Jean Chrysostome/Commentaire sur l’Épître aux Hébreux

Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

COMMENTAIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME SUR L’ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HÉBREUX, PUBLIÉ APRÈS SA MORT, D’APRÈS SES NOTES, PAR CONSTANTIN, PRÊTRE D’ANTIOCHE.

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ARGUMENT

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Analyse.

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Pourquoi Paul, étant juif, n’a-t-il pas été envoyé vers les juifs. – Pourquoi, à quelle époque et à quelle occasion a-t-il écrit une épître aux Hébreux ?

Le bienheureux Paul écrit aux Romains : « Tant que je serai l’apôtre des gentils, j’honorerai mon ministère, en lâchant d’exciter de l’émulation dans ceux qui me sont unis selon la chair », (Rom. 11,13-14) ; et ailleurs il dit encore : « Celui qui a agi efficacement dans Pierre, pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre l’apôtre des gentils ». (Gal. 2,8) Donc il était l’apôtre des gentils, ce qui résulte des Actes des apôtres où Dieu lui dit : « Va, je vais t’envoyer bien loin chez les gentils ». (Act. 22,21) Qu’avait-il – de commun avec les Hébreux ? Pourquoi cette épître qu’il leur adresse, lui surtout qui leur inspirait une haine évidemment prouvée par plusieurs passages ? Écoutez ce que lui dit Jacques : « Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru, eh bien ! ils ont tous entendu dire que tu leur prêches l’apostasie de la loi » (21, 20 ; 21) : et bien des questions lui furent souvent adressées à ce sujet.
Pourquoi donc, dira quelqu’un, versé comme il était dans la loi, en disciple élevé aux pieds de Gamaliel, pourquoi transporté comme il était du zèle de cette loi, et capable par conséquent de confondre ses adversaires, n’a-t-il pas été envoyé par Dieu aux juifs ? C’est que toutes ces qualités étaient précisément autant de titres à leur antipathie. Cette antipathie, Dieu la connaissait d’avance ; il savait que Paul ne serait pas accueilli par les juifs. Il lui dit donc : « Va trouver les gentils, car les juifs ne recevront pas le témoignage que tu leur rendras de moi ». (Act. 22,18) Il répondit : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que c’était moi qui mettais en prison et, qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous, et que lorsqu’on répandait le sang de votre martyr Étienne, j’étais présent, je consentais à sa mort et je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient ». (Id. 19,20) Il veut montrer et prouver par là qu’on ne croira pas à sa parole. Car il en est ainsi : une nation se voit-elle abandonnée par un homme infime et de nulle valeur, cet abandon ne lui fait pas grand-peine. Mais si le transfuge est un homme distingué et brûlant de zèle qui partageait autrefois ses idées, cet abandon est pour la nation entière un chagrin, un tourment, c’est une atteinte gravé portée à ses dogmes. Il y avait encore une chose qui pouvait rendre les juifs incrédules. Pierre et les autres avaient vécu avec le Christ ; ils avaient été témoins de ses prodiges et de ses miracles ; mais, pour Paul, rien de tout cela n’avait eu lieu. C’était un transfuge qui, après avoir été avec les juifs, était tout à coup passé dans notre camp, ce qui avait donné beaucoup de force à notre doctrine. Les autres pouvaient passer pour des témoins complaisants qui rendaient témoignage à un maître bien-aimé qu’ils regrettaient ; mais lorsque Paul témoignait de la résurrection de Jésus-Christ, il était évident qu’il n’écoutait que la voix de la vérité. Aussi voyez-les à l’œuvre : ils le détestent du fond du cœur ; ils excitent contre lui la sédition, ils font tout pour le perdre. Mais, si les juifs incrédules avaient leurs raisons pour lui être hostiles, pourquoi les croyants ne l’aimaient-ils pas ? C’est qu’il était obligé de prêcher aux gentils la religion chrétienne dans toute sa pureté, et, si parfois il se trouvait en Judée, il ne faisait nulle attention au pays où il était. Pierre et ses compagnons prêchaient à Jérusalem, où le zèle de la loi était dans toute sa ferveur ; ils devaient donc permettre l’observation de la loi mais Paul usait d’une grande liberté. Il y avait plus de gentils que de juifs en dehors de. Jérusalem. Ce qui les détachait de la loi, ce qui les portait à s’en affranchir, c’est que Paul prêchait le pur christianisme. De là ces avis adressés à Paul, pour l’engager à respecter la multitude : « Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs ont cru ; eh bien ! ils te haïssent, parce qu’ils ont oui dire que tu prêches aux juifs d’apostasier leur loi ».
Pourquoi donc écrit-il aux juifs, puisqu’il n’est pas chargé de les instruire ? Où leur écrit-il ? A Jérusalem et en Palestine, sel6n moi. Mais comment leur écrit-il ? Comme il baptisait sans en avoir reçu l’ordre. Il dit, en effet (1Cor. 1,17), qu’il n’a pas reçu mission de baptiser ; non que cela lui fût interdit, mais c’était un surcroît à son œuvre. Et pourquoi n’écrivait-il pas à ceux pour lesquels il eût voulu être anathème ? (Rom. 9,3) C’est ce qui lui faisait dire. « Vous savez que notre frère Timothée est en liberté, et, s’il vient bientôt, je viendrai vous voir avec lui ». (Héb. 13,23) À cette époque, il n’était pas encore prisonnier. Après deux ans de détention à Rome, il sortit enfin de prison. Puis il partit pour l’Espagne, se rendit ensuite en Judée et vit les Juifs. Ce fut alors qu’il revint à Rome, où il fut mis à mort sous Néron. Cette épître est postérieure à celle à Timothée, où il est dit : « Je suis comme une victime que l’on va immoler » ; et la première fois que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté. (2Tim. 4,6, 16) Car il a eu bien des luttes à soutenir. Ainsi il écrit aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des églises de la Judée ». (1Thes. 2,14) Et s’adressant aux juifs eux-mêmes, il leur dit : « C’est avec joie que vous avez accepté le pillage de vos biens ». (Héb. 10,34) Voyez comme il a combattu. Ah ! s’ils traitaient ainsi les apôtres, non seulement en Judée, mais partout où ils les rencontraient, comment auraient-ils traité le reste des fidèles ? Aussi voyez quelle est pour ces fidèles la sollicitude de Paul, lorsqu’il dit : « Je vais prêter mon ministère aux saints de Jérusalem » (Rom. 15,25), lorsqu’il exhorte les Corinthiens à la bienfaisance, en disant que les Macédoniens ont déjà contribué (2Cor. 1,3), en ajoutant que, s’il le faut, il partira, lorsqu’il dit : « Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, de que j’ai eu aussi grand soin de faire ». C’est la même sollicitude qui le guide (Gal. 2,10) ; c’est elle encore qui lui dicte ces paroles : « Ils nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d’union, pour que nous prêchions l’Évangile aux gentils, et eux aux circoncis ». (Id. 9) Il ne parle pas ainsi des pauvres qui étaient là. Mais il veut nous faire participer à l’œuvre de la bienfaisance qui a ces pauvres pour objet. Il n’en est pas, en effet, de la charité comme de la prédication. Nous n’avons pas chargé les uns de faire la charité aux juifs, les autres de la faire aux gentils. Vous voyez cette sollicitude de Paul, qui s’exerce en tous lieux, et c’était justice. Dans les autres pays où les juifs vivaient pêle-mêle avec les gentils, les choses ne se passaient pas comme en Judée. La Judée avait conservé une apparence de liberté ; les Juifs étaient encore autonomes, et n’étaient pas pleinement soumis aux Romains. Quoi d’étonnant s’ils s’arrogeaient le pouvoir le plus tyrannique ? Si dans les villes appartenant aux gentils, comme à Corinthe, ils frappaient le chef de la synagogue, sous les yeux même du proconsul siégeant à son tribunal, que ne devaient-ils pas faire en Judée ?
2. Vous voyez comme dans ces villes, les juifs traînent les apôtres devant les magistrats, en réclamant contre eux l’assistance des gentils. Chez eux, ils n’agissent pas ainsi, ils convoquent un conseil et punissent ceux qu’il leur plaît. C’est ainsi qu’ils ont fait périr Étienne, c’est ainsi qu’ils ont fait subir aux apôtres le supplice du fouet, sans consulter les magistrats ; c’est ainsi qu’ils auraient fait périr Paul, sans l’intervention d’un tribun. Quand ils se livraient à de pareils excès, l’autorité des pontifes subsistait encore, le temple était debout ; ils avaient conservé leur culte et leurs sacrifices. Voyez Paul au tribunal du grand prêtre. « Je ne savais pas que c’était le grand prêtre », dit-il (Act. 23,5) ; et cela se passait devant un magistrat romain, tant les Juifs prenaient de licence 1 Voyez quel était à cette époque le malheur des fidèles qui habitaient Jérusalem et le reste de la Judée ! Quoi d’étonnant alors, si l’homme qui voulait être anathème pour les incrédules, et qui s’inquiétait si fort des nouveaux convertis, si l’homme qui consentait à partir au besoin, pour leur venir en aide, daigne leur écrire pour les consoler et pour relever leur courage ? Leurs forces et leurs cœurs succombaient sous le poids de leurs tribulations. C’est ce que montre évidemment la fin de cette épître : « Relevez donc », leur dit saint Paul, « vos mains languissantes et vos genoux affaiblis ». (Héb. 12,12) Et il dit aussi : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas » ; et plus bas : « Si vous n’êtes point châtiés, quand tous les autres l’ont été, vous êtes donc des bâtards et non des fils légitimes ». (Id. 10,37, et XII, 8) En leur qualité de juifs, ils avaient appris de leurs frères qu’ils devaient s’attendre à rencontrer sous leurs pas lesbiens et les maux, et que la vie était ainsi faite. Maintenant tout leur était contraire. Les biens n’étaient pour eux que des espérances qui devaient se réaliser après leur mort ; les maux, ils les touchaient du doigt, et l’excès de leurs souffrances était bien capable de les abattre.
Voilà pourquoi Paul s’étend sur ce chapitre. Mais nous développerons ce sujet en son lieu ; pour le moment nous nous bornerons à montrer qu’il devait nécessairement écrire à des hommes dont le sort lui causait tant d’inquiétude. Quoiqu’il ne leur ait pas été envoyé pour les motifs que nous connaissons, rien ne l’empêchait de leur écrire. C’est à leur abattement qu’il fait allusion par ces mots : « Relevez vos mains languissantes, vos genoux qui fléchissent, et marchez dans la droite voie » ; et il leur dit en outre : « Dieu n’est pas injuste pour oublier vos œuvres et votre charité ». (Id. 22,12 ; 13, et VI, 10) Car l’âme ébranlée par des tentations fréquentes, est sujette à sortir du giron de la foi. De là ces exhortations de Paul qui cherche à les raffermir et à les garantir de l’incrédulité. Voilà pourquoi, dans cette épître surtout, il s’étend sur le chapitre de la foi, et leur montre enfin par de nombreux exemples, que leurs pères aussi n’ont pas vu se réaliser ces promesses d’un bonheur immédiat : Puis, afin que dans leur malheur ils ne se crussent point tout à fait abandonnés de Dieu, il les instruit de deux manières. Il les engage d’abord à supporter toutes les tribulations avec courage, ensuite à espérer une palme assurée ; car Dieu ne laissera pas sans récompense Abel et les justes qui lui ont succédé. Puis il leur offre trois sortes de consolations : c’est la passion du Christ qu’il leur offre pour exemple ; le serviteur ne doit pas être mieux traité que le maître ; ce sont les prix que Dieu propose à ceux qui croient en lui : c’est enfin la nature même des tribulations auxquelles ils sont en proie. Pour affermir leurs cœurs, il invoque non seulement l’avenir qui aurait pu ne pas faire assez d’impression sur eux, mais le passé et l’histoire des malheurs de leurs pères. Et c’est ainsi ce que fait le Christ, lorsqu’il déclare que l’esclave n’est pas plus grand que le maître, lorsqu’il affirme qu’il y a plus d’une place auprès de son père, lorsqu’il ne cesse de crier : Malheur aux incrédules !
L’apôtre fait souvent mention de l’Ancien et du Nouveau Testament, parce qu’il remarquait que c’était là un puissant moyen pour les faire croire à la résurrection. Pour que la passion de Notre-Seigneur ne jette aucun doute sur sa résurrection, il entasse autour de ce dogme les témoignages des prophètes, et apprend à ses auditeurs que c’est notre religion et non celle des juifs qu’il faut vénérer. C’est que le temple était encore debout avec ses sacrifices, et voilà ce qui lui fait dire : « Sortons du camp, en portant l’ignominie de sa croix ». (Héb. 13,13) Ici des contradicteurs pouvaient lui dire : Si tout cela est ombre et symbole, pourquoi toutes ces ombres ne passent-elles pas, pourquoi ne s’effacent-elles pas aux rayons de la vérité qui se lève ? Pourquoi l’ancien état de choses est-il toujours florissant ? Il leur fait donc entendre que ce qui n’est point encore arrivé, arrivera en temps et lieu. Il leur fait voir enfin qu’autrefois déjà, et pendant longtemps, ils avaient persévéré dans la foi, au milieu des tribulations. Depuis le temps qu’on vous instruit, leur dit-il, vous devriez déjà être maîtres. – Que nul d’entre vous ne laisse pénétrer dans son cœur le poison de l’infidélité. – « Vous vous êtes rendus les imitateurs de ceux qui, par leur foi et parleur patience, sont devenus les héritiers des promesses ». (Id. 5,12 ; 3, 12 ; 6, 12)

HOMÉLIE PREMIÈRE.

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DIEU AYANT PARLÉ AUTREFOIS A NOS PÈRES EN DIVERS TEMPS ET EN DIVERSES MANIÈRES PAR LES PROPHÈTES, NOUS A ENFIN PARLÉ, EN CES DERNIERS JOURS, PAR SON PROPRE FILS, QU’IL A FAIT HÉRITIER DE TOUTES CHOSES, ET PAR QUI IL A MÊME CRÉÉ LES SIÈCLES. (I, 1, 2)

Analyse.

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  • 1. Éloge de saint Paul. – Il est plus grand que les prophètes. – Grandeur du Fils de Dieu. 2. Paul réfute les ariens. – Degrés de la grandeur du Christ.
  • 3. Exhortation à la vertu. – Ce qu’on fait à son prochain, on le fait à Dieu.
  • 4. La médisance, l’envie, l’avarice, la colère retombent sur ceux qui s’en rendent coupables. – Peines de l’enfer. – Exhortation à l’aumône. – Explication de ces paroles de l’Évangile : Facite vobis amicos ex mamona iniquitatis.


1. Oui, partout où abondent les péchés, on voit surabonder la grâce. (Rom. 5,20) C’est ce que fait entendre le bienheureux Paul, eh commençant son épître aux Hébreux. Naturellement, les tortures, les persécutions auxquelles ils avaient été en butte de la part des méchants, devaient les rabaisser à leurs propres yeux, au-dessous des autres. Paul leur montre donc que ces persécuteurs mêmes leur ont fait obtenir une grâce surabondante. Au début même de son discours, il éveille l’attention de ses auditeurs, auxquels il dit : « Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et en diverses manières par les prophètes, nous a enfin parlé, en ces derniers jours, par son propre Fils ».
Pourquoi Paul ne s’est-il pas comparé aux prophètes ? Il les surpassait de toute la grandeur de sa mission. Mais il n’en fait rien et pourquoi ? C’est qu’il ne voulait pas se glorifier ; c’est que ses auditeurs n’étaient point parfaits ; c’est qu’il voulait les relever davantage à leurs propres yeux, et leur montrer leur supériorité : C’est comme s’il disait : Quelle faveur si grande Dieu a-t-il fait à nos pères, en leur envoyant les prophètes ? Il nous a envoyé à nous son Fils unique. Ces belles paroles : « En divers temps et en diverses manières », montrent que les prophètes eux-mêmes n’ont pas vu Dieu, tandis que le Fils de Dieu l’a vu. « J’ai », dit le Très-Haut, « multiplié les visions, et entre les mains des prophètes j’ai pris diverses figures ». (Os. 12,10) Nous avons donc sur nos pères deux avantages : Dieu leur a envoyé les prophètes tandis qu’il nous a envoyé son Fils ; les prophètes n’ont pas vu Dieu, et le Fils de Dieu l’a vu. Cette vérité, il ne l’expose pas tout d’abord ; il la prouve par ce qui suit, en disant, à propos de l’humanité : « Dieu a-t-il jamais dit à quelqu’un de ses anges : « Tu es mon fils ? » et. « Assieds-toi à ma droite (5, 13) ? » Voyez ici l’habileté de l’orateur. Il commence par citer les prophètes, pour montrer notre supériorité. Puis, quand il a bien établi ce fait qui doit être tenu pour constant, il déclare que Dieu a parlé à nos pères, par la bouche des prophètes, et à nous, par la bouche de son Fils unique ; et s’il leur a parlé par la bouche des anges (car les anges aussi se sont entretenus avec les juifs), notre supériorité est encore ici la même. Nous avons eu affaire au maître ; ils n’ont eu affaire qu’aux serviteurs. Car les anges, aussi bien que les prophètes, sont les serviteurs de Dieu.
C’est avec raison qu’il dit : « Dans ces derniers temps ». De telles paroles les relèvent et les consolent dans leur accablement. Et ailleurs : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude » (Phil. 4,6) ; puis encore : « Maintenant notre salut est plus proche que, lorsque, nous avons cru ». C’est encore ainsi, qu’il procède en repassage. Que dit-il donc ? Il dit que l’athlète qui s’est consumé, qui s’est épuisé dans la lutte, dès qu’il apprend la fin du combat, commence à respirer, envoyant arriver le terme de ses fatigues, et le commencement du repos.
« En ces derniers jours, il nous a parlé en son Fils ». Voici cette parole qui revient. « Par » son Fils, répète-t-il, pour confondre ceux qui veulent que cela s’applique à l’Esprit-Saint. Ici, « en » signifie « par », comme vous voyez. Ces mots, « dans ces derniers temps », ont encore un autre sens. Lequel ? Le voici. Il y avait longtemps que nous devions être châtiés, que les grâces nous avaient abandonnés, que nous avions perdu tout espoir de salut, que nous nous attendions à voir fondre sur nous de toutes parts un déluge de maux. C’est alors que Dieu nous a donné davantage. Mais voyez les précautions oratoires de Paul. Il ne dit pas : Le Christ a parlé, quoique le Christ eut parlé en effet. Mais ses auditeurs étaient faibles d’esprit, et ne pouvaient encore entendre ce qui se rapportait au Christ. Il leur dit donc ; « Il nous a parlé en son Fils ». Que dis-tu là, Paul ? Dieu nous a parlé par son Fils ! Oui sans doute.
Mais où donc est la supériorité ? Car tu as démontré que l’Ancien et le Nouveau Testament sont d’un seul et même auteur ; la supériorité de celui-ci n’est donc pas grande. Voilà pourquoi il poursuit, et il s’explique en ces termes : « Et il nous a parlé en son Fils ». Voyez comme Paul se met en cause et sur la même ligne que ses disciples, en disant : Il « nous » a parlé. Pourtant ce n’est pas à lui qu’il a parlé, c’est aux apôtres, et par eux, à beaucoup d’autres. Mais il les relève à leurs propres yeux, et leur montré qu’à eux aussi il leur a parlé. Et en même temps ce sont les juifs qu’il attaque ; car presque tous ces hommes ; auxquels les prophètes ont parlé, étaient de grands coupables et des monstres. Et ce n’est pas encore d’eux qu’il parle, mais il parle des bienfaits de Dieu à leur égard. Voilà pourquoi il ajoute : « Qu’il a institué son héritier universel ». Il parle ici de la chair : et c’est ainsi que David a dit : « Demande, et je le donnerai les nations pour héritage ». Car ce n’est plus Jacob qui est la part de Dieu ; ce n’est plus seulement Israël qui est son lot, mais l’univers est à lui. Que veulent dire ces mots : « Qu’il a institué son héritier ? » Ces mots veulent dire qu’il l’a fait maître et Seigneur de toutes choses. C’est aussi ce que dit Pierre dans les Actes. « Dieu l’a fait Seigneur et Christ ». (Act. 2,36) Ce nom « d’héritier », a deux significations : il désigne le propre Fils, le véritable Fils de Dieu. Il veut dire aussi que son titre de maître ne peut lui être arraché. « Héritier universel », c’est-à-dire du monde entier. Puis il revient à ce qu’il a dit d’abord : Par lequel il a fait aussi les siècles.
2. Où sont ceux qui disent : Il était quand il n’était pas ? Avançant ensuite par degrés, Paul s’élève bien plus haut : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu’il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté (3). Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur (4) ». O qu’elle, est grande cette sagesse de l’apôtre ! Mais que dis-je ? Ce n’est pas la sagesse de Paul, c’est celle du Saint-Esprit qu’il faut admirer ici. – Ce n’est pas de son propre fonds qu’il a tiré ces paroles ; il n’aurait pas trouvé par lui-même une telle sagesse. Où donc aurait-il appris ce langage ? Serait-ce dans son atelier, au milieu de ses peaux, et son couteau à la main ? Ah ! c’était une inspiration divine qu’un semblable langage. De telles pensées ne pouvaient éclore dans cette intelligence grossière et, simple qui ne dépassait pas celle des gens du peuple. Et pouvait-il en être autrement chez un homme dont les facultés étaient concentrées sur son commerce de peaux ? C’était donc la grâce de l’Esprit-Saint qui opérait en lui, cette grâce qui choisit, pour montrer sa puissance, les instruments qu’il lui plaît. Voulez-vous amener un enfant jusqu’à une hauteur dont la cime touche au ciel même, vous le conduisez doucement et peu à peu par les pentes inférieures, puis, quand vous l’avez fait monter, vous lui dites de regarder en bas ; le voyez-vous saisi de vertige, troublé, comme si ses yeux étaient couverts d’un brouillard, vous le prenez, vous le reconduisez plus bas, et vous lui donnez le temps de respirer, puis, quand il a repris ses sens, vous le faites alternativement remonter et descendre. Cette méthode, le bienheureux Paul l’a appliquée aux Hébreux, et partout, après l’avoir apprise de son Maître. Oui, telle est sa méthode : tantôt il élève, tantôt il abaisse les âmes de ses auditeurs, sans jamais leur permettre de rester longtemps dans le même état. Voyez comme il s’y prend dans, ce passage, et combien de degrés il leur fait d’abord gravir. Puis, quand il les a fait monter jusqu’au sommet de la piété, avant qu’un vertige ténébreux ne les saisisse, comme il les fait redescendre, comme il les laisse respirer, en leur disant : « Il nous a parlé en son Fils » ; et plus bas : « En son Fils qu’il a institué son héritier universel ». Quand on comprend cette filiation, on reconnaît que c’est le plus beau de tous les titres, et, quel qu’il soit, on reconnaît que ce titre vient d’en haut.
Voyez comme il commence par placer ses auditeurs à un degré inférieur, par ces mois : « Qu’il a fait héritier de toutes choses ? » Car cette expression « qu’il a fait héritier » n’a rien de bien relevé. Puis il les fait monter plus haut, quand il leur dit : « Par qui il a même créé les siècles ». Enfin il les fait monter encore et jusqu’à une hauteur au-dessus de laquelle il n’y a plus rien, dans ce passage : « Comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Oui : c’est jusqu’aux régions de la lumière matérielle, jusqu’aux régions mêmes de la splendeur qu’il les a fait monter. Mais avant qu’un brouillard couvre leur vue, voyez comme il les fait doucement redescendre, en leur disant : « Comme il soutient tout par la puissance de sa parole, après nous avoir purifiés de nos péchés, il est assis au plus haut du ciel, à la droite, de la souveraine Majesté ». Il ne s’est pas contenté de dire : « Il est assis au plus haut du ciel » ; il a ajouté : « Après la purification de nos péchés ». Voilà le mystère de l’Incarnation, ce mystère, d’humilité. Il s’élève ensuite en disant : « Il est assis au plus haut du ciel, à la droite de la souveraine Majesté ». Puis il prend un langage plus humble et il ajoute:« Étant aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur ». Paul parle ici de ce qui se rapporte à la chair. Par ce mot : Son père l’a « fait » plus grand que les anges ; l’apôtre ne parle point de sa filiation spirituelle ; car sous ce rapport, il n’a pas été fait ni créé, mais engendré. Il parle de sa filiation charnelle ; car sous ce rapport, il a été fait et créé.
Mais pour le moment il n’est pas question de son essence. Jean avait dit : « Celui qui vient « après moi m’a été préféré, parce qu’il était avant moi ». C’est comme s’il avait dit : Il est plus honoré, plus glorieux que moi. De même ici Paul dit à son tour : « Étant aussi élevé au-dessus des anges », c’est-à-dire, leur étant aussi supérieur en vertu et en gloire, que le, nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur. Paul, remarquez-le bien, parle ici, de la chair, car ce nom de Dieu-Verbe ; il l’a toujours possédé ; ce n’est pas là un héritage qui lui est survenu avec le temps, et il n’est pas devenu meilleur que les anges, à dater du jour où il nous a purifiés de nos péchés, mais il leur a toujours été supérieur et incomparablement supérieur. Paul parle ici au point de vue de la chair. C’est ainsi qu’en parlant de l’homme, nous le rabaissons et nous l’élevons tour à tour. Quand nous disons. L’homme n’est rien, l’homme est terre, l’homme est poussière, nous prenons l’homme entier par son plus bas côté. Quand nous disons au contraire : L’homme est immortel et doué : de raison, il a quelque chose de céleste, nous prenons l’homme entier par son côté le plus noble. Il en est de même du Christ : tantôt c’est ce qu’il y a d’inférieur, tantôt c’est ce qu’il y a de supérieur en sa personne que Paul considère, pour établir le dogme de l’Incarnation et pour montrer en même temps sa nature immortelle.
3. Puis donc que le Christ nous a purifiés de nos péchés, restons purs et immaculés ; cette beauté qu’il nous a donnée, cet éclat, gardons-nous d’en ternir la pureté : point de tache, point de ride, rien qui y ressemble ! Les taches et les rides, ce sont les fautes même légères ; ce sont les médisances, les injures, les mensonges. Mais que dise ? Ce ne sont pas là des fautes légères ; ce sont au, contraire des fautes graves et tellement graves qu’elles nous font perdre le royaume des cieux. Et voici comment : celui qui traite son frère d’insensé, encourt, est-il dit, le supplice de la géhenne. Or si telle est la peine qu’entraîne une injure qui semble si légère, et qui a l’air d’un jeu d’enfant, celui qui traite son frère d’homme sans mœurs, de misérable envieux ; et qui l’accable d’outrages, à quel châtiment ne s’expose-t-il pas ? Quoi de plus affreux que sa situation ? Mais laissez-moi poursuivre, je vous prie. Si ce qu’on fait à la plus infime créature, c’est à Dieu qu’on le fait, si ce qu’on ne fait pas à la plus infime créature, c’est à Dieu qu’on ne le fait pas, n’est-on pas louable ou blâmable, comme si cette créature était Dieu lui-même ? Ouf, c’est offenser Dieu que d’offenser son frère ; c’est honorer Dieu que d’honorer son frère.
4. Apprenons donc à notre langue à parler, comme il faut que notre langue, est-il dit, s’abstienne de dire le mal. Nous ne l’avons pas reçue de Dieu pour en faire un instrument d’accusation, d’insulte et de calomnie. Nous devons nous en servir, pour chanter les louanges de Dieu, pour en faire l’instrument de la, grâce, pour édifier notre prochain, pour lui être utile. Vous avez médit de quelqu’un ? Eh bien ! qu’avez-vous gagné à vous faire tort ainsi à vous-même, à passer pour un médisant ? Le mal, en effet, le mal ne s’arrête pas à celui qui en est victime ; il remonte jusqu’à son auteur. L’envieux, par exemple, en croyant faire tomber les autres dans ses pièges, est le premier à recueillir le fruit de son injustice ; il se dessèche, il se flétrit, et se rend odieux à tout le monde. L’avare dépouille les autres de leur argent, mais il se prive lui-même de toute affection ; que dis-je ? il s’attire les malédictions de tout le monde. Or bonne renommée vaut bien mieux que richesse. L’une n’est pas facile à ôter ; l’autre est facile à perdre. Il y a plus. N’ayez pas de fortune, on ne vous fait pas un crime de votre indigence ; mais si vous n’avez une bonne réputation, vous voilà en butte au blâme, à la risée, à la haine générale ; vous voilà en guerre avec la société. L’homme irascible se punit en se déchirant lui-même avant de châtier celui qui est l’objet de sa colère. Peut-être même est-il réduit à se retirer, après s’être acquis la réputation d’un scélérat et d’un homme abominable, tandis qu’il rend plus intéressante la personne qu’il a attaquée. Quand l’objet de vos médisances, loin de vous rendre la pareille, vous loue et vous admire, c’est son éloge qu’il fait et non pas le vôtre. Car, je l’ai dit plus haut, si la médisance frappe d’abord son auteur, le bien profite d’abord à celui qui le fait. Oui, le bien et le mal que vous faites, commencent, et c’est justice, par tomber sur vous. L’eau salée, aussi bien que l’eau douce, remplit les vases dans lesquels on la puise, sans que sa source diminue ; il en est de même du vice ou de la vertu : ils font le bonheur ou la perte de celui dont ils émanent. Voilà la vérité.
Quelle parole pourrait décrire les peines ou les récompenses qui nous sont réservées dans l’autre vie ? La parole ici est impuissante. Les récompenses dépassent toute idée et à plus forte raison, toute expression. Les peines ont des noms que nous sommes accoutumés à leur donner. Il y a, dit-on, pour les coupables, du feu, des ténèbres et un ver toujours dévorant, mais il n’y a pas seulement les peines énumérées ci-dessus ; il y a des châtiments bien plus terribles encore. Voulez-vous me comprendre ? vous devez tout d’abord faire la réflexion suivante. Dites-moi : S’il y a du feu, comment y a-t-il des ténèbres ? Voyez-vous combien ce feu est plus terrible que le nôtre ; c’est un feu qui ne s’éteint pas. Aussi l’appelle-t-on le feu éternel. Pensons donc quel malheur c’est de brûler sans cesse, d’âtre plongé dans les ténèbres, de se répandre en gémissements, et de grincer des dents sans qu’on vous écoute. Si un homme bien élevé, jeté dans un cachot, trouve que l’odeur fétide de la prison, les ténèbres et la société des hommes de sang à elles seules, sont plus cruelles que la mort la plus affreuse, qu’est-ce donc, songez-y bien, de brûler toujours en compagnie des assassins qui ont infesté la terre, de briller sans rien voir, sans être vu de personne, en se croyant seul au milieu de toute cette foule de coupables ? Au milieu de ces ténèbres profondes, ne pouvant apercevoir ceux qui seront près de lui, chacun de nous croira être seul à souffrir. Si les ténèbres suffisent pour troubler nos âmes oppressées, que sera-ce, dites-moi, lorsqu’à l’horreur des ténèbres se joindra l’horreur des tourments ? C’est pourquoi, je vous en conjure, réfléchissez sans cesse à ces mystères de l’autre vie, et supportez l’ennui que peuvent vous causer mes paroles, polir n’avoir pas à supporter des supplices qui ne sont que trop réels. Car tout ce que je vous dis là s’accomplira de point en point. De tous ceux qui auront mérité d’être punis, pas un seul n’échappera au châtiment. Personne, ni père, ni mère, ni frère, ne pourra obtenir leur grâce, quelque puissante que soit sa parole, quelque grand que soit son crédit auprès de Dieu. « Le frère ne rachète pas ; l’homme rachètera-t-il ? » C’est Dieu qui donne à chacun selon ses œuvres ; ce sont nos œuvres qui feront notre salut ou notre perte.
« Faites-vous des amis avec l’argent de l’injustice » : c’est l’ordre du Seigneur, et nous devons obéir ; que le superflu de nos richesses soit versé dans le sein de l’indigence ; faisons l’aumône, tandis que nous le pouvons : c’est se faire des amis avec de l’argent : laissons tomber nos richesses entre les mains des pauvres, pour que ce feu tombe et s’éteigne, pour que nous paraissions là-haut avec confiance. Ce ne sont pas ceux qui nous accueillent, ce sont nos œuvres que nous trouverons là-haut pour nous défendre : que nos amis soient incapables de nous sauver, c’est ce que nous apprend ce qui vient ensuite. Pourquoi en effet le Christ n’a-t-il pas dit : Faites-vous des amis, pour qu’ils vous reçoivent dans lés demeures éternelles ? Pourquoi nous a-t-il indiqué en outre le moyen de nous en faire ? Ces mots avec « l’argent de l’iniquité » prouvent que ce sont nos richesses qui doivent nous faire des amis. Nous voyons par là que l’amitié à elle seule ne pourra nous défendre, si nous ne faisons provision de bonnes. œuvres, si la justice ne préside pas à l’emploi de ces richesses, injustement amassées. Ce que nous disons de l’aumône, doit s’appliquer non seulement aux riches, mais aux pauvres. Celui-là même qui vit d’aumône doit prendre pour lui nos paroles. Car il n’y a pas, non il n’y a pas de pauvre, quelque pauvre qu’il soit, qui ne possède deux petites pièces d’argent. Le pauvre qui prend sur le peu qu’il a pour donner peu de chose, peut être supérieur au riche qui donne plus que lui témoin la veuve. Car ce n’est pas à l’importance de la somme, mais au moyen et à la bonne volonté de celui qui donne que se mesure l’aumône. Ce qu’il faut toujours avoir, c’est la bonne volonté ; ce qu’il faut toujours avoir, c’est l’amour de Dieu. Que ce mobile nous fasse toujours agir, et quelque modeste que soit notre avoir, quelque modeste que soit notre aumône, Dieu ne se détournera pas de nous, et notre offrande sera reçue de lui, comme si elle était riche et magnifique : c’est la bonne volonté, ce n’est pas le don qu’il regarde ; et si notre bonne volonté lui parait grande, le souverain Juge nous accordé son suffrage et nous fait participer aux biens éternels. Puissent-ils devenir notre partage à tous, par sa grâce et sa miséricorde !

HOMÉLIE II.

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QUI, ÉTANT LA SPLENDEUR DE SA GLOIRE ET LE CARACTÈRE DE SA PUISSANCE, SOUTIENT TOUT PAR LA PUISSANCE DE SA PAROLE, APRÈS NOUS AVOIR PURIFIÉS DE NOS PÉCHÉS. (1, 3)

Analyse.

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  1. C’est avec respect que nous devons parler de Dieu. – Hérésies de Marcellus et de Photin. – Contre Sabellius et Arius.
  2. Hérésie de Paul de Samosate. – Réfutation d’Arius, de Sabellius, de Marcellin, de Photin et de Marcion.
  3. Créer le monde est une œuvre moins grande que de le conserver. – Le Fils de Dieu est tel, non seulement par la grâce, mais par la nature.
  4. Exhortation à l’humilité. – Combien les choses de cette vie sont passagères.
  5. La condition du pauvre vaut mieux que celle du riche.

1. L’esprit de piété est nécessaire en toute circonstance, mais surtout lorsque l’on parle ou qu’on entend parler de Dieu : la langue en effet ne peut proférer, l’oreille ne peut entendre de parole qui soit à la hauteur de la divinité. Et que dis-je, la langue et l’oreille ? notre âme qui leur est bien supérieure ne nous fournit pas des idées bien exactes, quand nous voulons parler de Dieu. Car si la paix de Dieu est au-dessus de toute intelligence, si l’image des biens préparés à ceux qui l’aiment ne peut entrer dans le cœur humain, combien le Dieu de paix lui-même, le créateur de l’univers, ne dépasse-t-il pas mille fois la mesure de notre raison ! Il faut donc, avec foi et piété, accepter tous les mystères, et c’est quand notre faible raison ne peut saisir sa parole que nous devons surtout glorifier Dieu, ce Dieu si supérieur à notre intelligence et à notre raison. Car nous avons sur Dieu bien des idées que nous ne pouvons exprimer ; nous avançons à son sujet bien des propositions que nous ne pouvons comprendre. Nous savons par exemple que Dieu est partout ; mais comment cela se fait-il ? nous ne le comprenons pas. Nous savons que c’est une force immatérielle, source de tout bien. Mais quelle est cette force ? bous j’ignorons. Ici nous parlons sans comprendre. Il est partout : je l’ai dit ; mais je ne le comprends pas. Il n’a pas eu de, commencement ; je parle encore sans comprendre. Je dis qu’il a engendré un Fils de lui-même, et ici encore je trouve mon intelligence en défaut. Il y a donc de ces choses qu’on ne peut pas même exprimer. L’intelligence conçoit ; mais la parole est impuissante. Et tenez ; vous allez voir la faiblesse de Paul lui-même, vous allez le voir dans l’impuissance de s’expliquer clairement, et vous frémirez, et vous n’en demanderez pas davantage. Écoutez seulement. Après avoir parlé du Fils de Dieu et avoir établi qu’il est le créateur, qu’ajoute-t-il ? « Qui était la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Il faut accepter ces paroles avec piété, en en retranchant tout sens déplacé. « La splendeur de sa gloire », dit-il. Mais voyez dans quel sens Paul prend ces paroles, et prenez-les dans le même sens que lui. Il veut dire que le Christ tire de lui-même cette splendeur, qu’elle ne peut souffrir d’éclipse, qu’elle n’Est susceptible ni d’augmentation ni de diminution. Il y a des hommes qui s’emparent de cette image, pour en tirer des conséquences absurdes. La splendeur, disent-ils, n’est pas une substance, mais elle a une existence dépendante.
O homme ! ne prenez pas ainsi la parole de l’apôtre ; ne gagnez pas la maladie de Marcellus et de Photin. Paul vous met lui-même sous la main un préservatif contre cette erreur ; il ne veut pas vous voir affligé de cette maladie mortelle. Que vous dit-il encore ? « Le caractère de sa substance ». Cette parole qu’il ajoute montré que, tout comme le Père, le Fils subsiste en lui-même. Par cette parole, il vous fait voir qu’il n’y a pas entre eux de différence, il met devant vos yeux le caractère propre et original du Fils de Dieu, il vous apprend qu’il subsiste en lui-même dans son hypostase. Après avoir dit que Dieu a créé toutes choses par lui, il lui attribue ici la souveraine autorité. Qu’ajoute-t-il en effet ? « Soutenant tout par la parole de sa puissance ». Par là il veut nous faire toucher du doigt non seulement le caractère de sa puissance, mais l’autorité souveraine avec laquelle il gouverne tout. Voyez comme il attribue au Fils les qualités du Père. Pourquoi ne s’est-il pas contenté de dire : « Soutenant tout ? » Pourquoi n’a-t-il pas dit simplement : Par sa puissance ? Pourquoi a-t-il dit : « Par la parole de sa puissance ? » Tout, à l’heure il s’élevait peu à peu, pour redescendre bientôt ; maintenant encore de degrés en degrés, pour ainsi dire, il s’élève bien haut, puis il redescend et nous dit : « Par lequel il a créé les siècles ». Voyez comme il sait ici se frayer un double chemin. Pour nous détourner des hérésies de Sabellius et d’Arius, dont l’un ne conserve de Dieu que la substance, dont l’autre partage la nature de Dieu en deux natures inégales, il bat complètement en brèche ces deux systèmes. Et comment s’y prend-il ? Il tourne et retourne sans cesse les mêmes idées pour qu’on n’aille pas s’imaginer que le Fils ne procède pas de Dieu, et qu’il lui est étranger. Et n’allez pas trouver son discours étrange, puisque, après une pareille démonstration, il s’est trouvé des hommes qui ont dit que le Christ n’avait rien de commun avec Dieu, qui lui ont donné un autre père, qui le déclarent ennemi de Dieu ; que n’aurait-on pas dit, si Paul n’avait pas tenu ce langage ? Obligé de remédier à ces erreurs, il est obligé aussi d’employer un langage plus humble et de dire : Dieu l’a institué son héritier universel, et c’est par lui qu’il a fait les siècles. Puis d’un autre côté, pour ne pas porter atteinte à la grandeur du Christ, il s’élève et parle de sa puissance. Il le met sur la même ligne que le Père, si bien que beaucoup de gens le confondent avec le Père. Mais voyez comme il procède avec prudence. Il pose d’abord et a soin de bien établir ses bases. Puis, quand il a démontré que loin d’être étranger à Dieu, le, Christ est le Fils de Dieu, il s’élève sans difficulté aussi haut qu’il veut. Comme en parlant de Jésus-Christ d’une manière sublime il risquait d’en porter plusieurs à le confondre avec le Père, il a soin d’en parler d’abord d’une manière humble, afin de pouvoir ensuite sans danger donner tout son essor à sa parole. Après avoir dit : « Dieu l’a établi son héritier universel » ; Dieu par lui a créé les siècles, il ajoute : « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Celui qui d’un seul mot gouverne l’univers, n’a besoin de personne pour le créer.
2. Cela étant, voyez comme Paul va plus loin, comme il donne au Fils l’autorité. Ces mois « par « qui » se trouvent maintenant supprimés. Comme il a fait par lui-même ce qu’il a voulu ; Paul le sépare du Père, et que dit-il ? « Dès le commencement du monde, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains ». Il ne dit plus « par qui », il ne dit plus : C’est par lui que Dieu a fait les siècles. Et pourquoi donc ? Est-ce que les siècles n’ont pas été faits par lui ? Certainement ; mais ce n’est pas comme vous le dites, comme vous le croyez. Il n’a pas été réduit au rôle d’un instrument incapable d’agir par lui-même, si son Père n’avait mis la main à l’œuvre. De même que le Père ne juge personne et juge, dit-on, par la bouche de son Fils, parce qu’il a engendré en lui le souverain Juge, de même c’est, dit-on, par son Fils qu’il crée, parce qu’il a engendré en lui le créateur. Car si le Fils est engendré du Père, c’est le Père qui a'engendré à plus forte raison tout ce qui a été fait par le Fils.
Lors donc que Paul veut montrer que le Fils est engendré du Père, il est obligé de baisser le ton. Mais lorsqu’il veut parler un langage plus élevé, il donne prise aux attaques de Marcellus et de Sabellius. Mais entre ces deux excès qu’elle fuit, l’Église suit une ligne intermédiaire. Elle ne se renferme pas dans un humble langage, pour ne pas donner lieu à Paul de Samosate ; elle ne plane pas toujours dans les hautes régions et elle nous montre un Dieu qui se rapproche beaucoup de l’humanité, pour éviter les assauts de Sabellius. Paul dit « le Fils » et aussitôt Paul de Samosate l’arrête, en s’écriant : Le Fils soit ! comme tant d’autres. Mais Paul a porté à l’hérétique un coup mortel, avec un seul mot, le mot « d’héritier ». Alors Paul de Samosate s’allie sans rougir à Arius, car tous les deux s’emparent de ce mot ; l’un pour dire que c’est un témoignage de faiblesse, l’autre pour attaquer ce qui suit. D’un seul mot, en disant : « Par qui il a fait les siècles », Paul a terrassé l’hérétique de Samosate ; mais Arius semble encore être fort. Voyez pourtant comme Paul renverse à son tour cet adversaire, en disant:« Qui étant la splendeur de sa gloire ». Mais voici de nouveaux assaillants, Sabellius, Marcellus et Photin. À tous ces adversaires il porte un seul coup. Il dit : « Il est le caractère de sa puissance et soutient tout par la puissance de sa parole ». Ici c’est encore Marcion qu’il frappe, légèrement il est vrai, mais toujours est-il qu’il le frappe ; car, dans tout le cours de cette épître, il le combat. Mais, je l’ai dit plus haut, il appelle le Fils « la splendeur de la gloire » et avec raison. Écoutez en effet le Christ, parlant de lui-même : « Je suis », dit-il, « la lumière du monde ». Voilà pourquoi Paul appelle le Christ « la splendeur de la gloire « divine », pour montrer que c’est là aussi le langage du Christ qui est évidemment lumière de lumière. Il ne s’en tient point là ; il montre que cette lumière a illuminé nos âmes. Ces mots « splendeur de sa gloire » veulent dire égalité de substance, propinquité du Fils avec le Père. Pensez à la subtilité de ces paroles. Il ne prend qu’une essence et une substance, pour nous présenter deux hypostases. Il fait de même pour la science de l’Esprit-Saint. Selon lui, la science du Père et celle du Saint-Esprit forment une science unique ; car elles ne sont en vérité qu’une seule et même science. De même en ce passage, il se sert d’un seul mot ; pour désigner les deux hypostases.
Il ajoute le mot « caractère ». Le caractère est autre chose que le prototype ; il n’est pas tout autre, il n’en diffère qu’en ce qui regarde l’hypostase. Car ici le mot a caractère » annonce une similitude, une ressemblance parfaite. Lors donc que Paul, emploie ces dénominations de forme et de caractère, que peuvent dire les hérétiques ? Mais l’homme aussi a été appelé une image (Gen. 1,26). Quoi donc ! Est-ce de la même manière que le Fils ? Non, vous dit-on, sachez que l’image n’implique pas la ressemblance parfaite : le mot image appliqué à l’homme signifie une ressemblance compatible avec l’humanité. Ce que Dieu est' dans le ciel, l’homme l’est sur la terre, quant à l’autorité. Si sur la terre l’homme est le maître, Dieu est le souverain maître de la terre et du ciel. D’ailleurs l’homme n’a pas été appelé figure, splendeur, forme, ce qui indique l’essence ou une ressemblance essentielle. De même que le terme « la forme d’esclave » veut dire un homme ayant tous les attributs de l’humanité, ainsi le terme « la forme de Dieu » ne peut rien signifier autre chose que Dieu. « Qui étant là splendeur de sa gloire », dit Paul. Voyez comment l’apôtre s’y prend. Après avoir dit : « Étant la splendeur de sa gloire », il a ajouté : « Il est assis à la droite de la souveraine Majesté ». Examinez les mots dont il se sert ; ici il n’est plus question d’essence. Ni le mot de majesté, en effet, ni le mot de gloire ne rendent bien son idée. Mais il ne trouve pas de mot, pour l’exprimer. Voilà ce que je disais en commençant. Il y a bien des choses que nous comprenons, sans pouvoir rendre notre pensée. Car le mot Dieu ne désigne pas l’essence. Mais comment désigner l’essence divine ? Et qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’on ne trouve pas un nom pour cette essence ? Le mot ange en lui-même n’a dans sa signification aucun rapport avec l’idée d’essence. Peut-être en est-il de même du mot « âme », qui, selon moi, a la signification de « souffle ». Âme, cœur, pensée, sont termes synonymes. « Mets en moi un cœur pur, mon Dieu », dit le psalmiste. Il y a : même des cas où le mot « âme » s’emploie dans l’acception. « d’esprit ». « Et soutenant tout par la parole de sa puissance ». Entendez-vous ce qu’il dit ?
3. Comment donc, hérétiques, pouvez-vous vous armer de cette parole de l’Écriture : « Dieu dit que la lumière soit », pour soutenir que lé Père seul a ordonné, que le Fils n’a fait qu’obéir ? Mais voilà le Fils qui agit ici par sa parole. « Soutenant tout », dit l’apôtre ; c’est-à-dire gouvernant tout, arrêtant l’édifice dans sa chute. Ah ! c’est une œuvre aussi grande, que dis-je ? c’est une œuvre plus grande de soutenir le monde que de le créer. Créer, c’est faire quelque – chose de rien. Mais arrêter dans sa chute ce qui va tomber dans le néant, rattacher entre eux tant d’éléments, voilà qui est grand, voilà qui est admirable, voilà qui révèle un grand pouvoir. Et comme l’apôtre montre que cette œuvre est facile au Fils par ce seul mot « soutenant ». Il n’a pas dit, gouvernant ; il a emprunté une image ; c’est l’être fort qui remue et porte un fardeau avec un seul doigt. Il montre la pesanteur du fardeau c’est le monde, et ce fardeau n’est rien pour celui qui le porte. Cette dernière vérité est encore exprimée en ces mots : « Par la parole de sa puissance ». C’est bien dit : car c’est montrer la puissance de cette parole divine différente de la parole humaine qui est si peu de chose. Mais en nous disant que la parole divine soutient le monde, il ne nous dit pas comment ; car il est impossible de le savoir. Il passe à la majesté divine. Et c’est ce qu’a fait saint Jean qui, après avoir parlé de l’existence de Dieu, parle de la création. Ce que l’évangéliste a fait entendre en disant : « Au commencement était le Verbe et tout a été fait par lui » (Jn. 1,1, 3), l’apôtre le dit à son tour et l’exprime clairement en ces termes : « Parce qu’il a même créé les siècles ». Voilà l’ouvrier qui a fait les siècles et qui subsistait avant tous les siècles. Que dire en présence de ces paroles du Prophète, à propos du Père : « Tu existes depuis le commencement des siècles jusqu’à la fin des siècles » (Ps. 89,2), si on les compare à ces paroles de l’apôtre, à propos du Fils : « Il existait avant tous les siècles et il a fait tous les siècles ? » Ne se hâtera-t-on pas d’appliquer au Fils ces mots qui ont été dit du Père : II existe avant les siècles ? « En lui était la vie », dit saint Jean pour faire voir qu’il a la force et le pouvoir de soutenir l’univers, puisqu’il est la vie universelle. Saint Paul tient le même langage : « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Il ne fait pas comme les philosophes grecs, qui, autant que cela dépend d’eux, le dépouillent de sa force créatrice et de sa Providence, et qui renferment son pouvoir dans un cercle qui s’arrête à la lune.
« Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés ». Après avoir parlé de ses œuvres, si grandes, qui sont autant de suprêmes merveilles, Paul nous parle de sa sollicitude pour les hommes. Ce mot : « Soutenant tout » était bien vaste et embrassait tout. Le mot suivant est plus grand encore, car lui aussi il embrasse tout. En tant qu’ira dépendu de, lui, le Fils nous a tous sauvés. Jean après avoir dit : « En lui était la vie », pour marquer sa providence, ajoute. « Et il était la lumière », ce qui revient à ce que dit saint Paul. « Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la majesté suprême ». Il y a là deux preuves éclatantes ; de sa sollicitude pour nous : il nous purifie de nos péchés, et il le fait par ses mérites. Que de fois ne le voyons-nous pas se glorifier de cet événement, non seulement parce que Dieu s’est réconcilié avec les hommes, mais parce que le Fils a été le médiateur de cette réconciliation devenue ainsi de sa part un plus éclatant bienfait. Après avoir dit qu’il s’est assis à la droite du Père, et qu’il nous a purifiés de nos péchés, après avoir rappelé la croix, 'l’apôtre nous parle de sa Résurrection et de son Ascension. Et voyez ici sa prudence ineffable. Il ne dit pas : On l’a fait asseoir ; il dit : « Il s’est assis ». Puis, pour qu’on ne pense pas qu’il se tient debout, il ajoute : « Qui est fange à qui le Seigneur ait jamais dit : « Asseyez-vous à ma droite ? » – « Il est assis à la « droite de la majesté suprême, au plus haut des cieux ». Que signifie « au plus haut des cieux ? » Veut-il donc renfermer Dieu dans un espace limité ? Loin de là. Il ne veut pas nous donner de Dieu une semblable idée. Quand il a dit : « Il est assis à la droite du Père », il a voulu seulement faire allusion à la dignité de Fils qui égale celle du Père ; et, quand il a dit : « Au plus haut des cieux », il a voulu non pas renfermer Dieu dans ces limites, mais nous montrer ce Dieu dominant l’univers, et s’élevant jusqu’au trône de son Père ! Comme son Père, il est au plus haut des cieux, et ce trône qu’ils, partagent montre qu’ils sont égaux eu dignité. Mais, poursuivent les hérétiques, le Père a dit au Fils : « Asseyez-vous à ma droite ». Eh bien ! cela prouve-t-il que le Fils se tenait debout ? Voilà ce que les hérétiques eux-mêmes ne sauraient prouver. D’ailleurs Paul ne dit pas que le mot précédent soit un ordre ou une injonction ; il n’a d’autre but que de nous faire voir que le Fils procède d’un principe et d’une cause. Et la preuve, c’est la place à laquelle ce Fils est invité à s’asseoir. Elle est à la droite du Père… Pour désigner l’infériorité, le Père aurait dit : Asseyez-vous à ma gauche.
4. « Étant aussi supérieur aux anges que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur ». Le mot « étant » signifie ici « déclaré », pour ainsi dire. Paul le prouve. Comment est-il supérieur aux anges ? Par le nom qu’il a reçu. « Voyez-vous que a le nom de Fils désigne ici la parenté légitime ? » Certes, s’il ne se fût agi d’un fils légitime, Paul n’aurait pas tenu ce langage. Pourquoi ? Parce que le Fils n’est légitime qu’à la condition d’avoir été engendré par le Père. Paul confirme donc ici sa parole. Car si le Christ est Fils de Dieu par la grâce, loin d’être supérieur aux anges, il leur serait inférieur. Comment ? c’est que les justes ont aussi été appelés les fils de Dieu, et le nom de fils, quand il ne s’agit pas du Fils proprement dit, du Fils légitime, n’est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l’intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s’exprime ainsi : « Qui est l’ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui ? » Et ailleurs : « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot : « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l’Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu’une chose : c’est qu’il est de lui. De même qu’il est dit « qui est », ὢν, au temps présent, car cela lui convient, admirablement ; de même le mot « aujourd’hui m s’applique, selon moi, à l’Incarnation Lorsqu’en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d’assurance. La chair participe à l’élévation, comme la divinité à l’abaissement. Dieu n’a pas dédaigné de se faire homme ; il n’a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n’accepterait-il pas le mot qui l’exprime ?
5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d’orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d’un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles ? Répondez, homme, d’où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie ? Mais ils s’éclipsent avant de briller. Des dons spirituels ? Mais c’en est un que de n’avoir pas d’orgueil. D’où vient donc votre orgueil ? De votre droiture ? Écoutez cette parole du Christ : « Quand vous aurez fait toutes choses, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles » (Lc. 17,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c’est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh ! pourquoi donc ? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus ? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés ? Pourquoi s’enorgueillir de la possession des biens extérieurs ? Ceux qui veulent s’en servir et en jouir, ne s’en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais ; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D’abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l’entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.
Tu es orgueilleux de tes richesses, ô homme ! Et pourquoi donc ? C’est un avantage qui t’est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil ? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l’orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements ; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l’orgueil te sied moins encore, puisque tu es l’esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l’eau avec excès et dont la soif s’éteint un instant pour se rallumer, doit-il s’enorgueillir ? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s’enorgueillir ? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi ? d’avoir une foule de maîtres ? d’avoir mille soucis ? d’être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l’Ecclésiaste, « colère coupable ». (Sir. 1,22) La colère peut donc être juste en certains cas. Écoutez encore saint Matthieu : « Se fâcher sans raison contre son frère, c’est s’exposer à la géhenne ». (Mt. 5,22) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté : celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants ; celle-là quand elle produit une noble émulation. C’est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d’être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d’acquérir les meilleurs ». (Gal. 4,18 ; 1Cor. 12,31) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l’orgueil n’est jamais bon ; il est toujours inutile et nuisible. S’il faut s’enorgueillir de quelque chose, c’est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi ? C’est que l’homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas. Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale ; les uns n’ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d’hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles ; il leur suffit d’avoir du pain et de l’eau des sources. Les autres disent : Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas une suite nombreuse ; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant ; nous ne pouvons venir, si nous n’avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener ; et nous avons besoin de bien d’autres choses encore. De ces deux espèces d’hommes, laquelle excitera notre admiration ? Sera-ce la première ? Sera-ce la dernière ? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n’ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n’ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s’il fallait avoir de l’orgueil. Mais, dira-t-on, c’est un être méprisable que le pauvre. Non : ce n’est pas lui qu’il faut mépriser ; ce sont ceux qui le méprisent. Eh ! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s’aviseront de le railler, si les railleurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos ; il se contentera du témoignage qu’il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé pendrons de l’opinion du vulgaire ! Quelle impardonnable faiblesse !
Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je ? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens ; elles ne le deviennent que par l’usage qu’a en fait. La vertu du chrétien brille d’un plus grand lustre dans la pauvreté que dans la richesse. Comment ? C’est que dans la pauvreté, il est plus modeste, plus sage, plus respectueux, plus juste, plus prudent ; dans la richesse au contraire, la vertu trouve mille obstacles. Examinons les actions du riche, de celui-là surtout qui fait de sa richesse un mauvais usagé. Ce ne sont que rapines, fraudes, pièges, violences. Que dis-je ? Les passions déréglées, les commerces illicites, les sortilèges, les maléfices, toutes les noirceurs en un mot ne dérivent-elles pas de la richesse ? Ne voyez-vous pas qu’il est plus facile d’être vertueux au sein de la pauvreté qu’au sein de la richesse ? Et parce que les riches ne sont pas punis ici-bas, n’allez pas croire qu’ils ne commettent pas de fautes. S’il était facile de punir les riches, ils peupleraient les cachots. Mais entre autres inconvénients, la richesse a celui-ci : le riche, qui fait le mal impunément, ne s’arrêtera jamais dans la voie du mal ; pour lui, le remède ne sera jamais à côté de la blessure, et nul homme ne pourra lui mettre un frein. La pauvreté au contraire, si l’on veut y regarder, offrira à nos yeux bien des côtés agréables. N’affranchit-elle pas l’homme des soucis, de la haine, des luttes, des rivalités, des querelles, dé mille maux enfin ? Ne courons donc pas après la richesse, et n’envions pas le sort de ceux qui la possèdent. Avons-nous de la fortune, faisons-en un bon usage. En sommes-nous privés, n’en gémissons, pas, mais remercions Dieu de ce qu’il nous permet d’obtenir facilement la même récompense que les riches, et une plus grande encore, si nous le voulons. Alors notre faible capital nous rapportera un gros revenu. Celui qui rapporta les deux talents ne fut-il pas aussi honoré, aussi admiré que celui qui en rapporta cinq ? Pourquoi ? C’est que ces deux talents lui avaient été confiés, c’est qu’il sut remplir toutes ses obligations ; c’est qu’il rapporta le double de ce qu’on lui avait confié. Pourquoi donc cherchons-nous à nous faire confier des trésors, lorsque nous pouvons retirer autant de fruit d’un modeste dépôt que d’un dépôt considérable ; lorsqu’avec moins de peine, nous pouvons obtenir une récompense bien plus grande ? Le pauvre renoncera plus facilement à ce qu’il possède que le riche, gui nage dans l’opulence. Ne savez-vous pas que, plus on est environné de richesses, plus on a soif de richesses ? Pour éviter ce tourment, ne cherchons pas la richesse et supportons sans peine la pauvreté. Avons-nous de la fortune, servons-nous-en, comme le veut saint Paul : que ceux qui possèdent, soient comme s’ils ne possédaient point, et que ceux qui usent de ce monde, soient comme n’en usant point, afin d’obtenir les biens promis, et puissions-nous les obtenir avec la grâce de Dieu et par un effet de sa bonté !

HOMÉLIE III.

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MAIS APRÈS AVOIR INTRODUIT SON PREMIER-NÉ SUR LA TERRE, IL DIT : QUE TOUS LES ANGES DE DIEU L’ADORENT ET L’Écriture DIT DES ANGES : DIEU SE SERT DES ESPRITS POUR EN FAIRE SES ANGES, ET DES FLAMMES ARDENTES POUR EN FAIRE SES MINISTRES. MAIS IL DIT AU FILS. VOTRE TRÔNE, O DIEU, SERA UN TRÔNE ÉTERNEL. (I, 6, 7, JUSQU’A II, 4)

Analyse.

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  1. Dieu ne parle pas à son Fils comme à ses anges. – Paul réfute les juifs, Paul de Samosate, les ariens, Marcellus, Sabellius et Marcion.
  2. Gloire du Christ. – Ministère des anges.
  3. Il faut s’attacher à la parole du Christ.
  4. Importance de la parole du Christ. – Témoignages rendus à cette parole.
  5. Dieu dispense les grâces avec sagesse.
  6. La charité est le plus précieux de tous les dons.

1. Notre-Seigneur Jésus-Christ appelle son avènement dans la chair : une sortie. C’est ainsi qu’il dit : « Le semeur est ; sorti pour semer », et ailleurs « Je suis sorti de mon Père et me voici ». (Mt. 13,3 ; et Jn. 16,28) Il s’exprime de même en plusieurs passages. Paul au contraire donne le nom d’introduction à cet avènement dans la chair « Après avoir introduit son premier-né sur la terre ». L’incarnation, chez lui, prend le nom d’introduction. Pourquoi ces expressions différentes pour désigner une môme chose, et d’où vient ce langage ? On voit clairement ce qu’il signifie. Le Christ appelle son avènement dans la chair une sortie, et il a raison, car nous étions en dehors de Dieu.

Voyez les palais des rois. Les prisonniers et ceux qui ont offensé le roi se tiennent en dehors. Celui qui veut les réconcilier avec le prince, ne les introduit pas tout d’abord ; il s’entretient avec eux hors de la maison royale et ce n’est que lorsqu’il les a rendus dignes de paraître devant le roi qu’il les introduit. C’est ce qu’a fait le Christ. Il est sorti pour venir à nous, c’est-à-dire, a pris notre chair, il nous a parlé de la part du roi, et il ne nous a introduit devant lui qu’après nous avoir purifiés de nos péchés et nous avoir réconciliés avec le Souverain suprême. Voilà pourquoi il appelle son incarnation une sortie. Paul au contraire l’appelle une « entrée », en se servant d’une figure empruntée à la situation de l’homme qui hérite, et qui entre dans son héritage. Ces mots « après avoir introduit son premier-né sur la terre », signifient évidemment « après l’avoir mis en possession de la terre ». Car il est entré en possession de cette terre aussitôt qu’il a été reconnu Fils de Dieu. Ce n’est pas du Verbe divin, c’est du Christ selon la chair qu’il parle ainsi, et avec raison. Car s’il était dans le monde, selon la parole de Jean et si le monde a été fait par lui, comment pourrait-il y être introduit autrement que dans la chair ? « Et que tous les anges de Dieu l’adorent ». Paul a quelque chose dé grand et d’élevé à dire ; il prépare donc son discours et dispose « ses auditeurs à l’accueillir, en faisant introduire le Fils par le Père. Voyez plutôt : il a dit plus haut que Dieu nous a parlé par son Fils et non par les prophètes ; il a montré que le Fils est supérieur aux anges, et cela d’abord par le nom qu’il porte, puis par cette circonstance que le Père introduit le Fils.
Autre preuve de cette supériorité : l’adoration. L’adoration fait éclater toute la supériorité du Christ sur l’ange : c’est celle du maître sur le serviteur. Ce que ferait un introducteur en présentant un grand personnage dans la maison d’un roi, et en ordonnant à tous ceux qui s’y trouveraient de se prosterner devant le nouveau venu, Paul le fait ici eu parlant de l’introduction selon la chair du Fils dans le monde et en disant : « Que tous les anges de Dieu l’adorent ». Quoi ! Les anges seuls, et non les autres puissances ! Loin de lui ce langage ! Écoutez ce qui suit. « Et des anges il est dit. Dieu se sert des esprits pour en faire ses anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres ». Quant au Fils, il lui dit : « Votre trône sera un trône éternel ». Quelle différence entre ces deux sortes de langage ! Les anges sont créés ; le Fils est incréé. Pourquoi dit-il aux anges : Celui qui « fait » des esprits ses anges ; et ne s’est-il pas servi de ce mot, en parlant du Fils ? Il pouvait cependant exprimer la différence qui les sépare, en ces termes. Il est dit des anges : Celui qui « fait » des esprits ses anges ; et du Fils : « Le Seigneur m’a créé », et ailleurs Dieu l’a fait Seigneur même et Christ ». Mais ces mots n’ont jamais été appliqués ni au Christ, Fils de Dieu Notre-Seigneur, ni à Dieu le Verbe ; ils ne l’ont été qu’au Dieu incarné. Quand Paul veut montrer la vraie différence qui existe entre Dieu et ses ministres, sa parole embrasse non seulement les anges, mais toute la hiérarchie des ministres célestes. Voyez-vous avec. quelle netteté il sépare les créatures du créateur, les serviteurs du maître, l’héritier, le Fils légitime des esclaves ? Au Fils il dit : « Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel ». Voilà un des emblèmes de la royauté ! La verge de votre royauté est la verge de la justice. Voilà encore un emblème royal ! Puis en parlant de Dieu fait homme : « Vous avez aimé la justice et détesté l’injustice », dit-il, « voilà pourquoi vous êtes l’oint du Seigneur votre Dieu ». Pourquoi ces mots : « Votre Dieu ? » c’est que son langage d’abord si élevé, s’abaisse quand il descend à l’incarnation.
Ici ce sont les juifs, c’est Peul de Samosate, ce sont les ariens, c’est Marcellus, Sabellius et Marcion que Paul attaque à la fois, et voici comment il frappe les juifs, en démontrant que le Christ est Dieu et homme tout ensemble. Quant aux autres ; c’est-à-dire quant aux disciples de Paul de Samosate, il leur montre qu’il s’agit ici de l’éternelle substance et de l’être incréé. À ces mots il a. « fait », il oppose ceux-ci : « Votre trône, ô Dieu, subsiste dans les siècles des siècles ». Aux Ariens il dit que le Christ n’est pas un esclave, et il en serait un, s’il n’était qu’une créature. A Marcellus et aux autres il répond que le Père et le Fils sont deux personnes hypostatiquement distinctes ; aux disciples de Marcion, que l’oint du Seigneur dans le Christ, ce n’est pas le Dieu, c’est l’homme. Puis il dit : « D’une manière plus excellente que vos participants ». Or ces participants, quels sont-ils, sinon les hommes ? Cela veut dire que le Christ a reçu l’Esprit de Dieu sans mesure.
2. Voyez-vous comme il joint toujours, dans son langage, la nature incréée et l’incarnation ? Quoi de plus clair ? Voyez-vous la différence qu’il y a entre « créé » et « engendré ? » Autrement il n’aurait pas séparé ces deux manières d’être. Autrement, en regard de ce mot : « Il a fait », il n’aurait pas placé, pour les opposer à lui, ces paroles : « Quant au Fils, il lui a dit : Votre trône, à vous qui êtes le Dieu de l’univers, sera éternel ». Il n’aurait pas ; pour marquer sa prééminence, appelé le Christ du nom de Fils, si ce n’était pas là une marque de distinction. Où serait en effet la différence, où serait la prééminence, si « être créé » était la même chose qu’être engendré ? Puis voici ce mot « le Dieu », 0 Theos, avec l’article. Puis il dit encore : « Seigneur, vous avez fondé la terre dès le commencement du, monde, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurerez ; tous vieilliront comme un vêtement, et vous les changerez comme un manteau et ils seront changés, mais vous, vous êtes toujours le même ; et vos années ne finiront pas ». Et pour que ces mots : « Lorsqu’il a introduit son premier-né dans le monde », ne vous fassent pas croire qu’il y a eu un, don accordé au Fils dans la suite des temps ; il a corrigé plus haut cette expression et il la corrige encore d’un seul mot : « Dans le principe », c’est-à-dire, non pas maintenant, mais dès l’origine du monde. C’est encore un coup mortel qu’il porte à Paul de Samosate ainsi qu’à Arius, lorsqu’il applique au Fils les paroles qui s’appliquent au Père.
Il fait entendre en outre, comme en passant, quelque chose de plus grand encore. C’est à la transfiguration du monde qu’il fait allusion, en disant : « Ils vieilliront, comme un manteau, tu les rouleras comme un vêtement, et ils seront changés ». C’est comme dans l’épître aux Romains où il dit qu’il transformera le monde. La facilité avec laquelle cette transformation s’opérera est indiquée par le mot : « Tu rouleras ». Il changera le monde qui sera entre ses mains, comme un vêtement que l’on roule. Si, quand il s’agit de la partie la meilleure et la plus importante de la création, il la transforme avec cette facilité, a-t-il besoin, pour une œuvre moindre, d’une main étrangère ? Jusqu’à quand conserverez-vous ce front d’airain ? N’est-ce pas une grande consolation de savoir que le monde ne sera pas toujours le même, et qu’il subira une transformation, un changement complet, tandis que Dieu lui-même jouit d’une existence éternelle et d’une vie sans fin ? « Vos années », dit-il, « ne s’évanouiront pas. Et quel est l’ange à qui Dieu ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ? »
Voilà en outre un encouragement pour ses auditeurs. Leurs ennemis auront le dessous ; car leurs ennemis sont les mêmes que ceux du Christ. Un nouveau signe de la royauté, du partage de la dignité divine, un nouveau signe d’honneur et non de faiblesse, c’est cette colère du Père excitée par les offenses qui s’adressent au Fils. Quelle preuve d’amour et de filiation légitime : c’est bien l’attachement d’un père pour son fils véritable. Celui qui s’irrite ainsi en prenant ses intérêts, comment lui serait-il étranger ? « Jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis ». Cela revient à ce qui est dit dans le psaume deuxième : « Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, et le Seigneur les raillera amèrement. C’est alors qu’il leur parlera dans sa colère et que, dans son courroux, il les confondra ». Et ailleurs : « Ceux qui n’ont pas accepté mon règne, conduisez-les devant moi et mettez-les à « mort ». (Lc. 19,27) Ce sont bien là des paroles : écoutez en effet ce qu’il dit ailleurs : « Que de fois n’ai-je pas voulu rassembler autour de moi tes enfants ! et vous ne l’avez pas voulu. Votre maison sera donc laissée à l’abandon ». (Lc. 13,34) Et encore : « Le royaume vous sera enlevé, pour être donné à une nation qui le fera fructifier ». Et dans un autre endroit : « Celui qui tombera sur cette pierre, s’y brisera, et celui sur à qui elle tombera sera broyé ». (Mt. 21,43, 44)
D’ailleurs, celui qui là-haut doit les juger, a prononcé ici-bas contre eux un arrêt beaucoup plus sévère, pour les punir de leur cruauté envers lui. C’est donc uniquement pour faire honneur au Fils qu’ont été dites ces paroles : « Jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied ».
« Ne sont-ils pas tous ces esprits qui le servent, envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut ? » Quoi d’étonnant, dit-il, s’ils sont les ministres du Fils, puisqu’ils doivent s’employer aussi à notre salut, en qualité de ministres ? Voyez comme il relève leurs esprits, et comme il nous montre l’excès d’honneur que Dieu nous fait, en ordonnant à ses anges de s’employer pour nous. C’est comme s’il disait : En quoi consiste le ministère des anges ? À servir Dieu pour notre salut. C’est donc une œuvre angélique, de tout faire pour le salut de ses frères ; c’est plus encore, l’œuvre du Christ. Mais le Christ : travaille en maître à notre salut, et les anges y travaillent, comme serviteurs. Et nous, tout esclaves que nous sommes, nous avons les anges pour compagnons d’esclavages. Pourquoi donc, nous dit-il, lever sur les anges des yeux étonnés ? Ce sont les esclaves du Fils de Dieu, et bien souvent c’est pour nous qu’ils sont envoyés, et c’est pour notre salut qu’ils exercent leur ministère ; ce sont donc nos compagnons d’esclavage. Songez à cette faible différence qu’il met entre les créatures. Et pourtant elle est grande la distance qui sépare l’ange de l’homme. Mais il les rabaisse jusqu’à nous. C’est à peu près comme s’il disait : C’est pour nous qu’ils travaillent, c’est pour nous qu’ils courent de tous côtés ; on pourrait presque dire qu’ils sont nos serviteurs. Être envoyés partout, dans notre intérêt, voilà leur ministère !
3. A l’appui de cette vérité, les exemples abondent dans l’Ancien Testament ; ils abondent dans le Nouveau Testament. Quand les anges annoncent aux bergers la bonne nouvelle, quand ils l’annoncent à Marie, à Joseph, quand ils viennent s’asseoir auprès du monument, quand ils sont envoyés pour dire aux disciples : « Galiléens, pourquoi restez-vous là les yeux levés vers le ciel ? » (Act. 1,11) Quand ils délivrent Pierre de sa prison, quand ils parlent à Philippe est-ce que ce n’est pas pour nous qu’ils travaillent ? Quel honneur n’est-ce pas pour nous de voir le Seigneur se servir de ses anges pour les envoyer aux hommes, comme à des amis, lorsqu’un ange apparaît à Corneille, lorsqu’un ange fait sortir de prison tous les apôtres, en leur disant : a Allez et faites entendre au peuple, dans le temple, la parole de vie ». Pourquoi en dire davantage ? Paul lui-même ne voit-il pas apparaître un ange ? Voyez-vous comme les anges nous servent à cause de Dieu, et cela dans les choses de la plus haute importance ? Aussi saint Paul dit-il : « Tout vous appartient : à vous la vie, à vous la mort, à vous le « monde, à vous le présent, à vous l’avenir ». Le Fils aussi a été envoyé, il est vrai, mais non comme serviteur, non comme ministre, mais comme Fils unique du Père ; et son Père et lui n’ont qu’une même volonté. Ou plutôt il n’a pas été envoyé ; car il n’est point passé d’un lieu dans un autre ; mais il s’est incarné. Les anges au contraire changent de lieux, ils abandonnent le séjour où ils sont, pour aller dans celui où ils n’étaient pas. Et c’est pourquoi il leur dit, afin de les encourager : Que craignez-vous ? Les anges vous servent.
Après avoir parlé du Fils, de son incarnation, de sa puissance comme créateur, de sa royauté, de son rang égal à celui du Père, de son autorité qui s’étend non seulement sur les hommes, mais sur les puissances d’en haut, il exhorte ceux à qui il écrit, en usant de précautions oratoires, en nous présentant sous forme de conclusion le devoir de recueillir avec attention ce que nous avons entendu, et il dit : « Nous devons donc à proportion nous attacher avec plus de soin aux choses que nous avons entendues ». Il veut dire qu’il faut s’y attacher avec plus d’attention encore qu’à la loi ; mais il a passé le mot de « loi » sous silence. Toujours est-il que son langage est clair, quoiqu’il exprime une conclusion au lieu d’une exhortation et d’un conseil. La forme qu’il emploie était du reste la meilleure. « Car », dit-il, « si la parole sortie de la bouche des anges est demeurée stable, si toute transgression, toute désobéissance à cette parole a reçu son juste salaire, « comment nous autres échapperons-nous au châtiment, si nous négligeons un tel moyen de salut, la parole que le Seigneur a d’abord laissé tomber de sa bouche et qui nous a été confirmée par ceux qui l’ont entendue ? » Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Est-ce que les deux doctrines ne viennent pas de Dieu ? Est-ce une attention plus grande que jamais, ou une grande attention qu’il faut ici ? Il n’y a pas là de comparaison, à Dieu ne plaise ! Mais comme l’Ancien Testament devait à sa longue existence une grande autorité, tandis que l’autre était dédaigné comme nouveau, il montre surabondamment qu’il faut être surtout attentif au Nouveau Testament. Comment fait-il pour cela ? Ce qu’il dit revient à ceci Les deux doctrines viennent de Dieu ; mais non de la même manière. Cette vérité, il nous la démontre plus tard. Pour le moment il ne fait qu’y toucher superficiellement et il nous prépare à l’entendre ; mais plus tard, il devient plus clair et il dit : « Si la première loi eût été sans défaut », puis encore : « Ce qui est ancien et vieux est bien près de périr » et beaucoup d’autres choses semblables. Mais il n’ose encore rien dire de tel en commençant son épître ; il s’empare d’abord à l’avance de son auditeur et le captive, à force de préparations. Pourquoi donc devons-nous nous attacher davantage à ce que nous avons entendu ? Il nous le dit : « C’est pour que nous ne passions pas comme l’onde » ; c’est-à-dire, pour que nous ne périssions pas, pour que nous ne tombions pas. Et il nous montre ici le danger de la chute, quand elle arrive par notre négligence, en nous mettant sous les yeux cette eau qui coule et qui remonterait difficilement à sa source. Il emprunte son expression au livre des Proverbes : « Mon fils », y est-il dit, « ne passez pas comme l’onde ». Il nous montre combien il est facile de glisser et combien il est dangereux de tomber, c’est-à-dire combien la désobéissance est périlleuse.
En raisonnant ainsi, il nous montre la grandeur du châtiment. Ce châtiment il le livre à nos recherches sans tirer de conclusion expresse. C’est un moyen de faire accepter sa parole que de ne pas toujours porter soi-même un jugement et de laisser à l’auditeur le soin de prononcer : c’est là un moyen de se concilier sa bienveillance. C’est ce que fait dans l’Ancien Testament le Prophète Nathan ; c’est ce que fait le Christ dans l’Évangile selon saint Matthieu, en ces termes : « Que fera-t-il aux cultivateurs de cette vigne ? » Il force ainsi les auditeurs à prononcer eux-mêmes. Voilà le triomphe de la parole ! Puis, après avoir dit : « Si la parole des anges a été confirmée », il n’ajoute pas : A plus forte raison celle du Christ le sera. Il omet cette conclusion et se contente de dire : « Comment éviterons-nous le châtiment, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Et suivez la comparaison dans ses détails. Là, c’est la « parole des anges » ; ici c’est ce qui est annoncé par le Seigneur. Là c’est « la parole » ; ici c’est le « salut ». Et, pour qu’on ne vienne pas lui dire : Ces paroles, ô Paul, sont-elles bien celles du Christ ? il prévient l’objection et montre qu’il est digne de foi. Il le prouve, en disant qu’il a entendu lui-même ce qu’il rapporte ; il le prouve, en s’appuyant sur Dieu lui-même dont il est l’écho et qui parle non seulement avec sa voix retentissante qui traverse les airs, comme du temps de Moïse, mais en se manifestant par les prodiges et par les événements.
4. Mais que veulent dire ces mots : « Si la parole transmise par les anges a été confirmée ? » Dans l’épître aux Galates aussi, il dit : « Donné par le ministère des anges et par l’entremise du médiateur », et ailleurs : « Vous avez reçu la loi par l’intermédiaire des anges et vous ne l’avez pas gardée ». (Gal. 3,19 ; et Act. 7,53) Et partout il est dit que c’est par le moyen des anges qu’elle est donnée. Il y en a qui disent qu’il est fait ici allusion à Moïse ; mais cette assertion n’est pas fondée, car il est ici question de plusieurs anges, et ces anges sont ceux qui habitent le ciel. Que dire ? Serait-il ici purement et simplement question du décalogue ? Là c’était Moïse qui parlait et Dieu qui répondait. Veut-on dire que les anges étaient là par l’ordre de Dieu ? Serait-il question de tout ce qui se dit, de tout ce qui se passe dans l’Ancien Testament, comme si les anges y avaient pris part ? Mais pourquoi lisons-nous ailleurs que la loi a été donnée par Moïse, tandis qu’ici elle est donnée par les anges ? Car il est dit : Et Dieu est descendu dans une nuée.
« Si la parole transmise par les anges s’est enfermée ». Que veut dire « confirmée ? » Fidèlement vérifiée, parce que tout ce qui a été dit est arrivé en son temps. Cela pourrait signifier encore que la puissance de cette parole s’est révélée, et que les menaces de Dieu ont eu leur plein et entier effet. Peut-être encore « parole » a-t-il ici le sens de commandements. Car, en dehors de la loi, un grand nombre d’ordres émanés de Dieu ont été transmis par les anges, à l’époque du deuil par exemple, au temps des Juges et de Samson. Voilà pourquoi c’est le mot « parole » et non le mot « loi » qui est ici employé. Mais, selon moi, Paul entend peut-être ici ce qui s’est fait par le ministère des anges. Partant, que devons-nous dire ? Il y avait alors des anges commis à la garde de la nation tout entière qui était avertie par leurs trompettes retentissantes ; à eux de susciter les flammes et d’évoquer les ténèbres. « Toute » transgression, « toute » désobéissance recevait « sa juste récompense ». Il ne dit pas telle ou telle transgression, mais « toute » transgression. Ici nulle injustice ne restait impunie et « juste « récompense » veut dire ici châtiment. Mais pourquoi dit-il récompense ? C’est une habitude de Paul de ne pas faire grand cas des paroles, et d’employer en mauvaise part celles qui se prennent d’ordinaire en bonne part et réciproquement. Ainsi il dit ailleurs : « Asservissant toute intelligence à la parole du Christ ». Ailleurs encore il a substitué le mot de récompense à celui de châtiment, et dans le passage suivant, le châtiment devient une rétribution. « S’il est juste », dit-il, « aux yeux de Dieu qu’il rétribue ceux qui vous affligent en les affligeant, et vous qui êtes affligés, en vous donnant la paix ! » (2Thes. 1,6-7) C’est-à-dire, la justice n’a pas perdu ses droits, mais Dieu l’a maintenue et il a frappé les pécheurs, lors même que toutes les fautes n’avaient pas paru au grand jour, bien que les lois établies n’eussent pas été enfreintes.
« Comment donc, nous autres échapperons-nous, si nous négligeons un tel moyen de salut ? » Il montre par là que la loi n’était pas un grand moyen de salut. Il a raison de dire « un tel moyen ». Ce n’est pas des guerres, dit-il, qu’il nous sauvera ; ce n’est passa terre, ce ne sont pas les biens terrestres qu’il nous donnera ; mais c’est la délivrance de – la mort, c’est l’anéantissement du démon, c’est le royaume des cieux, c’est la vie éternelle qu’il nous apporte. Voilà tout ce qui est renfermé dans ce mot : « Un tel salut ». Et pour montrer qu’il est digne de foi, il ajoute : « Qui ayant été premièrement annoncé par le Seigneur même » ; c’est-à-dire que c’est la source de ce salut qui nous l’annonce. Ce n’est pas un homme qui est venu l’annoncer à la terre, ce n’est pas une puissance créée, mais c’est le Fils unique de Dieu lui-même : « La nouvelle nous a été confirmée par ceux qui l’ont entendue ». Que veut dire : « A été confirmée ? » Cela veut-il dire rendue croyable ou répandue ? Nous avons un gage de sa vérité, dit-il : c’est que la bonne nouvelle ne s’est pas évanouie, n’a pas eu de fin, elle règne et triomphe, grâce à là vertu divine, à laquelle nous la devons. Que signifient ces mots : « Par ceux qui l’ont entendue ? Ils veulent dire que ceux qui l’ont recueillie de la bouche du Seigneur nous l’ont confirmée. Voilà qui est grave et bien digne de foi. C’est ce que dit saint Lc. au commencement de son Évangile : « Ainsi que nous l’ont transmise, dès l’origine, des témoins oculaires et des ministres de la parole divine ». (Lc. 1,2) Comment donc s’est-elle confirmée ? Mais, pourrait-on dire ; si elle a été inventée par ceux-là même qui l’ont entendue ? C’est pour prévenir une pareille : objection, c’est, pour montrer que l’homme n’est là pour rien, que saint Paul a ajouté : « Dieu même leur a rendu témoignage ». Dieu ne leur aurait pas rendu témoignage, s’ils l’avaient inventée. Or à leur témoignage est venu se joindre celui de Dieu, qui se manifeste non par ses paroles, non par sa voix qui serait pourtant un témoignage irrécusable, mais par des signés miraculeux, par des prodiges, par les différents, effets de sa puissance. Il a raison de dire, « parles différents effets de sa puissance », pour désigner le grand nombre des grâces. Rien de pareil en effet n’a eu lieu dans les premiers temps ; il n’y a eu, ni autant de signes, ni des signes si différents ; ce qui revient à dire que nous n’avons pas cru les témoins témérairement et à la, légère, et que notre foi s’est appuyée sur dés signes et sur des prodiges. Ce ne sont donc pas les hommes, c’est Dieu lui-même que nous avons cru. « Et par la distribution des grâces du Saint-Esprit qu’il a réparties comme il lui a plu ». Les magiciens aussi font des prodiges, et les juifs disaient que, c’était au nom de Belzébuth que le Christ chassait les démons. Mais leurs prodiges ne ressemblent point à ceux que Dieu opère. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par les a différents effets de sa puissance ». Car les prodiges des Magiciens n’annoncent point la force et la puissance. Tout – cela n’est que faiblesse, chimères, imaginations et futilités. Voilà pourquoi il est dit ici : « Par la distribution des grâces du Saint-Esprit, qu’il a réparties comme il a voulu ».
5. Ici Paul me semble encore faire allusion à une autre circonstance. Probablement, dans l’assemblée à laquelle il s’adresse, il n’y avait pas beaucoup de gens qui fussent pourvus des grâces divines ; ces dons étaient devenus plus rares, parce que les hommes étaient devenus plus négligents. Voilà pourquoi, afin de les consoler et pour ras pas les laisser tomber dans le découragement, il a attribué toutes ces grâces à la volonté divine. Il sait, dit-il, quel est l’avantage de chacun, et c’est là-dessus qu’il se fonde pour distribuer ses grâces : C’est ce qu’il dit encore dans l’épître aux Corinthiens. « Le Seigneur a donné à chacun la place qu’il a voulue ». Et ailleurs : « Les dons du Saint-Esprit qui se manifestent au-dehors ont été donnés à chacun pour l’utilité de l’Église ». (1Cor. 12,18, 7) Il montre par là que les grâces sont réparties, suivant la volonté du Père. Souvent, à cause de leur vie impure et de leur paresse, bien des gens n’ont eu aucune part aux grâces du Seigneur. Ils ont été quelquefois assez mal partagés, malgré leur existence honorable et pure, Pourquoi cela ? c’est pour qu’ils ne lèvent point une tête orgueilleuse, c’est pour qu’ils ne s’enflent point,-pour qu’ils ne tombent point dans la négligence ou dans la présomption. Car si, même sans la grâce, la conscience que l’on a de la pureté de sa vie, suffit pour donner de l’orgueil, il en est ainsi à plus, forte raison, quand le don des grâces vient s’y joindre. C’est pourquoi ce don est le privilège des humbles et des simples, et surtout dés simples. « Avec joie », dit-il, « et simplicité de cœur ». (Act. 2,46) Voilà surtout comme il s’y prend pour les exhorter et pour stimuler leur lenteur. Celui qui est humble en effet, celui qui n’a pas de lui-même une haute idée, redouble de zèle ; quand il reçoit le don dés grâces ; il croit avoir reçu plus qu’il ne méritait ; il se regarde comme indigne 'd’un pareil don. Mais l’homme qui a conscience de son mérite, accepte ce don comme s’il lui était dû ; et s’enorgueillit. Dieu a donc consulté l’intérêt de l’Église pour dispenser ces grâces. Aussi, voyons-nous, dans l’Église, le don de l’enseignement accordé à celui-ci, tandis que celui-là ne peut pas même ouvrir la bouche. Il ne faut pas se chagriner pour cela. « Car les dons de l’Esprit, qui se manifestent au-dehors, ont été donnés à chacun, pour l’avantage de l’Église ». Si un maître de maison sait à quoi il peut employer chacun de ses serviteurs, à plus forte raison il doit en être ainsi dé Dieu qui connaît l’esprit des hommes, et qui sait tout avant qu’ils ne soient nés. Une seule chose doit nous affliger, c’est le péché.
Ne dites pas. Pourquoi n’ai-je pas de fortune ? si j’en avais, j’en ferais part aux pauvres. Peut-être, si vous en aviez, seriez-vous plus ambitieux. Vous parlez ainsi maintenant, mais, si vous étiez mis à l’épreuve, vous seriez un autre homme. Sommes-nous rassasiés, il nous semble que nous sommes à l’épreuve du jeûne, et – bientôt après nous raisonnons autrement. Quand nous ne sommes pas enclins à l’ivrognerie, nous croyons pouvoir surmonter la passion du vin ; cette passion s’empare-t-elle de nous, nos idées changent. Ne, dites pas : Pourquoi n’ai-je pas reçu le don d’enseigner ? Si je l’avais, j’aurais édifié bien du monde. Si vous l’aviez eu, on vous en aurait peut-être fait un crime ; l’envie et la paresse vous auraient peut-être forcé à enfouir votre talent. Vous êtes maintenant à l’abri de leurs attaques, et si vous ne donnez pas votre mesure de froment, on ne vous fera pas de reproche. Si vous n’étiez pas dans la situation où vous êtes, vous auriez mille comptes à rendre. D’ailleurs, vous n’êtes pas absolument dépourvu des grâces, du Seigneur. Montrez, dans votre humble situation, ce que vous sériez dans une position plus élevée. Si, « quand vous avez un petit dépôt à conserver », est-il dit, « vous ne vous montrez pas fidèle, que sera-ce quand vous serez dépositaire « d’un trésor ? » (Lc. 16,11) Faites comme la veuve. Elle n’avait que deux oboles et elle a donné tout ce qu’elle possédait. Sont-ce les richesses que vous recherchez ? Montrez que de faibles sommes n’excitent pas votre convoitise, pour que je vous en confie de plus grandes. Si vous n’êtes pas au-dessus de quelques deniers, vous serez encore bien plus faible devant une masse d’or. Dans vos discours, montrez que vous savez adresser à propos une exhortation ou un conseil. Manquez-vous d’éloquence ? manquez-vous d’abondance ? vous pouvez faire cependant ce que fait le commun des hommes. Vous avez un enfant, un voisin, un ami, an frère, des proches ; si vous ne pouvez parler en public et développer un sujet devant une grande assemblée, vous avez des auditeurs auxquels vous pouvez donner un bon conseil en z particulier. Il n’y a besoin pour cela ni d’éloquence ni de longs développements. Montrez devant un auditoire restreint que, si vous aviez reçu le don de la parole, vous sauriez le cultiver. Si, quand votre couvre est peu de chose, vous ne déployez aucun zèle, comment vous confierais-je une couvre importante ? Ce que je vous dis là, chacun est en état de le faire. Écoutez plutôt saint Paul s’adressant aux laïques : « Édifiez-vous », dit-il, « les uns les autres, comme vous le faites » ; et ailleurs : « Consolez-vous les uns les autres, dans vos entretiens ». (1Thes. 5,11 et 4, 17) Valez-vous mieux que Moïse ? Écoutez-le et voyez comme il se décourage : « Est-ce que je puis les porter », dit-il, « pour que vous me disiez : Porte-les, comme une nourrice porte son nourrisson ? » (Nb. 11,12) Que fait Dieu alors ? Il lui retire son esprit pour le donner aux autres, montrant par là que lorsqu’il leur servait de soutien, ce n’était point par lui-même, mais parla grâce du Saint-Esprit. Si vous aviez les dons de la grâce, souvent vous vous élèveriez, souvent vous seriez abattu ; vous ne vous connaissez pas vous-même, comme Dieu vous tonnait. Ne disons pas : A quoi bon ceci ? Pourquoi cela ? Quand c’est Dieu qui ordonne toutes choses, n’allons pas lui demander des comptes ; car 'ce serait le comble de l’impiété et de la folie. Nous sommes des esclaves, et il y a entre notre maître et nous, esclaves que nous, sommes, un intervalle immense ; nous ne voyons même pas à nos pieds. N’allons donc pas scruter les desseins de Dieu ; conservons précieusement ses moindres dons, ses dons les plus infirmes et nous serons considérés. Mais que dis-je ? Parmi les dons du Seigneur il n’y en a pas un qui n’ait son prix. Vous vous plaignez de n’avoir pas le don d’enseigner. Dites-moi, je vous prie, lequel préférez-vous du don d’enseignement ou du don de guérison ? Le don de guérison assurément. Et le don de guérir les maladies, n’est-il pas, selon vous, inférieur au pouvoir de rendre la vue aux aveugles, inférieur au don de résurrection ? Et maintenant dites-moi. Ressusciter un mort avec sa parole, n’est-ce pas moins encore que de le ressusciter avec son ombre par le simple contact d’un morceau de linge ? Qu’aimez-vous mieux, dites-moi : ressusciter les morts avec votre ombre, par le « simple contact » d’un morceau de linge, ou avoir le don d’enseigner ? Assurément, répondrez-vous, je préfère avoir le don de ressusciter les morts.
6. Si donc je parviens à vous démontrer que ce dernier don est bien inférieur à l’autre, et qu’en négligeant d’acquérir ce don le plus grand de tous, vous méritez d’être privé de tous les autres, que direz-vous ? Et le don auquel je fais allusion, ce n’est pas à un ou deux hommes, c’est à toit, le monde qu’il est permis de l’acquérir. Vous voilà tous ébahis, je le vois, vous voilà frappés de stupeur ! Quoi ! vous pourriez acquérir un don encore plus grand que le pouvoir de rendre la vie aux morts et la vue aux aveugles ! Vous pourriez faire ce qui s’est fait au temps des apôtres ! Voilà qui vous parait peut-être incroyable ! quel est ce don enfin ? C’est la charité. Mais croyez-moi bien. Car ce n’est pas moi qui parle ; c’est le Christ par la bouche de saint Paul. Que dit-il ? « Entre tous les dons, empressez-vous de choisir les meilleurs, et je vais vous montrer une voie qui est encore au-dessus de tout ». (1Cor. 12,31) Qu’est-ce à dire : « Encore au-dessus de tout ? » Voici le sens de ces paroles. Les Corinthiens, à cette époque, se faisaient gloire de posséder les dons de la grâce, et ceux qui avaient le don des langues qui est le dernier de tous, étaient gonflés d’orgueil, et se mettaient au-dessus de tout le monde. Paul dit donc : Vous voulez absolument posséder, les dons de la grâce. Eh bien ! je vais vous montrer une voie pour y parvenir, et cette voie n’est pas seulement supérieure aux autres ; elle est au-dessus de tout. Puis il ajoute : « Quand je parlerais le langage des anges, si je n’ai point, la charité, je ne suis rien. Et quand j’aurais cette foi vive qui transporte les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ». (1Cor. 13,1-2) Voilà ce qui s’appelle un don précieux ! Soyez donc jaloux de l’acquérir. Cela vaut mieux que de ressusciter les morts ! Ce don est de beaucoup au-dessus de tous les dons. Écoutez plutôt ce que dit le Christ à ses disciples, en s’entretenant avec eux : « À quoi tout le monde reconnaîtra-t-il que vous êtes mes disciples ? à votre charité les uns pour les autres ». (Jn. 13,35) Ce signe particulier qui les fait reconnaître, il le montre ici. Ce ne sont pas les miracles, et qu’est-ce donc ? C’est la charité qu’ils ont les uns pour les autres. Et ailleurs il dit à son Père : « On reconnaîtra que vous m’avez envoyé à ce signe : ils ne seront qu’un ». (Jn. 17,21) Et lui-même dit à ses disciples:« Voici un nouveau précepte que je vous donne, aimez-vous les uns les autres ». (Jn. 13,34)

Il y a donc plus de mérite et de gloire à cela qu’à ressusciter les morts, et c’est justice. Car tous ces dons que nous avons mentionnés, sont des présents de la grâce divine ; celui-ci est le fruit du zèle ; d’est l’apanage du vrai chrétien ; c’est le sceau du disciple de Jésus-Christ, de ce disciple que l’on crucifie et qui n’a rien de commun lavée la terre. Sans la charité, le martyre même est inutile. Voulez-vous le savoir ? Remarquez bien ceci. Saint Paul divise les vertus en trois classes principales : celle des signes miraculeux, celle de la science, celle qui consiste dans une vie droite. Eh, bien ! ces vertus, selon lui, ne sont rien, sans la charité. Comment cela ? je vais vous le dire : « Quand j’aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien ». (1Cor. 13,3) Il est possible en effet, que celui qui distribue ainsi son bien, ne soit point charitable et ne soit qu’un prodigue. C’est ce qui a été suffisamment développé dans le passage où nous avons parlé de la charité, et nous y renvoyons le lecteur ! Soyons donc jaloux, je le répète, d’acquérir la charité, aimons-nous les uns les autres, et cette voie, à elle seule, nous fera parvenir à la vertu. Tout nous sera facile. Plus de sueurs ; tout nous réussira et nous ferons tout avec zèle. Oui, répète-t-il, aimons-nous les uns les autres. Cet homme a deux ou trois amis ; cet autre en a quatre. Mais ce n’est pas là ce qui s’appelle aimer pour Dieu ; c’est aimer pour être aimé. L’amour qui a Dieu pour cause, ne dérive pas d’un semblable principe. L’homme qui aime pour Dieu regardera tous les hommes comme ses frères. Ceux qui partagent sa croyance, il les aimera comme des frères germains ; quant aux hérétiques, aux Grecs et aux Juifs qui sont ses frères selon la nature, mais qui sont des membres corrompus et inutiles, il en aura pitié, et se consumera dans les larmes, en déplorant leur sort.

Le moyen de ressembler à Dieu, c’est d’aimer tout le monde et même ses ennemis ; ce n’est pas de faire des miracles. Car Dieu lui-même, si nous, l’admirons quand il fait des miracles, nous l’admirons bien davantage encore, quand il manifesté sa bonté et sa patienté. Si donc ces vertus sont tellement admirables dans la nature divine, à plus forte raison sont-elles admirables chez l’homme. Montrons-nous donc jaloux d’acquérir la charité, et nous égalerons saint Pierre, saint Paul, et ces hommes qui ont opéré des milliers de résurrections. Oui : nous les égalerons, quand même nous n’aurions pas le pouvoir de guérir une simple fièvre. Mais, sans la charité, quand même nous ferions plus de miracles que les apôtres, quand nous affronterions mille dangers, pour faire triompher la foi, tout, cela sera en pure perte. Et ici ce n’est pas moi qui parle ; cette doctrine est celle du nourrisson de la charité, et c’est à lui que nous devons obéir. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens qui nous sont promis. Ces biens, puissions-nous tous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV.

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CAR DIEU N’A POINT SOUMIS AUX ANGES LE MONDE FUTUR DONT NOUS PARLONS. OR QUELQU’UN A DIT DANS UN ENDROIT DE L’Écriture : QU’EST-CE QUE L’HOMME POUR MÉRITER VOTRE SOUVENIR ? ET QU’EST-CE QUE LE FILS DE L’HOMME POUR]ÊTRE HONORÉ DE VOTRE VISITE ? VOUS L’AVEZ RENDU, POUR UN TEMPS, INFÉRIEUR AUX ANGES. (II, 5, JUSQU’A 15)

Analyse.

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  1. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas voulu nous faire connaître d’avance le jour de notre mort ?
  2. Le royaume de Dieu. – La gloire du Fils de l’homme. – Les fruits de la croix.
  3. L’incarnation et la passion du Christ plus grandes que la création.
  4. Le Christ a terrassé la mort et le démon. – Celui qui ne craint pas la mort est libre et grand.
  5. Il ne faut pas, dans les funérailles, faire étalage de sa douleur. – Il ne faut pas payer des pleureuses à gages.
  6. II faut se soumettre à l’Église. – II faut savoir supporter les réprimandes.

