L’Encyclopédie/1re édition/INFLUENCE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 728-738).
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INFLUENCE, s. f. (Métaphysiq.) terme dont on s’est servi pour rendre raison du commerce entre l’ame & le corps, & qui fait la premiere des trois hypotheses reçues sur cette matiere. Voyez l’examen des deux autres dans les articles Causes occasionnelles, & Harmonie préétablie. On y prétend que l’ame agit physiquement sur le corps, & le corps sur l’ame, par une action réelle & une véritable influence. C’est le système le plus ancien & le plus goûté du vulgaire ; cependant il ne réveille absolument aucune idée : il ne présente à l’esprit qu’une qualité occulte : voici les principales raisons qui empêchent de l’admettre. 1°. On ne fera jamais comprendre, même à ceux qui admettent l’action d’une substance créée sur l’autre, que deux substances aussi différentes que l’ame & le corps, puissent avoir une communication réelle & physique, & sur-tout que le corps puisse agir sur l’ame & l’affecter par son action. Supposer dans l’ame & dans le corps un pouvoir à nous inconnu d’agir l’un sur l’autre, c’est ne rien expliquer ; on ne peut soutenir ce systême avec quelqu’apparence, qu’en avouant que l’ame est matérielle, aveu auquel on ne se laissera pas aisément aller crainte des conséquences. 2°. On a aujourd’hui une démonstration contre ce systême ; car M. de Leibnitz & d’autres grands hommes ont découvert plusieurs lois de la nature qui y sont entierement contraires, & que les plus grands mathématiciens ont cependant reconnues pour certaines ; telles sont celles-ci. 1°. Qu’il n’y a point d’action dans les corps sans réaction, & que la réaction est toujours égale à l’action ; or, dans l’action du corps sur l’ame, il ne sauroit y avoir de réaction, l’ame n’étant pas matérielle. 2°. Que dans tout l’univers il se conserve toujours la même quantité de forces vives, ou de la force absolue. 3°. Qu’il s’y conserve aussi la même quantité de force directive, ou la même direction dans tous les corps ensemble, qu’on suppose agir entre eux de quelque maniere qu’ils se choquent. Or il est aisé de voir que la seconde loi ne sauroit subsister, si l’ame peut donner du mouvement au corps, car en ce cas elle augmentera la quantité des forces vives, ou de la force absolue ; & la troisieme ne sera pas moins renversée, si l’ame a le pouvoir de changer la direction de son corps, & par son moyen celle des autres. Voyez Vattel, Déffense du syst. Leibn. 894. 134. Les Carthésiens ont déja senti ces difficultés qui leur ont fait rejetter l’influence physique, quoiqu’ils se soient trompés en disant qu’il se conserve toujours la même quantité de mouvement.

La cause occasionnelle n’est que l’occasion seulement, & non pas la cause directe de l’effet qui s’ensuit.

L’influence rejettée a conduit les Philosophes à deux autres systèmes sur l’union de l’ame & du corps. L’un est celui des causes occasionnelles du P. Mallebranche, & l’autre celui de l’harmonie préétablie de M. Leibnitz. Voyez son article.

Ceux qui admettent les causes occasionnelles, conçoivent que Dieu est lui-même l’auteur immédiat de l’union que nous remarquons entre l’ame & le corps. Mon ame veut mouvoir mon bras, & Dieu le meut. Je veux jetter une boule, Dieu étend mon bras, applique ma main sur la boule, me la fait empoigner, &c. Tous ces mouvemens se font exactement pendant que je le veux, & c’est pour cette raison que je me crois la cause de ces différens mouvemens. Les mouvemens de l’ame & du corps ne sont donc que l’occasion de ce qui se passe dans l’un & dans l’autre. Pareillement lorsque des corps étrangers agissent sur nos nerfs, Dieu est l’auteur immédiat des perceptions qui naissent de leur action : pendant que ma main s’applique à la boule, je ne sens point la boule, mais Dieu me donne la perception de cet attouchement.

Ceux dont nous rapportons le sentiment, étendent même cette action immédiate de Dieu jusqu’à la communication du mouvement, lorsqu’un corps en choque un autre.

Cette opinion est fondée 1°. sur ce que posé ce commerce réciproque & occasionnel, on comprend aisément que le corps & l’ame font une seule personne ; car, puisque l’ame est gouvernée à l’occasion du corps, & le corps à l’occasion de l’ame, aucune de ces deux substances n’est totale & complette, aucune par conséquent n’est personne. 2°. En ce qu’il est vraissemblable que Dieu est la seule cause efficiente de ce commerce ; car l’influence mutuelle de l’ame sur le corps, & du corps sur l’ame, ne sauroit jamais se comprendre.

Mais il y a des philosophes auxquels les conséquences de ce systême paroissent ridicules ; par exemple ce n’est point un boulet de canon qui tue un homme, c’est Dieu qui le fait. Le mouvement du canonnier, dont le bras remué par la puissance de Dieu a porté du feu sur la poudre d’un canon, a déterminé Dieu à enflammer la poudre ; la poudre enflammée a déterminé Dieu à pousser le boulet, & le boulet poussé jusqu’à la superficie extérieure du corps de l’homme, a déterminé Dieu à briser les os de cet homme. Un poltron qui s’enfuit, ne s’enfuit pas ; mais le mouvement de sa glande pinéale agitée par l’impression d’un bataillon ennemi, qui vient à lui hérissé de bayonnetes au bout du fusil, détermine Dieu à remuer les jambes de ce poltron, & à le porter du côté opposé à celui d’où vient ce bataillon.

On a souvent dit dans un sens moral que le monde est un théâtre où chacun joue son rôle, mais on pourroit dire ici dans un sens physique que l’univers est un théâtre de marionettes, & que chaque homme est un polichinelle, qui fait beaucoup de bruit sans parler, & qui s’agite beaucoup sans se remuer.

Influence, s. f. (Phys.) on appelle ainsi l’effet réel ou prétendu que les astres produisent sur la terre & sur les corps qu’elles renferment, ou qui la couvrent. Nous disons réel ou prétendu ; car d’une part il ne paroît pas que les étoiles & les planetes fort éloignées, puissent produire sur nos corps & sur notre tête aucun effet sensible, eu égard à leur petitesse ; de l’autre on ne peut douter de l’influence très-sensible du soleil, & même de la lune sur notre atmosphere. L’action de ces deux astres, de l’aveu de tous les philosophes, produit le flux & reflux de la mer ; or cette action ne peut agiter la mer sans passer auparavant par l’atmosphere, & sans y produire par conséquent des effets très-sensibles ; or on sait à quel point les changemens de l’atmosphere agissent sur les corps terrestres. L’influence du solell & de la lune sur ces corps, est donc très-réel & très-sensible ; il est vrai pourtant que celle du soleil l’est encore plus que celle de la lune, à cause de la chaleur de cet astre. Voyez Soleil, Lune, & Vent ; voyez aussi Astrologie.

Influence ou Influx des Astres, s. m. (Med. Physique générale, partie thérapeut.) Ce mot pris dans le sens le plus étendu, signifie une action quelconque des astres sur la terre & sur toutes ses productions ; la connoissance des effets qui sont censés résulter de cette action, ne nous regarde qu’autant qu’elle peut être de quelqu’utilité en Medecine, par le rapport de ces effets avec les plantes, les animaux, & surtout l’homme, objet noble & précieux de cette science. Nous ne considérons que sous ce point de vûe cette partie de l’Astronomie, qui est appellée plus particulierement Astrologie ; voyez ce mot. Nous ne pouvons nous empêcher d’être un peu longs, & d’entrer dans bien des détails sur une matiere célebre chez les anciens, regardée par eux comme très-importante, & fort discréditée chez la plûpart des medecins modernes.

