qu’à l’ordinaire.
20 mai.« Je ne me remis en campagne que le jeudi. Sur
mon chemin, j’appris que M. Betrine convoquait ce
soir-là une assemblée ; je m’y rendis. Je partis de là
21 mai.pour Saint-Hippolyte-de-Catou, où j’assemblai le vendredi
l’église de ce lieu et celles des environs ; quelques
23 mai.personnes de votre ville s’y rendirent. Le dimanche je
convoquai les églises de Vendras et de Lussan, et le
24 mai.lundi celles de Saint-Laurent et de Saint-Quentin ; le
mercredi celle d’Uzès et de Montaren ; le jeudi celle
26 mai. 27 mai.de Garrigues et de Foissac. Il ne se passa rien de particulier
dans ces assemblées ; on y vit seulement,
comme à plusieurs autres, plusieurs personnes qui
n’avaient jamais paru à nos sociétés religieuses ; tout
y fut tranquille, M’étant rendu à Nîmes pour une affaire particulière, j’en partis le lundi et j’assemblai,
le soir même, celle de cette ville, celle de la Calmette31 mai.
et de Saint-Geniès. Avant de sortir de la ville, on
vint me dire que l’assemblée était vendue ; je ne laissai
pas que de partir. Sur la porte de la Bouquerie, je vis
une troupe de soldats, et un peu plus loin une troupe
d’officiers, qui fixèrent les yeux sur un cavalier que
j’avais avec moi. Ces deux troupes me firent craindre
qu’on n’eût accusé juste sur l’avis qu’on venait de
me donner ; mais je n’en continuai pas moins mon
chemin, persuadé que l’assemblée se tenait un peu
trop loin de la ville pour être suivie, et que, s’il y
avait quelque chose à craindre, ce ne serait qu’en
revenant, et qu’alors il ne manquerait pas de moyens
pour rendre inutiles les soins des soldats. Nous eûmes
un autre obstacle : ce fut une nuit obscure, accompagnée
de pluie, obstacle qui fit que plusieurs
errèrent pendant la nuit sans trouver l’assemblée. Je
rencontrai sur mes pas une troupe errante à laquelle
il fallait que je servisse de guide. Nous essuyâmes,
avant la prédication, un revers de pluie ; peu s’en
fallut qu’elle ne nous trempât tout à fait ; il cessa, ce
revers, et la pluie nous laissa aller tranquillement
achever notre exercice. Il n’en fut pas de même au
retour ; elle se renforça. Heureuse encore l’assemblée de
n’avoir à se défendre que contre la pluie : les soldats
ne firent point de sortie. Le mardi je convoquai les1 juin.
églises de Lédignan, de Lascours, de Cruvière.
M. Claris, qui devait m’accompagner dans les hautes
Cévennes et dans la montagne, me vint joindre.
L’assemblée congédiée, nous partîmes, et nous nous
rendîmes du côté de Brenoux, où nous assemblâmes
le jeudi cette église avec une de ses voisines.3 juin.
« Quelques personnes de votre ville voulurent être de la partie ; mais une pluie très-forte, qui nous surprit
en chemin, fit décamper tous ceux qui s’étaient
rendus sur la place de bonne heure. Les fidèles qui
étaient avec moi, et qui n’étaient pas en petit nombre,
ne perdirent pas courage. Nous nous rendîmes sur
le lieu, malgré la pluie : avant que d’y arriver, nous
rencontrâmes une troupe de gens qui s’en retournaient
chez eux, et qui nous apprirent que tous
avaient déserté ; nous ramenâmes ceux-ci, et nous
rappelâmes par le chant d’un psaume les moins éloignés.
La prédication fut ouïe et la sainte Cène célébrée
de même que si le temps avait été beau ou
5 juin.moins mauvais. Le samedi matin, j’assemblai les
églises de la Chamborigaud et de Castagnols. Cette
dernière église, qui se distingue de bien d’autres par
son zèle et par son courage, me fournit l’occasion
d’exercer les principales fonctions de mon ministère.
Ce jour même nous furent présentés cinq enfants
pour être baptisés et autant de mariages pour être
bénis. 6 juin.Le lendemain dimanche furent convoquées
les églises de Genolhac, Frugère et du Pont-de-Montvert,
et où assista encore l’église de Castagnols. L’assemblée
fut très-nombreuse. On y vit ce qui n’avait
point été vu depuis la révocation ; cinq enfants baptisés
à la tête de l’assemblée. Cette cérémonie attendrit
le cœur de tous les assistants, et des larmes furent
aussi répandues pendant la prédication. La pluie nous
incommoda, non seulement pendant la cérémonie,
mais encore après. L’exercice achevé, la pluie ayant
cessé, les uns se retirèrent et les autres prirent leur
réfection sur le lieu. Là, se virent un grand nombre
de cercles de personnes assises sur le gazon qui, avec
simplicité, prirent un sobre et simple repas, composé
des aliments que chacun a soin d’apporter de chez soi, et qui se termina par le chant d’un sacré
cantique. C’est ainsi qu’on en use ordinairement dans
les assemblées de ce pays. Avant que de quitter le
lieu, je bénis cinq mariages.
« Le prédicateur du quartier m’ayant fait connaître
qu’il restait encore des fidèles sur la Lozère, où nous
étions, qui n’avaient pas pu assister à cette assemblée
à cause du trajet, nous en convoquâmes un autre le
lendemain lundi matin à une lieue de la première.
Elle ne fut pas moins nombreuse que la précédente.
Mais, mon Dieu, que de pluie tomba pendant la prédication
et la célébration de l’Eucharistie ! À peine
néanmoins auriez-vous aperçu quelque altération
dans cette assemblée, tant ces fidèles montagnards
sont accoutumés au mauvais temps, ou pour mieux
dire, tant leur faim de la sainte parole est grande et
leur zèle empressé. Je leur dois ce témoignage que,
dans leur pays, il y a en général un grand nombre de
bonnes âmes. Nous quittâmes la montagne, et le mardi, 8 juin.
nous convoquâmes l’église de Florac et ses voisines ;
le jeudi d’après celles de Saint-Julien, de Pradal,
Saint-Germain-de-Calberte10 juin.. L’assemblée congédiée,
je retins les députés des églises, qui composaient le
colloque général, ou le synode de ce canton-là, que
j’avais mandé… Je bénis en leur présence cinq mariages.
Tairai-je une autre circonstance ? Un soldat
qui montait de Pont-de-Montvert et qui allait sans
doute à une des garnisons voisines, s’étant aperçu
de quelques troupes de nos gens qui s’en retournaient
après l’assemblée, fut saisi d’une telle terreur
qu’il n’eut de jambes que pour retourner sur ses pas,
mais avec un peu moins de lenteur qu’il n’était venu.
Cette aventure, rapportée au commandant de Pont,
jointe à d’autres avis qu’il avait eus concernant ces assemblées, qui venaient de se tenir sur la montagne,
l’intrigua beaucoup ; mais dissuadé par un de ces
hommes à qui le nicodémisme[48] donne du crédit,
il ne se donna pas d’autres mouvements.
12 juin« Le samedi, nous assemblons l’église de Barre, où
assista encore celle de Florac. Pendant l’exercice les
nuées nous annoncèrent beaucoup de pluie : mais
nous ayant épargnés jusqu’à la fin, la bénédiction
fut à peine prononcée que le tonnerre, mêlé d’orage,
se mettant de la partie, elles versèrent sur nous des
torrents de pluie. Un temps si incommode inspira à
chacun le dessein de chercher un asile. Trois prédicateurs
que j’avais avec moi, et une vingtaine de personnes,
nous fûmes nous camper sous un rocher, où
nous prîmes une médiocre réfection. La pluie ayant
un peu discontinué, nous nous mîmes en marche,
ayant pour plus de quatre heures de chemin à faire
ce jour-là. Mais comme si la pluie n’avait discontinué
que pour nous inviter à partir, et nous faire éprouver
ensuite sa rigueur, elle ne nous vit pas plutôt hors
de notre asile que, reprenant son premier train, elle
ne nous quitta plus jusqu’à notre rendez-vous. Mais
pourquoi, direz-vous, s’exposer soi-même et exposer les autres à un temps si rigoureux ? J’ai deux choses
à répondre : la première, que le pays où nous éprouvions
tous ces événements fait voir tous les jours ce
qu’on vit du temps d’Élie, que du sein du temps le
plus beau naissent de petites nuées qui s’épaississent
peu à peu et tombent en torrents d’eau ; la seconde,
que les fidèles qui composent les assemblées n’étant
pas d’un même lieu, mais dispersés en des lieux différents,
quelquefois trois et quatre lieues autour, demandent
du temps pour en être avertis. Si c’est la nuit
que l’assemblée doit être tenue, il en faut donner avis
pendant le jour ; si c’est le jour, il faut bien avertir le
jour qui précède. Lorsque la commission se donne le
temps est beau ; mais il arrive souvent qu’avant qu’elle
soit exécutée, le temps est changé. Il n’y a pourtant
plus moyen de reculer ; les fidèles sont venus de loin,
l’âme est affamée ; les prédications sont rares. Le beau
temps s’étant rétabli nous invita à remplir un dessein
que nous avions formé ; c’était de rassembler les
églises de Vebron, de Rousses et une partie de Saint-André-de-Valborgne.
L’assemblée fut tenue le dimanche matin. Pendant13 juin.
l’administration de l’eucharistie, on vint me dire que
le curé de Vebron avait prôné en chaire que ce jour-là
se tenait une assemblée : et cet ecclésiastique, qui
ne se crut pas moins en droit de porter l’épée que les
clés, se mit à la tête du détachement qui se trouvait
en ces lieux, et dirigea sa marche où il soupçonnait
que se trouvait l’assemblée ; mais soit qu’il n’en sût
pas positivement le lieu, soit qu’il manquât de courage,
il s’en retourna du premier hameau sans rien
faire. L’escapade de cet homme n’interrompit pourtant
pas notre exercice qui se continua et s’acheva
(béni soit l’auteur de tous nos biens !) fort tranquillement et fort heureusement. Partant de là, nous assemblâmes
14 juin.le lundi matin les églises de Valleraugue,
des Plantiès, et l’autre partie de celle de Saint-André.
De là, nous étant rendus du côté de Meyrueis, nous
étions résolu d’en assembler l’église le mardi matin.
Mais une compagnie de soldats qui descendaient de
Pradels, et qui étaient de couchée dans cette ville, détourna
mal à propos les conducteurs des assemblées
de cet endroit de donner avis de notre dessein à
cette église ; ainsi obligés de retourner sur nos pas
sans rien faire, nous nous rendîmes à une assemblée
que nous avions fait convoquer de plusieurs églises :
16 juin.c’était le mercredi matin. Cette assemblée était double ;
là étaient les députés des églises du haut Languedoc,
de Meyrueis, du Vigan, et de tout ce canton qui,
ayant demandé en plusieurs synodes qu’il en fut tenu
un chaque année sur la montagne de l’Aigual, et leur
demande ayant été accordée, s’étaient rendus dans ce
lieu pour la première fois. Après l’exercice fini, ayant
campé sur le gazon, ce nouveau corps commença
à délibérer sur le sujet qui l’assemblait. Trois choses
furent mises en délibération et conclues : la première,
le retour de M. Roux fondé sur la délibération
du dernier synode, sur la nécessité des églises,
et sur le préjudice qu’un plus long délai causerait
aux autres prédicateurs, tendant comme lui à la
perfection des sciences salutaires ; la deuxième, le
dénombrement des protestants, conformément à
la réquisition du ministre de M. l’ambassadeur de
Hollande ; la troisième, un jeûne général ; la quatrième
fut mise sur le tapis à l’occasion d’un jeune
homme qui s’était mêlé de prêcher, mais de qui les
mœurs ne répondaient pas à la profession ; il fut
congédié. »
« Le vendredi dans la nuit, nous assemblâmes les
églises du Vigan, d’Aulas, de Molières, d’Aumessas.
L’assemblée fut des plus nombreuses. Ceux qui demeurent
dans le plus bas nombre la portèrent à trois
mille ou environ. Il faudrait bien des mesures et bien
des précautions pour la faire là autrement. Là, parurent
un grand nombre de gens de distinction. Mais
comme les fidèles du Vigan se rendaient à l’assemblée,
Daudé, subdélégué, étant à la promenade et ayant
aperçu quelques troupes, dit à quelques-uns de
grosses paroles peu convenables à son rang : mais ces
paroles n’intimidèrent personne. M. Daudé, de son
côté, ne fit pas d’autres démarches. Je vous l’avoue,
je ne laissai pas toutefois de craindre beaucoup pour
cette assemblée ; tout y fut néanmoins tranquille, et
chacun se retira chez soi heureusement. Ô que la
protection divine est un asile assuré ! Mille fois heureuse
la société qui, dans tout temps, et dans des
alarmes, y cherche son refuge ! » 19 juin.
« La nuit du samedi au dimanche, nous assemblâmes
les églises de Roquedur, de Saint-Laurent ; le
matin du dimanche, celles de Ganges, de Sumène et
de Saint-Hyppolite-du-Château. La pluie, qui nous
avait quittés pendant quelques jours, nous revint visiter
ce jour-là. Elle tombait roide le soir sur le dos de
mes deux collègues et de moi. À cet orage succéda
un temps très-beau qui nous invita à convoquer 22 juin.
pour le lendemain les églises de Quissac et de Canne.
Cette assemblée fut suivie d’une autre, composée des
églises de Lesan et de Fornoc. Mais continuellement
touchés du malheur de ces fidèles que la pluie du
3 juin avait fait décamper sans entendre la prédication,
nous résolûmes ici, tant pour les dédommager
que pour satisfaire le désir empressé de plusieurs fidèles qui n’avaient pas pu assister à nos autres assemblées,
26 juin.de leur accorder la consolation qu’une très-pressante
faim nous demandait. C’est ce que nous
fîmes la nuit du samedi. Le mardi suivant j’assemblai
29 juin. 2 juillet.les églises d’Alais, de Saint-Paul-Lacoste et de Générargues, et le vendredi, celles de Peyrol, de Saumane,
de Saint-Roman, de Moissac. Je réservai le dimanche
pour assembler les églises de Saint-Jean-de-Gardon,
de La Salle, d’Anduze. L’assemblée fut belle et nombreuse.
Le paysan s’y vit accompagné du noble et du
bourgeois. Si le calcul est juste, quatre pauses de
psaume et tout le cantique xie furent chantés pendant
la communion, qui se fit pourtant fort à la
hâte ; pressés que nous étions par les rayons ardents
du soleil qui donnait perpendiculairement sur nos
têtes, et nous servant d’ailleurs d’une coutume qui,
dans son usage, fait qu’un pasteur aidé d’un ancien
fait communier presque autant de personnes que
s’ils étaient deux. Mais pourquoi, vous dira-t-on
peut-être, des assemblées si nombreuses ? N’en craint-on
pas les conséquences ? Il est des lieux où il serait
bien difficile de les faire d’une autre manière. Le
nombre des fidèles y est grand, le zèle empressé, la
faim dévorante, les prédications rares, les pasteurs
encore plus ; on épie l’occasion, on s’en saisit ; et pour
éviter le trop grand nombre, il faut que le pasteur se
cache, qu’il use de stratagèmes comme à la guerre ; on
le suit à la piste. Il y avait huit jours que des fidèles
de ces lieux étaient en mouvement pour épier cette
dernière occasion. Et l’économe du père de famille
peut-il interdire aux enfants de la maison le pain
sacré de la parole, ce pain qu’on lui demande non
seulement avec empressement, mais même avec
larmes. Non, dira-t-on, mais il faudrait multiplier les assemblées ; voilà qui est bien, mais il faudrait multiplier
le nombre des pasteurs. »
« Il est temps que j’achève le catalogue de mes assemblées ;
j’en vais faire la clôture par celle qui se tint
le lundi dans la nuit, composée des églises de Monoblet,5 juillet.
de Sauve et de Durfort. Ces différentes assemblées,
prises dans le total, pouvaient monter au-delà
de trois mille personnes. Dans toutes, nous avons administré
la sainte cène ; dans aucune, nous n’avons
eu aucune alarme ; dans presque toutes, nous avons
reçu des gens à la paix de l’église, à qui la sainte cène
avait été interdite, ou pour avoir solennisé leur mariage
dans l’église romaine, ou pour y avoir fait baptiser
leurs enfants. Dans le cours de ma visite, j’ai
béni environ quinze mariages, et baptisé autant d’enfants.
Mais qu’il serait à souhaiter que le nombre en
eût été plus grand, et qu’il est affligeant en même
temps que tous n’aient pas le même zèle et le même
courage, et qu’il soit des gens assez lâches pour
faire bénir leurs mariages et baptiser leurs enfants
dans une église où un morceau de pâte est adoré à la
place du Créateur. Je vous l’avoue, cette indigne conduite
en a découragé beaucoup. Invitez quelqu’un de
nos amis à écrire sur la matière pour nous aider à
bannir, s’il est possible, du milieu de nos églises, un
si détestable et criminel usage. »
« Vous ferais-je remarquer pour la fin que tant
d’ouvrage demande beaucoup. Mais ce serait peu que
la prédication et l’administration de la sainte cène,
s’il ne fallait, après avoir vaqué à ses fonctions, faire
de longs trajets, et si, arrivant dans une assemblée, le
pasteur pouvait prendre quelque repos. Mais le moment
qu’il arrive à l’assemblée est épié par mille personnes
qui, chacune, a un mot à lui dire, ou un cas de conscience à lui exposer. Là, quatre heures entières
l’attendent ensuite pour le voir debout et bien occupé ;
il est trop aimé, il est trop rare, pour trouver là la fin
de son travail. Il faut qu’il essuie les compliments
d’une foule de gens qui se jettent sur lui, dont il n’y
en a aucun qui ne lui baise la main et ne lui demande
l’état de sa santé. Cela finit pourtant. »
Nous avons cité ce long extrait du rapport d’une
visite pastorale du ministre Court, parce que nulle
autre pièce n’aurait pu donner un tableau aussi fidèle
et aussi vrai des travaux de ces prédicateurs, qui se
consacrèrent à ranimer le culte protestant, et à réorganiser
l’église. On remarquera avec quelle profonde
simplicité, et sans prétendre s’en attribuer le moindre
mérite, les pasteurs de cette époque relatent des
courses de près de cent lieues, dans la position la
plus difficile, environnés de mille dangers[49]. Cette
pièce est également précieuse, comme nous permettant
d’apprécier l’état précis du culte, des exercices,
et des populations protestantes, dans la seule partie
du royaume, où les églises se fussent rassemblées de
nouveau, où le culte eût repris quelque régularité,
et tout cela se passait dans un pays couvert de garnisons,
pour ainsi dire, sous le feu même des troupes
qui avaient l’ordre de s’y opposer.
Il est évident, par les faits de cette tournée, que le
culte renaissait plus rapidement peut-être qu’on
n’eût osé l’espérer, et que tous les jours, de nouveaux
membres qui s’étaient tenus à l’écart, se ralliaient à
la cause persécutée. Sans doute, de pareilles visites
accomplies avec un si singulier mélange de courage et de prudence durent puissamment contribuer à hâter
ces résultats. On croit aussi démêler, dans les circonstances
des travaux des ministres de cette époque, les
causes toutes populaires, qui portaient les protestants
d’alors à montrer cette faim dévorante d’un culte dont
l’exercice les exposait à tant de tracasseries et de dangers.
L’imagination de ces mêmes populations, qui
avaient vu la guerre civile encore récente et tous les
restes de l’ancien esprit camisard, devait trouver
à la fois un aliment et un triomphe dans ces assemblées
solitaires, ces exercices aux flambeaux, ces inquiétudes
d’espions à l’affût, ces convocations secrètes,
ces communions rares et dangereuses, ces
baptêmes et ces mariages tardivement célébrés par
les ministres au détriment des prêtres, ces adhésions
de frères plus timides qui se ralliaient à la
vieille cause, ces chants de psaumes par lesquels les
bandes se reconnaissaient et s’appelaient de loin ;
enfin, dans la vue de ces détachements qui battaient
le pays, et dont chaque traînard isolé s’enfuyait épouvanté
devant les réunions. On connaissait aussi le
zèle de quelques curés toujours vigilants pour éclairer
les retraites des huguenots. On aimait tous les accidents
d’une vie religieuse dont les actes se passaient
au milieu de dangers sans cesse renaissants, souvent
au milieu du silence des nuits ainsi que du fracas
des orages. Alors on croit comprendre la puissance
des ministres sur les populations, les actes de respect
et d’affection touchante, qui signalaient l’arrivée
des pasteurs proscrits bravant des lois cruelles pour
consoler des proscrits comme eux. Toutes ces précautions,
tout ce mystère, cette poésie de foi et de souvenirs
expliquent pleinement la perpétuité d’un culte,
exercé par des ministres chéris, au sein de populations exaltées par leurs souffrances mêmes, et dont
presque toutes les familles comptaient quelque
membre qui avait été puni à cause de l’évangile.
En rentrant dans la série des faits historiques dont
ces réflexions nous ont écartés, il faut reconnaître
que dans la vaste province du Languedoc et le district
montagneux des Cévennes, les églises s’étaient
ralliées et s’étaient retrouvées nombreuses et zélées.
Elles présentaient encore des masses importantes de
population dix-huit ans après la paix d’Utrecht et la
cessation définitive de la dernière guerre de religion.
Cependant, là où les fidèles abondaient le plus, c’étaient
surtout les pasteurs qui manquaient ; non que
les lois capitales qui pesaient sur eux et dont plusieurs
furent victimes à cette époque et plus tard,
fussent la cause de leur petit nombre ; au contraire,
on voit sans cesse que les synodes étaient plutôt embarrassés
du nombre de ceux qui se présentaient,
puisque chaque assemblée prit quelques mesures pour
interdire ceux qui s’offraient sans garantie et sans
autorisation. Si le zèle d’un peuple aigri par tant
d’intolérance, et aiguisé par l’oppression, peut revivre
tout à coup, ce dut être une œuvre et plus difficile
et plus lente que de lui fournir des pasteurs
instruits, dont la science répondît au zèle, et qui
appuyassent leur vocation des ressources et des
moyens d’action d’une éducation soignée, en juste
rapport avec la délicatesse et la gravité des devoirs
de leur charge. Ainsi seulement le fanatisme pouvait
être guéri sans retour. Mais en France, et dans l’état
de la législation concernant les religionnaires, la fondation
d’un séminaire pastoral était une entreprise à
laquelle personne ne pouvait raisonnablement songer.
Il paraît que cette question d’une si haute importance occupa longtemps le ministre Court et ses collègues.
Ses visites pastorales en Languedoc, et celles
du ministre Chapel en Poitou et Saintonge (1728),
avaient constaté que les protestants étaient groupés
encore bien plus qu’on ne l’avait cru. Le ministre Roger
avait acquis la même certitude (1715) pour le Dauphiné.
Dès lors, les ministres du Languedoc, et spécialement
A. Court dont les tournées avaient si bien
fait apprécier l’état des communautés, aidé de son
ami Duplan, d’Alais, reconnut la nécessité de choisir
une ville protestante hors de France, qui pût réunir
aux conditions de posséder des professeurs habiles,
l’avantage d’une académie, d’un gouvernement tolérant,
et de fidèles généreux et tendres, disposés à
veiller sur la direction et sur les besoins de cette école
des ministres du désert. Genève fut écarté comme
excitant trop de soupçons en qualité de centre protestant.
On adopta Lausanne. Court fit un voyage en
Suisse ; il rédigea des mémoires, il décrivit l’état des
choses, et il n’eut pas de peine à démontrer que le
terrain tout disposé manquait de conducteurs habiles,
et que la cause protestante française dépendait du
choix et du nombre de ministres convenables. Partout
il excita l’intérêt en faveur des fidèles sous la croix. Partie des souscriptions que la Suisse, l’Angleterre,
la Hollande et l’Allemagne faisaient passer aux
confesseurs pour cause de religion, ou qu’elles destinaient
hors de France à l’entretien d’asiles pour les
réfugiés indigents ou au soutien de leurs églises ;
enfin plusieurs souscriptions spéciales fournirent les
moyens de défrayer les jeunes proposants, qui se
sentaient, comme disait le ministre Court, la vocation pour le martyre.
Toutes ces considérations réunies donnèrent lieu à la fondation du séminaire de Lausanne, établissement
qui devint une ressource des plus précieuses pour les
églises persécutées. Cette fondation marcha de front
avec les premiers travaux qui furent entrepris, lors
de la renaissance du culte. À peine les églises se furent-elles
reconnues et comptées, que leurs pasteurs songèrent
à peupler les rangs du ministère de sujets
instruits. La position des populations, le fanatisme
si nouvellement assoupi, les lois cruelles qui demandaient
chez les pasteurs tant de fermeté et tant de
prudence, tout se réunissait pour rendre les fonctions
pastorales aussi graves que difficiles. L’avenir des
églises réformées de France dépendait donc du succès
de ce plan. Ce fut encore le pasteur Antoine Court
et ses premiers collègues qui eurent l’honneur d’une
si importante entreprise, dont la nécessité leur apparut
dès leur entrée dans la carrière. On désire connaître
les premières démarches qui furent faites à ce
sujet, les obstacles qu’il fallut vaincre et les puissances
qu’on dut songer à se concilier. Parmi les appuis que
ce projet rencontra, nous devons citer en première
ligne le gouvernement de Berne, à qui Lausanne ressortissait,
et aussi quelques hommes zélés dans la cour
d’Angleterre, surtout l’archevêque Wake, dont la mémoire
mérite la reconnaissance des protestants français[50]. On va juger, par le précis rédigé par Antoine Court lui-même, des immenses difficultés qu’il eut
à vaincre, et aussi de l’urgence d’une école dont on
lui dut en grande partie la création.
« Une chose essentielle manquait, disait-il, c’était
des prédicateurs ; un seul de tous ceux qui existaient
alors pouvait me seconder, et il le fit efficacement :
il s’appelait Corteis. Il ne s’était point trouvé à la première
assemblée synodale que j’avais convoquée, parce
qu’il était alors auprès de sa femme dans les pays
étrangers. À son retour, il n’approuva pas seulement
ce que j’avais fait ; il entra aussi dans toutes les vues
que je me proposais pour l’avenir, et il fit tout ce
qui était en son pouvoir pour les faire réussir. Tous
les autres prédicateurs étaient des gens d’un certain
âge et peu capables. Celui de tous qui pouvait nous
donner quelque espérance nous fut enlevé en 1717,
et il souffrit le martyre à Alais en janvier 1718[51].
« C’est alors que mes vues se tournèrent de tous
côtés, pour déterrer des jeunes gens qui voulussent
se prêter aux vues que je me proposais. J’en tirai de
la charrue, des boutiques des artisans, de celles des
marchands et de derrière les bancs des procureurs.
Il y en avait qui ne savaient pas même lire, et à qui
je servis tout ensemble et de maître d’école et de
catéchiste pour les instruire dans la religion. En leur
apprenant celle-ci, je les formais en même temps à
la prédication. Plusieurs dans la suite furent faits
ministres et servirent utilement les églises.
« Mais le nombre était peu considérable, et la moisson
devenait tous les jours plus abondante. Ce fut à
cette époque que je commençai d’écrire dans les
pays étrangers pour leur demander des ministres. Ce fut dans ce dessein que j’écrivis à Londres, en Hollande,
en Suisse et à Genève. Mes lettres étaient des
plus pressantes et contenaient les tableaux les plus
propres à émouvoir. Combien ne cherchais-je pas à
les exciter à jalousie, et à faire naître chez eux une
salutaire confusion, en leur représentant des cardeurs
de laine, des tailleurs d’habits, des garçons de boutique,
des jeunes gens sans étude qui remplissaient
l’œuvre à laquelle ils avaient été appelés eux-mêmes,
et qui vérifiaient à la lettre ces paroles de l’Évangile :
Si ceux-ci se taisent, les pierres mêmes parleront.
Mais toutes mes semonces furent inutiles. Elles n’engagèrent
pas même un pasteur à rentrer dans le
royaume. C’eût été augmenter les dangers du troupeau !
La grande raison était qu’on ne se sentait pas
de vocation pour le martyre ; et le martyre, dans cette
périlleuse mission, était comme inévitable.
« Après cela quel parti restait à mon zèle ? Je n’en
vis pas d’autre que celui de l’établissement d’un séminaire,
où les jeunes gens en qui je trouverais le plus
de bonne volonté pour se consacrer au salut de leurs
frères, pussent être envoyés pour y acquérir les
lumières et les connaissances nécessaires, et s’y mettre
en état de servir ensuite les églises avec fruit. Mais il
fallait pour cela des secours, et les églises n’étaient
pas en état elles-mêmes de les fournir. Comment l’auraient-elles
pu ? elles qui, jusqu’alors, n’avaient pas
même pu assigner des émoluments à ceux qui sacrifiaient
tous les jours leur vie pour elles, et qui, lorsqu’elles
commencèrent à le faire, ne purent porter
ces émoluments, ainsi que je le réglai moi-même dans
un synode, qu’à environ 3 liv. sterl. par an pour
chacun.
« Il fallait donc chercher ailleurs ces secours ; mais où les trouver, si ce n’est parmi les puissances de
notre communion. C’est aussi de ce côté-là que je
portai toutes mes vues, et ce fut alors que je commençai
à travailler à les intéresser à cette bonne
œuvre. Je le fis en écrivant à des personnes que je
savais être remplies de zèle et en crédit auprès desdites
puissances. C’est en particulier ce que je fis en
1720, en me donnant l’honneur d’écrire à milord
Wake, cet illustre primat si digne d’avoir été le prédécesseur
de celui qui occupe aujourd’hui avec tant
de gloire le même siège épiscopal.
« Après avoir commencé à donner à cet illustre
prélat une idée courte de la manière merveilleuse dont
Dieu avait commencé à réparer les brèches que la
violence, l’apostasie et le défaut de zèle, le fanatisme,
le relâchement, avaient fait à son église en France ;
après lui avoir parlé du rétablissement de la discipline,
des consistoires, des synodes, du nombre des
églises qui étaient déjà formées, du petit nombre
d’ouvriers qu’elles avaient pour les desservir, de l’abondance
de la moisson, et de la nécessité d’avoir des
missionnaires, je le conjurais d’en entretenir Sa Majesté
Britannique, et de porter cet auguste prince à
honorer de sa protection royale et des riches effets de
sa bénéficence, ces églises qui renaissaient de leurs
cendres. Le prélat fut touché du contenu de ma lettre.
Il eut la bonté d’en parler au roi, qui en fut touché
aussi, et qui promit de s’intéresser en leur faveur. »
(Mss. des arbitres, par Court, p.3 et 4. Mss. P. R.)
Tout en admirant la sagesse des plans du pasteur
Antoine Court en faveur de la pépinière des pasteurs
persécutés, on ne peut s’empêcher de faire un retour
sur les conséquences des édits et sur la manière dont
les églises étaient alors gouvernées par la cour de Versailles. N’est-ce pas un triste spectacle de voir
les pasteurs obligés de se cacher comme des coupables
pour fonder des établissements si utiles à la
France, et contraints pour cela d’avoir recours aux
souverains de la Grande-Bretagne ? Ce sont des choses
qu’il faut s’empresser de rapporter, de peur que la
postérité ne se montre incrédule.
Ce fut par tous ces moyens réunis et par quelques
dons assez rares qu’on obtenait des églises mêmes,
qu’il fut pourvu aux études et à l’entretien personnel
de ces étudiants d’un nouveau genre, qui travaillaient
assidûment à pouvoir braver un jour les lois
intolérantes de leur patrie. Les épreuves furent abrégées
autant que le permettait la nécessité d’une instruction
suffisante ; en général, ils ne quittaient le
séminaire qu’au bout de deux ans. Ces mesures ne
purent être préparées ni conclues que moyennant le
plus profond secret. La cour de France y eût apporté
des obstacles dans l’intérieur en même temps
qu’elle eût fait agir son résident auprès de la diète
1722. 1727.Suisse. Ce projet important ayant été exécuté par
A. Court, au milieu des travaux les plus variés de son
ministère, enfin il détermina ses collègues à laisser
fléchir, sur ce point, la discipline devenue inexécutable,
et à prendre à cet égard une mesure générale,
au moyen de l’acte suivant : « Ce dimanche, 15e jour
du mois de mai 1729, a été convenu entre nous, pasteurs
et prédicateurs du désert en France, qu’à l’avenir
nous donnerons permission à tous nos frères qui
aspirent au saint ministère, et en qui nous trouvons
les qualités requises, de se faire recevoir dans les
académies du pays étranger, supposé que la Providence
les y conduisît munis de nos attestations, et
nous sommes signés : Corteis, Court, Claris, Roux, Roger, Maroger, Bétrine, pasteurs ; Rouvière, Bourbonnous,
prédicateurs. » (Or. mss. P. R.) Telle fut
l’origine du séminaire de Lausanne, qui a fourni des
pasteurs à toutes les églises de France, pendant le
reste du xviiie siècle. Bientôt A. Court lui-même alla
s’y fixer ; il devint le véritable directeur et l’âme d’un
établissement dont ses courses apostoliques lui avaient
démontré toute la nécessité ; il assuma de plus les
fonctions d’agent volontaire des églises françaises
pour les affaires ecclésiastiques, choisissant ainsi une
position heureuse où il pouvait à la fois correspondre
sans danger avec Paris, et servir de son expérience
ces jeunes ministres qui, à son exemple, briguaient
la simple et noble fonction de pasteurs du désert.
Nous aurons plus d’une occasion de revenir sur les
services éminents de cet établissement si nécessaire,
dont l’existence ne tarda pas à être connue à Paris.
Le gouvernement de Louis XV reconnut bientôt qu’il
en pourrait retirer fort indirectement d’utiles secours
pour l’administration du midi. Ainsi Louis XIV et ses
intolérants conseillers avaient cru ruiner sans retour
toutes les académies protestantes de ses États, et ôter
pour jamais cette ressource précieuse à ses sujets réformés ;
et voici que moins de quinze ans après sa
mort ces mêmes populations, non seulement formaient
des assemblées de plusieurs milliers de personnes
en Languedoc, mais elles trouvaient dans leur
zèle et dans la sagesse de quelques ministres dévoués,
le moyen de fonder une sorte d’académie
étrangère, qui continua silencieusement l’œuvre
qu’on croyait ensevelie sous les ruines des collèges
de Saumur, de Sedan, et tant d’autres célèbres écoles.
D’ailleurs, la pénurie des pasteurs était telle à cette
époque, et, d’un autre côté, les mesures d’Antoine Court avaient déjà produit tant de fruit, que nous
voyons à un synode national, de 1726 (16 mai), qu’il
se trouva réuni trente-six anciens, seulement trois
pasteurs, et neuf proposants. Cette assemblée, sans
doute pour rendre les réunions religieuses moins prolongées
et moins périlleuses, crut devoir prendre,
dans son art. 16, une mesure assez singulière contre
les sermons exubérants : « Les pasteurs et prédicateurs
prendront garde de régler leurs prédications
d’environ une heure et quart, pour prévenir le danger
et ne pas lasser l’attention des auditeurs. » (Mss. Nag.)
Toutefois, ce n’était qu’au milieu de difficultés sans
cesse renaissantes, et souvent de grands malheurs,
que cette reconstruction avançait. À mesure que les
églises voyaient leur nombre et leur zèle s’augmenter,
les convocations synodales embrassaient plus de provinces ;
mais aussi ces travaux éveillaient davantage
le zèle des intendants, les poursuites de la magistrature ;
de sorte que l’œuvre devenait plus périlleuse en
grandissant : surtout les communications des provinces
entre elles, et tout ce qui pouvait rappeler une
affiliation générale de tous les protestants du royaume,
attirait un redoublement de précautions et d’intolérance.
Le Dauphiné, par acte signé P. Durand, modérateur,
et Fauriel, dit Lassagne, secrétaire, accueillit
1730. 22 septemb.les députés des églises du Languedoc ; l’année précédente les églises du Bas-Languedoc et des Cévennes
envoyèrent aux provinces de Rouergue,
Guyenne, Saintonge et pays d’Aunis, et Poitou, le
pasteur Bétrine et le proposant Grail ; tous deux sont
1729. 9 août.recommandés à ces églises persécutées « comme des
victimes qui vont s’immoler pour leur service. » La
première de ces pièces porte le cachet des églises de France ; ce cachet représente la religion sous les traits
d’une femme d’une pose ferme, levant ses yeux vers
le ciel, avec l’exergue : Le triomphe des fidèles sous la croix. La seconde est revêtue d’un sceau différent,
mais d’un travail beaucoup plus soigné, tant pour les
lettres que pour la gravure en creux ; c’est une barque
à un mât, exécutée avec un fini admirable de
détails ; les flots sont sur le point de l’engloutir ; les
matelots paraissent en prières, et la voile est pliée ; à
l’entour on lit en lettres d’une grande délicatesse :
Sauve-nous, Seigneur, nous périssons. Il paraît que
l’usage de ces sceaux était fort rare, ou bien qu’on y
renonça de bonne heure dans ce siècle ; car dans la
multitude d’actes synodaux et de pièces authentiques
que nous avons examinés, nous n’avons rencontré
que les deux précédentes qui portassent ces symboles
de triste et glorieuse mémoire. (Or. mss. P. R.)
Grâce au zèle des fidèles, aux visites des ministres,
et aux sages mesures des assemblées, on put songer
enfin, même en présence de tant d’édits persécuteurs,
à prendre des délibérations plus sévères, propres à
constater efficacement le nombre des protestants et à
porter les plus craintifs à se déclarer, soit par la
rigueur des ordonnances ecclésiastiques, soit par la
force de l’émulation. L’espoir de vivre sous un régime
tolérant ne fut jamais banni du cœur des hommes
éminents, qui brillèrent dans ces temps difficiles. Il
leur répugnait de penser qu’une forte partie des
Français fussent destinés à vivre sans cesse en dehors
de la loi commune. Cette confiance en l’avenir est un
trait des plus saillants du caractère de cette époque ;
mais bien des années devaient s’écouler encore avant
que ces vœux fussent remplis. Toutefois, on découvre
que déjà les réformés du royaume se croyaient en droit de s’organiser d’une manière plus forte. Un des
exemples les plus notables de cet esprit fut donné
par les huguenots des Cévennes au milieu de cette
contrée témoin de tant de combats, et où le zèle
1730. 10 août.était encore si fervent. Un synode provincial, qui
réunit trente-sept membres, et qui fut tenu dans les
Cévennes (or. mss. P. R.), adopta plusieurs mesures
vigoureuses, quand on songe aux dangers du
temps. Pour resserrer les liens des églises du royaume
et de celles de Suisse, où le nouveau séminaire venait
d’être fondé, il ordonna qu’un des jeûnes solennels
célébrés en France le serait le même jour qu’en Suisse.
Comme la population réformée était encore mal définie,
et qu’une partie se dissimulait dans les rangs
des catholiques, les anciens de chaque église reçurent
la mission de dresser la liste complète des personnes
depuis l’âge de douze ans, et au-dessus, qui n’auraient
pas communié, de les exhorter à s’y préparer, et de
leur représenter combien cette obligation était sacrée
et urgente. Les parents et tuteurs qui feraient baptiser
tous mineurs à l’église romaine ou permettraient
qu’ils s’y mariassent, « tous ceux en un mot qui se
souilleront du péché abominable d’idolâtrie, à l’occasion
des mariages ou des baptêmes, » seraient d’abord
suffisamment exhortés, et s’ils s’y obstinaient,
excommuniés. La même peine devait atteindre tous
ceux qui iraient à la messe sous un prétexte quelconque.
Une disposition spéciale fut prise à l’égard des réformés
qui occupaient des postes se rattachant aux
fonctions d’officiers du fisc, et exposés par là à lever
les amendes encourues par leurs frères pour fait de
religion ; ils seront excommuniés « vu que, par cette
conduite, ils deviennent les persécuteurs de leurs frères. » En vain cette assemblée avait-elle journellement
sous les yeux le tableau des dangers sans
nombre auxquels les réunions exposaient ceux qui
s’y rendaient, elle prit l’arrêté suivant, remarquable
par sa vigueur : « On écrira une lettre circulaire
adressée aux protestants sous la croix pour leur faire
connaître l’obligation indispensable où ils sont de se
rendre dans les assemblées de piété, toutes les fois
que la divine Providence leur en fournira l’occasion ;
et cela pour obéir aux lois divines, qui nous ordonnent
de rendre à l’Être Suprême un culte religieux et
public ; si après avoir été suffisamment instruits de
la nécessité de ce devoir, ils refusent de le remplir,
ils seront déclarés s’être séparés de l’église du Seigneur
et n’être plus ses enfants, mais des lâches, des
timides et des tièdes, que Dieu vomira de sa bouche »
(art. 6). De plus, les fidèles furent sommés de ne pas
se rendre uniquement aux assemblées où la sainte
Cène se célébrait, mais à toutes indistinctement. L’excommunication
fut encore notifiée à tous ceux qui
« feraient profession de danser dans les temps d’afflictions
où l’église se trouve. » Enfin une mesure
plus générale décida qu’un pasteur serait désigné
pour aller rétablir la discipline dans les églises protestantes
(Syn. des Cévennes, mss. Rab. St.-Ét.).
Jamais, depuis la révocation, on n’avait pris des mesures
plus vives et plus formelles. Les décisions des
synodes, en contradiction si flagrante avec toutes les
dispositions du barbare édit de 1724, forment un des
monuments les plus courageux de la foi de cette
époque, où la piété des Cévenols semblait avoir contracté
de nouvelles forces dans les malheurs qu’ils
avaient traversés.
Cependant ces règlements vigoureux, inspirés pour un but fort louable, et qui partaient principalement
du haut et bas Languedoc, et encore plus des Cévennes,
ces convocations si fréquentes de synodes,
qui portaient le nom de nationaux, quoiqu’ils ne
représentassent que quelques provinces, toutes ces
mesures très-fortes pour le temps parurent un peu
imprudentes aux églises de quelques autres lieux.
1730.Les synodes écrivaient bien à quelques communautés
en les exhortant à se soumettre, et à faire paraître
que non-seulement elles avaient de justes idées du
bon ordre, mais encore, qu’elles en étaient les vrais observateurs ; celles-ci, appréciant leur position spéciale,
transmettaient leurs remontrances en échange
des lettres synodales. On peut puiser, dans ces observations
plus ou moins critiques de plusieurs églises,
quelques données utiles pour apprécier l’esprit du
temps. Ainsi, dès la renaissance de l’organisation ecclésiastique,
les églises du Languedoc avaient pris
l’initiative, précisément parce que le théâtre de la
guerre était aussi celui de la foi la plus courageuse.
Il résulta de la position que cette province, si renommée
par son zèle et par ses malheurs, excita en quelque
sorte la jalousie des autres, soit qu’elle ait pris,
comme nous venons de le voir, des mesures un peu
vigoureuses, et par cela même imprudentes, soit
qu’elle affectât quelques prétentions de supériorité
d’ailleurs assez naturelles. Ce dernier point fut toujours
l’un de ceux où les églises de France se montrèrent
le plus sensibles. En quelques circonstances
qu’elles aient vécu, toute tentative de prééminence,
soit d’un corps, soit d’un homme, les blessa vivement ;
les divisions qui se renouvelèrent un assez grand
nombre de fois dans leur sein pendant ce siècle, ne
paraissent pas en général avoir eu une autre cause.
On voit même ces germes de discorde se dessiner dès
l’époque qui nous occupe. Une lettre qui parvint
cette même année au synode national du Vivarais les1730. 27 septemb.
révèle assez clairement. Le Dauphiné s’y plaint qu’à certains endroits on a voulu paraitre en maitre, et
s’attirer tous les bénéfices, sans égard aux droits des
autres ; les églises de cette dernière province observent
que les fruits devraient être communs, qu’il n’est
pas juste d’envoyer à l’étranger prédicateur sur prédicateur
pour s’y perfectionner, tandis que d’autres
y ont les mêmes droits, que c’est en vain que le Languedoc
prétend faire des lois de son propre mouvement,
qu’il faut que les affaires soient communiquées
à tous. Le Dauphiné suggéra encore un point curieux,
celui de la fondation d’écoles ambulantes, destinées
à préparer les jeunes gens qui voudraient se consacrer
au ministère et suppléer à la pauvreté des églises
sous ce rapport, idée qui fut écartée avec raison pour
faire place à l’institution du séminaire de Lausanne.
Il paraît aussi que ce fut à cette époque que les églises1730.
s’accordèrent à confier au ministre Antoine Court le
titre de député général, soit pour veiller à leurs intérêts
en Suisse, soit « pour faire le voyage dans les
états protestants hors de la Suisse pour les engager à
s’employer pour le séminaire et pour l’entretien en
tout ou en partie. » (Lett. au syn. du Viv. Or. mss. P. R.)
Des mesures d’organisation d’un autre genre ne tardèrent
pas à occuper ces assemblées qui étendaient
leur sphère à mesure que les églises se consolidaient
davantage. Ainsi la contrebande du commerce espagnol
par la Méditerranée ayant pris une certaine extension,
décida le règlement suivant, qui offre un
singulier mélange de prudence politique et de zèle
religieux : « Les membres de nos églises qui, pour se dispenser de payer les droits dus au roi, feront ou
autoriseront la contrebande, seront d’abord censurés,
et s’ils y retombent, exposés à l’excommunication
majeure. L’assemblée ne comprend point dans cet
article la contrebande des livres de religion, qui ne
porte aucun préjudice au roi ni à l’État. » De plus il
fut décidé que toutes les églises entreraient dans les
frais nécessaires pour soulager celles qui auraient
souffert pour cause de religion ; système d’assurance
fort sage, qui aurait produit d’excellents effets, mais
qui ne fut jamais généralement adopté (Syn. prov. du bas Languedoc, 22 fév. 1731, signéRivière,
secrét. Mss. Rab.-Saint-Ét.). Il eût été d’autant plus
nécessaire qu’il le fût, toutefois ; car l’accroissement
des communautés et la fondation de l’académie
étrangère commencèrent à aigrir le clergé et la cour,
et nous allons entrer dans une période où commencèrent
des persécutions nouvelles dirigées contre ces
églises renaissantes.
Ce fut en effet l’académie étrangère de Lausanne
qui sauva cette fois les églises protestantes du pays.
Puisque le cours des événements des églises du désert
nous a porté à signaler la première fondation de
ce séminaire, à l’usage des jeunes ministres français,
il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d’œil sur
l’avenir de cet établissement. Du milieu des persécutions
qui alors désolaient les églises, nous allons indiquer
en peu de mots et contre notre règle chronologique,
quelles furent les destinées de cette école, qui
fleurit pendant près d’un siècle. Nous avons remarqué
qu’elle fut fondée par les dons des églises du
désert, et par ceux des protestants étrangers. Par un
rapprochement singulier, le séminaire protestant
français de Lausanne, érigé vers 1730, sous Louis XV, et en dépit de son gouvernement, par les soins d’Antoine
Court et de ses pieux confrères, fut en quelque
sorte fermé par l’empereur Napoléon, en 1809 ; mais
il fut fermé pour un plus noble but ; c’est-à-dire, le
séminaire de Lausanne donna naissance à la faculté
de théologie protestante de Montauban. Ce ne fut
donc qu’en 1809 que l’éducation du clergé protestant
rentra dans la patrie d’où elle avait été bannie depuis
Louis XIV. Il n’est point très-facile aujourd’hui de
savoir, pendant cette longue interruption, quel fut
le mouvement véritable de cet établissement vaudois,
si cher aux églises nationales. Toutefois, nous puiserons
dans nos pièces quelques détails sur ce sujet
intéressant.
On conçoit fort bien comment les données historiques
nous manquent presque totalement sur le séminaire
suisse des pasteurs réfugiés français. Le gouvernement
de la république de Genève, dans le siècle
dernier, fut obligé de céder aux injonctions de la
cour de Versailles ; il s’était vu forcé d’interdire aux
pasteurs de la vénérable compagnie toute correspondance
avec les ministres résidant en France. « Une
conséquence de ce mystère, qu’on observait avec une
sorte de terreur, était que presque tous les papiers et
les correspondances surtout qui avaient rapport à
l’établissement, étaient brûlés avec soin. » (Mss. de Végobre, 1835.) Nos pièces de la collection Paul
Rabaut montrent bien qu’on avait songé, dans l’origine,
à placer l’établissement à Genève même ; mais
les fondateurs jugèrent bientôt que la prudence exigeait
que les jeunes gens protestants français qui
étudiaient pour le ministère, quelque rares et inoffensifs
qu’ils fussent, se rendissent un peu plus loin en
Suisse, et ne restassent pas si près de la frontière, sous les menaces d’un puissant voisin. Aussi, les hommes
zélés pour cette œuvre obtinrent du gouvernement
de Berne, auquel alors la ville de Lausanne ressortissait,
que l’établissement pour les églises de France
serait ouvert, mais sans bruit, dans la capitale actuelle
du canton de Vaud. Toutefois, d’après la volonté
des bienfaiteurs, la direction du séminaire de
Lausanne et ses dépenses étaient sous l’inspection
d’un comité de membres ecclésiastiques ou enseignants,
résidant à Genève. Ce dernier envoyait des
députés pour assister aux examens et aux consécrations,
ainsi que pour surveiller les études. La seule
condition imposée par les fondateurs et bienfaiteurs
au comité genevois, était de se diriger en toute liberté
vers le principe du plus grand bien des églises de
France. On conçoit facilement, selon les circonstances
mêmes des églises et de l’établissement, chargé de
former des pasteurs, que l’édit de 1724 condamnait
à mort, qu’il ne pouvait être question d’aucune
mesure de publicité.
Les jeunes étudiants de France, venus principalement
du midi du royaume, étudiaient à Lausanne
environ pendant l’espace de trois années. Au bout de
ce temps, après des épreuves, ils étaient consacrés
au saint ministère, en présence des membres des comités
de Genève et de Lausanne. Ces ministres, pourvus
dès lors d’un certificat de bonnes études et de
consécration, étaient aptes à être élus par les consistoires
de France, selon le vœu des fidèles. Quant au
gouvernement français, il ignorait ou feignait d’ignorer
ces sages mesures, si solennellement contraires
aux édits.
Nous aurions désiré enregistrer ici les noms de
tous les professeurs qui ont formé à Lausanne les ministres français des églises du désert, et qui leur
ont inspiré et le courage et la prudence de ces périlleuses
fonctions. Dans les premières années de la
fondation, outre les professeurs Salchli et Besson,
il faut mentionner au premier rang de ces bienfaiteurs
des églises persécutées de France, le savant
professeur et pasteur Alphonse Turettini, l’une des
lumières de l’église protestante de son temps, homme
de profond savoir et d’une charité non moins profonde,
qui s’occupa toute sa vie à rallier les diverses
branches de la réformation. Ce fut ce savant et l’archevêque
Wake, sollicités par les instances d’Antoine
Court, qui eurent la plus grande part à l’établissement
du comité genevois et à la fondation du séminaire
de Lausanne. Le pasteur Turettini se donna
des collègues pour cette œuvre, et jusqu’à sa mort,
survenue en 1737, il ne cessa de veiller sur les communautés
persécutées de la France. Ami de Basnage
et de Newton, respecté par Bossuet et par Mallebranche,
correspondant de l’illustre bibliothécaire
florentin Magliabecchi, et de plusieurs prélats romains
célèbres par leur science, ce digne pasteur, qui jouissait
d’une considération étendue dans l’Europe entière,
doit être également cher à Genève et à la
France. Bizarre destinée des choses terrestres que de
voir un archevêque anglais succédant au siège d’où
Cranmer avait passé sur le bûcher, et un descendant
de la noblesse lucquoise chassée d’Italie au temps
de la réformation, s’unissant pour fournir une académie
dotée et savante aux jeunes ministres des églises
françaises du désert.
Après ces premiers bienfaiteurs, il faut rappeler
les noms de M. Ami Lullin, professeur d’histoire
ecclésiastique à l’académie de Genève, qui se distingua par le zèle constant qu’il apporta à toutes les
affaires du comité et des protestants français. Il mourut
en 1756. À Lausanne, on doit signaler surtout le
doyen de l’établissement, le professeur Georges Polier
de Bottens, chargé de la chaire d’hébreu : le séminaire
perdit ce constant ami des étudiants français en
1759[52]. À l’époque de la dissolution du séminaire
français de Lausanne, en 1812, le professeur Durant,
chargé de la chaire de latin et de grec, en était le
chef, non moins par son âge que par l’importance
de ses services. Il avait donné pendant vingt-sept ans
des soins réellement paternels aux jeunes Français[53].
Enfin, au nombre des plus respectables membres du
comité genevois figurait M. de Végobre, qui ne s’est
éteint que tout récemment, à un âge très-avancé,
l’un des amis les plus constants et les plus dévoués
des églises du désert, et qui surmontait les infirmités
et les glaces de son extrême vieillesse pour nous
transmettre des détails sur leur cause, qu’il n’avait cessé de chérir. Nous sommes heureux de consigner
ici le tribut de notre reconnaissance envers un ami
éprouvé des églises de France, dans les jours de leur
deuil comme dans les jours de leur prospérité.
Nous ne manquerons pas, en poursuivant notre
histoire, de nous arrêter sur les renseignements que
nos pièces nous fourniront touchant les études et
l’influence si utile du séminaire français établi à
Lausanne, qui fut l’institution la plus précieuse
que les églises du désert aient fondée pendant le dix-huitième
siècle. La calomnie ne manqua point d’atteindre
et cet établissement évangélique et le comité
genevois des amis des églises. Elle se fit jour jusqu’en
1787, lorsqu’un prêtre fougueux, l’abbé Lenfant,
ranimant toutes les vieilles haines de la société des
jésuites, dont il fit partie, obsédait le Conseil de
Louis XVI par ses remontrances fanatiques. Cet établissement
de Lausanne, destiné à former, sous le
règne de Louis XV, des pasteurs prudents et moraux,
et dont la fidélité à leur roi et la patrie ne se démentit
jamais, fut dépeint à Louis XVI comme « soudoyé
par deux puissances étrangères. » — « Le voile du
mystère qui couvre ces rapports entre les ministres
d’une secte essentiellement anti-monarchique et des
gouvernements républicains, suppose un projet ténébreux ;
ce secret seul suffit pour donner des inquiétudes
au gouvernement[54]. » Ces insinuations malveillantes, nous sommes à même de les réfuter par
nos pièces, et c’est un devoir de notre sujet. Un des
membres genevois du comité, ami des protestants,
ne les avait pas ignorées : « Ces secours pécuniaires,
dit M. de Vegobre, que les protestante français recevaient
des étrangers, n’ont jamais été accompagnés,
à l’époque même des guerres les plus animées, d’aucune
réquisition, d’aucune offre, d’aucune mention, en
un mot, de services politiques que les protestants
de France pouvaient, par leur position, rendre aux
ennemis de l’État, ou simplement aux étrangers.
C’est ce que j’atteste ; affirmation que je me plais à
opposer à quelques insinuations contraires. » (De Vegobre.
Mss. 1835.) Nous consignons ces faits avec
empressement, sans toutefois pouvoir supprimer ici
cette simple observation, que si les églises du désert
étaient réduites, pour donner une sage éducation à
leurs jeunes ministres, à profiter des dons de leurs
frères hors de France, et des étrangers même, la faute
en était aux barbares édits qui les privaient de tout
moyen de former leur jeune clergé, et qui bien souvent,
avec des peines de mort et de galères, frappaient
les fidèles d’amendes et de confiscations méthodiques.
Un séminaire national français, établi hors de
France, et soutenu par une générosité étrangère,
était la conséquence à la fois monstrueuse et légitime
des édits de Louis XIV. Si la position eut quelque
chose de déplorable et de faux, il dépendait des persécuteurs
de la redresser. Mais nous verrons combien
les pas de la tolérance gouvernementale furent difficiles
et lents. En attendant que nous arrivions à
cette époque meilleure de notre sujet, nous n’avons
pu nous refuser de tracer cette esquisse anticipée de
l’organisation et des succès d’un établissement si
précieux aux églises du désert, et dont elles furent
redevables au zèle et à la prévoyance du pasteur Antoine
Court et de ses collègues.
CHAPITRE VII.
Ministère du cardinal de Fleury. — Arrêt du parlement de Rouen sur une question d’état des protestants. — Ordonnances de 1729. — Capture et interrogatoire du ministère Claris. — Son évasion.
Pendant que ces belles pensées pour l’éducation des
jeunes pasteurs des églises du désert se réalisaient,
les circonstances politiques du gouvernement intérieur
de la France semblaient préparer des jours plus
tranquilles aux protestants du royaume. Le cabinet
de Versailles, par un affront sanglant, s’était séparé
de la cour de Madrid, de ce gouvernement dont l’influence
sur la France se signala toujours par des conseils
intolérants ; une intrigue de cour et peut-être
l’espoir peu sensé de voir épouser au jeune Louis XV
une comtesse de Vermandois, sœur du premier ministre,1725. le duc de Bourbon, avait fait renvoyer à Madrid
la jeune infante qu’on appelait déjà l’infante reine.
Le roi d’Espagne s’émut de ce procédé blessant, et il
renvoya fièrement à Versailles les diamants dont on
avait couvert le front de cet enfant méprisé. Nous ne
raconterons pas la série de petits événements qui
rompirent tous ces fils et qui produisirent deux événements
notables, le mariage du roi de France,
Louis XV, avec Marie Leczinska, fille détrônée du
roi de Pologne Stanislas, et le renvoi définitif de
M. le duc de Bourbon, à la suite de mesures qui
prouvèrent chez le jeune Louis XV, âgé de seize ans1726. alors, une dissimulation d’une inquiétante précocité.
Alors commença le ministère pacifique du cardinal de Fleury, homme doux et éclairé, incapable de
sévir contre les églises protestantes pas plus que
contre les autres partis politiques ou religieux. Tout
contribuait à consolider un cabinet modéré : la douceur
du jeune roi, le calme trompeur de ses passions,
l’âge de son gouverneur et ministre, qui avait 73 ans
lorsqu’il prit le timon des affaires. De plus, le cardinal
de Fleury était né à Lodève ; il avait été pourvu
d’un canonicat à Montpellier. Il avait donc connu la1668.
province du Languedoc dans ces temps encore heureux,
bien antérieurs à la révocation, où les églises
étaient prospères et où les populations pouvaient
s’avouer protestantes. Pendant de longues années,
l’abbé de Fleury, pourvu de l’évêché de Fréjus, dut
vivre loin de la cour (1698-1715) ; il avait passé dans
un port relégué de la Provence toute l’époque de la
guerre des Camisards ; et occupé des soins et des
visites multipliées de son diocèse, il avait pu se convaincre
du nombre des populations réformées du
Languedoc, de leur constance, et de la vanité de
cette dénomination dérisoire de nouveaux convertis.
Nous verrons en effet que la correspondance officielle
du Languedoc avec le gouvernement prit absolument
cette couleur. Un trait de son gouvernement que
nous devons noter et qui rentre, jusqu’à un certain
point, dans notre sujet, ce fut le soin constant que
prit le cardinal à maintenir la politique du régent, et
à resserrer l’alliance entre son maître et le gouvernement
d’Angleterre. Il y trouvait Walpole, comme lui
politique cauteleux et prudent, ennemi des moyens
extrêmes, qui sans doute par ses conseils eût désapprouvé
toute persécution trop ouverte des protestants
français. Leur union fut cimentée lorsque le cardinal,
confirmant Gibraltar à l’Angleterre, et consolidant les Bourbons d’Espagne à Naples, eut, en quelque
sorte, travaillé à l’agrandissement des deux couronnes,
et eut ainsi éloigné tout prétexte que la
Grande-Bretagne aurait pu saisir pour appuyer sa
politique sur les mécontentements des huguenots du
midi du royaume.
Toutefois la conduite de la cour envers les églises
fut modifiée par celle qu’elle crut devoir tenir au
milieu des partis religieux catholiques. Cette politique
chez le cardinal de Fleury, couvert de la pourpre
romaine, dut naturellement incliner vers la partie
moliniste et vers la suprématie papale. Les jésuites
reprirent de l’ascendant sur la cour. Ils persuadèrent
au vieux ministre de finir les disputes de la bulle
Unigenitus, foyer perpétuel d’humiliations pour tout
le parti gallican, ainsi que celles du jansénisme, par
une mesure qui eût paru au premier abord fort sage,
la convocation et la délibération définitive d’un 1727. concile des évêques de France. Ce concile fut assemblé
dans la cathédrale d’Embrun ; mais tout espoir de
pacification se dissipa, dès que l’on vit le vénérable
évêque de Senez obligé de courber sa tête octogénaire
devant les jugements du président du concile,
devant ce prélat qui devint plus tard le cardinal de
Tencin, ami de cœur de Dubois, et dont les mœurs
faisaient depuis longtemps le scandale de l’église. En
vain le cardinal de Noailles humilia ses derniers jours1729. par une
rétractation pusillanime. Le parti janséniste
reprit ses forces par les déclamations satiriques de
son journal des Nouvelles ecclésiastiques, et par la
sévérité du parlement de Paris, qui proscrivit avec
éclat l’office ultramontain de Grégoire vii Ce parti
puisa surtout un esprit de fanatique résistance dans
un événement assez obscur, mais qui eut de très-grandes suites. L’année même, et presque au même
moment où les restes de Newton furent déposés à côté
des rois sous les voûtes magnifiques de Westminster, 1727.
un autre tombeau s’ouvrait à Paris pour recevoir le
corps du diacre Pâris, qui fit éclater tant de miracles
dans le cimetière de Saint-Médard, à quelques pas de
ce palais des Patriarches, où les huguenots se réunirent
tumultueusement sous Charles IX. Bientôt le
fanatique successeur du cardinal de Noailles, Vintimille,
voulut excommunier les adeptes de tous ces
prodiges ; mais le parlement résista et parut prendre
le parti des convulsionnaires. C’était d’ailleurs l’époque
bizarre où La Condamine, d’une part, certifiait les
miracles du tombeau de Pâris, et d’autre part s’embarquait
pour aller mesurer un degré au pied des Andes
du Pérou, malgré les jalousies du gouvernement colonial
espagnol. Toutes ces bigarrures de l’administration
du cardinal de Fleury, qui éclataient, tantôt
dans ses mesures de pacification extérieure, tantôt
dans ses mesures théologiques internes fort contraires
au calme des esprits, nous expliquent presque la singularité
de sa conduite à l’égard des églises. De plus,
l’esprit parlementaire des juges de Paris s’était développé
pendant une longue paix, et c’est surtout sous
ce rapport que les églises réformées se ressentirent ; de
la marche presque théologique des pouvoirs judiciaires
de cette époque.
En effet, les parlements formaient la grande autorité,
avec laquelle les églises du désert étaient sans cesse
en contact. Ils conservaient le terrible dépôt des édits
de Louis XIV. Les lumières et l’indulgence seules des
magistrats pouvaient en modifier l’application. Aussi
la conduite des parlements, dont nous aurons très-souvent
occasion de parler, est un des traits les plus instructifs de cette époque. En y regardant de près,
on découvre assez facilement le secret des motifs, en
apparence opposés, qui les faisaient agir et qui constituaient
la jurisprudence de la magistrature. Chez
ces grands corps judiciaires, très-considérés à cause
de leur influence politique, et souvent aussi à cause
de leurs mœurs, régnait évidemment un esprit de
conservation et d’attachement pour la religion catholique.
Les parlements qui montraient un esprit si
gallican et si opposé aux empiétements ultramontains,
se montraient également disposés à rétablir l’équilibre
en sévissant contre les religionnaires. Plus ils se
conduisirent avec hauteur à l’égard de Rome, plus ils
voulurent déployer de rigueur à l’égard de Genève.
Les parlements français, dans le cours du xviiie siècle,
semblèrent imiter les illustres docteurs de Port-Royal,
lesquels, ainsi que Jurieu le reprocha très-justement
au grand Arnauld, à mesure qu’ils étaient bafoués et
calomniés par les jésuites, éprouvaient le besoin, en
répondant au molinisme, de diriger également des
traits acérés contre Calvin. Voilà pourquoi les dénonciations
contre la morale relâchée et contre le probabilisme
des jésuites, coïncidèrent avec leurs grands
traités contre Claude et contre les autres savants
théologiens protestants. Ainsi se dirigèrent au xviiie siècle,
dans d’autres circonstances, mais d’après les
mêmes traditions, les parlements de France imbus de
l’esprit gallican. Et il faut encore contempler, à côté
de cette tendance, celle d’une piété héréditaire chez
beaucoup d’anciennes familles de robe ; cependant
les faits nous montrent, dans toutes ces époques et
chez les hommes les plus éclairés, combien il était
difficile alors de séparer la dévotion d’avec des principes
et des pratiques qui nous paraîtraient aujourd’hui manifestement intolérants. Ces deux genres de
considérations font concevoir chez les parlements de
France l’usage de tous ces arrêts intolérants et même
cruels contre les protestants, dont notre histoire ne
fournira que trop d’exemples.
Cependant, même les traditions sévères et intolérantes
des parlements fléchirent presque toujours
devant certains cas particuliers. Ce dernier trait mérite
beaucoup d’attention. En effet, nous verrons par une
foule d’exemples que ce fut surtout sur les questions
de mariages que les parlements firent fléchir l’intolérance
des lois. C’est qu’ici se présentaient, non pas
des questions de droits religieux, mais des questions
d’état civil sur lesquelles il était beaucoup plus difficile
d’étouffer l’équité naturelle des juges. De plus,
leur répugnance à appliquer les édits était surtout
causée et confirmée par l’intervention des collatéraux,
qui cherchaient à se mettre à l’abri des lois, dans le
but évident de dépouiller une partie adverse de sa
légitime. Ce furent ces tentatives dont les magistrats
ne voulurent point se rendre complices. Tant que
les édits ne prononçaient que des incapacités politiques,
ou qu’ils ne faisaient qu’interdire la liberté de
conscience, de culte ou d’assemblées, ainsi que la
présence des ministres, on conçoit que les habitudes
catholiques des magistrats leur fissent adopter une
jurisprudence conforme à l’esprit des édits. Mais
quand il fallut déclarer nuls des mariages depuis
longtemps existants et tenus pour valides ; quand il
fallut, en les cassant, détruire des possessions d’état
évidemment légitimes en équité ; bien mieux encore,
quand il fallut accueillir l’intervention du collatéral
impitoyable, retranché dans la lettre des édits, alors
les parlements reculèrent. Sévères sur les délits religieux, les magistrats furent justes sur les questions
d’état des personnes. Ce fut la première conséquence
de l’influence des lumières et de l’humanité, ainsi que
des traditions héréditaires de justice, chez les parlements
de France.
Ainsi l’article 15 de la grande déclaration du 14 mai
1724 y où le duc de Bourbon et l’archevêque de Tressan
s’étaient signalés par un système minutieux de persécution,
avait pourvu aux mariages des sujets protestants
par une disposition générale, où il était dit
simplement, que ces unions seraient célébrées par
les nouveaux convertis comme par tous les autres
sujets du roi ; il était enjoint indistinctement à tous
d’observer les ordonnances sur le fait des mariages,
conformément tant aux saints canons reçus dans le
royaume qu’aux ordonnances et édits. Ces dispositions
générales se combinaient avec celles de la déclaration
de 1698, dont la lecture forme un tableau
extrêmement singulier de recommandations d’observances
dévotes, et qui exigeait que les mariages
de tous les Français fussent célébrés selon le concile
de Trente. Toutefois cette loi, par une disposition
sage et que rehausse l’intolérance des dispositions
qui l’accompagnent, assurait une grande latitude aux
sentiments d’équité des magistrats[55]. Nous pouvons
dès ce moment, et dans les années qui suivirent immédiatement
la déclaration de 1724, citer un exemple frappant. Il appartient à la Normandie, et rentre par
conséquent dans le ressort du parlement de Rouen.
Voici la prétention injuste qui donna lieu à un arrêt
si juste. L’an 1780 décéda dans la paroisse du Cheffresne,
vicomte de Gavray, au bailliage de Coutances,
Jacques Duhamel, qui avait épousé Marie Talbot,
tous deux nouveaux convertis, c’est-à-dire de la religion
réformée. Sa femme resta veuve avec un jeune
enfant. Ils s’étaient mariés devant un ministre du
désert ; l’enfant avait été baptisé par un pasteur du
même culte ; de sorte que ni le mariage ni l’enfant
n’avaient la possession légale d’état. Des moyens
plaidés devant le parlement de Rouen, par l’avocat
de Marie Talbot, et que nous trouvons indiqués dans
l’arrêt, il résulte, que dès que le mari fut mort, son
frère, Jean Levillain Duhamel, prétendit que le mariage
était nul, et que c’était à lui à se mettre en possession
des biens. On objecta à cette prétention d’un
cœur dénaturé qu’il avait lui-même reconnu et consenti
le mariage de son frère ; qu’il avait écrit et signé
le contrat ; qu’il avait même aidé à transporter les
meubles et effets de la maison du père de la future à
la maison conjugale ; qu’il avait donné tous ses soins
au baptême de l’enfant qui en était issu, lequel il voulait
maintenant faire passer pour bâtard ; qu’il était
constant que le demandeur avait toujours reconnu la
défenderesse pour femme légitime de Jacques
Levillain, son frère, durant la vie de celui-ci, « et cela au
conspect de tout le monde ; » que toute la famille
avait reconnu Marie Talbot pour épouse légitime de
Jacques Levillain ; qu’elle avait été en cette qualité
élue, d’un accord unanime, tutrice de son fils, moins
la voix de son beau-frère. Tels étaient les arguments
péremptoires en équité que l’on opposait à la prétention
du collatéral. Il avait réussi toutefois à expulser
Marie Talbot de la maison de son mari, à s’emparer
de tous les titres et des pièces, et à se mettre en possession
provisoire des biens et deniers, contrairement
aux droits évidents de la mère et du jeune fils. Après
avoir exposé ces procédés, malheureusement conformes
aux édits, l’avocat de la pauvre épouse et mère
se contenta d’adresser aux juges ces paroles : « Nous
ne croyons pas devoir en dire davantage sur une pareille
matière. »
Les prétentions barbares du sieur Levillain Duhamel
avaient échoué devant toutes les juridictions
inférieures, devant la prévôté comme devant le bailliage.
La mère, ainsi dépossédée et chassée de sa maison,
avait même obtenu une provision de 100 livres,
à payer par son beau-frère, entre les mains du curé de
Cheffresnes, tant pour sa nourriture que pour celle
de l’enfant. Cependant il fut jugé à Coutances, sur les
conclusions conformes de l’avocat du roi Guillot, que
Marie Talbot serait remise provisoirement en possession
des biens dont elle avait été spoliée et dépouillée,
pour les administrer conformément à l’acte de tutelle,
sentence exécutée par provision. Contre cet arrêt
Jean Levillain ne craignit pas d’interjeter appel au
parlement de Rouen. Les conclusions de son avocat
dévoilent avec une triste évidence les avanies auxquelles
les réformés étaient alors exposés quant à leur
à état civil. Les conclusions posées étaient qu’il plût au
parlement de faire défense à Marie Talbot de se dire
femme et veuve de Jacques Levillain ; déclarer l’enfant
sorti des œuvres de ladite Talbot illégitime et
comme tel déchu de tous droits successifs dans la
succession de Jacques Levillain. Ces étranges prétentions
ne furent pas accueillies. Elles ne prenaient
même point la peine de déguiser leur inhumanité et
l’avidité barbare du demandeur. On sera peut-être
curieux de savoir les motifs que l’on plaidait devant
le parlement de Rouen, vers le milieu du xviiie siècle,
pour soutenir des conclusions de ce genre.
L’avocat du demandeur en illégitimité du mariage
et du fruit ne jugeait pas à propos de parler ouvertement
de l’état des protestants ; il soutenait que les
lois ne pouvaient reconnaître les mariages sans qu’ils
fussent conformes à ce qu’elles prescrivent ; que dès
lors Marie Talbot ne pouvait jamais se dire femme
de Levillain, ni son fils légitime et habile à succéder ;
que d’ailleurs la prétendue célébration du mariage
dont elle avait voulu se servir était de son consentement
rejetée du procès sur l’inscription de faux formée
contre l’acte[56] ; que son prétendu état n’était
qu’imaginaire et n’avait jamais eu de réalité ; qu’enfin
il demeurait constant, d’après l’extrait de baptistère
de l’enfant, qu’il avait été baptisé comme n’étant
point légitime.
Ce dernier trait des conclusions de la partie adverse
de la femme mariée et de l’orphelin portait sur le certificat du baptême accordé par le ministre du
culte proscrit. Ce certificat seul entraînait légalement
la bâtardise de l’enfant. Ces moyens odieux furent
contraires aux conclusions de l’avocat général, Le
Baillif Ménager ; heureusement pour le succès d’une
question d’état aussi évidente et aussi sacrée, ils
furent également repoussés par le parlement de
Rouen. Jean Levillain, qui osait poursuivre l’annulation
du mariage de son frère et la bâtardise de son
neveu, fut déclaré non recevable, et fut condamné
aux dépens. Seulement il fut enjoint au ministère
public des lieux de veiller à l’éducation de l’enfant
et d’en certifier la cour de trois mois en trois mois.
On sait, en effet, que, d’après les édits, l’enfant devait
nécessairement fréquenter les écoles catholiques. On
voit, par ce premier exemple, à quel genre de contestations
l’état civil des protestants du royaume était
exposé. Un collatéral cupide, violant à la fois les
règles de l’une et l’autre religion, pouvait attaquer
en justice la validité d’un mariage auquel il avait lui-même
souscrit ; il lui était loisible de révoquer en
doute la légitimité d’un enfant dont il espérait prendre
l’héritage. Cette conduite si ouvertement vile et captieuse,
était cependant la conséquence exacte des
édits de Louis XIV, résumés par la déclaration de
1724. Il fallut que les magistrats catholiques fussent
plus humains et plus sensés que les lois, ou plutôt
il fallut qu’ils violassent ouvertement les lois de l’État,
afin de pouvoir appliquer les lois de la justice supérieures
à toutes les autres. Avec le laps du temps, tous
les Parlements du royaume adoptèrent la jurisprudence
éclairée de la cour de Rouen.
À peu près à la même époque où les hautes cours
de justice reculaient devant l’application rigoureuse des édits, et en rectifiaient les dispositions par l’intervention
du droit naturel, le pouvoir administratif
de l’État ne paraissait pas disposé à suivre les errements
du pouvoir judiciaire. Au contraire, les instructions
de la cour paraissaient se diriger vers le
but d’une sorte d’inquisition administrative, concernant
les pratiques religieuses de tous les fonctionnaires
du royaume. Cet examen général de conscience
devait naturellement peser avec le plus de rigueur
sur les protestants. Voici un exemple curieux des
circulaires qui venaient de Paris, et qui furent envoyées
aux provinces du midi. Il faut remarquer, par
la date de cette mesure, qu’elle suivit d’assez près
la chute du duc de Bourbon et son exil à Chantilly,
et qu’émanant du secrétaire d’État chargé des affaires
de la religion réformée, elle prouve que le système
d’intolérance ne se liait pas d’une manière nécessaire
à la présence de Monsieur le Duc à la première place
des conseils du jeune Louis XV. L’instruction suivante
fut adressée du Vigan par le subdélégué de
l’intendance du Languedoc, Daudé, aux officiers de
justice à Saint-Jean-du-Pin, au diocèse d’Alais : 1727. 26 juillet. « Suivant
les ordres que M. le comte de Saint-Florentin
a adressés à monsieur l’intendant, en exécution de ceux
que le roi lui a donnés, il m’ordonne de vous écrire
que l’intention de Sa Majesté étant que tous les officiers
de justice, tant royaux que des seigneurs, remplissent
leurs devoirs de catholiques, il est nécessaire
que vous preniez la peine de m’envoyer dans huit
jours, pour tout délai, des certificats de catholicité
signés du curé de votre paroisse, contenant vos noms,
âges et qualités, et si vous êtes anciens catholiques
ou nouveaux convertis. J’ai en même temps l’honneur
de vous informer que j’ai l’ordre de comprendre dans le nombre de ceux qui ne remplissent pas leurs
devoirs tous ceux qui ne répondront pas dans le
délai de huitaine. Cette lettre regarde les juges, lieutenants,
procureurs fiscaux et autres officiers de justice
des seigneurs, Sa Majesté voulant être informée
de ceux qui ne se conforment pas à ses ordres touchant
la religion, pour les faire interdire et destituer. »
(Lett. du subd. min. or. Mss. Fab. Lic.) Ces mesures
si tracassières s’étendaient avec rigueur jusqu’aux
enfants des nouveaux convertis. Il paraît toutefois
que le fisc s’enrichissait de la résistance des parents,
et que, malgré tant de soins, les réformés de certaines
parties du Languedoc aimaient mieux payer qu’envoyer
leurs enfants à la messe. Dans le diocèse d’Anduze
nous trouvons deux communes, Ribaute et
Saint-Sébastien, qui furent frappées de ces punitions
fiscales, vers le même temps. Comme s’il se fût agi
d’une perception purement financière, nous lisons
les reçus très en règle du percepteur Silvain, qui déclare
avoir touché vingt-sept livres, pour amendes
de Ribaute contre les nouveaux convertis dont les
enfants ont manqué les messes et instructions ; dans
la paroisse de Saint-Sébastien, nous trouvons une
somme de dix-sept livres pour le même genre de contraventions
commises pendant cinq mois, de janvier
à juin 1733[57]. On voit que l’exiguïté de ce genre
singulier de recette prouve que les percepteurs n’étaient
pas extrêmement sévères.
D’autres mesures plus graves, et d’un caractère
plus inquisitorial, avaient été adoptées par la cour à
peu près vers ce temps. Une nouvelle guerre, suscitée
par des intérêts de commerce, entre l’Angleterre et
l’Espagne, avait été étouffée en son germe par la politique
conciliatrice du cardinal de Fleury. Il en résulta
une nouvelle activité commerciale entre la
France, et l’Allemagne surtout, où l’esprit de spéculation
lointaine s’était vivement développé par les
entreprises de la compagnie d’Ostende, protégée par
l’Empereur, et dont les navires sillonnaient déjà les
mers de la Chine et de l’Inde britannique. Tout cela
avait également excité l’ardeur industrielle et des
réfugiés et des Languedociens. Il s’en était suivi des
communications industrielles et des voyages fréquents.
Car dans ces temps encore assez voisins de la
grande émigration des huguenots, on avait vu des
familles de négociants ou de manufacturiers quitter
en partie leur province et leur pays, et, d’autre part,
laisser une branche en France sur le théâtre de leur
ancienne prospérité. La portion régnicole de la
famille réfugiée, obligée de se plier aux édits, figurait
parmi les nouveaux convertis, et servait en même
temps de comptoir de correspondance et d’affaires à
la portion exilée. De là des rapports et des voyages.
Ces communications inquiétaient la cour. On craignit
l’action d’émissaires politiques ; on redouta le renouvellement
des voyages de David Flotard et consorts,
agents de l’étranger auprès des chefs de la révolte
camisarde. Le clergé n’eut pas de peine à profiter
de ces dispositions pour conseiller des pratiques dignes
de l’ancienne intolérance, d’autant que le cardinal
de Noailles, presque persécuté lui-même, venait
d’expirer après une inutile rétractation.1729.On résolut donc de pourvoir aux voyages industriels
ou autres des réformés français, et aussi des
réfugiés français établis hors du royaume. Il parut
une ordonnance du roi, rendue à Versailles le 30 septembre
1729, qui déclarait que Sa Majesté était
informée qu’un grand nombre de nouveaux convertis
du Languedoc s’absentaient fréquemment de cette
province pour aller en pays étranger, sous un faux
prétexte de commerce, sans être munis de passeports
ou permissions des gouverneurs et intendants. Le
roi ajoutait qu’il avait appris « que des réfugiés français
viennent des pays étrangers dans ladite province,
sous le même prétexte de commerce, mais uniquement
dans la vue, les uns de se fortifier dans les
erreurs de la religion prétendue réformée, les autres
d’y faire persister leurs parents et amis, ce qui est
très-contraire à ses intentions. » Pour remédier à ces
mouvements, il fut ordonné qu’aucun nouveau converti
ne pourrait sortir de la province du Languedoc
sans donner caution que son voyage est effectivement
pour le commerce. Il fut de plus réglé que les réfugiés
qui souhaiteraient venir comme voyageurs dans le
royaume, ne pourraient obtenir une permission de
Sa Majesté « qu’après avoir prouvé que c’est pour
leur commerce. » (art. 2.) (Placard. Mss. Fab. Lic.)
Après cette ordonnance du roi, suivait une seconde
ordonnance du duc de Maine, Louis-Auguste de
Bourbon, légitimé de France, enjoignant à tous fonctionnaires
d’y tenir la main, en sa qualité de gouverneur
dans les provinces du haut et bas Languedoc.
C’est de la brillante retraite de Sceaux, où la petite-fille
du grand Condé se consolait, sous des couronnes
de madrigaux, de ses intrigues avortées, que le
1729. 21 octob.duc de Maine data cette loi tracassière contre les voyages des commerçants de la religion réformée.
Le marquis de La Fare, le fils de l’ami de Chaulieu
et de l’amant gracieux de Mme de la Sablière, était
alors, sous le duc de Maine, commandant en chef
de la province. Le chevalier Bernage de Saint-Maurice
était intendant de justice, police et finances.
Pendant que la cour annonçait, par ces dernières
mesures, la volonté de maintenir des édits que les
parlements tempéraient seulement sur les questions
d’état civil, en dépit de toutes ces lois, l’organisation
des églises marchait avec constance, et s’avançait
même rapidement. Mais tous les pasteurs n’eurent
point, comme A. Court, le bonheur d’accomplir des
courses de deux mois, en prêchant, sans être surpris
par la vigilance des subdélégués. Vers ce temps, en
effet, un jeune pasteur d’Aulas (Gard), Alexandre
Roussel, ministre d’Uzès, fut pendu à Montpellier.1728. 30 novemb.
Nous donnerons plus loin quelques détails sur son
martyre. Tous les ministres étaient poursuivis, et ils
n’accomplissaient leurs fonctions qu’au milieu d’alarmes
continuelles. L’un des plus distingués, dont
nous trouvons presque partout le nom au bas des
actes synodaux de ce temps, Barthélemi Claris, de
Lussan, tomba entre les mains d’une justice fanatique.
Il était venu joindre le ministre Court dans sa
tournée pastorale, peu avant que le subdélégué de
l’intendance, Jean Daudé, eût pris lui-même le soin
d’observer les troupes de réformés se rendant au
prêche du désert aux environs du Vigan. Quatre ans1728. 18 juin.
plus tard, nous voyons ce subdélégué et son collègue
interrogeant le ministre Claris dans la citadelle
d’Alais. Au milieu de la nuit le ministre fut arrêté au
lieu de Foissac, près d’Uzès, chez un habitant nommé1732. 24 août.
Puget, qui lui avait donné asile ; cette capture offrit le cas très-rare, que le détachement de cinq soldats,
qui saisit le ministre, était commandé par un officier
réformé, nommé Clapiès. Claris fut conduit aux prisons
d’Alais, et il fut interrogé quatre jours après.
L’interrogatoire minutieux qu’on fit subir à ce ministre,
qui devait être condamné à mort suivant le
texte formel des édits et surabondamment de la déclaration
de Louis XV, en 1724, forme un tableau
bien frappant. La multiplicité des questions, la netteté
et la fermeté des réponses, la franchise avec
laquelle l’accusé convient du crime de son état, tout
cela fait ressortir mieux que tous les raisonnements
le genre de législation qui pesait alors sur les églises ;
tout cela honore les ministres et flétrit leurs persécuteurs.
Quelques extraits de cette procédure, outre
qu’ils offrent le spectacle qui nous semble inouï
maintenant d’un ministre interrogé au criminel simplement
pour avoir exercé ses fonctions évangéliques,
nous fourniront le moyen de mieux apprécier la
forme de cette étrange jurisprudence, et nous révéleront
plusieurs détails très-intéressants sur la nature
du culte et sur l’exercice dangereux des devoirs du
ministère.
« Par-devant nous, Raimond Novi de Caveirac,
conseiller du roi, principal en la sénéchaussée de
Nîmes, subdélégué de l’intendance de Languedoc,
en conséquence des ordres à nous adressés par monseigneur
de Bernage de Saint-Maurice, avons mandé
venir des prisons par-devant nous, dans une des salles
de la citadelle, l’accusé, qui a déclaré se nommer
Barthélemi Claris, âgé de trente-cinq ans, originaire
du lieu de Lussan.
« … Interrogé en quel lieu il a resté depuis qu’il a
quitté la maison de son père,
« A répondu qu’il était tantôt dans les villes, tantôt
dans les bourgs et villages, et tantôt à la campagne ;
« Interrogé de nous faire la description des lieux
où il avait logé,
« L’accusé répondant a dit qu’il arrivait toujours
de nuit et partait de même…
« Interrogé quelle est la religion qu’il professe,
« A répondu qu’il faisait profession de la religion
protestante ;
« Interrogé par qui il a été élevé,
« A répondu qu’il a été instruit par son père et par
un de ses oncles qui est décédé.
« Avons interpellé l’accusé de nous dire à quel âge
il avait cessé d’aller dans les écoles catholiques où il
avait dû prendre les premiers principes de la religion
catholique, apostolique et romaine, et comment,
n’étant point instruit aux lettres humaines, et sachant
à peine lire et écrire, il avait pu se décider pour la
religion protestante,
« L’accusé répondant a dit qu’il avait quitté l’église
et les écoles catholiques à l’âge de huit à neuf ans, et
qu’alors feu son oncle, qui était fort incommodé, et
qui avait beaucoup lu l’Écriture Sainte et plusieurs
livres composés par des protestants, l’avait persuadé
que la religion protestante était la seule où l’on pouvait
faire son salut, ce qu’il a toujours cru depuis ce
temps-là ;
« Interrogé si, depuis qu’il a quitté la maison de
son père, il a fait les fonctions de prédicant, ministre,
ou pasteur,
« A avoué que, depuis ce temps, il avait fait les
fonctions de ministre ou pasteur en différents endroits
de cette province,
« Interrogé en quoi consistent principalement les
fonctions de pasteur qu’il dit avoir faites,
« A répondu qu’elles consistent principalement à
exhorter les fidèles à la piété, à baptiser, bénir les
mariages, et administrer la cène ;
« Interrogé en quel lieu il avait baptisé et administré
la cène,
« A répondu que c’était en plate campagne, ou
dans le désert ;
« Avons interpellé l’accusé de nous dire ce qu’il entend
par le désert,
« L’accusé a dit qu’il entendait par le désert des
lieux écartés et inhabités où il rassemblait les fidèles,
tantôt du côté d’Alais, de Sauve, ou Anduze, et tantôt
du côté de Nîmes ;
« Interrogé de quelle manière il convoquait ces
sortes d’assemblées,
« A répondu que les fidèles le priaient de leur donner
une exhortation et qu’ils convenaient ensemble du
jour, et qu’ensuite on venait le prendre et qu’on le
conduisait au lieu où l’assemblée était formée ;
« Interrogé de déclarer ce qui se passait auxdites
assemblées, quelles prières on y faisait et quelles
mesures on prenait pour éviter les surprises,
« A répondu que les fidèles commençaient par
prier chacun en particulier, qu’ensuite on lisait quelque
chapitre de l’Écriture Sainte ; qu’après cela on
chantait des psaumes ; qu’après le chant des psaumes
le ministre faisait une prière à haute voix pour demander
les secours nécessaires pour annoncer dignement
la parole de Dieu ; que cela était suivi d’une
exhortation et quelquefois de la distribution de la
Cène ; et que l’on finissait par une prière qu’on appelle ecclésiastique, qui renfermait des vœux adressés
au ciel pour le roi et la famille royale, les magistrats,
les seigneurs particuliers, et autres personnes constituées
en dignités, et enfin pour les besoins de tous
ceux qui étaient dans le besoin et dans l’affliction, et
qu’à l’égard des précautions que l’on prenait pour
n’être pas découvert, elles consistaient uniquement
à placer des sentinelles sur les hauteurs, sans armes,
qui avertissaient l’assemblée dès qu’ils voyaient paraître
des troupes ;
« Interpellé de nous dire s’il avait composé un
grand nombre d’exhortations pour fournir aux différentes
assemblées qu’il convoquait,
« A répondu qu’il lisait continuellement l’Écriture
Sainte et qu’il se formait à prêcher la parole de Dieu ;
qu’il faisait la plupart du temps des analyses qu’il
étendait en forme de sermons ou d’exhortations ; qu’il
n’avait, lorsqu’il a été arrêté, qu’un seul sermon écrit
au long de sa main, et que ce qu’il avait ailleurs pouvait
consister en quelques analyses ;
« Interpellé de nous dire où il avait laissé ses analyses,
« A répondu qu’il ne s’en souvenait point, étant
obligé pour sa sûreté d’errer de campagne en campagne,
de coucher tantôt dans une forêt et tantôt
dans des cavernes ;
— « Avons représenté à l’accusé qu’il ne dit pas la
vérité et qu’il était trop connu dans tout ce pays pour
se résoudre à aller coucher dans des cavernes, tandis
qu’il pouvait se retirer en sûreté chez différents particuliers
aussi attachés à la religion réformée que lui,
et qui ne lui auraient point refusé le couvert ;
« L’accusé répondant a dit qu’il n’avait pas autre
chose à nous dire ;
« Interrogé s’il ne connaissait point ces prétendus
fidèles dont il nous a parlé et qui venaient le solliciter
de leur prêcher et administrer la cène,
« A répondu qu’il ne les connaissait point, mais que,
lorsqu’il les trouvait ainsi assemblés, on lui disait
qu’il pouvait prendre confiance en tels et tels ;
« Interrogé de nous dire quels étaient ces tels et tels
en qui on lui disait de prendre confiance,
« A répondu qu’on les lui montrait seulement, et
qu’il ne savait pas leur nom ;
« Interrogé quels sont ceux qu’il a baptisés, et dont
il a béni les mariages,
« A répondu qu’il ne les connaissait point, mais que
seulement ils se présentaient dans les assemblées qui
étaient convoquées, et qu’ils le priaient de bénir leurs
mariages et de baptiser leurs enfants ;
« Interrogé si, lorsqu’il a convoqué des assemblées,
il ne s’est pas fait des collectes ou quêtes dont il a
retiré le prix,
« A répondu qu’à la fin de l’assemblée on faisait
une quête pour les pauvres, mais qu’il n’en a jamais
retiré le prix ; qu’on avait attention seulement de lui
fournir des habits lorsqu’il en avait besoin, et de l’argent
pour sa subsistance, ne pouvant pas nous dire
qui étaient ceux qui lui avaient fourni ces habits et
cet argent, parce qu’il ne les connaissait point, et
qu’il n’a pas tenu compte de l’argent qu’il a reçu ;
« Avons encore représenté à l’accusé que, puisqu’il
savait en général que le roi avait défendu l’exercice
de la religion protestante, il devait savoir, par une
conséquence nécessaire, qu’il ne lui était pas permis
de prêcher, de baptiser, de bénir des mariages et faire
la cène suivant les rites de la religion protestante,
« L’accusé, répondant à la représentation, a dit que, voyant la corruption des mœurs parmi les peuples
qui professaient la religion protestante, il avait cru
que sa conscience l’obligeait à les exhorter sur ce
point à rentrer dans leur devoir, et qu’il avait jugé
qu’il pouvait désobéir en ce point aux ordres du roi
pour obéir à Dieu ;
« Interrogé de nous dire à quelle occasion il avait pris
le parti d’aller prêcher ainsi aux peuples assemblés,
si c’était par choix, par le conseil de quelque personne
éclairée, ou par quelque inspiration particulière,
« A répondu que c’était par choix qu’il avait pris cet
état, et qu’il avait travaillé à s’y perfectionner par la
lecture des bons livres et de l’Écriture sainte, demandant
à Dieu les grâces qui lui étaient nécessaires pour
l’exercice de son ministère, et ajoutant qu’il s’était
contenté pendant longtemps d’exhorter les peuples,
et qu’il n’y avait que quelques années qu’il exerçait
toutes les fonctions de son ministère ;
« Interrogé de quel droit il s’était attribué le pouvoir
de faire toutes les fonctions de ministre,
« A répondu qu’il avait reçu l’imposition des mains
dans une ville de Suisse, dont il ne sait pas le nom,
il y a environ deux ans et demi, qu’un homme, qu’il
ne connaît pas non plus, était venu le prendre sur la
montagne de Lauzère, où il était, et l’avait servi de
guide jusque dans la Suisse, où il avait reçu sa mission ;
« Interpellé de nous dire de quelle façon se fait
cette cérémonie,
« A répondu qu’il fut conduit dans une salle où il
trouva deux ministres qui, après une exhortation et
une prière, lui imposèrent les mains ;
« Interrogé s’il croit avoir le même pouvoir d’imposer
les mains et de recevoir des ministres,
« A répondu et avoué ;
« Interrogé s’il n’a jamais reçu aucun de ses frères
au saint ministère,
« A répondu et dénié ;
« Interrogé si depuis qu’il a reçu l’imposition des
mains il s’est regardé comme indépendant de tous les
autres ministres, tant de ceux qui sont dans les pays
étrangers que de ceux qui peuvent être répandus dans
le royaume,
« A répondu qu’il ne s’était point regardé comme
indépendant, puisqu’en recevant l’imposition des
mains il s’était soumis à la discipline qui était suivie
dans les églises réformées de France, lorsque la religion
protestante y était publiquement exercée ;
« Interpellé de nous dire quels étaient les principaux
points de cette discipline,
« A répondu que lorsqu’un ministre prévarique
dans ses fonctions, les fidèles assemblés conjointement
avec les ministres étrangers, s’il y en a, ou ceux qui
peuvent se trouver dans le pays, sont en droit d’interdire
à un pasteur les fonctions de son ministère ;
« Interrogé si cette juridiction se fait à la pluralité
des voix,
« A répondu et dit qu’on choisissait ceux qui étaient
regardés comme les plus honnêtes gens de l’assemblée,
avec un pareil nombre de ministres, et que la voix
des ministres avait toujours une plus grande autorité ;
« Interrogé de quelle manière on peut établir juridiquement
qu’un ministre a prévariqué,
« A répondu que cela s’établissait par une enquête,
qui était ensuite rapportée à l’assemblée, et sur laquelle
il était jugé ;
« Avons exhibé à l’accusé un cahier de papier composé
de douze feuilles in-12, cousu avec du fil, écrit
qui commence par ces mots : Évangile selon saint Jean, ch. v, v. 28 et 29, et finit par ces mots : Dieu nous en fasse à tous la grâce. Amen. Et l’avons interpellé
de nous dire si c’est un sermon par lui composé
et écrit de sa main, du nombre de ceux qu’il avait
accoutumé de prêcher lorsqu’il convoquait des assemblées, et le même qu’on a trouvé sur lui lorsqu’on
l’a arrêté ;
« L’accusé a reconnu que ledit cahier contenait un
sermon écrit de sa main, par lui composé, et a avoué
que c’était un de ceux qu’il prononçait dans les assemblées,
et à l’instant nous avons paraphé ledit sermon
par première et dernière page ;
« Avons aussi représenté à l’accusé un carré de papier
contenant une espèce de mémoire ou indication
de plusieurs versets de l’Écriture, et l’avons interpellé
de nous dire à quel usage il s’en servait,
« L’accusé a reconnu que ce qui se trouvait sur
ledit papier était écrit de sa main, et qu’il contenait
un mémoire de divers passages de l’Écriture sainte,
qu’il rédigeait à mesure qu’il la lisait, pour s’en servir
dans ses exhortations, et à l’instant nous l’avons
paraphé en présence de l’accusé ;
« Et plus avant n’a été interrogé ;
« Exhorté à mieux dire la vérité,
« A répondu l’avoir dite, lecture faite, y a persisté
et signé. » « Claris.rsisté
Ce que nous avons omis dans cet extrait de l’interrogatoire du ministre Claris se rapporte aux questions du
juge sur le fait de la déposition du ministre Boyer,
déposition sur laquelle nous reviendrons ; elle fut
prononcée pour « quelques fautes », et le ministre
Claris prit part à ce jugement avec ses collègues
Combes, Roux, Courteis, et Bétrine. Toutefois notre
extrait suffira pour faire apprécier le singulier caractère
de ces procédures. La simplicité et la fermeté des
réponses ; la hardiesse avec laquelle l’accusé convient
d’un crime puni de mort par les édits ; les questions
captieuses du juge ; le soin que met le ministre à ne
dénoncer ni aucun des fidèles qui l’avaient accueilli, ni
aucun des endroits où il avait trouvé asile ; tous ces
détails marqués d’un si grand cachet de vérité qu’il
donne sur ses travaux de pasteur : tout cela dévoile
et le caractère des juges, et le courage des ministres,
et l’espèce de justice dont ils étaient environnés.
