Jean Chrysostome/Commentaire sur les Psaumes


COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES.

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EXPLICATION SUR LE PSAUME III.

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PSAUME POUR DAVID LORSQU’IL FUYAIT DEVANT SON FILS ABSALON : « SEIGNEUR, POURQUOI MES PERSÉCUTEURS SE SONT-ILS MULTIPLIÉS ?

ANALYSE


Que les querelles domestiques, les révoltes de ceux qui nous doivent obéissance sont fréquemment la punition de nos péchés. Révolte et mort d’Absalon.

1. Les rois honorent par des statues commémoratives les généraux victorieux, les magistrats érigent des effigies et des colonnes en l’honneur des cochers, des athlètes couronnés, avec une inscription qui proclame leur triomphe comme pourrait le faire la voix d’un héraut. D’autres célèbrent dans des livres et des écrits les louanges des vainqueurs, et s’efforcent de déployer dans ces éloges un talent qui les élève au-dessus de leurs héros. Historiens, peintres, ciseleurs, sculpteurs, peuples, magistrats, villes, contrées, s’entendent pour vanter les triomphateurs. Mais celui qui prend la fuite sans avoir combattu, celui-là n’a jamais trouvé personne pour reproduire ses traits comme le fait aujourd’hui David : Écoutez plutôt : « Psaume pour David, lorsqu’il fuyait devant son fils Absalon. » Et quel fugitif a jamais mérité des éloges ? Quel nom de fuyard a jamais figuré sur des inscriptions ? Si l’on affiche les noms des fugitifs, c’est afin de les retrouver[1], et non pour leur faire honneur. Apprends donc, mon frère, la raison de ce titre, et que ton âme soit en repos. Que cette histoire devienne une leçon pour toi-même. Que la persécution du juste soit un sujet de raffermissement pour ton propre cœur. Apprends pour quel motif David était persécuté par Absalon, afin que, sur ce fondement, tu sois édifié dans la crainte de Dieu. En effet si, à défaut de base, il n’y a pas de construction solide, de même l’Écriture est de nul secours à qui n’en sait point découvrir le sens.
L’intention du bienheureux David, en composant ce psaume, était de réformer la vie humaine, et de lui enseigner à ne se permettre aucune infraction, aucun outrage aux lois de Dieu, afin que le pécheur évitât les écueils où il s’était heurté lui-même. David fuyait devant son fils, parce qu’il avait fui la pureté ; il fuyait devant son fils, parce qu’il avait attenté aux droits d’une union légitime ; il fuyait devant son fils, parce qu’il s’était dérobé à la loi de Dieu, qui dit : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas l’adultère. » Il avait introduit dans son domaine la brebis d’autrui, et en avait tué le pasteur : et voici que l’agneau de la maison menaçait son berger. Il s’était attaqué au ménage d’autrui, et de son propre ménage il voyait la guerre s’élever. Ce n’est point ici ma pensée, ce sont les paroles de Dieu : or, quand Dieu se fait interprète, il ne reste plus qu’à se taire. Si vous voulez vous convaincre que la révolte du fils de David contre son père eut pour cause le meurtre d’Urie, et le vol de sa femme, écoutez ces paroles de Dieu, adressées à David parla bouche du prophète Nathan « Je t’ai sacré roi sur Israël, et t’ai délivré de la main de Saül. Je t’ai mis entre les mains tous les biens de ton seigneur, la maison de Saül et de Juda ; et si cela te paraît peu de chose, j’y ajouterai. Pourquoi donc as-tu méprisé ma parole, jusqu’à commettre le mal devant mes yeux ? Tu as frappé du glaive Urie Héthéen, tu lui as ôté sa femme, et l’as prise pour toi. Et désormais l’épée ne sortira jamais de ta maison. » (2Sa. 12,7-11) Tu as partagé du glaive la maison d’autrui, je forgerai une gloire contre toi dans ta maison. « Et je te susciterai des maux du sein de ta demeure. » Entendez bien ceci : Du sein de ta propre demeure. Là où était la source du péché, c’est de là que partira le coup vengeur. Le serviteur fugitif qui s’est dérobé aux commandements de Dieu est condamné à fuir devant son fils : « Psaume pour David, lorsqu’il fuyait devant son fils Absalon. » Et le récit de la guerre est moins utile que l’indication des motifs qui l’avaient allumée, pour nous mettre en garde contre la chute par la vue du faux-pas de ce juste, et nous faire éviter pareille épreuve. Il ne manque pas d’hommes, encore aujourd’hui, qui ont la guerre chez eux : l’un est en butte aux attaques de sa femme, l’autre, aux entreprises d’un enfant ou d’un frère, un troisième, à l’oppression d’un serviteur ; et chacun s’afflige, s’aigrit, lutte, attaque, résiste : mais personne ne songe à se dire que s’il n’avait pas semé des péchés, il n’aurait pas vu des épines et des ronces surgir dans sa maison ; que si sa maison n’avait pas recelé des étincelles de péchés, elle ne serait point en flammes. En effet, que les malheurs domestiques sont les fruits des péchés, que Dieu suscite au pécheur des bourreaux dans sa famille, c’est ce qu’atteste la divine Écriture, dans son incomparable autorité. Ta femme te fait la guerre, quand tu rentres, elle se précipite sur toi comme une bête féroce, sa langue est acérée comme un glaive ? C’est une chose affligeante, sans doute, que ton alliée soit devenue ton ennemie : néanmoins regarde en toi-même, scrute si jamais dans ta jeunesse, tu n’as manqué à tes devoirs envers une femme, et si ce n’est pas justement ce dommage que répare une autre femme, si ce n’est pas cette blessure faite à autrui que ta propre épouse est chargé de panser. L’opérateur peut l’ignorer lui-même ; mais le médecin, qui est Dieu, le sait bien. C’est lui qui s’est armé de cet instrument, comme d’un fer, contre toi : et de même que le fer ignore la besogne à laquelle on l’emploie, tandis que le médecin connaît les services que le fer doit rendre : ainsi, quand la femme qui frappe et l’homme qui est frappé ignoraient tous deux la raison du coup porté, Dieu du moins, en sa qualité de médecin, en connaît l’utilité. Or, qu’une méchante femme est une tribulation infligée au péché, c’est encore la sainte Écriture qui l’atteste. Écoutez ses paroles : « Une femme méchante sera donnée au pécheur:» amer antidote, destiné à expulser le résidu des péchés. Maintenant qu’on peut être en butte aux complots de ses enfants, en expiation de ses fautes, c’est ce que montre l’exemple de David, attaqué par son fils Absalon, ainsi que nous l’avons fait voir plus haut, à cause d’un commerce illicite. Que la guerre entre frères peut aussi provenir des péchés, le livre des juges en est la preuve. En effet, lorsque ceux de la tribu de Benjamin eurent fait violence à la concubine du voyageur, et que celle-ci eut succombé à leurs excès, les onze autres tribus firent la guerre à celle-là ; et lorsque les onze tribus eurent abandonné Dieu, et se furent abandonnées à la fornication de l’idolâtrie, elles furent vaincues toutes ensemble par la douzième, si bien que parmi plusieurs défaites elles ne comptèrent qu’une victoire et frères combattirent contre frères, après que Dieu, par suite de leurs péchés, eut ôté la cloison que le péché avait élevée entre eux. En effet, l’une des tribus ayant commis la fornication sur la personne d’une femme, et l’autre, étant tombée dans la fornication de l’idolâtrie, les uns et les autres furent exterminés par Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Tu as exterminé tous ceux qui t’ont quitté pour la fornication. » (Ps. 72,27) En sorte que le péché arma frères contre frères. Si tu as des frères qui te font la guerre, plutôt que de les accuser par tes plaintes, sonde ta propre conscience, et cherche quel est le péché qui t’a valu leur inimitié. Ce n’est pas que le péché soit toujours la cause de ces haines paternelles Joseph eut ses frères pour ennemis, sans l’avoir aucunement mérité : et Job de même fut en butte aux perfidies de sa femme sans y avoir donné lieu par aucune faute : je dis seulement que la plupart d’entre nous s’attirent par leurs péchés l’inimitié des leurs. On voit même des amis changés en ennemis par l’effet du péché, de vieilles affections transformées en haine et en aversion, par la volonté de Dieu et pour des raisons à lui connues. C’est ainsi que dans le psaume cent quatrième il est écrit au sujet des Égyptiens : « Il changea leur cœur afin qu’ils prissent en haine son peuple. » (Ps. 104,25) Dieu n’aurait point provoqué cette haine, si tout d’abord l’amitié avait été vertueuse. Ceux pour qui l’amitié est un principe de perte, ceux-là trouvent dans la haine une occasion de sagesse. Il y a plus : les êtres même qui vivent dans la servitude et la sujétion ont été souvent induits en révolte contre leurs maîtres par les péchés de ceux-ci. Voyez Adam avant son péché : les animaux sont ses serviteurs et ses subordonnés, des esclaves qu’il nomme à sa guise. Mais après que le péché l’eut défiguré, les animaux cessèrent de le reconnaître, et ses esclaves d’autrefois devinrent ses ennemis. Et de même que le chien du logis sert fidèlement la personne qui le nourrit, la craint, la respecte, et pourtant, si elle vient à la voir barbouillée de suie, ou masquée d’un visage d’emprunt, fond sur elle comme sur un étranger, et veut la mettre en pièces ainsi tant qu’Adam conserva pure sa face faite à l’image de Dieu, il conserva l’obéissance et le respect des animaux : mais une fois que la désobéissance eut souillé son visage, ils ne reconnaissaient plus leur maître, et lui étaient hostiles comme à un étranger. On voit que la révolte des esclaves peut être aussi la punition des péchés du maître. C’était un juste que Daniel, et les lions reconnurent sa domination ; ils le virent exempt de péché, ils le laissèrent aller exempt de punition. Un prophète avait commis le péché de mensonge : il rencontra un lion, qui lui ôta la vie. (1R. 13,24) C’est qu’il était barbouillé de mensonge ; le lion ne le reconnut pas. S’il avait aperçu un prophète pareil à Daniel, il lui aurait rendu hommage : il ne trouva qu’un faux prophète, et il lui courut sus, comme à un étranger. Le maître avait menti : son autorité fut reniée par son esclave. Mais pourquoi parler des malheurs domestiques, quand notre corps lui-même, notre corps, c’est-à-dire ce que nous avons de plus intime et de plus cher, nous fait quelquefois la guerre quand nous sommes en faute, et s’arme contre nous de fièvres, de maladies, d’infirmités ; quand cet humble esclave flagelle aussi sa souveraine, l’âme, du moment qu’elle est pécheresse, non pas de son propre mouvement, mais en vertu d’un ordre qu’il doit exécuter ? Témoin le Christ, disant au paralytique guéri : « Te voilà en santé, ne pèche plus, afin que rien de pire ne t’advienne. (Jn. 5,14) » Bien convaincus par conséquent, mes frères, que les guerres domestiques, les dissensions entre parents, les révoltes d’esclaves, que les maladies du corps sont généralement des fruits du péché, fermons cette source de maux, le péché, et si les torrents des passions n’inondent point notre âme, les eaux de la pluie céleste y porteront assez de joie. Donc, lorsque David eut, pour ainsi dire, usurpé la femme d’autrui (n’est-ce pas en effet une royauté pour tout homme que la tendresse d’une épouse ? un roi tient-il plus à la pourpre et au diadème, qu’un mari ne tient à sa femme ?), en punition de ce crime, le fils qu’il avait de sa femme, à lui, devint rebelle et usurpateur, et tenta d’arracher le trône à son père. Il avait pris par force, il fut dépossédé par force ; il avait péché secrètement, il triompha de lui au grand jour ; il s’était blessé dans l’ombre, il fut opéré sous les yeux de tous, par la volonté du Dieu qui lui avait dit : « Tu as agi en secret : moi, j’agirai au grand jour et à la face du soleil que voilà. » (2Sa. 12,12) Néanmoins l’attentat d’Absalon n’aboutit pas, comme de juste sans cela les fils dénaturés se seraient crus par cet exemple autorisés au parricide. Il avait fait l’office de bourreau ; il subit le supplice des coupables ; et comme les bêtes qu’on lâche dans les théâtres se jettent sur l’un et sont tuées par l’autre ; ainsi Absalon qui avait attaqué David périt sous les coups de Joab, et demeura suspendu au haut d’un arbre, lui, soulevé contre son père ; une plante arrêta ce rameau en guerre avec sa souche ; un rejeton tint enchaîné ce rejeton détaché de l’amour de sa tige ; par la tête était retenu celui qui voulait prendre la tête de son père ; comme un fruit, pendait à l’arbre l’assassin de celui qui avait enfoui le germe de son être ; et son cœur servait de but aux flèches, en sorte qu’il fut victime à l’endroit même où il avait projeté d’être meurtrier.
Alors s’offrait aux yeux un spectacle étrange. Comme il était monté sur un mulet, sa chevelure demeura prise dans la chevelure de l’arbre[2] ; si bien qu’une chevelure retenait l’usurpateur par une autre chevelure, meurtrissant cet endroit même où il avait entrepris de placer le diadème paternel. On pouvait donc voir Absalon suspendu entre le ciel et la terre ; le ciel se refusait à l’accueillir ; en effet, s’il avait rejeté le premier rebelle dans la personne du diable, comment ce nouveau rebelle aurait-il pu y avoir accès ? La terre le repoussait également, pour ne pas se laisser souiller par les pieds d’un parricide ; car, si elle avait englouti Dathan coupable d’avoir parlé contre Moïse, si elle ouvrit la bouche pour dévorer celui qui avait ouvert la bouche pour médire, comment aurait-elle consenti à porter un homme qui courait attaquer son père. – Comme il était donc suspendu au haut de l’arbre, survint Joab, le généralissime, qui planta trois flèches dans le cœur de cet enfant sans cœur, frappant juste au réceptacle de son iniquité ; et, faisant allusion à l’arbre où le rebelle était resté suspendu, David célébra sa mort dans ce beau chant funèbre : « J’ai vu l’impie extrêmement élevé, et qui égalait en hauteur les cèdres du Liban. J’ai passé : il n’était plus. » (Ps. 36,35) « Psaume pour David, lorsqu’il fuyait devant son fils Absalon. » Il fuyait, non comme un peureux, mais pour sauver les jours de son fils ; car si, pour son compte, il l’épargnait en père, ses compagnons n’auraient pas fait grâce à un révolté. Voilà, pourquoi David, poursuivi par son fils, et en butte, par suite, aux injures de Séméi, persévéra pour sa part dans sa longanimité ; mais comme beaucoup de gens s’en armaient contre lui, principalement les complices d’Absalon, et s’enhardissaient, le croyant abandonné de la Providence (David est seul maintenant, disaient-ils, privé de tout secours, Dieu s’est détourné de lui comme autrefois de Saül ; jadis il a quitté Saül pour David, il abandonne maintenant David pour Absalon ; soulevons-nous, attaquons-le, il n’a point de recours en Dieu), David, plus affligé de ces propos que des égarements de son fils, consulte le Seigneur : « Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés ? » Je suis circonvenu par les tentations, débordé par le torrent de l’infortune, la pluie fatale est tombée, le fleuve de la guerre a fait irruption, le souffle des mauvais esprits s’est déchaîné, il a ébranlé ma maison, afin d’emporter mon âme loin de vous ; mais solidement établi sur la pierre de la foi, je ne tombe point, je me prosterne et vous demande : « Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés ? » Celui qui vient de moi est contre moi ; mais vous êtes, vous, au-dessus de moi. Mes entrailles me font la guerre ; mon peuple suit Absalon, mes soldats s’arment contre moi. Mes brebis sont devenues loups ; mes agneaux, lions ; mes petits moutons, chiens enragés ; mes béliers, taureaux furieux ; ce n’est pas pour moi que je m’afflige ; c’est leur perte, à eux, qui cause mes gémissements.

EXPLICATION SUR LE PSAUME IV.

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« QUAND JE L’INVOQUAIS, IL M’A EXAUCÉ LE DIEU DE MA JUSTICE. »

ANALYSE.

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  • 1. Nécessité des bonnes œuvres et de la justice : définition de ce mot, pris dans son sens le plus large.
  • 2. Suite du même développement. Avantages et facilité de la prière.
  • 3. Condition d’une bonne prière. Bonté de Dieu, manifestée jusque dans les tribulations.
  • 4. Que notre salut est toujours dû à la miséricorde. Ne rien demander qui soit contraire à la Loi.
  • 5. Qu’est-ce que les fils des hommes ? Pourquoi dire que leurs cœurs sont appesantis ?
  • 6. Providence de Dieu manifestée par sa conduite à l’égard de ses serviteurs.
  • 7. De la colère légitime.
  • 8. Nécessité de l’examen de conscience et de la componction.
  • 9. Nouvelle démonstration de la Providence : objection vulgaire.

10. Réfutation : que la paix est en l’homme ; que la Providence se manifeste d’une manière nouvelle depuis Jésus-Christ. 11. Folie des païens : qu’est-ce que leur Jupiter ? 12. Malheur des méchants, tranquillité des justes ici-bas. 13. Danger des mauvaises fréquentations.
1. Si le Prophète s’exprime ainsi, ce n’est pas seulement pour nous faire savoir qu’il a été exaucé ; c’est pour nous montrer comment nous pourrons nous-mêmes, en invoquant Dieu, être exaucés promptement, et obtenir l’objet de notre prière, avant qu’elle soit terminée. – En effet, David ne dit pas : après que je l’eus invoqué, il m’exauça, mais : « Lorsque je l’invoquais. » – La raison en est que Dieu lui-même prend en quelque sorte cet engagement en disant à celui qui l’invoque : « Quand tu parleras encore, je dirai : Me voici. » Car ce n’est point, en général, l’abondance des paroles qui fléchit Dieu, c’est une âme pure, c’est une parure de bonnes actions. Voyez du moins comment il parle aux hommes qui, vivant dans l’iniquité, espèrent le désarmer à force de paroles : « Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point. Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous. » (Is. 1,15) Il faut donc avant toute chose que celui qui prie soit en crédit, et alors ce qu’il demande ne peut manquer de lui être accordé. Voilà pourquoi le Prophète ne dit pas simplement qu’il a été exaucé, mais bien que sa justice a été exaucée, indiquant par là son crédit auprès de Dieu, et comment ce crédit lui faisait l’escorte toutes les fois qu’il s’approchait du Seigneur. Et qu’on n’aille pas accuser ce langage de jactance. Ce n’est point pour se faire valoir qu’il parle ainsi, c’est pour donner une bonne leçon, un conseil d’une utilité générale et considérable. Il a été exaucé, pourrait-on dire, parce qu’il était David ; je ne le serai pas, moi, parce que je ne suis qu’un misérable : mais le Prophète montre que Dieu n’a pas été aveugle en l’exauçant lui-même, et qu’il ne l’est pas davantage quand il repousse vos prières : que dans tous les cas ce sont les actions qu’il s’attache à bien considérer. Si vous avez les vôtres pour avocats, vous serez exaucé sans aucun doute. – Et si ces avocats vous font défaut, quand même vous seriez David, vous ne sauriez fléchir le Seigneur. De même que les avares ne tiennent aucun compte du rang, ni de rien de pareil, mais considèrent seulement ceux qui ont de l’argent, et se flattent de tout obtenir en s’adressant à eux : ainsi, attendu que Dieu chérit la justice, quiconque se présentera devant lui dans cette société ne s’en ira point les mains vides : et au contraire celui qui n’a point la justice pour compagne, et que souillent les vices contraires, celui-là aura beau prodiguer les invocations, il n’y gagnera rien, parce que les moyens de persuasion lui feront défaut. Ainsi donc, si tu veux réussir en quelque chose auprès de Dieu, il faut t’adjoindre cette alliée avant de te présenter. Mais la justice dont je parle n’est point une vertu particulière, c’est la vertu en général, la vertu complète. C’est de cette façon que Job était juste, lui qui possédait toutes les vertus humaines, et ne s’abstenait point d’un vice pour tomber dans un autre. C’est en ce sens que nous appelons juste une balance égale dans tous les cas, et soit qu’il faille peser de l’or ou du plomb, conservant cette propriété à l’égard de toutes matières. De même encore une mesure juste est celle qui demeure constamment égale. Job était un juste de la même façon, grâce à une égalité parfaite. Car ce n’est pas seulement en fait de richesses qu’il se montrait tel, mais bien en toutes choses : en rien, il ne dépassait la mesure ; et l’on ne saurait dire que, fidèle pour ce qui concerne l’argent à cette règle d’égalité, il transgressât la mesure dans ses rapports avec le prochain, en homme arrogant et dédaigneux. En effet, il n’était pas moins soigneux d’éviter cette faute. C’est même ce qui lui faisait dire : « Si j’ai dédaigné d’entrer en jugement avec mon serviteur et avec ma servante, lorsqu’ils disputaient contre moi ou s’ils n’ont pas été comme j’ai été moi-même. » (Job. 31,13) Donc, c’est encore une très-grande iniquité que d’être vain et superbe.
2. En effet, de même que nous appelons cupide l’homme qui veut s’approprier le bien des autres, au lieu de se contenter de ce qu’il possède : nous nommons arrogant celui qui demande au prochain plus qu’il ne lui est dû, celui qui réserve pour lui seul tous les honneurs, et ne fait aucun cas des autres. Or l’unique principe d’une prétention pareille, c’est l’injustice. Vous allez vous en convaincre. Dieu a créé ton prochain comme toi, tous ses dons sont communs et également répartis entre vous. Comment donc peux-tu l’exclure et le frustrer de la dignité que Dieu lui a conférée, lui refuser le rang de ton associé, t’attribuer tout à toi-même, et l’appauvrir non seulement d’argent, mais encore de considération ? Dieu vous a octroyé même essence ; il vous a décerné la même suprématie, vous a façonnés pour être égaux. En effet, la parole « Faisons l’homme » s’applique à toute l’espèce. Comment pouvez-vous donc déposséder cet homme de son patrimoine en le plongeant dans l’humiliation, en vous arrogeant à vous seul une commune propriété ? Tel n’était point le saint prophète : aussi pouvait-il dire avec sécurité : « Il a exaucé ma justice. » De même Paul se donne souvent en spectacle, non par ostentation ni par orgueil, mais pour servir de modèle aux autres : lorsqu’il dit, par exemple : « Je voudrais que tous les hommes vécussent ainsi que moi dans la continence. » (1Cor. 7,7) Ainsi David encore, lorsque les circonstances le demandent, ne craint pas de proposer en exemple son courage, fruit de la grâce divine, en disant qu’il étouffait les ours et les lions dans ses bras : non qu’il voulût lui-même se glorifier, à Dieu ne plaise, mais afin de s’attirer la confiance par ce moyen.
Mais, dira-t-on peut-être, si je possède la justice, à quoi bon la prière, puisque la justice suffit à tout, et que le dispensateur des biens connaît nos besoins ? Je réponds que la prière est très-propre à fortifier l’amour que nous avons pour Dieu, en ce qu’elle nous donne l’habitude de nous approcher de lui, et nous initie à la sagesse. En effet, si la fréquentation d’un homme éminent produit des fruits précieux, à plus forte raison peut-on dire la même chose d’un commerce assidu avec la Divinité. Mais nous ne connaissons pas assez les avantages de la prière, parce que nous n’y apportons pas assez d’attention, assez d’application à suivre les lois de Dieu. Devons-nous avoir une entrevue avec quelque personne d’un rang supérieur au nôtre, nous avons soin de composer préalablement comme il convient : notre attitude, notre démarche, notre costume, tout enfin ; et quand nous paraissons devant Dieu, c’est en bâillant, en nous grattant, en nous tournant à droite et à gauche, en nous laissant aller. Tandis que nos genoux reposent à terre, notre pensée se promène sur la place publique. Mais si nous nous approchions de lieu avec la piété convenable, et dans l’attitude requise pour un pareil entretien, alors nous reconnaîtrions, même avant d’avoir obtenu l’objet de notre demande, quel fruit nous retirons de là. Un homme qui sait parler à Dieu comme il sied de lui parler n’est plus un homme, c’est un ange, tant son âme est délivrée des chaînes corporelles, tant sa pensée habite une région sublime ; tant il s’élève au rang des habitants des cieux ; tant il dédaigne les biens charnels : tant il s’approche du trône royal, fût-il pauvre, esclave, obscur, ignorant : Car ce qui plaît à Dieu, ce n’est point le charme du langage ; ni l’harmonieux arrangement des paroles, c’est la beauté de l’âme ; et si l’âme tient le langage qui lui agrée, le suppliant s’éloigne complètement exaucé. Voyez-vous combien c’est chose facile ? Quand il s’agit de supplier un homme, il faut être éloquent, savoir flatter tous ceux qui entourent le maître, recourir enfin à mille autres expédients pour être accueilli avec faveur. Ici, rien de pareil ; il ne faut qu’un esprit attentif, et rien ne nous ferme plus l’accès de la Divinité : « C’est moi, c’est Dieu qui approche, le Seigneur n’est pas loin. » (Jer. 23,23) En sorte que s’il est éloigné, c’est par notre faute, par lui-même, il est toujours près de nous. Et que dis-je, que nous n’avons pas besoin d’éloquence ? Souvent c’est la voix même qui ne nous est pas nécessaire. Parlez à Dieu au fond du cœur, invoquez-le comme il convient, il se hâtera encore de vous exaucer. C’est ainsi qu’il entendit Moïse, ainsi qu’il entendit Anne. Près de lui, point de soldat pour écarter les suppliants, point de satellite, qui leur fasse perdre l’occasion ; personne pour dire, en ce moment il est impossible d’avoir audience, revenez plus tard. Dès que vous arrivez, il est là qui vous écoute, que ce soit l’heure du dîner, celle du souper, une heure quelconque de la nuit, sur la place, dans la rue, dans votre chambre, au tribunal où vous assistez le magistrat ; invoquez-le, vous voilà exaucé sans obstacle, pourvu que vous l’invoquiez comme il faut. Vous ne sauriez dire : je crains d’approcher, de présenter ma requête mon ennemi est là ; cette difficulté même est levée, il ne prête point l’oreille à votre ennemi, il n’interrompt point votre supplication, toujours, sans cesse, vous pouvez l’aborder, rien ne vous en empêche, car vous n’avez pas besoin de recourir à des portiers, à des intendants, à des procureurs ; à des gardes, à des courtisans ; quand vous l’abordez directement vous-même, c’est alors qu’il vous écoute le mieux, oui, dis-je, alors que vous n’aurez invoqué l’assistance de personne.
3. Ainsi donc, pour le fléchir, aucune entremise ne vaut notre sollicitation immédiate. Désirant notre amour, jaloux de nous inspirer ; par tous les moyens, une ferme confiance en lui, il n’est jamais plus disposé à nous satisfaire, que lorsqu’il nous voit ne recourir qu’à nous-mêmes : C’est ce que montre l’exemple de la Chananéenne. Pierre et Jacques lui avaient parlé pour elle inutilement : elle persévérait, il exauça promptement sa prière. En effet, le court délai qu’il parut lui faire subir n’avait pas pour objet de la faire languir, mais de lui procurer une plus belle couronne, et de s’assurer par un plus long usage la possession de son attachement. Appliquons-nous donc, nous aussi, à entrer en rapport avec Dieu : apprenons quelles sont les règles de ce commerce. – Il n’est pas besoin d’aller à l’école, de dépenser de l’argent, de payer des maîtres, des rhéteurs, des sophistes, de perdre beaucoup de temps à se pénétrer des préceptes de l’éloquence, il suffit de vouloir, et l’on est artiste consommé : sans compter que ce n’est pas seulement pour vous-mêmes, mais pour beaucoup d’autres encore, que vous pourrez parler devant ce tribunal. Et quel doit être l’objet de votre étude ? C’est d’apprendre à prier.
S’approcher de Dieu avec un esprit attentif, un cœur contrit ; des yeux inondés de larmes ; ne rien demander de terrestre, désirer exclusivement les biens de l’autre vie ; solliciter les avantages spirituels, ne pas souhaiter de mal à ses ennemis, ne montrer du ressentiment contre personne, bannir de son âme toute passion, être pénétré de componction, s’humilier, s’exercer à une douceur parfaite, surveiller sa langue, ne prendre part à aucune action coupable, rester pur de toute complicité avec l’ennemi commun de l’univers, je veux dire le diable : voilà les conditions pour obtenir audience. Les lois humaines elles-mêmes punissent celui qui parle à un roi pour autrui, tout en s’entendant avec les ennemis de ce monarque. Et vous pareillement, si vous voulez plaider et votre cause et celle d’autrui, songez avant tout à n’avoir rien de commun avec le commun ennemi du monde. À cette condition, vous serez juste ; et si vous êtes juste, vous serez exaucé, grâce à l’avocat qui défendra votre cause : « Lorsque j’étais dans la tribulation, vous m’avez mis au large. » Il ne dit pas : « Vous avez écarté les tribulations », ni « Vous avez fait disparaître les tentations », mais, vous m’avez laissé debout, et « vous m’avez mis au large. » – En effet, l’adresse et l’industrie de Dieu éclatent particulièrement en cela, non seulement qu’il éloigne les tribulations, mais encore qu’il les rende très faciles à supporter, lors même qu’elles persistent. – C’est une chose propre à montrer la puissance de Dieu, et à rendre plus forts ceux qui sont éprouvés, que cette consolation de se sentir au large accordée à l’âme en détresse, sans que la détresse pour cela cesse d’étreindre l’âme et de la guérir ainsi du relâchement et de la négligence. Et comment, dira-t-on, au sein de la détresse peut-on être mis au large ? Voyez la fournaise des trois jeunes gens, voyez la fosse aux lions. Dieu n’éteignit pas la flamme afin de mettre les jeunes gens au large ; il ne tua pas les lions pour rendre à Daniel la sécurité. Jusqu’au milieu de la fournaise et au plus fort de l’embrasement, jusqu’en présence des bêtes féroces, les justes se sentaient parfaitement à l’aise. Cette expression : mettre au large, convient encore dans une autre occurrence : c’est lorsque l’âme, grâce aux tentations qui l’assiègent, est guérie de ses passions et des maux nombreux auxquels elle est exposée : jamais elle n’est plus à l’aise que dans ce dernier cas. En effet, beaucoup d’hommes, au sein d’une prospérité durable, éprouvent des appétits coupables, funestes à leur âme, pour l’argent, la chair, ou autres indignes objets : mais dès qu’ils viennent à tomber dans l’affliction, les voilà délivrés de cette oppression, ils sont au large. Ainsi, les malades consumés de la fièvre, tant qu’ils s’abandonnent aux voluptés qui leur sont interdites, j’entends celles de la table, de la boisson et autres pareilles, se trouvent de plus en plus gênés : tandis que s’ils se résignent à se faire quelque violence, ils retrouvent leurs aises, et, débarrassés de ce qui les étouffait, jouissent désormais d’une santé parfaite : rien ne nous repose comme une affliction qui nous retire des soucis du monde. Considérez plutôt les Juifs : voyez ce qu’ils furent dans les tribulations, ce qu’ils furent dans la prospérité ? N’est-ce pas le fait d’une âme en proie à la fièvre, au délire, à l’agitation que de dire : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ; car pour ce qui est de Moïse, cet homme qui nous a tirés de l’Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. » (Ex. 32,1) Et au contraire, ne reconnaît-on pas des âmes éprises de la sagesse et reposées des passions mondaines, dans cette fervente prière par laquelle, au sein de leur affliction, ils attirèrent sur eux la faveur divine ? Et le Prophète lui-même, alors qu’il vivait en paix, quelle oppression ne lui firent pas subir les cruelles étreintes de la passion ? Au contraire, une fois dans l’affliction, vous savez comment il y trouva le soulagement. Le feu ne le brûlait plus, toute sa flamme était dès lors éteinte. Car rien ne cause tribulation pareille à celle que font éprouver à l’âme les assauts des passions : les unes l’attaquent par le dehors, les autres se soulèvent au dedans, ce qui ; est le comble de la tribulation. Et quand le monde nous persécuterait, si nous ne nous persécutons pas nous-mêmes, il n’y aura point de malheurs pour nous. Donc, il dépend de nous d’être dans l’affliction ou de n’y pas être.
4. C’est maintenant la voix d’un apôtre qui va vous révéler à quel point l’affliction nous met à l’aise ; écoutez saint Paul nous déclarer lui-même quel est le fruit des tribulations « La tribulation produit la patience ; la patience, l’épreuve ; et l’épreuve, l’espérance ; or l’espérance ne confond point. » (Rom. 5, 3, 5) Voyez-vous quel espace ouvert, voyez-vous quel port de contentement ? « La tribulation, dit-il, produit la patience. » En effet, quoi de plus tranquille qu’un homme courageux, qui sait tout supporter sans peine ? quoi de plus fort qu’un homme éprouvé ? et quoi de comparable au plaisir qui résulte de là ? Ce sont trois plaisirs qu’il nous promet à la suite des tribulations, la patience, l’épreuve, et l’espérance des biens à venir. C’est à quoi songeait le Prophète en disant : « Dans la détresse vous m’avez mis au large. » Il vient de dire : Dieu m’a exaucé : il dit maintenant de quelle façon. Ce n’est pas en l’enrichissant : David ne désirait rien de pareil ; ni en lui soumettant ses ennemis ; ce n’est pas là non plus ce que demandait David : c’est en le soulageant au milieu de sa détresse. « Ayez pitié de moi, et exaucez ma prière. » Qu’est-ce à dire ? Tu parles plus haut de ta justice, ici, de compassion et de miséricorde : comment ces choses peuvent-elles s’accorder ? Parfaitement, et la liaison est étroite. Quelle que puisse être multitude de nos bonnes œuvres, c’est toujours par un effet de miséricorde et de bonté que nous sommes entendus. Fussions-nous montés au faîte de la vertu, c’est toujours la pitié qui nous sauve. Ce passage nous fait voir qu’à la justice il faut nécessairement joindre un cœur contrit. Qu’un pécheur prie avec humilité, ce qui n’est qu’une partie de la vertu : il peut tout obtenir. Qu’un juste, au contraire, s’approche de Dieu avec présomption, il perd tous ses avantages. C’est ce que prouvent les deux exemples du publicain et du pharisien. Il faut donc apprendre à prier. Mais quelle est la méthode ? Demandez-la au publicain, et ne rougissez pas de le prendre pour maître, lui qui la pratiqua assez bien pour tout, obtenir avec de simples paroles. Attendu que sa pensée était bien préparée, un mot suffit, un seul pour lui ouvrir le ciel. Mais en quoi consistait cette préparation ? Il s’humiliait, il se frappait la poitrine, il craignait de lever les yeux au ciel. Priez de même, et votre prière s’envolera plus légère que la plume. En effet, si un pécheur fut justifié par sa prière, songez combien grandirait un juste, qui saurait présenter une pareille requête. Voilà pourquoi, en ce passage, au lieu de se nommer lui-même, David parle de sa prière. Il dit : Ma prière, comme plus haut il disait : Ma justice : « Ayez pitié de moi, et exaucez ma prière. » Corneille aussi fut exaucé de la même façon, grâce au même avocat. « Tes prières et tes aumônes, est-il écrit, sont montées en présence de Dieu. » (Act. 10,4) Parfaitement, les actions, les bonnes œuvres sont entendues : quant aux prières, celles-là seulement sont écoutées qui sont conformes à la loi divine. Et quelles sont ces prières ? Celles qui demandent à Dieu ce qu’il lui sied de donner, celles qui ne sollicitent pas de lui des faveurs contraires à ses lois.
Mais, dira-t-on, y a-t-il un homme assez téméraire pour prier Dieu d’agir contrairement à ses propres lois ? Je réponds : Celui qui l’invoque contre ses ennemis, car ceci est contre la loi qu’il a établie. C’est lui-même qui a dit : « Remettez à vos débiteurs. » Et toi, tu sollicites contre tes ennemis l’assistance de Celui qui te prescrit le pardon ? Quoi de pire qu’une telle démence ? Celui qui prie doit avoir la posture, les dispositions, les sentiments d’un suppliant ? Pourquoi donc t’affubler de cet autre masque, celui d’un accusateur ? Comment pourras-tu obtenir le pardon de tes propres péchés, si tu appelles la vengeance de Dieu sur les prévarications d’autrui ? Il faut donc que la prière soit douce, paisible, sereine et tendre ; telle est, en effet, celle d’une âme charitable qui ne souhaite pas de mal à ses ennemis ; quant à l’autre prière, elle ressemble à une femme ivre et folle, sordide et furieuse. – Aussi le ciel lui reste-t-il fermé. C’est tout le contraire de la prière faite dans un esprit d’humanité : celle-ci retentit comme un son clair, pénétrant, mélodieux, harmonieux, mesuré, digne de l’ouïe des rois. – Aussi n’est-elle point exclue de la scène et s’en va-t-elle couronnée ; sa lyre est d’or, l’or brille sur ses vêtements. Elle charme son juge, à la fois par son attitude, par ses regards, par sa voix, et personne ne la repousse du seuil de la voûte céleste. – Car elle ravit de joie toute l’assistance. – Telle est la prière digne des cieux : elle est pareille à la voix des anges, ne proférant que de douces paroles ; quand on la présente en formant des vœux pour ses persécuteurs, pour d’injustes ennemis, alors les anges mêmes sont là, qui écoutent en silence ; et lorsqu’elle est terminée, ils ne cessent de la saluer d’applaudissements, d’éloges, d’acclamations. Offrons donc, nous aussi, pareille prière, et quoi qu’il arrive, nous serons exaucés. Et lorsque nous nous approchons de Dieu, ne croyons point avoir pour spectateur le public que vous voyez, mais un public rassemblé dans tout l’univers, et plutôt encore parmi les habitants de la cité d’en haut, et au milieu le Roi lui-même, siégeant pour écouter notre prière. Déployons donc notre talent. Qu’il n’y ait pas un joueur de lyre ou de cithare aussi inquiet au moment d’entrer en scène, aussi agité dans sa crainte de chanter faux, que nous, lorsque nous nous préparons à paraître devant ce public d’anges, que l’archet de notre langue ne fasse entendre aucun son discordant ; que tout soit harmonieux, cadencé, réglé par la sagesse : admis en présence de Dieu, suppliants, prosternés, faisons vibrer la corde au profit de nos ennemis : c’est le moyen d’être exaucés en ce qui nous regarde nous-mêmes.
5. Telle est la prière qui confond les démons, la prière qui nous met nous-mêmes en crédit, la prière qui confond le diable et le met en fuite. Car le démon n’a pas autant peur de l’homme qui le chasse en exorcisant un autre homme, que de celui qui est maître de sa propre colère, vainqueur de son courroux ; car cette passion même est un terrible démon, et, plus que les démoniaques, il faut plaindre ceux qui y sont en proie. En effet, les possédés ne tombent pas nécessairement dans l’enfer ; tandis que la colère et la rancune nous font déchoir du royaume des cieux. Si nous réglons ainsi notre prière, nous pourrons, nous aussi, dire à Dieu en toute confiance : « Exaucez ma prière. » De cette manière, non seulement nous nous rendrons service, nous nous perfectionnerons par notre prière, mais encore nous réjouirons l’oreille de Dieu en lui adressant une demande conforme à ses préceptes ; ce qui le disposera à nous tout accorder. Voilà le moyen de reconnaître notre adoption, voilà ce qui montre le mieux le caractère qu’elle nous a conféré. « Soyez miséricordieux, n’est-il écrit, « comme votre Père qui est dans les cieux. » (Lc. 6,36) Et ailleurs : « Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,44) Que peut-on donc comparer à cette prière ? Elle nous rend semblables non aux anges, ni aux archanges, mais au Roi lui-même. Or, celui qui est devenu semblable au Roi dans la mesure du possible, songez quel crédit trouveront ses prières. « Fils des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il appesanti ? Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? » A qui s’adressent ces paroles, sur qui tombe ce reproche, à qui est donné ce conseil ? : Qui sont ces fils des hommes ? Ce sont ceux qui vivent dans le péché, ceux qui sont enclins au vice. Eh quoi donc ? Nous-mêmes, ne sommes-nous pas fils des hommes ? Oui, par la nature, mais par la grâce, c’est différent, nous sommes fils de Dieu. Si donc, nous conservons la ressemblance que nous donne avec lui la vertu, le présent qui nous a été fait demeurera intact ; en effet, ceux que la grâce a rendus fils de Dieu, doivent montrer dans leur conduite le signe de leur naissance. Mais la preuve qu’il appelle fils des hommes les mondains ; les hommes adonnés au vice, elle est dans cette parole : « Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. » Eh bien ! dira-t-on, c’est justement le contraire de ce que vous avez dit ; nullement, il appelle fils de Dieu ceux qui d’abord, issus d’hommes vertueux, honorés du Seigneur, avaient ensuite dégénéré, s’étaient pervertis, étaient déchus de leur rang. C’est pour rendre plus terrible l’accusation portée contre eux, qu’il fait mention de leur dignité, montrant quel grief résulte de ce que ni leurs qualités ni leur naissance ne les avait préservés d’une pareille chute. Ailleurs, Dieu parle ainsi : « J’ai dit, vous êtes dieux et fils du Très-Haut tous tant que vous êtes. Mais vous mourrez comme des hommes. » (Ps. 81,67) Considérez ici la sagesse du Prophète. Il vient de montrer la puissance de Dieu, son inépuisable industrie, sa bonté, sa charité, comment il met au large les affligés, comment il nous exauce dans sa miséricorde, après cela, réfléchissant aux vices répandus parmi les hommes, à la tyrannie de l’impiété, comme étouffé par la douleur, il se met à parler de ceux qui vivent dans l’iniquité, c’est à peu près comme s’il disait : Vous qui avez un Dieu pareil, si bon, si charitable, si puissant comment vous êtes-vous abandonnés à l’impiété ? Et voyez quelle douceur, quelle sagesse tempère le courroux dans ce conseil. Que dit-il, en effet ? « Fils des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? » Voilà le langage d’une sévérité contenue depuis longtemps. En effet, si l’on est répréhensible pour avoir eu les yeux fermés tout d’abord à la bonté divine, quelle excuse reste-t-il à celui que la vérité a trouvé aveugle si longtemps ? Qu’est-ce à dire : vos cœurs appesantis ? Cela signifie des cœurs grossiers ; charnels, attachés à la terre, épris du vice, adonnés à l’iniquité, engourdis dans les voluptés ; car tel est l’homme charnel. Et le Prophète en accusant leur vie, indique la source de leur impiété, en montrant que c’est cela surtout qui les empêche de s’élever jusqu’aux dogmes de la sublime sagesse. Car rien n’appesantit le cœur comme la concupiscence, comme l’affection pour les choses mondaines, comme l’attachement à la terre : On ne se tromperait point en appelant un cœur pareil cœur de boue ; delà l’expression : « Cœur appesanti. » Et, suivant David, la cause du mal, c’est qu’une telle âme, bien loin de contenir au moyen des rênes le coursier qu’elle est chargée de conduire, se laisse, au contraire, entraîner par lui ; c’est que, au lieu de donner des ailes à la chair, de l’élever au-dessus du monde, et jusque dans le ciel, elle se laisse elle-même précipiter à terre sous le poids des infirmités qui la surchargent. Avec un cocher pareil, avec un tel pilote, quel espoir de salut reste-t-il ? « Si la lumière qui est en toi est, obscurité », est-il écrit, « qu’est-ce donc que l’obscurité ? » Quand le pilote est en état d’ivresse, quand sa contenance est plus désordonnée que les flots, que les vents, sur quoi compter pour sauver le navire ?
6. Comment donc alléger son âme ? Par une vie exemplaire, indifférente à tous ces biens fragiles, par le soin de ne pas embarrasser sa marche d’entraves lourdes et alourdissantes. Parmi les corps, il en est qui tendent vers la terre, comme les pierres, le bois, et autres choses de ce genre ; d’autres s’élèvent comme le feu, l’air et la plume légère. Si vous attachez à une chose légère quelqu’un de ces autres objets pesants, ni plume, ni air ne conservent leurs propriétés, attendu que la pesanteur faisant plus qu’équilibre, en triomphe et les détruit. De même, si l’on a les pieds alourdis par des humeurs ou quelque maladie, il ne sert de rien que le reste du corps soit léger. S’il en est ainsi des corps, à plus forte raison des cœurs. Prenons donc garde d’alourdir le nôtre, si nous ne voulons pas que, pareils aux esquifs surchargés de lest, ils ne soient engloutis. Cela dépend de nous. Car ce n’est point la nature qui les a faits pesants ; le cœur, de sa nature, est chose légère et faite pour s’élever ; c’est nous qui le rendons pesant, en dépit de la nature. De là le reproche du Prophète : si cette infirmité eût été naturelle, il n’en aurait pas fait un sujet de blâme. De même que la nature nous a créés pour marcher, et que néanmoins si nos jambes sont alourdies, la nature est contrariée et paralysée par cette entrave ; la même chose arrive pour les pieds de notre intelligence, je veux dire pour nos pensées. « Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? » Il me semble qu’ici il a en vue à la fois l’idolâtrie et la vie des méchants. En effet, par vanité, il entend le vide, c’est-à-dire le nom sans la chose. C’est ainsi que les païens ont plusieurs dieux, de nom, et en fait, n’en ont aucun. De même pour le reste ; la richesse est un nom, et rien de plus ; la gloire, un nom, la puissance, un nom et rien qu’un nom. Quel est donc l’homme assez insensé pour s’attacher à des noms sans réalité, à des fantômes qu’il faudrait fuir ? Car les joies, les prospérités de la vie, qu’est-ce autre chose ? Tout cela n’est-il pas leurre et mensonge ? Que vous nommiez la gloire, ou l’argent ou la puissance, tout est vanité. De là ces paroles de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » (Qo. 5,2) Aussi le Prophète gémit-il de : voir tant de déraison dans notre vie. Pareil à un homme qui voyant, quelqu’un fuir la lumière et chercher les ténèbres, lui dirait : Pourquoi fais-tu cette folie ? de même le Prophète nous demande « Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? Et reconnaissez que le Seigneur a couvert son Saint d’une gloire admirable. » Un autre interprète dit : « Mais reconnaissez. »
Voyez-vous la sagesse du Prophète ? D’où part-il pour les amener à la connaissance de Dieu ? Son point de départ est des plus manifestes, sa méthode, des plus claires ; il se propose lui-même en exemple. Je suis serviteur du vrai Dieu, dit-il, apprenez donc par moi à connaître sa puissance, son pouvoir, sa sollicitude. En effet, c’est là un argument d’importance pour nous amener à la connaissance de Dieu. Le Prophète se fonde sur la considération des créatures, lorsque pour démontrer la divine Providence, il promène sa vue du soleil et du ciel, à l’air et à la terre, et part de l’ordre qui règne dans les choses visibles pour glorifier le Créateur, il tire aussi une preuve des serviteurs de Dieu et des événements accomplis par son bras, ce dont l’histoire d’Abraham fournit un exemple. « Nous savons », lui disait-on, « que Dieu vous a envoyé pour régner sur nous. » (Gen. 23,6) Et comment le savez-vous ? Par ses victoires, ses trophées, ses guerres. La même chose arriva aussi pour les Juifs. Les prodiges accomplis en leur faveur ont rempli toute la terre d’épouvante. De là ces paroles de la prostituée de Jéricho : « la terreur de votre nom a fondu sur nous. » (Jos. 2,9) Il y a donc un premier argument, celui que fournit la création ; un second plus décisif, celui qu’offrent les serviteurs de Dieu ; et tel est l’enseignement que Dieu n’a cessé de répandre d’en haut à chaque génération. Il instruisit les Égyptiens par Abraham, les Perses[3] par le même patriarche, les Ismaélites et bien d’autres par ses descendants, d’autres enfin, les Mésopotamiens, par Jacob. Ainsi vous venez de voir toute la terre instruite (ou du moins il ne tint qu’à elle de l’être) par les saints ? Et même avant cela le déluge, la confusion des langues, avaient été propres à ouvrir les yeux des hommes. Car, afin que le temps ne fit pas tomber dans l’oubli ce dernier événement, l’endroit prit le nom de Babylone en souvenir de la confusion des langues : de telle manière que ce nom servît de guide pour remonter au principe des faits, et apprendre – à connaître la puissance de Dieu. Par là, les habitants de l’Occident eux-mêmes furent tous informés de tout parles propos des marchands égyptiens. D’ailleurs à l’origine, cette partie du monde n’était pas fort peuplée : les hommes étaient ramassés en grand nombre dans les contrées de l’Orient, c’est de là qu’Adam était sorti, c’est là que vécurent les races issues de Noé, même après Babel. Elles demeurèrent aux mêmes lieux et habitèrent surtout l’Orient. Ce qui n’empêcha point qu’à chaque génération, Dieu ne leur donnât de nouveaux instituteurs. Noé, Abraham, Isaac, Melchisédech. Voilà pourquoi notre prophète se sert des choses arrivées aux saints, pour ramener ceux qui vivent dans l’iniquité, en disant : « Reconnaissez que le Seigneur a couvert son saint d’une gloire admirable. » Qu’est-ce à dire ? Cela signifie qu’il a rendu vénérable, glorieux, illustre, auguste, celui qui s’est consacré à lui. Apprenons donc, en considérant le serviteur et son histoire, quelle est la puissance du Maître. David ne se borne pas à dire : Il lui a fait du bien, il dit : « Il l’a couvert d’une gloire admirable », faisant entendre qu’il se montra envers lui prodigieusement, miraculeusement prodigue. Ainsi arriva-t-il pour Abraham, non seulement il lui donna une épouse vierge, mais encore il le rendit digne d’admiration : et son bienfait ne consista point seulement à le préserver de tout mal, mais encore à le faire briller en Égypte d’un grand éclat. Une de ces faveurs, celle d’être affranchi de toute incommodité, Abraham la dut à sa justice : l’autre lui fut accordée pour le bien d’autrui, je parle de son retour miraculeux. La même chose arriva pour les trois jeunes gens, la même chose pour les lions, pour la baleine et Jonas ; partout Dieu sauve miraculeusement non pas tous indistinctement, mais le juste.
7. Vous avez vu comment, outre la connaissance de Dieu, il nous prescrit encore une vie pure, nous enseignant par là à fonder l’espoir de notre salut non seulement sûr la bonté de Dieu, mais encore sur le mérite de nos propres actions ? « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui. » Il vient de dire que le Seigneur l’a rendu admirable : il ne s’en tient pas là et indique une nouvelle espèce de félicité. Laquelle donc ? C’est d’avoir Dieu constamment pour allié, pour auxiliaire, de trouver en lui un appui permanent. En effet ce n’est pas une, deux, trois fois, c’est constamment qu’il nous secourt, dit-il, c’est toutes les fois que, nous l’invoquons ; et voyez ici encore cette promptitude. Il disait plus haut : « Quand je l’invoquais, il m’a exaucé, le Dieu de ma justice : » et de même ici : quand je crierai vers lui.
Mais dira-t-on, comment se fait-il que tant de gens ne soient pas exaucés ? c’est qu’ils demandent des choses qu’il ne leur serait pas avantageux d’obtenir. Alors, en effet, mieux vaut n’être pas entendu que de l’être. Par conséquent, même exaucés, ne nous hâtons pas de nous réjouir ; même non exaucés, ne cessons pas de glorifier Dieu. Car, ou bien nous demandons des choses qui ne nous sont pas avantageuses : et dans ce cas, c’est un profit pour nous de ne pas les obtenir : ou bien nous demandons négligemment, et alors, en différant ses dons, Dieu nous invite à la persévérance, ce qui n’est pas un mince avantage : « Car si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants » (Mt. 7,11), à plus fortes raison notre Dieu, qui sait donner, et quand il faut donner, et quoi donner. Paul même demanda sans obtenir, parce qu’il demandait une chose qui ne lui aurait pas été avantageuse : Moïse pareillement, et Dieu ne l’exauça pas non plus. Gardons-nous donc de renoncer, lorsque nous ne sommes pas entendus, dé nous décourager, de nous endormir : persévérons, au contraire, avec constance dans nos sollicitations. Car Dieu fait tout selon qu’il est utile. « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher : soyez touchés de componction dans vos lits, sur les choses que vous méditez au fond de vos cœurs. » Ce qui j’ai dit plus haut, je le répète en cet endroit : Voulant les amener à la connaissance de Dieu, il délivre leur âme de ses infirmités. Car il sait qu’une vie corrompue est un obstacle à la parfaite intelligence des dogmes sublimes. Paul fait allusion à la même chose en disant : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. » (1Cor. 3,1) Et encore : « Comme de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai abreuvés de lait, mais je ne vous ai point donné à manger. » (Id. 5,2) Et ailleurs : « Là-dessus nous aurions beaucoup de choses à dire, et difficiles à expliquer, parce que vous êtes devenus peu capables de les entendre. » (Héb. 5,11) Isaïe de même : « Ce peuple me cherche, et désire connaître mes voies, comme un peuple qui aurait agi selon la justice, et qui n’aurait point abandonné le jugement de Dieu. » (Is. 58,2) Et Osée : « Semez pour vous dans la justice, allumez le flambeau de la doctrine. » (Os. 10,12). Et le Christ enseignait ce qui suit : « Quiconque fait le mal hait la lumière, et il ne vient point à la lumière. » (Jn. 3,20) Et ailleurs « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l’un de l’autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jn. 5,44) Ailleurs encore : « Ses parents dirent cela parce qu’ils craignaient les Juifs et pour n’être pas chassés de la synagogue. » (Jn. 9,22) Enfin : « Beaucoup crurent en lui, et à cause des pharisiens ne le confessaient pas. » (Jn. 12,42) Et partout on peut voir que la corruption des mœurs est un empêchement à la pleine connaissance des dogmes. Car, de même que la chassie en s’appliquant sur la pupille transparente de l’œil obscurcit et trouble la vision, ainsi les pensées mauvaises aveuglent l’intelligence et la remplissent de ténèbres.
Aussi le Prophète, sachant cela, disait-il « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. » Il ne proscrit pas la colère : elle est bonne à quelque chose ; il ne condamne point le courroux : le courroux est utile, quand il a pour objet les hommes injustes et les négligents : il n’interdit que la colère injuste, que le courroux déraisonnable. Et de même que Moïse, passant à la morale, donne ce précepte pour base à sa législation : « Tu ne tueras point » (Ex. 20,13), ainsi fait le Prophète et il fait plus encore, attendu que les règles dé la piété lui étaient mieux connues. Moïse prohibe le meurtre : le Prophète remonte jusqu’au principe, à la source, à la racine du meurtre, la colère, pour la réprimer. Le Christ disait de même pour réprimer la colère : « Celui qui se met en colère sans raison contre son frère, sera soumis à la géhenne du feu. » (Mt. 5,22) Partout vous retrouvez la même mesure. « Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. Celui qui se met en colère sans raison : » en effet, il y a aussi de justes colères : la preuve, c’est que Paul lui-même s’est mis en colère contre Etyme, et Pierre contre Saphire, mais à vrai dire ce n’est point ici une colère comme une autre, c’est sagesse, c’est sollicitude, c’est prévoyance. Un père s’irrite contre son fils, mais c’est pour le bien de celui-ci. Celui qui se fâche sans raison, c’est celui qui se venge : au contraire, celui qui redresse les fautes d’autrui, celui-là est le plus charitable des hommes. Ainsi quand Dieu lui-même se met en colère, comme on dit, ce n’est point pour se venger, mais pour nous ramener au bien. Suivons cet exemple. Sévir de la sorte, c’est le fait de Dieu ; sévir autrement, c’est le propre des hommes. Mais Dieu ne diffère pas de nous en ce point seulement, que sa colère est juste ; de plus cette colère n’a rien chez lui d’une passion. Par conséquent, prenons garde, nous aussi de nous irriter sans raison. Car si la colère a été mise en nous, ce n’est pas pour que nous péchions, mais bien pour que nous empêchions les autres de commettre le péché : ce n’est pas pour qu’elle devienne chez nous une passion, une infirmité, mais pour qu’elle soit un remède aux passions.
8. Jugez donc quel est cet excès de perversité, quand le remède devient poison, quand ce qui devait guérir les plaies d’autrui devient entre nos mains une arme qui blesse. Supposez un homme qui, après avoir pris le fer en main pour amputer à autrui des membres gangrenés, se blesse lui-même étourdiment, et se meurtrisse tout le corps ; ou un pilote qui se servirait du gouvernail pour submerger son esquif, au lieu de l’employer à réprimer la fureur désordonnée des vents. – Telle est la colère, instrument utile pour réveiller notre âme dans ses accès de torpeur, pour lui donner de la vigueur, pour nous rendre plus prompts à l’indignation méritée par l’injustice, pour susciter des vengeurs à l’iniquité. – Voilà pourquoi le Prophète dit : « Mettez-vous en colère et gardez-vous de pécher. » Recommandation qu’il ne ferait pas, si elle était inexécutable ; car, dans ce cas, on ne prescrit rien. Après cette loi tout apostolique, ce précepte digne de l’Évangile, ces paroles conformes à celles du Christ, il nous donne cet autre avis : « Soyez touchés de componction dans vos lits sur les choses que vous méditez au fond de votre cœur. » Qu’est-ce à dire : il y a ici, ce semble, quelque obscurité. Voici ce qu’il veut dire : Dans le temps qui suit le repas, lorsque vous vous éloignez pour vous coucher et vous livrer au sommeil, que la solitude, que l’absence de toute gêne vous procurent un profond repos, un calme parfait, éveillez le tribunal qui sommeille dans votre conscience, demandez-vous des comptes à vous-mêmes ; faites comparaître dans ce moment de loisir tout ce que vous avez conçu dans la journée, de mauvais desseins, tramé d’artifices, tendu de pièges au prochain, accueilli de désirs pervers ; mettez en face de votre conscience ces mauvaises pensées, et punissez, déchirez, torturez votre âme pécheresse. Voilà le sens de ce mot : « Soyez touchés de componction ; » ou : Faites sentir l’aiguillon à vos secrètes pensées du jour, c’est-à-dire les mauvais desseins que vous avez conçus, châtiez-les, punissez-les dans vos lits à l’heure du repos ; quand aucun ami ne vous dérangera, qu’aucun serviteur n’excitera votre courroux, que vous serez libre du tracas des affaires, alors faites le compte de vos actions de la journée. Et pourquoi ne point parler des paroles et des actions, mais uniquement des mauvaises pensées ? Ce précepte suppose l’autre. – En effet, s’il faut réprimer les projets coupables afin, qu’ils ne se réalisent point, à plus forte raison pour les actions et les paroles doit-on soumettre l’âme à la gêne. N’y manquez pas un seul jour, mon cher auditeur, ne vous endormez pas avant d’avoir repassé dans votre esprit vos fautes de la journée : et certainement vous serez moins prompt le lendemain à tomber dans les mêmes fautes ; voyez ce que vous faites pour votre argent ; vous ne laissez point passer deux jours sans compter avec votre serviteur, tant vous craignez la confusion qui résulte de l’oubli : faites de même chaque jour pour vos actions ; le soir, appelez votre âme à rendre ses comptes, prononcez la condamnation contre votre cœur égaré, attachez-le à la croix, mettez-le à la torture, prescrivez-lui de ne pas recommencer. – Voyez-vous comment cette excellente médecine dispose à la fois de préservatifs et de remèdes ? Prescrire de ne pas retomber, c’est en effet, administrer pour ainsi dire, un préservatif ; tel est ce précepte : « Mettez-vous a en colère, et gardez-vous de pécher ;» au contraire : « Soyez touchés de componction dans vos lits sur les choses que vous médita au fond de vos cœurs », voilà un remède. – En effet, la médecine s’applique ici après la faute, à guérir le coupable par lui-même. Pratiquons donc cette médecine qui n’a rien de pénible. Et si ton âme ne peut supporter le souvenir de ses fautes, si la honte, la confusion l’en empêchent, dis-lui : Tu ne gagnes rien à ne pas te souvenir, tu y perds, au contraire ; beaucoup. Car, faute de te rappeler à présent tes péchés, tu t’exposes à ce qu’ils soient un jour manifestés à tous les yeux. Au contraire ; si tu les repasses maintenant dans ton esprit tu en seras promptement délivré, et tu n’y retomberas point si facilement. En effet, dans l’attente de ce jugement du soir, dans la crainte de retomber sous le coup du même arrêt, d’être encore flagellée et torturée, l’âme sera plus lente à pécher ; et tel est l’avantage de cette pratique, qu’il nous suffira de nous adonner un mois durant, pour nous mettre dans l’état de vertu. N’allons donc point négliger un si beau bénéfice. Celui qui aura institué ce tribunal ici-bas, échappera aux durs jugements de là-haut. « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés ; et lorsque nous sommes jugés, c’est par le Seigneur que nous sommes repris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. » (1Cor. 11,31-32) – Recourons donc à ce moyen, afin de n’être pas condamnés. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » (Id. 6) Voyez-vous comme cet excellent conseil s’enchaîne bien au précédent et le complète ? Après nous avoir touchés de componction, nous avoir rendus moins prompts à retomber dans nos péchés, avoir institué cet incorruptible tribunal, nous avoir demandé compte de nos actions, de suite le prophète nous amène à la pratique de la vertu. En effet, il ne suffit point de s’abstenir du mal, il faut joindre à cela la pratique du bien. Delà aussi ce conseil qu’il donne plus loin : « Détourne-toi du mal et fais le bien. » (Ps. 33,15) – En effet, on n’est pas puni, uniquement pour faire le mal, on l’est encore pour ne pas pratiquer la vertu. Ceux qui n’ont pas nourri leur prochain quand il était affamé, ne l’ont pas désaltéré quand il avait soif, couvert quand il était nu, ceux-là n’ont ni pillé, ni pris, ni usurpé le bien d’autrui ; c’est pour n’avoir pas fait l’aumône qu’ils sont livrés à l’éternel châtiment, au supplice qui n’aura pas de fin. D’où nous voyons qu’on, ne se sauve point en s’abstenant du vice ; à moins d’être en outre riche de vertus et de faire le bien.
9. Voilà pourquoi le Prophète, quand il nous a retirés du vice au moyen de la componction, qu’ils nous a rendus plus aptes à la pratique de la vertu, qu’il a vaincu la dureté de notre âme, qu’il l’a amollie par le même moyen, voilà pourquoi, dis-je, il se met a parler de la justice, en ces termes : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » Qu’est-ce à dire : Offrez un sacrifice de justice ? Cherchez la justice, montrez de la justice : le plus beau présent que vous puissiez faire à Dieu, le sacrifice agréable, l’offrande propre à fléchir la colère, ce n’est point un sacrifice de veaux ou de brebis, c’est une conduite conforme à l’équité. Vous voyez ici comme une esquisse tracée de main divine de la législation future de l’Église ; et les choses spirituelles recherchées dès lors à la place des choses charnelles. Ici d’ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, il entend par justice, non pas une vertu particulière, mais, la vertu en général : c’est ainsi que nous appelons juste l’homme qui réunit en soi toutes les vertus. Ce sacrifice-là n’exige ni argent, ni couteau, ni autel, ni feu : il ne se résout pas en fumée, en graisse et en cendre, il consiste tout entier dans l’intention de celui qui l’offre. Ni la pauvreté n’y est un obstacle, ni la misère une entrave, pas plus que le lieu ou quoi que ce soit : en quelque lieu que vous vous trouviez, vous pouvez l’offrir et être vous-même le prêtre, l’autel, le couteau et la victime. Telle est la nature des choses invisibles et spirituelles : elles offrent bien plus de facilités, parce qu’elles ne nécessitent aucune pratique extérieure. « Et espérez dans le Seigneur. » Un autre dit : « Et confiez-vous au Seigneur. » En effet, celui qui a mérité la faveur divine par une conduite équitable, celui-là y trouve un grand appui, un tout-puissant secours, une force irrésistible. Voyez-vous le fruit du sacrifice, qui vous attend à la porte ? Voyez-vous ce trésor de biens qui sur-le-champ s’entasse entre vos mains ? Qui pourrait encore inspirer de la crainte à celui qui a Dieu pour allié ? Mais ceci même n’est point une petite vertu, d’avoir confiance en lui, de se reposer sur lui. Avec la justice il nous demande donc cette autre vertu, la confiance, l’espoir en Dieu, la défiance et le détachement à l’égard des biens charnels, de telle sorte que nous fixions là-haut notre pensée. Car les choses de la vie présente ressemblent à des songes, à des ombres, et ont encore moins de consistance, ne faisant que paraître et s’envolant ; après, avoir dans l’instant de leur présence, porté le trouble dans nos cœurs : au contraire, l’espoir en Dieu est immortel, invariable, constant, exempt de changement ; il nous met dans une sécurité parfaite, il rend invincible celui qui s’y livre sans réserve et avec là ferveur convenable. « Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens ? La lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur. (Id. 7) » Après avoir parfait son exhortation morale, nous avoir, acheminés à la connaissance de Dieu, avoir mis en œuvre tous les moyens capables de redresser la raison de ceux qui sont égarés, en se servant surtout de l’exemple des fidèles et de la sollicitude divine à leur égard, il donne place à une objection qu’il emprunte aux hommes faibles et grossiers : « Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens ? » Ce n’est point le petit nombre, ce ne sont point les vrais sages, les fidèles éprouvés qui s’expriment ainsi : c’est la multitude, c’est cette foule confuse que sa démence ne quitte point. Quel est le sens de cette parole : « Qui nous fera voir les biens ? » Il y a des gens qui disent, les uns pour calomnier la Providence divine, les autres parce qu’ils sont épris de la volupté, de la mollesse, de l’argent, de la gloire, de la puissance : Où sont les biens de Dieu ? Me voici dans la misère, la maladie, l’infortune, en butte à des maux extrêmes, à la persécution, à la calomnie : tel autre, au contraire, vit dans la prospérité, les plaisirs, la puissance, la gloire, la richesse. Ces hommes ne recherchent que ces biens-là et négligent les biens véritables, je veux dire la sagesse et la vertu. Les autres, comme je le dis plus haut, partent de là pour accuser la Providence : Où est, disent-ils, la providence de Dieu, quand le monde offre le spectacle d’une telle confusion, quand la plupart des hommes vivent dans la misère, la pauvreté et l’excès des maux ? Quelle est la preuve de sa sollicitude ? On croit entendre des gens qui en plein midi, par un beau ciel, demandent à voir le soleil, et contestent l’existence de la lumière. C’est à quoi songe le Prophète, quand il dit de manière à résoudre d’un mot tous ces doutes : La Lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur : Il ne dit pas : « Est visible », il ne dit pas « Éclate », il dit : « Est empreinte », faisant voir que, de même qu’une marque empreinte sur le front est visible à tous et ne saurait échapper à personne, de même qu’il est impossible de ne pas reconnaître un visage rayonnant et inondé de lumière, de même il est impossible de ne pas voir la providence de Dieu. En effet, autant est manifeste une lumière empreinte, c’est-à-dire, gravée, inscrite sur un visage : autant est sensible cette bienfaisante Providence. Car ce due David entend ici par lumière, c’est l’assistance, la sollicitude, le secours, la Providence. Après avoir avancé cette proposition, voici qu’il en donne la preuve. Quelle est cette preuve ? « Vous avez mis la joie dans mon cœur. » Après avoir condamné l’irréflexion du vulgaire, il parle maintenant le langage des hommes sages et sensés pour démontrer la Providence divine « Vous avez mis la joie dans mon cœur », dit-il : c’est-à-dire, vous m’avez enseigné la sagesse, le dédain des choses mondaines, la connaissance des biens véritables et permanents : vous avez relevé mon âme par de bonnes espérances, vous m’avez guidé vers la vie future ; afin de me faire jouir des biens, vous m’avez encouragé par l’attente des biens. On ne peut mieux dire.
10. En effet, si l’homme qui doit entrer en possession d’un héritage, ou parvenir à une charge élevée, se sent heureux avant d’être appelé à en jouir et d’en avoir fait l’expérience, grâce au seul plaisir que ne cessent de lui causer l’attente et l’espoir : songez à ce que doit éprouver celui qui vit dans l’attente d’un immortel royaume, dans l’espérance de biens que l’œil n’a jamais vus, que n’a jamais ouïs l’oreille, que le cœur de l’homme n’a jamais connus. Voilà pourquoi il dit : « Tu as mis la joie dans mon cœur. » Car c’est la meilleure marque de providence, que d’avoir ainsi tout disposé dès l’origine. Que si les hommes grossiers, charnels et attachés à la terre, n’y font pas attention, la cause du désordre n’est point imputable à l’auteur de la promesse, mais à la folie de ceux qui l’ont reçue. Et le Prophète ne se borne point à dire : « Tu m’as donné la a joie », il dit : « Tu as mis la joie dans mon a cœur. » Montrant que le bonheur ne consiste pas dans les choses du dehors, dans le nombre des esclaves, dans l’or, dans l’argent, dans les étoffes précieuses, dans une table somptueusement servie ; dans la puissance, dans le luxe. Ce bonheur-là est pour les yeux, non pour le cœur. Beaucoup d’hommes qui possèdent toutes ces choses regardent la vie comme intolérable, et portent dans leur âme une fournaise de douleur ; mille soucis les consument ; mille alarmes les assiègent. Quant à moi, dit le Prophète, ce n’est point là-dedans que je mets mon bonheur, mais dans mon cœur, dans ma pensée, choses invisibles, incorporelles et qui ne me représentent que des choses incorporelles. – Par conséquent, si le contentement que te procurent les choses présentes, te fournit une preuve de la Providence divine : à plus forte raison les biens futurs doivent t’en instruire, puisqu’ils sont supérieurs à ceux-là, plus solides, et inaliénables. Car si, parce que l’on jouit de la richesse et de la prospérité, on est convaincu de la Providence divine : à plus forte raison les richesses du ciel doivent-elles produire en nous la même persuasion.
Mais, direz-vous : Pourquoi donc ces richesses-là ne sont-elles que des richesses en espérance, qui ne tombent point sous la vue ? Je réponds que pour nous, fidèles, ces biens en espérance ont une réalité plus manifeste que ceux d’ici-bas : telle est la certitude que donne la foi. Peut-être nous proposera-t-on cette autre difficulté : Pourquoi n’est-ce point ici-bas que nous recevons notre salaire ? A cela je répondrai qu’il y a un temps pour les combats et les luttes, un autre pour les couronnes et la distribution des récompenses. Et ceci même est un trait de la sollicitude de Dieu qu’il ait confiné les peines et les fatigues dans les bornes étroites de cette vie périssable, et qu’au contraire il ait égalé la durée des couronnes et des récompenses à celle d’une éternité sur laquelle la vieillesse n’a pas de prises. De plus, comme les faibles étaient en grand nombre, il leur a donné en outre les biens sensibles d’ici-bas. C’est ainsi du moins qu’il gouverna le peuple juif. La richesse affluait chez eux, leur vie se prolongeait jusqu’à la vieillesse, la maladie les épargnait : extermination de leurs ennemis, paix profonde, trophées, victoires ; belle et nombreuse postérité, tout conspirait à leur bonheur. Mais quand eut paru Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour nous appeler au ciel, nous inspirer le mépris des choses d’ici-bas et l’amour des biens célestes, pour nous arracher aux choses mondaines : la valeur de celle-ci a diminué, comme de juste : et les autres sont devenus la seule richesse vu l’état de maturité auquel nous étions parvenus. Ainsi, tant que les enfants sont petits encore, leurs pères leur donnent des chaussures, des vêtements, des ornements d’or, des bracelets mais, une fois qu’ils sont devenus grands, au lieu de tout cela, ils reçoivent de leurs parents d’autres présents plus beaux : le talent de l’éloquence, un rang élevé dans l’État, le crédit à la cour du souverain, les charges, les magistratures, et sont dégoûtés par là des frivoles amusements de l’enfance. – Ainsi fit Dieu lui-même : il nous arracha aux futiles divertissements de l’enfance, pour nous promettre les trésors célestes. Ne te laisse donc pas éblouir par des biens périssables et fugitifs, ne t’occupe point de ces bagatelles. – Ce n’est pas, d’ailleurs, que Dieu te les ait absolument refusés. Enveloppés de chair, attachés à un corps, nous ne pouvions rester entièrement privés de ces choses : aussi Dieu nous en a-t-il pourvus largement. Voilà pourquoi le Prophète, après avoir touché à la Providence, en ce qu’elle a de plus élevé, et avoir dit : « Vous avez mis la joie dans mon cœur », voilà pourquoi le Prophète ajoute : « L’abondance de leur froment, de leur vin, de leur huile, les a accrus et enrichis. » Par ces mots il fait allusion à un côté de cette même Providence, qui n’est pas à négliger, celui qui se manifeste jusque dans les choses visibles. – En effet, parler de froment, de vin, d’huile, de l’abondance de ces productions, c’est faire penser aux pluies, au savant arrangement des saisons, à la terre, à son travail intérieur, à sa fécondité, à l’atmosphère, au cours du soleil, aux révolutions de la lune, à la marche régulière des astres, à l’été, à l’hiver, à l’automne, au printemps, au labourage, aux instruments de culture, à une foule d’industries. Car si tout cela n’était point réuni, il ne serait pas possible aux fruits de parvenir à maturité. Ainsi, en nommant le blé, le vin, l’huile, le Prophète donne au sage une occasion de s’élever de la partie au tout, et lui ouvre un vaste champ pour étudier la providence de Dieu révélée dans les choses sensibles.
11. Voilà pourquoi Paul aussi, faisant un discours public et traitant de la Providence, partait de là pour dire : « Dispersant les pluies et les saisons fécondes, en nous donnant la nourriture en abondance, et en remplissant nos cœurs de joie. » (Act. 14,16) Le Prophète, dans sa concision, omet tout le reste : fruits, baies, espèces de plantes, de graines ; d’herbes, prairies, fleurs, jardins, que sais-je encore ? Il abrège, en nommant seulement les choses nécessaires à notre subsistance, et nous laissant les autres à deviner. Tous ces biens, ce n’est pas assez de dire que Dieu nous les donne : il nous les prodigue, et cela chaque année. Que si parfois il en devient ménager, en cela même il fait voir encore sa Providence ; il réveille la nonchalance des hommes, il les excite à solliciter ces biens de sa bonté. Viendra-t-on nous dire que ce n’est pas Dieu qui donne la pluie, mais les idoles ? Nous demanderons alors, qu’est-ce qui le prouve ? C’est que les poètes prétendent, dira-t-on, que c’est Jupiter qui fait la pluie. J’objecte que ces mêmes poètes ont dit aussi que ce Jupiter est un adultère, qu’il a débauché des enfants, meurtri son père, et commis d’autres crimes non moins énormes. Mais tout cela est faux, dira-t-on : eh bien ! il est faux également que la pluie vienne de Jupiter : car si vous admettez ceci, il faut admettre tout le reste : si vous rejetez le reste, rejetez pareillement ceci. En ce qui nous concerne, lorsque nous produisons des témoins de la puissance de Dieu, nous tenons pour vrai tout ce qu’ils disent de Dieu. Vous voilà donc forcés d’admettre les adultères de Jupiter, et toutes les autres actions qu’on lui attribue, et de vous convaincre par là que la nature divine ne comporte pas de pareilles imputations, qu’un être semblable ne saurait être dieu. Et dussiez-vous ne point l’admettre, la fable se dément de soi, le mensonge est confondu par lui-même, et toute autorité est enlevée aux poètes. Mais il est clair que cette autorité détruite, tout s’échappe de vos mains puisque ce sont les poètes qui ont inventé les noms donnés par eux aux fausses divinités, ainsi qu’un de vos philosophes en fait l’aveu. Mais peut-être sacrifierez-vous vos dieux pour recourir aux allégories : je vous demanderai alors : qu’est-ce que Jupiter ? Vous me répondrez :.la substance ignée, la région supérieure à l’air, ce qu’on appelle éther, d’un mot qui signifie bouillonnement, combustion. Ce n’est donc point une essence raisonnable, intelligente, mais un être dépourvu de pensée. En effet, personne ne contestera sans doute que tout ce qui participe de la nature de l’air, ne possède ni la raison ni le raisonnement : le plus stupide des hommes sait ce qu’il en est. Voilà donc Jupiter et son essence réduits à néant. En effet, s’il est air, et que l’air soit ce que nous avons dit, la fable est encore battue sur ce terrain. S’il est air, il ne peut être le père de personne, il n’a pu engendrer une essence telle que l’on représente le soleil, appelé aussi Apollon, et prétendu fils de Jupiter : en effet, le soleil est également dépourvu de raisonnement, de pensée, d’intelligence : il n’est lui-même qu’une créature physique, guidée dans son cours circulaire par la loi que Dieu lui a prescrite à l’origine. D’ailleurs la pluie ne tombe point de l’éther ; mais des nuages où vient s’amasser l’eau, soit de la mer, soit des réservoirs qui sont au-dessus du ciel, comme parlent les prophètes. Que si vous révoquez en doute l’autorité des prophètes, nous vous produirons des marques incontestables et manifestes qui les montrent clairement inspirés de Dieu, et ne parlant jamais par eux-mêmes, mais toujours sous la dictée de cette grâce divine et céleste. En effet, tout ce qu’ils ont prédit est accompli, tout a trouvé sa réalisation, soit que l’on feuillette l’histoire ancienne ou celle des temps nouveaux. Ce que les prophètes ont dit des Juifs a reçu son plein accomplissement, et tous ont pu en vérifier la réalisation : de même pour ce qui concerne le Christ dans le Nouveau Testament : par là on voit clairement la divinité de l’une et l’autre Écriture. Mais si l’Écriture est divine, ce qu’elle dit de Dieu ne peut manquer d’être complètement vrai. N’allez donc point douter de la Providence divine, et admirez en ceci encore sa sollicitude, que les méchants mêlés aux bons ici-bas ne l’aient pas empêché d’accorder à tous la jouissance de la terre et du soleil, ainsi que le bienfait des pluies. Que s’il laisse quelques hommes dans la misère et la pauvreté, c’est afin d’améliorer leur âme et de leur inspirer des pensées plus sages. En effet vous savez, vous n’ignorez pas que la richesse n’est qu’un instrument de corruption pour ceux qui n’y prennent pas garde ; tandis que la pauvreté est mère de la philosophie : et c’est ce que les faits établissent chaque jour. Combien de pauvres plus sages, plus intelligents : que les riches, et aussi plus sains de corps, grâce à leur pauvreté même qui amende tout à la fois leur chair et leur âme ? « Pour moi, je dormirai là-dessus et je reposerai d’un profond sommeil. Parce que vous m’avez logé, Seigneur, à l’écart, près de l’espérance. » Encore une autre manifestation, très-notable, de la Providence : la paix accordée à ceux qui sont voués à Dieu, « Car ceux qui chérissent votre loi sont en paix, et il n’y a pas de scandale pour eux. » (Ps. 118,165) En effet, rien ne donne plus habituellement la paix que la connaissance de Dieu, que la possession de la vertu, qui exile de notre cœur les passions avec les troubles qu’elles y fomentent, et ne permet pas à l’homme d’être en guerre avec lui-même : à ce point qu’à défaut de cette paix, quand bien même on trouverait au-dehors une paix profonde, quand on ne serait en butte à aucun ennemi, on est plus malheureux que ceux contre qui l’univers est conjuré.
12. En effet, ni les Scythes, ni les Thraces, ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures, ni aucune nation sauvage, ne font une guerre aussi acharnée que les mauvaises pensées qui font leur séjour dans l’âme, que les passions déréglées, l’amour des richesses, la soif du pouvoir, l’attachement aux choses mondaines ; et cela se conçoit, car c’est du dehors que ces premiers ennemis nous attaquent, c’est au-dedans que les seconds nous font la guerre. Or, que les maux intérieurs sont plus désastreux et plus pernicieux que ceux qui viennent du dehors, c’est une observation que l’on peut faire constamment. Rien n’est plus funeste aux arbres que les vers engendrés dans leur substance, rien n’est plus fatal à la santé, à la force du corps, que les infirmités qui s’y développent intérieurement ; les villes ont moins à souffrir de la guerre étrangère, que de leurs dissensions intestines ; de même l’âme n’a pas tant à redouter les pièges qui lui sont tendus dans le monde que les maladies dont elle a fourni le germe elle-même. Mais quand un homme vivant dans la crainte de Dieu, s’attache avec constance à faire cesser cette guerre, à assoupir ses passions, à étouffer l’hydre des mauvaises pensées, à ne lui laisser aucune retraite, alors il est assuré de goûter une paix parfaite et profonde. Telle est la paix que nous devons à la venue du Christ ; telle est la paix que Paul souhaitait aux fidèles, disant dans chaque épître : « Grâce à vous, et paix par Dieu notre père. » En effet, celui qui en jouit non seulement n’a pas à craindre le barbare et l’ennemi, il n’a pas même lieu de redouter le diable, il se rit de toute la phalange des démons, il est le plus heureux des hommes, la pauvreté ne le gêne point ; ni la maladie, ni, les infirmités ne l’incommodent ; aucun des accidents imprévus qui assaillent l’humanité ne le trouble, parce que son âme, en qui réside le pouvoir d’accommoder tout cela pour le mieux, reste forte et en bonne santé. Vous allez vous convaincre que c’est la vérité ; prenez, par exemple, un envieux, en admettant que personne ne l’attaque, à quoi cela lui sert-il ? Il est lui-même son propre ennemi, son âme aiguise contre elle-même des traits plus perçants qu’une épée ; il se heurte à tout ce qu’il voit, chaque homme qu’il vient à rencontrer le blesse, ses regards ne s’arrêtent avec plaisir sur personne, il ne voit partout que des ennemis conjurés. Que lui revient-il donc de cette paix où le monde le laisse, quand lui-même, furieux, enragé, ennemi de toute la nature, porte en tous lieux cette guerre intestine, et souhaiterait d’être en butte à mille flèches, à mille traits, disons plus, à mille morts, plutôt que de voir un de ses semblables au sein des honneurs ou de la prospérité ? Tel autre que possède la passion des richesses, ouvre la porte de son âme à mille guerres, mille combats, mille séditions, et, dans son trouble, dans ses alarmes, il ne peut respirer un instant. Tout autre est celui qui a su s’affranchir des passions : il vit dans un port paisible, parmi les douceurs de la philosophie, à l’abri de toute incommodité pareille. Voilà pourquoi le Prophète, favorisé de ce bienfait de la Providence, disait : « Pour moi, je dormirai là-dessus, et je reposerai d’un profond sommeil », faisant voir par là que celui à qui cette paix est refusée n’a plus même l’accès de ce port du sommeil et de la nuit qui est ouvert à tous les hommes, et que l’entrée lui en est fermée. En effet, ces passions ruinent jusqu’au repos procuré par la nature, en opposant à la tyrannie du sommeil, une autre tyrannie plus forte qui en triomphe. Car les hommes envieux, jaloux, cupides, injustes, portant en tous lieux cette guerre et ses ennemis dans leur sein, ne peuvent se dérober au combat, dans quelque asile qu’ils se réfugient : même chez eux, même au lit, des nuées de traits, des agitations plus violentes que les flots, des combats sanglants, des cris, des gémissements, mille autres alarmes pires que celles que peut causer la présence des ennemis, ne cessent de les troubler. Il n’en est pas ainsi de notre juste. Content durant la veille, la nuit lui apporte un sommeil délicieux. Mais qu’est-ce à dire, « là-dessus ? » Cela signifie recueilli, replié sur moi-même, sans me laisser distraire par mille inquiétudes, sans songer à tel ou tel ; sans laisser mes pensées s’égarer sur la terre : en me contentant de réfléchir à mes affaires, à mes intérêts, aux choses qui importent le plus à un homme : « Parce que vous m’avez logé, Seigneur, à l’écart, près de l’espérance. » Il veut dire que son espérance, sa confiance en Dieu ont apaisé toutes ses passions. Tel est aussi le langage de Paul : « Car les tribulations si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d’une sublime et incomparable gloire : parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient pas. » En effet, il n’y a pas de chose si difficile qui ne devienne très-aisée, grâce à l’espérance de la glorification selon Dieu. Voilà pourquoi le Prophète dit : « Vous avez mis en moi l’espérance. À l’écart : » ce mot même renferme une grande instruction.
13. Qu’est-ce à dire : à l’écart ? C’est-à-dire loin des méchants. J’ai trouvé cette paix en vous, veut-il dire, et je vis séparé des pervers. C’est très-bien fait : car si les corps ont souvent à souffrir du contact d’un air vicié : ainsi l’âme est gagnée souvent par la contagion des vices d’autrui. et si un œil parfaitement sain peut contracter par les regards jetés sur un œil malade la même maladie ; si le galeux communique son mal aux gens bien portants ; les mauvaises sociétés produisent souvent des effets analogues. Voilà pourquoi le Christ conseillait non seulement de fuir les méchants, mais même de s’en séparer violemment, témoin ces paroles : « Si ton œil droit te scandalise, arrache-le, et jette-le loin de toi. » (Mt. 5,29) Ce n’est pas de l’œil qu’il veut parler : en effet, quel mal l’œil peut-il faire tant que l’esprit reste sain ? Il veut parler de ces amis intimes qui nous sont aussi nécessaires que nos yeux, et il nous prescrit, s’ils viennent à nous nuire de répudier tout commerce avec eux, pour garantir plus efficacement notre salut. De là encore ces paroles qui se trouvent plus loin chez le Prophète. « Je ne me suis pas assis avec les conseillers de vanité, et je n’entrerai pas avec les prévaricateurs. » (Ps. 25,4) Jérémie aussi proclame heureux l’homme qui reste dans la solitude, et qui porte ce joug dès la jeunesse. (Thrèn. III, 27, 28) Les Proverbes, également, contiennent beaucoup de conseils à ce sujet, et invitent tout le monde, non seulement à éviter les mauvais conseillers, mais encore à rompre tout commerce avec eux, et à ne les point fréquenter. En effet si nous voyons souvent les choses corporelles dénaturées par l’effet d’un mauvais voisinage, à combien plus forte raison en doit-il être ainsi de la moralité ? Les couleurs et la santé sont naturelles à notre corps : néanmoins il arrive qu’elles nous sont ôtées par la prédominance d’une disposition contraire. – L’appétit est pareillement inné chez nous : néanmoins il nous arrive de le perdre souvent par la faute des maladies : et l’on pourrait multiplier les exemples de ce genre. Eh bien l si les choses physiques sont sujettes à ces ébranlements, à plus forte raison les choses morales qui sont bien plus promptes à changer dans un sens ou dans l’autre. N’allons donc pas croire que les mauvaises fréquentations n’offrent qu’un médiocre danger fuyons-les au contraire, par-dessus toutes choses, fût-ce la société de nos femmes ou celle de nos amis. C’est le péril auquel ont succombé ces grands hommes, Salomon et Samson : toute une nation, la nation juive, se perdit aussi de la sorte. Car les serpents sont moins dangereux que la perversité humaine. Le venin du serpent est visible : les hommes, au contraire, distillent goutte à goutte, sans bruit, mais chaque jour, leur poison, qui peu à peu détruit toute la vigueur de notre vertu. Aussi Dieu défend-il jusqu’aux regards déréglés : « Celui, dit-il, qui a jeté les yeux sur une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » (Mt. 5,28) C’est pour indiquer combien la chute est facile et prompte. Mais vous-mêmes, avez-vous envie de vous établir dans une ville ? Vous vous inquiétez du climat, vous voulez savoir s’il n’est pas insalubre, variable, sec à l’excès mais quand il s’agit de votre âme, peu vous importent les sociétés dont elle va se trouver entourée, et vous la livrez, sans examen, à la merci du premier venu ? Et par quelle excuse, je vous le demande, justifier une pareille indifférence ? Quelle est, selon vous, la cause, qui porte si haut la gloire et le renom des solitaires ? N’est-ce point d’avoir fui les agitations de la place publique, de s’être sauvés loin de la fumée des affaires d’ici-bas ? Sachez les limiter, et chercher la solitude au milieu même de la cité. Mais comment la trouver ? En fuyant les méchants, en courant après les bons. C’est le moyen d’être mieux préservé que les solitaires eux-mêmes, parce que, tout en vous prémunissant contre ce qui pourrait vous nuire, vous aurez encore l’avantage des sociétés utiles. Fuir les méchants, rechercher les bons, ce sera pour vous double ressource afin de croître en vertu, et de mettre le vice en fuite. Conduisons-nous donc de manière à y parvenir, conformément à la parole du Psalmiste : « Parce que tu m’as logé, Seigneur, à l’écart près de l’espérance. » Je finirai ici mon discours, après vous avoir expliqué suffisamment, je pense, les difficultés, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION SUR LE PSAUME V.

