Rhétorique (trad. Ruelle)/Livre III/Chapitre 13

Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 339-340).
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CHAPITRE XIII


De la disposition.


I. Il y a deux parties dans le discours ; car il faut nécessairement exposer le fait qui en est le sujet, puis en donner la démonstration. Aussi personne ne peut se dispenser de démontrer, quand on n’a pas commencé par un exposé. En effet, celui qui démontre démontre quelque chose, et celui qui fait un exorde le fait en vue d’une démonstration.

II. Ces deux parties sont donc : l’une, la proposition[1], l’autre, la preuve ; c’est comme si l’on établissait cette distinction que l’une est la question posée, et que l’autre en est la démonstration.

III. Aujourd’hui (les rhéteurs) établissent des distinctions ridicules, car la narration n’appartient, en quelque sorte, qu’au seul discours judiciaire ; or comment admettre que, pour le genre démonstratif et pour les harangues, une narration, telle qu’ils l’entendent, soit ou bien ce que l’on objecte à la partie adverse, ou l’épilogue (la péroraison) des discours démonstratifs ? L’exorde, la discussion contradictoire et la récapitulation ont leur place dans les harangues, alors qu’il y a controverse : et en effet, l’accusation et la défense interviennent souvent ; seulement, ce n’est pas en tant que délibération. La péroraison, en outre, n’appartient pas à toute espèce de discours judiciaire, à celui, par exemple, qui est de peu d’étendue, ou dont le sujet est facile à retenir ; car on peut alors la retrancher pour éviter la prolixité.

IV. Ainsi donc, les parties essentielles sont la proposition et la preuve. Ces parties sont propres (au sujet). Les plus nombreuses qu’il puisse y avoir sont l’exorde, la proposition, la preuve, la péroraison. Les arguments opposés à l’adversaire rentrent dans la classe des preuves. La controverse est le développement des arguments favorables à l’orateur, et, par suite, une partie des preuves, car on fait une démonstration lorsque l’on met en œuvre cette partie ; mais il n’en est pas de même de l’exorde, ni de la péroraison, laquelle a plutôt pour objet de remémorer.

V. Par conséquent, si l’on établit de telles distinctions, ce que fait Théodore, on aura la narration, la narration additionnelle, la narration préliminaire, la réfutation et la réfutation additionnelle ; mais alors il faut nécessairement que celui qui parle d’une espèce et d’une différence établisse autant de dénominations ; sinon, la division est vaine et frivole ; c’est ainsi que procède Lycimnius dans son traité, où il emploie les dénominations de ἐπούρωσις (impulsion)[2] de digression et de rameaux[3].

  1. Πρόθεσις, la position préliminaire de la question
  2. Littéralement : « Souffle d’un vent favorable. » Cp la définition de l’ἐπούρωσις (sic) donnée par une scolie : « Éléments venant en aide aux enthymèmes, et, d’une manière absolue, tout ce que l’on peut dire à l’appui d’une démonstration. » . (Spengel, Συναγωγἡ τεχνῶν. Artium scriptores p. 89.)
  3. C’est peut-être comme qui dirait le branchage d’un discours ; autrement dit, une série de petites digressions.