Histoire des églises du désert/tome 1/Livre 2/2

Texte établi par Librairie Ab. Cherbuliez et Cie (1p. 312-336).

CHAPITRE II.


Influence du synode national de 1744. — Complaintes sur la mort des pasteurs du désert ; complainte du ministre Alexandre Roussel. — Martyres d’Étienne Arnaud et de Pierre Durand. — Lettre pastorale de Michel Viala. — Arrêts du parlement de Grenoble. — Martyre du pasteur Louis Ranc.


On vient de voir la convocation, les motifs et les ordonnances du synode national de 1744. faut avouer que les circonstances politiques n’étaient point très propices pour une telle manifestation. L’année précédente, était survenu pour la France un des faits malheureux de la guerre de l’héritage de Marie-Thérèse1743. ; la bataille sanglante de Dettingen, sur le Mein, livrée par le maréchal de Noailles à l’armée britannique, sous les ordres de Georges II, dans laquelle les troupes et la noblesse française firent de si grandes pertes ; le carnage de ce choc désastreux fut mal déguisé par les politesses que se firent aussitôt après les officiers des deux armées, dans la ville neutre de Francfort. Pour réparer ce désastre, Louis XV se mit en personne à la tête des armées ; ce fut au commencement de cette campagne qu’il fut saisi à Metz de1744.
14 août.
cette fièvre dangereuse qui le porta à deux doigts du tombeau, et qui produisit en France une si prodigieuse alarme. La nouvelle de la maladie du roi parvint au synode national au moment même où il était assemblé ; nous trouvons le tableau de l’effet de la nouvelle dans1744.
20 août.
l’article suivant : « La séance du jeudi finie, et avant la séparation de l’assemblée, un membre du synode ayant communiqué une lettre qu’il venait de recevoir, et qui contenait la triste et affligeante nouvelle de la maladie du roi, on s’est jeté à genoux pour demander à Dieu, par une ardente prière, le rétablissement de la santé de Sa Majesté ; ensuite, le synode a arrêté que l’on fera, le plus tôt possible, des prières publiques dans chaque église, pour le même sujet, et que pour cet effet il sera incessamment écrit une lettre à tous les pasteurs et anciens (art. xxiv). » On verra que cette loyauté et cette sage conduite eurent fort peu d’influence sur les dispositions de la cour à l’égard des protestants. Bien loin même de l’avoir adoucie envers eux, le synode national précéda de fort peu de temps l’exécution capitale de plusieurs ministres. Nous devons raconter ces événements douloureux.

Nous rencontrons ici, dans la série de nos pièces, un genre de monuments assez curieux, dont nous n’avons pas encore parlé. Ce sont les complaintes ou chansons populaires sur la capture et la prise des ministres du désert, qui périssaient victimes des édits. Nous avons pu réunir cinq exemples de ces naïves compositions ; plusieurs d’entre elles sont assez considérables, et elles forment de véritables poèmes historiques, d’une certaine étendue[1]. Il n’est point douteux qu’elles n’aient été écrites dans le temps même et sur les lieux : une seule porte un nom d’auteur, celle qui fut consacrée au souvenir de la constance et du martyre du pasteur François Teissier, dit Lafage ; elle est désignée comme l’ouvrage d’un prédicateur au désert, nommé Lapierre, et la date en est fixée à l’année 1754. C’est la plus étendue de toutes ; nous verrons que, sous plusieurs rapports, elle forme un ouvrage très-remarquable. Étant arrivés à cette époque de notre sujet, où nous avons à raconter la mort de plusieurs ministres du désert et à faire connaître le genre des poésies que leur catastrophe inspira, nous remonterons un peu plus haut.

Nous devons dire quelques mots du premier de ceux dont nous trouvons le supplice raconté dans ce genre de pièces. C’est un tableau populaire, mais tracé avec beaucoup de force, de la prise et de l’exécution du jeune Alexandre Roussel, ministre à Uzès, qui fut pendu à Montpellier, le 30 novembre 1728, par jugement de l’intendant Daudé. Il paraît que ce ministre avait été trahi et dénoncé par un inconnu, qui s’était laissé tenter par les abominables dispositions des édits, et notamment par celui du 1er juillet 1686, qui promettait cinq mille cinq cents livres de récompense au délateur ayant fait saisir un ministre dans l’exercice de ses fonctions. Nous ne connaissons, sur la fin d’Alexandre Roussel, qui périt dans les premiers temps de la renaissance du culte, lorsque Paul Rabaut était encore enfant, que les deux complaintes de notre collection, l’une sur sa mort, et l’autre, qui est intitulée « Complainte de la mère de Roussel. » Nous donnerons en entier la première, qui est très-curieuse ; nous puiserons seulement quelques renseignements dans la seconde.

