La Princesse à l’aventure/Le Singe, la Pie et l’Accordéon

& Charles Verrier
La Princesse à l’aventure
(p. 26-36).


III. — LE SINGE, LA PIE ET L’ACCORDÉON


Elle fut réveillée au petit jour par le bruit que faisait un jardinier en balayant le square. Le brouillard l’avait engourdie. Elle se leva en s’étirant, et secoua sa robe.

Elle s’aperçut alors que le singe vert au chapeau de feuillage avait démésurément grandi pendant la nuit, que la pie au pelage usé était grosse comme une dinde avec son œil blanc et rond comme la lune, et que l’accordéon de bois peint était large comme une cage à poule. Elle dut monter sur un banc pour prendre sa besace qu’elle avait accrochée, la veille, à une branche basse de l’arbre. Elle se regarda et s’apercut avec étonnement qu’elle était devenue une toute petite fille, que sa robe à pois descendait à peine jusqu’à ses genoux, et que ses cheveux formaient deux nattes étroites qui retombaient sur ses épaules.

La cheminée d’un bateau-lavoir fumait. Le brouillard bleu du matin s’accrochait aux arbres. Des hommes ouvraient une écluse dont la chaîne faisait un bruit de crécelle. Sur un bateau, une femme tirait de eau avec un seau de zinc. Au-dessus de sa tête, sur le quai, la corne d’un tramway sonna. Elle eut faim. Elle se rappela que son bissac était vide, et ne contenait plus ni pain ni fromage, mais seulement une paire de bottines beaucoup trop grandes à présent pour ses petits pieds. Elle le mit sur son dos, avec l’accordéon qui était bien lourd ; elle prit le singe par la main, et le singe était presqu’aussi grand qu’elle ; la pie sauta sur son épaule et sur sa tête.

Ils partirent tous les quatre en suivant le bord de l’eau. Mais la princesse avait très faim. Près de l’écluse, la cuisine d’un chaland répandit une bonne odeur de soupe à l’oignon. Les mariniers étaient sur le chemin en train d’atteler les mulets.

A l’avant, une femme arrosait des pots de fleurs et des arbustes verts dans des caisses carrées. Du linge séchait sur une corde tendue à la porte de la cabane de l’écurie.

La princesse sauta rapidement sur la planche qui servait de passerelle, et descendit dans la cuisine. Il y avait trois assiettes sur la table. La soupe chantait dans le pot. La fille du roi servit trois parts et eut bientôt fait de manger la sienne, tandis que le singe lapait, et que la pie piquait.

A ce moment, la femme du marinier, qui avait finit d’arroser, entra. Elle resta saisie d’étonnement, et ce n’était pas tant la petite fille que le singe, et non pas tant le singe que la pie qui la surprirent.

Elle allait se fâcher, lorsque l’accordéon se mit à jouer un air propre à dérider les gens.

— Que faites-vous là ? dit-elle en souriant.

La petite fille ne répondit rien ; mais la pie s’envola et tourna dans la pièce, tandis que le singe, d’un bond, avait sauté sur armoire et sifflait entre ses doigts au milieu des plats d’étain et des pichets.

L’accordéon jouait toujours son air guilleret et la bonne femme se tenait les côtes.

Elle remonta le petit escalier et appela au dehors :

— Vivi ! Vivi !

Le marinier vint, avec son père.

C’était un grand gaillard qui avait une petite barbe blonde et un visage halé. Il portait une ceinture de laine bleue et une casquette de cuir. Son pére était tellement vieux que son visage ressemblait à un filet à crevettes.

Ils regardérent tous les trois avec surprise la petite fille qui riait silencieusement sur sa chaise, et le singe, et la pie, et l’accordéon.

Ils tournérent et retournérent la princesse dans tous les sens, et virent que son linge était marqué d’une couronne de coton rouge. Ils l’interrogèrent, mais n’en purent rien tirer.

La femme, qui était superstitieuse, conclut que cette petite fille était un présent des Nains. Et ils décidérent qu’on la garderait et qu’on l’appelerait Clarisse, comme leur enfant qui avait été enlevée.

Le chaland se mit en marche, tiré sur le chemin de halage par les deux mulets, dont l’un était rouge et l’autre gris d’ardoise.

La ville disparut peu à peu. Le soleil étincela sur la campagne et sur les carrés verts et rouges des champs.

Le bateau glissait le long une rive droite et égale que bordait un talus de gazon. Les peupliers d’une grande route s’alignaient au bord du fleuve. A chaque coup de rein des deux mulets la corde attachée au haut du mat se tendait et le chaland avangait d’une secousse ; puis la corde retombait dans l’eau en claquant.