1. Je voudrais savoir positivement si quelques-uns d’entre vous écoutent comme il faut nos paroles, et si nous ne jetons pas la semence le long de la route. Votre attention nous donnerait plus d’ardeur à poursuivre cet enseignement. Quand personne ne devrait nous écouter, nous parlerons sans doute, parce que Nous craignons le Sauveur. Car il est dit : Rendez-nous témoignage devant ce peuple et, s’il ne vous écoute pas, vous n’en serez pas responsable. Mais si j’étais sûr de votre attention, ce n’est pas la crainte qui me ferait parler, mais ce serait avec plaisir que je remplirais ce devoir. Maintenant, en effet, quand votre inattention serait pour moi sans péril, puisque je fais mon devoir, je me livre à un travail ingrat. A quoi bon,.en effet, quand même on ne me reprocherait rien, poursuivre une œuvre qui ne profite à personne ? Mais si nous devons trouver en vous des auditeurs attentifs, nous serons encore plus heureux d’obtenir votre attention que d’éviter le châtiment. Comment donc saurai-je que vous m’écoutez ? j’observerai ceux d’entre vous qui ne sont pas, très-attentifs, je les prendrai à part, je les interrogerai, et si je vois qu’ils ont retenu quelques-unes de mes paroles (je ne dis pas toutes, ce qui n’est pas très-facile, mais seulement quelques-unes), alors évidemment je serai sûr du reste de mon auditoire. J’aurais dû vous prendre à l’improviste, sans vous prévenir. Mais nous serons heureux, si l’épreuve, telle qu’elle est, nous réussit. Car, même de cette manière, je puis encore vous surprendre. Je vous interrogerai, je vous en ai avertis, mais quand vous interrogerai-je ? Là-dessus je ne m’explique pas. Peut-être sera-ce aujourd’hui, peut-être demain ; peut-être sera-ce dans vingt jours, dans quarante jours, plus ou moins.
C’est ainsi que Dieu ne nous a pas révélé d’avance le jour de notre mort. Sera-ce aujourd’hui ?sera-ce demain ? sera-ce dans une année entière ? sera-ce dans plusieurs années ? Là-dessus il nous a laissés dans l’incertitude, afin que, n’étant pas fixés sur ce point, nous restions toujours vertueux. Qu’on ne vienne pas me dire : Il y a quatre ou cinq semaines et plus que j’ai entendu ces paroles, et je ne puis les retenir. Celui qui m’écoute, je veux qu’il retienne fidèlement, mes paroles, qu’elles restent gravées dans sa mémoire et qu’elles n’en sortent pas. Je ne veux pas qu’il les accueille avec dédain. Je veux que vous reteniez mes discours, non pour que vous me les répétiez, mais pour qu’ils vous profitent. Voilà le but que je suis jaloux d’atteindre. Après ce préambule nécessaire, je dois poursuivre la tâche que j’ai commencée. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? « Dieu », dit-il, « n’a point soumis aux anges le monde futur dont nous parlons ». Est-ce, qu’il parle d’un autre monde que le nôtre ? Cela ne peut être. C’est bien de celui-ci qu’il parle. Aussi ajoute-t-il : dont nous parlons, pour que l’esprit de ses auditeurs ne s’égare pas et n’aille pas en chercher un autre. Mais pourquoi dit-il : Ce monde « futur ? », par là même raison qu’il dit ailleurs : « Qui est la figure de celui qui doit venir ». (Rom. 5, 14) C’est d’Adam et du Christ qu’il parle dans son épître aux Romains, où il appelle, en ayant égard aux temps, le Christ fait homme, un Adam « futur », car il n’était pas encore venu. De même, dans ce passage, après avoir dit : « Lorsqu’il eut introduit son premier-né dans le monde » pour qu’on n’aille pas croire qu’il s’agit d’un monde autre que celui où nous sommes, il montre que c’est bien celui-là qu’il désigne en divers endroits, et notamment ici par cette expression : le monde « futur » ; car ce monde devait avoir un commencement ; tandis que le Fils de Dieu a toujours existé. Donc ce monde qui allait commencer, il ne l’a pas soumis aux anges, mais au Christ. Que cela ait été dit au Fils, c’est chose certaine, et l’on ne saurait avancer que cela ait été dit aux anges. Puis il apporte un nouveau témoignage de cette vérité, en disant : « Or quelqu’un a dit dans un endroit de l’Écriture ». Et pourquoi donc ne pas nommer ici le témoin ? Pourquoi cacher le nom du Prophète ? Nous répondrons que c’est sa méthode et qu’il l’emploie ailleurs, quand il à recours à tel ou tel témoignage. C’est ainsi qu’il dit : « Quand il eut – envoyé son premier-né sur la terre, il parle ainsi : Que tous les anges de Dieu l’adorent ». Et ailleurs : « Je serai son père. Et il dit aux anges : Celui qui se sert des esprits pour en faire ses anges. Et il a dit au Fils : Seigneur, vous avez créé la terre dès le commencement du monde ». C’est toujours la même méthode qu’il suit, en disant : « Or quelqu’un a dit dans un passage de l’Écriture ». Quand il ne nomme pas, quand il passe sous silence le nom de son témoin, quand il lance ainsi dans la foule une citation, comme si elle était connue de tous, il s’adresse aux Hébreux comme à des hommes versés dans les saintes. Écritures : « Qu’est-ce que l’homme, pour que vous vous souveniez de lui ? – Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour que vous laissiez tomber sur lui vos regards ? Vous l’avez rabaissé un peu au-dessous des anges ; puis vous l’avez couronné d’honneur et dé gloire : Vous lui avez donné l’empire sur les œuvres de vos mains, et vous avez mis l’univers sous ses pieds. ».
2. Ces paroles peuvent s’appliquer au commun des hommes ; mais elles s’appliquent plus particulièrement, je crois, au Christ incarné. Car ces mots : « Vous avez mis l’univers sous ses pieds » ; lui conviennent mieux qu’à nous. Le Fils de Dieu nous a visités, nous qui ne sommes rien, il s’est revêtu dé notre humanité, et s’est élevé au-dessus de tous. « Car, en disant qu’il lui a assujetti toutes choses, Dieu n’a rien laissé qui ne lui soit assujetti ; et cependant nous ne voyons pas encore que tout lui soit assujetti ». Voici le sens de ces paroles. Il avait dit : « Jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied », et probablement les Hébreux étaient encore dans, l’affliction. Alors il leur adresse quelques paroles pour amener un témoignage qui vient confirmer le premier. Pour qu’ils ne pussent pas s’écrier : Comment se fait-il qu’il ait réduit ses ennemis à lui servir de marchepied, puisque nous sommes eh proie à tant de maux ? Il avait déjà, dans le texte, précédent, réfuté implicitement cette objection. Ce mot « jusqu’à ce que », en effet, annonçait une délivrance amenée par le temps, et non immédiate. Il revient maintenant encore sur ce point. Parce que tout ne lui est pas encore assujetti, ne croyez pas, dit-il, que les choses resteront dans : cet état ; car tout doit lui être assujetti : tel est le sens de la prophétie. « En disant qu’il lui a assujetti toutes choses, il n’a rien laissé qui ne lui soit assujetti ». Comment donc tout ne lui est-il pas assujetti ? C’est que tout doit l’être un jour. Si donc tout doit être assujetti au Christ et ne l’est pas encore, n’allez pas vous affliger et vous troubler pour cela. Si tout était fini, si tout était soumis et que vous fussiez toujours en proie aux mêmes tourments, vous auriez raison de vous affliger. Mais tout n’est pas encore assujetti, nous le voyons : Le souverain n’a pas, encore pleinement établi son autorité. Pourquoi dont vous troubler, parce que vous souffrez ? « La bonne nouvelle » ne triomphe pas encore partout ; les temps ne sont pas encore accomplis. Autre consolation : Celui qui doit tout assujettir est mort lui-même, et a souffert mille tourments.
« Mais nous voyons que Jésus a été rendu, pour un peu de temps, inférieur aux anges, à cause de la mort qu’il a soufferte ». Puis viennent ces belles paroles. « Couronné d’honneur et de gloire ». Voyez-vous comme tout cela s’applique à Jésus ? Cette expression « pour un peu de temps » doit s’appliquer à celui qui né reste que trois jours aux enfers, bien plutôt qu’à nous, créatures éminemment périssables. De même les mots de « gloire et d’honneur » lui conviennent bien mieux qu’à nous. Ensuite il leur rappelle la croix, dans un double but, afin de leur montrer la sollicitude de Jésus pour l’humanité, afin aussi de les exhorter à tout supporter avec courage, à l’exemple du maître. Si celui que les anges adorent, leur dit-il par là, a consenti pour vous a devenir pendant quelque temps inférieur aux anges, à plus forte raison vous qui êtes inférieurs aux anges, devez-vous tout supporter pour l’amour de lui. Alors il leur montre que c’est la croix qui est la gloire et l’honneur. Jésus lui-même ne l’appelle-t-il pas ainsi, quand il dit : Voici l’heure où le Fils de l’homme va être glorifié ? Si donc, à ses yeux, c’est une gloire de souffrir pour des esclaves,.combien doit-il être plus glorieux pour nous de souffrir pour notre maître !
Voyez-vous quels sont les fruits de la croix ? Ne la redoutez pas. Elle vous effraie, et pourtant elle produit de grands avantages. Il nous montre par là l’utilité de la tentation, puis il ajoute ; « Afin que, par la grâce de Dieu, il goûtât la mort, pour le salut de tous les hommes ». – « Afin que, par la grâce de Dieu », dit-i1. Oui, s’il a tant souffert, c’est en vertu d’une grâce que Dieu a faite à tous les hommes. « Dieu », dit saint Paul, « n’a pas épargné son propre Fils, et l’a sacrifié pour nous tous ». (Rom. 8,32) Ce sacrifice, il ne nous le devait pas ; c’est une grâce qu’il nous a faite. Et dans un autre passage de l’épître aux Romains, il nous dit : « La miséricorde et le don de Dieu se sont répandus avec bien plus d’abondance sur plusieurs, par la grâce d’un seul ; homme qui est Jésus-Christ ». (Rom. 5,15) « Pour que, par la grâce de Dieu, il goûtât la mort, pour le salut de tous ». Oui, pour tous les hommes, et non pas seulement pour, lés fidèles, car c’est pour tous qu’il est mort. Mais, si tous n’ont pas cru ? N’importe : il a rempli sa mission.: Cette expression il a « goûté » la mort, est, pleine de justesse. Il n’a pas dit : « Afin qu’il mourût » ; car il n’a fait que séjourner dans la mort, il n’a « fait que la goûter », et sa résurrection a été prompte. Mais ces mots « à cause de la mort qu’il à soufferte », expriment bien la mort véritable. Quant à ces mots « supérieur aux anges », ils font une allusion évidente à la résurrection. Le médecin n’a pas besoin de goûter les remèdes présentés au malade, et cependant, il commence par les goûter, dans sa sollicitude pour ce client qu’il veut déterminer à boire hardiment un breuvage salutaire. Eh bien ! ainsi fait le Christ à l’égard de tous les hommes. Ils craignaient la mort et, pour les enhardir contre elle, il la goûte, sans nécessité pour lui. Car, dit-il, « voici venir le prince de ce monde, quoiqu’il n’y ait rien en moi qui lui appartienne ». (Jn. 14,30) Ainsi l’explication de ces mots « par une grâce de Dieu » et de ceux-ci « il goûtera la mort pour le salut de tous », se trouve dans ce verset : « Car il était bien digne de Celui pour lequel et par lequel toutes choses ont été faites, que voulant conduire à la gloire plusieurs de ses enfants, il perfectionnât par la souffrance l’auteur de leur salut ».
3. C’est du Père qu’il parle ici. Voyez-vous comme ces mots « par lequel toutes choses ont été faites », s’appliquent bien à lai ? Tel n’aurait pas été son langage s’il avait voulu exprimer des idées moins relevées, et s’il n’était ici question que du Fils. Voici le sens de ses paroles : Dieu a fait un acte digne de sa bonté pour nous, en revêtant son premier-né d’un éclat dont rien n’approche, et en l’offrant pour exemple au monde comme un athlète généreux et supérieur à tous. Voyez la différence : Il est le Fils de Dieu et nous aussi, nous sommes les enfants de Dieu ; mais c’est lui qui nous sauve, et c’est nous qui sommes sauvés. Voyez comme tour à – tour il nous rassemble et nous sépare. « Voulant conduire à la gloire plusieurs, de ses enfants », dit-il, « il devait perfectionner » par la souffrance celui qui allait être l’auteur de notre salut. La souffrance est donc un moyen d’arriver à la perfection, et une source de salut. Voyez-vous quel n’est pas le partagé de ceux que Dieu a abandonnés ?
Dieu a donc particulièrement honoré le Fils, en le faisant passer par la souffrance. Et en effet se revêtir de notre chair pour souffrir, est certes bien plus grand que de créer le monde et de le tirer du néant : ce dernier acte est un, bienfait ; mais l’autre en est un bien plus grand encore. Et c’est à la grandeur de ce bienfait que Paul fait allusion, par ces mots : « Pour faire éclater, dans les siècles à venir, les richesses surabondantes de sa grâce, il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir dans le ciel, en Jésus-Christ. Il fallait bien que Celui par qui et pour qui toutes « choses ont été faites et qui avait conduit à la gloire de si nombreux enfants, perfectionnât par la souffrance celui qui devait être l’auteur de notre salut ». Il fallait que celui qui a tant de sollicitude pour nous, et qui a fait toutes choses, livrât son Fils pour le salut de tous, un seul pour plusieurs. Mais tel n’est pas le langage de Paul : il a employé les mots : « Perfectionner par la souffrance », pour montrer que, lorsqu’on souffre pour autrui, non seulement on lui est utile, mais on devient soi-même plus illustre et plus parfait. Il s’adresse à ses disciples pour les encourager. Oui, le Christ a été glorifié, lorsqu’il, a souffert, Mais quand je dis qu’il a été glorifié, n’allez pas croire qu’il y ait eu là un accroissement de gloire pour lui ; car la gloire était dans sa nature et rien ne pouvait l’augmenter.
« Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés, viennent tous d’un même Père. C’est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Ici l’apôtre honore et console tous ses auditeurs ; de tous ces hommes il fait les frères du Christ, puisqu’ils ont le même Père que lui. Puis établissant bien et montrant clairement qu’il parle selon la chair, il ajoute : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés ». Voyez quelle distance il y a du Christ à nous, c’est lui qui sanctifie, c’est nous qui sommes sanctifiés. Et plus haut, saint Paul l’appelle l’auteur de notre salut. « Il n’y a qu’un Dieu en effet, de qui, procèdent toutes choses ; c’est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Voyez comme il fait ressortir ici la supériorité du Christ. Dire « il ne rougit point », cela signifie que ce n’est pas de sa part chose toute naturelle de nous donner un pareil nom, mais que c’est l’effet d’une bonté et d’une humilité extrême. Car, bien que nous ayons tous le même Père, toujours est-il que c’est lui qui sanctifie et Que c’est nous qui sommes sanctifiés. Quelle différence ! Et puis il procède du Père,'comme un Fils véritable et légitime qui participe à son essence ; tandis que nous, c’est en qualité de créatures tirées du néant que nous reconnaissons, Dieu pour Père. La distance entre le Christ et nous, est donc bien grande. Voilà pourquoi il dit : « Il ne rougit pas de les appeler ses frères », en disant : « J’annoncerai votre nom à mes frères ». Car en même temps que notre chair, il a revêtu cette fraternité, suite naturelle de l’incarnation ; c’est là une conséquence toute simple. Mais que veulent dire ces mots : « Je mettrai en lui ma confiance ? » car cette autre expression : « Me voici, et voici les enfants que Dieu m’a donnés », est remplie de justesse. Ici c’est comme Père des hommes qu’il s’offre à nous ; tout à l’heure c’était comme frère. « J’annoncerai », dit-il, « votre nom à mes frères ». Puis vient une nouvelle preuve de sa supériorité et de la différence qu’il y a entre lui et nous.
« Comme donc ses enfants sont d’une nature composée de chair et de sang, il a pris aussi « cette même nature ». La ressemblance, vous le voyez, est tirée de l’incarnation. Que les hérétiques rougissent tous, qu’ils se cachent de honte, ceux qui prétendent que la venue du Christ est une apparence et non une vérité. L’apôtre ne s’est pas en effet borné à dire : « Il s’est fait participant de cette nature », ce qui aurait pourtant suffi ; il a été plus loin et il a dit : « De cette même nature », pour montrer que ce n’est pas là une apparence, une image, mais une fraternité véritable. Autrement, que signifierait le mot « même ? » Puis il nous dit le motif de cette métamorphose providentielle. C’était « afin de détruire par sa mort celui qui était le prince de la mort, c’est-à-dire le démon ». Voilà où est le miracle ! C’est par la mort que le démon a vaincu ; c’est par elle qu’il a été vaincu. Cette arme terrible dont il se servait contre la terre, la mort, a été entre les mains du Christ l’instrument de sa perte, preuve éclatante de la puissance du vainqueur ! Voyez-vous quel bien la mort a fait ?
« Et afin de mettre en liberté ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie ». Pourquoi frémir, dit-il ? Pourquoi redouter cette ennemie détruite à jamais ? Elle n’est plus à craindre. La voilà foulée aux pieds ; ce n’est plus qu’un objet digne de mépris, une chose vile et abjecte, ce n’est plus rien. Mais que veulent dire ces mots : « Ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie ? » cela veut dire que redouter la mort, c’est être esclave et prêt à tout supporter pour ne pas mourir. Cela peut vouloir dire aussi que tous les hommes étaient esclaves de la mort et soumis à l’empire de ce monstre qui n’était pas encore détruit. Cela peut signifier aussi que les hommes vivaient dans des transes continuelles, s’attendant toujours à mourir et redoutant toujours la mort, ne pouvant goûter aucun plaisir, à cause de la terreur qui les assiégeait continuellement. Voilà, en effet, à quoi semblent faire allusion ces mots : « Durant leur vie entière ». Il fait voir ici que les affligés, les bannis, les hommes privés de leur patrie, de leur fortune, et de tous les biens, sont plus heureux et plus libres que ceux qui jadis vivaient dans les délices, que ceux qui n’avaient jamais souffert ; que ceux à qui tout réussissait. Ces hommes d’autrefois, durant leur vie entière, étaient sujets à la crainte de la mort, ils étaient esclaves ; les hommes d’aujourd’hui au contraire sont délivrés de ces terreurs et rient de ce fantôme qui faisait frémir leurs aïeux. Autrefois nous étions des prisonniers qui devaient être conduits à la mort et qui, en attendant le, moment fatal, s’engraissaient dans les délices : voilà ce que la mort faisait de nous.,
Aujourd’hui la mort n’est plus à craindre. Nous sommes des athlètes ; nous avons à lutter contre les délices, et ce n’est plus à la mort, c’est à la royauté que nous marchons. Quel sort est préférable à vos yeux ? Voulez-vous être le prisonnier qui s’en, graisse dans son cachot en attendant chaque jour sa sentence, ou l’athlète qui brave la fatigue et la souffrance, pour ceindre enfin le diadème royal ? Voyez-vous comme il les ranime, comme il relève leur courage ? Il leur montre non seulement la mort dont le règne est passé, mais notre ennemi implacable, et déclare le démon terrassé par la mort ; car l’homme qui ne craint pas la mort est affranchi de la tyrannie du démon. Oui : l’homme qui pour conserver sa vie, donnerait les lambeaux de sa chair et tout au monde, une fois qu’il sera parvenu à mépriser la mort, que craindra-t-il désormais ? Le voilà désormais exempt de crainte, au-dessus de tout, le plus libre de tous les êtres ! Quand on méprise la vie, en effet, on méprise à plus forte raison tout le reste. Une âme de cette trempe est assurée contre toutes les attaques du démon. A quoi bon, je vous le demande, menacer un pareil homme de la ruine, de l’infamie, de l’exil ? Qu’est-ce que tout cela, dit saint Paul, pour celui qui ne tient pas même à la vie ? Voyez-vous comme en nous affranchissant de la crainte de la mort, il a brisé la puissance du démon ? Car l’homme qui pense sérieusement à la résurrection, comment craindrait-il la mort ? Quel danger pourrait le faire frémir ? Ne vous abandonnez donc pas à la tristesse ! Ne dites pas : Pourquoi tous ces maux que nous souffrons ? Notre victoire n’en sera que plus brillante, et quel éclat aurait-elle, si la mort n’avait été vaincue par la mort ? Le miracle, d’est d’avoir vaincu le démon avec les armes qui faisaient sa force, et voilà ce qui fait ressortir le génie fécond en ressources de son vainqueur ! « Car », dit-il, « ce n’est pas un esprit de faiblesse, c’est un esprit de force, de charité et de sagesse que nous avons reçu ». (Rom. 8, coll.; 2Tim. 1,7) Résistons donc généreusement et moquons-nous de la mort.
5. Mais il me prend envie de gémir, dans toute l’amertume de mon cœur, quand je compare le degré d’élévation auquel le Christ nous a fait parvenir, au degré d’abaissement auquel nous sommes descendus par notre faute. A l’aspect de cette foule qui se frappe la poitrine sur la place publique, qui gémit sur ceux qui sortent de la vie, à l’aspect de tous ces gens qui hurlent de douleur et se livrent à toutes ces lâches démonstrations, croyez-moi, je rougis devant ces Grecs, ces Juifs, ces hérétiques qui nous regardent, et dont toutes ces manifestations nous rendent la fable. Désormais toutes les méditations philosophiques que je puis faire sur la résurrection, sont en pure perte. Pourquoi ? C’est que ce n’est pas à mes paroles que les Grecs font attention, c’est à vos actes. Car ils disent aussitôt : Comment trouver un seul homme capable de mépriser la mort, parmi tous ces hommes qui ne sauraient envisager un cadavre ? Elles sont bien belles les paroles de saint Paul : oui, elles sont bien belles, elles sont dignes du ciel et de la bonté divine. Que dit-il, en effet ? « Et il affranchira tous ceux que la crainte, de la mort tenait, durant toute leur vie, dans l’esclavage ». Mais vous empêchez les païens de croire à ces paroles par votre conduite qui est en contradiction avec elles. Et, pourtant Dieu nous a, prémunis contre cette faiblesse et contre ces mauvaises habitudes. Car, je vous le demande, que veulent dire ces lampes qui brillent ? Ces morts ; ne les accompagnons-nous pas, comme s’ils étaient des athlètes victorieux ? Que signifient ces hymnes ? N’est-ce pas Dieu que nous glorifions, que nous remercions d’avoir enfin couronné le lutteur sorti de la lice ; de l’avoir affranchi de ses fatigues, de l’avoir reçu dans son sein, en bannissant toutes ses inquiétudes ? N’est-ce pas là le sens de ces hymnes, de ces psaumes ? Ce sont là autant de manifestations joyeuses. « Quelqu’un est-il dans la joie, qu’il chante ». (Jac. 5,13) Mais les grecs ne pensent pas à tout cela. Ne nous parlez pas, disent-ils, de ces hommes qui font les sages, quand ils n’ont rien à souffrir ; car il n’y a rien là de bien grand ni de bien merveilleux ; montrez-nous un homme qui raisonne en philosophe, au sein même de la souffrance, et nous croirons alors à la résurrection. Que les femmes mondaines se conduisent ainsi, il n’y a rien là d’étonnant, bien qu’il y ait aussi du mal à cela. Car on leur demande aussi à elles, cette philosophie du chrétien, témoin cette parole de Paul : « Quant à ceux qui dorment dans le sein du Seigneur, je ne veux pas vous le laisser ignorer, mes frères, vous ne devez pas vous affliger, comme toutes ces personnes qui n’ont point d’espérance ». (1Thes. 4,12) Cela n’est pas écrit pour les religieuses, pour celles qui ont fait vœu de virginité, mais pour les femmes mondaines, pour les femmes mariées, pour les femmes du siècle.
Jusqu’ici pourtant, il n’y a pas grand mal. Mais quand on voit une femme ou un homme soi-disant mort pour le monde, s’arracher les cheveux, pousser de grands gémissements, qu’y a-t-il de plus honteux ? Croyez-moi : il faudrait, pour bien faire, interdire pour longtemps à ces gens-là le seuil de l’église. Ceux qui méritent d’être pleurés en effet, ce sont ceux qui craignent la mort, ceux qu’elle fait frémir et qui ne croient pas à la résurrection. Je crois à la résurrection, me direz-vous, mais je veux suivre la coutume. Pourquoi donc, dites-moi, quand vous partez pour un long voyage, n’en faites-vous pas autant ? – Alors aussi, dites-vous, je pleure, je me lamente et j’exprime mes regrets. Mais les larmes, des funérailles sont celles de l’habitude, les larmes du départ sont celles du désespoir. Réfléchissez donc aux paroles que vous chantez quand vous pleurez ainsi. « Tourne-toi, mon âme, vers ce port tranquille ; car Dieu a répandu sur toi ses bienfaits », et ailleurs : « Je braverai le malheur, car tu es avec moi », et ailleurs encore : « Tu es mon refuge au milieu des tribulations qui m’environnent ». (Ps. 114,7 ; 22, 4 et 31, 9) Réfléchissez au sens de ces paroles que vous chantez. Mais vous n’y faites pas attention ; vous êtes ivre de douleur. Réfléchissez pourtant, réfléchissez avec soin, durant ces funérailles, afin d’être sauvé quand l’heure de vos funérailles à vous, viendra à sonner. « Tourne-toi, mon âme, vers le lieu du repos ; car le Seigneur a répandu ses bienfaits sur toi ». Quoi donc ! Voilà ce que vous dites et vous pleurez ! N’est-ce pas là une scène de théâtre, n’est-ce pas là un rôle que vous jouez ? Car enfin, si, vous êtes bien convaincu de ce que vous dites, votre douleur est gratuite. Si d’un autre côté, tout cela n’est qu’un jeu : d’enfant, un rôle que vous jouez, une fable, pourquoi chanter ? pourquoi permettre à vos voisins de chanter ? pourquoi ne pas les chasser ? Mais, direz-vous, ce serait de la folie. Ah ! votre conduite en est une bien plus grande encore… Pour le moment, je me borne à vous avertir. Avec le temps, j’insisterai sur ce point, car j’ai bien peur que cette coutume ne devienne la plaie de. l’Église, Plus tard, je tâcherai de la déraciner. Pour aujourd’hui je me contente de la dénoncer, et je vous conjure, vous tous, riches et pauvres, femmes et enfants, de vous en défaire.
Puissiez-vous tous sortir de la vie, sans être entourés de tout cet appareil de deuil ! que, d’après la loi de la nature, les pères arrivés à la vieillesse soient conduits à leur dernière demeure par leurs fils ; que parvenues à une vieillesse avancée et tranquille, les mères soient conduites par leurs filles, par leurs petits-fils et par leurs arrière-petits-fils, et que votre mort ne soit jamais prématurée. Puissiez-vous avoir ce bonheur ! Je vous le souhaite et je le demande à Dieu pour vous. Je vous en prie, je vous y exhorte : priez Dieu les uns pour les autres, et que mes vœux soient les vôtres à tous ! Si, ce qu’à Dieu ne plaise, votre mort était cruelle (je dis cruelle, non que la mort soit cruelle en elle-même, puisque c’est un sommeil, mais enfin je dis cruelle, pour me mettre à votre point de vue), s’il en était ainsi, et si quelqu’un d’entre vous louait des pleureuses à gages, croyez-moi, car je parle sérieusement et j’y suis bien décidé, croyez-moi, et fâchez-vous, si vous voulez, j’interdirai pour longtemps l’église au coupable. Car si Paul traite les avares d’idolâtres, ils sont bien plus idolâtres encore ceux qui introduisent dans le séjour des fidèles les pratiques de l’idolâtrie. Pourquoi en effet, je vous le demande, appeler des prêtres et des chantres ? N’est-ce pas pour vous consoler vous-même, n’est-ce pas pour honorer celui qui est sorti de ce monde ? Pourquoi donc l’insulter ? Pourquoi le donner en spectacle ? Pourquoi ces pratiques théâtrales ? Nous venons à vous pour méditer sur la résurrection, pour vous instruire tous, pour apprendre, par honneur pour l’apôtre, à ceux qui ne sont point encore frappés, le moyen de supporter avec courage les coups du sort, et vous nous amenez des personnes qui s’efforcent pour leur part, de détruire notre ouvrage ?
6. Quoi de plus odieux qu’une dérision aussi amère ? Quoi de plus grave qu’une conduite aussi irrégulière ? Rougissez et soyez couverts de confusion. Si vous ne voulez pas changer de conduite, nous ne pouvons souffrir, nous, que ces pernicieuses : habitudes s’introduisent dans l’Église. « Accusez », est-il dit, « les pécheurs devant tout le monde ». (1Tim. 5,28) Oui, nous défendons à ces malheureuses que vous amenez ici, d’assister aux funérailles des fidèles, sous peine do, se voir forcées à pleurer, avec des larmes véritables, non pas le malheur des autres, mais leurs propres infortunes. Un père qui aime son fils, quand ce fils se dérange, ne se borne, pas à lui interdire la société des méchants, il effraie les méchants. Je vous engage donc à ne pas appeler ces femmes, et je les engage à ne pas se présenter. Et fasse le ciel que nos paroles soient écoutées et que nos menaces ne soient pas vaines ! Si, ce qu’à Dieu ne plaise, on méprisait nos avis, nous serions forcés de joindre l’effet à la menace, en vous traitant d’après les lois ecclésiastiques, et en traitant ces femmes, comme elles le méritent. Si quelqu’un accueillait nos paroles avec un mépris insolent, nous lui dirions d’écouter du moins ces paroles du. Christ : « Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa fauté en particulier entre vous et lui, s’il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes ; s’il ne les écoute pas non plus, dites-le à l’église ; et s’il n’écoute pas l’église même, qu’il soit à votre égard comme un païen et un publicain ». (Mt. 18,15-17) Si je dois haïr ainsi celui qui se rend coupable de désobéissance envers moi, je vous laisse à penser la conduite que je dois tenir à l’égard de celui qui est coupable envers Dieu et envers lui-même, puisque vous condamnez la mollesse et l’indulgence dont nous usons envers vous. Si, vous méprisez nos liens, que le Christ vous instruise en ces termes : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le ciel ». (Mt. 18,18) Malgré notre néant, et tout malheureux, tout digne de mépris que nous sommes, nous ne nous vengeons pas, nous ne vous rendons pas outrage pour outrage, mais noua veillons à votre salut.
Rougissez donc, je vous en supplie, et que votre visage se couvre de confusion ; car si l’on souffre la véhémence d’un ami qui s’emporte contre nous, par égard pour le but qu’il se propose, et pour la bienveillance dénuée de hauteur qui lui dicte ses paroles, à combien plus forte raison ne devez-vous pas supporter les reproches d’un maître, surtout quand ce maître ne vous parle point en son nom, surtout quand il vous parle non comme un chef, mais comme un tuteur ! Ici en effet nous n’avons pas pour but de faire acte d’autorité, puisque notre désir est que vous ne nous réduisiez pas à vous faire sentir notre pouvoir. Mais nous vous plaignons et nous pleurons sur vous. Pardonnez-nous et ne méprisez pas les liens de l’église ; car ce n’est pas l’homme qui lie, c’est le Christ qui nous a donné le pouvoir de lier et qui a voulu, que les hommes fussent honorés, de ce pouvoir : nous voudrions n’en faire usage que pour délier, que dis-je ? nous voudrions que ce dernier acte, même ne fit pas nécessaire. Car nous ne voudrions pas qu’il y eût des prisonniers parmi vous ; nous ne sommes point assez infortunés et assez, misérable pour former, un pareil vœu, malgré notre néant. Mais si : vous nous imposez un triste devoir, pardonnez-nous. Ce n’est pas de bon cœur, ce n’est pas de plein gré, c’est en gémissant plus que ceux qui sont dans nos liens, que nous vous chargeons de chaînes. Et si vous méprisez nos liens, le jour du jugement viendra vous instruire. Je ne veux pas, vous en dire davantage, pour ne pas frapper vos âmes de terreur. Car avant tout, nous vous prions de ne pas nous réduire à une dure nécessité ; mais, si vous nous y forcez, nous ferons notre devoir, nous vous chargerons des liens. Si vous les brisez, j’aurai fait, ce qui dépend de moi et je ne serai pas en faute. Mais il vous faudra compter avec celui qui m’a donné l’ordre de lier. Que sur l’ordre du roi, un de ses gardes reçoive l’ordre de lier un des assistants et, de le charger de chaînes, si le condamné repousse le garde, et non content de cela, brise ses fers, ce ne sera pas le satellite qui sera outragé, ce sera bien plutôt le roi de qui l’ordre émane. Si donc, selon Dieu même ; ce que l’on fait à ses fidèles, on le fait à Dieu, les outrages que vous adressez, à ceux qui ont reçu mission de vous instruire, remontent jusqu’à lui : n’est comme si vous l’outragiez lui-même.
Mais à Dieu ne plaise que l’un de ceux qui sont dans cette assemblée en vienne à nette extrémité et nous réduise à le lier ! Car s’il est bon de ne pas pécher, il est utile de savoir supporter les réprimandes ; sachons donc les supporter, étudions-nous à ne pas pécher ; mais si nous péchons, sachons supporter la réprimande. Il est bon d’éviter les blessures ; mais ; en cas de blessure, il faut panser la plaie. Agissons de même ici. Ah ! fasse le ciel que personne ici n’ait besoin des secours de la médecine ! « Car nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, quoique nous parlions de la sorte ». (Héb. 6,9) Si nous vous avons parlé avec quelque vivacité, avec quelque véhémence, c’est pour plus de sûreté. J’aime mieux en effet passera vos yeux pour un homme audacieux, cruel et fier, que de vous voir faire quelque chose qui pourrait déplaire à Dieu.. Nous avons confiance en lui, et nous croyons que cette réprimande ne vous sera pas inutile ; nous croyons que vous vous corrigerez et que, grâce à ces observations, vous finirez par mériter nos éloges. Puissions-nous vivre de manière à nous rendre agréables à Dieu, de manière à obtenir tous tant que nous sommes, les biens qu’il a promis à ceux qui l’aiment, par la grâce de Jésus-Christ, Notre-Seigneur…


HOMÉLIE V.

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CAR IL N’A PAS PRIS LA NATURE DES ANGES, MAIS IL A PRIS CELLE DE LA RACE D’ABRAHAM. C’EST POURQUOI IL A FALLU QU’IL FÛT EN TOUT SEMBLABLE A SES FRÈRES. (II, 16, 17, JUSQU’À III, 6)

Analyse.

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  1. Dieu s’est montré libéral envers le genre humain.
  2. Jésus, apôtre et pontife de notre religion.
  3. Exhortation à s’affermir dans l’espérance et dans la foi.
  4. Du bonheur des méchants.
  5. Il faut, pour la religion, être prêt à tout souffrir.

1. Afin de montrer toute la bonté et toute la tendresse de Dieu pour le genre humain, après avoir dit : « Parce que ses enfants avaient une nature composée de chair et de sang, il s’est fait participant de cette même nature », Paul explique ce passage et continue en ces termes. « Car il ne prend pas la nature des anges ». Pour que l’on fasse une sérieuse attention à ces paroles, pour que l’on ne regarde pas comme un léger bienfait cette faveur qu’il nous a faite de se revêtir de notre chair, faveur qu’il n’a pas faite aux anges, il dit : « Il n’a pas pris la nature des anges, mais il a pris celle de la race d’Abraham ». Que signifient ces mots : « Il n’a pas pris la nature de l’ange ; il a pris celle de l’homme ? » Pourquoi cette expression : « Il a pris ? » Pourquoi ne pas dire : « Il s’est revêtu », mais : « Il a pris ? » C’est une métaphore empruntée à l’homme qui court après un autre, quand celui-ci se détourne : c’est une métaphore empruntée à cet homme qui fait tous ses efforts pour saisir le fuyard et pour prendre celui qui s’échappe. Il a pris la nature de l’homme qui le fuyait et qui s’éloignait de lui. « Car nous nous étions éloignés de Dieu, et nous étions dans le monde, sans connaître Dieu ». (Eph. 2,12) Dieu a poursuivi l’homme qui le fuyait et il a pris sa nature. Il montre que cette conduite de Dieu à notre égard est un effet de sa bonté, de sa tendresse et de sa sollicitude pour nous. C’est comme lorsqu’il dit : « Est-ce que tous les esprits, ministres de Dieu, n’ont pas été envoyés pour prêter leur ministère aux héritiers du salut ? » (Héb. 1,14) Il montre par là toute la sollicitude de Dieu pour la nature humaine, et tous les égards qu’il a pour nous. Ainsi dans le passage qui nous occupe, il met cette vérité dans un jour plus grand encore, au moyen d’une comparaison conçue, en ces termes : « Il ne prend pas la nature des anges ». C’est qu’il y a là un miracle bien capable de nous remplir, d’étonnement ; c’est notre chair qui se trouve élevée à ce degré de grandeur et qui devient l’objet de l’adoration des anges, des archanges, des séraphins et des chérubins.

Que de fois, en réfléchissant à ce prodige, j’ai été ravi en extase et quelle haute idée j’ai conçue alors de la nature humaine ! voilà un magnifique et brillant privilège ! Voilà une sollicitude singulière de Dieu pour l’homme ! Et Paul ne dit pas simplement : Il prend la nature de l’homme ; mais, pour élever l’âme de ses auditeurs, pour leur montrer toute la grandeur et toute la splendeur de leur naissance, il leur dit : « Il prend la nature de la race d’Abraham ; il fallait donc qu’il fût en tout semblable à ses frères ». Ces mots « en tout », que veulent-ils dire ? Ils signifient que le Christ a été enfanté et élevé, qu’il a, grandi, qu’il a souffert tout ce qu’il fallait souffrir, et qu’enfin il est mort. En un mot, il a été en tout semblable à ses frères. Après avoir longtemps entretenu son auditoire de la grandeur du Christ, de sa gloire suprême, il parle de sa Providence. Et voyez comme sa parole est adroite et puissante, comme il fait ressortir l’attention que le Christ apporte à nous ressembler complètement. O sollicitude de Dieu à notre égard ! Après avoir dit : « Parce que ses enfants ont une nature composée de chair et de sang, il s’est fait participant de cette même nature », il insiste et dit ici : « Il est devenu semblable en tout à ses frères ». C’est comme s’il disait. Lui qui est si grand, lui qui est la splendeur de la gloire, le caractère de la substance divine, lui qui a fait les siècles, lui qui est à la droite du Père, il a consenti, il s’est étudié à devenir notre frère en tout, et c’est pour cela qu’il a envoyé ses anges et les puissances d’en haut, qu’il est venu à nous et qu’il a pris notre nature. Voyez tous les bienfaits dont il nous a comblés : il a détruit la mort, il nous a affranchis de la tyrannie du démon, il nous a délivrés de la servitude, il nous a fait l’honneur de devenir notre frère, et il nous a honorés, non seulement de ce bienfait, mais d’une foule d’autres bienfaits. Il a bien voulu devenir notre grand pontife auprès de son père. Car saint Paul ajoute : « Pour être envers Dieu un pontife compatissant et fidèle (17) ». C’est pour cela, dit Paul, que le Christ a pris notre chair. C’est un effet de sa bonté pour les hommes ; il voulait que Dieu eût pitié de nous. Voilà le motif, l’unique motif de sa conduite providentielle. Il nous a vus abattus, mourants, tyrannisés par la mort, et il nous a pris en pitié. « Afin d’expier les péchés du, peuple », dit l’apôtre, « afin d’être un pontife compatissant et fidèle ». – « Fidèle », que veut dire ce mot ? Il veut dire : sincère et puissant médiateur. Car le seul pontife fidèle, c’est le fils. Il peut, en sa qualité de pontife, absoudre son peuple de ses péchés. C’est donc pour offrir à Dieu une victime capable de nous purifier et d’expier nos fautes, qu’il s’est fait homme ; voilà pourquoi l’apôtre a ajouté : « Envers Dieu », c’est-à-dire « nos fautes envers Dieu ». Nous étions, dit-il, les ennemis de Dieu, nous étions condamnés, nous étions notés d’infamie ; il n’y avait personne pour offrir, en notre faveur, le sacrifice. Il nous a vus en cet état et il nous a pris en pitié. Il ne nous a pas donné un pontife ; mais il s’est constitué lui-même notre pontife fidèle. Puis nous faisant voir en quoi c’est un pontife fidèle, l’apôtre a ajouté : « Afin d’expier les péchés du peuple ». – « Car c’est des souffrances mêmes par lesquelles il a été éprouvé, qu’il tire la force de secourir ceux qui sont éprouvés (18) ».
2. Voilà le comble, de l’humiliation ! Voilà un abaissement indigne d’un Dieu ! « De ses souffrances mêmes ». C’est de l’Incarnation qu’il parle ici, et peut-être avait-il pour but de raffermir ces âmes faibles. Toujours est-il que voici ce qu’il veut dire : C’est pour souffrir ce que nous souffrons qu’il est venu, et maintenant il tonnait nos souffrances, et il les connaît non seulement comme Dieu, mais comme homme, par l’expérience qu’il en a faite ; ses nombreuses souffrances lui ont appris à compatir aux nôtres. Pourtant Dieu ne tonnait point la souffrance ; mais Paul aborde ici le mystère de l’incarnation ; c’est comme s’il disait : Le corps du Christ lui-même a été en proie à la souffrance. Il sait ce que c’est que l’affliction ; il sait ce que c’est que la tentation et il le sait aussi bien que nous qui avons souffert ; car il a souffert lui-même. Mais que signifient ces mots : « Il a la force de secourir ceux qui sont éprouvés ? » C’est comme s’il disait : C’est avec ardeur qu’il nous tendra la main ; car il est compatissant. Comme les Hébreux voulaient avoir sur les gentils une supériorité quelconque, il leur montre, sans blesser les gentils, que voilà précisément ce qui les rend supérieurs à eux. C’est d’eux que vient le salut ; c’est leur nature qu’il a prise d’abord, puisque c’est chez eux qu’il s’est incarné. Car, dit-il, « il ne prend pas la nature des anges ; il prend la nature de la race d’Abraham ». C’est un honneur qu’il fait au patriarche, et il montre aussi ce que c’est que la race d’Abraham. Il leur rappelle cette promesse qui leur a été faite : « Je donnerai cette terre à toi et à ta race ». (Gen. 13,15) Un petit mot lui suffit pour leur montrer leur parenté avec le Christ : « Ils sont tous les enfants d’un même père ». Mais, comme cette parenté, n’était pas grande, il y revient et s’arrête sur cette incarnation providentielle, en ces termes : « Afin d’expier les péchés du peuple ».
Consentir à devenir un homme, c’était nous donner une grande preuve de sollicitude et d’amour. Mais tout n’est pas là ; il y a en outre les biens impérissables qui nous ont été donnés par son moyen. « Pour expier les péchés du peuple ». Pourquoi pas « de la terre ? » N’a-t-il pas porté les péchés de tout le monde ? C’est qu’il parlait aux Hébreux des Hébreux. L’ange ne disait-il pas à Joseph : « Tu l’appelleras Jésus, car il sauvera son peuple ? » (Mat. 1, 21) Voilà en effet ce qui devait avoir lieu d’abord : il est venu pour sauver d’abord ce peuple, et par lui les autres hommes ; quoique le contraire ait eu lieu. C’est ce que disaient aussi les apôtres, dès le commencement : « Par amour pour vous, il a suscité son Fils et l’a envoyé pour vous bénir ». (Act. 3,26) Et ailleurs : « Le Verbe du salut vous a été envoyé », (Act. 13,26) Il montre la noblesse du peuple, juif, lorsqu’il dit : « Pour expier les péchés de son peuple ». C’est ici qu’il tient ce langage ; car qu’il ait effacé les péchés du monde entier, c’est ce que prouvent ces mots adressés au paralytique : « Vos péchés vous sont remis », c’est ce que prouvent ces paroles adressées à ses disciples, à propos du baptême : « Allez et instruisez toutes les nations, et baptisez-les au nom du Père et du Fils et : du Saint-Esprit ». (Mt. 9,5 et 28, 19)Après avoir abordé le chapitre de l’Incarnation, Paul entre sans crainte dans les moindres et dans les plus humbles détails ; voyez plutôt : « Ainsi, mes saints frères, qui avez part à la vocation céleste, considérez l’apôtre et le pontife de notre confession dans la personne de Jésus, qui est fidèle à celui qui l’a établi, comme Moïse lui a été fidèle en toute sa maison ». (3, 1, 2)
Il va le comparer et le préférer à Moise, et il parle en premier lieu des devoirs du sacerdoce ; car tous ses auditeurs avaient de Moise une haute opinion. Il commence par jeter les germes delà supériorité de Jésus, et part de son incarnation pour arriver à sa divinité ; là nécessairement s’arrêtait la comparaison. Il commence par les mettre comme « hommes » sur la même ligne, et il dit : « Comme Moïse en toute sa maison ». Il ne montre pas tout d’abord la supériorité de Jésus ; il craindrait que son auditoire ne se révoltât et ne se bouchât les oreilles. Car ses auditeurs avaient beau être des fidèles, le souvenir de Moïse était encore profondément gravé dans leur cœur. « Qui est fidèle à celui qui l’a établi ». Dans quelle charge l’avait-il établi ? Dans la charge d’apôtre et de pontife. Passant ici sous silence son essence et sa divinité, il ne parle que de ses dignités, au point de vue purement humain. « Comme Moïse en toute sa maison », c’est-à-dire au milieu de son peuple ou bien dans le temple. Il dit ici : « En sa maison », et c’est comme s’il disait : « Au milieu de ceux qui sont dans cette maison ». Car Moïse était pour le peuple Hébreu comme un intendant, comme un économe. Et, pour, prouver qu’il s’agit ici de ce peuple, il a ajouté : « C’est nous qui sommes sa maison », c’est-à-dire sa chose. Puis voici la supériorité de Jésus mise en pleine lumière : « Il a été jugé digne d’une gloire a d’autant plus grande que celle de Moïse, que « celui qui a bâti la maison est plus estimable que la maison même (3) ».
3. Et lui-même, dit-il, était de la maison. Il n’a pas dit : L’un était l’esclave, l’autre était le maître ; mais il l’a fait entendre discrètement. Si maison, veut dire ici peuple ; et si Jésus était du peuple, c’est qu’il était de la maison. Nous aussi nous avons l’habitude de dire : Voilà un homme qui est de la maison. Il dit ici « maison » et non pas « temple », car le temple avait été construit non par Dieu lui-même, mais par les hommes. Quant à celui qui l’a établi, c’est Dieu ; il est ici question de Moïse. Voyez comme la supériorité de Dieu est indiquée. Il était fidèle, dit-il, en toute sa maison, et il était de cette maison, c’est-à-dire du peuple. Or, l’ouvrier est plus estimable que l’ouvrage, et l’architecte que la maison. « Et l’architecte de toutes choses, c’est Dieu (4) ». Vous voyez qu’il est question ici du peuple tout entier ; et non du temple. « Quant à Moïse, il a été fidèle dans toute la maison de Dieu, comme un serviteur envoyé pour annoncer au peuple tout ce qu’il lui était ordonné de dire (5) ». Voilà encore une autre différente qui résulte de l’état de fils et de celui de serviteur. Voyez-vous comme par ce nom de fils il fait entendre que le titre de Fils de Dieu appartient à Jésus en toute propriété ? « Mais le Christ, comme Fils, a l’autorité dans sa maison (6) ». Voyez-vous comme il distingue et sépare l’œuvre de l’ouvrier, le serviteur du Fils ? Celui-ci entre dans le bien de son père, comme Fils de la maison, celui-là comme serviteur. « Et c’est nous qui sommes sa maison, pourvu que nous conservions jusqu’à la fin une ferme confiance et l’espoir glorieux des biens qui nous attendent ».
Ici, nouvelle exhortation à résister fortement, à ne pas tomber dans le découragement. Comme Moïse, dit-il, nous serons de la maison de Dieu, si nous conservons jusqu’à la, fin une – ferme confiance et un glorieux espoir. Celui que la douleur abat dans les épreuves et' qui sent son cœur défaillir, n’est pas glorifié ; celui qui ; tout couvert de confusion, va se cacher, n’a pas la confiance ; celui qui est triste n’est pas glorifié. Et plus c’est faire leur éloge que de dire : « Si nous conservons jusqu’à la fin une ferme confiance et l’espérance de la gloire qui nous attend ». C’est montrer que cette confiance et cet espoir sont déjà entrés dans leur cœur. Mais c’est jusqu’à la fin qu’il faut persévérer ; il faut savoir non seulement résister mais avoir une confiance ferme et stable fortement appuyée sur la foi, sans jamais se laisser ébranler par les épreuves. Ne vous étonnez pas si ce mot : « Il a été éprouvé lui-même », rappelle un peu trop la nature humaine. Si, en parlant du Père qui n’a pourtant pas été incarné, l’Écriture dit : « Le Seigneur a regardé du haut des cieux et il a vu tous les enfants des hommes » (Ps. 13,2) ; c’est-à-dire, il s’est rendu de toutes choses un compté fidèle et exact : si elle dit : « Je descendrai des cieux et je verrai si leurs plaintes sont légitimes » (Gen. 18,21) ; si elle dit : « Dieu ne peut supporter les vices des hommes », pour exprimer la grandeur de la colère divine, on peut parler à plus forte raison « des épreuves » du Christ dont la chair a connu la souffrance. Comme beaucoup d’hommes pensent que l’épreuve des maux est le meilleur moyen de les connaître, il veut montrer que celui qui a souffert, connait les souffrances de la nature humaine. « Vous donc, mes saints frères » (donc, c’est-à-dire par ce motif) vous qui avez part à la vocation céleste ». N’en demandez pas davantage, si vous êtes appelés à cette vocation voilà la récompense ! voilà la rémunération ! Écoutez ce qui suit : « Considérez l’apôtre et le pontife de notre confession dans la personne de Jésus-Christ qui est fidèle à celui qui l’a établi, comme Moïse lui a été fidèle en toute sa maison ». Que signifient ces mots : « Qui est fidèle à celui qui l’a établi ? » Ils signifient : qui pourvoit à tout, qui conduit les siens, qui ne les laisse ni errer au hasard ni s’égarer. « Comme Moïse, en toute sa maison », c’est-à-dire : Apprenez à connaître ce pontife et vous n’aurez pas besoin d’autre consolation, d’autre exhortation. Il l’appelle apôtre, parce qu’il a été envoyé ; il l’appelle pontife de « notre confession », c’est-à-dire de « notre foi ». Il a eu raison de dire : « Comme Moïse ». Car, comme lui, Jésus a été chargé de conduire et de gouverner son peuple ; mais sa mission était plus haute et plus importante. Moïse n’était qu’un serviteur ; le Christ est le Fils de Dieu. Celui-là avait sous sa tutelle des étrangers ; celui-ci est le tuteur des siens.
« Pour annoncer tout ce qu’il lui était ordonné de dire ». Que dites-vous, Paul ? Dieu accepte-t-il le témoignage des hommes ? Sans doute, il l’accepte. S’il prend à témoin le ciel, la terre et les collines, en disant par la bouche des prophètes « Cieux, entendez-moi ; terre, écoute ; car le Seigneur a parlé ; écoutez, vallées et fondements de la terre » (Is. 1,2 ; Mic. 6,2), parce que le Seigneur porte son jugement contre son peuple, à plus forte raison peut-il prendre les hommes à témoin. Que veulent dire ces mots : « Pour annoncer, pour rendre témoignage ? » C’est qu’il faut à Dieu des témoins contre des hommes qui ont abjuré la pudeur. « Le Christ gouverne comme Fils ». Moïse était tuteur d’enfants étrangers ; le Christ est le tuteur de sa famille. « Et la glorieuse espérance ». C’est bien dit : car les biens qui leur étaient promis n’étaient encore que des espérances. Or il faut conserver l’espérance et nous glorifier de ces promesses, comme si elles s’étaient réalisées déjà. C’est pour cela qu’il parle « de l’espérance glorieuse » ; c’est pour cela qu’il ajoute : Conservons-la fermement jusqu’au bout ; car c’est l’espérance qui nous a sauvés. Si donc nous lui devons notre salut, et si nous savons attendre patiemment, ne nous affligeons pas des maux présents et ne cherchons pas à voir l’effet des promesses divines ; « car lorsque l’on voit ce qu’on a espéré, ce n’est plus espérance ». (Rom. 8,24) Ils sont grands les biens qui nous sont promis, et ce n’est point dans cette vie passagère et périssable que nous pouvons les goûter. Mais pourquoi donc alors nous prédire un bonheur qui ne doit pas être ici-bas notre partage ? C’est que Dieu, au moyen de cette promesse, veut ranimer notre âme, affermir et fortifier notre ardeur, relever et fortifier nos esprits. Voilà le but véritable de toutes ces promesses.
4. Gardons-nous donc de nous troubler ; n’éprouvons aucun trouble à l’aspect du bonheur des méchants ; ce n’est point ici-bas que le vice et la vertu sont rémunérés ; si cela arrive quelquefois, ce n’est pas pour que justice soit faite ; c’est un avant-goût du jugement, c’est pour que ceux qui ne croient pas à la résurrection rentrent en eux-mêmes. Quand donc nous voyons le méchant dans l’opulence, ne tombons pas dans le découragement ; quand nous voyons l’homme de bien dans le malheur, ne nous troublons pas ; c’est là-bas que sont les couronnes ; c’est là-bas, que sont les supplices. D’ailleurs, il est impossible que le méchant soit complètement méchant ; il peut avoir quelques qualités : il est impossible aussi que le bon soit parfait ; il peut avoir quelques défauts. Quand donc le méchant est dans la prospérité, c’est pour son malheur, sachez-le bien ; c’est pour qu’après avoir reçu ici-bas la récompense du peu de mérite qu’il peut avoir, il reçoive là-bas son châtiment plein et entier. Le plus heureux est celui qui est puni ici-bas de manière à sortir de cette vie éprouvé par la souffrance, pur et irréprochable, après avoir déposé le fardeau de ses péchés. Et c’est aussi ce que nous enseigne Paul, en ces termes : « C’est pour cela qu’il y a parmi vous bien des malades, bien des infirmes, et que beaucoup dorment du dernier sommeil » ; et ailleurs : « Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée, au grand jour du jugement ». (1Cor. 5, 5) Et le Prophète dit : « Il a reçu de la main du Seigneur un double fardeau de péchés. » (Is. 11,2) Et David dit ailleurs : « Voyez mes ennemis ; ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, et ils me poursuivent de leur injuste haine ; pardonnez-moi tous mes péchés ». (Ps. 24,19, 18) Et nous lisons ailleurs:« Seigneur, notre Dieu, donnez-nous la paix ; car vous nous avez rendu tout le mal que nous avons fait ». (Is. 26,12) Voilà ce qui prouve que les bons expient ici-bas leurs péchés. Pour vous convaincre maintenant que bien des méchants favorisés ici-bas reçoivent dans l’autre vie un châtiment complet, écoutez ces paroles d’Abraham : « Vous avez reçu votre part de bonheur dans votre vie, et Lazare n’a eu que le malheur en partage ». (Lc. 16,25) De quels biens s’agit-il ici ? Ces mots : « Vous avez reçu votre part », montrent que le bonheur de l’un, comme le malheur de l’autre, était le paiement d’une dette. Aussi ajoute-t-il : « C’est pourquoi il est dans la consolation ». Car vous le voyez, il est purifié de ses péchés, « et vous » vous êtes dans les tourments.
Ne nous attristons donc pas, lorsque nous voyons les pécheurs favorisés ici-bas ; mais quand nous sommes dans le malheur, réjouissons-nous, car ce malheur est le paiement de nos fautes. Ne cherchons pas le repos ; car le Christ a promis l’affliction à ses disciples : et Paul dit : « Tous ceux qui, veulent vivre pieusement en Jésus-Christ, souffrent la persécution ». (2Tim. 3,12) Un courageux athlète, au moment du combat, ne, recherché pas les biens, les tables bien servies ; une pareille conduite n’est pas celle d’un athlète, mais celle d’un homme – mou et efféminé. Un athlète qui tombât est tout frotté d’huile, il supporte la poussière, la chaleur, la sueur, les perplexités, les angoisses de la lutte. Voici le moment du combat ; donc voici le moment des blessures, de l’effusion du sang ; de la douleur ! Écoutez les paroles de saint Paul : « Je ne combats pas en lutteur qui frappe dans le vide ». (1Cor. 9,26) Songeons que notre vie n’est qu’un combat et jamais nous ne chercherons le repos ; jamais nous ne regarderons l’affliction comme un accident nouveau et extraordinaire de notre existence ; nous ressemblerons à l’athlète qui ne regarde pas la lutte comme un accident ; nouveau et extraordinaire pour lui. Il n’est pas temps encore de nous reposer ; il faut que nous soyons perfectionnés parla souffrance. Quoique ;, nous ne soyons pas en butte à la persécution, aux, vexations, il y a cependant des afflictions journalières qui nous éprouvent ; si nous ne savons pas les supporter, comment supporterions-nous la persécution ? « Vous n’avez eu », dit-il, « que des persécutions humaines ». (1Cor. 10,13) Ainsi prions Dieu de ne pas subir la persécution ; mais si nous la subissons, sachons la supporter avec courage. Il appartient au sage qui sait garder une, juste mesure, de ne pas se jeter à la légère dans le péril ; mais il appartient à l’homme courageux, au philosophe de se raidir contre le péril, quand il y tombe. N’allons donc pas nous y jeter légèrement ;, il y aurait là une audace téméraire, mais, quand nos chefs, quand les circonstances nous appellent, ne reculons pas, il y aurait là de là lâcheté. En un mot, ne courons pas au danger en téméraires, sans cause, sans profit, sans une pieuse nécessité ; il y aurait de l’ostentation, un amour de la gloire vain et superflu. Mais pour défendre la religion, bravons mille morts, s’il le faut. N’appelez pas les persécutions, si votre piété ne rencontre rien qui l’arrête. À quoi bon attirer sur vous des dangers superflus et inutiles ?
5. Ce qui me dicte ce langage, c’est le désir que j’ai de vous voir observer les lois du Christ qui nous ordonne de prier Dieu, de ne pas entrer en tentation, qui nous ordonne aussi de prendre notre croix et de le suivre. Ce ne sont pas là des ordres contradictoires ; ce sont des ordres qui s’accordent et qui sont en parfaite harmonie. Préparez-vous, équipez-vous comme un vaillant soldat, soyez toujours en armes, toujours sobre, toujours vigilant, toujours attendant l’ennemi ; mais n’allumez pas le flambeau de la guerre : ce ne serait pas d’un soldat, ce serait d’un séditieux. Mais la trompette de la foi vous appelle-t-elle ? marchez aussitôt, ne tenez plus à la vie, marchez avec ardeur au combat, enfoncez-les bataillons ennemis, frappez le démon au visage, élevez un trophée. Mais si la religion ne reçoit aucune atteinte, si nos dogmes spirituels ne sont point attaqués, si l’on ne vous force point à faire ce qui déplaît à Dieu, ne prenez point de peine superflue. Il faut que la vie d’un chrétien soit une vie sanglante. Oui, il doit être toujours prêt à verser le sang, non pas celui d’autrui, mais le sien : quand il s’agit de verser son sang pour le Christ, il faut être prêt à le verser comme de l’eau ; car ce sang qui circule dans nos veines n’est que de l’eau ; il faut se dépouiller de sa chair avec autant de facilité que d’un vêtement. Et c’est ce que nous ferons, si nous ne nous attachons pas aux richesses, si nous ne sommes pas esclaves des beaux édifices, de la volupté et des biens de ce monde. Si ceux qui passent leur vie sous les drapeaux mènent une vie d’abnégation, vont où la guerre les appelle, entrent en campagne et supportent de bon cœur toutes les fatigues, ne devons-nous pas, nous soldats du Christ, trous tenir toujours prêts et équipés, et nous ranger en bataille pour faire la guerre aux vices ?
La persécution n’existe plus aujourd’hui, et à Dieu ne plaise qu’elle revienne ! Mais nous avons à soutenir d’autres guerres, la guerre de l’avarice, la guerre de l’envie, la guerre des autres passions. C’est à cette guerre que Paul fait allusion, en ces termes : « Nous n’avons pas à lutter contre des hommes de chair et de sang ». (Eph. 6,12,14) Cette guerre-là nous menace toujours. C’est pourquoi il veut que nous restions toujours en armes « Soyez donc », dit-il, « toujours armés ». Cette recommandation s’applique même à l’heure présente, et il montre pourquoi il faut toujours être armé. Nous avons une grande guerre à soutenir contre notre langue, contre nos yeux ; cette guerre, repoussons-la. Nous avons une grande guerre à soutenir contre nos passions, c’est pourquoi il s’occupe de l’armure du soldat du Christ. « Restez fermes », dit-il, « ceignez vos reins », et il ajouté : « Avec la ceinture de la vérité ». Pourquoi ? C’est que les passions ne sont qu’illusion et mensonge ; comme dit quelque part David : « Mes reins étaient remplis d’illusions ». (Ps. 37,8) Ce n’est pas la volupté, ce n’est que l’ombre de la volupté. C’est pourquoi, dit-il, ceignez vos reins avec la ceinture de la vérité, c’est-à-dire de la vraie volupté, de la sagesse, de l’honnêteté.
De là ces conseils qu’il nous donne, en voyant combien le péché est déraisonnable, et dans son désir que tous nos membres soient bien munis de toutes parts : « La colère injuste », dit-il, « ne sera jamais innocente aux yeux de Dieu ». (Sir. 1,22) Il veut dire que nous prenions la cuirasse et le bouclier : C’est que la colère est une bête féroce toujours prête à s’élancer. Pour la vaincre, pour la contenir, nous avons besoin de mille fossés, de mille barrières. Voilà pourquoi Dieu a construit avec des os presque aussi durs que la pierre, cette partie de l’édifice humain où la colère cherche à se glisser. Il lui a donné une base solide, il l’a entourée d’un rempart ; il ne fallait pas qu’en rompant et en brisant tous les obstacles, la colère détruisît tout l’édifice animé. C’est un feu, dit-il, c’est une tempête et, sans toutes ces précautions, aucun de nos membres ne pourrait soutenir ses assauts. Les médecins disent aussi que, pour ce motif, le poumon a été placé au-dessous du cœur. Il fallait que le cœur, environné de parties molles, se reposât en rencontrant ce poumon spongieux, et non les parois dures et résistantes de la poitrine sur lesquelles, dans ses bonds précipités, il aurait pu se blesser. Nous avons donc besoin d’une forte cuirasse, pour tenir continuellement en respect la bête féroce. Il nous faut aussi un casque ; c’est sous le casque qu’est le siège du raisonnement d’où dépend notre salut, quand nous agissons bien, et qui fait notre perte, quand nous agissons mal. Voilà pourquoi il dit : « Le casque du salut » ; car le « cerveau est mou de sa nature », et voilà pourquoi il est protégé par une sorte de test appelé crâne. La source de tous nos biens et de tous nos maux c’est d’avoir ou de n’avoir pas la connaissance de ce qui nous est utile ou nuisible. Nos pieds et nos mains aussi ont besoin d’armures ; mais il ne s’agit pas ici des mains et des pieds du corps ; il s’agit des mains et des pieds de l’âme ; les unes doivent s’efforcer de remplir leur tâche, les autres doivent aller où il faut. Armons-nous donc ainsi et nous pourrons vaincre nos ennemis et Ceindre la couronne de gloire par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !

HOMÉLIE VI.

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C’EST POUR CELA QUE LE SAINT-ESPRIT DIT : SI VOUS ENTENDEZ AUJOURD’HUI SA VOIX, N’ENDURCISSIEZ POINT VOS CŒURS, COMME AU TEMPS DE MA COLÈRE ET AU JOUR DE LA TENTATION DANS LE DÉSERT, OU VOS PÈRES ME TENTÈRENT, OU ILS VOULURENT ÉPROUVER MA PUISSANCE, ET OU ILS VIRENT LES CHOSES QUE JE FIS PENDANT QUARANTE ANNÉES. AUSSI ME SUIS-JE IRRITÉ CONTRE CETTE GÉNÉRATION, ET J’AI DIT : ILS SE LAISSENT TOUJOURS EMPORTER PAR L’ÉGAREMENT DE LEURS CŒURS, ILS NE CONNAISSENT POINT MES VOIES ; C’EST POURQUOI J’AI JURÉ, DANS MA COLÈRE, QU’ILS N’ENTRERAIENT POINT DANS LE LIEU DE MON REPOS. (III, 7, 8, 9, 10, 11, JUSQU’À IV, 10)

Analyse.

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  1. Repos du sabbat, représentation temporelle du repos éternel.
  2. L’incrédulité attire la colère de Dieu.
  3. Conservons l’espoir tant que nous vivons.
  4. Bonheur réservé aux élus dans le royaume des cieux.

1. Après avoir parlé de l’espérance, après avoir dit : « Nous serons de sa maison, si nous conservons une ferme confiance en lui et la glorification de l’espérance », Paul nous montre qu’il faut savoir attendre avec confiance, et il le prouve par les Écritures. Mais faites attention ; car ce passage est tant soit peu difficile et obscur ; c’est pourquoi nous devons vous exprimer notre opinion et vous exposer en peu de mots le sujet dans son ensemble, avant d’arriver au texte. Vous n’aurez plus besoin de nous une fois que vous connaîtrez le but et le plan de l’apôtre. C’était de l’espérance qu’il parlait ; il nous disait qu’il faut espérer dans l’avenir, et que ceux qui auront souffert ici-bas trouveront ailleurs leur récompense, le fruit de leurs fatigues et le repos. II le prouve en se servant des paroles du prophète, et en nous disant. « C’est pour cela que le Saint-Esprit dit : Si vous entendez aujourd’hui sa voix, n’endurcissez pas votre cœur, comme au temps de ma colère et au jour de la tentation dans le désert, où vos pères me tentèrent, où ils voulurent éprouver ma puissance, et où ils virent les choses que je fis pendant quarante jours. Aussi me suis-je irrité contre cette génération, et j’ai dit : Ils se laissent toujours emporter par l’égarement de leurs cœurs, ils ne connaissent point mes voies ; c’est pourquoi je leur ai juré, dans ma colère, qu’ils n’entreraient point dans le lieu de mon repos ». (Ps. 94,8-11) Il y a, dit-il, trois sortes de repos. Il y a le repos de Dieu après la création, le repos de la Palestine où les Juifs devaient entrer, pour se reposer de tant de jours d’afflictions et de leurs travaux, enfin (et c’est bien là le repos), il y a le royaume des cieux où les élus se reposent éternellement de leurs travaux et de leurs afflictions. C’est de ces trois sortes de repos qu’il fait ici mention. Et pourquoi cette mention, s’il ne parle que d’un seul ? C’est pour montrer que le prophète parle de cette troisième espèce de repos. Le premier, dit-il, il ne s’en occupe pas. Pourquoi remonter jusqu’aux premiers temps ? Le repos de la Palestine, il n’en, parle pas non plus, puisqu’il est arrivé à sa fin. Reste le troisième repos, et ici nous devons ouvrir l’histoire, pour que nos paroles soient plus claires.
Après la sortie d’Égypte, et les fatigues d’une longue route, après avoir en Égypte, sur la mer Rouge et dans le désert, reçu d’innombrables témoignages de la puissance divine, les Juifs se décidèrent à envoyer des éclaireurs, chargés d’explorer la nature du sol. Les éclaireurs revinrent et, pleins d’admiration pour la contrée qu’ils avaient parcourue, ils se répandaient en éloges sur la fertilité du sol, tout en disant qu’il était habité par une nation courageuse et indomptable. Alors les Juifs, peuple ingrat et insensible, au lieu de se souvenir des anciens bienfaits de Dieu qui, lorsqu’ils étaient cernés partant d’armées égyptiennes leur barrant le passage, les avait arrachés aux périls ; au lieu de penser au rocher du désert, ouvert par la baguette de Moïse, à l’eau jaillissante, à la manne, et à tant d’autres miracles bien faits pour affermir leur foi, perdirent complètement la mémoire. Frappés d’étonnement et de stupeur, ils voulaient revenir en Égypte en disant : Dieu nous a amenés ici, pour nous faire périr avec nos femmes et nos enfants. Dieu donc, dans sa colère contre ces ingrats qui avaient sitôt oublié ses bienfaits, jura que la génération qui avait proféré de telles paroles n’entrerait pas dans le lieu du repos, et tous périrent dans le désert. Plus tard, quand cette génération n’était plus, David disait : « Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme autrefois dans des jours de colère ». Pourquoi ? – C’est pour que vous ne soyez pas punis comme vos pères, c’est pour que vous ne soyez pas privés du repos. – Il parle ainsi, sans doute en faisant allusion à l’asile du repos véritable. Car, s’ils avaient déjà trouvé le repos, pourquoi leur dirait-il encore : « Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme autrefois, en des jours de colère ? »
Quel est donc ce lieu de repos, si ce n’est le royaume des cieux dont l’image et la représentation est le jour du sabbat ? Il cite donc, je le répète, le témoignage du prophète en ces termes : « Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, ne vous, endurcissez pas comme en des jours de colère, comme à l’époque de la tentation dans le désert, lorsque vos aïeux me tentèrent, firent l’épreuve de mes puissances et virent, durant quarante ans, ce que je pouvais faire ; c’est pour cela que je me suis irrité contre cette génération, et j’ai dit : Leurs cœurs sont toujours égarés : ils n’ont pas connu mes voies ; et je leur ai juré, dans ma colère, qu’ils n’entreraient pas dans mon lieu de repos ». Puis il ajoute : « Prenez garde, mes frères, que quelqu’un de vous ne tombe dans un dérèglement de cœur et dans une incrédulité qui le sépare du Dieu vivant (12) ». Car c’est la dureté du cœur qui produit l’incrédulité. Semblables à ces membres raides et couverts d’un talus, qui résistent à la main du médecin, les âmes endurcies résistent à la parole de Dieu. Car il y a probablement des hommes qui ne croient plus et pour qui les miracles opérés sont comme s’ils n’avaient pas eu lieu ; c’est pour cela qu’il dit « Prenez garde que quelqu’un d’entrevous ne tombe dans un dérèglement de cœur, et dans « une incrédulité qui le sépare du Dieu vivant ». Quand on parle de l’avenir, on rencontre plus d’incrédules que lorsqu’on parle du passé. Voilà pourquoi il leur rappelle l’histoire et les circonstances dans lesquelles ils ont manqué de foi. Si vos pères, dit-il, ont souffert pour n’avoir pas espéré comme ils le devaient, à plus forte raison, vous, vous souffrirez ; car il s’adresse à eux, aux hommes du temps présent. C’est toujours ce que veut dire ce mot « aujourd’hui ». – « Mais exhortez-vous chaque jour les uns les autres, pendant ce temps que l’Écriture appelle aujourd’hui (13) » ; c’est-à-dire ; édifiez-vous les uns les autres, encouragez-vous pour qu’il ne vous arrive pas la même chose qu’à vos pères, « de peur que quelqu’un de vous, étant séduit par lé péché, ne tombe dans l’endurcissement ».
2. Voyez-vous comme le péché engendre l’incrédulité ? Si l’incrédulité produit la vie criminelle, l’âme, arrivée au fond de l’abîme, méprise, et dans son dédain elle ne veut plus rien croire, pour se délivrer de toute crainte. Nous lisons dans le Psalmiste : « Ils ont dit : Le Seigneur ne nous verra pas, et le Dieu de Jacob n’en saura rien ». (Ps. 93,7) Et ailleurs : « Nos lèvres sont à nous, qui donc est notre Seigneur ? » (Ps. 11,5) Et encore : « Pourquoi l’impie a-t-il irrité Dieu ? » (Ps. 10,13) Et ailleurs : « L’insensé a dit en son cœur : Il n’y a pas de Dieu. Ils se sont corrompus et ils ont contracté des penchants abominables ». (Ps. 13,1) Et ailleurs : « La crainte de Dieu n’est plus devant leurs yeux ». Et ailleurs : « Il a usé de ruse devant lui ; Dieu a découvert et détesté l’iniquité de l’impie ». (Ps. 35,2-3) Le Christ aussi parle en ces termes : « Tout homme qui agit mal craint la lumière et la fuit ». (Jn. 3,20) Puis il ajoute : « Nous sommes entrés dans la participation du Christ » : que veut dire ce mot ? Nous ne faisons qu’un, lui et nous. Il est la tête, nous sommes le corps, nous sommes ses cohéritiers et nous ne faisons avec lui qu’un même corps. Nous ne sommes qu’un seul corps, dit-il, formé de sa chair et de ses os ; « à condition toutefois de conserver jusqu’à la fin ce commencement de substance nouvelle qu’il a mis en nous ». – « Qu’est-ce que ce commencement de substance nouvelle ? » C’est la foi par laquelle nous subsistons, par laquelle nous avons été régénérés, par laquelle nous sommes consubstantiels au Christ. Puis il ajoute : « Pendant que l’on « nous dit : aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère. » (15). – Il y a ici une transposition, voici quelle est la suite des idées : « Craignons donc que, négligeant la promesse qui nous est faite d’entrer dans le repos de Dieu, il n’y ait quelqu’un d’entre vous qui en soit exclu ? » (4, 1) – « Car on nous l’a annoncé aussi bien qu’à eux (2) ». – « Pendant que l’on nous dit : Aujourd’hui si vous entendez sa voix ». – « Aujourd’hui » signifie « en tout temps » : ensuite il dit : « Mais la parole qu’ils entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas accompagnée de la foi dans ceux qui l’entendirent(2) ». Il montre pourquoi cette parole est restée inutile ; c’est qu’elle n’était point accompagnée de la foi. Il prouve cette vérité par les exemples qu’il expose : « Quelques-uns », dit-il, « ayant entendu sa voix, irritèrent Dieu par leurs murmures ; mais cela n’arriva pas à tous ceux que Dieu avait fait sortir de l’Égypte (16) ». – « Or qui sont ceux que Dieu supporta avec peine pendant quarante ans, sinon ceux qui avaient péché, dont les corps demeurèrent étendus dans le désert (17) ? » – « Et qui sont ceux à qui Dieu jurait qu’ils n’entreraient jamais dans son repos, sinon ceux qui ne crurent pas en lui (18) ? ». – « En effet, nous voyons qu’ils ne purent y entrer, à cause de leur incrédulité (19) ».
Après avoir cité le témoignage de l’histoire, il emploie la forme interrogative, pour donner plus d’éclat à sa parole. « Il a dit, en effet », s’écrie-t-il, « aujourd’hui si vous écoutez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme au jour de sa colère ». Quels sont ces cœurs endurcis dont il se souvient ? Quels sont ceux qui n’ont pas cru en lui ? Ne sont-ce pas les Juifs ? Voici le sens de ces paroles : Ils ont entendu comme nous ; mais cela ne leur a servi de rien. N’allez donc pas croire qu’il vous suffira d’entendre la parole de Dieu pour en profiter ! Eux aussi, ils l’ont entendue, mais sans profit, parce qu’ils n’ont pas cru. Chaleb et Jésus n’ayant pas fait cause commune avec les incrédules, ont évité le châtiment qui leur a été infligé. Et voyez ce qu’il y a ici d’admirable. Il n’a pas dit : Ils n’ont pas fait cause commune ; il a dit « Ils ne se sont pas mêlés à eux ». Ils se sont séparés de ces séditieux unis dans une même pensée. Ici, selon moi, il nous fait entendre que cette pensée était une pensée de révolte. « Nous entrerons dans son repos », dit-il, « nous qui avons cru » ; et pour confirmer cette proposition, il ajoute : « Dans ce repos dont il parle en disant : J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreraient pas dans mon repos », et Dieu parle du repos qui suivit l’accomplissement de ses ouvrages, dans la création du monde (3). On pouvait peut-être lui dire : Cela ne signifie pas que nous n’entrerons pas dans le repos ; cela signifie que ces hommes d’autrefois n’y sont pas entrés. Que fait-il, pour prévenir cette objection ? Il s’étudie à prouver que ce repos des premiers temps n’empêche pas de parler d’un autre ; que ce repos n’empêche pas de parler du repos qui nous attend au royaume des cieux. Il veut donc montrer qu’ils n’ont point obtenu ce lieu du repos. Pour que vous sachiez que c’est bien là ce qu’il veut dire, il ajoute : « Car l’Écriture dit en quelque lieu, parlant du septième jour : Dieu se reposa le septième jour, après avoir achevé toutes ses œuvres (4) ». Et il est dit encore ici :« Ils n’entreront point dans mon repos (5) ». Vous voyez qu’un repos n’exclut pas l’autre. « Puisqu’il faut donc », dit-il, « que quelques-uns y entrent, et que ceux à qui la parole en fut premièrement portée, n’y sont point entrés à cause de leur incrédulité (6), Dieu n détermine encore un jour particulier qu’il appelle aujourd’hui, en disant tant de temps après par David, ainsi que je viens de dire (7) ». Que veut-il dire ici ? Puisque, dit-il, quelques élus doivent entrer dans le repos de Dieu et que les anciens Hébreux n’y sont pas entrés, voici une troisième espèce de repos qu’il établit. Mais comment prouve-t-il que certains élus doivent entrer dans ce repos de Dieu ? Écoutons-le : « C’est que », dit-il, « après tant d’années », voilà David qui répète : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme aux jours de sa colère. Car, si Jésus les avait établis dans ce repos, l’Écriture n’aurait jamais parlé, après cela, d’un autre jour (6) ». Ce langage est clair et nous fait entrevoir quelqu’autre récompense. « Il y a donc encore un sabbat réservé au peuple de Dieu (9) » ; d’où résulte cette conclusion, ce précepte : « N’endurcissez pas vos cœurs ». Car si un sabbat n’existait pas, et s’ils n’étaient pas exposés à subir les mêmes châtiments, à quoi bon ce précepte, à quoi bon cette recommandation de ne pas retomber dans les mêmes fautes, pour ne pas retomber dans le même abîme de souffrances ? Et comment ceux qui étaient en Palestine pouvaient-ils subir les mêmes supplices, s’il n’y avait pas encore un repos ?
3. C’est bien conclure que d’employer le mot de « sabbat », et non celui de « repos'», que d’employer ici le nom du jour où le peuple de Dieu courait se réjouir. Le sabbat, selon l’apôtre, c’est le royaume des cieux. Au jour du sabbat, les Hébreux doivent, se garder de tout péché, ils ne doivent songer qu’à adorer Dieu, comme faisaient les prêtres ; ils ne doivent songer qu’aux œuvres spirituelles. Voilà quelle doit être leur occupation au jour du sabbat : voilà quelle sera l’occupation des élus dans le royaume des cieux. Paul n’a pas précisément tenu ce langage, mais voici ce qu’il a dit : « Celui qui est entré dans le repos de Dieu se repose aussi lui-même, en cessant de « travailler, comme Dieu s’est reposé après ses ouvrages (10) ». Dieu, dit-il, s’est reposé après ses ouvrages, et l’homme qui est entré dans le repos de Dieu, se repose comme lui ; il leur parlait du repos, et ils voulaient savoir quand ce repos aurait lieu. Il répond donc à leurs désirs, en finissant.
Quant à ce mot « aujourd’hui », il le leur dit pour les sauver du désespoir. Exhortez-vous les uns les autres, dit-il, exhortez-vous chaque jour, tant que vous pouvez dire : « Aujourd’hui ». Cela veut dire que le pécheur même, tant qu’il peut dire « aujourd’hui », doit espérer. Loin de nous le désespoir, tant que nous vivons ! Veillons seulement, dit-il, à ce que notre cœur ne soit jamais en proie à l’incrédulité. Et encore, si cela arrive, ne nous désespérons pas ; mais ranimons-nous. Tant que nous sommes de ce monde ; tant que nous pouvons dire a aujourd’hui », nous avons du temps devant nous. Dans ce passage, il parle non seulement de l’incrédulité, mais des murmures. « Des murmures de ces hommes dont les cadavres sont étendus dans le désert ». (Héb. 3,17) Puis, pour que ses auditeurs n’aillent pas s’imaginer que le châtiment du coupable se bornera à la privation du repos, il met devant leurs yeux le supplice gui lui est réservé et il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace, et elle perce plus qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre jusque dans les replis de l’âme et de l’esprit, jusque, dans les jointures et la moelle des os ; et elle démêle les pensées et les mouvements du cœur (12) » ; c’est du supplice de la géhenne qu’il parle ici. C’est un supplice, dit-il, qui pénètre jusque dans les replis de notre cœur et qui dessèche notre âme. Il ne s’agit point ici de cadavres étendus dans le désert, sans sépulture ; ils ne sont pas privés de la terre ; ils sont privés du royaume des cieux ; ils sont livrés pour toujours à la géhenne ; ils sont livrés à une peine, à un supplice qui n’aura pas de fin.
Mais exhortez-vous les uns les autres ». (Héb. 3,13) Remarquez la douceur de ce langage. Il ne dit pas : Adressez-vous des réprimandes, mais exhortez-vous les uns les autres. C’est ainsi que nous devons nous comporter envers ceux que le chagrin accable : c’est ce qu’il dit dans sa lettre aux habitants de Thessalonique : « Donnez des avis à ceux dont l’âme est inquiète ». Quant aux esprits pusillanimes, voici ce qu’il dit : « Consolez ceux qui ont l’esprit abattu ; supportez les faibles ; soyez patients envers tous ». (1Thes. 5,14) Que veut dire ce mot « consolez ? » Il veut dire : Ne les faites pas tomber dans le désespoir ; ne leur faites pas perdre courage ; car ne pas consoler l’homme que l’affliction accable, c’est le jeter dans l’endurcissement. Il ne faut pas, dit-il, que vous vous endurcissiez, dans les pièges du péché. Les pièges du péché sont peut-être les pièges du démon, car c’est tomber dans le piège et l’erreur que de ne rien attendre de l’avenir, que de croire que nous n’avons pas de comptes à rendre ; que nous n’expierons pas nos fautes, que nous ne ressusciterons pas un jour. Une erreur encore, c’est l’indifférence ou le désespoir. Une erreur c’est de tenir ce langage : J’ai péché et il n’y a plus d’espoir pour moi. Puis il les fait espérer en leur disant : « Nous sommes entrés dans la participation de Jésus-Christ ». (Héb. 3,14) C’est comme s’il leur disait : Celui qui nous a assez aimés, celui qui nous a assez estimés pour se revêtir de notre chair, ne nous laissera pas, périr. Réfléchissons, dit-il, à l’honneur qu’il a daigné nous faire. Le Christ et nous, nous ne faisons qu’un ; gardons-nous donc de ne pas croire en lui.
Et il revient encore sur ce qu’il a dit ailleurs : « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons avec lui » (2Tim. 2,12), c’est-à-dire : Nous sommes entrés en « participation avec lui », en participation des biens du Christ. Après avoir exhorté ses auditeurs par ces paroles qui leur montrent la récompense et le prix, après nous avoir dit : « Nous sommes entrés en participation avec le Christ », il les exhorte, en les affligeant et en les inquiétant : « Craignons », dit-il, « que négligeant la promesse qui nous est faite d’entrer dans le repos de Dieu, il n’y ait quelqu’un d’entre nous qui en soit exclu ». Voici en effet qui est clair et certain. « Ils voulurent éprouver ma puissance et me virent à l’œuvre durant quarante jours ». Voyez-vous ? Il ne faut pas demander de comptes à Dieu, qu’il nous défende, ou non telle ou telle chose, il faut le croire, car Paul accusé ici ceux ; qui ont tenté Dieu. Exiger de lui dés preuves de son pouvoir, de sa Providence, de sa sollicitude, c’est n’être pas, encore bien sûr de sa puissance, de sa bonté et de sa clémence : C’est ce qu’il fait entendre aux Hébreux dans cette épître. Peut-être, voulaient-ils dans leur tentation, peser et mettre à l’épreuve son pouvoir, sa sollicitude et sa Providence. Voyez-vous aussi comme l’incrédulité irrite Dieu et attire sa colère ? Que dit-il maintenant ? « Il y a donc encore un sabbat réservé au peuple de Dieu ». Voyez comme il raisonne et comme il conclut. Il a juré, dit-il, que vos pères n’entreraient pas dans son repos, et ils n’y sont pas entrés. Puis, longtemps après, il s’adresse aux Juifs et leur dit : « N’endurcissez pas vos cœurs comme vos pères ». C’est une preuve évidente qu’il s’agit ici d’une nouvelle espèce de repos. Car le repos de la Palestine, nous ne pouvons plus en parler ; les Hébreux y étaient arrivés. Quant au repos du septième jour, il ne peut ici en être question ; c’était une histoire des anciens jours. Il est donc ici question d’un autre repos qui est le repos véritable. 4. Oui : c’est bien là le lieu de repos d’où la tristesse, la douleur et les gémissements sont bannis, où l’on ne connaît plus les soucis, les fatigues, les angoisses, les craintes qui frappent et ébranlent l’âme. En fait de crainte, il n’y a là que la crainte de Dieu, crainte pleine dé charmés. On n’entendra point en ce lieu retentir ces paroles : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». il n’y a là ni épines, ni ronces. Là, on n’entend pas répéter : « Tu enfanteras dans la douleur. Tu te tourneras vers ton époux et il sera ton maître ». (Gen. 3,19, 18,16) Là tout respire la paix, la joie, la gaieté, le plaisir, la bonté, la douceur, l’équité, la charité. Il n’y a là ni rivalité, ni jalousie, ni maladie, ni mort corporelle, ni mort spirituelle, ni ténèbres, ni nuit partout le jour, partout la lumière, partout le repos. Là point de fatigues, point de dégoût, là toujours un bonheur nouveau en perspective. Voulez-vous que je vous trace ici l’image du sort réservé aux élus, en ce lieu ? C’est impossible ; mais je m’efforcerai de vous en offrir une ombre. Levons les yeux au ciel, quand il n’y a pas de nuages à l’horizon, quand le ciel nous montre sa coupole azurée ; puis, après avoir longtemps contemplé dans l’immobilité de l’extase ce ravissant spectacle, considérons le sol que nous aurons sous nos pieds, sol aussi supérieur à notre sol, que l’or est supérieur à la boue ; puis élevons encore nos yeux vers le pavillon qui s’étend au-dessus de nos têtes. Contemplons là-haut les anges, les archanges, la foule innombrable des puissances immatérielles, le palais même de Dieu, le trône du Père. Mais ici, je le répète, la parole est impuissante à tout décrire, à tout peindre. Il faudrait ici l’expérience et la connaissance qui en est le fruit. Vous figurez-vous, dites-moi, l’existence d’Adam, au milieu du Paradis ? Entre cette existence et la nôtre, il y a la distance du ciel à la terre. Mais cherchons une autre comparaison. Que l’empereur aujourd’hui régnant ait le bonheur de soumettre à son sceptre l’univers entier, qu’il soit affranchi des maux de la guerre et des soucis, qu’il soit entouré d’honneurs, qu’il passe sa vie dans les délices, qu’il ait une foule de satellites, que l’or afflue vers lui de tous côtés, qu’il commande l’admiration, quel sera, selon vous, la joie de ce souverain qui verra la guerre disparaître de la surface du globe ? voilà ce qui aura lieu alors. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à donner une idée exacte du bonheur céleste ; il faut chercher une autre image.
Figurez-vous donc un fils d’empereur qui, après avoir été enfermé dans le sein de sa mère, après être resté dans un état complet d’insensibilité, parait tout à coup à la lumière, monte sur le trône impérial et se trouve en état de goûter non successivement, mais tout à coup et à la fois toutes les joies du rang suprême : tel sera l’élu de Dieu. Il sera encore comme un captif qui, après avoir été chargé de fer, après avoir été en proie à d’innombrables souffrances, se verrait tout à coup transporté dans un palais. Mais non : cette image n’est pas encore fidèle. Ce bonheur, quoique ce soit un bonheur de roi, celui qui le possède le goûtera avec délices deux ou trois jours ; avec le temps, il y trouvera encore du plaisir ; mais ce plaisir sera moins vif, car ici-bas le sentiment de la félicité, quelle qu’elle soit, s’émousse par l’habitude, là-haut ce sentiment, loin de diminuer, ne fait, que croître. Réfléchissez en effet au bonheur de l’âme parvenue à ce séjour où elle a devant elle une félicité sans fin, une félicité immuable et toujours croissante, une immortalité qui ne connaît ni les chagrins, ni les périls, une immortalité pleine de joies spirituelles et de délices innombrables.
Quand nous voyons dans la plaine les tentes des soldats formées de riches tapisseries, quand nous voyons briller les lances, les casques et les boucliers, nous voilà ; tout ébahis et immobiles d’étonnement ; quand nous voyons le roi traverser le camp avec son armure d’or, et pousser son cheval avec ardeur, rien ne manque à notre admiration. Qu’éprouverons-nous donc, je vous le demande, quand nous verrons les tabernacles des saints dressés pour toujours dans le ciel ? « Ils vous recevront », dit l’Évangile, « dans leurs tabernacles éternels ». Que direz-vous, quand vous verrez tous ces saints plus resplendissants que les rayons du soleil, et environnés non pas de l’éclat du bronze ou du fer, mais de cette gloire dont l’œil de l’homme ne peut supporter les lueurs ? Je parle ici des saints, c’est-à-dire des hommes. Mais que direz-vous à l’aspect de ces milliers d’anges, d’archanges, de chérubins, de séraphins, de trônes, de dominations de principautés, de puissances dont la beauté surpasse l’imagination ? Mais quand cesserai-je d’énumérer des merveilles que l’on ne peut comprendre?, « Jamais l’œil n’a vu, jamais l’oreille n’a entendu, jamais l’esprit n’a pénétré ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment ». (1Cor. 11,9) Qu’ils sont donc malheureux ceux qui n’obtiennent pas ce bonheur ! Qu’ils sont heureux ceux qui l’obtiennent ! Soyons donc du nombre des heureux, pour acquérir la félicité éternelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel conjointement avec lé Pète et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII.

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EMPRESSONS-NOUS DONC D’ENTRER DANS CE REPOS, DE PEUR QUE QUELQU’UN DE NOUS NÉ TOMBE DANS UNE DÉSOBÉISSANCE SEMBLABLE A CELLE DE CES INCRÉDULES. CAR ELLE EST VIVANTE ET EFFICACE LA PAROLE DE DIEU ; ELLE PERCE PLUS QU’UNE ÉPÉE A DEUX TRANCHANTS ; ELLE PÉNÈTRE JUSQUE DANS LES REPLIS DE LAME ET DE L’ESPRIT, JUSQUE DANS LES JOINTURES ET DANS LA MOELLE DES OS ; ELLE DÉMÊLE LES PENSÉES ET LES MOUVEMENTS DU CŒUR. NULLE CRÉATURE NE LUI EST CACHÉE, CAR TOUT EST A NU ET A DÉCOUVERT DEVANT LES YEUX DE CELUI AUQUEL NOUS PARLONS. (IV, 11, 12, 13, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse.

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  1. Combien la foi est salutaire. – Dangers de l’incrédulité. – Rien n’échappe à l’œil de Dieu.
  2. Images énergiques et terribles employées par saint Paul pour peindre la puissance de la parole divine.
  3. La miséricorde de Dieu est une munificence royale. – Les vieillards doivent, comme les jeunes gens, courir dans la carrière de la vertu. – Vices des vieillards contemporains de Chrysostome.
  4. La vieillesse est honorable par elle-même.

1. La foi est une vertu grande et salutaire ; sans elle, nous ne pouvons être sauvés. Mais la foi ne suffit pas, il faut encore mener une vie pure. Voilà pourquoi Paul, s’adressant à ces hommes initiés aux mystères du Christ, leur parle en ces termes. « Empressons-nous d’entrer dans son repos ». – « Empressons-nous », dit-il, « appliquons-nous ». La foi ne suffit pas, il faut y joindre une vie pure et un zèle ardent. Car il faut avoir un zèle véritable et ardent pour monter au ciel. Si des hommes qui avaient enduré dans le désert tant de souffrances et de calamités n’ont – pas été jugés dignes d’entrer dans la terre promise et n’ont pu atteindre cette terre, parce qu’ils s’étaient livrés à la fornication, comment serions-nous jugés dignes du ciel, nous qui menons une vie inconsidérée ; lâche et inactive ? Il faut donc avoir beaucoup de zèle. Mais remarquez que, selon lui, la punition du pécheur ne consiste pas uniquement à ne pas entrer dans le repos de Dieu. Il ne s’est pas borné à dire : Efforçons-nous d’entrer dans ce repos, pour ne pas nous voir privés de si grands biens. Il a ajouté quelque chose qui est bien capable d’éveiller nos esprits. Qu’a-t-il donc ajouté ? Il a continué en ces ; termes : « De peur « que quelqu’un De tombe dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules », ce qui veut dire que nous devons nous appliquer, nous arranger de manière à ne pas tomber, comme, eux. Il nous donne là un exemple, de l’incrédulité humaine. Ne tombons pas où ils sont tombés, dit-il. Mais n’allez pas vous appuyer sur ces mots pour croire que Dieu se bornera à vous punir, comme il les a punis ; écoutez ce que l’apôtre ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace ; elle perce plus qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre jusque dans les replis de l’âme et de l’esprit, jusque dans les articulations, jusque dans la moelle des os ; elle démêle les pensées et les mouvements du cœur ». Il montre ici la puissance de cette parole de Dieu toujours vivante et immortelle. Ce n’est pas une simple parole, ne le croyez pas, ne vous bornez pas à ce mot : Cette parole est plus perçante qu’un glaive.- Voyez comme il poursuit, et apprenez ici pourquoi les prophètes ont été obligés de parler du glaive, de l’arc et de l’épée de Dieu. « Si vous ne vous convertissez pas », dit le Psalmiste, « il dirigera contre vous son glaive ; son arc est déjà tendu ; son arc est déjà prêt ». (Ps. 7,13)

Si aujourd’hui, après tant d’années, lorsque tant d’événements se sont accomplis, il ne suffit pas à l’apôtre de ce seul mot, la parole de Dieu, pour frapper son auditoire, s’il a besoin de tout cet attirail d’expressions, pour montrer par la compas raison combien la parole de Dieu est puissante, cela était nécessaire à plus forte raison, au temps des prophètes. « Pénétrant jusque dans les replis, de l’âme et de l’esprit ». Que signifient ces mots ? Quelque chose de terrible. L’apôtre nous montre la parole de Dieu séparant l’âme de l’esprit ou pénétrant même les substances immatérielles, et ne se bornant pas à percer les corps, comme le glaive. Il montre ici la punition de l’âme, la parole de Dieu qui en fouille les profondeurs et qui pénètre l’homme tout entier. « Elle démêle les pensées et les mouvements du cœur, et nulle créature ne lui est cachée ».. C’est par là surtout qu’il les épouvante. Vous avez beau avoir la foi, leur dit-il, si cette foi n’est pas accompagnée d’une persuasion pleine et entière, ne soyez pas pleinement rassurés. Dieu jugera ce que vous avez dans le cœur ; car c’est jusque-là qu’il pénètre, pour vous examiner et vous punir. Et pourquoi parler des hommes ? Passez en revue les anges, les archanges, les chérubins, les séraphins, les créatures quelles qu’elles soient, tout, pour l’œil de Dieu, est à découvert, tout est clair et manifeste pour lui, rien ne peut lui échapper. « Tout est à nu et dépouillé devant les yeux de Celui dont nous parlons ». Ce mot « dépouillé » est une métaphore tirée des victimes écorchées. Quand un sacrificateur, après avoir égorgé la victime, sépare la peau de la chair, il met à nu les moindres fibres qui apparaissent alors à nos yeux : c’est ainsi que, sous l’œil de Dieu, apparaissent clairement et dans un jour complet, les moindres fibres de notre âme. Voyez comme saint Paul a toujours besoin de recourir à des images matérielles ; c’est que ses auditeurs étaient faibles d’esprit. Ce qui prouve cette faiblesse, c’est qu’il les traite quelque part d’êtres maladifs, auxquels il faut, du lait, auxquels il ne faut pas une nourriture solide. « Tout est nu et dépouillé », dit-il, « aux yeux de Celui « duquel nous parlons ».
Mais que signifient ces mots : « Dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ? » lis ont pour but de répondre à ceux qui demanderaient pourquoi ces hommes n’ont point vu la terre promise. Ils avaient reçu un gage de la puissance de Dieu et, au lieu de croire en lui, ils ont cédé à la crainte, et, sans que Dieu leur donnât aucun avis qui pût, les effrayer, ils ont péri victimes de leur pusillanimité et de leur découragement. On peut dire encore qu’après avoir fait la plus grande partie du chemin, sur le seuil même de la terre promise, en arrivant au port, ils ont sombré. Voilà ce que je crains pour vous, dit l’apôtre, et tel est le sens de ces paroles : « Dans une à désobéissance semblable à celle de ces incrédules », car eux aussi ils ont beaucoup souffert, et c’est ce qui est attesté par saint Paul, quand il dit : « Souvenez-vous de ces anciens jours où vous avez été éclairés par les combats que vous avez eu à soutenir contre la souffrance ». (Héb. 10,32) Loin de nous donc la pusillanimité et l’abattement ! Ne perdons pas courage à la fin de la lutte il y a des athlètes en effet qui sont tout feu et tout flamme, en commençant le combat, et qui, pour n’avoir pas voulu faire encore quelques efforts, ont tout perdu. L’exemple de vos pères, dit saint Paul, suffit pour vous instruire et pour vous empêcher de souffrir ce qu’ils ont souffert eux-mêmes. Voilà ce que veulent dire ces mots : « Ne tombez pas dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». Ne nous relâchons pas, dit l’apôtre, ne perdons pas nos forces. Et c’est ce qu’il dit encore en terminant : « Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Hébreux, 12,12) « Il ne faut pas », dit-il, « que vous tombiez dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». C’est là en effet une chute bien réelle. Puis, pour que vous ne vous attendiez pas à subir seulement, comme peine de cette chute, le même genre de mort qu’eux, voyez ce qu’il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace ; elle est plus perçante qu’un glaive à deux tranchants ».
Oui : la parole de Dieu est le mieux affilé de tous les glaives ; elle perce les âmes ; elle leur porte des coups mortels et leur fait de mortelles blessures. Ce qu’il dit là, il n’est pas nécessaire qu’il le démontre, qu’il le prouve et qu’il l’établisse ; l’exemple qu’il cite en dit assez. À quelle guerre en effet, sous quel glaive ont-ils succombé ? Ne sont-ils pas tombés d’eux-mêmes ? Si nous n’avons pas souffert autant qu’eux, ne soyons pas exempts de crainte : tant que nous pouvons dire « aujourd’hui », relevons-nous et réparons nos forces. Après avoir ainsi parlé, de peur que ses auditeurs, en apprenant ces châtiments de l’âme, ne restent froids et languissants, il ajoute à ces châtiments des peines corporelles, en faisant entendre que Dieu, armé du glaive spirituel de sa parole, fait comme un souverain qui punit ses officiers coupables de quelque grande faute. Il leur ôte le droit de servir dans ses armées, il leur ôte leur ceinturon et leur grade, et les condamne à une peine proclamée par la voix du crieur public. Puis, à propos du Fils, il laisse tomber ces mots terribles : « Celui auquel nous parlons » : c’est-à-dire, celui auquel nous devons rendre compte. Ainsi ne nous laissons pas abattre, ne nous décourageons pas. Ce qu’il a dit suffisait bien pour nous instruire ; mais pour lui, ce n’est point assez et il ajoute : « Nous avons un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel : c’est Jésus, Fils de Dieu (14) ».
2. Il veut par là soutenir notre courage et voilà pourquoi il ajoute : « Le pontife que nous avons n’est pas tel qu’il ne puisse compatir à nos faiblesses ». C’est encore pour cela qu’il disait plus haut : Par cela même qu’il a souffert et qu’il a été mis à l’épreuve, il est à même de secourir ceux qui sont éprouvés. Vous voyez qu’il a toujours le même but. Ce qu’il dit là revient à dire : La voie dans laquelle il était entré était encore plus rude que la nôtre ; car il a fait l’expérience de toutes les misères humaines. Il avait dit : « Nulle créature ne lui est cachée », pour faire allusion à sa divinité. Mais, lorsqu’il arrive à l’Incarnation, il prend un langage plus modeste et plus humble. « Nous avons », dit-il, « un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel », et il montre sa sollicitude pour défendre et protéger les siens, pour les préserver de toute chute. Moise, dit-il, n’est pas entré dans le repos de Dieu ; mais lui, il y est entré, et comment ? Je vais vous le dire. Que l’apôtre n’ait tenu hautement dans aucun passage, le langage que je lui prête, il n’y a rien d’étonnant à cela c’est pour qu’ils ne croient pas avoir trouvé dans l’exemple de Moïse un moyen de défense, qu’il attaque indirectement Moïse lui-même ; c’est pour ne pas avoir l’air de l’accuser, qu’il ne dit pas tout cela ouvertement. Car si, malgré sa discrétion, ils lui reprochaient de parler contre Moïse et contre la loi, ils se seraient récriés bien davantage, s’il avait dit : Le lieu de repos dont je parle ce n’est pas la Palestine, c’est le ciel. Mais il ne se repose pas entièrement du soin de notre salut sur le pontife ; il veut aussi que nous agissions de notre côté : il veut que nous demeurions fermes dans la foi dont nous avons fait profession. « Ayant », dit-il, « pour grand pontife, Jésus le Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, demeurons fermes dans la foi dont nous avons fait profession ».
Qu’entend-il par – là ? Il veut dire que nous devons croire fermement à la résurrection, à la rémunération, aux biens innombrables que Dieu nous promet, à la divinité du Christ, à la vérité de notre foi : voilà les croyances dans lesquelles nous devons rester fermes. Ce qui prouvé d’une manière évidente que la vérité est là ; c’est le caractère de notre pontife. Nous ne sommes pas encore tombés ; restons fermes dans notre foi quand les événements prédits né seraient pas encore arrivés, restons fermes dans nos croyances : s’ils étaient déjà arrivés, ce serait un démenti donné aux livres saints. S’ils tardent à s’accomplir, cela prouve encore que les livres saints disent la vérité. Car notre pontife est grand. – « Notre pontife n’est pas tel qu’il ne puisse compatir à nos faiblesses ». Il ne peut pas ignorer notre situation, comme tant de pontifes qui ne savent pas quels sont ceux qui sont dans l’affliction, qui ne savent pas ce que c’est que l’affliction. Car ; chez nous autres hommes, il est impossible que l’on connaisse les tribulations de celui qui est persécuté, si l’on n’a pas fait soi-même l’épreuve du malheur, si l’on n’a pas souffert. Notre pontife à nous a tout souffert. Il a souffert, il est monté aux cieux ; pour compatir à nos douleurs : « Il a éprouvé, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Voyez comme il revient sur ce mot « comme nous » ; c’est-à-dire qu’il a été persécuté, conspué, accusé, tourné en ridicule, attaqué par la calomnie, chassé et enfin crucifié. « Il a souffert, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Il y a encore ici une chose qu’il fait entendre, c’est que les souffrances ne sont pas incompatibles avec l’innocence, et que sans péché on peut souffrir. C’est pourquoi quand il dit « en prenant un corps semblable au nôtre », l’apôtre ne veut pas dire que cette ressemblance fût absolue, il a voulu seulement parler de l’Incarnation. Pourquoi donc ces mots : « Comme nous ? » Il a voulu faire allusion à la faiblesse de la chair, il s’était fait homme « comme nous », matériellement par là ; mais, en ce qui concerne le péché, sa nature n’était pas la nôtre. « Allons donc nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d’y recevoir miséricorde et d’y trouver le secours de sa grâce, dans nos besoins (16) ». Quel est ce trône de la grâce ? C’est ce trône royal dont il est dit : « Le Seigneur a dit, à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ». (Ps. 109,1) C’est comme s’il disait : Marchons avec confiance, puisque nous avons un pontife exempt de péché, qui a vaincu le monde. « Ayez confiance », dit-il, « j’ai vaincu le monde » (Jn. 16,33) ; ce qui veut dire qu’il a connu toutes les souffrances, sans connaître le péché. Mais si nous sommes soumis au péché et s’il en est affranchi, comment ferons-nous pour nous présenter avec confiance ? C’est qu’il s’agit ici du trône de la grâce et non du tribunal suprême.
« Approchons donc avec confiance », dit-il, « pour recevoir cette miséricorde que nous demandons ». Cette miséricorde est de la munificence ; c’est un don royal : « Et afin d’y trouver le secours de sa grâce, quand nous le demanderons à propos ». Il a raison de dire : « Quand nous le demanderons à propos ». Approchez-vous de lui maintenant ; il vous fera grâce et miséricorde, parce que vous arriverez à temps. Mais si, vous vous présentez aujourd’hui, c’est inutilement ; votre arrivée est inopportune ; vous ne pouvez plus vous présenter devant le trône de la grâce. Vous pouvez comparaître devant ce trône, tante qu’il est occupé par le souverain dispensateur des grâces, mais une fois que les temps sont accomplis, voilà votre juge qui se dresse devant vous ! « Levez-vous, mon Dieu », dit le Psalmiste, « et venez juger la terre ». Psaume, 81,8) Disons encore avec l’apôtre : « Approchons-nous avec confiance », c’est-à-dire, sans avoir de reproche à nous faire, sans hésitation ; car celui qui a quelque chose à se reprocher, ne peut pas se présenter avec confiance. C’est pourquoi il est dit ailleurs : « J’ai exaucé votre prière faite en temps opportun, et je vous ai secouru au jour du salut ». (Is. 49,8) En effet, si ceux qui pèchent, après avoir reçu le baptême, ont la ressource de la pénitence, c’est là un don de la grâce : ne croyez point, parce que vous avez entendu dire que Jésus est un pontife, qu’il reste debout ; saint Paul dit qu’il est assis, quoique le prêtre ordinairement ne soit pas assis, mais se tienne debout. Vous voyez que, s’il a été fait pontife, ce n’est pas là un don de la nature, mais un don de la grâce, un effet de son abaissement volontaire et de son humilité. Disons, il en est temps encore : Approchons-nous de lui avec confiance et demandons. Nous n’avons qu’à lui offrir notre foi ; il nous accordera tout. Voici le moment des libéralités ; qu’on ne désespère pas de soi-même. Il sera temps de désespérer, quand la salle sera fermée, quand le roi sera entré pour voir ceux qui sont assis au festin, quand les patriarches auront reçu dans leur sein ceux qui en sont dignes. Mais aujourd’hui ce n’est pas l’heure du désespoir. Le théâtre est encore là ; c’est encore le moment du combat la palme est encore incertaine.
3. Hâtons-nous donc. C’est Paul qui nous le dit : « Pour moi, je ne cours pas au hasard. (1Cor. 9,26) Il faut courir et courir, avec ardeur. Quand on court, on ne fait pas attention aux objets environnants, aux prés dans lesquels on entre, aux chemins arides et âpres que l’on traverse. Quand on court, on ne voit pas les spectateurs, on ne voit que le prix. Qu’on ait autour de soi des riches ou des pauvres, qu’on soit en butte aux moqueries ou qu’on reçoive des éloges, qu’on vous adresse des outrages, qu’on vous lance des pierres, qu’on pille votre maison, qu’on voie devant soi ses fils, son épousé, n’importe quoi, on n’est pas distrait, à cette vue ; on ne fait attention qu’à une chose, à courir, à remporter le prix. Quand on court, on ne s’arrête pas, car la moindre lenteur, la moindre halte peut vous faire perdre tout le fruit de vos efforts. Quand on court, on ne se ralentit pas avant d’arriver au but ; que dis-je ? C’est quand on est près du but qu’on redouble d’ardeur. Ce que j’en dis s’adresse à ceux qui répètent : Nous nous sommes exercés dans notre jeunesse ; nous avons jeûné dans notre jeunesse ; aujourd’hui, nous voilà vieux !… Ah ! c’est alors surtout qu’il faut redoubler de piété. Ne racontez pas en détail vos bonnes actions. Voici le moment de vous montrer jeune et vigoureux, comme si vous étiez dans : la fleur de l’âge. Les athlètes qui disputent le prix de la course, quand la vieillesse chenue vient à les glacer, ne sont plus agiles, mais leur vigueur à eux n’est autre chose qu’une vigueur physique.
Mais vous ; pourquoi ralentir votre course ? Ce qu’il faut ici ; c’est la vigueur de l’âme, la vigueur d’une âme toujours éveillée. Or c’est dans la vieillesse que l’âme, se fortifie ; c’est alors qu’elle a le plus de vigueur ; c’est alors qu’elle s’élance. Le corps a beau être fort et robuste ; tant qu’il est en proie aux fièvres, aux assauts fréquents et successifs de la maladie, les maladies minent ses forces ; mais il les recouvre, quand il est délivré des maladies qui l’assiègent. Il en est de même de l’âme. Tant que dure la jeunesse, elle a la fièvre, elle est en proie à l’amour de la gloire et des plaisirs et à une foule d’autres affections. Mais la vieillesse, en arrivant, chasse tous ces penchants matériels ; ses remèdes pour nous en guérir, sont le temps et la philosophie. En détendant les ressorts de la matière, la vieillesse ne permet pas à l’âme de s’en servir ; quand même elle le voudrait ; mais, comme si elle domptait ses ennemis de tout genre, elle l’élève à des hauteurs que le tumulte dès passions ne peut atteindre, elle lui donne un calme profond et lui inspire surtout une terreur salutaire. Mieux que personne en – effet les vieillards savent qu’ils doivent mourir et qu’ils sont tout près de la mort. Lors donc que les passions et que les désirs mondains s’éloignent, quand on attend à chaque instant l’heure du jugement, quand cette attente triomphe de notre obstination et de notre désobéissance, comment l’âme, pour peu qu’elle soit bien disposée, ne deviendrait-elle pas plus attentive ? Mais quoi ? me direz-vous, ne trouve-t-on pas des vieillards plus corrompus que des jeunes gens ? Vous considérez ici le vice à ses dernières limites. Ne voyons-nous pas aussi des fous furieux qui d’eux-mêmes vont se jeter dans un précipice ? Quand donc un vieillard a les maladies de la jeunesse, c’est un grand mal : un vieillard de cette espèce ne peut pas donner son âge pour excuse ; il ne peut pas dire : « Ne vous souvenez plus des fautes et de l’étourderie de ma jeunesse ». (Ps. 24,1) Car celui qui, dans sa vieillesse, ne change pas, montre que les fautes de sa jeunesse, viennent, non de, l’ignorance, non de l’inexpérience, non l’âge, mais d’un défaut de cœur. Pour avoir, le droit de dire : « Ne vous souvenez plus des fautes de ma jeunesse et de mon inexpérience », il faut se conduire comme un vieillard doit le faire, il faut que là vieillesse nous change : Mais si, dans notre vieillesse, notre conduite est toujours aussi honteuse, aussi déshonorante, méritons-nous le nom de vieillards, alors que nous ne respectons pas notre âge ? Lorsqu’on dit : « Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon étourderie », on parle en vieillard honnête.
Ne perdez donc point l’occasion que : vous offre votre vieillesse de faire excuser les fautes de votre jeune âge. N’est-elle pas absurde et inexcusable la conduite de ce vieillard qui s’enivre, qui hante les cabarets, qui va voir les courses, qui monte, sur un théâtre, qui court avec la foule, comme un enfant ? C’est grande honte et c’est chose bien ridicule d’avoir des cheveux blancs sur la tête, et la légèreté de l’enfance dans le cœur. Si la jeunesse vous outrage, vous parlez aussitôt de vos cheveux blancs : Soyez donc le premier à les respecter : Si vous ne les respectez pas, vous ; vieillard, comment voulez-vous que la jeunesse les respecte ? Loin de les respecter, vous les couvrez d’opprobre et d’ignominie. Dieu, en vous donnant cette couronne de cheveux blancs, a mis sur` votre front un diadème. Pourquoi méconnaître cet honneur ? Comment voulez-vous que la jeunesse vous respecte, quand vous êtes encore plus dissipé, encore plus débauché que les Jeunes gens ? Les cheveux blancs sont respectables, quand celui qui les porte fait ce qu’ils commandent ; mais quand le vieillard se conduit en jeune homme, il est, avec ses cheveux blancs, plus ridicule que lui. Comment oserez-vous donner des avis à la jeunesse, vous antres vieillards ivres et dissolus ? Ce que j’en dis n’est pas pour accuser tous les vieillards, Dieu m’en garde ! je n’accuse ici que le vieillard qui agit en jeune homme. Ceux qui agissent ainsi ; en effet, fussent-ils centenaires, ne sont à mes yeux que des jeunes, gens, de même que les jeunes gens, quand ils seraient tout jeunes, valent mieux, selon moi, que des vieillards, quand ces jeunes gens ont la modestie et la tempérance en pariage. Et ce que je dis là n’est pas de moi ; c’est l’Écriture qui établit cette distinction. « Ce qui rend la vieillesse respectable », dit-elle, « ce n’est pas le nombre des années, le grand âge ; c’est un grand nombre d’années passées dans la vertu ». (Sag. 4,9)
4. Honneur aux cheveux blancs, non que nous ayons une prédilection pour cette couleur, mais parce que c’est la couleur de la vertu, et parce que, cet extérieur vénérable nous fait conjecturer que l’homme intérieur a aussi des cheveux blancs ! Mais un vieillard qui donne à ses cheveux blancs un démenti par sa conduite, n’en est que plus ridicule. Pourquoi honorons-nous la royauté, la pourpre, le diadème ? C’est que ce sont là les emblèmes du commandement. Mais que ce roi vêtu de pourpre vienne à être conspué, foulé aux pieds par ses satellites, saisi à la gorge, jeté en prison et déchiré, respecterons-nous encore cette pourpre et ce diadème, et ne plaindrons-nous pas cette majesté outragée ? N’exigez donc pas qu’on respecte vos cheveux blancs, quand vous les outragez vous-même ; c’est vous rendre coupable envers eux que d’avilir une parure si imposante et si précieuse. Mes reproches ne s’adressent pas à tous les vieillards, et ce n’est pas la vieillesse en général que j’attaque ; je ne suis point assez insensé pour cela ; je m’en prends à ce caractère juvénile qui déshonore la vieillesse ; j’adresse ces paroles amères non pas aux vieillards, mais à ceux qui déshonorent leurs cheveux blancs. Un vieillard est roi, s’il le veut ; il est plus roi que le souverain revêtu de la pourpre, s’il commande à ses passions, s’il foule aux pieds les vices, comme de vils satellites. Mais s’il se laisse entraîner, s’il se dégrade, s’il se rend l’esclave de l’avarice, de l’amour, de la vanité, des raffinements de la mollesse, du vin, de la colère et dès plaisirs, s’il se parfume les cheveux, si de gaieté de cœur il fait lui-même injure à sa vieillesse, quel châtiment ne mérite-t-il pas ? Quant à vous, jeunes gens, n’imitez pas les vices de ces vieillards ; vous n’êtes pas excusables non plus, quand vous vous égarez. Pourquoi ? C’est que dans la jeunesse on peut être mûr, et s’il y a des vieillards toujours jeunes, il y a des jeunes gens déjà vieux. Les cheveux blancs ne sont pas toujours un préservatif ; mais les cheveux noirs ne sont pas un obstacle. Les vices que j’ai signalés sont plus honteux chez un vieillard que chez un jeune homme, sans que, pour cela, le jeune homme vicieux soit complètement à l’abri du blâme. La jeunesse n’est une excuse que lorsque le jeune homme est appelé au maniement des affaires. Dans ce cas son jeune âge et son inexpérience peuvent lui faire pardonner son inhabileté. Mais faut-il déployer une sagesse virile, faut-il triompher de l’avarice, le jeune âge n’est plus, une excuse. Il y a des cas en effet ou la jeunesse est plus répréhensible que la vieillesse. Le vieillard affaibli par l’âge a grand besoin de se ménages ; mais le jeune homme qui peut, s’il le veut, se suffire à lui-même, est-il excusable de se montrer plus rapace qu’un vieillard, d’avoir plus de rancune que lui, de se montrer négligent, de ne pas être plus prompt que le vieillard à protéger les faibles, de parler sans cesse à tort et à travers, d’avoir l’injure, et la médisance à la bouche, de se livrer à l’ivrognerie ? S’il croit qu’on doit lui passer toute espèce de contravention aux lois de la tempérance et de la continence, il faut remarquer qu’il a de bons moyens d’observer aussi ces deux vertus. En admettant que les désirs et les passions aient plus d’empire sur lui que sur le vieillard, on doit pourtant convenir qu’il a, pour leur résister, plus de moyens, et qu’il peut, comme par magie, endormir le monstre. Ses moyens sont les travaux, la lecture, les veilles et le jeûnez Nous ne sommes pas des moines, m’objecterez-vous, pourquoi nous tenir ce langage ? Eh bien ! adressez cette objection à Paul, quand il vous dit : « Persévérez et veillez dans la prière ». (Col. 4,2) « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant vos désirs ».(Rom. 13,14) Ses avis en effet ne s’appliquent pas seulement aux moines, mais aux habitants des villes. Un homme du monde en effet ne doit avoir sur le moine qu’un seul avantage : celui de pouvoir cohabiter avec une épouse légitime. Il a ce droit-là, mais du reste, il a les mêmes devoirs à remplir que le moine. La béatitude dont le Christ a parlé n’est pas le privilège des moines ; autrement le monde aurait péri et nous accuserions Dieu de cruauté. Si la béatitude n’est faite que pour le moine, si l’homme du monde ne peut y atteindre, et si Dieu lui-même a permis le mariage, c’est Dieu qui nous a tous perdus.. Si en effet on ne peut, quand on est marié, remplir les devoirs des moines, tout est perdu et la vertu est réduite aux : dernières extrémités. Comment donc serait-ce chose honorable crue le mariage, quand il devient pour nous un si grand obstacle ? Que faut-il conclure ? Il faut dire qu’il est possible et très-possible, quand on est marié, de suivre le chemin de la vertu, et de la pratiquer si l’on veut. Ayons une femme ; mais soyons comme si nous n’en avions pas ; ne nous enivrons pas de nos richesses ; usons du monde, sans en abuser. (1Cor. 7,31) Si pour certains hommes le mariage est un obstacle, ça n’est pas la faute du mariage, qu’ils le sachent, bien ; c’est la faute de leur volonté qui leur a fait abuser du mariage. Ce n’est pas non plus la faute du vin, si l’ivresse arrive, c’est la faute de nos goûts dépravés et, de l’abus de cette liqueur. Usez avec modération du mariage, et vous occuperez la première place dans le royaume des cieux, et vous jouirez de tous les biens. Puissions-nous tous des obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, etc.

HOMÉLIE VIII.


CAR TOUT PONTIFE, ÉTANT PRIS D’ENTRE LES HOMMES, EST ÉTABLI POUR LES HOMMES, EN CE QUI REGARDE LE CULTE DE DIEU, AFIN QU’IL OFFRE DES DONS ET DES SACRIFICES POUR LES PÉCHÉS, ET QU’IL PUISSE ÊTRE TOUCHE, D’UNE JUSTE COMPASSION POUR CEUX QUI PÊCHENT PAR IGNORANCE ET PAR ERREUR, COMME ÉTANT LUI-MÊME ENVIRONNÉ DE FAIBLESSE. ET C’EST CE QUI L’OBLIGE À OFFRIR LE SACRIFICE DE L’EXPIATION DES PÉCHÉS AUSSI BIEN POUR LUI-MÊME QUE POUR LE PEUPLE. (V, 1, 2, 3, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE.)



Analyse.
  • 1, 2. Sacerdoce du Christ.
  • 3. Saint Paul reproche aux Hébreux la faiblesse de leur intelligence.
  • 4. Comment peut-on s’habituer à discerner l’erreur de la vérité. – Devoir du lecteur dans l’église.

1. Saint Paul s’attache maintenant à démontrer combien le Nouveau Testament est préférable à l’Ancien, combien il lui est supérieur, et il commence par exposer les raisons sur lesquelles il se fonde. Sous la loi nouvelle, rien ne parle aux sens, il n’y a pas de représentation matérielle, point de temple, point de saint des saints, point de prêtre revêtu de l’appareil sacerdotal, point de cérémonies légales ; tout est plus élevé, tout est plus parfait. Rien pour le corps ; tout pour l’esprit. Or, ce qui est du ressort de l’esprit ne frappe pas les âmes faibles comme ce qui parle aux sens ; voilà pourquoi l’apôtre tourne et retourne son sujet de mille manières. Voyez combien il est habile. Il nous représente d’abord le Christ comme prêtre, il ne cesse de lui donner le nom de pontife ; et il part de là pour nous montrer combien il diffère des autres pontifes. Il donne la définition du prêtre, il nous montre les caractères et les symboles du sacerdoce réunis dans la personne du Christ. Ce qu’on pouvait lui objecter, ce qui lui faisait obstacle, c’est qu’il n’était ni d’une haute naissance, ni d’une tribu sacerdotale, ni revêtu d’un sacerdoce terrestre. On pouvait donc craindre d’entendre sortir de quelques bouches cette question : Comment se fait-il qu’il soit prêtre ? Eh bien ! Paul procède ici comme dans l’épître aux Romains. (Rom. 4) Il s’était chargé de soutenir une thèse difficile ; il fallait prouver que la foi opère des effets que n’ont pu opérer la loi, ni toutes les peines et tous les travaux qu’elle imposait. Pour montrer que cet effet s’est produit et qu’il pouvait se produire, il a recours à l’exemple des patriarches et il remonte aux temps anciens. C’est ainsi qu’il entre dans la seconde voie suivie par le sacerdoce, en citant d’abord les anciens pontifes. De même qu’à propos des peines infligées aux méchants, il a cité à ses auditeurs non seulement la géhenne, mais encore l’exemple de leurs pères ; de même ici il commence par leur rappeler les faits présents à leur mémoire. Au lieu de leur montrer le ciel, pour les faire croire aux choses terrestres, il fait le contraire, en considération de leur faiblesse. Il expose d’abord les points de contact que le Christ peut avoir avec les autres pontifes, pour montrer ensuite la supériorité qu’il a sur eux. La comparaison est donc à l’avantage du Christ ; puisque sous certains rapports, il y a ressemblance et affinité entre eux et lui, tandis que sous d’autres points de vue, il leur est supérieur. Autrement, à quoi aboutirait cette comparaison ?

« Tout pontife pris d’entre les hommes ». Voilà une condition qui se rencontre dans le Christ, comme dans les autres. « Est établi pour les hommes, en ce qui tient au culte de Dieu ». Même observation. « Afin qu’il offre des dons et des sacrifices pour le peuple ». Cela est encore, jusqu’à un certain point, commun au Christ et aux autres. Mais il n’en est pas ainsi du reste : « Afin qu’il puisse être touché de compassion pour ceux qui sont dans l’ignorance et l’erreur ». Voilà déjà un avantage que le Christ a sur les autres pontifes. « Comme étant lui-même environné de faiblesse, et c’est ce qui l’oblige à offrir le sacrifice de l’expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour le peuple ». Puis il ajoute : Il a reçu le pontificat, mais il ne s’est pas fait lui-même pontife. Il a encore cela de commun avec les autres pontifes. « Nul ne s’est attribué à soi-même cet honneur ; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron (4) ». Ici c’est autre chose qu’il s’applique à démontrer, il fait voir que le Christ est l’envoyé de Dieu. C’est ce que le Christ ne cessait de dire, en conversant avec les juifs : « Celui qui m’a envoyé est plus grand que moi ». (Jn. 8,42) Et ailleurs : « Je ne suis pas venu de moi-même ». Selon moi, ces paroles font allusion aux pontifes juifs qui envahissaient le sacerdoce au mépris de la loi. « Ainsi Jésus-Christ ne s’est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife (5) ». Quand donc a-t-il été institué et ordonné pontife ? Aaron, en effet, a été souvent institué et ordonné pontife, par la verge, par le feu du ciel, qui consuma ceux qui voulaient lui ravir le sacerdoce ici, rien de pareil : non seulement il n’est pas arrivé malheur aux faux pontifes, mais ils sont en bonne odeur. Comment donc saint Paul prouve-t-il l’ordination de Jésus-Christ ? Par les prophéties. Son pontificat n’a rien de matériel et ne tombe pas sous les sens. Ce qui prouve sa dignité de pontife, ce sont les prophéties, la prédiction de ce qui devait arriver, « c’est celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui ». Ces paroles se rapportent-elles au Fils de Dieu ? Sans doute, c’est de lui qu’il s’agit ici. Mais quel rapport ces paroles ont-elles avec la question qui nous occupe t? Elles en ont un très-grand. C’est la démonstration anticipée qu’il a été institué et ordonné pontife par Dieu même.

Selon qu’il lui dit aussi dans un autre endroit : « Vous êtes le pontife selon l’ordre de Melchisédech (6) ». À qui s’appliquent ces paroles ? Quel est ce pontife qui est selon l’ordre de Melchisédech ? Nul autre que le Christ. Tous en effet étaient soumis à là loi ; tous observaient le sabbat ; tous étaient circoncis. Il ne peut être ici question que du Christ. « Ainsi, durant les jours de sa chair, ayant offert avec un grand cri et avec des larmes, ses prières et ses supplications à celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (7). Et, quoiqu’il fût le Fils de Dieu, il n’a pas cessé d’apprendre l’obéissance par ce qu’il a souffert (8) ». Voyez-vous comme l’apôtre s’applique uniquement à montrer la sollicitude et la haute charité du Christ pour les hommes ? Quel est le sens de ces mots : « Avec un grand cri ? » On ne trouve nulle part dans l’Évangile qu’il ait adressé cette prière les larmes aux yeux et en poussant de grands cris : Mais ne voyez-vous pas que saint Paul descend ici jusqu’à nous, jusqu’à notre faible intelligence ? Il ne lui suffit pas de nous montrer le Christ en prières ; il nous le montre poussant de grands cris. « Et il a été exaucé », dit-il, « à cause de son humble respect pour son Père ; quoiqu’il fût le Fils de Dieu, il n’a pas laissé d’apprendre l’obéissance par ce qu’il a souffert. Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent (9). Dieu l’ayant déclaré pontife, selon l’ordre de Melchisédech (10) ». Il a offert ses prières avec des cris, soit : mais pourquoi avec de grands cris ? Il les a même offertes en versant des larmes, dit-il, et il a été exaucé à cause de son respect pour son Père. Qu’ils rougissent, les hérétiques qui nient la réalité de l’Incarnation ! Que dites-vous ? Quoi ! le Fils de Dieu était exaucé à cause de son respect ? Que direz-vous de plus, en parlant des prophètes ? Et n’est-ce pas une inconséquence, lorsqu’on a dit : « Il a été exaucé à cause de son respect », d’ajouter ces paroles : « Quoiqu’il fût le Fils de Dieu, il n’a pas laissé d’apprendre l’obéissance par tout ce qu’il a souffert ». Peut-on tenir un pareil langage, en parlant de Dieu ? Qui serait assez insensé pour cela ? Où trouver un homme qui aurait assez peu de raison pour parler ainsi ? « Il a été exaucé à cause de son respect, il a appris l’obéissance par tout ce qu’il a souffert ». Quelle obéissance ? Il avait appris, jusqu’à en mourir, l’obéissance qu’un fils doit à son père ? Avait-il donc besoin de faire encore l’apprentissage de l’obéissance ?

