Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre III


Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 289-366).
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LIVRE III

CHAPITRE PREMIER

De l’élocution.

I. Comme il y a trois questions à traiter en ce qui concerne le discours : premièrement, d’où seront tirées les preuves ; deuxièmement, ce qui touche à l’élocution ; en troisième lieu, comment il faut disposer les parties d’un discours, nous avons dit, au sujet des preuves et de leur nombre, qu’elles se tirent de trois sortes de considérations ; nous avons expliqué celles-ci et la raison pour laquelle il n’y en a que trois sortes. En effet, on considère soit les impressions qui affectent les juges eux-mêmes, soit les dispositions où ils croient que sont les orateurs, soit encore la démonstration qui les amène à être persuadés. On a dit aussi où il faut puiser pour fournir des enthymèmes, car on distingue les formes d’enthymèmes et les lieux.

II. C’est maintenant le moment de parler de l’élocution ; et en effet, il ne suffit pas de posséder la matière de son discours, on doit encore parler comme il faut [1] et c’est là une condition fort utile pour donner au discours une bonne apparence. III. D’abord donc on a recherché, suivant l’ordre naturel, — question qui occupe habituellement la première place — les faits même dont la connaissance entraîne la probabilité ; en second lieu, la manière d’en disposer l’énonciation ; troisièmement, question de la plus haute portée, mais qui n’a pas été traitée encore, ce qui se rapporte à l’action oratoire [2]. En effet, elle ne fut admise que tardivement dans le domaine de la tragédie et de la rapsodie, vu que, primitivement, les poètes jouaient eux-mêmes leurs tragédies. Il est donc évident qu’elle a une place dans la rhétorique, aussi bien que dans la poétique. Certains en ont traité[3] entre autres Glaucon de Téos.

IV. Cette action réside dans la voix, qui sera tantôt forte, tantôt faible, tantôt moyenne (et il faut examiner) comment on doit s’en servir pour exprimer chaque état de l’âme, quel usage faire des intonations qui la rendront tour à tour aiguë, grave ou moyenne, et de certains rythmes suivant chaque circonstance, car il y a trois choses à considérer : ce sont la grandeur, l’harmonie et le rythme[4]. Dans les concours, c’est presque toujours l’action qui fait décerner le prix, et tout comme, dans cet ordre, les acteurs l’emportent actuellement sur les poètes, il en est de même dans les débats politiques, par suite de l’imperfection des gouvernements[5].

V. Sur cette matière, l’art n’est pas encore constitué, parce que l’action n’est venue que tardivement s’appliquer à l’élocution et que, à bien la considérer, elle paraît être futile ; seulement, comme un traité de rhétorique doit d’un bout à l’autre être rédigé en vue de l’opinion, il nous faut nous préoccuper non point de ce qui est bien en soi, mais de ce qui est nécessaire, attendu qu’il convient, à vrai dire, en fait de discours, de ne pas s’appliquer à autre chose de plus qu’à ne pas affliger ni réjouir (l’auditoire). La justice, en effet, c’est de lutter en s’armant des seuls faits, si bien que tout ce qui est étranger à la démonstration est superflu. Toutefois (l’action) a une grande puissance, comme on vient de le dire, par suite de l’imperfection morale des auditeurs.

VI. Ainsi donc la question de l’élocution a un côté quelque peu nécessaire en toute sorte d’enseignement, car il est assez important, pour faire une démonstration quelconque, de parler de telle ou telle façon, mais ce n’est pas déjà d’une aussi grande importance (que pour la rhétorique) ; car tout, dans cet art, est disposé pour l’effet et en vue de l’auditeur. Aussi personne ne procède ainsi pour enseigner la géométrie. Lorsque, par conséquent (l’action) interviendra, elle donnera le même résultat que l’hypocritique[6].

VII. Quelques-uns ont entrepris de traiter en peu de mots cette dernière question (au point de vue oratoire) ; Thrasymaque[7], par exemple, dans son livre sur l’Art d’exciter la pitié. La faculté hypocritique est une faculté naturelle et indépendante de l’art[8] ; mais, rattachée à l’élocution, elle en devient dépendante. Voilà pourquoi ceux qui ont du talent en ce dernier genre remportent des triomphes à leur tour, comme les orateurs préoccupés de faction ; car les discours écrits valent plutôt par l’expression que par la pensée[9].

VIII. Ce furent les poètes qui les premiers commencèrent à provoquer les mouvements de l’âme [10], et c’était naturel ; car les dénominations sont des imitations, et la voix est chez nous la partie la plus apte de toutes à l’imitation : c’est ce qui a donné naissance à la rapsodie, à l’hypocritique et à d’autres arts, du reste.

IX. Mais comme les poètes, tout en ne disant que des futilités, semblaient devoir au style la gloire qu’ils acquéraient, il s’ensuit que le style poétique vint le premier ; tel, par exemple, celui de Gorgias. Et maintenant encore, bien des gens dépourvus d’instruction trouvent que ceux qui le pratiquent sont les plus beaux parleurs ; or cela n’est pas : autre est le langage de la prose, autre celui de la poésie, et un fait le démontre : ceux qui composent des tragédies ne l’emploient pas de la même façon ; mais, de même que, des tétramètres ils sont passés au mètre ïambique[11], parce que celui-ci ressemblait plus que tout autre à la prose[12], de même, ils évitent les expressions étrangères au langage de la conversation, ou les termes ornés que recherchaient leurs devanciers et que recherchent encore ceux qui, aujourd’hui, composent des hexamètres[13]. Aussi serait-il ridicule d’imiter ceux qui ne font plus eux-mêmes usage de ce genre de style.

X. On le voit donc, nous n’avons pas à étudier en détail toute la question de l’élocution, mais seulement l’élocution qui se rapporte à notre objet[14]. Quant à l’autre, on en a parlé dans le traité sur la Poétique[15].


CHAPITRE II


Sur les qualités principales du style.


I. Telles étaient les considérations à faire valoir. Maintenant, on devra établir que le mérite principal de l’élocution consiste dans la clarté ; la preuve, c’est que le discours, s’il ne fait pas une démonstration, ne remplit pas son rôle. Il consiste aussi à ne tomber ni dans la bassesse, ni dans l’exagération, mais à observer la convenance ; car l’élocution poétique ne pécha sans doute point par la bassesse, mais elle ne convient pas au discours en prose.

II. Parmi les noms et les verbes, ceux-là rendent l’élocution claire qui sont des termes propres. Quant à ce qui a pour effet de lui ôter la bassesse et de lui donner de l’élégance, ce sont d’autres termes qui ont été expliqués dans le traité de la Poétique. En effet, la substitution d’un mot à un autre donne à l’élocution une forme plus élevée, car l’effet différent que produisent sur nous des étrangers et nos concitoyens est produit également par l’élocution[16].

III. Voilà pourquoi il faut donner au langage un cachet étranger, car l’éloignement excite l’étonnement, et l’étonnement est une chose agréable. En poésie, plusieurs éléments amènent ce résultat et sont de mise dans ce genre-là, attendu que l’on voit de plus loin les choses et les personnes dont il est question. Mais, dans le discours pur et simple, ces éléments sont beaucoup moins nombreux, car le sujet est moins relevé. D’autant plus que, dans ce genre-ci, soit qu’on fasse parler le beau langage à un esclave ou à un tout jeune homme, ou qu’on l’applique à des sujets tout à fait secondaires, l’inconvenance n’en sera que plus sensible. Toutefois, même pour traiter de tels sujets, la convenance se prêtera tantôt au langage condensé, tantôt à l’ampleur. Aussi doit-on parler ainsi sans laisser voir l’art, et s’appliquer à ne pas paraître user d’un langage apprêté, mais naturel ; car celui-ci amène la conviction et celui-là produit l’effet contraire. En effet, on est alors prévenu contre l’orateur comme s’il était insidieux, de même qu’on se défie des vins mélangés. C’est ainsi que la voix de Théodore prévenait ses auditeurs contre celle des autres acteurs ; la sienne ressemblait à celle du personnage, tandis que celles des autres paraissaient affectées.

V. L’artifice se dérobe heureusement lorsque l’on compose un discours en choisissant ses termes dans le langage de la conversation. C’est ce que fait Euripide et c’est lui qui, le premier, a donné l’exemple. Comme le discours est formé de noms et de verbes et qu’il y a autant d’espèces de noms qu’on l’a exposé dans la Poétique[17], il faut n’employer que rarement, et en peu d’occasions, les mots étrangers[18], les mots composés et les mots forgés. Quelles sont ces occasions, nous le dirons plus tard[19] ; pour quel motif (elles sont rares), nous l’avons dit[20], c’est que l’on s’éloigne ainsi davantage du style convenable.

VI. Le terme propre et familier, la métaphore, telles sont les seules expressions utiles pour l’élocution dans le discours pur et simple. La preuve en est dans ce fait que tout le monde n’emploie que celles-là. En effet, tout le monde use des métaphores dans la conversation, ainsi que des termes familiers et propres. Et par suite, il est évident que, si l’on procède avec habileté, on aura un langage étranger, l’art se dérobera et l’on sera clair, ce qui était tout à l’heure la qualité principale du langage oratoire.

VII. Parmi les noms, les homonymies[21] sont surtout utiles au sophiste, car c’est grâce à elles qu’il accomplit sa mauvaise action ; les synonymies seront surtout utiles au poète : or je parle ici des termes à la fois synonymes et propres ; par exemple, πορεύεσθαι et βαδΙζειν[22], qui sont tous deux propres et synonymes l’un de l’autre. Qu’est-ce que signifie chacune de ces qualifications ; combien y a-t-il d’espèces de métaphores; quelle en est la valeur, soit en poésie, soit dans le discours ; encore une fois, on l’a dit dans la Poétique.

VIII. Pour le discours, il faut apporter d’autant plus de travail dans leur application, que cette forme de langage a moins de ressources, comparée à la versification ; que la clarté, l’agrément du style et sa physionomie étrangère sont particulièrement du ressort de la métaphore, et que l’on ne peut trouver cet avantage ailleurs.

IX. Il faut aussi parler des épithètes et des métaphores convenables ; cela résultera de l’analogie. Si celle-ci n’existe pas, la métaphore paraîtra manquer de convenance, vu que ce sont les contraires qui paraissent se prêter le mieux au parallèle. Seulement il faut examiner, si l’on donne une robe de pourpre au jeune homme, quelle robe on donnera au vieillard ; car le même vêtement ne convient pas aux deux âges.

X. Si tu veux glorifier (il faut) tirer la métaphore de ce qu’il y a de meilleur parmi les choses du même genre ; si tu veux blâmer, la tirer de ce qu’il y a de plus mauvais. J’entends, par exemple, que, comme il y a des contraires dans un même genre, dire que l’un en mendiant fait une prière et que l’autre en faisant une prière mendie, par cela même que des deux côtés il y a des demandes, c’est là faire la chose en question. Iphicrate disait que Callias était un μητραγύρτης, et non pas un δᾳδοῦχος[23], et celui-ci répondit qu’Iphicrate était, lui, un ἀμύητος[24] que, autrement, il ne l’aurait pas appelé un μητραγύρτης, mais un δᾳδοῦχος. En effet, les deux termes s’appliquent au culte divin ; seulement l’un est honorable, et l’autre ne l’est pas. Autre exemple : il y a des gens qui qualifient du nom de διονυσοκόλακες[25] ceux qui, entre eux, s’appellent des τεχνῖται (artistes) ; or ces termes sont tous deux des métaphores, appliquées l’une par des gens qui veulent avilir (la profession), l’autre par des gens qui veulent faire le contraire.

C’est encore dans le même esprit que les brigands se donnent entre eux, aujourd’hui, le nom de πορισταί (agents d’approvisionnement). De là vient que, de celui qui a causé un préjudice, on peut dire qu’il a fait erreur et, de celui qui a fait erreur, qu’il a causé un préjudice, ou de celui qui a fait disparaître, qu’il a pris ou qu’il a pillé[26]. Dans le vers du Télèphe d’Euripide[27] : « Commandant aux rames et ayant fait voile vers la Mysie, »il y a manque de convenance, parce que « commander » dit plus qu’il ne faut. Le poète n’a donc pas dissimulé le procédé.

XI. Il y a faute aussi dans les syllabes si elles ne représentent pas un son agréable ; comme, par exemple, lorsque Denys, l’homme d’airain[28], dans ses élégies nomme la poésie « le cri de Calliope » (au lieu de chant) attendu que les deux mots signifient un son : mais la métaphore est mauvaise, étant empruntée à des sons non mélodieux.

XII. En outre, il ne faut pas tirer de loin les métaphores, mais les emprunter à des objets de la même famille et de la même espèce, de façon que, si les choses ne sont pas nommées, on leur donne l’appellation qui se rattache manifestement au même ordre d’idées. Exemple, cette énigme bien connue[29]

J’ai vu un homme qui, avec du feu, collait de l’airain sur la peau d’un autre homme.

L’action subie n’est pas nommée, mais dans les termes il y a une idée d’application. L’auteur a donc appelé « collage » l’application de la ventouse[30]. Au surplus, il faut, absolument parlant, emprunter des métaphores modérées à des allusions convenablement énigmatiques ; car les métaphores sont des allusions, et c’est à quoi l’on reconnaît que la métaphore a été bien choisie.

XIII. Il faut aussi les emprunter à de belles expressions : or la beauté d’un mot, comme le dit Lycimnius[31] réside ou dans les sons, ou dans la signification ; la laideur d’un mot pareillement. En troisième lieu, il y a ce qui renverse un raisonnement sophistique ; car il ne faut pas dire, comme Bryson[32], qu’une parole ne sera jamais déplacée si la signification est la même, soit que l’on emploie telle expression ou telle autre.

Cela est faux ; car tel terme est plus propre qu’un autre, même plus rapproché de l’objet dénommé et plus apte à représenter la chose devant les yeux. De plus, tel mot, comparé à tel autre, n’a pas une signification semblable, et, par suite, il faut établir que l’un sera plus beau ou plus laid que l’autre. En effet, tous deux servent à marquer la signification de ce qui est laid et de ce qui est beau, mais non pas en tant que beau, et non pas en tant que laid ; ou, s’il en est ainsi, il y aura du plus ou du moins. Voici d’où l’on doit tirer les métaphores : des mots qui aient de la beauté dans le son, ou dans la valeur, ou dans leur aspect, ou enfin par quelque autre qualité sensible. Il est préférable de dire, par exemple, ῥοδοδάκτυλος ἠώς[33], plutôt que φοινικοδάκτυλος[34], ou, ce qui est encore plus mauvais, ἐρυθροδάκτυλος[35].

XIV. Dans le choix des épithètes, on peut employer des appositions tirées de ce qui est mauvais ou laid ; comme, par exemple, « le meurtrier de sa mère[36] ». On peut encore les tirer de ce qui est meilleur, comme « le vengeur de son père[37] ». Simonide aussi, comme certain vainqueur aux courses de mules lui accordait une rémunération trop faible, refusa de composer une poésie en son honneur, alléguant qu’il lui répugnait de chanter à propos de mulets ; mais l’autre lui accordant une somme suffisante, il fit ce vers :

Salut, filles de cavales rapides comme la tempête,


bien que ces mules fussent aussi filles des ânes.

XV. Ajoutons l’atténuation. On distingue entre autres celle qui affaiblit l’importance du bien ou du mal. C’est ainsi qu’Aristophane emploie, en manière de plaisanterie, dans les Babyloniens, le terme de miette d’or pour or, petit vêtement pour vêtement, petite injure pour injure, petite maladie pour maladie. Seulement il faut user avec prudence des diminutifs et observer une juste mesure dans l’emploi de l’un ou de l’autre terme[38].


CHAPITRE III


Sur le style froid.


I. Les expressions sont froides, quant au style, dans quatre cas différents. D’abord dans celui des mots composés. Exemple : Lycophron[39] dit : le ciel πολυπρόσωπος; (aux nombreuses faces), la terre, μεγαλοκόρυφος (aux grandes cimes), une rade στενόπορος (à l’entrée étroite)[40]. Gorgias disait : un flatteur πτωχόμουσος (artiste en fait de mendicité) ; il a employé aussi les mots ἐπιορκήσαντας (ceux qui se sont parjurés) et κατευορκήσαντας (ceux qui ont contre-juré la vérité)[41]. Alcidamas : « l’âme remplie de courroux, et la face devenue πυρίχρων (rouge comme du feu) ; » il pensait que son ardeur leur serait τελεσφόρος (les emporterait vers leur but); il faisait de la persuasion le τελεσφόρος des discours (l’agent qui mène au but); il nommait κυανύχρων couleur d’azur) la surface de la mer. Toutes ces expressions, en leur qualité de mots composés, appartiennent à la langue poétique.

