Augustin d’Hippone/Sermons Inédits/Troisième supplément

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 522-565).

TROISIÈME SUPPLÉMENT. modifier

PREMIER SERMON. SUR LA CHAIRE DE L’APÔTRE SAINT PIERRE. modifier

ANALYSE.- Souveraine autorité de la chaire de saint Pierre. La sainte Église célèbre aujourd’hui, avec une pieuse dévotion, l’établissement de la première chaire de l’apôtre saint Pierre. Remarquez-le bien, la foi doit trouver place en nos âmes avant la science ; car les points de foi catholique proposés à notre respect, loin d’être inutiles pour nous, sont, au contraire, et toujours, et pour tous, féconds en fruits de salut. Le Christ a donné à Pierre les clefs du royaume des cieux, le pouvoir divin de lier et de délier ; mais l’Apôtre n’a reçu en sa personne un privilège si étonnant et si personnel, que pour le transmettre d’une manière générale, et en vertu de son autorité, à l’Église de Dieu. Aussi avons-nous raison de regarder le jour où il a reçu de la bouche même du Christ sa mission apostolique ou épiscopale, comme celui où la chaire lui a été confiée ; de plus, cette chaire est une chaire non de pestilence[1], mais de saine doctrine. Celui qui s’y trouve assis, appelle à la foi les futurs croyants ; il rend la santé aux malades, donne des préceptes à ceux qui n’en connaissent pas et impose aux fidèles une règle de vie ; l’enseignement tombé du haut de cette chaire, de notre Église, c’est-à-dire de l’Église catholique, nous le connaissons, nous y puisons notre joie ; c’est l’objet de notre croyance et de notre profession de foi ; c’est sur cette chair qu’après avoir pris des poissons, le bienheureux Pierre est monté pour prendre des hommes et les sauver.

DEUXIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE AU CIEL DE SAINT VINCENT. (TROISIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. L’éloge d’un pareil martyr est vraiment difficile à faire. —2. Inutiles efforts de Dacien pour vaincre sa fermeté.—3. Reproches à Dacien.
1. Je l’avoue, le silence seul serait à la hauteur du courage déployé par Vincent dans le cours de sa passion glorieuse, et remplacerait dignement tout ce qu’on pourrait dire de mieux pour la raconter. Je serais heureux de suivre ce conseil si sage donné en ces termes par Salomon : « O pauvre, ne cherche point à atteindre jusqu’au riche[2] ». Puisque tu ne peux arriver jusqu’à lui, arrête-toi dans les limites de ta faiblesse naturelle. Que dire après de si hauts faits ? Quelles paroles employer après de tels actes ? Quand raconterai-je ces merveilles ? Comment parviendrai-je à en finir ? Enfin, pourquoi répéter ce que vous avez naguère entendu ? Il est bon, néanmoins, de vous présenter à nouveau une image de ce spectacle grandiose ; par là, votre admiration se soutiendra, et le courage du martyr ne tombera pas en oubli. En effet, « le chemin qui conduit à la vie est étroit ; il y en a beaucoup pour entendre parler de lui, mais il y en a bien peu pour le suivre[3] ». Au chrétien qui va souffrir, on ne propose rien autre chose que les exemples de courage donnés parles martyrs. Puissent les exemples des saints nous servir de leçon ! Puissions-nous au moins imiter la foi de ceux que nous ne pouvons suivre dans la voie des souffrances !
2. Le tyran ne s’est point borné à menacer le martyr, comme l’eût fait un ennemi : il a encore employé la flatterie vis-à-vis de lui, comme s’il l’aimait ; nous avons, en effet, remarqué dans la même personne, en Dacien, le persécuteur et l’endormeur ; car n’a-t-il pas cherché à inspirer l’épouvante ? N’a-t-il pas aussi fait des promesses ? D’abord il a voulu, parla terreur, éteindre dans l’âme de Vincent le flambeau de la foi ; puis, dans le même but, il l’a caressé, puis il en est revenu aux tourments, pour quitter bientôt les moyens violents, et mettre encore une fois en œuvre ceux de la persuasion, changeant ainsi de rôle, comme un personnage de théâtre comique. Dans l’un, diversité de figures, dans l’autre, inébranlable solidité de sentiments. Celui-ci se trouvait suspendu, celui-là était assis ; Vincent subissait la peine du martyre, Dacien l’infligeait ; mais le tyran se fatiguait, et le supplicié remportait la victoire. Ce lion rugissant, ce chien affamé, ce serpent cauteleux, ce loup rusé, ce renard cousu de malice, à quoi a-t-il réussi ? Il a longtemps sué à la besogne ; néanmoins, Vincent l’a vaincu. Enfin, le martyr endure des tourments qui exercent sa patience ; on le frappe, et il n’en devient que plus solide ; il s’instruit à l’école de la flagellation il se purifie au milieu des flammes, et toujours il domine son bourreau. Dacien le combat pendant qu’il respire encore, et l’insulte même quand il a succombé, et dans la personne d’un mort il trouve sa propre condamnation.
3. Le tyran s’irrite et fait cet aveu : Je ne puis venir à bout même d’un mort. De quel mort ? C’est, sans aucun doute, de Vincent. Tu lui as enlevé la vie de ce monde, mais, après sa mort, as-tu pu le priver de la gloire éternelle ? Si tu as dompté son corps, as-tu été capable de te rendre maître de son esprit ? Au surplus, as-tu seulement triomphé de son corps ? Non, peut-être ; car ce corps, jeté à la mer partes ordres, se retrouvait sur le rivage avant même qu’on t’apprît sa submersion : « Il est donc inutile à toi de regimber contre l’aiguillon[4] ». Vincent n’a pas lutté contre un homme ; en ta personne il a vaincu le diable, et toi, tu n’as pu l’emporter en lui sur le Christ. Il a compris qu’il devait vaincre en toi, et à toi n’est pas venue l’idée de celui qui devait triompher en lui. Quelle comparaison humaine ajouter ? A quoi bon unir la chair au sang ? « Toute chair n’est que de l’herbe, et toute la beauté de la chair ressemble à la fleur des champs » ; en toi, « l’herbe a séché et la fleur est tombée, mais la parole du Seigneur est éternellement demeurée » en Vincent[5]. Tu te tenais solidement assis, et lui, dépouillé de ses vêtements, se trouvait debout en ta présence. Tu le jugeais, il subissait ton jugement ; tu ne triomphais pas de lui, et il triomphait de toi. Établis une comparaison entre vous deux. Descendu de ton tribunal, où es-tu maintenant ? Sorti de son épreuve, où est-il ? Dis-le-moi, si tu en as l’idée ; ou si, à défaut de l’idée, tu en as le sentiment ; et si tu n’en as pas même le soupçon, écoute-moi. Tu as quitté ton siège pour descendre dans la tombe ; eh bien ! où es-tu aujourd’hui ? Je n’en sais rien. En effet, si tu es resté tel que tu étais alors, tu es perdu pour le ciel, et si tu as changé de dispositions, peut-être es-tu sauvé. Au témoignage de quelques-uns, Dacien serait devenu croyant. Voilà donc ce qu’on dit de lui, ce qu’on en rapporte, ce qu’on affirme à son sujet, c’est qu’il a été jusqu’à se soumettre à la règle de la foi. Ne nous étonnons point de ce que « la grâce ait surabondé là où avait abondé le péché[6] ». Mais enfin, où est Dacien ? Supposez vrai ce qu’on dit de lui, nous n’en savons rien ; si vous le regardez comme incertain, notes en savons encore moins. Mais quant à notre Vincent, ignorons-nous d’où il est sorti, où il est allé ? Comme il a couru, avec quelle dignité il a fourni sa carrière, de quelle manière il a persévéré, de quelle gloire il est environné depuis sa mort, nous le savons parfaitement, on nous l’a dit. Aussi nous sommes-nous réjouis de ce que nous avons combattu avec lui, de ce qu’en sa personne nous avons tous triomphé, sans avoir faibli devant les insultes du tyran, et même après avoir ri de sa défaite ; aussi nous sommes-nous félicités d’avoir appris qu’après la lutte, celui qui avait soutenu le combattant a couronné le vainqueur. N’est-il pas dit, en effet : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur[7] ».

TROISIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE AU CIEL DU MARTYR QUADRAT[8]. modifier

ANALYSE. —1. Le bienheureux docteur est réjoui à la vue des fidèles, qu’il regarde comme ses compagnons de voyage.—2. Dieu déteste trois classes de personnes : celles qui restent à la même place, celles qui retournent en arrière, et celles qui suivent de faux chemins. —3. Nécessité de faire des progrès démontrée par l’exemple de Paul. —4. Cet apôtre l’explique en faisant connaître le chemin de la perfection. —5. Perfection du martyr Quadrat, indiquée par son nom même. —6. À Dieu nous devons au moins le même dévouement qu’au péché. —7. Nous devons faire mieux, à l’exemple de Quadrat. —8. Il faut confesser le Christ publiquement. —9. Le respect humain est à mépriser. —10. Cette crainte ridicule du monde empêche la conversion des païens. —11. Nous devons, craindre Dieu par-dessus tout, car il rougira de celui qui n’osera pas se déclare pour lui.
1. Tous ensemble nous rendons grâces au Seigneur notre Dieu de ce qu’il accorde la faveur, à nous de vous contempler, et à vous de nous voir. S’il suffit de nous apercevoir les uns les autres dans cette chair mortelle, pour que « notre bouche pousse des cris de joie » et que « notre langue chante des cantiques d’allégresse[9] », quel sera le sentiment de notre bonheur, lorsque nous nous rencontrerons dans ce séjour où nous ne craindrons point de nous voir séparés. L’Apôtre a dit « Réjouissons-nous dans notre espérance[10] ». Par conséquent, l’objet de notre joie, nous ne le possédons encore qu’en espérance, et nullement en réalité. « L’espérance qui verrait ne serait plus de l’espérance ; car comment espérer ce qu’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience[11] ». Si les voyageurs qui fournissent ensemble leur course se réjouissent de se trouver en compagnie les uns des autres, quel bonheur ils posséderont quand ils se verront tous réunis dans la patrie ! Les martyrs ont lutté pendant le cours de cette vie ; en luttant ils ont marché et ne se sont point arrêtés dans leur marche ; ceux qui aiment Dieu s’avancent vers lui, et pour courir à lui, nous nous servons, non de nos jambes, mais de nos cœurs.
2. Le chemin que nous avons à parcourir exige que nous marchions ; or, trois sortes de personnes lui sont insupportables : celles qui restent à la même place, celles qui reculent, celles qui suivent une fausse voie. Puisse notre marche, avec le secours d’en haut, ne point se ressentir de l’un de ces trois défauts ! Puisse-t-elle ne point s’en trouver paralysée ! Quand deux hommes marchent, l’un va plus lentement et l’autre plus vite ; mais enfin, ils marchent tous les deux. Aussi faut-il exciter ceux qui restent en place, rappeler ceux qui retournent en arrière, ramener dans le bon chemin ceux qui l’ont perdu, ranimer ceux qui ne marchent pas assez vite, imiter les voyageurs agiles. Quiconque ne fait pas de progrès, s’arrête en route ; il retourne en arrière l’homme qui, négligeant d’accomplir ses bonnes résolutions, retombe dans les défauts dont il s’était précédemment débarrassé ; enfin, on s’éloigne de la bonne voie dès qu’on s’écarte des vraies croyances.
3. Qui est-ce qui ne fait pas de progrès ? Celui qui se croit sage et dit : « Ce que je suis me suffit » ; celui qui ne fait pas attention à ces paroles de l’Apôtre : « Oubliant ce qui est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le but, pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ[12] ». À l’entendre, Paul courait, il suivait son chemin, sans s’arrêter, sans regarder derrière lui. Oh ! qu’il était loin de s’être trompé de route ! N’indiquait-il pas, en effet, par ses leçons, la véritable voie ? N’y marchait-il pas ? Ne la montrait-il point par son exemple ? Pour imprimer à notre course la rapidité de la sienne, il nous dit : « Imitez-moi comme j’imite Jésus-Christ[13] ». Nous supposons donc, nos très-chers frères, que nous suivons avec vous le même chemin. Si nous sommes lents à marcher, précédez-nous, nous n’en serons nullement jaloux ; car nous cherchons qui nous pourrons suivre ; mais si, à votre avis, notre course vers le but est rapide, courez avec nous. Le terme que nous avons hâte d’atteindre est le même pour nous tous, et pour ceux dont le pas est plus preste, et pour ceux dont la démarche est plus lente. L’Apôtre lui-même en convient : « Je n’ai qu’un but », dit-il ; « oubliant ce qui est derrière moi, et m’avançant vers ce qui est devant moi, je m’efforce de l’atteindre pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ ». Voici dans quel ordre doivent se trouver ces paroles : Il n’y a qu’un but, je ne poursuis que celui-là. Avant de s’exprimer ainsi, qu’avait-il dit « Moi, je ne pense pas être encore arrivé au but[14] ». Cet apôtre ne reste pas en place, et pourtant, il reconnaît n’être pas encore parvenu au but ; il ne voyage point en pays étranger, il ne s’est pas écarté de sa route, il se réjouira au sein de la patrie. « Moi », dit-il ; qui, moi ? Moi, « qui ai travaillé plus que tous les autres ». Après avoir dit : « J’ai travaillé plus que tous les autres », il n’ajoute pas : « Moi, je ne pense pas être encore arrivé au but » ; mais il place à propos le mot « moi », quand il s’agit de s’humilier et non de se flatter. « Moi », dit-il, en ce qui me concerne, « je ne pense pas être encore arrivé « au but ». À la suite de ces paroles : « J’ai travaillé plus que les autres », viennent celles-ci : « Mais ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi[15] ». La grâce de Dieu n’a-t-elle pas atteint le but ? Paul a donc raison de dire ici : « Moi », car le propre de notre faiblesse est de ne pas atteindre le but ; mais y parvenir, c’est l’effet de la grâce divine qui nous aide, et non celui de l’infirmité humaine.
4. Nous n’avons rien en propre que le péché ; impossible de trouver autre chose en nous ; voilà une vérité incontestable, hors de doute ; mais qui nous en montrera, qui nous en enseignera et nous en fera clairement voir l’évidence ? Il est une chose que notre piété doit savoir, que notre faiblesse doit avouer, que notre charité doit chercher à faire disparaître, « c’est que je n’ai pas encore atteint le but et que je ne suis point encore parvenu à la perfection ». À cela l’Apôtre ajoute : « Je ne pense pas être encore arrivé au but ». Pour nous exciter à marcher vite et à nous avancer vers ce qui est devant nous, il nous dit : « Que ceux d’entre nous qui sont parfaits, le comprennent ». D’abord il avait dit : « Non que j’aie encore atteint le but et que je sois déjà parfait » ; puis il ajoute : « Que ceux d’entre nous qui sont parfaits, le comprennent[16]». Il y a donc perfection et perfection, et il y a un voyageur parfait. Avant d’être arrivé au terme final, on est un voyageur parfait quand on marche devant soi, quand on ne s’arrête pas, quand, enfin, on suit la bonne voie ; mais quoi qu’on fasse, on n’est point encore arrivé au but, puisqu’on voyage encore. Il faut bien le reconnaître, en effet ; puisqu’on marche, et qu’on marche dans la voie, on va quelque part, on s’efforce de parvenir à un but quelconque. Où donc l’Apôtre essayait-il d’arriver ? Il n’avait pas encore atteint le but ; il exhorte les parfaits à reconnaître leur imperfection, car la perfection du voyageur consiste à savoir le chemin qu’il a déjà parcouru et celui qui lui reste à parcourir encore. Sachons-le donc ; si parfaits que nous soyons, nous ne sommes pas encore arrivés à la perfection ; cette pensée nous empêchera de demeurer imparfaits.
5. Que dire, mes frères ? le martyr Quadrat est parfait, car y a-t-il rien de plus parfait que le carré ? Tous ses côtés sont égaux, il se ressemble sur toutes ses faces ; n’importe comment vous le tourniez, il pose solidement et ne tombe pas. O nom vraiment beau ! il indique une figure de géométrie et présage un événement à venir ! Quadrat s’appelait ainsi de prime abord, c’est-à-dire avant d’être couronné, avant de subir l’épreuve de la tentation qui devait faire de lui un carré ; dès lors que, préalablement à ce qui devait avoir lieu plus tard, il portait ce nom-là, c’était le signe qu’il avait été prédestiné dès avant la constitution du monde ; il a souffert pour que se vérifiât en lui l’annonce faite par son nom ; et pourtant il marchait encore, et néanmoins il se trouvait toujours à suivre la voie, et tant qu’il était encore en ce monde, il y avait à craindre pour lui, ou de rester à la même place, ou de retourner en arrière, ou de quitter le bon chemin. Il a maintenant parcouru sa carrière, il a fourni sa course, il est solidement assis, il a été employé par l’architecte de l’arche du Seigneur, figure de la Jérusalem céleste, à la construction de laquelle ne devaient servir que des bois équarris. Maintenant, il n’a plus aucune épreuve à redouter ; il a entendu la voix du Très-Haut ; il l’a entendue, et s’est rendu à son appel ; il a suivi son Sauveur, et il porte le Dieu qui habite la sainte cité ; il a méprisé les caresses du monde, triomphé de ses menaces, échappé à ses fureurs. Qu’elle est grande, mes frères, la gloire des martyrs ! elle prime dans l’Église ; quelles qu’elles soient, toutes les autres ne viennent qu’après elle, car ce n’est pas sans raison qu’il a été dit à quelques-uns « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang[17] ». Quand on est capable de supporter et d’endurer les persécutions du monde, ne peut-on pas en mépriser les flatteries ?
6. Le même Apôtre a dit : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ; comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Le conseil qu’il semble nous avoir donné par ces paroles, est d’une singulière importance ; que chacun de nous se mesure sur elles ; et, pour cela, qu’on ne se tâte point d’une manière flatteuse ; qu’on se pèse au juste et qu’on se dise la vérité comme on attend que je la dise. Qu’on se dise : J’ai le dessein de placer en public un miroir où chacun soit à même de se regarder. Je ne suis pas ce miroir ; je n’en ai pas le brillant pour refléter les traits de qui se regarde ; je ne parle pas, bien entendu, de ces traits qui se peignent sur le visage, mais de ceux de notre âme ; par mes paroles, je puis les amener à se faire représenter par la glace, mais il m’est impossible de les contempler. Voilà un miroir, je le mets devant vous ; que chacun s’y regarde et s’y compare à l’idéal tracé par l’Apôtre dans le passage que j’ai cité. Recevez-le de la main de Paul « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Qu’est-ce à dire : « Ainsi ? » C’est une comparaison. Quand, de tes membres, tu faisais au péché des armes d’iniquité pour la corruption, te plaisait-elle ? Je te le demande, fais-y attention, réponds-moi. La corruption te plaisait-elle ? Ton silence me tient lieu de réponse ; si l’impudicité ne t’offrait pas d’agréments, jamais tu ne t’y abandonnerais. Donc, « comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité ». Tu as trouvé du plaisir à agir ainsi ; que la justice t’offre enfin des attraits pareils ! N’agis point sous l’impression de la crainte, je ne le veux pas, te dit Dieu ; la crainte était-elle le mobile de ta mauvaise conduite ? « Comme, ainsi ». Comme vous avez fait servir vos corps à l’impureté « et à l’injustice de l’iniquité, ainsi faites-les servir maintenant à la justice pour votre [18] Sanctification ». Il faut employer la terreur pour te faire pratiquer la justice, et l’amour te faisait courir après l’impureté ! Et pourtant, y a-t-il rien de plus beau que la sagesse ? Je vous le demande : N’est-elle pas aussi digne que l’impureté, de posséder vos affections ? Quand tu courais au vice impur, on voulait t’arrêter, et tu allais toujours ; tu offensais ton père, n’importe, tu courais ; tu aimais mieux être déshérité que te priver de tes honteux plaisirs. Que diras-tu à cela ? La justice exige de toi ce que tu as fait pour l’immoralité. Vous avez entendu ce passage de l’Évangile : « Je suis venu sur la terre pour t’apporter, non pas la paix, mais la guerre[19] ». Le Sauveur a déclaré qu’il séparerait les enfants de leurs parents. Voici un exemple de cette guerre apportée par le Christ ; remarque-le bien. Peut-être veux-tu servir Dieu et peut-être aussi ton père s’y oppose-t-il. Quand tu aimais le vice impur, ton père avait beau te le défendre, tu y courais malgré lui ; aujourd’hui que tu aimes la justice, elle ne veut pas que tu deviennes l’esclave de l’impureté ; elle tient donc, auprès de toi, la place de ton père, elle veut t’arrêter ; rends donc ta liberté complètement indépendante, comme tu as rendu indépendantes tes honteuses convoitises. Tu étais alors tout disposé, même à perdre ton héritage plutôt que de renoncer à tes passions dépravées ; sois maintenant disposé à perdre ton héritage, plutôt que de souiller en toi l’éclat de la justice. C’est un grand effort à t’imposer, mais il le faut. Y aurait-il un homme pour oser dire : On doit préférer l’impureté à la justice ?
7. Quoi qu’il en soit, la justice t’élève ; il est positif, te dit-elle, que je ne ressemble nullement à l’impureté : grande est la différence qui se trouve entre ses ténèbres et mon lumineux éclat, entre son discrédit et l’honneur dont je suis en possession. Oui, encore une fois, il existe une énorme différence entre nous : j’y établis un degré de supériorité, ainsi le veux-je, car ma supériorité m’oblige et m’oblige à beaucoup ; plus je m’éloigne du mal, plus impérieux deviennent mes devoirs. Néanmoins, je parle humainement, plus tard, je parlerai d’une manière divine. Pourquoi ne point parler ainsi dès maintenant ? « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ». Le motif qui dicte ma conduite, c’est que je veux être indulgent pour la faiblesse de votre chair ; par conséquent, « comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté et à l’injustice de l’iniquité, ainsi ». À cette heure, vous êtes obligés à plus, mais je vous demande seulement de vous conduire de même manière : faites au moins cela, puis vous irez plus loin. En attendant, « je vous parle d’une façon humaine ». Agissez aujourd’hui comme vous l’avez fait autrefois. Est-ce à cela que Quadrat s’est borné ? Oh ! non, évidemment ; il a fait davantage, et bien davantage. Portez votre attention sur le caractère et l’étendue de vos impuretés, et voyez ce qu’exigent de vous, en surplus, la piété, la charité, la justice parfaite et le bonheur que l’on goûte à devenir saint. Ce qu’ils exigent de vous en surplus, le voici remarquez-le bien.
8. Tout homme esclave du vice impur ne désire pas, à beaucoup près, que son inconduite vienne à la connaissance du public ; il a peur de se voir condamné, il redoute la prison, le juge, le bourreau. Pour porter atteinte à la pudeur d’une femme qui n’est pas la sienne, il trompe le mari de cette femme, il recherche les ténèbres, il serait au désespoir d’être aperçu n’importe par qui, la seule pensée du juge le fait trembler. La crainte du châtiment lui inspire la crainte d’être connu pour ce qu’il est. La perfection de la justice exige de toi bien plus que cela ; je vais t’en convaincre. L’Apôtre ne t’en parle pas encore dans ce passage : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair ». Mais le Sauveur va le dire : « Ce que je vous dis dans les ténèbres », c’est-à-dire, en secret, « dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits[20] ». L’adultère va-t-il sur les toits prêcher son crime ? Non-seulement il ne monte pas sur un toit pour le prêcher, mais il se cache sous un toit pour le commettre. Pourquoi agit-il ainsi ? C’est que l’amour du vice honteux le pousse jusque-là ; il craint d’être découvert et puni. Quant aux amateurs de cette beauté invisible, de cet éclat dont il est question en ce passage : « Vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes[21] » ; quant aux amateurs de cette beauté, pourquoi ne craignent-ils pas de prêcher sur les toits ce qu’on leur a dit à l’oreille ? Remarque, d’une part, le motif qui porte l’adultère à craindre d’être reconnu et puni, et, d’autre part, le motif qui inspire la confiance à l’amateur de l’invisible beauté. Le Sauveur lui-même te le fait connaître par la suite de son discours. En effet, après avoir dit : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits », il ajoute : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps ». Par là, ce que vous entendez dans les ténèbres, vous le direz à la lumière, et ce qu’on vous dit à l’oreille, vous le prêcherez sur les toits. « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps ». L’adultère peut et doit craindre ceux qui tuent le corps, car son corps une fois perdu, adieu la source de toutes les voluptés ! Oui, qu’il craigne de perdre son corps celui qui mène une vie toute matérielle, puisque le corps lui sert d’instrument pour satisfaire toutes ses convoitises. Pour un pareil homme, ce n’est pas assez d’avoir des passions ; il les attise, et à force d’en entretenir le feu dévorant, il arrive à la dégoûtante satisfaction de ses instincts brutaux.
9. Homme de Dieu, as-tu les yeux du cœur pour contempler la splendide beauté de la piété et de la charité ? Si tu les as, remarque bien ce qui peut te mettre en possession de ton âme : pour en jouir, tu n’as pas à te servir de tes membres corporels. Que l’amateur de sales voluptés craigne devoir mourir son corps. Mais « que la paix soit aux hommes de a bonne volonté sur la terre[22] ». O chrétien, que tu es encore loin de ressentir cet amour ! Si seulement tu parvenais à cet « humainement » de l’Apôtre ! si seulement tu trouvais du plaisir à faire le bien, comme tu en trouvais jadis à commettre l’iniquité ! Car, si lu éprouves du bonheur à bien faire, à croire au Christ, à jouir de son infinie sagesse en dépit de ta misérable insuffisance, à écouter et à pratiquer ses commandements, alors commence à se vérifier en toi cette parole de Paul « Je parle humainement à cause de ton infirmité » ; tu es entré en possession « du don parfait », mais tu n’es point encore parvenu à la perfection du carré. Comme je l’ai dit, tu as pris le dessus ; marche donc, car tu as encore du chemin à parcourir ; ne reste pas à la même place, car il te reste encore quelque chose à faire ; ne crains rien : ne dérobe pas aux regards d’autrui tes bonnes œuvres, comme si tu avais à craindre des critiques et des reproches. Que te dit le grand Apôtre ? Est-ce pour toi une honte d’être du ciel ? On te demande d’où tu viens, et tu as peur de répondre que tu viens de l’église ! Et tu as peur qu’on te dise : « Tu portes la barbe, et tu n’es pas honteux d’aller où vont les veuves et les vieilles femmes ! » N’écoute pas de pareilles gens. Tu trembles de dire : Je suis allé à l’église. Une insulte t’inspire la plus vive horreur ; comment donc supporteras-tu la persécution ? Mais, aujourd’hui, nous sommes en paix ; nul doute à cet égard. Ce devrait être aux hérétiques à rougir : ils sont en si petit nombre dans leur parti, et ils ne rougissent pas ! et les nombreux adhérents de la vraie foi baissent les yeux ! Où ceux-ci en sont-ils arrivés ? Où sont restés ceux-là ? Les premiers sont parvenus à la lumière de la paix, les seconds sont restés au milieu des ténèbres de la confusion. Vous ne rougissez pas de rougir de ce qui devrait faire votre gloire ! Les païens ne rougissent pas de choses honteuses, et vous rougissez de choses glorieuses ! Que sont donc devenues ces paroles dont on vous a fait la lecture : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et la honte ne sera plus sur votre visage[23] ».
10. J’ai ainsi parlé, mes frères, car, je le sais et j’en gémis amèrement, on craint la langue de quelques païens qui ne persécutent pas, mais qui vomissent des insultes ; des hommes qui voudraient croire sont paralysés dans leurs désirs, puisqu’ils ne se rendent point aux exhortations des chrétiens. Que dire de plus ? Que dirai-je moi-même ? Tu vois qu’on fait tout pour empêcher le premier païen venu de se faire chrétien : et toi, qui es chrétien, tu gardes le silence ! L’essentiel, à tes yeux, est qu’on t’épargne, c’est-à-dire qu’on ne t’insulte pas ! Quand on détourne de la foi le païen, tu te dis en secret : Dieu soit loué ! on ne m’a rien dit. Tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit ; tu restes en place et tu t’esquives ; tu crains d’entendre une méchante langue invectiver contre toi, et tu abandonnes à sa propre faiblesse un homme que tu devrais gagner au Christ ; tu ne lui viens pas en aide, tu gardes le silence ! Je le répète, tu prends la fuite, non de corps, mais en esprit. Tu n’es qu’un mercenaire, puisqu’à la vue du loup tu te sauves.
11. Que dire de plus ? Nous avons, tout à l’heure, entendu la parole du Sauveur ; qu’elle nous remplisse d’épouvante, car si nous devons l’aimer, nous n’avons pas moins à le craindre. « Celui », dit-il, « qui aura rougi de moi devant les hommes ». Remarquez à quel moment Jésus parlait ainsi ; c’était au moment où le monde, au lieu de croire, frémissait de rage contre la foi. « Celui a qui aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux[24] ». « Mais celui qui m’aura confessé devant les hommes, je le confesserai aussi moi-même devant mon Père qui est aux cieux[25] ». Veux-tu que le Christ te renie ? Veux-tu qu’il te confesse ? Ah ! elles dureront longtemps les insultes que tu recevras, quand une fois le Christ aura déclaré ne pas te connaître. N’en doute pas, ce qu’il annonce se réalisera. Celui qui a fait tant de prophéties manquera-t-il à sa parole seulement en ce qui concerne le jour du jugement ? Non. Que ses contempteurs conservent pour eux-mêmes leur mauvaise foi, ou plutôt, qu’ils s’en débarrassent. Présentez-vous à eux comme les modèles d’une foi courageuse ; n’allez pas leur donner l’exemple de gens que la crainte réduit au silence. S’ils rencontraient des chrétiens plus fermes, plus solides pour défendre les faibles, pour rendre librement témoignage de leur croyance, pour instruire prudemment les autres, pour les secourir charitablement, ils garderaient le silence, soyez en sûrs, car ils n’auraient plus rien à dire. Les accents de leur voix se perdraient dans le vide, car ils ne seraient plus que des cymbales retentissantes. Ce qui a cessé d’être dans leurs temples se trouve aujourd’hui sur leurs lèvres.

QUATRIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE. modifier

ANALYSE. – Petit exorde. —2. Apparition de l’ange et son allocution à Zacharie. —3. Grossesse d’Élisabeth et son accouchement. —4. Tressaillement de Jean dans le sein de sa mère. —5. Parallèle entre l’enfantement de Marie et celui d’Élisabeth. —6. Humilité de Jean. —7. Martyre de Jean en faveur de la vérité, et son humilité jusque dans son martyre.
1. Frères bien-aimés, nous rendons grâces au Seigneur notre Dieu de ce que sa miséricordieuse bonté nous a procuré la faveur de contempler votre sainteté, et le bonheur dont notre mutuelle affection est la source. Celui, au nom duquel nous vous saluons, nous inspirera les paroles de notre discours, car c’est lui qui est l’auteur de notre salut. Pourrions-nous vous parler d’un autre ? N’est-ce point une nécessité de vous entretenir du Dieu qui vous adressait, tout à l’heure, la parole de l’Évangile ?
2. Un jour qu’il remplissait en son rang les fonctions du sacerdoce, Zacharie, grand-prêtre de Dieu, entra dans le Saint des saints, et le peuple le suivit dans le temple, afin de prier le Seigneur conjointement avec lui. Au moment où il était près du saint autel, et offrait dévotement à Dieu des présents, un ange du Tout-Puissant lui apparut à la droite de l’autel, pendant le cours de sa prière. À sa vue, Zacharie fut saisi de crainte, mais l’ange lui dit : « Ne crains rien, Zacharie, ta prière est exaucée : ta femme Élisabeth concevra et te donnera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. Et Zacharie répondit : Comment cela pourra-t-il se faire pour moi ? Je suis vieux, a et ma femme est stérile et avancée en âge[26] ». Un ange envoyé de Dieu annonce à Zacharie qu’Élisabeth lui donnera un fils ; mais le grand-prêtre sait qu’il est, comme sa femme, avancé en âge, et il doute de la réalité de l’événement. En même temps qu’il refuse de croire à la puissance de son âge, il nie le pouvoir de la souveraine majesté, oubliant que rien n’est impossible à Dieu. L’ange lui répond en ces termes : « Puisque tu n’as pas cru à ma parole, qui s’accomplira en son a temps, tu seras muet et tu ne pourras parler, jusqu’au jour où ces choses arriveront[27] ». Que devons-nous penser, mes très-chers frères ? Devons-nous croire que ce prêtre soit entré dans le Saint des saints avec l’intention de demander à Dieu un fils ? Non. Où en est la preuve, me dira quelqu’un ? La voici en deux mots. Si Zacharie avait demandé un fils, il aurait évidemment cru à la parole de l’ange du Seigneur, qui venait le lui annoncer : or, quand cet esprit céleste lui dit qu’il lui naîtrait un fils, il refusa d’ajouter foi à cette nouvelle. Quand on prie, n’espère-t-on pas ? Celui qui espère ne croit-il pas au résultat final ? Si tu n’as aucun espoir, pourquoi pries-tu ? et si tu espères, pourquoi ne pas croire ?
3. Néanmoins, Élisabeth portait dans son sein l’enfant qu’elle avait conçu : le sentiment de honte pudique que lui inspirait sa grossesse l’empêchait de se montrer en public ; car elle rougissait de son état. Ce sentiment lui rappelait le souvenir de son âge avancé : au temps de sa vieillesse, elle produisait le fruit de la jeunesse : elle n’avait pas enfanté à l’époque où elle aurait désiré le faire et, maintenant qu’elle n’y aspirait plus, elle mettait au monde un enfant. Stérile pendant sa jeunesse ; elle allaita quand elle eut vieilli. Ce ne fut point chez elle l’effet d’une affection réciproque et charnelle, mais le résultat de la promesse faite par la Toute. Puissance divine ; car Zacharie ne croyait pas qu’il pût lui naître un fils, et, d’autre part, Dieu se préparait à envoyer un Prophète. C’est donc par l’esprit de l’homme, mais aussi par l’ordre de Dieu, que Jean est venu au monde : le Prophète est né, mais non sans inspirer une secrète envie à son père, à ce père dont l’incrédulité paralysa la langue. Pour n’avoir pas cru au commandement de Dieu, il vit sa langue condamnée au silence.
4. L’enfant tressaillit dans le sein de sa mère, et, du fond des entrailles maternelles, il prophétisa. « D’où me vient que la Mère de mon Seigneur s’approche de moi[28] ? » Mes frères, quelle profonde humilité chez la Mère du Sauveur ! Elle s’approche de la mère du Précurseur ! Jean salue le Christ, et pourtant ni l’un ni l’autre ne se montrent aux yeux. En effet, le Christ ne résidait-il pas dans le sein de Marie, et Jean dans celui d’Élisabeth ? Enfin, une voix prophétique, venue de la personne du Christ, a dit de Jean. « Avant de t’avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t’ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t’ai sanctifié, je t’ai établi prophète parmi les nations[29] ». Qu’elles sont heureuses, les mères de tels personnages, puisqu’elles ont mis au monde, l’une un saint, et l’autre son Seigneur ! Elles seront toujours heureuses, puisqu’elles ont mérité d’être appelées les mères de si grands personnages.
5. Examinons attentivement la naissance de l’un et de l’autre, et nous remarquerons le caractère distinctif de chacun de ces admirables enfantements. Jean est né d’une femme stérile, et le Christ d’une vierge. Chez Élisabeth, la stérilité est devenue féconde en Marie, la fécondité a laissé intacte la virginité. La femme stérile a engendré le héraut, la vierge a enfanté le Juge. Élisabeth a mis au monde Jean, le baptiseur, Marie a donné le jour à Jésus-Christ, le Sauveur. De Jésus-Christ et de Jean, l’un est Seigneur et l’autre est esclave ; en celui-ci l’humilité, en celui-là la grandeur ; d’un côté, un Dieu humble dans sa grandeur ; de l’autre, un homme humble dans sa faiblesse ; ici, un Dieu humilié à cause de l’homme ; là, un homme plongé dans la bassesse à cause de l’infirmité de sa propre nature. De fait, bien s’est anéanti pour faire du bien à l’homme, et l’homme s’est abaissé pour ne pas se faire de mal à lui-même.
6. Que le serviteur reconnaisse son état d’humiliation, et que le Tout-Puissant manifeste sa grandeur. Que le même Jean profère ces paroles : « Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers[30] ». S’il avait dit : Je suis digne, il se serait déjà profondément humilié ; car à dire : Je suis digne, qu’aurait-il gagné ? Aurait-ce été pour lui un titre pour s’asseoir à l’heure du jugement à la droite du Père ? Aurait-il été en droit de venir alors juger les vivants et les morts ? Mais que dit-il ? « Il faut qu’il croisse, et moi, que je diminue[31] ». « Celui qui vient après moi a été fait avant moi[32] ». « Je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers[33] ». Profonde humilité ! Ah, voilà bien le digne ami de l’Époux ! Ne devait-il pas effectivement se déclarer l’ami de l’Époux ? À l’entendre parler, un imprudent supposera peut-être qu’ici ami veut dire égal ; mais non : car Jean ne se dit l’ami de l’Époux qu’en raison de son affection pour lui, et la crainte le porte à se prosterner à ses pieds.
7. 2 nous est facile de voir, dans la différence de leur dernier supplice, le sens de ces paroles : « Il faut qu’il croisse, et moi, que je diminue ». Nous lisons que Jean a souffert, qu’il a enduré le martyre pour soutenir la vérité, et non à cause du Christ. Non, il n’est pas mort à cause du Christ ; non, il n’a point subi la peine de la décollation, pour avoir confessé le nom du Sauveur ou s’être refusé à le renier : s’il a terminé sa vie au milieu des souffrances, c’est qu’il a rappelé Hérode au respect de la tempérance et de la justice ; c’est qu’il a dit à ce prince : « Il ne t’est point a permis d’épouser la femme de ton frère[34][35] ». Bien qu’il ne soit pas mort à cause du Christ, il a cependant perdu la vie pour soutenir la vérité de la loi, parce que la vérité n’est autre que le Christ. Voici donc le langage tenu par les deux genres de mort qu’ont subis Jésus et le Précurseur : « Il faut qu’il croisse, et moi, que je diminue (2) ». L’un à été élevé sur la croix, l’autre a eu la tête coupée. Celui-ci a été raccourci par le glaive, celui-là s’est allongé sur le bois de la croix : voilà ce que disent leurs morts différentes. Nous trouvons dans les jours eux-mêmes l’explication du mystère qui nous occupe ; car les jours grandissent au moment de la naissance de Jésus, et ils diminuent à la nativité de Jean. Que la gloire de l’homme diminue donc, et que celle de Dieu s’accroisse, afin que la gloire de l’homme tourne à celle de Dieu.

CINQUIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE. modifier

ANALYSE. —1. Jean, voix du Seigneur dans le désert. —2. Voix qui prêche vigoureusement la préparation des sentiers de Dieu. —3. Condamné au mutisme en raison de son incrédulité, Zacharie recouvre l’usage de la parole à la naissance de la voix. —4. Mystère de la synagogue et de l’Église.
1. « Voix du Seigneur pleine de force, voix du Seigneur pleine de gloire[36] ». La voix du Seigneur, qui brise les cèdres de la sagesse humaine, s’est échappée des entrailles rétrécies d’une vieille femme, d’un sein brûlé par le mal de la stérilité : elle a retenti aujourd’hui dans le désert, pour vibrer avec force jusque dans les âges les plus reculés ; aussi, le monde atteint de surdité, et la terre gangrenée parla corruption, ont-ils entendu ses sons harmonieux ; aussi se sont-ils laissés éveiller par ses échos puissants. Cette voix n’est autre que Jean, dont le Prophète a dit par avance : « C’est la voix de celui qui crie dans le désert[37] ». Oh ! quel immense désert que ce monde ! Pour ceux qui le parcourent, quelle solitude partout semée de dangers effrayants ! En effet, la terre des Hébreux, nul patriarche, aucun Prophète ne la foulait plus aux pieds. Le Juif, tout prêt à faire le mal, se tenait en observation dans des gorges étroites, sur des chemins ensanglantés, où il avait maintes fois surpris les voyageurs qui marchaient à la recherche de la vérité. N’ayant jamais eu ni le Christ pour roi, ni le Verbe pour habitant, le monde des Gentils se trouvait en entier rempli de bois stériles et de pierres rocailleuses, car autres n’étaient pas ses dieux. Une forêt de vices l’enveloppait de toutes parts ; ses crimes, toujours et partout croissants, formaient autour de lui comme une ceinture de rochers ; couverte des aspérités et des épines de la corruption, la terre faisait mal à voir ; jamais la faux de la loi n’y avait passé ; jamais la charrue du céleste agriculteur n’y avait tracé de droits sillons ; aucune main laborieuse n’y avait jeté la semence de la grâce de Jésus Sauveur, et d’elle on pouvait dire ce qu’avait dit autrefois le Psalmiste : « C’est une terre déserte, sans chemins et sans eaux[38] ». Avant le Christ, il n’y avait en effet, parmi les Gentils, ni sources ni voies ; car les hommes y étaient en proie à la fausseté, à l’erreur ; ils s’y voyaient sans cesse confondus au milieu d’une foule d’opinions toujours incertaines, toujours changeantes ; nulle pluie bienfaisante ne venait éteindre, par ses ondées, l’ardent brasier des crimes publics.
2. Une voix, piquante comme un buisson d’épines, retentit donc en ce désert habité par les Juifs et les Gentils : le héraut du Juge qui allait paraître se présenta, annonçant le Sauveur à l’exemple duquel il devait lui-même mourir, et exhortant les hommes à suivre désormais une règle de vie plus sévère et plus pure. « Préparez la voie du Seigneur », dit-il, « rendez droits ses sentiers : toutes les vallées seront remplies, toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées[39] ». C’est-à-dire : tout homme humble sera exalté, et tout orgueilleux sera brisé ; car « quiconque s’élève sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté[40] ». « Et les sentiers tortueux seront redressés, et les chemins montueux seront aplanis[41] ». En d’autres termes : Tout ce qu’il peut y avoir d’anfractueux et de glissant dans les erreurs semées par le cauteleux serpent, tout ce qu’une nature couverte d’aspérités peut cacher sous sa dure et inégale enveloppe, se verra parfaitement nivelé dans la surface unie d’une voie où l’on ne rencontrera ni pierres ni détours, et d’un sentier où le pied du voyageur se posera sans crainte. « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers[42] ». Déjà Marie avait conçu du Saint-Esprit ; déjà la Vierge avait grossi, sans avoir néanmoins connu le contact de l’homme, sans que sa pureté eût subi la moindre atteinte ; déjà le char des évangélistes, conduit par tout le monde, suivait la route du siècle qui tombait sous le poids du Dieu dont il était rempli, et ce char faisait entendre les louanges du Christ. La voix précédait le juge, la trompette annonçait le roi, pour attirer le monde, pour fixer l’attention du genre humain tout entier et ouvrir, par ses sons terrifiants et ses graves modulations, les oreilles assourdies des hommes.
3. Comme prêtre, Zacharie se tenait donc près de l’autel : comme père, il refusa de croire à la parole de l’ange qui lui annonçait le héraut du Christ, et aussitôt il fut condamné à se taire. La voix naturelle apprit à connaître le silence, et la vieille langue des Juifs ne se fit plus entendre. Après avoir offert son sacrifice, le prêtre Zacharie revint frappé de mutisme, parce que le véritable Prêtre allait bientôt venir au monde. Chez lui, l’organe de la parole s’endormit dans son lit ; la voix se dessécha, coupée qu’elle était dans sa racine, et, paralysée dans ses inutiles efforts, elle expira : de sa bouche ouverte ne s’échappait aucun son, car la parole, se trouvant interceptée à son passage et retenue dans le noir cachot de sa source, prête à s’épancher, s’éteignait avant de naître. La voix naquit avant le Verbe. Aussi la Judée perdit-elle la parole des pères, et la force de faire entendre une voix nouvelle devint-elle l’apanage du fils, puisque Jean devait se mettre au service du Christ. Pour le père incrédule, qui n’avait point voulu ajouter foi aux prédictions venues d’en haut par l’intermédiaire de Gabriel, sa voix s’était trouvée emprisonnée dans la vaste profondeur de son gosier, et retenue captive dans la ténébreuse solitude de ses entrailles ; mais dès que la mère du Précurseur eut brisé les liens de la nature, dénoué les inextricables nœuds qui tenaient son sein fermé, donné la vie à la voix, Zacharie recouvra la parole. Au moment où cette femme âgée et stérile mettait au monde d’une manière toute nouvelle, la langue du père se déliait. O l’admirable changement des choses et de la nature ! Un reste de chaleur ranime des entrailles que l’âge avait déjà privées de la vie : ici une langue se dessèche, là, une voix est engendrée. À peine cette voix engendrée vient-elle au monde, que se brisent les liens qui retenaient la langue captive.
4. Revenons à notre mystère. Dans les premiers temps, l’Église était donc stérile, puisque c’est d’elle qu’il est écrit : « Réjouis-toi, stérile qui n’enfantes pas. Chante des cantiques de louanges, jette des cris de joie, toi qui n’avais pas d’enfants : l’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux[43] ». Remplie du don divin, elle a enfanté l’Esprit du salut, car il est dit dans nos saints Livres : « Parce que nous avons craint, nous avons conçu et enfanté l’Esprit du salut[44] ». Alors, la langue qui avait engendré se tut, c’est-à-dire, le langage prophétique de la synagogue cessa de se faire entendre. C’est pourquoi le Juif, que l’incrédulité avait rendu muet, a donné naissance à une voix qui conduit au Verbe ; ainsi peut reconnaître, dans son fruit, la vraie foi, celui qui s’est refusé à reconnaître la promesse, à lui faite, du Dieu Sauveur. Qu’à partir de là les jours deviennent plus courts et les nuits plus grandes. Que Dieu s’humilie en s’incarnant, et que, du haut de sa croix, il reçoive dans ses bras les Juifs aveugles. Il est nécessaire que le jour reparaisse et s’épanouisse de nouveau à la lumière, et que la nuit vaincue reste plongée dans ses ténèbres.

SIXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE : 3 modifier

ANALYSE. —1. Pourquoi ne célèbre-t-on pas la naissance des Patriarches et des Prophètes ? —2. Jean, que les chrétiens honorent, est la fin de l’ancienne loi et le commencement de la loi nouvelle. —3. Le peuple des Gentils est un désert où les saints ont fleuri, pareils à des lis. —4. L’Église a commencé par la parole de Dieu placée dans la bouche de Jean, le prédicateur de la pénitence. —5. Exhortation pour faire embrasser la pratique de la pénitence.
1. L’Église du Christ entoure d’une sainte vénération la mémoire des Patriarches, des Prophètes, et, en général, de tous les saints qui ont vécu sous l’ancienne loi : il convient donc, mes bien-aimés, que vous sachiez pourquoi le peuple chrétien ne célèbre que la fête d’un seul prophète, de Jean-Baptiste. En effet, n’est-il pas évident que beaucoup de prophètes ont souffert et subi le dernier supplice pour la gloire du nom de Dieu ? Le Sauveur lui-même, parlant par l’organe d’Étienne, n’a-t-il pas adressé aux Juifs ce sanglant reproche : « Où est le prophète que n’ont point persécuté vos pères ?[45] » Nous l’avouons donc : du temps de l’ancienne loi, les saints de Dieu ont aussi enduré la persécution et le martyre ; pourquoi, alors, l’Église du Christ ne solennise-t-elle pas le jour où sont nés des hommes dont elle reconnaît et admire les suprêmes souffrances ? En voici le motif, mes très-chers frères : les peuples persécuteurs n’ont pas voulu vouer au culte et au souvenir de la postérité les jours où ils ont torturé et fait mourir les Prophètes, parce qu’ils craignaient de perpétuer, parmi les personnes religieuses, le mépris et l’horreur de leur propre crime, en même temps que le respect pour la courageuse conduite des saints : en oblitérant les jours illustrés par les martyrs ; ils ont donc empêché la mémoire de la nativité des saints de durer` toujours, afin que celle de leurs propres méfaits ne se conservât pas éternellement. Néanmoins, la précaution qu’ils ont prise est devenue inutile. À quoi leur sert, en effet, que nous ignorions le jour où les saints personnages ont souffert, puisque nous les reconnaissons pour des martyrs ? Ils n’ont, par conséquent, réussi à rien. Impossible à nous de savoir quel jour sont nés les saints qui ont souffert pour Jésus-Christ ; mais, tous les jours, ne rendons-nous pas hommage aux Prophètes qui ont versé leur sang pour défendre la cause de Dieu ? Ainsi le léger dommage causé à leur mémoire se trouve-t-il largement compensé, puisque, au lieu d’un jour dérobé à leur souvenir par l’oubli, on leur consacre tous les jours par les honneurs qu’on leur rend.
2. Les choses étant ainsi, pourquoi les fidèles n’ont-ils pas subi l’effet de la haine ou de la négligence des Juifs, à l’égard de saint Jean ? Pourquoi ne se souviennent-ils que de la nativité de lui seul ? Le voici. Au moment du martyre et de la mort du bienheureux Jean, le peuple chrétien était déjà formé, et si l’impiété des Juifs a négligé la culte de ce témoin du Sauveur, la piété des chrétiens l’a consacré. En effet, bien que le Christ l’ait envoyé sous l’empire de l’ancienne loi, il l’a fait connaître plutôt comme sort propre témoin que comme un prophète des Juifs ; la raison en est facile à saisir : c’est que, en prêchant la foi chrétienne, il a vraiment confessé celui qu’il avait précédé en qualité de précurseur. C’est que, en commençant de prime abord à faire connaître la doctrine évangélique, il a, en réalité, souffert le martyre pour la cause de celui dont il avait annoncé la venue. Nos livres saints font, à juste titre, courir le temps de la loi et des Prophètes jusqu’à celui de Jean-Baptiste ; car en lui s’est terminé le règne de l’ancienne loi, comme en lui a commencé le règne de la prédication nouvelle. Voulez-vous saisir plus parfaitement encore ma pensée ? Eh bien ! Remarquez-le : l’Évangéliste, dont on vous a lu tout à l’heure les écrits, fait partir son récit de l’époque où le bienheureux saint Jean a commencé à prêcher. Quel motif singulièrement plausible pour faire aller jusqu’à Jean le règne de la loi ? C’est à bon droit qu’on le reconnaît comme ayant mis fin à la loi ancienne, puisqu’il a établi, le premier, le règne de l’Évangile. Et non-seulement cela, car qu’est-ce qu’ajoute l’Évangéliste ? « Jean était dans le désert, baptisant et prêchant[46] ».
3. Ce que, au rapport de l’Écriture, saint Jean a prêché dans le désert, vous le savez tous parfaitement, bien-aimés frères. Par désert, par lieu caché, on entend le peuple Gentil, qui, on ne saurait le révoquer en doute, était encore à cette époque plongé dans la solitude, marchant loin de Dieu en de fausses voies, et vivant à 50 a manière des brutes et des animaux sauvages. Jean y fut donc envoyé pour prêcher le Verbe de Dieu et annoncer la foi du Christ ; aussi abandonna-t-il les villes des Juifs, selon cette parole de l’Écriture : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis[47] ». Comme nous l’avons dit, mes chers frères, le désert est l’emblème des Gentils, et les lis, celui des hommes saints et agréables au Très-Haut. Voilà pourquoi le Prophète a dit : « Le désert se réjouira et fleurira comme un lis ». Cette comparaison, faite par l’Écriture, des saints avec les lis, est très juste, puisque leur persévérance dans le bien leur en donne la blancheur et la suavité. Les saints n’ont-ils pas, en effet, mes bien-aimés, la blancheur la plus éclatante ? Ne répandent-ils pas autour d’eux un parfum d’agréable odeur ? La vivacité de leur éclat vient de leur pureté, et l’odeur qu’ils répandent a pour principe leur suavité ; car l’Apôtre l’a dit : « Nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ[48] ». Plantés par la main des Prophètes et des Apôtres dans le désert, c’est-à-dire dans l’Église, unis ensemble par les liens de la paix et d’une charité mutuelle, les lis ont servi à tresser au Christ une couronne toute blanche, suivant ce passage où l’Apôtre dit aux saints qu’ils sont sa couronne : « Mes frères, ma joie et ma couronne, maintenez-vous fermes dans le Seigneur[49] ».
4. « Jean fut donc prêchant dans le désert ». Oui, et c’est ce que dit, en d’autres termes, un autre Évangéliste : « La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert[50] ». Pour nous faire toucher du doigt le berceau de l’Église naissante, et bien qu’il eût dit que Jean prêchait près du Jourdain, l’Écrivain sacré nous a fait connaître avec raison que le Verbe divin était venu inspirer le prédicateur : de là, il nous est facile de conclure que l’Église a eu pour fondateur, non pas tant un homme, que la Divinité même : « La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean ». Si, alors, Jean a prêché, la source de sa prédication n’a été autre que le Verbe : c’est la preuve que l’Église a eu pour fondement le Verbe divin et la foi chrétienne. « Jean fut donc prêchant le baptême de la pénitence ». Ici, mes bien-aimés, se montre plus clairement et d’une manière plus parfaite l’emblème de l’Église. « Jean prêchait le baptême de la pénitence, et il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés ». Tout ceci, très-chers frères, se passait visiblement parmi les Juifs, et semblait n’avoir lieu que pour eux : néanmoins, ce n’était que la figure de ce qui devait s’accomplir réellement dans l’Église. Quels sont, en effet, les vrais pénitents ? Ce sont les seuls enfants de l’Église, les chrétiens qui se sont éloignés de la voie de l’erreur. À ton avis, la pénitence a-t-elle été profitable pour les Juifs ? Mais non ; car, loin de se repentir de leurs fautes passées, ils en comblent encore chaque jour la mesure. De bonne foi, font-ils pénitence de leurs péchés, les hommes qui persécutent aujourd’hui le Christ ? Donc « il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés ». Alors le peuple juif recevait le baptême, mais alors aussi se purifiait le terrain de l’Église.
5. 2 est donc facile de le voir, mes bien-aimés : tout ceci s’applique exclusivement aux chrétiens et aux saints qui confessent leurs péchés au moment où ils reçoivent le baptême, et qui, après l’avoir reçu, mettent tous leurs soins à se corriger : aux hommes qui travaillent à faire pénitence, et dont toute l’existence est une continuelle confession, parce que, se purifiant sans cesse, ils se plongent tous les jours dans le bain du baptême. Agissez de même, je vous y exhorte et vous en conjure : c’est comme votre chef que je vous prie de le faire, c’est dans le sentiment d’une affection toute paternelle que je voudrais vous y décider.

SEPTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. 4 modifier

ANALYSE. —1. Superstitions en usage à la nativité de saint Jean-Baptiste. —2. La conception du Christ et celle de Jean ont lieu au temps de l’équinoxe, et leur naissance à l’époque du solstice. —3. Invitation aux païens de recevoir le baptême. —4. Et aux chrétiens de célébrer l’anniversaire de leur régénération.
1. Jusqu’ici, des erreurs d’une antiquité suspecte ont cru devoir singer la religion venue de Dieu, établir des usages presque pareils aux siens, la déshonorer d’une manière raisonnée, j’ajouterai même, protéger la vérité à l’aide de mensonges qui en ont l’apparence. En effet, comme la nuit succède au jour, et qu’à son tour le jour, empiétant sur la nuit, la chasse et la fait disparaître entièrement ; ainsi l’erreur, pareille aux profondes ténèbres qui accompagnent les astres de la nuit, prend la place de la vérité dont l’éclat s’est peu à peu affaibli, pour envelopper l’esprit humain de ses ombres épaisses. Mais quand le flambeau de la raison a repris le dessus, la vérité chasse l’erreur devant elle. Ainsi en est-il ici, et surtout au jour anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste ; ce jour se trouve, en effet, souillé par la pratique de telles erreurs, une crédulité si païenne et si ridicule le déshonore, que l’eau des étangs et des fleuves eux-mêmes a besoin d’être purifiée par l’eau toute pure du saint baptême. O renommée, quel appoint tu as apporté à la foi ! Tu as couru, comme une inconnue, dans le monde, et tu as fait connaître aux nations le jour où saint Jean-Baptiste a reçu la vie, et tu l’as fait célébrer par ceux-là mêmes qui n’étaient pas encore chrétiens ! Que te dirai-je, ô renommée ? Je n’en sais rien ; car tu forces l’apparence de la vérité à rendre témoignage à la vérité même. De fait, au point du jour, quand le soleil ne s’est pas encore montré à l’Orient, nous voyons les jeunes gens revenir de la fontaine après s’être baignés ; nous voyons des mères superstitieuses, la tête voilée et les bras tendus, rapporter leurs enfants plongés dans l’eau. Catéchumènes, est-ce ainsi que vous profanez ce qui est saint ! Chrétiens fidèles, est-ce ainsi que vous tombez dans l’erreur ! Passe pour les païens, car ils ne sont pas instruits ; mais vous, chrétiens, vous qui connaissez parfaitement votre devoir, je ne puis vous pardonner. Les païens contrefont ce qu’ils ne savent pas ; mais vous, vous profanez l’objet de votre culte. Voici ce que dit l’Apôtre Paul : « Lorsque les Gentils, qui n’ont point de loi, font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi, et ils font voir que ce que la loi ordonne est écrit dans leur cœur, par le témoignage que leur rend leur propre conscience[51] ». Quant au peuple chrétien, il le reprend ainsi de ses erreurs : « Toi qui as en horreur les idoles, tu fais des sacrifices ; toi qui te glorifies d’avoir la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ; car vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les Gentils[52] ».
2. Mais afin de mieux vous instruire sur la naissance, en ce jour, de Jean-Baptiste, il me faut vous dire un mot sur le partage et la durée des saisons. Tous les ans, il y a deux solstices, séparés, à égale distance l’un de l’autre, par deux équinoxes : l’un de ces deux solstices a lieu aujourd’hui, l’autre au huit des calendes de janvier ; quant aux équinoxes, la première tombe le huit des calendes d’octobre, et la seconde le huit des calendes d’avril ; l’année se trouvant ainsi divisée en quatre parties égales, nous disons que Jean et Notre-Seigneur Jésus-Christ ont été conçus, l’un au moment d’une équinoxe, l’autre à l’époque de la seconde. En effet, puisque Jean est né à pareil jour, il doit avoir été conçu le huit des calendes d’octobre ; pour le Christ, Fils de Dieu, et afin que sa naissance eût lieu régulièrement au huit des calendes de janvier, sa conception s’est faite le huit des calendes d’avril, par l’union du Verbe avec la nature humaine. Le temps de leur naissance s’est ainsi trouvé d’accord avec tes mérites de chacun d’eux, car Jean est venu au monde à l’époque où les jours commencent à décroître, et le Christ, Fils de Dieu, au moment où ils commencent à devenir plus grands : d’accord, en cela, avec les paroles du précurseur : « Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue[53] ». C’est avec raison que Jean a comparé le Christ au jour, car David l’avait déjà désigné sous cet emblème en écrivant l’un de ses psaumes « C’est ici le jour que le Seigneur a fait ; réjouissons-nous en lui et tressaillons d’allégresse[54] ». Le jour dont le saint roi fait ici mention n’est autre que le Christ, qui est né et qui, après avoir été mis à mort, est sorti vivant de son tombeau.
3. Sages vulgaires, écoutez ceci. Si vous avez une autre manière de vous rendre compte de saisons, acceptez, du moins, la manière dont nous rendons compte de notre foi. Aujourd’hui, nous célébrons la naissance de Jean-Baptiste, et vous, vous vous extasiez de voir le soleil arrêté dans sa course par les lois de l’équilibre ; que si, au contraire, aucune manière de calculer les époques ne s’accorde avec votre raison, si aucune religion ne cadre avec vos sentiments religieux, eh bien ! écoutez-moi encore, vous qui, au moment de l’aurore, plongez vos corps dans l’eau des rivières, pour les purifier. N’agissez point ainsi pour aboutir à l’inutilité ; ne singez pas ce que vous ignorez ; mais, si vous avez tant soit peu de confiance en ces sortes de bains, demandez à l’Église qu’elle répande sur vous son eau sainte, renoncez à vos erreurs, embrassez la vérité.
4. Pour vous, chrétiens, considérez ce jour comme l’anniversaire, non-seulement de la naissance de Jean-Baptiste, mais aussi de l’origine du baptême ; car si Jean est né à pareil jour, il a aussi baptisé le Christ : puisqu’il a donné le baptême, il était donc bien grand, mais plus grand encore était celui qui l’a reçu. Enfin, remarquez bien l’humilité de celui qui le donnait, afin de pouvoir reconnaître la vérité de celui qui le recevait ; car voici ce que Jean disait : « Celui qui vient après moi est au-dessus de moi, et je ne suis pas digne de délier les courroies de sa chaussure. Moi, je vous baptise dans l’eau, mais lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint[55] ». Après que le Christ fut venu auprès de Jean, celui-ci parla ainsi : « Voici l’Agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. C’est lui dont je disais : Après moi, vient un homme qui est au-dessus de moi, car il est plus ancien que moi[56] ». Et quand Jésus fut arrivé près du Jourdain, où Jean devait le baptiser, celui-ci s’écria : « C’est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! Et Jésus lui répondit : Fais maintenant ce que je te 537 dis, car il nous faut accomplir toute justice[57] ». Alors Jean fit descendre Jésus dans l’eau, « et aussitôt qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau, et les cieux lui furent ouverts, et il vit l’Esprit de Dieu descendant comme une colombe et venant sur lui, et tout à coup une voix vint du ciel : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances »[58]. Ce jour est donc l’anniversaire de la naissance de Jean, qui a donné le saint baptême, et, à coup sûr, il est juste que tous les chrétiens honorent un pareil jour. Tenez ferme, mes frères, à cet article de nos croyances, et, pour ne jamais douter en quoi que ce soit, restez soumis à la foi chrétienne. Que le Dieu unique en trois personnes, qui vit et règne dans les siècles des siècles, daigne vous en faire la grâce ! Ainsi soit-il.

HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL. 1 modifier

ANALYSE. —1. Foi de Pierre. —2. Pierre et Paul, le premier et le dernier des Apôtres, sont couronnés le même jour. —3. Leurs corps sont à Rome, mais leur nom se rencontre partout.
1. Mes frères bien-aimés, écoutons le pêcheur devenu prince des Apôtres : par la réponse que sa foi lui a dictée, il a mérité de devenir le portier du royaume des cieux ; il a reçu le pouvoir de lier et de délier, parce qu’en dépit des apparences il a reconnu en Jésus la grandeur divine. En tant qu’homme, le Seigneur Christ interroge ses disciples ; il leur demande quelle opinion le vulgaire a de lui : « Que dit-on du Fils de l’homme ? Pour qui le prend-on ?[59] » Enflammé par l’Esprit de Dieu, Pierre répond, non pas suivant ce qu’on lui demandait, mais d’accord avec l’inspiration qu’il avait reçue d’en haut : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant[60]. « Tu es bien heureux, Simon, fils de Jona, « parce que ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux[61] ». À moins d’avoir reçu de Dieu une révélation spéciale, le sens de l’homme est incapable de rien voir dans le mystère de l’Incarnation, la sagesse charnelle ne peut rien comprendre à cette incompréhensible vérité. Mes frères, voilà qu’un humble et pauvre Apôtre a sondé l’abîme impénétrable des richesses de l’Éternel ; il en a sondé les incommensurables profondeurs en confessant le nom du Christ, et, pour cela, il n’a pas discuté, il s’est contenté de croire. En effet, il a toujours cru, jamais il n’a engagé la moindre discussion, et sa foi lui a obtenu une grâce tellement privilégiée, qu’il a marché même sur les eaux pour suivre son Sauveur. Aurait-il jamais pu fouler à ses pieds l’élément liquide, s’il avait traîné derrière lui sa raison humaine ? Aurait-il pu appuyer solidement ses pieds sur les ondes fugitives de la mer, s’il n’avait pas cru à la parole du Seigneur ? Au lieu de discuter, il a cru ; c’est pourquoi lui ont été révélés les impénétrables secrets de Dieu. Le Seigneur a dévoilé aux yeux de ses disciples les ineffables mystères de la foi ; c’est pourquoi il leur a fait sentir l’odorante suavité de sa connaissance. Il s’est fait connaître à des pêcheurs, afin qu’ils pussent prendre l’univers entier dans les filets de l’Évangile. Et voilà que les pêcheurs prêchent partout la sagesse, tandis que des grammairiens et des orateurs, devenus disciples de l’erreur, se font les prédicateurs de la sottise. Mes frères, cherchons Dieu dans la simplicité de notre cœur, et croyons à son avènement comme s’il devait avoir lieu d’un moment à l’autre ; par là, nous nous corrigerons de nos vices, nous laisserons de côté les vaines espérances de ce monde, et nous mériterons de parvenir à la couronne de la destinée céleste.
2. Nous célébrons donc la naissance du premier et du dernier des saints Apôtres. Vous avez, j’en suis sûr, compris ce que je viens de dire ; mais parce que vous l’avez compris, est-ce pour nous un motif de nous taire ? S vous faites en ce jour votre devoir, avons-nous le droit de demeurer inoccupés ? Vous avez fait une profession solennelle, nous devons donc vous adresser un discours quelconque, afin que nous acquittions tous, publiquement, notre dette de dévotion. Pierre est donc le premier des Apôtres, et Paul en est le dernier. Le Dieu qui les a sanctifiés tous deux en les appelant, les a, de même, couronnés après leur martyre ; car il est le premier et le dernier[62]. Il est le premier, puisque rien n’existait avant lui, et comme rien n’existera après lui, il est le dernier ; personne avant lui, personne après lui, car il n’a ni commencement ni fin : voilà pourquoi celui qui, en raison de sa perpétuelle éternité, s’est déclaré le premier et le dernier, a couronné également et le premier et le dernier de ses Apôtres. Leur vie respire la charité, et leur mort imprime à cette solennité le sceau de la consécration. Un même jour a vu leur couronnement, dans une même cité retentissent leurs louanges. Sur la terre, leurs corps ne se trouvent point séparés, et leurs mérites sont égaux dans le ciel. Au cours de leur vie, pendant les jours de leur vie mortelle, leur parole a fondé l’Église ; ils en ont arrosé les racines avec leur sang, en mourant pour le Christ, et maintenant qu’ils prient pour nous dans le ciel, ils viennent à notre aide par leurs mérites. Ils se sont rencontrés à point le même jour pour évangéliser ensemble la même ville, et partager aussi ensemble le sort que leur avait préparé une charité mutuelle. Évidemment, nous gardons à cet égard les données de la tradition. Le bienheureux Pierre a souffert le premier d’après l’ordre de sa vocation, il devait marcher le premier même pour mourir ; ensuite devait venir le bienheureux Paul ; c’était le dernier des Apôtres, mais aussi c’était le docteur des nations. Paul était donc petit on eût dit la frange du vêtement du Sauveur, mais frange qu’il suffisait de toucher pour être guéri.
3. Ils choisirent tous deux, pour résidence, la ville de Rome, la capitale du nom romain ; Pierre, pour y exercer la primauté apostolique ; Paul, pour y remplir l’office de docteur des nations : ils n’y établirent que leurs corps ; pour leurs mérites, ils les répandirent de toutes parts, comme nous l’avons chanté tout à l’heure : « L’éclat de leur voix s’est répandu dans tout l’univers[63] ». Partout où ils n’ont point corporellement pénétré pendant leur vie, ils y sont allés après leur mort par leurs lettres ; de ces écrits nous viennent tous les jours leurs paroles, et ces paroles instruisent les chrétiens et réfutent les ennemis de leur foi. Il a été impossible à tous les pays de la terre de jouir de leur présence, mais, à cause de cela précisément, nous possédons leurs discours. On devait nécessairement ne trouver leurs corps qu’en un seul endroit, mais partout leur puissance s’exerce au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu, qui vit et règne avec le Père, dans l’unité du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit il.

NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL. 2 modifier

ANALYSE. —1. Égaux en mérites, Pierre et Paul ont souffert le martyre le même jour, mais non la même année. —2. Puissance et grandeur admirables de Pierre. —3. Conversion et mérites de Paul. — 4. Conclusion.
1. Le puissant et le faible, le plus grand et le plus petit, le chef et le dernier, Pierre et Paul, ont, par l’égalité de leurs mérites, partagé le même sort et l’honneur de l’apostolat ; en prêchant l’Évangile ; ils ont engendré le peuple chrétien, ils sont devenus les pasteurs du troupeau du Seigneur, et d’accord dans leur foi et leur prédication, semblables l’un à l’autre par la vertu, ils ont cueilli dans le champ de la mort les palmes du triomphe. Je n’en veux d’autre preuve que celle-ci c’est qu’ayant souffert persécution en des années différentes[64], ils se trouvent néanmoins réunis pour recevoir les honneurs d’un même jour de fête. En effet, le même jour qui a conduit l’un à la couronne éternelle, a conduit l’autre au combat, afin de lui procurer là victoire ; ainsi, après s’être tous deux couronnés de gloire, ils se sont dédié un jour commun, celui où ils ont vaincu le monde et marché sur les traces de Jésus-Christ, leur roi.
2. Admirable puissance, grâce ineffable du Sauveur ! Aurait-on jamais pu croire que le persécuteur Saul deviendrait un martyr ? Aurait-on jamais supposé qu’un homme sorti des rangs de la populace, un pêcheur, deviendrait le chef du collège apostolique, qu’il résisterait aux rois, sanctifierait les princes, gouvernerait tous les empires, guérirait le monde par ses lois, foulerait aux pieds les démons, dominerait les vertus, ouvrirait le ciel aux hommes quand il le voudrait, le leur fermerait quand il lui semblerait bon, accorderait aux convertis le royaume éternel, le refuserait aux méchants, jugerait des mérites du monde et pardonnerait à. ses semblables leurs fautes et leurs crimes ? O puissance sans prix et sans bornes ! Un homme placé sur la terre, tenir le ciel entre ses mains ! Voilà que maintenant s’ouvrent, à un signe de Pierre, les portes du royaume de Dieu ! Il a, en effet, reçu du Christ les clefs du royaume des cieux, afin de l’ouvrir aux croyants, après avoir brisé les chaînes de leurs péchés. Quels mystérieux remèdes nous sont offerts, et comme ils sont à notre portée ! Le monde a tout près de lui le royaume de Dieu, s’il veut avoir recours à Pierre ; pas n’est besoin de machines pour monter vers les nues ; la foi seule suffit à nous élever si haut ; inutile à ceux qui prient de fournir une longue course pour se faire entendre de Dieu, parce que le Christ est devenu la voie des croyants. Pour tenir sa place sur la terre et porter les clefs du royaume des cieux, il a établi l’apôtre Pierre, afin que personne ne se crût incapable d’y parvenir.
3. Paul a été renversé à terre par une voix d’en haut, quand il s’élançait avec fureur contre la bergerie, et quand, pareil à un loup enragé, il poursuivait le nom de l’innocent agneau, qu’il ne pouvait supporter ; il cherchait à tourmenter et à disperser le troupeau, et à ce moment-là même, il a été frappé ; puis, comme il se relevait, il a été aveuglé et ensuite éclairé par le Dieu qui « relève ceux qui tombent et éclaire les aveugles[65] ». De loup qu’il était, il est tout à coup devenu un agneau, de persécuteur un apôtre, de brigand un prisonnier. Il a commencé à prêcher le Christ, auquel il résistait précédemment, à souffrir pour celui qu’il combattait jadis, à être frappé de verges, cruellement lapidé, exposé aux bêtes, jeté dans les flammes, chargé de chaînes, emprisonné, et, enfin mis à mort pour celui à cause de qui il faisait autrefois mourir les autres ; au moment où il cherchait à diminuer le nombre des chrétiens, il est venu lui-même se placer dans les rangs des confesseurs ; à l’heure même où il pénétrait dans l’étable d’un tranquille troupeau pour y porter le ravage, il est subitement devenu une brebis.
4. La bassesse de son origine et la grandeur de ses crimes peut-elle être maintenant, pour n’importe quel homme, un sujet de désespoir ? Ne voit-il pas devant lui une source si pure de grâces célestes, que, pour s’y être plongé, un pêcheur est devenu supérieur aux monarques, et qu’un persécuteur est devenu égal aux Apôtres ? Tout en cherchant un soulagement à sa misère, tout en demandant chaque jour à la mer de quoi se sustenter, Pierre a trouvé un trésor de richesses dans Jésus-Christ, puisqu’en ce monde les rois et les nations lui obéissent. Quant à Paul, tandis qu’il poursuivait à la pointe de l’épée les membres de l’assemblée des Saints, il s’est soumis à porter le joug de la foi, il est devenu le docteur des nations, le modèle des martyrs, la terreur des démons, un pardonneur de crimes et une source de vertus. Pierre et Paul ont donc mérité ici-bas la palme du triomphe, et, dans le ciel, la couronne de la gloire.

DIXIÈME SERMON. POUR L’OCTAVE DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL. 3 modifier

ANALYSE.—1. La foi de Pierre n’a point failli sur les eaux de la mer. —2. Attachement à la foi.—3. Conversion de Paul.
1. Frères bien-aimés, il y a erreur ou péché de la part de celui qui attribue un manque quelconque de foi à Pierre, c’est-à-dire au fondement de l’Église ; comme il est téméraire d’accuser d’incrédulité celui qui, en récompense de ses mérites, a reçu du ciel le pouvoir de pardonner et de retenir les péchés. Y aura-t-il jamais un seul homme à même de ne pas trembler devant la justice de Dieu, si l’on suppose dans un Apôtre l’existence d’une faute, si l’on reproche un péché à Pierre surtout, puisque le Sauveur lui-même lui a rendu témoignage ? Ne voulant rien comprendre, ne comprenant rien à ce qui s’est passé, plusieurs se jettent dans les entraves d’une bien grande faute, lorsqu’ils s’imaginent que la foi de Pierre a manqué d’assurance et de solidité dans la circonstance où le Sauveur lui a dit. « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?[66] » En voilà bien la preuve ; ils n’ont pas fait attention à cette foi vive qui avait fait dire à Pierre : « Seigneur, si c’est vous, commandez-moi de venir à vous sur les eaux[67] ». L’Apôtre a évidemment cru à la puissance de Celui à qui il disait : « Commandez ». Il lui a fallu une foi ardente pour s’élancer sans hésitation hors de sa barque, pour en descendre sans trembler, pour s’aventurer sur les abîmes de l’élément liquide, pour s’engager dans un chemin que le pied de l’homme n’avait pas encore foulé, et ne pas craindre de voir les eaux se dérober sous ses pas et sous le poids trop lourd d’un corps humain. Il avait, en effet, conçu une si grande confiance en entendant cette parole du Sauveur : « Viens[68] », que, dans son idée, il avait sous lui, non point une mer perfide par sa mobilité, mais un terrain vraiment solide ; car, pendant que le Sauveur marchait sur les eaux, l’élément placé sous ses pieds lui était si docile, qu’il ne s’écartait nullement de sa personne, et ne touchait pas même et respectait la plante de ses pieds. Mes bien-aimés, il n’y a rien de surprenant à ce que les flots se soient montrés à tel point soumis au Christ, puisqu’ils dépendent entièrement de sa puissance et de son bon plaisir. À lui seul appartenait le droit de marcher sur les eaux à pieds secs, et la faiblesse de la raison humaine exigeait que le vent et la pluie vinssent jeter Pierre dans le désarroi. Si donc il enfonça en partie dans l’eau, ce fut pour empêcher toute différence entre Dieu et l’homme de disparaître ; s’ils avaient vu l’Apôtre marcher sur la mer comme le Christ, les hommes auraient conçu les doutes les plus graves à l’égard du Sauveur, et ils n’auraient plus rendu à Dieu l’honneur qu’ils lui doivent ; car il n’y eût plus eu merveille à voir faire à Dieu ce qu’aurait fait l’un d’entre eux.
2. Nous sommes en ce monde comme sur une sorte de mer, puisque nous nous y trouvons exposés aux tempêtes que soulèvent nos passions : Mettons donc tous nos soins à éviter le naufrage ; tenons-nous fermes et solides sur les pieds de notre foi, afin de ne point tomber, de ne point nous engloutir dans les abîmes de ce monde que Notre-Seigneur Jésus-Christ a foulé aux pieds par la vertu de son Incarnation. Si quelque tentation vient à fondre sur nous et à nous jeter dans le danger de périr, crions comme les Apôtres ; comme eux, disons au Christ : « Seigneur, sauvez-nous, parce que nous périssons[69] ». Ne vaut-il pas mieux, pour nous, appeler Dieu à notre secours et nous voir délivrer, que nous déguiser le danger, ne pas prier et nous exposer ainsi à mourir. Mais revenons-en à ce que nous disions tout à l’heure : Quel champ libre ouvert à l’orgueil de l’homme, s’il commençait à posséder une puissance égale à celle de Dieu ! L’Apôtre Pierre s’enfonçant dans les flots, nous a semblé manquer de foi, pour nous apprendre que nous ne devons nous attribuer à nous-mêmes aucun mérite, mais que nous devons rapporter à la puissance divine tout le bien que nous faisons.
3. Il est juste et convenable, mes frères, que nous partagions nos joies avec les saints Apôtres et que nous fassions part de la glorieuse résurrection du Sauveur à ceux qui partagent ses suprêmes souffrances. Celui que le Christ a daigné choisir comme un vase d’élection et donner aux nations comme leur docteur, ne se contentait pas de détourner des devoirs de la piété les âmes des fidèles ; il allait jusqu’à lapider les disciples qui ne voulaient point se séparer de leur Dieu. Le Sauveur nous l’a donné pour Apôtre : de Saut il a fait Paul ; d’apostat, celui-ci s’est changé en Apôtre, et de persécuteur de l’Église, il en est devenu le docteur. Après avoir fait endurer aux autres la persécution, il s’est pris d’amour pour les souffrances et, après avoir mis sa joie à voir souffrir les autres, il a mis son bonheur à souffrir lui-même, Le Dieu, qui a jadis opéré ce prodige de puissance dans la personne de l’Apôtre, vient d’arracher nos âmes de la prison de l’enfer, de la gueule des démons, et après nous avoir fait passer des ténèbres à la lumière, il nous a ouvert les portes de la vie éternelle. C’est là l’effet de la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ : à lui soient l’honneur, la louange et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