En l’absence d’aussi irrécusables témoignages que
les pièces mêmes du dossier, on aurait beaucoup de
peine à croire aujourd’hui, qu’un juge d’un esprit
aussi solide et aussi logique que Novi de Caveirac, ait
pu ainsi venir froidement interroger un homme au
criminel pour des faits de ce genre, ait pu transformer
en actes coupables l’exercice pur et simple de fonctions
aussi salutaires, et qu’il ait fini par parapher
comme pièces de conviction un manuscrit de sermon
et des passages de l’Écriture Sainte. Mais il y a un siècle,
les idées de tolérance étaient fort obscures encore,
surtout dans le midi de la France. Aussi, par cet interrogatoire,
le ministre Claris, formellement convaincu,
par ses aveux mêmes, du crime de pastorat,
était condamné à mort par le texte précis de l’édit de
1724, et d’une foule d’autres.
Environ un mois après cette première instruction, nous trouvons Jean Daudé, chevalier de l’ordre du
roi, subdélégué, seigneur d’Alzon, Arrigas, Beaufort,
etc., etc., à la requête du sieur Dyverny, maréchal1732. 6 octobre.
de camp des armées du roi, commandant en la
province de Languedoc, verbalisant dans cette même
citadelle d’Alais « sur l’évasion du nommé Barthélemi
Claris, ministre de la religion prétendue réformée
(Verbail dressé par M. Daudé, subdélégué, 9 feuill.
paraph. Mss. P. R. or.). Claris avait trouvé le moyen
de ne pas attendre le jugement. Aussi adroit que
zélé, secondé d’ailleurs par les nombreux fidèles
d’Alais, qu’il consolait aux périls de ses jours, il avait
réussi à se procurer un ciseau en fer de onze pouces
de longueur ; à l’aide de cet instrument, il profita
d’une nuit obscure pour soulever la pierre des communs
qui communiquaient avec son cachot ; il descendit
au rez-de-chaussée, brisa la clavette des fers6 octobre.
qui enchaînaient ses pieds, monta sur la couverture
du château, au moyen d’une corde qu’on lui jeta du
dehors, redescendit par la fenêtre de la première
rampe de l’escalier, et enfin gagna la terre au pied
du rempart, sous les canons qui le garnissaient et
malgré les sentinelles du bastion et du cachot. Plusieurs
circonstances d’un bonheur remarquable protégèrent
cette évasion. Il fut établi dans l’enquête
qu’une femme prisonnière au château d’Alais avec
Claris, et dont le cachot était près du sien, Madeleine
Fontane, avait entendu un grand bruit comme quelqu’un
grimpant la muraille, et comme si le mur se
démolissait, mais qu’ayant pensé que ce pouvait être
un gros rat, elle n’avait point donné l’alarme. Des
traces de pas et autres indices firent voir que plusieurs
personnes avaient aidé à cette action hardie, où se
montra tout l’amour des fidèles pour leur pasteur en danger, et sous ce rapport, on peut signaler Roche,
menuisier, et Théron, son beau-frère, d’Alais. On
ne réussit point à reprendre ce prisonnier évangélique.
Ainsi cette victime désignée fut arrachée au
sort qui l’attendait.
CHAPITRE VIII.
Lettres de Saurin aux églises. — Mesures des synodes. — Requête des curés des Cévennes à la cour. — Réponse de l’intendant du Languedoc. — Incendie de livres protestants. — Applications de l’édit de 1724.
Pendant que le culte réformé se relevait dans le 1733-1735.
midi de la France, et à peu près à la même époque
où il parut démontré que la déclaration de 1724
rencontrerait mille impossibilités dans l’exécution
la politique pacifique du cardinal de Fleury ne put
empêcher la guerre de se rallumer en Europe. Cette
fois l’étincelle naquit et jaillit bien loin de nous, par
l’élection du beau-père de Louis, Stanislas Leczinski,
au trône de Pologne. Mais le père de Marie-Thérèse,
l’empereur d’Autriche, Charles VI, ordonna une
seconde élection au profit de l’électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, son neveu par alliance ; la Russie
l’appuya et la fit triompher. Tout réussit à leur gré
en Pologne ; mais l’Empereur, battu à la fois sur le
Rhin et en Italie, fut obligé de transiger ; son gendre,
le duc de Lorraine, eut l’héritage des Médicis, le
grand-duché de Toscane ; une branche de la maison
d’Espagne reçut Naples et la Sicile, et Stanislas, paré du titre de roi, obtint la Lorraine avec réversion à la
France.
Parmi les alliances qui furent alors contractées par
la cour de Versailles, il y en eut une qui aurait pu
exercer quelque influence sur les intérêts et sur la
tranquillité des églises du désert. Le cardinal de Fleury
s’allia avec les deux grandes puissances protestantes
de l’Europe, la Hollande et l’Angleterre, et s’assura
de la coopération ou de la neutralité de ces États ; car
la Prusse n’avait pas encore été constituée par l’épée
du grand Frédéric. Mais on ne voit pas que ce rapprochement
ait sensiblement adouci en France le
sort des réformés.
Ils éprouvèrent à cette époque un malheur que
n’eût pas compensé même une interruption dans les
mesures des persécuteurs ; ce fut la mort de Jacques
Saurin, le puissant orateur de La Haye. Les églises
durent pleurer la perte de cette éloquence religieuse 1730. 30 décemb.
et politique, qui remettait sans cesse sous les yeux
des réfugiés le tableau des malheurs de leurs frères,
et qui en déduisait les leçons les plus énergiques de
conduite et de mœurs. Il y avait alors des hommes
d’élite dans toute l’Europe protestante, parmi lesquels
la langue française commençait à se répandre. Notre
langue s’étendait, d’abord par une cause fort glorieuse,
l’ascendant littéraire du grand siècle, et ensuite par
une cause qui l’était beaucoup moins, l’exil et la dispersion
des réfugiés. Ces protestants influents et zélés
se pressaient dans le temple de La Haye pour entendre
la parole vibrante du grand orateur, cet accent
incisif qui tenait en même temps de la ferveur de
l’école genevoise et de l’ardeur méridionale, et surtout
pour s’édifier à l’ouïe de ces prières solennelles, où
Saurin déployait une ferveur de ton et de supplication, dont on n’avait jamais vu d’exemple. Ils avaient
ainsi l’occasion de connaître la France en la personne
du plus illustre de ses exilés. La mort du prédicateur
de La Haye priva les églises du désert d’un tel député
auprès de l’Europe.
Cette perte ferma l’école de la grande littérature
théologique des réfugiés français. Lors de leur bannissement
du sein de la France, lors de la ruine simultanée
de leurs académies et de leurs temples, la science
religieuse était en voie notable de progrès. Les savantes
idées de Samuel Bochart, de Caen, avaient
ouvert la lice où les recherches de l’érudition orientale
et classique allaient constituer la théologie à l’état
de science archéologique. Les monuments des arts
et les traditions mythologiques de tout l’ancien monde
furent rapprochés des annales hébraïques ; ce fut le
premier pas de l’école féconde où marchèrent, un
siècle et demi plus tard, Heyne et Bauer. Dès les
premières années du xviiie siècle, un autre savant
réfugié, homme d’une imagination excitable, mais
laborieux, plein de zèle et d’une érudition consciencieuse,
Pierre Jurieu, de Mer, dans l’Orléanais, pasteur
à Rotterdam, avait examiné, dans une histoire générale
des dogmes, quelle fut la filière des idées
religieuses des peuples de l’antiquité, et comment
l’humanité se développa sous le point de vue religieux
(1704). Jurieu termina sa carrière un peu avant
la mort de Louis XIV, lorsque les églises désolées
auraient eu le plus besoin du secours de sa science ;
mais ses pressentiments politiques l’avaient déconsidéré
dans ses derniers jours (1713). Ce vaste et méthodique
travail avait paru presque en même temps
que celui de Jacques Basnage, de Rouen, qui passa
de longues années de son exil à écrire sa grande histoire de l’église (1699), livre qui fraya de nouvelles
voies à la théologie raisonnable ; ce fut la fin du scepticisme
et de la scolastique ; la science religieuse historique
n’avait rien produit alors, et depuis elle n’a
rien créé de plus sensé en critique, de plus fin quant
aux aperçus, de plus agréable quant au style. Le
flambeau de la science protestante française fut surtout
relevé au xviiie siècle par le célèbre réfugié et
pasteur à Berlin, de Beausobre, dont les livres sur
des questions européennes ou orientales sont restés
comme des modèles classiques de modération, d’impartialité
et de savoir. Peu de temps avant Jacques
Saurin, Basnage était mort (1723) ; les églises du
désert avaient perdu un de leurs soutiens les plus
considérés de l’Europe entière, y compris la cour de
Versailles. Pierre Bayle, du Caria, pays de Foix, avait
terminé sa vie, agitée par mille disputes, bien avant
tous ses savants confrères d’exil et de science (1704) ;
mais la réputation et la prodigieuse influence de son
Dictionnaire et de ses idées n’avaient cessé de croître.
Si cet esprit dangereux, admirable et subtil, voulut
réellement établir la paix et appuyer la tolérance sur
l’exposition de la vanité de tous les systèmes ; s’il
voulut effectivement fonder un progrès stable sur
des doutes passagers, ce dessein trop enveloppé ne
fut point compris durant sa vie par les plus consciencieux
de ses contemporains. Ils durent, au contraire
consacrer leurs efforts à relever ces dogmes et ces
croyances pour lesquels tant de Français avaient
souffert, et qui ne trouvaient plus chez un de leurs
anciens ministres que le plus impitoyable des railleurs.
Jacques Saurin plaça tout le poids de son éloquence
dans la thèse contraire. Il fut d’une manière
spéciale l’antagoniste de Bayle. Pendant plus de vingt-cinq années, occupant la chaire extraordinaire de
l’auditoire des nobles à LaHaye (1702 à 1730), Jacques
Saurin opposa son dogmatisme arrêté et entraînant
à l’influence du philosophe sceptique de Rotterdam.
Ce fut sous ce rapport que Saurin rendit le plus de
services au monde protestant. Il fortifia la foi que la
philosophie du xviiie siècle allait bientôt attaquer de
mille moyens, au sein d’une littérature catholique et
des salons des encyclopédistes. Tandis que Bayle prêcha
indirectement l’accommodement avec les circonstances,
et qu’il essaya de mettre en relief l’obscurité
égale de toutes les théologies, Saurin, au contraire,
fit du dogme réformé un système de raison et de
sentiment, où il tenta, par une voie tout opposée,
de fournir au cœur et à l’intelligence le plus inébranlable
des appuis. Partout il justifie l’exil des
réfugiés ; partout il fait voir que leur résolution est
sainte ; partout il recommande et supplie qu’on vienne
chercher même hors de France les privilèges du culte
public ; partout il exalte les malheurs des réfugiés,
et partout il proclame que leur foi en vaut bien la
peine. Tout cela est mitigé chez ce grand orateur,
par ces douces réminiscences de la patrie absente, par
ces vifs appels aux malheurs des églises, par ces
mouvements tout français, qui forment pour nous
aujourd’hui encore, un des plus grands charmes de
sa manière.
Tous ces traits divers donnaient à son éloquence
quelque chose d’exceptionnel et de particulier ; mais
on voit d’un autre côté, sous un point de vue plus
général, que l’illustre exilé de Nîmes avait emporté
avec lui l’influence de la grande école littéraire. Par
la couleur de Saurin, le siècle de Louis XIV se manifeste
encore dans la chaire du réfugié de La Haye. Sans ornements, sans subtilités, et même sans esprit
à proprement dire, le caractère de ses discours est la
logique, la force et la grandeur. La Providence, la
liberté, le monde futur, l’enfer et le ciel, les perfections
divines, toutes ces redoutables questions n’ont
point de mystères qu’il n’aborde avec audace, avec
succès, et non sans remuer profondément les âmes.
Son style âpre et net se tient à la hauteur d’un tel
dessein. La force du raisonnement et la hardiesse de
la pensée, font paraître naturel ce qui paraîtrait outré
ou téméraire chez d’autres orateurs. Aussi on n’y
rencontre aucunes recherches de style, aucun agrément,
aucunes fleurs. Mais presque toujours aussi
la vive éloquence et les saisissantes images naissent
du pathétique de sa pensée. Alors Saurin est simple ;
mais il est attendrissant au plus haut degré. Sous ce
rapport sa manière tient des tragiques grecs ; la sensibilité
découle sans effort du sein même de la conception.
Un autre point de vue sous lequel la lecture de ces
magnifiques harangues intéressera et instruira toujours,
c’est la rigueur et la grandeur de leur dogmatisme.
Ce fut là un des traits saillants de Saurin. Son
dogmatisme est toujours logique et parfaitement arrêté.
Il ne s’égara qu’une fois ; ce fut, lorsque examinant
la nature des voiles dont le prophète Samuel
s’enveloppa pour tromper Saül, il crut trouver une
apologie du mensonge dans les oracles du peuple de
Dieu, comme si le code hébraïque dût servir partout
de loi morale aux chrétiens. Il fut entraîné par une
analyse trop profonde et trop curieuse. Mais, quant à ses sermons, ils sont nettement démonstratifs et
bibliques. La religion qu’ils exposent, revêtue d’un
style classique et de bon goût, n’est pas moins la religion des anciens temps. Le dogme chrétien n’y est
amoindri par aucune concession à l’esprit du jour.
Aussi, toutes les difficultés de la foi, et même de la
philosophie, y sont indiquées et traitées sans réticence.
On voit que Saurin avait l’habitude de regarder
jusqu’au fond des choses. Sans appeler les
abîmes, il osait les sonder. Aussi la lecture de ses sermons
a quelque chose de singulièrement vif et de
fortifiant. C’est un voyage dans un pays de montagnes ;
on y respire plus librement même au milieu des colosses
sur lesquels on rampe, et qui vous écrasent.
Saurin nous fait habiter au milieu des plus hautes
questions qui puissent occuper et effrayer l’intelligence[59]. Il faut ajouter encore deux traits ; le premier,
que ses discussions sont, en général, très-sensées
et très-claires ; on ne s’y heurte pas sans cesse
contre l’exposé de ces dogmes superstitieux et de
ce mysticisme catholique, où même tout le génie de
Bossuet ne réussit pas toujours à captiver un lecteur
intelligent ; le second trait, c’est que Saurin ne fut
pas l’orateur courtisan d’une cour absolue, et qu’il ne
ravala jamais la dignité de sa parole par des flatteries indignes de la chaire chrétienne. Quand il parla des
grands, ce fut suivant la pensée religieuse que Dieu seul est grand. Pour résumer ce tableau, ce qui fera
toujours de ses sermons la lecture favorite des gens
de goût et des penseurs, c’est qu’ils ont beaucoup
d’élévation, une grande manière de style, une appréciation
vigoureuse des passions et du cœur, la douloureuse
énergie et regret d’un exilé, et enfin un certain
degré de liberté politique : ce sont ces qualités
réunies qui ne se trouvent chez aucun autre orateur
du siècle de Louis XIV.
Même d’après cette esquisse, on peut se figurer
toute la perte qu’éprouvèrent les églises du désert
lorsqu’elles pleurèrent le grand prédicateur de La
Haye. Ses dernières relations avec elles jettent même
quelques lumières sur leur histoire. On peut les recueillir
dans ses lettres qu’il intitula l’État du Christianisme en France, et qui ne répondent pas fort 1725.
exactement à leur titre[60]. Son livre ne s’est pas
étendu au-delà de la première partie de son plan ; les
lettres qu’il fit paraître dans les années qui précédèrent
sa mort (12 janv. 1726 — 22 fév. 1727) roulent
sur la controverse contre l’autorité et contre les miracles
catholiques. Ce dernier point est abordé à
propos d’un mandement du cardinal de Noailles, du
1er août 1725, dans lequel l’archevêque de Paris célèbre
l’éclatant miracle qui guérit une dame de La
Fosse d’une cruelle hémorrhée, miracle qui fut opéré
dans la paroisse de Sainte-Marguerite du faubourg
Saint-Antoine de Paris, et qui frappa de son évidence
plusieurs nouveaux réunis et nouvelles réunies de la capitale (Mand. du card. de N…). Ce fut avant tout un
miracle de couleur janséniste que Saurin n’eut pas de
peine à signaler. Selon le cardinal de Noailles, ce prodige
provint « de ce que Dieu a voulu confondre les
incrédules et donner, pour la consolation des fidèles
et pour la pleine conviction de nos frères réunis une
preuve sensible des grandes vérités. » Mais selon l’évêque
de Montpellier, janséniste persécuté comme le
cardinal de Noailles, ce miracle avait été fait pour consoler
l’église catholique dans ses membres affligés ; le
curé de la paroisse de Sainte-Marguerite étant docteur
de Sorbonne et des plus attachés à la cause ; « parce
qu’on ne veut point recevoir les sacrements de ses
mains, entre ses mains Jésus-Christ avait voulu accorder
la guérison miraculeuse de la nouvelle hémorrhoïsse,
» disait l’évêque dissident de la constitution
papale Unigenitus. Comme il était donc incertain si
le miracle était destiné à la conversion des molinistes
ou des protestants, Saurin prouva facilement qu’il
ne concernait personne. Ce qui est plus intéressant
que cette controverse, c’est la dissertation ingénieuse
où elle engagea Saurin quant à la nature des miracles
et quant à l’Eucharistie.
Nous rentrerons plus particulièrement dans notre
sujet en faisant connaître, d’après ces lettres, les sentiments
que les réfugiés entretenaient pour la France.
Leurs professions, sous ce rapport, font partie de
l’histoire des réformés français. Nous citerons leurs
paroles d’autant plus volontiers qu’elles fournissent
un tableau consolant. Après tant de malheurs éprouvés
en France par ceux des réformés qui s’expatrièrent
comme par ceux qui ne purent s’y décider, on éprouve
quelque joie à voir le sort heureux de ceux au moins
que la Providence avait recueillis sur des bords hospitaliers. On ne peut se défendre de ressentir aussi
de la tristesse en entendant ces illustres Français
remercier les états-généraux de tous ces bienfaits de
liberté et de calme qu’ils auraient dû trouver dans
leur patrie, ou plutôt qu’ils n’auraient jamais dû
perdre. « Il est vrai, disait Saurin aux églises du désert,
que les catholiques nous ont réduit, nous et les
compagnons de notre exil, aux dernières extrémités.
Ils nous ont contraint à nous arracher au lieu de notre
naissance ; ils nous ont envahi nos biens ; ils ne nous
ont laissé d’autre ressource que la charité des peuples
qui nous ont tendu les bras dans notre refuge…
Mais ce qu’ils avaient peut-être d’abord pensé en mal,
c’est une expression de l’Écriture, Dieu l’a formé en bien (Genèse, 50, 20). Nous leur devons du moins
la guérison d’un préjugé né avec nous et dans lequel
sont encore aujourd’hui la plupart des gens de notre
nation : c’est qu’il n’y a point de séjour agréable hors
de la France. Nous vivons dans des pays délicieux et
sous le gouvernement du monde le plus doux. Nous
trouvons dans les Provinces-Unies un dédommagement
universel aux sacrifices que nous avons faits
pour notre religion. Nos souverains sont en quelque
sorte nos égaux par leur affabilité et par un certain
esprit d’égalité qui règne dans les républiques, autant
que cela est compatible avec le bien de la société.
Ceux de nous qui ont quelque savoir et quelque
industrie se sont poussés dans leur art. Nos frères
exilés dans d’autres pays protestants y éprouvent
mille douceurs, et s’il y en a quelques-uns qui se
trouvent dans l’indigence, comme on ne saurait en
disconvenir, ils en sont amplement récompensés par
la paix de leur conscience, le plus précieux de tous
les biens. Ainsi, quand nous aurions eu le cœur ulcéré contre nos persécuteurs, les premières années
de notre persécution, nos plaies sont fermées depuis
bien longtemps. Ils n’ont donc aucun lieu de soupçonner
que nous leur parlerons comme des personnes
aigries par les malheurs dans lesquels ils nous ont
plongés. » (Préf., p. 4-8).
D’ailleurs Saurin déplore encore ici l’état du christianisme
en France dans les premières années de
Louis XV. Il déclare avoir besoin de toute sa soumission
aux ordres du ciel pour voir avec résignation le
redoublement des fléaux dont Dieu les visitait. Aussi
il désirait très-vivement les voir réunis aux églises
dont le malheur des temps les avait arrachés. L’exil
des uns et le séjour des autres avait tronqué les
familles : « l’un de nous est séparé de son frère, l’autre
de son père, l’autre de son enfant. » (P. 24).
On voit percer trop manifestement ici l’éloignement
de Saurin pour la conduite de ceux de ses frères
qui étaient restés dans leur patrie. Selon sa pensée
intime, ils méritaient tous la qualification de temporiseurs.
Il est surprenant que Saurin eût porté sur
eux un jugement aussi absolu ; il est probable qu’il
n’avait que des renseignements fort incomplets sur
leur conduite et sur leur noble résistance à l’abolition
du culte. Cependant son opinion sur la conduite
des églises du désert est singulière ; elle mérite que
nous essayions de nous en rendre compte. Dans cette
préface, principalement adressée aux églises de
France, il se reproche de n’avoir pas donné à ses compatriotes
des preuves assez sensibles de son amour.
Il rappelle qu’ils avaient souvent imploré son secours ;
qu’ils avaient demandé des directions ; qu’ils avaient
exigé de lui des formulaires de piété convenables à
leur état. « Nous nous sommes refusé jusqu’à présent à des demandes qui semblent si justes. » Les
raisons qui portaient Saurin à ne pas subvenir aux
vœux et aux besoins de ses frères peuvent se déduire
aisément de ses propres déclarations. Il craignait
toute concession aux facilités et aux tendances du
culte secret. Pour lui c’était faire l’apologie de la faiblesse
et fournir aux fidèles de nouveaux prétextes de
s’affermir dans ce qui était à ses yeux une désertion
de leur foi. Il redoutait la prédominance du for
intérieur sur l’obligation sacrée de confesser la religion
au dehors. Il allait jusqu’à émettre cette proposition,
qui pourrait paraître étrange à bon droit :
« leur proposer des moyens de suppléer dans leur
cabinet au culte public dont ils sont privés, n’aurait-ce
pas été reconnaître que le culte public n’est pas
nécessaire. »
Ainsi Saurin donnait aux églises du désert les plus
austères conseils. Il ne se reproche qu’une seule chose,
c’est de n’avoir pas travaillé sans cesse à arracher le
bandeau que les fidèles avaient sur les yeux. Il reculait
devant l’obligation de leur dépeindre l’atrocité de
leur conduite « et toute l’horreur de leur état ; » une
indolence qui durait depuis quarante années ; tant de
mariages contractés dans des circonstances si peu
propres à attirer les bénédictions du ciel ; tant d’enfants
retenus dans des lieux où il est si difficile de
connaître la vérité ; tant de mourants privés de consolations ;
tant de vœux de se relever formés mille et
mille fois, et violés autant de fois. Il insistait encore
en adjurant les fidèles français à bien peser, qu’un
culte rendu à la Divinité dans un genre de vie qu’elle
condamne d’une manière si expresse, était moins
propre à concilier sa faveur qu’à exciter son indignation.
Enfin les habitudes d’éloquence du fervent orateur reviennent dans cette épître, à cet endroit où il
s’écrie, en parlant des protestants qui s’obstinaient à
rester dans les églises du désert : « La plume nous
tombait des mains, toutes les fois que nous la prenions
pour leur déclarer, que nous n’avions d’autre direction
à leur donner, que celle que le Saint-Esprit
donne lui-même à tous ceux qui sont dans leur cas :
« Sortez de Babylone, mon peuple, de peur qu’en participant à ses péchés, vous ne participiez à ses plaies. » (Apoc, 18. 4.)
Il est clair que les motifs de Saurin étaient louables,
et qu’ils durent occasionner de violents conflits
dans une âme aussi fervente. Il était, pour ainsi
dire, partie intéressée dans la question. Ses ouvrages
étaient proscrits en France. Nous verrons plus tard
que l’intendant du Languedoc fit brûler une masse
considérable de volumes d’un orateur sacré, qui
honorait à la fois et sa province et sa patrie. Sa foi
ne pouvait consentir à approuver que des églises
restassent dans un pays où elles étaient contraintes
à mille actes d’hypocrisie, tandis que l’exil leur eût
assuré, à elles et à leur foi, la possession d’un culte
public et tous les bienfaits de la liberté de conscience.
Mais on conçoit qu’il se trouva des Français, et en
grand nombre, auxquels l’absence rendait tout le
reste amer. D’autre part, Saurin ne pouvait ignorer
qu’en conseillant aux fidèles du désert le devoir indispensable
du culte public, il risquait d’attirer sur
eux de nouvelles persécutions. La cour, redoutant
sans cesse les assemblées des religionnaires, les eût
poursuivis d’autant plus et eût d’autant plus réveillé
les édits tombés en désuétude, que ces convocations
auraient eu l’air de naître par suite des instigations
de l’étranger. On savait les liaisons politiques de Basnage et de Saurin avec le cabinet des stadholders et
avec Leurs Hautes Puissances. Ces relations, toujours
prudentes, et jamais systématiquement ennemies de
la France, auraient cependant effrayé les ministres
de Louis XV. En conséquence, si les exhortations de
Saurin fussent restées dans l’obscurité, elles auraient
été perdues ; si elles fussent devenues publiques, elles
auraient été dangereuses. On ne le voit que trop ; rien
de plus compliqué ni de plus difficile à bien saisir, que
la position de l’illustre orateur de La Haye vis-à-vis
de ses compatriotes français, demeurés parmi les
églises nationales du désert. D’ailleurs, les lettres
qu’il destinait aux protestants temporiseurs en France,
la mort ne lui a pas laissé le temps de les leur adresser ;
nous sommes par-là privés d’un épisode éloquent,
et considérable pour notre sujet. Nous aurons occasion
de revenir sur ce que Saurin a placé ici concernant
l’état de la France sous le rapport des progrès
du déisme.
Les récits de la position des églises auxquelles nous
allons maintenant revenir vont confirmer d’une manière
éclatante les jugements et les hésitations mêmes
du prédicateur de La Haye. Son opinion sur la nécessité
de la fermeté en face des prétentions de l’Église dominante
fut soutenue tacitement par les décisions d’une
foule de synodes du désert. Mais les exigences des
édits atteignant les réformés dans tous les actes, sans
exception, de leur vie civile et religieuse, leur imposèrent
des dissimulations presque inévitables dans
un temps si malheureux. Ces concessions d’un moment
n’arrêtaient pas le progrès des églises dans les
provinces du Languedoc. Il y a plus encore : les persécutions
ne parurent pas ralentir la nouvelle organisation
ecclésiastique, qui prenait chaque jour plus de force. Dans l’année qui suivit l’évasion du ministre
Claris, nous le voyons, en qualité de secrétaire ou de
président modérateur, se réunissant à ceux de ses
collègues que nous avons déjà fait connaître, sauf le
ministre Viala, pour coopérer à plusieurs mesures
d’un caractère plus général, et de nature à rallier les
fidèles des provinces les plus éloignées. La disette de
pasteurs savants existant toujours, et la province de
Guyenne étant presque dénuée de leur secours, le
Languedoc, malgré d’injustes jalousies, prit l’initiative.
Cette province invita les collègues de Suisse à dresser
un formulaire de prières accommodées au temps,
que les anciens pussent réciter au défaut d’un culte
régulier devant le nombre de fidèles que la prudence
permettait. C’était toutefois agir un peu contre l’avis
de Saurin. On délibéra de plus que toutes les fois
que des jeunes gens souhaiteraient d’étudier pour
devenir ministres, deux députés se transporteraient
sur les lieux pour examiner si les aspirants avaient
les mœurs requises et le talent pour la prédication.
La persécution apportant trop d’obstacles aux députations
du Dauphiné et du Vivarais, on adopta l’avis
de considérer comme synode national la réunion des
représentants des églises de Guyenne, haut et bas Languedoc,
et Cévennes ; on les divisa en trois corps ; le
corps du bas Languedoc eut les pasteurs Roux et Claris,
et Rivière, prédicateur ; celui des Cévennes eut
les pasteurs Combes et Maroger, et Rouvière, prédicateur ;
celui du haut Languedoc et Guyenne eut le
pasteur Bétrine, et Viala, prédicateur. Tous signèrent
cette délibération, dont la date1733. 26 février. est importante pour
l’histoire des églises, parce qu’elle prouve qu’alors la
France protestante se composait des provinces du
Vivarais, du Dauphiné, des deux Languedoc, de Guyenne, et des Cévennes. (Syn. or. Mss. P. R.) Le
reste, comprenant le nord, l’ouest et le centre, ne
paraissait pas s’être mis encore en rapport avec la
partie du midi ; le culte public s’y était éteint ; la foi
ne se conservait que dans l’intérieur des familles,
qui n’obtenaient que de bien rares visites de pasteurs ;
il fallut encore plus de dix années pour que le Poitou
figurât, par ses députés, dans les synodes des courageuses
provinces du midi. À la même époque, de
sages mesures d’administration financière marchaient
de front avec les règlements d’éducation et de discipline.
On régularisa les comptes des deniers des
pauvres, ceux des fonds pour l’acquit des amendes
encourues pour fait de religion, et ceux « de la taxe
du saint ministère. » (Syn. or. Mss. P. R.) On nomma
des commissaires à cet effet pour chaque district de29 octobre.
colloque, et aussi pour surveiller les écoles ambulantes,
et recueillir des fonds destinés à les soutenir.
Ce n’était pas assez de régulariser le culte, de multiplier
les mesures d’administration, et de veiller surtout
à ce que les fonctions pastorales tombassent
entre des mains dignes de les remplir ; il fallait encore
s’occuper de sauver la jeunesse des efforts renouvelés
du clergé catholique pour la ravir aux pratiques et
à la doctrine qu’on lui inspirait au prix de tant de
persécutions. Pendant toute la première moitié du
xviiie siècle, comme dans les dernières années du
xviie siècle et depuis la révocation, le clergé dominant,
pendant qu’il excitait à persécuter les parents, circonvenait
la plus tendre enfance de mille pièges et
de toutes les séductions appropriées au premier âge.
Les pièces du temps fournissent des révélations curieuses.
Dans tout le vaste district du midi du royaume,
depuis Montpellier jusqu’à l’extrémité du Vivarais, les mêmes artifices étaient mis en usage. Les missionnaires
s’attachaient surtout aux jeunes filles ; tantôt
on étudiait leur goût pour la gourmandise, ou pour
le luxe des habits ; tantôt on leur promettait une
bonne dot et un parti avantageux, tandis qu’on offrait
toute sûreté et toute protection à celles qui s’irritaient
contre leurs parents. « Le zèle du clergé romain,
disent les déclarations synodales, est peu délicat et
peu scrupuleux. Le succès qu’ont eu déjà ses artifices
l’excitera sans doute à les redoubler, et nous avons
tout lieu de craindre que les perversions ne deviennent
tous les jours plus nombreuses. La persécution la
1733.plus violente est moins à craindre que ces voies
sourdes et clandestines. Que deviendront nos églises
si on séduit nos enfants qui en sont la pépinière, et
qui doivent les perpétuer ? » (Avis important à MM. les pasteurs et les anciens des églises réformées. Mss. P. R.)
Malgré ces menées, les assemblées continuaient toujours ;
de nouveaux pasteurs sortaient du séminaire
de Lausanne ; tous les jours le culte revêtait un caractère
plus régulier. L’année suivante il fut arrêté
que chaque église se pourvoirait d’un lecteur et d’un
chantre « choisis parmi les fidèles qui ont le plus de
piété et de talent. » Le chant des psaumes n’avait pas
cessé d’être l’un des principaux exercices du culte.
Cette harmonie naïve rappelait aux églises les souvenirs
des cantiques, qui furent adoptés dans les premiers
temps, et qui dans l’une et dans l’autre fortune
avaient édifié et consolé les fidèles. Il fut même toujours
fort difficile d’obtenir que les assemblées du
désert ne fissent pas retentir au loin les échos de ces
chants qui pouvaient les faire découvrir. Aussi, même
au milieu de tant de persécutions, on trouve dans les
délibérations synodales l’article suivant, qui démontre que les églises du désert s’occupaient à donner aux
chants plus de solennité et plus de justesse : « Dieu
ayant suscité un nombre considérable de musiciens
pour enseigner la musique à la jeunesse dans les
églises sous la croix, et y ayant eu quelque peu d’émotion
parmi eux, à cause du peu d’ordre qu’ils ont
tenu et de l’irrégularité de la conduite de quelques-uns,
l’assemblée synodale a jugé à propos, pour
maintenir l’ordre, de charger les pasteurs d’appeler
les susdits musiciens pour les exhorter et les censurer. » (Syn. prov. Mss. P. R.)1734. 5 mai.
Toutes ces mesures attestent que la persécution
tendait à devenir moins vive. L’ordre établi dans le
culte, la sagesse des restaurateurs de la discipline,
leur haute prudence, le soin avec lequel ils combattaient
le fanatisme, et surtout la peine qu’ils se donnaient
pour tout pacifier et pour éteindre les cendres
encore fumantes de la guerre des Cévennes, paraissent
avoir frappé l’attention des intendants et par suite
celle de la cour. La déclaration de 1724 et toutes ses
dispositions d’une si cruelle minutie, étaient évidemment
inexécutées ; il est vrai qu’elle était inexécutable,
sans une proscription horrible, qui eût indubitablement
fait reprendre les armes aux descendants des
Camisards. Déjà, vers cette époque, commence un
usage bizarre de la cour, dans ses rapports avec ses
sujets protestants, qui était de nier leur existence,
d’une part, et de l’autre part, non seulement de la
reconnaître, mais de tolérer tacitement les assemblées.
Dès cette époque on voit se dessiner la pratique gouvernementale,
de laisser en vigueur une législation
effroyable, et puis de l’adoucir considérablement
dans la pratique : politique malhabile et cruelle, qui
ne comportait ni le despotisme ni la liberté. Cette faiblesse mélangée de rigueur peut seule faire concevoir
les événements qui se passèrent bientôt au sein
des églises réformées. Leurs malheurs arrivèrent par
secousses et par saccades, selon la disposition des
intendants, la sévérité des parlements, et les intrigues
du clergé, qui ne cessa d’invoquer l’exécution intégrale
des édits. Sans doute un zèle exagéré de conversion
trompait les prêtres sur l’injustice d’une législation
si éloignée de l’esprit de l’Évangile. Quoi qu’il en
soit, il y eut vers ce temps un relâchement sensible
1730-1744.dans les mesures de vigueur.
Après l’exécution du ministre A. Roussel à Montpellier,
en 1728, quatre ans s’écoulèrent avant qu’un
tragique événement de ce genre ne se renouvelât. Ce
n’était point toutefois que des condamnations aux
galères perpétuelles, des amendes et des confiscations
de tous genres, ne fussent très-souvent décernées
contre des réformés coupables d’un simple acte de
zèle pour leur culte. À cette époque, le Conseil d’état,
siégeant à Versailles, décida que la dame de Tremond,
d’Uzès, serait punie suivant la rigueur de la déclaration
de 1724, art. 8, 9 et 11, pour avoir donné asile
chez elle à un soldat du régiment d’Eu, et avoir contribué
à l’affermir, dans sa dernière maladie, à mourir
protestant ; Louis XV ordonna aussi qu’il serait
fait procès à la mémoire du soldat (Extr. du reg. du
Cons. d’état. Mss. P. R.), poursuivant ainsi la 1737. 4 mai.conscience jusqu’au-delà du degré où toute juridiction humaine s’arrête.
Mais des mesures de ce genre, qui se répétaient
souvent et sous toutes les formes qu’une jurisprudence
ingénieuse et alliée aux intérêts du fisc pouvait
suggérer à la chicane, n’infirmaient point le fait général
d’un adoucissement dans l’application des lois persécutrices, adoucissement fondé sur l’impossibilité
absolue de les mettre à exécution. Cet adoucissement,
la justice de l’histoire force à l’avouer, ne convenait
pas au clergé. Ce qu’il appelait l’hérésie avait montré
une vie très-dure et s’était obstinément conservé.
Les lois les plus cruelles avaient multiplié les émigrations,
et quoique cette cause, jointe à un nombre
considérable de conversions arrachées à la lassitude
ou à l’intérêt, eût diminué d’une manière sensible le
nombre des églises, cependant il était clair que de
nombreuses populations tenaient encore à ce culte,
si longtemps et encore si sévèrement proscrit. La
position du clergé catholique était difficile. Les condamnations
n’avaient pas réussi, et toute nouvelle
rigueur décidait de nouvelles émigrations. La proscription
en masse n’était plus dans les mœurs du
temps, outre qu’elle eût risqué d’allumer la guerre
civile. Il ne restait donc au clergé que la ressource
d’invoquer l’exécution des édits ; aussi des doléances
rédigées en faveur de ce moyen parvinrent souvent à la cour.
Rien de plus curieux sous ce rapport que l’affaire
des correspondances des curés des Cévennes et environs,
excités sans doute par leur évêque, avec le
cardinal de Fleury, qui se montrait alors, comme
toujours, le successeur fort doux des Richelieu, des
Louvois, des Chamillart, bien qu’il ait sévi à plusieurs
reprises d’une manière assez vive contre les réformés.
On a déjà vu que le comte de Saint-Maurice était
alors intendant de la province de Languedoc, et que
le marquis de La Fare, comme commandant, le secondait
dans ce poste délicat. Le comte, ainsi que
ses subdélégués Daudé, Caveirac et les autres magistrats,
quelles que fussent d’ailleurs leurs vues personnelles, avaient reconnu, par l’examen si souvent
répété des lieux, l’impossibilité absolue de faire exécuter
la déclaration de 1724 en son entier. Leur rôle
se bornait à tâcher de saisir les auteurs des infractions
les plus flagrantes. Cela fait, comme dans le cas de la
belle tournée du ministre Antoine Court, ils fermaient
les yeux sur ce qu’il était impossible d’empêcher. Nous
avons vu que, depuis vingt ans, les assemblées synodales
se multipliaient, que le culte tendait à reprendre
son ancienne régularité, enfin que partout les temples
abattus étaient remplacés par des assemblées
qui n’avaient pour dôme que la voûte des cieux.
Cet état de choses excita la sollicitude amère du
clergé dominant. Aussi nous allons le voir adresser
ses représentations au premier ministre en personne,
après avoir essayé de trouver accès favorable auprès
du gouverneur de la province. Cette correspondance
offre un grand intérêt, parce qu’elle permet de juger
l’état des églises à cette époque, en même temps qu’elle
fait concevoir cette lutte singulière, qui alors commençait,
entre des lois cruelles, invoquées par le
clergé, et l’esprit d’un temps qui commençait à devenir
meilleur (Copie d’une lettre écrite à Son Éminence le cardinal de Fleury. Mss. P. R.).
1737.Les curés des Cévennes, « après avoir longtemps
gémi dans le secret de leur cœur sur la triste situation
où se trouvent les affaires de la religion dans ce pays, »
commencèrent à faire leurs représentations à leur
évêque. Le prélat répondit sèchement qu’il était très-sensible
à leurs maux, mais que, dans un « renversement
si général des lois et du bon ordre, » il
fallait s’adresser aux puissances dont l’autorité pouvait
les maintenir. Par suite de cette invitation, après
avoir épuisé la voie des autorités de l’intendance, « après avoir longtemps attendu le remède à des
maux si pressants, et voyant qu’on n’adoptait aucun
remède pour les arrêter, » le clergé du midi s’adressa
directement au cardinal premier ministre. Il commença
par déclarer que plusieurs de ses membres
desservaient leurs églises depuis quarante-cinq ans,
et que jamais ils n’avaient vu les lois « plus ouvertement
méprisées et plus impunément violées. »
La remontrance du clergé contre les protestants,
est divisée en plusieurs chefs distincts où il est traité
des questions religieuses, et aussi de celles qui ont
rapport à l’état civil. Nous devons présenter quelques
extraits de ce mémoire ; ils serviront à nous faire apprécier
l’état du culte des réformés à cette époque, et
les progrès qu’il avait faits depuis la fin des guerres
religieuses.
Voyons comment le clergé même du théâtre de
tant de persécutions parlait alors de ses frères
dissidents ; et ne lisons ce mémoire qu’avec l’idée
qu’il faut attribuer quelque exagération à l’âcreté
d’une partie plaignante et à la haine théologique. Il
nous faudra ensuite le comparer avec les autres renseignements
certains que l’on possède sur l’état des
églises au même temps. Il pourra résulter de ce rapprochement
quelques confirmations utiles pour l’histoire ;
d’ailleurs ce que le mémoire présente d’exagéré
fut réfuté, comme nous le verrons, par une dépêche
du gouverneur du Languedoc, qui est sous plusieurs
points de vue en opposition avec leurs dires. On est
frappé d’étonnement, en lisant la lettre du clergé cévenol
au premier ministre du roi, de l’état inouï d’oppression
où la jurisprudence du temps avait placé les
réformés. Il faut observer que leur tableau, sauf
quelques différences dans les détails, devait également convenir à la situation des réformés de toutes
les autres provinces de France.
Les curés des Cévennes traitent d’abord « des hérétiques.
» Il y a dans tout ce pays, disent-ils, des prédicants
en grand nombre, et pour qui l’on impose dans
chaque paroisse une somme considérable. Cette somme
est exactement payée et colligée par deux ou plusieurs
habitants, sans y comprendre les quêtes qui se font à
chaque assemblée qui tient, et qui sont aussi considérables.
Ces prédicants rassemblent leurs consistoires régulièrement à
certains temps ; ils tiennent des assemblées
très-nombreuses et très-fréquentes en plein midi,
sur les montagnes, dans les bois, et souvent dans des
maisons particulières ; nous le savons, nous le voyons,
personne cependant ne dit rien ; personne même n’ose
rien dire, crainte d’être assassiné, comme il est arrivé.
Nos catholiques souffrent persécution ; on n’oublie
rien pour les détourner de la bonne voie, on emploie
les menaces, on n’épargne pas même les mauvais traitements
envers certains de ceux qui se rendent assiduement
à nos églises, sous prétexte qu’ils avertissent
leurs curés de la tenue des assemblées illicites et de
ce qui s’y passe. Plusieurs de nous avons reçu des
lettres remplies de semblables menaces. Les docteurs
de mensonges qui président à ces assemblées d’iniquité,
n’inspirent à ceux qui vont les entendre que
l’indépendance et le mépris des lois et de l’autorité.
L’esprit de révolte et de sédition ne fut jamais plus
généralement répandu. On fait entendre au peuple
que le roi lui a accordé la liberté de conscience par
un article de la dernière paix, et que s’il diffère à lui
donner la permission de rebâtir les temples, ce délai
de permission ne peut aller que jusqu’à 1738…… — Baptême des petits enfants. En certaines paroisses la plupart ne portent plus leurs enfants à l’église,
mais à l’assemblée pour les faire baptiser, et en effet,
les prédicants leur confèrent le baptême, quoiqu’il conste par des faits certains que plusieurs d’entre
eux ne le confèrent pas dans les règles, soit par ignorance,
soit par la persuasion où ils sont que le baptême
n’est pas nécessaire, du moins pour les enfants
des fidèles. Quand les pasteurs légitimes demandent
ces enfants, plusieurs leur répondent avec assurance
qu’ils ne les reconnaissent pas pour leurs pasteurs.
— Instruction de la jeunesse. Quand ces enfants sont
devenus grands, au lieu que les parents les envoyaient
autrefois avec assez de soin aux écoles et à nos instructions
pour éviter une amende, ils ne les envoient
plus ; et si quelques uns les envoient, ces enfants, inspirés
par des personnes mal intentionnées, ne veulent
plus répondre à celui qui, par les ordonnances du roi,
est obligé de les appeler dans l’église les dimanches
et les fêtes, pour savoir s’ils sont absents ou présents.
Ces pauvres enfants, que leur inclination naturelle
porterait à notre culte catholique, se trouvent, par
le malheur de leur naissance, sans instruction et sans
aucun exercice de religion, vivent souvent dans le libertinage,
deviennent plus obstinés que leurs pères,
et, ne sachant ce qu’ils doivent croire, se réduisent à
ne rien croire dans le fond. — Mariage. Ces jeunes
gens pensent enfin à s’établir par le mariage, et c’est
alors qu’ils violent plus ouvertement les lois de l’église
et de l’État. Quelques uns (le nombre en est
aujourd’hui très-petit) s’adressent à nous, ils nous
déclarent qu’ils veulent vivre et mourir dans la religion
catholique ; ils se font instruire pendant six mois
selon les règlements de monseigneur notre évêque,
ils nous paraissent persuadés et convaincus ; du moins, ils nous le disent et nous bénissons leur mariage
dans les règles ; mais ils nous trompent, et d’abord
que leur mariage est célébré ils ne paraissent plus
dans nos églises ; nous les allons chercher, nous leur
exposons les promesses qu’ils nous ont faites à la face
des autels, et confirmées par un serment solennel ;
quelques uns nous disent qu’ils souhaiteraient nous
tenir ce qu’ils nous ont promis et qu’ils voudraient
y être obligés par les lois du prince, pour se mettre
à couvert des menaces et des mauvais traitements
auxquels ils seraient autrement exposés. D’autres
nous répondent avec indifférence qu’ils n’ont jamais
eu dessein d’être catholiques, et que, quand ils ont fait semblant d’abjurer l’hérésie, ils ont prétendu renoncer
par une restriction mentale à la catholicité ;
c’est ce qui a fait prendre à plusieurs de ceux qui
sont préposés pour la conduite des paroisses, la résolution
de ne bénir aucun de ces mariages pour ne pas
s’exposer au péril évident de trahir leur ministère en
profanant le sacrement. D’autres plus ouvertement
déclarés ne gardent aucune mesure ; ils ne s’embarrassent
point de sauver les moindres apparences ; ils
vont aux assemblées ; et là, ils se donnent réciproquement
la foi devant un prédicant, quelquefois sans
avoir même passé devant notaire aucun contrat, pour
en épargner les frais, et vivent ensuite comme s’ils
étaient légitimement mariés, au grand scandale du public.
Cette dernière classe est la plus nombreuse, et
nous voyons tous les jours quelque nouvelle conjonction
de cette espèce. Ces prétendus mariages
sont également contre la religion et contre les lois
de l’État. Les enfants qui en naîtront porteront
l’iniquité de leurs pères ; ils n’auront point d’état fixe,
et ne pourront être regardés que comme illégitimes ; les procès que l’intérêt ne manquera pas de leur susciter
sur la succession qu’ils devraient recueillir s’ils
étaient légitimes (il y a déjà de ces procès intentés
pour le paiement de la dot de la femme), ne peuvent
que causer un grand dérangement dans tout ce pays,
surtout si l’on considère le nombre prodigieux de
ces mariages ; ils se multiplient tous les jours ; des
esprits prévenus se laissent aisément persuader que
si ces mariages n’étaient pas légitimes on ne les souffrirait
pas ; et que plus il s’en fera, plus ils doivent
avec assurance en contracter de nouveaux, parce que
plus il y en aura, plus on y aura égard. Leur conscience
ne leur reproche rien là dessus, parce qu’ils
ne regardent point le mariage comme un sacrement.
Ce repos où on les laisse donne du poids aux fausses
raisons de leurs prédicants ; ils s’imaginent et disent
hautement que tous les édits que Sa Majesté avait
donnés, et surtout celui de 1724 » sont abrogés, parce qu’ils sont tranquilles malgré leurs prévarications. »
Le mémoire renferme aussi des plaintes contre le
progrès du libertinage, suite naturelle de l’hérésie si
ouvertement déclarée et si enracinée. Il se termine
ainsi : « Nous vous supplions, Monseigneur, par les
entrailles de Jésus-Christ, de nous aider à ramener
dans le bercail nos brebis égarées par les voies les plus
efficaces, mais les plus douces, qui, en arrêtant les
prévarications, conservent les prévaricateurs. » (Copie d’une lettre manuscrite à Son Éminence le cardinal de Fleury, fol. mss. P. R.)
Tel est le tableau que le clergé catholique traçait
du succès de tant de tentatives de conversion, et de
tant de travaux, les uns adroits, les autres cruels, pour
ébranler la ténacité des huguenots. Ce rapport, infiniment
curieux et instructif, nous peint au naturel l’état des choses que Saurin condamnait si fortement.
On est d’abord surpris de voir les curés des provinces,
où tant de débris d’églises florissaient au milieu
des orages, recommander à deux reprises l’emploi de mesures douces, auxquelles on n’était pas
habitué. Mais si l’on relit plus attentivement ce monument
d’une charité plus que douteuse, on reconnaît
assez vite que ses auteurs, loin de conseiller l’abandon
de ces mesures coercitives, dont leurs observations
même proclamaient l’impuissance, avaient en réalité
pour but de réveiller une ardeur assoupie. Ils cherchaient
à obtenir qu’on fit cesser les folles espérances
de la tolérance prochaine que les protestants
avaient rêvée ; ils disaient que le mal venait de ce
qu’on laissait les religionnaires tranquilles, et de ce
qu’on ne poursuivait pas assez vivement l’exécution
de la déclaration de 1724, avec ses sanctions pénales
de mort, de galères et de confiscations ; tels furent
les tristes avertissements qui parurent résulter de
l’esprit de cette pièce. Il paraît que le cardinal de
Fleury eut la sagesse de fermer l’oreille à ces insinuations,
aussi contraires à l’Évangile qu’à la paix publique.
Il renvoya le mémoire en Languedoc, au
comte de Saint-Maurice, intendant, qui se chargea
de son côté de réfuter les assertions du clergé par
une lettre à l’évêque d’Alais (fol. 8 pag. or. signée de B. de Saint-Maurice, Mss. P. R.). Nous ferons
1737. 14 août.connaître en entier cette pièce remarquable ; elle confirme tout ce que nous avons rapporté de l’organisation
des premiers synodes et des premiers travaux ;
elle laisse voir nettement quels étaient les rapports de
l’administration et du clergé touchant les protestants ;
elle démontre que les intendants se voyaient
forcés de modérer l’ardeur des prêtres, qui poussaient aveuglément à des sévérités qui eussent probablement
eu les suites les plus funestes et pour eux-mêmes
et pour l’État.
« Agréez, Monsieur, que j’aie l’honneur de vous
envoyer une copie pareille à celle que j’ai reçue sous
le pli de monseigneur le cardinal de Fleury, d’une
lettre écrite à Son Éminence sur le mauvais état où
l’on prétend que les affaires de la religion se trouvent
dans cette province. Il y a longtemps qu’on a fait de
pareilles représentations à la cour ; j’en ai reçu moi-même,
et j’ai lieu de croire qu’elles viennent de la
part de quelques curés des Cévennes ou des environs,
parce que je sais qu’il y en a de ces côtés-là quelques
uns qui n’ont pu encore se bien rassurer sur les inquiétudes
qu’ils ont prises pendant le temps de la
guerre. Les nouveaux convertis se montraient effectivement
alors avec un peu plus de hardiesse, parce
qu’ils n’étaient pas contenus par la présence des
troupes. Cependant il n’est pas venu à ma connaissance
qu’ils aient rien fait qui annonçât de la révolte,
et il y a bien moins lieu d’en craindre présentement.
D’ailleurs, je ne sache pas qu’il se fasse rien d’extraordinaire,
ou qui doive donner de l’inquiétude à l’État.
Ainsi ces curés n’ont pas raison de commencer comme
ils le font leur mémoire par dire à son éminence que les
lois de la religion et de l’État sont plus méprisées et plus
impunément violées qu’elles ne l’étaient dans le temps
des troubles des Cévennes. Ce qu’ils exposent sur
les autres désordres est aussi un peu trop exagéré.
« Nous savons, pour ce qui concerne le premier
article, qu’il y a toujours des prédicateurs qui parcourent
les cantons suspects, et il est vrai de dire que
ce sont eux qui soutiennent et fomentent l’erreur.
Mais leur nombre n’est pas, à beaucoup près, aussi considérable qu’on l’expose, et nous faisons de notre
part tout ce que nous pouvons pour leur donner la
chasse. Il y a des récompenses promises à ceux qui en
procureraient la capture ; ces récompenses ont été
exactement payées, dans les cas où il en a été question,
et si les exemples ne sont pas fréquents, c’est
que les nouveaux convertis préviennent, par le secret
qu’ils gardent, l’effet de toutes les démarches qu’on
pourrait faire pour les surprendre. Les curés exposent
qu’ils savent et voyent ce qui se passe ; je n’en
doute pas ; mais le zèle qu’ils portent à la religion ne
devrait-il pas les porter à donner à propos des avis
utiles, en citant des faits, et en indiquant ceux qui
donnent retraite aux prédicants. Je conçois qu’ils ne
veulent pas être connus, et on ne peut les en blâmer ;
mais il y a des moyens de servir la religion sans se compromettre. Il n’est pas possible, par exemple,
qu’il n’y ait dans chaque paroisse, ou aux environs,
des gens qui, par zèle ou par l’espérance d’une récompense,
s’emploieraient volontiers, si on le leur inspirait.
Il faudrait, lorsqu’il y a quelque assemblée ou
quelque prédicant dans un lieu, les exciter à en donner
secrètement avis à ceux qui commandent les
troupes ; il y en a partout à portée d’agir ; mais leurs
patrouilles seront toujours inutiles, tant qu’elles ne
seront que des patrouilles ordinaires, et qu’elles ne
sauront pas où tomber.
« À l’égard de ces impositions en faveur de ces prédicants,
nous savons aussi que, lorsqu’il en passe quelqu’un
dans une paroisse, on s’y cotise pour lui donner
secours. Peut-être aussi en use-t-on de même
pour le paiement des amendes auxquelles les nouveaux
convertis se trouvent condamnés ; mais il n’y
a point d’imposition en forme. C’est cependant toujours un mal ; et il serait facile d’y remédier, si on
déclarait ceux qui se chargent de ces sortes de collectes.
Les curés les connaissent, et s’ils les indiquaient,
on ferait des exemples en punissant les
coupables. Ce qui est exposé concernant l’éducation
de la jeunesse est également vague, et vous trouverez
sans doute comme moi qu’il est singulier que des
enfants, qui font tant que d’obéir, en se trouvant
à des instructions, refusent de répondre lorsqu’on
appelle leurs noms pour vérifier s’ils sont présents
ou absents ; il serait, en ce cas, bien facile de les corriger,
puisqu’il n’y aurait qu’à les marquer absents
et faire payer l’amende aux parents de ceux qui affecteraient
ainsi de ne pas répondre. Il en doit être usé
de même à l’égard de ceux qui, réellement, n’assistent
point. Je ne puis, pour moi, que m’en rapporter aux
certificats des maîtres d’école, et s’ils ne font pas
leur devoir, ou se prêtent aux nouveaux convertis
je ne puis y remédier si les curés, qui sont leurs premiers
supérieurs, n’y tiennent pas la main et ne
donnent pas avis des contraventions en indiquant
ceux qui y tombent.
« Quant à ce qui concerne les baptêmes et mariages,
nous convenons que c’est là où est le mal.
Nous faisons bien, M. le marquis de La Fare et moi,
de temps en temps, des exemples principalement
contre les concubinages, mais il n’est pas possible de les punir tous ; les prisons de la province ne seraient pas suffisantes pour les contenir, et il n’y a qu’une
nouvelle loi qui puisse remédier à ce désordre. Les
curés, qui s’en plaignent avec grande raison, auraient
bien dû expliquer les voies douces par lesquelles ils
marquent qu’on pourrait y parvenir. Nous avons,
pour nous, proposé depuis longtemps à M. le chancelier une déclaration dont il nous a marqué, en
dernier lieu, qu’il allait reprendre l’examen. Ainsi,
Monsieur, il faut espérer que le roi expliquera bientôt
ses intentions, et nous mettra en état de travailler
efficacement à leur exécution sur cet article.
« Mais, en attendant, ce serait un grand bien si nous
pouvions trouver quelque moyen d’apporter remède
aux autres abus, qui sont, en effet, trop étendus ; on
n’y parviendra jamais tant que l’on ne portera que des
plaintes vagues, qui ne nous apprennent que ce que
nous savons, c’est-à-dire que le fond du mal en général
est grand. Il serait bien plus convenable que
les curés s’adressassent directement à vous, en articulant
des faits, qu’ils indiquassent avec la confiance
qu’ils vous doivent et qu’ils indiquassent quelque
parti praticable ; alors, sur la communication que
vous voudriez bien nous en donner, nous pourrions,
de concert avec vous, trouver les moyens, sinon de
faire cesser le désordre, du moins d’empêcher qu’il
ne s’étende.
« De B. de Saint-Maurice. »
Il serait superflu de faire la moindre réflexion sur
ces correspondances diverses ; elles forment le tableau
le plus curieux et le plus exact de l’état des réformés
dans les provinces où ils abondaient, et aussi des
moyens variés qu’ils employaient pour dépister les
persécuteurs. On y voit ce naïf caractère des curés
cévenols, qui voulaient bien que les intendants exécutassent
les édits, mais qui eux-mêmes répugnaient
à se charger d’être les espions permanents de leurs
voisins, souvent de leurs amis, et toujours des habitants
de leurs villes où l’église catholique était l’édifice
le moins fréquenté. On ne peut rien ajouter au tableau piquant de leur séjour au milieu de tous ces
nouveaux convertis qui, au contraire, étaient des
protestants bien endurcis et très-réels. C’est que la
violence de tant d’édits était venue se briser contre
ces cœurs indomptables. Cependant on voit, d’après
la réponse de l’intendant surtout, combien un tel
état de choses prêtait à l’arbitraire et aux vexations
de toute sorte.
Nous venons de voir, dans ces déclarations des
curés, l’état interne des églises ; le témoignage de
l’intendant de la province nous montre un administrateur
vigilant, disposé à punir, et ne s’arrêtant que
devant le nombre des coupables. En effet, les mémoires
du temps nous transmettent la trace d’un assez
grand nombre de condamnations, prononcées de 1730
jusqu’en 1740, jusqu’au moment où la guerre de
la succession de Marie-Thérèse éclata. Les vallées du
pays de Foix et du Roussillon ne purent donner asile
aux réformés. Les assemblées qu’ils formèrent vers1716. 22 janvier.
ce temps furent dispersées par les soins de l’intendant
Bajin ; des escadrons et plusieurs compagnies d’infanterie
furent casernés dans le pays même, aux frais
des protestants de Gabres, en Languedoc, ainsi que
de ceux de Mas-d’Azil et des Bordes.
L’intendant du Languedoc, le chevalier de Bernage,
sévit contre une assemblée que l’on tint au Vivarrais, 1737. 1 mars.
dans la grange d’un protestant nommé Feissier ; plusieurs
hommes furent condamnés aux galères, et
trois femmes à être rasées et enfermées pendant leur
vie dans la tour de Constance, sur le rivage d’Aigues-Mortes.
Vers la même époque, la ville de Montauban
ne fut pas épargnée. Les assemblées furent sévèrement1736. 10 août.
poursuivies. La veuve Aquié de Bergis, fut
condamnée à faire amende honorable et à être enfermée à perpétuité dans l’hôpital général de la ville.
Les ministres Jacques Boyer et Hollard furent condamnés
à mort et exécutés en effigie[61]. Quatre des
assistants furent condamnés aux galères ; mais sans
doute les précautions n’étaient pas très-bien prises
contre de tels captifs ; ils réussirent à s’évader de la
geôle de Toulouse.
Le même intendant confirmait de plus en plus dans
sa pratique administrative les assurances qu’il avait
données aux curés des Cévennes. De 1736 à 1738, les
lieux de Mandajor, près d’Alais, l’arrondissement de
Sauve, le lieu de Freissinet, de Fourgues, furent frappés
d’amendes, en conséquence de la convocation et
de la tenue de réunions religieuses.
La vigilance de l’intendant du Languedoc trouva
encore dans ces années d’autres objets où elle put
s’exercer. Ce n’était pas assez de condamner à mort
les ministres et de frapper de galères et d’amendes
les réunions, il fallait encore extirper du milieu des
fidèles les livres qui auraient pu entretenir leur foi.
La même année où une cour germanique, celle du
prince archevêque de Saltzbourg, tourmentant les
calvinistes de ses États, envoya dans le Brandebourg
une nouvelle et fructueuse émigration de religionnaires,
la cour autrement puissante de Versailles prit
1729. 24 avril.contre les réformés français une mesure de véritable
inquisition, qui troubla une foule de familles. Une
ordonnance du jeune Louis XV déclara « que tous
les nouveaux convertis ne pourraient, sous quelque
prétexte que ce soit, garder dans leurs maisons aucuns
livres à l’usage de ladite religion, Sa Majesté leur
enjoignant de porter, dans quinze jours au plus tard de la publication de la présente ordonnance, tous
les manuscrits, catéchismes, sermons, prières et
autres livres à l’usage de la religion prétendue réformée,
sous quelque dénomination qu’ils pussent
être, pour être, lesdits livres ainsi déposés, brûlés en
la présence des sieurs commandants ou intendants ;
qu’après ledit délai de quinze jours, il sera fait une
recherche exacte desdits livres dans les maisons de
tous les nouveaux convertis, et que tous ceux chez
lesquels, au préjudice de la présente ordonnance,
il en sera trouvé, soient, pour la première fois,
condamnés à une amende qui sera arbitrée par le
commandant, et, en cas de récidive, à trois ans de
bannissement et une amende, qui ne pourra être
moindre que du tiers de leurs biens. »
Tel fut l’ordre qui sortit du sein du Conseil du roi
de France, où brillaient alors les sciences et les lettres,
l’érudition élégante des Rollin, le savoir sérieux des
Freret, et la muse pindarique de Jean-Baptiste Rousseau.
Cet ordre du cabinet de Versailles ressemble à
une mesure du saint-office d’Espagne. Toutefois il ne
resta pas stérile entre les mains des gouverneurs du
Languedoc. Les troupes, après avoir fait la guerre aux
assemblées des protestants, se mirent à la faire contre
leurs livres. Les maréchaussées se répandirent chez
les religionnaires languedociens. On les dépouilla de
tous les livres. Un certain nombre vint livrer les volumes
proscrits, aimant mieux sacrifier leur bibliothèque
que de s’exposer au bannissement et à la
confiscation des biens. Tout ce qu’on trouva fut brûlé
en divers lieux sur les places publiques. À ces absurdes
exécutions, il se mêla une sorte de sacrilège ; un grand
nombre de Bibles et de Nouveaux Testaments périrent
dans les flammes ; il est vrai qu’ils étaient de la traduction approuvée par les pasteurs de Genève.
La plus belle capture de ce genre fut opérée à
Beaucaire. Il paraît qu’un libraire de Lyon, André
Degoïn, avait jugé à propos de profiter de la foire
pour débiter une forte partie de librairie protestante.
Dès que cette marchandise fatale parvint à Beaucaire,
1735. 4 avril.tout fut dénoncé à l’intendant. Alors, par jugement
administratif, il fut dressé un immense bûcher devant
l’hôtel-de-ville de Beaucaire ; les livres hérétiques furent
brûlés en présence de M. de Beaulieu, subdélégué
de l’intendance, des maires et consuls de la
ville. Les Bibles, les Testaments, les psaumes, les livres
de prières, les abrégés des Écritures, formèrent la
base du feu. Ensuite on y jeta une masse considérable
de l’excellent et pieux catéchisme de Charles Drelincourt,
le savant et respectable pasteur de Paris, ainsi
qu’une édition presque entière des sonnets chrétiens,
par l’un de ses fils, le pasteur Laurent Drelincourt.
Les Œuvres morales de Jean de La Placette, justement
surnommé le Nicole réformé, vinrent aussi alimenter
les flammes. Ce bûcher dévora encore les
livres d’Isaac Jaquelot, consacrés aux démonstrations
les plus logiques de l’existence de Dieu et de
l’inspiration des Écritures saintes. Enfin deux cent
vingt-cinq volumes des éloquents sermons de Saurin
furent livrés à cet incendie qu’on eût dit avoir été
allumé par une invasion de barbares. Tel fut le
traitement que les ordres de la cour lettrée de
Louis XV firent éprouver dans la province du Languedoc
aux plus savantes et aux meilleures compositions
des pasteurs protestants de France ; il est probable
que leurs fameux contemporains en érudition
et en génie oratoire, les Massillon, les dom de La Rue et Montfaucon n’auraient guère approuvé ces méthodes
de controverse.
À côté de l’incendie des livres figuraient d’autres
mesures contre la jeunesse des églises du désert, qui
eussent été encore plus efficaces, si l’on eût pu les
appliquer complètement. La trop fameuse déclaration
de 1724 ordonnait (art. 4, 5, 6) que tous les enfants
de nouveaux convertis seraient régulièrement envoyés
aux écoles catholiques jusqu’à l’âge de quatorze ans,
sous peine d’amende contre les parents. Pour l’exécution
de ces dispositions, il intervint diverses ordonnances
en forme d’instructions, par lesquelles il
était enjoint aux maîtres d’école, consuls et curés,
de dresser des états du nombre des enfants protestants,
lesquels états devaient être transmis aux intendants ; surtout il était enjoint, sous peine d’amendes
sévères, de dresser une liste de tous ceux des
enfants qui auraient manqué pendant le cours du
mois d’assister aux écoles, messes, catéchismes et
instructions, et du nombre de fois que chacun d’eux
y aurait manqué ; le tout devait être remis en double
à l’intendant et au juge, à peine de 20 liv. d’amende.
Il était enjoint aux juges de prononcer tous les mois
des condamnations d’amendes contre les pères et
tuteurs de chacun des contrevenants dénommés dans
les états « sur le pied de 10 sols par chaque contravention
mentionnée auxdits états. » (Mém. hist. de 1744. ib.) De plus, ces ordonnances en forme d’instructions
se renouvellent de temps à autre ; de 1727
à 1736, on comptait trois de ces renouvellements
périodiques.
On ne peut que s’arrêter un moment dans l’énumération
de toutes ces mesures, pour admirer leur
incroyable minutie. Toutes ces affaires dépendaient du ministère du comte de Saint-Florentin, qui dirigeait
les intérêts de la religion prétendue réformée,
ou plutôt les intérêts de ses persécuteurs. S’il est vrai
que dans cette famille des La Vrillière le génie administratif
fut héréditaire, nous admirerons un exemple
remarquable de son esprit mesquin et tracassier. L’ordonnance
que nous venons d’analyser faisait jouer le
rôle de maîtres d’école aux hauts intendants des
provinces. Les juges étaient chargés de juger les
absents et de punir d’une amende tout vide dans les
classes ecclésiastiques. La persécution s’élevait jusqu’au
ridicule. On conçoit assez que de pareilles misères
ne purent être mises à exécution. Elles nous expliquent bien
les remontrances des curés à la cour et les
espèces de gronderies administratives qui se passaient
entre eux et les intendants. Chacun se renvoyait une
tâche impossible. D’aucun côté on ne voulait, on ne
pouvait exécuter les ordonnances. En rapprochant
toutes ces dispositions, tous ces conflits, toutes ces
tracasseries impraticables, on voit qu’il y a des positions
où l’administration de mesures tyranniques
donne presque autant de peine que la liberté.
D’autres mesures entraînèrent quelque chose de
plus que des embarras administratifs. Ici le ridicule
finit et d’horribles outrages commencent. Malgré la
douceur apparente des ministères qui succédèrent
au duc de Bourbon, et en dépit des pacifiques intentions
du cardinal de Fleury, la déclaration de 1724
fut exécutée plusieurs fois en ses dispositions les plus
abominables, celles qui entraînaient l’outrage aux
cadavres. Dès l’année de cette loi funeste, la province
du Périgord se distingua en ce genre. En 1724 même,
un habitant réformé, Élie Drapeiron, de Salagnac,
diocèse de Cahors, étant mort, il y eut procès à la mémoire ordonné par le sieur Dubarry, lieutenant-général
au sénéchal de Sarlat, assisté en cet exploit
par le sieur Pignol, procureur du roi au même siège.
Sept années plus tard, un autre protestant, Jean de1731. 5 avril.
Molènes, du Poujol, au diocèse de Cahors, étant
mort dans la religion réformée, on verbalisa contre
le cadavre ; on apposa partout les scellés, et aux yeux
de la veuve et de toute la famille, le corps tomba en
proie à la putréfaction. La sépulture fut refusée obstinément,
jusqu’à ce qu’un gentilhomme catholique de
Sarlat, le sieur de la Roussié, ami du défunt, indigné
d’une pratique barbare, déroba un aussi triste objet
à la vue des parents consternés. Ce fut encore le lieutenant-général
du sénéchal, Dubarry, et le procureur
Pignol qui entamèrent ces procédures iniques[62].
Cependant tous ces actes furent dépassés par une
seule sentence de l’intendant du Languedoc. Par son
jugement la dame de Besuc de Brueix, veuve de Jean
de Bramady de Tremons, et sœur de M. de Besuc,
mort gouverneur de Neufchâtel, fut condamnée à
tenir prison close dans le château de Beauregard, en
Vivarais, pendant trois années, et en six mille livres
d’amende, pour avoir contrevenu à la déclaration de
1724, art. xi, en adressant quelques paroles de consolation
à Joseph Martin, réformé agonisant. La mémoire
du malade, qui succomba, fut éteinte et supprimée,
et condamnée à perpétuité. Cet arrêt, réellement
incroyable, est de l’intendant Bernage de
Saint-Maurice. Des outrages du même genre furent
commis contre les restes mortels de la comtesse de
Monjou, à Bagnol, et du sieur Lardat, d’Uzès. On
voit, d’après tous ces détails de poursuites pour la plupart renfermées dans l’intervalle de 1724 à 1738,
que les exemples que l’intendant du Languedoc s’était
promis de faire n’avaient point manqué à son
zèle. Sa vigilance trouva bientôt une foule d’autres
occasions. Sous un tel régime il suffisait d’un changement
dans la politique extérieure de la cour pour
faire éclater de nouveaux malheurs. Ils se déclarèrent
avec la guerre de la succession de Marie-Thérèse, où
la France fut obligée d’entrer. La défiance de la cour
contre les assemblées provoqua une multitude de
résistances et de condamnations. C’est cette période
très-glorieuse et très-douloureuse de l’histoire des
églises du désert que nous allons maintenant esquisser.
LIVRE DEUXIÈME.
CHAPITRE I.
Esprit parlementaire contre les protestants. — Renaissance du culte dans le haut Languedoc, la Guyenne, le Poitou, la Normandie et le pays de Foix. — Synode national de 1744 ; ses règlements. — Affaire du schisme Boyer. — Édits de 1745. — Mesures de l’intendant de Guyenne, de Tourny, relatives aux églises.
À l’époque où nous arrivons maintenant, la cour
de Versailles, tant pour des causes de politique extérieure,
que par des motifs d’inquiétude sur la situation
intérieure de la France, commença sa marche
dans une carrière d’intolérance qui se prolongea avec
plus ou moins de vivacité pendant vingt années. C’est
une époque assez douloureuse et obscure à traverser ;
douloureuse parce qu’elle renouvelle sans cesse
le tableau des malheurs des églises du désert, obscure
parce qu’il n’est point aisé ni même possible de saisir
les motifs secrets de tant de mesures désastreuses.
Nous venons de raconter avec quelques détails la
position de l’intendant suprême de la province où
il y avait le plus de protestants, vis-à-vis de la Cour,
vis-à-vis des curés catholiques, et vis-à-vis des assemblées
sans cesse renaissantes des huguenots. L’époque
actuelle commence avec la guerre relative à la succession1740-1748. tant contestée de l’empereur Charles VI ; elle
comprend l’influence des dernières années et de la
mort du cardinal premier ministre Fleury ; elle se
prolonge jusqu’à la paix qui couronna l’héroïsme de
Marie-Thérèse et de ses fidèles Hongrois. Cette paix ne fut qu’une trêve : la guerre se ralluma jusqu’au
traité de Paris, par suite duquel deux grands événements
qui intéressaient la puissance des États protestants
de l’Europe et du Nouveau-Monde furent définitivement
consommés : la consolidation de la Prusse
hérétique comme puissance de premier rang, et la
prépondérance coloniale de l’Angleterre, dont la marine
s’étendit dès-lors dans le monde entier. Tels
furent les grands traits de la politique extérieure.
Quant à l’administration intérieure de la France,
dans ses contacts avec les droits des sujets, et par
conséquent avec les intérêts des églises, nous y distinguons
ce caractère dominant ; la prédominance du
pouvoir parlementaire sur la fonction et sur la juridiction
des intendants. Ce point est digne d’être considéré
de plus près. Dans la période où nous allons
entrer, nous verrons plus particulièrement les parlements
se mêler des affaires des protestants et opposer
aux églises l’autorité et la rigueur de leurs nombreux
arrêts. Jamais les parlements de France n’avaient
vu sans ombrage le pouvoir monstrueux des intendants,
qui, émanant directement de la cour, accaparaient
la haute justice au détriment de la magistrature.
Leur pouvoir, expression perpétuelle de l’unité
politique et de l’action du gouvernement central, avait
été porté au-delà de toutes bornes par Louis XIV.
L’administration de l’intendant Lamoignon de Baville
en Languedoc en fut la plus terrible application. Nous
avons vu quels furent plus tard les attributions et
le zèle de l’intendant Bernage de Saint-Maurice. Nous
avons remarqué surtout, que, dans sa correspondance
officielle, il insiste sur la nécessité de faire des exemples,
émanés de la sévérité de sa justice administrative,
mais qu’il passe à peu près sous silence l’autorité des parlements. Il y avait en effet un conflit sourd
et réel entre les attributions de ces proconsuls et celles
des corps de la magistrature antique. En ce qui concerne
plus particulièrement les affaires des églises,
nous allons voir maintenant l’autorité parlementaire
prendre de l’extension. Les églises vont se trouver en
contact avec les procédures de l’ancienne robe. Malheureusement
elles gagnèrent peu à ce changement ;
au lieu de l’arbitraire administratif et expéditif des
intendants excités par la cour, ils furent frappés de
verges plus systématiques sous les arrêts de ces corps
judiciaires, qui mettaient au nombre de leurs traditions
la conservation des maximes catholiques et la
nécessité d’abattre les sectes ennemies de l’unité de la
foi. À partir de la guerre de 1740, c’est principalement
en face des parlements que les églises du désert
vont être appelées à répondre de leurs assemblées et
de leur foi.
Ce changement grave dans leur position remonte
à des causes plus lointaines. À la place administrative
du chancelier Pontchartrain, inspiré par les
habitudes politiques de Louis XIV, avait succédé,
sous la régence, Daniel Voysin, chancelier pour un1717.
moment, qui avait négocié du vivant du vieux roi
les derniers secrets de son maître. Il ne put avoir
aucune influence sur la restauration de l’esprit parlementaire.
Il en fut tout autrement de l’illustre chancelier
d’Aguesseau ; sauf quelques disgrâces passagères,1718.
tantôt basées sur son opposition aux rêveries
financières de Law, tantôt sur le zèle qu’il mit à concilier
les droits royaux et l’influence parlementaire,1722.
il dirigea le département de la justice pendant trente-quatre
ans. Ce magistrat intègre, qui manquait toutefois
de fermeté et d’esprit de suite, conserva le ministère de la justice jusqu’au milieu du xviiie siècle.
Les gardes des sceaux Voyer-d’Argenson et Fleuriau
d’Armenonville n’avaient fait que d’assez courtes apparitions
à ce département, si grave pour l’administration
des églises. Le garde des sceaux Chauvelin
exerça ces fonctions de 1727 à 1737, jusqu’après la
conclusion du traité de Vienne, pour les conditions
duquel on l’accusa de s’être laissé séduire par les
faveurs impériales. La véritable cause de la disgrâce
de ce magistrat fut ses alliances menaçantes avec le
parti des Condé. Aussi le garde des sceaux Chauvelin
fut exilé sans retour. L’esprit parlementaire reçut
une grave atteinte par sa retraite, et le cardinal de
Fleury, privé du secours d’un homme actif et aussi
rompu aux affaires, d’une part prit chaque jour plus
d’ascendant sur le jeune roi, et d’autre part, favorisa
tous ses goûts dévots. On vit Louis XV, qui déjà était
tombé sous le joug voluptueux de la comtesse de
Mailly, venir assister cependant au service solennel
1738.de Louis XIV à Saint-Denis, et célébrer la fête séculaire
du vœu de Louis XIII avec plus de pompe que jamais.
Toutefois le premier ministre se rapprochait du parti
1739. des jésuites ; par le mariage de la fille aînée de son
maître avec l’infant don Philippe d’Espagne, il renoua
l’alliance de la France avec cette couronne catholique.
L’influence de d’Aguesseau, qui succéda au garde des
sceaux Chauvelin, ne put neutraliser tout à fait la
décadence de l’esprit parlementaire que le régent
avait flatté un moment, ni le progrès nouveau que
faisait la cour vers une dévotion mêlée de licence.
Toutefois, on s’aperçoit que d’Aguesseau tenait la
balance de la justice ; on admire ses belles ordonnances
sur le droit civil ; cependant c’est à la couleur
des instructions qu’il donnait au parquet des parlements, qu’il faut attribuer la part beaucoup plus décisive
que la magistrature s’attribua dans la répression
des délits des réformés. Seulement, par un contrecoup
déplorable, nous verrons les parlements du
royaume condamner en masse les religionnaires, sans
mettre dans leurs arrêts cette espèce de discrétion et
cette appréciation des positions administratives que
bien souvent les intendants déployèrent. On serait
assez embarrassé pour décider si les églises, pressées
entre la justice sommaire des proconsuls et entre les
formes plus méthodiques des parlements, eurent
moins à souffrir en comparaissant devant les uns ou
devant les autres. Si les magistrats leur donnaient
quelque garanties de jurisprudence, au lieu de la justice
rapide autant que violente des intendants, dans
un autre sens, les parlements étaient plus fortement
liés par la lettre des édits. La justice est aveugle ou
doit l’être ; mais il est quelquefois plus loisible à une
administration, qui gouverne les hommes et qui les
voit de près, de laisser dormir les lois.
Au reste, en étudiant le système de l’ancien régime
dans ses rapports avec les protestants, il est difficile
d’y reconnaître une tendance arrêtée. Les grandes et
profondes dissertations du procureur général Joly de
Fleury, que nous aurons l’occasion d’analyser, n’ont
fait que rendre plus sensible l’embarras des esprits et
la confusion des plans. On voit tour à tour les églises
en butte, soit aux conséquences de la guerre ou de
la paix, soit aux exigences de l’esprit parlementaire,
soit aux empiétements de la justice des intendants sur
celle des cours souveraines. On les voit encore subir,
en quelque sorte, le ricochet des disputes janséniennes.
On remarque que les mêmes parlements qui condamnaient
sans difficulté les pasteurs à la peine capitale, suivie d’une prompte exécution, avouaient aussi sans
difficulté les mariages des réformés contractés en présence
de ces mêmes ministres qu’ils faisaient monter
au gibet. On ne peut méconnaître ici la trace bien
évidente de l’esprit janséniste, qui mettait le fait des
sacrements au-dessus des chicanes du droit abstrait.
Nier que la volonté intérieure et la foi jurée constituassent
le mariage, c’était mettre la volonté extérieure
du prêtre à la place du for intérieur de celui
qui demandait les sacrements. Il n’est pas douteux
que ce genre d’esprit de résistance aux ordres du pape,
ne fût devenu, par un circuit bizarre, une espèce de
garantie pour les mariages des protestants, aux yeux
des magistrats des parlements du royaume.
1740.Afin d’apprécier la position des églises par rapport
à leur gouvernement, il est d’abord nécessaire d’indiquer en quelques mots les événements de cette
seconde grande guerre du règne de Louis XV. Cette
lutte, née des débats pour la succession de l’empereur
Charles VI, fut longue et meurtrière. Toutes les
puissances convoitaient ses dépouilles, que Marie-Thérèse,
sa fille aînée, défendit avec tant de gloire.
Toute l’Europe fut en feu pendant près de dix ans.
La France vit sa médiation armée se changer en une
guerre violente ; elle eut à lutter contre l’Angleterre,
la Hollande et le Piémont. Le prince Louis François
1744.de Bourbon Conti occupa le Piémont ; mais sur le
Mein la journée de Dettingen contre les Anglais fut
funeste à l’armée française. Louis XV parut à la tête
des troupes ; la guerre fut portée à la fois en Flandre
et en Italie. 1745.La victoire de Fontenoi fit oublier le
désastre de Dettingen, mais les Français furent totalement chassés par l’armée de 1746.Marie-Thérèse. Le maréchal de Maillebois se tenait sur la défensive sur le Var ; il fut obligé de se retirer devant quarante mille
Autrichiens et Piémontais, qui couvrirent la Provence.
Une guerre entreprise pour des motifs politiques si
lointains avait été ramenée en France même. Les Autrichiens
désolaient la Provence et le Dauphiné, ils
s’emparaient de Grasse et de Vence ; les Anglais faisaient
des descentes en Bretagne, et leurs flottes bloquaient
Marseille et Toulon. La révolte de Gènes, sur
les derrières de l’armée autrichienne, empêcha le
midi du royaume d’être envahi. Sur le Rhin, les
armes du roi de France étaient heureuses ; mais sur
les côtes du Finistère sa flotte fut détruite par les Anglais.
Après toutes ces vicissitudes de défaites et de1747.
triomphes, l’Europe fatiguée dut songer à la paix ;
d’un côté, la marine française était ruinée ; de l’autre,
la Hollande allait être envahie ; des pays entiers
avaient été ravagés, des flots de sang avaient été répandus.
L’impératrice reine de Hongrie fut reconnue,
sauf la Silésie, acquise au grand Frédéric, et quelques
cessions italiennes. L’Angleterre gagna l’avantage
d’avoir, en grande partie, détruit le commerce
français et ravagé ses colonies. La France fut la seule
qui ne retira aucun avantage de la paix d’Aix-la-Chapelle1748. 18 octobre. ; aussi, dit Voltaire avec justesse, « elle se rétablit
faiblement » des suites d’une guerre dont le cardinal
de Fleury avait prévu les suites désastreuses.
De tous ces événements, le seul qui eût un intérêt
direct pour l’équilibre protestant de l’Europe fut la
défaite du prince Édouard à Culloden, en Écosse ; 1746. 27 avril.
cette cause catholique déclina toujours, et la grandeur
de la Prusse protestante ne cessa d’augmenter.
Telle est l’esquisse très-rapide des grands événements
politiques. Si on en rapproche les travaux des
églises et les mesures que prenaient les pasteurs et les fidèles, on ne voit point que la marche des affaires
religieuses en eût été beaucoup influencée. Sauf le
fait général que les réformés étaient moins tourmentés
pendant les guerres, parce qu’on redoutait chez
eux un esprit de révolte qui ne se déclara jamais, on
les voit dans l’une comme dans l’autre fortune, conserver
la même attitude, braver les édits pour obéir
à leur conscience et pour suivre leur zèle héréditaire.
Le tableau que le comte de Saint-Maurice donna des
églises, dans la lettre que nous avons rapportée, fut
tracé pendant les années qui précédèrent les guerres
1740. 9 juin.de Marie-Thérèse. Plus tard, un synode arrêta que le
livre des prières de l’église de Genève, accommodées
à un temps de persécution serait adopté par les églises
de France ; ce fut dans le cours de cette même année
que le ministre Paul Rabaut, élève et ami du pasteur
Court, qui occupe avec lui une place si notable dans
l’histoire des églises pour tout le reste de ce siècle,
alla étudier au séminaire de Lausanne. (Syn. prov. du bas Lang. Mss. P. R.) La même permission fut accordée
deux ans après à un autre ministre qui se signala
par autant de constance que de courage dans ces
temps malheureux, Étienne Deffère, pasteur du
Béarn, dont nous aurons souvent occasion d’apprécier
les services. Il n’était d’abord que prédicateur, et
il lui fut accordé « congé d’une année pour aller à
l’académie réformée qu’il jugera à propos, afin de
perfectionner ses connaissances, et se rendre mieux
capable de prêcher l’Évangile aux églises sous la
croix. » (Syn. prov. Mss. P. R. 15 mai 1742.)
Pendant que les églises du bas Languedoc et des
Cévennes luttaient contre tant d’obstacles, contre les
1733-1737.restes toujours menaçants d’un tumultueux fanatisme,
contre les divisions intestines, et surtout contre l’action des persécutions constantes, qui dissipaient
violemment les assemblées et troublaient le culte
domestique par des recherches inquisitoriales ; leurs
conducteurs et leurs fidèles essayaient de ranimer
ailleurs la flamme du zèle qu’ils avaient si précieusement
conservé. Sous ce rapport, la partie de la province
dite du haut Languedoc fut l’objet des tentatives1733.
les plus heureuses. Le bas Languedoc députa aux
églises de la haute province Michel Viala, du lieu de
Pont-de-Montvert, en qualité de prédicateur seulement ;
il parcourut toute la contrée, et réorganisa les
églises partout où la population et la ferveur le permettait.
Sa tournée courageuse eut tant d’effet que,
deux ans plus tard, les anciens des églises du haut
Languedoc et haute Guyenne, où il n’y avait encore1733. 18 mai.
aucun pasteur à résidence fixe, écrivirent une lettre
pressante à leurs frères de la basse province, pour
leur demander le secours d’un ministre. « Vous n’ignorez
pas, Messieurs, disaient-ils, qu’il y a un très-grand
nombre de réformés dans cette contrée ; vous
n’ignorez pas non plus la nécessité pressante du saint
ministère au milieu de nous. Les corruptions générales,
les tentatives continuelles de l’ennemi, le désir
véhément des fidèles, l’efficacité des armes spirituelles
dont vous vous servez pour renverser l’empire du
démon, les progrès que l’Évangile a déjà faits dans
ces pays infortunés, par le ministère de M. Viala,
notre bien-aimé frère, sont autant de preuves de cette
nécessité… Nous souhaitons que vous nous fassiez
la grâce de nous pourvoir d’un prédicateur actuel,
prédicateur que nous entretiendrons, sans le secours
de vos églises. » Ils demandaient aussi la visite d’un
pasteur toutes les années pour l’administration des
sacrements. Le synode de la basse province répondit en leur accordant pour prédicateur résident Michel
1736.Viala, qui, l’année suivante, fit un voyage à Zurich,
où il reçut l’ordination pastorale, après examen, des
mains de Jean-Baptiste Ott, archidiacre au grand
munster de la ville. Déjà les églises du Montalbanais,
des montagnes du haut Languedoc et de Bédarieux,
se groupaient autour du synode de la haute
province, qui bientôt s’organisa plus fortement par
les délibérations d’un colloque ; il fut résolu, entre
1737. 17 avril.autres articles, que de fortes censures seraient encourues par tous ceux qui participeraient, en quoi que
ce soit, « à favoriser l’idolâtrie des fidèles ; » il y fut
pris diverses mesures tendant à la régularité de l’administration
du culte et des aumônes. Les églises,
attendu le danger des assemblées trop nombreuses,
dans des temps aussi critiques, furent fractionnées
en trois arrondissements ; celui de Viane fut taxé à
soixante livres, celui d’Esperausses à quarante, et
celui de Vabre à cinquante, pour les honoraires des
pasteurs ; tels furent les faibles commencements de
ces communautés aujourd’hui si florissantes, et dont
les actes, au temps de leur renaissance, portent seulement
la signature de Viala, pasteur, et de Marc,
ancien et secrétaire. Leurs premières mesures furent
conçues de manière à rétablir fortement le culte si
longtemps troublé ou interrompu : c’est ce qu’on voit
clairement par l’article 6 du colloque précédent, ainsi
conçu : « Les anciens de chaque église s’assembleront
une fois tous les mois, tant pour délibérer sur les
moyens à prendre pour avancer le règne de Dieu, que
pour se censurer et s’entre-exhorter à remplir les
fonctions de leur charge. » (Mss. Cast., p. 7.) Toutes
ces sages mesures furent prises sous la direction du
pasteur Michel Viala, que l’on doit considérer comme le restaurateur principal du culte réformé, dans les
églises du haut Languedoc.
Ces protestants du haut Languedoc, suivant l’exemple
de leurs frères de la basse province et des Cévennes,
ne négligeaient aucune mesure propre à
rendre l’organisation de leur culte plus stable et plus
florissant. Leurs pasteurs et anciens, réunis en synode1740. 26 octobre.
provincial, commencèrent à établir des rapports, sans
cesse soutenus depuis ce temps, avec les églises du
Poitou et de la Normandie. Leur assemblée admit à
la charge de proposant ou de prédicateur, Jean-Baptiste
Loire, de Saint-Omer, en Artois, et André Migault,
dit Preneux, de Baussaix, en Poitou ; tous deux
devinrent de courageux et utiles pasteurs, au milieu
de ce troupeau affligé. Avant cette époque, André
Migault avait déjà affronté le péril de la prédication
en Normandie, ainsi que le proposant Loire. Le même
synode ordonna un jour de jeûne spécialement affecté
à la délivrance de l’église, ainsi qu’un jour d’humiliation
extraordinaire, affecté à la commémoration douloureuse
du 11 octobre 1686, jour de la révocation
de l’édit de Nantes, suivant l’usage des réfugiés de
Hollande et d’Angleterre ; mais cette disposition synodale
ne fut pas généralement observée en France.
Bientôt le ministre Jean Loire reçut l’imposition des
mains à Lausanne, après en avoir été reconnu digne1742. 21 octobre.
par MM. Polier, professeur et recteur, et Ruchat, professeur
en théologie.
Bientôt les églises prirent une mesure plus générale.
