Histoire des églises du désert/tome 1/Livre 2/1
CHAPITRE I.
À l’époque où nous arrivons maintenant, la cour de Versailles, tant pour des causes de politique extérieure, que par des motifs d’inquiétude sur la situation intérieure de la France, commença sa marche dans une carrière d’intolérance qui se prolongea avec plus ou moins de vivacité pendant vingt années. C’est une époque assez douloureuse et obscure à traverser ; douloureuse parce qu’elle renouvelle sans cesse le tableau des malheurs des églises du désert, obscure parce qu’il n’est point aisé ni même possible de saisir les motifs secrets de tant de mesures désastreuses. Nous venons de raconter avec quelques détails la position de l’intendant suprême de la province où il y avait le plus de protestants, vis-à-vis de la Cour, vis-à-vis des curés catholiques, et vis-à-vis des assemblées sans cesse renaissantes des huguenots. L’époque actuelle commence avec la guerre relative à la succession1740-1748. tant contestée de l’empereur Charles VI ; elle comprend l’influence des dernières années et de la mort du cardinal premier ministre Fleury ; elle se prolonge jusqu’à la paix qui couronna l’héroïsme de Marie-Thérèse et de ses fidèles Hongrois. Cette paix ne fut qu’une trêve : la guerre se ralluma jusqu’au traité de Paris, par suite duquel deux grands événements qui intéressaient la puissance des États protestants de l’Europe et du Nouveau-Monde furent définitivement consommés : la consolidation de la Prusse hérétique comme puissance de premier rang, et la prépondérance coloniale de l’Angleterre, dont la marine s’étendit dès-lors dans le monde entier. Tels furent les grands traits de la politique extérieure.
Quant à l’administration intérieure de la France, dans ses contacts avec les droits des sujets, et par conséquent avec les intérêts des églises, nous y distinguons ce caractère dominant ; la prédominance du pouvoir parlementaire sur la fonction et sur la juridiction des intendants. Ce point est digne d’être considéré de plus près. Dans la période où nous allons entrer, nous verrons plus particulièrement les parlements se mêler des affaires des protestants et opposer aux églises l’autorité et la rigueur de leurs nombreux arrêts. Jamais les parlements de France n’avaient vu sans ombrage le pouvoir monstrueux des intendants, qui, émanant directement de la cour, accaparaient la haute justice au détriment de la magistrature. Leur pouvoir, expression perpétuelle de l’unité politique et de l’action du gouvernement central, avait été porté au-delà de toutes bornes par Louis XIV. L’administration de l’intendant Lamoignon de Baville en Languedoc en fut la plus terrible application. Nous avons vu quels furent plus tard les attributions et le zèle de l’intendant Bernage de Saint-Maurice. Nous avons remarqué surtout, que, dans sa correspondance officielle, il insiste sur la nécessité de faire des exemples, émanés de la sévérité de sa justice administrative, mais qu’il passe à peu près sous silence l’autorité des parlements. Il y avait en effet un conflit sourd et réel entre les attributions de ces proconsuls et celles des corps de la magistrature antique. En ce qui concerne plus particulièrement les affaires des églises, nous allons voir maintenant l’autorité parlementaire prendre de l’extension. Les églises vont se trouver en contact avec les procédures de l’ancienne robe. Malheureusement elles gagnèrent peu à ce changement ; au lieu de l’arbitraire administratif et expéditif des intendants excités par la cour, ils furent frappés de verges plus systématiques sous les arrêts de ces corps judiciaires, qui mettaient au nombre de leurs traditions la conservation des maximes catholiques et la nécessité d’abattre les sectes ennemies de l’unité de la foi. À partir de la guerre de 1740, c’est principalement en face des parlements que les églises du désert vont être appelées à répondre de leurs assemblées et de leur foi.
Ce changement grave dans leur position remonte à des causes plus lointaines. À la place administrative du chancelier Pontchartrain, inspiré par les habitudes politiques de Louis XIV, avait succédé, sous la régence, Daniel Voysin, chancelier pour un1717. moment, qui avait négocié du vivant du vieux roi les derniers secrets de son maître. Il ne put avoir aucune influence sur la restauration de l’esprit parlementaire. Il en fut tout autrement de l’illustre chancelier d’Aguesseau ; sauf quelques disgrâces passagères,1718. tantôt basées sur son opposition aux rêveries financières de Law, tantôt sur le zèle qu’il mit à concilier les droits royaux et l’influence parlementaire,1722. il dirigea le département de la justice pendant trente-quatre ans. Ce magistrat intègre, qui manquait toutefois de fermeté et d’esprit de suite, conserva le ministère de la justice jusqu’au milieu du xviiie siècle. Les gardes des sceaux Voyer-d’Argenson et Fleuriau d’Armenonville n’avaient fait que d’assez courtes apparitions à ce département, si grave pour l’administration des églises. Le garde des sceaux Chauvelin exerça ces fonctions de 1727 à 1737, jusqu’après la conclusion du traité de Vienne, pour les conditions duquel on l’accusa de s’être laissé séduire par les faveurs impériales. La véritable cause de la disgrâce de ce magistrat fut ses alliances menaçantes avec le parti des Condé. Aussi le garde des sceaux Chauvelin fut exilé sans retour. L’esprit parlementaire reçut une grave atteinte par sa retraite, et le cardinal de Fleury, privé du secours d’un homme actif et aussi rompu aux affaires, d’une part prit chaque jour plus d’ascendant sur le jeune roi, et d’autre part, favorisa tous ses goûts dévots. On vit Louis XV, qui déjà était tombé sous le joug voluptueux de la comtesse de Mailly, venir assister cependant au service solennel 1738.de Louis XIV à Saint-Denis, et célébrer la fête séculaire du vœu de Louis XIII avec plus de pompe que jamais. Toutefois le premier ministre se rapprochait du parti 1739. des jésuites ; par le mariage de la fille aînée de son maître avec l’infant don Philippe d’Espagne, il renoua l’alliance de la France avec cette couronne catholique. L’influence de d’Aguesseau, qui succéda au garde des sceaux Chauvelin, ne put neutraliser tout à fait la décadence de l’esprit parlementaire que le régent avait flatté un moment, ni le progrès nouveau que faisait la cour vers une dévotion mêlée de licence. Toutefois, on s’aperçoit que d’Aguesseau tenait la balance de la justice ; on admire ses belles ordonnances sur le droit civil ; cependant c’est à la couleur des instructions qu’il donnait au parquet des parlements, qu’il faut attribuer la part beaucoup plus décisive que la magistrature s’attribua dans la répression des délits des réformés. Seulement, par un contrecoup déplorable, nous verrons les parlements du royaume condamner en masse les religionnaires, sans mettre dans leurs arrêts cette espèce de discrétion et cette appréciation des positions administratives que bien souvent les intendants déployèrent. On serait assez embarrassé pour décider si les églises, pressées entre la justice sommaire des proconsuls et entre les formes plus méthodiques des parlements, eurent moins à souffrir en comparaissant devant les uns ou devant les autres. Si les magistrats leur donnaient quelque garanties de jurisprudence, au lieu de la justice rapide autant que violente des intendants, dans un autre sens, les parlements étaient plus fortement liés par la lettre des édits. La justice est aveugle ou doit l’être ; mais il est quelquefois plus loisible à une administration, qui gouverne les hommes et qui les voit de près, de laisser dormir les lois.