ONZIÈME SERMON. SUR LA CHUTE DE PIERRE. modifier

ANALYSE. —1. Pierre entraîné, comme Adam, par une femme. —2. Pierre secouru plus vite que notre premier père. —3. Larmes de Pierre. —4. Son amour pour Jésus-Christ.
7. Nous le savons, mes frères, l’histoire d’Eve s’est renouvelée à l’égard de Pierre ; une femme, une portière l’a aussi trompé ; comme Adam, cet Apôtre s’est laissé circonvenir par une femme : c’est l’usage que le sexe s’emploie à tromper, et le diable a dû reconnaître dans cette portière. un vase rempli de sa ruse. Il est habitué à ne triompher de la vertu des hommes fidèles que par l’intermédiaire d’une femme. Pour vaincre Adam, Eve lui a servi d’instrument ; une servante lui a suffi pour triompher de Pierre. Le diable, comme nous l’avons lu, s’était glissé dans le Paradis de délices, et il nous est facile de le comprendre, le prétoire des Juifs ne se trouvait pas à l’abri de ses influences. Dans l’Éden, Satan, déguisé en serpent, attaqua le premier homme ; au tribunal de Caïphe, Judas remplaçait l’animal rampant. Donc, similitude complète entre la séduction de Pierre et celle d’Adam, parce que, dans un cas comme dans l’autre, il y eut similitude entre le commandement donné à Adam et les ordres intimés à Pierre. Tous deux, en effet, avaient reçu du Seigneur la défense, celui-ci de le renier, celui-là de toucher au fruit de l’arbre : le premier, de porter la main sur l’arbre de la science ; le second, d’abandonner la sagesse de la croix. L’un goûta du fruit défendu ; l’autre prononça des paroles qui ne devaient point sortir de sa bouche ; et, toutefois, il était plus facile à Pierre de renier son maître, qu’à Adam de prévariquer.
2. Aussi la grâce vint-elle plus vite au secours de Pierre qu’à celui d’Adam. Au moment où celui-ci se cachait, sur le soir, Dieu alla à sa recherche, et le Sauveur jeta les yeux sur celui-là au moment où il le reniait, au chant du coq. Devenu coupable d’une mauvaise action, notre premier père vit qu’il était nu, et il rougit ; intérieurement troublé à la pensée de ses paroles, réprimandé par sa conscience, l’Apôtre gémit amèrement. Pris comme en flagrant délit, Adam chercha un, refuge dans la solitude ; corrigé de sa faute, Pierre fondit en larmes. Le premier homme se cacha pour se dérober aux regards de l’Éternel ; Dieu lui dit : « Adam où es-tu[70] ? » Il n’avait pu fuir la présence du Tout-Puissant, mais sa conscience coupable ne trouvait plus de retraite assurée contre les remords ; c’est pourquoi il tremblait. Le Seigneur le regarda, et lui ayant ouvert les yeux, dissipa son erreur. Ce fut aussi en regardant Pierre qu’il le corrigea ; car il est écrit : « Les yeux du Seigneur sont ouverts sur les justes : ses oreilles sont attentives à leurs cris[71] ».
3. Pierre s’en prit donc à ses yeux, mais aucune prière ne tomba de ses lèvres. Je lis dans l’Évangile qu’il pleura, mais, nulle part, je ne lis qu’il prononça un mot de prière ; je vois couler ses larmes, mais je n’entends pas l’aveu de sa faute. Oui, Pierre a pleuré et il s’est tût : c’était justice, car, d’ordinaire, ce qu’on pleure ne s’excuse pas, et ce qu’on ne peut excuser peut se pardonner. Les larmes effacent la faute que la honte empêche d’avouer. Pleurer, c’est donc, tout à la fois, venir en aide à la honte et obtenir indulgence : par là, on ne rougit pas à demander son pardon, et on l’obtient en le sollicitant. Oui, les larmes sont une sorte de prière muette : elles ne sollicitent pas le pardon, mais elles le méritent ; elles ne font aucun aveu, et pourtant elles obtiennent miséricorde. En réalité, la prière de larmes est plus efficace que celle de paroles, parce qu’en faisant une prière verbale, on peut se tromper, tandis que jamais on ne se trompe en pleurant. À parler, en effet, il nous est parfois impossible de tout dire, mais toujours nous témoignons entièrement de nos affections par nos pleurs. Aussi Pierre ne fait-il plus usage de sa langue, qui avait proféré le mensonge, qui lui avait fait commettre le péché et perdre la foi ; il a peur qu’on ne croie pas à la profession de foi sortie d’une bouche qui a renié son Dieu : de là sa volonté bien arrêtée de pleurer sa faute, plutôt que d’en faire l’aveu, et de confesser par ses larmes ce que sa langue avait déclaré ne pas connaître. Si je ne me trompe, voici encore pour Pierre un autre motif de garder le silence : demander son pardon sitôt après sa faute, n’était-ce pas une impudence plus capable d’offenser Dieu, que de l’amener à se montrer indulgent ? Celui – qui rougit en sollicitant son pardon, n’obtient-il pas ordinairement plus vite la grâce qu’il demande ? Donc, en tout état de faute, mieux vaut pleurer d’abord, puis prier. Nous apprenons ainsi, par cet exemple, à porter remède à nos péchés, et il s’ensuit que si l’Apôtre ne nous a pas fait de mal en reniant son Naître, il nous a fait le plus grand bien par la manière dont il a fait pénitence de son péché.
4. Enfin, imitons-le relativement à ce qu’il a dit en une autre occasion. Le Sauveur lui avait, trois fois de suite, adressé cette question : « Simon, m’aimes-tu[72] ? » et, chaque fois, il avait répondu : « Seigneur, vous le savez, je vous aime. Et le Seigneur lui dit : « Pais mes brebis[73] ». La demande et la réponse ont eu lieu trois fois pour réparer le précédent égarement de Pierre. Celui qui, à l’égard de Jésus, avait proféré un triple reniement, prononce maintenant une triple confession, et autant de fois sa faiblesse l’avait entraîné au mal, autant de fois, par ses protestations d’amour, il obtient la grâce du pardon. Voyez donc combien il a été utile à Pierre de verser des larmes : avant de pleurer, il est tombé ; après avoir pleuré, il s’est relevé : avant de pleurer, il est devenu prévaricateur ; après avoir pleuré, il a été choisi comme pasteur du troupeau, il a reçu le pouvoir de gouverner les autres, bien qu’il n’ait pas su, d’abord, se diriger lui-même. Telle fut la grâce que lui accorda Celui qui, avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

DOUZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES MARTYRS MACHABÉES. modifier

ANALYSE. —1. Ceux que la nature n’a pu mettre au monde en même temps, la foi les a engendrés le même jour pour le ciel. —2. Boudeur de la mère des Machabées. —3. Sa force d’âme dépeinte dans les paroles qu’elle adressa à ses enfants.—4. et plus encore, dans l’offrande qu’elle fit du dernier d’entre eux. —5. Conclusion.
1. Frères bien-aimés, si nous voulions faire l’éloge de chacun de ces sept frères, de ces saints et bienheureux enfants qui ont souffert le martyre en un même jour avec leur glorieuse mère, nous ne finirions pas de parler, et vous vous fatigueriez à nous entendre. Je dirai plus, mes frères,-lors même que votre avidité pour la parole de Dieu vous donnerait la force de toujours nous écouter, notre faiblesse succomberait nécessairement à la tâche. Comment, en effet, mes bien-aimés, louer d’une manière digne d’eux ces martyrs, que le même jour n’a pas vus naître, mais auxquels leur confession a mérité, le même jour, la couronne éternelle ? Comment parler d’eux convenablement ? La sainte profession de leur foi a opéré en eux un prodige que la fécondité de leur mère n’avait pu accomplir ; en d’autres termes, la grâce divine a été plus puissante que la nature humaine. Une femme, si féconde que vous la supposiez, n’a jamais été capable de donner en même temps le jour à sept enfants ; mais cette heureuse et glorieuse Machabée, par la foi, engendré au Christ, et dans le même jour, sept confesseurs martyrs. Réjouissons-nous, mes très-chers frères, de ce que la foi opère un prodige inouï et bien supérieur aux forces génératrices de l’homme. Réjouissons-nous en face des merveilles accomplies par Dieu et des preuves de sa toute-puissance : ces enfants n’ont pu sortir à la fois du sein qui les a conçus, mais le Dieu de majesté les a tous couronnés aujourd’hui.
2. O combien elle est heureuse la mère qui a donné le jour à ces enfants, c’est-à-dire qui les a engendrés dans son corps et par sa charité, au monde et à Dieu, au siècle et au Christ, à la terre et au ciel ! D’abord, elle leur avait donné la vie matérielle, au milieu des angoisses et des pleurs ; aujourd’hui, marchant sur les traces d’Abraham qui offrit son fils à Dieu comme un holocauste sur l’autel de la foi, elle offre joyeusement à l’Éternel chacun de ses enfants, comme une victime. O l’heureuse mère ! Elle n’a entendu aucun d’eux renier son Dieu ; car ils ont tous confessé le Christ ; elle n’en a vu aucun chanceler dans le chemin et nul n’ayant sacrifié aux démons, elle n’a pas eu à gémir de leur apostasie. Elle a ressenti les douleurs de chacun d’eux, mais comme ils ont tous remporté la victoire, elle s’est réjouie pour eux et pour elle-même. O l’excellente femme ! Elle est devenue un bon arbre, car voici ce que dit le Sauveur : « Un bon arbre donne de bons fruits[74] ». Mes frères, les feuilles et les fruits de cet arbre ne sont autres que les paroles saintes et les bonnes œuvres. Au sujet de ce saint arbre, le Prophète s’est exprimé ainsi : « Tes enfants, comme de jeunes oliviers, entoureront ta table[75] ». De plus, remarquez bien ceci, mes frères : En hiver, l’olivier porte des fruits et en été des feuilles ; en hiver, il nourrit celui qui le cultive, et, en été, il lui procure un rafraîchissant ombrage ; avec l’huile de l’olive, l’agriculteur oint sa tête, et il se repose à l’ombre de l’olivier ; car, dit le Psalmiste : « Vous avez répandu l’huile sur ma tête[76] ». Puis il prie et ajoute : « Pour moi, je suis dans la maison du Seigneur, comme un olivier fertile[77] ». C’est une branche d’olivier garnie de fruits, que la colombe a trouvée et rapportée dans l’arche au moment du déluge. Les sept enfants de la Machabée sont donc autant de rameaux d’olivier chargés de fruits, qu’on n’a pu faire pliera l’heure de la persécution.
3. Quelle fut la contenance de leur mère, lorsqu’elle les vit torturés, rôtis, brûlés, et qu’en sa présence chacun de leurs membres fut séparé du tronc, coupé en morceaux, puis jeté au vent ? À l’abri de la crainte et de l’épouvante, elle ne sembla pas même pâlir : elle se tenait à côté d’eux, et ne faiblissait pas ; car Dieu lui-même la soutenait dans sa lutte. Ne livrait-elle pas, en effet, combat pour le maintien des lois de l’Éternel ? Mes frères, quelle grâce le Seigneur a faite à cette bienheureuse femme ! Dans l’ordre des temps, elle avait reçu le jour avant ses enfants, et, le même jour qu’eux, elle s’est trouvée réunie aux esprits angéliques ! Elle les avait mis au monde, et voilà qu’elle est devenue leur sœur pour être entrée avec eux dans l’arène ! Ses yeux avaient, plus tôt que les leurs, aperçu les rayons du soleil, et voilà qu’après avoir souffert au même temps qu’eux, elle est admise, le même jour, à contempler la gloire de son Sauveur ! Quand, de ces sept frères, il ne resta plus que le plus jeune, le roi maudit l’appela comme les autres : caresses, ruses, promesses, tout lui sembla de bon usage pour détourner l’enfant du chemin droit et le séparer adroitement de ses frères. D’abord, il fit miroiter à ses yeux l’espérance de richesses, d’honneurs et de dignités : il offrit de lui donner de l’or, de l’argent, un royaume, un empire ; mais le martyr se moqua de tout, méprisa tout, parce que son cœur était rempli de l’amour de Dieu. Alors, on employa les moyens d’intimidation : on fit approcher toutes sortes d’instruments de tortures ; l’enfant resta insensible à la crainte : ni les présents, ni les menaces du cruel monarque ne furent à même de l’ébranler. Toujours vaincu, condamné à avoir le dessous avec tous, Antiochus fait venir leur mère et l’engage à décider son fils, afin de lui éviter des tourments encore plus affreux que ceux que ses frères ont subis. Il recommande à la mère de l’influencer ; mais à ce dernier pouvait-elle persuader autre chose que ce qu’elle avait persuadé à ceux qu’elle avait déjà envoyés au ciel ? Voici ce qu’elle avait dit de « prime abord à ses enfants : Mes amis, je ne sais comment vous êtes apparus dans mon sein, je ne vous ai donné ni la vie ni l’esprit, ce n’est point moi qui ai formé votre visage et vos membres. Le Créateur du ciel, de la terre, de la mer et de tout, ce qu’ils renferment, « Celui qui a donné le commencement à toutes choses, Dieu seul vous a donné le souffle et l’intelligence, et pétri votre visage et vos membres : aujourd’hui vous faites le sacrifice de vos corps pour maintenir ses saintes lois, mais il vous les rendra dans sa miséricorde ». Cette femme était leur mère, et voilà ce qu’elle savait leur dire, car elle aimait Dieu de tout son cœur.
4. Le saint patriarche Abraham nous semble digne d’admiration pour avoir offert son fils à Dieu : combien plus admirable cette femme doit nous apparaître, puisqu’en un seul et même jour elle a généreusement envoyé au martyre et au ciel ses sept enfants ! Au plus jeune et au dernier de tous, elle disait : Mon enfant, tu es le seul qui me restes ; après avoir autrefois mis le comble à mes veaux, puisque tu es sorti le dernier de mes entrailles, mets aujourd’hui le comble à ma joie : je t’en supplie, je t’en conjure. Sois bon pour moi, mon enfant ; car je t’ai porté de longs mois dans mon sein : ne flétris pas ma vieillesse en un instant, ne souille pas l’éclat du triomphe de tous tes frères, ne te sépare point de leur société, ne renonce point à en faire partie. O mon fils, lève les yeux vers le ciel d’où te sont venus la vie et l’esprit ; porte tes regards vers la terre qui t’a fourni une nourriture abondante ; contemple tes frères, ils t’appellent à partager leur sort ; considère celle qui t’a allaité l’espace de trois ans, après t’avoir donné le jour ! Que ta piété filiale me récompense ; renonce à la vie, suis tes frères, écoute la voix de ta débile mère, de celle qui t’a mis au monde. Le roi Antiochus te promet les richesses et les honneurs de la terre : je t’en conjure, cher enfant, remarque-le bien, sois-en convaincu : tout cela n’est que vanité, parce que tout cela est assujetti aux vicissitudes et à la caducité du temps, et que rien de cela n’est éternel. Dieu seul promet l’éternité ; seul, il ne se trompe pas et n’induit personne en erreur. Mon enfant, souviens-toi du Seigneur ton Dieu ; rappelle-toi ces paroles venues d’en haut, qu’un prophète a prononcées, et que tu as lues ou entendues : « Vanité des vanités, tout est vanité[78] ». O mon fils ! ne crains pas le roi Antiochus ; il te ravira pour un temps la vie du corps, c’est vrai ; mais crains ton Dieu, car il te réunira corps et âme, au sein de la vie éternelle, avec tes frères. Le Seigneur vous a donnés à moi comme sept beaux jours : six d’entre eux ont déjà fini, parce que j’ai déjà envoyé ton sixième frère vers le Tout-Puissant, et qu’à mes yeux leurs œuvres ont paru bonnes ; puisque tu es le septième, il faut que je me repose en toi des travaux auxquels je me suis livré dans les six autres. Le Seigneur Dieu, vers lequel vous dirigez votre course et vos pas, ne s’est-il point reposé de toutes ses œuvres le septième jour ? Moi aussi, après avoir versé tant de larmes, je me reposerai. Soutenu par cette exhortation de sa mère, inspiré par l’Esprit-Saint, le jeune martyr s’écria : « Qu’espérez-vous, qu’attendez-vous de moi ! Je ne consens ni ne me rends aux ordres d’un faux roi, je n’obéis qu’à Dieu ! » Vous savez le reste de sa réponse. Il rendit donc l’esprit comme ses frères, sans avoir souillé la robe de son innocence. Après tous ses enfants la mère mourut aussi : oui, elle est morte pour le monde, mais elle vit pour Dieu ; car pouvait-elle vraiment mourir, après avoir, par amour pour Dieu, excité ses enfants à souffrir le martyre ? Évidemment, non. Ils vivent tous sous l’autel des cieux, car le Seigneur est le Dieu, non des morts, mais des vivants.
5. Mes frères, les justes de l’ancienne loi ont donc souffert pour la défense des divines figures de la loi nouvelle. Nous faisons l’éloge des trois enfants hébreux et de Daniel, nous exaltons leur mémoire, parce qu’ils n’ont point voulu se souiller en mangeant des mets royaux ; nous avons dit, en l’honneur des Machabées, de bien belles choses, et nous venons de payer à leur souvenir le tribut de notre vénération profonde, parce qu’ils n’ont point voulu accepter une nourriture et des aliments dont les chrétiens font aujourd’hui un usage autorisé ; alors, que devons-nous souffrir nous-mêmes, que devons-nous endurer pour le Christ, pour le Baptême, pour l’Eucharistie, pour le signe de la Croix ? Autrefois, les aliments précités n’étaient que l’indice de l’avenir ; aujourd’hui, le Christ, le Baptême, l’Eucharistie, le signe de la Croix, nous disent que les promesses divines sont accomplies. Jadis l’objet de la foi ne se voyait pas : on le connaît maintenant. Partout et toujours les saints et les justes ont eu la même foi et nourri les mêmes espérances. Donc, mes frères, supportons nous-mêmes pour Dieu ce qu’ils ont supporté, méprisons ce qu’ils ont méprisé, et, comme eux, nous recevrons en partage la vie éternelle que nous espérons.



TREIZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DU BIENHEUREUX MARTYR LAURENT. I modifier

ANALYSE. —1. Victoire remportée sur le monde par saint Laurent. —2. Imitons sa force d’âme.


1. Parmi les confesseurs couronnés de lauriers, et que l’éternelle gloire des triomphateurs a portés jusqu’au ciel, saint Laurent brille d’un éclat dont les nuances sont multiples ; car en souffrant le martyre, il a mérité de porter, sur sa tête, non seulement la couronne blanche du lévite, mais encore celle des témoins du Christ. Les uns se sont couverts des flots d’un sang vermeil, les flammes ont consumé les autres, comme s’ils avaient été enfermés dans une fournaise ; sur ceux-ci apparaissent les teintes rouges de l’or, sur ceux-là les nuances de la pourpre, et sur les palmes du bienheureux Laurent se marient les couleurs les plus diverses et les plus tranchantes. Ainsi les verges, le feu, le glaive et toutes les tortures inventées par le génie des bourreaux, ont enfanté, pour les martyrs, d’impérissables titres de gloire ; car, au lieu de se laisser vaincre, ceux-ci ont recueilli en ce monde, pour la porter dans l’autre, la couronne triomphale. À quoi bon torturer et supplicier ce qu’il y a en eux de terrestre ? À quoi bon le faire mourir ? La foi des martyrs a remporté sur vous la victoire ; leur constance a triomphé de vous ! La mort une fois venue, en quoi seriez-vous à craindre ? Vous avez élevé les martyrs jusqu’au ciel, mais vous ne les avez pas vaincus ; toute votre puissance s’est évanouie. Les témoins du Christ ont conservé leur patience jusqu’au terme de leurs tortures : aussi leur avez-vous procuré un véritable bénéfice en les persécutant, puisque vous leur avez ainsi tracé le chemin qui devait les conduire au ciel. C’est donc bien le cas de dire : « O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon ?[79] » Il brise tous les obstacles, celui qui ne craint pas de mourir ; il triomphe de tout, celui qui, en mourant, se hâte de parvenir jusqu’au Christ. Pourrait-on redouter les souffrances, quand on sait qu’on passera de la mort à la vie ? Le bienheureux Laurent aurait-il été supérieur à son brûlant supplice, s’il n’avait désiré se faire admettre dans les parvis de la Jérusalem céleste et en goûter les joies ? Il le savait : après la mort, la victoire ; après les ardeurs du feu, les doux rafraîchissements ; son corps se disloquait et se liquéfiait sur les charbons enflammés : consumé par les flammes, ce qu’il tenait de la terre se réduisait en fumée et en cendres. Il rendait à sa misérable mère ce qu’elle avait enfanté et versait dans son sein limoneux le contenu de son vase. Ce qu’il avait reçu de la terre, il le lui restituait ; ce qu’elle lui avait donné pour grandir, devenait la proie des flammes. Que devenait son esprit au milieu de tous ces tourments ? Il s’envolait au ciel. N’ayant point voulu se laisser dominer pendant qu’il était uni au corps, son âme n’avait pu céder à la crainte. Voici donc ce qu’ont dit tous les martyrs, nous en trouvons l’écho dans un psaume : « Notre âme a été délivrée, comme le passereau du filet de l’oiseleur. Le filet a été rompu, et nous avons été sauvés. Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a créé le ciel et la terre[80] ». La cage étroite et fragile de son corps est devenue la proie des flammes, et le passereau s’est échappé de sa prison ; l’âme du martyr a recouvré sa liberté, mais, à la fin des temps, Dieu lui rendra son corps. N’est-ce pas, en effet, le Seigneur qui a tiré l’homme du néant ? Et, après avoir daigné compter les cheveux de sa tête, ne lui a-t-il point promis qu’aucune partie de son corps ne périrait ? « Un seul cheveu de a votre tête ne périra pas[81] ». Voilà sa parole.
2. Rougis donc, incrédule Manichéen, qui révoques en doute la résurrection future. Le Christ, Dieu, la Vérité même, n’a pu mentir Eh bien ! il a affirmé qu’un seul cheveu d’homme ne périra pas. Inutile de discuter, quand le Tout-Puissant a fait une promesse. Il n’y aura pas non plus, comme l’a pensé Platon, une transmigration des âmes en d’autres corps, parce qu’un homme ne peut devenir un âne ou un chameau : chacun de nous devra paraître avec son corps au jugement de Dieu. Je le vois, perfide : la raison pour laquelle tu crains de ressusciter, c’est que tu ne veux pas croire ; mais, bon gré, mal gré, tu ressusciteras et reconnaîtras la vérité de ce que tu nies aujourd’hui. Mais je te laisse en paix, je ne veux pas remuer davantage la sale boue de telles contradictions. O homme, dès lors que tu ne chercheras pas à éviter le martyre, tu iras droit au ciel. Bon gré, mal gré, tu mourras en ce monde. Pourquoi, alors, hésiter de mourir pour le Christ, puisqu’à n’en pas douter, il te faudra sortir un jour de ce monde ? Louons donc, frères bien-aimés, et honorons saint Laurent ; car il a conservé dans tout son éclat le précieux diamant de sa foi au milieu de la fumée et des flammes. Toutes les richesses, tous les revenus, toutes les perles et les pierres fines avec leurs nuances multiples et leur éclat, nous seront enlevés avant la mort, ou indubitablement à l’heure de la mort, si tant est que nous puissions les conserver jusqu’à ce moment-là. Mais le trésor de la foi, auquel ne saurait être comparée nulle fortune ; on l’acquiert en recevant le baptême, on le conserve au milieu des tourments, et, après te martyre, on le possède éternellement. D’un côté, tu perds tes richesses, si tu confesses le Christ en souffrant pour lui, et, si tu le renies, tu les conserves ; de l’autre, si tu viens à plier sous l’effort et les menaces des bourreaux, et que tu renies ton Sauveur, tu le perds ; mais si tu le confesses, tu acquiers la palme du martyre.

QUATORZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DU BIENHEUREUX MARTYR LAURENT. modifier

ANALYSE.- Courage invincible de saint Laurent.

Après que les Apôtres eurent gagné la victoire, Laurent marcha joyeusement au combat et remporta la couronne : son office dans l’église était celui des lévites. Lorsque fut venue l’heure glorieuse de son martyre, le juge sacrilège lui ordonna d’apporter au pied du tribunal les richesses de l’église alors le bienheureux diacre se fit amener tous les pauvres, et, après avoir placé dans le ciel son vrai trésor, il se hâta de les combler de ses dons. À cette nouvelle, le juge devient pareil à un fou furieux : il appelle le feu au secours de sa méchanceté ; il s’ingénie à inventer de nouveaux tourments, et, sur son ordre, le bienheureux martyr est précipité dans les flammes. O juge, que fais-tu ? À quoi bon te donner tant de peine ? Pourquoi t’échauffer ainsi ? Commence, si tu en es capable, par éteindre la flamme ardente qui consume ce grand cœur, et, puis, tu réduiras en cendres le corps de ce martyr. Que gagnes-tu à torturer un confesseur dans la partie matérielle de lui-même ? Si tu le peux, tire vengeance de son courage à supporter la douleur. Tu viens à son aide, et tu n’en sais rien. Tu travailles à son avantage, et tu l’ignores. Une fois débarrassé du fardeau de son corps, notre martyr n’en sera que plus agile pour monter vite au ciel : à mesure que son corps se consume, les forces de son courage s’accroissent ; tu viens donc à son aide, puisqu’il ne souhaite rien tant que de sortir de cette enveloppe mortelle, où il se voit emprisonné pour un temps tout comme les autres hommes. Nous le savons pour l’avoir lu, mes bien chers frères : on soumet au feu les vases du potier, afin de les éprouver. Laurent, on peut le dire, a conservé en sa personne l’ouvrage du Christ, puisqu’il a subi, sans fléchir ; les ardeurs de la fournaise. Sa chair servait d’aliment à la flamme, tandis qu’intérieurement son esprit veillait. Le saint et invisible vase qu’il était allé chercher à la source, il le tenait aussi sur le feu : car, se voyant cuit d’un côté, il offrait lui-même de se retourner sur l’autre : son désir était d’être éprouvé à droite et à gauche par les armes de la justice[82] : « Retournez-moi », s’écriait-il, « et mangez, car c’est cuit ». Admirable puissance de la foi, mes frères ! Laurent se moquait de l’incendie allumé dans son corps, car la flamme de la charité le brûlait intérieurement. Les mets destinés à la table du Seigneur, le persécuteur n’a pu les faire servir à son propre usage, et les impies sont restés à jeun, parce que, dans leur vanité, ils n’ont point voulu se soumettre à la foi chrétienne ; mais cette foi a conduit dans le droit chemin et jusqu’à son glorieux but l’âme de Laurent ; son martyre et sa victoire l’ont portée en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

QUINZIÈME SERMON. POUR LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. I modifier

ANALYSE. —1. À pareil jour on célèbre plutôt la naissance de Jean que celle d’Hérode. —2. Préparatifs du festin. —3. Honteuse ivresse du roi et de ses convives. —4. La danse de la fille d’Hérodiade a pour résultat la décollation de Jean. —5. Épilogue.


1. Quand on eut fini de célébrer la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa au milieu de la salle du festin, et sa danse plut au roi. Toutefois, le jour où était né ce misérable lui procura moins de joie qu’à Jean-Baptiste, bien que celui-ci y ait perdu la vie ; car il y a plus d’avantage à prendre en Dieu une nouvelle naissance, qu’à venir au monde pour appartenir au diable. Ce jour fut donc, à bien dire, celui de la naissance, non pas de l’impie Hérode, mais du Prophète ; et c’est chose facile à comprendre : en effet, le jour où il a souffert le martyre, Jean est entré en possession de la bienheureuse éternité, tandis qu’Hérode est tombé sous les coups de la mort le jour où il est né. N’est-ce pas un triste et lamentable jour, celui où un homme, après avoir ouvert, pour la première fois, les yeux à la lumière, se trouve amené, non pas à recueillir la flatteuse réputation que procure une vie de miséricorde et de mansuétude, mais à se déshonorer par une vilaine et cruelle action ? Jean avait été jeté en prison comme coupable d’avoir proféré une réprimande imméritée ; car, pour ceux qui vivent mal, les préceptes de la justice sont insupportables : personne ne lui reprochant plus dès lors son inqualifiable désordre, le roi Hérode s’abandonnait à la joie. Après la condamnation du Prophète, qui avait osé signaler l’odieuse conduite du tétrarque, qui est-ce qui se serait senti le courage de reprendre ou d’avertir librement cet orgueilleux ? Des peines sévères ne menaçaient-elles pas d’avance l’homme assez indépendant pour protester ? D’ailleurs, les rois coupables ne trouvent-ils pas des flatteurs qui approuvent même leurs crimes et leurs hontes ?
2. Mais c’en est assez. Voici venu le jour de la naissance du roi ; il nage dans la joie on le complimente sur la prolongation de son existence, sur le nombre croissant de ses années. Pourrait-il ne pas recevoir avec plaisir de si flatteuses paroles ? Aveugle perspicacité des hommes ! Ils se complaisent dans le présent ou dans le bonheur, et ils ne savent prévoir ni l’avenir, ni les retours de la fortune ! Bientôt, l’intérieur de la demeure royale se revêt de splendides et luxueux ornements : sous ces lambris dorés se prépare un sanglant festin. Des festons de verdure contournent les portes, les murs se tapissent de fleurs ; partout, dans ces appartements néfastes et bientôt remplis d’horreur, on aperçoit des couronnes : on s’y croirait sous l’épaisse feuillée d’un bois. Tous les charmes du printemps, amenés par l’art, semblent s’y rencontrer pour tromper le regard et y représenter la nature dans ce qu’elle a de plus gracieux. Mais si quelqu’un y trouva du plaisir, ce fut, non pas Hérode, mais Jean-Baptiste : si le parfum des fleurs vint flatter quelqu’un, ce fut, non pas le roi, mais le martyr. À voir le tyran de la nation juive étaler, dans une salle de festin, tant de richesse et de faste, on eût dit qu’il voulait fêter aussi joyeusement ses convives, que s’il leur sacrifiait dans un repas tous ses revenus et sa fortune. Des meubles en grand nombre et d’un luxe inouï éblouissent les yeux : de tous côtés, des vases d’un travail étonnant et d’une valeur sans égale, pour montrer, non-seulement la magnificence d’Hérode, mais aussi son opulence, pour rassasier la vue de ses amis et de ses clients par la beauté et la diversité des ornements, en même temps que des mets recherchés satisferont leur appétit ainsi se réalisera le véritable idéal d’un festin, puisque, d’une part, la table ne laissera rien désirer à l’estomac, et que, de l’autre, des prodiges de luxe ne laisseront rien désirer aux yeux. Les invités arrivent donc plus tôt que d’habitude, ils se pressent sous les portiques ; ce ne sont que des cris de joie, carie diable aiguise leur appétit, et il a soif du sang humain. Tout le monde s’assied, on étend les riches tapis de pourpre sur les lits brodés, les ministres se hâtent d’apporter les mets, les tables en sont chargées, et bien que rien ne manque dans cette profusion, le pauvre Hérode trouve encore ce festin incomplet ; car sa cruauté n’a point là de quoi manger, ou, plutôt, de quoi dévorer.
3. Placé au premier rang, sur un lit élevé, le roi y est étendu ; car il a mangé longuement dans ce repas funeste, et ses coudes fatigués ne peuvent plus le soutenir : il s’est à tel point rempli de boissons, que, s’il voulait se lever, ni son esprit ni ses jambes ne pourraient le soutenir. Voyez-les tous à table : ils sont complètement ivres ; dans leurs veines coule, non pas du sang, mais du vin : leur sens est abêti ; de leurs yeux tombent des larmes de vin, et leur regard n’a plus rien de fixe. Pour croire encore à l’honnêteté des convives d’Hérode, il ne faudrait pas les regarder, car celui-ci vomit sur la table royale ; celui-là remplit la salle de morceaux de viande aigris par le vin ; d’autres ne se possèdent plus, et, incapables de veiller même à leur conservation, ils gisent par terre, ensevelis dans le sommeil et l’ivresse. Entre plusieurs pourrait s’engager une lutte, pour obtenir, non pas le prix de vertu, mais celui d’ivrognerie : dans ce combat d’un nouveau genre, l’un arroserait son ami, et l’autre noierait ses amis de table comme sous la lave d’un volcan. Que la taverne d’un cabaretier devienne le théâtre d’une pareille lutte, j’y consens ; mais, pour la maison d’un roi, c’est honteux. Je le crois volontiers, ce noble gouverneur de la nation juive avait donné à ses soldats l’autorisation de se battre devant lui, non à coups de lances, mais à coups de verres ; il ne connaissait pas la guerre avec l’ennemi ; c’est pourquoi il se donnait chez lui le spectacle d’un combat entre concitoyens ivres. Quelle obscénité, quelle effronterie de paroles sur ces pavés souillés de vin, au milieu de ces cris d’ivrognes qui retentissent de toutes parts1 Quel convive, en effet, se souvient du roi ? Quel domestique a conservé la mémoire de son maître ? Quand l’homme qui devrait protéger les convenances tombe lui-même dans le libertinage éhonté, il est sûr que tout le monde se croit libre.
4. Au milieu de ces odieuses réjouissances apparaît la fille d’Hérodiade : toute sa personne respire la mollesse ; au lieu d’arrêter les instincts du vice, son allure dissolue semble plutôt destinée à leur lâcher la bride. Adultère publique, sa mère ne lui avait rien appris en fait d’honnêteté et de pudeur. Elle était peut-être vierge de corps, mais à coup sûr c’était une effrontée : aussi le roi l’engage-t-il à danser, perdant de vue la gravité qui sied à un roi, oubliant la sévérité, qui est le devoir d’un père. En raison de sa puissance, il devait mettre un frein à la licence de cette jeune fille, et, loin de là, il allumait en elle la flamme de la corruption, il attisait le feu impur ; car il promettait et jurait de lui donner tout ce qu’elle demanderait. Charmée par l’appât de la récompense, elle est bientôt prête : sûre de l’approbation de sa mère, elle se met en liberté ; aussitôt elle se tord pour décrire des circuits insensés ; elle tourne avec la rapidité d’un tourbillon ; on la voit parfois se pencher d’un côté jusqu’à terre, et parfois renverser sa tête et se pencher en arrière, et, à l’aide de son léger vêtement, trahir ainsi ses formes voluptueuses ; puis ses bras, étendus en l’air, font tour à tour retentir de sourdes cymbales ; à peine tient-elle en place ; à peine ses pieds se posent-ils à terre dans les mouvements désordonnés où elle s’est lancée. La pauvre jeune fille ! Une véritable démence s’était emparée d’elle ; son âme et son corps étaient devenus la proie de l’extravagance ; ce n’étaient plus les mouvements de ses sens qui l’entraînaient, mais des instincts diaboliques. À moins d’être fou, il faut être sous l’influence de la boisson pour danser. Incompréhensible crime d’Hérodiade ! Sa fille ne peut plaire qu’à la condition de devenir une furie ! Le roi trépigne de joie ; il trouve dans sa propre honte la raison de son allégresse. Que deviennent les bienséances exigées par les lois ? Que sont devenus les droits protecteurs de la modestie ? Au festin d’un roi, on donne des éloges aux compagnons de tous les vices, à des mouvements portés jusqu’aux dernières limites du dévergondage ; ce n’est point par son adresse qu’une fille est parvenue à plaire, c’est par son exaltation furibonde. Un roi hors de lui-même a fait une folle promesse et posé des conditions ; pour ne point se démentir, il n’a pu se résoudre à refuser la récompense promise, la récompense qu’une concubine a conseillé de demander ; comme s’il se déchargeait de toute culpabilité en se débarrassant de celui qui pouvait lui faire de légitimes reproches ! La fille d’Hérodiade danse couverte de parures ; mais elle n’en désire aucune, elle ne souhaite pas les dons de la fortune : la cruauté l’emporte sur la cupidité de l’avarice et les futilités du luxe, le triomphe appartient à la barbarie : une intrigue sanglante s’ourdit pour faire tomber la tête de Jean, pour en finir avec cet homme, parce qu’il applique sévèrement aux mœurs la règle du Christ, parce qu’il prêche la pénitence, parce qu’il flétrit l’inceste, parce que, pour tous ces motifs, le diable ne peut le supporter. Loin d’affaiblir, par un retour au bien, sa vieille réputation de libertin, Hérode lui donne une nouvelle force par un nouveau crime, plus criant que tous les autres : il consent volontiers à commettre un homicide ; car, dans sa témérité, il était résolu à commettre un inceste avec l’épouse de son frère. Poussée par les instigations de sa mère, la jeune fille, la danseuse, ne demande, oserai-je le dire ? que la tête de Jean. – « Hé quoi », cette impudique synagogue « demande la tête d’un homme qui est le Christ ? » Le glaive du bourreau fait tomber la tête de Jean-Baptiste, et cette tête, qui annonce en quelque sorte encore le Christ, cette tête dont la langue, paralysée par la mort, flétrit encore l’inconduite d’Hérode, on l’apporte dans la salle du festin, où se trouve le bourreau. À la suite du coup mortel qui a subitement tranché les jours du Prophète, une teinte indécise est empreinte sur son visage : l’incarnat rosé, qui est le signe de la vie, n’a pas encore cédé complètement la place à la pâleur de la mort. Le trépas a fondu tout à coup sur cet homme et a détruit l’intégralité de sa nature ; mais sur les lèvres de Jean se lisent encore quelques signes de vie.
5. O l’abominable repas ! ô le détestable festin ! On y joue la mort d’un homme ! On y danse pour le massacre d’un Prophète Le prix offert à la volupté n’y est autre que le sang humain. Pour varier les plaisirs des convives, on leur offre en spectacle la tête du Précurseur, et celui qui a soif se désaltère, non pas avec du vin, mais avec du sang ! O fureur aveugle ! Par ses souffrances, saint Jean a mérité la récompense de la vie éternelle, et le roi Hérode a payé toutes les tortures qu’il a fait endurer aux martyrs, en subissant dès ce monde les justes vengeances du Dieu vivant.

SEIZIÈME SERMON. POUR LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE. II modifier

ANALYSE. —1. Les chrétiens sont des agneaux placés au milieu des loups. —2. saint jean est jeté en prison pour avoir fait une légitime réprimande. —3. Danse voluptueuse de la fille d’Hérodiade. —4. Corrupteur de cette jeune fille, assassin de Jean, Hérode tombe sous les coups de la justice divine et meurt.