Les premiers synodes n’avaient été composés
que d’un petit nombre de pasteurs et de députés du
Dauphiné et du Languedoc ; plus tard, celles du Vivarais1744.
et des Cévennes vinrent s’y joindre ; enfin, à cette
époque, on tint une nouvelle assemblée qui prit le nom de Synode national. C’est le premier de notre
collection de pièces qui présente ce titre. (Syn. nat.
1744. Cop. cert. Mss. P. R.) Cette fois, voici les provinces
qui furent représentées par des pasteurs et
par des anciens ; le haut et bas Poitou, pays d’Aunis,
Angoumois, Saintonge, Périgord, haut et bas Languedoc,
basse Guyenne, Cévennes, Vivarais, Velay, Dauphiné ;
nous y voyons figurer, pour la première fois,
la province de Normandie, par le pasteur André Migault,
qui ne craignit pas de braver les périls d’un
long trajet pour partager les travaux de ses collègues.
Les autres pasteurs présents à cette assemblée furent
Jean Loire, pour le Poitou, avec deux anciens ;
Michel Viala pour le haut Languedoc, avec sept
députés ; Paul Rabaut, Simon Gibert, et quatre anciens,
pour le bas Languedoc ; Jean Roux, Jean-Pierre
Gabriac, avec trois anciens, pour les Cévennes ; Pierre
Peirot et Mathieu Majal, avec deux anciens pour le
Vivarais ; Jacques Roger, avec deux anciens, pour le
Dauphiné. Nous verrons que de cette liste de pasteurs,
deux ne tardèrent pas à payer de leur vie leur zèle
évangélique ; dans les années suivantes, deux de
ces hommes courageux, les pasteurs Majal et Roger,
furent exécutés et moururent en héros. L’assemblée
se réunit au désert dans le bas Languedoc, le 18 août
1744. C’était au plus fort de la guerre. Louis XV venait
d’entrer en campagne à la tête de l’armée française.
L’escadre anglaise menaçait les côtes de Provence.
On se battait à la fois en Alsace, en Flandre, et
sur les Alpes. Il était donc bien nécessaire, au milieu
de cette conflagration générale, de renouveler les
déclarations de fidélité absolue à la France et au roi.
Voici, en conséquence, la première délibération qui
fut prise ; « Après avoir lu la parole de Dieu et imploré le secours du Saint-Esprit, tous les membres
du synode ont fait les protestations les plus sincères
et les plus soumises de leur inviolable fidélité envers
Sa Majesté ; et ils ont déclaré qu’ils ne s’assemblent
que dans le dessein de s’affermir de plus en plus dans
cette fidélité, d’éloigner entre eux toute désunion qui
pourrait tendre à troubler la tranquillité publique
et leurs églises, comme aussi d’y faire des règlements. » Cette résolution fut encore développée dans
les premiers articles de cette assemblée, lesquels méritent
une attention particulière. Il fut résolu que
l’on célébrerait à la fin de l’année un jeûne solennel
dans toutes les églises réformées du royaume « pour
la conservation de la personne sacrée de Sa Majesté
pour le succès de ses armes, pour la cessation de la
guerre, et pour la délivrance de l’église. » Il fut prescrit
que tous les pasteurs feraient au moins tous les
ans un sermon sur la nécessité de la soumission envers
les puissances légitimes. Il fut adopté que l’on
présenterait au roi une requête au nom de tous les
protestants du royaume, et qu’il serait dressé une
apologie pour justifier « nos assemblées ecclésiastiques
et religieuses, nos mariages et nos baptêmes »
L’article 6, par la sagesse de son esprit et de sa teneur,
mérite d’être rapporté : « Les pasteurs et prédicateurs
s’abstiendront de traiter expressément dans
leurs sermons aucun point de controverse, et ne parleront
qu’avec beaucoup de circonspection de ce que
nos églises ont eu à souffrir. » De plus, aucun pasteur
ne devait répondre à aucune lettre de controverse,
sans l’approbation de deux pasteurs ses voisins,
et du consistoire de la principale église de son département.
Une foule d’autres articles portent l’empreinte bien manifeste de l’agitation et des troubles des temps.
Les fidèles étaient exhortés à souffrir patiemment les
mauvais traitements auxquels ils pourraient être
exposés pour la religion, et à n’entrer dans aucune
conversation où l’on traite des sujets de controverse,
qui ne font qu’agiter les esprits. Les fidèles devaient
éviter d’apporter aucun scandale en travaillant les
jours de fête[63]. L’article 10 est remarquable ; il montre
que l’on commençait à moins redouter la publicité
des assemblées religieuses ; aussi il fit une grande
sensation, et fut souvent rappelé dans les Mémoires
historiques, favorables ou défavorables aux protestants :
« Comme il y a plusieurs provinces où l’on
fait encore les exercices de religion pendant la nuit,
le synode, tant pour manifester de plus en plus la
pureté de nos intentions que pour garder l’uniformité,
a chargé les pasteurs et les anciens des diverses provinces,
de se conformer autant que la prudence le
permettra aux églises qui font leurs exercices en plein
jour. »
Cette assemblée rendit un jugement disciplinaire
fort important, qui servit beaucoup à ramener la
paix dans les églises. Même en présence des persécutions,
des dissensions graves s’étaient élevées dans
leur sein. Vers l’an 1733 surtout, il était éclaté une
scission qui aurait pu avoir les suites les plus graves.
Un pasteur du bas Languedoc, Jacques Boyer, avait
été destitué du saint ministère par son consistoire, sur l’accusation intentée contre lui d’avoir séduit une
jeune catéchumène. Il ne pouvait y avoir qu’une voix
sur la gravité d’un tel crime ; mais, parmi les églises
de son arrondissement, les unes le proclamaient
comme innocent et les autres le signalèrent comme
coupable. On se divisa profondément selon les avis
opposés sur la conduite de ce pasteur. Les choses vinrent
au point qu’un synode provincial du bas Languedoc
délibéra qu’on s’adresserait à la vénérable1733. 29 octobre.
classe de Zurich, « pour supplier messieurs les pasteurs
et professeurs qui la composent de nous donner
tous les secours qu’il dépendra d’eux dans la malheureuse
affaire du sieur Jacques Boyer, ci-devant
pasteur, tant par leurs bons avis que par des lettres
pastorales adressées à toutes les églises. » (Mss. P. R.)
Tel était l’avis des pasteurs Claris, Bétrine, Rivière,
Viala et une foule d’autres des plus notables de la
province. Il paraît que cette déplorable division dura
très-longtemps. Elle menaçait même de produire un
schisme définitif et funeste dans le midi du royaume.
Nos pièces prouvent en effet que, commencée avant
1733, il fallut attendre jusqu’au synode national de
1744 pour la voir se terminer. En ces dernières années
le pasteur Antoine Court vivait à Lausanne, où il
s’était retiré. On savait tous les dangers qu’il avait
courus en France. Son courage, ses services, ses lumières
lui assuraient un grand crédit sur ses frères
et sur les protestants de l’Europe. Voyant que tous
les efforts des consistoires étrangers, réunis à ceux
des hommes pacifiques de l’intérieur, ne pouvaient
ramener la paix dans ses chères églises de France,
Antoine Court prend le parti d’y retourner. Sans communiquer
son dessein à ses amis les plus intimes,
sans prendre congé de personne, il part de Lausanne, en s’entourant de toutes sortes de précautions pour
sa sûreté individuelle. Il arrive inopinément au sein
des églises divisées du Languedoc pour leur apporter
la paix. Son premier soin est de s’assurer et de prouver
que l’accusation portée contre le pasteur Boyer est
calomnieuse. Il négocie, il sollicite, il entraîne. Enfin
il obtient un compromis, qui calme toutes les colères
et par lequel les partis extrêmes se faisaient des concessions
réciproques. Il obtient que le pasteur Boyer
et ses adhérents reconnaîtront que la destitution du
pasteur inculpé était valide et légitime ; mais il fut
convenu aussi que, moyennant cette soumission, sa
destitution serait déclarée nulle et que le pasteur
serait réintégré dans ses fonctions.
Nous voyons le synode national de 1744 mettre à
exécution ces résolutions pacifiques. Le modérateur,
Michel Viala, annonça que sur les différends qui affligeaient
depuis si longtemps les églises du bas Languedoc
et des Cévennes, il avait été convenu de
nommer sept arbitres, c’est-à-dire trois pasteurs et
quatre laïcs ; que l’assemblée ratifiait la sentence arbitrale ;
que le pasteur Boyer, étant entré dans l’assemblée,
avait déclaré qu’il se soumettait à la sentence
arbitrale ; que les pasteurs Pradel, Deffère, Redonnel
et Molines s’en portaient garants. Ces réconciliations
furent suivies d’une prière prononcée par Paul Rabaut,
et du chant du psaume cxxxiii. Enfin on arrêta
que M. Blachon, ministre du saint Évangile, irait
prêcher incessamment dans les principaux endroits
où régnait la division, afin de réunir les esprits et les
cœurs dans une harmonie si désirable.
Ces sages mesures calmèrent une querelle si ancienne
et si invétérée. Au surplus, la même ferveur
régnait également parmi tous ces dissidents, en face de l’ennemi commun et des édits. Nos pièces font
voir que le pasteur Jacques Boyer, quoique légalement
déposé par un synode provincial, mais toujours
souhaité par une forte partie des églises du Rouergue
surtout, ne cessa d’y porter la parole pendant toute
la durée du schisme disciplinaire, au péril de sa vie.
Ce fut encore Antoine Court qui dissipa ce fâcheux
orage. Aussi sa présence dans cette assemblée, convoquée
dans une plaine du Vivarais, avait attiré un
concours extraordinaire. Elle prit même un aspect
formidable. Le pasteur Antoine Court prononça un
discours de circonstance et de pacification devant
une réunion que les documents, sans doute non sans
exagération, portent à dix mille personnes[64]. Le pasteur
officiant déclara Jacques Boyer réinstallé dans ses
fonctions ; ce dernier parut revêtu de ses insignes
ecclésiastiques. Antoine Court lui tendit la main de
fraternité. Il repartit aussitôt pour porter cette bonne
nouvelle à Lausanne, après avoir béni, une dernière
fois encore, tous ses frères rassemblés, qu’il avait si
souvent édifiés et conduits au milieu de périls communs
pour le pasteur et pour le troupeau. Ce fut
encore un service signalé que le digne pasteur Antoine
Court rendit à ses anciennes communautés et à toute
l’église de France.
Un assez grand nombre d’articles disciplinaires
furent adoptés par cette assemblée ; ils attestent de plus en plus l’extension toujours croissante du culte
et des besoins des fidèles. Il fut ordonné qu’aucune
province n’écrirait au roi ni aux personnes revêtues
de son autorité pour des affaires qui intéressent le
corps de l’église, sans au préalable avoir consulté les
pasteurs des autres provinces, sauf le cas d’affaires
très-pressantes (art. 5). On devait avoir soin surtout
« de ne laisser prêcher aucun pasteur ni proposant
qu’ils ne soient connus de quelques membres du
consistoire » (art. 8). Aucun pasteur ne devait sortir
de sa province pour aller exercer son ministère dans
une autre, sans être muni de lettres de ses confrères
(art. 16). D’ailleurs, c’étaient toujours les provinces
de Guyenne et de Poitou qui manquaient le plus de
prédicateurs. Nous voyons ici, pour la première fois,
mention de l’église d’Orange, dans le comtat d’Avignon,
et une résolution portant que l’église de Nîmes
aurait, selon sa demande, un pasteur qui ne desservirait
aucune autre église et qui serait affecté uniquement
à celle-là. Ce fut en vertu de cette disposition
que bientôt après Paul Rabaut fut nommé pasteur de
cette grande communauté. Les églises devaient faire
leur possible pour avoir chacune des diacres. Cette
dernière organisation donna lieu à cette disposition
de comptabilité régulière, la première de ce genre
dont nos pièces fassent mention : « Pour éviter les
jugements téméraires que l’on pourrait porter contre
les anciens ou diacres, ou pour introduire le bon
ordre, il sera nommé dans chaque consistoire un
trésorier et un secrétaire, et le trésorier ne délivrera
aucun argent sans que le secrétaire en ait connaissance,
de quoi il sera tenu un compte exact » (article
23).
Ce même synode adopta quelques mesures qui avaient trait à la répression des mauvaises mœurs au
sein des églises. Nous citerons cet article où l’assemblée
jugea à propos de limiter, par la charité et la
prudence, les pouvoirs discrétionnaires des consistoires,
qui leur permettaient d’exercer une censure
préalable sur les pécheurs prêts à s’approcher de la
sainte table de la communion. « Sur la proposition
qui a été faite s’il était à propos d’arrêter les pécheurs
scandaleux qui s’approchent de la table sacrée, l’assemblée
a été d’avis de remettre la chose à la prudence
des pasteurs et des consistoires, qu’elle exhorte de
faire, autant qu’il se pourra, les censures dans les
consistoires ou dans les lieux autres que dans les
assemblées, selon que les circonstances le permettent »
(art. 24). C’est une disposition qui mérite bien
d’être pesée, comme émanant de la charité profonde
de ces pasteurs, qui étaient d’autant plus animés
de l’esprit de support qu’ils vivaient plus près du
martyre.
Ils firent toutefois une espèce d’exemple, quant à
l’examen qu’ils exigèrent de Pierre Bornac, dit Laprat
ou Latour, qui avait fait pendant quelque temps
les fonctions de proposant dans le Poitou : « L’assemblée,
après l’examen fait en deux différentes reprises
sur divers points de théologie et de morale, a
trouvé que ses lumières n’étaient pas suffisantes pour
lui permettre d’exercer le saint emploi de ministre.
C’est pourquoi elle l’a remercié de ses bonnes intentions,
et l’a prié de se retirer où la divine Providence
voudrait le conduire ; et a chargé messieurs les pasteurs
de la province du Poitou de lui accorder les
témoignages qui sont dus à sa conduite, avec défense
cependant audit Bornac de s’immiscer dans
aucune des fonctions du ministère, à peine, en cas de désobéissance, d’être déclaré coureur par les pasteurs
des provinces où il sera ou par ceux des provinces
voisines » (art. 25).
Le synode de 1744 s’occupa aussi des livres de
piété dont les églises du désert devaient se servir de
préférence. Il fut arrêté qu’on se servirait dans toutes
les provinces de l’abrégé du catéchisme du savant et
pieux théologien de Neufchâtel, le pasteur Jean-Frédéric
Ostervald. Il fut aussi décidé qu’on se servirait,
après la lecture de la Bible, des arguments et réflexions
du même ministre (art. 11 et 12). Les églises
du désert firent preuve de sagesse en adoptant ces
compositions à la fois graves et familières, qui ont
rendu des services réels au culte domestique, et qui
encore aujourd’hui ne sauraient être remplacées. Le
vieux Ostervald, qui avant la révocation avait recueilli
les leçons de l’illustre Jean Claude, encore à
Paris, put ainsi renouer la chaîne des temps et continuer
dans les églises du désert la tradition des idées
de ce sage pasteur et de l’ancienne académie de
Saumur[65]. Ce fut peu d’années avant la fin de sa
longue carrière (1747) que le pasteur Ostervald put voir les églises persécutées de France adopter les ouvrages
de sa piété et de sa longue expérience. Jean-Frédéric
Ostervald doit donc être cité parmi les protecteurs
des églises du désert. Seulement cet article
du synode national de 1744 en indiquant aux fidèles
les ouvrages d’Ostervald comme les plus propres à
nourrir la ferveur de leurs lectures privées, excita les
recherches des intendants et des parlements ; nous
verrons plus tard que ces livres, d’une piété si douce
et si éclairée, furent maintes fois livrés aux flammes
et qu’ils appelèrent même sur leurs détenteurs les
arrêts les plus rigoureux. Tels furent les travaux
principaux de cette grande réunion de 1744, la plus
solennelle que les églises eussent tenue depuis la révocation,
et qui jeta peut-être trop d’éclat. L’original
est signé des pasteurs Viala, Paul Rabant, Peirot et
Roger ; ce dernier, secrétaire, neuf mois plus tard,
avait péri sur un gibet, à Grenoble. La convocation
de ce synode, si sage dans ses mesures, devint le signal
de vives persécutions. Nous aurons à revenir sur les
mémorables circonstances politiques au milieu desquelles
les églises du désert avaient fait cette manifestation
si sainte et en même temps si dangereuse.
Soit que la nouvelle du synode national de l’année
précédente eût effrayé la cour, soit que le clergé eût
sollicité plus fortement que d’ordinaire des mesures
prohibitives, soit que la réorganisation des églises
eût fait appréhender quelques mouvements pendant
la guerre, qui régnait avec fureur, l’année de la bataille
de Fontenoi vit paraître deux ordonnances qui
surpassaient peut-être en sévérité tout ce qu’on avait
vu jusque-là. « Sa Majesté étant informée que, nonobstant
que tout exercice de la religion réformée soit
interdit dans le royaume, cependant il s’est tenu depuis quelque temps plusieurs assemblées dans la généralité
de Montauban, a ordonné que, conformément
à ses édits, le procès sera fait et parfait à tous
prédicants qui, dans ladite généralité, auront convoqué
ou convoqueront des assemblées, et qui y auront
prêché ou y prêcheront, et y auront fait ou feront
aucunes fonctions, ensemble à tous et un chacun des
sujets de Sa Majesté, de quelque état où condition
qu’ils soient, lesquels se sont trouvés ou se trouveront
dans lesdites assemblées et qui y seront pris en
flagrant délit ; — et cependant à l’égard de ceux que l’on saura avoir assisté auxdites assemblées, mais qui n’auront pas été arrêtés sur-le-champ, veut et entend
Sa Majesté que, par les ordres du sieur intendant et
commissaire départi en ladite généralité, les hommes soient envoyés incontinent, et sans forme ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes et filles récluses à perpétuité dans les lieux qui seront ordonnés. » Fait à Versailles, Louis Phélypeaux. (Ordonnance du roi concernant les gens de la rel. prét. réf., du 1er février 1745.
Si de telles pièces n’étaient de la plus irrécusable
authenticité, on aurait de la peine à se persuader que
des lois de ce genre furent rendues en France environ
au milieu du xviiie siècle. Ajoutons comme rapprochement
singulier, qui peint d’une manière frappante
le contraste qui régnait alors entre la législation qui
proscrivait les protestants et entre leurs coutumes,
que deux jours après que cette ordonnance fut expédiée
de Versailles, il partait du bas Languedoc une
délibération d’un genre bien opposé. « La vénérable
assemblée a convenu, d’un sentiment unanime, que
tous ceux qui feront baptiser leurs enfants, ou qui se marieront dans l’église romaine, seront vivement censurés,
suspendus de la sainte Cène, et proclamés à la
tête d’une assemblée religieuse. » art. 9, (Syn. prov. du 3 fév. 1745, Rivière, prédicateur et secrétaire, Mss. P. R.) Mais ce n’était pas tout encore. L’ordonnance
précédente frappait des peines les plus rigoureuses
tous ceux, ministres, hommes, femmes et filles,
qui avaient assisté aux assemblées ; il ne restait plus
qu’à étendre la pénalité aux absents comme aux présents ;
c’est ce qui fut fait par la cour quinze jours
plus tard. Cette mesure est des plus extraordinaires
qui aient été prises dans ce temps et dans aucun
temps ; elle fut appliquée à la généralité de Montauban
et étendue à toutes les autres : « Sa Majesté
étant informée que les différentes peines afflictives
portées par les arrêts, déclarations, ordonnances,
rendus contre ceux qui assistent aux assemblées illicites
des nouveaux convertis n’ont pu en arrêter le
cours entièrement, parce qu’elles ne font sur des
esprits remplis d’erreur que les impressions passagères
et produites par la crainte d’une peine à laquelle
chacun se flatte d’échapper ; et Sa Majesté,
voulant mettre fin à ce désordre, qui cesserait totalement
si ceux des nouveaux convertis, qui craignent
d’être surpris eux-mêmes dans les assemblées, dont
ils ont toujours connaissance, ne craignant pas d’y
laisser aller leurs enfants et domestiques, cessaient de
favoriser et fomenter ainsi les assemblées par leurs
mauvais conseils ou par leur tolérance et par leur silence, qui ne les rendent pas moins coupables que
ceux mêmes qui y assistent, elle aurait résolu d’obliger,
par leur intérêt particulier, tous les nouveaux
convertis à détourner ou déclarer les assemblées dont
ils sont toujours informés, ou de les punir comme complices desdites assemblées, en établissant contre
ceux qui ne les déclareront pas des peines pécuniaires
et arbitraires, qui seront indifféremment supportées
par tous les nouveaux convertis des cantons, — a ordonné
et ordonne — que, dans toutes les communautés
comprises dans l’état des arrondissements,
tous les nouveaux convertis demeureront responsables
de toutes les assemblées qui se tiendront sur le
territoire des communautés dont chaque arrondissement
sera composé (art. 1er). — Les habitants nouveaux
convertis des arrondissements, dans l’étendue
desquels il sera constaté qu’il se sera tenu quelque
assemblée, seront condamnés, sans forme ni figure de
procès, par ledit sieur intendant, à une amende arbitraire
et proportionnée à leurs facultés… et la répartition
des amendes sera par lui faite sur tous les habitants
nouveaux convertis dans toutes les communautés
de l’arrondissement (art. 2). — Veut Sa
Majesté que ceux des nouveaux convertis qui remplissent
leurs devoirs de catholiques, et en justifieront
par les certificats de leurs évêques, ne soient point
compris dans la susdite répartition (art. 3). — Les
habitants nouveaux convertis d’une des communautés
de l’arrondissement, dans l’étendue duquel il
sera trouvé une assemblée, qui en donneront avis ou en fourniront la preuve, seront pareillement
exemptés de la répartition, et lorsque lesdits avis
auront été donnés assez à propos pour que l’assemblée ait été surprise, tous les habitants de la même
communauté seront déchargés de l’amende et leur
portion rejetée sur le reste de l’arrondissement (art. 4).
— S’il se tient quelque assemblée sur le territoire d’une communauté toute composée d’anciens catholiques,
et non comprise dans l’état des arrondissements, l’amende en ce cas sera supportée par les arrondissements
les plus prochains du lieu où se sera tenue l’assemblée
(art. 5) Tous les particuliers, compris
dans les états de répartition qui seront arrêtés des
amendes, seront contraints au paiement de leurs quotités
par voie de garnison effective (art. 7)… — Et
attendu que les prédicants, qui viennent de pays
étrangers ou s’élèvent dans le pays, et qui sont les
principaux auteurs de toutes les assemblées, ne trouvent
le moyen de les entretenir que par la facilité des
retraites que les nouveaux convertis leur donnent
dans leurs maisons, Sa Majesté ordonne que tous les nouveaux convertis des communautés d’un arrondissement,
dans l’étendue desquelles un prédicant
pourra être arrêté, seront condamnés à trois mille
livres d’amende, applicables aux dénonciateurs qui
en auront procuré la capture, et ce indépendamment
du procès qui sera fait et parfait suivant la rigueur
des précédentes ordonnances, à celui dans la maison
duquel le prédicant aura été trouvé (art. 8). N’entend
Sa Majesté déroger, par la présente ordonnance,
aux dispositions des édits, déclarations, et notamment
à celles du 1er des présents mois et an, qui seront
exécutés selon leur forme et teneur (art. dern.). Louis Phélypeaux. (Ordon. concern. les gens de la relig. prét. réf du 16 février 1745. Mss. P. R.)
On voit donc, par ces nouvelles dispositions ajoutées
à celles de la déclaration de 1724, que la législation
de Louis XV concernant les assemblées des
protestants consistait en les articles suivants : condamnation
à mort contre tout ministre, et galères
perpétuelles contre tous ceux qui lui donneraient
asile ; galères perpétuelles pour tout homme, et prison
perpétuelle contre toute femme ou fille présents à une assemblée, avec confiscation des biens, le tout
sans forme ni figure de procès ; pour les absents des
assemblées, amende arbitraire contre tous les réformés
des lieux, avec recouvrement par voie de garnison
militaire ; amende de 3,000 liv. contre chaque réformé
habitant le lieu où un ministre aurait été arrêté, laquelle
amende, en cas d’une dénonciation, devrait
bénéficier au dénonciateur. Hâtons-nous d’ajouter que
des dispositions aussi tyranniques et aussi absurdes à
la fois ne furent pas exécutées à la lettre ; jamais elles
n’auraient pu l’être. Déporter aux galères des réunions
de trois mille personnes, rançonner des districts
entiers et nombreux de 3,000 liv. d’amende par tête
d’habitant réformé inscrit à la capitation, en cas de
capture d’un ministre, mettre des villages entiers à
l’amende : c’étaient là des lois que ceux mêmes qui les
rendaient ne purent avoir le projet d’appliquer
sérieusement. Elles furent sur-le-champ adoucies en
quelques lieux par la conduite des intendants.
Il y en eut un exemple remarquable non loin de
Sainte-Foy en Guyenne, très-peu de temps après que
furent rendues ces mesures d’une intolérance impraticable.
D’après la lettre du ministre Loire, il paraît qu’en
basse Guyenne, on avait semé le bruit que les édits
d’intolérance allaient incessamment être abolis ; les
réformés continuèrent dès lors leurs assemblées avec 1745. 2 mars.moins de précaution.
Cette publicité fournit le prétexte d’une circulaire de l’intendant de Bordeaux aux
évêques de sa généralité, où l’administrateur semble
donner des conseils de douceur au clergé. Il informe
les curés qu’il avait tout lieu de penser que la plupart
des nouveaux convertis qui ont assisté à l’assemblée
tenue par un prédicant le 21 du mois de février, dans
un champ près la ville de Sainte-Foy, ne se seraient pas portés à quelque chose d’aussi coupable, s’ils
n’avaient été séduits par l’opinion que les émissaires
de ce prédicant s’étaient appliqués à répandre dans ce
canton, que le roi n’avait point désapprouvé de pareilles
assemblées, qu’en conséquence elles devaient
être regardées au moins comme tolérées, et qu’on
pouvait y assister sans risque de se rendre criminel.
Il ajouta ces paroles remarquables, qui démontrent
combien on s’appliquait alors à modifier les rigueurs
des édits dans la pratique administrative : « J’ai moins
songé à faire arrêter les plus apparents d’entre eux
pour les livrer aux poursuites rigoureuses de la justice,
qu’à les mander pour leur remontrer avec douceur
et menace la gravité de la faute qu’ils avaient
commise, et la sévérité de la punition qu’ils méritaient
si Sa Majesté n’avait la bonté d’user envers
eux d’indulgence. » Ce fut l’intendant de Tourny qui
prit ces sages mesures. Il ajouta encore ce passage
qu’il adressait aux curés des paroisses : « La publication
de mon ordonnance et la présence du prévôt
général avec des brigades de maréchaussée ont détourné
la tenue de l’assemblée, que dans celle du 21
le prédicant avait eu la hardiesse d’indiquer pour le
dimanche 28. À peine y eut-il ce jour, soit à Sainte-Foy,
soit dans les petites villes, bourgs et paroisses
du voisinage, quelques mouvements de particuliers,
plus curieux de voir ce qui se passerait que dans la
disposition de désobéir. Tout doit donc être regardé
à Sainte-Foy et aux environs comme calme, repentant,
et absolument éloigné des nouvelles assemblées,
dont l’on connaît le crime, et dont l’on craint la peine. »
L’intendant invite les curés à lire les ordonnances du
roi à leurs prônes plusieurs dimanches consécutifs ;
il termine sa circulaire par cette phrase : « Je m’imagine que vous vous y porterez avec d’autant plus de
plaisir, qu’il s’agit du bien de la religion, et que vous
accompagnerez chaque fois cette lecture ou cette
communication, de tout ce qu’un zèle moins vif
qu’affectueux peut dire de touchant pour attirer les
cœurs, tandis que le prince montre le glaive tranchant
pour soumettre les volontés. » (Lettre de M. l’intend. de Bord. à MM. les curés des paroisses de sa génér. où il y a des nouv. conv., 4 p. p. fol. Mss. P. R.)
La lecture de cette pièce, considérée en entier,
laisse voir que l’intendant de Tourny eut pour but
d’effrayer les protestants, de les ramener par la douceur,
et aussi de calmer le zèle amer du clergé en faveur
des ordonnances. Il y a loin des remontrances
de l’intendant de Tourny aux déclarations qui, exécutées
à la lettre, eussent envoyé aux galères en
masse une forte proportion de la population de l’arrondissement
de Sainte-Foy. Les choses ne se passèrent
point partout aussi doucement. Par arrêt de la chambre
des vacations, du 23 septembre, le Parlement de Grenoble,
sur le rapport du conseiller Ferrier de Montal,
appliqua littéralement l’ordonnance aux réformés de
son ressort ; il condamna quatre-vingt-douze protestants
à des amendes de 400 liv. à 10 liv., parce que
l’on avait tenu des assemblées. Le même arrêt cassa
vingt-sept mariages célébrés au désert, par ce dispositif
singulier et inhumain : « A fait aussi interdictions
et défenses auxdits (accusés) de cohabiter avec leurs
prétendues femmes, et auxdites (accusées) de cohabiter
avec leurs prétendus maris, à peine d’être déclarés
et punis comme concubinaires publics ; a déclaré
les enfants qui peuvent être nés ou qui pourront
naître à l’avenir de leur fréquentation, bâtards et incapables de leur succéder, sauf à eux à se représenter
par devant tous leurs curés pour faire réhabiliter
leurs prétendus mariages, » (Arr. de la ch. des vac. du 23 sept. 1745, qui condamne divers. part. accus. de contrav. aux édits et déc. du roi concern. la relig. prét. réf., 8 p. p. Mss. P. R.)
De pareils traits rapprochés du langage conciliant
de l’intendant de Tourny, font voir combien le sort
des réformés était livré à des caprices cruels. Le
caractère personnel des intendants et des gouverneurs
eut souvent à lutter contre les tendances des
parlements, et surtout contre celles du clergé. Ces pouvoirs,
animés l’un contre l’autre d’une inimitié héréditaire,
poursuivaient cependant comme une théorie
inflexible la fondation de l’unité religieuse, tandis
que les commandants civils et militaires, à qui le
maréchal de Villars avait donné un bel exemple en
pacifiant les Cévennes, étaient bien mieux en mesure
d’apprécier les difficultés administratives, les obstacles
de la pratique. De plus, tout nous porte à croire
que quelques sentiments d’équité dirigèrent leur
conduite ; en effet, nous verrons bientôt que des rangs
de la haute magistrature, il s’éleva quelques voix éloquentes
qui ne purent déguiser les abus d’une législation
si cruelle, et qui démontrèrent combien elle
était peu propre à accomplir l’objet qu’elle poursuivait
depuis si longtemps.
La position des églises et le sort des fidèles cette1745.
même année, furent mis sous les yeux de Louis XV
par un placet dont la présentation avait été résolue
au synode national de l’année précédente. Les réformés
saisirent l’occasion de la maladie subite et du
prompt rétablissement du roi à Metz, pour adresser
une supplique remplie de protestations de soumission mais cependant très formelle, en ce qui touchait la
continuation des assemblées. Cette pièce donne une
idée précise des tribulations de tous genres auxquelles
elles étaient en butte (Placet prés. au roi, 1745, p. 7.
Mss. P. R.) Les suppliants conviennent qu’ils s’assemblent
en quelques lieux dans les champs pour entendre
la prédication de la parole de Dieu, et participer
aux sacrements ; mais ils ajoutent qu’ils seraient
bien à plaindre si leurs intentions étaient prises en
mauvaise part, et si des assemblées consacrées au culte
du vrai Dieu, avaient quelque chose d’illégitime :
« Votre Majesté, disent-ils, sait que le service public
est pour ainsi dire inhérent à la profession de la religion,
et que c’est un droit naturel et primitif. » —
« Ce fut le même principe qui engagea les premiers
chrétiens à faire des assemblées publiques, nonobstant
les défenses de leur souverain, et les suppliants
ne sont pas plus coupables qu’eux pour avoir suivi
leur exemple. » Après avoir déclaré que la prohibition
des assemblées est pour les sujets protestants du roi
« un bannissement indirect », ils tracent le tableau
suivant de leurs maux : « Ils consistent, disent-ils, en
ce qu’ils ne sont libres, ni dans la vie, ni dans la
mort. Les ecclésiastiques commencent même à les
molester dès leur naissance. Le baptême, cette introduction
des fidèles dans l’église, n’est administré à
leurs enfants qu’avec des difficultés extrêmement
onéreuses. Car comme les curés veulent exiger des
parrains et marraines des engagements contraires à
leur conscience, les pères sont obligés de faire présenter
leurs enfants par les premiers pauvres catholiques
qui se rencontrent, dont on leur impose les
noms, par où les enfants sont privés de l’avantage
considérable d’avoir des parrains et marraines affectionnés. — De plus, les enfants des suppliants ne sont
pas plutôt sortis de l’âge le plus tendre, qu’ils sont
en butte à tous les traits des ecclésiastiques. On prive
les pères et mères, ou après leurs décès, leurs autres
parents, du droit naturel qu’ils ont sur leur éducation :
on met les filles dans les couvents ; on soustrait de
cette sorte les enfants à la juste autorité de laquelle
ils doivent dépendre, et à la faveur de la licence
qu’on leur donne, ou des promesses qu’on leur fait, on
ne manque pas de leur inspirer des sentiments contraires
à ceux des personnes qui leur ont donné la
naissance. — Ce n’est pas tout, quand les suppliants
veulent se marier, on leur fait tant de difficultés (vu
l’abjuration ou du moins la nécessité de participer
au culte de la religion catholique que les ecclésiastiques
leur imposent au préalable), qu’elles forcent
les uns à renoncer au mariage, et les autres à le différer,
par où il paraît que les ecclésiastiques tâchent,
contre l’intérêt de l’État, de faire défaillir la race des
religionnaires du royaume par un moyen à peu près
semblable à celui que les Égyptiens imaginèrent pour
éteindre celle des Israélites. — Ce zèle mal entendu
des Égyptiens se continue jusqu’au lit de la mort des
religionnaires, jusqu’à ces précieux moments où
l’homme accablé de son mal a besoin de recueillir
tout ce qui lui reste de force, pour ne s’occuper que
du soin de faire sa paix avec Dieu. C’est alors que les
ecclésiastiques vont troubler les mourants par des
visites importunes, qu’ils les menacent de la rigueur
des édits et déclarations de Votre Majesté s’ils refusent
la confession et l’Eucharistie, et qu’à l’aide de ces
menaces, ils s’efforcent d’ébranler leur constance. Il
est facile de s’apercevoir que ce n’est pas la charité
qui anime cette façon d’agir ; d’un côté, refuser obstinément le mariage à ceux qui le recherchent ; de
l’autre, offrir avec importunité la confession et l’Eucharistie
à ceux qui ne les demandent pas, forme une
conduite si contradictoire, qu’on voit bien qu’elle ne
s’accorde pas avec l’amour du prochain, ni en général
avec l’esprit du christianisme. Mais quel qu’en soit
le principe, Votre Majesté sent du moins qu’il produit
le plus sinistre effet, puisqu’il rend les suppliants souverainement
malheureux : leur souffrance a même
été si longue qu’il est temps qu’elle daigne jeter sur
eux un regard de compassion. Un seul regard de Votre
Majesté suffit pour faire cesser tous leurs maux ; elle
n’a qu’à leur accorder la liberté de conscience, cette
liberté si essentielle à l’homme, si nécessaire à son
bonheur et si conforme à la nature de la religion…
Il s’y réunit encore, qu’en accordant la liberté de conscience,
une foule de religionnaires qui ont été la recouvrer
dans les pays étrangers, reviendraient dans
le royaume avec leurs familles, leurs effets et leur industrie,
et contribueraient infiniment par leur retour,
non seulement à y augmenter le nombre des sujets,
mais de plus à y faire fleurir les manufactures et le
commerce, ce qui par mêmes moyens diminuerait très-considérablement
la force des États voisins. »
Ce fut ainsi que les réformés, en butte à tant de
poursuites, tantôt tracassières, tantôt terribles, répondirent
aux sévères dispositions des dernières ordonnances
rendues contre eux. Ce placet de 1745
ouvre la série des très-nombreuses pièces de ce
genre, dont nous aurons à parler, et qui, très-probablement,
n’eussent point porté la vérité au cœur
du prince quand même elles n’eussent pas été interceptées
en chemin. Il faut y remarquer la netteté
avec laquelle les religionnaires donnent à entendre qu’ils ne peuvent abandonner leurs assemblées, parce
que la liberté de conscience est un droit essentiel à
l’homme ; noble langage, qui toutefois ne pouvait
être compris alors à la cour de Versailles. Le tableau
qu’ils tracent de leurs maux donne plusieurs révélations
curieuses sur leur état, surtout sur cet usagé
auquel ils étaient réduits, de prendre des espèces de
parrains et marraines de louage pour présenter leurs
enfants aux fonts catholiques, et l’originalité avec
laquelle ils relèvent l’incohérence des pratiques des
prêtres qui, aux termes des édits, se montraient
aussi prompts à imposer l’Eucharistie aux malades
protestants qui ne la demandaient pas, que disposés
à refuser le sacrement aux époux qui le demandaient.
Ils ne manquent pas non plus, selon l’usage constant
de toutes les requêtes qu’ils ne cessaient de présenter,
de joindre la raison d’état à la raison de conscience,
de répéter que les déclarations sévères
constituaient un véritable bannissement, et que la
douceur aurait pour résultat de rappeler une foule
de fugitifs industrieux. Ce simple et énergique langage
ne fut pas même écouté par la cour, alors absorbée
par les soins et les pertes d’une guerre acharnée,
la cour qui venait d’envoyer débarquer en Écosse
le chevaleresque prince Édouard pour offrir la légitimité
catholique aux protestants de la Grande-Bretagne.
Il est donc facile de voir que c’était surtout contre
le fait des assemblées que les poursuites religieuses
étaient dirigées. Ces rassemblements gardés par des
sentinelles et mystérieusement convoqués, qui se
tenaient dans des lieux écartés, et que les courses
des troupes obligeaient souvent de cacher au milieu
des nuits, ressemblaient trop à des réunions séditieuses, pour que les ennemis des protestants ne
tirassent point parti de cette apparence. Elle ne fut
jamais chez les instigateurs de mesures rigoureuses
qu’un prétexte. On ne voit pas que dans toute cette
époque une seule de ces assemblées se fût portée à
des excès séditieux, ni qu’une seule se fût réunie
dans un pareil but. La sage direction de la presque
unanimité des pasteurs, les soins d’anciens, notables,
choisis souvent parmi les plus riches propriétaires,
la vigilance des synodes, les règles constantes de la
discipline auxquelles on restait aussi fidèle que le
malheur des temps le comportait, tous ces liens à la
fois sociaux et religieux, formaient de puissantes
garanties d’ordre et de respect pour les lois. Ce fut
à toutes ces influences réunies, que les réformés
durent l’avantage de proclamer hautement que pas
une seule de leurs assemblées ne se rendit coupable
de rébellion. C’étaient, à la lettre, des réunions purement
religieuses, et qu’on eût dû, sinon permettre,
au moins tolérer, puisque ni les édits, ni les jugements,
ni les irruptions de soldats n’avaient pu les
arrêter. Cependant elles ranimaient sans cesse la vigilance
des intendants et les procédures des cours.
Ainsi que nous l’avons vu, la responsabilité de ces
réunions pesait sur des contrées entières ; les amendes
venaient frapper ceux que les jugements n’avaient pas
atteints, et ceux même qui étaient restés dans leur
domicile. Cette marche sévère des parlements et de
l’administration apportait des obstacles sérieux à la
régularité du culte et à l’assiduité des fidèles. Ces
obstacles furent assez grands à cette époque pour
que les pasteurs et anciens du haut Languedoc
dussent adresser aux réformés une lettre circulaire
spéciale pour leur rappeler leurs devoirs sur cette question. La lettre commence par dire « que les réformés
avaient eu lieu d’espérer naguère que leurs
temples, ruinés depuis bientôt soixante ans, allaient
de nouveau s’ouvrir, puisque, en un grand nombre
d’endroits, ils avaient pu s’assembler sans avoir été
troublés ; que la persécution recommençant, les jours
du dimanche étant changés en deuil, et les jours de
fête en lamentation ; que la pratique des assemblées
était de nouveau regardée comme un crime digne
d’une punition exemplaire, les prisons regorgeaient
de fidèles qui attestaient assez que le courroux de
Dieu était allumé contre son peuple pécheur ; que
cependant son bras pouvait encore les délivrer et son
oreille les entendre, s’ils s’humiliaient devant lui, et
s’ils confessaient qu’en lui était la justice, et au peuple
la honte et la confusion de face. » (Cop. cert. Mss. P. R.)
Dans le comté de Foix, où les églises s’organisaient
également avec une courageuse persévérance, une1745. 25 juillet.
réunion pastorale et laïque tint le même langage aux
fidèles. Le pasteur Corteis y avait été député pour
exercer les fonctions pastorales ; son premier soin fut
de nommer des anciens, et cette assemblée arrêta
l’organisation des églises du Caria, des Bordes, de
Sabarat, de Gabre, du Mas d’Azil et de Camarade.
Il fut décidé que chaque consistoire ferait deux ou
trois collectes générales chaque année pour subvenir
aux besoins des pauvres et des prisonniers ; que nul
ne serait reçu au ministère de la prédication, à moins
qu’il ne fût muni de bons certificats ; que les anciens
veilleraient à ce que la piété et la décence régnât
dans les assemblées ; que chaque église aurait à entretenir
son ministre en temps de calme comme en
temps de persécution ; que tous ceux qui, à l’avenir,
feraient bénir leurs mariages dans l’église romaine seraient censurés et suspendus de la sainte cène ; enfin l’assemblée crut devoir rappeler les dispositions de la discipline, qui interdisent les jurements, les jeux, « ainsi que les danses et ceux qui font état de danser », qui, après avoir été avertis, devront être suspendus de la sainte cène. À la fin de l’année, un nouveau colloque, assemblé à Mazamet par le pasteur Viala, releva de la censure les anciens de cette ville qui avaient promis de s’absenter dorénavant de
1745. 1 novembre.ces assemblées mondaines ; l’article est ainsi conçu : « On déclare aux anciens de l’ancien consistoire que, vu les marques de leur repentance, ils pourront être reçus à la communion, en suite d’une réparation publique. » (art. 3. Mss. Cast., p. 33.) Toutes ces dispositions font voir que le progrès et la bonne organisation des églises du désert marchaient parallèlement
avec la promulgation des édits les plus impitoyables.
CHAPITRE II.
Influence du synode national de 1744. — Complaintes sur la mort des pasteurs du désert ; complainte du ministre Alexandre Roussel. — Martyres d’Étienne Arnaud et de Pierre Durand. — Lettre pastorale de Michel Viala. — Arrêts du parlement de Grenoble. — Martyre du pasteur Louis Ranc.
On vient de voir la convocation, les motifs et les
ordonnances du synode national de 1744. faut
avouer que les circonstances politiques n’étaient point
très propices pour une telle manifestation. L’année
précédente, était survenu pour la France un des faits malheureux de la guerre de l’héritage de Marie-Thérèse1743. ; la bataille sanglante de Dettingen, sur le Mein,
livrée par le maréchal de Noailles à l’armée britannique,
sous les ordres de Georges II, dans laquelle
les troupes et la noblesse française firent de si grandes
pertes ; le carnage de ce choc désastreux fut mal
déguisé par les politesses que se firent aussitôt après
les officiers des deux armées, dans la ville neutre de
Francfort. Pour réparer ce désastre, Louis XV se mit
en personne à la tête des armées ; ce fut au commencement
de cette campagne qu’il fut saisi à Metz de1744. 14 août.
cette fièvre dangereuse qui le porta à deux doigts du
tombeau, et qui produisit en France une si prodigieuse
alarme. La nouvelle de la maladie du roi parvint au
synode national au moment même où il était assemblé ;
nous trouvons le tableau de l’effet de la nouvelle dans1744. 20 août.
l’article suivant : « La séance du jeudi finie, et
avant la séparation de l’assemblée, un membre du
synode ayant communiqué une lettre qu’il venait de
recevoir, et qui contenait la triste et affligeante nouvelle
de la maladie du roi, on s’est jeté à genoux
pour demander à Dieu, par une ardente prière, le
rétablissement de la santé de Sa Majesté ; ensuite, le
synode a arrêté que l’on fera, le plus tôt possible, des
prières publiques dans chaque église, pour le même
sujet, et que pour cet effet il sera incessamment écrit
une lettre à tous les pasteurs et anciens (art. xxiv). »
On verra que cette loyauté et cette sage conduite
eurent fort peu d’influence sur les dispositions de la
cour à l’égard des protestants. Bien loin même de
l’avoir adoucie envers eux, le synode national précéda
de fort peu de temps l’exécution capitale de plusieurs
ministres. Nous devons raconter ces événements
douloureux.
Nous rencontrons ici, dans la série de nos pièces,
un genre de monuments assez curieux, dont nous
n’avons pas encore parlé. Ce sont les complaintes ou
chansons populaires sur la capture et la prise des
ministres du désert, qui périssaient victimes des
édits. Nous avons pu réunir cinq exemples de ces
naïves compositions ; plusieurs d’entre elles sont assez
considérables, et elles forment de véritables poèmes
historiques, d’une certaine étendue[66]. Il n’est point
douteux qu’elles n’aient été écrites dans le temps
même et sur les lieux : une seule porte un nom d’auteur,
celle qui fut consacrée au souvenir de la constance
et du martyre du pasteur François Teissier,
dit Lafage ; elle est désignée comme l’ouvrage d’un
prédicateur au désert, nommé Lapierre, et la date en
est fixée à l’année 1754. C’est la plus étendue de
toutes ; nous verrons que, sous plusieurs rapports,
elle forme un ouvrage très-remarquable. Étant arrivés
à cette époque de notre sujet, où nous avons à raconter
la mort de plusieurs ministres du désert et à
faire connaître le genre des poésies que leur catastrophe
inspira, nous remonterons un peu plus haut.
Nous devons dire quelques mots du premier de ceux
dont nous trouvons le supplice raconté dans ce genre
de pièces. C’est un tableau populaire, mais tracé avec
beaucoup de force, de la prise et de l’exécution du
jeune Alexandre Roussel, ministre à Uzès, qui fut
pendu à Montpellier, le 30 novembre 1728, par jugement
de l’intendant Daudé. Il paraît que ce ministre
avait été trahi et dénoncé par un inconnu, qui s’était
laissé tenter par les abominables dispositions des
édits, et notamment par celui du 1er juillet 1686, qui
promettait cinq mille cinq cents livres de récompense
au délateur ayant fait saisir un ministre dans l’exercice
de ses fonctions. Nous ne connaissons, sur la fin
d’Alexandre Roussel, qui périt dans les premiers temps
de la renaissance du culte, lorsque Paul Rabaut
était encore enfant, que les deux complaintes de
notre collection, l’une sur sa mort, et l’autre, qui est
intitulée « Complainte de la mère de Roussel. » Nous
donnerons en entier la première, qui est très-curieuse ;
nous puiserons seulement quelques renseignements
dans la seconde.
On se demande d’abord quel degré de confiance
attacher à cette classe singulière de documents historiques.
Elle est évidemment précieuse, puisqu’il
s’agit toujours ici d’une époque où il fallait soigneusement
cacher les pièces officielles, et où aucun genre
de publication ni d’impression sur les églises du désert
n’était permis ni possible en France. En ce qui
touche le fond des choses, il est clair que l’on doit
admettre avec beaucoup de probabilité, quand même
les recueils manuscrits n’offriraient aucune date ni
aucune désignation précises, que ces ballades historiques
sont contemporaines des événements qu’elles
retracent. Leur forme l’indique suffisamment. Elles racontent des événements qui viennent de frapper les
yeux et l’imagination du peuple. Tout atteste qu’elles
sont du temps des catastrophes qu’elles chantent.
D’ailleurs, plusieurs d’entre elles sont datées, l’une,
celle de François Lafage, pasteur, est positivement
attribuée au prédicateur Lapierre, qui accompagnait
toujours son collègue dans les courses pastorales qui
finirent par lui coûter la vie ; une autre, celle de
François Benezet, porte cette note : « Cette complainte
se composa au mois d’avril 1751 ; on ignore qui en
fut l’auteur. » Au reste, on peut admettre que le
peuple ne fait guère de complaintes longtemps après
que les événements sont accomplis. Ce genre de composition
paraît être essentiellement d’une date contemporaine
des faits.
De telles compositions n’ont rien qui répugne à la
sévérité de l’histoire, surtout si l’on songe aux caractères
de celle-ci ; nous sommes toujours en présence
d’églises prohibées, en présence d’un culte proscrit,
et de ministres qui ne pouvaient l’exercer qu’au péril
de leur tête. Les documents imprimés manquent donc
totalement. Ce ne fut que plus tard que les églises du
désert risquèrent, et encore bien rarement, de publier
au milieu d’elles, dans une circonstance très-pressante,
quelque court pamphlet défensif. Nos collections
de manuscrits prouvent qu’il se tenait alors des
écritures régulières concernant les affaires synodales
et ecclésiastiques des églises ; elles attestent aussi l’abondance
de la correspondance ; cependant il y a
toute apparence qu’on dut se borner aux pièces indispensables
et qu’on s’est gardé de multiplier sans
motif les actes. Ils auraient pu servir de pièces de conviction
dans des procès rigoureux. Nous verrons que
des fragments et que des notes synodales furent produites contre les pasteurs du désert dans plusieurs
cas où des condamnations à mort furent prononcées
et exécutées. D’autre part les livres protestants étaient
sévèrement prohibés ; leurs détenteurs ainsi que ceux
qui se livraient à ce commerce, étaient exposés à la
flétrissure et aux galères. Ainsi, la situation des églises
du désert, toujours florissantes mais toujours poursuivies,
ne comportait ni livres imprimés ni documents
manuscrits. Cette pénurie, née des persécutions,
est justement ce qui fait l’honneur et l’originalité de
leur histoire ; mais aussi elle a rendu les documents
très rares. Toutes les sources de renseignements sont
donc précieuses. Les ballades ou complaintes populaires
peuvent être utilement consultées. Elles
seraient déjà intéressantes comme monuments des
idées et de la foi populaire, et jusqu’à un certain degré,
comme les restes du style du temps ; elles le sont
bien plus encore, comme monuments d’une cause
si rigoureusement proscrite et poursuivie, et comme
les débris de ce que des lois barbares cherchaient à
étouffer de tant de manières. Ces complaintes, comme
source historique, ont donc tout le caractère d’un
chant populaire et secret en faveur des victimes. Il
ne faudrait pas toutefois s’exagérer l’autorité de ce
genre de ressources. Elles sont populaires, et par conséquent
elles ne sauraient être parfaitement authentiques.
Il est difficile que les faits n’y aient été grossis.
Mais ils auront été embellis plutôt qu’altérés ; on
y trouvera des ornements et non des mensonges.
C’est là le caractère de la complainte populaire. On
devra s’y fier pour les choses générales, et non pour
les faits de détail. Elles auront toujours pour nous le
mérite de nous laisser voir fidèlement ce que l’on
pensait alors chez le peuple touchant les événements les plus tragiques survenus dans les églises du désert.
Nous ne trouvons point dans nos pièces officielles
synodales, ou dans nos pièces privées, des allusions à
ce genre de compositions. Il est probable qu’elles
obtinrent une très-faible mesure d’approbation de la
part des pasteurs de cette époque, dont les mœurs
étaient graves comme leurs idées. Cette forme frivole
ne dut point leur plaire. Quelque convenables
que fussent les sentiments qu’on y exprimait, c’était
toujours mettre le martyre en chansons ; cette idée
seule dut blesser des hommes aussi religieux. Au
reste, les ballades que nous avons lues, loin d’offrir
quelque chose de blâmable, n’auraient pas blessé
même les rigoristes. Toutes sont profondément religieuses ;
toutes sont animées des sentiments de la plus
profonde confiance en Dieu et en Jésus-Christ. Il
est superflu d’ajouter que toutes portent l’empreinte
d’un attachement inébranlable à la foi réformée ; car
sans un tel sentiment, elles n’eussent pu être ni composées
ni redites. Toutefois, elles sont encore plus
spécialement bibliques que dogmatiques. Dans celle
qui célèbre la douleur de la mère de Roussel, les rapprochements
énergiques et même injurieux ne sont
pas épargnés ; il est question de Babylone, de Nabuchodonosor,
de Pharaon, de Jézabel, et d’Hérode ; et
tout cela est cité et représenté avec une ferveur bien
profonde. On y distingue facilement la trace de
la lecture familière de la Bible, qui était alors si profondément
dans les habitudes religieuses du Languedoc.
À l’abondance et à la vivacité des images bibliques,
on y voit comme un reflet très-populaire de la
grande manière de Saurin. Au reste, l’orateur de La
Haye prêchait encore lorsque les premières de ces
ballades furent chantées.
Quant à leur caractère littéraire, il ne nous semble
pas d’une très-grande originalité. Nous sommes absolument
incompétents pour juger quelle analogie lointaine,
elles peuvent présenter avec les poésies de Goudouli,
ce Pétrarque languedocien, qui sut mêler à la
couronne poétique de Livia ses chants pleins de tristesse
sur la mort de Henri iv. Depuis longtemps il y
avait des Académies littéraires à Arles, à Nîmes, à Montpellier,
à Béziers, et à Marseille ; l’églantine des jeux
floraux prolongeait avec grâce les traditions de la
muse provençale. Mais toutes ces institutions officielles
eurent sans doute fort peu de prise sur les
poésies populaires du bas Languedoc. C’était uniquement
les malheurs des églises que les auteurs de
complaintes voulurent célébrer. Ils ne songeaient
guère à soumettre aux académies les éloges poétiquement
populaires de ces pasteurs que les lois punissaient
de mort. Il ne serait pas impossible que ces
ballades eussent été traduites du dialecte languedocien
en vers français ; nous manquons de lumières pour
décider ce point. La littérature contemporaine était
languissante. Son dernier produit vigoureux avait été
ces étranges stances où Lagrange Chancel stigmatisait
le régent et ses roués, en vers cyniques, mais pleins
d’énergie. Ces ballades n’offrent rien de semblable.
Elles n’ont aucun caractère poétique proprement dit,
comme les ballades allemandes, si riches d’images
naturelles ; elles ont au contraire une analogie frappante
avec certains de ces chants écossais que Walter
Scott nous a fait connaître ; ce sont des légendes descriptives
et historiques, où le peuple des frontières d’Écosse comme le paysan du Vivarais, célèbre quelque
aventure tragique de ses mœurs chevaleresques ou
religieuses. Ce n’est pas toutefois que ces complaintes ne présentent une certaine énergie de style, ainsi que
celle que nous citons pourra le démontrer. On y rencontre
des traits d’une grande force. On remarquera
surtout les espèces d’imprécations qui terminent la
ballade de Roussel. Cette fin est moins évangélique
qu’elle n’est lyrique. On voit que l’auteur accepte avec
quelque contrainte la douceur clémente de son pasteur
supplicié et trahi, et qu’il se dédommage, par
l’idée des tourments futurs, du pardon que sa foi l’oblige
à prononcer pour ce monde. Ceci est le trait le
plus original. Mais ces morceaux nous paraissent avoir
d’autres qualités encore. La simplicité du récit ; la
vigueur du dialogue et des répliques ; surtout la
naïveté vraiment sublime, par laquelle le chanteur
anonyme nous dépeint la citadelle et les cachots de
Montpellier comme la maison des fidèles : tout cela
forme un tableau d’une grande beauté. On semble entendre
le cri de douleur de ce peuple persécuté. On
n’est troublé ni par les rudesses de style ni par les
fautes de quantité : nous nous sommes bien gardés
d’introduire la moindre correction, qui eût endommagé
la naïveté de cette poésie légendaire.
complainte sur la prise de m. roussel,
Pasteur du désert, exécuté à Montpellier le 30 novembre 1728.
i.
Mes frères, écoutez le cruel traitement
Qu’on a fait à Roussel, ce jeune proposant ;
Il a été vendu, ah quelle perfidie !
Comme on vend la chair dans une boucherie.
ii.
Il fut pris, arrêté à la côte d’Aulas,
Lié et garrotté par la main des soldats.
On le mène au Vigan, dedans cette posture,
Toujours en lui chantant toute sorte d’injures.
iii.
Ils l’ont pris et mené devant Monsieur Daudé ;
En entrant dans sa chambre, on l’a interrogé :
On lui a demandé : « Que faites-vous en ville ?
— « Je suis venu exprès pour prêcher l’Évangile. »
iv.
On lui a demandé : Où avait-il prêché ?
— « Partout où j’ai trouvé des chrétiens rassemblés. »
On lui a demandé : Où faisait-il sa demeure ?
Il leur a répondu : « Le ciel est ma couverture. »
v.
« Êtes-vous un pasteur de ceux qui vont aux champs ? »
« Non, leur a-t-il dit, je suis un proposant.
« Je suis Roussel d’Uzès : permettez-moi de faire
« Savoir que je suis pris à ma très-chère mère.
vi.
Après l’avoir ouï et écrit ses raisons,
L’ont pris et l’ont mené tout droit aux prisons,
Tout droit à la prison dedans la citadelle,
Qui est depuis longtemps la maison des fidèles.
vii.
On plante un piquet par devant la prison,
Et la porte est gardée par cinq ou six dragons.
Mais le pauvre Roussel, dedans cette misère,
A toujours son recours au Père des lumières.
viii.
Le soir sont arrivés beaucoup de grenadiers.
Qui l’ont pris et mené tout droit à Montpellier,
Tout droit à Montpellier dedans la citadelle ;
C’était depuis longtemps la maison des fidèles.
ix.
Sa mère le vient voir avecque de ses amis,
Son beau-frère avec elle, et lui dit : Mon fils,
Si tu as prié Dieu, en France, c’est un crime ;
Il n’y a point de pardon ; tu en seras victime.
x.
Nous avons des amis qui ont bien du crédit
Pour te sortir d’ici : cependant ils m’ont dit,
Que pour un autre cas, le feraient avec joie :
Pour ceux qui prient Dieu, pas un ne s’emploie.
xi.
Ma mère, c’est assez ; je désire ma fin
Plutôt qu’aller souper ce soir à un festin ;
Je m’ennuye en ce lieu et je désire l’heure,
D’aller dedans le ciel y faire ma demeure.
xii.
Les jésuites souvent vont le solliciter,
Pour sortir de prison, de religion changer.
Mais notre prisonnier sa religion dispute,
Et pour la vérité hardiment les rebute.
xiii.
Là disant, avec ces suppôts de l’Ante-Christ,
« Je veux toujours garder la loi de Jésus-Christ ;
Si je meurs pour son nom, j’irai avec les anges,
Là où nous chanterons ses divines louanges. »
xiv.
Quand il vit les archers et le prévôt venir,
Avec le bourreau pour le faire mourir,
A prié le bon Dieu de lui donner courage,
Et de ses ennemis pouvoir vaincre l’outrage.
xv.
On le sort de prison pour le mener au lieu
Là où il devait rendre son âme à son Dieu ;
La tête, les pieds nus, ayant au cou la corde,
Le long de son chemin chanta miséricorde.
xvi.
Quand il fut arrivé tout près du poteau
Ce bienheureux Roussel leva les yeux en haut,
Monta long de l’échelle sans lui faire aucune peine,
Voyant le ciel ouvert comme fit saint Étienne.
xvii.
Après être monté, il dit cette raison :
Pardonnez-les, Seigneur, ne savent ce qu’ils font ; »
Et puis dit au bourreau : « Toi et toutes ces personnes,
Qui de mal m’auront fait de bon cœur je pardonne. »
xviii.
Ainsi finit ses jours, le bienheureux Roussel,
Et son âme à l’instant s’envole dans le ciel,
Pour y aller jouir d’une gloire éternelle. —
Faisons tous comme lui, si Dieu nous y appelle !
xix.
Celui qui l’a vendu ne se découvre pas :
Mais un jour devant Dieu sera comme Judas.
Il a vendu Roussel, Judas vendit son maître ;
Dedans un même rang tous deux on va les mettre.
xx.
Dis-moi donc d’où tu es, du Vigan ou d’Aulas ?
Au jour du jugement, ne trembleras-tu pas,
Quand tu te souviendras de cette perfidie,
Qu’au pauvre Roussel, tu as coûté la vie ?
xxi.
Tu auras beau crier : Coteaux, tombez sur moi,
Montagnes et rochers, de grâce, couvrez-moi,
Pour me cacher aux yeux de ce juge terrible :
Les coteaux à ta voix resteront insensibles.
xxii.
Il faudra malgré toi subir un jugement,
Et aller sur-le-champ dans un lieu de tourments.
Vois le sort de Judas, toi son compatriote,
Vous serez les deux logés chez le même hôte.
1728.Nous ne joindrons pas à ces stances naïves et touchantes celles où le peuple chanta le malheur de la
mère de Roussel ; elles sont inférieures quant à la
forme ; elles répètent à peu près les mêmes faits. Nous y trouvons seulement ce bruit populaire, que la
mère de Roussel avait été « mère-nourrice » du duc
d’Uzès, qui était par conséquent frère de lait du ministre
captif ; cette pauvre femme eut l’idée fort naturelle
de solliciter ce seigneur en faveur de son
enfant. Ce fut sans succès. Toutefois la ballade attribue
au duc d’Uzès des sentiments humains pour
l’infortuné captif, ainsi que pour sa mère ; seulement
elle rapporte qu’il aurait répondu qu’il fallait que
Roussel servît d’exemple aux autres proposants, et
qu’il ne pouvait rien pour lui à moins qu’il n’abjurât
sa foi[67] ; proposition que la mère du martyr repousse
avec une vive indignation. On y raconte
encore ses visites au captif dans les cachots de Montpellier,
ses conversations avec son fils ; mais rien de
tout cela ne vaut l’énergie touchante de la ballade
que nous venons de transcrire en entier.
1732.Nous devons enregistrer ici la mort d’une autre
victime, également célébrée dans les complaintes, et
sur laquelle nous avons un peu plus de renseignements.
Il s’agit du pasteur Pierre Durand, qui avait
figuré aux premiers synodes du Dauphiné et du Languedoc,
immédiatement après la mort de Louis XIV,
en 1716 et 1717, synodes dont nous avons donné au
long les délibérations. La pièce originale, en outre de la
signature d’Antoine Court, porte celles des ministres
J. Crotte, Jean Huc, Jean Vesson, Étienne Arnaud, et
Pierre Durand. Nous avons vu que les ministres Vesson
et Huc furent pendus à Montpellier, en 1723, encore dans cet état d’exaltation fanatique qui suivit
la guerre des Camisards et les élans de leurs prophètes.
Aussi plus tard Antoine Court ne les comprit
pas dans la liste des pasteurs régulièrement ordonnés
dans les églises de France, qui avaient souffert le
martyre[68]. Il y comprit au contraire, en rendant
témoignage à sa ferveur et à sa constance, le ministre
Étienne Arnaud, signataire de ce premier synode,
exécuté à Alais, le 22 janvier 1718, peu de temps
après avoir signé ces règlements synodaux. Nous
n’avons pas de renseignements suffisants sur le sort
de leur collègue Jean Crotte ; mais en le passant sous
silence, nous trouvons que tous les signataires de
ces premiers synodes périrent sur le gibet, excepté
Antoine Court, de 1718 à 1732. D’après nos ballades,
nous voyons que ceux de ces martyrs dont l’église
du désert garda le plus précieusement la mémoire
furent Arnaud, Roussel et Pierre Durand ; même les
écritures de nos manuscrits ont gardé la trace de
l’éducation des courageux signataires ; les signatures
de Huc et de Vesson sont chancelantes et indécises ;
celles de Court et de Durand sont très-nettes et
fermes. On voit dans les pièces que nous a laissées
Pierre Durand toutes les lumières et l’éducation du
pasteur, qui contribua si efficacement à délivrer le
Gévaudan et les Cévennes des restes du fanatisme
camisard. C’est de sa main qu’est rédigé le certificat
du synode du 27 sept. 1730, que nous possédons,
contenant attestation en faveur des pasteurs Corteïs
et Betrine, revêtu du sceau portant pour exergue,
Le triomphe sous la croix ; devise que ce pasteur
devait confirmer par son propre martyre à Montpellier,
le 22 avril 1732. Le pasteur Pierre Durand fut capturé par un poste militaire, près de Tournon, d’où
il fut transféré à Montpellier. Là, il fut assailli par les
visites des ecclésiastiques qui tentèrent de le faire
changer de religion. D’après la ballade, cinq ecclésiastiques
zélés l’accompagnèrent jusqu’au pied de la
potence, toujours dans l’espoir de conquérir une abjuration[69] ; mais le ministre déjà avancé en âge
voulut donner sa vie pour la foi des églises du désert.
À partir de l’époque de cette fin courageuse, nous
trouvons un intervalle heureux de treize années
pendant lesquelles aucun supplice ne fut exécuté
contre les ministres du désert ; trêve qui comprit une
forte partie du ministère du cardinal de Fleury. Ce ne
fut que treize ans après sa mort, c’est-à-dire, en 1745,
que le gibet des confesseurs fut relevé à Grenoble,
par les arrêts du Parlement. Ces mesures sévères
succédèrent à la tenue du synode national de 1744 ;
les mémoires n’hésitent pas à attribuer à cette manifestation,
faite au milieu de la guerre, une partie des
malheurs qui vinrent fondre sur les réformés. Dans
les années qui suivirent l’exécution du pasteur
1732.Pierre Durand, la persécution s’était adoucie ou ralentie ;
ce fait consolant se prolongea de 1732 à 1744.« Alors
les protestants commencèrent à lever la tête ;
ils la levèrent trop haut ou trop tôt. Le gouvernement
se réveilla et rappela les mesures persécutrices. »
(Mss. Veg.) Ce fut probablement là l’impression que
les événements du temps produisirent sur Antoine
Court, puisqu’il la transmit à son fils de Gebelin, sur
les manuscrits duquel M. de Vegobre composa la phrase que nous venons de citer. Lors du synode
national de 1744, Antoine Court avait quarante-huit
ans ; Paul Rabaut entrait dans sa vingt-sixième année ;
Court de Gebelin avait dix-neuf ans.
Après avoir tenu cette assemblée qui avait tant
inquiété la cour, les églises, voyant les persécutions
renaître de toutes parts, s’appliquèrent à mettre la
vérité dans tout son jour et à laver la cause commune
des calomnies dont on tâchait de la charger. Par
délibération d’un colloque du haut Languedoc, il fut
résolu d’adresser au nom des églises des lettres apologétiques
à monseigneur de La Deveze,1744. 3 juillet. lieutenant-général, commandant la province du Languedoc,
ainsi qu’à M. Lescalopié, intendant de la généralité
de Montauban, pour leur exposer, que s’assembler en
armes dans la vue d’insulter les catholiques en général
et les prêtres en particulier, que faire des collectes
en faveur des princes étrangers, étaient des pratiques
diamétralement opposées aux maximes des églises ;
que si quelques gentilshommes avaient pris à leur
départ pour se rendre dans les lieux des assemblées,
leurs armes ordinaires de voyage, ils n’avaient fait
aucune injure à qui que ce fut, quoiqu’ils eussent
eux-mêmes été insultés ; que d’ailleurs, ils avaient eu
soin de quitter leurs armes dans des lieux éloignés ;
que tout au plus pouvait-on avoir vu quelque épée
aux assemblées, ce qu’on évitera totalement à l’avenir,
les particuliers y ayant été exhortées : « Et si nous
faisons des collectes dans nos assemblées, continue la
lettre au commandant, outre qu’elles sont trop modiques
pour être acceptées des princes étrangers,
Dieu nous est témoin qu’elles sont uniquement destinées
au soulagement des pauvres, tant catholiques
que protestants. » (Mss. Cast., p. 13.)
1744. Septemb.Peu après, une autre assemblée divisa le haut Languedoc
en six arrondissements, que chaque pasteur
devait parcourir alternativement, sans donner plus
de prédications à l’un qu’à l’autre, excepté dans les
cas extraordinaires ; les diverses églises furent taxées
pour les honoraires du ministère à un taux qui attestait
leur zèle et leur nombre toujours croissant[70].
On divisa également le cercle de Montauban en
quatre arrondissements, Mauzac, Nègrepelisse, Caussade,
et leurs environs ; ceux de Montauban, de
Mauzac, et Lagarde renfermaient alors les deux tiers
des fidèles ; 1 200 liv. furent affectées au traitement
des deux pasteurs.
Les rigueurs de la persécution se faisant de plus
en plus sentir au milieu de ces églises, au moment
même de leurs premières tentatives de réorganisation,
cette disposition fut appliquée à toute la province ;
« Que, vu le renouvellement de la persécution, l’emprisonnement
de plusieurs anciens de nos églises, et
la timidité d’un grand nombre de fidèles qui se sont
absentés des assemblées religieuses qu’on a convoquées
jusqu’à présent en plein jour, il est de la prudence
de s’assembler à l’avenir pendant la nuit pour
éviter les suites fâcheuses qui pourraient résulter
d’un trop grand éclat. » (Colloq. des 17 janv. et 10 mai 1745. Mss. Cast., p. 19 et 20.)
Si d’un côté les églises prenaient toutes les précautions
que la prudence leur dictait, de l’autre, elles se fortifiaient aussi de plus en plus dans la résolution de
ne pas céder à la violence. Quelques réformés de Mazamet
ayant consenti, non à abjurer, mais à s’engager
seulement à ne pas aller aux assemblées du culte,
afin d’échapper, par cette concession, à des amendes
ruineuses, ils furent privés de la sainte Cène ; les
anciens et diacres furent déchus de leur charge, jusqu’à
ce qu’ils donnassent des preuves de repentir ; le
pasteur Michel Viala leur écrivit à ce sujet une lettre1745. 10 mai.
remplie des plus affectueux et des plus touchants
conseils. Cependant ce pasteur, qui était depuis douze
années l’âme et l’instrument principal de la renaissance
religieuse des églises du haut Languedoc, se
voyant poursuivi de toutes parts, et sans cesse menacé
du supplice, eut un moment la pensée de se
retirer dans une contrée plus tranquille. Nous transcrivons
la lettre qu’il écrivit à ce sujet, parce qu’elle
pourra servir à faire connaître à la fois et la situation
des églises, et le caractère héroïque de leur pasteur.
« À messieurs les dignes pasteurs et anciens des églises du haut Languedoc, assemblés en colloque, le 10 mai 1745.
« Messieurs nos très-chers et très-honorés frères
en Jésus-Christ notre Seigneur, le sieur Viala, pasteur
de vos églises, a l’honneur de vous représenter que,
depuis que Dieu, par un effet de sa juste colère, a
permis à l’ennemi de renouveler les anciennes persécutions
de l’église, il s’est vu plusieurs fois en danger
d’être surpris par les ruses du persécuteur, qui,
instruit du temps et des progrès de son ministère,
est animé contre lui d’une haine implacable ; qu’il
lui revient de toutes parts que les malintentionnés
cherchent actuellement à lui tendre des pièges ; que cependant il surmonterait ces obstacles et consacrerait
le reste de ses jours au service de vos églises, si
la faiblesse de sa complexion pouvait le lui permettre ;
mais qu’une santé aussi chancelante que la sienne ne
lui laisse aucun lieu de douter qu’il ne succombât
bientôt sous le poids des travaux, des courses fugitives
et des divers accidents auxquels il se verrait exposé,
si la persécution venait à augmenter, ce qu’à Dieu ne
plaise. C’est pourquoi il ose espérer, messieurs, que
vous voudrez bien lui accorder une attestation provisionnelle ; afin qu’il puisse se retirer avec honneur
dans les lieux où la divine Providence voudra le conduire,
en cas de plus grande persécution, promettant
cependant de ne s’absenter qu’à la dernière extrémité,
et de saisir avec avidité la première occasion
qui se présentera pour revenir au milieu de vous.
« Il proteste devant Dieu que ce ne sera jamais
qu’avec le dernier regret qu’il se dérobera aux yeux
d’un peuple qu’il chérit autant que sa propre vie, et
qu’il prie le Seigneur avec toute l’ardeur dont il est
capable, qu’il daigne lui fournir, dès à présent, le
moyen de remplir les fonctions du saint ministère au
milieu de son troupeau. Oui, messieurs, je puis dire
avec intégrité, à l’exemple du prophète, Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, et si je ne te mets pour le premier chef de ma réjouissance. Troupe fugitive, innocente, brebis
du souverain pasteur, si je me vois contraint de
déférer au précepte de mon Sauveur, quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, au
moins, que mon esprit soit toujours avec vous ! au
moins, que mes mains tremblantes soient toujours
élevées vers le ciel pour implorer sur vous les bénédictions divines ! au moins que mon cœur malade
de la froissure de Joseph conserve jusqu’au tombeau
le tendre souvenir des églises de cette province, et
en particulier, de tous les membres qui composent
cette vénérable assemblée ! »
À cette époque, la sévérité des administrateurs et
des parlements redoubla, et des maux inouïs pesèrent1745.
sur les provinces. De tous les corps de magistrature
de cette époque, aucun ne se montra plus rigoureux,
on peut dire, plus barbare, que le parlement du
Dauphiné, séant à Grenoble. Il est possible que l’esprit
des juges et du premier président, de Piolens,
eût exercé quelque influence sur cette jurisprudence
sévère ; mais il est plus vraisemblable que cette cour
se laissa effrayer par la gravité des événements de la
guerre de 1745 et 1746, par suite desquels les armées
piémontaises et autrichiennes avaient occupé les
lignes du Var et de la Durance, pendant que de formidables
escadres anglaises menaçaient de bombarder
Marseille et Toulon. Puisque Louis XV envoyait
Édouard Stuart en Angleterre avec une armée catholique,
ou put craindre que les Anglais, par droit de
talion, ne jetassent des soldats protestants sur les
côtes françaises de la Méditerranée, pour rallumer la
guerre civile et rallier les mécontents. Nous verrons,
en effet, que ce fut sans cesse l’épouvantail des intendants.
La Provence avait été ravagée et occupée
en grande partie par l’ennemi, que le maréchal de
Bellisle eut tant de peine à chasser. Le peuple vit l’invasion
avec assez d’indifférence. Le gouvernement
éprouvait de vives inquiétudes sur le danger de voir
les protestants s’allier à l’ennemi, en recommençant
la guerre des Cévennes avec de meilleures chances.
Auprès de la cour de Versailles, deux influences agissaient sans cesse contre les religionnaires : l’insistance
du clergé, qui voulait par tous les moyens ramener
les dissidents au giron, et l’influence politique qui
représentait toujours les assemblées des protestants
comme des commencements de révolte. Tantôt on
répandait le bruit que les protestants levaient la tête
en proclamant que la tolérance était accordée, faisant
entendre par là qu’ils se soulèveraient si elle ne l’était
pas ; tantôt on assurait que le voisinage de deux armées
étrangères leur servait de sauvegarde ; enfin on
donna comme nouvelle positive que vingt-cinq gentilshommes
protestants se disposaient à joindre les
ennemis avec vingt-cinq mille Camisards. Ces rumeurs
si habilement calomnieuses eurent tout le succès qu’on
voulut en retirer. Les provinces voisines de l’invasion
furent tourmentées de mille manières. Le Dauphiné,
comme frontière piémontaise, fut exposé aux plus
grands malheurs. On est douloureusement surpris
en parcourant la série des arrêts du parlement de
Dauphiné à cette époque. Ce fut peut-être la plus
rude persécution que les réformés aient éprouvé dans
tout le xviiie siècle.
Le prétexte de l’orage fut un bruit que l’on fit courir
sur une démarche imaginaire du ministre Jacques
Roger, à Grenoble, lui attribuant d’avoir lu tout
1744.haut, à l’une de ses assemblées du 7 mai, un édit de
tolérance fabriqué à plaisir. Nous donnerons bientôt
quelques détails sur cette supercherie.
Les protestants furent ajournés par centaines.
Toutes les maréchaussées furent mises en campagne.
On remplit les prisons de Montélimar, de Valence,
de Die, de Crest et de Grenoble. À partir de ce moment,
la cour ne cessa de rendre les arrêts les plus
terribles. En 1745 et 1746, dans le Dauphiné, Paul Achard, Étienne Arnaud, Pierre et Antoine Berrard,
Jean Faure, Claude Piallat, Louis Noir, et une foule
d’autres réformés furent condamnés aux galères perpétuelles.
Par arrêts de mai 1745, vingt-un accusés ;
par arrêt du 28 septembre, cinq accusés ; par arrêt
du 15 octobre, vingt-neuf accusés ; par arrêt du 6 novembre,
trente-un accusés ; par arrêt du 22 avril 1746,
cent quarante-cinq accusés ; par arrêt du 23 septembre,
quarante-quatre accusés, furent condamnés aux
galères à vie et autres peines moins fortes. Les peines
étaient aussi variées que les usages des parlements
le permettaient : Alexandre Porte fut condamné au
carcan, au bannissement, et ses livres furent brûlés ;
Joseph Lambert à la question ordinaire et extraordinaire ;
Joseph Maigre de Boissette fut dégradé
de son office de notaire et à l’amende. Les granges
et bâtiments de Jean Isnard, de Daniel Payan,
d’Abraham Thomas, de Pialla, de Jean Chirol, de
Jacques Galand, de Pierre Chanas, furent démolis et
rasés jusqu’à leurs fondements. Un grand nombre
de femmes, les unes comme Suzanne Moignez et Madelaine
Calvet, furent livrées à l’exécuteur pour être
battues de verges jusqu’à effusion de sang, dans les
carrefours de Grenoble ; d’autres, comme les femmes
Pémingat et Marthe Martin, rasées et enfermées
dans des maisons de force. Personne n’échappait à
cette cruelle justice. L’arrêt du 6 novembre jugea1745.
trente-un gentilshommes, et les condamna, les uns
aux galères perpétuelles, tous à des amendes et à
être déchus de noblesse : la marquise de Montjoux
fut enfermée dans un couvent, et une lettre de cachet
vint atteindre M. de Montrond, du Plan de Baye,
qui fut de plus condamné à trois mille livres d’amende
et à perdre la juridiction de sa terre, par arrêt du 28 février. Des condamnations capitales vinrent se
joindre à ces arrêts infamants. Le ministre Duperron
fut condamné à mort et exécuté en effigie sur la
place du Breuil à Grenoble (arr. du 17 mars 1745).
L’année suivante, le même parlement condamna également
à mort sept ministres où proposants, Vouland,
Descours, Dunoyer, Roland, Dubuisson, A. Ranc et
Paul Faure. Ils se tinrent cachés et échappèrent ainsi
1745.à l’arrêt. Mais un de leurs collègues n’eut pas ce bonheur.
Louis Rang, frère d’un des contumaces que nous
venons de citer, fut arrêté à Livron, le 16 février,
n’ayant encore que quelques années de ministère et
âgé seulement de vingt-six ans. On le mit dans les
prisons de Valence, où il essuya des traitements rigoureux.
Dans son interrogatoire devant M. Chais,
subdélégué de l’intendant, il déclara qu’il était ministre
et qu’il en remplissait les fonctions. Il fut condamné
à mort à Grenoble, le 2 mars 1745. En vain
le président de Piolens lui offrit la vie, s’il voulait
changer de religion. Il répondit qu’il était inviolablement
attaché à sa foi, et rejeta toute tentative de séduction.
Le jugement portait que le prédicant Louis
Rang serait pendu dans la ville de Die, et que sa tête
tranchée serait exposée sur un poteau, dans le grand
chemin, devant la petite hôtellerie de Livron, où il
avait été arrêté. Il repartit donc de Grenoble sur une
charrette qui le remit aux prisons de Valence, d’où on
le mena à la tour de Crest, et puis à celle de Die. Une
nombreuse escorte, composée de maréchaussée et d’une
centaine de grenadiers, gardait le prisonnier. À Crest,
Louis Rang demanda la faculté de se faire raser et
accommoder ses cheveux, parce que, disait-il, cet air
de propreté lui paraissait nécessaire pour qu’on pût
bien voir le calme de son visage et la tranquillité avec laquelle il subirait un supplice injuste[71]. Sur le
chemin de la place de Die, il entonna ce verset du
psaume cxviii, et le répéta plusieurs fois.
La voici l’heureuse journée
Qui répond à notre désir ;
Louons Dieu, qui nous l’a donnée,
Faisons-en tout notre plaisir.
Plusieurs fois il voulut parler au peuple, mais
deux tambours couvrirent sa voix par leurs roulements.
Sans prêter l’oreille aux exhortations de deux
jésuites qui l’accompagnaient, et tenant sans cesse
ses yeux fixés vers le ciel, il ne laissa voir que l’expression
de la piété la plus résignée et la plus fervente.
Au bas de l’échelle il se mit à genoux, fit sa
prière et monta avec courage. Dès qu’il eut cessé de
vivre, l’exécuteur sépara la tête du cadavre pour l’exposer
sur le chemin de Livron. On n’ose croire,
quoique tous les documents l’attestent, que M. d’Audifret,
commandant du Diois (pays de Die, actuellement
département de la Drôme), et le grand vicaire
de l’évêque, ne s’opposèrent pas à ce que le corps
fût outragé indignement par la populace. Les mêmes
pièces rapportent que ce ne fut que par les soins
généreux et chrétiens d’une respectable dame catholique
que ses restes reçurent la sépulture[72]. Ainsi périt pour la foi évangélique et la liberté de sa conscience
le jeune martyr Louis Rang. Son frère,
Alexandre Rang, condamné à mort, persécuté, poursuivi,
sa tête mise à prix, ne cessa pas pour cela
d’exercer ses fonctions pendant le cours d’un ministère
périlleux de près d’un demi-siècle, laissant un
fils qui fut président du consistoire de l’église réformée
de la Rochelle après la révolution française. Ce
fut Alexandre Rang, que tous les protestants du
Dauphiné appelaient notre Parrain, parce qu’il les
avait tous baptisés dans les déserts des montagnes de
cette province.
CHAPITRE III.
Ministres de Louis XV. — Faux édit sur la tolérance et faux cantique. — Lettre de Paul Rabaut au duc de Richelieu. — Capture et martyre du pasteur Roger. — Églises du haut Languedoc et de la Guyenne. — Lettre pastorale de Michel
Viala. — Le consul Fabre. — Placet des églises au roi. — Correspondance de l’intendant du Languedoc avec les églises du désert. — Demande de corps militaires.
Avant de continuer le récit uniforme de ces constantes
persécutions, qui éclatèrent vers le milieu du
siècle avec un redoublement d’ardeur, il convient de
rechercher si la marche du gouvernement, et si l’esprit
des nouveaux ministres de Louis XV pourrait
nous expliquer des changements aussi graves. Le
1743. 29 janvier.
cardinal de Fleury venait, par sa mort, d’affranchir
le jeune roi de toute espèce de tutèle ; une guerre
violente et sa vieillesse nonagénaire avaient rompu le
fil de cette douce existence, que n’avaient pu rajeunir les riantes solitudes du château d’Issy. Les secrétaires
d’État, qui gouvernaient effectivement, quoique
Louis XV mît une grande importance à faire
croire qu’il voulait se passer de premier ministre,
étaient d’abord le surintendant Amelot qui eut peu
d’influence sur le gouvernement ; ensuite et surtout
les deux frères Voyer d’Argenson. Le comte d’Argenson
avait remplacé le secrétaire d’État de Breteuil au
ministère de la guerre ; il déploya des talents véritables
dans la guerre désastreuse de la succession
d’Autriche ; il fut juste et inflexible envers les militaires ; mais sa sollicitude ne paraît pas s’être étendue
jusqu’aux Français protestants, dont le sort était, il
est vrai, hors de ses attributions. Ce qui est plus
étrange, c’est que, pendant les terribles persécutions
dans le Dauphiné et le Languedoc, le frère de ce
dernier ministre, le marquis d’Argenson, esprit d’une
couleur philosophique prononcée, tenait le portefeuille
des affaires étrangères ; il occupa ce poste de
1744 à 1747. Ce fut pendant cet intervalle que plusieurs
ministres du désert furent traînés au gibet pour
avoir accompli les devoirs de leur charge au milieu
de l’amour des populations. Peut-être ces faits qui
se passaient sous l’administration du marquis d’Argenson,
doivent-ils nous faire accepter avec quelque
restriction la réputation de parfait philosophe et de
secrétaire de la république de Platon, que Voltaire
lui décerna si souvent dans le cours de leur longue
liaison. Il est vrai qu’à partir du 10 janvier 1747, le
marquis d’Argenson ne se mêla plus des affaires publiques.
Nous verrons que son fils, le marquis de
Paulmy, montra plus de sympathie et une justice
plus éclairée pour les infortunées églises du désert.
Le comte de Maurepas se mêlait davantage du régime intérieur de la France. Il fut très-longtemps
(1725-1749) ministre de la marine ; il tenait aussi un
ministère plus privé, le portefeuille de la cour et de
Paris. Marmontel l’a dépeint sous les traits d’un brillant
égoïste, à l’esprit caustique, doué d’une rare
sécheresse de cœur. Nous le verrons reparaître au
pouvoir dès les premières années de Louis XVI, après
avoir été disgracié par Louis XV, en 1749, à cause
d’une épigramme de mauvais ton contre une royale
favorite. Il resta, comme on le voit, au poste de secrétaire
d’État, au moment de la plus vive persécution
des églises du désert. Elles eurent la malheureuse fortune
de souffrir beaucoup sous des ministres intimement
liés avec les plus brillants philosophes du jour ;
car le comte de Maurepas avait reçu, en 1740, les
célèbres vers légers de Voltaire ; il fut toujours intimement
lié avec Montesquieu ; mais il ne paraît pas
que l’ambitieux et docile courtisan eût jamais sérieusement
médité l’ingénieux apologue de l’Esprit des Lois sur la tolérance, où le sage de la Brède immole
l’inquisition aux arguments de la jeune juive de Lisbonne.
Mais le secrétaire d’État, dans le ressort duquel les
églises réformées figuraient plus spécialement à cette
époque du règne de Louis XV, ce fut le comte de
Saint-Florentin, homme d’un esprit étroit, peu lié
avec les philosophes, mais très-actif comme administrateur[73]. Il doit lui revenir une large part de la responsabilité des mesures du temps. Ce fut à lui que
les églises du désert adressèrent sans cesse ces placets
redoublés, si justes dans leurs prétentions, si mesurés
dans leurs plaintes ; nous ne voyons pas, par nos
pièces, que cet administrateur ait une seule fois répondu
à des doléances aussi légitimes. Il fut sans
doute plus occupé de ses galanteries que de leurs
malheurs. Il eut surtout la direction des affaires des
protestans de France depuis 1744, lorsque Louis XV
partit pour aller livrer la bataille de Fontenoi. Le roi
ne cessa de témoigner la plus haute estime à son
talent administratif, qui fut d’une fécondité intarissable
dans la signature des lettres de cachet. Son
pouvoir, qui s’étendit sur les églises pendant l’espace
de plus d’un demi-siècle, fut enfin brisé par Louis XVI.
Après nous être arrêté à indiquer les noms des
ministres qui gouvernaient la France, ou du moins
qui partageaient l’autorité avec les dames, jusqu’ici
de bonne maison, qui régnaient sur le roi, nous devons
rentrer dans notre sujet, qui d’année en année
revêt une teinte plus sombre. Nous avons vu comment
la disposition fort sage des assemblées de jour,
adoptée par le synode national de 1744, fut odieusement
exploitée par les ennemis des églises du désert.
Ils eurent recours à des calomnies mieux ourdies
encore. Les assemblées ayant été reprises en Dauphiné,1744.
il fut fait rapport à la cour de Versailles que,
dans une convocation religieuse du 7 juin, un ministre
avait lu tout haut à son auditoire une pièce en
forme d’édit de tolérance, qu’il déclarait être du roi
et être signé et scellé par le souverain. De quelque
côté que vînt l’avis, il fut trouvé bon. Un bruit aussi
absurde et aussi faux alla trouver Louis XV à la tête
de ses armées. Le roi, qui était alors devant les lignes
d’Ypres, fit expédier de son camp, par le ministre de
la guerre, le comte d’Argenson, à M. de Piolens, premier
président du parlement de Grenoble, une dépêche
du 22 juin 1744. Cette lettre contenait en substance
que le roi avait été informé « que le nommé
Roger, prédicant, » ayant assemblé plusieurs religionnaires
du lieu de Pojols, dans le Diois, y avait
fait lecture d’un prétendu édit ou indult du 7 mai,
et scellé d’un sceau qu’il assurait être celui de Sa Majesté,
« par lequel il paraissait qu’elle donnait à ses
sujets la liberté de conscience et celle de s’assembler. »
Le roi déclarait qu’il n’avait jamais eu intention de
déroger aux lois établies sur cette matière par le feu
roi son bisaïeul, et que son ordre était que l’on désabuse
les peuples de l’impression que cette pièce aurait pu faire, « et qu’en démasquant l’imposture du prédicant, vous leur fassiez sentir les risques qu’ils courraient en se livrant à la conduite de tels pasteurs. » — « Sa Majesté désire de plus que vous fassiez
contre ledit Roger toutes les poursuites convenables
pour parvenir à l’exemple qu’exige la gravité du
cas. » On ne peut qu’être assez douloureusement
surpris de cette violente instruction envoyée au parlement
de Grenoble par le comte d’Argenson, instruction
qui coûta la vie au vénérable ministre Roger.
Le ministre et administrateur qui donna cet ordre
était cependant bien ce comte d’Argenson, qui protégeait les lettres et les arts, auquel la grande Encyclopédie
fut dédiée par d’Alembert et Diderot, et qui
convoquait, à ses spirituels soupers de Neuilly, Lafare
et Marmontel, Chaulieu et Voltaire. Sans doute, au
milieu de ces élégants loisirs, il ne daignait jamais
songer aux droits des églises du désert. On verra plus
bas que l’ordre qu’il envoya ne fut que trop écouté
par le parlement de Grenoble. Mais quant à l’affaire
même, le parlement du Dauphiné se mit avec zèle à
la poursuite d’un fantôme. Il cita, il informa, il décréta
d’ajournement, et se donna mille mouvements
pour constater la réalité d’une telle calomnie ; mais
ce fut sans aucun succès.
Nos pièces, tant privées que synodales, eussent
suffi à elles seules pour en établir l’imposture. Personne
ne s’attendait alors dans les églises à une déclaration
de tolérance venue de la cour. Le pasteur
Roger prit le parti d’écrire lui-même une épître défensive
au ministre comte d’Argenson. « J’ai cru, dit
ce sage pasteur, qu’une calomnie si énorme demandait
que je déclarasse à Votre Grandeur, de la manière
la plus expresse, que si cette pièce supposée a
existé, ce que je ne crois pas, je ne l’ai lue ni en
particulier, ni dans les assemblées ; que je ne l’ai pas
même vue ; et que je n’en ai rien vu que par la lettre
que Votre Grandeur a écrite à ce sujet, et que l’on a
rendue publique. » Le pasteur ajoutait que les réformés
attendaient la liberté religieuse avec une entière
résignation. Il terminait par ces réflexions, qui
dévoilent assez clairement, sinon les auteurs, du
moins les motifs de la calomnie : « Les auteurs de ces
impostures nous noircissent pour nous rendre odieux
et indignes du support de Sa Majesté : mais ce n’est
pas là le seul motif de celui qui m’a accusé d’avoir supposé un édit de liberté de conscience. Sa malignité
l’a porté à vouloir découvrir par cette indigne voie
la façon de penser de Sa Majesté sur nos exercices de
religion. Si sa maligne curiosité a été satisfaite à ce
dernier égard, j’ose espérer qu’il ne triomphera pas
longtemps de l’opprobre dont son imposture m’a couvert
aux yeux de Votre Grandeur, et qu’en voyant
éclater mon innocence, dans la procédure même qui
a été faite pour prouver le crime affreux dont on me
charge, vous rendrez à l’accusateur et à l’accusé la
justice qui leur est due. » Ce qu’on aurait aujourd’hui
de la peine à croire, c’est que ce bruit fut adopté et
propagé par ceux même qui avaient le plus d’occasions
de s’assurer de sa fausseté. Les ecclésiastiques
catholiques de la province essayèrent de donner
corps et réalité à la calomnie. Ils furent sans doute
de bonne foi ; car on croit facilement aux péchés de
ceux qu’on n’aime pas. Même après la mort tragique
1746.du pasteur Roger, l’évêque de Valence, M. de Milon,
répétait, dans un mandement du 10 février, que
les hommes de ténèbres, les ministres protestants,
« avaient publié sur les toits, ce qu’ils ne disaient
auparavant qu’à l’oreille, que par de vaines espérances
d’un prochain rétablissement ils en avaient
allumé les plus violents désirs, et qu’ils ne rougissaient
pas, pour se donner plus de créance, de fabriquer
de fausses lettres et de les répandre avec ostentation
sous les noms les plus respectables[74]. » Il est facile de distinguer dans ces paroles la trace des
inquiétudes que la publicité des grandes assemblées
de 1744 avait jetées dans les esprits des ennemis du
culte au désert.
Il paraît d’ailleurs que cette chimère produisit une
véritable agitation dans toute la province du Dauphiné.