Au reste, en étudiant le système de l’ancien régime dans ses rapports avec les protestants, il est difficile d’y reconnaître une tendance arrêtée. Les grandes et profondes dissertations du procureur général Joly de Fleury, que nous aurons l’occasion d’analyser, n’ont fait que rendre plus sensible l’embarras des esprits et la confusion des plans. On voit tour à tour les églises en butte, soit aux conséquences de la guerre ou de la paix, soit aux exigences de l’esprit parlementaire, soit aux empiétements de la justice des intendants sur celle des cours souveraines. On les voit encore subir, en quelque sorte, le ricochet des disputes janséniennes. On remarque que les mêmes parlements qui condamnaient sans difficulté les pasteurs à la peine capitale, suivie d’une prompte exécution, avouaient aussi sans difficulté les mariages des réformés contractés en présence de ces mêmes ministres qu’ils faisaient monter au gibet. On ne peut méconnaître ici la trace bien évidente de l’esprit janséniste, qui mettait le fait des sacrements au-dessus des chicanes du droit abstrait. Nier que la volonté intérieure et la foi jurée constituassent le mariage, c’était mettre la volonté extérieure du prêtre à la place du for intérieur de celui qui demandait les sacrements. Il n’est pas douteux que ce genre d’esprit de résistance aux ordres du pape, ne fût devenu, par un circuit bizarre, une espèce de garantie pour les mariages des protestants, aux yeux des magistrats des parlements du royaume.
1740.Afin d’apprécier la position des églises par rapport
à leur gouvernement, il est d’abord nécessaire d’indiquer en quelques mots les événements de cette
seconde grande guerre du règne de Louis XV. Cette
lutte, née des débats pour la succession de l’empereur
Charles VI, fut longue et meurtrière. Toutes les
puissances convoitaient ses dépouilles, que Marie-Thérèse,
sa fille aînée, défendit avec tant de gloire.
Toute l’Europe fut en feu pendant près de dix ans.
La France vit sa médiation armée se changer en une
guerre violente ; elle eut à lutter contre l’Angleterre,
la Hollande et le Piémont. Le prince Louis François
1744.de Bourbon Conti occupa le Piémont ; mais sur le
Mein la journée de Dettingen contre les Anglais fut
funeste à l’armée française. Louis XV parut à la tête
des troupes ; la guerre fut portée à la fois en Flandre
et en Italie. 1745.La victoire de Fontenoi fit oublier le
désastre de Dettingen, mais les Français furent totalement chassés par l’armée de 1746.Marie-Thérèse. Le maréchal de Maillebois se tenait sur la défensive sur le Var ; il fut obligé de se retirer devant quarante mille
Autrichiens et Piémontais, qui couvrirent la Provence.
Une guerre entreprise pour des motifs politiques si
lointains avait été ramenée en France même. Les Autrichiens
désolaient la Provence et le Dauphiné, ils
s’emparaient de Grasse et de Vence ; les Anglais faisaient
des descentes en Bretagne, et leurs flottes bloquaient
Marseille et Toulon. La révolte de Gènes, sur
les derrières de l’armée autrichienne, empêcha le
midi du royaume d’être envahi. Sur le Rhin, les
armes du roi de France étaient heureuses ; mais sur
les côtes du Finistère sa flotte fut détruite par les Anglais.
Après toutes ces vicissitudes de défaites et de1747.
triomphes, l’Europe fatiguée dut songer à la paix ;
d’un côté, la marine française était ruinée ; de l’autre,
la Hollande allait être envahie ; des pays entiers
avaient été ravagés, des flots de sang avaient été répandus.
L’impératrice reine de Hongrie fut reconnue,
sauf la Silésie, acquise au grand Frédéric, et quelques
cessions italiennes. L’Angleterre gagna l’avantage
d’avoir, en grande partie, détruit le commerce
français et ravagé ses colonies. La France fut la seule
qui ne retira aucun avantage de la paix d’Aix-la-Chapelle1748.
18 octobre. ; aussi, dit Voltaire avec justesse, « elle se rétablit
faiblement » des suites d’une guerre dont le cardinal
de Fleury avait prévu les suites désastreuses.
De tous ces événements, le seul qui eût un intérêt
direct pour l’équilibre protestant de l’Europe fut la
défaite du prince Édouard à Culloden, en Écosse ; 1746.
27 avril.
cette cause catholique déclina toujours, et la grandeur
de la Prusse protestante ne cessa d’augmenter.
Telle est l’esquisse très-rapide des grands événements
politiques. Si on en rapproche les travaux des
églises et les mesures que prenaient les pasteurs et les fidèles, on ne voit point que la marche des affaires
religieuses en eût été beaucoup influencée. Sauf le
fait général que les réformés étaient moins tourmentés
pendant les guerres, parce qu’on redoutait chez
eux un esprit de révolte qui ne se déclara jamais, on
les voit dans l’une comme dans l’autre fortune, conserver
la même attitude, braver les édits pour obéir
à leur conscience et pour suivre leur zèle héréditaire.
Le tableau que le comte de Saint-Maurice donna des
églises, dans la lettre que nous avons rapportée, fut
tracé pendant les années qui précédèrent les guerres
1740.
9 juin.de Marie-Thérèse. Plus tard, un synode arrêta que le
livre des prières de l’église de Genève, accommodées
à un temps de persécution serait adopté par les églises
de France ; ce fut dans le cours de cette même année
que le ministre Paul Rabaut, élève et ami du pasteur
Court, qui occupe avec lui une place si notable dans
l’histoire des églises pour tout le reste de ce siècle,
alla étudier au séminaire de Lausanne. (Syn. prov. du bas Lang. Mss. P. R.) La même permission fut accordée
deux ans après à un autre ministre qui se signala
par autant de constance que de courage dans ces
temps malheureux, Étienne Deffère, pasteur du
Béarn, dont nous aurons souvent occasion d’apprécier
les services. Il n’était d’abord que prédicateur, et
il lui fut accordé « congé d’une année pour aller à
l’académie réformée qu’il jugera à propos, afin de
perfectionner ses connaissances, et se rendre mieux
capable de prêcher l’Évangile aux églises sous la
croix. » (Syn. prov. Mss. P. R. 15 mai 1742.)
Pendant que les églises du bas Languedoc et des
Cévennes luttaient contre tant d’obstacles, contre les
1733-1737.restes toujours menaçants d’un tumultueux fanatisme,
contre les divisions intestines, et surtout contre l’action des persécutions constantes, qui dissipaient
violemment les assemblées et troublaient le culte
domestique par des recherches inquisitoriales ; leurs
conducteurs et leurs fidèles essayaient de ranimer
ailleurs la flamme du zèle qu’ils avaient si précieusement
conservé. Sous ce rapport, la partie de la province
dite du haut Languedoc fut l’objet des tentatives1733.
les plus heureuses. Le bas Languedoc députa aux
églises de la haute province Michel Viala, du lieu de
Pont-de-Montvert, en qualité de prédicateur seulement ;
il parcourut toute la contrée, et réorganisa les
églises partout où la population et la ferveur le permettait.
Sa tournée courageuse eut tant d’effet que,
deux ans plus tard, les anciens des églises du haut
Languedoc et haute Guyenne, où il n’y avait encore1733.
18 mai.
aucun pasteur à résidence fixe, écrivirent une lettre
pressante à leurs frères de la basse province, pour
leur demander le secours d’un ministre. « Vous n’ignorez
pas, Messieurs, disaient-ils, qu’il y a un très-grand
nombre de réformés dans cette contrée ; vous
n’ignorez pas non plus la nécessité pressante du saint
ministère au milieu de nous. Les corruptions générales,
les tentatives continuelles de l’ennemi, le désir
véhément des fidèles, l’efficacité des armes spirituelles
dont vous vous servez pour renverser l’empire du
démon, les progrès que l’Évangile a déjà faits dans
ces pays infortunés, par le ministère de M. Viala,
notre bien-aimé frère, sont autant de preuves de cette
nécessité… Nous souhaitons que vous nous fassiez
la grâce de nous pourvoir d’un prédicateur actuel,
prédicateur que nous entretiendrons, sans le secours
de vos églises. » Ils demandaient aussi la visite d’un
pasteur toutes les années pour l’administration des
sacrements. Le synode de la basse province répondit en leur accordant pour prédicateur résident Michel
1736.Viala, qui, l’année suivante, fit un voyage à Zurich,
où il reçut l’ordination pastorale, après examen, des
mains de Jean-Baptiste Ott, archidiacre au grand
munster de la ville. Déjà les églises du Montalbanais,
des montagnes du haut Languedoc et de Bédarieux,
se groupaient autour du synode de la haute
province, qui bientôt s’organisa plus fortement par
les délibérations d’un colloque ; il fut résolu, entre
1737.