On se demande d’abord quel degré de confiance attacher à cette classe singulière de documents historiques. Elle est évidemment précieuse, puisqu’il s’agit toujours ici d’une époque où il fallait soigneusement cacher les pièces officielles, et où aucun genre de publication ni d’impression sur les églises du désert n’était permis ni possible en France. En ce qui touche le fond des choses, il est clair que l’on doit admettre avec beaucoup de probabilité, quand même les recueils manuscrits n’offriraient aucune date ni aucune désignation précises, que ces ballades historiques sont contemporaines des événements qu’elles retracent. Leur forme l’indique suffisamment. Elles racontent des événements qui viennent de frapper les yeux et l’imagination du peuple. Tout atteste qu’elles sont du temps des catastrophes qu’elles chantent. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles sont datées, l’une, celle de François Lafage, pasteur, est positivement attribuée au prédicateur Lapierre, qui accompagnait toujours son collègue dans les courses pastorales qui finirent par lui coûter la vie ; une autre, celle de François Benezet, porte cette note : « Cette complainte se composa au mois d’avril 1751 ; on ignore qui en fut l’auteur. » Au reste, on peut admettre que le peuple ne fait guère de complaintes longtemps après que les événements sont accomplis. Ce genre de composition paraît être essentiellement d’une date contemporaine des faits.

De telles compositions n’ont rien qui répugne à la sévérité de l’histoire, surtout si l’on songe aux caractères de celle-ci ; nous sommes toujours en présence d’églises prohibées, en présence d’un culte proscrit, et de ministres qui ne pouvaient l’exercer qu’au péril de leur tête. Les documents imprimés manquent donc totalement. Ce ne fut que plus tard que les églises du désert risquèrent, et encore bien rarement, de publier au milieu d’elles, dans une circonstance très-pressante, quelque court pamphlet défensif. Nos collections de manuscrits prouvent qu’il se tenait alors des écritures régulières concernant les affaires synodales et ecclésiastiques des églises ; elles attestent aussi l’abondance de la correspondance ; cependant il y a toute apparence qu’on dut se borner aux pièces indispensables et qu’on s’est gardé de multiplier sans motif les actes. Ils auraient pu servir de pièces de conviction dans des procès rigoureux. Nous verrons que des fragments et que des notes synodales furent produites contre les pasteurs du désert dans plusieurs cas où des condamnations à mort furent prononcées et exécutées. D’autre part les livres protestants étaient sévèrement prohibés ; leurs détenteurs ainsi que ceux qui se livraient à ce commerce, étaient exposés à la flétrissure et aux galères. Ainsi, la situation des églises du désert, toujours florissantes mais toujours poursuivies, ne comportait ni livres imprimés ni documents manuscrits. Cette pénurie, née des persécutions, est justement ce qui fait l’honneur et l’originalité de leur histoire ; mais aussi elle a rendu les documents très rares. Toutes les sources de renseignements sont donc précieuses. Les ballades ou complaintes populaires peuvent être utilement consultées. Elles seraient déjà intéressantes comme monuments des idées et de la foi populaire, et jusqu’à un certain degré, comme les restes du style du temps ; elles le sont bien plus encore, comme monuments d’une cause si rigoureusement proscrite et poursuivie, et comme les débris de ce que des lois barbares cherchaient à étouffer de tant de manières. Ces complaintes, comme source historique, ont donc tout le caractère d’un chant populaire et secret en faveur des victimes. Il ne faudrait pas toutefois s’exagérer l’autorité de ce genre de ressources. Elles sont populaires, et par conséquent elles ne sauraient être parfaitement authentiques. Il est difficile que les faits n’y aient été grossis. Mais ils auront été embellis plutôt qu’altérés ; on y trouvera des ornements et non des mensonges. C’est là le caractère de la complainte populaire. On devra s’y fier pour les choses générales, et non pour les faits de détail. Elles auront toujours pour nous le mérite de nous laisser voir fidèlement ce que l’on pensait alors chez le peuple touchant les événements les plus tragiques survenus dans les églises du désert.

Nous ne trouvons point dans nos pièces officielles synodales, ou dans nos pièces privées, des allusions à ce genre de compositions. Il est probable qu’elles obtinrent une très-faible mesure d’approbation de la part des pasteurs de cette époque, dont les mœurs étaient graves comme leurs idées. Cette forme frivole ne dut point leur plaire. Quelque convenables que fussent les sentiments qu’on y exprimait, c’était toujours mettre le martyre en chansons ; cette idée seule dut blesser des hommes aussi religieux. Au reste, les ballades que nous avons lues, loin d’offrir quelque chose de blâmable, n’auraient pas blessé même les rigoristes. Toutes sont profondément religieuses ; toutes sont animées des sentiments de la plus profonde confiance en Dieu et en Jésus-Christ. Il est superflu d’ajouter que toutes portent l’empreinte d’un attachement inébranlable à la foi réformée ; car sans un tel sentiment, elles n’eussent pu être ni composées ni redites. Toutefois, elles sont encore plus spécialement bibliques que dogmatiques. Dans celle qui célèbre la douleur de la mère de Roussel, les rapprochements énergiques et même injurieux ne sont pas épargnés ; il est question de Babylone, de Nabuchodonosor, de Pharaon, de Jézabel, et d’Hérode ; et tout cela est cité et représenté avec une ferveur bien profonde. On y distingue facilement la trace de la lecture familière de la Bible, qui était alors si profondément dans les habitudes religieuses du Languedoc. À l’abondance et à la vivacité des images bibliques, on y voit comme un reflet très-populaire de la grande manière de Saurin. Au reste, l’orateur de La Haye prêchait encore lorsque les premières de ces ballades furent chantées.