1. Notre Rédempteur et Sauveur Jésus-Christ ne s’est pas contenté de nous arracher à la mort éternelle, il a voulu aussi nous apprendre et nous commander, par les paroles du saint Évangile, la manière dont nous devons nous conduire ici-bas ; en effet, voici en quels termes il s’exprime : « Voici que je vous a envoie comme des brebis au milieu des loups [83] ». N’est-ce point pour nous le comble du bonheur que notre Dieu, le pasteur et le maître des brebis, nous ait aimés jusqu’à nous permettre d’avoir leur simplicité, si nous vivons sincèrement pour lui. Qu’il soit le pasteur du troupeau, ces autres paroles nous en donnent la certitude : « Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis[84] ». C’est donc à bon droit qu’en raison de l’innocence de leur vie, il compare ses disciples à des brebis, et il donne, à non moins juste titre, le nom de loups à ceux qui, après sa mort, ont cruellement persécuté les Apôtres et les fidèles attachés à lui. Comment nous conduire au milieu des bêtes sauvages ? Notre dévoué pasteur nous le dit : « Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes [85] ». Voici donc la volonté du Sauveur à notre égard : les colombes n’ont ni malignité, ni fiel ; elles ne savent point se fâcher : soyons, comme elles, à l’abri de la ruse méchante : n’ayons pas de fiel, c’est-à-dire n’ayons pas l’amertume du péché ; oublions les injures, et ne nous mettons pas en colère ; vivons si humblement en ce monde, que nous recevions, un jour, la récompense promise par Dieu à nos efforts. Le Sauveur ajoute : « Et prudents comme des serpents[86] ». Qui ne connaît l’astuce du serpent ? S’il tombe au pouvoir d’un homme, et que cet homme veuille le tuer, il expose, aux coups de son adversaire, toutes les parties de son corps : peu lui importe de se voir blesser n’importe où, pourvu qu’il sauvegarde sa tête : c’est à quoi il veille avec toute l’adresse possible. Cette prudence du serpent doit nous servir de modèle : si donc, en temps de persécution, nous venons à tomber au pouvoir des ennemis de notre foi, exposons notre corps tout entier aux tourments, aux supplices, et même à la mort, pour conserver notre tête, c’est-à-dire le Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ.
2. Au moment où tous les membres de son corps perdaient leur tête, saint Jean-Baptiste, dont la grâce du Christ nous permet de célébrer aujourd’hui la nativité, se réjouissait de se reposer dans le sein de la Divinité toute parfaite. Entraîné par l’ardeur de ses passions, jusqu’à suivre, dans sa conduite, l’exemple des bêtes sauvages. Hérode avait souillé la couche de son frère : à ce moment-là, saint Jean, qui ne savait point taire la vérité, déclara formellement au roi que sa conduite était opposée à toutes les lois. Le roi avait fait des lois pour empêcher de pareils désordres, et il les enfreignait lui-même ! Si, par ses mœurs, il condamnait ses décrets et ses lois, les lois et le droit ne le condamneraient-ils pas à leur tour ? En ce temps-là donc, pour ne point se trouver sans cesse en butte aux publiques, indépendantes et légitimes protestations de saint Jean, le libertin couronné avait fait mettre la main sur lui et l’avait fait jeter dans une obscure prison, où la loi divine devait être son unique soutien. À cet événement vint s’en adjoindre un autre, l’anniversaire de la naissance de ce roi sacrilège : il réunit alors autour de lui les officiers et les grands personnages de son royaume, et il fit préparer un repas scandaleux pour ses compagnons de dévergondage sacrilège : en cette circonstance, la maison royale se transforma en cirque, si je puis m’exprimer ainsi.
3. La fille du roi se présente au milieu du festin, et, par ses mouvements désordonnés, elle foule aux pieds le sentiment de la pudeur virginale. Aussitôt, le père prend à témoins tous les compagnons de sa débauche, il jure par son bouclier, qu’avant de terminer sa danse joyeuse et ses valses, elle aura obtenu tout ce qu’elle lui aura demandé. La tête couverte de sa mitre, elle se livre, sur ce dangereux théâtre, aux gestes les plus efféminés que puisse imaginer la corruption ; mais voilà que tout à coup s’écroule le factice échafaudage de sa chevelure ; elle se disperse en désordre sur son visage : à mon avis, n’eût-elle pas mieux fait alors de pleurer que de rire ? Du théâtre où saute la danseuse, les instruments de musique retentissent ; on entend siffler le flageolet : les sons de la flûte se mêlent au nom du père, dont ils partagent l’infamie : sous sa tunique légère, la jeune fille apparaît dans une sorte de nudité ; car, pour exécuter sa danse, elle s’est inspirée d’une pensée diabolique : elle a voulu que la couleur de son vêtement simulât parfaitement la teinte de ses chairs. Tantôt, elle se courbe de côté et présente son flanc aux yeux des spectateurs ; tantôt, en présence de ces hommes, elle fait parade de ses seins, que l’étreinte des embrassements qu’elle a reçus a fortement déprimés ; puis, jetant fortement sa tête en arrière, elle avance son cou et l’offre à la vue des convives ; puis elle se regarde, et contemple avec complaisance celui qui la regarde encore davantage. À un moment donné, elle porte en l’air ses regards pour les abaisser ensuite à ses pieds ; enfin, tous ses traits se contractent, et quand elle veut découvrir son front, elle montre nonchalamment son bras nu. Je vous le dis, les témoins de cette danse commettaient un adultère, quand ils suivaient d’un œil lubrique les mouvements voluptueux et les inflexions libertines de cette malheureuse créature. O femme, ô fille de roi, tu étais vierge au moment où tu as commencé à danser, mais tu as profané ton sexe et ta pudeur ; tous ceux qui t’ont vue, la passion en a fait pour toi des adultères. Infortunée ! tu as plu à des hommes passés maîtres dans la science du vice ; je dirai davantage : pour leur plaire, tu t’es abandonnée à des amants sacrilèges !
4. O l’atrocité ! Le père lui-même se fait corrupteur de sa fille, et personne n’élève la voix contre lui ! J’entends protester contre toi, les lois, tes remords, et, aux yeux de ceux qui ont encore quelque respect pour la pudeur, la voix d’un mari ! Mais, je veux le juger moins sévèrement ; supposons qu’un reste d’honnêteté l’ait empêché de jeter sur sa fille des regards licencieux, il n’en reste pas moins évident qu’elle a dansé, et, à ce titre, son père l’a corrompue, et elle a conquis le cœur d’un incestueux. Il serait bien étonnant que la chasteté se montrât sous de pareils dehors ! O père, embrasse la femme de ton frère : mais tu as sacrifié un père à la passion du sang. Elle t’enseigne à faire tomber la tête de Jean, car tu méprisais les avertissements du martyr, et ne pouvais goûter le bonheur de la chaste innocence. O race ! O mœurs ! O nom ! O erreur sans remède ! c’est donc à juste titre que, comme le disent nos divines Écritures, « tes membres sont tombés en putréfaction, et que les vers y ont trouvé leur pâture [87] ». Ta fille a eu la tête coupée par la glace, et ta femme illégitime est morte aveugle. Ainsi Dieu retranche-t-il l’homme de blasphème ; ainsi disparaît le péché ; ainsi se trouve vengée la sainteté de la vie. Pour nous, qui aimons la chasteté et la paix, conjurons tous le Seigneur de nous préserver des moindres atteintes du libertinage. Ainsi soit-il.

DIX-SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE. I modifier

ANALYSE. —1. Félix vraiment heureux. —2. Il s’est montré supérieur à toutes les félicités de la terre.


1. Offrons tous l’hommage de notre vénération à ce bienheureux martyr qui s’est montré si courageux parmi les instruments de pendaison et si heureux au milieu des tourments ; comme son nom a concordé avec ses mérites, il faut que sa gloire concorde avec son nom ; mettons donc tous nos soins à l’honorer parfaitement. Il n’a puisé son bonheur ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans des revenus caducs, ni dans le prestige du pouvoir ; car il a été grand d’une réelle grandeur. Il n’a point emprunté à de longs vêtements de pourpre l’éclat de son nom : s’il est célébré, il ne le doit pas à une multitude de parents illustres ; ce qui l’a rendu heureux, ce n’a pas été un faste orgueilleux : le sang qu’il a versé lui a donné sa valeur et l’a empourpré, et son éblouissante blancheur lui est venue de la grâce d’en haut. Les ornements dont se trouvait revêtue cette sainte âme étaient donc de couleurs diverses. Sur son front resplendissait l’éclat du Christ. Loin d’inspirer du dégoût, le sang rosé qui teignait son corps charmait les regards ; ce qui communiquait à ses membres leur beauté, c’était leur teinte vermeille, et non la trace des ongles de fer des bourreaux, parce que la cruauté du persécuteur n’avait pu porter atteinte à la gloire de Félix.
2. Arrière, précieuses toges des grands ! Arrière, rubis éclatants ! Diamants de toutes sortes, loin d’ici ! Un sang pur a plus de poids que le monde entier. Une seule goutte de sang, versée pour le nom du Sauveur, a plus de prix que toutes les grandeurs d’ici-bas, que tous les empires et leur apparat ! Compare maintenant, avec la balance de la justice, la fragilité des richesses et l’indomptable forée des martyrs, la fumée passagère de la puissance de ce monde, et l’éternelle permanence de la gloire des confesseurs. Je ne veux d’autre preuve en faveur de notre cause, que le masque trompeur dont se couvre la prospérité des mondains, elle prend les dehors de la vérité, et, en cela, son but unique est de se faire publiquement déclarer heureuse. Dans les amphithéâtres, qui retentissaient des applaudissements d’une foule hostile, nous contemplons de nos yeux le cruel spectacle des combats livrés par de courageux martyrs c’étaient, non pas des troupeaux de bêtes sauvages, mais des troupes de chrétiens qu’on amenait en ces lieux pour la lutte. Ils n’avaient commis aucun crime, et, pourtant, on déchirait leurs membres en lambeaux, et, alors, retentissaient les cris joyeux d’un peuple stupide. Après les avoir attachés à une potence, on tirait leurs membres étendus sur des chevalets, puis, quand ils étaient abattus, des bourreaux cruels, armés d’ongles de fer, leur perçaient les côtes avec ces instruments de torture. Ainsi punissait-on des hommes qui ne s’étaient rendus coupables d’aucune faute. Où trouver un être assez méchant par nature, pour vouloir le supplice d’un innocent ?

DIX-HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS MARTYRS FÉLIX ET ADAUCTE. II modifier

ANALYSE. —1. Nom de Félix providentiellement donné à ce saint. —2. Son heureuse victoire.


1. C’est un jour heureux, illustre et honorable, c’est un jour qu’on devra célébrer dans tous les temps, le jour qui concorde avec le nom de Félix, et qui a mis le comble à son bonheur en lui procurant la couronne de la victoire. Au moment où sa mère lui donnait le jour, Jésus-Christ lui marquait sa place de bienheureux dans le ciel. Ce que son nom présageait obscurément, son triomphe l’a manifesté d’une manière éclatante ; et de là, nous pouvons conclure, sans crainte de nous tromper, que nous n’avons rien à perdre avec Dieu, et que toute grâce excellente, tout don parfait vient de lui [88]. En le choisissant d’avance pour en faire un martyr, le Seigneur lui-même a voulu qu’on lui donnât le nom de Félix, et comme il l’avait prédestiné à la gloire éternelle, il a voulu que ses parents devinssent prophètes en lui appliquant son vocable. Ainsi en fut-il de Jérémie : il était né pour Dieu même avant d’être conçu. Nous le voyons souffrir de la perfidie des hommes ; les incrédules attentent à sa vie, les impies l’accablent du poids de leur méchanceté ; ses concitoyens ne sont, pour lui, que des ingrats ; et ses frères, des furieux dont il lui faut endurer les mauvais traitements. Les Juifs frémissent contre le Prophète du ciel ; ils se laissent emporter, envers lui, à tous les excès de la colère ; à voir leurs mouvements, on dirait des chiens enragés ; et, pourtant, ils restent incapables d’effacer ce que Dieu a écrit, ils sont impuissants, malgré toutes leurs machinations, à détruire l’édifice dont le Seigneur a établi la base en choisissant son Prophète. « Avant de t’avoir formé dans les a entrailles de ta mère, je t’ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t’ai sanctifié ; je t’ai établi Prophète parmi les nations[89] ». O immuable disposition, ô puissance souveraine de la volonté de Dieu ! Elle donne l’être à ce qu’elle veut, elle le choisit avant de le créer ; avant de le tirer du néant, elle le sanctifie ; elle daigne établir ce qu’elle doit aimer, et fait naître ce qu’elle gouvernera. Contre ces infaillibles desseins, pourquoi l’aveugle esprit de l’homme s’inscrit-il en faux ? Que sert à sa méchanceté débile et sans forces de se révolter contre la puissance d’en haut ? Sans doute, le saint prophète Jérémie a couru toutes sortes de dangers au milieu de ses parents et de la part de ses proches, mais aucun changement n’a été apporté aux projets de l’Éternel.
2. Venons-en maintenant au courageux et fortuné soldat, en qui doivent s’exécuter les plans de la divine Providence. Les hommes ne savaient donc pas quelles vues secrètes l’éternelle sagesse avait jetées sur lui ; le persécuteur et le bourreau s’acharnaient inutilement à sa perte : « Celui qui habite dans les cieux se riait d’eux, et le Seigneur les tournait en dérision [90] ». Leurs âmes se torturaient par l’excès de leur rage stupide ; des douleurs atroces déchiraient leur cœur, parce qu’ils ne pouvaient dompter le confesseur du Christ ; tour à tour, ils sentaient l’aiguillon de la honte et l’ardeur brûlante de la fureur : ils croyaient tourmenter Félix, et c’était à leur propre supplice qu’ils travaillaient : attachés à des chaînes qu’ils ne pouvaient rompre, ils grinçaient des dents et poussaient des hurlements de rage ; car s’ils martyrisaient Félix, ils ne pouvaient néanmoins vaincre sa constance : ils s’ingéniaient à le faire souffrir, et ils ne faisaient que donner de l’accroissement à sa gloire ; ils l’avaient cru débile, et voilà qu’ils le trouvent indomptable, et ils reconnaissent que leurs efforts, impuissants à le maîtriser, n’aboutissent qu’à les blesser eux-mêmes. Quels titres de grandeur et de royauté ! Quelle force on trouve à être inscrit dans le ciel ! A l’avis de ces perfides, Dieu devait s’irriter contre son serviteur, pendant le cours de ses souffrances ; et, loin de là, il préparait au martyr la gloire la plus éclatante ; selon eux, le Christ l’abandonnerait ; car ils ne connaissaient rien aux secrets desseins de Dieu ; mais comme il fallait que commençassent déjà à se dévoiler les résolutions du Très-Haut, les profanes durent dès lors éprouver et supporter leur propre châtiment ; c’est pourquoi aussi Félix sortit de ce monde pour aller recevoir la couronne céleste. Que tout le chœur de ses compagnons de martyre dise donc à ce bienheureux : « Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés à la dent de nos ennemis. Notre âme a été délivrée comme le passereau du filet de l’oiseleur le filet a été rompu, et nous avons été sauvés. Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a créé le ciel et la terre[91] ».

DIX-NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT CYPRIEN, MARTYR. modifier

ANALYSE. —1. Cyprien, martyr et prêtre. —2. Sa première confession et son exil. —3. Sa seconde confession et son martyre.


1. Mes frères bien-aimés, deux pierres précieuses, le sacerdoce et le martyre, ont brillé en saint Cyprien, et l’éclat de l’une a rehaussé l’éclat de l’autre, puisque sa vie d’évêque a été sainte – et sa mort de martyr précieuse. Sa carrière sacerdotale ayant fini par un doux martyre qui lui a procuré les honneurs du triomphe, n’ai-je pas le droit de la proclamer bienheureuse ? D’abord, il a offert à Dieu le sacrifice pour son peuple, et à la fin de sa vie, il lui a offert tout ce qu’il possédait : il s’est offert lui-même. Tenant en ses mains l’encensoir embaumé, l’ange prenait autrefois son vol, montait près de l’autel céleste, au pied du trône de l’Éternel, et offrait au Très-Haut l’encens de ses prières : aujourd’hui il l’a porté lui-même sur ses ailes jusque dans les parvis de la nouvelle Jérusalem. Que le cortège des autres puissances marche donc en avant de ce pontife et de ce martyr, et celui que le peuple environnait pendant l’oblation de la victime sans tache, les esprits angéliques le couronneront en récompense de son courage.
2. O martyre digne de tous nos hommages ! O glorieuse confession ! Un seul coup de glaive a suffi pour lui trancher la tête et la séparer de ses membres ; un seul coup l’a réuni à son chef, à son Sauveur ! Il s’échappe des entraves de la chair, et les anges l’emportent triomphalement dans le ciel. Avec les dehors de la douceur, on lui adresse des questions cruelles, et il répond avec force sans perdre la patience. – Sacrifie aux dieux de Rome, lui dit le juge : observe les ordres de l’empereur. – A cela, saint Cyprien répond : Je suis chrétien et évêque, et ne connais pas d’autre Dieu que le Dieu unique et véritable : pour lui je suis prêt à endurer toutes sortes de tourments en cette vie : ainsi pourrai-je espérer de ressusciter un jour à la vie éternelle. – Choisis de deux choses l’une, ou d’aller en exil à Curube, ou de te conformer au culte que pratiquent les Romains. – Je m’en vais où tu me forces d’aller ; mais je refuse ce que tu me demandes : le Christ, chef des martyrs et pontife des prêtres, m’accompagnera dans mon exil. – Il part donc pour la terre étrangère, mais le courage qu’il réservait pour l’heure de la souffrance ne l’abandonne pas ; car le Christ est avec lui. Il méprise les biens d’ici-bas, parce qu’il veut acquérir ceux du ciel : il abandonne les avantages du temps pour entrer en possession du bonheur céleste. Ce soldat du Christ engage le combat avec les armes de la foi, et, dans sa lutte avec de cruels ennemis, il ne faiblit pas un instant. Son armure n’est autre que la cuirasse de la foi : pour se battre et remporter la victoire, il ne se sert pas du glaive ; la patience lui suffit, et, en mourant, il reçoit du Dieu éternel la vie qui faisait l’objet de ses désirs. Chaque jour, dans ses prières, il disait avec le prophète David : « Je suis sûr de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants [92] ». Et il ajoutait : « Quand irai-je et paraîtrai-je devant Dieu[93] », pour entrer en possession « de ce que l’œil de l’homme n’a point vu, de ce que son oreille n’a point entendu, de ce que son cœur n’a point compris, de ce que le Seigneur réserve à ceux qui l’aiment ? »
3. On le rappelle de l’exil pour l’entendre une seconde fois. Pendant qu’on le gardait en prison, il veillait soigneusement à la garde de la chasteté ; il ordonnait de surveiller les vierges sacrées, car, disait-il, il ne faut point que la pratique de la charité leur fasse perdre la pureté[94]. Le peuple chrétien couchait à la porte de son cachot, faisant le guet, se moquant de toutes les menaces par amitié pour le pasteur, désirant mourir pour lui, vénérant en lui le prêtre et le martyr. On donne à l’évêque une nouvelle audience à la suite de laquelle se consommera son triomphe. La rude voix du juge se fait entendre, la courageuse réplique du martyr lui fait écho alors s’inscrit sur les tables, à l’aide du stylet, la cruelle sentence de mort, et, en même temps, se prépare dans le ciel la couronne qui doit illustrer Cyprien. On va lui trancher la tête, et il remercie Dieu de ce qu’il va sortir de ce monde. La foule des fidèles s’écrie : Nous voulons mourir avec lui, afin de nous retrouver avec lui au jour de la rédemption. Dans le sentiment de leur filiale affection, les enfants veulent endurer le martyre avec leur père, mais à condition qu’il les précédera devant Dieu ; ils prétendent le suivre, comme les petites branches de l’arbre suivent la racine. On arrive avec lui en pleurant jusqu’au lieu de l’exécution : on veut assister à ses derniers moments, tant est vive l’amitié qu’on a pour lui. Pour se revêtir du martyre, il se dépouille du byrrhus ; pour mourir, il met en terre des genoux qui ne devaient point trembler devant le tribunal du Christ, car il devait y recevoir une ample récompense pour son sang versé, et là son chef devait lui rendre sa tête.

VINGTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ. modifier

ANALYSE. —1. Pierre est le premier des Apôtres, et André en est le second : pourquoi Pierre en est-il le premier ? —2. Ils sont, tous deux, pécheurs, non pas de poissons, mais d’hommes. —3. Tous deux se séparent de Jean pour suivre le Christ.

« Or, Jésus, marchant le long de la mer de Galilée, vit deux frères, Simon appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer, car ils étaient pêcheurs ; et il leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ».
1. Le premier des Apôtres est Simon, appelé Pierre : après lui vient André, son frère, et chacun d’eux a reçu son rôle particulier de Celui qui pénètre le secret des cœurs. On appelle le premier Simon, surnommé Pierre, afin de le distinguer de l’autre Simon appelé le chananéen, parce qu’il était originaire de Chana de Galilée, où le Sauveur changea l’eau en vin. D’après la disposition de Jésus, les Apôtres vont donc deux à deux ; ainsi, Pierre avec André, son frère ; mais les liens qui les unissent sont plutôt spirituels que charnels. Simon veut dire l’obéissant, parce qu’il a obéi à la voix du Seigneur, au moment où Celui-ci lui a dit, ainsi qu’à André : « Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d’hommes[95] ». Pierre signifie le connaissant, parce qu’il a reconnu les titres du Christ, quand les autres disciples en doutaient. Jésus leur avait adressé cette question : « Et vous, qui dites« vous que je suis[96]? » Contrairement à l’opinion de ses condisciples, Pierre répondit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant[97] ». Voilà d’où lui est venu son nom : voilà aussi pourquoi, après avoir, pendant le cours des prédications qu’il faisait aux Juifs, parcouru la Cappadoce, la Galatie, la Bithynie, le Pont et toutes les provinces voisines, il est venu ensuite à Rome, qu’il devait illustrer.
2. Le nom d’André est grec ; en latin, il se traduit par le mot viril ; cet apôtre s’est, en effet, montré aussi courageux pour prêcher que pour endurer des persécutions en faveur de la justice. Il annonça l’Évangile aux Scythes. Ces deux frères furent les premiers appelés à suivre le Christ. Pourquoi le Sauveur a-t-il envoyé, pour prêcher, des pêcheurs, des hommes sans instruction ? C’était afin qu’on n’attribuât pas la foi de ceux qui croiraient aux talents et à la science des prédicateurs, au lieu d’y voir l’effet de la puissance divine. Il a donc appelé de tels hommes à l’apostolat, et, de pêcheurs de poissons qu’ils étaient, il en a fait des pêcheurs d’hommes. Car, de même que par leurs filets ils allaient chercher les poissons dans les profondeurs de l’eau, pour les amener à sa surface ; ainsi, par la prédication des commandements de Dieu, ils ont retiré les hommes de l’abîme des erreurs mondaines. Trois évangélistes leur ont donné le nom de pêcheurs, et Jean a été le seul qui leur ait donné un autre nom. Il leur convenait parfaitement, puisque le Sauveur leur a ôté la profession de pêcheurs, pour leur confier la mission de prêcher l’Évangile aux hommes et de les amener ainsi à se sauver par la foi. En parlant d’eux, le Prophète n’avait-il pas dit : « J’enverrai des pécheurs qui les pêcheront[98] ? » Tout ceci s’est donc accompli dans la personne des Apôtres, puisque de pêcheurs de poissons ils sont devenus des pêcheurs d’hommes. En effet, comme on retire les poissons du milieu de la mer au moyen de filets ; de même, par la prédication apostolique, les hommes sortent du monde et arrivent à la foi du Fils de Dieu.
3. « Le lendemain, Jean s’arrêta avec deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui s’avançait, il dit : Voici l’Agneau de Dieu ; et les deux disciples l’entendirent parler et suivirent Jésus[99] ». Il est sûr que ces deux disciples de Jean furent André et Philippe, qui suivirent le Seigneur Christ dans l’intention d’apprendre quelque chose à son école. Que leur dit-il ? a Suivez-moi a. N’était-ce pas leur dire, en propres termes : Croyez et voyez, c’est-à-dire, comprenez ? Ce jour-là, ils furent éclairés, et ils crurent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L’Évangéliste ajoute : « Il était à peu près dix heures ». Que signifie cette dixième heure ? Évidemment la fin de l’Ancien Testament et le commencement du Nouveau. Jean était, en effet, le symbole de l’ancienne loi, et les deux disciples figuraient d’avance l’amour de Dieu et celui du prochain ; aussi quittèrent-ils Jean pour suivre le Sauveur, parce que la figure de la loi ayant disparu, le Nouveau Testament lui succéda, et qu’alors commença le règne de l’Évangile de Jésus-Christ.

VINGT ET UNIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT ÉTIENNE. modifier

ANALYSE. —1. Le premier des martyrs, saint Étienne, se trouve réjoui, au milieu de ses tortures, par la vue du ciel.—2. La cruelle et impie Judée s’irrite, parce qu’elle ne peut rien répondre à la multitude des martyrs. —3. Étienne prie Dieu pour ses lapidateurs.


1. Vénérons tous saint Étienne, frères bien-aimés, puisque aujourd’hui nous allumons des flambeaux en son honneur, et qu’en mémoire de lui nous nous réunissons ici dans les sentiments de la plus vive allégresse. Depuis le crucifiement de Jésus, il n’y avait encore eu aucun martyr ; personne n’avait encore suivi le Christ jusqu’à la mort. Le monde possédait encore les Apôtres ; c’était encore le temps où Saul, pareil à un loup, sévissait contre les chrétiens, et déjà le Sauveur déposait sur le front d’Étienne la couronne de la gloire. Jusqu’à ce moment, dans les champs et les prés du siècle ne s’était point épanouie la fleur des confesseurs ; le sang du Christ, répandu en terre, n’avait pas enfanté de martyrs. Saint Étienne fut donc le premier germe sorti de cette semence ; ce fut la première fleur qui se montra aussitôt après que la Judée eut fait couler le sang du Rédempteur. Ivre encore du crime qu’elle venait de commettre, les mains teintes de sang, la bouche encore pleine des cris de mort qu’elle avait, dans sa rage, proférés au tribunal de Pilate, la synagogue ne supporta pas qu’Étienne fût un témoin du Christ ; elle ne voulut voir en lui qu’une sorte de satellite gagé d’un crucifié mis au tombeau ; aussi fit-elle pleuvoir sur lui une grêle de pierres, et ainsi saint Étienne suivit-il celui qu’il aimait. Pendant que les lapidateurs le tenaient sous leurs mains et lui infligeaient le plus cruel supplice, le ciel s’ouvrit devant lui, et il vit le Fils de l’homme assis à la droite de Dieu. La récompense s’étalait aux regards du soldat ; le céleste athlète apercevait le prix que Dieu lui avait préparé ; la couronne réservée au martyr apparaissait à ses yeux ; à cette vue, et tout disposé à mourir, Étienne expose aux coups de ses ennemis furieux un cœur brûlant d’amour pour Dieu, car la palme du triomphe est là, devant lui, dans le ciel ; il touche au port du salut ! Nous ne saurions en douter, mes frères, il contemplait le ciel des yeux de son corps ; la présence du Christ, assis sur un trône, à la droite du Père, le comblait de joie ; en face de pareils témoins, la lutte pour lui ne pouvait être timide, elle fut celle d’un héros. Si, d’un côté, les Juifs accablaient de pierres le martyr, d’autre part, le Christ lui envoyait, du haut du ciel, des couronnes sur lesquelles son sang avait empreint une teinte d’un blanc rosé. À quoi te sert, ô impie synagogue, cet acte de cruauté ? Tu jettes des pierres à Étienne, et tu travailles encore davantage à l’honorer ; tu lui ôtes la vie, et tu contribues encore plus à l’exalter ; tu le persécutes sur la terre, et, sans le savoir, par tes mauvais traitements, tu l’envoies plus vite au ciel. Déjà l’âme du martyr, arrivée à ses lèvres, va s’envoler au ciel ; elle y tient déjà par toutes ses puissances ; aussi est-elle devenue insensible à tes coups, et ne prendra-t-elle plus souci de ta force, car elle partage déjà la joie des anges, et comme il se trouve déjà dans les rangs de l’armée des archanges, le confesseur du Christ ne saurait plus redouter les souffrances de ce monde.
2. Le Père lui adresse la parole, le Fils le console, le Saint-Esprit ranime ses sens affaiblis ; le ciel, avec ses mystérieuses beautés, lui sourit et le rassasie d’avance, comme un de ses habitants, de ses divines richesses ; ainsi devient insensible pour notre martyr le supplice de la lapidation. Pour toi, impie Judée, tu parfais ton crime, tu accomplis jusqu’au bout ton homicide ; à peine as-tu fini de faire mourir le Christ, que déjà son serviteur tombe sous tes coups, comme si, en ajoutant un meurtre à un autre, tu pouvais effacer la souillure du premier. « Voilà », s’écrie Étienne, « voilà que je vois les cieux a ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu [100] ». Le vois-tu, cruelle Judée ? Le Christ dans le sang duquel tu as trempé tes mains est vivant dans le ciel. Tu frémis de rage, je le sais bien ; tu ne veux pas entendre dire que Jésus, que tu croyais mort, vit toujours. Car si tu lapides aujourd’hui Étienne, c’est afin qu’il ne continue pas de rendre témoignage de la vie du Christ. Mais à quoi bon te raidir et vouloir t’opposer à de si nombreuses légions de martyrs ? Parviendras-tu jamais à leur imposer silence ? Évidemment, non. « Après cela, je vis », dit Jean, « une grande multitude que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue, qui se tenaient debout en la présence « de Dieu, revêtus de robes blanches, avec des « palmes en leurs mains[101] ». Ils portent des palmes dans leurs mains, et de ta bouche s’échappe le feu qui consume ton cœur ; ils tressaillent de joie au sein de la gloire, et tu martyrises ta conscience ; ils règnent avec le Christ que tu as fait mourir, et sur toi demeure éternellement la souillure du sacrilège que tu as commis !
3. Enfin, mes frères, écoutez notre pieux martyr ; écoutez cet homme qui s’était rassasié à une table sacrée et divine, et dont l’âme, en présence des cieux ouverts devant lui, pénétrait déjà les secrets consolants de ce divin séjour. Au moment où les Juifs, emportés jusqu’à la cruauté par leur impiété habituelle, brisaient le corps du martyr sous une grêle de pierres, celui-ci, s’étant mis à genoux, adorait le Seigneur-Roi et disait : « O Dieu, ne leur imputez pas ce péché ![102] » Le patient prie, et son bourreau est inaccessible au sentiment du repentir ; le martyr prie pour les péchés d’autrui, et le juif ne rougit point du sien propre ; Étienne ne veut pas qu’on leur impose ce qu’ils font, et ses ennemis ne s’arrêtent qu’après lui avoir donné le coup de la mort. Quelle rage1 Quelle fureur inouïe1 Travailler avec d’autant plus d’ardeur à le tuer, qu’ils le voyaient prier pour eux1 Ce spectacle n’aurait-il pas dû plutôt amollir leurs cœurs ? Notre martyr a donc retracé en lui-même les caractères de la mort de son Maître. Attaché à la croix, sur le point de rendre le dernier soupir, Jésus priait son Père de pardonner aux Juifs leur déicide ; engagé comme le Christ dans les tortueux sentiers du trépas, Étienne a imité son Sauveur, a offert à Dieu le sacrifice de sa vie ; c’est pourquoi il a suivi jusqu’au ciel le Seigneur tout-puissant. Aussi, mes frères, devons-nous nous recommander à ses saintes prières, afin qu’à son exemple nous méritions de parvenir à la vie éternelle.

VINGT-DEUXIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS INNOCENTS. I modifier

ANALYSE. —1. Le martyre de ces enfants est un hymne admirable chanté à la louange du Christ naissant. —2. Parallèle du Christ naissant et des saints innocents. —3. Hérode, joué par les mages, met le comble à sa méchanceté.


1. L’indulgence du Sauveur ne connaît pas de bornes ; les expressions manquent pour en donner une juste idée. Il habite au plus haut des cieux, et pour les hommes qui ne méritaient de sa part aucune pitié, il s’est revêtu d’un corps de boue. N’allez pas croire, néanmoins, que le Créateur des anges se soit renfermé tout entier dans les étroites limites du sein d’une Vierge. Celui des mains duquel le monde est sorti, a voulu briser les mailles du filet où l’ennemi du genre humain nous retenait tous captifs ; il a voulu nous retirer de l’abîme d’iniquités où se trouvait plongée la race d’un père coupable ; c’est pourquoi le Fils de Dieu est venu au monde et s’est fait le restaurateur de tout le monde ; alors a retenti l’hymne de louanges que des enfants en bas âge lui ont chanté. C’est d’eux que le prophète David nous a parlé aujourd’hui dans tin de ses psaumes ; voici ses paroles : « Vous avez tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle [103] ». L’admirable Prophète ! En tous temps se chantent les louanges de l’Éternel, et néanmoins il a voulu nous faire voir qu’à la fin des temps le martyre enduré pour le Christ, par de petits enfants, deviendrait un hymne chanté en son honneur. Car voilà bien ce qu’il en a dit au psaume : « Vous avez tiré la louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle ». C’est du Christ que parle David, et il louange les enfants en même temps que le Christ. Il se fait le héraut de leur gloire, et annonce leurs souffrances à venir. Ils sont morts à la manière des martyrs, sans toutefois ressentir la douleur du supplice ; et malgré cela, ils ont ajouté à la joie des anges du ciel et contribué, pour leur part, à la victoire que le Roi de tous les siècles a remportée sur le monde. Celui qui a créé la Jérusalem céleste et qui y règne, est venu en ce monde, et une Vierge l’a enfanté sans rien perdre de sa pureté sans tache, sans contracter la moindre souillure ; alors, la Jérusalem de la terre est tombée dans le trouble, et on l’a vue faire, avec Hérode, une guerre insolite aux petits enfants, tandis que les Mages adoraient le Sauveur donné à l’univers. Les cris déchirants des mères s’élèvent jusqu’au ciel, les souffrances de leurs nouveau-nés procurent au monde une indicible et incommensurable joie, et à toute personne qui pleure, l’éclat de la gloire. Le monde compatit aux douleurs de ces petits martyrs, et les archanges sourient à leur triomphe : ils tombent sans défense sous les coups de leurs pères ; sans ressentir aucune souffrance, ils subissent pourtant l’empire de la mort ; mais ils vont au ciel, car ils ont été trouvés dignes d’en obtenir la possession en échange de leur vie terrestre.
2. Jérusalem céleste, réjouis-toi dans le Seigneur de ce que la Jérusalem de la terre est en proie au trouble avec ses tyrans. Jérusalem, Jérusalem, depuis longtemps enivrée du sang des Prophètes, tu as autrefois fait d’eux une injuste distinction pour les accuser, et maintenant tu cherches par tous les moyens à faire partager ta folie à Hérode et à lui persuader de détruire des enfants ! Dans les siècles passés, tu as fait mourir ceux qui annonçaient le Christ, et aujourd’hui que le Christ nous a, été donné, tu lui as trouvé un ennemi, puisque tu frappes du glaive des enfants qu’il soutient de sa grâce. Admirable récompense ! Un homme recherche un seul enfant, et à la place de ce seul enfant, une multitude d’autres sont arrachés du giron de leurs mères et égorgés. Un seul était venu racheter le monde ; au moment de sa naissance, on invite les pères de tous les autres à commettre un crime sans précédents. L’Époux est tout à l’heure sorti du lit de la Vierge, et voilà que, pour le recevoir, des enfants en bas âge sont offerts en holocauste. Le potier qui nous a pétris vient de se revêtir d’un corps de boue dans le sein d’une Vierge, et déjà Hérode, obéissant aux suggestions furieuses du démon, se déclare contre lui, répand dans la poussière le sang de nouveau-nés, et fait de tout cela un hideux mélange. À peine le dispensateur de la vie humaine est-il sorti des entrailles de Marie, qu’un monceau de chair humaine, enlevée du giron des mères, se trouve formé par les mains d’Hérode. Sitôt qu’on a apporté le saint raisin dans le pressoir du monde, les mamelles des mères en laissent péniblement couler le jus, et il se mêle au sang répandu par le glaive. Tout à l’heure l’Agneau de Dieu est sorti de la sainte bergerie, et les bergers se sont joués d’Hérode ; c’est pourquoi un acte de fourberie méchante s’est exécuté sur une grande échelle, car, saisi par la fureur et emporté par la rage d’un loup dévorant, pareil à un indigne faussaire, ce prince a arraché aux mères des cris de désespoir.
3. Voyant que les Mages l’avaient joué, Hérode fit donc venir les scribes et leur demanda en quel temps devait naître parmi les Juifs celui qui était destiné à les délivrer de l’esclavage. Inspirés par Dieu même, ceux-ci aimèrent mieux voir périr tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, que le genre humain tout entier. O Hérode, ta méchanceté ne connaît pas de bornes, et aujourd’hui Saul vénère l’Église qu’il persécutait ; lui qui traquait jadis les adorateurs de Dieu, il reconnaît formellement en eux l’épouse du Christ, et il n’hésite pas à dire : « Je t’ai fiancée à cet unique époux, Jésus-Christ, pour te présenter à lui comme une vierge pure [104] ». Par lui l’honneur, la louange et la gloire viennent à Dieu le Père, dans le Saint-Esprit, maintenant, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT-TROISIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS INNOCENTS. II modifier

ANALYSE. —1. Conduit par l’envie du démon, Hérode fait mourir les innocents. —2. Contre qui s’exercent les vengeances divines. —3. Les appréhensions et la condition d’Hérode.


1. Très-chers frères, le Saint-Esprit a dit, par l’organe de Salomon : « Par l’envie de Satan, la mort est entrée dans l’univers [105] ». Il est sûr, mes bien-aimés, que, depuis le commencement, le diable enseigne la jalousie et l’envie ; d’où il suit évidemment que tout homme envieux et jaloux est son disciple. Autre conséquence encore : il y en a beaucoup pour jalouser et envier le sort d’autrui, parce qu’il y en a beaucoup pour imiter le diable. N’est-il pas dit, en effet, dans l’Écriture : « Ceux qui l’imitent sont sa part [106] ». L’homme spirituel et saint, voilà la part du Dieu d’Israël ; car do, lui il est dit aussi : « La part du Dieu d’Israël est son héritage[107] ». Dans cet héritage, comme nous en avons déjà fait la remarque, l’ennemi de l’homme, son adversaire jaloux, n’a aucune part ; aussi a-t-il fait asseoir un gentil sur le trône royal ; en d’autres termes, il y avait placé le tyran Hérode, né au sein de la gentilité, pour exterminer le peuple de Dieu, pour torturer une multitude d’enfants innocents et répandre le sang de nouveau-nés qui n’étaient coupables d’aucune faute. Nous venons d’entendre le Saint-Esprit adjurant Dieu le Père de le punir, en ce passage prophétique : « Vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu[108]». « Que les cris des captifs montent jusqu’à vous[109] ». Oui, il est monté et il demeurera en la présence de Dieu jusqu’au jour du Seigneur, c’est-à-dire qu’au jour du jugement il en sera tiré vengeance.
2. Votre charité n’ignore point, sans doute, que Jean a écrit ces paroles dans l’Apocalypse : « Je vis, sous l’autel, les âmes de ceux qui a ont donné leur vie pour la parole de Dieu et pour rendre témoignage à Jésus ; et tous jetaient un grand cri, disant : Jusques à quand différerez-vous de juger et de venger notre sang sur ceux qui habitent la terre ?[110] » Vengez notre sang, car nous ne sommes nullement séparés de votre charité, comme il est écrit dans la leçon présente : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, les angoisses, la faim[111]? » Vengez le sang d’innocents arrachés au sein de leur mère et toujours unis à vous par les liens de l’amour. Vengez les souffrances, les enfantements, les cris, les douleurs, les pleurs, les larmes, les gémissements désespérés de tant de mères qui n’ont pas rencontré un seul consolateur, suivant cette parole de l’Évangile : « On entendit, dans Rama, une voix et des pleurs, et de grands gémissements : Rachel pleurant ses enfants, et elle ne voulut pas être consolée parce qu’ils ne sont plus[112] ». Et, en réalité, parce qu’ils n’ont point appartenu à ce monde, car, par leur naissance et leur âge, ils ont été les compagnons du Christ. C’est ce que dit l’Évangéliste : « Hérode envoya tuer tous les enfants qui étaient dans le pays d’alentour, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, selon le temps indiqué par les Mages[113] ». Qu’est-ce que les Mages lui avaient appris ? Que le Christ, le vrai roi d’Israël, était né selon la chair.
3. A cette nouvelle, Hérode se considéra comme exposé à un grand danger ; il savait, en effet, qu’il n’avait pas le droit de régner sur le peuple de Dieu. Car n’était-il pas une sorte de fugitif et un étranger au milieu de la nation juive ? A ce titre, il ne pouvait demeurer dans les rangs de ce peuple saint ; c’était, pour lui, chose d’autant plus facile à comprendre, qu’un autre roi venait de naître, un roi envoyé de Dieu le Père et non pas choisi par la nation ; un roi doit être tel par droit de naissance, et non par droit d’élection, suivant cette parole du Sauveur : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour cela[114] » : Réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse de ce qu’il est né, et, par lui, rendons-en grâces à Dieu le Père, à qui appartiennent l’honneur et la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS CÔME ET DAMIEN. modifier

ANALYSE. —1. Bienfaits de Dieu accordés par l’intermédiaire des martyrs. —2. Joignons-nous, par conséquent, aux martyrs, pour éviter les peines de l’enfer. —3. Il faut invoquer les martyrs.