2. Ne voyez-vous pas qu’il s’agit ici de l’incarnation réelle ? Ce qu’il dit là le fait assez entendre. Dites-moi : ne demandait-il point à son Père d’être préservé de la mort ; n’était-il pas attristé par cette perspective de la mort ? Ne disait-il pas : « Que ce calice, s’il est possible, s’éloigne de mes lèvres ? » Mais, pour ce qui est de la résurrection, il n’a jamais prié son Père ; au contraire, il dit lui-même tout haut : « Renversez ce temple, et dans trois jours, je le relèverai ». Et il dit encore : « Je puis déposer la vie et la reprendre ; personne ne me l’ôte ; c’est moi-même qui la dépose ». (Jn. 2,19, et 10, 18) Qu’est-ce donc et pourquoi priait-il ? Et il disait aussi : « Nous allons à Jérusalem, et le Fils de Dieu sera livré aux princes des prêtres et aux scribes qui le condamneront à mort et le livreront aux gentils ; afin qu’ils le tournent en dérision, qu’ils le fouettent et le crucifient ; et il ressuscitera le troisième jour ». (Mat. 20,18-19) Il n’a pas dit : Mon Père me fera ressusciter. Comment donc peut-on dire qu’il le priât pour le faire ressusciter ? Mais pour qui priait-il ? Pour ceux qui avaient cru en lui. Ce que dit l’apôtre revient à ceci : Il n’a pas de peine à se faire exaucer. Comme ses auditeurs ne se faisaient pas une juste idée du Christ, il dit qu’il a été exaucé, en tenant le langage que le Christ tenait lui-même, pour consoler ses disciples : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez, parce que je vais trouver mon Père qui est plus grand que moi ». ([[Jn. 14,28) Comment donc ne s’est-il pas glorifié lui-même, ce Dieu qui a été assez dévoué pour s’annihiler, pour se livrer lui-même ? « Il s’est sacrifié pour nos péchés », dit l’apôtre. (Gal. 1,4) Et ailleurs : « C’est lui qui s’est livré, pour nous racheter tous » (1Tim. 2,6) Qu’est-ce donc ? Ne voyez-vous pas que c’est le Dieu fait chair qui s’humilie ? Aussi, quoiqu’il fût le Fils de Dieu, a-t-il été exaucé, en considération de son respect pour son Père. Il veut montrer, en effet, que l’œuvre qui s’est accomplie a été opérée par lui plutôt que par la grâce de Dieu. Tel était son respect filial et sa piété, dit l’apôtre, que Dieu son Père le respectait. Il a appris à obéir à Dieu. Il montre encore quels sont les fruits de la souffrance. « Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent ». Or, si lui qui était le Fils de Dieu a profité de ses souffrances pour apprendre à obéir, à plus forte raison nous autres devons-nous mettre à profit un semblable apprentissage. Voyez-vous comme il s’étend sur l’obéissance, afin de parvenir à les persuader ? Ils m’ont tous l’air en effet d’être fort disposés à secouer le frein et à se révolter. C’est ce que saint Paul fait entendre par ces mots : « Votre attention s’est refroidie » : Ses souffrances, dit-il, lui ont appris à obéir à Dieu. Et il est entré dans la consommation de sa gloire par la souffrance. C’est donc là ce qui parfait l’homme, et la souffrance est le chemin de la perfection. Non seulement il s’est sauvé lui-même, mais il a sauvé les autres. « Étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l’auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent, Dieu l’ayant déclaré pontife ; selon l’ordre, de Melchisédech ; sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d’application pour les entendre (11)».

Avant d’en venir aux deux espèces de sacerdoce, il reprend ses auditeurs en leur montrant qu’il abaisse son style pour descendre jusqu’à eux, et qu’il les traite comme des enfants à la mamelle ; par conséquent il prend un ton plus humble, approprié aux choses de la chair et il parle du Christ, comme on parlerait d’un homme juste. Voyez, sans garder : un silence absolu, il ne s’explique pas complété ment ; il ne dit que ce qu’il faut pour les engager à mener une vie parfaite et à ne pas se priver d’un haut enseignement ; mais il s’arrange de manière à ne pas accabler leur intelligence ; et il s’exprime ainsi : « Sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d’application pour, les apprendre » : C’est parce qu’il a affaire à des auditeurs peu attentifs qu’il lui est difficile de s’expliquer. Car lorsqu’on s’adresse à des auditeurs bornés, dont l’intelligence n’est – pas à la hauteur du sujet, il n’est pas aisé de leur bien faire comprendre la vérité. Mais peut-être y a-t-il parmi vous qui m’écoutez, quelques hommes dont la tête se trouble et qui regrettent que la nature de son auditoire ait empêché saint Paul de mieux s’expliquer. Eh bien ! à l’exception d’un petit nombre d’auditeurs, vous êtes, je crois, dans le même cas que, les Hébreux, et vous pouvez-vous appliquer les paroles de l’apôtre. Malgré cela, je vais m’adresser à ce petit nombre d’auditeurs. Saint Paul a-t-il donc abandonné le sujet qu’il traitait ou l’a-t-il repris dans les versets suivants, comme il l’a fait dans l’épître aux Romains ? Car là aussi il ferme tout d’abord la bouche aux contradicteurs en ces, termes : « O homme, qui donc es-tu, pour répondre à Dieu ? » (Rom. 9,20) Mais il résout aussitôt le problème dont il s’agit. Eh bien ! ici, le crois que, sans garder un silence complet, il ne s’est pas tout à fait expliqué, afin de jeter ses auditeurs dans l’attente. Après les avoir avertis, après leur avoir fait entendre, qu’il abordait un grand sujet, voyez comme il les loue et les reprend tout à la fois Car c’est toujours sa méthode de mêler de douces paroles aux paroles amères. C’est ainsi que, dans son épître aux – Galates, il dit : « Vous couriez avec ardeur ; qui donc a pu vous arrêter ? » (Gal. 5,7) « Serait-ce donc en vain que vous avez tant souffert, si toutefois ce n’est qu’en vain ? » (Gal. 3,4) « J’espère pour vous, dans le Seigneur ». (Gal. 3,10) Et ici il dit de même : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut ». (Héb. 6,9) II fait donc deux choses à la fois : il ne les exalte pas et il ne les laisse pas tomber dans l’abattement. Car si l’exemple d’autrui est propre à exciter l’auditeur et à faire naître dans son âme le sentiment de l’émulation ; quand on peut se prendre soi-même pour exemple et qu’on vous engage à être pour vous-même un objet d’émulation, la leçon est encore plus efficace. Voilà ce que saint Paul fait ici : il ne les laisse pas tomber dans l’abattement, comme des réprouvés qui auraient toujours fait le mal ; il leur montre que parfois ils ont fait le bien. « Tandis que depuis le temps qu’on vous instruit, vous devriez déjà être des maîtres (12) ». Il montre ici qu’il y a longtemps qu’ils ont commencé à croire ; il montre aussi qu’ils devraient instruire les autres. Voyez comme il travaille à amener ce qu’il peut avoir à dire du pontife, et comme il diffère toujours ses explications. Écoutez son début : « Ayant un grand pontife qui est monté au plus haut des cieux ». Et après avoir passé sous silence l’explication du mot « grand » ; il reprend ainsi : « Car tout pontife, étant pris d’entre les hommes, est établi pour les hommes, en ce qui regarde le culte de Dieu ». Puis il dit : « Ainsi Jésus-Christ ne s’est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife ». Et après avoir dit : « Vous êtes le prêtre éternel, selon l’ordre de Melchisédech », il remet encore son explication, pour dire : « Qui durant les jours de sa chair, a offert ses prières et ses supplications ».
3. Après s’être détourné tant de fois de son but, par forme de réponse et d’excuse, il leur dit : C’est votre faute. Quelle différence en effet ? Ils devraient être des maîtres ; et ils ne sont que des disciples, les derniers de tous. « Depuis le temps qu’on vous instruit, vous devriez être des maîtres et vous auriez encore besoin qu’on vous apprit les premiers éléments, par lesquels on commence à expliquer la parole de Dieu ». Ces premiers éléments sont ici la science humaine. Dans les lettres profanes, il faut d’abord apprendre les éléments ; ici aussi il faut d’abord apprendre ce qui se rapporte à l’homme. Vous voyez pourquoi il abaisse ici son langage c’est ce qu’il faisait en parlant aux Athéniens « Dieu laissant passer ces temps d’ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu’ils fassent pénitence, parce qu’il a arrêté un jour où il doit juger le monde selon sa justice, par celui qu’il a destiné à en être le juge, de quoi il a donné à tous les hommes une preuve certaine, en le ressuscitant d’entre les morts ». (Act. 17,30-31) Lorsque Paul exprime quelque idée haute et sublime, il l’exprime brièvement, tandis que dans cette épître, il s’étend en maint endroit sur l’anéantissement de Jésus-Christ. C’est donc à la brièveté de l’expression que l’on reconnaît chez lui l’élévation de l’idée ; et d’autre part l’humilité du langage indique sûrement qu’il ne parle pas du Christ entant que Dieu. Ici donc, pour plus de sûreté, il emploie un humble langage à exprimer ce qui se rapporte à l’homme. Il avait pour raison l’intelligence de ses auditeurs qui n’étaient pas en état de comprendre des idées plus relevées. C’est ce qu’il voulait dire dans son épître aux Corinthiens, par ces mots : « Puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n’est-il pas visible que vous êtes charnels ? » (1Cor. 3,3) Voyez quelle est sa prudence, et comme il s’entend à traiter tous ces malades, dont il est le médecin. La faiblesse des Corinthiens venait en grande partie de leur ignorance ou plutôt de leurs péchés ; celle des Hébreux ne provient pas de leurs péchés, mais de leurs afflictions continuelles. C’est pourquoi il emploie des expressions bien propres à faire ressortir cette différence. « N’est-il pas visible que vous êtes charnels ? » dit-il aux Corinthiens. Et il dit aux Hébreux : L’excès de votre douleur a émoussé vos facultés. Les Corinthiens, hommes charnels, n’ont jamais pu supporter l’enseignement spirituel ; mais les Hébreux le pouvaient autrefois. Car ces paroles : « Votre application à m’entendre s’est ralentie », indiquent qu’autrefois leurs âmes étaient saines, fortes et pleines d’ardeur. Et plus tard, il atteste ainsi leur faiblesse : « Vous êtes tombés en enfance ; ce n’est pas une nourriture solide ; c’est du lait qu’il vous faut ».
Dans plusieurs passages et même toujours il appelle « lait » le style qui s’abaisse. « Tandis que depuis le temps », dit-il, « vous devriez être des maîtres ». C’est comme s’il disait : Ce qui a produit votre relâchement et votre abattement, c’est le temps qui aurait dû vous rendre forts. Le lait, selon lui, c’est ce style terre à terre qui convient aux simples ; cette nourriture ne convient pas à des auditeurs plus avancés, et ce serait pour eux un dangereux régime. Aujourd’hui il ne faudrait plus citer l’ancienne loi et y puiser des comparaisons ; il lié faudrait plus nous représenter le pontife sacrifiant et priant avec des cris et des supplications. Voyez comme tout cela est devenu pour nous un objet de dédain ; mais alors c’était pour les Hébreux une nourriture qu’ils ne dédaignaient pas. Oui : la parole de Dieu est bien une nourriture qui soutient l’âme. Écoutez plutôt le Prophète et l’apôtre : « Je ferai en sorte qu’ils soient non pas affamés de pain, non pas altérés d’eau, mais affamés de la parole de Dieu : (Amo. 8,11) Je vous ai donné à boire du lait, au lieu de vous donner une nourriture solide », (1Cor. 3,2) Il n’a pas dit : Je vous ai nourris, montrant par là que ce n’est pas une nourriture solide, qu’il leur a donnée, mais qu’il les a nourris comme des enfants qui ne peuvent encore manger du pain ; car le breuvage des enfants est leur unique nourriture. Il n’a pas : parlé de leurs besoins ; mais il a dit : « Vous êtes faits pour vous nourrir de lait, et non d’aliments solides » ; c’est-à-dire : C’est vous qui l’avez voulu ; c’est vous qui vous êtes réduits vous-mêmes à cette extrémité, à cette nécessité. – « Car quiconque n’est nourri que de lait, est incapable d’entendre le langage de la justice ; car il n’est encore qu’un enfant (13) ». Ce langage de la justice, quel est-il ? Je crois qu’il entend par là un plan de vie conforme à la vertu, et c’est ce que voulait dire le Christ, quand il s’exprimait ainsi : « Si votre justice n’est pas « plus abondante que celle des scribes et des pharisiens ». (Mt. 5,20) C’est ce que l’apôtre lui-même veut dire par ces mots : « Si vous ne connaissez pas le langage de la justice ». Cela signifie : Si vous ne connaissez pas la philosophie d’en haut, vous ne pouvez pas tendre à la perfection. Peut-être à ses yeux la justice n’est-elle autre chose que le Christ, et la parole élevée et sublime de l’orateur qui parle du Christ. Il les a traités d’esprits faibles et bornés. Pourquoi ? Il ne s’est pas expliqué là-dessus. Il leur permet de deviner et il ne veut pas les choquer. Dans son épître aux Galates, au contraire, il a l’air d’être surpris et d’hésiter, et cette forme de style est plus consolante elle est d’un homme qui ne s’attend pas au mal. Voyez-vous la différence qui existe entre l’enfance de l’âme et sa perfection ? Tâchons donc d’atteindre à cette perfection. Tout enfant, tout jeune que nous sommes, nous pouvons y atteindre ; ce n’est point ici l’œuvre de la nature, c’est l’œuvre de la vertu. – « La nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l’esprit, par l’habitude et par l’exercice ; s’est accoutumé à discerner le bien du mal (14) ». Eh quoi ? Leurs sens n’étaient-ils pas exercés ? Ne savaient-ils pas ce que c’est que le bien, ce que c’est que le mal ? C’est que, quand il parle de discerner le bien et le mal, il ne parle pas de ce discernement appliqué aux choses ordinaires de la vie. Ce discernement-là, le premier venu en est capable ; saint Paul parle ici de ce discernement qui distingue les hautes et sublimes doctrines des croyances fausses et abjectes. Le petit enfant ne sait pas distinguer les aliments bons ou mauvais, souvent il avale de la poussière, il prend une nourriture malsaine, il agit en tout sans discernement. Il n’en est pas ainsi de l’homme fait. Oui. : ce sont des enfants, ces hommes qui croient sans réfléchir à tout ce qu’on leur dit, qui prêtent indifféremment l’oreille à tous les discours ; saint Paul reproché ici à ses auditeurs dé tourner à tout vent, de prêter l’oreille tantôt à l’un, tantôt à l’autre. – C’est-ce qu’il finit par faire entendre, lorsqu’il dit : « Ne vous laissez pas séduire par toutes sortes de doctrines étranges ». Et il sous-entend : « Si vous voulez distinguer le bien du mal » ; car c’est le palais qui juge des mets, et c’est l’âme qui juge des paroles.
4. Et nous aussi, instruisons-nous, En apprenant que cet homme n’est ni gentil, ni juif, n’allez pas en conclure qu’il est chrétien. Car les manichéens et les hérétiques de toutes sortes ont pris le masque du christianisme pour tromper les âmes simples. Mais, si nous sommes exercés à distinguer le bien du mal, nous pourrons appliquer ici notre discernement. Or quels moyens avons-nous de nous exercer ? Nous n’avons qu’à écouter sans cesse la parole de Dieu, et qu’à nous fortifier dans la connaissance de l’Écriture sainte. Quand nous vous aurons mis devant les yeux l’égarement de ces hérétiques, quand aujourd’hui vous aurez entendu parler de leurs erreurs, quand demain vous serez convaincu de la fausseté de leurs doctrines, il ne vous restera plus rien à apprendre, il ne vous, restera plus rien à connaître, et si aujourd’hui, vous ne comprenez pas ; vous comprendrez demain. « Ceux », dit-il, « dont les sens sont exercés ». Voyez-vous comme nos oreilles doivent s’habituer à ces enseignements divins, pour se refuser à entendre des doctrines étrangères ? « Nous devons être exercés », dit l’apôtre, « à discerner le bien et le mal » ; c’est-à-dire, que nous de vous être habiles à distinguer l’un de l’autre. L’un ne croit pas à la résurrection ; l’autre ne croit pas à la vie future ; un autre dit qu’il y a un autre Dieu ; un autre dit que Jésus-Christ tire son principe de Marie. Voyez comme tous ces hérétiques sont tombés dans l’erreur, faute de garder une ; juste mesure. Les uns ont été trop loin ; les autres se sont arrêtés en route. En voulez-vous un exemple ? C’est Marcion qui a donné le signal de l’hérésie. Il a introduit un autre Dieu qui n’existe pas ; il est allé trop loin. Voici venir après lui Sabellius qui prétend, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit rie font qu’une seule et même personne. Puis c’est l’hérésie de Marcellus et de Photin qui prêchent la même doctrine. Puis c’est l’hérésie de Paul de Samosate qui avance que Dieu n’a commencé à exister qu’en – sortant du sein de Marie. C’est ensuite l’hérésie des manichéens, qui vient après toutes les autres. Et puis c’est Arius ; et puis ce sont d’autres hérésies encore.
C’est pour cela que nous avons reçu la foi, c’est afin que nous ne soyons pas obligés de nous jeter dans ces hérésies saris nombre ; c’est afin que, nous n’en soyons pas le jouet et les victimes ; c’est afin que nous regardions comme faux tout ce qu’on pourrait ajouter ou retrancher aux articles de la foi. Ceux qui admettent les mesures légales ne sont pas obligés de recourir laborieusement à une foule de poids et de mesures arbitraires ; ils veulent que l’on s’en tienne aux mesures établies ; il en est de même pour nos dogmes. Mais on ne veut pas faire attention aux saintes Écritures. Si nous y faisions attention, non seulement, nous ne tomberions point dans l’erreur, mais nous délivrerions les hommes abusés et nous les tirerions du péril. Un brave soldat, en effet, n’est pas bon pour lui seul ; il sait défendre le camarade qui est près de lui et le soustraire aux coups de l’ennemi. Mais aujourd’hui on ne connaît pas les saintes Écritures, malgré toutes les précautions prises par le Saint-Esprit pour que ce dépôt conservé. Remontez jusqu’aux premiers temps, et apprenez à connaître l’ineffable bonté de Dieu. C’est lui qui a inspiré Moïse, qui a fait graver ses commandements sur les tables de la loi, qui l’a retenu à cet effet quarante jours sur la montagne ; qui l’y a retenu quarante jours encore pour publier sa loi. (Ex. 23) Puis il a envoyé des prophètes qui ont subi des épreuves sans nombre. Voilà la guerre allumée, les prophètes morts ; les livres brûlés ! Dieu inspire un autre législateur admirable Esdras. pour exposer sa loi et pour en rassembler les débris. Puis il l’a fait interpréter par les Septante.
Le Christ arrive, il prend les tablettes de la loi, les apôtres vont la publier partout. Le Christ fait des signes et des miracles. Qu’arrive-t-il ensuite ? Après tant de soins, tant de précautions, les apôtres, à leur tour, se mettent à l’œuvre, comme dit Paul : « Toutes ces choses ont été écrites pour notre instruction, à nous autres, qui nous trouvons à la fin des siècles ». (1Cor. 10,11) Et le Christ disait : « Vous vous trompez, parce que vous ne connaissez pas les Écritures ». (Mt. 22,29) Et Paul disait encore : « C’est dans notre résignation et dans les paroles consolantes des saintes Écritures que nous avons confiance » (Rom. 15,4) ; et ailleurs : « L’Écriture sainte, ce livre si utile, est d’un bout à l’autre une inspiration divine. (2Tim. 3,16) Que la parole du « Christ habite en vous et remplisse vos âmes ». (Col. 3,16) Et le Prophète dit : « Il méditera la loi, nuit et jour ». (Ps. 1,2) Et il dit ailleurs : « Ne vous lassez pas d’expliquer la loi de l’Être suprême ». (Sir. 9,15) Et il dit encore : « Que vos paroles sont douces pour mon palais ! » Il ne dit pas : « pour mes oreilles », mais « pour mon palais. Je les trouve plus douces que le miel ». (Ps. 18,11) Et Moïse dit aussi : « Méditez les saintes Écritures, en vous levant, en vous reposant, en vous couchant ». (Deut. 6,7) C’est ce que dit encore saint Paul dans son épître à Timothée : « Appesantissez-vous sur les saintes Écritures et méditez-les ». (1Tim. 4,15) On pourrait s’étendre à l’infini sur ce chapitre. Et après tout cela pourtant, il y a des gens qui n’ont pas ; la moindre idée de l’Écriture sainte. Aussi ne connaissons-nous ni les saines doctrines, ni la justice, ni notre intérêt. Pourtant si l’on veut connaître l’art militaire, il faut en apprendre les règles : Si l’on veut connaître la politique, la science du forgeron ou toute autre, il faut apprendre. Eh bien ! pour acquérir la science qui nous occupe, on ne fait rien de semblable, et cependant il faut bien des veilles pour l’acquérir. Si vous voulez le savoir, écoutez cette parole du Prophète : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, et je vous enseignerai la crainte de Dieu ». (Ps. 33,12-14) La crainte de Dieu est donc une chose qui s’apprend. Puis il est dit : « Quel est l’homme qui veut vivre ? » vivre de la vie d’en haut. Et ailleurs : « Ne souillez point votre langue ; que vos lèvres ne laissent point échapper de paroles perfides ; détournez-vous du mal et faites le bien ; recherchez la paix ». Savez-vous quel est le prophète, l’historien, l’apôtre ou l’évangéliste qui a dit cela ? Je crois que, parmi vous, il en est peu qui le sachent ; et ces quelques hommes qui le savent seraient à leur tour en défaut, si je leur citais un autre passage. Tenez, voici la même pensée exprimée en d’autres termes : « Lavez vos souillures, soyez purs, faites disparaître de devant mes yeux cette perversité que j’aperçois dans vos âmes ; apprenez à faire le bien ; recherchez la justice. ne souillez point votre langue et faites le bien ; oui, apprenez à faire le bien ». (Is. 1,16-17) Voyez-vous comme la vertu a besoin d’être enseignée ? Plus haut, nous lisons : « Je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Ici nous lisons : « Apprenez à faire le bien ». Savez-vous d’où ces paroles sont tirées ? Peu d’entre vous le savent, à ce que je crois. Et pourtant voilà des choses que nous vous lisons deux ou trois fois par semaine. Et, quand le lecteur arrive, il commence par citer le livre dont il cite un fragment : c’est tiré de tel Prophète, de tel apôtre, de tel évangéliste. Il vous le dit, pour vous faire mieux remarquer et retenir le passage, pour que vous en connaissiez la lettre, l’esprit et l’auteur. Mais toutes ces attentions sont peine perdue ; vous ne pensez qu’à la vie présente, sans tenir aucun compte des choses spirituelles. Voilà pourquoi les événements même de cette vie présente ne sont pas conformes à ce que vous souhaitez ; voilà pourquoi vous trouvez tant d’écueils sous vos pas. Le Christ ne dit-il pas : « Demandez le royaume de Dieu et vous obtiendrez avec lui tout le reste » (Mt. 6,33) ; c’est-à-dire, que nous obtiendrons ; tout le reste par-dessus le marché. Mais nous intervertissons cet ordre ; c’est la terre que nous cherchons, et avec elle, tous les biens terrestres, comme si les autres nous devaient être donnés par surcroît Aussi n’avons-nous ni les uns ni les autres. Revenons donc enfin à la raison et désirons les biens à venir ; avec eux, les autres nous arriveront. Car, lorsqu’on recherche les choses de Dieu ; on obtient aussi nécessairement les biens terrestres, s’il faut en croire la vérité éternelle dont ce sont là les paroles. Recherchons donc les choses de Dieu, pour ne pas tout perdre. Dieu peut nous toucher et nous rendre meilleurs, par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

HOMÉLIE IX.

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QUITTANT DONC LES INSTRUCTIONS QUE L’ON DONNE A CEUX QUI NE FONT QUE COMMENCER A CROIRE EN JÉSUS-CHRIST, PASSONS A CE QU’IL Y A DE PLUS PARFAIT, SANS NOUS ARRÊTER A ÉTABLIR DE NOUVEAU CE QUI N’EST QUE LE FONDEMENT DE LA RELIGION, LA PÉNITENCE DES ŒUVRES MORTES, LA FOI EN DIEU, ET CE QU’ON ENSEIGNE TOUCHANT LES BAPTÊMES, L’IMPOSITION DES MAINS, LA RÉSURRECTION DES MORTS ET LE JUGEMENT ÉTERNEL. ET C’EST CE QUE NOUS FERONS, SI DIEU LE PERMET. (VI, 1, 2, 3, JUSQU’À 6)

Analyse.

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  • 1. Avant d’aller plus loin, il faut être bien convaincu des vérités fondamentales de la religion. 2. La foi ferme et sincère conduit à la vie parfaite.
  • 3. Le baptême ne peut être conféré deux fois.
  • 4. A défaut d’un second baptême qui ne peut être conféré, la pénitence est pour nous un moyen de salut. Mais la pénitence, afin, de porter ses fruits, doit être accompagnée de la contrition parfaite, du pardon et de l’oubli des injures, et surtout de la charité et de l’aumône.
  • 5. Effets de la pénitence. – La gloire de saint Paul comparée aux vanités de ce monde.


1. Vous avez vu comme il reproche aux Hébreux de vouloir qu’on leur dise toujours la même chose. Et il a raison. Depuis le temps qu’on vous instruit, dit-il, vous devriez être passés maîtres et vous avez encore besoin d’apprendre les principes de la religion. Et vous aussi, j’ai bien peur que vous ne méritiez ce reproche ; j’ai : bien peur, moi aussi, d’être obligé de vous dire que, lorsque vous devriez être des maîtres vous n’êtes même pas encore des disciples. Il faut toujours vous répéter la même chose, et vous avez toujours l’air de ne pas entendre. Vous interroge-t-on, un petit nombre d’entre vous seulement, quelques auditeurs faciles à compter sont en état de répondre, et ce n’est pas là un léger inconvénient ; car le maître voudrait aller plus loin ; il voudrait aborder quelque grand mystère, et la paresse, la négligence de son auditoire ne le lui permettent pas. Voyez les maîtres d’école. Si la leçon roule toujours sur les mêmes éléments, et si l’enfant ne la retient pas, il faudra toujours revenir sur la même chose et la répéter sans cesse, jusqu’à ce que l’enfant sache bien sa leçon. Car ce serait folie d’aller en avant, quand l’écolier n’est pas encore bien pénétré des principes fondamentaux. Il en est de même dans cette assemblée. Si nos redites perpétuelles ne vous servent à rien, nous serons obligés de revenir sans cesse sur les mêmes matières. Si l’enseignement était pour nous une affaire d’ostentation et de vanité, nous nous verrions forcés de passer, de sauter d’un sujet à un autre, sans faire attention à vous, dans l’unique but de nous attirer vos applaudissements. Mais ce n’est pas là notre ambition et nous ne cherchons que l’intérêt de vos âmes. Nous ne cesserons donc de vous répéter les mômes préceptes jusqu’à ce que vous ayez bien appris à les pratiquer. Nous aurions pu vous entretenir longtemps de la superstition des gentils, des manichéens, des marcionites ; nous aurions pu, avec la grâce de Dieu, porter des coups terribles à nos adversaires, mats ce n’est pas là ce qui doit nous occuper, pour le moment. Quand on a affaire à des auditeurs qui ne savent pas encore que l’avarice est un mal, peut-on passer à autre chose et aborder de grands sujets ? Que nous venions à bout de vous persuader ou non, nous vous dirons donc toujours la – môme chose. Nous craignons seulement qu’en écoutant, sans en profiter, des leçons qui seront toujours les mêmes, vous n’en deveniez que plus coupables. Ce que je dis là ne s’adresse pas à tout le monde. Parmi vous, il en est beaucoup, je le sais, qui m’ont toujours écouté avec fruit et qui pourraient accuser à bon droit ceux dont la lenteur et la négligence est un piège tendu à leurs progrès ; mais ce piège, ils n’y tomberont pas. Ces mômes leçons répétées à ceux qui les savent leur seront utiles, car ce que nous savons déjà, à force d’être entendu, nous touche davantage. Nous savons, par exemple, que la charité est une bonne chose, et que le Christ en – a souvent parlé ; mais ces vérités et les méditations dont elles sont l’objet, nous frappent toujours davantage, quand nous les aurions entendus répéter mille fois. À plus forte raison nous pouvons aujourd’hui vous dire sans manquer d’à-propos : « Quittant les instructions que l’on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus-Christ, passons à ce qu’il y a de plus parfait. » Quelles sont ces instructions premières, l’apôtre nous le dit en ces termes : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n’est que le fondement de la religion, c’est-à-dire, la pénitence, des œuvres mortes, la foi en Dieu, et ce qu’on enseigne touchant les baptêmes, l’imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement éternel ».
Si ce sont là des vérités premières, il s’ensuit que le fond de tous nos dogmes, c’est la croyance, à la nécessité de la, pénitence, c’est la foi venant du Saint-Esprit à la résurrection des morts et au jugement éternel. Voilà le commencement, voilà les premières vérités que l’on apprend, alors qua la vie n’est pas encore parfaite : Pour apprendre à lire, il faut d’abord apprendre les éléments ; pour apprendre à être chrétien, les vérités exposées ci-dessus sont celles qu’il faut connaître avant tout et dont il faut être bien convaincu. Si l’on a besoin encore d’être éclairé là-dessus, c’est que la religion du Christ n’est pas bien établie dans notre cœur ; car avant tout, ces vérités fondamentales doivent y être fermement assises. Si après avoir, été instruit sur le catéchisme, si, après avoir reçu le baptême, on a encore besoin d’affermir sa foi, et d’apprendre à croire à la résurrection, c’est, qu’on ne possède pas encore le fond du christianisme, c’est qu’on a besoin d’y être initié. Pour être persuadé que ces articles de foi sont la base du christianisme et que le reste est l’édifice, écoutez ces paroles du maître : « J’ai jeté le fondement, un autre bâtit dessus. Si l’on élève sur ce fondement un édifice d’or, d’argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille, l’ouvrage de chacun paraîtra enfin ». (1Cor. 3,10, 12, 13). Voilà pourquoi l’apôtre disait : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui est le fondement de la religion, la pénitence des œuvres mortes ».
2. Mais que signifient ces mots : « Passons à ce qu’il y a de plus parfait ? » Il veut dire : Élevons-nous jusqu’au faîte ; atteignons à la perfection, dans notre vie. L’A est la première lettre de l’alphabet ; l’édifice repose en entier sur ses fondements : ainsi la pureté de la vie repose sur une foi sincère. Sans la foi, on ne peut être chrétien ; sans les fondements, on ne peut bâtir sans la connaissance de l’alphabet, on ne peut être grammairien. Mais si l’on s’arrête aux éléments, si l’on s’arrête à la base, sans arriver à l’édifice, où sera le progrès ? Eh bien ! il en sera de même pour nous autres chrétiens : si nous nous arrêtons aux principes de la foi, nous n’arriverons jamais à la perfection. Et n’allez pas croire que l’on rabaisse la foi, en lui donnant le nom d’élément ; c’est là, précisément qu’est sa toute-puissance. Lorsque l’apôtre dit : « Quand on est à la mamelle, on ne connaît pas encore le langage de la justice, car on n’est qu’un enfant », il n’appelle pas la foi le lait de la justice ; mais, selon lui, douter des premières vérités de la religion, est le propre d’un esprit faible qui a encore besoin de leçons. Ces vérités sont la droite raison elle-même, et nous appelons parfait l’homme, qui a la foi et dont la vie est droite. Si maintenant on a une certaine foi qui ne vous empêche pas de commettre des crimes, de douter et d’outrager la doctrine du Christ, on méritera le nom d’enfant ; car ce sera, rétrograder jusqu’aux éléments. Quand donc nous persisterions dans la foi pendant mille ans, si notre foi n’est pas ferme et stable, nous serons toujours des enfants ; car notre vie ne sera pas conforme à notre foi ; car nous serons toujours arrêtés aux bases de l’édifice.
Or ce que l’apôtre reprend chez les Hébreux, c’est leur genre de vie, c’est leur foi vacillante, c’est le besoin qu’ils ont d’établir un fondement de pénitence par des œuvres mortes ; car l’homme qui passe d’une chose à une autre, qui laisse ceci de côté pour s’attacher à cela, doit nécessairement condamner ce qu’il rejette ; il doit s’en détacher pour passer à un autre objet. Si, après cela, il revient toujours au premier principe, objet de ses rebuts, quand donc arrivera-t-i1 au second ? Et la loi ? La loi, nous l’avons condamnée et nous y sommes revenus. Ce n’est pas là changer : car avec la foi, nous avons encore la loi. « Détruisons-nous donc la loi par la foi ? » dit l’apôtre. « À Dieu ne plaise ! nous l’établissons au contraire ». (Rom. 3,31) Le changement dont il était question était le changement du mal en bien. Pour passer dans le camp de la vertu en effet, il faut commencer par condamner le vice. La pénitence n’avait pas le pouvoir de purifier les convertis, voilà pourquoi ils se faisaient baptiser aussitôt après, afin d’obtenir par la grâce du Christ de qu’ils ne pouvaient obtenir par eux-mêmes. La pénitence ne suffit donc point à la purification ; il faut y joindre le baptême. C’est pourquoi on mène encore au baptême le nouveau converti qui a déjà accusé ses péchés. Mais que signifient ces mots : « Ce qu’on enseigne touchant les baptêmes ? » Saint Paul ne veut pas dire par là qu’il y a plusieurs baptêmes ; il n’y en a qu’un seul. Pourquoi donc parle-t-il au pluriel ? C’est qu’il avait dit ; « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n’est que le fondement de la religion, c’est-à-dire la pénitence » Et s’il avait passé son temps à leur donner un nouveau baptême ; à les instruire encore sur le catéchisme, à leur tracer encore leur ligne de conduite, il n’y avait pas de raison pour qu’ils ne restassent toujours imparfaits. « L’imposition des mains ». C’est ainsi en effet qu’ils recevaient le Saint-Esprit. « Paul leur imposa les mains, et l’Esprit-Saint descendit sur eux ». – (Act. 19,6) « Et la résurrection des morts ». C’est là un dogme dont il est fait mention dans le baptême et dans le Symbole « Et le jugement éternel ». Pourquoi ces paroles ? C’est que probablement leur foi était vacillante, c’est qu’ils menaient une vie coupable et dissolue. C’est pourquoi il leur dit : Veillez sur vous. Il dissipe leur indolence ; il éveille leur attention ils n’ont pas le droit de dire : Si nous menons une vie dissolue et négligente, nous en serons quittes pour recevoir un nouveau baptême, pour apprendre encore le catéchisme ; pour recevoir encore le Saint-Esprit. Ils ne peuvent pas dire : Si nous abandonnons la foi, nous en serons quittes pour laver nos péchés dans le baptême, et nous serons aussi avancés qu’auparavant. Erreur, dit l’apôtre ! « Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été rendus participants du Saint-Esprit, qui ont goûté la parole de Dieu et l’espérance des grandeurs du siècle à venir et qui, après cela, sont tombés, se renouvellent par la pénitence, parce qu’autant qu’il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l’exposent à l’ignominie (4-6) ». Remarquez ce début qui est bien fait pour les couvrir de honte et pour les retenir. « Il est impossible », dit-il, c’est-à-dire : Ne vous attendez pas à ce qui ne peut pas arriver. Il n’a pas dit : Il ne convient pas, il n’est pas avantageux, il n’est pas permis. Il a dit : « Il est impossible ». Il a voulu leur faire comprendre qu’après avoir été éclairés, c’est-à-dire baptisés une fois pour toutes ils devaient désespérer de l’être une seconde fois.
3. « Qui ont goûté le don du ciel », ajoute-t-il, c’est-à-dire la rémission dès péchés, « qui ont été rendus participants de l’Esprit-Saint et qui ont été nourris de la parole de Dieu ». Il est ici question de la doctrine. – « Et de l’espérance des grandeurs du siècle à venir ». Quelles sont ces grandeurs ? Le don des miracles, les gages donnés par le Saint-Esprit.. – « Et qui après cela sont tombés, se renouvellent par la pénitence, parce qu’autant qu’il est en eux, ils crucifient le Fils de Dieu et l’exposent à l’ignominie ». – « Se renouvellent par la pénitence ». Eh quoi ! Faut-il qu’ils renoncent à la pénitence ? non pas à toute pénitence, à Dieu ne plaise ! mais au renouvellement qui a lieu par le baptême ; car l’apôtre ne s’est pas borné à dire : « Il est impossible qu’ils se renouvellent par la pénitence », mais il a ajouté : « Parce qu’ils crucifient encore une fois le Fils de Dieu ». – « Se renouveler », signifie devenir un nouvel homme, et il n’y a que le baptême qui puisse opérer ce miracle. « Ta jeunesse », dit le psalmiste, « se renouvellera comme celle de l’aigle ».
La pénitence a pour effet de nous faire dépouiller le vieil homme et de faire des hommes nouveaux de ceux qui étaient retombés dans leurs anciens péchés ; mais elle ne peut rendre à l’homme ce premier éclat qui est uniquement l’ouvrage de la grâce. « Parce qu’ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu », dit-il, et « parce qu’ils l’exposent à l’ignominie ». C’est que le baptême est une croix, dit-il : Grâce à lui, « le vieil homme se trouve crucifié. Nous mourons, comme le Christ est mort. Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ ». Si donc il est impossible que le Christ soit crucifié de nouveau, il est impossible que nous recevions un nouveau baptême. Car s’il est dit que la mort ne prévaudra plus contre lui, s’il est ressuscité, si cette résurrection l’a rendu plus puissant que la mort, s’il a triomphé et terrasse la mort par la mort même, et si, après tout cela, il est crucifié de nouveau, tout ce qu’on vient de dire n’est qu’un tissu de fables ridicules. Celui qui reçoit un nouveau baptême crucifie de nouveau le Christ. Le Christ est mort sur – la croix : et nous mourons dans le baptême, non à la chair, mais au péché. Il y a là deux genres de mort différents ; le Christ meurt à la, chair et nous au péché. Par le baptême, le vieil homme qui était en nous est enseveli, et c’est un nouvel homme, qui ressuscite comme Jésus-Christ est ressuscité après sa mort. Si donc un second baptême est nécessaire, une seconde mort est nécessaire aussi ; car le baptême n’est rien autre chose que la mort du vieil homme et la création d’un homme nouveau dans celui qui est baptisé. L’expression « parce que nous crucifions de nouveau » est belle. Car ces hommes déchus dont il parle, oublieux de la grâce qu’ils ont reçue autrefois, mènent une vie lâche et dissolue, et se conduisent en tout point, comme s’il y avait un nouveau baptême : Il faut donc ici faire bien attention. « Ce don du ciel qu’ils « ont goûté », c’est la rémission des péchés.. Il n’appartient qu’à Dieu d’accorder ce don. C’est une grâce qu’il nous fait une fois dans le baptême. « Mais quoi ? Demeurerons-nous dans le péché, pour donner lieu à une surabondance de grâce ? à Dieu ne plaise ! » (Rom. 6,1, 2)Si, pour être sauvés, il nous faut toujours la grâce, nous ne serons jamais vertueux. Puisque nous sommes si lâchés et si négligents, quand la grâce du baptême n’est conférée qu’une fois, comment pourrions-nous renoncer à nos péchés, si nous savions que nous pouvons encore laver cette tache ? Nous n’y renoncerions pas, j’en suis bien sûr.
Saint Paul énumère ici une foule de dons qui viennent de Dieu. Si vous voulez comprendre, écoutez bien : Pécheur, dit-il, Dieu a daigné vous accorder la rémission la plus éclatante. Celui qui était plongé dans les ténèbres, celui qui était D’ennemi déclaré de Dieu, celui dont Dieu s’était détourné avec horreur, celui qui était perdu, celui-là a été tout à coup éclairé, jugé digne de la grâce du Saint-Esprit, des dons célestes, de l’adoption divine, du royaume des cieux, d’autres faveurs encore, de l’initiation à de saints mystères, et tout cela ne l’a pas rendu meilleur. Après avoir obtenu le don du salut et s’être vu honoré, comme s’il s’était distingué par sa vertu, lé voilà en état de perdition. Comment donc pourrait-il recevoir encore le baptême ? C’est impossible, et l’apôtre établit cette impossibilité sur deux raisons dont la dernière est la plus forte. Ces raisons quelles sont-elles ? C’est d’abord l’indignité de l’homme qui a abusé de tous les dons que Dieu a daigné lui faire lin pareil homme né mérite pas de se renouveler par la pénitence. C’est ensuite que le Christ ne peut être crucifié une seconde fois : car ce serait l’exposer à l’ignominie. Il n’y a donc pas, non il n’y a pas de second baptême. Autrement, il y en aurait aussi un second, un troisième, un quatrième ; car le premier se trouve dissous par le second, le second par le troisième et ainsi de suite à l’infini. « Qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu et de l’espoir des grandeurs du siècle à venir ». Il n’explique pas ces paroles ; mais c’est comme s’il disait : Vivre comme les anges, se passer des biens de ce monde, savoir que Dieu, eu nous adoptant, nous accorde les biens du siècle à venir, avoir en perspective ces sanctuaires où nous serons admis ; un jour, voilà les fruits du Saint-Esprit et de ses leçons ! Mais quelles sont ces grandeurs du siècle à venir ? C’est la vie éternelle, la vie angélique. Le Saint-Esprit, en nous donnant la foi, nous a déjà, donné un avant-goût de tous ces biens. Maintenant, je vous le demande : si l’on vous introduisait dans le palais d’un souverain, si l’on vous confiait toutes les richesses qu’il renferme, et si vous les perdiez, vous les confierait-on de nouveau ?
4. Eh quoi ! dira-t-on, est-ce qu’il n’y a plus de pénitence possible ? Il y en a une, mais ce n’est plus celle du baptême. Cette sorte de pénitence est cependant très-efficace ; elle peut délivrer du fardeau de ses péchés l’homme qui est plongé dans le péché ; elle peut ramener au port celui-là même qui est, au fond de l’abîme. Cette vérité est prouvée en maint passage. « Est-ce que celui qui tombe ne peut pas se relever ? Est-ce que l’homme qui tourne le dos à Dieu ne peut pas se retourner vers lui ? » (Jer. 8,4) Le Christ, si nous voulons, peut encore se former en nous : Entendez-vous Paul qui vous dit : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que le Christ soit formé, en vous ? » (Gal. 4,19) Or pour cela, il n’y a qu’une condition à remplir : c’est que la pénitence entre dans nos âmes. Voyez en effet comme Dieu, est bon et clément. Nous méritions, dans le principe, toutes sortes de châtiments, pour avoir, malgré les lumières de la loi naturelle et mille faveurs divines, ignoré Dieu et mené une vie impure et immonde. Et Dieu, loin de nous punir, nous a comblés, de biens, comme si nous avions fait les actions les plus grandes et les plus belles.
Nous avons encore failli et, loin de nous punir, il nous a apporté un remède à nos maux, la pénitence qui suffit pour détruire et effacer tous nos péchés, pourvu que nous connaissions bien la nature de ce remède et la manière dont il faut l’appliquer. Il faut d’abord nous condamner nous-mêmes et confesser tous nos péchés. « Je vous ai fait connaître mes fautes et je n’ai pas caché mes péchés. Je déclarerai hautement, et en m’accusant moi-même, mon impiété au Seigneur, et vous m’avez pardonné mon impiété ». (Ps. 31,56) « Commencez par avouer vos péchés, pour qu’on vous les pardonne, ». (Is. 43,26) « Le juste commence par s’accuser lui-même ». (Prov. 18,17) Il faut, en second lieu, nous humilier profondément ; car il y a là comme une chaîne d’or dont le premier anneau amène tous les autres. Une bonne confession amène l’humilité ; car, lorsqu’on réfléchit sérieusement à ses, fautes, on ne peut s’empêcher d’être humilié. Mais l’humilité ne suffit pas ; il faut ressentir ce qu’éprouvait le saint roi David, quand il disait : « Purifiez mon cœur, ô mon Dieu » ; et lorsqu’il disait encore : « Dieu ne dédaignera pas la prière d‘un cœur contrit et humilié » (Ps. 50,12, 19), car le pécheur contrit ne s’élève pas lui-même. Loin d’être agressif ; il est prêt à tout supporter. Oui : tel est l’effet de la contrition : l’âme ne se révolte ni contre l’outrage, ni contre les mauvais traitements ; l’âme ne s’éveille plus pour la vengeance. Après s’être humilié, il faut prier avec ardeur, il faut verser, nuit et jour, des larmes abondantes : « Toutes les nuits », dit le Psalmiste, j’arroserai mon lit de mes larmes ». (Ps. 6,7) « Je dévorais la cendre comme le pain, et mes larmes se mêlaient à mon breuvage ». (Ps. 101,10) A la prière, il faut joindre l’aumône. C’est l’aumône qui fait produire au remède de la pénitence son plein et entier effet. Les remèdes ordonnés par les médecins se composent souvent de certaines plantes, parmi lesquelles il y en a une qui est plus salutaire que toutes les autres. Il en est ainsi du remède de la pénitence. Parmi les ingrédients qui le composent, il se trouve une plante plus efficace que toutes les autres et qui est tout. Cette plante s’appelle l’aumône. Voici les paroles de l’Écriture sainte : « Faites l’aumône et vous serez purifiés ». (Lc. 11,41) « L’aumône et la foi sont, les deux grands moyens de purification ». (Tob. 4,11) « L’eau éteint le feu et la flamme ; l’aumône étouffe le péché. » (Sir. 3,30) Nous devons, outre cela, bannir de notre cœur la colère et les sentiments, de vengeance ; nous devons pardonner à tout le monde. « Eh quoi ! » dit l’Ecclésiaste, « l’homme veut que le Seigneur le guérisse et il garde sa colère contre son semblable ! » (Sir. 28,3) « Pardonnez », dit saint Matthieu, « pour que l’on vous pardonne ». (Mt. 6,14) Il faut travailler en outre à la conversion de ses frères : « Allez », est-il dit, « et convertissez vos frères » (Lc. 22,52), afin que vos péchés vous soient remis. Il faut se conduire convenablement envers les prêtres. « L’un d’entre eux pèche-t-il, il faut lui pardonner ». (Jac. 5,15) Il faut défendre et protéger les opprimés, se garder de la colère, se montrer en tout calme et modéré.
5. Eh bien ! avant de connaître quel est – le pouvoir de la pénitence pour effacer nos péchés, n’étiez-vous pas inquiets, à l’idée qu’il ne pouvait y avoir deux baptêmes et que vous n’aviez plus rien à espérer ? Mais aujourd’hui que vous connaissez les moyens de faire une bonne pénitence et d’obtenir la rémission de vos péchés, aujourd’hui que vous voyez dans la pénitence, si elle est ce qu’elle doit être une planche de salut, comment obtenir votre pardon, si vous ne vous souvenez même pas de vos fautes ? Si vous y songez, en effet, votre, tâche est accomplie. Quand on a dépassé le seuil, on est dans la maison, de même quand on repasse ses fautes en soi-même, quand, on fait, chaque jour, son examen de conscience, on parvient à s’en corriger. Mais si l’on se borne à dire : J’ai péché, sans penser aux diverses espèces de péchés que l’on a commis ; si l’on ne se dit pas : j’ai péché de telle et telle manière, on ne se corrigera jamais. On se confessera toujours et l’on ne songera jamais à s’amender. Commençons, entrons dans la voie de la pénitence et tout ira de soi-même. Ce qu’il y a de difficile, c’est de commencer. Jetons les bases de l’édifice ; le reste ira tout seul.
Commençons donc, je vous en prie : prions avec instance, pleurons sans cesse ou gémissons. Le moindre signe de repentir porte ses fruits. « J’ai vu », dit l’Écriture, « j’ai vu l’affliction du pécheur ; il marchait tristement et je lui ai aplani la voie ». (Is. 57,17) Ayons tous recours à l’aumône, au pardon, à l’oubli des injures, et renonçons à 1a vengeance, afin d’humilier nos âmes. Si nous ne perdons pas de vue nos péchés, les biens extérieurs ne pourront jamais enfler nos âmes. Les richesses, la puissance, le rang suprême, les dignités, les honneurs n’auront sur nous aucune influence ; quand nous serions assis sur un char royal, nous gémirons toujours avec amertume. Le bienheureux David aussi était roi et il disait : « J’arroserai, chaque nuit, mon lit de mes larmes ». (Ps. 6,6) La pourpre et le diadème ne gâtèrent point son cœur et ne lui donnèrent pas d’orgueil. Il n’oubliait pas qu’il était homme et, comme il avait la contrition, il se lamentait. Les choses humaines, en effet, ne sont que cendre et poussière, c’est une poussière que le vent dissipe ; c’est une ombre, une fumée ; c’est la feuille qui est le jouet d’un souffle, c’est une fleur, un songe, un bruit qui passe ; un air léger qui s’évanouit au hasard ; c’est la plume sans consistance qui s’envole ; c’est l’eau qui s’écoule ; c’est moins que tout cela… Qu’est-ce qu’il y a de grand ici-bas, je vous le demande ? Quelle est la dignité qui vous éblouit ? Est-ce la dignité consulaire, cette dignité qui, dans l’opinion du vulgaire, est le degré suprême de la grandeur ? Mais l’homme qui s’est trouvé revêtu d’une dignité aussi éclatante, l’homme qui s’est attiré tant d’admirateurs, n’est pas plus avancé que celui qui n’est pas consul. Ils sont égaux devant la mort ; encore un peu de temps, et tous les deux ne seront plus. Répondez combien de temps a duré cette splendeur ? Deux jours, l’espace d’un songe. Mais, me direz-vous, un songe n’est qu’un songe. Eh bien ! ce qui se passe ici-bas, en plein jour, n’est-ce pas un songe aussi ? Pourquoi donner un autre nom à ces événements ? Quand le jour paraît, le songe rentre dans le néant ; une fois la nuit venue, ces grands événements du jour ne sont plus rien. Eh bien ! le jour et la nuit ne se partagent-ils point la durée par égales portions ? Si donc ces agréables rêves d’une nuit ne laissent pas de trace pendant le jour, comment les événements de la journée laisseraient-ils pendant la nuit une impression de plaisir ? Vous avez été consul,.et moi aussi. La différence entre nous, c’est que vous avez été consul, pendant le jour, et moi pendant la nuit. Qu’en résulte-t-il ? C’est que vous n’êtes pas plus avancé que moi.
Mais, direz-vous peut-être, ce nom de consul que fon vous donne en réalité ne résonne-t-il pas à vos oreilles avec plus de douceur, et n’a-t-il pas tous les charmes de la renommée ? Eh quoi ! car je veux faire une supposition et m’expliquer plus clairement, une fois que j’aurai dit : Un tel est consul, une fois que je lui aurai donné ce nom, n’estce pas là un mot qui s’envole aussitôt qu’on le prononce ? Et certes, la chose a le même sort que le mot. Le consul ne fait que paraître, et il n’est déjà plus. Donnons à ce dignitaire un ou deux ans, trois ou quatre ans, pour rester consul… c’est bien assez. Car où trouver des hommes qui aient été consuls pendant dix ans ? Mais il n’en est pas ainsi de Paul. Tant qu’il a vécu, sa splendeur n’a pas été cette splendeur éphémère qui brille un ou deux jours, qui s’éclipse au bout de dix, de vingt ou de trente jours, qui s’efface au bout de dix ans, de vingt ans ou de trente ans. Quatre cents ans ont déjà passé sur sa cendre, et aujourd’hui il est plus illustre encore et bien plus illustre que de son vivant. Et je ne parle ici que de sa gloire terrestre ; car la gloire dont il est revêtu dans les cieux, quelle bouche pourrait l’exprimer ? Aspirons donc, je vous en prie, à cette gloire céleste ; tâchons de l’obtenir ; car c’est la seule gloire véritable. Laissons de côté les biens de cette vie, pour trouver grâce et miséricorde devant Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance et adoration, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X.

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LORSQU’UNE TERRE, SOUVENT ARROSÉE PAR LA PLUIE, PRODUIT DES HERBAGES UTILES A CEUX QUI LA CULTIVENT, ELLE REÇOIT LA BÉNÉDICTION DE DIEU ; MAIS QUAND ELLE NE JETTE QUE DES ÉPINES ET DES RONCES, C’EST UNE TERRE RÉPROUVÉE QUI EST MENACÉE DE LA MALÉDICTION DU SEIGNEUR, ET A LAQUELLE IL FINIT PAR METTRE LE FEU. (VI, 7, 8, JUSQU’À-12)

Analyse.

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  • 1. La terre dont il est question dans le septième et dans le huitième verset du chapitre VI, c’est l’âme humaine ; la pluie, c’est 1a doctrine céleste. – La crainte du Seigneur ne doit pas abandonner nos âmes.
  • 2. En méditant les paroles du verset 8, on voit que Dieu laisse jusqu’à la fin la porte du salut ouverte au repentir, et que lest à la persistance dans le mal qu’il réserve ses terribles châtiments.
  • 3. Paul, en parlant aux Hébreux, sait mêler, dans de justes proportions, l’éloge et le blâme. Il rappelle aux Hébreux leur passé ; il leur cite l’exemple d’Abraham.
  • 4. La charité du chrétien ne doit avoir rien de mesquin ni d’étroit. – Elle doit s’étendre aux laïques comme aux religieux, aux païens comme aux fidèles. – Il serait honteux pour lui de rester, en fait de charité, au-dessous du bon samaritain.


1. Écoutons avec crainte la parole de Dieu ; écoutons-la avec crainte et avec une crainte profonde. « Servez Dieu avec crainte », dit le Psalmiste, « et réjouissez-vous devant lui avec terreur ». (Ps. 2,11) Or, si notre joie et notre allégresse doivent être mêlées de terreur, que sera-ce donc quand nous entendrons des paroles, comme celles de ce chapitre, et quel châtiment ne méritons-nous pas si nous écoutons ces paroles sans émotion ? Après avoir dit que l’homme devenu pécheur après le baptême, ne peut en recevoir un second et obtenir, par ce second baptême, la, rémission de ses péchés, l’apôtre ajoute aussitôt : « Lorsqu’une terre, souvent arrosée par la pluie produit des herbages utiles à ceux qui la cultivent ; elle reçoit la bénédiction de Dieu. Mais, quand elle ne jette que des épines et des ronces, c’est une terre réprouvée qui est menacée de la malédiction du Seigneur, et à laquelle il finit par mettre le feu » : Tremblez donc, ô mes chers frères. Ces paroles menaçantes ne sont ni celles de saint Paul, ni celles d’un homme ; ce sont celles de l’Esprit-Saint, ce sont celles du Christ qui emprunte la voix de l’apôtre. Où trouver ces âmes qui ressemblent à des champs sans épines ? Quand nous serions tout à fait purs, il ne faudrait pas encore avoir, trop de confiance. Nous devrions toujours craindre, nous devrions toujours trembler de sentir les épines germer dans nos âmes. Mais, quand nous sommes au dedans tout hérissés d’épines, et de ronces, d’où nous vient tant de confiance, je vous le demande ? Pourquoi tant de paresse et tant de lenteur ? Quand on est debout, on doit craindre de tomber. « Que celui qui est debout prenne garde de tomber, dit saint Paul ». (1Cor. 10,12) À plus forte raison, quand on est tombé, on doit avoir peur de ne plus pouvoir se relever. Si Paul, ce prédicateur de la foi, cet homme juste craint d’être réprouvé (1Cor. 9,27) ; nous qui sommes – des réprouvés en effet, quel pardon pouvons-nous attendre, quand nous né craignons pas Dieu, quand nous remplissons nos devoirs de chrétiens par routine et à la légère ? Tremblons donc, ô mes chers frères « car Dieu manifeste sa colère du haut des cieux ». (Rom. 1,18) Cette colère éclate non seulement contre l’impiété, mais contre toute iniquité grande et petite.
Puis saint Paul fait allusion à la bonté de Dieu et à sa clémence. Cette pluie dont il nous-parle, c’est la doctrine céleste. Par ce seul mot, il rappelle ce, qu’il a dit plus haut : « Vous devriez déjà être des maîtres ». Dans maints passages de l’Écriture on rencontre cette comparaison de la doctrine céleste avec une pluie féconde. « J’ordonnerai aux nuages », dit le Seigneur, « de ne pas laisser tomber la pluie sur cette vigne ». (Is. 5,6) Ailleurs l’amour de la doctrine chrétienne est comparé à la faim et à la soif. (Amo. 8,11) Et dans un autre endroit, il est dit encore : « Le fleuve de Dieu coule à pleins bords ». (Ps. 64,10) Ces mots « une terre souvent arrosée par la pluie », montrent que les Hébreux ont entendu la parole de Dieu, mais que cette parole a arrosé leurs âmes sans les féconder. Paul semble dire à ses auditeurs : Si vos âmes n’avaient pas été cultivées et arrosées, votre malheur ne serait pas si grand. « Si je n’étais pas venu », est-il dit, « si je ne leur avais pas parlé, il n’y aurait pas eu péché de leur part ». (Jn. 15,22)
Mais, puisque vous avez reçu en abondance la parole de Dieu, pourquoi ces mauvaises herbes qui ont remplacé les fruits ? « J’attendais des raisins et je trouve des épines ». (Is. 6,2) Vous voyez que dans l’Écriture, les épines représentent toujours les péchés : « Je me suis tourné et retourné dans mon malheur, et les épines se sont enfoncées dans ma chair ». (Ps. 31,4) C’est que l’épine n’entre pas seulement dans l’âme, elle s’y enfonce. C’est qu’il en est du péché comme de l’épine ; si nous ne l’arrachons en, entier de notre âme, le peu qui reste, nous fait souffrir. Que dis-je ? le péché une fois arraché tout entier de notre âme, y laisse de douloureuses cicatrices. Il faut bien des remèdes, il faut un traitement assidu pour opérer la guérison pleine et entière de cette âme blessée et endolorie par le péché. Il ne suffit pas d’extirper le péché, il faut panser et soigner la plaie qu’il a faite. Mais j’ai bien peur que plus encore que les juifs, nous ne devions nous appliquer les paroles de l’apôtre : « Une terre souvent arrosée ». Cette parole de Dieu en effet descend sur nous sans cesse, elle imprègne sans cesse nos âmes. Mais, au premier rayon de soleil, toute cette pluie s’évapore, et voilà pourquoi nous ne produisons que des épines. Ces épines quelles sont-elles ? Écoutons-le Christ ; il nous dira que ce sont les préoccupations mondaines et les trompeuses richesses de cette terre qui étouffent la doctrine de Dieu et qui la rendent stérile. (Lc. 8,14) Notre âme, sans cela, serait « une terre fréquemment arrosée et produisant des plantes utiles ».
2. Il n’y a rien d’aussi utile que la pureté de la vie, rien qui offre un ensemble aussi harmonieux que la vie parfaite, rien qui convienne autant à l’homme que la vertu. « Produisant », est-il dit, « des herbages utiles à ceux qui la cultivent, elle reçoit la bénédiction de Dieu ». Il rapporte ici tout à Dieu, en attaquant indirectement les gentils qui attribuaient la production des fruits à la fertilité de la terre. Ce n’est pas la main du laboureur, dit-il, c’est l’ordre de Dieu qui lui fait porter ces fruits. « Elle reçoit la bénédiction de Dieu ». Et voyez comment il s’exprime en parlant des épines. Il ne dit pas « produisant », mot qui entraîne une idée d’utilité ; il dit : « Jetant » des épines. « Est une terre réprouvée », dit-il, « et menacée de la malédiction du Seigneur ». Ah ! combien ces paroles sont consolantes. Elle est menacée d’être maudite ; mais elle ne l’est pas encore. Or, quand on n’est pas encore maudit, quand on n’est encore que menacé, la malédiction peut être loin. Autre consolation : il n’a pas dit : C’est une terre à laquelle il mettra le feu, mais à laquelle il « finit » par mettre le feu. Ce châtiment est réservé à la terre qui continue jusqu’à la fin à être une mauvaise terre. Si donc nous chassons avec le fer et le feu les épines de notre cœur, nous pourrons jouir d’avantages sans nombre, nous pourrons être au nombre des bons, et participer à la bénédiction de Dieu. C’est avec raison qu’il compare les péchés à des ronces ; le péché en effet, annoncé partout son contact par des lésions, par des déchirements ; son aspect même est hideux et repoussant. Après les avoir frappés, épouvantés et piqués au vif, il met un baume sur les plaies qu’il leur a faites, pour qu’ils ne soient pas trop abattus ; car des coups trop violents changent la lenteur en apathie. Il ne les flatte pas trop, pour ne pas leur donner trop de confiance, il ne les frappe pas trop, de peur de les abrutir ; mais il mêle, dans de justes proportions, les coups qu’il porte et les remèdes, pour arriver à ses fins. Voici son langage : En vous parlant ainsi, nous n’avons pas pour but de vous condamner, nous ne vous regardons pas comme des natures hérissées d’épines, nous ne craignons même pas que vous soyez jamais ainsi, mais nous aimons mieux vous imposer une crainte salutaire que de vous voir souffrir un jour. Voilà comment saint Paul sait s’y prendre. Il n’a pas dit : Nous pensons, nous conjecturons, nous espérons que vous serez sauvés ; il a dit : « Nous avons confiance en vous », nous attendons de vous une conduite meilleure et plus en rapport avec votre salut. Il écrivait aux Galates J’espère de la bonté du Seigneur que vous n’aurez pas d’autres sentiments que les miens. (Galates, 5,10) Il parle ainsi pour l’avenir ; car il avait réprimandé les Galates ; et leur conduite ; pour le moment, ne méritait pas ses éloges. Mais dans cette épître aux Hébreux, il parle du présent. « Nous avons confiance, nous augurons ».
Mais n’ayant pas grand-chose de bon à dire de l’état des juifs, à l’époque où il parle, il cherche dans leur passé des motifs de consolation qu’il leur présente en ces termes : « Dieu n’est pas injuste pour oublier vos bonnes œuvres et la charité que vous avez témoignée par l’assistance que vous avez rendue en son nom et que vous rendez encore aux saints (10) ». Ah ! comme il sait bien ranimer, raffermir leurs âmes, en leur rappelant le passé, en leur rappelant que Dieu n’a rien oublié ! Le moyen d’éviter le péché en effet, si l’on ne croit pas fermement à la justice des jugements de Dieu, si l’on ne croit pas fermement qu’il, récompensera chacun selon ses œuvres ? Sans cette conviction, comment peut-on croire à la justice de Dieu ? Il force donc les Hébreux à tourner leurs regards vers l’avenir. Car l’homme que le présent décourage et désespère, peut encore puiser dans la contemplation de l’avenir une certaine confiance. Voilà pourquoi il écrivait aux Galates : « Vous couriez si bien autrefois. Qui donc est venu enchaîner votre ardeur ? » Puis : « Avez-vous donc souffert en vain tant d’épreuves, si toutefois vous les avez souffertes en vain ? » Dans cette épître aux Hébreux ne leur dit-il pas, d’un ton de reproche qui renferme aussi un éloge. Depuis le temps que vous apprenez, vous devriez être des maîtres ? Eh bien ! Il dit aussi aux Galates : « Je m’étonne que vous ayez changé si vite ». Cet étonnement implique un éloge ; car lorsqu’on a fait de grandes choses et qu’on ne les fait plus, nous nous étonnons. Voyez-vous maintenant comme, sous l’accusation et la réprimande, l’apôtre s’entend bien à cacher un éloge ? Et il ne parle pas en son nom ; il parle au nom de tout le monde. Il ne dit pas : J’ai confiance, mais : « Nous avons confiance en vous. « Nous augurons mieux de votre salut » : c’est-à-dire de votre conduite à l’avenir ou de la rémunération qui vous attend. S’il, a parlé plus haut de cette terre réprouvée qui est menacée de la malédiction et du feu, il prévient toute application que les Hébreux pourraient se faire à eux-mêmes de ces paroles, et il se hâte d’ajouter : « Dieu n’est point injuste pour, oublier vos œuvres et votre charité », leur montrant par là que ce qu’il a dit plus haut ne s’applique pas directement à eux. Mais si ces menaces ne s’appliquent pas à nous, pourraient objecter ses auditeurs, pourquoi ces paroles qui semblent nous reprocher notre paresse ? Pourquoi nous rappeler cette terre qui jette des épines et dés ronces ? « Nous désirons », dit l’apôtre, « que chacun de vous fasse paraître jusqu’à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie et que vous ne soyez point paresseux, mais que vous vous rendiez les imitateurs de ceux qui, par leur foi et par leur « patience, sont devenus les héritiers des promesses (11, 12) ».
3. Nous désirons, dit-il, et notre désir est bien réel. Mais que désirez-vous, ô saint apôtre ? Nous désirons que vous persévériez dans la vertu, non parce que nous condamnons votre passé, mais parce que nous craignons pour l’avenir. Il n’a pas dit : Ce n’est pas votre passé que je condamne, c’est le présent, c’est votre dissolution, c’est la paresse dans laquelle vous êtes tombés. Non, le reproche, il le leur adresse avec douceur et à, mots couverts ; il ne les frappe pas brutalement. Que dit-il en effet ? Il dit : « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu’à la fin le même zèle ». Paul, en cette circonstance, fait preuve d’un tact admirable. Il ne leur met pas sous tes yeux leur tiédeur. « Nous souhaitons que chacun de vous fasse paraître jusqu’à la fiai le même zèle », leur dit-il ; c’est-à-dire : Je fais des vœux pour que votre ardeur ne se refroidisse pas, pour que vous soyez maintenant et toujours tels qu’on vous a vus d’abord. Ces ménagements ôtent l’amertume du reproche qui de cette manière est accepté facilement. Et encore ne dit-il pas : Je veux ; ce n’est pas un maître qui commande ; c’est un père, bienveillant qui exprime un souhait. « Nous désirons » ; c’est comme s’il s’excusait d’avoir quelque chose de pénible à leur dire. « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu’à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie ». Quel est le sens de ces mots ? L’espérance, dit-il, vous soutient et vous ranime. Ne vous laissez point abattre, ne vous désespérez pas ; vos espérances ne seront point vaines. Quand on fait bien, on doit avoir bon espoir, on ne doit jamais désespérer. « Afin que vous ne deveniez point paresseux ». Il leur a dit plus haut : « Vous êtes devenus inattentifs ». Mais, en parlant ainsi, il ne s’en prend qu’à leur inattention du moment, maintenant ses paroles ont un autre sens. Il était sur le point de leur dire : Ne persistez pas dans votre tiédeur, mais il leur dit : Gardez-vous de tomber dans la paresse. II parle pour l’avenir, et ses paroles n’ont rien de compromettant ; car on ne peut condamner l’avenir qui n’existe pas encore. Dire à un homme négligent : Maintenant faites diligence et montrez-vous vigilant, c’est peut-être le moyen de le rendre plus négligent et plus paresseux. Mais, quand on dit : « A l’avenir », il n’en est pas ainsi. « Nous désirons ;», dit-il, « que chacun de vous fasse paraître le même zèle ». C’est un langage plein de bienveillance ; il s’occupe des grands et des petits ; il les connaît tous, il ne méprise personne ; tous ses auditeurs ont également part à sa sollicitude et à sa considération. C’est ainsi qu’il leur faisait accepter sa parole, quelque sévère, quelque amère qu’elle fût. « Il ne faut pas que vous deveniez paresseux », dit-il, car, si la paresse altère les forces physiques, elle rend l’âme moins ardente pour le bien, elle l’énerve, elle l’affaiblit.
« Imitez », dit-il, « ceux qui par leur foi et par leur patience sont devenus les héritiers des promesses ». Et ceux-là quels sont-ils ? Il vous le dit plus bas. Marchez sur les traces de votre passé. Et, pour qu’ils ne l’interrogent plus à ce sujet, il remonte jusqu’à Abraham le patriarche, il leur montre le beau côté de leur propre histoire, il leur offre, pour affermir leurs âmes, l’exemple du saint patriarche. Il ne veut pas qu’ils se regardent comme une race dédaignée, comme une race sans valeur et abandonnée de Dieu. Il faut qu’ils se pénètrent de cette vérité, qu’il appartient aux âmes nobles et courageuses de traverser les épreuves, et que Dieu s’est – servi des grands hommes, pour offrir cet exemple au monde. Il faut, dit-il, tout supporter avec patience ; cette patience est encore de la foi. Car si celui qui vous, fait une promesse (accomplit à l’instant même, quelle occasion avez-vous eue de prouver votre confiance en lui ? Le mérite n’est plus de votre côté ; il est du mien. C’est moi qui ai prouvé tout d’abord ma fidélité à tenir ma parole. Mais si je vous dis : Voilà un don que je vous promets et si je ne vous fais ce don que dans cent ans, sans que, pour cela, vous ne cessiez de compter sur moi, oh ! alors, c’est que vous avez confiance en moi, c’est que vous avez de moi l’opinion que je mérite. Vous voyez que l’incrédulité prend souvent sa source, non seulement dans le désespoir, mais encore dans la faiblesse, dans l’impatience ; vous voyez qu’elle ne vient pas de celui qui promet. « Dieu n’est pas injuste », dit l’apôtre, « pour oublier la tendre sollicitude que vous avez témoignée par les assistances que vous avez rendues en son nom et que vous rendez encore aux saints ». Voyez comme il les ménage et comme il insiste sur ce point, Cette tendre sollicitude, ce n’est pas seulement aux, saints, c’est à Dieu même que vous l’avez témoignée. Tel est le sens de ces trois mots : « En son nom », c’est comme s’il disait : C’est pour la gloire de son nom que vous avez tout fait, et celui auquel vous avez témoigné cette tendre sollicitude ne vous dédaignera jamais et ne vous oubliera pas.
4. Soyons attentifs à ces paroles, et prêtons aux saints notre assistance, car tous les fidèles sont des saints tant qu’ils restent fidèles. Qu’ils soient laïques et séculiers, peu importe. L’apôtre ne dit-il pas : « Le mari infidèle est sanctifié par une épouse fidèle, et l’épouse infidèle par un mari fidèle ? » Voyez comme la foi sanctifie. Si donc nous voyons un laïque dans le malheur, tendons-lui la main Que les solitaires qui se sont retirés sur la montagne ne soient pas les seuls objets de notre sympathie. Ils sont saints en même temps par leur vie et par leur foi : Mais, outre ces hommes, il en est d’autres qui sont saints par leur foi, et beaucoup d’autres par leur vie. Entrons dans le cachot du moine ; mais pénétrons aussi dans celui du laïque. Le laïque aussi est un saint ; le laïque aussi est notre frère. Mais si c’est un pécheur souillé de crimes ? Eh bien ! n’entendez-vous pas la voix du Christ qui vous dit : Ne lugez pas les autres, pour n’être pas jugés vous-mêmes ? (Mt. 7,1) Faites cela pour Dieu. Mais que dis-je ? Quand cet infortuné serait un païen, il faudrait encore le secourir. Il faut secourir en un mot tous les malheureux, mais surtout les laïques, quand ce sont des fidèles. Écoutez cette parole de Paul : « Faites du bien à tout le monde », mais surtout « aux fidèles qui servent, comme vous, le Seigneur ». (Gal. 6,10) Je ne sais où nous avons pris cette ; habitude qui s’est introduite chez nous. Mais rechercher exclusivement, pour répandre sur eux ses bienfaits, les hommes voués à la vie monastique, entrer dans mille détails minutieux et dire : Si ce n’est pas un digne homme, si ce n’est pas un juste, s’il ne fait pas de miracles, je ne lui tends pas la main, c’est rapetisser la charité, c’est, même l’anéantir avec le temps. Oui telle est la nature de la charité, qu’il faut la faire même aux pécheurs, même aux coupables. Être charitable ; c’est avoir pitié non seulement des bons, mais des pécheurs.
Pour vous en convaincre, écoutez cette parabole du Christ : « Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs ». (Lc. 10,30, etc) Ils le maltraitèrent et s’en allèrent, le laissant sur la route blessé et demi-mort. Survint un lévite qui aperçut le blessé et qui passa son chemin. Un prêtre en fit autant ; il vit ce malheureux et passa outre. Mais un Samaritain étant venu à l’endroit où était cet homme, en prit le plus grand soin. Il pansa ses blessures, y versa de l’huile, et l’ayant mis sur un âne, il le conduisit à une hôtellerie, et le recommanda à l’hôte. Et voyez la générosité de ce Samaritain : Je vous rembourserai de tous vos frais, dit-il à l’hôte. Eh bien ! dit Jésus à un docteur de la loi, quel est du lévite, du prêtre ou du Samaritain, celui qui s’est montré le prochain de cet homme ? » Le docteur lui répondit : « C’est celui qui a exercé la miséricorde envers lui ». « Allez donc », lui dit Jésus, « et faites de même ». Comprenez-vous le sens de cette parole ? Il n’y est pas fait mention de la reconnaissance du juif pour le Samaritain, mais de la conduite généreuse de ce dernier. La morale de cette parabole, c’est que notre charité doit être universelle, qu’elle ne doit pas s’étendre uniquement aux fidèles qui servent le Seigneur comme nous. Vous aussi faites comme le Samaritain. Si vous voyez un malheureux, n’en demandez pas davantage ; son malheur est un titre qui lui donne droit à votre assistance. Si vous secourez un âne qui va périr, sans demander à qui il appartient, vous devez à plus forte raison secourir un homme, sans vous demander' s’il appartient à Dieu, s’il est juif ou païen. Si c’est un infidèle, c’est une raison de plus pour venir à son secours. S’il vous était permis d’examiner qui il est, et de le juger, toutes vos réflexions pourraient être raisonnables ; mais son malheur vous ôte le droit de l’examiner. Car, s’il ne faut pas s’enquérir curieusement de ceux qui sont dans un état florissant, s’il ne faut pas se mêler des affaires des autres, la curiosité est encore bien plus condamnable, quand elle s’exerce aux dépens d’un malheureux. Mais vous, que faites-vous ? Lorsque vous traitez cet homme de méchant et de pervers, est-il dans la prospérité, est-il tout brillant de gloire et de renommée ? Non : cet homme est malheureux. Eh bien ! respect au malheur ; ne traitez pas un infortuné de méchant et de pervers. C’est à celui que l’éclat environne qu’il faut adresser de semblables épithètes. Mais, quand un homme est dans le malheur, quand il a besoin de secours, il y aurait de la cruauté, il y aurait de l’inhumanité à l’appeler méchant et pervers.
Quoi de plus injuste que les juifs ? Cependant, tout en les punissant, comme ils le méritaient, Dieu a jeté un regard favorable sur ceux qui avaient pitié d’eux, et il a puni à leur tour ceux qui insultaient et qui applaudissaient à leur malheur. « Ils n’étaient pas touchés », est-il dit, « de la contrition de joseph ». (Amo. 6,6) Et il est dit – encore : « Rachetez les captifs que l’on est en train d’immoler ; pour les racheter, n’épargnez pas vos richesses ». (Prov. 24,31) Le livre ne dit pas : Examinez bien cet homme et sachez qui il est : car il est vrai de dire que ces esclaves ont pour la plupart bien des défauts. Mais le livre dit simplement : « Rachetez-les », quels qu’ils soient. Voilà surtout ce qui constitue la charité. Faire du bien à un ami, en effet, ce n’est pas agir en vue de Dieu ; mais faire du bien à un inconnu, voilà ce qui s’appelle faire le bien pour Dieu, dans toute la pureté, dans toute la sincérité de son âme. L’Écriture dit : N’épargnez pas vos richesses ; s’il tant donner tout l’or que vous possédez, donnez-le. Et nous, à l’aspect de nos frères qui périssent, qui se lamentent, qui souffrent, injustement parfois, des tourments mille fois plus cruels que la mort, c’est notre argent, ce ne sont pas nos frères que nous épargnons. Nous ménageons ce qui n’a point d’âme, sans nous inquiéter des êtres animés. Cependant Paul nous dit : « Il faut reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l’espérance que Dieu pourra leur donner un jour l’esprit de pénitence, pour la leur faire connaître, et qu’ainsi ils sortiront des pièges du démon qui les tient captifs, pour en faire ce qu’il lui plaît ». (2Tim. 2,25-26) « Dans l’espoir ». Quelle patience sublime exprimée parce seul mot ! Faisons donc ainsi et ne désespérons de personne. Les pécheurs jettent souvent leurs filets à la mer, sans rien prendre ; mais s’ils persévèrent, ils finissent par faire une bonne pêche. C’est pourquoi nous aussi nous ne désespérons pas et nous attendons que nos instructions portent leurs fruits et que ces fruits mûrissent dans vos âmes. Quand le laboureur a semé, il attend un jour, deux jours, bien des jours encore ; puis tout à coup il voit de toutes parts germer la moisson. Cette moisson, nous l’attendons comme lui et nous la recueillerons dans vos âmes, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. BAISSEY.

HOMÉLIE XI.

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CAR DIEU, DANS LA PROMESSE QU’IL FIT A ABRAHAM, N’AYANT POINT DE PLUS GRAND QUE LUI PAR QUI IL PUT JURER, JURA PAR LUI-MÊME. (VI, 13, JUSQU’À 19)

Analyse.

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  • 1 et 2. Abraham est cité comme type de l’espérance chrétienne. – Il a vu se réaliser certaines promesses dans le temps ; il a attendu la réalisation des autres dans une vie meilleure. – La promesse de Dieu est appuyée de son serment. – Le Père et le Fils s’abaissent à nos usages pour exciter notre foi et notre espérance. – L’espérance est une ancre solide, et Jésus est notre précurseur au ciel.
  • 3 et 4. Le sacrifice que Dieu demande est, avant tout, celui du cœur et l’offrande de la vertu. – Bien noble est aussi le sacrifice du corps, le martyre volontaire de la pénitence. – Le sacrifice de l’argent par l’aumône complète notre holocauste. – Ayons l’intelligence du pauvre. – Vaines excuses pour ne pas donner ; reproches cruels faits aux pauvres. – La malignité accuse même les moines mendiants.


1. L’apôtre avait commencé par remuer fortement, par effrayer saintement, ses chers Hébreux. Maintenant il leur donne une double consolation la louange d’abord, et bientôt, ce qui est plus encourageant encore, l’assurance certaine de posséder un jour ces biens qui font l’objet de leur espérance. Et cette consolation il la tire non du présent, mais encore une fois du passé : ce qui était plus persuasif pour eux. De même que pour les effrayer davantage, il leur a fait envisager le châtiment à venir, de même, pour mieux les consoler maintenant, il leur fait entrevoir les récompenses futures. Il montre aussi que la conduite ordinaire de Dieu est non pas de réaliser sur-le-champ ses promesses, mais de les ajourner au contraire longtemps. Et ce plan divin révèle deux intentions : Dieu veut d’abord nous donner ainsi une preuve dé sa grande puissance, puis nous exciter à la confiance en lui, afin que vivant au sein des tribulations sans recevoir encore les récompenses promises, nous soyons engagés à ne point défaillir à la peine. Oubliant tous les autres modèles en ce genre, bien qu’il en ait beaucoup, saint Paul met en scène Abraham, tant à cause de la dignité de ce grand homme, que parce que, plus que personne, il a ici donné l’exemple. Il avoue, cependant, à la fin de son épître, que tous les élus de l’Ancien Testament dont il rappelle la mémoire, après avoir contemplé et embrassé de loin tes promesses, ne les ont pas reçues toutefois ; Dieu n’ayant pas voulu qu’ils fussent couronnés sans nous.
« Car Dieu, dans la promesse qu’il fit à Abraham, n’ayant point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, jura par lui-même, et lui dit ensuite : Soyez assuré que je vous comblerai de mes bénédictions et que je multiplierai votre race à l’infini ; et ayant ainsi attendu avec patience, il a obtenu l’effet de ses promesses (13-15) ». Comment donc l’apôtre, à latin de cette épître, avance-t-il qu’Abraham même ne reçut point l’accomplissement des promesses, tandis qu’ici, selon lui, sa longue patience lui en obtint l’effet ? En quel sens n’a-t-il pas reçu ? En quel sens a-t-il obtenu ? – C’est qu’il ne s’agit pas des mêmes promesses et récompenses dans les deux passages. Abraham a été, lui, doublement couronné. Des promesses lui ont été faites. Les premières, celles dont il s’agit ici, se réalisèrent dans sa vie après un long délai, mais non pas les secondes ; celles-ci regardent un autre avenir ; dans les deux cas, au reste, sa longue patience lui en valut l’accomplissement. Voyez-vous que la promesse à elle seule n’a pas tout fait, mais qu’il fallut encore une longue patience ? Cette réflexion de l’apôtre est faite pour inspirer aux Hébreux la terreur, en leur apprenant que souvent la promesse se brise contre une honteuse pusillanimité. Et il le prouve par l’histoire de son peuple. C’est par le fait de leur étroitesse de cœur que les Israélites n’ont pas atteint le but de la promesse ; Abraham lai sert à montrer tout l’opposé. Quant aux paroles qui terminent son écrit, elles nous apprennent que ceux mêmes dont la longue patience n’a pas été couronnée par le succès, ne se sont pas pour cela découragés. « Les hommes jurent par un plus grand qu’eux-mêmes, et le serment à leurs yeux doit clore tout débat important. Or, Dieu ne pouvant jurer par un plus grand que lui a juré par lui-même (16) ». C’est vrai. Mais qui est celui qui fit à Abraham ce serment ? N’est-ce pas le Fils ? Non, dites-vous. – Et pourquoi dites-vous non ? – C’est bien certainement lui ; mais je ne dispute pas. Car, lorsqu’il se sert lui-même de cette formule de serment : « En vérité, en vérité, je vous le dis », n’est-ce pas, de fait, parce qu’il n’a pas non plus de supérieur par qui il puisse jurer ? En effet, aussi bien que le Père, le Fils jure par lui-même, quand il s’exprime ainsi : « Eu vérité, en vérité, je vous le a dis ». L’apôtre rappelle aux Hébreux les formules de serment dont le Christ usait si fréquemment : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi ne mourra point éternellement ». Mais que veut dire ceci : « Le serment clôt et confirme toute controverse ? » – Comprenez que le serment, dans toute discussion, fait évanouir les doutes ; et entendez-le, non de telle ou telle discussion, mais de toutes en général. Cependant, même sans ajouter de serment, Dieu doit avoir toute notre foi.
« C’est pourquoi Dieu voulant faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse, la fermeté immuable de sa résolution, a employé le serment (17) ». Ces « héritiers » comprennent aussi les chrétiens fidèles, et c’est pourquoi l’apôtre rappelle cette promesse faite à toute la communauté des croyants. Il a, dit-il, employé le moyen du serment. Ce serment qui sert de moyen terme, nous rappelle que le Fils a été intercesseur entre Dieu et nous. « Afin qu’étant appuyés sur ces deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe… (18) ». Quelles sont ces deux choses ? Sa parole et la promesse d’une part, et de l’autre le serment qu’il ajoute à sa promesse. Car, comme chez les humains, le serment paraît plus croyable que la simple affirmation, il a bien voulu le donner par surcroît.
2. Vous voyez que Dieu ne tient pas compte de sa dignité, mais que son but est de persuader les hommes ; à ; ce prix, il permet qu’on parle de lui-même en termes si peu dignes, parce qu’il veut nous convaincre pleinement et sûrement. Dans le fait d’Abraham, l’apôtre nous montre que tout vient de Dieu, et non pas de la longue patience de ce patriarche, puisque Dieu daigne et promettre et jurer. Les hommes jurent par Lui ; Dieu aussi jure par lui-même ; mais les hommes lui font appel comme à plus grand qu’eux ; lui qui ne peut invoquer plus grand que soi, s’invoque cependant. Car il y a une grande différence qu’un homme jure par soi ou jure au nom de Dieu, puisque l’homme n’est aucunement maître de sa chétive personnalité. Or, voyez que ces paroles ne sont pas plus à l’adresse d"Abraham qu’à la nôtre. « Ayons », dit l’apôtre, « ayons, une très-solide consolation, nous qui avons mis, notre refuge dans la conquête des biens qui nous sont proposés par l’espérance ». Ici encore la réalisation des promesses est présentée comme étant l’effet de la patience de l’attente et non pas du serment.
Quant à la nature du serment, il la définit en disant qu’on jure par plus grand que soi. C’est parce que les hommes sont incrédules, que Dieu s’abaisse ainsi à nos idées et à nos exemples. Oui, c’est à cause de nous qu’il fait serment, bien que ce soit une indignité de ne pas le croire simplement. C’est dans le même sens qu’il est écrit : « Il a appris par, les épreuves qu’il a subies », parce que aux yeux des hommes, pour être plus digne de foi sur un point, il faut en avoir fait l’expérience. – Qu’est-ce que « l’espérance proposée ? » Que le passé, dit-il, nous garantisse l’avenir. Car si une première promesse s’est ainsi réalisée après un long délai, ainsi bien certainement en sera-t-il des secondes promesses. Ce qui est arrivé à Abraham, nous fait foi des biens à venir.
« Espérance qui sert à notre âme comme d’une ancre ferme et assurée et qui pénètre jusqu’au dedans du voile, ou Jésus comme précurseur est entré pour nous, ayant été établi Pontife éternel selon l’ordre de Melchisédech (19. 20) ». Bien que nous soyons encore dans ce monde, et non délivrés de la vie présente, l’apôtre nous montre en possession des promesses. Grâce à l’espérance, en effet, nous sommes déjà dans les cieux. Attendez, nous dit-il, le succès est certain. Et bientôt nous apportant une conviction pleine et définitive ; pour mieux dire, s’écrie-t-il, l’espérance vous met déjà en possession. Il ne dit pas : Nous sommes dans le ciel, mais : Notre espérance y est entrée, ce qui est plus vrai et plus persuasif. Telle, en effet, que l’ancre une fois fixée ne laisse plus ballotter follement le navire, mais qu’en dépit des vents qui le battent, cette ancre fixée le rend ferme et immobile, ainsi fait l’espérance. Et voyez quelle justesse dans la comparaison employée par l’apôtre. Il dit une ancre, et non pas un fondement, qui rendrait mal l’idée. Car tout en flottant sur l’eau, tout en ne paraissant avoir ni fermeté, ni stabilité, un navire se maintient sur l’eau comme sur la terre, chancelant et ne chancelant point, tour à tour. Ceux qui sont très-fermes, très-solides, vraiment sages, se trouvent admirablement dépeints dans la, parabole du Sauveur : « Ils ont », dit-il, « bâti leur maison sur la pierre ». (Mt. 7,24) Mais au contraire ceux qui déjà s’affaissent et veulent être portés par l’espérance, trouvent leur portrait dans ces paroles de saint Paul. Les vagues et l’effort d’une violente tempête secouent une barque ; mais l’espérance l’empêche d’être emportée à l’aventure, par les vents qui sans cesse l’agitent. Si donc nous n’avions pas eu cette espérance, déjà depuis, longtemps nous aurions sombré. Et ce n’est pas seulement dans les choses spirituelles, c’est aussi dans les nécessités de la vie que vous retrouvez cette salutaire vertu de l’espérance, par exemple : dans le commerce, dans le labour, sous les drapeaux ; nul, s’il n’avait devant soi l’espérance, ne pourrait seulement mettre la main à l’œuvre. L’apôtre ne l’appelle pas simplement une ancre, il ajoute ancre ferme et inébranlable, pour montrer quelle fermeté elle procure à ceux qui s’appuient sur elle pour être sauvés. Aussi ajoute-t-il : Qu’elle pénètre jusqu’au dedans du voile, c’est-à-dire qu’elle monte jusqu’au ciel.
A l’espérance l’apôtre ajoute la foi, pour que nous n’ayons pas seulement l’espérance vague, mais la ferme et véritable espérance. Après le serment divin, il place une nouvelle démonstration par les faits eux-mêmes ; je veux dire, par ce fait, que Jésus, comme précurseur, est entré pour nous. Un précurseur est précurseur de quelqu’un, comme Jean le fut de Jésus-Christ. Et il ne dit pas seulement : Il est entré, mais : « Où comme précurseur il est entré pour nous », parce que, nous aussi, nous devons arriver au même terme. La distance ne doit pas même être bien grande entre le précurseur et ceux qui le suivent ; autrement il ne serait plus leur précurseur. Le précurseur et les suivants sont nécessairement sur la même route ; l’un ouvre là marche, les autres le pressent. « Ayant été établi Pontife éternel selon l’ordre de Melchisédech ». Voilà encore une consolation, puisque notre Pontife est à une telle hauteur et qu’il l’emporte si fort sur ceux des Juifs non seulement quant au mode du sacrifice, mais quant à la résidence, au tabernacle, au testament, à la personne. Ce qu’on dit ici de Jésus, est dit de Jésus comme homme.
3. Fidèles d’un tel prêtre, nous devons donc nécessairement être d’autant plus parfaits ;, oui, foute la distance qui sépare Jésus-Christ d’Aaron doit se retrouver entre nous et les Juifs. Voilà qu’en effet au ciel nous avons notre victime, au ciel notre Prêtre, au ciel notre sacrifice. Offrons donc des hosties dignes d’être placées sur un autel semblable, non plus, par conséquent, des bœufs et des brebis, non plus de la graisse et du sang. Ces symboles sont abolis et remplacés par l’introduction d’un culte raisonnable. Et qu’appelé-je un culte raisonnable ? Les offrandes de l’âme, de l’esprit. « Dieu est esprit », dit le Seigneur, « et ceux qui l’adorent, doivent l’adorer en esprit et en vérité » (Jn. 4,24), ce qui ne réclame ni le corps, ni les instruments, ni les lieux, mais bien la modestie, la tempérance, l’aumône, le support mutuel, la douceur, la patience. Ces sacrifices ont été figurés déjà dans les siècles passés. « Offrez », dit David, « offrez au Seigneur un sacrifice de justice. Oui, je vous sacrifierai une victime de louanges ; c’est un sacrifice de « louange qui me glorifiera devant Dieu, un esprit pénitent est un sacrifice ». (Ps. 4,6 ; 115, 17 ; 49, 23 et L, 19) – « Que vous demande le Seigneur, sinon que vous l’écoutiez ? » (Mic. 6,8) – « Les holocaustes offerts pour les péchés ne vous étaient plus agréables ; alors j’ai dit : Je viens pour faire, ô mon Dieu, votre volonté ». (Ps. 50,18 et 39, 8, 9) Et en d’autres Prophètes : « Pourquoi m’apportez-vous l’encens de Saba ? » (Jer. 6,20) – « Éloignez de moi le son de vos cantiques : je n’écouterai plus les accents, de vos instruments de musique ».(Amo. 5,23) « Au lieu de tout cela, je veux la miséricorde et non le sacrifice ». (Os. 6,6)
Voyez-vous quels sacrifices rendent Dieu propice ? Voyez-vous qu’il y a déjà plusieurs siècles que, cette sorte d’offrande est sans valeur, tandis qu’une offrande nouvelle y a été substituée ? Présentons celle-ci. La première est le fait de là richesse et de ceux qui la possèdent ; la seconde est le propre de la vertu. L’une est extérieure, l’autre intérieure. Les premiers venus pouvaient pratiquer celle-là ; celle-ci est l’œuvre du petit nombre : Autant l’homme est meilleur et d’un plus grand prix que la brebis, autant notre sacrifice l’emporte sur l’ancien. Ici, en effet, vous apportez votre âme comme victime.
Toutefois il y a d’autres hosties encore, et qui sont à la lettre des holocaustes : j’ai nommé le corps de nos martyrs ; en eux, corps et âme, tout est saint. Tout, chez eux, respire un parfum d’agréable odeur. Et vous aussi, si vous le voulez, vous pouvez offrir un sacrifice de ce genre. Pourquoi regretter de n’avoir pu livrer votre corps aux flammes ? Ne pouvez-vous le consumer par un autre feu, par celui de la pauvreté volontaire, par celui de la souffrance ? En effet, avoir la faculté de mener vie joyeuse, abondante, délicate ; et choisir un régime laborieux et crucifiant, et mortifier ainsi votre corps, n’est-ce pas vraiment offrir un holocauste ? Frappez de mort, crucifiez cette chair, et vous recevrez la couronne d’un si noble Martyre. Ce que le glaive fait ailleurs, l’ardent héroïsme de votre cœur le reproduit ici. Que l’amour de l’argent ne vous brûle ni ne vous captive ; mais que le feu de l’esprit chrétien, au contraire, dévore et consume cette cupidité honteuse et criminelle ; qu’elle tombe sous ce glaive spirituel. Voilà un beau sacrifice ; il n’a pas besoin d’une main sacerdotale, mais la victime elle-même doit l’offrir ; il s’achève dans ce bas monde, mais il monte aussitôt vers les célestes hauteurs. N’admirons-nous pas qu’autrefois le feu, descendant du ciel, dévorait une oblation ? Il se peut, aujourd’hui même, qu’il descende encore un leu bien autrement admirable, et qui dévore toute une offrande, ou plutôt, non, qui ne la dévore pas, mais la transporte tout entière au ciel ! Loin de réduire nos dons en cendres, cette flamme les offre à Dieu. Telles étaient les offrandes de Corneille dont il est dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence et au souvenir de Dieu ». (Act. 10,4) Comprenez-vous – ce qu’il y a d’excellent dans l’union de ces deux œuvres ? Oui, nous sommes exaucés, quand nous exauçons nous-mêmes le pauvre qui nous prie. « Celui », dit l’Écriture, « celui qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la prière du pauvre, est certain que Dieu n’entendra pas non plus ses prières (Prov. 21,13). Bienheureux qui a l’intelligence des misères du pauvre et l’indigent : au jour mauvais, Dieu le délivrera ». (Ps. 40,2) Ce jour mauvais n’est autre chose que celui qui sera si redoutable aux pécheurs. Mais que veut dire « cette intelligence du pauvre ? c’est l’étude de l’indigence, c’est le zèle à connaître ses souffrances. Car quiconque aura compris ces souffrances du pauvre, bien certainement en prendra pitié. Si donc vous voyez un nécessiteux, ne passez pas votre chemin, mais plutôt pensez à ce que vous seriez, si vous étiez à sa place. Que ne voudriez-vous pas alors que chacun fit pour, vous ? Celui qui a l’intelligence, dit l’Esprit-Saint ; réfléchissez donc que le pauvre est comme vous, un homme libre, qu’il partage vos titres de noblesse, que tout est commun entre lui et vous ; hélas ! et souvent, vous ne le faites pas même l’égal de vos chiens, que vous rassasiez de pain, tandis que lui s’endort avec la faim ; souvent cet homme libre est rabaissé, dégradé au-dessous de vos esclaves. – Mais, direz-vous, ceux-ci nous rendent service. En quoi ? Ils vous sont utiles ? Alors que direz-vous si je vous montre que, bien plus qu’eux, l’indigent travaille pour vos intérêts ? Car c’est lui qui sera votre défenseur au jour du jugement ; c’est lui qui vous arrachera aux flammes dévorantes. Quel service pareil vous rendent jamais vos esclaves ? Quand Tabitha mourut, qui donc la ressuscita, de ses esclaves nombreux ou des pauvres mendiants ? Mais vous, de cet homme libre vous ne voulez pas faire l’égal même d’un esclave. Le froid est intense, et le pauvre git, couvert de haillons, mourant les dents serrées et grinçantes ; horrible tableau fait pour, émouvoir ! Et vous, bien réchauffé, bien repu, vous passez ! Comment voulez-vous que Dieu vous sauve, quand vous serez sous le poids du malheur ?
Souvent vous osez dire : « Si c’était moi, si j’avais surpris quelqu’un à m’offenser beaucoup, volontiers j’aurais pardonné, et Dieu ne pardonne pas ! » Oh ! ne tenez point ce langage ; car voici un homme qui n’a aucunement péché contre vous, vous pouvez le sauver, et vous le méprisez. Si vous le méprisez, comment Dieu vous pardonnera-t-il, à vous qui péchez contre sa Majesté sainte ? De pareils méfaits ne méritent-ils point l’enfer ? Mais faut-il s’en étonner ? Souvent vous prodiguez à un cadavre privé de sentiment, incapable d’apprécier cet honneur funèbre, vous prodiguez, dis-je, les vêtements les plus variés, les tissus d’or et de pourpre ; et cet autre corps qui souffre ; qui est déchiré, torturé, supplicié par la faim et le froid, vous le méprisez ; vous accordez plus à la vaine gloire qu’à la crainte de Dieu. Et plût au ciel que votre dureté n’allât pas plus loin. Mais, dès qu’il s’approche, ce pauvre, vous l’accusez aussitôt : pourquoi, dites-vous, pourquoi ne travaille-t-il pas ? Pourquoi nourrir un oisif ? Répondez-moi, à votre tour : ce que vous possédez vous-même, le devez-vous à votre travail ? ne – l’avez-vous pas reçu en héritage de vos pères ? En supposant même que vous travaillez, pourquoi cette insulte au prochain ? l’entendez-vous pas ce que dit saint Paul : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger » ; voilà ce qu’il dit ; mais il ajoute aussitôt : « Pour vous, faites le bien, sans jamais vous lasser ».
4. Mais que répondez-vous – Ce pauvre est un fripon. – Que dites-vous, malheureux ? Quoi pour un pain, pour un vêtement vous l’appelez fripon ! – Oui, parce qu’il vend ce qu’il reçoit. – Et vous, disposez-vous toujours sagement de ce que vous avez ? Puis, tons les pauvres le sont-ils pour cause de paresse ? N’en est-il aucun qui le soit par suite d’un malheur, d’un naufrage, par exemple, ou d’un vol, ou d’un procès injuste, ou d’aventures périlleuses, ou de maladies, enfin par suite de tout autre accident ? Et dès que nous entendrons quelqu’un déplorer une semblable infortune ; regarder, pauvre et nu, vers, le ciel ; porter inculte sa longue chevelure, me couvrir de haillons, lui jetterons-nous aussitôt les noms d’imposteur, de vagabond, de trompeur ? N’êtes-vous pas honteux de prodiguer cette appellation odieuse ? Ne lui donnez rien et ne l’insultez pas. – Mais il a de quoi, me dites-vous, et il joue la misère. – Cette accusation retombe sur vous, et non sur lui. Il sait trop qu’il a affaire à des êtres cruels, à des bêtes féroces plutôt qu’à des hommes ; il sait qu’en vain voudrait-il employer le langage le plus touchant, parce qu’il ne gagnerait personne ; il lui faut donc nécessairement s’envelopper de dehors plus misérables encore que sa condition même, pour vous briser le cœur. Qu’un homme ose implorer notre charité avec un vêtement honnête : Voilà bien un trompeur, disons-nous ; il se présente ainsi pour faire croire qu’il est d’une condition distinguée. Qu’il se montre avec des dehors tout opposés, nous le blâmons encore. Que feront donc ces malheureux ? O cruauté ! ô insensibilité ! Pourquoi montrent-ils leurs membres mutilés ? La faute en est à vous. Si nous étions charitables, ils n’auraient pas besoin de semblables moyens ; s’ils pouvaient toucher notre cœur au premier abord, ils n’auraient pas recours à ces tristes moyens. Qui, en effet, serait assez misérable pour, se plaire à jeter les hauts cris, à se conduire de cette façon dégradée, à pleurer ainsi en public, à se lamenter avec une épouse toute nue, à se couvrir de cendres avec ses enfants ? Ces accessoires sont pires que la pauvreté même. Et toutefois ces spectacles, loin de nous inspirer la pitié pour eux, nous fournissent contre eux un prétexte d’insulte. Et nous serons, à notre tour, indignés contre Dieu, parce qu’il n’exauce pas nos prières ? Nous serons au désespoir de ne pouvoir le fléchir par nos supplications ? Et nous ne frissonnons pas d’épouvante, frères bien-aimés !
Mais, direz-vous, j’ai donné souvent. – Eh bien ! ne mangez-vous pas aussi tous les jours ? Et bien que vos enfants souvent demandent, les repoussez-vous ? O impudence ! Vous appelez le pauvre impudent ! Vous, qui êtes un ravisseur, vous n’êtes pas impudent sans doute ; mais lui, l’humble suppliant, il est impudent, parce qu’il vous demande du pain ! Ne réfléchissez-vous donc pas aux exigences de l’estomac ? Est-ce que vous ne faites pas tout au monde pour lé satisfaire ? Ne négligez-vous pas pour lui votre religion ? Le ciel, le royaume des cieux, ne vous est-il pas proposé ? Mais pour contenter la tyrannie de l’appétit, loin d’en mépriser les exigences, vous supportez tout ; voilà l’impudence !
Ne voyez-vous pas ces vieillards mutilés ou boiteux ? – Mais, ô délire ! Celui-ci, m’objectez-vous, prête à usure tant d’écus ; d’or ; tel autre, tant ; – et avec cela il mendie ! – Vous contez là des fables, des sottises, des folies, dignes d’enfants sans intelligence ; les nourrices, en effet, leur font de semblables contes. Eh bien, moi ! je n’y crois pas, je refuse d’y croire, et absolument. Quoi ! cet homme prête à usure, et comblé de richesses il mendie ? Expliquez-moi donc pourquoi ? Est-il chose plus honteuse que de mendier ? Jusqu’à quand serons-nous cruels et inhumains ? Car enfin, quoi ! sont-ils tous des usuriers ? sont-ils tous des fripons ? N’est-il point de vrais pauvres ? Sans doute, me répondez-vous, il y en a beaucoup. Pourquoi donc ne leur portez-vous pas secours, vous qui examinez de si près leur conduite ? Autant de prétextes, autant d’excuses. « Donnez à quiconque vous demande, et ne vous détournez pas de celui qui vous veut emprunter. Étendez à votre main, et qu’elle ne soit pas resserrée ». Nous ne sommes pas chargés d’examiner la conduite des pauvres, autrement nous n’aurions pitié de personne. Pourquoi, quand vous priez Dieu, dites-vous : Seigneur ne vous souvenez pas de, mes péchés ? Quand bien môme l’indigent, lui aussi, serait un grand pécheur, appliquez cette parole, et ne vous souvenez pas de ses péchés. Voici le temps de la charité et du pardon, et non pas d’un examen rigoureux et sévère ; de la miséricorde, et non d’un froid raisonnement. Il vous demande sa nourriture : donnez, si vous voulez ; sinon renvoyez-le, mais sans chercher cruellement la cause de sa misère et de son malheur. Pourquoi non contents d’être sans pitié vous-mêmes, détournez-vous encore les autres de la charité ? Que tel ou tel apprenne de vous que ce pauvre est un trompeur, cet autre un hypocrite, un comédien, ce troisième un usurier ; dès lors il ne donne plus ni à ceux-ci, ni à ceux-là ; car il les soupçonne d’être tous pareils. Soyons miséricordieux, non d’une façon telle quelle, mais comme l’est notre Père céleste. Il nourrit les adultères, les débauchés, les charlatans, que dis-je ? ceux mêmes qui réuniraient tous les vices. Il en faut de semblables pour composer ce monde immense ; toutefois il donne à tous et la nourriture, et le vêtement ; personne ne meurt de faim, à moins par hasard qu’il ne meure ainsi de son choix. Soyons aussi miséricordieux, et venons en aide à quiconque est dans le besoin.
Hélas ! de nos jours, nous sommes arrivés à un tel degré d’inhumanité, que, non contents d’appliquer notre blâme à ces pauvres qui courent les rues et les carrefours, nous n’épargnons pas même les moines. Tel ou tel de ceux-ci, dit-on, est un imposteur. Ne disais-je pas tout à l’heure, que si nous sommes résolus à donner à tous indifféremment, nous serons toujours charitables ; mais que, si une fois nous écoutons une coupable curiosité, nous ne serons plus jamais charitables ? Que dites-vous ? Pour recevoir du pain, il joue le rôle d’un imposteur ! S’il demandait des talents d’or et d’argent, des habits précieux et magnifiques, un cortège d’esclaves, vous auriez raison de le qualifier d’escroc. S’il ne demande rien de pareil, au contraire, mais seulement la nourriture et le vêtement, ainsi qu’un philosophe, comment alors, dites-moi, comment, pour si peu, l’appeler trompeur ? Brisons, mes frères, avec cette curiosité absurde, satanique, pernicieuse. Si cet homme se prétend membre du clergé, s’il se donne le titre de prêtre, faites votre examen alors, soyez curieux de savoir le vrai. Ce n’est pas sans danger qu’en cas semblable on se livre à de tels hommes ; il y va de trop précieux intérêts. Mais demande-t-il à manger ? Ne cherchez rien au-delà ; car vous ne donnez pas, vous recevez. Recherchez, si vous voulez, oui, examinez comment Abraham se montrait hospitalier pour tous ceux qui l’approchaient. S’il avait trop curieusement scruté pour savoir à qui il donnait refuge, il n’aurait pas donné l’hospitalité à des anges. Car, peut-être ne croyant pas qu’ils fussent des anges, les eût-il repoussés avec les autres ; mais recevant tout le monde, il accueillit aussi les anges. Est-ce que Dieu vous donne la récompense d’après la conduite de ceux qui reçoivent votre aumône ? Non, mais bien d’après la libre et bonne résolution de votre cœur, d’après votre grande libéralité et générosité, d’après votre bienveillance et bonté. Ayez cela, et vous gagnerez tous les biens. Puisse-t-il nous être donné à tous de les acquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartient, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII.

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CAR CE MELCHISÉDECH, ROI DE SALEM, PRÊTRE DU DIEU TRÈS-HAUT, QUI VINT AU-DEVANT D’ABRAHAM LORSQUE CELUI-CI REVENAIT DE LA DÉFAITE DES ROIS, QUI LE BÉNIT, A QUI ABRAHAM DONNA LA DÎME DE TOUT CE QU’IL AVAIT PRIS, QUI S’APPELLE, SELON L’INTERPRÉTATION DE SON NOM, PREMIÈREMENT ROI DE JUSTICE, PUIS ROI DE SALEM, C’EST-A-DIRE ROI DE PAIX, QUI EST SANS PÈRE ET SANS MÈRE, SANS GÉNÉALOGIE, QUI N’A NI COMMENCEMENT DE SES JOURS NI FIN DE SA VIE, ÉTANT AINSI L’IMAGE DU FILS DE DIEU, DEMEURE PRÊTRE POUR TOUJOURS. (VII, 1, 2, 3, JUSQU’À 10)

Analyse.

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  • 1 et 2. Résumé de l’épître aux Hébreux : comment s’échelonnent les raisonnements de saint Paul. – Melchisédech, parle silence mystérieux de l’Écriture sur sa naissance et sa mort, était la figure de Jésus comme Verbe éternel. – Décimateur d’Abraham qu’il bénit, il est, à ce double titre, plus grand qu’Abraham ; si telle est la figure, quelle sera la vérité ? Lévi même a payé la dîme au roi de Salem, abaissant ainsi son pontificat devant lui : combien plus devant Jésus, dont Melchisédech n’est que la figure ?
  • 3 et 4. Part de notre libre arbitre dans nos bonnes œuvres, de l’aveu des saintes Écritures. – Mauvais usage de notre volonté, qui ne s’instruit pas à l’école du malheur d’autrui, et se profane par le péché. – Saint usage de notre liberté par la conversion. – Retour à Dieu qui nous appelle, nous aide, et nous purifiera.