Quant à leur caractère littéraire, il ne nous semble pas d’une très-grande originalité. Nous sommes absolument incompétents pour juger quelle analogie lointaine, elles peuvent présenter avec les poésies de Goudouli, ce Pétrarque languedocien, qui sut mêler à la couronne poétique de Livia ses chants pleins de tristesse sur la mort de Henri iv. Depuis longtemps il y avait des Académies littéraires à Arles, à Nîmes, à Montpellier, à Béziers, et à Marseille ; l’églantine des jeux floraux prolongeait avec grâce les traditions de la muse provençale. Mais toutes ces institutions officielles eurent sans doute fort peu de prise sur les poésies populaires du bas Languedoc. C’était uniquement les malheurs des églises que les auteurs de complaintes voulurent célébrer. Ils ne songeaient guère à soumettre aux académies les éloges poétiquement populaires de ces pasteurs que les lois punissaient de mort. Il ne serait pas impossible que ces ballades eussent été traduites du dialecte languedocien en vers français ; nous manquons de lumières pour décider ce point. La littérature contemporaine était languissante. Son dernier produit vigoureux avait été ces étranges stances où Lagrange Chancel stigmatisait le régent et ses roués, en vers cyniques, mais pleins d’énergie. Ces ballades n’offrent rien de semblable. Elles n’ont aucun caractère poétique proprement dit, comme les ballades allemandes, si riches d’images naturelles ; elles ont au contraire une analogie frappante avec certains de ces chants écossais que Walter Scott nous a fait connaître ; ce sont des légendes descriptives et historiques, où le peuple des frontières d’Écosse comme le paysan du Vivarais, célèbre quelque aventure tragique de ses mœurs chevaleresques ou religieuses. Ce n’est pas toutefois que ces complaintes ne présentent une certaine énergie de style, ainsi que celle que nous citons pourra le démontrer. On y rencontre des traits d’une grande force. On remarquera surtout les espèces d’imprécations qui terminent la ballade de Roussel. Cette fin est moins évangélique qu’elle n’est lyrique. On voit que l’auteur accepte avec quelque contrainte la douceur clémente de son pasteur supplicié et trahi, et qu’il se dédommage, par l’idée des tourments futurs, du pardon que sa foi l’oblige à prononcer pour ce monde. Ceci est le trait le plus original. Mais ces morceaux nous paraissent avoir d’autres qualités encore. La simplicité du récit ; la vigueur du dialogue et des répliques ; surtout la naïveté vraiment sublime, par laquelle le chanteur anonyme nous dépeint la citadelle et les cachots de Montpellier comme la maison des fidèles : tout cela forme un tableau d’une grande beauté. On semble entendre le cri de douleur de ce peuple persécuté. On n’est troublé ni par les rudesses de style ni par les fautes de quantité : nous nous sommes bien gardés d’introduire la moindre correction, qui eût endommagé la naïveté de cette poésie légendaire.


complainte sur la prise de m. roussel,
Pasteur du désert, exécuté à Montpellier le 30 novembre 1728.
i.

Mes frères, écoutez le cruel traitement
Qu’on a fait à Roussel, ce jeune proposant ;
Il a été vendu, ah quelle perfidie !
Comme on vend la chair dans une boucherie.

ii.

Il fut pris, arrêté à la côte d’Aulas,
Lié et garrotté par la main des soldats.
On le mène au Vigan, dedans cette posture,
Toujours en lui chantant toute sorte d’injures.

iii.

Ils l’ont pris et mené devant Monsieur Daudé ;
En entrant dans sa chambre, on l’a interrogé :
On lui a demandé : « Que faites-vous en ville ?
— « Je suis venu exprès pour prêcher l’Évangile. »

iv.

On lui a demandé : Où avait-il prêché ?
— « Partout où j’ai trouvé des chrétiens rassemblés. »
On lui a demandé : Où faisait-il sa demeure ?
Il leur a répondu : « Le ciel est ma couverture. »

v.

« Êtes-vous un pasteur de ceux qui vont aux champs ? »
« Non, leur a-t-il dit, je suis un proposant.
« Je suis Roussel d’Uzès : permettez-moi de faire
« Savoir que je suis pris à ma très-chère mère.

vi.

Après l’avoir ouï et écrit ses raisons,
L’ont pris et l’ont mené tout droit aux prisons,
Tout droit à la prison dedans la citadelle,
Qui est depuis longtemps la maison des fidèles.

vii.

On plante un piquet par devant la prison,
Et la porte est gardée par cinq ou six dragons.
Mais le pauvre Roussel, dedans cette misère,
A toujours son recours au Père des lumières.

viii.

Le soir sont arrivés beaucoup de grenadiers.
Qui l’ont pris et mené tout droit à Montpellier,
Tout droit à Montpellier dedans la citadelle ;
C’était depuis longtemps la maison des fidèles.

ix.

Sa mère le vient voir avecque de ses amis,
Son beau-frère avec elle, et lui dit : Mon fils,
Si tu as prié Dieu, en France, c’est un crime ;
Il n’y a point de pardon ; tu en seras victime.

x.

Nous avons des amis qui ont bien du crédit
Pour te sortir d’ici : cependant ils m’ont dit,
Que pour un autre cas, le feraient avec joie :
Pour ceux qui prient Dieu, pas un ne s’emploie.

xi.

Ma mère, c’est assez ; je désire ma fin
Plutôt qu’aller souper ce soir à un festin ;
Je m’ennuye en ce lieu et je désire l’heure,
D’aller dedans le ciel y faire ma demeure.

xii.