1. Célébrons ce jour consacré à la mémoire des bienheureux frères Côme et Damien, et, pour cela, livrons-nous aux pratiques de la dévotion tranquille des fidèles, au lieu d’observer les rites profanes du paganisme : citoyens d’un autre pays, ils sont, en ce jour, devenus nos patrons ; car celui qui a d’abord envoyé les Apôtres vivants dans la chair, nous envoie maintenant ceux-ci vivants dans l’esprit. Après avoir illustré, pendant leur vie, des contrées étrangères, ils ont honoré les nôtres de leur visite après leur mort ; mais, évidemment, si les morts ne vivaient plus, nos patrons ne nous auraient pas visités après être sortis de ce monde. Leurs restes mortels sont donc cachés à nos yeux, mais leurs bienfaits s’étalent à nos regards ; car nous étions atteints d’une maladie très-dangereuse, et Dieu nous les a envoyés comme médecins, afin de nous préserver des attaques du démon et de nous délivrer de celles de la maladie. Lorsque, après sa résurrection, le Sauveur envoya ses disciples dans le monde, en vertu de sa puissance divine, il leur recommanda, avant tout, de guérir les malades, de ressusciter les morts, de chasser les démons, de rendre la vue aux aveugles en son nom'. Toujours sensible à nos infirmités, prenant toujours, et suivant les limites du possible, soin de ses frères, il a choisi, après son ascension, des hommes qui, par leur science médicale et terrestre, nous communiqueraient les dons de Dieu. Sa puissance souveraine agit de la sorte, car sa parole ineffable nous a appris qu’il est venu en ce monde pour sauver les faibles et les étrangers. Voici comme il s’exprime : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades[115]. Je suis venu appeler à la pénitence, non pas les justes, mais les pécheurs[116][117] ». Remarquons cependant pourquoi le Seigneur a accordé aux saints un pareil privilège. C’est parce qu’ils ont aimé la paix et qu’ils sont parvenus à jouir du Dieu de paix, dont l’Apôtre a dit : « Il est notre paix, celui qui des deux peuples n’en a fait qu’un[118] ».
2. Ce n’est donc point pour eux-mêmes que les bienheureux Côme et Damien ont vécu et sont morts. Par leur vie exemplaire, ils nous ont laissé un modèle de bonne conduite, et, parleur mort courageuse, ils nous ont montré comment nous devons souffrir. Si Dieu a permis qu’on les connût dans les différentes parties de l’univers, c’était afin que leurs prières nous aidassent à guérir de nos diverses maladies ; pareils à des témoins irrécusables, ils doivent ainsi, par une sorte de présence et par l’attrait de la guérison, nous conduire à la foi ; par là encore, l’humaine fragilité, qui a tant de mal de croire à l’Évangile, parce qu’il date déjà de loin, voit de ses propres yeux les merveilles opérées par ces saints personnages ; en conséquence, elle accepte le témoignage d’hommes qui prient maintenant au lieu d’exercer l’art de la médecine, et viennent au secours des malades par leur foi et non plus par leur science. S’ils guérissaient autrefois, c’était, en effet, non pas de leur propre puissance, mais de celle du Dieu qui sauve le monde, et, puisqu’ils continuent à nous venir en aide, c’est qu’ils empruntent leur pouvoir au Sauveur du monde. Nous devons honorer très dévotement tous les saints, mais comme nous possédons les précieuses reliques de ceux-ci, ils ont un droit tout particulier à notre vénération. Tous les autres nous aident de leurs prières ; ceux-ci ajoutent à leurs supplications l’appoint de leur présence, et nous entretenons ainsi avec eux des rapports en quelque sorte familiers. Ils sont, en effet, continuellement avec nous ; ils y demeurent toujours ; en d’autres termes, ils nous guérissent pendant le cours de notre vie mortelle, et, à l’heure de notre mort, ils nous reçoivent dans leurs bras. Ici-bas, ils détournent de nous la lèpre du péché et les maladies, et, dans l’autre monde, ils nous empêchent de tomber dans les noirs abîmes de l’enfer. Aussi les anciens nous ont-ils appris à donner à nos corps une place auprès des reliques des saints : l’enfer a peur d’eux, et ses supplices ne seront par conséquent point pour nous ; le Christ les éclaire, et, par là, sa lumière écartera de nous les ténèbres épaisses de ce lieu d’horreur. Dès lors que nous reposons à côté des saints martyrs, nous échappons aux ténèbres de l’enfer, non par suite de nos propres mérites, mais à cause de la sainteté de nos compagnons de sépulture. Le Sauveur a dit à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle[119] ». Si les portes de l’enfer ne peuvent prévaloir contre l’apôtre et martyr Pierre, quiconque se joint aux martyrs ne peut donc être le prisonnier de l’enfer. Les portes de l’enfer ne retiennent point captifs les martyrs, parce qu’ils sont entrés dans le royaume des cieux ; ne les voyons-nous pas, en effet, déjà régner ? Nous en sommes témoins ; il arrive souvent qu’ils délivrent des hommes possédés de sales démons par l’effet de la médecine céleste qu’ils leur ont donnée, les âmes captives s’échappent des chaînes du démon, et le diable se trouve, à son tour, chargé de chaînes de feu. Ah ! puisse le captif briser tous les liens qui le privent de la liberté ! Alors, celui qui en avait d’abord fait sa victime deviendra victime à son tour. Sans compter de bien autres merveilles opérées par les saints, voilà ce qu’ont fait et ce que font ces élus de Dieu, aucun de vous n’en ignore. Ils ont autrefois employé le fer à retrancher du corps humain les parties gâtées, aujourd’hui ils prient pour délivrer les âmes de leurs chaînes. Ils ont jadis appliqué des remèdes faits de main d’homme, et maintenant ils étalent à nos regards le spectacle de cette sainteté que le Christ leur a donnée. Ils ont distribué aux autres des bienfaits du temps, aussi jouiront-ils de ceux de l’éternité ; parce que leur corps a guéri celui du prochain, leur âme, à son tour, a obtenu sa propre guérison. Ils ont consolé les faibles et sont eux-mêmes devenus forts ; on les a crus sans forces, et ils sont devenus puissants ; ils ont cessé d’être médecins, et le trésor de la foi leur est seul resté.
3. Donc, bien-aimés frères, vénérons dans cette vie les bienheureux Côme et Damien, afin de pouvoir les compter parmi nos intercesseurs dans le ciel ; et puisqu’un mouvement d’amour nous réunit pour célébrer la mémoire de leur naissance, qu’une même foi nous unisse à eux. Rien ne sera capable de nous en séparer, si nous nous y joignons par le sentiment de la religion et corporellement puissent leurs mérites nous obtenir du Seigneur notre Dieu cette faveur ! Ainsi soit-il.

VINGT-CINQUIÈME SERMON. SUR LA TRINITÉ. modifier

ANALYSE. – Procession du Saint-Esprit ; génération du Fils et non du Père.

Le Saint-Esprit, c’est le don de Dieu : il procède également du Père et du Fils ; il est comme le trait d’union qui les joint l’un à l’autre d’une manière ineffable. Peut-être son nom lui a-t-il été donné, parce qu’il convient aussi au Père et au Fils ; son nom désigne ce qu’il est à proprement parler, et ce qu’on peut attribuer aux deux autres personnes. Ainsi, on dit avec justesse que le Père est esprit, et le Fils pareillement, que le Père est saint, et aussi le Fils ; mais on ne dit pas que le Père a été envoyé, par la raison qu’il ne s’est pas incarné. Le nom d’envoyé s’applique d’une manière plus exacte à la personne qui s’est faite homme. La forme humaine, dont le Fils s’est revêtu, appartient à la personne de celui-ci, et non à celle du Père. C’est pourquoi on a dit que le Père invisible, agissant de concert avec son Fils invisible, l’a envoyé en le rendant visible. Le Fils a pris la forme d’esclave, sans que la forme de Dieu subît en lui le moindre changement. Celui qui est apparu aux regards des hommes sous la forme humaine a été fait par la sainte et invisible Trinité. Par conséquent, selon cette nature divine en vertu de laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un, nous ne croyons pas que le Père ou le Saint-Esprit soit né ; la foi catholique ne le croit et ne l’enseigne que du Fils. Bien que, selon la nature divine, le Père ne soit né d’aucun autre Dieu, s’il était cependant né de la Vierge selon la chair, il n’aurait point seul la propriété de n’être pas né lui-même, mais d’avoir engendré un Fils unique ; le Fils n’aurait pas non plus la propriété exclusive de n’avoir point engendré, mais d’être né de l’essence du Père ; le Saint-Esprit serait aussi dépourvu de celle de n’être pas né et de n’avoir point engendré, mais de procéder du Père et du Fils. En effet, si le Père était né de la Vierge, il ne serait avec le Fils qu’une seule et même personne ; et parce que cette seule et même personne serait née, non pas de Dieu, mais de la Vierge, on ne pourrait l’appeler avec exactitude que Fils de l’homme, au lieu de pouvoir lui donner le titre de Fils de Dieu.


TROISIÈME SUPPLÉMENT. modifier

VINGT-SIXIÈME SERMON. EXPOSITION DE FOI. modifier

ANALYSE. —1. Le Fils est un seul Dieu avec le Père. —2. Divinité du Saint-Esprit. —3. Ces trois personnes ne sont qu’un seul Dieu.
1. La foi en la substance unique de la Trinité, c’est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est d’avant tous les temps : elle dépasse tous nos sens ; les paroles ne peuvent l’expliquer ; nul esprit ne saurait la comprendre. Une seule puissance, un seul Dieu, et trois noms. Le Verbe naît de la Vierge Marie ; il se revêt d’un corps matériel, mais il reste la pensée sublime de Dieu. Cette parole divine ne s’est pas assimilée à la chair, mais elle s’y est enfermée, elle lui est demeurée supérieure : c’était la parole impassible du Très-Haut, et, néanmoins, elle a souffert et subi les coups de la mort, pour communiquer la vie à sa créature, que sa désobéissance avait précipitée dans l’abîme. O homme ! chercherais-tu à comprendre la Divinité ? Te blâmerais-je pour cela ? Si tu crois, tu fais bien ; mais si tu dis : Comment Dieu est-il Père ? tu tombes dans les ténèbres. Si tu dis : Comment Dieu est-il Fils ? la lumière t’abandonne encore ; car : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père[120] ». Supposer trois puissances, c’est confesser trois Dieux ; pour nous, nous croyons trois personnes, mais une seule puissance, une seule divinité. En nommant le Père, tu glorifies le Fils, et en prononçant le nom du Fils, tu adores le Père. Si, de la Trinité nous ne faisons qu’une seule personne, nous judaïsons,


TROISIÈME SUPPLÉMENT. modifier

VINGT-SIXIÈME SERMON. EXPOSITION DE FOI. modifier

ANALYSE. —1. Le Fils est un seul Dieu avec le Père. —2. Divinité du Saint-Esprit. —3. Ces trois personnes ne sont qu’un seul Dieu.
1. La foi en la substance unique de la Trinité, c’est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est d’avant tous les temps : elle dépasse tous nos sens ; les paroles ne peuvent l’expliquer ; nul esprit ne saurait la comprendre. Une seule puissance, un seul Dieu, et trois noms. Le Verbe naît de la Vierge Marie ; il se revêt d’un corps matériel, mais il reste la pensée sublime de Dieu. Cette parole divine ne s’est pas assimilée à la chair, mais elle s’y est enfermée, elle lui est demeurée supérieure : c’était la parole impassible du Très-Haut, et, néanmoins, elle a souffert et subi les coups de la mort, pour communiquer la vie à sa créature, que sa désobéissance avait précipitée dans l’abîme. O homme ! chercherais-tu à comprendre la Divinité ? Te blâmerais-je pour cela ? Si tu crois, tu fais bien ; mais si tu dis : Comment Dieu est-il Père ? tu tombes dans les ténèbres. Si tu dis : Comment Dieu est-il Fils ? la lumière t’abandonne encore ; car : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père[121] ». Supposer trois puissances, c’est confesser trois Dieux ; pour nous, nous croyons trois personnes, mais une seule puissance, une seule divinité. En nommant le Père, tu glorifies le Fils, et en prononçant le nom du Fils, tu adores le Père. Si, de la Trinité nous ne faisons qu’une seule personne, nous judaïsons, parce que les Juifs ne reconnaissent qu’une seule personne et confessent un seul Dieu. À reconnaître trois Dieux, nous ressemblerions aux Gentils. Mais il n’en est pas ainsi ; nous confessons que le Père est dans le Fils, et que le Fils est dans le Père, avec le Saint-Esprit ;'nous ne divisons ni ne partageons la nature divine, Dieu de Dieu, puissance de puissance, lumière de lumière, vérité de vérité. Pour le constater, pas de témoins : ni le ciel, ni la terre, ni la mer, ni la lumière, ni les ténèbres, ni les anges, ni les chérubins, ni les séraphins ; car : « Au commencement le Fils était dans le Père[122] ». Personne ne connaît celui qui ne peut naître, si ce n’est celui qui est né, parce qu’il sait de qui il est né ; de même celui-là seul, qui a engendré, connaît celui qui peut naître ; aussi le Père connaît-il le Fils, puisqu’il l’a engendré. L’engendré est pareil à son auteur ; c’est le conseil et la sagesse du Père ; c’est, avec lui, une seule puissance, une même divinité. Tu cherches à comprendre la génération du Fils de Dieu ? Depuis peu il a pris une origine particulière dans le sein de la Vierge Marie ; mais, quant à sa génération divine, on ne peut dire que ceci : « Dès le commencement il est dans le Père ». Je confesse un seul Dieu innascible, et je reconnais un seul Dieu né. Je proclame que le Père tout-puissant est sans commencement et sans fin, qu’il contient toute chose et n’est contenu en rien, qu’il gouverne tout et n’est gouverné par quoi que ce soit, qui voit tout et n’est vu de personne. J’avoue aussi que Jésus-Christ, Fils de Dieu, possède toute la sagesse et la puissance de Dieu, son Père. Autant le Père a de puissance, « autant en possède » le Fils. L’engendre n’est pas moindre que celui qui ne peut naître ; il n’a été ni fait ni créé.
2. Si je disais que l’Esprit est né, je déclarerais que le même Père a deux Fils, au lieu de dire qu’il a un Fils unique et qu’un seul Fils a été engendré par un seul Père. Il n’y a qu’un seul Père, et il a fait toutes choses, comme il n’y a qu’un seul Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Si je dis que le Fils n’est pas né, je reconnais dès lors que le Père Tout. Puissant n’est pas seul innascible, et je confesse deux Tout-Puissants ; et si, d’un autre côté, j’avoue qu’il a été fait, je parle à la manière des Gentils, car ils adorent les œuvres de l’homme et n’adorent pas le Créateur du ciel et de la terre. Comment donc m’exprimer à son égard ? Dirai-je que c’est un fantôme ? Que Dieu m’en garde, car le Christ ne pardonnera jamais le blasphème. Supposez que deux morceaux de bois, liés ensemble, soient jetés dans une fournaise ardente, un seul jet de flammes s’échappe de tous les deux à la fois ; ainsi, du Père et du Fils procède l’Esprit-Saint, et il possède, comme eux, la puissance et la divinité.
3. Le bienheureux apôtre Paul a parfaitement défini notre croyance : « Un Dieu », dit-il, « médiateur entre Dieu et les hommes[123] ». Ce n’est pas en tant que Dieu de Dieu, qu’il est devenu médiateur ; car il n’y a qu’un seul Dieu même jusque dans la Trinité : mais la vertu du Père s’étant incarnée dans le sein de la Vierge Marie, et revêtue du vieil homme qui était tombé par sa désobéissance, elle est devenue la médiatrice de l’humanité. Comme l’attestent les Évangiles, lorsque le Sauveur eut conduit ses Apôtres sur le Thabor, il leur manifesta la puissance de sa divinité, et voilà qu’une nuée lumineuse le couvrit[124]. Cette nuée indiquait que la Vertu du Père se trouvait en lui. Il en est dont la doctrine est insensée ; comment expliquent-ils trois personnes en une seule substance ? Par trois personnes, ils entendent trois puissances. Pour nous, nous disons qu’il y a trois personnes en une seule et même puissance, trois noms et un seul Dieu, trois paroles exprimant le même sens, c’est-à-dire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ceux-là partagent et divisent encore la puissance et la divinité de la Trinité sainte ; c’est, disent-ils, comme un empereur, un préfet et un comte. Non, et loin de vous enseigner une pareille doctrine ou cette exposition de foi, je l’anathématise ; car il est écrit dans nos livres sacrés : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles par la création de ce monde[125] ». Pour faire un empereur de la terre, il faut trois choses, mais la puissance impériale est une. Si l’empereur ôte son diadème de dessus sa tête, il est un César, mais n’est plus un empereur dans toute l’acception du mot ; voilà pourquoi ceux qui blasphèment le Saint-Esprit ne sont pas chrétiens. Si l’empereur se dépouille de la pourpre, ce n’est plus qu’un homme : ainsi font les Juifs, en n’adorant qu’une seule personne. Quant à nous, nous comparons le Maître du ciel à l’empereur de la terre : celui-ci est un homme dans la pourpre, et la pourpre se trouve en lui ; mais la couronne placée sur sa tête, entraîne de droit pour lui la faculté de porter la pourpre, et signifie qu’en lui la puissance impériale est une. Ainsi en est-il de la Trinité : le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père ; pour le Saint-Esprit, il est le trait d’union entre l’un et l’autre : c’est la puissance et l’unité de la Trinité.

VINGT-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JUGEMENT DERNIER. modifier

ANALYSE. —1. Les bons récompensés. —2. Les méchants condamnés. —3. Conclusion.
1. « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, il s’assoiera sur le trône de sa gloire, et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis a d’avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors, il dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, ô bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde[126] » ; où se trouve la lumière inextinguible, où l’on goûte éternellement le bonheur, où l’on puise la vie sans fin de l’immortalité, où l’on partage à toujours la joie des anges et des Apôtres, où habite la lumière de la lumière et la source de la lumière, où l’on voit la cité des saints, la Jérusalem céleste, où les martyrs et les patriarches sont réunis avec Abraham, Isaac, Jacob et tous les élus, où les joies ne sont point suivies de douleur et de tristesse, où l’on ne verra ni les ombres de la nuit, ni la caducité de la vieillesse, où chacun éprouvera un insatiable amour et une paix particulière, où l’on aura pour témoins les esprits bienheureux et toutes les puissances, où Dieu nous donnera la manne, c’est-à-dire, des aliments célestes, et nous rendra participants de la vie des anges, où, enfin, car je voudrais tout dire d’un seul mot, l’on ne ressentira ni mal, ni douleur, et où nous jouirons de tous les biens. À ces paroles du Sauveur, les justes demanderont : Seigneur, pourquoi nous avez-vous préparé une si grande gloire, une gloire si parfaite ? Et le Christ leur dira : Voici pourquoi : Vous avez eu la miséricorde et la foi, la charité et la patience, la longanimité, la douceur et la justice, la continence et l’humilité ; vous vous êtes montrés hospitaliers, affables et joyeux pour les pèlerins et les étrangers, amis de la justice et de la vertu ; les maux du prochain vous ont attristés, comme son bonheur vous a réjouis ; vous avez ressenti de la joie à voir ceux à qui n’échappait pas même une parole inutile ; la crainte de Dieu vous a saisis à la vue de ceux mêmes qui ne transgressent point leurs obligations et n’oublient ni un iota, ni un point de la loi du Seigneur ; vous n’avez reçu aucun présent pour opprimer les innocents et dire le mensonge au lieu de la vérité ; de votre cœur et de votre corps vous avez retranché le vice, vous avez considéré comme rien ce bas monde ; vous avez renoncé non-seulement au diable et à ses œuvres, au monde et à ses pompes, mais encore à vous-mêmes, et vous avez pris sur vous la croix de Jésus-Christ, pour le suivre fidèlement. – Seigneur, reprendront les justes, quand avez-vous remarqué en nous tout ce bien ? Quand avons-nous fait aux autres ce qu’il vous appartient de leur faire ? Et il leur dira : « En vérité, je vous le dis : ce que vous avez fait pour l’un des moindres de mes frères, vous l’avez fait pour moi[127] », et en ma présence. Et ce que vous avez fait en secret, je vous le rendrai en public.
2. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa gauche : « Allez, maudits, au feu éternel, que mon Père a préparé pour le diable et pour ses anges[128] », « où il y aura des pleurs et des grincements de dents[129] », où l’on n’a des yeux que pour pleurer, où l’on désire la mort sans la recevoir, « où lever qui ronge ne meurt point, et le feu qui brûle ne s’éteint jamais[130] » ; où rien ne se prépare que des supplices, où nul maître n’est obéi de son serviteur, où le vieillard n’est pas respecté, où les jeunes gens manquent d’emploi, où il n’y a ni joie ni allégresse pour succéder au chagrin, où le travail ne se trouve point remplacé par les honneurs ou le repos ; là, des ténèbres éternelles et des tourments horribles, l’ardeur de la soif et une terre d’oubli, la violence des flammes et la douleur causée par les vers ; on n’y voit rien que des supplices, on n’y entend rien que des gémissements ; on n’y éprouve aucune consolation, on n’y rencontre que l’enfer et les abîmes de la géhenne, dont le Prophète a dit : « Dans l’enfer, qui est-ce qui chantera vos louanges[131] ? » c’est-à-dire personne. En ce lieu d’horreur, qui est-ce qui pourra chanter des cantiques au Seigneur ? Ceux qui s’y trouvent renfermés n’ont plus le pouvoir de rien faire. Il y aura là des tortures de genres différents : là se trouvent « le dragon que Dieu a formé pour se jouer de lui[132] ». Malheur à ceux parmi lesquels se trouve ce dragon dont le Sauveur a triomphé sur la croix, et qu’il a attaché, comme un passereau, à l’instrument de son supplice ! Si, en ce monde, les hommes ne peuvent supporter le joug de sa domination, comment le supporteront ceux qui se trouveront avec lui ? Alors ces maudits lui répondront : Seigneur, pourquoi nous avoir préparé de si grandes peines, des tortures si insupportables ? Et il leur dira : En voici le motif : c’est à cause de votre méchanceté, de vos ruses, de votre malignité, de votre avarice, de vos fautes, de vos injustices, de vos larcins, de vos mensonges, de vos insultes, de votre cupidité, de vos homicides et adultères, de vos colères, de vos fornications, de votre orgueil, de votre vaine gloire, de votre méchanceté pour le prochain, de cette tristesse qui engendre la mort ; c’est parce que vous n’avez pas reçu les pèlerins et que vous vous êtes réjouis du mal qui survenait à vos frères, et attristés de leur bonheur ; c’est pour vos blasphèmes et vos murmures, votre paresse et votre gourmandise, votre incontinence de parole et d’action, votre vaine gloire et vos bouffonneries, votre impudicité et votre colère.
3. Pour tous ces méfaits et autres semblables, les pécheurs et les impies iront au feu éternel ; mais en raison de toutes leurs bonnes œuvres que nous avons nominées et que nous avons omises, les justes iront dans la vie éternelle pendant les siècles des siècles[133]. Ainsi soit-il.

VINGT-HUITIÈME SERMON. SUR LES TRIBULATIONS ET LES MISÈRES DE CE MONDE. modifier

ANALYSE. —1. Notre époque n’est pas plus mauvaise que les précédentes. —2. on le prouve par des exemples.— 3. et par l’expérience actuelle. —4. Quels jours peut-on appeler bons ?
1. Toutes les fois que nous éprouvons quelque tribulation ou quelque misère, nous devons y voir un avertissement et une correction. Nos saints Livres eux-mêmes ne nous promettent pas, en effet, la paix, la sécurité et le repas : ils nous annoncent, au contraire, des tribulations, des misères et des scandales. L’Évangile ne s’en tait pas : « Mais », dit-il, « celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[134] ». De quel bonheur l’homme a-t-il joui en cette vie, depuis le moment où notre premier père nous a mérité la mort et a reçu la malédiction de Dieu, malédiction dont le Seigneur Christ nous a délivrés ? « Mes frères », dit l’Apôtre, « ne murmurez pas, comme quelques-uns d’entre eux ont murmuré et ont trouvé la mort dans la morsure des serpents[135] ». Aujourd’hui, mes frères, le genre humain est-il soumis à des épreuves inconnues jusqu’à nos jours, et que nos pères n’aient pas subies avant nous ? Ou plutôt, souffrons-nous seulement ce que, au dire de l’histoire, ils ont souffert en leur temps ? Et tu rencontres des hommes qui murmurent de l’époque actuelle ! Quand est-ce que nos aïeux ont eu à se louer entièrement de leur existence ? Hé quoi ? Si l’on pouvait faire remonter ces hommes au temps de leurs pères, ils murmureraient encore. Parmi les siècles passés, lequel, à ton avis, a été bon ? Ils t’apparaissent bons, parce que tu n’y as pas vécu. Aujourd’hui, pourtant, tu as échappé à la malédiction, tu crois au Fils de Dieu, tu es imbu et instruit de là doctrine renfermée dans nos saints Livres. Je m’étonne de te voir supposer qu’Adam ait passé une vie paisible : or, tes parents n’ont-ils pas hérité d’Adam ? C’est bien à lui que Dieu a adressé ces paroles : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu travailleras la terre d’où tu as été tiré, et elle te produira des ronces et des épines[136] ». Il a mérité cette punition, il l’a reçue et ç’a été l’effet du juste jugement de Dieu.
2. Pourquoi donc t’imaginer que les temps anciens ont été meilleurs que le temps présent ? Depuis le premier Adam jusqu’à l’Adam d’aujourd’hui, il y a eu travail et sueurs, ronces et épines. Il y a eu le déluge, des moments difficiles, des années de famine et de guerre, les annales de l’histoire en font mention ; nous ne devons donc point prendre occasion des jours actuels, pour murmurer contre Dieu. Nos ancêtres ont vu jadis, et il y a de cela bien longtemps, de bien tristes choses : alors se vendait à poids d’or la tête d’un âne mort[137] ; on achetait à prix d’argent la fiente de pigeons[138] ; on vit même des femmes s’engager mutuellement à faire mourir leurs enfants pour les manger[139] : lorsqu’elles furent arrivées à bout du premier, la mère du second ne consentit point à tuer le sien : la cause fut donc portée au tribunal du roi, et celui-ci se reconnut plutôt comme coupable que comme juge. Mais à quoi bon rappeler les guerres et la famine de ce temps-là ? Qu’elles ont été terribles, les calamités d’alors ! À en entendre le récit, à le lire, nous frémissons tous d’horreur. En réalité, n’est-ce point pour nous un motif de remercier Dieu, au lieu de nous plaindre de l’époque où nous vivons ?
3. Quand le genre humain s’est-il trouvé à l’aise ? En quel temps n’a-t-on pas vu régner la crainte et la douleur ? Le monde a-t-il jamais joui d’une félicité durable ? De trop vieilles misères n’ont-elles pas toujours été son partage ? Si tu ne possèdes pas, tu brûles d’acquérir ; et si tu possèdes, ne crains-tu point de perdre ? et ce qu’il y a en cela de plus malheureux, c’est qu’en dépit de tes désirs et de tes craintes, tu te trouves bien. Tu vas épouser une femme : qu’elle soit mauvaise, elle fera ton supplice ; qu’elle soit bonne, tu auras une peur incessante de la voir mourir. Avant de naître, les enfants sont une source de douleurs atroces ; ils n’inspirent que des inquiétudes, une fois qu’ils sont nés. Qu’on est heureux à la naissance d’un enfant, et, toutefois, comme on redoute de le voir mourir et de le pleurer ! Où rencontrer une existence à l’abri du malheur ? La terre que nous habitons ne ressemble-t-elle pas à un immense navire ? Ne sommes-nous pas, comme des nautonniers, ballottés au gré des flots, sans cesse exposés à perdre la vie, toujours battus par l’orage et la tempête, à chaque instant menacés du naufrage, et soupirant ardemment après le port ; car ils ne sentent que trop qu’ils sont des passagers ? Par conséquent, peut-on vraiment appeler bons des jours remplis d’incertitude, qui passent avec la rapidité de l’éclair, dont on peut dire qu’ils ont fini avant de commencer, et qu’ils ne viennent qu’afin de cesser d’être ?
4. Donc, « où est l’homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux ?[140] » Pour ce bas monde, il n’y a, à vrai dire, ni vie, ni jours heureux. Les seuls jours de bonheur sont ceux de l’éternité. Ce sont des jours, et des jours sans fin ; le Prophète l’a dit : « J’habiterai pendant toute la durée des jours éternels[141], parce qu’un jour passé dans votre demeure vaut mieux que mille jours ». Oui, un jour sans fin est préférable à tous les autres. Voilà ce qu’il nous faut désirer : voilà ce qui nous est promis en termes ordinaires et se réalisera d’une manière ineffable. « Où est l’homme qui souhaite vivre ? » On dit tous les jours : Vie et vie ; mais pour celle-ci, de quoi s’agit-il ? « Et désire voir des jours heureux ?[142] » Tous les jours, on parle même d’heureux jours ; et, si on les examine de près, il n’y en a plus. Tu as aujourd’hui passé une bonne journée, si tu as rencontré ton ami, et si cet ami consentait à rester avec toi, quelle bonne journée tu passerais ! Après avoir rencontré son ami, l’homme ne se plaint-il pas d’avoir dû le quitter ? Voilà comme est bon, pour toi, le jour qui te quitte après t’avoir visité. J’ai passé de bonnes heures : où sont-elles ? Ramène-les-moi. J’ai passé un moment agréable : tu t’en réjouis ; plains-toi plutôt de ce qu’il n’est plus. « Quel est l’homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux ?[143] » Et tous de s’écrier Moi ! Mais ce ne sera qu’après cette vie, après les jours présents. Il nous faut donc attendre ; mais que nous recommande-t-on de faire pour parvenir à ce que l’avenir seul peut nous procurer ? Que ferai-je dans cette vie telle quelle, pour arriver à la vie et voir des jours heureux ? Ce que dit ensuite le Psalmiste : « Préserve ta langue de la calomnie et tes lèvres des discours artificieux ; éloigne-toi du mal et pratique le bien ». Fais ce qui est commandé, et tu recevras ce qui est promis. S’il y a des efforts à t’imposer et que tu aies peur de la peine, que, du moins, l’éclat de la récompense te ranime !

VINGT-NEUVIÈME SERMON. SUR LA PÉNITENCE QUE TOUT CHRÉTIEN DOIT PRATIQUER, S’IL VEUT GUÉRIR SON AME DES PÉCHÉS QU’IL A COMMIS APRÈS LE BAPTÊME. modifier

ANALYSE. —1. Plaise à Dieu que  nous ressentions, pour la guérison de nos âmes, une sollicitude pareille à celle que nous ressentons pour la guérison de nos corps. —2. Les remèdes pour les blessures spirituelles sont la pénitence et la confession.—3. Conclusion.
1. Il serait à désirer, bien-aimés frères, que notre corps jouît d’une santé continuelle, qu’il ne souffrît jamais des atteintes de la, maladie et ne reçût pas de blessures. Si nous consultons les instincts naturels d’un esprit droit, personne d’entre nous ne consentira à se voir mutiler ou à être cloué sur un lit de douleur. L’Apôtre en a fait la remarque : « Jamais personne n’a haï sa propre chair au contraire, il la nourrit et il en a soin[144] ». Qu’involontairement on souffre d’une maladie, ou qu’on reçoive un coup de flèche, je ne dirai pas dans une partie essentielle du corps, mais seulement à la superficie d’un membre, on emploie aussitôt, et avec un soin qui ne se dément pas, tous les remèdes possibles : on bande la plaie, on fait provision de simples de toute espèce, dont l’application sur le mal peut guérir, et, s’il le faut pour obtenir la cure, on va même à l’étranger chercher ce qui est nécessaire. La dépense est comptée pour rien, et la pauvreté n’entre pas en ligne de compte ; les ressources de la vie se consacrent à la maintenir ; on regarde comme cause de salut des choses même plus viles que le sel, on n’épargne non plus les soins préservatifs d’aucune sorte pour empêcher le mal de couver en dessous et de s’aggraver, pour préserver le malade de plus cruelles souffrances. Donc, mes frères, vous prenez toutes les précautions possibles, afin de rétablir votre santé corporelle, quand elle se trouve compromise ; et, pourtant, ce corps doit mourir un jour, car sa condition le condamne à tomber plus tard en poussière. Sans doute, nous espérons qu’il ressuscitera, mais, en attendant, il faut qu’il subisse cette sentence : « Tu es terre, et tu retourneras en terre[145] ». De telles paroles montrent à l’homme le peu de valeur de son enveloppe mortelle, puisqu’elles lui apprennent que, s’il a été tiré de la terre, il y rentrera. Pourquoi donc, mes très-chers frères, attacher notre cœur aux choses d’un rang inférieur ? Sachez-le bien, le corps est inférieur à l’âme par la dignité ; car l’âme, c’est la maîtresse du corps, les membres sont à son service, elle en dispose, à son gré, pour les usages qui, lui conviennent. Quant à elle, après avoir gouverné cet esclave soumis à ses ordres, elle reste à l’abri de la mort, même quand la mort brise les liens qui l’unissaient au corps. La condition de notre âme est donc infiniment supérieure à celle de notre corps ; même dans notre façon ordinaire de parler, nous en rendons témoignage, lorsque nous disons le plus souvent : Pour le salut de notre âme, ne voulez-vous pas faire cela ? La raison et l’opinion générale attribuant à l’âme la primauté d’honneur, que ne devons-nous pas faire pour conserver intact et dans toute son intégrité ce que nous a procuré notre première ou notre seconde naissance, c’est-à-dire la grâce sanctifiante ou l’innocente naturelle ? À les garder consiste la beauté de l’âme, l’intégrité de sa forme, sa santé, son élégance : comme, parmi les corps, il n’y a de beaux que ceux sur lesquels on n’aperçoit ni taches, ni cicatrices ; ainsi les âmes ne conservent l’éclat e leur primitive beauté qu’autant qu’elles ne sont rendues hideuses ni par les souillures ni par les blessures du péché.
2. Mais les hommes ont rarement le bonheur d’avoir toujours conservé la santé de leur âme, de parcourir le chemin de la vie sans rencontrer de pierre d’achoppement, de n’être sujet à aucune illusion : qu’ils mettent donc, du moins, à obtenir leur guérison spirituelle, un zèle pareil à celui qu’ils mettent à recouvrer la santé de leur corps. Qu’aux blessures de leur âme ils appliquent la main du conseil, et si elle a été transpercée par la lance du péché, qu’elle prenne le remède de la pénitence ; et si elle gît malade, qu’on la réchauffe dans le bain des larmes. Le désespoir ne doit pas ôter à ceux qui veulent guérir l’espérance de sortir de leur maladie et la faculté de revenir à la santé. Le Prophète a dit, en effet : « Celui qui tombe ne cherchera-t-il jamais à se relever, et celui qui s’est éloigné ne se rapprochera-t-il point ?[146] » Sortons donc de l’abîme de fausse honte où nous sommes tombés, relevons-nous pour aller à Dieu, et après notre chute, ne restons pas misérablement couchés par terre. N’allons pas couvrir nos ulcères du voile de la confusion, car la corruption s’étendrait infailliblement plus loin et atteindrait bientôt les parties nobles. Laissons-nous relever par l’espoir de guérir le mal que la honte dérobe aux regards ; ce sentiment de fausse pudeur est ridicule, car rien n’échappe à la vue de celui-là seul dont l’œil est à craindre. À quoi bon des hommes cacheraient-ils ce que Dieu connaît par lui-même ? Si le juge sait les fautes du coupable, de quel avantage sera pour celui-ci que tous les autres les ignorent ? Ce juge est celui dont le Psalmiste a dit : « Dieu scrute les reins et les cœurs ». « Il démêle », ajoute l’Apôtre, « les pensées et les mouvements du cœur [147] ». « Aucune créature n’est invisible pour lui, mais tout est à nu et à découvert devant ses yeux[148] ». Pourquoi donc nous tromper au point de croire que nous pouvons lui dérober la connaissance de nos misères ? De ce que les hommes ignorent nos fautes, s’ensuit-il que le voile épais dont nous les couvrirons suffira à les dérober à la vue de Dieu ? Mes frères, rien de plus dangereux pour une âme pécheresse que de se refuser à avouer ses faiblesses, ou de s’étudier à les cacher. Comment, en effet, guérir celui qui, malgré ses trop réelles blessures, veut paraître bien portant ? C’est impossible, mais il est bien près de revenir à la santé celui qui, repoussant les appréhensions d’une fausse honte, va se montrer au médecin et lui dit : « Prenez pitié de moi, Seigneur, car je suis infirme : « guérissez-moi, parce que je vous ai offensé[149] » ; qui lui révèle la plaie hideuse de ses fautes, et en parle hautement en ces termes : « Je vous ai déclaré mon crime et n’ai point caché mon iniquité. Je confesserai contre moi mes prévarications ; Seigneur, vous m’avez pardonné l’énormité de mon crime[150] ». Voyez, mes bien-aimés frères, quels sont les fruits et les avantages de la confession de nos fautes ! « Seigneur, je confesserai contre moi mes prévarications ». Qu’est-ce que le Psalmiste ajoute immédiatement après ces paroles ? « Et vous m’avez pardonné l’énormité de mon crime ». Quel remède efficace ! Quelle rapide guérison ! Montrer ses plaies au médecin, et en recevoir aussi vite la santé ! Lui faire voir la cause du mal, et se trouver, au même instant, garanti contre la douleur ! À peine as-tu ouvert la bouche pour faire l’aveu de tes faiblesses, que déjà tu as obtenu ton pardon. Est-il à mépriser le médecin qui, sans tarder un moment, « guérit les cœurs brisés et cicatrise leurs blessures[151] », qui ne manifeste à ses malades aucun ennui de les entendre, et n’épouvante aucun de ceux qui ont recours à lui, en leur parlant de la gravité de leurs blessures ; qui les invite, au contraire, à s’approcher de lui, et leur adresse ces pressantes paroles par la bouche du prophète Isaïe : « J’effacerai moi-même tes iniquités ; je veux oublier tes crimes ?[152] » Mais toi, ne les oublie pas : « Confesse d’abord tes iniquités, et tu seras justifié ». Admirable bonté de Dieu ! Que son indulgence est digne de nos louanges ! L’aveu de nos fautes sera suivi, non pas du châtiment, mais du pardon ; il nous le promet, car il dit : « Confesse d’abord tes iniquités, et tu seras justifié[153] ». Ce que les justes obtiennent en travaillant à l’œuvre de leur sanctification, tu l’obtiendras toi-même en faisant pénitence.
3. Profitons avec empressement, mes très chers frères, de la bonté sans égale du médecin qui nous appelle à lui ; ne rougissons pas de lui dévoiler les plaies de nos égarements ; ainsi pourrons-nous revenir à la santé. N’allons pas dissimuler les infirmités de notre âme et traîner longuement dans nos mauvaises habitudes ; car, évidemment, nous tomberions en danger de mort. Daigne nous préserver d’un pareil danger celui qui a dit : « Je ne veux point la mort de l’impie, mais je veux qu’il se convertisse et qu’il vive[154] ». N’est-il pas le maître des destinées de l’homme ? Gloire donc à lui, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTIÈME SERMON. SUR LA CONFESSION. modifier