Les curés écrivirent de toutes parts au parlement,
qui ajourna sur-le-champ un grand nombre
des protestants des lieux. On lit avec curiosité les
questions que firent les juges à ces fidèles si fermes
dans la confession de leur foi. « Vos ministres ne
vous ont-ils pas fait lecture d’un prétendu édit, qui
vous donne permission de prêcher publiquement ? Ne
vous sollicitent-ils pas à user de violence ; à enlever
les enfants des couvents, à égorger les religieuses ? Ne
vous ordonnent-ils pas de prier pour la reine de
Hongrie, et pour la prospérité des armes du roi d’Angleterre ?
Quelles sont les maisons qui servent d’asile
à vos ministres lorsqu’ils ont prêché ? Un tel notaire
n’exige-t-il pas le contrôle des mariages que vous faites
bénir au désert ? Ne continuez-vous pas dans vos assemblées
d’y baptiser et d’y marier[75] ? « On pense
bien que les magistrats n’apprirent rien de la bouche
des interrogés, qui put appuyer des bruits aussi calomnieux.
Aucun d’eux ne déguisa la vérité, quant à
leur culte ; mais aucun d’eux aussi ne put attester
qu’il eût jamais entendu approuver des pièces supposées
ou fausses par les ministres.
Il faut considérer toute cette affaire comme ayant
été habilement inventée par les adversaires des églises,
et comme ayant été le résultat des dernières réunions
publiques. Nous avons déjà remarqué que le
moment de ces réunions était fâcheux. Des édits
absurdes et oppresseurs interdisaient toute assemblée
publique ; ils transformaient, il est vrai, en crime,
l’exercice le plus pacifique et le plus calme d’un droit
sacré. Précisément à cause de la défense et de la proscription,
ces réunions avaient forcément une apparence
mystérieuse, dont le gouvernement pouvait
s’inquiéter. On ne comprend plus aujourd’hui cette
folie administrative, qui visa sans cesse à transformer
des églises, qui auraient pu être patentes et publiques,
en sortes de conciliabules clandestins, ayant toujours
une apparence de secret et de conspiration. Ce fut
là l’énorme faute des hommes d’État de tout ce siècle.
Ils créaient par les édits des assemblées défiantes et
menacées, pour ensuite s’en épouvanter et les traiter
de révolte. Il n’y avait de clé à tous ces embarras, et
pour l’administration et pour les protestants, que la
tolérance.
Toutes ces inquiétudes de la province, ces dépêches
du comte d’Argenson, ces recommandations
de sévérité adressées au parlement de Grenoble, coûtèrent
la vie au pasteur Roger, l’un des plus vénérables
ouvriers de la vigne évangélique du désert.
« Sans doute, écrivait le ministre Loire, de Sainte-Foi,
à Paul Rabaut, à propos des bruits sur un faux édit,
vous êtes informé de cette imposture de nos ennemis,
ou plutôt de cet effort du prince des ténèbres, qui
est menteur et meurtrier dès le commencement. »
(Lettre du 22 sept. 1744. Mss. P. R.) Toutefois le
pasteur Roger, vieillard vénérable, livré tout entier
à ses travaux apostoliques, ne voulut pas les interrompre
même au milieu d’un tel orage. Ayant appris que son jeune confrère, Louis Rang, avait été arrêté
à Livron, il lui écrivit pour le fortifier ; il répétait sans
cesse : « Pauvre enfant, que je voudrais être à ta
place ! » Ce vœu ne fut que trop tôt exaucé. Ayant
appris l’imputation calomnieuse qu’on faisait circuler
contre lui, il la démentit et continua toutes ses fonctions.
« Je vous donne aussi avis, écrivait-il à Paul Rabaut,
que l’on continue d’appeler des personnes à
Grenoble et que même l’on en a retenu quatre ou
cinq. On en a enfermé une à Die et les mesures se
renouvellent ; mais, nonobstant tout cela, presque tous
font bénir leurs mariages et baptiser leurs enfants
par les ministres, et les assemblées sont aussi fréquentes
que nombreuses ; ce qui cause tant de fatigue
à nos messieurs que la moitié en a la santé altérée
sans pouvoir prendre du repos. (Lettre du
20 sept. 1744.) Quelques mois après avoir tracé ces
lignes, ce ministre fut vendu et saisi dans le bois des
Petites-Vachères, près de Crest, en avril 1745. Il répondit
à l’officier qui lui demandait qui il était : « Je
suis celui que vous cherchez depuis trente-neuf ans ;
il était temps que vous me trouvassiez. » Transféré à
Grenoble, il y fut condamné à mort, en vertu de la
déclaration de 1724, par le dispositif suivant : « La
cour a déclaré ledit Roger dûment atteint et convaincu
d’avoir fait les fonctions de prédicant dans les
diverses assemblées des religionnaires, et en divers
lieux de la province, en réparation de quoi l’a condamné
d’être livré à l’exécuteur et être pendu et
étranglé jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive. »
On remarqua qu’il n’y avait pas dans cet arrêt un
seul mot du prétendu édit, dont on l’avait si calomnieusement
chargé. Il écouta son arrêt avec la même
fermeté merveilleuse qui avait étonné les juges lors de son interrogatoire. Reconduit à la prison, il demanda
qu’on lui laissât quelques moments de repos pour
qu’il pût se préparer au supplice. Ce vénérable pasteur
était tout prêt ; mais il réclamait quelques heures
pour entretenir quelques prisonniers protestants,
dont il savait pouvoir être entendu. Il profita de cette
occasion solennelle pour les exhorter à la persévérance
et leur témoigna sa joie d’avoir été trouvé
digne de sceller de son sang la vérité qu’il leur avait
prêchée depuis tant d’années. Les mêmes fidèles
attestèrent que le bourreau étant venu prendre ce
martyr, sur les quatre heures du soir, pour le mener
à la place du Breuil, marquée pour le lieu de l’exécution,
ils entendirent le pasteur Roger s’écrier : « La
voici l’heureuse journée et l’heureux moment que
j’avais si souvent désirés ; réjouissons-nous, mon âme,
puisque c’est l’heureux jour que tu dois entrer dans
la joie de ton Seigneur. » (22 mai 1745.)
Deux jésuites qui devaient l’accompagner s’étant
présentés, il les pria de ne point troubler, par des
discours qui seraient inutiles, un recueillement et
des actes de dévotion qui lui étaient si nécessaires. Il
sortit ensuite de la prison en récitant à haute voix le
psaume li, et fut conduit au lieu du supplice par
cinquante soldats et au bruit de deux tambours, qui
ne cessaient de battre. Pendant tout le chemin rempli
d’une foule prodigieuse de peuple, il n’y eut personne
qui ne lût sur le visage du pasteur Roger son
zèle ardent, sa profonde sérénité et la piété sincère
de son âme. Tous les catholiques en furent attendris ;
les jésuites repoussés en parlèrent avec éloges. Après
avoir fait sa prière à genoux au bas de l’échelle, il la
monta avec le même air de confiance et de foi qu’il
avait toujours montré jusque-là. Son corps demeura vingt-quatre heures suspendu au gibet et fut ensuite
traîné à la rivière, qui lui servit de tombeau. « Telle
fut la fin de ce digne pasteur, ajoutent les Mémoires
de 1744, qui contiennent le récit le plus détaillé, ce
pasteur que son troupeau pleure encore et ne cessera
longtemps de pleurer. »
Le pasteur Jacques Roger était né à Boissières dans
le Languedoc. Il s’était consacré, dès sa plus tendre
jeunesse, à l’édification des églises du désert. Nous
avons vu qu’il se joignit à Antoine Court, dès le commencement
de la renaissance du culte, et avant même
le pasteur Court, puisque les travaux de Roger s’ouvrirent
dès l’année 1708. Il prêcha jusqu’en 1711,
année où il sortit du royaume pour aller recevoir
l’imposition des mains dans le Wurtemberg. Il était
de retour en 1715, et à partir de ce moment jusqu’à
sa mort, c’est-à-dire pendant quarante années, il n’avait
cessé de conduire les églises du désert, dans le
Dauphiné, convoquant les assemblées, administrant
les sacrements, et assistant à tous les synodes.
Nous voyons le nom de ce vénérable ministre figurer
au bas d’une foule de pièces de notre collection.
Il avait soixante et dix ans, lorsqu’il scella une vie
aussi utile par une mort reçue avec le calme d’une
foi si vive et si longtemps éprouvée. Il mourut du
même supplice, deux mois et demi après son jeune
collègue, Louis Rang. Le jeune proposant au début
de sa carrière, le vieux pasteur qui avait blanchi
à l’œuvre, périrent à un intervalle rapproché.
Telle fut la fin du vénérable pasteur Jacques Roger.
Un supplice infâme, mais qui n’eut rien d’infamant
pour ce digne ministre de Jésus-Christ, fut dans ce
monde la récompense de son apostolique carrière. Il
en fut aussi la couronne ; nous verrons dans les pages suivantes que tous les fidèles, orphelins d’un tel
conducteur, redoublèrent de zèle et de fermeté en
présence des arrêts réitérés du parlement de Grenoble.
La mémoire du pasteur Roger fut bien longtemps
chère à toutes les églises du Dauphiné. Nous ne devons
pas oublier aujourd’hui que ce fut lui, avec Betrine,
Courteis et Antoine Court, qui continua après la mort
de Louis XIV la filiation de l’ordination du pastorat
des églises reformées. C’est des mains de ce martyr
qu’elle a été transmise jusqu’à nos jours ; souvenir
édifiant et glorieux pour ses successeurs dans l’église
réformée de France.
Les autres provinces du midi offraient des scènes
non moins tragiques. Les prisons d’Alais, d’Uzès, de
Saint-Hyppolite, de Nîmes, de Montpellier, d’Aigues-Mortes,
celles du fort de Brescou et du château de
Ferrières, étaient encombrés de malheureux détenus
pour faits de conscience. Ceux qui obtenaient leur liberté,
l’achetaient, ou par des frais ruineux, ou par
des promesses de conversion, arrachées à la douleur :
« Démarches, dit le Mémoire des plaintes, également
contraires à ce qu’on doit à Dieu, à la religion dont
on est membre, et à l’édification publique, démarches
qui déshonorent ceux qui les font, et qui les accablent
de honte et de remords, et qui empêchent même que
le gouvernement puisse prendre de confiance en
eux ; car quelle confiance peut désormais prendre
le gouvernement en des personnes qu’il a réduites aux
plus dures extrémités, et qui ont eu la timide lâcheté,
pour se procurer une liberté temporelle, d’être infidèles
à leur devoir et à leur Dieu. » Quant aux rigueurs
fiscales des édits de 1745, les protestants du
midi qui échappaient aux condamnations étaient
ruinés par des amendes ; outre ceux des bourgs et des hameaux, les villes d’Uzès, d’Alais, de Ganges, de
Castres, de Puylaurens, de Revel, de Réalmont,
payèrent des sommes considérables.
Des faits d’une gravité plus sérieuse encore se passèrent
en Languedoc. Ce n’étaient plus des condamnations ;
c’était des surprises d’assemblées, suivies de
massacres, qui semblaient le premier pas vers une
vaste guerre civile. On n’avait rien vu de pareil depuis1745.
les premières années qui suivirent la révocation.
Le 17 mars, une assemblée convoquée près Mazamet,
dans le diocèse de Lavaux, ayant été subitement investie
par un détachement des dragons de la reine,
elle envoya quelques membres près du commandant
pour savoir ses intentions ; il les fit connaître en
chargeant la réunion : ayant fait neuf prisonniers,
parmi lesquels on remarquait le sieur Guitard, le
sieur de Lassan, et Doules, sieur de Latour du
Redondet, ancien officier et chevalier de Saint-Louis,
tous furent condamnés aux galères à vie par
jugement de l’intendant de Montpellier : le 6 avril
une tragédie bien plus sanglante eut lieu à Vernoux.
Le ministre Desubas, ayant été arrêté, fut conduit dans
cette petite ville, et quelques paysans protestants,
ayant appris la capture de leur pasteur, vinrent demander
sa liberté ; on leur répondit par une décharge
meurtrière. Cependant ils revinrent encore, et une
multitude assez considérable, provenant de deux assemblées
qui se tenaient aux environs, se répandit
dans les rues de Vernoux, le 12 décembre 1745. Les
soldats de l’escorte auxquels quelques bourgeois
s’étaient joints, firent un feu roulant sur ce peuple
sans défense, du haut des fenêtres où ils s’étaient postés.
On évalua le nombre des victimes de ce massacre,
à trente-six tués et quatre cents blessés. (Mém. de pl. p. 20, 21, Mss. P. R.)[76]. Nous reproduirons d’autres
détails sur cette affaire déplorable, en racontant
d’après des mémoires plus étendus, le récit de la
prise et du martyre du ministre Desubas.
Avant cette scène désastreuse, l’intendant de Montpellier
avait condamné aux galères le sieur Issoire,
pour vente de livres à l’usage du culte, et aux galères
perpétuelles Antoine Roux, médecin à Saint-Ambroix,
pour avoir lu publiquement l’Écriture Sainte dans
une assemblée. (Arr. des 17 août et 13 décembre 1745.)
Nos pièces nous ont fait connaître l’immense placard-affiche
de l’une de ces dernières procédures,
dans laquelle il s’agit d’une certaine masse de librairie
protestante, expédiée au midi du royaume, de Genève
et de Lyon, en consignation à Guillaume Issoire,
meunier à Nîmes. Il faut avoir le courage de se plonger
dans cette lecture, pour se faire une idée des
procédures inouïes entamées à ce sujet par le conseiller
et chevalier Lenain, baron d’Asfeld, intendant
du Languedoc, et ses assesseurs, président et juges-mages
au siège de Montpellier. Les papiers que les
juges noircirent à cette occasion forment une liste
énorme. Les livres protestants avaient été avisés Tonneaux de poix blanche et noire. Le tout se termina
par une condamnation de trois ans de galères contre
Guillaume Issoire, « dûment convaincu d’avoir introduit
dans cette province des livres à l’usage de la
religion prétendue réformée. » De plus, par une singulière
extension d’autorité, le même jugement ordonna
qu’une partie de l’expédition serait brûlée à
Lyon par le bourreau (Mss. Fab. Lic.) C’étaient probablement une collection d’ouvrages en grand
nombre que le comité de Genève envoyait aux églises
du désert.
Pendant ce temps, les protestants du Rouergue
étaient livrés à toutes les vexations des logements
militaires. Près de Montauban, il y eut aussi un symptôme
de résistance, qui occasionna beaucoup d’inquiétude
à la cour. Le 4 mars 1745, des dragons
ayant voulu outrager une fille, les paysans se réunirent
en force, et après un combat contre des gens sans
armes, le détachement fut obligé de se retirer, emmenant
des prisonniers. Ce fut à la même époque que
la persécution la plus cruelle atteignit les gentilshommes
verriers du comté de Foix. Arrêtés dans
leurs maisons, ils furent conduits aux prisons d’Auch ;
l’intendant en condamna quarante-cinq aux galères
perpétuelles et à la confiscation des biens, par arrêt
du 15 février 1746. Tous ne furent pas conduits au
bagne ; mais le 3 octobre suivant, les gentilshommes
verriers, dont les noms suivent, subirent cette infamie,
qui n’en était pas une toutefois pour des hommes
qui n’avaient commis aucun crime ; c’étaient Isaac
de Grenier, sieur de Lasterme, père ; ses deux fils,
Jean et Marc, et Octave de Robert ; un autre verrier,
Jean Grenier, sieur de Courtelas, endura des traitements
rigoureux dans les prisons de Toulouse. L’intendant
d’Auch condamna également aux galères à vie
Jean Veziat, Monez, Lachard, pour crime d’assemblées
religieuses. Pauline Monez et Isabelle d’Angély furent
condamnées à être rasées et enfermées leur vie durant
dans l’hôpital de la ville de Tarbes, pour avoir
assisté aux assemblées des religionnaires, et pour
avoir tenu des enfants au baptême et s’être mariées
devant un ministre. Les pasteurs Olivier et Courteis furent condamnés à mort par contumace (arr. du 9 juin
1745). De plus, ce juge ordonna que, le jour de l’exécution,
sur la place de Saint-Girons, les livres concernant
la religion réformée, saisis chez les condamnés,
1744.seraient brûlés par le bourreau.
Nous avons vu précédemment que les calomnies
qu’on avait répandues contre le ministre Roger
avaient eu un fatal succès. Il y en eut d’autres non
moins extraordinaires, dont il faut dire quelques
mots, comme fournissant un singulier exemple de
l’esprit du temps. Elles s’adressèrent cette fois à Paul
Rabaut. Au même mois d’août, lorsque le synode
national venait d’être tenu, on répandit dans la province
un espèce de cantique que l’on accusait les réformés
de chanter dans leurs assemblées. Ces stances,
fort peu patriotiques, étaient intitulées : « Cantique
nouveau pour demander à Dieu, dans les assemblées
particulières, l’heureux succès des armes britanniques,
sur le chant de la passion. » Le contenu répondait au
titre. Quelque nouvel ennemi, plus perfide encore
que celui qui avait fabriqué les faux édits de tolérance,
avait rimé ce chef-d’œuvre de méchanceté[77]. On
apprit une autre nouvelle fâcheuse, qui étonna et qui
n’inquiéta pas moins. Dès l’année 1738, le duc de
Richelieu, qui commençait alors avec tant d’éclat sa
double carrière de capitaine et de courtisan, avait été
nommé lieutenant général du roi en Languedoc. Il y
figura plusieurs fois, avec ostentation, aux états de la
province. On rapporte même que ce fut le don que
lui firent les églises, d’un régiment de dragons de
Septimanie, au commencement de la guerre de la
succession d’Autriche, qui lui procura, à Versailles, sa nomination à une haute dignité de cour, celle de
premier gentilhomme de la chambre[78]. Il est certain,
toutefois, que dès cette époque les églises eurent
plus d’une fois à se louer de leurs rapports avec le
duc de Richelieu. Leurs communications avec ce seigneur,
brave et dissipé, dont la vie résume tout ce
que les vices de cour eurent de plus brillant, ne furent
pas un des traits les moins extraordinaires de leur
position. Nous voyons, fort peu de temps après l’apparition
en Dauphiné des faux édits de tolérance,
le pasteur Paul Rabaut, écrivant à M. de Ladevèze,
commandant de la province en l’absence du duc, pour
le désabuser sur la composition du cantique où les
Anglais étaient invoqués. On apprit bientôt qu’aux1744. Décembre.
états de 1744, le duc de Richelieu avait lui-même
apporté et lu une copie de cette pièce séditieuse ;
alors Paul Rabaut se décida à écrire au duc, à la fin
de l’année 1744. « Nous vous jurons. Monseigneur,
disait le pasteur du désert au duc commandant, nous
vous protestons, devant le souverain scrutateur des
cœurs, qui saura punir une fois les parjures et les
hypocrites, que ce n’est point parmi les protestants
qu’a été fabriqué l’exécrable cantique qu’on leur
attribue. Leur religion ne recommande rien plus fortement
que l’obéissance et la fidélité au souverain.
Dans les discours que nous adressons à nos troupeaux,
nous insistons souvent sur cet article, comme
peuvent en rendre témoignage un nombre considérable
de catholiques que la curiosité a attirés dans nos
assemblées religieuses »[79].
Après avoir affirmé que cette pièce était évidemment
l’œuvre de la plume des ennemis des églises du
désert, Paul Rabaut rendait hommage au zèle du
commandant de la ville et château d’Alais, qui avait
fait arrêter un catholique fredonnant ce couplet ;
après s’être ainsi défendu, le pasteur ajoutait le passage
suivant, où il glissait une défense incidente, mais assez
adroitement amenée, des assemblées religieuses : « Si
nous faisons des assemblées religieuses, ce n’est ni
par mépris pour les ordres de Sa Majesté, ni pour cabaler
contre l’État. C’est uniquement, Dieu nous en
est témoin, pour obéir à nos consciences, pour rendre
au Seigneur nos hommages de la manière qui nous
paraît lui devoir être plus agréable, pour nous instruire
de nos devoirs et nous exciter à les remplir.
Loin que cela soit contraire au bien de l’État, il nous
paraît en être le plus solide fondement. »
Partout cependant, en dépit de toutes ces menées,
les églises continuaient leurs assemblées. Les réformés
de la Guyenne furent toutefois moins maltraités que
ceux du Dauphiné. Le chevalier Aubert de Tourny,
conseiller et maître des requêtes, était alors intendant
1745. 21 février.de la généralité de Bordeaux. Il se conduisit quelque-fois avec rigueur, mais souvent aussi avec une justice
plus éclairée que celle de ses collègues. Peu de
mois après le synode national de 1744, les protestants
de Bergerac tinrent, aux environs de la ville, une assemblée,
qui fut très-nombreuse, et où tout se passa
dans le plus grand ordre. M. de Tourny avait eu avis
de la convocation ; il manda le jour même trois habitants
de Sainte-Foi, qu’il interrogea et qu’il se contenta
de réprimander. Il paraît que ce magistrat voulut
imposer, par un déploiement de forces militaires. Il
envoya, cinq jours après, à Sainte-Foi, quinze brigades de maréchaussée, qui augmentèrent ensuite jusqu’à
vingt, ayant à leur tête le prévôt général de Guyenne ;
ce dernier cita un nombre considérable d’habitants,
et en envoya dix devant M. de Tourny. L’intendant
les interrogea encore, et, après quelques jours, les
renvoya libres, en exigeant seulement la promesse
qu’ils n’iraient plus aux assemblées. De tels engagements
ne pouvaient être tenus ; ils étaient trop opposés
et aux habitudes des protestants et aux ordres
des synodes ; ils ne trompaient personne, ni les magistrats
qui les recevaient, ni les fidèles qui les prêtaient
pour éviter les procès.
Nous avons à citer encore, vers la même époque,
un exemple singulier des stratagèmes dont les protestants
se servaient pour pouvoir assister aux assemblées
religieuses sans être molestés. Nous le tirons de la
province de Languedoc. Dans la petite ville de Saint-Jean-du-Pin,
diocèse d’Alais, il y avait, comme partout,
beaucoup de prétendus nouveaux convertis,
qui persistaient obstinément à se rendre aux exercices
du culte du désert. De ce nombre était le consul
de Saint-Jean-du-Pin, au lieu d’Audabias, Denis
Fabre. En sa qualité de consul, nous le voyons dans
nos pièces (Mss. Fab. Lic.) écrivant au chevalier Lenain,
intendant, pour représenter que lui, le consul
Fabre, est seul en état de diriger la commune « et de
veiller à tout ce qui s’y passe, concernant les affaires
du roi pour en rendre compte, comme il l’a toujours
fait, à ses supérieurs, » qui furent successivement les
lieutenant d’Yverny et Lebrun, commandant le fort
d’Alais ; « en conséquence, le suppliant, continuant
ses soins, a toujours été attentif à son emploi, et lorsqu’il
savait qu’il y avait quelque assemblée aux environs
de sa paroisse, il s’y transportait pour veiller s’il ne s’y passait rien contre l’intérêt de l’État ; le 17
juillet dernier, ayant été informé qu’il y avait une
assemblée de nouveaux convertis à un endroit qu’on
appelle le Ranelranqua, qui n’est pas fort éloigné de
celle de Saint-Jean-du-Pin, le suppliant s’y transporta
pour savoir s’il ne se passait rien contre l’intérêt de
l’État, afin d’en donner compte au sieur Lebrun ; il
ne s’y passa autre chose, sinon qu’on y chantait des
psaumes, et qu’on y prêcha ; après quoi, ceux qui
assistaient à l’assemblée se retirèrent aussi bien que
le suppliant, qui, deux jours après, rapporta à M. Lebrun
qu’il n’y avait rien de nouveau qui allât contre
l’intérêt de l’État, sans pourtant lui parler de ladite
assemblée : et quoique le suppliant n’ait fait que
remplir les fonctions de la charge qui lui avait été
donnée depuis longtemps en qualité de consul, c’est-à-dire,
veiller à tout ce qui pouvait se passer contre
l’intérêt de l’État, et qu’il ne soit coupable de rien,
néanmoins, lundi dernier, étant au marché d’Alais, il
fut arrêté en vertu d’un ordre de Votre Grandeur,
conduit au fort d’Alais, et interrogé par votre subdélégué,
M. de La Bruyère. »
La mésaventure de M. le consul Fabre, qui d’ailleurs
ne paraît pas avoir eu des suites bien graves,
nous est assez nettement expliquée par sa pétition, qui
a bien un côté un peu plaisant ; caractère excessivement
rare chez les pièces historiques de cette époque.
Les consuls étaient exposés à mille épreuves de catholicité ;
ils étaient choisis avec soin parmi les anciens
catholiques les plus purs, ou parmi les nouveaux
convertis les plus solides. Il est clair que le consul de
Saint-Jean-du-Pin n’appartenait à aucune de ces classes.
Il est clair que, sous couverture du zèle de faire sa
charge et de veiller à ce que rien ne se passât de contraire au service du roi, ce protestant habile et zélé
se rendait assidûment aux assemblées religieuses. Il
déguisait sa piété sous un habit administratif. Il est
même probable qu’il veillait ainsi très-souvent au
service du roi. Aussi l’intendant Lenain ne fut point
la dupe de cette louable vigilance. Il chercha à la
calmer par l’argument ordinaire du temps ; l’appréhension
au corps et le séjour dans la citadelle
d’Alais.
Nous avons cité au long cette singulière correspondance
pour faire voir, par un exemple de plus,
comment les protestants des églises du désert luttaient,
par mille moyens ingénieux, contre les édits
oppresseurs. Leurs moyens furent innombrables ;
nous pourrions rappeler à ce sujet que, dans le dossier
des pièces de la procédure criminelle du 17 août
1745, contre les protestans du Languedoc, accusés
de débit de livres à l’usage du culte, on trouve que
l’un des accusés, quoiqu’il ne pût montrer des extraits
des registres de la paroisse de Beaucaire, exhibait
cependant « trois différentes attestations de sa catholicité.
» (Placard, Mss. Fab. Lic.)
Nous venons de parcourir quelques-uns des événements
principaux qui signalèrent dans le bas Languedoc,
dans la Guyenne et dans le Dauphiné, l’époque
immédiatement postérieure au synode national
de 1744 ; nous devons maintenant jeter un coup
d’œil sur l’état des églises dans le haut Languedoc,
dans ces districts plus voisins de l’Océan et des ports
de la Saintonge, plus exposés aux attaquer et aux tentatives
de descentes des forces maritimes de l’Angleterre.
Nous allons voir que ces églises du désert prirent
une foule de mesures religieuses d’un caractère
très-fervent, en même temps qu’elles furent l’objet des communications politiques les plus étranges de la
part des ministres de Louis XV.
Dans le haut Languedoc, la persécution n’avait pas
été moins violente ; aussi des copies de la requête au
roi ordonnée par le dernier synode national, furent
adressées de cette province pour être présentées aux
ministres et aux autres seigneurs, à qui les églises
pouvaient espérer de faire connaître les faits. Le
massacre de Vernoux du 12 déc. 1745 que nous raconterons
dans le chapitre suivant, ayant partout
répandu la colère et la terreur, les églises de cette
province envoyèrent un tableau de l’état des choses
et de leurs maux inouïs dans le cours de 1745, au
prince de Dombes[80], au duc de Richelieu, commandant
la province, au ministre d’état Saint-Florentin,
à M. de Manibam, premier président du parlement
de Toulouse, et à l’intendant Lenain (Mss. Cast.,
p. 33-38). Ces églises déclarent, il est vrai, que pour
obéir à la conscience, elles se sont vues réduites « à la
fatale nécessité » de contrevenir aux édits du roi, sans
que pour cela leur fidélité ait été ébranlée ni même
altérée en rien ; elles relatent les suites de la funeste
rigueur du parlement de Grenoble, et indiquent que
dans la haute Guyenne, elles ont éprouvé « tous les
excès de la violence exercée par les dragons, logés
chez les habitants, à pure perte, excès accompagnés
de l’effusion du sang de plusieurs innocents, du ravissement
des biens et des denrées, et d’impositions
et demandes si excessives que plusieurs se sont vus
ruinés dans un court espace de temps ; les amendes qu’on a imposées, et qui continuent toujours dans ce
pays, ont réduit un grand nombre des meilleures
familles à la mendicité ; le logement des troupes dans
votre ville de Castres, l’emprisonnement de beaucoup
de protestants au château de Ferrières, à Auch, et
ailleurs, ont désolé un grand nombre de particuliers
et répandu la terreur et la consternation dans toutes
ces contrées. »
Cette pétition des églises du haut Languedoc à
Louis XV, à ses ministres, à ses lieutenants, et au chef
de la magistrature de la province, est rédigée avec une
certaine énergie, en ce sens qu’elle précise nettement
la position des réformés, placés entre la persécution
et l’exil : « Qu’il nous soit donc permis. Sire, disaient
ces églises, de supplier très respectueusement Votre
Majesté, de jetter un œil de compassion sur notre
état déplorable et de nous permettre de servir Dieu
et de lui rendre le culte que nous lui devons, dans
des assemblées réglées, selon qu’il lui plaira de l’ordonner,
pourvu que nous puissions y entendre l’explication
de la parole de Dieu, y célébrer ses louanges,
y participer aux saints sacrements, que notre Seigneur
a institués, et y faire bénir nos mariages par
nos ministres : que si nous ne pouvons pas obtenir
cette faveur, si nous ne pouvons pas nous flatter de
voir cesser nos maux, ne nous étant pas possible de
vivre sans l’exercice de notre religion, nous sommes
réduits malgré nous à supplier Votre Majesté, avec
l’humilité et le respect le plus profonds, qu’il lui plaise
nous permettre de sortir du royaume, avec nos
femmes, nos enfants, et nos effets, pour nous retirer
dans les pays étrangers « où nous puissions librement
rendre à la Divinité le culte que nous croyons indispensable
et duquel dépend notre malheur ou notrebonheur pour l’éternité. » (Mss. Cast., mars et avril 1745)
Singulière position de toute une classe de Français au
milieu du xviiie siècle, demandant comme une grâce
au roi de France, à Louis le Bien-Aimé, qu’il leur
fût permis de fuir avec leurs familles et leurs biens
cette patrie, que l’intolérance changeait pour eux en
un séjour insupportable ? Savait-on à Versailles que
tant de Français implorassent alors le bannissement
comme une faveur ? Il est permis d’en douter. En effet,
les protestants signataires disent douloureusement
dans la lettre qui accompagnait leur requête, adressée
au commandant, à l’intendant, et au ministre
Saint-Florentin : « Nous avons le malheur de n’avoir
aucun accès au trône de Sa Majesté ; » ils poussèrent
les précautions jusqu’à l’envoyer par la poste, outre
les ministres, au roi lui-même, espérant par là que
leurs plaintes « pourraient de quelque façon » tomber
sous les yeux du monarque. Mais il fallut que le
Languedoc eût recours à des moyens plus énergiques ;
toutes les représentations furent inutiles ; ce
ne fut pas la première fois dans l’histoire que l’on
éprouva que souvent les murs des palais des rois sont
d’airain pour les plaintes des opprimés. C’était cependant
l’année où Voltaire livra au public sa tragédie
de Mahomet (1745) avec la fameuse dédicace à
Benoît xiv, qui lui accorda en retour des éloges auxquels
il fut très-sensible, et ses bénédictions ; c’était
l’année où les provinces du midi du royaume étaient
en proie aux condamnations de toutes sortes, et où
Jacques Roger fut attaché au gibet : l’auteur de cette
tragédie philosophique contre le fanatisme aurait
presque pu prendre le Dauphiné, au lieu de l’Arabie,
pour le théâtre de son drame.
Au milieu de l’indifférence des beaux esprits, au milieu de si constantes persécutions, les églises du
désert ne cessaient de prendre des mesures de discipline
religieuse, empreintes du plus admirable sentiment
de résignation et des pratiques de la plus
fervente piété. Nous trouvons plusieurs traces de cet
esprit dans les délibérations du haut Languedoc, dans
l’année qui suivit les terribles persécutions de 1745 ;
six mois seulement après le massacre de Vernoux,
un colloque de la province, formé de trois pasteurs
et de vingt-cinq anciens, « attendu que Dieu punissait
l’Église, à cause de ses péchés, que les fidèles étaient
condamnés ou emprisonnés, que les exercices étaient
interrompus, » résolut qu’il serait célébré un jeûne
solennel, le 18 août 1746, en y ajoutant cette disposition
spéciale : « Nous préférons un jour ouvrier à
un dimanche, afin de manifester au public que nous
sommes touchés de la froissure de Joseph. » On prit
aussi des mesures, vu la gravité des circonstances,
tendant à fractionner les églises de la montagne, pour
diminuer le danger et la chance des surprises ; enfin,
les condamnés ne furent pas oubliés par leurs frères.
« L’assemblée a résolu d’envoyer incessamment une
subvention aux gentilshommes de la comté de Foix,
condamnés aux galères pour cause de religion, laquelle
sera collectée dans toutes les églises du haut
Languedoc » (art. 4). Rien de plus touchant que la
lettre circulaire que le pasteur Michel Viala écrivit
aux églises de la province de la haute Guyenne, pour
leur annoncer cette délibération, prise en présence
du martyre. Voici quelques fragments de cette espèce
de mandement émané d’églises qui enduraient de si
grands maux : « Nous ne croyons pas nécessaire, nos
très-chers frères, de mettre dans un plus grand jour
les motifs qui ont déterminé notre assemblée colloquale à indiquer ce jeûne général ; vous devez sentir
vous-mêmes la nécessité de vous humilier extraordinairement
devant le trône d’un Dieu dont la justice
est inexorable envers le méchant, mais dont les
compassions sont infinies envers le pécheur contrit et
humilié. Transportez-vous par la pensée dans cet
heureux période, où vous alliez en foule dans le désert,
pour y rendre vos hommages religieux à la Divinité,
et où vos âmes, consolées, fortifiées, nourries
dans les espérances de la vie éternelle, étaient pénétrées
d’une joie indicible. Hélas, vous perdîtes bientôt
ces heureuses prérogatives. Un revers fatal changea la
face de vos églises. Les larmes et les gémissements
succédèrent aux mouvements ravissants dont vous
étiez animés. L’orage dispersa les uns, accabla les
autres ; de là, la désolation de tous ; de là, la tiédeur
et la timidité de plusieurs, et la corruption générale,
suite ordinaire de la famine de la parole de Dieu
Nous exigeons de vous, nos très-chers frères, que vous
suspendiez vos occupations temporelles au jour marqué,
d’un côté, pour être en état de glorifier Dieu,
de l’autre, pour convaincre ceux qui ne vous aiment
pas que vous êtes touchés de vos malheurs. Que donc
chacun de vous s’applique, ce jour-là, uniquement
aux choses du ciel. Que le négociant ferme sa boutique ;
que l’artisan cesse les actes de sa profession, et
le laboureur ses travaux. Que le jeune et le vieux, le
riche et le pauvre, que les pasteurs, les anciens, et
le troupeau pleurent, entre le porche et l’autel, et
qu’ils disent : Ô Éternel, pardonne à ton peuple,
et n’expose point ton héritage à opprobre. » (Mss. Cast.)
À peu près à la même époque, les églises, qui
répondaient ainsi par des actes de religieuse humilité aux rigueurs de leurs ennemis, eurent à lutter contre
le résultat de deux intrigues, dont nos pièces ont enregistré
les détails, et qui font bien voir que les protestants
avaient des ennemis à qui toutes les armes
étaient bonnes. La première fut l’œuvre d’un calomniateur
anonyme ; la seconde trouva des échos plus
sérieux. L’évêque de Castres fut sommé, par une 13 août.
lettre anonyme remise au suisse de l’évêché, de
chasser de la terre de Viane, son vicaire l’abbé Téron ;
faute de quoi on lui déclarait qu’il lui en coûterait
la vie. Par une bizarre invention de cette œuvre de
ténèbres, un grand nombre de points ou de croix
tracés dans ce libelle, désignait le nombre des signataires :
« Autant de traits, autant d’hommes prêts à
vous faire l’opération, » disait la lettre. Le tout était
censé écrit de la part des pasteurs Viala, Olivier et
Lacombe. Il fallut que le pasteur Michel Viala écrivît
à l’intendant Lenain une lettre énergique pour repousser
la responsabilité de cette infamie. Il lui fait
sentir combien peu il est probable que des ministres
dont la doctrine tend manifestement à l’affermissement
de l’ordre, que des hommes dont les maximes
ne respirent que la paix, l’union et la charité, que
des hommes qui annoncent à haute voix le précepte
apostolique de rendre le bien pour le mal, que des
prédicateurs, qui font consister leur gloire dans le
martyre, soient coupables de choses diamétralement
opposées à toute leur conduite et à tous leurs principes.
Il termine en adjurant l’intendant de faire
rigoureusement rechercher l’auteur de cette calomnie
(Mss. Cast., p. 43).
L’autre délation fut plus grave, parce qu’elle portait
sur des objets plus importants que l’exil d’un
vicaire. Il s’agissait du crime de sédition et d’intelligence avec les ennemis de l’État. La guerre régnait
alors avec fureur. Les armées françaises, engagées en
une lutte peu glorieuse pour elles et ruineuse pour
la France, avaient été repoussées. Les armées étrangères
avaient paru dans le midi et avaient occupé
une partie de la Provence. Les flottes anglaises avaient
effectué une descente sur les côtes de Bretagne, d’où
leurs soldats avaient été vivement repoussés. Mais
les vaisseaux ennemis longeaient les côtes de l’Océan
et de la Méditerranée ; ils tenaient l’épée suspendue
sur le littoral. La cour redoutait que l’ennemi ne
profitât de la disposition d’esprit où tant de rigueurs
avaient mis les protestants du Languedoc et provinces
limitrophes, pour y jeter des corps de partisans, et
pour tenter de rallumer la grande révolte des Camisards.
Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que cette possibilité
très-grave ait engagé fortement l’attention
du cabinet de Versailles, qui venait lui-même de
jeter un Stuart en Irlande, plutôt comme chef d’aventuriers
que comme roi légitime ayant quelque
chance de victoire. L’intendant Lenain reçut donc
l’ordre de s’assurer, par tous les moyens, des dispositions
des protestants si le cas d’une invasion se présentait ;
de découvrir surtout si l’on pouvait craindre
qu’ils se joignissent à l’ennemi ; ou si l’on pouvait
espérer au contraire qu’ils marchassent contre ses
drapeaux. L’intendant Lenain fit écrire de Montpellier
une épître très-adroite par un protestant qui avait
sa confiance, le sieur Amiel, à un autre protestant
notable, le sieur Resch, avocat au parlement à
Castres. Cette missive engageait les pasteurs à déclarer
avec force et sans arrière-pensée leurs intentions
et les sentiments de leurs troupeaux, à l’intendant,
afin qu’il pût rassurer la cour, et lui faire part des ressources sur lesquelles elle pourrait compter en un
cas d’urgence[81]. Nous avons lu les réponses que
firent les pasteurs Viala et Olivier, au nom du corps
des protestants du haut Languedoc, à ces étranges
interrogatoires, datées du désert le 11 et 17 novembre
1746 (Mss. Cast., p. 49, 55). Ils n’eurent
point de peine à repousser des soupçons que rien
n’autorisait. Ils démontrèrent facilement que l’accusation
n’avait pu émaner que de ceux qui avaient
juré la perte des églises ; que jamais ils n’avaient eu
la moindre correspondance avec les Anglais, et quant
à de prétendus émissaires de cette nation introduits
dans la province à leur sollicitation, c’était une
infâme calomnie ; « que, loin d’attirer des prédicateurs
séditieux au milieu de leurs troupeaux, ils exhortaient
leurs auditeurs à demeurer fidèlement attachés
à la discipline ecclésiastique des églises réformées
de France, et, en conséquence, à ne recevoir
aucun étranger se disant ministre ; » qu’ils n’avaient
même à cet égard aucun sujet de plainte contre les
particuliers ; que leur doctrine, exposée au grand jour
devant des milliers de témoins, et même devant des
catholiques, prouvait assez combien l’imputation
était futile ; que s’ils se trouvaient dans la fâcheuse
alternative ou d’être réduits à trahir leur conscience,
ou de contrevenir aux ordres du roi, en convoquant
des assemblées religieuses, au moins ils n’avaient rien
négligé pour prévenir les suites fâcheuses qui auraient
pu en résulter ; qu’ils avaient sans cesse inculqué la soumission aux lois, non seulement par la crainte des
châtiments, mais aussi par des motifs de conscience ;
que les révolutions de l’Europe n’avaient pu rien changer
à leurs maximes ; qu’il ne se passait rien dans
leurs assemblées qui tendît le moins du monde à
troubler la paix publique ; qu’ils ne connaissaient aucun
protestant capable de se joindre aux armées anglaises ;
que l’esprit de vengeance et le zèle indiscret
étaient bannis de leurs sociétés religieuses ; qu’enfin,
si, contre toute apparence, il se trouvait dans leur
cercle quelques malintentionnés assez audacieux pour
lever l’étendard de la révolte, les pasteurs seraient
les premiers à les réprimer. Ces sages et patriotiques
protestations eurent tout le succès désirable. Il
est même probable que pour Lenain, qui administrait
depuis longtemps le Languedoc et qui connaissait
l’esprit des églises du désert, elles furent à peu près
superflues.
On peut supposer, non sans vraisemblance, qu’il
imagina cette voie pour frayer la route à une autre
demande plus étrange, où se peint d’une manière
frappante et tous les embarras de la cour et toute la
bizarrerie des mesures de l’administration envers les
protestants. Peu après les réponses des pasteurs, nous
voyons le même agent protestant de l’intendant Lenain
remercier en son nom les ministres de leurs réponses,
et ajouter ce nouveau conseil : « Il faut lui
marquer les forces en hommes que vous pourriez
conduire ici auprès de Sa Grandeur, en cas que les
Anglais fissent une descente. Voilà mot à mot ce dont
il m’a chargé ; à quoi je n’ajoute ni ne diminue rien. »
(Mss. Cast. Fragment de la Lettre du sieur Amiel,
24 nov. 1746.) En exécution de cette demande inattendue,
un colloque s’assembla dans le haut Languedoc, le 10 décembre, pour délibérer à ce sujet.
Nous croyons devoir transcrire l’article 1er de cette
assemblée, l’une des plus extraordinaires pour son
objet que l’on eût jamais vues dans l’église réformée
de France. « M. l’intendant ayant désiré de savoir le
nombre de ceux d’entre les protestants des diocèses
d’Alby, Castres, Lavaur et Saint-Pons, qui pourraient
prendre les armes pour s’opposer aux entreprises des
ennemis de l’État, la compagnie est d’avis de délibérer
là-dessus. MM. les pasteurs jugent également
déplacé et ridicule le parti de déterminer le nombre
fixe des protestants du haut Languedoc qui pourraient
marcher aux ordres de Sa Majesté, vu que, d’un
côté, ce serait offrir au roi ses propres sujets et des
sujets pleins d’ardeur pour son service ; et que de
l’autre il n’est pas possible d’en savoir le nombre
avec précision. En conséquence, MM. les pasteurs
trouvent convenable d’écrire à M. Lenain, en conformité
du zèle des protestants pour le service de Sa
Majesté, qu’il n’est aucun particulier parmi eux, dans
le haut Languedoc, capable de porter les armes, qui
ne soit prêt à exécuter ses ordres ; mais, n’en ayant
pas fait le dénombrement, on ne peut lui en marquer
le nombre précis. Mais les anciens et autres particuliers
de cette assemblée opinant pour le parti contraire,
et voulant, malgré l’avis de MM. les pasteurs,
offrira M. l’intendant, les uns 15,000, les autres,
10,000 hommes ; les pasteurs, pour arrêter un zèle
inconsidéré, et crainte de se rendre suspects malgré
leur fidélité inviolable pour Sa Majesté Très-Chrétienne,
consentent enfin qu’on écrive audit sieur
intendant pour lui offrir deux bataillons, qu’on croit
pouvoir être levés dans le haut Languedoc, et, qu’au
surplus, on priera Sa Grandeur de pourvoir tant à l’armement qu’à l’entretien desdites troupes. » Signé,
Viala, pasteur et modérateur, et Olivier, secrétaire.
On peut juger, d’après cette délibération, de la nature
singulière des rapports qui s’étaient établis entre
les églises et le gouvernement. Les protestants, d’un
côté, persécutés, tourmentés de mille manières, demandaient
en vain la liberté des prisonniers et galériens
martyrs, fatiguant la cour de leurs inutiles
requêtes ; de l’autre côté, ces mêmes protestants, mis
en demeure de délibérer sur un armement militaire,
constitués en assemblée de recrutement par ces
mêmes magistrats qui leur refusaient l’existence
civile : tel est le tableau vraiment inouï des mesures
de cette époque de Louis XV. La cour jugeait que
ces réformés, indignes de participer aux droits des
autres citoyens, étaient dignes toutefois de former
des bataillons pour la défense du trône. Il est d’ailleurs
évident que les pasteurs, contraints d’introduire
un si étrange objet dans leur acte synodal,
voulurent concilier la prudence politique, avec les
égards qu’ils se devaient à eux-mêmes et aux lois de
leur discipline, en repoussant la demande des troupes,
par une fin de non recevoir, tout en laissant les laïcs
anciens prendre l’initiative sur une matière si opposée
aux habitudes pastorales et aux coutumes
évangéliques.
Nous allons, au surplus, faire connaître des moyens
d’administration encore plus bizarres.
La cour hésitait entre l’obstinée poursuite de la
politique, héritage de Louis XIV, tendant à tracasser
les protestants par l’incertitude de leur état civil et
à disperser leurs assemblées par la force et par les jugements,
et entre la crainte de déterminer des soulèvements
sérieux, et de les décider, en les poussant à bout, de se jeter dans les bras des ennemis de la
France. Toutes les négociations dont les affaires de
l’Église furent l’objet à cette époque, portent l’empreinte
et de cette rigueur et de cette inquiétude. Il
y avait là un but à atteindre, qui était la conversion
par contrainte ; il y avait un écueil à éviter, qui était
la guerre civile donnant la main à la guerre étrangère :
or, de ces deux choses, l’une contrariait l’autre.
De là, mille embarras sérieux d’administration. Ils
donnèrent lieu aux expédients les plus extraordinaires.
On a vu que lorsque le midi de la France eut
été envahi jusqu’aux portes de Marseille par l’invasion
austro-britannique, la cour eut de vives inquiétudes ;
elle conçut le projet d’armer les protestants ;
sans doute, parce qu’un gouvernement cherche toujours
à prendre l’initiative des événements qu’il redoute,
ou bien parce qu’il voulut réellement se
créer un corps auxiliaire pour défendre les côtes de
la Saintonge, devant lesquelles flottait le pavillon anglais.
Nous allons transcrire une autre lettre semi-officielle
qui fut écrite à ce sujet par les ordres de
l’intendant du Languedoc, et qui est une des pièces
les plus curieuses que nous ayons découvertes sur
ces négociations occultes, où les traditions du fanatisme
religieux se montrent si bien aux prises dans les
conseils de l’État avec la première des lois, celle de la
défense du pays : elle fut encore écrite de Montpellier1746. 27 octobre.
à M. Resch, avocat protestant, influent dans les
églises, à la Bessonié, par M. Amiel, agent de l’intendant
de la province, et également protestant.
« Monsieur,
« La cour et monseigneur Lenain sont prévenus
que les Anglais avec les pasteurs provinciaux ont soigneusement introduit en France, surtout dans les
diocèses de Castres, Lavaux et Alby, nombre d’émissaires
qui, de concert, leur prêchent la révolte et la
sédition, et M. Lenain m’a fait l’honneur de me le
faire communiquer. J’ai eu celui de lui faire réponse
pour le persuader du contraire, en lui faisant connaître
le véritable esprit de notre religion, etc., que
j’en étais garant, etc., et pouvant statuer là-dessus, il
me paraissait inutile de prendre des précautions qui
pussent fouler le peuple. Tout cela aurait réussi au
mieux, si l’on n’avait quelques notions par écrit qui
le fortifient dans cette croyance. Cependant, comme
il tourne toujours tout du bon côté, et que nous devons
tous convenir que Dieu nous l’a placé dans notre
province pour maintenir la paix et faire journellement
de bonnes œuvres, dont vous et moi avons des
marques bien certaines, il m’a chargé, sachant que
je ne puis ni voyager ni marcher, de jeter les yeux
sur des personnes sages, discrètes, vraies et intelligentes,
nouveaux convertis, mais point entachés d’esprit
de parti, à l’effet de caver au plus fort jusqu’aux
pasteurs pour savoir la vérité et leur véritable façon
de penser, pour éviter des meurtres, peut-être même
la perte totale d’une province comme la nôtre, que le
roi avait regardée habitée par la docilité même, etc., et
connaissant là-dessus votre égalité de façon de penser
avec la mienne, l’importance pour notre religion
d’effacer des doutes qui lui font un tort infini, etc,
j’ai cru, Monsieur, pouvoir me confier à vous pour
vous prier, ma lettre reçue, départir subito et incognito
pour vous rendre aux endroits où peuvent être
MM. Viala, Corteis, et Olivier, et autres ministres
des diocèses ci-devant nommés, à l’effet de leur communiquer,
chacun en particulier, la présente lettre, sonder leurs sentiments, et prendre de chacun une
lettre qu’il faut qu’ils écrivent à M. Lenain, pour lui
apprendre ce qu’ils pensent là-dessus, ce qu’ils prêchent
au peuple, et notamment, qu’ils n’ont avec les
Anglais aucun commerce, directement par des émissaires,
ni par correspondance, en supposant, comme
je le crois, que cela est sûr ; au contraire, qu’ils prêchent au peuple la patience, la paix, une parfaite
obéissance à notre bon roi, et que dans tous les
temps, surtout dans une descente anglaise comme
celle qui vient d’arriver en Bretagne, les protestants
seront les premiers à prendre les armes et à s’exposer
à perdre leurs vies et leurs biens pour le maintien de
la couronne de France, etc. Toutes ces lettres étant
faites et ramassées avec précaution et sans bruit, vous
aurez la bonté de me les envoyer par la poste, ou à
mesure que vous passerez dans chaque département,
en les accompagnant d’une des vôtres, que vous devez
signer et faire d’une manière que je puisse communiquer
à monseigneur l’intendant, et celui-ci à la
cour. Ce qui ne peut que vous faire et à moi un
honneur infini. Ne soyez ni paresseux, ni timide ;
vous marchez sur des ordres souverains, et je vous
garantis de tout sur ma tête, m’obligeant encore de
vous payer en mon propre tous les frais de cette
course, quoi qu’ils puissent coûter : mais ne vous
livrez pas aux particuliers, à moins que vous n’eussiez
absolument besoin d’eux, et que vous ne soyez
sûr de leur discrétion. Quittez toutes affaires, et rendez-vous
incessamment auprès des ministres ; l’affaire
presse ; elle est de la dernière conséquence à tous
égards. Je m’en rapporte au surplus à votre prudence ;
mais je dois vous observer que, dans les lettres que les
ministres écriront, qu’il n’y ait point de fatras ni de demandes de grâces ; ils doivent seulement s’attacher
à la question anglaise, et à prévenir qu’ils ne se lieront
jamais à eux contre la France. Voilà l’objet le
plus principal duquel ils ne doivent point s’écarter.
Persuadez-leur que monseigneur l’intendant fera
un très-bon usage de ces lettres, surtout si elles
sont vraies et sincères. Pierre Amiel. » (Mss. Cast.
p. 48.)
Cette pièce donne l’idée la plus précise du mode de
gouvernement des intendants et de leurs rapports
administratifs avec les églises. Une police protestante
correspondait avec les protestants et leur transmettait
sous main les ordres d’un intendant chargé
d’exécuter les lois de proscription. De nouveaux convertis,
ou plutôt d’anciens non convertis formaient,
malgré tant de poursuites, une population assez nombreuse
pour inquiéter la cour au sujet de la guerre
étrangère. Le représentant du roi correspondait indirectement
avec des ministres dont les édits punissaient
de mort la seule présence, et était contraint de les
employer pour maintenir les sujets dans le devoir.
À côté de tout cela, les anciens règlements restaient
en vigueur, et des condamnations sévères furent contemporaines
de ces concessions. Voilà un état de
choses où se peint un bien incroyable mode de gouvernement.
Une capricieuse tyrannie se relâchait au
gré des circonstances. Il est probable, du reste, que
ce fut l’intendant qui dicta cette lettre à son agent,
et que, sachant bien que les protestants étaient soumis
aux lois, et qu’ils aimaient la patrie, il n’eut recours
à cette information mystérieuse que pour calmer
des terreurs imaginaires à Versailles. Nous avons
dû nous arrêter sur ces deux curieuses missives. Le
gouvernement de l’ancien régime y respire tout entier. Il est difficile de le faire mieux connaître qu’en
dévoilant ainsi des secrets qui montrent à la fois le
désordre de la marche de l’administration, la situation
précaire des églises, et la sagesse de leur attitude
politique autant que de leur attitude religieuse.
CHAPITRE IV.
Capture et exécution du pasteur Desubas. — Stances sur sa mort. — Événements de Vernoux. — Juridiction des intendants. — Lettre de Paul Rabaut à l’intendant du Languedoc. — Placet des églises au roi. — Persécutions contre les mariages, à Montauban.
Les ministres de Louis XV, et notamment le comte
de Saint-Florentin, agissaient probablement avec
bonne foi, lorsqu’ils répétaient sous main, soit aux
amis des églises du désert en France, soit aux puissants
étrangers qui s’intéressaient à leur sort, que si
les protestants du midi consentaient à tenir des assemblées
secrètes ou peu nombreuses, on les laisserait en
repos. Cette prétendue tolérance administrative fut
reproduite un grand nombre de fois, même pendant
la durée des plus vives persécutions. C’était là une
généralité bonne à produire dans les salons brillants
de Versailles ou dans les cercles philosophiques et
lettrés de Paris. Mais dans la pratique administrative
du Languedoc, ce principe n’avait aucun sens. Il
était inconciliable avec le genre de ces populations.
En effet, ces populations étaient nombreuses, et les
assemblées ne pouvaient pas être composées de peu
de monde. Ensuite les réunions ne pouvaient avoir lieu qu’au vu de la contrée entière et à la face des
intendants et des commandants militaires ; il était
donc littéralement impossible qu’elles fussent secrètes.
Le comte de Saint-Florentin, s’il fut de bonne foi,
s’égara lui-même dans la poursuite d’un problème
insoluble. Il n’y aurait eu de remède sûr à une position
qui était pour l’administration un embarras et
pour les églises un tourment, que celui de relever les
temples, de régulariser les assemblées ; en un mot, de
revenir à l’édit de Nantes. Mais cette mesure équitable
était fort au-dessus des édits du temps. On craignait
ce sentiment qu’on flétrissait déjà du sobriquet de
tolérantisme ; on craignait surtout de paraître porter
la coignée sur l’arbre compliqué et antique des édits
de Louis XIV. Il fallut donc traverser encore bien
des malheurs avant d’arriver à la liberté ou même
au repos.
Il est évident qu’à cette époque du plus fort de la
guerre de 1744 ? l’attention du gouvernement fut
vivement excitée par l’espèce d’attitude que les églises
du désert pouvaient prendre devant l’étranger. Ce
fut principalement sous une couleur factieuse que
leurs ennemis tâchèrent de noircir leur conduite. Il
1745. 28 octobre.parut un réquisitoire fulminant du procureur général
du Saget au parlement de Toulouse. Ce magistrat s’y
élevait avec force contre les nouvelles assemblées,
contre les entreprises des séditieux qui, sous prétexte
de religion, cherchent à semer le trouble et la division
dans l’État : « Ces gens inconnus vont lever leurs
têtes rebelles lorsque les sujets du roi sont occupés
au-delà de nos frontières à faire valoir, les armes à la
main, les droits et les intérêts de la nation. » L’évêque
1746. 10 février.de Valence, Alexandre de Valon, allait encore beaucoup
plus loin que le ministère public de Toulouse dans son mandement. Cette pièce ne prouvait pas une
véritable connaissance de ce qui se passait dans le
Vivarais. L’évêque prétendait que d’abord les ministres
s’étaient glissés sans bruit dans les maisons, mais
que bientôt la circonstance d’une guerre, dont les
glorieux succès auraient dû leur ouvrir les yeux, les
flattant de l’impunité, leur audace est montée au
comble ; de là des assemblées tumultueuses formées
d’hommes, de femmes et d’enfants, « où ces faux
apôtres, assis dans la chaire de pestilence, ont osé
sans honte prêcher leurs dogmes affreux[82]. » Nous
n’aurons pas besoin de réfuter ces déclamations, auxquelles
répondent assez les nombreuses citations
que nous avons faites de la police des synodes et les
preuves, que nous avons données, des soins vigilants
que mettaient les églises à inculquer partout une discipline
sage et sévère. Nous les citons uniquement
pour montrer les préjugés administratifs et religieux
que l’on opposait alors à leurs progrès. Si telles furent
les idées de la magistrature et du haut clergé du Languedoc,
placé sur les lieux mêmes et ne pouvant
ignorer la vérité, on peut juger de l’épaisseur du bandeau
qui couvrait les yeux des hommes d’état de
Versailles.
Quant au prétendu caractère séditieux de leurs
assemblées, les protestants répondaient par un fait
général et indubitable ; c’est que, depuis le commencement
du siècle, sans parler des malheureuses rencontres
de 1686 entre les troupes envoyées par Louvois
et des rassemblements réduits au désespoir, il n’y
avait pas eu d’exemple qu’aucune assemblée eût été
composée de gens armés, ni que dans aucune d’elles on eût répondu par la force à tout ce que la force
avait de plus odieux. Au surplus, la correspondance
que nous avons citée, entre le haut Languedoc et l’intendant
Lenain, prouve que les gouverneurs de province
étaient mieux instruits que les évêques, et
qu’ils n’avaient pas une très-grande défiance sur les
dispositions des églises.
Toutefois les violents réquisitoires du parlement
de Toulouse et les soupçons des ecclésiastiques ne
tardèrent pas à porter des fruits amers. L’année qui
suivit la prise du pasteur Roger fut suivie d’une année
qui vit une semblable catastrophe. Le Languedoc
releva le gibet du Dauphiné. Les ordres de la cour
et les défiances politiques où l’on était alors à cause
de la guerre, faisaient redoubler de vigilance pour
saisir les ministres, que l’on soupçonnait d’être les
premières causes de l’obstination héroïque des réformés.
Ce fut encore, chez le gouvernement de ce
temps, une faute constante, qu’on a de la peine à
s’expliquer. Les ministres qu’il poursuivait si vivement
ne cessèrent d’être les plus puissants garants
de l’ordre. Eux seuls, par leurs conseils, par leurs
lumières, par leur évangélique prudence, préservaient
1746.les paysans cévenols et des plaines du Languedoc
de tomber dans le fanatisme et dans les excès
horribles qu’il entraîne. Eux seuls préservaient la
contrée d’une répétition de la guerre camisarde, qui
fut commencée par la cruauté des administrateurs
catholiques, mais qui devint une arène où catholiques
et réformés se rendirent coupables à l’envi des plus
affreux massacres. Dans d’autres circonstances, et
sous un gouvernement plus doux, les pasteurs toutefois
pouvaient seuls répondre de la tranquillité publique,
et le prouvèrent en effet. C’est ce dont les intendants les plus éclairés ne doutaient nullement.
Aussi ils ne mirent pas une importance systématique
à s’assurer de la personne des ministres. Mais, au
milieu de la confusion d’un tel système, au milieu
des contradictions perpétuelles entre les édits et les
traditions d’une bonne administration, on conçoit
qu’il dut se rencontrer de nombreuses occurrences
où les pasteurs furent dénoncés et saisis.
Cette tragique aventure se renouvela. Elle nous
impose la tâche de raconter la prise et la mort du
jeune proposant, Mathieu Majal, dit Desubas, qui a
figuré au nombre des pasteurs du désert, dont les
églises aient le plus longtemps et le plus précieusement
gardé le souvenir. Les pièces de l’époque, et le
grand mémoire historique de 1744 nous ont transmis
des détails suffisants sur cet événement fort sombre.
Il fut aussi raconté très au long dans une des complaintes
de notre collection[83]. Nous profiterons de
cette pièce pour quelques détails, et nous en donnerons
une citation où se peint d’une manière frappante
tout l’esprit religieux de ces populations, qui
voyaient leurs pasteurs marcher au supplice. Ce
nouvel acte de rigueur, aussi triste qu’honorable pour
les églises, fut accompagné ou fut plutôt précédé des
circonstances les plus fâcheuses et les plus tragiques.
De véritables massacres signalèrent cette persécution.
Les malheurs furent portés au point que leur excès en prévint le retour, et qu’après cet événement, plusieurs
années s’écoulèrent sans que le ministère évangélique
des églises du désert eût fourni une nouvelle
victime.
1745. 12 décemb.Le ministre Matthieu Majal, qui avait pour surnom
Desubas[84], fut arrêté dans la maison d’un de
ses frères pendant la nuit. Cette capture se fit au lieu
de Mazel, près de Saint-Agrève, où aussitôt le commandant
vint l’interroger. Il lui demanda son nom et
s’il avait de l’argent et des vivres ; à l’égard de ses registres,
le ministre répondit qu’il ne pouvait dire où
ils se trouvaient : « par la crainte qu’on ne fît du mal
à ceux entre les mains de qui ils étaient. » On le fit
ensuite partir pour Vernoux. Lorsqu’il passa avec
l’escorte dans le petit village de Cluac, il fut reconnu
par un de ses fidèles, nommé Étienne Gourdol. Ce
protestant, saisi de la plus vive douleur de voir un de
ses pasteurs entre les mains des soldats, ameuta sur
le champ seize ou dix-sept personnes pour aller réclamer
sa liberté auprès de l’officier commandant l’escorte.
Il se mit à leur tête, et atteignit le détachement
à un quart de lieue de Vernoux dans le bois de
Trousse. Là, ces imprudents fidèles demandèrent à
l’officier de relâcher le pasteur ; ce que n’ayant pu
obtenir, il embrassa « résolument » son ministre, en
déclarant qu’il le voulait. L’officier du détachement,
ainsi attaqué, fit feu sur les agresseurs : cinq des protestants
furent tués. L’infortuné Desubas reçut un
coup de baïonnette.
Après cette malheureuse rencontre, le prisonnier
et l’escorte arrivèrent à Vernoux, où de bien plus grands malheurs devaient signaler leur passage. Le
matin de ce même jour, plusieurs assemblées religieuses
avaient été convoquées aux environs de Vernoux ;
elles se trouvaient presque sur le passage du
captif ; tous les éléments d’une émeute qui pouvait
devenir sanglante se trouvaient donc rassemblés. Il
paraît que les fidèles d’une de ses assemblées, en
masse, hommes, femmes et enfants, partirent d’un
mouvement unanime et vinrent se présenter aux
portes de Vernoux pour réclamer la liberté de leur
ministre. Cette foule avait tous les caractères d’un
rassemblement tumultueux en révolte contre les lois.
En vain le sieur Afforty, catholique, juge du lieu, vint-il
au-devant de l’attroupement, pour signifier à ceux
qui le composaient, qu’on ne leur accorderait point
ce qu’ils demandaient ; que la résolution était bien
prise, et qu’ils eussent à se retirer.
Le rassemblement s’avança vers le bourg en poussant
des cris de douleur et de colère. Il en résulta
que les bourgeois firent feu de leurs fenêtres sur cette
troupe tumultueuse, qui était entrée dans le bourg
malgré les avertissements des magistrats. Les protestants
n’étaient pas armés, aussi le feu très-vif parti des
maisons tua environ trente personnes et en blessa1745. 12 décemb.
un bien plus grand nombre[85]. Tel fut le cruel événement
qu’on a nommé le massacre de Vernoux, où sans
doute les habitants de ce bourg se montrèrent sévères, mais où il est évident cependant que les protestants
s’étaient organisés en un attroupement de rebelles
soulevés contre la loi, contre une loi barbare.
Les pasteurs du désert condamnèrent hautement
cette conduite. Le ministre captif lui-même contribua
beaucoup à calmer la colère des habitants. On ne
sait jusqu’où les malheurs auraient pu s’étendre sans
son intervention ; car le lendemain de cette scène sanglante,
l’agitation fut générale dans les montagnes.
La jeunesse des Boutières et des autres lieux les plus
13 décemb.inaccessibles, se rassembla. Elle se munit d’armes
cette fois, et elle se présenta en force le lendemain
devant le faubourg de Vernoux. Heureusement, elle
se borna à menacer et à réclamer la liberté de son
ministre. Mais le pasteur Desubas, du fond de sa
prison, trouva moyen de faire circuler dans la foule un
billet ainsi conçu : « Je vous prie, Messieurs, de vous
retirer ; les gens du roi sont ici en grand nombre, il
n’y a eu déjà que trop de sang répandu ; je suis fort
tranquille et entièrement résigné aux volontés divines. » Ses collègues, ayant appris ce qui se passait,
et l’agitation de la population, accoururent vers la
troupe armée, pénétrèrent dans ses rangs, et joignant
leurs prières à celles du prisonnier, ils obtinrent que
les fidèles de leurs églises abandonneraient tous desseins
hostiles. Les pasteurs réunis écrivirent aussitôt
aux officiers des troupes stationnées à Vernoux, et
leur dirent « qu’ils étaient très-fâchés de ce qui
était arrivé ; que, comme ils s’étaient trouvés éloignés,
ils n’avaient pu le prévenir : mais qu’ils feraient tout
ce qui dépendrait d’eux pour qu’il ne parût plus de
leurs gens en armes. »
Cependant l’agitation produite par les fusillades de
Vernoux n’était point près de se calmer encore. La montagne envoyait toujours des détachements armés
qui venaient l’un après l’autre se dissiper à la voix
de leurs pasteurs. Il y eut même le lendemain une
rencontre fortuite entre l’un de ces petits corps et
un détachement de soldats ; il y eut là encore des
coups de feu et des victimes. Enfin les corps armés
se retirèrent. Mais il restait à accomplir une œuvre
laborieuse. Il fallait avec le ministre et les autres prisonniers,
soutenus d’une faible escorte, traverser des
contrées fort irritées et toutes remplies de protestants.
En effet les paysans se présentèrent en foule sur la
route ; les chemins en étaient couverts. Mais continuellement
aussi, les ministres voisins, informés de
ce qui se tramait, se glissèrent parmi ces populations
exaspérées, en modérèrent les transports, et réussirent
à les contenir[86]. Bien que l’escorte fût considérablement
augmentée, la foule qui faisait cortège
augmentant encore plus, il fallut envoyer un exprès
à Montpellier pour demander main-forte, et pour
éviter qu’un enlèvement sérieux ne fût tenté. Le commandant
La Deveze, pour le duc de Richelieu, fit aussitôt
partir un petit corps d’infanterie et de maréchaussée ;
enfin le pasteur Desubas put être conduit
à Montpellier sans opposition, mais non sans peine ;
en effet, nous disent les mémoires de 1744 » « il n’y
avait guère eu dans ces provinces de ministre ni plus
considéré ni plus chéri que celui-là. »
Arrivé à Montpellier, le pasteur Desubas fut mis dans la citadelle de la ville. Les états du Languedoc
étaient ouverts alors. L’ordre du clergé s’émut du sort
de l’infortuné ministre. La complainte populaire a
gardé le souvenir des visites, presque tendres et affectueuses,
qu’il reçut de l’évêque de Montpellier et de
plusieurs autres prélats. Rien ne fut négligé pour le
porter à changer de religion ; on est péniblement affecté
en voyant des ecclésiastiques raisonnant avec un
prisonnier si parfaitement innocent, et lui proposant
l’abjuration comme l’unique moyen qui lui restât
pour s’épargner le supplice. Mais sa fermeté inébranlable
leur ôta tout espoir de succès. La ballade rapporte
cette conversation ; mais elle peint avec plus de
vérité l’interrogatoire du ministre sur la religion, par
le commandant La Devèze. Nous citerons ces stances :
le commandant.
N’êtes-vous pas ministre
Ou bien prédicateur,
De ce cas si sinistre
N’êtes-vous pas l’auteur ?
Pouvez-vous en conscience,
Sans nul ordre du roi,
Enseigner dans la France
Et prêcher votre loi ?
Notre glorieux prince
Proscrit pour jamais,
De toutes nos provinces,
La foi des réformés.
Pourquoi faire violence,
Monsieur, vous avez tort,
Et selon l’ordonnance,
Vous méritez la mort.
le ministre.
Lubac avec constance
Répond à ce seigneur :
— « Si j’ai prêché en France
La loi de mon Sauveur ;
Les apôtres en Judée,
En Galilée épars,
Prêchèrent en ces contrées,
En dépit de César. »
L’on n’est jamais rebelle
Quand on fait en tous lieux,
D’un cœur brûlant de zèle,
La volonté de Dieu.
Peut-on dans les provinces,
Dites-moi, Monseigneur,
Pour obéir au prince,
Délaisser le Sauveur.
Si, par les ordonnances.
J’ai mérité la mort,
Que sa Toute-Providence
Décide de mon sort :
C’est à ce divin père
Que j’élève mon cœur ;
En lui mon âme espère
D’une constante ardeur.
Aucun ne me peut nuire
Sans son pouvoir divin ;
Tout est sous son empire ;
C’est lui qui me soutient.
Sans faire résistance,
Je suis prêt à partir,
Prononcez ma sentence.
Je suis prêt à mourir.
Après cette peinture des sentiments populaires,
revenons à la suite de cette triste histoire. Au mois
de janvier, le ministre Desubas fut interrogé par l’intendant
chevalier Lenain[87]. Antoine Court nous assure que le ministre captif se conduisit d’une façon
si grave, si décente, si digne d’un parfait honnête
homme, connaissant bien et aimant sa religion, que
tous les juges en furent et stupéfaits et attendris[88].
Les souvenirs de la contrée, et les correspondances
qui restent de ce temps, ne tarissent pas sur les agréments
personnels, sur la politesse et sur la douceur
de ce prisonnier pour l’Évangile. L’intendant Lenain,
dirigé par les ordres formels de la cour, l’adjura en
particulier, par le nom du Dieu devant qui il allait
paraître, de lui dire la vérité, ce que le prisonnier
promit de faire strictement. L’intendant posa ces
questions au ministre Desubas : Les protestants ont-ils
une caisse commune ? ont-ils fait un amas d’armes ?
— Ne sont-ils pas en correspondance avec l’Angleterre ?
— « Rien de tout cela n’est vrai, répondit le
pasteur ; les ministres ne prêchent que la patience et
la fidélité au roi. » — « Je le sais. Monsieur, repartit
l’intendant Lenain. »
Les mémoires disent que lorsque la sentence fut
prononcée au prisonnier, il fut le seul qui n’en parut
point ému, et que l’intendant l’assura que c’était avec
douleur qu’il le condamnait, mais que c’étaient les
ordres du roi. — « Je le sais, Monsieur, repartit le
ministre. »
Le 2 février, le ministre Desubas fut conduit au
lieu de supplice, qui était l’esplanade de Montpellier.
Il sortit de prison dépouillé de ses vêtements et les
jambes nues. Les mémoires nous rapportent l’impression
générale des spectateurs en la foule immense,
quand ils virent le calme de son visage et la beauté de
sa physionomie. La sympathie populaire redoubla,
lorsqu’au bas de l’échelle du gibet, il se mit à genoux
et pria avec ferveur. On eut soin toutefois de le faire
arrêter au second échelon, jusqu’à ce qu’il eût vu brûler,
sous ses yeux, les papiers qu’on avait saisis sur
sa personne. Les flammes de ce petit bûcher consumèrent
plusieurs livres de piété protestants, et un
cahier de notes synodales. Prenant alors congé des
deux jésuites qu’on lui avait donnés pour l’accompagner
au supplice, il repoussa un crucifix qu’ils voulaient
lui faire baiser, témoignant par là, jusqu’au
dernier moment, sa fidélité à la foi réformée, qui défend
les images, et qui ne consent à adorer que l’idée
purement spirituelle de Dieu, sans symbole ou idole
extérieure. Il remercia les confesseurs qui l’obsédaient,
et les pria de vouloir bien le laisser mourir en
repos. Personne d’ailleurs ne put entendre ses dernières
paroles, parce que, selon la coutume, il marcha
sans cesse à côté de plusieurs tambours, dont le
bruit étouffait sa voix[89]. Les mémoires, écrits sur les lieux mêmes, terminent par ce tableau fervent et rempli
d’une naïveté touchante : « Enfin, monté courageusement
au haut de l’échelle, il fit paraître, jusqu’au
dernier moment, tant de constance et de piété, que
tout le monde, sans distinction de protestants ou de
catholiques, fondait en larmes ; les premiers bénissant
Dieu de l’édification que leur donnait le martyr, et
les seconds les félicitant de l’honneur que leur faisait
le martyr. » (Mém. hist. de 1744.)
Ainsi périt, le 2 février 1746, le ministre Matthieu
Majal, dit Desubas. Il était âgé de vingt-six ans. Malgré
l’édification que produisit sa mort courageuse,
elle fit jeter un long cri de douleur et de regret aux
églises du désert. Ce pieux et courageux jeune homme
était chéri par une foule de communautés du Vivarais.
Ses services avaient déjà été réels ; surtout sa piété,
sa foi religieuse, étaient profondes. Nous n’avons
point trouvé, dans les ballades populaires et analogues,
un tableau de sentiments religieux plus fervents. Ils
sont exprimés d’une manière si vive et si touchante à
la fois, que nous croyons devoir copier les stances
suivantes, chef-d’œuvre de style religieux populaire.
On peut juger quel effet durent produire de telles
stances, lorsque les montagnards du Gévaudan ou du
Vivarais les redisaient dans les lieux de leurs prêches
inaccessibles. (Mss. V.)
le ministre, au lieu de l’exécution.
« Mon sort n’est pas à plaindre,
Il est à désirer :
Je n’ai plus rien à craindre ;
Car Dieu est mon berger.
C’est mon sort, ma défense,
Que j’ai à redouter,
En lui mon espérance,
Mon unique rocher.
Mon âme, prend courage,
Car c’est pour aujourd’hui
Que tu sors d’esclavage
Pour t’en aller vers lui.
Tu vas être ravie,
Dans ce charmant séjour,
D’ouïr la symphonie
De la céleste cour.
Avec les saints anges,
Tu joindras ton concert,
Pour chanter les louanges
Du roi de l’univers.
Dans la gloire éternelle,
La robe tu prendras
De couleur immortelle,
Après tous ces combats.
Allons en diligence,
Mon cœur dans ce moment,
Revêtu de constance,
Embrasser le tourment ;
Allons avec zèle,
D’un regard gracieux,
Monter sur cette échelle
Qui nous conduit aux cieux.
Il part pour le supplice,
Escorté à l’entour
D’archers de la justice,
De quatorze tambours,
Qui jusqu’à la potence,
Roulèrent incontinent
Pour vaincre sa constance
Et étourdir ses sens.
Étant à la potence,
Ce martyr généreux,
Implora l’assistance
Du monarque des cieux ;
D’un courage héroïque
À l’échelle il monta ;
Vers la troupe angélique
Son âme s’envola.
Ainsi finit la course
D’un généreux pasteur,
Pour aller à la source
D’un céleste bonheur.
Que ton sort est aimable,
Et l’état glorieux,
Ta joie délectable
Dans les augustes lieux !
— Faisons cesser nos plaintes,
Fidèles protestants ;
Nos sanglots, nos complaintes,
Et nos regrets cuisants.
Lubac n’est plus à plaindre,
Il est hors du danger ;
Il n’a plus rien à craindre,
Ni rien à désirer.
Chérissons sa mémoire,
Imitons son ardeur.
Suivons-le dans la gloire,
D’esprit et de cœur ;
Que si Dieu nous appelle,
Au tourment rigoureux,
Imitons ce fidèle,
Nous serons bienheureux. »
Il serait difficile de rien ajouter à l’expression de
la confiance religieuse et de la douleur populaire,
qui s’exhale en un tel chant. La rudesse littéraire n’y
fait rien ; c’est la ferveur et la piété de pareils morceaux
qu’il faut sentir : ils nous laissent concevoir,
mieux peut-être que toutes les délibérations synodales,
cette foi des masses, qui est une puissance si
indomptable qu’elle sait puiser, dans la vue d’un
supplice, une source féconde d’enseignements et de
constance. Aussi le supplice du jeune et intéressant
pasteur du Vivarais, Mathieu Desubas, ne produisit aucune interruption dans les assemblées religieuses. Il
y a même quelque chose de mieux à dire. Deux années
plus tard, tout à fait dans le bas Languedoc, et
peut-être non loin de cette esplanade de Montpellier
où périt le ministre, un synode national se réunit,
plus garni de pasteurs et d’anciens laïcs que nul
autre encore dans toute la durée du siècle.
On remarque que dans l’exécution de ce jeune
ministre, les édits de Louis XIV et la déclaration
de 1724 avaient été appliqués avec une extrême
rigueur[90]. Le pasteur n’avait pas été saisi dans
l’exercice même de ses fonctions, circonstance qui eût
pu seule le constituer en flagrant délit. Il avait été
pris la nuit chez un fidèle. Si ce n’eût été sa propre
déclaration et les notes synodales, rien ne prouvait
qu’il eût convoqué des assemblées, ni qu’il eût exercé
les fonctions de ministre. Mais, en sacrifiant cette
nouvelle victime, on voulut faire un exemple ; il
réussit comme tous les autres. Ce fut M. de La Deveze,
lieutenant commandant la province en l’absence du duc de Richelieu, qui ramena le ministre de Vernoux
à Montpellier, et ce fut l’intendant Lenain qui le
condamna à mort. Les églises furent d’autant plus
désolées de la fin tragique de leur ministre Matthieu
Desubas, qu’elles savaient fort bien que, sans sa modération
dans les émeutes de Vernoux, les rassemblements
armés eussent peut-être arraché leur pasteur
au sort qui lui était réservé.
Cependant, même en présence de ce malheur qui
vint frapper les églises du bas Languedoc, celles des
autres provinces donnaient à leur constitution et à
leur discipline des bases toujours plus solides. À
cette époque, c’était surtout le Dauphiné, le comté
de Foix, et le bas Languedoc, qui avaient été le théâtre
du plus grand nombre de condamnations ou de surprises
à main armée ; celles de la haute province
et de la Guyenne, plus calmes, avaient pu poursuivre
leurs évangéliques travaux, sans être l’objet de tant
de poursuites. Nous devons enregistrer ici quelques
faits d’organisation et de discipline qu’elles prirent
jusqu’au temps de la grande dragonnade des
Cévennes en 1752. Nous voyons d’abord que le colloque
militaire convoqué par les scrupules craintifs de l’intendant1746. 10 décemb.
Lenain, excommunie rigoureusement tous
les fidèles, coupables d’avoir participé à l’idolâtrie de
l’église romaine, pour les baptêmes, les mariages, ou
autrement, soit dans le pays, soit qu’ils se transportassent
à Paris, à Montpellier ou ailleurs. Il fallut
aussi sévir contre une manœuvre odieuse qui s’était
introduite dans l’église même : il fallut retrancher du
corps des fidèles ceux qui, nantis des biens des mariés
au désert, refuseraient de les leur rendre sous
prétexte de la nullité de ces mariages (Mss. Cast. Coll. du 10 déc. art. 4). Le pasteur Corteis, prêté par
les hautes Cévennes au bas Languedoc pour deux
ans, fut définitivement engagé, vu ses éminents services,
à se consacrer au service de cette dernière
province. Le ministre Dunières, dit Lacombe, pasteur
du Vivarais, et le proposant Jean Dumas, dit Pajou,
furent agrégés au corps ecclésiastique du haut Languedoc
(Ibid. syn. prov. du 24 nov. 1747 Mss. P. R.).
Divers articles singuliers de discipline furent renouvelés
des anciens synodes. Il fut défendu aux anciens
diacres et fidèles, de fréquenter les cabarets, jeux de
cartes, de dez, et autres divertissements qui donnaient
du scandale ; de prétendre à aucune puissance les uns
sur les autres, les voix devant être recueillies dans
l’ordre où ils se trouveraient assis ; de quitter le service
divin au moment de la célébration de la sainte
cène. Il fut enjoint à tous les fidèles d’observer religieusement
le repos du jour du dimanche, en s’abstenant
non seulement « du travail ordinaire, » mais
aussi des compagnies et divertissements : il fut défendu
aux fidèles de se permettre « la distraction irrévérencieuse
et tout babil dans les saintes assemblées, comme aussi les danses, les profanations, les
jeux. » Il fut ordonné qu’on ne recevrait point de parrain
ni de marraine au-dessous de l’âge de puberté,
que les parents devraient assister, sous peine de censure,
au baptême de leurs enfants, et que ceux qui
n’assisteraient aux saintes assemblées que les jours
de communion, seraient exhortés, et, au besoin, privés
de la Cène. Nous trouvons aussi cet article assez
curieux contre les charivaris dont l’usage n’a pu être
entièrement déraciné dans le midi de la France :
« L’assemblée a ordonné que ceux qui assisteront
aux charivaris, et qui rançonneront ceux qui sont
mariés, seront poursuivis suivant la rigueur de la
discipline, et demeureront suspendus de la sainte
cène, jusqu’à ce qu’ils aient restitué l’argent reçu
entre les mains des trésoriers des pauvres où de tels
scandales auront été commis, pour être remis aux
parties lésées, si elles veulent l’accepter ; sinon il
sera distribué aux pauvres. » Il fut rigoureusement
défendu aux fidèles, soit de permettre le mariage de
leurs enfants avec des partis de religion contraire,
soit de les confier aux collèges des jésuites. Voici
d’autres articles de mœurs également saillants : il fut
interdit aux fidèles d’assister aux festins et réjouissances,
qui se font dans les fêtes votives de l’église
romaine, et de se visiter à l’occasion de la fête du patron
de la paroisse ; la censure ecclésiastique devait
atteindre tous ceux, de quelque qualité et condition
qu’ils fussent, qui assisteraient à la comédie, ainsi que
ceux qui, au temps du carnaval, auraient participé
aux dissolutions de ceux de l’église romaine, ou commis
des excès ; il fut défendu aux fidèles de recourir
à ceux qui se mêlent de guérir les maladies des hommes
ou celles des bêtes par des paroles superstitieuses ou des brevets, ce qu’on appelle conjurer. La défense des
duels fut renouvelée sous les peines les plus sévères.
Des peines disciplinaires non moins graves devaient
frapper ceux qui se permettraient, par complaisance
ou pour de l’argent, de prêter de leurs meubles et
effets pour tendre et tapisser le jour dit la Fête-Dieu
(Ib. syn. prov. du 10 déc. 1747. Mss P. R.) Nul autre
synode du temps ne peint d’une manière plus frappante
et plus naïve, la rigueur de la morale, qui s’élevait
dans ces églises persécutées, non moins que les
mœurs de ces populations mixtes, où la portion protestante
tendait sans cesse à se mêler aux usages et
aux fêtes des autres cultes. Ces mêmes hommes qui
prenaient part aux carnavals et aux banquets patronaux
de la foi romaine, et qui prêtaient des draperies
pour la Fête-Dieu, se laissaient ensuite enfermer à
perpétuité dans les bagnes, plutôt que d’abjurer leur
foi. Il faut remarquer de plus que ce n’étaient pas
les pasteurs seuls qui promulguaient ces règlements
rigoureux, puisque dans l’assemblée qui les rendit il
n’y avait que trois ministres contre vingt-cinq anciens
et laïcs.
Ce fut toujours un trait aussi capital que remarquable
dans tous ces synodes, que la présence constante
d’une majorité d’anciens, c’est-à-dire de membres
laïcs. Ce ne furent donc point des prêtres, mais
bien les fidèles eux-mêmes, qui rendirent tous ces
décrets si sévères et si fervents.
Cependant les malheurs des protestants du désert
semblaient être parvenus au comble. Dans tout le
midi du royaume, les populations exaspérées étaient
sur le point de méconnaître la voix de leurs pasteurs,
qui leur recommandaient sans cesse la soumission aux
lois et la résignation, même au milieu de leurs malheurs. Toutes les requêtes restaient sans réponse, se
perdaient dans les bureaux, ou n’obtenaient que le
mépris des ministres. On résolut de prendre des mesures
plus nettes, et de révéler à la cour, et les maux
qui accablaient les protestants, et le danger de les
pousser trop loin. Les communications entre l’agence
générale des églises à Lausanne, et les pasteurs du
midi de la France, révèlent cette tendance de la manière
la moins douteuse. À la fin de 1746, Antoine
Court communiquait ainsi ses idées aux églises du
midi : « Le parti que je propose, et dans lequel je
m’affermis, ne renferme point de menaces indirectes.
Il expose seulement un fait, dont la bonne politique
doit craindre les suites, et que tout le zèle et toute
la fidélité des ministres ensemble ne sauraient se promettre
d’empêcher ou de prévenir. Ce fait, c’est l’état
de souffrance sous lequel gémissent une infinité d’innocents
malheureux. Les suites qui en peuvent résulter
sont celles que produit un désespoir qui s’élève
au-dessus de toute considération humaine, au-dessus
de la religion même. Et oseriez-vous répondre que la
désolation de tant de familles ruinées, que celle de
tant de personnes aujourd’hui errantes, condamnées
à des peines infamantes, à des amendes exorbitantes
et ruineuses, où se trouvent plusieurs gentilshommes
même ; que celle de tant d’autres, dont on a rasé les
maisons, massacré les parents, et celle enfin de tant
d’autres, qui ne trouvent ni repos, ni sûreté nulle
part ; oseriez-vous, dis-je, répondre que l’état funeste
dans lequel se trouvent tant de malheureux ne les
jetât dans le désespoir, et que le désespoir ne les
portât à des démarches dont la bonne politique doit
craindre les suites ? Tout ce dont les ministres peuvent
répondre, c’est qu’ils ne cesseront d’affermir leurs troupeaux dans le devoir de la fidélité, de la soumission
et de la patience ; c’est qu’ils se montreront
eux-mêmes, à cet égard, des modèles toujours fidèles
et toujours les mêmes. Prendre des engagements plus
étendus, c’est risquer de promettre plus qu’on n’est en
état de tenir. » (Lett. d’Ant. Court à P. R. 30 déc.
1746. Mss. P. R.) Il est évident, d’après ces réflexions
aussi justes que fermes, que les rigueurs et les condamnations
de tous genres, loin d’avoir supprimé les
assemblées et le culte, n’avaient abouti qu’à donner
aux esprits ce caractère d’irritation et de colère, qui
précède les commotions politiques. C’est sous l’empire
de cette conviction que les églises adressèrent
au roi et à l’intendant un mémoire détaillé sur leur
position, où elles relatent leurs malheurs, l’espèce et
le nombre des victimes, et où elles donnent assez
clairement à entendre que la tranquillité publique
serait compromise si on continuait sur la même ligne.
On découvre évidemment cette pensée, dans une démarche
de Paul Rabaut, où elle est enveloppée des
termes les plus mesurés, mais les moins équivoques.
Pasteur d’une des églises les plus opprimées, commençant
au milieu des périls une carrière qu’il devait
parcourir avec tant d’honneur et de constance, il crut
pouvoir s’adresser, à la fin de 1746, à l’intendant
Lenain, qui venait de faire exécuter le ministre Desubas ;
il lui transmit une sorte de déclaration qui est
remarquable, en ce qu’elle contient comme un résumé
prophétique de tout son ministère pastoral. « En
me destinant à exercer le ministère dans ce royaume,
écrivait Paul Rabaut à l’intendant Lenain, je n’ai pas
ignoré à quoi je m’exposais ; aussi, je me suis regardé
comme une victime dévouée à la mort ; aucune considération
humaine n’aurait été capable de me faire prendre un tel parti… J’ai cru faire le plus grand bien
dont j’étais capable en me dévouant à l’état de pasteur.
L’ignorance est la mort de l’âme et la source
d’une infinité de crimes. Les protestants étant privés
du libre exercice de leur religion, ne croyant pas
pouvoir assister aux exercices de la religion romaine,
ne pouvant avoir les livres dont ils auraient besoin
pour s’instruire, jugez, Monseigneur, quel pourrait être
leur état, s’ils étaient absolument privés de pasteurs.
Ils ignoreraient leurs devoirs les plus essentiels ; ils
tomberaient ou dans le fanatisme, source féconde
d’extravagance et de désordres, ou dans l’indifférence
et le mépris de toute religion… Votre Grandeur
n’ignore pas que le ministère des pasteurs a obvié
en grande partie à ces inconvénients ; en mon particulier,
je n’ai rien négligé pour instruire solidement
ceux qui ont été confiés à mes soins. Je me suis attaché
surtout, après avoir établi les vérités fondamentales
de la religion, à prêcher les devoirs importants de la
morale. J’ai fait des discours exprès sur l’obéissance
et la fidélité au souverain… Il est vrai que les protestants
ont beaucoup souffert en diverses provinces du
royaume, soit en leurs personnes, soit en celles de
leurs enfants, soit en leurs biens, et que cela pourrait
faire craindre que les exhortations des pasteurs
n’eussent pas tout le succès désiré ; mais Votre Grandeur
me permettra de lui dire qu’on n’a rien négligé
pour former les protestants à la soumission, à la
patience, et au détachement du monde. » (Déc. 1746.
Lett. de M. P. R., min. de la parole de Dieu dans le désert, à monseigneur Lenain, intend. de la prov. du Languedoc. 5 p. Mss. P. R.)
Cette lettre respectueuse, mais d’une tendance fort
claire, dans laquelle un ministre du désert écrit à l’administrateur suprême de la province, pour confesser
hautement une fonction, dont l’exercice le condamnait
à mort, servit d’introduction à la présentation
du grand Mémoire de plaintes, qui fut remis au
même magistrat pour être transmis à la cour, au commencement
de 1747. On y voit très-clairement la
situation des esprits, et la ferme conviction où étaient
les pasteurs les plus prudents du midi de la France,
qu’il leur serait impossible de répondre de la tranquillité
publique, si les persécutions continuaient. Ce
mémoire rappelle que les ministres du désert ont
écrit aux intendants, pour leur faire part de leurs
efforts pour calmer les esprits, mais que les souffrances
des protestants sont portées au point qu’il était fort
à craindre que les exhortations des ministres ne fussent
impuissantes ; que l’on croirait presque que les
ennemis de la tolérance se font un devoir et un plaisir
de pousser les choses à bout ; qu’il en résulte qu’en
une foule d’endroits les religionnaires sont tombés
dans une espèce de désespoir, qui ne connaît plus de
limite. Après avoir énuméré les faits, le Mémoire de plaintes continue ainsi : « Ce sont ces exemples de
rigueur et d’une sévérité si soutenue, si générale, et
tant d’autres que l’on passe sous silence, qui font
craindre aux ministres que, quelque soin qu’ils se
donnent pour inculquer à leurs troupeaux les maximes
d’une religion qui ne prescrit rien tant, après les devoirs
qui ont Dieu pour objet, que l’obéissance et
la fidélité au souverain, que leurs soins et leurs exhortations
n’aient pas l’effet désiré. La triste situation
de tant de malheureux qu’on a retenus longtemps dans
des prisons obscures, qu’on a désolés par des engagements
et des promesses qui les accablent de honte
et de remords, qu’on a ruinés par des amendes excessives et des frais exorbitants, qui errent dans les
déserts et les campagnes, qui ne trouvent de repos
ni de sûreté nulle part, qu’on a privés de leurs biens,
dégradés de leur noblesse, condamnés au supplice des
scélérats, de qui on a rasé les maisons, enlevé les
femmes et les enfants, ou plutôt de qui l’on a massacré
et tué, à l’un son père, à l’autre sa mère, à l’autre son
plus proche parent, et qui se trouvent tous les jours
menacés de traitements encore plus rigoureux ; à qui
on ne cesse de dire qu’une fois la paix faite, il n’y
aura plus de sûreté pour eux, et qu’on ne regarde
que comme des victimes dévouées à une fatale destruction :
une telle situation ne peut faire sur ces gens,
faits comme les autres hommes, et, par conséquent,
non insensibles à tous les maux qui les accablent, que
les impressions les plus fortes. Le présent ne leur
promettant rien de favorable, l’avenir ne leur offrant
rien que de tristes et sanglantes scènes, qui vont décider
leur ruine, le désespoir ne peut que naître et
sortir du cœur de tant de malheureux, errants, fugitifs,
persécutés, menacés, qui cherchent à sauver leur vie
par les premiers moyens qui se présentent, et qui ne
craignent plus rien et hasardent tout, quand ils sont
en danger de la perdre… Tous ces exemples de sévérité
rassemblés rendent l’état des protestants plus
malheureux et plus déplorable que celui d’aucun des
peuples qui vivent aujourd’hui sur la terre. Pourrait-on concevoir un état plus malheureux que
celui d’un peuple nombreux et fidèle, à qui il est
également, et sous les mêmes peines, défendu de servir
Dieu dans le royaume, suivant les lumières de
leur conscience, et d’en sortir pour aller s’acquitter
de ce devoir dans les pays étrangers de leur communion,
et à qui il ne reste, si on s’en tient aux édits, que l’un de ces trois partis : ou de professer la religion
romaine, contre les lumières de leur conscience, ou
de vivre sans aucun culte de religion, comme des
infidèles, ou d’être exposés à tous moments de perdre
leurs libertés et leurs vies, comme il est arrivé à cette
foule innombrable de leurs frères, dont on vient de
rapporter quelques exemples. Ne semblait-il pas, Monseigneur,
être de la justice la plus étroite, qu’en voulant
éteindre la religion réformée en France, et en
interdire tout exercice, on permit à ceux qui la professent,
et qui en conservent les sentiments, de sortir
avec ce qu’ils pourraient emporter de leurs biens et
de leurs effets ; mais, par l’article 10 de l’édit, qui
révoque celui de Nantes, il est défendu à tous protestants
sujets du roi de sortir du royaume, sous peine
de galères et de confiscation des biens, et l’on a vu
les galères, et toutes les prisons du royaume, remplis
de ceux qui, pressés par leur conscience, ont osé entreprendre
d’aller chercher ailleurs une liberté qu’ils
ne trouvaient plus dans leur patrie. » Telles furent
les plaintes humbles et remplies de dignité que les
réformés français transmettaient à la cour, au milieu
des persécutions de 1745 à 1747 ; on ne voit point
qu’elles furent suivies de quelque adoucissement bien
notable à tant de maux. Il est plus que probable que
leurs pétitions ne parvenaient pas même au pied du
trône. Si leurs placets écrits étaient dédaignés, leurs
ouvrages apologétiques imprimés n’éprouvaient pas
un sort plus heureux. S’ils mettaient au jour quelque
mémoire imprimé secrètement, pour expliquer l’innocence
de leur culte, de leur discipline et de toute
leur conduite, à l’instant, quelque ménagés qu’en
fussent les expressions et le style, les parlements supprimaient
ces défenses, comme contraires aux édits, avec interdiction formelle à tous imprimeurs, ou toutes
personnes que ce fût, de publier ou garder tels écrits,
sous peine de punition exemplaire. On ne conçoit que
trop comment leurs ministres, sondant toute la gravité
du mal, et le péril dont il menaçait l’État, aient
cru devoir avertir très-formellement la cour qu’entre
une telle oppression et un état de révolte ouverte il
n’y avait pas bien loin. D’ailleurs, au moment même
où le placet était expédié, la ville de Montauban fut
le théâtre de nouvelles persécutions. Dans le Languedoc,
la ville de Marsillargue fat condamnée à l’amende,
pour assemblées, grâce aux délations dévotes du marquis
de Calvisson (Lett. du min. Claris, 3 juill. 1747.