Les jésuites souvent vont le solliciter,
Pour sortir de prison, de religion changer.
Mais notre prisonnier sa religion dispute,
Et pour la vérité hardiment les rebute.

xiii.

Là disant, avec ces suppôts de l’Ante-Christ,
« Je veux toujours garder la loi de Jésus-Christ ;
Si je meurs pour son nom, j’irai avec les anges,
Là où nous chanterons ses divines louanges. »

xiv.

Quand il vit les archers et le prévôt venir,
Avec le bourreau pour le faire mourir,
A prié le bon Dieu de lui donner courage,
Et de ses ennemis pouvoir vaincre l’outrage.

xv.

On le sort de prison pour le mener au lieu
Là où il devait rendre son âme à son Dieu ;
La tête, les pieds nus, ayant au cou la corde,
Le long de son chemin chanta miséricorde.

xvi.

Quand il fut arrivé tout près du poteau
Ce bienheureux Roussel leva les yeux en haut,
Monta long de l’échelle sans lui faire aucune peine,
Voyant le ciel ouvert comme fit saint Étienne.

xvii.

Après être monté, il dit cette raison :
Pardonnez-les, Seigneur, ne savent ce qu’ils font ; »
Et puis dit au bourreau : « Toi et toutes ces personnes,
Qui de mal m’auront fait de bon cœur je pardonne. »

xviii.

Ainsi finit ses jours, le bienheureux Roussel,
Et son âme à l’instant s’envole dans le ciel,
Pour y aller jouir d’une gloire éternelle. —
Faisons tous comme lui, si Dieu nous y appelle !

xix.

Celui qui l’a vendu ne se découvre pas :
Mais un jour devant Dieu sera comme Judas.
Il a vendu Roussel, Judas vendit son maître ;
Dedans un même rang tous deux on va les mettre.

xx.

Dis-moi donc d’où tu es, du Vigan ou d’Aulas ?
Au jour du jugement, ne trembleras-tu pas,
Quand tu te souviendras de cette perfidie,
Qu’au pauvre Roussel, tu as coûté la vie ?

xxi.

Tu auras beau crier : Coteaux, tombez sur moi,
Montagnes et rochers, de grâce, couvrez-moi,
Pour me cacher aux yeux de ce juge terrible :
Les coteaux à ta voix resteront insensibles.

xxii.

Il faudra malgré toi subir un jugement,
Et aller sur-le-champ dans un lieu de tourments.
Vois le sort de Judas, toi son compatriote,
Vous serez les deux logés chez le même hôte.


1728.Nous ne joindrons pas à ces stances naïves et touchantes celles où le peuple chanta le malheur de la mère de Roussel ; elles sont inférieures quant à la forme ; elles répètent à peu près les mêmes faits. Nous y trouvons seulement ce bruit populaire, que la mère de Roussel avait été « mère-nourrice » du duc d’Uzès, qui était par conséquent frère de lait du ministre captif ; cette pauvre femme eut l’idée fort naturelle de solliciter ce seigneur en faveur de son enfant. Ce fut sans succès. Toutefois la ballade attribue au duc d’Uzès des sentiments humains pour l’infortuné captif, ainsi que pour sa mère ; seulement elle rapporte qu’il aurait répondu qu’il fallait que Roussel servît d’exemple aux autres proposants, et qu’il ne pouvait rien pour lui à moins qu’il n’abjurât sa foi[2] ; proposition que la mère du martyr repousse avec une vive indignation. On y raconte encore ses visites au captif dans les cachots de Montpellier, ses conversations avec son fils ; mais rien de tout cela ne vaut l’énergie touchante de la ballade que nous venons de transcrire en entier.

1732.Nous devons enregistrer ici la mort d’une autre victime, également célébrée dans les complaintes, et sur laquelle nous avons un peu plus de renseignements. Il s’agit du pasteur Pierre Durand, qui avait figuré aux premiers synodes du Dauphiné et du Languedoc, immédiatement après la mort de Louis XIV, en 1716 et 1717, synodes dont nous avons donné au long les délibérations. La pièce originale, en outre de la signature d’Antoine Court, porte celles des ministres J. Crotte, Jean Huc, Jean Vesson, Étienne Arnaud, et Pierre Durand. Nous avons vu que les ministres Vesson et Huc furent pendus à Montpellier, en 1723, encore dans cet état d’exaltation fanatique qui suivit la guerre des Camisards et les élans de leurs prophètes. Aussi plus tard Antoine Court ne les comprit pas dans la liste des pasteurs régulièrement ordonnés dans les églises de France, qui avaient souffert le martyre[3]. Il y comprit au contraire, en rendant témoignage à sa ferveur et à sa constance, le ministre Étienne Arnaud, signataire de ce premier synode, exécuté à Alais, le 22 janvier 1718, peu de temps après avoir signé ces règlements synodaux. Nous n’avons pas de renseignements suffisants sur le sort de leur collègue Jean Crotte ; mais en le passant sous silence, nous trouvons que tous les signataires de ces premiers synodes périrent sur le gibet, excepté Antoine Court, de 1718 à 1732. D’après nos ballades, nous voyons que ceux de ces martyrs dont l’église du désert garda le plus précieusement la mémoire furent Arnaud, Roussel et Pierre Durand ; même les écritures de nos manuscrits ont gardé la trace de l’éducation des courageux signataires ; les signatures de Huc et de Vesson sont chancelantes et indécises ; celles de Court et de Durand sont très-nettes et fermes. On voit dans les pièces que nous a laissées Pierre Durand toutes les lumières et l’éducation du pasteur, qui contribua si efficacement à délivrer le Gévaudan et les Cévennes des restes du fanatisme camisard. C’est de sa main qu’est rédigé le certificat du synode du 27 sept. 1730, que nous possédons, contenant attestation en faveur des pasteurs Corteïs et Betrine, revêtu du sceau portant pour exergue, Le triomphe sous la croix ; devise que ce pasteur devait confirmer par son propre martyre à Montpellier, le 22 avril 1732. Le pasteur Pierre Durand fut capturé par un poste militaire, près de Tournon, d’où il fut transféré à Montpellier. Là, il fut assailli par les visites des ecclésiastiques qui tentèrent de le faire changer de religion. D’après la ballade, cinq ecclésiastiques zélés l’accompagnèrent jusqu’au pied de la potence, toujours dans l’espoir de conquérir une abjuration[4] ; mais le ministre déjà avancé en âge voulut donner sa vie pour la foi des églises du désert.