II. Voilà donc une première cause de froideur ; il en est une autre qui consiste dans l’emploi des termes étranges. C’est ainsi que Lycophron appelait Xerxès un homme-colosse, et Scipion un homme-fléau. Alcidamas fait de la poésie « un amusement » ; il parle de l’ἀτασθαλία (la folie cruelle) de la nature, et d’un homme « aiguillonné par la fureur effrénée de la pensée ».

III. Une troisième cause réside dans les épithètes lorsqu’elles sont tirées de loin, placées mal à propos ou trop rapprochées. Ainsi, en poésie, l’on dira très bien « un lait blanc… » ; mais, dans le langage de la prose, les épithètes, ou sont hors de mise, ou, si elles font pléonasme, trahissent l’art et rendent manifeste la présence de la poésie. Ce n’est pas qu’on ne doive en faire quelque usage, car elle change le terme habituel et donne au style une physionomie étrangère ; seulement il faut atteindre la juste mesure, car, sans cela, le mal produit serait encore plus grand que si l’on parlait sans art. Dans le premier cas, l’élocution n’est pas bonne, mais dans le second elle est mauvaise. C’est ce qui fait paraître froides les expressions qu’emploie Alcidamas. Car ce n’est pas l’assaisonnement, mais l’aliment de son style, que ces épithètes multipliées, exagérées, brillantes à l’excès. Ainsi, au lieu de dire « la sueur », il dira « la sueur humide » ; il ne dira pas « aux jeux isthmiques », mais « à la solennité des jeux isthmiques » ; ni « les lois », mais « les lois, reines des cités »[42] ; ni « dans la course », mais « dans l’entraînement de l’âme qui nous fait courir » ; ni « ayant reçu un musée », mais « le musée de la nature ». Il dira : « le sombre souci de l’âme » ; et non pas « l’auteur de la faveur », mais « l’auteur de la faveur populaire et le dispensateur du plaisir de ses auditeurs » ; et non pas « il recouvrit de rameaux », mais « de rameaux provenant de la forêt » ; non pas « il voila son corps », « mais la pudeur de son corps ». Il dira : « le désir, contre-imitateur de l’âme ». Ce dernier terme est tout ensemble un mot composé et une épithète, de sorte qu’il devient une expression poétique. Il dira de même « le comble superlatif de la méchanceté ». Aussi ceux qui s’expriment poétiquement hors de propos pèchent par le ridicule et par la froideur, et leur verbiage produit l’obscurité ; car, s’ils ont affaire à un auditoire au courant de la question, ils dissipent la notion claire en la couvrant de ténèbres. On a recours, d’ordinaire, aux mots composés, lorsque manque le terme propre et que le mot est bien composé, comme, par exemple, χρονοτριβεῖν (perdre son temps) : mais, si le fait est fréquent, ce sera toujours un langage poétique. Aussi le mot composé est surtout utile à ceux qui font des dithyrambes, lorsqu’ils recherchent les termes sonores. Les mots étranges le seront surtout aux poètes épiques, lesquels recherchent la majesté et la hardiesse ; la métaphore, aux poètes ïambiques, car ceux-ci en font usage encore aujourd’hui, comme nous l’avons dit.

IV. En quatrième lieu, la froideur a pour cause la métaphore ; car il y a des métaphores déplacées : les unes parce qu’elles sont ridicules, attendu que les poètes comiques ont aussi recours aux métaphores, les autres par ce qu’elles ont de trop majestueux et de tragique. De plus, elles sont obscures, si l’on va les chercher trop loin.

V. Voici des exemples pris dans Gorgias : « Les choses pâles et ensanglantées. » — « mais toi, c’est à ta honte que tu as semé cela, et ta moisson a été criminelle. » Toutes ces expressions sentent trop la poésie. C’est comme dans Alcidamas : « La philosophie, rempart des lois. » — « L’Odyssée, miroir fidèle de la vie humaine, » — « n’offrant aucun agrément aussi grand à la poésie ». En effet, toutes ces expressions sont inefficaces pour amener la conviction, par les motifs donnés précédemment. Le mot de Gorgias, sur une hirondelle qui, en volant, laissa tomber sa fiente sur lui, serait tout à fait digne d’un poète tragique : « C’est vraiment honteux, ô Philomèle ! » Pour un oiseau, un tel acte n’était pas honteux ; il le serait de la part d’une jeune fille, Le reproche, par conséquent, eût été bien placé s’il se fût adressé à ce qu’elle a été, mais il ne l’est pas, s’adressant à ce qu’elle est maintenant[43].


CHAPITRE IV


Sur l’image.


I. L’image est aussi une métaphore, car il y a peu de différence entre elles. Ainsi, lorsque (Homère) dit en parlant d’Achille : « Il s’élança comme un lion[44], » il y a image ; lorsqu’il a dit : « Ce lion s’élança, » il y a métaphore. L’homme et l’animal étant tous deux pleins de courage, il nomme, par métaphore, Achille un lion.

II. On emploie aussi l’image dans la prose ; seulement c’est rare, attendu qu’elle est propre à la poésie. On place les images de la même manière que la métaphore, car ce sont des métaphores qui se distinguent des autres par la différence qu’on vient d’indiquer.

III. Les images sont, par exemple, ce que dit Androtion[45] sur Idrée[46] : qu’il ressemblait à de petits chiens qu’on vient de déchaîner ; que ceux-ci se jettent sur les gens et les mordent ; que, tout de même, Idrée, sortant de prison, est inabordable. C’est encore ainsi que Théodamas comparait Archidamus à Euxène, ignorant en géométrie, et, d’après la même relation, Euxène sera un Archidamus géomètre[47] Telle encore la comparaison qui figure dans la République de Platon [48] et d’après laquelle ceux qui dépouillent les morts ressemblent à de petits chiens qui mordent les pierres qu’on leur jette, sans toucher ceux qui les lancent. Telle encore cette image, relative au peuple, qu’il est dans la situation d’un pilote à la main solide, mais qui aurait l’oreille dure[49]. Telle l’image relative aux vers des poètes, à savoir : qu’ils ressemblent aux jeunes gens sans beauté ; ceux-ci quand ils n’ont plus la leur de la jeunesse, ceux-là quand ils sont démembrés, ne sont plus reconnaissables[50]. Telle l’image de Périclès, visant les Samiens : « Ils ressemblent, disait-il, aux enfants, qui reçoivent la nourriture, mais continuent de pleurer. » Telle encore celle qu’il faisait sur les Béotiens : « Ils ressemblent, disait-il, aux chênes verts ; car les chênes verts se cassent entre eux[51] et les Béotiens se battent les uns contre les autres. » Démosthène disait du peuple qu’il ressemblait à ceux qui ont des nausées sur un navire. Démocrate comparait les orateurs aux nourrices qui, mangeant les aliments[52], frottent de salive les lèvres des enfants[53]. Antisthène comparait le maigre Céphisodote à l’encens qui fait plaisir en se consumant. Il est permis de voir dans tous ces exemples, et des images et des métaphores, de telle sorte que toutes celles qui sont goûtées, étant dites comme métaphores, seront évidemment tout aussi bien des images, et que les images sont des métaphores qui demandent à être expliquées.

IV. Il faut toujours que la métaphore réponde à une métaphore corrélative, qu’elle porte sur les deux termes (de la corrélation) et s’applique à des objets de même nature. Si, par exemple, la coupe est le bouclier de Dionysos (Bacchus), on pourra dire, avec le même à-propos, que le bouclier est la coupe d’Arès (Mars)[54].

Tels sont les éléments dont se compose le discours[55].

CHAPITRE V


Il faut parler grec.


I. La principale condition à remplir, c’est de parler grec. Cela consiste en cinq choses.

II. Premièrement, dans les conjonctions, au cas où l’on veut expliquer qu’elles sont naturellement appelées à se produire au premier rang, comme quelques-uns l’exigent ; de même que μὲν et ἐγὡ μὲν exigent δὲ et ὀ δὲ[56]. Mais il faut, autant que la mémoire le permet, faire correspondre les conjonctions les unes aux autres, en évitant une suspension trop prolongée et le placement d’une conjonction avant celle qui est nécessaire ; car il arrive rarement que ce soit à propos. « Moi, de mon côté, puisqu’il s’est adressé à toi… car Cléon est venu (à moi) me priant, me pressant, — je partis les ayant emmenés avec moi[57]. » En effet, dans cet exemple, on a introduit beaucoup de conjonctions avant celle qui devait venir, et, s’il y a un grand intervalle pour arriver à je partis, le sens est obscur. Donc la première condition c’est le bon emploi des conjonctions.

III. La seconde, c’est d’employer des termes propres et non compréhensifs[58].

IV. La troisième, d’éviter les termes ambigus ; et cela, à moins que l’on ne préfère le contraire, ce que l’on fait lorsque l’on n’a rien à dire et que l’on veut avoir l’air de dire quelque chose. C’est le cas de ceux qui s’expriment en langage poétique : Empédocle, par exemple ; car une grande circonlocution donne le change et les auditeurs sont dans la situation de beaucoup de gens qui vont trouver les devins. Lorsque ceux-ci prononcent des oracles ambigus, on accepte leur avis :

« Crésus, passant l’Halys, détruira une grande puissance. »

C’est précisément pour s’exposer à une erreur moins grave que les devins énoncent les choses d’après les genres. On trouve mieux, lorsqu’on joue à pair ou non, en disant simplement pair ou impair qu’en disant un nombre, et en disant que telle chose sera qu’en disant dans quel temps. Voilà pourquoi les diseurs d’oracles n’ajoutent pas, dans leur réponse, la détermination du temps. Toutes ces choses-là se ressemblent ; aussi, à moins de quelque motif particulier pris dans cet ordre, il faut les éviter.

V. La quatrième distingue, comme l’a fait Protagoras, les genres des noms masculins, féminins et neutres[59] ; car il faut exprimer ces genres correctement : « Elle est venue, et, après avoir causé, elle est partie. »

VI. La cinquième consiste à nommer correctement ce qui est en grand nombre, en petit nombre et à l’état d’unité : « Ces gens, dès qu’ils furent arrivés, se mirent à me frapper… » Il faut d’une manière absolue bien lire ce qui est écrit, et bien le prononcer, ce qui revient au même. C’est là une chose que la multiplicité des conjonctions rend difficile, ainsi que les phrases qu’il n’est pas aisé de ponctuer, comme celles d’Héraclite[60] ; car la ponctuation, dans Héraclite, est tout un travail, parce qu’on ne voit pas à quel membre se rattache la conjonction, si c’est au précédent ou au suivant. Prenons pour exemple le début de son livre. Il s’exprime ainsi : « Cette raison qui existe toujours les hommes sont incapables de la comprendre. » On ne voit pas clairement si c’est après toujours qu’il faut ponctuer[61].

VII. De plus, c’est faire un solécisme que de ne pas attribuer, dans la liaison des mots entre eux, la forme qui convient. Par exemple, le mot voyant, qui n’a pas une signification commune, accordé avec le bruit ou la couleur ; tandis que le mot percevant est commun. Il y a obscurité lorsque tu parles d’un fait que tu n’as pas annoncé, et que tu vas intercaler une grande incidence ; par exemple : « Je me proposais, en effet, après avoir causé avec lui et fait ceci, puis cela, et de telle ou telle manière, de partir » au lieu de : « Je me proposais, en effet, après avoir causé, de partir puis je fis ceci et cela et de telle manière. »


CHAPITRE VI


Sur l’ampleur du style.


I. Voici ce qui contribue à l’ampleur de l’élocution donner l’explication d’un nom à la place du nom lui-même ; ne pas dire un cercle, par exemple, mais « un plan situé à égale distance du point central » ; tandis que, pour obtenir la concision, le nom, au contraire, sera mis à la place de l’explication[62].

II. L’un ou l’autre procédé dépendra du caractère bas ou inconvenant de l’expression. Si la bassesse est dans l’explication, on emploiera le nom ; si elle est dans le nom, l’emploi de l’explication sera préférable.

III. Exprimer sa pensée avec des métaphores et des épithètes, pourvu que l’on se garde du style poétique.

IV. Du singulier faire le pluriel, à l’exemple des poètes. Bien qu’il y ait un seul port, ils disent néanmoins : « Vers les ports achéens[63] » Ils disent encore :

Voici les plis nombreux d’une tablette[64].

V. Ne pas joindre (les mots), mais les faire succéder chacun à chacun : « de la femme qui est la nôtre, » et, si l’on recherche la concision, faire le contraire : « de notre femme. »

VI. Parler avec conjonctions, et, si l’on veut être concis, parler sans conjonctions, mais en évitant le style haché ; par exemple : « étant parti, et ayant causé ; — étant parti, j’ai causé. »

VII. Pratiquer le procédé avantageux d’Antimaque[65], lequel consiste à parler de choses qui n’importent pas au sujet, comme le fait ce poète à propos de Teumessos[66] :

Il est une petite colline exposée au vent…,


car on peut amplifier ainsi indéfiniment. Le procédé consistant à dire ce qu’une chose n’est pas peut s’appliquer aux bonnes et aux mauvaises, selon l’utilité qu’on y trouve. De là vient que les poètes introduisent des expressions telles que « le chant sans cordes, le chant sans lyre[67] ». Et ils les obtiennent au moyen des formes privatives. Ce procédé fait bon effet dans les métaphores qui reposent sur l’analogie ; comme, par exemple, de dire que (le son de) la trompette est un chant sans lyre.


CHAPITRE VII


Sur la convenance du style.


I. L’élocution sera conforme à la convenance si elle rend bien les passions et les mœurs, et cela dans une juste proportion avec le sujet traité.

II. Il y aura juste proportion si l’on ne parle ni sans art sur des questions d’une haute importance, ni solennellement sur des questions secondaires, et pourvu que l’on n’adapte pas un terme fleuri[68] au nom d’une chose ordinaire ; sinon, la comédie apparaît, et c’est ce qui arrive à Cléophon[69] ; il affectait certaines expressions dans le genre de celle-ci : « Vénérable figuier. »

III. L’élocution rendra l’émotion d’un homme courroucé s’il s’agit d’un outrage. A-t-on à rappeler des choses impies et honteuses ? il faudra s’exprimer en termes (respectivement) sévères et réservés, — Des choses louables ? en termes admiratifs ; — des choses qui excitent la pitié ? dans un langage humble ; et ainsi du reste.

IV. L’élocution appropriée à la circonstance rend le fait en question probable ; car notre âme se fait alors cette illusion que l’orateur dit la vérité, parce que, dans des conditions analogues, elle serait affectée de même, et par suite l’on pense, lors même qu’il n’en est pas ainsi, que les choses se passent comme il le dit.

V. L’auditeur partage les émotions que l’orateur fait paraître dans ses discours, même s’ils ne disent rien. Voilà d’où vient que beaucoup d’orateurs frappent l’esprit des auditeurs en faisant grand bruit.

VI. La manifestation des mœurs est celle qui se fait par les indices, attendu que chaque genre et chaque condition (ἕςις) donnent lieu à une manifestation corrélative. J’entends par genre, au point de vue de l’âge, par exemple, un enfant, ou un homme mûr, ou un vieillard ; j’entends aussi un homme ou une femme, un Lacédémonien ou un Thessalien.

VII. J’appelle condition ce qui fait que par sa vie un homme est tel ou tel ; car les diverses existences humaines ne sont pas dans une condition quelconque. Si donc l’on emploie des expressions appropriées à la condition, l’on aura affaire aux mœurs. En effet, un homme inculte et un homme éclairé n’auront pas le même langage ni la même manière de parler. Une locution qui produit un certain effet sur les auditeurs et dont les logographes usent à satiété, c’est, par exemple. « Qui ne sait… ? » ou encore : « tout le monde sait…[70] » Là-dessus l’auditeur est gagné, car il rougirait de ne pas partager une connaissance acquise par tous les autres.

VIII. L’opportunité ou l’inopportunité dans l’application est un fait commun à tous ces artifices.

IX. Or il est un remède rebattu pour corriger avant (l’auditeur) n’importe quelle exagération[71] c’est de se (la) reprocher à soi-même, car il semble alors que l’orateur est dans le vrai, du moment qu’il n’ignore pas ce qu’il fait.

X. De plus, ne pas employer en même temps tous les procédés qui sont en corrélation, car c’est un moyen de donner le change à l’auditeur. J’entends par là qu’il ne faut point, si les expressions sont dures, prendre une voix et un visage à l’avenant[72]. Sinon, chaque démonstration apparaît telle qu’elle est : mais, si l’on tait l’une de ces choses et non pas l’autre sans le laisser voir, l’effet sera le même. Si, par conséquent, l’on exprime les choses douces en termes durs et les choses dures en termes doux, le discours apportera la conviction [73].

