La Princesse à l’aventure/Texte entier

& Charles Verrier
(p. -117).


LA PRINCESSE A L’AVENTURE



DES MÊMES AUTEURS

Les amours de Leucippe et de Clitophon,
roman d’aventures.  1 vol.

DE PIERRE DE QUERLON

Les Joues d’Hélène, roman. 1 vol.

La Liaison facheuse, roman.  1 vol.

Les Tablettes Romaines.  1 vol.

Le Bandeau, 1 acte.  1 plq.

Remy de Gourmont, essai bibliographique.  1 plq.

L’activité artistique, essai.  1 plq.

A PARAITRE

Promenade avec Antoinette.

Céline, fille de ferme.

DE CHARLES VERRIER

Les Epigrammes d’Ausone.  1 vol.

A PARAITRE

Julie, petite fille, roman.

Le bouquet de clair-bassin, poèmes.


PIERRE DE QUERLON
ET
CHARLES VERRIER


LA
PRINCESSE
A L’AVENTURE
— CONTE —
— COUVERTURE DE CHARLES GUÉRIN —
A PARIS
POUR LE PREMIER JOUR DE L’AN
M.CM.IV


Il a été tiré

200 exemplaires sur papier vergé blanc, 6 sur hollande et 6 sur papier jaune.

Justificatif du tirage :
(Bois de Max Elskamp).


A MAX ELSKAMP




Le maître d’école avait une fille et un
prunier...
Anaïs Ségalas.




I. — LE ROI ET LES FILLES DU ROI.


Il était une fois un roi et une reine qui avaient quatre filles.

La reine mourut et le roi épousa la plus jolie servante de son palais.

Comme la nouvelle reine était légére et qu’elle aimait les fêtes et les banquets, elle ne tarda pas à dépenser tout l’argent du Trésor.

Elle n’avait pu entraîner ses belles-filles, qui étaient presque de son âge, à partager ses plaisirs et ses débauches. Aussi les détesta-t-elle bientôt.

Les filles du roi firent à leur père des remontrances et le prièrent de changer de conduite. La première était intelligente, la seconde était belle, la troisième était douce et la quatrième était toute jeune.

La reine résolut de se débarrasser d’elles.

Quand la première eut dix-huit ans, la reine lui donna une besace pleine de foin, et la chassa par la porte du nord.

Le roi en fut content, parce qu’on lui avait fait croire que sa fille voulait l’empoisonner.

Quand la seconde eut dix-huit ans, la reine lui donna une besace pleine de graines d’orties, et la chassa par la porte du sud.

Le roi ne dit rien.

Quand la troisiéme eut dix-huit ans, la reine lui donna une besace pleine de feuilles d’absinthe, et la chassa par la porte de l’est.

Le roi resta triste pendant plusieurs jours.

Quand la cadette vit qu’elle allait avoir dix-huit ans, elle prit une besace qu’elle remplit de provisions, et elle s’en alla de grand matin par la porte de l’ouest.

Le roi la fit chercher partout ; mais on ne la trouva pas.


II. — LES TROIS VIEILLES FEMMES AU BORD DE L’EAU


Quand la cadette eut franchit la porte de l’ouest, elle s’assit sur une borne et se mit à pleurer, parce qu’elle ne savait pas où aller pour retrouver ses sœurs.

Le gardien de la porte la prit pour une mendiante et la chassa.

Alors elle se mit à marcher droit devant elle dans le faubourg et suivit une rue étroite, bordée de murs bas.

Elle allait lentement parce qu’elle n’était jamais sortie des jardins du château et parce que ses bottines lui faisaient mal. Elle fut même bientôt forcée de les retirer. Elle les mit dans sa besace et continua son chemin en marchant pieds nus.

Elle vit un jeune homme blond qui vendait, sous un porche, du café au lait, des petits pains et des journaux. Elle s’approcha de lui et lui demanda s’il n’avait pas vu passer ses trois sœurs dont la première était intelligente, la seconde belle et la troisième douce. Il la prit pour une pauvre folle et lui donna une tasse de lait.

Elle continua son chemin. Des voitures de laitiers roulaient à côté d’elle avec un grand bruit. Un marchand de vin enlevait les volets de sa boutique. On balayait la rue. Un vitrier passait en criant. Le soleil montait derrière les toits de planche des tanneries et des mégisseries où séchaient des peaux et des mottes de tan.

La sonnette de la porte d’une boulangerie tinta. Une odeur de pain chaud remplit la rue.

La plus jeune fille du roi sentit qu’elle avait faim. Ses pieds étaient mouillés. Elle avait froid. S’étant assise sur le banc d’une petite place plantée d’arbres, devant une église, elle fit trois parts du pain et du fromage qu’elle avait dans son bissac, et elle mangea la première part.

Elle marcha longtemps. Elle demanda à un gros homme, bien vêtu, qui sortait d’une usine en jouant avec les breloques de son gilet, s’il ne pouvait pas lui dire ou étaient ses trois sœurs. Il lui donna un sou sans s’arréter.

Il faisait chaud. Les vitrages sales des usines étincelaient. Elle longeait des murs dont le haut était garni de tessons de bouteilles et des palissades qui bordaient de maigres jardins et des petits champs poudreux de betteraves et de potirons.

Ses pieds noirs de terre lui faisaient mal, mais la poussière de la route était plus douce que les pavés.

Des cloches sonnaient. Des ouvriers en cottes bleues et des jeunes filles avec des sarreaux, sortaient par groupes des ateliers, et entraient dans les guinguettes.

Une horloge sonna midi.

Alors, la plus jeune fille du roi eut faim. Elle s’assit à l’ombre d’une haie et mangea la seconde part de son fromage et de son pain.

Un vieux chien, un lézard et une mouche la regardaient manger. Elle partagea avec eux son repas et leur demanda ou étaient ses sœurs.

Le chien s’en alla en boîtant. Le lézard se glissa sous une pierre. La mouche bourdonna.

Comme l’ombre était étroite, la princesse se rapprocha tant qu’elle put de la haie, et s’étant étendue par terre, elle s’endormit.

Quand elle s’éveilla, le soleil était déja bas sur l’horizon. Un peuplier jetait une grande ombre violette sur la route.

Elle se sentit reposée et continua son voyage.

Devant elle, les côteaux s’inclinaient vers le fleuve. Les toits d’une ville luisaient. Elle gagna le bord de l’eau.

Le long de la rive étaient amarrés des remorqueurs, des bateaux-lavoirs et de grandes péniches chargées à pleins bords.

Sous le soleil, des tonneaux serrés les uns contre les autres, ressemblaient à un troupeau de moutons.

Des paysannes étendaient du linge sur l’herbe pelée.

Puis, elle suivit un quai, au bas d’un mur de pierres noires.

Elle arriva sous un pont de marbre dont les dalles étaient bordées de mousses. Un vent froid lui soufflait à la figure. Le pavé était mouillé et glissant sous ses pieds nus. Elle hâtait le pas, quand elle vit, à l’ombre de l’arche, une vieille femme assise qui cardait des matelas.

— Bonne femme, demanda-t-elle, n’avez-vous pas vu mes trois sœurs, ou l’une de mes trois sœurs ? Celle qui est intelligente, celle qui est belle ou celle qui est douce ?

La vieille arrêta le va-et-vient de son métier et secoua sa fraise à godet qui était pleine de poussière. Elle avait un petit nez osseux et un serre-tête de soie, d’où s’échappaient des mêches jaunes pareilles à la laine qu’elle cardait. Sa robe était brodée d’écailles de jais et ses manches à pagode laissaient voir ses bras maigres qui étaient secs, polis et luisants comme les tiges de sa mécanique. Elle se leva et fit une révérence.

— Petite, dit-elle, assieds-toi là, et carde-moi ma laine, je ferai quelque chose pour toi.

Puis elle prit sa canne et partit.

La fille du roi eut bientôt fait de carder toute la laine et la vieille revint aussitôt. Elle tenait dans sa main une pie qui avait un plumage usé et un œil blanc. Elle la donna à la princesse qui s’en alla un peu décue.

Des pêcheurs, debout sur les petits escaliers qui descendaient jusqu’à l’eau, tiraient et rejetaient leurs lignes d’un mouvement machinal. Des hommes vêtus d’un maillot et d’une culotte de grosse toile lançaient à la volée des pelletées de sable jaune à travers un tamis.

La fille du roi marchait péniblement. Le sol était couvert de flaques d’eau et d’écorces de fruits. Et, hésitant à poursuivre son chemin, elle s’arrêta.

Alors, la pie, qui sautillait sur sa tête et sur ses épaules, lui dit :

— Va le long de l’eau.

Un remorqueur passa en soulevant des vagues. Les petites barques qui étaient attachées à des pieux enfoncés dans la riviére se balancèrent et se choquérent les unes contre les autres. Au loin des cheminées fumaient. Sur l’autre rive, un train maneuvrait lentement et lâchait sa vapeur avec un bruit strident avant d’entrer dans la gare.

La jeune fille arriva devant un pont d’ardoise dont les dalles étaient bordées de champignons vénéneux et de vesces de loup. Le vent siffla dans ses oreilles et fit claquer sa jupe. Ses pieds s’enfoncérent dans une boue verte et empestée. Elle voulait courir ; le chemin se rétrécit soudain, et elle se trouva en face d’une vieille femme assise qui cherchait ses poux.

— Bonne femme, demanda-t-elle, n’avez-vous pas vu mes trois sœurs, ou l’une de mes trois scœurs ? Celle qui est intelligente, celle qui est belle ou celle qui est douce ?

La vieille avait la tête baissée. Ses cheveux gris retombaient devant elle. Ses jambes étaient enveloppées de linges. Elle avait des bracelets de coquillages. Près d’elle, était un panier pleins de croûtons de pain trempé. Elle prenait ses poux entre ses doigts et les mettait dans son tablier. Elle releva la tête et écarta ses cheveux pour parler. Elle mâchait un morceau de bois de réglisse.

— Petite, dit-elle, cherche-moi mes poux et je ferai quelque chose pour toi.

La fille du roi eut bientôt fait de chercher tous les poux. Alors la vieille prit sous sa jupe un singe vert qui avait un chapeau de feuillage. Elle le donna à la princesse qui s’en alla un peu déçue.

Le singe lui saisit la main avec sa patte gluante.

Le soleil descendait dans une buée rouge, derrière le toit d’une église de brique. Des femmes sortirent d’un bateau-lavoir, courbées sous d’énormes paquets de linge mouillé. Elles regardèrent la fille du roi qui s’en allait en trébuchant et lui dirent des injures. Mais, le singe, la tirant par la main, lui dit :

— Va le long de l’eau.

Les amarres des bateaux se croisaient sur le quai et barraient le passage.

La pie criait à tue-tête et sautait sur les épaules de la princesse. Une grue siffla en tournant au-dessus d’eux et s’abattit avec un bruit de chaînes.

La fille du roi, avec ses deux compagnons, arriva devant un pont de lave dont les dalles étaient bordées de plantes visqueuses et dégoûtantes qui pendaient jusqu’à terre. L’ombre y était si épaisse que les herbes qui poussaient entre les pavés étaient toutes blanches et que les crapauds, les salamandres et les serpents qui couraient dans la vase n’avaient pas de yeux.

La fille du roi releva sa jupe et passa.

Elle vit une vieille femme assise qui mangeait des fraises.

— Bonne femme, demanda-t-elle, n’avez-vous pas vu mes trois sœurs ou l’une de mes trois sœurs ? Celle qui est intelligente, celle qui est belle ou celle qui est douce ?

La vieille s’arrêta de manger.

Ses dents remuaient dans sa bouche pleine de fraises. Ses cheveux noirs étaient enfermés dans une résille qui pendait sur son cou. Elle avait un bandeau sur l’œil et des boucles d’oreilles en cornaline. Les baleines rouillées de son corset crevaient le velours de sa jaquette. Elle avait des manches de dentelles et une jupe de brocard d’or pleine de boue. A sa canne plantée en terre pendaient un chapeau de mousseline et un réticule de taffetas brodé.

— Petite, dit-elle, quitte-moi mes galoches et je ferai quelque chose pour toi.

La fille du roi eut bientot fait d’enlever les galoches. Elle vit que la bonne femme avait des bas de soie à jour et que son pied n’était pas plus grand qu’une feuille de noisetier.

Alors, la vieille tira de son réticule un accordéon de bois peint et le donna à la fille du roi, qui s’en alla un peu déçue.

Des petites filles sortirent avec leur bonne d’un établissement de bains. Elle se sauvèrent à son approche. Des lampes s’allumèrent dans les maisons. Le soleil se couchait derrière un grand jardin plein de statues.

La princesse se sentit épuisée de fatigue. Elle s’assit sur le bord du fleuve et se mit 4 pleurer.

Mais, l’accordéon qu’elle avait en bandouliére lui dit en jouant :

— Va le long de l’eau.

La pauvre fille essuya ses larmes, et, avec ses trois compagnons, continua sa route.

La nuit tomba. Une fumée blanche s’éleva de l’eau. L’Angelus sonna. Elle eut faim.

Elle s’étendit dans un petit square désert, au pied d’un énorme tilleul dont les branches étaient si lourdes qu’on avait dû les étayer avec des poutres.

Elle prit dans sa besace la dernière part de son fromage et de son pain et elle la mangea avec la pie et le singe vert.

Elle était infiniment triste, en pensant qu’elle n’avait pas encore trouvé ses sœurs, et elle pleura. Mais l’accordéon se mit à jouer un air si gai, qu’elle s’endormit en riant.


III. — LE SINGE, LA PIE ET L’ACCORDÉON


Elle fut réveillée au petit jour par le bruit que faisait un jardinier en balayant le square. Le brouillard l’avait engourdie. Elle se leva en s’étirant, et secoua sa robe.

Elle s’aperçut alors que le singe vert au chapeau de feuillage avait démésurément grandi pendant la nuit, que la pie au pelage usé était grosse comme une dinde avec son œil blanc et rond comme la lune, et que l’accordéon de bois peint était large comme une cage à poule. Elle dut monter sur un banc pour prendre sa besace qu’elle avait accrochée, la veille, à une branche basse de l’arbre. Elle se regarda et s’apercut avec étonnement qu’elle était devenue une toute petite fille, que sa robe à pois descendait à peine jusqu’à ses genoux, et que ses cheveux formaient deux nattes étroites qui retombaient sur ses épaules.

La cheminée d’un bateau-lavoir fumait. Le brouillard bleu du matin s’accrochait aux arbres. Des hommes ouvraient une écluse dont la chaîne faisait un bruit de crécelle. Sur un bateau, une femme tirait de eau avec un seau de zinc. Au-dessus de sa tête, sur le quai, la corne d’un tramway sonna. Elle eut faim. Elle se rappela que son bissac était vide, et ne contenait plus ni pain ni fromage, mais seulement une paire de bottines beaucoup trop grandes à présent pour ses petits pieds. Elle le mit sur son dos, avec l’accordéon qui était bien lourd ; elle prit le singe par la main, et le singe était presqu’aussi grand qu’elle ; la pie sauta sur son épaule et sur sa tête.

Ils partirent tous les quatre en suivant le bord de l’eau. Mais la princesse avait très faim. Près de l’écluse, la cuisine d’un chaland répandit une bonne odeur de soupe à l’oignon. Les mariniers étaient sur le chemin en train d’atteler les mulets.

A l’avant, une femme arrosait des pots de fleurs et des arbustes verts dans des caisses carrées. Du linge séchait sur une corde tendue à la porte de la cabane de l’écurie.

La princesse sauta rapidement sur la planche qui servait de passerelle, et descendit dans la cuisine. Il y avait trois assiettes sur la table. La soupe chantait dans le pot. La fille du roi servit trois parts et eut bientôt fait de manger la sienne, tandis que le singe lapait, et que la pie piquait.

A ce moment, la femme du marinier, qui avait finit d’arroser, entra. Elle resta saisie d’étonnement, et ce n’était pas tant la petite fille que le singe, et non pas tant le singe que la pie qui la surprirent.

Elle allait se fâcher, lorsque l’accordéon se mit à jouer un air propre à dérider les gens.

— Que faites-vous là ? dit-elle en souriant.

La petite fille ne répondit rien ; mais la pie s’envola et tourna dans la pièce, tandis que le singe, d’un bond, avait sauté sur armoire et sifflait entre ses doigts au milieu des plats d’étain et des pichets.

L’accordéon jouait toujours son air guilleret et la bonne femme se tenait les côtes.

Elle remonta le petit escalier et appela au dehors :

— Vivi ! Vivi !

Le marinier vint, avec son père.

C’était un grand gaillard qui avait une petite barbe blonde et un visage halé. Il portait une ceinture de laine bleue et une casquette de cuir. Son pére était tellement vieux que son visage ressemblait à un filet à crevettes.

Ils regardérent tous les trois avec surprise la petite fille qui riait silencieusement sur sa chaise, et le singe, et la pie, et l’accordéon.

Ils tournérent et retournérent la princesse dans tous les sens, et virent que son linge était marqué d’une couronne de coton rouge. Ils l’interrogèrent, mais n’en purent rien tirer.

La femme, qui était superstitieuse, conclut que cette petite fille était un présent des Nains. Et ils décidérent qu’on la garderait et qu’on l’appelerait Clarisse, comme leur enfant qui avait été enlevée.

Le chaland se mit en marche, tiré sur le chemin de halage par les deux mulets, dont l’un était rouge et l’autre gris d’ardoise.

La ville disparut peu à peu. Le soleil étincela sur la campagne et sur les carrés verts et rouges des champs.

Le bateau glissait le long une rive droite et égale que bordait un talus de gazon. Les peupliers d’une grande route s’alignaient au bord du fleuve. A chaque coup de rein des deux mulets la corde attachée au haut du mat se tendait et le chaland avangait d’une secousse ; puis la corde retombait dans l’eau en claquant.

Le vieil homme marchait sur le chemin de halage, son fouet autour du cou. Le vent gonflait sa blouse. De temps en temps il s’arrétait pour cueillir des pissenlits, puis il rejoignait les mulets en trottinant et en criant :

— Hu-u !

Le marinier pesait sur la barre peinte en vert. Il prisait. Il chantait un air de son pays :

Un matelot s’en revenait,
Tout de neuf
Vêtu et chaussé,

Des Indes ou il avait fait
Le trafic
Pendant dix années…

Chercha partout sans la trouver,
Sa fiancée
Qu’il avait laissé…

La petite Clarisse sortit dela cuisine ot la femme du marinier s’était mise à récurer des casseroles sans plus s’occuper d’elle. Elle se glissa le long des planches qui recouvraient les sacs de sel dont la cale était pleine, jusqu’à l’avant du bateau.

Le chaland avancait par saccades. L’eau se creusait et jaillissait le long des planches goudronnées. Clarisse s’assit sur le bordage, un montant de bois entre ses jambes, et comme la péniche était lourdement chargée, l’eau touchait par moment ses pieds nus.

Sur le chemin, le vieil homme jetait de loin des cailloux aux mulets pour les faire courir. Les ponpons rouges de leurs colliers se balançaient sur leur dos.

Un coup de vent subit fit claquer les linges qui séchaient sur le pont. Le marinier redressa la barre avec sa hanche. I] reprit sa chanson :

Chercha partout sans la trouver
Sa fiancée
Qu’il avait laissée.

A Dunkerque ayant de cingler
Pour dix ans
Sur son beau voilier…

Il s’arréta dans un tripot aie
Qui donnait
Sur le bord de l’eau…

On passa devant une ville qui avait quatre grandes portes, et Clarisse s’apergut qu’après avoir fait un grand détour elle se retrouvait en face de la ville de son père.

Des troupes de sergents à cheval battaient la campagne ; un guetteur en haut d’une tour sonna de la trompe et des soldats s’approchérent du bateau.

Ils demandèrent au vieil homme, puis au marinier, puis à la femme du marinier, s’ils n’avaient pas vu la plus jeune fille du roi ou l’une des trois filles du roi, celle qui était intelligente, celle qui était belle ou celle qui était douce.

Mais les gens du chaland répondirent qu’ils n’avaient rien vu, et les soldats ne reconnurent pas la petite Clarisse, qui riait doucement à l’avant du bateau.

On repartit. L’homme s’appuyant sur sa barre continua :

Il s’arrêta dans un tripot
Qui donnait
Sur le bord de l’eau,

Pour boire jusques au matin
A cause
De son grand chagrin,

D’la biére au gingembre et du vin
En chantant
Avec des marins…

A ce moment la femme du marinier passa sa tête au-dessus de la cabine et cria à Clarisse de venir l’aider à écosser des pois.

Elle lui donna un tablier qu’elle remplit de gousses et s’assit en face d’elle sur les marches de bois entre la caisse du lilas et les pots de géranium.

Par terre était une grande écuelle ou, l’une et l’autre, elles mettaient les pois. Le singe apporta l’accordéon et la pie vint à côté du singe.

La femme du marinier parlait toute seule :

— Quel dommage que cette petite soit une sotte. Au moins les nains eussent-ils di m’en envoyer une qui sût parler, Tu ne peux donc pas me dire, petite, ou est ma fille et ce qu’en ont fait tes amis qui sont capables de transformer les hommes en bête et de faire vivre les objets comme des hommes ?

Et en disant cela, elle jetait un regard méfiant au singe, à la pie et à l’accordéon.

— Tu ne me répondras pas, peste ? J’avais bien dit à mon homme qu’il nous arriverait malheur s’il tracassait les nains qui habitaient dans l’étable avec les mulets. Je lui assurais qu’ils pêchaient la nuit avec les lignes et les filets qu’on laissait sur le pont. Il les a enlevés en se moquant de moi. Et le lendemain matin nous n’avons plus trouvé notre fille.

Le singe et la pie éclatérent de rire et la femme les regarda d’un air furieux. Mais l’accordéon se mit à jouer un air propre à dérider les gens et sa colère se passa.

Alors elles continuèrent d’écosser les pois. Clarisse souriait. La bonne femme remuait sa machoire en bougonnant.

Sur la berge, un coq cria. On entendit la voix du marinier :

D’la bière au gingembre et du vin
En chantant
Avec des marins…

Et reçut un coup de couteau
D’un anglais
Au milieu du dos.


IV. — LA CONVERSATION INATTENDUE


Quand le soir fut venu, on mena Clarisse à une petite soupente qui était séparée de la cuisine par une cloison de bois et où couchait jadis la fille disparue. Elle emporta avec elle son singe, sa pie et son accordéon.

On ferma la porte. Peu à peu tous les bruits cessérent dans le chaland. Les mariniers allèrent se coucher.

La chambre était étroite. Clarisse ouvrit la fenêtre, et la lumiére de la lune entra. Le lit était fait d’une planche et d’une paillasse de varech. Au mur était fixée, près du plafond, une tablette ou séchaient des noix et ou mûrissaient des pommes. Au dessous, pendaient à des clous les robes de l’autre Clarisse, des petites jupes de futaine, un béret de tricot, un cache-nez rouge et un caraco a fleurs usé. Le plancher sentait le moisi.

La petite fille regarda par la fenétre. La lune ronde brillait au-dessus des peupliers de la rive opposée et se reflétait dans l’eau. L’eau était immobile et luisante. Une buée tenace glissait entre les joncs de la rive et le long du bateau.

Alors, la petite Clarisse fut triste en pensant qu’elle n’avait pas encore trouvé ses sœurs et elle pleura. Mais l’accordéon se mit à jouer un air si gai, qu’elle s’endormit en riant.

Elle ne dormait pas depuis longtemps quand un bruit de voix l’éveilla,

Elle ouvrit les yeux. La lune avait tourné, et sa lumiére découpait un carré sur le mur et au pied de la couchette. Elle n’apercut ni son singe, ni sa pie, ni son accordéon, mais elle vit trois personnes qui parlaient devant la fenêtre : une était un petit montreur de marionnettes, une autre était une vieille négresse, la derniére était un chevalier errant.

Elle s’assit sur son lit, mit ses bras autour de ses genoux et regarda en écoutant.

Le montreur de marionnettes prit la parole. Il avait une jaquette de drap vert olive, un chapeau pointu et des espadrilles. Ses jambes étaient enveloppées de bandes de toile bleue.

HISTOIRE DU PETIT MONTREUR
DE MARIONNETTES

Je m’appelle Grulino. Je naquis près de Bergame ; mon père était comédien et ma mère loueuse de chaises au Jardin Public. Comme ils n’étaient pas riches, mes parents me vendirent a un ambulant qui allait de ville en ville en jouant de la harpe et en montrant des marionnettes sur un théatre.

Mon nouveau maître me donna un bâton et me mit sur le dos un sac dans lequel était le théatre. C’était une petite boîte carrée qui figurait une maison avec un toit de toile, des volets mobiles et une porte. On enlevait, au moment de la représentation, un des côtés de la boîte pour laisser voir la scène où jouaient les marionnettes.

Je devais étre nourri et recevoir un habit neuf à la fin de l’année.

Nous prîmes, en sortant de Bergame, une grande route droite et dallée qui menait aux montagnes. A peine étions-nous sortis de la ville que nous rencontrâmes une bande de vagabonds qui allaient dans la méme direction que nous. C’étaient des Egyptiens qui gagnaient leur vie en montrant un ours, un crocodile et le corps empaillée d’une femme à queue de poisson, sur les places des villages et dans toutes les fêtes publiques. Mon maître parlementa avec leur chef et nous décidâmes d’aller tous ensemble jusqu’à un certain pays situé derriére les montagnes, et ot l’on nous avait dit que l’on ne connaissait ni les ours, ni les crocodiles, ni les femmes à queue de poisson, ni les marionnettes.

Je regardai la ville où j’étais né et que je n’allais plus revoir. Les toits vernis de Bergame luisaient derriére moi. Les arbres bien taillés et tous semblables les uns aux autres, ne portaient pas d’ombre sur les prairies vertes et unies ou paissaient des moutons qui ne bougeaient pas. Le ciel était d’un bleu aussi vif que celui de l’habit barbeau de l’ours qui suivait en trottinant la roulotte, ot l’on avait entassé les femmes et les bagages.

C’était un char dont les roues pleines grinçaient en tournant sur un essieu de fer où elles étaient retenues par deux grosses chevilles de bois. Les femmes qui y étaient assises allaitaient des enfants noirs et maigres. Elles avaient des colliers de verre, etdes anneaux brimbalaient à leurs oreilles. Leurs pieds nus pendaient le long de la voiture, sous leurs jupes de laine rouge. L’une des plus vieilles se mit a siffler un air étourdissant. Derriére la voiture étaient accrochés des instruments cabossés dont le cuivre éclatait au soleil.

Le chef marchait devant nous. Il portait sur son dos une escopette et une gibecière dont les courroies se croisaient sur un mauvais pardessus de couleur puce, tout déchiré aux épaules et frangé dans le bas. Son fils, qui était beau et frisé, mâchait des feuilles et sculptait des têtes de cannes.

Le thédtre de marionnettes était bien lourd. De temps en temps, je le remontais sur mes épaules endolories, en fléchissant les jambes et en secouant le dos.

Nous approchions des montagnes. Elles étaient devant nous, bleues et rondes.

De maigres taillis d’épines bordaient la route escarpée. Il y pendait, çà et là, des grappes de prunelles gelées. Un vent glacé souffla et fit claquer les oripeaux qui pendaient autour de la charrette.

Les femmes ramenèrent leurs pieds sous leurs jupons et s’enveloppèrent de vieilles peaux et de morceaux de couvertures.

Mon maître marchait sans rien dire, les mains enfoncées dans les manches de son paletot, courbé sous la grande housse de toile ou était enfermée sa harpe. Son nez bleuissait. Des grains de grésils s’accrochaient à sa barbe. Il bourra une courte pipe de terre noire qu’il se mit à fumer réguliérement. Sa barbe, couverte de buée, ruissela.

ll prit dans la voiture un rideau dont il couvrit le sac que j’avais sur le dos, en disant que le froid détraquait les marionnettes ; puis il rejoignit le chef des vagabonds, qui s’était mis à l’abri, avec les femmes, sous la bâche de la roulotte.

Un rafale de neige nous enveloppa soudain. Le sculpteur de canne courut à la tête du cheval et je m’accrochai au brancard en fermant les yeux.

Je ne les rouvris qu’en sortant de ce mauvais passage.

Nous descendions un chemin plein de neige. Le soir tombait peu à peu. Le vent avait cessé. Le clocher d’un village apparaissait au bas de la côte. Il faisait nuit quand nous arrivâmes à une petite place ou il y avait une auge de pierre au près d’un puits.

Et nous nous endormîmes là tout d’un coup, atteint de ce profond sommeil que les gens du pays appellent le mal des montagnes.

Le lendemain matin, je fus éveillé par le cri de la chaîne du puits. Les filles du village venaient emplir leurs seaux. Les bohémiens et mon maître dormaient encore. L’ours grognait en tirant sur sa chaîne. La neige, amassée sur la bâche de la charrette, s’était gelée pendant la nuit et formait des chandelles de glace autour de la capote, sur les courroies et sur les essieux.

Les toits du village étaient blancs tout autour de moi. Le cabaretier, sur le seuil de sa maison, nous regardait, les mains dans son tablier. Il avait un chapeau tyrolien.

Le soleil chauffait les arbres de la place et le portail de la mairie. Des gouttes d’eau tombaient de feuille en feuille et résonnaient sur le pave, le long des gouttières.

Je n’avais pas froid. Je sentis quelque chose de tiède sous mon bras et le long de mon corps. Je soulevai mon manteau et je vis que toutes les marionnettes avaient quitté pendant la nuit le théâtre que j’avais posé à côté de moi et étaient venues se glisser sous ma veste. Mon maître se réveillait à ce moment. Il me vit les remettre une à une dans leur boîte.

Il ne me dit rien ; je n’osai pas l’interroger ; mais il me sembla qu’il souriait drôlement dans sa barbe noire.

Nous marchâmes encore pendant trois jours et nous arrivâmes dans une petite ville où y avait un jardin public.

Nous louâmes une baraque de planches et des bancs que nous transportâmes dans le jardin, près du kiosque à musique.

Mon maître s’installa avec sa harpe et nous commençâmes de donner une représentation.

Jusqu’alors mon maître ne m’avait pas appris ce que je devais faire. Il me dit de me tenir derrière les planches, tandis que lui-même commençait de jouer sur sa harpe un air nasillard et grêle que je connaissais bien pour l’avoir entendu dans les foires.

Il avait plu. Les enfants accouraient de tous les côtés du jardin, et soulevaient leurs petites robes pour s’asseoir sur les bancs mouillés. Tout en jouant, mon maître leur parlait en italien et leur souriait.

Nos bancs furent bientét remplis. Les petits garçons et les petites filles, assis à la file, croisaient leurs mains sur leurs genoux et leurs pieds ne touchaient pas par terre.

Ils se mirent à crier tous ensemble en demandant qu’on leur fît voir les marionnettes.

Mon maître se leva ; il passa entre les rangs ; chaque enfant lui remit un sou ; puis il recommença de jouer plus vite un air sautillant, aigre, presque faux et que je ne connaissais pas.

Je frappai trois coups avec mon baton et soulevai le rideau comme on me l’avait recommandé.

Je me demandais ce qui allait arriver. De l’endroit où j’étais, je regardais la scène avec ses rainures, ses cordes qui servaient à tirer les toiles, et ses décors de bois grossièrement peints. Dans le cadre du théatre j’apercevais un coin du jardin avec des arbres, et un dauphin de plomb qui jetait de l’eau dans un bassin, et, tout près, je voyais les tétes rondes des enfants pressées les unes contre les autres.

Mon maître battait la mesure avec son pied et terminait toutes les phrases de sa musique désordonnée par un cri bizarre et aigu.

Il avait un cache-nez gris autour du cou.

Ace moment j’entendis de petits bruits sur le théâtre.

Une à une les marionnettes parurent s’éveiller. Elles se levèrent doucement des coins où je les avais posées. Elles défripérent un moment leurs habits et rajustèrent leurs perruques. Puis elles passèrent devant le décor, en faisant la révérence à droite et à gauche, et commencèrent la représentation.

Il y avait sur la scène un rocher, une fontaine d’eau noire, un arbre et un banc. Une poupée frisée qu’on appelait Madame Fortuné s’assit sur le banc avec Lysandre, son amoureux, qui avait un catogan ciré et des bottes à la hongroise. Mais son jaloux Esprit Content veillait. Il était derrière l’arbre avec une canne et quand il se penchait pour regarder, on voyait son ombre à côté de l’ombre de l’arbre, près du bassin. Il s’élança soudain en criant et sa mâchoire faisait un bruit de casse-noisette. Les deux coupables s’enfuirent. La robe de Madame Fortuné était déchirée et l’on voyait son dos de bois. Lysandre tira son épée et tua aussitôt le jaloux. Alors Madame Fortuné fondit en larmes, dit à Lysandre qu’elle ne le reverrait plus jamais et sauta dans la fontaine.

Les enfants trépignaient de joie. Mon maître cessa sa musique et me fit signe de baisser le rideau pour la scène suivante.

Je m’accoutumai rapidement à mon métier. Les marionnettes savaient jouer un grand nombre de pièces. Elles donnaient cinq ou six représentations par jour et tous les enfants de la ville voulurent les voir.

Au bout d’une semaine, mon maître, qui ne m’adressait jamais la parole, ayant un beau matin remis sa harpe dans son sac, me fit signe de prendre la boîte des marionnettes sur mon dos et de le suivre.

Nous sortîmes de la ville par la grande porte. Nous nous retrouvâmes sur une longue route droite.

Près du fossé était assis un bouc qui cherchait à enlever un clou qu’il avait sous l’ongle du pied. Il me regarda d’un air bourru en me tendant sa patte. Et je tirai le clou.

Il ne me remercia pas ; il me dit :

— Prends trois poils de ma barbe, et s’il t’arrive malheur, souffle dessus en m’appelant : Délice du cœur.

Nous marchâmes pendant trois jours.

Nous couchions la nuit dans un fossé ou au creux d’une roche. Chaque matin à mon réveil je retrouvais les marionnettes sous mon paletot.

C’était la saison des pluies. Les arbres étaient dépouillés et les routes boueuses. Nos vêtements ruisselaient d’eau. Les feuilles du chemin se collaient à nos pieds alourdis.

Nous arrivâmes à une grande ville qui était bâtie sur le bord d’un fleuve et dont la porte était surmontée d’une logette ou un arbaletier jouait de la flûte.

Comme nous demandions à loger dans une auberge qui donnait sur l’eau, on nous offrit à coucher dans le hangar. Mon maître posa sa harpe sur un tas de foin et j’accrochai ma besace au mur à côté d’autres sacs qui étaient là. Ensuite nous allâmes souper.

Le grande salle était pleine de gens qui mangeaient sur leurs genoux. Ils parlaient haut. Ils se penchaient de temps en temps pour prendre leur verre posé entre leurs jambes. Ils riaient et plaisantaient une servante qui avait l’air doux et stupide. On nous dit que c’était une pauvre folle qui racontait à qui voulait l’entendre qu’elle était la fille d’un roi.

Nous étions harassés et nous allâmes nous coucher, mais je ne pus dormir. Il y avait là un vieux cheval qui mâchait sans cesse et une chèvre qui sautait continuellement dans la paille. Mon maître se mit à ronfler. J’entendis qu’on fermait la porte de l’auberge. Et la servante stupide traversa la cour et passa près de nous pour gagner sa chambre qui était, à côté du hangar.

La lune se leva. Elle était blanche et cornue. Je la voyais par la lucarne dont les carreaux cassés étaient pleins de toiles d’araignées. Sa lumiére passait à travers les tuiles de la toiture et brillait sur une faulx qui était accrochée au mur.

Tout à coup le vieux cheval cessa de mâcher et tourna la tête en soufflant, et la chèvre tira sur sa corde. J’entendis des chuchotements et le bruit que faisaient de petits graviers en tombant le long du mur.

Je tournai les yeux et je vis les marionnettes qui sortaient du sac et qui se suspendaient les unes aux autres pour descendre jusqu’à terre. Celle qui était restée la dernière sauta en pliant sur ses genoux. C’était Lysandre.

Il accourut vers moi et toutes les poupées le suivirent en se donnant la main.

Quand elles s’aperçurent que je ne dormais pas, elles s’arrêtérent et me dévisagèrent curieusement.

Puis elles se mirent à rire toutes ensemble en s’accroupissant, les mains sur les cuisses.

Le petit vieillard qui jouait les pères nobles mâchonnait un long fétu de paille dont le bout traînait par terre. La soubrette Chatillon ramassa un grain de blé et me le jeta à la tête ; et toutes recommencèrent de rire.

J’étais inquiet. J’aurais voulu appeler mon maître, car c’était la première fois que je les voyais faire ce manège. Mais je n’osais pas bouger.

Esprit Content sauta sur ma tête. Il ricanait et secouait son menton en faisant son bruit de casse-noisette. Le sergent Larapée grimpa sur une de mes bottes en gesticulant comme un homme ivre. Il avait un petit sabre, une giberne et un pantalon à raies bleues.

Alors Madame Fortuné, pinçant sa robe entre ses doigts, me fit une révérence sous le nez et me dit :

— Petit imbécile, ne sais-tu pas que ton maître est un voleur et un brigand qui nous a ensorcelés pour nous faire jouer la comédie ? Je suis une jeune fille de la société et ces messieurs sont du meilleur monde. Si tu ne te sauves pas avec nous demain de grand matin et si tu ne nous mets pas en liberté hors de la ville, nous te pincerons jusqu’au sang et nous t’arracherons les cheveux un par un.

Elle me tira la langue et fit une pirouette, tandis que les autres poupées criaient : « Hou, hou… » et me lançaient du sable dans les yeux.

Alors, le sergent Larapée, le petit vieillard, la soubrette Chatillon, Esprit Content, Lysandre, Madame Fortuné, tous, s’étant pris par la main, se mirent à courir autour de moi avec une telle vitesse que j’en fus étourdi et que je perdis le sens.

Je fus éveillé au bruit que fit la servante en sortant de sa chambre. Je me levai vivement ; je vis que mon maître dormait la bouche entr’ouverte ; je pris mon sac ; je sortis sans bruit, et, courant à la servante, je lui dis de m’ouvrir la porte. Elle me regarda d’un air niais et me fit sortir.

J’eus bientôt fait de quitter la ville et de gagner un champ de houblon qui bordait un bois.

Je pris mon sac par le fond et le secouai. Mais il n’en tomba que du foin. Je m’apercus que je m’étais trompé de sac. Comme il était encore lourd, je plongeai ma main dedans et j’en tirai un étre qui se débattait et qui me sauta au visage.

C’était un petit vieillard qui avait une barbe noire, une calotte de velours et des souliers à boucles. Il m’avait saisi à la gorge et essayait de m’étrangler. Je parvins à me dégager. Mais il se transforma en un sanglier tout hérissé d’épines de pore épic. J’arrachai un échalas dans la houblonniére et je voulus l’en frapper. Mais il se changea en un nuage de feu, de fumée et de soufre qui s’avança sur moi en m’enveloppant.

Alors je tirai de ma ceinture les trois poils du bouc et je soufflai dessus en appelant :

Délice du Cœur !

J’entendis aussitôt une terrible galopade et je vis le vieux bouc qui chargeait, les cornes basses, le nuage de feu et de fumée de soufre.

Je sentis une horrible odeur de chair brûlée. Le bouc bêlait et le nuage grondait furieusement. Le feu s’éteignit. La fumée se dissipa.

J’aperçus à côté d’un petit tas de cendre le bouc à demi brûlé qui me dit :

— Mon fils, je suis vaincu, car je meurs. Et toi-méme tu ne ressentiras que trop durement les effets de la colère de ce puissant génie que je viens de combattre.

Alors je fus saisi d’une telle peur que je me sauvai à toutes jambes sans regarder derrière moi. Et tout en courant, je m’apercus qu’un poil rude me poussait sur tout le corps. Quand je a m’arrêtai, j’étais un singe vert et j’avais un chapeau de feuillage.

Depuis, je cours le monde, je ne reprends ma forme naturelle qu’à minuit pour la perdre au chant du coq. Et je désespére de voir jamais cesser cet enchantement.

La petite Clarisse avait écouté sans bouger toute cette histoire. La lumière de la lune avait complètement disparu.

Elle voyait par la fenêtre le ciel qui blanchissait peu à peu. Un coq chanta. Un air vif fit bouger le long du mur les robes de l’autre Clarisse. Les figures des trois personnages semblèrent se dissoudre peu à peu dans les premières lueurs de l’aube. On entendit le bruit de la porte de l’écurie et les pas des mulets sur le pont.

La petite Princesse s’endormit d’un profond sommeil.


V. LA BOUILLIE AU RIZ


Le soleil était déja levé depuis longtemps quand la femme du marinier vint frapper à la porte de la soupente. Elle cria à Clarisse d’aller sur la berge pour conduire les mulets.

La petite fille s’habilla sans se presser. Elle monta sur le pont où le linge séchait sur la grande corde tendue du mat au toit vert de la cabine.

Elle sauta sur le chemin. Les deux mulets broutaient l’herbe rase du bord. Elle courut à eux en disant :

— Hue !

La corde se tendit. Les sabots des bétes glissèrent sur la terre sèche et sonnèrent sur les cailloux. Et le chaland se mit en marche.

Clarisse songeait à l’histoire du montreur de marionnettes dont elle n’avait pas perdu une parole. Et elle se disait que le bateau allait si lentement qu’elle mettrait bien une année pour retrouver ses sœurs. Elle savait maintenant que l’une d’elles était servante dans une auberge et elle pensait qu’il lui fallait suivre le bord de l’eau, entrer dans toutes les auberges et demander aux gens s’ils n’avaient pas vu ses sœurs qui étaient filles de rois, ou une de ses trois sœurs, celle qui était intelligente et qui était devenue stupide, celle qui était belle ou celle qui était douce.

Comme le chemin était très étroit et surplombé d’une pente rapide, les deux mulets marchaient en hésitant, penchés au-dessus de l’eau et si près l’un de l’autre que leurs dos se touchaient et que leurs jambes se mêlaient. Tout d’un coup, ils s’arrêtèrent, et Clarisse leur donna des coups.

Ils se mirent à trotter en grognant, et le mulet rouge dit au mulet gris d’ardoise :

— Cette petite fille m’ennuie. Si elle recommence, je lui lancerai une ruade.

Le mulet gris d’ardoise fit claquer ses oreilles contre son cou et dit :

— C’est celle qui remplace Clarisse que les nains ont emporté.

La princesse qui les écoutait s’approcha d’eux pour mieux entendre. Le mulet rouge la regarda sans tourner la téte et reprit :

— Ces mariniers sont des sots. Depuis qu’ils ont chassés les petits hommes, personne ne nous étrille, ni ne nous lave ; et on ne remue plus notre litière. Tout le monde sait pourtant que pour rentrer en bonne grace auprès des nains, il suffit de leur offrir une belle bouillie au riz assaisonnée de cannelle et de feuilles de thym.

Quand, le soir venu, Clarisse fut remontée sur le chaland, elle alla tout de suite dans la cuisine et mit sur le feu un grand bassin plein de riz et de lait dont elle fit une bouillie qu’elle assaisonna de cannelle râpée et de feuilles de thym.

Le singe, qui s’était occupé toute la journée de se gratter sur le pont, la pie qui avait bâillé et jacassé, et l’accordéon qui était resté suspendu au mur, la regardaient faire avec curiosité. Et la femme du marinier fut bien surprise quand elle la vit poser au milieu du pont le grand bassin plein de bouillie ; mais comme elle savait que la petite fille ne lui répondrait pas, elle alla se coucher sans lui rien demander.

Le chaland était amarré auprés d’un vieux moulin dont la roue ne tournait pas. L’eau grondait au-dessus des vannes baissées. Il faisait du vent. Les peupliers du bord se balançaient en bruissant. Clarisse eut peur. Une carriole roula dans la campagne et des chiens aboyèrent. La lune se leva. Elle était toute déchiquetée. Des nuages passaient vite sur le ciel. L’eau clapota tout autour du chaland, et les peupliers jetèrent leurs grandes ombres noires sur le pont.

Comme les nains ne venaient pas, Clarisse frappa du pied le bassin qui résonna. Elle entendit un remue-ménage extraordinaire dans la cale et tout autour du chaland, et elle courut se cacher derrière la caisse du lilas.

Presque aussitôt, elle vit se soulever un à un tous les panneaux de bois qui recouvraient la cargaison : des paquets de corde, des pots de fleurs roulérent en rebondissant et tombérent dans le trou de lescalier, tandis qu’elle entendait de tous les côtés des centaines de petites voix aigués qui criaient :

— Ho hisse ! Ho hisse !

Une tête échevelée, grosse comme une pomme, passa entre deux planches. Des épaules, puis un corps parurent ; et un nain grimpa péniblement sur le pont en s’aidant des bras et des jambes. Il avait un pourpoint de perles d’acier, des chausses mi-parties jaunes et bleues et un tocquet de velours grenat avec un flot de ruban. II rajusta un de ses bas, éternua et se mit à gambader et à courir de tous les côtés en chantant :

J’ai sali mon chapeau
Et mon joli ruban ponceau.

En dansant, il donna tout à coup dans la bassine que sa tête dépassait à peine. Il s’arréta net, en poussant un cri d’étonnement. Puis, se soulevant sur la pointe des pieds, il trempa son doigt dans la bouillie pour la goûter.

— Oh ! oh ! cria-t-il, la bonne bouillie au riz, qui sent la cannelle et la feuille de thym !

Il éclata de rire et courant au trou d’où il était sorti, il se coucha à plat-ventre et se mit à tirer les pieds et les mains qu’on lui tendait, en appelant par leur nom une foule de petits personnages singuliers qui portaient des souliers plats à crevés, des paletots de cuir et des bonnets à plumes ou à grelots.

Tous se mirent à pousser des hurlements de joie. Et tandis, que d’autres nains sortaient par toutes les ouvertures de la cale, ils traînèrent autour de la marmite des morceaux de bois sur lesquels ils grimpérent pour plonger plus commodément leurs mains dans la bouillie.

Clarisse, accroupie derriére la caisse du lilas, retenait son souffle de peur qu’on ne la découvrit.

Quand le fond de la bassine fut aussi poli et brillant que la lune qui courait au-dessus des peupliers, les petits hommes disparurent dans le trou de la soute au foin en se bousculant et en chantant :

La bouillie était bien faite
Rapportons-leur la fillette.

La Princesse entendit bientôt les petites voix aigües qui recommençaient de crier :

— Ho, hisse ! ho, hisse !

Et elle vit les nains qui tiraient de la soute par ses cheveux et par ses vétements, la petite fille endormie qui était bien dix fois plus grosse qu’eux. IIs la traînèrent sur le pont, l’adossérent à la caisse du lilas et l’ayant calée avec des paquets de cordage, ils disparurent en rabaissant sur leur tête tous les panneaux du pont qu’ils avaient soulevés.

Le vent était tombé. L’eau bouillonnait sous les vannes du moulin. La lune qui était descendue derrière les arbres, brillait entre les nuages immobiles.

Alors la petite princesse quitta sa cachette, gagna en hâte sa cabine, prit sa besace, son singe, sa pie et son accordéon, sauta sur la route et s’en alla.


VI. — LA FONTAINE CATHERINE


Elle monta sur la levée du fleuve. Elle marchait vite et elle avait peur, parce que la campagne était noire et déserte autour d’elle. La pie dormait sur son épaule. L’accordéon ballottait sur son dos. Le singe, qui lui donnait la main, se faisait traîner.

Depuis longtemps elle n’entendait plus le bruit du moulin. Des crapauds chantaient auprès d’une fontaine.

Elle sentit qu’elle avait soif, et, s’étant agenouillée dans l’herbe, elle se pencha pour boire un peu d’eau dans le creux de sa main.

Alors la fontaine lui dit :

— Je suis la Fontaine Catherine. Je coulais. J’étais bonne à boire et l’on prenait soin de moi. Maintenant je suis abandonnée ; on m’a jeté des pierres ; je suis trouble et les herbes bouchent ma source.

La petite princesse fut prise de pitié. Elle releva sa robe, entra dans l’eau et nettoya la source qui devint transparente et qui se remit à courir sur les pierres.

Puis, s’étant couchée par terre, elle s’endormit.

Elle ne dormait pas depuis longtemps, quand un bruit de voix l’éveilla.

Elle ouvrit les yeux. La lune avait tourné et brillait au fond de la fontaine. Elle n’aperçut ni son singe, ni sa pie, ni son accordéon, mais elle vit le montreur de marionnettes, la vieille négresse et le chevalier errant qui parlaient, debout au bord de la route.

Elle se redressa, mit ses bras autour de ses genoux et regarda en écoutant.

La vieille négresse prit la parole. Elle avait un œil blanc. Elle était coiffée d’un madras jaune et bleu noué autour de la tête. Sa robe verte à grosse fleurs écarlates était attachée au-dessus de la taille, sous un foulard de soie brodée, et laissait voir ses pieds nus. Elle parlait en riant ; ses dents luisaient ; elle faisait rouler ses yeux ; et les grands anneaux de ses oreilles dansaient sur ses épaules.

HISTOIRE DE LA VIEILLE NÉGRESSE

Je m’appelle Bonne-Amie et je suis la fille de Clotilde, la marchande d’acras. Je suis née de l’autre côté de la mer, au bout de la Rivière Salée, dans l’Ilet-aux-Cabris.

Quand j’étais petite, j’allais avec ma mère vendre, le matin, dans les rues, des gâteaux de maïs ficelés dans des feuilles, des acras de morue hachée ou de pâte de fèves, cuits à l’huile et assaisonnés de piment. Je poussais la petite voiture. Ma mère criait la marchandise, entrait dans les jardins et appelait les gens d’une voix enrouée.

Nous ne gagnions pas beaucoup d’argent et nous ne mangions que des bananes cuites et des poissons bouillis. Ma mère Clotilde buvait et me battait. Quand j’eus douze ans, j’entrai en service dans une plantation de la Haute-Terre. Mon maître, qui cultivait le café, nous laissait, à la fin de la récolte, nous réunir aux gens des plantations voisines, pour boire, pour chanter et pour danser.

Nous nous rencontrions la nuit tombée, au Morne-du-Sorcier, entre la Fontaine Jaune et la Case du Mangot. On allumait des feux de racines. Combalo, le jardinier, et Scipion apportaient leurs tambours. C’était des petits tonneaux garnis aux deux bouts de peaux tendues. IIs les posaient par terre, s’asseyaient dessus à califourchon et les faisaient résonner en les frappant en cadence avec la paume de leurs deux mains. On venait là en grand nombre avec des litres de tafia et du sirop doux. On faisait rôtir dans le feu des épis de maïs. Les deux joueurs de tambours se mettait à chanter et tout le monde les accompagait gravement.

Dégagé ou comme on peut,
Fai zaffai à ou comme ou voulé,
Moin ka monté Galisbé
Pou fai Bouboule à moin mes adieux.

Puis ils se taisaient. Des couleuvres criaient sous les arbres. Une cascade roulait des pierres au fond de la ravine. Une vieille femme en caraco, avec un chapeau de paille sans fond sur la tête, racontait d’anciennes histoires ; et les nègres en culotte blanche, accroupis sur leurs talons, remuaient sans rire leurs figures frottées d’huile.

Le ciel était plein de petites lumières. Les deux tambours recommengaient leur musique. Les plus jeunes ne s’arrétaient pas de boire afin d’étre plus vite ivre. L’un d’eux se levait tout à coup, et s’avançant entre les musiciens, se mettait à chanter, les mains sur les hanches, en levant l’un aprés l’autre ses pieds nus. Alors, une jeune fille se plaçait devant lui pour lui répondre. Elle se balançait lentement sur sa taille, à droite et A gauche, en avançant la tête et en faisant sauter sur son cou son collier de corail.

Belle mére à moin ka resté Galisbé, ché ;
Fenéte a li ka baye sur l’Evéché ;
On a beau dire moin fille là aimé jeunes gens, ou tane ?
Moin aimé li, moin pas ké couté ça.

Cora, Cora, ou cé belle mère à moin, ché ;
Cora, Cora, soigné Julia pour moin ;
Cora, Cora, soigné Julia pour moin, ou tane ?
Un jou a viné moin ka lé rende vous ça.

Pied mangot là qui dans la rue Galisbé, ché ;
C’est li qui ka servi moin guide
Pied frangipane là qui dans la cour là, ou tane ?
C’est lassu moin ka monté pour roucoulé Bouboule à moin.

Moin té assise lassu bassin la geole, ché ;
Moin ka vouai veni une mouche à miel
Mouche à miel là piqué lévre à moin, ou tane ?
Moin bien comprendre cé Bouboule à moin qui envoyé li.


Ti négresses qui aimé robe percale, ché ;
Ti négresses qui aimé collier chou ;
Ti négresses qui aimé escarpins vernis, zot tane ?
Pas avisé zot fair genre epi Bouboule A moin.

Nous nous levions et nous chantions chacun à notre tour, et ceux qui ne dansaient pas frappaient des mains et criaient pour nous accompagner. Les tambours battaient de plus en plus vite et nous dansions de plus en plus fort. Quelquefois les Indiens des plantations de cannes venaient nous voir, attirés par le bruit, et nous les chassions à coups de pierres.

Une nuit que j’avais trop bu, je me disputai avec Célina qui me jeta un sort. Aussi je me trompai de route en rentrant à ma case et au lieu de tourner vers la plantation, je pris le chemin de la Grande-Rivière, derrière le morne du Sorcier. Bientôt je m’aperçus que j’étais complètement perdue. Je marchais sur des pierres, qui devenaient plus grosses à mesure que j’avançais. Je fus enfin entourée d’énormes rochers. Le ciel était complétement rempli d’étoiles, serrées les unes contre les autres, et qui luisaient d’une façon extraordinaire. Des chauves-souris et de grands papillons couverts de poils tournaient autour de ma tête et frôlaient mon madras du bout de leurs ailes. Je voulus revenir sur mes pas, mais les rochers s’étaient refermés. J’appelai de toutes mes forces. Ma voix résonna longtemps, puis s’éteignit. Je voulus courir ; mais je glissai entre deux pierres et je tombai, et je sentis que je tombais pendant longtemps dans un trou noir où l’air était chaud et tellement épais que j’arrivai sans me faire de mal jusqu’au milieu de la terre.

Je me trouvai dans un grand corridor dont les murs, polis et luisants, étaient si élevés qu’ils semblaient se rejoindre par le haut et former une voûte, mais qui était remplie d’une éblouissante lumière de toutes les couleurs. Je marchai jusqu’au bout, où était une grande porte de verre : je la poussai ; elle s’ouvrit de toute sa hauteur, et j’entrai dans un jardin merveilleux, tout rempli de bassins où l’eau bouillonnait, de terrasses à balustres de marbre où marchaient des paons, d’arbustes surchargés d’énormes fruits rouges, de colonnades peintes, et de grands arbres dont le feuillage épais et mélangé de lianes en fleurs retombait comme une tapisserie.

Les allées étaient sablées d’une poudre d’argent ou l’on marchait sans faire de bruit et qui était douce aux pieds. Sur d’épaisses pelouses poussaient, sans tige, des fleurs grosses comme la tête d’une petite fille, et dont la coloration changeait à chaque instant. Des bambous se balançaient au dessus d’un torrent plein de pierres bleues et transparentes : ils étaient si gros qu’en les coupant entre les nœuds on aurait pu en faire de petits barils. Et il y avait des sabliers dont un fruit éclatait de temps en temps avec un bruit sec, des arbres à acajou dont les feuilles répandaient une odeur lourde, des tamarins sucrés, des acacias roses, des arbres avocat, des ébéniers et des liquidambars.

Je marchais depuis quelque temps dans le jadin, quand je vis venir vers moi un homme vêtu d’une rohe brodée d’or et suivi de deux négrillons coiffés de turbans, dont l’un portait sa traîne et dont l’autre tenait ouvert un parasol de plumes de coq. Il était grand ; sa peau était noire et il avait une longue barbe blanche. Il tenait à la main une haute canne de jade dont il me frappa en criant d’une voix terrible :

— Que viens-tu faire ici, malheureuse ?

La colére faisait palir ses joues, et son petit bonnet pointu brodé de lys violets tremblait sur sa tête.

Je me jetai par terre devant lui, et j’embrassai ses pieds nus frottés d’ocre. Je lui racontai mon histoire en levant la tête, en pleurantet en me frappant la poitrine et je le suppliai, en touchant ses mains chargées d’anneaux, d’épargner ma vie et de me traiter comme une esclave.

Il ne me répondit pas, et sans me faire un signe il continua de marcher dans le jardin. Je le suivis, pleine de crainte. Nous passâmes près d’un étang dont les poissons étaient incrustés de pierres brillantes et au bord duquel s’élevait une maison en rocaille dont le toit formait une terrasse ou poussaient des orangers.

Je tremblais de peur et j’invoquais les saints, car je voyais bien que j’étais chez le sorcier du Morne. Il monta rapidement les marches de la verandah. Les deux négrillons disparurent dans la trappe d’un soupirail qui se referma hermétiquement. Nous entrâmes dans un vestibule frais pavé de grandes dalles de mosaïque. Des stores baissés n’y laissaient pénétrer qu’une lumière verte, et des statues de basalte en garnissaient tout le tour.

Le sorcier écarta avec la main une portière invisible qui fit un bruit de perles, et, me prenant par la manche de ma camisole, il me jeta devant lui dans une grande salle de marbre dont les murs étaient surchargés d’épaisses étoffes toutes raides de pierreries.

A l’un des bouts de la salle était une grande baignoire carrée ot l’on descendait par trois marches et dont l’eau transparente brillait entre les tapis. De grosses lampes de verre coloré étaient suspendues au plafond par de longues chaînes. Elles étaient pleines d’une huile odorante qui s’égouttait à terre dans des plats de cuivre ronds. Il y avait sur les tapis des cabarets de cristal, des coffrets d’ivoire et des brûle-parfums dont la fumée montait obliquement vers les fenêtres.

Je tournai la tête et je vis sous un baldaquin que supportaient des colonnes torses, une belle jeune fille étendue sur des coussins. Elle était vétue d’une robe dont la traîne était soigneusement ramenée sous ses pieds.

Le sorcier s’approcha d’elle et elle se souleva faiblement. Ses yeux étaient pleins de larmes.

— Qu’avez-vous fait de ma servante, méchant vieillard ? dit-elle.

L’homme noir fronça le sourcil, redressa sa haute taille et dit d’une voix sourde, en faisant remuer sa barbe :

— Je l’ai tuée. Elle m’avait désobéi.

La jeune fille éclata en reproches, et le sorcier se tournant vers moi me dit :

— Voici ta maîtresse, sers-la fidèlement. Mais si tu cherches à t’échapper d’ici, tu mourras comme l’autre servante.

Puis il partit lentement, poussa devant lui le mur qui s’ouvrit, et il disparut.

Je restai debout auprès du lit. La jeune fille avait posé sa tête sur ses genoux et sanglottait. Ses cheveux noirs retombaient devant elle et je ne voyais pas son visage, mais ses bras étaient beaux et polis comme des jeunes pousses de latanier.

Alors, sans rien dire, je pris une mandoline qui était posée à terre et je me mis à jouer pour la consoler un air monotone qu’elle reconnut, sans doute, car elle releva peu à peu la tête, et me sourit à travers ses cheveux.

Je m’arrétai de jouer ; je lui dis que je m’appelais Bonne-Amie et que je la servirais fidèlement.

— Bonne-Amie, me répondit-elle, je ne sais pas depuis combien de temps je vis ici. Je suis tombée un jour dans un trou en me promenant et ce méchant sorcier a fait de moi sa femme. J’ai laissé, dans la maison de mon père, mon fiancé que j’aime. Un jour, je voulus m’enfuir, mais ce barbare me reprit et me coupa les pieds.

Elle releva la traîne de sa robe et me fit voir, en pleurant, ses jambes mutilées.

Je m’attachai à ma nouvelle maîtresse. Elle était belle comme la reine Anaïs, qui, comme on sait, est la plus belle des femmes. Je la portais dans mes bras pour la baigner dans le bassin carré. Je la parfumais d’huile douce. Je l’habillais de robes de mousseline empesée et je la portais sur la terrasse d’ou !’on voyait le jardin entre les orangers en caisses et les vases de fleurs. Elle s’asseyait sur un petit tapis de soie ; elle appuyait sa joue contre le balustre et elle regardait les paons, les faisans dorés et les poules qui marchaient sur les pelouses vertes.

Alors je jouais de la mandoline et je chantais doucement :

Moin té assise lassu bassin la geole, ché ;
Moin ka vouai veni une mouche à miel
Mouche à miel là piqué lèvre à moin, ou tane ?
Moin bien comprendre cé Bouboule à moin qui envoyé li.

Et elle pleurait.

Un jour, elle m’apprit que le sorcier du Morne cachait dans le fond du jardin de gros oiseaux, pareils à des aigles dont il se servait pour remonter sur la terre. Puis elle me regarda et me dit :

— Je veux que tu ailles porter une lettre et une bague à mon fiancé.

Je me jetai la face contre la terre et je lui rappelai que le sorcier avait menacé de me tuer si j’essayais de m’échapper. Mais elle me regarda si tristement que je lui demandai la lettre et la bague et que je partis.

Les gros oiseaux étaient dans une cage de fer, près d’un bâtiment vitré où le sorcier cuisait dans des cornues les sucs et les liqueurs magiques avec lesquels il faisait pousser les plantes. Des lueurs rouges et des tourbillons de fumée sortaient du laboratoire. J’entrai dans la cage, je liai les ailes à l’un des oiseaux et je l’emportai en courant.

Je poussai la porte de verre qui se brisa en mille pièces et je m’enfuis vers le trou. Je déliai les ailes du gros oiseau ; je m’accrochai à ses pattes ; il s’enleva d’un seul coup. Mais déja le sorcier était au fond du puits. Il me visait avec un arc. Il tira et sa flêche me creva un œil.

L’oiseau auquel je me cramponnais, m’emporta d’abord dans les airs, plana, puis redescendit peu à peu. Quand je ne fus plus qu’à quelques mètres du sol, je me laissai tomber au milieu des hautes herbes.

Il me sembla que je n’étais pas très éloignée de la plantation où je travaillais autrefois ; mais les arbres avaient tant poussé que je ne les reconnaissais point. Le ciel était d’un bleu cru. Le soleil brillait sur la mer au-dessus des cimes des palmiers et des cocotiers. Je me relevai et je pris le chemin de la plantation. Je rencontrai une couleuvre qui était nouée par le milieu du corps et qui ne pouvait plus se défaire. Je la dénouai. Elle ne me remercia pas, elle siffla et me dit :

— Prends trois dents sur le côté de ma bouche, et s’il t’arrive malheur, souffle dessus en m’appelant : Boucle d’Amour.

Je repartis. Mon œil crevé saignait.

L’habitation de mon ancien maître avait brûlé ; on l’avait reconstruite et je ne reconnaissais pas les visages des gens qui vivaient là. Alors je compris que j’étais restée chez le sorcier du Morne, bien plus longtemps que je ne croyais. On pansa mon œil. Je pris le chemin de la ville où je cherchai en vain toute la journée la maison du fiancé de ma belle maîtresse. Et je n’osai parler à personne de ce qui m’était arrivé, de peur qu’on ne me prit pour une folle. Ma mère Clotilde, la marchande d’acras, était morte. Tous mes amis étaient morts. Je vendis la bague. J’achetai une pacotille. Et je pris le bateau pour traverser la mer.

A peine avais-je débarqué de l’autre côté de l’eau, qu’un aubergiste me vola ma pacotille. Il me restait quelques sous. J’achetai un sac de cacaouettes, une petite mesure, et une mandoline, et je pris une grande route qui remontait un fleuve. Je vendais ma marchandise dans de petits cornets, en jouant de la musique et en faisant la quête dans tous les villages pour gagner ma vie.

Un jour j’arrivai auprés d’une ville dont la porte était gardée par deux statues de rois qui avaient des robes d’azur et qui tenaient à la main des pommes d’or. Comme la poussière de la route avait sali ma jupe, j’allai au bord du fleuve et je demandai à une fille de lavoir de me prêter sa selle, sa brosse et son savon. C’était une pauvre bossue effroyablement laide dont la figure était pleine de trous et dont les yeux louchaient. Elle parlait timidement. Elle me dit qu’elle avait été belle et qu’elle était la fille d’un roi.

J’accrochai au mur ma mandoline et mon sac de cacaouettes à côté d’autres sacs qui étaient là. Je lavai ma robe, je la fis sécher, je repris mon sac et ma mandoline et je m’en allai.

Je regagnai la grande route. J’étais fatiguée et m’étant arrêtée auprès d’une vigne pour préparer des cornets de cacaouettes, je mis la main dans mon sac : il était plein de graines d’ortie. Je m’aperçus alors que je m’étais trompé de sac. Je le pris par le fond et je le secouai, et il en tomba un être difforme qui me sauta au visage.

C’était un petit vieillard qui avait une barbe rousse, une culotte de velours et des souliers à boucle. Il m’avait saisi à la gorge et essayait de m’étrangler. Je parvins à me dégager. Mais il se transforma en un toucan qui avait sur la téte une créte semblable à une tour et dont le bec était pareil à une paire de gros ciseaux de tailleur. Il fondit sur moi. J’arrachai un pieu dans la vigne et je voulus l’en frapper. Mais il se mua en une énorme vague salée et pleine d’écume qui s’avança sur moi en grondant et en m’entourant.

Alors je pris dans ma ceinture les trois dents de la couleuvre et je soufflai dessus en appelant :

Boucle d’Amour !

J’entendis aussitôt un mugissement semblable au bruit d’un jet de vapeur, et je vis s’avancer un énorme cachalot qui d’un seul coup but la vague. Mais il restait une goutte d’eau. Elle se changea en un boisseau de blé, tandis que le cachalot prenait la forme d’une couleuvre dans laquelle je reconnus mon amie. Elle se mit à avaler l’un après l’autre tous les grains de blé. Mais elle en oublia un. Il se transforma aussitôt en un grand Secrétaire rouge qui, l’ayant prise dans son bec, la trancha par le milieu du corps ; non pas assez vite toutefois pour que la tête coupée n’ait eu le temps de le piquer mortellement a la gorge.

Bientot il ne me resta plus du Secrétaire, qu’un petit tas de cendre qui fumait. Et la couleuvre à demi-morte, me dit :

— Ma fille, je suis vaincue, car je meurs. Et toi-même tu ne ressentiras que trop durement les effets de la colère de ce puissant génie que je viens de combattre.

Alors je fus saisie d’une telle peur que je me sauvai à toutes jambes sans regarder derrière moi. Et tout en courant je m’aperçus qu’un plumage usé me poussait tout le long du corps. Quand je m’arrêtai, j’étais une vieille pie et j’avais un œil blanc.

Depuis, je cours le monde, je ne reprends ma forme naturelle qu’à minuit pour la perdre au chant du coq. Et je désespére de voir jamais cesser cet enchantement.

La petite princesse avait écouté sans bouger toute cette histoire. La lune s’était couchée derriére un côteau. Le ciel blanchissait. Un coq chanta dans une ferme. Un vent frais se leva tout à coup et fit frissonner en passant les feuilles des peupliers. Les figures des trois personnages semblérent se dissoudre peu à peu dans les premières lueurs de l’aube. La fontaine murmura sur les pierres. Et la petite princesse s’endormit d’un profond sommeil.


VII. — L’ARBRE DES TROIS ÉTUDIANTS


Le soleil était déjà levé depuis longtemps lorsqu’un messager passa sur la route avec sa lourde voiture. Il s’arrêta ; il éveilla la petite fille et lui demanda ce qu’elle faisait là avec sa pie, son singe et son accordéon.

La princesse lui répondit qu’elle allait à la ville, et le messager la fit monter dans sa voiture. Comme les chevaux n’allaient pas vite, ils n’arrivèrent que le soir à une ville aux portes de laquelle il n’y avait pas d’arbaletiers jouant de la flûte, ni de statues de rois en robes d’azur.

La petite fille remercia donc le messager et passa dans les rues sans demander à personne ou étaient ses sœurs. Une bonne femme à la porte d’une boucherie lui donna un bol de bouillon et une brioche qu’elle partagea avec son singe et sa pie. L’accordéon ne mangeait pas. Elle traversa la ville et reprit la levée du fleuve.

Le soir descendait. Un petit bois bordait la route et il y avait au milieu d’un carrefour un noyer dont les fruits tombaient à terre sans mûrir et dont les feuilles jaunissaient.

La princesse s’assit tristement. Elle songeait à ses sœurs, à celle qui était servante d’auberge et a celle qui était fille de lavoir. Et le noyer lui dit :

— Je suis le noyer des Trois Étudiants. Jadis on fustigea ici méme trois étudiants poictevins, dont l’un avait volé une poule, dont le second avait oublié de jeûner et dont le troisième avait mal parlé d’un docteur. J’étais beau. J’étendais mon ombre sur la route et mes fruits étaient ronds et luisants. Maintenant, je dépéris. Les fourmis rongent mes racines. Mon feuillage jaunit et mes fruits ne mûrissent pas. Bientôt je m’abattrai en travers du chemin.

La princesse fut prise de pitié. Elle releva sa robe, alla chercher de l’eau à la riviére et noya les fourmis.

Et l’arbre se redressa aussitôt et frémit d’aise,

Puis, s’étant adossée au tronc du noyer, la fille du roi s’endormit.

Elle ne dormait pas depuis longtemps, quand un bruit de voix l’éveiila.

Elle ouvrit les yeux. La lune était échancrée sur le bord. Elle éclairait le petit bois dont le feuillage portait à terre une ombre qui remuait. La petite fille n’apercut ni son singe, ni sa pie, ni son accordéon ; mais elle vit le montreur de marionnettes, la vieille négresse et le chevalier errant qui parlaient en allant et en venant dans le carrefour.

Elle se redressa, mit ses bras autour de ses genoux et regarda en écoutant.

Le chevalier errant prit la parole. Il tenait à la main un casque sarrazin dont les mailles pendaient. Sa cuirasse faussée luisait. La poignée en croix de son épée frottait contre la cotte blanche brodée d’or qui lui battait les jambes. Il avait posé à terre son écu et sa lance, Quand il tournait sur lui-méme ses jambes de fer sonnaient et ses éperons se choquaient l’un contre l’autre.