À partir de l’époque de cette fin courageuse, nous trouvons un intervalle heureux de treize années pendant lesquelles aucun supplice ne fut exécuté contre les ministres du désert ; trêve qui comprit une forte partie du ministère du cardinal de Fleury. Ce ne fut que treize ans après sa mort, c’est-à-dire, en 1745, que le gibet des confesseurs fut relevé à Grenoble, par les arrêts du Parlement. Ces mesures sévères succédèrent à la tenue du synode national de 1744 ; les mémoires n’hésitent pas à attribuer à cette manifestation, faite au milieu de la guerre, une partie des malheurs qui vinrent fondre sur les réformés. Dans les années qui suivirent l’exécution du pasteur 1732.Pierre Durand, la persécution s’était adoucie ou ralentie ; ce fait consolant se prolongea de 1732 à 1744.« Alors les protestants commencèrent à lever la tête ; ils la levèrent trop haut ou trop tôt. Le gouvernement se réveilla et rappela les mesures persécutrices. » (Mss. Veg.) Ce fut probablement là l’impression que les événements du temps produisirent sur Antoine Court, puisqu’il la transmit à son fils de Gebelin, sur les manuscrits duquel M. de Vegobre composa la phrase que nous venons de citer. Lors du synode national de 1744, Antoine Court avait quarante-huit ans ; Paul Rabaut entrait dans sa vingt-sixième année ; Court de Gebelin avait dix-neuf ans.

Après avoir tenu cette assemblée qui avait tant inquiété la cour, les églises, voyant les persécutions renaître de toutes parts, s’appliquèrent à mettre la vérité dans tout son jour et à laver la cause commune des calomnies dont on tâchait de la charger. Par délibération d’un colloque du haut Languedoc, il fut résolu d’adresser au nom des églises des lettres apologétiques à monseigneur de La Deveze,1744.
3 juillet.
lieutenant-général, commandant la province du Languedoc, ainsi qu’à M. Lescalopié, intendant de la généralité de Montauban, pour leur exposer, que s’assembler en armes dans la vue d’insulter les catholiques en général et les prêtres en particulier, que faire des collectes en faveur des princes étrangers, étaient des pratiques diamétralement opposées aux maximes des églises ; que si quelques gentilshommes avaient pris à leur départ pour se rendre dans les lieux des assemblées, leurs armes ordinaires de voyage, ils n’avaient fait aucune injure à qui que ce fut, quoiqu’ils eussent eux-mêmes été insultés ; que d’ailleurs, ils avaient eu soin de quitter leurs armes dans des lieux éloignés ; que tout au plus pouvait-on avoir vu quelque épée aux assemblées, ce qu’on évitera totalement à l’avenir, les particuliers y ayant été exhortées : « Et si nous faisons des collectes dans nos assemblées, continue la lettre au commandant, outre qu’elles sont trop modiques pour être acceptées des princes étrangers, Dieu nous est témoin qu’elles sont uniquement destinées au soulagement des pauvres, tant catholiques que protestants. » (Mss. Cast., p. 13.)

1744.
Septemb.
Peu après, une autre assemblée divisa le haut Languedoc en six arrondissements, que chaque pasteur devait parcourir alternativement, sans donner plus de prédications à l’un qu’à l’autre, excepté dans les cas extraordinaires ; les diverses églises furent taxées pour les honoraires du ministère à un taux qui attestait leur zèle et leur nombre toujours croissant[5]. On divisa également le cercle de Montauban en quatre arrondissements, Mauzac, Nègrepelisse, Caussade, et leurs environs ; ceux de Montauban, de Mauzac, et Lagarde renfermaient alors les deux tiers des fidèles ; 1 200 liv. furent affectées au traitement des deux pasteurs.

Les rigueurs de la persécution se faisant de plus en plus sentir au milieu de ces églises, au moment même de leurs premières tentatives de réorganisation, cette disposition fut appliquée à toute la province ; « Que, vu le renouvellement de la persécution, l’emprisonnement de plusieurs anciens de nos églises, et la timidité d’un grand nombre de fidèles qui se sont absentés des assemblées religieuses qu’on a convoquées jusqu’à présent en plein jour, il est de la prudence de s’assembler à l’avenir pendant la nuit pour éviter les suites fâcheuses qui pourraient résulter d’un trop grand éclat. » (Colloq. des 17 janv. et 10 mai 1745. Mss. Cast., p. 19 et 20.)