ANALYSE. —1. Pour accorder aux hommes son pardon, Dieu les invite à se convertir, mais ils ne l’écoutent pas. —2. Exhortation à ne plus vivre de la vie d’un monde qui passe. —3. Excellence de la pénitence et de la conversion démontrée par l’exemple de Jonas et des Ninivites. —4. Il nous faut pratiquer la pénitence pour être dignes de participer aux mérites de la mort que le Christ a soufferte pour nous.
1. Jamais le Dieu tout-puissant ne refusera sa miséricorde aux hommes qui obéiront avec foi à ses commandements, et toutes les fois que notre cœur sera prêt à reconnaître ses fautes, le Seigneur nous en accordera aussitôt le pardon. C’est son désir constant, pourvu que le pécheur ne se complaise pas dans le mal ; car voici ce qu’il dit par l’intermédiaire du Prophète : « Revenez à moi, et je reviendrai à vous[155] ». Il envoie des hérauts, on les méprise ; il appelle à lui les pécheurs, et les pécheurs ne se convertissent pas. Viendra le jour du jugement, où ils demanderont et ne seront pas exaucés. Le Sauveur leur dit : « Revenez de vos voies criminelles[156] » ; ils répondent : Nous resterons dans le mauvais chemin. Ne sont-ce point d’impudents contempteurs du Très-Haut ? aussi une condamnation à mort les attend. Puisse chacun de nous dire à Dieu : « J’ai péché[157] », car aussitôt il répondra : J’ai pardonné. Par l’effet ordinaire de sa bonté, Dieu veut accorder aux pécheurs le pardon de leurs fautes, mais, par l’effet habituel de leur malice, les coupables sont tout prêts à refuser leur grâce.
2. La source du pardon est ouverte à quiconque veut vivre. Mes frères, vivons, et vivons bien ; car la vie présente passera avec le temps, mais la vie future ne finira jamais. Mais on vous voit aimer cette vie terrestre de manière à réaliser en vous ce que dit Salomon : « Je me suis créé des musiciens et des musiciennes, des échansons et des femmes chargées de me verser à boire »[158], et le reste « et je n’ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger[159] ». Tu choisis volontiers un pareil genre de vie ; pourquoi donc ne pas faire encore ce qu’il ajoute : « Je n’ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger, et cela est vanité des vanités ?[160] » C’était justice, car il n’y a vraiment en cela que vanité. Vivre et bien faire, voilà ce qui s’appelle vivre ; mais vivre et mal agir, ce n’est pas réellement vivre. Vivons donc ce petit espace de temps, de manière à mériter de vivre beaucoup dans le séjour éternel qui nous attend. Ici-bas, en effet, ne sommes-nous pas comme en un lieu de passage ? un jour viendra où nous devrons en sortir, et tu nourris des désirs pareils à ceux que tu nourrirais, si tu ne savais pas d’où tu viens. Le monde est devenu la demeure de ton corps, et celui-ci le domicile de ton âme. Ton corps est comme un prolongement du monde, et ton âme lui est étrangère. Le séjour de ton corps est ici-bas ; celui de ton âme, c’est le ciel ; car « ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit[161] ». La chair est venue de la terre et y retournera ; l’esprit est venu du ciel, et quand se briseront les liens qui l’unissent au corps, il y rentrera. Mais quelle dure nécessité, sortir de ce monde ! Où iras-tu donc à ce moment-là ? tu sortiras du monde pour aller au ciel. On redoute de pénétrer dans la maison d’un grand personnage inconnu : par quel moyen gravir les degrés de l’échelle qui aboutit au ciel ? Malgré une conscience pure, on tremble en face d’un tribunal de la terre ; la voix et l’aspect d’un juge remplissent l’âme d’épouvante quelles seront donc les émotions des pécheurs, quand il leur faudra paraître devant Dieu, eux que la seule vue des Anges suffit à jeter dans le trouble ?
3. Si je ne me trompe, mes frères, la comparaison que je viens d’employer ne manque pas de justesse ; mais si la crainte a glacé nos cœurs, que la prière s’échappe vite de nos lèvres ; que notre pénitence efface, en un clin d’œil, les fautes que notre ignorance a été si longtemps à commettre. Croyez-moi, mes frères, puisqu’en agissant ainsi vous ajoutez foi, non pas à mes propres paroles, mais au commandement du Seigneur, que vous venez d’entendre. La population de Ninive vivait, mais elle ne vivait pas bien ; c’est pourquoi le Seigneur dit au prophète Jonas : « Va dans la grande ville ; là, prêche avec force contre elle, parce que le bruit de sa malice est monté jusqu’à moi[162] ». Sa mission avait été d’être un humble prédicateur, et, de fait, il se montra un grand contempteur. On l’avait envoyé à Ninive, et ce fut à Tarse qu’il se rendit. Il méprisa Dieu et s’enfuit dans un vaisseau, comme si la puissance de Dieu ne s’étendait pas jusque sur mer ! Alors il se mit à dormir ; sa sécurité était telle que, durant son sommeil, il ronflait. Pendant ce temps-là, les nautonniers jetaient à l’eau tous les vases qui se trouvaient sur le navire, ils pleuraient, car ils se croyaient condamnés à périr misérablement. Lève-toi ! s’écrièrent-ils enfin ; il faut que nous sachions par le fait de qui nous vient notre malheur. Désigné publiquement par les sorts, il ne chercha point à nier sa faute ; au contraire, il se condamna lui-même. « Prenez-moi », dit-il, « jetez-moi dans la mer, et la tempête s’apaisera[163] ». Les matelots le précipitèrent du haut du vaisseau et, en dessous des flots, se trouva une baleine qui l’engloutit. Au sein des abîmes son tombeau fut le ventre d’un poisson, et celui-ci le garda intact, dans ses entrailles, l’espace de trois jours. Jonas en sortit aussi sain qu’il y était entré ; alors il se montra docile et accomplit les ordres divins qu’il avait d’abord méprisés et éludés ; aussi le peuple et la ville tout entière firent-ils pénitence en versant des larmes, tandis que Jonas attendait au loin que Dieu fît périr Ninive ; mais le feu, envoyé, pour la réduire en cendres, s’éteignit sous le torrent des larmes de ses habitants. Dieu leur pardonna donc leurs égarements, et, au même instant, le Prophète fut saisi de douleur. Seigneur, dit-il, je savais que vous êtes prompt à pardonner, voilà pourquoi je m’étais enfui à Tarse, au lieu d’exécuter vos ordres. Un peu de fatigue avait rempli son âme de tristesse, et nul sentiment de joie ne s’empara de son cœur, lorsque, à l’égard de Ninive, l’indulgence succéda aux menaces de la justice divine. Il en sortit donc et s’endormit bientôt ; car il avait vu un grand concombre élever au-dessus de sa tête son épais feuillage, pour le défendre contre les ardeurs brûlantes du soleil : cet arbrisseau, sorti de terre par l’ordre du Seigneur, sécha bientôt après sous l’influence de la même volonté divine subitement élevé, il disparut tout aussi vite. Il n’y avait pas d’autre nécessité à ce qu’il sortît de terre que celle-ci : Dieu avait promis, son pardon aux pécheurs, afin de les exciter à se convertir. – Mais, me diras-tu, qui est-ce qui t’autorise à parler ainsi ? – Lis le livre de Jonas, et tu verras que le Prophète pleure sur le sort du concombre ; puis, si tu pousses plus loin la lecture, le Seigneur t’apparaîtra, comme épargnant la ville. « Jonas », dit-il, « tu gémis sur le sort d’une plante qui est venue sans toi, qui s’est accrue en une nuit et qui a péri le lendemain ; et moi, je n’épargnerais pas la grande ville de Ninive, où il y a plus de cent vingt mille hommes[164] ? »
4. Mes frères, un seul : Pardonne, suffit à délivrer de la mort un grand nombre. Il y en a beaucoup (je dirais même qu’ils sont en énorme quantité) pour dire : « Mangeons et buvons[165] », car c’est notre nature : une fois enfermés dans le tombeau, nous n’avons plus de vie, nous n’avons plus, de châtiment à redouter. Non, sans doute, tu n’éprouveras pas de châtiment, si tu te convertis et obtiens ton pardon. Avant la passion de ton Sauveur, ton premier père ne pleurait-il pas ? Ignores-tu donc que si Jésus-Christ n’était pas venu, Adam aurait pour toujours été enseveli dans l’enfer ? Jésus-Christ homme est venu pour ce motif : il s’est anéanti à cause de toi, et afin de te trouver. D’abord, tu avais péché par ignorance, et il t’a purifié par l’effusion de son sang ; mais si, après avoir été instruit, tu recommences à pécher, il est sûr que tu éprouveras toute la sévérité de sa justice. Donc, en tout ceci, mes frères, obéissons à ses commandements, et nous deviendrons participants de la récompense qu’il nous a promise. Ainsi soit-il.

TRENTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. 1 modifier

ANALYSE. —1. Pouvoir de la pénitence. —2. Prière à l’évêque pour l’engager à recevoir les pécheurs. —3. Continuation de cette prière. —4. Conclusion.
1. La fragilité humaine, empoisonnée par le venin du péché comme par la morsure d’un serpent, n’offrirait plus de ressource, si la pénitence ne venait y appliquer le remède, et si une humble confession ne lui obtenait la grâce de l’indulgence divine. Comme, dans le corps humain, les parties corrompues d’une plaie s’enlèvent au moyen de l’instrument du chirurgien, ainsi l’âme, blessée par le péché, se refait sous l’influence douloureuse de la pénitence : une douleur qui enlève les grandes douleurs, une peine salutaire,
1. Ce sermon appartient sans doute à l’époque où saint Augustin, encore prêtre, prêchait devant son évêque. un chagrin de courte durée, préparent des joies éternelles ; une tribulation nous garantit des autres tribulations, et l’inquiétude enfante pour nous la sécurité. En effet, le Dieu de miséricorde n’a jamais voulu la mort du pécheur, autant qu’il a voulu le voir se convertir et vivre : par une raison tout opposée, et parce qu’il est un juste juge, il ne veut point que le péché demeure impuni. Le pénitent s’inflige donc lui-même le châtiment qu’il mérite, et ainsi va-t-il au-devant de la main de Dieu, qui venait le frapper et ne viendra plus que pour le secourir. Il humilie donc son esprit dans la tristesse et les gémissements, dans la douleur et les larmes, il tire lui-même vengeance de ses iniquités, et, par là, il ne laisse rien à la justice divine qu’elle puisse exiger de lui, il offre à la bonté paternelle du Très-Haut une belle occasion de pardonner. Dès lors donc, il exerce contre sa propre personne tous les droits de la justice, puisqu’il se déteste le premier comme pécheur. L’accord s’établit entre lui et Dieu, ne hait-il pas, en effet, ce que hait en lui le Seigneur ? Il se punit, mais que cette punition est, peu de chose ! Il s’irrite contre sa faiblesse, il se soumet aux rigueurs de la pénitence ; mais qu’est-ce que cela ? Que c’est peu de chose en comparaison des flammes éternelles ! Mais quand il en est encore temps, avant que luise le jour de la colère divine et de la manifestation des cœurs, qui doit se faire au jugement de la justice éternelle, si le pécheur, attaché en quelque sorte au pilori de sa conscience, s’irrite contre lui-même et se condamne aux déchirements de la pénitence, la colère de Dieu n’est plus allumée contre lui ; bien au contraire, il se réjouit plus de la conversion de ce seul pécheur, que de la persévérance dans le bien de quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne sont point égarés[166]. Il met d’autant plus d’empressement à pardonner les crimes des pécheurs repentants, qu’il a montré plus de patience à différer l’heure de les punir. Car « s’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs[167] », c’est afin que, tout en continuant à manifester sa miséricorde aux bons, il force les méchants à rougir de leur persistance dans le mal.
2. Aussi, vénérable pape, vois agenouillés, non-seulement en présence du Seigneur, mais encore à tes pieds, ceux que, dans sa patience, Dieu invitait à se repentir. Aujourd’hui, ils ne se détournent plus de lui et ne s’amassent plus des trésors de colère ; car ils sont convertis et crient miséricorde. Ils demandent leur pardon, ils le cherchent, ils frappent à la porte. Tu es rempli des dons de la grâce, accorde-les donc à leur repentante ; tu es éclatant de lumière, guide donc leurs pas vers le but où ils veulent parvenir ; tu as les clefs en tes mains, ouvre-leur donc la porte puisqu’ils y frappent. Puissent tes entrailles de pasteur se sentir émues à la vue de ces brebis que l’Agneau a rachetées de sols sang, et qu’il a, par le secours mystérieux de sa grâce, arrachées à la dent des loups. Elles te montrent leurs blessures, elles mettent à nu devant toi leurs consciences déchirées par des bêtes féroces : jette sur elles tes regards, reçois-les dans tes bras. Elles ne diffèrent nullement de te manifester leurs plaies, ne diffère pas non plus d’y appliquer un prompt remède. Ces pécheurs se tenaient dans l’Église, comme s’ils eussent été au paradis l’antique ennemi en est devenu jaloux :. ils ont manqué une seconde fois de vigilance, et le serpent, se traînant sur sa poitrine et son ventre, est tombé sur eux, il les a de nouveau trompés, il en a fait de nouveau ses esclaves. Au souvenir de la condamnation de notre premier père, ils ont été saisis de crainte ; mais au lieu de fuir la présence du Très-Haut, au lieu de se cacher à l’ombre d’une excuse, loin de déguiser la honte de leurs désordres sous le voile inutile de paroles de justification, et de les envelopper comme d’un vêtement de feuilles[168], ils ouvrent devant toi leurs cœurs et répandent leurs âmes en ta présence. La crainte ne les éloigne pas ; au contraire, ils se rapprochent, et, par ton intermédiaire, ils veulent revenir à Dieu. Essuie donc leurs larmes, guéris leurs pieds de leurs faux pas. Ils arrivent d’un pays lointain ; va au-devant d’eux. En toi se trouve celui qui a ainsi agi à l’égard de son plus jeune fils, de ce fils pour qui ses désordres furent la source des souffrances de l’exil et des privations de la misère[169]. Que ceux-ci se nourrissent, comme lui, du veau gras. Que d’eux on dise aussi : Ils étaient morts, et ils sont ressuscités ; ils étaient perdus, et ils sont retrouvés[170]. Laisse-toi attendrir par les larmes de leurs frères, par les sanglots de tous ces assistants qui prient, non pour leurs propres fautes, mais pour celles des pécheurs ; néanmoins, ces fautes ne nous sont point complètement étrangères, car nous ne formons qu’un seul et même corps avec ces membres souffrants : nous avons le même chef, et nous compatissons à leurs maux. Nous sommes animés, à leur égard, de l’esprit de douceur, car nous craignons d’être nous-mêmes soumis à l’épreuve. Pourrions-nous nous croire dispensés de pleurer pour des frères tombés et repentants, quand le Christ nous a commandé de prier même pour nos ennemis ?
3. Pour donner aux gémissements de tous une nouvelle force, joins-y les tiens ; unis à leurs faibles mérites tes mérites bien plus grands, car ils sont comme les cheveux blancs de ton âme : prosterne-toi, en faveur de tes enfants, aux pieds de ton Dieu. Cette humiliation t’élèvera davantage ; ta douleur sera pour toi une source de joie ; en te faisant esclave, tu régneras. Tu es la bonne odeur du Christ, joins-y le feu de la commisération, et brûle pour apaiser le Seigneur. Ils méritent pitié, ton cœur est rempli de miséricorde, mets-le donc sur l’autel de la charité. Tu es assis sur le trône élevé des Apôtres, que ton affection pour ces malheureux t’en fasse descendre jusque dans l’abîme où ils sont tombés. Imite le Père, dont la volonté est que pas un de ces petits ne périsse[171]. Imite le Fils bien qu’il eût la forme de Dieu, il a pris la forme d’esclave[172], il est venu pour servir et non pour être servi[173]. Imite le Saint-Esprit, qui, selon Dieu, intercède pour les saints[174]. Il t’engage, lui aussi, à prier pour eux ; car c’est par lui que la charité a été répandue dans ton cœur. Jadis, quand ils marchaient dans les voies de l’erreur, tu les rappelais au bon chemin ; maintenant qu’ils y reviennent, offre-les à Dieu et les lui réconcilie. Tu courais à leur recherche quand ils étaient perdus ; aujourd’hui qu’ils sont retrouvés, prie pour eux. Constitués dans l’état du péché, ils se sont éloignés de la vraie vie et approchés des portes de l’enfer, qui ne prévaudront jamais contre celui dont tu tiens la place. Depuis quatre jours Lazare se trouvait enfermé dans le tombeau par une lourde pierre
aussi son cadavre exhalait-il déjà une odeur insupportable ; le Sauveur l’a rappelé du séjour de la mort et lui a commandé, d’une voix forte, de sortir de son sépulcre[175] : mais, bien que déjà rendu à la vie, il se trouvait encore paralysé dans ses mouvements par ses funèbres liens ; il n’appartenait donc pas encore à la société des vivants. « Déliez-le », dit Jésus, « et laissez-le aller[176] ». Ainsi l’intervention de l’homme devait achever l’œuvre bienfaisante de Dieu. Je comparerais ces pécheurs à Lazare. Leurs iniquités les avaient fait mourir ; ils gisaient sans vie, écrasés par le désespoir, et répandaient autour d’eux l’odeur fétide de la corruption de leurs mœurs. Ramenés à la vie par la puissance divine, ils confessent leurs égarements et sortent déjà des profondeurs de leurs ténèbres ; mais comme ils sont encore enveloppés dans l’étroit linceul de leur culpabilité, ils se trouvent toujours séparés de la communion des saints. Dieu les a ressuscités, mais nous te les présentons pour que tu les délies, surtout parce que tu occupes le siège de l’Apôtre à qui il a été dit : « Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel[177] ». Sans doute, tes entrailles, qui sont celles de la sainteté et de la miséricorde, n’ont pas besoin de nos exhortations pour s’émouvoir ; ce que je demande en leur faveur sera moins le fruit de mes prières que celui de ta paternelle affection. Néanmoins, les bons offices que nous leur rendons aujourd’hui ne leur paraîtront pas hors de propos, puisque nos paroles leur feront estimer davantage les dons de Dieu, et mieux comprendre ce qu’ils devront à tes mérites. Notre Père, qui est au ciel, sait, en effet, ce qui nous est indispensable, avant même que nous le lui demandions[178] ; et, pourtant, il nous engage à le lui demander, et, quand nous le lui demandons, il nous l’accorde. À voir sa générosité répondre à nos demandes, nous l’aimons plus vivement, et nous reconnaissons mieux en lui notre Père ; si, au contraire, il nous accordait ses bienfaits, avant que nous lui en ayons manifesté le désir, nous les regarderions, non comme des dons gratuits, mais comme des redevances obligées.
4. Voilà mon devoir accompli ; j’ai parlé de mon mieux, et, toutefois, mes paroles ont à peine été dignes que tu y prêtes une oreille favorable, bien que j’aie voulu aider à guérir les plaies de mes frères. À toi maintenant d’accomplir la tâche dont tu es redevable, comme pasteur, à l’égard de toutes tes brebis sans exception : à toi de céder aux aveux des coupables, aux gémissements des justes, aux supplications de tous. Daigne le Seigneur notre Dieu faire ce qu’il a promis, recevoir, comme un sacrifice agréable, le repentir de ces malheureux, ne point mépriser leur cœur contrit et humilié, écouter miséricordieusement leurs gémissements et leurs supplications, les épargner dans l’avenir, puisque, dans le présent, ils reviennent au bien, et les délier dans le ciel, puisque tu les auras déliés sur la terre.

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. modifier

ANALYSE. —1. Motifs pour lesquels l’évêque doit donner l’absolution aux pécheurs. —2. Trompés d’abord par le diable, ils confessent maintenant leurs fautes et demandent leur pardon. —3. Prières et gémissements des justes en leur faveur.
1. « Voici le temps favorable, voici les jours de salut[179] ». Puissent t’émouvoir, vénérable pape, les larmes des pénitents qui désirent obtenir, par ton intermédiaire, le pardon de celui qui habite en toi ! Ils viennent, ils se prosternent et ils pleurent devant le Dieu qui les a créés, afin qu’il anéantisse leurs œuvres et répare en eux la sienne. Puisse-t-il détourner ses regards, non pas de leurs personnes, mais de leurs iniquités ! Qu’il ne jette plus ses yeux sur eux, comme sur des pécheurs, pour effacer de la terre jusqu’à leur souvenir[180], mais comme sur des pénitents qui ont soif de la justice, pour prêter l’oreille à leurs supplications[181]. C’est leur corps qui a été, pour eux, l’instrument du péché ; aussi le châtient-ils sévèrement. Après avoir tiré vengeance de leur méchanceté, ils demandent au Dieu clément leur pardon. Pour l’apaiser, ils s’irritent contre eux-mêmes ; ils se punissent, afin qu’il ne les punisse pas. Ils lui offrent en sacrifice un esprit repentant : ainsi lui font-ils agréer leur cœur humilié et contrit[182] ; car il résiste aux superbes, et aux humbles il accorde sa grâce[183]. Le baptême avait fait d’eux des hommes nouveaux ; mais, puisqu’ils se sont blessés, poissent-ils trouver leur guérison dans la pénitence. Devenus infidèles à leurs promesses, puissent-ils ne point éprouver plus fard les supplices qu’ils ont fait profession de croire. Ils n’ont étendu sur personne leur bras vengeur : Dieu doit-il se venger d’eux ? Puisqu’ils se sont montrés miséricordieux, ne méritent-ils pas d’obtenir miséricorde ? Ils ont pardonné, qu’on leur pardonne donc ; ils ont été généreux, qu’on se montre tel à leur égard. À la voix du Christ s’est fendu le rocher de leurs instincts pervers, qui écrasait de son poids leurs ténébreuses consciences ; et, par la vertu de leur confession, ils semblent sortir d’un tombeau et paraître au grand jour. Délie-les donc et laisse-les aller, car tu as les clefs, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel[184]. Autrefois le péché régnait en maître sur leurs membres ; aujourd’hui que la justice a triomphé d’eux, ils reviennent à elle. Ne vois-tu pas un torrent de larmes s’échapper de ces yeux qu’avaient fascinés les illusions du mal ? Les gémissements et les sanglots qu’ils poussent en leur propre faveur ne retentissent-ils pas à leurs oreilles, jadis si facilement ouvertes à tous les propos condamnables ? Les mains dont ils se sont servis pour faire le mal, ils les tendent maintenant suppliantes, pour obtenir le remède à leurs maux. Leurs pieds couraient dans le mauvais chemin ; ils ont changé de voie, et où sont-ils venus ? Nous le voyons présentement ; et, nous en sommes également témoins, leur corps, tout à l’heure vil instrument des plus sales jouissances, se roule maintenant dans la poussière et les larmes. Ces mouvements extérieurs ne sont-ils pas l’indice évident de la victoire que le Christ a intérieurement remportée sur eux ? L’ennemi a été chassé de leur âme ; qu’il soit torturé. Le fort a vu sa maison pillée parle plus fort[185] ; il a été enchaîné et forcé de rendre ceux qu’il avait fait esclaves. À entendre ces pécheurs confesser leurs égarements, on ne saurait, un instant, douter de leur repentir ; mais Dieu est tout près de ceux qui ont le cœur brisé par la douleur. Cette douleur est un remède, et non un châtiment. Ah ! il désirait les soins du médecin, celui qui s’écriait : « Brûlez mes reins et mon cœur[186] ». Cette douleur fait disparaître la corruption et ne tue : pas, car « Dieu ne veut pas tant la mort du pécheur que sa conversion et sa vie[187] ». « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades[188] ». Le Christ n’est pas venu appeler les justes à la pénitente, mais les pécheurs[189]. Or, s’il les appelle, ce n’est point afin qu’ils se réjouissent d’être des pécheurs, mais c’est pour qu’ils gémissent de leurs prévarications et en fassent l’aveu. Qu’ils détestent donc en leur propre personne ce qu’y déteste Dieu lui-même ; par là ils se sauveront et mériteront d’être agréables à ses yeux. De même que, loin de se complaire dans la pensée que ses clients sont malades, le médecin cherche, au contraire, à les guérir de leurs infirmités ; ainsi le Christ sanctifie les pécheurs au lieu d’aimer leur état de péché. Qu’est-ce donc que faire pénitence ? C’est tirer vengeance de ses iniquités, afin d’éviter la vengeance divine : la pénitence est une peine qui préserve d’autres peines, un jugement qui va au-devant du jugement de Dieu, un châtiment qui adoucit la sévérité de celui qui sait tout, une sentence portée contre l’homme pour son bien, une accusation faite par le coupable pour empêcher sa condamnation.
2. L’antique ennemi a porté plus d’envie à ces pécheurs déjà rachetés par le Christ, qu’il n’en a porté au premier homme avant sa chute : il a déployé plus de malice et de ruse dans l’Église qu’au paradis. Dans ce lieu de délices, il était facile à Adam de se laisser tromper ; car, n’ayant point encore perdu son innocence, il n’avait devant les yeux aucun exemple qui pût le détourner du mal ; comme il n’avait pas encore fait l’expérience de la mort, il ne pouvait se figurer qu’il fût exposé à ses coups. Aujourd’hui, il est tombé : parce que nous sommes ses descendants, nous avons été condamnés, par le fait même de notre naissance, à mourir corporellement ; quant à la mort de notre âme, le dangereux serpent, voulant nous séduire, nous a fait croire aussi qu’elle ne nous atteindrait pas, et il a osé nous dire encore. Si tu désobéis à Dieu, tu ne mourras pas de mort[190]. Ce tentateur, homicide dès le commencement[191], a renouvelé son mensonge ; on l’a cru encore une fois ; il a frappé l’homme à nouveau et précipité dans la mort les pécheurs en faveur desquels le Christ avait triomphé de la mort même. Ceux-ci se montrent plus prudents ; au lieu d’excuser leurs égarements, ils s’en accusent ; aussi reviennent-ils à la vie. Loin de se dérober aux regards de l’Eternel, loin de se mettre à l’abri derrière des paroles inutiles comme derrière un rideau de feuilles, ils versent des larmes salutaires, ils montrent au grand jour ce qu’ils ont fait, ils offrent à leurs propres regards le spectacle de leurs crimes. Par leur aveu, ils préviennent les accusations que leur ennemi dirigerait plus tard contre eux, et ainsi triomphent-ils de lui ; car, dans sa miséricorde, le Seigneur aime mieux céder à la prière du Christ et les délivrer, puisqu’ils confessent leurs iniquités, que de les punir quand le démon viendrait les attaquer et de les convaincre à son tribunal. Ils s’entendent et accomplissent cette parole du Prophète : « Confessez-vous à Dieu, parce qu’il est bon[192] ». Pourquoi a-t-on peur d’avouer ses crimes à un juge de ce monde ? C’est qu’un pareil aveu serait immédiatement suivi d’une condamnation ; – tandis que, auprès du Dieu bon, à qui l’on ne peut rien cacher, il suffit de confesser ses égarements pour en être purifié. Insiste donc, en leur faveur, auprès de celui dont tu es le représentant, afin qu’il se montre indulgent pour toutes leurs faiblesses. Qu’il guérisse leurs langueurs, qu’il délivre leur vie de la corruption, qu’il redresse ceux qui sont courbés, qu’il brise les chaînes des captifs, qu’il justifie les pécheurs[193] et chérisse les justes, qu’il daigne intercéder auprès du père de famille, qui menaçait d’arracher l’arbre stérile. Tu les as excommuniés, et, par là, tu n’as pas inutilement creusé autour d’eux un fossé profond, pour le remplir de sales mais fertiles ordures, comme tu aurais fait d’une corbeille de fumier ; ils te donneront lieu de te réjouir des résultats heureux de ton travail ; tu seras heureux d’avoir demandé leur pardon.
8. Beaucoup de sacrifices s’offrent pour eux ; une foule immense d’assistants présentent à Dieu l’offrande d’un esprit tourmenté par le chagrin : ils ne sont pas restés fidèles aux promesses de leur baptême, mais de nouvelles eaux baptismales coulent sur leurs têtes ; ce sont les larmes abondantes de leurs proches : en effet, « que ceux qui se croient fermes prennent garde de tomber[194] ». Les uns associent leur douleur aux souffrances des autres, afin de se réjouir avec ceux-ci de leur guérison. Les uns s’abaissent pour relever les autres, car ceux-ci ne se prosternent que pour se relever. Et parce que Dieu est charité, il opère en eux tous. Puisses-tu donc te sentir ému à l’égard de tous par les sentiments de la charité qui habite en toi d’une manière si admirable ; que, par ton intercession, le Seigneur prête une oreille favorable aux prières et aux gémissements de ceux qui pleurent leurs propres péchés et de ceux qui pleurent les péchés de leurs frères. Qu’il daigne accorder à tous le salut, puisque tous pleurent également les mêmes fautes. Puisse la société des membres du Christ goûter la joie après avoir ressenti la douleur ! Tous, sans doute, n’ont pas péché ; mais parce que tous sont unis dans les liens d’une mutuelle charité, ils éprouvent un chagrin égal. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’honneur pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. 3 modifier

ANALYSE. —1. Les pécheurs sont là qui gémissent. —2. Appel à la pitié de l’évêque, dont le cœur doit se laisser émouvoir par les larmes de tous les assistants. —3. Efficacité de la pénitence et de la confession. —4. Allocution aux pénitents —5. et à l’évêque.
1. La foule des malheureux pécheurs se tient prosternée à terre. Son grand désir est qu’on prie pour elle ; aussi s’adresse-t-elle au cœur apostolique du vénérable Pontife, qui est une autre demeure habitée par la miséricorde. Cette foule, bienheureux pape, tu l’as reçue toute belle, rachetée sur le démon, digne de fixer tes espérances de pasteur ; elle t’est venue du Saint des saints, du Pasteur des pasteurs, du Rédempteur des captifs, de Celui qui retrouve les égarés et guérit les malades ; du haut de son trône céleste, il te l’a donnée, car au lieu de t’élever à de hautes considérations, tu t’abaisses au niveau des humbles[195] ; loin de prendre en dégoût les infirmités de tous, ta paternelle bonté se met au service de quiconque se trouve atteint d’une mauvaise maladie, non pour lui adresser des reproches, mais pour lui procurer la guérison. Ton désir n’est pas d’être servi par les pécheurs, mais de les servir ; tu ne cherches nullement ton plaisir à les voir prosternés à tes genoux ; ce que tu souhaites, c’est de prier pour eux et de voir tes prières exaucées. Je viens solennellement intercéder pour eux auprès de toi ; si je t’adresse la parole, c’est que je connais ta bonne volonté ; c’est qu’en cela je ne te ferai point violence pour t’extorquer leur pardon. Ceux que je recommande à ton indulgence par mes paroles, tu cours au-devant d’eux par charité. De ma bouche sort maintenant en leur faveur un ardent appel à ta pitié, et de ton cœur s’élèvent aussi pour eux vers Dieu des supplications non moins pressantes. Voilà ces pécheurs ; leur âme est souillée de crimes, mais ils en gémissent ; ils ont, en quelque sorte, écarté la pierre de leur endurcissement, et sortent des ténèbres de leurs péchés, comme du séjour de la mort, pour se montrer à la lumière de la pénitence ; à eux s’appliquent ces paroles prononcées par le Sauveur au sujet de Lazare : « Délie-le, et laisse-le aller[196] ». Le grand cri poussé par le Christ les a ébranlés ; loin de vouloir périr en excusant leurs fautes, ils prétendent revenir à la vie en les accusant, et, après avoir aperçu la lueur de l’espérance, sortir des ombres profondes d’une conscience plongée dans l’état de mort. Brise donc les chaînes qui paralysent leurs mouvements, car tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel[197] ; dans ce ciel, vers lequel n’osait lever les yeux ce pécheur qui frappait sa poitrine en disant : « Seigneur, ayez pitié de moi, car j’ai péché[198] ». Comment, en effet, aurait-il pu lever les yeux au ciel, dès lors qu’il y apercevait la chaîne de ses iniquités ? Pourtant, il descendit justifié du temple du Seigneur[199], et non pas le Pharisien ; et le principe de sa justification fut, non pas l’innocence de sa vie, mais uniquement son humilité. Ainsi arriva-t-il que Dieu s’approcha de préférence de celui qui se tenait le plus éloigné de l’autel. « Pour nous », dit l’Apôtre, « nous sommes les temples du Dieu vivant[200] ». Si cela est vrai de tous les bons fidèles, ainsi, et à bien plus forte raison, en est-il de toi, qui présides au gouvernement des fidèles, en cet endroit surtout où préside celui à qui le Christ a dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux[201] ».
2. Ces pécheurs se trouvent donc dans le temple de Dieu, c’est-à-dire dans son Église ; nous les y voyons prosternés loin de l’autel ; ils voudraient demander à être réconciliés avec Dieu par la réception du corps et du sang de Jésus-Christ. Puissent leurs désirs, passant par ton cœur et venant de son saint temple, être accueillis de lui[202]. Ils veulent lui offrir un sacrifice expiatoire pour leurs péchés ; mais, pour cela, ils ne lui apportent, ni la graisse des boucs, ni la chair des taureaux, ni de nombreux chevreaux gras, ni les fruits premiers-nés de leurs entrailles ; leurs dons consistent en des âmes brisées de douleur, en des cœurs contrits et humiliés[203] ; jamais le Seigneur n’a dédaigné de pareils dons. Place-les donc, ô bon prêtre, place-les en leur faveur sur l’autel de ton âme, où brille la flamme du saint amour : que des entrailles de ta charité s’élève pour eux vers le trône de l’Éternel la fumée d’un encens d’agréable odeur. Ils se sont fatigués dans les gémissements ; toutes les nuits, leur couche a été baignée de leurs pleurs et leurs lits humectés de leurs larmes[204]. Maintenant encore, ils en arrosent le pavé de cette basilique, et ils ne sont pas seuls à le faire ; car ceux qui n’ont point partagé leur culpabilité, partagent leur douleur. Tous sont rangés autour de toi, pleins de sollicitude, les uns pour eux-mêmes, les autres pour le salut de leurs frères ; tous n’ont pas de prévarications à confesser, mais tous gémissent et pleurent. Y a-t-il dans un même corps un seul membre qui ne compatisse pas aux souffrances d’un autre membre, qui n’en partage pas les douleurs, qui ne pourvoie pas à sa sûreté à l’heure du péril, qui ne travaille pas à le soulager au moment de l’épreuve ? « Car, que « celui qui croit être ferme, prenne garde de tomber[205] ». Que chacun, réfléchissant sur soi-même, craigne d’être tenté comme lui[206]. Portez les fardeaux les uns des autres[207], et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ, qui n’a commis aucun péché[208], qui a appelé les pécheurs, a prié pour eux, et leur a pardonné leurs fautes. De tous ses membres, les uns appartiennent à son corps, les autres sont tombés à terre ; les premiers sont attachés aux seconds, et ceux-ci se prosternent pour se relever. Un homme sage qui n’oublie point sa condition humaine peut-il voir tomber un de ses semblables et s’enorgueillir de ce que lui-même reste debout ? Ici, tous ne sont point dans l’état de péché, mais, pour tous, la faiblesse est la môme ; ils sont unanimes à demander afin que les pécheurs reçoivent, et à frapper pour qu’on leur ouvre ; ceux-ci se trouvent dans l’affliction, et tous éprouvent de la douleur, et, quand ils seront revenus à la santé, tous se réjouiront.
3. Puisse l’ennemi caché du genre humain éprouver avec ses anges, en voyant ces pécheurs se relever, un tourment pareil à la joie qu’il a ressentie en les voyant tomber ! Pour commettre l’iniquité, ils se sont mis d’accord avec lui ; mais ils ne l’ont pas fait en ce sens qu’ils veuillent encore tirer leur gloire de leur chute ; ils ont été blessés, mais ils ne refusent pas le remède ; ils se sont éloignés de leur Maître, mais ils n’ont pas la volonté de ne point revenir à lui. Par conséquent, celui qu’ils n’ont point su vaincre par la mortification, la pénitence les en a rendus victorieux ; elle seule triomphe de l’ennemi, même quand il triomphe, et, par elle seule, l’accusateur est réduit à l’impuissance, non pas quand on nie ses propres fautes, mais quand on les avoue. La pénitence enlève la douleur à la douleur, et préserve de la vengeance en affligeant. Pour ne point rencontrer dans notre juge un vengeur de nos fautes, mais pour trouver un Dieu Père qui nous reçoive dans ses bras, nous nous punissons par les œuvres de la pénitence, et, par là, nous tirons vengeance de nous-mêmes. Ainsi a-t-il, en quelque sorte, puni sa prévarication, ainsi a-t-il porté contre lui-même un jugement sévère celui qui, revenant d’un pays lointain, a dit à son père : « Je ne suis pas digne d’être appelé votre fils[209] ». Et son père l’a regardé comme d’autant plus digne de porter ce titre, qu’il s’en était reconnu plus indigne. La pénitence torture le cœur, mais, en un rien de temps, elle écarte toute condamnation aux tourments éternels. Ineffable bonté de Dieu ! En niant nos fautes, nous ne réussirons jamais à lui donner le change ; il nous suffit d’en faire l’aveu pour l’apaiser. Nous aurons beau garder le silence sur nos iniquités, jamais nous ne les déroberons à sa vue ; confessons-les, et il nous les pardonnera. Sans doute, nous n’apprenons rien à Dieu en confessant nos faiblesses, mais par cela que nous nous déplaisons sous le même rapport qu’à lui, nous faisons de grands efforts pour nous en approcher. Ainsi s’exprime le Psalmiste : « J’ai dit : Je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez pardonné l’énormité de mon crime[210] ». Je confesserai, non pas d’une manière quelconque, mais contre moi, mes prévarications au Seigneur. Telle est la vertu de la pénitence, qu’en parlant contre lui-même, le pécheur agit dans son propre intérêt. Dieu déteste, en effet, le pécheur ; aussi aime-t-il l’homme qui se déteste comme pécheur, car celui-ci hait ce que hait Dieu lui-même.
4. Prenez courage, vous tous qui demandez pardon au Seigneur ; que la joie et la consolation rentrent en vos cœurs, que votre foi s’affermisse, que votre espérance se ranime, que votre charité s’enflamme. Celui qui, sans avoir commis de péché, a bien voulu mourir pour vous, vous accordera le pardon de vos fautes ; puisqu’il a consenti à mourir pour vous procurer la vie, il ne permettra point que vous périssiez. « Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous[211]. Résistez au démon, et il fuira loin de vous[212] ». Rappelez-vous qu’on vous retire de la gueule d’un lion rugissant ; souvenez-vous qu’on vous arrache aux griffes de celui qui croyait vous voir éternellement tourmentés avec lui. Le Seigneur entend vos sanglots, car il habite dans le cœur du pontife qui préside cette assemblée : puissent les prières adressées en votre faveur à Dieu, par votre évêque, suppléer à ce qui pourrait manquer aux vôtres !
5. O le meilleur des prélats, réjouis-toi donc ; car les enfants que tu avais engendrés par l’Évangile[213] « étaient morts, et ils sont ressuscités ; ils étaient perdus, et ils sont retrouvés[214] ». Qu’on déchire le cilice dont ils étaient enveloppés, et qu’ils se revêtent d’allégresse[215]. Admets-les de nouveau au festin du veau gras[216] ; arrache leurs âmes à la mort ; essuie leurs larmes, préserve leurs pieds de l’abîme, afin qu’ils marchent en la présence du Seigneur dans la terre des vivants[217].