L’influence des astres étoit un dogme fameux dans l’antiquité la plus reculée, dont on étoit persuadé même avant qu’on pensât à en connoître ou à en déterminer le cours. L’application de l’Astrologie à la Medecine est aussi très-ancienne ; elle eut lieu dans ces temps d’ignorance, où cette science encore dans son berceau, exercée par des dieux, n’étoit qu’un mêlange indigeste & bisarre d’un aveugle empyrisme & d’une obscure superstition. On voit dans quelques livres qui nous restent d’Hermès ou de Mercure, que toute sa medecine étoit principalement fondée sur l’Astrologie & sur la Magie. Quelques phénomenes trop évidens, & trop constamment attachés à la marche du soleil, pour qu’on pût en méconnoître la source, firent d’abord appercevoir une influence générale de cet astre sur notre globe, & ses phénomenes principaux & les plus apparens sont la lumiere, la chaleur, & la sécheresse. On vit en même tems combien les hommes, les animaux, & sur-tout les végétaux, étoient affectés par ces qualités, effets immédiats du soleil, par les variations qui y arrivoient, par leur diminution, ou par une privation sensible ; savoir l’obscurité, & sur-tout le froid & l’humidité. Cette influence assurément incontestable ne fixa pas beaucoup l’attention, peut-être le peu de sensation qu’elle fit, pouvoit être attribué à son trop d’évidence ; on ne tarda pas à la généraliser, on l’étendit d’abord à la lune, aux planetes, & enfin à toutes les étoiles fixes. On tourna bientôt en certitude les premiers soupçons que l’analogie, & peut-être quelques faits observés, firent naître sur l’influx lunaire. On fut beaucoup plus frappé de cette influence obscure, mal-constatée, peu fréquente, que de celle du soleil qui tomboit tous les jours sous les sens, & dont on ressentoit à tout moment les effets ; sans doute parce qu’elle fournissoit à l’esprit humain jaloux des découvertes, plus flatté de celles qui sont difficiles, d’ailleurs avide de dispute, des matieres abondantes de recherche & de discussion. On chercha dans cette action obscure de la lune la cause de tous les effets, dont on ignoroit la véritable source. L’ignorance en augmenta extraordinairement le nombre, & les esprits animés par quelque correspondance réellement observée entre quelques phénomenes de l’économie animale & les périodes de la lune, se livrerent à cet enthousiasme semillant, actif, qu’entraîne ordinairement le nouveau merveilleux, & que les succès animent, porterent cette doctrine à l’excès, & la rendirent insoutenable. La même chose arriva à l’égard des autres astres ; on leur attribua non-seulement la vertu de produire les maladies, ou d’entretenir la santé suivant leur différens aspects, leur passage, leur situation, &c. Mais on crut en même tems qu’ils avoient le pouvoir de régler les actions morales, de changer les mœurs, le caractere, le génie, la fortune des hommes. On les fit présider aux plus grands événemens, & on prétendit trouver dans leurs mouvemens la connoissance la plus exacte de l’avenir. Cette doctrine ainsi outrée, remplie d’absurdités, défigurée par les fables, le mensonge, la superstition, fut pendant longtems méprisée & négligée par les sçavans, & tomba en conséquence entre les mains des ignorans & des imposteurs, nation extrêmement étendue dans tous les tems, qui d’abord trompés eux-mêmes, tromperent ensuite les autres. Les uns aveugles de bonne foi, croyoient ce qu’ils enseignoient ; d’autres assez éclairés pour sentir le ridicule & le faux de leur doctrine, ne laissoient pas de la publier & de la vanter. Bien des gens font encore de même aujourd’hui, soit pour soutenir une réputation établie, soit dans l’esperance d’augmenter leur fortune aux dépens du peuple, & souvent des grands assez sots pour les écouter, les croire, les admirer & les payer. Une admiration stérile, illucrative, n’est pour l’ordinaire le partage que du vrai savant.

L’influence des astres étoit particulierement en vigueur chez les Chaldéens, les Egyptiens & les Juifs. Elle entroit dans la philosophie cabalistique de ces derniers peuples, qui pensoient que chaque planete influoit principalement sur une partie déterminée du corps humain, & lui communiquoit l’influence qu’elle recevoit d’un ange, qui étoit lui-même soumis à l’influence particuliere d’une splendeur ou sephirot, nom qu’ils donnoient aux émanations, perfections ou attributs de la divinité ; de façon, suivant cette doctrine, que Dieu influoit sur les splendeurs, les splendeurs sur les anges, les anges sur les planetes, les planetes sur l’homme. Voyez Cabale. Les cabalistes croyoient que tout ce qui est dans la nature, étoit écrit au ciel en caracteres hébreux ; quelques-uns même assuroient l’y avoir lu. Moyse, selon Pic de la Mirandole, avoit exprimé tous les effets des astres par le terme de lumiere, parce qu’il la regardoit comme le véhicule de toutes leurs influences. Ce fameux législateur eut beaucoup d’égard aux astres dans la composition de sa loi, & régla des cérémonies & des pratiques de religion, sur l’influence particuliere qu’il prêtoit aux uns & aux autres. Il ordonna que le jour du repos on préviendroit & l’on détourneroit par la priere & la dévotion les mauvaises influences de Saturne, qui présidoit au jour ; mit la défense du meurtre sous Mars, &c. Voyez Cabale ; & il est singulier qu’on remarque sérieusement, que Mars est plus propre à les produire qu’à en arrêter le cours.

Hippocrate le premier & le plus exact observateur, fit entrer cette partie de l’Astronomie dont il est ici question, dans la Medecine dont il fut le restituteur, ou pour mieux dire le créateur ; & il la regardoit comme si intéressante, qu’il refusoit le nom de medecin à ceux qui ne la possédoient pas. « Personne, dit-il dans la préface de son livre, de signific. vit. & mort. ne doit confier sa santé & sa vie à celui qui ne sait pas l’Astronomie, parce qu’il ne peut jamais parvenir sans cette connoissance à la perfection nécessaire dans cet art. Ceux au contraire, dit-il ailleurs, (l. de aer. aquis. & loc.) qui ont exactement observé les changemens de tems, le lever & le coucher des astres, & qui auront bien remarqué la maniere dont toutes ces choses seront arrivées, pourront prédire quelle sera l’année, les maladies qui régneront, & l’ordre qu’elles suivront ». C’est d’après ces observations qu’Hippocrate recommande, & qu’il a sans doute faites lui-même, qu’il a composé les aphorismes où sont très exactement classées les maladies propres à chaque saison, relativement aux tems, aux pluies, aux vents qui ont régné dans cette même saison & dans les précédentes. Voyez Aphorismes, lib. III. Mais ceux parmi les astres, dont l’influence lui paroît plus marquée & plus importante à observer, sont les pléyades, l’arcture & le chien ; il veut qu’on fasse une plus grande attention au lever & au coucher de ces étoiles, ou constellations, parce que ces jours sont remarquables, & comme critiques dans les maladies, par la mort, ou la guérison des malades, ou par quelque métastase considérable. lib. de aere, aquá. Et lorsqu’il commence la description de quelque épidémie, il a soin de marquer expressément la constitution de l’année, l’état des saisons, & la position de ces étoiles. Il avertit aussi d’avoir égard aux grands changemens de tems qui se font aux solstices & aux équinoxes, pour ne pas donner alors des remedes actifs, qui produiroient de mauvais effets. Il conseille aussi de s’abstenir en même tems des opérations qui se font par le fer ou le feu ; il veut qu’on les differe à un tems plus tranquille.

Galien, commentateur & sectateur zélé de la doctrine d’Hippocrate, a particulierement goûté ses idées sur l’influence des astres sur le corps humain. Il les a confirmées, étendues dans un traité fait ex professo sur cette matiere, & dans le cours de ses autres ouvrages. Il donne beaucoup plus à la lune que ne faisoit Hippocrate ; & c’est principalement avec sa période qu’il fait accorder ses jours critiques. Leur prétendu rapport avec une efficacité intrinseque des jours & des nombres supposés par Hippocrate, étant usé, affoibli par le tems, & renversé par les argumens victorieux d’Asclépiade. Galien n’eut d’autre ressource que dans l’influence de la lune pour expliquer la marche des crises ; & pour faire mieux appercevoir la correspondance des jours critiques fameux, le 7, le 14 & le 21, avec les phases de la lune, il imagina un mois médicinal, analogue au mois lunaire ; il donna par ce moyen à son système des crises, combiné avec l’influx lunaire, un air de vraissemblance capable d’en imposer, & plus que suffisant pour le faire adopter par des medecins qui ne savoient penser que d’après lui, & qui regardoient son nom à la tête d’un ouvrage, d’une opinion, comme un titre authentique de vérité, & comme la preuve la plus incontestable. Voyez l’article Crise. Il admettoit aussi l’influence des autres astres, des planetes, des étoiles, qu’il prouvoit ainsi, partant du principe que l’action du soleil sur la terre ne pouvoit être révoquée en doute. « Si l’aspect réciproque des astres ne produit aucun effet, & que le soleil, la source de la vie & de la lumiere, regle lui-seul les quatre saisons de l’année, elles seront tous les ans exactement les mêmes, & n’offriront aucune variété dans leur température, puisque le soleil n’a pas chaque année un cours différent. Puis donc qu’on observe tant de variations, il faut recourir à quelqu’autre cause dans laquelle on n’observe pas cette uniformité ». Comment. in secund. lib. prorrhetic. On ne sauroit nier que ce raisonnement de Galien ne soit très-plausible, très satisfaisant & très-favorable à l’influence des astres ; il indique d’ailleurs par-là une cause physique d’un fait dont on n’a encore aujourd’hui que des causes morales. Ce dogme particulier n’avoit besoin que de l’autorité de Galien, pour devenir une des lois fondamentales de la Médecine clinique ; il fut adopté par le commun des medecins, qui n’avoient d’autre regle que les décisions de Galien. Quelques medecins s’éloignant du chemin battu, oserent censurer cette doctrine quelquefois fausse, souvent outrée par ses partisans ; mais ils furent bientôt accablés par le nombre. Les medecins routiniers ont toujours souffert le plus impatiemment, que les autres s’écartassent de leur façon de faire & de penser. L’Astrologie devenant plus à la mode, la théorie de la Médecine s’en ressentit. Comme il est arrivé toutes les fois que la Physique a changé de face, la Médecine n’a jamais été la derniere à en admettre les erreurs dominantes ; les medecins furent plus attachés que jamais à l’influence des astres. Quelques-uns sentant l’impossibilité de faire accorder tous les cas avec les périodes de la lune, eurent recours aux autres astres, aux étoiles fixes, aux planetes. Bientôt ces mêmes astres furent regardés comme les principales causes de maladie, & l’on expliqua par leur action le fameux τὸ τεῖον d’Hippocrate, mot qui a subi une quantité d’interprétations toutes opposées, & qui n’est par conséquent pas encore défini. On ne manquoit jamais de consulter les astres avant d’aller voir un malade ; & l’on donnoit des remedes, ou l’on s’en abstenoit entierement, suivant qu’on jugeoit les astres favorables ou contraires. On suivit les distinctions frivoles établies par les astrologues des jours heureux & malheureux, & la Médecine devint alors ce qu’elle avoit été dans les premiers siecles, appellés tems d’ignorance ; l’Astrologie fut regardée comme l’œil gauche de la Medecine, tandis que l’Anatomie passoit pour être le droit. On alloit plus loin ; on comparoit un medecin destitué de cette connoissance à un aveugle qui marchant sans bâton, bronche à chaque instant, & porte en tremblant de côté d’autre des pas mal-assurés ; un rien le détourne, & il est dans la crainte de s’égarer : ce n’est que par hasard & à tâtons qu’il suit le bon chemin.