17 avril.autres articles, que de fortes censures seraient encourues par tous ceux qui participeraient, en quoi que
ce soit, « à favoriser l’idolâtrie des fidèles ; » il y fut
pris diverses mesures tendant à la régularité de l’administration
du culte et des aumônes. Les églises,
attendu le danger des assemblées trop nombreuses,
dans des temps aussi critiques, furent fractionnées
en trois arrondissements ; celui de Viane fut taxé à
soixante livres, celui d’Esperausses à quarante, et
celui de Vabre à cinquante, pour les honoraires des
pasteurs ; tels furent les faibles commencements de
ces communautés aujourd’hui si florissantes, et dont
les actes, au temps de leur renaissance, portent seulement
la signature de Viala, pasteur, et de Marc,
ancien et secrétaire. Leurs premières mesures furent
conçues de manière à rétablir fortement le culte si
longtemps troublé ou interrompu : c’est ce qu’on voit
clairement par l’article 6 du colloque précédent, ainsi
conçu : « Les anciens de chaque église s’assembleront
une fois tous les mois, tant pour délibérer sur les
moyens à prendre pour avancer le règne de Dieu, que
pour se censurer et s’entre-exhorter à remplir les
fonctions de leur charge. » (Mss. Cast., p. 7.) Toutes
ces sages mesures furent prises sous la direction du
pasteur Michel Viala, que l’on doit considérer comme le restaurateur principal du culte réformé, dans les
églises du haut Languedoc.
Ces protestants du haut Languedoc, suivant l’exemple
de leurs frères de la basse province et des Cévennes,
ne négligeaient aucune mesure propre à
rendre l’organisation de leur culte plus stable et plus
florissant. Leurs pasteurs et anciens, réunis en synode1740.
26 octobre.
provincial, commencèrent à établir des rapports, sans
cesse soutenus depuis ce temps, avec les églises du
Poitou et de la Normandie. Leur assemblée admit à
la charge de proposant ou de prédicateur, Jean-Baptiste
Loire, de Saint-Omer, en Artois, et André Migault,
dit Preneux, de Baussaix, en Poitou ; tous deux
devinrent de courageux et utiles pasteurs, au milieu
de ce troupeau affligé. Avant cette époque, André
Migault avait déjà affronté le péril de la prédication
en Normandie, ainsi que le proposant Loire. Le même
synode ordonna un jour de jeûne spécialement affecté
à la délivrance de l’église, ainsi qu’un jour d’humiliation
extraordinaire, affecté à la commémoration douloureuse
du 11 octobre 1686, jour de la révocation
de l’édit de Nantes, suivant l’usage des réfugiés de
Hollande et d’Angleterre ; mais cette disposition synodale
ne fut pas généralement observée en France.
Bientôt le ministre Jean Loire reçut l’imposition des
mains à Lausanne, après en avoir été reconnu digne1742.
21 octobre.
par MM. Polier, professeur et recteur, et Ruchat, professeur
en théologie.
Bientôt les églises prirent une mesure plus générale. Les premiers synodes n’avaient été composés que d’un petit nombre de pasteurs et de députés du Dauphiné et du Languedoc ; plus tard, celles du Vivarais1744. et des Cévennes vinrent s’y joindre ; enfin, à cette époque, on tint une nouvelle assemblée qui prit le nom de Synode national. C’est le premier de notre collection de pièces qui présente ce titre. (Syn. nat. 1744. Cop. cert. Mss. P. R.) Cette fois, voici les provinces qui furent représentées par des pasteurs et par des anciens ; le haut et bas Poitou, pays d’Aunis, Angoumois, Saintonge, Périgord, haut et bas Languedoc, basse Guyenne, Cévennes, Vivarais, Velay, Dauphiné ; nous y voyons figurer, pour la première fois, la province de Normandie, par le pasteur André Migault, qui ne craignit pas de braver les périls d’un long trajet pour partager les travaux de ses collègues. Les autres pasteurs présents à cette assemblée furent Jean Loire, pour le Poitou, avec deux anciens ; Michel Viala pour le haut Languedoc, avec sept députés ; Paul Rabaut, Simon Gibert, et quatre anciens, pour le bas Languedoc ; Jean Roux, Jean-Pierre Gabriac, avec trois anciens, pour les Cévennes ; Pierre Peirot et Mathieu Majal, avec deux anciens pour le Vivarais ; Jacques Roger, avec deux anciens, pour le Dauphiné. Nous verrons que de cette liste de pasteurs, deux ne tardèrent pas à payer de leur vie leur zèle évangélique ; dans les années suivantes, deux de ces hommes courageux, les pasteurs Majal et Roger, furent exécutés et moururent en héros. L’assemblée se réunit au désert dans le bas Languedoc, le 18 août 1744. C’était au plus fort de la guerre. Louis XV venait d’entrer en campagne à la tête de l’armée française. L’escadre anglaise menaçait les côtes de Provence. On se battait à la fois en Alsace, en Flandre, et sur les Alpes. Il était donc bien nécessaire, au milieu de cette conflagration générale, de renouveler les déclarations de fidélité absolue à la France et au roi. Voici, en conséquence, la première délibération qui fut prise ; « Après avoir lu la parole de Dieu et imploré le secours du Saint-Esprit, tous les membres du synode ont fait les protestations les plus sincères et les plus soumises de leur inviolable fidélité envers Sa Majesté ; et ils ont déclaré qu’ils ne s’assemblent que dans le dessein de s’affermir de plus en plus dans cette fidélité, d’éloigner entre eux toute désunion qui pourrait tendre à troubler la tranquillité publique et leurs églises, comme aussi d’y faire des règlements. » Cette résolution fut encore développée dans les premiers articles de cette assemblée, lesquels méritent une attention particulière. Il fut résolu que l’on célébrerait à la fin de l’année un jeûne solennel dans toutes les églises réformées du royaume « pour la conservation de la personne sacrée de Sa Majesté pour le succès de ses armes, pour la cessation de la guerre, et pour la délivrance de l’église. » Il fut prescrit que tous les pasteurs feraient au moins tous les ans un sermon sur la nécessité de la soumission envers les puissances légitimes. Il fut adopté que l’on présenterait au roi une requête au nom de tous les protestants du royaume, et qu’il serait dressé une apologie pour justifier « nos assemblées ecclésiastiques et religieuses, nos mariages et nos baptêmes » L’article 6, par la sagesse de son esprit et de sa teneur, mérite d’être rapporté : « Les pasteurs et prédicateurs s’abstiendront de traiter expressément dans leurs sermons aucun point de controverse, et ne parleront qu’avec beaucoup de circonspection de ce que nos églises ont eu à souffrir. » De plus, aucun pasteur ne devait répondre à aucune lettre de controverse, sans l’approbation de deux pasteurs ses voisins, et du consistoire de la principale église de son département.
Une foule d’autres articles portent l’empreinte bien manifeste de l’agitation et des troubles des temps. Les fidèles étaient exhortés à souffrir patiemment les mauvais traitements auxquels ils pourraient être exposés pour la religion, et à n’entrer dans aucune conversation où l’on traite des sujets de controverse, qui ne font qu’agiter les esprits. Les fidèles devaient éviter d’apporter aucun scandale en travaillant les jours de fête[1]. L’article 10 est remarquable ; il montre que l’on commençait à moins redouter la publicité des assemblées religieuses ; aussi il fit une grande sensation, et fut souvent rappelé dans les Mémoires historiques, favorables ou défavorables aux protestants : « Comme il y a plusieurs provinces où l’on fait encore les exercices de religion pendant la nuit, le synode, tant pour manifester de plus en plus la pureté de nos intentions que pour garder l’uniformité, a chargé les pasteurs et les anciens des diverses provinces, de se conformer autant que la prudence le permettra aux églises qui font leurs exercices en plein jour. »
Cette assemblée rendit un jugement disciplinaire
fort important, qui servit beaucoup à ramener la
paix dans les églises. Même en présence des persécutions,
des dissensions graves s’étaient élevées dans
leur sein. Vers l’an 1733 surtout, il était éclaté une
scission qui aurait pu avoir les suites les plus graves.