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POUR LA FIN, POUR L’HÉRITIÈRE. – PSAUME DE DAVID.

ANALYSE.

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  • 1. Héritage de l’Église : pourquoi elle n’entrera en possession que dans l’autre vie.
  • 2. Combien il est facile d’aimer son prochain. L’épouse et l’époux.
  • 3. Réflexions diverses sur la prière.
  • 4. Haine de Dieu contre les méchants. Sa miséricorde.
  • 5. Explication des mots : Sépulcre ouvert.
  • 6. Gloire et sécurité : réunies chez le seul juste.


1. Voyons d’abord quel est cet héritage, et s’il nous en revient une part ; puis le temps où nous devons hériter. Il serait bien étrange, quand vous vous montrez si inquiets, si préoccupés, au premier bruit d’un legs pécuniaire fait en votre faveur, si empressés à fouiller des livres, à consigner des sommes, à recourir aux pièces, à en transcrire la teneur, à déployer toute votre activité, de montrer de la tiédeur et de la négligence aujourd’hui qu’il s’agit de l’ouverture d’un testament spirituel qui attend son exécution d’une succession qui n’est point de ce monde. Approchons-nous donc, ouvrons les registres, examinons le texte de près, et voyons à quelles conditions cet héritage nous est laissé, et quelle en est la nature. En effet, ce n’est pas un héritage pur et simple, il y a une clause. Quelle est cette clause ? « Celui qui m’aime gardera mes préceptes » (Jn. 14,23) ; ou encore, « celui qui ne portera pas ma croix et ne marchera pas à ma suite » (Mt. 10,33) ; la même chose se retrouve dans plusieurs endroits du Testament. Enquérons-nous maintenant du temps, où la succession doit nous échoir. Ce temps n’est pas le présent, mais l’avenir ; ou plutôt, c’est à la fois le présent et l’avenir. « Cherchez le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît ; » le legs entier est réservé pour un autre temps. Car, la vie présente étant fragile, et nos âmes encore dans l’enfance, Dieu fait comme les législateurs du monde ; il attend que nous soyons mûrs, pour nous investir de notre patrimoine. C’est lorsque nous sommes arrivés à la maturité, à la plénitude de l’âge, et que nous avons quitté cette vie pour la vie éternelle qu’il nous met en main l’héritage promis. En attendant il a testé, il nous a laissé les pièces, il nous a dit ce qu’il fallait faire pour être mis en possession du legs, pour n’être pas évincés, déshérités. Va-t-on se préoccuper de ce que nous ne sommes pas encore en âge, et tenir pour suspecte la parole donnée ? Que l’on écoute alors le langage de Paul : « Quand j’étais petit enfant, comme un enfant je parlais, comme un enfant je pensais, comme un enfant je raisonnais ; mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l’enfant. » (1Cor. 13,11) Voilà le présent et voilà l’avenir. – Ailleurs encore : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à la maturité, à la plénitude de l’âge. » (Eph. 4,13) C’est comme s’il disait : Dans la vie présente, la création qui nous environne est comme une nourrice qui nous donne son lait ; mais quand le moment sera venu pour nous d’être introduits dans le palais du Seigneur, alors dépouillant ce vêtement périssable pour nous envelopper d’immortalité, nous serons admis à cet autre partage. Le même Testament menace aussi de laisser beaucoup d’hommes sans héritage, s’ils ne savent pas répondre aux conditions formulées. Mais voyons maintenant de quel legs il s’agit : De ce que « l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas ouï », de « ce qui n’est pas entré dans le cœur de l’homme. » (1Cor. 2,9) Comment donc aurions-nous pu dans cette vie avoir la disposition de choses dont la connaissance même surpasse notre esprit ? Voilà pourquoi elles nous sont gardées comme un dépôt dans l’autre monde. Et voyez quel excès de sollicitude. Nos maux sont circonscrits dans les limites de l’existence actuelle, de telle façon qu’un temps borné en mesure la durée ; au contraire, les biens nous attendent au sein de la vie future, afin que notre rémunération se prolonge sans fin dans l’éternité. C’est ce partage immortel qui est appelé aussi royaume. En effet, cet avenir a beau surpasser notre raison ; Dieu y fait allusion dans un langage approprié à notre faiblesse, tantôt le nommant royaume, ainsi que je l’ai dit plus haut, tantôt noces, tantôt magistrature, afin que ces noms qui rappellent des joies d’ici-bas, nous permettent de pressentir cette gloire éternelle, ce bonheur sans mélange, cette société du Christ, que rien ne saurait égaler. – Mais quelles sont les conditions de l’Église, ou plutôt de l’héritage ? Elles n’ont rien d’onéreux : « Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi. » (Mt. 7,12) Vous voyez qu’il n’y a rien là d’exorbitant, rien que la nature n’ait commencé par prescrire elle-même ? Faites au prochain les traitements que vous désirez obtenir de lui. Tu veux être loué : Loue. Tu veux n’être pas dépossédé : Ne dépossède pas. Tu veux être honoré : Honore. Tu veux obtenir miséricorde : Sois miséricordieux. Tu veux être aimé : Aime. Tu veux qu’on ne médise pas de toi : Ne médis pas. Et remarquez la justesse de ce langage. On ne vous dit pas : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse, mais : Faites ce que vous voulez qu’on vous fasse. Entre les deux routes qui mènent à la vertu, l’une, par l’abstention du vice, l’autre, par la pratique de la vertu, Jésus choisit la seconde, en nous indiquant en même temps la première. Il avait d’ailleurs fait allusion à celle-ci, en disant : Ce que tu hais, ne le fais pas à autrui ; quant à la seconde, il nous la montre clairement par ces expressions : « Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi. »
2. Il y a encore une autre condition. Quelle est-elle ? C’est d’aimer son prochain comme soi-même. Et quoi de plus aisé ? Haïr, voilà ce qui est difficile et pénible ; aimer, rien n’est plus facile et plus doux. S’il avait dit Hommes, aimez les bêtes sauvages, le précepte serait rigoureux ; mai-3 il ordonne à des hommes d’aimer les hommes ; une telle prescription, avec le puissant appui que lui prêtent l’identité d’essence, la communauté d’origine, la voix même de la nature, quel obstacle pourrait-elle rencontrer ? Les lions, les loups obéissent à la même loi ; car ils cèdent eux-mêmes à l’attrait de la nature. Comment pourrions-nous donc nous justifier, nous qui apprivoisons les lions et les logeons dans nos demeures, si nous ne savions pas nous concilier nos frères ? Il ne manque pas de gens, vous le savez, qui sont sur la piste des vieillards, afin de capter leur héritage ; de jeunes hommes, pleins de santé qui affrontent toutes les incommodités de la vieillesse, la goutte, la toux, et tant d’autres infirmités, dans leur assiduité à faire le siège d’une succession. Et pourtant, il ne s’agit là que d’argent et d’un espoir mal assuré ; ici, au contraire, il s’agit du ciel, et d’abord de plaire à Dieu. Mais, qu’est-ce donc, que cette héritière dont le titre fait mention : « Pour l’héritière. » C’est l’Église en sa plénitude, l’Église dont Paul a dit : « Je vous ai, fiancée à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. » (2Cor. 11,2) Et Jean : « Celui qui a l’épouse, est l’époux. » (Jn. 3,29) Mais, l’époux, après les premiers jours, perd la vivacité de son amour ; le nôtre, au contraire, reste constamment fidèle à son affection, et ne fait que redoubler d’ardeur ; aussi Jean emploie-t-il un mot qui désigne le commencement du mariage, époque où la tendresse est, dans toute sa force. Quant au nom d’épouse, (ou plutôt jeune épouse) il lui a été dicté encore par un autre motif ; il a voulu indiquer que nous devons tous ne former qu’un corps et qu’une âme selon la vertu et selon la charité, et aussi que nous devons, durant toute notre vie, imiter la jeune épouse qui ne songe dans toutes ses actions qu’à contenter son mari. Comme au jour de son mariage l’épouse assise dans la chambre nuptiale, se préoccupe seulement de plaire à son époux ; ainsi nous-mêmes, en cette vie, songeons seulement à la satisfaction de l’époux, et restons fidèles à la conduite qui doit être celle d’une épouse. C’est encore à cette épouse que pense David, lorsqu’il dit : « La reine s’est tenue debout à votre droite, vêtue d’un manteau broché d’or, parée de franges d’or. » (Ps. 44,11) Voulez-vous voir maintenant ses chaussures. Écoutez Paul, ce paranymphe, qui vous dit : « Chaussant vos pieds pour vous préparer à l’Évangile de la paix. » (Eph. 6,15) Voulez-vous voir aussi sa ceinture et comment elle est faite de vérité ? Le même Paul vous la montrera : « Ceignant vos reins en vérité. » (Id. 6,14) Voulez-vous contempler sa beauté ? La même bouche vous la révélera : « N’ayant ni tache ni ride. » (Id. 5,27) Écoutez encore ce que dit à son sujet l’Ecclésiaste : « Tu es toute belle, ma compagne, et il n’y a pas en toi de défaut. » (Cant. 4,7) Et ses pieds, maintenant. « Qu’ils sont beaux les pieds de ces hommes qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur. » (Rom. 10,15) Et ce qu’il y a d’admirable, de merveilleux, c’est qu’après l’avoir parée de la sorte, il ne vient pas à elle dans tout l’éclat de sa gloire, de peur que tant de beauté ne l’éblouisse, ne lui trouble l’esprit ; il vient enveloppé du même vêtement que son épouse, il participe comme elle de la chair et du sang, et au lieu de l’appeler à lui dans les cieux, il descend lui-même auprès d’elle ; fidèle en cela même à la loi qui conduit l’époux auprès de l’épouse. C’est le précepte de Moïse : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme. » Et Paul a dit de même : « Ceci est le grand mystère ; je le dis à l’égard du Christ et de l’Église. » Étant donc entré dans son séjour, et l’ayant trouvée sale, souillée, nue, ensanglantée, il l’a lavée, ointe, nourrie, habillée d’un vêtement dont on ne saurait trouver le pareil ; lui-même, il lui sert de manteau, et la prenant avec lui, il l’emmène là-haut. Voilà celle à qui est destiné l’héritage. Que dit donc à son sujet le Prophète ? Beaucoup de choses ; car il est son avocat, et la plupart des choses qui devaient lui arriver, il les a prédites et annoncées d’avance ; par exemple, au sujet de l’époux, de la cérémonie nuptiale, et des biens réservés à l’épouse. Voilà pourquoi il parle d’elle ici même, et, en commençant, ainsi que ces avocats de profession qui plaident devant les tribunaux, il dit quelle est la personne dont il plaide la cause : « Pour l’héritière. » Et que demande cette héritière ? écoutons : « Écoutez mes paroles, Seigneur. » Elle appelle l’époux Seigneur, ce qui est le fait d’une épouse qui connaît ses devoirs. En effet, si c’est l’usage entre personnes de même condition, si la femme nomme son mari Seigneur, à plus forte raison est-ce le cas, lorsqu’il s’agit de l’Église et du Christ, de donner ce titre à celui qui le mérite par sa nature même. Ce n’est donc point seulement en qualité d’époux qu’elle le nomme Seigneur, c’est encore en qualité de Maître, et c’est à ce titre qu’elle le supplie de l’entendre. Car si un héritage lui est offert, il faut, pour qu’elle en jouisse, qu’elle accomplisse les conditions exigées ; elle prie donc et conjure l’époux de devenir son allié, de l’aider à exécuter les clauses, afin qu’elle ne soit pas déshéritée. De là ces mots : Écoutez mes paroles, Seigneur ; et elle le dit avec confiance, ne demandant rien que lui-même ne désire donner ; tandis que ceux qui ont à demander des choses indignes de celui à qui ils s’adressent, ne sont pas admis à présenter une pareille requête. Prier contre ses ennemis, contre ses persécuteurs, ce ne sont point là paroles d’homme, mais paroles du diable. En effet, si jurer procède du diable, « ce qu’on dit de plus vient du mal (Mt. 5,37) », est-il écrit, il en est évidemment de même des vœux que l’on forme contre ses ennemis. Par conséquent, si vous dites : « Écoutez mes paroles », que vos paroles annoncent un homme charitable, humain, et sans rapports avec le diable.
3. Comprenez mon cri. Par ce mot cri n’entendez point ici une élévation de la voix, mais une disposition de l’esprit. C’est ainsi que Dieu dit à Moïse alors silencieux : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » Il ne dit pas : pourquoi m’adresses-tu ta prière ? Mais : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » parce que Moïse s’approchait de lui avec une grande ferveur. – Aussi pour vous faire entendre qu’en ce passage également, il ne s’agit pas proprement de cri, mais d’une disposition intérieure, mais d’un redoublement de zèle, il ne dit pas : entends mon cri, il dit : comprends mon cri, pénètres-en le sens. Car, s’il emploie des paroles humaines, il les emploie de manière à bien exprimer ce qu’il veut dire. « Faites attention à la voix de ma supplication. » Ici encore, c’est de la voix intérieure qu’il s’agit. Anne aussi criait de la sorte. Et il ne dit pas simplement : Faites attention à la voix de ma prière : il dit, « de ma supplication. » En effet, celui qui prie doit revêtir l’extérieur et les sentiments d’un suppliant. Un suppliant ne parle point en accusateur et celui qui forme des vœux contre son ennemi est un accusateur plutôt qu’un suppliant. Vous voyez comment elle offre sa prière, après l’avoir rendue digne d’être entendue. – Faisons de même quand nous prions et que nous voulons être écoutés. Faisons d’abord que ce soit une prière, et non une accusation, et présentons-la conformément aux règles données par le Prophète. « Mon roi et mon Dieu. » C’est l’expression perpétuelle du Prophète, ou plutôt, s’était le privilège d’Abraham, au dire de Paul : « Pour cette raison Dieu ne rougit au point d’être appelé leur Dieu. » (Héb. 11, 16) L’héritière emprunte cette expression, et se l’approprie heureusement dans son amour. Elle ne dit pas simplement roi, elle dit « mon roi et mon Dieu », de façon à manifester sa tendresse. Ensuite elle expose les raisons, sur lesquelles elle se fonde pour être écoutée. Quelles sont ces raisons ? « Parce que je vous adresserai ma prière, Seigneur. » Mais dira-t-on, y a-t-il quelqu’un qui n’adresse pas à Dieu sa prière ? Je réponds que beaucoup de gens paraissent prier Dieu, qui n’agissent de la sorte que pour être vus des hommes. Il n’en est pas ainsi de notre héritière : elle étend les mains vers Dieu, sans s’inquiéter d’aucune considération humaine. « Le matin, vous entendrez ma voix. » Voyez-vous ce zèle, et la componction de cette âme ? Dès le commencement du jour, dit-elle, voilà mon occupation. – Écoutez, vous tous qui attendez pour prier la fin de mille affaires. Telle n’est point sa conduite, à elle : c’est au point du jour qu’elle offre à Dieu les prémices de sa pensée. Il faut devancer le soleil pour vous rendre « grâces, et se mettre en votre présence avant le lever du jour. » (Sag. 16,28)
Mais vous, s’il s’agissait d’un monarque, vous ne permettriez pas que votre inférieur le saluât avant vous : et maintenant, lorsque le soleil est en adoration, vous donnez, vous cédez votre rang à une créature matérielle, au lieu de prévenir toute cette nature créée pour vous et de rendre vos actions de grâces : tout en vous levant, vous vous lavez le visage et les mains, et vous laissez votre âme dans l’impureté ! Ne savez-vous pas que la prière est pour la purification de l’âme, ce qu’est l’eau pour celle du corps ? Avant de nettoyer votre corps, nettoyez donc votre âme : le péché y a laissé bien des souillures : recourons à la prière pour nous en délivrer. Si nous avons eu soin de fortifier ainsi notre bouche, ce sera un fondement excellent pour notre conduite de la journée. « Le matin, je me présenterai devant vous, et je vous contemplerai. » (Id. 5) Je me présenterai devant vous, non en me transportant ailleurs, mais par mes actions. L’homme qui est dans de telles dispositions est capable de s’approcher de Dieu. C’est de là que résulte l’éloignement ou la proximité : car Dieu est partout. « Je me présenterai devant vous et je vous contemplerai, parce que vous n’êtes pas un Dieu voulant l’iniquité. » Un autre interprète dit : « Et je considérerai que vous n’êtes pas un Dieu voulant l’iniquité. » – « Et le pervers n’habitera pas auprès de vous. » En ce passage, il fait allusion aux idoles : parce que ces hommes les aimaient ainsi que toute iniquité et toute mauvaise action. « Et le pervers n’habitera pas auprès de vous », il ne sera pas votre ami, votre voisin. « Et les prévaricateurs ne tiendront pas devant vos regards. » Il fait voir ici la haine de Dieu contre le mal, et enseigne à ceux qui s’approchent de lui à se mettre en état de paraître devant ses yeux. En effet, si l’on ne peut approcher d’un homme de bien, à moins d’avoir urne conduite semblable à la sienne, à plus forte raison le méchant ne saurait-il approcher de Dieu. En effet, que les méchants ne peuvent vivre dais le voisinage des hommes vertueux, c’est cg que prouve ta manière dont ils parlent du juste : « Sa vue même nous est importune. » (Sag. 2,15) Ainsi Jean, du fond de la prison oui il était caché, gênait Hérodiade, qui était pourtant bien loin de lui : et après sa mort, il toua mentait la conscience du tyran qui régnait alors. En conséquence, qu’aucun homme vertueux ne se trouve malheureux d’être en bâtie aux complots des méchants, car ce sont les méchants, qui sont les malheureux. « Vous avez pris en haine tous ceux qui opèrent l’iniquité, vous exterminerez tous ceux qui profèrent le mensonge. Le Seigneur a en horreur l’homme de sang, l’homme perfide. » (Id. 7) Ces choses sont dites non seulement pour que nous les entendions, mais encore pour que nous apprenions, en les entendant sans cesse, à nous conformer à l’humeur de l’Époux, et à nous approcher de lui. Sans cela, nous serons privés du secours d’en haut : et c’est la pire chose qui nous puisse arriver.
4. « Vous avez pris en haine tous ceux qui opèrent l’iniquité. » Tous, c’est-à-dire, esclaves, hommes libres, monarques, enfin qui que ce soit. Car ce n’est point au rang, c’est à la vertu que Dieu distingue ses amis. Mais connue beaucoup d’hommes grossiers ne font nulle attention à cette haine, écoutez la menace de châtiment qui vient ensuite : « Vous exterminerez tous ceux qui profèrent le mensonge » ici, il s’adresse à ce qu’il y a de plus grossier chez les pécheurs. La punition, dit-il, ne sera point seulement la haine, châtiment déjà effroyable par lui-même, Dieu exterminera en outre tous ceux qui profèrent le mensonge. C’est déjà un supplice affreux et pire que l’enfer, que d’être haï de Dieu : mais celui-là il n’en parle qu’aux gens capables de comprendre : pour être entendu des hommes, grossiers, il ajoute celui que nous venons de voir. N’éprouvez donc point, mon cher auditeur, de trouble ni de doute, en voyant des menteurs, des voleurs, des avares vivre sans être inquiétés : le châtiment ne peut manquer de les atteindre. Car telle est la nature de Dieu il se détourne du vice, il ne cesse de le haïr et de l’avoir en horreur. Par ceux qui profèrent le mensonge, entendez ici ceux qui vivent dans la perversité, ceux qui sont à la poursuite des choses mensongères, ceux qu’enchantent les voluptés, la sensualité, l’avarice. Car l’écrivain sacré a coutume d’appeler mensonges toutes ces choses. « Le Seigneur a en horreur l’homme de sang, l’homme perfide. » Ici il a en vue l’homme sanguinaire, le traître, le fourbe, celui qui a une parole sur les lèvres et une pensée contraire dans l’esprit, celui qui porte un masque de douceur et qui agit en loup, la pire espèce qui soit au monde. En effet, on peut se mettre en garde contre un ennemi déclaré : mais celui qui dissimule sa scélératesse et qui ne la manifeste que par ses crimes, celui-là fait beaucoup de mal grâce au mystère dont il s’environne. Aussi le Christ nous recommande-t-il de nous tenir sur nos gardes quand nous nous trouvons avec ces hommes « Ils viennent à vous sous des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants. » (Mt. 7,15) « Pour moi, dans l’abondance de votre miséricorde, j’entrerai en votre maison. » (Ps. 5,8) En effet, l’Église s’étant recrutée parmi des hommes de cette espèce, païens, magiciens, homicides, sorciers, menteurs, fourbes, après avoir dit que Dieu hait ces vices et s’en détourne, l’héritière poursuit, afin de faire voir que si elle a été guérie et introduite dans le sanctuaire, ce n’est point grâce à sa propre justice ou à ses bonnes œuvres, mais grâce à la bonté divine : « Pour moi, dans l’abondance de votre miséricorde, j’entrerai en votre maison. » De peur qu’on ne vienne lui dire : Et toi, qui as commis tant de fautes, comment donc as-tu été sauvée ? elle fait connaître l’origine de son salut, laquelle est une infinie bonté, une ineffable charité. Mais il y a des gens qui se refusent à la miséricorde, des malades incurables, tels qu’étaient les Juifs : en effet, la grâce et la miséricorde, tout en demeurant miséricorde et grâce, ne sauvent que ceux qui consentent à leur salut et en sont reconnaissants, et non ceux qui résistent, ceux qui n’acceptent point le présent, comme firent les Juifs, au sujet desquels Paul a dit : « Ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » (Rom. 10,3) Ensuite après avoir parlé des bienfaits de Dieu, elle parle de ses propres œuvres : « Je m’inclinerai devant votre saint temple, remplie de votre crainte. » Quand vous m’aurez accordé votre grâce, et que j’aurai fait ce qui est en moi, je vous offrirai ce sacrifice, dit-elle : « Je m’inclinerai devant votre saint temple, remplie de votre crainte. » Non pas comme font en priant tant de personnes, qui se grattent, bâillent, s’endorment, mais avec crainte et tremblement. Car celui qui prie de la sorte secoue tous ses vices, s’achemine à toutes ces vertus, et se rend Dieu propice. « Seigneur, guidez-moi dans votre justice, à cause de mes ennemis. » (Ps. 5,9) Elle a dit les louanges de Dieu, sa haine contre les méchants, sa bonté, sa sollicitude ; elle a dit son salut, et comment elle a été sauvée ; elle a dit qui elle a fait entrer à sa suite, une fois sauvée ; elle nous a détournés du vice, guidés vers la vertu ; elle a fait luire de bonnes espérances aux yeux de ceux mêmes qui vivent dans l’iniquité, pourvu qu’ils veuillent se convertir, en leur montrant qu’ils peuvent obtenir miséricorde : elle passe maintenant à la demande suivante : « Seigneur, guidez-moi dans votre justice », enseignant ainsi à l’auditeur, à commencer par offrir des hymnes à Dieu, et le remercier de ses bienfaits, avant de lui exprimer ses vœux, et de le remercier ensuite de ses nouveaux dons. Mais voyons ce qu’elle demande. Est-ce quelque bien mondain, fragile, périssable ? Est-ce de l’or qu’elle sollicite, de la gloire, de la puissance, le châtiment d’un ennemi ? Rien de pareil. Et quoi donc ! « Seigneur, guidez-moi dans votre justice à cause de mes ennemis. » Voyez-vous comment elle ne demande rien de passager, et comment elle réclame l’assistance d’en haut ? En effet c’est dans cette voie que l’on a le plus besoin d’un tel appui. Par justice, elle entend ici la vertu en général. Et elle dit fort bien « Dans votre justice. » Car il y a aussi une justice humaine, celle des lois du monde mais c’est une justice infirme, qui n’a rien de parfait ni de consommé, et qui ne repose que sur des jugements humains. Pour moi, la justice que je réclame est celle qui procède de vous, celle qui mène au ciel, et je demande votre appui afin d’attirer sur moi cette justice.
5. « Guidez-moi ! » on ne saurait mieux dire. Car la vie présente est une voie où le bras d’en haut nous est nécessaire pour nous conduire. Si nous avons besoin, lorsque nous voulons nous rendre dans une ville, d’une personne qui nous indique le chemin : à plus forte raison, quand il s’agit de faire le voyage du ciel, avons-nous besoin du secours d’en haut, afin d’être éclairés, fortifiés, guidés tant sont nombreux les chemins de traverse qui peuvent nous égarer. Attachons-nous donc fortement à la main de Dieu. « A cause de mes ennemis. » Beaucoup d’ennemis se sont levés pour égarer mes pas, me dévoyer, me jeter dans un autre chemin. Protégez-moi contre ces complots, ces attaques, en me servant de guide : car votre alliance m’est nécessaire. Mais s’il appartient à Dieu de nous guider, il nous appartient, à nous, de mériter le secours de cette main, par notre propre diligence. Si vous êtes impur, cette main ne vous soutient pas ; non plus que si vous êtes avare, ou souillé de quelque autre tache : « Rendez droite ma voie devant vos yeux. » C’est-à-dire, rendez-la-moi claire, manifeste : faites que je marche droit. Un autre interprète dit : « Aplanissez devant moi ma route », rendez-la unie, facile. « Parce que la vérité n’est pas dans leur bouche et que leur cœur est vain. » (Id. 10) Ces bouches qu’elle accuse, ces cœurs où il n’y a rien de bon me paraissent être ceux des hommes qui vivent dans l’erreur, ou qui sont adonnés au vice. « Leur gosier est un sépulcre ouvert. » Ici elle fait allusion soit à leurs instincts sanguinaires, soit à la mauvaise odeur des doctrines de mort. On ne se tromperait pas non plus en appliquant cette expression : « Sépulcre ouvert », à la bouche de ceux qui profèrent des paroles obscènes. En effet, c’est là une exhalaison bien pire que celles qui répugnent à notre odorat, parce qu’elle procède d’une âme corrompue : les hommes injustes et cupides ont aussi des bouches pareilles, eux dont la perversité ne produit rien que meurtres et rapines. Que votre bouche, à vous, ne soit donc pas un tombeau, mais un trésor : grande est, en effet, la différence de ces deux choses dont l’une détruit, l’autre garde le dépôt confié. Ayez, vous aussi, un trésor permanent de sagesse, au lieu d’un foyer d’infection. Mais elle ne se borne pas à dire « Sépulcre », elle dit : « Sépulcre ouvert », afin de rendre l’abomination plus sensible. Il faudrait cacher les paroles de ce genre : or ces hommes les étalent, de façon que leur infirmité en devient plus manifeste. Nous faisons le contraire pour les morts, nous les confions à la terre : ces hommes ne font pas ainsi pour leurs paroles : ils mettent au jour ce qu’ils devraient enfouir, étouffer au fond de leur cœur, sans craindre de choquer les yeux, ni d’exposer leurs misères à la vue de tous. Chassons-les loin de nous, je vous en conjure. Si nous ensevelissons les cadavres hors de l’enceinte des villes, à plus forte raison ceux qui profèrent des paroles de mort, ceux qui tiennent de pareils propos, et ne consentent pas même à les couvrir d’un voile, doivent-ils être relégués au loin : car c’est un fléau public que des bouches pareilles. « Ils se sont servis de leurs langues pour tromper. » Autre espèce de méchanceté. Il y a des gens qui cachent la ruse au fond de leur cœur, en ne prononçant que de douces paroles : d’autres sont assez habiles pour voiler la méchanceté de leurs paroles mêmes, pour tramer des complots et des artifices. « Jugez-les, ô Dieu ! qu’ils échouent dans leurs projets. » Voyez ici encore la charité de cette prière. Elle ne dit pas : « Punissez-les », mais bien : « Jugez-les », et mettez un terme à leurs mauvaises actions : déjouez leurs trames : dire cela, c’est prier pour eux-mêmes, c’est souhaiter qu’ils ne s’enfoncent pas plus avant dans le vice. « A cause de la multitude de leurs impiétés, repoussez-les parce qu’ils vous ont irrité, Seigneur ! » c’est-à-dire, je m’inquiète peu de ce qu’ils m’ont fait, je gémis seulement de leur conduite envers vous. C’est le fait d’une âme pleine de sagesse, que de ne pas se venger soi-même, et de poursuivre avec ardeur la vengeance des péchés commis contre Dieu. Beaucoup d’hommes font tout le contraire ils se soucient peu des intérêts de Dieu, et mettent le plus grand acharnement à venger les leurs : ces saints faisaient tout autrement ils se montraient ardents à redresser les torts faits à Dieu, et se souciaient peu du mal fait à eux-mêmes.
« Et que tous ceux qui espèrent en vous se réjouissent. » Voyez le profit qu’on retire de la prière. Les méchants s’amenderont et se corrigeront de leurs vices : et les autres goûteront une joie vive, en voyant le changement de ces hommes, leur amélioration, et le profitable exemple qu’ils donnent à autrui. « Ils seront éternellement remplis de joie, et vous habiterez en eux. » Telle est, en effet, l’allégresse durable : toute autre est aussi passagère que le courant d’un fleuve ; elle ne fait que paraître et s’écoule aussitôt : mais la joie selon Dieu est solide, durable, persistante, inébranlable ; aucun événement imprévu n’y peut rien retrancher : les obstacles mêmes ne font que l’accroître. Les apôtres étaient flagellés et ils se réjouissaient ; Paul était persécuté, et il tressaillait d’allégresse ; il allait mourir, et il invitait les autres à partager sa joie, disant : « Et si je suis immolé sur le sacrifice et l’oblation de votre foi, je m’en réjouis et m’en félicite avec vous tous. Mais vous-mêmes, réjouissez-vous-en, et vous en félicitez avec moi. » (Phil. 2,17-18) Dieu habite avec ceux qui se réjouissent de la sorte. Voilà pourquoi l’héritière dit : « Ils seront éternellement remplis de joie, et vous habiterez en eux. » Faisant allusion à la même chose, le Christ disait, de manière à indiquer que cette joie n’aurait pas de fin : « Je vous reverrai, et personne ne vous ravira votre joie. » (Jn. 16,22) Et Paul dit encore : « Réjouissez-vous sans cesse, priez continuellement. » (1Thes. 5,16, 17) « Et ceux qui aiment votre nom se glorifieront en vous. » C’est à ceux-là entre tous qu’il appartient de se glorifier, de se réjouir, d’être dans l’allégresse : car pour celui qui tire vanité des biens du monde, il ressemble tout à fait à ceux qui sont heureux en songe.
6. En effet, dites-moi, quelle est celle des choses humaines qui mérite qu’on s’en glorifie. La force du corps ? Mais ce n’est pas là une œuvre du libre arbitre, il n’y a donc pas lieu de s’en vanter : d’ailleurs elle se flétrit et dépérit promptement : souvent même elle devient nuisible, faute d’un sage emploi, à celui qui la possède. Il faut dire la même chose de la beauté, de la richesse, de la puissance, du luxe et de tous les biens charnels. Mais se glorifier au sujet de Dieu, au sujet de l’amour qu’on lui porte, voilà la parure incomparable, voilà la splendeur qui efface l’éclat de mille diadèmes, celui qui se glorifie fût-il un prisonnier. Cette parure-là n’a rien à redouter de la maladie, de la vieillesse, des événements, des vicissitudes, de la mort elle-même : c’est même alors qu’elle brille de toute sa magnificence. « Parce que vous bénirez le juste. » Comme beaucoup de justes ; comme les hommes vertueux, entre tous, sont maltraités et tournés en dérision dans le monde : afin que cela né devienne pas un sujet de scandale pour les esprits grossiers, voyez comment on leur vient en aide en disant : « Parce que vous bénirez le juste. » Qu’importe, en effet, le mépris des hommes et celui du monde entier, lorsque le Maître des anges nous célèbre et proclame notre nom ? Au contraire, faute de cette bénédiction, les louanges de tous les habitants de la terre et de l’Océan ne sont d’aucune utilité. Par conséquent, le but auquel nous devons viser constamment, c’est que Dieu nous célèbre, c’est que Dieu nous couronne. Si nous y parvenons, nous dominerons toutes les têtes, fussions-nous pauvres, malades, plongés dans un abîme de maux. Le bienheureux job assis sur un fumier, couvert d’ulcères purulents, dévoré d’une innombrable vermine, en proie à d’incurables tourments, en butte aux insultes de ses serviteurs, de ses amis, de ses ennemis, aux pièges de sa femme, précipité dans la misère, dans la faim, dans une infirmité sans remède, Job était le plus heureux des hommes. Comment cela ? C’est que Dieu le bénissait, disant : Homme irréprochable, juste, sincère, pieux, exempt de tout vice. « Seigneur, vous nous avez couronné de votre bonne volonté comme d’une armure. » (Job. 1,1) Le voilà qui recommence ses actions de grâces, qui offre à Dieu des hymnes de reconnaissance. Mais qu’est-ce qu’une armure de bonne volonté ? C’est une armure excellente, une armure selon la volonté de Dieu, une armure magnifique. Voici le sens de ses paroles : Tu nous as protégé par la plus glorieuse alliance. Un autre interprète dit : « Vous le couronnerez », et nous avertit qu’il est question du juste : que Dieu couronnera le juste, que sa faveur sera pour celui-ci comme une arme, une arme magnifique : ou encore que Dieu protégera le juste par la plus glorieuse alliance, et que ni cette gloire ne sera sans sécurité, ni cette sécurité sans gloire. En effet, quoi de plus fort à la fois et de plus beau que celui qui trouve un rempart dans le bras d’en haut. Cette couronne est encore une couronne de miséricorde, comme nous l’apprend ailleurs le même David : « Celui qui te couronne en miséricorde et en compassion. » (Ps. 102,4) C’est une couronne de justice : « La couronne de justice m’est désormais réservée », dit Paul. (2Tim. 4,8) C’est aussi une couronne de grâce, suivant un autre : « Une couronne de grâce te protégera. » (Prov. 4,9) C’est enfin une couronne de gloire, d’après Isaïe : « Ce sera la couronne d’espérance, tressée de gloire. » (Is. 28,5) Cette couronne renferme tout, bonté, justice, grâce, gloire, beauté.
Car elle est le présent de Dieu, et elle offre en elle toutes ses grâces. C’est de plus une couronne d’immortalité, ainsi que Paul nous l’apprend. « Eux, pour recevoir une couronne impérissable ; nous, pour en recevoir une incorruptible. » (1Cor. 9,25) Voici donc le sens de notre passage : Vous nous avez revêtu de gloire et de sécurité. Car tels sont les présents de Dieu : solides et pleins de beauté ; telles sont ses couronnes. Parmi les hommes, rien de pareil ; l’un possède la gloire, mais il ne saurait avoir la sécurité ; l’autre vit dans la sécurité, mais il manque de gloire : il est difficile que ces deux choses se rencontrent réunies ; et quand cela arrive, ce n’est pas pour longtemps. Par exemple, les grands de la terre sont illustres, glorieux, mais ils ne sont pas en sûreté, et la raison principale qui rend leur situation périlleuse, c’est l’éclat même de leur gloire. La foule des hommes sans nom est en sûreté, grâce à l’obscurité où elle vit : mais les honneurs lui manquent ; et c’est justement parce qu’elle est en sûreté qu’elle reste sans honneurs. Il n’en est pas de même à l’égard de Dieu : là, les deux choses, gloire et sécurité, sont réunies dans toute leur plénitude. Ainsi donc, persuadés de la grandeur de ces biens, convaincus avant toute chose que plaire à Dieu est le bien suprême, que ce bien est à la fois pour nous protection, gloire, sécurité et mille avantages encore, parcourons avec patience la carrière qui s’ouvre devant nous et ne nous laissons pas décourager, ne jetons point bas nos armes. Ce genre de guerre, en effet, n’admet point un soldat désarmé : c’est quand le spectacle est fini, qu’on se débarrasse de son attirail : or, le spectacle est fini à l’heure où Pâme se sépare du corps. Par conséquent, tant que nous sommes ici-bas, il faut lutter, et chez nous, et sur la place publique, et à table, malades aussi bien qu’en bonne santé. En effet, c’est durant la maladie qu’un pareil combat est surtout de mise, alors que de toutes parts les souffrances viennent troubler notre âme, quand les douleurs l’assiègent, quand le diable, debout à notre chevet, nous excite à proférer des paroles d’amertume. C’est alors surtout qu’il faut se tenir sur ses gardes, opposer aux coups sa cuirasse, son bouclier, son casque et toute son armure, et ne point cesser de rendre grâces à Dieu. Voilà les traits dangereux pour le diable. Voilà ce qui porte les coups mortels au démon ; et c’est alors que l’on conquiert les plus brillantes couronnes. Voyez le bienheureux Job (car rien ne nous empêche de recourir encore à cet exemple) : ce qui contribua le plus à sa gloire, à sa renommée, à son triomphe, c’est la constance inébranlable qu’il déploya dans la maladie, dans la pauvreté, dans la tentation, c’est l’intrépidité de son âme, ce sont les actions de grâces, c’est le sacrifice spirituel qu’il ne cessa d’offrir à Dieu. Car c’est un sacrifice qu’il offrait, en disant ces paroles : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté : ainsi qu’il a plu au Seigneur, il est arrivé. Que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles ! » (Job. 1, 21) Et nous aussi faisons de même : dans les tentations, dans les vicissitudes, au milieu des embûches, louons Dieu, bénissons-le sans cesse, et répétons ; Gloire à lui dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION SUR LE PSAUME VI.

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« SEIGNEUR, NE ME REPRENEZ PAS DANS VOTRE COLÈRE ET NE ME CORRIGEZ PAS DANS VOTRE COURROUX. »

ANALYSE.

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  • 1. Que le langage de l’Ancien Testament s’explique en beaucoup d’endroits par la condescendance divine.
  • 2. Que le péché est atténué ou aggravé par les circonstances : divers exemples.
  • 3. Conditions nécessaires pour la guérison des maladies de l’âme.
  • 4. Pénitence de David : exemple proposé aux fidèles.
  • 5. Angoisses salutaires de la pénitence. – Fuite des mauvaises sociétés.
  • 6. De la vigilance à réprimer les moindres atteintes du péché.


1. Quand vous entendez employer en parlant de Dieu, ces expressions « colère, courroux », n’allez pas vous représenter quelque chose d’humain : ce langage est celui de la condescendance. La divinité est exempte de toute imperfection pareille : mais elle a recours à ces termes afin de frapper les esprits grossiers. Nous aussi, voulons-nous parler à des barbares, nous leur parlons dans leur langue ; nous adressons-nous à un petit enfant, nous balbutions comme lui ; quand bien même nous serions les plus grands savants de la terre, nous condescendons de la sorte à sa faiblesse. Et faut-il s’en étonner, quand nous allons jusqu’à feindre la colère et en simuler les signes devant le même enfant, pour le corriger ? C’est ainsi que Dieu, afin de frapper les hommes grossiers, se sert des termes dont j’ai parlé. Ce qu’il a en vue n’est point de parler dignement de lui-même, mais de rendre service à ceux qui l’entendent. Il montre bien ailleurs qu’il est insensible à la colère en disant : « Est-ce moi, n’est-ce pas eux-mêmes qu’ils mettent en colère ? » (Jer. 7,19) Mais comment vouliez-vous qu’il se fît entendre des Juifs ? pouvait-il leur dire qu’il ne s’irrite pas contre les méchants, ne les hait point, car la haine est une passion ; qu’il ne voit pas les choses humaines, car voir est un acte corporel ? qu’il n’entend pas, car entendre aussi procède de la chair ? Mais t’eût été donné naissance à cette autre opinion détestable, que la Providence ne veille pas sur l’univers, en se refusant à laisser attribuer ces actes à Dieu, beaucoup des hommes d’alors en seraient venus, à méconnaître absolument la Divinité ; et cette notion une fois obscurcie, tout était perdu : tandis que l’autre opinion pouvait facilement être amendée. Celui qui est persuadé de l’existence de Dieu, et s’en forme d’ailleurs une idée indigne et grossière, se convaincra, avec le temps, que l’essence divine répugne à une ; pareille conception : mais celui qui croit que Dieu est sans providence, qu’il ne s’occupe point des créatures, ou même qu’il n’existe point, que gagnera-t-il à ce qu’on lui révèle la nature impassible de la divinité ? Aussi Dieu, après avoir commencé par tenir aux Juifs ce langage, après avoir déposé dans leur esprit la notion de son existence, réforme peu à peu leurs erreurs, et les amène progressivement à la doctrine qui est la nôtre, au langage sublime de la vérité, à la croyance qu’il est inaccessible aux passions. En effet, un autre prophète dit : « Il ne sentira ni la « faim, ni la fatigue. » (Is. 40,28) Et le même, qui avait parlé de la colère de Dieu, montre ailleurs, dans les termes suivants, que la divinité est impassible : « Est-ce moi, n’est-ce pas eux-mêmes qu’ils mettent en colère ? » Un autre avait dit que Dieu est dans le temple ; mais le même dit ailleurs : « Il n’y a pas en toi d’homme saint, et je n’entrerai pas dans la ville. » (Os. 11,9) C’est-à-dire que Dieu n’est pas renfermé dans un lieu. Un autre passage indique aux hommes intelligents, sinon à tous les hommes, que l’être affranchi des passions impérieuses qui sont nécessaires à la vie, est, à plus forte raison, exempt des autres. C’est ce qu’on peut conclure de ces paroles : « Tu ne seras pas comme un homme endormi. » (Jer. 14,9) Partout apparaît l’idée de l’impassibilité divine. Ici même, en entendant ce mot de courroux, n’allez point vous figurer une passion. Si les hommes adonnés à l’étude de la sagesse restent, dans une certaine mesure, insensibles à la colère, à plus forte raison en est-il ainsi de la substance impérissable, incorruptible, ineffable, incompréhensible. Les médecins, qui emploient le fer et le feu, n’agissent point ainsi par colère, mais en vue d’une guérison, ils ne sont point irrités contre leurs malades : ils en ont pitié, ils veulent porter remède à leurs maux. Le Psalmiste donc, en disant : « Ne me reprenez point dans votre colère », veut dire : Ne me demandez point un compte sévère de mes fautes, ne punissez point mes prévarications. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. » Ce cri nous convient à tous, quels que puissent être la multitude de nos bonnes couvres, le degré de notre justice. De là ces paroles qu’on rencontre plus loin chez le même : « Tout ce qui vit ne sera point justifié en votre présence. » (Ps. 14,2) Et encore : « Si vous observez les iniquités, qui restera debout ? » (Ps. 129,3) Paul dit aussi : « Je n’ai conscience de rien, mais ce n’est point en cela que je suis justifié. » (1Cor. 4,4) Et un autre : « Qui se vantera de posséder un cœur pur ? qui prétendra être exempt de souillure ? » (Prov. 20,9) Ainsi nous avons tous besoin de la miséricorde, mais nous ne la méritons pas tous également. En effet, tout en étant la miséricorde, elle ne se donne qu’à celui qui la mérite. Dieu le dit à Moïse : « J’aurai pitié de celui dont j’aurai pitié, je ferai miséricorde à celui à qui je ferai miséricorde. » (Ex. 33,19) Ainsi celui qui aura mérité de quelque façon la miséricorde pourra dire : « Ayez pitié de moi ; » mais celui qui se sera interdit à lui-même ce recours, aura beau tenir le même langage ; car si la miséricorde devait être accordée à tous, il n’y aurait plus de châtiment pour personne. Mais la miséricorde elle-même nécessite un certain jugement préalable ; elle se donne à celui qui la mérite, qui est en état d’en jouir.
2. Beaucoup du moins ont commis les mêmes fautes, qui n’ont pas été punis du même châtiment, parce qu’ils n’avaient pas les mêmes raisons à produire : si vous voulez, nous nous arrêterons à présent sur ce point. Tous les Juifs péchèrent, tous tombèrent dans l’idolâtrie ; mais ils ne furent pas également punis : les uns furent frappés, les autres obtinrent leur pardon. En effet, ce n’est pas l’acte seul qui est considéré dans le péché, c’est encore l’intention, la circonstance, le motif, enfin ce qui a suivi la faute : s’il y a eu endurcissement ou repentir, tentation ou fraude et préméditation. Beaucoup de points sont à rechercher, en ce qui touche à la différence des conjonctures, à la législation régnante. Par exemple, on a péché sous l’ancienne loi, on pèche sous la nouvelle : mais la punition n’est pas la même dans les deux cas ; elle est plus rigoureuse dans le second. C’est ce que Paul fait entendre par ces paroles : « Celui qui viole la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l’alliance ? » (Héb. 10,28-29) Par ces mots : « Combien pensez-vous que mérite de plus affreux supplices », il indique un surcroît de rigueur. On a péché avant la loi, on a péché sans la loi. Les premiers de ces pécheurs sont moins sévèrement punis. Ce que l’Apôtre fait entendre, en disant : « Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi. » (Rom. 2,12) Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’ils ont la nature pour accusatrice, et que les autres en ont une seconde encore qui est la loi ; que plus on a reçu d’instruction, plus on subira une peine rigoureuse. La même différence s’observe eu ce qui concerne les dignités : c’est ce que montre clairement le sacrifice. La victime était la même pour racheter le péché du peuple tout entier que pour expier celui du prêtre seul. On voit par là que, plus le rang est élevé, plus le châtiment est rigoureux. La femme du commun, qui s’était prostituée, périssait. La fille du prêtre était brûlée. Il y a encore une autre cause d’allégement ou d’aggravation : pour la peine de deux pécheurs, par exemple, l’un est châtié en ce monde, l’autre vit au sein des plaisirs. Celui-ci sera puni plus rigoureusement là-haut, celui-là avec plus de douceur, s’il n’est pas absolument déchargé de sa dette. Le Christ indique cela, lorsqu’il nous montre Abraham disant au riche : « Tu as reçu tes biens, celui-ci ses maux, et maintenant celui-ci est consolé, et toi, tu souffres. » (Lc. 16,25) Cet homme, à cause de ses souffrances, avait été relevé de tout châtiment, d’autres ne le sont qu’en partie, et leur punition est seulement allégée. On trouvera de même que le degré d’intelligence met une différence entre les châtiments, si l’on fait attention à cette parole : « Le serviteur, qui sait la volonté de son maître et ne l’accomplit pas, recevra des coups nombreux ; celui qui ne la connaît pas et ne l’accomplit pas, recevra peu. » (Id. 12,47-48) On relèverait bien d’autres raisons qui modifient le châtiment, la miséricorde, la charité. Prenons, par exemple, le premier homme. Eve pécha, Adam pécha, et leur faute fut pareille. Tous deux avaient mangé du fruit de l’arbre, mais ils ne furent point également punis. Caïn commit un meurtre, Lamech aussi ; mais l’un obtint miséricorde, l’autre fut châtié. Quelqu’un avait ramassé du bois le jour du sabbat, il fut puni inexorablement. David avait été homicide, adultère, et il fut traité charitablement. Appliquons-nous à cette recherche, cela vaut mieux que de donner son attention aux propos frivoles de la place publique. Ici trouver n’est pas le seul avantage, chercher sans trouver est encore un profit. Car la difficulté même nous donnera de l’occupation, et réclamera tout notre temps.
Pourquoi donc (je reviens à notre sujet), lorsque tous les Juifs avaient contribué à l’érection du veau d’or, les uns furent-ils punis, les autres, non ? C’est que les uns se repentirent et allèrent jusqu’à oublier la nature, lorsqu’ils égorgèrent leurs proches par piété ; les autres persévérèrent dans le crime. Le péché était égal, ce qui le suivit ne fut point pareil des deux côtés. Et pourquoi la peine infligée à, Adam et Eve ne fut-elle point la même pour un même péché ? Parce que ce n’était point la même chose d’être trompé par une femme ou par un serpent. Écoutez comment Paul entend la tromperie : « Adam ne fut pas trompé ; mais a sa femme trompée tomba dans le péché. » (1Tim. 2,14) Et pourquoi celui qui avait ramassé le bois n’obtint-il pas d’indulgence ? Parce qu’il y avait une grande iniquité à transgresser le précepte dès le début, et qu’il fallait inspirer une vive crainte aux autres. La même chose arriva pour Saphire et pour Ananie. En conséquence, lorsqu’il nous arrive à nous-mêmes de pécher, examinons si nous sommes dignes de miséricorde, si nous avons fait quelque chose pour obtenir compassion, si nous nous sommes repentis, améliorés, corrigés. En effet, le salut accordé au repentir est un salut dû à la miséricorde. C’est par là que David lui-même demande à être sauvé, à force de larmes, de gémissements. « Je laverai », dit-il, « chaque nuit ma couche, je mouillerai mon lit de mes larmes. » (Ps. 6,7) Mes larmes, c’est-à-dire ma componction. « Mes os ont été troublés » (Id. 3), « et mon âme a été dans un grand trouble. » (Id. 4) Il n’en vient pas tout de suite à son objet, il allègue la fragilité de sa nature en disant : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. » Il parle ainsi, pour montrer que cela ne suffit pas ; si cela suffisait, nous serions tous sauvés par là ; car nous sommes tous des hommes.
3. Mais, à vrai dire, s’il faut presser le sens de ses paroles, ce n’est pas là peut-être ce qu’il veut exprimer. Il fait plutôt allusion à la faiblesse qui résulte des tentations, et il s’en fait justement un titre pour obtenir miséricorde et clémence. Du moins, il y fait allusion dans la suite en disant : « J’ai vieilli parmi tous mes ennemis. » (Id. 8) En effet, la tribulation endurée avec gratitude, a le don d’attirer sur nous de grandes grâces et de nous rendre Dieu propice. Ce sont donc ces grâces qu’il me paraît avoir en vue, lorsqu’il dit : « Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. » Il ne dit pas : pardonnez-moi, ni faites-moi rémission, mais bien : « Guérissezmoi. » Il demande que ses précédentes blessures soient cicatrisées. En disant « Mes os », il désigne sa force en général ; le trouble, c’est la peine, le châtiment, les coups portés : Guérissez-moi, Seigneur, parce que « mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. » On distingue ces trois choses quand il s’agit de guérir le corps, ou plutôt on en distingue quatre ou cinq ; le médecin, son art ; le malade, la maladie ; la vertu des remèdes ; de l’opposition de ces choses, résulte une espèce de combat ; si le médecin, la médecine, les remèdes ont pour auxiliaire la volonté du malade, ils triomphent de la maladie. Si, au contraire, le malade refuse de les assister, il se livre lui-même à la maladie ; quelquefois même il prend parti pour elle contre le médecin, les remèdes et la médecine, et alors il se tue. C’est la même chose dans le cas présent, ou plutôt, c’est quelque chose de bien plus extraordinaire. Souvent, dans les maladies que traitent les médecins, le malade se range du côté de la médecine et des remèdes, sans y rien gagner, parce que sa constitution est affaiblie, parce que l’art est devenu impuissant, parce que les remèdes ont perdu leur vertu sous l’influence de quelque conjoncture funeste. Il n’en est pas ainsi quand c’est Dieu qui est le médecin ; pour peu que vous soyez avec lui, votre plaie est infailliblement guérie. Car ce n’est pas ici un art humain sujet à l’incertitude, mais une divine efficace, plus forte que les tempéraments, les maladies, les infirmités morales et toutes les imperfections. C’est pourquoi David s’adresse à Dieu comme à un médecin, et lui dit en gémissant : « Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés. » Quelques-uns prétendent qu’il a ici en vue le trouble produit par le péché. En effet, comme on voit des vents furieux, une fois déchaînés sur la mer, la bouleverser, porter à la surface le sable qui était au fond, et mettre en danger les navigateurs ; ainsi notre âme se trouble quelquefois, notre corps est agité, la tempête ébranle tout notre être, le tumulte règne sur notre navire, les ténèbres l’enveloppent, tout quitte sa place, la confusion se met partout. C’est ce qui arrive surtout dans les passions dissolues ; la même chose se passe encore dans la colère et dans les infortunes. Tout cela trouble notre âme et nos os, nos prunelles sortent de leur orbite, nos yeux même s’égarent ; ainsi que les chevaux courent en désordre quand le cocher a perdu son sang-froid, ainsi quand la raison est aveuglée, tout se confond, tout s’égare, tout sort de sa propre vie. Mais, comment naît ce trouble ? c’est ce qu’il est nécessaire maintenant d’expliquer.
Si c’est la fureur des vents qui soulève les flots, il n’en est pas ainsi dans notre âme ; ici, la cause du désordre n’est point un hasard extérieur, mais notre propre nonchalance. C’est à nous qu’il appartient de le prévenir ou de le permettre. Par exemple, une fois la concupiscence éveillée, si vous évitez d’attiser la flamme, d’alimenter le foyer, la fournaise est vite éteinte. Or, vous l’éviterez, si vous détournez vos regards des visages séduisants, si vous ne leur permettez pas de s’attacher curieusement sur les belles formes, si vous fuyez les théâtres d’iniquité. Si vous savez sevrer la chair, préserver votre pensée de l’ivresse, la flamme ne s’élèvera point, la fournaise ne s’échauffera pas, vous ne stimulerez pas en vous la férocité de la brute, vous ne laisserez pas l’orage altérer la pureté de votre âme. Est-ce donc assez, dira-t-on, pour échapper à l’incendie du péché ? Non, cela ne suffit point, il faut y joindre encore autre chose ; des prières continuelles, de vertueuses fréquentations, un jeûne modéré, un régime frugal, des occupations régulières, avant toute chose, la crainte de Dieu, l’idée du jugement futur, des redoutables supplices, des récompenses promises. Par tous ces moyens, vous pouvez refréner la rage de la concupiscence, et calmer en vous la tempête. « Mais vous, Seigneur, jusques à quand ? Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme, sauvez-moi par l’effet de votre miséricorde. » (Ps. 6,5) Il répète constamment ce mot « Seigneur », comme pour s’en faire un titre à la grâce et au pardon ; et, en effet, voilà notre plus ferme espérance ; elle réside dans la bonté ineffable de Dieu, dans son penchant naturel à l’indulgence. Quant à cette expression « Jusques à quand », il ne faut pas l’imputer au découragement ni à l’amertume ; elle ne marque que l’excès des souffrances d’un homme accablé sous le faix des épreuves.
4. « Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme. » Ici il demande en même temps à Dieu de diriger vers lui ses regards et de défendre son âme. Les justes ne tiennent à rien autant qu’à se réconcilier avec Dieu, à se le rendre bienveillant, propice, à faire qu’il ne se détourne pas d’eux. Après cela vient une seconde prière pour le salut de son âme. La plupart des hommes, surtout des hommes grossiers, ne songent qu’à une chose, à jouir ici-bas de la prospérité. Il n’en était pas ainsi de ces justes ; ils songeaient surtout au salut de leur âme, lequel passait avant toute autre chose à leurs yeux. « Parce qu’il n’y a dans la mort personne qui se souvienne de vous ; dans l’enfer, qui vous rendra témoignage ? » (Id. 6) Voyez tout ce qu’il allègue pour être sauvé. « Je suis faible », dit-il, « mes os ont été troublés ; » si j’adresse au Seigneur une pareille requête, c’est qu’il n’y a dans la mort personne qui se souvienne de lui. Il n’entend point par là que le présent soit tout pour nous ; à Dieu ne plaise ! Il connaît la promesse de la résurrection. Il veut dire qu’après le départ d’ici-bas, le repentir devient inutile. Le riche aussi confessait ses fautes et s’en repentait, mais en vain, parce qu’il n’était plus temps. Les vierges aussi auraient voulu recevoir de l’huile, mais personne ne leur en donna. David souhaite donc de pouvoir en ce monde expier ses péchés, afin de comparaître avec confiance au redoutable tribunal. Il fait voir ensuite que la bonté divine réclame le concours de nos œuvres, qu’en vain nous alléguerions notre faiblesse, notre trouble, la clémence de Dieu, ou ce dernier motif qu’il vient de faire valoir, si, de notre côté, nous n’avons pas fait tout notre possible, et voici comment il s’exprime aussitôt après : « Je me suis fatigué dans mes gémissements ; j’arroserai chaque nuit ma couche ; je mouillerai mon lit de mes larmes. » (Id. 7)
Écoutez, hommes d’humble condition, quelle fut la pénitence de ce roi vêtu de la pourpre ; écoutons et soyons pénétrés de componction. – C’est peu de souffrir, il se fatigue à force de gémissements ; c’est peu de pleurer, il arrose sa couche, et non pas un, deux, trois jours, mais tous les jours sans exception ; et il ne parle pas seulement du passé, mais encore de l’avenir. – Gardez-vous donc de croire, qu’après l’avoir fait une fois, il se soit ensuite abandonné au relâchement ; il ne cessa d’agir de la sorte sa vie durant. Ce n’est pas comme nous, qui après un repentir d’un jour (quand il a duré tout un jour), nous abandonnons à la gaieté, au plaisir, au relâchement. David ne cessait de verser des larmes. Imitons cette assidue pénitence. Car si nous refusons de pleurer ici-bas, ailleurs il nous faudra pleurer et gémir ; et ce sera chose inutile, tandis qu’en ce monde ce serait pour notre bien ; là, ce sera pour notre honte, ici, ce serait avec honneur. Que c’est là une nécessité, c’est ce que le Christ nous révèle en ces termes : « Là seront les pleurs elles grincements de dents. » (Mt. 8,12) Mais il n’en est pas ainsi de ceux qui pleurent ici-bas : ils trouveront d’abondantes consolations : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. Malheur à vous, riches, parce que vous recevez votre consolation. » Vous qui dormez sur des lits d’argent, écoutez quelle était la couche de ce roi : elle n’était point décorée d’or, ni incrustée de pierres précieuses, mais arrosée de larmes. Ses nuits n’étaient pas des nuits de repos, mais des nuits de gémissements et de lamentations. Distrait par mille soucis durant le jour, il consacrait à la pénitence le temps que tout le monde réserve pour le repos ; et c’est alors qu’il gémissait tout à son aise. Il est toujours beau de pleurer, mais jamais autant que pendant la nuit, lorsque nul importun n’est là pour nous troubler dans ces étranges délices, et que nous pouvons nous en rassasier à notre gré et sans être dérangés. Ceux qui en ont fait l’épreuve savent ce que je dis, et quel bonheur procurent ces torrents de larmes. Voilà ce qui peut éteindre le feu inextinguible, et tarir le fleuve qui coule devant le tribunal. Voilà pourquoi Paul aussi pleura nuit et jour durant trois années, dans son zèle à porter remède aux maux d’autrui : mais nous, nos propres maux nous laissent indifférents ; nous nous livrons à la gaîté, au plaisir, et, la nuit venue, nous tombons dans un profond sommeil. Ce sommeil-là est pareil à la mort : mais d’autres passent la nuit dans des veilles pires que la mort, tout occupés à ce moment de créances, d’intérêts, d’entreprises contre le prochain. Autrement font les sages : ils cultivent leurs âmes, les arrosent d’une pluie de larmes, qui fait fructifier en elles les germes de la vertu. Point de vice, point de débauche qui ait accès dans une couche baignée de larmes pareilles. Celui qui les répand regarde comme rien les choses de la terre : il fortifie son âme contre toute attaque, il rend sa pensée plus sereine que la lumière du jour. Et n’allez pas croire que je ne parle ici que pour des moines : mon exhortation s’adresse aux hommes du siècle, à eux principalement : car ce sont eux qui ont le plus besoin des remèdes de la pénitence, L’homme qui gémit de la sorte se lèvera portant dans son âme la sérénité d’un port paisible, libre désormais de toute passion ; c’est avec un bonheur sans mélange, avec une confiance parfaite qu’il se rendra alors à la maison de Dieu ; c’est avec joie qu’il conversera avec son prochain ; car la colère sera loin de son cœur ; il ne sentira ni l’aiguillon de la concupiscence, ni celui de la cupidité ou de la jalousie, ni rien de semblable : Car les gémissements et les larmes de la nuit auront refoulé dans leurs tanières ces monstres furieux. « Le courroux a troublé mes yeux. » (Ps. 6,8) Voyez-vous la contrition de cette âme ? Après avoir parlé de son repentir, il revient sur ses maux, sur le trouble de ses pensées, sur la crainte de la colère divine.
5. Il entend ici par œil cette portion raisonnable et perspicace de l’âme, que trouble ordinairement en nous la conscience de nos fautes. Comme il ne cessait d’avoir ses fautes devant les yeux, il se représentait aussi la colère de Dieu, et vivait dans la crainte, les angoisses, le tremblement, et non comme tant d’autres, dans l’insensibilité. Un tel trouble engendre le calme ; une telle crainte est un principe de sécurité. Quiconque éprouve ces angoisses échappe à tout orage ; faute d’avoir l’âme en cet état, on sera exposé à toute la fureur des vagues. Et de même qu’une barque sans lest, livrée aux assauts des vents furieux, ne tarde pas à être engloutie : ainsi l’âme qui vit dans l’apathie doit s’attendre à d’innombrables maux. Aussi le bienheureux Paul, ayant en vue ce genre de douleur, disait-il : « Ceux qui, devenus insensibles, se sont livrés à l’impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l’avarice. » (Eph. 14,19) Ainsi qu’un pilote garantit la sécurité de tous les passagers, tant qu’il est lui-même inquiet sur leur sort, et leur cause, au contraire, de vives alarmes, s’il vient à perdre ce souci et à s’endormir ; de même l’homme qui vit dans les angoisses, le trouble, le tremblement, met en repos sa propre pensée, tandis que celui qui s’abandonne au sommeil de l’insouciance cause le naufrage de son esquif. « J’ai vieilli parmi tous mes ennemis. » Qu’est-ce à dire : « J’ai vieilli ? » C’est-à-dire, j’ai perdu ma force sous leurs coups. Ce monde est un lieu de combats, mille ennemis désolent notre vie ; et les fautes où nous tombons ne font que les rendre plus forts. Il faut donc travailler de toutes nos forces à leur échapper, et fuir toute réconciliation avec eux : c’est le plus sûr moyen de nous sauver. Paul fait allusion à cette phalange d’ennemis en disant : « Nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres. » (Id. 6,12) Si telle est la phalange de nos ennemis, toujours et sans cesse, il faut être en armes et fuir les assauts du péché. Car il n’y a rien de si belliqueux par nature que le péché. Aussi Paul nous dit-il, pour nous exhorter à sortir de l’endurcissement : « Ne vous conformez point à ce siècle, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit. » (Rom. 12,2) Ainsi, quand le péché vous aura fait vieillir, rajeunissez-vous par la pénitence. « Retirez-vous de moi, vous « tous, qui opérez l’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes gémissements. » (Ps. 6,9) « Le Seigneur a entendu ma demande, le Seigneur a accueilli ma prière. » (Id. 10) Encore une méthode excellente pour arriver à la vertu : fuir les méchants. Le Christ nous le recommande si fortement, qu’il nous prescrit de nous séparer des amis qui sont pour nous comme des membres de notre corps, pour peu qu’ils nous scandalisent, et que leur société nous soit nuisible. « Si votre œil vous scandalise », dit-il, « arrachez-le. Si votre main vous scandalise, coupez-la et rejetez-la loin de vous. » (Mt. 5,29, 20) Ce ne sont point les membres qu’il a en vue, à Dieu ne plaise ! mais ces amis intimes, dont il faut mépriser l’amitié, quand elle n’est pas utile, mais nuisible, à eux-mêmes et à nous. Fidèle à ce précepte, David, non content de ne pas rechercher les mauvaises sociétés, leur prescrivait encore de fuir loin de lui.
6. Voilà le fruit de la pénitence, voilà l’avantage des larmes. L’âme ainsi contrite est désormais détachée de toute passion. Suivons cet exemple : et eussions-nous pour ami un homme couronné du diadème, si cette amitié nous est funeste, sachons la fouler aux pieds. Car rien n’est plus méprisable qu’un homme, monarque ou autre, une fois qu’il vit dans l’iniquité tandis que, d’autre part, le dernier captif est supérieur à tous les rois, si la vertu habite en lui. « Parce que le Seigneur a entendu la voix de mes pleurs. » Il ne dit pas simplement : a entendu ma voix, mais bien : « a entendu la voix de mes pleurs. » Vous voyez comment lui-même il n’épargne rien de son côté, ni sa voix, ni ses pleurs, par voix, entendant ici, non pas un cri, à proprement parler, mais une direction (le la pensée, et par pleurs, non seulement ceux que les yeux répandent, mais encore ceux qui viennent de l’âme ! En effet, celui qui montre du repentir et qui est entendu de Dieu, n’a pas de peine non plus à consommer cette autre bonne œuvre, la rupture de tout commerce avec les méchants.
« Que tous mes ennemis rougissent et rentrent en eux-mêmes. Qu’ils se détournent en arrière, et soient confondus sur-le-champ. » Voilà la plus utile des prières, rougir et revenir sur ses pas. Ceux qui courent au mal n’ont qu’à être pris de honte et à rebrousser chemin pour se corriger de leur perversité. Nous voyons un homme prêt à tomber dans un précipice ; nous l’arrêtons dans sa course, en lui criant : Où vas-tu, mon ami ? Un abîme est devant toi. C’est ainsi que David presse les méchants de revenir sur leurs pas. Un cheval emporté, si l’on ne se hâte de le retenir, aura bientôt péri. De même encore, le venin des reptiles, finit par infecter tout le corps qu’ils ont blessé, si les médecins ne s’empressent d’en réprimer les progrès, et d’en arrêter ainsi les ravages. Faisons de même, nous aussi, et hâtons-nous de guérir nos infirmités, si nous ne voulons pas que le temps envenime le mal. Car la blessure du péché, pour peu qu’on la néglige gagne du terrain ; et la maladie ne se borne pas à une simple plaie, elle finit par engendrer la mort éternelle, tandis que si nous extirpons le mal dans son principe, nous ne serons pas exposés à le voir grandir. Songez-y bien : celui qui aura pris l’habitude de n’attaquer personne, ignorera la lutte ; s’il ignore la lutte, il saura aimer ; s’il sait aimer, il n’aura point d’ennemi ; s’il n’a point d’ennemi, et ne montre que de la charité, il sera paré de toutes les vertus. – N’allons donc point négliger les débuts, si nous ne voulons que nos maux s’augmentent. Si Judas avait réprimé en lui la passion des richesses, il n’aurait pas été sacrilège ; s’il n’était point tombé dans ce crime, il n’aurait point été précipité au plus profond de l’abîme. – C’est pourquoi le Christ ne se borne point à réprimer la fornication ni l’adultère, il va jusqu’à défendre les regards déréglés ; il arrache pour ainsi dire la racine même du mal, afin de rendre plus aisée la défaite du vice. – Il agit de même à l’égard des Juifs, b ; en qu’avec des formes plus grossières, et comme sous le voile de l’allusion, parce qu’il avait affaire à des hommes charnels. Comment cela, de quelle façon ? Il interdit l’accouplement des animaux d’espèces différentes. Il interdit de boire le sang des bêtes ; il interdit de garder les gages après la chute du jour, et par là il réprima de grands crimes : d’une part, la sodomie, d’autre part, le meurtre, enfin la cruauté et la barbarie. Mais aujourd’hui la négligence, l’impudence sont au comble : aussi tout est bouleversé. Par conséquent, dès que vous recevez la plus faible atteinte, au lieu de considérer que c’est peu de chose, songez au résultat funeste qu’elle peut avoir, si vous en laissez les ravages s’étendre. Pour peu que nous voyions dans une maison quelques étoupes allumées, nous voilà dans le trouble et l’effroi : ce n’est pas ce commencement d’incendie qui nous épouvante, ce sont les suites qu’il pourrait avoir ; voilà pourquoi nous courons éteindre ce foyer jusqu’à la dernière étincelle. Eh bien ! le vice est pour l’âme un fléau plus dévorant que ce feu. Songeons donc à l’arrêter dès sa naissance. Car pour peu que nous nous relâchions, il nous sera plus malaisé ensuite d’en triompher. C’est ainsi encore que sur un vaisseau, les nautoniers pour s’émouvoir n’attendent pas que la mer soulève ses vagues au-dessus de leurs têtes : ses menaces mêmes les alarment. – Ne voyons donc pas les plus petits de nos péchés avec indifférence ; réprimons-les, au contraire, de toute notre force, afin d’échapper aux fautes plus graves, et d’obtenir les récompenses éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION SUR LE PSAUME VII.

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PSAUME POUR DAVID QUI LE CHANTA AU SEIGNEUR, A CAUSE DES PAROLES DE CHUS, FILS DE JÉMINI : « SEIGNEUR, MON DIEU, C’EST EN VOUS QUE J’AI MIS MON ESPÉRANCE : SAUVEZ-MOI DE TOUS CEUX QUI ME PERSÉCUTENT, ET DÉLIVREZ-MOI. »

ANALYSE.

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  • 1. Portrait de Chus et d’Achitophel.
  • 2. Dévouement de Chus. Son entrevue avec Absalon.
  • 3. Sens de l’expression filon Dieu et du mot Lion dans l’Écriture. – De la prière.
  • 4. Six conditions d’une bonne prière. – David outre-passe les exigences de l’Ancienne Loi.
  • 5. Confiance fondée de David. – Qu’il n’est pas défendu d’avoir des ennemis, mais de mériter d’en avoir et de les hait.
  • 6. Que le persécuteur est plus à plaindre que sa victime.
  • 7. Conciliation avec d’autres textes de l’Écriture.
  • 8. Démonstration de la divine Providence.
  • 9. Utilité du châtiment. – Du bonheur de quelques méchants.