1. Saint Paul voulant montrer la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, dissémine, en plusieurs passages, ses instructions à ce sujet, pour y amener par des préludes, par des essais, qui préparent d’avance les esprits de ses auditeurs. Dès le début de son épître, il a jeté comme une base fondamentale cette vérité : que Dieu a parlé aux anciens dans les prophètes, tandis qu’à nous, c’est dans son Fils ; à eux, de plusieurs manières et en divers temps, à nous, parce Fils adorable. Ensuite il a dit quel est ce Fils et quelle est son œuvre ; il a exhorté à lui obéir, pour éviter de partager le malheur des Juifs insoumis ; il a dit que Jésus est prêtre, selon l’ordre de Melchisédech ; il a voulu aborder toutefois la question de cette différence essentielle ; et après maintes préparations prudentes, après des reproches adressés, à leur faiblesse, mêlés à des encouragements et à des consolations capables de leur rendre confiance ; après les avoir mis en état d’écouter avec docilité ses enseignements, il entreprend enfin de leur expliquer la différence entre Jésus-Christ et leur grand prêtre. Car une âme abaissée et découragée ne peut facilement écouter, comme peut vous en convaincre l’Écriture quand elle dit. « Et ils n’écoutèrent pas Moïse à cause de leur abattement ». L’apôtre a donc eu soin de guérir cette maladie de leur âme par ses paroles tantôt terribles, tantôt calmes et charitables ; en sorte qu’il peut maintenant aborder la question de la différence entre les deux rois. Voici donc ce qu’il dit : « Car ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu très-Haut ». Chose admirable ! dans le-type même qu’il choisit, il montre déjà combien est grande la différence. Car, comme je l’ai dit, il emprunte toujours une figure pour concilier la foi à la vérité ; il se sert du passé pour affirmer le présent, à cause de la faiblesse de ses auditeurs. Donc : « Ce Melchisédech, roi de Salem, et prêtre du Dieu Très-Haut, qui vint au-devant d’Abraham, lorsqu’il revenait de la défaite des rois, et le bénit ; à qui Abraham donna la dîme de tout ce qu’il avait pris ». Après avoir résumé tout le récit du Livre saint, il l’interprète mystiquement. C’est d’abord le nom de Melchisédech qui attire son attention. « Qui s’appelle, selon l’interprétation de son nom, premièrement Roi de Justice ». En effet, « Sédech » veut dire justice et « Melchi » ; roi ; d’où Melchisédech, roi de justice. Voyez-vous, jusque dans les noms, quel choix et quelle exactitude ? Or, quel est le roi de justice, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ ? – Puis : « Roi de Salem », nom de sa cité ; le sens est roi de paix, car telle est la traduction de Salem : encore un trait du Christ. Car c’est lui qui nous à faits justes et qui a pacifié tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre. Quel homme est vraiment roi de justice et de paix ? Aucun, à l’exception du seul Jésus-Christ Notre-Seigneur. – Il ajoute bientôt une autre différence : « Sans père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement, ni fin de sa vie, étant ainsi l’image du Fils de Dieu, qui demeure prêtre a pour toujours ». Mais ici se présentait un texte qu’on pouvait objecter : « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech », parce que celui-ci était mort, et n’était pas prêtre pour l’éternité. Voyez donc à quel point de vue élevé se place l’apôtre. On va lui objecter : Comment parler ainsi d’un homme ? Aussi, dit-il, je ne prends pas cette parole au pied de la lettre, mais voici ce que je veux dire : Nous ne savons quel père ni quelle mère eut ce prince ; nous ne le voyons ni naître, ni mourir. – Eh bien ! alors, que conclure, dira-t-on ? De ce que nous ne savons rien, s’ensuit-il qu’il ne soit pas mort, qu’il n’ait pas eu de parents ? – Non, vous avez raison d’affirmer qu’il est mort, qu’il a eu des parents. – Comment donc est-il sans père ni mère ? Comment n’a-t-il ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie ? Comment ? En ce sens que l’Écriture n’en dit rien. – Et où va cette remarque ? – A dire que ce prince est sans père, parce qu’on ne donne pas sa généalogie, mais que Jésus-Christ possède ce privilège réellement et en toute vérité.
2. Voici donc un roi qui n’a ni commencement ni fin ; c’est-à-dire, que comme nous ignorons et son commencement et sa fin, parce que ces faits n’ont pas été écrits, ainsi les ignorons-nous de Jésus, non parce que l’Écriture n’en dit rien, mais parce qu’en réalité il n’a ni l’un ni l’autre. Parce que le premier est la figure, l’Écriture se tait sur son commencement et sa fin ; et parce que le second est la vérité, il n’a réellement ni commencement ni fin. Ainsi en est-il de leurs noms ; pour l’un, sa royauté de justice et de paix n’est qu’un pur titre sans réalité ; pour Jésus-Christ, il est tout cela véritablement. Comment donc a-t-il un principe ? Vous voyez que le Fils est sans principe, non dans ce sens qu’il existe sans cause, car c’est impossible : il a un père, autrement comment serait-il Fils ? Mais il est sans principe ἄωαρχος, en ce sens que sa vie n’a ni commencement ni fin. « Melchisédech est semblable au Fils de Dieu ». Où est la ressemblance ? C’est que de l’un comme de l’autre, nous ne savons ni le commencement ni la fin ; de l’un, il est vrai, parce que ces dates n’ont pas été écrites, et de l’autre, au contraire, parce que ces termes n’existent pas : voilà la ressemblance. Que si cette ressemblance portait sur tous les points, vous ne verriez pas d’un côté la figure, et de l’autre la vérité ; tous deux seraient figures. C’est ainsi que dans les portraits et images, vous trouvez et ressemblance et différence. Les traits et le dessin reproduisent la ressemblance ; mais les couleurs une fois posées, la différence s’accuse évidemment, on voit similitude ici, et là, dissemblance.
« Considérez donc combien grand il devait être, puisque Abraham même lui donna la dîme de ce qu’il y avait de meilleur (4) ». Il a fait ressortir la justesse de la figure. Enhardi dès lors, il montre qu’elle est plus glorieuse que les réalités juives elles-mêmes. Or, si par cela seul que ce roi portait en lui la figure de Jésus-Christ, il se trouvait ainsi plus grand et plus remarquable non seulement que les prêtres, mais même que cet Abraham, d’où sortait la tribu des prêtres, que direz-vous de la Vérité ? Voyez-vous comme il prouve surabondamment la supériorité de Jésus-Christ ? – « Regardez », dit-il, « combien est grand celui à qui Abraham donna la dîme de ce qu’il y avait de meilleur ». Cette expression « de meilleur », fait allusion aux dépouilles. Et l’on ne peut dire qu’Abraham les ait partagées avec lui, parce qu’il aurait pris part au combat. Paul a soin de vous faire observer que le patriarche était revenu de la défaite des rois, quand il le rencontra. Ainsi, nous dit-il, le prince était chez lui, quand Abraham lui donna les prémices du butin conquis par ses travaux.
« Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le sacerdoce, ont droit, selon la loi, de prendre la dîme du peuplé, c’est-à-dire de leurs frères, quoique ceux-ci soient sortis d’Abraham aussi bien qu’eux (5) ». Telle est la dignité du sacerdoce, dit-il, que des hommes égaux à d’autres par les ancêtres, n’ayant avec eux qu’un seul et même père et principe de leur commune famille, se trouvent cependant préférés et privilégiés de beaucoup à l’égard des autres, puisqu’ils prélèvent la dîme sur eux. Or, si vous trouvez un personnage qui reçoive la dîme de dès privilégiés eux-mêmes, n’est-il pas vrai que ceux-ci descendent dès lors au rang des laïques, et que lui prend place parmi les prêtres ? Il y a plus : le roi de Salem n’avait pas, du côté de la naissance, l’égalité d’honneur avec eux ; il était d’une autre race. Aussi Abraham n’eût-il point donné la dîme à un étranger, s’il n’avait reconnu en lui une grande supériorité d’honneur. Mais, ô ciel ! Que vient de démontrer le grand apôtre ? Une vérité incroyable, plus étonnante que celle qu’il a énoncée dans l’épître aux Romains. Car dans cette épître, il se contente de déclarer qu’Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici il ose plus encore à l’égard de ce patriarche, il montre qu’un incirconcis l’emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il ? C’est que Lévi a donné la dîme. Abraham, dit-il, en a fait l’offrande. – Et que nous importe, à nous, diront les Juifs ? – Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d’Abraham. « Or, celui qui n’a point de place dans leur généalogie, prit la dîme sur Abraham ». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : « Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu’ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or ; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c’est-à-dire, d’après l’estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses.
« En effet, dans la loi, ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels ; au lieu que celui qui la reçoit ici n’est représenté que comme vivant (8) ». Mais pour qu’on ne lui dise pas Pourquoi invoquer ces siècles si lointains ? Que fait à nos prêtres, qu’Abraham ait donné la dîme ? Parlez de ce qui nous regarde nous-mêmes ? il continue et ajoute : « Et pour ainsi dire » (Paul fait bien de ne pas parler affirmativement, de peur de blesser trop ses lecteurs), « pour ainsi dire, Lévi l’a payée aussi lui-même dans la personne d’Abraham, lui qui la reçoit des autres ». Comment l’a-t-il payée ? – « Parce qu’il était encore dans Abraham son aïeul, lorsque Melchisédech vint au-devant de ce patriarche ». Entendez : Lévi était en lui, bien qu’il ne fût pas encore né, et par son père, il a payé la dîme. Remarquez : il ne dit pas : « Les lévites », mais : « Lévi », choisissant ainsi ce qu’il y a de plus grand pour mieux faire ressortir la supériorité de Melchisédech.
Avez-vous compris quelle distance sépare Abraham de Melchisédech, qui n’est cependant que la figure de notre pontife ? Encore l’apôtre nous y fait-il voir une prééminence de pouvoir, et non de nécessité. L’un, en effet, donné la dîme qui est un droit sacerdotal, l’autre donne la bénédiction qui prouve un pouvoir de supériorité et d’excellence. Cette prééminence a – passé jusqu’aux descendants. Et voilà comme Paul, par une victoire admirable et glorieuse, renverse l’édifice du judaïsme. Voilà pourquoi il leur disait : « Vous êtes devenus faibles ». (Héb. 5,11) C’était une précaution qu’il prenait pour ne pas les faire regimber, en leur montrant trop brusquement la vérité. Telle est la prudence de Paul ; il n’aborde les questions qu’après y avoir préparé les esprits. Car l’esprit humain est difficile à persuader ; il demande pour être redressé plus de précautions que les plantés. On ne trouve en celles-ci que la nature des éléments et de la terre, qui obéit aux plains des laboureurs ; mais chez nous se rencontre la libre volonté de choisir, qui prend à son gré mille formes changeantes, et opte tantôt pour une chose, tantôt, pour l’autre, et qui a toujours une grande pente pour le mal.
3. Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N’exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Ps. 120,4) Il n’a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n’exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l’exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.
Mais quoi ? La puissance même de Dieu n’a-t-elle ici aucune action ? – Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n’en est aucunement, blessé. – Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute ? – Aussi bien ai-je dit : De telle sorte cependant que notre libre arbitre n’en est point blessé. L’œuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d’abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.
Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom. 9,16) – Je réponds d’abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d’après le but qu’il se propose et d’après les prémisses qu’il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j’aurai pitié de celui de qui il me plaira d’avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». – Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous ?
C’est qu’il est permis de dire du principal auteur d’une couvre qu’il a fait l’œuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l’œuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à nos idées et à notre langage humain ; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l’architecte, et cependant la construction n’est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d’une foule d’autres agents. Mais comme l’architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C’est ce qui arrive ici. – De même encore, en présence d’une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là ; et s’il y a peu de monde, nous disons qu’on ne voit personne. C’est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes œuvres ;.la seconde, qu’il convient d’attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l’œuvre saintement faite. Car si vous n’obtenez pas le secours d’en haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu’avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort : mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L’apôtre ne dit pas : En vain courez-vous ! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n’attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n’a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n’avoir pas l’air de nous couronner au hasard ; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l’orgueil. Car si, lorsque nous n’avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d’orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d’ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés ? Car lorsque bien des gens s’écrient : Pourquoi ceci ? A quoi bon cela ? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n’avez pas encore d’humbles sentiments de vous-mêmes ; mais au moindre succès qui vous arrive, votre cœur s’enfle jusqu’au ciel !
4. Et voilà ce qui explique ces perpétuelles révolutions et ces misérables chutes, qui ne servent pas même à nous corriger. Voilà pourquoi les morts prématurées, bien que fréquentes, nous laissent encore l’orgueilleuse idée que personnellement nous sommes immortels, comme si le coup fatal ne devait jamais nous atteindre. De là nos rapines, nos attentats à la propriété d’autrui, comme si nous ne devions jamais en rendre compte. Ainsi nous bâtissons, comme si nous avions ici-bas une demeure permanente et éternelle, et ni la parole de Dieu qui retentit tous les jours à nos oreilles, ni les faits journaliers eux-mêmes ne nous servent de leçons. Il n’est pas un jour, pas une heure qui ne nous donne le spectacle de quelques convois funèbres. C’est en vain ! Rien ne peut toucher notre insensibilité. Nous ne pouvons, nous ne voulons même pas nous amender par les malheurs d’autrui. Alors seulement nous rentrons en nous-mêmes, quand seuls nous avons à gémir ; et si Dieu retient la main qui nous frappe, nous relevons aussitôt la nôtre pour commettre le mal.
Personne n’a de goût pour les choses spirituelles ; personne ne méprise la terre, personne ne regarde le ciel. Mais semblables à l’animal immonde dont l’œil abaissé cherche la terre, que son ventre y incline, qui se roule dans la fange, des hommes, et en, grand nombre, et sans même en être affectés, se souillent d’une boue sans nom ; car mieux vaut se souiller de fange que de péché. Ainsi souillé ; on peut être lavé bientôt et redevenir semblable à celui qui ire s’est pas d’abord plongé dans le bourbier. Mais celui qui se précipite dans le cloaque du péché, y contracte une souillure que l’eau ne saurait effacer, et qui exige bien du temps, une pénitence parfaite, des larmes et des sanglots, plus de gémissements et de plus amers que ceux que vous faites entendre sur les têtes les plus chères. Il est, en effet, telle ordure qui nous arrive du dehors et dont nous sommes bientôt débarrassés ; mais celles-ci naissent au-dedans de nous, et c’est à peine si tous nos efforts nous en purifient.
« C’est du cœur en effet », a dit Jésus-Christ, « que sortent les mauvaises pensées, les fornications, les adultères, les vols, les faux témoignages ». (Mt. 15,19) Aussi le Prophète s’écriait : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu ». (Ps. 1,12) Et un autre : « Lave les vices de ton cœur, ô Jérusalem ! » (Jer. 4,14) Vous voyez ici encore que le bien dépend et de nous et Dieu. Et ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ». (Mt. 5,8) Faisons tous nos efforts pour nous rendre purs ; lavons nos péchés. Et comment peut-on les laver, le Prophète nous l’enseigne, en disant : « Lavez-vous, soyez purs ; ôtez vos vices de vos âmes devant mes yeux ». (Is. 1,16) Devant mes yeux, qu’est-ce à dire ? C’est que plusieurs paraissent être exempts de vices, mais devant les hommes ; au contraire, aux yeux de Dieu, ils ne sont que des sépulcres blanchis. Et c’est pourquoi il dit : Ôtez-les tels que je les vois. « Apprenez à « faire le bien, cherchez la justice, rendez-la au « petit et au pauvre, et puis venez et discutons « ensemble, dit le Seigneur. Et quand vos péchés « seraient comme la pourpre, je vous blanchirai « comme la neige ; et quand même ils seraient « comme l’écarlate, je vous rendrai blancs comme « la laine ». (Is. 1, 17-18) Vous voyez que nous devons commencer à nous purifier, et alors Dieu nous purifiera. Car après avoir dit d’abord : « Soyez purs », il ajoute:« Et moi je vous blanchirai ». Que nul donc, parmi ceux qui sont arrivés au faîte du crime, ne désespère de lui-même. Car, dit le Seigneur, quand même vous auriez revêtu le vêtement et presque la nature même du vice, ne craignez pas. Il ne s’agit pas de couleurs fugitives et sans consistance, mais de celles qui font partie de l’essence même du corps ; or, ceux qui en sont imprégnés peuvent retrouver un état tout contraire, car il ne parle pas seulement de les laver, mais de les blanchir comme la neige et comme la laine, afin de nous donner bon espoir.
Quelle est donc la vertu de la pénitence, puisqu’elle nous rend beaux comme la neige, blancs comme la laine, quand bien même le péché aurait déjà envahi et imprégné nos âmes ? Étudions-nous donc à devenir purs ; Dieu n’a pas fait un commandement difficile : rendez justice à l’orphelin, et traitez la veuve selon le droit. Vous voyez comment Dieu tient compte partout et toujours de la miséricorde et de la protection donnée à ceux qui sont sous le poids de l’injustice. Abordons ces bonnes œuvres et nous pourrons obtenir aussi par la grâce de Dieu les biens à venir. Puissions-nous tous en devenir dignes en Jésus-Christ Notre-Seigneur ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII.

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SI LE SACERDOCE DE LÉVI, SOUS LEQUEL LE PEUPLE A REÇU LA LOI, AVAIT PU RENDRE LES HOMMES PARFAITS, EUT-IL ÉTÉ BESOIN QU’IL PARUT UN AUTRE PRÊTRE, APPELÉ PRÊTRE SELON L’ORDRE DE MELCHISÉDECH, ET NON PAS SELON L’ORDRE D’AARON ? (VII, 11, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse.

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  • 1-3. Le sacerdoce lévitique n’a rien perfectionné : aussi l’Ancien Testament lui-même annonçait un sacerdoce nouveau et éternel. – La tribu de Juda est appelée au sacerdoce dans la personne de Jésus-Christ ; elle se trouve désormais tribu royale et sacerdotale ; mais le pontificat n’a plus de succession charnelle. – La loi de crainte est abrogée et fait place à une loi de meilleure espérance. – Nous n’avons qu’un pontife désormais ; il est donc immortel et toujours prie pour nous. – Nous n’avons qu’un seul sacrifice ; encore Jésus ne l’a-t-il pas offert pour lui-même, puisqu’il était impeccable.
  • 4 et 5. Beaucoup différaient de recevoir le baptême, et le retardaient jusqu’à leur mort : conduite dangereuse, vrai mépris de la vertu en elle-même. – En se sauvant à la dernière heure, on n’arrive qu’à la dernière place au ciel : quelle honte ! – Pourquoi tarder d’accomplir des commandements si doux, que souvent les vices contraires sont plus pénibles même à la nature ?


1. « Si donc la perfection était l’œuvre du sacerdoce lévitique », dit l’apôtre, etc. Après avoir parlé de Melchisédech, et avoir montré qu’elle était sa prééminence sur Abraham, après avoir ainsi établi une grande différence, il continue à prouver la distance qui sépare les deux Testaments, dont l’un était imparfait, tandis que l’autre est la perfection même. Toutefois, il ne va pas au cœur même de son sujet ; il ne raisonne et ne combat d’abord que par la comparaison du sacerdoce et dé l’alliance ; car pour les incrédules d’alors ces preuves étaient plus saisissables, puisque la démonstration allait porter sur le dépôt même qu’ils avaient reçu.
Il a donc montré que Lévi et Abraham restent bien en arrière de Melchisédech, lequel, même de leur aveu, a eu rang parmi les prêtres. Il part maintenant d’une autre preuve ; et d’où ? Du sacerdoce chrétien comparé à celui des juifs. Et voyez ; je vous prie, son incomparable habileté ! La raison même qui, selon toute vraisemblance, devait exclure du sacerdoce Melchisédech qui n’était pas de la race d’Aaron, lui sert au contraire à l’y maintenir et à détrôner les autres. Et pour arriver à cette conclusion, il se pose à lui-même un doute : Pourquoi n’est-il pas dit (prêtre) selon l’ordre d’Aaron ? Et voici la solution qu’il donne : Et moi aussi, je me demande pourquoi il n’a pas été selon l’ordre d’Aaron ; car c’est ainsi qu’il faut entendre ce qu’il dit : « Si donc la perfection eût été l’œuvre du sacerdoce lévitique, etc. », et cette parole encore : « Pourquoi dès lors a-t-il été nécessaire », etc, phrase extrêmement significative. En effet, si Jésus-Christ était venu d’abord selon la chair pour être prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et qu’après lui fût survenue la loi avec le sacerdoce d’Aaron, on aurait eu raison de conclure que le second fait était un perfectionnement qui anéantissait le premier, puisqu’il lui succédait. Mais si Jésus
Christ, au contraire, est postérieur à la loi, s’il a adopté un autre type sacerdotal, il est évident que tout le lévitisme est imparfait ; car supposons un instant, dit l’apôtre, que le sacerdoce antérieur à Jésus-Christ, celui d’Aaron, était parfait et ne laissait rien à désirer ; pourquoi donc dès lors l’Écriture nous parle-t-elle d’un prêtre selon l’ordre de Melchisédech et non selon l’ordre d’Aaron ? Pourquoi laisser Aaron et introduire un autre sacerdoce, à savoir, celui de Melchisédech, si la perfection se trouvait dans le sacerdoce lévitique, c’est-à-dire, si ce sacerdoce lévitique avait, au complet, toute la doctrine et de la foi et des mœurs ? Et remarquez, comme sans dévier d’un pas, l’apôtre avance
Il avait dit « selon l’ordre de Melchisédech » et avait montré que ce sacerdoce était le plus grand, parce que Melchisédech était plus grand qu’Abraham. Puis, il prouve encore la même chose par la considération du temps, en disant que, puisque le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech a paru après celui d’Aaron, c’est qu’il est plus grand.
Mais que signifient ces paroles qui suivent immédiatement : « Sous lequel [sacerdoce] le peuple a reçu la loi ? » Que veut dire « sous lui ? » C’est que par lui le peuple marche, le peuple fait tout par lui : on ne peut dire qu’il ait été donné à d’autres qu’à lui. C’est sous lui que le peuple a reçu la loi, c’est-à-dire, grâce à son ministère. Et l’on ne peut dire que la loi était parfaite, mais non imposée au peuple. Le peuple, dit l’apôtre, a reçu la loi sous lui, c’est-à-dire par son organe et intermédiaire. Qu’était-il donc besoin d’un autre sacerdoce, si celui-là était parfait ? « Car le sacerdoce étant transféré, il faut aussi que la loi le soit ». Si donc un autre prêtre, ou plutôt un autre sacerdoce est devenu nécessaire, il faut aussi nécessairement une autre loi. Ceci est à l’adresse de ceux qui disent : Qu’était-il besoin d’un Nouveau Testament ? Il aurait pu prouver ce besoin par les prophètes eux-mêmes : « Voici », disent-ils, « le testament, l’alliance que j’ai faite avec vos « pères ». Pour le moment, il n’argue que d’après le sacerdoce. Et voyez comme il brillait d’arriver à cette conclusion. Il a dit : Selon l’ordre de Melchisédech : c’était rejeter déjà le sacerdoce d’Aaron. Car si un autre sacerdoce a été introduit depuis lors, il a bien fallu aussi qu’il vint un autre testament. Car il est impossible qu’un prêtre soit sans testament, ni lois, ni préceptes ; ou qu’en recevant son sacerdoce, il se serve de l’antique alliance.
On pourrait lui objecter : Comment fut donc prêtre celui qui n’était pas lévite ? Mais comme il a établi plus haut comme vérité fondamentale la maxime contraire, il ne veut pas même résoudre une telle objection, et ne lui jette qu’en passant cette réponse : Je vous ai dit que le sacerdoce a été transféré ; donc aussi le testament ; et Dieu ne l’a pas seulement changé dans son mode et dans ses règles, mais même dans la tribu. Comment ? C’est que le sacerdoce est transféré d’une tribu à me autre, de la tribu sacerdotale à la tribu royale, de sorte qu’à l’avenir elle réunit sacerdoce et royauté. Or, voyez le mystère. De royale qu’elle était d’abord, elle est maintenant devenue sacerdotale. Ainsi s’est-il fait en Jésus-Christ. Lui qui fut toujours roi, a été fait prêtre quand il prit notre chair, quand il offrit le sacrifice. Voyez-vous le changement ? Ce qu’on lui présentait comme une objection, l’apôtre l’établit précisément et par la seule logique des faits. « En effet, celui dont ces choses ont été prédites », nous dit-il, « est d’une autre tribu dont personne n’a jamais servi à l’autel ; puisqu’il est manifeste que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n’a jamais attribué le sacerdoce (13, 14) ». L’apôtre dit donc équivalemment : Et moi aussi je sais qu’il n’a eu aucune part à votre sacerdoce ; que nul de cette tribu ne l’a exercé, comme le montre évidemment cette affirmation : « Nul n’a jamais servi à l’autel ». Tout est donc transféré. Ainsi était-il nécessaire que la loi ancienne et l’Ancien Testament fussent transférés, puisque la tribu [sacerdotale] elle-même a été changée.
2. Or, voyez comme il va dévoiler une autre différence que celle que lui fournit déjà ce changement de tribu. Il ne lui suffit pas de montrer la différence immense qui résulte de la tribu, de la personne, de la manière, du testament, mais il va la prouver par le personnage figuratif. « Lequel [Melchisédech] n’est point établi selon la disposition d’une loi charnelle, mais par la puissance de sa vie immortelle (16) ». – Il a été fait prêtre, dit-il, non pas selon la disposition d’une loi charnelle ; car cette loi, dans sa plus grande partie, n’était point légitime ; et l’apôtre a raison de l’appeler une loi charnelle ; car tous ses règlements étaient charnels. Car voici ce qu’elle commandait : Coupez votre chair, oignez votre chair, lavez votre chair, purifiez votre chair, tondez votre chair, liez votre chair, nourrissez votre chair, donnez le repos à votre chair ; ne sont-ce pas, je vous prie, autant de lois charnelles ? Que si vous voulez savoir quels biens elle promettait, écoutez : Longue vie à votre chair, était-il dit, à votre chair lait et miel, paix à votre chair, plaisir à votre chair. C’est d’une telle loi qu’Aaron reçut le sacerdoce, mais non pas certes Melchisédech.
« Et ceci parait encore plus clairement, en ce qu’il se lève un autre prêtre selon l’ordre de Melchisédech (15) ». Qu’est-ce qui parait clairement ? La différence qui est très-grande entre les deux sacerdoces, et l’incontestable prééminence du personnage qui n’a pas été fait prêtre par la disposition d’une loi charnelle. Et qui est celui-ci ? Est-ce Melchisédech ? Non, mais Jésus-Christ, qui l’est par la vertu de sa vie immortelle ; ainsi que l’Écriture le déclare par ces mots : « Vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech (17) », c’est-à-dire, non pour un temps, non pour finir, mais selon la vertu d’une vie immortelle. Par ces paroles, il nous montre que Jésus a été fait prêtre par sa vertu et par celle de son Père, par sa vie qui n’a point de fin. Toutefois, ceci ne s’ensuit pas logiquement de ce qui a été dit plus haut : « il n’a pas été fait prêtre par la disposition d’une loi charnelle » ; le raisonnement exigeait : Il l’a été par une loi spirituelle. Mais, par « charnel » l’apôtre entend plutôt temporel, comme quand il dit ailleurs : Ces lois ne devaient durer que jusqu’à un temps meilleur, elles n’étaient que des justifications charnelles, en attendant la vertu de la vie ; c’est-à-dire, en attendant celui qui vit par sa propre vertu. Après avoir dit que la loi subit un changement, et montré la nature de ce changement, il en cherche la cause, satisfaisant ainsi l’esprit humain, qui aime à savoir la cause de tout, et gagnant d’ailleurs ainsi notre confiance, puisqu’il nous apprend la cause et la raison de cette mutation.
« Car la première loi est réprouvée comme étant impuissante et inutile (18) ». Ici les hérétiques s’élèvent contre nous et nous disent : Voilà Paul qui déclare la loi mauvaise ! Mais soyez attentifs et remarquez qu’il ne dit pas : Elle est rejetée comme vicieuse et dépravée, mais comme impuissante et inutile. Il a déjà montré ailleurs cette impuissance, quand il disait par exemple : « Dans cette loi on était infirme par la chair » ; nous étions donc infirmes, et non pas la loi.
« Car la loi n’a rien conduit à la perfection (19) ». Qu’est-ce à dire, elle n’a rien conduit à la perfection ? Elle n’a rendu parfait aucun homme, parce qu’aucun ne lui obéit ; et quand bien même on l’eut écoutée, elle n’aurait pu produire la perfection, la vraie vertu. Pour le moment, il n’affirme pas même cela, et se contente de dire qu’elle n’a pas eu de force. Et c’est' vrai ; c’était la condition des lettres sacrées mêmes : Faites ceci, ne faites pas cela ; elles ne pouvaient que proposer, sans apporter en même temps la force et le pouvoir d’accomplir le précepte. Telle n’est pas la véritable espérance. Pourquoi dit-il « réprouvée ? » Comprenez : Rejetée. Et sur quoi porte ce rejet, il l’indique : « Sur la loi précédente », désignant ainsi la loi [mosaïque] qui a été rejetée à cause de son impuissance. La réprobation, c’est l’abrogation, la destruction de règles qui jusque-là avaient force et vigueur. C’est assez dire que la loi eut dans un temps vigueur et force, mais que plus tard elle fut vouée au mépris, pour n’avoir rien produit. La loi n’a donc servi de rien ? Au contraire, elle eut son utilité, sa grande utilité même, mais elle ne servit aucunement à créer des hommes parfaits ; car elle-même n’a rien perfectionné. L’apôtre dit que la loi n’a rien parfait, parce que sous son règne tout était figure, tout était vaine ombre, circoncision, sacrifice, sabbat. Ces institutions n’ont pu arriver jusqu’aux âmes, et partout elles cèdent et se retirent.
« Mais voici que s’introduit une espérance meilleure par laquelle nous nous approchons de Dieu. Et de plus, ce sacerdoce n’est pas établi sans serment ». Vous voyez qu’ici encore le serment a été nécessaire, et ceci vous explique pourquoi, précédemment, il a discuté avec tant de sagesse cette question du serment de Dieu, et la raison qui le détermine à jurer pour que notre conviction soit plus certaine et plus pleine. – Voici « l’introduction d’une meilleure espérance » qu’est-ce à dire ? La loi aussi avait une espérance, mais non telle que celle-ci,-ses observateurs espéraient posséder la terre et ne pas trop souffrir. Et nous, nous espérons qu’en faisant la volonté de Dieu, nous posséderons non pas la terre, mais le ciel ; que dis-je ? nous espérons bien mieux encore : c’est que nous serons auprès de Dieu, que nous arriverons jusqu’à ce trône de notre Père, et que nous le servirons avec les anges. Car Paul disait plus haut : « Nous entrons jusqu’au-delà du voile » ; mais ici : « Par elle nous approchons jusqu’à Dieu ».
« Et de plus, ce n’est pas sans un serment de sa part ». Qu’est-ce à dire : « Et de plus, ce n’est pas sans un serment ? » C’est cela même : non sans un serment ; et voilà une autre différence ; car nos promesses ne sont pas sans raison, dit-il, « Car au lieu que les autres prêtres ont été établis sans serment, celui-ci l’a été avec serment, Dieu lui ayant dit : Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable : Vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech ; tant il est vrai que l’alliance dont Jésus est le médiateur est plus parfaite que la première ; aussi y a-t-il eu autrefois successivement plusieurs prêtres, parce que la mort les empêchait de l’être toujours ; mais comme celui-ci demeure éternellement, il possède un sacerdoce qui est éternel (21-24) ».
L’apôtre établit deux différences le sacerdoce nouveau, contrairement au sacerdoce légal, n’a pas de fin et s’appuie sur, un serment. Il le prouve par Jésus-Christ qui le reçoit et en remplit les fonctions, en effet, selon la vertu d’une vie immortelle. Il démontre le second point par le serment qu’il cite et par la nature même du pontificat ; le précédent a été rejeté pour cause d’impuissance ; celui-ci reste et demeure parce qu’il est puissant et fort ; le prêtre nouveau lui fournit aussi une preuve, et comment ? C’est qu’il est seul et unique ; et il ne serait pas seul, s’il n’était immortel. Car comme les prêtres ne sont nombreux que parce qu’ils sont sujets à la mort, ainsi dans le cas pré sent, le prêtre est unique parce qu’il est immortel. Et Jésus est devenu le garant d’une alliance d’autant meilleure, que Dieu lui a juré de le maintenir prêtre à jamais, serment qu’il n’est point fait, si Jésus n’était vivant.
3. « C’est pourquoi il est toujours en état de sauver ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise,.étant toujours vivant afin d’intercéder pour nous (25) ». Vous voyez qu’en parlant ; ainsi, Paul considère Jésus dans son humanité. En le montrant comme prêtre, il le déclaré aussi, tôt notre intercesseur. Nous affirmer qu’il intercède pour nous, c’est sous-entendre qu’alors il agit comme prêtre. Car de celui qui, à son gré, ressuscite les morts et qui donne la vie comme le Père, comment dit-on qu’il intercède, lorsqu’il devrait sauver ? Comment intercède Celui à qui appartient tout jugement ? Comment intercède Celui qui envoie les anges pour jeter ceux-ci dans la fournaise et sauver ceux-là ? Aussi l’apôtre dit : « Il peut sauver », et il sauve, parce que lui-même ne meurt point. Et parce qu’il ne meurt pas et qu’il vit à jamais, il n’a pas, selon l’apôtre, de successeur. Et s’il n’a pas de successeur, c’est qu’il, peut défendre tous les hommes. Car, en Israël, le pontife, bien qu’admirable, ne durait qu’autant que sa vie même ; ainsi Samuel, ainsi tous ceux qui revêtirent cette dignité ; ensuite, ils n’étaient plus rien, puisqu’ils mouraient. Pour le nôtre, c’est l’opposé, il sauve à tout jamais. Qu’est-ce à dire : « À tout jamais ? » Ceci donne à entendre quelque grand mystère. Ce n’est pas ici-bas seulement, nous répond saint Paul, c’est dans l’autre vie aussi qu’il sauve tous ceux qui par lui s’approchent de Dieu. Comment les sauve-t-il ? C’est qu’il est toujours vivant afin d’intercéder pour eux. Remarquez-vous l’humilité de sa très-sainte humanité ? Car il ne dit pas qu’une fois par hasard il remplira ce rôle ; mais toujours, mais tant qu’il sera besoin, il prie pour eux à tout jamais. Que signifie encore « à tout jamais ? » non seulement dans le temps présent, mais jusque dans la vie future. Il a donc toujours besoin de prier ? Et par quelle convenance s’y soumet-il ? Souvent des justes, par une seule prière, ont tout obtenu : et lui doit toujours prier ? Pourquoi donc est-il assis sur un trône ? Voyez-vous que c’est par condescendance que l’apôtre tient ce langage humble ? Voici ce que saint Paul veut nous faire comprendre : Ne craignez pas, dit-il ; et ne dites pas : Certainement il nous aime, et il a toute liberté de parler à son Père, mais il ne peut pas toujours vivre. Au contraire, il vit toujours.
« Car il était convenable que nous eussions un « pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé, des pécheurs (26) ». Vous voyez que tout cela est dit de son humanité. Mais quand je dis l’humanité, je parle d’une humanité qui possède la divinité ; ne partageant pas Jésus, mais vous donnant facilité de mieux comprendre ce qui convient. Avez-vous vu la différence de pontifes ? Il résume ce qu’il a dit plus haut. « Il a été éprouvé de toutes manières, sauf par le péché, pour nous ressembler ». Tel convenait-il que fût notre pontife, saint, innocent. Qu’est-ce à dire, « innocent ? » Ni méchant, ni trompeur ; ce qu’un autre Prophète exprime ainsi : « Le mensonge n’a pas été trouvé sur ses lèvres ». Qui parlerait ainsi de Dieu, et ne rougirait de dire qu’un Dieu n’est ni menteur ni fourbe ? Mais de Jésus selon la chair il convient de déclarer qu’il est saint. « Sans tache » : vous ne direz rien de pareil de Dieu, parce que sa nature est telle qu’elle ne peut être souillée. « Séparé des pécheurs », Ceci n’indique-t-il qu’une différence, et ne rappelle-t-il pas son sacrifice ? Oui, son sacrifice aussi, et comment ?
« Qui ne fût point obligé, comme les autres prêtres, d’offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses péchés, et ensuite pour ceux du peuple ; ce qu’il a fait une fois en s’offrant lui-même (27) ». Ces paroles sont comme l’introduction à ce qu’il dira touchant l’excellence du sacrifice spirituel. Déjà il u marqué la différence de prêtre et la différence de testament. Il ne l’a pas traitée entièrement : mais il l’a indiquée déjà cependant. Ici, il donne en quelque sorte le prélude du sacrifice même. N’allez pas croire, quand vous entendez parler de Jésus comme prêtre, qu’il remplisse toujours la fonction du sacerdoce. Il a rempli cette charge dé sacrificateur une fois, et maintenant il s’est assis pour toujours. Ne pensez pas que parmi les habitants de la cour céleste,.il soit debout, agissant comme ministre. C’est là l’œuvre de l’incarnation. En devenant esclave, il devint aussi prêtre et ministre. Mais de même que devenu esclave, il n’est pas demeuré esclave ; de même s’il s’est fait ministre, il n’est pas resté ministre : la marque du serviteur, eu effet, ce n’est pas d’être assis, mais debout. Ces paroles marquent donc la grandeur de son sacrifice qui, bien qu’unique, a suffi cependant ; et bien qu’offert une seule fois, eut une valeur que n’ont pas eue tous les sacrifices du monde. Mais nous n’avons pas encore à traiter ce sujet.
« Il l’a donc fait une fois », ce sacrifice, dit saint Paul. Lequel ? Le sacrifice « nécessaire », nous répond-il encore ; il lui a fallu trouver une offrande aussi ; « non pas pour lui-même » : comment offrirait-il pour lui, étant impeccable ? Mais « pour le peuple ». Que dites-vous, ô Paul ! Il n’a pas besoin d’offrir pour lui-même, et telle est sa puissance ? Certainement, nous répond-il. Car pour vous empêcher de croire que cette affirmation : « Il l’a fait une fois », s’applique aussi à lui, écoutez ce que l’apôtre ajoute : « Car la loi établit pour pontifes des hommes faibles », c’est pourquoi ils offrent toujours pour eux-mêmes ; mais celui-là, qui est si puissant, qui n’a pas même de péché, pourquoi offrirait-il pour lui-même ? Donc ce ne fut pas pour lui-même, mais pour le peuple qu’il offrit, et qu’il n’offrit qu’une fois.
« Mais la parole de Dieu, confirmée par le serment qu’il a fait depuis là loi, établit pour pontife le Fils qui est parfait à jamais ». Parfait, qu’est-ce à dire ? Paul n’établit pas d’antithèses rigoureuses. Il disait des autres prêtres qu’ils sont faibles, il ne dit pas que le Fils est puissant, mais « parfait », ce qui comprend la puissance ; et vous pourriez ajouter : Voyez-vous que le nom de Fils est ici rappelé par opposition à esclave ? Par faiblesse, ici, il entend ou le péché ou la mort. – Mais que veut dire : « A jamais parfait ? » Inaccessible à tout péché, non seulement maintenant, mais toujours. Si donc il est parfait, s’il ne pèche jamais, s’il est toujours vivant, pourquoi offrirait-il pour nous plusieurs sacrifices ? Mais il n’insiste pas sur ce point ; il s’appesantit seulement sur cette vérité : qu’il n’offre pas pour lui-même.
Puis donc que nous avons un tel pontife, imitons-le, marchons sur ses traces. Plus d’autre sacrifice que le sien : un seul nous a purifiés ; au-delà, il n’y a plus que l’enfer et le feu. C’est pour cela que Paul remue ciel et terre pour nous répéter que nous n’avons qu’un prêtre, qu’un sacrifice ; de peur que s’imaginant qu’il y en a plusieurs, quelqu’un ne pèche avec assurance.
4. Nous tous donc qui avons été admis à la dignité de chrétiens, et qui avons reçu le caractère baptismal, nous tous qui avons eu part au sacrifice, nous tous qui avons participé à la table immortelle ; conservons intacte notre noblesse et notre honneur : car une chute ne serait pas sans u' immense danger. Quant à ceux qui n’ont pas été ennoblis par de semblables honneurs, qu’ils n’aient pas pour cela une triste confiance. Quand un homme pèche, en effet, avec l’idée de recevoir le baptême au dernier soupir, souvent il ne reçoit pas cette grâce. Croyez-moi : ce n’est pas pour vous épouvanter que je poursuis ce que j’ai à dire. J’en connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé ; dans l’espoir et l’attente de ce sacrement de l’illumination, ils péchaient beaucoup ; et au terme de leurs jours, ils sont partis vides et nus. Car c’est pour briser les chaînes du péché et non pour les multiplier, que Dieu a donné le baptême. S’en servir pour pécher plus à l’aise, c’est se créer des raisons de lâcheté et de négligence. Si le bain sacré n’existait pas, tel vivrait avec plus de précaution, parce qu’il n’aurait pas de pardon à espérer. Vous connaissez le détestable principe : Faisons le mal pour que le bien s’ensuive ; c’est nous qui pratiquons ce principe et voulons qu’on le répète ! Aussi, je vous en prie, vous qui n’avez pas encore été initiés aux saints mystères, réveillez-vous. Que nul n’aborde la pratique de la vertu en vrai mercenaire, en véritable ingrat ; que personne n’y entre comme dans une entreprise pénible et ennuyeuse. Non ! mais approchons avec un cœur allègre, une âme joyeuse ! Quand bien même, en effet, on ne nous proposerait aucune récompense, ne faudrait-il pas être vertueux ? Soyons-le donc encore avec l’espoir d’une récompense. N’est-ce pas ici une honte et le comble du déshonneur ? Si vous ne me donnez point de salaire, dites-vous, je ne veux être ni modeste ni tempérant. Eh bien ! moi, j’ose vous dire que vous ne serez jamais tempérants ni modestes, si vous voulez l’être pour un salaire. Vous n’estimez point la vertu, si vous ne l’aimez pas. Et toutefois Dieu, à cause de notre infirmité, a bien voulu y attacher une récompense ; et nous, même à ce prix, nous n’en essayons point.
Or, supposons, si vous le voulez, qu’un homme meure, après avoir commis des péchés sans nombre, et cependant après avoir reçu le baptême, ce qui, à mon sens, n’arrivera pas de sitôt. Comment cet homme partira-t-il pour le ciel ? S’il n’est plus accusé du mal qu’il aura commis ; il est certain cependant qu’il ne jouira pas d’une grande confiance. Car après avoir vécu un siècle, il ne montre dans sa conduite qu’un bien, c’est qu’il n’a plus de péchés ; je me trompe, il ne peut même montrer si peu ; il est sauvé uniquement par la grâce : or, quand il verra les autres élus couronnés, glorieux, environnés d’honneur et d’estime, quoiqu’il ne tombe pas en enfer, supportera-t-il, dites-moi, l’angoisse et la honte qui tourmenteront son âme ?
Un exemple éclaircira ma pensée. Voici deux soldats ; l’un est voleur, habitué à l’injustice, ravisseur du bien d’autrui ; l’autre, au contraire, se conduit en brave, s’illustre par des hauts faits, se couvre de trophées en trempant ses mains dans le sang des ennemis. Plus tard, quand le moment est venu, on vient le prendre dans le rang où était avec lui le soldat voleur, on le conduit soudain au trône impérial, on le revêt de pourpre ; tandis que l’autre est maintenu à sa place vulgaire, et ne doit qu’à la clémence du souverain de n’être pas puni de ses crimes ; mais il reste au dernier plan, mais on lui assigne sa place loin de l’empereur : supportera-t-il, dites-moi, le poids de son chagrin et de ses remords, quand il verra ainsi son compagnon d’armes élevé au faîte des dignités, parvenu au comble de la gloire, dictant des lois au monde entier, lorsque lui-même reste au plus bas degré, et ne peut même s’honorer d’avoir échappé au supplice, cet honneur appartenant tout entier à la clémence et au pardon de son prince ! Ah ! quand bien même le souverain l’aurait relâché et lui aurait pardonné ses crimes, il ne vivra que couvert de honte et d’ignominie ; il ne sera pas, certes, admiré des autres, car dans le cas d’une grâce semblable, on n’admire pas celui qui la reçoit, mais celui qui l’accorde ; plus est grand le don octroyé, plus est affreuse la honte de celui qui en est l’objet, puisqu’il suppose de grands crimes commis.
De quels yeux donc un tel chrétien pourra-t-il voir ceux qui sont dans la cour céleste, et qui montrent et leurs blessures et leurs travaux innombrables, lorsque lui-même ne pourra rien montrer, lorsqu’il ne devra qu’à la bonté et à la clémence de Dieu d’être relâché sain et sauf ? Tel qu’un homicide, un voleur, un adultère prêt à marcher au dernier supplice, et qu’un haut personnage s’est fait donner à discrétion, et qu’il fait tenir à la porte de son palais : le misérable n’osera, d’ailleurs, regarder personne en face, bien qu’après tout il ait échappé au coup fatal : tel sera ce chrétien.
5. Car de ce qu’on appelle ce séjour la cour céleste, n’allez pas croire que tous y occupent le même rang. Dans les cours de nos princes, vous voyez des premiers officiers, et tous ceux qui font cortège au souverain, et toutes sortes de bas officiers, et jusqu’à ces licteurs qui occupent l’emploi appelé de Décan ; tous s’y rencontrent, bien, qu’entre le licteur et le grand officier, la distance soit immense. Bien plus grandes encore seront les différences dans la cour céleste. Et je ne dis pas cela de moi-même, car saint Paul établit une autre différence bien autrement considérable que. toutes celles-là. Les différences qui se remarquent entre les astres, depuis le soleil jusqu’à la lune, jusqu’aux étoiles, jusqu’à la moins brillante de celles-ci, ne sont pas en plus grand nombre ni plus grandes que celles qui existent entre les habitants de la cour divine. Or, qu’entre le grand officier et le licteur il y ait une distance bien moindre qu’entre le soleil et la moindre étoile, c’est chose évidente à tous les yeux ; car le soleil éclaire à la fois et réjouit la terre tout entière, et, sa lumière éclipse la lune et les étoiles ; et telle petite étoile ne parait peut-être même jamais et reste perdue dans les ténèbres, car il est bien des étoiles que nous n’apercevons même pas.
Quand donc nous verrons les autres devenir des soleils, tandis que nous irons prendre la place des moindres étoiles, de celles qui ne se devinent même pas, quelle consolation nous restera-t-il ? Ah ! je vous en prie, ne soyons pas ainsi tardifs ; lourds et lâches ; ne traitons pas l’affaire du salut dont Dieu est l’enjeu, de façon à la changer en œuvre de loisir ; exerçons sur elle un saint négoce, sachons la faire valoir et la multiplier. Car enfin chacun ici, fût-ce un catéchumène, chacun connaît cependant Jésus-Christ, chacun apprécie la foi, entend la divine parole, approche plus ou moins de la connaissance de Dieu, et sait la volonté de son maître.
Pourquoi ces délais, ces hésitations, ces retards ? Rien n’est – meilleur qu’une vie vertueuse polar ce monde comme pour l’autre, pour les fidèles baptisés et pour les catéchumènes. Car, je vous le demande, quel est le commandement qui soit pour nous lourd et intolérable ? Ayez, Dieu le dit, ayez une épouse et soyez modéré et continent : est-ce donc difficile ? Comment le prétendre, lorsque tant de personnes même sans épouse savent être chastes, non seulement parmi les chrétiens, mais parmi les gentils ? Une passion que le gentil domine par vanité, ne sauriez-vous l’éviter, vous, par crainte de Dieu ? – « Donnez », Dieu le dit, « donnez aux pauvres suivant vos moyens » : est-ce un devoir lourd et intolérable ? Maïs ici encore les gentils nous accusent, eux qui, par vaine gloire, jettent parfois leur fortune entière à pleines mains. – Ne tenez point de discours obscènes. Est-ce difficile ? Ne devrions-nous pas nous conduire assez honnêtement pour y voir notre propre déshonneur ? C’est le contraire, c’est ; veux-je dire, tenir des discours dés honnêtes qui est une difficulté, et vous le voyez avec évidence, par ce fait qu’on a la honte au cœur et la rougeur au front, lorsqu’on a laissé échapper des paroles de ce genre, qu’on ne prononcera pas, à moins d’être ivre. Pourquoi, en effet, une fois assis sur la place publique, n’y faites-vous plus ce que vous vous permettez peut-être à la maison ? N’êtes-vous pas retenu par les témoins qui sont là ? Pourquoi ne le feriez-vous pas même en présence de votre femme ? N’est-ce as de peur de la couvrir de honte ? Or, ce que vous ne faites pas par respect pour votre épouse, comment ne rougissez-vous pas de le faire en outrageant Dieu ? car il est présent partout, il entend tout. – Gardez-vous de vous enivrer c’est simple et beau. L’ivresse par elle-même n’est-elle pas un supplice ? Dieu ne vous dit pas : Disloquez votre corps ; mais quoi ? Ne vous enivrez pas, c’est-à-dire ne le dégradez pas au point de faire perdre à l’âme sa royauté. Quoi donc ? Faut-il refuser tous les soins à son corps ? Arrière cette doctrine ; je ne la prêche pas ; Paul a formulé ainsi le précepte : « N’ayez aucun souci de la « chair dans ses mauvais désirs » (Rom. 13,14) ; ne vous prêtez jamais à sa concupiscence. – Ne ravissez pas ce qui n’est point à vous ; gardez-vous d’envahir par avarice le bien d’autrui ; ne commettez point de parjure. Faut-il, pour accomplir ces devoirs, beaucoup travailler, beaucoup suer ? N’accusez pas, est-il dit, ne calomniez pas : est-ce donc pénible ? C’est le contraire qui est pénible. Car lorsque vous prononcez une parole de détraction, vous êtes en danger ; vous tremblez d’avoir été entendu par la personne, considérable ou chétive, dont vous avez ainsi parlé. Si c’est un grand de ce monde, vous êtes de fait en danger ; si c’est un petit selon le siècle ; il vous rendra la pareille, il vous paiera même avec usure, il vous attaquera par des discours plus malveillants. – Non, sachons vouloir, et aucun précepte ne sera pour nous lourd ni difficile. Mais si nous n’avons pas de volonté, tout ce qui est le plus facile nous paraîtra malaisé. – Quoi de plus facile que de manger ? Mais telle est la mollesse de quelques gens, qu’ils trouvent même cette fonction pénible. Et j’entends plusieurs personnes dire que manger est un travail. Aucune fonction n’est laborieuse, si vous le voulez, car avec la grâce céleste tout repose sur votre volonté. Veuillons donc le bien, afin de gagner aussi les biens éternels, par la grâce et la bonté, etc.

HOMÉLIE XIV.

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TOUT CE QUE NOUS VENONS DE DIRE SE RÉDUIT A CECI : LE PONTIFE QUE NOUS AVONS EST SI GRAND, QU’IL EST ASSIS DANS LE CIEL A LA DROITE DU TRONE DE LA SOUVERAINE MAJESTÉ. CHAPITRE VIII EN ENTIER.

Analyse.

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  • 1-3. Grandeurs et humiliations dans Jésus-Christ, ministre d’un nouveau tabernacle qui est le ciel. – Celui-ci n’est pas sphérique ni mobile : courte excursion dans l’astronomie. – Le sacerdoce de la loi nouvelle est tout céleste : admirable idée des sacrements et de la liturgie chrétienne, dont les rites juifs n’avaient que l’ombre et t’ébauche. – L’alliance nouvelle a été prédite, l’ancienne a été réprouvée d’avance en toutes lettres. – Caractère de la loi de grâce. – Elle n’est pas écrite ; les apôtres n’ont reçu du ciel aucun livre : témoignage écrasant contre le protestantisme. – L’alliance est nouvelle bien que contenant les débris de l’ancienne.
  • 4. La pénitence, l’oubli de mal faire et la réparation des méfaits, rend à l’âme sa première beauté. – La nuit est le temps favorable à la contrition et à la prière. – La prière du matin et du soir est nécessaire, mais surtout le ban emploi de la nuit.


1. Saint Paul mêle dans son discours les humiliations et les grandeurs ; il imite en cela son divin Maître. Les choses humbles et basses préparent la voie aux choses sublimes et divines. La vue de celles-ci nous apprend que celles-là étaient un effet de la bonté de Dieu qui voulait condescendre à notre faiblesse. C’est ce plan général qu’il suit en particulier dans ce passage. Il a commencé par dire que Jésus s’est offert, et puis, nous l’ayant montré comme Pontife, il ajoute. « Voici maintenant le comble et le couronnement de tout ce qui a été dit jusqu’ici ; nous avons un Pontife si grand qu’il s’est assis dans le ciel à la droite du trône de la Majesté souveraine ». Or, être assis n’est pas le propre d’un pontife, mais de celui à qui le sacrifice est offert par le pontife. – « Étant le ministre du « sanctuaire » ; non pas simplement « ministre », mais ministre du sanctuaire ; « et du vrai tabernacle que Dieu a fixé et non pas un homme ». Voyez-vous ici l’abaissement volontaire ? Car l’apôtre n’a-t-il pas établi, au début de son épître, cette différence en faveur du Fils de Dieu, que les anges « sont tous des esprits ministres », et que pour cette raison la parole : « Asseyez-vous à ma droite », ne leur sera jamais adressée ? Il affirme donc que celui qui s’assied n’est pas un ministre, un simple serviteur. Comment donc ici est-il appelé ministre, et ministre du sanctuaire ? C’est donc comme homme que cette affirmation lui convient.
Quant au « tabernacle », ici, c’est le ciel. Et pour montrer la différence entre ce tabernacle et celui des juifs, il dit que c’est non pas un homme mais Dieu qui l’a fixé. Remarquez comment il élève les âmes des juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Vraisemblablement, ils s’imaginaient que nous n’avions point de tabernacle. Voici, leur dit-il, le prêtre, le prêtre vraiment grand, bien plus grand que les pontifes d’Israël, et qui a offert un sacrifice plus admirable. Mais ire va-t-on pas voir ici un vain étalage de mots pour séduire les esprits ? Non, car il leur rend ses affirmations dignes de foi, en les prouvant et par le serment divin, et par le tabernacle nouveau. Sur ce dernier point la différence était déjà éclatante ; il leur en fait encore considérer une toute particulière : « Il a été fixé », dit-il, « non de main d’homme, mais par Dieu même ». Où sont maintenant ceux qui affirment le mouvement du ciel ? Où sont ceux qui disent que sa forme est sphérique ? L’une et l’autre idée sont détruites par ce seul texte : « Or voici le comble de tout ce qui a été dit ». Le comble, la tête, c’est tout ce qu’il y a de plus élevé. Mais il va rabaisser son langage, et après avoir parlé des grandeurs du Christ, il peut sans crainte parler des abaissements. Pour que vous sachiez donc que ce mot : « ministre », qu’il écrit ensuite, se rapporte à l’humanité de Notre-Seigneur, écoutez comme de nouveau il va le déclarer.
« Car tout pontife », dit-il, « est établi pour offrir à Dieu des dons et des victimes ; c’est pourquoi il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose qu’il puisse offrir (3) ». En m’entendant dire qu’il est assis, n’allez pas croire qu’il n’ait pas été appelé sérieusement pontife. On dit qu’il est assis pour marquer sa divinité ; on dit qu’il est pontife pour montrer sa miséricorde envers nous. L’apôtre insiste avec complaisance sur ce dernier point, il s’y étend davantage. Il craignait que l’idée de la divinité de Jésus-Christ n’empêchât de croire à ses miséricordieux abaissements. Il y revient donc, et comme quelques-uns demandaient : Pourquoi est-il mort ? Parce qu’il était prêtre, répond-il ; pas de prêtre sans sacrifice ; il lui faut donc un sacrifice, à lui aussi. Saint Paul, qui a déclaré d’ailleurs que Jésus est dans le ciel, dit donc et montre de toute manière qu’il est prêtre, rappelant et Melchisédech, et le tabernacle, et le sacrifice offert par Notre-Seigneur. Et, toujours dans le but de prouver le sacerdoce de Jésus-Christ, il construit un nouveau raisonnement
« S’il avait été prêtre sur la terre », dit-il, « il ne serait pas prêtre, puisqu’il y avait déjà des prêtres pour offrir des dons selon la loi (4) ». Si donc il est prêtre, et il l’est certainement, il faut qu’il le soit ailleurs qu’ici-bas. Car s’il était prêtre sur la terre, il ne serait pas prêtre, et pourquoi ? parce qu’il n’a jamais offert de sacrifice, et qu’il n’a pas rempli de fonction sacerdotale ; et cela se comprend, puisqu’il y avait des prêtres chargés de ces sacrifices. L’apôtre prouve qu’il était même impossible à Jésus-Christ d’être prêtre sur la terre : comment, en effet, dit-il, l’aurait-il pu avant la résurrection ?
Maintenant, mes frères, il vous faut élever vos âmes, et contempler la science apostolique de Paul ; car voici une nouvelle différence de sacerdoce qu’il nous dévoile. – « Dont le ministère a pour objet la figure et l’ombre des choses du ciel ». Que sont ici les choses du ciel ? Les choses spirituelles. Car bien que les saints mystères s’accomplissent en ce bas monde, ils sont néanmoins dignes du ciel. En effet, quand on nous met devant les yeux Jésus-Christ tué et immolé ; quand l’Esprit-Saint descend ; quand ici se rend présent Celui qui est assis à la droite du Père ; quand le bain sacré engendre des enfants de Dieu ; quand ceux-ci deviennent concitoyens des habitants du ciel, puisque nous avons là-haut droit de patrie, de cité, puisque désormais ici-bas nous sommes étrangers et voyageurs, comment tous ces mystères ne sont-ils point célestes ? Et quoi encore ? Nos hymnes ne sont-elles point célestes ? Les mêmes chants que font entendre au ciel les chœurs des puissances incorporelles, n’en avons-nous pas l’écho, nous qui sommes sur cette humble terre ? Et notre autel n’est-il pas céleste aussi ? Comment ? C’est qu’il n’a rien de charnel ; toutes les offrandes qui s’y font, sont spirituelles. Notre sacrifice ne s’évanouit pas en cendre, en graisse, en fumée ; mais il ennoblit et glorifie les dons qu’on y présente. N’est-il pas céleste le sacrement qui s’accomplit en vertu de ces paroles adressées aux ministres de tous les temps : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez ? » (Jn. 20,23) N’exercent-ils pas un pouvoir céleste, ceux qui possèdent même les clefs du royaume des cieux ?
2. « Leur ministère a pour objet », dit-il, « la figure et l’ombre des choses du ciel, comme il fut répondu à Moïse lorsqu’il construisait le tabernacle. Voyez », disait le Seigneur, « et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (5) » ; c’est qu’en effet, l’ouïe est un moyen plus lent que la vue pour apprendre une chose ; ce que nous entendons ne se grave pas dans notre esprit comme ce que nous voyons. « Dieu lui montre toutes choses » ; peut-être ne les lui montre-t-il qu’en modèle et en ombre, peut-être veut-il ici parler du temple. Car il a dit d’abord : « Voyez et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne ». N’a-t-il vu que ce qui avait trait à la construction du temple, ou aussi ce qui se rapportait aux sacrifices et à tout en général ? Ce second sentiment peut être soutenu sans erreur. Car l’Église est céleste, elle n’est rien moins qu’un ciel.
« Au lieu que Jésus a reçu une sacrificature d’autant plus excellente, qu’il est le médiateur d’une meilleure alliance (6) ». Voyez combien, dit l’apôtre, le second sacerdoce l’emporte sur le premier, puisque l’ancien n’est que copies et figures, et que le nouveau est la vérité même. Mais cette assertion était peu consolante pour les Hébreux, et ne pouvait leur causer du plaisir ; l’apôtre s’empresse donc d’ajouter quelque chose qui devait les combler de joie : « L’alliance nouvelle est établie sur de meilleures promesses ». Après l’avoir déjà montrée plus grande par le lieu, le prêtre et le sacrifice, il établit maintenant la différence d’alliance. Il avait déclaré plus haut que l’ancienne était faible et inutile, et toutefois remarquez les précautions qu’il prend avant d’en venir à lui faire son procès. Plus haut (VII) avant de prononcer la réprobation du sacerdoce antique, il avait eu soin de parler de l’immortalité du nouveau pontife, à qui ensuite il attribuait cette haute prérogative que « par lui « nous approchons de Dieu ». Ici, ce n’est qu’après nous avoir élevés jusqu’aux cieux, après nous avoir montré que le ciel remplace pour nous le temple, et que le lévitisme ne possédait que les figures de nos saintes réalités ; c’est après avoir ainsi relevé le culte nouveau qu’à bon droit dès lors il relève aussi le sacerdoce. – Mais, je l’ai dit, il établit spécialement ce qui doit causer aux Hébreux une joie incomparable, à savoir : « Que notre alliance repose sur des promesses meilleures ». Et qui le prouve ? Ce fait même que l’antique alliance est rejetée, et qu’une autre est introduite à sa place. Si désormais celle-ci a l’empire, c’est parce qu’elle est meilleure ; car de même qu’il disait : Si par le sacerdoce lévitique la perfection était atteinte, pourquoi y a-t-il eu besoin qu’un autre prêtre se levât selon l’ordre de Melchisédech ; ainsi employant ici le même argument, il dit
« Car s’il n’y avait rien de défectueux dans la première alliance, il n’y aurait pas lieu d’en « substituer une seconde. Et cependant Dieu leur adresse une parole de blâme (7, 8) », c’est-à-dire, si l’alliance n’avait pas eu quelque défaut, si elle avait délivré les hommes de tout péché. Car pour vous convaincre que tel est le sens de ces paroles, écoutez la suite : « Leur adressant un blâme », aux juifs, non à l’alliance, le Seigneur dit : « Il viendra un temps où je ferai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Juda. Non selon l’alliance que j’ai faite avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte ; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j’avais faite avec eux, et c’est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Soit, dira-t-on ; et où est la preuve que cette alliance soit finie ? Il l’a déjà fait voir par le prêtre ; ruais maintenant, il démontre plus clairement et en termes exprès, qu’elle est rejetée. Comment ? « Par des promesses meilleures ». Où est, en effet, je vous prie, l’égalité entre le ciel et la terre ? Considérez ce terme : Meilleures promesses ; il est mis pour calmer les susceptibilités. Il a dit plus haut dans la même intention : « Par cette espérance nous approchons de Dieu, espérance meilleure », dit-il. (Héb. 7,19) En effet, dire meilleures promesses, meilleure espérance, c’est donner à entendre que l’ancienne alliance avait déjà ses promesses et son espérance. Mais ce peuple l’accusant toujours : « Voici », ajoute-t-il, « voici que des jours viendront, dit le Seigneur, où je consommerai une alliance nouvelle avec la maison d’Israël et la maison de Juda ». Il ne s’agit pas d’une ancienne alliance quelconque ; car, pour qu’on ne pût s’y tromper, il a marqué la date même. Il ne dit pas absolument : Non pas selon l’alliance que j’ai faite avec leurs pères, parce que vous auriez pu répondre qu’il s’agit de celle que Dieu fit avec Abraham ou même avec Noé. Laquelle désigne-t-il donc ? Écoutez : « Non pas selon l’alliance que j’ai faite avec leurs pères qui assistaient à la sortie » ; et Dieu même ajoute : « En ce jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d’Égypte ; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j’ai faite avec eux, et c’est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Voyez-vous que le mal commence par nous ? Ce sont eux qui n’ont point persévéré, dit-il ; ainsi la négligence est notre fait. Le bien, je veux dire tous les bienfaits, viennent de Dieu. Ici, il semble lui-même faire son apologie, et il dit pour quelle raison il les abandonne.
8. « Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur ; j’imprimerai mes lois dans leur esprit et je les écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (10) ». Dieu parle évidemment de la nouvelle alliance, puisqu’il a dit : Ce n’est plus selon l’alliance que j’ai faite jadis. Telle est la grande différence des deux alliances ; la dernière est écrite dans les cœurs. La différence n’est pas tant dans les commandements que dans la manière de les donner et de les graver. « Mon alliance ne sera plus écrite en lettres », dit-il, « mais dans les cœurs ». Que le juif nous montre la réalisation de cette prophétie à une époque quelconque ; mais non, il ne la trouvera pas, car]aloi fut de nouveau reproduite en caractères écrits après le retour de la captivité de Babylone. Moi, au contraire, je leur montre que les apôtres n’ont rien reçu par écrit, mais que l’Esprit-Saint a gravé tout dans leur cœur. Aussi Jésus-Christ disait-il : « Quand il sera venu, il vous remettra toutes choses en mémoire et vous enseignera ».
« Et chacun d’eux n’aura plus besoin d’enseigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur ; parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand ; car je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés (11, 12) ». Voici un autre signe : Du petit au grand, dit-il, on me connaîtra ; on ne dira plus : Connaissez le Seigneur. Quand donc s’est réalisée cette prédiction, sinon maintenant ? car notre grande révélation chrétienne a éclaté partout ; et la leur, loin d’être ainsi manifeste, est enfermée dans un étroit recoin. On dit qu’une chose est nouvelle, quand elle est tout autre, ou quand elle montre ce que n’avait pas celle qui l’a précédée. Une chose encore devient nouvelle quand on en retranche une forte partie sans toucher au reste. Par exemple, que quelqu’un répare une maison qui menace ruine, et que sans touchera l’ensemble de la construction, il en refasse les fondations, nous dirons aussitôt Il a fait une maison neuve, parce qu’il a enlevé certaines parties qu’il a remplacées par d’autres. Nous disons aussi que le ciel est nouveau, quand, cessant d’être d’airain, il nous verse la pluie ; ainsi encore parlons-nous d’une terre qui cesse d’être stérile, sans avoir été changée autrement ; ainsi appelons-nous édifice rieur celui dont on retire certaines parties en respectant les autres. Saint Paul a donc eu raison d’appeler nouvelle notre alliance, pour montrer que la précédente a vieilli, étant devenue absolument inféconde. Pour vous en convaincre, lisez les reproches d’Aggée, de Zacharie, de l’ange ; lisez spécialement les griefs d’Esdras contre le peuple, comment il fut reçu, lorsqu’ils étaient transgresseurs, et qu’ils ne s’en doutaient même pas. – Voyez-vous comment votre alliance a été violée et supprimée, comment l’a mienne mérite à bon droit le titre de nouvelle ?
Je n’admets pas d’ailleurs que ce texte : « Il y aura un ciel nouveau » (Is. 65,17), ait été dit dans le sens indiqué tout à l’heure. En effet, lorsque Dieu, dans le Deutéronome, annonce que le ciel serait d’airain, il n’a pas ajouté cette antithèse : Si au contraire vous obéissez, le ciel sera nouveau ; mais il déclare que c’est parce que les juifs n’ont point gardé la première alliance qu’il en donnera une nouvelle. Je la prouve par ces paroles de l’apôtre lui-même : « Car ce qui était impossible à la loi, qui était affaiblie parla chair » ; et ailleurs : « Pourquoi tentez-vous Dieu, en imposant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n’avons pu porter ? » (Rom. 8,3 ; Act. 15,10) Puisqu’ils n’ont pas persévéré, dit-il. Ceci montre que nous sommes honorés de faveurs plus grandes et plus spirituelles. « Car », dit-il, « leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde ». C’est l’explication du texte : « Chacun ne dira plus à soit prochain : Connaissez le Seigneur », et ailleurs : « La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer jadis l’a couverte de ses flots » : (Hab. 2,14)
« Or, en appelant cette alliance une alliance nouvelle, il a mis la première au rang des choses « vieillies et passées. Or, ce qui passe et vieillit, est proche de sa fin (13) ». Voyez comme il a dévoilé ce qu’il a de plus caché, la pensée même du Prophète. Il a honoré la loi, et n’a pas voulu t’appeler vieille en toutes lettres ; mais il a dit qu’elle l’était cependant. Car si elle était nouvelle, il ne donnerait pas cette qualification de nouvelle à la nôtre. Ainsi Dieu donnant davantage, dit-il, par là même a mis la précédente alliance au rang des choses antiques. Donc elle se dissout et s’éteint, elle n’est déjà plus. Encouragé par le Prophète, il poursuit utilement ce thème, montrant que notre religion est florissante, par cela seul que l’autre alliance est usée. Prenant ensuite ce terme de chose antique, il en ajoute un autre encore, celui de chose vieillie, et le coup de grâce se déduit aussitôt des qualifications susdites : « Elle est », dit-il, « proche de sa fin ». Ce n’est donc pas, à proprement parler, la nouvelle alliance qui a détruit l’ancienne ; c’est que celle-ci vieillit, c’est qu’elle est devenue inutile. Voilà pourquoi il disait : A raison de son impuissance et de son inutilité ; et encore : La loi n’a rien mené à la perfection ; et : Si la première alliance avait été sans défaut, on ne chercherait pas la place d’une seconde. Qu’est-ce qu’être sans défaut ? C’est être utile, puissant. Il parle ainsi, non que la loi doive être accusée positivement ; mais, la voyant insuffisante, il s’exprime plus simple ; ment, comme si l’on disait : Votre maison n’est pas sans défaut ; c’est-à-dire, elle a quelque vice de construction ; elle n’est c’est-à-dire, ferme ni solide ; votre vêtement n’est pas sans défaut ; c’est-à-dire il s’en va. Il ne dit donc pas que l’alliance antique fut mauvaise, mais qu’elle laissait prise au blâme, aux accusations.
4. Ainsi nous sommes nouveaux, ou plutôt, nous l’avons été, car maintenant nous avons vieilli, et partant nous sommes près de la mort. Toutefois, si nous le voulons, nous pouvons conjurer, réparer cette caducité honteuse. Nous ne le pouvons plus par le baptême, mais nous le pouvons par la pénitence. Si nous avons quelque symptôme de vieillesse, rejetons-le ; si déjà nous comptons quelque ride, quelque tache, quelque souillure, sachons tout effacer et recouvrons notre beauté première, afin que le Roi nous aime dans cette beauté renouvelée. Bien, que tombés peut-être dans une laideur extrême, il nous est permis de retrouver ce charmé et cette grâce dont parle ainsi David : « Écoutez, ô ma fille, voyez, prêtez l’oreille, oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris dé votre beauté ». Ce n’est pas l’oubli qui fait la beauté de l’âme. Quel oubli est donc ici désigné ? L’oubli des péchés. Car le Prophète s’adresse à l’Église appelée du milieu des nations païennes, et lui conseille de ne pas se souvenir de ses pères, de ceux sans doute qui sacrifiaient aux idoles ; c’est parmi eux, en effet, qu’elle a été choisie. Et il ne lui dit pas : N’en approchez point ; mais ce qui est bien autrement fort : N’en concevez plus même la pensée ! Ce qui s’accorde avec cet autre passage : « Je ne me souviendrai plus même de leurs noms sur mes lèvres » ; et ailleurs. « Puisse ma bouche ne pas parler des rouvres de ces hommes ! » (Ps. 15,4 et 16,4) Ceci n’est pas, encore d’une grande vertu, ou plutôt c’est une vertu déjà grande, mais non parfaite. Car que dit-il ici ? Il ne s’arrête pas à cet avis : Ne parlez pas le langage de vos pères ; il poursuit : Ne leur gardez pas même un souvenir, n’en conservez pas même l’idée. Vous voyez à quelle distance il veut nous éloigner du Vice, En effet, qui ne se souvient plus d’une chose, n’y pense pas ; qui n’y pense pas, n’en parle pas ; qui n’en parle pas, est bien loin de la commettre. Comprenez-vous combien d’étapes il jette entre nous et le péché, combien de haltes, d’intervalles, doivent nous en éloigner ?
Écoutons donc, nous aussi ; oublions nos maux, et non pourtant les péchés que nous avons commis. Car, souvenez-vous-en le premier, dit le Seigneur, et moi, je ne m’en souviendrai plus. Prenons un exemple : Loin d’avoir un souvenir de vol, rendons le bien volé. C’est oublier le vice que de chasser ainsi toute pensée de rapacité sans jamais plus l’accueillir, ayant même souci d’effacer la trace de nos péchés.
Mais comment ainsi oublier le mal ? Par le souvenir des bienfaits de Dieu. Si nous avions constamment mémoire de ce grand Dieu, nous pourrions aussi nous rappeler ses bontés. « Heureux », dit le Prophète, « si je me suis souvenu de vous sur ma couche même, si je méditais alors sur vous dès le matin ! » (Ps. 62,7) Car toujours sans doute il faut se souvenir de Dieu, mais plus que jamais il le faut à l’heure où notre pensée est dans le silence et le calme, à l’heure où par ce souvenir elle peut se condamner, à l’heure où la mémoire est plus fidèle. Quand ce souvenir nous revient pendant le jour, bientôt d’autres soucis tumultueux chassent la bonne pensée. Durant la nuit, au contraire, nous pouvons nous souvenir toujours, dès que notre âme jouit de la tranquillité, du repos, qu’elle est au port et dans une atmosphère sereine. « Ce que vous dites dans vos cœurs », ajoute le Prophète, « repassez-le avec amertume dans votre lit ». (Ps. 4,5) Il faudrait sans doute, même durant le jour ; conserver ces souvenirs ; mais parce qu’alors vous êtes sans cesse inquiets et distraits par les affaires de la vie présente, au moins alors et dans votre lit, souvenez-vous de Dieu et méditez sur lui dès les heures matinales. Si telle est, dès le matin, notre Cation, nous irons ensuite à nos affaires avec une sécurité heureuse ; si par la prière tout d’abord nous gagnons l’amitié de Dieu, nous marcherons dès lors sans rencontrer d’ennemi, ou, s’il s’en présente, nous en rirons, ayant Dieu pour nous. La guerre est sur la place publique, les embarras de chaque jour sont autant de combats, de vagues, de tempêtes. Nous avons besoin d’armes ; les prières sont des armes puissantes. C’est quand les vents sont favorables qu’il faut tout étudier, pour que la longue journée s’achève sans naufrage ni blessure ; car chaque jour voit surgir de nombreux écueils, et trop souvent contre eux la barque se brise et s’engloutit.
Voilà pourquoi nous avons besoin de prière, surtout le matin et le soir. Plusieurs d’entre vous souvent ont vu les jeux Olympiques ; et non contents d’en être témoins, se sont portés fauteurs et admirateurs de ceux qui concourent, prenant parti l’un pour celui-ci, l’autre pour celui-là. Vous savez que pendant ces jours et ces nuits de combats, le héraut n’a toute la nuit même qu’une pensée, qu’un souci, c’est qu’aucun des combattants ne se conduise d’une manière indigne. Ceux qui patronnent un joueur de trompette, lui conseillent de ne dire mot à qui que ce soit, de peur d’épuiser son haleine et de prêter à rire. Si donc celui qui va lutter en face des hommes y met un soin pareil, bien plus convient-il que nous soyons constamment sur nos gardes et toujours réfléchis, nous dont la vie entière est nu combat. Que la nuit donc tout entière soit pour nous une longue veille, une continuelle précaution, de peur que nos démarches de la journée ne prêtent au ridicule ; et plut à Dieu que nous ne fussions jamais que ridicules !
Or sachons qu’à la droite du Père siège le Juge du combat ; il écoute attentivement s’il nous échappera quelque accent discordant et qui blesse l’harmonie, car il n’est pas seulement juge des faits, mais aussi dés paroles. Veillons toute la nuit, ô bien-aimés frères, et nous aussi, si nous voulons, nous aurons des partisans. Près de chacun de nous siège un ange, tandis que nous dormons profondément toute la nuit. Et encore si nous ne faisions que dormir ; mais plusieurs alors commettent des turpitudes ; les uns courent aux mauvais lieux ; les autres prostituent leurs maisons mêmes, en y admettant des courtisanes. Je me tais : car ceux-là n’ont aucun souci de bien combattre. D’autres s’abandonnent à l’ivresse et aux grossières conversations ; d’autres aiment le bruit et le trouble ; d’autres passent toute la nuit dans une veille criminelle et méditent contre ceux qui dorment des complots détestables ; d’autres comptent leurs profits usuraires ; d’autres sont rongés de soucis et font tout excepté ce qui convient au bon combat. Aussi je vous prie d’abandonner toute pensée semblable et de n’avoir qu’un but, c’est de recevoir la récompense, d’ambitionner pour nos fronts la couronne, de tout faire enfin pour pouvoir atteindre les biens promis. Puisse-t-il nous être donné d’en jouir par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ !

HOMÉLIE XV.

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CETTE PREMIÈRE ALLIANCE A EU DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS TOUCHANT LE CULTE DE DIEU, ET UN SANCTUAIRE TERRESTRE. (IX, JUSQU’A 15)

Analyse.

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  • 1 et 2. Rappel, en quelques mots, des rites anciens : le tabernacle, l’arche et toua les objets qu’on y gardait, accusaient les Juifs. – Sacrifice unique et sanglant par le seul grand prêtre, et son entrée alors, une fois par an, dans le Saint des Saints image du sacrifice unique et sanglant de Jésus-Christ, et de son entrée définitive au ciel.
  • 3 et 4. Mal du péché en général ; il le compare au cadavre empesté. – Mal de l’avarice, qui se place au-dessous de la prostitution même : détails navrants. – Mal du rire insensé, qui va se moquer de cette doctrine. – Jésus-Christ n’a jamais ri. – Mal spécial du rire dans l’église. – Objurgation spéciale aux femmes.


1. Il a montré par le prêtre, par le sacerdoce, par l’alliance même la fin certaine de celle-ci ; il va la prouver enfin par la figure du tabernacle lui-même. Comment ? en y distinguant le Saint, et le Saint des Saints. Le Saint contenait les symboles et les signes de la période précédente, puisque tout s’y faisait par divers sacrifices. Le Saint des Saints, au contraire, appartient à notre époque. D’après saint Paul, le Saint des Saints marque à la fois le ciel, le voile du ciel, la chair du Christ qui entre par-delà ce voile, du Christ qui pénètre là par le voile de sa chair. Mais il est à propos de reprendre ce sujet de plus haut. Que dit-il donc ?
« La première eut aussi… » Qu’est-ce à dire, la première ? La première alliance. « Ses règlements « de culte ». Règlements, qu’est-ce ? Des symboles ou des rites ; comme s’il disait : Elle les a eus autrefois, elle ne les a plus. Il montre que déjà une alliance a supplanté l’autre : elle eut alors, dit-il. Aussi maintenant, quoique debout encore, elle n’est plus ; elle eut aussi « un sanctuaire du siècle », c’est-à-dire, séculier, mondain, parce que tous les hommes pouvaient y pénétrer ; il y avait un lieu ouvert et commun à tous dans le temple où se voyaient prêtres et simples juifs, prosélytes mêmes, gentils et nazaréens. Et parce que l’entrée en était libre même aux nations étrangères, il l’appelle « mondain », car les juifs n’étaient pas le monde.
« Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où étaient le chandelier, la table et les pains de proposition, et cette partie s’appelait le Saint ». Voilà les symboles d u monde. « Après le second voile… » Il y avait donc plus d’un voile ; du côté du dehors, en effet, il y en avait un premier… Après le second voile était « le tabernacle qu’on appelle le Saint des Saints ». Vous voyez qu’il l’appelle un tabernacle, une tente, parce qu’on ne fait qu’y passer comme dans une tente ; « où il y avait », dit-il, « un encensoir d’or, et l’arche de l’alliance toute couverte d’or, dans laquelle était une urne pleine de manne, la verge d’Aaron qui avait fleuri et les tables de la loi (4) ». Autant de témoignages éclatants de l’ingratitude des juifs. Ainsi les « tables de la loi » rappelaient que Moïse les avait brisées ; « la manne » déposée dans une urne d’or, qu’ils avaient murmuré ; « la verge d’Aaron », qu’ils s’étaient révoltés. Les juifs, ingrats et oublieux de si nombreux bienfaits, durent placer ces objets dans l’arche par ordre du législateur, et transmettre ainsi à la postérité le souvenir dé leurs méfaits. « Au-dessus de l’arche, des chérubins de gloire couvraient le propitiatoire (5) ». Qu’est-ce à dire, chérubins de gloire ? Comprenez : glorieux, ou bien qui sous Dieu même couvrent le propitiatoire. Saint Paul devait ainsi faire ressortir et exalter ces détails, pour montrer que ce qui va suivre est plus grand encore. « Mais ce n’est pas ici le lieu d’étudier une à une toutes ces choses ». Ceci nous fait comprendre qu’il y avait là non seulement ce qu’on voyait, mais encore du mystère. De toutes ces choses, dit-il, nous ne devons pas parler en détail, peut-être parce qu’elles exigeraient un long discours.
« Or, ces choses étant ainsi disposées, les prêtres entraient à toute heure dans le premier tabernacle, pour y remplir les fonctions du sacrifice (6) ». Comprenez : tout cela existait, mais les simples juifs n’en jouissaient pas, ils ne pouvaient même y plonger la vue. Aussi, ces choses n’étaient pas tant à eux qu’à nous, pour qui ces objets étaient des figures prophétiques.
« Mais dans le second tabernacle, seul, une seule fois dans l’année le pontife entrait, non sans y porter du sang qu’il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple (7) ». Voyez-vous comment les figures ont été comme des pierres d’attente posées d’avance pour l’avenir ? L’Apôtre prévient cette objection : Pourquoi un sacrifice unique ? pourquoi le grand Pontife n’a-t-il offert qu’une seule fois ? Il montre que cet usage datait de loin, et que le sacrifice le plus saint, le plus redoutable était unique. C’était l’antique usage que le grand prêtre n’offrit qu’une fois. Et il ajoute avec raison : « Non sans porter du sang » ; il y avait du sang, à la vérité, mais ce n’était pas, celui-là, le sang divin. Le sacrifice d’alors n’avait pas cette importance. Ceci figure le sacrifice à venir que le feu ne doit pas constituer, mais qui s’accomplit surtout par le sang. Car ayant appelé sacrifice le crucifiement, où l’on ne vit ni flamme, ni bûcher, mais seulement une immolation sanglante, il montre que cet antique sacrifice avait un semblable caractère : il se réduisait à cette oblation sanglante et unique… – « Qu’il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple ». Il ne dit pas, remarquez-le, pour les péchés, mais pour les ignorances, afin d’abaisser leur orgueil. En effet, il se peut que vous n’ayez pas péché de plein gré ; mais, malgré vous, l’ignorance vous a entraînés ; personne n’est pur à ce titre. Et partout il fait ressortir qu’il offre « pour lui », pour montrer ainsi que Jésus-Christ est tout autrement saint et grand que le pontife dont se glorifiaient les juifs. Si celui-ci avait été séparé des pécheurs et du péché, comment – aurait-il offert pour lui-même ? Où tend alors, bienheureux Paul, votre réflexion ? à faire entendre que d’être exempt de péché devait être le privilège d’un pontife plus grand, de celui que je veux maintenant vous faire contempler.
« Le Saint-Esprit nous montrant par là que la voie du sanctuaire n’était pas encore découverte, pendant que le premier tabernacle existait (8) ». La raison de tout cet arrangement, nous dit-il, était de nous instruire que l’entrée du Saint des Saints, c’est-à-dire du ciel, n’était pas encore ouverte. Voici ce que cela voulait dire : De ce que vous ne pénétrez pas encore dans le ciel, n’allez pas en nier l’existence ; car avez-vous même l’entrée du sanctuaire terrestre ?
2. « Et cela même n’était qu’une figure pour un temps d’un instant (9) ». Qu’appelle-t-il temps d’un instant ? Celui qui précède l’avènement de Jésus-Christ ; car après l’arrivée du Sauveur, il n’y a plus temps d’un instant. Comment y en aurait-il, puisqu’il est la consommation et la fin des temps ? « C’est donc une image » ; autrement dit, « c’est une figure pour un temps d’un instant, pendant lequel on offrait des dons et des victimes qui ne pouvaient rendre parfaits selon la conscience, les serviteurs de Dieu ». Vous voyez ici la claire explication des paroles qu’il a précédemment écrites : « La loi n’a rien mené à perfection » ; et encore : « Si la première alliance avait été sans reproche ». – « Selon la conscience », qu’est-ce à dire ? C’est que les sacrifices d’alors ne détruisaient pas les souillures de l’âme, mais ils n’atteignaient que le corps : « Selon la loi d’un précepte charnel ». (Héb. 7,16) Ils ne pouvaient remettre l’adultère, le meurtre, le sacrilège. Lisez plutôt ces règlements : Mangez ou ne mangez pas telles ou telles choses ; autant d’objets indifférents. « Ce culte ne consistait qu’en des viandes et des breuvages et en diverses ablutions (10) ». Buvez ceci, dit-il, bien qu’il n’y eût dans la loi aucune prescription sur le boire ; mais son but est de montrer la grossièreté de ces prescriptions. – « En diverses prescriptions charnelles, imposées jusqu’à une époque d’amendement ». En effet, c’était une justice purement charnelle. L’Apôtre renverse ces sacrifices, qu’il montre avoir été sans vertu aucune, et imposés jusqu’à une époque d’amendement, c’est-à-dire, pour attendre le temps qui devait amender et corriger toutes choses.
« Mais Jésus-Christ s’étant présenté comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n’a point été fait de main d’homme (11) ». Il désigne sa chair ; et il a raison d’appeler ce tabernacle plus grand et plus parfait, puisque le Dieu Verbe, ainsi que toute la vertu de l’Esprit, habite en lui : « Car Dieu ne lui donne pas son Esprit avec épargne et mesure » ; ou bien encore ; il est plus parfait, en ce sens que le blâme ne tomba jamais sur cette sainte humanité, et qu’elle accomplit largement les plus hautes vertus. « Tabernacle qui n’est point de cette création », et c’est en ce sens qu’il est plus grand que l’ancien. Il n’aurait pas été conçu de l’Esprit, si un homme l’avait construit. Il n’est pas non plus de cette création, en ce sens qu’il n’est pas composé die ces éléments créés que nous voyons, mais tout spirituel ; en effet, c’est l’Esprit-Saint même qui l’a construit. Voyez-vous comme ce corps sacré est appelé par l’apôtre, tabernacle, voilé, ciel ? « Par un tabernacle plus grand et plus parfait » ; et plus bas : « Par le voile, c’est-à-dire par sa chair » ; et encore : « Jusqu’au dedans du voile » ; et ailleurs : « Entrant dans le Saint des Saints, pour paraître devant la face de Dieu ». (Héb. 6,19) Pourquoi ce langage de l’Apôtre ? Pour nous apprendre qu’une même expression peut avoir deux sens, un sens littéral et un sens allégorique. Ainsi le ciel est un voile, parce qu’il cache le Saint ; il en est de même de la chair de Jésus que nous dérobe sa divinité, et cette chair qui possède la divinité est en même temps un tabernacle ; le ciel est encore un tabernacle, puisque le pontife y réside. – « Or, Jésus-Christ », dit-il,« s’étant présenté comme le pontife ». – Il ne dit pas : Étant devenu, mais s’étant présenté, c’est-à-dire étant venu de lui-même pour cette fonction, sans succéder à personne. Et quand il s’est présenté, il n’a pas été fait pontife ; il est venu avec le pontificat. Et il ne dit pas qu’il soit venu comme pontife des sacrifices, mais comme pontife des biens futurs ; son discours, ici, semble impuissant à tout dire.
« Et il est entré non avec le sang des boucs et des veaux ». Tout est changé ; « mais c’est avec son propre sang qu’il â pénétré une fois dans le sanctuaire », c’est le ciel qu’il nomme ainsi ; « ayant trouvé ainsi pour nous une rédemption « éternelle (12) ». Ce mot « trouvé » exprime un de ces mystères profonds, inattendus ; on demande comment par une seule entrée, il a trouvé une rédemption éternelle. L’Apôtre poursuit et nous donne les motifs de croire, à ce mystère. « Car si le sang des boucs et des taureaux et l’aspersion de l’eau mêlée avec la cendre d’une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par le Saint-Esprit s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant (13, 14) ? » Car, dit-il, si le sang du taureau peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l’âme. Et quand vous entendez dire : « Sanctifie », n’allez pas croire à un effet merveilleux. L’apôtre prévient votre erreur, en remarquant et démontrant quelle différence existe entre les deux sanctifications, et comment l’une est sublime, l’autre grossière ; et il est bien juste, selon lui, qu’il en soit ainsi, puisque, d’un côté est le sang du taureau, et de l’autre le sang de Jésus-Christ. Et il ne se contente pas d’une différence de nom ; il établit aussi la manière d’offrir : « Lui », dit-il, « s’est offert à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache ». Victime sans tache signifie pure de tout péché. Et l’expression « par le Saint-Esprit », veut dire : Non par le feu, ni par tout autre intermédiaire. Ce sang, dit-il, « purifiera notre conscience des œuvres mortes ». – « Œuvres mortes », est une locution très-juste ; car, chez les juifs, si quelqu’un touchait un mort, il devenait impur ; et chez nous toucher une œuvre morte, c’est souiller sa conscience. « Pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant et véritable », ajoute-t-il. Il montre ici qu’il est impossible que celui qui a des œuvres mortes, serve un Dieu vivant et véritable. Réflexion très-vraie, et qui nous montre le caractère des offrandes que nous devons faire à Dieu : oui, celles que nous présentons, sont vivantes et véritables ; celles qui viennent des juifs, sont mortes et fausses : tout cela est conséquent.
3. Que nul donc n’entre au saint lieu avec des œuvres mortes. Si l’entrée en était interdite à celui qui touchait un cadavre, bien plus l’est-elle à celui qui a des œuvres mortes ; car c’est la souillure la plus honteuse. Or, j’appelle œuvres mortes, toutes celles qui n’ont point la vie, qui déjà exhalent une odeur infecte. De même en effet qu’un cadavre, loin de flatter nos sens, incommode quiconque s’en approche ; ainsi le péché frappe et atteint notre intelligence même, enlève à notre âme tout son repos, y jette le trouble et le bouleversement. On dit que la peste a la malheureuse vertu de corrompre les corps : tel est aussi le péché. Peste affreuse et trop vraie, il ne corrompt pas l’air d’abord, et les corps ensuite, mais il attaque aussitôt l’âme elle-même. Ne voyez-vous pas comme les victimes de la peste souffrent, s’agitent, se roulent, sont brûlées vives, exhalent une odeur repoussante, offrent un aspect révoltant, sont immondes enfin dans tout leur être ? Telles sont, sans le savoir, les victimes du péché.
Car, dites-moi, n’est-il pas plus misérable qu’un fiévreux, celui qui est épris d’amour pour l’argent ou pour la chair ? n’est-il pas plus immonde que les pestiférés, celui qui commet ou qui subit toutes les bontés ? Se peut-il un être plus hideux que l’homme captif de l’avarice ? Les courtisanes, les comédiennes ne tiennent pas une conduite plus abjecte que lui. Je crois même qu’il va plus loin qu’elles dans la honte. Il subit des traitements d’esclave, tantôt s’abaissant à des flatteries sans nom, et tantôt audacieux et fier à l’excès ; mais toujours inégal. Souvent des scélérats, des escrocs, corrompus et abjects, incomparablement plus pauvres, d’une moindre condition que lui, le voient cependant assis à leurs côtés, comme un vil courtisan, tandis que les gens d’honneur et de vertu n’auront que ses insultés, ses outrages ; ses insolences. Vous le voyez, du reste, dans les deux cas, impudent et insolent, tour à tour bas à l’excès et arrogant outre mesure. La femme perdue, elle, se tient enfermée ; son crime est de trafiquer de son corps à prix d’argent. Mais elle a une certaine excuse dans la pauvreté et la faim ; bien que cette excuse soit insuffisante, puisqu’elle pourrait se nourrir en travaillant. L’avare, au contraire, ne reste point chez lui ; il se montre au milieu de la cité, prostituant non pas son corps, mais son âme au démon qui en abuse comme d’une prostituée, et ne la laisse qu’après en avoir joui ; et cela non en présence de deux ou de trois témoins, mais de tout une ville.
La prostituée s’abandonne à qui la paye ; esclave, homme libre, gladiateur, quiconque vient avec de l’argent est bien reçu ; mais sans cet or maudit, l’homme le plus riche et le plus noble n’est point admis. Ainsi fait l’avare : les meilleures pensées, quand l’or n’est pas au bout, sont rejetées ; mais il embrasse pour de l’argent les plus criminelles et les plus impies, il leur sacrifie la beauté de son âme. La fille de joie est par nature laide, noire, grossière, épaisse, sans grâce ni beauté, hideuse : ainsi devient l’âme cupide, dont la laideur ne pourrait se cacher, même sous une couche et un enduit de fard. Une fois parvenue à cette laideur extrême, quelque moyen qu’il imagine, il ne peut la couvrir.
Que l’impudence fait la prostituée, le Prophète même le déclare : « Vous êtes devenue impudente à la face de tous ; vous avez un front de prostituée ». (Jer. 3,3) Pareille apostrophe pourrait s’adresser aux avares : vous êtes devenu impudent à la face de tous ; non de tels ou de tels, mais de tous.. Comment ? C’est que père, fils, épouse, ami, frère, bienfaiteur, personne n’est respecté par un être ainsi déchu. Et que parlé-je d’ami, de frère ou de père ? Il ne respecte plus Dieu lui-même ; tout ce qu’on en dit lui semble des fables ; affolé par son ivresse, il rit de tout, et ses oreilles se refusent à admettre une parole utile, Au contraire, ô absurdité ! Quel est le langage de l’avare : Malheur à vous, argent, et à ceux qui ne vous possèdent pas ! Oh ! plutôt malheur à ceux qui parlent ainsi, quand même ils parleraient en riant ! Car, dites-moi ; est-ce que Dieu n’a pas fait la terrible menace que vous savez : « Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois ? » (Mat. 6,24) Vous croyez réduire cette menace à néant, en prononçant ces blasphèmes, mais malheur à vous ! Paul n’a-t-il pas déclaré que l’avarice est une idolâtrie et l’avare un idolâtre ?
4. Mais vous, par ce rire hardi, vous imitez les femmes insensées et mondaines, et comme celles mêmes qui paraissent sur les planches des théâtres, vous essayez de faire rire les autres. Voilà le renversement, voilà la destruction de tout bien. Nos affaires sérieuses deviennent des sujets de rire, de plaisanteries et de jeux de mots. Rien de ferme, rien de grave dans notre conduite. Je ne parle pas ici seulement aux séculiers ; je sais ceux que j’ai encore en vue ; car l’Église même s’est remplie de rires insensés. Que quelqu’un prononce un mot plaisant, le rire aussitôt parait sur les lèvres des assistants ; et chose étonnante, plusieurs continuent de rire même jusque pendant le temps des prières publiques. Le démon partout dirige ce triste concert, il pénètre dans tout, il exerce sur tous son empire. Jésus-Christ est méprisé, il est chassé ; l’église est regardée comme un lieu profane. N’entendez-vous pas saint Paul s’écrier : « Que toute honte, toute sottise de langage, toute bouffonnerie soit bannie du milieu de vous ». Il place ainsi la bouffonnerie au même rang que les turpitudes. Et vous riez toutefois ! Qu’est-ce que la sottise de langage ? C’est dire ce qui n’a rien d’utile. Mais vous riez quand même ; le rire sans cesse épanouit votre visage, et vous êtes moine ? Vous faites profession d’être crucifié au monde, et vous riez ! Votre état est de pleurer, et vous riez !
Vous qui riez, dites-moi : où avez-vous vu que Jésus-Christ vous ait donné l’exemple ? Nulle part ; mais souvent vous l’avez vu affligé ! En effet, à la vue de Jérusalem, il pleura ; à la pensée du traître, il se troubla ; sur le point de ressusciter Lazare, il versa des larmes. Et vous riez !
Si ceux qui ne savent pas gémir sur les péchés d’autrui sont dignes de blâme, quel pardon mérite celui qui loin d’être affligé de ses fautes personnelles, ne sait que rire ? Voici le temps du deuil et de l’affliction, le moment de châtier votre corps et de le réduire en servitude, l’heure des sueurs et des combats. Et vous riez ! Et vous ne remarquez pas comme Sara fut reprise pour ce fait ! Et vous n’entendez pas cet anathème de Jésus-Christ : « Malheur à ceux qui rient, parce qu’ils pleureront ! » (Lc. 5,25) Voilà pourtant ce que chaque jour vous répétez dans les saints cantiques. Car enfin, quelles paroles exprimez-vous alors, dites-moi ? Dites-vous avec le Prophète : J’ai ri ? Non ; mais que dites-vous ? « Je me suis fatigué à gémir ».
Mais peut-être il en est ici de tellement dissipés, tellement efféminés, que nos reproches les font rire encore, par cela seul que nous parlons de rire. Car le caractère de ce défaut, c’est la folie et l’hébétement d’esprit ; il ne comprend pas, il ne sent pas le reproche. Le prêtre de Dieu est debout, offrant la prière universelle ; et vous riez, sans pudeur aucune ! Lui tout tremblant, offre pour vous des prières ; vous, vous n’avez que du mépris. N’entendez-vous donc pas celte parole de l’Écriture : Malheur aux moqueurs ! Vous ne tremblez pas : Vous ne rentrez pas en vous-même ! Quand vous entrez dans un palais, votre allure, votre regard, voir démarche, tout votre extérieur enfin sait s’ennoblir et se composer mais ici où est le palais véritable, où tout est l’image du ciel, vous riez ! Et pourtant, il est une assistance invisible à vos yeux, je le sais, mais réelle, entendez-le ; c’est celle des anges partout présents, mais qui surtout dans la maison de Dieu font cortège au souverain roi ; tout est rempli de ces puissances spirituelles.
Mon discours s’adresse aussi aux femmes. En présence de leurs maris, elles n’osent pas sitôt se permettre un tel excès ; quand elles rient alors, ce n’est pas constamment, mais à l’heure d’une honnête et nécessaire récréation : mais ici, c’est toujours ! Quoi donc, ô femme, vous mettez un voile sur votre tête, dès que vous prenez place à l’église, et vous riez ! Vous y êtes entrée avec la résolution de confesser vos péchés, de vous prosterner devant Dieu, de prier et de supplier pour les fautes que vous avez eu le malheur de commettre, et dans l’accomplissement de ces devoirs, vous riez ! Comment donc pourrez-vous apaiser votre Juge ? – Mais, dites-vous, le rire est-il donc un péché ? – Non, le rire n’est pas un péché ; mais ce qui est un péché, c’est l’excès, c’est de prendre mal son temps. Le rire nous est naturel, quand par exemple nous revoyons un ami après un long temps d’absence ; ou quand, rencontrant des personnes frappées de vaines terreurs, nous voulons les rassurer et les récréer ; rions alors, mais jamais jusqu’aux éclats, mais point constamment. Notre cœur a besoin de cet épanouissement pour se détendre quelquefois, mais non pour se dissiper. Les désirs de la chair sont naturels aussi ; et toutefois il n’est pas nécessaire absolument d’y obéir, et moins encore d’en user avec excès ; nous devons les dominer, loin de dire : c’est naturel, jouissons !
Servez Dieu avec larmes, pour pouvoir laver vos péchés. Je sais que plusieurs se moquent de nous et répètent : Les larmes ! c’est leur premier mot. C’est toujours le temps des larmes. Je sais quelles sont les maximes des hommes sensuels
Mangeons et buvons ; car demain nous mourrons ». (1Cor. 15,32) Mais rappelez-vous cet oracle : « Vanité des vanités, et tout est vanité ». (Qo. 1,2) Ce n’est pas moi qui parle ici, c’est celui-là même qui goûta de tout plaisir, c’est lui qui dit : « Je me suis bâti des maisons royales ; j’ai planté pour moi des vignes. Je me suis créé des viviers et des bains ; j’ai eu des serviteurs et des servantes pour me verser à boire ». (Qo. 2,4, 5) Et après cette énumération, que dit-il ? « Vanité des vanités, et tout est vanité », Pleurons donc, ô mes bien-aimés, pleurons, pour que nous ayons un jour le rire vrai, la joie véritable au jour de la sainte allégresse, Car l’allégresse d’ici-bas est nécessairement mêlée de tristesse, et, l’on ne peut la trouver franche et pure. Mais l’autre sera sincère, exempte de mensonge et de déception, à l’abri de tout piège, sans mélange enfin. Il n’est, au reste, qu’un moyeu de l’acquérir ; c’est de choisir, dès cette vie, non pas ce qui nous plaît, mais ce qui nous est utile ; c’est de nous attrister bien peu de notre plein gré, mais de supporter avec action de grâces tout ce qui nous arrive. Ainsi pourrons-nous gagner le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVI.

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AUSSI EST-IL LE MÉDIATEUR D’UN NOUVEAU TESTAMENT, AFIN QUE SA MORT INTERVENANT POUR LE RACHAT DES INIQUITÉS QUI SE COMMETTAIENT SOUS LE PREMIER TESTAMENT, CEUX QUI SONT APPELÉS DE DIEU REÇOIVENT L’HÉRITAGE QU’IL LEUR A PROMIS. (IX, 15, JUSQU’À 23)

Analyse.

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  • 1 et 2. Le nouveau Testament est un testament vrai : ses dispositions, ses lois, ses témoins ; mort du testateur qui le rend définitif. – La mort sanglante de notre testateur figurée par les hosties sanglantes immolées au moment où Dieu consacra le premier Testament. – Magnifique témoignage de la présence réelle. – Preuve du secret chez les premiers initiés ou premiers chrétiens. – La vertu des anciens sacrifices sanglants venait du sang de Jésus-Christ.
  • 3 et 4. La vertu fera de notre cœur un vrai ciel : magnifique comparaison. – Exemples des saints arrivés, dès cette vie, à la hauteur des cieux et plus haut même encore. – Les funambules et bien d’autres, dont la profession est rude et dangereuse, devraient nous faire rougir. – Toujours vouloir et prouver notre volonté en mettant la main à l’œuvre : Dieu nous aidera.


1. Vraisemblablement un certain nombre des plus faibles convertis, étonnés de la mort même de Jésus-Christ, n’avaient pas eu foi en sa promesse. Paul, pour donner à leurs idées une réfutation sans réplique, cite un exemple emprunté aux coutumes les plus communes de la vie. Quel est cet exemple ? Le motif même, dit-il, qui doit vous donner confiance et joie, c’est que précisément un testament n’est pas certain, ni valide, ni d’effet définitif pendant la vie, mais bien après la mort~du testateur. Voilà pourquoi il avance que Jésus « est médiateur d’un nouveau Testament ». Un testament se fait aux approches de la mort ; son essence est de reconnaître certains héritiers et de déshériter d’autres personnes. Ainsi en est-il ici quant aux héritiers. « Je veux », a dit Jésus-Christ, « qu’ils soient où je suis moi-même ». (Jn. 17,24) Et quant aux déshérités, écoutez son arrêt : « Je ne prie pas pour tous, mais pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi ». (Jn. 17,20) De plus, un testament énonce les dispositions du testateur, et impose aux légataires certaines dispositions, aussi ; ils ont à recevoir telle chose, et à faire telle autre chose. Ainsi, dans ce même cas, Jésus après avoir fait des promesses sans nombre énonce certains devoirs qu’il exige en retour, quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau ». (Jn. 17,13) En troisième lieu, le testament doit avoir des témoins. Écoutez ses paroles à cet endroit : « C’est moi qui rends témoignage de moi-même ; mais mon Père qui m’a envoyé me rend aussi « témoignage ». Et ailleurs, parlant de l’Esprit consolateur : « C’est lui », dit-il, « qui me rendra « témoignage ». (Jn. 8,18 ; 15, 26) Et il envoya ses apôtres en disant : « Soyez mes témoins devant Dieu ».
« Il est », dit-il, « médiateur de la nouvelle alliance ». Quel est le droit du médiateur ? Il n’a pas en son pouvoir l’objet pour lequel il s’interpose. Autre est cet objet, autre le médiateur. Ainsi l’entremetteur d’un mariage n’est pas le fiancé, mais celui qui aide le fiancé à trouver une épouse. De même, au cas présent, le Fils fut à la fois notre médiateur et celui du Père. Le Père ne voulait pas nous laisser son héritage infini ; irrité contre nous, il nous gardait comme à des ennemis sa rude et légitime sévérité. Jésus, intercédant entre lui et nous, a fléchi son cœur. Et voyez comme il a rempli ce rôle d’intermédiaire. Il porta et reporta les paroles échangées du ciel à la terre, transmit à, Dieu l’exposé de nos besoins, s’offrit même à subir la mort. Oui, nous avions péché, nous devions mourir ; mais il mourut pour nous, et nous rendit dignes de paraître sur le testament. Et ce qui établit définitivement cet acte testamentaire, c’est que désormais il ne concerne plus des indignes. Car, dès le commencement, en père affectueux, Dieu nous avait fait un testament : mais devenus indignes, nous n’avions plus à figurer au testament, mais au supplice. Pourquoi, dès lors, dit saint Paul aux Juifs, pourquoi vous glorifier de la loi ? Le péché nous a réduits à une si triste condition que désormais le salut nous était impossible, si Notre-Seigneur n’avait pour nous subi la mort ; la loi faible et nulle, aurait été absolument impuissante.
Non content de confirmer ses assertions parla coutume universelle, l’apôtre l’appuie sur les circonstances qui consacrèrent l’antique Testament : Cette preuve est tout à fait choisie pour eux. On lui aurait dit : Mais personne alors ne mourut pour l’établir ; où fut donc le principe de sa solidité, de sa stabilité ? Il répond : La consécration de l’antique alliance fut toute semblable. – Comment ? C’est qu’on y versa le sang, comme le sang coule chez nous. Et ne vous étonnez pas si ce n’était pas alors le sang du Messie : Cette alliance ancienne n’était qu’une figure. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « C’est pourquoi le premier Testament lui-même ne fut consacré qu’avec le sang (18) ». Consacré, qu’est-ce à dire ? Comprenez établi, confirmé, ratifié. Il fallut donc, dit-il, qu’on vît alors la figure et d’un testament et d’une mort. Autrement, expliquez-moi pour quelle raison le livre du Testament reçoit une aspersion sanglante ? Car voici le texte de l’histoire sainte
2. « Moïse ayant lu devant tout le peuple toutes les ordonnances de la loi, prit du sang des veaux et des boucs avec de l’eau, de la laine teinte en écarlate et de l’hysope et en jeta sur le livre même et sur tout le peuple, en disant : C’est le sang du testament et de l’alliance que Dieu a faite en votre faveur (19, 20) ». Pour quelle raison, dites-moi, se fait cette aspersion et du livre, et du peuple, sinon parce qu’un sang précieux était figuré ainsi, bien des siècles à l’avance ? Pourquoi l’hysope ? Parce que son feuillage épais et spongieux retenait mieux le sang. Pourquoi l’eau ? Pour montrer cette purification qui se fait aussi par l’eau. Pourquoi la laine ? Pour mieux absorber aussi le sang. Il montre ici que le sang et l’eau étaient la même chose : et en effet le baptême est le symbole de sa passion.
« Il jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases qui servaient au culte. Selon la loi, enfin, presque tout se purifie avec le sang, et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang (21, 22) ». Pourquoi le mot « presque ? » Pourquoi ce correctif ? Parce que la purification d’alors n’était point parfaite, non plus que la rémission des péchés ; la justification était incomplète et pour une partie très-peu considérable. Chez nous, au contraire, écoutez : « C’est le sang de la nouvelle alliance qui est répandu pour vous pour la rémission des péchés ». (Mt. 26,28) Le livre aujourd’hui est l’âme des chrétiens que Dieu purifie ; les fidèles sont les livres de la nouvelle alliance. Quels sont les vases servant au culte ? Eux encore. Et le tabernacle ? Eux toujours. Car « j’habiterai en eux », dit-il, « et je marcherai en eux ». Mais on ne les aspergeait ni avec la laine ni avec l’hysope ? Pourquoi ? Parce que leur purification n’était plus corporelle, mais spirituelle ; le sang même était spirituel ici. Comment ? Parce qu’il ne coula pas des veines d’animaux sans raison, mais d’un corps préparé par le Saint-Esprit. Voilà le sang dont Jésus-Christ, et non plus Moïse, nous arrosa par la parole déjà rapportée : « C’est le sang de la nouvelle alliance pour la rémission des péchés ». Cette parole tenant lieu de l’hysope imprégnée de sang, nous a tous arrosés. Jadis le corps était purifié extérieurement, ce n’était qu’une purification matérielle. Mais ici la purification toute spirituelle pénètre Pâme et n’est pas une simple aspersion, c’est une source vive qui jaillit dans nos âmes : Ceux qui sont initiés aux saints mystères me comprennent. Moïse ne répandait l’aspersion que sur la surface, et après l’aspersion il fallait se laver de nouveau : on ne pouvait garder longtemps cette rosée de sang. Dans nos âmes il n’en va pas ainsi : le sang se mêle à leur nature ; il les rend fortes et chastes ; il y produit une beauté que le langage humain ne peut expliquer.
L’apôtre démontre encore que la mort du Sauveur n’a pas seulement une vertu confirmative, mais une vertu purificative. La mort, en effet, qui paraissait une exécration, surtout celle qu’on subissait sur une croix, cette mort nous a purifiés, dit-il, et par une purification inappréciable, et pour des faits bien autrement graves. Si les sacrifices antiques ont précédé, c’est en vue de ce sang ; ainsi s’explique l’immolation des agneaux, et tout ce qui s’est fait enfin.
« Il était donc nécessaire que ce qui n’était que figure des choses célestes, fût purifié par le sang des animaux ; mais que les choses célestes elles-mêmes le fussent par des victimes plus excellentes que n’ont été les premières (23) ». Quelles sont ces figures des choses célestes ? Quelles sont les choses que l’apôtre nomme maintenant célestes ? Entend-il par là le ciel, les anges ? Non, il désigne ainsi ce que nous avons. Nos saints mystères sont donc dans le ciel, ils sont célestes, bien qu’ils se célèbrent sur la terre. Car les anges, bien que sur terre, sont appelés anges du ciel, et les chérubins sont célestes, bien qu’ayant apparu sur la terre. Apparu, que dis-je ? Ils vivent sur la terre, comme dans le paradis ; mais cette circonstance ne fait rien ; ils sont célestes par nature. « Et notre conversation à nous-mêmes est dans les cieux » (Phil. 3,20), bien que nous habitions ici-bas. – Ainsi, « les choses célestes mêmes ». C’est la sagesse que nous pratiquons, nous qui sommes appelés là-haut. – « Par des victimes », ajoute-t-il, « meilleures que les premières ». Qui dit « meilleur », suppose la comparaison de supériorité avec « bon ». Ainsi alors déjà il y avait des institutions bonnes et des copies de ce qui est au ciel ; et les copies mêmes n’étaient pas un mal, car autrement vous déclarez mauvais les originaux eux-mêmes.
3. Si donc nous sommes tout célestes, si nous sommes montés à cette haute nature, tremblons, et ne faisons plus de cette terre notre demeure. Car dès qu’on le veut sincèrement aujourd’hui, on peut n’être plus sur la terre. Pour y être et n’y pas être à la fois, nous avons un moyen sûr, une méthode certaine. Par exemple : on dit que Dieu est dans le ciel ; comment ? Est-ce parce qu’il y est renfermé comme dans un lieu ? Arrière cette idée ; mais sans que la terre soit déserte et privée de sa sublime présence, il garde une amitié, une familiarité, une union plus intime avec ses anges. Si donc nous sommes proches de Dieu, nous habitons le ciel. Eh ! que me fait en effet le ciel même, quand je contemple le Seigneur du ciel, quand moi-même je serai devenu le ciel ? Or, dit Jésus-Christ, « nous viendrons, mon Père et moi, « et nous ferons en lui notre demeure ».
Ah ! faisons de notre âme un ciel ! Le ciel, de sa nature, est si beau, si joyeux, que l’orage même ne peut l’assombrir ; son aspect ne change pas en réalité ; les nuages amoncelés ne font que le cacher. Le ciel possède le soleil ; nous avons, nous aussi, le Soleil de justice.
J’ai dit qu’il nous est permis de devenir autant de cieux ; et je vois même que nous pouvons surpasser le ciel en beauté, en éclat. Et comment ? Dès que nous posséderons le Dieu du ciel. Le ciel, dans toutes ses parties, est put, sans tache ; ni la saison mauvaise, ni la nuit ne peuvent l’altérer. Pour éviter aussi de tristes vicissitudes, veillons à ne subir aucune atteinte des afflictions qui nous frappent ou des démons qui nous attaquent : restons purs et sans tache. Le ciel est élevé ; il est loin de la terre ; imitons cette perfection, séparons-nous de la terre, élevons-nous à cette hauteur ; et comment ainsi quitter la terre ? Par les pensées célestes. Le ciel est au-dessus des pluies et des orages ; rien ne le captive. Nous pouvons y si nous voulons, arriver là ; et comme il semble souffrir de ces tempêtes, tout en restant en effet impassible, ainsi sachons ne point pâtir, alors même que nous paraissons souffrants. En effet, dans la mauvaise saison, le vulgaire, ignorant la beauté inaltérable de ce dôme céleste, s’imagine qu’il subit des changements ; les philosophes au contraire savent qu’il n’en a point souffert ; ainsi la patience peut nous rendre immuables jusque dans les souffrances. Plusieurs nous croiront changés et supposeront que la douleur nous a touchés au cœur ; mais les sages sauront qu’elle n’a pu nous frapper.
Encore une fois, devenons un ciel : montons à cette hauteur, et de là nous verrons les hommes tout pareils à de pauvres fourmis ; et nous jugerons ainsi les pauvres comme les riches, les grands, l’empereur même ; nous ne distinguerons plus ni souverain, ni sujet ; nous ne saurons plus ce que c’est que l’or ou l’argent, la soie ou la pourpre. Assis à cette hauteur, nous verrons tout comme des moucherons ; pour nous, plus de tumulte, de révolution, de clameur.
Mais comment, direz-vous, comment peut s’élever si haut un mortel qui habite ce bas monde ? Je laisse les paroles pour vous répondre par les faits, et vous montrer des hommes qui ont su arriver à cette sublime élévation. Qui sont-ils ? Paul et ses disciples, qui même en habitant la terre ; conversaient dans le ciel. Dans le ciel, que dis-je ? Plus haut que le ciel, dans un autre ciel que celui-ci ; jusqu’à Dieu même ils montaient, ils arrivaient ! « Qui nous séparera », s’écrie-t-il, « de l’amour de Jésus-Christ ? Sera-ce la tribulation ou l’angoisse, la faim ou la persécution, la nudité, le danger, le glaive ? » (Rom. 8,35) Et ailleurs : « Nous ne contemplons point désormais les choses visibles, mais les invisibles ». (2Cor. 4,18) Remarquez-vous qu’il n’avait plus de regard pour les choses d’ici-bas ? Et pour vous prouver qu’il était plus élevé que les cieux, je vous citerai sa parole. « Je suis certain en effet que ta mort ni la vie, les choses présentes ni les futures, la hauteur ni la profondeur, qu’aucune créature enfin ne pourra nous séparer de l’amour de Jésus-Christ ».
4. Voyez-vous comment sa pensée s’élevant au-dessus de tout, le rendait supérieur, non seulement à toute créature, non seulement à ce ciel visible, mais à tous les cieux qui peuvent exister ? Avez-vous compris cette élévation d’âme ? Avez-vous vu quel homme admirable était devenu ce faiseur de tentes, quand il l’a voulu, lui qui avait passé toute sa vie dans les rues et les places publiques ? Non, non ; avec une ferme volonté rien ne peut arrêter notre vol sublime. Car si nous apprenons parfaitement, si nous pouvons exercer certaines professions dont les résultats étonnent et surpassent le vulgaire, bien plus est-il possible d’atteindre à une perfection qui demande moins de travail. Quoi de plus difficile, de plus pénible, par exemple, dites-moi, que de marcher sur une corde tendue, comme on le ferait sur un sol uni ; et, tout en se promenant dans le vide, de s’habiller et de se déshabiller comme si on était assis sur son lit ? Ces expériences ne nous semblent-elles pas tellement effrayantes, que loin de vouloir les regarder, nous tremblons, nous avons le frisson rien qu’à les apercevoir ? Dites-moi encore, quoi de plus pénible et de plus difficile que de se placer une perche en équilibre sur le front, et de porter sur la pointe un misérable enfant qui fait mille évolutions dangereuses pour l’amusement du public ? Quoi de plus pénible et de plus difficile que de jouer à la paume sur des épées dressées ? Est-il rien de dangereux comme de fouiller en plongeant le fond des mers ? Vous me citeriez vous-mêmes mille autres professions périlleuses.
Or, la vertu est plus aisée que tout cela, quand même une sainte ambition nous porterait à monter jusqu’au ciel. Ici, il ne s’agit que de vouloir, et tout s’ensuit. Il n’est pas permis de dire : Je ne saurais ! Ce serait accuser votre créateur ; car sil nous a faits trop faibles, et qu’il nous commande cependant, l’accusation retombe sur lui. Comment donc, direz-vous, tant d’hommes ne peuvent-ils pas arriver ? C’est qu’ils ne veulent pas. Et pourquoi ne veulent-ils pas ? C’est lâcheté : s’ils voulaient, certainement ils pourraient. Paul n’a-t-il pas dit : « Je veux que tout homme soit comme moi-même ? » (1Cor. 7,7) II savait, en effet, que tous peuvent être comme lui : si la chose était impossible, il n’aurait pas écrit cette parole.
Voulez-vous devenir vertueux ? Avant tout, commencez. Car, dites-moi, dans toute profession, dès qu’on veut savoir, suffit-il de vouloir, sans mettre la main à l’œuvre ? Par exemple, quelqu’un veut devenir pilote ; il ne dit pas : Je le veux ; c’est insuffisant, en effet ; aussi, il commence. Veut-on devenir marchand ? On ne dit pas seulement : Je veux ; on entreprend le commerce. Veut-on voyager au loin ? On ne dit pas seulement : Je veux ; on se met en route. En toutes choses enfin, vouloir ne suffit pas ; agir est nécessaire. Et quand vous voulez monter au ciel, vous vous contentez de dire : Je le veux. !
On m’objectera que je disais tout à l’heure : Il suffit de vouloir ! Oui, de vouloir avec des actes, de commencer la grande affaire et les saints travaux. Car nous avons un Dieu qui nous seconde et nous aide. Seulement, prenons notre parti, mettons-nous à l’œuvre comme à une chose sérieuse, soyons diligents, soyons appliqués et attentifs, et le reste se fera. Que si nous dormons, si nous attendons en plein sommeil que le ciel s’ouvre, quand donc pourrons-nous saisir ce sublime héritage ? De la volonté, donc, je vous en prie, de la volonté ! Pourquoi toujours traiter uniquement les affaires de cette vie que nous quitterons demain ? Ah ! plutôt, faisons choix de la vertu, qui nous suffira pour les siècles sans fin, où nous serons à tout jamais, où nous jouirons de biens impérissables ! Puissions-nous les gagner tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE XVII.

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CAR JÉSUS-CHRIST N’EST POINT ENTRÉ DANS CE SANCTUAIRE FAIT DE MAIN D’HOMME, QUI N’ÉTAIT QUE LA FIGURE DU VÉRITABLE, MAIS IL EST ENTRÉ DANS LE CIEL MÊME, AFIN DE SE PRÉSENTER MAINTENANT POUR NOUS DEVANT LA FACE DE DIEU. (IX, 24, JUSQU’A X, 7)

Analyse.

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  • 1. Gloire du premier et du second temple juif. – Le ciel est le temple des chrétiens, et leur pontife y entre couvert de son propre sang. – Cette entrée, ce sang, ce temple, cette oblation unique et suffisante, marquent assez la prééminence de Jésus-Christ et de son Testament.
  • 2. Il nous a délivrés de la mort, simple sommeil, en attendant la résurrection. – Il est mort pour tous les hommes, et pour les anges mêmes, dit l’orateur.
  • 3. Un seul sacrifice est désormais suffisant : la multiplicité des victimes chez les Juifs prouve leur impuissance. – Pourquoi la messe quotidienne cependant. – Admirable doctrine dont le concile de Trente n’est que l’écho.
  • 4 et 5. Le nombre des communions n’en fait pas le mérite, mais bien la préparation. – Celle de la sainte quarantaine ne suffit pas, surtout si la communion est suivie de rechutes. – La sainteté est nécessaire. – Voix du diacre, voix du prêtre qui nous crie : Les choses saintes sont pour les saints. – La sainteté consiste surtout à voir juste et à bien vivre. – Longue et belle métaphore tirée de l’œil humain.


1. Un grand sujet d’orgueil pour les juifs, c’était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur », répétaient-ils, « le temple du Seigneur ». (Jer. 7,5) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté ; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l’avait fait bâtir, avait voulu qu’on le construisît avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d’or, et si vous voulez savoir d’autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ézéchiel, vous verrez quelle énorme quantité d’or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d’autres rapports. Il n’était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s’y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l’Éthiopie. Saint Luc fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait », dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». – (Act. 2,5) Ainsi de toute la terre, on s’y était rendu ; et le nom du temple était connu au loin. Que va faire saint Paul ? Il va raisonner ici, comme il a fait à propos des sacrifices. Comme en face de ces immolations antiques il a placé la mort de Jésus-Christ, ainsi va-t-il au temple ancien opposer le ciel tout entier. Et non content de cette différence matérielle, il ajoutera que le prêtre de la nouvelle alliance s’est bien plus approché de Dieu. « Jésus-Christ », dit-il, « n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ».
Il déclare que Notre-Seigneur s’est présenté devant la face de Dieu ; il grandit ainsi le sacerdoce nouveau, non seulement à raison du ciel où il est, mais aussi pour cette entrée sublime du pontife, qui lui fait contempler non par symbole seulement, mais en face DIEU lui-même. Comprenez-vous maintenant que tout ce qu’il a dit d’humble au sujet de Jésus, il l’a dit par condescendance pour nous ? Serez-vous encore étonnés que le divin Sauveur intercède, puisque l’apôtre vous montre en lui le Pontife ? « Non cependant qu’il s’offre souvent lui-même, comme ce grand prêtre qui entre dans le Saint des Saints tous les ans, en se couvrant du sang d’une victime étrangère (25) » ; car Jésus n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, qui n’était que la figure du véritable. Ainsi celui d’à présent est véritable ; l’autre n’était que figuratif. Le temple était construit sur le modèle du ciel des cieux.
Mais que dit l’apôtre ? Quoi ? S’il n’était pas entré au ciel, il n’aurait pas eu la claire vision de Celui qui est partout et emplit tout ? Vous voyez que c’est de Jésus-Christ comme homme que parle l’apôtre. Il dit que « pour nous » il s’est présenté devant la face de Dieu. Qu’est-ce à dire, pour nous ? Il est monté, nous dit-il, avec un sacrifice capable d’apaiser le Père. – Mais pourquoi, dites-moi ? Était-il ennemi lui-même ? – Les anges l’étaient, mais non pas lui ; car pour ce qui regarde les anges, écoutez l’oracle de saint Paul : « Jésus a pacifié tout ce qui était sur la terre et tout ce qui était au ciel ». (Col. 1,20) Il a donc raison de dire que Jésus est entré dans le ciel, afin de se présenter pour nous devant la face de Dieu. Il s’y présente, en effet, mais pour nous.
« Et il n’y est pas ainsi entré pour s’offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d’un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui ; l’autre, souvent ; l’un entre avec son propre sang, l’autre avec un sang étranger. Grandes différences. – Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. S’il n’était pas tout cela, s’il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu’il fût plusieurs fois crucifié : « Autrement », dit-il, « il aurait fallu qu’il eût souffert plus d’une fois depuis la création du monde (26) ».
Mais voici une parole profonde et mystérieuse : « Au lieu », dit-il, « qu’il n’a souffert qu’une fois vers la fin des siècles ». Pourquoi : « Vers la fin « des siècles ? » Après de nombreux péchés commis dans le monde. Si tout s’était passé dès le commencement, personne ne l’aurait cru ; et son incarnation avec tous ses dévouements devenaient inutiles ; Jésus-Christ, en effet, n’aurait pu convenablement mourir deux fois. Mais après un long règne du péché, il convenait qu’il se montrât. C’est, au reste, ce qu’il dit ailleurs : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom. 5,20) « Et maintenant une seule fois vers la fin des siècles, il a souffert pour abolir le péché en s’offrant lui-même pour victime ».
2. « Et comme il est arrêté que tous les hommes meurent une fois, et qu’ensuite ils soient jugés… (27) ». Après avoir prouvé que Jésus-Christ n’avait pas besoin de subir la mort plus d’une fois, saint Paul nous apprend pourquoi il dut mourir une fois. Il est établi, dit-il, pour tous les hommes de mourir une fois, voilà donc pourquoi il est mort une fois pour tous les hommes. Mais, dès lors, comment ? Est-ce que nous ne subissons plus la mort dont il s’agit ici ? Sans doute, oui, nous la subissons, mais non pour y demeurer ; et déjà ce n’est plus mourir. Car la tyrannie de la mort, sa terrible réalité existe tout entière quand le mort n’a plus pouvoir de revenir à la vie. Que s’il revit après le coup fatal, et surtout s’il retrouve une vie meilleure, non ce n’est plus une mort, c’est un sommeil. Or, comme nous étions condamnés à rester toujours captifs sous cette main de la mort, le Sauveur est mort précisément pour nous délivrer.
« Ainsi Jésus-Christ a été offert une seule fois (28) ». Par qui, offert ? Far lui-même, ce qui montre en lui non seulement le prêtre, mais encore la victime et le sacrifice. Ensuite l’apôtre nous donne la raison de cette oblation : « Offert une fois », dit-il, « pour effacer les péchés de plusieurs ». Pourquoi de plusieurs et non pas de tous ? Parce que tous n’ont pas cru. Il est mort pour les sauver tous ; il a fait, en ceci, tout son devoir. Cette mort divine équivalait à la mort de tous les hommes ; mais elle n’a ni éteint, ni levé les péchés de tous les hommes, parce qu’eux-mêmes s’y sont refusés. Mais qu’est-ce que « lever les péchés ? » Cette expression rappelle notre prière à l’offertoire, alors que présentant nos péchés, nous disons : « Que nous a ayons péché volontairement ou involontaire« ment, Seigneur, pardonnez-nous ». Ainsi les lever, c’est nous en souvenir, et en implorer aussitôt le pardon. C’est exactement ce qui s’est fait par Notre-Seigneur. Et quand l’a-t-il fait ? Écoutez sa réponse : « Pour eux, je me sanctifie moi-même ». (Jn. 17,19) Il a enlevé aux hommes leurs péchés et les a offerts à son Père, non pour requérir contre eux, mais pour les leur remettre ; « Et la seconde fois il apparaîtra sans péché pour le salut de ceux qui l’attendent sans péché ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il ne viendra plus pour effacer nos péchés, pour anéantir nos iniquités, pour mourir de nouveau. Car s’il est mort, ce n’est pas qu’il dût ce tribut à la nature, ce n’est pas non plus qu’il eût péché. « Il apparaîtra », comment ? Comme vengeur, pouvait-il dire ; mais laissant cette parole, il en prononce une bienheureuse et bien douce : « Il apparaîtra sans péché, pour le salut de ceux qui l’attendent », pour que désormais ils n’aient plus besoin de sacrifices ; pour les sauver enfin, mais d’après leurs œuvres.
« Car la loi n’ayant que l’ombre même des biens à venir et non l’image même des choses réelles », c’est-à-dire qu’elle n’en avait pas la vérité. Car jusqu’à ce qu’on pose les couleurs sur un tableau, ce n’est qu’une ébauche ; mais quand le dessin a disparu sous la couleur, c’est un portrait. La loi, c’était quelque chose de pareil. Reprenons : « Car la loi n’ayant que l’ombre des biens à venir et non la vérité même des choses (entendez le vrai sacrifice, la vraie rémission des péchés), malgré les mêmes victimes qu’on ne cesse d’offrir, elle ne peut rendre justes et parfaits ceux qui s’approchent de l’autel. Autrement on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n’auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été une fois purifiés. Et cependant on y fait mention de nouveau tous les ans des péchés. Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. C’est pourquoi le Fils de Dieu entrant dans le monde, dit : Vous n’avez pas voulu d’hostie ni d’oblation ; mais vous m’avez formé un corps. Vous n’avez point agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Me voici ; il est écrit de moi à la tête du livre : Je viens, mon Dieu, pour faire votre volonté. Après avoir dit : Vous n’avez point voulu et vous n’avez point agréé les hosties, les oblations, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, qui sont toutes choses qui s’offrent selon la loi ; il ajoute ensuite : Me voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté. Il abolit ces premiers sacrifices, pour établir le second ». (10,1-9) Vous voyez quelle abondance de preuves. Notre victime est unique, dit-il ; les vôtres nombreuses ; et leur grand nombre même prouve leur impuissance.
3. En effet, dites-moi, à quoi bon plusieurs victimes, quand une seule suffît ? Leur nombre et leur offrande perpétuelle montrent que ceux qui les offrent ne sont pas purifiés. Quand un médicament est fort, capable de rendre la santé et de guérir entièrement la maladie, il suffit de le prescrire une fois pour qu’il opère tout son effet. Et si, prescrit une fois, il a opéré parfaitement, sa force est démontrée par cela seul qu’on ne l’ordonnera plus ; son action est évidente, par cela même qu’on n’y fait plus appel. Au contraire, s’il faut le répéter toujours, c’est qu’évidemment il est sans vertu ; car le propre d’un spécifique, c’est d’être prescrit une fois et non pas souvent. Appliquez ici cette comparaison. Pourquoi enfin faut-il toujours les mêmes victimes ? S’ils étaient délivrés de tous leurs péchés, pourquoi offrir chaque jour de nouveaux sacrifices ? En effet, il était établi qu’on sacrifierait pour le peuple entier tous les jours, chaque soir et même pendant]ajournée. Cette pratique accusait les péchés des juifs et ne les remettait pas ; elle avouait leur faiblesse et ne manifestait pas sa vertu. Une première immolation avait été impuissante : on en offrait une seconde ; celle-ci ne produisait rien elle-même, il en : fallait une troisième ; c’était donc une déclaration sans réplique de leurs péchés. Le sacrifice était une preuve du péché, le sacrifice sans cesse réitéré était un aveu de l’impuissance du sacrifice.
En Jésus-Christ, le contraire a lieu. Il a été offert une fois, et à perpétuité ce sacrifice suffit. Aussi l’apôtre, avec raison, appelle les offrandes antiques des « copies » : elles n’ont, de leur modèle, que la figure, et non pas la vertu. C’est ainsi que les portraits ont l’image du modèle, sans en avoir la vertu. L’original et la figure ont quelque chose de commun : ils ont la même apparence, mais non la même force. Ainsi en va-t-il du ciel comparé au tabernacle ; il y a similitude entre eux, sainteté de part et d’autre : mais la vertu et le reste ne sont plus les mêmes.
Comment entendre que le Seigneur, par son sacrifice, est apparu pour la ruine du péché ? Qu’est-ce que cette ruine ? C’est une sorte d’exclusion avec mépris ; le péché n’a plus de pouvoir, il est ruiné, disgracié. Comment encore ? Il avait droit à réclamer notre châtiment, et il ne l’a pas obtenu ; en cela, il est exclu avec violence. Lui qui attendait l’heure de nous évincer tous et de nous détruire, a été lui-même supprimé et anéanti. – Jésus est apparu par son sacrifice, c’est-à-dire, il s’est montré lui-même, il s’est approché de Dieu. Quant aux prêtres des juifs, n’allez pas croire qu’en répétant souvent leur immolation dans une même année, ils le fissent au hasard, et non pas à cause de l’impuissance de leurs sacrifices. Si ce n’était par impuissance, pour quel autre motif agir ainsi ? Quand une plaie est guérie, il n’est plus besoin d’appliquer les médicaments. C’est pourquoi, dit saint Paul, Dieu a ordonné qu’on ne cessât d’offrir par impuissance même de guérir, pour rappeler sans cesse aux juifs la mémoire de leurs péchés.
Mais quoi ? Est-ce que nous n’offrons pas aussi tous les jours ? Sans doute, nous offrons ainsi ; mais nous ne faisons que rappeler la mémoire de la mort de Jésus-Christ, car il n’y a qu’une hostie et non pas plusieurs. Pourquoi une seulement et non pas plusieurs ? Parce qu’elle n’a été offerte qu’une seule fois, comme il n’y avait qu’un seul sacrifice offert dans le Saint des Saints : or ce sacrifice était la figure du nôtre, de celui que nous continuons d’offrir. Car nous offrons toujours le même, et non pas aujourd’hui un agneau, demain un autre ; non, mais toujours le même. Pour cette raison, notre sacrifice est unique. En effet, de ce qu’on l’offre en plusieurs endroits, s’ensuit-il qu’il y ait plusieurs Jésus-Christ ? Non, certes, mais un seul et même Jésus-Christ partout, qui est tout entier ici, et tout entier là, un seul et même corps. Comme donc, bien qu’offert en plusieurs lieux, il est un seul corps et non pas plusieurs corps, ainsi n’avons-nous non plus qu’un seul sacrifice. C’est notre Pontife qui a offert cette victime, qui nous purifie. Et nous offrons maintenant aussi celle qui fut alors présentée et qui ne peut s’épuiser jamais. Et nous le faisons maintenant en souvenir de ce qui se fit alors : « Faites ceci en mémoire de moi », dit-il. Ce n’est pas à chaque fois une immolation différente, comme le grand prêtre d’alors, c’est la même que nous faisons ; ou plutôt d’un seul sacrifice nous faisons perpétuellement mémoire.
4. Mais, puisque j’ai rappelé ce grand sacrifice, il faut que je vous en parle un peu, à vous qui êtes initiés aux mystères ; je dis un peu, parce que je serai court ; je devrais dire grandement, à cause de l’importance et de l’utilité de ce sujet, car ce n’est pas moi qui parle, mais le Saint-Esprit. Que dirai-je donc ?. Plusieurs, en toute une année, ne participent qu’une fois à ce sacrifice ; d’autres, deux fois ; d’autres, souvent. Je m’adresse donc à tous les chrétiens, non seulement à ceux qui sont ici, mais encore à ceux qui demeurent dans le désert ; car les solitaires n’y prennent part qu’une fois l’an, souvent même à peine une fois en deux ans. Mais, après tout, qui sont ceux que nous approuverons le plus de ceux qui communient une fois, de ceux qui communient souvent, ou de ceux qui communient rarement ? Pas plus les uns que les autres ; mais ceux-là seuls qui s’y présentent avec une conscience pure, avec la pureté du cœur, avec une vie à l’abri de tout reproche. Présentez-vous ces garanties ? venez toujours ! Ne les offrez-vous point ? ne venez pas même une fois. Pourquoi ? parce que vous y recevriez votre jugement, votre condamnation, votre supplice. N’en soyez pas étonnés : car ainsi qu’un aliment nourrissant de sa nature, ruais qui tombe dans un corps rempli déjà d’autres aliments mauvais ou d’humeurs malignes, achève de tout perdre et de tout gâter, et occasionne une maladie ; ainsi agissent nos augustes mystères.
Quoi ! vous jouissez d’une table spirituelle, d’une table royale, et de nouveau votre bouche se souille de fange ? Vous parfumez vos lèvres pour les remplir bientôt d’ordure ? Dites-moi, lorsqu’au terme d’une longue année vous participez à la communion, pensez-vous que quarante jours vous suffisent pour purifier les péchés de toute cette période ? Et même encore, à peine une semaine se sera-t-elle écoulée après votre communion, que vous vous livrerez à vos anciens excès ! Or, si après quarante jours à peine de convalescence d’une longue maladie, vous vous permettiez sans mesure tous les aliments qui engendrent les maladies, ne perdriez-vous pas votre peine et vos efforts passés ? Car si les forces naturelles subissent elles-mêmes des altérations, combien plus celles de nos résolutions et de notre libre arbitre ! Par exemple, la vue est une faculté naturelle ; nous avons naturellement les yeux sains, mais souvent une indisposition blesse chez nous ce précieux organe. Si donc ces facultés physiques peuvent s’altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté ! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme ! vous moquez-vous enfin ?
Je parle ainsi, non pour vous éloigner de cet unique et annuel accomplissement d’un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l’écho de ce cri du diacre qui tout à l’heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les dispositions de chacun, afin que personne n’approche sans préparation. De même que dans up troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s’il s’en trouve qui soient malades, il faut qu’on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l’Église ; parmi nos ouailles, les unes sont saines, les autres malades, et la voix du ministre de l’autel partout retentissante, les sépare ; et cette voix terrible est l’écho de celle du prêtre qui appelle et attire exclusivement les saints. En effet, il est impossible à l’homme de connaître la conscience de son prochain : « Car », dit l’apôtre, « qui parmi les hommes connaît les secrets de l’homme, sinon la conscience humaine, parce qu’elle est dans l’homme ? » (1Cor. 2,11) C’est pourquoi la voix terrible retentit au moment où s’est achevé le sacrifice, afin que personne ne s’approche avec irréflexion et témérité de la grande source des grâces.
Dans un troupeau (car rien ne nous empêche d’exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les enfermer à part, les animaux malades ; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur donnons une nourriture spéciale ; nous ne leur permettons ni de respirer l’air trais, ni de se nourrir de l’herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez dire : J’ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C’est contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l’ai pas lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l’Église et vous ignorez un point de cette importance !
5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d’un tel prétexte, le prêtre debout en un lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d’un ton terrible-; vous l’entendez au milieu d’un silence redoutable appeler d’une voix forte les uns, et repousser les autres : c’est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s’expriment plus clairement, plus nettement qu’une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu’il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n’avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu’un qui accuse tel candidat d’être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or, ces combats n’ont rien pour l’esprit, le cœur ni les mœurs ; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s’agit entièrement d’un combat de l’âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience ; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu’un pour accuser cet homme ? Mais, écoutez ; est-il quelqu’un qui s’accuse lui-même ? Car lorsqu’il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d’équivalent : Arrière celui qui n’est pas saint ! Il faut, dit-il, non seulement être pur de péchés, mais être saint. La délivrance et – le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier ; il faut encore là présence de l’Esprit-Saint, et l’abondance des bonnes œuvres. Je vous veux, ajoute-t-il, non seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s’arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain R. brillent par la beauté de leur âme, que l’or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu’ils aient parure d’or et ceinture de vérité. Qu’il approche le chrétien ainsi disposé, qu’il trempe ses lèvres au royal breuvage !
Mais s’il en est un, couvert de haillons, souillé d’ordure, et qu’il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l’attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l’enfer ne suffit pas, bien qu’il soit éternel, (il n’est éternel, en effet, que parce qu’il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n’est point valide, mais impuissante.
Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j’entends ceux qui ont le cœur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l’âme est élevée ; je leur demande surtout un œil du cœur, doux et pacifique, un œil pénétrant et vif, sévère et attentif, et non pas somnolent et paresseux ; un œil libre et franc, mais non point hardi ni présomptueux ; un œil vigilant et fort, ennemi de la tristesse exagérée autant que d’une gaieté folle et dissipée. L’œil de notre cœur avec toutes ses vertus, sera notre œuvre ; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard très beau et très-pénétrant. Évitons d’exposer cet organe de la vue à la fumée et à la poussière, image trop vraie de toutes les choses humaines ; nourrissons-le d’air pur et vif ; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes, à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants : bientôt nous l’aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant dans ces perspectives enchanteresses.
Ainsi, avez-vous aperçu des richesses mal acquises et excessives ? Ne levez pas les yeux de ce côté : votre organe y trouverait boue et fumée, vapeur malsaine et ténèbres, angoisses cuisantes et ennuis suffocants. Avez-vous vu au contraire un homme juste, content de ce qu’il a, très-large à pardonner, sans souci ni inquiétude des biens présents ? Fixez, élevez sur lui votre regard ; votre cil n’en deviendra que plus beau et plus clair, si vous le repaissez non de la vue des fleurs, mais plutôt de celle de la vertu, du désintéressement, de la modération, de la justice, de tontes les saintes habitudes. Car rien ne trouble l’œil, autant que la mauvaise conscience. « Mon cœur s’est troublé de colère », dit le Prophète ; rien ne répand en effet de plus épaisses ténèbres. Épargnez-lui cette triste épreuve, et vous le rendrez joyeux, vif et fort, et capable de se nourrir toujours de saintes espérances.
Que Dieu nous donne à tous d’acquérir cet œil parfait et de régler ainsi toutes les opérations de notre âme selon la volonté de Jésus-Christ, afin que devenus dignes du chef sublime qui nous commande, nous partions un jour pour son saint rendez-vous. Car il dit : où je suis, je veux qu’ils soient aussi avec moi, et qu’ils aient la vision de ma gloire. (Jn. 17,24) Puisse-t-il nous être donné de la gagner en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII.

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VOUS N’AVEZ POINT VOULU ET VOUS N’AVEZ POINT AGRÉÉ LES HOSTIES, LES OBLATIONS, LES HOLOCAUSTES ET LES SACRIFICES POUR LE PÉCHÉ, TOUTES CHOSES QUI S’OFFRENT SELON LA LOI. (X, 8, JUSQU’À 18)

Analyse.

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  • 1. Les sacrifices étaient abolis dans la volonté de Dieu, quand arriva Jésus-Christ. – La volonté de Dieu ne se confond pas avec son désir : il n’exige pas toujours ce qu’il désirerait de nous. – Pourquoi Notre-Seigneur attend avant de frapper, ses ennemis ? Qui sont, ceux qui encourent son inimitié ?
  • 2 et 3. La pauvreté enseignée déjà comme vertu dans l’Ancien Testament, est déclarée comme telle avec bien plus d’évidence dans le Nouveau. – C’est la pauvreté qui donne aux prophètes et aux apôtres leur sublime courage, et à tout homme une sainte liberté. – La pauvreté est une véritable richesse. – Elle vous donne, à vous personnellement, de grandes vertus et des facilités pour le ciel ; extérieurement, d’ailleurs, elle vous affranchit du besoin dés autres et vous rend plus heureux qu’un roi. – La pauvreté fait des miracles avec saint Pierre, et vous gagne le ciel quand, par amour pour elle et pour les indigents, on s’est dépouillé de tout.


1. L’apôtre a démontré précédemment l’inutilité des sacrifices juifs pour la pureté et la sainteté parfaite de nos âmes ; il a fait voir en eux des figures et des images, et encore bien impuissantes. Une objection se présentait : Pourquoi, si c’étaient des figures et des ombres, pourquoi n’ont-ils pas cessé, aussitôt l’avènement de la vérité ? Comment, loin d’avoir fini, se célèbrent-ils encore ? Il prouve donc maintenant avec évidence qu’ils ne s’accomplissent déjà plus, pas même à titre de copies et de figures, puisque Dieu ne veut plus les accepter. Il n’invoque, au reste, aucun nouvel argument pour les condamner ; il lui suffit de produire un témoignage antique autant qu’irréfragable, celui des prophètes qui rappellent aux juifs la fin et la mort imminente de ces rites usés, et qui leur reprochent d’agir avec témérité en toutes choses et de résister toujours à l’Esprit-Saint il prouve même clairement que leurs sacrifices n’ont pas cessé du jour où il parle, mais dès celui où Notre-Seigneur entra dans le monde, et même avant son avènement ; de sorte que Jésus-Christ n’a pas dû les réprouver ni les abolir, mais qu’aussitôt leur abolition et réprobation, le Messie arriva. Afin que les juifs ne pussent dire : Nous pouvons encore plaire à Dieu sans le nouveau sacrifice, le Christ a attendu pour venir que les anciens sacrifices fussent reconnus inutiles même parmi eux. Voici en effet ce que dit le Seigneur, par la bouche du Prophète :.« Vous n’avez plus voulu, de sacrifices ni d’offrandes » ; paroles qui anéantissent tous les anciens rites ; et après s’être ainsi exprimé en général, il condamne chacun de ces rites en particulier : « Vous n’avez pas agréé les holocaustes pour le péché », continue-t-il. Tout ce qu’on présentait à Dieu, en dehors du sacrifice, s’appelait offrande.
« Alors j’ai dit : Voici que je viens ». Quel est le personnage désigné ici par le Prophète ? Nul autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel en ce passage n’accuse point ceux qui faisaient les offrandes ; montrant que, s’il ne les agrée plus, ce n’est pas à cause de leur malice et de leurs péchés, raison qu’il allègue ailleurs pour réprouver leurs présents ; mais qu’il les repousse aujourd’hui parce qu’il est d’ailleurs prouvé, parce que l’expérience a démontré que tout ce culte est sans puissance aucune et n’est plus en harmonie avec, son époque. N’est-ce pas ajouter une nouvelle raison à celle déjà donnée, de la multiplicité des sacrifices ? Mais ce n’est pas seulement cette multiplicité qui, selon, lui, en révèle l’impuissance et le néant ; c’est ce fait encore, que Dieu n’en veut, puis comme étant inutiles et stériles. Aussi dit-il ailleurs : « Si vous aviez voulu un sacrifice, j’en aurais offert u (Ps. 50,18) ; indiquant encore qu’il n’en veut plus. Donc les sacrifices ne sont plus le désir de Dieu, qui en veut au contraire l’abolition, et c’est contre son gré que désormais on les fait.
« Pour faire votre volonté ». Qu’est-ce à dire ? Pour me donner moi-même ; car telle est la volonté de Dieu, volonté par laquelle nous avons été sanctifiés. Il nous révèle ainsi que la volonté de Dieu, et non pas les sacrifices, purifie les hommes ; la continuation des sacrifices n’était donc pas dans la volonté de Dieu. Serez-vous étonnés, au reste, qu’ils ne soient plus maintenant dans le désir de Dieu, lorsque déjà, dès le commencement ils lui étaient plus qu’indifférents ? « Car », dit-il dans Isaïe : « qui donc vous a demandé ces offrandes de vos mains ? » (Is. 1,12) – Et toutefois, il les avait commandées ; pourquoi ? Pour s’abaisser à leur niveau, comme quand Paul disait : « Je désire que tous les hommes vivent comme moi dans la continence » (1Cor. 7,7) ; ajoutant au contraire : « Je veux que les jeunes « veuves se marient, qu’elles aient des enfants ». (1Tim. 5,45) Voilà l’expression de deux volontés, mais qui ne sont pas toutes deux son désir, bien qu’il commande dans les deux cas : la première est bien la sienne, et il la déclare sans y apporter de motif ; la seconde, bien qu’il l’énonce, n’est pas son désir, aussi en a-t-il formulé la raison, commençant par accuser ces femmes de s’adonner au luxe et au plaisir contre la loi de Jésus-Christ, et ajoutant en conséquence : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu’elles aient des enfants ». C’est ainsi que Dieu, s’accommodant à la faiblesse de son peuple, avait réglé son culte. Sa volonté première n’était pas pour ce rite des sacrifices. Ainsi quelque part il déclare qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive. (Ez. 18,23) Ailleurs, au contraire, il déclare non seulement qu’il l’a voulue, mais qu’il l’a désirée. Voilà deux idées contraires : car le désir est une forte volonté. Comment pouvez-vous, ô mon Dieu, refuser ici ce que vous désirez ailleurs, puisque ce désir indique votre volonté plus grande ? C’est dans le sens que nous avons dit ici.
« Et c’est cette volonté de Dieu qui nous a sanctifiés », ajoute-t-il. « Sanctifiés », comment ? Lui-même l’explique : « Par l’oblation du corps de Jésus-Christ qui a été faite une seule fois. Aussi, au lieu que tous les prêtres se tiennent debout tous les jours devant Dieu sacrifiant et offrant plusieurs fois les mêmes victimes ». La position debout accuse donc le serviteur et le ministre ; tandis que la position assise indique celui qui reçoit le service et l’hommage. « Celui-ci ayant offert une seule hostie pour les péchés, est assis pour toujours à la droite de Dieu, où il attend ce qui reste à accomplir : Que ses ennemis soient réduits à lui servir de marchepied. Car par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés. Et c’est ce que l’Esprit-Saint nous a déclaré lui-même ». Il déclare que ces oblations n’ont plus lieu, et il le démontre par les faits écrits et non écrits. Au reste, il avait cité auparavant le texte du Prophète « Vous n’avez plus voulu de sacrifice ni d’offrande ». Il avance aussi que Dieu a remis nos péchés, et il le prouve cette fois par un témoignage d’Écriture sainte : « L’Esprit-Saint », dit-il, « nous l’a déclaré lui-même, car après avoir dit : Voici l’alliance que je ferai avec eux ; après que ce temps-là sera arrivé, dit le Seigneur, j’imprimerai mes lois dans leur cœur et je les écrirai dans leur esprit, il ajoute : Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités : or, quand les péchés sont remis, il n’y a plus d’oblation à faire pour les péchés (10-18) ».
Il a donc remis les péchés, quand il nous a donné son testament ; et il nous a donné son testament par son sacrifice. Si donc il a effacé les péchés par ce sacrifice unique, il n’en faut plus même un second. « Il est assis », remarque-t-il, « à la droite de Dieu, attendant le reste ». Quelle est la cause de ce délai ? C’est que ses ennemis doivent être placés sous ses pieds. « Car une seule offrande, d’ailleurs, a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés ». – Mais, dira peut-être quelqu’un : Pourquoi ne pas prosterner sur-le-champ ses ennemis ? – A cause des fidèles qui devaient naître et lui être engendrés. – Mais qu’est-ce qui prouve qu’un jour cet abaissement aura lieu ? – C’est cette position assise et majestueuse que lui donne Dieu même. – L’apôtre a donc rappelé le magnifique témoignage de David : « Jusqu’à ce « qu’il place ses ennemis sous ses pieds », et ses ennemis sont les juifs. Après avoir rappelé cette promesse de Dieu au Christ, de réduire ses ennemis à lui servir de marchepied, comme cette promesse ne s’accordait pas avec l’état actuel des choses, puisqu’alors les juifs persécutaient les chrétiens, saint Paul pour rassurer les fidèles, leur parle longuement de la foi dans ce qui suit. Mais encore une fois, qui sont ses ennemis ? Les juifs, sans doute, mais aussi tous les infidèles et les démons. Et pour indiquer à demi-mot leur humiliation complète, il ne dit pas qu’ils lui seront soumis seulement, mais qu’ils seront placés sous ses pieds. Gardons-nous donc d’être de ses ennemis, et sachons que les infidèles et les juifs ne sont pas les seuls dans son inimitié, mais aussi tous ceux dont la vie est remplie d’impuretés et de péchés. « Car la prudence de la chair est ennemie de Dieu ; elle n’est pas soumise, en effet, elle ne peut même l’être à la loi de Dieu ». Quoi donc ? direz-vous ; est-ce là un crime ? – Et un très-grand. Le méchant, tant qu’il reste dans sa malice, né peut être soumis à Dieu ; mais le repentir qui lui est possible, peut le rendre bon et fidèle.
2. Bannissons donc les pensées et les sentiments charnels. Charnels, qu’entends-je par là ? Tout ce qui rend le corps florissant et brillant de santé, et qui apporte à l’âme la laideur et la maladie : comme par exemple, tout ce qu’on appelle richesses, délices, gloire. Le principe charnel se reconnaît tout entier en un mot. c’est l’amour de nos corps. Ne désirons point la richesse, embrassons plutôt la pauvreté, car elle est un grand bien. – Mais elle rabaisse, dira-t-on ; elle dégrade et avilit aux yeux des hommes. – C’est précisément ce dont nous avons le plus besoin, c’est notre plus grand intérêt. « La pauvreté », dit le Sage, « donne l’humilité ». Et Jésus-Christ « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » Quoi ! vous plaindrez-vous d’être sur la voie qui conduit à la vertu ? Ignorez-vous que la pauvreté nous donne une grande confiance auprès de Dieu ? – Mais, répliquez-vous, « le Sage a dit que la sagesse du pauvre n’est pas estimée » (Qo. 9,16) ; il s’écrie ailleurs : « Seigneur, ne me donnez pas la pauvreté ! » (Prov. 30,8) Et « De cette fournaise de la pauvreté, Seigneur, délivrez-moi ! » Mais, s’il est vrai que les richesses comme la pauvreté viennent de Dieu, comment seraient-elles un mal ? Comment accorder tout cela ? – Je réponds que l’on parlait ainsi dans l’Ancien Testament, sous l’empire duquel les richesses comptaient pour beaucoup, tandis que la pauvreté était en grand mépris, tellement qu’on voyait en celle-ci une exécration et une malédiction, tandis que celles-là étaient une bénédiction.
Mais voulez-vous entendre l’éloge de la pauvreté ? Jésus-Christ même l’a prise pour lui : « Le Fils de l’homme », dit-il, « n’a pas où reposer sa tête ». Et parlant à ses disciples : « Ne possédez », leur prescrit-il, « ni or, ni argent, ni deux tuniques ». (Mt. 8,20 ; X, 9) Paul écrivait. Nous sommes comme n’ayant rien, et possédant « tout ». (2Cor. 6,10) Pierre disait à cet homme boiteux de naissance : « Moi, je n’ai ni or ni argent ». (Act. 3,6) Jusque dans l’Ancien Testament, d’ailleurs, alors que les richesses étaient tant admirées, quels étaient cependant, dites-moi, les hommes admirables ? N’est-ce pas Élie, qui ne possédait que son vêtement de peau de brebis ? N’est-ce pas Élisée ? N’est-ce pas Jean-Baptiste ?
Que nul donc, à raison de sa pauvreté, ne soit humilié à ses propres yeux. Ce n’est pas la pauvreté qui humilie ; c’est plutôt la richesse qui vous condamne à avoir besoin de tant de personnes et vous crée à leur égard mille obligations de reconnaissance. Qui fut plus pauvre que Jacob qui disait : « Si le Seigneur me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ? » (Gen. 28,20) Et cependant étaient-ils humiliés de leur pauvreté, Élie et Jean-Baptiste ? Ne parlaient-ils pas au contraire avec beaucoup de hardiesse et de liberté ? N’accusaient-ils pas hautement les rois ; l’un, Achab ; l’autre, Hérode ? A celui-ci, Jean disait : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de Philippe ton frère ». (Mc. 6,8) A celui-là, Élie répondait librement et hardiment : « Ce n’est pas moi, c’est vous-même et la maison de votre père, qui jetez le trouble en Israël ». (1R. 18,18) Voyez-vous que cette condition même, que leur pauvreté donnait encore une plus grande confiance et une plus grande liberté de parole ?
En effet, un riche n’est qu’un esclave, parce qu’il peut perdre quelque chose, et qu’il prête le flanc par là même à qui veut le maltraiter. Mais celui qui n’a rien, ne craint ni la confiscation de ses biens, ni le bannissement. Si la pauvreté enlevait aux hommes leur liberté de parole, Jésus-Christ n’aurait pas envoyé ses disciples avec cette pauvreté pour seule arme, à une conquête qui exigeait avant tout une parole libre et confiante.
Le pauvre, lui, est fort et courageux ; il ne donne pas prise à l’injustice, on ne sait par où le maltraiter ; le riche, au contraire, est attaquable et prenable de tous côtés. Qu’un malheureux traîne autour de lui-même des liens nombreux et prolongés, facilement on l’arrête ; mais il est malaisé de saisir et de retenir un homme nu. La première partie de cette image vous peint le riche esclaves, argent, vastes domaines, affaires infinies, soins innombrables, ennuis, accidents, besoins, sont autant de chaînes par lesquelles tout le monde peut aisément le prendre et l’arrêter.
3. Que personne donc n’envisage la pauvreté comme une cause d’infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu’un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ». (Mt. 19,21, 23) Voyez-vous que si la pauvreté n’est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l’acquérir ? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l’onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. – Mais j’ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire ; tandis qu’il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l’avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux ? Souvent ils manifestent des besoins indignes d’eux-mêmes ; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves ! Le pauvre, lui, n’a pas même besoin de l’empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n’est que plus admirable de s’être réduit à l’indigence volontaire, pouvant être riche.
Non, que personne n’accuse la pauvreté d’être la cause de maux sans nombre ; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait »… Il l’a proclamé par ses paroles, il l’a montré par ses exemples, il l’a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j’ose croire que plusieurs m’applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l’argent, qu’ils n’auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu’il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes ! Sachez que rien n’est riche comme celui qui volontairement et de grand cœur choisit la pauvreté. Est-ce possible ? oui, et j’affirme même, si vous voulez, que celui qui choisit cette pauvreté volontaire est plus riche qu’un roi. Car celui-ci a de nombreux besoins, des ennuis, des craintes, par exemple, pour ses convois militaires qui peuvent manquer ; celui-là, au contraire, jouit d’une quiétude parfaite, et loin d’éprouver mille craintes, n’en garde aucune. Or, dites-moi, quel est le vrai riche, de celui qui chaque jour est inquiet, qui pense, qui s’étudie à amasser encore et toujours, et qui craint de manquer un jour ; ou de celui qui n’amasse rien, à qui tout suffit et abonde, qui n’éprouve aucun besoin, car la vertu et la crainte de Dieu, et non l’argent, donnent une sainte confiance ? L’or possède même le privilège de vous asservir. « Les cadeaux et les présents », dit l’Écriture, « aveuglent les yeux des sages ; ils sont dans leurs bouches comme un frein qui empêche leurs arrêts et leurs réprimandes ». (Sir. 20,29)
Considérez comment Pierre, ce noble indigent, punit le riche Ananie. Car celui-ci n’était-il pas riche ; et celui-là, pauvre ? Or, écoutez-le parlant avec autorité et disant : « Est-ce bien à tel prix que vous avez vendu votre champ ? » et l’autre humblement répond : « Oui, c’est à ce prix ! » (Act. 5,10) – Mais, dites-vous, qui me donnera d’arriver à la hauteur de Pierre ? – Vous pouvez être aussi grand que Pierre, si vous voulez vous dépouiller de tout ce que vous avez. Semez, donnez aux pauvres, suivez Jésus, et vous serez un autre Pierre. – Mais comment ? car (me dites-vous) il a fait des miracles. – Est-ce donc là, répondez-moi, ce qui a rendu cet apôtre admirable ; et n’est-ce pas plutôt la pleine confiance qu’il a gagnée auprès de Dieu par la sainteté de sa vie ? N’entendez-vous donc pas Jésus-Christ déclarer « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent ; si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux ? » (Mt. 19,20) Écoutez ce que dit Pierre lui-même : « Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je te le donne ». (Act. 3,6) Ceci, voyez-vous, on ne l’a point, quand on a l’or et l’argent. – Mais, répondez-vous, bien des gens n’ont ni le don de Pierre, ni ceux de la fortune ! – C’est qu’ils ne sont pas pauvres de leur gré ; car tout pauvre vraiment volontaire, possède tous lesbiens. Encore qu’il ne ressuscite point les morts, encore qu’il ne redresse point les boiteux, il possède, et ce don vaut mieux que ceux du thaumaturge, il possède la confiance en Dieu. De tels pauvres entendront au grand jour ce bienheureux arrêt « Venez, les bénis de mon Père ! (Se peut-il quelque chose de meilleur ?) Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade et en prison, et vous m’avez visité. Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ». (Mt. 25,34-36) Fuyons donc l’avarice et la cupidité, pour gagner le royaume des cieux. Nourrissons les pauvres, afin de nourrir Jésus-Christ, et de devenir les cohéritiers de ce Sauveur Jésus, Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX.

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AYANT DONC, MES FRÈRES, LA CONFIANCE QUE NOUS ENTRERONS DANS LE SANCTUAIRE PAR LE SANG DE JÉSUS, PAR CETTE VOIE NOUVELLE QUI MÈNE A LA VIE, ETC. (X, 20, JUSQU’A 26)

Analyse.

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  • 1. L’orateur résume les différences déjà trouvées entre le culte israélite et le culte chrétien, et conclut par nous commander la confiance, la foi pleine et entière, et les œuvres saintes. – Il nous recommande une sainte rivalité dans la pratique du bien, une grande droiture dans nos rapports mutuels.
  • 2. L’amour mutuel, plénitude de la loi, n’a qu’une règle : aimer son prochain comme soi-même. – Le pardon des injures est l’application de ce principe. – Nul ne voudrait se haïr : ne haïssons point nos frères. – Le Nouveau Testament et même l’Ancien nous donnent des exemples. – Aimer ses ennemis, c’est au fond s’aimer soi-même et centupler sa récompense.


1. « Ayez confiance », Paul peut nous parler ainsi quand il a montré la différence de pontife, de sacrifice, de tabernacle, de testament, de promesses ; différence très-grande en effet, puisque chez les Juifs tout cela est temporel, et chez nous, éternel ; que là tout s’efface et tombe ; ici, tout est permanent ; d’un côté, on voit la faiblesse ; de l’autre, la perfection ; des ombres et des figures enfin, en face de l’immuable vérité. Écoutez, en effet : « Ce n’est pas selon la disposition d’une loi charnelle, c’est en vertu de sa vie immortelle » que Jésus est prêtre, nous dit-il ; ajoutant qu’il est écrit ailleurs : « Vous êtes prêtre pour l’éternité » voilà déjà la perpétuité du sacerdoce. Quant au testament, « celui-là », dit-il, « est ancien ; or ce qui passe et vieillit, va bientôt finir ». (Héb. 7,16 ; VIII, 13) – Le Nouveau possède la rémission des péchés : l’autre n’a rien de semblable : « Car la loi », nous dit-il, « n’a rien mené à perfection ». (Héb. 7,19) Et encore : « Mon Dieu ! vous n’avez voulu ni offrande ni sacrifice ». – Le tabernacle était fait de main d’homme : la main de l’homme n’a point construit le nôtre. – L’un vit couler le sang des boucs, l’autre le sang du Seigneur : en celui-là le prêtre se tient debout ; dans notre sanctuaire, il est assis.
Tout étant donc bien moindre d’un côté, et bien plus grand de l’autre, il conclut et nous dit : « C’est pourquoi, mes frères, ayez confiance ». Et pourquoi, confiance ? à cause du pardon. Car, dit-il, comme le péché produit et apporte la honte, ainsi la confiance naît et se produit par la certitude que tous nos péchés nous ont été remis. Et ce n’est pas pour cette raison seulement ; c’est aussi parce que nous sommes devenus ses cohéritiers et les objets de cette immense charité. – « Dans l’entrée au sanctuaire ». Où, cette entrée ? Au ciel, dans une voie et un progrès tout spirituels. – « La voie qu’il a ouverte pour nous », c’est-à-dire, qu’il a construite, et par où il est entré tout d’abord. En effet, ouvrir signifie ici commencer d’user. Or il l’a préparée, cette voie, nous dit-il, et lui-même est entré « dans cette voie nouvelle et vivante ». Il montre ici la plénitude de notre espérance. Cette voie est nouvelle, dit-il ; car il veut nous montrer que nous sommes bien plus grandement partagés que les anciens, puisqu’à présent les portes du ciel sont ouvertes, bonheur que n’avait pas l’époque d’Abraham. Et c’est avec raison qu’il l’appelle voie nouvelle et vivante ; car l’antique voie était un chemin de mort conduisant aux enfers ; celle-ci mène à la vie. Et toutefois il ne l’appelle pas la route de vie, mais la route vivante, c’est-à-dire permanente. – « Par le voile », dit-il, « par sa chair » ; car cette chair sacrée lui ouvrit à lui-même et tout d’abord ce bienheureux chemin, qu’il est dit avoir inauguré, puisqu’avec cette chair, il y est entré le premier. Cette chair, il l’appelle un voile, et à bon droit ; car lorsqu’il eut été enlevé dans le ciel, alors tout ce qui est dans les cieux s’est dévoilé.
« Approchons-nous », dit-il, « avec un cœur sincère ». Qui pourra donc approcher de lui ? L’homme saint, armé de la foi et de l’adoration en esprit ; – « avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi », parce qu’en effet, rien chez nous n’est visible, ni le prêtre, ni le sacrifice, ni l’autel ; bien que, chez les juifs mêmes, le grand prêtre fut invisible aussi, entrant seul au Saint des Saints, tandis que tous les autres, tout le peuple restait dehors. Ici au contraire, non content de montrer que notre prêtre a pénétré dans le sanctuaire, (ce qu’il déclare en ces termes : « Nous avons aussi un grand prêtre qui est établi sur la maison de Dieu »), il déclare que nous y entrerons après lui. « Ayons donc », dit-il, « la plénitude de la foi (21, 22) ». Il peut arriver, en effet, que vous croyiez, mais avec des doutes ; comme plusieurs même à présent prétendent que tels ressusciteront, et que tels autres ne ressusciteront pas. Ce n’est pas là une foi pleine et entière. Il faut croire comme vous croyez à ce que vous voyez, et bien plus fermement encore ; car notre vue peut se tromper même dans les objets qu’elle perçoit ; mais dans les enseignements de la foi, l’erreur est impossible. Dans le premier cas, nous écoutons un de nos sens ; dans le second, l’Esprit divin est notre maître.
« Ayant le cœur purifié des souillures de la mauvaise conscience (23) ». Il enseigne que non seulement la foi est exigée pour le salut, mais aussi la conduite et la vie vertueuse, et une conscience qui ne se reproche aucune iniquité. A défaut de cet ensemble de dispositions, l’on ne peut recevoir en leur plénitude les choses saintes car saintes en elles-mêmes, les choses saintes sont surtout pour les saints. Aucun profane n’entre donc ici ; Israël se purifiait de corps, nous de conscience. Une sainte aspersion nous est encore permise, celle de la vertu. « Ayant eu aussi le « corps lavé dans l’eau qui purifie ». Il parle ici d’un bain qui ne purifie pas le corps, mais l’âme. – « Car l’auteur de nos promesses est fidèle ». Mais à quelles promesses doit-il être fidèle ? C’est que nous avons à sortir d’ici, pour entrer dans un royaume. Au reste, ne sondez pas avec curiosité la parole divine, n’en exigez pas les raisons. Nos saintes vérités requièrent la simplicité de la foi.
« Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres, ne nous retirant pas de l’assemblée des fidèles, comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d’autant plus que vous voyez que le jour approche (24, 25) ». – Conformément à ce qu’il dit ailleurs : « Le Seigneur est proche ; soyez sans inquiétude (Phil. 4,5) ; Car aujourd’hui notre salut est plus près de nous ». Et encore : « Le temps est court ». (1Cor. 7,29) – Mais pourquoi faut-il « ne pas abandonner l’assemblée des fidèles ? » C’est qu’il sait qu’une réunion, une congrégation présente, devant Dieu, une force particulière. « Car », a dit le Seigneur, « quand deux ou trois d’entre vous se rassemblent en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Il dit aussi : « Qu’ils ne soient qu’un, comme nous ne sommes qu’un ». (Jn. 17,11) Et on lit ailleurs : « Tous n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». (Act. 4,32) Et ce n’est pas là le seul avantage d’une réunion ; par sa nature, une assemblée chrétienne commande et augmente la charité ; et cet accroissement de charité emporte et attire un surcroît de bénédictions divines. « La prière », est-il dit, « se faisait sans relâche par tout le peuple ». (Act. 12,5) – « Comme quelques-uns ont l’habitude de s’isoler » il ne s’en tient pas à exhorter, il sait reprendre aussi. – « Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres ». Il sait que déjà leurs réunions suivent cette règle. Comme le l’or aiguise le fer, ainsi le rapprochement augmente la charité ; et si une pierre broyée contre une autre pierre, fait jaillir le feu, combien plus une âme qui se fond dans une âme ! Voyez : il ne dit pas : Pour rivaliser entre vous ; mais : « Pour provoquer votre charité mutuelle ». Mais, qu’est-ce que cette provocation de charité ? C’est le désir d’aimer et d’être aimé davantage ; « et vos bonnes œuvres », pour en devenir plus zélés. Car si l’exemple a toujours, bien plus que la parole, la force d’enseigner, vous avez bien des docteurs et des maîtres parmi votre multitude même, puisqu’ils paieront ainsi d’exemple.
« Approchons avec un cœur sincère ». Qu’est-ce à dire ? c’est l’horreur de toute hypocrisie, de toute dissimulation. « Malheur », est-il écrit, « au cœur hésitant, aux mains lâches et paresseuses ! » (Sir. 2,12) Qu’aucun mensonge non plus n’ait lieu parmi nous. N’allons pas avoir une parole contraire à notre pensée : c’est là le mensonge. Gardons-nous de la pusillanimité : ce n’est pas la marque d’un cœur vrai. C’est notre défaut de foi qui nous rend pusillanimes. Comment acquerrons-nous la vertu opposée ? si nous savons nous former par la foi des convictions inébranlables. – « Ayant le cœur aspergé ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : purifié, mais aspergé ? Il veut montrer le caractère propre de ce qui fait l’aspersion. Car elle suppose à la fois une œuvre de Dieu et notre œuvre aussi. Asperger et laver la conscience, c’est l’action divine ; mais s’offrir à l’aspersion avec sincérité, avec une conviction pleine et assurée qui vient de la foi, c’est notre part. – Ensuite il attribue aussi à la foi une grande vertu, fondée sur sa vérité et sur la force divine de l’auteur des promesses. – Mais que veut dire : « Ayant aussi le corps lavé par l’eau pure ? » Entendez : par l’eau qui donne une pureté vraie, ou encore par l’eau non mêlée de sang. – Ensuite il ajoute un commandement de perfection, c’est-à-dire la charité : « Ne délaissant pas nos saintes assemblées, comme font plusieurs », qui produisent les schismes il le leur défend expressément. « Car le frère secondé par le frère est comme une ville fortifiée ». (Prov. 18,19) – « Mais considérons-nous les uns les autres pour nous provoquer à la charité ». Qu’est-ce que nous considérer mutuellement ? C’est imiter nos frères vertueux ; c’est avoir les yeux sur eux, pour les aimer et en être aimé. Car la charité est la source des bonnes œuvres. Répétons-le donc : se réunir est chose bien utile ; c’est le moyen de rendre la charité plus ardente, et de la charité naissent tous les biens, puisqu’il n’en est aucun que la charité ne puisse produire.
2. Confirmons donc entre nous la charité ; « car l’amour est la plénitude de la loi ». (Rom. 13,10) Aimons-nous les uns les autres, et nous n’aurons besoin ni de travaux ni de sueurs pour nous sauver. Ce chemin, de lui-même, conduit à la vertu. Ainsi qu’un voyageur, dès qu’il a trouvé la tête d’une route publique, se trouve aussitôt conduit par elle et n’a pas besoin d’autre guide : ainsi, pour la charité, saisissez-en seulement le commencement, et ce début vous conduira et vous dirigera.
« La charité », dit saint Paul, « est patiente, elle est bienveillante ; elle ne suppose point le mal ». (1Cor. 13,4) Que chacun de nous réfléchisse en soi-même sur la manière dont il est disposé pour lui-même ; et qu’il ait pour le prochain ce même sentiment. Ainsi nul n’est jaloux de soi-même ; chacun se souhaite tous les biens ; l’on se préfère naturellement aux autres ; pour soi l’on est disposé à tout faire. Si nous avons les mêmes sentiments pour le prochain, tous les maux de l’humanité sont guéris : plus d’inimitiés désormais, plus d’avarice, plus de cupidité. Car qui voudrait se frustrer soi-même ? Personne ; on ferait plutôt le contraire. Dès lors nous posséderons en commun tous les biens, et nous ne cesserons pas de resserrer nos rangs.
Si telle est notre ligne de conduite, le ressentiment des injures n’est plus possible entre nous. Qui pourrait, en effet, se mettre au cœur une haine contre soi-même, et garder le souvenir d’une injure qu’il se serait faite volontairement ? Qui voudrait se fâcher contre soi-même ? Ne suis-je pas, de tous les hommes, celui à qui je pardonne le plus volontiers ? Si donc tels sont aussi nos sentiments à l’égard du prochain, la mémoire des injures est à jamais éteinte.
Mais, direz-vous, est-il possible d’aimer son prochain comme soi-même ? – Si cette charité est sans exemple, vous avez le droit de la déclarer impossible. Mais si d’autres l’ont pratiquée, il est évident qu’en ne les suivant pas nous faisons uniquement preuve de lâcheté et de paresse. D’ail leurs Jésus-Christ n’a jamais pu commander ce qui serait impraticable ; il s’est vu bien des chrétiens qui ont même dépassé ses lois. – Quels sont ces héros ? – Paul, Pierre, tout le chœur des saints. Si j’avance qu’ils ont aimé le prochain, je ne fais que faiblement leur éloge ; car ils ont aimé leurs ennemis autant qu’on aime l’ami le plus intime. Quel homme au monde, en effet, libre d’aller prendre la céleste couronne, choisirait l’enfer pour sauver ses amis intimes ? Aucun. Et Paul, toutefois, l’a choisi pour ses ennemis, pour ceux qui l’avaient lapidé, pour ceux qui l’avaient battu de verges. Quel pardon pouvons-nous donc attendre, quelle excuse aurons-nous, si nous n’accordons pas même à nos amis la plus faible partie de l’amour que Paul a montré pour ses ennemis ?
Avant lui déjà, le bienheureux Moïse demandait à être rayé du livre de vie, à la place d’ennemis qui l’avaient reçu à coups de pierres, (Ex. 32,32) David aussi, voyant périr ceux qui lui avaient résisté, disait : « C’est moi, leur pasteur, qui ai péché : mais eux, qu’ont-ils fait ? » (2Sa. 24,17) Et quand Saül fut entre ses mains, loin de vouloir attenter à ses jours, il le sauva, alors même que sa générosité allait le mettre en danger. Or, si l’Ancien Testament a fourni de pareils exemples, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui vivons sous le Nouveau, et qui ne savons pas arriver même à la hauteur où ils sont parvenus ? « Car si notre justice n’abonde pas plus que celle des Scribes et des Pharisiens, nous n’entrerons pas dans le royaume des cieux ». Et si nous avons moins de justice que ces gens-là mêmes, comment entrerons-nous ? « Aimez », dit le Seigneur, « aimez vos ennemis et vous serez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mt. 5,44-45)
Aimez donc votre ennemi. Ce n’est pas à lui que vous faites ainsi du bien, c’est à vous-même. Comment ? C’est que vous devenez semblable à Dieu. Aimé de vous, votre prochain n’y gagne que bien peu ; c’est un compagnon de service qui le chérit. Mais vous, en aimant ce compagnon de service, vous y gagnez beaucoup ; vous vous rendez pareil à Dieu. Voyez-vous que le bénéfice est à vous et non pas à votre prochain ? Car Dieu vous propose la couronne, et non à lui. – Mais qu’arrivera-t-il, si c’est un méchant ? – Votre récompense n’en sera que plus grande ; vous serez donc reconnaissant à votre ennemi pour la malice qu’il montre encore après vos innombrables bienfaits. Car s’il n’avait été profondément méchant, votre trésor au ciel n’aurait pas si merveilleusement augmenté. Sa malice, qui vous autorisait à ne l’aimer point, est donc vraiment un motif pour l’aimer davantage. Faites disparaître votre adversaire votre antagoniste, vous détruisez l’occasion que vous avez d’être récompensé. Ne voyez-vous pas comme les athlètes s’exercent avec des corbeilles pleines de sable ? Vous n’avez pas besoin de vous imposer ce labeur ; la vie est pleine d’occasions qui vous tiennent en haleine et nourrissent en vous la force et le courage. Ne remarquez-vous pas que les arbres sont d’autant plus vigoureux et plus solides, qu’ils sont plus fortement battus des vents ? Chez nous aussi, avec l’épreuve et la patience, grandira la vigueur. « Car », dit le Sage, « l’homme patient et longanime abonde en prudence ; le pusillanime au contraire n’apprend ni ne sait rien ». (Prov. 14,29) Comprenez-vous ce magnifique éloge de l’un, cette grave accusation de l’autre ? Il est fort ignorant, le paresseux ; il ne sait rien. Gardons-nous donc de porter cet esprit étroit et petit dans nos rapports mutuels ; car notre malheur ne viendrait pas de ces inimitiés qu’on rencontre toujours, mais bien de notre propre cœur, faible et rancunier. S’il est fort, ce cœur, il supportera aisément tous les orages ; aucun ne pourra le faire sombrer ; ils contribueront même à le conduire au port tranquille. Puissions-nous y toucher et aborder un jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XX.

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SI NOUS PÉCHONS VOLONTAIREMENT APRÈS AVOIR REÇU LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ, IL N’Y A DÉSORMAIS PLUS D’HOSTIE POUR NOS PÉCHÉS ; IL NE NOUS RESTE QUE L’ATTENTE EFFROYABLE DU JUGEMENT ET D’UN FEU ARDENT QUI DOIT DÉVORER LES ENNEMIS DE DIEU. (X, 27, JUSQU’À 32)

Analyse.

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  • 1. Après les motifs d’honneur, les raisons de crainte. Toutefois saint Paul n’enseigne pas l’erreur des Novations et ne proscrit pas la pénitence, mais seulement l’anabaptisme.
  • 2. L’enfer a un véritable et redoutable feu pour les prévaricateurs, et surtout pour les communions indignes. – La vengeance réservée et patiente n’en est que plus à craindre.
  • 3 et 4. La richesse est une lourde chaîne, un préjugé. – Un mot aux femmes luxueuses et avares tout à la fois. – La cupidité est un esclavage comparable à celui des Israélites courbés sous le joug de Pharaon. – Ceux-ci emportèrent l’or d’Égypte ; nous n’emportons que les verges. – La ruine n’est qu’un mot, pour qui conserve l’action de grâces. – Exemple de Job ; sortie contre les femmes. – Pourquoi la richesse n’échoit pas à tous. – Malheur à qui la reçoit et n’en est pas meilleur !


1. Tout arbre dont la plantation et la culture auront demandé la main et les sueurs du laboureur, doit rapporter son fruit, sous peine d’être déraciné et jeté au feu. Cette comparaison s’applique aux âmes qui auront reçu la lumière, c’est-à-dire le baptême. Après avoir été plantés par Jésus-Christ et avoir reçu sa rosée spirituelle, si nous ne donnons aucun fruit, le feu de l’enfer nous attend, avec ses flammes qui ne peuvent s’éteindre. Et c’est pourquoi non content de nous exhorter à pratiquer la charité et à produire les fruits des bonnes œuvres, par les motifs les plus saints et les plus doux, tels que notre entrée assurée dans le ciel et la voie nouvelle que Jésus-Christ nous y a ouverte, saint Paul recommence à nous y exciter, en faisant appel aussi à des motifs plus terribles et plus redoutables. Il venait d’écrire : Ne délaissez pas nos saintes réunions, comme c’est l’habitude de quelques-uns ; mais consolez-vous mutuellement, d’autant plus que vous voyez approcher le grand jour, qui suffit, en effet, à lui seul, pour vous consoler de tout. Maintenant il ajoute « Si nous péchons volontairement après avoir « reçu la connaissance de la vérité », tremblons, car il faut, entendez-le, il nous faut absolument des bonnes pauvres ; autrement, « il ne nous reste a plus désormais de victime pour nos péchés ». Comprenez donc. Vous voilà purifié, délivré de vos crimes, monté au rang de fils. Si vous revenez à votre ancien vomissement, il ne vous reste que l’anathème, le feu, et tout ce que rappelle cet arrêt. Car vous n’avez pas une seconde victime.
A ce propos, nous sommes attaqués par l’hérésie qui déclare la pénitence impossible, et par ceux qui diffèrent à recevoir le baptême. Ceux-ci prétendent qu’il y a danger à recevoir le baptême, puisqu’il n’y a point de second pardon ; ceux-là déclarent qu’il y a péril à admettre les pécheurs aux saints mystères, puisque le second pardon est impossible. Aux uns comme aux autres, que dirons-nous ? Que saint Paul ici ne détruit ni la pénitence, ni l’expiation qui en est l’œuvre ; et qu’il ne prétend ni chasser, ni abattre par le désespoir celui qui est tombé. Paul n’est pas à ce point l’ennemi de notre salut ; il ne détruit que l’espoir d’un second baptême. En effet, il ne dit pas : Point de pénitence ! plus de pardon ! mais simplement. Désormais pas de victime, c’est-à-dire, la croix, qu’il appelle victime, ne se dressera pas une seconde fois. Une seule immolation a rendu parfaits à tout jamais ceux qui se sont sanctifiés, à la différence de l’oblation judaïque et des offrandes multipliées. Tel a été le dessein de l’apôtre, quand, parlant de notre victime, il a si fort insisté sur cette vérité, qu’elle est une, absolument une ; voulant ainsi, non seulement montrer l’avantage qu’elle a sur les sacrifices judaïques, mais aussi pour rendre plus vigilants les Hébreux convertis, puisqu’ils ne doivent plus attendre une nouvelle victime comme autrefois sous l’ancienne loi.
« Si nous péchons volontairement », dit-il. Voyez-vous comme Dieu est porté à la clémence ? Il s’agit de nos péchés volontaires : nos fautes involontaires obtiennent donc le pardon. — « Après avoir reçu la connaissance de la vérité », c’est-à-dire de Jésus-Christ ou de tous ses dogmes, « il ne nous reste plus d’hostie pour nos péchés » ; que reste-t-il, au contraire ? « Une attente effroyable du jugement, un feu jaloux qui doit dévorer les ennemis de Dieu ». Ainsi les infidèles n’en seront pas seuls les victimes, mais tous ceux encore qui commettent des actes contraires à la vertu ; ou bien entendez que le même feu qui dévorera les ennemis, consumera aussi les enfants rebelles. Puis, pour nous montrer combien ce feu est dévorant, il lui prête une espèce de vie, en déclarant que c’est un feu jaloux qui doit consumer les ennemis. Pareille à une bête féroce irrite, exaspérée, qui n’a point de repos jusqu’à ce qu’elle ait saisi et dévoré quelqu’un, cette flamme de l’enfer parait obéir à l’aiguillon de la jalousie cruelle, saisit pour ne plus lâcher, ronge et déchire à tout jamais.
Ensuite l’apôtre nous donne la raison de ces menaces redoutables, et nous prouve qu’elles sont l’effet d’une justice inattaquable. Nous croirons, en effet, plus facilement l’existence du châtiment, quand nous en comprendrons le droit et le motif. « Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins (28) ». Sans miséricorde, remarque-t-il ; ainsi en Israël, ni pardon, ni pitié ; et pourtant ce n’est que la loi de Moïse ; il est l’auteur d’un grand nombre de ses prescriptions. Que veut dire : « La déposition de deux ou trois témoins ? » Que si deux ou trois personnes attestent la prévarication, aussitôt elle est punie. Si donc, dans l’Ancien Testament, une violation de la loi de Moïse est châtiée immédiatement par le dernier supplice, combien plus chez nous ! Aussi conclut-il : « Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour chose vile et profane le sang de l’alliance, et qui aura fait outrage à l’Esprit de la grâce (29) ! »
2. Mais comment un homme foule-t-il aux pieds le Fils de Dieu ? C’est quand, admis à participer à ses mystères, il commet, nous dit l’apôtre, un péché grave. Alors n’est-il pas vrai qu’il le foule aux pieds ? N’est-il pas vrai qu’il le méprise ? Nous foulons aux pieds ainsi ce dont – nous ne faisons aucun cas : ainsi les pécheurs ne tiennent aucun cas de Jésus-Christ, et c’est là le caractère du péché. Quoi ! vous êtes devenu le corps de Jésus-Christ, et vous le jetez sous les pieds du démon ! – « Il a tenu pour vil et profane le, sang de l’alliance ». Qu’est-ce qu’une chose vile et profane ? C’est une chose impure, ou qui n’a rien de plus que la plus vile matière.- « Il a fait outrage à l’Esprit « de grâce » ; car ne pas accepter un bienfait, c’est faire outrage au bienfaiteur. Il t’a fait son enfant ; tu veux devenir esclave ? Il est venu, il a fait en toi son séjour ; et tu laisses entrer en ton cœur de coupables pensées ? Jésus-Christ a voulu, chez toi, faire sa demeure, avoir une place ; et tu le foules aux pieds par le libertinage ou l’ivrognerie ? Écoutons, écoutons, nous qui participons indignement aux saints mystères ; nous qui indignement approchons de la table sainte ! « Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens », dit le Seigneur, « de peur qu’ils ne les foulent aux pieds » (Mt. 7,6) ; c’est-à-dire de peur qu’ils n’aient pour elles que du mépris et du dégoût. Paul n’a pas seulement répété cette parole ; il en a fait retentir une plus redoutable encore, bien capable de terrifier les âmes, et meilleure pour les faire rentrer en elles-mêmes qu’une douce et consolante exhortation. Il montre combien le sang de Jésus-Christ l’emporte sur la loi de Moïse, quel châtiment était infligé aux violateurs de celle-ci, puis il conclut en disant : Jugez vous-mêmes combien plus grande doit être la punition de ceux qui foulent aux pieds le sang de Dieu ! Je vois là une allusion aux sacrilèges commis contre nos saints mystères ; et ce qui suit confirme cette interprétation.
« C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant ; car il est écrit : La vengeance m’est réservée et je saurai bien la faire, dit le Seigneur ». Et encore : « Le Seigneur jugera son peuple (30 et 31) ». Nous tomberons, dit-il, dans les mains du Seigneur, et non pas dans les mains des hommes. Oui, cette main divine vous attend, si vous ne faites pénitence. O terreur ! ce n’est rien, après tout, que de tomber aux mains des hommes ; et quand nous verrons un homme puni en ce monde, nous dit l’apôtre, ne craignons pas pour lui le présent, tremblons pour son avenir ! « Car autant le Seigneur a de miséricorde, autant est grand son courroux, et sa fureur s’appesantira sur les pécheurs ». (Sir. 5,7)
Mais l’apôtre nous laisse deviner ici une autre leçon. « La vengeance m’est réservée », dit le Seigneur, « et je saurai la faire ! » Cette menace atteint l’ennemi qui vous fait du mal, et non pas vous qui subissez l’injustice. Ceux-ci, au contraire, l’apôtre les console en leur disant, presque en propres termes : Dieu est vivant, il demeure éternellement… Que si ceux-là ne reçoivent pas dès maintenant leur châtiment, plus tard ils le recevront. Ce sont eux qui doivent gémir, ce n’est pas nous. Nous tomberons dans leurs mains ; eux, dans la main de Dieu ! Ce n’est donc pas la victime qui est à plaindre, c’est l’oppresseur ; comme ce n’est pas l’obligé, en définitive, mais le bienfaiteur, qui reçoit le bienfait.
Instruits de ces vérités consolantes, sachons être faciles à supporter le mal et l’injustice autant que prompts à faire du bien aux autres. Nous arriverons à cette disposition, si nous méprisons l’argent et la gloire. L’homme qui se dépouillera de ces passions sera, plus que personne, libre et grand, plus riche même que celui qui revêt la pourpre. Ne voyez-vous pas que de mal fait commettre la passion de l’or ? Je ne parle pas des maux qu’engendrent l’avarice et la cupidité, mais de ceux qui naissent du seul amour de l’argent même bien acquis. Qu’un homme, par exemple, soit ruiné, il mène désormais une vie plus pénible que tout genre de mort. O homme ! pourquoi ces gémissements ? Pourquoi tant de larmes ? Est-ce parce que Dieu t’a délivré du triste et inutile souci de garder ton or, ou parce que désormais tu n’es plus assis auprès de ton trésor, dans la crainte et tremblement ? Si un étranger t’avait lié à son coffre-fort, te forçant à rester là constamment assis, et à veiller pour lesbiens d’un autre, tu gémirais, tu serais furieux. Et lorsque spontanément tu t’étais chargé toi-même de chaînes si lourdes, maintenant délivré d’une pareille servitude, tu gémis ! Nos douleurs ou nos joies ne sont, en vérité, que préjugés, puisque nous gardons nos richesses, comme si elles étaient la propriété d’autrui.
Un mot maintenant aux femmes. Une femme a-t-elle un vêtement tissu d’or ? Avec quel soin elle en secoue la poussière, elle le plie, elle l’enveloppe ! Dans la crainte de le gâter, elle n’en jouit presque pas. En effet, en attendant, elle meurt ou devient veuve. La crainte qu’elle a de l’user en le portant trop souvent, fait qu’elle s’en prive pour le ménager. – Mais elle le laissera pour une autre. – Rien n’est moins certain ; et d’ailleurs en le laissant à une autre, celle-ci en usera de même. – Au reste, si l’on voulait fouiller ce que recèlent nos opulentes maisons, l’on verrait que maints habits précieux, maints objets recherchés sont plus honorés que leurs propriétaires vivants. Loin de s’en servir constamment, en effet, telle femme craint et tremble pour eux, elle en écarte les vers et tout ce qui peut les ronger, elle les dépose pour la plupart dans les parfums et les aromates, elle n’en permet pas même la vue, mais, d’accord avec son mari, elle ne fait que les ranger et les déranger.
3. Saint Paul, dites-moi, n’a-t-il pas eu raison d’appeler l’avarice une idolâtrie ? L’honneur, en effet, que les païens rendent à leurs idoles, ces malheureux le rendent à leurs tissus, à leurs bijoux d’or. Jusques à quand remuerons-nous cette fange ? Jusques à quand serons-nous attachés à la boue et aux briques ? Comme les enfants d’Israël travaillaient pour le roi d’Égypte, ainsi travaillons-nous pour le démon, qui nous maltraite plus cruellement encore que Pharaon les Hébreux. Ne voyez pas ici une hyperbole. Car plus l’âme l’emporte sur le corps, plus il est triste et pénible de la voir maltraiter par l’avarice qui sans cesse la flagelle, l’inquiète, la tourmente.
Gémissons donc et élevons vers Dieu nos regards suppliants ! Il nous enverra non pas Moïse, non pas Aaron, mais sa parole, et une componction salutaire. Dès que cette parole sera venue et aura pénétré nos cœurs ; elle nous délivrera d’une cruelle servitude, et nous fera sortir de cette autre Égypte, de cette passion inutile et vainement laborieuse, de cet esclavage sans profit. Au moins les Israélites, sortant d’exil, reçurent de l’or, juste salaire de leurs travaux ; mais nous autres, nous sortirons les mains vides, et encore serions-nous heureux si nous n’emportions rien ; mais nous emportons avec nous, non les vases d’or et d’argent de l’Égypte, mais ses maux, ses péchés et les supplices dont Dieu les punit.
Apprenons donc à recueillir un vrai profit ; apprenons à bien souffrir une injustice : c’est le caractère du chrétien. Méprisons les vêtements d’or, méprisons les richesses, de peur de mépriser notre salut. Méprisons l’argent, oui, et non point notre âme. À elle, en effet, le châtiment ; à elle, le supplice un jour. Ces prétendus biens restent sur la terre ; notre âme s’en ira ailleurs.
Pourquoi, dites-moi, vous déchirer vous-mêmes et ne pas le sentir ? Je parle ici à ces avares, qui sont travaillés du désir de posséder toujours davantage. Mais il est bon de le dire aussi à ceux que les avares exploitent et volent. Supportez, chères victimes, les dommages que les avares vous font subir. Ils se suicident, et ne sauraient vous tuer. Ils vous privent de votre argent ; mais ils se privent eux-mêmes de l’amour et du secours de Dieu. Or, dépouillé de cette grâce, possédât-on les richesses du monde entier, on est le plus pauvre de la terre ; tandis que le plus pauvre des hommes, s’il jouit de la grâce de Dieu, est certainement le plus riche de tous, puisqu’il peut dire avec le Prophète : « Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera jamais ». (Ps. 22,1)
Si vous aviez, dites-moi, un protecteur haut placé et admirable qui vous aimât extrêmement, qui vous portât intérêt ; et si d’ailleurs vous saviez qu’il vivra toujours, que vous ne mourrez pas vous-même avant lui, et qu’il vous fera part de tout ce qu’il a, pour en jouir en toute sûreté comme d’un bien qui vous sera propre et personnel, dès lors vous mettriez-vous en peine de rien acquérir ? En vous supposant même dépouillé de tout, ne vous croiriez-vous pas plus riche que personne ? Pourquoi donc pleurez-vous ? – De n’avoir pas d’argent ? Mais pensez que, par là même, l’occasion de pécher vous est ôtée. – D’avoir perdu vos biens ? Mais vous avez gagné l’amitié de Dieu. – Et comment l’ai-je gagnée, dites-vous ? C’est lui-même qui vous dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas l’injustice » plutôt que de la commettre ? Et :« Rendez grâces au ciel de toutes choses » ; et « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » (1Cor. 6,7 ; 1Thes. 5,18 ; Mt. 5,3) Imaginez donc à quelle hauteur vous êtes dans son amitié, si vous mettez ces conseils en pratique.
En effet, on ne nous demande qu’une chose : c’est de remercier Dieu en tout et toujours ; dès lors, nous aurons tout en abondance. Par exemple, avez-vous perdu dix mille livres d’or ? Remerciez Dieu tout aussitôt et vous avez gagné cent mille livres par cette parole d’abnégation et de reconnaissance. Car, dites-moi : à quel moment appelez-vous Job bienheureux ? Est-ce quand il est propriétaire de tant de chameaux, de tant de gros et menu bétail ? N’est-ce pas plutôt quand il fait entendre cette parole ? « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, son nom soit béni ! » (Job. 1,21) Quand le démon nous veut perdre, ce n’est pas en nous enlevant les richesses, il sait qu’elles ne sont rien ; mais il veut par cette ruine nous forcer à prononcer quelque blasphème. Ainsi agissait-il à l’égard du bienheureux Job ; son but unique n’était pas de le réduire à la pauvreté, mais de lui arracher un blasphème. Voyez plutôt quel langage il lui tient par l’épouse même du patriarche. Dès que celui-ci est dépouillé de tout : « Prononcez », lui dit-elle, « une parole contre Dieu, et puis mourez ». – Mais, maudit Satan, tu l’as déjà dépouillé de tout ! – Je n’ai pas ainsi atteint mon but. J’ai tout fait pour arriver et je n’ai pu parvenir à le priver aussi du secours de Dieu. Voilà ce que je veux ; ce que j’ai fait d’ailleurs n’est rien. Si je n’atteins pas mon but ultérieur, non seulement Job n’aura subi aucun mal, mais son épreuve lui aura servi.
4. Voyez-vous comment le démon sait le prix de cette ruine spirituelle ? Aussi emploie-t-il à cette fin le piège même d’une épouse impie. Écoutez ici, vous tous qui avez des femmes passionnées pour l’argent, lesquelles vous forceraient à blasphémer contre Dieu ! Souvenez-vous de Job. Mais plutôt voyons, s’il vous plaît, la grande douceur avec laquelle il lui ferme la bouche. « Pourquoi », lui dit-il, « avez-vous parlé comme une femme insensée ? » (Job. 2,10) En effet, « les mauvais « discours corrompent les bonnes mœurs ». (1Cor. 15,33) Toujours, hélas ! mais surtout dans le malheur, l’influence des mauvais conseils est grande. Notre âme se sent déjà portée d’elle-même à la colère et au désespoir : combien plus elle y obéit, quand elle rencontre un mauvais conseiller ! N’est-elle pas alors poussée au précipice ? La femme est un grand bien, comme elle est un grand mal. Remarquez, en effet, comment le démon cherche à faire brèche dans ce mur inexpugnable. La perte de tous ses biens n’a pu l’entamer ; cette ruine n’a pas produit contre lui grand effet. Convaincu d’avoir en vain dit à Dieu : « Vous verrez que Job vous maudira en face » (Job. 1,11), le démon arme l’épouse, pour arriver à vaincre. Vous avez ouï ce qu’il en espérait ! Mais cet engin de guerre ne lui a pas réussi.
Ainsi, nous-mêmes, si nous supportons tout avec reconnaissance, nous recouvrerons même nos biens ; sinon, du moins aurons-nous une plus magnifique récompense, comme il est advenu à ce cœur de diamant, à ce patriarche qui, après une lutte courageuse et victorieuse, a vu le Seigneur lui donner encore la fortune. Job avait prouvé au démon qu’il ne servait pas Dieu par un motif de vil intérêt ; le Seigneur, en retour, voulut bien lui rendre plus qu’il n’avait auparavant. C’est en effet ce qui arrive. Quand Dieu voit que nous ne sommes pas attachés aux biens de la vie, il nous les donne ; quand il nous voit préférer les biens spirituels il nous accorde les biens temporels par surcroît, mais jamais ceux-ci d’abord, de peur que nous n’oubliions les biens spirituels. C’est donc par un ménagement de sa providence qu’il nous refuse les biens du corps, afin de nous en séparer même malgré nous.
Mais non, direz-vous ; quand je reçois, au contraire, je suis comblé et je rends grâces plus volontiers ! – Cela n’est pas, ô homme ; tu n’en es que plus lâche et plus ingrat. – Mais pourquoi Dieu donne-t-il à d’autres ? – Êtes-vous bien sûr que c’est lui qui donne ? – Qui est-ce, si ce n’est lui ? – Leur avarice, leur rapacité sait s’enrichir. – Alors comment Dieu permet-il ces crimes ? – Comme il tolère le meurtre, les vols, les violences.- Alors que dites-vous de ceux qui, bien que remplis d’iniquités Bans – nombre, reçoivent de leurs ancêtres un riche héritage ? Comment Dieu les en laisse-t-il jouir ? – Comme il fait pour les voleurs, les meurtriers et tous les autres malfaiteurs. L’heure n’est pas venue de les juger, mais bien de régler parfaitement votre conduite. Ce que j’ai dit déjà, je le répète. Ils seront d’autant plus sévèrement châtiés, qu’ayant ainsi reçu tous les biens, ils n’en seront pas devenus meilleurs. Car tous les méchants ne seront pas également punis. Ceux qui, couverts des bienfaits de Dieu, demeurent mauvais, seront plus durement châtiés. Mais il n’en sera pas ainsi des hommes qui auront vécu dans la pauvreté. Pour vous convaincre de cette divine justice, écoutez ce que Dieu dit à David : « Ne vous ai-je pas donné tous les biens du roi votre maître ? » (2Sa. 12,8) Quand donc vous verrez un jeune homme recevoir sans travail l’héritage paternel et persévérer dans le péché, soyez sûr que son châtiment vient de s’accroître, et son supplice d’augmenter. Ne portons pas envie à de tels misérables, mais rivalisons avec ceux qui savent hériter de la vertu et acquérir les biens de la grâce. « Car, malheur », dit l’Écriture, « à ceux qui se confient dans leurs richesses ! » et : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur ! » (Ps. 48,7 et 127,1) De quel côté vous rangez-vous, dites-le-moi ? Du côté de ceux qu’elle proclame bienheureux, sans doute ? Soyons donc saintement jaloux de ceux-ci et non point des autres, afin d’acquérir, comme les premiers, lesbiens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, honneur, empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXI.

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RAPPELEZ EN VOTRE MÉMOIRE CE PREMIER TEMPS OÙ, APRÈS AVOIR ÉTÉ ILLUMINÉS PAR LE BAPTÊME, VOUS AVEZ SOUTENU DE GRANDS COMBATS DE SOUFFRANCES, ETC. (X, 32, JUSQU’A XI, 3)

Analyse.

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  • 1 et 2. Après la terreur, l’encouragement. – Louanges adressées aux Hébreux qui ont souffert pour Jésus-Christ, et se sont associés aux souffrances de ses apôtres. – La souffrance voulue, cherchée, subie avec joie, est un héroïsme véritable : c’est celui des apôtres. – La patience est nécessaire toujours ; elle naît comme nécessairement de la foi et de l’espérance. – Magnifique idée de la foi.
  • 3 et 4. La foi est appuyée sur les prophéties du Sauveur ; celles qui se sont réalisées ne pouvaient l’être humainement ; elles garantissent celles qui concernent le jugement à venir. – La fin des temps est proche. – Celle du monde, dit l’orateur, peut n’être pas loin ; mais celle de chacun de nous est proche : notre vie est si courte ! Tremblons ! Il y va de l’enfer ! – Nous jouons trop avec le péché, et surtout avec celui de la détraction. – Vains subterfuges pour couvrir la médisance. – Nous répondrons de nos paroles peu charitables au jugement de Dieu.


1. Quand un grand médecin vient de faire à son malade une incision profonde et d’ajouter à ses douleurs une plaie cuisante, il s’empresse de soulager le membre souffrant et de prodiguer à cette âme troublée les secours et les encouragements ; bien loin de vouloir trancher de nouveau dans le vif, l’homme de l’art emploie sur la première plaie les médicaments les plus adoucissants, et tout ce qui peut enlever le sentiment de la douleur. Telle est aussi la méthode de Paul. Il lui a fallu secouer fortement ses chers disciples, et les toucher de componction par le souvenir de l’enfer dont il a parlé ; il a dû leur déclarer que le prévaricateur qui aura violé la loi de grâce est certain de périr ; et il a démontré cette perte assurée par les lois de Moïse ; il a même confirmé son dire par d’autres témoignages, et déclaré qu’il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant. Maintenant, il craint que leur âme, arrivant au désespoir par l’excès de la crainte, ne reste absorbée dans sa douleur ; et il les console par les louanges, il les relève par l’exhortation, il leur présente une sainte rivalité avec eux-mêmes.
« Rappelez-vous », leur dit-il en effet, « ce premier temps où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats de souffrances (32) ». Douce et puissante exhortation que celle qui est tirée de leurs propres œuvres ! Aussi bien faut-il que celui qui débute dans une entreprise, fasse des progrès par la suite. C’est donc comme s’il disait : Au temps de votre initiation, quand vous n’étiez encore que disciples, vous avez montré une ardeur, une générosité d’âme que vous ne montrez plus au même degré. Cette exhortation, vous le voyez, s’appuie sur leurs propres exemples. Et il ne dit pas : Vous avez soutenu des combats, mais de grands combats. Il n’emploie pas seulement le mot tentations, mais celui de combats qui porte avec lui son éloge et tout un ensemble de magnifiques louanges. Ensuite il repasse une à une leurs victoires, développant son thème, redoublant les éloges. Écoutez : « Ayant été d’une part exposé devant tout le monde aux opprobres et aux mauvais traitements (33) ». C’est chose grave, en effet, qu’un opprobre ; c’est chose capable de percer le cœur et de bouleverser l’âme, et de répandre les ténèbres dans une raison humaine. Entendez à ce sujet le Prophète : « Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tant qu’on m’a dit chaque jour : « Où est votre Dieu ? « Et encore : » Si mon ennemi m’avait outragé, je l’aurais enduré ». (Ps. 41,4 ; 54, 13) Comme les humains ont surtout la maladie de la vaine gloire, l’opprobre est un piège qui les prend facilement. Et, non content de rappeler les opprobres, l’apôtre témoigne qu’ils ont eu un caractère public de gravité : « Ils ont « été donnés en spectacle ». Lorsque quelqu’un se voit poursuivi de malédictions, sa peine est vive, mais elle l’est beaucoup plus quand elles retentissent devant tout le monde. Pour eux qui avaient quitté les rites si imparfaits du judaïsme, pour passer à une religion parfaite, en sacrifiant les traditions de leurs ancêtres, quel chagrin c’était, dites-moi, que de subir les mauvais traitements de leurs compatriotes, sans pouvoir même se défendre ! Bien que vous ayez tant souffert, ajoute-t-il, on ne peut dire que vous ayez fait entendre des plaintes, puisqu’au contraire vous en avez témoigné toute votre joie.
C’est dans le même sens qu’il leur dit. « Et d’autre part, ayant été compagnons de ceux qui ont souffert de pareilles indignités, vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes (34) », mettant en scène ici les apôtres. non seulement, dit-il, vous n’avez point rougi d’être maltraités par ceux de votre nation, mais vous avez été les compagnons d’autres martyrs encore, qui ont enduré les mêmes souffrances que vous. Vous reconnaissez ici dans saint Paul la voix qui console et qui encourage. Il n’a pas dit. Vous subissez avec moi les afflictions, vous partagez mes combats ; mais : « Vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes ». Voyez-vous comme il parle de lui-même sans doute, mais, aussi d’autres captifs ? Vous n’avez point considéré ces chaînes comme des chaînes, leur dit-il, et sans vous effrayer, vous êtes demeurés fermes comme de courageux athlètes ; et loin d’avoir besoin d’être consolés dans vos tribulations, vous avez su consoler les autres.
« Et vous avez accueilli avec joie le pillage de vos biens ». Dieu ! quelle foi chez eux, pleine, certaine, convaincue ! Saint Paul fait bien voir la cause de leur fermeté, non seulement pour les exhorter à de nouveaux combats, mais pour les engager à ne pas déchoir de cette foi sublime. Vous avez vu, dit-il, le pillage de vos biens, et vous l’avez supporté ; car vos regards se portaient alors vers les biens invisibles que vous envisagiez déjà comme visibles ; preuve d’une foi éminente, que vous avez, d’ailleurs, manifestée par vos œuvres. – Mais ce pillage était peut-être, de la part de vos ennemis, un acte de pure violence que vous n’auriez pu empêcher ? Il n’est donc pas évident que vous ayez subi votre ruine pour le motif de la foi ? – Au contraire, c’était si évidemment pour la foi, que vous pouviez, en abjurant votre religion, conjurer ce pillage. Aussi avez-vous fait bien plus encore que de consentir à le subir ; vous l’avez supporté avec joie, ce qui est une vertu toute apostolique et digne de ces grandes âmes dont la joie éclatait jusque sous les fouets. Car il est dit « qu’ils revinrent joyeux de l’assemblée des juifs, parce qu’ils avaient été trouvés dignes d’être accablés d’outrages pour le nom de Jésus ». (Act. 5,41) Au reste, cette joie dans la souffrance révèle dans un martyr l’espoir d’une récompense, et la conviction que loin d’y perdre, il y gagne certainement. Et ce mot : « Vous avez accueilli », montre une souffrance volontiers acceptée. Et pourquoi l’avez-vous choisie et accueillie ? C’est parce que « vous saviez que vous aviez d’autres biens plus excellents et permanents ». – « Permanents », c’est-à-dire fermes et durables, et non pas périssables comme ceux de la terre. Après les avoir ainsi loués, il dit :
2. « Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, qui doit être récompensée d’un grand prix (35) ». Que dites-vous, bienheureux Paul ? Vous ne prononcez pas qu’ils ont perdu la confiance, et qu’ils ont à la regagner ; loin de leur ôter ainsi l’espoir, vous dites qu’ils l’ont encore, qu’ils ne doivent pas la perdre ; et ainsi vous les encouragez. Vous l’avez encore, dit l’apôtre. Pour acquérir de nouveau ce qu’on a perdu, il faut plus de travail ; il en faut bien moins pour éviter de perdre ce qu’on possède encore. Aux Galates son langage est tout autre : « Mes petits enfants, pour lesquels je souffre des douleurs de mère, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ». (Gal. 4,19) Il trouvait chez eux plus de paresse et de lâcheté ; aussi avaient-ils besoin d’entendre des paroles plus énergiques. Les Hébreux avaient seulement le cœur faible et découragé ; leur état réclamait donc un discours de guérison et d’encouragement. Ne perdez donc pas, leur dit-il, votre confiance : ils étaient donc en grande faveur auprès de Dieu. « Parce qu’elle doit être récompensée d’un grand prix ». Qu’est-ce à dire, sinon : nous la recevrons plus tard ? Si donc elle est réservée à une vie future, il ne faut pas la demander à celle-ci. Et de peur qu’on ne lui objecte : Mais nous avons tout sacrifié ! – Il prévient cette difficulté de leur part en disant équivalemment : Si vous savez que le ciel vous garde des biens tout autrement précieux, ne cherchez plus rien ici-bas. Car la patience vous est nécessaire, non pas que vous deviez combattre encore plus, mais pour que vous restiez dans les mêmes combats, et que vous ne jetiez pas à vos pieds la palme que vous tenez déjà. Vous n’avez qu’un besoin donc : c’est de résister, comme vous l’avez fait jusqu’ici afin qu’arrivés au terme de la carrière, vous receviez la récompense promise.
« Car la patience vous est nécessaire, afin que faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis (36) ». Votre unique et nécessaire devoir est donc de supporter le délai de Dieu, mais non pas de subir de nouvelles luttes. Déjà, leur dit-il, vous touchez à la couronne, vous avez vaillamment tout subi, combats, chaînes, afflictions ; tous vos biens ont été pillés. Que reste-t-il donc ? Désormais vous ne faites plus qu’attendre l’heure du couronnement ; vous ne supportez plus qu’une peine légère, celle du délai de votre couronne à venir. O magnifique consolation ! Il semble qu’on parle à un athlète qui a renversé et vaincu tous ses antagonistes, et qui ne voit plus se lever aucun adversaire pour accepter la lutte ; n’ayant désormais qu’à recevoir la couronne, il s’irrite du temps que le juge du combat met à venir enfin pour placer le laurier sur son front ; impatient, il veut sortir de l’arène et fuir l’amphithéâtre, n’y tenant plus de chaleur et de soif. Que dit donc l’apôtre, dans une circonstance semblable ? « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas (37) ». Pour prévenir ce cri de leur impatience : Quand donc viendra-t-il ? l’apôtre les console par les saintes Écritures. Déjà, dans un autre passage, il encourage ses disciples, en disant : « Notre salut est plus proche », parce qu’il reste peu de temps à courir. Et il ne parle pas de lui-même, mais d’après les saints Livres. Car, si déjà dans ces temps lointains, on disait : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas » (Rom. 13,11), il est évident que le Libérateur est plus voisin encore. L’attendre donc, c’est accroître encore la récompense.
« Or, le juste vivra de la foi. Que s’il se retire, il ne plaira pas à mon cœur (38) ». Exhortation bien pressante qui leur apprend que même après avoir été jusque-là parfaits dans leur conduite, ils perdraient tout par le ralentissement. « Mais quant à nous, nous ne sommes point les enfants de la révolte, ce qui serait notre ruine ; mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes (39) ».
« Or la foi est la substance des choses que l’on doit espérer et une pleine conviction de celles qu’on ne voit point. C’est par la foi que les anciens Pères ont reçu un témoignage si avantageux ». (11, 1-2) Ciel ! quelle admirable exactitude d’expression ! La foi est la « démonstration », dit-il, « des choses qui ne paraissent pas encore » c’est-à-dire, la conviction pleine de l’invisible. La démonstration, d’ordinaire, ne se dit que d’une vérité certaine. La foi est donc une vue de vérités non manifestes encore, et l’invisible qu’elle nous révèle doit être admis avec une persuasion aussi certaine que le visible. Ce que nous voyons, il nous est impossible de ne le pas croire ; or, si l’objet de la foi qui échappe à notre œil ne nous paraît pas aussi vrai et plus sûr même que le monde visible, nous n’avons pas la foi. Comme les choses que nous espérons paraissent n’avoir pas de corps ni de consistance, la foi donne une substance et un corps à ces objets de l’espérance ; ou plutôt, elle ne leur donne pas, elle est elle-même leur essence. Prenons un exemple : La résurrection n’est pas encore arrivée ; elle n’a donc pas encore de substance, elle n’existe pas ; mais l’espérance lui crée une subsistance dans notre âme, voilà ce que veut dire : « La substance des choses qu’on doit espérer ». Si donc la foi seule a la démonstration de l’invisible, pourquoi voulez-vous voir celui-ci, et vous exposer à perdre la foi, à compromettre ce principe par lequel vous êtes justes, puisque le « juste vivra de la foi ? » Si vous voulez être voyants, vous cessez d’être croyants. Vous avez travaillé et combattu, je me plais à le dire ; mais, attendez ! Attendre, c’est la foi ; ne cherchez pas tout ici-bas.
3. Ces paroles ont été dites aux Hébreux ; mais l’avis qu’elles renferment s’adresse à un grand nombre de ceux qui sont ici rassemblés. A qui surtout ? A ceux qui ont le cœur étroit et défaillant, à ceux aussi qui manquent de patience. Les uns et les autres ne peuvent voir la prospérité des méchants, ni leurs adversités à eux-mêmes, sans être accablés de tristesse et d’indignation, appelant sur ceux-là le supplice et la vengeance du ciel, en même temps que fatigués d’attendre leur propre récompense.
« Encore un peu de temps », disait saint Paul, « et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas ». Répétons-le, nous aussi, aux lâches et aux paresseux : la punition arrivera certainement, elle viendra, la résurrection même déjà est à nos portes. – Mais qui le prouve, dira-t-on ? – Je ne demanderai pas mes preuves aux prophètes. Je ne parle pas seulement à des chrétiens en ce moment, mais mon auditeur fût-il un gentil, j’ai pleine confiance, j’apporte des preuves certaines ; je puis le convaincre, lui aussi ; et comment ? Écoutez-moi.
Jésus-Christ a fait plusieurs prophéties. Si les unes ne se sont pas réalisées, ne croyez pas aux autres ; mais si elles se sont accomplies en tous points, pourquoi douteriez-vous de celles qui restent à accomplir ? Lorsqu’une partie de ces prophéties se sont accomplies, il serait aussi déraisonnable de ne pas croire aux autres, qu’il le serait d’y croire, si rien ne s’était encore accompli. Au reste, un exemple va rendre la chose évidente : Jésus-Christ a dit que Jérusalem serait prise, et qu’elle le serait avec des circonstances inouïes jusqu’alors, et qu’elle ne serait jamais rebâtie : sa prédiction s’est réalisée. – Il a dit qu’une terrible affliction frapperait le peuple juif : elle est arrivée. – Il a prédit l’extension de son Évangile, pareil d’abord au grain de sénevé : et nous le voyons se propager de plus en plus dans l’univers entier.
Il a prédit que quiconque abandonnerait son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, retrouverait son père et sa mère ; et nous voyons ce fait réalisé. – Il a dit à ses disciples : « Vous aurez des tribulations en ce monde, mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde » ; c’est-à-dire, personne ne vous vaincra, et l’événement nous l’a prouvé. – Il a dit que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église, bien qu’elle doive souffrir persécution, et que personne n’éteindra son Évangile : cette prédiction est vérifiée par l’expérience. – Et quand le Seigneur faisait ces prophéties, elles avaient un caractère incroyable. Pourquoi ? C’est que l’on ne pouvait y voir que des paroles, et que lui-même n’apportait pas de preuve de l’avenir qu’il annonçait. Aussi ces prophéties n’en sont que plus dignes de foi aujourd’hui. – Il a dit que la fin viendrait après que l’Évangile aurait été annoncé à toutes les nations. Voici qu’en effet nous touchons à la fin ; car la prédication a été faite à la plus grande partie de la terre. (Lc. 19,44 ; Mc. 13,2 ; Mt. 24,14, 21 ; Lc. 13,19 ; Mt. 19,29 ; 16, 18 ; Jn. 16,33)
Donc la fin est proche. Tremblons, mes frères. Mais quoi ! vous qui m’entendez, êtes-vous même inquiets de cette fin redoutable ? Et pourtant la voici pour vous déjà imminente et présente. La vie s’achève, pour chacun de nous, et de plus en plus, la mort s’avance. Car, dit l’Écriture : « La somme de nos jours l’un dans l’autre est de soixante-dix ans ; et pour les mieux partagés, quatre-vingts ans ». Le jour de notre jugement est proche ; tremblons encore une fois. « Le frère ne rachète pas le frère : quel homme donc vous rachètera ? » Nos regrets seront immenses, dans l’autre vie : « Mais dans la mort, personne ne pourra louer Dieu ! » Aussi est-il dit : « Prévenons sa face, pour le louer » (Ps. 89,10 ; 48, 8 ; 6, 6 et 44, 2), c’est-à-dire devançons son avènement. De ce côté, nos efforts ont leur prix et leur puissance ; ils ne pourront rien dans l’autre monde.
Dites-moi, je vous prie, si l’on nous renfermait pour un temps assez court dans une fournaise embrasée, ne ferions-nous pas tous les sacrifices pour être délivrés, fallût-il donner toute notre fortune, fallût-il subir l’esclavage ? Combien d’hommes sous le poids de maladies graves seraient prêts à donner tout pour guérir, si on leur laissait le choix ! Si donc une maladie, si peu qu’elle dure, nous ennuie et nous tourmente à ce point, que ferons-nous dans cet autre monde où la pénitence même sera impossible ?
Que de maux nous accablent, que nous ne sentons même pas ! nous nous mordons les uns les autres, nous nous entre-dévorons par mille injustices, accusations, calomnies, jalousies chagrines de la gloire du prochain. Et voyez quel péché grave ! Quand on veut blesser la réputation du prochain, l’on dit : « Un tel ou un tel a dit cela ! Que Dieu me pardonne !… Qu’il ne m’examine pas moi-même ; je ne suis coupable que d’avoir entendu ». – Mais si vous n’y croyez pas, pourquoi le dites-vous, enfin ? Pourquoi le répétez-vous ? Pourquoi à force d’en répandre le bruit, rendez-vous le fait croyable ? Pourquoi colporter un mensonge ? Vous n’y croyez pas, et vous demandez que Dieu vous épargne son redoutable examen ? Ah ! plutôt, ne dites rien, taisez-vous, et alors seulement soyez rassuré.
4. Je ne sais vraiment comment cette maladie a pu envahir les hommes. Non, nous ne sommes que des comédiens ; nous ne savons rien garder dans notre âme. Écoutez l’avis du Sage : « Avez-vous entendu un bruit fâcheux ? qu’il meure dans votre sein ; ne craignez pas ; votre cœur n’en crèvera point ! » Et ailleurs : « L’insensé a entendu une parole ; il est en travail pour la redire, comme la femme qui enfante ». (Sir. 19,10-11) Nous sommes si prompts à l’accusation, si disposés à condamner ! Ah ! quand nous n’aurions pas commis d’autre péché, celui-là suffirait pour nous perdre et nous conduire en enfer. Il nous enveloppe, il nous jette dans un réseau inextricable de fautes sans nombre.
Pour mieux l’apprécier, écoutez le Prophète : « Tu t’asseyais pour parler contre ton frère ». (Ps. 49,20) – Mais ce n’est pas moi, dites-vous, c’est cet autre. – Non, c’est vous autant que lui. Car si vous n’aviez rien dit, il n’aurait rien appris. Et dût-il même l’apprendre d’ailleurs, au moins ne seriez-vous pas coupable de péché, lorsque votre devoir est de couvrir et de cacher les fautes du prochain. Mais vous, sous prétexte d’aimer la vertu, vous les révélez, et vous êtes moins un accusateur, qu’un hypocrite, un homme en délire, un insensé. Triste habileté ! vous vous couvrez de honte autant que votre victime, et vous ne le sentez même pas !
Or, voyez que de maux découlent d’une seule faute ! Vous irritez Dieu, vous désolez votre prochain, vous vous rendez digne de l’éternel supplice. N’entendez-vous pas ce que Paul dit ait sujet des veuves : « Non-seulement elles sont curieuses et veulent tout savoir ; mais encore intarissables de la langue et des yeux, elles courent les maisons, et disent ce qui ne convient pas ». (1Tim. 5,13) C’est pourquoi, lors même que vous croiriez ce que l’on dit contre votre frère, vous n’avez pas même dans ce cas le droit d’en parler ; à plus forte raison, si vous n’y croyez pas.
Ah ! plutôt, étudiez ce qui vous regarde ; tremblez que Dieu ne vous examine. Car ici vous ne pouvez me répondre : Est-ce que Dieu m’examinera pour des bagatelles ? – Je le veux, ce sont des riens ; mais pourquoi les colportez-vous ? Pourquoi grossir le mal ? Cette conduite peut nous perdre ; et c’est pourquoi Jésus-Christ disait : « Ne jugez pas, pour que vous ne soyez pas jugés ». Mais nous ne tenons pas compte même du divin Maître. La punition du pharisien ne nous corrige pas, et ne nous rend ni plus modestes ni plus réservés. Il disait avec vérité, cet orgueilleux : « Je ne suis pas semblable à ce publicain ! » et il le disait sans témoin, et il fut cependant condamné. Si énonçant un fait véritable, et l’énonçant loin de toute oreille étrangère, il fut pourtant condamné ; qu’adviendra-t-il à ceux qui vont répétant partout des mensonges, dont ils n’ont aucune preuve, pareils en cela à des femmes frivoles et loquaces ? Quel ne sera pas leur châtiment, leur juste punition ?
Mettons désormais une porte et une serrure à notre bouche. Ces riens dangereux engendrent des maux sans nombre ; des familles sont bouleversées, des amitiés brisées ; des misères infinies en résultent. O homme ! n’examinez point curieusement les affaires de votre prochain. – Mais vous êtes bavard, c’est votre maladie ? – Parlez de vos affaires à Dieu ; ce ne sera plus un vice et un danger pour vous, mais un avantage. Racontez-les à vos amis, aux hommes justes, à ceux qui possèdent votre confiance, afin qu’ils prient pour vos péchés. Si vous parlez des faits et gestes du prochain, loin d’y gagner, loin d’en profiter, vous êtes perdu. Si Dieu est notre confident pour tout ce qui vous regarde, vous amasserez une belle récompense. « Je l’ai dit », chantait le Psalmiste : « J’accuserai contre moi-même et à Dieu toutes mes iniquités ! Et vous, Seigneur, vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur ! » Vous voulez juger ? Jugez vos œuvres. Personne ne vous accusera plus, si vous vous condamnez vous-même ; mais on vous accusera, si vous ne vous jugez pas. Oui, l’on vous accusera si vous ne faites pas votre aveu ; on vous accusera si vous n’avez pas de repentir. Voyez-vous quelqu’un s’irriter, s’emporter, commettre quelque péché grave et indigne ? Pensez aussitôt à vos propres actions ; ainsi vous ne le condamnerez pas sévèrement, et vous vous épargnerez un faix énorme de péchés.
Si nous réglons ainsi notre vie, si nous l’occupons de la sorte, si nous prononçons nous-mêmes notre condamnation, nous ne commettrons peut-être que bien peu de péchés ; tandis que celte douceur, cette réserve nous enrichira d’actions honnêtes et glorieuses, et nous fera jouir de tous les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous les conquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père, dans l’unité du Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXII.

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C’EST PAR LA FOI QUE NOUS SAVONS QUE LES SIÈCLES ONT ÉTÉ CRÉÉS PAR LA PAROLE DE DIEU, ET QUE TOUT CE QUI ÉTAIT INVISIBLE A ÉTÉ FAIT VISIBLE. (XI, 3, JUSQU’À 7)

Analyse.

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  • 1 et 2. L’orateur résume les généralités sur la foi, et la fin de l’instruction précédente. – Il montre que la foi, qui parait un système en l’air, est la base même de la philosophie. – Celle-ci, en définissant Dieu, est obligée de faire un acte de foi. – Après le monde en général, l’apôtre aborde en particulier l’homme, et surtout les grands hommes. – Magnifique exemple d’Abel, au sujet duquel l’orateur donne des détails qu’on ne trouve pas dans la Genèse. – La foi d’Enoch, que la mort d’Abel aurait dû décourager. – Enoch est d’autant plus méritant qu’à son époque on ignorait la résurrection à venir ? Où est Enoch ? Où est Die ? Questions purement curieuses que l’Esprit-Saint n’a pas résolues. – Ce qu’il nous apprend suffit à notre instruction et à notre édification.
  • 3. Il faut chercher Dieu avec la même âpreté qu’on met à chercher l’or. – L’obstacle étant la hauteur de Dieu, élevons nos âmes comme le mineur élève les yeux du fond de la carrière ou de la fosse. – Allusion à la prière Manibus extensis. – Volons par-dessus les obstacles, comme l’oiseau au-dessus des abîmes. – A cette hauteur, le démon ne peut nous atteindre : ses traits retombent sur lui. – Mais le moyen de repousser ses traits, c’est surtout la douceur. – La colère est mauvaise et puérile.


1. Le caractère de la foi est d’exiger une virilité d’âme, une jeunesse de cœur, une force qui nous élève au-dessus des choses sensibles, et qui laisse loin derrière elle la faiblesse des raisonnements humains. Il est impossible d’être vraiment fidèle, qu’a une condition : c’est qu’on se place au-dessus de tonte habitude vulgaire. Or, précisément, les Hébreux avaient laissé faiblir leurs âmes ; après avoir débuté par la foi, ils avaient subi l’influence des événements ; les troubles de cœur et les afflictions du dehors les avaient rendus pusillanimes ; leur déchéance allait croissant. C’est pour les relever et leur rendre le courage, que l’apôtre a fait d’abord appel à leur première vertu, en disant : « Souvenez-vous de vos premiers jours ». Puis, invoquant l’Écriture sainte, il leur a dit avec elle : « Le juste vivra de la foi ». (Hab. 2,4) Enfin, employant aussi le raisonnement, il a défini la foi, « la substance des choses que nous devons espérer, et la conviction de celles que nous ne voyons pas encore ».
À présent, il rappelle le témoignage et l’exemple de leurs ancêtres, de ces hommes si grands et si admirables, et leur dit équivalemment : Si pouvant jouir à discrétion des biens de la terre, ils ont cependant fait leur salut par la foi, combien plus cette voie doit-elle être la nôtre ! Notre âme est ainsi faite que quand elle trouve un compagnon de souffrances, elle se calme et respire. Si la communauté d’afflictions console, la communauté de foi a le même avantage : « On se console mutuellement par la communauté de la même foi ». Car notre nature humaine est infidèle, défiante à l’excès ; elle ne peut se confier en elle-même, elle craint pour les biens qu’elle croit posséder, elle a grand souci de l’opinion. Que fait donc saint Paul ? Il les relève et les exhorte d’après les exemples de leurs ancêtres, remontant même aux faits précédents et qui sont connus du genre humain. Comme on reprochait à la foi d’être un vain système que l’on ne peut ni prouver ni démontrer, et qui semble même une duperie, l’apôtre fait voir que les plus grandes vérités et les plus grandes vertus sont dues à la foi et non au raisonnement.
Et comment le prouve-t-il, direz-vous ? « C’est par la foi », avance-t-il, « que nous savons que le monde a été fait par la parole de Dieu, de sorte que de l’invisible a jailli le visible ». Il est évident, dit l’apôtre, que de ce qui n’était pas, Dieu a fait ce qui est ; de ce qui ne se peut voir, il a fait ce qu’on voit ; de ce qui n’a ni corps ni consistance, il a fait les corps et les êtres consistants. Et comment est-il évident que la parole divine a tout fait ? Car la raison ne suggère point cette vérité ; elle enseignerait plutôt le contraire, savoir que ce qui ne parait point vient de ce qui parait. Ainsi, les philosophes disent que de rien, rien ne se fait, parce que le philosophe, homme animal, n’accorde rien à la foi. Et cependant quand la sagesse humaine proclame une maxime noble et grande, quand, par exemple, elle avance que Dieu n’a point de principe qui le crée ni qui lui donne naissance, aussitôt elle est prise en flagrant délit d’emprunt à la foi : car la raison ne révèle point ce fait, mais plutôt tout l’opposé. Or voyez un peu l’immense folie de ces soi-disant sages. Ils disent que Dieu est incréé, sans principe, ce qui est bien autrement étonnant que d’être tiré du néant : car avancer de Lui qu’il est ainsi sans principe, ainsi incréé, qu’il ne doit sa naissance ni à lui-même, ni à aucun autre, voilà une proposition bien autrement inexplicable que celle qui dit : Dieu a fait de rien tout ce qui est. Il y a en ceci beaucoup de choses que la raison admet sans peine, par exemple, que Dieu a fait quelque chose, que les êtres faits ont eu un commencement, qu’ils ont été vraiment et absolument faits et créés. Mais l’autre vérité proclame Dieu existant par lui-même, spontanément, sans recevoir la naissance, sans avoir eu de commencement, sans être soumis au temps : cette affirmation, dites-moi, n’a-t-elle pas besoin de foi pour qu’on l’admette ? Cependant l’apôtre n’a pas proposé cette première vérité bien autrement sublime, et il n’a avancé que la seconde, bien inférieure : « La foi », a-t-il dit, « nous apprend que le monde a été créé par la parole de Dieu ». Vous objecterez ici Comment pouvez-vous dire que Dieu d’une parole ait fait toutes choses ? Car la raison ne le découvre pas, et personne n’était présent à ce moment de la création. Qui donc la prouve ? – La foi, oui, la foi, qui seule ici vous donne l’intelligence ; aussi a-t-il dit, que nous le savons par la foi. – Mais par cette expression « la foi », qu’entendons-nous ? Que de l’invisible a jailli le visible. Voilà l’objet de la foi.
Après avoir exprimé cette vérité d’une manière générale, l’apôtre la poursuit dans ses applications particulières ; car un grand homme est comme un petit univers. Saint Paul le donnera lui-même à entendre dans la suite. En effet, quand il aura fait sa preuve par l’exemple de cent ou de deux cents personnages qu’il va faire comparaître devant nous, il s’apercevra que ce nombre de témoins est petit comme quantité, mais il le grandira en ajoutant que du moins « le monde n’en était pas digne ». (Héb. 11,38)
« C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu une plus excellente hostie que Caïn (4) ». Remarquez quel personnage il nomme le premier : c’est aussi le premier qui ait souffert, et qui ait souffert de la main de son frère, lequel pourtant est resté impuni, et n’a encouru que la haine de Dieu. Voilà, pour les Hébreux, l’exemple d’une persécution semblable à la leur, puisqu’ils étaient persécutés par leurs frères : « Et vous aussi », avait-il dit, « vous avez souffert les mêmes indignités de la part même de vos concitoyens ». (1Thes. 2,14) Et il démontre que ceux-ci, nouveaux Caïus, obéissent à l’envie et à la haine. Abel honora Dieu, et mourut même pour l’avoir honoré ; et il n’a pas encore obtenu la résurrection. Abel a signalé son zèle, il a fait tout ce qu’il devait faire ; mais ce que Dieu, en retour, doit faire pour lui, Abel ne l’a pas encore reçu. L’apôtre appelle ici « une plus excellente hostie », une hostie plus honorable, plus glorieuse, plus filiale. Et nous ne pouvons pas prétendre, dit-il, qu’elle n’ait pas été acceptée ; car elle a été reçue, si bien que Dieu disait à Caïn : « Je te refuse, si tu offres bien, mais que tu partages mal » (Gen. 4,7) ; ce qui indique qu’Abel offrit bien et partagea également bien. Et pourtant de justice, quelle récompense a-t-il reçue ? Il fut tué de la main de son frère ; et la condamnation que son père entendit prononcer pour son péché, Abel, qui s’était conduit saintement, la subit le premier, et fut frappé d’autant plus cruellement qu’il le fut ainsi et le premier et par la main d’un frère. Et ces vertus, il les pratiqua sans exemple précédent qu’il pût contempler. Qui, en effet, aurait-il pu considérer pour s’animer à servir Dieu ? Son père ou sa mère ? Mais au lieu de reconnaître les bienfaits divins, ceux-ci avaient déshonoré Dieu. Son frère, peut-être ? Mais celui-ci, à son tour, outrageait le Seigneur. Il ne puisa donc la vertu que dans son propre cœur. Or, étant digne de tant d’honneur, que souffrit-il cependant ? Une mort violente. L’apôtre lui adresse encore une autre louange : « Par sa foi », dit-il, « il reçut le témoignage qu’il était juste ; Dieu lui-même rendant ce témoignage aux offrandes d’Abel ; par cette foi, enfin, il parle encore après sa mort ». Mais quel autre témoignage a-t-il reçu, et qui l’a déclaré juste ? C’est le feu du ciel, qui, dit-on, descendit et consuma ses victimes. Car il est dit de lui : « Dieu regarda favorablement Abel et ses sacrifices » ; et une version ajoute, que Dieu les consuma. Or, quoique ayant rendu par ses paroles et ses miracles ce témoignage à la vertu d’Abel, tout en le voyant périr à cause de sa foi en lui, Dieu ne le vengea pas, et laissa sa mort impunie.
2. Il n’en va pas ainsi de vous, leur dit l’apôtre ; n’avez-vous pas en effet, et les prophètes, et les exemples, et d’innombrables consolations, et des miracles, et des prodiges tant de fois opérés ? Chez Abel, c’était une foi vraie et pure : car quels miracles avait-il vus, pour croire ainsi aux récompenses à venir ? N’est-ce pas la foi seule qui lui fit choisir la vertu ?
Mais qu’est-ce que veut dire ceci : « Par la foi, il parle encore après sa mort ? » Saint Paul craignant de pousser les Hébreux au désespoir, montre qu’Abel a reçu déjà en partie un dédommagement. En quel sens ? C’est, dit-il, qu’on lui garde up grand honneur, une magnifique estime : l’expression, « il parle encore », donne cela à entendre, et signifie que s’il fut ravi au monde, au moins avec lui ne fut point ravie sa gloire, sa renommée. Non, il n’est pas : port, et vous-mêmes ne mourrez point ! Plus auront été cruelles les souffrances d’un saint, plus grande est aussi sa gloire. Comment parle-t-il encore ? C’est qu’une marque éclatante de vie, c’est certainement d’être célébré par tous les hommes, admiré partout, regardé comme bienheureux. En portant les autres à la vertu, il parle éloquemment. Un discours fera toujours moins d’effet que ce martyre. Et de même que le ciel nous parle, rien qu’en se dévoilant, ainsi ce grand saint nous prêche dès qu’il se révèle à notre souvenir. Il aurait prêché, il aurait eu mille voix, il vivrait encore, qu’il serait moins admiré qu’il ne l’est encore de nos jours. De telles vertus ne sont pas impunément frappées ; elles ne peuvent passer inaperçues ni s’oublier avec les âges.
« C’est par la foi qu’Enoch a été enlevé du monde, afin qu’il ne mourût pas ; et on ne l’y a plus vu, parce que Dieu l’a transporté ailleurs et l’Écriture lui rend ce témoignage qu’avant d’avoir été ainsi enlevé, il plaisait à Dieu ; or, il est impossible de plaire à Dieu sans la foi ; car pour s’approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu’il y a un Dieu, et qu’il récompensera ceux qui le cherchent (56) ». L’apôtre révèle ici une foi plus grande que celle d’Abel. Comment ? C’est que, bien qu’Enoch ait vécu après lui, l’exemple de sa mort affreuse suffisait pour détourner Enoch de suivre sa voie. En effet, Dieu avait prédit ce meurtre, quand il disait à Caïn : « Tu as péché, ne vas pas plus loin ! » Et cependant il ne vengea point cet Abel qu’il honorait. Enoch ne fut point découragé par cette triste histoire ; il ne se dit pas à lui-même : Que gagne-t-on à subir les travaux et les dangers ? Abel a honoré Dieu, et n’en a point reçu de secours. Car que servit-il à la victime de Caïn, que celui-ci ait subi une certaine condamnation et un supplice ?
Qu’y a-t-il gagné pour lui-même ? Supposons même que le meurtrier ait été sévèrement puni. Qu’importe à celui qui est mort si prématurément ? Enoch ne tint point ce langage, il n’eut point ces pensées ; passant par-dessus toutes ces considérations, il comprit que s’il est un Dieu, ce Dieu est nécessairement rémunérateur.
Or, ces anciens ne savaient rien encore de la résurrection. Si donc, avec l’ignorance entière de ce dogme consolant, voyant même tout l’opposé en apparence, ils ont su néanmoins chercher te bon plaisir de Dieu : combien plus y sommes-nous obligés ? Car ils n’avaient, eux, ni cette connaissance de la résurrection, ni la facilité de contempler des modèles. Et c’est précisément pour n’avoir rien reçu de Dieu, que ce saint personnage fut agréable à Dieu. Car enfin, répondez-moi. il tenait pour sûr que Dieu est rémunérateur ; mais d’où le savait-il ? Abel n’avait certes point été rémunéré. Ainsi la raison suggérait de toutes autres pensées que celles de la foi ; celle-ci disait le contraire de ce qu’on voyait. Donc, vous aussi, chers disciples, s’écrie l’apôtre, si vous n’êtes point rétribués en ce monde, ne vous en troublez pas !
Comment Enoch fut-il « transporté par la foi, hors de ce monde ? » il plaisait à Dieu, et c’est pourquoi il fut enlevé ; et la cause de cette amitié de Dieu pour lui fut sa foi. Car s’il eût ignoré que Dieu lui gardât une récompense, comment l’eût-il servi ? « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ». Un homme croit ces deux points, l’existence de Dieu et la récompense à venir : il recevra le salaire de ses œuvres. C’est cette foi qui rendit Enoch agréable au Seigneur.
« Car il faut, pour s’approcher de Dieu, croire qu’il est », et non savoir ce qu’il est. Or si, rien que pour croire à son existence, il faut la foi déjà, et non les raisonnements, comment, par la raison, pourrions-nous comprendre sa nature ?« Et qu’il récompense ceux qui le cherchent ». Si ce second point exige aussi la foi, et non pas seulement la raison, comment, encore une fois, notre raison pourrait-elle comprendre l’essence et les perfections de Dieu ? Quel raisonnement pourrait atteindre à ces hauteurs ? En effet, il se rencontre des hommes qui attribuent au hasard l’existence même de cet univers. Vous voyez donc que si, sur tous les points, nous ne gardons pas la foi, si elle n’est pas là pour nous faire accepter, je ne dis pas seulement la rémunération à venir, mais la vérité si élémentaire de l’existence de Dieu, tout est perdu pour nous !
Plusieurs demandent comment et pourquoi Enoch fut transporté hors de ce monde, pourquoi il n’est pas mort, non plus qu’Élie, et, supposé qu’ils vivent encore, comment et dans quel état ils vivent ; autant de problèmes inutiles à résoudre. Que l’un, Enoch veux-je dire, ait été transféré ailleurs ; que l’autre, c’est-à-dire Élie, ait été enlevé, l’Écriture le déclare. Où sont-ils maintenant, et comment sont-ils, l’Écriture ne l’a pas dit aussi clairement. C’est qu’en effet, elle ne nous enseigne que les vérités à nous nécessaires. Cette première translation a ou lieu dans les commencements du monde, pour donner au genre humain la double espérance que la loi de la mort serait un jour abrogée et la tyrannie du démon à jamais vaincue. J’ai dit que la loi de la mort serait abrogée : car Enoch fut transféré, non pas après sa mort, mais « pour qu’il ne mourût pas » ; et c’est pourquoi l’apôtre ajoute : Il fut transféré tout vivant, parce qu’il avait plu au Seigneur. Ainsi qu’un père, après avoir menacé son fils, veut tout bas oublier ses menaces, et toutefois soutient son premier mot et y persévère pour le châtier en attendant, et pour le tenir comme averti, laissant ainsi à ses menaces un caractère de durée et d’immutabilité ; ainsi notre Dieu, agissant pour ainsi dire à la façon des hommes, au lieu de soutenir son rôle menaçant, a montré dès le commencement que la mort était déjà abrogée, mais il a laissé d’abord le juste Abel subir le trépas ; voulant, par l’exemple du fils, effrayer le père. Son dessein étant de montrer que sa sentence première est sérieuse et stable, s’il ne châtie point aussitôt les méchants, du moins il laisse périr cruellement un serviteur qu’il aimait, j’ai nommé ce bienheureux Abel ; mais presque aussitôt après celui-ci, il transporte hors du monde Enoch tout vivant. Ainsi, par la mort d’Abel, Dieu imprime la terreur ; et par l’enlèvement d’Enoch, il inspire aux hommes un saint zèle, une sainte rivalité à le servir. C’est assez vous dire combien déplaisent à Dieu ceux qui prétendent que tout marche à l’aventure, que le hasard dirige tout, et qui n’attendent pas la rémunération : idée et conduite vraiment païennes. Car, pour ceux qui le cherchent, et par les bonnes couvres et par la croyance, Dieu saura les récompenser.
3. Nous avons un rémunérateur ; faisons donc tout au monde, pour ne pas être privés d’une récompense qui ne se donne qu’à la vertu. Qui pourrait assez pleurer le mépris que l’on ferait d’une telle récompense, et l’indifférence que l’on témoignerait pour une si glorieuse couronne ; car comme Dieu saura payer largement ceux qui le cherchent, ainsi saura-t-il traiter tout autrement ceux qui n’ont point souci de lui.
« Cherchez », est-il écrit, « et vous trouverez ». (Mt. 7,7) Or, comment peut-on trouver le Seigneur ? Réfléchissez comment on trouve l’or avec bien des travaux ! « J’ai levé mes mains vers Dieu durant la nuit », disait le Prophète, « et je n’ai pas été déçu ». (Ps. 76,3) Quant à nous, cherchons le Seigneur, comme nous cherchons un objet perdu et de grand prix. N’est-il pas vrai qu’alors nous tournons vers un seul point tout notre esprit ? N’examinons-nous pas tous les passants ? Reculons-nous devant un lointain voyage ? Ne promettons-nous pas de l’argent ? Et si c’était un de nos enfants qu’il fallût retrouver, que ne ferions-nous pas ? Quelle terre, quelle mer ne verrait nos démarches ? Argent, maisons, propriétés, tout serait sacrifié volontiers au prix d’une telle découverte. Et l’avons-nous retrouvé, nous le saisissons, nous l’embrassons, nous ne pouvons le quitter. Pour rentrer en possession d’un si précieux trésor, enfin, aucun sacrifice ne nous paraît pénible ; combien plus, quand il s’agit de Dieu, devons-nous avoir de pareils sentiments, et le poursuivre comme notre bien indispensable, je devrais dire même comme incomparable à tout autre bien ? Mais nous sommes si misérables, que le me borne à dire : Cherchons Dieu, comme nous ferions pour l’argent, pour un enfant égaré. Encore une fois, pour cette tête si chère, un voyage vous effraie-t-il, ou n’auriez-vous jamais voyagé pour un motif pécuniaire ? Ne sondez-vous pas tous les recoins ? Et cet enfant une fois rendu à votre amour, n’ôtes-vous pas au comble de la joie ?
« Cherchez », est-il dit, « et vous trouverez ». Ce qu’on cherche, surtout quand il s’agit de Dieu, exige un inquiet empressement. Bien des obstacles, en effet, nous arrêtent ; bien des ombres nous offusquent, bien des luttes contrarient nos désirs. Par lui-même, le soleil éclate, il s’offre à tout regard, on n’a pas besoin de le chercher. Mais supposons qu’on veuille s’enterrer et qu’on soulève des flots de poussière, il faudra dès lors de vrais et de pénibles efforts pour voir le soleil. Ainsi en sera-t-il, si nous nous plongeons dans les bas-fonds des passions mauvaises, dans les ténèbres qui peuvent troubler le cœur, ou dans les inutiles soucis des affaires temporelles : alors à grand-peine regarderons-nous en haut, à grand peine nous élèverons-nous. Toutefois, l’homme qui se trouve au fond d’une fosse, aperçoit le soleil de plus en plus, à mesure que lui-même élève davantage son regard. Secouons donc, nous aussi, la poussière ; perçons les brouillards qui pèsent sur nos têtes lis sont si épais et si compacts, qu’ils ne permettent pas à nos yeux de regarder en haut. – Mais, dira-t-on, comment percer ces impénétrables nuages ? – En appelant et attirant vers nous les rayons du soleil, de ce soleil de justice qui éclaire les intelligences ; en élevant nos mains vers le ciel, car « l’élévation de mes mains », dit le Prophète, « est mon sacrifice du soir » (Ps. 140,2), et surtout en élevant à la fois et nos bras et nos cœurs. Vous me comprenez, vous qui êtes initiés aux saints mystères. Peut-être reconnaissez-vous ce que je désigne, vous voyez dans vos pensées ce que je fais entendre à demi-mot. Élevons en haut nos pensées. Je connais, moi, des hommes presque suspendus au-dessus de cette pauvre terre, et qui regrettent de ne pouvoir prendre leur vol vers les cieux, tant ils prient avec un cœur ardent et sublime. Je voudrais que cette image, cette prière, fut la vôtre, à tous et toujours ; sinon toujours, du moins souvent ; sinon souvent, du moins quelquefois, du moins le matin, du moins chaque soir. Au reste, si vous ne pouvez ainsi garder vos bras étendus et élevés, du moins qu’ainsi s’élève et s’étende la libre ardeur de votre âme. Étendez-la, oui, jusqu’au ciel ; si vous voulez en toucher les sommets, et même arriver plus haut, vous le pouvez.
Car notre âme est plus légère, et notre pensée est plus prompte et plus rapide que l’oiseau du ciel, par sa nature. Que si, par surcroît, elle reçoit la grâce que donne l’Esprit divin, Dieu ! qu’elle devient vive, agile, capable de tout gravir, incapable de se porter en bas, et surtout de tomber par terre ! Procurons-nous ces ailes merveilleuses ; grâce à elles, nous pourrons franchir l’océan tumultueux de ce monde. Les oiseaux les plus agiles passent au vol et sans se blesser, les monts et les précipices, les mers et les écueils. Telle est aussi notre âme ; une fois qu’elle est pourvue de ses ailes, une fois qu’elle plane au-dessus des misères de la vie, rien désormais ne peut la captiver ; elle est plus élevée que tout au monde, et même que les traits enflammés du démon.
Non, le démon ne peut lancer ses traits ni si juste ni si haut, qu’il puisse arriver jusqu’à elle ; il prodigue ses flèches, il est vrai, car il est impudent ; mais il n’atteint pas le but, mais son dard retombe inutile, et non seulement inutile, mais redoutable pour sa tête, sur laquelle il revient. Une fois lancée, une flèche doit toujours frapper. Le projectile qui part d’une main d’homme, frappe toujours, ou son adversaire qu’il a visé, ou un oiseau, un mur, un vêtement, une planche ; ou du moins il fend l’air : tel est aussi un trait du démon ; il faut nécessairement qu’il frappe. S’il ne blesse pas la personne qui sert de point de mire, il déchire la main qui l’a, envoyé. Plus d’un exemple nous prouverait que, quand nous n’avons pas souffert de ses coups, c’est lui qui les reçoit tout entiers. Ainsi, pour ne citer que ces deux faits : Il a tenté Job. ne l’a pas atteint, et a reçu le coup ; il a assailli Paul, ne la pas blessé, et s’est blessé lui-même. Et si nous sommes sages et vigilants, nous verrons ainsi que de pareils faits arrivent partout : dès qu’il frappe, il se blesse lui-même. Mais surtout lorsque nous saurons nous armer contre, lui de l’épée et du bouclier de la foi, nous serons en pleine sûreté contre ses assauts, et sans péril d’être vaincus.
Tout mauvais désir est un trait du démon. Plus qu’aucun autre, du reste, la colère est un feu, une flamme qui saisit, mord et embrase. Éteignons-le par la douceur et la patience. Comme un fer rouge plongé dans l’eau perd son feu, ainsi la colère tombant sur une âme douce et patiente, loin de la blesser, lui fait du bien, puisqu’elle en devient plus forte. Point de vertu comparable à la douceur et à la patience. Celui qui en est armé, ne sent plus l’outrage ; et comme le diamant que rien ne peut entamer, ainsi devient une âme de cette trempe ; elle est au-dessus de tous les traits ; car l’homme doux et patient est élevé, si élevé même qu’aucun dard ne peut arriver à sa hauteur.
Un homme s’emporte, riez, vous, non pas en face de lui, de peur de l’irriter davantage, mais riez dans votre âme en vous-même et pour vous. En effet, qu’un enfant nous frappe dans sa petite colère en croyant se venger ainsi, nous rions. Si donc vous riez d’un outrage, vous mettrez entre vous et le furieux la même distance qui sépare un homme d’un enfant. Que si vous vous emportez, vous devenez enfant au contraire ; car quiconque s’irrite a moins de sens que ces pauvres petits. Dites-moi, quand l’un d’entre eux s’emporte, n’en rit-on pas, encore une fois ? L’homme irrité prête ainsi le flanc. Et s’il est pusillanime, il est insensé, puisque, selon le Sage, « quiconque est pusillanime manque complètement de sens ». (Prov. 14,29) Et qui manque ainsi de raison, n’est qu’un enfant. Au contraire, ajoute Salomon, « celui qui est patient est aussi très-prudent ». Et c’est pourquoi, mes frères, tendons à cette grande patience, qui procure à l’homme vertueux cette grande prudence, laquelle nous fera gagner les biens promis en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu’avec lui soient au Père, en union avec l’Esprit-Saint, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIII.

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C’EST PAR LA FOI QUE NOÉ, DIVINEMENT AVERTI, ET APPRÉHENDANT CE QU’ON NE VOYAIT PAS ENCORE, BÂTIT L’ARCHE POUR SAUVER SA FAMILLE, ET EN LA BÂTISSANT CONDAMNA LE MONDE, ET DEVINT HÉRITIER DE LA JUSTICE QUI NAÎT DE LA FOI. (CHAP. 11,7-12)

Analyse.

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  • 1 et 2. Exemple de Noé, et de sa foi à la prédiction qui lui annonçait le déluge, tandis qu’un monde railleur et indifférent se moquait de le voir construire l’arche. – Exemple d’Abraham, et de sa foi à la parole de Dieu, qui lui montrait la terre promise à lui et à sa postérité. – Il crut ainsi que Isaac et. Mien qu’ils n’aient pas vu l’accomplissement de la promesse. – En effet, si Dieu a donné aux saints patriarches quelque bien-être terrestre, cette récompense était loin d’acquitter ses promesses divines. – Aussi les saints, dédaignant les biens de la terre, saluaient par avance la cité à venir, comme le navigateur salue le port désiré. – La foi de Sara, son rire désavoué, sa fécondité miraculeuse.
  • 3 et 4. Longue et magnifique supplication où le saint orateur, le père de tant de fidèles, développe sans art et avec un pathétique sublime les motifs les plus touchants de conversion. – Jamais prédicateur n’a poussé des cris plus douloureux ni plus éloquents : mais toute analyse ou résumé est impossible.


1. « C’est par la foi que Noé, divinement averti… » L’apôtre rappelle ici le fait dont le Fils de Dieu parle ainsi, à propos de son second avènement « Au temps de Noé, les hommes épousaient des femmes, et les femmes épousaient des maris ». (Lc. 17,27) Voilà du reste un exemple que saint Paul choisit à dessein. Celui d’Enoch rappelait seulement un acte de foi, mais l’histoire de Noé montre à côté d’elle un fait d’incrédulité. La plus sûre manière de consoler et d’exciter celui qui vous écoute, c’est de lui montrer les vrais fidèles en possession du bonheur, et l’incrédule frappé d’un sort contraire. Mais pourquoi dit-il littéralement : « Noé, par la foi, ayant reçu une réponse ? » Comprenez « prédiction » ; car réponse et prophétie sont synonymes dans l’Écriture. Elle dit ailleurs : « Siméon avait reçu une réponse de l’Esprit-Saint » (Lc. 2,26) ; et Paul demande dans le même sens : « Que dit la réponse divine ? » (Rom. 11,4) Voyez, en passant, que le Saint-Esprit est Dieu : Dieu répond, mais l’Esprit Saint aussi et comme lui. Et pourquoi saint Paul a-t-il choisi ce mot pour Noé ? Afin de montrer dans cette « réponse » une prophétie. – Ayant reçu réponse de ce qu’on ne voyait pas encore », c’est-à-dire, au sujet du déluge ; par crainte et par précaution, « il construisit l’arche ». La raisonne lui suggérait point cette action. « Car les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris » ; le ciel était serein, rien n’annonçait l’événement, et cependant Noé craignit ; car, dit l’apôtre : « C’est par la foi que Noé, divinement averti et appréhendant ce qu’on ne voyait point encore, bâtit l’arche pour sauver sa famille ».
Que veulent dire les mots suivants : « Et en la bâtissant, il condamna le monde ? » – Qu’il le montra digne du supplice, puisque la vue de cette construction ne put porter les hommes ni à s’amender, ni même à se repentir, « et il devint héritier de la justice qui naît de la foi », comprenez : Parce qu’il crut à Dieu, il se montra, juste et saint. Car cela est comme naturel à un cœur quai aime Dieu franchement et qui regarde par là même ses paroles comme tout ce qu’il y a de plus croyable au monde ; l’incrédulité fait tout le contraire. Il est évident que la foi opère la justice. Or, comme nous avons, nous, la prophétie de l’enfer, ainsi Noé avait-il aussi sa prophétie. Mais on se moquait de lui, alors ; on l’accablait de mépris et de railleries ; mais il n’y prêtait aucune attention.
« C’est par la foi que celui qui reçut plus tard le nom d’Abraham, obéit, en s’en allant dans la terre qu’il devait recevoir en héritage ; c’est par la foi qu’il partit sans savoir même ou il allait ; c’est par la foi qu’il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentés avec Isaac et qui devaient être avec lui héritiers de cette promesse (8, et 9) ». Quel modèle, dites-moi, Abraham put-il voir et, imiter ? Né d’un père idolâtre et gentil, n’ayant point entendu dé prophètes, il ne savait même où il allait. Volontiers les Hébreux devenus chrétiens avaient les yeux fixés sur ces patriarches, supposant qu’ils avaient, été comblés des biens de ce monde. Saint Paul montre qu’aucun d’eux n’a reçu la moindre chose, que tous furent absolument privés de ce genre de salaire ; que pas un ne trouva ici-bas sa récompense. Abraham, lui, sortit même de sa patrie et de ses foyers, et sortit sans savoir où il allait. Et qui s’étonnera du sort fait au père, lorsque ses fils habitèrent le monde aux mêmes conditions que lui ? Il ne vit pas s’accomplir la promesse, et toutefois ne se découragea point ; Dieu avait dit : « Je te donnerai cette terre, et à ta postérité ». (Gen. 12,7) Abraham vit son fils toutefois y habiter précairement ; le petit-fils à son tour séjourna sur une terre étrangère, sans se troubler davantage. Abraham, pour sa part, pouvait s’attendre à cette vie nomade, puisque la promesse, embrassant sa postérité, ne devait à la rigueur avoir sa réalisation que dans l’avenir. Encore est-il vrai de dire que la promesse s’adressait aussi à lui : « A toi et à ta postérité », disait-elle, non pas à toi dans la personne de tes enfants, mais à toi et à eux. Et toutefois ni lui, ni Isaac, ni Jacob ne recueillirent le fruit de cette promesse. Jacob servit comme mercenaire ; Isaac dut subir plus d’un exil ; Abraham sortit de cette terre promise, d’où la crainte le chassait, il lui fallut recouvrer ses biens à main armée ; et il eût, d’ailleurs, perdu tout ce qu’il avait, si Dieu ne l’eût secouru. Cela vous explique pourquoi saint Paul a dit : « Abraham, et ceux qui devaient être avec lui héritiers de la promesse » ; et il marque mieux encore cette communauté de leurs épreuves, en ajoutant : « Tous ces saints moururent dans la foi, sans avoir reçu les biens que Dieu leur avait promis ».
Deux questions se présentent naturellement à résoudre ici. Comment, après avoir dit que Dieu enleva Enoch, pour qu’il ne vit pas la mort, de sorte qu’on ne le trouva plus, l’apôtre ajoute-t-il ensuite : « Tous ces saints mouraient ? » Second problème : « Sans recevoir l’effet des promesses », dit-il ; et cependant il déclare que Noé reçut comme récompense le salut de sa famille, qu’Enoch fut enlevé de ce monde, qu’Abel parle encore ; qu’Abraham reçut une terre ; ce qui ne l’empêche pas de conclure que tous ces saints moururent sans avoir reçu l’effet des promesses de Dieu. Quelle est donc la pensée de saint Paul ? Il faut résoudre ces questions l’une après l’autre. « Tous », dit-il, « sont morts dans leur foi » ; l’expression « tous », ici, n’est pas absolue dans ce sens que pas un n’ait échappé à la mort ; elle signifie seulement, qu’à une exception près, tous en effet l’ont subie, tous ceux dont nous savons le trépas. Quant à la réflexion : « Sans avoir reçu « l’effet des promesses », elle est vraie de tout point ; la promesse faite à Noé, n’embrassait pas un lointain avenir.
2. Mais quelles sont les promesses de Dieu ? Isaac, en effet, et Jacob après lui, ont eu jusqu’à un certain point les promesses de la terre. Mais Noé, Enoch, Abel, quelles promesses virent-ils se réaliser ? C’est donc de ces trois derniers que l’apôtre dit qu’ils n’ont rien reçu. Et si même on veut qu’il leur attribue quelque récompense, n’en était-ce pas une que cette gloire dont Abel hérita, que cet enlèvement dont Enoch fut l’objet, que ce miracle par lequel Noé fut sauvé ? Mais tout ce bonheur, loin de remplir les engagements de Dieu, n’était qu’un faible salaire de leurs vertus, et comme un avant-goût des récompenses à venir. Dieu, en effet, dès l’origine du monde, se vit comme forcé, dans l’intérêt du genre humain, à se mettre à la portée des hommes, et à leur donner non seulement l’avenir, mais quelques biens présents. C’est dans le même dessein que Jésus-Christ disait à ses disciples : « Celui qui aura quitté maison, frères, sœurs, père et mère, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle ». Et ailleurs : « Cherchez le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Mt. 19,29 et 6, 33) Voyez-vous comment il nous donne ce faible surcroît, afin de ne pas nous décourager ? Ainsi les athlètes, pendant la durée de la lutte, reçoivent quelques rafraîchissements ; mais ils ne jouissent d’une trêve absolue et d’un repos complet que plus tard, lorsqu’ils ne vivent plus sous le régime, et qu’ils ont enfin droit à toute jouissance. Dieu aussi donne un peu en ce monde ; mais l’entier accomplissement de ses promesses est réservé à la vie future ; et saint Paul, pour nous enseigner cette vérité, s’est exprimé en ces termes : « Ces saints ne voyant et ne saluant que de loin les promesses divines ». Il nous fait entendre ici une réalisation mystérieuse de leurs vœux ; c’est-à-dire que ces saints ont reçu tout ce que Dieu leur annonçait pour l’avenir : la résurrection, le royaume des cieux et tous les biens que Jésus-Christ venant en ce monde nous a prêchés : voilà, selon l’apôtre, les vraies promesses. Tel est donc le sens de ce passage ; ou peut-être signifie-t-il seulement que sans avoir encore reçu tout l’effet des promesses divines, du moins ils sont partis de ce monde avec la confiance et la certitude de les recueillir. Or, la foi seule a pu leur suggérer cette confiance, puisqu’ils ne virent que de loin, selon saint Paul, les réalités même terrestres, dont quatre générations d’hommes les séparaient. Car ce n’est qu’après ce nombre écoulé de générations, qu’ils sortirent enfin de l’Égypte. Mais ils saluaient ces espérances, dit-il, et ils se réjouissaient. Telle était leur intime persuasion de cet avenir, qu’ils le saluaient : métaphore empruntée aux navigateurs, qui aperçoivent de loin le port désiré, et qui avant même d’entrer dans les eaux d’une ville cherchée longtemps, appellent cette cité et l’ont déjà conquise dans leurs désirs. « Ils attendaient, en effet, la cité bâtie sur un ferme fondement, et dont le fondateur et l’architecte est Dieu lui-même (10) ». Vous voyez que, pour ces grands saints, « recevoir », c’était seulement attendre, espérer avec pleine confiance. Si donc avoir confiance, c’est avoir reçu déjà, nous pouvons, nous aussi, recevoir. Bien que non encore en possession, ils voyaient déjà, par le désir, les promesses remplies. Pourquoi tous ces faits allégués ? Pour nous donner une sainte honte à nous : car ces patriarches avaient des promesses pour ce monde même, mais ils n’y prêtaient point attention et cherchaient la cité à venir ; tandis que nous, à qui Dieu ne cesse de parler de la cité d’en haut, nous cherchons celle d’ici-bas. Dieu leur a dit à eux : Je vous donnerai les biens présents. Mais bientôt il les a vus, ou plutôt eux-mêmes se sont montrés dignes de biens plus nobles, n’ayant pas même voulu se lier à ceux de la terre.
Il me semble voir proposer à un sage certaines récompenses puériles, non qu’on veuille les lui faire agréer, mais pour lui donner occasion de montrer sa philosophie, parce qu’il demandera plus et mieux. L’apôtre a ainsi le dessein de nous montrer que les saints avaient à l’égard des choses terrestres, un si noble et si beau détachement, qu’ils ne voulaient pas même recevoir ce qu’on leur en offrait. Et c’est pourquoi leurs descendants les reçoivent, car eux, hélas ! sont dignes de la terre.
Mais qu’est-ce que « la cité qui a des fondements solides ? » C’est-à-dire que les fondations de ce monde ne méritent pas ce nom, si on les compare avec ceux de la cité dont Dieu est le fondateur et l’architecte. Ciel ! quel admirable éloge de cette cité d’en haut ! « Sara eut aussi la foi (11) ». Exemple parfaitement choisi pour faire rougir les Hébreux, puisqu’ils ont montré un cœur plus petit et plus étroit que celui d’une femme. Mais, objecterez-vous, comment, elle qui a ri si malencontreusement, est-elle ici vantée comme fidèle ? Ce rire était, en effet, d’une infidèle ; mais sa crainte aussitôt prouva sa foi. « Je « n’ai pas ri », s’écria-t-elle ; ce désaveu montre la foi qui rentre dans son cœur, et en bannit l’incrédulité. Donc : « C’est aussi par la foi que Sara étant stérile, reçut la vertu de concevoir un enfant, et qu’elle le mit au monde, malgré son âge avancé ». Qu’est-ce que la vertu de concevoir ? C’est-à-dire qu’elle devint féconde, elle qui était déjà comme morte et qui était encore stérile. Il y avait deux obstacles : son âge, car elle était vieille ; sa complexion, car elle était stérile.
« C’est pourquoi il est sorti d’un seul homme et qui était déjà mort, une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel, et que les grains de sable sans nombre au bord de la mer (12) ». Ainsi cette multitude sortit d’un seul homme, d’après l’apôtre ; c’est dire que non seulement il rendit mère sa femme Sara, mais qu’elle le fut d’un nombre d’enfants tel que n’en produit pas le sein le plus fécond. Autant que d’étoiles, ajoute-t-il. Comment, alors, l’Écriture en a-t-elle fait souvent le dénombrement, elle qui disait : comme on ne peut nombrer les étoiles du ciel, ainsi votre postérité sera innombrable ? – Vous verrez ici ou bien un langage hyperbolique, ou bien une allusion à cette postérité réellement incalculable que la génération multiplie tous les jours. On peut dresser, en effet, la généalogie exacte d’une famille, mais de telle ou telle famille déterminée ; tandis que le dénombrement est impossible s’il s’agit de la race tout entière comparée aux étoiles.
3. Telles sont les promesses de Dieu ; telle est la facilité que nous avons d’en gagner la réalisation. Or, si ce qu’il a promis comme par surcroît est cependant si admirable, si magnifique et si splendide, de quelle nature seront les biens dont ceux-ci ne sont que le faible accessoire et comme la surabondance ? Quel bonheur est plus grand que d’acquérir ces biens parfaits, et quel malheur plus grand que de les perdre ? Un banni, rejeté du sol de sa patrie, un malheureux déshérité, font pitié à tous les hommes : mais celui qui est déchu du ciel, et de tous les biens que le ciel nous garde, n’a-t-il pas droit d’être pleuré avec des torrents de larmes ? Hélas ! non ! Il ne mérite point nos pleurs ! On en verse sur la victime de malheurs involontaires ; mais pour celui qui s’y précipite lui-même, par l’abus coupable de son libre arbitre, il mérite plus que nos larmes ; il lui faut nos lamentations et un deuil sans fin, car Notre-Seigneur Jésus-Christ a pleuré Jérusalem, bien qu’elle fût ingrate et impie ; et nous aussi, nous sommes dignes de gémissements sans fin, de lamentations sans mesure. Et quand même l’univers nous prêterait ses rochers, ses arbres, ses plantes, ses animaux terrestres et aériens ; quand le monde entier, pour mieux dire en un mot, emprunterait des millions de voix et pleurerait sur nous qui sommes déchus de si grands biens, non, le deuil du monde, cette lamentation universelle, ne serait pas à la hauteur d’une telle infortune !
Quel langage si sublime, en effet, quelle intelligence pourrait expliquer ce bonheur, cette puissance, cette volupté, cette gloire, cette joie, ces splendeurs que « l’œil de l’homme n’a point vues, que son oreille n’a pas entendues, que son cœur n’a jamais soupçonnées, et que cependant Dieu a préparées à ceux qui l’aiment ». (1Cor. 11,9) L’Écriture, qui parle ainsi, ne dit pas seulement que cette félicité surpasse notre intelligence, mais que jamais personne n’a pu concevoir les biens que Dieu réserve à ses amis. Et, de fait, de quelle nature ineffable ne doivent pas être des biens que Dieu même veut préparer et créer ? Si, aussitôt après nous avoir faits, antérieurement à toute bonne action de notre part, il daignait accorder à notre nature humaine tant de grâces, le paradis, la familiarité de ses entretiens, l’immortalité et la, promesse d’une vie bienheureuse et sans aucun chagrin ; que ne donnera-t-il pas à ceux qui pour son service auront fait tant de choses, soutenu vaillamment tant de combats et de souffrances ? Pour nous, en effet, il n’a pas épargné son Fils unique, il l’a livré pour nous à la mort. Si donc il a daigné nous honorer de tant de faveurs, alors que nous étions ses ennemis, quelle grâce nous refusera-t-il, une fois son amitié reconquise ? Que ne donnera-t-il pas, après nous avoir réconcilié avec lui ? pieu est si riche, et toutefois il ambitionne et désire de gagner notre amitié : et nous bien-aimés frères, nous n’avons point ce désir !
Que dis-je, Nous ne désirons pas ? Ah ! nous avons, moins que Dieu même, la volonté de conquérir le bonheur qu’il nous offre. Lui, par des actes inouïs de bonté, a fait preuve de son bon vouloir ; et nous, quand il y va de tout nous-même, nous ne savons pas mépriser un peu d’or, lorsque Dieu pour nous a donné son propre Fils. Profitons, enfin, comme il le faut, de ce divin amour ; exploitons cette adorable amitié ! « Vous êtes mes amis », nous dit-il, « si vous faites ce que je vous prescris ». (Jn. 15,14) Grand Dieu ! de vos ennemis, séparés de vous par la distance de l’infini, et que vous surpassez d’une manière incomparable, vous faites des amis et vous leur en donnez le nom ! Pour une amitié pareille, que ne devrions-nous pas souffrir volontiers ? Et pourtant nous bravons les dangers pour gagner une amitié humaine, lorsque, pour, celle de Dieu, nous ne dépensons pas même notre argent ! Oui, je le répète, notre état mérite les pleurs, le deuil, les gémissements, les lamentations, les sanglots ! Déchus de notre espérance, tombés de notre rang sublime, nous nous montrons indignes de l’honneur que Dieu nous a fait. Oublieux et ingrats, après tant de faveurs, dépouillés de tous nos biens par le démon, nous que le Seigneur avait élevés jusqu’au rang d’enfants, de frères, de cohéritiers, nous sommes en tout semblables à ses ennemis les plus outrageux.
Quelle consolation ou espérance pourra nous rester encore ? Dieu nous appelle au ciel : et, spontanément, nous nous précipitons en enfer. Mensonge, vol, adultère se répandent sur cette terre. Le sang est versé sur le sang. Des crimes se commettent pires encore que l’assassinat. En effet, que d’opprimés, que de malheureux si tristement ruinés par l’avarice de leurs frères, qui choisiraient volontiers mille morts plutôt que ces excès de misère, et qui déjà se seraient réfugiés dans le suicide, si la crainte de Dieu ne les avait retenus, tant ils désirent se donner le coup fatal ! De tels crimes ne sont-ils pas pires que le sang versé ? « Malheur à moi », disait le Prophète, « l’homme pieux a disparu de la terre, et parmi tous les hommes il n’en est plus un seul qui fasse le bien ! » (Michée, 7,2) Jetons ainsi sur nous-même ce cri d’alarme et de douleur ; mais vous, mes frères, aidez-moi à gémir. Peut-être quelques-uns n’ont-ils encore que le rire à nous opposer. Oh ! alors redoublons nos lamentations, en rencontrant parmi nous cette folie, cette démence furieuse, qui ignore jusqu’à son délire, et nous fait rire encore de ce qui devrait nous faire gémir ! « O homme ! la colère de Dieu se manifeste sur toute impiété et injustice des hommes ! Dieu viendra manifestement : le feu marchera devant lui, et la tempête horrible le précédera. Un feu devant sa face brillera et enflammera autour de lui tous ses ennemis. Le jour du Seigneur sera comme une fournaise ardente ». (Rom. 1,18 ; Ps. 49,3 et 46, 3) Et personne ne réfléchit à ces menaces, et des oracles si redoutables sont méprisés comme des fables ; personne, qui veuille les entendre ; et tous s’accordent pour en rire et s’en moquer. Par quelle voie pourrons-nous les éviter, cependant ? Par où trouver notre salut ? Nous sommes compromis, nous sommes perdus, vains jouets désormais de nos ennemis, moqués à la fois et des païens et des démons ! Satan, à l’heure qu’il est, relève la tète, il bondit, il triomphe, il s’applaudit, tandis que les anges commis à notre garde sont accablés de tristesse. Personne qui se convertisse : nous perdons ici nos peines, puisqu’à vos yeux nous sommes des charlatans.
4. L’heure est venue par conséquent d’apostropher le ciel, puisque personne n’écoute plus notre voix : il nous faut faire appel aux éléments : « Ciel, écoutez ; terre, prête l’oreille ! car le Seigneur a parlé ». (Is. 1,2) O vous qui n’êtes pas encore engloutis, donnez la main, offrez le bras à tant d’infortunés ; vous dont l’intelligence est saine encore, secourez tant de gens perdus par leur ivresse ; sages, secourez les êtres en démence ; cœurs fermes et solides, n’oubliez pas les âmes ballottées par leurs passions. Je vous en conjure, sacrifiez tout au salut de cet ami pécheur ; et que vos réprimandes et vos supplications n’aient qu’un but, son intérêt. Quand la maladie envahit une maison, les esclaves mêmes dominent leurs maîtres atteints de la fièvre ; tant qu’elle est là, en effet, troublant les âmes et menaçant les vies, toute la troupe de serviteurs présents à ce spectacle ne reconnaît plus la loi du maître au détriment du maître. Convertissons-nous, je vous en supplie : guerres de chaque jour, inondations, morts de tous côtés menaçantes et sans nombre, la colère de Dieu, enfin, nous environne de toutes parts. Et l’on nous voit aussi calmes, aussi exempts de crainte, que si nous étions agréables au souverain Maître ! Nos mains sont toutes et toujours disposées à s’enrichir par l’avarice ; aucune n’est prête à secourir par charité ; tous acceptent le rôle de ravisseur, aucun celui de défenseur. Chacun n’a que l’idée fixe d’augmenter ses richesses ; aucun, la pensée de venir en aide à l’indigent. Tous n’ont qu’une crainte et la formulent ainsi : Nous ne voulons pas être pauvres ! mais personne ne tremble ni ne frissonne, de peur de tomber en enfer. Voilà ce qui mérite nos lamentations, ce qu’on ne saurait trop accuser, trop blâmer !
Je ne voulais pas vous tenir ce langage ; mais la douleur m’y force. Oui, pardonnez à cette douleur qui, malgré moi, me fait parler contre mon cœur. Je vois des menaces terribles, des malheurs auxquels on ne peut apporter de consolation ; les maux qui nous ont envahis sont au-dessus de tout soulagement humain : nous sommes perdus ! « Qui donnera de l’eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes » (Jer. 9,1), pour pleurer dignement ? Oui, pleurons, mes frères, pleurons et gémissons. Il en est peut-être qui disent : Il ne nous parle que de lamentations, il ne veut que des larmes ! Ah ! c’est bien malgré mon cœur, croyez-le ; c’est bien malgré mon cœur ; je voudrais plutôt vous donner continuellement l’éloge et les louanges ! Mais c’est maintenant le temps des pleurs ! Et ce n’est pas le gémissement qui est pénible, ô mes bien-aimés ; c’est plutôt qu’on commette ce qui mérite le gémissement. Ce ne sont pas les larmes qu’il faut éviter, mais les actions qui méritent les larmes. Ne soyez pas punis, et je cesse de gémir ; ne mourez point, et mes larmes s’arrêtent. Mais quoi ! devant un cadavre vous demandez à tous un tribut de pitié, vous appelez cruels ceux qui ne gémissent point, et vous voulez que je ne pleure pas une âme qui périt ! Mais puis-je être père sans pleurer ? car je suis votre père, plein de bon vouloir et d’amour. Écoutez ce cri de Paul : « Mes petits enfants, que je mets au monde dans la douleur ! » (Gal. 4,19) Quelle mère dans l’enfantement pousse des cris plus douloureux ? Plût à Dieu que vous puissiez voir ce feu qui me dévore ; vous avoueriez que je suis brûlé par le chagrin, tout autant qu’une mère ou qu’une épouse jeune encore, et veuve avant le temps ! Celle-ci pleure moins son époux, un père pleure moins son fils, que je ne gémis sur cette multitude des nôtres chez lesquels je n’aperçois aucun progrès dans le bien.
On n’entend retentir que calomnies ou médisances cruelles. Lorsque chacun devrait uniquement se faire un devoir de servir Dieu, on entend dire : Parlons mal d’un tel et d’un tel ; de celui-ci encore qui n’est pas digne d’appartenir au clergé, tant sa conduite est honteuse et déshonorante. Il nous faudrait déplorer nos péchés personnels, et nous jugeons les autres ; lorsque nous n’aurions pas ce droit, quand même nous serions purs de tout péché. Car, dit l’apôtre, « qui donc vous distingue ? Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? Et si vous l’avez reçu, comment vous en glorifiez-vous comme si vous ne l’aviez pas reçu ? » (1Cor. 4,7) Et vous, comment jugez-vous votre frère, étant vous-même couvert de plaies sans nombre ? Quand vous aurez répété de lui : C’est un méchant, un pervers, un scélérat, ramenez votre pensée sur vous-même ; sondez-vous, examinez-vous avec soin, et vous regretterez ce que vous aurez dit. Car aucune exhortation au monde, non, aucune ne vaut le souvenir de vos péchés. Si nous pratiquons au reste ces deux – points, nous pourrons gagner les biens promis, nous pourrons nous laver et nous purifier. Ayons seulement bien soin d’y penser et de porter là tous nos efforts, mes bien-aimés frères ; livrons-nous en cette vie à la sainte douleur de l’âme, afin d’éviter dans l’autre l’inutile douleur du supplice ; ainsi nous jouirons du bonheur éternel, d’où seront bannis la douleur, le deuil, le gémissement ; ainsi nous atteindrons les biens impérissables qui surpassent toute intelligence humaine, en Jésus-Christ Notre-Seigneur à lui soit la gloire, aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV.

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TOUS CES SAINTS SONT MORTS DANS LA FOI, N’AYANT POINT REÇU LES BIENS PROMIS, MAIS LES VOYANT ET COMME LES SALUANT DE LOIN, ET CONFESSANT QU’ILS ÉTAIENT ÉTRANGERS ET VOYAGEURS SUR CETTE TERRE. (XI, 13-17)

Analyse.

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  • 1 et 2. L’orateur, contre son ordinaire, commence par une instruction morale, bien qu’il doive finir encore par une homélie de même espèce. – Différence entre les saints et nous ; notre attachement à la terre ; nos vices, condamnés même par nos complices. – Détachement et vertus d’Abraham, d’Isaac et de surtout en face de notre lâcheté qui ne sait ni vivre ni mourir. – En quel sens Dieu s’appelle le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. – Magnifique développement de ce mot « leur Dieu ».
  • 3. La persévérance est nécessaire si nous ne voulons entendre le terrible nescio vos . – Elle l’est tellement que les prêtres, les évêques même, sans la sainteté personnelle, doivent plus que personne, redouter ce terrible arrêt. – Moyen de persévérance et de conquête pour la vertu. Se proposer d’en gagner une par mois, et aller de l’une à l’autre, pas à pas, avec humilité et courage.


1. La première vertu, toute la vertu consiste à vivre dans ce monde comme des hôtes d’un jour et des étrangers, sans nous mêler aux affaires de ces basses régions, en nous détachant de ce monde, comme d’un pays inconnu, semblables à ces bienheureux dont il est écrit : « Ils erraient vagabonds, couverts de peaux de chèvres, indigents, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne ». (Héb. 11,37) Ils se déclaraient ainsi étrangers et simples passagers de la vie. Paul, se servant d’une expression bien autrement énergique, ne se considérait pas seulement comme passant et étranger ici-bas, mais comme mort à ce monde déjà mort pour lui. Oui, disait-il, « le monde est crucifié pour moi ; et je suis crucifié pour le monde ». (Gal. 6,14)
Nous faisons tout le contraire. Toute notre conduite ici-bas prêterait à croire que nous sommes citoyens de la terre ; nous travaillons comme si nous y étions fixés pour toujours. Les justes n’étaient, pour le monde, que des passagers, que des morts, tandis que vivant pour le ciel, ils réglaient leur conduite en conséquence ; mais nous, en revanche, nous sommes pour le monde ce qu’ils étaient pour le ciel ; nous sommes pour le ciel ce qu’ils furent pour le monde. C’est pourquoi l’on peut dire que nous sommes morts, puisque nous renonçons à la vie véritable pour nous attacher à cette vie éphémère d’ici-bas. Voilà ce qui attire sur nous la colère de Dieu : il nous proposait de jouir des biens célestes, et nous n’avons pas même voulu nous détacher des biens terrestres. Semblables à ces misérables vers qui changent de lieu sans jamais quitter la boue, nous allons de terre en terre, nous ne voulons pas même sortir un instant de cette fange, et nous soustraire aux affaires humaines. On nous croirait ensevelis dans le sommeil, la léthargie ou l’ivresse, tant notre œil s’effraie en s’ouvrant au jour. Comme ces gens qu’un doux sommeil retient dans leur lit d’abord toute la nuit, puis une partie du jour, sans qu’ils rougissent de donner au sommeil et à la paresse le temps du travail et de l’étude, de même nous, lorsque le jour approche déjà, que la nuit s’en va, ou plutôt le jour (« Travaillez », est-il dit, « tant qu’il fait jour) », nous faisons en plein jour les œuvres de la nuit, nous dormons, nous rêvons, nos visions nous charment, les yeux de notre corps et de notre âme se tiennent fermés nous parlons à l’aventure et même imprudemment ; nous resterions insensibles, quand bien même on nous plongerait un fer dans le sein, quand on pillerait tous nos biens, quand on mettrait le feu à notre maison. Il a plus : nous n’attendons pas que d’autres nous causent ces maux, nous nous les faisons nous-mêmes. II ne nous coûte rien de nous piquer, de nous frapper ; de nous étendre honteusement et à plat ventre, de nous dépouiller de tout honneur et de toute estime ; nous n’avons pas même la précaution de cacher nos hontes, ni de permettre qu’ors les cache ; nous vivons en pleine turpitude, exposés aux rires et aux outrages de ceux qui nous voient ou qui nous approchent. Car ignorez-vous que les gens pervers eux-mêmes se moquent de ceux qui leur ressemblent, les condamnent ? Dieu nous a donné, en effet, la raison, juge ferme et incorruptible, même en ceux qui sont tombés dans les derniers bas-fonds du vice ; c’est pourquoi les méchants se condamnent eux-mêmes ; et si par hasard on les appelle du nom trop honteux qu’ils méritent, on les voit rougir, sentir l’outrage, et prétendre qu’on les insulte. Ainsi, même chez eux, les : paroles, sinon les actes, condamnent leur conduite au tribunal de leur conscience ; je dirai même que leurs actes en font l’aveu : rien qu’en se couvrant de ténèbres et de secret pour faire le mal, ils montrent clairement ce qu’ils pensent de leur triste vie.
C’est que le vice, en effet, est si manifestement condamnable, que tous, même ceux qui s’y livrent, en sont les accusateurs. La vertu, au contraire, est un bien si noble, que ceux-là même l’admirent, qui n’ont pas le cœur de la pratiquer. Le libertin fera l’éloge de la chasteté ; l’avare condamnera l’injustice ; l’homme colère admirera la patience, et blâmera comme un, vice le ressentiment ; le débauché condamne la débauche. – Mais, dira-t-on, comment expliquer qu’on s’abandonne au vice ? – Par excès de lâcheté, mais toujours avec la pensée qu’on ne suit pas la bonne voie. Autrement on ne rougirait pas de son œuvre, on ne la désavouerait pas, quand un autre vous accuse. N’a-t-on pas vu de ces esclaves du crime, ne pouvoir supporter le déshonneur, et se suicider ? tant est profond en nous ce témoignage intime du bon et de l’honnête ! tant le bien moral est plus brillant que le soleil, tandis que son contraire est tout ce qu’il y a de plus repoussant !
2. Les saints étaient des passants et des étrangers : comment cela ? En quel endroit Abraham fait-il cet aveu ? Il a dû le faire, si l’on en juge par sa vie. Mais David l’a exprimé formellement pour lui ; écoutez-le : « Je suis un passager et un étranger, comme tous mes pères ». (Ps. 38,13) Au reste ces patriarches qui habitaient sous des tentes, qui achetaient jusqu’à leur sépulcre, étaient bien des hôtes et des étrangers, n’ayant pas même un lieu pour ensevelir leur famille. Mais quoi ! se disaient-ils étrangers pour la Palestine seulement ? Non, mais aussi pour le monde entier. Et c’était vrai : car ils ne voyaient, sur toute la terre, rien de ce qu’ils désiraient, mais rien que des objets absolument étrangers à leurs yeux. Ils voulaient, eux, pratiquer la vertu ; ils ne trouvaient dans ce monde que le vice partout régnant. Tout ici-bas leur paraissait étranger et inconnu. Point d’amis ; point d’alliés, à part quelques parents.
Comment encore étaient-ils les hôtes et non les habitants du siècle ? C’est qu’ils n’avaient aucun souci des choses d’ici-bas, et qu’ils montraient par leurs paroles et leurs actions ce détachement parfait. Par exemple, Dieu dit à Abraham : Abandonne cette terre qui semble être ton pays, et viens dans un pays étranger (Gen. 12,1) ; et lui, sans donner le baiser d’adieu à ceux de sa famille qu’il laissait, quitte sa patrie comme s’il allait quitter une terre étrangère. Dieu lui dit : Immole-moi ton fils (Gen. 22,2), et il l’offrit comme s’il n’avait pas eu de fils, et il en fit l’oblation, comme si lui-même n’avait pas été revêtu de notre nature. Sa bourse appartenait à ceux qui s’approchaient de lui ; la fortune était pour lui comme rien ; il cédait aux autres la première place ; se jetait lui-même dans les dangers, souffrait des maux infinis il ne bâtissait pas des maisons splendides, ne cherchait pas les délices, n’avait aucun souci du vêtement ni de toutes les vanités du siècle. Mais il faisait tout pour la cité d’en haut. On le voyait pratiquer l’hospitalité, l’amour de ses frères, l’aumône, la patience, le mépris des richesses, de la gloire et de toutes les choses présentes. Son fils partageait ses vertus : poursuivi, attaqué à main armée, il cédait, il abandonnait la contrée, s’y regardant comme sur la terre d’autrui ; car les étrangers souffrent tout, comme n’étant point du pays. Lui ravissait-on son épouse ? Il supportait cette injure, comme étranger encore il réservait son ardeur pour toutes les choses célestes, déployant à chaque heure la modération, le respect de lui-même, la continence. Devenu père, en effet, il cessa de voir son épouse, qu’il avait choisie, d’ailleurs, lorsqu’il n’avait déjà plus la vigueur de la jeunesse, montrant ainsi qu’en contractant mariage, il avait obéi, non pas à la passion, mais au désir de servir à la promesse de Dieu.
Que dirons-nous de Jacob ? ne demandait-il pas uniquement le pain et le vêtement, qui sont bien le nécessaire des passants pauvres, des plus pauvres même parmi eux ? Poursuivi et persécuté, ne cédait-il pas ? Ne fut-il pas nécessaire ? Ne souffrit-il pas à l’infini dans sa pérégrination vagabonde ? Par cette résignation à souffrir, les patriarches montraient assez qu’ils cherchaient une autre patrie. Mais, ô ciel ! Quel triste contraste ! Ils étaient comme la mère qui enfante dans la douleur, désireux de partir d’ici et de revenir à leur vraie patrie ; et nous, air contraire, à la première fièvre, oubliant tout, éplorés commodes petits enfants, nous craignons la mort, et nous méritons vraiment d’être ainsi faibles et lâches. En effet, bien loin de vivre ici comme les hôtes d’un jour, bien loin de nous hâter comme marchant à la patrie ; nous avons l’air d’aller au supplice, nous sommes dans la douleur, parce que nous n’avons pas usé comme il faut des choses de ce monde, parce que nous avons renversé l’ordre. Aussi pleurons-nous, quand il faudrait nous réjouir ; aussi tremblons-nous, comme des assassins, comme des chefs de brigands, qui, prêts à paraître en jugement, se rappellent leurs forfaits et qui en partant, craignent et frissonnent d’épouvante.
Tels n’étaient pas les saints, mais ils avaient hâte d’arriver à leur fin, mais Paul gémissait de l’attendre. Écoutez sa parole : « Nous qui sommes dans cette tente du corps, nous gémissons sous son poids ». (2Cor. 5,4) Tel était Abraham et ses saints compagnons dans la vie : étrangers, selon l’apôtre, sur toute la terre, « ils cherchaient la pairie ». Et quelle patrie ? Celle qu’ils avaient quittée. Non. « Qui les empêchait, en effet, d’y revenir » et d’y garder leur droit de cité ? « Ils cherchaient celle qui est dans les cieux ». Ils avaient hâte de sortir d’ici, et ce sentiment les rendait si agréables à Dieu, « qu’il ne rougissait pas de s’appeler leur Dieu ».
Ciel ! quelle dignité ! « Il lui fut agréable de s’appeler leur Dieu ». Grand apôtre, que dites-vous ? Il s’appelle le Dieu du ciel et de la terre, et vous avez montré comme un titre de grandeur pour lui qu’il ne rougit pas de s’appeler leur Dieu ? Grand honneur, certes, honneur bien grand pour eux, et qui nous prouve leur grande béatitude aussi ! Comment ? C’est qu’on l’appelle Dieu du ciel et de la terre, comme on le nomme le Dieu des nations, parce qu’il est de toutes choses l’auteur et le créateur ;-mais ce nom est appliqué aux saints patriarches dans un autre sens : « Leur » Dieu, il l’est comme on dirait « leur » meilleur ami. Je veux vous rendre cette vérité évidente par un exemple. Voyez ce qui se passe dans les grandes et riches maisons. Leur personnel est souvent commandé par quelques serviteurs choisis parmi les autres, qui sont en grande estime, administrent tout à leur gré, jouissent de la pleine confiance de leur maître, et celui-ci emprunte leur nom. Vous en trouverez plusieurs qui acceptant cette dénomination ; que dis-je d’ailleurs ? Comme on pouvait désigner le Seigneur non seulement sous le nom de Dieu des nations, mais de Dieu de toute la terre, en ce sens aussi on pouvait l’appeler le Dieu d’Abraham. Mais vous ne savez pas quelle dignité cache un tel nom, parce que, hélas ! nous ne savons pas acquérir un semblable honneur. De même, en effet, qu’aujourd’hui le Seigneur est appelé le Dieu de tous les chrétiens, et que ce nom, malgré sa généralité, est bien trop honorable encore pour notre indignité, pensez au moins quelle est la grandeur d’un personnage, quand le Seigneur est appelé son Dieu, le Dieu de lui seul ! Or, le Dieu du monde entier ne rougit pas de s’appeler le Dieu de ces trois patriarches, parce qu’en effet ces trois saints avaient à eux seuls autant de valeur, je ne dis pas que ce monde terrestre seulement, mais qu’une infinité de mondes comme le nôtre ! « Car », dit le Sage, « un seul homme qui fait la volonté de Dieu est meilleur que dix mille impies ». (Sir. 16,3)

Maintenant, qu’ils s’appelassent des passants dans le sens relevé que j’ai dit, la chose est évidente. Au reste, accordons un instant qu’ils se donnaient ce titre simplement parce qu’ils habitaient un pays étranger. Mais alors répondez à David. N’était-il pas, celui-ci, roi et Prophète ? ne vivait-il pas dans sa patrie ? Pourquoi donc dit-il : « Je ne suis qu’un hôte et un étranger ? » Comment expliquer ces noms ? Et il ajoute : « Comme tous mes pères ». Ceux-ci, vous le voyez donc, étaient des étrangers aussi. C’est comme s’il affirmait : Nous avons une patrie, ruais ce n’est pas la patrie véritable. – Où donc êtes-vous un passant ? – Sur la terre ; lui comme eux, eux comme lui.


3. Soyons donc, nous aussi, comme des passagers en ce monde d’un jour, afin que Dieu ne rougisse pas de s’appeler notre Dieu. Car il a honte d’être appelé le Dieu des méchants ; autant il est peiné d’être leur Dieu, autant il se glorifie d’être celui d’enfants honnêtes, bons, vertueux. Ne refusons-nous pas de nous laisser appeler les maîtres de serviteurs méchants ? Oui, nous les désavouons, et si l’on vient nous dire : Tel individu a commis d’innombrables méfaits, ne serait-il pas votre domestique ? – Un « non » énergique est notre réponse ; nous repoussons ce titre comme un outrage, parce qu’entre serviteur et maître, les rapports trop intimes et trop fréquents, font rejaillir sur l’un le déshonneur de l’autre : combien plus notre Dieu devra suivre cette même conduite ! Les saints patriarches avaient une si noble conduite, étaient si confiants en Dieu et si sincères, que le Seigneur, loin de rougir d’emprunter leurs noms, disait pour se désigner lui-même : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». (Ex. 3,6) Ah ! soyons, nous aussi, mes frères, de ces étrangers dans le monde, de peur que Dieu ne rougisse de nous, oui, qu’il n’en rougisse, hélas ! jusqu’à nous livrer aux flammes de l’enfer.
Ainsi furent indignes de lui ceux qui disaient « Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom ? n’avons-nous pas fait en votre nom maints prodiges ? » (Mt. 7,22) Or, écoutez la réponse de Jésus : « Je ne vous connais pas ! » C’est, au reste, la réponse que feraient aussi les maîtres ordinaires qui verraient s’approcher d’eux tels ou tels serviteurs méchants ; ils les repousseraient comme le déshonneur même. – Je ne vous connais pas, dira le Seigneur. – Mais comment punissez-vous ceux que vous ne connaissez pas, ô mon Dieu ? – Je ne vous connais plus, ai-je dit ; en d’autres termes, je vous renie, je vous renvoie !
A Dieu ne plaise que nous entendions jamais cet anathème terrible et mortel ! Si des hommes qui chassaient les démons et avaient le don de prophétie, se virent reniés pour n’avoir pas mis leur conduite en harmonie avec leurs paroles, combien plus Jésus-Christ nous reniera-t-il, nous qui n’avons rien de ces grâces extraordinaires ? Mais, direz-vous, comment est-il possible d’être ainsi renié après avoir prophétisé, fait des miracles, chassé des démons ? – C’est que vraisemblablement plus tard ils s’étaient pervertis et dépravés, de sorte que leurs vertus précédentes leur devinrent inutiles. Car il nous faut avoir non seulement des commencements irréprochables, mais une fin plus sainte et plus belle encore. L’orateur, dites-moi, n’a-t-il pas soin de réserver pour la fin de son discours, les traits les plus brillants, afin de se retirer couvert des applaudissements de l’auditoire ? Le gouverneur d’une ville ne veut-il pas aussi terminer son administration par des faits glorieux ? Ne faut-il pas que l’athlète se montre de plus en plus grand dans la lutte, et qu’il triomphe jusqu’à la fin, puisque, si, après avoir vaincu tous ses autres adversaires, il l’est enfin lui-même par le dernier, toutes ses victoires deviennent inutiles ? Et quand un pilote a traversé la vaste mer, s’il vient échouer au port, ne perd-il pas tout le fruit de ses peines antérieures ? Un médecin n’a-t-il pas tout perdu, si après avoir sauvé son malade, en lui administrant le dernier médicament, il lui apporte la mort ? Ainsi dans la carrière de la vertu, il faut mettre la fin d’accord avec le commencement, le début avec le terme, ou bien périr absolument, et perdre le prix comme ces écuyers qui, entrés en lice avec gloire, avec élan, avec orgueil, perdent courage en approchant du but. Voilà comme on se prive de la palme, et comme à la fin le roi ne vous connaît pas.
Écoutons ceci, nous tous qui aimons l’argent, puisque c’est la passion la plus désordonnée, « puisque l’amour des richesses est la source de tous les maux ». (1Tim. 6,10) Écoutons donc, nous qui voulons toujours accroître, élargir nos propriétés ; entendons ces avis, et brisons avec le désir d’amasser toujours ; sous peine d’entendre, comme ces malheureux damnés, l’anathème du désaveu de Dieu. Prenons garde, ouvrons aujourd’hui nos oreilles pour ne pas les ouvrir trop tard alors. Écoutons avec crainte aujourd’hui, pour ne pas écouter avec le châtiment alors, ce redoutable arrêt : « Retirez-vous de moi, je ne vous ai jamais connus » (Mt. 7,23), lors même que vous faisiez des prophéties et que vous chassiez les démons.
L’Écriture, au reste, nous fait entendre aussi très-probablement que certains prédicateurs comme ceux-là-, menaient dès le début une vie criminelle ; dans les commencements du christianisme, la grâce opérait même par d’indignes ministres. Si elle a opéré en effet par Balaam, combien plutôt, dates l’intérêt de ceux qu’ils devaient gagner, Dieu daigna employer d’indignes instruments. Toutefois, ni les miracles, ni les prodiges ne purent leur éviter le supplice. Et c’est pourquoi, en vain un mortel aurait été revêtu de la dignité sacerdotale, en vain serait-il parvenu aux plus hauts sommets de la hiérarchie, en vain la divine grâce l’aurait consacré par l’imposition des mains pour répartir toutes les faveurs de Dieu sur ceux qui ont besoin de la défense et de la protection céleste ; lui aussi devrait entendre un jour : Je ne t’ai jamais connu, pas même au jour où ma grâce opérait par toi ! Ciel ! quelle redoutable enquête sur la pureté de conduite doit se faire dans l’autre vie ! Comme, à elle seule, cette pureté suffirait pour nous ouvrir le royaume des cieux ! comme au contraire, lorsqu’elle manque, c’est assez pour que nous soyons livrés au supplice, quand bien même nous pourrions montrer par milliers les prodiges et les miracles. Il n’est rien, pour combler de joie le cœur de Dieu, comme une conduite de vie irréprochable. Il ne dit pas : « Si vous m’aimez », faites des prodiges ; mais quoi ! que dit-il ? « Observez mes commandements ». (Jn. 14,15) Et ailleurs : « Je vous appelle mes amis », non pas quand vous chassez les démons, « mais si vous gardez mes paroles ». (Jn. 15,10) Les miracles sont un pur don de Dieu, les vertus sont à la fois dons de Dieu et œuvres de notre bon vouloir et de notre application.
Empressons-nous de gagner l’amitié de Dieu, et ne persévérons pas dans son inimitié. Voilà ce que nous ne cessons de vous dire ; voilà un avis que nous nous adressons toujours à nous comme à vous-mêmes ; mais tous nos efforts sont stériles. Et c’est pourquoi je crains. Volontiers j’aurais gardé le silence, pour ne pas augmenter encore vos dangers. Car toujours entendre et ne jamais pratiquer, c’est irriter Dieu. Mais, si je me tais, je dois redouter un autre danger de mon silence ; puisque le ministère dé la parole m’a été confié. Que ferons-nous donc pour être sauvés ? Commençons le travail de la vertu, pendant que nous avons le temps. Divisons ce saint travail des vertus à acquérir, comme le laboureur fait pour les travaux des champs. Attaquons, durant ce mois, l’esprit de médisance et d’outrage ainsi que l’injuste colère ; imposons-nous une loi, disons : Aujourd’hui nous ferons chrétiennement telle œuvre. Dans un autre mois, formons-nous à la patience ; dans un troisième, pratiquons telle autre vertu, et quand nous l’aurons conquise jusqu’à en posséder l’habitude, abordons une vertu nouvelle ; toujours, comme à l’école, conservant l’acquis et gagnant tous les jours. Après cette conquête, abordons celle du mépris de l’argent. Il faudra commencer par désaccoutumer nos mains de l’avarice et de la cupidité, pour les dresser ensuite à faire l’aumône. N’allons pas, en effet, confondre au hasard le vice et la vertu, jusqu’à faire servir les mêmes mains au vol et à la charité. Cette vertu étant gagnée, allons à une autre, et toujours ainsi que l’une nous mène à l’autre. « Que les choses « honteuses, les discours ineptes ou boutons ne « soient pas même nommés parmi vous ». (Eph. 5,4) Ne cessons pas de progresser dans le bien. Il ne faut, pour cela, ni dépense, ni fatigue, ni sueur : il suffit de vouloir, et tout est fait. Il n’est point nécessaire d’entreprendre un long voyage, ni de traverser une mer immense ; il n’est besoin que d’un peu d’application, d’un peu de ferveur. Ainsi l’on impose un frein à sa langue et l’on prévient des paroles maladroites et méchantes ; ainsi l’on déracine de son âme, la colère, l’impureté, la prodigalité, la cupidité, les parjures, les serments inutiles et continuels. Si nous cultivons ainsi le champ de notre cœur, arrachant d’abord les épines, et jetant ensuite la semence céleste, nous pourrons conquérir les biens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE XXV.

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C’EST PAR LA FOI QU’ABRAHAM OFFRIT SON FILS ISAAC, LORSQUE DIEU LE VOULUT TENTER, ET QU’IL LUI OFFRIT SON FILS UNIQUE, LUI QUI AVAIT REÇU LES PROMESSES DE DIEU. (CHAP. 11,17-19)

Analyse.

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  • 1. L’orateur, suivant à la lettre trois phrases de saint Paul, fait ressortir avec éclat la foi d’Abraham, foi dans sa vocation, foi dans le sacrifice d’Isaac.
  • 2. Source de tous les biens, la vertu nous met au-dessus de tons les maux : chrétiennement parlant surtout, il vaut mieux souffrir une injustice que de la commettre.
  • 3. La vérité nous enseigne le respect de notre dignité. – C’est s’abaisser que de répondre à une injure.
  • 4. Le respect de notre dignité nous défend de pactiser avec un chrétien criminel ; nous ne devons pas même accepter sa table elle est souillée. – Idées neuves et hardies.


1. Elle est grande, en effet, la foi d’Abraham. Jusqu’ici Abel, Enoch, Noé, n’ont eu qu’à combattre leur raison, n’ont dû abaisser et vaincre que le raisonnement humain. Abraham, au contraire, doit non seulement triompher de toutes les raisons que suggère à l’homme son intelligence, mais montrer une foi plus étonnante encore. Pour lui, les promesses de Dieu semblent combattre les ordres de Dieu, la foi est aux prises avec la foi, Dieu avec Dieu. Rappelons-nous un premier exemple. Le Seigneur lui a dit : « Sors de ta patrie et de ta famille, et je te donnerai cette terre » (Gen. 12,1) ; et loin de lui accorder un héritage en ce pays, il ne lui en donna pas même l’espace que mesure le pas d’un homme voyez-vous comme l’événement contredit la promesse ? – Une seconde fois Dieu lui dit : « C’est en Isaac que votre postérité vivra ». (Gen. 21,12) Abraham le croit, quand tout à coup Dieu donne cet ordre : Sacrifie-moi ce fils, dont la postérité devait remplir le monde entier. Voyez-vous cette contradiction entre l’ordre donné et les promesses ? Oui, Dieu commande tout le contraire de ce qu’il a promis, et cependant ce juste ne sourcille pas, et ne répond pas qu’on l’a donc trompé !
Vous autres chrétiens, vous ne pouvez pas prétendre que Dieu vous ait promis la tranquillité et qu’il vous ait donné l’affliction ; Dieu, pour vous, accomplit ce qu’il vous a prédit ; et comment ? Écoutez-le : « Vous aurez l’affliction dans ce monde. Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est point digne de moi. Celui qui ne hait pas sa vie ne la trouvera point ; celui qui ne renonce pas à vous ses biens pour me suivre, n’est pas digne de moi. Vous serez conduits à cause de moi devant les rois et les préfets. Les ennemis de l’homme se trouveront surtout dans sa famille ». (Jn. 16,33 ; Mt. 10,38, 18, 36 ; Lc. 14,26, 33) Et de fait, ici-bas ; tout est affliction ; ailleurs, c’est-à-dire dans la vie future, sera la paix et le repos. Abraham, au contraire, reçut l’ordre de faire lui-même tout l’opposé des divines promesses ; et dans cette position si étrange, il n’éprouve ni trouble, ni hésitation, ni même la tentation de se croire trompé. En revanche, vous êtes bouleversés, alors que vos épreuves n’ont rien de contraire aux promesses de Dieu. Le patriarche entend un langage qui dément une prophétie heureuse ; et il entend se contredire l’auteur même de la promesse ; il ne se trouble pas, il va obéir, comme si tout s’accordait. C’est qu’en effet l’accord existait : les deux paroles divines se combattaient selon l’humaine raison ; mais la foi les mettait d’accord. Et comment ? L’apôtre lui-même nous l’a enseigné, en disant : « Abraham était persuadé que Dieu pouvait le ressusciter d’entre les morts », comme s’il disait : La même foi qui lui fit croire que Dieu lui donnerait son enfant encore dans le néant, lui persuadait que Dieu le ressusciterait d’entre les morts ; il était certain que son fils même immolé revivrait. À n’écouter que la raison humaine, les deux faits étaient, tout simplement, également incroyables : l’un qui lui annonçait qu’un fils naîtrait d’un sein épuisé par la vieillesse, déjà mort, et tout à fait infécond ; l’autre qui lui montrait la résurrection possible de sort fils immolé. Or, il crut les deux choses avec une égale fermeté, parce que la foi au premier événement préparait à la croyance au second miracle.
Toutefois, remarquez une circonstance : Abraham vit d’abord le fait heureux de cette naissance bénie ; l’épreuve et le malheur suivirent et éprouvèrent sa vieillesse. C’est là ce qu’il faut faire observer à ceux qui osent dire : Dieu ne nous a promis le bien qu’après notre mort seulement ; peut-être nous a-t-il trompés ! On nous révèle ici que Dieu peut ressusciter même d’entre les morts. Que s’il a cette puissance de rappeler de la mort même, il peut aussi remplir tous ses engagements. Et si Abraham, il y a tant de siècles, a cru que Dieu possède ce pouvoir de ressusciter d’entre les morts, combien plus devons-nous en être assurés ! Voyez-vous ici la preuve de ce que j’ai avancé déjà, c’est-à-dire, qu’à peine la mort était-elle entrée dans le monde, aussitôt Dieu jeta dans, ! e cœur de l’homme l’espérance de la résurrection, et qu’il lui en donna la persuasion certaine, à ce point que recevant l’ordre d’immoler un enfant, dont il croyait que la postérité remplirait le monde, Abraham était prêt à accomplir ce sacrifice ? Une autre leçon nous est donnée par ce texte que rappelle saint Paul : « Dieu tenta la foi d’Abraham ». Quoi donc ? Dieu ignorait-il le courage et la droiture de ce grand homme ? Il les connaissait assurément. Dès lors, pourquoi les mettre a l’épreuve ? Ce n’était pas pour apprendre lui-même la vertu du patriarche, mais pour en révéler au monde l’étonnante grandeur. L’apôtre montre encore aux Hébreux une des causes de nos épreuves, afin qu’ils n’aillent pas regarder la tentation comme une marque d’abandon de Dieu. De nos jour, la tentation ne peut manquer à personne. Un nombre infini de persécuteurs nous tendent des pièges de toutes parts ; mais alors ces persécutions n’existaient pas : si donc l’épreuve n’était utile, pourquoi en imaginer une pour ce patriarche ? Car cette tentation d’Abraham lui vint directement par ordre de Dieu. Jusque-là sa Providence se contentait de les permettre ; à cette heure, elle les commandait elle-même. Si donc la tentation est tellement l’école des parfaits, que Dieu, sans autre motif, veut ainsi exercer ses champions favoris, à bien plus forte raison devons-nous maintenant supporter tout avec courage. Saint Paul s’exprime ici avec quelque emphase, lorsqu’il dit que ce fut « par la foi qu’il offrit Isaac, lorsque Dieu voulut le tenter » ; il n’avait pas d’autre cause pour se déterminer à un pareil sacrifice.
Et poursuivant son idée : on ne pouvait prétendre, dit-il, que ce patriarche eût un autre fils, dans lequel il attendît l’accomplissement des promesses, et que cette pensée lui donnât plus de confiance à offrir Isaac ; « car c’était son fils unique qu’il sacrifiait, c’était celui qui avait obtenu les promesses de Dieu ». Comment, son fils unique ? Et Ismaël, de qui donc était-il fils ? – C’était, vous dis-je, son fils unique pour ce qui regardait les promesses. Aussi après avoir rappelé son nom d’Isaac, l’Écriture ajoute « son unique enfant », montrant que c’était de lui qu’il avait été dit : « La race qui portera votre nom, sera celle qui naîtra d’Isaac ».
Voyez-vous combien saint Paul admire la foi du saint patriarche ? Dieu lui a dit, remarque-t-il, qu’Isaac seul continuera sa race ; et ce fils, il l’offre en sacrifice. Mais peut-être va-t-on s’écrier qu’il fait là un acte de désespoir, et qu’en exécutant cet ordre, il abjure sa foi ? Non, car l’apôtre nous enseigne que la foi lui inspire ce courage ; il nous répète qu’il ne cesse d’avoir foi à cette seconde prophétie de Dieu, bien qu’elle parrait contredire une prophétie précédente. Cette contradiction, en effet, n’existait pas. Abraham qui ne mesurait pas la puissance de Dieu sur les raisonnements humains, s’en rapportait eu tout à la foi seule. Aussi saint Paul n’a pas craint de dire que le patriarche supposait à Dieu assez de puissance pour ressusciter un mort.
« Et ainsi », conclut-il, « Isaac lui fut rendu comme en figure ». Et comment ? c’est qu’un bélier fut immolé, et Isaac sauvé. Il le retrouva donc, grâce à ce bélier qu’il sacrifia en sa place. Tout cela était une figure prophétique du Fils de Dieu qui a été immolé pour nous.
Or, considérez avec moi la bonté infinie de Dieu. ! s’agissait de donner aux hommes une grâce admirable ; Dieu n’en veut pas faire le don à titre gratuit, il préfère paraître acquitter une dette. Il détermine donc l’homme à sacrifier son fils, pour le bon plaisir de Dieu, afin de n’avoir pas l’air, ce grand Dieu, de faire beaucoup, lorsqu’il livrera, lui aussi, son Fils adorable ; de sorte que l’homme lui ayant donné l’exemple le premier, Dieu ne semble plus faire une grâce, mais payer une dette. Ainsi agissons-nous, nous aussi, à l’égard de nos amis : nous voulons recevoir d’eux n’importe quel présent, pour avoir le droit de leur tout donner ; afin d’être ainsi plus fiers d’avoir été obligés, que d’avoir été nous-mêmes généreux ; aussi ne disons-nous pas alors : Je lui ai donné ceci ; mais : J’ai reçu de lui tel présent.
Le patriarche, dit l’apôtre, le reçut donc en figure, le retrouva grâce à une victime représentative, par ce bélier qui était comme la figure d’Isaac ; ou bien encore, il le retrouva après une mort figurée et représentée en son fils bien-aimé ; car ce père étonnant avait consommé son sacrifice dans sa volonté, et, dans son cœur, avait immolé Isaac, qui lui fut rendu en récompense de ce courage.
2. Voyez-vous démontrée ici la vérité que j’aime à redire toujours ? Oui, quand nous avons fait preuve d’une bonne volonté parfaite, quand nous avons montré le mépris des choses terrestres, alors, et pas auparavant, Dieu nous donne les biens de la terre ; il ne veut pas que déjà trop liés à ce bas monde, nous y soyons plus attachés encore en recevant trop vite un tel présent. Brisez vos fers avant tout, semble-t-il dire, et puis vous recevrez, et mon présent ne vous sera pas fait comme à un esclave, mais comme à un homme maître de soi. Méprisez les richesses, et vous serez riche. Méprisez la gloire, et vous serez glorieux. Méprisez le repos et la tranquillité, et l’un et l’autre vous seront donnés ; et en les recevant, vous rie les accepterez pas par grâce comme un captif, ou comme un esclave, mais comme un homme libre.
Quand un petit enfant désire quelques jouets de son âge, comme une balle, ou toute autre bagatelle, nous les lui cachons, parce que ces objets pourraient lui faire oublier des devoirs nécessaires. Mais ne désire-t-il plus, méprise-t-il ces jouets, nous les lui donnons avec assurance, sachant qu’ils ne peuvent plus lui faire tort, puisqu’il n’en a plus ce désir qui l’aurait détourné de ses devoirs. Ainsi lorsque Dieu voit que nous ne convoitons plus les biens d’ici-bas, il nous en accorde la jouissance ; car, dès lors, nous les possédons comme des hommes faits, des hommes libres, et non plus comme des enfants.
Dédaignez-vous, par exemple, de tirer vengeance de vos ennemis t vous l’obtenez. Écoutez plutôt la divine parole : « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger ; s’il a soif, donnez-lui à boire ». Et en retour : « Si vous faites ainsi, vous amasserez sur sa tête des charbons de feu ». (Rom. 12,20) Méprisez-vous les richesses ? Vous y parviendrez, au témoignage même de Jésus-Christ « Tout homme qui abandonnera père, mère, maison, frère, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle ». (Mt. 19,29) Méprisez-vous la gloire, vous l’obtiendrez : Écoutez encore JésusChrist : « Que celui qui veut être le premier parmi vous, soit le dernier » ; et encore : « Qui s’abaisse, sera élevé ». (Mt. 20,26 ; 23, 12) Que dites-vous, O mon Dieu ? Si je donne à boire à mon ennemi, je le punis alors ? Si j’abandonne toute propriété humaine, je deviendrai grand ? si je m’humilie, je serai élevé?- Certainement, répond le Seigneur. Ma puissance est telle que j’arrive au but par les contraires. Je suis riche, et capable de diriger les événements. Ne craignez pas. Ma volonté, loin de se mettre à la remorque des lois de la nature, les mène à son gré. Je suis le moteur souverain de toutes choses, et aucune n’agit sur moi ; aussi puis-je les changer et les transformer. Et pourquoi vous étonner de ma puissance dans le monde matériel ? En tout et toujours vous la trouverez semblable. Faites tort, le tort retombera sur vous ; subissez l’injustice, l’injustice ne vous a pas atteint. La vengeance que vous Vous permettez, vous croyez l’avoir tirée d’un autre, et c’est vous-même que vous frappez ! « Car celui qui aime l’iniquité », dit le Seigneur, « hait son âme » : (Ps. 29,24) Voyez-vous comme le mal ne tombe pas ailleurs que sur vous seul ? C’est pourquoi saint Paul dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt l’injustice ? » (1Cor. 6,7) Donc souffrir une injustice, ce n’est pas essuyer un dommage. Vous lancez l’outrage au prochain, et c’est sur vous qu’il retombe.
Bien des gens, au reste, le savent ; on les entend se dire dans une dispute. « Il est temps de nous a retirer, vous vous déshonorez ! » Pourquoi ? C’est qu’entre vous et l’homme outragé par vous, la différence est grande. Plus vous l’accablez d’insultes, plus il en tire gloire. Que telle soit notre conviction en toutes choses, et nous deviendrons supérieurs aux outrages. Comment ? Vous allez le comprendre. Supposé que nous soyons en lutte contre celui qui porte la pourpre, et que nous lui lancions l’outrage : nous penserons à bon droit nous déshonorer ! En effet, nous méritons immédiatement le mépris public : vous l’avouez, n’est-ce pas ? Comment donc, vous citoyen du ciel, possédant cette sagesse qui surpasse tout, comment allez-vous compromettre votre honneur en disputant avec un homme dont toutes les idées sont charnelles et terrestres ? Car possédât-il d’incalculables richesses, fût-il investi de la puissance, il ne connaît pas, lui, votre inestimable trésor. Gardez donc de vous couvrir de déshonneur en prétendant le déshonorer. Épargnez non pas cet homme, mais vous-même. Honorez-vous vous-même, et non pas lui. N’est-ce pas un proverbe, que l’on s’honore en honorant les autres ? Et c’est vrai ; l’honneur rendu va moins au prochain qu’à vous. Écoutez une parole du Sage : « Faites honneur à votre âme autant qu’elle le mérite ». (Sir. 10,31) Qu’est-ce à dire, autant qu’elle-même le mérite ? Que si l’on vous vole, vous ne voliez pas ; si l’on vous outrage, vous n’outragiez pas ! Dites-moi plutôt : si un pauvre ramassait un peu de boue jetée hors de votre maison, lui feriez-vous un procès en restitution ? Non, certes. Et pourquoi ? de peur de vous déshonorer et de vous voir condamner par tout le monde. C’est ce qui arrive au cas présent. Il est bien pauvre, l’homme riche ; il est d’autant plus véritablement pauvre, que ses richesses sont plus grandes. L’or qu’il vous ravit n’est qu’un peu de boue jetée dans votre cour, et non vraiment placée dans votre maison ; car votre maison, c’est le ciel. Si donc pour si peu de chose vous disputez, vous plaidez, les citoyens des cieux ne devront-ils pas vous condamner et vous bannir de leur patrie, vous si bas, si vil, si abject, que pour un peu de boue vous alliez combattre ? Eh ! le monde entier fût-il à vous, si quel, qu’un vous le volait, vous n’auriez qu’à lui tourner le dos !
3. Ignorez-vous qu’en mettant en balance dix mondes comme celui-ci, ou même cent, dix mille, vingt mille univers, ils ne pèseraient pas autant que la moindre partie des biens que le ciel nous garde ? Admirer la terre et ses richesses, c’est déshonorer les célestes trésors ; puisque c’est estimer les unes dignes d’être comparées aux autres qui les surpassent infiniment. Il y a plus, c’est se refuser à admirer ceux-ci ; comment, en effet, leur réserver quelque part de votre admiration, lorsque ceux-là l’ont ravie jusqu’à vous mettre hors de vous-même. Ah ! tranchons, trop tard sans doute, mais tranchons enfin ces cordes et ces lacs indignes qui ne sont après tout, que des choses terrestres. Combien de temps encore serons-nous courbés, sans regarder au-dessus de nos têtes ? Combien de temps nous ferons-nous une guerre de surprises, comme les bêtes fauves, comme les poissons ? Que dis-je ? les bêtes fauves ne font pas la guerre à ceux de leur espèce, mais aux espèces étrangères. L’ours ne tue pas l’ours ; le serpent ne détruit pas le serpent ; chacun d’eux respecte dans les autres sa famille. Et voici une créature de même espèce que vous, partageant tous vos droits, ayant avec vous-même sang, même intelligence, même connaissance de Dieu, communauté complète de nature enfin : et c’est vous qui la tuez et la précipitez dans des maux innombrables ! Je le veux ; vous ne la percez pas avec un glaive, vos mains ne se plongent pas dans sa poitrine ouverte ; mais vous faites pire que cela en lui créant de mortels et perpétuels ennuis en la tuant, vous l’auriez délivrée de soucis. Mais aujourd’hui vous la jetez comme une proie à la faim, à la servitude, aux amertumes de tout genre, à tous les péchés.
Je le dis et ne cesserai de le dire, non certes pour vous déterminer à l’assassinat, ni pour engager à des crimes moindres que le meurtre, mais pour vous ôter la confiance où vous êtes que Dieu n’aura pas à vous punir. « Celui », dit le Sage, « qui enlève au prochain le pain et la nourriture, devient son meurtrier ». (Sir. 34,24) Donc arrêtons nos mains, je vous en conjure, ou plutôt étendons-les pour la justice, non par conséquent pour amasser encore par avarice, mais pour verser l’aumône. N’ayons pas une main stérile ni desséchée. Elle est desséchée, la main qui ne fait point l’aumône ; elle est exécrable et impure, celle qui amasse par avarice. Ne mangez pas avec ces mains souillées, vous feriez honte aux convives.
Dites-moi plutôt, je vous prie. Une personne nous a fait asseoir à sa table au milieu de tapis et de riches couvertures, de tissus de fin lin brodés d’or, dans un splendide appartement ; il déploie le luxe d’un personnel nombreux de domestiques empressés ; le couvert est en or et en argent ; les mets de tout genre et très-rares chargent la table ; il nous invite à manger, et voilà que nous le voyons apporter des mains souillées de boue et d’ordure, et s’asseoir auprès de nous je vous le demande, qui donc supporterait le supplice d’un tel voisinage ? Qui ne se croirait déshonoré ? Tout le monde, j’imagine, éprouverait ce sentiment, et reculerait d’horreur. Et maintenant vous voyez des mains pleines de boue et qui, par là même, souillent les aliments qu’elles touchent, et vous ne fuyez pas ? Et vous ne blâmez même pas ? Et si vous rencontrez cette impudence dans un homme constitué en dignité, vous tenez sa présence à honneur, et vous perdez votre âme en goûtant ces mets abominables ! Car l’avarice est pire que la boue la plus infecte ; elle salit corps et âme, elle rend l’un et l’autre bien difficiles à purifier. Et vous qui voyez votre hôte couvert de cette fange, qui souille et remplit ses yeux, ses mains, sa maison, sa table ; car les aliments qu’il offre sont plus hideux et plus dégoûtants que l’ordure et que tout ce qu’il y a de plus immonde ; et vous vous trouvez simplement très-honoré, et vous vous promettez bien des délices ; et vous ne respectez pas même la défense de saint Paul, qui nous permet, facilement de nous asseoir, si nous voulons, à1a table des païens, tandis qu’il ne nous permet pas même le désir de goûter à celle des avares et de ceux qui s’enrichissent aux dépens du prochain. Il dit, en effet : « Fuyez celui qui s’appelle frère entre vous, si c’est un fornicateur », désignant ici simplement par frère, tout fidèle, et non pas un moine. Car qu’est-ce qui fait la fraternité ? C’est le bain de la régénération, en vous donnant droit de donner à Dieu le nom de Père. Pour cette raison, un catéchumène, fût-il moine, n’est pas un frère ; tandis qu’un fidèle, fût-il mondain et séculier, est frère. « Si donc », dit saint Paul, « celui qu’on nomme frère » : or, vous savez qu’à l’époque de l’apôtre, il n’y avait pas même vestige de moine ; c’est donc aux gens du monde et du siècle que s’adressaient toutes les paroles du saint : « Si celui « qu’on nomme votre frère, est fornicateur, ou avare, ou ivrogne, vous ne prendrez pas même « votre nourriture avec un homme de cette espèce ». Il n’est pas aussi sévère avec les Grecs ou gentils : « Si un infidèle vous invite et qu’il vous plaise d’y aller, mangez tout ce qu’on vous donnera » (1Cor. 5,11 ; 10, 27) ; tandis qu’il nous exclut de chez un frère dès qu’il est ivrogne.
4. Admirez l’exactitude et la précision de son langage ! Mais nous, non contents de ne pas fuir les ivrognes ; nous allons les trouver, heureux de partager ce qu’ils voudront bien nous offrir. Aussi, tout va à la dérive, tout est bouleversé, confondu, perdu ! Car enfin, répondez-moi. Qu’un chrétien de cette espèce vous invite à un repas, vous qu’on regarde comme pauvre, vil et abject ; si vous avez le courage de lui dire Comme ce que vous m’offrez n’est que le fruit de votre avarice, je ne m’abaisserai pas à souiller mon âme ! A ce langage, ne va-t-il pas rougir de honte ? Cela suffirait pour le corriger et lui donner l’idée qu’il est malheureux à cause de ses richesses mêmes ; votre pauvreté ferait son admiration, s’il se voyait méprisé par vous de si grand cœur. Au contraire, hélas ! nous sommes devenus les esclaves des hommes, bien que Paul ne cesse de nous crier partout moyen : « Ne devenez pas les esclaves des hommes ! » (1Cor. 7,23) Et pourquoi sommes-nous dans cette honteuse servitude à leur égard ? C’est que nous sommes les esclaves de notre ventre, de l’argent, de la gloire, de tous les faux biens, et que pour eux nous livrons la sainte liberté que nous tenons de Jésus-Christ. Or, quel sort enfin doit attendre l’esclave, dites-moi ? Jésus-Christ vous l’apprend : « L’esclave ne demeure pas éternellement dans la maison ». (Jn. 8,35) Voilà un arrêt clair et absolu qui l’exclut du royaume des cieux ; car c’est là la maison de Dieu, d’après lui-même : « Il y a », dit-il, « plusieurs demeures dans la maison de mon Père ». (Jn. 14,2) L’esclave ne demeurera donc point éternellement dans sa maison ; et l’esclave, d’après Jésus-Christ, c’est l’esclave du péché ; et celui qui ne demeure pas éternellement dans sa maison, éternellement demeure en enfer, sans plus garder aucune consolation.
Hélas ! les choses en sont venues à un tel degré d’improbité et de vice, que des – richesses criminelles mêmes se donnent en aumônes, et qu’on les reçoit à ce titre. Aussi la liberté du reproche est morte, nous n’avons plus le droit de blâmer qui que ce soit. Ah ! désormais, nous du moins, sachons, par notre libre parler, éviter la tache qui en résulte pour notre ministère ; et vous qui pétrissez cette fange, cessez un métier ruineux, maîtrisez votre appétit en l’éloignant de pareils banquets, et peut-être aurons-nous quelque moyen d’apaiser la colère de Dieu, et de gagner les biens promis. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et le Fils, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVI.

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C’EST PAR LA FOI QU’ISAAC DONNA A JACOB ET A ÉSAÜ UNE BÉNÉDICTION QUI REGARDAIT L’AVENIR. C’EST PAR LA FOI QUE JACOB BÉNIT LES ENFANTS DE JOSEPH, ETC. (CHAP. 11,20-28)

Analyse.

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  • 1. Exemple de. qui, comme juste, a connu l’avenir chrétien, ou du moins la future histoire de ses arrière-neveux. – La tristesse fut le lot de Jacob ; la mélancolie fait le fond du chrétien.
  • 2. La foi de Joseph, entre autres choses, lui inspire de recommander qu’on emporte ses os dans la terre promise. – Faut-il s’occuper d’avance de sa sépulture ? Réponse sublime à celte question.
  • 3. La foi des parents de Moïse brave les édits d’un roi cruel. – Exemples plus communs qui mettent la vertu à notre portée. – Exemple de Moïse affrontant spontanément le mépris pour le salut de ses frères ; idée sublime réalisée par Jésus-Christ.
  • 4 et 5. L’humilité élève au-dessus d’un roi vainqueur les captifs de Babylone. – L’humilité élève jusqu’au rang divin le prophète Daniel. – Digression bizarre. – L’orateur se pose une question et dit qu’il ne la résoudra pas. – Puis il en donne une solution. – Nous croyons que les sténographes auxquels nous devons ces homélies ont été peu fidèles quelquefois, surtout ici.


1. « Bien des justes et des prophètes », disait Notre-Seigneur, « ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu ; entendre ce que vous entendez et ne l’ont point entendu ». (Mt. 13,17) Les justes ont-ils donc connu toutes les choses à venir ? Certainement. Car si – le Fils de Dieu ne se révélait pas encore à cause de la faiblesse des hommes qui ne pouvaient le recevoir encore, il devait se révéler du moins à ceux qui le méritaient par leur vertu. Saint Paul nous affirme lui-même en ce passage que ces justes savaient l’avenir, c’est-à-dire la résurrection de Jésus-Christ. C’est le sens de sa parole ici : en effet, si ce n’est pas ainsi que l’on veut entendre l’avenir dont il est ici question, il faut alors l’interpréter dans le sens d’un avenir terrestre. Mais alors comment un exilé pouvait-il s’arrêter à des bénédictions purement temporelles ? Autre objection : Si c’est une bénédiction temporelle que Jacob a reçue, pourquoi n’en a-t-il pas obtenu l’effet ? Vous savez en effet que l’on peut dire au sujet de ce que j’ai dit d’Abraham : à savoir qu’il ne recueillit point les fruits de la bénédiction, mais qu’ils passèrent à sa postérité. Pour lui-même, il ne jouit de l’avenir que par la foi et qu’en espérance. Son frère Esaü posséda bien plus que lui les fruits temporels de la bénédiction de son père. Car lui, passa tour à tour à travers toutes les épreuves : servitude et vie mercenaire, périls et embûches, déceptions et terreurs, c’est l’histoire de toute sa vie, qui lui permit de dire en répondant aux questions de Pharaon : « Mes jours ont été courts et mauvais ». (Gen. 47,9) Et cependant Esaü vivait en pleine sécurité, il possédait une grande puissance, jusqu’à faire trembler Jacob. Où donc celui-ci moissonna-t-il enfin les bénédictions, sinon dans l’avenir véritable et céleste ?
Vous voyez que de tout temps les méchants ont été en possession des biens présents, et que les justes ont eu un sort tout contraire. Les heureux, parmi ceux-ci, ne sont que de rares exceptions. Ainsi Abraham était juste, et il fut cependant largement partagé du côté des biens terrestres, mais non sans un mélange d’afflictions et d’épreuves. Il avait des richesses à la vérité, mais tout le reste pour lui n’était que tribulations. Et de fait, un juste, si riche qu’il soit, ne peut jamais manquer de chagrin. S’attendant à subir les pertes temporelles, à souffrir l’injustice, à subir bien d’autres ennuis, il vit nécessairement et toujours dans l’affliction ; et lors même qu’il jouit de sa fortune, il n’en jouit pas saris une vertu laborieuse. Pourquoi ? C’est qu’il a toujours une mélancolie, une tristesse intime. Si donc les justes alors vivaient déjà dans la tristesse, combien plus ceux d’aujourd’hui !
« C’est par la foi qu’Isaac donna à Jacob et à Esaü une bénédiction qui regardait l’avenir (20) ». Esaü était l’aîné, et le père préféra comme plus vertueux. Voyez-vous encore l’effet de la foi ? D’où venait, à ce père, la confiance de promettre tant de biens à ses fils, sinon parce que lui-même croyait fermement en Dieu ? « C’est par la foi que Jacob mourant, bénit chacun des enfants de Joseph ». Il faudrait ici rapporter d’un bout à l’autre ces bénédictions, pour montrer clairement et la foi de Jacob et son esprit prophétique. – « Et il s’inclina profondément devant son bâton de commandement (21) ». L’apôtre nous révèle que Jacob avait une telle foi à l’avenir, qu’il témoignait cette foi non seulement par des paroles, mais par un acte symbolique. Comme une seconde royauté, celle d’Israël devait trouver un jour son chef dans la tribu d’Ephraïm ; pour cette raison Jacob adora le sceptre de commandement, de son fils. Comprenez que, malgré sa vieillesse, il s’humiliait devant Joseph, symbolisant d’avance le peuple entier qui devait un jour se prosterner devant lui. Ce fait s’était déjà réalisé, quand il fut adoré par ses frères ; il devait se réaliser plus tard encore par l’histoire des dix tribus. Voyez-vous comme il prédisait un lointain avenir ? Voyez-vous quelle était la foi des patriarches, et comment ils croyaient à l’avenir ?
Vous trouvez dans l’Écriture tantôt des exemples d’une patience destinée ici-bas à souffrir sans jamais jouir : tels furent Abraham et Abel ; tantôt, vous admirez, comme en Noé, des modèles de la foi en Dieu et en sa Providence rémunératrice. Car le mot de « foi » présente des acceptions différentes, et signifie tantôt une chose, tantôt l’autre. Dans le fait de Noé, la foi s’allie à l’idée de récompense, à l’espérance qu’il y aura des retours heureux, mais qu’il faut combattre avant d’être récompensé. Les événements de la vie de Joseph appartiennent à la foi pure, du moins pour la promesse si expresse de Dieu faite à Abraham : « Je vous donnerai cette terre ainsi qu’à vos descendants ». Joseph la connaissait, cette promesse ; et bien que résidant sur une terre étrangère, bien qu’il ne vit point se réaliser la prédiction, loin de se permettre le découragement, il eut la foi assez ferme et forte pour annoncer la sortie de l’Égypte, et commander qu’on emportât ses os hors de ce pays. Non content de croire pour son compte personnel, il redoublait la foi dans ceux de sa famille, voulant qu’ils se souvinssent toujours de leur sortie prochaine, et leur parlant même, au sujet de sa dépouille mortelle, avec la persuasion intime de ce grand événement, puisque sans cette attente qu’il leur donnait de la sortie d’Égypte, il n’aurait pas fait une semblable recommandation.
C’est, au reste, la réponse à l’objection que font quelques personnes : Voyez, disent-elles, que les justes eux-mêmes se sont occupés de leur monument funèbre ! – Ils s’en sont occupés pour la raison que j’ai dite, et non autrement. Ils savaient « que la terre et toute sa plénitude appartiennent au Seigneur ». (Ps. 23,1) Moins que personne, il ignora cette vérité, le patriarche qui vécut dans les plus hautes régions de la sagesse, et qui d’ailleurs passa presque toute sa vie en Égypte, d’où par conséquent il aurait pu sortir et regagner son pays, et non pas y rester avec des pleurs, des larmes et des regrets ; et moins encore y faire venir son père. Pourquoi, au contraire, n’y voulait-il pas même laisser sa propre dépouille mortelle ? N’est-ce pas uniquement pour cette raison de foi ?
2. Répondez-moi, d’ailleurs. N’est-il pas vrai que les os de Moïse furent déposés dans une terre étrangère ? Que nous ne savons pas même où sont ceux d’Aaron, de Daniel, de Jérémie, de plusieurs apôtres ? On connaît, en effet, les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul, de saint Thomas ; et des autres, bien plus nombreux, on ne sait rien de leur sépulcre. Aussi ne nous affligeons point pour ce sujet n’ayons pas l’esprit assez étroit, ni le cœur assez faible pour nous soucier de cela. Quel que doive être le lieu de notre sépulture, « la terre et sa plénitude appartiennent au Seigneur ». Il n’arrive que ce qui doit arriver. Tant de pleurs, de sanglots et de larmes sur ceux qui ne sont plus, n’ont leur source que dans la bassesse de l’âme.
« C’est par la foi que Moïse après sa naissance fut tenu caché pendant trois mois par ses parents (23) ». Ces justes, vous le voyez, n’espéraient qu’après leur mort l’accomplissement des promesses de Dieu, et leurs espérances n’ont pas été trompées. C’est la réponse à l’objection de quelques personnes qui disent : Les promesses qu’ils ne virent point remplies de leur vivant, le furent après leur mort, sans doute : mais ils ne croyaient pas qu’elles dussent s’accomplir après leur trépas. – Alors, pourquoi Joseph n’a-t-il pas dit : Quoi ! ni moi-même pendant ma vie, ni mon père, ni mon aïeul dont, surtout, Dieu aurait dû respecter la vertu, nul d’entre nous n’a reçu la terre promise ! Comment croire qu’il daignera donner à leurs fils coupables ce qu’il n’a pas daigné octroyer à des ancêtres si saints ? Non, Joseph ne tint pas ce langage ; sa foi sut vaincre et dominer toute objection.
Saint Paul, jusqu’ici, a parlé d’Abel, de Noé, d’Abraham, de. de Joseph, personnages remarqués, admirables, glorieux. Pour mieux encourager les Hébreux, il va chercher ses preuves jusque dans d’autres personnes qui n’eurent rien de remarquable. Que des hommes merveilleux aient tant souffert, en effet, que les Hébreux se soient montrés inférieurs à de si grands modèles, ce n’est pas chose étonnante. Ce qui est grave, c’est qu’ils se soient placés au-dessous de personnes sans nom et sans gloire. Et l’apôtre commence par le père et la mère de Moïse, lesquels n’avaient rien de remarquable, rien qui approchât de ce que fut leur fils. Saint Paul renchérira encore et prouvera l’absurdité de leur manque de foi, en citant l’exemple contraire de veuves et de femmes de mauvaise vie. « C’est par la foi », dira-t-il, « que Rahab, femme débauchée, ne périt point avec les incrédules, parce qu’elle reçut et sauva les espions de Josué ». Enfin, l’apôtre rappelle le salaire, non de la foi seulement, mais aussi de l’infidélité, comme dans l’histoire de Noé.
Mais nous avons à revenir sur le fait des parents de Moïse. Un ordre de Pharaon commandait de mettre à mort tous les enfants mâles, et aucun n’échappait au trépas. Comment donc ceux-ci espérèrent-ils sauver leur fils ? Par la foi. Et par quelle foi ? Ils virent, a dit l’Écriture, la beauté extraordinaire de cet enfant. Sa vue suffit pour leur donner la foi : tant dès le berceau, et jusque dans les langes, ce juste naissant avait reçu de grâces, non pas de la nature, mais de Dieu. Voyez plutôt l’enfant, dès sa naissance, se fait remarquer non par la laideur ordinaire, mais par une extrême beauté. Et qui l’a produite ? Ce n’est pas la nature, mais la grâce de Dieu, laquelle réveilla aussitôt la pitié dans le cœur de la fille d’un roi d’Égypte, lui donnant même le courage de prendre et d’aimer comme son fils cet enfant étranger.
Cependant quel était le fondement de la foi chez les parents de Moïse ? Était-ce une merveille si grande que la beauté d’un enfant ? Mais vous, ô Hébreux, vous croyez d’après des faits, et d’autres preuves solides : Quand vous avez souffert avec joie le pillage de vos biens et d’autres maux, c’est par la foi que vous l’avez enduré. Toutefois, après ces preuves de foi, les Hébreux étaient retombés dans le découragement. Aussi l’apôtre leur fait remarquer, dans les parents de Moïse, une foi plus large, plus persévérante, semblable à celle d’Abraham, capable de croire des choses contradictoires en apparence. « Ils ne craignirent pas », dit-il, « l’édit du roi ». Et cependant cet édit s’exécutait cruellement ; leur foi, au contraire, n’était qu’une attente sans motif et sans preuve. Voilà l’exemple des parents de Moïse : et lui-même n’y fut pour rien alors ; mais l’apôtre va nous montrer aussitôt le grand exemple du fils aussi, qui dépasse de beaucoup celui des parents
« C’est par la foi que Moïse devenu grand, renonça à la qualité, de fils de la fille de Pharaon, et qu’il aima mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir du plaisir si court qui se trouve dans le péché ; jugeant que l’ignominie de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l’Égypte, parce qu’il envisageait la récompense (24-26) ». L’apôtre semble dire aux Hébreux : Personne d’entre vous n’a quitté un palais, et un palais glorieux, et des trésors immenses ; nul parmi vous n’a méprisé, comme Moïse, l’honneur dé pouvoir être le fils d’un roi. Et pour montrer que Moïse a quitté tout cela, non par hasard ou sans réflexion, saint Paul dit : « Moïse y renonça », c’est-à-dire, il prit ces grandeurs en haine et leur tourna le dos. Car, en face du ciel que Dieu lui proposait, t’eût été folie que d’admirer la cour d’Égypte.
3. Et voyez comme saint Paul met tout en lumière. Il ne dit pas que Moïse ait préféré aux trésors des Égyptiens et comme fortune plus belle, le ciel et les biens qu’il nous garde ; mais qu’il leur a préféré, quoi donc ? l’ignominie de Jésus-Christ ; pour lequel il a choisi d’être accablé d’opprobres, plutôt que de vivre dans le repos et la tranquillité d’esprit. Cette conduite portait déjà avec elle-même sa noble récompense. – « Préférant être affligé avec le peuple de Dieu ». Vous, Hébreux, vous souffrez pour vous personnellement ; mais lui, c’est par choix et pour les autres ; c’est de sa volonté et par goût qu’il s’est jeté lui-même en des périls si nombreux, lorsqu’il lui était permis de vivre religieusement et de jouir en même temps du bien-être. « Plutôt que de jouir du plaisir si court qui se trouve dans le péché ». Le péché, selon l’apôtre, était de renoncer à souffrir avec les autres ; du moins, Moïse y vit un péché. Si ce grand homme regarda comme un crime de ne point prendre courageusement part à l’affliction commune, l’affliction est donc un grand bien. Il s’y précipita, des splendeurs mêmes d’un palais, et il agit ainsi en prévision de certaines grandes choses, que nous révèlent les paroles qui suivent : « Jugeant que l’ignominie de Jésus-Christ « était un plus grand trésor que toutes les riches« ses des Égyptiens ».
Qu’est-ce que « l’ignominie de Jésus-Christ ? » C’est, chers Hébreux, ce que vous souffrez vous-mêmes, ce que Jésus-Christ a souffert ; ou bien encore, c’est ce que Moïse souffrit pour Jésus-Christ pendant qu’il endurait les outrages pour cette pierre mystérieuse d’où il tira des torrents d’eau ; « cette pierre, en effet, était Jésus-Christ », dit l’apôtre (1Cor. 10,4) Comment encore l’opprobre de Jésus-Christ ? C’est que, pour lui, nous sommes expulsés de nos patrimoines, chargés d’outrages, accablés de souffrances, parce que nous mettons en Dieu notre refuge.
Il est vraisemblable encore que Moïse se sentit bien outragé, quand on lui disait : « Veux-tu donc « me tuer, comme tu as hier tué l’égyptien ? » (Ex. 2,14) L’opprobre de Jésus-Christ, c’est ce qui expose vos jours mêmes, et vous fait supporter la souffrance jusqu’au dernier soupir. Ainsi le Sauveur lui-même était couvert d’opprobres quand on lui disait : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (Mt. 27,40), et que ces paroles sortaient des lèvres de ses bourreaux, de ses compatriotes mêmes, des Hébreux. C’est l’opprobre de Jésus-Christ, que celui que vous essuyez de la part de vos proches et de ceux-là mêmes que vous comblez de vos bienfaits. Moïse, en effet, recevait cet outrage d’un homme qu’il avait sauvé. Relevant donc le courage de ses disciples, saint Paul leur montre des modèles de souffrances dans Jésus-Christ et dans Moïse, ces deux illustres personnages. Il leur fait voir ici que, bien plus que Moïse, Jésus-Christ souffrit l’opprobre, puisqu’en réalité il fut immolé par les siens. Et toutefois, il ne lança pas la foudre ; il n’éprouva aucun sentiment pareil ; mais accablé d’injures, il supportait tout, à l’heure ou en face de lui, ses ennemis branlaient leurs têtes insolentes. Comme donc, très-probablement, les disciples entendaient des malédictions semblables, et qu’ils désiraient leur récompense, l’apôtre déclare que Moïse et Jésus-Christ ont souffert les mêmes épreuves. Le repos et la tranquillité de l’âme, en pareil cas, c’est le péché ; l’opprobre, c’est le parti de Jésus-Christ. Chrétien, que préfères-tu, de cet opprobre de Jésus, ou de ton bonheur et de ta sécurité ?
« C’est par la foi qu’il quitte l’Égypte, sans craindre la fureur du roi : car il l’affronta, voyant notre invisible Dieu comme s’il était visible (7) ». Saint apôtre, que dites-vous ? « Moïse ne craignit pas ! » L’Écriture, au contraire, déclare qu’informé de tout, il craignit, qu’il chercha son salut dans la fuite, qu’il s’enfuit vraiment, qu’il se cacha, que désormais il prit toutes les précautions de la crainte. – Cher auditeur, prêtez la plus grande attention à ce que vous avez entendu. Ces mots : « Sans craindre la fureur du roi », l’apôtre les écrit en vue de ce qui arriva plus tard, quand Moïse se présenta lui-même devant le souverain. Moïse eût prouvé sa crainte, en n’essayant plus de défendre et de sauver sa nation, en refusant même de l’entreprendre ; mais dès qu’il ose y mettre la main de nouveau, il est bien l’homme qui se confiait en tout et pour tout à Dieu seul. Il ne dit pas : Le roi me cherche, me poursuit activement, et je n’ai garde, moi, de m’exposer par une nouvelle entreprise. Sa fuite ne fut donc pas un manque de foi.
Mais pourquoi ne pas plutôt rester en Égypte, dira-t-on ? – Pour ne pas se jeter dans un péril évident et prévu. Il eut tenté Dieu, puisqu’il se serait précipité de lui-même au milieu des dangers avec cette parole téméraire : Je veux voir si Dieu me sauvera ! Le démon précisément dit à Jésus-Christ : « Jetez-vous en bas ! » (Mt. 4,6) Comprenez donc combien est diabolique la témérité, qui se précipite dans les périls, et qui tente, si Dieu la salivera ! – Moïse ne pouvait donc commander et défendre des compatriotes qui lui montraient, après son bienfait même, tant d’ingratitude. C’eût été sottise à lui et délire, que de rester parmi eux.
Moïse donna ces exemples, parce qu’il souffrait en voyant, pour ainsi dire, Celui dont la vue échappe à tout regard humain. Si donc, par l’esprit du moins, nous voyons Dieu ; si nous occupons constamment notre pensée de son doux souvenir, tout nous deviendra facile, tout supportable, tout endurable, enfin nous serons supérieurs à tout le monde. Car si la vue d’un ami ou seulement son souvenir vous rend le courage, élève votre âme bien haut, et vous fait tout supporter aisément, parle seul charme de son nom dans votre mémoire ; le chrétien, qui toujours applique sa pensée et tourne son souvenir vers Celui qui daigna nous aimer d’un amour si véritable, pourra-t-il jamais sentir même une impression pénible ou redouter quelque danger, quelque terreur ? Quand, en effet, aura-t-il un cœur abattu et pusillanime ? Jamais : car, si tout nous semble difficile, c’est parce que nous n’avons pas, comme il faudrait, le souvenir de Dieu, et que nous ne le portons pas continuellement dans notre pensée. Il a donc eu raison de nous dire : Vous m’avez oublié ; et moi aussi, je vous oublierai ; et c’est la double cause de notre malheur, d’oublier Dieu et d’être oubliés de Dieu. Voilà deux choses, en effet, qui sont intimement liées et dépendantes l’une de l’autre, mais qui sont deux néanmoins. Que Dieu nous garde un souvenir, c’est un bien infini ; mais c’est un bien efficace aussi, que nous gardions la mémoire de Dieu. Cet effort, de notre côté, nous pousse dans la voie de la vertu, nous y fait marcher et persévérer avec courage jusqu’au bout. Aussi le Prophète disait en ce sens : « Je me souviendrai de vous, ô mon Dieu, sur les bords du Jourdain, sur les sommets de l’Hermon et sur ses pauvres collines ». (Ps. 41,7) Enfin, le peuple captif à Babylone s’écriait : Mon Dieu ! je me souviendrai de vous !
4. Répétons donc ces paroles, nous qui habitons aussi Babylone : car bien que nous ne soyons pas au milieu d’ennemis publics, nous nous trouvons en avoir d’autres non moins terribles. Parmi ces captifs, les uns avaient la triste allure de prisonniers ; mais d’autres ne sentaient pas même le joug de la captivité : ainsi Daniel, ainsi les trois enfants qui bien qu’entraînés dans les masses prisonnières, en face même du roi qui les avait emmenés en captivité, étaient glorieux et grands sur cette terre barbare : oui, ces nobles captifs recevaient l’hommage de celui qui les avait réduits en captivité. Voyez-vous quelle puissance possède la vertu ? Un roi les révérait comme ses maîtres jusque dans leur état d’esclavage ; il était donc captif plutôt qu’eux-mêmes. Il eût été moins surprenant de voir ce prince se rendre dans leur pays pour les y vénérer, que de les contempler eux-mêmes, régnant chez leurs vainqueurs. Mais la merveille, c’est qu’après les avoir enchaînés et les ayant sorts sa main à titre de captifs, il ne rougit pas de leur rendre en face du monde entier un véritable culte, jusqu’à leur offrir des victimes. Voyez-vous comme les œuvres de Dieu sont toujours glorieuses, tandis que les nôtres n’en sont que l’ombre ? Ce roi ignorait assurément qu’il amenait ainsi ses maîtres du fond d’un pays vaincu, et il jeta dans la fournaise ceux qu’il allait tout à l’heure adorer, et ce supplice à eux-mêmes ne leur parut qu’un rêve.
Craignons Dieu, mes frères, craignons Dieu, et fussions-nous réduits en captivité, nous serons plus grands que tout le genre humain. Ayons cette crainte de Dieu, et nous ne sentirons plus d’ennuis, quand même cet ennui s’appellerait pauvreté, maladie, captivité, servitude, quels qu’en soient le nom et la nature enfin. Il y a plus : toutes ces misères produiront pour nous des effets tout opposés. Ils étaient captifs ; un roi les révère. Paul fabriquait dés tentes, et on voulait lui offrir des sacrifices comme à tin dieu. On peut demander ici pourquoi les apôtres refusèrent avec horreur ces sacrifices, jusqu’à déchirer leurs vêtements, jusqu’à pleurer pour détourner les peuples de cette idée, jusqu’à s’écrier enfin : « Que faites-vous ? Nous sommes vos semblables, et des hommes mortels comme vous » (Act. 14,14) ; tandis que Daniel ne fit rien de pareil. Qu’il fût humble, pourtant, ce Prophète ; qu’il ne rapportât pas moins que les apôtres la gloire de toutes choses à Dieu, cela est évident par bien des raisons, mais surtout par l’amour que Dieu lui portait. S’il avait usurpé l’honneur dû à Dieu seul, le Seigneur ne l’aurait pas laissé vivre, loin de lui faire recueillir l’honneur et l’estime. Une seconde preuve de sa vertu, c’est qu’il disait en toute franchise : « Ni moi non plus, ô roi, je ne connais pas ce mystère par une révélation que je doive à ma sagesse ». Une troisième preuve enfin, c’est qu’il a pu dire : « Pour mon Dieu, j’étais dans la fosse aux lions » ; et quand un autre Prophète lui apporta de quoi manger : « Le Seigneur », dit-il, « s’est souvenu de moi » (Dan. 2,30 ; IV, 37) ; tant il était humble et pénitent. Il était dans la fosse aux lions pour la cause de Dieu, et il s’estimait indigne d’être exaucé de Dieu, d’avoir même place en sa mémoire.
Mais nous, qui osons commettre des péchés exécrables et sans nombre, nous qui sommes les plus coupables et les plus détestables des créatures, nous reculons si Dieu ne nous exauce pas dès notre première supplication. De fait, entre nous et les saints il y a la distance du ciel à la terre, s’il n’y a pas même un abîme plus grand. Eh quoi ! Daniel, que dites-vous ? Après vos œuvres si saintes et si glorieuses, après ce miracle qui vous sauve des lions, vous vous estimez encore petit et vil ! Assurément, nous répond le Prophète ; car quoi que nous ayons pu faire, nous sommes des serviteurs inutiles. (Lc. 17,10) Et c’est ainsi que devançant l’Évangile, il en remplit le précepte, et se regarde comme rien. Dieu, disait-il, s’est souvenu de moi. Et voyez encore, dans sa prière, quelle humilité ! Comme aussi les trois enfants de la fournaise disaient : « Nous avons péché ; nous avons agi contre vos lois » (Dan. 3,29) ; partout enfin, ils font preuve d’humilité. Et pourtant Daniel avait mille occasions de s’élever ; mais il savait aussi que toutes ces grâces lui venaient de ce qu’il avait soin de ne pas s’exalter et de ne point gâter son trésor. En effet, parmi toutes les nations, sur toute la terre habitée, on chantait la louange de Daniel, non pas seulement parce qu’un roi s’était prosterné devant lui, ni parce qu’il lui avait offert des libations et tout un culte divin, au moment où ce roi lui-même était honoré comme un Dieu. Cette gloire adorée de Nabuchodonosor est certaine, d’après Jérémie : « Il a revêtu », dit-il, « la terre comme un manteau ». (Jer. 27,6) « Car », dit Dieu ailleurs, « je l’ai donnée à Nabuchodonosor mon serviteur ». Or ces textes, et les lettres de ce roi prouvent cependant que Daniel n’était pas admiré seulement dans l’empire de ce prince, mais que ce Prophète était connu partout, qu’il était admiré dans toutes les nations plus encore que si elles l’avaient vu personnellement, surtout après que le roi eût avoué dans sa lettre mémorable, et le miracle opéré pour le Prophète, et l’hommage que lui-même rendait à sa sagesse. « Êtes-vous donc », disait l’Écriture, « plus sage que Daniel ? » Avec tous ces titres de gloire, il était humble jusqu’à désirer de mille fois mourir pour son Dieu.
5. Or, je le demande encore une fois : pourquoi, tout humble qu’il était, n’a-t-il repoussé ni ce culte, ni ces oblations quasi sacrées que lui fit un grand roi ? Je ne résoudrai pas ce problème ; il me suffit de l’avoir posé. Quant à la solution, je vous la laisse, pour exciter, si je le puis, l’effort de votre intelligence. Je ne veux que vous intimer un commandement ou plutôt un avis : c’est de diriger en tout votre liberté selon la crainte de Dieu, puisque vous avez de si nobles exemples, et que, d’ailleurs, les biens mêmes de la terre seront à nous, si bien franchement nous poursuivons les biens à venir. Que Daniel, en effet, n’ait point agi sous l’inspiration de l’orgueil, nous en avons une preuve évidente dans cette protestation qu’il fait : « Prince, gardez vos présents ! » (Dan. 5,17) Et toutefois une seconde question se présente ici ; comment, si prompt à tout repousser en paroles, accepte-t-il l’honneur réellement et en effet, comment se revêt-il du riche collier ? Hérode-Agrippa, lui, s’entend applaudir : « C’est la voix d’un Dieu, disait-on, et non pas celle d’un « homme » (Act. 12,22) ; et parce qu’il n’a pas rendu gloire à Dieu, ses entrailles crèvent et se répandent honteusement. Daniel, au contraire, accepte les honneurs divins, et non pas seulement des paroles d’apothéose. Voilà un point nécessaire à expliquer. Dans le fait d’Hérode, les hommes tombaient dans une idolâtrie pire que leur paganisme habituel ; dans celui du Prophète, il n’en va pas de même. Comment cela ? C’est que l’idée qu’on s’était faite de Daniel rendait honneur à Dieu, puisque le Prophète avait dit précédemment : « Je le sais, mais non d’après la sagesse que je puis avoir par moi-même ». D’ailleurs, on ne voit pas qu’il accepte ces offrandes, ce culte. Le roi dit bien, sans doute, qu’il faut les offrir : mais il n’est rien moins que certain que cette pensée ait été mise à exécution.
Quant aux apôtres, déjà à Lystre, on amenait les taureaux pour les leur immoler ; déjà l’on appelait Barnabé, Jupiter, et Paul, Mercure. Le sacrifice commençait. Daniel accepta le collier, pour se faire reconnaître ; mais pourquoi ne parait-il pas repousser l’offrande sacrée ?… Dans le fait apostolique, les païens ne l’ont point réalisée ; mais l’attentat sacrilège en fut fait, et les apôtres le condamnèrent… Cependant Daniel devait aussi, ce semble, repousser aussitôt un culte impie ? En face des apôtres, se trouvait tout un peuple à édifier ; en face de Daniel, un peuple et son roi. Pourquoi donc ne détourna-t-il pas le roi de Babylone de cette idée idolâtrique ? Je l’ai dit : c’est que le prince ne lui faisait pas cette offrande comme à un Dieu et pour détruire la vraie religion, mais pour arriver à un fait plus miraculeux. Comment ? C’est qu’il fit un édit en faveur du vrai Dieu, le reconnaissant comme le Seigneur. Ainsi, il n’altérait pas l’honneur qui lui est dû. Les habitants de Lystre, au contraire, n’avaient point ces pensées ; mais ils regardaient les apôtres comme des dieux, et ceux-ci repoussèrent leurs hommages. Le roi Babylonien commence par adorer Daniel ; puis il lui fait l’offrande que vous savez. Or, quand il l’adore, ce n’est pas comme un dieu, mais comme un sage. Puis, il n’est pas certain qu’il lui ait fait des offrandes superstitieuses. Enfin, les eût-il faites, il les a faites sans que Daniel les agréât. Et si vous demandez pourquoi il lui donna le nom de Baltassar, qui est un nom de divinité chez eux, je réponds que cela prouve le peu d’estime que ce peuple avait de ses propres dieux, puisque leur nom ; de par l’empereur, est attribué à un captif ; puisque ce roi faisait adorer à tout son peuple une statue d’or, et que lui-même adorait un dragon. – Ainsi Babylone renfermait des multitudes tout autrement folles que celles de Lystre. Aussi Daniel ne pouvait-il sitôt les amener ait vrai.
Si donc nous voulons gagner tous les biens, cherchons d’abord ceux qui ont rapport à Dieu. Car de même que ceux qui cherchent les faux biens de ce monde, perdent à la fois ceux du temps et ceux de l’avenir, ainsi ceux qui donnent la préférence aux choses de Dieu, gagnent les uns avec les autres. Ne poursuivons donc pas ceux-là, mais plutôt ceux-ci ; et nous pourrons de la sorte gagner les biens que Dieu promet, en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE XXVII.

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C’EST PAR LA FOI QUE MOISE CÉLÉBRA LA PÂQUE ET QU’IL FIT L’ASPERSION DU SANG DE L’AGNEAU, AFIN QUE L’ANGE QUI TUA TOUS LES PREMIERS-NÉS, NE TOUCHÂT POINT LES ISRAÉLITES. (CHAP. XI. 28-30)

Analyse.

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  • 1-3. En nous rappelant la foi des patriarches, saint Paul n’oublie pas de nous montrer que leurs actions ou les cérémonies de leur religion, sont les préludes et les figures de la religion de Jésus-Christ. – Tel était l’Agneau pascal. – La foi des Hébreux à l’heure où ils sont renfermés entre la mer Rouge et l’armée d’Égypte nous rappelle que le secours de Dieu vient ordinairement à l’heure où tout semble désespéré. – Un mot de la foi de Rahab ; un mot plus court encore d’une foule d’autres exemples de foi. – Quelle grande puissance que celle d’un juste : Josué arrêtant le soleil. – Pourquoi il fait plus que Moise même.
  • 4 et 5. Puissance de la prière, qui nous donne empire non sur le soleil et les astres, mais sur Dieu même. – Beauté de la prière que Jésus-Christ nous a enseignée lui-même, comme un maître apprend (alphabet à ses élèves. – La prière doit être surtout humble et pénitente comme celle du publicain. – Avouer nos fautes et ne pas souffrir qu’un autre nous les reproche ; refuser les louanges pour qu’on nous les donne encore davantage, c’est un jeu criminel.


1. L’apôtre aime à prouver ou à confirmer sur sa route bien des vérités qu’il sème en passant, découvrant dans le texte sacré mille sens imprévus. Telle est, en effet, la parole de l’Esprit-Saint, qu’elle ne contient pas seulement quelques sens sous une multitude de mots, mais qu’au contraire, sous très-peu de mots elle prête à des interprétations nombreuses et magnifiques. Dans cette étude en forme d’exhortation sur la foi, par exemple, saint Paul nous montre une figure, un mystère, dont la loi de Jésus-Christ possède la vérité. Il dit « C’est par la foi que Moïse célébra la Pâque et qu’il fit l’aspersion du sang de l’agneau, afin que l’ange qui tuait tous les premiers-nés, ne touchât point aux Israélites ». Quel est ce sang répandu ? Dans chaque maison, un agneau tombait sous le couteau du sacrifice, et son sang marquait chaque porté et détournait la mort qui moissonnait les Égyptiens. Si donc le sang de l’agneau sauvait les Juifs au milieu même des Égyptiens et d’un fléau si redoutable, combien plutôt serons-nous préservés par le sang de Jésus-Christ qui doit rougir, non plus nos portes, mais nos cœurs. Encore aujourd’hui, en effet, celui qui dévaste et qui tue, ne cesse de circuler au milieu de cette nuit du siècle : armons-nous donc de ce sacrifice tutélaire. Notre onction est appelée par Moïse effusion. Car, nous aussi, nous avons été, par la main de Dieu, tirés de l’Égypte, des ténèbres, de l’idolâtrie. Le rite mosaïque n’était rien en lui-même ; mais son effet était grand, puisqu’il sauvait si bien et si parfaitement un grand peuple. Le rite mosaïque n’était qu’une effusion de sang ; l’effet grand et parfait produisait le salut et la vie, et posait à la mort une défense et un obstacle. L’ange exterminateur craignit le sang, parce qu’il savait de quel autre sang il était la figure ; il recula effrayé à l’idée de la mort du Seigneur ; et voilà pourquoi il ne touchait pas les portes marquées de ce signe. Moïse leur avait dit : Faites cette marque, et ils la firent, et ils y trouvèrent confiance et sûreté. Et vous, qui avez le sang du véritable Agneau, vous n’avez pas confiance ?
« C’est par la foi qu’ils passèrent la mer Rouge, comme sur une terre sèche ». Paul de nouveau compare un peuple avec un peuple, afin que les Hébreux ne disent pas : Nous ne pouvons être comme les saints. « Par la foi donc, ils passèrent la mer Rouge comme sur une terre sèche, tandis que les Égyptiens ayant essayé ce passage, périrent engloutis dans les flots (29) ». Paul leur remet en mémoire les souffrances de leurs aïeux en Égypte. Pourquoi parle-t-il de la foi de ceux-ci ? C’est qu’en effet ils ont espéré, ils ont demandé avec prières, à Dieu, de passer ainsi la mer Rouge ; ou pour mieux dire, Moïse a prié en ce sens. Voyez-vous comme la foi surpasse toujours les forces humaines, c’est-à-dire notre faiblesse, notre bassesse ? Voyez comme les Israélites avaient en même temps et la foi et la crainte des fléaux meurtriers ; ce sang imprimé à chaque porte et ce passage de la mer Rouge vous le démontrent assez. Au reste cette eau de la mer Rouge fut une affreuse vérité, et non pas une vision, comme le prouva la mort de ces ennemis qui y périrent noyés C’est ainsi que les exécuteurs dévorés eux-mêmes par les lions, et ceux qui furent brûlés près de la fournaise, donnaient une preuve de la vérité de ces drames affreux, et vous démontraient, comme au cas présent, que tel châtiment sauvait et glorifiait les uns, tandis qu’il donnait aux autres une mort affreuse. Telle est, au reste, la puissance bienfaisante de la foi : c’est quand nous sommes arrivés à la dernière extrémité, de sorte qu’on ne voit plus d’issue possible, c’est à cet instant même que nous sommes délivrés, quand même nous serions aux portes de la mort, quand même notre sort semblerait désespéré et que tout semblerait perdu sans remède. Quel espoir restait aux Juifs ? Peuple désarmé, serrés entre les Égyptiens et la mer, il leur fallait ou se noyer dans la fuite en avant, ou retomber en arrière dans les mains des Égyptiens ; et la foi les délivra et les sauva dans ces circonstances de perplexité et d’angoisses. Polir eux, la mer devint comme une route sur le continent ; tandis qu’elle engloutit et dévora les Égyptiens dans ses abîmes. Pour les premiers elle oublia sa nature ; pour les seconds elle s’armait comme un ennemi.
2. « C’est par la foi que les murailles de Jéricho tombèrent par terre, après qu’on en eût fait le tour sept jours durant (30) ». Car le son des trompettes, quand même il retentirait pendant dix siècles, ne peut renverser des murailles ; tandis qu’à la foi rien n’est impossible. Vous voyez que la foi varie ses œuvres, non d’après notre logique ou selon les lois de la nature ; mais qu’elle opère toujours contre toute attente. Donc maintenant encore, tout arrive contre vos prévisions. Saint Paul voulait de toutes manières les amener à croire aux espérances à venir ; son discours tout entier n’a pas d’autre but ; il veut montrer que non seulement aujourd’hui, mais que dès le commencement, tous les miracles sont nés de la foi et se sont opérés par elle.
« C’est par la foi que Rahab, femme débauchée, ne périt pas avec les incrédules, parce qu’elle avait reçu et sauvé les espions de Josué (31) ». Il serait honteux qu’on vous vit plus incrédules qu’une femme perdue. Or elle a entendu ces espions et leurs prophéties, et aussitôt elle y a cru ; et sa foi eut son effet : tous les autres périrent, elle seule fut sauvée. Elle ne s’est pas dit : Je partagerai le sort de ta multitude, où j’ai les miens d’ailleurs. Et puis, suis-je donc plus sage que tant d’hommes intelligents qui ne croient point, tandis que j’ose croire, moi ! Non, elle n’a ni dit ni fait comme aurait agi ou parlé probablement tout autre à sa place : elle a cru simplement aux espions et à leurs affirmations.
« Que dirai-je davantage ? Le temps me manquera pour continuer ces récits (32) ». L’apôtre désormais ne s’appesantira plus sur des citations nominatives ; terminant par cette femme perdue dont l’exemple suffit pour couvrir les Hébreux d’une honte salutaire, il n’étend plus ses récits, de crainte d’allonger sans mesure son discours ; mais il n’abandonne pourtant pas les exemples, tout en les parcourant avec une extrême sagesse, et évitant ainsi avec soin un double écueil : celui d’ennuyer par la satiété, et celui de supprimer de nombreuses et fécondes leçons. Il ne se tait donc pas tout à fait ; mais il se garde de fatiguer par son discours : il remplit donc un double but. Car lorsqu’on discute avec énergie, si l’on continue quand même et toujours ce genre agressif, on assomme l’auditeur déjà convaincu, en lui jetant ainsi l’ennui, sans compter que l’on s’expose à passer pour un homme vain que, l’envie de briller fait parler, et non pas le seul désir d’être utile, comme cela doit être.
« Que dirai-je donc ? s’écrie-t-il. Le temps me manquera si je veux parler de Gédéon, de Barac, de Samson, de Jephté, de David, de Samuel et des prophètes ». Quelques-uns font un crime à saint Paul de placer dans ce passage les noms de Barac, de Samson et de Jephté. Mais quoi ! il a bien pu nommer la prostituée, pourquoi pas ceux-ci ? Il ne s’agit pas ici de juger leur vie, mais seulement de savoir s’il, ont brillé par leur foi.
« Et des prophètes, lesquels par la foi ont conquis des royaumes ». Vous voyez que l’apôtre ne témoigne pas ici de la beauté de leur vie, ce n’était pas son but ; il ne voulait que parler de leur foi. Car, dites-moi, n’est-ce pas par la foi qu’ils ont tout fait ? Et comment ? par la foi, ils ont conquis des royaumes, Gédéon, par exemple. – « Ils ont accompli les devoirs de la justice ». Qui est ici désigné ? Toujours les mêmes ; peut-être par la justice, il entend la charité. – « Ils ont reçu l’effet des promesses ». Je pense que ce trait désigne David. Et de quelles promesses ? De celles qui proclamaient que sa postérité s’assiérait sur son trône. – « Ils ont fermé la gueule des lions, ont arrêté la violence du feu, ont évité la pointe du glaive (33, 34) n. Voyez comme ils étaient déjà pour ainsi dire au sein de la mort ; Daniel au milieu des lions ; les trois enfants dans les abîmes de la fournaise ; Abraham, Isaac, en diverses épreuves, sans jamais même alors se désespérer. C’est, en effet, le caractère de la foi. Quand tout arrive à la malheure, il faut croire en ce moment-là même, que rien de contraire aux divines promesses n’en sortira, mais qu’elles auront leur effet tout entier : « Ils ont évité le tranchant du glaive » ; je pense que ce trait se rapporte encore aux trois enfants. – « Ils se sont remis de leur infirmité, ont été remplis de force et de courage dans les combats, ont mis en fuite les armées des étrangers ». L’apôtre indique, sans donner de date, des faits postérieurs au retour de Babylone. Leur infirmité dont ils se rétablissent, c’est la captivité. Quand les affaires des Juifs étaient désespérées, quand eux-mêmes ressemblaient en tout à des ossements desséchés, eût-on espéré ce retour de Babylone, et non seulement ce retour, mais un complet recouvrement de leurs forces, qui leur fit mettre en fuite les armées des étrangers ? Pour vous, dit saint Paul aux Hébreux, vous n’êtes pas encore dans cet état désespéré. – Tous ces faits sont des figures de l’avenir.
« Les femmes ont recouvré, par la résurrection, leurs enfants morts ». L’apôtre ici, parle des prophètes Élie et Élisée, qui, en effet, ont ressuscité des morts. « Les uns ont été décapités, ne voulant point racheter leur vie présente, afin d’en trouver une meilleure dans la résurrection (35) ». – Mais nous, répondent les Hébreux, nous n’avons pas atteint la résurrection. Eh bien ! je puis vous montrer que ces saints aussi ont passé sous la hache, et qu’ils n’ont point accepté la rédemption de ce supplice, afin de trouver une résurrection meilleure. Pourquoi, en effet, dites-moi, libres de vivre encore, ne l’ont-ils point voulu ? N’est-ce pas parce qu’ils attendaient une vie meilleure ? Eux qui en avaient ressuscité d’autres, ont choisi de mourir, pour gagner une résurrection bien préférable à celle qui rendit des enfants à leurs mères. L’apôtre me paraît désigner ici saint Jean-Baptiste, et saint Jacques. Car l’ apotympanismos, ici nommé, c’est la décapitation. Ainsi, ils avaient le droit de jouir encore du soleil ; ils pouvaient ne pas accuser les pécheurs, et cependant, après avoir ressuscité des morts, ils préférèrent pour eux-mêmes quitter le monde, afin de gagner une résurrection meilleure.
3. « Les autres ont souffert les moqueries et les fouets, les chaînes et les prisons ; ils ont été lapidés, ils ont été sciés, ils ont été tentés en toute manière (36, 37) ». Il termine par ces exemples, par ceux, remarquez bien, qui sont pour les Hébreux, et plus proches, et plus familiers. La plus grande consolation qu’on puisse vous offrir, en effet, c’est un modèle ayant souffert pour la même cause que vous. Quand même vous présenteriez d’autres traits plus remarquables, si le martyre a eu une autre raison, vous ne pouvez convaincre. Il finit donc son discours par ces saints, qui ont, dit-il, passé par les liens, les cachots, les fouets, les pierres, désignant ainsi la passion de saint Étienne et de saint Zacharie, et il ajoute : « Ils sont morts par le tranchant du glaive ». Que dites-vous, bienheureux Paul ? Les uns ont évité, les autres ont subi la mort sous l’épée ? Quelle est votre pensée ? Louez-vous la mort subie, ou seulement la mort affrontée ? Laquelle admirez-vous, de l’une ou de l’autre ? L’une et l’autre certainement, répond-il. La mort affrontée, chers Hébreux, c’est pour vous chose tout unie et toute familière ; la mort même subie est d’ailleurs la plus grande preuve de foi, et la figure de nos martyres à venir. La foi présente, en effet, ce double miracle : elle fait de grandes choses, elle sait grandement souffrir tout en croyant ne souffrir pas. Et vous ne pouvez dire, continue-t-il, que ces hommes fussent des pécheurs et des gens de rien. Quand vous placeriez en face d’eux le monde entier, j’estime qu’ils l’emporteraient dans la balance de la justice. – Aussi ajoute-t-il : « Que le monde n’en était pas digne ». Que pouvaient donc recevoir, même en cette vie, ceux dont rien au monde n’était digne ? L’apôtre ici relève l’âme de ses disciples, et leur apprend à ne point s’attacher aux choses du présent ; il veut que leur cœur espère beaucoup mieux que tous les biens du siècle actuel. Non, le monde entier n’est point digne d’eux. Que désireriez-vous donc ici-bas ? Ne serait-ce pas vous avilir que de vous donner ici-bas votre récompense ?
Cessons donc, mes frères, d’occuper nos âmes des vanités de ce monde ; n’y cherchons point notre récompense ; ne soyons pas mendiants à ce point. Car si le monde entier est indigne des saints, pourquoi demandez-vous une partie de ce monde ? C’est admirablement vrai : car les saints sont les amis de Dieu. Par le monde, l’apôtre désigne les masses, ou en général, la créature. Ces deux sens se trouvent habituellement employés dans l’Écriture sainte. Si la création tout entière avec tous ses hommes était mise en comparaison, dit-elle, le juste la dépasserait encore en valeur. Vérité évidente encore. Car dix mille livres pesant de paille ou de foin, n’équivaudraient pas en prix à dix perles ; ainsi en est-il de cette masse d’hommes vis-à-vis d’un saint. « Un seul homme qui « fait la volonté de Dieu », dit encore le Sage, « vaut mieux que dix mille impies ». (Sir. 16,3) Dix mille n’est pas synonyme d’un grand nombre seulement, mais d’une multitude incalculable.
Voyez quelle puissance c’est, qu’un seul homme juste. « Jésus, fils de Navé, a dit : Que le soleil reste immobile en face de Gabaon, et la lune vis-à-vis la vallée d’Elom. Ainsi fut-il fait ». (Jos. 10,12) Vienne donc ici le monde entier, et même deux, trois, quatre-vingts mondes comme le nôtre : qu’ils parlent ainsi ; qu’ils fassent pareille œuvre ! Mais ils ne le pourront jamais. L’ami de Dieu, lui, commandait aux créatures de son ami ; ou plutôt il n’a fait que prier cet ami divin, et les créatures, servantes de celui-ci, ont obéi ; et l’homme de la terre a commandé aux corps célestes. Voyez-vous, au reste, que ces astres sont faits pour l’esclavage, et remplissent un cours tracé d’avance ? Le fait de Josué est plus grand qu’aucun miracle de Moïse ; il y a une différence à commander à la mer, ou bien à dicter des lois aux cieux mêmes. Le premier prodige est grand, très-grand, mais non égal au second.
Or, écoutez la raison de cette grandeur de Josué ou de Jésus. Il portait dans son nom la figure de Jésus-Christ. Pour cette raison, pour ce nom attribué à l’homme, image du Fils de Dieu, la création dut le respecter. Mais quoi ? Ce nom de Jésus ne fut-il donc jamais donné qu’à lui ? Non, sans doute ; mais ce nom lui fut donné parce qu’il devait être la figure du véritable Sauveur. On l’appelait aussi Ausès d’abord, mais son nom fut changé et ce changement, à son égard, fut une prédiction, une prophétie. C’est lui qui fit entrer le peuple dans la terre promise, comme Jésus nous fait entrer au ciel ; la loi, non plus que Moïse, n’avait pas ce pouvoir ; ils restèrent dehors. La loi ne pouvait l’ouvrir, mais la grâce seule. Voyez-vous que, dans cet âgé dont tant de siècles nous séparent, les figures sont décrites d’avance par le, doigt divin ? Josué commanda donc à la création, ou, pour mieux dire, à la partie principale, au chef même de la création, tout en restant humble mortel sur la terre, pour que quand vous verrez Jésus lui-même sous les traits de notre humanité, parler avec une autorité sans égale, vous ne soyez ni troublé, ni effrayé. Au reste, Josué du vivant même de Moïse, battit et mit en fuite les ennemis ; et notre Maître aussi, même du vivant de la loi de Moïse, gouverne tout, mais en secret. Mais voyons la puissance des saints.
4. Si sur la terre, ils opèrent de tels prodiges, s’ils y font l’œuvre même des anges, qu’est-ce donc au ciel ? Quelle magnificence les y revêt ? Peut-être chacun d’entre vous désirerait être capable de commander au soleil et à la lune or, pour le dire en passant, que peuvent dire ici ceux qui font du ciel une sphère ? Pourquoi Josué n’a-t-il pas dit seulement : Que le soleil s’arrête ? Pourquoi ajoute-t-il : Qu’il s’arrête vis-à-vis de Gabaon, et la lune en face de la vallée d’Elom, c’est-à-dire, que le jour soit prolongé ? Ce miracle se reproduisit à la demande d’Ezéchias : le soleil même rétrograda. Et toutefois ce miracle étonne alors encore plus que le précédent ; il est plus surprenant de voir l’astre reprendre sa route au rebours, que de s’arrêter simplement. Et toutefois, si nous voulons, nous ferons quelque chose de plus grand encore. Car, que nous a promis Jésus-Christ ? Que nous arrêterons le soleil et la lune, ou que nous ferons reculer l’astre du jour ? Non ; mais quoi ? « Nous viendrons en lui, mon père et moi, et nous « ferons en lui notre demeure ». (Jn. 14,23) Qu’ai-je donc besoin de miracles sur le soleil et la lune, puisque le Seigneur et Maître de ces brillantes créatures, descend vers moi et y prend même son domicile fixe et constant ? Oui, que m’importe tout le reste ? En quoi ai-je besoin des astres mêmes ? Il sera mon soleil et ma lune, ma lumière enfin ! Car, répondez-moi : si vous étiez admis au palais impérial, que voudriez-vous de préférence ? Serait-ce de pouvoir métamorphoser un des objets qui s’y trouvent, ou de vous unir avec le souverain même, et par une amitié si intime, que vous le décideriez à descendre jusque chez vous ? Cette faveur ne vous paraîtrait-elle pas bien plus belle que cette autre vaine puissance ? Il ne faut plus s’étonner des miracles du Christ, si Josué qui n’était qu’un homme, en a fait d’aussi grands par un simple commandement. On répondra que Jésus-Christ ne prie pas son Père, mais qu’il agit par sa propre autorité. – C’est bien ; déclarez qu’il ne prie pas son père, et qu’il agit d’autorité ; à mon tour, je vous interrogerai, ou plutôt, je vous enseignerai avec certitude qu’il a prié cependant ; donc cette prière était le rôle de son abaissement et de son incarnation ; car il n’était pas inférieur sans doute à l’autre Jésus, fils de Navé ; il pouvait donc nous instruire sans prier lui-même ? – Mais voici : Qu’il vous arrive d’entendre un maître de lecture balbutier, épeler les lettres et les syllabes ; vous ne direz pas que c’est un ignorant ? Et s’il demande : Où est cette lettre ? vous savez qu’il n’interroge pas parce que lui-même ignore, mais parce qu’il veut instruire son élève. Ainsi Jésus-Christ priait sans avoir besoin de prière, mais pour vous déterminer à être assidu et appliqué à ce devoir, à prier sans relâche, avec pureté de cœur, avec une extrême vigilance. Et cette vigilance ne consiste pas seulement à vous éveiller la nuit, mais à être encore sobres et purs dans vos prières de la journée. Voilà bien être vraiment vigilant. Car il peut arriver que, tout en priant la nuit, on ne soit encore qu’un être endormi, et que de jour on veille, même sans prier ; tel est celui qui dirigera son cœur vers Dieu, pensant avec qui il a l’honneur de s’entretenir, et à qui vont monter ses paroles ; celui qui se souviendra que les anges sont là, pénétrés de crainte et de tremblement, tandis que lui-même s’étire et bâille en approchant de Dieu.
Les prières sont des armes puissantes, quand on les fait avec le cœur et l’intention requise. Et pour vous en faire comprendre le pouvoir, jugez-en par ce fait : que l’impudence et l’injustice, la cruauté et l’audace déplacée cèdent pourtant à des prières assidues : témoin l’aveu du juge inique de l’Évangile (Lc. 8,6) La prière triomphe aussi de la paresse ; et ce que l’amitié n’obtient pas, une demande assidue et importune l’arrache ; s’il ne lui accorde pas la chose à titre « d’ami », dit Notre-Seigneur, « il se lèvera cependant pour la lui donner, afin de se défaire de ce solliciteur effronté » (Lc. 11,8) ; l’assiduité lui fera mériter une grâce dont il n’était pas digne d’ailleurs. « Il n’est pas bien », disait Notre-Seigneur, « de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. – Sans doute, Seigneur », répondait la chananéenne, « mais les petits chiens pourtant mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». (Mt. 15,26, 27)
5. Appliquons-nous donc à la prière. Elle nous fournit, je l’ai dit déjà, des armes puissantes, mais à la condition qu’elle se fasse attentivement et assidûment, sans vaine gloire, avec un cœur pur et une parfaite sincérité. La prière triomphe des guerres mêmes, elle comble de grâces toute une nation bien qu’indigne. « J’ai entendu leur gémissement », dit le Seigneur, « et je suis descendu pour les délivrer ». (Ex. 3,8) La prière est un médicament de salut, un antidote contre le péché, un remède aux fautes commises. Cette veuve laissée seule au monde, Anne la prophétesse, n’avait pas d’autre occupation que de prier. Nous gagnerons tout, en effet, si nous prions avec humilité, frappant notre poitrine comme le Publicain, empruntant même ses paroles et disant avec lui : « Ayez pitié de moi qui ne suis qu’un pécheur ».(Lc. 18,13) Car bien que nous ne soyons pas des publicains, nous avons d’autres péchés non moindres que les leurs. Ne me dites pas que vous avez péché seulement en matière légère : toute matière défendue offre la nature du péché. On appelle homicide tout aussi vraiment l’assassin de petits enfants, que le meurtrier d’un homme fait ; on est cupide quand on vole le prochain pour s’enrichir, que les fraudes soient petites, ou qu’elles soient considérables ; le ressentiment d’une injure reçue n’est pas une simple faute, mais un grand péché. « Car ceux qui se souviennent avec rancune d’une injure reçue, prennent une route qui conduit à la mort » (Ps. 12,28) ; « et celui qui sans raison se fâche contre son frère, s’expose au feu de l’enfer » (Mt. 5,22), ainsi que celui qui traite son frère de fou et d’insensé ; ainsi enfin qu’une foule d’autres pécheurs. Nous allons même jusqu’à participer indignement à des sacrements merveilleux et redoutables, sans cesser de nous permettre l’envie, la cruelle détraction. Quelques-uns d’entre nous s’enivrent même souvent. Or une seule de ces fautes suffit à nous chasser du céleste royaume ; et quand elles s’entassent les unes sur les autres, quelle défense peut nous rester encore ?
Oui, mes frères, nous avons besoin, et à un bien haut degré, de pénitence, de prière, de patience, d’attention persévérante, pour gagner enfin les biens qui nous sont promis. Que chacun de nous s’écrie donc : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Et non seulement disons-le, mais ayons de notre triste état une vraie et profonde conviction, et si un autre nous accuse d’être, en effet, des pécheurs, ne nous irritons point. Ce pénitent, lui aussi, s’entendit accuser par le pharisien qui disait :« Je ne suis pas comme ce publicain » ; et il ne s’en est ni fâché, ni même piqué. L’autre lui montrait ironiquement sa blessure ; lui, il en cherchait le remède. Disons donc, nous aussi : Ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! et si un autre nous le dit, n’en soyons pas indignés. Que si nous savons nous accuser comme coupables de fautes sans nombre, mais que nous répondions par la colère aux accusations du prochain, évidemment nous n’avons ni humilité, ni confession, mais au contraire, ostentation et vaine gloire. – Comment, direz-vous ! Est-ce donc ostentation que de s’appeler pécheur ? – Oui, c’est ostentation, puisque nous cherchons jusque dans l’humilité, la gloire et l’estime publiques ; nous voulons qu’on nous admire, qu’on nous loue. Ici donc encore nous agissons pour la gloire. Qu’est-ce, en effet, que l’humilité ? Consiste-t-elle à supporter les outrages dont on nous accable, à reconnaître nos péchés, à accepter les malédictions ? Non ; là n’est pas encore l’humilité, mais seulement la candeur et la simple droiture de l’âme. Nous avouons de bouche notre condition de pécheur, notre indignité, et nos autres misères semblables ; mais qu’on nous fasse seulement un reproche pareil, nous perdons patience, la colère nous monte ! Voyez-vous que notre conduite n’est point une humble confession, pas même un acte de droiture et de franchise ? Puisque vous vous êtes déclaré tel, souffrez donc sans colère qu’un autre vous le dise et vous accuse ; vos fautes, en effet, deviennent ainsi moins lourdes à votre conscience, quand vous en acceptez le reproche de la bouche des autres ; ils prennent sur eux votre propre fardeau, et vous font entrer dans la vraie sagesse.
Écoutez ce que disait un saint, le roi David, quand Séméi le maudissait. « Laissez-le m’insulter. Le Seigneur le lui a commandé, afin de voir mon humilité ; le Seigneur me rendra le bien en retour des malédictions que cet homme me lance aujourd’hui ». (2Sa. 16,10) Et vous qui dites de vous-même tout le mal imaginable, vous vous emportez parce que vous n’entendez pas des lèvres d’autrui un éloge et des louanges réservées à de grands saints ! Vous voyez bien que vous jouez indignement dans un sujet qui n’admet pas un tel jeu ! Car, c’est repousser la louange par soif d’autres louanges, pour gagner même de plus grands éloges, pour acquérir une plus large admiration. En repoussant ainsi certains compliments, on a en vue de s’en attirer de plus beaux ; nous faisons tout dès lors pour la vanité et non pour la vérité ; dès lors aussi toutes nos couvres sont vides et douteuses. Je vous en supplie donc, fuyez désormais, du moins, cette vaine gloire, et vivons selon la volonté de Dieu, pour acquérir un jour les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.


HOMÉLIE XXVIII.

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LES SAINTS ONT ÉTÉ VAGABONDS, COUVERTS DE PEAUX DE CHÈVRES ET DE BREBIS, MANQUANT DE TOUT, AFFLIGÉS, PERSÉCUTÉS. (CHAP. 11,37, JUSQU’À XII, 3)

Analyse.

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  • 1-3. Vertus d’Élie et des autres saints du désert ; leur vie semblable, pour les peines, à celle des Hébreux. – L’exemple des saints nous anime : celui de Jésus-Christ nous transporte.
  • 4 à 7. La souffrance nous est enseignée par la passion de Jésus-Christ et par ses exhortations. – La pauvreté, que saint Paul nous apprend par ses paroles et ses exemples. – L’enfer, indiqué en passant comme le plus grand de tous les maux ; le ciel, comme le plus grand de tous les biens. – Le luxe des valets et des équipages surtout pour les femmes. – Très-curieux détails. – Le luxe des vêtements, toujours pour les femmes. – Longue et magnifique apostrophe, où toutes les philippiques modernes peuvent s’inspirer. – La beauté vraie et la virginité de l’âme. – Idées sublimes.


1. Il est un sentiment que j’éprouve toujours, mais surtout quand je réfléchis aux exemples de droiture et de vertu des saints. Je me prends à désespérer de moi, à me décourager, en voyant que nous n’acceptons pas même en rêve d’entreprendre les œuvres et la conduite dont les saints ont fait l’expérience pendant toute leur vie ; eux qui ont enduré de perpétuelles afflictions, non seulement pour l’expiation de leurs péchés, mais par le seul amour de la vertu. Et tenez, étudiez seulement Élie, auquel en ce jour notre sujet nous ramène ; car c’est de lui que l’apôtre a écrit : « Les saints ont été vagabonds sous de pauvres vêtements ». C’est par ce Prophète qu’il clôt la liste des exemples qu’il propose aux Hébreux ; et il n’a garde de l’oublier, parce qu’il leur est en quelque sorte un fait personnel et familier. Il vient de dire en parlant des apôtres, qu’on les a vus mourir sous le tranchant de l’épée ou sous les pierres de la lapidation ; mais il revient aussitôt à Élie, qui a subi les mêmes épreuves que les Hébreux. Sans doute qu’il ne leur suppose pas autant d’enthousiasme pour les apôtres, et c’est pourquoi il les ramène à ce Prophète qui fut enlevé vivant au ciel et qui avait joui d’une immense admiration, afin d’être plus sûr de les consoler et de les ranimer.
« On les a vus », dit-il, « errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne (38) ». Ils n’avaient pas de vêtements, remarque-t-il, point de patrie, point de maison, pas même de retraite, tant était grande leur tribulation ; semblables, en ce dernier trait, à Jésus-Christ qui disait : « Le Fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête ». (Mt. 8,20) Qu’ai-je dit : Pas de retraite ? Ils n’avaient pas même une halte ici-bas. En vain s’étaient-ils réfugiés dans la solitude, ils n’y trouvaient point de repos. Car l’apôtre ne dit pas : Ils séjournaient dans la solitude ; non, mais, arrivés là, ils fuyaient encore ; ils se voyaient chassés de ces lieux, et non seulement de tout pays habité, mais même des contrées inhabitables ; et l’apôtre rappelle les lieux où ils passèrent, en même temps que les événements qui vinrent les y poursuivre. – « Privés de tout, affligés ». On vous accuse pour Jésus-Christ, dit l’apôtre ; Élie le fut comme vous. Quel grief avait-on contre lui pour l’accuser, le bannir, le poursuivre, le réduire à combattre avec la faim ? Les Hébreux souffraient précisément alors des tribulations de même genre, comme il est raconté ailleurs : « Les disciples résolurent d’envoyer des aumônes à ceux de leurs frères qui étaient affligés. Ils statuèrent que chacun, selon son pouvoir, enverrait pour aider l’es frères qui habitaient en Judée, en prenant sur leur propre nécessaire ». (Act. 11,29) « Affligés », ajoute-t-il, c’est-à-dire maltraités, condamnés à de rudes voyages, exposés à maints périls. – « Ils étaient vagabonds » : En quel sens ? Il l’explique : « Errant dans les déserts, « les montagnes, les cavernes et les antres de la « terre ». Semblables, dit-il, à des fugitifs et des émigrants, à des contumaces convaincus de crimes abominables, indignes même de voir le soleil ; et la solitude ne leur procurait point un refuge, mais il leur fallait chercher toujours de nouvelles cachettes, s’enfouir dans la terre, vivre dans une crainte perpétuelle.
« Cependant toutes ces personnes à qui l’Écriture rend un témoignage si avantageux à cause de leur foi, n’ont point reçu la récompense promise, Dieu ayant voulu, par une faveur particulière, qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur bonheur (39, 40) ». Quelle est donc la récompense d’une foi si grande ? Quel en sera le prix ? Il sera tel qu’aucun discours ne saurait l’exprimer. Car Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment une félicité que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue, que le cœur de l’homme ne pourrait comprendre.
« Mais ils ne l’ont pas encore reçue » ; ainsi ils l’attendent encore, après être morts dans des tribulations si douloureuses. Depuis tant d’années qu’ils ont cessé de vivre, ils n’ont pas encore reçu ; et vous seriez affligés de ne pas recevoir déjà, vous qui combattez encore ? Représentez-vous cette position étonnante d’Abraham et de Paul, attendant la consommation de votre bonheur pour recevoir alors leur pleine récompense. Car le Sauveur leur a dit qu’ils ne l’auraient pas, sales que nous soyons là pour la recevoir avec eux, comme un père dit à ses enfants qui ont fini leur travail, qu’ils ne se mettront pas à table avant que leurs frères soient venus. Et toi, tu t’affliges de n’avoir pas encore touché ton salaire ? Que fera donc Abel qui a vaincu avant nous et n’a pas reçu la couronne ? Que fera Noé, qui a vécu dans ces temps lointains, et qui t’attend, toi et ceux qui viendront après toi ? Vois-tu bien que nous leur sommes préférés et que notre condition est plus heureuse que la leur ? Dieu, dit saint Paul, a prévu et préparé pour nous un sort meilleur. Pour qu’ils ne parussent pas, cri effet, de meilleure condition que nous-mêmes, s’ils avaient été couronnés les premiers, Dieu a déterminé une époque où nous serons couronnés tous ensemble. Le héros vainqueur tant d’années avant toi, reçoit avec toi la couronne. Admire sa sollicitude et sa bonté. L’apôtre ne dit pas : Afin qu’ils ne fussent pas couronnés sans nous ; mais : « Afin qu’ils ne reçussent pas sans nous la consommation de leur bonheur ». Ils ne la recevront qu’alors. Ils nous ont précédés au combat, ils ne nous ont pas devancés pour les couronnes. Dieu ne leur a fait aucun tort, et il nous fait un grand honneur. Pour eux, ils nous attendent comme des frères. Si – nous ne sommes tous qu’un seul corps, il y a pour ce corps plus de plaisir à être couronné ensemble que par parties. En ce point même les justes sont admirables de se réjouir du bonheur de leurs frères comme s’il leur était propre. C’est donc encore un désir de leur âme qui se réalise, que d’être ainsi couronnés avec leurs membres. Être ainsi tous ensemble glorifiés, c’est un plaisir ineffable[1].
2. « Puis donc que nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins ». (12, 1) L’Écriture, souvent, emprunte des motifs de consolation aux accidents mêmes et aux peines qui nous arrivent. Ainsi on lit dans le prophète Isaïe : « Il vous délivrera de la chaleur, de la sécheresse et des pluies violentes ». (Is. 4,6) Et dans le roi David : « Le soleil ne vous fatiguera pas pendant le jour, ni la lune pendant la nuit ». (Ps. 120,6) C’est ce que dit ici saint Paul : « Ayant donc sur nos têtes une si grande nuée de témoins ». Le souvenir de tous ces saints, comparable à un nuage qui donnerait de l’ombre au voyageur exposé, brûlé par un soleil trop ardent, soulage et ranime une âme fatiguée. Et l’apôtre ne dit pas : Un nuage élevé bien haut et loin de nos têtes, mais au contraire, « posé sur nous » ; ce qui est bien autrement agréable, et qui doit, selon lui, nous montrer qu’ainsi placé sur tout notre horizon, il nous procurera plus d’ombre et de sécurité. – Quelle est « cette nuée », et quel, ce nombre de « témoins ? » Il s’agit de témoins empruntés soit à l’Ancien, soit au Nouveau Testament. Les premiers aussi ont été vraiment martyrs, témoins attestant avec courage la grandeur de Dieu ; ainsi les trois enfants, ainsi Élie et tous les prophètes.
« Dégageons-nous de tout ce qui appesantit ». Qu’est-ce que tout ce fardeau ? La somnolence, la négligence, tout le bagage, en un mot, des pensées humaines. « Et le péché si facile à environner ». Cette expression a deux sens : Le péché facilement nous entoure et nous assiège ; ou bien, et je préfère l’entendre ainsi, le péché facilement sera par nous-même environné et battu ; car, si nous le voulons, il nous est aisé de le vaincre. – « Courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte ». Il ne dit pas : Combattons, luttons, faisons la guerre ; mais ce qui est plus doux que tout cela, car il ne nous propose qu’une course. Il ne nous dit pas davantage : Soyons les premiers à courir ; mais seulement : Fournissons une carrière soutenue et persévérante, et ne nous montrons pas lâches ni énervés. Courons, dit-il, dans la lice devant nous ouverte.
Enfin la consolation principale, la souveraine exhortation, le premier et le dernier de tous les exemples, l’apôtre le propose, c’est Jésus-Christ. « Jetant les yeux sur Jésus-Christ, l’auteur et le consommateur de notre foi (2) » ; c’est bien ce que Jésus-Christ disait constamment de lui-même à ses disciples : « S’ils ont appelé le maître Béelzébuth, combien plus ses serviteurs ! » Et ailleurs : « Le disciple n’est pas au-dessus du Maître, ni l’esclave au-dessus de son propriétaire ». (Mt. 10,24-25) Donc, regardons-le, dit saint Paul, afin d’apprendre à courir ; oui, voyons toujours Jésus-Christ. En effet, de même que pour apprendre un art ou pour nous dresser à une lutte quelconque, le regard fixé sur un maître nous grave dans l’esprit ses procédés, et notre vue lui dérobe tous ses secrets ; ainsi, dans la vie présente, si nous voulons fournir notre course, et surtout la fournir honorablement, nous regardons vers Jésus, l’auteur et le consommateur de notre foi. Et pourquoi ces deux titres ? C’est qu’il nous a donné la foi, qu’il nous en a versé le principe. C’est encore une de ses paroles à ses disciples « Vous ne m’avez pas choisi ; c’est moi qui ai fait choix de vous ». (Jean 15,16) Paul disait de même : « Je le connaîtrai alors, comme j’ai été connu de lui ». (1Cor. 13,12) Et si Jésus a déposé en nous le principe et le germe, c’est lui encore qui nous donnera la fin et le fruit.
« Jésus au lieu d’une vie heureuse et tranquille qui lui était proposée, a souffert la croix, en méprisant la honte et l’ignominie ». Comprenez qu’il lui était permis de ne pas souffrir, s’il l’eût préféré ; car il n’a pas commis de péché, et le mensonge ne fut jamais trouvé dans sa bouche (Is. 53,9) ; lui-même l’atteste au saint Évangile : « Le prince de ce monde est venu, mais il n’a aucune prise sur moi ». (Jn. 14,30) Il était donc libre de ne pas marcher au Calvaire. Car, disait-il, « j’ai le pouvoir de déposer mon âme et le pouvoir aussi de la reprendre ». (Jn. 10,18) Si donc, sans nécessité aucune de subir la croix, il a voulu pour nous monter en croix, combien plus est-il juste que nous souffrions tout pour lui ? – La joie lui était proposée, dit saint Paul, et il a subi la mort, « méprisant l’opprobre ». En quoi, ce mépris de l’opprobre ? C’est qu’il a choisi, dit l’apôtre, une mort infâme. – Je comprends, direz-vous, qu’il soit mort ; mais pourquoi si honteusement ? – Uniquement pour nous apprendre à regarder comme rien toute gloire qui vient des hommes. Sans avoir jamais été assujetti au péché, il a choisi une mort semblable, pour nous apprendre à être bardis contre elle, à l’estimer comme le néant. – Enfin, pourquoi l’apôtre ne dit-il pas : Méprisant « la tristesse », mais l’opprobre et la honte ? Parce qu’il affronta la mort sans tristesse. Or, écoutez quelle fut la fin, pour Jésus ? « Et maintenant il est assis à la droite de Dieu ». Vous voyez le prix du combat que saint Paul décrit autrement ailleurs : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte qu’au nom de Jésus, tout genou fléchit ». (Phil. 2,9) Il parle de la sainte humanité de Jésus. Ainsi, bien évidemment, quand même on ne nous proposerait aucun prix de la victoire, un tel exemple suffirait pour nous déterminer à soutenir chacun vaillamment notre lutte et notre combat. Mais maintenant, des récompenses aussi nous sont offertes, et non des prix tels quels, mais de grands, mais d’ineffables prix. Ainsi, quelle que soit la souffrance qui nous ait visités, pensons à Jésus, plutôt même qu’à ses apôtres. Pourquoi ? C’est que toute la vie du Sauveur fut remplie d’amertume. Toujours il entendit d’horribles accusations de folie, de séduction, de faux miracles ; les juifs disaient tantôt : « Cet homme ne vient pas de Dieu » ; tantôt : « Non, il séduit les masses » ; tantôt : « Ce séducteur disait quand il vivait encore : Je ressusciterai dans trois jours ». Ils l’accusaient de jonglerie et de magie, disant : « C’est par Béelzébuth qu’il chasse les démons » ; ils le taxaient de fou, de possédé du diable : « N’avons-nous pas raison de dire qu’il est fou et possédé du démon ? » (Jn. 9,16 ; 7, 12 ; 10, 20 ; Mt. 27,63 ; 12, 24) Et il entendait cet affreux langage, pendant qu’il les accablait de ses bienfaits, qu’il faisait des miracles, et montrait les œuvres d’un Dieu. Qu’on eût ainsi parlé de lui, s’il n’avait rien fait, on serait moins surpris. Mais qu’enseignant une doctrine de vérité, il s’entendît appeler séducteur ; que chassant les démons, il s’entendît insulter comme possédé du démon ; qu’on l’appelât menteur et hypocrite, lui qui démolissait toute fourberie, n’est-ce pas étonnant et incroyable ? Telles étaient pourtant leurs accusations de tous les jours.
3. Voulez-vous entendre les plaisanteries et les moqueries qu’on lui décochait ? La moquerie est bien ce qui nous mord le plus vivement au cœur. Eh bien ! voici, d’abord, contre sa naissance. « N’est-il pas », disaient les juifs, « n’est-il pas le fils d’un charpentier ? ne connaissons-nous pas et son père et sa mère ? Tous ses frères ne sont-ils pas parmi nous ? » (Mt. 13,55) Plaisantant le Seigneur sur sa patrie, ils le disaient natif de Nazareth, et ajoutaient : « Informez-vous, et soyez sûr qu’il ne sort point de Prophète de la Galilée ». (Jn. 7,52) Toutes ces calomnies le trouvaient patient toujours ! Ils ajoutaient : « L’Écriture ne dit-elle pas que le Messie doit venir du bourg de Bethléem ? » (Jn. 7,42) – Voulez-vous entendre les moqueries insultantes qu’on employait à son égard ? Venant, dit l’Écriture, jusqu’au pied de la croix, ces gens l’adoraient, le frappaient, lui lançaient des soufflets et disaient : « Dis-nous qui t’a frappé ? » Et lui offrant du vinaigre : « Si tu es le Fils de Dieu », s’écriaient-ils, « descends de la croix ». (Mt. 26,68 et 27, 40) Déjà un serviteur du grand prêtre lui avait donné un soufflet, et il n’avait répondu qu’un mot : a Si j’ai mal a parlé, faites voir ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » Pour mieux l’insulter, ils lui mirent une chlamyde de pourpre et lui crachèrent au visage, sans cesser de l’accabler de questions perfides et de tentations. – Voulez-vous constater les accusations publiques ou secrètes, celles mêmes que ses disciples formulaient contre lui, puisque lui-même leur demandait : « Voulez-vous aussi vous en aller ? Possédé du démon » (Jn. 6,68 ; 7, 30), c’était un mot que prononçaient de lui ceux mêmes qui avaient cru en lui. Enfin, répondez-moi, n’est-il pas vrai qu’il en était réduit à s’enfuir, tantôt en Galilée, tantôt en Judée ? Ne fut-il pas dès le berceau ballotté par toutes sortes d’épreuves ? Ne fallut-il pas qu’encore enfant, sa mère l’emportât en Égypte ? C’est en souvenir de tant de douleurs que saint Paul a dit : « Jetons les yeux sur Jésus, l’auteur et le consommateur de notre foi, qui, au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, a souffert la croix a en méprisant la honte et l’ignominie, et qui maintenant est assis à la droite du trône de Dieu ». Jetons donc nos regards sur lui, et sur ses disciples ; lisons les souffrances de Paul ; écoutons-le, qui nous dit : « Il nous a fallu grande patience dans les maux, dans les tribulations, dans les nécessités pressantes, dans les persécutions, les angoisses, les plaies, les prisons, les séditions, les jeûnes, les travaux, la chasteté, la science » ; et ailleurs : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements ; nous n’avons point de demeure stable ; nous travaillons avec beaucoup de peine, de nos propres mains ; on nous maudit, et nous bénissons ; on nous persécute, et nous le souffrons ; on nous dit des injures, et nous répondons par ides prières ». (2Cor. 6,4 ; 1Cor. 3,11) Quelqu’un a-t-il souffert la moindre partie de maux pareils ? On nous traite, dit-il, en séducteurs, en infâmes, en êtres vils et qui n’ont rien. Et ailleurs : « J’ai reçu des juifs, en cinq fois différentes, trente-neuf coups de fouet ; j’ai été battu de verges par trois fois, j’ai été lapidé une fois, j’ai passé une nuit et un jour au fond de là mer, j’ai fait maints pénibles voyages, avec afflictions, angoisses, famine ». (2Cor. 11,24) Or, entendez-le vous dire aussi combien une telle vie plaisait à Dieu : « Pour cela j’ai trois fois prié le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit ; car ma puissance éclate dans l’infirmité ». Aussi ajoute-t-il : « Je me complais dans mes infirmités, dans les afflictions, les nécessités, les angoisses, les plaies, les prisons, afin que la vertu puissante de Jésus-Christ habite en moi ». (2Cor. 12,8) Enfin écoutez la parole même de Jésus-Christ : « Vous aurez l’affliction en ce monde ». (Jn. 16,33)
« Pensez donc en vous-mêmes à celui qui a souffert une si grande contradiction des pécheurs qui se sont élevés contre lui ; afin que vous ne vous découragiez pas et que vous ne tombiez point dans l’abattement (3) ». Saint Paul a bien droit de tenir ce langage. Car si les souffrances du prochain nous animent, combien plus d’ardeur et d’amour doit réveiller en nous la passion de Notre-Seigneur ? Quel merveilleux effet doit-elle produire ? – Et remarquez comment saint Paul, en négligeant le détail des peines du Sauveur, les résume toutes en ce mot : « Contradiction » ; soufflets sur les joues, moqueries, insultes, reproches, railleries ; l’apôtre ne fait qu’indiquer ces horreurs par ce mot contradiction ; et pourtant en dehors de celles-là, il y a toutes celles encore qui ont accompagné son enseignement évangélique.
Pensons, mes frères, pensons toujours à cette vie et à cette passion du Sauveur ; occupons-en nos cœurs et le jour et la nuit, sachant que nous en recueillerons des fruits immenses, et des avantages inappréciables. Oh oui ! c’est une grande, c’est une ineffable consolation que les souffrances de Jésus-Christ, que celles encore de ses apôtres. Notre-Seigneur savait si bien que cette voie est la meilleure pour la vertu, que sans être obligé, lui, d’embrasser cette route, il y est entré tout d’abord ; tant il regardait l’affliction comme une grâce, comme la mère d’un plus grand repos et d’une douce paix dans le monde à venir. Au reste, entendez-le : « Si quelqu’un ne porte pas sa croix et ne marche pas derrière moi, il n’est pas digne de moi ». (Mt. 10,38) Comme s’il disait. Si tu es mon disciple, prouve que tu l’es en effet imite ton maître. Que s’il est venu par la route de l’application, tandis que tu prétends marcher par celle du repos et des loisirs, non, ce n’est plus sa voie que tu veux suivre, mais un tout autre chemin. Comment le suivre saris être sur ses traces ? Comment es-tu un disciple sans marcher derrière ton maître ? Paul t’a condamné dans les mêmes termes : « Nous sommes les faibles ; et vous, les forts ; nous sommes les gens méprisés ; vous, les honorés ! » (1Cor. 4,10) Comment est-il raisonnable que nous suivions des directions si opposées quand vous êtes nos disciples, et que nous sommes vos maîtres ? Donc la souffrance, mes frères, est une grande puissance : car elle produit ces deux grands effets, qu’elle efface nos péchés et qu’elle nous donne force et vigueur.
4. Mais n’arrive-t-il pas, direz-vous, qu’elle renverse et qu’elle ruine ? – Non, la souffrance ne produit point ces malheurs ; n’en accusons que notre lâcheté. Si nous sommes sobres et vigilants, si nous prions Dieu de ne pas permettre que nous soyons tentés au-delà de nos forces ; si nous nous tenons toujours étroitement attachés à lui, nous serons toujours debout, nous ferons face à l’ennemi. Tant que nous aurons Dieu pour auxiliaire, en vain les tentations souffleront plus impétueuses que tous les vents à la fois, elles ne seront pour nous que pailles et feuilles légères, qu’un rien dissipe au hasard. Écoutez la parole de Paul : « En tous ces combats nous sommes vainqueurs ». Et ailleurs : « J’estime que toutes les souffrances de ce siècle ne sont point dignes d’être comparées avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous ». (Rom. 8,37 et 18) Et ailleurs « Notre tribulation présente, légère en elle-même, et purement momentanée, nous produira un excès incroyable, un poids ineffable de gloire éternelle ». (2Cor. 4,16) Remarquez quels périls affreux, quels naufrages, quelles afflictions sans nombre il qualifie de maux légers. Soyez l’émule de ce cœur de diamant enveloppé d’un corps fragile et souffreteux.
Vous êtes dans la pauvreté, peut-être ! Mais non toutefois dans une misère comme celle de Paul, qui luttait avec la faim, la soif et la nudité. Car il ne souffrit point tous ces maux seulement un jour par rencontre, mais continuellement il les endura. Et la preuve ? Vous la trouverez dans sa parole « Jusqu’à ce jour nous ne cessons de subir la « faim, la soif, la nudité ». (1Cor. 4,11) Et cependant quelle gloire il avait déjà acquise dans la prédication, lorsqu’il était encore réduit à toujours ainsi souffrir ! car il avait dépensé vingt années déjà dans l’enseignement de l’Évangile, quand il écrivait ces mots : « Je connais », en effet, dit-il, « un homme qui fût ravi au paradis il y a quatorze ans, est-ce avec ou sans son corps, je ne sais ». (2Cor. 12,2) Et ailleurs : « Trois ans après je montai à Jérusalem » (Gal. 1,18) ; et dans un autre passage : « Il me serait plus avantageux de mourir, que de permettre à personne d’atténuer ma gloire ». Et ce texte se lie à celui-ci : « Nous sommes devenus comme les balayures de ce monde ». (1Cor. 9,15 ; 4, 13)
Quoi de plus pénible que la faim, que le froid, que les complots imaginés même par des frères, qu’il appelle de faux frères ? N’osait-on pas l’appeler la peste du monde, un imposteur, un démolisseur ? N’était-il pas déchiré par les fouets cruels ? Appliquons à ces exemples, mes frères, nos méditations, nos pensées, nos souvenirs, et jamais nous n’éprouverons de découragement, d’abattement, quand même l’injustice nous opprimerait, quand tous nos biens nous seraient volés et qu’on nous ferait subir des maux à l’infini. Qu’il nous soit donné seulement de trouver au ciel une moisson d’estime et d’honneur, et tout devient supportable. Puissions-nous faire dignement nos affaires d’outre-tombe, et celles d’ici – bas nous paraîtront sans valeur ; quelles qu’elles soient, elles ne sont que des ombres et des rêves.
Car ce qu’on peut attendre ou redouter sur la terre n’a rien de sérieux ni en soi, ni dans la durée. Que voulez-vous comparer, en effet, avec ces terreurs si légitimes et si effrayantes de l’avenir ; avec ce feu qui ne peut s’éteindre ; avec ce ver qui ne peut mourir ? Est-il un mal du siècle qui égale le grincement des dents, les chaînes, les ténèbres extérieures, les fureurs, la désolation, les angoisses de ces supplices ? Mais vous comparez la durée, peut-être ? – Eh ! que font dix mille ans auprès des siècles infinis et interminables ? Ce qu’est une petite goutte d’eau, n’est-ce pas, en présence du grand abîme.
Préférez-vous comparer bonheur avec bonheur ? Celui du ciel est infiniment supérieur. « L’œil de l’homme n’a point vu », dit l’Écriture, « son oreille n’a point entendu, son cœur ne pourra jamais comprendre cette félicité souveraine ». (1Cor. 2,9) Et sa durée se prolongera dans l’infinité des siècles. Pour elle, par conséquent, ne serait-il pas avantageux d’être mille fois déchirés vivants, tués, brûlés, de subir mille morts enfin, de supporter en paroles et en faits tout ce qu’il y a de plus rude et de plus affreux ? Devrions-nous passer, si c’était possible, toute la vie présente dans les flammes dévorantes, qu’il faudrait ainsi fout accepter pour gagner les biens que Dieu nous garde.
Mais que parlé-je ainsi à des hommes qui loin de consentir à mépriser l’argent, le poursuivent et s’y attachent comme à la seule richesse immortelle, à des hommes qui, pour avoir donné quelque petite chose sur une fortune immense, croient avoir tout fait ? Non, ce n’est pas là l’aumône. L’aumône vraie, c’est le fait de cette veuve qui verse tout généreusement, jusqu’à sa dernière obole. Si vous n’avez pas le cœur de donner autant qu’une pauvre veuve, donnez du moins votre superflu, gardez le nécessaire, et rien au delà : mais personne ne sait faire le sacrifice même du superflu. J’appelle superfluité ce nombreux personnel qui vous sert, ces vêtements de soie qui vous couvrent. Rien n’est moins nécessaire, rien moins utile même que ce dont nous pouvons nous passer pour vivre ; voilà, oui, des superfluités, et pour le dire une fois, de véritables excès.
Voyons toutefois, s’il vous plaît, quel est l’indispensable nécessaire de la vie. Avec deux serviteurs seulement, nous pouvons vivre. Car puisque plusieurs personnes, à nos côtés, vivent sans serviteur aucun, quelle excuse avons-nous, si deux domestiques ne peuvent nous suffire ? Nous pouvons très-bien nous loger dans une maison de briques, pourvu qu’elle ait trois appartements voilà le suffisant assurément. Car n’y a-t-il pas des pères de famille, ayant femme et enfants, qui se contentent d’une seule habitation ? Or, si vous le voulez absolument, on vous accorde des domestiques.
Mais, dira une grande dame, n’est-il pas honteux pour une personne d’un certain rang, de paraître en public avec deux domestiques seulement ? – Arrière cette honte. Non, une femme de haut rang n’a pas à rougir de paraître avec deux domestiques seulement ; mais elle devrait rougir de se montrer avec plus nombreuse escorte. Vous riez peut-être en m’écoutant ici ; eh bien ! je répète, sa honte devrait être de parader avec toute une escorte. Quoi ! pareils à des marchands de moutons, ou à ces cabaretiers qui vendent des esclaves, vous vous feriez une espèce de gloire à paraître avec un nombreux cortège de serviteurs ! Faste et vaine gloire, en vérité ; lorsque la modestie, en cela, est une preuve de sagesse et d’honorabilité. Non, il ne faut pas que voire dignité se prouve par la multitude de vos suivants : où est la vertu, à posséder toute cette valetaille ? Ce n’est certes point une vertu de l’âme ; et ce qui ne prouve point une âme vertueuse, ne démontre pas non plus une âme bien née. Quand une dame est contente de peu, elle prouve mieux sa dignité native ; quand elle a besoin de tant d’accessoires, elle n’est qu’une servante, plus abaissée même qu’une esclave.
5. Répondez-moi ? Les anges ne parcourent-ils pas notre terre habitée, seuls et sans avoir besoin de quelqu’un qui les suive ? Et, parce que nous avons ce besoin nous-mêmes, estimerons-nous inférieurs ceux qui peuvent s’en passer ? S’il est donc dans la nature de l’ange de n’avoir ainsi besoin ni de laquais, ni de suivant, quelle est, parmi les femmes, celle qui se rapproche le plus de cette nature, angélique ? Est-ce celle à qui tant de serviteurs sont indispensables, ou celle qui se contente d’en avoir bien peu ? Et mieux que cette dernière encore, celle qui n’en a pas du tout, n’a-t-elle pas le bonheur de se montrer sans être remarquée ? Être remarquée, en effet, ne voyez-vous pas que, pour une femme, c’est une honte ? Or quelle est celle qui attire les regards de toute une place publique ? Est-ce celle qui porte une toilette brillante, ou celle qui est vêtue simplement, sans parure, sans luxe ni apprêt ? Laquelle encore fait tourner de son côté tous les yeux de la foule stationnant au forum ? Est-ce celle qui se fait traîner par des mules aux housses dorées, ou bien celle qui marche sans appareil, naturellement, mais avec bienséance et distinction ? Celle-ci ne passe-t-elle pas inaperçue de tous nos regards, tandis qu’on se presse pour voir l’autre, et que même on se demande : Qui est-elle ? D’où sort-elle ? Ne parlons pas des jalousies qu’elle excite. Mais, dites-moi seulement : Où est la honte ? Est-ce de se faire remarquer ou de passer sans être vue ? Quand est-ce qu’il faut rougir davantage quand tous les yeux sont sur elle, ou quand nul ne l’aperçoit ? Quand tout le monde s’informe de ce qu’elle est, ou bien quand on ne s’occupe même pas de sa personne ?
Voyez-vous comme nous faisons tout, non pour une sainte honte, mais pour la vaine gloire ? Mais, comme il est impossible de nous soustraire entièrement à ces préjugés, qu’il me suffise de vous rappeler que la honte véritable n’est pas là. Le péché ! voilà vraiment la chose honteuse, bien que personne ne l’estime ainsi, et qu’on attache plus volontiers l’idée de honte à n’importe quoi plutôt qu’au péché ! Quant aux vêtements, femmes chrétiennes, ayez-en pour l’usage et non pour le superflu. Et pour ne pas vous gêner ici la conscience trop étroitement, mon avis et ma déclaration se bornent à proscrire, comme dépassant vos besoins, les parures d’or et les tissus trop fins. Et cet arrêt n’est pas de moi. Pour vous prouver qu’ici vous n’entendez pas mes paroles, écoutez saint Paul qui lui-même prononce, qui défend aux femmes de se parer avec des cheveux frisés, avec de l’or, avec des perles, avec vos vêtements précieux et magnifiques. (1Tim. 2,9) Dites-nous alors, apôtre de Jésus-Christ, comment elles doivent se parer ? Car elles sont capables de dire que les parures d’or sont seules des objets de luxe et de prix ; mais que les soieries ne sont ni de prix ni de luxe. Dites-nous donc, comment voulez-vous qu’elles soient parées ? – « Quand nous avons le vêtement et la nourriture, sachons-nous en contenter ». (1Tim. 6,8) Donc, que le vêtement soit suffisant pour nous couvrir ; Dieu ne nous les a donnés que pour protéger notre nudité. Or, un vêtement peut remplir ce but, quand même il serait de nulle valeur.
Vous riez peut-être, vous qui portez des vêtements de soie : en vérité, le sujet prête à rire ! Que commande saint Paul et que faisons-nous ? Car je ne m’adresse plus seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Tout ce que nous avons au-delà de la règle apostolique, est superflu. Les pauvres seuls ne possèdent pas de superflu ; hélas ! peut-être parce qu’ils sont forcés de s’en passer ; car s’ils pouvaient s’en procurer, ils ne s’en feraient pas faute plus que les autres. Mais enfin, soit en réalité, soit en apparence et par le sort, ils n’ont pas de superflu.
Portons donc des vêtements qui remplissent simplement leur but. A quoi bon, en effet, y prodiguer l’or ? Ces oripeaux conviennent aux acteurs ; laissez-leur ce costume ; c’est celui aussi des femmes perdues à qui tout ; convient pour attirer les yeux. Qu’elle se pare, l’actrice qui va paraître sur la scène, celle encore qui est danseuse de profession ; tout leur va, pour entraîner les hommes. Mais que la femme qui professe une vraie piété s’éloigne de telles parures, et qu’elle s’en réserve une autre bien plus noble et plus riche.
Oui, femme chrétienne, tu as un théâtre aussi ; pour ce théâtre, sache te parer ; pour lui, revêts tout un monde d’ornements. Quel est ton théâtre ? Le ciel, avec le peuple des anges pour spectateurs, et ce peuple comprend aussi et les vierges, et les femmes du monde ou du siècle. Toute femme qui croit en Jésus-Christ paraît de droit sur ce théâtre. Parlons-y un langage digne de charmer de tels spectateurs. Revêts-toi d’ornements capables de les transporter de joie. Car, dis-moi ; si une de ces actrices éhontées, renonçant à ses parures d’or, à ses vêtements somptueux, à son rire effronté, à ses paroles séduisantes et obscènes, prenait tout à coup une robe sans valeur ; si elle paraissait sur les planches sans aucun éclat d’emprunt, et qu’on l’entendît parler un langage pieux, religieux, et faire une exhortation à la tempérance et à la pudeur, sans plus un mot qui fasse rougir, est-ce que toute l’assistance ne se lèverait pas d’indignation ? Un théâtre comme celui-là ne serait-il pas déserté ? ou plutôt ne chasserait-on pas cette convertie, parce qu’elle ne parlerait plus la langue de ce théâtre satanique ?
Eh bien ! à votre tour, si vous entrez au théâtre du ciel avec les ornements de la femme perdue, tout le céleste auditoire vous chassera. Il ne faut point là de vêtements d’or, mais d’autres, et bien différents. De quel genre, alors ? De ceux dont parle le Prophète : « Elle est entourée de franges d’or, de splendides broderies » (Ps. 44,14) ; il ne s’agit point de faire ressortir la blancheur et l’éclat de votre teint, mais d’orner votre âme ; car elle seule, au ciel, dispute le prix. « Toute la gloire de la fille du roi est au dedans d’elle-même », ajoute-t-il. Prenez ces vêtements glorieux, qui doivent vous affranchir d’autres peines sans nombre, mais qui en particulier délivrent un mari d’inquiétude, et vous-même de souci.
6. Une femme est d’autant plus respectable aux yeux de son mari, qu’elle sait davantage restreindre ses besoins. Car l’homme, en général, garde toujours un secret et profond mépris pour ceux qui ont besoin de lui ; s’il voit au contraire qu’il ne soit pas indispensable, il rabaisse son orgueil, et bientôt vous traite et vous honore comme un égal. Que votre mari vous voie donc, femmes chrétiennes, n’avoir pas besoin de lui et mépriser même ce qu’il offre ; aussitôt, malgré ses hautes prétentions et l’ambition dédaigneuse de son caractère, il vous respectera plus que si vous portiez des ornements d’or, et désormais vous ne serez plus sa servante, comme on l’est nécessairement, comme il faut bien être l’humble sujet de ceux dont on a trop besoin ; tandis que si l’on sait se refuser noblement le superflu, on recouvre désormais son indépendance. Qu’il sache donc, votre époux, que lorsque vous lui accordez une certaine obéissance, c’est le motif de la crainte de Dieu qui vous détermine, et non pas les dons qui partent de la main d’un mari. En effet, tant qu’il vous donne beaucoup, en vain lui rendez-vous aussi grand honneur : il croit toujours en mériter davantage ; si, au contraire, vous savez vous suffire, il vous est reconnaissant du peu même que vous lui accordez : il n’a rien à vous reprocher. D’ailleurs vous ne le forcez point à voler le bien du prochain pour la triste nécessité de vous suffire.
Sous un autre point de vue, est-il rien de plus déraisonnable que d’acheter des parures d’or, pour les souiller bientôt dans les bains et les places publiques ? Encore ces folies dorées s’expliquent-elles pour ces lieux profanes des thermes ou de l’agora ; mais elles sont ridicules et insensées, quand on s’en décore pour poser jusque dans l’église. Que vient-elle faire ici avec ces ornements d’or, cette femme qui doit y entrer précisément pour entendre que ni l’or, ni l’argent, ni les habits précieux n’embellissent une vraie chrétienne ? Oui, femme chrétienne, pourquoi entrer ici ? Serait-ce comme pour combattre saint Paul et pour montrer que quand même il te ferait mille fois la leçon, tu refuses de te convertir ? Serait-ce pour nous convaincre que, nous aussi, prédicateurs de l’assemblée sainte, nous perdons notre temps à redire ses avis ?
Car, réponds-moi. Qu’un gentil ou qu’un infidèle entende lire ce passage de saint Paul qui interdit aux femmes dé se parer avec l’or, l’argent, les perles, les tissus précieux ; que cet homme soit d’ailleurs marié à une femme chrétienne, et qu’il l’aperçoive ensuite heureuse de se parer de cette manière, fière de s’entourer d’or pour venir à l’église ; ne dira-t-il pas en lui-même, en voyant cette femme qui se pare et se prépare dans son cabinet de toilette : Pourquoi donc fait-elle dans ce cabinet une si longue séance ? Pourquoi ces longs apprêts ? Pourquoi prend-elle aujourd’hui ses bijoux d’or ? Où veut-elle aller enfin ? À l’église ? Mais qu’y faire ? Pour entendre que tout ce luxe est condamné ? À cette idée, à ce spectacle, l’infidèle ne va-t-il pas rire, et rire aux éclats ? Ne va-t-il pas croire que toute notre religion n’est qu’un jeu et une duperie ?
Écoutez donc, et mes avis et ma prière : laissons aux pompes mondaines ces ornements d’or ; laissons-les aux théâtres et aux décors exposés dans les boutiques des marchands ; gardons-nous de vouloir ainsi embellir l’image de Dieu ; et plutôt rehaussons-la de grâce vraie et de dignité, de cette dignité qui ne s’allie jamais avec le faste et les ornements malséants. Voulez-vous même gagner l’honneur et l’estime des hommes ? Voilà le moyen d’y parvenir. On admirera toujours moins la femme d’un opulent du siècle quand elle portera ces soieries et ce luxe, qu’on rencontre partout, que quand elle se présentera sous une mise simple et commune, avec la simple robe de laine. Ce genre, tout le monde l’admire ; cette mise, chacun y applaudit. Car dans cette toilette qui prodigue les broderies d’or et les tissus précieux, la femme riche a bien des rivales ; elle surpasse l’une, mais l’autre la surpasse ; et dût-elle les vaincre toutes, l’impératrice au moins aura sur elle la victoire. Avec la simplicité, au contraire, elle triomphe de toutes les autres femmes, même de l’épouse d’un roi ou d’un empereur : seule, et jusque dans l’opulence, elle a choisi l’extérieur des pauvres.
Ainsi, supposé que nous aimions la gloire, la voici plus grande et plus pure. Mais je ne parle pas seulement aux veuves et aux riches : les veuves n’auraient l’air d’être modestes qu’à cause de la gêne qu’apporte le veuvage ; je m’adresse aussi aux femmes mariées. – Je ne plairai donc plus à mon mari, dira l’une d’elles ? – Ah ! tu ne désires pas plaire à ton époux, mais à une foule de misérables femmelettes ; ou plutôt loin de vouloir leur plaire, tu cherches à les faire sécher de dépit, à faire ressortir leur pauvreté. Que de blasphèmes se prononcent à cause de toi !… Malheur à la pauvreté, s’écrieront-elles ; Dieu déteste les indigents ; Dieu n’aime pas les pauvres ! Une preuve, d’ailleurs, une preuve évidente que tu ne cherches pas à plaire à ton mari, que ce n’est pas là le motif de ta toilette, c’est la propre conduite en ceci. A peine rentrée dans ton appartement, tu dépouilles aussitôt toutes tes parures, robes, bijoux, perles ; tu ne les portes pas chez toi.
Si vraiment vous voulez plaire à vos maris, vous en avez les moyens, je veux dire la douceur, les prévenances, la sagesse. Croyez-moi bien, femmes chrétiennes, lors même que votre mari montrerait les penchants les plus malheureux et les plus abjects, voici les moyens qui le regagneront : douceur, bonté, modestie, sagesse, mépris d’un vain luxe et d’une dépense exagérée, humilité et soumission. En vain imagineriez-vous mille inventions de toilette, vous ne maintiendrez pas un mari impudique et débauché. Elles le savent, celles qui sont partagées d’époux semblables. En vain voudrez-vous employer la parure ; s’il est incontinent, il est vite adultère et s’il est sage et pudique, ce n’est pas votre toilette qui le captive ; c’est au contraire votre modestie. Votre luxe même l’ennuie et l’inquiète, parce qu’il lui donne l’idée que vous êtes esclave de ces vaines parures et d’un monde insensé. J’accorde qu’un mari, doux et modéré, vous respectera et ne vous exprimera point cette pensée ; mais dans son cœur il vous condamne, mais il n’est pas maître d’étouffer un sentiment de jalousie. De jalousie ! ô femme, de jalousie contre vous, et parce que vous l’éveillez vous-même. N’est-ce pas assez pour vous faire repousser à l’avenir tout vain plaisir de luxe ?
7. Peut-être ne m’entendez-vous ici qu’avec chagrin ; peut-être la colère vous fait dire : Voilà qu’il irrite les maris contre leurs femmes ! Non, je ne veux pas irriter les maris ; mais je désire, épouses chrétiennes, que vous-mêmes de bon cœur, vous fassiez ce sacrifice, non pour eux, mais pour vous ; non pour les délivrer de préoccupations jalouses, mais pour vous délivrer vous-mêmes de ces fantômes de la vie mondaine. Vous voulez être belle ; je demande aussi pour vous la beauté, oui, la beauté que Dieu cherche, la beauté qui charme le souverain Roi. Quel ami voulez-vous, Dieu ou les hommes ? Si vous êtes ainsi vraiment belle, Dieu sera épris de vos attraits ; si vous avez l’autre beauté sans celle-ci, il vous prendra en horreur, et vous ne serez aimée que par des hommes criminels. Car il ne peut être honnête, celui qui aime une femme enchaînée par le mariage : et c’est le triste effet d’une parure tout extérieure. Autant l’une, celle de votre âme, veux-je dire, gagne le cœur de Dieu, autant l’autre éprend des hommes criminels.
Voyez-vous que votre seul intérêt m’inspire, que je suis dévoué à votre bien, à votre véritable beauté ? Ah oui ! vous serez vraiment, d’après moi, et belles et glorieuses ; car la vraie gloire d’une noble femme, c’est que vous ayez pour vous aimer, non pas les hommes du crime, mais Dieu, mais le Seigneur du monde entier. Ayant si haut votre ami principal, à qui ressemblerez-vous ? aux anges mêmes dont vous conduirez les chœurs. Car si la personne aimée du roi est, plus qu’aucune autre, proclamée bienheureuse, quelle sera la dignité de celle que Dieu même aimera d’un amour tendre ? Nommez, si vous le voulez, nommez et comparez l’univers avec cette beauté : l’univers n’en sera jamais digne !
Cultivons donc cette beauté ; ornons-nous de cette parure, pour arriver au ciel, aux banquets de l’Esprit, jusqu’au lit nuptial de cet époux sur lequel aucune mort n’a plus d’empire. La beauté charnelle est attaquée par toute sorte d’ennemis ; gardât-elle son éclat ; fût-elle, par impossible, à l’abri de la maladie et des chagrins, elle ne dure pas vingt ans. Sa céleste rivale, au contraire, garde toujours et sa force et sa fleur. Ici, point de tristes changements à redouter : la vieillesse ne se hâte point de lui apporter les rides ; la mort ne tombe pas sur elle pour la flétrir ; les amertumes de l’âme ne peuvent la corrompre : elle triomphe de tous ses ennemis. La beauté du corps s’est évanouie avant même de paraître ; et pendant qu’elle parait, elle a peu d’admirateurs. Ne la cultivons pas, mais plutôt aimons et embrassons celle qui doit un jour mettre en nos mains les lampes allumées, et nous conduire jusqu’en la chambre de l’Époux. Ce bonheur est promis, non pas à la virginité proprement dite seulement, mais aux âmes virginales surtout ; car si les vierges seules y avaient droit, cinq sur dix n’en auraient pas été exclues. C’est donc la récompense de tous ceux qui ont l’âme virginale, de tous ceux qui savent s’affranchir des pensées du siècle, puisque ces idées sont les corruptrices des âmes.
Oui, si nous savons conserver l’intégrité et la pureté de nos cœurs, nous irons là-haut, et là-haut on nous recevra. « Je vous ai fiancés, disait saint Paul, comme on ferait d’une seule vierge à un seul mari, comme une chaste épouse pour Jésus ». (2Cor. 11,2) Ces paroles s’adressaient non pas aux vierges seulement, mais à toute l’Église, à tous ses fidèles enfants. Gardez-vous une âme sans tâche ? vous êtes vierge, bien que vous ayez un époux ; oui, vous l’êtes, et de cette virginité que je proclame vraie et admirable. La virginité du corps n’est que la compagne, que l’ombre de cette virginité seule véritable.
Cultivons-la, et par elle nous pourrons joyeusement partir au-devant de l’Époux, et entrer avec nos lampes brillantes de lumière, pourvu que l’huile n’y manque pas, pourvu que faisant fondre et sacrifiant tout vain ornement d’or, nous sachions les convertir en cette huile précieuse qui nourrit la flamme d’une lampe étincelante. Cette huile, c’est la charité envers le prochain. Si nous savons faire part aux autres de tous nos biens, si nous en faisons de l’huile ainsi, nous trouverons alors protection et défense ; nous n’aurons pas à crier au grand jour : « Donnez – nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». (Mt. 25,8) Nous n’aurons pas à faire appel aux autres, à courir chez ceux qui en vendent, à nous voir exclus, à frapper à la porte, à entendre cette parole qui donne la terreur et le frisson : « Je ne vous connais pas ! » car il nous reconnaîtra ; car nous entrerons avec cet Époux, et après avoir pénétré jusque dans la chambre nuptiale de notre Époux spirituel, nous jouirons de biens ineffables.
En effet, si l’appartement de l’Époux, ici-bas, est si magnifique ; si les salles de ses banquets sont tellement splendides, que la vue n’en fatigue jamais, combien plus au ciel ! Le ciel, oui, est un lit nuptial ; mais le lit nuptial de l’Époux est plus beau que le ciel. Et c’est là que nous entrerons ! Et si le lit nuptial de l’Époux a tant de beauté, quel sera l’Époux lui-même ? Mais pourquoi vous ai-je dit de déposer ces ornements d’or pour les donner aux pauvres ? Fallut-il, ô femmes, vous vendre vous-mêmes, fallut-il descendre avec vos enfants jusqu’à la servitude, afin de pouvoir être avec cet Époux, pour jouir de toute sa beauté, pour contempler à jamais ses traits, ne devriez-vous pas gaiement et de grand cœur tout accepter ? Pour voir un roi de la terre, souvent nous laissons échapper de nos mains un objet même nécessaire ; mais pour contempler ce R. votre Époux, combien plus volontiers il faudrait tout subir ! Les biens de ce monde, en effet, ne sont que des ombres : là seulement est la vérité ! Oui, pour voir dans les cieux ce Roi, cet Époux ; et surtout pour le bonheur de marcher devant lui, lampe en main, d’habiter près de lui, de résider à tout jamais avec lui, que ne faut-il pas faire ; que ne faut-il pas produire ; que ne faut-il pas supporter ?
Ah ! concevons, je vous en supplie, quelque désir vrai de ces biens célestes : désirons cet Époux immortel. Soyons vierges de la virginité véritable : car Dieu exige la virginité de l’âme. Avec elle entrons aux cieux ; mais sans avoir ni tache, ni ride, ni défaut d’aucune sorte, qui nous empêcherait de gagner les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ !

HOMÉLIE XXIX.

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VOUS N’AVEZ PAS ENCORE RÉSISTÉ JUSQU’AU SANG, EN COMBATTANT CONTRE LE PÉCHÉ. (CHAP. 12, DU VERSET 4 AU VERSET 11)

Analyse.

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  • 1 et 2. Deux consolations, contradictoires en apparence, et qui se complètent l’une par l’autre. – Les épreuves et les adversités ne sont point une marque d’abandon de Dieu : bien au contraire, elles nous apprennent qu’il est notre vrai Père, et que nous sommes ses véritables enfants. – Dieu nous aime mieux que nos pères mêmes, quand il nous châtie. – Il n’agit point par caprice ni pour son intérêt, mais uniquement pour notre bien.
  • 3 et 4. Tous les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament ont accepté de bon cœur les souffrances de la vie ; tous les pécheurs ont passé par les délices, qui ont causé leur perte dans le temps et dans l’éternité. – Les mœurs de nos jours sont, malheureusement, celles de Babylone et de Sodome. – Les hommes s’efféminent par le luxe des vêtements et par la bonne chère ; les femmes y perdent leur force et leur beauté, l’âme se pourrit dans ce corps qui s’énerve.


1. Deux manières de consoler, bien contradictoires en apparence, donnent au cœur une force merveilleuse, quand on les présente ensemble aussi saint Paul les emploie-t-il l’une et l’autre. L’une a lieu, quand nous disons à une âme navrée, que plusieurs avant elle ont beaucoup plus souffert ; à cette pensée, l’âme attristée se calme, parce qu’elle aperçoit de nombreux témoins de ses combats ; c’est ce moyen qu’employait précédemment saint Paul, lorsqu’il rappelait aux Hébreux leurs propres exemples : « Souvenez-vous, disait-il, de ces anciens jours, où récemment appelés à la lumière, vous avez soutenu de grands combats au milieu de diverses souffrances ». (Héb. 10,32) L’autre consolation parle un langage tout opposé ; vous n’avez pas, dit-elle, souffert un mal bien grand ! Une observation pareille change le cours de vos idées, vous réveille, vous rend plus empressés à souffrir encore. Le premier genre de consolation était un calmant, un topique sur votre âme blessée ; le second est un excitant qui ranime une âme affaiblie, relâchée, qui remue un cœur engourdi et terrassé déjà, et le tire d’une première et fâcheuse indécision. Et comme, d’ailleurs, le premier témoignage qu’il leur a rendu pourrait leur donner quelque orgueil, il croit à propos de leur dire cette seconde parole : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, en combattant contre le péché, et vous avez oublié la consolation… » Et, sans poursuivre alors le fil de son discours, il leur a montré d’abord tous ces héros qui ont résisté jusqu’à l’effusion de leur sang ; il a ensuite ajouté que les souffrances de Jésus-Christ font notre gloire et la sienne ; et après ces préliminaires, il a pu librement continuer sa course et son exhortation entraînante.
C’est dans le même sens qu’il écrivait aux Corinthiens : « Puissiez-vous n’être attaqués que par une tentation humaine » (1Cor. 10,13), c’est-à-dire petite et supportable. Car pour relever, pour redresser une âme, il suffit de lui inspirer la pensée qu’elle n’a pas encore gravi les plus hauts sommets de la vertu, et de l’en convaincre par les épreuves mêmes qu’elle a traversées déjà. Et voici bien, en effet, ce que dit l’apôtre : Vous n’avez pas encore subi la mort ; vous n’avez souffert que jusque dans vos biens et dans votre gloire, que jusqu’à l’exil. Jésus-Christ a pour nous répandu son sang ; vous ne l’avez pas même versé pour votre propre compte. Il a combattu, lui, jusqu’à la mort, pour la vérité, et dans votre seul intérêt ; et vous n’avez pas encore affronté, vous, des périls où la vie soit en jeu.
« Et vous avez oublié la consolation »… ; c’est-à-dire, vous avez laissé tomber vos bras découragés, vous avez été brisés, bien que vous n’eussiez pas encore, ajoute-t-il, résisté jusqu’au sang dans ces combats contre le péché. Cette parole nous montre que le péché souffle comme l’orage, et qu’il est contre nous armé de toutes pièces. Car l’expression : « Vous avez résisté » s’adresse à des soldats fermes et debout.
« La consolation que Dieu vous adresse comme à ses fils, en vous disant : Mon fils, ne négligez pas le châtiment dont le Seigneur vous corrige, et ne vous laissez pas abattre lorsqu’il vous reprend ». Non content de les avoir consolés par les faits, il les encourage surabondamment par les paroles, et leur apporte ce témoignage de l’Écriture : « Ne vous laissez pas abattre », dit-il, « lorsqu’il vous reprend ». Ces paroles sont donc de Dieu lui-même. Et ce n’est pas une mince consolation pour nous, sans doute, que de reconnaître ainsi dans les événements les plus fâcheux l’œuvre de Dieu, qui les permet, comme saint Paul l’atteste lui-même : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit : car ma force éclate davantage dans la faiblesse ». (2Cor. 12,8) il est donc bien vrai que Dieu permet les épreuves. « Car le Seigneur châtie celui qu’il aime, et il frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (6) ». On ne peut pas prétendre qu’un seul juste soit sans affliction ; car bien qu’au-dehors rien ne paraisse, nous ne savons pas les autres tribulations intimes qu’il subit. Il faut de toute nécessité que le juste passe par ce chemin. C’est la maxime de Jésus-Christ : que la route large et spacieuse conduit à la perdition ; tandis que la voie étroite et resserrée mène à la vie. (Mt. 7,13) Si donc, par là seulement, on peut arriver à la vie, tandis qu’il est impossible d’y parvenir autrement, concluez que tous ceux qui sont parvenus à la vie, y sont arrivés par la voie étroite.
« Si vous supportez cette rude discipline », continue-t-il, « Dieu vous regardera comme ses enfants. Car, qui est l’enfant que son père ne corrige point ? » S’il le forme et l’élève, assurément c’est pour le redresser, et non pour le punir, pour se venger de lui, pour le maltraiter. Saisissez cette idée de l’apôtre. Les événements mêmes qui leur auraient fait croire à l’abandon de Dieu, doivent, selon lui, les convaincre qu’ils ne sont point abandonnés de Dieu. C’est comme s’il leur disait : Parce que vous avez subi de si rudes épreuves, vous croyez que Dieu vous a délaissés et qu’il vous hait. Au contraire, si vous n’aviez pas ainsi souffert, vous devriez avoir ce soupçon décourageant. Car si Dieu frappe de verges celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants, il se peut qu’on ne soit pas de ce nombre ; si l’on n’est pas ainsi frappé. – Mais quoi ? direz-vous : les méchants ne sont-ils donc jamais atteints ? – Ils éprouvent aussi des maux, vous répondrai-je : car pourquoi seraient-ils épargnés ? Aussi ne vous dit-on pas : Quiconque est frappé est son enfant ; mais seulement : Tout enfant est frappé. Vous ne pouvez donc faire cette objection. Car si les coups tombent sur un grand nombre de méchants mêmes, comme sont les homicides, les brigands, les escrocs, les profanateurs de sépultures, ces misérables sont punis pour leurs crimes ; et loin d’être flagellés comme de vrais fils, ils sont châtiés comme scélérats. Vous l’êtes, vous, à titre d’enfants. Voyez-vous comme l’apôtre emprunte partout ses arguments consolants ? Il en trouve dans les faits de la sainte Écriture, dans les textes sacrés, dans leurs propres idées, dans les exemples ordinaires de la vie, dans la coutume universelle.
2. « Et si vous êtes en dehors du châtiment disciplinaire, dont tous les autres ont eu leur part, vous n’êtes donc pas du nombre des enfants, mais des bâtards (8). ». Voyez-vous comme l’apôtre confirme ce que j’ai dit précédemment : qu’il n’est point possible d’être enfant sans être châtié ? Le cas présent suit cette loi générale de la famille, où nous voyons, en effet, qu’un père n’a point souci des bâtards, lors même ; qu’ils n’apprennent rien et qu’ils n’acquièrent aucune illustration, tandis que, pour ses fils légitimes, il craint de les voir se livrer à la paresse et au marasme. Si donc cette privation d’éducation vigoureuse est une note d’illégitimité, il faut se réjouir de subir la discipline, puisqu’on l’applique seulement aux enfants de légitime naissance. Dieu à votre égard se montre comme à ses véritables fils. C’est pour appuyer ce raisonnement que saint Paul ajoute : « Que si nous avons eu du respect pour les pères de notre corps, lorsqu’ils nous ont châtiés, combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le Père des esprits, afin de jouir de la vie (9) ? » Nouvel et consolant appel aux souffrances que les Hébreux ont subies personnellement il avait dit plus haut : « Souvenez-vous de vos anciens jours » ; il redit ici dans le même sens : Dieu agit envers nous comme envers des fils. Il n’y a pas à répondre : nous ne pouvons suffire à la peine ! Il nous traite comme ses fils, et comme ses fils bien-aimés. Et puisque ceux-ci vénèrent toujours leurs pères selon la chair, comment n’auraient-ils pas la même vénération pour le Père céleste ? – Et cette circonstance de dignité ne fait pas la seule différence ; il n’y a pas seulement non plus, une différence de personnes ; vous en trouvez aussi dans la cause et dans la nature même de la discipline. Non, Dieu ne vous redresse pas pour le même motif que l’ont fait vos pères. Car, ajoute l’apôtre :
« Nos pères nous châtiaient comme il leur plaisait et pour quelques jours (10) » ; c’est-à-dire que souvent ils se donnaient à eux-mêmes cette satisfaction, sans envisager toujours notre véritable intérêt. Mais, ici, on ne peut faire ce reproche. Dieu n’agit point, en frappant, pour son avantage personnel, mais pour vous, et uniquement pour votre bien. Vos parents ont voulu, avant tout, vous forcer à leur être utiles ; souvent même ils ont sévi sans motif. Mais, ici, rien de semblable. Voyez-vous encore comme l’apôtre les console ? En effet, notre amitié se donne bien plus volontiers aux personnes qui nous commandent ou nous conseillent sans aucune idée d’intérêt égoïste, et surtout avec un zèle tout dévoué à notre bonheur. Nous reconnaissons l’affection sincère, la seule réelle affection à nous voir ainsi aimés, lorsque, nous sommes hors d’état d’être utiles à la personne qui nous aime, qui nous chérit non pour recevoir, mais pour donner. Dieu nous forme, Dieu fait tout, Dieu veut tout au monde, pour nous rendre capables de recevoir ses biens infinis. « Nos pères nous ont châtiés pour cette vie éphémère seulement et pour leur bon plaisir : mais Dieu nous châtie autant qu’il est utile, pour nous rendre capables de participer à sa sainteté ». Qu’est-ce que cette sainteté ? C’est la pureté de cœur ; qui selon nos forces nous rendra dignes de Lui. Lui-même désire vous la faire accepter, et fait tout pour vous la donner : et vous n’auriez, vous, aucun zèle pour la recevoir ? « J’ai dit au Seigneur », chantait le Prophète, « vous êtes mon Dieu, parce que vous n’avez aucun besoin de mes biens ». (Ps. 15,2)
Puis, dit l’apôtre, nous avons eu dans nos pères selon la chair des maîtres sages et fermes, et nous les avons respectés : combien plus devons-nous, pour trouver la vie, obéir au Père des esprits, c’est-à-dire au Père des grâces, de la prière, des puissances immatérielles ! Si nous mourons sous cet empire de l’obéissance, alors nous vivrons. Et saint Paul remarque avec raison que nos parents ne nous ont formés que pour une vie éphémère et selon leur bon plaisir. Ici, le bon plaisir et l’utile ne se rencontrent pas toujours : tandis que l’utile est nécessairement dans la pensée de Dieu.
3. Ainsi l’éducation par la souffrance est dans notre intérêt ; ainsi nous fait-elle entrer en participation de la sainteté. C’est le grand moyen par excellence. En effet, quand la souffrance exclut toute lâcheté, toute convoitise mauvaise, tout amour de ces choses qui nous enchaînent à la vie présente ; quand elle nous change le cœur, jusqu’à nous donner la force de réprouver toutes les vanités de ce monde, et tel est l’effet des souffrances, n’est-il pas vrai que la douleur alors est sainte, et qu’elle arrache au ciel toutes ses grâces ? Rappelons-nous plutôt et toujours l’exemple des saints et le côté par lequel tous ont brillé. Au premier rang, Abel, Noé n’ont-ils pas été illustres par la douleur ? Comment celui-ci n’aurait-il pas souffert en se voyant seul au milieu de cette innombrable multitude de pécheurs ? Car, l’Écriture le dit : « Noé étant seul parfait dans son siècle, plut à Dieu ». (Gen. 6,9) Réfléchissez, en effet, je vous prie, et dites : Si, trouvant aujourd’hui par milliers et des pères et des maîtres, dont la vertu nous sert d’exhortation et d’exemple, nous sommes toutefois désolés à ce point, combien a dû être affligé ce juste isolé dans cette masse immense de perdition ? – Mais comme j’ai parlé déjà de ce déluge étrange et incroyable, ne dois-je pas plutôt vous raconter Abraham et ses fréquents pèlerinages, et le rapt de son épouse, et ses dangers, et ses guerres, et ses tentations ? Ou bien encore et tous les maux terribles qu’il a soufferts, banni de tout pays, travaillant en vain, et dépensant pour d’autres tous ses labeurs ? Non, il n’est pas besoin de dénombrer toutes ses épreuves ; mais son témoignage s’offre de lui-même à l’appui de nos raisonnements ; puisqu’il disait à Pharaon : « Mes jours sont courts et mauvais ; ils n’ont pas atteint en nombre ceux de mes pères ». (Gen. 47,9) – Faut-il plutôt vous citer Joseph, ou Moïse, ou Josué ou David, ou Samuel, Élie, Daniel, tous les prophètes ? Vous les verrez tous s’illustrant par les souffrances : et vous, dites-moi, voulez-vous chercher la gloire dans le loisir, le repos, les plaisirs ? C’est chercher l’impossible.
Maintenant, vous parlerai-je des apôtres ? Mais eux aussi ont surpassé par les souffrances tous leurs devanciers. Pourquoi traiterais-je ce sujet, déjà traité par Jésus-Christ ? « Vous aurez », leur disait-il, « l’affliction en ce monde ». Et ailleurs « Vous pleurerez et vous gémirez, tandis que le monde se réjouira ». (Jn. 16,33 ; Mt. 7,74) La voie qui conduit à la vie est étroite et rude, c’est le Maître de la voie lui-même qui le déclare ; et toi, chrétien, tu cherches la voie large ? N’est-ce pas absurde ? Aussi, par cette route différente tu trouveras non la vie, mais la mort ! Toi-même as fait choix du chemin qui doit y conduire.
Mais préférez-vous que je vous cite, que j’énumère devant vous tant de pécheurs qui ont passé leur vie dans les délices ? Remontons des plus rapprochés de nous, jusqu’aux plus anciens. Expliquez-moi la perte du mauvais riche plongé dans son abîme de feu ; la perte des juifs qui vécurent pour le ventre dont ils faisaient leur Dieu, ne cherchant au désert même que loisir et repos ; la perte des hommes encore de l’époque de Noé. N’ont-ils, pas péri pour avoir choisi une vie de bonne chère et de dissolution ? Ceux de, Sodome ne furent-ils pas victimes de leur gourmandise ? « Ils se jouaient », dit l’Écriture, « dans l’abondance de leur pain ». (Ez. 16,49) Que si l’abondance du pain amena une telle catastrophe, que dirons-nous de tant d’autres inventions de la friandise et de la bonne chère ? – Esaü ne vivait-il pas dans le loisir et la fainéantise ? N’était-ce pas le crime aussi de ces enfants de Dieu qui admirèrent la beauté des femmes et coururent ainsi aux précipices de l’enfer ? N’était-ce pas la vie de ceux qui se livrèrent à des passions folles et furieuses contre nature ? Et tous ces rois païens de Babylone ou d Égypte n’ont-ils pas tristement fini ? Ne sont-ils pas dans les supplices ?
Or, dites-moi, nos mœurs d’aujourd’hui sont-elles donc différentes ? Écoutez la parole de Jésus-Christ : « Ceux qui se couvrent de vêtements somptueux, sont dans les palais des rois » (Mt. 11,8) ; et ceux qui ne s’habillent point ainsi, sont dans les cieux. Un vêtement de mollesse amollit, brise, corrompt un cœur même austère ; quand bien même il couvrirait un corps rude et sauvage, il l’aurait bientôt énervé et affaibli sous son tissu voluptueux. Quelle autre cause que celle-là, dites-moi, amollit ainsi les femmes ? Serait-ce leur sexe seulement ? Non, mais bien leur manière de vivre et leur éducation. Cette façon de les élever à l’ombre, ces loisirs, ces bains, ces onctions, ces parfums de tout genre, ces lits mollets et délicats, font une femme ce que vous voyez ! Et pour vous en convaincre, écoutez une comparaison Dans quelque oasis du désert, parmi les arbres battus des vents, prenez-moi un rejeton quelconque, et transplantez-le dans un lieu humide et ombragé, vous le verrez bientôt indigne du lieu où il a pris naissance. Que ce fait se vérifie chez nous, les femmes des champs en sont la preuve : plus vigoureuses même que les hommes des villes, on en a vu qui en terrassaient plusieurs dans la lutte. Or, quand le corps s’est ainsi amolli, il faut bien que l’âme en partage la ruine ; les forces de l’un sont, en grande partie, attaquées de la même manière que les facultés de l’autre. C’est ainsi que dans les maladies nous sommes tout changés, parce que nous sommes affaiblis ; et quand la santé revient, il se fait en nous une nouvelle révolution. Quand les cordes d’une lyre se détendent et ne rendent plus qu’un son faible et faux, tout le talent de l’artiste est paralysé, parce qu’il est comme asservi et lié à cet instrument désaccordé : ainsi l’âme souffre maints dommages, subit maintes nécessités sous l’empire de son enveloppe corporelle. Celle-ci a tant besoin de soins absorbants, que l’âme en doit souffrir un rude esclavage. Je vous en supplie donc : créons-nous un corps vigoureux et robuste, et gardons-nous de le rendre faible et maladif.
Ici je ne parle pas seulement aux hommes, mais aux femmes aussi. Pourquoi, ô femmes, énerver vos membres par les délices, et les rendre ainsi chétifs et misérables ? Pourquoi, par l’embonpoint excessif, leur ôter toute vigueur ? Cet excès n’est point une force, vous le savez, mais une cause d’affaiblissement. Au contraire, laissez toutes délices, conduisez-vous tout différemment, et la beauté physique s’ensuivra au gré de vos désirs, dès que le corps se retrouvera solide et fort. Que si vous aimez mieux l’assiéger de maladies sans nombre, il y perdra sa fleur, il y compromettra tout son tempérament : car alors, vous serez dans un perpétuel chagrin. Or, vous savez que, comme une maison déjà belle, s’embellit encore au souffle riant du zéphyr, ainsi un beau visage doit gagner en beauté, lorsque votre âme lui prête un reflet de sa joie ; tandis que, livrée à la tristesse et au chagrin, elle devra l’enlaidir. Les maladies et les souffrances engendrent la tristesse ; et les maladies viennent de ce qu’on délicate trop le corps. Pour cette raison au moins, croyez-moi, fuyez les délices.
4. Mais, direz-vous, on éprouve du plaisir à s’y livrer. – Oui, mais on y trouve encore plus de peines. Le plaisir ne va pas au-delà de votre langue, de votre palais. Une fois la table enlevée et les mets engloutis, vous n’êtes pas plus heureux que si vous n’aviez pas eu part au banquet ; vous êtes même beaucoup plus mal, puisque vous emportez de ces excès, la pesanteur, l’embarras, une tète alourdie, un sommeil semblable à la mort, souvent même l’insomnie, triste fruit de la satiété, la suffocation, les éructations. Mille fois sans doute, vous avez maudit votre estomac, lorsque vous ne deviez maudire que l’intempérance.
N’engraissons donc point notre corps, et plutôt écoutons la parole de saint Paul : « N’ayez point de souci de votre chair dans ses mauvais désirs ». (Rom. 13,14) C’est avec raison qu’il signale ainsi les mauvais désirs : car l’aliment de ces convoitises se trouve précisément dans les délices. L’homme qui se livre à leur attrait, fût-il le plus fervent adepte de la sagesse, doit nécessairement subir cette influence du vin et des mets exquis ; nécessairement il s’y énerve, nécessairement il allume en son cœur une flamme maudite ; de là, les prostitutions, de là les adultères. L’amour coupable ne s’engendre pus dans un estomac maté par la faim, pas même dans celui qui sait se borner à une nourriture simplement suffisante, tandis que les penchants obscènes naissent et se forment dans celui qui se livre à la bonne chère. Les vers pullulent dans un sol profondément humide, dans un fumier largement mouillé et arrosé : au contraire, purgée de cette humidité, débarrassée de cet excès, la terre se couvre de fruits ; sans culture même, elle se revêt d’herbages ; cultivée, elle donne toutes sortes de productions : c’est là notre image. Gardons-nous donc de rendre notre chair inutile ou même nuisible ; plantons-y des semences utiles et productives, des arbres qui portent leurs fruits un jour, et gardons-nous de la stériliser par les délices, dont la triste pourriture, au lieu d’une moisson, n’enfanterait que des vers. Telle est, en effet, notre concupiscence native, que si nous l’inondons de délices, elle produit de honteuses, d’infâmes délectations. Peste véritable, que nous arracherons de toute manière, afin de pouvoir gagner lesbiens qui nous sont promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

HOMÉLIE XXX.

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TOUTE DURE DISCIPLINE, QUAND ON LA SUBIT, SEMBLE ÊTRE UN SUJET DE TRISTESSE ET NON DE JOIE, MAIS ENSUITE ELLE FAIT RECUEILLIR LES FRUITS PACIFIQUES DE LA JUSTICE A CEUX QUI ONT ÉTÉ AINSI EXERCÉS. (CHAP. 12,11-13)

Analyse.

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  • 1. Il y a, dans la vertu comme dans le vice, succession de peine et de joie : mais la vertu et les épreuves se couronnent par une joie éternelle. – Racine amère et dure écorce, elles recèlent et produisent des fruits pleins de douceur. – Que cette gymnastique de l’épreuve nous console et nous encourage. – La paix avec tous, la sainteté et surtout la chasteté, sont nos armes principales dans les épreuves.
  • 2 et 3. L’apostolat est un devoir qui incombe à tous les chrétiens. – On peut (exercer dans la famille, dans le voisinage. – C’est un talent précieux qu’il n’est pas permis d’enfouir. – La correction fraternelle est toujours praticable. – Elle ne requiert point l’éloquence, mais seulement la prudence et la charité, dont elle est la plus belle manifestation.