Un pasteur du bas Languedoc, Jacques Boyer, avait
été destitué du saint ministère par son consistoire, sur l’accusation intentée contre lui d’avoir séduit une
jeune catéchumène. Il ne pouvait y avoir qu’une voix
sur la gravité d’un tel crime ; mais, parmi les églises
de son arrondissement, les unes le proclamaient
comme innocent et les autres le signalèrent comme
coupable. On se divisa profondément selon les avis
opposés sur la conduite de ce pasteur. Les choses vinrent
au point qu’un synode provincial du bas Languedoc
délibéra qu’on s’adresserait à la vénérable1733.
29 octobre.
classe de Zurich, « pour supplier messieurs les pasteurs
et professeurs qui la composent de nous donner
tous les secours qu’il dépendra d’eux dans la malheureuse
affaire du sieur Jacques Boyer, ci-devant
pasteur, tant par leurs bons avis que par des lettres
pastorales adressées à toutes les églises. » (Mss. P. R.)
Tel était l’avis des pasteurs Claris, Bétrine, Rivière,
Viala et une foule d’autres des plus notables de la
province. Il paraît que cette déplorable division dura
très-longtemps. Elle menaçait même de produire un
schisme définitif et funeste dans le midi du royaume.
Nos pièces prouvent en effet que, commencée avant
1733, il fallut attendre jusqu’au synode national de
1744 pour la voir se terminer. En ces dernières années
le pasteur Antoine Court vivait à Lausanne, où il
s’était retiré. On savait tous les dangers qu’il avait
courus en France. Son courage, ses services, ses lumières
lui assuraient un grand crédit sur ses frères
et sur les protestants de l’Europe. Voyant que tous
les efforts des consistoires étrangers, réunis à ceux
des hommes pacifiques de l’intérieur, ne pouvaient
ramener la paix dans ses chères églises de France,
Antoine Court prend le parti d’y retourner. Sans communiquer
son dessein à ses amis les plus intimes,
sans prendre congé de personne, il part de Lausanne, en s’entourant de toutes sortes de précautions pour
sa sûreté individuelle. Il arrive inopinément au sein
des églises divisées du Languedoc pour leur apporter
la paix. Son premier soin est de s’assurer et de prouver
que l’accusation portée contre le pasteur Boyer est
calomnieuse. Il négocie, il sollicite, il entraîne. Enfin
il obtient un compromis, qui calme toutes les colères
et par lequel les partis extrêmes se faisaient des concessions
réciproques. Il obtient que le pasteur Boyer
et ses adhérents reconnaîtront que la destitution du
pasteur inculpé était valide et légitime ; mais il fut
convenu aussi que, moyennant cette soumission, sa
destitution serait déclarée nulle et que le pasteur
serait réintégré dans ses fonctions.
Nous voyons le synode national de 1744 mettre à exécution ces résolutions pacifiques. Le modérateur, Michel Viala, annonça que sur les différends qui affligeaient depuis si longtemps les églises du bas Languedoc et des Cévennes, il avait été convenu de nommer sept arbitres, c’est-à-dire trois pasteurs et quatre laïcs ; que l’assemblée ratifiait la sentence arbitrale ; que le pasteur Boyer, étant entré dans l’assemblée, avait déclaré qu’il se soumettait à la sentence arbitrale ; que les pasteurs Pradel, Deffère, Redonnel et Molines s’en portaient garants. Ces réconciliations furent suivies d’une prière prononcée par Paul Rabaut, et du chant du psaume cxxxiii. Enfin on arrêta que M. Blachon, ministre du saint Évangile, irait prêcher incessamment dans les principaux endroits où régnait la division, afin de réunir les esprits et les cœurs dans une harmonie si désirable.
Ces sages mesures calmèrent une querelle si ancienne et si invétérée. Au surplus, la même ferveur régnait également parmi tous ces dissidents, en face de l’ennemi commun et des édits. Nos pièces font voir que le pasteur Jacques Boyer, quoique légalement déposé par un synode provincial, mais toujours souhaité par une forte partie des églises du Rouergue surtout, ne cessa d’y porter la parole pendant toute la durée du schisme disciplinaire, au péril de sa vie. Ce fut encore Antoine Court qui dissipa ce fâcheux orage. Aussi sa présence dans cette assemblée, convoquée dans une plaine du Vivarais, avait attiré un concours extraordinaire. Elle prit même un aspect formidable. Le pasteur Antoine Court prononça un discours de circonstance et de pacification devant une réunion que les documents, sans doute non sans exagération, portent à dix mille personnes[2]. Le pasteur officiant déclara Jacques Boyer réinstallé dans ses fonctions ; ce dernier parut revêtu de ses insignes ecclésiastiques. Antoine Court lui tendit la main de fraternité. Il repartit aussitôt pour porter cette bonne nouvelle à Lausanne, après avoir béni, une dernière fois encore, tous ses frères rassemblés, qu’il avait si souvent édifiés et conduits au milieu de périls communs pour le pasteur et pour le troupeau. Ce fut encore un service signalé que le digne pasteur Antoine Court rendit à ses anciennes communautés et à toute l’église de France.
Un assez grand nombre d’articles disciplinaires furent adoptés par cette assemblée ; ils attestent de plus en plus l’extension toujours croissante du culte et des besoins des fidèles. Il fut ordonné qu’aucune province n’écrirait au roi ni aux personnes revêtues de son autorité pour des affaires qui intéressent le corps de l’église, sans au préalable avoir consulté les pasteurs des autres provinces, sauf le cas d’affaires très-pressantes (art. 5). On devait avoir soin surtout « de ne laisser prêcher aucun pasteur ni proposant qu’ils ne soient connus de quelques membres du consistoire » (art. 8). Aucun pasteur ne devait sortir de sa province pour aller exercer son ministère dans une autre, sans être muni de lettres de ses confrères (art. 16). D’ailleurs, c’étaient toujours les provinces de Guyenne et de Poitou qui manquaient le plus de prédicateurs. Nous voyons ici, pour la première fois, mention de l’église d’Orange, dans le comtat d’Avignon, et une résolution portant que l’église de Nîmes aurait, selon sa demande, un pasteur qui ne desservirait aucune autre église et qui serait affecté uniquement à celle-là. Ce fut en vertu de cette disposition que bientôt après Paul Rabaut fut nommé pasteur de cette grande communauté. Les églises devaient faire leur possible pour avoir chacune des diacres. Cette dernière organisation donna lieu à cette disposition de comptabilité régulière, la première de ce genre dont nos pièces fassent mention : « Pour éviter les jugements téméraires que l’on pourrait porter contre les anciens ou diacres, ou pour introduire le bon ordre, il sera nommé dans chaque consistoire un trésorier et un secrétaire, et le trésorier ne délivrera aucun argent sans que le secrétaire en ait connaissance, de quoi il sera tenu un compte exact » (article 23).
Ce même synode adopta quelques mesures qui avaient trait à la répression des mauvaises mœurs au sein des églises. Nous citerons cet article où l’assemblée jugea à propos de limiter, par la charité et la prudence, les pouvoirs discrétionnaires des consistoires, qui leur permettaient d’exercer une censure préalable sur les pécheurs prêts à s’approcher de la sainte table de la communion. « Sur la proposition qui a été faite s’il était à propos d’arrêter les pécheurs scandaleux qui s’approchent de la table sacrée, l’assemblée a été d’avis de remettre la chose à la prudence des pasteurs et des consistoires, qu’elle exhorte de faire, autant qu’il se pourra, les censures dans les consistoires ou dans les lieux autres que dans les assemblées, selon que les circonstances le permettent » (art. 24). C’est une disposition qui mérite bien d’être pesée, comme émanant de la charité profonde de ces pasteurs, qui étaient d’autant plus animés de l’esprit de support qu’ils vivaient plus près du martyre.
Ils firent toutefois une espèce d’exemple, quant à l’examen qu’ils exigèrent de Pierre Bornac, dit Laprat ou Latour, qui avait fait pendant quelque temps les fonctions de proposant dans le Poitou : « L’assemblée, après l’examen fait en deux différentes reprises sur divers points de théologie et de morale, a trouvé que ses lumières n’étaient pas suffisantes pour lui permettre d’exercer le saint emploi de ministre. C’est pourquoi elle l’a remercié de ses bonnes intentions, et l’a prié de se retirer où la divine Providence voudrait le conduire ; et a chargé messieurs les pasteurs de la province du Poitou de lui accorder les témoignages qui sont dus à sa conduite, avec défense cependant audit Bornac de s’immiscer dans aucune des fonctions du ministère, à peine, en cas de désobéissance, d’être déclaré coureur par les pasteurs des provinces où il sera ou par ceux des provinces voisines » (art. 25).
Le synode de 1744 s’occupa aussi des livres de piété dont les églises du désert devaient se servir de préférence. Il fut arrêté qu’on se servirait dans toutes les provinces de l’abrégé du catéchisme du savant et pieux théologien de Neufchâtel, le pasteur Jean-Frédéric Ostervald. Il fut aussi décidé qu’on se servirait, après la lecture de la Bible, des arguments et réflexions du même ministre (art. 11 et 12). Les églises du désert firent preuve de sagesse en adoptant ces compositions à la fois graves et familières, qui ont rendu des services réels au culte domestique, et qui encore aujourd’hui ne sauraient être remplacées. Le vieux Ostervald, qui avant la révocation avait recueilli les leçons de l’illustre Jean Claude, encore à Paris, put ainsi renouer la chaîne des temps et continuer dans les églises du désert la tradition des idées de ce sage pasteur et de l’ancienne académie de Saumur[3]. Ce fut peu d’années avant la fin de sa longue carrière (1747) que le pasteur Ostervald put voir les églises persécutées de France adopter les ouvrages de sa piété et de sa longue expérience. Jean-Frédéric Ostervald doit donc être cité parmi les protecteurs des églises du désert. Seulement cet article du synode national de 1744 en indiquant aux fidèles les ouvrages d’Ostervald comme les plus propres à nourrir la ferveur de leurs lectures privées, excita les recherches des intendants et des parlements ; nous verrons plus tard que ces livres, d’une piété si douce et si éclairée, furent maintes fois livrés aux flammes et qu’ils appelèrent même sur leurs détenteurs les arrêts les plus rigoureux. Tels furent les travaux principaux de cette grande réunion de 1744, la plus solennelle que les églises eussent tenue depuis la révocation, et qui jeta peut-être trop d’éclat. L’original est signé des pasteurs Viala, Paul Rabant, Peirot et Roger ; ce dernier, secrétaire, neuf mois plus tard, avait péri sur un gibet, à Grenoble. La convocation de ce synode, si sage dans ses mesures, devint le signal de vives persécutions. Nous aurons à revenir sur les mémorables circonstances politiques au milieu desquelles les églises du désert avaient fait cette manifestation si sainte et en même temps si dangereuse. Soit que la nouvelle du synode national de l’année précédente eût effrayé la cour, soit que le clergé eût sollicité plus fortement que d’ordinaire des mesures prohibitives, soit que la réorganisation des églises eût fait appréhender quelques mouvements pendant la guerre, qui régnait avec fureur, l’année de la bataille de Fontenoi vit paraître deux ordonnances qui surpassaient peut-être en sévérité tout ce qu’on avait vu jusque-là. « Sa Majesté étant informée que, nonobstant que tout exercice de la religion réformée soit interdit dans le royaume, cependant il s’est tenu depuis quelque temps plusieurs assemblées dans la généralité de Montauban, a ordonné que, conformément à ses édits, le procès sera fait et parfait à tous prédicants qui, dans ladite généralité, auront convoqué ou convoqueront des assemblées, et qui y auront prêché ou y prêcheront, et y auront fait ou feront aucunes fonctions, ensemble à tous et un chacun des sujets de Sa Majesté, de quelque état où condition qu’ils soient, lesquels se sont trouvés ou se trouveront dans lesdites assemblées et qui y seront pris en flagrant délit ; — et cependant à l’égard de ceux que l’on saura avoir assisté auxdites assemblées, mais qui n’auront pas été arrêtés sur-le-champ, veut et entend Sa Majesté que, par les ordres du sieur intendant et commissaire départi en ladite généralité, les hommes soient envoyés incontinent, et sans forme ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes et filles récluses à perpétuité dans les lieux qui seront ordonnés. » Fait à Versailles, Louis Phélypeaux. (Ordonnance du roi concernant les gens de la rel. prét. réf., du 1er février 1745.
Si de telles pièces n’étaient de la plus irrécusable authenticité, on aurait de la peine à se persuader que des lois de ce genre furent rendues en France environ au milieu du xviiie siècle. Ajoutons comme rapprochement singulier, qui peint d’une manière frappante le contraste qui régnait alors entre la législation qui proscrivait les protestants et entre leurs coutumes, que deux jours après que cette ordonnance fut expédiée de Versailles, il partait du bas Languedoc une délibération d’un genre bien opposé. « La vénérable assemblée a convenu, d’un sentiment unanime, que tous ceux qui feront baptiser leurs enfants, ou qui se marieront dans l’église romaine, seront vivement censurés, suspendus de la sainte Cène, et proclamés à la tête d’une assemblée religieuse. » art. 9, (Syn. prov. du 3 fév. 1745, Rivière, prédicateur et secrétaire, Mss. P. R.) Mais ce n’était pas tout encore. L’ordonnance précédente frappait des peines les plus rigoureuses tous ceux, ministres, hommes, femmes et filles, qui avaient assisté aux assemblées ; il ne restait plus qu’à étendre la pénalité aux absents comme aux présents ; c’est ce qui fut fait par la cour quinze jours plus tard. Cette mesure est des plus extraordinaires qui aient été prises dans ce temps et dans aucun temps ; elle fut appliquée à la généralité de Montauban et étendue à toutes les autres : « Sa Majesté étant informée que les différentes peines afflictives portées par les arrêts, déclarations, ordonnances, rendus contre ceux qui assistent aux assemblées illicites des nouveaux convertis n’ont pu en arrêter le cours entièrement, parce qu’elles ne font sur des esprits remplis d’erreur que les impressions passagères et produites par la crainte d’une peine à laquelle chacun se flatte d’échapper ; et Sa Majesté, voulant mettre fin à ce désordre, qui cesserait totalement si ceux des nouveaux convertis, qui craignent d’être surpris eux-mêmes dans les assemblées, dont ils ont toujours connaissance, ne craignant pas d’y laisser aller leurs enfants et domestiques, cessaient de favoriser et fomenter ainsi les assemblées par leurs mauvais conseils ou par leur tolérance et par leur silence, qui ne les rendent pas moins coupables que ceux mêmes qui y assistent, elle aurait résolu d’obliger, par leur intérêt particulier, tous les nouveaux convertis à détourner ou déclarer les assemblées dont ils sont toujours informés, ou de les punir comme complices desdites assemblées, en établissant contre ceux qui ne les déclareront pas des peines pécuniaires et arbitraires, qui seront indifféremment supportées par tous les nouveaux convertis