Le vieil homme marchait sur le chemin de halage, son fouet autour du cou. Le vent gonflait sa blouse. De temps en temps il s’arrétait pour cueillir des pissenlits, puis il rejoignait les mulets en trottinant et en criant :

— Hu-u !

Le marinier pesait sur la barre peinte en vert. Il prisait. Il chantait un air de son pays :

Un matelot s’en revenait,
Tout de neuf
Vêtu et chaussé,

Des Indes ou il avait fait
Le trafic
Pendant dix années…

Chercha partout sans la trouver,
Sa fiancée
Qu’il avait laissé…

La petite Clarisse sortit dela cuisine ot la femme du marinier s’était mise à récurer des casseroles sans plus s’occuper d’elle. Elle se glissa le long des planches qui recouvraient les sacs de sel dont la cale était pleine, jusqu’à l’avant du bateau.

Le chaland avancait par saccades. L’eau se creusait et jaillissait le long des planches goudronnées. Clarisse s’assit sur le bordage, un montant de bois entre ses jambes, et comme la péniche était lourdement chargée, l’eau touchait par moment ses pieds nus.

Sur le chemin, le vieil homme jetait de loin des cailloux aux mulets pour les faire courir. Les ponpons rouges de leurs colliers se balançaient sur leur dos.

Un coup de vent subit fit claquer les linges qui séchaient sur le pont. Le marinier redressa la barre avec sa hanche. I] reprit sa chanson :

Chercha partout sans la trouver
Sa fiancée
Qu’il avait laissée.

A Dunkerque ayant de cingler
Pour dix ans
Sur son beau voilier…

Il s’arréta dans un tripot aie
Qui donnait
Sur le bord de l’eau…

On passa devant une ville qui avait quatre grandes portes, et Clarisse s’apergut qu’après avoir fait un grand détour elle se retrouvait en face de la ville de son père.

Des troupes de sergents à cheval battaient la campagne ; un guetteur en haut d’une tour sonna de la trompe et des soldats s’approchérent du bateau.

Ils demandèrent au vieil homme, puis au marinier, puis à la femme du marinier, s’ils n’avaient pas vu la plus jeune fille du roi ou l’une des trois filles du roi, celle qui était intelligente, celle qui était belle ou celle qui était douce.

Mais les gens du chaland répondirent qu’ils n’avaient rien vu, et les soldats ne reconnurent pas la petite Clarisse, qui riait doucement à l’avant du bateau.

On repartit. L’homme s’appuyant sur sa barre continua :

Il s’arrêta dans un tripot
Qui donnait
Sur le bord de l’eau,

Pour boire jusques au matin
A cause
De son grand chagrin,

D’la biére au gingembre et du vin
En chantant
Avec des marins…

A ce moment la femme du marinier passa sa tête au-dessus de la cabine et cria à Clarisse de venir l’aider à écosser des pois.

Elle lui donna un tablier qu’elle remplit de gousses et s’assit en face d’elle sur les marches de bois entre la caisse du lilas et les pots de géranium.

Par terre était une grande écuelle ou, l’une et l’autre, elles mettaient les pois. Le singe apporta l’accordéon et la pie vint à côté du singe.

La femme du marinier parlait toute seule :

— Quel dommage que cette petite soit une sotte. Au moins les nains eussent-ils di m’en envoyer une qui sût parler, Tu ne peux donc pas me dire, petite, ou est ma fille et ce qu’en ont fait tes amis qui sont capables de transformer les hommes en bête et de faire vivre les objets comme des hommes ?

Et en disant cela, elle jetait un regard méfiant au singe, à la pie et à l’accordéon.

— Tu ne me répondras pas, peste ? J’avais bien dit à mon homme qu’il nous arriverait malheur s’il tracassait les nains qui habitaient dans l’étable avec les mulets. Je lui assurais qu’ils pêchaient la nuit avec les lignes et les filets qu’on laissait sur le pont. Il les a enlevés en se moquant de moi. Et le lendemain matin nous n’avons plus trouvé notre fille.

Le singe et la pie éclatérent de rire et la femme les regarda d’un air furieux. Mais l’accordéon se mit à jouer un air propre à dérider les gens et sa colère se passa.

Alors elles continuèrent d’écosser les pois. Clarisse souriait. La bonne femme remuait sa machoire en bougonnant.

Sur la berge, un coq cria. On entendit la voix du marinier :

D’la bière au gingembre et du vin
En chantant
Avec des marins…

Et reçut un coup de couteau
D’un anglais
Au milieu du dos.