10. Longanimité de Dieu. 11. Contre l’anthropomorphisme. – Bonté de Dieu révélée par ses menaces mêmes. 12. Continuation du môme sujet. – Utilité de l’exemple. 13. Remords et malheur des méchants. 14. Châtiment des méchants dans ce monde même. 15. Dureté d’Absalon, bonté de David : patience de Dieu. 16. Qu’il faut faire le bien pour l’amour de Dieu.
1. Il serait à souhaiter que vous fussiez tellement versés dans la connaissance des Écritures et de leurs histoires, que nous n’eussions pas besoin de longs discours pour vous les enseigner. Mais comme beaucoup les ignorent, les uns à cause des affaires mondaines, dont ils s’occupent uniquement, les autres par pure insouciance, il est nécessaire de nous étendre un peu sur le sujet de ce psaume. Prêtez-moi donc une oreille attentive. Quel est ce sujet ! « Psaume pour David qui le chanta au Seigneur. » Un autre dit : « Psaume pour David touchant l’ignorance ; » un autre : « Ignorance pour David », et à la place de « Chus » il met « l’Éthiopien. » Mais cela ne vous éclaircit rien, parce que l’histoire vous est inconnue. Cependant, comme je ne suis pas ici seulement pour vous réprimander, mais encore pour vous instruire, je vais commencer ce récit. Qu’était-ce donc que ce Chus, fils de Jémini, et quelles étaient ces paroles sorties de sa bouche, à l’occasion desquelles David chanta cet hymne à Dieu ? C’est ce que nous allons voir, en reprenant les choses depuis le commencement.
David eut un fils du nom d’Absalon, jeune homme déréglé et corrompu : cet Absalon finit par se révolter contre son père ; il le déposséda de son trône, de son palais, de sa patrie, sans avoir égard ni aux devoirs du sang, ni à ceux de la reconnaissance : il oublia tout en un mot, il était si barbare et si dénaturé, si pareil à une bête plutôt qu’à un homme, que, brisant tous les liens, il foula aux pieds les lois de la nature, et remplit tout de désordre et de confusion. En effet, c’était tout bouleversera la fois, prescriptions de la nature, respect de l’opinion, piété envers Dieu, charité, compassion, reconnaissance filiale, respect de la vieillesse. S’il ne voulait pas respecter en David son père, au moins devait-il l’honorer comme un vieillard. Si des cheveux blancs ne lui inspiraient pas de vénération, au moins aurait-il dû en montrer pour son bienfaiteur ; et, à tout le moins, ménager un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Mais la passion du pouvoir bannit de son cœur tout sentiment de retenue, et en fit une véritable bête féroce. Et voici que notre bienheureux, celui qui avait engendré, nourri ce fils ingrat, errait dans le désert comme un misérable vagabond, accablé de tous les maux qui pèsent sur un exilé, tandis que son fils jouissait en paix des biens paternels. Les choses en étaient à ce point, les armées obéissaient au rebelle, les villes reconnaissaient son usurpation ; seul, un homme vertueux, un ami de David, nommé Chus, restait fidèle à son amitié dans ce changement de fortune ; en le voyant errer sans fin dans le désert, il déchira sa tunique, se couvrit de cendres, poussa un amer et pitoyable gémissement ; et, dans son impuissance, il consola du moins l’infortuné avec des larmes. Ce n’était point la fortune ni la puissance, mais bien la vertu qu’il aimait chez David : voilà pourquoi son amitié survécut même à la déchéance du roi. David, en le voyant agir de la sorte, lui dit : C’est déjà faire preuve d’attachement et d’une sincère affection pour nous ; mais cela ne peut nous servir de rien : il faut tenir conseil, et aviser aux moyens de nous délivrer des infortunes présentes, de nous soulager dans notre malheur.
Il dit et fait à Chus la proposition suivante Va-t’en auprès de mon fils, et, sous le masque d’un allié, confonds ses projets, préviens l’accomplissement du dessein d’Achitophel. Cet Achitophel régnait alors sur l’esprit de l’usurpateur ; c’était un bon guerrier, un général habile à conduire une guerre, à décider les succès d’un combat : aussi inspirait-il plus de crainte à David que l’usurpateur lui-même, à cause de son intelligence et de son habileté. Chus, entendant cela, obéit, sans lâche hésitation, sans pensée pusillanime ; il ne dit point Et si je suis pris ? Et si je suis démasqué ? Et si l’on découvre le secret de la comédie ? C’est un habile homme qu’Achilophel : il pourra bien deviner cette ruse, me prendre sur le fait : et alors je périrai : voilà tout ce que nous y aurons gagné. Rien de pareil : il court au camp de l’usurpateur, après s’être reposé sur Dieu de toute chose, et s’élance au milieu des dangers.
Si j’ai insisté là-dessus, ce n’est pas seulement pour attirer des éloges à Chus, c’est encore pour vous faire comprendre toutes les épreuves que David eut à subir, c’est enfin pour mettre dans un plus grand jour tous les fruits que l’on peut retirer de cette histoire. Voyez en effet : le vulgaire ne cesse de demander pourquoi les justes sont persécutés tandis que les méchants demeurent en repos. C’est la même chose ici. Le juste était dans l’infortune ; le pervers, le parricide, le rebelle en guerre avec la nature elle-même, vivait dans la prospérité, au sein d’un palais : mais il ne lui revint de cela aucun profit, comme à notre saint aucun dommage. L’un n’y gagna que de pires tribulations ; l’autre en retira une gloire plus éclatante ; comme on voit reluire, au sortir de la fournaise, l’or que l’épreuve a purifié.
2. Tirez donc de là cette première leçon, de ne point vous laisser étonner par les infortunes que vous voyez fondre sur les justes. Apprenez en second lieu, à ne pas changer avec la fortune, à respecter les lois de l’amitié ; en troisième lieu, à braver les dangers pour la vertu ; enfin, à ne pas désespérer dans les circonstances difficiles, à compter sur le secours de la divinité. – C’est ainsi que ce Chus dont je parle, ne réfléchit alors ni à l’armée de l’usurpateur, ni aux alarmes qu’il inspirait, ni à la multitude de ses cavaliers, ni aux innombrables phalanges de ses hoplites, ni aux villes dont il s’était déjà rendu maître, ni à l’abandon auquel était réduit David, à son isolement, à sa faiblesse : il ne vit qu’une chose, l’irrésistible secours de Dieu, sa protection : et comparant, à ce point de vue, les deux partis, il jugea l’un faible, et l’autre fort. En effet, Absalon agissait avec injustice, David au contraire, en se défendant, avait le bon droit pour lui. Il se rangea donc, non du côté du nombre, mais du côté on combattait la vertu ; et ainsi il attira sui lui la bénédiction divine. Je dis cela, afin que nous-mêmes, nous ne négligions pas ceux qui ont la justice, pour eux ; en voyant leur faiblesse ; afin que d’autre part nous fuyions l’alliance des méchants, quel que puisse être leur pouvoir.
En effet le vice, quand même il aurait pour lui toute la terre, est ce qu’il y a de plus faible au monde ; la vertu, au contraire, même dénuée de tout appui, est ce qu’il y a de plus puissant : car elle a Dieu pour défenseur. Qui pourrait donc sauver celui qui a Dieu pour ennemi ? Et qui pourrait perdre celui qui l’a pour auxiliaire ? Pénétré de ces vérités, Chus s’en alla plein de confiance où David l’envoyait. Dès qu’il fut arrivé, voyant l’usurpateur approcher, il l’aborda. Absalon qui l’avait vu plus d’une fois, et qu’enivrait l’amour de la puissance, ne s’arrête point à l’examiner minutieusement ; il le raille, il l’injurie : Va-t’en, lui dit-il, avec ton ami : il ne daigne pas même le nommer, dans l’excès de sa haine et de son animosité. Chus alors sans se troubler, sans se déconcerter, lui répond : Quand Dieu était avec lui, je lui étais attaché : maintenant que Dieu est avec toi, il en résulte que je dois te servir. Ce discours flatta et enorgueillit le tyran ; et sans autre enquête (l’homme léger est crédule, ce fut le cas d’Absalon) il se livre à ses ennemis, en admettant sur-le-champ Chus au nombre de ses fidèles, en l’inscrivant au premier rang de ses amis. Mais Dieu conduisait tout : il était là, il dirigeait les événements. Après cela, on tint conseil au sujet de la guerre, divers avis furent ouverts sur la question de savoir s’il fallait attaquer incontinent, ou différer un peu. Achitophel, cet habile conseiller, s’avance, prend la parole et fait la proposition suivante. Il faut attaquer ton père maintenant qu’il est abattu et découragé. C’est en ne lui laissant pas le temps de respirer que nous pourrons nous en rendre maîtres : il ne s’attend à rien ; si nous l’attaquons maintenant, nous n’aurons aucune peine à vaincre. Après avoir entendu cet avis, l’usurpateur appelle Chus, le faux transfuge et l’invite à parler à son tour : il n’était pas dans l’ordre des choses humaines qu’il accordât un pareil honneur, une pareille confiance à un homme qui venait à peine d’arriver, qu’il le consultât sur une affaire de cette importance ; mais, ainsi que je l’ai dit plus haut, quand c’est Dieu qui commande, les choses les plus difficiles deviennent aisées. Chus est introduit : Absalon lui donne le droit de parler, et l’invite à faire connaître sa pensée. Que fait Chus alors ? Jamais, dit-il, Achitophel ne s’est trompé. Voyez-vous son adresse ? Il ne donne pas brusquement son avis, il y joint un éloge. Il commence par rendre hommage à la prudence ordinaire des conseils d’Achitophel, puis il accuse l’opinion que ce même conseiller vient d’énoncer en dernier lieu.
Voici comment il s’exprime : Je ne sais comment il s’est trompé cette fois ; son idée ne me paraît pas bonne à suivre. Si nous attaquons à présent, ton père poussé à bout comme un ours dont on excite la fureur, et désespérant désormais de sa vie ; combattra avec tout l’acharnement de la rage, ne songera point à ménager ses jours et fondra sur nous avec toute l’impétuosité dont il est capable. Au contraire, si nous prenons quelque répit, nous serons mieux préparés pour l’attaque, plus sûrs du succès, et nous n’éprouverons aucune peine, aucune difficulté à le prendre, pour ainsi dire, au piège, et à le ramener prisonnier. Absalon approuva cette opinion et la proclama préférable à l’autre. Mais si Chus avait parlé de la sorte, c’était pour donner à David le temps de se reposer un instant, de respirer, de rassembler des troupes. Aussi, lorsqu’il eut fait rejeter le conseil d’Achitophel, il envoya secrètement des émissaires rendre compte de tout à David, et lui apprendre que l’usurpateur s’était rangé à l’opinion de Chus qui assurait la victoire du roi. Telle fut, en effet, l’issue. Après avoir pris quelque repos, David fit ses préparatifs, livra bataille et remporta la victoire. Achitophel qui, dans sa prudence et son habileté, prévoyait ce résultat dès le jour même de la délibération et savait que cette résolution était la perte d’Absalon, incapable de supporter l’affront qu’il avait essuyé, alla se pendre et mit ainsi fin à ses jours.
3. C’est alors que David, instruit de tous ces événements, écrivit ce psaume, comme un hymne d’actions de grâces, par lequel il reportait à Dieu tout l’honneur d’avoir conduit ces événements. Aussi, dès le début, s’exprime-t-il à peu près ainsi : « Seigneur mon Dieu, c’est en vous que j’ai mis mon espérance, sauvez-moi. » En Dieu, non pas en Chus, non pas dans la sagesse humaine, non pas dans la prudence de cet ami, non pas dans sa propre intelligence, mais en vous, Seigneur. Suivons cet exemple, et s’il nous arrive quelque succès par le ministère des hommes, sachons en remercier Dieu, soit qu’il ait choisi d’autres ou nous-mêmes pour instruments de sa grâce. Si nous agissions de la sorte, il n’y aurait plus pour nous ni difficulté ni peine. C’est ce que fait Saül, en disant, ou peu s’en faut : Ce n’est point sur les paroles de Chus que je fondais l’espoir de mon salut, mais bien sur votre appui. Et voyez quelle affection respire dans ses paroles, ici comme partout. D’ailleurs, il ne dit pas « Seigneur Dieu », mais « Seigneur « mon Dieu ; » et dans un autre endroit : « Dieu, mon Dieu, je m’éveille à vous. » (Ps. 52,2) En effet, s’il avait besoin de Dieu comme tout le monde, il éprouvait en outre un besoin particulier qui lui venait de la vivacité de son amour. Dieu lui-même ne se comporte pas autrement quand il parle des justes ; il est le Dieu de l’univers, mais cela ne l’empêche pas de se représenter d’ailleurs comme le Dieu des justes en particulier. « Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. » Considérez de plus ici la sagesse du Psalmiste. Après ces mots : « Seigneur mon Dieu, c’est en « vous que j’ai mis mon espérance », il ne dit pas : châtiez mon ennemi, faites mourir celui qui me fait la guerre ; il ne songe qu’à lui-même, et dit « Sauvez-moi », en d’autres termes, ne me laissez pas en proie au malheur ; « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi. » Vous le voyez, quelle que soit son infortune, il ne prononce pas le nom du parricide ; fidèle à la nature jusque dans l’adversité, dans son ennemi voyant encore un fils, et n’oubliant pas, au milieu des périls, le fruit de ses entrailles. Tant il était bon père et attaché à ses enfants ; ou plutôt, tant il était sage. Car c’est moins la voix du sang que la douceur de son âme qui lui inspirait cette conduite, et il songeait plus à l’armée qu’à l’usurpateur ; de là ces mots : « Sauvez« moi de tous ceux qui me persécutent, et « délivrez-moi. » Voyez-vous comme il parle sans dureté de ses persécuteurs eux-mêmes ? Il ne dit pas de tous ceux qui me l’ont la guerre, de ceux qui pillent mes biens, qui étalent leurs débauches dans mon palais, mais bien. « De « tous ceux qui me persécutent. De peur qu’en« fin il ne ravisse mon âme comme un lion, « lorsqu’il n’y a personne pour me racheter, « ni me sauver. » Cependant il avait levé des troupes, et avait beaucoup de gens avec lui ; comment donc peut-il dire lorsqu’il n’y a personne pour me racheter ni me sauver ? Parce qu’il compte pour rien un secours quelconque, fût-ce même celui du monde entier, si l’appui d’en haut lui manque, et qu’au contraire, il ne se regarde pas comme abandonné, même dans l’isolement, si Dieu lui vient en aide. Voilà pourquoi il disait aussi : « Un roi n’est pas sauvé par sa grande puissance, et un géant ne sera pas sauvé grâce à sa force excessive. » (Ps. 32,16) Quelques-uns prennent notre passage dans un sens figuré, et prétendent que par ces mots Lion et Persécuteurs, il faut entendre le diable et les démons. Il s’est vu ravir son fils, il l’a vu dévorer : il demande maintenant à échapper lui-même à cette calamité : et il indique en même temps la raison qui a causé le malheur de l’infortuné. Quelle est cette raison ? Sa méchanceté, qui a éloigné de lui la protection divine. De là ces paroles : « Lorsqu’il n’y a personne pour me « racheter ni me sauver. » Au reste, l’Écriture emploie ailleurs ce mot « lion » en parlant du diable, par exemple dans ce passage. « Votre « ennemi le diable rôde comme un lion rugissant, qui cherche quelqu’un à dévorer. » (1Pi. 5, 8) Le même prophète dit encore ailleurs : « Et tu fouleras aux pieds lion et dragon. » (Ps 90,13) En effet, cette bête-là prend diverses formes : mais si nous sommes sages, ce lion, ce dragon sera pour nous plus méprisable que la fange, il n’osera pas nous attaquer en face, ou, s’il l’ose, il sera foulé aux pieds. « Marchez », est-il écrit, « sur les serpents et les scorpions. » (Lc. 10,19) Il court partout avec fureur, comme un lion qu’il est mais s’il vient à s’attaquer à ceux qui ont avec eux le Christ, qui portent la croix sur le front, en qui brûle le feu de l’Esprit, et le flambeau inextinguible, il ne pourra soutenir leur vue, il tournera le dos et prendra la fuite, sans oser seulement regarder derrière lui. Et pour que vous compreniez bien que ce ne sont point ici de vaines phrases, veuillez considérer l’exemple de Paul. C’était un homme ainsi que nous néanmoins le lion en avait peur, au point de fuir jusqu’à ses vêtements, jusqu’à son ombre. Rien de plus naturel : il ne pouvait supporter l’odeur du Christ, laquelle s’en exhalait et montait à ses naseaux, il ne pouvait soutenir l’éclat du flambeau de la vertu. « Seigneur, mon Dieu, si j’ai fait cela, si « l’iniquité est sur mes mains. » Un point qui est partout à observer, c’est qu’il ne faut pas se borner à prier, mais prier encore de manière à être entendu. La prière ne suffit point pour arriver au but qu’on se propose, si l’on ne sait pas l’offrir comme Dieu le trouve bon. Le pharisien pria et il n’y gagna rien : les Juifs priaient, mais Dieu se détournait de leurs prières : c’est qu’ils ne priaient point comme il fallait prier. Aussi avons-nous reçu l’ordre d’offrir la prière la plus propre à nous faire exaucer. David fait voir la même chose dans sa prière précédente, où il ne se borne point à demander audience, mais fait de son côté tout son possible afin d’être entendu. Quelle était cette prière ? « J’arroserai chaque nuit ma couche, je mouillerai mon lit de mes larmes ; » et encore. « Je me suis fatigué dans mes gémissements ; » et aussi : « Détournez-vous de moi, vous tous qui opérez l’iniquité ; » et enfin : « Mes yeux ont été troublés de colère. »
4. Voilà, en effet, autant de moyens de se concilier la faveur divine : les lamentations, les larmes, les gémissements, la fuite des méchants, la crainte et le tremblement dans l’attente des jugements divins. Ailleurs encore il disait : « Dieu a entendu ma justice : dans l’affliction, vous m’avez mis au large. » Telles sont les conditions nécessaires pour être exaucé la première est qu’on mérite de l’être ; la seconde, que l’on prie selon les lois de Dieu ; la troisième, qu’on prie continuellement ; la quatrième, qu’on ne demande rien de mondain ; la cinquième, qu’on cherche son véritable avantage ; la sixième, qu’on fasse de son côté tout ce qui est possible. Rappelez-vous combien de personnes ont réussi par là à se faire exaucer Corneille, par sa vie ; la Syro-phénicienne, par son assiduité à prier ; Salomon, par la nature de sa prière, « attendu », est-il écrit, « que tu ne m’as demandé ni des richesses, ni la mort de tes ennemis (1R. 3,11) ; » le publicain par son humilité ; d’autres, par d’autres raisons. Si l’on se fait exaucer en s’y prenant de la sorte, lorsqu’on s’y prend autrement, on n’est point entendu, quelque juste qu’on puisse être. Qu’y a-t-il eu de plus juste que Paul ? néanmoins quand il demanda de faux avantages il ne fut pas entendu. « Trois fois » dit-il, « j’ai invoqué le Seigneur à ce sujet, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit. » (2Cor. 12,8,9) Et quoi de plus juste encore que Moïse ? Néanmoins il ne fut pas exaucé davantage, le jour où Dieu lui dit : « Qu’il te suffise. » (Deut. 3,26) Il demandait à entrer dans la Terre promise, mais il n’y aurait pas trouvé son avantage, Dieu ne le permit pas. Un nouvel obstacle, à la réalisation de nos vœux, c’est la persévérance le péché. De là ces paroles de Dieu à Jérémie au sujet des Juifs : « Ne prie pas pour ce peuple. Ne vois-tu pas ce qu’ils font ? » (Jer. 7,16, 17) Ils n’ont pas renoncé à l’impiété, et tu me présentes une requête en leur faveur ? Je ne t’exaucerai pas. Quand nous demandons à Dieu le malheur de nos ennemis, non seulement, nous n’en obtenons pas audience, mais encore nous excitons sa colère. C’est un remède que la prière. Faute de savoir comment il convient d’appliquer le remède, nous n’en retirons aucun soulagement.
Voyons donc ce que dit David en sa prière « Seigneur, mon Dieu, si j’ai fait cela. » Quoi, cela ? Ce qu’on me fait, à moi : si je me suis révolté contre mon père, si j’ai commis un pareil forfait. Mais ici encore, il évite de désigner le coupable par son nom : il rougit, il a honte pour son fils. Ainsi qu’un homme de bonne maison qui surprend sa femme en adultère, ne va pas divulguer en propres termes la faute de cette épouse criminelle, de même David ne dit pas : Si je me suis révolté contre mon père, si j’ai été parricide, mais bien : « Si j’ai fait cela. » Mais que dis-je, cela ? Quel mérite y a-t-il à ne pas être parricide, quand les bêtes féroces ignorent elles-mêmes ce crime ? « S’il y a de l’iniquité sur mes mains. » Ce n’est point cette iniquité-là que j’ai en vue : je dis qu’on ne trouverait pas sur mes mains la trace d’une iniquité quelconque. Et s’il parle ainsi, ce n’est point par jactance, c’est parce qu’il se voit contraint de parler de ses bonnes œuvres. Mais ceci est peu de chose encore auprès de ce qui va suivre. Voyons donc la suite : « Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en rendaient. » Prêtez une exacte attention. Cette phrase-ci n’est point la première venue. Il est beau de ne pas nuire mais c’est une bien plus grande chose, et propre à une âme élevée, que de ne pas nous venger de ceux qui nous font du mal. La loi, cependant, l’autorisait, en permettant d’arracher œil pour œil, dent pour dent : et on ne l’enfreignait pas en se comportant de la sorte.
Mais telle était la sagesse de David, que non content de ne pas enfreindre la loi, il en dépasse de beaucoup les exigences. Il ne se serait pas cru vertueux, s’il était resté dans les bornes exactes des prescriptions. Paul, autorisé à vivre de l’Évangile, n’en vivait pas néanmoins, et prêchait l’Évangile gratuitement : de même le bienheureux David, autorisé par la loi à se venger, n’usait pas de ce droit, et outre-passait la limite de ses devoirs. Pour nous, nous sommes assujettis, non seulement à ne pas nous venger de nos ennemis, mais encore à leur faire du bien. « Priez pour ceux qui vous persécutent », est-il écrit : « faites du bien à ceux qui vous haïssent. » (Mt. 5,44) Mais au temps de David, ce n’était pas un petit mérite que de s’interdire la vengeance : c’était dépasser de beaucoup la recommandation légale. De là ces paroles : « Si j’ai fait cela, s’il y a de l’iniquité sur mes mains ; si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en rendaient. » En ce qui concernait son fils, la voix du sang suffisait pour le retenir : mais a-t-il fait du mal, en a-t-il rendu à quelque autre ? Quelle serait donc notre excuse, notre titre à l’indulgence, à nous qui venons après le Christ, si nous ne savions pas atteindre le niveau de ceux qui vivaient sous l’ancienne loi, et cela, quand nous sommes obligés de le dépasser de beaucoup ? « Si votre justice », est-il écrit, « n’abonde pas plus que celle des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » En effet, si les mêmes œuvres ne produisent pas le même mérite sous la loi qu’avant la loi, il en est de même pour le temps de la grâce et pour celui de la loi, et la différence des temps influe sur la valeur des actions. Paul, voulant indiquer cette différence pour ce qui concerne, soit le vice, soit la vertu, fait voir par les paroles suivantes quelle supériorité il accorde aux uns, quels châtiments plus sévères il juge réservés aux autres « Lorsque les gentils qui n’ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi ; n’ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi. » (Rom. 2,14)
5. Voyez-vous comment il vante et célèbre ceux qui font le bien sans y être obligés par la loi ? Considérez maintenant ce qu’il dit des supplices plus sévères réservés aux pécheurs qui vivent sous la grâce, qu’aux pécheurs vivant sous la loi. « Celui qui viole la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l’alliance. » (Héb. 11,28, 29) Ailleurs voulant montrer que les pécheurs d’avant la loi méritent un châtiment moindre que ceux qui ont vécu sous le règne de la loi, il s’exprime ainsi : « Quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi. » (Rom. 11, 12) C’est-à-dire sera puni moins sévèrement, ayant pour accusatrice, non la loi, mais la seule nature : « Mais ceux qui ont péché sous la loi seront jugés par la loi ; » c’est-à-dire plus sévèrement, attendu qu’outre la nature, la loi aussi les accusera. « Que je succombe sous les coups de mes ennemis, frustré de mes espérances. Que l’ennemi poursuive mon âme, et s’en empare, et foule aux pieds sur le sol ma vie, et ensevelisse ma gloire sous la poussière. » Voyez-vous la confiance de ce juste, et sa bonne conscience ? S’il n’avait pas été bien sûr de lui, il n’aurait pas prononcé une telle malédiction.
Voici le sens de ses paroles : Si j’ai fait ou rendu le mal, puissé-je endurer telle et telle chose : et il prononce lui-même son arrêt ; il ne veut pas être jugé équitablement, il réclame une punition disproportionnée à sa faute : la loi l’exempte du châtiment, lui-même s’y soumet. Et considérez quel est ce châtiment : « Que je succombe sous les coups de mes ennemis, frustré de mes espérances. Que l’ennemi poursuive mon âme, et s’en empare, et foule aux pieds sur le sol ma vie, et ensevelisse ma gloire sous la poussière. » C’est-à-dire qu’il me fasse périr dans l’obscurité, dans l’oubli qu’avec ma vie, il ruine en même temps ma gloire. Qu’est-ce à dire « qu’il ensevelisse ma gloire sous la poussière ? » qu’il m’humilie, qu’il me foule aux pieds : que je tombe à la merci de mes ennemis. Que peut-on imaginer de plus infâme qu’Absalon, qui persécutait son père, et un père si bon, si vertueux, lui dissolu, libertin, insolent ? Mais quoi ? Est-ce que David ne rendit pas le mal à ceux qui le lui rendaient ? Est-ce qu’il ne montra jamais de rancune ? Nullement. Examinez l’histoire de Saül : là surtout vous verrez briller la vérité de cette parole. Cet homme après mille bienfaits, des trophées, des victoires, le persécutait, lui tendait des pièges, brûlait chaque jour de le faire périr, : David le tint en son pouvoir une fois, deux fois et plus, endormi, séparé de ses gardes, et comme enfermé dans une prison : beaucoup l’engageaient à l’égorger, à lui donner la mort : il l’épargna, dompta son courroux, et cela, bien qu’il n’ignorât point qu’en le laissant échapper, il se ménageait un ennemi acharné et irréconciliable. Néanmoins, ni le souvenir du passé, ni ses craintes pour l’avenir, ni rien de pareil, ne put le déterminer à ce meurtre ; il resta sage, maître de son bras ; il refréna sa colère, et préféra courir des dangers, être en butte à des complots, être chassé de sa patrie, perdre la liberté plutôt que de se débarrasser par un meurtre d’un ennemi qui le poursuivait d’une haine sans motif, et brûlait de le récompenser de mille bienfaits par la mort.
La sagesse de son âme éclate encore dans bien d’autres traits pareils. De là tous ces maux qu’il se souhaite à lui-même ; revenir sans avoir rien fait, être complètement vaincu par ses ennemis, mourir sans laisser un nom, mourir de la main de ses ennemis ; choses pires que la mort ; en effet, que n’avait-il point entrepris pour qu’on se souvînt de lui après sa mort ? Voyez donc tous les malheurs qu’il appelle sur sa tête ; inutilité de ses efforts, victoire de ses ennemis, pour lui-même la mort, une mort particulièrement affreuse, l’oubli de son nom, l’ignominie ; il n’aurait pas prononcé de tels vœux contre lui-même, si le témoignage de sa conscience ne l’avait bien rassuré. S’il avait eu des ennemis, ce n’était point sa faute ; il ne leur avait donné aucun sujet de haine contre lui. Quel prétexte avait son fils ? Quel prétexte avait eu Saül ? N’avait-il pas corrigé avec le temps, ramené à lui et à la raison celui qui avait encouru sa vengeance ? n’avait-il pas souvent laissé échapper de ses mains celui qui conspirait contre sa vie ? N’examinez donc point s’il avait des ennemis, mais s’il se les était lui-même attirés. Le Christ même ne nous a pas défendu d’avoir des ennemis, car cela ne dépend point de nous ; il nous a défendu seulement de les haïr. Ceci est en notre disposition, et cela nullement. Que si l’on nous poursuit d’une haine injuste, il ne faut point s’en prendre à nous, mais à ceux qui nous haïssent. C’est, en effet, la coutume des méchants de ressentir contre les bons des haines sans motif. Le Christ lui-même n’y a point échappé comme il le dit lui-même. « Ils m’ont pris en haine sans motif. » (Jn. 15,25) Les apôtres avaient les faux apôtres pour ennemis ; les prophètes, les faux prophètes. Ce qui doit nous préoccuper, ce n’est point de ne pas avoir d’ennemis, c’est de ne pas mériter d’en avoir ; c’est aussi de ne pas les haïr, de ne pas les prendre en aversion, quel que soit l’excès de leur haine ; car l’inimitié consiste en ceci : à haïr, à prendre en aversion. Par conséquent, si l’on me hait sans que je haïsse, je n’ai point d’ennemi, bien que quelqu’un ait un ennemi en moi. Comment aurais-je pour ennemi l’homme pour qui je prie, l’homme que je voudrais obliger ? De là ces mots de Paul : « S’il est possible, autant qu’il est en vous, vivant en paix avec tous les hommes. » (Rom. 12,18)
6. Faisons donc ce qui est en nous, et cela suffira pour que nous méritions des éloges. Mais qu’est-ce qui est en nous ? Prenons un exemple. Un tel vous hait, vous fait la guerre ; aimez-le, faites-lui du bien. Il vous insulte, vous injurie ? Bénissez-le, louez-le. Mais il persiste néanmoins dans sa haine. Eh bien ! il ne fait qu’ajouter à votre récompense. Car plus les méchants persistent dans la guerre qu’ils nous font en dépit de nos bons procédés, plus ils nous assurent une belle récompense, et plus ils enveniment leur propre maladie. En effet, l’homme implacable dans son inimitié, se dessèche, se consume, vit dans une agitation perpétuelle ; au contraire, celui qui s’élève au-dessus de ces atteintes, domine l’orage, et se rend service à lui-même plus encore qu’à celui qui l’attaque, en essayant de le ramener, en s’abstenant de lui faire la guerre ; car il se dispense même de combattre. Fuyons donc toute guerre avec autrui, et arrachons la racine de ces dissensions, la vaine gloire, la cupidité. En effet, c’est l’argent et la vanité qui causent toutes les haines. Que si nous savons nous mettre au-dessus de ces choses, nous serons pareillement au-dessus de la haine. On t’outrage, résigne-toi. L’outrage n’atteint que son auteur. On te frappe, ne résiste pas. Celui qui a donné le coup est celui qui l’a reçu ; sa main seule t’a touché ; mais lui, sa colère l’a meurtri ; et il reste déshonoré aux yeux de tous. Que si cela te cause quelque peine, figure-toi qu’un homme dans un accès de démence ait déchiré ton vêtement ; qui sera vraiment à plaindre, ou toi la victime, ou lui l’agresseur ? Ce sera lui, sans aucun doute. Eh bien ! si, quand il s’agit d’un vêtement déchiré, l’agresseur est plus à plaindre que la victime, quand il s’agit d’un déchirement du cœur (car tel est l’effet produit par la colère), ne jugeras-tu point de même que celui qui a cédé à la colère est plus malheureux que toi, qui n’as subi aucun dommage. Ne va pas dire qu’il a déchiré ton vêtement ; avant tout, il a déchiré son propre cœur. Il n’y aurait pas de jaunisse, si la bile ne se répandait hors de la région qui lui est propre ; de même, il n’y aurait pas de colère excessive, si le cœur ne commençait par éclater. Supposez donc que vous avez devant vous un homme atteint de la jaunisse, quelque mal qu’il puisse vous faire, cela ne vous donnera jamais l’envie de contracter son mal. Faites donc de même pour la colère. N’imitez pas le méchant, ne rivalisez pas avec son vice ; ayez pitié plutôt de cet homme qui ne sait pas réprimer la brille en son âme, de cet homme qui est la première victime de son acharnement. En effet, que ces gens-là se font tort à eux-mêmes, c’est ce que nous apprennent beaucoup de sages, qui, pour empêcher les luttes de ce genre, ont recours aux conseils suivants : Épargne-toi ; c’est à toi que tu fais tort. Voilà le vice ; sa seule victime est l’âme qui lui donne naissance ; il la bouleverse de fond en comble. Gardons-nous donc, pour nous venger d’autrui, de nous égarer nous-mêmes loin du port. Qu’un homme sur le point de faire naufrage et d’être englouti, profère contre toi des insultes, tu ne t’en inquiéteras pas, tu ne quitteras pas pour cela le rivage où tu es tranquillement assis, afin de t’exposer au même trépas. Représentez-vous donc que l’homme qui vous insulte et vous injurie, est comme un malheureux qu’une trombe, qu’un orage engloutit, une fois qu’il s’est exposé à la tempête du courroux ; tandis que vous, dans votre résignation, vous jouissez tranquillement sur la rive de la tranquillité du port. Que si, au contraire, vous vous laissez entraîner à une détestable émulation, c’est vous-mêmes, ce n’est pas lui que vous perdez.
7. Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, et soyez exalté au milieu de vos ennemis. En parlant de la sorte, il indique que Dieu se lève encore autrement que pour manifester sa colère : c’est ce que montre, par exemple, cet autre passage : « Levez-vous, Seigneur, sauvez-moi, mon Dieu. » – D’ailleurs, que ce mot Levez-vous, ne représente à votre esprit rien de corporel. De même qu’en parlant de Dieu, Rester assis, n’est pas dit au sens physique, il en est ainsi de l’expression : « Levez-vous. Vous », est-il écrit, « qui êtes assis pour l’éternité… » Qu’est-ce qu’il faut entendre par ce mot ? la fixité, la permanence, la stabilité de nature, la durée, ce qui résulte d’ailleurs de l’opposition des termes. Car immédiatement après les mots : « Vous qui êtes assis pour l’éternité », viennent les suivants : « Mais vous qui périssez pour l’éternité. » Ainsi ni « s’asseoir » ni « se lever » ne sont pris ici au sens physique : dans le premier cas, il s’agit de permanence ; dans le second de châtiment, d’extermination. – Quelquefois encore, Être assis désigne la fonction de juge : par exemple dans ce passage : « Vous êtes assis sur un trône, vous qui jugez la justice. » (Ps. 9,4) Dé même Daniel : « Des sièges furent placés, et le tribunal s’assit. » (Dan. 7,9) C’est encore un terme qui désigne la royauté : « Votre trône, ô Dieu, est pour les siècles des siècles : c’est un sceptre, de droiture que le sceptre de votre royauté. » (Ps. 54,7) – D’où l’expression « assieds-toi à ma droite », (Ps. 109, 1) qui marque un partage d’honneurs. Mais que veut dire ceci : « Dans votre colère ? » Ceci encore doit être pris dans un sens convenable à la majesté divine. La colère, en Dieu, n’est point passion, c’est punition, châtiment. « Soyez exalté au milieu de vos ennemis. » Un autre dit : « Dans votre courroux contre vos ennemis. » Un autre : « Dans votre animosité contre vos persécuteurs. » Un autre : « Dans votre impatience contre ceux qui vous tiennent enchaîné. » Où nous lisons « au milieu de », le texte hébreu donne « Bebaroth. » Voyez comment, ici encore, il ne songe pas à sa propre vengeance, et ne parle qu’en vue de la gloire de Dieu. Il ne dit pas simplement : Punissez mes ennemis, ou vos ennemis : Mais soyez exalté… Et comment peut être exalté le Très-Haut, Celui qui ne déchoit jamais de sa sublimité ? La sublimité de sa nature n’est susceptible ni de diminution, ni d’une augmentation quelconque : il est parfait, immense, immuable. Comment donc, de quelle façon peut-il être exalté ? Aux yeux du vulgaire. Plus d’une fois il a usé de longanimité : mais là où il y avait longanimité, ses ennemis ne voyaient qu’abaissement et faiblesse. Il est donc aussi susceptible d’abaissement, mais seulement aux yeux de ces hommes, et non pas en réalité.
7. En effet, si le soleil paraît sans éclat à ceux dont la vue est infirme, ainsi Dieu peut paraître sans pouvoir et sans grandeur aux yeux de ceux qui le méconnaissent. Mais de même que cet obscurcissement du soleil n’est que prétendu et non réel, et réside uniquement dans l’infirmité de certaines vues : ainsi Dieu, en dépit de cette illusion, garde tout son pouvoir : et ce n’est là qu’un symptôme qui marque le délire de ces esprits égarés… Quelle est donc la pensée ; du juste ? Sois exalté, dit-il, même aux yeux de nos ennemis, sévis et fais éclater ta puissance, afin que ceux qui te croient abaissé, soient avertis de ta gloire par leur propre supplice. Voilà quelle est son intention : elle n’a rien d’intéressé, elle est toute dirigée vers Dieu. Par ces mots « au milieu de », les uns entendent que ta colère s’appesantisse sur leurs têtes, les autres qu’aucun de tes ennemis ne t’échappe. C’est un grand mérite chez notre juste, que d’avoir les mêmes ennemis, les mêmes amis que Dieu : comme c’est le signe d’une grande perversité que de haïr les amis de Dieu, et d’aimer ses ennemis. De même que dans le langage on attribue à Dieu des ennemis, non qu’il soit capable de haine ou d’aversion, mais parce qu’il a les mauvaises actions en horreur : de même si notre juste a des ennemis, ce n’est point qu’il songe à la vengeance, c’est que le vice lui est odieux. « Et éveillez-vous, Seigneur mon Dieu, suivant le précepte que vous avez établi. » Un autre dit « suivant le jugement. Et une assemblée de peuples vous environnera. » Un autre dit : « qu’une assemblée de peuples vous « environne. Et en considération d’elle, élevez-nous en haut, Seigneur. » Un autre dit : « Et « retournez en haut dans la sublimité. » Un autre : « Et pour elle élevez-nous en haut. » – Le texte hébreu exprime cette idée « en considération d’elle » par le mot « Ovaléa. » Qu’est-ce à dire, « suivant le précepte que vous avez établi ? » C’est-à-dire pour secourir les opprimés, et arrêter les complots des persécuteurs. Vous nous l’avez prescrit : veuillez nous en donner l’exemple. Quelques-uns trouvent ici un autre sens, à savoir, suivant le précepte que Dieu nous a donné d’être ennemis de ses ennemis. « Et une assemblée de peuples vous environnera. » Ici encore ne cherchez rien d’humain. Les paroles sont telles, il est vrai, mais le sens est tout divin. Que signifie donc cette expression « Vous environnera ? » Cela signifie vous chantera, vous célébrera, vous saluera de mille bénédictions. – Cela se faisait au moyen de chœurs, rangés circulairement dans le temple et autour de l’autel : il emprunte à cet usage consacré dans les cérémonies d’actions de grâces l’expression par laquelle il désigne ici les bénédictions. Le sens est celui-ci : Punis, secours. Par là, tu t’élèveras même aux yeux de tes ennemis, et tu recevras de ton peuple mille bénédictions.
Considérez comment ce n’est pas à lui-même qu’il songe, mais à Dieu. Il veut le voir glorifier partout, au milieu de ses ennemis comme parmi ses fidèles. « Et en considération d’elle élevez-nous en haut. » De qui, d’elle ? De l’assemblée ; à cause d’elle « élevez-nous en haut. » Exaltez-nous, relevez-nous, comblez-nous de gloire, rendez l’assemblée plus illustre et plus magnifique, rendez-lui sa première prospérité. Voyez comment partout il mêle les préceptes aux prières. Plus haut, après avoir dit « Ayez pitié de moi et exaucez-moi », il passe aux conseils, et dit : « Fils des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? » Ici après ces mots : « Élevez-nous en haut, Seigneur », il poursuit en ces termes : « Le Seigneur jugera les peuples. » Un autre interprète : « Le Seigneur rendra la justice. » Par là il enseigne à ceux qui croient que tout marche au hasard et à l’aventure, qu’il est une Providence qui préside aux événements et demande compte des actions. Par jugement, il entend ici à la fois et le jugement futur et celui d’ici-bas. Là-haut, le jugement général et public : ici-bas, les jugements particuliers, par lesquels Dieu inflige déjà certains châtiments, de manière à réveiller la nonchalance et à démontrer à l’incrédulité l’universelle providence. « Jugez-moi, Seigneur, suivant ma justice. » Un autre dit « Selon ce qu’il y a de juste en moi. Et selon l’innocence qui est en moi. » Que la malice des pécheurs soit consommée. Un autre traduit : « Que le supplice des impies se consomme. Et vous dirigerez le juste. » Suivant un autre : « Et vous raffermirez le juste. » Comment celui qui dit ailleurs : « N’entrez pas en jugement avec votre serviteur (Ps. 142,2) », peut-il dire en cet endroit « Jugez-moi selon ma justice ? » C’est qu’il s’agit de deux choses différentes. Quand il dit n’entrez pas en jugement avec votre serviteur, il veut dire : ne me faites point le procès, n’examinez point ma vie en la rapprochant des bienfaits dont vous m’avez comblé. – Voilà pourquoi il ajoute : « Parce que tout être vivant ne sera pas justifié devant vous : » entendez, tout être qui aura procès avec vous. – Mais ici sa pensée est autre : ce n’est pas relativement à Dieu qu’il veut être jugé, mais relativement à lui-même. Voilà pourquoi il dit : « Suivant ma justice. » Par justice, il entend ici ne pas avoir fait de mal le premier au prochain : de même qu’il disait plus haut. « Si j’ai fait cela », et la suite. « Selon l’innocence qui est en moi », c’est encore la même chose. C’est d’après cela, entend-il, que je veux être jugé.
Grande est ici encore la confiance de notre juste. S’il parle ainsi, d’ailleurs, c’est que la nécessité l’y contraint. Comment cela ? Oui, beaucoup d’insensés avaient mauvaise opinion de lui à cause de ses épreuves. La plupart des hommes sans intelligence trouvent dans le malheur une occasion de calomnie, comme on peut le voir aussi par l’exemple de Job. C’est pour cela que des gens qui ne le savaient coupable d’aucun crime, osaient lui dire : Ton châtiment n’est pas encore à la hauteur de ta faute. Paul aussi n’était qu’un pervers et un scélérat, aux yeux des barbares, lorsque la vipère s’élança sur sa main. Aussi disaient-ils : « Après avoir échappé à la mer, la vengeance ne permet pas qu’il vive. » (Act. 28,4) Séméi de même appelait David meurtrier, s’autorisant de son malheur pour porter sur lui cette injuste sentence.
8. Afin que vous ne tombiez pas vous-mêmes dans une faute pareille, il faut que nous raisonnions un peu sur ce sujet. J’entends bien des personnes dire : Si Dieu aimait les pauvres, il n’aurait pas souffert qu’ils fussent pauvres : d’autres s’écrient, dès qu’ils voient un malade se débattre contre une tenace infirmité : Où sont les aumônes qu’il a répandues ? Où sont ses bienfaits ? Pour vous sauver d’une pareille erreur, plaçons au clair cette question. Car si tout homme raisonnable est incapable de haïr les bons et d’aimer les méchants, comment ose-t-on tenir un pareil langage au sujet du Seigneur, et prétendre que Dieu hait les pauvres, même vertueux, aime les riches, même pervers ? Quel blasphème ! quel excès de folie !
Voyons donc, afin d’éviter une telle aberration, quels sont les objets de la haine et de l’amour de Dieu. Quel est l’homme aimé de Dieu ? Celui qui garde ses préceptes. « J’aimerai cet homme », est-il écrit, « et j’irai vers lui. » Cet homme, ce n’est pas le riche, l’homme en santé, c’est celui qui obéit aux préceptes divins. Quel est celui, maintenant, que Dieu voit avec haine et avec horreur ? Celui qui n’accomplit point ses ordres. Par conséquent, lorsque vous verrez un homme qui n’accomplit point les ordres de Dieu, jouît-il d’une santé parfaite ou d’immenses richesses, mettez-le au nombre des hommes détestés : pour l’homme vertueux, malade ou pauvre, comptez-le parmi ceux qui sont aimés. Car c’est chez ceux-ci et non pas chez les autres, que l’amour divin trouve à quoi se prendre. Ne voyez-vous pas ; pour emprunter un exemple au siècle, que ce sont les favoris des rois qui courent le plus de risques à la guerre, qui reçoivent le plus de blessures, qui s’éloignent le plus souvent de leur patrie ? Ne savez-vous pas que « le Seigneur châtie celui qu’il aime », et « qu’il flagelle : tout fils qu’il reçoit ? » Mais beaucoup d’hommes, dira-t-on, sont scandalisés en voyant ces choses. Ce n’est point la chose qui les scandalise, mais bien leur propre démence. Car ce n’est pas ici-bas qu’est la rémunération de nos peines : ici-bas, c’est la carrière : plus tard viendront les prix et les couronnes. Ce n’est pas au jour de la lutte et du combat qu’il faut demander du repos et du délassement : ne confondez pas les temps. Mais il y a bien des faibles, dira-t-on. Eh bien ! Dieu a songé à eux : il a permis que beaucoup de justes vécussent, ici-bas même, dans la prospérité, non pour leur propre intérêt, mais pour celui des faibles. Ainsi donc, si ceux qui sont dans l’affliction vous scandalisent, que ceux qui sont dans la paix vous édifient ; si la prospérité de quelques méchants vous ébranle, que les châtiments infligés à d’autres vous raffermissent. N’avez-vous pas entendu cette parole du Christ « Dans le monde vous aurez des tribulations ? » (Jn. 16,33) Pourquoi donc chercher le repos quand le Christ a parlé de la sorte ? Ne savez-vous pas aussi qu’il a dit : « Le monde se réjouira, mais vous serez toujours affligés ? » (Id. 20) Les hommes peu intelligents auraient lieu de se scandaliser, s’il arrivait le contraire de ce qu’il a prédit : mais si sa prédiction se réalise parfaitement, quel sujet de scandale voyez-vous là-dedans ? Mais, dira-t-on, pourquoi Dieu a-t-il ainsi réglé les choses ? N’examinez pas, contenez une vaine curiosité. « Le vase ne dira point au potier : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » (Rom. 9,20) Voilà pourquoi le Prophète réprimandait les Juifs de ce que, dans l’excès de leurs maux, ils scrutaient les voies de Dieu : « Ils désirent connaître mes voies comme un peuple qui aurait « pratiqué la justice, et n’aurait point déserté a le jugement de son Dieu. » (Is. 58,2) On eût dit un serviteur qui, après avoir failli et s’être rendu coupable de délits sans nombre, au lieu de chercher à fléchir le courroux de son maître, lui demanderait des comptes et l’interrogerait sur les motifs de sa conduite. Gardez-vous de vous livrer à une pareille recherche, quand vous devriez pleurer, gémir, et expier vos propres torts.
Si je parle ainsi, ce n’est pas que je manque de raisons à produire : mais je voudrais vous arracher à cette vaine curiosité et vous voir appliqués uniquement au souci de votre salut. Maintenant, pourquoi Dieu a-t-il statué ainsi ? C’est par ménagement pour l’humanité. Il a resserré la souffrance dans les étroites limites de la vie terrestre ; les couronnes, il les a réservées pour la vie future, qui doit être hors des atteintes de la mort et de la vieillesse. – Rien de plus fugitif, de plus éphémère, que les peines présentes : ce sont les récompenses qui sont immortelles et durent éternellement. D’ailleurs, c’est pour l’âme un exercice qui lui fait aimer la vertu. En effet, quand elle s’y attache, quoi qu’il lui en coûte, et sans rémunération actuelle, elle se dispose à l’aimer d’un parfait amour ; quand elle trouve du plaisir à fuir le vice, sans qu’il l’expose encore à aucun châtiment, elle s’exerce à le haïr, à le prendre en aversion. – On le voit : par là même, elle contractera l’habitude de haïr le vice, de chérir la vertu. Voici maintenant une autre raison : c’est que rien ne nous prépare mieux aux luttes de la sagesse, ne nous rend plus forts que la tribulation. En voici une troisième c’est que Dieu veut nous apprendre à dédaigner les choses présentes, à ne pas nous y attacher, à ne pas nous en laisser enchaîner. Voilà pourquoi il a assigné cette terre pour séjour à la tribulation et à la peine, tandis qu’il a rendu passagères toutes nos félicités et toutes nos joies. – « Que la malice des pécheurs soit consommée, et tu dirigeras le juste. » Qu’est-ce à dire : « soit consommée ? » Fais descendre le châtiment, et tu les arrêteras dans leur perversité. En effet, de même que la gangrène ne cède qu’à de cruels remèdes, au fer et au feu, de même pour réprimer le vice le châtiment est nécessaire.
9. Instruits de ces vérités, ne plaignons plus ceux qui sont châtiés et livrés au supplice, mais bien ceux qui pèchent impunément. Car si c’est un mal de pécher, c’en est un autre d’être privé de correction, ou plutôt ce dernier est le premier des deux, car c’est le plus terrible. En effet, c’est moins la maladie qui est redoutable que le manque de soin, quand on est malade ; nous ne pleurons pas sur le sort d’un homme affecté d’une plaie : mais si cet homme est abandonné, si aucun médecin n’approche de son lit, c’est alors que nous le plaignons. Au contraire, celui qu’on traite par lé fer et le feu, nous le jugeons en voie de guérison, parce que nous ne considérons pas la douleur attachée à l’amputation, mais la santé que l’amputation doit procurer. En ce qui concerne l’âme, notre sentiment doit être le même : ce ne sont pas ceux qui sont punis (car leur châtiment les conduit à la santé), ce sont les pécheurs impunis que nous devons plaindre, sur qui nous devons gémir. Mais, dira-t-on, si les châtiments sont destinés à prévenir les péchés, comment se fait-il que nous ne soyons pas punis chaque jour de nos fautes ? C’est que, s’il en était ainsi, la race humaine aurait péri prématurément, et le temps du repentir lui aurait été dérobé. Voyez Paul. S’il avait expié sa persécution, s’il avait été frappé, comment aurait-il eu le temps de se repentir, de faire les bonnes œuvres innombrables qui suivirent sa pénitence, de ramener l’univers entier, pour ainsi dire, de l’erreur à la vérité ? Ne voyez-vous pas que les médecins qui ont affaire à un malade criblé de blessures ne lui administrent pas un traitement proportionné à la gravité de ces plaies, mais celui-là seulement que ses forces peuvent supporter ? autrement, en guérissant les plaies, ils tueraient le malade.
Voilà pourquoi Dieu ne châtie pas à la fois tous les coupables, ni tous les coupables autant qu’ils le méritent, mais use en cela de douceur et ménagement : souvent la punition d’un seul lui suffit pour corriger beaucoup de pécheurs. Cela se voit souvent aussi pour le corps : un seul membre coupé remet les autres en santé. Mais admirez la charité de notre juste : voyez comme partout il se préoccupe de l’intérêt commun, de l’extirpation du péché, et s’inquiète non de tirer vengeance de ses ennemis, mais de guérir leur perversité. Ainsi attachons-nous constamment à réprimer les progrès du vice, pleurons sur ceux qui vivent dans l’iniquité, fussent-ils revêtus de vêtements de pourpre ; et célébrons le bonheur des gens de bien, fussent-ils livrés aux angoisses de l’extrême indigence ; pour cela il nous suffit de détourner nos regards du dehors pour les diriger vers le dedans. C’est alors que nous verrons la richesse de l’un, la pauvreté de l’autre. Qu’importent les robes de pourpre qu’on étale ? On en étale ainsi dans de misérables échoppes de planches. En quoi celui qui s’en revêt est-il plus riche que celui qui les vend ? Mais il n’en est pas ainsi de la richesse du juste ; elle est solide et durable. Que si les prétendus riches ne s’aperçoivent pas de leur pauvreté réelle, il ne faut pas s’en étonner. Ceux qui sont atteints de frénésie n’ont pas non plus le sentiment ale leur infirmité, et c’est précisément ce qui les rend encore plus à plaindre, bien loin qu’ils doivent faire envie. S’ils avaient conscience de leur mal, ils courraient chez le médecin ; mais ce qu’il y a de plus affreux dans leur infirmité, c’est qu’ils sont malades sans le savoir. Ne considérez donc point que le riche se complaît dans sa richesse : au contraire, voyez en cela même un nouveau sujet de larmes et de compassion, qu’il ne connaît point l’étendue de son infortune. Car il ne sied pas à l’homme de se prévaloir de pareilles choses, et c’est l’indice d’une extrême déraison. « Et vous dirigerez le juste. » Qu’est-ce à dire ? Il veut dire que la punition infligée aux méchants rend les justes plus vigilants. Il résulte donc de là deux avantages les uns sont guéris de leur perversité, et les autres progressent dans le chemin de la vertu. Si un homme en santé qui voit employé le fer et le feu pour la guérison d’un malade, devient plus attentif à veiller sur sa santé, il en est de même ici. Car en ce temps, beaucoup de personnes, même parmi celles qui paraissaient veiller sur elles-mêmes, étaient scandalisées de la prospérité des méchants, faute d’instruction suffisante. Voilà pourquoi le Psalmiste dit ailleurs : « Mes pas ont été presque déroutés parce que j’ai senti de la jalousie contre les méchants. » (Ps. 72,2) « D’où vient », dit un autre « que la voie des impies prospère ? » (Jer. 12,1) Job aussi se fait mille questions semblables. Mais c’est qu’alors l’initiation était incomplète : de là ces paroles, ces questions ; maintenant celui que ce spectacle déconcerte ne mérite aucune indulgence, après tant de sublimes leçons de sagesse, après de pareilles révélations sur l’avenir, après tant de lumières nouvelles sur l’enfer, sur le royaume des cieux, sur la rétribution qui doit être accordée là-haut, à chacun selon son mérite.
« O Dieu juste qui sondez les cœurs et les reins. Mon recours est en Dieu qui sauve les hommes droits de cœur. » Un autre dit : « Celui qui sonde les cœurs et les reins, le Dieu juste, mon protecteur. » Un autre « Le Dieu juste. » Les Septante interprètent ainsi : « Le Dieu qui sonde les cœurs et les reins. Juste est mon recours en Dieu. » Le Psalmiste a dit que Dieu jugera l’univers : il dit à présent comment Dieu le jugera. Il a dit que Dieu n’a besoin pour cela ni de témoins, ni d’enquêtes, ni de preuves, ni de pièces, ni de rien de pareil : car c’est lui qui sait les mystères. Qu’un insensé ne vienne donc pas nous dire. Et comment Dieu jugera-t-il tout cet univers ? Celui qui l’a tiré du néant, saura bien juger son ouvrage. Par le mot « Reins », il entend ici ce qu’il y a de plus secret, de plus profond, de plus mystérieux dans nos pensées : ce n’est ici qu’un emblème pour désigner quelque chose de plus général.
10. Que veut dire maintenant cette expression « Sonder ? » La même chose « qu’Examiner » qui se trouve ailleurs. Les paroles sont humaines : le sens est digne de Dieu, quand Paul dit : « Celui qui scrute les cœurs. » (Rom vin, 27) « Scruter », pour lui, est la même chose que savoir avec certitude. Ici « Sonder », c’est savoir exactement. Quant à « Examiner », c’est mettre à nu pour voir, ce qui est le propre d’une science, d’une connaissance exactes. Paul a dit : « Tout est à nu et à découvert devant ses yeux. » (Héb. 4,13)
« Juste est mon recours. » Un autre traduit « Juste est mon protecteur. » Qu’est-ce à dire, « Juste est mon recours en Dieu ? » C’est justement, veut-il dire, que Dieu m’exaucerait, car je ne lui demande rien d’injuste. Si donc nous voulons obtenir l’appui d’en haut, demandons des choses qui aient le même caractère : afin que la nature de notre prière nous concilie la faveur de Celui qui « sauve les hommes droits de cœur. » Telle est sa fonction, telle est sa coutume. Ainsi donc, puisque je n’ai point donné l’exemple de l’iniquité, puisque je n’aspire point à la vengeance, c’est justement que Dieu viendrait à mon aide. Instruits de ces vérités, gardons-nous de rien demander, qui soit un obstacle au bienfait. Quand vous souhaitez du mal à vos ennemis, le secours que vous demandez serait injuste : car il contredirait la loi promulguée par Celui même dont vous sollicitez l’appui. Demander l’argent, la beauté, ou tout autre avantage mondain et périssable, c’est aller contre le devoir d’une âme bien réglée. Ainsi donc, demandons de façon à obtenir.
« Dieu est un juge équitable, puissant, patient, qui n’inflige point sa colère chaque jour. » Un autre dit : « Qui gronde tous les jours. » Le texte hébreu dit : « Toute la vie. » Un autre interprète « qui menace, gronde, et ne punit pas. » Voici le sens de ces paroles : S’il est juste, il voudra, de toute façon, punir les hommes injustes ; s’il est puissant, de toute façon il le pourra. Mais que devient, dira-t-on, la bonté de Dieu, s’il doit nous juger selon la justice ? Elle éclate premièrement, en ce que le châtiment ne nous suit point pas à pas, ou plutôt, elle éclate d’abord, en ce qu’il a remis tous nos péchés au moyen de l’eau de régénération ; et secondement, en ce qu’il nous accorde le repentir. Si vous réfléchissez que nous péchons tous les jours, c’est alors surtout que vous verrez la bonté divine se manifester dans son inexprimable étendue. C’est ce que David fait entendre par la suite : « Dieu est un juge équitable, puissant, patient. » Vous ne voyez pas pourquoi, si ni le pouvoir, ni la volonté ne lui manquent, il ne punit pas ? Sachez, répond David, qu’il est patient, et que sa colère ne se manifeste pas chaque jour. Mais qu’on n’aille pas croire sottement que c’est la faiblesse qui l’empêche de sévir : David nous fait connaître le motif de ce délai : c’est que sa patience aussi est extraordinaire. Si cette patience a pour objet de vous amener au repentir, c’est lorsqu’il voit que ce remède reste impuissant, qu’il se décide à sévir. Il ne se passe donc point de jour, que nous ne méritions d’être punis. Sans cela, le Psalmiste ne dirait pas, comme une chose digne d’attention : « N’infligeant point sa colère chaque jour. » S’il parle ainsi, c’est que nos actes réclament le châtiment et que la bonté de Dieu s’oppose seule à notre juste punition. Ici encore, vous voyez comment il montre l’impassibilité divine, et par ce mot colère n’entend que le châtiment. Personne, en effet, n’inflige sa colère ; la colère est pour qui la ressent, et le châtiment pour autrui. C’est donc bien à la punition qu’il songe en disant : « Et n’infligeant point sa colère chaque jour. » Et comment peut-il dire « chaque « jour ? » Que chacun de nous rentre en lui-même, et il en verra la raison. J’omets les péchés secrets : mais les péchés publics, qui s’en défendra ? Quels sont donc ces péchés ? Et quel est le jour, où nous ne prions pas avec négligence, avec une insouciance complète ? Or, vous allez voir que par là nous encourons la colère. Dites, en effet : si vous abordiez votre juge en bâillant, et que vous fussiez convaincu, ne se hâterait-il pas de vous infliger votre peine, de vous déporter au-delà des frontières ? Sans doute, dira-t-on, attendu que c’est un homme. Eh bien ? Si un homme peut être dans son tort, quand il s’irrite d’une offense, vu que l’offenseur est son égal : quand c’est Dieu qui est l’offensé, le châtiment devient parfaitement juste : car la faute est plus grave que si elle atteignait un homme. De plus si l’homme punit, c’est dans une pensée d’intérêt personnel : en vous punissant, au contraire, Dieu ne considère que votre propre avantage : de sorte que, à ce point de vue encore, l’indignation devient plus légitime. Car ce n’est pas la même chose de mépriser ceux qui ne songent qu’à eux-mêmes ou celui qui ne songe qu’à vous. Et l’on encourt une colère bien plus grande encore lorsqu’on ne sait pas même être sage au moment de solliciter pour soi. Combien y a-t-il d’hommes qui n’aient jamais offensé leur frère gratuitement ? Ne me dites pas que ce frère était un simple serviteur : « Car dans le Christ il n’y a ni homme, ni femme, ni esclave ni homme libre. » (Gal. 3,28) Quel est celui qui n’a pas accusé son prochain, ne l’a pas calomnié ? celui qui n’a jamais jeté sur une femme des regards dissolus ? celui qui n’a pas été jaloux d’autrui ? qui n’a pas connu la fausse gloire ? qui n’a pas proféré une parole inutile ? Or, toutes ces actions tombent sous le coup du châtiment. Et si nous étions aussi négligents à l’égard des choses mondaines, qu’au sujet des choses spirituelles, ce serait un titre à l’indulgence : mais ce dernier recours nous est interdit. En effet, dans les premières, nous sommes aussi vigilants qu’endormis en ce qui concerne les secondes. Et afin qu’en l’entendant parler de la patience divine, nous ne nous sentions pas encouragés à la nonchalance, il ajoute : « Si vous ne vous convertissez pas, il fera luire son glaive. » (Id. 13) Un autre dit : « Il aiguisera son épée. Il a tendu son arc et l’a préparé. » Suivant un autre, « il tendra. Et il a disposé sur son arc des instruments de mort. Il a préparé ses flèches contre ceux qui brûlent. » Un autre dit : « Pour brûler. »
11. Que vont dire ici ceux qui attribuent à Dieu une forme humaine à cause de ces expressions qui rappellent des mains, des pieds, des yeux ? Est-ce qu’il y a là-haut des ares, des traits, des pierres à aiguiser, des glaives, des carquois. Pourtant on lit ailleurs : « À ta vue, les montagnes seront troublées devant toi. » (Sir. 16,19) Et chez le même Psalmiste : « Celui qui regarde la terre et la fait trembler. » (Ps. 103,32) S’il lui suffit de regarder la terre, pour fondre les pierres, à plus forte raison aura-t-il le même pouvoir sur les hommes. Pourquoi donc Celui qui peut d’un regard bouleverser l’univers, que dis-je, par un simple effet de sa volonté (Celui qui l’a créé par sa volonté seule peut bien, certes, l’anéantir de la même façon), pourquoi, dis-je, est-il représenté avec un glaive et un arc ? Si « dans sa main sont les frontières du monde. » (Ps. 94,4) Si « ceux qui l’habitent sont comme des sauterelles. » Si « toutes les nations seront comptées comme « une goutte tombée d’un tonneau et comme le petit grain de la balance. » (Is. 40,22, 15) Si son ange, en se montrant, a détruit dans un instant cent quatre-vingt-cinq milliers d’hommes ; que dis-je, son ange ? si des mouches, des chenilles et des vers ont exterminé l’armée des Égyptiens : que fait ici cet arc ? à quoi bon ce glaive ? pourquoi donc ces expressions ? À cause de la grossièreté des esprits auxquels elles sont adressées, et afin de les ébranler à l’aide de ces noms d’armes qui leur sont familiers. Celui qui tient dans sa main notre respiration à tous, Celui dont personne ne saurait soutenir le poids (Dan. 5,23 ; Ps. 147,17), comment des armes lui seraient-elles nécessaires ? Mais, comme je l’ai dit plus haut, s’il s’exprime ainsi, c’est à raison de la grossièreté et de la sottise des hommes pour lesquels il parle. Que veut dire ce mot : « Il fera luire ? » Entendez : « Il aiguisera. » Mais il a donc besoin d’une pierre ? Est-ce qu’il y a de la rouille sur son glaive ? Et quel homme intelligent pourrait prendre ces termes à la lettre ? Ainsi que je l’ai dit plus haut, ce sont là des emblèmes qui figurent le châtiment : et il recourt aux objets les plus sensibles afin que les plus grossiers des hommes soient avertis qu’il ne faut pas s’en tenir aux mots, mais y chercher des pensées conformes à la majesté divine. Si donc on s’étonne d’entendre parler de la colère et du courroux de Dieu, à plus forte raison y a-t-il lieu d’être surpris en cet endroit. Mais si ces dernières expressions doivent être prises autrement que dans le sens littéral, et dans une signification qui convienne au caractère de la divinité, il est clair qu’il faut faire de même pour la colère et le courroux ; et que la grossièreté des expressions n’a d’autre but que de frapper la grossièreté des auditeurs. Voilà pourquoi il ne s’en tient pas là, et ne craint pas de parler un langage encore plus humain, et propre à rendre la terreur encore plus vive. Il ne se borne pas à représenter Dieu armé d’une épée ; il le montre encore s’apprêtant au combat. Comme ce n’est pas un égal sujet d’effroi que d’entendre dire qu’on aiguise le glaive, ou que l’arc est aux mains de l’archer, le Psalmiste ébranle l’âme de ses auditeurs par ces figures tout humaines : « Il a tendu son arc et l’a préparé… » Ainsi il nous effraye, et il nous fait connaître à la fois la longanimité de Dieu et sa colère. Il ne dit pas : il a lancé la flèche ; il ne dit pas, il a saisi son arc, mais bien : il l’a tendu et l’a préparé : c’est-à-dire qu’il est prêt à lancer le trait.
Et pourquoi s’étonner de ce langage dans l’Ancien Testament, lorsque dans le Nouveau même, Jean s’adressant aux Juifs ne craint pas de leur dire : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre ? » (Lc. 3,9) Qu’est-ce à dire ? Dieu fait comme un bûcheron qui coupe du bois avec une hache ? Est-ce bien de cognée, est-ce bien de bois qu’il s’agit ? Y pensez-vous ? Pas plus que de paille et de blé, dans ces paroles : « Son van est dans sa main, et il nettoiera entièrement son aire : il amassera son blé dans le grenier ; mais il brûlera la paille dans un feu qui ne peut s’éteindre. » (Mt. 3,12) Qu’est-ce donc que cette cognée ? C’est le châtiment, le supplice. Et les arbres ? Ce sont les hommes. Mais la paille ? les méchants. Et le blé ? les bons. Le van, enfin ? La séparation par le jugement. Il en est de même ici du glaive, de l’arc, des traits : c’est encore le supplice, la punition. Après cela, par ces expressions : « Tendre et préparer », il nous représente les délais du supplice qui est différé sans être bien loin, qui nous attend à la porte. Les instruments de mort, ce sont les traits. Ainsi qu’on appelle instruments de labour, ce qui sert à cultiver la terre ; instruments de navigation, ce qui sert à traverser les flots ; instruments de tissage ce qui sert à faire les tissus. Les instruments de mort sont ici ce qui donne la mort. Ensuite, afin d’expliquer ce que sont ces instruments de mort, il ajoute : « Ses a traits », indiquant ainsi la promptitude avec laquelle il punit, quand il veut punir. Et ceux qui brûlent ? Ce sont les coupables punis, les suppliciés. Eh bien l est-ce que le feu ne suffit pas ? À quoi bon des traits ? Voyez-vous bien que tout cela n’est que métaphores et images, destinées à augmenter la terreur ? Voici le sens de ses paroles : Dieu a tout préparé pour la punition de ceux qui doivent être punis. S’il n’avait point parlé de la sorte, il n’aurait pas inspiré autant de crainte : par toutes ces expressions diverses de traits, de glaive, de flèches lancées, d’arc tendu, d’instruments de mort, de feu allumé, il redouble à dessein nos angoisses. Puis, pour calmer un peu notre terreur, il ajoute : « À ceux qui brûlent. » Sans cela, quelque homme sans intelligence pourrait croire que le bras de Dieu menace tous les hommes, qu’il est armé contre le monde entier. Paul fait allusion à la même chose, lorsqu’il dit en parlant du magistrat : « Ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive. » (Rom. 13,4) S’il est vrai que le glaive des magistrats soit bon à cela, et inspire la terreur, à plus forte raison est-ce vrai. de la divinité. Et ce n’est point le fait d’une bonté commune que d’effrayer par des menaces, et d’insister en paroles sur l’énormité du châtiment ; c’est un moyen de nous en épargner l’épreuve. Si Dieu tend son arc, s’il le prépare, s’il y pose la flèche, s’il se prépare à punir, c’est afin de n’avoir pas lieu de punir.
12. Il donne de la force à son langage, en indiquant par cette expression, « il fera luire », la rigueur et la promptitude du châtiment. Par ce mot : « il a tendu », il en fait voir la proximité ; en disant : « il a préparé », il prédit le résultat inévitable de l’obstination des pécheurs ; en ajoutant : « pour ceux qui brûlent » il a en vue les coupables, afin que, avertis par tout ce qui précède, ils renoncent à leur iniquité. Que si c’était là le langage de la colère et du courroux, il n’aurait pas prévenu ceux qu’il devait frapper. Le courroux ne permet point tant de ménagements : il se comporte même d’une façon toute contraire, surtout quand il est à son apogée, au moment de la punition, dans les apprêts de la vengeance. En guerre, du moins, ou quand on veut se venger, loin de ; dire à l’avance, on se cache pour attaquer, de façon que ceux qu’on veut punir ne puissent se mettre sur leurs gardes. Il n’en est pas ainsi de Dieu ; bien au contraire, il avertit, il diffère, il menace, il emploie enfin tous les moyens, pour ne pas être forcé d’exécuter ses menaces. Telle fut sa conduite à l’égard des habitants de Ninive. En cette occasion aussi il tendit son arc, fit briller son glaive, prépara ses traits et ne frappa point. Ne voyez-vous pas en effet, dans ces paroles du prophète, comme un arc, un trait, un glaive aiguisé : « Encore trois jours et Ninive sera détruite ? » (Jon. 3,4) Mais Dieu ne lança point sa flèche : car s’il l’avait préparée, ce n’était que pour la remettre au carquois et non pour la lancer. Les soldats s’arment, afin de frapper. Mais quant à Dieu, il ne s’arme que pour corriger les hommes par la terreur, que pour tenir suspendu le bras de la vengeance. Ne nous laissons donc pas étonner ces paroles terribles n’attestent qu’une infinie bonté, et plus elles nous paraissent embarrassantes, plus est grande la clémence qui les a dictées. Les pères qui ne veulent point punir leurs enfants exagèrent à dessein leur colère dans leur langage : c’est dans la même vue que Dieu, répugnant à nous punir, prodigue les paroles effrayantes. Il va jusqu’à dire qu’il a allumé le feu de l’enfer : c’est afin de ne pas nous y précipiter. Voilà pourquoi il est si souvent question du supplice dans les évangiles, plus souvent même que du royaume. Attendu que les hommes peu éclairés sont plus sensibles à la crainte des peines qu’aux promesses, et qu’il est plus facile de les conduire à la vertu et de les détourner du vice par ce moyen l’écrivain sacré insiste sur ce point et y revient sans cesse. N’allons donc point nous plaindre de ces mots pénibles ; ils nous rendent un grand service : mais songeons en même temps à la longanimité de Dieu, à la justice de ses arrêts et ne désespérons pas de notre salut Dieu est patient. Ne tombons point dans le découragement : Dieu est juste. Ici-bas sa clémence est infinie : c’est dans l’autre vie qu’il fait éprouver les horreurs du supplice à ceux que sa bonté n’a point corrigés. Si nous craignons ce supplice, songeons dès maintenant à nous en préserver.
« Voici qu’il est gros d’injustice. » Au lieu de : « Il est gros », le texte hébreu donne : « Jébal. Il a conçu la peine. » Un autre dit « Et ayant enfanté. Et il a mis au jour l’iniquité. Le mensonge », suivant un autre. « Il a ouvert une fosse et l’a creusée, et il tombera dans la fosse qu’il a faite. » Ailleurs on dit : « Dans la perdition qu’il a opérée. » Il a dit que Dieu s’est préparé aux châtiments ; il a dit qu’il déchaîne les supplices. Ainsi il a ramené l’auditeur à la sagesse, par la vue de la colère d’en haut suspendue sur sa tête. Il l’instruit maintenant au moyen de la réalité même, en montrant que le vice lui-même est un premier châtiment. C’est ce que Paul fait voir aussi en disant : « Et recevant en eux la rétribution due à leur erreur. » (Rom. 1,27) En effet, rien n’est plus propre à corriger la plupart des hommes grossiers, que l’exemple du malheur. Le Psalmiste leur met donc aussi cette image sous les yeux. Ainsi fait le Christ lui-même : Après avoir parlé longuement de la géhenne, il nous fait voir ceux qui y sont précipités. Par exemple le riche, dans l’histoire de Lazare ; les vierges folles, l’homme qui avait enfoui le talent, et de même, en ce monde, ceux qui furent ensevelis sous les ruines de la tour, ceux dont Pilage mêla le sang aux sacrifices. De même encore Pierre, après un long discours sur l’enfer, frappa surtout ses auditeurs, quand il en vint à leur montrer ceux qui avaient été punis, et à étaler sous leurs yeux le supplice d’Ananie et de Saphire, et Paul fit la même chose à l’égard du magicien. Il s’y prend d’une autre manière pour produire le même effet, lorsqu’il parle comme il suit de ceux qui périrent dans le désert. « Je ne veux pas que vous ignoriez que tous nos pères étaient sous la nue, et que tous furent baptisés en Moïse, mangèrent l’aliment spirituel et burent le breuvage spirituel ; mais Dieu ne se complut pas dans la plupart d’entre eux : ils périrent et tombèrent. » (1Cor. 10, 1-5) Il parle de l’avenir, de l’enfer, du châtiment, du supplice : à l’appui de sa démonstration, il invoque le passé, et produit sous nos yeux les supplices eux-mêmes, les victimes des serpents et de l’exterminateur. Ici même, David fait la même chose, soit qu’il parle d’Achitophel ou d’Absalon. Quelques-uns croient qu’il s’agit d’Achitophel. En effet, il ne convenait pas au même homme de dire : « Épargnez mon enfant Absalon », et quand il l’eut perdu, « qui me donnera la mort à ta place ? » (2Sa. 18,5-33), et de parler comme il fait ici. Mais les premières paroles lui étaient dictées par la nature ; celles-ci, par l’inspiration de l’Esprit. D’ailleurs, qu’il ait eu en vue Absalon ou Achitophel, examinons ses paroles : je me soucie peu des personnages.
13. Qu’apprenons-nous par là ? Il nous fait voir que celui qui creuse une fosse pour le prochain, y tombera : et que pareil aux femmes enceintes, dont la grossesse est un tourment, l’artisan d’une perfidie, avant qu’il ait réussi à nuire, est lui-même en proie aux tourments, à la douleur, à une douleur vive et poignante. Aussi voulant représenter ce que cette douleur a d’affreux, il emploie le terme de grossesse. C’est le mot dont se sert l’Écriture quand elle veut dépeindre une douleur insupportable. – De là cette phrase : « Des grossesses se sont emparées des habitants de Philistim (Ex. 15,4) : » entendez, la crainte, le tremblement, la peine, la douleur. Paul de même : « Lorsqu’ils diront, Paix et sécurité, alors même viendra sur eux une ruine soudaine, comme est le mal de la grossesse pour une femme enceinte. » (1Thes. 5,3) Par là il indique à la fois la violence intolérable du mal, et son irruption subite. Ezéchias dit aussi : « Que les douleurs de la grossesse sont venues pour la femme enceinte, mais qu’elle n’a pas la force d’accoucher (Is. 37,3) », marquant par cette expression une crainte et une souffrance intolérables. Ainsi fait le prophète en cet endroit. – Un homme fût-il un millier de fois scélérat, il ne réussira jamais à corrompre le tribunal de sa conscience ; c’est un juge naturel que Dieu lui-même a institué au fond de nos cœurs. Quelque résistance que nous lui opposions, il est toujours là pour nous dénoncer, nous punir, nous accuser ; et il n’est aucun de ceux qui vivent dans l’iniquité qui ne souffre une douleur inexprimable, soit en méditant le crime, soit en exécutant son dessein. Quoi de plus scélérat qu’Achab ? Néanmoins quand il eut convoité la vigne, rappelez-vous quelle fut sa douleur. – Ce roi, ce souverain absolu, que personne n’osait contredire, incapable de supporter les accusations de sa conscience, rentre chez lui triste, la tête baissée, confus, un sombre nuage sur le front, portant sur son visage le témoignage accusateur de sa conscience, et ne pouvant voiler la douleur de son âme. – C’est en cet état du moins que sa femme le surprit. – Le traître Judas, l’homme qui s’était porté à un tel attentat, ne pouvant supporter la douleur que lui causait le jugement de sa conscience, se pendit et finit ainsi ses jours. Si le méchant souffre de tels tourments, l’homme vertueux au contraire jouit du calme et d’une absolue tranquillité d’âme. Voyez un peu. Qu’un homme projette de se venger ou de commettre une mauvaise action, considérez à quelles tortures il est en butte. – La colère remplit son cœur, le courroux le dévore, mille pensées tumultueuses s’agitent dans son esprit ; il hésite entre mille partis la crainte, les angoisses, le tremblement l’assiègent, pendant que la colère le ronge, la crainte le bouleverse : comment réussir, comment se venger ? avant celui dont il trame la perte, il se perd lui-même. Au contraire celui qui a banni le courroux de son âme est exempt de toutes ces agitations, et cela se conçoit. – C’est quelque chose dont il est le maître ; il n’a qu’à vouloir et tout s’exécute. L’autre, pour réussir, a besoin des circonstances, d’un lieu propice, de ruse, de trahison, d’armes, de stratagèmes, de guet-apens, de flatterie, de servilité, d’hypocrisie. Voyez-vous combien la vertu est chose aisée, le vice, chose difficile ? Quel est le calme attaché à l’une, le trouble dont l’autre est désolé ?
Voilà ce qu’indique le Prophète en disant « Voici qu’il est gros d’injustice, qu’il a conçu la peine et enfanté l’iniquité. » Par là il fait voir que l’injustice n’est pas naturelle chez nous, mais empruntée. Voilà pourquoi elle nous est à charge ; pourquoi, tant que nous en subissons l’empire, nous sommes assiégés de douleurs comparables à celles de l’enfantement. – Tant que l’enfant n’est pas complètement formé, son séjour naturel est au sein de sa mère ; il y reste donc, et cela sans peine. Mais quand il est parvenu à maturité, rester où il est devient une chose contre nature : de là les souffrances de l’enfantement. Dès lors la nature contrariée fait effort pour le chasser au-dehors : elle a consommé son œuvre, elle ne saurait plus en garder le dépôt. – Mais dans ce cas, la conception précède, et les douleurs suivent : ici, au contraire, les souffrances viennent en premier lieu, et en suite la conception et l’enfantement. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire que dans le premier cas, la douleur survient au moment de l’enfantement, et que dans le second la douleur se fait sentir tout d’abord. En effet, on n’a pas plus tôt conçu un projet criminel, on ne l’a pas encore bien fixé dans son esprit, que déjà le trouble et le désordre y règnent. – En ce qui regarde les femmes, le germe une fois déposé dans leur sein prend de lui-même la forme que l’enfant doit avoir. Mais quand il s’agit de desseins perfides, c’est aujourd’hui une pensée mauvaise ; demain ce sera le tour d’une autre : c’est une succession infinie de mauvais germes tombant l’un après l’autre ; ce sont, chaque jour, des conceptions, des souffrances qui ruinent le cœur où elles ont leur siège. Ce n’est pas un enfantement pareil à celui des femmes, mais plutôt pareil à celui des vipères, dont les petits déchirent le sein, entr’ouvrent les flancs maternels pour voir le jour : c’est l’image des ruses de l’iniquité. Mais quand nous ferions tous nos efforts, nous ne saurions représenter à la pensée les souffrances qu’endurent les méchants. De là cette parole : « Le méchant seul épuisera les maux. » (Prov. 9,12) – En effet, quoi de plus triste, de plus infortuné qu’un envieux, un traître, un homme qui convoite le bien d’autrui ! – Il n’y a pas de bourreau qui fasse endurer pareille torture.
14. C’est donc avec raison que le Psalmiste appelle ces pensées-là « Maux de grossesse. » Mais les femmes enfantent par suite d’un commerce : si la santé des parents est bonne, telle sera aussi vraisemblablement celle des enfants ; s’ils sont infirmes, leur infirmité se transmettra à leur rejeton. – Il en est de même encore en ce qui regarde les pensées. Si vous fréquentez d’honnêtes gens, vous donnerez naissance à de bonnes pensées ; si vous hantez des méchants, et que vous n’y preniez pas garde, vous aurez lieu de vous en repentir. Écoutez du moins ce que dit le prophète : « C’est de ta crainte que nous avons conçu, porté, enfanté un esprit de salut. » (Is. 26, 18) – Voici maintenant pour ceux qui ont commerce avec le diable : « Ils ont brisé des œufs d’aspic, et ils tissent une toile d’araignée. » (Is. 59,5) Fuyons donc les méchants. Quand nous pouvons concevoir et enfanter sous l’inspiration des préceptes de Dieu, comment serions-nous excusables de nous y refuser, et de rechercher la société des hommes dépravés : pareils à une femme qui préférerait aux embrassements d’un monarque le commerce d’un brigand ou d’un pirate ? « Il a ouvert une fosse, et l’a creusée : et il tombera dans la fosse qu’il a faite. » Encore une figure : par les maux de la grossesse, il désignait la souffrance : ici, par ce mot fosse, il indique l’impossibilité de la délivrance « Et il tombera dans la fosse qu’il a faite. » Ce qu’un autre exprime en ces termes – Celui qui creuse une fosse pour son prochain y tombera. Et c’est encore une marque de la bonté divine, d’avoir rendu la trahison telle que le traître tombe dans ses propres filets, afin que cette considération même détourne les hommes des combats et des artifices contre le prochain. La même chose arriva pour Moïse : celui qui devait périr fut sauvé, tandis que Pharaon trouva la mort dans la voie même qu’il avait suivie pour exterminer les enfants. – En effet, l’ordre de ce massacre, contraignit la mère de Moïse, dans son effroi, à exposer son fils : la fille de Pharaon recueillit sur le fleuve le berceau abandonné, trouva l’enfant, l’éleva ; et Moïse, parvenu à l’âge d’homme extermina tous ses persécuteurs. – En cela éclate surtout l’industrieuse sagesse de la Providence : voyez quel avertissement pour les méchants, quelle joie pour ceux qu’ils menaçaient. – Quelque chose de pareil arriva aussi à l’admirable Joseph. Ses frères qui l’avaient précipité dans la servitude eurent le sort que l’on connaît ; quant à lui, loin de causer son malheur, ils lui rendirent service : c’est à eux qu’échut le rôle lugubre dans cette tragédie. Je pourrais citer beaucoup d’exemples pareils : mais je passe à un nouvel ordre de considérations.
Un homme a usurpé le bien d’autrui ? c’est sa propre ruine qu’il a causée. Quant à celui qu’il a dépouillé, souvent il lui rend service, au détriment de sa propre âme, dont il trahit les intérêts. Un homme a commis une injustice ? C’est un glaive qu’il s’est enfoncé dans le sein. – Le plus grand préjudice, ce n’est point de subir un préjudice, c’est de le causer. Aussi Paul recommandait-il de subir plutôt l’injustice, et de ne point s’en rendre coupable ; et le Christ, de recevoir les soufflets et de n’en pas donner, de présenter au contraire sa joue à l’outrage. C’est le propre de la vraie force, c’est ce qui fait la patience, ce qui fortifie l’âme, ce qui la rend supérieure aux passions. Celui qui fait tort au prochain, en le frappant, en l’injuriant, a commencé par être victime et captif de sa passion, avant de causer à autrui ce dommage apparent ; le pire sort est le sien, esclave qu’il est du plus dur des maîtres. « La peine retournera sur sa personne ; et son injustice retombera sur sa tête. » – Ces mots encore sont entendus soit d’Achitophel, soit d’Absalon. L’un et l’autre, en effet, furent atteints à la tête par le châtiment. L’un se pendit ; l’autre en passant sous un arbre resta pris par les cheveux et demeura suspendu longtemps. Judas se pendit de même, sachant que tout le mal qu’il avait fait devait retomber sur sa tête. Achitophel aussi, pressentant que David ne pouvait manquer de triompher, alla se pendre ; quant à Absalon, c’est malgré lui qu’il resta suspendu, et il ne mourut pas tout d’abord : comme un condamné, il fut d’abord attaché et suspendu à un arbre ; et en vertu d’un arrêt d’en haut, il demeura longtemps dans cette position, livré aux tortures de sa conscience. Il brûlait de plonger sa main dans le sang paternel ; et son père néanmoins recommandait à ses soldats de l’épargner. Que dis-je ? Il était si exempt de vaine gloire, qu’il alla jusqu’à pleurer sa mort. Et pour vous faire bien entendre que les hommes ne furent pour rien dans cette exécution, et que la sentence était toute divine, des cheveux et du bois servirent de chaînes pour le coupable, un animal le livra ; sa chevelure tint lieu de cordes, l’arbre de poteau, la mule fut le soldat qui le conduisit au supplice. Et voyez quelle singularité. Aucun des siens en le voyant dans cet état, n’eut l’idée de s’approcher de lui, de le délivrer, bien que le temps ne manquât pas pour cela. – Dieu l’avait voulu ainsi, pour qu’il ne fût ni tiré de là, ni conduit enchaîné auprès de son père, attendu que ce cœur paternel montrait une indulgence excessive. Et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que le meurtrier d’Absalon fut l’homme qui l’avait réconcilié avec son père ; il jouait là, pour ainsi dire, le rôle d’un implacable accusateur : mais il ne fit que frapper, et c’est Dieu qui prononça l’arrêt.
15. Que c’était, de fait, un jugement d’en haut, David même nous en instruit : car après avoir dit : « Son injustice retombera sur sa tête », il ajoute : « Je rendrai hommage au Seigneur, suivant sa justice : et je célébrerai le « nom du Seigneur Très-Haut. » Rendons grâces, dit-il, non qu’il se réjouisse de l’exécution de l’arrêt : mais il s’incline devant le jugement du Seigneur. Et qui pourrait rendre grâces au Seigneur suivant sa justice ? Qui pourrait le louer à proportion de ce qu’il est ? Personne. Que signifie « Suivant sa justice ? » Entendez, à cause de sa justice. « Et je chanterai les louanges du Seigneur tout-puissant. » En effet la victoire est la sienne, les trophées sont pour lui, non pour moi. De même qu’à la guerre, quand le roi a remporté la victoire, on forme des chœurs à sa louange, on lui reporte toute la gloire du succès : voilà quelle sera ma conduite, veut-il dire. Aussi ne dit-il pas : je rends hommage, mais « je rendrai hommage », voulant montrer que le succès même ne le rend ni oublieux, ni négligent, mais qu’il reste vigilant et sage ; ce n’est pas que Dieu ait besoin de tels hommages, mais ils sont utiles et profitables à nous-mêmes. S’il recevait des sacrifices, bien qu’il n’en eût aucun besoin (si j’ai faim, est-il écrit, je ne vous le dirai pas. Ps. 49,12), afin d’engager les hommes à l’honorer, c’est de la même façon qu’il accueille les hymnes, non qu’il ait besoin de nos bénédictions, mais parce qu’il désire notre salut. Car Dieu ne tient à nulle chose plus qu’à nos progrès dans la vertu.
Mais il n’est rien de plus propre à nous avancer dans cette voie, qu’un commerce assidu avec Dieu, que des actions de grâces, des hommages journaliers. Le Psalmiste loue Dieu, dans l’admiration que lui cause la justice et la longanimité divines. Et où voyez-vous, dira-t-on, cette longanimité, quand l’usurpateur a péri ? Elle est grande et merveilleuse. Dieu a longtemps ménagé Absalon afin qu’il se repentît ; il a permis qu’il fût maître du palais royal, afin qu’à la vue de cette maison où il avait grandi, où il avait été élevé, il éprouvât des remords. S’il n’avait pas été une brute, si son cœur n’eût été de pierre, tout cela était bien propre à le ramener ; cette table où il s’asseyait à côté de son père, cette maison, ces lieux de réunion, où la parole avait obtenu sa rentrée en grâce après le meurtre affreux qu’il avait commis ; bien d’autres choses encore auraient dû l’émouvoir. Il savait que son père errait comme un vagabond et un fugitif, en proie à d’extrêmes souffrances. Que si c’était trop peu pour le toucher, l’exemple, la triste fin d’Achitophel auraient dû éclairer son aveuglement ; tout lui conseillait le repentir, car il n’ignorait pas le sort de son ami. Et qu’avait-il d’ailleurs à reprocher à son père ? De l’avoir banni de sa vue ? il aurait dû plutôt l’admirer, lui savoir gré d’avoir traité si doucement un fratricide. Il n’avait aucun reproche à lui faire ; c’est lui-même qui, saisi d’une convoitise prématurée, alors que son père était vieux, que l’espérance lui souriait de près, n’avait pu se résigner à une attente aussi courte. Mais comment n’avait-il pas réfléchi que, même victorieux, il serait le plus malheureux des hommes, souillé d’un pareil crime et déshonoré par son propre trophée ?
16. Où sont maintenant ceux qui gémissent de leur pauvreté ? quelle pauvreté n’est pas plus douce que de tels maux ? quelle maladie ? quelle souffrance ? David ne se dit rien de pareil à lui-même ; il ne se décourage point, il ne se lamente point. Me voilà bien récompensé, aurait-il pu dire, moi qui jour et nuit m’occupe d’observer la loi de Dieu, moi qui, en dépit de mon rang, suis tombé au niveau du dernier des hommes : moi qui, miséricordieux envers mes ennemis, me suis vu livrer aux mains d’un enfant rebelle. Il ne dit, ne pensa rien de semblable : il supporta tout avec résignation, consolé dans ses épreuves par cette seule pensée que Dieu n’ignorait rien de ce qui se passait. Les trois enfants disaient : « Sinon, sache bien, roi, que nous ne servons pas tes dieux, et que nous n’adorons pas la statue d’or que tu as érigée. » Et si quelqu’un leur avait demandé : Et dans quelle espérance affrontez-vous le trépas ? qu’attendez-vous, qu’espérez-vous après la mort, après le bûcher ? (en effet, l’attente de la résurrection n’existait pas encore) ils lui auraient répondu : Voilà la rémunération suprême : c’est de mourir pour Dieu. De même David ne jugeait aucune consolation supérieure à cette pensée, que Dieu sachant ces choses ne les empêchait pas. Un amant braverait mille morts pour sa bien-aimée et pourtant, qu’espérer d’elle après la mort ? Ainsi nous devons, sans penser au royaume des cieux, ni à aucun des biens qui nous sont promis, tout souffrir pour le seul amour de Dieu. Il y a pourtant des hommes si tièdes, si insensibles, que l’appât même des récompenses ne peut les gagner à la vertu. Dieu promet le royaume, et n’est pas écouté ; le diable ouvre l’enfer, et il se fait aimer. Quelle horrible démence ? Et pourquoi parler de l’enfer ? Dès ce monde, et avant l’enfer, il procure souffrance, honte, risée, mille tortures, et il attire à lui une foule empressée. Considérez l’adultère ; voyez s’il est un homme plus malheureux que lui : il n’est pas encore dans l’enfer : mais déjà il est en proie à des soupçons continuels, les ombres l’épouvantent ; il n’ose regarder personne en face ; il craint tout le monde, ceux qui savent son crime, comme ceux qui l’ignorent ; il ne voit partout que glaives aiguisés, morts suspendues sur sa tête, bourreaux, juges assemblés. Que trouvez-vous de pareil chez l’homme chaste, fût-il en butte à mille épreuves ? n’est-il pas toujours content, tandis que l’autre est toujours dans la douleur, dans les ténèbres ? Voyez encore les esclaves de la colère, et ceux qui savent en triompher ; les ravisseurs, et ceux qui donnent ou plutôt répandent leurs biens en vue de Dieu. Les uns sont dans un port tranquille, les autres sont jetés sur l’orageux détroit de la misère humaine, y sont ballottés chaque jour. En outre, quand l’avare voit que sa vie touche à son terme, et que sa passion va s’éteindre avant d’avoir été satisfaite, quand déjà la mort est suspendue au-dessus de sa tête, voyez quels tourments il endure. Il n’en est pas ainsi de l’homme vertueux : au contraire, il n’est jamais si content, si heureux, que lorsqu’il arrive à la vieillesse : car alors ses jouissances, loin de toucher à leur terme, sont plutôt dans leur fleur. Pour les adultères, les libertins, les avares, les gourmands, la vieillesse est la fin des jouissances : c’est un redoublement de jouissances pour les amis de la vertu. Ainsi donc, sans aller jusqu’à l’enfer et aux tourments dont il nous menace, il y a ici-bas déjà de quoi remuer fortement le cœur. Plein de ces pensées, fuyons le vice, attachons-nous à la vertu, aimons Dieu, non pour ce qui est à lui, mais pour lui-même. Ainsi nous suivrons ici-bas ce chemin de la vertu, qui est naturellement étroit, mais qu’il dépend des voyageurs d’élargir à leur volonté. Puissions-nous tous en atteindre le sommet, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME VIII.

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POUR LA FIN, POUR LES PRESSOIRS. – SUIVANT UN AUTRE : CHANT TRIOMPHAL AU SUJET DES PRESSOIRS. – SUIVANT UN AUTRE : À L’AUTEUR DE LA VICTOIRE, AU SUJET DE GETTHITIS. – DANS LE TEXTE HÉBREU : LAMANASSÉ, AL HAGETTHITH. « SEIGNEUR, NOTRE SEIGNEUR, QUE TON NOM EST ADMIRABLE SUR TOUTE LA TERRE ! » – SUIVANT UN AUTRE : QUELLE GRANDE CHOSE QUE TON NOM !

ANALYSE.

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  • 1. Erreur des Anoméens. – Erreur des Juifs.
  • 2. Miracle des enfants doués subitement de la parole : sa nouveauté, son importance.
  • 3. – 4. -5 Malheurs des Juifs, conséquence du crucifiement. – Que leur dispersion atteste la divinité de Jésus-Christ. – Que Dieu ne les a point dispersés pour qu’ils répandissent leur religion dans tout l’univers, mais afin de les punir.
  • 6. Que tout le monde sensible est fait en vue de l’homme. – Bienfaisance de Dieu à notre égard.
  • 7. Gloire de l’homme, encore augmentée malgré le péché : pourquoi son empire sur le, animaux a été diminué. 8. En quoi consiste cette diminution. – À quoi servent les bêtes féroces. – Erreur de Paul de Samosate.
  • 9. Égalité du Père et du Fils : qu’il n’y a entre eux qu’une distinction de personne.


1. Dans le psaume précédent David disait « Je rendrai hommage au Seigneur selon sa justice, et je célébrerai le nom du Seigneur Très-Haut ; » ici il remplit sa promesse, il lui chante un hymne. Dans l’autre psaume il parle au singulier : « Seigneur mon Dieu, c’est en toi que j’ai espéré, sauve-moi. » Ici, il emploie le pluriel. « Seigneur, notre Seigneur, que ton nom est admirable ! » Mais faites silence, et prêtez une oreille attentive. Si dans un théâtre où retentissent des chants sataniques, on garde un calme si profond, pour ne rien perdre de ces pernicieuses mélodies ; et cela, quand le chœur est composé de mimes, de danseurs, et dirigé par un musicien profane, quand la musique est œuvre de Satan et principe de perdition, quand les chants s’adressent à quelque odieux et abominable démon : ici, où le chœur est composé d’hommes religieux, où le chef du chœur est un Prophète, où la mélodie, loin d’être suggérée par Satan est inspirée par l’Esprit-Saint, où le chant enfin n’est point adressé à un démon, mais à Dieu : comment ne serait-ce pas un devoir de rester parfaitement tranquille, et d’écouter avec une crainte religieuse ? Les puissants d’en haut figurent avec nous dans ce concert. Les chœurs célestes, les chérubins, les séraphins n’ont pas d’autre occupation que la nôtre : ils louent Dieu perpétuellement. La terre en a vu quelques-uns descendre ici-bas pour associer leurs voix à celles de simples pasteurs. Prêtons donc l’oreille à ce nouveau chant. Ceux qui célèbrent un des monarques de la terre, lui parlent de sa puissance, de ses trophées, de sa victoire : ils comptent les peuples vaincus : ils appellent leurs héros destructeurs de villes, vainqueurs des barbares, que sais-je encore ? C’est un hymne pareil que chante notre bienheureux. Il parle d’une victoire, d’un trophée, de guerres terminées, guerres d’un genre bien plus terrible. Et voyez comment il débute : « Seigneur, notre Seigneur. » De ceux qui ne croient pas en lui il n’est le Seigneur que d’une façon : mais il est doublement le nôtre ; et parce qu’il nous a tirés du néant, et parce que nous le reconnaissons pour ce qu’il est. Considérez aussi comment tout d’abord David rappelle en un mot la bienfaisance de Dieu à notre égard. Rappelez-vous comment Dieu est devenu voire Seigneur ; songez que des hommes séparés de lui, et morts, pour ainsi dire, ont été reconquis par sa grâce et ressuscités ; et alors vous comprendrez comment ce mot rappelle à lui seul la bienfaisance divine.
Dans l’étonnement que lui cause cette merveille, le Prophète s’écrie : « Que ton nom est admirable ! » Il veut dire ton nom est tout à fait admirable. Dans quelle mesure il est admirable, il ne l’a pas dit : il ne s’agit point ici de marquer une mesure, mais d’indiquer une grandeur qui dépasse l’imagination. Que dire maintenant de ceux qui prétendent scruter l’essence divine ? Si le nom seul de Dieu cause au Prophète un tel étonnement, qu’il demeure interdit, comment excuser ceux qui se vantent de connaître son essence ? le Prophète ne peut comprendre à quel point ce nom est admirable : « Que votre nom est admirable ! » Par ce seul nom, en effet, la mort fut vaincue, les démons furent enchaînés, les cieux rendus accessibles, les portes du paradis ouvertes ; l’Esprit fut envoyé ici-bas, les esclaves devinrent libres, les ennemis furent des fils ; les étrangers, des héritiers ; les hommes des anges. Des anges, ai-je dit ? Dieu est, devenu homme, et l’homme est devenu Dieu ; le ciel accueillit une espèce terrestre ; la terre reçut Celui qui siège au-dessus des chérubins avec l’armée des anges. La cloison fut enlevée, la barrière abattue, les choses divisées se réunirent, les ténèbres furent supprimées, la lumière brilla, la mort fut engloutie. – Ce sont toutes ces pensées et d’autres encore qui arrachent au Prophète ce cri : « Que votre nom est admirable sur toute la terre ! » Que penserons-nous maintenant des enfants des Juifs qui osent se refuser à la vérité ? Volontiers je leur demanderais de qui il est question dans ce passage. Du souverain Maître, répondront-ils, mais son nom n’était pas admirable sur toute la terre. Et c’est ce dont témoigne Isaïe en disant : « A cause de vous mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Is. 52,5) Mais si ceux qui l’honoraient donnaient lieu à d’autres de le blasphémer, où donc était-il admirable ? Qu’il est admirable en vertu de sa nature, cela est clair : mais aux yeux des hommes d’alors, de la plupart au moins, loin d’être admirable, il était un objet de mépris. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Lorsqu’a paru le Fils unique, son nom est devenu admirable en tous lieux avec le Christ. « Du lever du soleil à son couchant », est-il écrit, « mon nom a été glorifié parmi les nations. » (Mal. 1,11) Et ailleurs : « En tous lieux on offre à mon nom de l’encens et un sacrifice pur. Mais vous, vous le profanez. » Un autre dit : « Toute la terre a été remplie de la connaissance du Seigneur. » (Is. 11,9) Et encore : « Ils viendront disant : Nos pères ont eu de fausses idoles. » (Jer. 16,19)
2. Voyez-vous que tout cela est dit au sujet du Fils ? Car c’est son nom, à lui, qui est devenu admirable sur toute la terre, « Parce que votre magnificence a été élevée au-dessus des cieux. » Un autre dit : « Vous qui avez placé votre louange au-dessus des cieux. » Il a parlé de la terre : il passe maintenant au ciel, fidèle à sa coutume, de montrer que tout l’univers bénit son Maître. C’est ainsi qu’en – cet endroit il représente Dieu comme admirable là-haut, admirable ici-bas. En effet, ce ne sont pas seulement les hommes, ce sont les anges encore qui célèbrent les choses accomplies, et rendent grâces pour les bienfaits octroyés aux hommes : ce qu’ils ont fait tout d’abord, quand ils se formaient en chœur sur la terre. Il veut donc ou faire entendre cela même que les anges aussi chantent le Seigneur, ou représenter la grandeur de Dieu. En effet, quand l’Écriture veut exprimer la grandeur, elle rapproche ces deux éléments : par exemple, quand elle dit : « Comme le ciel est élevé par rapport à la terre. » Et encore : « Autant que le levant est éloigné du couchant, il a écarté de nous nos iniquités. » (Ps. 102,11,12) Ici donc il admire ce qui s’est passé ; tant de grandeur, de sublimité l’étonne : ce qu’il y avait de plus humble devient ce qu’il y a de plus élevé. « Vous avez formé dans la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle une louange parfaite. » Un autre dit : « Vous vous êtes servi de la bouche des enfants pour fonder votre puissance. » Un autre : « pour constituer votre pouvoir. » Le sens est : Vous avez déployé votre puissance en cela surtout, que vous avez donné des forces à la faiblesse, et délié pour l’hymne de gloire des langues balbutiantes. Il prédit par là le cantique des enfants dans le temple. Et pourquoi donc omettre tant d’autres prodiges, résurrections, guérisons de lépreux, expulsion de démons, pour faire mention de ce prodige accompli chez les enfants ? Parce que les premiers de ces prodiges avaient eu des précédents analogues, sinon semblables, et d’une certaine conformité, sinon vraiment pareils. Un mort se réveilla à la voix d’Élisée, un lépreux fut guéri, un démon chassé grâce à David, lors de la possession de Saül : Mais alors pour la première fois on ouït parler des enfants à la mamelle. Et afin que les Juifs n’aient pas l’impudence de prétendre qu’il s’agit en cet endroit de faits contemporains de l’Ancien Testament, il a fait choix d’un miracle jusqu’alors inouï. D’ailleurs cet événement était une image qui figurait les apôtres : car eux aussi, bien qu’incapables de parler et plus muets que des poissons, finirent par prendre tout l’univers dans leurs filets. Mais la preuve que la puissance de Dieu éclate surtout en cela, la voici dans l’Ancien Testament même : Voyez ce que le prophète dit du Père lui-même. Dieu dit, parlant à Moïse : « Qui a fait le muet et le sourd, le clairvoyant et l’aveugle ? » (Ex. 4,11) Et encore « Donnant des langues déliées à ceux qui parlent difficilement. » (Is. 25,6) Et ailleurs : « Dieu me donne la langue d’instruction, afin que je sache quand il convient de parler. » (Id. 4) Il dit encore au commencement : « Venez, descendons et confondons leurs langues. » (Gen. 11,7) Voilà une forte et solide preuve. Les autres pouvaient laisser encore, sinon quelque raison, du moins certain prétexte de clouter, à la mauvaise foi : ici, rien de pareil c’est la nature qui, de son propre mouvement, entre en contradiction avec elle-même. Voilà pourquoi l’écrivain sacré ne se borne pas à désigner les enfants par un mot qui pourrait s’appliquer aussi aux esprits simples ou aux innocents, et ajoute : « Et ceux qui sont encore à la mamelle », caractérisant l’enfance par la façon dont on la nourrit. « Ceux qui sont encore à la mamelle », dit-il, ceux qui ne goûtent pas encore aux aliments solides. Aussi, ce qu’il y a d’étonnant, ce n’est pas seulement qu’ils aient parlé et d’une voix distincte, c’est encore que leurs paroles aient été toutes chargées de bénédictions. Ce que ne savaient pas encore les apôtres, ces enfants le chantaient. Une autre conclusion qui ressort de là, c’est que les hommes qui s’approchent des dogmes doivent devenir enfants par le cœur. « Si l’on ne reçoit pas le royaume des cieux dans les dispositions d’un enfant, on ne pourra pas y pénétrer. » (Mt. 18,3)
« À cause de vos ennemis. » Il indique après cela la raison de ce miracle : Les autres n’arrivèrent point à « cause des ennemis », mais afin de rendre service à ceux qui les verraient, et d’instruire le reste des hommes par leur entremise. Mais ce ne fut point la seule raison de ce nouveau miracle ; il eut encore pour but de fermer la bouche aux ennemis, à ces ennemis qu’un autre désigne plus distinctement par ces mots : « À cause de ceux qui vous enchaînent. » Ce sont eux, en effet, qui le lièrent, quand on le conduisit à la croix. « Pour détruire l’ennemi et celui qui veut se venger. » Un autre dit : « Pour arrêter l’ennemi et celui qui se venge », désignant par là le peuple juif. En effet, les Juifs persécutaient le Christ comme un ennemi, et ils feignaient d’agir ainsi pour venger le Père. Voulant leur fermer ce refuge, il dit : « Celui qui me hait, hait « aussi mon Père (Jn. 15,23) », et encore : « Celui qui croit en moi, crois-en Celui qui a m’a envoyé. » (Id. 12,44) Associant là-haut et ici-bas son Père à ses honneurs – et à ses affronts. Et voyez l’exactitude du prophète. Il ne dit pas pour punir, mais « pour détruire », ce qu’un autre rend par ces mots « pour arrêter », c’est-à-dire pour réprimer leur impudence, non pour les instruire : car leur maladie était incurable. À la vue d’un tel miracle, ne trouvant plus rien à dire, ils se tournaient vers lui disant : « N’entendez-vous pas ce que disent ceux-ci ? » (Mt. 21,16) Au lieu d’adorer, d’admirer, ils étaient dans une grande perplexité, et au lieu de redire entre eux : N’entendez-vous pas ce que disent ces hommes ? C’est au Christ qu’ils le disaient. Et pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas entendre plus tôt ? Parce que les Juifs auraient cru être dupes d’une illusion, tandis qu’à cet autre miracle ils ne pouvaient rien objecter. Cependant que disaient ces petits enfants ? Rien qui pût leur être importun ou pénible, rien qui dût les choquer ; mais ce qu’il y avait de plus propre à attester l’accord du Fils et du l’ère. « Béni soit », disaient-ils, « celui qui vient au nom du Seigneur. » (Mt. 21,9)
3. Alors il confondit leur impudence ; plus tard, il détruisit leur ville, et il n’est pas une région de l’univers où les Juifs n’aient porté leur infortune. De même qu’un homme mutilé court en tous lieux, étalant ses blessures ; de même que les juges lorsqu’ils ont puni de mort plusieurs meurtriers, empalent un d’entre eux comme si ce dernier supplice infligé à un cadavre était propre à corriger les vivants ainsi Dieu fit des Juifs, non morts, mais vivants, un exemple, en les dispersant. Et ceux qui habitaient autrefois un même pays, sont aujourd’hui disséminés par toute la terre. Que si vous en cherchez la raison, vous n’en trouverez point d’autre que le crucifiement du Christ. En effet, pour quel motif n’eurent-ils point le même sort que précédemment ? Précédemment ils furent déportés dans une région unique, et pour quelques années seulement : cette fois il n’en est pas de même : leur châtiment n’aura pas de fin. Demandez-leur maintenant pourquoi ils ont crucifié le Christ ? Ils vous diront parce que c’était un imposteur. S’il en était ainsi, ils auraient dû être comblés d’honneurs et entrer en possession d’une plus vaste contrée : car ils auraient fait une chose agréable à Dieu. En effet, celui qui fait justice d’un imposteur, fait justice d’un ennemi de Dieu, et mérite d’être honoré en récompense de son action… Phinéès, pour avoir seulement fait périr une prostituée fut honoré par le Seigneur, au point d’être jugé digne du sacerdoce : et vous, bien plus dignes que lui d’être honorés, si, en effet, vous avez fait périr un imposteur, vous errez en tout lieu comme des vagabonds sans patrie ? Si vous avez subi un pareil sort, c’est que vous avez crucifié un maître, un bienfaiteur, un précepteur de vérité. Si Jésus était un imposteur, un ennemi de Dieu, un faux Dieu, convoitant les honneurs du Dieu véritable, vous devriez être rémunérés mieux que Phinéès, que Samuel, et tant d’autres, pour avoir déployé un si grand zèle dans l’intérêt de la loi. Et voici que vous êtes plus sévèrement traités aujourd’hui que dans lé temps où vous étiez idolâtres, impies, où vous égorgiez des enfants ; vos épreuves ne finissent pas ; proscrits, fugitifs, asservis aux lois des Romains, vous parcourez la terre et les mers, errants, sans patrie, sans maisons, esclaves, déchus de la liberté, du sacerdoce, de toutes vos prérogatives passées, dispersés au milieu des barbares et d’une quantité de peuples divers, haïs, abhorrés de tous les hommes et exposés de toutes parts à toutes les injures. Ah ! certes, vous êtes bien mal récompensés, d’avoir livré à la mort un ennemi de Dieu. Sottise et folie ! Votre sort n’est pas celui des hommes qui font périr les ennemis de Dieu ; c’est celui des assassins qui égorgent ses amis. Mais, diront-ils, mon ami, nous ne disons pas cela, c’est pour nos péchés que nous sommes frappés ainsi. Vous en convenez donc, têtes indociles ? Et quels sont ces péchés, dis-moi ? Est-ce donc la première fois que vous péchez ? Pourtant aujourd’hui vous êtes devenus plus sages. Mais laissons ce point : voici ce que je veux vous demander à présent : Pourquoi précédemment toutes les fois que vous péchiez, obteniez-vous de Dieu miséricorde et n’obtenez-vous plus la même grâce aujourd’hui, aujourd’hui, dis-je, que vos fautes sont moins graves ? Alors vous vous faisiez initier au culte de Belphégor, vous vous prosterniez devant le veau d’or, vous égorgiez vos fils, vous massacriez vos filles, et cela, quand les avertissements d’en haut ne vous manquaient pas ; et aujourd’hui que vous ne voyez ni la mer s’entr’ouvrir, ni les rochers se fendre, ni les prophètes vous visiter, aujourd’hui que vous n’êtes plus l’objet de la sollicitude constante de la Providence, vous montrez néanmoins plus de sagesse. Comment se fait-il donc que vos péchés étant moindres et votre vertu plus grande, votre punition, votre châtiment redoublent de sévérité ? N’est-il pas sensible pour les hommes les moins intelligents qu’au contraire votre faute est plus grave aujourd’hui ? Tant que vous vous êtes bornés à pécher contre les serviteurs, à tuer, à lapider les prophètes, vous avez obtenu l’indulgence ; mais du jour où vous avez porté les mains sur le Maître, votre plaie est devenue incurable. Aussi, quatre cents ans se sont écoulés depuis que l’emplacement même de votre ville a disparu avec le sacerdoce, la royauté, depuis la confusion de vos tribus, depuis que tous vos titres de gloire sont effacés, au point de ne pas laisser un vestige ; ce que l’on n’avait jamais vu. Au commencement même après la ruine du temple, les prophètes, les dons de l’Esprit demeuraient parmi vous avec les miracles. Aujourd’hui, afin que vous compreniez bien que Dieu s’est détourné de vous pour jamais, ces choses mêmes ont disparu pour faire place à l’esclavage, à la captivité, à une déchéance complète, et ce qu’il y a de pis, à l’abandon de Dieu.
4. Dieu a fait comme un maître, qui, après avoir fouetté maintes fois son esclave sans le corriger, le dépouille de ses vêtements et l’abandonne à lui-même, nu, vagabond, dénué de tout, mendiant, partout proscrit. Tel n’était pas auparavant votre sort, vous aviez des prophètes jusqu’en Égypte, jusque dans Babylone et dans le désert ; en Égypte, Moïse ; à Babylone, Daniel et Ézéchiel ; en Égypte encore, Jérémie. Les miracles succédaient aux miracles et la gloire de votre nation s’augmentait ; les vôtres, en captivité, étaient plus grands que des rois. Mais tout cela est passé, il ne reste qu’un châtiment pire que les précédents, non seulement par sa durée, mais encore par l’abandon complet où vous êtes laissés. Pourquoi donc, dites-moi, étiez-vous si favorisés de la Providence lorsque vous étiez plus coupables, et êtes-vous plus sévèrement châtiés, aujourd’hui que vous avez déployé, s’il faut vous en croire, votre zèle pour la loi ? En prétendant cela, vous accusez Dieu d’injustice ; vous le représentez honorant les coupables et humiliant les hommes vertueux. Si vous avez fait une bonne action comme vous le prétendez, si votre victime n’était qu’un imposteur, Dieu qui est juste aurait dû vous récompenser et non vous punir ; s’il vous punit, il est clair que vous êtes plus coupables que jamais. Mais si vous n’êtes plus impies comme autrefois, si vous n’égorgez plus d’enfants, quelle est donc cette faute pire que vous expiez par un pire châtiment ? N’est-il pas évident gaie le crucifiement est comme le couronnement de vos crimes ? Voilà ce qui vous a perdus plus que l’idolâtrie, que l’érection du veau d’or, que les égorgements d’enfants. Car ce n’est pas la même chose d’égorger son enfant ou de crucifier son maître. Aussi, lorsque vous immoliez vos fils, Dieu vous a été clément, mais du jour où vous avez fait périr le Fils de Dieu, votre maître, votre crime a été irrémissible. Combien d’années s’est-il écoulé depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la venue du Christ ? Environ quinze cents années et plus. Comment se fait-il donc, que durant tout ce temps, le Seigneur ait supporté vos fautes, et qu’il vous rejette aujourd’hui, aujourd’hui que le moment serait venu de vous couronner, quel qu’ait pu être jusqu’ici le nombre de vos crimes ? Jamais vous n’avez rien pu faire de plus méritoire que d’immoler un imposteur. De plus, vous paraissez aujourd’hui observer fidèlement le sabbat, vous n’adorez plus les idoles, vous vous piquez d’observer toutes les prescriptions de la loi. Et c’est quand votre vie est plus pure, quand vous avez fait de plus la bonne œuvre que vous dites, c’est alors que vous êtes en butte à toutes les infortunes ! Quelle pire folie, quelle plus abominable démence que celle qui vous porte à blasphémer Dieu pour vous justifier ? Si votre conduite vis-à-vis du Christ était un titre pour vous, loin d’être un péché plus détestable que tous les autres, pourquoi cette sévérité à l’égard des justes, cette indulgence pour les pécheurs ? Un homme quelque peu intelligent, Dieu à plus forte raison, ne consentirait jamais à se conduire de la sorte. Mais que répondent-ils à cela ? Nous avons été dispersés, pour devenir les instituteurs de l’univers. Niaiserie, sottise, que cette réponse. Avant de devenir le maître des autres, il faut commencer par se bien conduire soi-même ; c’est alors seulement qu’on peut être chargé d’une telle mission ; et tel fut le cas des prophètes, des apôtres. Mais les juifs égarés eux-mêmes et chargés de toutes les iniquités, comment auraient-ils pu être chargés d’enseigner ? Considérons donc quelle était leur vie, dès avant cette époque. Nous verrons qu’ils étaient plus farouches que des bêtes fauves. Ce n’étaient que parricides, infanticides, idolâtres, ravisseurs du bien d’autrui ; les prophéties l’attestent en maint endroit. Jérémie disait pour faire voir votre luxure : « Ils sont devenus comme des chevaux ardents pour les femelles ; chacun hennit en voyant la femme du prochain. » (Jer. 5,8) Quelle abominable impureté ! Ce n’étaient plus des hommes, ces êtres (lui s’accouplaient avec les femmes d’autrui ; aussi nomme-t-il leur fureur hennissement. Ce n’est pas seulement la fornication, c’est encore l’adultère qu’il leur reproche, et une promiscuité comparable à celle des brutes. Un autre prophète dit : « Le père et le fils se sont approchés de la même femme. » (Amo. 2,7) Est-ce donc pour cela, dis-moi, que Dieu vous a institués nos maîtres, pour nous enseigner la fornication, l’adultère, l’inceste ? Et Ézéchiel : « Vous n’avez pas même agi selon les lois des Gentils. » (5, 7) Eh quoi ! Ces hommes pires que les Gentils ; Dieu les choisit pour ses envoyés ? Et leurs homicides, qui pourrait en supporter l’idée ! Ils immolaient aux démons leurs fils, leurs filles, et les brûlaient. C’est ce que nous apprend David par ces mots. « Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. » (Ps. 105,37) Est-ce pour cela que Dieu les a envoyés, pour que le genre humain apprît d’eux, qu’il faut égorger ses fils et ses filles ? Vous ne rougissez pas, vous ne vous voilez pas la face, vous qui osez forger de pareilles inventions ? Un autre dit : « Ils mêlent le sang au sang, malédiction, mensonge, vol, homicide, adultère, se sont répandus dans le monde. » (Os. 4,2) Un autre dit : « Tu t’es fait un front de prostituée ; tu as dépouillé toute pudeur aux yeux de tous. » (Jer. 3,5) Un autre : « Vos princes sont comme les loups de l’Arabie. » (Ez. 22,27) Un autre : « Il n’est personne qui comprenne, personne qui cherche Dieu. » (Sop. 3,3) « Tous sont dévoyés, tous sont tombés à rien. » (Ps. 13,2, 3)
5. Voilà donc ce que vous êtes venus enseigner, l’impudeur, la démence, la fornication, l’adultère, le meurtre, tous les genres de vice ? Vous voulez nous forcer encore d’étaler vos crimes, à tous les yeux ? C’est vous qui êtes « portés dans le sein, et instruits jusqu’à la vieillesse. » (Is. 46,3) C’est vous qui êtes les aveugles, et qui vous jetez mutuellement dans la fosse. « Si un aveugle sert de guide à un aveugle, tous deux tomberont dans la fosse. » (Mt. 15,14 ; Lc. 6,39) Vous qui avez eu tant de prophètes sans jamais devenir meilleurs, étiez-vous faits pour devenir les précepteurs d’autrui ? Ne cesserez-vous pas de déraisonner ainsi, au lieu de convenir de votre perversité ? Voilà ce qui vous a toujours perdus : ne vouloir jamais remonter à l’origine de vos maux. Aussi pareil aux juges qui font suivre ceux que l’on fouette par des crieurs chargés de proclamer leur crime, vol ou rapine à main armée : Dieu vous a fait constamment escorter par des prophètes qui vous révélaient la cause de vos châtiments. Encore aujourd’hui ils vous suivent par toute la terre dans votre esclavage, et vous répètent les mêmes cris. Entrez clans les synagogues : vous entendrez les mêmes paroles assidûment redites. David faisant allusion au futur jugement, ou plutôt au brigandage de Caïphe, dit que telle est la cause de votre perte. Après avoir dit : « Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous (Ps. 2,3) », il ajoute : « Alors il leur parlera dans sa colère, et dans son courroux il les troublera. » (Id. 5,5) Après ces mots : « Il fut conduit comme une brebis à l’immolation », Isaïe poursuit en ces termes : « Et je donnerai les méchants pour sa sépulture, et les riches pour sa mort. » (Is. 53,9) Et ailleurs, en parlant de la vigne : « J’ai attendu afin qu’il fît justice ; mais il a fait iniquité et non justice, et a poussé un cri. » (Id. 5,7) Quel cri ? « Crucifie, Crucifie. » (Lc. 23,21) Et il ajoute : « À cause de cela je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds : et je recommanderai aux nues, de ne pas verser sur lui la pluie. » (Is. 5,5-6) La raison de votre dispersion n’est donc pas celle que vous dites, mais bien le crime du crucifiement : les Prophètes le démontrent. Et, afin que vous compreniez la puissance du Christ, et que vous vous instruisiez par vous-mêmes de ce que les prophètes n’ont pas su vous persuader, consultez le témoignage des faits. La puissance du Christ a opéré en vous-mêmes le miracle que n’avaient pas su faire les prescriptions de la loi. Tant que vous avez eu la loi, vous avez tué, égorgé vos enfants, commis l’adultère mais du jour où le Soleil de la justice a brillé, l’empire du mal a diminué parmi vous-mêmes, et votre émulation vis-à-vis de nous vous a rendus plus vertueux. Si Dieu vous a dispersés, c’est pour vous faire mesurer la grandeur de l’empire qu’il a fondé ici-bas ; s’il a ruiné votre temple, c’est pour vous arracher, en dépit de vous-mêmes, à l’iniquité. Et là où fut détruit le temple, là le Christ fut enseveli, afin que, fuyant loin de son sépulcre, vous pussiez voir le trophée élevé par sa puissance, et la réalisation de la parole qui dit : « Il ne restera pas ici pierre sur pierre. » (Mt. 24) En effet, partout il a des trophées, partout des monuments de son pouvoir. Mais, si c’était un impie, un ennemi de Dieu, comme vous le prétendez, quels qu’aient pu être vos excès à son égard, vous n’auriez pas dû subir un pareil châtiment ; sinon, ce n’était pas tout au moins le moment, car cela est propre à faire croire que tel est le motif de votre punition. N’avez-vous pas entendu Dieu vous dire, lorsque vous étiez en captivité : « Si j’agis de la sorte, ce n’est pas à cause de vous, c’est pour que mon nom ne soit pas profané ? » Cependant votre méchanceté était alors à son comble. Néanmoins Dieu vous dit : Pour que les infidèles ne croient pas que je suis faible, je néglige vos péchés et je vous conserve. Eh bien ! si dans ces circonstances, il épargna les coupables, afin que son nom ne fût pas profané ; comment n’aurait-il pas fait la même chose dans le cas présent ? Quelques crimes que vous eussiez pu commettre, vous ne deviez point subir un pareil traitement, si le Christ était vraiment un imposteur, un traitement propre à faire croire que vous étiez frappés à cause de lui. Loin de là, vous auriez dû être sauvés, et, en tout cas, je le répète, le moment était mal choisi. Mais, dans le fait, ces deux choses sont arrivées en même temps. A peine la croix eut-elle paru, les apôtres se mirent en campagne, et bientôt une guerre terrible vint menacer votre capitale alors on vit se confirmer le mot des Évangiles : « Malheur aux femmes qui allaitent et « à celles qui sont enceintes (Mt. 24,19) ! » et tant d’autres. Alors se réalisa la prédiction « En ce temps il y aura une affliction telle qu’on n’en a jamais vu. » (Lc. 21,23) Des femmes mangèrent leurs enfants, les ennemis éventrèrent des cadavres, l’incendie allumé par les barbares dévora tout, le sang coula à torrents, on vit des tragédies inouïes ; le malheur des Juifs remplit l’univers. Instruits par ces souvenirs, reconnaissez enfin votre Maître. Vous avez massacré des prophètes, avez-vous été punis de la sorte ? Vous avez ruiné des autels, pareil malheur vous est-il arrivé ? Vous avez adoré le veau d’or, vous vous êtes fait initier au culte de Belphégor, vous avez méconnu la nature, avez-vous eu à combattre de pareils ennemis ? N’est-il pas vrai qu’ingrats parmi les bienfaits dont vous étiez comblés, vous subsistiez néanmoins ? D’où vous viennent donc aujourd’hui ces malheurs qui n’auront pas de fin ? N’est-il pas clair qu’ils proviennent de ce que vous vous êtes attaqués au Maître et non plus aux serviteurs. Voilà pourquoi vos maux ne finissent pas, ne finiront jamais. S’ils devaient finir, les prophètes l’auraient dit. Mais ils ont parlé de la captivité, et jamais du retour, malgré leur coutume de mêler les biens et de marquer la durée des épreuves. Ainsi, Jérémie annonce soixante-dix années, et Daniel, trois semaines et demi[4] ; et il est écrit que la servitude en Égypte durera 430 ans. Quant à la captivité actuelle, la durée, la fin n’en sont indiquées nulle part, mais votre maison est déserte, et chaque jour voit s’augmenter vos maux.
6. Réfléchissez bien en vous-mêmes à tout cela, développez ce qui vient d’être dit (« Fournissez une occasion au Sage », est-il écrit, « et il sera plus sage. » (Prov. 9,9) Et vous pourrez facilement convaincre les Juifs d’impudence et d’ingratitude. « Parce que je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. » Un autre dit : « Car je vois les cieux, la lune et les astres que vous avez fondés. » Un autre interprète : « que vous avez disposés » un autre : « que vous avez établi à leur place. » Après avoir dit que Dieu a détruit les ennemis, il donne la preuve de cette glorieuse victoire. Vous, le Crucifié, dit-il, vous, le condamné à mort, vous êtes apparu comme le créateur de l’univers. De là ces mots : « Je verrai les cieux : » par là il fait voir que si précédemment cela était généralement ignoré, tous le sauront désormais. Et pourquoi ne passe-t-il pas en revue toutes les parties de l’univers ? C’est qu’après avoir parlé des plus importants parmi les objets visibles, il n’avait pas besoin de nous instruire au sujet des autres. Ses ennemis ont donc été détruits si complètement que celui qu’ils persécutaient, celui qu’ils avaient fait périr, s’est révélé comme le créateur de toutes les choses sensibles. Et pourquoi n’avoir pas dit de vos mains, mais de vos doigts ? C’est pour montrer que les objets visibles ne lui ont pas coûté de peine ; c’est aussi faire allusion à cette merveille de la création, que les astres ne tombent pas de la place où ils sont suspendus : cependant il n’est pas dans la nature des fondements d’être suspendus en l’air, mais de reposer en bas. Mais cet habile et merveilleux créateur a presque partout, dans ses ouvrages, franchi les limites de l’ordre naturel. Et pourquoi ne dit-il rien des puissances incorporelles, pourquoi s’en tient-il à cette preuve de l’industrie divine ? Parce que dans ce temps-là, Dieu ne voulait instruire les hommes que de ce qui regarde les choses apparentes. Voilà pourquoi le Père, dans ses fréquents entretiens avec les Juifs, ne leur dit pas : C’est moi qui ai fait les anges et les chérubins. « C’est moi », dit-il, « qui ai déployé le ciel, c’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui l’a consolidée. » (Is. 48,13) Il ne parle jamais que des choses visibles, ne considérant en toute chose que le salut de ceux qui l’écoutent. En effet ces hommes grossiers étaient plus sensibles à ce qui frappe la vue qu’à ces choses qu’elle ne peut atteindre. C’est pourquoi Paul, toutes les fois qu’il s’avance pour prendre la parole, commence par entretenir ses auditeurs des créatures visibles « Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu’ils renferment. » (Act. 17,24) Les pluies annuelles, l’espèce humaine, voilà ce qui lui fournit constamment le début de ses discours. Si je dis que Dieu a fait les chérubins, j’ai deux choses à démontrer : qu’il y a des chérubins et qu’il en est le créateur, quand il s’agit au contraire d’objets visibles, il me suffit de prouver qu’il les a faits. Le discours en devient plus aisé ; car alors il s’appuie sur le témoignage de la vue. La grandeur, la beauté, l’utilité, l’ordre, la proportion sont choses que l’auditeur peut voir. Il me reste seulement à établir que Dieu en est l’auteur. Et pourquoi ne fait-il pas mention du soleil, mais seulement de la lune et des astres ? En parlant de ceux-ci, il fait entendre aussi le soleil. Comme il y a des gens qui éliminent la nuit de la création divine, il indique en nommant la lune, que Dieu en est aussi l’auteur. La diversité des astres est infinie, et il serait long d’énumérer toutes les phases de la lune. « Qu’est-ce que l’homme pour que vous e vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme. « pour que vous le visitiez[5] ? » Après avoir parlé de la création, et avoir élevé l’esprit du particulier au général, il passe à la sollicitude de la Providence pour les hommes. Ce qu’il dit ici concerne spécialement l’homme. Sans doute ce qui précède touchant la Providence le concerne également : car toute la création est faite en vue de l’homme. Mais il aborde ici une autre forme de providence, et il ne se borne pas à en parler avec une infinie gratitude, il remercie le Seigneur au nom de l’univers ; il rappelle ses bienfaits d’une manière générale, et insiste sur les soins tout particuliers qu’il a pris du genre humain. En effet, si l’homme n’était rien dès l’origine, à plus forte raison en était-il ainsi lors de la venue du Christ, après tant d’horribles péchés. Le Psalmiste montre que la venue du Christ n’est pas étrangère à la miséricorde, qu’elle est due à une suprême bonté. Comme un bon médecin, il a laissé ceux qui étaient en santé pour venir à nous, êtres malades, créatures de néant. De là cette expression : « Qu’est-ce que l’homme ? » En d’autres termes l’homme n’est rien, n’est que misère. À la vue d’une telle sollicitude, d’une si admirable providence, de tant d’œuvres accomplies pour sauver le genre humain, David se demande avec étonnement et stupeur quel est donc cet être que Dieu a jugé digne de pareils soins. Songez que toutes les choses visibles ont été faites pour lui ; songez que depuis Adam jusqu’à la venue du Christ tout a été réglé pour son intérêt, songez que le paradis, les préceptes, les châtiments, les miracles, les supplices et les bienfaits qui suivirent la loi, que tout cela a été combiné en vue de l’homme ; que le Fils de Dieu s’est fait homme à cause de lui. Et qui pourrait dire les biens qui lui sont réservés dans la vie future ? – C’est parce qu’il se rappelle tout cela que David s’écrie : Qu’est-ce que l’homme pour que vous l’ayez jugé digne de si grands bienfaits ?
7. En effet, si l’on réfléchit à tout ce qui s’est fait ou se fait en vue de cette créature, à tout ce qui lui est encore promis, on se sent pénétré d’effroi ; et c’est alors qu’on peut juger comme il faut, à quel point elle est chère à Dieu. « Vous l’avez abaissé un peu au-dessous des anges. » D’autres disent : « Un peu au-dessous de Dieu. » Le texte hébreu est Outhasreou mat me Eloim. Il rappelle ici la condamnation, l’ancienne faute, la mort. Mais la mort même fut vaincue par la venue du Christ. « Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur. » Un autre dit : « Vous le couronnerez de gloire et de noblesse. » On peut prendre ses paroles soit dans le sens historique, soit dans le sens anagogique : David parle du pouvoir dont l’homme fut investi dès sa naissance : il parle aussi des biens que lui procura dans la suite la venue du Christ. À l’origine, Dieu dit à l’homme : « Votre crainte sera sur tous les animaux. » (Gen. 9,2) Et encore. « Qu’ils règnent sur les poissons de la mer ! » (Gen. 1,26) Plus tard il dira : « Marchez sur les serpents et les scorpions. » (Lc. 10, 19) Mais David omet ce dernier point, et s’attache de préférence à des considérations moins élevées, laissant aux esprits pénétrants le soin de trouver les autres. En effet, l’époque du Nouveau Testament est plus honorable et plus glorieuse pour l’homme : c’est alors qu’il a le Christ pour chef, qu’il devient son corps, son frère, son cohéritier, que, de corps, il est son semblable ; c’est alors qu’il surpasse en gloire Moïse même, ainsi que Paul l’a montré, puisque Moïse se voilait la face, tandis que nous contemplons tous aujourd’hui la gloire de Dieu à visage découvert. De là ces mots : « Ce qu’il y a d’éclatant dans cette partie n’a pas été véritablement glorieux à cause de la gloire éminente de l’autre. » (2Cor. 3,10) Le Prophète fait donc allusion à cette gloire. En effet, qu’est-ce qui pourrait égaler la gloire d’unir nos voix aux voix des anges, d’être adoptés, de voir le Fils unique lui-même immolé pour nous ? quelle pourpre, quel diadème n’est effacé par le privilège de mépriser la mort, de revêtir l’impassibilité des puissances incorporelles, nous, méprisés naguère, obscurs, rebutés ? Adam, sans avoir fait ni bien ni mal fut honoré dès sa naissance. Comment aurait-il pu agir avant d’exister ? Mais nous, après avoir commis une infinité de crimes, nous jouissons d’honneurs incomparablement plus grands. « Je ne vous appelle plus serviteurs », est-il écrit : « car vous êtes mes amis. » (Jn. 15,15, 14) Les anges ne rougissent plus à cause de nous : que dis-je ? ils s’entremettent pour notre salut. En effet, Philippe reçut la visite d’un ange, ainsi que beaucoup d’autres : des anges annoncèrent à des hommes la Bonne Nouvelle. Nous ne sommes plus des héritiers d’ici-bas ; nous sommes associés au patrimoine des cieux, nous partageons le domaine du Christ, du Fils unique. Tout cela est renfermé dans ce qui est écrit de notre gloire et de nos honneurs. Aussi le Psalmiste dit-il : « Vous le couronnerez de gloire et d’honneurs », parce qu’il prédit l’avenir. « Et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains. » Un autre dit : « Et vous lui avez donné l’empire sur les ouvrages de vos mains. » (P. 8,7) « Vous avez tout mis sous ses pieds. Les brebis et tous les bœufs, avec les troupeaux de la campagne. » Suivant un autre : « Avec les bêtes sauvages. » (Id. 8) « Les oiseaux du ciel, et les poissons de l’Océan qui traversent les chemins des mers. » (Ibid 9) « Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable sur toute la terre ! » (Id. 10) Comme en parlant de la création, il ne se contente pas de toucher aux puissances d’en haut, et aborde aussi les choses sensibles. Ainsi, lorsqu’il expose les honneurs accordés à l’homme, il indique par une simple allusion les choses mystérieuses et incorporelles dont il a fait mention, et insiste principalement sur les avantages sensibles, comme plus propres à frapper les esprits grossiers. Quels sont ces avantages ? L’empire donné à l’homme sur ce monde. Et ce qu’il y a d’admirable, ce que le Psalmiste indique surtout, c’est que l’homme comblé d’honneurs avant sa faute, n’en soit pas déchu après son péché. « Vous l’avez abaissé un peu au-dessous des anges », c’est-à-dire, vous avez puni son péché de la mort. Mais vous n’avez point pour cela dépouillé ce condamné à mort des présents que vous lui aviez faits. En conséquence, il montre aussitôt après l’ineffable bonté de Dieu, qui, malgré l’abaissement où nous sommes tombés par suite de notre péché, a permis que nous fussions couronnés de gloire, et n’a diminué en rien notre empire. Ou du moins s’il en a retranché quelque chose, c’est encore un effet de sa sollicitude. Avant sa désobéissance, l’homme étendait son autorité jusque sur les bêtes. Après la désobéissance, il perdit quelque chose de ce pouvoir. Encore aujourd’hui il a des moyens pour les rendre dociles ; mais il faut qu’il les effraye, les épouvante. Dieu ne lui a pas ôté tout son pouvoir, il ne lui a pas non plus laissé ce pouvoir tout entier. Les animaux nécessaires soit à la nourriture, soit à l’industrie de l’homme, sont restés sous sa domination : mais il n’en est plus ainsi des bêtes sauvages, qui lui font une guerre destinée à lui rappeler la faute autrefois commise par Adam, notre premier père. De sorte que cette révolte même est pour nous un grand avantage. Quel profit nous reviendrait-il de la docilité des lions, de la domesticité des panthères ? Rien qu’orgueil et vanité. Voilà pourquoi Dieu a permis que ces animaux-là s’affranchissent de notre autorité, tout en nous assujettissant ceux qui peuvent nous être utiles, le bœuf qui laboure, la brebis qui revêt la nudité de notre corps, les bêtes de somme nécessaires pour le transport, les oiseaux, les poissons, qui font l’ornement de nos tables.
8. Dieu agit vis-à-vis de nous comme un père de famille, qui, en déshéritant son fils, ne le dépouille pas de tout son patrimoine, mais d’une partie seulement, afin de le corriger que dis-je ? sa conduite fut directement contraire. Le père qui déshérite son fils le prive de la plus grande partie et ne lui laisse que la plus faible : au contraire, Dieu nous a laissé la plus forte part et ne nous a retiré qu’une fraction minime, encore est-ce pour notre avantage, afin que nous ne triomphions pas trop facilement de toutes les autres créatures. Mais en cela encore, vous avez une marque de la sollicitude de Dieu : en aiguisant notre intelligence, en abattant notre orgueil, en nous interdisant une fâcheuse oisiveté (car l’homme s’abandonnerait à la mollesse, si tout lui venait de soi-même), il a mêlé l’existence de quelques difficultés, il a empêché que le travail ne nous fût nécessaire pour tout, ni, pour tout, superflu. Il a fait en sorte que les choses nécessaires nous fussent données sans peine et sans fatigue ; les choses de luxe, au contraire, au prix des fatigues et de la peine, afin de diminuer, en cela aussi, l’excès de notre sécurité. Que si l’on vient nous dire : Mais à quoi servent les bêtes féroces ? nous répondrons : D’abord à nous inspirer de l’humilité, à nous fortifier par la lutte, à réveiller chez le plus vain le souvenir de sa bassesse, devant une brute, qui lui fait peur. En outre, beaucoup de maladies trouvent là des remèdes. Mais celui qui nous demande pourquoi il y a des bêtes féroces, nous demanderait-il aussi ce que font en nous la bile ou la pituite ? Ces choses aussi, pour peu qu’on les irrite, nous attaquent avec plus de fureur que les bêtes féroces, et exercent leurs ravages dans tout notre corps. La colère aussi nous fait la guerre, et pareillement la concupiscence, et ces deux ennemis sont plus acharnés que des bêtes sauvages contre ceux qui ne savent pas les brider ou les contenir. Que dis-je ? le courroux, la colère ? Nos yeux mêmes nous causent parfois plus de maux que les bêtes féroces, en faisant pénétrer dans notre cœur les traits redoutables de l’amour. Et cependant, nous n’irons pas dire pour cela : À quoi bon ? Au contraire, nous, saurons gré au Maître de tout ce qu’il a fait. La bête est pour l’homme ce qu’est le fouet pour un enfant. Si, parmi tant de dangers, l’orgueil enfle encore tant de cœurs, ce frein ôté, jugez des progrès que ferait le vice. Voilà pourquoi notre corps est ce qu’il est, exposé aux infirmités, aux souffrances, assiégé par mule fléaux ; pourquoi la terre n’accorde ses biens qu’au travail ; pourquoi la vie entière est arrosée de sueurs. C’est parce que la vie présente n’est qu’une école, c’est parce que le repos et l’oisiveté perdent la plupart des hommes, que Dieu a mêlé à notre existence, le travail et la peine, comme un frein destiné à réprimer l’excitation de nos pensées. Mais voyez : les animaux qui nagent dans l’abîme des eaux, ceux qui s’élèvent dans les airs, le Seigneur les a soumis eux-mêmes à votre industrie. Et pourquoi David ne passe-t-il pas en revue toutes les choses visibles, les plantes, les graines, les arbres ? En nommant la partie il fait entendre le tout, et laisse aux hommes studieux le soin de rechercher le reste. Puis il termine ainsi qu’il a commencé : « Seigneur, notre Seigneur ! » avant et après sa description, les mêmes expressions reviennent. Persistons donc, nous aussi, à redire la même chose, à admirer la Providence de Dieu, sa sagesse, sa bonté, sa sollicitude pour nos intérêts. Voilà ce que nous avions à dire pour compléter l’interprétation. Maintenant, si vous le voulez, nous en viendrons à la controverse, et nous demanderons aux Juifs en quelles circonstances on a entendu chanter de petits enfants, à quelle époque un tel chant a détruit l’ennemi, enfin, quand le nom de Dieu a été admirable. Ils ne sauraient citer un autre moment que celui dont nous avons parlé, moment où reluit la puissance de la vérité avec plus d’éclat que le soleil. Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Je verrai les cieux ouvrages de vos doigts. » D’ailleurs Moïse avait dit précédemment : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. » En voilà assez à l’adresse des Juifs, avec ce que nous avons dit plus haut : mais il est des hommes qui, imitant et adoptant leur doctrine, hormis en ce qui touche la circoncision (je parle des disciples de Paul de Samosate), prétendent que le Christ exista seulement du jour où il sortit du sein de Marie : Demandons-leur donc, à eux aussi, comment il se fait que le Christ ait créé les cieux, s’il est vrai qu’il n’existe que depuis cette époque. En effet, selon le prophète, Celui qui fit parler des enfants à la mamelle est aussi le créateur des cieux. Que s’il créa les cieux, il existait donc avant les cieux ; et loin de devoir à Marie son origine, il lui est antérieur. Considérez ici la sagesse du Prophète ! Il n’en fait pas seulement un créateur, mais un créateur qui produit ses œuvres sans peine. De là : « Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts : » non que Dieu ait des doigts ; mais le Psalmiste veut montrer que les créatures visibles n’ont coûté aucun effort, et c’est pour cela qu’il désigne des choses qui nous surpassent par des noms qui nous sont familiers. C’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Celui qui mesure le ciel à l’empan et la terre avec la paume de sa main. » (Is. 40,10) Ce n’est pas qu’il ait en vue alors ni l’empan, ni la paume de la main, mais c’est qu’il veut représenter l’infinie puissance de Dieu. Comment donc quelques-uns osent-ils faire du Fils un ministre ? Celui qui n’a pas même mis en œuvre tous ses moyens quand il s’agissait de créer le ciel, que dis-je : tous ! pas même la plus faible partie : comment celui-là serait-il un simple ministre ? et comment serait-il un ministre si « ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement ? » Que devient ce mot : « Pareillement », si l’un est ministre et l’autre créateur ? Et comment le Psalmiste peut-il attribuer les œuvres mêmes à ce ministre, en disant, par exemple : « Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont des ouvrages de tes mains ; » ou comme ici : « Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. » Les ouvrages ne sont point dus aux ministres, mais aux créateurs ; qu’il y ait eu, ou non, un ministre, c’est toujours au créateur que l’œuvre est attribuée. Donc les paroles de Moïse lui-même concernent aussi le Fils. Je veux dire : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ; » et : « Qu’ils dominent sur les poissons de la mer. » (Gen. 1,1 et 26) Car celui qui mit sa louange dans la bouche des petits enfants à la mamelle, est le même qui visita l’homme.
9. Ce que Moïse dit du Père, Paul l’applique au Fils, montrant par là leur complète égalité. En conséquence, puisqu’il était indifférent aux Saints d’appliquer au Fils ce qui est dit du Père, et réciproquement : « Tout cela a été fait par lui. » (Jn. 1,3) Que devient cette appellation du ministre ? elle ne signifie plus rien. Mais, dira-t-on : « Par lui », cela signifie par son entremise[6]. Mais si la même expression est employée aussi en parlant du Père ? Écoutez plutôt : « Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la société de son Fils. » (1Cor. 1,9) Et encore : « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu. » (2Tim. 1,1) Et ailleurs : « Puisque c’est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses. » (Rom. 11,36) Mais, pourquoi l’appelez-vous ministre ? – Par déférence pour le Père. – Pourtant le Fils a dit : « Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. » (Jn. 5,23) Pour celui qui n’honore pas le Fils, il est clair qu’il n’honore pas non plus le Père. Quoi donc, dira-t-on ? J’appellerai Père le Fils ? Nullement. Jésus n’a pas dit : Afin que vous m’appeliez Père ; mais bien, afin que vous honoriez le Fils éternel comme le Père. Appeler Père le Fils, ce serait tout confondre. La distinction subsiste : mais les honneurs sont communs. Si le Père est ici nommé avec le Fils, c’est justement pour prévenir la confusion des personnes. Mais si la substance de l’un n’était pas celle de l’autre, comment réclamerait-elle les mêmes honneurs ? On dira : Pourquoi donc le Christ parle-t-il souvent un langage si humble ? C’est pour nous enseigner l’humilité, c’est à cause de l’enveloppe de chair dont il était revêtu, c’est à cause de la stupidité des Juifs, c’est parce que l’espèce humaine ne peut être amenée à la vraie doctrine que pas à pas ; c’est en considération du peu de lumières des auditeurs : d’ailleurs il approprie souvent son langage aux opinions de ceux qui l’écoutent. En effet, les choses sublimes ne sont pas pour ceux-là seuls qui sont dignes de les entendre : ou plutôt, quoi que l’on puisse dire de la divinité, on demeure toujours bien au-dessous de sa grandeur, on emploie nécessairement le langage de la condescendance. Prenons un exemple : Dieu est grand ? Mais c’est parler petitement de Dieu : la grandeur, quelle qu’elle soit, est bornée ; or Dieu est infini. Et c’est encore en parler petitement. Je sais qu’il n’a point de limites ; mais ce qu’il est, où il est, c’est ce que j’ignore. Appelez-le sage, bon, et cela infiniment ; c’est encore parler un langage indigne de lui, si l’on n’attache aux termes une signification convenable. Par conséquent, si des expressions si fortes restent encore au-dessous de la vérité, comment justifier ceux qui voudraient les affaiblir ? Fuyons leurs entretiens, et bien persuadés de l’éternité du Fils unique, de son pouvoir créateur, de son absolue souveraineté, de sa consubstantialité parfaite avec le Père, de sa condescendante Providence, des mille formes que prend sa sollicitude à notre égard (tels sont, en effet, avec bien d’autres, les enseignements renfermés dans ce psaume, pour l’usage des esprits attentifs), gardons la pureté des dogmes, et signalons-nous par une conduite digne de notre foi, afin d’obtenir les biens futurs, desquels puissions-nous tous être comblés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire et honneur, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME IX.

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POUR LA FIN, POUR LES SECRETS DU FILS, PSAUME POUR DAVID. – SUIVANT UN AUTRE : HYMNE TRIOMPHAL POUR LA MORT DU FILS, CHANT POUR DAVID. – SUIVANT UN AUTRE : DE LA JEUNESSE DU FILS.
« JE VOUS RENDRAI HOMMAGE, SEIGNEUR, DANS TOUT MON CŒUR ; JE RACONTERAI TOUTES VOS MERVEILLES. »

ANALYSE.

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  • 1. Qu’il faut rendre grâces même dans l’adversité. – Qu’on s’affranchit par là des pensées coupables.
  • 2. Merveilles de la terre. – Bonheur d’aimer Dieu et de chanter ses louanges.
  • 3. Puissance de Dieu. – Sa justice.
  • 4. Deux manières d’interpréter les textes : selon la lettre et selon l’esprit. – Deux jugements : l’un particulier ici-bas, l’autre général dans l’autre monde.
  • 5. Conditions de l’assistance divine. – De l’espoir en Dieu.
  • 6. Ce que c’est que rechercher Dieu. – Que la prière doit être humble. – Que la miséricorde de Dieu ne nous est jamais plus nécessaire que dans la prospérité.
  • 7. Contre les sortilèges. – Inutilité de la persécution exercée par les Juifs contre les apôtres. – Qu’on ne peut être vertueux par nécessité.
  • 8. Récompense et châtiment. – De la patience du pauvre.
  • 9. De l’aveuglement produit par le péché.

10. Qu’il faut songer au malheur dans la prospérité. 11. Que le pécheur doit être puni tôt ou tard.
1. Ce psaume est long : à ceci même reconnaissez la sagesse de l’Esprit. Au lieu de donner à tous la même étendue, grande ou petite, il a mis dans ce recueil cette variété même qui naît de l’inégalité, la longueur qui stimule la paresse, à côté de la brièveté qui soulage la fatigue. « Je vous rendrai hommage, Seigneur, dans tout mon cœur ; je raconterai toutes vos merveilles. » Il y a deux manières de rendre hommage : en condamnant ses fautes, ou en remerciant Dieu. Il s’agit ici d’un hommage de reconnaissance. – Mais que veut dire ceci : « Dans tout mon cœur ? » Cela signifie avec tout mon zèle, toute mon ardeur : non seulement pour mes prospérités, ruais encore pour mes revers. En effet, ce qui distingue entre toutes choses une âme reconnaissante et sage, c’est de rendre grâces jusque dans l’adversité, c’est de louer Dieu eu toute occasion, non seulement pour ses bienfaits, mais encore pour ses châtiments. C’est le moyen d’obtenir une plus ample récompense. Remercier Dieu des biens qu’il nous octroie, c’est acquitter une dette : le remercier quand il nous frappe, c’est devenir ses créanciers. – L’obligé qui témoigne sa reconnaissance, se décharge d’une obligation. L’affligé qui rend hommage crée une obligation à son profit. Aussi Dieu reconnaît-il par mille grâces une pareille reconnaissance, et dans l’autre monde et même sur-le-champ : de telle sorte que nous perdons jusqu’au sentiment de nos épreuves. Personne ne ressent des maux dont il remercie Dieu : nous retirons donc de là un second avantage, celui d’échapper au chagrin. Si vous perdez de l’argent et que vous rendiez grâces, le regret du dommage éprouvé est effacé par la joie qui accompagne le remerciement. C’est là pour le diable un coup mortel ; c’est le moyen de parvenir à la sagesse, le moyen de porter un jugement sain sur les choses présentes. Un bon nombre d’hommes jugent mal des choses d’ici-bas, aussi tombent-ils dans le découragement. – C’est ainsi que les fous s’effrayent de ce qui n’a rien d’effrayant, redoutent des choses qui souvent n’existent point et prennent la fuite devant des ombres. C’est leur ressembler que de craindre une perte d’argent.
Cette crainte, en effet, n’est pas imputable à la nature, mais à la volonté. S’il y avait là un vrai sujet d’affliction, tous ceux qui font des pertes devraient être malheureux : mais si la même mésaventure ne produit pas chez nous tous la même affliction, il s’ensuit que le principe de l’affliction n’est point dans la nature des choses, mais dans la grossièreté de nos pensées. De même que dans l’obscurité on s’effraye souvent à la vue d’une corde, croyant apercevoir un serpent, de même qu’alors on voit tout avec défiance, on prend ses amis pour des ennemis : de même ceux qui vivent dans les ténèbres de la déraison ne reconnaissent plus la vraie nature des choses, ils se roulent dans l’ordure, et le fumier cesse de leur paraître du fumier ; possédés par l’avarice, ils sont insensibles à la mauvaise odeur qu’elle exhale : qu’ils s’éloignent, ils la sentiront. – Les amants de la richesse sont comme ceux qui aiment une femme laide et commenceront à s’apercevoir de sa difformité, quand ils seront guéris de leur maladie. Et comment faire, dira-t-on, pour chasser loin de moi cette passion ? Je recourrai encore au même exemple. L’homme épris d’une femme laide, s’il ne cesse de la fréquenter, attise sa propre ardeur : mais pour peu qu’il la délaisse, il sent son amour s’évanouir peu à peu : de même, éloignez-vous quelque peu, faites trêve un moment, et ce moment mettra un grand intervalle entre vous et votre maladie. Il ne s’agit que d’entrer dans la bonne voie. Vous avez une maison qui vous est superflue : vendez-la, donnez-en le prix à ceux qui ont besoin, et ne croyez point par là vous en défaire ; loin de là, vous ne faites que vous en assurer la propriété. Ne regardez pas â la dépense, mais au profit ; ne songez point que vous en serez privés ici-bas, mais bien que vous en jouirez là-haut. De la sorte, il vous sera donné de raconter à jamais les merveilles de Dieu. Car c’est ainsi que débute notre psaume. L’avare n’a guère de temps à consacrer à cette occupation : il ne rêve qu’intérêts, actes, contrats, ventes, testaments, estimations de maisons ou de terres, profits, trafics : voilà ses pensées, ses soucis perpétuels. Où est le trésor de l’homme, là est son cœur. – Voilà les sujets de ses discours, de ses pensées : il pense aux affaires du Seigneur comme un esclave à celles de son maître. Quel ordre a-t-il donné ? Qu’est-ce qui est fait ? Qu’est-ce qui reste à faire ? Je vous exhorte donc à vous dérober aux soins qui vous assiègent pour vous appliquer à ces récits dont parle le prophète, pour raconter chaque jour les merveilles opérées par Dieu soit en particulier, soit en général, dans l’intérêt de tous ou dans celui de chacun. Le monde est plein de pareils sujets de récits, et quel que soit celui que vous choisiriez pour commencer, la pompe ne manquera pas à votre début : le ciel, la terre, l’air, les animaux, les graines, les plantes ; les anciens bienfaits, ceux qui ont précédé la loi, ceux qui l’ont suivie, ceux qui datent de la grâce, ceux qui nous sont réservés après notre départ d’ici-bas et jusque dans la mort, voilà de quoi vous occuper. – Combien nous serions insensés, si, en présence de pareils sujets, aussi charmants que profitables à l’âme, nous allions traîner nos pensées dans la fange, et parler le langage de l’avarice et de l’injuste cupidité !
2. Si vous le voulez, nous laisserons de côté les choses du ciel, et nous nous entretiendrons de la terre, de sa grandeur, de sa position, de son usage, de sa nature, de ses enfantements perpétuels, de ses productions diverses, des graines, des plantes, des arbres, des fleurs, des prairies, des jardins. Mettons à part maintenant la forme de chaque arbre, son port, sa hauteur, l’odeur qu’il exhale, ses fruits, la saison où il produit, les soins qu’il réclame, et le reste ; la fertilité de certains territoires, la stérilité qu’on remarque ailleurs : car il n’y a rien d’inutile sur la terre. Ici elle produit le fer, ou l’airain, ou l’or, ou l’argent : là les aromates, ou des médicaments de toute espèce. Que dire maintenant des services que nous rendent les eaux, soit potables, soit salées, les richesses des montagnes, la variété de leurs marbres, les fontaines qui en découlent, les arbres qu’elles produisent pour la construction des maisons ? Autant de fruits du désert, ajoutez-y les animaux, les bêtes sauvages qu’il nourrit. Que dire des lacs, des fontaines, des fleuves ? De même que les femmes qui viennent d’accoucher ont en elles une source de lait pour abreuver leurs nourrissons : ainsi la terre a des mamelles d’où jaillissent des fontaines et des rivières pour arroser jardins et vergers. Et encore, il faut que l’enfant s’approche pour boire au sein de sa mère : tandis que la terre d’elle-même présente la mamelle, et son lait découle de toutes les hauteurs.
Voici encore un autre usage du désert. C’est là que le corps se maintient le mieux en santé, qu’il respire l’air le plus pur : c’est là que l’on contemple de haut tout l’univers ; qu’on se plonge dans la philosophie de la solitude, qu’on devient étranger à tous les soucis du monde. Que dire de la voix mélodieuse des oiseaux, des animaux que l’on prend à la chasse ? autre bienfait : le désert est comme un rempart pour certains pays, grâce aux montagnes élevées, aux ravins, aux précipices, dont il les environne. Parlerai-je des plantes qui y viennent, productions si utiles aux corps attaqués par la maladie ? que si telle est l’utilité des déserts et des montagnes, tels sont les services qu’ils nous rendent, dès que nous arrivons aux terres labourables et aux plaines, songez quelle carrière nouvelle va s’ouvrir à nos récits. Ainsi que dans notre corps on distingue des os, des nerfs, des chairs enfin : de même la terre offre des montagnes, des ravins, de gras territoires, et tout cela est utile. Et pourquoi parler de la terre, cet immense élément ? Prenez seulement un arbre : si vous entreprenez d’en décrire la forme, l’usage, le fruit, les feuilles, la saison, et le reste, vous aurez une tâche considérable. Prenez pour texte la situation des montagnes et tout ce qui les concerne, ou bien l’homme lui-même et la configuration de son corps voilà encore une source inépuisable de récits. Appliquons-nous donc à tous ces objets : nous y trouverons un charme infini avec beaucoup d’avantages et une incomparable sagesse. Aussi David poursuit-il, afin d’indiquer cela : « Je me réjouirai et tressaillerai d’allégresse en vous. » Suivant un autre. « Et je me glorifierai, je chanterai votre nom, Très-Haut. » Ce n’est pas une faible marque de sagesse, que de se réjouir en Dieu. Celui qui se réjouit en Dieu. Comme il faut, écarte de lui toute joie mondaine. Mais qu’est-ce à dire : « Je me réjouirai en vous ? » Avoir un tel maître, veut-il dire, voilà mon bonheur, voilà ma joie. Si quelqu’un connaît cette joie comme il faut la connaître, il devient insensible à toute autre. Car c’est cela qui est proprement la joie : tout le reste n’en a que le nom, et manque de réalité. C’est elle qui ravit l’homme, elle qui affranchit l’âme de l’esclavage du corps, elle qui lui donne des ailes pour s’envoler au ciel, elle qui l’élève au-dessus du monde, elle qui la délivre du vice : et rien de plus naturel. En effet, si ceux qui s’éprennent des corps séduisants, ne s’aperçoivent pas de ce qui se passe autour d’eux et sont tout entiers à la pensée de l’objet aimé : ainsi celui qui aime Dieu comme il convient de l’aimer devient insensible à tout ce qu’il y a de bonheur et de peine en ce monde : il est au-dessus de tout : ses délices sont éternelles comme l’objet de son amour. Ceux qui placent ailleurs leur affection s’endorment bientôt dans un oubli involontaire, quand ceux qu’ils aimaient ont perdu leurs charmes : tandis que l’amour dont je parle est infini, impérissable ; les joies en sont plus vives ; le profit en est plus grand : et le plus puissant attrait qu’il offre à l’amant, c’est qu’il ne saurait jamais finir. « Je chanterai votre nom, Très-Haut. » C’est l’usage de ceux qui aiment. Les amants chantent des chansons en l’honneur de leur bien-aimée et ils se consolent ainsi de leur absence. Ainsi fait le Prophète : ne pouvant jouir de la vue de Dieu, il compose des chansons à sa gloire ; en le célébrant, il croit se rapprocher de lui, il ravive sa propre flamme, il s’imagine le voir : ou plutôt en le chantant, en le célébrant, il communique à bien d’autres son ardeur. Car si les amants disent les louanges de leur bien-aimée, et vont colportant son nom, le Prophète à leur exemple, s’écrie : « Je chanterai votre nom, Très-Haut. »
3. Voyez comment il s’élève au-dessus de la terre, comment il suspend, pour ainsi dire, tout son être à l’Être éternel, et se consacre à Dieu. Voilà pourquoi il fait revenir si souvent ce même nom : c’est la coutume des amants.(4) « Lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière, ils affaibliront et périront devant votre face. » Suivant un autre : « Quand mes ennemis se seront retournés en arrière, auront échoué et péri devant votre face. » Ceci encore est une grande marque d’amour, que d’énumérer sans cesse les bienfaits qu’on a reçus et de s’y complaire : C’est l’affection qui produit cela, et l’affection même en est redoublée. On ne se tromperait pas en disant qu’il s’agit ici d’ennemis invisibles. Ceux-là, en effet, entrent eux-mêmes en déroute, quand ils ont trouvé une âme courageuse. Un javelot qui tombe sur un bouclier, le brise, s’il est faible, reste impuissant et s’émousse si la surface est dure et résistante. Il en est ainsi de l’âme. Si les traits du diable la trouvent faible et incapable de résistance, ils pénètrent jusqu’au fond. Si au contraire elle est dure et solide, l’assaillant se retire sans avoir rien fait, sans que l’âme ait éprouvé aucun dommage : De là deux, ou plutôt trois avantages : l’âme n’a point pâti, elle s’est même fortifiée : enfin le diable s’est affaibli. Considérez maintenant comment le Psalmiste proclame la puissance de Dieu. « Ils s’affaibliront », dit-il, « et périront devant votre face… » Ici encore, que ce mot visage ne vous représente rien de corporel. David n’entend parler que de l’action, de la manifestation divine, et de la facilité avec laquelle elles s’opèrent. C’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Celui qui regarde sur la terre et qui la fait trembler. » Son regard suffit à lui seul pour la perte des méchants. En effet, si la présence des saints affaiblit l’empire des démons, il doit en être de même, à plus forte raison, de la présence de Dieu… Si son éclair en brillant répand partout la terreur, songez comment bon éternelle puissance doit épouvanter, perdre les méchants. Voyez-vous le caractère de ces hymnes ? Voyez-vous la nature de ces hommages, et comment David raconte la puissance de Dieu ? Un dogme important est renfermé jusque dans ces mots : « Je chanterai votre nom, Très-Haut, lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière. » Qu’est-ce donc que cela prouve ? Que David était sage non seulement dans la détresse, mais encore dans la tranquillité… L’humiliation que causent les maux a pour effet de rendre beaucoup d’hommes plus vertueux. Le bonheur au contraire les rend plus négligents et plus mous : Voyez ce qu’il dit plus loin des Juifs : « Lorsqu’il les tuait, c’est alors qu’ils le cherchaient. » (Ps. 77,34) II n’en est pas ainsi de notre juste : même dans la prospérité il reste sage et vigilant, Ce qui n’est pas sans importance poux la religion. « Car vous m’avez rendu justice. » Suivant un autre : « Vous avez jugé en ma faveur. Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. « Vous avez repris les nations, et l’impie a péri. » Un autre dit : « Vous avez fait périr, vous avez effacé son nom pour les siècles des siècles. » Admirez encore la sagesse de David : Il ne se venge pas lui-même de ses ennemis, il se repose sur Dieu du soin de faire justice, conformément au précepte apostolique : « Ne se vengeant pas les uns des autres. » (Rom. 12,19) Mais il y a autre chose encore à remarquer : c’est qu’il était victime d’une injustice. En effet, s’il n’y avait pas eu d’injustice, Dieu n’aurait point puni. « Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. » Il emploie ici le langage humain : de là ces mots : trône et s’asseoir. Quand à cette expression : « Vous qui jugez selon la justice », elle indique la coutume de Dieu et le privilège de son essence. En parlant des hommes ce langage serait déplacé. Quelque justes qu’ils puissent être, ils ne jugent pas selon la justice, tantôt par ignorance, tantôt parce qu’ils négligent de rechercher ce qui est juste. Mais Dieu, qui est exempt de toutes ces imperfections, Dieu qui connaît la justice et veut l’accomplir, juge selon la justice. Par ces mots : « Vous vous êtes assis sur votre trône », entendez : Vous avez jugé, vous avez puni, vengé. « Vous avez repris les nations, et l’impie a péri. » Vous voyez que Dieu n’a pas besoin d’armes, d’épée, de flèches, de traits : toutes ces expressions qu’on a vues plus haut sont empruntées au langage humain : il suffit à Dieu de reprendre, et les coupables qui doivent être punis périssent. – Ce qui suit est propre encore à vous faire comprendre sa puissance : Vous avez effacé leur nom pour les siècles des siècles. Vous les avez exterminés, ruinés de fond en comble, anéantis de telle sorte que leur souvenir même a disparu. « Les épées de l’ennemi ont perdu leur force pour toujours. » Un autre dit : « Les ruines. » Le texte hébreu porte « Arboth. » Et « vous avez détruit leurs villes. » Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’après avoir frappé d’impuissance leurs projets et leurs machinations, vous leur avez enlevé jusqu’à leurs propres armes Voilà ce que c’est que la colère de Dieu : Elle fait disparaître et détruit tout. Ou encore, selon un autre interprète : « Les déserts. » C’est-à-dire : vous n’avez pas seulement ruiné les villes, vous avez anéanti jusqu’aux déserts. C’est ainsi que notre juste faisait la guerre : il ne tuait pas ses ennemis avec des armes, avec des javelots : Il n’avait d’autre arme que la protection divine. Aussi cette guerre le couvrit-elle de gloire, aussi la victoire couronna-t-elle ses efforts. « Sa mémoire a péri avec bruit. » Un autre dit : « Avec eux ; » le texte hébreu est « Em. » Que signifie cela : « Avec bruit. » Il veut indiquer soit une extermination générale, soit les cris de douleur des victimes. – Et c’est encore une marque de la sollicitude divine, de ne pas faire ces choses en secret, de telle sorte que le malheur des uns corrige les autres. Le Psalmiste a donc en vue la notoriété de ce désastre.
4. « Et le Seigneur subsiste éternellement. » Suivant un autre : « Sera assis. » Souvent on désigne ainsi sa permanence : de même Jérémie : « Vous qui êtes assis pour l’éternité. » (Bar. 3,3) Le texte hébreu donne ici « Jéseb. » Le Prophète revient toujours sur cette idée à propos des hommes qui périssent : il montre par là que l’essence de Dieu est éternelle, que si l’espèce humaine est éphémère, Dieu et sa grandeur sont impérissables. Il agit ainsi afin de nous alarmer, de nous inspirer, pour ainsi dire, un double effroi, en nous représentant d’une part la grandeur de la gloire divine, de l’autre l’imperfection de notre propre nature, devant celui qui ne meurt pas, et dont la justice est formidable. Que si nous trouvons ici quelque figure, il ne faut pas nous refuser à la voir. Il y a des textes qui appellent la méditation ; il y en a d’autres qu’il ne faut pas prendre autrement qu’à la lettre, par exemple : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. ».D’autres répugnent à l’interprétation littérale, comme celui-ci. « Que la biche de votre amitié et le poulain de vos bonnes grâces vivent familièrement ; avec vous. » (Prov. 5,19) Et encore : « Que ce que vous avez soit à vous seul, et qu’aucun étranger ne le partage avec vous. Que la source de votre eau soit à vous seul. » (Id. 17-18) Si en examinant ce texte, vous ne fuyez pas la lettre, pour vous attacher à l’esprit, ce n’est plus qu’un précepte d’inhumanité, une recommandation de ne donner d’eau à personne : mais il s’agit ici de l’épouse : l’écrivain sacré nous prescrit de vivre chastement avec notre femme : et ces noms de source et de biche font allusion à la pureté de l’union conjugale. Voilà pour ce qui regarde ce passage : ailleurs il faut tenir compte et de la lettre et de l’esprit. Exemple : « Comme Moïse a élevé le serpent. » (Jn. 3,14) En effet, il faut voir dans ce passage à la fois l’expression d’un fait qui arriva réellement, et un emblème pour désigner le Christ. De même ici l’on ne se tromperait pas en appliquant aux Juifs les paroles du Psalmiste : « Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. Vous avez repris les nations, et l’impie a péri vous avez effacé son nom pour l’éternité, et pour les siècles des siècles. Les épées de l’ennemi ont perdu leurs forces pour toujours ; et vous avez détruit leurs villes. Leur mémoire a péri avec bruit. » Car ceux qui ont crucifié le Christ ont vu eux-mêmes leur malheur divulgué par toute la terre, leurs villes ont été détruites, les artifices du diable ont perdu leur force, déjoués par la sollicitude du Christ. Mais laissons les esprits studieux compléter ce rapprochement, et poursuivons notre sujet. « Il a préparé son trône dans le jugement. » Un autre dit : « Il a assis pour le jugement. » « Et lui-même jugera le monde avec justice, jugera les peuples avec droiture. » Voyez-vous comment son langage s’élève peu à peu ? Après avoir fait mention du trône, il en fait connaîtra la nature : ce n’est pas un trône de planches, ni de toute autre matière ; c’est un trône de justice, fondé sur la justice. « Il jugera le monde avec justice. » Il parle à la fois pour le présent et pour l’avenir. Le jugement général est réservé pour l’autre monde ; mais le jugement particulier commence ici même. Il porte dans le présent même de nombreux effets, afin que les insensés ne puissent révoquer en doute l’existence d’une Providence. Que si tous ne reçoivent pas ici-bas leurs couronnes, ne vous en étonnez pas. Car Dieu « a préparé un jour, dans lequel il doit juger la terre. » (Act. 17,31) Ce monde-ci n’est que le stade, la carrière, l’arène. Voilà pourquoi tous ne sont pas rétribués selon leur mérite, pourquoi les récompenses, les supplices attendent là-haut le mérite et la faute ici-bas, support et longanimité, afin que nous puissions expier nos péchés par le repentir mais là-haut, il n’en est pas de même ; tant qu’un meurtrier est libre de ses démarches, il est maître de s’amender et de se dérober au châtiment ; mais une fois qu’il est tombé sous la sentence du juge, c’est le tour du glaive, du bourreau, du gouffre fatal. Il en est de même ici. Tant que nous sommes dans la vie présente, il nous est possible d’échapper au châtiment par la conversion : mais une fois partis pour l’autre séjour, nos gémissements seront inutiles : « Il a préparé son trône dans le jugement. » On peut, sans faire erreur, prendre à la lettre cette expression : « Il a préparé : » en effet tout est préparé, et les supplices, et les couronnes, et la sentence. Il n’y a ni retard, ni répit, ni délai auprès de Dieu, puisque les vivants ne devanceront pas ceux qui sont endormis : « Nous les vivants », dit Paul, « nous qui restons pour la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui seront endormis. » (1Thes. 1,16) Considérez la sagesse du Prophète : voyez comment il parle à la fois de l’avenir et du présent. Du présent : « Vous avez repris les nations et l’impie a péri. » De l’avenir : « Il a préparé son trône dans le jugement. Et lui-même jugera le monde avec justice. » C’est afin de convaincre par le présent ceux qui ne croient pas aux choses de l’autre vie « Et le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre. » Suivant un autre : « pour l’opprimé ; » suivant un autre : « pour l’affligé. » Il ne cesse de s’appeler pauvre et mendiant bien qu’il habite un palais. De même ailleurs : « Je suis pauvre et mendiant. » (Ps. 39,18) II savait, en effet, il savait bien que les choses humaines ont moins de consistance qu’une ombre, et rien ne nous appartient en propre autant que la vertu, que tout le reste ressemble aux feuilles, et n’est qu’extérieur. Que la vertu est une chose qui nous est propre, en voici la preuve. De quelque côté que nous portions nos pas, elle nous suit : il n’en est pas ainsi des autres biens. La vertu, voilà donc notre vraie propriété ; le reste ne nous touche pas d’aussi près. – De même que nous appelons intime l’ami qui ne nous quitte point : de même nous nommons la vertu un bien plus intime que les richesses, en tant qu’elle ne s’éloigne jamais de nous.
5. Contemplez maintenant la gratitude et la sagesse de David. Il a des chevaux, des armées, des moyens de défense innombrables : mais il oublie tout cela et ne s’occupe que d’attirer sur lui la grâce d’en haut, et c’est à Dieu qu’il fait honneur de son propre salut. Il ne dit pas : mes armées, mes trésors, mes remparts ont été mon refuge, mais bien : « le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre. » C’est lui qui m’a mis en sûreté : car rien n’égale un pareil recours, ni pour la facilité ; ni pour les garanties qu’on y trouve. Les autres refuges peuvent nous être ravis par la ruse, nous ne sommes pas sûrs de les trouver à notre portée ; le temps, le lieu, mille circonstances peuvent nous en fermer l’accès : mais celui-là est tout près de nous ; il suffit de le chercher avec diligence. « Quand vous parlerez encore, je dirai : me voici. » (Is. 58,9) « C’est Dieu, c’est moi qui arrive : Dieu n’est plus éloigné. » (Jer. 23,23) Nous n’avons donc pas besoin de courir ou de nous absenter sans quitter notre demeure, il ne tient qu’à nous de nous procurer ce refuge. Et tantôt il nous sauve du péril ; tantôt il ajoute à notre gloire, il nous rend plus puissants que nos ennemis, et tout cela au moment opportun. Car, lorsque ceux qui en sont favorisés savent rester dans la modération, ces deux grâces sont octroyées. Si au contraire ce mérite reste imparfait en eux, la faveur n’est pas doublée ; car autrement ils tomberaient dans l’orgueil. Pour vous citer un des nombreux exemples de cet enivrement, Ézéchias s’y laissa emporter : Dieu néanmoins ne l’abandonna pas : mais lorsque son Heureuse victoire eut enflé son cœur, Dieu le corrigea au moyen de la maladie. « Secourable dans les bons moments, dans les tribulations. » Qu’est-ce à dire « dans les bons moments ? » C’est-à-dire dans les moments opportuns. En cela il considère deux choses : le secours donné par Dieu et l’opportunité de ce secours. Car « bons moments » signifie ici les moments d’affliction. Comment expliquer cela ? C’est que l’affliction est la mère de la sagesse, qu’elle sauvera l’homme de la mort et que rien n’est plus propre à attirer la grâce de Dieu. Elle guérit de la mollesse et du relâchement ; elle rend les prières plus ferventes. Et de même que l’hiver est une bonne saison pour labourer la terre, de même l’affliction est propice pour la culture de l’âme. En effet, si nous avons toujours besoin du secours de Dieu, même au sein des prospérités ; nous en avons besoin surtout, lorsque nous sommes dans l’affliction. « Secourable. » Dans ce mot est impliquée encore une autre idée. C’est que nous devons, nous aussi, prendre de la peine. On ne secourt que ceux qui travaillent eux-mêmes. Il ne faut donc pas nous laisser abattre, mais prier, répandre l’aumône, faire en un mot tout ce qui dépend de nous. En guerre aussi on ne porte secours qu’à ceux qui combattent, et non aux lâches et aux fainéants. Par conséquent, si vous voulez obtenir l’assistance de Dieu, ne trahissez jamais votre devoir. C’est de cette façon que Job obtint du secours, en restant debout, en luttant. De même les apôtres, en déployant de l’activité. « Et qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom. » Suivant un autre : « Et ils se fieront à vous. » Telle est la marche constante du Prophète ; de la prière il passe à l’exhortation ; comme le Précepteur commun de l’univers, il ouvre à tous le trésor de la sagesse. Il dit bien : « qu’ils espèrent, ceux qui connaissent votre nom. » Ceux qui vous connaissent veut-il dire, ceux qui savent ce que vaut votre assistance, ceux-là s’attachent à l’espoir en vous comme à une ancre solide. En vous, dis-je, allié tout puissant, inexpugnable à tous ; à vous, qui non seulement leur promettez la guérison de leurs maux, mais ne permettez pas même qu’ils soient troublés de leurs épreuves actuelles. Car celui qui est affranchi des pensées humaines, celui qui place là-haut toutes ses espérances, celui-là non seulement appelle sur lui une prompte délivrance, mais jusqu’au sein du malheur, il n’est ni troublé, ni déconcerté, parce qu’il trouve un secours dans sa confiance en cette ancre éternelle. C’est ainsi que les trois enfants, non seulement furent tirés de la fournaise, mais dans la fournaise même ne sentirent aucun trouble, car ils étaient assurés de la protection divine. De là cette variante « Et ils se fieront en vous », c’est-à-dire, ils auront confiance.
En effet, la sécurité qu’inspire une pareille espérance est bien plus forte que la tyrannie des souffrances. Car ce sont là des choses humaines, tandis que l’espoir en Dieu est un secours divin et irrésistible. Après avoir dit que Dieu est venu à notre secours, qu’il a été notre refuge, le Psalmiste montre comment cela se fait. Comment donc alors fait-il ? C’est quand nous persévérons dans notre espérance en Dieu. Que s’il ne fait pas cesser sur-le-champ vos maux, c’est afin de vous éprouver. De même qu’il pourrait ne pas souffrir les attaques de vos ennemis, et qu’il les soutire néanmoins, afin de vous fortifier : de même, pouvant vous délivrer tout d’abord, il remet, il diffère, afin d’accroître votre fermeté, d’exercer votre espérance, de rendre plus fort votre attachement à son égard ; il ne permet pas que nous soyons toujours affligés, car nous nous lasserions ; ni toujours en repos, car nous tomberions dans le relâchement. « Parce que vous n’avez pas abandonné ceux qui vous cherchent, Seigneur. » Suivant un autre : « Car vous n’avez pas abandonné. » Un autre dit pareillement : « Considérez les anciennes générations et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu ; ou qui l’a invoqué : et a été abandonné de lui ? » (Sir. 2,11-12) Et comment, dira-t-on, chercher Dieu qui est partout ? Par le zèle, l’ardeur, le détachement de toutes les choses mondaines. Souvent nous croyons éloigné ce qui est sous nos yeux, entre nos mains, et nous cherchons par tout ce que nous tenons, pour que notre esprit soit distrait.
6. Comment donc peut-on chercher Dieu ? Il suffit de tenir notre pensée dirigée vers le ciel, et d’être détaché des choses mondaines. Celui qui cherche, après avoir chassé toute autre préoccupation de son âme, arrive auprès de ce qu’il cherche. – Et ce n’est pas assez de chercher, il faut encore rechercher. L’homme qui recherche ne se borne pas à chercher lui-même, il a recours à l’assistance d’autrui, afin de trouver ce qu’il cherche. Mais quand il s’agit de choses mondaines, nous cherchons souvent sans trouver : cela n’est pas possible, quand il s’agit de choses spirituelles : il est alors de toute nécessité de trouver, dès que l’on cherche. Pour peu que nous nous mettions en quête, Dieu ne permet point que nous nous fatiguions : c’est pourquoi il dit : « Quiconque cherche trouve. » (Mt. 7,8) « Chantez le Dieu qui habite Sion. » Un autre dit : « Qui siège. Annoncez parmi les nations ses conseils. » Suivant un autre : « Parmi les peuples ses actes. » Qu’est-ce à dire ? Celui qui a pour trône le ciel, et la terre pour escabeau, celui qui tient dans sa main les confins de la terre, celui-là habite Sion. Oui ; car ici habiter n’implique point l’idée d’être renfermé, (la grandeur de Dieu est illimitée), mais la prédilection du Seigneur pour cet endroit, et la résidence qu’il y fait d’ordinaire afin de s’attacher les Juifs par cette condescendance ; de même nous appelons habitation l’endroit où nous séjournons de préférence. Et si l’on dit que Dieu habite parmi nous, ce n’est pas à dire qu’il soit enfermé dans cette enceinte, c’est indiquer seulement l’attachement particulier qui l’unit à nous. Sion est ici une figure de l’Église. « Car vous êtes venus vers la montagne de Sion et l’Église des premiers-nés. » (Héb. 12,22-23) Et en effet, c’est bien une montagne que l’Église si l’on considère sa durée, sa solidité inébranlable. Car il n’est pas plus possible d’ébranler une montagne que l’Église de Dieu. « Annoncez parmi les nations ses conseils. » Il veut que nous soyons les hérauts des bienfaits de Dieu et que jamais nous ne laissions ses grâces dans l’ombre. Et voilà ce qu’il cherche partout, tant dans l’intérêt de ceux qui prendront la parole que dans celui de leurs auditeurs. Car les premiers y trouveront leur avantage, et les seconds aussi, s’ils prêtent attention. « Parce que celui qui venge les meurtres s’est souvenu d’eux. » – Voyez-vous de quels conseils il parle ? De conseils bienfaisants. De plus, il y a ici une allusion à un dogme important : c’est que le meurtre n’est jamais commis impunément ; que de toute façon il est puni ; ce qui résulte déjà de ces paroles de Moïse dans la Genèse : « Je vengerai votre sang. » (Gen. 9,5) C’est une marque de l’infinie Providence, de son infatigable sollicitude. – Si elle ne venge point le crime sur-le-champ, ne vous en étonnez pas ; c’est afin de donner aux coupables le moyen de se repentir. « Il n’a pas oublié le cri des pauvres. » (Rom. 2,4) – Encore les pauvres en honneur. D’ailleurs il ne s’agit point ici des pauvres absolument, mais de ces pauvres d’esprit dont parle le Christ. – En effet, ceux dont la prière est le mieux exaucée, ce sont les humbles de cœur, ceux qui sont contrits. – Il y a deux choses ici : la prière et l’humilité. « Sur qui porterai-je mes regards », est-il écrit, « sinon sur l’humble, sur l’homme de paix, sur celui qui tremble devant mes paroles ? » (Is. 66,2) Et partout on voit que l’humilité est comme un véhicule pour la prière. Car le Christ est près de ceux qui ont le cœur contrit. – L’orgueil est donc ce que doit fuir avant tout l’homme qui prie, suivant la recommandation de Paul : « Sans colère et sans discussion. » (1Tim. 2,8) – David le dit bien : « Le cri des pauvres. » Ce cri n’est pas une élévation de la voix, pois bien une disposition de l’âme. En disant : « il n’a pas oublié », le Psalmiste fait voir que les prières étaient continuelles, et qu’elles n’avaient pas été exaucées tout d’abord. Le sens est donc celui-ci : N’allez pas croire que Dieu vous a oubliés et que c’est polir ce motif qu’il ne vous a pas vengés : car il lui appartient de rechercher les choses de cette sorte, même avant qu’on l’en prie : à plus forte raison, quand on l’en prie, et que la prière est humble. « Ayez pitié de moi, Seigneur, voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. » (Id. 11) « Vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je proclame vos louanges aux portes de la fille de Sion. » Un autre traduit : « Votre glorification. » Un autre : « Vos éloges. » – Voyez comme il est constamment fidèle à la prière. Délivré de ses épreuves, en sûreté désormais, il ne cesse point pour cela de prier, de dire : « Ayez pitié de moi », d’invoquer Dieu pour l’avenir. En effet, nous avons toujours besoin de la Providence, et plus que jamais à la fin de nos maux. Car alors commence une nouvelle guerre plus terrible que la première, celle que nous livrent la paresse et l’orgueil : et le diable souffle alors avec plus de violence. C’est donc principalement quand nos maux sont finis que nous avons besoin de l’assistance divine, afin de supporter comme il faut la prospérité. Délivrés des Égyptiens, les Juifs eurent à lutter contre deux ennemis redoutables, l’orgueil et la nonchalance. C’est alors surtout que la mort les décima, parce qu’ils ne savaient pas se diriger dans leur marche. Incapables de résister à la gourmandise, aux convoitises vulgaires, imitateurs des passions des Égyptiens, ils se perdirent par là. De même David, une fois délivré des maux que lui avaient causés Saül et ses autres ennemis, une fois en repos, eut à soutenir une autre guerre plus rude contre la concupiscence, qui fut pour lui un bourreau encore plus cruel. – Ainsi donc nous ne devons jamais éprouver autant de crainte, qu’une fois délivrés de nos maux.
7. Une bête féroce ne nous cause pas autant d’effroi quand elle est attachée, que lorsqu’elle est en liberté ; de même, ce n’est pas dans l’affliction que nous devons principalement craindre le vice ; car alors il est enchaîné par la douleur et d’autres liens encore ; c’est après la délivrance que notre crainte doit être le plus vive. Aussi verrez-vous souvent les prospérités engendrer de plus grands maux que l’adversité même. Le trophée d’Ézéchias ne fut que le signal de sa perte. Voilà pourquoi David dit ailleurs : « C’est un bonheur pour moi que vous m’ayez humilié. » (Ps. 118,71) Même après la délivrance il sollicite encore la miséricorde, et se fait de ses maux passés un titre à la compassion. « Voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. » Voici maintenant un autre titre : « Vous qui me relevez des portes de la mort. » Je me réfugie auprès de mon maître, de mon patron, de celui qui ne cesse de me tendre la main. Voyez-vous comme, en priant pour l’avenir, il se montre reconnaissant du passé, insiste sur le double bienfait qu’il a reçu. Car il ne se borne pas à dire : Vous qui me délivrez des portes de la mort, mais « Vous qui me relevez. » Le bienfait de Dieu ne se bornait pas à une délivrance ; ceux qu’il avait sauvés devenaient admirables, glorieux, illustres. S’il ne dit pas : de la porte, mais « Des portes », c’est pour montrer l’étendue du danger. « Afin que je proclame toutes vos louanges aux portes de la fille de Sion. » Ce qu’il a prescrit aux autres de faire, il le fait lui-même : « Annoncez », dit-il plus haut, « parmi les nations ses conseils. » C’est ce que je vais faire à présent, et je ne me bornerai pas à le faire en présence d’une, de deux, de trois personnes, mais publiquement. « Je serai transporté d’allégresse, à cause du salut que vous m’avez procuré. » Voilà ma couronne, voilà mon diadème ; être vainqueur par vous, par vous sauvé. À son exemple ne cherchons pas à être sauvés d’une façon quelconque, à être tirés de danger par le premier moyen venu ; demandons à Dieu d’être notre libérateur. J’insiste là-dessus, à cause des incantations auxquelles recourent quelques personnes contre les maladies, aux sortilèges dont elles font usage pour soulager leurs infirmités. Ce n’est pas là se sauver, mais se perdre. Le vrai salut ne procède que de Dieu. « Les nations sont restées prises au piège de perdition qu’elles avaient tendu. » Un autre dit : Se sont enfoncées. Par ce mot perdition, il entend le vice ; car il n’y a point un pareil principe de perte. Rien n’est plus faible que le méchant. Il périt par ses propres armes, comme le fer par la rouille et la laine par la teigne. Ainsi donc, avant que Dieu lui-même ait frappé, l’artisan d’iniquité est déjà puni par son injustice même. Après s’être étendu sur la justice d’en haut et le secours divin, attendu que ce secours n’arrive pas sur-le-champ, mais tarde souvent à se manifester, et que ce retard produit chez beaucoup d’hommes de la négligence, le Psalmiste montre que le châtiment n’est pas loin, et que les méchants le subissent de la façon qu’indique Paul en disant : « Et recevant en eux-mêmes la rétribution due à leur égarement. » (Rom. 1,27) Considérez la justesse des expressions. « Elles sont restées prises » c’est-à-dire elles ont été arrêtées par la force ; elles sont tombées dans un piège d’où elles ne sauraient s’échapper. Et ensuite : « Leur pied est demeuré captif dans le filet qu’elles avaient caché. » Les méchants sont pris dans des chaînes qu’ils ne peuvent briser. C’est ce qu’on a vu se réaliser pour les apôtres et les Juifs. Quand les Juifs faisaient la guerre aux apôtres, ils ne leur causaient aucun dommage, tandis qu’ils attiraient sur leur propre tête des maux innombrables, l’exil, l’esclavage, la perte de tous leurs biens la prédication ne faisait que se répandre, tandis que les conspirateurs succombaient. Ceux qui jetèrent les trois enfants dans la fournaise de Babylone y furent enfermés à leur tour ; et la même chose arriva pour Daniel. Mais pour Daniel cela se conçoit, car c’étaient eux qui l’avaient mis dans la fournaise. Mais comment expliquer, en ce qui regarde les trois enfants, victimes du roi seul, que ceux qui se tenaient debout devant la fournaise aient été punis de la sorte ? C’est parce que ces malheureux avaient obéi à l’ordre du tyran, et adoré la statue d’or. « Dans le filet qu’elles avaient caché. » Voyez comment il montre tout ce que leur conduite avait d’odieux. Leur action étant infâme, ils la cachent, ils essayent d’échapper aux regards. « On connaît le Seigneur, quand il exerce ses jugements. » (Id. 17) Suivant un autre : « On a connu quand il eut exercé : » en d’autres termes quand il punit, venge, châtie. Autre bienfait attaché à la punition, non seulement elle rend meilleurs ceux qui la subissent, mais encore elle fait briller la lumière de la doctrine, et rien n’est plus propre à convaincre les hommes que Dieu s’occupe de leurs intérêts. Quand Jésus permit que le troupeau de porcs fût précipité et englouti dans la mer, l’admiration fut plus grande que jamais. Il en est de même pour les Juifs de l’Ancien Testament. « Lorsqu’il les faisait périr, c’est alors qu’ils le recherchaient (Ps. 77,34) », pour parler comme le Prophète. Et pourquoi donc Dieu n’a-t-il pas recours plus souvent à ce moyen ? Parce qu’il veut que la vertu soit un fruit du libre arbitre plutôt que de la contrainte, des bienfaits plutôt que des punitions. Mais ne vaut-il pas mieux, dira-t-on, être bon par nécessité que méchant par un libre choix ? Il n’est pas possible d’être bon par nécessité. Celui qui est honnête parce qu’il est enchaîné, ne sera pas toujours honnête ; une fois mis en liberté, il retournera à ses habitudes perverses ; au contraire, celui qu’une bonne éducation a rendu honnête, demeure inébranlable. « Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. » Non pas des mains de Dieu, de celles du pécheur.
8. Voyez-vous comment il varie son discours en faisant intervenir tantôt la vindicte céleste, tantôt le châtiment infligé par le vice lui-même. D’abord la vindicte céleste : « On connaît le Seigneur quand il exerce ses jugements. » Ensuite le châtiment infligé par le vice : « Les nations sont restées prises dans le piège de perdition qu’elles avaient tendu. » Et voici qui regarde encore la punition de la perversité par elle-même : « Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. » N’allez donc pas croire que vous préparez la ruine du prochain quand vous complotez contre lui c’est pour vous-mêmes que vous tressez vos filets. « Chant, hommage perpétuel. » Suivant d’autres : « Cri perpétuel, mélodie sans fin. » En hébreu : « Eggaon sel. » Que les pécheurs « soient précipités dans l’enfer, et toutes les nations qui oublient Dieu. » (IX, 18) Suivant un autre : « S’en iront. » Il insiste sur le même sujet, continuant à montrer que le châtiment est étroitement uni au vice, que l’impiété engendre la mort, et le péché, les périls. « Parce que le pauvre ne sera pas oublié jusqu’à la fin : la patience des pauvres ne périra pas pour toujours. » (Id. 19) Un autre interprète dit : « Car l’attente des hommes de paix ne sera pas oubliée jusqu’à la fin. » Remarquez cette expression : « Jusqu’à la fin » elle nous montre qu’on ne reste pas toujours en quête du repos. Que deviendrait la patience, si l’on devait demeurer dans un repos continuel ? Voici le sens de ses paroles : Les méchants seront punis et subiront les peines les plus rigoureuses. Car Dieu ne souffrira pas que les opprimés soient toujours en butte aux persécutions. Par là, il console les uns, il fait peur aux autres : il fait voir la bonté de Dieu manifestée jusque dans ce retard qui éprouve les uns et provoque les autres à la pénitence. – Nouvel honneur pour les pauvres : non pas les pauvres, au sens propre du mot, mais les hommes qui ont le cœur contrit. Car ce sont eux qui sont le plus capables de résignation. Ou plutôt ces deux choses se prêtent une mutuelle assistance ; l’humilité confirme la patience, la patience confirme l’humilité. Que si l’on vient nous dire : Et comment l’humilité est-elle une espèce de pauvreté ? nous répondrons : en tant qu’elle offre plus de facilité pour être vertueux. Le riche s’étourdit, perd le sang-froid. Le pauvre supporte toutes les épreuves sans se plaindre, comme un athlète exercé depuis longtemps dans le gymnase de la pauvreté. Aussi le Christ disait-il, qu’il est malaisé à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. Qu’est-ce à dire : « La patience des pauvres ne sera point perdue jusqu’à la fin ? » C’est-à-dire, que jamais elle ne périra, que de toute manière elle recueillera le fruit qui lui appartient. Il n’en est pas ainsi dans les choses mondaines, souvent le résultat nous trompe, et nos peines sont perdues. Le laboureur attend, le marchand de même mais souvent les intempéries frustrent l’un et l’autre du fruit de ses travaux. En Dieu, rien de pareil : le résultat est toujours assuré. Et ce n’est pas un faible motif de consolation que cette confiance inébranlable dans l’issue. « Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne se fortifie pas. » Un autre dit : « Ne s’enhardisse pas. Que les nations soient jugées en votre présence. » Suivant un autre : « Devant votre face. » Il a parlé de la méchanceté qui possède la plupart des hommes, il a fait connaître leur perversité, leurs rapines, leurs injustices, leurs homicides. Maintenant il invoque Dieu au secours des opprimés. Tel est le cœur des saints. Ils ne songent pas seulement à eux-mêmes : comme si le monde entier n’était qu’une maison, et le genre humain qu’une seule personne, ils ne cessent d’invoquer Dieu pour tous. « Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne se fortifie pas. » Qu’est-ce à dire : « Levez-vous, Seigneur ? » Vengez, secourez, punissez les persécuteurs. La simplicité des expressions est remarquable ici : « Levez-vous, que l’homme ne se fortifie pas. » C’est pour indiquer le peu que nous sommes, créatures de boue, cendre et poussière. » Que les nations soient jugées « en votre présence. » C’est-à-dire qu’elles soient punies de leurs péchés. La longanimité ne les a point corrigées : demandez-leur compte de leurs iniquités. « Établissez, Seigneur, un juge sur eux ; que les nations connaissent qu’ils sont hommes. » « Chant prolongé. » Suivant un autre : « Toujours. » Qu’est-ce à dire : « Établissez un juge sur eux ? » Puisqu’ils agissent comme des hommes sans loi, qu’ils ne veulent pas expier, punissez-les, châtiez-les désormais au lieu de les avertir. C’est ce qu’un autre exprime en disant : Mettez, Seigneur, un sujet d’effroi parmi eux. Considérez comment ce n’est pas leur punition qu’il cherche, mais leur correction, leur amendement, la fin de leurs iniquités. Ils seront châtiés, dit le Psalmiste, au lieu d’être avertis ; ce n’est pas seulement dans leur intérêt, c’est encore pour les autres. Et pour que vous entendiez quel avantage et quel remède il en résulte, écoutez la suite : « Que les nations connaissent qu’ils sont hommes. » Le sens est celui-ci. Beaucoup d’hommes perdent jusqu’à la conscience de leur nature, tombent dans le délire, se méconnaissent eux-mêmes. Et c’est bien à propos qu’il ajoute : « Toujours », afin de montrer que ce n’est pas seulement dans les infortunes, mais encore, dans les prospérités. Riais si vous les châtiez maintenant, en proie à de vives alarmes, et pleins du souvenir de leur peine, ils conserveront désormais la conscience de leur nature jusqu’au sein de la prospérité.
9. Voyez-vous comment il prie pour eux, pour la guérison de leur folie ? En effet, s’ignorer soi-même, c’est la pire des folies, et des frénésies. Ce dernier mal ne provient que de la nécessité : mais l’autre est le fait d’une volonté corrompue. « Pourquoi, Seigneur, vous êtes-vous retiré au loin, et me négligez-vous dans le temps de mon besoin et de mon affliction ? » Ainsi parle le Prophète il supplie Dieu et l’invoque au nom des affligés ; ce n’est pas un reproche, à Dieu ne plaise ! Beaucoup d’affligés demandent le jugement avant que l’heure en soit arrivée c’est ainsi que ceux qu’on ampute, avant que l’opération soit terminée, conjurent le médecin de retirer le fer : prière que leur arrache, contre leur intérêt, l’impossibilité d’endurer plus longtemps leurs souffrances. Souvent on les entend crier au médecin : vous me torturez, vous me tuez, vous me faites mourir. Mais ce n’est pas l’intelligence qui parle ainsi, c’est la douleur. Ainsi parlent dans les afflictions beaucoup d’hommes pusillanimes, incapables de supporter la douleur. Sophonias touche ce point quelque part. Mais c’est dans le. Nouveau Testament, et alors les épreuves étaient modérées : la sagesse est encore loin de ce qu’elle devait être dans le Nouveau. « Tandis que l’impie s’enfle d’orgueil, le pauvre se consume ; ils sont trompés dans les pensées dont leur esprit est occupé (qu’ils soient trompés, suivant un autre). Car le pécheur est loué dans « les désirs de son âme et le méchant est béni. Le pécheur a irrité le Seigneur. » Le Prophète qui a pris la posture d’un suppliant, qui prie Dieu pour les opprimés, indique aussi les souffrances causées par la faiblesse humaine : jusqu’au châtiment, jusqu’au supplice, l’opprimé souffre, ne pouvant se résigner au bonheur du méchant. Et ceci même est un douloureux supplice. Il demande donc que les méchants soient punis, que leurs complots se retournent contre eux et il fait mention d’une intolérable espèce de vice : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme. » Des choses dont on devrait rougir, devant lesquelles il faudrait se voiler la face, leur attirent des éloges, de l’admiration. Et quel moyen de guérison reste-t-il désormais, dès que le vice est comblé de louanges ? Nous voyons la même chose autour de nous. On vante l’une à cause de sa puissance ; un aulne à cause de la vengeance qu’il tire de ses ennemis ; un autre pour l’habileté avec laquelle il sait s’enrichir aux dépens de tout le monde. Quand il se perd, on dit qu’il s’y retrouve. Les éloges ne manquent à aucun talent de ce genre : mais des qualités spirituelles, il n’eu est pas question. Nulle part vous n’entendrez louer avec empressement l’homme désintéressé, le pauvre volontaire on exaltera au contraire l’homme d’argent, l’usurier, le courtisan, celui qui s’abaisse à des emplois serviles pour un lucre méprisable. Voilà ce qui fait gémir le Prophète : c’est que le vice triomphe au point de s’étaler, d’avoir son franc parler, et, ce qui est pis, de ne pas rougir : que dis-je ? Ce n’est pas lui seulement qui se vante de ses démarches : il trouve encore des flatteurs autour de lui. Quelle plus détestable folie ? « Le pécheur a irrité le Seigneur. » Suivant un autre : « Parce que l’homme injuste s’étant félicité des désirs de son cœur, et l’avare les ayant bénis, ont irrité le Seigneur. Quand sa colère s’est élevée, il ne recherche plus. » Un autre dit : « Parce qu’il a chanté dans la passion de son âme, et que l’avare ayant béni, a offensé le Seigneur. Un impie dans l’enivrement de son cœur ne recherche plus. » Les Septante traduisent : « Le pécheur a irrité le Seigneur dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas. » Voyez-vous à quel excès en est venue leur perversité ? Pourquoi parler de l’affliction que cela cause aux pauvres ? Dieu même en est irrité. « Et dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas : » entendez « Dieu. » Un autre croit qu’il s’agit ici de l’impie « dans son enivrement », c’est-à-dire, son orgueil, sa présomption. Voyez quel excès de démence, quelle perdition ? Le voilà ennemi de tous les siens, brouillé avec la vertu, amant et panégyriste du vice. Un autre dit admirablement : « Dieu n’est pas dans toutes ses pensées », indiquant par là qu’il ne recherche pas Dieu, parce que son esprit est plein de ténèbres, parce qu’il n’a pas la crainte de ce saint nom devant les yeux. De même que la chassie trouble la prunelle, de même le vice obscurcit l’intelligence et la pousse à sa perte. « Dieu n’est pas en sa présente. » D’après un autre : « Dans toutes ses pensées. Ses voies sont profanées en tout temps, vos jugements sont ôtés de devant sa vue. » Un autre dit : « Votre jugement a « été enlevé. »
Voyez-vous quel est le fruit du vice ? La lumière s’éteint chez le coupable, son esprit s’aveugle, il est livré comme un captif à la méchanceté. De même qu’on voit souvent un aveugle tomber dans un abîme, ainsi le pécheur, quand il n’a plus la crainte de Dieu devant les yeux, reste constamment dans l’iniquité ; ce n’est plus une alternative de vice et de vertu, c’est le vice tout pur ; il oublie la géhenne, le jugement futur, les comptes à venir ; il rejette tous ces secours comme autant de freins importuns ; le voilà comme une barque sans lest, abandonnée à la fureur des vents et des flots, sans guide pour remettre sa pensée dans la voie. Voyez-vous comment le coupable trouve sa punition dans son vice même ? En effet, quoi de plus malheureux qu’un cheval sans frein, qu’une barque sans lest, qu’un homme atteint de cécité !
10. Eh bien ! il est encore plus à plaindre l’homme qui vit dans l’iniquité, qui a éteint en lui la crainte de Dieu, qui n’est plus qu’un malheureux captif. – « Il triomphera de tous ses ennemis. Car il a dit dans son cœur : Je ne serai point ébranlé : de génération en génération je resterai à l’abri du mal. » D’après un autre : « Il dissipe d’un souffle tous ses ennemis, disant dans son cœur je ne serai pas ruiné dans la suite des générations. Car je ne serai pas dans l’affliction. » Voyez quel orgueil ! quelle affreuse perdition ! quel acheminement à la mort ! Voilà pourtant ce qu’admire la sottise : un abîme d’infortune. Vous savez maintenant comment se fait le naufrage. Le coupable est loué dans ses péchés, béni dans ses iniquités. Voilà le premier abîme, bien suffisant pour tuer celui qui n’y prend pas garde.
Nous devons donc accueillir avec plus de gratitude les reproches et les réprimandes que les éloges, que de pernicieuses flatteries. Voilà ce qui perd les sots et les pousse à de plus graves fautes, comme en inspirant l’orgueil à ce pécheur, on lui enseigna la démence. Aussi Paul dit-il aux Corinthiens en parlant du fornicateur : « Et vous êtes enflés, et vous n’avez pas gémi plutôt ? » (1Cor. 5,2) Il faut gémir, gémir encore sur le pécheur, et non pas le louer. Vous avez vu cette méchanceté qui arrive à l’excès parce qu’au lieu de la gourmander, on lui donne des louanges. Aussi égaré à la fois par son propre délire et par ces éloges le pécheur redouble de perversité, il oublie Dieu et ses jugements ; il oublie jusqu’à sa propre nature. En effet celui qui oublie les jugements de Dieu finit avec le temps par s’oublier lui-même. Voyez comment il raisonne. « Je ne serai pas ébranlé dans la suite des générations, et je serai à l’abri du mal. » Quel excès de démence ? Être homme mortel, entouré de choses périssables, exposé à mille vicissitudes, et concevoir une pareille illusion ? D’où lui vient-elle ! De la déraison. En effet, lorsqu’un homme déraisonnable, jouit d’une parfaite prospérité, qu’il triomphe de ses ennemis, qu’il se voit loué, admiré, il devient le plus malheureux des hommes. Faute de s’attendre aux changements de fortune, faute de porter sagement sa félicité, pour peu qu’il vienne à tomber dans l’adversité, il se trouble se déconcerte, parce qu’il n’y était point préparé. Il n’en fut pas ainsi de Job : jusque dans la félicité, il se préoccupait chaque jour du malheur : c’est pourquoi il dit : « La crainte que j’éprouvais m’est venue ; celle que j’aurais ressentie s’est réalisée pour moi. Je n’ai pas été en paix, en repos, je ne me suis point relâché : cependant la colère est venue pour moi. » (Job. 3,25-26) C’est pourquoi un autre encore a dit : « Souviens-toi du temps de disette au temps d’abondance, de la pauvreté et du besoin au jour de la richesse » (Sir. 18,25) Mais le pécheur dont il s’agit ici, une fois perverti, ne songe plus à la fragilité humaine, il croit que sa bonne fortune lui assure une félicité invariable : ce qui est un principe de folie, de perdition complète, une cause de ruine. N’allez donc point vanter le bonheur des riches, de ceux qui triomphent de leurs ennemis, de ceux qu’on félicite au sujet de ces prospérités. Autant de gouffres, de précipices profonds pour ceux qui ne prennent pas garde, c’est par là qu’on tombe jusqu’au fond de l’impiété. « Sa bouche est pleine de malédiction, d’amertume et de tromperie. Le travail et la douleur sont sous sa langue. (Ps. 9,7) » Un autre dit : « Inutilement, il se tient assis en embuscade avec des riches dans les lieux cachés, afin de tuer l’innocent. » Suivant un autre : « En embuscade auprès du palais, ses yeux regardent vers l’innocent. Il est en embuscade dans un lieu retiré comme un lion dans sa tanière. » D’après un autre : « Dans son fort, il complote d’enlever le pauvre, d’enlever le pauvre en l’attirant. » « Il l’humiliera dans son piège. » Un autre traduit « Dans son filet, il se penchera et tombera lorsqu’il sera devenu maître du pauvre. » Suivant un autre. « L’affligé sera courbé, lorsque celui-ci sera tombé avec ses forts sur les faibles. »
Voyez-vous que ce n’est plus qu’une bête féroce ? On dirait que le Prophète décrit un animal de ce genre, à voir comme il parle de ses ruses, de ses embuscades, de ses artifices. Et quoi de plus malheureux, de plus pauvre que cet homme réduit à convoiter le bien du pauvre ? L’appellerons-nous encore un riche, dites-moi ? Appelons donc ainsi les voleurs et les brigands. À Dieu ne plaise ! dira-t-on. Mais quoi ! s’il ne force pas les portes, s’il n’attaque pas pendant la nuit, n’emploie-t-il pas la ruse pour éteindre le flambeau du juge ? S’il ne choisit pas le moment où l’on dort, s’il opère l’iniquité sous les yeux de tous, n’en est-il pas que plus audacieux ? Les lois ne punissent-elles pas le vol du jour plus sévèrement que le vol de nuit ?
Voyez-vous combien il est pauvre ? Voyez-vous combien il est inhumain ? Pauvre, parce qu’il convoite le bien du pauvre. Inhumain, parce que le malheur ne peut le fléchir, et qu’au lieu de prendre en compassion la misère et de la secourir, il l’opprime. Mais tant de crimes ne restent pas impunis : quand il est victorieux, qu’il croit triompher, qu’il se flatte d’être invincible, c’est le moment de sa perte : afin qu’en cela éclate la puissance de Dieu, la patience du pauvre, l’obstination du pécheur et la longanimité divine. Voilà pourquoi le châtiment n’est pas instantané : Dieu, par sa patience, invite le coupable à la pénitence : mais quand ce délai demeure inutile, c’est par le châtiment que désormais il l’avertit. Quant aux opprimés, ils n’ont subi aucun dommage : ils sont devenus meilleurs et plus glorieux grâce à leurs tribulations. Dieu, de son côté, a déployé sa longanimité, sa patience, et du même coup, sa force, sa sagesse : car c’est quand le pécheur était au faîte de sa puissance qu’il en a triomphé. Pour l’incorrigible, il subit le plus rigoureux des châtiments, et c’est là un avertissement qui n’est pas d’une médiocre utilité pour les heureux.
11. Gardez – vous donc, s’il vous est donné de vaincre vos ennemis, si vous voyez toutes choses aller selon vos vœux, gardez-vous de vous abandonner avec confiance à l’iniquité ne soyez au contraire que plus circonspects. Car, si vous restez méchants, en même temps que votre perversité s’accroît, votre justification devient plus difficile, vos titres au pardon s’effacent. « Il a dit en son cœur : Dieu a oublié ; il a détourné son visage, pour ne plus voir jusqu’à la fin. » Voyez dans quel abîme de perdition le voilà tombé ; quelles opinions il se forme, opinions qu’à la vérité il n’ose exprimer tout haut, mais qu’il roule en lui-même, dans ses efforts, pour lutter contre la vérité, pour répandre les ténèbres de son propre aveuglement sur des choses plus claires que le soleil. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu ! que votre main s’élève ! N’oubliez pas les pauvres. Pourquoi l’impie a-t-il irrité Dieu ? c’est qu’il dit dans son cœur : il ne recherchera pas. Vous voyez que vous êtes témoin de la peine et de la colère pour le livrer entre vos mains ; »un autre dit : « Vous avez vu que vous considéreriez. »
L’impie, l’avare, le spoliateur parlent ainsi, croyant échapper au châtiment ; mais le prophète le tire d’erreur, complétant par là ce qui a été dit de la longanimité. Le pécheur a dit : « Il a détourné son visage pour ne pas voir jusqu’à la fin. » Le Prophète dit, au contraire : Vous voyez, vous savez et vous patientez, jusqu’à ce qu’ils tombent entre vos mains ? Qu’est-ce à dire : « Le livrer entre vos mains. » C’est le langage des hommes. Le sens est celui-ci : Vous patientez, vous attendez qu’ils soient livrés à l’excès de la méchanceté. Du premier coup vous pourriez les faire périr : mais l’océan de votre mansuétude est sans bornes ; vous les voyez et ne les poursuivez pas, vous attendez qu’ils se repentent. S’ils refusent, alors vous les punissez, voyant que votre longanimité n’a produit aucun fruit pour eux. La suite fait voir à quel point Dieu s’inquiète du sort des opprimés : « Le pauvre vous a été confié, vous a été un protecteur pour l’orphelin. » Un autre dit : « Vous êtes devenu ; un autre : « Vous serez. » Il veut dire : voilà votre office, votre prérogative.
En effet, Dieu ne saurait délaisser son œuvre, manquer à sa tâche. De même qu’il appartient à un maçon de bâtir, à un pilote de diriger les vaisseaux, au soleil de luire : ainsi il appartient à Dieu de protéger les orphelins, de tendre la main aux pauvres. Ils n’ont d’autre patron que lui, seul. – Voilà le sens de ce mot « a été confié ; » personne, si ce n’est vous, ne protège les orphelins et les pauvres. « Broyez le bras du pécheur et du méchant. « Son péché sera recherché et ne sera pas trouvé de lui-même. » D’après un autre : « Que son impiété soit recherchée, afin qu’il ne soit pas trouvé lui-même. » Ce n’est point précisément le pécheur qu’il désire voir broyer, c’est sa force, sa puissance, c’est la méchanceté qui le dévore. Ensuite, il prie qu’il lui soit demandé compte de ses actes, et afin de montrer la grandeur de son iniquité, il dit : Si cela se fait, il ne pourra se tenir debout, ni se montrer ; il périra, disparaîtra, sera complètement anéanti, pendant qu’on examinera sa conduite. – Ainsi donc que personne ne gémisse de se voir orphelin ou pauvre. Le secours donné par Dieu est proportionné à l’étendue de ces maux. Que personne en se voyant puissant ne conçoive ni orgueil, ni présomption. Car la grandeur est un séjour dangereux, d’où l’on est facilement précipité, quand on n’y prend pas garde. « Le Seigneur régnera dans l’éternité et dans les siècles des siècles. » Il répond ici à ceux qui sont ébranlés en voyant que les coupables ne sont pas punis sur-le-champ : Que craignez-vous ? dit-il ; que redoutez-vous ? Avons-nous affaire à un juge mortel ? Sa royauté doit-elle finir ? Si le châtiment n’est pas venu, il viendra. Car Celui qui demande les comptes est toujours là-haut, et son règne est éternel… « Vous périrez, nations, de dessus sa terre. Vous avez entendu le désir des pauvres, Seigneur ! Votre oreille a ouï la préparation de leurs cœurs. » Un autre dit : « La disposition. » Un autre : « Vous préparez leurs cœurs, de façon que votre oreille les entende. Jugez l’orphelin et l’humble, afin que l’homme n’entreprenne plus de se glorifier sur la terre. » D’après un autre : « L’orphelin et l’affligé. »
Voyez-vous comment le Prophète s’occupe spécialement des soins que réclament les méchants ? En effet, leur malheur est le pire de tous. L’opprimé perd de l’argent ; le pécheur est en butte au plus grand des périls. Que sera-ce, s’il ignore le degré de sa maladie ? Ainsi s’accroît leur démence, et c’est par là surtout qu’ils sont à plaindre ; ainsi ils se confirment dans leur ignorance. Les enfants ne s’effrayent nullement de ce qui est à craindre, ils vont jusqu’à approcher leurs mains du feu ; en revanche, ils tremblent, ils frissonnent à la vue d’un simple masque. C’est l’image de ces avares qui redoutent la pauvreté, laquelle n’a rien d’effrayant, qui est au contraire un principe de sûreté et mettent au-dessus de toute une richesse mal acquise, possession bien autrement redoutable que le feu. La cupidité, voilà ce qui est absolument un mal. Aussi le Prophète s’efforce-t-il constamment de nous en corriger, en nous menaçant, en nous faisant peur, en priant Dieu de se lever pour punir une pareille insensibilité. Et voilà pourquoi il ajoute : « Vous périrez, nations, de dessus sa terre. » Par là il menace les avares d’extermination, il prie Dieu de secourir et de venger les opprimés, de leur apporter le soulagement et la correction à leurs persécuteurs. Que personne ne s’avise, par conséquent, de convoiter des richesses superflues. De là naissent ; si l’on n’y prend garde, bien des maux ; orgueil, paresse, envie, vanité, et bien d’autres. Voulez-vous y échapper ? coupez-en la racine ; si vous l’ôtez, vous ne verrez point croître ces rejetons de malheur. Et ce langage n’est pas destiné seulement à frapper nos oreilles, mais encore à nous corriger, à nous rendre vertueux en Jésus-Christ, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. =FIN DU CINQUIÈME VOLUME.=

EXPLICATION DU PSAUME X.

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POUR LA FIN, POUR DAVID. – SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE VICTOIRE POUR DAVID. – SUIVANT UN AUTRE : POUR L’AUTEUR DE LA VICTOIRE.
Tome VI

ANALYSE.

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  • 1. De l’espoir en Dieu : force qu’il donne aux justes.
  • 2. Faiblesse des méchants.
  • 3. Vanité des ressources humaines.


1. « C’est dans le Seigneur que je me confie : comment direz-vous à mon âme : Passe sur la montagne ainsi qu’un passereau (1). Car voici que les pécheurs ont tendu leur arc, ont préparé leurs traits dans leur carquois, afin d’en percer, dans l’obscurité, les hommes droits de cœur, comme dans les ténèbres. » D’après un autre : « Car les choses que vous aviez consommées, ils les ont détruites. » Un autre dit : « Parce que les lois ont été enfreintes ; » un autre, « parce que les préceptes seront broyés (3). » Grande est la puissance de l’espoir en Dieu ; c’est une sûre forteresse, un inexpugnable rempart, une invincible alliance, un port tranquille, une tour imprenable, une arme irrésistible, une puissance sans rivale qui trouve des ressources dans les difficultés mêmes. Grâce à lui, on n’a pas besoin d’armes pour triompher d’adversaires armés ; des femmes remportent la victoire sur des hommes ; des enfants n’ont pas de peine à vaincre tes ennemis les plus aguerris. Et faut-il s’étonner que ceux qui espèrent remportent l’avantage dans de simples combats quand l’univers lui-même n’a pu leur résister ? Les éléments ont méconnu leur propre nature pour servir leurs intérêts ; des bêtes féroces ont perdu leur férocité ; une fournaise son ardeur. L’espoir en Dieu opère toutes les métamorphoses. Dents aiguës, prison étroite, naturels farouches irrités encore par la faim, tout cela menaçait – le prophète, qu’aucune cloison ne protégeait contre des monstres dévorants ; mais l’espoir en Dieu, plus fort que tous les freins, brida ces gueules meurtrières et les contraignit à se détourner. Aussi David, réfléchissant à cela, répond-il à ceux qui lui conseillent de fuir, de se sauver, de chercher son salut dans un lieu sûr : « C’est dans le Seigneur que je me confie : Comment direz-vous à mon âme ? » Qu’entendez-vous par là ? Le maître de la terre, veut-il dire : Voilà mon allié. Celui qui fait tout sans aucune peine, celui-là est mon guide, mon protecteur, et vous m’exhortez à chercher une retraite, c’est sur le désert que vous comptez pour protéger mes jours ! Est-ce que le désert est an auxiliaire plus sûr que Celui qui peut tout et ne connaît point d’obstacles ? Revêtu d’une si forte armure, vous voulez que je fuie comme si j’étais nu et désarmé ; vous m’engagez à m’expatrier ! Mais si vous voyiez un homme à la tête d’une armée, défendu par des remparts et des soldats, vous ne l’exhorteriez pas à se réfugier au désert, ou un tel conseil ferait de vous un objet de risée ; et vous renvoyez, vous condamnez à fuir celui qui a pour auxiliaire le Maître du monde, vous lui prescrivez l’exil à cause de la guerre que lui font les pécheurs. J’omettais, en effet, cette autre raison qui me dissuade de prendre la fuite. Quand on a Dieu pour allié et des pécheurs pour ennemis, peut-on prendre l’alarme au moindre bruit, à la façon des oiseaux ? Et celui qui donne un tel conseil ne devrait-il pas rougir ? Ignorez-vous que l’armée qui m’est opposée ne vaut os une toile d’araignée. Si l’ennemi d’un monarque terrestre est partout en péril ; s’il a peur, s’il tremble, en quelque endroit qu’il se trouve, que dire de celui qui a pour ennemi le Dieu de l’Univers ? En quelque lieu qu’il se rende, il a pour adversaire tout le monde et la création même. Car si les amis de Dieu inspirent de la crainte aux éléments, aux bêtes féroces, et du respect à toute la création, les ennemis de Dieu sont en butte aux attaques et aux mépris des êtres inanimés eux-mêmes. Aussi les a-t-on vus, les uns dévorés par les bêtes avant d’avoir touché la terre, les autres consumés par le feu. Mais ils ont des flèches, des carquois et sont tout prêts à combattre. Eh bien ! répond David, ils ont préparé leurs carquois mais ils n’en sont ni plus forts ni plus redoutables. Si je voyais un homme armé d’un arc détendu, je n’en aurais pas peur. En effet, à quoi bon des armes qui n’ont pas la force de nuire ? De même ici, soyons tranquilles, puisque la faveur de Dieu manque à nos ennemis. Mais ils trament des stratagèmes, et suivent une voie oblique pour nous attaquer. Ce sont justement ces menées ténébreuses qui m’enhardissent le plus à les braver. Rien de plus faible que le fourbe. Il n’est pas besoin d’armes pour en triompher : il succombe sous ses propres coups et périt victime de ses artifices. Or qu’y a-t-il de plus faible qu’un homme qui se prend clans ses propres pièges ? Autre motif de confiance : ce ne sont pas seulement des pécheurs qui s’attaquent perfidement à des hommes secourus de Dieu ; ce, sont encore (les agresseurs de l’innocence. Et rien ne saurait contribuer davantage à les affaiblir. Ils ressemblent à ces animaux qui regimbent contre l’aiguillon : ils se blessent eux-mêmes, sans pouvoir endommager l’aiguillon qui les presse. Enfin, il est une dernière raison qui ôte à cette guerre tout péril pour nous. Quelle est-elle ? « Ce que vous aviez consommé ils l’ont détruit (4). »
Voici le sens de ces paroles : ils vous combattent, ils vous font la guerre afin de ruiner votre loi, vos préceptes : ils veulent les détruire, ces préceptes, quand ils sont consommés. Ou encore il veut dire que ses ennemis sont des transgresseurs de la loi. Et comment seraient-ils forts, s’ils marchent au combat après avoir méconnu vos préceptes ? En effet, c’est parce qu’ils les méconnaissent, qu’ils attaquent des justes, et ourdissent contre eux des trames perfides.
2. C’est ainsi qu’il met d’abord en lumière la faiblesse de ses ennemis, en montrant quelle en est la cause propre à eux seuls ; en effet il ne dit pas : ils manquent d’argent, de places fortes, d’alliés, de villes, d’expérience dans la guerre : il passe dédaigneusement sur ces considérations qui lui semblent méprisables, et insiste uniquement sur ce point, que ce sont des hommes injustes, qu’ils attaquent l’innocence, qu’ils renversent les lois de Dieu. Il passe ensuite à l’armée des justes, et tire de là une nouvelle preuve de la faiblesse de leurs ennemis. – Servons-nous également de cette mesure pour apprécier la force et la faiblesse et n’allons point nous effrayer de ce qui est un sujet de crainte pour le sot vulgaire. – Qu’entendons-nous dire en effet ? C’est un homme redoutable et sans scrupules, armé d’opulence et de pouvoir. Raison de plus pour que je le brave : ce sont là des principes de faiblesse. Mais il sait ourdir une trame, dira-t-on. – Ce n’est qu’un nouveau principe d’affaiblissement.
Comment se fait-il donc que de pareils hommes restent si souvent vainqueurs ? C’est que vous ne savez pas lutter : c’est que vous combattez pour ces mêmes avantages prétendus qui font leur faiblesse, la gloire et la puissance. Fuyez ces causes de guerre et recourez à d’autres armes, à la modestie contre l’orgueilleux, à la pauvreté contre l’avare, à la tempérance contre le voluptueux, à la bonté contre l’envieux : par là vous vaincrez sans peine. Pour revenir à ce que je disais, voyons maintenant comment David, après avoir fait ressortir la faiblesse de ses adversaires, décrit l’armure du juste. Qu’« a fait le juste ? » poursuit-il. Vous savez à quels ennemis il avait affaire : vous voulez maintenant savoir comment il s’arma ? Écoutez. – « Le Seigneur est dans son saint temple : le Seigneur, dans le ciel est son trône (5). »
Voyez-vous avec quelle brièveté il fait mention de cette alliance. Qu’a fait le juste ? demandez-vous : il s’est réfugié auprès du Dieu qui est au ciel, du Dieu qui est partout. Au lieu de tendre son arc, de préparer son carquois, à l’exemple de son adversaire, de ranger son armée dans les ténèbres, il s’est retranché derrière son espoir en Dieu, comme derrière un rempart contre toutes les attaques ; il a opposé à l’ennemi celui qui n’a besoin de rien de pareil, ni circonstances, ni lieux favorables, ni armes, ni argent, et qui, d’un signe, accomplit toutes ses volontés. Voyez-vous quelle invincible et commode assistance ? – « Ses yeux regardent vers le pauvre, ses paupières examinent les fils des hommes. – Le Seigneur examine le juste et l’impie ; celui qui aime l’injustice, trait son âme (6). » Suivant d’autres : « Ses paupières éprouvent » ou : « le Seigneur est un examinateur équitable ; » ou « il éprouve le juste et l’impie, et celui qui aime l’injustice est haï de son âme. »
Tel est l’allié, l’auxiliaire prêt à secourir David : un être qui est partout, voit, tout, considère tout, qui a pour principal office, qu’on le prie ou non, de veiller sur nous, de pourvoir à nos intérêts, de réprimer l’injustice, de secourir les opprimés, de donner aux uns la récompense de leurs bonnes œuvres, d’infliger aux autres les supplices dus à leurs péchés. Rien.: e lui échappe ; car ses regards s’étendent sur toute la terre. Et ce n’est pas assez pour lui de savoir ce qui s’y passe, il veut encore y remettre l’ordre. De là ce nom de juste qui lui est donné ailleurs. S’il est juste, il ne se résignera pas à laisser aller ainsi les choses. Il se détourne des méchants, il approuve les justes. Le Psalmiste poursuit en montrant la même chose qu’il a déjà fait voir dans le précédent psaume, à savoir qu’il suffit de leurs vices mêmes pour perdre les méchants. « Celui qui aime l’injustice hait son âme. » – Le vice, en effet, est une chose hostile à l’âme, funeste et pernicieuse : de telle façon que le méchant est puni avant d’être livré au supplice. Vous voyez comment il montre que tout conspire contre ses ennemis, et l’allié qui le secourt, et leurs armes, à eux, qui se retournent contre eux-mêmes, leurs boucliers qui les surchargent et les écrasent. Vous voyez de plus avec quelle facilité il s’est assuré l’assistance de son allié. Il n’est pas besoin de sortir de cirez soi, de courir, de dépenser de l’argent : Dieu est partout, il voit tout. « Il fera pleuvoir des pièges sur les pécheurs : le feu, le soufre et le souffle de la tempête seront leur part de breuvage (7). Parce que Dieu est juste, et « qu’il a pris en affection la justice ; son visage a vu la droiture (8). » Un autre dit : « Il fera pleuvoir les charbons sur les coupables. » Un autre : « Leur visage verra la droiture ; » entendez la droiture des justes ou celle de Dieu lui-même.
Après avoir fait connaître la punition que le vice trouve en lui-même, sachant que beaucoup la méprisent, il ébranle maintenant le cœur des méchants par la crainte des châtiments d’en haut, en se servant pour cela d’un langage expressif et de termes propres à inspirer l’effroi. Il les menace du feu, du soufre, du souffle de la tempête, de charbons tombés du ciel, voulant indiquer par ces mots figurés, ce que le, châtiment a d’inévitable, le supplice d’effrayant, les coups, de subit et de désastreux.
3. Qu’est-ce à dire « leur part de breuvage ? » c’est-à-dire leur lot, leur propriété ; c’est de cela qu’ils vivront, c’est là qu’ils trouveront la mort : le motif vient ensuite : c’est que celui qui voit tout ne consentira pas à laisser de pareils crimes impunis. De là, ces paroles d’un autre prophète : « Votre œil est pur, afin de ne pas voir les iniquités ; et vous ne pourrez regarder les maux. » C’est ce que David lui-même exprime en disant : « Parce que le Seigneur est juste et qu’il a pris en affection la justice. » Tel est, en effet, le caractère le plus sensible de la divinité ; approuvez la justice, la droiture ; pour ce qui est contraire à ses vertus, elle ne saurait jamais en soutenir la vue.
Voilà pourquoi il disait, en commençant ce psaume : « C’est en Dieu que je me confie, comment direz-vous à mon âme. Passe sur les montagnes ainsi qu’un passereau ? » En effet, ceux qui placent leur confiance dans les biens de ce monde sont tout pareils au passereau qui dans la solitude où il doit trouver la sécurité, est aisément pris par le premier venu. Tel est l’homme qui se fie à ses richesses. Ainsi que le passereau se laisse attraper par les petits enfants, par la glu, les pièges, et de mille façons ; de même le riche est victime, soit des siens, soit de ses ennemis ; et son salut est encore plus menacé, à cause du grand nombre d’embûches que lui tendent les hommes, et, par-dessus tout, ses mauvaises passions ; c’est un nomade que la crainte chasse de chez lui à tous moments devant des licteurs furieux, un roi irrité, des courtisans perfides, des amis infidèles ; s’il voit surgir des ennemis, il est dans d’inexprimables alarmes ; et, jusqu’au sein de la paix, il redoute encore les attaques ; car la richesse qu’il possède est éphémère et périssable. Aussi ne cesse-t-il de voltiger, de changer de place, de chercher les déserts, les montagnes, de vivre dans l’obscurité ; que dis-je ? le jour même n’est pour lui qu’une obscurité profonde où il ourdit des ruses. Mais il n’en est pas de même du juste. « Car les voies des justes resplendissent comme la lumière. » (Prov. 4,18) Ils ne songent ni à nuire, ni à conspirer contre autrui ; leur âme est dans la paix. Au contraire, les hommes artificieux sont toujours dans les ténèbres et dans les alarmes comme les voleurs, les brigands, les adultères ; en plein jour même, ils ne voient que ténèbres, dans la crainte qui agite leur âme. Comment s’y prendre pour dissiper ces ténèbres ? Il faut s’affranchir de toutes ces pensées et s’attacher uniquement à l’espoir en Dieu, de quelques péchés qu’on puisse être chargé. « Regardez vers les anciennes générations, et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu. » Il ne dit pas quel juste ? mais « Qui ? » juste ou pécheur. La merveille est, en effet, que les pécheurs mêmes, s’ils savent se cramponner à cette ancre, résistent désormais à tous leurs ennemis. C’est que rien n’indique mieux l’amour de Dieu que de se fier à sa bonté quand on succombe sous un pareil fardeau. Autant est maudit celui qui met son espoir dans l’homme, autant est bienheureux celui qui place en Dieu son espérance. Renoncez donc à tout, pour vous affermir sur cette ancre. En effet, Dieu voit tout ; il juge les actions des justes, et, non content de les juger, il les fait encore réussir. C’est pourquoi David, après avoir parlé de la justice divine, fait intervenir aussi le châtiment par ces expressions « feu, tempête » s’il le fait, c’est pour leur bien, c’est pour les rendre plus sages par la considération des supplices. Par tous ces motifs, allons à lui, et ne cessons de diriger vers lui nos regards. Nous obtiendrons ainsi tous les biens en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME XI.

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POUR LA FIN, POUR L’OCTAVE. – D’APRÈS UN AUTRE : A L’AUTEUR DE LA VICTOIRE POUR L’OCTAVE. EN HÉBREU : ASEMINITH. « SAUVEZ-MOI, SEIGNEUR, PARCE QUE LE JUSTE A FAIT DÉFAUT, PARCE QUE LES VÉRITÉS ONT ÉTÉ ALTÉRÉES PAR LES FILS DES HOMMES. » – SUIVANT UN AUTRE : « PARCE QUE LES FIDÈLES ONT DISPARU DU MILIEU DES FILS DES HOMMES. »

ANALYSE.

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  • 1. Difficulté de rester juste au milieu d’une corruption générale.
  • 2. Des paroles inutiles : de la duplicité.
  • 3. Que Dieu est notre maître. – Qu’il faut songer à l’enfer. – Pouvoir de l’humilité.
  • 4. Comment Dieu a honoré les hommes.


1. C’est une chose malaisée que la vertu, un mérite difficile à conserver et par lui-même, et surtout quand celui qui le possède ne voit autour de lui qu’un petit nombre d’hommes vertueux. C’est ainsi qu’un voyage est toujours fatigant, mais l’est surtout pour celui qui chemine seul et sans compagnie. C’est un grand bien que la société de nos frères et les consolations qu’elle nous procure. De là ces mots de Paul : « Nous considérant les uns les autres pour nous exciter à la charité et aux bonnes œuvres. » (Héb. 10,24) Et s’il faut admirer les anciens justes, c’est moins encore à cause de leur vertu, qu’en considération de la disette de vertu qui régnait alors, et de la difficulté de rencontrer à cette époque des hommes de bien. C’est à quoi fait allusion l’Écriture en disant : « Noé fut juste, parfait dans sa génération. » (Gen. 6,9) Si nous admirons Abraham, Loth, Moïse, c’est qu’ils brillèrent comme des astres au milieu d’une nuit profonde, des roses parmi des épines, des brebis parmi des loups innombrables, et qu’ils marchèrent, sans s’arrêter, dans une voie contraire à celle que suivait alors tout le monde. En effet, si c’est un embarras d’aller ainsi contre la foule, si l’on s’expose à mille peines en suivant une direction contraire à celle de la multitude ; s’il est pénible, quand on navigue, de diriger son esquif à l’encontre du courant, à plus forte raison en est-il de même, quand il s’agit de la vertu. Voilà pourquoi notre juste se voyant seul dans la bonne voie, tandis que tout le monde marchait dans le sens opposé, fait appel à la Providence en disant : « Sauvez-moi, Seigneur ! » Voici tout ce qu’il veut faire entendre par là : J’ai besoin du bras d’en haut, de l’appui du Ciel, de l’assistance de Dieu Pour suivre une voie opposée à la voie commune, j’ai besoin du secours actif de la Providence. Et il ne dit pas : Sauvez-moi, parce qu’il n’y a pas de juste, mais parce que le juste a fait défaut, montrant par là que les progrès du vice et de la maladie avaient fait disparaître ceux qui pouvaient exister. Paul exprime la même crainte en disant : « Ne savez-vous pas qu’un peu de ferment fait fermenter la pâte entière ? » (1Cor. 5,6) Et encore : « Les mauvaises sociétés corrompent les bons naturels. » (Id. 15,33) Qu’est-ce à dire : « Les vérités ont été altérées ? » Il y a bien des vérités diverses. Quand on parle ; de couleurs ou d’autres choses pareilles, on distingue les vraies des fausses ; on dit vraie pourpre et pourpre fausse ; de même quand il s’agit du jaune employé en teinture, ou de pierres précieuses, ou d’aromates, que sais-je encore ? Il en est de même des vertus. Ce qui est en effet, voilà la vérité ; ce qui n’est point, c’est le mensonge. Les choses dont parle le Prophète avaient été défigurées, obscurcies, non qu’elles eussent perdu leur puissance, mais parce que les hommes les avaient persécutées : voilà pourquoi il ne se borne pas à dire : « Les vérités ont été altérées », mais ajoute. « Par les fils des hommes. » Voyez encore : Il y a un monde véritable, il y a aussi un monde faux. Qu’est-ce que le monde véritable ? Celui de l’âme. Et le monde faux ? Celui du corps. Il y a une vraie et une fausse richesse. La fausse richesse, c’est la richesse d’argent ; la vraie, celle des bonnes œuvres. Il faut faire la même distinction en ce qui regarde le bonheur, la beauté, la puissance, la gloire. Mais la plupart, en toutes ces choses, négligent la vérité, pour courir après le mensonge. De même que l’homme est véritable ou faux ; véritable, quand il vit et se meut ; faux, quand il n’existe qu’en peinture ; on peut en dire autant des vertus.
2-3. « Chacun dit des choses vaines à son prochain. Leurs lèvres sont trompeuses. Ils profèrent le mal avec un cœur double. » Il signale ici deux fautes : La première, c’est de dire des choses vaines, la seconde de les dire à son prochain ; par choses vaines, il entend soit les choses – fausses, soit les choses inutiles et superflues. Paul a dit de même : « Ne vous mentez pas mutuellement. » (Col. 3,9) Et ce qu’il y avait de pire, c’est que cette corruption était générale. Il ne dit pas tel ou tel, mais « chacun. » Le vice n’était pas à la surface, mais au fond et enraciné dans, le cœur. « Un cœur double » désigne leur profonde duplicité. Voilà un mal plus terrible que les ennemis les plus dangereux. On peut se mettre en garde contre des ennemis déclarés, mais les hommes qui se cachent le visage sous un masque d’emprunt, se dérobent ainsi à la pénétration de ceux que menace leur perfidie, et sont bien plus à craindre que s’ils étaient armés de poignards cachés. « Le Seigneur exterminera toutes les lèvres perfides et les langues insolentes (4). » Ceux qui disent : Nous glorifierons notre langue (5). » Un autre traduit : « Nous régnerons sur notre langue. Nos lèvres nous appartiennent. » Un autre : « Sont avec nous. Qui est notre maître ? » Un autre « Qui dominera sur nous ? » Voyez-vous la sollicitude du Prophète, et la prière qu’il adresse pour ces hommes ? Ce qu’il dit, en effet, n’est pas dit contre eux, mais en leur faveur. Il ne demande pas leur perte, mais la guérison de leur vice. Il ne dit pas : Dieu les exterminera, mais bien : « Dieu exterminera les lèvres trompeuses. »
3. Ce n’est point à eux-mêmes qu’il en veut c’est leur langage, c’est leur orgueil, leur perfidie qu’il souhaite de voir anéantie ; c’est leur insolence dont il demande la répression. Il raille leur jactance par ces paroles : « Nos lèvres nous appartiennent. Qui est notre maître ? » C’est le, langage de la démence et de la folie. Paul donne une leçon tout opposée : « Vous n’êtes pas à vous-mêmes, vous avez été achetés d’un grand prix (1Cor. 6,19, 20) ; » à quoi il ajoute qu’il ne faut pas vivre pour soi-même. Vos lèvres ne sont pas à vous, dit-il, mais au Seigneur. C’est lui qui les a faites, lui qui les a disposées, lui qui les a animées. Mais ces lèvres sont les vôtres : ce n’est pas à dire pour cela qu’elles vous appartiennent ; nous possédons l’argent qui nous a été confié ; noua avons à loyer la terre que nous tenons d’autrui. Les lèvres aussi, Dieu nous les a données à, loyer, non pour en faire sortir des ronces, mais pour amener à bien les germes qui y sont déposés ; non pour leur faire produire la jactance ou la trahison, mais l’humilité, les bénédictions, la charité. Pareillement, s’il vous a donné des yeux, ce n’est pas pour que vous les fassiez servir à des regards dissolus, c’est afin que vous les décoriez de modestie des mains, ce n’est pas pour frapper, c’est pour répandre l’aumône. Comment osez-vous encore dire : « Nos lèvres nous appartiennent », quand vous les asservissez au péché, à la fornication, à l’impureté ? « Qui est notre maître ? » O diabolique parole ! suggestion du démon ! Vous voyez toute la nature proclamer la puissance, la sagesse, la sollicitude, la providence de votre Seigneur ; votre corps, votre âme, votre vie, les choses visibles, les êtres invisibles, tout pour ainsi dire, élève la voix et salue la puissance du Créateur : et vous pouvez dire : « Qui est notre maître ? » Folie, délire, corruption : de là tous les maux dont nous sommes assaillis.
Tandis que ces hommes disent : « Qui est notre maître ? » d’autres confessent à la vérité, le Seigneur, mais suppriment le dogme du jugement et de la peine, courte satisfaction achetée au prix d’un terrible châtiment ! Ils veulent se consoler en oubliant l’enfer ; et ils ne voient pas que, par cette sécurité ils se précipitent eux-mêmes dans le gouffre de la perdition. Je vous en conjure donc, souvenez-vous de l’enfer, entretenez-vous de l’enfer ; façonnez, embellissez ainsi votre âme. L’utilité de ces propos est grande. Ce n’est pas sans intention que Dieu nous a menacés de la géhenne, et nous en a révélé, même ici-bas, l’existence c’est afin de nous corriger par la crainte. Aussi le diable n’épargne-t-il rien pour effacer de notre mémoire cette pensée. N’allez pas la perdre, ne dites point : pourquoi me tourmenter, hors de propos ? Hors de propos, dites-vous ? C’est dans l’enfer que vous souffrirez hors de propos. C’est le temps présent qui est opportun pour la souffrance, et non l’autre vie. – Témoin le riche de l’histoire de Lazare il souffre beaucoup, et n’y gagne rien. Si, au contraire, il avait su choisir le bon moment pour souffrir, il n’aurait pas été condamné à un pareil supplice. – « À cause de l’infortune des mendiants et des gémissements des pauvres, je vais me lever, dit le Seigneur. Je les mettrai dans un lieu de salut. J’agirai en cela avec une entière liberté (6). » D’après un autre : « Je rendrai leur salut manifeste. »
Apprenez quel est le pouvoir de l’humilité. C’est la force des pauvres (parce mot j’entends ceux qui ont le cœur contrit), c’est leur soutien dans les épreuves. David ne parle pas ici de vertu, de sagesse ; le malheur, dit-il, voilà ce qui excite Dieu à se lever, ce qui le porte à sévir, à, venger. Tel est le mérite attaché à la patience de l’opprimé, telle est la sollicitude de Dieu pour ceux qui sont persécutés, le malheur même devient le plus efficace des appuis pour les malheureux. Grand est le pouvoir des gémissements, ils font descendre la grâce d’en haut. Tremblez, vous qui maltraitez les pauvres. Vous avez la puissance, l’argent, l’opulence, la faveur des juges ; mais de leur côté, ils ont une arme plus forte, les gémissements, les pleurs et leur oppression même, qui leur procure les secours d’en haut. Cette arme-là ruine des maisons, en bouleverse les fondements, elle détruit des villes, elle anéantit des nations entières ; je parle du gémissement des opprimés. Dieu honore leurs bons sentiments, lorsqu’au milieu de l’adversité, ils s’interdisent toute parole condamnable et se bornent à gémir, à se lamenter sur leurs propres infortunes. Que veut dire ceci : « Je les mettrai « dans un lieu de salut, j’agirai en cela avec « une entière liberté ? » Entendez manifestement, publiquement, de sorte que tout le monde en soit instruit. N’est-ce donc point toujours manifestement que Dieu nous sauve ? Non, c’est quelquefois en secret, attendu qu’il n’a que faire de l’admiration des hommes. Mais dans la circonstance présente, comme les ennemis de ces pauvres devaient évidemment les insulter, les injurier, les accuser d’être privés du secours divin, Dieu, afin de corriger ces méchants mêmes et de les pousser à s’amender, en les convainquant de l’appui prêté par le Seigneur, annonce alors qu’il rendra manifeste la délivrance des opprimés. « Les paroles du Seigneur sont des paroles pures ; c’est un argent éprouvé au feu, purifié dans la terre (7). » Quelle est donc la suite des idées ? Elle est parfaite et continue. N’allez pas croire, veut-il dire, que ce soient là de vaines paroles, de stériles menaces ; les paroles de Dieu sont pures, dégagées de tout mensonge. De même que l’argent éprouvé au feu ne conserve plus aucun élément étranger ni emprunté, de même les paroles de Dieu, une fois proférées, ne peuvent manquer de s’accomplir. De là ces mots : « Un argent éprouvé au feu, purifie dans la terre. » Suivant un autre :« Éprouvé au feu, qui passe dans la terre. » En hébreu : Baalil laares, c’est-à-dire : Passé à l’entonnoir, coulant dans la terre. « Sept fois affiné. ».
4. Voyez-vous comment il insiste au moyen d’une image matérielle, sur cette parfaite et absolue vérité ? Il en est des promesses de Dieu comme du métal passé au creuset et au feu, et cela à plusieurs reprises, dégagé de toute substance étrangère, purifié avec minutie. « Vous, Seigneur, vous veillerez sur nous et vous nous protégerez contre cette génération et pour toujours (8). » Il y a d’autres traductions : « Vous veillerez sur eux ou vous veillerez sur ces choses et vous nous, protégerez contre cette génération et pour toujours », ou « durant la génération éternelle. » « Les impies marchent en tournant. » « Marcheront (9) », d’après un autre. Ou encore : « Ils marcheront dans le cercle des impies. Selon votre sublimité vous avez honoré les fils des hommes. » D’après un autre : « Quand auront été exaltés ceux qui sont vils parmi les fils des hommes. » D’après un autre : « Achetés à bas prix par les fils des hommes. » En hébreu : « Charm zollo lebne Adam. Vous, « Seigneur, vous veillerez sur nous et nous protégerez. »
Vous le voyez : c’est à chaque instant, ou plutôt sans relâche qu’il se réfugie auprès de Dieu, et cherche en lui son recours : en effet c’est une aide toute puissante, et qui ne cesse jamais d’agir. C’est comme s’il disait : nous n’avons besoin d’aucune assistance humaine : car vous ne cessez pas de veiller sur nous. Qu’est-ce à dire : « Les impies marchent en tournant ? » Suivant les Septante il faut entendre, que nous n’avons rien à craindre, quand bien même les impies nous circonviendraient de toutes parts : car Dieu veille sur nous, nous élève, nous glorifie. Suivant l’autre interprète, voici le sens : Les impies seront repoussés, quand vous aurez exalté ceux qui sont vils parmi les fils des hommes : c’est-à-dire en nous exaltant, nous les dédaignés, nous les humiliés, vous les éloignerez, vous les repousserez. Et que signifie : « Selon votre sublimité ? » C’est-à-dire que vous les avez rendus semblables à vous, autant que cela est donné à l’homme. « Faisons l’homme à notre image », est-il écrit, « et à notre ressemblance. » Ce que Dieu lui-même est au ciel, nous le sommes sur la terre et de même qu’il n’a point de supérieur là-haut, personne ici-bas n’égale la vertu de cette créature. « Soyez semblables », dit l’Écriture, « à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,45) Il nous fait même participer à son nom : « J’ai dit : Vous êtes dieux, et tous fils du Très-Haut. » (Ps. 81,6) Et ailleurs : « Je t’ai établi dieu de Pharaon. » (Ex. 7) Il lui a permis de créer des choses corporelles et incorporelles. Tantôt c’est Moïse qui transforme la création, tantôt tel ou tel élément qui cède à une autre voix. Enfin Dieu nous a prescrit de lui bâtir un temple en nous-mêmes. Vous ne créez point le ciel, mais vous créez un temple pour le Seigneur : et si le ciel même est un séjour de gloire, c’est que Dieu y réside : que dis-je ? La grâce du Christ nous l’a ouvert à nous-mêmes. « Il nous a réveillés et nous a fait asseoir à la droite dans les cieux. » (Eph. 2,6) Et il nous a permis de faire des choses plus grandes que ses propres ouvrages. « Les signes que je fais, lui aussi les fera, et il en fera de plus grands encore. » Au temps de l’Ancien Testament, l’un déplaça la mer, un autre arrêta le soleil, un autre prescrivit le repos à la lune, un autre fit reculer les rayons d u soleil ; les enfants, dans la fournaise, réprimèrent la fureur d’un élément ; la flamme s’apaisa, et fut réduite à murmurer dans son impuissance. Les bêtes féroces elles-mêmes savent respecter les amis de Dieu : même pressées par la faim, elles s’humanisent pour eux. Hommes sensuels, imitez la tempérance des animaux féroces. Des lions virent Daniel, et surent vaincre leur faim. Nous, en voyant venir à nous le Fils de Dieu, nous ne savons pas nous vaincre : Les lions aimèrent mieux mourir de faim que de toucher à la personne d’un saint : et nous qui voyons le Christ errer sans vêtements et sans pain, nous n’abandonnons pas même notre superflu : et du sein de notre opulence nous considérons froidement les souffrances des justes. Un autre ami de Dieu vit la terre lui prodiguer les présents de son sein avec une munificence inouïe jusqu’alors. Et comment s’étonner des marques d’honneur décernées à leurs personnes, lorsque leurs vêtements même, leur ombre, épouvantaient les démons, la mort, la maladie ? Des anges s’inclinèrent, devant des hommes, et les comblèrent d’honneurs. Et comment aurait-il pu en être autrement, quand leur maître traitait si magnifiquement ces mêmes créatures ? L’Ancien, le Nouveau Testament, nous en offrent la preuve. De là ces mots : « Selon votre sublimité, vous avez honoré les fils des hommes. » Réfléchissons à l’éclat de ces honneurs, et sachons en témoigner une juste reconnaissance, si nous ne voulons pas que tant de distinctions ne nous procurent d’autre fruit que le châtiment : duquel puissions-nous tous, maître et auditeurs, être préservés en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui convient toute gloire, tout honneur, toute adoration dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME XII.

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POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID. – D’APRÈS UN AUTRE CHANT DE VICTOIRE DE DAVID. – SUIVANT UN AUTRE : POUR UNE VICTOIRE : « JUSQUES A QUAND, SEIGNEUR, M’OUBLIEZ-VOUS COMPLÈTEMENT ? JUSQUES A QUAND DÉTOURNEZ-VOUS VOTRE VISAGE DE MOI. » D’APRÈS UN AUTRE : « CACHEZ-VOUS ? – JUSQUES A QUAND PLACERAI-JE DES PROJETS (OU RANGERAI-JE DES PENSÉES DANS MON ÂME, DES « CHAGRINS DANS MON CŒUR NUIT ET JOUR ? AUTREMENT : « MES INQUIÉTUDES DANS MA PENSÉE CHAQUE JOUR ? »
9 ANALYSE.

  • 1. De l’oubli de Dieu. —- En quoi il consiste. – Qu’il est lui-même une marque de la bonté divine.
  • 2. Trois motifs allégués dans la prière de David. – Fondement de sa confiance,
  • 3. Joie de la délivrance. – Devoirs de l’âme délivrée.


1. Ce n’est pas un médiocre avantage que de s’apercevoir de l’oubli de Dieu. Cet oubli n’est pas un mal sensible, mais un pur abandon. Du moins beaucoup de ceux qui sont oubliés l’ignorent et ne songent pas à s’en plaindre. Notre bienheureux au contraire, non seulement connaissait son malheur, mais encore il en calculait la durée. Cette expression « jusques à quand » indique un temps prolongé voila pourquoi David s’afflige et gémit. Veuillez considérer ici que ce ne sont jamais des choses mondaines comme l’argent ou la gloire qui causent ses pleurs, mais partout lu grâce divine. Et à quoi s’aperçoit-il, dira-t-on, que Dieu l’a oublié ? C’est qu’il savait aussi quand Dieu se souvenait de lui, et qu’Il connaissait parfaitement ce qu’est le souvenir, ce qu’est l’oubli. Il n’était pas semblable au vulgaire des hommes qui croient que Dieu se souvient d’eux quand ils sont riches, honorés du monde, et que tout réussit selon leurs vœux : cette erreur les empêche de s’apercevoir quand ils sont oubliés. Car ceux qui ne savent point à quels signes on reconnaît le souvenir, sont également incapables de discerner l’oubli. Ignorant les caractères de l’amitié, ils ne distinguent pas davantage ceux de l’inimitié. Dieu oublie souvent, oublie surtout ceux qui jouissent de ces biens fragiles : au contraire il se souvient fréquemment de ceux qui vivent dans l’adversité. Car rien n’appelle plus sûrement le souvenir de Dieu que les bonnes œuvres, la sagesse, la vigilance, la pratique de la vertu comme il n’est pas d’autre part, de motif d’oubli aussi efficace que le péché, l’injustice, les empiétements sur le bien d’autrui. Ainsi donc, mon très-cher frère, ce n’est pas quand vous êtes dans l’infortune qu’il faut dire : Dieu m’a oublié : c’est quand vous êtes dans le péché, et que tout marche selon vos souhaits. Si vous êtes bien convaincu de cette vérité, vous aurez hâte de renoncer à ces détestables pratiques.
« Jusques à quand détournez-vous votre visage de moi ? » Voilà le dernier degré de l’oubli. Il emprunte ses images à la nature humaine afin de dépeindre les actes de la divinité, sa colère, ses vengeances. Dieu détourne son visage quand nous ne vivons pas conformément à ses préceptes. « Quand vous étendrez vos mains », est-il écrit, « je détournerai mes yeux de vous. » En voici maintenant la raison : « Car vos mains sont pleines de sang. » (Is. 1,15) Mais la sollicitude divine éclate jusque dans l’abandon ; si Dieu détourne son visage, c’est afin de nous ramener plus sûrement. C’est ainsi qu’un amant passionné délaisse, abandonne l’objet de son amour, quand celui-ci lui témoigne trop de dédain : non qu’il le bannisse de sa pensée ; il veut seulement le ramener et se l’attacher. Après ce visage qui se détourne, voici maintenant l’oubli avec ses conséquences. Quelles sont-elles ? Celles qu’il nous fait connaître ensuite : « Jusques à quand placerai-je des projets dans mon âme ? » Ainsi que le nautonier égaré loin du port erre à l’aventure, ainsi que l’homme privé de la lumière, se heurte contre tous les obstacles : de même l’homme oublié de Dieu est livré à des soucis, des inquiétudes, des douleurs sans fin. Et ce n’est pas un faible moyen d’appeler sur soi l’attention de Dieu, que ces soucis, ces inquiétudes mêmes, que ces douleurs dont on est consumé, que de réfléchir à son délaissement. Ainsi Paul dit de lui-même en ! écrivant aux Corinthiens : « Et qui est celui qui me réjouit, sinon celui qui est contristé à cause de moi. » (2Cor. 2,2) Non, ce n’est pas, mon cher auditeur, un mince avantage, que de s’apercevoir que Dieu se détourne de nous, d’en souffrir, de nous en affliger. C’est par là que nous le ramènerons le plus promptement à nous. « Jusques à quand mon ennemi sera-t-il élevé au-dessus de moi ? » « Regardez-moi, exaucez-moi, Seigneur mon Dieu. Éclairez mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort. »
Si la présence et l’assistance de Dieu écarte loin de nous tout ce qui pourrait nous chagriner ; son absence, son oubli, déchire notre âme, attriste notre cœur, nous abandonne aux insultes de nos persécuteurs, multiplie sous nos pas les rochers et les précipices. Mais ce sont autant de bienfaits qui ont pour but d’encourager les indifférents, par toutes ces souffrances, à remonter avec plus de hâte à l’endroit d’où ils sont tombés. « Ta désertion t’instruira », est-il écrit, « et ton vice te confondra. » (Jer. 2,16) L’abandon de Dieu est donc lui-même une forme de la Providence. Quand sa sollicitude et sa tendresse rie rencontrent que le mépris, il s’éloigne pour un temps, il délaisse les tièdes, afin qu’ils secouent leur nonchalance et deviennent plus zélés. Regardez, dit-il, voyez mon ennemi qui s’élève contre moi : et si ce n’est en considération de mon infortune, du moins à cause de son orgueil et de sa jactance, écoutez-moi. Et que demandes-tu donc ? A vaincre tes ennemis ? Non pas, mais que mon cœur soit éclairé, que les ténèbres répandues sur mon discernement soient dissipées, que la lumière se fasse dans mon intelligence. Voici ce que je demande : « Éclairez mes yeux. Afin que jamais mon ennemi ne dise » en me voyant précipité dans la mort du péché : « Ainsi j’ai eu l’avantage sur lui (i). » Je l’ai vaincu, ce que je voulais voir s’est réalisé. Qu’est-ce à dire : « J’ai eu l’avantage sur lui ? » C’est-à-dire qu’il a été fort par rapport à moi, quelle que soit d’ailleurs sa force, à parler absolument. Notre défaite lui donne des forces, le rend robuste, redoutable, invincible.
2. Voyez-vous bien que nos péchés n’ont pas seulement pour effet de nous déshonorer, de nous perdre, de nous plonger dans la mort, mais encore de proclamer, par notre défaite, la force et la puissance dé nos ennemis : Que dis-je ? De les mettre en allégresse et en joie. Ali l quelle folie, quel aveuglement de s’allier avec ses ennemis contre soi-même, de donner lieu de se réjouir et de se féliciter à ceux qui persécutent et oppriment notre âme ! Voyez que d’absurdités ! Au lieu de vaincre notre ennemi « ses glaives se sont affaiblis à la fin », est-il écrit, « et l’impie a succombé (Psa. 9,7-6) : » au lieu de vaincre, nous sommes vaincus. Ce n’est pas tout, nous rendons notre ennemi robuste et vigoureux, et là ne s’arrête pas encore notre clémence, notre inconcevable maladie ; nous lui procurons encore des sujets d’allégresse et de joie. C’est vraiment le comble de l’ivresse, le comble des maux que le péché.
« Ils se réjouiront si je suis ébranlé. » Le Prophète allègue trois raisons pour émouvoir le Seigneur, pour attirer ses regards, le déterminer à tourner son visage vers lui, à exaucer sa prière : la force et la puissance de ses ennemis ; en second ou plutôt en premier lieu leur orgueil, leur insolence ; enfin leur joie, leur allégresse. C’est à peu près comme s’il disait Si ce n’est pas assez de ma prière, assez de mon infortune pour appeler vos regards, Seigneur, du moins que la jactance de mes ennemis, que la présomption dont leur puissance les pénètre attire votre attention : ils triomphent de mes maux, ils se rient de ma chute. « Exaucez-moi, éclairez mes veux. » Chassez ce lourd sommeil du péché, ce sommeil dont j’ai dormi presque jusqu’à la mort de mort âme. Pour peu que la sécurité dont je jouis auprès de vous soit ébranlée, c’est un sujet de joie et de forfanterie pour eux ; c’est à leurs yeux une preuve de leur force ; ils en conçoivent de l’orgueil, titi orgueil insupportable. Que ne feraient-ils pas, si je venais à périr ? Vous voyez que le Prophète regardé comme un malheur affreux, comparable au supplice et au châtiment, de réjouir l’ennemi commun, de le voir grandir et prendre des forces. En effet, s’il n’avait pas vu là un mal horrible et intolérable, il n’aurait pas usé d’un pareil moyen pour fléchir Dieu et pour se concilier sa bienveillance. Suivons son exemple : donnons toute notre attention, tous nos efforts, à ne pas exalter notre ennemi, à ne pas le fortifier, à ne pas le réjouir ; tout au contraire, à l’humilier, à le ravaler, à l’affaiblir, à lui causer de la honte et de la tristesse. C’est ce qui arrive dès qu’il voit des pécheurs rentrer dans la bonne voie. « Mais moi, j’ai espéré dans votre miséricorde (6). »
Qu’as-tu donc fait pour demander ces grâces, que Dieu retourne les yeux vers toi, qu’il exauce ta prière, qu’il éclaire les yeux de ton intelligence ? Quels sont tes titres ? Si d’autres en ont à produire, répond le Prophète, qu’ils les produisent. Moi je ne sais, je ne dis qu’une chose, je fonde en une chose toute mon espérance, je ne fais valoir qu’un motif, votre miséricorde, votre bonté. « Mais moi, j’ai espéré dans votre miséricorde. » Voyez-vous l’humilité du Prophète ? Voyez-vous la sagesse de ses pensées ? En dépit de tous ses mérites, bien suffisants par eux-mêmes, pour émouvoir Dieu, il les passe sous silence, il se borne à invoquer la miséricorde divine. De là il résulte que lorsqu’il parle de ses bonnes œuvres, par exemple, en disant : « Si j’ai fait cela, si j’ai rendu le bien », et autres paroles du même genre, il n’emploie ce langage que parce qu’il y est forcé : quand la nécessité ne le contraint pas, il se tait sur ce sujet, et se borne pour toute supplication à rappeler la miséricorde et la bonté de Dieu. Ensuite, persuadé qu’il ne sera point frustré dans son espérance, il ajoute « Mon cœur se réjouira à cause du salut que vous me procurerez. »
Voyez-vous la confiance de cette âme ? Elle demande : et avant d’être exaucée, elle remercie comme si elle l’était, elle chante les louanges de Dieu, elle se comporte, en un mot, comme on l’a vu plus haut. D’où venait donc au Prophète cette confiance ? De ses bons sentiments, de la ferveur avec laquelle il adressait sa prière : il savait qu’on est toujours entendu de Dieu, quand on l’invoque du fond du cœur par une ardente et vive prière. – Aussi, tandis que les hommes qui prient avec tiédeur et relâchement, même exaucés ressentent à peine le bienfait qu’ils ont reçu : ceux qui adressent leur requête avec zèle et recueillement, sont sensibles à la faveur avant même qu’elle leur soit accordée, par un effet de leurs excellentes dispositions, et la grâce divine leur fait éprouver par avance la satisfaction d’être exaucés ils témoignent leur reconnaissance, et se rapprochent par là du moment qui doit combler leurs vœux. « Mon cœur se réjouira à cause du salut que vous me procurerez. » Voilà, veut-il dire, ce qui réjouit mon âme, c’est d’être sauvé par vous ; ce qui la contente, c’est que vous voyez vous-même son salut.
3. Voyez-vous ces deux sortes de joie ? joie des ennemis causée par la chute, joie de l’âme causée par son propre salut ? L’une est celle du malin, l’autre est propre à ceux qui sont sauvés. – L’une est la perte, et de celui qui croit l’éprouver, et de celui qui la cause ; l’autre est le salut et la consolation de celui qui la ressent. C’est cette dernière joie, c’est ce contentement-là qu’il faut rechercher pour nous-mêmes : quant à l’autre, fuyons-le, ayons-en horreur. « Je chanterai en l’honneur du Seigneur qui m’a comblé de ses bienfaits, et je célébrerai le nom du Seigneur Très-Haut. » En commémoration de ce bienfait, veut-il dire, je consacrerai un chant au Seigneur, qui m’a comblé de ses grâces, a humilié mon ennemi, l’a rempli de confusion, l’a convaincu de faiblesse ; qui a exaucé ma prière, a tourné vers moi son visage, après avoir dissipé les ténèbres et l’obscurité que je traversais pour aller à la mort : heureux du salut qu’il m’a procuré, je lui consacre ce cirant comme un monument indestructible de ses bontés pour moi ; et ce n’est pas aujourd’hui seulement que je le célèbre, que je rappelle ses bienfaits ; dans la suite encore je chanterai, je célébrerai le nom du Seigneur, et je conserverai gravé dans mon âme en traits ineffaçables le souvenir de son infinie bienfaisance. Une pareille âme obtient facilement d’être sauvée des maux qui peuvent l’assaillir. Mais ce n’est pas tout : elle se garantit encore de la manière la plus efficace contre le retour de semblables infortunes. Car si elle conserve dans sa mémoire le souvenir du bienfait reçu, il est clair qu’elle ne saurait pas davantage oublier les épreuves dont le bienfait l’a tirée. – Dès lors, gardant souvenir de ses maux, on se remémore avec soin quelle a été l’origine, la cause d’une pareille infortune ; et grâce à ces réflexions, on se fortifie de toutes parts pour l’avenir, de manière à ne pas retomber dans de semblables adversités. – Et en même temps que l’on règle ainsi, que l’on amende sa conduite, on témoigne une vive reconnaissance à son sauveur, en le priant de devenir le gardien de celui dont il a été le libérateur.
Imitons cette manière d’agir, et si nous nous sommes laissé entraîner à quelque faute, ayons hâte de revenir à nous, faisons de notre chute un motif de sûreté, une raison de ne plus faillir. Comment donc faire ? Vous avez un maître en David. Vous avez péché ? Ne vous endormez point sur votre péché ; levez-vous, songez aussitôt que Dieu a détourné de vous son visage, qu’il vous a oublié ; après cela pleurez, gémissez, baignez chaque nuit votre lit de vos larmes, fuyez loin de ceux qui opèrent l’iniquité. Telles sont les leçons nouvelles que vous pouvez encore recevoir de David. Dites avec lui : « Jusques à quand, Seigneur, m’oublierez-vous toujours ? Jusques à quand détournerez-vous votre visage de moi ? » Dites cela, non des lèvres, mais avant tout du cœur. Dites encore tout ce que David fait valoir à l’appui de sa prière. Quand vous aurez tout dit, espérez dans la miséricorde de Dieu ; espérez, ne doutez pas. « Celui qui doute », est-il écrit, « ressemble au flot de la mer qui est battu des vents. Que celui qui est tel, ne pense pas obtenir quelque chose de Dieu. Car c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies. » Espérez donc dans la miséricorde divine, sans jamais douter, et vous ne manquerez pas de voir votre prière exaucée, et une fois exaucé ne devenez pas ingrat, n’oubliez pas votre bienfaiteur, consacrez le souvenir de son bienfait par un monument, par un hymne de reconnaissance au Seigneur. Peut-être êtes-vous incapable d’en composer un vous-même. Eh bien ! convoquez les pauvres, empruntez leurs langues et servez-vous-en pour cet usage. Sachez bien que l’hymne de David a été moins agréable à l’oreille de Dieu, que ne le sera celui que ces voix-là feront entendre en votre nom. En effet, de même que l’harmonie produite par des sons divers fait une musique plus agréable que n’est une simple mélodie, ainsi les voix des pauvres charmeront Dieu comme un délicieux concert. Élevez donc, et à Dieu et à vous-même, un pareil monument, afin de rappeler sa bienfaisance et, tout à la fois, de marquer votre reconnaissance et votre gratitude, par ce signe du souvenir éternel qui doit rester au fond de votre cœur et, de là, diriger votre vie. Oui, dirigeons tous ainsi notre vie, afin que nous devenions dignes, nous aussi, de l’héritage des biens éternels, en J.-C. N. S, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. X***.

EXPLICATION DU PSAUME XLI.

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« DE MÊME QUE LE CERF ASPIRE APRÈS LES SOURCES (2). » POURQUOI LES PSAUMES ONT ÉTÉ INTRODUITS ICI-BAS, ET POURQUOI ON ASSOCIE LE CHANT A LEURS PAROLES. – DE LA LONGANIMITÉ DE DIEU.

ANALYSE.

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L’homélie sur le psaume XLI fut prononcée à Antioche, l’an 387, après le mois de septembre, entre le septième et le huitième discours contre les Juifs.

  • 1. L’orateur sacré doit prendre en main tantôt la harpe de David, tantôt l’arme de la controverse. L’effet de la musique est grand sur les âmes, voilà pourquoi Dieu fait chanter les psaumes, c’est afin que les âmes suivent sans effort le sens des paroles sacrées.
  • 2. L’orateur conseille de chanter des psaumes pendant les repas, pendant les promenades en tout temps, en tout lieu.
  • 3. Du gémissement de l’esprit ; ce que c’est. Que nous pouvons aimer Dieu sans le voir. Trois choses donnent naissance à l’amour.
  • 4-6. Les bienfaits de Dieu envers nous.
  • 7. Exhortation.


1. Lorsque nous vous parlions l’autre jour de Melchisédech, vous étiez surpris de la Longueur de nos paroles ; et moi j’étais surpris du zèle et de l’intelligence avec lesquels vous écoutiez, et de cette attention avec laquelle vous nous avez suivi, jusqu’au bout, malgré les proportions que prenait notre discours d’autant qu’il n’était pas seulement de longue haleine, mais qu’il offrait aussi de grandes difficultés. Mais ni sa longueur ni ses difficultés n’ont mis en défaut votre zèle. Eh bien ! en récompense de votre peine d’alors, nous allons aujourd’hui vous faire assister à un entretien plus simple. En effet, il ne faut, ni tendre sans cesse l’esprit de ses auditeurs, lequel ne tarde pas à se rompre de fatigue, ni toujours lui laisser du relâche et desserrer son frein, car alors il redevient paresseux. Il faut donc varier la forme de l’enseignement, et discourir tantôt sur le ton de la fête, tantôt, sur celui de la controverse et de la lutte. Je vous disais dans les dernières circonstances que lorsque les loups venaient assaillir le troupeau, les pasteurs laissaient là leur chalumeau, et s’armaient de la fronde : eh bien ! maintenant que les fêtes judaïques sont passées, car il n’y a pas de loups plus acharnés que les Juifs, laissons de côté la fronde, et retournons à nos chalumeaux ; faisons trêve aux discours militants, et servons-nous d’un langage plus simple, prenant en main la harpe de David, et vous proposant pour sujet ce verset de psaume que nous avons tous chanté, aujourd’hui. Ce verset, le voici : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu. »
Mais il faut dire auparavant pourquoi le psaume a été introduit parmi les hommes, et pourquoi ces prophéties se récitent plus particulièrement avec chant. Voici pourquoi on les chante. Dieu s’était aperçu que beaucoup d’hommes étaient tièdes, éprouvaient du dégoût pour la lecture des choses spirituelles, et supportaient avec peine le travail que cela leur imposait ; il voulut leur rendre la tâche plus agréable, leur ôter le sentiment de la peine, et pour cela, il joignit la mélodie aux paroles prophétiques, afin que tous, entraînés par le rythme musical, fissent monter vers lui les saintes hymnes avec une grande ferveur. Car il n’est rien, non rien qui élève l’âme, qui lui donne des ailes, qui l’arrache à la terre, qui l’affranchisse des liens du corps, qui lui inspire la divine sagesse, qui lui fasse tout mépriser ici-bas, comme une musique d’ensemble et les accents mesurés d’un divin cantique. Il y a dans le chant et dans la musique un charme si approprié à notre nature, que c’est un moyen de calmer même les enfants à la mamelle, lorsqu’ils crient et qu’ils sont fâchés. Aussi les nourrices qui les portent dans leurs bras vont et viennent mille et raille fois en leur chantant des airs enfantins, qui réussissent à fermer leurs paupières. C’est encore pour la même raison que l’on voit souvent vers le milieu du jour des gens en voyage conduisant leurs bêtes de somme, chanter en même temps, pour adoucir par ces chants les désagréments du voyage. Et non seulement les voyageurs, mais encore les cultivateurs chantent fort souvent, lorsqu’ils foulent le raisin, ou qu’ils font la vendange, lorsqu’ils donnent des soins à leurs vignes, ou se livrent à n’importe quel autre travail.
Les matelots chantent aussi en maniant la rame. Et quand les femmes font de la toile, et qu’elles démêlent avec la navette les fils embrouillés de la chaîne, elles chantent aussi des airs, soit chacune en particulier, soit toutes en chœur. Or, toutes ces personnes, femmes, voyageurs, cultivateurs ou matelots, ne chantent ainsi que dans le but d’alléger la fatigue de leurs travaux, parce que l’âme, lorsqu’elle entend un air, un chant, est capable de supporter plus facilement toute sorte de peines et de fatigues. Et comme cette sorte de plaisir a pour notre âme un attrait si naturel, Dieu, pour empêcher que les démons ne viennent tout bouleverser en introduisant parmi nous des chants lubriques, Dieu nous a donné les psaumes comme un rempart, et a voulu qu’ils nous fussent à la fois agréables et utiles. Car les chants mondains sont nuisibles, pernicieux, les maux qu’ils causent sont nombreux : ce qu’ils ont de plus impur et de plus déréglé s’introduisant dans le fond des âmes, les affaiblit et les énerve ; au contraire le chant tout spirituel des psaumes est d’une grande utilité, d’un grand profit ; il nous procure une abondante sanctification, il nous suggère toute espèce de sagesse, parce que leurs paroles purifient nos âmes, et que l’Esprit-Saint ne tarde pas à descendre dans l’âme qui fait retentir de pareils accents. Oui, ceux qui chantent les psaumes avec conscience invoquent par là la grâce du Saint-Esprit, témoin cette parole de saint Paul : « Ne vous enivrez point de vin, car il produit la débauche ; mais remplissez-vous du Saint-Esprit ; » puis il ajoute la manière d’y parvenir : « en chantant », dit-il, du fond de vos cœurs, des cantiques et des « psaumes au Seigneur. » (Eph. 5,18-19) Que signifie « du fond de vos cœurs ? » C’est-à-dire avec conscience, pour que, la bouche prononçant les paroles, la pensée ne s’en aille pas au-dehors s’égarant de tous côtés, mais pour due l’âme écoute les paroles de la langue.
2. Vous le savez, où il y a un bourbier, les pourceaux y courent ; mais aussi, où il y a des aromates et des parfums, les abeilles établissent leur demeure : de même, où des chants lubriques se fout entendre, les démons se rassemblent ; mais là où retentissent des chants spirituels, vient se reposer la grâce de l’Esprit-Saint, sanctifiant et les bouches et les âmes. Et je le dis, non pas seulement pour vous inciter à louer Dieu vous-mêmes, mais aussi pour que vous appreniez à vos enfants et à vos femmes à chanter de pareils cantiques, non pas seulement en faisant de la toile ni en travaillant à d’autres ouvrages, mais particulièrement quand vous êtes à table. En effet, c’est surtout pendant les repas que le démon vous tend des pièges : il a pour lors le secours de l’ivresse et de l’intempérance, des rires immodérés, du laisser-aller de l’âme ; c’est donc surtout alors, ainsi qu’avant et après le repas, qu’il faut lui opposer comme un rempart la vertu fortifiante des psaumes ; il faut cous lever de table avec votre femme et vos enfants, et chanter en commun les saintes hymnes à Dieu. Car si Paul, tout exposé qu’i il était à d’intolérables coups de fouet, les entraves aux pieds et retenu dans une prison, a pu au milieu de la nuit, alors que le sommeil enchaîne tous les hommes avec le plus de douceur, employer le temps, conjointement avec Silas, à louer Dieu par des hymnes ; si ni la nature du lieu, ni les circonstances, ni l’inquiétude, ni la tyrannie du sommeil, ni la souffrance causée par tant de supplices, si rien en un mot ne put le forcer à interrompre ses chants (Act. 16,25) ; combien plus ne devons-nous pas, quand nous sommes dans la joie, quand nous jouissons des biens que Dieu nous accorde, faire mouler vers fui des chants d’actions de grâces, afin que si l’ivresse et l’intempérance donnent accès dans notre âme à quelque chose de déréglé, toutes ces pensées folles et mauvaises prennent aussitôt la fuite lorsque survient le chant des psaumes. À l’exemple de tous ces riches qui ont soin d’emplir de baume une éponge et d’en frotter la table, afin que si les mets ont fait quelque tache, la table apparaisse propre quand l’éponge y aura passé ; de même les chants spirituels sont un baume dont nous devons emplir nos bouches, afin que si l’intempérance a laissé quelque tache dans l’âme, nous l’effacions au moyen de ces cantiques sacrés, que, nous levain tous nous dirons en commun. « Tu nous as réjouis, Seigneur, par les choses que tu as créées, et nous nous complairons avec allégresse dans les œuvres de tes mains. » (Ps. 91,5) Et qu’au chant du psaume succède aussi une prière, afin que nous sanctifiions notre demeure en même temps que notre âme. Car de même que ceux qui amènent à leur table des mimes, des danseurs et des courtisanes, y appellent les démons et Satan lui-même, et remplissent leur maison de mille et mille dissensions (car il en résulte des jalousies, des adultères, des débauches et tous les maux imaginables) ; ainsi ceux qui prient David de venir avec sa harpe, appellent par son intermédiaire Jésus-Christ même dans leur maison. Or, là où est le Christ, nul démon n’oserait jamais entrer, ni même seulement jeter les yeux ; mais la paix, la charité, tous les biens en un mot y afflueront comme de source. Ces gens-là font de leur habitation un théâtre ; vous autres, faites de votre demeure une église. En effet, là où l’on récite les psaumes, là où l’on prie, là où vient s’assembler le cortège des prophètes, et où l’âme des chanteurs est pleine de l’amour de Dieu, ce n’est point se tromper que d’appeler une pareille réunion du nom d’église. Et quand même vous ne comprendriez pas le sens des paroles, ne laissez pas de former votre bouche à les prononcer ; car la langue se sanctifie même par les paroles, quand on les dit avec bonne volonté. Si nous prenons cette habitude, nous n’omettrons jamais ni à dessein, ni par tiédeur, cette belle manière d’honorer Dieu, car l’habitude nous forcera chaque jour, même sans que nous le voulions, à lui rendre ce beau culte. Pour ce chant des psaumes, point de défaite à donner, ni vieillesse, ni jeunesse, ni rudesse dans la voix, ni inexpérience de l’art de la musique. Ce qu’on y cherche, c’est la sobriété de l’âme, la vigilance de la pensée, la componction du crieur, la solidité de la raison, et une conscience purifiée. Si vous entrez avec tout cela dans le saint cœur de Dieu, vous serez dignes d’y figurer auprès de David même. Point n’est besoin ici de harpe ni de cordes tendues, ni d’archet, ni d’art, ni d’aucun instrument : ou si vous voulez, c’est de vous-même que vous ferez une harpe, en mortifiant vos membres charnels, et en mettant votre corps dans une grande harmonie avec votre âme. Car lorsque la chair n’a point de désirs contraires à l’esprit, mais qu’elle cède à ses commandements, lorsque vous la dirigez jusqu’au bout vers la voie excellente et surnaturelle, vous produisez alors une harmonie spirituelle. Il n’est ici nul besoin d’un art longtemps perfectionné ; il ne faut qu’une intention généreuse, et en un court instant l’habileté nous viendra. Tout cela n’exige ni un certain lieu ni un certain laps de temps ; en tout lieu, en toute circonstance il est possible de chanter les psaumes par la pensée. Même en vous promenant sur la place publique ou en passant dans les rues, même dans la société de vos amis, vous pouvez élever votre âme, vous pouvez vous écrier tout en gardant le silence. C’est ainsi que s’écriait Moïse, et Dieu l’écouta. (Ex. 14,15) Êtes-vous artisan ? il vous est possible de chanter les psaumes, étant assis dans votre atelier, et tout en travaillant. Êtes-vous soldat ? vous pouvez en faire autant pendant que vous êtes de service au tribunal.
3. On peut donc chanter les psaumes sans faire usage de sa voix, c’est la pensée qui retentit au dedans de nous. Car ce n’est pas pour les hommes que nous chaulons les psaumes, mais lieur Dieu qui sait entendre nos cœurs et pénétrer dans le secret de nos pensées. C’est ce que nous enseigne saint Paul, lorsqu’il s’écrie : « L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables. Et celui qui sonde les cœurs sait quelle est la pensée de l’Esprit, parce que c’est selon Dieu qu’il intercède pour les saints. » (Rom. 8,26-97) Ce qui ne veut pas dire que l’Esprit gémisse, mais que les hommes spirituels, qui possèdent les grâces de l’Esprit-Saint, en priant pour leur prochain et en offrant leurs supplications, le faisaient avec componction et avec gémissements. Faisons donc comme eux, et intercédons chaque jour auprès de Dieu au moyen des psaumes et des prières. Et afin de ne pas seulement en proférer les paroles, mais encore de savoir la valeur des mots, mettons-nous à examiner le début même de notre psaume. Voici ce début : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu. » C’est l’ordinaire, quand on aime, de ne point tenir secrète son affection, mais de s’en ouvrir à d’autres, de leur déclarer que l’on aime. Car l’amour est ardent de sa nature, et l’âme ne pourrait supporter de le renfermer ainsi sous le silence. C’est pourquoi Paul disait aux Corinthiens qu’il aimait : « Notre bouche est ouverte pour parler de vous, ô Corinthiens (2Cor. 7, 11) ; » c’est-à-dire : Je ne puis cacher ni tenir secret mon amour pour vous, mais sens cesse et partout, je vous porte dans mon esprit et sur ma langue. Et c’est ainsi que le bienheureux Psalmiste, qui aimait Dieu, et qui était consumé de cet amour, ne pouvait supporter de s’en taire, mais que tantôt il disait : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu ; » et une autre fois : « O Dieu, mon Dieu, je me tourne vers vous dès l’aurore. Mon âme a soif de vous, comme une terre inaccessible, aride et déserte. » (Ps. 62, 1) Car c’est ainsi que l’a traduit un autre interprète. Et en effet, comme il ne peut trouver de langage pour exprimer son amour, il cherche toutes sortes d’exemples, pour nous faire ainsi comprendre sa tendresse, et nous faire partager les mêmes transports. Laissons-nous – donc persuader à ses paroles, et apprenons à aimer ainsi.
Et qu’on n’aille pas me dire : Et comment puis-je aimer Dieu, que je ne vois pas ? Il y a bien des gens que nous aimons sans les voir, comme par exemple nos amis, nos enfants ou nos parents, nos proches et nos familiers, lorsqu’ils sont en pays étranger : la privation de leur aspect n’apporte à cela aucun obstacle, c’est même précisément là ce qui enflamme surtout notre tendresse et accroît le besoin que nous avons de leur présence. C’est pourquoi encore, Paul parlant de Moïse, et ayant dit qu’il abandonna richesses, trésors, splendeur royale, tout l’éclat en un mot dont il jouissait en Égypte, et préféra être affligé avec les Juifs ; ensuite pour nous apprendre la cause de cette conduite, qui était que Moise faisait tout cela pour Dieu, il ajoute ces mots : « Car il demeura ferme comme s’il eût vu l’invisible. » (Héb. 11,25-27) Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses créatures, vous voyez ses œuvres, le ciel, la terre, la mer. Et quand on aime, il suffit de voir quelque ouvrage de la personne aimée, ou même sa chaussure, ses habits, n’importe quel objet lui appartenant, pour que cet amour se ravive en nous. Vous ne voyez point Dieu, mais vous voyez ses serviteurs, ses amis, je veux dire les saints, qui ont toute sa confiance. Honorez-les maintenant et vous en recevrez un adoucissement extraordinaire, aux regrets que vous avez de ne point le voir. En effet, même lorsqu’il s’agit de nos semblables ; nous aimons ordinairement non seulement nos amis, mais encore les personnes qu’ils aiment. Et si une personne que nous aimons vient à nous dire J’aime bien untel ; quand il lui arrive quelque bonheur, il me semble que c’est à moi que l’on fait du bien ; alors nous faisons tout, nous employons toutes nos ressources pour prouvera cette dernière personne tout notre zèle, comme si nous voyions en elle celle même que nous aimons. Eh bien ! il nous est donné dès maintenant de donner cette preuve de notre amour pour Jésus ! Il a dit qu’il aimait les, pauvres, et que si nous leur faisions du bien, il nous récompenserait comme s’il en avait lui-même été l’objet. (Mt. 19,21) Faisons donc tout pour leur venir en aide ; que dis-je ? Épuisons pour eux tous nos biens, persuadés qu’en leur personne, c’est Dieu même que nous nourrissons. Si vous voulez vous en convaincre, écoutez cette parole de Jésus-Christ : « Car vous m’avez vu souffrant de la faim, et vous m’avez donné à manger ; souffrant de la soif, et vous m’avez donné à boire ; dans la nudité, et vous m’avez vêtu (Mt. 25,35-36) », et il nous a donné bien des moyens d’adoucir le regret de ne point le voir.
Voici trois choses principales qui font ordinairement naître l’amour en nous : la beauté du corps, la grandeur des bienfaits, et l’amour qu’on a pour nous. Il suffit même d’une seule de ces circonstances pour produire en nous cette tendresse. Car, sans que la personne nous ait fait aucun bien, si nous apprenons qu’elle nous aime, qu’elle nous loue et nous admire, aussitôt nous nous attachons à elle, et nous la chérissons comme une bienfaitrice. Or, non seulement cette condition existe en Dieu, mais elles y existent toutes les trois à un tel degré de surabondance que le langage n’y peut atteindre. Et d’abord, la beauté de cette nature bienheureuse et sans tache est quelque chose de si prodigieux et de si inviolable que cela surpasse toute expression et échappe à toute pensée. Et quand je vous parle de beauté, ne soupçonnez là rien de corporel, mon cher auditeur, mais bien une gloire immatérielle et une magnificence ineffable.
4. C’est cette nature que le Prophète publiait en ces termes : « Et les séraphins se tenaient autour de lui, et avec deux de leurs aises ils se couvraient le visage, avec deux autres ils se couvraient les pieds, et des deux autres ils volaient, en criant : Saint, saint, saint ! » (Is. 6,2-3), pénétrés qu’ils étaient de saisissement, d’admiration à la vue de cette majesté, de cette gloire. David aussi, ayant en vue cette même beauté, et frappé de la gloire de cette nature bienheureuse, disait : « Ceins ton glaive à ton côté, Dieu puissant, dans ta splendeur, dans ta beauté. » (Ps. 44,4-5) C’est pour cela encore que Moïse désirait si souvent le voir, dévoré par cette tendresse et plein d’amour pourtant de gloire. (Ex. 33,13) C’est également ce qui faisait dire à Philippe : « Montre-nous le Père, et nous serons satisfaits. » (Jn. 14,3) Que dis-je ? tout ce que nous pourrions exprimer ne serait pas même une faible et pâle image de tant de majesté. Faut-il maintenant vous énumérer ses bienfaits ? Mais, ici encore, les paroles seront impuissantes. Aussi saint Paul disait-il : « Et « rendons grâces au Seigneur pour le don inexprimable qu’il nous a fait. » (2Cor. 9,15) Et ailleurs : « Qu’aucun œil n’a vu, que nulle oreille n’a entendu, que le cœur de l’homme n’a point conçu ce que Dieu a réservé à ceux qui l’aiment. » (1Cor. 2,9) Et autre part encore : « O profondeur des richesses, de la sagesse et de la science de Dieu ! Combien ses décrets sont impénétrables et ses voies impossibles à découvrir. » (Rom. 11,33) Et la tendresse dont il a fait preuve envers nous, quel langage pourra l’exprimer ? Saint Jean en était frappé, et c’est pour cela qu’il disait « Car Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique. » (Jn. 3,16) Et si vous voulez entendre les paroles mêmes de Dieu, et apprendre toute l’affection qu’il a pour les hommes, écoutez ce qu’il dit par son prophète : « Une femme oubliera-t-elle jamais sa pitié pour les fruits de ses entrailles ? Or, « quand même une femme oublierait cela, moi je ne l’oublierai pas. » (Is. 49,15) Et de même que le Prophète disait : « Comme le cerf désiré les sources, ainsi mon âme soupire après toi, mon Dieu ; » de même le Christ nous dit : « Comme l’oiseau rassemble sa couvée, ainsi j’ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l’avez pas voulu. » (Mt. 23,37) Et autre part : « Comme un père a pitié de ses fils, ainsi le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent. » (Ps. 102,13) Il dit encore : « Car autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant le Seigneur a fortement établi sa miséricorde sur ceux qui le craignent. » (Id. 11) Et de même que le Prophète cherche un exemple pour faire comprendre son aspiration vers Dieu, ainsi Dieu se sert de comparaisons pour nous montrer l’ardent désir qu’il a pour notre salut. Et si le prophète a pris pour exemples un cerf altéré, et une terre desséchée par la chaleur, Dieu prend pour objets de comparaison la tendresse des oiseaux pour leur couvée, la sollicitude des pères pour leurs fils, la hauteur du ciel au-dessus de la terre, et les entrailles maternelles, non pas qu’il ne nous aime que comme une mère aime son enfant, mais c’est qu’il n’y a pas parmi nous d’expressions plus fortes pour prouver l’affection que ces termes-là, que ces comparaisons, que ces exemples. Pour vous convaincre qu’il ne nous aime pas seulement comme une tendre mère aime ses enfants, mais beaucoup plus encore, écoutez ses paroles : « Quand même », dit-il, « une femme oublierait le fruit de ses entrailles, moi je ne l’oublierai pas. » Il a voulu montrer par là que sa sollicitude pour nous est plus ardente que la plus vive tendresse. Réunissez tous ces traits, repassez-les dans votre esprit, et vous ferez naître en vous un brûlant amour, vous y allumerez une flamme resplendissante. Et puisque, même entre les hommes, rien ne ait naître ordinairement le feu de l’amitié comme le souvenir des bienfaits que nous avons reçus, conduisons-nous de même à l’égard de Dieu. Réfléchissons à tout ce qu’il a fait pour nous, le ciel même, la terre, la mer, l’air, les plantes qui croissent sur la terre, les fleurs diverses, les animaux domestiques et sauvages, tout ce qui existe dans la mer, au milieu de l’air, les astres qui sont dans le ciel, le soleil, la lune, en un mot toutes les choses visibles, les éclairs, le bel ordre des saisons, la succession du jour et de la nuit, le renouvellement des années. Il a soufflé l’âme en nous, il nous a fait don de la raison, il nous a revêtus de la plus grande autorité. Il nous a délégué des anges, il nous a envoyé des prophètes, et enfin son Fils unique. Et après tant de bienfaits, il vous invite encore, tant par lui-même que par son Fils unique à vous sauver : et saint Paul ne cesse de nous crier de sa part : « Dieu vous y invite par notre bouche, nous vous en conjurons au nom du Christ, réconciliez-vous avec Dieu. » (2Cor. 5,20) Et il ne s’est pas arrêté là : il a recueilli le type de votre nature humaine, et « Il l’a fait asseoir au-dessus de toute principauté, de toute autorité, de toute puissance, et de tout nom qui soit jamais non seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle à venir. » (Eph. 1,21)
Il est vraiment à propos de dire maintenant « Qui raconter les puissances du Seigneur ? qui fera entendre toutes ses louanges ? » (Ps. 105,2) Et aussi : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits ? » (Ps. 115,12) En effet, quel honneur pourrait égaler celui de voir les prémices de notre genre humain, de cette race auparavant si déchue, si déshonorée, siéger maintenant à une telle hauteur, et jouir d’un tel honneur ? Puis, ne songez pas seulement aux bienfaits que tous les hommes partagent, énumérez encore ceux dont vous êtes particulièrement l’objet, par exemple lorsque tombé dans les pièges de la calomnie, vous êtes sorti victorieux de ses accusations, ou si, ayant rencontré des brigands à une heure dangereuse, au milieu même de la nuit, vous avez échappé à leurs embûches, ou si vous avez conjuré une peine qui vous était infligée, ou lorsque atteint d’une maladie cruelle, vous avez éprouvé du soulagement.
5. Repassez dans votre esprit tous les bienfaits que vous avez reçus de Dieu pendant toute votre vie, et assurément vous les trouverez en grand nombre, non seulement dans votre vie entière, mais même pendant un seul jour ; si Dieu voulait nous remettre sous les yeux tous les biens dont il nous comble chaque jour sans que nous y fassions attention, sans que nous nous en doutions, nous ne pourrions pas même les compter. Combien de démons traversent cet air qui nous entoure ! Combien de puissances ennemies ! S’il leur permettait seulement de se montrer à nous, avec leur aspect épouvantable, horrible, ne fuirions-nous pas, ne serions-nous pas perdus, ne serait-ce pas notre destruction ? Oui, en réfléchissant à tout cela, et aussi à nos péchés, à toutes les chutes que nous faisons, ou en connaissance de cause, ou sans nous en apercevoir (car ceci encore ne doit pas compter pour peu de chose parmi les bienfaits de Dieu, que chaque jour il ne tire pas vengeance de nos transgressions) ; en songeant, dis-je, à tout cela, nous serons capables d’aimer Dieu. Si vous considérez tous les péchés que vous faites par jour, tous les bienfaits que vous recevez chaque jour aussi, toute la longanimité, toute l’indulgence dont il vous favorise, si vous réfléchissez que si Dieu se vengeait tous les jours vous n’auriez pas vécu même un court espace de temps, selon le Prophète qui dit : « Si vous tenez compte de nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra résister ? (Ps. 129,3) », alors vous lui rendrez grâces, et vous ne vous irriterez de rien de ce qui vous arrivera ; mais vous verrez que, souffririez-vous mille et mille maux, ce ne serait pas encore une satisfaction proportionnée, et étant dans ces dispositions, vous allumerez en vous un grand désir de Dieu, et vous pourrez dire avec le Prophète : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu. » Mais il est à propos d’examiner pourquoi le Prophète a pris pour comparaison le cerf plutôt qu’un autre animal. C’est que le cerf est très-souvent altéré, et pour cette raison, il accourt continuellement près des sources. Il est porté à l’altération par sa nature même, et aussi parce qu’il dévore les serpents et se nourrit de leur chair. Eh bien ! imitez-le : dévorez le serpent intellectuel ; terrassez le péché, et vols serez capable d’être altéré du désir de Dieu. Car de même qu’une mauvaise conscience nous souille et nous jette dans le découragement, de même, quand nous aurons terrassé nos péchés, quand nous nous serons purifiés de notre malice, nous pourrons tourner nos pensées vers les désirs spirituels, invoquer Dieu avec une grande ardeur, allumer en nous une tendresse plus vive, et chanter notre réponse d’aujourd’hui non seulement en paroles, mais par nos actions elles-mêmes. En effet, lorsque le bienheureux roi, ou plutôt la grâce du Saint-Esprit, a chanté pour nous les psaumes, ce n’était pas seulement pour nous erg faire prononcer les paroles, c’était aussi pour que nos actions mêmes en reproduisissent les leçons. Quand vous entrez ici, ce n’est pas seulement, croyez-le bien, pour dire les paroles des psaumes, c’est afin que, lors du chant de vos répons, vous considériez comme un contrat ce que vous répondez. Lorsque vous avez dit : « De même que le cerf aspire après les sources, « ainsi mon âme soupire après vous, mon « Dieu ; » vous avez fait un pacte avec Dieu, vous avez, quoique sans papier ni encre, signé une obligation, vous avez confessé verbalement que vous l’aimez par-dessus tout, que vous ne lui préférez rien, et que vous brûlez d’amour pour lui. Si donc en sortant d’ici vous rencontrez une beauté aux mœurs impures qui cherche à vous séduire et, s’attirer votre amour, dites-lui : Je ne puis vous suivre, j’ai fait un contrat avec Dieu, en présence de mes frères, des prêtres, des docteurs ; par les paroles que j’ai répétées en chantant, j’ai confessé que je l’aimais, j’ai promis de l’aimer « de même que le cerf aspire après les sources. » Je redouterais d’enfreindre ce contrat, je me consacre désormais à mon amour pour Dieu. Si vous apercevez de l’argent sur la place, ou des habillements brochés d’or, ou des gens marchant d’un air fier, avec des serviteurs et des chevaux richement caparaçonnés, que cet appareil n’influe en rien sur vous, mais reprenez en vous-même le même chant de psaume, et dites à votre âme : Nous chantions il n’y a qu’un instant : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu ; » et nous nous sommes approprié ce texte, nous l’avons rendu nôtre. N’aimons donc rien de ces choses d’ici-bas, afin que cet amour demeure en, nous sans mélange, et qu’il ne s’affaiblisse pas par cette division. Cette richesse pourra nous procurer toute richesse, tous les trésors possibles, toute célébrité, toute gloire, tout éclat. Conservons-la bien, et nous n’aurons besoin de rien autre chose. En effet, quand on voit ces hommes que possède un amour honteux, et qui sont épris de quelque belle courtisane, ne faire attention ni aux menaces d’un père, ni aux reproches de leurs amis, ni au blâme de bien d’autres personnes, mais avoir continuellement cette femme pour but, et dédaigner famille, héritage paternel, gloire, considération, exhortations de l’amitié, croyant avoir une ample compensation de tout cela, s’ils sont considérés de l’objet seul de leur amour, cette femme fût-elle de rang infime, sans honneur, la première venue ; et comment donc ceux qui aiment Dieu comme il faut, seraient-ils sensibles aux choses humaines, soit brillantes, soit fâcheuses ? Non, ils ne verront même pas les illusions de la vie présente, tournés qu’ils sont vers l’amour de Dieu, mais ils riront de toutes les prospérités, et mépriseront tous les revers, captivés par leurs saintes aspirations, et ne voyant que Dieu seul, en tous lieux se le représentant, et se trouvant les plus heureux des hommes. Jusque dans la pauvreté, dans l’ignominie, dans les fers, dans les tribulations, dans les derniers des maux, ils jugeront encore leur position meilleure que celle des souverains mêmes, car ils auront dans toutes leurs souffrances une consolation merveilleuse, celle de souffrir pour l’objet de leurs désirs.
6. Aussi saint Paul, qui était chaque jour voisin de la mort, dans les prisons, au milieu des naufrages, dans les déserts, sous les coups de fouet, victime de mille autres supplices, était joyeux et dans l’allégresse, il tressaillait de plaisir et de ravissement (2Cor. 11,23, 27) ; et tantôt il disait : « Ce n’est pas seulement dans l’espérance de la gloire de Dieu, c’est même de nos tribulations que nous sommes fiers (Rom. 5,2-3) ; » et tantôt : « Je me réjouis dans mes souffrances, et je complète en ma chair ce qui manquait aux afflictions de Jésus-Christ (Col. 1,24) ; » et il appelle cela une grâce ; car voici ce qu’il déclare, ce qu’il dit en propres termes : « C’est ainsi que le Christ nous a fait la grâce, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. » (Phil. 1,29) Efforçons-nous donc aussi de penser de la sorte, et souffrons avec joie tout ce qui nous arrive de fâcheux. Nous pourrons le souffrir ainsi, si nous aimons Dieu comme le Prophète l’a aimé. Car ce n’est pas seulement ce verset que les fidèles répondent ensemble qui nous tait voir sa tendresse, ce sont encore les paroles qui suivent. Après avoir dit : « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme aspire après vous, mon Dieu », il ajoute : « Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant ; quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? » (Ps. 41,3) Il n’a pas dit : mon âme a aimé le Dieu vivant, ni mon âme a chéri le Dieu vivant ; niais, pour dépeindre sa disposition, il a appelé sa tendresse une soif, nous montrant ainsi à la fois l’ardeur de son amour et la continuité de sa flamme. Car de même que les gens disposés à l’altération n’éprouvent pas la soif un jour seulement, ni seulement deux ou trois, mais pendant toute leur vie, parce que c’est leur nature qui les y porte, de même le bienheureux roi et tous les saints n’ont pas été dans la componction un jour seulement, comme tant d’hommes, ni seulement deux ou trois (car il n’y a là rien d’admirable), mais ils étaient continuellement et chaque jour dans un état de pieux amour, et ils faisaient croître en eux cette charité. C’est ce qu’il nous fait voir, lorsqu’il dit : « Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant », indiquant à la fois le motif de son amour, et voulant pour votre profit montrer comment on arrive à aimer Dieu ainsi. C’est bien, en effet, nous apprendre tout cela que de nous dire d’abord : « Mon âme a eu soif de Dieu », et d’ajouter ensuite : « Du Dieu vivant ; » c’est presque comme s’il conseillait, comme s’il criait à tous ceux qui soupirent après les choses d’ici-bas Pourquoi cette passion insensée pour des corps ? Pourquoi ce désir de gloire ? Pourquoi cette recherche de la sensualité ? Rien de tout cela ne demeure ni ne vit perpétuellement, toutes ces choses s’envolent et passent plus vaines que l’ombre, plus trompeuses que les songes, plus fugaces que les fleurs printanières ; les unes nous abandonnent au sortir de la vie présente, les autres périssent avant même notre existence ici-bas. Leur possession est infidèle, leur jouissance incertaine, leurs changements rapides ; en Dieu, au contraire, rien de tel, il vit et dure éternellement sans éprouver ni changement ni vicissitudes Laissons donc là les objets passagers, éphémères, et aimons l’Être éternel et toujours vivant. Quand on l’aime, on ne saurait être confondu, on ne saurait échouer, ni se voir privé de celui que l’on aime. Celui qui aime les richesses est dépouillé de ce qu’il affectionnait lorsque survient la mort, ou même avant qu’elle arrive ; l’homme épris de la gloire de ce monde éprouve le même sort ; souvent aussi la beauté corporelle s’éclipse bien plus vite encore que tout cela ; en un mot, tout absolument dans la vie actuelle, étant périssable et éphémère, s’évanouit bientôt, avant même de s’être produit et d’avoir pu se montrer. Tout, au contraire, l’amour des biens spirituels est dans une force, dans une fleur de jeunesse perpétuelle, la vieillesse lui est inconnue, pour lui, point de vétusté, il n’est exposé ni au changement, ni à des vicissitudes, ni à l’incertitude de l’avenir ; dès ce monde, il est utile à ceux qui le possèdent, et les protège de toute part ; puis à leur départ d’ici-bas, loin de les abandonner, il fait le voyage avec eux, il les accompagne dans leur migration, et il les fait briller au dernier jour d’un plus grand éclat que les astres eux-mêmes.
Le bienheureux David le savait, et c’est pourquoi il ne cessait d’aimer, et, ne pouvant contenir son amour au dedans de soi, il se hâtait de manifester à ceux qui l’écoutaient ce feu qui le remplissait intérieurement. Ainsi, après avoir dit : « Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant », il a ajouté : « Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? » Voyez l’homme embrasé, voyez l’homme enflammé. Sachant qu’au sortir d’ici, il le verra, il est impatient du délai ; il ne supporte point ce retard, et il nous montre ici les mêmes sentiments que l’apôtre. En effet, saint Paul gémissait sur l’ajournement de son départ de ce monde (2Cor. 5,2) ; et David éprouvait le même déplaisir, ce qui lui faisait dire : « Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? » Et si c’eût été un simple particulier, un homme du vulgaire, de basse condition, vivant dans la pauvreté, t’eût été, mémé dans ce cas, une grande chose que ce mépris de la vie présente ; mais non pas autant que de voir ce souverain, qui jouissait de tant de délices, qui avait tant de gloire en partage, qui avait remporté d’innombrables victoires et vaincu une multitude d’ennemis, dont l’éclat enfin et le renom étaient universels, de voir un tel homme se rire de tout cela, richesse, gloire et délices de toutes sortes, et aspirer aux biens futurs ; ceci est le fait d’un esprit magnanime, d’une âme qui sait goûter la sagesse, et qui a pris son vol vers le céleste amour.
7. Suivons cet exemple, et n’ayons point d’admiration pour les choses présentes, afin d’en avoir pour les choses futures : ou plutôt, admirons celles de l’autre vie pour ne point admirer celles de ce monde. En effet, si nous entretenons sans cesse notre esprit dans la pensée des choses futures, si nous réfléchissons au royaume des cieux, à l’immortalité, à la vie éternelle, à notre place dans les chœurs des anges, à notre séjour avec Jésus-Christ, à cette gloire sans mélange, à cette vie délivrée de toute souffrance, si nous considérons que larmes, chagrins, affronts, mort, découragements, travaux, vieillesse, maladie, infirmité, pauvreté, calomnie, veuvage, péché, condamnation, supplices, châtiment, et s’il est en cette vie présente quelque autre affliction, quelque autre déplaisir, tout cela sera banni loin de nous, et qu’au lieu de ces maux seront venus prendre place la paix, la douceur, la bonté, la charité, la joie, la gloire, l’honneur la splendeur, et tous les autres biens que la parole ne saurait même exprimer ; si nous pensons, dis-je, à tout cela, aucune des choses présentes ne sera capable de nous captiver, et nous pourrons dire avec le Prophète : « Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? » et si nous sommes dans cette disposition, ni les splendeurs de la vie ne nous tourneront la tête, ni ses afflictions ne nous jetteront dans le découragement ; nous ne serons plus jamais en proie à l’envie, soit à la vaine gloire, soit à quelque fléau semblable. N’entrons donc pas ici comme au hasard, et en répétant nos versets, ne répondons pas comme pour nous en débarrasser, mais armons-nous-en comme d’un bâton pour le moment où nous sortirons. Chaque verset à lui seul suffit à nous inspirer une grande sagesse, à rectifier nos principes, et à nous procurer les plus grands avantages pour notre conduite ; que si nous en étudions avec soin chaque parole, nous en recueillerons d’excellents fruits. En effet, il ne faut ici m’objecter ni la pauvreté, ni le manque de temps, ni la paresse de l’esprit. Si vous êtes pauvre, et qu’à cause de votre pauvreté vous manquiez de livres, ou qu’ayant des livres, vous ne jouissiez d’aucun loisir, je ne vous demande que d’observer ces répons des psaumes que vous chantez ici non pas une fois, ni deux, ni trois, mais si souvent, et, sorti d’ici, vous en recevrez une grande consolation. Voyez donc quel ; trésor ces répons dont je viens de vous parler, nous ont ouvert. Et qu’on n’aille pas me dire qu’avant d’en avoir l’explication, on n’en connaissait pas la portée, car, avant même d’être expliqué, ce verset était facile à saisir pour quiconque l’écoutait et voulait y faire la moindre attention. Si seulement vous vous êtes appris à dire « De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu ; mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant ; quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? » même avant l’explication vous pouvez vous mettre dans l’esprit la sagesse tout entière. Et non seulement ce répons, mais tout autre que celui-là nous offrira les mêmes richesses. Si vous dites : « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur (Ps. 111,1) », et que vous soyez capable de savoir ce que vous dites, vous ne porterez envie ni au riche, ni au puissant, ni à celui qui a en partage la beauté, qui est doué de la force, qui possède des demeures splendides, qui vit au sein du pouvoir, qui est élevé dans les palais, ni à personne de ce genre, mais à l’homme qui vit dans la piété, dans la sagesse, dans la crainte de Dieu, et vous en jugerez ainsi non seulement relativement à l’avenir, mais encore sous le rapport de la vie présente. En effet, dès ce monde même, ces derniers sont plus puissants que les autres. Survient-il une maladie, l’homme revêtu de la pourpre ne retire de son escorte et de tant d’appareil aucun soulagement à son mal ; ses proches, ses parents, tout son monde est là ; sous lui, sur lui, ce sont des tissus d’or, et il est là gisant, brûlé comme dans une fournaise. Celui au contraire qui vit dans la piété, qui craint Dieu, n’a peut-être là ni père, ni serviteur, ni personne à ses côtés, mais il a élevé ses regards vers le ciel, non pas même souvent, mais seulement deux ou trois fois, et il a éteint toute cette fournaise. Et c’est ici un fait qu’on est à même de voir se présenter dans toutes les circonstances graves, dans tous les cas imprévus, que les hommes opulents et haut placés, sont troublés, et que les gens pieux et sages souffrent tout avec calme. Mais ce qui passe avant tout cela, c’est que, même sans aucun événement terrible, la conscience de l’homme qui craint Dieu est remplie d’un plaisir plus grand et plus pur que ne l’est l’âme du riche. C’est que ce dernier, lors même qu’il jouit de la nourriture matérielle, est dans un état plus cruel que le malheureux le plus affamé, parce qu’il se souvient de ses maux personnels, et qu’il est en compagnie de sa mauvaise conscience ; tandis que l’homme pieux, manquât-il de la nourriture nécessaire, aura meilleur courage que ceux qui regorgent de délices, parce qu’il nourrit en son cœur de précieuses espérances, et qu’il attend de jour en jour la rémunération de ses propres bonnes œuvres. Mais afin de ne pas vous sembler fatigant en prolongeant ce discours, laissant aux plus studieux le soin de recueillir chaque répons et de scruter la vertu qu’ils renferment, je terminerai ici mon allocution, en recommandant à votre charité de ne pas sortir d’ici sans réflexion, mais de vous saisir de ces versets de répons, de les conserver comme autant de perles, de les méditer continuellement chez vous, et de redire tout ceci à vos amis et à vos épouses ; et si une passion vous tourmente, si la concupiscence s’élève en vous, ou la colère, ou quelqu’autre de ces passions si insensées, de vous mettre à chanter assidûment ces mêmes versets, afin que nous puissions jouir d’un grand calme pendant cette vie, et obtenir pour la vie future les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire, puissance et honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME XLIII.

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A L’AUTEUR DE LA VICTOIRE, POUR LES FILS DE CORÉ. – « NOTRE DIEU, NOUS AVONS ENTENDU DE NOS OREILLES, NOS PÈRES NOUS ONT FAIT CONNAÎTRE L’ŒUVRE QUE TU AS OPÉRÉE EN LEURS JOURS, DANS DES JOURS ANCIENS. » – UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : « DANS LES JOURS D’AUPARAVANT » ; ET UN AUTRE : « DANS LES JOURS DU COMMENCEMENT. »

ANALYSE.

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  • 1. Ce psaume fut composé par David, mais il s’applique aux Macchabées.
  • 2. C’est un devoir pour les pères de raconter à leurs enfants les pieuses et nobles traditions.
  • 3. De l’extrême pauvreté des riches.
  • 4. Si Dieu ordonna aux Hébreux qui allaient tourner autour de Jéricho, de prendre leurs armes, c’était pour soutenir leur foi.
  • 5. et 6. Explication des versets 4-11. – Tout le long du jour signifie ici toute la vie.
  • 7. et 8. Versets 12-24. – Ce que c’est que l’ombre de la mort.
  • 9. Verset 25. – La beauté du corps n’est que de la boue. – N’admirez la beauté que pour glorifier le Créateur.


1. C’est le Prophète qui prononce ce psaume ; mais il le prononce non pas en son propre nom, mais au nom des Macchabées, et il y raconte et y proclame d’avance ce qui doit avoir lieu de leur temps. Tels sont les prophètes : ils parcourent tous les temps, passés, présents et à venir. Mais quels sont ces Macchabées, quelles ont été leurs souffrances, leurs belles actions ? c’est ce qu’il est nécessaire de dire en premier lieu, afin de rendre plus claires les paroles de notre texte. Ce sont des hommes qui, lors de l’invasion d’Antiochus, surnommé Epiphane, alors que ce roi avait tout dévasté, et contraint beaucoup de Juifs à fouler aux pieds la religion de leurs pères, demeurèrent invulnérables à ces tentations (1 Macc. 1,11 et suiv), et quand la guerre soufflait avec rage et que la résistance n’eût servi de rien, ils se cachaient. Aussi bien, les apôtres faisaient la même chose, ainsi donc, on ne voyait pas toujours les Macchabées, mêlés aux événements, s’élancer au milieu des dangers ; mais parfois aussi, cédant à la nécessité, ils fuyaient et ne se montraient point. Puis, lorsqu’ils avaient repris haleine un instant, semblables à de jeunes lions pleins de courage, ils s’élançaient de leurs cavernes, ils se précipitaient hors de leurs retraites, résolus à sauver non plus seulement eux-mêmes, mais encore les autres, en aussi grand nombre qu’ils en seraient capables ; alors, parcourant la ville entière et toute la campagne, ils recueillaient tous ceux qu’ils trouvaient sains et saufs ; et même parmi les malades et ceux dont la corruption s’était emparée, ils en ramenaient plusieurs, qu’ils persuadaient d’accourir se ranger de nouveau sous la loi observée par leurs pères. Ils leur disaient que Dieu aimait les hommes, et que jamais il ne refusait le salut au repentir. Par ce langage, les Macchabées recrutaient des armées de guerriers généreux ; car ces guerriers ne combattaient pas seulement pour leurs femmes, leurs enfants, et leurs serviteurs, pour conjurer la destruction et l’asservissement de la patrie, mais ils combattaient pour la loi et les principes suivant lesquels vivaient leurs pères, et Dieu même était leur chef. Lors donc qu’ils en étaient venus aux mains, et qu’ils exposaient leur vie, ils défaisaient leurs ennemis, ayant confiance non dans leurs armes, mais dans le motif de leur lutte qui leur tenait lieu de toutes les armes possibles. Eu marchant au combat, ils ne poussaient point de clameurs, ne chantaient pas d’hymnes guerriers, comme font certaines troupes, ils ne faisaient pas venir avec eux des joueurs de flûte, comme cela arrive dans d’autres armées ; mais ils invoquaient Dieu, le priant de descendre parmi eux, d’être leur auxiliaire, de leur tendre la main, lui pour qui ils combattaient, pour la gloire de qui ils soutenaient cette lutte. Voyons (lotie ce qu’elle dit, cette armée de Dieu, fortifiée du secours spirituel, lorsqu’elle va fondre sur l’ennemi. « O Dieu, nous avons entendu de nos oreilles. » C’est qu’il y en avait dans leurs rangs qui, à la vue de la multitude et du déploiement de forces d’Antiochus, de ces troupes victorieuses qui enlevaient tout au premier assaut, et songeant d’autre part à leur propre faiblesse et à leur petit nombre, perdaient une partie de leur fermeté, de leur énergie ; alors, pour réveiller les courages, et faire voir que Dieu est le chef de qui tout dépend, que même sans armées, nous pouvons avoir le dessus, s’il combat pour nous, le Prophète compose pour ses soldats, sous forme de prière, un avertissement, un conseil, et c’est en s’adressant à Dieu qu’il augmente leur ardeur. Cela entre pour beaucoup dans son exhortation. Sa parole n’eût pas eu, interpellant les siens, la même force qu’adressée à Dieu même. Aussi continue-t-il en ces termes : « Ce n’est pas par leur glaive qu’ils ont hérité de cette terre, et ce n’est pas leur droite qui les a sauvés (4). » Ces paroles étaient bien celles d’un homme qui relève des courages faiblissant en face des maux, et cherchant la victoire dans un ordre de choses tout humain. Toute cette prière est donc un encouragement aux soldats, puisqu’elle leur commande de s’en remettre de tout à Dieu, et de rattacher leur victoire à l’espérance des secours d’en haut. Et pourquoi n’a-t-il pas dit simplement : « Nous avons entendu », mais a-t-il ajouté : « de nos oreilles ? » Est-ce que l’on entend par quelqu’autre organe du corps ? N’est-ce point là une surabondance de mots ? À Dieu ne plaise ! mais c’est une habitude générale parmi les hommes, quand ils racontent des choses dont ils ont la certitude, quand le récit a pour sujet des faits graves et très-importants, et s’adresse à des gens qui n’en sont pas encore très-convaincus, d’ajouter toujours cette expression, en disant qu’ils l’ont entendu de leurs oreilles. Nous avons cette habitude, non seulement en ce qui concerne l’ouïe, mais encore à propos de nos autres facultés, prenant ainsi à témoin nos différents sens eux-mêmes. Ainsi, c’est le propre de ceux qui veulent convaincre leur auditeur, d’ajouter cette expression : de mes oreilles. Et il en est de même à l’égard de nos yeux et de nos mains, comme quand nous disons : Nous avons touché de nos mains. Et les apôtres disaient : « Ce que nos yeux ont vu ; ce que nos mains ont touché. » (1Jn. 1,1) Et voyez, dès à présent, ales l’introduction même, la vertu de ces hommes : après tant et de si grands maux soufferts pour Dieu, bannis de leur patrie, privés de leur liberté, tombés au milieu des dangers, plusieurs même d’entre eux, réduits à l’état de fugitifs, s’en allant chercher les montagnes et les déserts, ils ne tiennent pourtant aucun langage comme celui-ci : Nous avons, pour toi, souffert telle et telle chose ; viens à notre secours ; mais comme si ces titres leur manquaient, comme s’ils n’avaient pas dans leurs propres mérites un motif de confiance, ils invoquent les faveurs dont Dieu prit autrefois l’initiative à l’égard de leurs ancêtres. Que des gens que rien n’autorise à cette confiance, en agissent de la sorte, cela n’a rien d’étonnant, la nécessité les y entraîne ; mais que ces hommes, qui pouvaient parler avec assurance à cause de leurs propres mérites, ne considèrent pas cela comme un titre à leur propre conservation, et ne se fondent que sur la bonté de Dieu, dont leurs pères ont été favorisés avant eux, ceci est la preuve de leur grande humilité ; et par là ils se préparent encore un grand sujet de hardiesse. Car l’invocation seule de Dieu suffit à mettre fin à des guerres innombrables.
2. « Nos pères nous ont raconté. » Écoutez, vous tous qui négligez vos enfants, qui les laissez chanter des chants diaboliques, et qui négligez les récits divins. Tels n’étaient pas les hommes dont nous parlons, ils passaient toute leur vie à raconter les œuvres de Dieu ; et ils y gagnaient doublement. Car ceux qui avaient reçu de lui des bienfaits, devenaient meilleurs par le souvenir qu’ils en conservaient ; et leur postérité, puisant dans ces récits une grande ressource pour connaître Dieu, acquéraient ainsi du zèle pour la vertu. Leurs livres, c’était la bouche des auteurs de leurs jours, et toutes leurs études comme tous leurs entretiens consistaient dans ces récits, dont rien ne surpassait le charme et l’utilité. En effet, si des narrations de faits ordinaires, ou des fables et des fictions ont en général le don d’intéresser les auditeurs, à bien plus forte raison, en retraçant les événements qui prouvaient combien est grande la bienfaisance de Dieu à notre égard, sa puissance, sa sagesse, et sa sollicitude pour nous, devait-on transporter de joie l’auditeur, et augmenter en lui la vertu. Car c’étaient les témoins et les spectateurs mêmes de ces événements qui les transmettaient aux oreilles d’autrui, et l’audition était aussi efficace que la vue à en établir la croyance. Ceux qui n’avaient été ni témoins, ni spectateurs, ne croyaient pas moins que ceux qui l’avaient été. Et cela même n’était pas médiocrement propre à fortifier la foi. Mais voyons à présent ce qu’on leur avait raconté, et si l’on y faisait mention d’un état de choses analogue au leur. En effet, lorsque l’on a quelque chose à demander, il faut, pour obtenir l’objet de sa prière, la fonder sur une faveur pareille accordée précédemment à d’autres. Je m’explique : un serviteur, par exemple, nous demande un présent ; s’il nous fait voir qu’un autre en a déjà obtenu un semblable, c’est le plus grand droit qu’il puisse faire valoir à en obtenir autant, à moins que son exemple ne soit infirmé par certaines différences. Or, il y a différence de personnes et différence de choses. Si, en effet, celui qui a obtenu est revêtu du même caractère que celui qui demande, et que la chose demandée soit de même nature que la chose obtenue, l’exemple a de la valeur ; si celui qui a obtenu en était digne, et que celui qui demande né le soit pas autant, une plus grande supplication sera nécessaire. Ceci a besoin d’être éclairci par des passages de l’Écriture : la Chananéenne, quand elle eut entendu dire cette parole : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens », répondit : « Oui, Seigneur ; mais les chiens mangent les miettes de la table de leurs maîtres. » (Mt. 15,26-27) Et saint Paul écrivait aussi : « Si d’autres ont part à ce droit sur vous, à bien plus forte raison nous autres (1Cor. 9,12) ; » et il fortifiait ici son droit par la différence des personnes. Écrivant à Philémon, il dit encore : « Car les entrailles des saints se sont reposées grâce à toi ; mon frère ; c’est pourquoi, quelque enhardi que je sois en Jésus-Christ à te commander ce qui convient, j’aime mieux t’en conjurer par la charité. » (Phm. 1,7-8) Ici la comparaison repose sur des droits égaux. Et en effet, quand une première personne a obtenu quelque chose, c’est comme une introduction qu’elle ménage à une seconde personne, si celle-ci est revêtue du même caractère que la première, et qu’elle demande la même chose. Mais ce n’est pas seulement ce qu’on a donné aux autres qui donne de la force à notre prière, c’est souvent aussi ce que nous avons déjà reçu nous-mêmes. C’est ce dont saint Paul se prévalait lorsqu’il écrivait aux Philippiens : « Car déjà, à Thessalonique, vous m’avez envoyé une première fois, puis une seconde, ce qui m’était nécessaire. » (Phil. 4,16) Aussi beaucoup de ces personnes qui donnent à beaucoup de monde recommandent-elles de n’en rien dire à d’autres, de peur que la faveur faite à l’un n’attire à l’auteur du bienfait un grand nombre de demandes, car lorsqu’on a donné aux uns ; on ne peut plus recourir à aucune raison pour ne point donner aux autres. Or, il est naturel que les hommes fassent de telles recommandations, parce, qu’à force de donner ils deviennent pauvres ; mais Dieu, au contraire, proclame et publie ce qu’il donne aux uns pour fournir aux autres un motif de lui demander à leur tour. Ce qu’il donne ne fait que montrer sa richesse plus grande encore. Aussi saint Paul dit-il : « Celui qui est riche pour tous, et en faveur de tous ceux qui l’invoquent. » (Rom. 10,12) Ne voyez-vous pas là un nouveau caractère de la richesse ? Imitez, vous aussi, cette libéralité. Car lorsque vous emploierez de la sorte les richesses que vous avez en réserve, vous les rendrez encore plus grandes ; et si vous les enfouissez, vous ne faites que les diminuer. Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’il en soit ainsi dans l’ordre spirituel, lorsque cela arrive même dans l’ordre matériel ? En effet, si un homme, voulant économiser le blé qu’il a chez lui, ne le consomme point, et ne le jette pas dans les champs, il le livre en pâture aux vers ; si au contraire il le sème, il augmente sa récolte.
3. Écoutez, vous tous qui êtes de mauvaise volonté pour l’aumône. Écoutez, vous qui diminuez vos richesses en les tenant sous clef. Écoutez, vous dont l’état ne vaut pas mieux que celui d’un homme qui rêve qu’il est riche. La vie présente ne vaut pas mieux qu’un songe ; comme certaines gens qui, pendant leur sommeil, se figurent avoir une fortune, quand même ils se croiraient alors possesseurs des trésors des rois, sont néanmoins les plus pauvres du monde quand arrive le jour ; ainsi, celui qui dans cette vie n’aura pu rien amasser pour l’autre, sera un jour le plus pauvre de tous, quand même ici-bas il aurait possédé les richesses de tous ; il n’aura été riche qu’en songe. Si donc vous voulez me montrer l’homme opulent, montrez-le-moi quand sera venu le jour où nous partirons pour notre patrie de l’autre monde ; car pour l’instant je n’admettrai point de distinction entre le riche et le pauvre. Il y a là non des choses véritables, mais plutôt des mots brillants et sonores. De même que le vulgaire appelle πολυβλέπωντες les aveugles, et que le fait ne confirme pas l’expression, puisqu’elle désigne précisément ceux qui n’y voient point, de même je prétends que le nom de riches est prodigué ici-bas à ceux qui ne possèdent rien là-haut. Quelqu’un est-il riche en ce monde, c’est à cela surtout que je vois qu’il est pauvre ; s’il n’était pas si pauvre, il ne serait pas si riche. Tant qu’un homme, dont la vue est abîmée, n’est pas complètement aveugle, on ne l’appelle pas πολυβλέπων ; eh bien ! il faut faire le même raisonnement relativement aux riches. Laissons donc de côté la tromperie des mots, et attachons-nous à la vérité des faits. Car les faits ne dépendent pas de leurs appellations, mais c’est la nature des faits qui leur assigne des dénominations conformes à leur essence propre. Un tel est appelé riche, mais il ne l’est pas. Et comment ne l’est-il pas, puisqu’il regorge d’argent, d’or, de pierres précieuses, de vêtements tissus d’or, et de tout le reste ? Parce que ce n’est pas l’or, ni les vêtements, ni la fortune, mais l’aumône qui rend l’homme riche. Ces prétendues richesses ne sont qu’un peu d’herbe, de bois et de paille. En effet, quel est le vêtement, dites-moi, qui pourra revêtir en ce jour-là l’homme comparaissant dépouillé de tout devant le terrible tribunal ? Aussi saint Paul disait-il avec crainte : « Si toutefois nous nous sommes trouvés vêtus, et non point nus. » (2Cor. 5,3) Quelles richesses pourront alors le sauver du danger ? quels serviteurs seront là pour assister leur maître flagellé ? quelles habitations ? quelles pierres précieuses ? quels bains pourront enlever les souillures de ses péchés ? Jusques à quand vous trompez-vous vous-mêmes ? jusques à quand ne discernez-vous pas la vérité des choses, et êtes-vous en admiration devant des songes, lorsque le jugement est tout près de vous, à votre porte ? Mais revenons à notre sujet : « Nos pères nous ont fait connaître l’œuvre que nous avons opérée en leurs jours, dans des jours anciens. » Cette parole peut être prise dans le sens anagogique. Car s’ils ont entendu les récits de leurs pères, à nous la grâce de Dieu a donné d’apprendre par la visitation de l’Esprit-Saint ce qui est arrivé à eux-mêmes. Et comment prendre ces paroles anagogiquement ? En les appliquant aux bienfaits de la grâce nouvelle qui nous a introduits dans le ciel, qui a daigné nous admettre au royaume éternel, qui a déterminé Dieu à se faire homme, et qui a détruit le mur de séparation qui, était entre lui et nous. Mais revenons maintenant au sens historique. « L’œuvre que nous avons opérée en leurs jours, dans des jours anciens. » Le Prophète fait mention d’un récit ancien, il met sous nos yeux des bienfaits d’une époque reculée. Et pourquoi ne rappelle-t-il pas quelque événement récent, de fraîche date ? Parce que, quand nous parlons à des hommes, il est tout naturel que nous leur racontions du nouveau, et que cela les attache, leur mémoire s’affaiblissant vite ; mais pour Dieu, tout est également connu, faits anciens et nouveaux. « Voici », dit le Psalmiste, « vous avez connu toutes choses, les plus lointaines dans l’avenir et les anciennes. » (Ps. 138,5) Il n’importe donc pas qu’on lui parle d’événements antiques ou récents, pourvu qu’ils soient appropriés à notre sujet. Eh bien ! de quel événement ancien le Prophète veut-il lui parler ? Écoutons : « Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés ; vous avez affligé les peuples et vous les avez chassés. » Reconnaissez-vous de quelle guerre il parle, de quelle victoire, de quels trophées, ou bien mes paroles manquent-elles encore pour vous de clarté ? Je pense que déjà beaucoup d’entre vous en ont saisi le sens ; néanmoins pour ceux qui l’ignorent encore, je dois en ajouter l’explication moi-même. De quels triomphes fait-il donc mention ? de quels prodiges ? De ceux qui eurent lieu en Égypte, de ceux qui eurent lieu dans le désert, de ceux qui eurent lieu dans la terre de promission ; ou disons mieux de ceux qui eurent lieu en vertu de la promesse. Car ce ne furent point ceux qui étaient sortis d’Égypte qui parvinrent en Palestine, ils étaient tous morts dans le désert. (Nb. 14,23 ; Héb. 3,17) Lors donc que leurs fils et leurs petits-fils, nourris dans le désert, entrèrent en Palestine, alors, dit l’Écriture, ils n’eurent pas besoin d’armes ; mais par leurs clameurs seules ils s’emparèrent des villes ; lorsqu’ils eurent passé le Jourdain ; la première ville qu’ils rencontrèrent fut Jéricho-. or, ils la détruisirent comme des gens en fête plutôt que comme des guerriers. (Jos. 6) Car ils s’avancèrent ornés de leurs armes, comme on l’est, non pas dans les combats, mais dans une fête et une réjouissance publique ; ils s’en étaient revêtus comme d’une parure plutôt que comme d’un moyen de sûreté ; ils avaient mis aussi leurs robes sacrées, et dans cet appareil, avec les lévites marchant à la tête de l’armée, ils firent le tour des murs. C’était un spectacle admirable et surprenant, que tous ces milliers de soldats marchant en ordre et en mesure, dans un grand calme et en grande pompe, et, comme s’il n’y eût eu là personne, menant à bien toute l’entreprise avec le seul concert de leurs trompettes. Honte à ceux qui font du tumulte dans l’église ! Si, en effet, au retentissement des trompettes, un si bel ordre put régner alors, quelle sera l’excuse de ceux qui, là où la voix de Dieu se fait entendre, empêchent, par le bruit qu’ils font, qu’on puisse entendre distinctement ses paroles ? Mais, direz-vous, pourquoi n’a-t-il pas mentionné ceux qui étaient sortis d’Égypte ? Parce que tous étaient morts, tous avaient été punis. Et pourquoi tous périrent-ils ? Parce qu’ils avaient grandement péché. Et dès lors Dieu concertait un autre plan, c’était que ceux qui devaient entrer en possession de la Palestine n’auraient point été spectateurs des vices de l’Égypte, de la superstition, de tous les genres d’impiété, et qu’ils n’auraient personne à l’école de qui ils pussent apprendre une telle perversité. Car leurs pères étaient si infatués, si esclaves des coutumes égyptiennes, que même, après tant de miracles et au milieu du désert, ils n’avaient pas entièrement effacé en eux les restes de leurs erreurs. Supposez qu’après avoir été à l’école des Égyptiens, ils fussent allés à celle, encore pire, des Chananéens, et jugez à quel degré d’impiété ils seraient descendus. C’est pourquoi Dieu retint dans le désert ceux qui y étaient nés jusqu’à ce que leurs enfants fussent parvenus à l’âge d’hommes.
4. Et je ne parle pas ici d’après moi-même, niais je puis vous montrer dans l’Écriture les preuves de ce que je dis. En effet, Dieu reproche aux Hébreux, par la bouche d’Ézéchiel, que les ayant conduits dans le désert et leur ayant beaucoup parlé, il n’en était pas écouté. Mais pourquoi leur ordonna-t-il de prendre leurs armes en marchant contre Jéricho ? Car la chose eût été plus étonnante s’ils y fussent allés sans armes. Eh bien ! s’il leur ordonne ainsi de faire une action purement humaine et de s’adjoindre un secours matériel, c’est principalement pour se mettre au niveau de leur faiblesse. Car que pouvait cet appareil d’armes pour détruire des murailles ? Que pouvait aussi le son des trompettes ? S’ils eussent eu des hommes à combattre, on aurait pu fonder quelque espoir sur des armes, mais si les murailles devaient tomber, à quoi leur servait d’être revêtus de leurs armes ? Et du temps de Gédéon, les guerriers qui furent pris étaient égaux à ceux qui ne le furent pas, car ils étaient tous en évidence[7]. (Jug. 7) Pourquoi donc tout cela arrive-t-il ainsi ? Pour que ceux qui reçoivent ces ordres soient amenés à croire. En effet, notre âme vivant avec notre corps, et ne voyant jamais rien d’immatériel, est en admiration devant les objets sensibles, et elle a besoin d’être conduite par les choses visibles aux choses intelligibles. C’est pour cela que les prophètes, en pariant de Dieu, ont été obligés d’emprunter des termes désignant les diverses parties du corps humain, non pas qu’ils voulussent assimiler à nos organes cette nature incorruptible, mais c’était pour enseigner, au moyen de choses humaines, des dogmes surhumains, à cette âme qui vit associée à, une nature matérielle. Ainsi, comme l’action même de Dieu est quelque chose d’intelligible, pour que les hommes d’alors n’y fussent pas incrédules, Dieu y met quelque chose de sensible. S’il eût dit : En sept jours la ville sera détruite sans que vous bougiez, sans que vous fassiez rien, peut-être plusieurs n’y auraient pas cru. Au lieu de cela, il leur donne les ordres que nous avons vus, comme pour servir de soutien à leur pensée humaine. Et afin que vous ne supposiez pas que ceci est une pure conjecture, je veux vous raconter une antique histoire qui donnera du crédit à mes paroles. Il y avait un certain syrien qui s’appelait Naaman. Il avait été atteint de la lèpre et était honteux de son mal ; comme il courait aussi un grand danger, il vient en Palestine (car il faut que j’abrège) pour obtenir du prophète la délivrance de son mal. Il arrive donc, et se tenant à la porte de l’homme de Dieu, il appelait celui qui devait le guérir. Le prophète entendit, mais il ne sortit pas, il envoya des gens à Naaman pour lui ordonner de se plonger dans le Jourdain. Comme l’ordonnance était toute simple, très-facile à saisir, et qu’elle n’exigeait pas une intelligence bien profonde, Naaman n’y crut point. Au lieu de cela, que dit-il ? « Je me disais : il sortira de chez lui, il mettra sa main sur moi, il invoquera son Dieu et il guérira la lèpre. » (2R. 5,11) Vous voyez cet esprit, comme il avait besoin d’une figure sensible. Ne point croire qu’il suffisait de l’ordonnance du médecin, mais qu’il fallait encore l’attouchement de la main, cela tenait à l’état de maladie de celui qui se faisait soigner. Eh bien ! ceci nous donne la clef de bien d’autres choses. C’est pour cela que Jésus ne guérit pas toujours par la parole, mais aussi avec la main. En effet, il mit son doigt sur la bouche et sur la langue du muet ; d’autres fois, c’est par la parole seule, d’autres fois par sa volonté qu’il fait tout, lorsqu’il s’agit de guérir ceux qui viennent à lui. (Mc. 7,33)
Et pourquoi cette conduite ? C’est par égard pour la faiblesse de ceux qui viennent le trouver. La preuve en est qu’il donnait des éloges à ceux qui n’avaient pas besoin de ces sortes de signes. « En vérité je vous le dis, que même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi (Mt. 8,10) ; » parole qu’il prononce, parce que le centenier ne l’avait pas fait venir chez lui, mais avait dit que son ordre suffisait. Aussi, à l’égard du roi Ézéchias, il n’y a rien de tel, mais seulement une prédiction, à laquelle n’était ajouté aucun signe humain, et pour cette raison aussi, sous le monarque qui s’enflamma de jalousie à propos de son épouse, l’ordre donné avait quelque chose de plus matériel. Et si vous voulez prendre ceci dans le sens ananogique, « Car toutes choses », dit l’Apôtre, « leur arrivaient par figure ; et elles ont été écrites pour l’instruction de nous « autres, qui sommes venus à la fin des siècles (1Cor. X, 11) ; » songez aux docteurs les plus excellents de l’Église, qui en guise de trompette se servent de la parole pour renverser les murailles de nos adversaires, songez aux peuples qui sont revêtus de toutes les « armes » de Jésus. Ce nombre de sept jours abolit d’avance pour nous le sabbat. Car ces sortes de commandements de la loi n’ont pas été donnés d’une manière essentielle. Aussi l’Écriture dit-elle au sujet des sacrifices : « Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains ? » (Is. 1,12) Et autre part : « Est-ce que les prières et les viandes sacrées effacent les péchés ? » (Jer. 11,15) Et encore : « Est-ce que « vous m’avez offert des victimes et des sacra« faces dans le désert pendant quarante ans ? » (Amo. 5,25) Et ceci : « Pourquoi m’apportes« tu de l’encens de Saba, et du cinnamome d’un pays lointain ? » (Jer. 6,20) Et dans un autre endroit : « Vous n’avez pas voulu de sacrifice ni d’offrande. » (Ps. 39,7) Et encore : « Dieu veut-il d’autres holocaustes et d’autres sacrifices, que notre obéissance envers lui ? » (1Sa. 15,22) Et ailleurs : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous en aurais offert. » (Ps. 50,18) Puis encore : « L’obéissance vaut mieux que le sacrifice. » (1Sa. 15,22) Elle dit aussi, rejetant les fêtes : « Je hais, je repousse vos fêtes. Éloigne de moi le son de tes chants, et je n’entendrai pas les cantiques de tes harpes. » (Amo. 5,21, 23) Puis ailleurs : « Je ne puis souffrir vos jours de fête, et mon âme hait votre jeûne et votre repos. » (Is. 1,13, 14) Et plus loin : « Ce n’est pas là le jeûne que j’ai choisi. » (Is. 58,5) Ézéchiel aussi disait : « Je vous donnerai des préceptes qui ne seront pas bons, et dans lesquels vous ne trouverez pas la vie. » (Ez. 20,25) Ainsi le sabbat même est ici aboli. Mais pourquoi l’Écriture dit-elle « Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains ? » Je vous laisse cette solution à trouver : or vous serez capables de trouver les choses de ce genre, si vous offrez l’exemple d’une vie pure.
5. Si en effet Dieu appela le centurion Corneille à la connaissance de ses mystères à cause : d’une vie vertueuse (Act. 10,4), s’il les fit connaître aussi à l’eunuque, parce qu’il lisait assidûment (Act. 8,27 et suiv), à bien plus forte raison augmentera-t-il la clarté de votre science, à vous qui jouissez déjà de la foi, et qui avez offert l’exemple d’une conduite régulière. Car de même qu’une vie impure empêche la connaissance de ces mystères (comme le dit saint Paul : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, parce qu’il y a parmi vous des dissensions et des jalousies (1Cor. 3,1, 3) ; » et Isaïe : « Ils désireront connaître mes voies, comme un peuple a qui aurait pratiqué la justice (Is. 58,2) ; » de même une vie pure nous conduit à cette connaissance, et aussi le zèle que nous avons pour la chercher. En effet l’Écriture nous dit « Cherchez, et vous trouverez. » (Lc. 11,9) C’est ce que nous montre encore la parabole de cet homme qui demande des pains à son ami déjà endormi. (Id. 5, 8) C’est encore pour cette raison que Salomon, ayant demandé les dons spirituels, reçut en outre ce qu’il n’avait pas demandé. (1R. 3,11) Ainsi, quand vous aurez pour vous et la persévérance, et la demande spirituelle, et une vie pure, songez quelle facilité vous aurez pour obtenir, puisque la persévérance toute seule y a réussi. Car l’Écriture ajoute : « Je vous le dis, quand même il ne lui donnerait pas eu égard à leur amitié, il lui donnera du moins à cause de son opiniâtreté. » (Lc. 11,8) Mais revenons à notre texte. « L’œuvre que vous avez opérée en leurs jours, dans des jours anciens. Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés. » Voyez avec quelle propriété le prophète emploie cette expression. Vous n’avez pas, veut-il dire, arrêté les événements d’alors à la victoire des uns et à la défaite des autres ; non, tout a marché plus avant : et pourtant, dans le principe, les conditions de la lutte n’étaient pas égales. Les uns voulaient rester maîtres chez eux, les autres étaient des nouveaux-venus ; néanmoins il se fit un tel changement, que les premiers furent radicalement extirpés du sol, et que les derniers y devinrent citoyens et habitants. C’est pourquoi le Prophète dit en parlant de ceux-là : « Votre main a exterminé les nations » ; et en parlant des Juifs : « Elle les a plantés. » Par le mot « main » il désigne la puissance de Dieu. Or si Dieu a voulu que ceux qui arrivaient du dehors, qui n’avaient ni ville ni maison, ni aucun endroit pour se mettre en sûreté ou s’arrêter, devinssent en si peu de temps plus puissants que les habitants mêmes du pays, à bien plus forte raison ne nous abandonnera-t-il pas, l’Écriture nous le dit, nous qui avons été chassés de l’héritage de nos pères. Et que veut dire ce mot : « Vous les avez plantés ? » Cela signifie : vous les avez fixés. En effet ce qui a été planté devient stable et fixe. Eh ! quoi ? n’ont-ils pas émigré ? demandera-t-on. N’ont-ils pas été chassés en des lieux étrangers ? Oui, ils ont été chassés, mais non par suite de la faiblesse de celui qui les avait établis ; ce fut à cause de la malice de ceux qui avaient été plantés. Si les obstacles ne fussent venus de leur part, rien ne les eût empêchés de demeurer en ce séjour. « Vous avez affligé les peuples, et vous les avez chassés. » Il y en a qui disent qu’il est ici question des Égyptiens ; je pense, moi, qu’ici encore il s’agit des autres nations. Car il a fait éprouver ses châtiments à ces dernières aussi, en manifestant sa puissance de l’une et de l’autre manière, en détruisant les ennemis, et en fortifiant son peuple. « Car ce n’est pas par leur glaive (4) », ou suivant un autre interprète, « par leur épée, qu’ils ont hérité de cette terre. Ce n’est pas leur bras qui les a sauvés ; mais c’est votre droite, c’est votre bras, et la clarté de votre visage. » Un autre interprète traduit : « la lumière. Parce que vous vous êtes complu en eux. » Il est vrai qu’ils étaient tous armés lorsqu’ils triomphaient à la guerre ; mais quoiqu’ils fussent armés, la victoire n’était pas l’œuvre de leurs armes, mais de Dieu qui était leur chef. Voyez-vous comme le Prophète, sous forme de prière à Dieu, nous présente un conseil, nous recommandant de tout remettre entre les mains de Dieu ? Et comment appelle-t-il cette possession un héritage, alors que ni leurs pères, ni leurs aïeuls, ni leurs bisaïeuls n’avaient été maîtres de ce pays, et avaient succombé dans d’autres circonstances ? C’est que la promesse avait été faite à leurs pères.« Viens, dit l’Écriture, dans la terre que je te montrerai (Gen. 12,1) ; » et plus loin : « Je te donnerai cette terre, ainsi qu’à ta postérité. » (Gen. 13,15) Et après s’être servi de ces expressions de « droite » et de « bras », qui étaient toutes matérielles, voyez comme le Prophète continue le même langage, en ajoutant : « Et la clarté de votre visage », c’est-à-dire, votre assistance, votre providence. Car sa volonté, sa présence leur a suffi. Vient ensuite le motif : « Parce que vous vous êtes complu en eux », c’est-à-dire, parce que vous les avez aimés, parce que vous l’avez voulu. De sorte que ces événements furent un effet de la grâce de Dieu, et non des belles actions des Juifs, et qu’ils durent ces succès non pas à leur vertu personnelle, mais à la bonté divine. « C’est vous qui êtes mon roi et mon Dieu, qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob. » (Id. 5) Ou selon un autre interprète : « Donnez vos ordres pour le salut de Jacob. » Et comment ces paroles arrivent-elles ici ? Par une grande liaison avec ce qui précède. Car voici ce que veut dire le Prophète : Nous sommes les descendants de ces hommes, et vous, vous êtes le même Dieu, qui avez opéré ces choses et alors et de nos jours. D’où dent donc un si grand changement ? Le Dieu d’alors n’était pourtant pas autre que vous, vous êtes toujours le même.
6. Il n’est pas vrai non plus que, vous étant le même, je m’attribue, à moi, un autre Dieu, mais « C’est vous qui êtes mon roi et mon Dieu. » Nous ne nous sommes pas soustraits à votre empire, nous n’avons pas adopté un autre chef. « Qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob ; » c’est-à-dire, le Dieu est le même, et ses desseins sont les mêmes. D’où vient donc un si grand changement dans les événements ? Et que veut donc dire : « Qui donnez vos ordres ? » Cela signifie : Qui commandez, qui prescrivez que Jacob soit sauvé. Ici encore le prophète nous présente la facilité du secours, et la grandeur de la puissance ; et ce n’est point par hasard qu’il fait mention de son ancêtre : il met en avant la vertu de Jacob comme un titre, voulant par là fléchir Dieu. « C’est en vous que nous heurterons nos ennemis (6). » Ainsi, vous êtes le même Dieu, veut dire le prophète : vos desseins sont les mêmes ; de notre côté, c’est vous que nous reconnaissons, et nous avons fait usage des mêmes armes. Car c’est ce que signifie : « C’est en vous que nous heurterons nos ennemis. » Un autre interprète traduit ainsi « Nous heurterons ceux qui nous oppriment. Et en votre nom nous mépriserons ceux qui s’élèvent contre nous. » Suivant un autre interprète : « Nous foulerons aux pieds. » Et pourquoi dis-je : « En vous ? » veut encore dire le Prophète. C’est qu’il suffit d’invoquer seulement votre nom, pour tout accomplir avec le plus grand succès. Car il n’a pas dit Nous les vaincrons, ou, nous l’emporterons sur eux ; mais : « Nous les mépriserons », nous les regarderons comme rien, c’est ce que veut dire le Prophète, nous ne les craindrons pas, mais nous les poursuivrons comme s’ils n’étaient rien. C’est l’idée que rend un autre interprète par l’expression : « Nous marcherons dessus ; » il indique ainsi la victoire de vive force, l’exploit sans lutte, le combat sans crainte. « Car je n’espérerai pas en mon arc (7). » Suivant un autre interprète : « Je ne me suis pas confié en mon arc. Et ce n’est pas mon glaive qui me sauvera. » Et pourquoi donc t’es-tu servi de ces moyens de défense ? Pourquoi t’armer, et prendre en main l’arc et l’épée ? C’est que Dieu l’a ordonné ainsi ; c’est pour cela que j’ai fait usage de ces armes, mais je me repose de tout sur lui. Voilà comme les Macchabées, fortifiés par l’inspiration d’en haut, apprenaient à combattre les ennemis corporels, et aussi, les ennemis incorporels. Et vous, par conséquent, lorsque vous luttez contre le démon, dites-vous ceci : Ce n’est pas en mes propres armes que j’ai confiance ; c’est-à-dire, ce n’est pas en ma propre force, ni en mes propres mérites, mais en la miséricorde de Dieu. C’était le langage de Daniel : « Ce n’est pas en nous fondant sur nos propres mérites que nous venons jeter à vos pieds nos prières suppliantes. » (Dan. 9,48) Car vous nous avez « sauvés de ceux qui nous opprimaient, et vous avez confondu ceux qui nous haïssent. » Suivant une autre version : « Parce que vous nous avez sauvés. » Pourquoi, veut dire ici le Prophète, parler des événements anciens, arrivés à nos ancêtres ? Nous avons nous-mêmes bien des gages de vos desseins à notre égard, nous pouvons compter de brillants trophées, et une suite de victoires admirables, extraordinaires. C’est ce qui lui fait dire : « Vous avez confondu ; » par ces mots il proclame ceci : ô Dieu ! vous ne nous avez pas simplement délivrés et arrachés à nos persécuteurs, mais vous l’avez fait en les couvrant de honte. « Nous serons loués en Dieu tout le long du jour ; et nous rendrons gloire à votre nom dans l’éternité (9). »
6. Une autre version porte : « Nous chantons chaque jour des hymnes à Dieu. » En effet, veut dire le Prophète, si le temps de la victoire est passé, celui des actions de grâces nous reste. Par l’expression atout le long du jour », il entend toute la vie. En effet, nous ne cessons, ô Dieu ! de faire de vos secours le sujet de nos chants et de notre honneur. Car c’est là notre gloire, notre orgueil, c’est de cela que nous sommes fiers auprès de tous les hommes ; ce n’est pas d’avoir une cité grande et admirable, ni d’être les premiers à remporter la victoire, ni de l’emporter parla force du corps ; mais c’est d’avoir le vrai Dieu, voilà notre orgueil ; et, non pas seulement lorsque vous nous assistez, mais lors même que vous nous abandonnez. Car, voilà ce que signifie : « Tout le long du jour ; » comme dit encore saint Paul : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Jésus-Christ ! » (Gal. 6,14) En effet, il n’y a point, non, il n’y a point d’autre gloire pareille à celle-là. C’est ce qui lui fait dire aussi : « Et non seulement cela, mais encore nous glorifions en Dieu. » (Rom. 5,11) C’est que nul sujet de gloire n’égale celui-là. Que personne ne tire donc vanité de ses richesses, ni d’aucune chose de cette vie, mais uniquement de ceci, d’avoir Dieu pour maître. Cela est préférable à toute liberté, cela vaut mieux que le ciel même. Car si l’on a souvent pu trouver à se vanter, devant les hommes, de servir tel ou tel personnage, songez quelle gloire il nous reviendra d’être les serviteurs de Dieu. C’est pourquoi saint Paul aussi compte cela comme un grand titre d’honneur, lorsqu’il dit : « Or, ceux qui sont au Christ, ont crucifié leur chair (Gal. 5,24) ici une « pause » dans le psaume. Un autre interprète, au lieu d’y voir cette indication, traduit le mot par : Toujours. Dans l’hébreu il y a : « Sel » (Selah). « Et maintenant, vous nous avez repoussés, vous nous avez couverts de honte. » (Ps. 43,10) Selon une autre version : « Quoique vous nous ayez repoussés. » Suivant une autre : « Et toutefois vous nous avez repoussés. » Suivant un autre encore : « Et après cela vous nous avez rejetés. « Et vous ne sortirez pas, ô Dieu ! pour venir au milieu de nos puissances. » Un autre interprète traduit : « Et vous ne vous avancerez pas au milieu de nos expéditions. » C’est qu’eu effet, quand Dieu nous a repoussés, nous ne tardons pas à être couverts de honte, et en butte aux mauvais traitements de tous. Il appelle ici puissances leurs armées, parce que c’est en elles que consiste la force d’un prince, et Dieu encore ici a bien réglé les choses, de manière qu’il y ait un lien entre le gouvernant et les gouvernés. Le prince a besoin de ses sujets, ceux-ci en même temps ont besoin de leur chef, et ils se sont mutuellement d’une grande nécessité. Car afin de prévenir l’infatuation des princes, Dieu a voulu que les grands eussent fréquemment besoin des petits. Il en a disposé ainsi, même dans l’ordre matériel. Souvent un simple caillou, placé soles une colonne qui chancelle, l’empêchera de tomber, et un petit gouvernail dirige et soustrait, au danger, un vaisseau qui porte des milliers de personnes. Et que signifie : « Quoique vous nous aviez repoussés ? » C’est-à-dire, même après de telles souffrances, nous ne nous sommes pas séparés de vous, nous avons continué à vous glorifier, à chanter vos louanges, à mettre notre orgueil en vous. « Vous nous avez fait retourner en arrière à la vue de nos ennemis. Et ceux qui nous haïssent nous dépouillaient à loisir. » Suivant un autre interprète : « Vous nous avez mis au-dessous de tous nos adversaires (11). » Voyez comme il grandit leurs souffrances par ses expressions, comme il amplifie leur malheur, pour faire voir que, bien qu’ils fussent de grands pécheurs, ils avaient subi toutefois un châtiment suffisant !
7. C’est avec cette même redondance que parlèrent les jeunes hébreux dans la fournaise, alors qu’ils chantaient et qu’ils disaient : « Vous nous avez livrés entre les mains d’ennemis impies, acharnés, apostats, et au pouvoir d’un roi injuste et le plus pervers de tonte la terre. » (Dan. 3,32) Et encore : « Nous avons été rendus plus petits que toutes les nations, et nous sommes humiliés entre tous sur la terre. » (Id. 37) Le Psalmiste énonce la même idée, et ce qu’il dit revient à ceci : Nous sommes devenus vils entre tous, parce que vous nous avez retiré votre Providence ; et nos malheurs ne se sont pas arrêtés là ; nous sommes devenus la pâture de nos ennemis, qui nous ont déchirés suivant leur caprice. Car c’est le sens de ces mots : « Ils nous dépouillaient à loisir », c’est-à-dire sans que personne les en empêchât. « Vous nous avez livrés comme des brebis destinées à être mangées et vous nous avez dispersés parmi les nations (12). » Une autre version donne : « Vous nous avez vannés. » Que veut dire « Comme des brebis destinées à être mangées ? » Cela signifie : Parce que vous nous avez rendus très-faciles à saisir, et que vous avez montré notre peu de valeur. Car il y a aussi des brebis destinées à être conservées, ce sont celles qui sont propres à reproduire l’espèce ; mais les autres, soit par vieillesse, soit par stérilité, ne sont bonnes qu’à être mangées. Mais ce qui était encore plus affligeant, c’était d’avoir été dispersés parmi les nations ; cela était pour eux plus insupportable que tout le reste, parce que chez ces peuples ils ne pouvaient observer exactement la loi, et qu’ils étaient déshérités de leurs usages paternels. Et ce n’est pas chez une seule nation, mais partout, vous donne à entendre le Prophète, et nous ne sommes plus préparés qu’à une chose, à subir de mauvais traitements ; quant à nous venger ou à lever nos bras contre ces hommes, nous ne le pouvons même pas. C’est là le sens de cette comparaison prise des brebis. « Vous avez cédé votre peuple pour rien (13). » Ou suivant une autre version : « Pour une rétribution peu considérable. » Et une autre : « Sans rétribution considérable. Et il n’y a point eu de somme importante payée lors de notre échange. » Un autre interprète traduit : « Et vous ne les avez pas mis à un prix élevé. » Dans tous les cas voici le sens ; car le texte paraît ici fort obscur, mais prêtez attention, afin de chanter ce verset avec intelligence. Que signifie-t-il donc ? Il exprime l’abjection et la nullité où ils étaient tombés. Vous nous avez abandonnés comme si nous n’avions aucune valeur, comme des gens vils et méprisables. Et le Psalmiste parle ainsi d’après les habitudes humaines. Car c’est la coutume parmi nous, de donner, même pour rien, ce qui n’a aucun prix, aucune valeur ; mais les choses dont nous faisons grand cas, si nous les vendons, ce n’est que fort citer ; quant aux objets auxquels nous n’attachons pas beaucoup de prix, nous en faisons encore cadeau. Ainsi, les serviteurs infidèles, on les vend pour la moitié de leur prix, et d’autres fois on les cède pour rien. Et si la cession à bas prix prouve le peu de valeur de l’objet vendu, à plus forte raison, lorsqu’on n’en demande même aucun prix, lorsqu’on le cède pour rien. C’est donc comme si le Psalmiste disait : Semblable à un homme qui se déferait de ce qui lui appartient et qui n’en demanderait nul prix, ainsi vous nous avez abandonnés comme si nous étions sans valeur, vous nous avez grandement méprisés. C’est encore le sens des paroles qui suivent : « Et il n’y a pas eu de somme importante payée lors de notre échange ; » c’est-à-dire, quand nous avons été achetés. C’est pourquoi une autre version porte : « Lors de notre estimation ; » ce qui signifie, de notre vente. Car le paiement est un échange ; il arrive maintes fois que lorsque nous donnons un serviteur, nous recevons de l’argent ou de l’or.
14. « Vous avez fait de nous l’objet des insultes de nos voisins, la moquerie et la risée de ceux qui nous entourent. » Suivant une autre traduction : « le jouet de ceux qui nous entourent. »
15. « Vous avez fait de nous la fable des nations. » Ce châtiment est pénible, intolérable, surtout de se voir injurié par des impies, d’avoir à endurer ce traitement de la part d’ennemis, d’avoir tout autour de soi des gens qui vous insultent, d’être environné de tous côtés par ceux qui vous outragent. Et que veut dire être la fable ? C’est être le texte de leurs récits, l’objet de leurs affronts. Oui, car ceux qui les entouraient étaient des gens tarés, sans cœur, qui non contents de ne pas, les plaindre, les accablaient d’outrages, et c’est là ce qui était le plus cuisant pour les Juifs. Je crois que le Prophète veut parler ici des Arabes, un des peuples qui habitaient dans le voisinage. « Vous avez fait de nous l’objet de mouvements de tête parmi les peuples. » Un autre traducteur dit : « Tu nous as fait émigrer à travers les peuples. » Il y a dans l’hébreu Manoud. Ainsi, ou bien cela signifie : Tu nous as fait passer d’un lieu dans un autre, ou bien le Prophète veut indiquer par cette image du mouvement de tête l’arrogance que donne la joie.
16. « Pendant tout le jour ma confusion est devant mes yeux. » Suivant une autre version : « Mon déshonneur. Et la honte de mon visage m’a couvert. »
17. « A la voix de celui qui m’insultait et parlait contre moi. » Suivant un autre interprète : « Et me diffamait à l’aspect de mon ennemi et persécuteur ». Cela était pour eux plus cuisant que les supplices. Car comme ils obtenaient toujours et continuellement des succès, et triomphaient de leurs ennemis, toutes les bouches s’ouvrirent, alors qu’ils furent tombés, qu’ils eurent été renversés à terre, et qu’ils ne pouvaient pas même relever la tête, mais qu’ils souffraient des mauvais traitements continuels.
18. « Tout cela est venu fondre sur nous, et nous ne vous avons pas oublié, et nous n’avons pas péché contre votre testament. » Suivant une autre version : « Et nous n’avons pas trompé votre alliance. ». Le Prophète veut dire : Nous avons, marché dans une voie opposée à celle des autres. Car ils ont été renversés même avant leurs maux ; et nous, même après nos maux, nous sommes restés fermes, et l’âme inébranlable. Ce qu’ils disent pour donner bon espoir à ceux qui sont avec eux. Aussi, voilà pourquoi, tandis que Daniel et les trois enfants s’écrient : « Nous avons péché, nous avons prévariqué (Dan. 3,29) », les nôtres disent : « Nous n’avons pas péché contre votre testament », pour relever le courage de leurs compagnons d’armes, Car, veut dire le Prophète, si nous avons souffert les plus grands maux, si nous sommes les descendants de ceux qui ont reçu de si grands bienfaits, et si dans nos malheurs nous n’avons point faibli, nous devons espérer une délivrance signalée.
8. Je vous répète donc ce que le vous disais en commençant, que sous, la forme d’une prière ils préparent les courages de leurs compagnons, comme s’ils leur disaient ; Pourquoi avez-vous désespéré de votre salut ? Nous avons Dieu à, notre tête ; même si nous avons commis quelque faute, nous avons subi un châtiment suffisant ; nous sommes demeurés généreusement fermes dans les épreuves ; nous avons pour guide Celui qui conduit toujours même les pécheurs : ainsi nous devons sous tous les rapports nous attendre à une heureuse issue. Et que signifie : « Nous n’avons point péché contre votre testament ? » Cela veut dire : Nous n’avons point failli contre ce qui nous avait été confié, mais nous l’avons gardé avec soin. En effet, c’est la plus grande des injustices, de transgresser cette loi qui nous protège, qui ne permet pas même que nous soyons lésés par le prochain, et qui empêche le vice ; c’est la plus grande des injustices de se montrer ingrat envers une loi qui nous procure de tels biens.
19. « Et notre cœur n’a point reculé. » Autre traduction : « Ne s’est point retiré. Et vous n’avez pas écarté nos sentiers de votre voie. » Autre version : « Et les choses qui nous dirigent n’ont point été détournées. » Ou encore suivant un autre : « Et notre cœur ne s’est point retourné en arrières et nos pas : n’ont point dévié. » Ce qu’il a dit précédemment, il le redit, ici, qu’au milieu d’une telle tempête de maux, ils n’ont pas été le moins du monde agités.: Et il exprime fort bien cette idée. Car de, même que la loi nous conduit en avant, de même la transgression de la loi nous fait reculer ; et comme la loi nous fait marcher dans le droit chemin, ainsi la transgression de la loi détourne l’homme en des régions désertes et impraticables. C’est, donc la loi qu’il appelle ici une route. Quant à ces mots : « Vous avez écarté », ou, selon, d’autres interprètes : « Et les choses qui nous dirigent n’ont point été détournées de votre voie » le texte hébreu porte : « Quathet aschourenou meni orach ; » et si l’on veut traduire avec les Septante, et non suivant les autres, par : « Vous avez écarté nos sentiers de la voie ; » cela signifie alors : Vous nous avez exilés de votre temple, et vous nous avez fait habiter la terre étrangère ; ce qui ne leur permettait pas d’accomplir les cérémonies du culte.
20. « Car vous nous avez humiliés dans le lieu de l’affliction. » Autre version : « Dans un lieu inhabitable ; » ou encore : « Dans le séjour des sirènes. Et l’ombre de la mort nous a couverts. » Un autre interprète traduit : « Vous nous avez murés. » Ceci me paraît se rattacher à ce qu’ils disent plus haut en racontant leurs maux : « La honte de mon visage m’a couvert, à la voix de celui qui m’insultait et parlait contre moi : Car vous nous avez humiliés. »
Si toutefois on veut le faire rapporter à : « Vous avez écarté nos sentiers de votre voie », cela offre encore une suite avec l’idée dont nous parlions tout à l’heure. En effet, cela fait voir comment il les a repoussés de leurs sentiers, c’est-à-dire de leurs usages et de leurs lois, pour les mener dans des lieux déserts, et les abandonner au milieu de leurs ennemis. Car c’est le sens de : « L’ombre de la mort nous a couverts ; » le Psalmiste entend par là les dangers qui causent la mort, les dangers dont le trépas est voisin, de même que l’Écriture les appelle les angoisses de la mort et les portes de l’enfer. Et il représente ici ce que les maux ont d’inévitable sous la figure de l’ombre et d’une chose qui nous couvre, pour exprimer qu’on rie saurait y trouver aucune délivrance ni le moindre relâche. « Si nous avons oublié le nom de notre Dieu, et si nous avons tendu nos mains vers un Dieu étranger (21). Dieu ne recherchera-t-il pas ces crimes ? Car il connaît les secrets des cœurs (22). » C’est le fait de serviteurs fidèles, lorsqu’ils éprouvent de mauvais traitements, de continuer à servir leur maître ; ce sont là les enseignements de la sagesse. Et ici, nos héros apprennent en outre à ceux qui écoutent leurs discours, à ne point feindre, mais à servir Dieu de tout cœur. « Car Dieu, est-il dit, connaît les secrets de l’âme. » Et ils parlent ainsi pour les effrayer, afin qu’ils n’aient aucune pensée qui soit indigne de Dieu. Voyez encore quel grand surcroît de vertu, car le Prophète ajoute : « Car, à cause de vous, nous souffrons la mort tout le jour, nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. » C’est que s’il est grand de demeurer dans le service de Dieu et de ne pas lui échapper pour passer à un autre, il est encore bien plus grand, de lui conserver un tel amour quand nous sommes continuellement menacés de la mort, et exposés à des dangers de tous les jours. Et songez quel haut degré de sagesse il y a en cela, puisque c’est celui que possède saint Paul, énumérant dans son épître aux Romains (Rom. 8,36), tout ce déluge de périls auquel l’Apôtre fut exposé. Ainsi, quelles couronnes ne méritèrent pas les Macchabées qui, sous l’ancienne loi, nous apparaissent comme ayant d’avance atteint la mesure des luttes soutenues sous la loi nouvelle ? Car ce que dit saint Paul : « Je meurs tous les jours (1Cor. 15,31) », les Macchabées le font aussi, non pas en réalité, non pas en effet, mais en intention. Et pourquoi le psaume porte-t-il : « A cause de vous ? » C’est-à-dire, il nous était loisible de passer à l’ennemi, d’abandonner les usages de nos ancêtres, et de vivre en sûreté ; mais nous préférons endurer de mauvais traitements, et garder les mœurs de nos pères, plutôt que de jouir de la paix après être déchus de ces mêmes mœurs. « Nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. » Telle est, veut dire le Psalmiste, la facilité avec laquelle on nous détruit. Et par là il fait voir en outre leur douceur. Et malgré cela, quoique étant pour eux une proie si facile, nous demeurons avec notre âme inébranlable. Ici nous devons en outre admirer la puissance de Dieu, de ce que ces hommes exposés à la merci de leurs ennemis comme des brebis destinées à être égorgées, il les a conservés, et de ce qu’il n’a pas laissé tomber victimes de la mort ces hommes qui souffraient la mort tous les jours. « Levez-vous ; pourquoi sommeillez-vous, Seigneur ? » Une autre version porte : « Pourquoi êtes-vous endormi ? » Une autre : « Réveillez-vous. » Et une autre : « Éveillez-vous, levez-vous, et ne nous repoussez pas jusqu’à la fin. Pourquoi détournez-vous votre visage ? » Et suivant un autre interprète : « Pourquoi cachez-vous votre visage ? Oubliez-vous notre dénuement et notre tribulation ? » Suivant une autre version « Notre état misérable ? » Dans tous les cas, c’est comme s’il y avait : vous pouvez mettre un terme à nos maux ; car ce n’est pas par votre impuissance que tout cela arrive, mais par votre permission. Le Psalmiste appelle ici sommeil l’absence d’action de la part de Dieu, il appelle réveil le châtiment, et visage, sa protection, sa providence, sa sollicitude, son secours.
9. « Pourquoi oubliez-vous notre dénuement ? » Voyez encore une fois la sagesse du Prophète. Il ne dit pas : nos belles actions ; il ne dit pas : notre cœur inébranlable ; il ne dit pas notre âme à l’épreuve des tentations. On met tout cela en avant quand on cherche à se justifier ; mais quand on demande assistance, on tire ses arguments de salut de la condamnation que l’on a subie. C’est, dit-il, parce qu’ils ont été punis, c’est parce qu’ils ont souffert les derniers châtiments. Saint Paul tient souvent ce langage, et d’autres prophètes aussi. Et ces derniers parlaient de la sorte, quoique ne sachant encore rien de l’enfer, ni du royaume du ciel, sans avoir été instruits à voir tout cela d’une âme élevée, et ils supportaient tout avec résignation : « Car notre âme a été abaissée dans la poussière ; notre ventre a été appliqué contre terre (25). » En effet, comme il a dit : « Vous oubliez notre dénuement », ce qui signifie notre affliction ; il insiste ensuite sur cette affliction. Et voici à quoi revient ce qu’il en dit : nous sommes perdus, nous sommes enfouis, notre état n’est en rien meilleur que celui des morts. Et l’on peut bien dire avec raison de ceux qui sont attachés aux choses de ce monde, que leur âme est abaissée dans la poussière, et de ceux qui sont esclaves de leur ventre, que leur ventre est appliqué contre terre.
En effet, celui qui est enchaîné par l’amour, qui est en admiration devant de la boue, et qui asservit a cette cendre la faculté incorporelle qui existe en lui, cet homme, on peut le dire à juste titre, est dans l’état dont nous parlons. Qu’est en effet la beauté du corps, sinon de la poussière, de la boue, ou plutôt, quelque chose de plus hideux encore ? Si vous ne me croyez pas, allez fouiller les sépultures humaines, et vous verrez cette boue et cette poussière. Car une fois que l’enveloppe corporelle est destituée de la vie présente, alors cette enveloppe apparaît ce qu’elle est : que dis-je ? cela lui arrive même avant la mort. En effet, quand la vieillesse sera venue, ou que la maladie l’aura frappée, vous verrez alors quelle sera son apparence ; car elle n’est que boue ; seulement Dieu, en sage créateur, a fait sortir d’une matière si vile une beauté inexprimable, et cela, non pour vous porter à la fornication, mais afin de vous offrir une preuve de sa sagesse. N’outragez donc pas l’artisan, en faisant de l’œuvre de sa sagesse, l’objet de votre impureté et de votre débauche. Que votre admiration pour la beauté n’aille que jusqu’à rendre gloire à l’artisan ; ne la poussez pas plus avant, vous exciteriez la passion. L’ouvrage est beau : il faut donc adorer l’ouvrier, et non pas lui faire outrage. Si un homme, dites-moi, allait s’emparer de la statue en or de quelqu’un, de l’image de quelque prince, et la souillait de bourbe et d’autres immondices, n’en serait-il pas puni avec la dernière rigueur ? Et si une telle irrévérence à l’égard des hommes mérite un si grand châtiment, que devra subir celui qui déshonore de même l’œuvre de Dieu, et surtout lorsqu’ayant une femme il mènera une pareille conduite ? Car ne me parlez pas des désirs de la nature. Le mariage a été accordé aux hommes, pour les empêcher de franchir les limites de la société conjugale. Considérez quel châtiment vous mériteriez. Dieu a pourvu à votre repos et à votre honneur, en sorte que vous puissiez satisfaire cette rage de la nature au moyen de votre femme,.et le faire sans danger, à l’abri de toute ignominie. Et vous allez, de gaîté de cœur, outrager celui qui est pour vous si prévoyant ? Car dites-moi, s’il n’eût pas voulu instituer le mariage, quels tourments, quels supplices n’auriez-vous pas eu à endurer ? Ainsi, vous devez remercier et glorifier Dieu de vous avoir retranché la majeure partie de vos peines, en imaginant un adoucissement admirable ; et au lieu de cela, vous l’outragez avec ingratitude, avec impudence, vous transgressez les limites qu’il a posées, et vous avilissez votre propre honneur. N’entendez-vous pas saint Paul vous disant dans ce moment même, et criant au milieu de tous : « Fuyez la fornication ? » (1Cor. 6,18) Que dis-je ? N’entendez-vous pas Jésus-Christ inspirant l’âme de l’apôtre ? Pourquoi étudiez-vous une beauté étrangère ? pourquoi scruter ce visage qui ne vous appartient pas ? pourquoi courir au travers des précipices ? pourquoi vous jeter dans les filets ? Mettez un rempart à vas yeux, une fortification à vos regards, imposez une loi à votre vue. Écoutez Jésus-Christ qui vous menace, et qui juge vos regards déréglés à l’égal de l’adultère. » (Mt. 5,28) De quelle utilité est le plaisir, lorsqu’il engendre un ver rongeur, une crainte perpétuelle ? lorsqu’il devient pour celui qui en a joui la source d’un châtiment éternel ? Combien ne vaut-il pas mieux, après avoir, pendant un temps bien court supporté ta violence de nos propres pensées, être pour toujours dans le calme, plutôt qu’après avoir fait des concessions, bien courtes aussi, à nos désirs insensés, en être éternellement puni ? « Non, mes enfants, ne faites pas ainsi : les choses que j’entends dire de vous ne sont pas bonnes. » (1Sa. 2,24) Je sais bien quels sont ceux à qui ce discours s’adresse, il ne s’adresse pas à tous ; mais là où il trouve une blessure, il applique son remède. Pourquoi outragez-vous le mariage ? pourquoi violez-vous la société conjugale ? pourquoi blessez-vous votre propre chair ? pourquoi avilissez-vous votre propre honneur ? Sapez cette passion, extirpez cette mollesse. » (1Cor. 6,15) Car la mollesse et l’ivresse sont les sources de la fornication. Si vous ne faites du repos l’usage qu’il faut, il vous amènera l’affliction. Écoutez ce qui arriva aux Juifs qui avaient forniqué, qui n’avaient pas participé au corps de Jésus-Christ, qui n’avaient pas profité du banquet spirituel. « Ne forniquons pas », dit l’Apôtre, « comme certains d’entre eux forniquèrent, et périrent en un seul jour au nombre de vingt-trois mille. » (1Cor. 10,8) « Levez vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom (26). » Suivant une autre traduction : « Soyez là pour nous défendre, et délivrez-nous à cause de a votre miséricorde. » Voyez comment nos héros terminèrent leurs discours ; après leur mille et mille exploits, quels motifs croient-ils devoir invoquer pour leur salut ? La miséricorde, la bonté de Dieu ; c’est aussi à cause de son nom. Et que signifie : « à cause de votre nom ? » Afin que ce nom ne soit point profané. Et il dit souvent lui-même : « Je le fais à cause de mon nom. » Vous avez vu tout à l’heure l’humilité, la contrition de leurs cœurs ? Et quels sont les motifs qu’ils, croient devoir invoquer pour leur salut ? La bonté de Dieu, sa miséricorde : comme les gens qui sont au dépourvu de belles actions, qui n’ont aucun titre à faire valoir pour leur salut, et quoiqu’ils fussent décorés de tant de fatigues et de dangers, ils rapportaient tout à Dieu. Imitons-les donc nous aussi, qui vivons sous la loi de la grâce, et renvoyons la gloire à Dieu, à qui elle appartient dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. E. MALVOISIN.

EXPLICATION DU PSAUME XLIV.

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CHANT TRIOMPHANT POUR LES FLEURS DES FILS DE CORÉ. – SUIVANT UN AUTRE : A L’AUTEUR DE LA VICTOIRE AU SUJET DES LIS DES FILS DE CORÉ. AU LIEU DE LIS, LE TEXTE HÉBREU DIT : AL SOSANIM, CANTIQUE D’INTELLIGENCE POUR LE BIEN-AIMÉ. – D’APRÈS UN AUTRE : CHANT D’AMITIÉ DU SAVANT. – D’APRÈS UN AUTRE : EN HÉBREU, IDITHOTH. – LES SEPTANTE DISENT : « POUR LA FIN, POUR CEUX QUI SERONT CHANGÉS, INTELLIGENCE AUX FILS DE CORÉ, CHANT POUR LE BIEN-AIMÉ. MON CŒUR A BONNE PAROLE. – SUIVANT UN AUTRE : S’EST ÉCHAPPÉ. – SUIVANT UN AUTRE : MON CŒUR A ÉTÉ REMUÉ PAR UNE BONNE PAROLE. »

ANALYSE.

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  • 1. Les juifs et les païens confondus par l’Ancien Testament. – Différence des prophètes et des devins profaner.
  • 2. Explication de la parole d’Isaïe : Il n’avait pas de beauté.
  • 3. Miracles de l’Esprit-Saint : ses dons divers. – Différence du langage des Prophètes et de celui des Evangélistes.
  • 4. Deux langages, suivant que le Prophète considère la divinité en elle-même, ou comme incarnée. – Malédiction assumée par le Christ.
  • 5. Figures, expressions de condescendance.
  • 6. Union de la douceur et de la vérité : Exemple de Moïse et de David.
  • 7. Comment le Prophète s’y prend pour atténuer la grossièreté nécessaire de son langage.
  • 8. Diversité de méthode chez les Évangélistes : accord quant au but.
  • 9. Que la curiosité humaine serait mieux employée à l’enquête, sur soi-même qu’à des questions téméraires touchant les desseins de Dieu. – De l’onction en Jésus-Christ.

10. Gloire de l’épouse. 11. Signification mystique de ce passage. 12. Bonheur de la vierge, même ici-bas. 13. Royauté des apôtres : actions de grâces.
1. Je voudrais voir dans cette assemblée tous les Juifs et tous les païens, et recevoir de la main des Juifs le saint livre où je dois lire ce psaume. En effet, vous n’ignorez pas sans cloute que devant les tribunaux et partout, les témoignages les moins suspects sont ceux qui sont rendus par des ennemis. Or l’Ancien Testament nous fournit aujourd’hui un témoignage propre à confondre païens et juifs : les Juifs qui le lisent sans le comprendre : les païens qui nous voient emprunter nos livres à nos ennemis. Comment prétendre après cela, que nous les avons fabriqués, quand nous tenons d’autrui, et de ceux-là mêmes qui ont crucifié le Christ, les livres qui proclament sa puissance. Mais en leur absence comme en leur présence, remplissons notre tâche, et arrivons à l’interprétation. C’est au Christ qu’est dédié ce psaume ; de là ces titres : « Pour le bien-aimé, pour ceux qui seront changés. » En effet, le Christ a opéré un grand changement en nous, une grande révolution un grand bouleversement dans le monde. C’est à ce changement que Paul faisait allusion, en disant : « Si quelqu’un est en Jésus-Christ, il est une créature nouvelle. » (2Cor. 5,17) Voilà pourquoi le Psalmiste ne dit pas tout d’abord : mon cœur a dit. Comme ces paroles n’avaient rien d’humain, qu’il allait être question de choses célestes et spirituelles, non point inventées par l’homme mais inspirées par la divinité il emploie : le mot de Renvoi pour exprimer cela. C’est là en effet un accident involontaire, à la différence de la parole humaine qu’on profère, qu’on articule, ou qu’on revient à sa fantaisie. Voulant donc montrer que les paroles dont il s’agit ne proviennent point d’un effort humain, usais de l’ébranlement produit par l’inspiration divine, il applique ce mot de Renvoi à la prophétie. Si l’odeur exhalée par notre bouche participe à la qualité des aliments que nous avons mangés, on peut en dire autant de l’enseignement spirituel. Telle nourriture, telle odeur. Voyez comment un antre prophète exprime par une image sensible cette opération ultérieure il mange un livre, et il le mange avec délices « Et il fut dans ma bouche », dit-il,« comme un miel agréable. » Ainsi, ceux qui recevaient la grâce de l’Esprit, en exhalaient l’odeur. Il ne s’agit pas ici de ce renvoi que produisent les aliments, ni de rien de sensible. Écoutez plutôt de quel genre est l’odeur, et d’où elle sort. Ce n’est pas de l’estomac, qui reçoit les aliments, c’est du cœur. « Mon cœur a eu un renvoi. » Et l’odeur qui en sort, quelle est-elle ? ni celle d’un mets, ni celle d’un breuvage, mais celle que peut laisser un pareil festin, à savoir une bonne parole, une parole au sujet du Fils unique, de ce qu’il y a de meilleur ; n’a-t-il pas dit en effet : « Je suis venu non pour juger le monde, mais pour sauver le monde ? » (Jn. 12,47) Tout ici respire la douceur, la clémence, mais pareille odeur ne peut sortir que d’un cœur à l’avance purifié. Ainsi qu’un estomac chargé de sucs immondes exhale une odeur analogue, tandis qu’un estomac sain rend une odeur correspondante à son état : ainsi le cœur du prophète, une fois délivré de ses péchés, reçut la grâce de l’Esprit, et en révéla la présence par une bonne parole. Par là nous pouvons apprendre encore une chose, c’est que les prophètes n’étaient point comme les devins. Chez les devins le démon, du moment où il a pénétré dans l’âme, aveugle la pensée, troublé la raison : et c’est sous cette influence qu’ils prédisent l’avenir à l’insu de leur propre intelligence, à la manière d’un instrument inanimé qui rend des sons. C’est ce qu’un philosophe païen exprime en ces termes : « De même que les diseurs d’oracles et les devins inspirés disent beaucoup de choses sans rien comprendre à ce qu’ils disent[8]. » Ce n’est pas ainsi qu’agit l’Esprit-Saint ; il permet au cœur de connaître les paroles proférées par la bouche. Sinon, comment le Prophète aurait-il pu dire : « Une bonne parole ? » Le démon, comme un ennemi armé en guerre, livre combat à la nature humaine. L’Esprit-Saint, au contraire, dans sa bienfaisance et sa sollicitude, communique sa pensée à ceux qui le reçoivent, et leur permet d’avoir conscience de ses révélations. « Je dis mes ouvrages au Roi : ».suivant un autre, « Mes œuvres. » De quels ouvrages s’agit-il ? De la prophétie. De même que c’est l’ouvrage d’un forgeron de fabriquer des cognées, l’ouvrage d’un architecte de bâtir, l’ouvrage d’un constructeur de vaisseaux de façonner des charpentes de navire : de même c’est l’ouvrage d’un prophète de prophétiser. C’est bien un ouvrage en effet : écoutez plutôt ce que le Christ dit des apôtres : « L’artisan mérite son salaire. » (Lc. 10,7) Et Paul « Surtout ceux qui travaillent à la parole et à la doctrine. » (1Tim. 5,17) Si ce n’était pas un ouvrage, comment serait-il question de travail ? Et quel ouvrage est plus honorable ou plus utile que celui-là ? Point d’industrie qui ne lui soit inférieure. Eh bien ! quel est donc cet ouvrage, qu’il dit au Roi ? Entendez cet hymne, cette prophétie. Il ne dit pas quel est ce Roi : Par là il montre qu’il s’agit du Dieu de l’univers. Quand nous voulons parler du roi des Perses, nous ne disons pas simplement le roi, mais bien le roi des Perses ; et de même pour le roi des Arméniens : mais quand nous parlons du monarque qui nous gouverne, ce nom seul nous suffit pour le désigner. De même le Prophète, voulant parler du roi véritable se contente de dire : « Le Roi. » Ainsi qu’en disant le Tout-Puissant nous disons assez pour nous faire entendre, vu qu’il n’y a pas deux Tout-Puissants : de même il suffit ici de dire le R. parce qu’il n’y a pas d’autre roi qui soit Dieu. Aussi bien celui qui parlait était-il roi lui-même. D’où il résulte qu’il ne veut point parler en cet endroit d’un homme, ruais bien du Dieu de l’univers. Voilà pourquoi il ne dit pas aux rois, mais au roi ; l’adjonction de l’article fait voir de quelle souveraineté il s’agit.
2. Après cela, voulant montrer encore que ces paroles ne proviennent point d’une pensée humaine, d’un travail, d’une méditation, mais de la grâce de Dieu, et que ;.pour sa part il n’a fait que prêter sa langue, il ajoute : « Ma langue est la plume d’un écrivain alerte. » La plume écrit ce que lui commandent les doigts qui la tiennent pourquoi : « Alerte ? » Afin de montrer ici encore l’opération de la grâce. Celui qui parle en son propre nom est lent ; il perd du temps à réfléchir, à composer ; l’ignorance, l’inexpérience l’entravent et le retardent : mille choses mettent obstacle à la rapidité du discours. Mais quand l’Esprit-Saint agit sur une intelligence, rien ne vient ralentir son action : comme un fort courant d’eau s’élance avec fracas, la grâce de l’Esprit court avec une incomparable vitesse, aplanissant, unissant tout sur son passage. Puis revenant sur ses paroles pour les purger de ce qu’elles peuvent avoir d’humain, il ajoute : « Autrement beau que les fils des hommes. »
Quelques-uns font rapporter ceci à la langue, croient que cette beauté est celle de la plume. Moi, je crois que le Psalmiste a maintenant en vue le Christ : de là cette traduction d’un autre interprète : « Vous avez été paré de beauté par les fils des hommes. » Dans sa ferveur, dans la violence de son amour, il apostrophe subitement le Christ, ainsi que Jacob dit : « Tu es sorti du germe, mon fils. « Tu t’es couché et endormi comme un lion. » Saisi d’enthousiasme, c’est au Christ désormais qu’il s’adresse. Ne voyez-vous pas ici une comparaison ? il ne dit pas a plus beau, « mais autrement, beau que les fils des hommes. » Ce sont, veut-il dire, des beautés différentes. Considérez maintenant comment, tout en commençant ; il aborde le mystère de l’incarnation. C’est ce que 1a suite rend manifeste. Car, après avoir dit : « Autrement beau que les fils des hommes », il ajoute : « la grâce a été répandue sur vos lèvres. » Dieu n’a pas de lèvres : ce langage suppose l’Incarnation. Un autre interprète a rendu la chose encore plus claire, en disant : « La grâce est remontée sur tes lèvres. » Que signifie, en effet, cette expression, est remontée, sinon en d’autres termes : la grâce qui était – en toi a jailli au-dehors ? Comment donc un autre prophète peut-il dire « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat, ni beauté : mais son apparence était humble, inférieure à celle des fils des hommes ? » (Is. 53,2-3) Ce n’est point la laideur, à Dieu ne plaise ! qu’il veut désigner par là, mais la bassesse de condition. Une fois qu’il eut consenti à devenir homme, il vécut sans cesse dans l’abaissement : il ne voulut point d’une reine pour mère, d’une couche dorée pour berceau ; il naquit dans une crèche ; il fut élevé non pas dans un palais magnifique, mais dans l’humble échoppe d’un artisan. Puis quand il choisit des disciples, ce ne furent point des rhéteurs, des philosophes, des rois, mais des pécheurs et des publicains : telle est l’humble existence qu’il rechercha, sans maison, sans riches vêtements, sans table somptueuse, vivant aux dépens d’autrui, insulté, dédaigné, chassé, persécuté. Par là il se proposait de mieux abattre l’orgueil humain. C’est donc parce qu’il écartait de lui toute pompe, tout appareil, parce qu’il n’avait ni suivants, ni satellites, que même il allait quelquefois seul comme un homme du vulgaire, qu’Isaïe a dit : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat, ni beauté », tandis que le Psalmiste dit : « Autrement beau que les fils des hommes », par allusion à la grâce, à la sagesse qui étaient en lui, à sa doctrine, à ses miracles. Puis il ajoute, pour donner une idée de cette beauté : « La grâce a été répandue sur vos lèvres. » Voyez-vous qu’il s’agit de l’incarnation ? Mais de quelle grâce est-il question ici ? De celle qui inspirait la prédication de Jésus et ses miracles. Il parle ici de la grâce descendue dur la chair : « Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre comme une colombe et se reposer c’est celui-là qui baptise. » (Jn. 1,33) Car il n’est pas de grâce qui n’ait été répandue dans ce temple. L’Esprit-Saint ne lui mesure pas ses dons : « Nous, nous avons reçu de sa plénitude (Jn. 1,16) ; » mais ce temple-là reçut la grâce sans restriction. Isaïe a exprimé la même chose en disant : « L’Esprit de sagesse et d’intelligence se reposera sur lui, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, l’Esprit de la crainte de Dieu le remplira. » (Is. 11,2-3) Mais en lui la grâce est complète ; chez les hommes, il n’en existe qu’une goutte, une parcelle. Aussi n’est-il pas écrit : je donne l’Esprit, mais bien : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. » (Joël, 2,28)
3. C’est, en effet, ce qui arriva. Toute la terre entra en participation de cet Esprit. Le bienfait commença par la Palestine : il passa de là en Égypte, en Phénicie, en Syrie, en Cilicie, dans la région de l’Euphrate, ta Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie, la Thrace, la Grèce, la Gaule, l’Italie, la Libye entière, l’Europe, l’Asie, jusqu’à l’Océan. Et à quoi bon cette longue énumération ? Tous les lieux qu’éclaire le soleil furent visités par cette grâce : il suffit de cette goutte, de cette parcelle de l’Esprit, pour répandre la doctrine dans l’univers entier. Par elle se montrèrent des signes, par elle les péchés de tous furent rachetés. Néanmoins cette grâce distribuée dans tant de climats n’est qu’une partie, et pour ainsi dire, un arrhe du présent total : « Donnant, est-il écrit, les arrhes de l’Esprit dans nos cœurs. » (2Cor. 1, 22) C’est l’opération, ici, qui est dite partielle : car le Paraclet est indivisible. Mais voyez quelle source inépuisable : « A l’un est donnée par l’Esprit, la parole de sagesse ; à un autre la parole de science selon le même Esprit ; à un autre la foi ; à un autre la grâce de guérir ; à un autre la vertu d’opérer des miracles dans le même Esprit ; à un autre la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, le don des langues diverses. » Voilà les grâces innombrables que la grâce du baptême a répandues parmi tant de nations, sur toute la terre : tout cela est l’œuvre de cette goutte tombée de l’Esprit. C’était bien une goutte en effet : c’est ce que prouve l’expression : « Je répandrai de mon Esprit », et cette autre : « Les arrhes. » De là il résulte clairement qu’une faible partie du tout, seulement, a été donnée. Voilà pourquoi Jean a dit, faisant voir la même chose : « Nous avons tous reçu de sa plénitude : » en d’autres termes, de ce qui déborde, du trop plein de ce qui tombe du vase. Songez donc combien elle est inépuisable cette grâce de l’Esprit, qui suffit durant tant d’années à tout ce vaste univers : et elle ne se trouve point par là réduite ni tarie : elle comble tous les hommes de trésors et de grâces, sans jamais s’épuiser. Ensuite, comme ce mot Esprit s’applique à beaucoup de choses, aux anges, aux âmes, aux vents, et à d’autres objets encore, le Psalmiste a soin de dire mon Esprit. L’esprit de l’homme tient à l’homme même : il en est de même de l’Esprit de Dieu, malgré la distinction des personnes. De là ces mots de Paul : « Qui des hommes sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme, qui est en lui ? Ainsi, ce qui est en Dieu, personne ne le connaît que l’Esprit de Dieu (1Cor. 2, 11) :» il ne confond pas les personnes, à Dieu ne plaise ! mais il fait voir la noblesse de l’Esprit.
Aussi grand est l’accord de l’âme avec elle-même, aussi grande la parenté de l’Esprit avec le Père. En conséquence, de même que le Fils est appelé Verbe, non qu’il ne soit pas une personne, mais afin de montrer sa parenté avec le Père : de même l’Esprit de Dieu porte le simple nom d’Esprit, tout en restant une Personne. Et, ainsi que le Fils, en sa qualité de Fils par naissance, fait de nous des fils par adoption : de même l’Esprit, comme étant de substance divine, nous octroie les grâces. Si un homme peut tracer une image d’homme, n’est-ce point comme étant homme lui-même ? « À cause de cela Dieu vous a béni pour l’éternité. Pour cela », dit un autre.
Voyez-vous comment, dans sa ferveur, il continue de s’adresser à lui. C’est par le même motif qu’ailleurs il revêt sa prophétie des formes du reproche, par exemple quand il dit : « Pourquoi les nations ont-elles frémi, les peuples ont-ils médité des choses vaines (Ps. 2,1) ? » il dit ici : « A cause de cela Dieu vous a béni pour l’éternité. » Sans avoir rien dit de sa naissance, de son éducation, des autres événements de sa vie, il se met brusquement à parler de lui. Pourquoi cela ? Parce que raconter les faits dans leur ordre, c’est l’affaire des évangélistes. Voilà pourquoi le Prophète leur réserve ces sujets, qui appartiennent à leur relation. Quant à la prophétie, son rôle est de détacher certaines parties et de s’y arrêter. Aussi les prophètes font-ils partout de même ; ils s’emparent de quelques faits historiques, en tracent une esquisse, et passent. C’est pourquoi le Psalmiste se borne à dire : « Dieu vous a béni pour l’éternité », indiquant ainsi la grâce infinie qui remplissait ses paroles. Observez maintenant le pouvoir de la grâce : « Jésus marchait un jour sur le rivage de la mer ; il trouve Jacques et Jean, et leur dit : Venez derrière moi, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. » (Mt. 4,21-22) Et eux, ayant laissé leur père et leurs filets, ils le suivirent. Une autre fois, il dit à tous ses disciples : « Est-ce que vous voulez, vous aussi, vous en aller ? » Pierre lui répondit. Seigneur, vous avez des paroles de vie éternelle, et nous avons cru, et nous avons connu que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ; et à qui irions-nous ? » (Jn. 6,68, 74). – Et pourquoi citer les disciples ? Les pharisiens mêmes ayant envoyé des archers, en reçurent cette réponse : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. » (Id. 7,46) Et d’autres encore disaient : « Jamais rien de semblable ne s’est vu dans Israël. Et ils étaient dans l’admiration, parce qu’il les instruisait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et les pharisiens. »
4. Que si vous voulez connaître la grâce par vous-mêmes, écoutez ses préceptes, pesez-les, et vous verrez la force de la grâce : « Si quelqu’un ne renonce pas à tout, et, en outre, s’il ne hait pas sa propre âme, il n’est pas digne de moi. » (Lc. 14,33) Néanmoins, cette parole fut accomplie, tant il possédait de grâce. Et pourtant quoi de plus intime que l’âme ? Eh bien ! l’âme même, on la méprise pour obéir au précepte du Christ. Mais vous, en entendant ces mots « Dieu vous a béni », n’allez point vous scandaliser ni concevoir aucune basse pensée. Comme je l’ai dit plus haut, il s’agit de la chair, de cette chair qui a des lèvres, qui reçoit la grâce, qui reçoit la bénédiction. Quant à Dieu, il n’a besoin ni de bénédiction, ni de grâce, attendu que rien ne manque à la divinité. Il est écrit : « Comme le Père réveille les morts et les rend à la vie, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut. » (Jn. 5,21) Et encore : « Les œuvres que le Père fait, le Fils les fait pareillement. » (Id. V. 19) Et encore : « Comme mon Père me connaît, moi aussi, je connais mon Père : » (Id. 10,15) Ces mots : Ainsi, Pareillement, Comme, excluent toute idée de différence. Mais ici, il s’agit de l’Incarnation. Lui-même, il dit ailleurs : « Si mon Père m’aime, c’est que je donne ma vie pour mes brebis. » (Id. 10,17) Est-ce donc que son Père ne l’aimait pas auparavant ? Alors comment expliquer ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ? » (Mt. 3, 17) Il ne s’est exprimé, comme nous venons dé voir, que pour manifester la grandeur d’une telle œuvre. Si la comparaison de ces passages donne lieu à quelques explications, il n’en est pas besoin à l’égard de celui qui nous occupe. Si le Psal1niste a commencé par dire : « Autrement beau que les fils des hommes, et la grâce a été répandue sur vos lèvres », et encore : « Pour cette raison, Dieu vous a béni pour l’éternité », par allusion à l’Incarnation, c’est afin que vous ne vous scandalisiez pas, lorsqu’il viendrait parler du Fils en termes moins dignes de sa majesté, et que vous voyiez bien de quoi il s’agit. – De même, prédisant l’Incarnation, disait après beaucoup d’autres choses : « Ses yeux sont brillants comme le vin, et ses dents blanches comme le lait. » (Gen. 49,12) La divinité n’a point de dents. Un autre Prophète dit encore : « Il frappera la terre par la parole de sa bouche, et exterminera les impies avec le souffle de ses lèvres. » (Is. 11,4) En cela il se rencontre avec Paul qui dit : « Que le Seigneur détruira par le souffle de sa bouche, et exterminera par la manifestation de sa présence. » (2Thes. 2,8)
Afin que ces paroles ne vous inspirent point de mépris, le Psalmiste vous montre la puissance de la divinité. Car il ne sépare pas la chair de la divinité, ni la divinité de la chair, non qu’il confonde les substances (à Dieu ne plaise !) mais afin d’en montrer l’union. De là ces paroles : « Dieu vous a béni pour l’éternité. » Comment s’opère cette bénédiction ? par les louanges des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, toute la terre, d’un bout à t’autre, rend gloire et hommage au Dieu fait chair. Adam, le premier homme, fut chargé d’imprécations ; celui-ci, au contraire, est chargé de bénédictions. Au premier, il fut dit : « Tu es maudit dans tes œuvres », et ses enfants furent frappés à leur tour de semblables malédictions : « Maudit celui qui fait négligemment les œuvres du Seigneur ; maudit celui qui ne reste pas fidèle à toutes les choses écrites dans ce livre ; maudit celui qui est pendu au bois. » (Gen. 3,17 ; Jer. 48,10 ; Deut. 27,26 ; Id. 21,26) Voyez-vous que de malédictions ? Le Christ nous en délivra, en les assumant sur sa tête. De même qu’il s’est humilié pour nous relever, qu’il est mort pour vous rendre immortels ; de même il a assumé les malédictions afin que vous fussiez comblés de bénédictions. Qu’y a-t-il de comparable à une bénédiction achetée au prix d’une malédiction ? Le Christ n’avait pas besoin de bénédictions pour lui-même ; c’est pour vous qu’il les a gagnées. Quand je dis qu’il s’est humilié, je rie parle pas d’un changement réel, je fats seulement allusion à la condescendance de l’Incarnation ; de même, quand je dis qu’il a été béni, je n’entends pas indiquer qu’il eût besoin de bénédiction ; je désigne encore par là la condescendance de son incarnation. La nature humaine, donc, a été bénie. Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus, n’est plus en butte à la malédiction, ou plutôt il n’y était pas davantage en butte auparavant ; il s’en est seulement chargé, afin de vous en délivrer. « Ceignez votre épée sur votre cuisse, puissant, dans voire jeunesse et votre beauté (4). » D’après un autre : « Votre louange et votre dignité. » Suivant un autre : « Dans votre gloire et votre majesté. » Que signifie ce changement de ton et de langage ? Tout à l’heure il parlait d’un docteur ; c’est ce que veut dire, en effet : « La grâce a été répandue sur vos lèvres ;» et voici que subitement il nous dépeint un roi en armes, et cela non plus en forme de prophétie, mais en forme de supplication. Il ne dit pas, en effet : il ceindra son épée ; il demande : « Ceignez, dit-il, votre épée. » Ensuite, il revient à la beauté, et nous dépeint son héros, tantôt comme un guerrier, tantôt comme un beau jeune homme : « Dans votre jeunesse et votre beauté. » Puis, comme un archer : « Vos traits sont aiguisés, puissant. » Ensuite, comme un vainqueur, un triomphateur : « Les peuples tomberont sous vous, au cœur des ennemis du roi. » Enfin, il nous montre les parfums que répand sur son corps ce guerrier, ce roi, cet archer, ce vainqueur : « La myrrhe, l’aloès et la cannelle parfument vos habits. »
5. Quel rapport entre ces armes et ces odeurs, ces parfums et cette épée, entre l’enseignement et la guerre, les flèches et la beauté ? D’une part, des symboles de paix ; de l’autre des emblèmes de guerre et de combat. Qui est-ce donc, qui est fait à la fois pour la paix et pour la guerre ? qui exhale l’odeur des parfums, et se revêt d’une – armure ; qui habite des palais d’ivoire, et extermine des milliers d’ennemis ? Comment venir à bout de cette difficulté ? En considérant qu’il est ici question du Père en même temps. – Ailleurs encore le Prophète le montre armé, lorsqu’il dit, par exemple : « Si vous ne vous convertissez pas, il fera briller son glaive ; il a tendu son arc, il l’a préparé, et y a disposé les instruments de mort. » (Ps. 16,3) Et ailleurs encore : « Il revêtira la cuirasse de l’équité. » (Sag. 5,19) Observez que c’est toujours de son propre mouvement qu’il agit. De même qu’il est dit dans un de ces passages : « Il fera briller son glaive », sans que personne l’y pousse lui-même de son plein gré : de même on lit ici : « Les traits du puissant ont été aiguisés, les peuples tomberont sous vous au cœur des ennemis du roi. » Puis afin de montrer que Dieu n’obéit en cela à aucune impulsion étrangère, le Psalmiste ajoute : « Votre main vous guidera miraculeusement. » C’est comme s’il disait : Ce n’est pas d’autre part que vous recevez l’impulsion ; vous vous suffisez à vous-même. – Écoutez encore le Dieu de paix parler ainsi à ses disciples : « Je ne suis pas venu jeter la paix sur la terre, mais le glaive. » (Mt. 10,34) Et encore : « Je suis venu jeter un feu sur la terre ; et qu’est-ce que je veux, sinon qu’il s’allume ? » Notre Psalmiste parlant également de celui qui doit venir, prédit comment il viendra : « Il descendra comme une pluie sur une toison, et comme une goutte qui tombe sur la terre. » (Ps. 71,6) Je vous entretiens de ces choses, afin d’éveiller votre attention, et de vous exciter à chercher en vous-mêmes la solution, et le sens enfermé sous l’apparence des mots. Ces mots sont destinés à exprimer les opérations de la puissance divine. De même ici, quand vous entendez ces mots : « Ceignez votre épée sur votre cuisse ; » voyez là un mot destiné à marquer le pouvoir : de même pour l’arc et les flèches. Ainsi que l’Écriture dit de Dieu qu’il se met en colère, non qu’elle lui attribue une passion, mais afin de représenter par là le pouvoir de punir qui lui appartient, et de frapper l’esprit des hommes grossiers : ainsi elle parle ici d’armes, toujours dans le même but. En effet, comme les hommes pour se venger empruntent le secours de certains instruments, l’écrivain sacré, voulant montrer la puissance vengeresse de Dieu, a recours à des noms qui nous sont familiers, non pas pour que nous nous représentions le Seigneur en armes, mais pour que nous soyons plus, effrayés de ses châtiments. Mais beaucoup d’hommes, dira-t-on, ont trouvé là un sujet de scandale : c’est un simple effet de leur déraison, de leur étourderie : car, ait seul nom de Dieu, ils auraient dû comprendre que ces expressions étaient figurées. Et d’ailleurs l’Écriture, en d’autres endroits, ne se fait pas faute de témoigner par son langage de l’impassibilité divine. Écoutez comment ailleurs apparaît la facilité avec laquelle Dieu punit : « Que Dieu se lève, que ses ennemis soient dissipés. » (Ps. 67,2) Est-il besoin d’armes ? est-il besoin d’épée ? Qu’il se lève, cela suffit. Mais ceci même est encore un peu grossier : de là ces expressions plusieurs fois répétées : « Celui qui regarde sur la terre, et qui la fait trembler. » Et encore : « Par son aspect fut ébranlée la terre. » Mais ici même il reste de la grossièreté. Écoutez un langage plus relevé « Il a fait tout ce qu’il a voulu. » (Ps. 134,6) C’est qu’il lui suffit de vouloir : observez d’ailleurs comment, même quand son langage s’abaisse, l’Écriture atteste l’absolue plénitude de la nature divine. La mention des armes n’arrive qu’après l’appellation de Puissant et après l’énumération des armes, c’est au bras de Dieu seul, qu’est attribuée la victoire, en d’autres termes, à sa nature, à sa puissance : ce qu’un autre prophète indique en disant : « Son pouvoir est sur son épaule. » (Is. 9,6) Noir pour que vous vous représentiez une épaule véritable, à Dieu ne plaise ! mais pour que vous sachiez que Dieu n’a pas besoin de l’assistance d’autrui. « Ceignez votre épée sur votre cuisse, puissant, dans votre jeunesse et votre beauté. » Que veut-il dire ici ? Il emploie ces expressions peu relevées pour faire voir la puissance avec laquelle Dieu a gouverné le monde, mis fin à la guerre, et consommé son triomphe. C’était une guerre en effet, une guerre affreuse, la plus cruelle de toutes : il n’avait point à lutter contre une armée de barbares, mais contre les pièges des démons qui corrompaient l’univers entier. De là ces paroles d’Isaïe : « Il partagera les dépouilles des forts (Is. 53,12) ; » et encore a l’Esprit de Dieu est sur moi : pour cette raison il m’a oint, m’a envoyé annoncer la « bonne nouvelle aux pauvres, proclamer la « délivrance des captifs. » (Id. 61, 1) C’est encore pour cela que Paul écrit en général au commencement de ses épîtres : « Grâce à vous et paix par Dieu notre Père. » Et ailleurs : « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule. »(Eph. 2,14) Mais, afin que ces mots « Ceignez votre épée », ne vous fassent pas croire qu’il s’agit d’une épée sensible, écoutez ce qui suit : « Dans votre jeunesse », poursuit-il, et, « dans votre beauté. » L’épée, la voilà : c’est sa jeunesse, sa beauté, sa majesté, sa grandeur, sa magnificence. En effet, son essence n’a besoin de rien pour accomplir ses desseins, puisque rien ne lui manque. Le Prophète l’invoque donc, le pousse à la guerre dans l’intérêt de l’univers. Puis de ces sublimités il redescend à un langage plus humble ; après avoir dit l’épée, la cuisse, il avait haussé le ton, et nommé la jeunesse, de là il redescend à des objets plus charnels, et reprend : « Tends, dirige et règne. » – Par ce mot tends, il nous rappelle l’arc et la flèche. Mais aussitôt et après, voulant nous montrer que Dieu n’a pas besoin d’armes, il ajoute : Dirige et règne. » – Avance, suivant un autre interprète. Quant à la royauté dont il parle ici, c’est celle que le Rédempteur, après sa venue, a exercée dans les derniers temps, celle qui résulte de l’union intime et de la doctrine.
6. Ces paroles attestent admirablement le désir allumé chez le Prophète par la vue des victoires futures et du inonde amené à la vérité. Voilà pourquoi il emploie les formes de l’exhortation. Les petits emploient de pareilles expressions vis-à-vis des grands, quand ils sont transportés de zèle pour eux. « À cause de la vérité, de la douceur et de la justice. » Il ajoute ce mot « vérité. » Voyez-vous comment l’Écriture s’explique elle-même, et montre qu’il s’agit d’une victoire purement intelligible et spirituelle ? Comment ce même auteur qui parlait tout à l’heure d’armes, de glaive et d’arc, peut-il ici nommer la douceur ? qu’y a-t-il de commun entre la douceur et la guerre, entre la clémence et le combat ? Le rapport est grand, si l’on y fait attention. David et Moïse étaient doux. L’Écriture dit du premier : « Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. » (Ps. 131,1) ; et de Moïse : Moïse était le plus doux de tous les hommes qui sont sur la terre. (Nb. 12,3) Néanmoins ces hommes si doux savaient punir mieux que personne. Mais parlons d’abord, si vous le voulez, de leur douceur. Plusieurs fois David avait tenu Saül en son pouvoir ; il aurait pu le tuer ; il ne porta pas la main sur lui, en dépit des conseils d’autrui, il l’épargna et dompta sa propre colère. Quand Séméi l’abreuvait d’outrages et insultait à son infortune, quand ses généraux voulaient courir sus à ce furieux, et lui donner la mort, quelle n’est pas la sagesse de ses paroles ! Voyez encore comment il recommande à ses généraux un fils parricide et perverti : « Épargnez », leur dit il, « mon enfant Absalon. » Et tout au commencement, quand il répond à ses frères envieux et jaloux de sa future victoire, rappelez-vous quelle est la douceur de son langage : « N’est-il pas permis de parler ? » dit-il. (1Sa. 17,29) Et Moïse ? Écoutez comment il plaide la cause de ceux qui avaient tenté de le lapider, et l’auraient tué, s’il n’avait tenu qu’à eux : « Si vous leur remettez leur péché, remettez-le:» sinon, « rayez-moi aussi du livre que vous avez écrit. » (Ex. 32,31-32) Une autre fois, on l’excitait à la jalousie, on cherchait à provoquer son indignation : il ne répondit que ces sages paroles : « Qui fera que tout ce peuple soit prophète du Seigneur ? » (Nb. 11,29) Sa sœur elle-même l’insulte : avec quelles instances ne prie-t-il pas poutrelle ? En bien d’autres choses on peut voir paraître sa douceur, par exemple lorsque repoussé de la Terre promise, et se voyant refuser l’entrée de la Palestine, il s’entretient si paisiblement avec les Juifs. Cependant ce même homme, si plein de douceur, demanda que Dathan, Abiron et Coré, fussent engloutis sous la terre le jour où ils usurpèrent le sacerdoce, et que les autres fussent brûlés, en punition de ce qu’ils avaient offert le feu d’autrui. Ce David si clément tua Goliath, repoussa son armée, et remporta la victoire. En effet, ce qui caractérise par-dessus tout la douceur, c’est le pardon des injures dont on a été victime soi-même, en même temps que l’assistance prêtée aux opprimés. Telle fut la conduite du Christ lui-même, qui disait sur la croix : « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » (Lc. 23,34) Puis il ajoutait, pleurant sur Jérusalem : « Combien de fois j’ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l’avez pas voulu : voici que votre maison est laissée déserte. » (Mt. 2,3, 37, 38) Souffleté, au lieu de rendre l’affront, il s’excusait à l’insolent : traité de démoniaque, il chassait les démons ; appelé charlatan, ennemi de Dieu, il acheminait vers le Royaume ceux qui l’injuriaient ainsi. Il ne cessait de recommander à ses disciples de se laisser fouetter, persécuter, proscrire, et de rechercher la dernière place : « Que celui qui veut être le premier parmi vous », dit-il, « soit votre serviteur. » (Mt. 20,26) Et se prenant lui-même pour exemple, il ajoutait : « Comme le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner son âme en rançon pour plusieurs. » (Id. 28) S’il chasse les démons, s’il fait la guerre aux diables, s’il ruine l’erreur, c’est encore un trait de mansuétude que de guérir tous les vices et d’affranchir ainsi les pécheurs, que de réprimer les entreprises des démons, et de tirer de peine les persécutés. Mais qu’est-ce à dire : « A cause de la vérité, de la douceur et de la justice ? » Il a parlé de la guerre, du combat, il a montré le guerrier : il parle maintenant des exploits de son règne, de l’espèce de trophée qu’il a élevé, de la nature de sa victoire. Ici-bas, tous les rois font la guerre ou pour des villes, ou pour de l’argent, ou par haine, ou par vanité : rien de pareil chez lui : il combat pour la vérité afin de l’implanter sur la terre ; pour la douceur, afin d’adoucir des êtres plus farouches que des bêtes sauvages, et pour la justice, afin de rendre justes les âmes soumises à la tyrannie de l’iniquité, de les rendre justes d’abord par la grâce, ensuite par les bonnes œuvres. « Et votre main vous guidera miraculeusement. » Suivant un autre : « Et votre main vous éclairera sur les choses terribles. » D’après un autre encore : « Et votre main vous montrera des choses terribles (7). » Voyez-vous comment ici encore, il nous fait entrevoir la majesté propre à l’auteur de tant d’exploits ? De même que, plus haut, après avoir parlé d’armes et d’épée, il était revenu à la jeunesse, et avait ainsi élevé ses auditeurs aux pures contemplations de l’esprit : de même ici, après être descendu à ce détail grossier d’arc et de flèches, il relève peu à peu notre pensée, en nous exposant les, motifs de cette guerre, à savoir la vérité, la douceur, la justice. Après cela il nous fait connaître la manière dont la victoire a été remportée. « Et votre bras vous guidera miraculeusement. » Voici le sens de cette phrase : Sa nature se suffit à elle-même, sa puissance n’a pas besoin d’aide pour voir ce qu’il faut faire, et pour l’accomplir.
7. Un autre dit fort bien : « Votre bras est terrible. » Rien de plus terrible en effet, de plus effrayant que ces exploits : la mort vaincue, les portes de l’enfer forcées, le paradis, le ciel ouvert, les démons bâillonnés, les choses d’en haut mêlées à celles d’ici-bas, un Dieu fait homme, un homme assis sur le trône royal ; espérances de résurrection, attentes immortelles, jouissance de biens ineffables, que sais-je encore ? autant de fruits de sa venue. De là ces mots : « Votre main vous guidera vers les choses terribles ; » il veut montrer que la nature de ce Sauveur, que sa puissance lui suffit pour former, pour accomplir ses desseins. Les Septante traduisent : « Votre main vous guidera miraculeusement », c’est-à-dire qu’il ne faut pas admirer seulement ces effets, mais la façon miraculeuse dont ils se sont produits. Une mort a vaincu la mort, une malédiction a anéanti la malédiction et y a substitué la bénédiction : un aliment nous avait fait exclure autrefois, un aliment nous vaut notre rappel. Une vierge nous avait fait chasser du paradis, une vierge nous procure la pie éternelle. Ce qui nous avait fait condamner nous fait couronner. – Voilà ce que le Prophète a en vue, lorsqu’il dit : « Votre main vous guidera merveilleusement. » À quoi bon des armes, une épée, un arc, des flèches ? voyez-vous que sa nature, sa puissance se suffisent à elles-mêmes ? Mais voici que pareil à un bon danseur, il quitte les hauteurs pour descendre à des choses plus humbles. « Vos traits dont aiguisés, puissant. Les peuples tomberont sous vous au cœur des ennemis du roi (6). » Un autre dit : « Dans le cœur, les ennemis du roi. »
Considérez comment, en faisant mention des traits, il a soin de nommer « Puissant » celui à qui il s’adresse, afin de vous faire comprendre que les traits lui sont inutiles. Qu’il se suffit à lui-même. Voici la suite des idées ; « Vos traits sont aiguisés, puissant, dans le cœur des ennemis du roi. » Quant au membre de phrase : « Les peuples tomberont sous vous », c’est une parenthèse. Je vois deux manières d’expliquer ce passage, ou bien il s’agit de l’asservissement des Juifs, de la prise et de la ruine de leur capitale, ou bien les traits sont une figure pour désigner le pouvoir de la parole. La parole, en effet, plus vite que la flèche, a fait le tour de l’univers entier, elle a frappé au cœur ceux qui jusque-là avaient été les ennemis du R. non pour les faire périr, mais pour les gagner : c’est ce qui arriva pour Paul. Car ce ne serait point se tromper que d’appeler trait cette parole qui, lancée du ciel, toucha ce cœur jusqu’alors hostile, et le rendit ami : « Les peuples tomberont sous cous. » Voyez-vous le succès de la guerre, la soumission des révoltés, la prédication, l’initiation ? Car telle est la soumission dont il s’agit ici : être soumis à Dieu, c’est le fondement et le principe de toute élévation. Ainsi donc, il les a délivrés de tout orgueil, de toute vaine gloire, des erreurs suggérées Par les démons, et se les est soumis. C’est dans le même sens qu’un autre prophète nous le fait voir ensanglanté : voici ses paroles : Quel est cet homme qui arrive d’Edon ? la « rougeur de ses vêtements vient-elle de Boror ? » (Is. 63,1) Point d’armes ici, d’arc, de flèches, mais des vêtements. L’expression est grossière encore, moins cependant que l’autre : et cependant jusque dans l’insuffisance de ce langage le Prophète trouve moyen d’élever notre pensée peu à peu aux choses incorporelles. En effet, à cette question, d’où vient la rougeur de ses vêtements, voici la réponse : « J’ai foulé un pressoir tout seul. » C’est indiquer la facilité de la victoire, l’absence de tout auxiliaire, la force suffisante que le combattant a trouvée en lui-même. De même qu’il dit ici : « Votre bras vous guidera miraculeusement », de même en cet endroit : « J’ai foulé un pressoir tout seul. » Autant il est facile, en effet, à un vendangeur d’écraser des raisins, autant il est aisé à Dieu d’accomplir ses volontés : ou plutôt, cela lui est beaucoup plus aisé. « Votre trône, Seigneur, subsistera éternellement. Le sceptre de votre règne est un sceptre de droiture » Vous « avez aimé la justice et haï l’iniquité. C’est « pour cela que Dieu, votre Dieu vous a oint d’une huile de joie entre tous ceux qui y ont part avec vous (8). » Un autre traduit : « Votre trône, ô Dieu est éternel, et au-delà. » Le texte hébreu pour « Dieu, votre Dieu » pour Eloïm, Eloach. À cela que peut objecter le Juif ? A qui s’appliquent ces paroles ? Et l’hérétique ? Prétendra-t-il que c’est (lu Père qu’il est dit : « Votre trône, ô Dieu, subsiste éternellement. » Mais alors comment accorder avec cela ce, qui suit : « Pour cette raison, Dieu, votre Dieu vous a oint ? » Le Père n’est pas oint, il n’est pas oint comme le Christ. Il est donc évident qu’il s’agit ici du Fils unique, à qui s’applique déjà ce qui précède. C’est la même pensée qu’Isaïe exprime en disant : « Son règne n’aura pas de fin. » (Is. 9,7)
8. Mais peut-être demandera-t-on comment il se fait que le prophète parle ici de la Divinité même, lui qui précédemment ne parlait que de la Divinité incarnée ? Saint Matthieu « ne fait pas autrement. Il commence suivant la chair, et voici son début : « Livre de la généalogie de Jésus-Christ. » De même saint Luc et saint Marc ; saint Jean seul procède autrement : il commence par placer sur le terrain de la Divinité : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Puis il ajoute : « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous (14). » S’il s’y est pris autrement que ses autres dans la rédaction de l’Évangile, cela ne l’a pas empêché de se montrer tout à fait d’accord avec eux. Et comment, dira-t-on, peut-il y avoir accord, là où il existe contradiction ? Est-ce que vous ne savez pas que manger est le contraire de ne point manger, boire de ne pas boire, donner de ne pas donner ? Pourtant il arrive souvent qu’un médecin a recours successivement à ces moyens divers ; non qu’il se contredise : il est au contraire parfaitement d’accord avec lui-même, car il ne vise qu’à un but, la guérison du malade : C’est la même chose pour les évangélistes ; l’été est le contraire de l’hiver, cependant il conspire à un même huit, la maturité des fruits, l’abondance. Le monde tout entier est composé de contraires, mais il montre un parfait accord pour aider à notre vie. Le Christ lui-même suivit une voie opposée à celle de Jean : il mangeait, tandis que Jean ne mangeait pas. « Jean est venu, qui ne mangeait, ni ne buvait, et l’on dit : il a un démon en lui. Le Fils de l’homme est venu, qui mange et boit, et l’on dit : c’est un homme de bonne chère, et qui aime le vin. » (Lc. 7,33-34) Mais malgré cette différence de conduite ; l’un et l’autre conspiraient à un même but, à savoir le salut de ceux qui devaient être pêchés. – De même pour l’ordre oit sont placées la Divinité et l’Incarnation : Jean s’accorde avec les autres, bien qu’il prenne une voie contraire. Comment ? je vais le dire. Au commencement, quand la parole n’était pas encore répandue, il était naturel d’insister sur l’In car nation,.et de consacrer tous ses efforts à établir ce dogme, en préludant parce qu’il y avait de plus matériel et de plus accessible aux sens. Mais une fois que la doctrine fut enracinée, quand les hommes eurent reçu la nouvelle, alors il devint à propos de remonter plus haut. Voilà pourquoi les prophètes, quand ils viennent à parler du Christ commencent, débutent par l’Incarnation. Voyez par exemple comment Michée prend les choses du plus bas : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es aucunement petite parmi les princes de Juda. « De toi, en effet, sortira le chef qui sera pasteur de mon peuple Israël. » (Mic. 5,2) Cependant ce qui devait sortir de Bethléem, ce n’était point la divinité, mais la chair. Mais il ne s’en tient pas là, il remonte jusqu’à la divinité, en disant : « Et sa sortie est du commencement des jours de l’éternité. » Isaïe dit aussi : « Voici que la vierge concevra, et enfantera un fils, et on l’appellera de son nom Emmanuel, ce qui veut dire Dieu avec nous. » (Is. 7,1,4) Voyez-vous comment Isaïe aussi remonte de la chair à la divinité ? Ailleurs, c’est encore la même chose ; il dit : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, et il est appelé de son nom Ange de grand conseil, admirable conseiller, Dieu fort, puissant, prince de paix, père du siècle futur. » (Is. 10,6) Il a commencé par l’enfance, par l’incarnation, et voici que, montant par degrés il arrive à la divinité. C’est ainsi que le père s’était révélé d’abord par la création : « Ses perfections invisibles », dit Paul, « rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles. » (Rom. 1,20) Aussi se représente-t-il souvent lui-même sous des apparences sensibles, afin d’amener peu à peu le genre humain à la conception des choses incorporelles. Et pourquoi vous étonner de retrouver dans les dogmes cette marche que sa Providence suit dans les préceptes qu’elle nous donne ? Voilà pourquoi le Prophète parle ici comme il fait, s’élevant de la chair à la divinité (car les lèvres sont de la chair) et redescendant après cela de la divinité à la chair : la diversité de son langage n’est qu’un moyen dont il se sert pour le salut de ceux qu’il instruit. « Votre trône, ô Dieu, subsiste éternellement : » trône en cet endroit ne signifie point ce qu’on entend généralement par là, mais la royauté. Ici, ce trône est qualifié d’éternel, ailleurs de sublime : « J’ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime. » (Is. 6,1) Et ailleurs : « Parce que votre trône est sublime. » Un autre prophète voit Dieu assis sur un trône de gloire. David montre que c’est aussi un trône de bonté : « Miséricorde et jugement sont le redressement de son trône. » (Ps. 96,2)
9. Tout cela doit être entendu de la royauté c’est elle qui est impérissable sans fin, glorieuse, sublime, forte et solide. De plus elle n’a pas eu de commencement, comme le prouvent ces mots : « Votre royauté est une royauté de tous les siècles. » (Ps. 140,5, 13) Si le trône est un emblème de la royauté, le sceptre symbolise à la fois la royauté et le pouvoir judiciaire. Delà ces mots : « Le sceptre de votre « royauté et un sceptre de droiture. » – Là-haut, en effet, la justice est toute pure, la droiture sans déviation : ce ne sont plus, comme ici-bas, de simples esquisses. Écoutez, insensés, écoutez, misérables fous, si toutefois c’est assez dire. De qui veux-je parler ? De ceux qui accusent la Providence et disent. Pourquoi ceci et cela ? Si l’on se trouve auprès d’un menuisier, qu’on le voie rompre et scier du bois, on ne va pas lui demander compte ni raison de ce qu’il fait ; ni les assistants ni le malade lui-même ne vont importuner ère questions le médecin qui porte le fer et le feu dans les plaies, qui enferme son client, qui lui impose le tourment de la faim : un pilote petit tendre ses cordages, déployer ses voiles, laisser l’eau pénétrer dans les flancs de son navire, sans être assiégé de questions oiseuses et fatigantes : on se tait, on reste en repos, quelques fautes que ces gens puissent commettre contre les règles de leur art : et cette sagesse ineffable, cette ineffable bonté, cette sollicitude infinie, il ne serait » pas absurde d’en scruter les desseins avec une indiscrète curiosité ? Quelle démence ! on ne se chargerait pas volontiers de porter secours aux opprimés, de sacrifier de l’argent pour les pauvres : mais on ne cesse de se demander pourquoi un tel est pauvre, pourquoi un tel mendie, pourquoi tel autre est riche. Mauvais esclave sans raison, au lieu de courber la tête, de t’accuser toi-même, de mettre un frein à ta langue, de maîtriser tes pensées, et de reporter sur un autre objet, sur ta propre vie, cette inquiétude de ton esprit ? Abaisse tes regards sur tes actions, sur l’océan de tes péchés : et si tu es curieux, si tu aimes à questionner, demande-toi compte à toi-même des paroles, des actions, dont ta conduite est souillée ! Mais non : tu renonces à t’examiner toi-même, en dépit du châtiment qui menace ton insouciance, du salut qui serait la récompense d’une pareille enquête, et tu préfères ajouter à tes péchés en citant Dieu devant ton tribunal ! N’entends-tu pas le prophète qui lui dit : « Le sceptre de votre royauté est un sceptre de droiture ? » Et cet autre qui parle ainsi : « Son jugement sortira comme une lumière. » (Os. 6,5) Si tu ne sais pas tous les secrets de ton maître, eh bien ! c’est une raison de plus pour toi de le glorifier, de l’adorer : il n’en est pas de plus forte que son ineffable grandeur, que l’incompréhensibilité de son essence, que l’inépuisable industrie de sa sollicitude. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité. » Après avoir rappelé plus haut les succès, les victoires, les trophées, le salut donne au monde, la vérité, la mansuétude, la justice répandue, dans l’univers entier, voulant montrer que ces événements n’ont rien d’inexplicable, il se met à faire ressortir la grandeur du conquérant : c’est un Dieu, c’est un roi, un être immortel, un juge incorruptible, un ami zélé des hommes justes, un ennemi des méchants : et c’est parce qu’il est tel qu’il a remporté de pareils succès. Ainsi que personne ne se laisse aller à l’incrédulité. Tant de victoires témoignent et de la puissance et de la volonté du vainqueur. Après avoir énuméré les titres éminents de la divinité, il redescend à la chair et dit : « Aussi Dieu, votre Dieu vous a oint. » Un autre dit : « Vous a oint pour cela », c’est-à-dire pour remporter tous ces succès dont il a été question, bannir l’iniquité, implanter la justice, faire enfin ce que vous avez fait. Mais vous, n’allez pas vous déconcerter en entendant le Prophète attribuer ces œuvres au Père… Il ne s’exprime pas ainsi pour en ôter l’honneur au Fils, mais pour associer le Père à la gloire du Fils, de la même façon que l’Écriture attribue au Fils ce qui appartient à son Père : « Tout ce qui est à moi « est à toi, tout ce qui est à toi est à moi. » (Jn. 17,10) Paul dit en parlant de la résurrection : « Dieu l’a réveillé d’entre les morts (1Cor. 6,14) ; » et Jean : « Ouvrez ce temple et dans trois jours je le réveillerai. » (Jn. 2,19) Mais que signifie cette expression « Huile de joie ? » Le Christ n’a pas été oint d’huile, il l’a été par le Saint-Esprit. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Entre ceux qui y ont eu part avec vous », faisant voir justement par là que l’onction n’a pas été la même. – Il y avait eu beaucoup d’oints avant lui, mais pas un seul n’avait été oint de la même manière : de même qu’il y avait eu beaucoup d’agneaux, mais aucun qui l’égalât, beaucoup de fils, avant qu’il fût le Fils unique. Tout en lui est exceptionnel, non pas seulement ce qui tient à la divinité, mais encore ce qui procède de l’Incarnation : car personne n’avait été oint par un pareil esprit. Que si l’huile est nommée ici, ne vous en étonnez pas : notre écrivain est un prophète, il parle un langage énigmatique. – Et ce mot de « Joie » vient ici à merveille : en effet « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix. » Un autre dit : « D’une huile de beauté. » Le texte hébreu porte « Sason », c’est-à-dire beauté, gloire, parure. D’ailleurs, s’il faut lire, « De joie », le sens n’est pas moins satisfaisant. Ainsi donc qu’en lisant les mots épée, traits, arc, vous n’allez point penser à une épée, à un arc, à des traits, mais à la puissance qui a opéré tant de merveilles, de même ce mot « huile n ne doit pas vous représenter de l’huile proprement parler, mais une onction. Car l’huile était un emblème de l’Esprit, et l’Esprit était ici la chose principale et nécessaire.
Puisqu’il en est ainsi, n’hésitez pas à lui donner ce nom de Christ ou d’oint qu’ont porté avant lui Abraham et les prophètes, bien qu’ils n’eussent pas tous reçu l’onction de l’huile. Par exemple, il est écrit : « Ne touchez pas à mes oints, et ne faites pas de mal à mes prophètes. » (Ps. 104, 15) Mais quand donc le Christ a-t-il reçu l’onction ? Quand l’Esprit descendit sur lui sous la forme d’une colombe. Par ces mots « Ceux qui y ont eu part », entendez tous les hommes spirituels. Jean dit de même : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ; » et en parlant de Jésus : « Dieu ne lui mesure pas le don de l’Esprit. » (Jn. 1,16, et III, 34) Ailleurs il dit : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair. » Mais en cette occasion ce n’est pas une effluve de l’Esprit, c’est tout l’Esprit, qui est descendu ; d’où ces paroles : « Dieu ne lui mesure pas le don de l’Esprit. La myrrhe, l’aloès et la cannelle parfument vos vêtements (9). » Suivant un autre : « coulent sur vos habits ;» un autre traduit : « tous vos vêtements. »
10. Quelques-uns prétendent que le Prophète, par là, désigne allégoriquement la sépulture ; d’autres y voient une allusion au changement survenu dans l’onction. En effet, ce n’étaient pas ces parfums, mais d’autres, que les anciens employaient pour oindre. Afin de montrer que le mode d’onction est différent, le Psalmiste a déguisé, sous une diversité de substances, une différence d’opération. Quant à ces mots « Vos vêtements », ils signifient que les vêtements mêmes du vainqueur étaient tout pleins de grâce. C’est ainsi que l’hémorrhoïsse n’eut qu’à toucher la frange du vêtement de Jésus pour arrêter ses pertes de sang. – Rien n’empêche d’adopter ou ce sens ou l’autre ; je les juge également acceptables. – En conséquence, ainsi qu’en entendant parier d’arc et d’épée (pourquoi craindre de le redire ?) ou d’autres choses pareilles, vous ne vous arrêtez pas à la lettre : de même ici, sous ces mots « myrrhe et cannelle » cherchez un sens mystique, au lieu de vous figurer des réalités : sensibles. « Vos palais d’ivoire, ce qui a engagé des filles de rois à vous procurer de la joie dans l’éclat de votre gloire. » Suivant un autre : « Dans votre illustration. »
Il a dit ses victoires : il dit maintenant les honneurs qui s’ensuivent : il sera honoré dans des temples magnifiques. Autrefois l’ivoire était la matière la plus précieuse et la plus recherchée ; d’où ce cri d’un autre prophète : « Malheur à vous qui dormez sur des lits d’ivoire ! » (Amo. 6,4) Et il montre ensuite que la bonne nouvelle n’arrivera pas seulement aux simples particuliers, niais amènera des royaumes entiers à la soumission, et que des palais précieux seront élevés pour le triomphateur. Toutes ces prédictions sont aujourd’hui réalisées. Voulant montrer la puissance de la révélation, le Prophète dit comment elle conquit, subjugué hommes, femmes, pauvres, riches, rois au front ceint du diadème, reines, et les détermina à bâtir de toutes parts des temples à Dieu. Une fois engagé dans ce propos, il s’y étend, et s’arrête à décrire les serviteurs de Dieu et ses suppliants. Pour montrer comment les peuples se soumirent à lui, comment il toucha leur cœur, comment il triompha de ses ennemis, vit son bras partout victorieux, implanta partout vérité, douceur et justice, il recourt encore une fois au langage métaphorique, et trace une figure de l’Église conforme à ce que les apôtres en ont dit plus tard, l’un d’eux, par exemple, dans ce passage : « Je vous ai fiancés à cet unique époux qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. » (1Cor. 2,2) Un autre dit : « Celui qui a l’épouse est l’époux. » (Jn. 3,29) Un autre : « Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. » – Le Prophète prédit ici la même chose en faisant paraître à la fois une fiancée et une reine : de là ces mots : « La reine s’est tenue debout à votre droite. » Suivant urne autre version, « a été comme une colonne », en d’autres termes, s’est tenue immobile, sans bouger, de même que le Christ dit ailleurs : « Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. » (Mt. XVI, 18) Voyez-vous cet excès d’honneur ? cette majesté ? Celle qui était foulée aux pieds, traînée dans la boue, il l’élève si haut, qu’elle se tient debout à ses côtés : cette captive, cette esclave, cette prostituée, cette impure, voyez-vous à quelle dignité la voilà parvenue ? Elle est debout auprès du trône avec les puissances chargées du service céleste. Pendant que le Fils, comme égal au Père en dignité est assis à la droite, elle se tient là debout. Car toute reine qu’elle est, elle n’en est pas moins de substance créée. Comment donc Paul peut-il dire : « Il nous a ressuscités avec lui et fait asseoir dans les cieux en Jésus-Christ ? » Veuillez faire attention. Il ne se borne pas à dire : « Il nous a ressuscités et fait asseoir ; » il ajoute : « En Jésus-Christ », c’est-à-dire par l’entremise du Christ. Puisque notre tête est là-haut, nous qui sommes le corps, nous n’en participons pas moins aux honneurs, bien que restant debout. Enveloppée d’un vêtement enrichi d’or et diversement parée. » – D’après un autre : « Avec un diadème d’or de Suphir. »
Si, quand il était question du roi, il ne fallait pas nous figurer un arc et des flèches, de même ici n’allez pas vous figurer des vêtements de fiancée : ne voyez dans ces expressions que des symboles matériels recouvrant des idées dignes de Dieu. – Pour prévenir une pareille erreur, le Prophète lui-même a soin d’ajouter : « Toute la gloire de la fille du roi lui vient du dedans (4). » Or les vêtements sont ce qu’il y a au monde de plus extérieur, de plus visible, du moins les vêtements du corps : mais quand il s’agit de choses spirituelles, c’est au dedans qu’il faut porter les regards de son esprit. Ce vêtement est l’ouvrage du roi, c’est lui qui en a revêtu la fiancée par le baptême:. « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Gal. 3,27) Avant cela, elle était nue ; repoussante, offerte en spectacle à tous les passants. Mais du jour où elle a revêtu cet habit, elle est montée à ce degré d’élévation, elle a été jugée digne de se tenir à la droite. – C’est à propos aussi qu’il parle de parure diverse. Le vêtement, en,.effet, n’est pas uni. Le salut ne vient pas seulement de la grâce : il nécessite aussi la foi, et après la foi, la vertu. Mais ici il ne s’agit pas de vêtements. L’Esprit s’inquiétait peu de décrire les habits dorés d’une femme. Si Isaïe s’élève contre les femmes parées, si toute l’Écriture proscrit le luxe comment le Psalmiste aurait-il pu ici faire l’éloge d’une femme parée ? « Écoute ; ma fille, et vois ; incline ton a oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père (12). Et le roi désirera ta beauté », ou « afin que le roi désire. Parce qu’il est ton Seigneur ; » suivant un autre « car il est ton Seigneur. Et ils l’adoreront. » Un autre traduit : « Et adore-le. Et la fille de Tyr avec des présents (13). » – D’après un autre : « Et la fille forte apportera des présents. Les riches du peuple supplieront ton visage. »
11. Rien ici de sensible, vous le voyez, rien de matériel ; font s’adresse a l’esprit seuil. Comment s’expliquer en effet cette fiancée, fille de son fiancé, cette fille fiancée de son père ? Au point de vue de la chair cela est impossible, les deux choses ne s’accordent point ; mais au point de vue de la divinité, elles sont conciliables. Celui qui lui a donné par le baptême une vie nouvelle, est aussi celui qui l’a prise pour fiancée. « Écoute, ma fille, et vois. » Elle lui doit deux choses, l’enseignement par l’entremise de la parole, et la vue par l’entremise des miracles et de la foi ; elle a reçu de lui et des dons et des promesses. Écoute donc fines paroles, vois mes miracles et mes œuvres et reçois patiemment mes exhortations. Et voyez par quelle exhortation préalable il commence : « Oublie ton peuple et la maison de ton père. » Comme il l’a prise parmi les Gentils, il commence par lui prescrire de renoncer à ses habitudes d’enfance, de les chasser de son souvenir, de les bannir de sa pensée ; il ne veut pas seulement qu’elle les fuie, il lui défend même d’en garder le souvenir. Et oublie ton peuple et la maison de, ton père. En disant le peuple et la maison, il désigne tout ce qui occupe les Gentils, leur vie comme leurs doctrines. « Et le roi désirera ta beauté. » Vous voyez qu’il n’est pas question de beauté corporelle ; si tu agis ainsi, lui dit-il, alors tu seras belle, alors le Roi désirera ta beauté. Or ce n’est pas là ce qui fait la beauté corporelle. Elle se rencontre chez les infidèles et il va de belles femmes qui sont païennes. Mais pour mieux vous convaincre qu’il n’est pas question de beauté sensible, le Prophète fait consister dans l’obéissance la beauté dont il parle ; or, l’obéissance ne produit pas la beauté du corps, mais celle de l’âme. Si tu agis ainsi, alors tu seras belle, tu deviendras un objet d’amour pour ton époux. « Parce qu’il est ton Seigneur. » Voici que le père se révèle comme époux et maître. Après avoir enjoint à la jeune femme de renoncer à ses parents, d’oublier son peuple, de renoncer à ses habitudes, il fait voir que l’a raison de ces préceptes est des plus fortes, que son langage se suit parfaitement, que l’obligation d’y obéir est impérieuse. En effet, si ton père est en même temps ton époux et en même temps ton maître, tu dois renoncer à tout pour te consacrer uniquement à lui. Et il ne dit point, parce qu’il est ton père, mais bien « parce qu’il est ton Seigneur », afin de la toucher davantage ; c’est lui ton seigneur, ton maître, ton père, (lui a voulu en outre devenir ton époux, ou plutôt ce fait seul d’être devenu son seigneur atteste une sollicitude et une bonté infinies, puisqu’il a fallu l’arracher au joug des démons et à la tyrannie de l’erreur pour l’attacher à son service. Mais il n’en a pas fait seulement sa servante, il en a fait sa fille et sa femme. « Oublie ton peuple et la maison de ton père. » Car tu ne vas pas habiter chez un étranger, tu ne fais que retourner chez celui qui t’a engendrée, qui te touche de plus près que, personne, qui veille sur toi et te protège. Car il est à la fois ton maître, ton père et celui à qui tu dois tout. « Et ils l’adoreront, et la fille de Tyr avec des « présents. » – Quelle suite y a-t-il entre ces idées ? Une suite parfaite. Il n’y a pas de meilleure méthode pour exhorter. Approche, dit-il, car sa puissance est grande et tous lui obéiront : Et omettant de parler de l’univers, le Prophète désigne seulement une ville voisine, alors plongée dans l’impiété, vraie citadelle du diable, grandement renommée pour son luxe ; c’est la partie prise pour le tout.
Il me semble aussi désigner par là en général la débauche et l’impiété. car l’Écriture est dans l’usage de caractériser la conduite humaine par des noms de ville. C’est ainsi qu’elle dit, par exemple : « Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome : ayez la loi de votre Dieu, peuple de Gomorrhe. » (Is. 1,10) C’est aux Juifs que parle Isaïe : mais comme leur conduite rappelait Sodome, il leur applique le nom de cette ville. Et faut-il s’étonner qu’il leur attribue ainsi fine patrie, quand ailleurs de la même façon on leur prête des parents. « Ton père est Amorrhéen, et ta mère Hettéenne. » (Ez. 16,3) Et là ne s’arrête point l’invective : quelquefois des, noms d’animaux leur sont appliqués, comme dans ce passage du Nouveau Testament : « Serpents, progéniture de vipères (Lc. 3,7) ; », et dans l’Ancien : « Ils ont brisé des œufs d’aspics, et ils tissent une toile d’araignée. » (Is. 59,5) Ailleurs il est dit : «.N’êtes-vous pas pour moi comme des fils d’Éthiopiens ? » (Amo. 9,7) C’est ainsi que dans l’endroit qui nous occupe, sont désignés par le nom de Tyriens ceux qui passent leur vie dans l’incontinence et l’impiété : Mais je triompherai de ces hommes, dit-il, je les vaincrai, je les forcerai d’adorer, et non pas seulement d’adorer, mais encore d’offrir des présents et des prémices, ce qui est le culte par excellence, et la marque d’une obéissance sans limites. Les riches du peuple supplieront ton visage. Qu’est-ce à dire, Supplieront ? C’est-à-dire, les grands, les puissants d’aujourd’hui t’honoreront, te glorifieront. C’est ainsi, en effet, que les choses se passent dans l’Église : les plus riches, les plus élevés en dignité honorent, cultivent les hommes vertueux. Car la vertu est au-dessus de tous les trésors.
12. Vous avez sous les yeux l’Église, objet d’hommages universels. « Ton visage » est mis là fort à propos pour signifier ta gloire, ta beauté. Puis, de peur que quelque esprit grossier n’aille interpréter dans un sens matériel ce qu’il a dit du visage, des vêtements, de la beauté, il ajoute : « Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans. » C’est comme s’il disait : Entre dans son âme, contemples-en la beauté : voilà ce dont je parle, en dépit de ces expressions, Vêtements, Beauté, Or, Franges, Broderies, que sais-je encore ? C’est du cœur qu’il est question, c’est au sujet de l’âme que je vous instruis, c’est de la vertu que je parle, de la gloire intérieure. Aussi revient-il avec confiance aux images matérielles, une fois qu’il a redressé expressément l’erreur des esprits grossiers. « Environnée de franges d’or, diversement parée. » Suivant un autre : « Au moyen d’agrafes d’or revêtue d’habits de plusieurs couleurs. – Ici encore l’or signifie la vertu. – C’est ainsi que Paul a dit : « Si quelqu’un, bâtit sur ce fondement, or, argent, pierres précieuses, bois, foin, roseaux (1Cor. 3,12) : » ces noms de matériaux divers représentent ici le vice et la vertu. – En effet, craignant que vous ne voyiez dans ces choses le trésor qui, en réalité, est intérieur, le Prophète ne souffre pas que votre imagination s’égare sur les choses du dehors, et il la rappelle vers le dedans. Car la vertu embellit l’âme qu’elle revêt comme ces ornements embellissent le corps qui en est couvert. « Des vierges seront amenées au roi derrière elle (15). » Un autre dit « Suivront. » Un autre : « Seront présentées. Ses proches vous seront amenées. Elles seront amenées en joie et en allégresse. Elles seront conduites dans le temple du Roi (6). » Voyez-vous ces vêtements ornés de franges ? voyez-vous cette robe dorée, cette fleur de virginité ? C’est le vêtement de l’Église ; et veuillez considérer la précision avec laquelle s’exprime le Prophète. Ce n’est pas tout d’abord, ni dès la formation de l’Église que fleurit la virginité, c’est plus tard et après un certain intervalle de temps. En conséquence, le Prophète n’en parle qu’après avoir parlé du reste, après avoir dit qu’elle a oublié le peuple et la maison de son Père, qu’elle s’est revêtue de cette parure, qu’elle a resplendi de beauté. De lit cette phrase : « Derrière elle ses proches et seront amenées. » Ses proches, non seulement par le lieu, mais encore par le caractère, celles dont les doctrines répondent aux siennes. Les vierges qui sont parmi les hérétiques ne sont pas des vierges, à dire vrai : car elles ne sont pas proches de la reine. « Elles seront amenées en joie et en allégresse. » – Ici l’on entrevoit une maxime apostolique derrière les expressions transparentes du Prophète. Quelle est cette maxime : La voici : « Les épouses auront tribulation dans leur chair. » (1Cor. 7,28) Si les épouses ont en partage la tribulation, les vierges ont pour lot la joie et le contentement. L’une en effet, trouve mille sujets de soucis dans ses enfants, son mari, sa maison, ses serviteurs, ses parents, ses alliés, ses petits enfants, dans sa stérilité ou sa fécondité trop grande : ce n’est pas le moment de décrire ici tous les fléaux du mariage. La vierge crucifiée, détachée du monde, élevée au-dessus des préoccupations charnelles, une fois qu’elle a franchi le détroit, et qu’elle n’a plus de regards que pour le ciel, jouit de l’allégresse de l’Esprit, et vit au sein d’un bonheur sans mélange. Et ce n’est pas seulement la vie présente, c’est encore la vie future que le Prophète désigne allégoriquement, le jour où les vierges, portant dans leurs mains des torches éclatantes, iront au-devant de l’époux afin de lui faire accueil. Il emploie ici l’expression « temple du Roi » pour désigner le palais. « Pour remplacer tes pères des fils te sont nés « (17). Te naîtront », d’après un autre. Il a été question plus haut de son peuple et de ses pères : « Oublie ton peuple et la maison de ton père. » S’il ajoute ce qui précède ; c’est pour montrer qu’en ce point encore son bonheur sera parlait : elle était stérile, et la voilà mère d’enfants innombrables. – Peu importe, par conséquent, qu’elle ait été enlevée à ses parents. Elle aura autour d’elle une troupe d’enfants si illustre et si glorieuse, que toute la terre en sera couverte.
13. Si je ne me trompe, il s’agit ici des apôtres, qui furent ses docteurs. Ensuite dépeignant leur force, leur puissance et leur gloire, il dit : « Tu les établiras princes sur toute la terre. » Ces paroles ont-elles besoin d’explication ? Ne le pense pas ; la lumière du soleil, dans tout son éclat, n’est pas plus claire que ces mots. En effet, les apôtres ont visité toute la terre, ils ont été des princes plus puissants que les plus augustes monarques. Les rois dominent de leur vivant, et perdent leur pouvoir avec la vie. – Mais la mort des apôtres n’a fait qu’ajouter à leur empire. Les décrets des rois sont sans force hors de leur royaume ; les préceptes donnés par ces pécheurs se sont répandus sur toute la surface de la terre. L’empereur des Romains ne saurait imposer des lois aux Perses, ni le roi de Perse aux Romains : les habitants de la Palestine ont imposé les leurs aux Perses, aux Romains, aux Thraces, aux Scythes, aux Indiens, aux Maures, au monde entier : et ces lois sont restées en vigueur non seulement tant qu’ils ont vécu, mais encore après leur mort : et ceux qui y sont assujettis aimeraient mille fois mieux perdre la vie que d’en secouer l’autorité. « Je me souviendrai de votre nom dans la suite de toutes les races : et c’est pour cela que les peuples publieront vos louanges, dans les siècles des siècles (18). » Un autre traduit « Je rappellerai votre nom à chaque génération. Et c’est pour cela que les peuples vous « célébreront éternellement. » Il a fait voir la grandeur de cette puissance d’après l’étendue de la terre, les dimensions du monde, le nombre des peuples qui y seront soumis : – Il se fonde maintenant sur une autre considération pour en montrer la majesté : c’est qu’elle s’étendra non seulement sur toute la terre, mais encore dans tous les siècles. Votre mémoire sera éternelle, dit-il, en tant qu’elle sera consignée dans nos livres, lisible dans notre conduite, inscrite dans nos maximes. Voyez comment il prédit en même temps la durée de sa propre prophétie, en disant : « Je me souviendrai de votre nom dans la suite de toutes les races. » – Quand je serai mort, je chanterai vos louanges jusque dans le sein de la mort. Car si le corps se dissout, l’Écriture subsiste, et la loi dure. « C’est pour cela que les peuples publieront vos louanges. » Il finit par où il a commencé, à savoir, par un hommage au Christ. Qu’est-ce à dire pour cela ? Entendez : parce que vous vous êtes signalé par de si grands bienfaits ; parce que vous avez donné au monde de pareils chefs, parce que vous avez chassé le vice, implanté la vertu, que vous vous êtes fiancé notre nature ; que vous avez répandu ici-bas tant de biens ineffables. Voilà pourquoi le monde entier vous rendra hommage, non pas durant un espace de temps limité, durant dix, ou vingt, ou cent années ; non pas dans une région seulement de la terre : mais la terre et la mer, les déserts et les pays habités vous chanteront durant l’éternité entière, et vous rendront grâces pour les bienfaits dont vous les avez comblés. Et nous aussi remercions de tout cela la bonté du Christ, par qui et avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. X***.


EXPLICATION DU PSAUME XLV.

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1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ, POUR LES SECRETS. – SELON UN AUTRE : À L’AUTEUR DE LA VICTOIRE D’ENTRE LES FILS DE CORÉ. – SELON UN AUTRE : CHANT POUR LES JEUNESSES. – 2. DIEU EST NOTRE REFUGE ET NOTRE FORCE, IL EST NOTRE AUXILIAIRE PUISSANT DANS LES AFFLICTIONS QUI NOUS ONT VISITÉS. – SELON UN AUTRE : AUXILIAIRE TROUVÉ DANS NOS AFFLICTIONS. – 3. C’EST POURQUOI NOUS NE SERONS POINT SAISIS DE CRAINTE, QUAND LA TERRE SERAIT BOULEVERSÉE ET QUE LES MONTAGNES SERAIENT TRANSPORTÉES AU CŒUR DES TIERS.

ANALYSE.

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  • 1-2. Qu’il ne faut pas se fier aux ressources humaines qui ne sont rien, mais a Dieu qui fait tout ce qu’il lui plaît avec la plus grande facilité. – La bonté de Dieu est comme un grand fleuve qui verse ses eaux sur le monde.
  • 3. De la paix apportée sur la terre par le Christ. – La colère de Dieu désignée par le feu.


1. Le prophète use de la méthode qui lui est familière, il détourne l’auditeur des choses de cette vie, et il l’élève à l’espérance des biens supérieurs. Ne me parlez ni d’armes, ni de remparts, ni de fossés, dit-il, ni de vos richesses surabondantes, ni de votre habileté dans l’art de la guerre, ni de la multitude de vos chevaux, ni de vos ares, de vos flèches, dé vos cuirasses, de vos nombreux auxiliaires, de vos superbes phalanges, de vos corps robustes, de votre expérience, des forces de l’ennemi. Tout cela n’est qu’une toile d’araignée, une ombre, moins encore. Voulez-vous que je vous montre une puissance inexpugnable, un refuge imprenable, une forteresse inviolable, une tour inébranlable ? recourez à Dieu, assurez-vous sa protection puissante. Elle est belle et juste l’expression : « Dieu est notre refuge et notre force », elle montre que c’est tantôt en fuyant, tantôt en résistant et en combattant que nous remportons la victoire. C’est qu’en effet il faut faire ces deux choses suivant l’occasion, et marcher en avant et battre en retraite. Saint Paul agissait de la sorte : tantôt il cédait à ses adversaires, tantôt il leur résistait et marchait contre eux armé de la parole de vérité. Le Christ lui-même en usait ainsi pour notre instruction. Faisons de même nous aussi, sachons discerner avec exactitude l’opportunité des temps, craignons la tentation, et pour n’y pas entrer, faisons la prière qui se trouve dans l’Évangile ; mais, une fois la tentation venue, plus de faiblesse, mais une résistance généreuse. « Notre auxiliaire puissant dans les afflictions qui vous ont visités. » Ce que j’ai déjà dit bien souvent, je le répète encore : Dieu ne nous préserve pas toujours des assauts des tribulations, mais dès qu’elles nous assaillent, il nous assiste pour nous donner une fermeté dans le bien qui soit à toute épreuve. Quant au mot du texte qui signifie « puissamment », c’est à « Auxiliaire » qu’il faut le joindre. En effet, ce n’est pas un secours tel quel qu’il nous prête, c’est un secours surabondant, un secours qui nous procure plus de consolations que les afflictions ne nous apportent de peine. Il ne proportionne pas strictement son aide à la gravité de nos périls, il dépasse toujours cette mesure. « C’est pourquoi nous ne serons pas saisis de crainte », dit le Prophète, « quand la terre serait bouleversée. » Voyez-vous comment le secours accordé surpasse l’épreuve soufferte, avec quelle surabondance il arrive ? Le Psalmiste ne dit pas seulement : nous échapperons au danger, nous ne périrons pas, mais : nous n’éprouverons pas même ce qui semble le propre de la nature, je veux dire la terreur et la crainte. D’où vient cela ? – de la surabondance de secours qui nous arrive.
Par ces mots de « terre », de « montagnes », de « cœur des mers », le Psalmiste ne veut pas parler proprement des éléments, ce sont des expressions figurées pour dire des dangers insurmontables. Quand même, dit-il, nous aurions devant nos yeux une confusion, un bouleversement universels, immenses, des événements tels que le monde n’en vit jamais, une collision formidable éclatant au sein de la créature divisée, la nature troublée ; ses limites déplacées, les fondements du monde ébranlés, les éléments rentrant dans le chaos, en un mot la perturbation la plus effrayante qui se puisse imaginer, non seulement nous serions sauvés, mais nous ne craindrions pas même pour notre salut. Et pourquoi ? – parce que le Maître de toutes choses nous donne son recours, nous tend la main, nous assiste. Si la menace de semblables catastrophes ne saurait nous faire céder et faiblir, combien moins le pourraient des ennemis s’avançant contre nous, même en bataille rangée. « Leurs eaux ont fait un grand bruit et ont été agitées. Les montagnes ont été ébranlées dans sa force (4). » Selon un autre interprète : « Le bruit et le tumulte des eaux et l’ébranlement des montagnes se font dans la glorification de Dieu. » Après avoir dit qu’ils ne craindraient pas même au milieu d’une collision de tous les éléments, le Psalmiste parlé de la puissance de Dieu, et dit que rien ne résiste à sa force. C’est comme s’il disait : nous avons raison de ne rien craindre, car ce qu’il fait maintenant ne diffère pas de ce qu’il fait toujours, c’est-à-dire qu’il publie sa puissance par les phénomènes de la création comme par les événements de l’histoire. Ce que dit le Psalmiste revient à ceci : il secoue, il agite, il transforme tout, comme il lui plaît ; tellement tout lui est aisé et facile. Et il me semble qu’il a en vue, quand il parle ainsi, des multitudes de vaillants hommes, des ennemis de haute puissance, des adversaires disposant d’un peuple innombrable. Telle est la puissance de Dieu, veut dire le Psalmiste, qu’il n’a simplement qu’à vouloir pour que toutes ces choses existent. Comment donc pourrions-nous craindre, ayant un tel maître ? « Changement de rythme[9]. » Un autre interprète met : « Toujours. – Le cours impétueux (5) » ; suivant un autre : « les divisions du fleuve » ; suivant l’hébreu : «  phalagau, a réjouissent la cité de Dieu ; le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. » Suivant un autre : « sanctuaire de l’habitation du Très-Haut. – Dieu est au milieu d’elle ; elle ne sera point ébranlée ; Dieu la protégera dès l’aube du jour » ; suivant un autre : « dès l’aurore ; » suivant un autre : d au premier signe du matin. » Après avoir parlé de la puissance de Dieu, dé sa force irrésistible, de la facilité avec laquelle il fait toutes choses, l’auteur passe à la protection dont sa providence couvre les Juifs, et en peu de mots il nous met sous les yeux les biens qu’il leur a départis. Comme s’il disait : or ce Dieu si puissant, si fort, si redoutable, qui porte et conduit tout, qui secoue, remue tout, a comblé notre cité de mille bienfaits. Car le mot « fleuve » est mis ici pour exprimer l’abondance des largesses d’en haut et leur inépuisable épanchement. Tous les biens, semble-t-il dire, coulent sur nous comme de sources intarissables. De même qu’un fleuve divisé en mille canaux arrose les contrées subjacentes, ainsi la bonté de Dieu s’épanche de toutes parts sur nous, à flots abondants et tumultueux, remplissant tout de ses ondes bienfaisantes. Avec une entière sûreté, un secours incessant, elle nous procure encore une grande joie spirituelle ; ce que le Psalmiste veut dire par les mots : « Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. » Et ce n’est pas là le moindre des bienfaits pour une ville, qu’elle soit appelée le tabernacle de Dieu.
2. Et l’expression de « Très-Haut » n’est pas mise là au hasard, elle fait entendre que celui qui est élevé, celui qu’aucun lien ne peut contenir, que la substance illimitée[10] a daigné appeler la ville des Juifs son sanctuaire et qu’il l’embrasse de toutes parts. C’est ce que veulent dire ces mots : « Au milieu d’elle », ainsi que ceux-ci qu’on lit ailleurs : « Voici que je suis avec vous. » (Mt. 28,20) Il l’enveloppe de toutes parts ; c’est pourquoi, non seulement elle ne souffrira aucun dommage, mais elle ne sera pas même ébranlée, la raison en est qu’elle peut compter sur le secours le plus prompt, son protecteur étant toujours disposé et prêt à agir. Car voilà le sens de ces mots, « Dès l’aube du jour ; » ils marquent qu’il s’agît d’un protecteur qui n’est jamais en retard, qui ne vient point avec lenteur, dont la force est toujours jeune, vigoureuse, et qui ne manque jamais quand l’heure est venue. – « Les nations ont été troublées (7) ; » un autre « les nations se sont rassemblées. Les royaumes ont penché. Le Très-Haut a fait entendre sa voix ; la terre a été ébranlée. »
Ici le Psalmiste montre l’énergie des secours. Il ne s’agit pas d’assaillants tels quels ; mais des rois, des nations se liguent de toutes parts pour bloquer, pour assiéger une seule ville, et celle-ci non seulement ne souffre aucun dommage, mais elle surmonte, elle dompte et renverse les assaillants. C’est ce que veut dire ce passage : « Les royaumes ont penché, le Très-Haut a fait entendre sa voix. » Comme si on disait : le seul son de sa voix prend les villes ; expression grossière et plus digne de l’homme à qui elle s’adresse que de Dieu, à qui, elle s’applique. Dieu n’a pas besoin de voix ni de cri pour vaincre mais seulement de sa volonté. Cependant cette dernière manière de parler de Dieu succède à de plus grossières encore, et c’est pour élever les esprits à de plus hautes conceptions que le Psalmiste l’emploie. Ayant partout représenté Dieu comme un guerrier couvert de ses armes, il veut montrer que ce ne sont là que des métaphores, des figures, des façons de parler appropriées à la faiblesse humaine. (Dieu n’a pas besoin d’armes), et c’est pour cela qu’il ajoute : « qu’il a fait entendre sa voix et que la terre a été ébranlée ;» ce qui signifie qu’il ébranle les villes, les nations et les contrées et jusqu’aux éléments. Par la terre l’Écriture a aussi coutume de désigner les multitudes qui l’habitent, comme lorsqu’elle dit : « Et toute la terre était une seule langue (Gen. 2,1) – Le Seigneur des puissances est avec nous ; le Dieu de Jacob est notre défenseur. » Au lien de : « Des puissances », l’hébreu dit Sabaoth (8).
Voyez comment le Psalmiste passe de la terre au ciel et comment il élève subitement sa parole jusqu’aux peuples innombrables des anges, aux nations des archanges, aux puissances d’en haut. Que me parlez-vous encore et d’armées, et de barbares, et d’hommes mortels ? semble dire le Psalmiste. Pour vous faire une idée de la force de Dieu, songez à la royauté qu’il exerce, et aux armées innombrables des puissances invisibles qui sont rangées sous son commandement dans les cieux. Et ce terme de « puissances », est très-bien choisi pour exprimer la force de ces habitants du ciel. Le Psalmiste l’emploie encore dans un autre endroit, disant : « Les puissants par la force, ceux qui exécutent sa volonté. » (Ps. 102,20) Les anges en effet sont très-forts, puisqu’un seul d’entre eux étant sorti des rangs de l’armée du ciel tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes. – Que nous fait, direz-vous, la force de Dieu, s’il ne veut pas nous tendre la main ? C’est pour que vous n’ayez pas cette crainte que le Psalmiste ajoute : « Notre défenseur. » Donc il a non seulement le pouvoir mais encore la volonté de nous secourir. – Mais peut-être n’en sommes-nous pas dignes ? – Ne craignez rien, sa bienveillance est un héritage que nous ont laissé nos pères ; c’est ce que le Psalmiste insinue par les mots : « le Dieu de Jacob ; » comme s’il disait : c’est son habitude constante, dès la plus haute antiquité, dès l’origine. – « Changement de rythme » un autre : « Toujours. – Venez et voyez les œuvres de Dieu, qu’il a fait paraître comme des prodiges sur la terre, en abolissant les guerres jusqu’aux extrémités de la terre (10). Il rompra l’arc, il brisera l’arme (un autre dit : il a brisé), et il brûlera les boucliers dans le feu. » Un autre dit : « il consumera les chars dans le feu. »
Le Psalmiste a parlé de la terre, de la mer, des montagnes, de la joie céleste descendue dans les âmes, du secours d’en haut, et maintenant il s’adresse aux spectateurs eux-mêmes, il les prend comme sujet de son discours, et pour les remplir de joie en même temps que pour exciter leur amour envers le Seigneur, il mentionne les trophées, il célèbre les victoires qu’il a remportées pour eux. Et il a eu raison de dire « prodiges », au lieu de trophées et de victoires. Car les faits qu’il rappelle ne s’étaient pas accomplis selon les lois de la nature ; le sort du combat n’avait été décidé ni par les armes, ni par la forée du corps, mais paria seule volonté de Dieu, que la voix des événements eux-mêmes désignait clairement comme le général de son peuple. Puisque les faibles triomphaient des forts, une poignée d’hommes, d’une multitude, ceux qui étaient assujettis de ceux qui les tenaient sous le joug, le Psalmiste a bien raison de nommer de tels événements, des prodiges, puisqu’ils s’étaient accomplis d’une manière surprenante, et qu’ils s’étaient étendus jusqu’aux extrémités de la terre.
3. On ne se tromperait pas non plus si l’on voulait prendre ces choses dans le sens anagogique, et les appliquer au temps présent. Et en effet, Dieu a mis fin â une grande guerre, celle des démons, et il a étendu partout sur la terre le règne de la paix, il n’y a pas jusqu’à la guerre sensible et proprement dite qu’il n’ait apaisée. C’est ce qu’Isaïe annonçait en disant : « Ils convertiront leurs épées en charrues, et leurs lances en faux ; et une nation ne tirera pas l’épée contre une nation, et ils ne s’exerceront plus à la guerre. » (Isaie, 2,4) Avant la venue du Christ en effet, tous les hommes portaient les armes, il n’y en avait point qui fussent exempts de cette charge,.et les villes combattaient contre les villes, ce n’étaient partout que guerres et conflits sanglants. Aujourd’hui la plus grande partie de la terre est en paix, la grande majorité du genre humain vit dans la sécurité, s’occupant des arts, cultivant la terre, et parcourant la mer. La milice n’occupe plus qu’un petit nombre d’hommes chargés de porter les armes pour les autres. Ce petit nombre serait même inutile, si notre conduite était ce qu’elle devrait être, si nous n’avions pas besoin des avertissements, des calamités. Par « le feu », le Psalmiste entend ici la colère de Dieu ; et il parle d’un fait qui s’est passé réellement, savoir que les Israélites, ayant vaincu leurs ennemis, brûlèrent leurs armes et leurs chars ; Ézéchiel en parle aussi (Ez. 39,10), et tous les hommes instruits savent cette histoire. – « Reposez-vous et connaissez que je suis Dieu. Je serai élevé au milieu des nations, je serai élevé au milieu de toute la terre (44). » Un autre dit « Soyez guéris et connaissez ; » un autre : « Cessez, afin que vous connaissiez ; » l’hébreu dit : «  Ouarphou ouadou. »
Ici l’auteur me semble s’adresser aux gentils et leur dire ceci : connaissez la force de Dieu, et sa puissance qui s’étend sur toute la terre mais pour cela vous avez besoin de repos, vous avez besoin d’une âme saine. La leçon « Cessez, etc. » donne le même sens : abandonnez l’erreur, défaites-vous de vos mauvaises habitudes ; levez un peu la tête au-dessus de l’obscurité dans laquelle vous tient courbés la pratique de tous les vices, respirez un instant, afin que, guidés par le lumineux enseignement des prodiges, et jouissant du calme de l’âme, vous appreniez à connaître le Dieu dé l’univers. Les miracles ne suffisent point quand l’âme n’est pas bien disposée. Les Juifs ont vu des miracles, et ils n’en ont retiré aucun profit pour leur salut. De même que les rayons du soleil ont besoin pour opérer la vision, de tomber dans des yeux limpides et sains, ainsi les miracles ne peuvent rien sans la disposition de l’âme. Voilà pourquoi, après avoir parlé des miracles, le Psalmiste exhorte ceux qui veulent en recueillir quelque avantage, à se débarrasser des maux qui les enveloppent pour arriver à la connaissance de Dieu, souverain maître de toutes choses. « Reposez-vous et connaissez que c’est moi qui suis Dieu », et non pas vos simulacres et vos statues. « Reposez-vous » donc et je vous présenterai de nombreuses preuves. Voilà en effet ce que signifie ce passage : « Je serai élevé parmi les nations, je serai élevé au milieu de la terre ; » c’est-à-dire, par mes œuvres, vous seront manifestées mon élévation et ma grandeur. Car l’élévation est le propre de cette nature sans mélange et ineffable. Mais puisqu’elle vous est cachée, je vous la montrerai par mes œuvres, non seulement à Jérusalem et dans la Palestine, mais jusque parmi vous, les gentils. Il s’élève donc en les domptant, en les subjuguant par les miracles qu’il opère partout, miracles à Babylone, miracles en Égypte, miracles dans le désert, afin de les amener à la connaissance de lui-même. – « Le Seigneur des puissances est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur (12). » Ainsi donc ce Dieu, qui est partout grand, partout élevé, un tel Dieu est avec nous. Ne craignez donc pas, ne vous troublez pas, ayant avec vous un si invincible Maître, à qui convient tout honneur et toute gloire, avec le Père qui est sans commencement, et avec son Esprit vivificateur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. Jeannin


EXPLICATION DU PSAUME XLVI.

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1. POUR LA FIN, POUR LES FILS DE CORÉ. – UN AUTRE : À CELUI QUI A FAIT REMPORTER LA VICTOIRE AUX FILS DE CORÉ. – 2. VOUS TOUTES, O NATIONS, APPLAUDISSEZ AVEC LES MAINS. – UN AUTRE : AVEC LA MAIN. TÉMOIGNEZ À DIEU VOTRE ALLÉGRESSE PAR DES CRIS. – UN AUTRE : TÉMOIGNEZ VOTRE ALLÉGRESSE PAR VOS LOUANGES. – 3. CAR LE SEIGNEUR EST LE TRÈS-HAUT, LE DIEU TERRIBLE, IL EST LE GRAND ROI QUI RÈGNE SUR TOUTE LA TERRE.

ANALYSE.

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  • 1. Comme doit être entendu, en particulier, le texte ci-dessus, et en général l’Écriture sainte.
  • 2. Jésus-Christ a vaincu le diable ; comparaison des bienfaits accordés aux Juifs avec ceux dont les Chrétiens ont été comblés ; réfutation des Anoméens.
  • 3. La toute-puissance de Jésus-Christ éclate dans les moyens qu’il a pris pour subjuguer le monde. – S’il ne descendit pas de la croix, ce fut pour rendre son triomphe plus glorieux.
  • 4. Ce qu’il faut entendre par ces mots Eligit nobis hereditatem suam. quam dilexit ; et Ascendit Deus in jubilo.
  • 5. Cette trompette dont il est ici parlé n’est autre que la commune voix des Apôtres. – Siéger, pour Dieu, est la même chose que régner et régner saintement.


1. Ce psaume traite aussi le même sujet, car il célèbre les victoires remportées et les trophées conquis sur l’ennemi, il invite la terre tout entière à bénir ces heureux événements. Mais peut-être quelques personnes trouveront-elles que c’est là pour des exhortations parties du Saint-Esprit un exorde peu convenable, peu convenable aussi cette invitation qu’il nous fait d’applaudir à grand bruit, et de pousser des cris retentissants. En effet, te dira-t-on, cela n’est guère digne de ceux qui se réunissent dans cette enceinte pour y recevoir un auguste enseignement : applaudir et claquer des mains, c’est plutôt le fait d’un habitué de théâtre ou de banquets, tandis que ce qui convient à des hommes élevés dans la grâce du Saint-Esprit c’est le calme et la décence. Quel est donc le sens, de cette parole, de quels cris, de quels applaudissements veut donc parler le Prophète ? Car c’est là l’habitude des soldats qui entrent en ligne de bataille et se préparent à combattre, je parle de ces cris et de ce grand bruit qu’ils font entendre pour intimider l’ennemi, tumulte bien étranger à la sérénité de l’âme chrétienne. Or le psaume nous commande de faire ces deux choses, d’applaudir et de crier. Que signifie cela ? Ce n’est pas autre chose qu’une démonstration de joie, qu’un symbole de victoire. Ailleurs le prophète ne nous montre-t-il pas aussi les fleuves applaudissant ? « Les fleuves », dit-il, « battront des mains à cette vue. » (Ps. 97,9) Isaïe en dit autant des arbres (Is. 55,12) ; il nous représente aussi les collines et les montagnes bondissant (Ps. 113,4), non pas pour nous faire croire que les collines et les montagnes bondissent, ou due les fleuves applaudissent et qu’ils ont des mains (ce serait le comble de la sottise), mais pour nous peindre une joie excessive. C’est ce qu’on peut voir même chez les hommes. Et pourquoi n’a-t-il pas dit : Réjouissez-vous et bondissez, mais : Battez des mains, et poussez des cris de joie ? Parce qu’il nous fait comprendre que c’est le signe d’une joie extrême. De même que le Christ, quand il dit (Mt. 6, 17) : « Mais vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête, et lavez, votre visage », ne nous invite pas à faire usage es essences (car nul parmi nous n’a cette habitude), mais à témoigner que nous sommes dans la joie et que la gaîté règne dans notre cœur (il veut en effet qu’on jeûne non pas avec la tristesse, mais avec la joie peinte sur le visage), de même en cette circonstance on nous ordonne, non pas de battre des mains, mais de montrer notre joie et notre bonheur en chantant le psaume. Il serait juste de rechercher plutôt dans ce psaume le sens anagogique, en se mettant au-dessus du fait historique. Car s’il commence et s’il débute par des images sensibles, il mène cependant l’auditeur dans les régions de l’idée pure.
Ce que j’ai dit plus haut, je vais le répéter il est des expressions qu’on doit prendre au pied de la lettre, il en est d’autres qu’on ne doit admettre qu’avec un sens différent du sens littéral ; comme dans ce cas-ci : « Les loups et les brebis paîtront ensemble. » (Is. 2,6) Nous n’irons pas croire qu’il s’agisse en réalité de loups et dé brebis, pas plus que de paille, de bœufs ou de taureaux. C’est une image qui, par la comparaison avec les animaux, nous sert à caractériser les mœurs des hommes. D’autres passages ont une double acception, une sensible pour l’imagination, et une intelligible pour l’entendement : comme nous faisons quand nous interprétons dans le sens mystique ce qui concerne le fils d’Abraham. Nous savons qu’il fut offert en sacrifice (Gen. 22), et dans ce sacrifice du Fils notre esprit distingue un sens caché, il devine qu’il s’agit de la Croix. De même l’immolation de l’agneau pascal en Égypte est pour nous une image de la Passion. (Ex. 12) C’est aussi ce que nous devons faire dans la circonstance présente. Car on ne parle pas seulement des Arabes et des peuples voisins, c’est un appel qui s’adresse à toutes les nations : « Parce que le Seigneur est le Très-Haut, celui qu’on doit redouter, parce qu’il est le grand Roi qui règne sur toute la terre. » Dès le début l’attention de l’auditeur s’éveille à l’annonce de tant de biens, et devant cette convocation solennelle de la terre entière, devant cette fête à laquelle Dieu et le Saint-Esprit prennent part, pour ainsi dire, devant cette sainte doctrine qui descend des cieux vers nous. Aussi nous dit-on « Applaudissez » c’est-à-dire « réjouissez-vous, bondissez de joie. » Telle est en effet l’invitation que nous adresse l’Évangile quand il dit : « Bondissez de joie. » (Lc. 6,23) En réalité il ne nous invite pas à sauter, à bondir (ce serait une inconvenance) : il nous peint la joie dans toute sa vivacité. Et certes l’événement dont il s’agit mérite qu’on s’en réjouisse beaucoup. Car toutes les terres que voit le soleil, l’Évangile les a parcourues, et l’univers a été sauvé, et ceux qui auparavant étaient les esclaves de l’erreur ont suivi une religion supérieure au culte des Juifs. « Vous toutes, ô nations, battez des mains ! » Que ces mains, dit-il, ces mains impures, sacrilèges, que souillait chaque jour le sang répandu dans d’immondes sacrifices, ces mains avec lesquelles vous avez immolé des enfants, ces mains qui n’ont pas reculé devant l’infamie, qui ont violé la nature elle-même, que ces mains applaudissent aujourd’hui. « Témoignez à Dieu votre allégresse par des cris ! » Que cette langue qui a servi à vos impuretés, qui a prononcé des blasphèmes, que cette langue répète avec des cris de joie l’hymne du triomphe. Les soldats, quand ils voient plier les bataillons ennemis, ont coutume non pas de continuer à combattre corps à corps, mais d’élever la voix tous ensemble pour achever d’abattre par leurs cris de victoire le courage de leurs ennemis, déjà ébranlé. Terminer la guerre en cessant d’employer la force, en se contentant de pousser des cris sans se servir de ses bras et de ses armes, n’est-ce pas la meilleure preuve d’une brillante victoire et du triomphe ?
2. C’est donc le Christ qui a tout fait : il a mis fin à cette guerre redoutable, il a enchaîné le puissant ennemi, il lui a ravi ses armes. Et comme il aime les hommes, il permet à ceux qui n’ont pas été à la peine de jouir des fruits de sa victoire et de ses trophées, il veut qu’ils se préparent à chanter l’hymne du triomphe comme ceux qui ont coopéré à la victoire. Écrions-nous donc de notre voix la plus éclatante : « ô mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire ? » (1Cor. 15,55) Et. « Dieu est monté au ciel au milieu des cris d’allégresse (6). » Ainsi s’exprime notre psaume. Et ailleurs. « Tu remontas sur les hauteurs du ciel, tu as fait la captivité captive ; tu as reçu des présents parmi les hommes. » (Ps. 67,49 ; Eph. 4,8). Les Juifs eux aussi entonnèrent jadis un chant de triomphe quand l’armée des Égyptiens fut submergée : « Chantons le Seigneur », disaient-ils, « car il a fait éclater sa gloire. » (Ex. 15,1) Mais notre chant de triomphe est bien au-dessus du leur ; il célèbre non pas la chute des Égyptiens engloutis sous les flots, mais celle des démons, non pas la défaite de Pharaon, mais celle du diable : ce ne sont pas des armes sensibles qui ont été prises, mais c’est le mal qui a péri, non dans les vagues de la mer Rouge, mais dans les eaux du baptême où l’on prend une nouvelle vie : ce ne sont pas des Juifs qui se dirigent vers la Terre promise, mais des Chrétiens qui quittent la terre pour le ciel, ils ne mangent pas la manne (Ex. 16,14), mais ils se nourrissent du corps de leur Seigneur (Jn. 6,31), ils boivent, non pas l’eau qui coule du rocher, mais le sang qui jaillit du côté du Sauveur. (Ex. 17,6) Aussi est-il dit : « Battez des mains » parce que, débarrassés de votre prison de pierre et de bois, vous avez porté vos pas dans les cieux et dans les cieux des cieux, que vous vous êtes ténus debout devant le trône même du roi. « Poussez donc des cris d’allégresse » en l’honneur de Dieu c’est-à-dire, à lui vos actions de grâce, à lui tout l’honneur de la victoire, à lui tout l’honneur du triomphe ! Ce n’était pas une guerre semblable à celle que se font les hommes entr’eux, ce n’était pas un combat sensible, ce n’était pas une lutte entreprise pour conquérir des choses nécessaires à la vie du corps, c’était une lutte qui avait pour objet la conquête du ciel lui-même, la conquête des biens que contient le ciel. C’est lui qui dirigeait cette guerre, c’est lui qui nous permet de prendre part à sa victoire. « Car le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu terrible, le grand Roi qui règne sur toute la terre. »
Où sont-ils maintenant ceux qui veulent détruire la gloire du Fils unique ? Voici qu’on dit du Fils ce qui a été dit du Père, on l’appelle grand roi : « Ne jurez pas », est-il dit, « ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu, ni par Jérusalem, parce que c’est là ville du grand roi. » (Mt. 5,34, 35) Et ailleurs : « Il est le Dieu fort, le Dieu puissant. » (Is. 9,6) Ce qui se dit d’un roi. Quand donc vous entendrez dire que votre Seigneur a été mis en croix, qu’il a été enseveli, qu’il est descendu aux enfers, ne soyez pas abattus, ne vous désespérez pas : car il est très-élevé, il est très-élevé de sa nature. Or ce qui est naturellement élevé ne saurait déchoir de son élévation, et devenir bas et rompant : au milieu même de son abaissement, son élévation subsiste et se fait voir. Car c’est précisément après sa mort qu’il a montré surtout combien il était puissant contre la mort. « La lumière brille dans les ténèbres », est-il dit, « et les ténèbres ne l’ont pas comprise. » (Jn. 1,5) De même son élévation a brillé dans son abaissement. Voyez-le en effet ébranlant le monde du fond des enfers. Alors le soleil détourne ses rayons, les rochers se fendent, le voile du temple se déchire, la terre tremble, Judas se pend, Pilate et sa femme sont saisis d’effroi, le juge lui-même cherche à s’excuser. Quand donc vous entendrez dire qu’il a été lié et fouetté, ne rougissez pas : voyez plutôt comme il fait éclater sa force au milieu des fers. « Qui cherchez-vous ? » (Jn. 18,4) Il dit, et sa parole les renverse à ses pieds. Voyez-vous combien il est redoutable, lui dont la voix et le geste font de tels prodiges ? Quand donc vous le verrez mort, représentez-vous la pierre du sépulcre soulevée, les anges debout avec crainte autour de son tombeau, les barrières de l’enfer brisées, la mort anéantie, les prisonniers délivrés, et alors vous comprendrez combien il est redoutable. S’il a fait, au jour de son humiliation, des choses si extraordinaires au ciel, sur la terre et dans les enfers, que ne fera-t-il pas le jour où il doit nous apparaître ? Écoutez ce que disent, au temps de son humiliation, ces démons qui écumaient de rage, qui brisaient tous les liens, qui rendaient impraticable la route où ils avaient fixé leur séjour : « Fils de Dieu, qu’y a-t-il entre vous et nous ? Êtes-vous venu ici avant le temps pour nous tourmenter ? » (Mt. 8,29) S’ils ont parlé ainsi dans ce temps-là, que diront-ils quand il apparaîtra, quand les puissances des cieux seront ébranlées, que le soleil rentrera dans les ténèbres, que la lune refusera sa lumière ? (Mt. 24,29) Aussi est-il appelé « le Très-Haut, le redoutable. » Ce n’est pas tout : quelle parole sera digne de raconter ce grand jour, quand il enverra ses anges sur toute la surface de la terre, quand tout chancellera, quand la terre tremblante s’ouvrira pour rendre les morts déposés dans son sein, quand les corps se dresseront par milliers, quand le ciel se repliera sur lui-même comme un tapis qu’on enroule, quand on établira le redoutable tribunal, quand on verra couler les fleuves de feu, quand les registres seront ouverts, quand ce que chacun a fait dans les ténèbres paraîtra au grand jour, quand les pécheurs commenceront à subir leurs peines, leurs supplices épouvantables, quand viendront les puissances au front menaçant, quand les longues épées effilées seront tirées du fourreau, quand les coupables seront entraînés vers la géhenne, quand tous, rois, chefs d’armées, consuls, gouverneurs de provinces seront payés suivant leurs mérites, quand s’avancera le peuple innombrable des anges, quand les martyrs, les prophètes, les apôtres, les pontifes, les moines s’avanceront par troupes, quand seront distribuées ces récompenses ineffables, ces prix, ces couronnes, ces biens que l’esprit ne peut concevoir ? (Dan. 7,9)
3. Quelle parole pourra reproduire ce tableau ! Si le Prophète qui a entrepris de raconter la création s’est avoué vaincu et a reculé devant sa tâche en disant : « Qu’ils sont grands tes ouvrages, ô Seigneur (Ps. 91,5) ! si saint Paul, ne considérant la Providence que sous un seul aspect, s’est écrié : « O profondeur des trésors (Rom. 2,33) ! » que dira celui qui voudra peindre ce grand jour ? Le Prophète ayant prévu tout cela, disait : « Le Seigneur est très-haut, il est redoutable, il est le grand roi qui règne sur toute la terre », faisant allusion à la délivrance universelle. Sans doute avant ce moment-là il n’en était pas moins le grand roi, mais on ne le savait pas. Car « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu. » (Jn. 1,10) Aujourd’hui il a mis ordre à cela, et c’est en nous unissant à lui qu’il s’est fait reconnaître pour le grand roi. Comment ne serait-il pas le grand roi, lui qui prit de pauvres pêcheurs, dépourvus d’instruction, sans éducation, au nombre de onze, tous gens obscurs, sans patrie, plus muets que leurs poissons, qui ne portaient qu’un seul vêtement, n’avaient point de chaussures, étaient nus, et les envoya aux quatre coins du globe (Mt. 10,9 ; Lc. 10,4), et qui soumit l’univers comme s’ils n’avaient eu qu’à donner des ordres ? En vérité voici encore qui est le fait d’un grand roi : il a purgé la terre de l’erreur, en un instant il a ramené la vérité, il a détruit la tyrannie du diable, lui qui, même avant d’avoir des sujets, était un grand roi sans avoir besoin d’exercer sa puissance sur des esclaves, sans avoir besoin de revêtir un brillant costume : il était grand roi par sa propre nature. « Moi », dit-il, « je suis né pour cela. » (Jean, 18,37) Voici encore qui révèle un grand roi : sa majesté n’est pas une majesté empruntée, il n’a besoin de personne pour être roi, il fait tout ce qu’il veut. « Allez », dit-il, « et « instruisez toutes les nations (Mc. 16,15) », et l’effet a suivi sa parole. « Je le veux, sois purifié. (Mt. 8,3) Je te le dis, démon « sourd, retire-toi de lui. Tais-toi, ferme la bouche. (Mc. 9,24 ; et 4, 39) Allez au feu qui a été préparé pour le diable. – Avancez-vous, et recevez pour votre part la royauté qui vous était destinée avant que les fondements du monde fussent jetés. » (Mt. 25,41 et 31) Voyez-vous comme son pouvoir, comme sa toute puissance éclatent de toutes parts ? Il a su si bien se rendre maître de ses sujets qu’il leur a persuadé qu’il vaut mieux sacrifier sa vie que de lui désobéir. Un roi se fait honorer par ses sujets, lui comble ses sujets d’honneurs. Aussi les autres rois ne sont-ils rois que de nom, tandis qu’il est roi en réalité. Il est un grand roi lui qui a fait descendre le ciel sur la terre, qui des barbares a fait des philosophes et leur a inspiré le désir d’imiter les anges. « Il nous a assujetti les peuples, et a mis les nations sous nos pieds. » O prodige ! à ceux qui l’ont mis en croix, il a persuadé qu’ils devaient l’adorer, à ceux qui l’insultaient, qui le blasphémaient, qui étaient attachés à des idoles de pierre, il a enseigné qu’il fallait sacrifier leur vie pour ses doctrines. Si les apôtres ont réussi, ils l’ont dû non pas à eux-mêmes mais à celui qui leur ouvrait le chemin, et qui donnait l’élan à leur âme. Et comment le pêcheur ou le faiseur de tentes auraient-ils changé la face de ce globe immense, si sa parole n’avait supprimé les obstacles ? Magiciens, tyrans, orateurs, philosophes, en un mot tous leurs adversaires étaient devant eux comme de la poussière et comme de la fumée qu’ils ont dispersées et dissipées : c’est ainsi qu’ils ont semé la lumière de la vérité, sans avoir recours aux armes ou aux richesses, et en se servant de la parole toute seule ; ou plutôt leur parole n’était pas toute seule, elle était plus puissante que toute action. Et comment ? Ils invoquaient le nom du Crucifié et la mort disparaissait, et les démons prenaient la fuite, les maladies cessaient, les infirmes recouvraient la santé, le mal était chassé, les dangers supprimés, les éléments confondus.
Quand donc on nous dira : Pourquoi ne s’est-il pas secouru lui-même sur la croix ? répondons que ceci même est plus admirable. Car les conséquences n’auraient pas été les mêmes s’il était descendu de la croix, au lieu d’y rester pour qu’ensuite son nom eût le pouvoir de ressusciter un si grand nombre de morts. Ce qui prouve qu’alors, s’il resta sur la croix, ce fut de sa propre volonté, ce sont les événements qui suivirent. Celui qui arracha à la mort ceux dont elle s’était emparée avait encore plus la : puissance de la chasser avant qu’elle se fût abattue sur lui : lui, qui donna la vie aux autres, pouvait encore plus se la donner à lui-même, ce qu’il fit lorsque trois jours après il usa de sa toute-puissance pour se ressusciter. Et cela il l’a prouvé par ce qui suivit, puisque son nom, lorsqu’il s’est agi du corps des autres, a eu assez de pouvoir pour mettre la mort en fuite quand on l’a invoqué, on ne saurait mettre en doute que, quand il s’est agi de lui-même, il aurait pu déployer sa puissance et dompter la mort. « Il nous a assujetti les peuples et a mis les nations sous nos pieds. » Voyez la sagesse du Prophète qui dit tout avec exactitude. Car cette réflexion des apôtres : « Pourquoi nous regardez-vous, comme si c’était par notre puissance ou par notre piété que nous avons fait marcher ce boiteux (Act. 3,12) ? » nous la retrouvons longtemps auparavant chez le Prophète. Ces mots « sous nos pieds » montrent l’assujettissement, ou plutôt un grand assujettissement. Et si vous voulez savoir la mesure de cet assujettissement, écoutez : « Tous ceux qui se trouvaient posséder des champs ou des maisons, les vendaient et en apportaient le prix qu’ils déposaient aux pieds des apôtres. » (Act. 4,34) D’autres sacrifièrent et leurs richesses et leur vie. Car il est dit : « Ils ont exposé leur tête pour me sauver la vie. » (Rom. 16,4) Dans une autre épître il est encore dit : « Vous étiez prêts, si cela eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner. » (Gal. 4,15) En écrivant aux Corinthiens le même saint Paul leur disait « Considérez coin bien cette tristesse, selon Dieu, que vous avez ressentie, a produit en vous non seulement de soin et de vigilance, mais de satisfaction envers vous-mêmes, d’indignation contre cet incestueux, de crainte de la colère de Dieu, de désir de nous revoir, de zèle pour nous défendre, d’ardeur à venger ce crime. » (2Cor. 7,11) Tellement on craignait, on redoutait les apôtres ! Saint Luc lui aussi écrivait : « Aucun des autres n’osait se joindre à eux, mais le peuple leur donnait de grandes louanges. » (Act. 5,13) Ailleurs, il est dit : « Que voulez-vous ? Irai-je vers vous la verge à la main, ou avec un esprit de douceur et de charité ? » (1Cor. 4,21)
4. Avez-vous vu l’autorité et la puissance des apôtres ? Or tout cela était l’œuvre des paroles qu’il avait prononcées en les congédiant : « Je suis avec vous. » (Mt. 28,20) C’était lui qui marchait devant eux et détruisait les obstacles, c’était lui qui apprivoisait tous les cœurs et qui changeait la résistance en docilité. Cependant la guerre régnait partout, ce n’étaient partout qu’écueils et que précipices, on ne savait où appuyer le pied, où se tenir ferme. Tous les ports étaient fermés, toute maison close, toutes les oreilles sourdes. Cependant à peine s’étaient-ils avancés et avaient-ils parlé qu’ils avaient renversé les remparts élevés par leurs ennemis à qui ils persuadaient de sacrifier leur vie et de braver désormais tous les dangers pour la doctrine qu’ils venaient leur enseigner. « Il a choisi dans nous son héritage ; savoir, la beauté de Jacob qu’il a aimée. » Un autre dit « la glorification de Jacob. » Voyez combien cette prophétie est exacte. Plus haut il a été dit : « Il nous a assujetti les peuples et les nations. » D’abord en effet les Juifs se sont approchés, d’abord au nombre de trois mille, puis au nombre de cinq mille, ensuite est venu le tour des nations. Car Jésus disait aussi : « J’ai d’autres brebis, et il me faut les amener, et il n’y aura qu’un troupeau et qu’un pasteur. » (Jn. 10,16) Ensuite pour que ces mots : « Il a choisi dans nous son héritage », ne vous troublent ni ne vous inquiètent, et ne vous donnent pas l’idée de vous écrier : Comment donc se fait-il que les Juifs soient encore incrédules ? il y a joint un correctif destiné à vous sortir d’embarras. Quant à lui c’était surtout les Juifs qu’il avait en vue, et, en ce qui le concerne, il n’en a laissé aucun. Si vous voulez connaître toute sa pensée, écoutez ce qui suit immédiatement, car il ajoute « à savoir la beauté de. qu’il a aimée. » Par ces mots il me semble désigner les fidèles, comme saint Paul lorsqu’il disait : « Ce n’est pas que la parole de Dieu soit tombée, hors du sillon : car tous ceux qui descendent d’Israël, ne sont pas pour cela Israélites ; mais Isaac sera ton fils. C’est-à-dire que les enfants selon la chair ne sont pas pour cela les enfants de Dieu ; mais que ce sont les enfants de la promission qui sont comptés au nombre de ses enfants. » (Rom. 9,6-8)[11] On peut dire que les fidèles sont la beauté du peuple. En effet, quoi de plus beau que ceux qui ont cru ?
Il appelle une nation son héritage, non qu’il ait jamais négligé les autres, mais il veut montrer l’intensité de son amour pour ce peuple, son désir de se l’attacher, la façon particulière dont il se l’était approprié, et la providence spéciale qui s’étendait sur lui. Et pour mieux vous rendre compte de la véracité du Prophète, voyez comme il se sert du langage populaire, de ce langage usité dans les marchés. Bien souvent ceux qui viennent acheter appellent « beaux » les objets qui sont de meilleure qualité que les autres.
C’est donc pour montrer que tous ne seront pas sauvés qu’il dit « à savoir la beauté de Jacob. » Pensée qu’on découvre encore dans les Évangiles à travers mille paraboles. Dieu « est monté au milieu des cris de joie (6). » On n’a pas dit Dieu a été enlevé, mais « est monté : » montrant par là qu’il n’a pas eu besoin d’une main étrangère pour s’élever en haut, mais qu’à lui seul il a su se frayer sa route. Élie qui eut moins de chemin à parcourir que le Christ, fut entraîné par une force autre que la sienne. (2R. 2,11) Car il n’était pas au pouvoir d’un simple mortel de se transporter sur une route interdite à tous les hommes. Le Fils unique est monté par l’effet de sa propre puissance. C’est ce qui fait dire à saint Luc : « Et ils le regardaient fixement pendant qu’il s’élevait vers les cieux. » (Act. 1,10) Il n’a pas dit : pendant qu’on l’enlevait ou pendant qu’on l’emportait, car il s’élevait tout seul. Et si, avant qu’il fût mis en croix, les eaux l’ont porté quand il était encore enfermé dans un corps lourd et sur lequel avaient prise les maux de l’humanité, quoi d’extraordinaire s’il a fendu les airs quand il n’avait gardé que la partie incorruptible de son être ?
Mais pourquoi ces mots : « Au milieu des cris de joie ? » Est-ce qu’on a poussé des cris de joie quand il est monté ? Tout s’est passé en silence, et il n’y avait de présents que ses onze disciples. Vous voyez bien qu’il ne faut pas prendre les Écritures au pied de la lettre, il faut encore comprendre le sens caché qu’elles renferment. Ce que je disais, en commençant l’explication de ce psaume que cette expression : « cris de joie », désignait quelque autre chose, à savoir la victoire et le triomphe, je dois le répéter à l’occasion de ce passage, où il est dit, qu’il monta « au milieu des cris de joie », c’est-à-dire au sein de la victoire, après avoir terrassé la mort, renversé le péché mis les démons en fuite, banni l’erreur, après avoir tout changé pour tout améliorer, après avoir rendu à l’humanité son ancienne patrie, ou plutôt une patrie bien plus belle. Quand il s’est montré, rien ne lui a résisté, ni la tyrannie du péché, ni là puissance de la mort, ni la force de la malédiction, ni l’intensité de la corruption et du mal, ni aucune des choses semblables ; mais il a brisé tout cela comme une toile d’araignée, et les phalanges des démons, et les efforts du diable, il a tout vaincu et ne s’en est allé qu’après avoir mené à bonne fin tout ce qu’il avait entrepris.
5. C’est pourquoi saint Paul, racontant le triomphe du Sauveur, disait : « Ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par sa croix. » (Col. 2,15) Et ailleurs : « Il a effacé par son sang la cédule qui s’élevait contre nous dans ses décrets ; il a entièrement aboli cette cédule qui nous était contraire, il l’a abolie en l’attachant à sa croix. (Id. 14) Et le Seigneur dans « la voix de la trompette. » C’est toujours la même figure, on veut parler d’une brillante victoire. Ici il faut ajouter quelque autre chose à l’expression, une idée de bruit, d’éclat, d’évidence. Cependant, quand cet événement eut lieu, nul ne s’en aperçut, mais il se manifesta plus tard avec tant d’éclat, qu’on eût dit le son d’une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car cet événement, si secret alors, a été connu de presque tous ceux qui habitent la terre, et il s’est si bien révélé par la force des choses, qu’on eût dit le son d’une trompette retentissante, ou quelque son bien plus perçant encore. Car les sons de la trompette n’auraient pas été aussi puissants pour appeler tous les hommes à ce spectacle, que le fut plus tard la voix même des choses quand elle fit connaître l’ascension du Sauveur ; ce miracle, elle le proclama avec un bruit plus éclatant que tous les bruits de la foudre. La terre n’aurait pas entendu le tonnerre aussi distinctement que la proclamation de ce miracle se fit entendre de ceux qui vivaient alors, aussi distinctement qu’elle se fera entendre de ceux qui vivront plus tard. Le tonnerre ne se fait entendre que dans le moment présent, tandis que la voix des choses a transmis le souvenir de ce miracle à toutes les générations avec plus d’éclat que la trompette, avec plus de retentissement que le tonnerre.
On ne se tromperait pas si l’on disait que la bouche des apôtres était une trompette, non pas une trompette d’airain, mais une trompette plus précieuse que l’or, plus précieuse que les diamants. Pourquoi cette expression : « Dans la voix de la trompette ? » C’était pour montrer son esprit de concorde, comme le témoigne aussi saint Paul : « Ainsi, soit que ce soit moi, ou eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons. » (1Cor. 15,11) Et ailleurs : « Toute la multitude de ceux qui croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme. » (Act. 4,32) Le son de cette trompette n’appelait pas les hommes au combat, mais il leur annonçait le triomphe et la bonne nouvelle. Dans les armées, quand on part pour la guerre, les trompettes avec les étendards donnent le signal et la direction de la marche ; les soldats présents dans le rang sont animés et parce qu’ils voient et par ce qu’ils entendent : c’est aussi ce qui se passait alors. Dans chaque ville où pénétraient les apôtres, leur trompette retentissait et tous accouraient pour entendre. « Chantez à la gloire de notre Dieu ; chantez, chantez à la gloire de notre R. chantez (7). Chantez avec sagesse, parce que Dieu est le roi de toute la terre (8). Dieu a régné sur les nations (9). » Après avoir décrit la grandeur du triomphe, l’auteur du psaume invite la terre à témoigner sa joie et son zèle : aussi répète-t-il deux fois le même mot. Il ne dit pas simplement de chanter, il dit aussi : « Chantez avec beaucoup de sagesse. » Que faut-il entendre par ces mots : « Chantez avec sagesse ? » C’est-à-dire après avoir pris connaissance des faits, et compris la grandeur des événements. Pour moi, je crois que ces mots : « avec sagesse », cachent encore une autre signification : ce n’est pas seulement notre voix, ce n’est pas seulement notre langue, mais aussi nos actions et notre vie qui doivent chanter à la gloire de Dieu. Car Dieu, dit-il, « a régné sur les nations », et comme dit un autre : « Au-dessus des nations. » De quelle royauté veut-il parler là ? non pas de cette royauté qui appartient à Dieu par le droit de la création, mais de cette royauté qui lui appartient pour l’avoir appelé à lui. Auparavant sans doute il régnait sur toutes choses, puisqu’il a fait et créé toutes choses : mais aujourd’hui il règne sur des sujets dociles et reconnaissants. Ce qui doit surtout provoquer nos actions de grâces et exciter notre admiration, c’est que celui qui, auparavant, était insulté par les Juifs, a opéré dans le monde un tel changement, qu’on le chante en tous lieux, et que ceux qui n’ont pas lu les prophètes, qui n’ont pas été élevés dans la Loi, qui vivaient à la manière des bêtes sauvages, ont été changés tout d’un coup, ont rejeté toutes les séductions de l’erreur et se sont soumis. Et ce n’est pas deux ou trois, ou quatre nations ni dix, qui se sont ainsi converties, c’est toute la terre.
« Il est assis sur son trône ! » Oui, il règne, il commande. Et le Psalmiste a bien dit sur son saint trône. Car, il ne règne pas seulement, il règne aussi avec sainteté ? Qu’est-ce à dire, il règne avec sainteté ? Oui, avec pureté. Les hommes qui parviennent à la royauté, usent de leur puissance même pour commettre l’injustice ; mais sa royauté à lui est exempte de telles souillures, elle est pure, elle est sainte. Ni la tromperie, ni rien de pareil ne corrompt ni ne circonvient son tribunal qui est sans tache, qui est pur d’une rayonnante pureté, qui défie toute comparaison et qui brille d’une gloire ineffable. « Les princes des peuples se sont assemblés et unis avec le Dieu d’Abraham, parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés (10). »
6. Dans ce passage on nous montre tout l’essor de l’Évangile qui ne s’est pas adressé seulement aux particuliers, mais encore à ceux-là même qui portent le diadème et qui sont assis sur le trône royal. Ensuite pour nous montrer qu’il n’y a qu’un seul et même Dieu pour l’Ancien comme pour le Nouveau Testament, il est dit « avec le Dieu d’Abraham », pour : avec le Dieu de vos pères, avec celui qui leur a donné la loi. C’est pourquoi Jérémie a dit : « Je vais faire une nouvelle alliance avec vous, non selon l’alliance que je fis avec vos pères, en ce jour où je les pris par la main pour les emmener hors de la terre d’Égypte (Jer. 31,31-32) », montrant par là que l’ancienne et la nouvelle loi n’ont qu’un seul et même auteur qui est notre Dieu. Baruch lui aussi a dit : « Celui-ci est notre Dieu, on n’en comptera pas d’autre après lui. Il a trouvé toutes les voies de la science et il a guidé. son fils, et Israël, son bien-aimé ; après cela il a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes (Bar. 3,36-38) », montrant par là que Celui qui a donné la loi est le même qui s’est fait chair et que Celui qui s’est fait chair est aussi le même qui a donné la loi. Le Prophète dit encore ceci « Ils se sont assemblés et unis avec le Dieu d’Abraham. » Le texte hébreu, au lieu de « avec le Dieu d’Abraham », porte : « Em Elôï Abraam. » Et comment cela s’est-il fait ? « Parce que les puissants de Dieu sur la terre ont été extraordinairement élevés. » Quels sont ceux qui représentent la puissance de Dieu ? Ne sont-ce pas les apôtres, s’il est vrai que de tous les hommes ils ont fait des fidèles ?[12] Puisqu’il est dit que leur puissance a brillé d’un tel éclat et qu’ils ont tout vaincu. Et c’est avec raison qu’ils sont appelés puissants. Comment ne le seraient-ils pas, eux qui ont livré bataille à la terre entière, aux démons, au diable, aux cités, aux nations, aux tyrans, aux châtiments, aux supplices, aux grils[13], aux fournaises, aux coutumes, à la tyrannie de la nature[14], qui ont tout vaincu, qui se sont élevés au-dessus de tout et n’ont été arrêtés par rien ? Comment ne le seraient-ils pas, eux qui même après leur mort ont déployé une si grande force ? Comment ne le seraient-ils pas, eux dont les paroles plus fermes que le diamant, loin de céder sous les efforts du temps, vont gagnant du terrain de jour en jour, répandant la bonne nouvelle partout, et dans toutes les directions, et jusqu’aux extrémités de la terre habitée ? Pour toutes ces choses, rendons grâces à Dieu qui aime les hommes, car c’est à lui qu’appartiennent la gloire et la puissance, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME XLVII.

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1. PSAUME POUR SERVIR DE CANTIQUE AUX ENFANTS DE CORÉ. – 2. LE SEIGNEUR EST GRAND ET DIGNE DE TOUTE LOUANGE DANS LA CITÉ DE NOTRE DIEU, SUR SA SAINTE MONTAGNE. 3. DONT IL ÉTABLIT BIEN LES RACINES A LA JOIE DE TOUTE LA TERRE. – UN AUTRE INTERPRÈTE DIT : QUI S’EST ