La Princesse à l’aventure/Les Trois Villes

& Charles Verrier
(p. 105-109).


IX. — LES TROIS VILLES.


La petite fille se réveilla de grand matin. Elle prit son sac, son singe, sa pie et son accordéon, et elle regagna la levée du fleuve.

Au-dessus de la porte de la premiére ville qu’elle rencontra sur son chemin, était un arbaletier qui jouait de la flûte dans une logette. Elle entra. Dans l’auberge du bord de l’eau elle retrouva sa premiére sœur, celle qui était intelligente et qui était devenue stupide.

Et elles firent route toutes deux jusqu’à une ville dont la porte était gardée par deux statues de rois qui étaient vétus de robes d’azur et qui tenaient à la main des pommes d’or. Elles entrèrent. Et dans le lavoir elles retrouvérent leur seconde sœur, celle qui était belle et qui était devenue horrible à regarder.

Et elles firent route toutes trois jusqu’à une ville au-dessus de la porte de laquelle étaient trois têtes coupées. Elles entrérent. Elles appelèrent le bac. Et elles retrouvèrent leur troisième sœur, celle qui était douce et qui était devenue méchante comme la peste.

Alors les quatre filles du roi se mirent en devoir de regagner le palais de leur père.

Elles passèrent dans le parc rougeoyant, près du Pavillon de Musique de Madame, et elles se reposèrent un moment. La troisième fille du roi, qui était méchante comme la peste, cacha sa téte entre ses mains et se mit à pleurer. Mais le Pavillon de Musique lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue douce.

Elles passérent ensuite au carrefour des Trois Étudiants et elles se reposèrent près du noyer. Et la seconde fille du roi qui était horrible à voir, cacha sa tête dans ses mains et se mit à pleurer. Mais le noyer lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue belle.

Elles passérent enfin près de la Fontaine Catherine et elles se reposérent un moment. Et la première fille du roi, qui était stupide, cacha sa tête entre ses mains et se mit à pleurer. Mais la Fontaine lui dit : « Lève-toi ». Et elle sentit aussitôt qu’elle était devenue intelligente.

Et les quatre sœurs, ayant repris leur route, arrivérent au petit square désert où la cadette avait dormi près d’un tilleul dont les branches étaient si lourdes qu’on avait dû les étayer avec des poutres. La nuit tomba. Une fumée blanche s’éleva de l’eau. L’Angelus sonna. Elles avaient faim, mais s’étant adossées toutes les quatre au trone de l’arbre, elles s’endormirent bientôt.

Elles furent réveillées au petit jour par le bruit que faisait le jardinier en balayant le square. Le brouillard les avait engourdies. Elles se levérent en s’étirant et secouérent leurs robes. Et la plus jeune fille du roi s’aperçut avec étonnement qu’elle avait grandi pendant la nuit et elle sentit qu’elle avait dix-huit ans comme lorsqu’elle avait quitté le palais de son père. Elle remit ses bottines, qui étaient encore dans son sac et qui lui allaient parfaitement bien.

Alors les quatre filles du roi, dont la première était intelligente, dont la seconde était belle, dont la troisième était douce et dont la quatrième était toute jeune, reprirent en chantant le chemin du bord de l’eau. L’une tenait le singe par la main ; une autre avait la pie sur son épaule ; une autre portait l’accordéon. La dernière ne portait rien.

Elles passérent sous le pont de lave. La vieille Bees, femme assise qui mangeait des fraises, leur sourit et fit un signe à l’accordéon qui reprit sa forme de chevalier errant.

Elles passérent sous le pont d’ardoise. La vieille femme assise qui cherchait des poux, leur sourit et fit un signe au singe qui reprit sa forme de montreur de marionnettes.

Elles passèrent sous le pont de marbre. La vieille femme, assise, qui cardait des matelas, leur sourit et fit un signe à la pie qui reprit sa forme de vieille négresse.