Mss. P. R.).
Il convient d’entrer dans quelques détails sur les
jugements qui furent prononcés contre les fidèles de
Montauban, parce qu’ils sont honorables pour cette
communauté, et parce qu’ils marquent tout à fait le
caractère de la législation du temps. Cette fois-là, les
peines les plus fortes furent décernées contre plusieurs
protestants de la généralité pour le simple fait
de s’être mariés devant un ministre. Il faut remarquer
ces modifications ou plutôt ces perfectionnements
dans les édits et dans la jurisprudence qui
accablait les églises. Déjà il avait été ordonné que
tous sujets de Sa Majesté, qui auraient assisté aux
assemblées, et qui y seraient pris en flagrant délit,
seraient condamnés aux galères ; c’était le texte et
l’esprit de la déclaration de 1724. Mais l’assemblée
religieuse, une fois finie et dissoute, il devenait bien
difficile de saisir les délinquants. Alors intervinrent
les ordonnances de Louis XV, de 1745, qui réglaient :
« qu’à l’égard de ceux que l’on saura avoir assisté auxdites
assemblées, mais qui n’auront pas été arrêtés sur-le-champ, veut et entend Sa Majesté que les hommes
soient envoyés incontinent, et sans forme ou figure
de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir
comme forçats pendant leur vie, et les femmes et
filles récluses à perpétuité. » Ce fut l’intendant de la
généralité de Montauban, L’Escalopier[91], qui fut
chargé de mettre à exécution cette loi inconcevable.
Cet inquisiteur se procura d’abord un certificat qui
constatait que Paul Garry, du lieu de Bellegarde, et
Olimpe Maffre, de la paroisse de Sapiac, avaient été
mariés au désert par le ministre Jacques Dunières. À
cette accusée il adjoignit Marie Vernhes, de Bellegarde,
et Jeanne Terme, de Saint-Martial ; il les condamna
toutes trois à « être récluses à perpétuité dans
l’hôpital général de la ville. » Quant à leurs maris et à
d’autres protestants, outre ceux que nous avons
nommés, monseigneur L’Escalopier choisit encore
Raimond Gaillard, de Léojac, Barthélémy Costes, de
Saint-Martial, Jacob Caussade, du lieu de Courtade,
et Jean Mouissié, des Cabouillous. Après avoir déclaré1746. 17 décemb.
comme fait constant qu’il avait été tenu une
assemblée de nouveaux convertis dans le lieu de Cabouillous,
paroisse du Fau, « dans laquelle un ministre
de la religion prétendue réformée a prêché et
fait autres fonctions de ladite religion, et à laquelle
s’étaient trouvés ces coupables, » il les condamna aux
galères perpétuelles : « ordonnons qu’ils seront attachés à la chaîne pour y être conduits. » Ainsi par ce
jugement, que l’intendant prononça tout seul, quatre
hommes et trois femmes furent enchaînés aux galères
perpétuelles pour avoir simplement assisté à une
assemblée et s’y être mariés. Aux yeux de la loi et devant
le tribunal d’un juge digne d’elle, tous ces pauvres
gens furent ainsi punis, parce qu’ils étaient coupables
de mariage. Après ce jugement équitable,
monseigneur L’Escalopier n’oublia pas la partie des
finances : « Avons condamné et condamnons les habitants
nouveaux convertis de la ville et faubourgs
de Montauban, et de Villemade, en l’amende de
3,000 livres au profit de Sa Majesté, et en outre aux
frais faits à l’occasion de ladite assemblée, liquidés à
la somme de 1 847 livres sept sols[92]. » Ajoutons
cependant que ce jugement du commissaire départi
pour l’exécution des ordres de Sa Majesté, dans la
généralité de Montauban, fut trouvé un peu trop
dur, même par les persécuteurs. Plusieurs grâces vinrent
adoucir l’arrêt de ce praticien cupide et cruel
(Rég. aff. plac.). Aussi, après ce jugement, nous
voyons par nos pièces que le pasteur Dunières, dont
on envoyait ainsi les ouailles dans les bagnes, crut
qu’il était prudent de suspendre même les assemblées
nocturnes (Lett. du 10 février, Mss. P. R.). Ainsi,
dans ces malheureuses conjonctures, ni les assemblées
privées, ni les ténèbres de la nuit, ne pouvaient
dérober les églises du désert à la vigilance de la cour
et à la froide cruauté des intendants.
CHAPITRE V.
Antoine Court et Paul Rabaut. — Persécutions générales de 1740 ; peines corporelles et confiscations. — Listes et correspondance des galériens pour cause de religion. — Liste des femmes prisonnières à la tour de Constance du château d’Aigues-Mortes.
Nous nous proposons de donner maintenant un
tableau général des souffrances des églises du désert
dans les dix années qui s’écoulèrent entre 1740 et
1750. Il nous faudra pénétrer dans le triste détail du
genre des peines prononcées ; il nous faudra donner
les listes des galériens et des prisonnières, que ni les
bagnes de Toulon, ni les salles de la tour de Constance,
ne purent effrayer ou convertir. Renoncer à parler de
toutes ces choses, ce serait renoncer à écrire l’histoire
de la foi du désert. Mais avant de poursuivre le
tableau de ces constants efforts et des persécutions
qui ne lassaient ni leurs auteurs, ni les victimes, il
est à propos de donner au moins une esquisse de la
vie de quelques-uns de ces courageux pasteurs, qui
surmontèrent tant de difficultés et qui vécurent en
présence du martyre. Mais nous ne pouvons composer
de telles biographies. Ces hommes évangéliques,
plus désireux de faire le bien que de le raconter,
ont laissé leur signature au bas d’actes très-nombreux ;
ils nous ont transmis des pièces et des monuments
très-variés de leur zèle pastoral, mais nulle
part ils ne nous ont légué une notice un peu régulière
sur leur vie. Ainsi nous ne pouvons donner une
biographie méthodique, ni d’Antoine Court, ni de
Paul Rabaut. Leur vie se fera connaître par les innombrables travaux dont nous devrons enregistrer
la mémoire.
En l’absence de renseignements détaillés et réguliers,
nous nous bornerons à citer quelques dates
certaines et principales. Le pasteur Antoine Court
naquit en 1696, à Villeneuve de Berg, ou à la tour
d’Aiguës, en Vivarais. Il fut ministre et il fut consacré
de fort bonne heure. Nous avons vu quelle admirable
mission il se donna, et avec quel singulier mélange
de courage et de prudence il l’accomplit. Après
beaucoup de travaux et de courses dans les églises
du midi du royaume, au milieu des dangers (parmi
lesquels il faut distinguer la tournée de 1728 et le
voyage au synode national de 1744), le pasteur Antoine
Court finit par s’établir à Lausanne ; là, il veillait
sur le séminaire, en grande partie sa création,
et il ne cessa de protéger, d’encourager et de servir
les églises françaises du désert. Nous verrons que ce
pasteur, si digne de toute la reconnaissance des protestants,
mourut à Lausanne, en 1760, laissant un
fils, le ministre Court de Gebelin. Il faut remarquer
que le mot de Gebelin était un surnom de guerre
pour déguiser, devant la police des persécuteurs, le
nom de Court. Le surnom de Saint-Étienne fut ajouté
au nom du fils aîné de Paul Rabaut. Nous verrons
que tous les pasteurs du désert se servaient d’une
précaution de ce genre pour cacher leur véritable correspondance.
Ces précautions n’étaient pas superflues ;
sans cesse ces pasteurs étaient poursuivis. Les
officiers de justice et les maréchaussées avaient un
signalement fort détaillé de leur personne, afin de
pouvoir les reconnaître et les arrêter. Nous donnerons
dans la suite un tableau de ce genre, qui nous
a transmis l’apparence physique de ces hommes remarquables : ce n’est pas une des pièces les moins
singulières de notre collection. Après la mort du pasteur
Antoine Court, le jeune ministre Court de Gebelin
vint aussitôt se fixer à Paris, où il commença ses
grands travaux d’érudition, et où il organisa un bureau
d’agence et de correspondance pour les affaires
des églises réformées françaises. Nous aurons à signaler
dans la suite les nombreux services que leur
rendit le savant fils d’Antoine Court, Court de Gebelin,
jusqu’à sa mort, en 1784.
Paul Rabaut naquit à Bedarieux, près de Montpellier,
le 9 janvier 1718, d’une famille d’anciens protestants,
renommée par leur piété et par la simplicité
de leurs mœurs. Il est probable que les périls de la
profession de pasteur, le sentiment d’injustice profond
que faisait naître la vue des malheurs des
églises, un certain goût pour l’étude, les dispositions
d’un esprit très-propre au maniement des affaires les
plus difficiles, et encore plus, une vocation sérieuse
et bien sincère, décidèrent ce jeune homme à entrer
dans la périlleuse profession du ministère évangélique
vers 1735. Il se maria de fort bonne heure,
c’est-à-dire vers 1738, avec une jeune fille de Nîmes,
aussi pieuse et aussi courageuse que lui, Madeleine
Gaidan. Le premier fruit de leur union fut le petit
Saint-Étienne, qui devint pasteur, et bien plus tard
le célèbre constituant et conventionnel girondin,
Rabaut de Saint-Étienne. Dès l’âge de six ans, ce fils
aîné fut envoyé à Lausanne, où le pasteur Antoine
Court l’accueillit avec tendresse. Antoine Court avait
quitté les églises du midi du royaume pour s’établir à
Lausanne, vers 1730. Nous pensons, d’après nos
pièces, que Paul Rabaut, encore simple proposant de
l’église de Nîmes, alla étudier à Lausanne en 1740, qu’il y resta pendant deux années, et qu’après sa
consécration il fut nommé pasteur de l’église de
Nîmes vers 1743, fonction qu’il n’abandonna plus
jusqu’à sa mort, en 1795, après un ministère de plus
d’un demi-siècle, c’est-à-dire après cinquante années
du pastorat le plus difficile et le plus dangereux[93]. Au temps des persécutions religieuses, il ne fut pas
incarcéré une seule fois ; on eût dit que la Providence
veillait d’une manière spéciale sur la sûreté de ce digne serviteur. Il est seulement certain que, dès
l’année 1740, c’est-à-dire dès l’âge de vingt-deux ans,
Paul Rabaut se montra déjà fort actif dans le grand
ouvrage auquel il consacra sa vie entière. Vers cette
époque, quelques sociétés de réformés, surpris à
chaque instant par les invasions des soldats, déclarèrent
hautement aux pasteurs du bas Languedoc
qu’ils n’iraient plus aux assemblées que bien armés,
et que, si on prétendait les empêcher d’user de cette
précaution, ils s’abstiendraient d’y paraître. Ce fut
cette alternative très-déraisonnable que le jeune Paul
Rabaut condamna très-vivement, et qui lui valut
cette haute approbation d’Antoine Court : « Autant
que je suis affligé de l’indigne manœuvre de cette
impie et profane jeunesse, qui s’oppose aux saintes
assemblées, autant suis-je édifié de la conduite que
vous avez tenue dans l’occasion dont vous me parlez.
Continuez à vous conduire de même, ou plutôt évitez
avec soin tous les endroits où de pareils événements
pourraient encore arriver ; mais n’oubliez rien pour
ramener, s’il est possible, avec toute la douceur dont
vous êtes capable, ceux qui sont dans des idées si
contraires à l’esprit de l’Évangile, qui les approuvent
ou qui les fomentent, et Dieu veuille bénir tous les
soins que votre zèle vous fera prendre, et Dieu
veuille aussi bénir votre chère personne, et la garantir
de tous les dangers qui la menacent. » (Mss. P. R. Lettre à M. Paul.) Antoine Court avait, sous
tous les rapports, le droit d’adresser ces conseils et
ces directions paternels au jeune proposant du désert ;
il avait beaucoup contribué à ouvrir et à féconder
le champ où, pendant cinquante années, Paul
Rabaut allait marcher d’un pas si ferme. Il faut se
rappeler que tous ces pasteurs de la renaissance, c’est-à-dire à-dire, outre Antoine Court, les Roger, les Courteis,
les Claris, les Viala, et plusieurs autres, étaient de la
génération immédiatement antérieure à celle de Paul
Rabaut.
En reprenant maintenant l’histoire des églises du
désert pendant la guerre de la succession d’Autriche,
nous trouvons ce nouveau et triste caractère de leurs
annales : savoir, que si elles s’assemblaient publiquement,
elles étaient traitées de factieuses, et que si
elles se confinaient dans le culte privé, elles étaient
traitées de nulles et de fanatiques. Les maisons réunissant
quelques protestants, prenaient bien vite l’apparence
de temples, et c’était contre les temples et le
culte régulier que les parlements étaient le plus
disposés à sévir. Les églises, pour ainsi dire, étaient
emprisonnées dans un défilé qui ne présentait nulle
issue. Les rendez-vous de piété les plus secrets n’échappaient
pas quelquefois à la vigilance des cours
1744. 23 avril.souveraines ; ainsi le parlement de Grenoble, pour
un crime de ce genre, avait fait arrêter les demoiselles
Bouvat, mère et fille ; elles furent mises, l’une dans
un couvent, et l’autre en prison. De sorte que les
ennemis des églises du désert se prévalaient contre
elles de leurs ménagements mêmes.
Souvent aussi elles eurent à lutter contre l’action de
calomnies ourdies avec art. Quelques curés fanatiques
des Cévennes inventèrent de graves histoires pour
perdre la partie de leur troupeau qui n’était pas dans
le giron. De pareilles manœuvres, outre qu’elles excitaient
une indignation générale, venaient échouer
1744.devant l’impartialité des cours et des commandants.
Tantôt c’était le curé de Saint-André de Valborgne,
Cévennes, qui se plaignait d’avoir essuyé plusieurs
coups de feu tirés par les nouveaux convertis ; mais l’illusion se dissipa dès que le commandant, M. de Saint-Marcel, eut interrogé cet ecclésiastique, et eut
examiné ses prétendues blessures ; tantôt c’était le
curé de Beaumont, Dauphiné, qui accusait les protestants
de lui avoir tendu un guet-apens et d’avoir 1748.
cherché à l’empêcher de célébrer la messe ; tout se
dissipa encore devant une descente de justice du
juge criminel de Valence. À Merindol, en Provence,
la demoiselle et le sieur Meynard, protestants, décédèrent,
et furent ensevelis dans la nuit et sans pompe.
On répand le bruit que l’enterrement s’est fait avec
éclat, et que trois fois le cortège, ayant en tête le ministre
des huguenots, a fait le tour de l’église paroissiale.1749. Avril.
Le parlement d’Aix informe par le ministère
du sieur Esmioli, lieutenant-criminel, et toute l’accusation
s’évanouit. Toutefois ce ne fut rien au prix
de l’affaire du curé de Boffre, Vivarais. Un sacrilège
insensé mit le feu à l’église, et accusa les protestants
d’être les auteurs de ce crime. L’auteur fut découvert ; la1746. 3 mai.
calomnie fut constatée. Plus tard, sur une lettre de cachet
envoyée de Paris, le curé de Boffre fut arrêté et confiné
au fort de Brescou. Une alerte du même genre
arriva à Milhau en Rouergue ; on accusa les protestants
d’avoir enlevé les hosties ; cette imposture révolta les
catholiques, et sur leur témoignage même les réformés
de Milhau furent pleinement justifiés,[94] Telles
furent les calomnies de détail qu’il faut ajouter à
celles du prétendu édit de tolérance et du cantique
séditieux. Selon Antoine Court, de fausses rumeurs
contre les protestants coûtèrent un voyage précipité
au duc de Richelieu en 1742. Le bruit s’était répandu tout à coup que les réformés des Cévennes ont pris
les armes. Cette rumeur trouva des échos : elle grandit,
se fortifia, et enfin arriva en cour. Le duc de
Richelieu reçut ordre de rejoindre sur-le-champ sa
province soulevée. Il part, arrive, et visite les lieux
suspects : tout était parfaitement tranquille. Enfin on
découvre que des malintentionnés du lieu des Vans,
au Vivarais, avaient donné consistance à cette rumeur
calomnieuse.
Une autre douloureuse partie de ce sujet, nous ramène
à un genre de persécution qui fut presque spécial
à la Normandie et au Poitou, et qui, pour ainsi
parler, réussit à tarir les églises dans leur source. Nous
1748.verrons plus bas le ministre Préneuf, de Rouen, se
plaindre à Paul Rabaut des enlèvements d’enfants,
qui désolaient les familles. Ses plaintes, à cet égard,
sont motivées par les renseignements des mémoires
historiques de 1744 et 1752. On y voit le lugubre tableau
d’ecclésiastiques accompagnés d’archers, qui
allaient la nuit arracher de vive force les enfants jusque
dans l’asile de la couche maternelle. Le curé
d’Athis se signala dans ces expéditions barbares. Ainsi
furent arrachés à leurs parents, de mars 1746, à juin
1751, les Morin et les Richouy, de Caen ; les de la
Barre du Bois, les Duchemin, de Saint-Lô ; les Lecointe,
les Vardon, d’Athis ; les Le Bailly, de la Morinay ; les
Roux et les Vilain, de Cheffresne ; les Du Hamel, de
Saint-Ebremont ; les Lecaplain, de Chanteloup, et
beaucoup d’autres. Dans le Vivarais, on prenait de
plus grandes précautions encore. L’évêque de Die
manifestait à cet égard un zèle peu charitable ; sur
sa plainte, l’an 1748, Merand, de Die ; Rey, de Châtillon,
et André, de Saillans, furent arrêtés et languirent
longtemps à la tour de Crest, parce que leurs enfants s’étaient évadés de l’école de propagation, de sorte
que par une bizarrerie intolérante qui ne s’était peut-être
jamais rencontrée, les pères étaient mis en prison
en remplacement de leurs enfants, qui étaient
sortis pour les rejoindre.
Ces punitions, qui frappaient les familles dans leur
postérité, avaient été dans bien des cas précédées par
d’autres rigueurs, qui atteignaient les parents au moment1745.
de la naissance des enfants. Ainsi à Marigne,
près de Die, Jean Gitard et Jean Bouat furent condamnés
à une amende de 12 et de 30 louis d’or, au
profit du commandant d’Audiffret, pour le crime de
n’avoir pas présenté leurs nouveau-nés à la paroisse,
mais au désert. Cette pratique de rançonner pour
les baptêmes fut aussi mise en usage en Saintonge ;1746. Juin.
les protestants Raveau et Gnérin furent arrêtés pour
avoir fait baptiser leurs enfants dans une assemblée.
Les mêmes condamnations furent prononcées en
Normandie ; un protestant de Rouen, nomme Gausselin,1746. Septembre.
fut longuement détenu pour un fait du même
genre. En cette espèce, comme en toutes les autres, le
Languedoc fut le plus maltraité. Les subdélégués de1750. Octobre.
l’intendant de Montpellier procédèrent contre un
nombre de protestants de Barre, de Sauve et de Saint-Hyppolite,
dans les Cévennes, pour avoir fait baptiser
leurs enfants par des ministres ; chacun des prévenus
fut condamné à la prison et à l’amende. Ces recherches,
concernant les baptêmes, devinrent bientôt et
plus vives et plus générales. L’intendant chevalier
Lenain, dont nous avons rapporté tant de jugements,
mourut en 1751. Ce magistrat était très-dur
et sévère ; nous voyons qu’en 1748 (10 juin) il fit
encore exécuter à Montpellier Jean Desjours, de
Brussac, en Vivarais, pour avoir fait partie du rassemblement qui avait réclamé le ministre Desubas à
Vernoux ; jugement barbare et inutile, rendu plus de
deux ans après l’événement. Lenain put être cependant
regretté, quand on vit son successeur. Ce fut
Guignard, vicomte de Saint-Priest ; nous raconterons
comment les mesures de celui-ci faillirent décider
la guerre civile. Nous verrons que l’arrivée du duc
de Richelieu seule préserva la province d’un embrasement,
qui aurait pu avoir les suites les plus
graves. Nous aurons à signaler que ce furent les enlèvements
d’enfants dans plusieurs villages des Cévennes,
qui décidèrent les premières résistances, qui
enfin portèrent la population exaspérée à prendre les
armes, en commençant, comme l’ancienne guerre des
Camisards avait commencé, par l’assassinat des prêtres
catholiques. Peu s’en fallut que les excès de cette
horrible lutte ne se rallumassent au milieu du dix-huitième
siècle, en 1752. Jusque-là nous devons
poursuivre le récit des persécutions, qui distinguèrent
cette époque, en abrégeant le plus qu’il sera
possible, mais sans taire les faits saillants pour l’histoire.
Nous avons déjà fait sentir combien la position
que les édits avaient faite aux protestants présentait
de grands embarras aux curés et aux intendants,
sous le rapport des mariages. La loi ne reconnaissait
partout que des Français catholiques ; c’était là une
fiction effrontée ; sur ce point les curés catholiques
des paroisses des Cévennes surtout savaient bien à
quoi se tenir. L’édit de 1724, et tant d’autres, avaient
eu beau imposer à toutes les ouailles, sans distinction,
la qualité légale de bons catholiques, ces ecclésiastiques
savaient et ne pouvaient point ne pas savoir
qu’ils étaient entourés de protestants. Ils savaient, à
n’en pas douter, que toute une partie de leur troupeau, et quelquefois même la très-forte majorité,
ne voulait reconnaître d’autres curés que les ministres,
ni entendre d’autres messes que celles du désert.
Il fallait cependant que ces curés mariassent comme
catholiques tous ces membres protestants ; ils étaient
catholiques dans les Cévennes parce que la loi faite
sous le bon plaisir de Versailles l’avait ainsi réglé ; ils
étaient catholiques nempe ex edicto, pour rappeler
le mot de Cicéron.
Que firent alors une foule de curés des Cévennes
pour se tirer d’un pas si délicat ; ils imaginèrent
des épreuves à exiger des nouveaux convertis, des
épreuves de catholicité. Remarquons que ces épreuves
étaient illégales et manifestement contraires aux édits.
Les magistrats ne les approuvaient pas trop. Cependant
elles étaient dictées par un devoir de conscience.
On comprend que la partie la plus pieuse et la plus
sincère des curés cévenols ait eu recours sincèrement
à ce moyen. Quelques curés exigeaient un noviciat
de quatre mois ; d’autres curés exigeaient six mois ;
d’autres exigeaient un an d’assiduité au prône et à la
messe paroissiale. Selon les règlements de l’évêque de
Mende, il fallait renouveler le serment d’être catholique
au pied des autels. Il est clair, qu’à moins de se
passer du sacrement ou de vivre dans le célibat, les
protestants, qui voulaient rester tels, n’avaient pas
d’autre moyen que d’aller contracter mariage au
désert devant leurs ministres. Chaque jour, sous ce
rapport, ils cassaient tous les édits de Louis XIV, si
artistement ourdis par les jésuites.
Mais, en se conduisant avec ce courage consciencieux,
ils trouvaient devant eux la jurisprudence des
intendants et des parlements de presque toutes les
provinces. Ainsi M. Barentin, l’intendant de la Ro-1746. 19 novemb.chelle, condamna trois ménages de Saintonge, Fauconnet,
Biais et Fleuri, à l’amende pour s’être conjoints
par mariage sans avoir observé les formalités
prescrites, et leur défendit de demeurer ensemble.
1746. 17 décemb.Nous avons vu à Montauban les fureurs de l’intendant
Lescalopier contre les époux du lieu du Fau.
Pour un crime du même genre, les Palleville, de
Revel, et les Bosanquet, de la Salle, furent emprisonnés
séparément dans les forts ou couvents de
Brescou, Montpellier, Aigues-Mortes et Anduze. Dans
le comté de Foix, les familles Bourgel, Doumenq,
Rouffiac, Fagez, Lafons, Derieu, furent traitées de la
même manière. L’intendant Lenain, par un arrêt
dont on a conservé le dispositif, voulut à toute rigueur
briser le mariage contracté par les conjoints
Cazenave et Aldeberte, protestants de la ville de
Cette, atteints et convaincus de s’être mariés devant
un ministre de la religion prétendue réformée. Il condamna
ces époux en 1,000 livres d’amende, 20 livres
d’aumônes, avec défense d’habiter « jusqu’à ce qu’ils
1750. 10 décemb.aient fait réhabiliter leur mariage par leur propre
curé, et de plus aux dépens du procès liquidés à la
somme de 221 livres9 sous9 deniers[95]. » Tels furent
les frais taxés par le chevalier intendant Lenain lorsque,
peu de temps avant sa mort, il rendit ce jugement
1749. 21 mai.aussi judicieux que moral. Le parlement de
Bordeaux traita les choses plus en grand. Par un arrêt
solennel et longuement motivé, il enjoignit à quarante-six
personnes, hommes et femmes, des provinces
de l’Angoumois, de l’Aunis et de la Saintonge,
spécialement de Jonzac et de Ségonsac, de se séparer incontinent ; et il déclara les enfants illégitimes et
incapables de succession. C’est par ce jugement que
les magistrats tentèrent de dissoudre l’union des
familles Robin et Rondeau. Un arrêt semblable vint17 décemb.
bientôt frapper neuf autres unions ; ce dernier arrêt,
émanant du parlement de Bordeaux, en 1749, nous
semble aujourd’hui avoir tout l’air d’une fable. Les
époux furent condamnés aux galères perpétuelles ; les
épouses furent condamnées « à être rasées et enfermées
dans l’hôpital de la manufacture de Bordeaux,
auquel hôpital doivent demeurer appliquées les dots
à elles constituées par leurs contrats de mariage. »
L’arrêt ordonna en sus que les certificats de mariage
délivrés par les ministres, lesquels figurent au dossier,
soient « livrés et remis ès mains de l’exécuteur
de la haute justice pour être, par ledit exécuteur,
brûlés à la place du palais de Lombière, et que les prétendus
mariés ou mariées, dénommés auxdits certificats,
soient présents à cette exécution. » Il est inutile
de dire que, lorsque les idées des cours s’améliorèrent,
on ne put opposer avec succès cette déchéance
à l’état civil de tant de religionnaires. Tels furent les
arrêts, marques d’une tyrannie qui s’élève jusqu’au
ridicule, que la cour souveraine de Bordeaux rendait
au milieu des lumières du xviiie siècle. Il n’eût tenu
qu’au fanatisme de ce parlement de faire vivre une
masse considérable de citoyens français dans l’état de
simple nature. Cependant les magistrats avaient pu lire
et méditer l’Esprit des Lois, qui parut en 1748 ; il est
vrai que depuis longtemps alors leur illustre confrère
avait quitté sa charge de président à mortier. Montesquieu
ne prit donc aucune part à des sentences
plus étranges assurément que tous les exemples de
son immortel ouvrage.
D’un autre côté, le parlement du Dauphiné poursuivait
de préférence les délits religieux. Charles Aubert
de La Batie fut l’un des avocats généraux en la
cour qui se signala par des réquisitoires intolérants.
Dans trois mois de 1744, plus de deux cent cinquante
personnes furent ajournées à comparaître, pour accusation
d’assemblées religieuses. En juillet 1746, le
même parlement ordonna le voyage d’une commission,
composée du sieur Cotte, commissaire, d’un
greffier, d’un procureur et d’un huissier ; à cette invasion
des gens de justice, on adjoignit une maréchaussée
et un détachement de deux cents hommes
d’infanterie. Cette commission était chargée de recueillir
les dénonciations contre tous ceux qui avaient
assisté aux assemblées. Il en résulta, devant le parlement,
une suite d’arrêts, du 6 février au 23 septembre
1746, par lesquels près de trois cents personnes furent
condamnées soit à mort, soit aux galères, soit à
l’emprisonnement, soit à des amendes. Il faut ajouter
à cela la nourriture et le logement des troupes, les
maisons rasées, les atteintes portées à l’industrie et
1744.au commerce. Chez les protestants de Milhau, en
Rouergue, on logea deux compagnies de dragons, qui
y demeurèrent du 20 décembre 1744 au 1er mai 1745 ;
ils causèrent une dépense extraordinaire de trente
mille livres. Des compagnies furent casernées au même
titre chez les protestants de Sainte-Affrique, de Sorbe,
de Saint-Rome-du-Tarn et de Saint-Jean-de-Bruel. En
janvier 1745, les courses armées les plus ruineuses
eurent lieu, par les ordres du commandant d’Audiffret,
en Dauphiné ; ce fut dans l’une d’elles que l’on
pilla de fond en comble le petit lieu de Thonis, près
de Bourdeaux, sous prétexte de rechercher le ministre
Rolland, et que la maison du sieur Meffre fut réduite en un amas de ruines. Enfin, on vit tomber les usines
des nobles verriers de Foix, sous les arrêts de l’intendant
d’Auch, de Bejin ; ce magistrat, aussi fanatique
qu’ennemi des beaux-arts, ordonna que les verreries
de MM. Gassion et Pommiliers seraient démolies et
rasées, « avec défense d’être rétablies. » On vit encore
le parlement dauphinois faire démolir la maison d’Élie
Sambut, à la Paillette, près Montjoux, pour punition
d’avoir hébergé un ministre, et ensuite, condamner
la marquise de Montjoux à un emprisonnement perpétuel,
dans un couvent. Enfin, si nous faisons le
dépouillement des listes données dans le mémoire
historique de 1752, nous trouvons vingt-neuf gentilshommes
dégradés de leur noblesse, quatorze personnes
condamnées au bannissement, dix femmes
condamnées au fouet ou à l’emprisonnement perpétuel,
quarante personnes condamnées aux galères, de trois
à dix ans, et cent seize personnes condamnées aux
galères perpétuelles, parmi lesquelles il y avait quarante-six
gentilshommes et deux chevaliers de Saint-Louis.
Tous ces arrêts furent prononcés en première
ligne par le parlement de Grenoble ou de Bordeaux,
et par les intendants de Montpellier, d’Auch, de La
Rochelle, de Perpignan et de Poitiers[96]. Nous ferons
plus bas quelques remarques essentielles sur ces condamnations
en masse.
Dans les années dont nous enregistrons ici les malheurs,
un petit nombre de fois les assemblées des protestants furent surprises, et essuyèrent le feu des
soldats. De mars 1745 à mars 1752, ces rencontres
sanglantes, où toutefois les réformés, toujours retenus
et adoucis par leurs pasteurs, se contentaient de prendre
la fuite, eurent lieu près de Mazamet, diocèse de
Lavaur, près de Saint-Hippolyte, près de Saint-Ambroix,
aux environs de Montmoiran, en Dauphiné,
aux environs d’Uzès, et à Carnas, sur la paroisse du
Fau, près de Montauban, enfin près de Ganges (Cévennes),
près de Clarensac et de Durfort.
Au milieu de ces rigueurs contre les personnes et
contre les biens, les livres ne furent pas épargnés ;
on les recherchait avec tous les soins d’une inquisition
vigilante. En 1744, Étienne Arnaud, de Dieulefit,
Dauphiné, fut dûment atteint et convaincu d’avoir
donné à quelques jeunes gens des leçons de musique
pour le chant des psaumes ; ce crime n’était nullement
prévu par les édits ; mais le protestant qui l’avait commis
ne fut pas moins condamné aux galères, après
avoir été mis au carcan. Un exemplaire du Nouveau
Testament et une édition des Psaumes de David, attachés
au pilori, honoraient le supplice prétendu infamant
de ce fidèle du désert. À Nîmes, en 1745,
plusieurs ballots du Nouveau Testament, en feuilles,
n’échappèrent point aux recherches ; on les soupçonna
d’avoir été imprimés à Avignon, ce qui obligea les
libraires Affrai à prendre la fuite. Dans le jugement
que l’intendant d’Auch rendit, en février 1746, contre
tant de gentilshommes verriers du pays de Couserans,
il ordonna que les livres de la religion prétendue réformée,
saisis chez les condamnés, seraient livrés aux
flammes. Cet exploit s’accomplit sur la place de Saint-Girons.
Rien n’égale, en ce genre, les poursuites du
parlement de Grenoble contre la caverne de Plan-du-Bay,
sur la terre de Montrond, Dauphiné ; toute
cette digne famille fut tourmentée et mulctée de mille
sortes ; on soupçonna que les protestants se retiraient
dans la caverne comme dans un lieu d’exercice ; les
magistrats parurent vouloir décréter les montagnes
de la province, en ordonnant par arrêt que la caverne
serait détruite.
Il s’en fallut que tous les jugements fussent aussi
ridicules. Il y en eut un certain nombre où la mort
des victimes put seule satisfaire la sévérité fanatique
des magistrats et des intendants. Le 1er août 1746,
l’intendant de la Rochelle, Barentin, condamna et fit
exécuter à mort Élie Vivien, de Marennes, en Saintonge, « le tout, dit l’arrêt, parce que ledit Vivien
est dûment atteint et convaincu d’avoir assisté à plusieurs
assemblées de religionnaires, et notamment à
celle tenue le 10 du mois de juillet (1746), près le
village d’Artouan, paroisse de Saint-Just, en Saintonge ;
d’y avoir prêché et tenu des discours séditieux,
comme aussi d’avoir composé plusieurs écrits contenant
des blasphèmes contre la rel. ap. et rom., et
tendant à exciter les peuples à la révolte. » La victime
de cet arrêt était un vieillard de soixante et dix-huit
ans ; il serait très-intéressant de découvrir quels furent
les discours et les compositions pieuses de ce respectable
protestant. De plus, le même intendant Barentin
condamna conjointement un autre protestant et presque collègue de Vivien, à voir l’exécution du
vieillard, à être marqué, et ensuite « à servir Sa Majesté
comme forçat sur ses galères à perpétuité », pour
avoir assisté à une assemblée de religionnaires, « et
pour y avoir fait le métier de bedeau en faisant ranger
le peuple. » Ce n’est pas tout encore en ce qui
touche cette assemblée d’Artouan ; plusieurs autres
protestants furent condamnés à la marque et au bannissement
temporaire pour avoir assisté à l’assemblée
« et pour avoir travaillé à la chaire du prédicateur. » Les deux coupables menuisiers étaient Pierre
Gaillot et Manceau, de Marennes ; le bedeau se nommait
Louis André, marchand de Saint-Just. Tels
furent les condamnés par les arrêts de l’intendant
Barentin, arrêts qui méritent, sous tous les rapports,
de parvenir à la postérité[97]. Le Poitou fut aussi très-mal
traité dans ces années désastreuses. L’intendant
de Poitiers, M. de Beaumont, condamna et fit exécuter,
par arrêt du 18 juillet 1750, à Poitiers, Jacques
Boursault, protestant, pour avoir tenté de retirer
des mains de la maréchaussée Jean Perochon, un de
ses amis, que le même jugement condamne aussi à
mort comme contumace. Dans le bas Poitou, des
cavaliers, envoyés contre les assemblées par l’intendant,
commirent de tels excès à Montcoutan, diocèse
de La Rochelle, que les habitants prirent le courage
de s’en plaindre par un placet à M. de Chabannes, commandant la province[98]. Plusieurs personnes
furent tuées ou blessées. Des ordres venus du ministère
empêchèrent la continuation de ces sanglantes
promenades contre les assemblées.
Nous ne parlerons pas des indignités exercées, d’après
les dispositions des édits, contre les cadavres
des protestants qui avaient repoussé les sacrements
de l’église catholique. Nous en dirons un mot parce
que ces tentatives affreuses font mieux apprécier, que
les autres condamnations, le véritable et bizarre esprit
de ce temps dans les provinces méridionales de la1749. 10 avril.
France. Un protestant, Daniel-Étienne La Montagne,
était mort à Cadenet, en Provence ; ses coreligionnaires
l’inhumèrent pendant la nuit ; il y eût une
émeute horrible qui alla déterrer ses restes. Le magistrat
de Cadenet ne put s’empêcher de verbaliser.
Claude Cabanis, d’Alais, négociant d’un grand mérite1749. 14 juillet.
et d’une grande considération, mourut subitement
à Lavaur ; la populace s’enflamme et s’attroupe
encore ; cependant, par la protection de la maréchaussée,
l’inhumation a lieu ; mais bientôt les pénitents
blancs de Lavaur, sous le prétexte frivole que ces
restes maudits reposent trop près de leur église, enflamment
de nouveau la populace ; cette fois le cadavre
est outragé ; les archers accourus font lâcher
prise à ces furieux, et, sous la protection des troupes,
enfin ces restes sont rendus à la terre. Il y eut même un commencement de procédure ecclésiastique contre
les pénitents. Ces détails sont aussi déplorables qu’ils
sont curieux, sous le point de vue qu’ils nous montrent
la force publique de certaines localités du haut
Languedoc, obligée d’intervenir par la violence pour
empêcher les populations fanatisées de mettre à exécution
les injonctions formelles de la déclaration de
1724. Elle n’avait pas cependant pour coutume de
protéger les fidèles du désert.
Mais, de tout ce code d’intolérance que nous venons
de parcourir sous le point de vue pratique, la
plus curieuse, sinon la plus cruelle partie, c’est le
chapitre des amendes et des dispositions fiscales. Les
mesures qui furent prises à ce sujet, ayant un but
fort positif et très-net, sont les plus faciles à expliquer.
La disposition des choses à cet égard ne laissait
rien à désirer. Comme les édits, ou certaines ordonnances,
avaient attaché des amendes aux tenues
d’assemblées, et comme, d’un autre côté, on ne pouvait
savoir exactement le point des réunions, ni, par
suite, le village même qu’il fallait imposer, on eut
l’idée toute simple de faire supporter l’amende par
tout l’arrondissement. C’était une ressource assez
rationnelle en matière de perception. Dès l’an 1728,
les intendants du Languedoc avaient divisé la province
en cent quarante-trois arrondissements, contenant
chacun un certain nombre de villes, bourgs,
villages et hameaux. Lorsqu’il se tenait quelque assemblée
dans l’étendue de chacun des arrondissements,
on s’en prenait à tous les protestants du district. Les
tableaux de ce singulier impôt, qui ont été publiés
par Antoine Court, sont un bel exemple d’assiette
financière[99]. Ils contiennent, par colonnes, la date des jugements, le nom du chef-lieu d’arrondissement,
la quotité des amendes, et enfin le montant des frais.
Toutes les villes importantes de la province furent
successivement rançonnées, depuis les médiocres
amendes de 350 liv. et de 200 liv. qui frappèrent le
Mas d’Azil et Graissesac, jusqu’aux plus imposantes
recettes de 3,500 liv. et de 4,000 liv., qui provinrent
de Montpellier et d’Uzès. En Dauphiné, les mêmes
persécutions financières eurent lieu, seulement sur
une plus vaste échelle encore. D’après la requête que
les protestants du Dauphiné ont adressée au roi dans
le mois de novembre 1750, les amendes et les frais
s’élevaient à plus de 200,000 liv. « qu’on a exigées
avec la dernière rigueur. » Ces pauvres gens disent
dans leur requête, qu’ils entendaient, du fond de
leurs prisons, vendre leurs effets à l’enchère, et distribuer
leurs héritages pour satisfaire à l’un ou à l’autre
des articles des amendes. Au surplus, ces mesures
fiscales n’arrêtèrent en rien le mouvement et le progrès
des églises. Il est clair qu’elles durent avoir pour
unique résultat de réaliser en Languedoc un système
exceptionnel d’impôts, et de faire de cette province
un pays de contributions extraordinaires. C’était
d’ailleurs, sous le rapport de la recette financière,
une des provinces les plus riches du royaume[100].
Il est difficile d’apprécier aujourd’hui tout le mauvais
effet que durent exercer et sur l’industrie et sur l’agriculture
les extorsions continuelles pour fait d’assemblée
religieuse.
Après avoir donné l’esquisse de la persécution violente
qui éclata sur les églises, de l’an 1740 à l’année
1750, et après avoir rapporté un choix des arrêts principaux
rendus contre elles, il est temps de rechercher
quel fut l’esprit de cette jurisprudence. En effet, nous
avons fait connaître les arrêts, moins pour enregistrer
le nom des victimes, ce qui serait impossible, que
pour faire apprécier le caractère spécial des poursuites.
Nous allons maintenant essayer de remonter
jusqu’aux motifs qui paraissent avoir dicté ces jugements ;
lesquels nous paraissent inconcevables aujourd’hui.
Il est évident que c’était contre le fait des
assemblées que les intendants procédaient avec le plus
de méthode. Ils ne voulurent voir que des rassemblements
séditieux, contraires à la paix publique. Ils
sévirent surtout contre les ministres, qu’ils regardaient, avec raison d’ailleurs, comme les instigateurs
des assemblées. Si les premiers et les plus rigoureux
édits de Louis XIV furent conçus et rédigés avec une
violence et une généralité d’exécution, où se peint
cet esprit prêtre, pour qui les impossibilités temporelles
ne sont rien, on éprouva bien vite la nécessité
impérieuse de les modifier, dès que l’administration
fut mise en demeure de les appliquer sérieusement.
Les faits que nous venons de rapporter donnent
la mesure de l’esprit administratif des intendants.
De temps à autre, ils condamnaient à mort, et faisaient
exécuter un ministre du désert. La fin glorieuse
de ces victimes de la tyrannie et du fanatisme encourageait
les fidèles, loin de les abattre. Il est bien probable
que l’administration s’aperçut de ce fait, et
qu’il la disposa à montrer moins de rigueur. En effet,
dans l’espace de trente-quatre ans, de 1718 à 1762,
depuis le supplice d’Étienne Arnaud à Alais jusqu’à
celui de François Benezet à Montpellier, sept pasteurs
couronnèrent leurs travaux évangéliques par
le martyre. Mais ce chiffre, excessif quand on songe
à l’innocence des victimes et à la barbarie des juges,
formait une bien minime portion du nombre total
de ces hommes courageux, si connus dans le Languedoc,
qui, par les assemblées qu’ils tenaient ainsi
que par leurs fonctions et courses perpétuelles, se
présentaient sous mille formes aux recherches des
polices militaires et administratives. Il est probable
que plus d’une fois les intendants craignirent eux-mêmes
les suites de semblables captures.
Les raisons que les fidèles du désert donnaient
pour s’obstiner à tenir leurs assemblées en dépit des
édits, n’ont guère besoin d’être exposées. Ils faisaient
ressortir qu’il était de leur devoir d’édifier tout le monde au grand jour, sur le fait qu’il ne s’y passait
rien de contraire à l’ordre ; qu’en les rapprochant un
peu plus des villes, on avait donné aux catholiques
mêmes la facilité de les connaître, d’y assister, et de les
inspecter ; qu’il n’y avait absolument rien dans ces
assemblées dont le gouvernement pût prendre ombrage,
si on lui en faisait des rapports fidèles ; que si
elles étaient nombreuses, cela tenait au grand nombre
de protestants qui étaient encore dans le royaume ;
que s’il y avait plus de pasteurs, les rassemblements
seraient moins considérables ; qu’il y avait beaucoup
d’endroits où il n’y avait point de pasteurs, ce qui
obligeait les fidèles à se réunir aux assemblées les plus
à portée, et ce qui contribuait à les grossir ; qu’il était
impossible aux pasteurs, quelque intention qu’ils
eussent de prévenir la trop grande affluence, d’empêcher
que les membres de leur communion qui
arrivaient par troupes ne fussent reçus ; que les assemblées
étaient essentiellement publiques ; qu’on ne s’y
entretenait jamais d’affaires d’État ni de choses civiles ;
que le culte de la religion en faisait le seul et unique
objet ; qu’elles n’étaient précédées ni suivies d’aucun
attroupement ni désordre ; qu’on ne portait dans
ces assemblées aucune espèce d’arme, quelle qu’elle
fût ; qu’on y admettait indistinctement les hommes,
les femmes, les enfants, ce qui ne se ferait pas si de
mauvais desseins les animaient ; qu’on y recevait de
même ceux de leurs frères catholiques qui voulaient
y assister et qu’on ne s’y cachait ni des ecclésiastiques
ni des gens du roi ; « que les assemblées étant composées
en partie de personnes aisées, de gentilshommes,
d’avocats, de médecins, de marchands qui
ont des biens considérables et qui vivent avec toutes
les commodités de la vie, il n’est pas à présumer qu’ils eussent voulu y assister, s’il s’y fut passé des choses
contraires au service de l’État, et qu’ils eussent voulu
se mettre par là dans le risque de se priver de tous
ces avantages »[101]. Tels étaient les arguments non
seulement péremptoires en droit naturel et religieux,
mais également sans réplique en bonne police administrative,
à l’aide desquels les églises du désert défendaient
leurs réunions.
Quelles étaient les objections que faisaient les
intendants et la cour, et qui vont nous expliquer à
peu près la couleur de la jurisprudence qu’ils appliquaient ?
Il n’est point facile de les saisir d’une manière
complète. Elles roulent presque toutes sur cette
assertion, que le moment que les religionnaires avaient pris pour relever la tête était celui de la maladie
du roi et du plus fort de la guerre des droits de
Marie-Thérèse. À cela se joignait le soupçon, réel ou
affecté, de menées avec les ennemis de la France, et
même de quêtes destinées à propager la révolte et
l’invasion. L’affiliation synodale du régime presbytérien
calviniste paraît aussi avoir alarmé l’administration.
Elle ne sut pas s’instruire par l’exemple de l’église
d’Écosse surtout, de la Hollande et de la Suisse, où
le lien synodal existe, sans créer le moins du monde
un État dans l’État. Le mystère des réunions protestantes
était commandé par l’intolérance et aussi l’entretenait.
Ce mot de désert avait à lui seul quelque
chose d’inquiétant pour l’ordre public. La définition
même que les pasteurs en donnaient ne laissait pas
que d’offrir quelque prise aux appréhensions de leurs
ennemis ou au moins d’une cour ombrageuse : « Le désert est un mot vague dont les protestants se servent
pour cacher les véritables lieux d’où ils écrivent,
et pour désigner en général leur église persécutée. »
(Mém. hist. de 1744-) Pour peu qu’on y mette de la
bonne volonté, on trouve toujours le moyen de
noircir ce qui est vague. Souvent aussi les assemblées
se tenaient de nuit et sans éclat, dans des bois ou
dans des lieux très-écartés. On se réunissait dans des
trous de rochers. Quelquefois, lorsque les assemblées
devaient être fort petites, et surtout dans la saison
d’hiver, on s’assemblait dans les huttes, qui signifient,
en dialecte du pays languedocien, de petits hangars
en bois, destinés à serrer la récolte provisoire de
raisin, et qui figurent souvent au milieu des vignobles
du bas Languedoc. Ces huttes, ainsi que les granges,
furent souvent rasées par l’ordre des intendants et
les cavernes murées. Mais ces tristes cachettes donnaient aux fidèles un air de conspirateurs, ce qui
était absolument contraire aux intentions des pasteurs
comme au vœu des églises. La simple vérité est
que les intendants et les réformés étaient sans cesse
placés dans un cercle vicieux. Les uns étaient chargés
d’exécuter des édits impossibles à suivre par leur sévérité
et même par leurs barbaries ; les autres ne pouvaient
écouter la voix de leur conscience sans paraître
se mettre en rébellion contre la volonté du
prince. C’était une position qui ne pouvait être tempérée
que par beaucoup d’adoucissements administratifs
d’une part, et par beaucoup de prudence de
l’autre.
La question des assemblées armées était beaucoup
plus grave ; elle était aussi d’une solution beaucoup
plus facile. Il n’y avait nulle complication. Nous possédons
des preuves nombreuses que les synodes et
que les pasteurs, individuellement, interdisaient absolument
cette pratique. Malgré le malheur et l’oppression
du temps, l’habitude des armes ne pouvait,
sous aucun rapport, se justifier. Elle n’avait même
aucune espèce de sens, parce que d’abord une église
en armes répugne évidemment à l’esprit évangélique,
et ensuite on n’avait pas le projet de faire résistance
si par malheur l’on était surpris. Les pasteurs du désert,
dès le commencement de la renaissance du culte,
sentirent que tolérer des assemblées armées, c’était
s’exposer sans cesse à des rencontres sanglantes,
inutiles, ou de nature à entraîner sur-le-champ une
guerre civile déclarée et sérieuse. Aussi toute réunion
armée fut-elle rigoureusement interdite. On eut une
certaine peine à supprimer ce point dangereux. Alors,
comme chacun sait, les gentilshommes, même souvent
le tiers-état, portaient l’épée. C’était un costume aussi bien civil que militaire. Les synodes allèrent
jusqu’à demander, même à la noblesse languedocienne,
de quitter cet article de son habit dans les
rassemblements des églises. On ne peut qu’admirer
la sagesse d’une telle décision. Cependant cette idée
de réunions armées, que les faits prouvèrent n’être
qu’une appréhension entièrement chimérique, fut
sans cesse l’idée fixe et la terreur des intendants
comme de la magistrature. Aussi parmi les arrêts de
mort de cette époque, arrêts exécutés, outre ceux
des ministres, nous n’en trouvons que trois contre
des religionnaires laïcs, tous trois sous le prétexte
d’avoir exigé en armes la délivrance d’un ministre,
ou d’avoir eu recours à des menaces d’armes dans
des assemblées. De ces trois infortunés, peut-être fort
innocents même de ce crime, nous avons cité déjà
Jean Desjours, en Languedoc, et Jacques Boursault,
en Poitou ; nous parlerons plus bas de la condamnation
de Jean Roques, de Beauvoisin, qui fut une des
œuvres réellement barbares de l’intendant Guignard
de Saint-Priest.
Nous voyons donc, en résumant l’esprit de cette
jurisprudence, que les ordres de la cour étaient de
sévir rigoureusement contre plusieurs ministres pour
effrayer les autres, et pour prévenir les fauteurs de
réunions religieuses ; la même sévérité s’étendit aux
rares laïcs qui se donnaient à eux-mêmes la mission
de prêcher et d’exhorter les fidèles, comme nous
l’avons indiqué par la fatale sentence que subit Élie
Vivien, de Marennes. On poursuivit aussi impitoyablement
tout protestant soupçonné d’avoir paru en
armes dans les réunions. D’ailleurs la grande majorité
des assemblées religieuses ne furent ni troublées ni
poursuivies. Sauf quelques exceptions rares et rigoureuses, on laissa faire les baptêmes, les mariages et
même les enterrements nocturnes. Les procès à la mémoire
furent plus rares encore ; ils furent toujours un
objet d’horreur pour les catholiques. On prononça
toutefois beaucoup d’amendes réglées contre les
églises du désert ; ce fut un article que les intendants
abandonnèrent très-tard. La lumière pénétra difficilement
au travers de ces préjugés lucratifs. Enfin on
prononça foule de condamnations à la prison et aux
galères ; mais la grande majorité ne furent pas exécutées.
Ici, nous pouvons déduire de nos pièces nombreuses
concernant les galères et les condamnées de la
tour de Constance, des conclusions singulières, parce
qu’elles sont à la fois fort tristes et un peu consolantes.
Le pasteur Antoine Court, dans son Mémoire historique
de 1752 (p. 92) estime, depuis l’an 1744 à
cette époque, le nombre des prisonniers arrêtés dans
toutes les provinces du Midi, depuis Foix jusqu’au
Poitou, à plus de six cents ; il porte à plus de huit
cents personnes le nombre des protestants condamnés
à diverses peines, dont quatre-vingts gentilshommes.
D’après la même autorité, en 1745 et 1746 seulement,
le parlement de Grenoble condamna plus de trois
cents personnes à mort, aux galères, au fouet, ou au
bannissement ; nous trouvons dans ces mémoires une
liste détaillée de cent seize protestants condamnés aux
galères perpétuelles par le même parlement de 1745
à 1752. D’après les autres listes que le pasteur Antoine
Court a données dans ce même Mémoire, qui sont pleinement
confirmées par des listes non moins authentiques
de notre collection[102], il faut porter le nombre des protestants détenus sur les galères de Toulon aux
chiffres suivants : d’après les mémoires de Court
(Pat. Franc. et imp p. 558), en 1753, quarante-trois
galériens à vie et à temps ; d’après nos pièces
des manuscrits de Paul Rabaut, en 1752, quarante et
quatre galériens à vie, et huit à temps ; d’après un
rôle des forçats protestants, signé d’eux-mêmes, de la
fin de 1753, quarante-huit galériens à vie et à temps ;
d’après une autre liste de 1759, quarante et un galériens
à vie ; en 1760, « trente-huit confesseurs » à
Toulon. (Lett. du galérien Raymond, de Faugères. Mss. P. R.) Il faut remarquer que ces chiffres ne
donnent que les listes des galériens pour cause de
religion, à Toulon ; mais on n’en mettait pas ailleurs,
sauf une rare exception. Il faut remarquer que ces
listes, si on les combine toutes, nous donnent les condamnations
qui ont duré depuis 1728 jusqu’en 1760.
Ainsi, quelque énormes et quelque exorbitantes
qu’elles soient, ces listes montrent qu’on était fort
loin d’exécuter en Languedoc tous les jugements aux
galères prononcés pour crime d’assemblée religieuse.
Il est difficile d’estimer la proportion ; mais il y a évidemment
très-loin, même du chiffre total des galériens
de 1753, au chiffre de cent seize condamnés à
vie par le seul parlement de Grenoble en sept années.
Il paraît donc qu’on exécutait au plus un tiers des
condamnations. Il faut encore observer qu’il n’est
question dans ces listes que des condamnés comme
forçats détenus au bagne de Toulon. Nous ignorons
absolument le nombre des confesseurs qui ne subissaient
que la détention simple ; peine assez rare sous
l’ancienne jurisprudence et très-rare dans les édits
de la persécution. On voit seulement, par une note
insérée en passant par Antoine Court, qu’il y avait en
1745 cinq ou six protestants détenus dans le château
de Brescou, sur la Méditerranée, pour cause de
religion.
Quant aux femmes prisonnières pour le même
crime, il est plus difficile d’en découvrir le chiffre avec
précision. On les répartissait souvent dans les hôpitaux
des villes et dans les couvents. Ce genre de réclusion
n’a point laissé de traces bien certaines. On
verra plus bas une liste bien naïve et bien touchante
des prisonnières protestantes à la tour de Constance,
du château d’Aigues-Mortes, liste écrite et transmise à
Paul Rabaut, en 1754, par l’une des prisonnières,
Marie Durand, de Praules, diocèse de Viviers, « prise
dans sa maison par rapport au ministère de son frère. »
(Pièc. just., novii.) En effet, le ministre Pierre Durand
fut exécuté à Montpellier, en avril 1732. Ce fut cette
Marie Durand, sa sœur, détenue depuis 1730, dont
les fers ne tombèrent qu’en 1768, devant la visite
que firent le prince de Beauvau et le chevalier de
Boufflers à la sombre tour de Constance. Cette liste
nous montre d’ailleurs un autre genre de punition,
qui venait s’ajouter aux rigueurs des intendants et
des parlements. C’étaient les lettres de cachet, arrivant
purement et simplement de Versailles, dûment revêtues
de leur apostille habituelle, Phélypeaux, comte
de Saint-Florentin. Plusieurs des captives de Constance
sont notées par Marie Durand, ainsi du reste
qu’elle-même, « prises par ordre du roi. »
Il faut avoir le courage de suivre ces tristes détails, qui
sont malheureusement de l’histoire ; il faut s’enquérir et la correspondance des galériens, de l’espèce des
prisonniers et du régime de leur triste séjour. Il ne
paraît pas que ces victimes de la liberté de conscience
fussent plus malheureuses, au bagne de Toulon, que
les autres condamnés ; au contraire, elles étaient sans
cesse et quotidiennement secourues par les églises.
Mais aucune générosité ni aucun secours ne pouvait
atténuer l’horreur du lieu. Par suite d’une commission
qu’un synode du Vivarais donna au pasteur des églises
de Provence, Lafond, comme résidant plus près des
galères, pour s’informer du sort de ces malheureux,
il s’engagea entre eux et lui une correspondance, en
1753, de laquelle nous possédons les pièces. Elles
jettent quelque jour sur la situation et sur les occupations
de ces infortunés. La première de ces missives
est de Jean Molinier, de Hautpoul, diocèse de Lavaur,
qui avait été condamné à vie par le chevalier intendant
Lenain, le 6 avril 1745 : « Nous nous adressons,
dit ce galérien au pasteur Lafond, à tous les véritables
chrétiens qui sont zélés et pieux, et moyennant que
ces qualités se trouvent en eux, ils se souviendront
que Notre Seigneur leur a recommandé les pauvres
affligés, surtout les confesseurs, qui sont grièvement
tourmentés par des peines excessives et par des travaux
insupportables, outre les fers qu’ils sont obligés
de porter jour et nuit. (Lettr. du 30 sept. 1753, Toulon.
Mss. P. R.) Quelquefois, des navigations méditerranéennes
étaient imposées aux galériens protestants
comme au reste des forçats. « On vient d’armer
quatre galères pour passer madame l’infante ; plusieurs
de nos confrères sont de cette campagne, » écrit
Jean Molinier. Il s’agit ici du mariage de l’infante
d’Espagne Marie-Antoinette-Ferdinande, fille de Philippe
v, roi Bourbon d’Espagne, avec Victor-Amédée iii, alors duc de Savoie, celui qui, à la fin du siècle,
vit tous les lauriers de sa maison ternis par l’étoile
de Bonaparte. Notre seconde lettre est de Paul Mercier,
bourgeois du Mas d’Azil, pays de Foix, qui fut
condamné à vie par l’intendant du Roussillon, en
1749, pour avoir été aux assemblées ; nous donnerons
un extrait de la lettre touchante que ce galérien
écrivit au pasteur Lafond : « Votre lettre, dit Mercier,
me rappelle le synode provincial où j’eus l’honneur
d’assister, en 1748, en qualité de député des églises
de la haute comté de Foix, où il fut décidé que vous
nous seriez donné pour rester chez nous ; je commençais
alors à me réjouir d’avance du plaisir que j’aurais
eu de profiter de vos sages exhortations ; mais Dieu,
qui dirige toutes choses suivant sa volonté, voulut
non seulement me priver de cette satisfaction, mais
encore m’affliger, par la perte de ma liberté, et me
séparer peut-être pour toujours d’une chère épouse
et de quatre enfants qu’il lui avait plu de me donner.
Le bon Dieu veuille être apaisé envers moi, et me
faire la grâce de reconnaître de plus en plus le cas
pour lequel je souffre, afin de persévérer, jusqu’à ce
qu’il lui plaira de m’en délivrer ; c’est une des grâces
particulières que je lui demande journellement » (Lettr. de Toulon, 30 sept. 1753. Mss. P. R.).
Enfin, nous désirons surtout faire connaître la plus
longue et la plus douloureuse de ces épîtres des confesseurs ;
elle fut écrite également au pasteur Lafond
par Isaac Grenier de Lasterme, gentilhomme de
Gabre, diocèse de Rieux, en Languedoc, condamné
à vie par l’intendant d’Auch, le 5 février 1746, « pour
avoir été aux assemblées. » Ce protestant vénérable
avait soixante et seize ans lorsqu’on l’envoya pour
subir sa sentence au bagne de Toulon. Nous copions
la lettre en entier :
« À Toulon, le 30 septembre 1753.
« Vous souhaitez, Monsieur, que la lettre de M. Molinier
soit appuyée par M. Mercier et par moi, et vous
prenez occasion de là de nous donner des louanges
que je suis bien loin en mon particulier de m’attribuer.
J’ai plutôt lieu de croire que ma captivité est
un châtiment que mes péchés m’ont attiré, plutôt
qu’une épreuve de ma fidélité, puisque le bon Dieu
m’afflige coup sur coup par la perte de ma famille.
J’ai perdu deux fils que Dieu m’avait donnés, l’un à
Marseille et l’autre ici. Et je viens d’apprendre la
mort de ma chère épouse.
« Nous voyons, par votre lettre, les soins charitables
que vous vous donnez pour les pauvres protestants
captifs. Il serait à souhaiter que Dieu, leur ayant
suscité un Tite, tous ceux qui font profession de la
même religion fussent des Macédoniens[103]. On se
servit précédemment du terme de nécessité urgente
pour n’avoir pas de termes plus expressifs pour en
montrer la nature. Il est impossible de faire un détail
exact. Les circonstances dépendent toujours de ceux
qui nous commandent. Elles varient suivant le caprice
de ces esprits bizarres et toujours féroces. On vous a
fait, Monsieur, le détail des habits que l’on nous
donne, avec lesquels il faut essuyer la rigueur du
froid et celle de l’été. Occupé aux travaux qu’on
vous a marqués, n’ayant pour toute nourriture que
du pain et de l’eau, on ne peut s’en exempter qu’en
payant un sol tous les matins aux argousins ; autrement on est exposé de suivre les mêmes peines, exposé
à demeurer attaché à une poutre avec une grosse
chaîne la nuit et le jour. Si la vénérable compagnie de
Marseille ne nous donnait pas 2 sols à chacun, la
plus grande partie de nous subirait ce cruel supplice ;
il y en a plusieurs à qui de plus pressants
besoins le font supporter[104]. On veut savoir notre
sentiment sur nos demandes ; mais avons-nous quelque
chose à prescrire là-dessus ? Nous n’avons que le
droit de représenter nos misères ; c’est à ceux qui en
seront touchés d’y avoir égard comme ils jugeront à
propos. Nous souhaiterions bien qu’il pût se faire
quelque établissement d’un fond qui produisît tous
les ans quelque chose pour notre soulagement, et
remis entre les mains de personnes qui en dirigeassent
la distribution de façon qu’aucun ne puisse en abuser
à son propre préjudice. On veut savoir si nous avons
écrit ailleurs ; nous ne nous sommes jamais adressés
qu’à vous, Monsieur, en faisant même violence à notre
discrétion, connaissant votre caractère charitable par
les lettres pleines de consolation dont vous nous avez
honorés. Permettez-moi de vous en marquer, en particulier,
ma vive reconnaissance. Je prie le bon Dieu
qu’il couronne les grâces qu’il vous a communiquées
par de nouvelles grâces ; qu’il vous soutienne dans vos
travaux et qu’il fasse prospérer les talents qu’il vous
a donnés pour la gloire de son saint nom.
« J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec toute la
déférence que je dois à votre caractère, votre très-humble
et obéissant serviteur,
« Lasterme.
« Pardonnez, s’il vous plaît, à mon âge les interlilignes
et les autres défauts d’écriture. »
Ce sont là des pièces qui font une impression profonde,
et sur lesquelles on peut se dispenser de faire
des réflexions. Elles parlent assez par la netteté de leur
style et l’admirable ferveur de leur résignation. D’autres
fois les jugements des intendants prenaient un
degré inouï de rigueur, en attachant sur les bagnes,
pour ainsi dire, une famille entière. Nous en trouvons
la preuve dans un mémoire remarquable, accompagné
des pièces à l’appui, qui fut présenté à la fin
du siècle, à la commission de l’assemblée nationale,
par Charles Bernardou, de Mazamet, district de
Castres, département du Tarn. Ce descendant d’une
famille infortunée, qui avait eu tous ses biens confisqués
pour cause de religion, réclama vainement ;
on lui opposa les ventes consommées et couvertes
par la prescription. Ce qu’il nous importe de constater,
seulement sous le point de vue historique,
c’est que par jugement de l’intendant Lenain, en
1745, David Bernadou et Pierre Bernadou furent
condamnés tous deux aux galères perpétuelles pour
fait d’assemblée ; David Bernadou avait soixante et
quinze ans ; le vieillard mourut environ un mois après
son arrivée au bagne de Marseille ; mais son fils ne
termina son temps et sa vie qu’en 1763, après huit
ans de séjour aux galères[105].
Quelquefois, le séjour de ces infortunés se prolongeait
pendant près d’un quart de siècle. Ainsi, nous
voyons encore, en 1763, Jacques Puget, des environs
d’Uzès, condamné à vie par M. Bernage de Saint
Maurice, intendant, pour avoir donné asile au ministre
Claris ; ce malheureux Puget avait alors soixante-dix-sept
ans ; il gémissait au bagne depuis dix-neuf
années, pour avoir donné l’hospitalité à son pasteur
errant et proscrit. Au reste, les galériens détenus
pour cause de religion parvenaient très-souvent à obtenir leur délivrance, par l’influence de quelques
sommes, judicieusement adressées à des personnages
influents, ou au centre du gouvernement, ou sur les
lieux mêmes. D’autre part, nous aurons la preuve
que l’on réussit souvent à intéresser les puissances
protestantes à leur sort, et que le comité protestant
de Lausanne put agir efficacement auprès
de ses amis de Paris pour obtenir l’élargissement des
confesseurs. Nous voyons aussi que le sort de ces
malheureux était un peu adouci par la sympathie,
et, s’il est permis de parler ainsi, par la bonne réception
de leurs compagnons de bagne. Voici ce que
nous trouvons dans une lettre adressée à Paul Rabaut,
de l’hôpital de Toulon, par le galérien Jean Raymond,
du Pont-de-Camarès, en Rouergue, qui avait été condamné
à vie, avec plusieurs fidèles de Bédarieux, en
1754, pour crime d’assemblées : « Je croirais manquer
à mon devoir, si je ne vous annonçais l’arrivée de
Dominique Chéréique, de Mirepoix, lequel vous
assure de son profond respect ; vous ne devez pas
douter que nous ne l’ayons reçu comme un véritable
confrère ; mais nous n’avons pas pu faire selon nos
désirs, ne sachant pas son arrivée. Il est vrai que monsieur
Court, de Lausanne, nous avait marqué qu’il
avait été jugé à Pau, en Béarn, et sans cela il aurait
été à plaindre, quoiqu’il ne l’est pas moins, malgré
tout ce que nous avons pu faire pour adoucir ses
peines. » (Lett. de juin 1760, de l’hôp. de Toulon)[106].
C’est ici la dernière intervention que nous trouverons
du pasteur Antoine Court. Elle prouve que l’année
même de sa mort, et jusqu’au dernier soupir, ce digne pasteur s’occupait des églises et de leurs confesseurs,
qu’il avait toujours si tendrement servis.
Enfin nous devons ajouter, d’après nos pièces, que
l’on mettait quelquefois en liberté les galériens protestants,
moyennant qu’ils abjurassent leur foi : voici
ce que marque à son pasteur le galérien Jean Raymond :
« L’on nous flattait, de chez nous, que nous
quatre, de Bédarieux ou de Faugères, aurions notre
liberté ; cependant la nouvelle a été trompeuse. Les
premières conditions que la religieuse Triadou nous
avait faites ne nous ayant pas convenu, à nous, apparemment
que les nôtres ne lui ont pas convenu, à
elle. La liberté qu’elle nous voulut faire obtenir nous
aurait coûté trop cher, quand il s’agit de perdre son
âme. Si vous avez occasion d’aller du côté de chez
nous, je vous prie en grâce de voir ma chère épouse
et famille. » (Lett. de juin 1760, de l’hôp. de Toulon.
Mss. P. R.) Cette lettre ne prouve que trop l’obsession
fanatique des convertisseurs, qui allaient poursuivre
les confesseurs de la foi du désert jusque sur
les bancs des bagnes.
À ces tristes détails nous devons ajouter une autre
liste non moins douloureuse ; c’est celle des détenues
à la tour de Constance, pour cause de religion. Nous
donnerons le catalogue de ces infortunées prisonnières,
d’après un état dressé par l’une d’elles, et de sa
main propre (Pièc. just. n. vii). L’auteur est Marie
Durand, la sœur du ministre qui fut exécuté à
Montpellier ; elle écrivait cette liste en 1754, après vingt-quatre
années de détention. On verra qu’en 1754
la Tour d’Aiguesmortes renfermait en tout vingt-cinq
prisonnières, captives à cause de leur attachement
à l’église du désert.
Si maintenant nous jetons un coup d’œil sur les
lieux de détention où l’on retint souvent des réformés
captifs, nous trouvons que vers 1752 on comptait
six prisonniers au fort de Brescou. Il y avait de temps
à autre des femmes prisonnières dans les couvents
ou hôpitaux de Tarbes, de Cahors, de Montauban,
de Carcassonne, de Pons, de Saintes, de Die, de
Vienne, de Foix et autres lieux. Mais ce fut spécialement
la tour d’Aiguesmortes qui servit de prison
habituelle aux détenues protestantes. Rien de plus
triste ni de plus sombre que ce séjour. À un angle
des murailles de la vieille ville de Saint-Louis, avec
ses tours et ses portes en ogives, est placé le château,
et à l’intérieur, au milieu d’un épais mur circulaire,
la tour de Constance[107]. On pénètre dans la tour
par un pont dormant jeté du rempart. Deux portes
doublées de fer, roulant avec effort sur leurs gonds,
donnaient accès aux salles intérieures ; les dernières
consistaient en deux vastes chambres voûtées, situées
l’une au-dessus de l’autre. La plus basse était sans
doute occupée par la garnison de la tour ; dans la seconde on renfermait les prisonnières : c’est là que
se tenaient les vingt-cinq infortunées captives dont
nous donnons la liste. La salle est fort élevée ; elle
n’est éclairée que par l’étroite fente de quelques
meurtrières placées au-dessus du sol, et par une ouverture
circulaire au milieu de la voûte, qui forme couronne
aux arceaux gothiques. Un banc circulaire de
pierre règne au milieu de la tour ; au-dessus de la
plate-forme, sans doute interdite aux prisonnières,
s’élevait un phare en tour d’observation. Ainsi les
pauvres prisonnières calvinistes de la tour de Constance,
passaient leur déplorable existence dans une
grande salle privée d’air et de jour ; jamais elles n’entendaient
autre chose que le bruit lointain des flots,
et le sifflement des vents sur les lagunes du rivage.
Cependant nos lettres nombreuses de Marie Durand,
l’une des prisonnières, attestent que sa foi et sa piété
la soutinrent toujours dans la solitude d’une si triste
captivité.
Nous terminons ici notre description du genre et
du nombre des condamnations prononcées par les
édits contre les fidèles du désert. Ces tristes tableaux
font partie essentielle de l’histoire ; il était de notre
devoir de ne les point supprimer : nous n’y ajouterons
qu’une seule réflexion. Même sous Louis XIV, et
à plus forte raison sous Louis XV, si la véritable
nation française catholique eût pu élever la voix, il
est hors de doute qu’elle eût brisé sur-le-champ tous
ces indignes fers.
CHAPITRE VI.
Requête des Églises auprès du congrès d’Aix-la-Chapelle. Abjuration d’un
ministre. — Progrès des Églises du haut Languedoc.
Il faut maintenant que nous revenions pour un
instant à la situation politique de l’Europe et de la
France. Pendant que les églises étaient ainsi accablées
et que leurs plaintes restaient sans réponse, la guerre
continuait avec fureur. L’ennemi avait été contraint
d’évacuer la Provence ; Gênes, qu’assiégeaient les
Autrichiens et les vaisseaux anglais, était débloquée,
à la suite des manœuvres savantes de Belle-Isle ;
sa gloire vint expirer dans les défilés d’Exiles, en Piémont,
d’où l’armée française fut repoussée après un
horrible carnage, où le fils du général perdit la vie.
Mais les maréchaux de Saxe et de Lowendal rétablissaient
les affaires au nord : les armées combinées d’Angleterre,
de Hollande et d’Autriche, étaient mises en
22 juillet. 1747.déroute à Lawfeld ; Berg-op-Zoom était enlevée d’assaut par la valeur française ; mais notre marine essuya
de grandes pertes en deux combats meurtriers sur les
côtes de Bretagne. Au commencement de 1748, toute
l’Europe menaçait de reprendre une guerre qui durait
depuis huit ans, qui avait ravagé une province
de France, les Pays-Bas, une partie de la Hollande, et
la moitié de l’Italie et de l’Allemagne. Tous les peuples
qui s’étaient jetés dans cette lutte acharnée, et surtout
l’Angleterre et la France, étaient abîmés par les impôts et épuisés d’hommes. Louis XV et la coalition
avaient rassemblé sur le Rhin près de trois cent mille
combattants ; ces masses allaient entrer en campagne
lorsque le maréchal de Saxe, par un coup de main1748.
digne de ce général, investit subitement Maëstricht ;
cette agression heureuse, et la misère générale, œuvre
d’une si longue guerre, décidèrent les négociations
de la paix, qui fut enfin signée par les plénipotentiaires,
à Aix-la-Chapelle, le 28 octobre. L’affermissement
du sceptre de Marie-Thérèse, la constitution
de la Prusse agrandie, furent les seuls résultats durables
d’une lutte où l’Angleterre et la France avaient
si vainement épuisé leurs flottes, leurs trésors et1748.
leurs soldats. On doit y remarquer la constitution
définitive dans la balance européenne d’une puissance
protestante de premier rang, la Prusse, dont
l’organisation durable et forte est enfin comme miraculeusement
sortie de la réforme de Luther et des
longs ravages de la guerre de trente ans. L’ouvrage
du grand Gustave fut consolidé à toujours. L’épée du héros suédois avait sauvé la liberté germanique,
comme au temps de la ligue celle de Coligny et de
la noblesse française calviniste avait refoulé pour
jamais en Espagne l’inquisition, qui eût étouffé en
France tout développement et toute pensée.
Le calme renaissant après tant de combats, l’équilibre
de l’Europe paraissant encore une fois garanti,
les protestants français, dont la cause semblait
imperceptible dans la conflagration générale, essayèrent
toutefois de faire stipuler leurs intérêts dans
ces grandes négociations. Ne trouvant aucune protection
au dedans, ils tentèrent de s’en assurer au
dehors. Pour exciter l’intérêt de leurs frères étrangers,
et pour parer au relâchement que tant de poursuites rigoureuses avaient introduit dans une discipline,
qui ne souffrait pour aucune considération le
mélange du rit catholique et protestant, le synode
du bas Languedoc invita le synode national « à écrire
aux églises des pays étrangers, pour les informer de
l’état des protestants, et les prier de leur accorder
l’ancienne union et amitié dont elles honoraient autrefois
les églises, et à prier notamment celles de
Suisse, Genève et Hollande, de ne recevoir à la sainte
cène aucun membre des églises françaises, sans qu’ils
aient une attestation de leurs bonne vie et mœurs, afin
de prévenir par là qu’un nombre considérable de négociants
et autres, qui vivent sans culte public et en
faisant des actes d’hypocrisie et d’idolâtrie, à l’occasion
de leur mariage et du baptême de leurs enfants, ne
profanent point le saint sacrement, et que désormais
ils respectent la discipline ecclésiastique et les ministres
qui l’exercent. (Instr. à MM. les dép. au syn. nat., sign. Rivière, sec ; 1748., or. Mss. P. R.) Bientôt les
églises tentèrent une démarche plus décisive. Leur
agent en Suisse, qui était alors Antoine Court, fit
tous ses efforts pour intéresser en leur faveur les
ambassadeurs des puissances protestantes qui s’étaient
rendus au congrès d’Aix-la-Chapelle. Des mémoires
détaillés furent remis à M. Van-Haren, ministre plénipotentiaire
du stathouder. Ces mémoires exposent
aux envoyés des hautes puissances que rien n’est plus
déplorable que l’état des protestants français ; que
non content de faire peser sur eux des lois très-rigoureuses,
on en était venu, en Vivarais, dans le
Poitou, et près de Montauban, à des espèces de massacres,
sans que les auteurs aient été recherchés ni
punis ; que plusieurs de leurs ministres avaient fini
leurs jours sur un infâme gibet ; qu’il n’y avait aucunes vexations auxquelles les particuliers ne fussent soumis ;
que les galères étaient remplies de gens de toute
sorte, gentilshommes, médecins, marchands, artisans,
pour avoir seulement prié selon les lumières de leur
conscience ; que foule de parents sont séparés de leurs
parents et proches, et réduits au désespoir ; qu’on
imposait à quantité de villes et districts entiers des
amendes exorbitantes, dans lesquelles Nîmes seule
figurait pour plus de soixante mille livres ; que nombre
de chefs de famille se voyaient contraints de payer
des sommes considérables, parce que leurs enfants
avaient fui en pays étrangers ; « que sous les rois les
plus acharnés contre la réformation, sous Charles IX
par exemple, les protestants français avaient la liberté
de vendre leurs effets et de se retirer où ils jugeraient
à propos, et qu’aujourd’hui ils ne pouvaient ni s’exiler,
ni aller mendier leur pain dans les pays de leur communion ;
qu’on les retenait de force ; qu’on les minait
de fond en comble ; que l’unique ressource qu’il leur
restait était de faire ce qu’ils détestent le plus, de
devenir hypocrites, d’autant plus criminels que leur
conscience condamnait plus fortement leur lâcheté ; »
et qu’enfin, l’unique cause de tous ces malheurs était
que les protestants refusaient de servir Dieu d’une
manière qu’ils croyaient opposée à ses ordres les plus
formels ; que c’est d’ailleurs abusivement que l’on
objecte que leurs assemblées sont trop nombreuses,
et qu’elles peuvent mettre l’État en danger ; que ces
assemblées ne sont nombreuses que par accident, et
à cause de leur rareté même ; qu’ils consentiraient
très-volontiers qu’on réduisît le nombre des assistants,
pourvu qu’ils pussent s’y rendre sans danger ; que
quantité de curés et officiers catholiques qui ont assisté
à ces assemblées avaient pu se convaincre et pouvaient attester qu’il ne s’y passe rien que de très-innocent ;
que, loin d’être une source de troubles,
elles avaient puissamment contribué à extirper l’esprit
dangereux du fanatisme, né dans un temps où le
culte était moins bien réglé ; que ce qui devait plus
que toute chose les mettre à couvert de pareils soupçons,
c’était leur soumission constante aux lois civiles
du royaume ; que sous le poids de tant de souffrances,
nul ne pouvait trouver étonnant que ceux qui les
endurent mettaient tout en œuvre pour obtenir
quelque soulagement. — Non que les églises de France
fussent dans l’idée que leurs plaintes et leurs incontestables
droits pussent former la matière des conférences
du congrès d’Aix-la-Chapelle ; elles pensaient
seulement que, dans le cas où les plénipotentiaires
parviendraient à signer la paix, alors ceux des
puissances protestantes pourraient agir de concert
auprès de la cour de France et de Sa Majesté Très-Chrétienne
en faveur de ses sujets, qui ne refusaient
de se soumettre à aucun de ses édits qui ne regardent
point la religion, et qui sont bien persuadés que si
Sa Majesté était informée seulement d’une partie des
rigueurs qu’ils souffrent sous son autorité, elle se
hâterait de donner des ordres pour adoucir leur sort,
et les mettre en état d’allier la fidélité qu’ils lui doivent
avec celle qu’ils doivent à leur Dieu. « La paix générale
à laquelle on travaille doit rendre le repos à
l’Europe, seraient-ils les seuls qu’elle laissât dans l’agitation
et dans de mortelles angoisses. Les horreurs
de la guerre, qui vont cesser partout, s’acharneraient-elles
sur eux seuls ? Tranquilles sur ce qui se passe
hors du royaume, auraient-ils tout à craindre au
dedans ? tandis que leurs compatriotes s’empressent
de donner à leur monarque le titre de Bien-Aimé, seraient-ils les seuls qui ne reçussent aucune marque
de bienveillance ? Seraient-ils forcés de donner des
bornes à l’affection dont ils sont pénétrés pour sa
personne sacrée, afin de leur frayer le chemin aux
grâces dont ils ne sauraient demeurer privés sans
mener la vie la plus amère, ou de tâcher d’intéresser
les puissances protestantes en leur faveur. »
Voici la série des demandes que les églises du désert
mettaient sous les yeux des plénipotentiaires
d’Aix-la-Chapelle, avec prière de les soumettre aux
ambassadeurs de France :
1o Amnistie générale de toutes les contraventions
aux édits pour fait de religion, et remise de toutes
les peines encourues ;
2o Abolition des édits contre la religion, et mise
en état des protestants français sur le même pied que
les catholiques d’Angleterre, de qui il dépend, quand
ils le veulent, de vivre en toute sûreté ;
3o Liberté des galériens, prisonniers ou prisonnières,
et autres condamnés pour fait de religion ;
4o Prescription par S. M. le roi de France à ses
sujets protestants d’un mode de vivre qui leur permît
d’avoir des ministres en nombre suffisant, et de tenir
des assemblées sans être molestés ;
5o Confirmation de tous les mariages bénis et de
tous les baptêmes administrés, laquelle, assurant
l’état des familles, légitimât les enfants, leur garantît
l’hoirie légale, et prévînt les procès fâcheux que les
édits entraînent. On consentirait, pour prévenir
toute objection, à payer à chaque mariage ou baptême
les droits accordés par la coutume aux curés et
vicaires, comme si lesdits eussent célébré eux-mêmes ;
6o Ordre donné par S. M. le roi de France, vu que
là où il y a différents partis le plus fort cherche toujours à opprimer le plus faible, d’une répression
sévère contre ceux qui troubleraient le repos public,
quels qu’ils fussent (Cop. Mss. P. R.).
On ne peut qu’être frappé de la justice et de l’esprit
de modération qui présidaient à ces propositions,
lesquelles eussent épargné tant de maux aux églises
et à la patrie, si elles eussent été accueillies. Les suppliants
les appuyaient de plusieurs considérations
tirées de la nécessité d’assurer l’ordre public et de
suivre la voix d’une politique sage. Les motifs qu’ils
donnaient n’étaient pas moins logiques que leurs
prétentions n’étaient avouées par l’équité la plus
simple. Ils faisaient remarquer aux plénipotentiaires
qu’il était désormais impossible d’espérer de parvenir,
jamais à détruire la religion protestante de France
par la force ; « qu’en continuant d’employer la rigueur
on fera des malheureux à pure perte, qu’on commettra
mille cruautés qu’il faudra soutenir par d’autres,
et les secondes seront tout aussi inutiles et plus
criminelles que les premières »[108] ; que les protestants
pourraient faire valoir leur fidélité inviolable,
qui ne s’était point démentie dans le fort de la persécution,
lorsque « des mouvements irréguliers » de
leur part auraient été le plus à craindre ; que si leur
souverain pouvait lire au fond de leur cœur il y verrait
tous les sentiments dont ils sont animés pour sa personne et le bien de l’État ; que loin de là, on ne
paraît avoir songé qu’à les pousser à bout ; que cependant la nature humaine ne saurait toujours souffrir,
qu’elle se révolte enfin, et qu’un ennemi pourrait
avoir ses raisons pour fomenter l’agitation dans
un temps après ne l’avoir point fait dans un autre ;
que si la tolérance éprouvée par les catholiques, en
Hollande et en Angleterre, avait été souvent suspendue
ou resserrée, ils en avaient été eux-mêmes la
cause par des entreprises séditieuses contre les souverains ;
que si S. M. le roi de France voulait bien
adoucir le sort de ses sujets réformés, cela contribuerait
puissamment à cimenter la bonne intelligence
rétablie entre elles et les puissances protestantes ;
qu’enfin les charitables intercesseurs pourraient représenter
que l’humanité seule les anime en cette
occasion, et que, s’ils agissaient dans des vues d’intérêt
et de politique humaine, ils garderaient le
silence, puisqu’il est évident que les autres États de
l’Europe ont retiré, par les émigrations, de très-grands
avantages des mesures violentes contre les protestants, tandis que la France fait par là, et chaque
jour, des pertes qu’il ne lui est pas facile de réparer
(Mémoire en faveur des protestants de France, destiné pour les ministres des puissances protestantes députés au congrès d’Aix-la-Chapelle. 5 p. in-4o. Mss. P. R.).
Telles furent les raisons sans réplique que les
églises soumettaient aux plénipotentiaires d’Aix-la-Chapelle
par ce document. Aussi habile en logique
que forte de considérations sociales présentées avec
finesse, cette pièce, d’une rédaction si remarquable,
ne paraît pas avoir fait l’objet de délibérations parmi
les diplomates réunis, si tant est qu’elle fut jamais
communiquée officiellement à la partie catholique et française du congrès. Les motifs les plus solidement
appuyés militaient en faveur d’une demande aussi
juste ; mais il fallut encore de longues années pour
que la cour de France les accueillit, forcée et contrainte
par le progrès des idées et par l’influence d’une
philosophie tolérante. Il fallut que les églises traversassent
encore quatorze ans de vives persécutions et
vingt-cinq ans de doutes et de bien-être précaires
avant d’arriver à l’édit de Louis XVI.
Pendant que les églises cherchaient à améliorer leur
sort, les vexations contre elles continuaient même
dans les portions de la France les plus éloignées du
Midi, où la cour s’obstinait toujours à voir un foyer
de rébellion prête à s’allumer. Pendant que le pasteur
Jean Godefroy, et le sieur Pertuson, de Rouen,
traversaient la France pour assister, comme députés,
au synode national du Languedoc, leur église, où des
assemblées se tenaient dans l’ombre, voyait chaque
jour s’enlever et garçons et filles par le zèle des convertisseurs
(Lett. du ministre Préneuf à P. R., 22 avril
1748, Mss). Deux événements d’une nature bien différente
vinrent affliger les églises à la même époque.
Par arrêt du 17 mars 1745, le parlement de Grenoble
avait condamné à mort, par contumace, le ministre
Duperron, qualifié de prédicant. Arrêté peu de temps
après, il fut jeté dans les prisons ; après une longue
captivité, ce jeune homme, que le supplice attendait,
et qui avait en quelque sorte sous les yeux le triple
échafaud de ses collègues Roger, Rang et Désubas, se
laissa intimider par les convertisseurs ; il abjura sa
foi. On ne comprend guère le mérite d’une victoire
obtenue sur un ministre qui eût monté au gibet s’il
ne s’était pas converti ; cependant le clergé fit de cette
faiblesse une occasion de triomphe remporté par l’évêque de Valence, qui s’était rendu exprès à Grenoble.
Les églises ne parlèrent qu’avec indignation
« de l’apostasie du sieur Duperron. » Citons ce beau
passage d’une lettre du ministre A. Court, sur cet événement
bien rare, même dans ce temps si dangereux :
« La chute de l’ami que vous avez apprise nous a pénétrés
ici de la plus amère douleur. Elle se fit avec
grande pompe et en présence de plus de cent cinquante
personnes de distinction, après plus de cinquante
conférences sur les matières controversées.
C’est la crainte de la mort et l’espérance d’une vie
trop chère, qui a produit un événement de tant de
triomphe pour les uns et de tant d’affliction pour les
autres, qui fait maintenant le supplice de celui qui
y est le plus essentiellement intéressé ; les gémissements
et les soupirs qu’on lui entend pousser en sont
des indices bien certains. Il s’était flatté qu’on le délivrerait
après avoir fait ce qu’on exigeait de lui ; mais
il s’est étrangement trompé, et chaque jour va lui apprendre
combien son mécompte a été grand, et combien
il aurait été plus heureux pour lui de se confier
à celui qui ne trompe point et qui récompense magnifiquement
ceux qui le servent, de lui être fidèle,
et de souffrir mille morts plutôt que de manquer à
la foi qu’il avait promise. Puisse son exemple, en
rappelant à notre esprit de quoi notre faible humanité
est capable, nous affermir de plus en plus dans
nos devoirs et nous empêcher de les perdre jamais de
vue. « (Lett. à P. R., 1er nov. 1748, Mss. P. R.) La
prédiction de Court ne fut que trop vérifiée ; le malheureux
Duperron mourut peu de temps après sa
conversion, dans les angoisses d’une vive douleur
morale. Cet événement rendit le parlement de Grenoble
un peu plus doux ; les filles protestantes détenues dans les couvents de Valence furent remises à
leurs parents, sans conditions ; plusieurs prisonniers
furent aussi élargis : « Voilà du bon et du mauvais,
disait le ministre Joseph Picard, de la Saintonge ; c’est
beaucoup dans un aussi méchant siècle. » (Lett. du 21 oct. 1748.) À la même époque les églises firent
une perte d’un autre genre et bien plus sensible, ce
fut la mort du pasteur Barthélemy Claris. Cet homme
courageux, l’un des plus actifs et des plus distingués
de tous ceux qui prêchaient dans le désert, termina
ses jours d’une manière tranquille, dans un âge peu
avancé, après avoir échappé au martyre qu’il brava
tant de fois (décembre 1748). Le style de sa correspondance
atteste que chez lui l’esprit était aussi orné
que la foi était intrépide et ferme.
1749.La première année de la paix générale signée à
Aix-la-Chapelle ne vit point de changements notables
dans le sort des protestants français. Le départ
du duc de Richelieu, pour tenir les états du Languedoc,
fit concevoir de nouvelles espérances aux
réformés. Cet homme, d’un caractère si bizarre,
intrépide général, habile négociateur, brave et débauché
à l’excès. Mécène des gens de lettres, tant
idolâtré par Voltaire, qui l’appelle sans cesse mon héros, ne parut pas ostensiblement fort touché du
sort des infortunés protestants. Quelque sages que
fussent ses dépêches privées pour la cour, sa conduite
effective en Languedoc, Provence et Guyenne, touchant
les religionnaires, n’est pas le plus beau côté
d’une carrière si brillante. Au commencement de l’année,
plusieurs prisonniers du comté de Foix furent
condamnés aux galères perpétuelles ; dans le haut
Languedoc, un gentilhomme, M. de Palleville, et son
épouse, furent arrêtés à leur château, près de Revel, par lettre de cachet du 23 mars 1749 ; le mari fut
conduit au fort de Brescou, et la femme dans un couvent
de Montpellier. Leur crime était de s’être mariés au
désert. Les communautés de Vabre, de Lacaune et de
Castres furent frappées d’amendes considérables. Les
protestants de Mérindol furent tourmentés. À Cadenet,
nous avons vu que la populace outragea le cadavre d’un
réformé par des traitements si révoltants que la justice
informa (Lett. du min. Pourtal, 16 avril 1749). Près
de Sommière, une autre arrestation vint jeter l’effroi
dans les églises ; M. Louis Bouzanquet, avocat, notaire
et juge, homme aisé et d’un esprit orné, avait épousé
au désert la demoiselle Louison Deshours, de la
maison de Calviac ; tous deux furent arrêtés au milieu
de la nuit et menés au château d’Alais (Lett. du past. Marazel, 10 juin 1749, Mss. P. R.).
« Cet accident a tellement effrayé les gens, ajoute le
courageux ministre, que je ne puis me dispenser de
convoquer pour soutenir les esprits. » Le Dauphiné,
qui jouissait depuis longtemps du privilège des plus
vives persécutions, fut troublé par une scène qui aurait
pu devenir très-tragique. Une assemblée se tenait
le 9 juin à la pointe du jour, par les soins des ministres
Vouland et Rozan, entre Montmiraud et la
Beaume Cornilliane, lorsque deux détachements de
dragons de la garnison de Chabeuil, envoyés par le
subdélégué de Valence, vinrent fondre sur la réunion ;
soixante coups de fusil furent tirés sur les fuyards ;
une femme fut seule atteinte d’un coup, qui lui fracassa
le bras. Les soldats dévalisèrent tous ceux
qu’ils purent arrêter, et rentrèrent à Valence avec la
robe du ministre pour trophée. Tels furent les excès
commis par la soldatesque sur les religionnaires dauphinois.