HISTOIRE DU CHEVALIER ERRANT

Je suis le chevalier à la Cascade. Je m’appelle Troïlus. Quand je quittai le chateau de mon père, qui était bâti sur les bords de la Loire, pour me croiser avec M. de Gonnor et le comte Depont de l’Ane, je n’avais pas encore dix-sept ans. Mon visage était beau. J’aimais les plaisirs et les voyages. Nous rejoignîmes le vieux Saint-Gilles qui devait gagner avec cent lances, quelques valets et un nombreux bagage, les murs de Constantinopolis à travers les terres de Hongrie.

Nous chevauchions gaiement et sans souci, car on nous avait raconté de grandes merveilles du pays de Palestine. Depont de l’Ane, sur son gros cheval, rimaillait et chantait :

Si je l’osais toute la cour
Entendrait ma plainte fidéle.
Mais d’elle
J’ai peur, car tel est son pouvoir
Que je crains de faire savoir
Si j’aime dame ou damoiselle.

Gonnor, assis de côté, comme une femme, sur la croupe de sa jument pie, jouait du luth toute la journée. Pour moi je buvais volontiers et je menais une joyeuse vie avec Saint-Gilles et les gens de notre suite.

Nous étions déja en pays hellénique quand je battis, dans la ville de Bessara, un Chaldéen à qui j’avais volé une bourse. Mes serviteurs m’en blâmèrent et me dirent que cet usurier était un mage puissant qui ne manquerait pas de se venger de moi par les moyens de sa science alchimique. Je me moquai de leur prédiction et je continuai de ripailler gaiement avec notre capitaine.

Aprés que l’empereur Comnène se fut décidé à nous passer de l’autre côté du Bosphore, notre troupe se réunit à la grande armée des Croisés et s’avança dans le désert. Des Grecs nous conduisaient. Nous avions soif et faim et je courais la plaine dans l’espoir de trouver quelque gibier qui put subvenir à notre défaut de vivres.

Un soir que je m’étais fort éloigné en vain et que je regagnais notre camp, en laissant aller mon cheval qui marchait la téte basse, je vis tout a coup partir devant moi une de ces gazelles à cornes d’argent que les Turcs ou Persans disent étre filles du roi Salomon, et dont la peau a la propriété singuliére de rendre maître de grands trésors celui qui la posséde.

Je donnai de l’éperon et je lançai mon coursier qui sembla prendre de nouvelles forces. La gazelle courait si vite que ses pieds ne faisaient pas de traces sur le sable ; penché sur le cou de ma bête dont le crin me fouettait la figure, je me soulevais sur mes étriers pour l’atteindre avec mon épieu ; mais je n’y parvenais pas. Nous courûmes ainsi pendant trois jours et trois nuits. Nous traversâmes des fleuves, des montagnes et des vallées sans ralentir notre course. Nous laissâmes derriére nous le désert et nous arrivâmes dans un pays verdoyant ou toutes les collines étaient surmontées de petits châteaux dont les toits de porcelaine brillaient au soleil. La gazelle disparut tout d’un coup dans un bois. Mon cheval s’abattit en rendant le sang par le nez et je fus jeté par terre. Je ramassai mon écu et ma lance, et je cherchai en vain à découvrir dans le bois, le passage de mon gibier.

J’étais exténué de fatigue et de faim ; je montai la plus proche colline dont le château était entouré de jardins en terrasses, et dont l’entrée était surmontée d’un portique à la mode d’Asie. Des arbres sans feuilles, laissaient retomber par dessus le mur leurs rameaux épineux ou se balançaient des fleurs rouges.

J’entendis des rires et des cris. Je poussai la porte du bout de ma lance ; et j’entrai tout armé dans un jardin persique planté de grenadiers, de figuiers et de vignes, et tout rempli de jeunes filles qui avaient de larges pantalons plissés et des basquines de soie, et qui chantaient, et qui étendaient du linge, et qui jouaient aux grâces, en riant.

Elles s’enfuirent en se bousculant, à mon aspect. Je m’assis sur un bane, et je délaçai mon casque. Bientôt, parut au fond du jardin, le maître de la maison. Il vint à moi. II était coiffé d’un turban de toile de soie, et les manches déboutonnées de son dolman amarante, flottaient derriére lui. Une écritoire de cuivre se balançait à sa ceinture. Il ouvrit les mains et s’inclina devant moi avec politesse et il me dit :

— Sois le bienvenu dans ma maison, ô étranger ; je suis le Cadi Almanzor. Ces jeunes filles que ton costume effraya, vont t’apporter des rafraichissements.

Je lui racontai mon histoire qui l’émerveilla fort ; il m’avoua qu’il n’avait point ouï parler du voyage des Chrétiens en Palestine, et qu’il n’en avait pas souci ; puis il me fit part de son désir de me conduire vers sa fille Lolotte ; et je lui dis que j’étais le chevalier à la Cascade et que je m’appelais Troïlus.

Au milieu de la maison du Cadi était une grande cour entourée d’une colonnade et où jaillissait dans une vasque un bouillon d’eau.

Lolotte vint au devant de nous. Elle portait des caleçons de soie rose, recouverts d’un transparent de tulle, tout brodé de clochettes d’argent. Sa chemisette était de voile de Chine. Elle avait un béguin tissé de grains de corail d’ou retombaient sur ses épaules deux grosses nattes brunes et parfumées comme des gousses de vanille. Elle avait la peau blanche, safranée, polie et mate à la façon d’un cuir fin de Cordoue. Son visage était entouré d’un nuage de poudre de riz. Elle riait. Ses joues étaient rosées au-dessous des yeux et ses dents étaient pareilles aux étamines de cette fleur que le poéete Hafiz nomme yuccu et qui ne s’ouvre que la nuit. Ses pieds étaient chaussés de sandales d’osier tressé.

Elle me prit la main, et je sentis que je devenais amoureux d’elle.

Lolotte avait une duègne, dont le nez était courbe comme la lame d’un sabre arabique et qui portait une mantille et des mitaines de soie noire. Elle nous accompagnait à la promenade, dans les jardins du Cadi qui étaient traversés par un grand nombre de canaux de briques roses et où jaillissaient tout le long des parterres, par l’artifice d’une hydraulique habilement ménagée, une multitude de petits jets d’eau. Les murs étaient peints derriére, les espaliers. Des grenadiers et des pêchers en fleur étendaient à leur ombre au bord des bassins. Nous nous asseyions. Les filles servantes nous apportaient, sur de petites tables incrustées d’ivoire, des confitures de rose dans des plats de majolique et des liqueurs à l’anis dans des carafons de verre taillés et colorés à la main.

Lolotte faisait signe que l’on allât chercher les instruments de musique. Les servantes rapportaient des violons, des violes de gambes et des flûtes et s’installaient à quelques pas de nous. L’une d’elles chantait lentement quelque récit d’une cantate amoureuse. La flûte se mêlait à la romance et l’accompagnait. Souvent toutes ensemble, unissant leurs voix aux sons des cordes, elles entonnaient quelque gracieux air à danser, dont Lolotte, ravie, marquait la cadence en battant des mains.

Mais j’étais habitué à une vie plus active et je ne tardai pas à dépérir. Lolotte, à qui j’avais conté mon aventure avec la gazelle, m’avait défendu de retourner à la chasse, à cause que les bois d’alentours étaient fréquentés par de dangereux génies, dont le moins redoutable était assurément la gazelle à cornes d’argent.

Un matin, cependant, je pris un sac de chasse et une jument dans les écuries du Cadi et je sortis à la bonne heure par la petite porte des communs. Le ciel était blanchâtre et de longs nuages effilochés traînaient au dessus des collines. Des rossignols chantaient encore dans les jardins. Je galopai dans la plaine ; et m’étant retourné je ne vis plus le château.

A ce moment s’éleva des sables un gros oiseau dont le corps était fait comme celui d’une femme, dont les ailes griffues traînaient à terre et qui était tout semblable à ceux qu’on dit que le seigneur Icare combattit dans les îles Strophadiques pour leur arracher leurs plumes merveilleuses.

Je donnai de l’éperon et je lançai en avant ma cavale qui eut bientôt fait de ratrapper le monstre. Mais il s’éleva en l’air et continua de voler si vite qu’aprés l’avoir poursuivi pendant trois jours et trois nuits sans m’arrêter, j’arrivai au bord de la mer ou l’étrange bête plongea et disparut.

Ma cavale s’abattit. Je ramassai mon sac et mon épieu, et je suivais tristement le rivage dans l’espoir de rencontrer quelque coquille qui pût satisfaire ma faim, lorsque je vis un géant haut comme trois tours qui était assis sur une falaise et qui se tenait la téte en geignant. Il avait un hérisson dans l’oreille et il ne pouvait l’ôter. Je l’en débarrassai aisément avec mon épieu. Il ne me remercia pas. Il me dit :

— Prends trois franges de mon habit et s’il t’arrive malheur, souffle dessus en m’appelant : Esclave de la Passion.

Je pillai le long de ma route la boutique d’un Pharisien. J’emplis mon sac de joyaux, de perles et d’étoffes rares. Puis je fis voile, ayant gagné l’Égypte et désespérant de jamais retrouver Lolotte, vers mon beau pays de Touraine.

Mais l’abbé d’Azay-le-Ridel avait pris le château de mon père et y avait installé des nonnains. Je choquai en vain la porte avec ma lance. On ne m’ouvrit pas. Je rajustai sur mon dos le sac qui contenait ma fortune et je gagnai une ville qui était bâtie au bord d’un fleuve et dont la porte était surmontée de trois têtes coupées,

Je descendis sur le quai et je hélai le bac qui était à l’autre rive. Il était conduit par une grande fille dépeignée qui me querella d’un ton rude, parce que le poids de mon armure faisait pencher sa barque. Je posai mon écu, ma lance et mon sac dans le fond du bateau à côté d’autres sacs qui étaient là. Je raillai cette mégére qui me dit qu’elle était la fille d’un roi et qui voulut me battre ; et, ayant rechargé sur mon dos mon sac, ma lance et mon écu, je repris la grande route pour aller vers les aventures sans trop savoir de quel côté.

J’étais las et, m’étant assis près d’un champ de pois ramés, je voulus compter ce qui me restait de mon trésor et je mis la main dans mon sac. Il était plein de feuilles d’absinthe. Je compris que je m’étais trompé de sac. Plein de colère, je le secouai par le fond, et il en tomba un être difforme qui me sauta au visage.

C’était un petit vieillard qui avait une barbe blanche, une culotte de velours et des souliers à boucle. Il m’avait saisi à la gorge et essayait de m’étrangler. Je parvins à me dégager. Mais il se transforma en un crocodile dont la queue faisait un bruit de sonnettes et qui accourait sur moi en grognant. J’arrachai une rame dans le champ et je voulus lui en donner un coup sur le nez ; mais il prit la forme d’un énorme rocher couvert de ronces et d’épines et qui roula vers moi pour m’écraser.

Alors je pris dans ma ceinture les trois franges de l’habit du géant et je soufflai dessus en appelant :

Esclave de la Passion !

J’entendis aussitôt au-dessus de moi un rire pareil à un éclat de tonnerre et je vis le géant qui, étendant la main, arréta d’un seul coup le rocher. Mais ce rocher se transforma en une hydre à tête de taureau, qui était haute comme une galère pontée et qui avait cent bras et autant de jambes. Elle arracha une colline avec ses sources, ses prairies et les troupeaux qui y paissaient, et elle la jeta au géant qui la lui relança comme une balle. Alors elle saisit une forêt avec une ville qui y était bâtie, trois monastères et un donjon, et elle les lança au géant qui les reçut avec la main. Ils s’étreignirent, j’entendis un craquement formidable. C’était le bruit que faisait mon ami en brisant l’un après l’autre tous les bras et toutes les jambes de l’hydre. Mais, avant de mourir, elle lui cracha à la figure sa salive empoisonnée. Tous deux brûlérent. Bientôt il ne resta plus de l’hydre qu’un petit tas de cendre qui fumait, et le géant, à moitié mort, me dit :

— Mon fils, je suis vaincu, car je meurs. Toi-même tu ne ressentiras que trop durement les effets de la colère de ce puissant génie que je viens de combattre.

Alors je fus saisi d’une telle peur que je me sauvai à toutes jambes sans regarder derrière moi, à travers le paysage bouleversé. Et tout en courant, je m’apercus que des soufflets de cuir m’emprisonnaient le corps. Quand je m’arrêtai, j’étais un accordéon de bois peint.

Depuis, je cours le monde ; je ne reprends ma forme naturelle qu’à minuit pour la perdre au chant du coq. Et je désespére de voir jamais cesser cet enchantement.

La princesse avait écouté sans bouger toute cette histoire. La lune échancrée était toute pâle dan le ciel ot blanchissait l’aurore. Un coq chanta. Derrière le bois des alouettes s’élevérent en sifflant et en virevoletant. Les figures des trois personnages semblèrent se dissoudre dans les premiéres lueurs de l’aube. L’arbre balança lentement toutes ses branches dans le vent du matin. Et la petite princesse s’endormit d’un profond sommeil.


VIII. — LE PAVILLON DE MUSIQUE DE MADAME


Le soleil était déja levé depuis longtemps quand la princesse s’éveilla toute seule. Elle prit son sac, sa pie, son singe et son accordéon et elle marcha jusqu’au soir, le long du fleuve où passaient des chalands et des bateaux à voile et où des pêcheurs jetaient des éperviers.

Elle leur demanda aux uns et aux autres, en criant, s’ils ne connaissaient pas une ville aux portes de laquelle était un arbaletier qui jouait de la flûte, une ville aux portes de laquelle étaient trois rois vétus d’azur, ou bien une autre ville aux portes de laquelle étaient trois tétes coupées. Mais ils ne répondirent rien. La pluie tomba. Les arbres d’un grand parc rougeoyérent, et les toits d’une ville apparurent au loin.

Elle était entrée dans le parc. Elle marchait le long des allées détrempées. Une statue de Diane, à demi rongée de mousse, ruisselait au milieu d’une pelouse. Elle vit un pavillon de musique dont les marches étaient descellées et dont le toit rond était couvert de lierre. Elle poussa la porte vitrée et entra. Il faisait froid. I] y avait là, dans un coin, une harpe, un clavecin et une contrebasse avec son archet.

Le singe souffla dans ses joues et se battit les flancs ; la pie se secoua en faisant claquer ses ailes ; l’accordéon s’égoutta sur les dalles.

La petite princesse s’assit sur une chaise, et se mit à songer à ses sœurs dont la premiére était à présent servante d’auberge, dont la seconde était fille de lavoir et dont la troisiéme était passeuse. Et le Pavillon de Musique lui dit :

— Je suis le Pavillon de Musique de Madame. Je jouais. Jadis, on venait ici pour m’écouter. La Cour m’applaudissait. Maintenant je suis abandonné. Les cordes de mes instruments se détendent. Mes fenétres ne ferment plus. J’ai froid et je sens l’humidité.

La petite princesse, prise de pitié, releva sa robe, alla chercher des sarments de vigne qu’on avait empilé sous un hangar, derrière le pavillon, et elle fit un grand feu dans la cheminée de porcelaine verdie. Alors, toutes les cordes des instruments se tendirent et firent entendre l’une aprés l’autre un son agréable, en sorte que cela fit une véritable musique.

Et la princesse s’endormit aussitôt. Ni le singe, ni la pie, ni l’accordéon ne parlèrent cette nuit-là.


IX. — LES TROIS VILLES.


La petite fille se réveilla de grand matin. Elle prit son sac, son singe, sa pie et son accordéon, et elle regagna la levée du fleuve.

Au-dessus de la porte de la premiére ville qu’elle rencontra sur son chemin, était un arbaletier qui jouait de la flûte dans une logette. Elle entra. Dans l’auberge du bord de l’eau elle retrouva sa premiére sœur, celle qui était intelligente et qui était devenue stupide.

Et elles firent route toutes deux jusqu’à une ville dont la porte était gardée par deux statues de rois qui étaient vétus de robes d’azur et qui tenaient à la main des pommes d’or. Elles entrèrent. Et dans le lavoir elles retrouvérent leur seconde sœur, celle qui était belle et qui était devenue horrible à regarder.

Et elles firent route toutes trois jusqu’à une ville au-dessus de la porte de laquelle étaient trois têtes coupées. Elles entrérent. Elles appelèrent le bac. Et elles retrouvèrent leur troisième sœur, celle qui était douce et qui était devenue méchante comme la peste.

Alors les quatre filles du roi se mirent en devoir de regagner le palais de leur père.

Elles passèrent dans le parc rougeoyant, près du Pavillon de Musique de Madame, et elles se reposèrent un moment. La troisième fille du roi, qui était méchante comme la peste, cacha sa téte entre ses mains et se mit à pleurer. Mais le Pavillon de Musique lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue douce.

Elles passérent ensuite au carrefour des Trois Étudiants et elles se reposèrent près du noyer. Et la seconde fille du roi qui était horrible à voir, cacha sa tête dans ses mains et se mit à pleurer. Mais le noyer lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue belle.

Elles passérent enfin près de la Fontaine Catherine et elles se reposérent un moment. Et la première fille du roi, qui était stupide, cacha sa tête entre ses mains et se mit à pleurer. Mais la Fontaine lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue intelligente.

Et les quatre sœurs, ayant repris leur route, arrivérent au petit square désert où la cadette avait dormi près d’un tilleul dont les branches étaient si lourdes qu’on avait dû les étayer avec des poutres. La nuit tomba. Une fumée blanche s’éleva de l’eau. L’Angelus sonna. Elles avaient faim, mais s’étant adossées toutes les quatre au trone de l’arbre, elles s’endormirent bientôt.

Elles furent réveillées au petit jour par le bruit que faisait le jardinier en balayant le square. Le brouillard les avait engourdies. Elles se levérent en s’étirant et secouérent leurs robes. Et la plus jeune fille du roi s’aperçut avec étonnement qu’elle avait grandi pendant la nuit et elle sentit qu’elle avait dix-huit ans comme lorsqu’elle avait quitté le palais de son père. Elle remit ses bottines, qui étaient encore dans son sac et qui lui allaient parfaitement bien.

Alors les quatre filles du roi, dont la première était intelligente, dont la seconde était belle, dont la troisième était douce et dont la quatrième était toute jeune, reprirent en chantant le chemin du bord de l’eau. L’une tenait le singe par la main ; une autre avait la pie sur son épaule ; une autre portait l’accordéon. La dernière ne portait rien.

Elles passérent sous le pont de lave. La vieille Bees, femme assise qui mangeait des fraises, leur sourit et fit un signe à l’accordéon qui reprit sa forme de chevalier errant.

Elles passérent sous le pont d’ardoise. La vieille femme assise qui cherchait des poux, leur sourit et fit un signe au singe qui reprit sa forme de montreur de marionnettes.

Elles passèrent sous le pont de marbre. La vieille femme, assise, qui cardait des matelas, leur sourit et fit un signe à la pie qui reprit sa forme de vieille négresse.


X. LA REINE ET LES FILLES DU ROI.


Il était presque midi, quand les quatre filles du roi arrivèrent dans le faubourg de leur ville. Devant elles, marchaient le chevalier errant, la vieille négresse et le montreur de marionnettes. Et les marchandes des quatre saisons, qui étaient arrêtées avec leur petite voiture aux portes des estaminets, s’étonnaient de ce singulier cortège.

Les arbres à demi dépouillés de leurs feuilles, remuaient leurs branches dans les jardins. Le soleil brillait à travers la poussière froide que le vent d’automne soulevait le long des murs. Les cheminées de briques, semaient sur toute la ville d’épais flocons de suie qui retombaient dans les rues en pluie fine. Midi sonna. Les vitrages sales des usines étincelérent. Les cloches des fabriques sonnèrent à leur tour. Des ouvriers en cotte bleue et des jeunes filles avec des sarreaux, sortaient par groupe des ateliers et entraient dans les guinguettes.

lls reconnurent les quatre filles du roi, et s’approchèrent d’elles pour les voir ; ils se parlaient entre eux ; ils s’appelaient ; une femme cria :

— Ce sont les quatre filles du roi qui reviennent !

Et tout aussitôt s’éleva, d’un bout à l’autre du faubourg, une longue acclamation. Toutes les portes s’ouvrirent. Les sonnettes des boutiques tintaient. Les voitures s’arrêtaient. Les drapiers venaient sur le seuil de leur maison avec leurs aunes à la mains ; les tonneliers, avec leurs tabliers ; les boulangers avec leur torse nu ; les comptables avec leurs manches de lustrine noire et les couturières en cheveux avec leurs robes pleines de fils. Et les servantes d’auberge et les bourgeoises levaient les bras et criaient ensemble :

— Voilà les quatre filles de roi qui reviennent !

On coupa dans les jardins des branches de pin et de marronnier, des bottes de roses et d’asters en fleurs, et on les éleva en l’air sur leur passage ; à mesure qu’elles avançaient, les cris redoublaient. Les bonnes femmes aux fenétres suspendaient des draps de lits, des tapisseries et des étoffes brodées, comme pour un jour de Féte-Dieu. Des gens grimpaient sur l’appui des fenêtres, sur les parapets du quai et sur les voitures qui étaient rangées le long du trottoir, parce qu’une grande foule marchait derrière les princesses.

Quand elles arrivèrent aux portes de la ville qui étaient toutes tendues de blanc, les canons de la citadelle se mirent à tonner et les soldats qui gardaient le pont-levis, soufflèrent dans leurs trompes. Le haut des fortifications était garni d’enfants qui étaient accourus de tous les côtés pour voir. Ils descendirent en se bousculant, les rampes de gazon et formèrent une grande troupe qui précéda, en chantant, les quatre princesses et leur cortège. Et comme toutes les femmes voulaient toucher les habits des filles du roi et se battaient pour s’approcher, le montreur de marionnettes, la négresse et le chevalier errant s’efforçaient de les retenir.

Bientét apparut le Palais Royal, au milieu d’une place plantée d’arbres. Les enfants s’écartérent. Les filles du roi franchirent la grille dorée. Elles traversèrent la grande cour du milieu ou s’élevait une statue. Elles virent que cette statue était celle de leur père ; elles comprirent qu’il était mort ; elles pleurèrent et elles montèrent en se donnant la main, les marches du perron, tandis que la foule envahissait la cour et les suivait en répétant :

— Longue vie aux filles du roi, qui vont nous débarrasser de la méchante reine !

En un instant, la grande salle du Palais fut pleine de monde. La reine qui était sur son trône, en fut arrachée malgré sa colère. On l’entraîna ; on dressa dans un coin de la place, sur un grand tréteau, une roue de bois ot l’on attacha la mauvaise femme, et ot on la fit tourner si vite, si vite, qu’elle en perdit haleine et qu’elle étouffa.

On dit que le montreur de marionnettes fut commis aux Divertissements, que la vieille négresse eut l’intendance des Cuisines et que le chevalier errant fat fait capitaine des Archers. On dit que les quatre princesses furent aimées, l’une d’un banquier hollandais ; l’autre d’un impresario ; l’autre d’un entrepreneur de jardins et la derniére d’un préfet. On dit qu’elles furent heureuses et qu’elles eurent beaucoup d’enfants. Mais nous n’en savons rien.


LES CHAPITRES DE LA
PRINCESSE A L’AVENTURE


I. Le Roi et les Filles du Roi.   11
II. Les trois vieilles Femmes au bord de l’eau.   14
III. Le Singe, la Pie et l’Accordéon.   26
IV. La Conversation inattendue.   37
V. La Bouillie au riz.   57
VI. La Fontaine Catherine.   65
VII. L’Arbre des Trois Étudiants.   86
VIII. Le Pavillon de Musique de Madame. 102
IX. Les Trois Villes. 105
X. La Reine et les Filles du Roi. 110


ÉTAMPES — IMP. HUMBERT-DROZ