Les Alchimistes, si opposés par la nature de leurs prétentions aux idées reçues, c’est-à-dire au Galénisme, n’oublierent rien pour le détruire ; mais ils respecterent l’influence des astres, ils renchérirent même sur ce que les anciens avoient dit, & lui firent jouer un plus grand rôle en Medecine. Ils considérerent d’abord l’homme comme une machine analogue à celle du monde entier, & l’appellerent microcosme, μικρόκοσμος, mot grec qui signifie petit-monde. Ils donnerent aux visceres principaux les noms des planetes dont ils tiroient, suivant eux, leurs influences spéciales, & avec lesquelles ils croyoient entrevoir quelque rapport ; ainsi le cœur consideré comme le principe de la vie du microcosme, fut comparé au soleil, en prit le nom & en reçut les influences. Le cerveau fut appellé lune, & cet astre fut censé présider à ses actions. En un mot, on pensa que Jupiter influoit sur les poumons, Mars sur le foie, Saturne sur la rate, Venus sur les reins, & Mercure sur les parties de la génération. Les Alchimistes ayant supposé les mêmes influences des planetes ou des astres auxquels ils donnoient le nom, sur les sept métaux, de façon que chaque planete avoit une action particuliere sur un métal déterminé qui prit en conséquence son nom : ils appellerent l’or, soleil ; l’argent, lune ; le vif-argent, Mercure ; le cuivre, Venus ; le fer, Mars, & le plomb, Saturne. L’analogie qui se trouva entre les noms & les influences d’une partie du corps & du métal correspondant, fit attribuer à ce métal la vertu spécifique de guérir les maladies de cette partie ; ainsi l’or fut regardé comme le spécifique des maladies du cœur, & les teintures solaires passoient pour être éminemment cordiales ; l’argent fut affecté au cerveau ; le fer au foie, & ainsi des autres. Ils avoient conservé les distinctions des humeurs reçûes chez les anciens en pituite, bile & mélancholie : ces humeurs recevoient aussi les influences des mêmes planetes qui influoient sur les visceres dans lesquels se faisoit leur sécrétion, & leur dérangement étoit rétabli par le même métal qui étoit consacré à ces parties ; de façon que toute leur medecine consistoit à connoître la partie malade & la nature de l’humeur peccante, le remede approprié étoit prêt. Il seroit bien à souhaiter que toutes ces idées fussent aussi réelles qu’elles sont ou qu’elles paroissent chimériques, & qu’on pût réduire la Medecine à cette simplicité, & la porter à ce point de certitude qui résulteroient de la précieuse découverte d’un spécifique assûré pour chaque maladie ; mais malheureusement l’accomplissement de ce souhait est encore très-éloigné, & il est même à craindre qu’il n’ait jamais lieu, & que nous soyons toujours réduits à la conjecture & au tâtonnement dans la science la plus intéressante & la plus précieuse, en un mot où il s’agit de la santé & de la vie des hommes ; science qui exigeroit par-là le plus de certitude & de pénétration. Quelque ridicules qu’ayent paru les prétentions des Alchimistes sur l’influence particuliere des astres & sur l’efficacité des métaux, on a eu de la peine à nier l’action de la lune sur le cerveau des fous, on n’a pas cessé de les appeller lunatiques (σεληνιαζομένους) ; on a conservé les noms planétaires des métaux, les teintures solaires de Minsicht ont été long-tems à la mode, & encore aujourd’hui l’or entre dans les fameuses gouttes du général la Motte ; les martiaux sont toujours & méritent d’être regardés comme très-efficaces dans les maladies du foie ; & l’on emploie dans les maladies chroniques du poumon l’anti-hectique de Poterius, qui n’a d’autre mérite (si c’en est un) que de contenir de l’étain.

Ces mêmes planetes qui, par leur influence salutaire, entretiennent la vie & la santé de chaque viscere particulier, occasionnent par leur aspect sinistre des dérangemens dans l’action de ces mêmes visceres, & deviennent par-là, suivant les Alchimistes, causes de maladie ; on leur a principalement attribué celles dont les causes sont très-obscures, inconnues, la peste, la petite vérole, les maladies épidémiques & les fievres intermittentes, dont la théorie a été si fort discutée & si peu éclaircie. Les medecins qui ont bien senti la difficulté d’expliquer les retours variés & constans des accès fébrils, ont eu recours aux astres, qui étoient pour les medecins de ce tems ce qu’est pour plusieurs d’aujourd’hui la nature, l’idole & l’asyle de l’ignorance. Ils leur ont donné l’emploi de distribuer les accès suivant l’humeur qui les produisoit ; ainsi la lune par son influence sur la pituite étoit censée produire les fievres quotidiennes ; Saturne, à qui la mélancholie étoit subordonnée, donnoit naissance aux fievres quartes ; le cholérique Mars dominant sur la bile, avoit le district des fievres tierces ; enfin on commit aux soins de Jupiter le sang & les fievres continues qui étoient supposées en dépendre. Zacutus lusit. de medic. princip. D’autres medecins ont attribué tous ces effets à la lune ; & ils ont crû que ses différentes positions, ses phases, ses aspects, avoient la vertu de changer le type des fievres, & d’exciter tantôt les tierces, tantôt les quartes, &c. conciliat. de different. febr. 88. Pour compléter les excès auxquels on s’est porté sur l’influence des astres, on pourroit y ajouter toutes les fables de l’Astrologie judiciaire, voyez ce mot, les prédictions, les horoscopes, &c. qui ont pris naissance à la même source ; les noms que les poëtes avoient donné aux planetes, en divinisant, pour ainsi dire, les vertus ou les vices de quelques personnes, avoient donné lieu à ces délires des Astrologues, & faisoient penser que Saturne étoit mélancholique, Jupiter gai, Mars belliqueux. On renouvella les anciennes fictions sur les qualités de ces prétendus dieux, qu’on appliqua aux planetes qui les représentoient ; Venus fut libertine, & Mercure voleur. En conséquence, lorsqu’on se proposa de tirer l’horoscope de quelqu’un, on chercha quel astre avoit passé par le méridien dans l’instant de sa naissance ; & sur ce point déterminé, on conclut les qualités, l’état, les mœurs, la fortune future de cette personne ; de façon que si Mars avoit présidé à sa naissance, on pronostiqua du courage, & on assura que l’enfant prendroit le parti des armes. Celui qui naissoit sous Venus, devoit être porté pour les femmes, enclin au libertinage, &c. Tous ces caracteres décidés ne venoient que de l’influence d’un seul astre, & les caracteres composés étoient l’effet de l’influence compliquée de plusieurs astres ; par exemple, si Saturne & Mercure passoient ensemble par le méridien, c’étoit un signe que l’enfant seroit mélancholique & voleur, & ainsi des autres. On prétendit aussi lire dans les constellations les présages de longue vie. Du reste, on tâcha de s’accommoder au goût, au desir, aux penchans des parens. Enfin ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’on réussissoit assez souvent, & qu’on étoit en grand crédit ; tant il est facile de duper, de plaire, de se faire admirer par des prédictions, sur-tout quand on a l’esprit de ne pas les faire positives, & de les envelopper de quelque obscurité. L’enthousiasme étoit si outré pour ces Astrologues, que les rois de France, il n’y a pas encore deux siecles, en entretenoient plusieurs dans leur cour, les combloient d’honneur & de présens, & décidoient sur leurs oracles la paix, la guerre & tous les grands évenemens. Plusieurs savans & des medecins de réputation étoient entichés de ces idées, entr’autres le fameux Cardan, qui poussa fort loin cette prétendue science, & duquel il nous reste une grande quantité d’horoscopes : on assure que son entêtement étoit au point que pour satisfaire à son horoscope qui avoit fixé le jour de sa mort, il se fit mourir par une cruelle abstinence, à la quelle il se condamna lui-même.