1. Tous ceux qui boivent une potion amère, n’en ressentent d’abord que l’impression désagréable, et n’en éprouvent que plus tard le bienfait. La vertu et le vice vous font expérimenter aussi cette alternative. L’un vous apporte le plaisir suivi de l’amertume ; l’autre vous étreint d’abord le cœur, et bientôt vous comble de joie. Ce n’est pas que je trouve cette comparaison bien juste. Autre chose est, en effet, dé passer d’abord par la peine pour arriver au plaisir, ou bien, au contraire, de traverser le plaisir pour finir par la peine. Où est la différence ? C’est que, dans un cas, l’attente d’un chagrin qui viendra trop sûrement, diminue le bonheur ; tandis que dans l’autre cas, l’expectative d’une allégresse certaine, enlève beaucoup à la tristesse première de votre âme ; à tel point que souvent, au cas du vice, la joie n’arrive jamais ; tandis qu’au cas de la vertu, la tristesse jamais ne survient. Cette raison de différence n’est point la seule, il en est une autre encore, et bien grande. Comment ? C’est que les durées ne sont point égales dans les deux cas, mais qu’en faveur de la vertu, elles sont bien plus larges et bien plus longues. Oui, les choses spirituelles ont ici un avantage évident.
Saint Paul exploite cette considération pour consoler ses chers disciples. Il fait appel ici au sens commun, auquel personne ne peut résister, à la croyance générale que nul ne peut combattre, puisque dès qu’on énonce un fait universellement avoué, tout le monde s’y range, personne, ne le contredit. Vous êtes affligés, leur dit-il ; la raison explique ce fait ; l’épreuve doit avoir cet effet ; elle doit produire ce premier résultat. Et c’est dans ce sens que l’apôtre déclare que « toute éducation sévère paraît, pour l’heure présente, un sujet de tristesse et non pas de joie ». – « Paraît », c’est l’expression justement choisie par l’apôtre ; en effet, l’épreuve n’est pas un sujet de chagrin, seulement elle parait l’être. Et « toute » épreuve en est là ; ce n’est pas l’une qui aurait cette apparence, et l’autre qui ne l’aurait point. Non ! mais toute épreuve, qu’elle soit purement naturelle ou qu’elle soit spirituelle, semble faite pour votre affliction et non pas pour votre bonheur. Vous voyez que saint Paul raisonne d’après l’opinion commune. C’est un semblant de peine : donc ce n’est pas une peine vraie. Quelle peine, en effet, pourrait vous réjouir ? Aucune, pas plus qu’un plaisir véritable ne produira jamais dans un tueur amertume et tristesse : « C’est plus tard, au contraire, que l’épreuve fait recueillir en paix les fruits de la justice, à ceux qui auront été ainsi exercés ». Les fruits, et non pas seulement le fruit, nous dit-il, pour mieux en montrer la multitude et la moisson. Pour ceux, ajoute-t-il, qui auront été exercés par elle. Qu’est-ce à dire, « exercés ? » C’est-à-dire, qui l’auront longtemps subie et supportée avec courage. Comprenez-vous bien la justesse de l’expression ? Ainsi l’épreuve et comme une gymnastique qui fortifie l’athlète, le rend invincible dans les luttes, irrésistible dans les guerres. Si tel est l’effet de toute éducation sévère, tel sera le résultat de celle-ci en particulier. On devra donc en attendre bien des avantages, un heureux terme, une paix profonde. Et ne vous étonnez pas, que toute rude qu’elle est, les fruitsen soient pleins de douceur ; c’est ainsi que dans les arbres, l’écorce est à peu près toujours sans qualité, et pleine de rudesse, lors même que les fruits en sont doux. L’apôtre peut invoquer ici les notions les plus communes. Si donc vous êtes en droit d’espérer une telle récolte, pourquoi gémir ? Après avoir supporté les ennuis, pourquoi vous décourager au sein des avantages les plus assurés ? Oui, les misères qu’il a fallu souffrir, vous les avez subies ; gardez-vous donc d’être ainsi abattus à l’approche de la récompense !
« Relevez donc vos mains languissantes ; redressez vos genoux affaiblis ; conduisez vos pas par des voies droites, de peur que quelqu’un chancelant, ne vienne à s’égarer, mais que plutôt il a soit guéri (12, 13) ».
Il les harangue comme les héros d’une course, d’une lutte, d’une bataille. Voyez-vous comme il se plaît à les armer, à les réveiller ? Marchez droit, leur dit-il ; il parle ici de leurs pensées intimes. Marchez droit, cela veut dire : sans douter jamais de Dieu. Car si l’épreuve vient de son amour, si elle ne commence que dans votre intérêt, si elle s’achève par une fin heureuse, si cette conviction vous est prouvée clairement et par les faits et par les oracles – sacrés, pourquoi seriez-vous découragés ? Laissez cet abaissement du cœur à ceux qui désespèrent, à ceux que ne peut fortifier l’espérance même des biens à venir. Marchez droit et ferme, sans plus chanceler, en retrouvant même votre premier aplomb. Courir en chancelant, c’est chercher l’accident et le mal. Voyez-vous comme il est en notre pouvoir d’être guéris ?
« Tâchez d’avoir la paix avec tout le monde, et « de vivre dans la sainteté sans laquelle nul ne « verra Dieu (14) ». L’avis qu’il donnait précédemment : « N’abandonnez pas notre assemblée, notre «-réunion » (Héb. 10,25) ; il l’insinue ici encore. Car dans les épreuves, rien ne facilite notre défaite, notre déroute, comme de nous éparpiller imprudemment. Vous comprenez le pourquoi : ainsi à la guerre, rompez les rangs, et vos ennemis n’auront besoin d’aucun effort ; ils vous auront bientôt pris et enchaînés, s’ils vous trouvent séparés les uns des autres, et par là même affaiblis. « Tâchez », dit-il donc ; « d’avoir la paix avec tout le monde ». Quoi ? même avec ceux qui se conduisent mal ? Oui, et il le répète ailleurs : S’il est possible, autant qu’il est en vous, ayez la paix avec tous les hommes.
De votre côté donc, dit l’apôtre, entretenez la paix, ne blessant jamais la piété fraternelle, mais acceptant de grand cœur et généreusement tous les mauvais traitements. L’arme la plus puissante dans les tentations, c’est la patience. C’est ainsi que Jésus-Christ communiquait la force à ses disciples : « Je vous envoie », disait-il, « comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc prudents comme des serpents, et simples comme des colombes ». Eh ! que dites-vous, Seigneur ? Nous sommes au milieu des loups, et vous nous commandez d’être comme des brebis, comme des colombes ? Bien certainement, répond-il ; car le plus star moyen de couvrir de honte celui qui nous fait du mal, c’est de supporter courageusement ses injustes attaques, sans aucune vengeance ou d’action ou de parole. Cette conduite nous rend plus vraiment philosophes et nous gagne une plus grande récompense, en même temps qu’elle édifie nos ennemis. – Mais tel ou tel vous a chargé d’outrages ! – Vous, chargez-le de bienfaits. Voyez combien vous y aurez gagné. Vous aurez éteint et étouffé le mal, gagné pour vous une récompense, couvert de honte votre adversaire, sans éprouver vous-même aucun dommage sérieux.
Tâchez d’avoir avec tout le monde la paix « et la sainteté ». La sainteté, qu’est-ce à dire ? Il désigne ici la continence, l’honneur des mariages. S’il en est qui ne soit pas marié, dit-il, qu’il reste chaste ou qu’il prenne une épouse ; si tel autre est lié par le mariage, qu’il n’aille pas s’oublier, qu’il use de sa femme seulement : car, ici encore est la sainteté. Comment ? Le mariage n’est pas la sainteté elle-même ; mais le mariage conserve la sainteté qu’engendre la fidélité même, laquelle ne permet pas qu’on se profane avec les femmes perdues. « Le mariage est honorable » (Héb. 13,14), et non pas saint absolument. Le mariage est pur, mais il ne communique pas la sainteté, sauf toutefois qu’il empêche de profaner la sanctification qui vient de la foi. « Sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu ». C’est ce qu’il dit aux Corinthiens : « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les idolâtres, ni les impudiques, ni les pécheurs contre nature, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les détracteurs, ni les ravisseurs, n’hériteront du royaume de Dieu ». (1Cor. 6,9) Car comment celui qui a fait de son corps la chair d’une prostituée, pourra-t-il être le corps de Jésus-Christ ? (Id. 6,15)
« Prenant garde que quelqu’un ne manque à la grâce de Dieu, et poussant en haut une racine d’amertume, n’empêche la bonne semence, et ne souille l’âme de plusieurs ; qu’il ne se trouve quelque fornicateur ou quelque profane (15, 16) ». Voyez-vous comme partout l’apôtre confie à chacun de nous le salut de tous ? « Exhortez-vous l’un l’autre tous les jours », avait-il déjà dit, « pendant que dure ce temps que l’Écriture appelle aujourd’hui ». (Id. 3,13)
2. Ne jetez donc pas tout le fardeau sur vos maîtres spirituels, ni tous vos devoirs sur vos prélats vous pouvez, vous aussi, selon l’apôtre, vous édifier les uns les autres. C’est ce qu’il disait aux Thessaloniciens : « Édifiez-vous toujours les uns les autres, comme déjà vous le faites » ; et ailleurs : « Consolez-vous mutuellement par les paroles que je vous adresse ». (1Thes. 5,11) Tel est aussi le conseil que nous vous donnons en ce moment. Vous pouvez, mieux que nous-même, vous faire réciproquement un grand bien, si vous le voulez. En effet, c’est entre vous que vous vivez et conversez plus souvent ; mieux que nous, vous connaissez mutuellement vos affaires ; vous n’ignorez pas vos fautes réciproques ; vous avez à un plus haut degré l’un pour l’autre la franchise, l’amitié, la familiarité. Toutes ces circonstances son loin d’être indifférentes dans le rôle d’un maître ; elles sont autant d’entrées larges et d’occasions favorables pour instruire ; et vous pouvez, plus que nous, reprendre ou encourager. Vous n’avez pas, d’ailleurs, cet avantage seulement : je suis seul, moi, et vous êtes plusieurs ; tous et chacun vous pouvez donc être des maîtres spirituels.
C’est pourquoi, je vous en supplie, ne négligez pas d’exploiter cette grâce précieuse. Chacun de vous a une épouse, un ami, un serviteur, un voisin ; qu’il sache lui adresser un reproche, lui ménager un avis. Car n’est-il pas déraisonnable que le plaisir ou le besoin puisse faire organiser des banquets et des festins, et fixer certains jours où l’on devra se réunir et compléter par la mutualité ce qui vous manque individuellement ; soit, par exemple, qu’on ait à rendre les honneurs funèbres, soit qu’on doive prendre un repas, soit qu’il faille porter secours au prochain, tandis qu’au contraire on ne fait aucune démarche semblable pour enseigner la vertu ? Oui, je le répète et je vous en prie : que personne ne néglige ce devoir, à l’accomplissement duquel Dieu attache une grande récompense.
Pour vous en convaincre, apprenez que le Maître spirituel est bien celui qui a reçu les cinq talents de l’Évangile ; mais que le disciple, lui, a reçu un talent aussi. Que le disciple se dise : Je ne suis qu’un disciple, moi ; je ne cours aucun danger ; et qu’ayant reçu de Dieu cette mission générale d’instruire le prochain, il la laisse improductive et l’enfouisse ; qu’il n’avertisse jamais, qu’il n’use jamais du droit de parler librement, ne reprenant point, ne conseillant point lorsqu’il le pourrait, mais cachant son talent dans la terre ; car un cœur qui cache ainsi la grâce de Dieu n’est que terre et cendres viles ; oui, s’il l’enfouit de la sorte ou par paresse, ou par malice, il ne pourra se défendre ni s’excuser devant Dieu en disant : Je n’ai reçu qu’un talent. Tu n’avais qu’un talent, il est vrai ; mais tu devais en rapporter un second, et doubler le premier. Quand bien même tu n’en aurais ainsi gagné qu’un seul, tu étais à couvert de reproche. Au serviteur qui rapporte deux talents gagnés, le Maître ne demande pas pourquoi il n’en offrait ; pas cinq ; au contraire, il le déclara digne du même prix que celui qui en avait gagné cinq autres. Pourquoi ? c’est qu’il fit valoir dans la proportion de ce qu’il avait entre les mains, et ne laissa point son dépôt stérile ; bien qu’ayant moins reçu que le dépositaire des cinq talents, il ne voulut pas, pour cela, être négligent, et profiter de la différence en moins pour se livrer à l’oisiveté. Ainsi ne devais-tu pas non plus regarder le serviteur qui avait reçu deux talents ; ou plutôt, oui, tu devais avoir l’œil sur lui ; et comme il imita lui-même, n’ayant que deux talents, le serviteur qui en avait cinq à faire valoir, ainsi devais-tu copier la conduite de ce dépositaire des deux talents. Que si l’on condamne au supplice celui qui posséda de l’argent et ne sut point le répandre en aumônes ; comment ne serait-il frappé du dernier supplice, celui qui pouvant à l’occasion donner quelque avis utile, s’abstient de le faire ? La première aumône sustente le corps ; l’autre nourrit l’âme ; l’une empêche la mort temporelle, l’autre prévient la mort éternelle.
3. Mais, objecterez-vous, je n’ai pas le talent de la parole. – Il n’est besoin, ici, ni du talent de la parole, ni d’éloquence. Si vous voyez un ami peu chaste, dites-lui : Ce que vous faites est bien coupable ; n’en êtes-vous pas honteux ? N’en savez-vous rougir ? Oui, c’est bien mal ! – Mais ignore-t-il, répliquez-vous, que son action soit coupable ? – Non, sans doute, il le sait ; mais son penchant l’entraîne. Les malades aussi savent que l’eau froide est pour eux une boisson dangereuse, mais ils ont besoin qu’une main charitable les retienne. Celui qui est sous l’empire d’une souffrance, ne peut pas sitôt se suffire dans sa maladie. Pour le soigner, il est besoin de ta santé même ; et si ta parole ne peut le contenir, veille sur ses démarches, arrête-le, peut-être retournera-t-il sur ses pas ! – Mais que gagnera-t-il à n’agir ainsi qu’à cause de moi, et seulement parce que je l’aurai retenu ? - Ne sois point si subtil. En attendant mieux et de toute manière, détourne-le d’une action coupable ; qu’il s’habitue à ne point courir au précipice, qu’il soit contenu par tes bons offices ou par tout autre moyen, c’est toujours un gain immense ! Quand tu l’auras habitué, en effet, à ne pas prendre cette route fatale, quand il commencera dès lors à respirer un peu sagement, tu pourras ensuite lui apprendre qu’il faut agir ainsi en vue de Dieu, et non pas en vue de l’homme.
Ne prétends pas corriger tout ensemble et d’un seul coup, ce serait tenter l’impossible ; mais procède doucement, petit à petit. Si tu le vois fréquenter les lieux où l’on boit avec excès, les banquets où l’on s’adonne à l’ivresse, ne crains pas de l’y suivre ; et, à ton tour, prie-le de te rendre le service d’une salutaire réprimande, en cas qu’il aperçoive en toi-même quelque faiblesse. Car ainsi s’adressera-t-il à lui-même un reproche, en voyant que tu as besoin ainsi d’être repris, et que tu aimes à le secourir non pas comme un redresseur universel de ses torts, non pas comme un docteur infaillible, mais comme un frère et un ami. Dis-lui donc : Je t’ai servi en te rappelant tes propres intérêts ; en retour, si tu aperçois en moi quelque défaut, retiens-moi, redresse-moi ; si tu me vois colère, si tu me reconnais avare, arrête-moi, tu me comprends, par un avis !
Et voilà l’amitié ; et c’est ainsi qu’un frère aidé par son frère, ressemble à une place fortifiée. (Prov. 18,19) Manger et boire ensemble ne fait pas l’amitié, sinon celle des brigands et des assassins. Mais si nous sommes de vrais amis, si vraiment nous nous portons un mutuel intérêt, rendons-nous réciproquement de tels services, qui nous amèneront à une amitié sérieusement utile, et nous empêcheront de dériver vers l’enfer. Que l’ami réprimandé ne s’affecte point : nous sommes des hommes et nous avons des défauts. Que le moniteur non plus n’avertisse jamais avec une idée d’ironie ou de triomphe, mais en secret, avec douceur et bonté. C’est lui surtout qui a besoin d’une grande douceur, pour bien convaincre qu’il fait une opération charitable. Ne voyez-vous pas avec quelle douceur infinie les médecins procèdent quand il faut brûler et trancher au vif ? Bien plus doit-il agir ainsi, celui qui reprend son prochain : la réprimande fait bondir plus vivement encore que le fer et que le feu. Les médecins s’étudient par-dessus tout à ne pratiquer une incision que le plus doucement possible ; ils s’arrêtent quelque peu, ils laissent au malade le temps de respirer. Ainsi doit-on pratiquer la réprimande, pour ne pas révolter ceux qui la reçoivent. Dussions-nous d’ailleurs y gagner des outrages, y recevoir même quelque blessure, ne refusons point de la faire. Les malades qu’on travaille par le fer crient beaucoup et bien fort contre le chirurgien, lequel n’a point souci de leurs clameurs, et ne pense qu’à les sauver. Ainsi devons-nous, pour donner un avis utile, faire tout au monde et tout supporter, en vue de la récompense qui nous est proposée. « Portez », est-il dit, « portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». (Gal. 6,2) Et c’est ainsi, en effet, que nous réprimandant ou nous supportant les uns les autres, nous pourrons édifier complètement le corps de Jésus-Christ. C’est ainsi que vous allégerez notre labeur pastoral, et que vous nous seconderez en toutes choses et nous donnerez la main ; ainsi formerons-nous une vaste association oh tous travailleront pour le salut commun, et chacun toutefois pour son propre salut. Soyons donc fermes et constants à porter le fardeau du prochain, à nous donner de mutuels avis, afin de gagner les biens promis en Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire soit au Père, etc.

HOMÉLIE XXXI.

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EFFORCEZ-VOUS D’AVOIR LA PAIX AVEC TOUT LE MONDE, COMME AUSSI LA SAINTETÉ, SANS LAQUELLE PERSONNE NE VERRA DIEU. (CHAP. 12,14-17)

Analyse.

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  • 1-3. L’amour du prochain, vrai caractère du christianisme. – Jésus-Christ est mort pour tous et polir chacun de nous. – Le péché est une véritable amertume, sans compensation ni douceur. – La gourmandise d’Esaü lui fait sacrifier son droit d’aînesse : tout esclave du ventre – l’imite et s’avilit. – L’inutile pénitence d’Esaü doit faire trembler les justes, mais ne doit pas décourager les pécheurs. – Double langage de l’apôtre à ce sujet.
  • 3 et 4. Vraie et fausse pénitence, prouvée par la conduite subséquente de saint Pierre et de David, d’une part ; et de Judas, d’Esaü, de Cam, d’autre part. – La vraie pénitence se reconnaît aussi dans le souvenir continuel du péché qu’on a une fois commis – La pénitence se prouve par la confession à Dieu et au juge. – Par le souvenir et l’aveu de nos péchés, nous obtenons l’oubli et l’amnistie de Dieu, qui, autrement, manifestera publiquement nos fautes. – Tableau saisissant de cette manifestation solennelle du jugement dernier.


1. Le vrai christianisme se reconnaît à plusieurs caractères ; mais plus que tout autre, mieux qu’aucun, la paix entre nous, l’amour réciproque le révèle évidemment. Aussi Jésus-Christ a-t-il dit : « Je vous donne ma paix » ; et encore : « Tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn. 14,27 ; 13, 35) C’est là ce qui fait dire à saint Paul : « Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté », c’est-à-dire l’honnêteté, « sans laquelle personne ne verra Dieu ».
« Veillant à ce que personne ne manque à la grâce de Dieu (15) ». Pareils aux voyageurs qui cheminent en grande caravane pour une route très-longue, veillez, dit-il, à ce que personne ne reste en arrière. Je ne vous demande pas seulement que vous marchiez vous-même, mais encore que vous ayez l’œil sur les autres pour qu’aucun ne manque à la grâce de Dieu. Il appelle grâce de Dieu les biens à venir, la foi à l’Évangile, la vie chrétienne et parfaite : car tout cela est un don de la divine grâce. Et ne me dites pas, continue-t-il, qu’après tout c’est un seul homme qui périt : pour ce seul homme même, Jésus-Christ est mort ; et vous ne tiendriez pas compte de celui qui a coûté la vie à votre Sauveur ? « Veillant », c’est le mot de l’apôtre ; entendez : examinant avec scrupule, considérant, cherchant à savoir, comme on aime à s’enquérir des santés faibles, et vous observant en tout et toujours « de peur que quelque racine amère poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence. C’est une citation du Deutéronome (29, 18), empruntée d’ailleurs par métaphore au règne végétal. Gardez-vous, dit-il, de toute racine d’amertume, dans le même sens qu’il écrit ailleurs : « Un peu de levain aigrit toute la pâte ». (1Cor. 5,6) Je ne réprouve pas seulement le péché même, mais aussi la ruine spirituelle qui en dérive. Ainsi, supposé qu’il se montre semblable racine, ne permettez pas qu’elle pousse un seul rejeton ; tranchez au vif, pour l’empêcher de produire ses fruits, et d’infecter, de souiller le prochain.
« Gardez donc », dit-il, « qu’aucune racine d’amertume poussant en haut ses rejetons, n’empêche » la bonne semence, « et ne souille » l’âme de « plusieurs ». Qu’il a raison d’appeler le péché une amertume ! Rien de plus amer, en effet, que le péché. Ils le savent ceux qui, après l’avoir commis, sèchent et se consument de remords, et ressentent une amertume affreuse, si affreuse même qu’elle pervertit en eux le jugement et l’intelligence. Car c’est la nature de l’amertume de vous ôter tout autre sentiment. Racine d’amertume est une expression aussi très-exacte : il ne dit pas, en effet, racine amère, mais d’amertume. En effet, il se peut qu’une racine amère porte des fruits suaves, tandis que jamais on n’en recueillera sur une racine d’amertume, sur ce qui est le principe, la base même de l’amertume. Ici, tout est nécessairement amer, sans douceur aucune ; tout porte avec soi une sensation désagréable et repoussante, tout est odieux et abominable. – « Et ne souille l’âme de plusieurs », c’est-à-dire, prévenez le mal, retranchez de votre société les gens sans pudeur.
« Qu’il ne se trouve aucun fornicateur, ou aucun profane, comme Esaü, qui vendit son droit d’aînesse pour un seul repas (46) ». Esaü fut-il donc jamais fornicateur ? Il ne le fut pas positivement ; cette expression est placée ici par opposition à ce mot précédent : « Tendez à la sainteté ». Quant à la qualification de profane, elle semble bien atteindre Esaü. Que nul donc ne soit, comme lui, un profane, c’est-à-dire un esclave du ventre et de l’appétit, un être charnel, capable de vendre les biens spirituels, « puisqu’il vendit », en effet, « son droit d’aînesse pour un seul repas » ; sacrifiant ainsi bassement cet honneur qu’il tenait de Dieu, et livrant en échange d’un plaisir misérable l’honneur et la gloire la plus insigne.
Pareille honte doit peser sur tous les hommes qui sont ainsi abominables, ainsi grossiers et impurs. Le débauché n’est donc pas le seul impur au monde ; l’être glouton et esclave du ventre ne l’est pas moins. Lui aussi subit l’esclavage de sa passion ; lui aussi, pour y satisfaire, s’assujettit à l’avarice, au vol, à mille actions basses et déshonorantes ; abaissé sous la tyrannie de ce vice, souvent il blasphème, et ne tient aucun compte de son droit d’aînesse, puisque tout entier à son bonheur charnel, il sacrifie jusqu’à ce droit sublime.
Concluez que le droit d’aînesse nous appartient, et non plus aux Juifs. Cette comparaison, d’ailleurs, se rapporte, dans la pensée de l’apôtre, à l’épreuve qu’ont subie ces chers Hébreux. Il leur fait entendre que le premier est devenu le dernier, et que le second a gagné le premier rang. L’un est monté par sa fermeté et sa patience : l’autre est descendu par sa lâche sensualité.
2. « Car sachez que désirant, mais trop tard, son héritage de bénédiction, il fut réprouvé. Il ne trouva pas, en effet, lieu au repentir, bien qu’ayant demandé avec larmes à être bénit (17) ». Que signifie ce texte ? Faut-il y voir la pénitente même réprouvée ? Non, sans doute. Mais alors, comment Esaü ne trouva-t-il point place au repentir ? Comment cette place ne s’est-elle point trouvée pour lui, s’il s’est condamné lui-même, s’il a poussé d’amers sanglots ? C’est que toutes ces démonstrations n’étaient point la pénitence, pas plus que ne le fut cette douleur de Caïn, évidemment démentie par son fratricide ; ainsi les cris d’Esaü n’étaient pas ceux du repentir, comme ses idées de meurtre en donnèrent la preuve. Lui aussi, dans son cœur du moins, fut l’assassin de Jacob. « Le temps de la mort de mon père viendra », disait-il, « et je tuerai mon frère Jacob ». (Gen. 27,14) Ses larmes ne purent donc pas lui donner un vrai repentir. L’apôtre ne dit pas absolument qu’il n’obtint rien par sa pénitence, mais qu’avec ses larmes mêmes, il ne trouva point place à la pénitence. Pourquoi ? C’est qu’il ne fit pas pénitence selon les conditions essentielles à un vrai repentir. La pénitence est là tout entière, en effet ; il ne s’est point repenti comme il l’aurait fallu. Les paroles de l’apôtre ne peuvent autrement s’expliquer. En effet, (si la pénitence est inutile), pourquoi exhorter à la conversion les Hébreux attiédis ? Comment les réveiller, dès qu’ils étaient devenus chancelants, languissants, découragés ? Car tous ces symptômes annonçaient une chute commencée.
L’apôtre me paraît faire allusion ici à certains fornicateurs qui auraient existé parmi les Hébreux, bien que pour le moment il ne veuille pas les désigner et les reprendre ; il feint même de ne rien savoir, afin qu’eux-mêmes se corrigent. Car il faut d’abord feindre d’ignorer le mal, et n’apporter la réprimande que plus tard et s’ils y persévèrent, de façon à ne pas leur ôter la pudeur du crime. C’est la conduite que tint Moise à l’égard de Zambri et de Chasbitis.
« Il ne trouva point place à la pénitence » ; il ne trouva pas la pénitence. Est-ce parce qu’il commit de ces péchés qui sont trop énormes pour qu’on en fasse pénitence ? Est-ce plutôt parce qu’il ne fit pas une digne pénitence ? Il est donc, en effet, quelques péchés trop grands pour qu’un en puisse faire pénitence. C’est ce que l’apôtre dit ailleurs : Ne tombons point par une chute incurable. Tant que notre malheur se borne à une marche boiteuse, le boiteux facilement se redresse mais si nous sommes renversés complètement, quelle ressource nous est laissée ? – Ainsi parle l’apôtre avec ceux qui ne sont pas encore tombés ; il les épouvante avant la chute, et affirme que celui qui est tombé n’a plus de consolation à attendre. Mais à ceux qui sont tombés toutefois, il tient un langage tout contraire, de peur qu’ils ne se précipitent dans le désespoir : « Mes chers petits enfants », leur crie-t-il, « vous que j’enfante de nouveau avec douleur, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ! » Et ailleurs : « Vous qui cherchez votre justification dans la loi (de Moïse), vous êtes déchus de la grâce ». (Gal. 4,19 ; 5,4) Voilà qu’il atteste leur entière déchéance. – C’est qu’en effet le fidèle qui est debout, dès qu’il entend proclamer que le pardon est impossible à celui qui tombe, devient plus ardent au bien, plus ferme, plus stable dans sa résolution. Mais si vous tenez un langage aussi énergique à l’égard de l’homme tombé, jamais il ne se relèvera. Que peut-il espérer, en se convertissant ?
« Esaü », ajoute l’apôtre, « non seulement pleura, mais il chercha la pénitence ». Ainsi la pénitence n’est pas réprouvée dans le texte où il dit qu’il n’a pas trouvé place au repentir. II veut seulement les prémunir, les rendre fermes et stables, pour qu’ils ne tombent jamais. Maintenant, que ceux qui ne croient pas à l’enfer, se souviennent de ce trait ; que ceux qui n’ont pas foi à la punition du péché, réfléchissent ici et se demandent pourquoi Esaü n’obtint pas son pardon ? C’est qu’il ne fit point pénitence comme il l’aurait fallu.
3. Voulez-vous un exemple de pénitence parfaite ? Écoutez celle de Pierre après son reniement. L’évangéliste nous raconte sa conduite par un seul trait : « Il sortit,», dit-il, « et pleura amères ment ». Un péché aussi énorme lui fut donc remis, parce qu’il fit pénitence comme il le devait. Et pourtant le sacrifice sanglant n’avait pas encore été offert ; la victime n’avait pas encore été immolée ; le péché n’avait pas encore été détruit, et continuait à exercer son règne et sa tyrannie. Mais il faut que vous sachiez que ce reniement fut l’effet moins de sa lâcheté que de l’abandon de Dieu, qui voulut le dresser à connaître la juste mesure des forces humaines, à ne jamais résister aux paroles que lui adressait son maître, à ne jamais s’élever au-dessus des autres ; à savoir que sans Dieu nous ne pouvons rien faire, et « Que si le Seigneur ne bâtit point la maison, en vain travaillent ceux qui la construisent ». (Ps. 126,1) Écoutez donc comment Jésus-Christ l’avertit spécialement, l’admoneste nommément et seul « Simon, Simon, Satan a demandé de te cribler, comme on crible le froment ; mais moi j’ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille point[2] ». (Lc. 22,31-32) Car, comme très-probablement Pierre se complaisait en lui-même et s’élevait en son cœur, parce qu’il avait la conscience d’avoir plus que ses frères l’amour pour Jésus-Christ ; pour cette raison, Dieu permet qu’il pèche et renie son Maître. Mais aussi, pour ce fait, il pleure amèrement ; et la conduite qu’il tient ensuite, se conforme à ses pleurs amers. Car que n’a-t-il pas fait en ce sens ? Il s’est jeté dans des périls sans nombre, et a donné mille preuves de sa force d’âme et de la solidité de son courage.
Judas aussi a fait pénitence, mais d’une façon déplorable, puisqu’il a fini par une strangulation volontaire. Esaü aussi a fait pénitence, comme je l’ai dit ; ou plutôt il n’a point fait pénitence, puisqu’il a versé des larmes d’orgueil et de fureur plutôt que de repentir, comme sa conduite subséquente l’a trop prouvé. Le bienheureux David a fait pénitence, et ses paroles nous le déclarent : « Je laverai chaque nuit mon lit de mes pleurs ; j’arroserai ma couche de mes larmes » (Ps. 6,7) et le péché ancien qu’il avait une seule fois commis, il le pleurait après tant d’années, après tant de générations, comme si son malheur avait été d’hier.
C’est qu’en effet le vrai pénitent ne doit point se livrer à la colère, à la fureur, mais garder l’attitude brisée d’un condamné de la veille, qui n’a plus le droit d’ouvrir la bouche, dont la sentence est prononcée, que la miséricorde seule peut sauver encore, qui reconnaît son ingratitude publique envers le souverain bienfaiteur, et s’avoue enfin un réprouvé digne de tous les supplices imaginables. Rempli de ces pensées, il n’éprouvera ni colère, ni indignation ; mais il s’épanchera en pleurs, en gémissements, en sanglots et le jour et la nuit.
Le vrai pénitent, encore, ne devra jamais oublier son péché, mais prier Dieu de vouloir bien ne plus se souvenir de cette faute, dont il gardera, lui, toujours la mémoire. Ici, en effet, si nous nous souvenons, Dieu oubliera ; sachons, oui, nous accuser franchement et nous punir sévèrement, et nous apaiserons notre Juge. Le péché que vous aurez confessé, déjà s’atténue ; il s’aggrave au contraire, si vous n’en faites l’aveu.
Que le péché se double, en effet, d’ingratitude et d’effronterie, dès lors ses progrès sont irrésistibles car comment pourrait-on veiller à ne point faire de chute nouvelle, si l’on ignore même qu’on ait péché dans une première occasion ? Ainsi, je vous en prie, gardons-nous de nier nos péchés ; évitons pareille impudence, de peur de la payer à regret et bien chèrement un jour. Caïn entendit cette parole de Dieu : « Où est ton frère Abel ? » Il y répondit : « Je ne sais ; suis-je donc le gardien de mon frère ? » (Gen. 4,9) Voyez-vous comme il aggrava son crime ? Ainsi n’avait pas agi son malheureux père, qui, interrogé par le Seigneur en ces termes : Adam, où es-tu ? avait répondu en tremblant : « J’ai entendu votre voix, et j’ai craint parce que je suis nu, et je me suis caché », (Gen. 3,9)
C’est un grand bien que de se souvenir constamment de ses péchés ; aucun remède n’est plus efficace contre une faute commise que d’en garder toujours la mémoire ; et d’ailleurs, rien ne contribue davantage à vous arrêter sur le chemin du vice. La conscience ici regimbe, je le sais, et ne se laisse point ainsi flageller par le souvenir de ses misères : mais sachez dompter votre cœur et lui serrer le frein. Pareil au coursier sauvage, difficilement il se soumet ; il ne veut pas se persuader qu’il ait péché : et dans cette répugnance, évidemment on reconnaît l’œuvre de Satan. Mais nous, convainquons-le de ses crimes, pour le décider aussi à faire pénitence, et pour le sauver du supplice par l’acceptation de ce remède salutaire. Comment espérez-vous, dites-moi, mériter le pardon de vos péchés, si vous ne les avez pas encore confessés ? Certes, par son état même, le pécheur est trop digne de pitié et de miséricorde. Mais, si vous n’avez pas même l’intime persuasion que vous ayez péché, comment croiriez-vous devoir implorer miséricorde, lorsque jusque dans vos crimes, vous gardez l’impudence ? Persuadons-nous bien que nous avons péché. Ne le disons pas de bouche seulement, mais de cœur et de conviction. Non contents même de nous avouer pécheurs, examinons nos fautes en détail, déclarons – les toutes et chacune spécialement. Je ne vous dis pas de vous affliger en les déclarant, ni de vous accuser en face de vos frères mais simplement d’obéir à cette parole du Prophète : « Déclarez à Dieu toutes vos voies ». (Ps. 36,5) Confessez donc vos péchés à Dieu ; confessez vos péchés au Juge, avec une prière, sinon des lèvres, au moins du souvenir, et implorez ainsi sa miséricorde.
Si vous gardez ainsi constamment la mémoire de vos péchés, jamais vous n’aurez de haine contre le prochain, jamais vous ne conserverez le ressentiment des injures. Je ne dis pas seulement Si vous avez l’intime persuasion que vous êtes un pécheur ; cette pensée ne vous donne pas, à beaucoup près, l’humilité et le mépris de vous-même, autant que le fera un examen personnel et spécial de chacune de vos fautes. Grâce à ce perpétuel souvenir de vos misères, vous ne haïrez plus, vous ne garderez point rancune, vous n’aurez ni colère, ni expressions de malédictions ; vous ne serez plus orgueilleux ; vous n’éprouverez plus de rechutes dans les mêmes fautes ; vous serez plus ardent au bien.
4. Voyez-vous combien d’avantages découlent de ce souvenir de nos péchés ? Gravons-les donc dans nos cœurs. Notre âme, je le sais, ne soutire pas volontiers un souvenir si amer ; mais contraignons-la de l’accepter ; faisons-lui en cela violence. Mieux vaut pour elle éprouver maintenant le remords inséparable de cette pensée, que de subir le châtiment réservé au dernier des jours. Oui, si vous en avez mémoire, aujourd’hui, et si vous les offrez constamment à Dieu avec une prière persévérante pour en être délivrés, vous les aurez bientôt détruits. Mais si vous les oubliez maintenant, alors et malgré vous, il faudra vous en souvenir, quand ils seront déclarés publiquement, quand ils seront produits solennellement à la face du monde entier, dés amis comme des ennemis, en présence même des anges. Car ce n’est pas à David seulement que l’Esprit-Saint a dit : « Ce que tu as fait en secret, moi je le manifesterai à tous ». (2Sa. 12,12) Dieu, ici, nous parlait à tous et à chacun. Tu as craint les hommes, nous dira-t-il, et tu les a respectés plus que Dieu même ; sans souci du Dieu qui te voyait, tu as rougi seulement des regards humains. Car ces yeux des hommes, ajoute-t-il, c’était la crainte des hommes. Aussi, et pour ce sentiment même, tu seras puni ; je serai ton accusateur, je mettrai tes crimes sous les yeux du monde entier.
Que telle soit la vérité, qu’en ce grand jour nos péchés doivent être produits aux regards de tous comme sur un théâtre, à moins que dès maintenant nous ne les effacions par un souvenir persévérant ; vous le comprendrez, rien qu’à savoir comment sera solennellement accusée la cruauté, l’inhumanité de ceux qui n’auront pas eu pitié de leurs frères. « J’ai eu faim », dit Jésus-Christ, « et vous ne m’avez pas donné à manger ». (Mt. 25,42) Quand est-ce que retentiront ces paroles ? Est-ce dans quelque recoin obscur ? Est-ce en secret ? Non, non ! Quand sera-ce donc ? C’est à l’époque où le Fils de l’homme viendra dans toute sa gloire, quand il aura rassemblé devant lui toutes les nations, quand il aura séparé ceux-ci d’avec ceux-là, c’est alors que, devant le monde comme témoin, il prononcera, et qu’il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche, d’après l’arrêt. « J’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire ».
Voyez encore comme, en présence de tous, il prononce contre les vierges folles : « Je ne vous « connais pas ». Car ce partage de cinq vis-à-vis de cinq autres ne doit pas être pris à la lettre de ce chiffre ; il désigne encore les vierges méchantes, cruelles, inhumaines, toutes celles enfin de semblable catégorie. Ainsi encore, en face de tout le monde, et spécialement en présence de ses deux compagnons qui avaient reçu, celui-ci deux talents, celui-là jusqu’à cinq, l’enfouisseur de son talent unique s’entend appeler : « Serviteur mauvais et paresseux » (Mt. 25,26) ; et le maître fait connaître ces dépositaires, non seulement par les paroles qu’il leur adresse, mais par le traitement qu’il leur inflige. Dans le même sens, l’évangéliste a écrit : « Ils verront celui qu’ils ont percé ». (Jn. 19,37) Car à la même heure tous, justes et pécheurs, ressusciteront ; à la même heure aussi Jésus-Christ se montrera pour les juger.
Pensez donc à ce que deviendront alors ceux sur qui pèsera la honte, la douleur ; ceux qui se verront traînés en enfer, au moment où les autres recevront la couronne. « Venez », dit-il aux uns, venez, les bénis de mon père ; possédez le « royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde ». Et aux autres, au contraire « Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu qui a été préparé pour le démon et pour ses anges. (Mt. 25,34-41)
Non contents d’entendre ces arrêts, plaçons sous nos yeux ce tableau, figurons-nous que le rt juge est là, qu’il prononce la sentence, qu’il nous envoie à ce redoutable feu. Quels seront alors nos sentiments ? Quelle sera notre consolation ? Que nous dira cette séparation effrayante ? Que répondrons-nous quand on nous accusera de rapine et de vol ? Quelle excuse pourrons-nous apporter ? Quelle apologie honnête présenter ? Aucune. Mais fatalement il faudra nous voir enchaînés, le front courbé de honte, traînés à la bouche de ces fournaises ardentes, à ce fleuve de feu, à ces ténèbres, à ce supplice éternel, sans pouvoir invoquer personne pour nous délivrer. Car « on ne peut », est-il écrit, « on ne peut passer d’ici là » ; entre nous et les élus, l’abîme est immense (Lc. 16,26) ; le voulussent-ils, il ne leur serait pas permis de le franchir ni de nous tendre la main ; il faut de toute nécessité souffrir à tout jamais, sans que personne vous soit en aide, fût-il votre père, votre mère, quel qu’il soit enfin, quand même il jouirait d’un grand crédit auprès de Dieu.
« Car le frère » ; dit le Prophète, « ne rachète point son frère : un homme en rachèterait-il un autre ? » (Ps. 48,8)
Puis donc qu’il ne nous est permis d’attendre notre salut de personne, si ce n’est de nous-mêmes, aidés toutefois d’abord de la bonté et de l’a miséricorde de Dieu, je vous en prie, faisons tout au monde pour que notre vie soit pure et parfaitement réglée, exempte surtout d’une première tache ; sinon, après une première tache même, ne nous endormons point ; et plutôt, persévérons dans la pénitence, les larmes, les prières, l’aumône, pour effacer nos souillures.
Mais que ferai-je, dira quelqu’un, si je n’ai pas de quoi donner l’aumône ? – Si pauvre que vous soyez, vous avez bien sans doute un verre d’eau froide ; vous avez bien deux oboles ; vous avez deux pieds pour visiter les malades et pénétrer dans les prisons ; vous avez un toit pour recevoir les étrangers. Car il n’y a pas, non, il n’y a pas de pardon pour qui ne fait point l’aumône, pour qui ne sait pas user de miséricorde. Nous vous le répétons constamment, afin que nos constantes redites produisent enfin quelque mince effet. Nous tenons ce langage moins dans l’intérêt de ceux à qui vous ferez du bien, que pour votre avantage à vous-mêmes ; vous ne leur donnez que des biens présents, tandis que vous recevez les biens célestes. Puissions-nous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartiennent au Père, dans l’unité du Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, etc.

HOMÉLIE XXXII.

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VOUS NE VOUS ÊTES PAS APPROCHÉS MAINTENANT D’UNE MONTAGNE SENSIBLE ET TERRESTRE, NI D’UN FEU BRÛLANT, D’UN NUAGE OBSCUR ET TÉNÉBREUX, DES TEMPÊTES, ETC. (CHAP. 12,18-20).

Analyse.

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  • 1 et 2. Caractère de la loi antique : majestueuse terreur qui accompagne la promulgation de la loi, et fait trembler le peuple et Moïse lui-même. – Sens mystérieux et symbolique de cet appareil déployé au mont Sinaï. – Raison de chaque circonstance. – La loi nouvelle plus grande, bien que plus accessible. – Circonstances qui l’accompagnent et qui se révéleront surtout dans les splendeurs de l’éternité.
  • 3. Le monde passe, le sol tremble ; nous passons plus vite encore que ce monde si menacé : bâtissons ailleurs une maison permanente, dont les pauvres, assistés par nous, seront les constructeurs. – L’aumône est comparée à une reine qui entre librement dans le ciel, à la colombe dont Dieu admire la beauté ; à l’aigle endormi au pied du trône royal, et qui nous protège contre le jugement de Dieu. – L’aumône est un devoir, puisque Dieu nous a fait miséricorde à nous-mêmes. – D’ailleurs, toujours possible, elle peut offrir le denier de la veuve aussi bien et mieux que l’or du riche. – Offrande des chevelures pour le temple.


1. Il était vraiment grand et terrible, ce Saint des Saints qu’abritait l’ancien temple ; terrible avait été de même l’appareil déployé au mont Sinaï, ce feu, ces ténèbres, cette sombre nuée, cette tempête dont l’Écriture a dit que le Seigneur se montra sur le Sinaï au milieu des flammes, de la tempête et des nuées épaisses. Le Nouveau Testament ne fut publié avec aucune circonstance semblable ; Dieu le donna simplement par la parole. Voyez toutefois comme l’apôtre compare le cortège même extérieur des deux alliances ; et comme, avec raison, il donne tout l’avantage des circonstances mêmes à notre sainte loi. Déjà, quant au fond même, il a surabondamment prouvé, il a évidemment démontré la différence des deux Testaments, et la réprobation de l’Ancien ; dès lors, quant aux circonstances mêmes, il arrive à les juger facilement. Or, que dit-il ?
« Vous n’avez pas approché, en effet, aujourd’hui, au pied d’une montagne visible, auprès d’un feu ardent, d’un tourbillon, d’une sombre nuée, d’une tempête ; vous n’avez pas entendu le son de la trompette et le retentissement des paroles, que ceux qui les entendirent refusèrent d’écouter, en suppliant que la voix n’ajoutât pas un mot de plus. Car il ne pouvait supporter la rigueur de cette menace : Si une bête même touche la montagne, elle sera lapidée (18-20) » : Terrible appareil, dit l’apôtre, si terrible même, qu’Israël ne put se résigner à en être témoin et qu’aucun animal même n’osa gravir la montagne. Mais toutes ces circonstances redoutables n’étaient pas comparables à celles que l’avenir devait révéler. En effet, qu’est-ce que le Sinaï comparé au ciel ? Qu’est-ce que ce feu sensible en comparaison du Dieu qui échappe à nos sens ? Car notre Dieu à nous, dit l’Écriture, est un feu dévorant. – « Que Dieu ne nous parle pas, criait ce peuple ; que ce soit plutôt Moïse qui nous parle ». (Ex. 9,19) « Car ils ne pouvaient supporter », dit l’apôtre, « ce terrible arrêt : Qu’une bête même qui touchera la montagne, soit lapidée ; et le spectacle qui s’offrait était si terrible, que Moïse dit lui-même : Je suis tout tremblant et tout effrayé (21) ». Étonnez-vous encore que l’Écriture attribue au peuple ce même sentiment, lorsque le législateur même qui avait pénétré dans la nuée sombre où Dieu habitait, s’écriait à son tour : Je suis effrayé et tout tremblant !
« Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, d’une troupe innombrable d’anges, de l’Église des premiers-nés qui sont écrits dans le ciel, de Dieu qui est le juge de tous, des esprits des justes qui sont dans la gloire ; de Jésus qui est le médiateur de la nouvelle alliance, et de ce sang dont l’aspersion parle plus avantageusement que le sang d’Abel (22-24) ».
Vous voyez par quels traits il montre la supériorité de la nouvelle alliance à l’égard de l’ancienne. – Au lieu de la Jérusalem terrestre, la céleste Jérusalem : vous vous êtes approchés, vous, de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste. – Au lieu de Moïse, Jésus : Jésus, dit-il, est le médiateur de la nouvelle alliance. – Au lieu du peuple israélite, les anges : L’innombrable multitude des anges, dit-il. – Mais, quels premiers-nés désigne-t-il par l’expression : L’Église des premiers-nés ? Il entend tous les chœurs des fidèles, qu’il appelle aussi les esprits des justes parfaits. Ainsi, poursuit-il, ne vous livrez pas au chagrin ; voilà ceux avec qui vous serez un jour.
Mais quel est le sens de la phrase : « De ce sang dont l’aspersion parle plus avantageusement que celui d’Abel ? » Le sang d’Abel a-t-il donc parlé ? Certainement, répond-il, et comment ? Paul encore vous le dit : « C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu une hostie plus excellente que celle de Caïn, et que grâce à cette victime, il fut déclaré juste ; c’est à cause de sa foi, qu’il parle encore après sa mort ». Dieu lui-même le dit : « La voix du sang de ton frère crie jusqu’à moi ». Tel est donc le sens du texte, à moins qu’on ne lui donne celui-ci : le sang d’Abel est encore célébré dans le monde, mais bien moins toutefois que celui de Jésus-Christ. Car le sang divin a purifié le monde, et il fait entendre une voix d’autant plus éclatante et plus significative, que la réalité l’emporte sur la figure, en fait de témoignage.
« Prenez garde de ne pas mépriser celui qui vous parle ; car si ceux qui ont méprisé celui qui leur parlait sur la terre, n’ont pu échapper à la punition, bien moins l’éviterons-nous, si nous rejetons celui qui nous parle du ciel ; lui dont la voix alors ébranla la terre, et qui a fait pour le temps où nous sommes, une nouvelle promesse, en disant : J’ébranlerai encore une fois, non seulement la terre, mais aussi le ciel. Or, en disant. Encore une fois, il déclare qu’il fera cesser les choses muables, comme étant faites pour un temps, afin qu’il ne demeure que celles qui sont pour toujours. C’est pourquoi commençant déjà à posséder ce royaume, qui n’est sujet à, aucun changement, conservons la grâce, par laquelle nous puissions rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable, étant accompagné de respect et d’une sainte frayeur. Car notre Dieu est un feu dévorant (25-29) ». Si l’appareil an tique est terrible, le nouveau est beaucoup plus admirable et plus glorieux. Nous n’y voyons plus les ténèbres, les nuées sombres, la tempête. Et si l’on demande pourquoi Dieu se montrait alors par le feu, il me semble que cette circonstance indiquait figurément l’obscurité de l’Ancien Testament, et cette loi mosaïque si voilée, si enveloppée d’ombres épaisses. On comprenait par là d’ailleurs que le législateur doit, au besoin, être terrible et capable de punir les transgresseurs.
2. Mais pourquoi le son de la trompette ? C’était l’occasion nécessaire, puisqu’elle retentit d’habitude pour annoncer un roi. Elle doit se faire entendre encore, bien certainement, au second avènement du Seigneur. Nous serons tous, dit l’apôtre, réveillés par la trompette, de sorte que la puissance de Dieu produira cette résurrection générale. Au reste, ce son de la trompette ne signifie qu’un fait ; c’est que tous, nous devrons ressusciter. Mais, en Israël, tout était réellement tableaux et voix ; tandis que dans l’avenir qui devait suivre, tout est pour l’intelligence seule, tout invisible. – Le feu n’avait non plus d’autre sens, sinon que Dieu même est un feu. Car, dit l’apôtre, « notre Dieu est un feu dévorant ». – La nuée sombre, les ténèbres, la fumée, montrent aussi qu’il s’agit d’une loi redoutable ; c’est dans la même pensée qu’Isaïe a dit : « Le temple fut rempli de fumée ». – Pourquoi la tempête du Sinaï ? Pour montrer la paresse et la lâcheté du genre humain. Il lui fallait de ces coups de tonnerre pour le réveiller ; aussi, ne se trouvait-il aucun homme assez stupide, assez alourdi, pour ne pas relever son âme vers les idées célestes, à l’heure où se produisaient ces faits terribles, alors que Dieu portait sa loi. – Enfin, Moïse parlait, et, Dieu lui répondait. Il fallait, en effet, que cette, voix de Dieu se fit entendre ; voulant présenter, sa loi par l’organe de Moïse, il devait d’abord montrer ce Prophète comme digne de foi. D’ailleurs, on n’apercevait point Moïse à cause de cette sombre nuée ; on ne pouvait non plus l’entendre à cause de la faiblesse de sa voix. Que restait-il donc, sinon que Dieu parlât lui-même, que sa voix s’adressât au peuple et fit écouter ses lois divines ?
Mais rappelons-nous notre premier texte : « Car, vous ne vous êtes point approchés d’une montagne sensible, d’un feu ardent, du son de la trompette, et de cette voix que ceux qui l’entendirent s’excusèrent d’entendre, ne voulant plus qu’elle prononçât un mot ». Les Israélites furent donc cause que Dieu se montra dans notre chair. Car que disaient-ils ? « Que Moïse nous parle, et que Dieu cesse de nous parler ».
Les orateurs qui procèdent par comparaisons, rabaissent plus que de droit les sujets étrangers, pour montrer que le leur est bien plus grand. Je me plais à croire au contraire, que ces faits de l’Ancien Testament sont admirables, puisqu’ils sont les œuvres de Dieu et les démonstrations de sa puissance ; et cependant je démontre que notre histoire, à nous, présente plus et mieux à notre admiration. Nos mystères sont doublement grands, puisqu’ils sont plus glorieux et plus nobles, et toutefois d’un accès bien plus facile. C’est ce que saint Paul écrit aux Corinthiens : « Nous voyons, nous, à face découverte, la gloire du Seigneur » ; tandis que Moïse couvrait son visage d’un voile. Ainsi, dit l’apôtre, nos pères n’ont pas été honorés à l’égal de nous. Car, quel honneur leur fut accordé ? Celui de voir ces ténèbres et cette nuée, et d’entendre la voix divine. Vous l’avez entendue, vous aussi, cette voix, non pas à travers la nue, mais par l’organe d’un Dieu fait chair. Loin d’être troublés et bouleversés alors, vous êtes restés de bout devant sa face, vous avez conversé avec votre médiateur.
D’ailleurs, par les ténèbres du Sinaï, l’Écriture nous montre quelque chose de tout à fait invisible : « Une noire nuée », dit-elle, « était sous ses pieds ». Alors Moïse même tremblait ; main tenant, il n’est personne qui tremble. Alors, le peuple se tint au bas de la montagne ; mais nous, loin de rester en bas, : nous montons au-delà des cieux, nous approchons de Dieu même, à titre d’enfants, mais non pas comme Moïse. – Là, on ne voit que désert ; chez nous, c’est la cité, c’est l’assemblée de milliers d’anges ; c’est la joie et l’allégresse qu’on nous montre, au lieu de ces nuages, de ces ténèbres, de cette tempête ; c’est « l’Église des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux ; c’est Dieu, juge de tous les hommes ». Là n’approchèrent jamais les Israélites ; ils se tinrent bien loin en arrière, Moïse comme les autres : vous, au contraire, vous vous êtes approchés. – Toutefois, l’apôtre leur imprime la crainte, en ajoutant : Vous voici aux pieds du Dieu ; juge de tous les hommes, de celui dont le tribunal s’élève, non seulement pour les juifs et pour, les fidèles, Mais pour le monde entier. « Les esprits des justes parfaits » désignent ici les âmes de tous les bons. – « Jésus, médiateur du. Nouveau Testament, et l’aspersion de son sang », rappellent notre justification du péché : – « De ce sang qui parle mieux que celui d’Abel ». Si le sang même peut parler, à plus forte raison peut et doit vivre votre Sauveur mis à mort autrefois. Mais quel est son langage ? L’Esprit, répond saint Paul, « l’Esprit parle par des gémissements ineffables ». (Rom. 8,26) Comment donc s’ex prime-t-il ? C’est qu’en descendant au fond d’un cœur sincère, il le réveille, et lui prête même une voix.
« Gardez-vous de refuser d’entendre ce langage », c’est-à-dire, ne le repoussez jamais. « Car, si ceux qui ont méprisé celui qui leur parlait sur la terre… » De qui parle ici saint Paul ? Il semble désigner Moïse, et faire ce raisonnement : Si ceux qui ont méprisé un législateur terrestre, n’ont pu échapper au châtiment, comment nous soustraire nous-mêmes à celui qui, du haut du ciel, nous impose ses lois ? Toutefois, il n’enseigne pas, Dieu nous garde de le croire ! que ces législateurs soient différents ; il ne nous en montre pas deux dans ce texte, mais seulement que l’un apparaît terrible, quand sa voix tombe des hauteurs célestes. Au fond, c’est le même, pour Israël et pour nous ; mais, chez les Juifs, il est avant tout redoutable. L’apôtre nous montre donc la différence, non pas de donateur, mais seulement de donation. Et quelle est la preuve de ce fait ? C’est la suite même des paroles apostoliques. Car, dit-il, si pour avoir refusé d’entendre celui qui leur parlait sur la terre, ils n’ont pas échappé au châtiment, bien moins éviterons-nous celui qui nous parle du haut du ciel. Mais quoi ? Celui-ci est-il donc autre que le premier ? Non, car autrement, comment l’apôtre dirait-il que la « voix » du premier « ébranlait alors la terre même ? » Et de fait, la voix du législateur antique ébranla la terre.
« Et c’est lui qui a fait pour le temps où nous sommes une nouvelle promesse, en disant : « J’ébranlerai encore une fois, non seulement la terre, mais aussi le ciel ». Or, en disant : « Encore une fois », il déclare qu’il fera cesser les choses muables, comme étant faites pour un temps. Ainsi tout le rite antique devra disparaître de la scène, et se transformer en une loi meilleure par l’œuvre d’en haut. C’est ce que le texte donne à comprendre ici. Pourquoi donc, ô fidèle, te désoler de souffrir sur celle terre non permanente, et d’être affligé dans un monde qui passe si vite ? Si les derniers jours de ce monde devaient être ceux de la paix et du bonheur, on concevrait qu’à la vue de cette fin heureuse, on fût affligé et impatient. – « Afin », dit saint Paul, « que les choses immuables demeurent seules enfin ». Quelles sont ces choses immuables ? Celles de l’avenir éternel.
3. Agissons donc uniquement et en tout pour acquérir cette vie ineffable, pour jouir de ces biens infinis. Oui, je vous en prie et vous en conjure, n’ayons pas d’autre ambition. Personne ne voudrait bâtir dans une ville dont la ruine serait certaine et prochaine. Répondez-moi, en effet : si l’on venait vous prédire que telle cité sera ruinée dans un an, et telle autre jamais, bâtiriez-vous dans celle qui devrait périr ? C’est pourquoi je vous dis maintenant. N’édifions rien en ce monde ? Tout y doit bientôt tomber et périr. Mais que parlé-je de cette ruine d’objets extérieurs ? Avant cette ruine nous périrons nous-mêmes, nous serons rudement frappés, nous sortirons de ce monde si menacé. Pourquoi bâtir sur le sable ? Bâtissons sur le roc ; quel que soit dès lors le choc imminent, notre édifice demeure irrésistible ; il se dresse inexpugnable.
Rien de plus sûr, en vérité : car dans ce lieu suprême, il n’est point d’accès aux attaques ennemies, tandis que ce triste séjour de la terre y est constamment exposé. Ici, en effet, les tremblements de terre, les incendies, les irruptions des ennemis, nous arrachent tout vivants au monde, et souvent nous emportent dans sa ruine. Que si le sol qui nous porte reste intact, il y a toujours quelque maladie pour nous enlever bientôt, ou pour nous empêcher de jouir si nous y restons. Car quel plaisir peut-on goûter dans ce séjour des maladies, des calomnies, des jalousies, des complots incessants ?
Fussions-nous à l’abri de ces maux, souvent nous sommes peinés et désolés de n’avoir point d’enfants, de sorte qu’à défaut de ces chers héritiers à qui nous laisserions nos propriétés, nous souffrons cruellement de travailler pour d’autres. Souvent même notre héritage échoit à nos ennemis, non seulement après notre décès, mais même de notre vivant. Est-il donc rien de plus malheureux que de travailler pour des ennemis, que d’amasser pour soi des péchés sans nombre afin de leur laisser, à eux, le bonheur d’une vie tranquille ? Nos cités offrent de nombreux exemples de ce genre, et je m’arrête de peur d’affliger ceux qui sont ainsi privés de postérité ; mais je pourrais en désigner plusieurs par leur nom ; je pourrais vous redire plus d’une triste histoire, et vous montrer – plusieurs maisons dont la porte s’est ouverte aux ennemis mêmes de ceux qui avaient sué pour les édifier et les embellir. Et ce ne sont pas seulement les maisons, mais les serviteurs, ruais souvent l’héritage tout entier qui est ainsi échu à des ennemis. Ainsi vont les choses humaines.
Dans les cieux, au contraire, vous n’avez à redouter rien de semblable ; ainsi vous n’avez pas à craindre qu’après le décès d’un juste, son ennemi ne se présente et ne lui ravisse son héritage. Là, en effet, plus de mort, plus d’inimitié possible, rien enfin que les tabernacles éternels des saints ; et parmi ces bienheureux, tout est bonheur, joie, allégresse. Car, dit le Prophète, « les cris d’allégresse retentissent dans les tentes des justes ». (Ps. 117,15) Leurs demeures sont éternelles et ne connaissent point de fin ; elles n’éprouvent ni le ravage des temps, ni les changements de propriétaires ; mais elles s’élèvent dans une jeunesse et une beauté perpétuelles. La raison le proclame en effet, là, rien de corruptible ni que la mort puisse attaquer ; tout est immortel et inaccessible aux coups du trépas.
Pour un tel édifice, versons à pleines mains notre argent. Il n’est besoin ni d’architectes ni d’ouvriers. Les mains des pauvres nous édifient ces palais, bien qu’ils soient boiteux, aveugles, mutilés : ils sont ici les constructeurs. N’en soyez pas surpris, puisque ce sont eux qui nous gagnent un trône même, et nous procurent l’entière confiance en Dieu.
L’aumône en effet, est, de tous les arts, le meilleur et le plus utile à ceux qui savent l’employer. Amie de Dieu, toujours proche de lui, elle est admise facilement à tout demander pour ceux qu’elle adopte, pourvu que nous ne lui fassions pas d’injustice à elle-même. Or, c’est lui faire injure, que d’être aumôniers de biens volés. Que si, au contraire, l’aumône est pure et véritable, elle communique à ceux qui savent l’épancher, une merveilleuse confiance : tant est grande sa puissance, pour ceux mêmes qui ont péché ! Elle brise leurs fers, dissipe les ténèbres, éteint le feu, tue le ver rongeur, et leur épargne les grincements de dents. Devant elle, les portes des cieux s’ouvrent en toute sécurité. Et comme, lorsqu’une reine fait son entrée, aucun des gardes qui veillent aux portes du palais n’osera jamais s’enquérir de cette majesté ni de ses démarches, et qu’au contraire tous lui feront un humble accueil ; ainsi est reçue l’aumône, parce qu’elle est une véritable reine et qu’elle rend les hommes semblables à Dieu, selon qu’il est écrit : « Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux ». (Lc. 6,36)
Prompte et légère, armée de ses ailes d’or, l’aumône peut prendre un vol qui réjouit les anges. C’est d’elle que le Prophète a dit, « que le plumage de la colombe est argenté ; et que son dos reflète l’éclat de l’or pâlissant ». (Ps. 67,14) Semblable à cette colombe vivante et illuminée d’or, elle prend son essor ; son aspect est souriant, son regard est plein de douceur, et d’une beauté que rien ne dépasse au monde. Le paon lui-même, avec ses splendeurs incontestables, n’est rien auprès d’elle, tant cette habitante des cieux est belle et ravit l’admiration. Son regard toujours s’élève au ciel ; Dieu l’entoure de sa gloire ineffable ; c’est une vierge aux ailes d’or, splendidement parée, et dont les traits respirent la candeur et la mansuétude. C’est l’aigle, aussi puissant que léger, et qui dort au pied du trône royal ; dès que Dieu nous juge, elle retrouve son vol et se montre pour nous couvrir de ses ailes et nous sauver du supplice.
L’aumône ! Dieu la préfère aux sacrifices. Souvent il en parle, tant il l’aime : « Elle recueillera », dit-il, « la veuve, l’orphelin et le pauvre ». Dieu aime à emprunter d’elle son plus doux nom, d’après David qui appelle le Seigneur bon, miséricordieux, patient, clément à l’infini, toujours vrai ». (Ps. 145,9 ; 102, 8 ; 145, 8) Tandis qu’un autre Prophète s’écrie. : « La miséricorde de Dieu règne sur la terre ; c’est elle qui a sauvé le genre humain ». (Ps. 56,12) En effet, s’il n’avait eu pitié de nous, tout aurait péri. Cette miséricorde nous a réconciliés avec lui quand nous étions ses ennemis ; elle nous a comblés de grâces innombrables ; elle a décidé le Fils même de Dieu à se faire esclave, à s’anéantir pour nous.
Ah ! saintement jaloux, mes frères, imitons une vertu qui nous a sauvés ; aimons-la ; estimons-la plus que l’argent, et, si l’or nous manque, ayons du moins le cœur miséricordieux. Bien ne caractérise le chrétien, autant que l’aumône ; rien n’est admiré de l’incrédule, ou pour mieux dire, de tout le monde, comme notre charité miséricordieuse. Nous-mêmes, d’ailleurs, nous avons besoin de cette miséricorde, puisque chaque jour nous disons à Dieu : « Ayez pitié de nous selon votre grande miséricorde ». (Ps. 24,7) Commençons par la pratiquer nous-mêmes ; mais non ! jamais nous ne commençons, puisque Dieu d’abord a montré sa miséricorde envers nous : mais, bien chers frères, suivons cette trace divine. Car si les hommes aiment à rendre pitié pour pitié à celui même qui s’est couvert de crimes, mais qui a été miséricordieux, le Seigneur, bien plus que nous, adopte cette conduite.
Écoutez la parole du Prophète : « Pour moi », dit-il, « je suis dans la maison de Dieu comme l’olivier qui porte son fruit ». (Ps. 51,10) Rendons-nous semblables à l’olivier. De tous côtés les préceptes divins nous pressent : il ne suffit pas qu’on soit l’olivier, il faut être celui encore qui porte son fruit. Il y a des gens qui ont quelque miséricorde, qui, dans l’intervalle de toute une année, donnent une fois, ou qui sont aumôniers chaque semaine seulement, ne donnant presque rien. Par leurs actes de miséricorde, voilà des oliviers, sans doute ; mais à des actes aussi peu larges, aussi peu généreux, vous ne reconnaissez pas des oliviers féconds. Quant à nous, soyons fertiles toujours !
Je l’ai dit souvent, et je le répète aujourd’hui : ce n’est pas l’importance absolue de ce qu’on donne qui constitue la grandeur de l’aumône, mais bien la volonté et le cœur de celui qui donne. Vous connaissez l’histoire de la veuve ; car il est toujours utile de rappeler cet exemple, afin que le pauvre ne désespère pas de lui-même, à la vue de cette femme qui laissait tomber dans le tronc ses deux oboles. Quand on rebâtit le temple, on vit des gens offrir leurs cheveux mêmes, et ces humbles donateurs ne furent point repoussés. Si possédant de l’or, ils avaient fait cette offrande de leur chevelure seulement, ils méritaient d’être maudits ; mais s’ils n’ont fait ce sacrifice que parce que cette aumône seule leur était possible, Dieu les a bénis. C’est ainsi que Caïn fut réprimandé, non pas pour avoir offert des choses sans valeur, mais parce qu’il offrit ce qu’il avait de moindre dans ses propriétés. Car « maudit soit », dit un Prophète, « celui qui possède une victime mâle et « sans défaut, et qui offre à Dieu une bête malade ». (Mal. 1,14) Il ne réprouve pas absolument celui qui présente peu, mais celui qui possède et se montre avare. Donc, celui qui ne possède rien n’est point non plus coupable ; que dis-je ? sa moindre aumône a droit à la récompense. Car est-il plus pauvre sacrifice que celui de deux oboles ? Est-il un don plus misérable que celui d’une chevelure ? Est-il offrande plus vile que celle d’une petite mesure de farine ? Et cependant ces présents ne furent pas moins appréciés de Dieu que les veaux et l’or. Chacun est agréé de Lui en proportion de ce qu’il a, et non en proportion de ce qu’il n’a pas : car, dit l’Écriture, soyez bienfaisant selon ce que votre main possède.
Je vous en prie donc, épanchons sur les pauvres, avec un cœur joyeux, nos biens, si chétifs qu’ils soient. Nous recevrons la même récompense que ceux qui auront donné davantage ; que dis-je ? nous serons récompensés plus que ceux qui auront prodigué l’or. Si nous suivons cette conduite, nous aurons droit aux trésors ineffables de Dieu ; pourvu que non contents d’écouter, nous agissions ; non contents de louer, nous nous mettions à l’œuvre. Puissions-nous y arriver tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, etc.


HOMÉLIE XXXIII.

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C’EST POURQUOI, COMMENÇANT À POSSÉDER CE ROYAUME IMMUABLE, CONSERVONS-LA GRACE, PAR LAQUELLE NOUS PUISSIONS RENDRE A DIEU UN CULTE QUI LUI SOIT AGRÉABLE, ÉTANT ACCOMPAGNÉ DE RESPECT ET DE PIÉTÉ. CAR NOTRE DIEU EST UN FEU DÉVORANT. (CHAP. 12,28 ET 29 JUSQU’A XIII, 16)

Analyse.

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  • 1 et 2. Avis spirituels : Faire son salut avec crainte. – Exercer l’hospitalité, la charité, la pureté. – Obéir à l’autorité, qui représente Jésus-Christ et sa doctrine toujours invariables. – Sens mystique de l’immolation de certaines victimes hors du camp d’Israël. – Jésus, aussi, a souffert hors de Jérusalem ; sortons de ce monde et suivons-le jusqu’au calvaire. – Saint Jean Chrysostome revient sur chacun des avis spirituels déjà donnés. Il insiste sur la licité du mariage et de ses droits, sur la confiance en Dieu, sur l’avantage infini que la foi possède vis-à-vis du raisonnement.
  • 3 et 4. Sortons de ce monde, comme Jésus sort de Jérusalem, portant la croix ; offrons par lui nos souffrances à Dieu. – Rendons-lui en grâces, comme d’autant d’occasions de vertu. – La voie du ciel est étroite, on n’y entre qu’en se rapetissant par l’humilité, en se détachant de tout par la résignation.


1. « C’est pourquoi commençant à posséder ce royaume immuable ». Saint Paul déjà disait ailleurs :« Les choses visibles sont temporelles ; mais les invisibles sont éternelles » (2Cor. 4,18) ; et de cette réflexion il tirait un motif de nous consoler dans les maux que nous supportons durant la vie présente : c’est la même pensée, c’est la même conclusion qu’il fait valoir ici. « Conservons la grâce », c’est-à-dire, rendons grâces à Dieu, et demeurons fermes et fidèles ; car non seulement nous ne devons pas murmurer à raison du présent, mais nous sommes obligés de garder la plus vive reconnaissance à raison de l’avenir promis. « La grâce, par laquelle nous puissions rendre à Dieu un culte qui lui soit agréable ». Comprenez : c’est ainsi qu’il nous faut servir Dieu, nous efforçant de lui plaire, lui rendant grâces en toutes choses, comme dit ailleurs l’apôtre : « Agissez en tout sans murmure et sans dispute ». (Phil. 2,14) Car ce qu’on fait en murmurant, on en retranche le mérite, on en perd le salaire, comme il est arrivé aux Israélites ; car vous savez comme ils ont été punis à cause de leurs murmures ; et c’est ce qui lui fait dire : « Ne murmurez point ! » Il vous est donc impossible de servir Dieu de manière à lui être agréables, si vous ne lui rendez grâces de tout événement, des jours d’épreuves comme des temps de calme. « Avec crainte et respect », c’est-à-dire, sans jamais nous permettre une parole d’orgueil ou d’impudence, mais au contraire nous maîtrisant toujours sous la loi et la pratique du respect. C’est ce que nous recommande cette expression : « Avec crainte et respect ».
« Conservez toujours la charité avec vos frères. « Ne négligez pas d’exercer l’hospitalité ; car c’est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir ». (Chap. 13,1, 2) Voyez-vous comme l’apôtre leur recommande de garder leur ligne actuelle de conduite, sans leur enjoindre autre chose ? Ainsi, il ne dit pas : Aimez vos frères, mais : « Conservez votre charité à l’égard de vos frères ». Et il ne dit pas non plus Soyez hospitaliers, comme s’ils ne l’étaient pas déjà ; mais seulement : « N’oubliez pas la sainte hospitalité ! » car la tribulation fait négliger trop facilement ce devoir. Puis, ajoutant un motif bien capable de les exciter à le remplir, il ajoute : « C’est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir ». Comprenez-vous quel fut pour eux et l’honneur et l’avantage ? Qu’est-ce à dire : « Sans le savoir ? » c’est-à-dire que sans reconnaître les anges, ils leur donnèrent l’hospitalité. Ainsi c’était pour Abraham une grande récompense déjà d’avoir reçu, sans qu’il s’en doutât, des anges mêmes pour hôtes. S’il les avait connus comme tels, sa conduite n’aurait rien d’admirable. Quelques interprètes pensent que l’apôtre en ce passage fait aussi allusion à Loth.
Souvenez-vous de ceux qui sont dans les « chaînes, comme si vous étiez vous-mêmes enchaînés avec eux ; et de ceux qui sont affligés, comme étant vous-mêmes dans un corps mortel. Que le mariage soit traité de tous avec honnêteté, et que le lit nuptial soit sans tache ; car Dieu condamnera les fornicateurs et les adultères. Que votre vie soit exempte d’avarice ; soyez contents de ce que vous avez (3-5) ». Vous voyez comme saint Paul aime à parler fréquemment de la sainte continence. Soyez, a-t-il dit déjà, soyez zélés polir la paix et l’honnêteté. Et ailleurs : Point de fornicateurs, point de profanes parmi vous ! Et ici : Dieu jugera les fornicateurs et les adultères. Partout la défense est accompagnée d’une sanction pénale ; vous en serez convaincus en étudiant la suite de son discours. Ainsi, quand il a dit : « Soyez zélés pour garder avec tout le monde la paix et l’honnêteté », il ajoute aussitôt : « Sans cette vertu, personne ne verra Dieu ». (Héb. 12,14) Et de même ici : « Dieu jugera les fornicateurs et les adultères », dit-il, après avoir établi d’abord : que le mariage doit être traité par tout le monde avec honnêteté, et que le lit nuptial doit être sans tache ; le châtiment dont il menace les transgresseurs, justifie la loi qu’il vient de promulguer. Car si le mariage est une concession divine, Dieu est en droit de punir la débauche, Dieu a le devoir de châtier l’adultère. L’apôtre combat ici, d’ailleurs, les hérétiques. Remarquez toutefois encore qu’il ne dit pas : Qu’il n’y ait point de fornicateurs parmi vous ! Il s’est servi d’une expression plus générale ; il n’a donné qu’une exhortation qui n’a pas l’air de s’adresser aux Hébreux spécialement, mais « tout le monde. Que votre vie soit exempte d’avarice ; soyez contents de ce que vous avez ». Il ne dit pas : Ne possédez, rien ; mais seulement :
N’ayez point d’avarice dans votre conduite ; c’est-à-dire : Que votre cœur soit libre ; que tous montrent une âme haute et sage ; et nous la montrerons telle, si loin de chercher le superflu, nous nous attachons uniquement au nécessaire. Il leur avait déjà rendu témoignage en ce point : « Vous avez subi avec joie », disait-il, « le pillage de vos biens ». (Héb. 10,34) Autant d’avis pour prévenir en eux l’avarice. « Soyez contents », ajoute-t-il, « de ce que vous avez » ; et aussitôt il ajoute une parole consolante, afin que jamais l’espérance ne leur manque : car c’est Dieu même qui a dit : « Je ne vous délaisserai point, je ne vous abandonnerai point. C’est pourquoi nous disons avec confiance : Le Seigneur est mon secours ; je ne « craindrai point ce que les hommes pourront me faire (6) ». C’est une nouvelle consolation dans leurs épreuves. « Souvenez-vous de vos guides ». C’est un avis que l’apôtre brillait déjà de leur faire entendre, et qui lui faisait dire : Gardez la paix avec tous. C’était l’avertissement qu’il adressait de : même aux Thessaloniciens, leur recommandant de traiter leurs conducteurs avec grand honneur. Donc, dit-il, « souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont prêché la parole de Dieu ; et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur « foi (7) ». Quelle est ici la suite du raisonnement ? Elle est évidente et parfaite. Considérez, dit-il, leur conduite, c’est-à-dire leurs vie et mœurs, et imitez leur foi : car la foi vient de la pureté de la vie et se démontre par là. On peut, entendre aussi par cette foi, la fidélité et fa fermeté dé la conduite. Comment cela ? C’est que leur croyance ferme aux récompenses à venir les a maintenus dans cette droiture de vie et de mœurs. Car ils n’auraient jamais montré une telle pureté de vie, s’ils n’avaient eu pour les réalités à venir que doute et hésitation d’esprit. Aussi l’apôtre leur recommande-t-il une foi semblable.
2. « Jésus-Christ était hier, il est aujourd’hui, et il sera le même dans tous les siècles. Ne vous laissez pas emporter à une diversité d’opinions et à des doctrines étrangères. Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, au lieu de s’appuyer sur des discernements de viandes, qui n’ont point servi à ceux qui les ont observés (8, 9) ». Jésus-Christ était « hier » ; entendez.: pendant tout le temps passé ; il est « aujourd’hui », c’est le temps actuel ; « dans tous les siècles », c’est l’avenir et l’éternité. Comprenez encore : vous l’avez entendu nommer Pontife, mais non pas Pontife pour cesser de l’être jamais : car il est toujours le même. Peut-être certains hommes oseront prétendre que le crucifié n’est pis le Christ qui est attendu, qu’un autre que lui viendra : mais saint Paul nous dit que le Christ d’hier et d’aujourd’hui est le même pour tous les siècles ; c’est déclarer évidemment que le Messie déjà venu, viendra de nouveau, que le même était, est et sera dans l’éternité. A l’heure même où nous sommes, les juifs prétendent qu’un autre viendra, et comme ils se sont eux-mêmes privés du Christ véritable, ils tomberont dans les filets de l’antéchrist. « Ne vous laissez pas aller à des doctrines toujours variables et étrangères ». Les fausses doctrines varient, et, de plus, sont étrangères. L’apôtre savait, en effet, qu’à ces deux titres le danger et la ruine doivent naître sous les pas de ceux qui se laissent entraîner. « Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, au lieu de s’appuyer sur des discernements de viandes, qui n’ont point servi à ceux qui les ont observés ». L’apôtre indiqué ici certaines gens qui introduisaient des distinctions dans les aliments. La foi, rend tout aliment pur : il est besoin de foi, et non de telle ou telle nourriture.
« Car nous avons un autel dont ceux qui servent dans le tabernacle n’ont pas pouvoir de manger ». Nous avons une victime, nous aussi, et qui ne ressemble pas à celle du judaïsme, tellement que le grand pontife d’Israël n’a pas le droit d’y participer. L’apôtre venait de dire : N’observez plus de distinction d’aliments, et semblait un démolisseur de son autel même. Mais il reprend cette défense en sous-œuvre. Croyez-vous, dit-il, que nous ne, sachions pas discerner nous-même entre une viande et une autre ? Nous discernons, et avec plus de soin que personne ; et nous ne donnerions pas même à vos prêtres notre aliment sacré.
« Car les corps des animaux, dont le sang est porté par le pontife dans le sanctuaire, pour l’expiation du péché, sont brûlés hors du camp. Et c’est pour cette raison que Jésus, devant sanctifier tout le peuple par son sang, a souffert hors de la ville (11, 12) ». Voyez-vous ce type lumineux ? « Hors du camp, hors de la ville ». Oui, les victimes qu’on offrait pour le péché, n’étaient que figuratives, et toutefois on les brûlait en holocauste hors du camp ; Jésus par conséquent a dit souffrir hors de la ville, puisqu’il s’offrit pour nos péchés. A nous donc aussi d’imiter celui qui pour nous voulut subir la mort ; à nous de sortir de ce monde, ou plutôt des vaines affaires de ce monde ; en d’autres termes, soyons étrangers au monde ;. vivons en dehors des choses de la terre. C’est dans ce sens que l’apôtre ajoute clairement : « Sortons donc, aussi hors du camp, et allons à lui, en portant l’ignominie de sa croix (13) », c’est-à-dire en souffrant comme lui, et nous mettant en communion de tribulations avec lui. Pareil au condamné à mort, il a été traîné hors de Jérusalem au supplice ; n’ayons pas honte nous-mêmes de sortir de ce monde. C’est ce que l’apôtre laisse à entendre dans ces expressions : Sortir hors du camp, hors de la ville. « Car », dit-il, « nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente ; mais nous cherchons celle où nous devons habiter un jour. Offrons donc par lui sans cesse à Dieu une hostie de louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom (14, 15) ». – « Par lui », dit-il, comme par les mains d’un pontife, car il l’est comme homme et dans sa chair. – « Des lèvres », ajoute-t-il, « qui glorifient son nom » : comme s’il disait : N’ayons aucune parole de malédiction, d’insolence, de présomption, d’impudence, d’orgueil ; mais que la pudeur et les convenances règlent tous nos discours et toutes nos actions. Au reste, l’apôtre ne fait point sans motif de telles recommandations aux Hébreux ; il sait que leurs cœurs sont livrés à l’affliction, et que, sous cette influence, l’âme souvent rejette tout espoir, dépouille toute pudeur. Et c’est, dit-il, ce que nous ne ferons jamais ; répétant ainsi une pensée que plus haut il exprimait ainsi : « N’abandonnez point nos réunions » ; tel est, en effet, le moyen d’agir en tout avec pudeur et sagesse ; car il est plus d’un péché que nous évitons de commettre, ne fût-ce que par respect de nos semblables.
3. « Enfin souvenez-vous d’exercer la bienfaisance et la communion des biens (16) ». C’est ce que Paul disait alors, et c’est aussi ce que je vous répète aujourd’hui, et je ne m’adresse pas seulement aux frères ici rassemblés, mais aux absents eux-mêmes. Personne n’a pillé vos biens. Or l’apôtre dit : Supposé même que l’on vous ait ainsi dépouillés, montrez-vous encore hospitaliers avec ce qui vous reste. Quelle excuse aurons-nous donc à l’avenir, quand ces disciples entendent un tel langage après ce pillage de leurs biens ? Et remarquez que l’apôtre dit ici : « N’oubliez pas d’exercer la bienfaisance », après avoir dit : « L’hospitalité » ; n’indiquant pas, par conséquent, tantôt un précepte, tantôt un autre, mais un seul et même précepte sous des expressions différentes. Il ne dit pas : N’oubliez pas de recevoir les étrangers, mais : N’oubliez pas l’hospitalité ; c’est-à-dire non seulement recevez, mais aimez l’étranger. Il n’a pas parlé non plus ici d’une récompense à venir et déposée par avance au ciel ; craignant qu’une simple expectative ne les endorme davantage, il parle d’une récompense déjà donnée : grâce à l’hospitalité, dit-il, plusieurs, à leur insu, ont accueilli des anges.
Mais revenons sur nos pas. « Le mariage », dit saint Paul, « est honorable en tout, ainsi qu’un lit nuptial sans tache ». Comment le mariage est-il honorable ? C’est, répond-il, qu’il maintient et conserve le fidèle dans la chasteté. Il condamne ici implicitement les juifs, qui regardaient comme impure l’union des corps, disant que l’homme qui sort ainsi de la couche nuptiale ne peut être pur. L’œuvre de la nature ne peut être abominable, ô Juif ingrat et sans raison ; le péché ne peut être que l’œuvre de la volonté libre et consentante. Que si le mariage est honorable et pur, comment l’usage de ses droits pourrait-il souiller l’homme ? « Que nos mœurs soient exemptes d’avarice ». Un trop grand nombre de gens, après avoir épanché généreusement tous leurs biens, veulent les retrouver sous forme d’aumône ; c’est pourquoi l’apôtre dit : Point d’avarice ! Ne cherchez rien au-delà du besoin, du nécessaire ! – Mais quoi ? Peut-être n’avons-nous pas même cet indispensable nécessaire ? – Mensonge, dit l’apôtre, mensonge évident : car Dieu même a dit, et il ne peut nous tromper : « Je ne vous délaisserai point, je ne vous abandonnerai point » ; de sorte que nous puissions dire aussi : « Le Seigneur est mon pro« lecteur ; je ne craindrai point ce que l’homme « voudrait me faire ! » (Ps. 117,6) Comme si (apôtre disait : Vous avez une promesse divine, ne doutez pas un instant ! Il s’est engagé : Ne chancelez pas ! Et cette parole : Je ne vous abandonnerai pas, comprend non seulement les besoins d’argent, mais tous les besoins. « Le Seigneur est mon protecteur ; et je ne craindrai pas ce que l’homme voudrait me faire » : parole du prophète, que l’apôtre emprunte avec raison pour mettre comme un sceau à sa propre affirmation, et pour redoubler en nous cette confiance qui rend le désespoir impossible. Répétons donc, nous aussi, ces assurances divines dans toutes nos épreuves. N’ayons pour les choses humaines qu’un sourire de mépris ; tant que nous aurons la faveur de Dieu, personne ne nous pourra vaincre. Comme l’amitié de tous les hommes nous serait inutile, si Dieu est notre ennemi ; par contre, avec sa seule amitié, le monde entier peut nous faire la guerre, sans que nous soyons même atteints. Aussi, continue le Prophète, « je ne craindrai pas ce que l’homme peut me faire ».
« Souvenez-vous de vos conducteurs qui ont « annoncé la parole de Dieu ». Je crois que l’apôtre recommande encore ici la charité reconnaissante et secourable ; c’est là que tend cette remarque : Ils vous ont annoncé la parole de Dieu ; – « Et considérant quelle a été la fin de leur vie, imitez leur foi ». – « Considérant », qu’est-ce à dire ? étudiant constamment, examinant avec réflexion, avec raisonnement, avec scrupule, avec toute ardeur et bonne volonté. L’apôtre choisit à bon droit l’expression : « Examinant la fin de leur vie », c’est-à-dire une vie jusqu’au bout sage et pure, une vie qui mérite une fin heureuse. « Jésus-Christ était hier, il est aujourd’hui et sera le même dans tous les siècles ». C’est-à-dire : N’allez pas croire qu’il ait fait des miracles, et qu’il n’en fasse plus aujourd’hui. Il est toujours le même ; et parce qu’il est le même, on ne pourrait assigner aucun temps où pareille puissance ne soit plus à lui. C’est peut-être à cette perpétuité du Christ que pensait l’apôtre en écrivant : « Souvenez-vous de vos conducteurs ; et ne vous laissez pas entraîner par des doctrines variées et étrangères ». – « Étrangères », entendez : à des doctrines différentes de celles que nous vous avons enseignées ; « variées », comprenez à des enseignements de tous genres ; qui, en effet, n’ont rien de stable, mais qui se contredisent, surtout quand il s’agit des aliments purs ou noie. L’apôtre ajoute, en vue de ce dernier point : « Car il est bon d’affermir son cœur par la grâce, et non par tels aliments » : car ici surtout est la variété, ici l’étrangeté de doctrine. Il invective donc contre ces discernements de viandes, et montre que cette vaine observance a précipité les Hébreux dans une véritable hétérodoxie, puisqu’elle les a portés à admettre des enseignements contradictoires et nouveaux. Remarquez toutefois qu’il n’ose pas les accuser expressément, mais seulement par insinuation. Car lorsqu’il dit : « Ne vous laissez pas entraîner à des doctrines variées et étrangères » ; et : « Il est bon, en effet, d’affermir son cœur par la grâce et non par tels ou tels aliments », il ne fait que répéter équivalemment la maxime de Jésus-Christ : « Ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui souille l’homme » (Mt. 15,11) ; démontrant que c’est la foi, au contraire, qui est tout au monde, et que si elle vous affermit, elle vous met le cœur en sûreté. Oui, la foi seule donne à l’âme force et fermeté ; tandis que les raisonnements n’y jettent que le trouble : c’est qu’aussi le raisonnement est l’opposé de la foi.
« Ces vaines observances », continue-t-il, « n’ont point servi à ceux qui les ont pratiquées ». A quoi sert, en effet, une vaine observance, sinon, surtout, à vous perdre, sinon à placer sous le joug du péché celui qui la pratique ? S’il faut des observances, cherchez et suivez celles qui peuvent être utiles à qui les embrasse. Une bonne observance, ce sera la fuite du péché, la droiture du cœur, la piété envers Dieu, la foi vraie et pure. – « Celles-là n’ont point servi à ceux qui les ont suivies », c’est-à-dire, gardées même le plus constamment. L’unique observance doit être de s’abstenir du péché. À quoi sert tout le reste, si quelques-uns même des plus zélés se rendent assez criminels pour ne pouvoir participer aux sacrifices ? Voilà donc des hommes que rien ne sauvait devant Dieu, malgré ce zèle ardent pour leurs pratiques religieuses ; aucune ne leur servait absolument, parce qu’ils n’avaient pas la foi. – L’apôtre continue en déclarant l’abolition du sacrifice d’après son Caractère purement figuratif, et revenant ainsi à son grand principe. « Car », dit-il, « les corps des animaux » dont le sang est porté par le pontife dans « le sanctuaire pour l’expiation du péché, sont bridés hors du camp ; et c’est pour cette raison que Jésus, devant sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte de la ville ». Ainsi les sacrifices anciens n’étaient que la figure des nôtres, et Jésus-Christ a tout accompli, en souffrant hors de Jérusalem. L’apôtre fait entendre aussi dans ce passage que Jésus-Christ a souffert de son plein gré ; d’ailleurs ces sacrifices anciens n’étaient pas institués simplement pour eux-mêmes, ils n’étaient que figuratifs, et l’économie de la divine Passion hors des murs de la cité sainte s’y peignait d’avance. Ainsi notre Maître a souffert hors de la ville : mais son sang a été porté jusqu’aux cieux.
4. Vous le voyez : nous communions au sang qui était porté dans le sanctuaire, dans le vrai Saint des saints, au sacrifice dont seul le grand Pontife avait droit de jouir ; nous avons part à la Vérité même. Prenons garde, toutefois, que si, sans participer aux outrages de notre divin Maître, nous avons notre part de salut et de sainteté, ces outrages, cependant, ont été les vraies causes de notre sanctification. Donc, comme il a subi l’opprobre, attendons-nous à le subir ; et si, avec lui, nous « sortons dehors », avec lui un jour nous ne ferons qu’un. Mais qu’est-ce que cet avis : « Sortons dehors, et allons à lui ? » – Partageons ses souffrances, supportons ses opprobres. Ce n’est pas sans mystère qu’il a souffert « hors' de la « porte », mais pour nous apprendre à porter sa croix, nous aussi, à demeurer en dehors du monde, à nous faire un devoir d’en rester ainsi éloignés ; à nous soumettre enfin aux outrages qu’il a subis comme un condamné vulgaire.
« Et par lui, offrons un sacrifice à Dieu ». Quel est ce sacrifice ? L’apôtre même l’interprète « du fruit des lèvres qui rendent gloire à son nom », c’est-à-dire de prières, d’hymnes, d’actions de grâces, car tel est le fruit des lèvres. Les juifs offraient des brebis, des bœufs et des veaux et les donnaient au prêtre. Quant à nous, n’offrons rien de semblable ; mais l’action de grâces, et s’il se peut, en toutes choses, l’imitation de Jésus-Christ. Que tel soit le produit de nos lèvres. « Souvenez-vous d’exercer la charité et de faire part aux autres de vos biens : car c’est par de semblables hosties qu’on se rend Dieu favorable ». Mettons ce sacrifice aux mains de Notre-Seigneur, pour qu’il les offre au Père ; l’offrande ne peut parvenir, en effet, que « par le Fils », ou plutôt par le cœur contrit. Cette recommandation s’accommode à la faiblesse de fidèles encore peu instruits. Car, bien évidemment, au Fils même la grâce appartient autrement comment aurait-il droit à l’égalité d’honneur avec son Père ? Or, dit Jésus-Christ, « il faut que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père ». (Jn. 5,23) Si donc la gloire du Père peut se séparer de la glorification du Fils, ou est l’égalité d’honneur ?
« Le fruit des lèvres qui glorifient son nom », c’est l’action de grâces à lui rendues, en mémoire de tout ce qu’il a souffert pour nous. Supportons avec reconnaissance, pauvreté, maladie, tout au monde enfin ; lui seul connaît ce qui est de notre intérêt véritable. En effet, « nous ne savons ce que nous devons demander à Dieu ». (Rom. 8,26) Que si nous ignorons quel doit être l’objet même de nos demandes, comment, à moins que, l’Esprit de Dieu ne nous le » suggère, connaîtrions-nous nos vrais intérêts ? Efforçons-nous donc d’offrir en toutes choses l’action de grâces, de supporter tous les événements avec générosité de cœur. Quand nous sommes en proie à la pauvreté, à la maladie, rendons grâces à Dieu ! Rendons-lui grâces, quand la calomnie nous assaille, quand l’injustice nous éprouve. Voilà, en effet, autant de moyens qui nous rapprochent de Dieu, qui font même de Lui notre débiteur, tandis que le bonheur et les joies nous rendent ses débiteurs et ses obligés. D’ailleurs, les chances heureuses nous procurent souvent un jugement plus sévère, taudis que les épreuves contribuent à expier nos péchés. Celles-ci forcément nous inclinent à la charité, à la pitié pour nos frères ; tandis que celles-là nous élèvent par l’orgueil, nous rabaissent par la paresse, nous disposent à sourire à mille fantômes de présomption en nous-mêmes, et enfin nous ôtent toute énergie. Aussi le Prophète s’écriait : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne les ordonnances de votre justice ». (Ps. 118,71) Lorsque Ezéchias se vit couvert des bienfaits de Dieu et délivré de tout mal, alors son cœur s’enfla : mais quand il devint malade, aussitôt il s’humilia, et dès lors se rapprocha de Dieu. – « Quand le Seigneur frappait son peuple », dit l’Écriture, « alors celui-ci le cherchait, se convertissait, lui faisait retour dès le matin » (Ps. 77,34) ; « mais dès que Dieu eût comblé et engraissé de biens ce peuple chéri, il le vit récalcitrant ». (Deut. 32,15) « En effet, on reconnaît Dieu quand il exécute son jugement ». (Ps. 9,17)
C’est donc un grand bien que l’affliction : car la voie du salut est étroite, et c’est l’affliction qui nous met dans l’étroit sentier. Qui n’est point affligé ne peut entrer. Celui qui sait ainsi s’affliger et se réduire à l’étroit, est aussi celui qui jouit du vrai repos ; mais celui qui s’enfle, n’entrera jamais, et sera encore serré, si j’ose le dire, comme le bois sous l’effort du coin. Écoutez comme saint Paul entra de son gré dans cette voie étroite. « Je châtie mon corps », nous dit-il, « et je le réduis en servitude ». Châtie-le donc aussi, pour pouvoir entrer. – L’apôtre rendait à Dieu, dans toutes ses afflictions, de perpétuelles actions de grâces. Et toi, es-tu frappé dans ta fortune ? La ruine, au fond, t’a mis au large. Es-tu déchu de ta gloire ? Autre affranchissement. Es-tu victime de l’hypocrisie ; et, des crimes dont tu es innocent, ont-ils obtenu créance contre toi ? Sache te réjouir et l’applaudir. « Car », a dit le Seigneur, « vous serez bienheureux quand les hommes vous accableront d’opprobres et diront faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce qu’une grande récompense vous est réservée dans les cieux ». (Mt. 5,12)
Pourquoi vous étonner des afflictions, et vouloir être délivrés des épreuves ? Paul aussi, demanda sa délivrance ; il en fit l’objet de nombreuses prières à Dieu, et ne l’obtint pas. Car en disant « Je l’ai demandée par trois fois », il veut dire, souvent. « Et Dieu m’a répondu », ajoute-t-il « Ma grâce vous suffit ; car ma force éclate dans les infirmités ». (1Cor. 12,8) Il appelle ici infirmités les souffrances. Or, qu’est-il arrivé ? Heureux d’avoir reçu cette réponse, l’apôtre supporta ses peines avec reconnaissance, et s’écria : « Aussi bien je suis fier dans mes infirmités mêmes », c’est-à-dire je place dans les afflictions, mon plaisir et mon repos. Ainsi, rendons grâces de toutes choses, heureuses ou affligeantes ; ne murmurons pas, ne soyons pas ingrats. Oui, mon frère, dis-le sincèrement, toi aussi : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je dois m’en aller un jour ». (Job. 1,21) Tu n’es pas venu au monde avec la gloire ; ne cherche point la gloire ; car tu es entré dans la vie avec une complète nudité, non seulement de fortune, mais de gloire et de bonne renommée. Pense aux maux infinis que souvent a produits la richesse, ou plutôt écoute ici les oracles de Jésus-Christ : « Il est plus facile à un chameau d’entrer « par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer « dans le royaume des cieux ». (Mt. 19,24) Vous voyez à quels biens infinis la richesse fait obstacle ! Et vous cherchez. à vous enrichir ! Et pauvres, vous n’ôtes pas heureux de voir pour vous l’obstacle renversé ! Oui, la voie qui conduit au royaume est étroite ; autant sont grandes les richesses, autant elles apportent et d’enflure et de tristes bagages. Aussi Jésus-Christ dit-il : « Vendez ce que vous avez » (Mt. 19,21), pour que l’étroit sentier vous reçoive. Pourquoi désirer l’argent ? Dieu vous l’a retiré, pour vous affranchir d’un véritable esclavage. Un vrai père, souvent, quand il a constaté que son fils s’est perdu par une honteuse fréquentation, et que d’ailleurs il n’a pu par ses avis lui persuader de la rompre, agit lui-même et chasse cette créature bien loin. L’argent trop abondant est une attache de ce genre. Aussi prenant en main nos intérêts, et nous sauvant du malheur que l’or entraîne, le Seigneur nous enlève cet or maudit. Ne regardons pas, en conséquence, la pauvreté comme un mal : le seul mal, c’est le péché ; le seul bien, c’est de plaire à Dieu. Cherchons plutôt la pauvreté ; poursuivons-la avec amour. Ainsi saisirons-nous le ciel ; ainsi gagnerons-nous les biens promis. Puissions-nous y arriver tous, etc.

HOMÉLIE XXXIV.

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OBÉISSEZ A VOS CONDUCTEURS ET SOYEZ-LEUR SOUMIS, AFIN QU’AINSI QU’ILS VEILLENT POUR LE BIEN DE VOS ÂMES, COMME DEVANT EN RENDRE COMPTE, ILS S’ACQUITTENT DE CE DEVOIR AVEC JOIE, ET NON EN GÉMISSANT ; CE QUI NE VOUS SERAIT PAS AVANTAGEUX. (XIII, 17 JUSQU’A LA FIN)

Analyse.

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  • 1 et 2. Prélude sur l’obéissance en général. – Dangers de l’anarchie. – Distinction entre l’autorité et l’homme qui en est revêtu. – Les Hébreux n’ont que de bons chefs spirituels. – Ceux-ci, quand on leur désobéit, ont une seule et redoutable manière de se venger : c’est de gémir ; Dieu se fera leur vengeur. – Terrible passage sur le salut des prêtres parvenus par ambition. – Derniers vœux de saint Paul en faveur des Hébreux. – Il leur souhaite la concorde et la grâce de Dieu.
  • 3. Nous pouvons résister à la grâce ; elle n’habite pas dans un cœur avec l’esprit du monde. – La grâce est comme le vent qui enfle les voiles d’un navire ; mais il faut que la voilure soit tendue, et, de même, que notre cœur soit résolu. – Une demi-volonté n’est qu’une toile d’araignée ; tandis qu’un cœur ferme tient bon contre toutes les épreuves. – Rien ne résiste au feu rien non plus ne résiste à un cœur enflammé.


1. L’anarchie est partout un mal, une source de calamités infinies, un principe de désordre et de perturbation ; mais elle est d’autant plus pernicieuse dans l’Église en particulier, que chez elle le pouvoir est plus grand et plus sublime. Supprimez le chef d’orchestre, le chœur ne connaît plus l’harmonie ni le concert ; enlevez à une armée son général, l’ordre est brisé, la discipline anéantie dans les bataillons ; arrachez le pilote à sa barre, le vaisseau fera naufrage ; séparez du troupeau le pasteur, tout est dispersé : ainsi l’anarchie `est un mal, une cause de ruine. Mais, en retour, la désobéissance des sujets n’est pas un moindre mal ; car elle produit les mêmes malheurs. Un peuple qui n’obéit plus à son chef, ressemble à un peuple sans chef ; il est même pire encore. En effet, on pardonne, dans un cas, à ceux qui ne savent se garder du désordre et des excès ; dans l’autre cas, loin d’excuser, on punit.
Mais, objectera-t-on peut-être, il y a un troisième mal, c’est d’avoir un mauvais chef. Je le sais ; ce n’est pas un petit malheur ; c’est pis, alors, bien pis même que l’anarchie – Mieux vaut n’être conduit par aucun guide, que de l’être par un mauvais. Livré à soi-même, on peut se jeter dans le péril et l’on peut aussi y échapper ; mais, mal conduit, on ira nécessairement à la malheure, on sera entraîné au précipice.
Comment donc saint Paul dit-il : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis ? » ayant déclaré précédemment : « Considérant la fin de leur vie, imitons leur foi », c’est seulement après cela qu’il ajoute : Obéissez, soyez soumis ? – Donc, objecterez-vous, que faire ? Et si le chef est mauvais, faudra-t-il ne pas obéir ? – Mauvais, dites-vous ; mais en quel sens ? Si c’est : mauvais du côté de sa foi, fuyez-le, oui, évitez-le, non seulement s’il n’est qu’un homme, rirais quand même il serait un ange descendu du ciel ! Si c’est au contraire : mauvais du côté de sa conduite, n’approfondissez pas ce point. Ne croyez pas, du reste, que cette distinction m’appartienne ; je l’emprunte à la divine Écriture. Écoutez l’oracle de Jésus-Christ : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ». (Mt. 23,2) C’est après avoir fait contre eux de graves accusations qu’il prononce ces paroles : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse ; faites donc, tout ce « qu’ils vous disent ; mais ne faites pas ce qu’ils font ». Ils sont en dignité, vous dit-il, bien que leur vie soit impure ; vous, n’étudiez pas leurs mœurs, mais leur enseignement.
En effet, leurs mœurs ne peuvent causer aucun dommage spirituel à personne. Pourquoi ? c’est que, par elles-mêmes, elles sont évidemment mauvaises à tous les yeux ; et que ce maître, fût-il mille fois mauvais, n’enseignera jamais le mal. Du côté de la foi, au contraire, leur perversité est moins évidente pour les masses, et le docteur mauvais en ce genre ne craindra pas d’enseigner l’erreur. Aussi le précepte : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés », s’entend de la conduite, et non de la foi. Le contexte le prouve : « Car, pourquoi », dit Jésus-Christ, « voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, tandis que vous ne remarquez pas la poutre qui est dans votre œil ? Faites donc tout ce qu’ils vous disent ». (Mt. 7,1) Faire est la fonction de la conduite et non de la foi. Voyez-vous que. Notre-Seigneur ne parle pas là des dogmes, mais de la vie et des œuvres ?
Quant aux maîtres des Hébreux, saint Paul les a loués, en disant : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez-leur soumis ; car eux-mêmes veillent pour le bien de vos âmes, comme devant en rendre compte ». Que les chefs donc ici l’entendent aussi bien que les sujets : autant il est requis d’obéissance dans les gouvernés, autant les gouvernants doivent-ils se montrer vigilants et modérés. Car, enfin, répondez : le maître veille, lui, sa tête est menacée, il est exposé aux dangereuses conséquences de vos fautes, et c’est à cause de vous qu’il est soumis à des craintes si redoutables ; et vous, sujet, vous seriez assez lâche, assez dépourvu de cœur, assez misérable pour lui refuser l’obéissance ? Aussi l’apôtre ajoute : « Obéissez, afin que vos maîtres s’acquittent de leur devoir avec joie, et non pas en gémissant, ce qui ne vous serait pas avantageux ». Voyez-vous ici, qu’un maître, même méprisé, n’a pas le droit de se venger ? – Mais n’est-ce pas urne terrible vengeance contre vous que ses pleurs et ses gémissements ? – Sans doute. Car le médecin, méprisé de son malade, ne peut pas, il est vrai, se venger de lui ; mais il peut sur lui pleurer et gémir. Et si vous le faites gémir ainsi, c’est Dieu qui le vengera sur volis. Car si nous gagnons Dieu à notre cause lorsque nous pleurons nos péchés, combien plus quand nous gémissons sur l’insolence et le mépris des autres ? Or, voyez-vous toutefois que Dieu ne permet pas au maître d’éclater en injures ? Comprenez-vous la haute sagesse de cette loi ? On ne peut que gémir, bien qu’on soit ainsi méprisé, et foulé aux pieds, bien qu’on vous crache au visage. Ne doutez pas un instant que Dieu ne soit votre vengeur : le gémissement est plus redoutable qu’aucune vengeance ; car lorsque l’homme gémissant n’a rien gagné par ses pleurs, ceux-ci crient à Dieu ; et de même que quand un précepteur n’est plus écouté par un enfant, l’on appelle un autre homme qui saura bien le punir plans sévèrement ; ainsi en est-il au cas actuel.
Mais, ô ciel ! quel péril redoutable ! Et que dire aux misérables qui se précipitent vers cet abîme infini de supplices ? Pasteur, tu rendras compte de tous ceux que tu diriges, hommes, femmes, enfants ; c’est à ce terrible feu que tu exposes ta tête. Je m’étonne qu’un seul de ceux qui gouvernent puisse être sauvé, surtout qu’en présence de telles menaces d’une part, d’une telle lâcheté de l’autre, j’en vois quelques-uns accourir encore et se jeter sous ce redoutable fardeau du gouvernement de la maison de Dieu ! Car s’il n’est point d’excuse ni de pardon pour ceux-mêmes qui s’y sont laissés traîner par force, dès que d’ailleurs ils gouvernent mal ou avec négligence ; car Aaron fut traîné au pontificat par violence, et cependant il a été en péril ; car Moise, aussi, fut en danger, bien qu’ayant souvent refusé le pouvoir ; car Saül enfin, qui avait reçu un autre genre d’autorité malgré ses refus, joua son éternité aussi, pour avoir abusé de sa puissance : combien plus sont donc exposés ceux qui mettent tant d’âpreté à la conquérir, et qui ont eu l’audace de s’y précipiter ? Un ambitieux de cette espèce, bien plus que personne, se prive par avance du pardon. Il ne peut que craindre, que trembler, et sous le poids du remords, et sous le faix du pouvoir ; de telles gens ne doivent pas refuser pour une fois seulement, qu’on les traîne à l’autel, ou qu’on ne les y traîne pas ; ils ne peuvent que fuir en prévision de la grandeur d’une dignité pareille. Quant à ceux qui s’y sont laissés prendre malgré eux, toujours doivent-ils être pieux et vigilants ; qu’ils évitent tout excès de pouvoir ; qu’ils agissent en tout dans l’ordre et le droit. Je conclus : si vous pressentez le fardeau, fuyez, bien persuadés que vous êtes indignes d’un tel honneur ; et si vous l’avez reçu de vive force, n’en soyez ni moins vigilants, ni moins modestes ; montrez en tout un cœur pur et humble.
2. « Priez pour nous, car nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien, n’ayant point d’autre désir que de nous conduire saintement en toutes choses (18) ». Voyez-vous comme il prend ici le ton de l’apologie ? On dirait qu’il écrit à des gens indisposés contre lui, à des frères qui le méprisent et le regardent comme un transgresseur de la loi, et qui ne peuvent même entendre prononcer son nom. Lui, cependant, qui veut exiger de ces hommes dont il est haï, les mêmes sentiments que vous demanderiez à ceux qui vous aiment, il a soin de leur dire pour cette raison : « Nous osons dire que notre conscience ne nous reproche rien ». Non, dit-il, ne m’objectez aucun grief ; ma conscience ne me désapprouve en rien ; aucun remords ne me dit que je vous aie tendu le moindre piège. Nous osons dire que notre conscience est pure en tout ; n’ayant point d’autre désir que de nous conduire saintement, non seulement aux yeux des païens, mais même à vos yeux ; nous n’avons rien fait par duperie, rien par hypocrisie. Car il est vraisemblable que des calomnies de ce genre le poursuivaient. Qu’on l’eût, en effet, accusé faussement, saint Jacques même en est témoin, quand il dit « Ils ont entendu dire que vous enseigniez la désertion de la loi ». (Act. 21,21) Ainsi, dit saint Paul, je ne vous écris pas ceci en ennemi, mais en ami sincère ; et il le prouve par ce qui suit : « Et je vous prie avec instance de le faire, afin que Dieu me rende plus tôt à vous (19) ». Une telle prière révélait dans l’apôtre un tendre amour pour eux ; d’autant plus que, non content dé prier simplement, il les suppliait en toute instance. – Afin que je vienne bientôt chez vous, disait-il. C’était faire preuve d’une conscience sans reproche, que de montrer un tel empressement à les revoir, et d’implorer aussi pour lui-même leurs prières. Pour le même motif, après s’être recommandé ainsi à leur piété, il leur souhaite à son tour toutes sortes de biens.
« Que le Dieu de paix… » C’est son premier mot, et il l’écrit parce que des dissensions s’élevaient parmi eux. Si donc ; dit-il, notre Dieu est un Dieu de paix, gardez-vous de faire schisme avec nous. – « Le Dieu qui a tiré du sein de la terre le Pasteur de toutes les brebis » : allusion à la résurrection. – « Le Pasteur si grand » : nouvelle qualification à Jésus-Christ. Ensuite son discours se poursuit de nouveau et s’achève en leur garantissant la résurrection : « Parle sang du Testament éternel, Jésus-Christ Notre-Seigneur (20) ».
« Que ce Dieu vous rende complètement disposés à toute bonne œuvre, afin que vous fassiez sa volonté, faisant en vous ce qui lui est agréable (21) ». L’apôtre leur rend encore un bien beau témoignage. Car ce qui ne doit être que complété, possède déjà un digne commencement et reçoit ensuite le complément. Il prie pour eux, ce qui indique un cœur affectueux et ami. Et remarquez que dans ses autres épîtres, il commence par où il finit ici, par la prière. « Qu’il fasse en vous ce qui est agréable à ses yeux, par Jésus-Christ, auquel est la gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il : Je vous supplie, mes frères, d’agréer ce que j’ai écrit pour vous consoler ; car je ne vous ai écrit qu’en peu de mots (22) ». Vous voyez qu’il leur écrit ce qu’il n’a écrit à personne. « Je vous ai », dit-il, « écrit en peu de mots » ; c’est-à-dire, je n’ai pas voulu vous fatiguer par de longs discours. Je pense que les Hébreux n’étaient pas fort mal disposés à l’égard de Timothée ; aussi l’apôtre le leur recommande : « Sachez », dit-il, « que votre frère Timothée a été renvoyé ; et s’il vient bientôt, j’irai vous voir avec lui (23) ». Timothée avait été « renvoyé » : d’où ? De la prison, je crois, où il avait été jeté ; sinon, d’Athènes, car les Actes ont consigné ce fait. « Saluez de ma part tous ceux qui vous conduisent et tous les saints. Nos frères d’Italie vous saluent. Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ».
Vous voyez comment l’apôtre nous montre que la vertu n’est pas produite ni par l’œuvre de Dieu absolument, ni par nous seulement. « Que Dieu « vous rende », dit-il, « accomplis en toute œuvre bonne », et le reste ; c’est assez dire : vous avez déjà la vertu, mais vous avez besoin de la posséder complète. En ajoutant d’ailleurs : « En toute parole et œuvre bonne », il fait entendre que tout doit être droit en nous, la vie et les croyances. – Que Dieu fasse en vous ce qui est agréable « devant lui », dit-il avec raison ; « devant lui », car faire ce qui plaît devant Dieu, c’est la perfection de la vertu, selon ce que dit aussi le prophète : « Selon la pureté de mes mains devant ses yeux ». (Ps. 17,25) – Après avoir si abondamment écrit, il déclare qu’il a dit peu de choses encore, en comparaison de ce qu’il devait dire. C’est une remarque qu’il fait ailleurs : « Comme je vous ai déjà écrit en peu de paroles, où vous pourrez comprendre en les lisant quelle est l’intelligence que j’ai du mystère de Jésus-Christ ». (Eph. 3,3) – Or, voyez sa prudence. Il ne dit pas : Je vous supplie de supporter une parole d’avertissement, mais « de consolation », c’est-à-dire d’encouragement, d’exhortation. – Personne, ajoute-t-il, ne pourra se dire fatigué de la longueur de mes discours. Quoi donc ? Était-ce donc là le motif qui leur avait fait prendre saint Paul en aversion ? Évidemment non. Aussi n’est-ce pas ce qu’il veut montrer ; il ne veut pas dire Vous êtes des esprits faibles et lâches ; car tel est le caractère de ceux qui ne peuvent supporter un long discours. – « Sachez que Timothée votre frère est renvoyé ; et s’il vient bientôt, j’irai vous voir avec lui ». Réflexion qui suffit à leur persuader d’être bien humbles, puisqu’il se prépare à leur rendre visite avec sort disciple. – « Saluez tous vos chefs et tous les saints ». Voyez combien il les honore en leur écrivant pour leurs supérieurs. – « Nos frères d’Italie vous saluent. « Que la grâce soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». La grâce étant le bien commun de tous, il en fait son dernier souhait.
Or, comment la grâce est-elle avec nous ? C’est quand nous rie faisons point outrage à ce divin bienfait ; c’est quand nous ne sommes point lâches en face d’un don si précieux. Qu’est-ce que la grâce ? La rémission des péchés, notre purification, car elle-même est en nous. Que si quelqu’un lui fait outrage, peut-il dès lors la conserver ? Ne la perd-il pas aussitôt ? Par exemple, Dieu vous a pardonné vos péchés, mais comment avec vous demeurera cette grâce, cette estime de Dieu, cette opération de l’esprit, si vous ne la retenez pas par vos bonnes œuvres ? Car la cause de tous les biens en nous, c’est précisément cette habitation continuelle de la grâce du Saint-Esprit dans nos âmes ; c’est elle qui se fait notre guide en toutes choses, comme aussi, dès qu’elle nous échappe, elle nous laisse éperdus et comme dans un désert.
3. Gardons-nous donc de la repousser ; car il est en notre pouvoir qu’elle demeure ou qu’elle se retire. Elle reste, quand nos pensées ont trait au ciel ; elle s’en va, quand nos idées s’attachent aux choses de cette vie. C’est l’esprit « que le monde », dit Jésus-Christ, « ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le connaît pas ». (Jn. 14,17) Il appelle « monde » une vie mauvaise et honteuse. Comprenez-vous qu’une vie mondaine ne peut le posséder ? Il nous faut donc dépenser beaucoup d’efforts pour le retenir en nous, de sorte qu’il soit l’intendant et le directeur de tous nos biens, et qu’il nous établisse dans une ferme tranquillité, dans une paix abondante.
Poussé par un vent favorable, un navire ne sent point d’arrêt, ne craint point de naufrage, tant que souffle cette aide puissante et persévérante. Rentré au port, il va rapporter et aux matelots et aux passagers une belle part de gloire ; aux uns, il octroie le repos et leur permet de ne plus se courber sur les rames ; aux autres, il fait oublier toutes les craintes, et leur laisse comme un magnifique spectacle, le souvenir de son fortuné voyage. Ainsi en est-il de l’âme secondée par le Saint-Esprit ; elle est plus forte que toutes les vagues que soulèvent les peines de la vie ; elle fend la route qui porte an ciel, avec plus de vitesse encore que l’heureux navire ; car elle n’est point poussée par le vent, mais elle a des voiles, des voiles pures que le Paraclet daigne gonfler ; elle chasse de sa pensée tout ce qui pourrait l’amollir et l’énerver. Car de même que le vent qui tombe sur une voile lâche et mal tendue, n’a sur elle aucune prise ; ainsi le Saint-Esprit, rencontrant une âme énervée, n’y accepte pas un long séjour : il exige, au contraire, du ton et de la vigueur.
Il nous faut donc acquérir cette ardeur de l’âme, cette vivacité, cette force résolue des œuvres. Ainsi, vaquons-nous à la prière ? Que ce soit avec une énergique tension de l’âme, déployant notre cœur vers le ciel, non pas avec des cordages matériels, mais à l’aide d’une ferme et vive résolution. Exerçons-nous la miséricorde avec les pauvres ? Ici encore, il faut une tension vigoureuse, pour que la voilure ne se relâche jamais sous le choc des soucis domestiques, de précautions pour les enfants, d’inquiétudes pour l’épouse, d’une crainte personnelle de la pauvreté. Que si nous raidissons notre cœur de tous côtés par la sainte espérance des biens immortels, il sera disposé dès lors à recevoir le souffle puissant de l’Esprit divin ; dès lors il ne sera plus frappé par les créatures éphémères et misérables d’ici-bas ; ou, s’il en subit encore le choc, loin d’en être blessé, il repoussera par sa fermeté, il abattra par sa résistance leur attaque impuissante.
Mais, répétons-le : il faut savoir nous raidir vigoureusement. Car nous aussi nous naviguons sur une mer immense et découverte, remplie de monstres, hérissée d’écueils, féconde pour nous en orages, et qui du calme le plus profond, passe subitement aux plus cruelles tempêtes. Si donc nous voulons faire une navigation facile et sans péril, il nous faut tendre nos voiles, c’est-à-dire, raidir notre libre arbitre.
Au reste, cette fermeté de vouloir, suffit à nous sauver. Abraham, en effet, dès qu’il eut ainsi dirigé vers Dieu tous ses désirs, dès qu’il se fut armé d’une volonté disposée à tout, Abraham eut-il besoin d’autre secours ? Non ; « mais il crut en Dieu, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Gen. 15,16) Or, la foi, c’est le propre caractère d’une volonté généreuse. Il offrit son Fils ; et bien qu’il ne l’ait pas immolé, il reçut la même récompense que s’il l’avait réellement sacrifié ; et quoique n’ayant pas accompli cette immolation, il en reçut le prix.
Procurons-nous donc une voilure immaculée et toujours neuve, et non pas usée et vieillie ; « car tout ce qui est ainsi vieux et fatigué touche déjà à une fin misérable ». (Héb. 8,13) Point de ces voiles trouées qui laisseraient échapper souffle de l’Esprit. « Car l’homme animal n’est point capable », dit saint Paul, « des choses qui sont de l’Esprit de Dieu ». (1Cor. 2,4) Pas plus qu’une toile d’araignée ne peut supporter l’effort Auvent, une âme adonnée aux soucis de cette vie, un homme animal ne saurait recevoir la grâce de l’Esprit. Nos convictions flottantes n’offrent aucune différence d’avec ces toiles fragiles ; elles ont seulement, comme elles, un air de consistance, mais leur trame est privée de toute résistance.
Ah ! que plutôt, si nous sommes sages, nos âmes ne présentent rien de semblable ! Dès lors, quel que soit le choc, nous retenons tout le souffle de la grâce, et nous demeurons supérieurs à tout, plus forts que toute attaque. Donnez-moi un homme vraiment spirituel, et laissez tomber sur lui tous les maux les plus effrayants, aucun ne pourra l’abattre. Que dis-je ? Que sur lui fondent ensemble pauvreté, maladies, outrages, malédictions, opprobres, plaies et supplices de tout genre, dérisions et insultes de toute espèce ; vous le croirez vraiment en dehors et au-dessus de ce bas monde, et affranchi de toutes les souffrances du corps, tant il se rira de tout cet ouragan.
Que ce ne soient pas là des paroles en l’air, plusieurs exemples de nos jours mêmes m’en fourniraient certainement la preuve : dussé-je n’invoquer que ceux qui ont choisi la retraite au désert. – Ceux-là, direz-vous, n’ont rien d’étonnant. – Eh bien ! je réponds qu’il en est d’aussi héroïques, et que vous ne soupçonnez pas, jusqu’au sein des cités. Et, s’il vous plaisait, je pourrais vous en montrer quelques-uns parmi ceux qui ont vécu jadis. Pour vous en convaincre, rappelez-vous seulement saint Paul. Est-il une atrocité qu’il n’ait pas soufferte ? un mal qu’il n’ait pas subi ? Or, il supportait tout avec courage. Et nous aussi, étendons vers le ciel les efforts de notre âme ; remplissons-la de ce désir de Dieu ; précipitons-nous dans ce foyer de l’Esprit, sauvons-nous par cette flamme même. Armé d’une flamme, en effet, personne ne craindrait une rencontre d’homme, de bête féroce, de mille filets tendus ; tout reculerait, tout lui ferait place, aussi longtemps que durerait ce feu ; car la flamme est irrésistible, le brasier est insoutenable, tout s’y consume. Revêtons ce beau feu, et renvoyons toute gloire à Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartiennent au Père, en l’unité du Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l’abbé COLLERY. =FIN DU ONZIÈME ET DERNIER VOLUME.=

  1. Après avoir donné de nombreux exemples de la puissance de la foi sous l’Ancien Testament, l’apôtre pour conclusion fait voir en quelques mots comment cette vertu néanmoins était encore quelque chose de borné, et jusqu’à quel point la vertu de la foi dans les temps chrétiens lui est supérieure. Tous ces saints personnages, dit-il, ont bien, en vertu de leur foi, obtenu leur justification, mais ils n’ont pas été mis en possession de l’objet des promesses faites à leur foi dans son sens le plus élevé, parce que Dieu avait décrété que l’objet des promesses, dans son sens le plus élevé, le bien le plus excellent, à savoir le royaume du ciel, ne commencerait que plus tard, et qu’il serait également notre partage, afin que tous, nous ici-bas, eux dans l’autre vie, nous puissions y entrer, et parvenir enfin tous ensemble à la consommation. Il faut ici prendre la promesse dans son objet le plus élevé, le royaume du ciel, dans toute l’étendue de son acception, depuis son commencement en ce monde jusqu’à sa consommation au jour de la consommation et du jugement. La consommation n’aura lieu qu’en ce jour, parce que ce ne sera qu’alors que s’effectuera la rédemption du corps (Augustin, Jérôme, Chrysostome). Du reste l’apôtre a déjà dit ci-dessus (9, 8) que tant qu’a subsisté l’ancienne alliance, et que Jésus-Christ n’a point eu consommé son sacrifice, le ciel était fermé ; d’où il suit que les anciens patriarches avaient été, il est vrai, justifiés, mais qu’ils ne pouvaient encore jouir du fruit de la justification ; il a fallu qu’ils attendissent le sacrifice de Jésus-Christ afin d’entrer ensuite avec lui dans le ciel. (J. F. D’Allioli).
  2. En lisant ce passage tout entier, on en tirera la conclusion toute contraire à celle qu’y a cherchée le Jansénisme. On dira, avec saint. Augustin, parlant du Dieu juste et bon : Non deserit, nisi deseratur. Et la prière spéciale de Jésus-Christ pour Simon prouvera encore que cet abandon de Dieu n’est certes point un refus de la grâce.