CHAPITRE XXIV.
USAGE DES INVARIANTS INTÉGRAUX.
Procédés de vérification.
266.Dans le Tome II nous avons exposé différents procédés
pour trouver des séries qui satisfont formellement aux équations
du problème des trois Corps. Comme ces séries peuvent avoir une
grande importance pratique et qu’on ne les obtient qu’au prix de
calculs longs et difficiles, tous les moyens que l’on peut trouver
de vérifier ces calculs peuvent être précieux ; la considération des
invariants intégraux nous en fournit un qui n’est pas sans intérêt.
Appelons les coordonnées des deux
planètes (qui doivent être rapportées, comme nous l’avons dit
au no 11 et comme nous l’avons toujours fait depuis, la première
au Soleil, la seconde au centre de gravité de la première et du
Soleil) ; appelons, d’autre part, les composantes de leurs
quantités de mouvement ; ces quantités et peuvent être
développées en séries de la manière suivante :
Rappelons les résultats des Chapitres XIV et XV, et en particulier
ceux du no 155. Dans ces Chapitres, au lieu des douze
variables et que je viens de définir, nous avons employé,
pour définir les positions des deux planètes, douze autres variables
Nous avons introduit en outre six arguments
en posant
et six autres constantes d’intégration
et nous avons vu alors que l’on peut satisfaire aux équations du
mouvement de la manière suivante.
Les quantités
sont développables suivant les puissances de et des Chaque
terme est périodique par rapport aux et aux et dépend en
outre des deux constantes d’intégration et
Les constantes et sont développables suivant les puissances
de et des et dépendent en outre de et
Les et les sont six constantes d’intégration.
Enfin
est une différentielle exacte lorsqu’on y remplace les douze
variables et par leurs développements et que dans ces
développements on regarde les et les comme six variables
indépendantes et les six quantités comme des constantes.
Nos quantités et que je viens de définir s’expriment aisément
à l’aide des douze variables , et
On conclura que et peuvent être développés en séries
procédant suivant les puissances de et des ainsi que suivant
les cosinus et les sinus des multiples des et des chaque
coefficient dépendant en outre de et
De plus l’expression
sera une différentielle exacte si l’on regarde les et les comme
six variables indépendantes et comme des constantes.
Les séries ainsi obtenues, il est à peine besoin de le rappeler,
ne sont pas convergentes ; elles n’ont de valeur qu’au point de
vue du calcul formel, ce qui leur donne cependant une certaine
utilité pratique, comme je l’ai expliqué au Chapitre VIII.
Néanmoins si l’on substitue ces développements aux et
aux dans l’expression d’un invariant intégral, le résultat de
cette substitution devra encore, au moins au point de vue formel,
satisfaire aux conditions auxquelles doit satisfaire un invariant
intégral, et c’est ce qui va me fournir le procédé de vérification
sur lequel je désire attirer l’attention.
267.Nous avons vu plus haut que
(1)
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est un invariant intégral.
Nous allons, pour nous servir de cet invariant, faire un changement
de variables analogue à celui du no 237.
Posons, pour plus de symétrie dans les notations,
Nous avons vu que l’on pouvait développer les et les en
séries dépendant des des de et des c’est-à-dire,
avec nos nouvelles notations, des et des
Nous pouvons alors prendre pour variables nouvelles les et
les et alors les équations différentielles du mouvement prendront
la forme
(2)
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[de même qu’au no 237 les équations (1) devenaient, après le
changement de variables,
ainsi que nous l’avons vu].
Les sont fonctions des seulement.
Mais il vaut mieux encore prendre d’autres variables ; en effet,
les six étant fonctions des six seulement, rien n’empêche, au
lieu des et des de prendre comme variables les et les
de sorte que les équations différentielles deviennent
(3)
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Un invariant intégral du premier ordre prendra la forme
les et les étant des fonctions des et des
Je pourrai supposer que la figure est un arc de courbe dont
les équations, variables avec le temps, sont de la forme suivante
les variables et étant exprimées en fonctions du temps et
d’un paramètre qui varie de à quand on parcourt l’arc
tout entier. L’équation de l’arc sera alors
Ces conventions faites, je puis écrire
d’où
Or, on a
d’où enfin
Si est un invariant intégral absolu, on devra donc avoir
(4)
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(5)
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Examinons maintenant ce qui arrive dans le cas où les et
les sont des fonctions périodiques des et peuvent, par conséquent,
être développés en séries trigonométriques.
Considérons d’abord l’équation (4) et soient
les et les dépendant des
L’équation (4) devient
ce qui ne peut avoir lieu que si
(6)
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ou si
Or, les sont des entiers constants, les sont nos variables
indépendantes entre lesquelles il ne peut y avoir aucune relation
linéaire ; l’équation (6) entraîne donc
Cela signifie que le développement trigonométrique de se
réduit à son terme tout connu ; c’est-à-dire que est une fonction
des seulement, indépendante des
Passons maintenant à l’équation (5) ; soit
en écrivant, pour abréger, au lieu de
L’équation (5) s’écrit alors
Considérons d’abord un terme dépendant des c’est-à-dire
tel que ne s’annulent pas à la fois. On aura
Dans le second membre ne dépend pas des ce second
membre ne contient donc ni terme en ni terme en
Il résulte de là que
Donc ne dépend pas des et se réduit au terme tout connu
de son développement trigonométrique, terme qui dépend seulement
des
Mais alors l’équation (5) se réduit à
En général, tout invariant intégral absolu linéaire et du premier
ordre, où l’expression sous le signe est algébrique par
rapport aux et aux et, par conséquent, périodique par rapport
aux devra être de la forme
les ne dépendant que des c’est, en effet, ce qui arrive pour
les invariants absolus que nous connaissons et qui s’obtiennent
d’ailleurs en différentiant les intégrales des aires, celles des forces
vives ou du mouvement du centre de gravité.
Mais l’invariant relatif
mérite plus d’attention. Nous avons vu que
(où et sont les valeurs de la constante des forces vives aux
deux extrémités de l’arc ) est un invariant intégral. On aura
donc
(7)
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Si nous posons encore
l’équation (7) deviendra
car la constante des forces vives est fonction des seulement.
Les équations (4) et (5) devront donc être remplacées par les suivantes
(4 bis)
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(5 bis)
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Les et les doivent être des fonctions périodiques des
Si nous traitons les équations (4 bis) et (5 bis) comme nous
avons traité les équations (4) et (5), nous reconnaîtrons :
1o Que les sont indépendants des
2o Que les sont indépendants des
3o Que
On trouve donc, en définitive,
les dépendant des seulement.
En d’autres termes, les expressions
ou
(8)
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ne dépendent pas des et sont fonctions seulement, soit des
soit des suivant qu’on exprime tout en fonction des et des
ou en fonction des et des
De même, on aura
(9)
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Les les et sont, comme je l’ai dit, développés suivant
les puissances de et des Les expressions (8) et les deux
membres des égalités (9) sont donc aussi développables suivant
les puissances de ces quantités.
Tous les termes des développements des expressions (8), suivant les puissances de et des devront donc être indépendants
des
D’autre part, chaque terme de développement du premier
membre de (9) devra être égal au terme correspondant du second
membre.
Nous avons ainsi un très grand nombre de procédés de vérification
pour nos calculs.
268.J’ai dit que
est une différentielle exacte si l’on regarde les comme des constantes,
et les comme des variables indépendantes.
Nous trouvons, en effet, alors
ou comme les ne dépendent que des et doivent être, par
conséquent, regardés comme des constantes
d’où
d’où enfin
(10)
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Revenons pour un instant aux notations du no 162. Dans ce
numéro, comme dans le no 152, nous avons pris comme variables
(11)
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nous avons posé
D’un autre côté les variables (11), de même que les variables
sont des variables conjuguées. Il en résulte, ainsi que j’ai eu
plusieurs fois l’occasion de l’expliquer, que l’expression
est une différentielle exacte. J’ajouterai qu’on formera facilement
la fonction qui peut, par conséquent, être regardée comme une
fonction connue des et des
On a alors
(12)
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Comme dans l’application du procédé du Chapitre XV on est
conduit à former la fonction l’équation (12) nous fournit, sous
une forme nouvelle, la vérification cherchée.
Rapport avec un théorème de Jacobi.
269.On sait que Jacobi a démontré au début de ses
Vorlesungen über Dynamik que, dans le cas de l’attraction newtonienne,
la valeur moyenne de l’énergie cinétique est égale, à un
facteur constant près, à la valeur moyenne de l’énergie potentielle,
en admettant, bien entendu, que les coordonnées puissent être
exprimées par des séries trigonométriques de même forme que
celles que nous étudions ici.
Ce théorème de Jacobi se rattache directement à ce qui précède.
Les équations du mouvement peuvent s’écrire
d’où
Alors représente l’énergie potentielle, l’énergie totale, et
l’énergie cinétique.
D’autre part, étant homogène de degré −1, on aura
L’équation des forces vives peut donc s’écrire
Reprenons, d’autre part, les équations (9) du no 267 et ajoutons-les,
après les avoir respectivement multipliées par ; il
viendra
Si l’on observe que
(puisque ), on conclura que
En comparant avec l’équation des forces vives, on trouve
ce qui montre que doit être homogène de degré par rapport
aux ce qui pourrait se voir d’ailleurs directement. Maintenant,
la valeur moyenne d’une fonction que je représenterai
par la notation sera nulle si est la dérivée d’une fonction
périodique ; on aura donc
et, en rapprochant de l’équation des forces vives, on tire
d’où
C’est le théorème de Jacobi.
En considérant les dérivées partielles au Lieu des dérivées
totales on arriverait à des résultats analogues. On trouverait
et par conséquent
Application au problème des deux corps.
270.Les considérations précédentes s’appliquent en particulier
au problème des deux corps. Considérons une planète et le Soleil
et rapportons la planète à des axes de direction fixe passant par le
Soleil ; envisageons par conséquent le mouvement relatif de la
planète, par rapport au Soleil.
Soient les trois coordonnées de la planète ;
les trois composantes de la quantité de mouvement.
Soient les trois coordonnées de la planète, rapportées à
des axes particuliers, à savoir : le grand axe de l’orbite, une
parallèle au petit axe et une perpendiculaire au plan de l’orbite,
on aura
les étant des constantes liées par les relations bien connues qui
expriment que la transformation des coordonnées est orthogonale.
On aura de même
étant la masse de la planète.
Maintenant il est clair que est nul et que et sont des fonctions
d’un seul argument qui est l’anomalie moyenne, et de
deux constantes, qui sont le grand axe et l’excentricité
D’autre part les sont des fonctions des trois angles d’Euler, ou, plus généralement, de trois fonctions quelconques
de ces trois angles.
Ainsi les et les sont fonctions de de de et des
On aura alors, en appelant la constante des forces vives et
le moyen mouvement,
et, d’autre part, les expressions
doivent être indépendantes de
Quelques-uns de ces énoncés étaient évidents d’avance et ne
nous fournissent pas de vérification nouvelle.
En effet, les sont des fonctions linéaires des dont les
coefficients dépendent des et qui sont telles que
Il en résulte que nous pouvons écrire l’identité suivante
les étant des constantes quelconques et les des fonctions
données des on aura de même
Il en résulte que l’on a
Cette expression doit se réduire à une constante indépendante de
et, comme nous avons trois relations analogues que l’on obtient en
faisant nous pouvons écrire
Mais ce n’est pas là un résultat nouveau ; ce sont les équations des
aires.
Examinons maintenant l’expression
Voyons comment les et les dépendent de Les
contiennent en facteur et les contiennent car on a
On a donc
Notre expression devient donc
Il est aisé de vérifier qu’elle est nulle ; on a en effet, d’après la
troisième loi de Képler,
d’où
Nous n’obtenons pas encore ainsi un procédé nouveau de vérification.
Il reste à examiner les deux expressions
Nous n’avons plus à faire varier que et nous n’aurons donc plus à faire varier les c’est-à-dire la direction du grand axe de
l’orbite. Nous pouvons donc choisir des axes particuliers et faire
Les fonctions sont les fonctions de Bessel ; sous le signe
l’indice prend toutes les valeurs entières depuis jusqu’à
à l’exception de la valeur
Nous déduirons de là
L’expression devient alors, en supprimant le facteur commun
J’ai écrit partout, pour abréger un peu, au lieu de
On doit avoir
Or
désignant la masse du Soleil plus celle de la planète ; on a donc
et
Mais, comme
il viendra
En identifiant les termes semblables on a une série de relations
entre les fonctions de Bessel
L’étude de l’expression nous conduirait à une série de relations
analogues où entreraient cette fois les fonctions de Bessel et
leurs dérivées premières.
271.On pourrait multiplier ces applications particulières ; on
pourrait par exemple, après avoir traité comme nous venons de le
faire dans le numéro précédent le cas du mouvement képlérien,
c’est-à-dire après avoir tenu compte des termes du degré 0 par
rapport aux masses troublantes, appliquer les mêmes principes à
l’ensemble des termes du degré 1. On serait sans nul doute conduit
à des relations intéressantes.
On pourrait également étudier, par le même procédé, les équations
des variations séculaires que nous avons traitées au Chapitre X.
On aurait alors avantage, au lieu de l’invariant intégral
à se servir des invariants analogues que nous avons définis aux
nos 261, 262, 263.
Nous laisserons toutes ces questions de côté.
Application aux solutions asymptotiques.
272.Appliquons encore ces principes aux solutions asymptotiques.
Prenons pour variables les coordonnées et les
Considérons l’invariant
nous savons que si est la constante des forces vives, et si et
sont les valeurs de cette constante aux deux extrémités de la ligne
d’intégration, on aura
(1)
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Si nous envisageons un système de solutions asymptotiques, il se présentera sous la forme suivante : les et les seront développés
suivant les puissances de
les coefficients étant périodiques en où
sont constantes arbitraires.
Si l’on substitue ces valeurs des et des dans l’équation
des forces vives, le premier membre se trouve aussi développé
suivant les puissances de
les coefficients étant périodiques en et, comme il doit être
indépendant de il en résulte qu’il le sera également de
et
Si donc on substitue les valeurs des et des dans l’équation (1),
on voit qu’on aura
et par conséquent
Dans l’expression sous le signe se trouve développée suivant
les puissances de
les coefficients sont périodiques en elle dépend linéairement
des différentielles
On devra donc avoir
(2)
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Les premiers membres des équations (2) se trouvent développés
suivant les puissances des tous les termes de ce
développement doivent être nuls, sauf le terme tout connu. On obtient ainsi une foule de relations entre les coefficients du développement
des suivant les puissances des
Je me bornerai, à titre d’exemple, à envisager le premier terme
et j’écrirai
et étant périodiques en
On en déduit
et désignent les dérivées de et
On a alors, en négligeant toujours les termes en etc.,
On a donc
ce qui nous donne une première relation entre les coefficients et
La relation
nous en fournirait une autre, mais qui, en réalité, ne serait pas
distincte de la première, puisqu’en la combinant avec cette première
relation on trouverait une équation qui est une conséquence
immédiate du principe des forces vives.