Dans les autres parties du midi, les rigueurs exercées contre MM. de Palleville et Bouzanguet avaient
partout répandu l’alarme. La confiscation des biens
dont ces deux familles distinguées étaient menacées
avaient intimidé les autres, et pendant quelque temps
les assemblées ne furent plus composées que de personnes
de ces classes qui n’ont rien à perdre. Un tel
abandon affligeait Paul Rabaut, qui lui-même risquait
tous les jours sa fortune et sa vie au service des
églises. Il confia ses chagrins sur ce sujet à Antoine
Court à Lausanne ; voici en quels termes ce dernier
cherchait à consoler son collègue ; le passage est
remarquable en ce qu’il montre bien comment le
zèle, toujours vivant au sein de la classe populaire,
venait suppléer au manque d’énergie de l’autre classe
que son aisance rendait plus craintive. « Il n’y a rien
de nouveau sous le soleil. De tout temps le vent de
la persécution a nettoyé l’aire du Seigneur, et rarement
a-t-on vu dans les temps d’orage que ceux que
la naissance, le rang et les richesses élèvent au-dessus
des autres, aient maintenu la religion. La gloire
de la Providence s’y trouve même intéressée. Plus les
moyens dont elle se sert pour conserver cette religion
paraissent vils et méprisables, et plus cette gloire est
éclatante. Parcourez tous les siècles de l’église et vous
verrez qu’elle n’a eu dans ses grandes épreuves de
fidèles qui lui soient demeurés constamment et fermement
attachés, que ceux, qui, comme dit un
apôtre, n’étaient ni des sages, ni des nobles, ni des
puissants selon le monde, et qu’il en arrivait dans
tous les temps comme il en arrive aujourd’hui. Les
ministres de la religion avaient beau, comme vous,
presser, exhorter en temps et hors temps, la moindre
bourrasque jetait l’alarme dans les cœurs et rendait
leurs soins presque inutiles. Il en arrivait comme dans le sein de votre église ; il n’y avait que le petit
peuple qui tînt ferme et qui ne se déconcertât point,
quelque violente que fût la tempête. D’où il résulte,
comme vous l’avez pensé aussi bien que moi, qu’on
ne doit être ni surpris, ni découragé quand ces choses
arrivent ; qu’on ne saurait trop faire honte et représenter
leurs devoirs aux nobles et aux riches, dans
le temps que le calme permet aux ministres de les
voir et de leur adresser la parole, ni trop féliciter les
petits et les encourager à une persévérance qui fait
leur gloire, ainsi que celle de la Providence. » (31 octobre
1749. Mss. P. R.)
Cependant, malgré les poursuites et les condamnations
que nous venons de rapporter, les assemblées
continuaient toujours assez publiquement. Les protestants
parurent espérer que leur conduite soumise,
pendant la dernière guerre et en présence de l’ennemi,
attirerait sur eux, sinon la justice entière, au moins
la tolérance tacite du gouvernement de Louis XV.
Mais des influences sinistres agissaient et vinrent
encore une fois ajourner une légitime réparation. Des
agitations internes se déclarèrent aussi.
Il s’éleva une discussion assez vive dans le haut
Languedoc à propos de la consécration, dans la Province,
ou à Lausanne, d’un étudiant du comté de Foix,
André de Grenier de Barmont, dit Dubosc ; ce débat
ne présente d’intérêt aujourd’hui qu’en ce qu’il fait
voir avec quel soin les synodes craignaient de recevoir
des pasteurs de l’étranger ; le pasteur Loire fit même
des remontrances énergiques à ce sujet, tendant à ce
que, dans tous les cas, l’imposition des mains fût
donnée en France (Mss. Cast., Syn. prov. du 14 janvier
1750). Cependant Grenier de Barmont fut reçu
pasteur dans la province, malgré la consécration de Lausanne, et il demanda la cassation de la protestation
du pasteur Loire ; l’attestation de l’Académie de Lausanne
en faveur du premier prouve que les églises
protestantes, tant désolées dans l’intérieur, avaient
cependant su prendre des mesures pour donner une
très-solide éducation en Suisse aux jeunes collègues
qui devaient partager leurs dangers. Grenier de
Barmont fut soumis aux épreuves suivantes ; sermon
sur un texte assigné, composé et récité au bout de
huit jours ; interprétation du Nouveau-Testament
grec et de quelques psaumes hébreux, « par où nous
avons pu connaître qu’il est en état d’entendre les
livres sacrés dans l’original ; » enfin, interrogatoire
sur des matières importantes de théologie et de morale.
Les églises de cette province prenaient en même
temps de sages mesures politiques ; un colloque assemblé
le 14 mars 1750, composé de trois pasteurs et de
cinquante-quatre tant anciens que notables, arrêta
d’écrire à l’intendant que les protestants paieraient
sans difficulté l’imposition du vingtième.
Cependant le plus grand obstacle à la renaissance
définitive d’une organisation régulière des églises,
c’était toujours la rareté des ouvriers travaillant à
cette œuvre périlleuse. L’absence des pasteurs faisait
plus de mal que la persécution. Les provinces voisines
se disputaient entre elles ces courageux apôtres, qui
tâchaient de multiplier leurs soins auprès de communautés
où les mêmes dangers suivaient partout le
ministère. À la même époque, il survint une discussion
toute fraternelle entre le haut Languedoc et les
hautes Cévennes, sur le point de savoir si le pasteur
Viala, prêté pour un an par cette dernière province,
retournerait au premier théâtre de ses travaux périlleux.
En août 1752, le corps ecclésiastique du haut Languedoc fit écrire par le pasteur Grenier de Barmont
aux hautes Cévennes une lettre pressante pour
engager la province à lui laisser un pasteur qu’elle
chérissait. Cette lettre et la réponse des hautes Cévennes
montrent d’une manière frappante le zèle toujours
croissant des troupeaux, et leur attachement
pour des ministres sur lesquels le martyre sans cesse
planait. Les hautes Cévennes avaient cédé les deux
pasteurs, Viala et Corteis, et les plus heureux fruits
avaient signalé leurs travaux dans le haut Languedoc,
menacé de perdre en outre les pasteurs Dunières
et Olivier ; il ne devait rester que les pasteurs Sicard
et de Barmont. Il paraît, en outre, qu’il n’y avait alors
que six pasteurs pour tout le haut Languedoc, qui
comprenait de plus le pays de Foix, l’Agenais et le
Montalbanais. Les églises du haut Languedoc se
disaient hautement « l’ouvrage » des hautes Cévennes,
et les suppliaient de leur continuer leurs ministres ;
ce qui leur fut accordé. Nous trouvons à la même
époque un autre monument de la ferveur et de la foi
de ces troupeaux, dans la lettre touchante des anciens
des églises réformées sous la croix de Clairac, Longueville,
Lafite, Diment, et Fernan, au pasteur de
Barmont, en date du 20 juin 1752 (Mss. Cast. p. 108).
Ces églises le redemandaient avec instances et même
avec larmes. Elles proclamaient que c’était chose
merveilleuse que l’amendement qu’il avait opéré
dans leurs contrées pendant le peu de temps qu’il y
était resté, d’autant plus que rien n’égalait le désordre
et l’aveuglement dans lequel elles avaient vécu depuis
l’abolition de l’édit de Nantes ; que les plus sages
d’entre eux n’étaient jusque-là occupés que de leurs
champs, de leurs vignes, ou de leur commerce, lisant
à peine, ou du moins à la hâte ; quelque chapitre de l’Écriture Sainte le dimanche, se contentant de s’abstenir
de l’église romaine, se croyant glorieusement
distingués et par là suffisamment autorisés à prendre
la qualité de chrétiens réformés, mais vivant néanmoins
dans l’irréligion, et n’ayant, la plupart, que
trop souvent fléchi le genou devant l’idole ; que
cependant au moment où même le souvenir d’avoir
entendu la pure parole, qui ne vivait plus que dans la
mémoire de quelques personnes vénérables, allait se
perdre, Dieu leur avait envoyé un de ses serviteurs
pour faire reluire son flambeau au milieu d’elles ;
que les prédications de ce pasteur, Grenier de Barmont,
avaient produit un fruit considérable qui se
manifestait aux yeux de tous ; que cependant cette
nouvelle vigne, si heureusement plantée dans un
fonds, qui ne donnait aucun fruit, demandait à être
cultivée, sous peine de périr, d’autant plus que « ces
églises ne faisaient que de naître, » et que, avant cet événement « il ne restait aucun vestige d’ordre
ecclésiastique dans ces contrées depuis près de
soixante-sept années ; »[109] qu’en conséquence, ce serait
leur donner la mort que de les laisser sans pasteur.
Ajoutons seulement que ces sentiments de si fervente
piété déposaient contre les inquiétudes d’indifférence
et de mort de ceux qui les manifestaient ;
l’église, dont Clairac était le centre, n’oublia jamais
les leçons de Grenier de Barmont, ni son courage évangélique. Pour faire mieux apprécier quel était le
genre d’existence de ces pasteurs si dévoués à l’œuvre
sainte, et quels étaient les dangers que pouvaient
alors rencontrer tous ces hommes dont les provinces
voisines se disputaient les services, nous donnerons
ici un passage de la confirmation de l’attestation du
synode provincial du haut Languedoc, qui fut délivrée
sur sa demande au pasteur Pierre Corteis,
forcé de se réfugier ailleurs, et par motif de santé,
et pour échapper aux poursuites : « L’assemblée édifiée
de plus en plus de la pureté de sa doctrine, de
son zèle infatigable et de la sainteté de ses mœurs,
après lui avoir témoigné le vif regret qu’elle a de se
voir à la veille d’être privée d’un si digne pasteur, lui
accorde sa juste demande avec d’autant plus de raison,
que ledit pasteur a été exposé et l’est encore à la
plus violente persécution, et aux périls les plus éminents
de la part des ennemis de la vérité ; car, outre
les dangers ordinaires annexés au ministère sous la
croix, il a été pendu deux fois en effigie, comme
appert par les jugements rendus par les intendants
de Montpellier et d’Auch, poursuivi plusieurs fois par
des détachements de dragons, et recherché par des
particuliers mal intentionnés, ce qui le met dans la
nécessité indispensable de se réfugier dans un pays
de liberté ; sur ces fondements, nous prions Dieu de
le combler de ses grâces les plus précieuses, et de le
couvrir de sa divine protection partout où sa Providence
le conduira. De notre assemblée pastorale, de
laquelle ledit pasteur est modérateur, le 18 août
1752. » (Mss. Cast., p. 115.)
CHAPITRE VII.
Mémoires présentés au Conseil sur les églises du désert. — Joly de Fleury. —
Situation générale des églises du désert au milieu du xviiie siècle.
L’époque à laquelle nous arrivons maintenant fut
décisive, quant à la constitution et au sort définitif
des églises réformées de France. À peine le traité
d’Aix-la-Chapelle eut-il été signé, que déjà les querelles
de limites s’élevaient entre la Grande-Bretagne
et la France sur leurs possessions respectives dans le
Nouveau-Monde, germes d’une guerre qui devait bientôt
se rallumer avec violence ; toutefois la France respirait
après tant d’agitations ; son gouvernement put
songer aux mesures intérieures d’administration, sans
être distrait par la terreur d’une invasion ennemie.
Les querelles du jansénisme, où la cour, penchant
vers l’ultramontanisme, donnait tort constamment aux
parlements, et cherchait à faire prévaloir les maximes
de la constitution Unigenitus sur les antiques franchises
de l’église gallicane, avaient profondément
divisé le clergé, qui tantôt obéissait et tantôt résistait
à la magistrature. De cette agitation théologique
naquit le besoin de scruter plus profondément les
limites des deux pouvoirs, et, pour le dire en passant,
ce fut là le seul résultat durable de ces débats, dont
la forme était bien plus importante que le fonds. Le
clergé était non moins attaché que les parlements à
la religion de l’État. C’était pour lui plus qu’un intérêt de corps ; c’était un intérêt de corporation et
d’existence. Nous avons déjà remarqué que la magistrature,
en général ennemie de l’autorité absolue de
Rome et qui décréta si souvent ses légats et ses nonces,
fut également sévère, sauf quelques exceptions individuelles,
envers les protestants. On voit avec netteté
dans l’histoire des parlements de cette époque, et
même de presque tout le siècle, la tendance prononcée
de sévir à la fois contre les ultramontains et contre
les protestants. Nous avons déjà dit que les corps héréditaires
de magistrature, inflexibles en même temps
contre Rome et contre l’hérésie, voulaient racheter,
en poursuivant cette dernière, la vivacité et la constance
de leur opposition contre toute maxime du
droit italien. Cependant, en ce qui touche leur position
vis-à-vis des protestants français, ces parlements
se voyaient pour ainsi dire comme obligés de
surcharger leur jurisprudence des articles d’une foule
d’édits, formant, il est vrai, un code persécuteur
bien compacte et bien varié, mais où les dispositions
concernant le temporel, et celles qui régissaient le
spirituel, étaient mêlées et confondues en une foule de
points. Nous allons voir que ce furent des scrupules
ecclésiastiques qui décidèrent d’abord la cour, et
même qui l’obligèrent ainsi que les magistrats, à s’occuper
plus profondément de la situation des protestants
et à tenter la révision des lois intolérantes, contre
lesquelles les religionnaires luttaient depuis si longtemps
avec tant de suite et tant de fermeté.
Si l’on consulte les nombreux actes des synodes
tant nationaux que provinciaux, que l’on a conservés
sur l’histoire des églises, depuis la fin de la guerre
des Camisards jusqu’au milieu du dix-huitième siècle,
ainsi que la vaste série des correspondances qui en motivent les mesures et en expliquent les résultats,
on parvient à suivre les progrès si difficiles de la discipline,
et à découvrir les faits les plus dignes d’être
relatés aujourd’hui. Ce sont là, pour les églises de
France, les affaires domestiques et de famille de ces
temps orageux. Mais il faut y joindre la connaissance
de leurs rapports avec la cour, de l’effet que
les nouvelles de leur développement y produisaient,
et des mesures qu’ils suggéraient à l’administration
suivant l’urgence et la gravité des cas. Les arrêts des
parlements, et les faits d’une intolérance le plus souvent
capricieuse et locale, mis en regard des réflexions
et de la conduite des pasteurs du désert, ne suffisent
plus pour cette histoire des rapports du gouvernement
du royaume avec les églises. Sous ce rapport, il
faut consulter spécialement les Mémoires, qui furent
composés à diverses époques à Paris ou à Versailles
par les magistrats surtout, et qui, rédigés d’après les
dépêches des gouverneurs et des intendants, ainsi que
sur les lettres des évêques, nous laissent voir quelles
idées le gouvernement entretenait sur l’état des
églises et quelles nouvelles mesures il crut devoir
prendre à l’égard des communautés qui renaissaient
sans cesse, bien que le code de Louis XIV, confirmé
par son successeur, eût prétendu nier leur existence
d’une manière absolue. L’examen de ces documents
administratifs peut servir à jeter de grandes
lumières sur le fait le plus inconcevable de toute cette
époque ; l’obstination extraordinaire avec laquelle un
gouvernement fort peu empreint du fanatisme des
temps passés, tentait sans cesse de ramener au giron
catholique les églises, qui résistaient depuis près de
cent ans aux vexations comme aux supplices, obstination
d’autant plus inexplicable, que le dernier effort sérieux qu’il fit à ce sujet faillit rallumer la guerre
des Camisards au milieu du siècle.
Un jurisconsulte qui a laissé un nom distingué dans
la magistrature française, Joly de Fleury (Guillaume-François),
avait été promu à l’office de procureur général
près le parlement de Paris, en 1717, et en remplacement
de d’Aguesseau, lorsque ce dernier fut nommé
chancelier de France. Une grande clarté de vues administratives
et judiciaires, l’absence de presque tout
préjugé dévot, le talent de faire prévaloir les opinions
générales de l’homme d’État sur les prétentions des
partis qui voulaient toujours pousser les questions à
l’extrême, telles étaient les qualités qui distinguaient
ses consultations. Sa tendance vers le gallicanisme
contribuait à lui faire apprécier plus sainement l’état
des protestants français. Joly de Fleury, et les plus
distingués de ses confrères dans la magistrature du
temps, parmi lesquels il faut citer le procureur général
au parlement d’Aix, Ripert de Monclar, dont il sera question
plus bas, ne pouvaient se dissimuler l’épouvantable
désordre que les édits de religion introduisaient
dans l’état des familles, à cause de la multitude de
mariages, soit hypocrites, célébrés devant l’Église,
soit nuls et concubinaires aux yeux de la loi, célébrés
au désert. Ils voyaient bien que les réformés, dont
on niait l’existence, existaient cependant en grand
nombre, et que les édits mettaient les conjoints protestants
dans l’alternative ou d’afficher une hypocrisie
dont les prêtres même n’étaient plus la dupe, ou de
léguer la bâtardise à leurs enfants. Cet état de choses
empira au point que les évêques et curés du Languedoc
reconnurent que les nouveaux convertis n’étaient
rien moins que convertis à la foi catholique ; que les
sacrements de mariage et de baptême qu’ils venaient recevoir étaient par eux assimilés à des formalités sans
valeur que les rigueurs des édits leur faisaient seules
accepter ; que leur adhésion était uniquement un
acte de par le roi où leur conscience n’entrait pour
rien, et qu’après ces sacrements comme avant, les
parties restaient toujours de la religion prétendue
réformée. Il y avait hypocrisie chez beaucoup de
religionnaires : ce point ne saurait être contesté ; mais
ces actes, qu’ils regardaient à tort comme extérieurs
et cérémoniels, leur étaient commandés sous peine
des galères et de la ruine d’eux-mêmes et de leurs
enfants ; est-ce donc à eux ou aux édits tyranniques
qu’il faut renvoyer le poids de cette duplicité ? Mais
le clergé du Languedoc surtout s’en était trop clairement
aperçu : il jeta les hauts cris ; il déclara, non
sans fondement, que dans une foule de cas les mariages
des nouveaux convertis devant ses autels
étaient un fait d’hypocrisie et de sacrilège. Pour ce
dernier point, une foule d’hommes honnêtes chez le
clergé déclarèrent qu’ils ne voulaient pas en être complices,
et qu’ils ne marieraient plus les nouveaux
convertis ; mais il était expressément ordonné aux
protestants de se marier devant l’Église, et, sous des
peines très-sévères, de ne se marier que là ; telle fut
donc leur position, que vers cette époque ils ne pouvaient
se marier devant les ministres, ni se marier
devant leurs curés. Sans contredit, c’était une des
plus singulières conséquences auxquelles un code intolérant
ait jamais abouti.
Sans parler du point de vue d’humanité et de tolérance
dont on s’occupait assez peu, si l’on jugeait
la question sous le seul rapport administratif, il était
clair que cet état de choses ne pouvait durer. C’est
ce que Joly de Fleury sentit parfaitement. Ce fut l’occasion du Mémoire[110] qu’il composa pour le
Conseil du roi, quoique ce magistrat se fût alors retiré
de sa place, et qu’il travaillât dans la retraite que sa
vieillesse avancée lui avait fait prendre. On voit clairement,
dans cette pièce, les embarras de la cour
vis-à-vis les protestants, et les causes qui amenèrent
indirectement un surcroît de persécution, de 1750 à
1762, persécution qui n’était pas dans le but de l’auteur
et qui faillit ranimer la guerre camisarde : ce
sont ces mémoires qui seuls nous permettront de
découvrir comment les vigoureuses mesures disciplinaires
que nous avons vu prendre par les églises
furent jugées par la cour.
Joly de Fleury convient d’abord que la situation du
Languedoc, par rapport aux religionnaires, est telle,
que le gouvernement s’est vu souvent contraint, surtout
dans les temps de guerre, de ne pas suivre à la
rigueur la disposition des ordonnances ; que, par rapport
aux évêques, « ils se rendent de jour en jour plus
difficiles ; » cette remarque portait sur leur refus de
bénir les mariages des nouveaux convertis. Il faut
maintenant remonter plus haut. Suivant ce magistrat,
la guerre de 1688 n’avait pas produit autant de fermentation
sur les religionnaires que celles qui vinrent
après ; mais la guerre de la succession et les désastres
des armées françaises avaient relevé leur courage. Ils
se flattèrent qu’après la paix on leur permettrait
l’exercice de leur religion. « Nos ennemis leur envoyèrent
des prédicants, » disait Joly de Fleury,
assertion que tous les travaux d’Antoine Court et de
ses premiers collègues démentent assez. Suivant ce magistrat, les liaisons du régent avec l’Angleterre
donnèrent quelque espoir aux églises, de telle sorte
qu’elles publièrent de nouveau que l’exercice de leur
religion serait rétabli. On songea alors à y remédier
par une nouvelle loi renfermant la substance de plus
de deux cents édits, déclarations ou arrêts qui étaient
presque ignorés. « M. le chancelier d’Aguesseau y
travailla. Pendant le ministère du cardinal Dubois, on
reçut des nouvelles de la Guyenne, de la Saintonge,
du Languedoc, où les religionnaires s’assemblaient et
méprisaient les lois du royaume, surtout relativement
aux baptêmes et aux mariages. On reprit le système
d’une nouvelle loi après la mort de M. le duc d’Orléans.
Le projet fut consommé par la déclaration du
14 mai 1724. » (Mémoire). Telle fut l’origine de l’édit
cruel que nous avons apprécié plus haut. Il fut jugé
nécessaire par la cour, pour réfuter les bruits de
tolérance qui s’élevaient çà et là dans les églises, et
qui coûtèrent plus tard la vie aux ministres Rang,
Roger, et Désubas. Il paraît que les exhortations
des synodes ne furent pas sans effet ; suivant ce
mémoire, le commandant du Languedoc, le maréchal
de La Fare, que nous avons déjà vu en correspondance
avec l’évêque d’Alais, transmit en 1728 un
mémoire à la cour, où il déclare que l’abus des baptêmes
et des mariages recommençait, principalement
par les difficultés que les évêques et curés y apportaient.
Les protestants se voyant réduits par la force
à se présenter devant les prêtres pour se marier, s’en
vengeaient par la dissimulation ; ce qui révoltait les
évêques. Cet abus fut porté au point que le cardinal
de Fleury eut quelque idée, en 1729, de faire à ce
sujet un règlement mitigé, qui eût autorisé deux
sortes de mariage ; d’abord, l’ancien mariage catholique, le sacrement ; et ensuite un autre « dont le contrat
ou si l’on veut l’engagement serait simplement
béni par le prêtre, avec l’eau et le signe de la croix,
et qui, sans être sacrement, aurait cependant tous
les effets civils. » Ce projet singulier et inexécutable
fut approuvé par le cardinal de Rohan et combattu
par le cardinal de Bissy. Il fallut que la pratique des
mariages au désert fût bien constante, pour que le
cardinal de Fleury ait eu même une pensée de ce
genre, qui répugnait alors non moins aux lois de
l’Église qu’à celles de l’État.
« Les excès » sur les mariages et les baptêmes se
renouvelèrent en 1732, et il fut de nouveau question
de faire une nouvelle loi « sur toute la matière des mariages,
en ne distinguant pas les catholiques des nouveaux
convertis ; mais la guerre qui survint suspendit
tout et donna lieu aux religionnaires de mépriser la
disposition des lois précédentes avec une licence sans
bornes ; » enfin, suivant Joly de Fleury, pendant la
guerre qui se termina par le traité d’Aix-la-Chapelle,
« les religionnaires s’étaient portés aux derniers excès ; »
proposition vague et dangereuse, qui ne prouve
que trop combien toutes les sages précautions des
pasteurs du désert, le soin extrême qu’ils mettaient
à prêcher la résignation et la patience, leur ferme et
patriotique conduite devant l’invasion ennemie en Provence,
furent peu connus ou mal appréciés à la cour.
Il serait possible d’ailleurs que, par cette expression,
le magistrat eût entendu la simple convocation des
assemblées et la déclaration formelle faite maintes
fois par les églises aux intendants et à la cour, qu’elles
ne pouvaient, en aucun cas, s’engager à renoncer au
culte public et en commun.
On voit donc que l’existence et l’application de tant d’édits persécuteurs, soutenues par des condamnations
plus que sévères que nous allons même voir se
multiplier, non seulement n’avaient pu extirper les
protestants, mais qu’elles n’avaient abouti qu’à placer
l’administration dans la position la plus embarrassante.
Les protestants du désert, comme nous l’avons
déjà remarqué, réduits à la dissimulation par la violence,
allaient se marier et allaient faire baptiser leurs
enfants, à l’église catholique ; puis ils sortaient de
l’église, et restaient protestants. Il y eut même très-probablement
bon nombre de ces cérémonies, qui
furent célébrées à la fois à l’église et au désert : en
premier lieu, par l’obligation des édits, en second
lieu, par l’obligation de la conscience. Tout ceci,
comme nous l’avons vu, était fortement interdit par
les synodes ; la réprimande à la tête des assemblées,
ainsi que la suspension de la sainte Cène, punissait
de tels accommodements. Mais il est bien prouvé que
ces transactions avaient lieu le plus souvent, et que
la grande masse des réformés préféraient accorder à
l’église dominante un signe extérieur d’adhésion de
quelques minutes, au danger de voir l’état de leurs
femmes et de leurs enfants compromis et annulés suivant
la teneur expresse des édits. Le résultat de cette
dissimulation arrachée par la force fut que le clergé
catholique lui-même hésita sur la question de savoir
s’il devait bénir des mariages, qui, à ses yeux, se réduisaient
à une pure et simple profanation du sacrement,
lesquels n’engageaient aucunement ceux qui
les réclamaient à se ranger en l’église romaine.
Voyons maintenant quels étaient les remèdes que
les magistrats suggéraient au conseil pour sortir de
cette confusion ; l’examen de ce point nous fera découvrir
les causes de la crise de persécution qui désola bientôt les églises, qui amena chez elles un commencement
de prise d’armes, ou au moins un commencement
d’hostilités.
Les difficultés les plus sérieuses venaient d’un certain
nombre d’évêques, et des curés de plusieurs diocèses
du Languedoc, dont les usages étaient fort différents
de ceux du clergé du ressort du Parlement de
Paris, peut-être à cause de leur position même dans
ces contrées, où les partis religieux étaient perpétuellement
en présence. Les curés du Vivarais et des Cévennes
savaient très-bien qu’une foule de mariages,
qu’ils bénissaient, n’appartenaient à la religion catholique
que pour la forme, qu’ils étaient, en vérité
pure, des mariages protestants ; ils savaient de plus
que beaucoup de mariages avaient lieu au désert, et
que par conséquent une foule des enfants qu’on leur
présentait étaient issus de mariages protestants et
seraient élevés protestants. Ainsi, dans les contrées
où il y avait beaucoup de prétendus nouveaux convertis,
le clergé catholique, victime lui-même de la
rigueur de ces édits, dont la tyrannie et l’injustice
appelaient et justifiaient en quelque sorte l’hypocrisie
des réformés, était réduit à célébrer de véritables
baptêmes et mariages protestants au fond, mais
catholiques pour la forme. C’était un résultat de l’intolérance,
que personne n’avait prévu. Dans cet état
de choses, plusieurs ecclésiastiques eurent recours à
l’expédient d’ajouter la qualification de bâtard ou
illégitime à l’inscription de baptême d’un enfant des
nouveaux convertis ; remède contraire au bon sens,
puisque l’enfant était censé né de parents réunis à
l’église, d’après les déclarations des édits. Joly de
Fleury condamne cet usage sans restriction. Les principes
fort sages en la matière, qu’il présenta au conseil, méritent d’être signalés ; ils servirent de point de
départ aux mesures qui ne furent pleinement adoptées
que trente-cinq ans plus tard, sous Louis XVI.
L’ancien procureur-général au parlement de Paris
proposait, quant au baptême, le maintien des principes
constamment suivis en matière de constatation
d’état. Puisque les religionnaires reconnaissaient la
validité du baptême administré dans l’église catholique,
la marche était facile à suivre. D’après Joly
de Fleury, les pasteurs en aucun cas ne sont juges
de l’état des hommes ; différents des notaires, qui,
lorsqu’ils attestent que deux ou plusieurs personnes,
qu’ils doivent connaître, se sont promises telles et
telles choses l’une à l’autre, attestent en même temps
la vérité du contenu de l’acte comme en ayant été le
témoin, les ecclésiastiques n’attestent jamais le sexe,
la paternité, la maternité, que sur le témoignage
d’autrui ; le ministre ne peut rien attester comme
témoin direct, si ce n’est que telle personne lui a
apporté un enfant et qu’il lui a administré le baptême ;
tous les autres faits, le curé n’atteste point
qu’il en a la connaissance personnelle, mais seulement
qu’ils lui ont été dits par les personnes présentes ;
dès lors, le prêtre qui baptise doit écrire littéralement
ce qu’on lui dicte, sans retranchement et
sans addition, et même ce qui pourrait être de sa
connaissance sur la légitimité ou sur la bâtardise n’est
point de son ressort ; ce serait décider de l’état des
sujets du roi, dont il ne peut être le juge ; dans les
cas des protestants, où ils n’exigent d’inscrire que le
nom du père et de la mère, sans ajouter les qualités
de mariés ou de légitimés, rien ne serait plus contraire
aux devoirs de celui qui baptise, que d’ajouter
de son chef le terme de bâtard ; après une sommation qui serait faite au curé, s’il persistait, ce serait un
abus, et il serait condamné par le juge ; en Languedoc,
le parlement de Toulouse ne refuserait pas son ministère
sur un objet aussi évident et aussi important.
C’est ainsi que Joly de Fleury déniait absolument au
clergé catholique, alors même qu’il remplissait le
devoir de l’officier civil, le droit de s’immiscer dans
les questions d’état, lorsque son dogme paraissait
l’y déterminer. C’était lui conseiller de fermer constamment
les yeux sur le fait patent de l’existence des
réformés, conseil d’une théorie facile, mais d’une
pratique impossible.
Le Mémoire traite, d’une manière non moins lumineuse,
la question du mariage des protestants ; il
tend également à modérer, sous ce rapport, les prétentions
du clergé, spécialement en Languedoc. Dans
les diocèses où les réformés continuaient, sous le
nom menteur de nouveaux convertis, de former une
fraction considérable et quelquefois la grande majorité
de la population, les réformés désobéissaient aux
synodes et se mariaient ostensiblement devant les
curés, sans cesser d’être protestants, ni de reconnaître
leurs ministres, ni de suivre le culte du désert. Comme
pour le baptême, c’était une cérémonie et rien de
plus. Le clergé voyait le mal et ne pouvait le guérir
ni l’arrêter. Dans cette position, les évêques du Languedoc
imaginèrent de leur chef d’entourer la cérémonie
du mariage de nouvelles formalités, non facultatives
et tendant à une bonne célébration, mais
inhibitoires et dirimantes. De sorte que les protestants,
quoiqu’ils fussent censés pleinement catholiques,
se trouvaient dans une situation pire que celle
des anciens catholiques. Cette prétention consistait à
exiger des parties, comme clause indispensable et préalable, la confession, la communion et même une
abjuration par écrit. On pouvait craindre que de
telles conditions n’éloignassent entièrement les réformés
de la pratique du mariage légal ; alors des
populations entières eussent vécu sans état civil
d’aucun genre. Ce plan, c’était un cas d’abus ; car de
telles conditions n’étaient pas dans les édits ; ce n’était
qu’arbitrairement que le clergé les déduisait même
du droit canon. La discussion de ce point par Joly
de Fleury offre encore beaucoup d’intérêt. Il commençait
par établir devant le conseil du roi que ni
le concile de Trente, ni les conciles français qui se
tinrent ensuite, ni l’ordonnance de Blois qui régla
quels étaient les décrets de discipline du concile qui
seraient reçus par l’église gallicane, n’avaient considéré
la confession comme un préalable de nécessité
avant la bénédiction nuptiale ; que cette prétendue
nécessité n’est que de conseil et une simple exhortation (Sancta Synodus hortatur, etc., Sess. 24, cap. 1) ;
que même cette exhortation ne saurait être reconnue
en France, ayant été rendue lors de la retraite des
ambassadeurs français de Trente à Venise par ordre
de Charles ix. D’ailleurs, suivant le procureur général,
les nouveaux convertis ne refusaient pas de
rapporter un billet de confession. Quant à des abjurations
par écrit, ou même verbales, on ne voit point
que, hors de la province du Languedoc, on ait jamais
pensé à les exiger ; elles seraient bien plus abusives
encore, si l’on observe que les édits ne connaissant
en France que des sujets professant la religion catholique,
les évêques doivent juger que tous leurs diocésains
l’ont embrassée.
Malgré ces raisonnements, il restait bien démontré
qu’une foule de réformés ne se pliaient que par une contrainte évidente à l’observation compulsoire du
rit romain ; et c’était là le point délicat qui blessait
le clergé. Le procureur général allait au-devant de la
difficulté par cette observation : « On sait bien que
les évêques diront qu’une espèce de notoriété publique,
le refus d’aller à l’église, d’y présenter les enfants
pour le baptême, et leur concours aux assemblées
où l’on baptise et où l’on marie, sont des circonstances
de fait qui détruisent cette présomption portée
par la déclaration de 1715 et de 1724, que tous
les sujets du roi ont embrassé la religion catholique, apostolique et romaine. » (Mém., p. 154.) Sous ce
rapport, les évêques avaient indubitablement raison.
Mais l’administration combattait leurs scrupules en
disant que la notoriété publique n’existait pas en
France, à moins qu’elle ne fût fondée sur un jugement,
et que le catholicisme des nouveaux convertis
était fondé sur une présomption de fait à laquelle les
curés devaient se soumettre ; que les nouveaux convertis
ayant été en tout assimilés aux anciens catholiques,
les évêques n’avaient nullement le droit d’établir
à leur égard une nouvelle discipline ; qu’enfin,
exiger, soit la communion, soit une profession de
foi, soit un acte d’abjuration par écrit, ne pouvait
servir qu’à faire faire des mariages de mauvaise foi,
et à entretenir de semblables pratiques dans des
assemblées interdites. D’autres faits, cités par Joly de
Fleury, font encore mieux apprécier la position des
protestants dans le Languedoc. D’après un mémoire
transmis par un ecclésiastique au cardinal de Fleury,
le curé languedocien affirmait que, lorsque des nouveaux
convertis venaient à lui pour se confesser, à
l’effet de contracter mariage, alors même qu’il leur
refusait l’absolution, le secret de la confession le forçait à donner un certificat de l’acte de pénitence, sur
lequel ils étaient ensuite admis au mariage. L’abus si
fréquent d’une dissimulation contre laquelle le clergé
ne pouvait absolument rien faire, détermina les évêques
en 1733, 1739 et 1743, à proposer que les protestants
pour se marier devaient toujours rapporter
les certificats de l’accomplissement du devoir pascal,
et actes d’abjuration ; mais les magistrats du Parlement
rejetèrent cette prétention, comme abusive et
insolite. Jamais ces formalités n’avaient été jugées
nécessaires ; « pourquoi donc les demander, disait
Joly de Fleury, dans un temps où les religionnaires
sont plus aigris et plus agités ? » D’ailleurs, il n’en est
pas du mariage comme des autres sacrements, dont
le prêtre seul est le ministre. L’essence du sacrement
de mariage est dans le consentement des deux contractants.
La bénédiction du prêtre, quoique fort
ancienne dans la loi évangélique, n’a été établie que
par un usage, et n’est pas de forme essentielle, originaire
et primitive. Au surplus, suivant le sage conseil
de Joly de Fleury, ce principe, qui est exact, ne devait
pas toutefois être mis devant les yeux des évêques,
qui, peu instruits des véritables principes et jaloux
uniquement de leur autorité, contestent les principes
les plus assurés ; il n’en est pas besoin pour autoriser
les juges royaux d’en connaître, si le clergé s’obstine
abusivement à soumettre le mariage à la nécessité de
la communion et de l’abjuration par écrit. L’ancien
procureur général concluait enfin que le prêtre devait
compte de son refus au juge royal ; que les contractants
avaient droit, s’il refusait, de lui faire des sommations,
attendu que nul évêque ou curé n’a le droit
d’introduire dans l’administration du mariage, « dont
la notoriété est toute temporelle, » aucune forme ou condition non expressément autorisée par les lois de
l’église ou de l’État ; qu’enfin, en ce qui concernait le
Languedoc, le procureur général du roi au parlement
de Toulouse avait le droit d’obtenir devant la cour
arrêt enjoignant au curé de passer outre, sous peine
de saisie du temporel.
Nous avons cru devoir faire connaître avec quelques
détails cette consultation de Joly de Fleury,
moins pour exposer des principes dont aujourd’hui
tous les jurisconsultes ont reconnu la justesse, que
pour démontrer combien les mesures de l’édit de
tolérance de Louis XVI existaient alors en germe
dans les meilleurs esprits, et pour faire mieux apprécier,
par ce tableau non suspect, la position des protestants
français. Quant à leurs intérêts et à la possibilité
de constater leur état civil, même par des
concessions déguisées que la sévérité des édits excuse
peut-être suffisamment, il y avait lutte ouverte et
formelle entre le clergé et le gouvernement. Il est
également évident que la question ne présentait de
tous les côtés qu’un expédient sans issue. Le gouvernement
cherchait uniquement à sauver la paix publique,
et se contentait d’exiger l’exécution de la
lettre des édits, sans prétendre pénétrer plus avant ;
le clergé visait à en faire exécuter l’esprit, et se voyait,
avec un dégoût d’ailleurs fort naturel, exposé à être
chaque jour l’impuissant témoin et même l’officieux
complice de cérémonies commandées impérieusement
par les lois, mais sans action et de nulle valeur
au fond des consciences. Le clergé fit un effort pour
sortir de cette fausse position ; tentative funeste, que
nous aurons à raconter, et qui faillit amener de très-grands
malheurs.
Sur ces entrefaites, les églises du midi, comme si elles eussent prévu le nouvel orage qui allait fondre
sur elles, avaient recours à divers moyens pour conjurer
le danger. Tous furent impuissants. Cependant,
vers 1750, et en général depuis la paix d’Aix-la-Chapelle,
les protestants du midi jouissaient d’une
certaine tranquillité ; dans le nord également, le
culte se réveillait et prenait plus de consistance ; le
ministre Préneuf passa à Jersey, après avoir courageusement
servi la province de Normandie, où il eut
pour successeur le ministre Gautier, touchant lequel
Court écrivait ainsi aux églises du midi ; « Gautier
fait des merveilles en Normandie ; sans ce jeune
homme, cette province serait à présent abandonnée,
ce qui serait un grand mal ; il y est fort chéri, et un
cri public a demandé sa consécration, qui lui a été
accordée par un colloque génevois. » (Lett. à P. Rab.,
26 avril 1750.) Le calme succédant à une persécution
si constante, elles se flattaient de voir leur religion
fleurir à l’ombre de la tolérance, quelque incomplète
qu’elle fût. C’est à cette époque qu’il faut faire remonter
l’origine d’une intrigue qui se présenta plusieurs
fois. Les églises avaient songé à s’adresser aux puissances
étrangères professant leur communion, pour
obtenir la délivrance des galériens condamnés à perpétuité
pour fait de s’être trouvés à des assemblées
religieuses. Le prince stathouder de Hollande leur
fît savoir « qu’il ne négligerait rien pour faire procurer
aux pauvres frères la liberté, étant porté d’inclination
et d’un vrai zèle à cette bonne œuvre. » Le
synode wallon, assemblé à Amsterdam, joignit ses
instances à celles des protestants de France. Mais il
paraît que quelques serviteurs trop officieux des
églises, qui résidaient probablement à Paris, avec
mission intéressée sans doute en cette affaire, écrivirent à leurs frères, à Marseille et à Lausanne, qu’ils
eussent à lever une contribution de douze mille à
quinze mille livres, jugée nécessaire pour rompre
les chaînes des confesseurs. La proposition fut fort
sagement rejetée, surtout par les conseils du ministre
A. Court, à Lausanne. Les églises pensèrent qu’il était
très-dangereux d’offrir de l’argent pour la délivrance
des galériens ; que c’était ouvrir la porte à
la cupidité, et fournir aux gens en crédit, qui aimeraient
à s’enrichir aux dépens de l’innocence, un
appât pour faire augmenter le nombre et la rigueur
des arrêts criminels. Nous verrons cependant qu’on
eut quelquefois recours avec succès à ce moyen
vénal.
D’autres projets plus utiles et plus vastes furent
proposés. Les états de la province de Languedoc étaient
assemblés. Les grandes questions qui divisèrent toujours
l’État et l’église s’y présentèrent, de même que
devant l’assemblée du clergé à Paris, la même année.
Il s’agissait de l’immunité des biens ecclésiastiques.
Les évêques regardaient l’intendant de la province,
comme un ennemi chargé de faire contribuer aux
dépenses du royaume un riche corps ecclésiastique,
qui ne voulait y contribuer que par ses prières. Le
débat fut porté au point, entre la cour et la représentation
provinciale, que le roi cassa, avec censure, les
délibérations de la chambre du clergé comme ayant
sacrifié les intérêts de la province à ses vues particulières.
La difficulté portait spécialement sur l’octroi de
l’imposition foncière du vingtième. Les protestants résolurent
de suivre une marche tout opposée. Ils adressèrent
au comte de Saint-Florentin (17 mars) et à
l’intendant du Languedoc Lenain (3 mars), une déclaration
signée, dans le placet remis à ce dernier, des pasteurs Defferre, Pradel, Gal, Paul Rabaut,
Simon Gibert, Molines, par laquelle ils protestaient,
au nom des églises, qu’elles étaient prêtes à payer le
nouvel impôt sans murmure. Cette pièce rappelait
aussi la conduite loyale des réformés, lorsque les Autrichiens
étaient sur la ligne du Var, et demandait
quelque allégement à la persécution. (Lettr. Mss. P. R.) Il paraît que le clergé, qui avait refusé le
vingtième, découvrit cette modeste requête des églises,
et qu’il tenta d’en neutraliser l’effet. Il parut craindre
que la soumission des réformés aux désirs de la cour
n’ouvrît les voies à une tolérance prochaine. Aussi
la même lettre que l’archevêque de Toulouse fit parvenir
au gouvernement, au nom des vingt évêques du
Languedoc, dans laquelle il proteste de sa soumission
et de celle de ses collègues, déclarant qu’ils n’ont
rien fait qui ne soit du privilège essentiel des états
de la province, contient aussi le passage suivant qui
mérite d’être rapporté : « La sainteté de leur caractère,
et leur position au milieu de tant de brebis égarées
du sein de l’Église, dit le prélat, rend la justification
plus nécessaire. En effet, comment pourront-ils souffrir
sans se plaindre un reproche si propre à les
rendre plus odieux à ces frères séparés, dont on a
tout lieu de craindre que l’apparence de soumission,
qu’on fait tant valoir en cette circonstance, ne cache
le pernicieux objet qu’ils n’ont jamais perdu de vue
de faire au moins tolérer ou dissimuler le service de
leur religion. » (29 mars 1750.) Singulière requête de
ces prélats, qui, tandis qu’ils refusaient les subsides
publics, s’effrayaient que les protestants les accordassent,
et qui se montraient, dans cette circonstance,
aussi prodigues en conseils d’intolérance
qu’ils étaient économes en votes d’argent !
Cependant la conduite des églises ; qui déclarèrent,
par la voie des cinq pasteurs que nous avons cités,
qu’elles consentaient à l’imposition, n’eut point des
suites heureuses. Cette démarche, qui formait contraste
avec celle du clergé, redoubla son aigreur
contre les réformés, qui n’avaient pas craint de sacrifier
les privilèges de la province à l’espoir d’un
adoucissement à leur sort. C’était aussi l’époque où
toute la correspondance des intendants révélait leurs
débats avec les évêques sur la question des nouveaux convertis, où le conseil était fort divisé sur la marche
qu’il fallait suivre, où il ressortait évidemment de la
situation des protestants que leur nombre restait à
peu près le même, et que le code des édits les plus
rigoureux était annulé chaque jour par une adhésion
feinte qu’il était impossible de combattre. Il paraît
que l’influence du clergé sur la haute administration
s’exerça habilement dans cette situation nouvelle, où
les démarches des réformés du Languedoc avaient
paru faire le procès aux siennes sur la question de
l’imposition provinciale. Le clergé ayant représenté au
conseil que la guerre pouvait recommencer à chaque
instant, que dès lors les troupes ne seraient plus
disponibles, que les religionnaires constituaient toujours
un noyau de révolte inquiétant pour la paix
publique, et que d’ailleurs leur souplesse devant les
édits de conversion prouvait plus de complaisance
que de conviction, n’eut point de peine à porter le
conseil à lui donner satisfaction en adoptant des
mesures plus fortes, et à profiter d’un intervalle où
la paix durait encore. Nous verrons toutefois qu’ici
la lutte recommença entre l’administration et le sacerdoce,
et que la première essaya maintes fois de
tempérer la rigueur de l’exécution des ordonnances, sans cependant avoir pu empêcher les choses d’être
poussées très-loin.
Deux gouverneurs, M. de Saint-Jal, qui commandait
en Provence, et l’intendant Lenain en Languedoc,
occupés uniquement d’assurer la tranquillité
publique, fermaient les yeux sur le fait des assemblées,
que toutes les rigueurs de la déclaration de
1724 ne parvenaient pas à prévenir. Ils faisaient plus ;
ils correspondaient avec les ministres, quand ils
jugeaient à propos de manifester leurs craintes ou leurs
volontés aux populations protestantes[111]. C’est ainsi
que le pasteur Paul Rabaut correspondait avec l’intendant
Lenain, touchant son séjour en Languedoc,
et pour garantir que l’esprit soumis des fidèles ne
permettait de concevoir aucune inquiétude sur de
prétendus projets de révolte. L’intendant Lenain mourut ;
alors on envoya son successeur en Languedoc
avec ces deux missions : l’une, de faire exécuter avec
rigueur tous les anciens règlements, et l’autre, de
tâcher de faire entrer les évêques du Languedoc dans
les vues de l’administration concernant les baptêmes
et les mariages, c’est-à-dire d’obtenir qu’ils n’exigeassent
point de signatures et autres actes d’abjuration
extra-disciplinaires. Comme l’observe très-bien
le Mémoire que nous citons, de cette double mission,
le premier article était cruel, le second inutile. Aucun
ne réussit ; encore une fois ni la force ni les
négociations ne purent ruiner les églises.
Toutes les questions, tant celles des cérémonies
spirituelles protestantes qui perpétuaient les églises,
et qui annulaient toutes les espérances des évêques,
que celles des assemblées qui effrayaient sans cesse le gouvernement, tenaient à un seul point, l’existence
des ministres. C’étaient eux qui principalement ralliaient
les troupeaux, qui maintenaient la ferveur
religieuse, et qui empêchaient les communautés de
se fondre lentement dans la masse catholique.
Pour bien faire apprécier, à la moitié du siècle,
après tant de persécutions, l’organisation ecclésiastique
des églises, nous ajouterons plus bas le texte
complet des minutes du Synode National de 1756,
parce que c’est le seul de notre nombreuse collection
mss. avec celui de 1763, qui donne, selon l’ancien
usage, le rôle complet des pasteurs qui desservaient
les églises du désert. On sera sans doute bien aise de
lire textuellement un de ces documents, avec toutes
ses dispositions disciplinaires, et d’avoir sous les yeux
la liste officielle de ces hommes dignes de mémoire,
qui étaient sans cesse proscrits par les édits de
Louis XIV (Pièc. Just. n.viii).
D’ailleurs, l’habile et sévère organisation synodale
depuis la guerre des Camisards, organisation en tout
semblable à celle des anciens temps, qui avaient
donné tant de puissance au parti calviniste ; les prédications
fréquentes ; le séminaire de Lausanne où
de nouveaux sujets se formaient chaque jour ; enfin
la correspondance officielle de cinq ministres avec
l’intendant : tels furent sans doute les motifs de ce
redoublement de persécution, qui vint fondre sur les
églises de France, et qui commença pour elles un
nouvel intervalle d’environ douze ans de malheurs
plus ou moins constants, entrecoupés de périodes de
calme plus ou moins prolongées, dans l’espace desquelles
elles comptèrent leurs derniers martyrs.
Nous verrons comment la guerre des Camisards faillit
se rallumer.
Le tableau de ces derniers événements jusqu’à
l’édit de l’état civil, si lentement élaboré par le conseil
des rois, remplira la seconde partie de cet ouvrage.
Seulement, en jetant les yeux sur l’espace que nous
venons de parcourir et sur les choses que nous venons
de raconter, ne pourrait-on pas logiquement en
induire quelques préjugés légitimes, selon le mot de
Nicole, en faveur d’une foi qui sut inspirer tant de
puissance, tant de résignation, tant d’articles de sage
organisation et tant de piété, au milieu de ses malheurs
et de ses continuels orages.
Cette dernière considération touche au fond de la
doctrine des églises réformées françaises ; c’est une
question de conviction et non une question de fait ;
elle sort dès lors du strict domaine de l’histoire et
nous ne devons pas nous y arrêter. Nous aurons, d’ailleurs,
de nombreuses occasions de relever l’originalité
des faits, que nous avons déjà indiqués, et qui résultent
de cette histoire. On ne verra pas aujourd’hui
sans étonnement le tableau de ces croyances, source
de tant de malheurs pour leurs disciples et si chères à
leur foi, de ces croyances qui, au milieu du siècle des
Voltaire et des Montesquieu, s’estimèrent heureuses
de pouvoir célébrer leurs rites en plein jour et de
renoncer au mystère de la nuit. On se rappellera
qu’après le synode national de 1744 elles furent obligées
de retourner aux cavernes et aux ténèbres ; après
cela, on découvre, avec un vif mouvement de surprise,
que cette religion proscrite et réprimée, comme
une secte sauvage et immonde, du temps de Louis XV,
était simplement la foi chrétienne réformée, la foi
d’une grande et puissante partie du monde chrétien.
Le philosophe ne manquera pas de remarquer combien
est contraire aux analogies, et à beaucoup de théories reçues de nos jours, le fait de ces églises du
désert, appartenant à une race tout à fait méridionale,
et cependant ayant conservé si obstinément et
si longtemps leur culte et leur croyance, sans aucun
temple ni signe extérieur qui pût faire appel aux
imaginations. Le symbolisme n’est donc point nécessaire
à un culte fervent et profond, même au milieu
des populations du midi de l’Europe. Ce fait remarquable
peut déjà être conclu des nombreux renseignements
que nous avons insérés touchant la vie intérieure
et dogmatique des églises du désert. Il sera
pleinement confirmé par la suite de leurs annales,
lorsque, étendant le cercle de nos recherches domestiques
et ecclésiastiques, nous appellerons en témoignage
les archives administratives et inédites du gouvernement
de Louis XV. Nous verrons alors combien
la foi du désert, si tenace et si simple, si dénuée de
toute force externe et si riche de la puissance du dedans,
fut un objet aussi embarrassant qu’il était
incompréhensible pour les évêques, pour les commandants
et pour les hommes d’état.
Seulement, en terminant cette première partie des
annales du désert, il nous est difficile de ne pas dire
un mot de la position philosophique de leur temps.
Il nous est difficile de ne pas tâcher au moins d’y
trouver l’explication de cette lutte, à la fois glorieuse
et déplorable, dont nous avons fait connaître quelques
uns des principaux traits, dont nous avons
mentionné quelques unes des plus généreuses victimes.
On ne comprend guère la position des églises
du désert et les sévérités qui s’y passaient, au milieu
d’une époque aussi éclairée que celle du milieu du
xviiie siècle, en présence des lumières philosophiques
qui affluaient et de la cour et de Paris. Il est vrai que, dans ce temps de l’histoire de France, le conseil de
nos rois, servile conservateur des édits de Louis XIV,
resta trop fidèle à ses funestes traditions. La plus
notable amélioration sortit du cœur d’un soldat. Elle
fut suggérée sans doute par les souvenirs d’une guerre
qui se rattache à l’époque que nous avons parcourue.
En 1746, le maréchal de Belle-Isle avait été chargé de
repousser les Autrichiens des plaines de la Provence ;
il avait vu de près les églises du désert ; il avait été
témoin de leur fidélité. Il s’en souvint lorsque, plus
tard, il signala son passage au ministère de la guerre
1759. 21 juillet. par la création de l’ordre du Mérite militaire, pour
les officiers protestants que l’obligation de prêter un
serment tout catholique éloignait de la croix de
Saint-Louis. Ce fut la seule mesure du gouvernement
de Louis XV, où le monarque parut faire un pas vers
la reconnaissance officielle de quelques droits chez
des protestants au service de France. Encore cette
tardive justice fut-elle restreinte à de braves étrangers
qui combattaient sous les lys, tels que les Nassau-Saarbruck
et les Wurmser, tandis que les militaires et
la noblesse protestante française ne purent pas encore
aspirer à ce prix du sang versé pour leur patrie. Nos
anciennes familles nationales, restées fidèles à la réformation,
telles que les Ségur-Pardaillan, et tant
d’autres, durent se contenter de leur épée pour décoration
d’honneur. Mais, au moins, l’on doit reconnaître,
que, dans cette fondation de l’illustre général,
qui acquit la Lorraine à la France, il y eut une pensée
d’égalité pour ses camarades de l’autre foi.
Des idées de ce genre ne parurent point s’offrir aux
plus illustres philosophes du temps. Au milieu des
sauvages dévastations par lesquelles les commandants
pour le roi réprimèrent les espérances des églises du désert, après la mort de Louis XIV, on jouait à Paris
l’Œdipe de Voltaire (1716), avec ses déclamations
contre un sacerdoce ambitieux. L’année qui suivit la
cruelle déclaration de 1724, où les églises furent si
impitoyablement proscrites par M. le duc de Bourbon,
fut aussi celle d’un très-notable événement littéraire ;
la publication du poème de la Henriade, où Voltaire
entreprit une trop longue réfutation systématique du
fanatisme de la Ligue, sans s’être douté que son épopée
était de l’histoire pour les provinces du désert, où l’on
évoquait les édits de Louis-le-Grand. Les tirades républicaines
du Brutus se débitaient en 1730, entre
les supplices des ministres Alexandre Roussel et
Pierre Durand. Les gracieuses et transparentes allégories
des Lettres persanes furent sans cesse polies
et retouchées par leur auteur, magistrat dans cette
province de Guyenne, où des familles entières furent
ajournées et poursuivies ; cependant Montesquieu
jugeait la foi dominante avec une complète sévérité
(Lett. pers., no 118) ; il connaissait et il appréciait la
foi du désert, comme le montre son admirable épître
sur la Bible au pasteur Vernet ; il dominait de toute
la hauteur de son génie le bigotisme mesquin, comme
le prouvent les paroles presque protestantes de son
dernier soupir : « Je veux tout sacrifier à la religion,
mais rien aux jésuites. » Cependant on ne voit pas
que les événements, qui alors désolaient les églises du
désert, aient obtenu de ce philosophe instruit et humain
un mot de sympathie ou même d’attention. Il
ne mena point son censeur Usbeck jusqu’à la tour
solitaire de Constance.
Un fait aussi singulier méritait d’être indiqué. Ce
fut un résultat de l’esprit général du siècle. Les églises
du désert étaient très-peu connues. Elles jetaient un éclat privé, qui se perdait dans les masses populaires
qui les composaient. Le peu de noblesse languedocienne,
qui y restait, attachée, se maintenait
dans une obscurité prudente. Elles furent poursuivies
par les intendants ; elles furent condamnées par les
magistrats ; elles furent ignorées par les beaux esprits.
Déjà Rousseau composait ses brillants paradoxes
contre l’utilité des sciences (1751), et D’Alembert
appliquait la méthode de Descartes aux projets encyclopédiques
de Bacon (1752) ; mais ni l’un ni l’autre
ne songeaient à descendre de leurs hauteurs intellectuelles,
pour s’enquérir des droits des Français persécutés.
Il fallut, bien plus tard, la terrible aventure
du vieux Calas pour remuer les philosophes. C’est
que, d’une part, les pasteurs du désert étaient invisibles
et proscrits aux yeux de la loi, et, par conséquent,
obscurs et introuvables ; et que, d’autre part,
ils étaient profondément religieux, ce qui les éloignait
d’autant de la philosophie du jour. Nous trouverons
en effet dans la correspondance des pasteurs
du désert, durant le reste du siècle, des plaintes nombreuses
et des remarques très-fines sur les progrès de
l’esprit incrédule, qui était alors une affaire de mode
irrésistible. Nous verrons même qu’ils furent un peu
gênés de l’appui de Voltaire, et qu’ils craignirent
d’être exposés à payer sa haute protection un peu
trop cher.
Des circonstances politiques et légales, plus simples
encore, expliquent cette obscurité. Il n’y avait alors
en France aucun journal politique, aucune liberté
de presse quelconque, ni pour les protestants, ni
pour personne. De ce vaste corps, dont la surface
était si brillante, aucune partie ne pouvait ressentir
vivement ce qui faisait souffrir les autres régions.
Il faut encore ajouter que l’intérêt des réfugiés français,
à l’étranger, pour leurs frères du désert languedocien,
ne pouvait être aussi vif après un demi-siècle
d’exil, et Saurin n’était plus là pour entretenir
l’image d’une patrie qui s’effaçait. De nouveaux liens,
une nationalité toujours plus intime, se contractaient
dans les pays d’asile. Toutes ces colonies ne tardèrent
pas à oublier plus ou moins complètement une métropole
lointaine et souffrante, d’autant plus que le
précieux établissement de Lausanne, joint aux soins
et à l’activité extrêmes du pasteur Antoine Court,
jusqu’à sa mort, en 1760, concentrait et suppléait
tout l’intérêt et toutes les sympathies, que les étrangers
protestants eussent été disposés à accorder aux
églises du désert. Aussi, nous verrons, dans la vaste
correspondance de Paul Rabaut, que les affaires des
églises se traitaient principalement entre le bas Languedoc,
l’agence de Lausanne, et les chapelains de
l’ambassade de Hollande à Paris. C’était là le cercle
fervent où elles se renfermaient ; on conçoit assez
bien, dès lors, comment elles eurent peu de relations,
soit avec les pays protestants de l’Europe, soit
surtout avec les cercles philosophiques de la capitale.
Leur isolement, pour ainsi dire, au milieu de l’Europe,
au milieu des beaux esprits de la France, est
un des traits singuliers de leur histoire[112]. Cet isolement nous prive de pouvoir montrer l’impression
que faisaient leurs malheurs et leur sort sur le public.
Nous ne le pouvons, puisque les écrivains n’en parlent
aucunement pour ainsi dire. Nous ne pouvons
apprécier ce qu’en pensaient les esprits du jour. Les
brillants écrivains de la France philosophique du
xviiie siècle, par une raison de silence qui remplaça
l’égoïsme de Dangeau, ont été encore moins explicites
que ce courtisan frivole sur les aventures des hérétiques
français. Ils ne se sont pas informés du sort de
tant de leurs compatriotes, qui se tenaient obstinément
hors de la loi commune, acceptant, par respect
pour leur foi, de vivre comme les parias d’une nation
civilisée. Nous ferons voir, dans la suite de cet ouvrage,
que la position de la race qui ressembla le plus
dans toute l’Europe à celle des protestants français,
celle des catholiques irlandais à l’égard du gouvernement
britannique anglican, ne saurait aucunement se
comparer, sous le point de vue civil et de culte, à celle
des protestants du désert vis à vis des édits de nos
rois. Il faut donc avoir recours aux pièces inédites et
aux brèves indications jetées dans la correspondance
secrète du désert, pour deviner, autant que cela est
possible aujourd’hui, le jugement des contemporains
et l’impression générale, quant aux lois compliquées
et iniques qui pesaient sur les sujets protestants. On
découvre alors assez clairement, et non sans quelque
satisfaction, que ces lois ne furent jamais populaires.
La cour, excitée par des conseils dévots et funestes,
engagea et arrêta pendant bien longtemps nos lois
religieuses dans une voie déplorable et féconde en
malheurs de tous genres ; mais la nation française
n’approuva point toutes ces choses ; il n’y eut jamais
chez elle de haine ni de fureur d’oppression contre
ses frères protestants. Les lois qui régissaient les
églises du désert ne furent pas plus populaires en
France, que ne l’avaient été celles de la révocation de
l’édit de Nantes[113]. Nous prouverons cette assertion
par une foule d’exemples. Nous nous bornerons cette
fois à deux remarques consolantes, honorables pour
l’esprit français, et qui font quelque bien au cœur
après toute cette série d’injustices que nous avons été
forcés de peindre. Il ne faut pas oublier que ce fut
du milieu des parlements les plus acharnés à la ruine des églises du désert, ceux de Grenoble et d’Aix, que
s’élevèrent bientôt, par les écrits et les sages harangues
des Ripert de Monclar et des Servan, les protestations
les plus éloquentes en faveur des Français protestants
persécutés et de leur état civil foulé et méconnu. Il
faut surtout se rappeler que, jusqu’à la veille de la
révolution française, les édits intolérants ne furent
point abolis ; qu’ils formaient toujours la législation
du temps ; et que, toutefois lentement et par le seul
effet des lumières, ils étaient devenus absolument inexécutables.
Tombés en une désuétude complète, ils furent
enfin totalement abandonnés par les magistrats
comme par l’administration, et il y avait longtemps
que la verge des oppresseurs s’était flétrie lorsque
Louis XVI acheva de la briser. Il faut donc reconnaître
que l’opinion publique de la France, dès qu’elle
put agir au xviiie siècle, répudia sans hésiter le monstrueux
héritage des édits de Louis XIV. Plus tard,
la France, agissant enfin librement par ses représentants,
rétablit l’édit de Nantes ; elle fit mieux encore ;
elle fit une chose et plus sage et plus sainte ; elle décréta
l’égalité de tous les cultes devant la loi civile. En
écrivant ces dernières lignes, nous anticipons sur la
conclusion de notre ouvrage ; mais nous avons encore
bien des mauvais temps à raconter ; condamnés à
rentrer dans cette nuit d’oppression sans fanatisme,
nous nous plaisons à y prévoir l’instant religieux,
tant souhaité par les protestants du désert, où le jour
de la tolérance devra se lever.
doit-on conserver ou abolir les lois pénales contre les prostestants de france ?
Il n’est besoin ici ni d’art ni d’éloquence pour répondre à
cette question ; il suffit de faire un catalogue de ces lois. L’humanité
y est insultée de la manière la plus outrageante, la
plus vulgaire politique y est violée ; elles sont si visiblement
impraticables, qu’en général elles restent sans exécution, mais
elles n’en déshonorent pas moins la nation qui les conserve
et qui s’en sert comme d’un glaive toujours nu, pour effrayer
des sujets utiles. Elles sont l’opprobre de la France ; et s’obstiner
à les garder, c’est se moquer ouvertement de l’équité,
et s’offrir en dérision à l’Europe entière.
Professions dont les protestants sont exclus par ces lois.
4 Mars 1685, 19 janvier 1684. — Offices de la maison du roi et des autres maisons royales. Secrétaires du roi ; leurs veuves protestantes également déchues de leurs privilèges.
Règlement des fermes du 11 juin 1680. — Fermes générales. Les protestants ne peuvent être fermiers du roi. Adjudicataires participes ou intéressés ; sous-fermiers, directeurs des fermes, capitaines, contrôleurs commis, brigadiers, archers, gardes ni employés.
17 Août 1680. — Ils ne peuvent être receveurs-généraux des finances, ni employés en aucune manière au recouvrement des deniers du roi.
27 Septembre 1682, — Ni officiers des maréchaussées, receveurs des consignations et saisies réelles.
6 Novembre — 1679, 11 janv. 1680, 23 août 1680, 2 déc. 1680, 25 juin 1685, 20 novembre 1685, — Ni officiers de justice, aux parlements, dans les cours inférieures, dans les justices des seigneurs, ni des consuls dans les communautés.
28 Juin 1681, 21 février 1682, 16 juillet 1682, 11 juillet 1685, 8 novembre 1685, 17 novembre 1685, 10 juillet 1685. — Ils ne peuvent être avocats, procureurs, notaires, greffiers, procureurs postulants, huissiers, sergents, recors, élèves de juges, avocats ou autres.
9 Juil. 1685, 22 janv. 1685, 6 août 1685, 15 septembre 1685. — Ils ne peuvent être libraires, imprimeurs, épiciers, médecins, apothicaires, chirurgiens.
9 Juin 1685. — Ils ne peuvent prendre les biens ecclésiastiques à ferme.
21 Août 1684. — On ne doit point les prendre pour experts.
9 Mars 1682. — On doit préférer les catholiques pour louer les chevaux.
20 Février 1680. — Les femmes protestantes ne peuvent faire les fonctions de sages-femmes.
20 Décembre 1682. — Une loi particulière au diocèse de Castres, c’est que les artisans protestants ne pourront y être plus du tiers : les protestants remplissaient le pays.
3 Juillet 1685. Les protestants ne peuvent servir de domestiques chez les protestants.
12 Janvier 1685. — Ni les catholiques non plus ; en sorte que les protestants ne pouvaient se faire servir.
13 Mai 1681. — Les protestants ne peuvent prendre des apprentis de leur secte.
13 Décembre 1698. — Dans aucune charge publique, et pour prendre les degrés en droit ou en médecine, on ne pourra se dispenser d’apporter un certificat de catholicisme. Ces certificats sont exigibles dans toutes les corporations d’artisans, dans les corps du commerce pour y être syndic, etc., etc.
Ces terribles lois interdisent donc l’eau et le feu ; elles ôtent
le pain et la subsistance. J’avoue qu’on s’en affranchit par
des sacrilèges, qu’on obtient un certificat de catholicité pour
un écu ; et c’est ainsi que des lois vicieuses multiplient les
vices et corrompent les sujets. Mais, dit-on, ces lois sont tombées
en désuétude. Qu’en faites-vous donc ? Pourquoi les garder,
s’il est absurde et atroce de les exécuter. D’ailleurs, elles
sont souvent invoquées, et il arrive que les plus vertueux des
protestants, ne pouvant se résoudre à des actes d’hypocrisie,
sont privés d’entrer dans plusieurs professions et punis de
leur vertu.
Lois ridicules.
17 Juin 1681. — Celle qui permet aux enfants de se convertir à l’âge de sept ans ; elle est injuste de plus en ce qu’elle les autorise à quitter leurs parents et force ceux-ci à leur faire une pension hors de la maison paternelle.
25 Janvier 1683. — Celle qui veut que les mahométans ou idolâtres qui voudraient embrasser la religion protestante ne le puissent, mais qu’ils se fassent catholiques.
Août 1685. — Celle qui défend aux ministres de parler directement ou indirectement de la religion catholique.
16 Juin 1681. — Celle qui leur défend, ainsi qu’aux anciens, d’empêcher les protestants de se faire catholiques.
..... — Celle qui défend aux écuyers protestants de donner des leçons d’équitation.
..... — Celle qui défend aux protestants de louer des chevaux, de faire des souliers, etc., etc.
Lois qui attentent à l’autorité paternelle.
J’en ai cité quelques-unes ; il y en a d’autres qui ordonnent :
6 Septembre 1683. — Que les enfants nés avant le mariage d’un père protestant lui seront enlevés pour être catholiques ;
12 Juillet 1685. — Que les enfants des veuves protestantes seront catholiques ;
Janvier 1686. — Que les femmes et veuves protestantes seront déchues de leurs droits, et leurs enfants soustraits à leur autorité ;
2 Mai 1686. — Que les enfants qui n’iront point aux instructions publiques seront enlevés à leurs pères ;
Édit révocatif. Octobre 1685. — Que les protestants ne pourront avoir des écoles.
Lois barbares.
4 Septembre 1684. — Celle qui défend aux protestants de recevoir chez eux des pauvres malades.
19 Novembre 1680, 7 avril 1681, 29 avril 1684. — Celle qui ordonne aux juges ordinaires syndics et marguilliers de se transporter chez les malades pour s’informer s’ils veulent embrasser la religion catholique ; celle qui fait traîner nus, sur la claie, les cadavres des protestants qui ont refusé de se convertir ;
21 Août 1684. — Celle qui enlève aux pauvres des protestants leurs biens pour les appliquer aux hôpitaux ;
30 Juillet, 1689. — Celle qui veut que les pères, frères et autres parents de ceux des réfugiés qui servent dans les pays étrangers soient bannis du royaume ;
Octobre 1685. — Celle qui, après avoir permis aux protestants de rester dans le royaume, leur conservant la jouissance des droits civils, leur défend d’en sortir ;
12 Octobre 1687. — Celle qui condamne à la mort ceux qui facilitent leur évasion.
20 Août 1685, 14 juillet 1682. — Celles qui donnent la moitié des biens des fugitifs à leurs dénonciateurs et autorisent ainsi la délation, l’érigent en vertu.
1724. — Celle qui condamne aux galères l’homme honnête qui loge un ministre.
Octobre 1685, 13 mai 1679, 22 mars 1690. — Celles qui punissent les relaps, c’est-à-dire les protestants qui, ayant feint de se convertir, en ont du regret ; celles qui appellent ce remords un crime.
Lois qui attentent à la liberté naturelle des consciences.
Octobre 1685, 1715, 1724. — Celles qui défendent aux protestants d’adorer Dieu à leur manière et les contraignent d’être catholiques ; celles qui excluent leur culte, condamnent à la mort les ministres du culte ; qui ordonnent aux protestants de prendre les sacrements qu’ils refusent, et aux prêtres catholiques de les leur administrer et de commettre des sacrilèges.
Et, pour abréger, toutes ces lois gênent la conscience des
protestants, en les obligeant de renoncer à leur croyance ;
elles sont souverainement vicieuses, si elles se contentent d’en
faire des hypocrites.
Voilà un effroyable code, et il y a loin de cette législation
à celle de la Pensylvanie et de Massachusets-Bay. Il est cependant
en France des gens qui ne voient pas la nécessité de les
abroger ; cette subversion de toute justice ne les étonne point.
D’autres disent froidement qu’elles sont tombées en désuétude.
D’abord, cela n’est pas vrai ; il s’en exécute toujours
quelqu’une quelque part ; car il suffit qu’un homme lâche et
bas les invoque, pour que des juges formalistes, surtout dans
les tribunaux inférieurs, ne veuillent ou n’osent se refuser à
leur exécution. Mais ne voit-on pas qu’elles effraient les protestants,
qu’elles détournent les étrangers de s’établir en
France et les fils des réfugiés d’y rentrer ; qu’elles contrastent
avec la politique européenne et la douceur française ; qu’il ne
faut qu’un ministère faible ou dur pour les remettre en vigueur ;
que si elles sont tombées en désuétude, il faut les abroger
comme inutiles ; que si elles n’y sont pas tombées, il faut les
abroger, parce qu’elles sont atroces ; qu’il y a mille raisons
pour les abolir, et pas une pour les conserver.
Je n’ai rien dit des horreurs qu’a occasionnée l’exécution de
ces lois frappant à tort et à travers sur deux millions d’hommes :
les galères ont été longtemps remplies de protestants, les cachots de prisonniers, les maisons fortes de femmes et filles
rasées ; les émigrations n’ont cessé qu’en 1755 et 1756. Les
amendes rigoureusement exigées monteraient à des sommes
exorbitantes, si on les calculait. Il n’y a guère plus de vingt-cinq
ans qu’on ne tire plus à brûle-pourpoint sur les protestants
assemblés pour prier Dieu. Voilà les cruautés que l’on
laisse à nos neveux le pouvoir d’exécuter encore, si on leur
conserve les lois pénales. — Nous avons en horreur la Saint-Barthélemi ;
les étrangers le croiront-ils, s’ils nous voient
garder un code fait par le même génie infernal, et qui pendant
soixante ans a entretenu en France une Saint-Barthélemi perpétuelle.
S’ils ne pouvaient pas nous appeler le plus barbare
de tous les peuples, ils seraient fondés à juger que nous en
sommes le plus inconséquent[115].
La lettre qu’on va lire, émanée de l’intendant du Languedoc,
Baville, en 1698, fut adressée par lui sans doute à un
ecclésiastique qui demandait la grâce de quelques prisonniers,
et peut-être à Fléchier, l’évêque de Nîmes. Nous plaçons ici
un passage de l’Histoire des Camisards, par Antoine Court,
passage historique, qui explique suffisamment à quelle occasion
l’intendant du Languedoc écrivit la lettre que nous citons
ci-après. On verra que, sauf quelques variantes dans les chiffres,
il y a un entier accord entre les détails du pasteur et ceux du
cruel intendant. Il faut d’abord remarquer que Louis XIV,
immédiatement après la paix de Ryswick, rendit une déclaration
qui défendait aux protestants du Languedoc ou Cévennes de s’établir à Orange et d’y faire aucun exercice de la religion
(23 nov. 1697). « Les protestants persécutés pour leurs
assemblées (du désert) coururent en foule à Orange, dès que
la paix y eut rétabli l’exercice de leur religion ; on venait de
retirer les gardes qu’on avait placés sur les frontières, pour
empêcher les réformés d’aller dans cette principauté ; et le
bruit s’était répandu qu’on pouvait s’y rendre sans crainte.
Ils arrivèrent en effet à Orange sans obstacle. Leur âme était
dans le ravissement de voir et d’entendre encore une fois des
ministres en liberté : mais leur joie ne fut pas de longue
durée. Les habitants de Caderousse les attendaient au passage ;
ils se jetèrent sur eux, les maltraitèrent, les volèrent, les
mirent en chemise, et dans cet état les conduisirent aux prisons
du château de Roquemaure, d’où de Baville, intendant
du Languedoc, les fit transférer à Montpellier. Quatre-vingt-dix-sept
hommes et trente-huit femmes ou filles y furent
conduits, attachés deux à deux ; et dès le 26 septembre (1698),
soixante-onze hommes furent condamnés aux galères perpétuelles
et leurs biens confisqués, et dix-neuf personnes du
sexe renfermées dans le château de Sommières. Cet événement,
qui mit plus de quatre cents familles en deuil, plongea
tous les réformés de la province dans la plus vive affliction ;
mais il ne fut pas capable d’arrêter le cours des assemblées. »
(Vol. l, p. 9-10.)
« J’ai les mains trop liées, Monsieur, pour faire grâce à
personne. Je fus réveillé avant-hier par un courrier de M. de
Châteauneuf, qui m’a apporté l’ordonnance du roi ci-jointe,
avec ordre de ne faire grâce à personne ; de juger quatre-vingts
hommes et une femme suivant la rigueur de l’ordonnance.
J’avais proposé de faire décimer ces malheureux, et que
l’exemple se fît omnium metu, paucorum pœnâ, en les faisant
tirer au billet, comme j’ai vu faire une fois à Nîmes. Mais le
maître ne l’a pas voulu et a été sensiblement indigné. Voilà
un grand exemple, et qui doit rendre sages ces gens-là, s’ils
le peuvent être ; joint à cela toutes les précautions que nous
avons prises, de faire entourer de partis gardés dans le comtat toute la principauté d’Orange, et de mettre encore une seconde
ligne de gardes dans le Languedoc, tout le long du Rhosne.
Je fais publier partout l’ordonnance que je vous envoie. Vous
verrez qu’avec tous ces ordres, Lenquet passera mal son temps
avec un nommé Ribes, qui est encore plus riche que lui. J’ai
ordre de juger quatre-vingts prisonniers ; il s’en trouve quatre-vingt-seize ;
mais j’ai été obligé d’en épargner seize, qui m’ont
paru les moins coupables par leur jeunesse, étant au-dessoubs
de dix-huit ans ; les lois voulant que ce soit une cause pour
modérer la peine et ces seize jeunes garçons ne sont que des
paysans. Ainsi j’ai fermé l’oreille à toute recommandation.
Vous avez fait votre métier et j’ai fait le mien.
« Mon fils vous assure de ses respects et vous remercie de
l’honneur de votre souvenir.
« L’exemple d’Orange rabattra peut-être la fierté de vos gens ;
il n’y a que Dieu qui sache ce que deviendra l’affaire de la
religion, et je crois que ceux qui y travaillent ont encore des
idées bien confuses. Il serait pourtant bien facile d’y donner
une forme qui serait sans inconvénient. Je suis avec respect
votre très-humble et très-obéissant serviteur.
« Delamoignon de Basville
À Montpellier, 24 septembre 1698.
« Tournés.
« J’ai condamné ce matin soixante-seize malheureux aux
galères, dont Ribes et Lanquet sont les premiers. Ils sont
inexcusables ; je souhaite que cet exemple soit le dernier. Si
les docteurs de Paris savaient la peine que nous donne l’affaire
de la religion, ils nous laisseraient faire à notre mode. »
On peut se borner à remarquer, à propos de ce doux post-scriptum
de l’intendant Baville, que ce fut à force de donner
des exemples de ce genre, que lui, et les administrateurs qui
partageaient ses vues, réussirent à faire éclater l’effroyable
guerre religieuse des Camisards, avec laquelle il fallut négocier
et qui faillit embraser tout le midi du royaume.
No III.
Les listes que nous donnons ici sont de l’année 1707 ; elles
sont extraites des registres officiels des églises wallonnes (françaises) des provinces unies de Hollande. Si on les compare
aux listes détaillées du grand ouvrage de Benoît (Hist. de la rév. de l’Édit de Nantes, tom.iii, addit.) de l’année 1695 et
à celles que nous donnons ci-après, qui répondent à l’année
1734 et suivantes jusqu’en 1760, on aura une statistique fidèle
et assez complète des noms des protestants qui furent détenus
sur les galères royales de Marseille, de Toulon et de Dunkerque,
sous Louis XIV et Louis XV, pour crime de religion.
En comparant les listes de 1695 avec celles de 1707, nous trouvons
plusieurs noms communs sur les mêmes galères, ce qui
n’a rien d’étonnant ; la répétition montre seulement qu’en 1707
plusieurs de ces infortunés étaient déjà dans le bagne depuis
douze années. D’après les listes du pasteur Élie Benoît, il y
avait aussi des galériens protestants sur les chiourmes de
Brest, de Saint-Malo et de Bordeaux ; nous pensons que plus
tard, c’étaient les seules galères de Toulon qui recevaient les
condamnés par suite des peines prononcées par les édits de
Louis XIV contre les Français protestants.
EXTRAIT DES ARTICLES DU DERNIER SYNODE
DES ÉGLISES WALLONNES DU PAYS-BAS,
Tenu à Gouda le 19 avril et jours suivants 1708.
ARTICLE XXXI.
À la lecture de l’article 36e du synode précédent, la compagnie,
qui est toujours vivement touchée des souffrances
continuelles de nos frères confesseurs sur les galères, et qui
ne cesse, en admirant la constance et la grâce de Dieu en
eux, de présenter des prières ardentes au père des miséricordes
pour leur consolation et leur délivrance, ayant appris que les sources des charitez ont beaucoup diminué depuis un
an, et qu’ils ont été plus dénuez de secours ; elle renouvelle
fortement son exhortation aux églises pour les obliger à s’élargir
de plus en plus en faveur de nosdits frères. Elle loue celles
qui l’ont fait nouvellement, et elle recommande à toutes les
autres de ne se point relâcher en bienfaisant, vu que le nombre
de ces fidèles va au-delà de trois cent quatre-vingts, et qu’ils
ont besoin d’une continuelle assistance. Elle charge tous les
députez du synode de remercier, chacun dans leur ville,
MM. nos très-honorez frères les pasteurs flamands des charitez
qu’ils ont déjà si généreusement et si libéralement fournies,
et de les exhorter à continuer encore leurs soins, tant
dans leurs consistoires que dans leurs classes et dans leurs
synodes, pour exciter les compassions des églises flamandes
et en obtenir de nouveaux secours qui seront fidèlement
envoyez à ces dignes athlètes du Seigneur, comme ils l’ont été
jusqu’icy, selon que cela a paru encore dans cette assemblée
par les contes que les églises d’Amsterdam et de Rotterdam
ont rendus par leurs députez.
Au-dessous est écrit :
G. Baux, président,
J. Guillebert, Scribe.
Concordat originali, quod attestor.
SignéAbrahamus Signard,
Pastor ecclesiæ Gallicanæ Medioburgensis.
LISTE DES CONFESSEURS DE LA RELIGION RÉFORMÉE QUI SONT DANS
LES CACHOTS ET SUR LES GALÈRES À MARSEILLE.
Prisonniers dans
le château d’Yf.
Pierre Saire.
Jean Saire.
Jean-Bapt. Bansillon.
Élie Morin.
Les 2 frères Carière.
Jean Maunier de La Croix
Jean Favan
—
Dans le château de
St.-Nicolas.
Pierre Buleau de Lansonnière, mort en 1707 aux prisons de l’hôpital.
Desalgas (le baron)
—
Sur la galère
La vieille Réale
André Valet.
Jean Garnier.
Philippe Alix.
Pierre Peraud.
Cardin Guilmod.
Jean Senegat.
Antoine Astrueq.
Jean-Franç. Malblanq.
Étienne Bertrand.
Charles Meton.
Isaac Petit.
Jean Dodé.
Jean Piron.
Claude Audon.
Étienne Bernard.
Philippe Turc.
Daniel Cors.
Antoine Beauvière.
Pierre Diedier.
Jean Jullien.
Anthoine Mejavel.
Pierre Ramond.
Louis Capelier.
Pierre Paloyer.
Jean Prunier.
Abraham Janoir.
Jean Billaud.
Joachim Lotre.
Henry Benton.
Étienne Michel.
Anthoine Penard.
Daniel Conte.
Jean Jacques Chebert.
Jacques Gandouin.
Étienne Tardieu.
Pierre Touril.
Jacques Morel.
Jean Maruege.
Daniel Rouselin.
David Reboul.
Pierre Lucas.
Claude Lambastier.
Jean Le Febvre.
Jean Mesebergue.
Simon Pineau.
Pierre Boyer.
Pierre Lauzet.
Jean Gallien.
Jean Vilvaret.
Étienne Arnalle.
Nicolas Rollinnie.
Jean Sabourin.
Jean Flotte.
Jean Destample.
Claude Villarette.
Jean Royer.
Jean Imbert.
Jean Fesquet.
Claude Joussaud.
Louis Manuel.
Daniel Bourget.
—
Sur la galère
Esclatante.
Jean Muston.
Estienne Salle.
André Pellecœur.
Michel Chabrit.
Pierre Boulonge.
—
Sur la galère
La Grande Réale.
Abel Damouin.
Clément Patron.
Estienne Damouin.
Pierre Gay.
Jean Morin.
Jacques Buland.
Abel Comenaud.
Jean Bonelle.
Pierre Sylvin.
Thomas Boller.
—
Sur la galère
Fière
André Piers.
Jacques Soulerot.
—
Sur la galère
Magnifique.
David Laget.
Gabriel Can.
Marc-Anthoine Reboul.
Jean-Pierre Dintre.
—
Sur la galère
l’Ambitieuse.
Marc-Anthoine Damouin.
Jean Beautias.
Jean Gachon.
Jean Comère.
Estienne Pescheu.
Pierre Bastide.
Pierre Menadier.
Josué Chesnau.
André Archibaud.
Anthoine Perier.
Pierre de Paux.
Samuel de Bedat.
Jean Bourdier.
Pierre Legues.
Benjamin Germain,
André Meunier.
David Pons.
Abraham Plantefère.
—
Sur la galère
Galante.
Elle Pichot.
Jean Soulage.
Jean Durand.
Jean Lostalet.
Pierre Augerau.
Pierre l’Orfelin.
—
Sur la galère
Souveraine.
Pierre Peridier.
Isaac Beaumont.
Claude Pavie.
Pierre Moulin.
Anthoine Platon.
Louis Du Claux.
—
Sur la galère
Forte.
Jean Liron.
Jean Vestiau.
Jacques Morot.
Anthoine Chabert.
Daniel Arsacq.
Louis Cochet.
Jacques Castanier.
Gabriel Laurant.
—
Sur la galère
la Valeur.
Pierre Alix.
David Fesier.
Étienne Gout.
Pierre Bertaud.
Jean Galien.
François Rocheblime.
Jean Cazal.
Salomon Bourget.
—
Sur la galère
Superbe.
François Courtesaire.
Jacques Bruzin.
Jacques Vigne.
Pierre Preval.
Marc-Anthoine Capduc.
Jonas Fournachon.
—
Sur la galère
Madame.
Moyse Renaud.
David Conte.
Jean Raugeron.
Jean Bernard.
Louis Ysoire.
Israël Bouchet.
—
Sur la galère
Héroïne.
Pierre Maillé.
Pierre Garnier.
Étienne Corps.
Claude Savilet.
Charles Sabatier.
Jean David Petit.
Piere de Bled.
Louis Marles.
Jean Pierre.
Jean-Jacques Gras.
Anthoine Prujat.
—
Sur la galère
la Perle.
François Auger.
Jacques Piedmarin.
Jacques Martel.
Allexandre Brunel.
Étienne Gelabert.
—
Sur la galère
la Fleur-de-Lis.
Étienne Fer.
Jacques Chau.
—
Sur la galère
Dauphine.
Jacques Faucet.
Anthoine Falon.
Jean Bereu.
Thomas Bernard.
Matthieu Deunis.
André Rechias.
Bertrant Aurèle.
—
Sur la galère
la France.
Charles Bouin.
Jean-Pierre Clerq.
—
Sur la galère
Amazone.
Joseph Bois de la Tour.
Jean Laurand.
Jean Semenes.
Bartholemy Rossignol.
Jacques du Four.
Jean Dodé.
Jaques Gaigneux.
Jean Molle.
Philippe Hauch.
Nicolas Julien.
Anthoine Mercier.
Daniel Aubet.
François Sabatier.
Jaques Serguieres.
Jean Rouvière.
Pierre Martinangue.
—
Sur la galère
La Magnanime.
Allexandre Asier.
Jean Martin.
Pierre Roumegeon.
Guillaume Bonhoste.
—
Sur la galère
la Princesse.
Pierre du Maes.
Pierre Caplan.
Jacques Blanc.
Jean Giraud.
Jacques du Pont.
Daniel Rayau.
Pierre Misaule.
Jean Viaud.
—
Sur la galère
la Réale.
Antoine Privat.
—
Sur la galère
la Couronne.
André Gazau.
—
Sur la galère
la Conquérante.
Jacques Cochet.
Pierre Richard.
David Volle.
Pierre Bonet.
—
Sur la galère
la Gloire.
Marc Audout.
Jean Gansse.
Étienne Sermes.
Joseph Serbière.
Jean Vincent.
Pierre Chapelle.
Jean Chapelle.
Jacques Brujat.
David Bersot.
—
Sur la galère
Favorite.
Pierre Mazet.
David Douvier,
Élie-Franç. Le Doux.
—
Sur la galère
l’Invincible.
François Quintin.
Guillaume Roux.
Jean Marcelin.
—
Sur la galère
la duchesse.
David Fessonnière.
Abraham Fouverin.
Jacques Durand.
—
Sur la galère
la fidèle.
Jacques Péridier.
Joseph Guigne.
—
Sur la galère
la guerrière.
Jean Lardant.
—
DUNKERQUE.
Sur la galère
la marquise.
Élie Heruat.
Philippe Fardieu.
Jean Naigre.
David Puche.
David Loret.
Jean Jacques.
Jean Espase.
Zacharie Massip.
—
Sur la galère
la martiale.
Jean Severacq.
Pierre Quiet.
—
Sur la galère
Émeraude.
Étienne Grange.
Antoine Aguillon.
Isaac Aposlolie.
Matthieu Pelanchon.
Pierre Gasuel.
Paul Lorier.
Isaac Lunadier.
—
Sur la galère
la Palme.
Pierre Baraqua.
Jean Bancillon.
Jean Barte.
Pierre Nadat.
—
Sur la galère
l’Heureuse.
Daniel Le Gras.
Pierre Blanc.
Jean Barbier.
—
Sur la galère
la Triomphante.
André Bousquet.
Pierre Montasier.
Jean Bourlié.
Pierre La Fond.
Michel Gascuet.
Pierre Soulerot.
Sur la présente liste on trouvera qu’il y a des confesseurs
dans les cachots de Marseille
9 personnes.
Sur trente galères qui sont à Marseille
222 —
Sur six galères qui sont à Dunkerque
30 —
Auquel nombre il faut ajouter les noms de ceux qui sont
venus en galère depuis l’année 1702, qui se monte à
58 —
Le tout
319 personnes.
NOMS DE CEUX QUI SONT VENUS EN GALÈRE
DEPUIS l’année 1702.
Jacques Brun.
Jean Malbernard.
Roustand Gleise.
Pierre Foussatie.
Denin Ustin.
Paul Aumedes.
Charles Pau.
Pierre Cervière.
François Bourier.
Jean Favas.
Jacques Colas.
Jacques Fontanelle.
Jean Manuel.
Anthoine Chabrol.
Daniel Puche.
Jean Fabre.
Louis Bourguet.
Anthoine Noé.
Pierre Valgaliere.
Pierre Cors.
Jean Rampon.
Julien Capelier.
François Bigot.
Jacques Thomas.
Noël Biesot.
Jacques Olivier.
Jean Pierre.
François Martinel.
Pierre Lebat.
Adrien Jenar.
Louis Brugière.
Jacques Roquelle.
Jean Mommegan.
Jacques Brier.
Pierre Fournelle.
Israël Bernard.
Louis Coste.
Jean Lacombe.
André Roux.
Adam Castan.
Jacques Brunelle.
Foulcanan Soulier.
Jean Planque.
Pierre Pontier.
Claude Aguillon.
Jean Baradon.
Jean Roussin.
Jacques Fabre.
Jean Lequel.
Jean Fusiès.
Marc Foucar.
Jacques Cordile.
Jean Lantierez.
Joseph Ricard.
David Mafre.
André Metger.
Antoine Cordile.
Jacques Cors.
No IV.
Tableau de la tournée du pasteur Antoine Court parmi les églises du bas Languedoc et des Cévennes en 1728.
1728.
Lieu de départ
Lieu de l’assembl.
Dist. du lieu de départ à celui de l’assemblée.
Mai
4
Nîmes
x
1
lieue
5
x
Calvisson
1
1/4
7
Calvisson
Lunel
2
9
Lunel
Vauvert
3
21
Vauvert
Saint-Hyppolite
9
23
Saint-Hyppolite
Vendras et Lussan
2
1/2
24
Vendras et Lussan
Saint-Laurent, Saint-Quintin
3
26
Saint-Quintin
Uzès
»
1/2
27
Uzès
Guarrigues
1
1/2
30
Guarrigues
Nîmes
3
1/2
31
Nîmes
Saint-Geniès
4
Juin.
1
Saint-Geniès
Ledignan
1
3/4
3
Ledignan
Brenoux
5
1/2
5
Brenoux
Chamborigaud
3
1/2
Dimanc.
6
Chamborigaud
Pont-de-Mont-Vert
8
7
— — — — —
ibid.
1
8
Pont-de-Mont-Vert
Florac
5
9
Florac
Saint-Germain de Calberte
5
12
Saint-Germain de Calberte
Barre
3
13
Barre
Saint-André de Valborgne
2
14
Saint-André de Valborgne
Valleraugue
2
16
Valleraugue
Meyrueis
4
18
Meyrueis
Vigan
5
19
Vigan
Roquedur
1
1/2
20
Roquedur
Saint-Hyppolite et Ganges
3
1/2
21
Ganges
Quissac
2
1/2
22
Quissac
Lezau
2
26
ibid.
ibid.
0
29
Lezan
Saint-Paul la Coste
3
Juillet,
2
Saint-Paul la Coste
Saint-Roman
4
4
Saint-Roman
Anduze
4
5
Anduze
Sauve
3
32
Assemblées au désert.
Total
98
1/2 l.
No V.
Nous insérons d’après l’ouvrage du pasteur Antoine Court
(Le Patriote français et impartial, p. 530)[117], la liste des pasteurs,
qui furent exécutés par arrêt des intendants de province
ou des parlements, depuis l’année qui suivit la révocation
de l’édit de Nantes jusque vers la fin du règne de xv.
Nous avons rectifié et complété ce triste catalogue d’après
nos pièces. Cette liste n’est pas complète : elle donnera cependant
le nombre approché des pasteurs du désert, qui furent
exécutés uniquement pour le crime d’avoir exercé leurs fonctions.
Plusieurs cependant furent jugés de plus pour révolte
ou pour prétendues menées politiques. On remarquera que
notre liste ne renferme que les pasteurs officiellement ordonnés
suivant la discipline des églises de France, à l’exclusion
des pasteurs, dits prédicants, des Cévennes et bas Languedoc,
dont Baville ordonna les nombreux supplices.
Condamnés par arrêt de l’intendant Lamoignon de Baville.
Les Pasteurs :
1. Fulcran Rey, ministre du bas Languedoc, exécuté à Beaucaire le 8 juillet 1686.
2. Manuel Dalgue de la Faldeur, idem à Nîmes, le 25 juin 1687.
3. David Bertezène, de Valeraugues, idem à Saint-Hyppolite, janvier 1689.
4. Jean-Pierre Poisson, idem à Nîmes, le 15 novembre 1689.
5. Dombres, idem à Nîmes, le 15 novembre 1689.
6. Mazel dit Olivier, idem à Montpellier, le 11 février 1690.
7. David Quet, idem à Montpellier, le 17 juin 1690.
Condamnés par l’intendant Lamoignon de Baville.
(On ne parle pas du nombre considérable de prédicants de la guerre des Camisards que le même intendant fit exécuter).
8. Bonnemère, proposant de Montpellier, exécuté le 17 juin 1690.
9. Roussel de Sainte-Croix de Caderles, exécuté à Montpellier, le 3 janvier 1691.
10. Étienne et Paul Plans, frères, exécutés à Montpellier, le 16 juin 1692.