Lorsque l’Astrologie ou la doctrine sur l’influence des astres eut été ainsi avilie, que tous ces abus s’y furent glissés, & que les fables les plus grossieres & les plus grandes absurdités eurent pris la place des véritables observations, les bons esprits abandonnerent ce dogme, & le renouvellement des Sciences le fit entierement disparoître. Les opinions nouvelles étant devenues l’idole à la mode, le seul titre d’ancienneté suffisoit aux systèmes pour le faire proscrire ; les medecins devinrent aussi inconsidérés contradicteurs des anciens qu’ils en avoient été pendant plusieurs siecles admirateurs aveugles ; l’influence des astres fut regardée comme une production frivole & chimérique de quelque cerveau affecté par la lune ; & enfin l’on bannit avec une scrupuleuse sévérité des écoles tout ce qui avoit rapport à cette doctrine, sans chercher à approfondir ce qu’il pouvoit y avoir de vrai & d’utile. Enfin, après que le pendule, emblème de l’esprit humain, eut vibré dans les extrémités opposées, il se rapprocha du milieu ; après qu’on se fut porté à ces excès de part & d’autre, l’attrait de la nouveauté dissipé & ses prestiges évanouis, on rappella quelques anciens dogmes, on prit un chemin plus juste & plus assuré sans suivre indistinctement tous les anciens dogmes ; on tâcha de les vérifier : quelques observations bien constatées, firent appercevoir au docteur Mead une certaine correspondance entre quelques phénomenes de l’économie animale & les périodes de la lune. Il suivit cette matiere, fit des recherches ultérieures, & se convainquit de la réalité d’un fait qu’on n’osoit plus soupçonner. Il communiqua ses idées dans une petite, mais excellente dissertation, dont le titre est de l’empire du soleil & de la lune sur le corps humain. Deux illustres medecins anglois, Goad & Kook, s’appliquerent ensuite à examiner le pouvoir & la force des planetes à produire les vents, les pluies & les autres variations dans l’atmosphere, en conséquence de leurs positions & de leurs aspects, soit avec la lune, soit principalement entre elles. Frédéric Hoffman assure avoir vérifié leurs observations, & les avoir trouvées conformes à l’expérience : dissert. de astror. influx. in corpore humano. Urbain Hierne, célebre chimiste de nos jours, a de nouveau introduit l’influence des astres dans la Chimie ; il prétend que les trois fameux principes, le sel, le soufre & le mercure dont tout corps visible & compréhensible est composé, résultent des mélanges des émanations des astres & de quelques élémens sublunaires : « La lumiere, dit il, être immatériel émané du soleil, parvenue sur la surface des planetes, se combine avec les vapeurs qui s’en élevent, avec l’eau supra-céleste qui entre dans leur composition, se matérialise par-là, & prend un caractere particulier encore indéterminé suivant les planetes qui la réfléchissent ». C’est de cette combinaison variée que viennent les différentes influences propres à chaque planete ; il regarde, avec Moïse, la lumiere comme leur véhicule ; mais avant de parvenir à la terre, cette lumiere déja matérialisée par l’union des atomes élevés des autres planetes, reçoit de nouvelles combinaisons dans la lune, qu’il appelle, d’après les anciens rabins, l’entonnoir de la nature, d’où elle est enfin renvoyée sur la terre, particulierement chargée de l’efficacité de cette planete secondaire qui se manifeste sur la mer, les saisons, les humeurs, les maladies, & les autres choses qui obéissent à la lune. C’est cette même lumiere qui, selon ce savant chimiste, s’unissant à la matiere éthérée, à l’air plus crasse, à l’eau qui y est contenue, ensuite à l’acide universel, forme le sel qu’il appelle astral, naturel, vierge. Des différentes solutions, décompositions & récompositions de ce sel résulte le soufre de l’univers, l’ame du monde, fils du soleil, &c. enfin l’union amicale de ces deux substances primitives donne naissance à une créature d’une nature particuliere, qu’il appelle mercure catholique. Voyez Mercure, Sel & Soufre ; voyez aussi l’ouvrage de Hierne, act. chimic. Holmiens. tom. I. cap. vj. avec les notes de Gotschalk Valerius. M. de Sauvages, fameux professeur en l’université de Medecine de Montpellier, fit soutenir dans ses écoles une thèse sur l’influence des astres, où il tâche, guidé par l’observation, à l’exemple de Mead, de prendre un juste milieu entre les éloges excessifs des Medecins astrologues & le mépris outré des nouveaux théoriciens.

Telle est à-peu-près l’histoire des vérités, des conjectures, des erreurs & des folies qui ont pris naissance de l’influence des astres ; histoire toujours curieuse & intéressante pour le philosophe, qui y voit retracé le tableau constant & varié des variations de l’esprit humain. Le medecin y découvre sous d’autres couleurs les mêmes scenes qui se sont passées à l’égard de plusieurs autres dogmes théoriques, & quelquefois, qui pis est, pratiques de Médecine. Quoique ces opinions ayent fait moins de bruit, quoique leur absurdité ait moins paru à découvert, les erreurs qui en sont provenues n’en ont été ni moins considérables, ni moins funestes ; & tel qui rit des prétentions ridicules des Astrologues, de leurs prédictions trompeuses, mais le plus souvent indifférentes à la santé, ne fait pas attention qu’il a des idées dominantes qu’il pousse à l’excès, & qui, quoique plus conformes à la façon présente de penser & de s’exprimer, sont souvent plus éloignées du vrai, & presque toujours plus dangereuses. Voyez Fermentation, Acrimonie, Epaississement, Saignée, Purgatifs, &c.

Nous allons tâcher, en suivant les traces des auteurs que nous avons cités en dernier lieu, d’examiner ce qu’il y a de positif dans l’influence des astres, de pénétrer dans ce puits profond où réside la vérité cachée & obscurcie par les fables, la superstition, &c. de séparer le vrai du faux, le certain de l’incertain, de retenir & de faire appercevoir ce qu’il peut y avoir d’utile & d’avantageux dans cette science. D’abord il n’est pas douteux que les astres ne produisent quelque effet sur la terre, sur l’air, sur les animaux. Quand ces effets ne seroient pas aussi évidens pour la plûpart qu’ils le sont, quand l’action réciproque des astres ne seroit pas connue, la croyance presque continuelle de tous les peuples, de tous les savans, de tous les medecins, me paroît, en faveur de cette doctrine, l’argument le plus incontestable. Il est en effet moralement impossible qu’un dogme constamment & universellement soutenu pendant plusieurs siecles par des physiciens de différentes sectes, combattu ensuite & abandonné, & enfin rétabli de nouveau, ne soit pas foncierement vrai ; le faux, sur-tout en matiere de science, n’a que des partisans passagers, le vrai seul peut arracher un consentement unanime ; ou si les préjugés ou quelque attrait de nouveauté le font disparoître, si quelque mensonge mélé l’altere, le cache à nos yeux, ce n’est que pour un tems, il ne tarde pas à percer les nuages qui l’obscurcissoient. Mais la lumiere du soleil, des astres, frappe tous les jours les yeux ; la chaleur, le froid, la sécheresse, l’humidité, les vents, la pluie, les météores, ne cessent de nous affecter ; accoutumés à ces impressions, nous en sommes peu frappés, & nous négligeons d’en pénétrer les causes. Ces effets sont incontestablement dûs à l’opération du soleil vraissemblablement jointe à celle des planetes plus voisines. La gravitation mutuelle des planetes est un phénomene dont il n’est plus permis de douter, quoiqu’on en ignore la cause ; l’effet qui résulte de cette gravitation sur la terre & sur ses productions, est un nouveau moyen d’influence. Ces effets, beaucoup plus sensibles de la part de la lune dont la proximité & la vîtesse, relativement à la terre, compensent au-delà le défaut de masse, sont très-manifestes sur la mer par le flux & reflux qu’elle éprouve ; comment est-ce que l’homme, la machine la plus sensible, la plus impressionnable, ne seroit-il pas affecté par une force qui fait une impression très-marquée sur les corps les plus bruts, les moins doués de sentiment, sur l’air, l’eau & la terre ? Les observations sont ici d’accord avec le raisonnement. Parmi le grand nombre que les fastes de la Medecine nous offrent, nous choisirons les plus constatées & les plus récentes ; celles-ci ne pourront point être soupçonnées d’être dictées par la prévention & les préjugés.

Nous distinguons auparavant avec M. de Sauvages, trois especes d’influence ; savoir, l’influence morale, physique & méchanique ; nous appellons influence morale, cette vertu mystérieuse, fondement de l’Astrologie judiciaire (voyez ce mot), attribuée aux planetes & aux étoiles fixes, de décider & de régler le sort, la fortune, les mœurs, le caractere, &c. des hommes en conséquence d’un aspect particulier, du passage au méridien dans un tems marqué, &c. c’est sur cette influence que portent les prédictions, les horoscopes, les devinations, qui ont rapport aux choses fortuites, aux événemens volontaires ou regardés comme tels, &c. Nous n’ignorons pas que ces oracles, semblables à ceux que rendoient anciennement les Sibylles, sont le plus souvent susceptibles d’une double interprétation, très-obscurs, & quelquefois aussi faux ; mais nous savons en même tems que quelquefois ils ont rencontré très-juste, en entrant même dans des détails très-circonstantiés. Nous tenons d’un prélat respectable l’histoire d’une femme, à qui un tireur d’horoscope détailla avec la derniere exactitude les moindres particularités de sa vie passée & future ; & tout ce qu’il lui dit, soit sur le passé, soit sur l’avenir, se trouva entierement conforme à la vérité : le prélat qui m’a raconté ce fait, en a été lui-même témoin oculaire, & toute une grande ville a vû avec surprise toutes les prédictions s’accomplir ponctuellement. Il y a bien d’autres semblables faits aussi-bien constatés que le philosophe spéculatif traite d’erreurs populaires ; il les méprise, ne les approfondit point, & les déclare impossibles, parce qu’il n’en voit point les raisons. Pour nous, nous nous contenterons d’exposer les faits sans hazarder un jugement qui ne pourroit qu’être inconsidéré, n’étant point appuyé sur des raisons suffisantes qui en démontrent l’impossibilité, sachant d’ailleurs qu’il est bien prouvé que des fous, dans des violens accès de manie, ont pû lire dans l’avenir, & que les événemens ont ensuite confirmé ce qu’ils avoient annoncé dans cet état. Voyez Manie. Nous ne nous arrêterons pas davantage à cette influence, parce que nous n’en appercevons aucune utilité pour la Medecine, point auquel nous rapportons tous nos travaux.

L’influence que nous avons nommée physique, est cette action des astres, dont les effets sont manifestés sur l’air avant d’affecter le corps, & qui même ne l’affectent le plus souvent qu’en conséquence des variations qui sont excitées dans l’atmosphere. On pourroit appeller cette influence, météorologique médiate ; la cause & le méchanisme en sont inconnus ; les phénomenes qui en résultent, peuvent seuls la rendre sensible.

Nous donnons le nom d’influence méchanique à celle qu’on croit dépendre & suivre les lois de cette tendance mutuelle qu’ont tous les astres les uns à l’égard des autres, connue sous le nom de gravitation, expliquée par divers physiciens, tantôt par les tourbillons, & tantôt par l’attraction. Nous allons entrer dans quelque détail sur ces deux especes d’influences, dont la réalité & les avantages paroissent assez constatés.

Influence physique du soleil. I. Le soleil est de tous les astres celui dont l’action physique sur les hommes est la plus apparente : personne n’ignore que la lumiere & la chaleur en sont les effets primitifs ; mais ces mêmes effets, & sur-tout la chaleur, deviennent encore la source d’un grand nombre d’autres phénomenes ; ou pour parler avec plus d’exactitude, cette même cause (qu’on croit être le mouvement) qui donne lieu à la lumiere & à la chaleur, produit aussi d’autres effets ; car ni la lumiere ni la chaleur ne sont dans les corps appellés lumineux & chauds ; ce sont des sensations particulierement modifiées dans les yeux & dans l’organe du toucher : le soleil considéré comme influant physiquement sur la terre, peut être regardé comme un feu immense, successivement placé dans des distances & des positions différentes, soit par rapport à toute la terre, soit relativement à quelques contrées. Les effets en sont par-là plus variés & par conséquent plus sensibles ; une tranquille & constante uniformité frappe rarement, & n’excite pas à chercher la cause ; le soleil entant que lumineux, ne cesse jamais d’agir sur la terre en général ; mais il y a toujours quelques parties qui ne sont point éclairées ; la partie antipode de celle qui reçoit directement les rayons du soleil, est dans l’obscurité, tandis que celle-ci jouit du spectacle brillant & utile de la lumiere ; le mouvement de la terre sur son axe présente pendant les vingt-quatre heures successivement toutes les parties de la terre au soleil, & occasionne par-là dans elles une alternative de lumiere & d’obscurité, sur laquelle porte la distinction frappante du jour & de la nuit. Pour appercevoir les effets de la lumiere sur l’homme & sur les animaux, qu’un physicien porte des yeux attentifs sur tout ce qui suit les lois de la simple nature dans ces chaumieres rustiques, où l’art n’est point encore venu la maîtriser & la plier à ses caprices ; il verra lorsque le jour a fait place à la nuit, tous les travaux interrompus, le ramage des oiseaux suspendu, les vents appaisés, tout en un mot annoncer & préparer un sommeil tranquille & restaurant, encore attiré par un travail pénible, bien différent & bien au-dessus de cette ombre de sommeil qui vient languissamment sur les pas de la mollesse & de l’indolence, que la lumiere du jour auquel on l’a différé, interrompt & trouble, & qui ne peut être profond que lorsque l’obscurité la plus parfaite peut en quelque façon ressembler à la nuit. Mais lorsque l’aurore naissante ramene la lumiere, & annonce le retour prochain du soleil, voyez tous les oiseaux témoigner par leurs chants l’impression qu’ils en ressentent ; le coq bat des aîles & leve ses cris perçans jusqu’aux cieux ; le sommeil se dissipe, le jour paroît, & le regne du travail commence. Voyez Jour, Nuit & Lumiere.

Le medecin apperçoit dans les personnes que quelques maladies rendent plus sensibles, des preuves évidentes de l’action de la lumiere ; les maniaques, par exemple, les phrénétiques, les typhomaniaques, ceux qui sont dans quelqu’accès d’hydrophobie, & ceux enfin qui ont mal aux yeux, sont pour l’ordinaire blessés par la lumiere ; les ténebres leur sont infiniment plus favorables ; la lumiere rend les délires plus fougueux, l’obscurité les appaise ; c’est pourquoi il est très-important d’y placer ceux qui sont attaqués de ces maladies, précaution que recommandoient spécialement les méthodiques. Baillou raconte que madame de Varades étant malade, tomba dans une syncope violente dans l’instant de l’immersion du soleil dans une éclipse, & qu’elle en revint naturellement lors de l’émersion, que le soleil recouvra sa lumiere. Il n’est personne qui n’ait éprouvé en écrivant, en composant, combien la lumiere & les ténebres influent diversement sur les idées & sur la maniere de les énoncer. Nous voyons enfin dans bien des maladies, la mort survenir, ou quelque changement considérable se faire au lever & au coucher du soleil. Ramazzini dit avoir observé des fievres épidémiques qui redoubloient vivement sur le soir vers le coucher du soleil, de façon que les malades étoient extrèmement abattus, presque mourans ; ils passoient dans cet état toute la nuit ; mais ils en sortoient promptement dès que le soleil paroissoit sur l’horison, & ils pouvoient se lever & se promener. Constit. épidem. ann. 1691. Voyez Lumiere, Soleil, &c.

Les effets du soleil, comme principe de la chaleur, sont beaucoup plus grands, plus étendus, & mieux constatés ; c’est avec raison qu’on l’appelle la source de la vie, de toutes les productions de la terre ; c’est sur-tout par elle que les plantes vivent, végetent ; les animaux mêmes ne peuvent s’en passer ; une privation trop prompte & trop sensible produit beaucoup d’incommodités. Voyez Froid. Lorsqu’elle est aussi poussée à l’excès contraire, elle entraîne de grands inconvéniens. Voyez Chaleur, Feu. Les effets de la chaleur sur les corps ne sont jamais plus marqués & plus mauvais que lorsqu’on s’expose en repos aux rayons directs du soleil, & sur-tout ayant la tête découverte ; d’abord la peau devient érésipélateuse, ensuite noire, un mal de tête affreux survient, on tombe dans le délire, ou dans un assoupissement mortel ; c’est ce qu’on appelle coup de soleil. Voyez ce mot à l’article Soleil. La chaleur que nous éprouvons du soleil varie beaucoup, suivant qu’elle est directe ou réfléchie, suivant les distances, l’obliquité des rayons, la quantité & la direction des points qui réfléchissent ; de-là naissent les différences de chaleur, à l’ombre ou au soleil, dans les plaines, dans les vallées, ou sur les hautes montagnes ; de-là aussi les distinctions des saisons : dans la position où nous sommes, les plus grandes chaleurs se font ressentir dans le tems où le soleil est le plus éloigné, mais où l’obliquité de ses rayons est moins grande. Voyez Saisons, Été, Automne, & Printems. Tout le monde sait par expérience l’influence des saisons sur l’homme ; les maladies qui en dépendent sont exactement classées par Hippocrate ; & les Medecins observateurs qui l’ont suivi, ont bien remarqué qu’il y avoit des maladies particulieres à chaque saison, & que les maladies qui passoient d’une saison à une autre, changeoient de génie, de type, de caractere, & demandoient souvent une méthode curative différente. Voyez sur-tout Fievre intermittente. La chaleur influe non seulement sur nous par une action immédiate, c’est-à-dire lorsqu’elle est trop forte en augmentant la transpiration, la sueur, en occasionnant des foiblesses, lassitudes, langueurs, en efféminant, ramollissant les vaisseaux, animant le mouvement intestin du sang, rendant les sommeils inquiets & la respiration lente, hâtée, laborieuse ; mais encore par les effets qui la suivent lorsqu’elle est appliquée à la terre, à l’eau, aux végétaux, &c. On n’a pour s’en convaincre, qu’à voir ce qui se passe lorsque les rigueurs de l’hiver sont dissipées, qu’un printems gracieux lui succede, & enfin lorsque les ardeurs de l’été se font ressentir ; d’abord on voit toutes les plantes sortir de la terre, renaître, fleurir, embaumer l’air de leurs parfums, le rendre & plus sain & plus délicieux ; les vapeurs élevées pendant le jour retombent le soir en sérain, & le matin en rosée, & humectent de nouveau la terre ; mais lorsque le brûlant sirius paroît, les vapeurs élevées avec plus de force & en plus grande abondance, deviennent la matiere des orages, des pluies, des tonnerres, des éclairs, &c. la terre cependant devient aride, les marais se dessechent, les exhalaisons les plus mauvaises s’en élevent & se répandent dans l’air ; les animaux morts se pourrissent promptement, & infectent l’atmosphere de miasmes contagieux ; les rivieres & les fontaines abaissées fournissent une eau moins salutaire ; les vins tournent dans les caves ; les alimens sont moins bons, digérés avec plus de peine, &c. de-là viennent toutes ces especes de fievres ardentes, inflammatoires, pétéchiales, pourprées, malignes, &c. les dissenteries, diarrhées bilieuses, la peste enfin, & les maladies épidémiques ; ces accidens seroient encore bien plus grands, si les fruits que produit alors la terre n’en prenoient une grande partie ; nous avons successivement les cerises, les fraises, les prunes, les poires, les melons, les concombres, les pêches, les figues, les raisins, les aséroles, &c. lorsque ces fruits manquent, ou qu’ils sont viciés, ou enfin lorsqu’on en fait des exces, les maladies sont plus mauvaises & plus fréquentes.

Sans m’arrêter à beaucoup d’autres exemples, je me contenterai de faire observer combien on pourroit tirer de lumieres d’une observation exacte des effets de la chaleur ; on pourroit se présenter d’avance le tableau des maladies qui régneront, du caractere générique qu’elles affecteront ; la connoissance qu’on auroit de ces maladies seroit bien plus exacte, & la pratique plus sure. On ne peut qu’applaudir au zele des Medecins qui s’appliquent aux observations météorologiques, tels que les Medecins d’Edimbourg & l’auteur du journal de Medecine à Paris. On pourroit seulement exiger un peu plus de détails, & qu’à mesure qu’on raconte, on fît les applications nécessaires qui se présentent, & sur-tout qu’on comparât les résultats avec ceux d’Hippocrate.

Influence physique de la lune. On a absolument rejetté toute influence de la lune, excepté celle qui dépend de sa gravitation, que nous avons appellée méchanique ; & lorsque les femmes ont objecté qu’elles s’appercevoient que les rayons de la lune brunissoient leur teint, on a fait des expériences pour chercher l’explication d’un fait qui paroissoit assez constaté par la relation des femmes dans un point le plus intéressant pour leur vanité ; on exposa un miroir ardent aux rayons de la lune, qu’on ramassa de façon à leur donner un éclat prodigieux, on mit au foyer un thermometre extrèmement mobile, la liqueur n’en reçut aucune impression, ne monta pas sensiblement ; on en conclut avec raison que les rayons de la lune n’étoient pas capables de produire de la chaleur ; & sur cela on décida qu’ils ne pouvoient pas brunir, & qu’ainsi l’observation des femmes étoit une de ces erreurs populaires que le philosophe doit nier lorsqu’il ne sait pas les expliquer ; il eût été plus sage de bien constater le fait, d’en chercher une autre cause, ou de le croire sans l’approfondir, sans en pénétrer la cause, comme l’on fait dans bien d’autres cas. Voici quelques autres observations qui démontrent cette action physique de la lune, dûe vraissemblablement à sa lumiere : la lumiere ne seroit-elle qu’une émanation ? seroit-elle, comme l’a pensé Hierne, combinée, lorsqu’elle sort de la lune, avec quelques vapeurs, avec quelques corps étrangers ? quoi qu’il en soit, voici le fait. Mathiolus Faber rapporte qu’un jeune mélancholique quelques jours avant l’éclipse de lune, devint plus triste, plus sombre qu’à l’ordinaire, & qu’au moment de l’éclipse il devint furieux, courant de côté & d’autre dans sa maison, dans les rues & les carrefours, l’épée à la main, tuant & renversant tout ce qu’il trouvoit sur ses pas, hommes, animaux, portes, fenêtres, &c. Miss. natur. curiosor. in appendic. dec. II. ann. 19. pag. 49. Baillou raconte qu’en 1691, vers le solstice d’hiver, il y avoit beaucoup de fluxions, de morts subites, especes d’apoplexies, & de sueurs angloises. Au mois de Décembre pendant la nuit, il se fit des changemens inouis, incroyables ; les corps les plus sains étoient languissans ; les malades sembloient tourmentés par des démons, prêts à rendre l’ame ; il n’y avoit d’autre cause apparente qu’une éclipse ; « & comme nous ne l’appercevions pas, ajoute Baillou, nous ne pouvions assez nous étonner de tout ce que nous voyions, nous en ignorions absolument la cause ; mais ces délires soudains, les convulsions inattendues, les changemens les plus considérables & les plus prompts qu’on observa cette nuit dans les maladies, nous firent bien connoître que tous ces troubles étoient excités par les affections du soleil, de la lune & du ciel ». Ramazzini a aussi observé le danger que couroient les malades pendant les éclipses ; il remarque qu’une fievre pétéchiale, épidémique, dont il donne la description, étoit beaucoup plus fâcheuse après la pleine lune & dans les derniers quartiers, & qu’elle s’appaisoit vers la nouvelle lune ; mais que pendant une éclipse de lune tous ces malades mouroient. Constit. annor. 1692 & 1693. On voit là quelques raisons qui justifient la crainte excessive que certains peuples avoient des éclipses, comme d’un signe de malheurs, opinion qui aussi a été appliquée aux cometes, peut-être pas sans fondement. On observe en Amérique, 1°. que le poisson exposé à la lueur de la lune, perd son goût, & devient mollasse ; les Espagnols l’appellent allunado. 2°. Que les mulets qu’on laisse coucher à la lune dans les prés, lorsqu’ils sont blessés, perdent l’usage de leurs membres, & la blessure s’irrite, ce qui n’arrive pas dans d’autres tems. 3°. Que les hommes qui dorment à la lune sont brisés & rompus à leur réveil ; les plus vigoureux n’y résistent pas : ces faits m’ont été attestés par un témoin oculaire, qui m’a rapporté qu’un de ses amis ajoutant peu de foi à ce que lui racontoient les habitans du pays, s’offrit de passer la nuit à sa fenêtre, bien exposé aux rayons de la lune ; il le fit en effet, & paya bien cher son incrédulité & sa fanfaronnade ; il resta pendant sept à huit jours sans pouvoir remuer ni piés ni mains. Il est fait mention dans les mélanges des curieux de la nature (dec. 1. ann. 1. observ. 19.), d’un vertige excité par les rayons de la lune. Il seroit à souhaiter que des observateurs éclairés & attentifs, s’appliquassent à vérifier & à confirmer ces observations ; peut-être dans le tems des éclipses pourroit-on prévenir les grands accidens qu’elles occasionnent. Dans ces pays les promenades à la lune sont moins nuisibles qu’en Amérique, les amans seuls se plaignent de cette incommode clarté ; si l’on s’y enrhume quelquefois, ou si l’on y prend des douleurs, on ne manque pas de les attribuer au serein ; est-ce avec raison ? ne tomberoit-il pas plus abondamment pendant que la lune luit ?

Influence physique des autres astres. Il ne vient absolument point de chaleur des planetes ni des étoiles fixes ; la lumiere qui s’en échappe est très-foible, très-peu propre à faire quelqu’impression sensible ; nous n’en voyons aussi aucun effet : la production des vents, de la pluie, &c. que Goad & Kook leur attribuent, si elle est réelle, vient sans doute de leur gravitation, & par consequent est une influence méchanique dont il sera question plus bas. L’influence physique des cometes mérite plus d’attention, quoiqu’elle soit assurément dépourvue de toute utilité ; ces especes de planetes peuvent s’approcher d’assez près de la terre pour lui faire éprouver & à ses habitans l’activité de leur influence. Voyez les ingénieuses conjectures de M. de Maupertuis. Voyez l’article Comete.

Influence méchanique du soleil. II. Cette influence est fondée sur l’action constante qui porte les planetes les unes vers les autres, & toutes vers le soleil, qui est à son tour attiré par chacune ; l’influence méchanique du soleil sur la terre n’est point un probleme, c’est un fait très-décidé ; c’est en obéissant à cette influence que la terre résistant à chaque point à sa force de projection, est comme obligée de former une courbe autour du soleil ; ses effets, quoique très réels sur l’homme, sont trop constans & trop nécessaires pour être beaucoup sensibles ; le mouvement de rotation de la terre ne fait de même sur eux aucune impression, cette influence croissant en raison inverse des quarrés des distances est dans certains tems beaucoup plus forte que dans d’autres. Les différences les plus remarquables s’observent aux solstices & aux équinoxes ; dans ces tems précisément on a apperçu quelques phénomenes, quelques variations dans les maladies, qu’on a jugé inexplicables, & tout de suite fausses, & qui pourroient vraissemblablement être rapportées à cette cause. Le tems des équinoxes est fort contraire aux phtisiques, aux hectiques, à ceux qui sont dans des fievres lentes ; & les maladies chroniques qui tombent dans ce tems éprouvent des changemens subits qui les terminent ordinairement par la mort ou par la santé ; & il est rare que les troubles qui s’excitent alors, ne soient pas funestes aux malades. Frider. Hoffman, dissert. citat. Sanctorius a observé que dans le tems du solstice d’hiver, notre transpiration étoit moindre d’une livre que dans tout autre tems. Medicin. static. Hippocrate, comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, veut que pendant les dix jours du solstice d’été, on s’abstienne de tout grand remede, qu’on ne coupe ni ne brûle, &c. & assure que ce défaut de précaution n’est pas sans inconvénient.

Influence méchanique de la lune. L’action méchanique de la lune sur la terre, est incontestablement prouvée par le flux & reflux de la mer ; & c’est surtout de la correspondance exacte du flux & reflux avec les périodes lunaires, qu’on est parti pour établir que la lune est la cause principale de ce phénomene ; ainsi des observations qui démontreroient la même réciprocité entre les phénomenes de l’économie animale & les phases & mouvemens de la lune, seroient une preuve évidente de l’influence méchanique de la lune sur le corps. Je passe sous silence les preuves physiques qu’on pourroit tirer du reflux de l’air, des changemens qui y arrivent alors, & de l’action de l’air sur le corps humain (Voyez Air), les raisons d’analogie qui seroient d’ailleurs suffisantes ; car qui est-ce qui niera que notre machine soit attirable ou compressible ? Toute la classe des végétaux pourroit encore fournir des traits d’analogie convainquans ; le laboureur & le botaniste ont également observé que la lune avoit un empire très-étendu sur la fécondité des plantes ; c’est aussi une regle invariable chez les paysans, soutenue par une tradition constante, & par-là même respectable, d’avoir égard pour semer les grains aux phases de la lune ; ils ont remarqué que les arbres plantés en pleine lune portoient assez promptement des fruits, mais petits & graveleux ; & qu’au contraire, ceux qui étoient mis en terre pendant la pleine lune, portoient des fruits beaucoup plus tardifs, mais aussi bien supérieurs en beauté & en délicatesse ; la transplantation même des arbres ne se fait jamais avec plus de succès que pendant les premiers quartiers de la lune : on s’est aussi apperçu que les plantes semées dans le déclin de la lune poussoient des racines très longues & très-multipliées, & celles qu’on semoit en pleine lune, étoient chargées de très belles fleurs : ces précautions ne sont point indifférentes à l’égard de plusieurs plantes, le fleuriste pourroit sur-tout en tirer bien des avantages ; il n’est personne qui ne sache que la coupe des bois demande les mêmes attentions ; que ceux qui sont coupés dans la pleine lune pourrissent bien-tôt, & sont moins propres à servir aux bâtimens que ceux qui ont été coupés dans la vieille lune.

Joignons à toutes ces preuves les observations propres qui établiront la même influence sur le corps humain, & qui sont d’autant plus convainquantes qu’elles ont été faites la plûpart par des medecins qui ajoûtoient peu de foi à l’influence des astres, ou qui la négligeoient entierement.

1°. Le retour périodique des regles dans les femmes, est si exactement d’accord avec le mois lunaire, qu’il y a eu presqu’une voix sur ce point dans tous les siecles, chez tous les medecins & chez les femmes même ; les maladies qui dépendent de quelque vice dans cette excrétion (classe fort étendue à laquelle on peut rapporter la plûpart des maladies des femmes), suivent souvent avec une extrème régularité les mêmes périodes. Charles Pison raconte qu’une fille fut pendant tous le printems tourmentée de symptômes d’hystéricité qui commençoient aux approches de la pleine lune, & ne cessoient que vers la fin du dernier quartier. On a observé que les hémorrhoides avoient aussi ces périodes communs avec l’évacuation menstruelle.

2°. Maurice Hoffman dit avoir vu une jeune fille âgée de quatorze ans, née d’une mere épileptique, à qui le ventre enfloit tous les mois à mesure que la lune croissoit, & diminuoit en même tems que la lune alloit en décroissant. (miscell. nat. curios. ann. 6. observ. 161.) On assure que les huitres sont beaucoup plus grosses & les coquillages plus remplis pendant la nouvelle & la pleine lune, que pendant les derniers quartiers au déclin. Gelle, témoin oculaire de ce fait, prétend l’avoir vu s’opérer de même dans bien d’autres animaux, qui engraissoient & maigrissoient successivement selon que la lune étoit nouvelle ou vieille. Hippocrate pense que les femmes conçoivent principalement dans la pleine lune. Voyez Hoffman, dissertation citée.

3°. Les maladies nerveuses sont très-souvent conformes aux périodes lunaires. Il y a une foule d’observations qui justifient le nom de lunatiques, qu’on a donné aux épileptiques & aux maniaques ; Galien, Cælius Aurelianus, Pitcarn, ont principalement observé cette uniformité. Méad rapporte l’histoire d’un jeune enfant attaqué de convulsions, qui étant revenues à la pleine lune, suivirent si exactement les périodes de la lune, qu’elles répondoient tous les jours au flux & reflux de la mer ; de façon que lorsque les eaux venoient couvrir le rivage, l’enfant perdoit l’usage de la voix & de tous ses sens, & lorsque les eaux s’en retournoient, l’enfant revenoit entierement à lui ; il resta pendant quatorze jours dans cet état jusqu’à la nouvelle lune. (de imper. solis & lun. pag. 169.) Pitcarn a observé un chorea sancti Viti aussi régulierement périodique. Charles Pison parle d’une paralysie, que la nouvelle lune ramenoit tous les mois. Tulpius a vu un tremblement, dont les accès étoient correspondans au flux & reflux de la mer, à la lune, & quelquefois au soleil. Un medecin de Paris m’a communiqué depuis quelques jours un mémoire à consulter pour un épileptique, dont les accès reviennent pendant la vieille lune.

4°. On trouve dans les éphémerides des curieux de la nature, une quantité d’exemples de maux de tête, de vertiges, de blessures à la tête, d’affections épidémiques, de fievres malignes, de diabetes, de maladies exhantématiques, &c. qui démontrent l’influence méchanique de la lune sur le corps. Synops. ad litter. lunæ. Voyez Sauvages de influx. syder. Il y est aussi fait mention de deux somnambules, dont l’un tomboit dans ses accès dans le tems de la pleine lune, & les paroxysmes de l’autre étoient correspondans aux phases de la lune.

5°. Il arrive aussi quelquefois que les redoublemens dans les maladies aiguës suivent les alternatives du flux & reflux ; & cela s’observe principalement dans les villes maritimes. Charles Pison dit que les malades se trouvoient très-mal lorsque le flux de la mer se rencontroit dans la pleine lune ; c’est un fait connu, dit-il, que plusieurs sont morts pendant le tems du reflux ; mais pour l’ordinaire, les douleurs, suivant le rapport des malades, & les symptomes redoubloient pendant six heures que dure le flux, & le reflux amenoit une intermission plus ou moins parfaite. Dans la fievre pétéchiale, épidémique, qui régnoit à Thuringe en 1698 & 1699, on apperçut beaucoup d’altération dans les maladies correspondantes aux lunaisons pendant l’hiver & l’autonne ; & au printems, presque tous les fébricitans mouroient très-promptement pendant les derniers quartiers de la lune, tandis que ceux qui étoient malades pendant la nouvelle lune & les premiers quartiers, se rétablissoient très-bien & en peu de tems.

6°. De toutes les maladies celles qui m’ont paru répondre avec plus de régularité aux périodes lunaires, sont les maladies cutanées. J’ai été sur-tout frappé d’une teigne, dont j’ai détaillé l’histoire dans le Journal de Médecine, année 1760, mois d’Avril. Elle couvroit tout le visage & la poitrine, occasionnoit des demangeaisons insoutenables, quelquefois des douleurs très-vives pendant la vieille lune, présentoit un spectacle affreux. Tous ces symptomes se soutenoient jusqu’à la nouvelle lune ; alors ils disparoissoient peu-à-peu ; le visage s’éclaircissoit insensiblement, & se dépouilloit de toutes croûtes, qui se desséchoient jusqu’à la vieille lune, où tout recommençoit de nouveau. J’ai été témoin pendant plus de trois mois de cette alternative marquée. J’ai vu la même chose arriver fréquemment dans la gale ; & plusieurs personnes ont observé que la gale augmentoit vers la pleine lune ; que lors même qu’elle étoit guérie, il en reparoissoit vers ce tems-là quelques pustules, qui se dissipoient ensuite périodiquement. Je n’ai point eu occasion de répéter les mêmes observations sur les autres maladies ; je ne doute pas qu’on n’apperçût aussi les mêmes correspondances. C’est un vaste champ ouvert aux observateurs zélés pour l’embellissement & la perfection de la Medecine ; on pourroit constater les observations déjà faites, y en ajoûter d’autres, les pousser plus loin. Il reste encore à déterminer les variétés qui naissent des différentes phases, des conjonctions, des aspects de la lune avec le soleil & les autres astres ; peut-être les différentes maladies ont un rapport plus immédiat avec certaines phases, certaines positions de la lune qu’avec d’autres. Bennet prétend avoir observé que les maladies qu’il croit provenir d’une matiere saline, telles que sont les douleurs, les demangeaisons, les maladies exanthématiques, &c. augmentoient beaucoup pendant les premiers quartiers de la lune, & sur-tout les deux ou trois nuits qui précédoient la nouvelle lune. Ce même auteur assure que pendant la vieille lune, la lymphe & les humeurs s’accumulent dans le corps, parce qu’alors il voit, dit-il, une augmentation sensible dans toutes les maladies séreuses, humorales ; dans la cachexie, l’hydropisie, les fluxions, les catarrhes, asthmes, paralysies, &c. Quelques incomplettes que soient les observations que nous avons sur cette matiere, on peut en déduire ces canons thérapeutiques ; que dans les maladies soumises aux influences de la lune, lorsque la position ou les phases de la lune, sous lesquelles se font les redoublemens, sont prochaines, il faut appliquer quelque remede actif qui puisse prévenir ou calmer l’intensité des symptomes, il faut s’abstenir de tout remede pendant le tems du redoublement. C’est dans le tems de l’intermission qu’il convient de placer les remedes appropriés ; j’ai suivi avec beaucoup de succès cette méthode, dans le traitement de la teigne dont j’ai parlé plus haut. On assure que les médicamens donnés dans les écrouelles sur le déclin de la lune, réussissent beaucoup mieux qu’en tout autre tems ; que dans les affections de la tête, des nerfs, dans l’épilepsie, les malades se trouvent beaucoup soulagés de l’usage des nervins, céphaliques, anti-épileptiques, pendant les changemens de lune. Un illustre medecin de cette ville a eu égard aux périodes de la lune, dans l’administration des remedes pour un épileptique, dont j’ai parlé ci-dessus. Frédéric Hoffman recommande aux calculeux de prendre trois ou quatre bulbes ou gousses d’ail à chaque quartier de la lune. Je ne dois point oublier d’avertir, qu’en rapportant ces observations, en recommandant d’avoir égard aux astres dans l’administration des remedes, je n’ai point prétendu donner des regles invariables, & rigoureusement démontrées, & dont on ne peut s’écarter sans des inconvéniens très-graves. J’ai eu principalement en vûe d’exciter les medecins à constater ces observations ; & j’ai toujours pensé que dans les cas pressans, & où l’expectation pourroit être nuisible, il falloit peu faire attention si la position des astres étoit salutaire ou nuisible, suivant cette maxime observée chez les anciens, que astra inclinant, non necessitant ; il faudra appliquer la même chose à l’influence des autres planetes dont nous allons parler.