des cantons, — a ordonné et ordonne — que, dans toutes les communautés comprises dans l’état des arrondissements, tous les nouveaux convertis demeureront responsables de toutes les assemblées qui se tiendront sur le territoire des communautés dont chaque arrondissement sera composé (art. 1er). — Les habitants nouveaux convertis des arrondissements, dans l’étendue desquels il sera constaté qu’il se sera tenu quelque assemblée, seront condamnés, sans forme ni figure de procès, par ledit sieur intendant, à une amende arbitraire et proportionnée à leurs facultés… et la répartition des amendes sera par lui faite sur tous les habitants nouveaux convertis dans toutes les communautés de l’arrondissement (art. 2). — Veut Sa Majesté que ceux des nouveaux convertis qui remplissent leurs devoirs de catholiques, et en justifieront par les certificats de leurs évêques, ne soient point compris dans la susdite répartition (art. 3). — Les habitants nouveaux convertis d’une des communautés de l’arrondissement, dans l’étendue duquel il sera trouvé une assemblée, qui en donneront avis ou en fourniront la preuve, seront pareillement exemptés de la répartition, et lorsque lesdits avis auront été donnés assez à propos pour que l’assemblée ait été surprise, tous les habitants de la même communauté seront déchargés de l’amende et leur portion rejetée sur le reste de l’arrondissement (art. 4). — S’il se tient quelque assemblée sur le territoire d’une communauté toute composée d’anciens catholiques, et non comprise dans l’état des arrondissements, l’amende en ce cas sera supportée par les arrondissements les plus prochains du lieu où se sera tenue l’assemblée (art. 5) Tous les particuliers, compris dans les états de répartition qui seront arrêtés des amendes, seront contraints au paiement de leurs quotités par voie de garnison effective (art. 7)… — Et attendu que les prédicants, qui viennent de pays étrangers ou s’élèvent dans le pays, et qui sont les principaux auteurs de toutes les assemblées, ne trouvent le moyen de les entretenir que par la facilité des retraites que les nouveaux convertis leur donnent dans leurs maisons, Sa Majesté ordonne que tous les nouveaux convertis des communautés d’un arrondissement, dans l’étendue desquelles un prédicant pourra être arrêté, seront condamnés à trois mille livres d’amende, applicables aux dénonciateurs qui en auront procuré la capture, et ce indépendamment du procès qui sera fait et parfait suivant la rigueur des précédentes ordonnances, à celui dans la maison duquel le prédicant aura été trouvé (art. 8). N’entend Sa Majesté déroger, par la présente ordonnance, aux dispositions des édits, déclarations, et notamment à celles du 1er des présents mois et an, qui seront exécutés selon leur forme et teneur (art. dern.). Louis Phélypeaux. (Ordon. concern. les gens de la relig. prét. réf du 16 février 1745. Mss. P. R.)
On voit donc, par ces nouvelles dispositions ajoutées à celles de la déclaration de 1724, que la législation de Louis XV concernant les assemblées des protestants consistait en les articles suivants : condamnation à mort contre tout ministre, et galères perpétuelles contre tous ceux qui lui donneraient asile ; galères perpétuelles pour tout homme, et prison perpétuelle contre toute femme ou fille présents à une assemblée, avec confiscation des biens, le tout sans forme ni figure de procès ; pour les absents des assemblées, amende arbitraire contre tous les réformés des lieux, avec recouvrement par voie de garnison militaire ; amende de 3,000 liv. contre chaque réformé habitant le lieu où un ministre aurait été arrêté, laquelle amende, en cas d’une dénonciation, devrait bénéficier au dénonciateur. Hâtons-nous d’ajouter que des dispositions aussi tyranniques et aussi absurdes à la fois ne furent pas exécutées à la lettre ; jamais elles n’auraient pu l’être. Déporter aux galères des réunions de trois mille personnes, rançonner des districts entiers et nombreux de 3,000 liv. d’amende par tête d’habitant réformé inscrit à la capitation, en cas de capture d’un ministre, mettre des villages entiers à l’amende : c’étaient là des lois que ceux mêmes qui les rendaient ne purent avoir le projet d’appliquer sérieusement. Elles furent sur-le-champ adoucies en quelques lieux par la conduite des intendants.
Il y en eut un exemple remarquable non loin de
Sainte-Foy en Guyenne, très-peu de temps après que
furent rendues ces mesures d’une intolérance impraticable.
D’après la lettre du ministre Loire, il paraît qu’en
basse Guyenne, on avait semé le bruit que les édits
d’intolérance allaient incessamment être abolis ; les
réformés continuèrent dès lors leurs assemblées avec 1745.
2 mars.moins de précaution.
Cette publicité fournit le prétexte d’une circulaire de l’intendant de Bordeaux aux
évêques de sa généralité, où l’administrateur semble
donner des conseils de douceur au clergé. Il informe
les curés qu’il avait tout lieu de penser que la plupart
des nouveaux convertis qui ont assisté à l’assemblée
tenue par un prédicant le 21 du mois de février, dans
un champ près la ville de Sainte-Foy, ne se seraient pas portés à quelque chose d’aussi coupable, s’ils
n’avaient été séduits par l’opinion que les émissaires
de ce prédicant s’étaient appliqués à répandre dans ce
canton, que le roi n’avait point désapprouvé de pareilles
assemblées, qu’en conséquence elles devaient
être regardées au moins comme tolérées, et qu’on
pouvait y assister sans risque de se rendre criminel.
Il ajouta ces paroles remarquables, qui démontrent
combien on s’appliquait alors à modifier les rigueurs
des édits dans la pratique administrative : « J’ai moins
songé à faire arrêter les plus apparents d’entre eux
pour les livrer aux poursuites rigoureuses de la justice,
qu’à les mander pour leur remontrer avec douceur
et menace la gravité de la faute qu’ils avaient
commise, et la sévérité de la punition qu’ils méritaient
si Sa Majesté n’avait la bonté d’user envers
eux d’indulgence. » Ce fut l’intendant de Tourny qui
prit ces sages mesures. Il ajouta encore ce passage
qu’il adressait aux curés des paroisses : « La publication
de mon ordonnance et la présence du prévôt
général avec des brigades de maréchaussée ont détourné
la tenue de l’assemblée, que dans celle du 21
le prédicant avait eu la hardiesse d’indiquer pour le
dimanche 28. À peine y eut-il ce jour, soit à Sainte-Foy,
soit dans les petites villes, bourgs et paroisses
du voisinage, quelques mouvements de particuliers,
plus curieux de voir ce qui se passerait que dans la
disposition de désobéir. Tout doit donc être regardé
à Sainte-Foy et aux environs comme calme, repentant,
et absolument éloigné des nouvelles assemblées,
dont l’on connaît le crime, et dont l’on craint la peine. »
L’intendant invite les curés à lire les ordonnances du
roi à leurs prônes plusieurs dimanches consécutifs ;
il termine sa circulaire par cette phrase : « Je m’imagine que vous vous y porterez avec d’autant plus de
plaisir, qu’il s’agit du bien de la religion, et que vous
accompagnerez chaque fois cette lecture ou cette
communication, de tout ce qu’un zèle moins vif
qu’affectueux peut dire de touchant pour attirer les
cœurs, tandis que le prince montre le glaive tranchant
pour soumettre les volontés. » (Lettre de M. l’intend. de Bord. à MM. les curés des paroisses de sa génér. où il y a des nouv. conv., 4 p. p. fol. Mss. P. R.)