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. PRIÈRE AU SAINT-ESPRIT. modifier

ANALYSE. —1. Invocation à l’Esprit de miséricorde. —2. Suite. —3.  Saint Augustin continue à prier l’Esprit de toute bonté.
1. Esprit-Saint, mon Dieu, j’éprouve le désir de parler de vous, et, néanmoins, je crains pour moi de le faire, car je ne trouve en moi rien qui me le permette. Pourrais-je, en effet, dire autre chose que ce que vous m’inspirerez ? Pourrai-je prononcer un seul mot, si vous ne venez en moi pour vous substituer à moi et vous parler de vous-même ? Donnez-vous donc à moi pour commencer, ô généreux bienfaiteur, ô don parfait ; car, quant à vous, vous m’appartenez ; rien ne peut m’appartenir, je ne puis m’appartenir moi-même, si je ne vous possède d’abord. Soyez à moi, et ainsi serai-je à moi, et aussi à vous : si je ne vous possède pas, rien ne m’appartiendra. Près de qui aurai-je le droit de vous posséder ? Près de personne, si ce n’est près de vous. Il faut donc que vous vous donniez à moi, afin que je puisse faire auprès de vous votre acquisition. Prévenez-moi donc, préparez mon âme à vous recevoir, et quand vous y serez entré, parlez-vous pour moi et écoutez-vous en moi. Écoutez-vous en mon lieu et place, ô vous qui êtes si bienveillant ! Écoutez une bonne fois, et ne vous irritez pas. Voyez de quel esprit s’inspirent mes paroles pour moi, je l’ignore, mais je sais pertinemment que, dépourvu de votre assistance, je ne puis rien dire. Je m’en souviens : il vous a suffi jadis de toucher un homme adultère et assassin pour en faire le psalmiste ; vous avez délivré l’innocente Suzanne ; vos regards se sont abaissés sur une femme possédée par sept démons, sur Madeleine, et la charité surabondante dont vous l’avez remplie en a fait l’apôtre des Apôtres : le larron a été visité par vous, pendant qu’il était en croix, et, le même jour, vous l’avez placé dans le ciel pour l’y faire jouir de la gloire du Christ. Sous votre influence, l’apostat a versé des larmes de repentir, et vous l’avez préparé à recevoir le souverain pontificat. N’est-ce point à votre appel que le publicain est devenu un évangéliste ? N’avez-vous point terrassé le persécuteur, et, quand il s’est relevé, n’était-il point devenu un docteur hors ligne ? N’êtes-vous pas venu du ciel pour visiter les Juifs orgueilleux, et en les voyant consumés par les ardeurs de la plus audacieuse doctrine, ne les avez-vous pas délaissés ? Dieu de sainteté, quand je réfléchis à ce que vous avez inspiré à tous ces personnages, je me sens encouragé, par leur exemple, à vous parler ainsi, et je sais, à n’en pas douter un instant, que vous m’avez appris à vous répondre de la sorte : voilà aussi pourquoi je soupire vers vous et me jette dans vos bras. Écoutez-moi, bonté sans limites, et que votre misérable créature n’encoure point votre indignation. Si mes crimes surpassent, par leur nombre, les crimes de tous ces personnages qui me rappellent vos miséricordes, votre indulgence dépasse de beaucoup en étendue ma culpabilité ; car n’est-elle pas infinie ? Il lui est facile de pardonner un péché ! Ne lui est-il pas aussi aisé d’en pardonner des centaines de mille ? A l’un il a suffi d’un seul péché mortel pour se voir réservé à la damnation, quand il est sorti de ce monde : avec des milliers de fautes, un autre a été réservé par Dieu, comme étant prédestiné à la vie. Qu’y a-t-il en cela, ô très-doux Esprit ? C’est que, d’un côté, se manifeste votre miséricorde, et, de l’autre, votre justice. Ces deux hommes, bien différents l’un de l’autre, se trouvent également destinés après une multitude de crimes énormes et pour la fin du monde, celui-ci à entrer dans la vie, celui-là à tomber dans d’affreux tourments. Qu’en conclure, ô Dieu plein de bonté ? C’est qu’en tout cela votre miséricorde sans bornes reste toujours égale à elle-même, bien que vous agissiez diversement. Le petit nombre des péchés ne donne pas plus la certitude d’arriver à la vie éternelle, que la grandeur et la multiplicité des fautes ne doit donner lieu au désespoir. Mais parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, je l’invoque, je la désire, il m’est doux de m’y attacher. Donnez-vous à moi par son intermédiaire, et donnez-la-moi par vous : que je la possède en vous, et qu’elle vous serve de chemin pour venir en moi. C’est elle qui m’inspire le confiant courage de vous parler ; elle rend mon âme supérieure à elle-même : en la possédant je vous possède. Je ne demande donc rien que vous, car vous êtes le docteur et la science, le médecin et le remède, vous voyez l’état des âmes, et vous les préparez, vous êtes l’amour et l’amant, la vie et le conservateur de la vie. Que dire de plus ? Vous êtes tout ce qu’on peut appeler bon. Car si nous ne sommes point anéantis, c’est l’effet de votre indulgence : elle seule nous soutient eu nous attendant ; elle seule nous conserve en ne nous condamnant pas, nous rappelle sans nous faire de reproches, nous renvoie sans nous juger, nous accorde la grâce sans nous la reprendre, et nous sauve par sa persévérance.
2. Âme pécheresse, ô mon âme, lève-toi donc, redresse-toi, sois attentive à ces consolantes paroles, ne refuse pas un secours qui peut t’aider si puissamment à te réformer. Remarque-le bien : pour ta restauration, cette personne divine est la seule qui te soit nécessaire. Lève-toi donc tout entière, ô mon âme, et, puisqu’en cette personne seule se trouve ton salut, consacre-lui toutes tes forces, prépare-toi à lui servir de demeure ; reçois-la, afin qu’elle te reçoive à son tour. Venez donc, très-doux Esprit ; étendez votre doigt, aidez-moi à me lever. Que ce saint doigt s’approche de moi, m’attire vers vous, se pose sur mes plaies et les guérisse. Qu’il fasse disparaître l’enflure de mon orgueil ; qu’il ôte la pourriture de ma colère ; qu’il arrête en moi les ravages du poison de l’envie ; qu’il en retranche la chair morte de la nonchalance ; qu’il y calme la douleur de la cupidité et de l’avarice ; qu’il en ôte la superfluité de la gourmandise, et y remplace l’infection de la luxure par les parfums odorants de la plus parfaite continence. Puisse-t-il me toucher, ce doigt qui fait couler sur les blessures le vin, l’huile et la myrrhe la plus pure t Puisse-t-il me toucher, ô Dieu plein de bonté ! Alors disparaîtra toute ma corruption, alors je reviendrai à ma primitive innocence, et quand vous viendrez habiter en moi, qui ne suis maintenant qu’un sac déchiré, vous y trouverez une demeure en bon état, fondée sur la vérité de la foi, bâtie sur la certitude de l’espérance et parachevée avec une charité ardente. Bien que nous ne vous désirions pas depuis longtemps, venez, hôte aimable ; oui, venez. Demeurez avec nous, car si vous n’y restez pas, il se fera tard, et le jour baissera[218]. Frappez et ouvrez, car si vous ouvrez la porte, personne ne la fermera : entrez et fermez-la derrière vous, et personne ne l’ouvrira[219]. Tout ce que vous possédez est en paix[220], et, sans vous, il n’y a point de paix possible, vous, le repos des travailleurs, la paix des combattants, le plaisir de ceux qui souffrent, la consolation des malades, le rafraîchissement de ceux que la chaleur accable, la joie des affligés, la lumière des aveugles, le guide de ceux qui doutent, le courage des timides ; car personne ne goûte la tranquillité, s’il ne travaille pour vous : celui-là seul jouit de la paix, qui combat pour vous ; souffrir pour vous, c’est le comble du bonheur ; pleurer pour vous, c’est la suprême consolation. Quand mon âme gémit pour vous, alors, à vrai dire, elle se livre au vice et aux plaisirs. Ineffable bonté vous ne pouvez souffrir qu’on souffre, qu’on pleure ou qu’on travaille à cause de vous ; car, au même moment commencent le travail et le repos, le combat et la paix, la peine et le bonheur. Être en vous, c’est être dans l’éternelle félicité.
3. O mon bien-aimé, touchez donc, oui, touchez mon âme ; cette âme que vous avez créée et choisie pour votre demeure au jour de mon baptême. Mille fois, hélas ! vous avez été honteusement et injurieusement chassé de cette maison qui vous appartenait en propre, et voilà que votre misérable hôtesse vous rappelle à grands cris ; car c’est pour elle le plus grand des malheurs de se trouver privée de vous. Revenez, ô Esprit bon, prenez pitié de cette séditieuse qui vous a chassé de chez elle. Maintenant, ah ! maintenant, elle se rappelle vivement tout le bonheur qu’elle éprouvait à se trouver auprès de vous. Tous les biens lui étaient venus à cause de vous[221] ; sitôt que vous vous êtes retiré d’elle, ses ennemis l’ont dépouillée ; ils ont emporté avec eux tous les trésors que vous lui aviez apportés, et, non contents de l’appauvrir, ils l’ont accablée de coups et de blessures et laissée presque morte[222]. Revenez donc, Seigneur bien-aimé ; descendez à nouveau dans votre maison, avant que votre hôtesse insensée rende le dernier soupir. Aujourd’hui je vois, aujourd’hui je sens combien je suis malheureuse en vivant séparée de vous : je rougis et tombe dans une confusion extrême de ce que vous vous êtes éloigné de moi ; mais les inénarrables faiblesses dont votre absence a été pour moi le principe me forcent à vous rappeler. Précieux gardien, venez dans la maison de votre misérable Marthe, et gardez-la dans la vérité, « pour qu’elle ne s’endorme pas un jour dans la mort et que son ennemi ne dise point : J’ai prévalu contre elle[223] ». Mes oppresseurs triompheront si je suis ébranlée[224]. Mais, avec votre secours, j’espérerai dans votre miséricorde, je m’y attacherai, j’y mettrai ma confiance : en elle sera la part de mon héritage, et, ainsi, je ne craindrai pas ce que peut contre moi un homme mortel[225]. Il vous est impossible de ne pas me faire miséricorde, car la miséricorde vous est consubstantielle. Voyez ma pauvreté, voyez mes pressants besoins, et prenez pitié de moi selon votre infinie grandeur, et non selon mes iniquités. Daigne votre commisération montrer qu’elle est au-dessus de toutes vos œuvres[226]. Que la malice du péché ne prévale pas sur la grandeur de votre bonté. C’est par indulgence que vous dites : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu’il se convertisse et qu’il vive[227] ». Car vous voulez la miséricorde et non le sacrifice[228]. Très-généreux bienfaiteur, étendez votre droite, cette sainte main qui n’est jamais vide, qui ne sait point refuser, qui ne cesse de donner à l’indigent : étendez donc, aimable bienfaiteur, étendez cette main toute pleine de vos dons : c’est la main des pauvres. Donnez à votre pauvre, ou plutôt à la pauvreté elle-même, ces armes ou ces trésors qui enrichissent l’indigent sans lui laisser rien à craindre. Achevez, Seigneur, ce que votre bras a commencé[229]. Car, je le vois, si vous nous sauvez, c’est, non pas à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais par votre miséricorde[230]. Donc, très-sainte communication, accordez-moi le don de piété, dont le propre est d’inspirer la douceur, comme aussi de conserver et de rendre celui à qui il a été départi libre de toute attache aux biens de la terre ; ainsi pourrons-nous dire avec l’Apôtre Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné et que nous vous avons suivi[231] ». Dès lors que nous aurons renoncé à ce qui est de ce monde passager, votre esprit secourable nous conduira dans la voie droite[232], jusqu’à la terre des vivants, et par l’affectueuse piété qu’il nous inspirera, il nous introduira dans ce séjour où nous pourrons éternellement jouir de vous pendant la suite sans fin des siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-CINQUIÈME SERMON. OU PREMIER TRAITÉ DU COMBAT SPIRITUEL. modifier

ANALYSE. —4. Les bons chrétiens ont été conduits de la terre d’Égypte dans la terre promise. —2. Néanmoins, ils doivent non pas s’endormir crans le repos, mais lutter contre leurs passions. —3. Il leur faut détruite ces passions, comme, d’après l’ordre de Dieu, les Israélites devaient faire disparaître les nations étrangères.—4. Combien la paresse des moines est blâmable. —5. Motifs de l’avancement spirituel. —6. Pourquoi Dieu ne veut pas que nous triomphions de nos ennemis sans combat.—7. Exhortation finale aux moines.
1. Frères bien-aimés, si nous voulons considérer avec attention notre point de départ et notre destinée, nous serons, faute de forces, impuissants à remercier Dieu. Nous sommes, en effet, les enfants d’Israël : nous avons subi, en Égypte, le joug de Pharaon, et la puissance de ce roi orgueilleux a lourdement pesé sur nous. Car le prince de ce monde ne trouvait-il pas sa joie à nous écraser sans relâche sous l’insupportable fardeau de l’esclavage, et à nous accabler incessamment d’occupations et d’œuvres serviles ? Il nous obligeait à faire cuire des briques : si, seulement, nous avions eu à construire un temple au Seigneur avec les pierres précieuses des vertus ! Mais non ; il nous fallait, par ordre, élever un édifice purement terrestre. Voilà, néanmoins, que le Dieu de nos pères, le Dieu béni de tous les siècles, nous a tirés de l’Égypte, c’est-à-dire des ténèbres où vivait le vieil homme ; il a brisé les chaînes dont nous tenait chargés une domination tyrannique, et nous a fidèlement introduits dans la terre promise. Nous sommes entrés dans ce pays de répromission, du moment où nous avons renoncé aux convoitises mondaines pour placer nos confiantes et solides espérances dans l’éternité : et déjà nous possédons en espérance les biens futurs dont la grâce divine nous accordera plus tard la réelle jouissance. La grâce de l’espérance n’avait-elle pas déjà mis en possession de cette terre des vivants ceux à qui l’Apôtre Pierre adressait ces paroles : « Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple conquis, pour annoncer les grandeurs de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière[233] ? »
2. Mais de ce que nous ayons été introduits dans cette terre promise, sous la conduite de la grâce divine, il ne suit nullement que nous devions nous livrer au repos et céder à la nonchalance ou à la paresse : succomber au sommeil, s’abandonner à une imprudente sécurité, est chose malsaine. Il est donc utile pour nous de ne jamais nous coucher sans être revêtus des armes des vertus, afin de ne point rester un seul instant sans défense : il nous faut combattre avec acharnement les dangereux et cruels ennemis de notre salut ; car c’est par la guerre qu’on arrive à la paix ; c’est aussi par le travail qu’on parvient au repos. En effet, point de victoire sans combat, point de triomphe sans victoire. Nous avons des ennemis au-dedans de nous-mêmes ; si nous ne voulons point périr avec eux, c’est pour nous une impérieuse nécessité de lutter contre eux sans faiblesse comme sans relâche. Les ennemis qui nous ont déclaré la guerre, avec lesquels nous sommes toujours en lutte, ne se trouvent point séparés de nous par de larges fossés, par des remparts flanqués de tours, par des rivières profondes ; d’abruptes montagnes ne s’opposent pas à leur marche en avant. Ils sont toujours avec nous, parce qu’ils se tiennent dans les secrets replis de notre âme. Les vices principaux sont au nombre de sept, et de cette race de vipères sortent, comme d’une source fétide, toutes les autres passions, pareilles à autant de rejetons venimeux. Voici leurs noms : L’orgueil, l’avarice, la vaine gloire, la colère, l’envie, la luxure et la haine. Nous omettons d’en parler d’une manière plus expresse, car la plupart de ceux qui ont traité de la parole divine nous ont laissé à cet égard une foule de réflexions ; pour le moment, il nous suffira d’affirmer ceci : c’est que quiconque aura négligé de les combattre, quiconque, avec l’aide de Dieu, ne les aura pas vaincues, ne pourra jamais ni triompher dans les luttes spirituelles, ni, par conséquent, mériter la couronne de la victoire : « On ne sera couronné qu’après avoir combattu vaillamment[234] ».
3. Voilà bien les nations que Moïse ordonnait au peuple israélite de faire disparaître de la surface de la terre, sans avoir jamais contracté avec elles aucune alliance ! Il s’exprimait ainsi : « Lorsque le Seigneur, ton Dieu, t’aura introduit dans la terre que tu vas posséder, et qu’il aura exterminé plusieurs nations devant toi, les Héthéens, les Gergézéens, les Amorrhéens, les Chananéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuzéens, sept nations beaucoup plus nombreuses et plus puissantes que toi, et que le Seigneur, ton Dieu, te les aura livrés, tu les frapperas jusqu’à la mort. Tu ne feras pas d’alliance avec eux et tu n’auras pas pitié d’eux[235] ». Vous venez de l’entendre, frères bien-aimés, le Dieu tout-puissant a livré en nos mains les nations acharnées à notre perte, et, par une disposition particulière de sa providence, il les a fait disparaître de devant nous. Pourquoi, alors, dégénérer et croupir dans la langueur ? Pourquoi ne pas nous saisir de la victoire qui nous est envoyée du ciel ? Puisque le Seigneur a décrété la défaite de nos ennemis, pourquoi ne point nous acquitter de la part d’action qui nous est dévolue ? Si nous pesons bien les unes après les autres toutes les paroles précitées, nous voyons que, dans les desseins de l’Éternel, ces nations sont déjà jetées par terre et qu’il nous ordonne de les frapper et de les détruire nous-mêmes. Voici les termes dont se sert Moïse : « Lorsque le Seigneur, ton Dieu, t’aura introduit dans la terre que tu vas posséder, et qu’il aura exterminé les nations » ; puis il ajoute bientôt : « Tu les frapperas ». De là, il est plus clair que le jour que, dans sa prescience, le Dieu tout-puissant en a déjà fini avec nos adversaires ; mais il a décidé que leur extermination se fera par notre intermédiaire. Il combat lui-même et il nous invite à vaincre. Il détruit les forces ennemies, et il nous réserve l’honneur du triomphe. Il veut que son courage nous fasse remporter la victoire, afin de pouvoir accorder à nos succès la couronne de myrte. Ne laissons donc pas notre courage se briser sous l’effort du désespoir, puisque la force d’en haut nous exhorte vivement à lutter avec énergie. Que la faiblesse inhérente à la nature humaine ne vienne en rien nous arrêter, puisque nous combattrons sur l’ordre de Dieu et appuyés sur son autorité. Écoutons, comme s’appliquant à nous, ces paroles adressées aux Israélites par Moïse : « Ne crains point, mais souviens-toi de ce qu’a fait le Seigneur, ton Dieu, contre Pharaon et tous les Égyptiens, et de ces grandes plaies que tes yeux ont vues, et de ces prodiges, et de ces miracles, et de cette puissante main, et de ce bras étendu pour te tirer de l’Égypte. Ainsi tu traiteras tous les peuples que tu redoutes[236] ». Pourquoi donc nous défier de notre faiblesse, quand nous avons pour éclaireur et pour guide dans nos luttes Celui-là même qui inspire le courage ? Il suscite le combat, il nous y mène, il nous promet le succès, et il ne nous l’accorderait pas ! Il y est tenu. Que notre âme s’enflamme donc d’une ardeur guerrière ; qu’elle se précipite sur le champ de bataille, pour mettre en déroute les masses ennemies, puisque les lâches eux-mêmes brûlent du feu des combats ! Pas d’alliance entre nous et nos adversaires ! Pas d’arrangements qui nous forcent à la paix !
4. Ne pas aller au combat, c’est une honte ; y aller et agir avec mollesse, c’est s’exposer à un danger certain de mort. « Mieux vaut, en effet, ne pas connaître la voie de la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue[237] ». Plusieurs, ayant reçu l’instruction nécessaire pour exercer le métier des armes spirituelles, tombent dans une telle tiédeur d’âme, deviennent si mous que, s’ils ont encore la force de ne pas faire le mal, ils n’ont pas le courage de travailler à leur avancement dans le bien. Pour eux, le moindre des soucis est de vaincre la faim par la diète, de résister aux plaisirs de la table, de supporter les rigueurs du froid, de s’imposer les veilles les plus ordinaires. Ils seraient bien fâchés d’empiéter sur le terrain des choses défendues, mais ils sont tout aussi portés à jouir des choses permises. Vous les voyez engagés dans les rangs de la sainte milice, mais ce que c’est que le combat spirituel, ils l’ignorent complètement. Leurs noms sont inscrits sur la liste des soldats, et les devoirs de l’état militaire leur sont évidemment inconnus : la preuve en est qu’ils ne craignent pas de marcher sans armes dans les rangs d’hommes armés ; ils ne rougissent nullement de s’avancer avec nonchalance et dépourvus de leurs ceinturons, au milieu de guerriers cuirassés ; aussi se laissent-ils ébranler par le premier coup de n’importe quel javelot, et tomber par terre, parce qu’ils ne sont point protégés par le bouclier d’une prudente circonspection. Il eût mieux valu pour eux de vivre ignominieusement à l’ombre de leur toit domestique, que de venir mourir peu militairement et sans aucun titre de gloire au milieu de cellules monacales. Quiconque, en effet, cherche à jouir, dans l’état monastique, des plaisirs du corps, ressemble à un homme qui voudrait tirer du suc d’un bois desséché ; car, de cette vie molle et relâchée, il résulte pour beaucoup que, sachant beaucoup de choses, ils s’ignorent eux-mêmes, et qu’ils seraient incapables de dire ce qu’ils peuvent ou ce qu’ils ne peuvent point endurer en fait d’épreuve : de là il arrive aussi que ceux à qui il a été donné de connaître ce qu’on pourrait appeler l’écorce du soldat, ont encore besoin de s’essayer pour apprendre ce qu’ils sont eux-mêmes. Parmi les hommes engagés depuis longtemps dans le saint ordre, nous en avons rencontré un bon nombre qui ne savaient pas encore ce qu’ils pouvaient supporter en fait de jeûnes, de veilles et d’autres pratiques indiquées par les règles de la discipline céleste. L’Écriture dit formellement : « Quiconque ignore sera lui-même ignoré[238] ». Alors, comment serait-il connu de Dieu, comment le connaîtrait-il à son tour, celui qui, étant à sort service, est convaincu de s’ignorer soi-même ? Or, quand un guerrier ardent assiège des remparts, il s’efforce d’en approcher en creusant des fossés, il essaie de s’emparer des retranchements, et au milieu d’une grêle épaisse de traits il cherche à savoir par quel endroit il pourra monter à l’assaut. Pour celui qui veut se vaincre lui-même, c’est donc une honte de ne point se connaître, et, par conséquent, d’ignorer la mesure de ses forces. Voilà pourquoi le Sauveur a dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite[239] ». Il n’avait pas encore fait l’expérience de lui-même, ce soldat de Dieu, à qui s’appliquent ces paroles de l’Écriture : « Il mit un casque d’airain sur sa tête[240] », et le reste ; mais il se connaissait suffisamment, « lorsqu’il prit l’épée du philistin Goliath[241] », et le reste.
5. Voulez-vous des preuves qui attestent qu’un homme fait des progrès sur le champ de bataille spirituel ? Les voici : il avance, si les efforts que les vices tentent contre lui sont plus mous, s’il réprime aisément les révoltes de la chair, s’il apaise avec moins de difficulté le tumulte soulevé par le choc de ses pensées, s’il arrache, aussitôt qu’elles se montrent, les naissantes épines des convoitises charnelles ; si, avec le glaive de la crainte de Dieu, il tranche incontinent la tête orgueilleuse de la superbe, de la luxure et de tous les autres vices. À quoi bon, d’ailleurs, faire partie de la sainte milice, si, comme au début de son apprentissage militaire, on doit laisser tomber ses bras à l’heure de la bataille et trembler sur ses genoux encore mal affermis ? C’était pour les garantir de ce nonchalant laisser-aller, que l’éloquent prédicateur Paul adressait à ses disciples les paroles que voici : « Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ; marchez d’un pas ferme dans la voie droite, et si quelqu’un vient à chanceler, qu’il prenne garde de s’écarter du chemin[242] ». Une main habile à combattre parvient facilement au triomphe, et un corps qui s’accommode de la cuirasse se porte vivement au combat. Si un moine n’est pas encore capable de réprimer son orgueil, d’arrêter son avarice, d’éteindre les flammes de son envie, de conserver son âme à l’abri des atteintes de la luxure, de se débarrasser du venin de toute méchanceté envers celui qui s’est rendu coupable d’offense à son égard, de supporter une injure sous prétexte de conserver à la justice tous ses droits, pourra-t-on lui tenir un langage autre que celui-ci : Eu égard à ta profession, tu as, il est vrai, donné ton nom peur servir dans la milice sacrée ; mais ce que c’est que le combat spirituel, tu n’en sais pas le premier mot ? Pour ceux qui tendent à la perfection, il faut, autant que possible, leur persuader de conserver une sévérité salutaire, et d’apprendre plutôt à ignorer le vice qu’à le vaincre. Puissent ces hommes, qui font profession d’être morts avec le Christ, éprouver une véritable honte d’avoir encore à dompter les mouvements rebelles de la chair et les passions effrénées de l’esprit, contre lesquelles il faut lutter comme si l’on se trouvait toujours au début du combat ! Autrement, quand ils auraient déjà acquis, par leur valeur, le droit de se reposer, ils se retrouveraient encore dans les rangs de ceux qui commencent seulement à exercer le métier des armes. Lorsqu’un soldat du Christ est encore novice, il doit donc apprendre à en venir aux mains, et, suivant l’occasion, s’opposer à tous les vices qui pourraient se manifester en lui. Qu’il soit donc prévoyant, qu’il porte de tous côtés les regards éveillés d’une attentive circonspection, qu’il se tourne de çà de là et oppose à tous les traits qu’on lui envoie le bouclier d’une habile défense ; c’est ainsi que, par l’humilité, il viendra à bout de l’orgueil, qu’il réfrénera la gourmandise par la sobriété, qu’il écrasera la colère parla douceur, qu’il domptera l’avarice par ses largesses, que la crainte du feu éternel éteindra l’ardeur de ses passions honteuses, et qu’enfin la poutre de la haine sera consumée par la flamme de son ardente charité. Il se plaît à contempler une pareille lutte, le Dieu qui sonde les profondeurs de l’âme et à qui rien n’échappe de ce qui s’y passe. Ce spectacle réjouit aussi les anges, puisque la nature humaine profite des combats qui se livrent contre elle, pour devenir meilleure et rentrer avec eux dans cette société dont elle avait été exclue ; puisqu’en luttant, elle tend à rentrer en possession de cette paix véritable qu’elle avait perdue jadis pur s’être écoutée et n’avoir pas résisté à ses convoitises.
6. Mes frères, ne nous plaignons point de ce qu’il ne suffit pas de nos désirs pour remporter immédiatement une victoire complète sur nos ennemis : ne nous chagrinons nullement de nous voir toujours en butte aux chagrins, aux peines, aux soucis et aux insupportables ennuis qu’engendrent de continuelles fluctuations d’esprit. En cela se voit la preuve de l’action providentielle de Dieu ; une victoire remportée trop vite gonflerait d’orgueil notre âme ; tombant des hauteurs où elle se serait élevée, elle ne ferait qu’une plus lourda chute, et elle attribuerait l’honneur de son triomphe non à Dieu, son véritable auteur, mais uniquement à elle-même. Telle est la raison de ces paroles adressées par Moïse au peuple juif : « Après t’avoir éprouvé et puni, le Seigneur a pris enfin pitié de toi, afin que tu ne dises point dans ton cœur : Ma puissance et la force de mon bras m’ont donné tous ces biens, mais pour que tu te souviennes que le Seigneur, ton Dieu, t’a lui-même donné toute ta force ». Voilà aussi pourquoi il arrive souvent qu’une âme, après avoir remporté sur elle-même de grandes et nombreuses victoires, cède en face d’un obstacle, peut-être de minime importance, bien qu’elle ne néglige point les précautions d’une vigilance minutieuse : c’est là l’effet d’une disposition de la Providence ; car un homme, brillant de l’éclat de toutes les vertus, se laisserait aller à l’enflure de l’orgueil ; se voyant, au contraire, et malgré ses longs efforts, au-dessous d’une mince tentation, après en avoir victorieusement supporté de très-violentes, il attribue son triomphe, non pas à lui-même, mais au Dieu dont la grâce l’a aidé à dominer les ennemis qu’il a vaincus. Voilà pourquoi il est écrit : « Telles sont les nations que le Seigneur a laissé subsister, afin de s’en servir pour l’instruction d’Israël[243] ». Israël est instruit par les nations qui n’ont point péri ; et aussi, par les faibles tentations qui lui font échec, notre âme apprend que, d’elle-même, elle n’est jamais venue à bout des plus grandes.
7. Frères bien-aimés, ce qui nous a principalement décidés à quitter le monde, ce qui doit fixer toute notre attention, puisque nous avons le bonheur d’appartenir à la sainte milice, le voici : Notre âme, revêtue de l’armure des vertus, doit s’exercer toujours au combat spirituel et tâcher d’en finir avec ces vices hideux qui rôdent sans cesse autour de nous pour nous corrompre ; employons à cette lutte toute l’ardeur dont nous sommes capables. De quel avantage aurait-il été aux Juifs de sortir de la terre d’Égypte et de s’en tenir là, sans pouvoir écraser la puissance de leurs ennemis dans une guerre d’extermination ? Auraient-ils ensuite joui paisiblement de la possession de la terre promise ? Évidemment, non. Seraient-ils parvenus à ce buttant désiré, si, après s’être dérobés à la tyrannie de Pharaon, sous le joug de laquelle on leur permettait de mener encore une vie telle quelle, ils avaient, par leur indolente incurie, engagé les Chananéens à leur mettre l’épée sur la gorge ? Secouons donc, frères bien-aimés, secouons une torpeur indigne de nous, torpeur d’une âme paresseuse et sans énergie ; car, ne voulons-nous point parvenir à la couronne par de vaillants et généreux combats ? Soyons toujours prêts à repousser loin du champ de notre cœur les bataillons des vices et les bêtes sauvages qui voudraient y pénétrer ; ne leur permettons pas de mettre le pied dans ce qui est de notre domaine et d’y établir leur détestable pouvoir. Dieu daigne nous en faire la grâce ! Que nos ennemis ne nous voient jamais céder lâchement devant eux ! Que jamais ils ne puissent se vanter et se réjouir de nous avoir fait reculer 50 Nous avons à notre tête, pour nous diriger dans les combats, un chef invincible ; nous pouvons et devons lui dire : « Seigneur, jugez ceux qui me persécutent, combattez ceux qui me combattent ; prenez vos armes et votre bouclier, levez-vous pour me secourir[244] ». Il est bienheureux, le guerrier spirituel qui marche à la suite d’un tel chef sur les champs de bataille, et mérite d’obéir aux ordres d’un pareil général ; car Dieu accorde l’audace à ce hardi champion, il lui donne la victoire comme récompense de ses efforts, et après la victoire la couronne du triomphe. Que dis-je ? Le Dieu béni dans tous les siècles n’est-il pas lui-même la largesse accordée aux combattants, la récompense réservée au mérite, l’éternelle couronne qu’attendent les triomphateurs ?