11. Colognac, exécuté à Marsillargues, le 13 octobre 1693.
12. Papus, exécuté à Montpellier, le 8 mars 1695.
13. La Porte, exécuté à Montpellier, le 27 février 1696.
14. Henri Guérin, exécuté à Montpellier, le 22 juin 1696.
15. Pierre Plans, exécuté à Montpellier, en 1697.
16. Claude Brousson, exécuté à Montpellier, le 4 novembre 1698.
17. Étienne Arnaud, exécuté à Alais, le 22 janvier 1718.
Condamnés par l’intendant du Languedoc, Bernage de Saint-Maurice.
(On ne parle pas de plusieurs ministres, tels que Jean Vesson, qui furent déposés par les synodes du désert. Voyez, sur ce dernier, l’Évangéliste, 1840, p. 136).
18. Alexandre Roussel, exécuté à Montpellier, le 30 novembre 1728.
19. Pierre Durand, exécuté à Montpellier, le 22 avril 1732.
Condamnés par le parlement de Grenoble.
20. Louis Ranc, exécuté à Die, le 3 mars 1745.
21. Jacques Roger, exécuté à Grenoble, le 22 mai 1745.
Condamné par l’intendant du Languedoc, chevalier Lenain.
22. Mathieu Majal, dit Desubas, exécuté à Montpellier, le 2 février 1746[118].
Condamnés par l’intendant du Languedoc, Guignard de Saint-Priest.
23. François Benezet, exécuté à Montpellier, le 27 mars 1752.
24. François Teissier, dit Lafage, exécuté, à Montpellier, le 17 août 1754.
Condamné par le parlement de Toulouse.
25. François Rochette, exécuté à Toulouse, le 19 février 1762.
Pour compléter les renseignements précédents et aussi
ceux qui vont suivre, il n’est pas inutile de rappeler quels
furent les magistrats et les commandants militaires qui gouvernèrent
le Languedoc pendant les années dont nous avons
parcouru l’histoire. Durant les années même de la révocation
de l’édit de Nantes, pendant toute la fin du siècle, y compris
la période complète de la guerre des Camisards, jusqu’après
la mort de Louis XIV, Lamoignon de Baville, conseiller
du Roi, fut intendant de police, justice et finances. Il
gouverna la province, de 1685 à 1718, c’est-à-dire pendant
trente-trois ans. À la même époque, et en vertu du privilège
de la province qui avait stipulé, lors de sa réunion, qu’elle
ne pourrait être gouvernée que par un prince du sang royal,
le duc du Maine, fils légitime de France, eut le gouvernement
du Languedoc, de 1682 à 1736. Son fils, le prince de
Dombes, lui succéda. En effet, nous avons vu un certain nombre de placets adressés, par les églises du désert, à ce
prince du sang. Le duc de Maine n’exerça jamais en Languedoc
qu’un commandement nominal. Les vrais gouverneurs
furent, pendant ce même intervalle, avec l’intendant Baville,
les marquis de la Trousse et de Noailles, les maréchaux de
Montrevel, de Villars, et le maréchal-de-camp du Deffand
de Lalande ; ensuite le commandement militaire du Languedoc
fut exercé par le maréchal de Berwick ; sous la régence,
par le duc de Roquelaure ; et plus tard, par le lieutenant-général
marquis de La Fare (1729) ; à ce dernier, le duc de
Richelieu succéda en 1739 ; en son absence, le gouvernement
militaire fut exercé par le maréchal-de-camp de La Devèze.
Nous verrons que la douceur au moins comparative du duc de
Richelieu fut remplacée, et beaucoup étendue, par un autre
homme de qualité qui tendit une main secourable aux protestants,
et qui a laissé une mémoire en bénédiction chez les
églises du désert du Languedoc et de la Guyenne ; ce fut le
prince de Beauvau.
Après Lamoignon de Baville, les intendants du Languedoc
qui administrèrent la province pendant l’intervalle que
nous avons parcouru, furent successivement :
Louis Basile de Bernage, chevalier, seigneur de Saint-Maurice, conseiller du roi, maître des requêtes, depuis l’an 1723 jusqu’en 1742 ; il eut deux subdélégués, qui furent très-souvent en contact avec les églises du désert : le subdélégué du Vigan, le chevalier Jean Daudé, seigneur d’Alzon ; et le subdélégué de Nîmes, le conseiller Raimond Novi de Caveirac, de la même famille nîmoise que le prieur de Cubierètes, l’abbé de Caveirac, si connu par ses ouvrages célèbres en faveur de l’intolérance et des lois de Louis XIV ;
Le maître des requêtes, Lenain, baron d’Asfeld, intendant du Languedoc, depuis 1745 jusqu’en 1751[119] ;
Le chevalier Guignard de Saint-Priest, intendant du Languedoc en 1751, de la même famille dauphinoise que le ministre de Saint-Priest, illustre par la constance de son attachement à la cause de Louis XVI.
Dans la province du Dauphiné, les églises du désert se
trouvaient surtout en présence des autorités suivantes ; le duc
de Medavid, commandant pour le roi en 1720, et plus tard,
le lieutenant-général M. de Marrieux ; le subdélégué de l’intendant
absent, le conseiller Chais ; le premier président au
parlement, de Piolens ; le conseiller de Tréviol, commissaire
départi en la cour dans la grande instruction des mariages au
désert de 1745. Il faut citer encore l’avocat général au parlement
de Toulouse, du Saget ; l’intendant de Guyenne, de
Tourny ; l’intendant d’Auch ; l’intendant de Montauban, Lescalopier ;
l’intendant de Roussillon, Bajin ; l’intendant de
La Rochelle, de Barentin, et l’intendant de Poitiers, de Beaumont.
Nous avons cru devoir donner en cette note l’indication
concise des principales autorités qui régirent les églises
du désert, dans la période d’environ quarante années que
nous avons parcourues, depuis la mort de Louis XIV, en
1715, jusqu’à la fin de l’intendance du chevalier Lenain, en
1750, au milieu du siècle.
No VI.
Rôle des forçats condamnés à vie et à temps limité pour cause de religion, détenus aux galères de Toulon, le 26 septembre 1753[120].
543.
1. Jacques Martin, boulanger au lieu de Ribaute, en Cévennes, diocèse d’Alais, en Languedoc, condamné à vie par M. de Bernage, intendant, le 8 mars 1748, pour avoir apporté de la ville de Genève cent volumes de livres à l’usage de la religion, âgé de soixante-cinq ans.
943.
2. Jacques Puget, cardeur de laine, du lieu de Sauzet, en Cévennes, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 27 mars 1734, pour avoir donné retraite à M. Claris, âgé de soixante-dix-sept ans.
1010.
3. Matthieu Allard, de la Petite-Vachère, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 16 février 1735, pour avoir été à l’école des ministres, âgé de trente-cinq ans.
1141.
4. Jacques Clergues, laboureur, du lieu de Pierre-Gourde, en Vivarais, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 1er mars 1737, pour assemblée, âgé de soixante-dix-huit ans.
1417.
5. Jean-Pierre Espinas, procureur, du lieu de Saint-Félix-de-Châteauneuf, en Vivarais, condamné à vie par M. de Bernage, intendant du Languedoc, le 9 février 1740, pour avoir donné retraite à un ministre, âgé de quarante-deux ans.
1418.
6. Mathieu Morel, de Saint-André-des-Effingas, en Vivarais, condamné à vie par M. Bernage, intendant du Languedoc, le 8 février 1740, pour avoir suivi M. Morel, son oncle, âgé de vingt-sept ans.
1784.
7. Alexandre Chambon, laboureur, du lieu de Praules, en Vivarais, condamné à vie par M. Bernage, intendant du Languedoc, le 31 juillet 1741, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-huit ans.
2208.
8. Jacques Guillot, voiturier, du lieu de Minglon, en Dauphiné, condamné à dix ans, par arrêt du parlement de Grenoble, 26 août 1744, pour avoir introduit des livres à l’usage de la religion, âgé de cinquante-un ans.
2228.
9. Pierre Sabatier, drapier, du lieu de Mazamet, diocèse de Lavaur, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-sept ans.
2229.
10. Jean Molinier, marchand, du lieu de Hautpoul, diocèse de Lavaur, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-sept ans.
2230.
11. Alexis Corbière, tisserand, du lieu de la Sarvarie, diocèse de Castres, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 6 avril 1745, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-trois ans.
2237.
12. Jean Allier, tonnelier, du lieu de Tresclau, diocèse de Gap, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 12 mai 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quarante-six ans.
2340.
13. Antoine Riaille, tailleur, du lieu d’Oste, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 26 février 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quarante-huit ans.
2472.
14. Paul Achard, cordonnier, du lieu de Châtillon, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à vie par arrêt du parlement de Grenoble, le 26 février 1745, pour avoir évité l’arrestation d’un ministre, âgé de trente-cinq ans.
2552.
15. Jean Meniet, dit Larachette, du lieu de Mazel, de Saint-Grève, en Vivarais, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 1er février 1746, pour avoir donné retraite à M. Majal (le pasteur Desubas, exécuté le 2 février à Montpellier), âgé de quarante-trois ans.
2709.
16. Pierre Lamy, du lieu de Saint-Dizier, diocèse de Die, en Dauphiné, condamné à dix ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 15 octobre 1745, pour contravention aux édits du roi concernant la religion, âgé de quatre-vingt-un ans.
2922.
17. Isaac Grenier de Lasterme, gentilhomme, du lieu de Gabre, diocèse de Rieux, eu Languedoc, condamné à vie par M. l’intendant d’Auch, le 5 février 1746, pour avoir été aux assemblées religieuses, âgé de soixante-seize ans.
3450.
18. Paul Garry, du lieu de Bellegarde, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente ans.
3451.
19. Raymond Gaillard, du lieu de Lauzac, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-huit ans.
3453.
20. Jacob Caussade, du lieu de Lauzac, diocèse de Cahors, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-quatre ans.
3454.
21. Jean Moussier, du lieu de Fau, diocèse de Montauban, condamné à vie par M. l’intendant de Montauban, le 2 février 1747, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-six ans.
4141.
22. Pierre-Paul Mercier, bourgeois de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 24 mars 1749, pour avoir
été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
4142.
23. Étienne Laborde, perruquier, du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 27 mars 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-un ans.
4143.
24. Paul Laborde, serrurier, du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 24 mars 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-sept ans.
4388.
25. Jean-Pierre Bouvilla, maréchal, du lieu de Sabarat, comté de Foix, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-trois ans.
4389.
26. Jean Lafont, dit Rey, fournier, du lieu de Sabarat, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-trois ans.
4390.
27. François Lafond, marchand de bœufs, de la ville du Mas-d’Azil, comté de Foix, diocèse de Rieux, condamné à vie par M. l’intendant du Roussillon, le 22 juillet 1749, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-cinq ans.
4639.
28. André Bernard, du lieu de Vendras, paroisse de Lussan, diocèse d’Alais, condamné à vie par M. l’intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-deux ans.
4640.
29. Henri Martel, laboureur, du lieu de Font, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente ans.
4641.
30. Étienne Chapellier, tireur, du lieu de Saussines, paroisse de Bousquet, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 17 janvier 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
5438.
31. Jean Garagnon, cardeur, du lieu de Rozan, diocèse de Gap en Dauphiné, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-huit ans.
5439.
32. Louis Nègre, du lieu de Courlognes, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. l’intendant du Languedoc, le 24 décem. 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-un ans.
5440.
33. Jacques Bouquieran, cardeur, du lieu de Bourdy, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-un ans.
5442.
34. Pierre Rambert, laboureur, du lieu d’Auzillac, diocèse d’Uzès, condamné à vie par M. Lenain, intendant du Languedoc, le 24 décembre 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-sept ans.
5463.
35. Paul Matthieu, maréchal, de la ville de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard (de Saint-Priest), intendant du Languedoc, le 15 mars 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-sept ans.
5464.
36. Antoine Mortier, fabricant de bas, du lieu de Calvisson, habitant à Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 15 mars 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-douze ans.
5581.
37. Claude Chaumond, de Genève, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 24 mai 1751, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-quatre ans.
5621.
38. Jean Gros, du lieu de Toumeyer, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans, par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-cinq ans.
5622.
39. Jean-Antoine Haillon, du lieu de Vercheny, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de 29 ans.
5623.
40. Pierre Maillefond, du lieu de Lavarde, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-cinq ans.
5624.
41. Pierre Pinet, du lieu de Luzereau, paroisse de Menglou, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-huit ans.
6525.
42. Jacques Muletier, de Gigors, diocèse de Die en Dauphiné, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 3 juillet 1750, pour avoir été aux assemblées, âgé de trente-sept ans.
6889.
43.Jean Say, du lieu de Lezan, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir gardé chez lui des effets des ministres, et avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-six ans.
6190.
44. André Guirard, du lieu de Clarensac, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de soixante-deux ans.
6191.
45. Jacques Compan, du lieu de Clarensac, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante-six ans.
6192.
46. Louis Trigon, du lieu de Verais, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de quarante-cinq ans.
6193.
47. Jean Roque, du lieu de Beauvoisin, diocèse de Nîmes, condamné à vie par M. Guignard, intendant du Languedoc, le 17 mars 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de vingt-un ans.
6863.
48. Joseph Barnier, du lieu de Mont, en Dauphiné, diocèse de Vezon, condamné à cinq ans par arrêt du parlement de Grenoble, le 17 juin 1752, pour avoir été aux assemblées, âgé de cinquante ans.
Nous, soussignés, certifions le présent rôle véritable, et
prions tous ceux à qui il sera communiqué d’y ajouter foi :
Mercier, Lasterne, E. Laborde, J. Molinier, P. Laborde, Meniet, Ant. Riaille, Garagnon, Compan, P. Achard, P. Matthieu, Puget, Allard, Raillon, Barnier, C. Chaumond, J. Bouqueiran, Sabatier, Espinas, signés.
État des prisonnières qui sont déténues captives dans la tour de Constance, château d’Aiguesmortes, en Provence, pour fait de la religion protestante et réformée (1754).
11. Anne Saliége, fille de feu Antoine Saliége, travailleur de terre, et de Marguerite Palatau, native du lieu de Bébron, paroisse de Florac, diocèse de Mende, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de soixante-cinq ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1719.
12. Anne Gaussaint, veuve de feu André Gros, matelassier, native de la ville de Sommière, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans une maison pour avoir prié Dieu, âgée de soixante-seize ans, par jugement de M. de Bernage (intendant du Languedoc), captive depuis l’an 1723 ; elle a un enfant.
13. Marie Bereaud, fille de feu Pierre Bereaud, et de Suzanne Porte, dit Robert, du lieu de Mours, paroisse de Gluras, diocèse de Viviers, aveugle depuis l’âge de quatre ans, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de quatre-vingts ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1727.
14. Marie Robert, veuve de Frisol Jaq, travailleur de terre, du lieu et paroisse de Saint-Césaire, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans une société où l’on y priait Dieu, âgée de soixante-neuf ans, par jugement de M. de La Fare (le marquis de La Fare, commandant militaire du Languedoc) ; captive depuis l’année 1728.
15. Marie Durand, fille de feu sieur Étienne Durand, greffier consulaire, et de Claudine Gammonet, du lieu de Bouchet, paroisse de Praules, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison par rapport au ministère de son frère, âgée de trente-neuf ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1730.
16. Marie Rey, veuve de Jean Goutes, tisserand, du lieu et paroisse de Saint-Georges, diocèse de Valence, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de cinquante-sept ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1737 ; elle a trois enfants.
17. Marie Néviliad, veuve de Daniel Sauzet, ménager, du lieu de la Combe, paroisse de Praules, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir fait bénir son mariage par un ministre, âgée de soixante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1737 ; elle a trois enfants.
18. Marie Nidal, femme de Daniel Durand, ménager, du lieu et paroisse de Meyras, diocèse de Viviers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir fait bénir son mariage par un ministre, âgée de soixante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’année 1738 ; elle a deux enfants.
19. Anne Soleyrol, fille de feu Louis Soleyrol, boulanger, et de Suzanne Comba, de la ville d’Alais, par ordre du roi, prise pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, par jugement de M. de Bernage ; traduite au couvent de Mende ; trois ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet, l’année 1738 ; âgée de trente-neuf ans.
10. Madeleine Ninard, veuve d’Antoine Savanier, maître maçon, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1739 ; elle a quatre filles.
11. Catherine Rouvière, veuve de Jean Marsel, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’année 1739.
12. Suzanne Bousiges, veuve de Pierre Bourette, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-cinq ans, par jugement de M. de Bernage ; traduite au couvent de la Providence, à Nîmes ; deux ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet ; captive depuis l’année 1739.
13. Anne Fauguière, veuve de feu André Goutes, tisserand en étoffes de laine, du lieu et paroisse de Breau, diocèse d’Alais, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-neuf ans, par jugement de M. de Bernage ; captive depuis l’an 1742 ; elle a une fille.
14. Marie Roux, veuve de Louis Chassafière, maçon du lieu et paroisse de Geneyrac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans la maison pour fait de religion, âgée de cinquante ans ; par lettre de cachet, captive depuis l’an 1745 ; elle a trois enfants.
15. Domergue Clair, femme de Louis Martin Poissonnier, du lieu et paroisse de Saint-Quentin, diocèse d’Uzès, par ordre du roi prise dans une assemblée à prier Dieu, âgée de quarante-huit ans, par jugement de M. Lenain ; captive depuis l’an 1750 ; elle a deux filles.
16. Françoise Barre, veuve de François Nonton, travailleur de terre, du lieu de Samedin, paroisse de Monterent, diocèse d’Uzès, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante ans, par jugement de M. Lenain ; captive depuis l’année 1750 ; elle a trois enfants.
17. Gabrielle Gingues, femme de Paul Mathieu, ouvrier en bas de laine, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Saint-Priest : captive depuis l’an 1751 ; elle a trois enfants.
18. Jeanne Brémond, fille de feu Claude Brémont, ouvrier en bas, et de Anne Argeillère, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgé de cinquante ans ; par jugement de M. de Saint-Priest, captive depuis l’année 1752.
19. Jeanne Auguière, veuve de Jaan Bastide, ménager, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix huit ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’année 1752 ; elle a quatre enfants.
20. Suzanne Séguin, veuve de Firmin Vedet, travailleur de terre, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix-huit ans, par jugement de M. de Saint-Priest, captive depuis l’année 1752 ; elle a un fils.
21. Isabeau Maumejean, veuve d’André Armingaud, cordonnier, du lieu et paroisse de Clarensac, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-cinq ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis 1752 ; elle a un fils.
22. Marie Picard, veuve de Jean Cabanis, messager, du lieu et paroisse de Saint-Cosmes, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de soixante-dix ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’année 1752 ; elle a un fils.
23. Madeleine Pilot, veuve de Jean-Louis de Sensens, capitaine d’infanterie, du lieu et paroisse de Marsillargues, diocèse de Nîmes, par ordre du roi, prise dans sa maison pour fait de religion, âgée de cinquante ans, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1752 ; elle a une fille.
24. Françoise Sarrud, femme de Jean Coldier, de la ville de Bedarieux, diocèse de Béziers, par ordre du roi, prise dans sa maison pour avoir été accusée d’avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de cinquante ans, par jugement de M. de Saint-Priest ; captive depuis l’an 1754 ; elle a trois filles.
25. Suzanne Pagez, fille de feu Pierre Pagez, jardinier, et de Marie Blancher, de la ville de Nîmes, par ordre du roi, prise pour avoir assisté à une assemblée à prier Dieu, âgée de trente-cinq ans, par jugement de M. de Bernage, traduite au couvent de la Providence, à Nîmes, deux ans après transférée dans cette tour, par lettre de cachet ; captive depuis l’an 1739.
On trouvera aussi une liste des prisonnières de la tour de
Constance, Mémoire historique de 1741, P. 253. Elles sont au
nombre de vingt-quatre, depuis 1719 jusqu’à 1741. La liste
est bien d’accord avec celle que nous avons transcrite, hormis
qu’elle comprend un moindre espace de temps, et qu’elle est
moins complète.
Ce ne sera pas trop anticiper sur la suite de notre histoire
que d’ajouter ici un tableau bien connu, mais qui est le supplément
pour ainsi dire obligé de la liste précédente ; c’est la
description de la visite que fit, en 1768, le chevalier de Boufflers à la tour de Constance. L’auteur de cet ouvrage se rappelle
très-bien d’avoir entendu, dans les années du régime
impérial, le très-aimable et spirituel chevalier de Boufflers,
alors vénérable académicien, confirmer de vive voix ses souvenirs
de la prison d’Aiguesmortes.
« Je suivais, dit le chevalier de Boufflers, M. de Beauvau
dans une reconnaissance qu’il faisait sur les côtes du Languedoc.
Nous arrivons à Aiguesmortes, au pied de la Tour de
Constance ; nous trouvons à l’entrée un concierge empressé,
qui, après nous avoir conduits par des escaliers obscurs et
tortueux, nous ouvre à grand bruit une effroyable porte sur
laquelle on croyait lire l’inscription du Dante : Lasciate ogni speranza, o voi ch’intrate. Les couleurs me manquent pour
peindre l’horreur d’un aspect auquel nos regards étaient si
peu accoutumés, tableau hideux et touchant à la fois, où le
dégoût ajoutait encore à l’intérêt. Nous voyons une grande
salle ronde, privée d’air et de jour ; quatorze femmes y languissaient
dans la misère et dans les larmes ; le commandant
eut peine à contenir son émotion, et pour la première fois
sans doute ces infortunées aperçurent la compassion sur un
visage humain. Je les vois encore à cette apparition subite
tomber toutes à la fois à ses pieds, les inonder de pleurs,
essayer des paroles, ne trouver que des sanglots ; puis, enhardies
par nos consolations, nous raconter toutes ensemble
leurs communes douleurs. Hélas, tout leur crime était d’avoir
été élevées dans la même religion que Henri iv. La plus jeune
de ces martyres était âgée de plus de cinquante ans ; elle en
avait huit lorsqu’on l’avait arrêtée, allant au prêche avec sa
mère, et sa punition durait encore[122]. » Il est presque inutile
d’ajouter qu’après cette affreuse découverte, le prince de
Beauvau obtint la délivrance de ces prisonnières.
No VIII.
Nous plaçons ici le Synode National du 4 mai 1756, dont
nous possédons les deux minutes originales (Mss. P. R. fol.
— Mss. Ls. fol.) ; nous reproduisons cet acte textuellement,
tant pour montrer la forme et le genre d’objets de ces assemblées
du désert, que pour enregistrer le document statistique
qui le suit, et qui est important pour notre histoire : c’est le
rôle officiel et complet des pasteurs, proposants et étudiants
des églises réformées du désert en 1756. Nous donnerons
plus tard le synode national de 1763, par la même raison,
attendu la liste semblable qui y est adjointe. De toutes nos
pièces synodales, qui sont au nombre de plus de cent, ce
sont les seules qui présentent ces particularités statistiques,
qu’il importe de recueillir.
Si l’on compare les diverses époques principales du personnel
des pasteurs réformés français, on trouve les chiffres
suivants :
Synode national de Gap, en 1603, sous Henri IV, après l’édit de Nantes ; pasteurs, 476.
Synode national d’Alençon, en 1637, vers la fin de Louis XIII ; pasteurs, 647[123].
Synodes du Dauphiné et du Languedoc, de 1716 à 1717, immédiatement après les édits de Louis XIV et la guerre des Camisards ; renaissance ; signés de pasteurs, 6[124].
Synode national de 1756, au désert ; Louis XV ; pasteurs et proposants, 65.
Synode national de 1763, au désert ; Louis XV; pasteurs et proposants, 97.
Réorganisation des cultes réformés ; Bonaparte, premier consul (Loi du 18 germinal an x), 1807 (ancienne France), pasteurs, 171.
Charte constitutionnelle de 1814 ; Louis XVIII et Charles X, 1828 ; pasteurs, 305.
Charte constitutionnelle de 1830 ; Louis Philippe, roi des Français, 1840 ; places de pasteurs, 404.
Le dernier mot statistique que semblent nous donner ces
listes est remarquable ; si l’on compare le chiffre total des pasteurs
réformés français sous Henri IV, en 1603 (476), à celui
des mêmes sous notre gouvernement actuel (404), en faisant
attention que dans l’origine les églises étaient bien moins
étendues, et embrassaient un ressort moins considérable, on
trouve qu’après deux siècles et plus de proscriptions, d’exils,
de persécutions et de culte du désert, le chiffre du personnel
des églises des nouveaux convertis n’est pas très-loin d’être
revenu au total primitif qu’on a tant cherché à déraciner ; si
l’on pouvait ajouter à ce total le chiffre de toutes les églises
françaises du refuge, qui se sont transportées chez les peuples
étrangers, il serait fort possible qu’on arrivât à cette conclusion
inattendue : en somme, la révocation de l’édit de Nantes
n’a point diminué le nombre des protestants.
AU NOM DE DIEU, AMEN.
Actes du synode national des églises réformées de France, assemblé sous la protection divine, au désert, dans les hautes Cévenes, depuis le mardi quatrième mai mille sept cens cinquante-six jusques à ce jourd’hui dixième du même mois, auquel ont assisté en qualité de députés :
Pour la province des hautes Cévenes,
MM. Jean Roux et Jacques Gabriac, pasteurs, avec deux anciens.
Pour la province de Xaintonge, païs d’Aunis, Angoumois, bas Périgord et bas Agenois,
M. Jean-Louis Gibert, pasteur, et M. Louis Figuière, proposant,
avec deux anciens.
Pour la province du haut et bas Vivarais, Velai et Forest,
MM. Pierre Peyrot et Alexandre Vernet, pasteurs, avec
deux anciens.
Pour la province du bas Languedoc,
MM. Paul Rabaut et Jean Pradel, pasteurs, avec deux
anciens.
Pour la province du haut Languedoc, haute Guienne, haut Agenois, Bordelois et comté de Foix,
MM. Jean Sicard et François Viala, pasteurs, avec deux
anciens.
Pour la province de Provence,
M. Jean Betrine, pasteur, avec un ancien.
Pour la province du Dauphiné, et principauté d’Orange,
MM. Pierre Rozan et Alexandre Ranc, pasteurs, avec deux
anciens.
Pour la province des basses Cévenes,
MM. Jean Gal et Paul Dalgue, pasteurs, avec deux anciens,
Pour la province de Normandie,
MM. Jean Godefroy et Louis Campredon, pasteurs.
Lesquels députés ayant présenté leurs lettres d’envoy, elles
ont été luës et aprouvées.
M. Figuières, proposant, a été admis en qualité de député,
sans conséquence pour l’avenir.
Après l’invocation du saint nom de Dieu, on a élu à la pluralité
des sufrages, pour modérateur[125] M. Pierre Peyrot, pasteur ; pour modérateur adjoint, M. Paul Rabaut, pasteur ;
pour secrétaire, M. Jean Pradel, pasteur ; pour secrétaire adjoint,
M. Jean Roux, pasteur.
Article I.
L’assemblée, jugeant nécessaire de régler le rang que les
provinces doivent tenir dans les synodes nationaux, a arrêté
qu’on suivra tour à tour l’ordre selon lequel elles sont placées
cy-dessus, et que celle qui aura été la première sera la
dernière à chaque nouveau synode national.
II.
La fidélité et l’obéissance au souverain ayant toujours été
un point capital de la doctrine des réformés, tous les membres
du synode ont protesté, tant en leurs noms qu’en ceux de
leurs provinces, qu’ils persévèrent dans cette créance, et qu’ils
seront toujours prêts à tout sacrifier pour le service de Sa
Majesté.
III.
Chaque province présentera au roy une très-humble requête
dans laquelle on fera un tableau racourci de nos misères,
et l’on supliera Sa Majesté d’en avoir compassion, et
d’y remédier selon que sa sagesse et sa bonté jugeront convenable.
IV.
L’union des églises a été renouvelée et confirmée sous la
très-humble obéissance due au roy par tous les députés, tant
en leurs noms qu’en ceux de leurs provinces, union qui consiste
dans la conformité de la foy, du culte, de la discipline,
et dans une exacte correspondance entre les provinces, soit
en tems de persécution, soit en tems de calme, comme aussi
dans la contribution aux dépenses que l’on est obligé de faire
pour le bien de la cause commune.
V.
L’assemblée n’a pas jugé à propos de continuer le jeûne
annuel prescrit par l’article 11 du synode national de mil sept cens quarante-huit ; mais éfrayée à la veuë de l’extrême corruption
qui règne dans le monde, des terribles fléaux qui se
promènent sur la surface de la terre, et des maux qui nous
affligent depuis si long-tems, elle ordonne que, pour apaiser
la colère de Dieu et attirer sa faveur, il soit célébré dans toutes
nos églises un jour de jeûne et d’humiliation extraordinaire,
qu’on a fixé au dixième octobre prochain.
VI.
Les provinces où les assemblées se tiennent de nuit, sont
exortées à se conformer à celles où elles se font de jour, autant
que la prudence le permettra.
VII.
Reconnaissant que les cantiques sont très-propres à entretenir
la dévotion, surtout dans le tems de solemnités, on a
délibéré de prier un ami de faire un choix de ceux qui conviendront
le mieux à l’état des églises de ce royaume.
VIII.
Sur la question proposée par les députés de la province du
bas Languedoc, s’il convenait de lire ou de ne pas lire les
psaumes avant de les chanter dans les assemblées religieuses :
l’assemblée est d’avis que, vu l’édification que retirent de cette
lecture les personnes illitérées, l’usage en sera continué.
IX.
Les députés de Xaintonge ayant représenté le peu de soin
qu’on remarque en diverses provinces, de sanctifier les jours
de dimanche, la compagnie, touchée d’une vive douleur et
voulant faire cesser toute profanation de ces jours sacrés, recommande
l’observation du règlement fait à ce sujet au synode
national tenu à Loudun en mil six cens cinquante-neuf, qui,
pour détourner les jugemens de Dieu que s’attirent les profanateurs,
« exorte tous les fidèles à employer ces saints jours à
la fin à laquelle ils sont destinés en s’adonnant aux exercices
de piété publics et particuliers, à la prière, à l’ouïe et lecture
de la parole de Dieu ; en s’abstenant religieusement, non seulement du travail ordinaire, mais principalement des compagnies
et divertissemens qui peuvent détourner les esprits du
service divin et de la dévotion, à quoi nous sommes obligés
particulièrement en ces jours-là.
X.
Vû les grandes difficultés qu’il y a d’envoyer aux lieux dont
on était convenu les registres des mariages et baptêmes du
désert, la compagnie dispense les pasteurs d’exécuter l’art. 20
du synode national de mil sept cens quarante-huit, et ordonne,
sous peine de censure, à tous les consistoires, d’avoir
des registres tant pour le passé que pour l’avenir auquel on
puisse recourir en tout tems dans le besoin, enjoint en outre
aux pasteurs et anciens d’y tenir la main.
XI.
Les pasteurs qui passeront d’une province à l’autre, seront
obligés, avant leur départ, de laisser leurs registres ou d’en
donner une copie pour l’usage des églises dans lesquelles ils
auront exercé leurs ministères.
XII.
L’assemblée, convaincue que le séminaire a été, jusqu’à
présent, d’une grande utilité aux églises réformées de ce
royaume, et espérant qu’il le sera de même à l’avenir, a délibéré
d’écrire à messieurs les respectables directeurs dudit
séminaire pour les remercier de leurs soins charitables, et
les prier de veiller de plus en plus sur la conduite de nos
séminaristes, et de leur donner toujours des professeurs ortodoxes.
XIII.
Les étudiants envoyés au séminaire par une province ne
pourront aller exercer le ministère dans une autre sans la
permission de celle dont ils dépendent, et seront tenus d’y
revenir lorsqu’elle les y rappellera,
XIV.
En répondant à la question de la province de Xaintonge, qui
demande si l’on doit interdire tout commerce civil avec les excommuniés, la compagnie déclare qu’on doit seulement défendre
tout commerce familier avec ces pécheurs scandaleux.
XV.
Ceux d’entre les protestants qui enlèveront ou feront enlever
des enfants de leurs parents ou amis pour les faire baptiser
dans l’église romaine, seront suspendus de la communion
pour deux ans, et obligés ensuite de faire une réparation
publique ; mais, en cas de maladie dangereuse, il sera permis
à leurs consistoires d’abréger le tems de leur pénitence.
XVI.
S’il survenoit quelque différent entre les ministres, ils
s’abstiendront d’en porter plainte à nos amis des païs étrangers,
et ceux qui contreviendront à cette défense seront censurés.
XVII.
Les ministres sont chargés de recommander aux fidelles de
bons livres, mais il leur est bien expressément défendu d’en
vendre pour leur profit particulier.
XVIII.
La discipline ecclésiastique avec ses observations et les
conformités de M. de La Roque sera imprimée en bon papier
et beau caractère, et chaque province se charge d’en
prendre un nombre d’exemplaires ; savoir :
La province des hautes Cévenes
80
La province du bas Languedoc
200
La province des basses Cévenes
80
La province du Dauphiné
60
La province de Provence
12
La province de Xaintonge
60
La province du haut Languedoc
200
La province du Vivarais
60
La province du Poitou
48
800
XIX.
Pour accélérer l’exécution de l’article cy-dessus, la compagnie
donne commission au colloque de l’Agenois de faire
choix d’un imprimeur, et après avoir convenu avec lui du
prix de l’impression, d’en donner avis aux provinces, qui,
par la pluralité de suffrages, authoriseront ou suspendront la
convention.
XX.
Les anciens et diacres assemblés qui n’auront point de pasteur
à leur tête, ne pourront élire de modérateur, ni décerner
aucune peine canonique contre les pécheurs ; encore
moins contre leurs collègues.
XXI.
Vû le peu de soin qu’ont eu certaines provinces de ne
mettre que des choses importantes dans leurs mémoires pour
le synode national, la compagnie recommande l’observation
de l’art. vi du chapitre ix de la discipline ecclésiastique.
XXII.
Conformément à l’art. iii du chapitre ix de notre discipline,
les lettres et mémoires des députés au synode national
seront signés par le modérateur et le scribe des synodes provinciaux
qui les envoyeront, faute de quoi on n’y aura aucun
égard.
XXIII.
Les députés des provinces ayant tour à tour fait rapport de
ce que chacune fournit pour l’entretien de ses pasteurs, la
compagnie exhorte celles de ces provinces dont les pasteurs
souhaiteront une augmentation, de leur accorder pour le
moins quatre cens livres par an.
XXIV.
Le synode touché des souffrances de nos chers frères confesseurs
sur les galères, et de celles des autres captifs pour
cause de religion, et très-édifié de leur constance, les recommande instamment aux prières et à la charité des fidèles.
XXV.
On a aprouvé et confirmé l’article viii du dernier synode
des hautes Cevenes conçu en ces termes : « L’assemblée,
informée que certains protestans, par un scrupule mal fondé,
font batiser leurs enfants dans l’église romaine quand ils
sont en danger de mort, a trouvé leur conduite extrêmement
blâmable à cet égard, et elle les exorte à ne plus
tomber dans de pareilles fautes sous quelque prétexte que
ce soit, sous peine d’être poursuivis selon la rigueur de la
discipline. »
XXVI.
L’assemblée, apprenant que, dans les provinces, il y a
plusieurs personnes qui, en prêtant de l’argent, exigent un
intérêt excessif, enjoint aux pasteurs d’exorter leurs troupeaux
à s’abstenir de cette odieuse pratique, et recommander
à tous les particuliers l’observation de l’article xxii du chapitre
xiv de la discipline concernant l’usure.
XXVII.
Les députés du bas Languedoc ayant proposé d’ériger en
province le Rouergue avec les églises de Bedarieux, Faugeires
et Grayssessac, à condition que le corps des pasteurs
dudit bas Languedoc donnera un pasteur, et le corps des
pasteurs des basses Cevenes en fournira un autre pour le service
de cette nouvelle province, la compagnie aprouve et
confirme ladite proposition dans toutes ses parties.
XXVIII.
Les hautes et basses Cevenes continueront à former deux
provinces, et cependant entretiendront entr’elles la plus parfaite
union.
XXIX.
À la réquisition des députés de la province des hautes
Cevenes, la compagnie donne et unit à la province du bas
Languedoc le cartier qui comprend Saint-Ambrois, Payremate, les Van, la Gorée, Vallon, Salava, Avejan et Saint-Jean
de Maruejol.
XXX.
Les provinces du Vivarais et Dauphiné sont chargées de
procurer des pasteurs à l’église de Lyon et ses annexes.
XXXI.
Les députés des églises de Provence, ayant demandé que
leur province fût jointe à une autre, la compagnie ne trouvant
pas à propos d’accorder leur demande, les renvoye en cas
de différent, à quelques-unes des provinces voisines, conformément
à ce que la discipline ordonne.
XXXII.
Lesdits députés de Provence ayant encore exposé le besoin
qu’elle aurait d’un ministre ou d’un proposant, la compagnie
lui donne le sieur Joseph Picard, étudiant au séminaire.
XXXIII.
La même province de Provence jouira du droit dont
jouissent les autres provinces d’envoyer des étudians au séminaire.
XXXIV.
L’ami à qui certaines personnes ont envoyé une somme, la
renvoyera quand il en sera requis.
XXXV.
Sur les plaintes portées par les députés du haut Languedoc,
d’une part, et l’apel de M. Grenier de Barmont, avec la demande
de MM. les anciens de l’église de Bordeaux, d’autre
part, la compagnie a jugé que, dans trois mois, ledit M. de
Barmont ira subir la censure décernée contre lui par le synode
provincial de ladite province, et sera cependant cédé à l’église
de Bordeaux pour une année, qui prendra son commencement
le jour de l’exécution des articles 1 et 11 du dernier synode
de sa province, et qu’au surplus on lui écrira une lettre pour l’exorter à se mieux conformer à l’ordre de la discipline
à l’avenir.
XXXVI.
M. Louis Campredon n’est pas aprouvé d’avoir disposé de
son ministère en faveur de la province de Normandie, sans
en avoir obtenu l’agrément de la province des basses Cevenes,
mais parce que cette dernière ne l’a pas rappelé comme elle
était en droit de le faire, et qu’il paraît d’ailleurs que ledit
M. Louis Campredon a exercé son ministère avec beaucoup
de fruit dans ladite province de Normandie, l’assemblée la
lui affecte, et fait des vœux très-ardens pour le succès de sa
nouvelle mission.
XXXVII.
La province du Béarn se trouvant sans ministre, celle des
basses Cevenes lui prêtera pour deux ans, M. Jean Journet,
pasteur.
XXXVIII.
L’assemblée prenant en considération l’apel de M. Dugas,
pasteur, et répondant favorablement à la demande des députés
de la province de Xaintonge et Périgord, accorde pour trois
ans ledit M. Dugas à cette province.
XXXIX.
Les députés de la province de Normandie ayant demandé
le sieur Antoine Gai, proposant, ont été renvoyés à la province
des basses Cevenes à qui ce proposant appartient, et
qui aura tel égard qu’elle jugera à propos à la demande desdits
députés.
XL.
Le synode enjoint très-expressément à la province de Xaintonge
de se conformer aux règlemens de la discipline ecclésiastique
et aux actes des synodes nationaux des églises réformées
de France.
XLI.
Sur les plaintes portées par les députés de la province de Xaintonge contre les anciens de la ville de Coignac, au sujet
d’une collecte, la compagnie manquant de moyens pour éclaircir
ces plaintes, charge M. Dugas, pasteur, de procéder à l’information
des faits sur lesquels elles roulent, de concert avec
trois anciens, qu’il prendra d’autant de consistoires voisins, et
donne pouvoir à lui et au colloque de ladite province d’en juger
définitivement.
XLII.
MM. Jean-Louis Gibert, Jean Sicard, Jaques Sol, François
Viala, et Pierre Dugas, pasteurs, procéderont à l’examen de
M. Figuières, et s’ils le trouvent capable, ils l’installeront au
susdit ministère, pour la province du Xaintonge et Périgord.
XLIII.
Les députés de la province du Dauphiné demandent quelle
est la conduite qu’on doit tenir envers une femme qui s’est
séparée de son mari et refuse de se joindre avec lui ; il a été
décidé que si cette femme continue dans son refus, elle sera
poursuivie selon la rigueur de la discipline.
XLIV.
Sur les représentations et les demandes faites par M. Court,
au sujet des dépenses auxquelles il a été exposé pour le bien
de nos églises, l’assemblée prie MM. les illustres économes
d’acorder à ce digne représentant l’indemnisation qu’ils jugeront
convenable.
XLV.
La compagnie, informée que M. Court a reçu plusieurs
étudians au séminaire, sur des recommandations particulières,
elle l’avertit de n’en plus recevoir à l’avenir qui ne soient envoyés
par les provinces.
XLVI.
L’église de Saint-Jean de Gardonnenque après avoir rendu
de bons témoignages à son pasteur, ayant demandé d’être séparée
de la province des basses Cevennes, pour faire corps
avec celle des hautes, elle a été renvoyée au synode de la
province.
XLVII.
Conformément à l’article 13 du dernier synode provincial
des basses Cevenes, les deniers du ministère qui se collecteront
dans les églises du Rouergue, serviront à défrayer l’église
de Saint-Jean de Gardonnenque des avances qu’elle a faites
pour la province des basses Cevenes, et au cas que ces derniers
ne puissent être collectés, ce sera à ladite province à
faire le remboursement.
XLVIII.
La province des basses Cevenes est chargée de la convocation
du prochain synode national, comme aussi d’indiquer le
jeûne général si les circonstances le demandent, et qu’elle en
soit requise par les provinces.
Ainsy conclu et arrêté cejourd’hui dixième may mil sept
cens cinquante-six.
Pierre Peyrot, pasteur et modérateur ;
Jean Pradel, pasteur et secrétaire ;
Jean Roux, pasteur et secrétaire adjoint ;
Paul Rabaut, pasteur et modérateur adjoint.
ROLLE DES MINISTRES, PROPOSANS ET ÉTUDIANS,
DU ROYAUME DE FRANCE, LA COURANTE ANNÉE 1756.
HAUTES CEVENES.
Pasteurs. — MM. Jean Roux, Jean-Pierre Gabriac, Henry
Cavalier, Jacques Gabriac, Jean Mejanelle, Jean Martin.
Proposans. — MM. Jean Rouvière, Jean Pic, Louis Vallat.
Étudians. — MM. Rourbon, Pierredon.
XAINTONGE.
Pasteurs. — MM. Jean-Louis Gibert, Pierre Dugas.
Proposans. — MM. Louis Figuière, Étienne Gibert.
Étudiant. — M. Taluchaud.
VIVARAIS.
Pasteurs. — MM. Pierre Peyrot, Jean Blachon, François
Costey Alexandre Vernet.
Proposans. — M. Jean Maurin.
Étudians. — M. Pierre Fauriel.
BAS LANGUEDOC.
Pasteurs. — MM. Paul Rabaut, Simon Gibert, Jean Pradel,
Pierre Redonnel, Louis Fayet, Pierre Encontre, Henry Bastide,
Pierre Saussine, François Saussine, Jean Guizot, Pierre
Alègre, Jean-Pierre Lafont, Paul Vincent, Jacques Matthieu.
Proposans. — MM. Teissier, Puget, Theyron, Pierre
Paris.
HAUT LANGUEDOC.
Pasteurs. — MM. MM. Jean Sicard, Grenier de Barmont, Jacques
Sol, François Viala, Paul Lafont.
Proposans. — MM. MM. Duval, Rochette[126], Armand.
PROVENCE.
Pasteur. — M. Jean Betrine.
Proposant. — M. Joseph Picard.
DAUPHINÉ.
Pasteurs. — MM. Pierre Rozan, François Descourt, Alex.
Ranc.
Proposans. — MM. Marcel, Béranger.
BASSES CEVENES.
Pasteurs. — MM. Jaques Boyer, Gral, Jean Gal, Paul
Dalgue, Paul Marazel, Jean Journet, David Vesson, Marc
Portai, Ducros.
Proposant. — M. Gal.
POITOU.
Pasteur. — M. Moinier.
NORMANDIE.
Pasteurs. — MM. Jean Godefroy, Louis Campredon.
MÉMOIRE DU NOMBRE DES ÉTUDIANS
QUE LES PROVINCES ONT ENVOYÉS AU SÉMINAIRE, DEPUIS 1748
JUSQU’À LA COURANTE ANNÉE 1756.
HAUTES CEVENES.
MM. Gibert, 1 an ; Durantes, 2 ans ; Dugas, 5 ans ; Pic,
2 ans ; Vallat, 2 ans.
BASSES CEVENES.
MM. Rampon, 1 an ; Ducros, 1 an ; Journet, 1 an ; Teissier,
1 an ; Julien, 1 an ; Campredon, 3 ans ; Chabran, 3 ans ;
Soulier, 2 ans ; Gai, 2 ans ; Noguier, 2 ans.
HAUT LANGUEDOC.
MM. de Barmont, 2 ans ; Pajon, 3 ans ; de L’Isle, 3 ans ;
Armand, 2 ans ; Duval, 1 an.
VIVARAIS.
M. Maurin, 4 ans.
DAUPHINÉ.
MM. Olivier, 3 ans ; Beranger, 2 ans.
BAS LANGUEDOC.
MM. Puget, 1 an ; Paris, 3 ans ; Picard, 3 ans.
XAINTONGE.
M. Étienne Gibert, 1 an.
POITOU.
MM. Moinier, 1 an. Dechamp.
NORMANDIE.
M. Merlin, qui avait été prêté à ladite province, y demeura 2 ans.
Les rolles ci-dessus ont été dressés par ordre du synode
national.
Nous aurons occasion d’examiner les règlements de ce
Synode et ceux d’une foule d’autres, lorsque nous tracerons
plus bas l’esquisse de la discipline calviniste presbytérienne
des églises réformées de France, au xviiie siècle. Nous verrons
alors comment elles se conduisirent en présence de cette
discipline, malgré le désordre momentané que les persécutions
durent occasionner. Nous reviendrons aussi sur le personnel
des pasteurs du désert, en même temps que nous
signalerons les nombreuses localités du Languedoc où les
réformés sont encore en très-forte majorité, en dépit de si
constantes persécutions, et que nous présenterons un tableau
biographique de ce que nos pièces nous ont appris sur tous
les pasteurs ou ministres qui ont paru dans les églises de
France durant le cours du siècle.
NOTICE
sur les
MANUSCRITS ET PIÈCES HISTORIQUES
CITÉS DANS CE VOLUME.
Nous ferons connaître, par une note analogue annexée à notre second volume, plusieurs autres documents manuscrits. Ici nous donnons
l’énumération seulement des collections dont nous avons dû
profiter pour ce premier volume, avec l’indice des abréviations très-simples
dont nous nous sommes servis.
NOTRE COLLECTION.
Mss. P. R. Manuscrits du pasteur Paul Rabaut. Ils s’étendent depuis
1740 jusqu’en 1790. C’est la collection mêlée des papiers, actes,
notes, et correspondance touchant les églises du désert en général,
et l’édit de l’état civil rendu par Louis XVI, qui furent conservés
par Paul Rabaut, et par ses deux fils les pasteurs Rabaut-Saint-Étienne
et Rabaut-Pomier. Sauf quelques cas évidents, d’après les affaires
traitées ou d’après l’écriture, nous n’avons pas pu distinguer toujours
les pièces ayant appartenu au père, de celles de ses deux fils : mais la
très-grande majorité de ces manuscrits proviennent de Paul Rabaut ;
en voici la description sommaire, selon notre arrangement :
I. papiers rabaut. — pièces historiques.
A.
xviie siècle.
1 vol. in-fol.
B.
xviiie siècle.
1700 à 1737,
1 vol. in-fol.
C.
id.
1738 à 1756,
id.
D.
id.
1757 à 1769,
id.
E.
id.
1770 à 1779,
id.
F.
id.
1780 à 1790,
id.
G.
id.
1750 à 1760.
Pièces concernant les
condamnés pour fait de religion
id
H.
id.
Synodes nationaux de 1744, 1756, 1758, 1763, 1 vol. in-fol.
Huit volumes ou portefeuilles in-fol. de pièces diverses[127].
II. Journal de Paul Rabaut. — A-B. 2 cahiers de poche, parchemin ; livres de notes. 1750-1756. in-18.
III. Correspondance de Paul Rabaut, avec les pasteurs du désert et autres ; en général toutes lettres à lui adressées avec noms en anagrammes pour échapper aux poursuites. — par ordre de dates.
A. Lettres de 1740-1760, 1 vol. in-4o.
B.Lettres deid. 1761-1763, 1 vol. in-4oid.
C.Lettres deid. 1764-1768, 1 vol. in-4oid.
D.Lettres deid. 1769-1774, 1 vol. in-4oid.
E.Lettres deid. 1775-1778, 1 vol. in-4oid.
F.Lettres deid. 1779-1782, 1 vol. in-4oid.
G.Lettres deid. 1783-1790, 1 vol. in-4oid.
H. Lettres de Paul Rabaut à Court de Gebelin, 1763 — 1783. Liasse de lettres que de Gebelin rendit sans doute à son correspondant.
— Idem.
Huit volumes ou portefeuilles in-4o.
papiers rabaut dupuis.
IV. A. Notice historique sur la situation des églises chrétiennes réformées en France, depuis leur établissement jusqu’à ce jour, 1806 : travail historique rédigé ; s’étend jusqu’à l’an 1744 ; offre peu de ressources pour l’histoire. 1 vol. in-fol.
B. — Correspondance et documents du Répertoire ecclésiastique de 1807 ; beaucoup de renseignements et de lettres intéressantes rangées par ordre de départements. — 4 vol. ou portefeuilles in-4o de lettres, notes et pièces.
Mss. Fab. Lic. 1 vol. in-fol.
Ces pièces ont été remises pour notre collection à M. E. Frossard,
pasteur, par M. Fabre Lichaire ; elles proviennent du lieu d’Audabias,
commune de Saint-Jean-du-Pin, arrondissement d’Alais, département
du Gard. Cette commune est formée de la réunion de plusieurs
petits villages, et parmi les catholiques qui la composent, plusieurs
n’ont pas perdu le souvenir que leurs ancêtres étaient protestants.
On y compte encore environ deux cents cinquante protestants,
qui de la position de nouveaux convertis qu’ils étaient à l’époque
des persécutions, sont revenus à la foi réformée. Ils habitent presque
tous le même village de Plos. À peu de distance de ce lieu, se trouve
la métairie d’Audabias, appartenant encore aux descendants de Jean et
Denis Fabre, qui furent plusieurs fois emprisonnés pour avoir assisté
aux assemblées religieuses. Il existe encore dans une des étables de la
ferme, une cachette pratiquée dans l’épaisseur d’un mur, et destinée
à abriter le ministre dans le temps des persécutions.
Collection très-intéressante ; pièces très-variées ; copies authentiques
d’édits ; fragments de prières ; correspondance officielle ; affiches ;
pièces de Baville, de Du Deffant de la Lande et autres ; deux
complaintes.
Rég. Aff. 1 vol in-4o. — Registre ou cahier broché d’affiches, mandements,
expéditions officielles, placards imprimés d’ordonnances et
jugements, soit des parlements, soit des intendants, pour faits de
religion. Ces placards officiels sont très-rares. Je dois cette collection,
très-utile pour l’historique des jugements dont la foi du désert
fut frappée, à M. le pasteur E. Frossard.
Mss. Veg. — Notices historiques extraites des papiers du pasteur Antoine
Court. — Plusieurs lettres grand in-4o de M. de Vegobre, ancien
juge au tribunal de Genève, ancien membre du comité français de
Genève pour les églises du désert, 1835-1836. Ce respectable protestant
y a placé beaucoup de détails sur Antoine Court et sur la
marche des églises du désert : les lettres sont seulement signées de
M. de Végobre.
Mss. V. — Complaintes sur la prise de certains pasteurs protestants ;
un cahier petit in-4o (voy. plus haut, p. 314) ; probablement du lieu
d’Aumessas, faisant partie de la consistoriale du Vigan (Gard) ; il
serait possible que ce recueil eût été copié sur des mss. plus anciens en 1803, par le pasteur Fimiels, à Saumène. Notre collection s’est enrichie
de ce cahier extrêmement curieux, par les soins de M. le pasteur Vors.
Mss. Ls. Lettre autographe de l’intendant Baville, et minute originale du synode national de 1756, avec le rôle officiel des pasteurs du désert au milieu du xviiie siècle ; nous sommes redevables de ces deux pièces, dont la seconde est très-importante, à M. le pasteur Lanthois.
Mss. Mar. Pièces historiques des papiers et correspondance du pasteur P.-H. Marron. 2 vol. in-folio, dossier original de l’affaire du galérien Bernadou, présenté à l’assemblée nationale ; beaucoup de pièces et lettres ayant trait aux affaires des protestants de Paris, à
l’époque de l’édit de tolérance de Louis XVI ; nous en profiterons pour la suite de cette histoire.
MANUSCRITS COMMUNIQUÉS.
Mss. Cast. — Un vol. in-4o déposé aux archives de l’église consistoriale de Castres, département du Tarn. Recueil de pièces originales, synodes, lettres et mémoires, depuis 1735 jusque vers la fin du siècle.
Nous y avons reconnu avec certitude plusieurs pièces de la main de Court de Gebelin, qui probablement les transcrivit lorsqu’il accompagnait son père, Antoine Court, dans les visites du haut Languedoc.
Registre d’un grand intérêt historique ; le plus important de tous ceux que nous avons vus, sauf la grande collection des Mss P. R. On y trouve une foule de pièces remarquables sur les églises du désert
du haut Languedoc, et à la suite de l’une d’elles, la signature, extrêmement rare, du dernier pasteur martyr, François Rochette. Nous avons pu faire de nombreux extraits de ce registre, grâce aux soins de M. le pasteur P.-L. Durand.
Mss. Nag. — Registre synodal, petit in-4o déposé aux archives du consistoire
de Nages, église consistoriale de Calvisson (Gard), renferme
les actes des synodes provinciaux du bas Languedoc, depuis
1716 et 1717 jusqu’au 30 avril 1793, an ii de la rép. franc. En partie, actes collationnés par Encontre fils. Registre fort intéressant
pour l’histoire. Les pièces qui le composent existent presque toutes,
dans notre collection, Mss P. R. et dans un recueil fort précieux (1 vol. in-4o) d’actes synodaux, que M. le pasteur Lombard a bien voulu
nous adresser ; nous le citerons souvent dans la suite de cette histoire. Communiqué par l’obligeance de M. le secrétaire du cons. de Nages, et par l’intervention de M. le pasteur E. Frossard.
Les manuscrits de Castres et de Nages sont conservés dans les
archives consistoriales de ces deux églises.
Abréviations.
Min. Or. — or. — La minute originale d’un acte ou pièce, revêtu des signatures en original ; notre collection renferme beaucoup de pièces de ce genre.
— Cop. certif. — La copie d’un acte synodal, lettre ou autre pièce, certifiée authentique par la signature en original d’un pasteur, secrétaire ou autre.
— Corr. P. R. — ou Lett. P. R. signifie une lettre de notre titre iii
Mss. P. R. de la Correspondance de Paul Rabaut avec les pasteurs du désert, ses collègues, ou autres personnes, concernant les affaires des églises ; ce sont toujours les lettres originales.
Plan de l’ouvrage ; — mort et dernières mesures de Louis XIV ; première renaissance du culte réformé après la guerre des Cévennes ; — premières lois disciplinaires et premiers synodes.
Ministère du cardinal de Fleury ; — arrêt du parlement de Rouen sur une question d’état des protestants ; — ordonnances de 1729 — capture et interrogatoire du pasteur Claris ; — son évasion.
Lettre de Saurin aux églises ; — mesures des synodes ; — requêtes des cures des Cevennes à la cour ; — réponse de l’intendant du Languedoc ; — incendie de livres protestants ; — applications de l’édit de 1724.
Influence du synode national de 1744 ; — complaintes sur la mort des pasteurs du désert ; — complaintes du ministre Alexandre Roussel ; — martyres d’Étienne Arnaud et de Pierre Durand ; — lettres pastorales de Michel Viala ; — arrêts du parlement de Grenoble ; — martyre du pasteur Louis Ranc.
Ministres de Louis XV ; — faux édit de tolérance et faux cantique ; — lettre de Paul Rabaut au duc de Richelieu ; — capture et martyre du pasteur Roger ; — églises du haut Languedoc et de la Guyenne ; — lettre pastorale de Michel Viala ; — le consul Fabre ; — placet des églises au roi ; — correspondance de l’intendant du Languedoc avec les églises du désert ; — demandes de corps militaires.
Capture et exécution du pasteur Désubas ; — ballade sur sa mort ; — événements de Vernoux ; — juridiction des intendants ; — lettre de Paul Rabaut à l’intendant du Languedoc ; — placet des églises au roi ; — persécutions contre les mariages à Montauban.
Antoine Court et Paul Rabaut ; — persécutions générales de 1740 ; — peines corporelles et confiscations ; — listes et correspondance des galériens pour cause de religion ; — liste des femmes prisonnières à la tour de Constance du château d’Aiguesmortes.
Question politique sur la législation de Louis XIV touchant les protestants, par Rabaut Saint-Étienne.
493
Lettre de l’intendant Baville sur l’affaire d’Orange.
498
Liste des galériens des églises du désert en 1707.
501
Tableau de la tournée du pasteur Court en 1728.
506
Liste des pasteurs du désert exécutés de 1686 à 1762.
507
Liste des forçats des églises du désert en 1753.
512
Liste des prisonnières pour la religion du désert détenues à la tour de Constance.
519
Synode national de 1756 (texte).
526
Rôle officiel des pasteurs du désert, proposants et étudiants.
537
fin de la table des chapitres.
TABLE DES MATIÈRES.
Aguesseau (d’), le chancelier ; son jugement sur la sévérité de son père envers les réformés français, p. 74-76. — Est nommé chancelier, 117. — L’esprit janséniste le porte à la persécution des protestants, 128. — Mauvais plans de ce magistrat, 129. — Sa disgrâce, 134. — Prend beaucoup de part à la funeste déclaration de 1724, 161. — Ses motifs, 162. — Approuvait presque, selon Rulhière, le supplice de la claie, 161. — Influence de ses maximes sur les églises, 280-281.
Aguesseau (d’), le conseiller, intendant du Languedoc, p. 74. — Croyait que les lois devaient être rigoureusement interprétées envers les protestants, ib. — Démolit les temples, ib.-75. — Recommande la douceur en Languedoc, ib. — Fait rouer le ministre Homel, note, ib.
Anciens des consistoires du désert ; ils devront poser des sentinelles, p. 103, — Ils feront le service à défaut des pasteurs, 105. — Dans toutes les églises il doit en être établi, ib. — Ils devront approuver le choix des fidèles, 102. — Ils pourront, selon l’urgence, recevoir et nommer seuls les pasteurs, ib. — Feront la liste des communiants, 200. — S’assembleront un fois tous les mois, 286. — Leurs devoirs, 311.
Arnaud (Étienne), pasteur du désert ; aux synodes de 1716 et 1717, p. 82. — Exécuté à Alais ; sa fin édifiante, 37. — Le seul qui pouvait donner quelque espérance aux églises en 1720, 193-325.
Assemblées du désert ; elles commencèrent à la révocation, p. 63. — Premières assemblées surprises, 64. — Lieux où elles se passèrent et premiers fidèles martyrs en 1686, ib. — Elles eurent lieu sous la régence, 93. — N’être point averti de s’y rendre était une peine disciplinaire, 105. — Tableau et caractère de ces assemblées dans le Vivarais, 110. — Poésie de ce culte, ib. — Réunions nocturnes, 111. — Précautions, 112, 113. — Premières assemblées sous la régence. — Elles sont dispersées, 136 ; — en Dauphiné par le duc de Médavy, en Languedoc par le duc de Roquelaure, ib. ; — en Guyenne par le duc de Berwick, 137. — Mal jugées par Lemontey, note, ib. — Premières surprises d’assemblées, d’après les manuscrits de Rabaut Dupuis, 141, 142. — Punies des galères perpétuelles d’après la déclaration de 1724, 167. — Inspectées par les soldats, 179. — Dispersées par la pluie et ralliées par le chant des psaumes, 180. — Frayeur d’un soldat, 181. — Les orages, 182. — Poursuivies par le curé de Vebron, 183. — Empressement des fidèles, 186. — Réunion de trois mille fidèles pendant la nuit, 187. — Tableau d’une tournée de près de cent lieues pour les assemblées, pièc. justif., no 4. — Caractère des tournées missionnaires, 189. — Obligation d’y assister, 201. — Comment elles se convoquent, selon l’interrogatoire du pasteur Claris, 230. — Définition des assemblées, selon les curés des Cévennes, 260. — Précautions contre la foule, 286. — Elles seront tenues de jour, 290. — Sévèrement interdites par les ordonnances de 1745, 298, 299. — On les poursuivait spécialement, 309. — Elles sont obligées de se réassembler seulement de nuit, 328. — Doivent être fréquentées sous peine d’excommunication de la cène, 329. — Leur défense par Paul Rabaut, 354. — Ne pouvaient pas être secrètes, 373. — Ordonnances sévères, 400. — Assemblées surprises, 418. — Pourquoi condamnées, 424. — Arguments des fidèles en leur faveur, 420. — Leur nom en dialecte languedocien, note, 427. — Pourquoi se tiennent en plein air, ib. — Leur caractère et pourquoi elles inquiétaient la cour, 128, 429. — Assemblées armées, 429, 455.
Ballades sur le martyre des pasteurs du désert, p. 314. — Ressemblent aux ballades écossaises publiées par Walter Scott, 319. — Genre de leur poésie, 320, 386.
Baptême ; celui de l’Église catholique déclaré bon par un synode du désert, p. 102. — Conféré à cinq enfants dans une seule assemblée, 180 ; — devant l’Église romaine, 200. — Selon les curés des Cévennes, 261. — cinq baptêmes au synode national de 1744, note, 290, 298.
Basnage (Jacques), pasteur réfugié, reçoit une lettre du premier synode de 1719, publiée par l’Évangéliste, p. 29. — Sa réponse, 30, 69. — Ses entrevues avec les agents du régent Philippe d’Orléans, 91. — Il les renvoie au pasteur Court, ib. — Sa lettre pastorale aux églises du désert, 92. — son Histoire de l’Église, 241.
Baville (Lamoignon de), intendant du Languedoc, p, 76. — Post-scriptum condamnant soixante-seize protestants aux galères, note, 77. — Sa lettre sur l’affaire d’Orange, pièc. just., no 2. — Sa devise rapportée par Saint-Simon, 76. — Sa fin sans remords, 120. — Son calme en présence des supplices, ib. — Jugé d’un mot par madame de Sévigné, note, 120. — Consulté dans ses derniers jours par l’évêque de Tressan, 148, 278. — Une lettre sur l’affaire d’Orange, 499. — Un doux post-scriptum, 500 ; 507, 508.
Bernage de Saint-Maurice, intendant du Languedoc, p. 227, 257. — Sa lettre à l’évêque d’Alais sur l’état des églises du désert, 264. — Condamnation pour avoir secouru un malade, 275 ; 278, 284, 489, 508, 510.
Berwick (le maréchal de) ; son jugement sur la portée politique de l’insurrection des camisards, p, 95.
Betrine (Jean), prédicateur, reçu au synode de 1718, p. 102, 174 ; collègue du pasteur Court, avec les ministres Rouvière et Bourbounous, ib., et le ministre Pierredou, ib., 178, 197 ; — envoyé en Poitou comme une victime, 198, 235.
Bourbon (le duc de), premier ministre de Louis XV, p. 143. — Son gouvernement funeste aux églises, 144, — Position de la maison de Condé, ib. — Son portrait par Lemontey, 145. — Mené par deux prêtres, 146. — Son exil, 223.
Boyer (Jacques), pasteur du désert. — Sa déposition, p. 236. — Exécuté en effigie, 270. — Scission à laquelle il donne lieu, 290. — Est réinstallé dans ses fonctions, 293.
Camisards ; conséquence de leur guerre pour la province des Cévennes, p. 22. — Leur exaltation, note, 76. — Continuation de leur fanatisme, 93. — Leurs prophètes, en 1709, distribués en corps d’armée mystique, ib. ; Leurs tribus, d’après Charles Pourtalès, note, 94. — Jugés par le maréchal de Berwick, 95. — On n’oublia jamais leurs rapports possibles avec les puissances étrangères, 96. — Leur guerre faillit se rallumer en 1752, à cause des enlèvements d’enfants, 412, 465.
Cévennes (province des). Réunions religieuses après la mort de Louis XIV, p. 19. — Position par suite de la guerre religieuse, 22. — Ne furent calmées qu’en 1713, 93 ; 100, 257, 284, 410, 412.
Crotte (Jean), pasteur, aux synodes de 1716 et 1717, p. 32. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35.
Chant sacré, écoles chez les églises du désert, p. 255. — Leçons de chant punies, 418.
Claris ( Barthélémy), pasteur du désert ; acompagne Antoine Court, p. 179, 196. — Capturé en 1728, 227. — Renfermé à la citadelle d’Alais, 228. — Son interrogatoire textuel, par Novi de Caveirac, subdélégué, 228, 235. — Ses fonctions, ses études, 229, 233. — Ses habits, 232. — Étudie en Suisse, 233. — Ses sermons et analyses saisis, 235. — Il s’évade de la citadelle d’Alais, 237, 252. — Sa mort tranquille, 454.
Clergé catholique ; blâmé par le chancelier à cause de sa lenteur à exécuter les édits de Louis xiv, 67. — Extrait de la circulaire de Pontchartrain, 68. — Ses curés résistent à plusieurs édits, 69. — Déclare à Louis XIV que ses bienfaits sont ses seules armes envers les protestants, 79. — Se plaint que les réformés portaient un masque catholique, 110. — Eut des observateurs soudoyés, 113. — Se fatigue d’appliquer la déclaration de 1724, 164. — Obligé de visiter les malades protestants, d’après l’édit de 1724, 170. — Son esprit, 305. — Mandement de l’évêque de Valence, 374 ; 375-413. — Ses principes, 463. — Ne veut plus marier les nouveaux convertis, 467. — Est lui-même victime des Édits de Louis XIV, 477. — Veut exiger l’abjuration pour les mariages, 475. — Combat l’offre du vingtième par les églises du désert, 480.
Complaintes populaires du Languedoc sur le supplice des ministres du désert, 314. — Une seule porte un nom d’auteur, ib. — Liste de ces poésies, note, ib. — Quelle confiance doit-on y attacher, 315. — Leur caractère, 318. — Leur physionomie littéraire, 319. — Complainte sur la prise de M. Roussel, pasteur du désert, exécuté à Montpellier en 1718, 320. — Imprécations lyriques qui la terminent, 321. — Complainte de Desubas, 377 ; 382, 386.
Consul protestant de Saint-Jean-du-Pin, p. 355, — Fréquente les assemblées du désert, 357.
Condamnations. Listes de 1752. — Les gentilshommes verriers, p. 417. — À mort, contre Élie Vivien, 419. — Capitales, contre les ministres, 425. — Leur esprit, 430. — Leur nombre, 431. — On en exécutait un tiers, 432. — La France les eût fait cesser, 443, 455. — Pour avoir donné asile à un soldat malade, 256.
Consistoires. Pourront-ils empêcher les pécheurs d’approcher de la cène, p. 295. — Leurs devoirs, 311.
Contrebande défendue, excepté celle des livres de religion, p. 204.
Corteis (Pierre), pasteur du désert, auteur des premières consécrations régulières, p. 101, 174. — Seconda efficacement Antoine Court, 193, 196, 236. — Nommé député au comté de Foix, 311. — Condamné à mort par contumace, 351, 370, 391. — Beau certificat qu’il obtient, 461.
Court (Antoine), pasteur du désert. Son origine et ses premiers travaux, p. 21. — Sa personne et son caractère, ib. — Mérite le titre de restaurateur du protestantisme français, 22. — Dessein qu’il forme à dix-sept ans, ib. — Son mémoire sur l’état de la religion en France en 1715, 24. — Ses quatre moyens pour rétablir l’Évangile, 25. — Ses efforts contre les prophètes, 26. — Premières convocations, 26. — Réprime les prédicateurs sans mission, ib. — Premier synode de 1715, 28. — Fait adopter cinq articles fondamentaux, ib. — Caractère de ses desseins à la mort de Louis XIV, 30-31. — Réunit les synodes de 1716 et 1717, 32. — Détermine cinq pasteurs à faire revivre les anciens synodes, ib. — Minute de cette délibération, 33. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35. — Ses pourparlers avec les agents politiques du régent d’Orléans, 91. — Refuse de sortir de France, 92. — Réunit les églises dans les grottes et les granges, 99. — Il pourvoit les églises de ministres réguliers, 100. — Son style oratoire à l’âge de vingt-quatre ans, fragment d’invocation, 109. — Rétablit la discipline dans le Vivarais, 111. — Sa tournée missionnaire de 1728, de près de cent lieues, 176. — Tableau géographique, pièc. justif., no 4. — Il se défend de négliger ses devoirs à cause de l’amour de sa Rachel, ib. ; — et de trop aimer la chasse, ib. — Célèbre quinze mariages et quinze baptêmes dans sa tournée de 1728, 187. — Fait des quêtes pour les églises du désert, 191. — Démarches pour le séminaire de Lausanne, 192, 195, 196. — Député général des églises, 203. — Concilie les églises au synode national de 1744, 291. — Prêche devant dix mille personnes, 293. — Fait partie du comité de Lausanne, 296. — Écrit aux églises sur la crainte d’un soulèvement contre les persécuteurs, 394. — Esquisse de sa vie, 404. — Sa dernière démarche en faveur des galériens, 440. — Réflexions sur l’abjuration d’un ministre, 453. — Sa lettre à Paul Rabaut sur les persécutions, 456. — Tableau de sa tournée de 1728, 506. — Son Patriote français et impartial, note, 507.
Culte domestique. Ses premiers règlements, p. 33. — public. Il était mystérieux, p. 106. — Fragment d’une prière de ce culte prononcée au désert par A. Court, en 1720, 107. — Son éloquence touchante au milieu des dangers, 108. — Tableau de ce culte dans les assemblées nocturnes du Vivarais, 110-111. — Le culte missionnaire, 174. — Se célébrait dans de vastes tournées pastorales, 176. — Précède les prédications des missionnaires catholiques, 177. — Devra être célébré pendant le jour, 290.
Danse interdite dans les temps d’affliction des églises, p. 201. — Danseurs interdits et anciens censurés, 312.
Daudé (le chevalier), subdélégué de l’intendant du Languedoc, en 1728, P. 166. — Rencontre les assemblées de protestants à la promenade, 185. — Sa lettre aux officiers de justice, 223-227. — Verbalise à propos de l’évasion du pasteur Claris, 238, 257.
Dauphiné. Les assemblées continuent en dépit des édits de Louis XIV, p. 57. — Fidèles surpris et passés au fil de l’épée, 75. — À l’idée des écoles ambulantes, 203. — S’élève contre la prééminence du Languedoc, ib. — Agitation touchant les faux édits de tolérance, 343 ; 390, 409, 416. — Gouverneurs, 511.
Déclaration de 1669, contemporaine du Tartuffe, p. 41. — Premier pas vers la révocation de l’édit de Nantes, ib. — Ses minutieuses dispositions, 52. — de 1724, œuvre de monsieur le duc et de l’évêque de Tressan, 146-148. — Préambule de l’édit, 149. — Texte des articles, 152-158. — Elle prodigue les supplices et les galères contre les pasteurs et les fidèles, 158, — Ses motifs dogmatiques et administratifs expliqués par Joly de Fleury, 160. — En partie l’œuvre du chancelier d’Aguesseau, 159-162. — Ses résultats avortés, 161. — Comment les protestants du désert réussirent à en casser
les dispositions, 163, — Elle ne fut jamais rigoureusement appliquée, 165. — Les malheurs qu’elle amena, 167. — Résumé de cette législation, ib. — Ses recherches de la mémoire des morts, 168. — Galères, confiscations et amendes, 170. — Elle fait du relaps une présomption légale, 171.
Deffère (Étienne), pasteur du désert, p. 284-292.
Désert (Églises du). Épisode de l’histoire générale de France, p. 2. — Elle n’a pu être écrite que sur des manuscrits secrets, 3. — Caractère et poésie de ce culte, 19. — Ses assemblées et leur définition, 20. — Elles tendent à détruire l’organisation ecclésiastique, 19. — Première discipline contre les inspirés, 36. — Esprit huguenot et patriote des églises manifesté par Saurin, 63. — Leur premier sort sous la régence d’Orléans, 88. — Influence sur elles des alliances du régent avec les états protestants, 89. — On tâche de les soulever contre le régent d’Orléans, 91. — Troublées par les restes du fanatisme des Camisards, 93. — Leur premier culte est privé, 96. — Leur état à la mort de Louis XIV, 98-99. — Toutes devront contribuer à réparer les malheurs de chacune, 105. — Faisaient des dons aux galériens martyrs, 112, — Comment elles accueillirent la déclaration de 1724, 143 ; 164. — Leur système d’assurance générale, 204. — Leur placet au roi en 1745, 305. — Tableau de leur état, 306, 309, — Leur placet de 1746, note, 335.
Désert (Églises du) ; leur Mémoire de plaintes, extrait, p. 348. — Leurs réunions surprises, 349. — Condamnations en masse, 351. — Consultées sur leurs dispositions vis-à-vis de l’étranger, 366. — Interrogées sur le nombre de soldats qu’elles pourraient fournir, 367. — Sommées de déclarer leurs dispositions en cas de guerre, 371. — Leurs requêtes sans réponse, 394. — Leur position en 1746, 398. — Leur état, 445. — Adressent une requête au congrès d’Aix-la-Chapelle, 446. — Leurs malheurs, 447. — Articles de leurs demandes, 449. — Il eût été à craindre qu’elles ne se révoltent, 451. — Requête sans succès, 452. — Leur état dans le haut Languedoc avant la renaissance du culte, 460. — Situation générale au milieu du xviiie siècle, 485.
Désubas (Mathieu Majal, dit), pasteur du désert, député au synode national de 1744, p. 288, 349, 377. — Capture, 378. — Les fidèles essaient de le délivrer, 379. — Massacre de Vernoux, ib. — Il calme la sédition, 380. — Complainte, 382. — Condamné à mort, 384. — Son exécution, 385. — Roulement de tambour, note, 386. — Ballade sur ses derniers instants, 387. — Son supplice n’intimide point les assemblées, 389. — Lettres publiées par l’Évangéliste, note, 509.
Duperron (le ministre), contumace, condamné à mort par le parlement de Grenoble, p. 334. — Il abjure, page.
Duplan, gentilhomme, d’Alais. — Son zèle pour les églises du désert. — Ses discussions avec Antoine Court, p. 24. — Lettre de Court sur sa tournée de 1728, 176, 191.
Durand (Pierre), pasteur du désert ; aux synodes de 1716 et 1717, p. 32. — Reçoit charge d’administrer la cène, 35. — Exécuté à Montpellier, 37, 198. — Son nom sur un acte, avec le sceau des églises du désert, 199, 325. — Est le sujet d’une complainte, 324. — Signataire des premiers synodes de 1716, ib. — Caractère de son apostille, 325 ; 326. — On essaie vainement de le faire abjurer, ib.
Enlèvements d’enfants. — Germe de cette pratique dans un édit de Louis XIV, p. 56. — En Normandie, 410.
Escalopier (Charles l’), intendant de Montauban, p. 327. — Ses titres, note, 401. — Condamne les mariages de Montauban, 402. — Frais qu’il prononce, ib.
Étudiants au séminaire de Lausanne, p. 196. — Peuvent se faire consacrer à l’étranger, ib., 206. — Leur régime, note, 210.
Fanatisme. — Régnait en Vivarais, après la mort de Louis XIV, p. 22, 173, 190.
Femmes prisonnières, 433. — Liste écrite par Marie Durand à la tour de Constance, ib. — Liste des captives, 441. — Description de la tour de Constance du château d’Aiguesmortes, 442-443. — Liste des détenues à la tour de Constance, au nombre de vingt-cinq, par Marie Durand, p. 519, — Visite du chevalier de Boufflers et du prince de Beauvau, 524.
Foix (comté de). Organisation du culte, p, 311, 390, 414.
Galériens pour crimes de culte du désert. — Quête à leur profit dans les églises du haut Languedoc, 361, 368. — Listes diverses, 432. — Lettre de Jean Molinier, 434, 513. — On leur imposait des navigations, ib. — Lettre de Mercier, 435, 515. — Lettre du sieur de Lasterme, 435, 514. — Leur résignation, leurs peines, 436. — La famille Bernadou, 438. — Acte mortuaires, confiscations, 439. — Lettre de Jean Raymond, 440. — Le cousin de Paul Rabaut, note, ib. — On cherche à les convertir, 441. — Souscriptions pour rompre leurs chaînes, 479.
— Liste des galériens de 1708, extraite des registres officiels des églises wallonnes de Hollande, 501. — Récapitulation, 505.
— Liste des galériens de 1753, au nombre de quarante-huit, dressée par eux-mêmes, 512.
Guerres du règne de Louis XV. — Succession d’Autriche, p. 282. — Influence sur les églises du désert, 284, 313, 369, 444.
Guignard (vicomte de Saint-Priest), intendant du Languedoc, p. 412. — Manque de faire soulever la province, ib., 430, — Instructions qu’il reçoit après la mort de l’intendant Lenain, 509.
Haut Languedoc (province du). Restauration du culte, 285, — Circulaire sur le culte persécuté, 310. — Requête au roi et à ses ministres, 358. — Demande l’exil comme une faveur, 360-361. — Demande le pasteur Grenier de Barmont, 460.
Homel (Isaac), le pasteur, roué en Languedoc, par arrêt du conseiller d’Aguesseau, p. 75. — Manuscrit qui le concerne, note, ib, — On croit entendre son âme chanter en quittant son corps, note, 76.
Huc (Jean), pasteur, au synode de 1715, 1716 et 1717, p. 29, 32. — Fait une mauvaise fin, 29. — Se fait catholique ; exécuté à Montpellier, 36.
Inquisition d’Espagne. Elle allume ses feux devant la princesse d’Orléans, p. 133. — Sacrifices humains, ib. — Listes des auto-da-fé sous Philippe de Bourbon, note, 133.
Intendants des provinces. Leur juridiction sommaire, d’après un édit de 1689, p. 58. — Institution des intendants proconsuls, 70. — Leur zèle pour surprendre les assemblées, 113. — Ils font interroger les ministres captifs, 232, 264. — Leurs fonctions rivales des parlements, 278. — Leur manière de gouverner les églises, 372. — Tableau de leur juridiction, note, 389, 419-420. — Punissent ceux qui se font protestants, note, 420.
Jeunesse. Efforts pour la convertir à l’église catholique, p. 254. — Son état dans les églises du désert, 261. — Sa conduite en présence des édits, 267. — Liste des enfants, sous peine d’amendes, 273. — Veut s’armer dans les assemblées du désert, 407.
Joly De Fleury, conseiller d’état, ne peut expliquer les lois de Louis XIV, p. 39. — Procureur général au parlement de Paris, 158. — Sa consultation sur l’état des réformés, 159 ; — ib., 281. — Son opinion sur l’état civil des religionnaires, 465, 467. — Son jugement sur la conduite des églises du désert, 469. — Ses principes sur les mariages et sa réfutation de l’avis du clergé, 472, 476.
Jurieu (Pierre), le pasteur, auteur des Soupirs de la France, livre critique du gouvernement de Louis XIV, p. 5. — Son traité de l’histoire des dogmes, 240.
La Fare (maréchal, marquis de), commandant du Languedoc, p. 227, 257, 267.
Fleury (le cardinal de), p. 66 — reçoit la pourpre romaine deux ans après l’édit de 1724 contre les protestants, 172, 257.
La Fontaine loue Louis XIV de ses victoires contre l’hérésie, p. 78.
France protestante ; de quoi elle se composait en 1733, p. 252. — État du nord pour le culte religieux, 253. — Le Poitou n’y figure que dix ans plus tard, 253. — Ses provinces en 1744, 238.
Lausanne (séminaire de) ; première idée de cet établissement par le pasteur Antoine Court, p. 175. — Pourquoi on choisit cette ville, 191. — L’archevêque Wake favorise l’établissement, note, 192, 195. — Démarches pour le fonder, 194, 197, 204. — Précéda la faculté de Montauban, 205. — On brûlait les lettres qui y avaient rapport, ib. — Direction et
comité Genevois, 206. — Les premiers professeurs, 207. — Le pasteur Turretini, ib. — Professeurs des derniers temps, Durand, Levade, Secretan, Bugnon, Chavannes, — Nombre des étudiants, note, 208. — Régime intérieur d’après l’abbé Lenfant, jésuite, note, 209. — Secours aux étudiants, 210, 233. — Force des études, 458.
Languedoc. Ses états provinciaux sans protestants, p. 7. — Sa position
religieuse après la mort de Louis XIV, 18. — Ses églises affectent la supériorité, 202. — Développement industriel qui inquiète la cour, 225, 284, 373. — Ses impositions provinciales, 424. — Intendants, 510. — Commandants et gouverneurs, 509, 510.
Législation de Louis XIV contre les protestants, p. 39. — Pourquoi il faut la retracer, ib. — Elle n’eut aucun principe arrêté, 38. — Sur les confiscations, 47. — Législation sous le rapport religieux, 51. — Ses conséquences générales, 87.
Lenain (le chevalier), intendant du Languedoc. — Condamne les livres protestants, p. 350 ; 355, 358, 363. — Sonde les dispositions des églises en face de l’invasion ennemie, 365. — Reçoit la réponse du haut Languedoc, ib. — Sa seconde lettre semi-officielle aux églises, 369, 372. — Sa parenté, note, 383. — Versa des larmes en condamnant à mort le ministre Desubas, 384, note ; ib., 390, 396, 411. — Fait exécuter Jean Desjours, 411, 414, note, 420. — Ses amendes systématiques, note, 423. — Sa mort, 509. — Ami de Montesquieu, note, 510.
Livres protestants de théologie. — Édit qui les supprime, p. 59, — Peines contre les libraires, ib. — Le parlement de Paris en fait dresser une liste, 60. — Pourquoi ils sont rares encore, ib. — Ordonnance contre les livres, 270, 271. — Auto-da-fé de livres protestants à Beaucaire, 272, 357. — Condamnés au pilori, 418.
Lois contre les protestants français ; collection officielle de 181 édits paraphée par le procureur du roi à Meulan, p. 39. — On n’y trouve aucun plan suivi, ib. — Lois contre les émigrations, 40, 41. — Lois contre les contrats de vente et les voyages, 41. — Peine de mort contre les émigrés, 43. — Cette disposition est adoucie, 44. — Lois touchant leur état civil et politique, ib. — Touchant la confiscation des biens des religionnaires fugitifs, 46, — Il leur est défendu de vendre leurs biens sans la permission du roi, 48. — Loi qui permettait aux enfants de sept ans d’abjurer, 53. — Sur les malades protestants, ib. — Loi capitale contre tout ministre, 57, — et même contre tout fidèle, ib. — Il fallut modifier cette dernière, 57. — Loi qui condamne les fidèles présents aux assemblées, à mort, et absents, aux galères, 57. — Dernière loi de Louis XIV contre les malades et les agonisants de la religion réformée, 58. — Cadavres traînés sur la claie, 59. — Contre les livres, ib. — Dernier édit de 1715, déclarant que tous les Français sont catholiques, 99. — Ne furent jamais populaires, 491.
LouisXIV amena la seconde époque de l’histoire des protestants de France, p. 6, — Il proscrivit les religionnaires, et prépara la révolution française, ib. — Impulsion dévote de sa cour, 8. — Son système politique, 12. — Sa position au commencement du dix-huitième siècle, ib. — Il rêve l’unité religieuse de l’Europe, ib. — Ses désastres et sa mélancolie, 13. — Comment il reçoit des propositions déshonorantes, ib. — Il signe le traité d’Utrecht, p. 14. — Sa dévotion est dépouillée de but politique, 15. — Ses derniers moments, 16. — Ses paroles en mourant, ib. — Ses funérailles, 17. Ne réussit point dans ses desseins, 18. — Sa solitude au milieu de la France, 71. — Conséquences du pouvoir absolu, ib. — Son siècle était frivole, 73 ; — était dur, note, 76. — Comment on peut expliquer ses mesures envers les protestants, 81. — Établit une régie de spoliation des religionnaires, ib. — Les vœux que lui adresse Saurin, 61, 63. — Sa seconde apothéose, 81. — Son dernier édit de 1715 contre les protestants, 99. — Trahi à son lit de mort, note, 115.
Loire ( Jean-Baptiste), pasteur du désert, p. 287. — Consacré à Lausanne, ib., 288, 302. — Son opinion sur les faux édits de tolérance, 334, 458.
LouisXV. — Son enfance, p. 117. — Devait épouser l’infante d’Espagne, 132. — Reçoit une ceinture de la Vierge par les mains de l’abbé Dubois, ib. — Nomme le duc de Bourbon premier ministre, 143. — Divers ministres du roi lors de la promulgation de l’édit de 1724, 150. — Politique et guerre de 1743, 277. — Ses ministres, 280. — Réprime les églises de Montauban, 298. — Résumé de ses lois contre le culte public, 301. — Amendes et encouragements aux délateurs, 302. — Nouvelle de sa maladie au synode de 1744, 313. — Ses ministres secrétaires d’état en 1745, les frères d’Argenson, 337. — Le bien-aimé, 448.
Malesherbes ( Lamoignon de). — Son opinion sur les lois de Louis XIV, p. 89. — Succède enfin au comte de Saint-Florentin, 42. — Mot gracieux sur les souvenirs de son aïeul Baville, 77. — Il ne faut point conclure de Paris à toutes les provinces, 163.
Mariages célébrés au désert, p. 180, 181. — 15 mariages célébrés par Antoine Court dans sa tournée de 1728, 188, 200. — Selon les curés des Cévennes, 261, 263, 267, 312. — Épreuves exigées des fidèles du désert, 413, 455. — Confusion de leur état dans le Languedoc, 477.
Manuscrits. — Notre collection, p. 541. — De Paul Rabaut. — Pièces historiques ; correspondance ; journaux de notes. — De Rabaut Saint-Étienne, de Rabaut Dupuis, — Ms. Fab. Lic. — Mss. des complaintes. — Mss. Ls. — Reg. affiches. — Mss. Lomb. — Mss. Mar. — Mss. Veg. Mss. communiqués. — Mss de Castres, de Nages. — Avis pour leur conservation, préf. — Pour leur description, note, 509.
Migault (André), dit Préneuf, pasteur du désert, en Normandie, p. 287. — Au synode national de 1744, 288. — Se plaint des enlèvements d’enfants, 410, 452. — Passe à Jersey, 478.
Modérateur — Sens de cette expression selon la discipline calviniste, note, p. 527.
Montauban. — Églises condamnées par l’intendant du Languedoc, 269. — Ordonnances de Louis XV contre les églises de cette généralité, en 1745, 297, 298, 328. — Persécutions, 400.
Montesquieu. — Ne peut expliquer les lois de Louis XIV contre les protestants, p. 38, — Ami du ministre de Maurepas, 338, 415. — Lettres persanes. — Ami de l’intendant Lenain, note, 510.
Montpellier (la citadelle de), surnommée la maison des fidèles dans les complaintes populaires, 320, 321, 389.
Normandie (province de) ; entre en rapport avec le haut Languedoc, p. 287. — Représentée pour la première fois au syn. nat. de 1744, 288, 410, 411. — Ses députés, 452. — Reçoit les visites du pasteur Gautier, 478. — Ses pasteurs du désert, 542.
Ordre du Mérite militaire, fondé par le maréchal de Belle-Isle, p. 486.
Ostervald (le pasteur) ; son catéchisme adopté par les églises du désert, 296. — Il protège les protestants français, note, ib.
Parlements ; leur esprit, 215, 463. — Combattent les ultramontains et les protestants, 216. — Parlement de Rouen décide une question d’état touchant un mariage du désert, 219. — Moyens des parties, arrêt, 222. — Ne toléraient pas les actes des ministres, note, 221. — Collatéral condamné, 222. — Sont jaloux des pouvoirs des intendants, 278. — Leur opposition au clergé, 305. — Parlement de Grenoble, 304. — Sa conduite en 1745, 331, 417, 431, 508. — Ses jugements barbares, 333, 416, — Fait exécuter le pasteur L. Rang, 334. — Condamne sept ministres à mort, ib, 408. — Parlement de Toulouse, 374, 509. — Parlement de Bordeaux, 415.
Pasteurs du désert. — Leurs obligations, leur discipline, p. 35. — Récompense promise à leurs délateurs, 47. — Tout pasteur saisi, condamné à mort par l’édit de 1686, 57. — Exception pour les chapelains des ambassadeurs, ib. — Premières consécrations régulières au désert, 100, 101. — Leurs premiers honoraires de soixante-dix livres, 103, — Ils communiqueront leurs sermons, ib. — Ne fréquenteront pas les maisons où il y aura quelque jeune fille qu’ils auront le soupçon d’aimer, ib. — Ils devront être toujours élus par les anciens, 104. — Leurs lettres signées avec des anagrammes, 112. — Les émissaires qui les guidaient, ib. — Travestissements, ib. — Courses des soldats, ib. — Leurs changements de demeures, 113. — Condamnés à mort, d’après la déclaration de 1724, pour des fonctions quelconques, 168. — Correspondaient avec les intendants, 169. — Ils deviennent missionnaires par la force des choses, 174. — Une tournée au désert, 175. — Un ministre congédié, 185. — Fonctions multipliées des pasteurs, 188. — Leur rareté, 190.
Pasteurs du désert. — Parmi quelles classes ils furent d’abord choisis, p. 193. — Les pasteurs réfugiés ne veulent pas rentrer, 194. — Leurs fonctions d’après l’interrogatoire du ministre Claris, 229. — Leurs précautions, 231. — Leur vie errante, ib. — Exemples que M. de Bernage en fait, 266. — Impôts en leur faveur, ib. — Règlements de leurs fonctions, 294. — Certificats exigés, 311. — Sans cesse poursuivis, 376. — Étaient la meilleure garantie de l’ordre, ib. — Abjuration du pasteur Duperron sous la menace du gibet, 452.
Pasteurs du désert, exécutés depuis 1685 jusqu’en 1762, liste d’après Antoine Court, complétée. Pièc. just. noV. — Leurs députés au synode national de 1756, 527. — Rôle général, 537.
Pères de famille. — Leurs devoirs dans le culte domestique, p. 33.
Persécutions (tableau général des) ; de 1740 à 1750, p. 408, 417. — Leur jurisprudence générale, 424, 431, 433, 443, 454, 455.
Piolens (de), premier président du parlement de Grenoble, p. 331. — Offre la vie au martyr Louis Ranc, s’il veut abjurer, 334. — Informe contre le ministre Roger, 340.
Philippe d’Orléans ; résumé de son gouvernement politique, p. 89, 90, 96. — Son système touchant les églises, 115. — Laisse paraître le Télémaque et Athalie, 117. — Ses embarras, 118. — S’allie aux états protestants, 119. — Laisse exécuter les confiscations contre les protestants et M. de Laforet, 120. — Eut le projet de rendre la liberté de conscience aux protestants, 122. — Combattu par Saint-Simon, 122, 125. — Ses raisons politiques pour céder à cet avis, 126. — Déclaration du régent en 1716 contre le rétablissement de la tolérance, 127. — Cherche vainement à réduire au silence les partis religieux 130, 131. — Laisse décorer l’abbé Dubois du chapeau, 134. — Réprime le zèle fanatique de Berwick, 137. — Influence générale du gouvernement sur les églises, 139.
Politique de la France sous le cardinal de Fleury, p. 112. — Conduite envers les églises, 214. — Miracles de Saint-Médard, 215 ; 238, 277.
Prière privée du culte du désert ; extrait d’un Mss. p. 97. — Reproduite dans la liturgie de 1758, note, ib. — Désapprouvée par Saurin, ib. — Petites réunions chez les chefs de famille, 113.
Prière du culte public du désert par le pasteur Antoine Court, 167, 168.
Procès à la mémoire ; outrages aux cadavres, p. 274, 275. — À Cadenet, à Alais, 421 ; 431.
Protestants du désert, blâmés par les pasteurs, p. 44. — Leur sort a blessé tous les Français, note, 70. — Se répandent dans toute l’Europe protestante, note, 83. — Se défendent de tout esprit séditieux, 373. — Leur imprudence à l’affaire de Vernoux, 379. — Prêtent des ornements pour la Fête-Dieu, 393. — Consentent à accorder au roi l’imposition du vingtième, 479. — Conséquences de cette démarche, 481.
Provence (royaume de) ; sa littérature polie, ses arts ; il succombe sous les massacres de la croisade Albigeoise, p. 7. — La peste de 1720 met une trêve aux persécutions, 140, 409.