Si d’un côté les églises prenaient toutes les précautions que la prudence leur dictait, de l’autre, elles se fortifiaient aussi de plus en plus dans la résolution de ne pas céder à la violence. Quelques réformés de Mazamet ayant consenti, non à abjurer, mais à s’engager seulement à ne pas aller aux assemblées du culte, afin d’échapper, par cette concession, à des amendes ruineuses, ils furent privés de la sainte Cène ; les anciens et diacres furent déchus de leur charge, jusqu’à ce qu’ils donnassent des preuves de repentir ; le pasteur Michel Viala leur écrivit à ce sujet une lettre1745.
10 mai.
remplie des plus affectueux et des plus touchants conseils. Cependant ce pasteur, qui était depuis douze années l’âme et l’instrument principal de la renaissance religieuse des églises du haut Languedoc, se voyant poursuivi de toutes parts, et sans cesse menacé du supplice, eut un moment la pensée de se retirer dans une contrée plus tranquille. Nous transcrivons la lettre qu’il écrivit à ce sujet, parce qu’elle pourra servir à faire connaître à la fois et la situation des églises, et le caractère héroïque de leur pasteur.

«  À messieurs les dignes pasteurs et anciens des églises du haut Languedoc, assemblés en colloque, le 10 mai 1745.

« Messieurs nos très-chers et très-honorés frères en Jésus-Christ notre Seigneur, le sieur Viala, pasteur de vos églises, a l’honneur de vous représenter que, depuis que Dieu, par un effet de sa juste colère, a permis à l’ennemi de renouveler les anciennes persécutions de l’église, il s’est vu plusieurs fois en danger d’être surpris par les ruses du persécuteur, qui, instruit du temps et des progrès de son ministère, est animé contre lui d’une haine implacable ; qu’il lui revient de toutes parts que les malintentionnés cherchent actuellement à lui tendre des pièges ; que cependant il surmonterait ces obstacles et consacrerait le reste de ses jours au service de vos églises, si la faiblesse de sa complexion pouvait le lui permettre ; mais qu’une santé aussi chancelante que la sienne ne lui laisse aucun lieu de douter qu’il ne succombât bientôt sous le poids des travaux, des courses fugitives et des divers accidents auxquels il se verrait exposé, si la persécution venait à augmenter, ce qu’à Dieu ne plaise. C’est pourquoi il ose espérer, messieurs, que vous voudrez bien lui accorder une attestation provisionnelle ; afin qu’il puisse se retirer avec honneur dans les lieux où la divine Providence voudra le conduire, en cas de plus grande persécution, promettant cependant de ne s’absenter qu’à la dernière extrémité, et de saisir avec avidité la première occasion qui se présentera pour revenir au milieu de vous.

« Il proteste devant Dieu que ce ne sera jamais qu’avec le dernier regret qu’il se dérobera aux yeux d’un peuple qu’il chérit autant que sa propre vie, et qu’il prie le Seigneur avec toute l’ardeur dont il est capable, qu’il daigne lui fournir, dès à présent, le moyen de remplir les fonctions du saint ministère au milieu de son troupeau. Oui, messieurs, je puis dire avec intégrité, à l’exemple du prophète, Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, et si je ne te mets pour le premier chef de ma réjouissance. Troupe fugitive, innocente, brebis du souverain pasteur, si je me vois contraint de déférer au précepte de mon Sauveur, quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, au moins, que mon esprit soit toujours avec vous ! au moins, que mes mains tremblantes soient toujours élevées vers le ciel pour implorer sur vous les bénédictions divines ! au moins que mon cœur malade de la froissure de Joseph conserve jusqu’au tombeau le tendre souvenir des églises de cette province, et en particulier, de tous les membres qui composent cette vénérable assemblée ! »

À cette époque, la sévérité des administrateurs et des parlements redoubla, et des maux inouïs pesèrent1745. sur les provinces. De tous les corps de magistrature de cette époque, aucun ne se montra plus rigoureux, on peut dire, plus barbare, que le parlement du Dauphiné, séant à Grenoble. Il est possible que l’esprit des juges et du premier président, de Piolens, eût exercé quelque influence sur cette jurisprudence sévère ; mais il est plus vraisemblable que cette cour se laissa effrayer par la gravité des événements de la guerre de 1745 et 1746, par suite desquels les armées piémontaises et autrichiennes avaient occupé les lignes du Var et de la Durance, pendant que de formidables escadres anglaises menaçaient de bombarder Marseille et Toulon. Puisque Louis XV envoyait Édouard Stuart en Angleterre avec une armée catholique, ou put craindre que les Anglais, par droit de talion, ne jetassent des soldats protestants sur les côtes françaises de la Méditerranée, pour rallumer la guerre civile et rallier les mécontents. Nous verrons, en effet, que ce fut sans cesse l’épouvantail des intendants. La Provence avait été ravagée et occupée en grande partie par l’ennemi, que le maréchal de Bellisle eut tant de peine à chasser. Le peuple vit l’invasion avec assez d’indifférence. Le gouvernement éprouvait de vives inquiétudes sur le danger de voir les protestants s’allier à l’ennemi, en recommençant la guerre des Cévennes avec de meilleures chances. Auprès de la cour de Versailles, deux influences agissaient sans cesse contre les religionnaires : l’insistance du clergé, qui voulait par tous les moyens ramener les dissidents au giron, et l’influence politique qui représentait toujours les assemblées des protestants comme des commencements de révolte. Tantôt on répandait le bruit que les protestants levaient la tête en proclamant que la tolérance était accordée, faisant entendre par là qu’ils se soulèveraient si elle ne l’était pas ; tantôt on assurait que le voisinage de deux armées étrangères leur servait de sauvegarde ; enfin on donna comme nouvelle positive que vingt-cinq gentilshommes protestants se disposaient à joindre les ennemis avec vingt-cinq mille Camisards. Ces rumeurs si habilement calomnieuses eurent tout le succès qu’on voulut en retirer. Les provinces voisines de l’invasion furent tourmentées de mille manières. Le Dauphiné, comme frontière piémontaise, fut exposé aux plus grands malheurs. On est douloureusement surpris en parcourant la série des arrêts du parlement de Dauphiné à cette époque. Ce fut peut-être la plus rude persécution que les réformés aient éprouvé dans tout le xviiie siècle.