La lecture de cette pièce, considérée en entier, laisse voir que l’intendant de Tourny eut pour but d’effrayer les protestants, de les ramener par la douceur, et aussi de calmer le zèle amer du clergé en faveur des ordonnances. Il y a loin des remontrances de l’intendant de Tourny aux déclarations qui, exécutées à la lettre, eussent envoyé aux galères en masse une forte proportion de la population de l’arrondissement de Sainte-Foy. Les choses ne se passèrent point partout aussi doucement. Par arrêt de la chambre des vacations, du 23 septembre, le Parlement de Grenoble, sur le rapport du conseiller Ferrier de Montal, appliqua littéralement l’ordonnance aux réformés de son ressort ; il condamna quatre-vingt-douze protestants à des amendes de 400 liv. à 10 liv., parce que l’on avait tenu des assemblées. Le même arrêt cassa vingt-sept mariages célébrés au désert, par ce dispositif singulier et inhumain : « A fait aussi interdictions et défenses auxdits (accusés) de cohabiter avec leurs prétendues femmes, et auxdites (accusées) de cohabiter avec leurs prétendus maris, à peine d’être déclarés et punis comme concubinaires publics ; a déclaré les enfants qui peuvent être nés ou qui pourront naître à l’avenir de leur fréquentation, bâtards et incapables de leur succéder, sauf à eux à se représenter par devant tous leurs curés pour faire réhabiliter leurs prétendus mariages, » (Arr. de la ch. des vac. du 23 sept. 1745, qui condamne divers. part. accus. de contrav. aux édits et déc. du roi concern. la relig. prét. réf., 8 p. p. Mss. P. R.)
De pareils traits rapprochés du langage conciliant de l’intendant de Tourny, font voir combien le sort des réformés était livré à des caprices cruels. Le caractère personnel des intendants et des gouverneurs eut souvent à lutter contre les tendances des parlements, et surtout contre celles du clergé. Ces pouvoirs, animés l’un contre l’autre d’une inimitié héréditaire, poursuivaient cependant comme une théorie inflexible la fondation de l’unité religieuse, tandis que les commandants civils et militaires, à qui le maréchal de Villars avait donné un bel exemple en pacifiant les Cévennes, étaient bien mieux en mesure d’apprécier les difficultés administratives, les obstacles de la pratique. De plus, tout nous porte à croire que quelques sentiments d’équité dirigèrent leur conduite ; en effet, nous verrons bientôt que des rangs de la haute magistrature, il s’éleva quelques voix éloquentes qui ne purent déguiser les abus d’une législation si cruelle, et qui démontrèrent combien elle était peu propre à accomplir l’objet qu’elle poursuivait depuis si longtemps.
La position des églises et le sort des fidèles cette1745. même année, furent mis sous les yeux de Louis XV par un placet dont la présentation avait été résolue au synode national de l’année précédente. Les réformés saisirent l’occasion de la maladie subite et du prompt rétablissement du roi à Metz, pour adresser une supplique remplie de protestations de soumission mais cependant très formelle, en ce qui touchait la continuation des assemblées. Cette pièce donne une idée précise des tribulations de tous genres auxquelles elles étaient en butte (Placet prés. au roi, 1745, p. 7. Mss. P. R.) Les suppliants conviennent qu’ils s’assemblent en quelques lieux dans les champs pour entendre la prédication de la parole de Dieu, et participer aux sacrements ; mais ils ajoutent qu’ils seraient bien à plaindre si leurs intentions étaient prises en mauvaise part, et si des assemblées consacrées au culte du vrai Dieu, avaient quelque chose d’illégitime : « Votre Majesté, disent-ils, sait que le service public est pour ainsi dire inhérent à la profession de la religion, et que c’est un droit naturel et primitif. » — « Ce fut le même principe qui engagea les premiers chrétiens à faire des assemblées publiques, nonobstant les défenses de leur souverain, et les suppliants ne sont pas plus coupables qu’eux pour avoir suivi leur exemple. » Après avoir déclaré que la prohibition des assemblées est pour les sujets protestants du roi « un bannissement indirect », ils tracent le tableau suivant de leurs maux : « Ils consistent, disent-ils, en ce qu’ils ne sont libres, ni dans la vie, ni dans la mort. Les ecclésiastiques commencent même à les molester dès leur naissance. Le baptême, cette introduction des fidèles dans l’église, n’est administré à leurs enfants qu’avec des difficultés extrêmement onéreuses. Car comme les curés veulent exiger des parrains et marraines des engagements contraires à leur conscience, les pères sont obligés de faire présenter leurs enfants par les premiers pauvres catholiques qui se rencontrent, dont on leur impose les noms, par où les enfants sont privés de l’avantage considérable d’avoir des parrains et marraines affectionnés. — De plus, les enfants des suppliants ne sont pas plutôt sortis de l’âge le plus tendre, qu’ils sont en butte à tous les traits des ecclésiastiques. On prive les pères et mères, ou après leurs décès, leurs autres parents, du droit naturel qu’ils ont sur leur éducation : on met les filles dans les couvents ; on soustrait de cette sorte les enfants à la juste autorité de laquelle ils doivent dépendre, et à la faveur de la licence qu’on leur donne, ou des promesses qu’on leur fait, on ne manque pas de leur inspirer des sentiments contraires à ceux des personnes qui leur ont donné la naissance. — Ce n’est pas tout, quand les suppliants veulent se marier, on leur fait tant de difficultés (vu l’abjuration ou du moins la nécessité de participer au culte de la religion catholique que les ecclésiastiques leur imposent au préalable), qu’elles forcent les uns à renoncer au mariage, et les autres à le différer, par où il paraît que les ecclésiastiques tâchent, contre l’intérêt de l’État, de faire défaillir la race des religionnaires du royaume par un moyen à peu près semblable à celui que les Égyptiens imaginèrent pour éteindre celle des Israélites. — Ce zèle mal entendu des Égyptiens se continue jusqu’au lit de la mort des religionnaires, jusqu’à ces précieux moments où l’homme accablé de son mal a besoin de recueillir tout ce qui lui reste de force, pour ne s’occuper que du soin de faire sa paix avec Dieu. C’est alors que les ecclésiastiques vont troubler les mourants par des visites importunes, qu’ils les menacent de la rigueur des édits et déclarations de Votre Majesté s’ils refusent la confession et l’Eucharistie, et qu’à l’aide de ces menaces, ils s’efforcent d’ébranler leur constance. Il est facile de s’apercevoir que ce n’est pas la charité qui anime cette façon d’agir ; d’un côté, refuser obstinément le mariage à ceux qui le recherchent ; de l’autre, offrir avec importunité la confession et l’Eucharistie à ceux qui ne les demandent pas, forme une conduite si contradictoire, qu’on voit bien qu’elle ne s’accorde pas avec l’amour du prochain, ni en général avec l’esprit du christianisme. Mais quel qu’en soit le principe, Votre Majesté sent du moins qu’il produit le plus sinistre effet, puisqu’il rend les suppliants souverainement malheureux : leur souffrance a même été si longue qu’il est temps qu’elle daigne jeter sur eux un regard de compassion. Un seul regard de Votre Majesté suffit pour faire cesser tous leurs maux ; elle n’a qu’à leur accorder la liberté de conscience, cette liberté si essentielle à l’homme, si nécessaire à son bonheur et si conforme à la nature de la religion… Il s’y réunit encore, qu’en accordant la liberté de conscience, une foule de religionnaires qui ont été la recouvrer dans les pays étrangers, reviendraient dans le royaume avec leurs familles, leurs effets et leur industrie, et contribueraient infiniment par leur retour, non seulement à y augmenter le nombre des sujets, mais de plus à y faire fleurir les manufactures et le commerce, ce qui par mêmes moyens diminuerait très-considérablement la force des États voisins. »
Ce fut ainsi que les réformés, en butte à tant de poursuites, tantôt tracassières, tantôt terribles, répondirent aux sévères dispositions des dernières ordonnances rendues contre eux. Ce placet de 1745 ouvre la série des très-nombreuses pièces de ce genre, dont nous aurons à parler, et qui, très-probablement, n’eussent point porté la vérité au cœur du prince quand même elles n’eussent pas été interceptées en chemin. Il faut y remarquer la netteté avec laquelle les religionnaires donnent à entendre qu’ils ne peuvent abandonner leurs assemblées, parce que la liberté de conscience est un droit essentiel à l’homme ; noble langage, qui toutefois ne pouvait être compris alors à la cour de Versailles. Le tableau qu’ils tracent de leurs maux donne plusieurs révélations curieuses sur leur état, surtout sur cet usagé auquel ils étaient réduits, de prendre des espèces de parrains et marraines de louage pour présenter leurs enfants aux fonts catholiques, et l’originalité avec laquelle ils relèvent l’incohérence des pratiques des prêtres qui, aux termes des édits, se montraient aussi prompts à imposer l’Eucharistie aux malades protestants qui ne la demandaient pas, que disposés à refuser le sacrement aux époux qui le demandaient. Ils ne manquent pas non plus, selon l’usage constant de toutes les requêtes qu’ils ne cessaient de présenter, de joindre la raison d’état à la raison de conscience, de répéter que les déclarations sévères constituaient un véritable bannissement, et que la douceur aurait pour résultat de rappeler une foule de fugitifs industrieux. Ce simple et énergique langage ne fut pas même écouté par la cour, alors absorbée par les soins et les pertes d’une guerre acharnée, la cour qui venait d’envoyer débarquer en Écosse le chevaleresque prince Édouard pour offrir la légitimité catholique aux protestants de la Grande-Bretagne.