XI. Les épithètes, les mots composés pour la plupart, et surtout les mots étrangers sont ceux qui conviennent à celui qui parle le langage de la passion. On excuse un homme en colère de dire un malheur « grand comme le ciel[74] » ou « colossal » ; de même lorsqu’il est déjà en possession de son auditoire, et qu’il l’aura enthousiasmé par des louanges, ou des reproches, ou par la colère, ou par l’affection. C’est ainsi qu’Isocrate par exemple à la fin du Panégyrique, met en œuvre les mots de « gloire » et de « Mémoire[75] » et cette expression : « Ceux qui ont enduré…[76] » Car c’est dans ces termes que s’expriment ceux qu’emporte l’enthousiasme. De cette façon, l’auditoire évidemment accepte un tel langage, une fois mis dans le même état d’esprit. Aussi ce style convient-il pareillement à la poésie ; car la poésie a quelque chose d’inspiré. Il faut donc s’exprimer ainsi, ou bien le faire avec ironie, comme le faisait Gorgias, ou comme on le voit dans le Phèdre[77].


CHAPITRE VIII


Sur le rythme oratoire.


I. L’élocution ne doit ni affecter la forme métrique, ni être dépourvue de rythme. Si elle est métrique, elle n’est pas probante, car elle paraît empruntée, et eu même temps elle distrait l’auditeur, en portant son attention sur la symétrie et sur le retour de la cadence ; tout comme les gamins préviennent le crieur lorsqu’il demande qui est-ce que l’affranchi adoptera pour patron[78], en disant : « C’est Cléon [79]

II. Si le discours manque de rythme, la phrase ne finit pas. Or il faut que la phrase finisse, mais non pas au moyen du mètre. Un discours sans repos final est insaisissable et fatigant. Toutes choses sont déterminées par le nombre, et le nombre appliqué à la forme de l’élocution, c’est le rythme, duquel font partie les mètres avec leurs divisions.

III. Voilà pourquoi le langage, de la prose doit nécessairement posséder un rythme, mais non pas un mètre ; car ce serait alors de la poésie. Du reste, il ne s’agit pas d’un rythme dans toute la rigueur du mot, mais de quelque chose qui en approche.

IV. Parmi les rythmes[80], l’héroïque est majestueux et n’a pas l’harmonie propre à la prose[81]. L’ïambe se rapproche du langage ordinaire ; aussi, de tous les mètres, ce sont les ïambes que l’on forme le plus souvent en parlant. Mais il faut nécessairement (dans le discours) quelque chose de majestueux et qui transporte l’auditoire. Le trochaïque convient plutôt à la danse appelée cordace, comme le font voir les tétramètres ; car le rythme des tétramètres semble courir. Reste le[82] dont Thrasymaque a fait usage le premier. Seulement ses imitateurs ne pouvaient le définir ; or le péan est le troisième rythme et fait suite aux rythmes précités ; car il est dans le rapport de 3 à 2, et, des deux précédents, l’un est dans le rapport de 1 à 1, et l’autre dans celui de 2 à 1. Vient après ces rapports l’hémiole (sesquialtère) ; or c’est celui du péan.

V. Quant aux autres, il faut les laisser de côté pour les raisons données plus haut et parce qu’ils sont métriques. Le péan est d’un bon emploi, vu que, considéré isolément, il ne sert pas de mesure aux rythmes précités, de sorte que c’est lui qui se dissimule le mieux. Aujourd’hui donc, on emploie un péan, et cela au début ; mais il faut que le début et la fin différent[83].

VI. Il y a deux formes de péans opposées l’une à l’autre : l’une d’elles convient au début ; c’est le péan qui commence par une longue et finit avec trois brèves. Ainsi :

Δαλογενὲς εἴτε Λυκίαν[84]

et

Χρυσεοκόμα Ἕκατε, παῖ Διός[85]… ;


l’autre péan, au contraire, est celui où trois brèves viennent en premier lieu et la longue en dernier :

Μετὰ δὲ γᾶν ὕδατα τ ᾽ ὠκεανὸν ἠφάνισε νύξ[86].

Ce péan sert de finale[87], car la syllabe brève, étant incomplète[88], produit quelque chose de tronqué, tandis qu’il faut que la finale soit tranchée au moyen de la longue et soit bien marquée, non point par les soins du copiste, ni par le signe de ponctuation, mais par le rythme.

VII. Ainsi donc, comme quoi l’élocution doit être bien rythmée et non pas dépourvue de rythme, quels rythmes la rendent bien rythmée et dans quelles conditions ils la rendent telle, nous venons de l’expliquer.


CHAPITRE IX


Du style continu et du style périodique.


I. Il faut ou que l’élocution soit continue et liée par la conjonction, de même que l’introduction dans les dithyrambes, ou bien qu’elle procède par tours et retours [89], semblable en cela aux antistrophes des anciens poètes.

II. L’élocution continue est celle des anciens. « Voici l’exposition de l’histoire d’Hérodote le Thurien[90]…» Précédemment, tous les écrivains employaient ce tour, mais aujourd’hui c’est le petit nombre.

J’appelle élocution continue celle qui ne prend fin que lorsque la chose à dire est terminée. Elle manque d’agrément, en raison de son caractère indéfini ; car tout le monde aime à saisir la fin. C’est ainsi que, (dans les courses) arrivé aux bornes, on est essoufflé et l’on est à bout de forces, tandis qu’auparavant, en voyant devant soi le terme (de la course), on ne sent pas encore sa fatigue. Voilà donc ce que c’est que l’élocution continue.

III. Elle procède par tours et retours quand elle consiste en périodes. Or j’appelle période une forme d’élocution qui renferme en elle-même un commencement et une fin, ainsi qu’une étendue qu’on peut embrasser d’un coup d’œil. Elle est agréable et facile à saisir : agréable, parce qu’elle est le contraire de celle qui ne finit pas et que l’auditeur croit toujours posséder un sens, vu qu’on lui présente toujours un sens défini, tandis qu’il est désagréable de ne pouvoir jamais rien prévoir, ni aboutir à rien ; — facile à saisir en ce qu’elle est aisément retenue, ce qui tient à ce que l’élocution périodique est assujettie au nombre, condition la plus favorable à la mémoire, d’où vient que tout le monde retient les vers mieux que la prose ; car ils sont assujettis au nombre, qui leur sert de mesure.

IV. Il faut que la période se termine avec le sens et ne soit pas morcelée, comme ces ïambes de Sophocle (sic) :

Καλυδὡν μὲν, ἤδε γαῖα Πελοπείας χθονοός…[91]

En effet, cette division pourrait faire comprendre tout autre chose que (la pensée du poète), comme qui dirait, dans cet exemple, que Calydon est dans le Péloponnèse.

V. La période est tantôt composée de membres, tantôt tout unie. La période composée de membres est à la fois achevée et divisée, avec des repos commodes pour la respiration, établis non pas dans chaque partie comme pour la période précitée, mais dans sa totalité. Le membre est l’une de ces deux parties[92]. J’appelle période tout unie celle qui n’a qu’un membre.

VI. Les membres, ainsi que les périodes, ne doivent[93] être ni écourtés, ni prolongés. Trop de brièveté fait souvent trébucher l’auditeur ; car il arrive nécessairement, quand celui-ci, lancé sur une certaine étendue dont il mesure le terme en lui-mêmee, est brusquement interrompu par un arrêt de la phrase, qu’il trébuche, comme devant un obstacle[94]. Par contre, trop de longueur fait que l’auditeur vous abandonne, de même que ceux qui retournent sur leurs pas au delà du terme de la promenade ; car ces derniers abandonnent ceux qui se promènent avec eux. Il en est de même des périodes prolongées. Le discours ressemble alors à une introduction (dithyrambique) et il arrive ce que Démocrite de Chio reproche à Mélanippide[95] en le raillant d’avoir fait des introductions, au lieu de faire des antistrophes :

L’homme se nuit à lui-même en voulant nuire à autrui[96].

Et l’introduction prolongée nuit surtout à celui qui l’a faite[97]. En effet, c’est le cas d’appliquer ce reproche aux périodes à longs membres. Alors, si les membres sont écourtés, il n’y a plus de période.

VII. Le style composé de membres procède tantôt par divisions, tantôt par antithèses ; par divisions, comme dans cet exemple : « Je me suis souvent étonné que, parmi ceux qui ont réuni des panégyries et qui ont institué des concours gymniques[98]… ; » - par antithèses; auquel cas un contraire est placé auprès ou en face de son contraire, ou bien le même est relié à ses contraires. Exemple : « Ils furent utiles à ces deux classes de personnes, ceux qui demeurèrent et ceux qui les suivirent, car, en faveur de ces derniers, ils acquirent plus de bien qu’ils n’en avaient chez eux, et aux autres ils laissèrent assez de terre pour vivre chez eux[99]. » Les contraires sont « demeurer, suivre ; assez, plus ». — « De sorte que, et pour ceux qui manquaient de bien et pour ceux qui voulaient jouir du leur, la jouissance est opposée à l’acquisition [100]. » Autre exemple : « Il arrive souvent, en de telles conjonctures, que les sages échouent et que les fous réussissent[101]. » — « Dès lors, ils reçurent le prix de leur bravoure et, peu de temps après, ils obtenaient l’empire de la mer[102]. » — « … Naviguer sur le continent et marcher à pied sec sur la mer, après avoir relié les deux rivages de l’Hellespont et creusé le mont Athos[103]. » — « Citoyens de par la nature, ils étaient, de par la loi, privés de leur cité[104]. » — « Parmi eux, les uns avaient eu le malheur de périr, et les autres la honte de survivre[105]. » — « (Il est honteux) que les particuliers aient des serviteurs barbares et que l’État voie avec indifférence nombre de ses alliés tomber en esclavage[106]. » — « Avoir la perspective soit de les posséder vivants, soit de les abandonner après leur mort [107]. » Citons encore ce que quelqu’un a dit de Tholaüs et de Lycophron en plein tribunal : « Ces hommes, lorsqu’ils étaient chez eux, vous vendaient ; et, venus chez vous, ils se sont mis en vente[108]. » En effet, toutes ces propositions réalisent ce que nous avons dit.

VIII. Ce genre de style est agréable, parce que les contraires sont très reconnaissables et que les idées mises en parallèle n’en sont que plus faciles à saisir. Ajoutons que cette forme ressemble à un syllogisme ; car la réfutation n’est autre chose qu’une réunion des propositions opposées.

IX. L’antithèse est donc (une période) de cette nature. Il y a antithèse avec égalité lorsque les membres sont égaux, et antithèse avec similitude, lorsque chacun des membres a les parties extrêmes semblables. Or cela doit nécessairement avoir lieu soit au commencement, soit sur la fin. Le commencement comprend toujours les mots (en entier), mais la fin (seulement) les dernières syllabes, ou les désinences du même mot, ou le même mot (en entier). Voici des exemples de ce qui a lieu au commencement :

Ἀγρὸν γὰρ ἔλαβεν ἀργὸν παρ ᾽ αὐτοῦ[109].
Δωρητοί τ ᾽ἐπέλοντο, παράρρητοί τ ᾽ἐπέεσσιν[110];

et des exemples de ce qui a lieu sur la fin :

Ωἰήθησαν αὐτὸν παιδίον τετοκέναι, ἀλλ ´ αὐτοῦ αἴτιον γεγονέναι[111].
Ἐν πλείσταις δὲ φροντίσι καὶ ἐν ἐλαχίσταις ἐλπίσι[112]

Voici, maintenant, un exemple des diverses désinences du même nom :

Ἄξιος δὲ σταθῆναι χαλκοῦς, οὐκ ἄξιος ὢν χαλκοῦ[113];


puis un exemple de la répétition du même mot :

« Mais toi, de son vivant, tu le dénigrais en parole, et, maintenant qu’il est mort, tu le dénigres par écrit. »

Exemple de la ressemblance d’une syllabe :

« Quel effet si terrible (δεινόν) aurait produit sur toi la vue d’un homme inoccupé (ἀργόν)[114] ?

Il est possible que tout cela se rencontre dans la même phrase et qu’une même période ait une antithèse, avec égalité et avec similitude d’assonances finales (homéotéleuton). Quant aux commencements de périodes, on les a énumérés presque (tous) dans les livres adressés à Théodecte[115].

X. Il y a aussi de fausses antithèses, comme dans ce vers d’Épicharme :

Tantôt j’étais au milieu d’eux, tantôt auprès d’eux[116].

CHAPITRE X


Sur les mots d’esprit.


I. Ces explications données sur ces points, il faut dire en quoi consiste ce qu’on appelle les propos piquants et les mots heureux. Ces propos ont leur source tantôt dans un naturel bien doué, tantôt dans l’exercice. Montrer ce que c’est est du ressort de l’art qui nous occupe. Parlons-en donc dans tous les détails.

II. Le fait d’apprendre aisément est agréable pour tout le monde ; or les mots ont toujours une certaine signification et, par suite, tous les mots qui contribuent à nous enseigner quelque chose sont les plus agréables. Mais le sens des mots étrangers reste obscur et, d’autre part, celui des mots propres est chose connue. La métaphore est ce qui remplit le mieux cet objet ; car, lorsqu’il dit (Homère)[117] que la vieillesse est (comme) la paille, il produit un enseignement et une notion par le genre, l’une et l’autre ayant perdu leurs fleurs.

III. Les images employées par les poètes atteignent le même but. Aussi, pour peu que l’emploi en soit bon, l’élégance se manifeste. En effet, l’image, comme on l’a dit précédemment[118], est une métaphore qui se distingue des autres par une exposition préalable ; de là vient qu’elle est moins agréable, étant trop prolongée. Elle ne dit pas que « ceci est cela » et, par conséquent, l’esprit ne cherche pas même « ceci ».

IV. Il s’ensuit nécessairement que l’élocution et les enthymèmes sont élégants lorsqu’ils sont promptement compris. Voilà pourquoi l’un ne goûte ni les enthymèmes entachés de banalité (et nous appelons banal ce qui est évident pour tout le monde et ne demande aucun effort d’intelligence), — ni ceux dont l’énoncé ne fait pas comprendre la signification, mais bien plutôt ceux dont le sens est compris dès qu’on les articule, si même il ne l’était pas auparavant[119], ou ceux dont le sens ne tarde guère à être saisi. En effet, dans ce dernier cas, nous apprenons quelque chose, tandis que, dans les précédents, on n’obtient ni l’un ni l’autre résultat [120].

V. Ainsi donc, l’on goûte ceux des enthymèmes qui ont ce caractère, d’après le sens des paroles énoncées, et aussi d’après l’expression envisagée dans sa forme, si l’on parle par antithèse. Dans cette phrase : « Et jugeant que la paix commune aux autres était la guerre pour eux-mêmes en particulier[121]…, » on oppose la paix à la guerre.

VI. Ensuite d’après les mots, s’ils contiennent une métaphore, et alors il ne faut pas que celle-ci soit étrangère[122] car on aurait peine à la comprendre ; ni banale, car elle ne ferait aucune impression. Puis, si l’on place (les faits) sous les yeux (de l’auditeur), car on voit mieux, nécessairement, ce qui est en cours d’exécution que ce qui est à venir. Il faut donc se préoccuper de ce triple but : la métaphore, l’antithèse et l’exécution[123].

VII. Des quatre sortes de métaphores[124], celles qui se font le plus goûter sont les métaphores par analogie. C’est ainsi que Périclès a dit : « La jeunesse qui a péri dans la guerre a laissé un vide aussi sensible dans la cité que si, de l’année, on retranchait le printemps[125]. »

Leptine, parlant en faveur des Lacédémoniens, a dit qu’il ne fallait pas permettre que la Grèce fût réduite à perdre un œil[126]. Céphisodote[127], voyant Charès insister pour rendre ses comptes au moment de la guerre olynthienne, dit, pour exprimer son indignation, « qu’il tentait de rendre ses comptes en tenant le peuple dans un four. » Et, pour exhorter les Athéniens à faire une expédition en Eubée : « Il faut, dit-il, après nous être approvisionnés, lancer le décret de Miltiade[128]. » Iphicrate, sur ce que les Athéniens avaient traité avec ceux d’Épidaure et les habitants de la côte, s’écriait dans son indignation : « Ils se sont ôté à eux-mêmes les approvisionnements de guerre. » Pitholaüs appelait la trière paralienne[129] «la massue du peuple », et Sestos « le marché au blé du Pirée ». Périclès voulait qu’on détruisit Égine, « cette chassie du Pirée [130]. » Mœroclès prétendait qu’il n’était pas moins honnête que tel honnête homme dont il citait le nom, alléguant que ce dernier était malhonnête à raison d’un intérêt du tiers[131], tandis que lui-même l’était (seulement) à raison d’un intérêt du dixième.

Tel encore l’ïambe d’Anaxandride sur ses filles qui tardaient à se marier :

Mes filles qui ont laissé passer l’échéance du mariage… ;


et ce mot de Polyeucte sur un certain Speusippe, frappé d’apoplexie, qu’« il ne pouvait se tenir en repos, bien que le hasard l’eût enchaîné dans les entraves d’une maladie pentésyringe[132] » Céphisodote appelait les trières « des moulins ornés[133] ». Le Chien[134] disait que « les tavernes étaient les phidities d’Athènes[135] ». Ésion dit que « (les Athéniens) répandirent leur ville sur la Sicile ». Il y a là une métaphore et le fait est mis devant les yeux.