Rabaut (Paul), pasteur du désert, va étudier à Lausanne, p. 284. — Député au synode national de 1744, 288. — Est nommé pasteur de l’église de Nîmes, 294, 297. — Sa lettre au duc de Richelieu sur un cantique calomnieux, 358. — Adresse une déclaration de son ministère à l’intendant Lenain, 395. — Esquisse de sa vie, 405, — Les premières années sont incertaines, 406. — Sa liaison avec le pasteur Court, ib. — Il condamne les assemblées armées, 407, 410. — Ses manuscrits, préf.
Rabaut (Saint-Étienne) ; son Vieux Cévenol, p. 39. — Son tableau résumé de tout le code de Louis XIV contre les protestants, note, 60 ; 490. — Lois ridicules, 495. — Lois barbares, 496.
Racine. — Sa pièce d’Esther jouée un peu avant l’édit de 1689, qui condamna les fidèles du désert à mort et aux galères, p. 58. — Travaille au dictionnaire dans le seul but d’encenser Louis XIV, 77. — Déclare le roi le plus parfait de tous les hommes, 78. — Passage imité dans une requête des protestants, 450.
Ranc (Louis), pasteur du désert. — Capturé à Livron, 334. — Interrogé par le subdélégué Chais, ib. — Exécuté sur un gibet à Die en 1745, ib. — Tableau de sa fin courageuse, 335. — Ses restes sont outragés, ib.
Réformés (les Français), reparaissent après la paix d’Utrecht, p. 15. — Caractère des lieux où ils se réunissent, 19. — À quelles professions ils étaient réduits, 109. — Levant les amendes contre leurs frères excommuniés, 200. — Excommuniés s’ils vont à la messe, ib. — Ne se rendirent jamais coupables de sédition, 310.
Réfugiés français à l’étranger. — Leurs sentiments pour leurs frères de France, 60, 61. — Leurs colonies, 81. — Vont jusqu’au Nouveau-Monde et en Afrique, ib. — L’électeur Frédéric leur nomme un directeur et protecteur, ib. — Louis XIV leur nomme un régisseur des spoliations, ib. — Sympathie et secours qu’ils trouvent chez l’étranger, 82. — Leurs martyrs galériens secourus par les Hollandais. 8 » — Leur population, impossible à déterminer, ib. — Liste approchée des églises françaises qu’ils fondèrent en Europe, note, 83. — Se confondent avec les nations étrangères, 82, 83. — On ne saurait les distinguer aujourd’hui, ib. — Agissent pour leurs frères de France lors de la paix d’Utrecht, 94. — Leurs rapports avec les négociants du Languedoc, 225. — Ordonnance du duc du Maine contre leurs voyages, 226.
Révocation de l’édit de Nantes. — Caractère des calvinistes qui la bravèrent p. 6. — Ordonne la saisie des biens des réformés, 46. — Fut lentement préparée, note, 44. — Ses cruautés, note, 43. — Collection de ses lois, note, 39. — Ses effets, tracés par Saurin, note, 51. — Édit de révocation ; son préambule ; ses articles, 55. — Elle fut prononcée par mesure administrative, 70. — Déclarée le comble de la gloire de Louis XIV, 79. — Statue de bronze qui la célèbre, 80. — Comment elle fut jugée par les magistrats, les beaux-esprits, le clergé, et les ruelles de l’hôtel de Rambouillet, 72, 80. — Ses effets quant aux réfugiés, 83. — Liste des colonies françaises qu’elle produit en Europe, note, 83. — Les hommes de génie qu’elle exila, 84. — Denis Papin, Huyghens, Lemery, Duquesne. — Liste des savants qu’elle chassa de leur patrie, 87. — Ses suites irréparables, ib. — Sa commémoration par les protestants, note, 97, 287.
Révocation de l’édit de Nantes. — Éloge et justification de cette mesure, par le duc de Saint-Simon, 124, 125.
Richelieu (le duc de). — Arrive en Languedoc comme commandant de la province, p. 352. — Cadeau d’un régiment, 353, 409. — Prévient un renouvellement de la guerre des Camisards, 412. — Ami de Voltaire, 454.
Roger (Jacques), pasteur du désert. — Ordonne les premiers ministres, p. 100, 191, 197. — Député au synode national de 1744, 288, 297. — Accusé d’avoir fabriqué un faux édit de tolérance, 332. — Dénoncé par Louis XV au parlement de Grenoble, 340. — Se défend par une épître au comte d’Argenson, 341. — Pièces fabriquées, note, 342. — Il écrit à Louis Ranc, 345. — Saisi à Crest et condamné à mort, ib. — Il exhorte les fidèles, 346. — Sa fin héroïque, 347 — Sa vie, ses services, ib. — Il a conservé la filiation de l’ordination pastorale dans les églises de France, 348.
Roussel (Alexandre), proposant du désert, à Uzès, exécuté à Montpellier, p. 227, 256. — Complainte dont il est le sujet, 315. — Complainte de la mère de Roussel, 315. — Sa mère implore le duc d’Uzès, 324.
Roux, pasteur du désert, est rappelé par un synode de 1728, p. 184 ; 196, 236, 288.
Sages-Femmes (profession de), interdite aux personnes de la religion réformée, p. 48. — Motifs de cette loi, ib.
Saint-Florentin (le comte de), ministre des affaires de la religion réformée, 274. — Son caractère, note, 338. — Ses propos sur les assemblées du désert, 373.
Saint-Simon (le duc de). — Dernières paroles qu’il attribue à Louis XIV, p. 17. — Son avis sur le chancelier Pontchartrain, 43. — Montre que la famille régnante d’Angleterre est issue de réfugiés français, 118. — S’oppose aux projets de tolérance de Philippe d’Orléans, 123. — Il calomnie les huguenots, 124. — Son ignorance des vœux des églises du désert, 125, — La question du bonnet fait du tort aux protestants, 126, 127, 129. — Son jugement sur la dévotion des Espagnols, note, p. 133.
Saurin (Jacques). — Ses réflexions sur les lois contre les protestants, p. 40. — Sermon sur le trafic de la vérité ; exilés de France, 43. — Coups portés aux églises de France, 44. — Pourquoi les réfugiés ont fui leur patrie, note, 46. — Tableau des malheurs de la révocation, note, 51. — Résumé des principaux édits de Louis XIV, note, 53. — Sur les enlèvements d’enfants, note, 56. — Vœux adressés à Louis XIV et à la France, en 1710, 61, 62, 63. — Son jugement sur les réfugiés, 82. — Peste de Marseille, 140. — Sa mort, 239. — Son influence, 240. — Antagoniste de Bayle, 241. — Caractère de son éloquence, 242. — Est de la grande école littéraire, 243. — Son dogmatisme, ib. — Ses Sermons, note, 244. Sa liberté de parole, 245. — Ses lettres sur l’état du christianisme en France, 245. — Réfute les miracles du cardinal de Noailles, 246. — Son apostrophe aux catholiques de France, 247. — Condamne les temporiseurs, 248. — S’élève contre l’usage du culte privé, 249. — Ses conseils aux églises du désert, 250, 264. — Incendie de ses sermons, 272.
Sceau des églises sous la croix, p. 198. — La gravure et l’exergue, 199. — Second sceau ; une barque battue par les flots, ib.
Sévigné (Madame de). Ses jugements sur la chasse que fait M. de Grignan aux réformés dauphinois, p. 72. — Sur les missionnaires dragons, ib. — Ses éloges sur la révocation de l’édit de Nantes, 73. — C’est la plus belle chose qu’on ait exécutée ou imaginée, ib. — Ses badinages sur les roues et les potences de la Bretagne, note, 76. — La penderie lui paraît un rafraîchissement, note, ib. — Analogie de son style avec celui de l’intendant Baville, note, 77, note, 120.
Statistique des pasteurs aux époques mémorables, de 1603 à 1840, p. 525. — Conséquences de ces nombres, 526.
Synodes du Dauphiné en 1716, et du Languedoc en 1717, p. 32. — Articles qui doivent être observés par toutes les églises, 33-34. — Leurs treize articles fondamentaux, 34. — Les six articles réglementaires, 35. — On n’accordera aucun secours aux téméraires, ib. — Synode de 1718 sur les qualités requises chez les pasteurs, 101. — Synodes de 1720, réglant la pose des sentinelles aux assemblées, 103. — Synodes de 1723. On ne pourra assister aux baptêmes de l’Église romaine, 104. — En cas d’infraction à la discipline, les fidèles seront punis en n’étant point avertis des jours des assemblées, 105. — Synode national de 1726, sur la longueur des sermons, 198. — Synode national de 1744, le premier avec désignation des provinces protestantes, 288. — Ses députés, ib. — Renouvelle le serment de fidélité au roi, 289. — Interdit la prédication des points de controverse, 289. — Ordonne que le culte public sera célébré de jour, 290. — Époque mal choisie pour le synode de 1744, 312, 326.
— Celui de 1744 se défend d’avoir ordonné des réunions armées, 327. — Renouvelle les anciens règlements contre les jeux et divertissements, 391. — Condamne les charivaris, 392. — On devra rendre les sommes extorquées, ib. — Règlements contre la comédie, les fêtes des saints et le carnaval, ib. — Contre les maléfices, 393. — Contre le prêt de tapis pour la Fête-Dieu, ib. — Composés de laïcs en grande majorité, ib. — Synode national de 1756, avec le rôle officiel des pasteurs du désert, 526.
Tourny (l’intendant de), en Guyenne, p. 302. — Sa lettre aux curés, 303. — Admoneste les protestants de Sainte-Foi, 304. — Ses sages mesures, ib., 354.
Viala (Michel), pasteur du désert, p. 252. — Envoyé dans le haut Languedoc, 285. — Est consacré à Zurich, 286, 288. — Modérateur au synode national de 1744, 292, 297. — Sentence pour relever les danseurs de l’excommunication, 312. — Ses honoraires, 328. — Veut se retirer de la province à cause de la persécution, 329. — Ses regrets patriotiques, 330. — Sa lettre circulaire aux églises du désert, 362. — Calomnie qu’il réfute, 363. — Trouve ridicule d’offrir des soldats au roi, 367-370, 458.
Vivarais (province du). Antoine Court y exerce les fonctions de lecteur, p. 22. — Les réunions nocturnes, ib. — Ses prophètes réfutés par Antoine Court, 26, — Les assemblées continuent, en dépit des édits de Louis XIV, 57, 75, — Description des assemblées sous la voûte du ciel, 110, 409.
↑Les rapports secrets du nonce Prosper de Sainte-Croix, depuis cardinal
de Pie IV, envoyé en France, de 1562 à 1565, auprès de Catherine de
Médicis, ne laissent aucun doute sur les dispositions de ce pays à demi huguenot (questo regno mezzo-ugonotto). La lettre cinquième écrite au cardinal
Borromée paraît considérer un changement général de religion en France
comme chose imminente et désespérée. Plus tard, si le nonce se rassure, il
paraît sans cesse craindre que la France ne devienne protestante en masse. Une
dépèche chiffrée datée de Blois, le 13 mars 1563, contient ce passage : « Il est certain que ce royaume est maintenant dans une situation où je ne vois
pas qu’il puisse devenir tout huguenot, si ce n’est avec beaucoup d’artifice et une longue révolution des temps. » (Voy. Lettr. du cardinal de Sainte-Croix, dans Aymon. Synodes, vol. i, p. 21-218-283.) Au premier siècle de la
réforme française, on trouve déjà dans la Franco-Gallia du jurisconsulte,
zélé calviniste, François Hotman, une théorie complète, aussi logique que
savante, des droits des états généraux et de la souveraineté nationale (voyez
la trad. franç. de Simon Goulard, dans les Mém. de l’estat de France, ii,
577). Plus tard, on voit dans le livre très-remarquable de Jurieu, Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté, Amsterdam, 1689, précisément
un siècle avant notre grande révolution, la critique la plus complète et la plus sensée de tous les abus de la monarchie absolue, sous les
points de vue de l’Église, des parlements, de la noblesse, de l’armée, du
peuple, des finances, de la politique intérieure et extérieure. Si la France eût
pu alors comprendre ces esprits d’élite, la charte de nos libertés serait
aujourd’hui âgée de plusieurs siècles et toute l’Europe eut accompli des progrès
incalculables.
↑Souv. de madame de Caylus, petite-fille d’Arth. d’Aubigné et du marquis de Villette, et nièce de la duchesse de Maintenon.
↑Notice sur le rétablissement du culte protestant en France après larévocation de l’édit de Nantes, tirée principalement des manuscrits de feu
M. Antoine Court, ministre du désert, par M. de Végobre. Genève (mss. veg.),
1715-1760. Cette pièce très-intéressante a été imprimée ainsi que la lettre
de Court sur sa périlleuse tournée pastorale de 1728 (Mélanges de Religion,
tome v, p. 177 ; Religion et Christianisme, tom. ii, p. 139, par le pasteur Samuel Vincent). Nous possédons aussi ces pièces dans notre collection manuscrite,
et nous n’avons pu omettre de profiter de documents aussi essentiels pour notre sujet.
↑Mss. P. R., 16 p. in-4e, avec attestations des membres du comité
près le séminaire protestant français de Lausanne, signées Louis de Cheseaux,
le prof. Polier, le major de Montrond, 18 janv. 1732. — On voit que la date
de ce Mémoire est de beaucoup postérieure aux événements dont nous insérons
le récit ci-dessus. Voici à quelle occasion il fut écrit. M. Duplan, d’Alais,
avait été nommé par une assemblée synodale de 1725, député général des
églises de France auprès des puissances protestantes pour en solliciter des
subventions, et pour les décider à intervenir auprès de la cour, en faveur des
malheureux religionnaires persécutés. M. Duplan résidait principalement à
Londres. Il avait rendu beaucoup de services aux églises. Il avait assisté à
divers synodes. Il avait contribué au rétablissement de la discipline. Il avait
écrit des lettres aux puissances et des lettres pastorales aux fidèles. Il avait
fait des prières et des exhortations dans les assemblées particulières et
publiques, dans les villes et à la campagne, et avait composé des écrits apologétiques.
Il avait consolé les affligés, les pauvres, les malades, les galériens ; enfin, à l’exception des sacrements qu’il n’eut jamais charge d’administrer, il
n’est rien qu’il ne fit pour les églises sous la croix. Un seul trait gâta tous ces
généreux efforts. Il paraît que Duplan, qui avait vu toutes les scènes des
Cévennes, ne put renoncer entièrement aux habitudes de fanatisme, dont il
avait été le témoin. À Londres, il fréquentait les prétendus prophètes et les
inspirés. Il indisposa ainsi le cabinet anglais contre lui et indirectement contre
les églises. Le ministère britannique alla même jusqu’à menacer de retirer
toute protection et tout secours. Ces excès, si éloignés de la sagesse d’esprit
du ministre Court, qui avait été lui-même nommé député des églises en 1744,
furent avec raison condamnés par ce dernier ; Duplan se plaignit qu’on voulait
le noircir pour le supplanter. Il en résulta une vive controverse et des jugements
devant des arbitres, auxquels le ministre Court adressa ce Mémoire,
dans lequel il se justifie. Nous ne faisons mention de ces débats si peu intéressants pour l’histoire générale que parce qu’ils fournirent l’occasion au
ministre Court de tracer ce précis de la renaissance du culte.
↑Cette lettre a été récemment retrouvée et publiée dans le journal religieux
l’Évangéliste, par le pasteur Fontanès. 1837. On conçoit combien de
pareilles pièces durent être tenues secrètes dans le temps, puisqu’elles étaient
en opposition flagrante avec les édits.
↑Il a été publié des recueils nombreux et détaillés des lois de Louis XIV
contre les protestants. On en trouvera une liste textuelle, immense et
effrayante, formant pièces justificatives du grand ouvrage sur l’Histoire de l’édit de Nantes (1695. Delft, 5 vol. in-4o, par Élie Benoît, ministre exilé
d’Alençon). Pour les temps immédiatement antérieurs à la révocation, de 1685
et jusqu’en 1695, cette collection offre trois cent trente-trois édits, déclarations
et arrêts. Mais beaucoup d’entre eux concernent des espèces particulières.
Nous avons fait notre travail analytique sur les recueils plus officiels
concernant la rel. prél. réf., imprimés avec privilège du roi, et contenant la
série des édits, déclarations et arrêts du Conseil depuis 1669 jusqu’en 1729,
i vol. in-12 de 456 p. Le volume contient cent quatre-vingt-un édits ou
arrêts, tous non abrogés et devant servir de manuel de poche aux magistrats
persécuteurs. J’ai travaillé sur l’exemplaire annoté et paraphé de M. Challan,
procureur du roi à Meulan, parl. de Paris. Ces volumes sont plus instructifs et
donnent plus à penser que le roman d’ailleurs fort agréable de Rabaut-Saint-Étienne,
publié en 1782, où il montre un vieux Cévenol se débattant sous les
suites de toutes les incapacités légales dont les édits avaient frappé les protestants ;
ce livre spirituel n’a d’autre défaut que celui de donner la forme
d’une nouvelle à des faits qui réclament toute la sévérité de l’histoire.
↑« Combien de ceux qui nous écoutent ont des personnes qui leur sont
chères, enveloppées dans ce malheur. Où est la famille de nos exilés qui ne
puisse s’appliquer ces paroles d’un prophète : ma chair est à Babylone ; mon
sang est parmi les habitants de la Chaldée (Jérémie, 51, 35). Ah ! honte de
la réformation ; ah ! souvenir digne d’ouvrir une source éternelle de larmes.
Rome, qui nous insultes et nous braves, ne prétends pas nous confondre en
nous montrant ces galères que tu remplis de nos forçats, dont tu aggraves les
peines par les chaînes dont tu les accables, par le bâton dont tu les abats, par le vinaigre que tu verses dans leurs plaies. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces cachots noirs et puants, inaccessibles à la lumière, et dont tu augmentes l’horreur en laissant les corps morts avec les corps vivants ; mais
lieux changés en délices par les influences de la grâce que Dieu verse dans l’âme
des prisonniers et par les cantiques d’allégresse qu’ils ne cessent de faire retentir
à sa gloire. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces maisons
ruinées, ces familles dispersées et ces troupes fugitives par tous les lieux de
l’univers : ces objets sont notre gloire, et tu fais notre éloge en nous insultant.
Veux-tu nous couvrir de confusion ; montre, montre-nous les âmes que tu nous
as enlevées ; reproche-nous, non que tu as extirpé l’hérésie, mais que tu as
fait renier la religion ; non que tu as fait des martyrs, mais que tu as fait des
déserteurs de la vérité. C’est ici véritablement notre endroit sensible ; c’est ici
où il n’y a point de douleur égale à notre douleur. » (Saurin, Sermon sur le trafic de la vérité.)
↑« Mille et mille coups furent portés à nos malheureuses églises avant celui qui devait les réduire en poudre et, s’il est permis de parler ainsi, on aurait dit que ceux qui s’étaient armés contre nous, non contents du plaisir de voir notre ruine, voulaient encore avoir celui de la savourer. » (Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
↑ « Dieu a répondu d’une manière plus directe au but dont nous étions
animés, lorsque nous pûmes nous résoudre à dire un adieu peut-être éternel
à notre patrie. Ce qui nous porta à nous en bannir, ce ne fut point l’espérance
de trouver ailleurs une société plus douce, des climats plus aimables,
des établissements plus solides. Des motifs de tout autre genre nous animaient.
Nous avons vu réduire en poussière les édifices où nous avions accoutumé
d’entonner à Dieu des cantiques ; nous avons entendu les enfants d’Édom,
armés de cognées, criant sur ses maisons saintes : Qu’elles soient rasées jusqu’aux fondements (Psaume cxxxvii, 7). Puissiez-vous, sujets naturels de
ces provinces, au milieu desquels il a plu au Seigneur de nous conduire,
ignorer à jamais les horreurs d’un pareil état. Puissiez-vous du moins ne les
jamais connaître que par l’expérience de ceux à qui vous avez donné de si
puissants moyens pour les soutenir. Nous ne pûmes survivre à la liberté de notre conscience ; nous allâmes la chercher, dût-ce être dans les antres et
dans les déserts. Le zèle donnait du mouvement au vieillard que les années
avaient rendu comme immobile. Les pères et les mères chargeaient sur leurs
épaules des enfants qui ne pouvaient pas encore connaître la grandeur du
péril auquel on voulait les arracher, et chacun, content d’avoir sa vie pour
butin, ne demandait que cette précieuse liberté qu’il avait perdue. Nous la
trouvâmes au milieu de vous, nos généreux bienfaiteurs ; vous nous reçûtes
comme vos frères, comme vos enfants, et aujourd’hui vous permettez encore
à une poignée de nos exilés de bâtir eux-mêmes un temple au Dieu que nous
adorons avec vous… Ah ! sans doute, ceux de nos compatriotes qui ont
encore présente à l’esprit l’idée de ces temples dont la perte nous cause tant
de regrets, n’auront pas une joie toute pure. — Les chefs, les pères, qui ont
vu la première maison, pleureront à haute voix, de sorte qu’on ne pourra
distinguer la voix de l’allégresse de celle de la douleur. Mais pourtant louons
aujourd’hui tous ensemble ce Dieu, qui se souvient d’avoir compassion. »
(Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
↑Michel Letellier, chancelier de France, succéda à d’Aligre, de 1677
à 1685 ; ce fut ce ministre qui scella la révocation en entonnant le cantique de
Siméon, et auquel on attribue, ainsi qu’à son fils Louvois et au père La Chaise,
une grande part à cet acte, qui fut toutefois l’objet des éloges éloquents de
Bossuet et de Fléchier.
↑« Il vous est permis aujourd’hui de donner un libre cours à vos plaintes
et de dire à la face du ciel et de la terre les maux que Dieu vous a faits.
Mon peuple, que t’ai-je fait ? (Michée, 6, 1-3). Ah ! Seigneur, que de choses
tu nous as faites. Chemins de Sion, couverts de deuil, portes de Jérusalem
désolées, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, sanctuaires abattus,
déserts peuplés de fugitifs, membres de Jésus-Christ, errants sur la face de
l’univers, enfants arrachés à leurs pères, galères regorgeantes de confesseurs,
sang de nos compatriotes répandu comme de l’eau, cadavres vénérables puisque
vous servîtes de témoins à la vérité, mais jetés à la voirie et donnés aux bêtes
des champs et aux oiseaux des cieux pour pâture, masures de nos temples,
poudre, cendre, tristes restes des maisons consacrées à notre Dieu, feux, roues, gibets, supplices inouïs jusqu’à notre siècle, répondez et déposez ici contre
l’Éternel. Mais si nous considérions Dieu comme juge, quelle foule de raisons
ne pourrions-nous pas alléguer pour justifier ces coups dont il vous a frappés !
Vous le savez et ne le savez que trop, la facilité avec laquelle on jouit de la
présence de Dieu diminue souvent à nos yeux le prix de cet avantage. — Rappelez à votre mémoire ce temps, qui lui est si cher, ce temps où la religion
était prêchée dans les lieux de notre naissance, et où Dieu par une bonté
admirable nous accordait en même temps les biens spirituels et les prospérités
terrestres. J’en atteste vos consciences : connaissiez-vous alors tout ce que
valaient ces faveurs. N’étiez-vous jamais dégoûtés de cette manne, qui tombait
chaque jour à vos portes. » (Saurin. Sermon pour le jeûne de 1706.) Il faut
remarquer que ce passage, l’un des plus sombres du grand orateur, fut prononcé
sous l’impression récente de la guerre camisarde, lorsque les cruautés
inouïes et les supplices de Baville épouvantaient encore la province natale
de Saurin.
↑« Tantôt on publiait des édits contre ceux qui, prévoyant les maux qui
allaient fondre sur nos églises et ne pouvant les détourner, allaient chercher
la triste consolation de ne pas en être les témoins. — Tantôt on permettait
aux enfants de l’âge de sept ans d’embrasser une doctrine dans la discussion de laquelle on soutient que les adultes mêmes sont incapables d’entrer.
— Quelquefois même on nous enlevait la gloire de confirmer dans la vérité
ceux que nous avions instruits dès leur enfance. — Quelquefois on nous
chassait du royaume et quelquefois on nous défendait sous peine de mort d’en
sortir. Ici, vous auriez vu des trophées dressés à la gloire de ceux qui avaient
trahi leur religion ; là, vous auriez vu traîner sur l’échafaud, sur la galère ou
dans les cachots, ceux qui avaient le courage de la confesser ; là, des corps
morts traînés sur la claie pour avoir expiré en la confessant. Ailleurs vous
auriez vu un mourant aux prises avec les ministres de l’erreur, partagé dans
la crainte de l’enfer s’il persistait dans son apostasie, et la crainte de laisser
ses enfants sans pain s’il employait ses derniers moments que les trésors de la
Providence et de la longue attente de Dieu lui laissaient encore pour s’en
relever ; dans un autre endroit, des pères et des mères s’arracher à des
enfants, sur lesquels la crainte d’être séparés d’eux dans l’éternité leur faisait
répandre des larmes plus amères que celles de s’en voir séparés pour cette vie.
Ailleurs des familles entières arrivant dans des pays protestants le cœur
pénétré de joie de revoir des temples et trouvant dans ces objets de quoi
adoucir ce qu’il y avait de plus amer dans le sacrifice qu’ils avaient fait pour
les posséder. » (Saurin. Serm. pour la consécrat. du temple de Voorburg.)
↑Il est assez curieux de remarquer, d’après les notes contemporaines
d’un des plus véridiques courtisans de Versailles, que dans ces deux mois de
septembre et d’octobre 1685, signalés par la révocation définitive de l’édit de
Nantes, les villes dont on apprit la conversion entière à Louis XIV furent
Montauban, Castres, Montpellier, Nîmes et Uzès ; après un siècle et demi,
elles figurent encore parmi les villes du royaume où la population protestante
est proportionnellement la plus forte. (Dangeau, Éd. Lemontey, p. 18-19).
↑« Nous, nous avons sur nos enfants le pouvoir que nous donnent la
nature, la société et la religion ; nous pouvons nous promettre pour eux et
pour nous la protection des lois, tandis que nous respecterons ces lois et que
nous leur apprendrons à les respecter ; mais nos compatriotes, quand ils sortent
de leurs demeures pour quelques moments, ne savent pas s’ils y trouveront à
leur retour ces chères parties d’eux-mêmes, ou si on les aura enlevées, enfermées
dans des couvents ou jetées dans des cachots. » (Saurin, Sermon sur la cons. du temple de Voorburg.)
↑Nous ajoutons plus bas un résumé bien pressant de toutes ces lois, tableau concis de la composition de Rabaut-Saint-Étienne. (Voy. Pièc. just. No I). C’est le premier jet de son roman le vieux Cévenol.
↑Voy. les Pièces justifie, du Mémoire historiq. de 1744, p. 280, à la suite du traité de la Nécessité du culte public, par Arm. de la Chapelle. Francfort (Amsterdam, 1747). C’est le tableau le plus détaillé qui ait été imprimé des persécutions d’une seule époque du xviiie siècle, celle de 1744 et
1745 ; il fut sans doute communiqué au pasteur de La Haye par le comité de
Lausanne et Antoine Court.
↑« Après cette cassation qu’y aurait-il, je vous prie, désormais de ferme
et d’inviolable en France, je ne dis pas seulement pour les fortunes des particuliers
et pour celles des maisons, mais encore pour les établissements
généraux, pour les autres lois, pour les compagnies souveraines, pour l’ordre
de la justice et de la police, et en un mot pour tout ce qui sert de base et de
fondement à la société, pour les droits même inaliénables de la couronne et
pour la forme du gouvernement. Il y a dans le royaume un très-grand
nombre de personnes éclairées, je ne parle pas de ces faiseurs de vers, qui
pour le prix d’une douzaine de madrigaux ou de quelque panégyrique du roi, emportent les bénéfices et les pensions, ni de ces compositeurs de livres,
à droite et à gauche, qui savent tout hormis ce qui serait bon qu’ils sussent,
qui est, qu’ils sont de fort petites gens ; je parle de ces esprits sages, solides
et pénétrants, qui voyent de loin les conséquences des choses et qui savent juger. Comment n’ont-ils pas vu dans cette affaire, ce qui n’est que trop
visible, que l’état se trouve partout percé d’outre en outre par le même coup
qui traverse les protestants, et qu’une révocation de l’édit faite avec tant de
hauteur ne laisse plus rien d’immobile ou de sacré. — Il s’en fallait bien
que l’aversion de notre religion fût générale dans l’esprit des catholiques,
puisqu’il est certain qu’à la réserve de la faction des dévots, et de ce qu’on
appelle les propagateurs de la foi, le peuple ni les grands n’avaient nulle
animosité contre nous et qu’ils ont plaint notre infortune. » (Plaintes des prot. de France p. 140-143.) C’était en 1686 que Claude écrivait ces lignes
piquantes et presque prophétiques.
↑Isaac Homel, pasteur de Soyon en Vivarais, exécuté à Tournon le
20 octobre 1683, à l’âge de 72 ans. Nous nous garderons de reproduire les
détails épouvantables de ce supplice (V. Hist. de l’éd. de Nantes, tom. iii, 667).
La mort de ce vieillard courageux, qui avait appuyé l’avis des armes et
qui avait même prêché devant des assemblées de gens armés, laissa dans la
contrée la mémoire d’un martyr populaire. Nous possédons dans nos pièces du
XVIIe siècle un fragment manuscrit bien usé et fatigué, ayant pour titre : « Discours du grand Homel, ministre du saint évangile de notre Seigneur Jésus-Christ,
sur la roue. » Nous ne rapporterons point ce morceau, dont la lecture est bien pénible, quoiqu’elle soit bien glorieuse pour la victime, Voici les dernières lignes,
qui attestent toute l’exaltation où d’aussi déplorables spectacles jetaient des populations ferventes : « Après ces paroles on lui donna le coup de grâce ; beaucoup
de gens assurent que son âme en quittant son corps a fait entendre dans les
airs des cantiques à la religion, et même le bourreau assure l’avoir entendu. »
(Collect. Fab. Lic.).
↑Ce n’était pas seulement à l’égard des protestants que le grand siècle
se montrait si dur. Prenons le plaisir de citer encore madame de Sévigné.
Que penser de l’humanité d’un temps où ce modèle des gracieux écrivains, dans
une missive toute remplie d’aimables riens pour madame de Grignan, intercale
les phrases suivantes, à propos de la punition d’une révolte en Basse-Bretagne
contre les gabelles : « Vous me parlez bien plaisamment de nos
misères ; nous ne sommes plus si roués ; un en huit jours seulement pour
entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me paraît maintenant un
rafraîchissement. » (24 nov. 1675, lett. 360.) — « On a pris à l’aventure vingt-cinq ou trente hommes que l’on va pendre. » (27 octob. 1675,
lett. 352.) — « On a pris soixante bourgeois ; on commence demain à pendre.
Cette province est d’un bel exemple pour les autres ; et surtout de respecter
les gouverneurs et gouvernantes ; de ne point leur dire d’injures, de ne point
jeter de pierres dans leur jardin. » (30 octob. 1675, lett. 353 ; édit de Paris : 1806.) Notre lettre de Baville du 24 septembre 1698, renferme cette
phrase en post-scriptum : « J’ai condamné ce matin soixante-seize malheureux
(protestants) aux galères. » (Mss, noii.) On voit qu’au style près il y a une certaine analogie entre ces deux genres épistolaires.
↑Pour élever cette déification de Louis XIV vainqueur des réformes,
comme les Romains sculptaient le marbre de leurs empereurs, vainqueurs
d’Olympie, on avait retiré la statue du jeune roi foulant aux pieds la Fronde.
C’est cette triste sculpture de Sarrazin qui fut remplacée par le bronze de
Coysevox, et qui, sauvée par la maison de Condé, figure aujourd’hui dans le
Musée français du Louvre, non loin des gracieuses nymphes de Jean Goujon,
des émaux si vivants de Palissy et de l’admirable Jugement dernier de Jean
Cousin.
↑Nous jetterons ici quelques jalons pour ceux qui voudraient entreprendre une statistique européenne des églises françaises du refuge, en remontant jusqu’aux
premières années de notre siècle, et en avertissant que nous n’indiquons
que les églises principales et que notre liste est incomplète. Il faut remarquer
que cette énumération renferme les églises calvinistes réformées au rit et
langue française, qui se sont fondées ou qui se sont considérablement grossies
par suite des lois de Louis XIV. Plaçons seulement pour mémoire l’accroissement
notable des églises du canton de Vaud, de Neuchâtel, de Berne, de
Zurich et de Genève. Église française d’Iverdun et de Bâle ; église française de
Maestricht et environs ; égl. franç. de Nimègue, Venloo et Stevenswaart ; égl. franç. au Sas de Gand, Flandre hollandaise ; église franc. à Tournay ; égl. franç. à Deux-Ponts, ancien duché ; égl. franç. de Bienne, Haute-Alsace ; égl. franç. de Mulhausen ; égl. franç. de Saint-Imier, Corgemont, Bevillard, dépendant
de l’ancien évêché de Bâle, du Jura et de Moutier ; égl. franç. à Stolberg ; égl. franç. du marquisat de Bareith et de Lunebourg ; égl. franç. de Francfort ; égl. franç. de Hambourg ; égl. franç. de la Prusse ou de l’ancien
Brandebourg ; égl. franç. à Stettin ; à Kœnigsberg ; à Berlin ; égl. franç. wallonnes
des provinces unies de Hollande ; égl. franç. à Amsterdam, à Groningue,
à Breda, à Rotterdam, à Arnhem, à Deft, à Leyde, à Utrecht, à La
Haye, à Middelbourg ; égl. franç. de Londres ; égl. franç. de Copenhague. Il y
avait naguère des maisons des dames françaises réfugiées à Harlem, à Schiedam,
à Deft, à La Haye, à Harderwick, à Rotterdam. Enfin la compagnie des
Indes-Orientales hollandaises transporta au Cap des réfugiés français dont les
descendants habitent encore cette colonie. Il faudrait avoir recours aux
archives de tous ces lieux et de beaucoup d’autres encore pour composer une
histoire un peu complète du refuge. En une foule de points ces communautés
touchent à leur fin, étant de plus en plus absorbées par les masses nationales
environnantes. Ce sont des enfants nombreux de la France irrévocablement
acquis à l’étranger.
↑Les biographes, qui ont nié que les édits de révocation aient pu déterminer
la retraite de Huyghens, en 1681, ont négligé de rapprocher quelques
dates significatives. Le grand ouvrage Horologium oscillatorium, une des plus nobles productions des sciences exactes, dédié à Louis XIV, est de 1673 ; mais l’année 1681, qui fut celle du retour du grand géomètre en Hollande,
vit paraître la déclaration du 17 juin, portant que les enfants des protestants
pourraient se convertir à l’âge de sept ans, et celle du 13 mai pour
défendre à tous maîtres et artisans de la religion prétendue réformée de faire
aucuns apprentis de ladite religion et d’en prendre « même de la religion
catholique. » Cette même année (7 avril), Louis XIV ordonna à tous prêtres,
et à leur défaut à tous syndics et marguilliers, de se transporter chez les malades
de la rel. prét. réf., pour savoir s’ils voulaient mourir dans leur endurcissement.
N’est-il pas plus que probable que Huyghens ne fut pas fort jaloux
de s’exposer à de telles visites, ni de renoncer à former des ouvriers pour ses
montres à ressort spiral.
↑Monde Primitif, Dissertations mêlées, v et vi, 1781. On n’y trouvera pas une notice, mais seulement quelques pages où Court de Gebelin parle
de ses études dans la maison paternelle.
↑Nous possédons (coll. mss. P. R.) les lettres les plus singulières d’Élie
Marion et de Charles Portalès sur cette classification des prophètes réfugiés,
nommés dans les tribus par le ministère de la prophétesse Jeanne Roux et par
le ministère d’Élie Marion. Comme il y eut plus de cent cinquante adeptes
qui reçurent des nouveaux noms bibliques, selon les inspirations, on conçoit
la difficulté de nommer tout ce monde. Aussi Charles Portalès fait de grands
efforts pour concilier cette distribution avec les vrais noms qui se trouvent
dans les Écritures. Nous ne rapportons ces hallucinations déplorables que pour
faire sentir tous les obstacles encore récents qui se présentaient à l’œuvre de
restauration de Court et de ses collègues. (Voy. sur David Flotard et Charles
Portalès, Hist. des troubl. des Cévennes, par Court, t. iii, p. 128-293.)
↑Mém. du maréch. de Berwick, tom. i, p. 282, publiés longtemps après, en 1798, par l’abbé Hook. Malheureusement, Lemontey, qui avait si soigneusement examiné les mémoires du temps, regarde ceux-ci comme fort suspects. Il est permis de supposer toutefois que les vues politiques du héros de Philipsbourg n’auront pas été trop altérées.
↑Cette prière fut reproduite beaucoup plus tard dans la Liturgie pour les protestants de France, ou Prières pour les familles privées de l’exercice public de leur religion, Amsterdam, 1755, page 16. Sauf quelques légères
variantes qui tiennent à la naïveté du vieux style, le dernier éditeur a bien
conservé le caractère de simplicité extrême. D’après une note de notre copie
mss, il serait possible que ce morceau fût même du xviie siècle et de l’époque
de la mort du ministre Jean Homel. Il figurait d’ailleurs très-bien dans
cette liturgie à l’usage des églises persécutées, où l’on trouve le service très-touchant
et triste du Jour de jeûne en mémoire de la révocation de l’édit de Nantes, qui se célébrait un des derniers dimanches d’octobre. Nous ne voulons
point prendre sur nous de décider s’il faut louer ou blâmer les églises
réformées de France d’avoir renoncé à ces commémorations solennelles, bien
douloureuses, il est vrai, mais qui ouvrent à la piété et aux souvenirs des
ancêtres une source si féconde d’émotions religieuses et d’édification. On a
attribué à Saurin la prière que nous insérons ; mais ce pasteur refusa constamment
de prendre part à aucune composition du culte privé, de peur de favoriser
l’interruption du culte public. (Voy. État du Christ. en France, 1725.
Préf., p. 25.)
↑Ce roi, qui, tout en affichant une loyauté altière dans ses relations avec
l’Europe, possédait à volonté l’art de la dissimulation, était entouré de courtisans
qui le lui rendaient bien. Avant qu’il expirât, les secrets de son testament
étaient ceux de toutes ses antichambres ; ses faméliques suivants en
cassaient déjà les articles fondamentaux. Le duc de Noailles fit défection le
premier pour s’assurer les finances. Le duc de Guiche vendit les gardes française,
et Reynolds les gardes suisses. Trois hommes, chargés des bienfaits du
roi mourant, trahirent les secrets de son agonie ; c’étaient le maréchal de
Villars, celui de Villeroi et le chancelier Voisins. Les confidents étaient
dignes du maître. (Voy. Lemontey, Hist. de la rég., tom. I, p. 37-29.)
↑Ibid. ann. 1718. Voy., Pièc. justific., noII, une lettre autographe de
Baville, lors de son administration de la province qu’il gouverna en maître
absolu, de 1685 à 1718, et comme étant « la terreur du Languedoc. »
(Mme de Sévigné, Lett. du 2 octobre 1689.)
↑ M. de Maulevrier, envoyé de France à Madrid, pour négocier le double
mariage, transmit au régent la note de quelques-uns des jugements rendus par
l’inquisition, pendant son séjour. Le sommaire de celles que Lemontey a
vues depuis le 7 avril 1720 jusqu’au 22 février 1724, présente un total de
cent neuf personnes brûlées (les femmes figurent pour moitié) en moins de
quatre ans et dans sept villes seulement. Sous le règne de Philippe V, l’inquisition
dévora par le feu, dans la seule Espagne d’Europe, 2,346 victimes, et
en condamna 11,730 à d’autres peines. Dans l’auto-da-fé de Séville (14 déc.
1721), il y eut 42 personnes condamnées au feu ou à d’autres peines ; de ce
nombre, 28 femmes. On voit que le duc d’Anjou exécutait scrupuleusement
les conseils de Louis XIV en faveur du Saint-Office. Un seigneur de la suite du
régent, Saint-Simon, ne trouvait, pour blâmer de telles mœurs, que des critiques
grossières émanées de la bile de son esprit cynique. Le 22 février 1720,
11 victimes, dont 5 femmes, furent brûlées à Madrid, et le même jour le duc
écrit au régent : « Je n’ai point de confiance en ces barboteurs de chapelet-ci,
tous mangeurs d’ail, d’huile puante et de madones. » Les protestants de
France avaient-ils tort de redouter toute alliance de leur patrie avec cette cour
féroce. (Voy. Lemontey, Hist, de la rég. Ch. XII. Liorente, Hist. de l’Inquis., tome iv.)
↑Lemontey, l’historien le plus judicieux et de la régence et de la minorité
de Louis XV, a écrit d’après les pièces officielles du gouvernement ; mais il
n’a pu avoir accès aux documents privés des églises. L’absence de ces témoins
nécessaires lui a fait commettre quelques erreurs dans le chap. xvi de son
histoire, qui offre cependant le résumé véridique et touchant du sort des églises
protestantes sous le ministère du duc de Bourbon et le règne de Louis XV. Il
répète, d’après les registres, suivant les avis que donnaient les ducs de Médavy
et de Roquelaure, que les assemblées reprises avaient disparu, en Languedoc,
vingt-trois jours après la mort de Louis XIV, et que les sévérités exercées dans la Guyenne, avaient été suivies de la totale abolition du culte. Nos pièces, prouvant au contraire que jamais le culte ne fut extirpé de ces deux provinces,
donnent un démenti formel aux dépêches intéressées des commandants.
Il a également tort de prétendre que le peuple protestant dauphinois « plus
intéressé que religieux, entra en accommodement. » Rien ne justifie cette
opinion sur le caractère d’une province où, plus tard, un ministre monta sur
l’échafaud plutôt que d’abjurer, et dont les nombreux martyrs fatiguèrent la
jurisprudence barbare du parlement de Grenoble. J’ai à relever ces légères
inexactitudes des jugements de mon ancien ami, feu Lemontey, parce que
l’estime publique a attaché beaucoup d’autorité à son livre.
↑Mém. histor. de 1744. Supplém. « Trois furent condamnés à servir de
corbeaux pour enterrer les morts de la ville d’Alais, affligée alors de la contagion,
et où ils trouvèrent eux-mêmes leur tombeau, p. 297 (par A. Court).
↑Lemontey a mis hors de doute que Lavergne de Tressan, l’évêque de Nantes, fut le principal auteur de l’édit de 1724 ; il nous paraît cependant qu’il faut réunir toutes les autres circonstances pour concevoir la promulgation
inopinée de cette mesure rigoureuse, sans ombre de motifs apparents, et sans
que la minute de la déclaration ait porté le rapport préliminaire, selon l’usage.
↑Copie faite sur l’original d’une lettre de M. Antoine Court, ministre du désert, adressée du désert en Languedoc, à son ami M. Duplan. Juillet 1728. (Mss de Végobre.)
↑Terme languedocien ; district ou ravin inculte et écarté.
↑Il serait fort possible que plusieurs personnes aujourd’hui ne comprissent
plus ce terme d’une théologie un peu ancienne, qui fait allusion à ce docteur
de la loi et pharisien, dont parle saint Jean, à ce Nicodème, qui, convaincu
par les miracles du Christ, n’osait cependant le suivre ouvertement, et ne
venait le trouver que de nuit. « Le nom de Nicodème sert à désigner la foi
qui se cache, faiblesse dont il a donné le premier exemple et qui n’a trouvé
que trop d’imitateurs. Faire un secret de sa croyance est une sorte de mensonge
d’autant plus coupable qu’il est de tous les moments. Quiconque croit,
doit professer sa croyance, ou sa foi ne compte pas. » Biographie sacrée, par
A. Coquerel, pasteur de l’église réformée de Paris, p. 432. Sans doute le
pasteur Antoine Court avait une idée pareille du Nicodémisme lorsqu’il flétrit
de cette sorte la prudence des tiédes.
↑Voy. Pièc. justif. noiv le tableau général de cette tournée, extrait
de nos pièces, à l’aide duquel on pourra suivre cette expédition du pasteur
du désert, sur la carte du Languedoc.
↑William Wake, savant théologien anglais, homme conciliant et plein
de douceur, fut promu, en 1716, au siège archiépiscopal de Cantorbéry. Ce
fut lui qui essaya, de concert avec le savant docteur en Sorbonne, Dupin, de
mener à fin l’impossible projet de la fusion entre les églises anglicanes et
romaines. Il avait accompagné à Versailles comme chapelain l’envoyé extraordinaire,
lord Preston, en 1682 ; il put juger les mesures préparatoires à la
révocation de l’édit de Nantes, et ce fut dans ce spectacle qu’il puisa sans
doute l’intérêt pour les protestants français, qu’il montra plus tard au pasteur
Court.
↑Le pasteur Étienne Arnaud, condamné au gibet et exécuté à Alais, le 22 janvier 1718, sous la régence de Philippe d’Orléans.
↑Le professeur Polier, père de Mme de Montolieu, auteur de l’article Messie, de l’Encyclopédie.
↑Dans les dernières années de l’existence du séminaire français de Lausanne,
on doit citer les professeurs Samuel Secretan, ancien doyen ; Frédéric
Bugnon ; Daniel Levade, pendant trente ans professeur de théologie et de
morale ; E. A. Chavannes, mort en 1800, professeur pendant quinze années ;
le ministre Verrey-Francillon, ancien doyen ; C. F. Chavannes-Bugnon, professeur
pendant quinze ans. Les jeunes séminaristes français à Lausanne recevaient
dans l’origine, du comité de Genève, 24 liv. suisses par mois (35 fr.).
Quant au nombre total des étudiants admis depuis la fondation, M. de Végobre
estimait ce nombre à environ cent ministres, qui seraient sortis du
séminaire, de 1740 à 1809 ; chiffre qui s’accorde assez bien avec les listes
que nos pièces fournissent sur le personnel des églises pendant le xviiie siècle.
Le pasteur et professeur C.-F. Chavannes estimait avoir vu cent jeunes gens
pendant les quinze années de son professorat ; ce qui aurait fourni une consécration
de sept sujets par an pour les églises du désert ; mais nous croyons ce
dernier chiffre au-dessus de la vérité. (Lett. du prof. Chav. Bug., mss, 1835.)
↑Discours à lire au Conseil en présence du roi, par un ministre patriote, sur le projet d’accorder l’état civil aux protestants. 1787, p. 154, ouvrage
où tous les arguments en faveur de l’intolérance sont reproduits avec une
logique perfide, attribué à l’abbé Lenfant, qui périt si malheureusement sous
les coups des assassins des prisons, en septembre 1792. Ce jésuite, comptant
l’existence du séminaire de Lausanne au nombre de ses griefs contre les protestants
français, avait pris des informations sur cet établissement redoutable
auprès d’un confident de l’évêque de Lausanne, de Lentzbourg. « C’est un
secret dont je n’avais jamais ouï parler, dit le prélat, et je ne puis comprendre
comment il est venu à votre connaissance. Ce n’est apparemment que le bon
Dieu qui l’a fait parvenir jusqu’à vous pour le bien de la religion. » Voici
maintenant les découvertes de l’évêque, qu’il transmet au père Lenfant ; on
y verra un tableau assez exact du séminaire de Lausanne. « Il existe à Lausanne
un séminaire distinct en tous points de l’Académie qui est pour les
Suisses. Là se trouvent vingt ou vingt-quatre Français protestants, qui doivent
avoir des églises dans leur pays. Ils y restent trois ans, font des cours de morale,
philosophie, théologie, Écriture sainte, sous des professeurs distincts
de ceux de l’Académie, sans en porter le titre. Les uns sont consacrés par ces
maîtres en chambres privées ; les autres, après avoir été examinés et après avoir
obtenu un acte de capacité, surtout les Languedociens, retournent chez eux et
sont consacrés et prennent les ordres des mains mêmes du Synode de la province.
Un comité de sept à huit personnes, laïcs et ecclésiastiques, souvent les
plus comme il faut de la ville de Lausanne, soignent les personnes, mœurs,
intérêts de ces jeunes gens, les placent eux-mêmes en diverses pensions, et
leur donnent environ 40 ou 36 livres de France par mois. Ils ne disent point
d’où ils tirent tous ces fonds et gardent un profond secret. M. de B, (Bottens),
qui en était jadis chef, dit un jour à un de ces jeunes Français, qui lui demandait
d’où provenait cet argent : Que vous importe, pourvu que vous l’ayez régulièrement ? Voilà quelques renseignements sur cet établissement auquel la
France réformée doit peut-être plus de deux cents pasteurs, et qui est à Lausanne
sans nulle approbation ni protection du canton, qui ne s’en mêle point,
n’en demande aucun compte et est censé en ignorer l’existence. » Conçoit-on
que le jésuite Lenfant ait déduit de cette confidence la conclusion, qu’il ne fallait
point souffrir en France de sujets protestants, ni à plus forte raison des
séminaires français ?
↑« Enjoignons à nosdits sujets réunis à l’église, d’observer, dans les mariages
qu’ils voudront contracter, les solennités prescrites par les saints
canons et notamment par ceux du dernier concile et par nos ordonnances,
nous réservant de pourvoir sur les contestations qui pourraient être intentées
à l’égard des effets civils de ceux qui auront été contractés par eux depuis le
1er novembre de l’an 1685, lorsque nous serons plus exactement informé
de la qualité et des circonstances des faits particuliers. » (Déclaration du
13 déc. 1698.) Ce fut principalement cet article qui ouvrit un vaste champ à l’interprétation et à la justice des magistrats. Il permit de faire fléchir la
rigueur précise de l’édit de révocation, ordonnant (art. viii) que tous les
enfants de ceux de ladite religion prétendue réformée devaient être baptisés
par les curés, sous peine de cinq cents livres d’amende. Cette inscription
devant l’ordinaire constituait la légalité de l’État. Telle était évidemment
la lettre précise de la loi. Mais l’article de 1698, que nous venons de citer,
permettait de la modifier d’une manière presque illimitée dans les espèces,
selon l’équité naturelle des juges.
↑Le retrait de cette pièce du dossier montre qu’elle consistait en un certificat
du ministre protestant, et l’avocat de la défenderesse y consentait. Ce
ne fut que bien plus tard que l’on vit les cours sanctionner la production en
justice d’un acte civil et religieux, signé d’un pasteur ; les magistrats du premier
tiers du xviiie siècle n’étaient pas encore arrivés à ce point d’équité.
↑Nous donnons ici comme exemple le texte d’une de ces petites pièces
du fisc des consciences. « J’ay receu du sieur Fabre, collecteur de Saint-Sébastien,
la somme de dix-sept livres un sol trois deniers, pour les
amendes prononcées contre les nouveaux convertis, dont les enfants ont manqué
d’assister aux messes et instructions pendant les mois de janvier, février,
avril, mai et juin de ladite année 1733. À Alais, le 18 juillet 1737. Silvain. »
(Mss. Fab. Lic. or.)
↑Interrogatoire du 29èmejour d’aoust 1732 ; vingt feuillets paraphés à chaque page. Caveirac et Claris. Mss. P. R, or.
↑Nous n’avons pas le dessein de donner une liste des plus beaux discours
de Saurin ; seulement, pour prouver notre dire, quant à la hardiesse des
sujets qu’il aimait à traiter, nous citerons les questions impliquées dans les
sermons suivants : L’uniformité de Dieu dans sa conduite ; sur la conduite
de Dieu ; sur l’éternité de Dieu ; sur le ministère des anges ; sur l’impeccabilité
du fidèle ; sur la méthode des prédicateurs ; sur les tourments de l’enfer ;
sur l’immensité de Dieu ; sur les profondeurs divines ; sur la nature, sur la
peine du péché irrémissible ; sur le trafic de la vérité, le plus original peut-être,
comme les discours sur l’aumône et sur les compassions divines sont les
plus tendres de tous les sermons de Saurin. C’est dans ce dernier surtout que
l’on trouve les ressources les plus pathétiques de l’éloquence, et au premier
rang, cette exclamation si simple et d’une sensibilité si admirable : Vous m’aimez, et je meurs ! C’est un des plus beaux mouvements qui soient jamais sortis
du fond de l’âme d’un homme éloquent.
↑L’état du Christianisme en France, divisé en trois parties, ou Lettres adressées aux catholiques romains, aux protestants temporiseurs et aux déistes.La Haye, in-8o
↑Le Mémoire historique de 1744, qui est d’Antoine Court, nous apprend
qu’en 1747 le ministre Hollard était pasteur à Christian Erlang.
↑Mém. hist. de 1744, pag. 368. — Le Patriote français et impartial,
pag. 251.
↑Cet article 9 du synode national est interrompu dans la pièce originale
par une parenthèse naïve que nous avons voulu reproduire ici : « Pendant la
séance du synode, ayant été présenté un enfant, fils naturel et légitime d’Antoine
Dombre et de Madelaine Hugon, né le 10 août 1744, M. le modérateur
(le pasteur Michel Viala) l’a baptisé, et lui a donné le nom Pierre-Paul ;
ses parrains ont été MM. Paul Rabaut et Pierre Peirot, ministres du saint
Évangile. »
↑(Mss. Veg.) Nous puisons ces intéressants détails, sauf l’acte même du
synode qui fait partie des Mss P. R., dans une lettre étendue que le vénérable
M. de Végobre, du comité français de Genève, nous fit parvenir le 20 février
1836. Ce zélé protestant, fort digne d’avoir été le collègue des protecteurs
des églises du désert sous Louis XV, était parvenu à l’âge de quatre-vingt-trois
ans ; ses forces étaient passées, sa vue éteinte ; mais ses idées
avaient encore toute la netteté et toute la verve de l’ami inviolable de Court
de Gebelin, fils du vénérable pasteur Antoine Court.
↑Il est bien probable que Jean-Frédéric Ostervald entra en communications
fréquentes avec les comités de Lausanne et de Genève et avec Antoine
Court, sur les affaires des églises du désert. En même temps, ses amis et collègues,
les savants théologiens Ott, de Zurich ; Samuel Werenfels, de Bâle ;
Louis Tronchin, Alphonse Turettini, Jalabert, de Genève ; Berger, de Lausanne,
et plusieurs autres, correspondaient activement avec lui et avec l’archevêque
Wake, qui, de son côté, s’appuyait sur le crédit de la cour d’Angleterre :
« En employant leur crédit, M. Ostervald a fait délivrer des galères des
personnes qui y étaient détenues pour la religion, procuré des secours considérables
à ceux qui étaient persécuté pour cette cause, et rendu des services
essentiels à des personnes qui le méritaient. » (Mém. mss. Chaufepié, Dict.,
mot Ostervald.) L’article de Jean-Frédéric Ostervald, un des plus illustres
et féconds théologiens du xviiie siècle, a été oublié dans notre dernière grande
biographie. (Biographie universelle, par Michaud. 1811-1828.)
↑Complainte sur la prise de M. Roussel (Alexandre Roussel, exécuté à
Montpellier, le 30 novembre 1728), vingt-deux couplets. Complainte sur la
prise de M. Dezubac (Matthieu Majal, dit Desubas, exécuté à Montpellier,
le 2 février 1746), soixante-cinq couplets. Complainte sur la prise de M. Benezet (François, exécuté à Montpellier, le 27 mars 1752), trente-sept couplets.
Complainte sur la prise de M. Lafage (François Tessier, dit Lafage,
exécuté à Montpellier, le 17 août 1754), quatre-vingt treize couplets. Complainte
de la mère de Roussel, vingt-trois couplets. Ce recueil est un cahier
petit in-4o, de 45 p., d’une écriture assez ancienne ; il paraît venir du lieu
d’Aumessas, actuellement consistoriale du Vigau (Gard), et porte cette suscription :
Finiels, pasteur, Sumène (consistor. de Valleraugue, Gard), 1803.
(Mss. V.) — Chanson de M. Durand, ministre du Vivarès, trente couplets,
cahier in-4o, très-ancienne écriture (Pierre Durand, exécuté à Montpellier, le
22 avril 1732). Mss. Fab. Lic.
↑Charles-Emmanuel, duc d’Uzès, pair de France, prince de Soyon, né
en 1707, gouverneur de Saintonge et d’Augoumois, en survivance de son
père, en 1720. On ne voit pas cependant, d’après nos pièces, que les seigneurs
de la maison de Crussol aient appuyé, au xviiie siècle, les mesures souvent
impitoyables des intendants du Languedoc.
↑Chanson de M. Durand. Mss. Fab. Lic. Cette complainte en trente couplets
est une des moins soignées de notre recueil ; c’est tout à fait un pont-neuf
pour le style et les répétitions. Elle respire d’ailleurs les sentiments d’une
bien vive piété.
↑Voici la répartition de la taxe des églises du haut Languedoc, suivant
délibération du colloque de sept. 1744 : Revel, 125 liv. ; Puylaurens, 125 liv. ;
Castres, 100 liv. ; Roquecourbe, 110 liv. ; Réalmont, 110 liv. ; Mazamet
160 liv. ; Saint-Amans, 90 liv. ; Montredon, 90 liv. ; 110 liv. ; Viane,
120 liv. ; Lacaune, 100 liv. ; Castelneau, 90 liv. Les honoraires du pasteur
Viala furent fixés à 600 liv.Mss. Cast., p. 15 et 16.
↑Ce fait déplorable est attesté dans le Placet au roi, et mémoire de Plaintes, que nous possédons (in-folio, 4 3 p. mss. P. R.), qui fut adressé au
chancelier pour être mis sous les yeux de Louis XV, en décembre 1746, et
qui contient, touchant les malheurs des églises, 1745-1746, une longue série
de faits nécessairement fort authentiques, attendu que toujours les arrêts et
très-souvent les noms des victimes y sont cités, et que toute imposture dans
un mémoire officiel eût été facile à démasquer et eût nui aux plaignants.
Dans les Mémoires de plaintes, l’exagération peut porter sur les réflexions
générales, mais non sur les faits avec les jugements à l’appui.
↑Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, fils du marquis de la Vrillière,
né en 1705, succéda à son père dans le département des églises en
1725, et se démit de tous emplois en juillet 1775 ; ministre pendant cinquante-deux
ans. Les mémoires du temps prétendent qu’il touchait annuellement un
fort subside sur la caisse générale du clergé, en récompense du zèle qu’il
montrait à réprimer les assemblées du désert ; ils ajoutent que ces fonds servirent à défrayer la magnifique demeure de l’hôtel Saint-Florentin dans la rue
qui porte encore le nom de ce confident de Louis XV. Nous n’avons rien
trouvé dans nos pièces qui confirmât l’existence de cette rente des persécuteurs.
Il faut même remarquer que ce ministre, qui fut créé duc de la Vrillère,
en 1770, reçut très-souvent avec bonté Court de Gebelin, qui était
alors, à Paris, l’agent bien connu des intérêts des protestants français ; notre
correspondance atteste maintes fois ces relations presque amicales entre le fils
d’Antoine Court et le fils du secrétaire d’État de Louis XIV.
↑Mém. histor., depuis 1744 jusqu’en 1752, du Patriote français et impartial,
p. 28, par Antoine Court. On trouvera dans ce mémoire toutes ces
pièces fabriquées, telles qu’elles furent publiées en 1744, et répandues en Dauphiné.
Elles consistent en un décret de Louis XV, daté de Metz, du 15 août
1744 ; d’une lettre de M. d’Argenson ; d’un édit du dauphin de France, revêtu
du pouvoir en l’absence du roi, par lequel les assemblées étaient permises ;
donné à Versailles, le 30 septembre 1744. Toute cette ténébreuse intrigue paraît avoir égaré la perspicacité administrative du comte de Saint-Florentin,
à moins qu’il n’en fût plutôt le complice que la dupe ; ce dont nos pièces ne fournissent cependant aucune démonstration.
↑Mém. hist. de 1744. Armand de La Chapelle, p. 227.
↑Le manuscrit de Castres, p. 37, donne ces détails : « Plus de trente de
ces malheureux y ont perdu la vie, et un plus grand nombre y ont été blessés
si dangereusement, que la plupart sont morts de leurs blessures. »
↑Voyez ce cantique cité. Mém. hist. de 1744, p. 228.
↑Nous ne trouvons dans nos pièces aucune trace de ce cadeau bizarre,
bien que, dans la suite de cette guerre acharnée, les églises fussent bien réellement
consultées par l’intendant baron d’Asfeld, sur leurs ressources militaires.
↑Le prince de Dombes, fils aîné du duc du Maine, légitimé de France,
était homme d’esprit et brave officier ; il avait été élevé par sa mère dans les
sociétés brillantes de Sceaux, et ainsi que le prince de Conti, il avait accordé
quelques marques d’intérêt aux protestants, au moins en paroles.
↑Ces réponses du haut Languedoc sont entièrement conformes pour l’esprit
à celles qui furent adressées à la même date (1746) par deux autres ministres,
à l’intendant Lenain, desquelles le pasteur A. Court a donné l’analyse
dans son Patriote français et impartial, p. 254-257. Villefranche (Genève),
1752.
↑ « Complainte et récit véritable de la mort de M. Lubac, ministre du
saint Évangile dans les églises du Vivarès.
Où tu verras, cher lecteur,
L’humilité, la patience,
La foy avec l’ardeur
De ce divin pasteur. »
(65 couplets, Mss. Coll. Fab. Lic. — Coll. v.)
↑Desubas était le nom du lieu de la naissance du ministre, paroisse de
Vernoux, diocèse de Viviers.
↑Mém. hist. de 1744. On y trouvera la liste de ceux qui périrent dans
cette déplorable affaire. Après l’avoir discutée, l’auteur (le pasteur Antoine
Court) ajoute ces mots : « Tout ce que l’on peut dire de plus vrai sur le
compte des protestants du Vivarais, c’est que trop de confiance dans la justice
de leur cause, dans l’humanité et dans les compassions de leurs concitoyens
dans l’effet de leurs prières et de leurs larmes, et trop de zèle pour leur pasteur,
les fit agir, dans cette occasion, fort inconsidérément et sans réflexion, »
p. 319.
↑M. Pons, de Nîmes, dans une notice sur Paul Rabaut, publiée en 1808,
raconte assez longuement les efforts de ce pasteur pour calmer les populations
lors du trajet du ministre Desubas ; il a donné un fragment de l’allocution
que le ministre du désert prononça dans cette conjoncture ; nous n’avons rien
trouvé dans les mss. P. R. qui confirmât cette anecdote, d’ailleurs fort probable.
↑Jean Lenain, chevalier d’Asfeld, conseiller du roi, maître des requêtes,
intendant de justice, police et finances, en la province du Languedoc, fils de
Lenain de Guignonville, avocat général au parlement de Paris, d’une famille
de robe ancienne et considérée, petit-neveu de Lenain de Tillemont, le savant
historien des empereurs, l’ami d’Arnauld et de Dufossé. Le sévère et vigilant
intendant du Languedoc aurait dû se souvenir que les jésuites bouleversèrent, en 1711, le tombeau du sage solitaire de Port-Royal-des-Champs, et qu’ils
troublèrent ses cendres. Les restes du plus illustre de ses ancêtres avaient
éprouvé la rancune sacrilège des persécuteurs.
↑Les Mémoires de 1744 ajoutent que tous les juges pleuraient, et que
l’intendant pleurait aussi. Sur quoi Antoine Court fait cette remarque : « On
doute beaucoup que M. l’intendant ait versé des larmes en cette occasion ; il
ne passe pas pour être si tendre : mais des lettres venues de Montpellier assuraient
le fait, » p. 207. Sans doute M. l’intendant chevalier Lenain aurait
bien mieux fait de pleurer moins et de ne pas envoyer au gibet un homme
aussi parfaitement innocent et estimable que ce jeune ministre du désert.
Mais dans l’application de ces édits abominables de Louis XIV et de Louis XV,
on est encore fort heureux de trouver quelques mouvements de sensibilité
chez les magistrats de ces funestes époques ; nous devons donc enregistrer ici
que notre ballade populaire, qui n’est pas suspecte de flatterie pour les persécuteurs,
célèbre aussi en termes naïfs la tristesse de l’intendant, obligé de
signer cette sentence très-inique, quoique très-conforme aux lois (coupl. 56).
↑Cette précaution raffinée, qui avait pour but d’empêcher le pasteur
d’exhorter l’assistante, fut presque constamment suivie lors du supplice des
ministres. Elle rentrait d’autant mieux dans le plan des persécuteurs, que ces ministres marchaient au supplice en présence d’un peuple où il y avait une
foule de leurs fidèles. On a beaucoup parlé de l’odieux roulement de tambours
qui étouffa les dernières paroles de l’infortuné Louis XVI ; bizarre destinée
de ce monarque humain, qui rendit les droits civils aux protestants, et qui
lui-même subit à sa dernière heure l’outrage que tant de pasteurs du désert
avaient enduré.
↑La juridiction des intendants fut celle qui fut surtout fatale aux églises.
Ce fut une des institutions les plus influentes du génie despotique de Louis XIV,
et il n’est pas très-facile, du milieu de nos idées actuelles sur la justice, de
s’en former une idée nette. L’intendant de province, outre sa qualité administrative,
était une sorte de commissaire permanent pour l’exercice de la
justice ; il jugeait en dernier ressort, sans appel, au grand criminel, comme en
affaire de simple police. En juridiction ordinaire, l’intendant, selon les ordonnances,
ne pouvait juger en dernier ressort qu’assisté d’officiers ès-lois,
gradués, au nombre de sept au moins. Mais par les ordonnances du roi des
1er et 16 février 1745, il fut dérogé à la juridiction ordinaire en matière de
crimes d’assemblées ; et le pouvoir fut donné aux intendants de juger « sans
autre forme ni figure de procès ; » alors ce seul magistrat prononçait en dernier
ressort. En juridiction ordinaire, les intendants, assistés des sept gradués
assesseurs, et signant les jugements avec eux, avaient toute cour, juridiction et
connaissance ; par ordonnance d’attache, commettaient parmi les sept gradués,
un procureur du roi, un juge instructeur, et un greffier. La cour d’intendance ainsi constituée délibérait sur plaintes ou conclusions de son procureur du
roi, assignait par exploits de témoins, informait dans les autres provinces devant
les subdélégués, décrétait de prise de corps ou d’ajournement personnel,
récolait les dépositions, confrontait les témoins, jugeait sur requête d’élargissement
provisoire, après un soit-montré à son procureur du roi, faisait tous
interrogatoires, procédait contre les défaillants, et enfin, après tous actes d’instruction,
rendait arrêts après conclusions de son procureur du roi sur rapport
de son juge instructeur. D’ailleurs, comme devant les parlements, les accusés
n’avaient point de défenseurs, n’étaient point ouïs dans leurs moyens, et le
texte des édits entraînant condamnation n’était pas cité à peine de nullité.
On n’appelait point du jugement de l’intendant aux cours souveraines. Il
était exécutoire sur-le-champ. On est heureusement dispensé aujourd’hui de
critiquer pareil système de justice ; comme il fut très-souvent appliqué aux
églises du désert, nous avons cru devoir en donner cette esquisse, qui attestera
les immenses progrès de la procédure depuis un siècle.
↑Gaspard-César-Charles L’Escalopier, chevalier, conseiller du roi,
maître des requêtes, intendant de justice, police et finances, et commissaire
départi pour l’exécution des ordres de Sa Majesté en la généralité de Montauban.
Charles de L’Escalopier, de Paris, maître des requêtes, vécut de
1709 à 1769, enthousiaste de l’Aminta du Tasse, qu’il traduisit, et auteur du
Traité sur les vers à soie. Nous n’oserions cependant garantir que ce conseiller
pastoral fut bien positivement l’intendant farouche, qui porta la terreur
sur les bords du Tarn.
↑On remarquera, sur ce chiffre de 1 847 liv., que l’intendant jugeait tout
seul, et que tout seul aussi il tarifa et liquida ces frais ; il faut sans doute attribuer la part qu’il s’adjugea à un excès de zèle pour donner une direction
orthodoxe aux finances des hérétiques.
↑Il reste de l’incertitude sur les premières années, et sur le premier
ministère de Paul Rabaut. Nous avons préféré donner ici quelques dates
authentiques au lieu de répéter des détails que nous considérons comme douteux.
Chose singulière, il y a beaucoup de confusion dans les dates de la vie
de Paul Rabaut, telles que nous les rapporte son troisième fils, Rabaut Dupuis,
Répert. ecclés. des égl. réform., 1807, p. 88. Il y est dit que Paul Rabaut
était allé étudier à Lausanne, et qu’il avait reçu la consécration à la fin de
1739 ; nos pièces prouvent qu’en 1740 il n’était pas encore parti pour le
séminaire suisse. Nous avons une lettre très-intéressante du pasteur Antoine
Court à Paul Rabaut (Mss. P. R.) du 7 mars 1740, écrite de Lausanne, où il
y a ce passage : « Un article qui m’a fait un grand plaisir, c’est que vous
pourrez venir ici bientôt. Je l’ai demandé pour vous et je l’ai obtenu. Il ne
s’agit que d’attendre qu’un des jeunes me-sieurs qui sont ici soient partis, et
cela sera, pour la plupart ce printemps. Ainsi vous pouvez déjà prendre vos
mesures et commencer à faire votre malle. Je me félicite par avance de l’heureux
moment qui me procurera le plaisir de vous connaître et de vous dire de
vive voix une partie des choses que je sens pour vous, aus-i bien que vous
offrir tout ce qui sera en mon pouvoir et qui pourra vous être utile. « Il est
impossible, d’après ce témoignage certain, qui prouve qu’en 1740, Antoine
Court n’avait pas fait la connaissance de Paul Rabaut, d’admettre ce qui a
été répété dans toutes les notices, que le premier choisit en quelque sorte le
jeune proposant du désert chez son père, à Bédarieux, et qu’il se fit accompagner
par lui dans toutes ses courses périlleuses de 1728. On ne peut concilier
ces détails avec la lettre originale que nous possédons. (Voy. Notice
biographique sur Paul Rabaut, Archives du christianisme, juillet, 1826.)
Nous pensons plutôt que les deux pasteurs ne se virent qu’en Suisse, à la fin
de 1740, et que leurs premières relations furent des relations épistolaires où
Antoine Court chargeait le jeune proposant de recueillir des documents pour
l’histoire des Camisards qu’il projetait, et qui ne fut publiée par lui et par son
fils qu’en 1760.
↑Voy. Mémoire historique de 1744 à 1752, par Antoine Court ; Patriote français et impartial, p. 12-17, de grands détails sur cette calomnie.
↑Voyez cet arrêt remarquable, Mém. hist. de 1751, par Ant. Court,
avec les listes et noms des trente-deux mariages condamnés en 1749, par le
parlement de Bordeaux, Patriote français et impartial, p. 86-89.
↑Parmi ces arrêts, on remarque celui du 6 nov. 1745, du parlement de Grenoble,
qui frappa principalement la paroisse de Bournat, en Dauphiné ; parmi
les prétendus dégradés de leur noblesse pour crime d’assemblées religieuses,
on distingua des membres très-nombreux des familles de Bouillane et de
Richaud. L’intendant d’Auch se fit remarquer par son ardeur contre les gentilshommes
verriers du pays de Couserans ; il voulut aussi dégrader les familles anciennes et industrieuses des de Moner, des de Gassion, des de Bousquet, des
de Prade, des Grenier de Lastermes, des de Courtalas, des de Barmont. Les
familles Perminjat, Cleissa, Mitifiot, Roumeyer, Tromparen, Bernadou, Souchon,
Fargues, Mercier, Laborde, Lafont (du Mas d’Azil), les Mariette, les
Tachard, les Delpon (de Montauban), subirent aussi des condamnations variées.
Il faut remarquer que le jugement prodigieux de l’intendant fut prononcé
contre des accusés dont la grande majorité étaient en état de contumace.
↑Les intendants de ces provinces devaient être fort affairés ; nous voyons
(Mém. hist. de 1752, p. 124), que le chevalier Lenain, non content de sévir
de toutes les manières contre les protestants et leurs ministres, est obligé, par
ordonnances rendues à Montpellier, 27 avril et 26 octobre 1748, de condamner
au bannissement et à l’amende honorable deux personnes de Castres et
d’Uzès « pour avoir abandonné la religion romaine et embrassé la protestante. »
↑On est frappé du ton de vérité et de la naïveté des plaintes de ces
pauvres protestants de la Javelière, paroisse de Montcoutan, bas Poitou. Ils se
représentent dans leur mémoire « comme ayant déménagé leurs maisons,
abandonné leurs fabriques de petites étoffes, leurs bœufs, leurs charrues,
toutes leurs affaires, et prêts à passer dans les pays étrangers pour y chercher
un repos qu’ils ne trouvaient point dans leur patrie ; en attendant, ils erraient
dans la campagne et couchaient en plein air. » (Mém. de 1752, p. 137.)
↑Mém. hist. de 1752, p. 95. Le compte général depuis 1744 jusqu’en 1752, offre un effectif de 119,260 livres d’amendes, plus 38,348 liv. de frais.
Ces chiffres concernent le Languedoc ; quant au Dauphiné, A. Court estime que
la somme totale fut bien plus forte encore, vu les ressources de la province. Il
est surabondamment constaté que les édits de Louis XIV étaient devenus
entre les mains des intendants un moyen pour battre monnaie. L’intendant
Lenain condamna, le 26 septembre 1748, la femme Oranger Fesquet, de
Ganges, à 3,000 liv. d’amende pour avoir fait le métier d’accoucheuse.
Étienne Gidès de Lussan, près d’Uzès, ayant jugé à propos de faire sortir sa
fille du royaume, fut condamnée, par ordonnance de M. Lenain, en 1745, à
6,000 livres d’amende, sous contrainte de garnisaire à 4 liv. par jour, et à
charge de rappeler sa fille sous peine de pareille amende, et de plus grande,
s’il échoit. Ce jugement est moins celui d’un magistrat catholique que d’un
percepteur judicieux.
↑En dépit de ces persécutions continuelles, qui devaient évidemment
nuire au développement de l’industrie et effrayer les capitaux, on trouve
qu’en 1759, de tous les pays d’états celui de Languedoc fournissait plus
en impositions provinciales, sans compter sa part dans les trois ordres généraux
d’impôts sous l’ancien régime, les fermes générales (impôt indirect), les
recettes générales et les vingtièmes (impôt foncier). La Bretagne produisait
alors 3,700,000 liv. ; la Bourgogne, 1,700,000 liv. ;
la Provence, 1,600,000 liv. ;
le Languedoc, 5,100,000 liv. Cette province avait à peu près la même superficie
que la Bretagne. On remarque aussi, dans son budget provincial, que
les frais de garnisons ordinaires dépassaient sensiblement ceux des autres
pays d’états, et qu’ils s’élevaient à 193,000 liv., et les frais de milices à
377,000 liv. On voit qu’il en coûtait fort cher pour avoir sans cesse des détachements
prêts à disperser les assemblées religieuses (Voy. les Comptes-rendus présentés à l’assemblée des notables, par Calonne, 1787.)
↑Apologie des protestants du royaume de France sur leurs assemblées religieuses, p. 56, excellente et politique défense, qui fut très-probablement
encore de la plume du pasteur Ant. Court. (Voyez le Livre d’Arm. de la Chapelle,
déjà cité, tome II.) Les raisons exposées dans cet ouvrage ont une couleur
toute locale ; elles laissent voir combien l’habitude de l’assemblée religieuse
en plein air était profondément enracinée dans les mœurs des réformés
du Languedoc. Encore aujourd’hui, sur plusieurs points, le culte est célébré
en plein air ; et l’édification ni le bon ordre n’en souffrent. Pour ne citer qu’un
exemple, il y a fort peu d’années, dans la riche consistoriale de Saint-Ambroix
(Gard), où les protestants ont bâti, de leurs propres deniers, un temple presque
somptueux à Saint-Jean-de-Marvejols, on pratiquait encore sur plusieurs
points le vrai culte du désert. Sans craindre cette fois les surprises des détachements
et les galères, on allait à l’église, sous le ciel, quand il faisait doux ;
sous de gros arbres, quand le soleil dardait. On avait un chantre, un lecteur,
une chaire ambulante, des pliants pour s’asseoir. Ces usages religieux sont
empreints dans le dialecte du Languedoc. L’église, la réunion des fidèles pour
le culte, se dit, la societat, l’assemblada, ou l’assemblado. De même, selon
les idées des habitants, la gleisa (l’église), lou capelan (le prêtre) sont des mots
catholiques, tandis que, lou templé, lou ministré, on lou pastur, sont des expressions
protestantes. Il est vrai que dans l’antique catéchisme des Vaudois,
de l’an 1100, mss. des bib. de Genève et de Cambridge, l’expression romane,
la gliesa du Krist, est prise dans le sens de la véritable église ; mais ce terme
indique la pureté de la foi dans ces vallées solitaires, qui n’ont jamais eu besoin
de la réforme de Luther ni d’aucune autre.
↑Nous possédons dans notre collection, mss. P. R., trois tableaux détaillés
des galériens de Toulon, pour cause de condamnation religieuse, de 1752 à 1759 ; nous insérons à la fin de ce volume l’un de ces tableaux, dressé
et certifié par les captifs eux-mêmes (Pièces justificatives, Novi).
↑Allusion qui prouve combien ces protestants condamnés étaient versés
dans les Écritures. Elle concerne la iie épître de saint Paul aux Cor. ch. viii,
où il est fait mention à plusieurs reprises des quêtes abondantes, au profit
des chrétiens malheureux, qui furent recueillies par le disciple de l’apôtre, Tite,
dans son voyage de charité au milieu des églises de la Macédoine.
↑Ce douloureux détail est cependant intéressant, parce qu’il montre les
aumônes des églises pour cet article seulement. D’autres pièces portent à 8 ou
9 livres l’aumône journalière des églises du désert envers leurs martyrs des
bagnes. Il paraît toutefois que ce secours n’était pas toujours dépensé pour
l’objet spécial qu’il avait en vue de guérir : il y avait des galériens qui consacraient
ce petit subside à d’autres dépenses ; ceci nous laisse concevoir le
nombre considérable de galériens qui sont désignés, « comme n’ayant pas un
sol pour se faire déferrer. »
↑On sera peut-être curieux de connaître la forme des actes des bagnes
pour ces galériens, martyrs de la liberté de conscience ; nous insérerons ici l’acte mortuaire de David Bernadou, tel qu’il est annexé aux pièces présentées
à l’Assemblée nationale : « Extrait des registres du bureau général des
chiourmes des galères du roi, au port de Marseille, no20,898. David Bernadou
père, fils de feu Daniel et de feu Marthe Armengau, veuve de Rachel
Delinas, marchand fabricant, natif de Mazamet, diocèse de Lavaur, âgé de
soixante-quinze ans, taille petite, cheveux, barbe et sourcils gris, visage ovale,
les yeux gris, nez petit, condamné à Montpellier, par jugement de M. Lenain,
intendant du Languedoc, du 6 avril 1745, pour assemblée illicite, à vie : Cy,
à vie. Venu en galère le 12 avril 1745. Mort à l’hôpital des chiourmes, certifions
le présent extrait véritable, et à ycelui avons fait apposer le sceau royal des
galères. À Marseille, le 15 juillet 1745. Fauneng. (Mss. Mar.) Cette famille
infortunée offrit aussi un singulier exemple de la rapacité du fisc. Le jugement
qui la condamnait prononçait la confiscation des biens, distraction faite
d’un tiers au profit de la femme et des enfants. Les deux autres tiers de l’immeuble
furent livrés à la régie des biens des Français religionnaires. Louis XV
fit don pur et simple à un courtisan, le chevalier de Villefort, des biens acquis
à l’État, de David Bernadou ; confisqués et donataires moururent ; les créanciers
s’en mêlèrent et firent vendre : les frais et intérêts s’étaient accumulés ;
sur 13,000 liv. que valait le bien, la veuve, tutrice des enfants, et les créanciers
inscrits eurent pour leur part totale 7,000 liv. La noble demoiselle de
Villefort, aux droits de son frère, ne dédaigna pas d’accepter 6,000 liv.
sur les dépouilles de tant de générations proscrites. Ces faits résultent du
dossier authentique présenté à l’Assemblée nationale (Mss. Mar.) ; nous les
rapportons comme un exemple des spoliations auxquelles les protestants du
désert furent livrés.
↑Nous ne devons pas omettre de signaler particulièrement parmi ces
confesseurs, Jean Bonnafous, de Bédarieux, cousin de Paul Rabaut, condamné
à vie par l’intendant de Montpellier, pour assemblée religieuse, le 9
octobre 1754. Il était encore au bagne en septembre 1757. Mais la position
et la parfaite innocence de ce respectable père de famille intéressèrent en sa
faveur plusieurs personnes puissantes, et notamment M. de M. — (Mirepoix ?) et il sortit peu de temps après. (Lett. à Paul Rabaut, Mss.) Il paraît aussi que
les galériens avaient la faculté de travailler à un métier qui pouvait être lucratif,
sans sortir du bagne, et que c’était seulement à défaut de ce métier qu’ils
étaient contraints d’aller « à la fatigue des arsenaux où journellement il s’estropie
quelqu’un. » (Lett. de J.-P. Espinas, de Saint-Félix de Châteauneuf, en Vivarais, au past. Lafond, 1753. Mss. P. R.)
↑Tour de Constance, château vieux d’Aiguesmortes : hauteur, 27 mètres ;
largeur, 22 mètres ; épaisseur des murs, 6 mètres. Voy. le Tableau de Nîmes et de ses environs, tom. ii, p. 215, album grave et piquant, où le pasteur
E. Frossard, auteur du texte et des dessins, a réuni la description des lieux
les plus intéressants du Languedoc, avec des vignettes esquissées avec facilité ;
on y trouvera des vues d’Aiguesmortes, de la Tour de Constance et des
tristes salles où habitaient les prisonnières pour cause de religion. M. di Pietri
a donné une excellente notice sur Aiguesmortes et sur la tour de Constance.
↑Il y a une bien frappante analogie entre cette énergique pensée du
mémoire en faveur des protestants, présenté au congrès d’Aix-la-Chapelle, et
les beaux vers de Racine, où Burrhus donne les mêmes leçons au jeune tyran,
son élève.
Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime,
Il vous faudra, seigneur, courir de crime en crime,
Soutenir vos rigueurs par d’autres cruautés,
Et laver dans le sang vos bras ensanglantés. Et laver dans le sang vos bras ensan(Britannicus.)
↑Cependant la constance de ces communautés et le soin avec lequel elles
avaient conservé leur foi en l’absence de tout sacerdoce, fait voir qu’il y eut
dans l’histoire de la conscience des positions où le théorème de Bayle fut convaincu
de fausseté : « Ôtez à l’Église ses assemblées publiques, son rituel, son
formulaire, sa discipline, vous prenez le chemin de la perdre avant la troisième
génération… Art. Bourignon. Bayle oubliait qu’il y a une chose qu’on
ne peut ôter à l’Église, et qui remplace toutes ses pertes ; cette seule chose,
c’est le cœur des fidèles.
↑Mémoire de M. Joly de Fleury, imp. 59 p. p. vers 1752 ; l’auteur avait
soixante-dix-sept ans.
↑Mémoire sur le mariage des protestants, fait en 1785.
↑Cet isolement s’est même prolongé longtemps après le triomphe de la
tolérance. En voici un exemple assez frappant. Le professeur Lacretelle a écrit
l’Histoire du xviiie siècle (6 vol. in-8) ; c’est l’histoire la plus estimée et la
plus populaire que l’on possède, touchant cette époque. Lacretelle, pour ainsi
dire, ne parle point des protestants français. Sauf quelques lignes sur l’édit de
1724, sur Calas et sur l’édit de Louis XVI, les églises du désert sont comme
non avenues, pour cet historien estimable, moral, et à l’abri de tout esprit de
parti. De toutes les mesures, délibérations, condamnations que nous avons
racontées, aucune n’est mentionnée dans cette histoire, réputée complète, de la France au xviiie siècle. Cependant, même sous le point de vue purement
politique, les négociations des intendants avec les églises du désert, lors des
guerres de 1740-1748, forment un épisode à la fois grave et inattendu. Il y aura
donc une lacune à remplir dans les histoires de France qui ont aspiré à raconter
le xviiie siècle. On reconnaîtra que les causes qui ont un pied populaire
peuvent tenir et peuvent même croître, sans faire parler d’elles, luttant
contre la rigueur des lois et l’oubli des contemporains.
↑On peut au moins affirmer, d’après les rapports des intendants eux-mêmes,
et surtout d’après les mémoires défensifs des magistrats, que sous le
règne de Louis XV, la cour fut bien avertie et fut nettement mise en demeure
de changer les lois funestes, qui composaient la révocation de l’édit de Nantes.
Des conseils plus sages remplacèrent les inépuisables flatteries des courtisans
de Louis XIV, et on ne put appliquer à la France du xviiie siècle ce que Bayle
disait avec tant de vivacité d’esprit de celle du grand siècle : « Jamais prince
n’a été plus digne que Louis-le-Grand d’avoir de fidèles amis, parce qu’il a
fait du bien à une infinité de personnes ; cependant il ne s’est trouvé aucun,
parmi tant de créatures, qui lui ait osé représenter qu’on avait surpris sa religion,
et qu’il donnait trop d’autorité à des gens qui ne devaient se mêler que
de leur bréviaire. Ni ministre, ni conseiller d’État, ni maréchal de France, ni
duc, ni pair, ne s’est soucié de donner un bon avis à un grand maître qui eût
été fort capable d’en profiter, si on s’y fût pris de bonne heure, et comme il
faut. Tous ces courtisans infidèles et flatteurs ont applaudi à l’esprit de bigoterie,
et au lieu de lui disputer le terrain comme ils auraient dû faire, ils ont
fait semblant d’en être eux-mêmes malades. » (Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis-le-Grand. Œuvres, tom. ii, 336.)
Nous verrons de plus en plus combien ce déplorable masque de l’esprit dévot
s’effaça lentement au profit des églises du désert dans le cours du xviiie siècle.
↑Mss. Rab.-Saint-Ét., 4 p. p. in-4. Cette note curieuse et concise de la législation de Louis XIV, touchant les protestants, fut rédigée probablement vers 1780, pour les conférences qui eurent lieu entre l’auteur et les ministres de Breteuil et Malesherbes sur le projet de rendre l’état civil aux protestants.
↑À ces tableaux des lois, si l’on veut joindre le tableau des malheurs personnels des familles, il faut lire le Journal de Jean Migault, nom que nous verrons
reparaître dans l’Histoire de l’Église du désert ; c’est un tableau très-touchant des
malheurs d’une famille protestante du Poitou, à l’époque de la révocation. (Voy.
l’Édition de Niort, 1840, par le pasteur de Bray.) On souhaiterait plus de certitude,
quant à l’origine et à l’existence du manuscrit authentique ; mais les détails et les
scènes du récit sont d’une exactitude parfaite. Tout cela paraît vrai à force de
paraître vraisemblable.
↑Mss. Ls. M. le pasteur Lanthois a bien voulu enrichir notre collection de
cette lettre autographe, très-curieuse et caractéristique, de l’intendant Baville.
↑Le Patriote français et impartial ou réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen (de Chabannes) à M. le contrôleur-général (de Machault) contre la tolérance des Huguenots, en date du 1ermai 1751. (Deux édit., 1751 et 1753.) À Villefranche
(Genève) chez Pierre Chrétien, in-12, 564 p. p. Cet ouvrage défensif des
droits des églises du désert fut écrit à Lausanne par le pasteur Antoine Court.
C’est un plaidoyer historique et religieux en faveur de la tolérance ; pour nous
aujourd’hui, il traite une question épuisée et résolue. Le principal intérêt actuel
de cet ouvrage, ce sont les renseignements historiques qui y sont donnés incidemment,
surtout le « Mémoire historique de ce qui s’est passé de plus remarquable au sujet de la religion réformée en plusieurs provinces de France, depuis 1744 jusqu’aux années 1751 et 1752. » (149 p. p.) C’est à beaucoup près le travail
historique le plus important qui ait été publié encore sur l’état intérieur des églises
dans le désert ; nous avons désigné plus haut ce mémoire capital sous le titre de
Mémoire historique de 1752.
↑ Voyez les lettres écrites par le ministre Desubas, après sa captivité, à sa
mère et à sa sœur, l’Évangéliste, 4e année, 1840, p. 158. Ces lettres sont très-touchantes
et présentent un grand air de vérité. Cependant on désirerait plus de
détails sur les manuscrits originaux qui paraissent exister à Livron. Nous ferons à
ce sujet une remarque générale. Dès qu’on publie des pièces mss. inédites, il est
indispensable de les décrire, d’indiquer le propriétaire actuel et l’état des documents,
ainsi que la filiation de transmission des actes. Ces soins sont de première
importance pour établir l’authenticité. Il faut aussi nécessairement indiquer si ce
sont des originaux ou des copies.
↑L’intendant Lenain a compté parmi les amis, non sans doute intimes, de Montesquieu.
Le philosophe en parle plusieurs fois avec considération dans sa correspondance.
« J’ai eu aussi l’honneur de connaître M. Lenain, à La Rochelle, où
j’étais allé voir M. le comte de Matignon. Je vous prie de vouloir bien lui rafraîchir
la mémoire de mon respect. On dit ici qu’il a chassé les ennemis de Provence
par ses bonnes dispositions économiques, et que nous lui devons l’huile de Provence. » (Lett. à l’abbé de Guasco, Paris, le 1er mars 1747.) Nous n’avons pu éclaircir
cette dernière plaisanterie de l’auteur des Lettres persanes. D’autres lettres
de Montesquieu nous dépeignent l’intendant Lenain (Lett. 27 et 30) honoré de
l’envoi du Temple de Guide, par l’illustre écrivain, qui se moque de l’idée d’adresser
un ouvrage si frivole à un conseiller d’État. Montesquieu se fût étonné plus
encore, s’il eût bien su que les fadeurs voluptueuses de Themire et d’Aristée servaient
de délassement à l’intendant rigoureux, qui gouverna tant de fois les églises
du désert par le gibet ou par les chaînes des bagnes.
↑Mss. P. R. Ce rôle, signé et certifié par dix-neuf des galériens pour cause de
religion, fut adressé par tous au pasteur Lafond, qui desservait les églises de Provence
et dans le ressort duquel était la ville et port de Toulon. La copie que nous
reproduisons est attestée et collationnée en original par ce pasteur du désert.
↑Mss. P. R. Liste des prisonnières, de la main de l’une d’elles (no 5.), Marie
Durand, sœur du pasteur Pierre Durand, qui fut exécuté à Montpellier, en 1752.
Nous possédons beaucoup de lettres de Marie Durand, écrites de Constance, à Paul
Rabaut, et que nous ferons connaître ; il n’y a aucun doute sur l’identité des écritures.
Seulement la pauvre prisonnière écrivait cette liste après 24 ans de captivité,
et nous ne garantissons pas que nous ayons bien exactement lu tous les noms
propres qu’elle traça d’une main affaiblie.
↑Cette description de M. de Boufflers, sauf quelques erreurs, concerne très-probablement
l’infortunée prisonnière qui écrivit notre catalogue, Marie Durand ;
elle était en effet la plus jeune des captives, lors de la tournée du commandant ;
en 1768, Marie Durand avait cinquante-trois ans ; elle avait été incarcérée, non à
l’âge de huit ans, mais à l’âge de quinze ans.
↑On prend en général à tort ce chiffre comme celui de la liste existant à l’époque
de la révocation en 1685.
↑Les six signataires de ces actes que nous avons transcrits plus haut, d’après
l’original (Mss. P. R.) furent : Pierre Durand, pasteur et modérateur (condamné à
mort et exécuté) ; Antoine Court, pasteur ; Jean Crotte, pasteur ; Jean Vesson et
Jean Huc, pasteurs (condamnés à mort et exécutés ; ) et Étienne Arnaud, pasteur
(condamné à mort et exécuté.)
↑Cette expression remarquable de modérateur, pour désigner le chef de la
séance d’un synode, fut inventée par la discipline calviniste pour éviter le terme
de président, qui semble, selon la grammaire, indiquer une préséance et une supériorité
de position ou de rang. L’égalité absolue de tous les ministres entre eux,
la présence des laïcs volants dans les synodes, et la parfaite compétence des laïcs
pour juger en matières dogmatiques à l’égal du clergé, forment les bases essentielles
de la discipline calviniste presbytérienne.
↑Nous réparons ici une omission commise plus haut (p. 219). L’arrêt du parlement
de Rouen, sur la question d’état d’une famille protestante, en 1731, nous
est connu par une copie appartenant aux Mss. P. R. : elle faisait partie d’une petite
liasse de lettres adressées de Normandie au bas Languedoc, de 1748 à 1763 ; nous
ne manquerons pas d’analyser dans la suite de notre ouvrage ces lettres à
M. Rouhier, à M. Levillain, de Rouen, ainsi que celles des pasteurs du désert en Normandie, Préneuf (André Migault), 1748 ; Lacombe (Alexandre Ranc, du Dauphiné,
frère du martyr), 1762 ; Campredon, 1763 ; et Dutilh Godefroy). Préneuf,
Lacombe et Dutilh étaient des surnoms destinés à tromper les persécuteurs.
Alexandre Ranc, dit Lacombe, desservit l’église de Bolbec, en 1761. Il faut ajouter
encore les pasteurs Gautier et Maurin, en 1763. Nous reviendrons sur ces documents,
fort rares, puisqu’ils concernent les églises du nord de la France, où le
culte était alors infiniment plus secret que dans le Languedoc.