Le prétexte de l’orage fut un bruit que l’on fit courir sur une démarche imaginaire du ministre Jacques Roger, à Grenoble, lui attribuant d’avoir lu tout 1744.haut, à l’une de ses assemblées du 7 mai, un édit de tolérance fabriqué à plaisir. Nous donnerons bientôt quelques détails sur cette supercherie.

Les protestants furent ajournés par centaines. Toutes les maréchaussées furent mises en campagne. On remplit les prisons de Montélimar, de Valence, de Die, de Crest et de Grenoble. À partir de ce moment, la cour ne cessa de rendre les arrêts les plus terribles. En 1745 et 1746, dans le Dauphiné, Paul Achard, Étienne Arnaud, Pierre et Antoine Berrard, Jean Faure, Claude Piallat, Louis Noir, et une foule d’autres réformés furent condamnés aux galères perpétuelles. Par arrêts de mai 1745, vingt-un accusés ; par arrêt du 28 septembre, cinq accusés ; par arrêt du 15 octobre, vingt-neuf accusés ; par arrêt du 6 novembre, trente-un accusés ; par arrêt du 22 avril 1746, cent quarante-cinq accusés ; par arrêt du 23 septembre, quarante-quatre accusés, furent condamnés aux galères à vie et autres peines moins fortes. Les peines étaient aussi variées que les usages des parlements le permettaient : Alexandre Porte fut condamné au carcan, au bannissement, et ses livres furent brûlés ; Joseph Lambert à la question ordinaire et extraordinaire ; Joseph Maigre de Boissette fut dégradé de son office de notaire et à l’amende. Les granges et bâtiments de Jean Isnard, de Daniel Payan, d’Abraham Thomas, de Pialla, de Jean Chirol, de Jacques Galand, de Pierre Chanas, furent démolis et rasés jusqu’à leurs fondements. Un grand nombre de femmes, les unes comme Suzanne Moignez et Madelaine Calvet, furent livrées à l’exécuteur pour être battues de verges jusqu’à effusion de sang, dans les carrefours de Grenoble ; d’autres, comme les femmes Pémingat et Marthe Martin, rasées et enfermées dans des maisons de force. Personne n’échappait à cette cruelle justice. L’arrêt du 6 novembre jugea1745. trente-un gentilshommes, et les condamna, les uns aux galères perpétuelles, tous à des amendes et à être déchus de noblesse : la marquise de Montjoux fut enfermée dans un couvent, et une lettre de cachet vint atteindre M. de Montrond, du Plan de Baye, qui fut de plus condamné à trois mille livres d’amende et à perdre la juridiction de sa terre, par arrêt du 28 février. Des condamnations capitales vinrent se joindre à ces arrêts infamants. Le ministre Duperron fut condamné à mort et exécuté en effigie sur la place du Breuil à Grenoble (arr. du 17 mars 1745). L’année suivante, le même parlement condamna également à mort sept ministres où proposants, Vouland, Descours, Dunoyer, Roland, Dubuisson, A. Ranc et Paul Faure. Ils se tinrent cachés et échappèrent ainsi 1745.à l’arrêt. Mais un de leurs collègues n’eut pas ce bonheur. Louis Rang, frère d’un des contumaces que nous venons de citer, fut arrêté à Livron, le 16 février, n’ayant encore que quelques années de ministère et âgé seulement de vingt-six ans. On le mit dans les prisons de Valence, où il essuya des traitements rigoureux. Dans son interrogatoire devant M. Chais, subdélégué de l’intendant, il déclara qu’il était ministre et qu’il en remplissait les fonctions. Il fut condamné à mort à Grenoble, le 2 mars 1745. En vain le président de Piolens lui offrit la vie, s’il voulait changer de religion. Il répondit qu’il était inviolablement attaché à sa foi, et rejeta toute tentative de séduction. Le jugement portait que le prédicant Louis Rang serait pendu dans la ville de Die, et que sa tête tranchée serait exposée sur un poteau, dans le grand chemin, devant la petite hôtellerie de Livron, où il avait été arrêté. Il repartit donc de Grenoble sur une charrette qui le remit aux prisons de Valence, d’où on le mena à la tour de Crest, et puis à celle de Die. Une nombreuse escorte, composée de maréchaussée et d’une centaine de grenadiers, gardait le prisonnier. À Crest, Louis Rang demanda la faculté de se faire raser et accommoder ses cheveux, parce que, disait-il, cet air de propreté lui paraissait nécessaire pour qu’on pût bien voir le calme de son visage et la tranquillité avec laquelle il subirait un supplice injuste[6]. Sur le chemin de la place de Die, il entonna ce verset du psaume cxviii, et le répéta plusieurs fois.