Influence méchanique des autres astres. Ni le raisonnement, ni l’expérience permettent d’attribuer aux étoiles fixes quelqu’action méchanique sur le corps humain ; l’une & l’autre s’accordent au contraire à établir l’influence méchanique des planetes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter & Saturne. Ces corps célestes, quoique placés à des distances considérables de la terre, peuvent néanmoins exercer sur elle une gravitation réciproque, & la masse des planetes les plus éloignées compense suffisamment leur distance. L’attraction est en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés des distances. Ainsi Jupiter & Saturne, quoique placés dans un prodigieux éloignement, ne doivent pas être censés dépourvus d’action sur la terre, parce qu’ils contiennent en même tems une plus grande quantité de matiere. Lorsqu’une partie de la terre est soumise à l’action directe de deux planetes, il y a lieu de présumer que cette action réunie produira des effets plus sensibles, sans examiner si par la conjonction les deux planetes n’acquierent pas plus de force ; il est aussi très-vraissemblable que ces effets doivent varier suivant la situation, la position, le mouvement & la distance de ces planetes. Je ne serois même pas bien éloigné de croire qu’il y a quelque réalité dans les vertus que les anciens attribuoient aux différens aspects des astres ; il est si souvent arrivé aux modernes d’adopter, engagés par la force de la vérité, des dogmes anciens qu’on avoit ridiculisés peu de tems auparavant, qu’on ne sauroit être assez circonspect à porter un jugement décisif contre quelqu’opinion avant de l’avoir bien approfondie, & d’en avoir bien senti l’impossibilité. On a toujours regardé les aspects de Saturne & de Jupiter, de Saturne & de Mars comme très-mauvais, & annonçant & occasionnant des maladies dangereuses, & la peste même, suivant la remarque de Zeisius ; cette idée ne peut être partie que de quelque observation. La fameuse peste qui parut en 1127, & qui par le grand nombre de morts, dépeupla pour ainsi dire le monde, fut précédée, & selon les astrologues, produite par la conjonction de Jupiter & de Saturne. Boccace & Guy de Chauliac ont écrit que celle qui avoit régné en 1348, devoit son origine à l’aspect de Saturne, Jupiter & Mars. Marsilius Ficinus philosophe célebre, rapporte qu’en 1478 il y eut des éclipses de soleil & de lune ; que Saturne & Mars furent en conjonction, & qu’il y eut une peste terrible. Gaspard Bartholin prédit en conséquence de l’aspect de Mars & de Saturne, d’un hiver chaud, & d’une autonne brûlante, la peste qui ravagea quelques années après toute l’Europe. Paul de Sorbait premier medecin de l’empereur prédit sur le même fondement la peste à Vienne, & l’événement répondit à ses prédictions. Sennert a aussi observé en 1624 & 1637, une dissenterie épidémique à la suite de la conjonction de ces planetes. Voyez Hoffman, Dissertation citée. Les aspects de Jupiter & de Vénus sont censés benins, ceux de Mercure indifférens. Les conjonctions de Vénus & de Jupiter, du Soleil & de Mercure, de Jupiter & de Mercure, sont regardées comme salutaires aux phtisiques, à ceux qui sont dans les fievres lentes. Sous ces aspects combinés on peut attendre des crises bien complettes dans les fievres ardentes, inflammatoires, &c. Aucune observation moderne n’est venue à l’appui de ces anciennes ; mais aucune aussi ne les a détruites. On pourroit cependant regarder comme une confirmation du système des anciens, les observations faites par les célebres Goad & Kook sur les variations de l’atmosphere, relativement aux aspects & aux positions des planetes. Frédéric Hoffman les a répétées avec soin, & il assure qu’une expérience fréquente lui en a attesté la vérité, & crebra nos experientia hâc in re confirmavit ; voici ce qu’il en dit lui-même.

Toutes les fois que Saturne regarde, adspicit, une planete dans quelque position que ce soit, il comprime l’air, excite des vents froids qu’il fait venir du septentrion. L’association de Saturne & de Vénus donne lieu d’attendre des pluies froides ; le vent souffle alors du septentrion & de l’occident. Jupiter est ordinairement venteux avec quelque planete qu’il concoure, sur-tout en autonne & au printems, de façon qu’il est rare qu’il y ait des tempêtes & des orages, sans que Jupiter soit en aspect avec quelqu’autre planete. Parmi les planetes pluvieuses, Vénus tient le premier rang, sur-tout si elle est en conjonction avec Mercure, Saturne & Jupiter. Le soleil & Mars annoncent & operent les jours séreins & chauds, sur-tout dans l’été lorsqu’ils se trouvent en conjonction ; les effets sont les mêmes, quoique plus foibles, s’ils agissent de concert avec Mercure & Jupiter. Mercure est d’une nature très-inconstante, & produit beaucoup de variations dans l’air ; le même jour est sous son aspect serein, pluvieux, venteux, orageux, &c. Avec Jupiter il donne naissance aux vents ; avec Vénus, à la pluie. L’action de ces planetes varie beaucoup, suivant la distance & la situation du soleil. La lune même rapporte des changemens, en accélere ou en retarde les effets suivant son influence particuliere. La situation du lieu, la nature du climat, peuvent aussi faire naître bien des variétés ; & cette même action appliquée au corps, ne sçauroit être uniforme dans tous les tempéramens, tous les âges, tous les sexes, tous les états, & tous les individus. Voyez Kook, Météorolog. S. Astronom. Goad, Tractatus meteorol. & la Dissertation d’Hoffman, qui se trouve dans le IV. vol. tome V. pag. 70.

Ces observations qu’il est bien difficile de contester, paroissent mettre hors de doute l’influence de ces planetes sur l’air, & en conséquence sur le corps humain. Personne n’ignore les effets de ce fluide, dans lequel nous vivons, que nous avalons avec les alimens, que nous respirons continuellement, & qui s’insinue par tous les pores absorbans qui sont ouverts sur notre peau ; il est certain que la plûpart des maladies épidémiques méritent de lui être attribuées. J’ai prouvé dans un mémoire lu à la société royale des Sciences en 1749, que l’air étoit la principale cause des fievres intermittentes. Il y a certaines personnes qui ont des signes assurés, qui leur marquent exactement les variations de l’atmosphere, des douleurs de tête, des rhumatismes, des suites de blessures ou de luxation, qui se réveillent dans les changemens de tems, & les instruisent plus surement que les meilleurs barometres. Voyez Air, Atmosphere. J’ai vu il y a peu de jours un malade attaqué d’une fievre putride, portant à la poitrine ; il resta pendant sept à huit heures que dura un orage violent, dans un état affreux ; il avoit peine à respirer, se sentoit foible & abattu ; avoit des inquiétudes. Après un coup de tonnerre, qui fit un fracas épouventable, l’orage cessa ; en même tems il se trouva debarrassé d’un espece de poids qui l’affaissoit ; la levre supérieure se couvrit de boutons, il fut extrèmement soulagé, & entra en convalescence.

On peut déduire de toutes ces observations examinées de bonne foi, & approfondies sans partialité, combien cette partie de l’Astronomie qui traite de l’influence des astres, peut être avantageuse aux medecins, & combien par conséquent elle mériteroit d’être plus cultivée & mieux étudiée. Tout ce qui est de l’intérêt public, & d’un intérêt aussi pressant & aussi prochain que celui qui résulte de la Medecine, doit être un motif suffisant pour nous engager à des recherches ultérieures ; mais ne sera-t-il pas à craindre que l’esprit humain enflammé de nouveau par quelque réussite, ne donne aussi-tôt dans l’excès, ne porte cette science à un extrême toujours vicieux ; & il est sûr que le mal qui en proviendroit seroit infiniment au-dessus des avantages qu’on pourroit tirer de cette connoissance retenue dans un juste milieu. Mais dans cet état même, les matieres aux recherches, aux observations, ne sont-elles pas trop vastes pour détourner un medecin de l’application des choses plus sérieuses & plus intéressantes ? Si l’intérêt public l’emportoit davantage sur le particulier, il faudroit que des medecins s’appliquassent uniquement aux observations météorologiques, qui pour être bien faites demanderoient beaucoup de tems & de connoissances, voyez ce mot ; aux découvertes anatomiques, physiques, chimiques, &c. en un mot aux sciences accessoires de la Médecine, & le praticien puiseroit dans les arsenaux des matériaux tous digérés, pour être le fondement & l’appui d’une pratique beaucoup plus solide & brillante. Car il est impossible que le même medecin puisse suivre tous ces différens objets ; ils devroient être renvoyés à tant de gens qui ne sont point nés medecins, que la curiosité porte à cette étude, mais que l’intérêt fait praticiens. On naît medecin comme on naît poëte ; la nature fait l’un & l’autre. Art. de M. Menuret.