Cette expression, encore : « C’est au point que la Grèce poussa un cri, » est, à certains égards, une métaphore et met le fait devant les yeux. De même, Céphisodote recommandait de veiller à ne pas tenir « des réunions nombreuses qui devinssent des assemblées populaires », et Isocrate critiquait « ceux qui se pressent dans les panégyries[136] ». Autre exemple dans l’Éloge funèbre : « Il était juste et digne que, sur le tombeau de ceux qui sont morts à Salamine, la Grèce se coupât les cheveux, la liberté étant ensevelie[137], en même temps que leur vaillance. »

En effet, si l’on avait dit : « Il était juste et digne qu’elle versât des pleurs, leur vaillance étant ensevelie en même temps…, » il y avait métaphore et le fait était mis devant les yeux, tandis que les mots « en même temps que leur vaillance… la liberté, » produisent une certaine antithèse. Dans ce mot d’Iphicrate : « Car mes paroles s’ouvrent un chemin au milieu des actes accomplis par Charès, » il y a métaphore par analogie, et la locution « au milieu… » met l’image devant les yeux. Cette expression, « exhorter aux dangers, » est une métaphore qui met aussi les choses devant les yeux. Lycoléon, plaidant pour Chabrias : « Et vous, dit-il, sans avoir égard à son image en bronze, qui vous supplie… » C’est là une métaphore propre à la circonstance présente, qui n’est pas d’une application générale, mais qui met les choses devant les yeux. Car Chabrias courant un péril, son image supplie ; partant, la matière inanimée s’anime, comme un témoin des actes de la cité (en son honneur). Autre exemple : « S’étudiant de toute façon à rabaisser leurs sentiments[138]. » En effet, s’étudier à marque une insistance. — « L’intelligence est le flambeau que Dieu alluma dans l’âme[139]. » Et réellement, les deux mots[140] servent à faire voir quelque chose. — « Nous n’en finissons pas avec les guerres, mais nous les ajournons ; car voilà deux choses qui appartiennent à l’avenir : l’ajournement et une paix faite dans ces conditions[141] ». — C’est comme de dire : « Les traités, ce sont des trophées bien plus glorieux que ceux qu’on recueille dans les guerres ; car ceux-ci, on les obtient pour un faible avantage et par l’effet d’un hasard, tandis que les traités sont le fruit de toute la guerre[142] » En effet, les traités c’est comme les trophées : ils sont, les uns et les autres, des signes de la victoire. — « Les cités, elles aussi, rendent un compte sévère en encourant le blâme des hommes[143] ». Car la reddition de compte est une sorte de dommage émanant de la justice.

Ainsi donc, comme quoi les mots piquants ont leur source dans la métaphore par analogie et dans le fait mis devant les yeux, on vient de l’expliquer.


CHAPITRE XI


Mettre les faits devant les yeux.


I. Il faut dire maintenant ce que nous entendons par un « fait mis devant les yeux » et ce qu’on fait pour qu’il en soit ainsi.

II. J’entends par « mettre une chose devant les yeux » indiquer cette chose comme agissant. Par exemple, dire que l’homme de bien est un carré, c’est faire une métaphore, car les deux termes renferment une idée de perfection[144], mais ils n’indiquent pas une action ; au lieu que, dans l’expression : « Ayant la force de l’âge pleinement florissante[145] » il y a une idée d’action. Dans cette autre : « Mais toi, en qualité d’homme libéré, il te convient…[146] » il y a une action. Dans celle-ci : « Alors les Grecs s’étant élancés de là…[147], » il y a action et métaphore. C’est ainsi qu’Homère, en beaucoup d’endroits, anime des êtres inanimés au moyen de la métaphore.

III. En toute occasion, le fait de mettre en jeu une action produit une impression goûtée de l’auditeur. En voici des exemples :

Et, de nouveau, le rocher sans honte roulait dans la plaine[148].


La flèche prit son vol[149].
Brûlant de s’envoler[150].
(Les traits) restaient immobiles sur le sol désireux de se repaître de chair[151].

La lance traverse sa poitrine avec rage[152].

En effet, dans tous ces passages, les objets, par cela même qu’ils sont animés, apparaissent comme agissant. Les expressions « être sans honte », « avec rage », etc., indiquent une action ; le poète les a placées au moyen de la métaphore par analogie, et le rapport du rocher à Sisyphe est celui de l’être sans honte à celui sur qui l’on agit sans honte.

IV. Il en fait autant, dans des images d’un heureux effet, avec les êtres inanimés :

Les (vagues) se soulèvent en courbes blanchissantes ; les unes s’avancent et d’autres arrivent par-dessus[153]

On le voit, il donne à toutes choses le mouvement et la vie ; or l’action est (ici) une imitation.

V. Il faut, quand on emploie la métaphore, comme on l’a dit précédemment[154], la tirer d’objets propres (au sujet), mais non pas trop évidents. En philosophie, par exemple, tu dois viser à considérer le semblable dans tels objets qui ont entre eux une grande différence. C’est ainsi qu’Archytas a dit : « Un arbitre et un autel sont la même chose, car vers l’un comme vers l’autre se réfugie l’homme qui a subi une injustice. » Ou, comme si l’on disait qu’une ancre est la même chose qu’une crémaillère, car toutes deux font une même chose, seulement elles différent en ce que l’une la fait par en haut, et l’autre par en bas ; — ou encore : « Les (deux) villes ont été mises au même niveau[155]. » Un trait commun à deux choses très différentes, la surface et les ressources, c’est l’égalité.

VI. La plupart des propos piquants dus à la métaphore se tirent aussi de l’illusion où l’on jette l’auditeur. En effet, on est plus frappé d’apprendre une chose d’une façon contraire (à celle que l’on attendait) et l’âme semble se dire : « Comme c’est vrai ! c’est moi qui étais dans l’erreur. » Les apophtegmes sont piquants lorsqu’ils ne disent pas expressément ce qu’ils veulent dire. Tel, par exemple, celui-ci, de Stésichore : « Leurs cigales chanteront de par terre[156] » Les énigmes bien tournées sont agréables par la même raison ; car on y apprend quelque chose et il s’y trouve une métaphore. Une chose agréable aussi, c’est ce que prescrit Théodore : « user d’expressions nouvelles ; or c’est ce qui arrive lorsque l’application d’un mot est inattendue et non pas, comme il le dit, conforme à l’opinion antérieure[157], mais comme font ceux qui, dans leurs plaisanteries, emploient des expressions défigurées. Le même effet est produit dans les jeux de mots, car il y a surprise, et cela, mime en poésie : le mot qui vient n’est pas celui que l’auditeur avait dans l’esprit :

« Il marchait ayant aux pieds… des engelures. »

On croyait que le poète allait dire - des souliers. Seulement il faut que, aussitôt le mot énoncé, le sens soit bien clair. Quant au jeu de mots, il fait que l’on dit non pas ce qu’on paraît vouloir dire, mais un mot qui transforme le sens. Tel le propos de Théodore s’adressant à Nicon le Citharède : Θράττει[158]. On s’attend à ce qu’il va dire : Θράττει σε, « il te trouble, » et il y a surprise, car il dit autre chose. Le mot est joli pour celui qui le comprend, attendu que, si l’on ne soupçonne pas que Nicon est Thrace, ce mot ne paraîtra plus avoir de sel. Tel encore cet autre jeu de mots : « Veux-tu le perdre[159] ? »

VII. Il faut que les deux applications du mot sur lequel on joue offrent un sens convenable ; c’est alors (seulement) qu’elles sont piquantes ; comme par exemple de dire : « L’empire (ἀρχή) de la mer n’est pas pour les Athéniens une source (ἀρχή) de malheurs ; car ils en profitent, » ou, comme Isocrate : « L’empire (de la mer) est pour les Athéniens une source de malheurs[160]. » Dans les deux expressions, on a dit une chose que l’auditeur ne présumait pas qu’on allait dire et qu’il a reconnue pour vraie. Et en effet, dire que l’empire est un empire, ne serait pas fort habile ; mais il ne parle pas de cette façon et le mot ἀρχή ne garde pas sa première signification, en reçoit une autre.

VIII. Dans tous les cas analogues, si le mot est amené convenablement par (homonymie, ou par la métaphore, alors, tout va bien. Exemple :

« Anaschétos n’est pas ἀνάσχετος (supportable). »

Cette phrase renferme une homonymie, mais elle est convenable si l’individu est désagréable.

Autre exemple :

Tu ne serais pas un hôte plutôt que tu ne dois être un étranger.

Ou bien : « pas plus que tu ne dois l’être, » Car le mot garde le même sens, et dans : « Il ne faut pas que l’hôte soit indéfiniment un étranger, » le mot ξένος est pris (successivement) dans un sens différent[161]. Même remarque sur ce vers célèbre d’Anaxandride :

Il est, certes, beau de mourir avant d’avoir été digne de la mort.

C’est la même chose que si l’on disait : « Il est beau de mourir, bien que l’on ne soit pas digne de la mort » ; ou : « Il est beau de mourir quand on n’est pas digne de la mort ; » ou « quand on ne fait pas des actions dignes de la mort[162] ».

IX. Ici, c’est la forme de l’expression qui est la même.

Plus l’expression est laconique, plus elle accentue l’antithèse, mieux elle vaut. La raison en est que l’antithèse la fait mieux comprendre, et que l’on comprend plus vite ce qui est exprimé brièvement.

X. Il faut toujours que l’expression se rapporte à la personne qui en est l’objet, qu’elle soit correctement appliquée si l’on veut frapper juste, et qu’elle ne soit pas vulgaire ; car ces conditions ne vont pas séparément. Exemple :

Il faut mourir sans avoir commis aucune faute.

Cet exemple n’a rien de piquant.

« Il faut qu’une femme digne épouse un homme qui soit digne. »

Celui-ci aussi manque de sel.

C’est autre chose si les deux termes marchent ensemble : « Il est certes digne de mourir sans être digne de mourir. » Plus il y a de mots (dans l’antithèse), plus la phrase a de relief. C’est ce qui arrive, par exemple, si les mots renferment une métaphore, et telle métaphore, une antithèse, une symétrie, et s’ils comportent une action.

XI. Les images, aussi, comme on l’a dit plus haut [163], sont toujours, à certains égards, des métaphores appréciées ; car elles se tirent toujours de deux termes ; comme la métaphore par analogie. Nous disons, par exemple : « Le bouclier est la coupe de Mars[164] ; » — « un arc est une lyre sans cordes. »

En s’exprimant ainsi, l’on n’emploie pas une métaphore simple ; mais, si l’on dit que l’arc est une lyre, ou que le bouclier est une coupe, la métaphore est simple.

XII. On fait aussi des images de cette manière-ci : par exemple, un joueur de flûte est assimilé à un singe[165], l’œil du myope l’est à une lampe dont la mèche est mouillée. En effet, tous deux se contractent.

XIII. Les images sont heureuses lorsqu’elles renferment une métaphore, car on peut, par assimilation, appeler le bouclier « coupe de Mars », les ruines « haillons d’une maison », Nicérate « un Philoctète mordu par Pratys », assimilation faite par Thrasymaque, voyant Nicérate vaincu par Pratys dans un concours de rapsodie, et qui avait, lui aussi, les cheveux longs et une tenue misérable[166]. C’est surtout dans ces figures que les poètes échouent, s’ils ne les rendent pas bien, fussent-ils appréciés (d’ailleurs) ; j’entends par là s’ils les rendent ainsi :

Il porte des jambes torses comme des branches de persil.
Comme Philammon, lorsqu’il se bat avec le ballon de gymnastique[167]

Tous les exemples analogues sont des images ; or les images sont des métaphores, nous l’avons dit souvent.

XIV. Les proverbes aussi sont des métaphores par lesquelles on passe d’une espèce à une autre espèce. Ainsi, que l’on introduise chez soi une chose avec la conviction qu’elle sera bonne, puis, qu’elle tourne en dommage : « C’est comme le lièvre pour le Carpathien, » dira-t-on [168]. En effet, tous deux ont éprouvé ce qu’on vient de dire.

Par quels moyens on peut tenir des propos piquants et à quelles causes ils se rattachent, c’est expliqué à peu près (complètement).

XV. Les hyperboles de bon goût sont aussi des métaphores. Par exemple, on dira d’un homme au visage balafré : « Vous croiriez voir un panier de mûres ». En effet, les meurtrissures sont rouges ; mais, le plus souvent, c’est abusif. La locution « comme ceci et cela » est une hyperbole qui ne diffère que par l’expression. Dans l’exemple :

Comme Philammon se battant avec le ballon de gymnastique…,


vous croiriez que Philammon combat un ballon.

Dans celui-ci :

Il porte des jambes torses, comme des branches de persil,


on croirait qu’il a non pas des jambes, mais des branches de persil torses.

XVI. Les hyperboles ont quelque chose de juvénile, car elles marquent de la véhémence ; c’est pourquoi elles viennent souvent à la bouche des gens en colère :

Non, quand il me donnerait autant (de présents) que de grains de sable ou de poussière,
je n’épouserais pas la fille d’Agammnon, fils d’Atrée ; non, quand même elle rivaliserait en beauté avec Aphrodite (aux cheveux) d’or, et en talents avec Athéné[169].

Les hyperboles sont principalement en usage chez les orateurs athéniens. Pour la raison donnée plus haut, elles ne conviennent pas dans la bouche d’un vieillard.


CHAPITRE XII


À chaque genre convient une diction différente.


I. Il ne faut pas ignorer que chaque genre (oratoire) s’accommode d’un genre différent d’élocution. On n’emploie pas la même dans le discours écrit et dans le discours débité en public, ni la même dans les harangues et au barreau. Seulement il faut posséder ce double talent : d’abord celui de savoir parler grec, ensuite de ne pas être réduit à se taire lorsqu’on veut se mettre en communication avec les autres, ce qui est le sort de ceux qui ne savent pas écrire.

II. L’élocution écrite est celle qui a le plus de précision ; celle des débats se prête le mieux à l’action. Cette dernière est de deux espèces : elle est morale, elle est pathétique. Aussi les acteurs recherchent l’un et l’autre de ces caractères dans les drames, et les poètes dans leurs interprètes. Ceux dont les œuvres se prêtent à la lecture ont une renommée soutenue. Chérémon, par exemple[170] ; car il est précis comme un logographe. Il en est de même de Lycimnius[171], parmi les poètes dithyrambiques.

Comparés entre eux, les discours écrits paraissent maigres dans les débats, et ceux des orateurs, qui font bon effet à la tribune, semblent être des œuvres d’apprentis[172] dans les mains des lecteurs. Cela tient à ce qu’ils sont faits pour le débat. Aussi les productions destinées à l’action, abstraction faite de la mise en scène, ne remplissant plus leur fonction, ont une apparence médiocre. Ainsi, par exemple, l’absence des conjonctions et les répétitions sont désapprouvées, à bon droit, dans un écrit ; tandis que, dans une œuvre faite pour le débat, les orateurs même peuvent recourir à ces procédés, vu que ce sont des ressources pour l’action.

III. Du reste, il faut varier les expressions pour dire la même chose, ce qui sert à amener les effets dramatiques : « Cet homme vous a volés ; cet homme vous a trompés ; cet homme enfin a essayé de vous livrer. » C’est ainsi, pareillement, que procédait l’acteur Philémon dans la Gérontomanie d’Anaxandride[173], quand il dit : « Rhadamanthys et Palamède, etc…, » et dans le prologue des Eusèbes, quand il dit. « moi ». En effet, si l’on ne met pas d’action en prononçant ces paroles, c’est le cas de dire : « Il porte une poutre[174]. »

IV. Il en est de même de l’absence de conjonctions : « Je suis arrivé, je l’ai recherché, je lui ai demandé… » Il faut mettre de l’action et ne pas prononcer ces mots en les disant tour à tour dans le même sentiment et sur le même ton. Les phrases dépourvues de conjonction offrent encore une particularité, c’est qu’il semble que l’on dise plusieurs choses dans le même moment ; car la conjonction isole plusieurs choses qui se succèdent ; de sorte que, si on la supprime, il est évident que la pluralité cède la place à l’unité, et de là résulte une gradation : « J’arrive, je prends la parole, je fais de nombreuses supplications ; mais il semble dédaigner ce que je dis, ce que j’affirme. » Homère recherche cet effet dans ce passage :

Nirée de Symé…
Nirée, fils d’Aglaé…
Nirée, le plus beau des hommes [175]


En effet, celui de qui l’on dit plusieurs choses doit, nécessairement, être nommé plusieurs fois. Par suite, si on le nomme plusieurs fois, on semble dire de lui plusieurs choses. De cette façon il l’a grandi, tout en ne le mentionnant qu’une seule fois, grâce à l’illusion qu’il produit, et il en fixe le souvenir, bien qu’il n’en reparle plus nulle part.