La voici l’heureuse journée
Qui répond à notre désir ;
Louons Dieu, qui nous l’a donnée,
Faisons-en tout notre plaisir.


Plusieurs fois il voulut parler au peuple, mais deux tambours couvrirent sa voix par leurs roulements. Sans prêter l’oreille aux exhortations de deux jésuites qui l’accompagnaient, et tenant sans cesse ses yeux fixés vers le ciel, il ne laissa voir que l’expression de la piété la plus résignée et la plus fervente. Au bas de l’échelle il se mit à genoux, fit sa prière et monta avec courage. Dès qu’il eut cessé de vivre, l’exécuteur sépara la tête du cadavre pour l’exposer sur le chemin de Livron. On n’ose croire, quoique tous les documents l’attestent, que M. d’Audifret, commandant du Diois (pays de Die, actuellement département de la Drôme), et le grand vicaire de l’évêque, ne s’opposèrent pas à ce que le corps fût outragé indignement par la populace. Les mêmes pièces rapportent que ce ne fut que par les soins généreux et chrétiens d’une respectable dame catholique que ses restes reçurent la sépulture[7]. Ainsi périt pour la foi évangélique et la liberté de sa conscience le jeune martyr Louis Rang. Son frère, Alexandre Rang, condamné à mort, persécuté, poursuivi, sa tête mise à prix, ne cessa pas pour cela d’exercer ses fonctions pendant le cours d’un ministère périlleux de près d’un demi-siècle, laissant un fils qui fut président du consistoire de l’église réformée de la Rochelle après la révolution française. Ce fut Alexandre Rang, que tous les protestants du Dauphiné appelaient notre Parrain, parce qu’il les avait tous baptisés dans les déserts des montagnes de cette province.



  1. Complainte sur la prise de M. Roussel (Alexandre Roussel, exécuté à Montpellier, le 30 novembre 1728), vingt-deux couplets. Complainte sur la prise de M. Dezubac (Matthieu Majal, dit Desubas, exécuté à Montpellier, le 2 février 1746), soixante-cinq couplets. Complainte sur la prise de M. Benezet (François, exécuté à Montpellier, le 27 mars 1752), trente-sept couplets. Complainte sur la prise de M. Lafage (François Tessier, dit Lafage, exécuté à Montpellier, le 17 août 1754), quatre-vingt treize couplets. Complainte de la mère de Roussel, vingt-trois couplets. Ce recueil est un cahier petit in-4o, de 45 p., d’une écriture assez ancienne ; il paraît venir du lieu d’Aumessas, actuellement consistoriale du Vigau (Gard), et porte cette suscription : Finiels, pasteur, Sumène (consistor. de Valleraugue, Gard), 1803. (Mss. V.) — Chanson de M. Durand, ministre du Vivarès, trente couplets, cahier in-4o, très-ancienne écriture (Pierre Durand, exécuté à Montpellier, le 22 avril 1732). Mss. Fab. Lic.
  2. Charles-Emmanuel, duc d’Uzès, pair de France, prince de Soyon, né en 1707, gouverneur de Saintonge et d’Augoumois, en survivance de son père, en 1720. On ne voit pas cependant, d’après nos pièces, que les seigneurs de la maison de Crussol aient appuyé, au xviiie siècle, les mesures souvent impitoyables des intendants du Languedoc.
  3. Voy. cette liste complétée. Pièc. just., no v.
  4. Chanson de M. Durand. Mss. Fab. Lic. Cette complainte en trente couplets est une des moins soignées de notre recueil ; c’est tout à fait un pont-neuf pour le style et les répétitions. Elle respire d’ailleurs les sentiments d’une bien vive piété.
  5. Voici la répartition de la taxe des églises du haut Languedoc, suivant délibération du colloque de sept. 1744 : Revel, 125 liv. ; Puylaurens, 125 liv. ; Castres, 100 liv. ; Roquecourbe, 110 liv. ; Réalmont, 110 liv. ; Mazamet 160 liv. ; Saint-Amans, 90 liv. ; Montredon, 90 liv. ; 110 liv. ; Viane, 120 liv. ; Lacaune, 100 liv. ; Castelneau, 90 liv. Les honoraires du pasteur Viala furent fixés à 600 liv. Mss. Cast., p. 15 et 16.
  6. Mém. histor de 1744.
  7. Ce fait déplorable est attesté dans le Placet au roi, et mémoire de Plaintes, que nous possédons (in-folio, 4 3 p. mss. P. R.), qui fut adressé au chancelier pour être mis sous les yeux de Louis XV, en décembre 1746, et qui contient, touchant les malheurs des églises, 1745-1746, une longue série de faits nécessairement fort authentiques, attendu que toujours les arrêts et très-souvent les noms des victimes y sont cités, et que toute imposture dans un mémoire officiel eût été facile à démasquer et eût nui aux plaignants. Dans les Mémoires de plaintes, l’exagération peut porter sur les réflexions générales, mais non sur les faits avec les jugements à l’appui.