TRENTE-SIXIÈME SERMON. OU DEUXIÈME TRAITÉ DE LA LUTTE CONTRE LES VICES. modifier

ANALYSE. —1. Le diable s’attaque de préférence aux commençants : un soldat du Christ. doit lui résister.—2. Trois vertus conviennent particulièrement à la vie érémitique. —3. Éloge de ce genre de vie. —4,5,6,7. Continuation de cet éloge.
1. Quiconque entre dans une cellule pour lutter contre le diable, et se jette avec l’ardeur d’un généreux courage dans l’arène du combat spirituel, doit n’avoir pas d’autre intention que celle de ne plus ressentir, même pour un moment, les convoitises de la chair, et de mourir tout à la fois à lui-même et au monde. Qu’il se prépare donc à souffrir toutes sortes de calamités et de misères ; qu’il se dévoue à la mort pour le Christ, garnisse son carquois des traits de toutes les vertus et se propose d’affronter toutes les difficultés et tous les obstacles ; ainsi arrivera-t-il que, quand il les rencontrera, il y sera préparé, et loin d’y succomber lâchement, il y résistera avec égalité d’âme. À l’endroit où un fleuve sort de terre, ce n’est qu’un simple filet d’eau ; mais à mesure qu’il avance et prolonge son cours, des ruisseaux viennent de ça et de là le gonfler ; ainsi en est-il de notre homme intérieur, il est presque imperceptible et semble être à sec au moment où nous débutons dans la sainte carrière ; mais peu à peu, les vertus venant s’y adjoindre de côté et d’autre, comme des ruisseaux, il prend du corps. Pour rétrécir le lit du fleuve ou en arrêter les eaux, il faut nécessairement remonter jusqu’à la source, afin d’y établir une digue ; n’étant encore là qu’un ruisseau au lieu d’être déjà un fleuve, ce cours d’eau peut être facilement dompté par des obstacles. Autre comparaison : celui qui veut entrer dans un palais royal, sort de sa propre maison, accompagné d’un cortège peu considérable, mais le nombre de ses compagnons s’accroît peu à peu le long du chemin. Par conséquent, un ennemi qui voudrait lui tendre des embûches n’attendrait pas, pour cela faire, qu’il fût éloigné de son logis : il profiterait, au contraire, du moment où cet homme n’est pas encore environné d’un nombreux cortège, et le mettrait ainsi dans l’impossibilité d’échapper à une attaque subite. Pour nous, nous nous mettons vainement en route pour nous approcher de notre roi, quand, ignorants encore et novices dans l’art de la guerre spirituelle, nous prêtons le serment militaire ; mais comme nous ne sommes pas encore versés dans les rangs de ceux qui connaissent à fond le métier des armes spirituelles, notre vieil ennemi nous tend des pièges à la porte même du vestibule de notre maison ; c’est là qu’il dispose toutes les ressources de sa malice, tous les fils et toutes les ficelles de sa méchanceté, toutes les machines à tromper les hommes, tous les raisonnements qu’il peut mettre au service de sa fourberie venimeuse ; il emploie tout cela à obstruer, dans sa victime, le ruisseau encore petit que forment en quelque sorte les bonnes œuvres, et pendant sa marche, alors qu’elle se trouve presque seule et dépourvue de bon nombre de compagnons, il cherche ainsi à la faire périr. Mais au milieu de la grêle de traits qui tombe sur lui, en dépit de la furie des combats qui lui faut supporter, le soldat du Christ ne doit ni se laisser paralyser par l’épouvante, ni succomber à la fatigue ; mais il lui faut se munir d’avance du bouclier d’une invincible foi : alors, plus violentes seront les attaques de ses ennemis conjurés, plus vives devront être ses aspirations vers Dieu, plus solide et plus ferme devra être son espérance dans le secours d’en haut ; plus il sera certain, la première tentation victorieusement déjouée, que ses forces et son énergie ne tarderont pas à doubler, que ses ennemis lui tourneront incessamment le dos, et que bientôt il triomphera d’eux. L’esprit tentateur vomit donc contre les novices tout le fiel de sa méchanceté, il distille contre eux le venin de son artificieuse et mensongère finesse ; en voici la raison : il n’ignore pas que s’il perd alors son temps et si ses méchants efforts n’aboutissent pas, l’occasion de faire du mal lui échappera pour toujours. J’ajouterai même que, n’ayant pu dominer, il succombera forcément, et que n’ayant point prévalu contre un novice, il périra sous les coups de son adversaire, quand celui-ci se sera aguerri.
2. Toutefois, remarquons bien ceci : si toutes les vertus sans exception doivent être le partage de tous ceux qui se hâtent de gagner le ciel, il en est trois, parmi elles, qui conviennent particulièrement à la vie solitaire et dont les ermites doivent mettre la pratique au nombre de leurs devoirs spirituels. Ce sont : le repos, le silence et le jeûne. Pour observer les règles de la justice, il suffit généralement d’avoir la dévotion et de porter l’habit religieux ; mais les trois vertus précitées doivent se pratiquer avec soin et faire partie des habitudes ordinaires de l’ermite. La fonction spéciale du prêtre est de vaquer à l’oblation du sacrifice, comme celle du docteur est de prêcher. Quant à l’ermite, il n’en a pas d’autre que de chercher son repos dans l’exercice du jeûne et du silence. C’est pourquoi les anciens maîtres de la vie érémitique disaient avec raison à leurs disciples : « Reste assis dans ta cellule, mets un frein à ta langue et à ta gourmandise, et tu te sauveras ». Oui, il faut arrêter les appétits grossiers, car si l’on remplit immodérément son estomac d’aliments et de viandes, il est sûr que tous les autres membres s’abandonneront à leur tour à leurs propres convoitises. Pour la langue, il n’est pas moins indispensable de la retenir ; lâchez-lui la bride, laissez-la tourner sans règle et sans frein, votre âme perdra toute la vigueur que lui avait communiquée la grâce divine, et elle décherra de l’état de salutaire énergie dans lequel elle se trouvait. Il y a, néanmoins, mode et discrétion à employer en tout cela ; si, en effet, d’une œuvre indifférente en elle-même on fait une chose obligatoire, le fardeau deviendra bientôt insupportable, et, pour ne point s’en charger, on s’en, débarrassera par pusillanimité.
3. Mais je voudrais en tout ceci faire un choix, vous dire quelques mots sur les mérites de la vie solitaire, et vous ouvrir ma pensée sur la perfection des vertus qu’elle exige, en faisant brièvement l’éloge de la vie érémitique, plutôt qu’en engageant à cet égard une longue discussion. Il est hors de doute que la vie solitaire est l’école de la céleste doctrine, elle enseigne les arts divins. On y trouve le Dieu qui indique la voie par laquelle on tend et on parvient à la souveraine connaissance de la vérité. Le désert est comme un paradis de délices où les vertus, belles comme les bois de teinture les plus odorants, ou pareilles aux fleurs empourprées des aromates, exhalent leurs agréables parfums. Ici se rencontrent, en effet, les roses de la charité, aux teintes de feu, les lis de la chasteté, blancs comme la neige, et la violette de l’humilité, qui ne redoute point les tempêtes, parce qu’elle ne se plaît pas sur les hauteurs : là, c’est la myrrhe de la parfaite mortification, qui s’épanche abondamment, et l’encens d’une prière assidue qui monte sans cesse. Mais pourquoi rappeler en détail toutes ces merveilles, puisque toutes les plantes des saintes vertus y brillent de l’éclat de toutes les nuances, et font le perpétuel ornement de la solitude qu’elles ombragent toujours de leur gracieuse verdure. O désert, vraies délices des âmes pures, source inépuisable des plaisirs du cœur ! n’est-ce point là cette fournaise de Chaldée, où de saints enfants arrêtent, par leurs prières, la fureur de l’incendie, et, par la vivacité de leur foi, éteignent les flammes qui pétillent autour d’eux ; c’est-à-dire, où les chaînes tombent en cendres, et où les membres ne sentent aucune chaleur, parce que les péchés y sont déliés et que l’âme, portée à chanter l’hymne de louange, s’écrie : « Seigneur, vous avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice de louange[245] » Tu es la fournaise au sein de laquelle se forment les vases destinés au service du souverain Roi, où, frappés par le marteau de la pénitence et polis par la lime d’une salutaire mortification, ils acquièrent un brillant qu’ils conserveront toujours : la rouille spirituelle y disparaît sous l’action du feu, et l’âme s’y dépouille des rugosités de ses fautes. La fournaise n’éprouve-t-elle pas les vases que fabrique le potier ? Ainsi en est-il de la solitude permanente à l’égard de l’ermite. Sa cellule est le rendez-vous des négociants célestes ; on y enferme la masse des marchandises avec lesquelles on acquiert la possession de la terre des vivants. L’heureux commerce que celui en vertu duquel on échange les bien célestes contre des biens terrestres, les biens éternels contre des biens passagers ! L’heureux marché que celle où l’on vous propose l’achat d’une vie sans fin, d’une vie dont vous pouvez devenir le possesseur, pourvu que vous donniez ce que vous avez, si minime qu’en soit la valeur ! Une légère souffrance du corps suffit pour vous y procurer les célestes festins ; quelques larmes y donnent droit à vivre éternellement ; on s’y débarrasse des propriétés d’ici-bas pour devenir maître de l’héritage éternel. O cellule, admirable atelier où s’exercent les ouvriers spirituels, où l’âme de l’homme rétablit certainement en elle-même l’image de son Créateur et récupère son innocence originelle, où les sens émoussés retrouvent la finesse de leur tranchant primitif, où, enfin, la nature corrompue en revient aux azymes de la sincérité ! Chez toi, le jeûne donne de la pâleur au visage, mais l’âme prend de l’embonpoint et se nourrit de la grâce divine ; chez toi, l’homme dont le cœur est pur aperçoit Dieu, tandis qu’enveloppé, auparavant, de ses propres ténèbres, il ne s’apercevait pas lui-même. Sous ton influence, il revient à son principe, et des humiliantes profondeurs de son exil, il remonte jusqu’à la hauteur de sa dignité antique. À l’abri de la forteresse de son âme, il voit les flots de ce fleuve terrestre s’éloigner bien loin de lui, et, dans cet écoulement général, il s’aperçoit que lui-même est entraîné par la rapidité du courant.
4. O cellule, je reconnais en toi la tente des soldats du Christ, l’armée du triomphateur toute prête à combattre, le camp de Dieu, la tour de David flanquée de forts détachés : à tes murs sont appendus mille boucliers et toutes les armes des guerriers vaillants. Tu es le champ des divines batailles, l’arène où se livre le combat spirituel ; les anges te contemplent comme l’amphithéâtre dans lequel se trouvent réunis de courageux lutteurs, où l’âme en vient aux prises avec le corps, et où le faible l’emporte sur le fort. Tu es le rempart des soldats en campagne, le retranchement qui protège les héros, la forteresse où se tiennent à l’abri ceux qui ne savent point reculer devant l’ennemi. Que les barbares ennemis, qui l’entourent, entrent en fureur, qu’ils s’approchent avec leurs beffrois et lancent leurs javelots ; que la forêt de leurs épées s’élève impénétrable, ceux qui mènent la vie d’ermites se trouvent protégés par la cuirasse de la foi ; ils trépignent sous l’invincible égide de leur chef, et, sûrs de la défaite de leurs adversaires, ils en triomphent déjà. C’est à eux, en effet, que s’adressent ces paroles : « Le Seigneur combattra pour toi, et tu demeureras dans le silence[246] ». Quand même il n’y aurait là qu’un seul guerrier, il pourrait encore s’appliquer cet autre passage : « Ne crains pas, car il y a plus de soldats avec nous qu’avec eux[247] ». O désert, tu donnes la mort aux vices ! tu fais naître et vivre les vertus ! La loi t’exalte, les Prophètes t’admirent, et quiconque est parvenu au sommet de la perfection sait ton éloge. À toi Moïse est redevable des deux tables du Décalogue ; c’est par toi qu’Élie a connu le passage et les traces du Seigneur ; c’est par toi qu’Élisée a reçu le double esprit de son maître. À cela dois-je ajouter quelque chose ? non ; car, dès le début de sa carrière réparatrice, le Sauveur du monde a voulu que son héraut fût ton hôte à l’aurore du siècle futur, l’étoile du point du jour devait sortir de la solitude, et, à la suite, le plein soleil devait en venir pour dissiper, par l’éclat de ses rayons, les ténèbres de ce monde. Tu es l’échelle de Jacob, puisque tu aides les hommes à monter au ciel et que, par toi, les anges en descendent, leur apportant le secours d’en haut. Tu es la voie d’or, qui ramène dans la patrie la race d’Adam, l’arène où les habiles coureurs méritent la couronne. O vie érémitique, bain des âmes, tombeau des crimes, piscine dont les eaux purifient ceux qui se trouvent souillés ! Tu ôtes ce qu’il y a d’impur dans le secret des consciences, tu fais disparaître les taches du péché, tu aides les âmes à acquérir l’éclatante pureté des anges ! Dans la cellule se réunissent à la fois et Dieu, et les hommes qui accomplissent encore leur pèlerinage terrestre, et les esprits célestes. Là se rendent, en effet, les habitants de la Jérusalem éternelle, afin de converser avec les hommes ; mais, dans ces entretiens, on n’entend pas de paroles proférées par une langue charnelle ; la conversation s’y fait sans bruit, et les secrets des âmes s’y dévoilent silencieusement. Enfin, la cellule est le témoin des communications secrètes qui s’échangent entre Dieu et les hommes. Admirable et merveilleuse chose ! Quand le frère, dans sa cellule, psalmodie pendant les heures de la nuit, il est comme un soldat en faction, chargé de faire vedette au tour du camp divin. D’une part, les astres fournissent leur course dans le ciel, et, d’autre part, se déroule sur les lèvres de l’ermite, et dans un ordre parfait, la suite des psaumes. De même que les étoiles, se succédant les unes aux autres, prennent la place de celles qui les précèdent, jusqu’au moment où parait le jour ; ainsi les psaumes sortent de la bouche du solitaire comme d’un autre Orient, et, marchant d’un pas en quelque sorte égal à celui des astres, s’avancent insensiblement vers leur terme. Le moine accomplit le devoir de son état de dépendance, les étoiles s’acquittent de l’office qui leur a été confié. L’un, en psalmodiant, s’avance intérieurement vers la lumière inaccessible ; en se succédant mutuellement, les autres renouvellent le jour que contemplent les yeux charnels ; et tandis que tous tendent à leur fin par des routes différentes, les éléments eux-mêmes se trouvent, d’une certaine manière, d’accord avec le serviteur de Dieu, tout en lui rendant service. Enfin la cellule sait de quel feu d’amour divin brûle le cœur de celui qui l’habite ; elle sait avec quel empressement, dans quel degré de perfection il cherche à s’approcher de Dieu ; elle sait quand la rosée de la grâce céleste pénètre l’âme de l’homme, quand les nuages de la componction versent sur elle les abondantes ondées des pleurs et des larmes, quand, enfin, l’amertume du cœur ne détruit pas le fruit des larmes, bien que les yeux du corps restent secs ; en effet, si le rameau desséché des yeux extérieurs ne porte aucun fruit, la racine se conserve néanmoins toujours vivace dans le terrain humide du cœur. Peu importe qu’un homme ne puisse jamais pleurer ; il suffit que son âme soit sensible. La cellule, c’est l’atelier où se polissent les pierres précieuses : sortant de là, elles n’auront plus besoin, pour entrer dans la construction du temple, de passer sous le marteau bruyant de l’ouvrier.
5. O cellule, tu n’as presque rien à envier au tombeau du Christ, puisque tu reçois des hommes que le péché a fait mourir, et que, sous le souffle de l’Esprit-Saint, tu les rends à Dieu pleins de vie. Tu es le tombeau où viennent expirer les étourdissantes tentations de cette vie mondaine, mais où s’ouvrent les portes de la vie céleste : en toi trouvent un port tranquille ceux qui échappent à la fureur des flots du siècle. Tu es le séjour du médecin habile aux soins duquel ont recours tous ceux qui ont été blessés dans le combat et qui ont échappé aux périls de la bataille ; car, aussitôt qu’on se réfugie à l’ombre de son toit, la pâleur des âmes blessées disparaît, et toutes les plaies de l’homme intérieur se trouvent parfaitement guéries. Jérémie t’avait aperçue ; quand il disait :« Heureux celui qui attend en silence le salut de Dieu ! Heureux l’homme qui porte le joug dès sa jeunesse ! Il s’assiéra solitaire et il se taira, parce que Dieu a posé ce joug sur lui[248] ». Celui qui t’habite s’élève au-dessus de lui-même. Quand, en effet, une âme affamée s’élève au-dessus des choses de la terre et se suspend à la voûte de la contemplation des choses divines, elle se sépare du monde, elle s’éloigne de ses influences et s’élance dans les régions célestes sur les ailes de ses désirs. Dès lors qu’il cherche à contempler celui qui domine toutes les choses créées, l’homme s’élève au-dessus de lui-même en même temps qu’il s’élève au-dessus de ce bas monde et de ce qu’il renferme.
6. O cellule, séjour vraiment spirituel, où les orgueilleux deviennent humbles, où les gourmands deviennent sobres, où la cruauté se change en dévouement charitable et la colère en douceur, où, enfin, la haine fait place à une affection toute céleste et ardente. La langue oiseuse trouve en toi un frein, et la blanche ceinture de la chasteté y vient serrer les reins que tourmente la luxure. À respirer ton atmosphère, les étourdis reprennent l’habitude de la gravité, les amateurs de plaisanteries renoncent à leurs airs bouffons, et ceux qui parlent trop se renferment sévèrement dans les bornes étroites du silence. Sous ton toit, on triomphe de la fatigue, du jeûne et des veilles, on conserve la patience, on apprend l’innocente simplicité, on ignore complètement la duplicité et la fourberie ; les vagabonds y sont retenus en place par les chaînes du Christ, et ceux dont les mœurs ne connaissent pas de règle mettent un terme à leur dépravation. Tu sais élever les hommes au sommet de la perfection et les conduire jusqu’au faîte de la plus sublime sainteté ; à ton ombre, l’homme devient joyeux et agréable, et l’égalité de son caractère le rend toujours semblable à lui-même. Tu fais de lui une pierre carrée, toute prête à entrer dans la construction de la Jérusalem céleste ; la légèreté de ses mœurs ne l’exposera point à rouler en un autre endroit, mais le poids de ses sentiments sincèrement religieux le tiendra fixement à la même place. Sous ton influence, les hommes étrangers à eux-mêmes rentrent en possession de leur propre personne, et les vertus fleurissent en des vases où l’on n’avait encore vu que des vices. « Tu es noire, mais tu es belle comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon[249]. Tu es le lavoir des brebis tondues[250], tu ressembles aux fontaines d’Hésébon[251] ». Tes yeux sont comme des colombes sur la rive des eaux, lavées dans le lait, et qui habitent les bords des ruisseaux paisibles. Tu es le miroir des âmes ; l’âme humaine s’y contemple à l’aise ; elle y voit parfaitement les défectuosités auxquelles elle doit pourvoir, les superfluités qu’il lui faut retrancher, les obliquités qu’elle doit redresser, les difformités qu’elle doit faire disparaître. Tu es le lit nuptial où se donnent les arrhes de l’Esprit-Saint, où l’âme heureuse fait alliance avec le céleste Époux. Les hommes droits te chérissent, et quiconque s’éloigne de toi se prive de la lumière de la vérité et ne sait plus où diriger ses pas. « Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi, si Jérusalem n’est pas toujours ma première joie[252] ! » C’est pour moi un vrai plaisir de m’unir au même Prophète et de te dire encore : « Elle sera mon repos à jamais ; je l’habiterai ; elle est l’objet de tous mes désirs[253] ». « Que tu es belle, que tu es ravissante, délices de mon âme[254] » ! Rachel, qui était grande et belle[255], te préfigurait ; « et Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée[256] ». Tu es la colline des parfums, la fontaine des jardins, le fruit du grenadier. À en juger par ton écorce, ceux qui ne te connaissent pas te croiraient remplie d’amertume ; mais, qu’on pénètre jusqu’au cœur, on y trouvera caché un inépuisable trésor de douceur.
7. O désert, tu nous sers d’abri contre les persécutions du monde ; les travailleurs trouvent en toi leur repos et les âmes leur consolation ; ton ombre tempère les ardeurs du soleil ; chez toi, nous divorçons avec le péché et recouvrons la liberté de nos cœurs ! Écrasé sous le poids des épreuves de cette vie, le cœur accablé d’ennuis à cause de sa timidité et des ténèbres où il se voyait plongé, David désirait s’enfoncer dans ta solitude : « Voilà », disait-il, « que j’ai précipité ma fuite ; j’ai établi ma demeure dans le désert[257] ». Que dire de plus, quand je vois le Rédempteur du monde daigner te visiter lui-même au commencement de sa vie publique et te consacrer en faisant de toi son séjour ? L’Évangile en fournit la preuve certaine : Quand Jésus eut purifié l’eau du baptême par cela même qu’il lui permit de couler sur sa tête, « l’Esprit le poussa dans le désert, et il demeura dans le désert quarante jours et quarante nuits, et il était tenté par Satan, et il demeurait avec les bêtes sauvages[258] ». Que le monde se reconnaisse pour ton obligé, puisqu’il sait que le Sauveur lui est venu de toi pour prêcher son Évangile et opérer ses miracles. O désert, séjour redouté des esprits malins, pareilles aux tentes d’un camp rangées en ordre, semblables aux tours de Sion et. aux forteresses d’Israël, les cellules des moines s’y élèvent contre les Assyriens et en face de Damas. Dans ces cellules, le même esprit fait remplir des devoirs bien différents les uns des autres ; car on y psalmodie, on y récite des prières, on y écrit, on s’y occupe de travaux manuels de toutes sortes ; pourquoi, alors, ne pas appliquer en toute justesse au désert ces paroles divines : « Que tes pavillons sont beaux, ô Jacob ! Que tes tentes sont belles, ô Israël ! Elles sont comme des vallées couvertes d’arbres, comme des jardins le long des fleuves, comme des tentes dressées par Jéhovah, comme des cèdres sur le bord des eaux[259] ? » Que dire de plus à ton sujet, ô vie érémitique, vie sainte, vie angélique, vie bénie, vivier des âmes, trésor des pierres précieuses destinées au ciel, palais habité par les sénateurs spirituels ! Le parfum que tu répands surpasse de beaucoup la suave odeur de tous les aromates ; le miel qui coule des rayons de la ruche ne t’égale pas en douceur ; tu flattes bien mieux le palais d’un cœur éclairé par la grâce que ne pourraient le faire les sucs réunis de toutes les fleurs ; par conséquent, tout ce qu’on peut dire de toi ne sera jamais à la hauteur de tes mérites, car une langue de chair est impuissante à exprimer ce qu’éprouvent invisiblement les esprits ; ce que tu ressens dans ton palais intérieur, dans les secrets replis de ton cœur, jamais l’organe de la voix du corps ne sera capable d’en donner une idée. Ils te connaissent bien ceux qui t’aiment ; ils savent ce que tu mérites de louanges ceux qui trouvent leur repos dans les embrassements de ton amour. Au reste, comment l’homme, qui ne se connaît pas lui-même, pourrait-il se vanter de te connaître ? Moi-même, je reconnais que je ne puis faire ton éloge ; mais, ô vie bénie, il y a une chose que je sais bien et que j’affirme sans hésiter ; la voici : Quiconque fait ses efforts pour persévérer dans le désir de t’aimer, finira par habiter en toi, et Dieu habitera en lui. Le diable lui devient utile par les tentations dont il le poursuit, et il gémit de le voir tendre vers le séjour d’où il s’est vu lui-même chassé. Le vainqueur des démons entre donc dans la société des Anges ; celui qui s’est exilé du monde devient l’héritier du paradis ; en se renonçant soi-même, on est disciple du Christ, et, parce qu’aujourd’hui on marche sur ses traces, on sera certainement élevé, après le voyage, à l’honneur de régner avec le Sauveur. Enfin, et j’ajoute ceci en toute confiance, quiconque, par amour pour Dieu, passera sa vie jusqu’à la fin dans la solitude, sortira de cette maison de boue pour entrer dans la construction de l’édifice éternel et céleste qui ne sera point fait de main d’homme[260].

TRENTE-SEPTIÈME TRAITÉ. SUR LES SEPT DEMANDES DU NOTRE PÈRE. modifier

ANALYSE. —1. Dans les Écritures, nous trouvons cinq fois le nombre sept : que désigne-t-il ? —2. Il y a sept vices principaux. —3. Sept demandes opposées à ces sept vices, et, d’accord avec elles, sept dons du Saint-Esprit et sept béatitudes. —4. La première demande est contre l’orgueil. —5. La seconde contre l’envie. —6. La troisième contre la colère. —7. La quatrième contre la paresse. —8. La cinquième contre l’avarice. —9. La sixième contre la gourmandise. —10. La septième contre la luxure.
1. Mon frère, je trouve cinq fois le nombre sept dans la sainte Écriture. Suivant tes désirs ; et autant que cela me sera possible, je veux en énumérer le détail, afin que tu sois à même d’en distinguer les différentes parties ; puis je reprendrai chaque chose l’une après l’autre et t’aiderai,.par mes explications, à bien saisir la concordance qui se trouve entre elles. Il est d’abord question des sept vices :1° de l’orgueil ; 2° de l’envie ; 3° de la colère ; 4° de l’ennui, ou, en d’autres termes, de la paresse ; 5° de l’avarice ; 6° de la gourmandise ; 7° de la luxure. À ces vices sont, en second lieu, opposées les sept demandes que nous lisons dans la prière du Seigneur :1° Celle par laquelle nous adressons à Dieu cette supplique : « Que votre nom soit sanctifié » ; 2° celle où nous lui disons : « Que votre règne arrive[261] » ; et ainsi de suite. En troisième lieu viennent les sept dons du Saint-Esprit :1° l’esprit de crainte ; 2° l’esprit de piété, et le reste. Quatrièmement, nous lisons les noms des sept vertus :1° la pauvreté d’esprit, c’est-à-dire l’humilité ; 2° la mansuétude ou la bonté ; 3° la componction ou la douleur ; 4° la soif de la justice ou le désir du bien ; 5° la miséricorde ; 6° la pureté du cœur ; 7° la paix. Enfin, et en cinquième lieu, se présentent les sept béatitudes: 1° le royaume des cieux ; 2° la possession de la terre ; 3° la consolation ; 4° le rassasiement en fait de justice ; 5° la miséricorde ; 6° la vue de Dieu ; 7° l’adoption accordée par lui. Distingue et comprends bien ceci : les sept vices sont les maladies de l’âme ; l’homme est le malade, Dieu le médecin, les dons du Saint-Esprit le remède, les vertus la santé, les béatitudes la joie que l’on goûte au sein du bonheur.
2. Il y a donc sept vices principaux, qui sont comme autant de sources d’où sortent tous les autres ; les fleuves de Babylone y puisent leurs eaux, et vont ensuite conduire et répandre sur toute la terre un déluge d’iniquités. Aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Près des fleuves de Babylone », etc. Parlons donc de ces vices qui portent de tous côtés leurs ravages, qui détruisent totalement notre innocence naturelle et produisent, en même temps, le germe de tous nos maux. Ils sont au nombre de sept : les trois premiers dépouillent l’homme de tout ce qu’il a ; le quatrième lui donne le fouet ; une fois flagellé, l’homme est chassé par le cinquième, puis séduit par le sixième, et enfin, le septième le réduit en servitude. En effet, l’orgueil ôte à l’homme son Dieu ; l’envie lui enlève son prochain, la colère l’arrache à lui-même ; une fois dépouillé de tout, il se voit flagellé par l’ennui, puis l’avarice le met dehors, puis la gourmandise le séduit, et, enfin, la luxure en fait un esclave. L’orgueil est l’amour de sa propre excellence ; car l’âme qui en est infectée aime le bien qu’elle possède, exclusivement et indépendamment de celui à la générosité duquel elle le doit. Pernicieux orgueil, que fais-tu ? Pourquoi conseiller au rayon de se séparer du soleil, et au ruisseau de se rendre indépendant de la source ? Est-ce qu’en se privant des eaux de la source, le ruisseau ne se dessèche pas ? Est-ce qu’en refusant la lumière du soleil, le rayon ne se confond pas avec les ténèbres ? Est-ce qu’en refusant de recevoir ce qu’ils n’ont pas encore, l’un et l’autre ne perdent pas aussitôt même ce qu’ils avaient déjà ? Comme tout bien a sa vraie source en Dieu, ainsi, en dehors de Dieu, on ne peut utilement posséder aucun bien ; aussi l’envie suit-elle toujours de près l’orgueil ; car si on n’a point porté ses affections jusqu’à la source de tout bien, on se tourmente d’autant plus vivement du bonheur d’autrui, qu’on se laisse injustement exalter par le sien propre. Le châtiment, résultat infaillible de l’envie, est donc, de toute justice, infligé à l’enflure du cœur ; il est juste, en effet, que n’ayant point voulu aimer le principe de tout bien, on sèche d’ennui à la vue du bonheur d’autrui ; car, évidemment, on ne souffrirait pas de voir la réussite heureuse du prochain, si l’on possédait par l’amour Celui de qui tout bien procède. Se regarderait-on comme dépouillé de la félicité d’autrui, si on plaçait ses affections là où l’on posséderait avec son propre bien le bien de tous ses semblables ? Certainement non. Autant donc l’orgueil nous élève contre le Créateur, autant la jalousie nous rend inférieurs au prochain ; plus factice est, d’un côté, notre élévation, plus réelle est, de l’autre, notre chute. Néanmoins, la corruption, une fois en marelle, ne peut pas même s’arrêter là. Sitôt, en effet, que l’orgueil a enfanté l’envie, celle-ci donne naissance à la colère ; car il est naturel qu’on prenne en dégoût ce qu’on possède en soi-même, quand on ne peut reconnaître ce qu’on possède en la personne des autres ; aussi perd-on du même coup et ce dont la charité nous assurait la possession en Dieu, et ce que l’orgueil s’efforçait de posséder en dehors de Dieu. L’envie nous fait perdre le prochain, la colère nous dérobe à nous-mêmes. Ayant tout perdu, où la malheureuse conscience irait-elle puiser la joie et le bonheur ? Elle se trouve comme étouffée en elle-même par la tristesse ; elle n’a pas voulu se réjouir charitablement du bien d’autrui ; ses propres maux peuvent-ils aboutir à autre chose qu’à la déchirer ? À la suite de l’orgueil, de l’envie et de la colère, qui ôtent à l’homme tout ce qu’il a, vient immédiatement la tristesse : celle-ci, le trouvant dépouillé, lui donne le fouet pour le mettre dehors, l’avarice succède à la tristesse ; c’est justice, car s’il ne goûte plus les joies célestes, il lui faut chercher au-dehors sa consolation ; puis vient la gourmandise, qui le séduit ; dès lors que l’âme s’adonne aux objets extérieurs, ce vice se trouve en quelque sorte dans son voisinage ; il la tente, et, par l’intermédiaire de l’appétit naturel, il l’entraîne aux excès de la bouche ; enfin, voici la luxure, qui, le trouvant séduit, jette violemment l’homme dans l’esclavage. Quand une fois la crapule a allumé l’incendie dans son corps, le feu de la débauche survient à son tour et désagrège ses forces, en sorte que son esprit ne peut plus faire un pas, faute d’énergie et de fermeté. Voilà donc l’âme honteusement subjuguée et condamnée au plus dur esclavage ; à moins que le Sauveur ne prenne pitié d’elle, c’en est, pour toujours, fini de sa liberté.
3. À l’encontre des sept principaux vices, viennent les sept demandes, par lesquelles nous supplions Celui qui nous a appris à prier, de venir à notre secours ; car il a promis de donner son bon esprit à ceux qui le prieraient. L’orgueil enfle le cœur ; l’envie le dessèche : il se déchire sous l’influence de la colère : la tristesse le broie et le réduit, pour ainsi dire, en poussière ; l’avarice le jette aux quatre vents : il devient humide et se corrompt au contact de la gourmandise ; enfin, la luxure le foule aux pieds et le réduit en boue, en sorte que ce malheureux peut s’écrier : « Je suis plongé dans la vase de l’abîme[262] ». Il est incapable d’en sortir, s’il ne crie vers Dieu pour lui demander son secours, ce secours dont le Prophète a dit : « J’ai attendu, j’ai attendu le Seigneur ; il s’est abaissé vers moi, il a entendu mes cris, il m’a retiré de l’abîme de la misère et du milieu de la fange[263] ». Le Sauveur nous a donc appris à prier, afin que nous sachions qu’il est la source de tout bien.
4. « Que votre nom soit sanctifié ». Cette première demande, que nous adressons à Dieu, est contre l’orgueil ; car, par là, nous le supplions de nous inspirer la crainte et le respect de son nom. L’orgueil nous a rendus rebelles et entêtés à son égard ; nous le conjurons donc de nous accorder l’humilité, qui fera de nous des hommes soumis à ses ordres. Cette demande a pour effet d’obtenir le don de l’esprit de crainte de Dieu : en venant dans notre cœur, cet esprit y allumera la vertu d’humilité, qui, à son tour, fera disparaître la maladie de l’orgueil : alors, l’homme, devenu humble, pourra parvenir au royaume des cieux, d’où la superbe a précipité l’ange rebelle.
5. A l’envie nous opposons la seconde demandé, qui est ainsi conçue : « Que votre règne arrive ». Le règne de Dieu c’est le salut de l’homme. On dit que Dieu règne sur les hommes, quand ils lui sont soumis, maintenant, en s’unissant à lui par la foi, plus tard, en le contemplant face à face. Aussi, celui qui demande au Seigneur que son règne arrive, lui demande-t-il le salut des hommes, et, par cela même qu’il demande le salut de tous, déclare-t-il qu’il réprouve la jalousie méchante. Cette prière obtient l’esprit de piété, qui doit embraser le cœur du feu de la charité et aider l’homme à mériter lui-même l’héritage éternel qu’il souhaite à ses semblables.
6. Contre la colère, nous disons à Dieu « Que votre volonté soit faite ». Car, pour dire : « Que votre volonté soit faite », il faut ne pas vouloir engager de discussion. Par ces paroles, nous donnons à entendre que nous acceptons de grand cœur les desseins de Dieu sur nous ou sur les autres. Elles nous obtiennent l’esprit de science, qui, par sa venue en nos cœurs, nous instruira et nous inspirera intérieurement une salutaire componction alors nous saurons que les maux qui nous affligent sont le résultat de nos fautes, et que le bien qui nous échoit est l’effet de la miséricorde divine ; ainsi, et quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses, où nous nous trouvions, nous apprendrons, non pas à nous irriter contre le Créateur, mais à nous montrer toujours résignés à faire sa volonté ! Comme conséquence de la componction du cœur, qui naît de l’humilité de l’âme sous l’influence de l’esprit de science, l’esprit se calme et s’adoucit, la colère et l’indignation disparaissent, tandis que l’emportement ôte la raison et tue celui qui s’y abandonne. Pour cette vertu de componction, la consolation vient à la suite afin de la récompenser, sans qu’elle ait eu néanmoins à souffrir la moindre douleur ; et, de la sorte, il arrive que quiconque s’afflige et se lamente volontairement ici-bas en présence de Dieu, méritera de jouir au ciel de la vraie joie, de la véritable allégresse.
7. Voici contre la tristesse, c’est la quatrième demande : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». La tristesse est l’ennui d’une âme dégoûtée : elle a lieu, quand cette âme, en quelque sorte remplie de répugnance et d’amertume par suite de ses infirmités, ne ressent plus aucun goût pour les biens intérieurs. Aussi, pour obtenir la guérison de ce vice, peut-on prier le Dieu miséricordieux de se souvenir, de son habituelle bonté et d’accorder à cette âme languissante l’aliment intérieur qui lui rendra ses forces épuisées par le manque d’appétit : par là, ce qu’elle ne saurait désirer, faute de goût, elle commencera à l’aimer dès qu’il sera présenté devant elle. À cette demande Dieu octroie l’esprit de force, qui ranimera cette âme épuisée et qui, en lui rendant sa vigueur primitive, lui rendra aussi le désir et le goût des aliments intérieurs. La force communique donc au cœur la faim de la justice ; et celui qui brûle ici-bas du désir ardent de la piété, recevra, comme récompense dans le ciel, la plénitude du bonheur.
8. Cinquième demande : a Accordez-nous », etc. : elle est dirigée contre l’avarice. Celui qui remet aux autres leurs dettes ne doit pas éprouver d’inquiétudes pour lui-même, puisqu’il ne veut pas se montrer exigeant : c’est de toute justice. Dès lors que Dieu, par sa grâce, nous délivre de l’avarice, il nous impose une condition pour notre salut et nous indique le moyen par lequel nos dettes doivent s’éteindre. Comme résultat de cette prière, nous recevons donc l’Esprit de conseil ; il doit nous apprendre à pardonner volontiers en ce monde à ceux qui nous offensent, afin que nous méritions d’obtenir miséricorde au moment où il nous faudra, en l’autre, rendre compte de nos fautes.
9. La sixième demande concerne la gourmandise : « Ne nous induisez pas en tentation » ; c’est-à-dire, ne permettez pas que nous soyons induits en tentation. Ne sommes-nous pas réellement tentés, quand, sous prétexte d’appétit naturel, les convoitises de la chair s’efforcent de nous entraîner en des excès coupables ? Ces convoitises ne cachent-elles point, dans leurs flancs, la volupté, puisqu’elles profitent de la nécessité pour nous flatter ? Jamais nous ne sommes induits en cette sorte de tentation, quand nous subvenons à la nature dans la mesure de ses besoins, de manière à empêcher toujours notre appétit de dégénérer en convoitises de la chair. Pour nous y aider, Dieu nous donne l’esprit d’intelligence ; alors l’aliment spirituel de sa parole retient en de justes bornes notre appétit sensuel ; il fortifie notre âme, et, ainsi, la faim corporelle ne peut plus briser ses forces, et la volupté devient incapable de la dompter. Voilà pourquoi le Sauveur lui-même a répondu à celui qui le tentait : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu[264] ». Il voulait, par là, nous montrer clairement que ce pain intérieur répare les forces épuisées de l’âme, et qu’il ne faut pas se tourmenter, si, pour un temps, l’on souffre de la faim matérielle. Pour combattre la gourmandise, nous recevons donc l’esprit d’intelligence : cet esprit débarrasse notre cœur de toutes ses souillures et le purifie : il applique sur notre œil intérieur, en guise de collyre, la connaissance de la parole divine ; il le guérit et le rend si clairvoyant, que celui-ci devient assez perspicace pour contempler l’éclat de la divinité même. Le remède à la gourmandise, c’est donc l’Esprit d’intelligence qui produit dans le cœur la pureté : et cette pureté du cœur mérite à son tour de jouir de la vision de Dieu, selon qu’il est écrit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[265] !
10. « Délivrez-nous du mal ». Telle est la septième prière qui a trait à la luxure. Il est éminemment convenable que l’esclave demande sa liberté ; aussi cette prière a-t-elle pour résultat d’obtenir l’esprit de sagesse, qui doit rendre aux captifs la liberté qu’ils ont perdue, et les délivrer du joug d’une infâme servitude. Sagesse dérive de saveur : en effet, l’âme, attirée par les charmes de l’éternelle douceur, se recueille déjà en elle-même, ne fût-ce que par ses désirs, et ne trouve plus au-dehors, dans les voluptés de la chair, le principe dissolvant qui l’énervait. Dès que, par son onction, l’esprit de sagesse se met en contact avec notre cœur, il tempère l’ardeur de la concupiscence de nos membres, et, après l’avoir calmée et assoupie, il fait naître en nous la paix intérieure ; notre âme tout entière se renferme dans la jouissance des plaisirs spirituels, et en l’homme se rétablit pleinement et parfaitement l’image de Dieu, suivant cette parole de l’Écriture : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[266] ». Puisqu’il nous a ordonné de le devenir, puisse cette grâce nous être accordée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Dieu, qui vit et règne, avec le Père et l’Esprit-Saint, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Psa. 1, 1
  2. Sir. 4, 32
  3. Mat. 7, 14
  4. Act. 9, 5
  5. Isa. 40, 6-8
  6. Rom. 5, 20
  7. Psa. 115, 5
  8. Prononcé par saint Augustin le 12 des calendes de septembre, et où le saint docteur explique ces paroles de l’Apôtre : « Je parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ». (Rom. 6, 19.)
  9. Psa. 125, 2
  10. Rom. 12, 2
  11. Rom. 8, 24,25
  12. Phi. 3, 13-14
  13. 1Co. 4, 16
  14. Phi. 3, 13
  15. 1Co. 15, 10
  16. Phil. 3, 15
  17. Heb. 12, 4
  18. Rom. 6, 19
  19. Mat. 10, 34
  20. Mat. 10, 27
  21. Psa. 44, 2
  22. Luc. 2, 13
  23. Psa. 33, 6
  24. Mrc. 8, 38
  25. Luc. 3, 8
  26. Luc. 1, 8-18
  27. Id. 19-20
  28. Luc. 1,43
  29. Jer. 1, 5
  30. Luc. 3, 16
  31. Jn. 3, 30
  32. Id. 1, 15
  33. Luc. 3, 16
  34. Mrc. 6, 18
  35. Jn. 3, 30
  36. Psa. 28, 4
  37. Isa. 40, 3
  38. Psa. 62, 3
  39. Luc. 3, 4,5
  40. Id. 14, 11
  41. Id. 3, 5
  42. Luc. 3, 4
  43. Isa. 54, 1
  44. Isa. 26, 18
  45. Act. 7, 52
  46. Mrc. 1, 4
  47. Isa. 35, 1
  48. 2Co. 2, 15
  49. Phi. 4, 1
  50. Luc. 3, 2
  51. Rom. 2, 14-15
  52. Id. 22-24
  53. Jn. 3, 30
  54. Psa. 117, 24
  55. Luc. 3, 16
  56. Jn. 1, 29,30
  57. Mat. 3, 14-15
  58. Id. 16-17
  59. Mat. 16, 13
  60. Id. 16
  61. Mat. 16, 17
  62. Apo. 21, 16
  63. Psa. 18, 3
  64. On croit généralement qu’ils ont souffert la même année.
  65. Psa. 144, 14
  66. Mat. 14, 31
  67. Id. 28
  68. Id. 29
  69. Mat. 14, 29
  70. Gen. 3, 9
  71. Ps 33, 16
  72. Jn. 21, 13
  73. Id. 1
  74. Mat. 7, 17
  75. Psa. 127, 3
  76. Id. 22, 5
  77. Psa. 127, 10
  78. Ecc. 1, 2
  79. 1 Cor. 15, 35
  80. Ps. 112, 7,8
  81. Lc. 21, 18
  82. 2 Cor. 6, 7
  83. Mt. 10, 16
  84. Jn. 20
  85. Mt. 10, 16
  86. Ibid
  87. Act. 12, 23
  88. Jac. 1, 17
  89. Jer. 1, 5
  90. Ps. 34, 16
  91. Ps. 123, 6-8
  92. Ps. 26, 13
  93. Id. 41, 3
  94. 1 Cor. 2, 9
  95. Mt. 4, 18-19
  96. Id. 16, 15
  97. Ibid
  98. Jer. 16, 16
  99. Jn. 1, 35,37
  100. Act. 7, 55
  101. Apoc. 7, 9
  102. Act. 7, 59
  103. Ps. 8, 3
  104. 2 Cor. 11, 2
  105. Sag. 2, 24
  106. Sag. 2, 24,25
  107. Deut. 32, 9
  108. Apoc. 6, 10
  109. Ps. 78, 11
  110. Apoc. 6, 9,10
  111. Rom. 8, 35
  112. Mt. 2, 18
  113. Id. 16
  114. Jn. 18, 37
  115. Id. 9, 12
  116. Mt. 10, 8
  117. Mt. 9, 13
  118. Eph. 2, 14
  119. Mt. 16, 18
  120. Mat. 11, 27
  121. Mat. 11, 27
  122. Jn. 1, 2
  123. 1Ti. 2, 5
  124. Mat. 17, 5
  125. Rom. 1, 10
  126. Mat. 25, 31-34
  127. Mat. 35, 40
  128. Id. 41
  129. Id. 8, 12
  130. Mrc. 9, 43
  131. Psa. 6, 6
  132. Id. 103, 26
  133. ibid
  134. Mat. 10, 22
  135. 1Co. 10, 10
  136. Gen. 3, 18-19
  137. 2Ro. 2, 25
  138. ibid
  139. 2Ro. 6, 46
  140. Psa. 33, 13
  141. Psa. 22, 9
  142. Id. 83, 10
  143. Psa. 33, 14-15
  144. Eph. 5, 29
  145. Gen. 3, 19
  146. Psa. 11, 9
  147. Id. 7, 10
  148. Heb. 4, 12
  149. Id. 13
  150. Psa. 31, 5
  151. Id. 146, 3
  152. Isa. 13, 25
  153. Id. 26
  154. Eze. 33, 11
  155. Zac. 1,3
  156. Id. 4
  157. 2Sa. 12, 13
  158. Ecc. 2, 8
  159. Id. 8, 15
  160. Id. 1,2
  161. Jn. 1, 12
  162. Jon. 1, 2
  163. Jon. 1, 12
  164. Jon. 4, 10-11
  165. Isa. 22, 13
  166. Mat. 18, 18
  167. Id. 5, 45
  168. Gen. 3, 7
  169. Luc. 15, 11 et suiv
  170. Luc. 15, 21
  171. Mat. 18, 14
  172. Phi. 2, 6-7
  173. Mat. 20, 28
  174. Rom. 8, 34
  175. Jn. 11, 1 et suiv
  176. Id. 44 et suiv
  177. Mat. 18, 18
  178. Id. 6, 8
  179. 2Co. 6, 2
  180. Psa. 33, 17
  181. Id. 16
  182. Id. 1,19
  183. Mat. 18, 18
  184. Mat. 18, 18
  185. Mat. 12, 29
  186. Psa. 25, 2
  187. Eze. 33, 2
  188. Mat. 9, 12
  189. Id. 13
  190. Gen. 3, 4
  191. Jn. 8, 44
  192. Psa. 117, 1
  193. Psa. 145, 8
  194. 1Co. 10, 12
  195. Rom. 12, 16
  196. Psa. 50, 19
  197. Mat. 18, 18
  198. Luc. 18, 13
  199. Luc. 18, 14
  200. 2Co. 6, 16
  201. Mat. 16, 19
  202. Psa. 17, 7
  203. Psa. 50, 19
  204. 1Co. 10, 12
  205. 1Co. 10, 12
  206. Gal. 6, 1
  207. Id. 2
  208. 1Pi. 2, 22
  209. Luc. 15, 19
  210. Psa. 31, 5
  211. Jac. 4, 8
  212. Id. 7
  213. 1Co. 4, 15
  214. Luc. 15, 24
  215. Psa. 29, 12
  216. Luc. 15, 33
  217. Psa. 114, 8,9
  218. Luc. 24, 29
  219. Apo. 3, 7
  220. Luc. 11, 21
  221. Luc. 10, 30
  222. Luc. 10, 30
  223. Id.6
  224. Id. 6
  225. Psa. 55, 5
  226. Psa. 144, 9
  227. Eze. 33, 11
  228. Mat. 9, 13
  229. Tit. 3, 5
  230. Tit. 3, 5
  231. Mat. 19, 27
  232. Psa. 142, 10
  233. 1Pi. 2, 9
  234. 2Ti. 2, 5
  235. Deu. 7, 1,2
  236. Deu. 7, 18-19
  237. 2Pi. 2, 21
  238. 1Co. 14, 38
  239. Mat. 7, 13
  240. 1Sa. 16, 38
  241. Id. 51
  242. Heb. 12, 12-13
  243. Deu. 8, 16-18
  244. Psa. 34, 1-2
  245. Psa. 115, 7
  246. Exo. 14, 14
  247. 2Ro. 6, 16
  248. Lam. 3, 26-28
  249. Can. 1, 4
  250. Id. 4, 2
  251. Id. 7, 4
  252. Psa. 136, 6
  253. Id. 131, 14
  254. Can. 7, 6
  255. Gen. 29, 17
  256. Luc. 10, 41
  257. Mrc. 1, 12
  258. Mrc. 1, 12
  259. Nom. 24, 5-6
  260. 2Co. 5, 1
  261. Mat. 6, 9
  262. Psa. 63, 5
  263. Psa. 39, 1-2
  264. Mat. 4, 3
  265. Id. 5, 9
  266. Mat. 5, 9