Il est donc facile de voir que c’était surtout contre le fait des assemblées que les poursuites religieuses étaient dirigées. Ces rassemblements gardés par des sentinelles et mystérieusement convoqués, qui se tenaient dans des lieux écartés, et que les courses des troupes obligeaient souvent de cacher au milieu des nuits, ressemblaient trop à des réunions séditieuses, pour que les ennemis des protestants ne tirassent point parti de cette apparence. Elle ne fut jamais chez les instigateurs de mesures rigoureuses qu’un prétexte. On ne voit pas que dans toute cette époque une seule de ces assemblées se fût portée à des excès séditieux, ni qu’une seule se fût réunie dans un pareil but. La sage direction de la presque unanimité des pasteurs, les soins d’anciens, notables, choisis souvent parmi les plus riches propriétaires, la vigilance des synodes, les règles constantes de la discipline auxquelles on restait aussi fidèle que le malheur des temps le comportait, tous ces liens à la fois sociaux et religieux, formaient de puissantes garanties d’ordre et de respect pour les lois. Ce fut à toutes ces influences réunies, que les réformés durent l’avantage de proclamer hautement que pas une seule de leurs assemblées ne se rendit coupable de rébellion. C’étaient, à la lettre, des réunions purement religieuses, et qu’on eût dû, sinon permettre, au moins tolérer, puisque ni les édits, ni les jugements, ni les irruptions de soldats n’avaient pu les arrêter. Cependant elles ranimaient sans cesse la vigilance des intendants et les procédures des cours. Ainsi que nous l’avons vu, la responsabilité de ces réunions pesait sur des contrées entières ; les amendes venaient frapper ceux que les jugements n’avaient pas atteints, et ceux même qui étaient restés dans leur domicile. Cette marche sévère des parlements et de l’administration apportait des obstacles sérieux à la régularité du culte et à l’assiduité des fidèles. Ces obstacles furent assez grands à cette époque pour que les pasteurs et anciens du haut Languedoc dussent adresser aux réformés une lettre circulaire spéciale pour leur rappeler leurs devoirs sur cette question. La lettre commence par dire « que les réformés avaient eu lieu d’espérer naguère que leurs temples, ruinés depuis bientôt soixante ans, allaient de nouveau s’ouvrir, puisque, en un grand nombre d’endroits, ils avaient pu s’assembler sans avoir été troublés ; que la persécution recommençant, les jours du dimanche étant changés en deuil, et les jours de fête en lamentation ; que la pratique des assemblées était de nouveau regardée comme un crime digne d’une punition exemplaire, les prisons regorgeaient de fidèles qui attestaient assez que le courroux de Dieu était allumé contre son peuple pécheur ; que cependant son bras pouvait encore les délivrer et son oreille les entendre, s’ils s’humiliaient devant lui, et s’ils confessaient qu’en lui était la justice, et au peuple la honte et la confusion de face. » (Cop. cert. Mss. P. R.)
Dans le comté de Foix, où les églises s’organisaient
également avec une courageuse persévérance, une1745.
25 juillet.
réunion pastorale et laïque tint le même langage aux
fidèles. Le pasteur Corteis y avait été député pour
exercer les fonctions pastorales ; son premier soin fut
de nommer des anciens, et cette assemblée arrêta
l’organisation des églises du Caria, des Bordes, de
Sabarat, de Gabre, du Mas d’Azil et de Camarade.
Il fut décidé que chaque consistoire ferait deux ou
trois collectes générales chaque année pour subvenir
aux besoins des pauvres et des prisonniers ; que nul
ne serait reçu au ministère de la prédication, à moins
qu’il ne fût muni de bons certificats ; que les anciens
veilleraient à ce que la piété et la décence régnât
dans les assemblées ; que chaque église aurait à entretenir
son ministre en temps de calme comme en
temps de persécution ; que tous ceux qui, à l’avenir,
feraient bénir leurs mariages dans l’église romaine seraient censurés et suspendus de la sainte cène ; enfin l’assemblée crut devoir rappeler les dispositions de la discipline, qui interdisent les jurements, les jeux, « ainsi que les danses et ceux qui font état de danser », qui, après avoir été avertis, devront être suspendus de la sainte cène. À la fin de l’année, un nouveau colloque, assemblé à Mazamet par le pasteur Viala, releva de la censure les anciens de cette ville qui avaient promis de s’absenter dorénavant de
1745.
1 novembre.ces assemblées mondaines ; l’article est ainsi conçu : « On déclare aux anciens de l’ancien consistoire que, vu les marques de leur repentance, ils pourront être reçus à la communion, en suite d’une réparation publique. » (art. 3. Mss. Cast., p. 33.) Toutes ces dispositions font voir que le progrès et la bonne organisation des églises du désert marchaient parallèlement
avec la promulgation des édits les plus impitoyables.
- ↑ Cet article 9 du synode national est interrompu dans la pièce originale par une parenthèse naïve que nous avons voulu reproduire ici : « Pendant la séance du synode, ayant été présenté un enfant, fils naturel et légitime d’Antoine Dombre et de Madelaine Hugon, né le 10 août 1744, M. le modérateur (le pasteur Michel Viala) l’a baptisé, et lui a donné le nom Pierre-Paul ; ses parrains ont été MM. Paul Rabaut et Pierre Peirot, ministres du saint Évangile. »
- ↑ (Mss. Veg.) Nous puisons ces intéressants détails, sauf l’acte même du synode qui fait partie des Mss P. R., dans une lettre étendue que le vénérable M. de Végobre, du comité français de Genève, nous fit parvenir le 20 février 1836. Ce zélé protestant, fort digne d’avoir été le collègue des protecteurs des églises du désert sous Louis XV, était parvenu à l’âge de quatre-vingt-trois ans ; ses forces étaient passées, sa vue éteinte ; mais ses idées avaient encore toute la netteté et toute la verve de l’ami inviolable de Court de Gebelin, fils du vénérable pasteur Antoine Court.
- ↑ Il est bien probable que Jean-Frédéric Ostervald entra en communications fréquentes avec les comités de Lausanne et de Genève et avec Antoine Court, sur les affaires des églises du désert. En même temps, ses amis et collègues, les savants théologiens Ott, de Zurich ; Samuel Werenfels, de Bâle ; Louis Tronchin, Alphonse Turettini, Jalabert, de Genève ; Berger, de Lausanne, et plusieurs autres, correspondaient activement avec lui et avec l’archevêque Wake, qui, de son côté, s’appuyait sur le crédit de la cour d’Angleterre : « En employant leur crédit, M. Ostervald a fait délivrer des galères des personnes qui y étaient détenues pour la religion, procuré des secours considérables à ceux qui étaient persécuté pour cette cause, et rendu des services essentiels à des personnes qui le méritaient. » (Mém. mss. Chaufepié, Dict., mot Ostervald.) L’article de Jean-Frédéric Ostervald, un des plus illustres et féconds théologiens du xviiie siècle, a été oublié dans notre dernière grande biographie. (Biographie universelle, par Michaud. 1811-1828.)