V. Quant à l’élocution propre aux harangues, elle ressemble tout à fait à un tableau ; car plus les objets figurés sont nombreux, plus il faut se mettre loin pour le contempler. Aussi, dans l’une comme dans l’autre, les détails négligés et imparfaits ont l’apparence de la précision. L’élocution judiciaire demande plus d’exactitude, surtout quand on a affaire à un juge unique ; car, dans ce cas, il n’y a pas moyen de recourir aux artifices oratoires, attendu que l’on voit aisément ce qui se rattache à l’affaire et ce qui pourrait y être étranger. Il n’y a pas de débat et, par suite, la décision survient purement et simplement. C’est ce qui fait que les mêmes orateurs ne sont pas également goûtés dans toutes ces sortes de causes ; mais où l’on met le plus d’action, c’est là qu’il y aura le moins de précision, et cela aura lieu quand on donnera de la voix et, principalement, quand elle sera forte. L’élocution démonstrative est, plus que toute autre, propre au discours écrit ; car elle est faite pour la lecture ; vient en second lieu l’élocution judiciaire.

VI. Pour ce qui est de distinguer, en outre, quand l’élocution doit être agréable et (quand elle doit être) sublime, c’est chose superflue ; car pourquoi exiger ces qualités plutôt que la tempérance ou la générosité et quelque autre mérite moral ? Il est évident que les conditions précitées la rendront agréable, pour peu que nous avons défini en bons termes celles qui constituent sa qualité principale. En effet, à quoi tiendra qu’elle soit nécessairement claire, exempte de trivialité, mais convenable ? C’est que, si elle est diffuse, elle manquera de clarté ; et pareillement, si elle est trop concise, mais que la juste mesure se trouve au degré intermédiaire. Les conditions énoncées plus haut la rendront agréable, si l’on fait un heureux mélange de langage moral et étranger, de rythme et d’arguments persuasifs bien amenés.

Nous nous sommes expliqué sur l’élocution, sur ses divers genres considérés ensemble, et sur chacun d’eux en particulier. Il nous reste à parler de la disposition.

CHAPITRE XIII


De la disposition.


I. Il y a deux parties dans le discours ; car il faut nécessairement exposer le fait qui en est le sujet, puis en donner la démonstration. Aussi personne ne peut se dispenser de démontrer, quand on n’a pas commencé par un exposé. En effet, celui qui démontre démontre quelque chose, et celui qui fait un exorde le fait en vue d’une démonstration.

II. Ces deux parties sont donc : l’une, la proposition[176], l’autre, la preuve ; c’est comme si l’on établissait cette distinction que l’une est la question posée, et que l’autre en est la démonstration.

III. Aujourd’hui (les rhéteurs) établissent des distinctions ridicules, car la narration n’appartient, en quelque sorte, qu’au seul discours judiciaire ; or comment admettre que, pour le genre démonstratif et pour les harangues, une narration, telle qu’ils l’entendent, soit ou bien ce que l’on objecte à la partie adverse, ou l’épilogue (la péroraison) des discours démonstratifs ? L’exorde, la discussion contradictoire et la récapitulation ont leur place dans les harangues, alors qu’il y a controverse : et en effet, l’accusation et la défense interviennent souvent ; seulement, ce n’est pas en tant que délibération. La péroraison, en outre, n’appartient pas à toute espèce de discours judiciaire, à celui, par exemple, qui est de peu d’étendue, ou dont le sujet est facile à retenir ; car on peut alors la retrancher pour éviter la prolixité.

IV. Ainsi donc, les parties essentielles sont la proposition et la preuve. Ces parties sont propres (au sujet). Les plus nombreuses qu’il puisse y avoir sont l’exorde, la proposition, la preuve, la péroraison. Les arguments opposés à l’adversaire rentrent dans la classe des preuves. La controverse est le développement des arguments favorables à l’orateur, et, par suite, une partie des preuves, car on fait une démonstration lorsque l’on met en œuvre cette partie ; mais il n’en est pas de même de l’exorde, ni de la péroraison, laquelle a plutôt pour objet de remémorer.

V. Par conséquent, si l’on établit de telles distinctions, ce que fait Théodore, on aura la narration, la narration additionnelle, la narration préliminaire, la réfutation et la réfutation additionnelle ; mais alors il faut nécessairement que celui qui parle d’une espèce et d’une différence établisse autant de dénominations ; sinon, la division est vaine et frivole ; c’est ainsi que procède Lycimnius dans son traité, où il emploie les dénominations de ἐπούρωσις (impulsion)[177] de digression et de rameaux[178].

CHAPITRE XIV


De l’exorde.


I. L’exorde est placé au début d’un discours ; c’est comme en poésie le prologue et, dans l’art de la flûte, le prélude ; car tous ces termes désignent le début et comme une voie ouverte à celui qui se met en marche. Le prélude donne bien une idée de ce qu’est l’exorde des discours démonstratifs. En effet, les joueurs de flûte, en préludant, rattachent à l’introduction[179] l’air de flûte qu’ils savent exécuter, et dans les discours démonstratifs, c’est ainsi qu’il faut composer, à savoir : faire une introduction et y rattacher ce que l’on veut dire en l’exposant tout de suite. Tout le monde cite pour exemple l’exorde de l’Hélène, d’Isocrate. Car il n’y a aucun rapport entre les œuvres de controverse et l’Hélène[180]. Et en même temps, si, l’orateur fait une digression, c’est un moyen d’éviter que tout le discours soit uniforme.

II. Les exordes des discours démonstratifs ont pour texte un éloge ou un blâme. Par exemple, Gorgias, dans son discours olympique : « Ils sont dignes de l’admiration générale, Athéniens… » En effet, il va louer ceux qui organisent les panégyries. Dans cet autre exemple, Isocrate lance ce blâme : « Les qualités corporelles, ils les honoraient par des présents ; mais aux gens vertueux ils ne donnèrent aucune récompense. »

III. Ils ont aussi pour texte un conseil. Exemple : « Il faut honorer les hommes de bien. » C’est pourquoi il fait l’éloge d’Aristide. Ou encore on louera ceux qui ne sont ni considérés, ni vicieux, mais dont le mérite reste ignoré comme Alexandre, le fils de Priam. Ici encore, l’orateur donne un conseil.

IV. En outre, parmi les exordes judiciaires, il en est où l’on a en vue l’auditeur, soit que le discours porte sur un fait inadmissible ou fâcheux, ou sur un bruit très répandu, de façon qu’on fasse appel à l’indulgence. De le ce mot de Choerile :

Mais maintenant que tout a été partagé[181]

Les exordes des discours démonstratifs ont donc pour texte un éloge, un blâme, l’exhortation, la dissuasion, les faits énoncés en vue de l’auditeur. Il arrive, nécessairement, que l’introduction du discours est étrangère ou familière.

V. Quant aux exordes du discours judiciaire, il faut comprendre qu’ils jouent le même rôle que les prologues des œuvres dramatiques et les préambules des poèmes épiques, tandis que ceux des dithyrambes sont semblables aux exordes démonstratifs :

À cause de toi et de tes dons, et de tes dépouilles…[182].

VI. Dans les discours et dans les poèmes épiques (l’exorde) est comme un aperçu du sujet traité, afin que l’on voie d’avance de quoi il s’agit et que l’esprit ne reste pas en suspens, car l’indéterminé nous égare. Ainsi donc celui qui nous met un exorde en quelque sorte dans la main obtient que l’auditeur suive attentivement le discours. De là ces préambules :

Chante, Muse, la colère…[183].


Muse, dis-moi cet homme…[184].

Guide-moi maintenant pour raconter comment de la terre d’Asie une grande guerre fondit sur l’Europe[185]

Les tragiques aussi font un exposé de la pièce, sinon dès l’abord, comme Euripide, du moins dans quelque partie du prologue ; tel Sophocle :

Mon père était Polybos…θ[186].

Pour la comédie, c’est la même chose. On le voit, la fonction la plus essentielle du préambule, celle qui lui est propre, c’est de montrer le but vers lequel tend le discours. C’est pourquoi, lorsque la chose est évidente par elle-même et de peu d’importance, il n’y a pas lieu de recourir au préambule.

VII. Les autres espèces (d’exorde) mis en usage sont des expédients d’une application commune. On les emprunte soit à la personne de l’orateur ou de l’auditeur, soit à l’affaire, soit encore à la personne de l’adversaire. Ceux qui se rapportent à l’orateur ou au défendeur consistent à lancer ou à détruire une imputation (διαβολήν). Mais le procédé n’est pas le même pour les deux cas. Lorsqu’on se défend, on répond d’abord à l’imputation ; quand on accuse, on ne la produit que dans la péroraison. La raison en est simple : celui qui se défend doit nécessairement, pour ramener l’opinion, dissiper tout ce qui entrave sa défense ; il faut donc qu’il commence par réduire à néant l’imputation ; celui qui la produit doit la produire dans la péroraison, afin qu’elle se fixe mieux dans la mémoire. Les arguments qui s’adressent à la personne de l’auditeur ont pour origine l’intention de se concilier sa bienveillance et d’exciter son indignation ; quelquefois aussi d’attirer son attention sur un point, ou, au contraire (de l’en détourner), car il n’est pas toujours avantageux d’attirer l’attention. Aussi s’efforce-t-on souvent de provoquer l’hilarité. Il y a toute espèce de moyens d’instruire l’auditoire, si tel est le dessein de l’orateur. On s’applique aussi à paraître honnête, car l’auditoire prête plus d’attention aux paroles de ceux qui le sont. Il est attentif aux choses de grande importance, à celles qui le touchent particulièrement, aux faits étonnants, à ceux qui lui font plaisir. C’est pourquoi il faut inspirer l’idée que le discours va traiter de ces sortes de questions. Maintenant, si l’on veut détourner l’attention, on suggérera l’idée que l’affaire est de mince importance, qu’elle ne touche en rien les intérêts de l’auditeur, qu’elle est pénible.

VIII. Il ne faut pas laisser ignorer que toutes les considérations de cette nature sont prises en dehors du discours[187], lorsqu’elles s’adressent à des auditeurs d’un mauvais esprit et prêtant l’oreille à des paroles étrangères à la question. En effet, si l’auditeur n’est pas dans cette disposition, il n’y a pas besoin de préambule, mais il suffit d’exposer le gros de l’affaire, afin qu’il en possède la tête comme s’il en avait le corps tout entier.

IX. Au surplus, la nécessité de rendre l’auditoire attentif s’impose à toutes les parties (d’un discours), si elle existe[188] ; car l’attention n’est jamais moins relâchée qu’au début. Aussi serait-il ridicule de prendre ce soin quand on commence à parler et que tous les auditeurs prêtent le plus d’attention. Ainsi l’on devra, au moment opportun, s’exprimer en ces termes :

« Et veuillez, je vous prie, m’accorder votre attention, car je n’ y suis pas autant intéressé que vous, » ou encore : « Je vais dire une chose si terrible, que vous n’en avez jamais entendu de telle, ni de si surprenante. » C’est ainsi que Prodicus, voyant que ses auditeurs s’endormaient, leur fit remarquer en passant qu’il s’agissait pour eux de cinquante drachmes[189].

X. Il est évident que l’on ne s’adresse pas à l’auditeur en tant qu’auditeur, car, dans les préambules, on cherche toujours soit à lancer une imputation, soit à écarter des motifs de crainte :

Si je suis à bout de respiration, prince, je ne tairai pas que c’est d’être venu en toute hâte[190].
— Que signifie ce préambule[191] ?

C’est ainsi que s’expriment les personnes qui ont ou paraissent avoir en main une mauvaise cause. Car, dans ce cas, il est préférable de discourir sur toutes sortes de points, plutôt que de se tenir dans le sujet. C’est ce qui fait que les esclaves ne donnent pas les explications qui leur sont demandées, mais tournent autour du fait[192] et font des préambules.

XI. Quels moyens on doit employer pour se concilier la bienveillance de l’auditoire, nous l’avons expliqué, ainsi que chacun des autres procédés de même ordre. Comme le vers suivant contient une idée juste :

Accorde-moi d’arriver chez les Phéaciens en ami et en homme digne de leur pitié…[193],

il faut viser à ce double but[194]. Dans les discours démonstratifs, on doit faire en sorte que l’auditeur croie avoir une part des louanges, soit lui-même en personne ou dans sa famille, ou dans ses goûts, ou à n’importe quel autre point de vue. Socrate dit dans l’Oraison funèbre, avec raison, que « le difficile n’est pas de louer les Athéniens au milieu des Athéniens, mais de le faire parmi les Lacédémoniens »[195]. Les (exordes) de la harangue sont empruntés à la source qui fournit ceux du discours judiciaire ; mais on en use le moins possible, car l’auditoire sait de quoi il s’agit, et l’affaire discutée n’exige aucunement un exorde, — à moins que ce ne soit en vue de l’orateur ou de ses contradicteurs, ou si les auditeurs ne supposent pas à la question le degré d’importance qu’on lui donne, mais un degré supérieur, ou inférieur. Aussi faut-il ou avancer, ou détruire une imputation, et grandir ou diminuer les choses. Or, pour cela, il faut un exorde. Il en faut aussi à titre d’ornement ; en effet, le discours a l’apparence d’une œuvre sans art, s’il n’y en a pas. Tel sera l’éloge des Eléens, par Gorgias, qui, sans préparation, sans passes préliminaires[196], débute immédiatement ainsi : « Élis, heureuse ville!… »


CHAPITRE XV


Des moyens de réfuter une imputation malveillante.


I. En ce qui concerne l’imputation à réfuter, le premier moyen consiste dans les arguments avec lesquels on pourrait détruire une appréciation défavorable ; car il n’importe qu’elle résulte, ou non, des assertions énoncées ; par conséquent, ce procédé s’emploie en toute occasion.

II. Un autre moyen consiste à répondre, sur les faits contestés : ou qu’ils n’existent pas, ou qu’ils ne sont pas nuisibles, ou qu’ils ne le sont pas à la partie adverse, ou qu’ils n’ont pas l’importance qu’elle leur prête, ou qu’il n’y a pas eu injustice, ou qu’elle n’est pas grave, ou qu’il n’y a pas eu d’action honteuse, ou enfin que celle-ci n’était pas d’une grande portée, — car ces questions sont autant de matières à débat.

Citons, par exemple, Iphicrate contre Nausicrate. Il dit avoir accompli l’action que celui-ci met sur son compte, et il ajoute qu’elle a été nuisible, mais non pas injuste. On dira que, si une injustice a été commise, il y a eu compensation ; que, s’il y a eu dommage, l’action, du moins, était honnête ; que, si elle a été déplaisante, elle était du moins utile, — ou quelque autre chose de ce genre.

III. Un autre moyen consiste à dire qu’il y a erreur, malchance, nécessité. Ainsi, Sophocle disait qu’il tremblait non pas, comme le prétendait son accusateur[197], en vue de paraître vieux, mais par nécessité ; qu’en effet, ce n’était pas pour son bon plaisir qu’il avait quatre-vingts ans. On peut aussi alléguer une raison qui excuse le mobile du fait imputé, en disant que l’on n’avait pas l’intention de nuire, mais d’accomplir telle action, non pas celle qui nous est imputée ; et que le résultat a tourné à mal : « Il serait juste de me haïr si j’avais agi avec l’intention qu’on me prête. »

IV. Un autre consiste à voir si l’accusateur n’a pas été impliqué (dans le fait en cause), soit maintenant, soit auparavant, soit lui-même, ou dans la personne de ses proches.

V. Un autre consiste à voir si l’on implique (dans une imputation) des gens que l’on reconnaît ne pas donner prise à cette imputation. Par exemple, si l’on dit que le libertin est innocent (on en conclura) que tel ou tel doit l’être aussi.

VI. Un autre, c’est d’alléguer que (l’accusateur) a fait la même chicane à d’autres personnes, ou un autre au défendeur, ou bien que d’autres ont été présumés (coupables du même délit) sans être mis en accusation de même que l’orateur aujourd’hui, lesquels ont été reconnus non coupables.

VII. Un autre moyen consiste à lancer une imputation contre l’accusateur. Car il serait absurde qu’une personne ne fût pas digne de confiance et que ses discours le fussent.

VIII. Un autre encore, c’est lorsqu’il y a eu jugement ; Euripide l’employa alors qu’il répondit à Hygiénon qui l’accusait d’iniquité dans le procès d’antidosis[198], comme ayant excité au parjure en écrivant ce vers :

La langue a juré, mais l’esprit est libre de tout serment[199].

Il allégua que celui-ci commettait une injustice en portant devant les tribunaux les décisions du concours dionysiaque[200] ; que, dans ce concours, il avait déjà rendu compte (de ce vers) et qu’il en rendrait compte encore si l’on voulait porter l’accusation sur ce point.

IX. Un autre moyen, c’est de prendre à partie l’imputation calomnieuse en montrant combien elle est grave, en alléguant qu’elle déplace les questions, qu’elle ne se fie pas au fait[201]. Un lieu communément utile aux deux (parties) consiste à produire des conjectures. Ainsi, dans le Teucer, Ulysse suppose que Teucer est apparenté à Priam, car Hésione[202] était la sœur (de ce dernier). Teucer répond à cela que Télamon, son père, était l’ennemi de Priam, et qu’il n’a pas dénoncé les espions.

X. Un autre moyen, pour celui qui veut lancer une imputation, consiste à placer un blâme sévère à côté d’un éloge insignifiant, à mentionner en peu de mots un fait important, à commencer par avancer plusieurs assertions avantageuses (à l’adversaire) pour en blâmer une qui a trait directement à l’affaire. Ceux qui parlent dans cet esprit sont les plus habiles et les plus injustes, car ils s’efforcent de blâmer avec ce qu’il y a de bien en le mêlant à ce qu’il y a de mal. Or c’est un procédé commun à l’imputation malveillante et à la défense, puisqu’il peut arriver ainsi que le même résultat est obtenu dans une intention différente, en ce sens que celui qui veut incriminer doit prendre en mauvaise part le fait qu’il dégage, et que celui qui veut défendre doit le prendre en bonne part. Citons, par exemple, ce fait que Diomède a préféré Ulysse : pour un défenseur, c’est parce que Diomède l’a supposé le meilleur ; pour un accusateur, ce n’est pas par ce motif, mais parce qu’il ne voyait pas en lui un rival[203], vu son peu de valeur.

Voilà ce qu’il y avait à dire sur l’imputation calomnieuse.

CHAPITRE XVI


De la narration.


I. La narration, dans les discours démonstratifs, ne se développe pas tout d’un trait, mais à l’occasion de chaque partie ; car il faut exposer les actes qui servent de texte au discours. En effet, le discours, dans sa composition, renferme un élément indépendant de l’art, attendu que l’orateur n’est en rien la cause des actes, — et un élément tiré de l’art, et cet élément consiste à démontrer ce qui existe, si la chose est difficile à croire, ou à montrer quelle en est la qualité ou la quantité, ou tout cela ensemble.

II. Voici pourquoi, dans certains cas, il ne faut point raconter tout d’un trait : c’est que, à démontrer de cette façon, on chargerait trop la mémoire. D’après tels faits, l’homme dont on parle est brave ; d’après tels autres, il est habile, ou juste, et le discours, ainsi conduit, est plus simple ; mais, conduit de l’autre manière, il est varié et alourdi.

III. Il faut rappeler les (actions) célèbres ; aussi beaucoup de discours peuvent se passer de narration : par exemple, si tu veux louer Achille ; car tout le monde connaît ses actions. Mais (en d’autres cas) on doit y recourir. S’il s’agit de Critias, il le faut ; car bien des gens ne le connaissent pas[204].

IV. Il est ridicule de dire, comme quelques-uns le font aujourd’hui, que la narration doit être rapide. C’est comme cet individu à qui un boulanger demandait s’il devait pétrir une pâte dure ou molle : « Eh quoi ! répondit-il, n’est-il pas possible de faire bien ? » Il en est de même ici. Il ne faut pas être prolixe dans la narration, pas plus qu’il ne faut l’être dans l’exorde, ni dans l’exposé des preuves ; car, ici, la bonne proportion ne dépend pas de la rapidité ou de la brièveté, mais de la juste mesure : or celle-ci consiste à dire tout ce qui rendra évident le fait en question, ou tout ce qui aura pour résultat d’en faire admettre l’existence, ou le côté blâmable, le côté injuste, ou enfin d’y faire trouver les qualités que l’orateur veut qu’on y trouve, et d’obtenir l’effet contraire dans le cas opposé.

V. Il (te) faut intercaler, sous forme de narration, tout ce qui peut mettre en relief ton mérite. Exemple : « Quant à moi, je lui ai toujours donné des avertissements conformes à la justice en lui disant de ne pas abandonner ses enfants, » Pareillement, ce qui fait ressortir la perversité de l’adversaire : « Il a répondu à cela que, là où il serait, il aurait d’autres enfants. » Cette réponse est placée par Hérodote dans la bouche des Égyptiens quittant leur pays[205]. On introduira encore tout récit fait pour plaire aux juges.

VI. Dans la défense, la narration est moins importante. Le point discuté alors c’est : ou que le fait (mis en cause) n’existe pas, ou qu’il n’est pas nuisible, ou injuste, ou qu’il n’a pas la gravité qu’on lui prête. Aussi ne convient-il pas de disserter en vue d’établir un point reconnu, à moins que l’on n’ait pour but de montrer, par exemple, si l’acte en cause a été accompli, qu’il l’a été, mais sans causer de préjudice.

VII. Il faut, en outre, raconter les faits passés, à moins que des faits actuels n’excitent la pitié ou la terreur. L’apologue d’Alcinoüs en est un exemple lorsqu’il est retracé à Pénélope en soixante vers[206]. Citons encore Phayllus et son poème cyclique[207] ; ainsi le prologue qui se trouve dans l’Énée[208].

VIII. Les mœurs doivent jouer un rôle dans la narration. C’est ce qui aura lieu si nous voyons ce qui lui donne un caractère moral. D’abord, c’est de faire connaître son dessein : on reconnaîtra quel est le caractère moral en apercevant quel est le dessein ; et l’on reconnaîtra quel est le dessein d’après le but auquel tend l’orateur.

Ce qui fait que les discours mathématiques n’ont pas de caractère moral, c’est qu’ils ne comportent pas non plus une détermination. Car il n’y a rien en eux qui les motive. Mais les discours socratiques en ont, attendu, qu’ils traitent de questions qui portent ce caractère.

IX. Certaines considérations morales sont inhérentes à chaque trait de mœurs. Par exemple : « Il marchait tout en parlant ; » ce qui dénote de l’arrogance et de la rusticité. Il faut discourir non pas comme d’après sa pensée, ainsi que le font les orateurs d’aujourd’hui, mais comme d’après une détermination. « Quant à moi, telle était ma volonté, parce que telle était ma résolution; mais, si ce n’était pas de mon intérêt, du moins, c’était préférable. » En effet, le premier parti est d’un homme avisé, et l’autre, celui d’un homme de bien. S’il est d’un homme avisé de poursuivre un but utile, il est d’un homme de bien de se déterminer d’après le beau. Si le fait est incroyable, il faut s’étendre sur les motifs. C’est ce que fait Sophocle. Citons ce passage de l’Antigone (où elle dit) qu’elle a plus de sollicitude pour son frère que pour un mari ou des enfants, alléguant que ceux-ci, ayant péri, pourraient être remplacés ;

Tandis que, son père et sa mère étant descendus chez Pluton, il ne pourrait plus lui renaître[209] un frère.

Si tu n’as pas de motif à faire valoir, tu allégueras que tu n’ignores pas que tes assertions sont incroyables, mais que ta nature est ainsi faite. En effet, on ne croit pas que quelqu’un fasse, de gaieté de cœur, autre chose que ce qui lui est avantageux.

X. De plus, il faut, dans la narration, tirer parti des effets de pathétique, déduire les conséquences, dire des choses connues de l’auditeur, et apporter des arguments qui touchent personnellement l’orateur ou l’adversaire : « Il s’est éloigné en me regardant de travers ; » ou comme Eschine[210], qui dit de Cratyle : « Il se mit à siffler et à battre des mains. » En effet, ce sont là des choses qui apportent la conviction, attendu que ce sont des indices, que l’on connaît, des choses que l’on ne sait pas. On peut retrouver la plupart de ces indices dans Homère.

Elle dit, et la vieille femme tenait son visage dans ses mains[211].
En effet, ceux qui se mettent à pleurer portent les mains à leurs yeux. Présente-toi, tout d’abord, sous tel caractère, afin que l’on considère ton adversaire comme ayant tel autre caractère ; seulement, fais-le sans le laisser voir. La preuve que c’est facile est à prendre dans ceux qui annoncent une nouvelle. Sans en savoir rien encore, nous nous en faisons déjà pourtant une certaine idée. Il faut placer la narration sur plusieurs points de son discours et, quelquefois même, au début.

XI. Dans la harangue, il y a très peu de place pour la narration, parce que l’on n’a rien à raconter quand il s’agit de l’avenir ; mais, s’il y a narration, elle prendra son texte dans des événements passés, afin que, par ce souvenir, on conseille mieux sur les faits ultérieurs, soit qu’il serve à incriminer ou à louanger ; et alors on ne fait plus acte de conseiller. Mais, si l’opinion avancée est incroyable, il faut promettre de donner immédiatement ses motifs et faire appel au jugement de qui l’auditoire voudra désigner. Citons, par exemple, la Jocaste de Carcinus, dans son Œdipe, qui promet toujours (des indications), quand l’interroge celui qui cherche son fils, et encore l’Hémon de Sophocle[212].


CHAPITRE XVII


Des preuves.


I. Les preuves doivent être, nécessairement, démonstratives ; or il faut démontrer, puisque la controverse a lieu sur quatre points [213], en portant la démonstration sur le point controversé. Par exemple, qu’il s’agisse de discuter : pour établir que le fait n’existe pas, on doit insister sur la démonstration de ce point ; — qu’il n’a pas été nuisible, sur celle de cet autre point ; — qu’il ne l’a pas été autant (que le dit l’adversaire), ou qu’il a été accompli à bon droit (sur celle de chacun d’eux).

II. Il ne faut pas laisser ignorer que c’est dans ce seul ordre de discussion[214] que l’un des deux adversaires sera nécessairement de mauvaise foi ; car cette discussion n’a pas pour cause l’ignorance, comme il pourrait arriver si l’on discutait sur le juste. Aussi faut-il s’arrêter longtemps sur ce point ; mais sur les autres, non.

III. Le plus souvent, dans les discours démonstratifs, l’amplification aura pour objet d’établir que les actes (discutés) sont beaux et utiles. Il faut que les choses soient dignes de créance, car il arrive rarement que l’on en apporte la démonstration, si elles sont incroyables, ou si quelque autre en est l’auteur.

IV. Dans les harangues, on pourrait discuter pour établir ou que tel fait n’aura pas lieu, ou bien que ce que l’on prescrit aura lieu, mais que ce ne sera pas juste ou pas utile, ou que l’importance n’en sera pas telle qu’on le dit. Il faut voir, en outre, si quelque fausseté n’est pas avancée en dehors du fait discuté ; car ce sont autant de preuves qu’il y a eu mensonge sur les autres points.

V. Les exemples sont tout ce qu’il y a de plus propre aux harangues ; les enthymèmes, aux discours judiciaires ; car les premières ont trait à l’avenir et, par suite, c’est dans les faits passés qu’il faut puiser des exemples. Les seconds se rapportent à ce qui a ou n’a pas lieu, et c’est plutôt sur ce point que se fait la démonstration et que la nécessité s’impose ; car le passé a un caractère de nécessité.

VI. Seulement, il ne faut pas donner les enthymèmes tout d’un trait, mais les entremêler ; ; autrement, il se nuisent entre eux, car toute quantité a une mesure :

O mon ami, tu as dit ni plus ni moins que ce qu’aurait dit un homme sage[215].

Mais non pas : « les choses telles que les aurait dites… »

VII. Il ne faut pas non plus chercher à placer des enthymèmes à tout propos ; sinon, tu feras ce que font quelques-uns des gens qui philosophent, lesquels érigent en syllogismes des pensées plus connues et plus croyables que celles dont ils tirent leurs explications.

VIII. Lorsque tu veux produire un effet pathétique, n’emploie pas d’enthymème ; car, ou bien cet effet sera manqué, et l’enthymème sera sans portée. Les mouvements produits ensemble s’entre-détruisent, ou bien encore s’évanouissent, ou sont affaiblis. On ne doit pas non plus, lorsqu’on veut faire paraître des mœurs dans un discours, chercher, en même temps, à placer un enthymème. La démonstration (dans ce cas) ne comporte ni mœurs, ni intention.

IX. Les sentences sont de mise dans une narration et dans la preuve ; car c’est un élément moral : « Moi aussi j’ai donné (de l’argent), tout en sachant bien qu’il ne faut pas être confiant. » Voici la même idée, exprimée en termes pathétiques : « Il ne m’importe guère d’être préjudicié ; à lui il reste le profit, mais à moi, la justice. »

X. Haranguer est plus difficile que de plaider ; et cela se comprend : dans le premier cas, on s’occupe de l’avenir, et dans le second, du passé. Les augures le savaient bien, comme l’a dit Épiménide le Crétois. Il ne prononçait pas d’oracles sur l’avenir, mais sur le passé, inconnu d’ailleurs. La loi sert de texte aux discours judiciaires ; or, quand on part d’un principe, il est facile de concevoir une démonstration, et l’on n’a pas à beaucoup insister. Ainsi l’on peut faire du pathétique contre l’adversaire, ou en faveur de sa propre cause, mais, en aucune façon, sans s’écarter du sujet. Il faut donc n’y recourir que si l'on est à court d’arguments ; c’est ce que font les orateurs d’Athènes, et (notamment Isocrate), il accuse dans un discours délibératif ; c’est ainsi qu’il incrimine les Lacédémoniens dans le Panégyrique, et Charès dans son discours sur les alliés[216].

XI. Dans les discours démonstratifs, il faut placer çà et là des louanges sous forme d’épisodes comme le fait Isocrate ; car toujours il met en scène quelque personnage[217]. C’est dans ce sens que Gorgias disait que la matière ne lui faisait pas défaut : parlant d’Achille, il fait l’éloge de Pélée, puis d’Éaque, puis du dieu (Jupiter), puis, par la même occasion, celui de la bravoure ; ou bien « il a fait ceci, il a fait cela, ce qui, certes, a telle ou telle importance… »

XII. Ainsi donc, quand on dispose d’arguments démonstratifs, il faut encore parler au point de vue des mœurs, et démonstrativement ; mais, si tu n’as pas d’enthymèmes à ta disposition, parler (surtout), au point de vue des mœurs. Pour un orateur honnête, il est plus convenable de faire paraître ses qualités morales que l’exactitude de ses expressions.

XIII. Parmi les enthymèmes, ceux qui tendent à réfuter sont plus goûtés que ceux qui tendent à démontrer, vu que tous ceux qui établissent une réfutation rentrent mieux, évidemment, dans les conditions du syllogisme, car le rapprochement des contraires rend ceux-ci plus saisissables.

XIV. Les arguments qui s’attaquent à l’adversaire ne sont pas d’une autre espèce que de celle des preuves ; destinés qu’ils sont à détruire son opinion les uns au moyen d’une objection, les autres au moyen d’un syllogisme. Or, soit dans une délibération, soit dans un procès, si l’on parle le premier, il faut d’abord exposer ses preuves[218], puis répondre aux arguments contraires, soit qu’on les détruise, ou qu’on les prévienne pour les combattre. Si la contradiction donne prise de plusieurs côtés, aborder en premier les raisons contraires, comme le fit Callistrate dans l’assemblée des Messéniens, car il renversa d’avance ce qu’ils auraient pu dire ; puis, cela fait, il s’y prit de cette manière pour produire ses propres raisons.

XV. Si l’on parle le second, il faut d’abord répondre au discours de l’adversaire en détruisant ses arguments et les retournant contre lui ; et cela, surtout lorsqu’ils ont été goûtés par l’auditoire. Car, de même que l’esprit n’admet pas (comme innocent) un homme contre lequel se sont élevées des préventions, il n’admet pas davantage (comme plausible) un discours, si l’adversaire lui a semblé avoir parlé dans le bon sens. Il faut donc préparer une place dans l’esprit de l’auditeur pour le discours que l’on va prononcer. C’est ce qui arrivera si tu détruis (les arguments du préopinant). Voilà pourquoi ce n’est qu’après avoir combattu ou bien tous les points traité, ou les plus importants, ou ceux que l’auditoire a paru admettre, ou enfin ceux dont la réfutation est facile, que l’on abordera, de la façon que j’ai dit, les arguments plausibles qui nous sont propres.

Je me porterai d’abord comme champion des déesses ;br/> Car, pour moi, Junon…[219].

Dans ces vers, le poète touche d’abord le point le plus simple. Voilà pour les preuves.

XVI. Quant aux mœurs, comme le fait de donner quelques détails sur sa propre personne nous expose à l’envie, à l’accusation de prolixité ou à la contradiction, et celui de parler d’un autre au reproche d’outrage ou de grossièreté, il faut faire parler une autre personne, comme Isocrate le fait dans le Philippe[220] et dans l’Antidosis[221]. De même Archiloque, pour blâmer. Il met en scène un père qui parle ainsi au sujet de sa fille, dans cet ïambe :

Avec de l’argent, il ne faut désespérer de rien, ni affirmer par serment l’impossibilité de quoi que ce soit.
Il met en scène l’architecte Charon, dans l"ïambe qui commence ainsi :
Peu m’importent les richesses de Gygès…

De même Sophocle fait parler Hémon à son père en faveur d’Antigone, comme si d’autres personnes tenaient la parole[222].

XVII. On doit aussi transformer les enthymèmes, et quelquefois les convertir en sentences : « Il faut que les hommes de sens[223] contractent des traités pendant qu’ils sont heureux ; car, dans ces conditions, ils obtiendront les plus grands avantages »[224]. Maintenant, sous forme d’enthymème : « En effet, si c’est au moment où les traités sont le plus utiles et le plus profitables qu’il faut les conclure, il faut conclure des traités pendant que la fortune est prospère. »


CHAPITRE XVIII


De l’interrogation. — De la plaisanterie.


I. En ce qui concerne l’interrogation, il est surtout opportun d’en user lorsque (l’adversaire) a dit le contraire, de façon que l’orateur faisant questions sur questions, il en résulte une absurdité. Exemple : Périclès interrogeait Lampon au sujet de l’initiation aux mystères de la déesse libératrice[225] ; et, comme celui-ci répondait qu’il n’était pas possible d’en entendre parler quand on n’était point initié, il lui demanda si lui le savait. Lampon lui dit que oui. — « Eh ! comment le sais-tu, n’étant pas initié ? »

II. En second lieu, lorsque le premier point est évident, mais qu’il est visible pour l’interrogateur que l’autre point lui sera concédé ; car, s’informant sur une première proposition, il ne faut pas que sa seconde question porte sur un point évident, mais qu’il énonce la conclusion. Ainsi Socrate : Mélitus disant que celui-ci ne croyait pas à l’existence des dieux, il lui demanda si lui, Socrate, affirmait l’existence d’un démon. Mélitus en tomba d’accord. Socrate poursuivit : « Les démons sont-ils des enfants des dieux, ou enfin quelque chose de divin ? » Mélitus disant que oui : « Est-il quelqu’un au monde, dit Socrate, qui admette l’existence d’enfants des dieux sans admettre celle des dieux ? »

III. De même encore, lorsque l’on va faire voir que (l’adversaire) dit des choses contradictoires ou paradoxales.

IV. En quatrième lieu, lorsque l’on ne peut répondre, pour détruire l’assertion avancée, que d’une manière sophistique. Car, si l’on répond de cette manière qu’il y a ceci, mais qu’il y a aussi cela, bien que tantôt il y ait ceci et tantôt cela, ou encore qu’il y a ceci à certains égards, mais cela sous tel autre point de vue, il en résulte que les auditeurs sont déroutés et se troublent. Il ne faut pas opérer ainsi dans d’autres circonstances ; car, si l’adversaire fait une objection, on semble rendre les armes. Il n’est pas possible de faire un grand nombre de questions, à cause de la faiblesse de l’auditeur. Aussi doit-on serrer le plus possible les enthymèmes.

V. Maintenant, il faut répondre d’abord aux équivoques en établissant des distinctions dans une argumentation pas trop écourtée ; d’autre part, aux assertions qui semblent contradictoires, en apportant immédiatement une solution, dans sa réponse, avant que l’adversaire ait fait suivre une nouvelle question ou un nouveau raisonnement ; car il n’est pas difficile d’entrevoir d’avance sur quoi porte son discours. C’est un point dont l’évidence doit ressortir du livre des Topiques [226], ainsi que les solutions à opposer.

VI. Il faut donner des motifs en manière de conclusion lorsqu’une question implique elle-même une conclusion.

Ainsi Sophocle[227], à qui Pisandre demandait s’il avait donné sa voix, comme les autres membres du Sénat, à l’établissement des Quatre-Cents : — « Oui, dit-il. — Eh quoi ! cela ne te semblait donc pas une mauvaise chose ? » — Il l’accorda : « Ainsi donc, dit l’autre, tu as fait là une mauvaise chose ? — Oui, répondit-il, mais parce qu’il n’y avait rien de mieux à faire. »

C’est comme ce Lacédémonien, rendant ses comptes d’éphorat, à qui l’on demandait s’il trouvait que ses collègues avaient mérité d’être condamnés. Il répondit que oui : « Mais tu as donné les mêmes avis que ces derniers ? » — Et comme il en convenait : « Eh bien ! donc, tu aurais mérité de subir la même condamnation. — Non pas, répliqua-t-il, car ils avaient reçu de l’argent pour agir comme ils l’ont fait ; moi, non : j’ai agi suivant ma conscience. »

Il ne faut donc poser de question ni après la conclusion ni comme conclusion, à moins que la vérité ne nous soit pleinement favorable.

VII. Quant à la plaisanterie (car elle me semble pouvoir être d’un certain usage dans les débats et Gorgias dit, et a raison de dire que l’on doit détruire le sérieux de ses adversaires par la plaisanterie et leur plaisanterie par le sérieux), — on a énuméré, dans la Poétique[228], les diverses sortes de plaisanteries.

Les unes conviennent à un homme libre ; les autres, non. Il faudra voir dans quelles circonstances pourra être de mise celle qui convient à l’orateur. L’ironie a quelque chose de plus relevé que la bouffonnerie. Par la première, on fait une plaisanterie en vue de soi-même, tandis que le bouffon s’occupe d’un autre[229].


CHAPITRE XIX


De la péroraison.


I. La péroraison (ἐπίλογος) se compose de quatre éléments : bien disposer l’auditeur en sa faveur et l’indisposer contre l’adversaire ; grandir ou abaisser ; mettre en œuvre les passions de l’auditeur ; rappeler les faits. Il arrive, naturellement, qu’après avoir démontré que l’on est véridique et que l’adversaire a menti, on peut, sur ces données, louer, blâmer et mettre la dernière main. Or il faut viser à établir l’une de ces deux opinions, que l’on est bon au point de vue de l’auditeur, ou absolument, et, d’autre part, que l’adversaire est malfaisant, soit au point de vue des auditeurs, soit absolument. Quant aux moyens à employer pour amener ces dispositions, on a exposé les lieux qui servent à présenter les hommes comme bons ou mauvais.

II. Le point qui vient après celui-là, les faits une fois démontrés, consiste naturellement à les grandir et à les rabaisser ; car il faut nécessairement que les faits accomplis soient reconnus pour que l’on puisse arriver à parler de leur importance ; et en effet, l’accroissement des corps en suppose la préexistence. Les lieux qui servent à grandir ou à rabaisser sont déjà l’objet d’un exposé antérieur[230].

III. Après cela, une fois qu’on a fait voir clairement les faits et qu’on les a mesurés à leur valeur, il faut agiter les passions de l’auditoire. Ces passions, ce sont la pitié et la terreur, la colère, la haine, l’envie, l’émulation et la dispute[231]. On a expliqué précédemment les lieux qui s’y rapportent [232].

IV. Reste le fait de rappeler les arguments avancés dans les parties précédentes. Or il convient de le faire de la même manière que certains le conseillent pour les exordes, ce en quoi ils ont tort ; car ils prescrivent de revenir souvent à la charge pour que les choses soient bien connues.

Dans cette partie-là, il faut exposer la chose, afin de ne pas laisser ignorer à l’auditeur les détails de la question mise en cause ; tandis que, dans celle-ci, on doit récapituler les arguments qui ont établi la démonstration.

V. Au début (de la péroraison), l’orateur dira qu’il a tenu les promesses qu’il avait faites ; et pour cela, il doit rappeler ces promesses et dire comment il les a tenues. Cela s’obtient par le contre-rapprochement des arguments de l’adversaire. On rapprochera ou les choses que les deux parties ont dites sur le même point, ou celles qui n’ont pas été mises en opposition : « Mon contradicteur a dit telles choses à ce sujet, et moi telles autres choses, pour telles raisons. » Ou bien on recourt à l’ironie, comme dans cet exemple : « Oui, certes, il a bien dit ceci, mais moi, j’ai dit cela ; » et dans cet autre : « Que ne ferait-il pas s’il avait démontré ceci, mais non pas cela ? » — ou encore à l’interrogation : « Quel point est resté sans démonstration ? » ou bien : « Qu’a-t-il démontré ? » On peut aussi procéder, soit par rapprochement ou dans l’ordre naturel, de la même façon que les choses ont été dites, les reprendre en vue de sa propre cause, et, par contre, si on le désire, revenir isolément sur les divers points du discours de l’adversaire.

VI. À la fin (de la péroraison), il convient de parler un langage dépourvu de conjonctions, afin que cette fin soit bien un épilogue, mais non pas un nouveau discours : « J’ai dit ; vous avez entendu, vous possédez (la question) ; prononcez[233]. »


FIN DE LA RHÉTORIQUE D’ARISTOTE.
  1. Ὼς ὁεί, suivant la nécessité de la situation.
  2. Ὑπὀκρισις, le jeu de l’orateur comme du comédien, τοὑ ὑποκριτου.
  3. Ont traité de l’action poétique. Sur Glaucon, cp. Poétique, ch. XXV. Voir Egger, Histoire de la critique chez les Grecs, p. 22.
  4. La grandeur se rapporte à la force de la voix, l’harmonie au degré d’intonation, et le rythme à la durée des sons articulés
  5. Τὼν πολιτειὡν. Peut-être πολιτὡν. Cp. Quintilien, Institut. oratoire, II, 17, 27. — Revoir aussi, plus haut, l. I, chap. I, § 4.
  6. L’hypocritique, ὑποκριτική, l’art du jeu scénique, une des parties de la musique d’après une classification que nous ont conservée Martien Capelle (liv. IX, § 936) et Michel Psellus, dans un texte inédit que nous avons publié (Archives des missions sc. et litt., 3e série, t. II, 1875, p. 618), et traduit (Annuaire de l’Association grecque, 1874, p. 140).
  7. Sur Thrasymaque de Chalcédoine, contemporain de Platon, cp. Cicéron, Brutus, § 30 ; Quintilien, Inst. orat., III, 3 ; Philostrate, Vie des Sophistes, § 14. Cicéron parle des Ἔλεοι [λόγοι], titre qu’il traduit par Miserationes (De Oratore, III, 32).
  8. Cp. Cicéron, De Oratore, III, fin.
  9. Allusion indirecte, croit-on, aux discours d’Isocrate, lesquels, généralement, ne furent pas prononcés.
  10. Κινἡσαι. Nous avons songé un moment à proposer la correction μιμἡσαι (à imiter), très plausible au point de vue paléographique.
  11. Hexamètre composé d’ïambes et de trochées.
  12. Cp. Poétique, ch. IV.
  13. Des vers héroïques tels que ceux d’Homère.
  14. L’élocution oratoire.
  15. Poét., ch. XX-XXII.
  16. Suivant qu’elle est élevée ou commune.
  17. Chap. XXI.
  18. Γλὡτται, les mots étrangers, inusités, étranges.
  19. Chap. III et VII.
  20. Ci-dessus, § 4.
  21. Ou équivoques. Voir dans les Catégories, chap. 1er, la définition des termes ὁμώνυμα, συνώνυμα et παρώνυμα.
  22. Ces mots signifient tous deux marcher, aller.
  23. Un quêteur de Cybèle, et non pas un porte-flambeau.
  24. Un non initié, un profane.
  25. Flatteurs de Dionysos (Bacchus). Rapprocher τεχνῖται des διονυσιακοἱ τεχνῖται mentionnés par Philostrate, p. 360, édition Kayser, et par Aulu-Gelle, N. A. XX, 4. On a voulu voir, dans ce mot composé, une injure à l’adresse des flatteurs de Denys le Jeune, tyran de Syracuse. Le jeu de mots a été fait (Athénée, X, p. 435 E ; voir aussi XV, p. 538) et appliqué par Épicure aux disciples de Platon (Diog., liv. X, I, 4) ; mais le présent καλοῦσι donne à croire, selon nous, qu’Aristote parle exclusivement des artistes dionysiaques, ou acteurs du théâtre de Bacchus.
  26. Le mot prendre dit moins que voler et piller dit plus. Le premier terme sera une atténuation, et le second une aggravation.
  27. Tragédie perdue.
  28. Ὁ χαλκοῦς, orateur et poète, surnommé ainsi parce qu’il avait conseillé aux Athéniens l’établissement d’une monnaie d’airain (Athénée, Deipnosoph., liv. XV, p. 669).
  29. Composée par Cléobule ou par Eumétis (Plut., Banquet des sept Sages, ch. X). Cp. Poét., ch. XXII.
  30. Les ventouses auxquelles fait allusion cette énigme étaient des cloches en airain.
  31. Rhéteur, ami de Gorgias.
  32. Mentionné aussi dans les Secondes Analytiques, I. 9. et dans les Sophist. elench., chap. XI.
  33. Aux doigts de rose.
  34. Aux doigts couleur pourpre.
  35. Aux doigts rouges.
  36. Allusion à Oreste. Cp. Eurip., Oreste, vers 1603.
  37. Ibid., vers 1604.
  38. Le terme propre et son diminutif.
  39. Il s’agit du sophiste de ce nom. Cp. Soph. elench., chap. XV.
  40. Ἀκτἡ στενόπορος. La traduction littérale « un rivage au passage étroit » ne fait aucun sens.
  41. Κατά τινος εὐορκήσαντας dit Étienne.
  42. Expression de Pindare citée par Platon (Gorgias 484 B. et Banquet, 196 C).
  43. Après sa métamorphose. Sur Philomèle — hirondelle et Procné — rossignol, voir P. Decharme, Mythologie de la Grèce antique, p. 528.
  44. Cette citation ne se retrouve pas textuellement dans Homère. Cp. Iliade, xx, 164. L’exemple choisi par Aristote a été repris par Quitilien, Instit. orat., VIII, 6, 9.
  45. Disciple d’Isocrate.
  46. Idrée parait être le frère de Mausole, roi de Carie, dont parle Isocrate, Discours à Philippe, § 103.
  47. D’après la conjecture très plausible de Vettori, cet Euxène n’avait pour lui que la profonde connaissance de la géométrie.
  48. Républ., liv. V, p. 469.
  49. Républ., liv. VI, p. 488.
  50. Républ., liv. X, p. 601.
  51. Parce que cet arbre servait à faire des coins pour fendre le bois.
  52. Destinés à leurs nourrissons. Cp. Sextus Empiricus, II, 42, et Aristoph., Chevaliers, 721.
  53. Ou peut-être : « Qui mâchant les aliments, les mettent tout mâchés sur les lèvres des enfants, » ce qui se fait aussi pour les petits oiseaux.
  54. Cp. Poétique, chap. XXI. — D’après Athénée (Deipnosoph., l. XI, p. 521, le mot serait d’Anaxandride, poète de la comédie moyenne.
  55. Ces éléments sont la clarté, la propriété des termes, la métaphore et l’image
  56. De même que d’une part et moi de mon côté exigent d’autre part et lui de son côté.
  57. Exemple de conjonctions mal ordonnées.
  58. Qui embrassent un sens trop étendu. Ce n’est pas tout à fait la périphrase, c’est plutôt la généralité.
  59. Σκεύη, les objets.
  60. L’obscurité du style d’Héraclite était passée en proverbe.
  61. On ne voit pas, par suite, si toujours se rapporte à la proposition principale ou à l’incidence.
  62. Périphrase.
  63. Λιμένας εἰς Ἀχαῖκοὑς. Fin de vers ïambique d’un poète inconnu.
  64. Eurip., Iphig. en Tauride, vers 727.
  65. Antimaque de Colophon ou plutôt de Claros, colonie sortie de Colophon. Voir sur ce vers C. Ad. G. Scheilenberg, Antimach. reliq., Halo S., 1786, p. 52.
  66. Montagne de Béotie. Cp. Strabon, Géogr., IX, 31, p. 412, éd. Casaub.
  67. Ἄχορδος est dans Théognis cité par Démétrius, § 85. Ἄλυρος est dans Eurip., Iph, en Taur., v. 144.
  68. Littéralement : un ornement.
  69. Poète tragique d’Athènes.
  70. Cp. Spengel, t. II, p. 381, où sont réunis une foule d’exemple de ces deux locutions.
  71. Exemple dans Isocrate, Panathenaic., chap. LXXXIV. Cp. Quintilien, De Inst. orat., VIII, 3. Nous lisons comme lui προεπιπλήσσειν. Nous disons de même : aller au-devant d’une objection.
  72. On voit que nous adoptons la lecture de Vahlen, qui supprime καὶ.
  73. Nous corrigeons comme M. Thurot, ἀπίθανον en πιθανον.
  74. Οὐρανόμηκες. Ce mot est dans Isocrate (Antidosis, § 134).
  75. Isocrate, Panégyr., § 186. — Voir la note de F.-A.-G Spohn, dans son édition du Panégyrique, revue par J.-G. Baiter.
  76. Panégyr., § 97.
  77. Platon, Phèdre, p.138, où Socrate se dit ironiquement inspiré par les nymphes du lieu, νυμφόληπτος.
  78. Τίνα αἱρεῖται ἐπίτροπον.
  79. Allusion possible à quelque scène de comédie.
  80. Cp. Cicéron, De Orat., III, 47 ; Quintilien, De Inst. orat., IX, 4.
  81. Cp. Poétique, IV, §§ 7 et 19. — Démétrius, 42.
  82. D’où l’expression παιωνικὸν γένος, genre péonique, genre de rythme sesquialtère, c’est-à-dire comportant cinq pieds disposés dans le rapport de trois à deux ou de deux à trois. (Aristoxène, Élém. rytmiques, p. 302 de Morelli.)
  83. C’est-à-dire que, par exemple, on mettra, au début, le péan (commençant) par la longue — υυυ, et, à la fin, le péan par les brève {υυυ —.
  84. Delogene, ou Lycie.
  85. Hécate à la chevelure d’or, fille de Jupiter.
  86. Après la terre et les eaux, la nuit couvrit d’ombres l’océan.
  87. Isocrate a commencé par ce péan le Panégyrique, l’Éloge d’Hélène, Busiris, etc.
  88. La brève ne correspond qu’à une fraction du pied rythmique, lequel compte toujours au moins deux temps. (Aristoxène, l. c., p. 289.)
  89. Cp. Démétrius, § 12.
  90. Le Thurien, parce qu’Hérodote alla se fixer à Thurium, en Italie.
  91. « Calydon, cette ville du pays de Pélops… », vers du Méléagre d’Euripide. Le Philoctète, de Sophocle, commence à peu près même : Ἀκτὴ μὲν της περιρρύτου χθονός;… Cp. Démétrius.
  92. Cp. Démétrius, § 34.
  93. "Calydon, cette ville du pays de Pélops…", vers du Méléagre d’Euripide. Le Philoctète, de Sophocle, commence à peu près même : ƒAkt¯ m¢n t°w perirrætou xyonñw ;… Cp. Démétrius.
  94. C’est ce qui arrive, au propre, lorsque l’on croit avoir tant de marches à descendre et qu’il y en a un plus petit nombre.
  95. Poète qui vivait au milieu du Ve siècle et avait innové dans le dithyrambe.
  96. Ce vers est un souvenir d’Hésiode. (Œuvres et Jours, v. 263.)
  97. Cette phrase ressemble à un vers didactique.
  98. Isocrate, Panégyrique, § 1.
  99. Panégyrique, § 30.
  100. Panégyrique, § 41.
  101. Panégyrique, § 48.
  102. Panégyrique, § 72.
  103. Panégyrique, § 89. Creuser dans le sens de « canaliser ».
  104. Panégyrique, § 105.
  105. Panégyrique, § 199.
  106. Panégyrique, § 181.
  107. Panégyrique, § 186.
  108. Cp. Diod. Sic., XVI, 14. (Voir Spengel.)
  109. « Car il reçut de lui un champ non travaillé. » Jeu de mots sur ἀγρὸς et ἀργὸς, que l’on rencontre aussi dans Xénophon. (Cyrop., VIII, 3, 37.)
  110. « Ils se laissaient gagner par les présents et persuader par les paroles. » (Il., IX, 526.)
  111. « Ils crurent qu’il n’était pas le père de l’enfant, mais plutôt la cause de sa naissance. » Nous ajoutons une négation avec deux manuscrits et l’édition Aldine ; malgré cela, le sens reste douteux. Sauppe propose ἀλλ ´ αὐτον παιδίον. On serait tenté de voir, dans ce dernier exemple et dans le suivant, l’origine du vers léonin.
  112. « Dans les plus grands soucis et les plus faibles espérances. »
  113. « Se jugeant digne d’une statue d’airain et ne valant pas un chalcous. » — Chalcous, petite monnaie d’airain, le huitième d’une obole.
  114. La syllabe visée n’est pas entièrement semblable. Peut-être faut-il corriger ἀργόν en ἀγ?όν.
  115. Ouvrage perdu, que l’on croit être la source de la Rhétorique à Alexandre.
  116. Cp, Démétrius, § 24.
  117. Odyssée, XVI, 214.
  118. Chap. IV, § 3.
  119. Aristote, si nous l’avons bien compris, parle ici du cas où l’auditeur peut penser. « C’est aussi ce que je me disais. »
  120. À savoir, d’être compris d’emblée ou avec un léger effort.
  121. Isocrate, Discours à Philippe, § 73.
  122. C’est-à-dire choisie dans un ordre d’idées inconnues de l’auditeur.
  123. Ἐνέργεια. Cp. Cic., De Orat., II, 59.
  124. Elles sont énumérées dans la Poétique, ch. XXI. La métaphore est : 1o Le transport du genre à l’espèce ; 2o de l’espèce au genre ; {ordinal|3}} de l’espèce à une autre espèce ; 4o celui d’un terme à son corrélatif, ce qui est la métaphore par analogie, dont Aristote va parler.
  125. Cp. plus haut (l. I, ch. VII, § 34), où la même pensée est rapportée en d’autres termes. Il y a dans Hérodote (VII, 162) une métaphore ou plutôt une comparaison analogue. — Athénée ({{rom|III}, p. 99) attribue à Démade ce mot que « les éphèbes étaient le printemps du peuple. »
  126. Cp. Plut Préceptes politiques, ch. VI. — (Voir l’éd. Spengel.)
  127. C’est l’orateur athénien. Dobree, et non le disciple d’Isocrate.
  128. Décret ayant pour objet l’expédition des Grecs contre Xerxès. Cp. Démosthène, Fausse ambassade, § 303. — Voir Dobree, Adversaria critica, p. 138.
  129. L’une des deux trières consacrées (l’autre était la Salaminienne), lesquelles n’étaient mises à l’eau que dans les circonstances graves.
  130. Cp. Strabon, IX, ch. XIV, où la petite île de Psyttalia, déserte et rocheuse, est qualifiée par quelques-uns : λήμη τοῦ Πειραιῶς.
  131. Nous dirions aujourd’hui : À raison d’un intérêt de 33%.
  132. À cinq trous. Allusion au πεντεσύριγγον ξύλον, carcan percé de cinq trous, où l’on faisait rentrer les jambes, les bras et la tête des condamnés. — Sur Polyeucte, voir H. Weil, Revue de philologie, t. VI, p. 16.
  133. Voir la Préface.
  134. Diogène le Cynique.
  135. Par analogie avec les phidities, ou repas publics de Lacédémone. Diogène voulait peut-être parler de « marchands de vin traiteurs », chez qui l’on mangeait mal (φειδομένως).
  136. Cp. Isocrate, Discours à Philippe, § 12.
  137. Lysias, Éloge funèbre, § 60. (Voir la note dans la traduction de M. Barthélemy Saint-Hilaire, et dans Spengel.) Cp. Dobree (Adversaria t. 1er, p. 13), qui supprimait comme interpolation ἑν Σαλαμῖνι. On a proposé ἑν Λαμία, à Lamia.
  138. Isocrate (Panégyrique, § 150), en parlant des sentiments serviles des Perses vis-à-vis de leurs princes.
  139. Source inconnue.
  140. φῶς et ἀνῆψεν.
  141. Panégyrique, § 172.
  142. Panégyrique, § 180.
  143. Source inconnue. Cp. Isocrate. Sur la paix, § 126.
  144. Le carré est une figure parfaite, limitée dans toutes ses parties.
  145. Isocrate, Discours sur Philippe, § 10.
  146. Ibid., § 127.
  147. Euripide, Iphigénie en Aulide, v, 80, où il y a ἁἲςαντες δόρυ ayant brandi leur lance.
  148. Cp. Homère, Odyssée, XI, 598.
  149. Homère, Iliade, XIII, 587.
  150. Iliade, IV, 136.
  151. Iliade, XI, 574.
  152. Iliade, XV, 541.
  153. Iliade, XIII, 799.
  154. Ch. X, § 6.
  155. Souvenir d’Isocrate (Discours à Philippe, § 40) : οῑδα γὰρ ἁπάσας ὡμαλιυμένας ὑπὸ τῶν συμφορῶν, car je sais que le malheur les a mises toutes au même niveau.
  156. Mot déjà cité (l. II chap. XXI, § 8), comme laconique et énigmatique. (Voir la note.)
  157. À celle que l’on avait antérieurement sur le sens de ce mot
  158. Peut-être faut-il écrire : θρᾳττ ᾽ᾖσε il a joué des airs thraces ? Cp. Meineke, Comic. gr., t. III, p. 575. Buhle propose : Θράττη σε[τέτοκε] et Cobet (nov. lect.) : Θράττης εῐ, p. 655.
  159. Βούλει αὐτὸν πέρσαι. On entrevoit ici un jeu de mots sur πέρσαι qui signifie avoir perdu et les Perses.
  160. Discours à Philippe, § 61 ; Panégyrique, § 119 ; Sur la Paix, § 101.
  161. Ξένος signifie hôte et étranger.
  162. Le mot ἄξιος est pris successivement dans les acceptions de digne (honorable) et de possible.
  163. Ch. IV. § 1.
  164. Cp. ci-dessus, ch. IV, § 4.
  165. Sans doute à cause de ses contorsions.
  166. Allusion à Philoctète, piqué par un serpent et, depuis lors, très négligé de sa personne. Cp. Sophocle (Philoctète, vers 267).
  167. Spengel, sur ce passage, renvoie à Mercurialis, Gymn. II, 4.
  168. Les Carpathiens avaient introduit dans leur île des lièvres dont la reproduction multipliée amena sa dévastation. Cp. Pollux, Onomast., v, 12.
  169. Homère, Iliade, IX, 385 et suiv.
  170. Poète tragique. Cp. l. II, ch. XXIII, et Poétique, ch. II et XXIV.
  171. Cp. ch. II et plus loin ch. XIII.
  172. Ἰὃιωτικοί de profanes.
  173. La Folie des vieillards, pièce d’Anaxandride. Cp. Athénée, Deipnosoph., l. XIII, p. 570.
  174. Le discours devient monotone comme le pas d’un homme qui porte un fardeau.
  175. Homère, Iliade, II, 671.
  176. Πρόθεσις, la position préliminaire de la question
  177. Littéralement : « Souffle d’un vent favorable. » Cp la définition de l’ἐπούρωσις (sic) donnée par une scolie : « Éléments venant en aide aux enthymèmes, et, d’une manière absolue, tout ce que l’on peut dire à l’appui d’une démonstration. » . (Spengel, Συναγωγἡ τεχνῶν. Artium scriptores p. 89.)
  178. C’est peut-être comme qui dirait le branchage d’un discours ; autrement dit, une série de petites digressions.
  179. Τὸ ἐνδόσιμον, c’est l’exécution instrumentale qui précède le chant vocal. (Hésychius.)
  180. Cp. Quintilien, Inst. orat., III, 8 ; 8.
  181. Fragment d’un passage de Chérile de Samos, qui a été rapporté par le scoliaste et où le poète déplore que le champ des lettres et des arts soit tellement encombré que le serviteur des Muses ne sait où faire courir « son char au nouvel attelage ».
  182. Le scoliaste donne une citation plus complète de ce préambule : « Je suis venu auprès de toi, à cause de toi, et de tes dons, et de tes bienfaits, et de tes dépouilles, ô dieu Dionysos ! »
  183. Début de l’Iliade.
  184. Début de l’Odyssée.
  185. Vers considérés généralement comme début du poème de Chœrile de Samos sur la guerre médique.
  186. Sophocle, Œdipe roi, v, 767 alias 774. Le texte a dû être altéré, ou même interpolé. Nous lirions volontiers. avec Spengel : « Sinon dès le prologue, comme Euripide, du moins, en quelque partie, comme Sophocle. » (Voir Spengel, notes, et Egger. Hist. de la critique chez les Grecs, p. 226.)
  187. En dehors de la cause que l’on plaide.
  188. S’il n’y a pas lieu, au contraire, de distraire l’attention.
  189. Prodicus avait sans doute autour de lui un auditoire qui avait payé 50 drachmes pour l’entendre. Cp. Plat., Cratyle, p. 384 B.
  190. Sophocle, Antig., vers 223.
  191. Euripide, Iphigénie en Tauride, vers 116
  192. Cp. Sophocle, Antig., vers 241.
  193. Homère, Odyssée, VI, 317.
  194. Se concilier l’attention et l’intérêt de l’auditeur.
  195. Platon, Ménéxène, p. 235. Cp. ci-dessus, p. 132.
  196. Métaphores empruntées aux gestes des athlètes qui vont lutter.
  197. Probablement Iophon, son fils et poète tragique comme lui.
  198. Antidosis, échange de biens entre deux citoyens dont le plus fortuné devait prendre à sa charge les frais de liturgie imposés à l’autre. (Voir, dans le Dictionnaire des antiquités gr. et rom., de Saglio, l’article Antidosis, par E. Caillemer.)
  199. Hippolyte (tragédie jouée en 428), vers 612.
  200. On voit qu’Euripide invoque ici l’axiome de droit : Non bis in idem, éloquemment développé avant lui par l’orateur Andocide (IV, 8), comme l’a remarqué Spengel.
  201. Littéralement : « elle produit des jugements autres (que ceux qui se rapporteraient à un fait précis) ; elle ne compte pas sur un fait réel pour porter une accusation.. (Voir, sur la διαβολή, plusieurs citations d’orateurs attiques réunies par Spengel.)
  202. Fille de Laomédon, roi de Troie, devenue la troisième femme de Télamon. Explication conjecturale : Résidant à Troie pendant la guerre, Télamon n’a pas dénoncé les espions que les Grecs introduisaient dans la ville. — Teucer, pièce d’un poète inconnu, peut-être Sophocle, qui avait composé un Teucer (Scol. d’Aristoph., Nubes v. 583),
  203. Homère, Iliade, X, vers 130 et 141. — Cp. ci-dessus, II. ch. XXIII, 30.
  204. Dans le manuscrit de Paris (1741), on a reproduit ici le passage relatif à l’éloge, l. I, ch, IX, §§ 33 - 37 (p. 1367 b 26 - 1368 a, 10).
  205. Cp. Hérodote (II, 30), où les Égyptiens accentuent leur réponse d’un geste caractéristique. — Cette dernière phrase pourrait bien être une scolie introduite dans le texte.
  206. Le récit fait par Ulysse devant Alcinoüs, dans lequel les faits sont reproduits comme actuels (πραττόμενα), occupe les chants IX à XII de l’Odyssée. Racontés devant Pénélope, comme passés (πεπραγμένα), ils n’occupent plus que 60 vers. On a proposé de lire 30 (chant XXIII, vers 310-340), ou 26 (262 — 288). L’apologue d’Alcinoüs était passé en proverbe, pour désigner un récit interminable. (Voir Spengel et Meredith Cope.)
  207. Phayllus, poète inconnu, qui paraît avoir résumé des récits étendus formant un poème cyclique.
  208. Le scoliaste donne le début de ce prologue qui ouvrait l’Énée d’Euripide.
  209. Littéralement « fleurir ». (Sophocle, Antig., vers 911-912)
  210. Probablement, Eschine le Socratique.
  211. Odyssée, XIX, 361.
  212. Antig., vers 635 ; alias 679.
  213. 1o Non-existence du fait, — 2o Fait existant, mais non nuisible. — 3o Fait existant, nuisible, mais moins qu’on ne l’a dit. — 4o Fait existant, nuisible, nuisible autant qu’on l’a dit, mais non injuste.
  214. Dans la discussion portant sur la non-existence du fait en litige.
  215. Homère, Odyssée, IV, 204.
  216. Discours sur la paix, § 27.
  217. Thésée (Hélène § 22 ; Pâris (Ibid., § 41) ; les prêtres égyptiens et Pythagore (Busiris, § 21) ; les poètes (Ibid., § 38) ; Agamemnon (le Panathénaïque, § 72). Cp. Spengel.
  218. C’est-à-dire les preuves justifiant sa propre opinion ou sa propre conduite.
  219. Euripide, Troyennes, vers 969 ; alias 979.
  220. § 73.78 ou plutôt § 4-7. (Spengel.)
  221. § 141-149 ; § 132- 139. (Voir, dans Spengel, plusieurs entres exemples de cet artifice oratoire.
  222. Antig., vers 688 et suivants.
  223. Ou plutôt les peuples sensés.
  224. Cp. Isocrate, Archidamus, § 50.
  225. Déméter-Cérès.
  226. Top., l. VIII.
  227. Mentionné déjà ci-dessus, l. I, ch. XIV, § 3.
  228. Partie perdue. — Voir ci-dessus l’appendice de la Poétique.
  229. Le bouffon (ou plutôt le mauvais plaisant) s’occupe de faire rire, d’amuser autrui.
  230. L. II, ch. XIX et XXVI.
  231. ἔρις. Peut-être χάρις, la faveur. (Spengel.)
  232. L.II, ch. I - XI.
  233. Cp. Lysias, contre Ératosthène, dernière phrase.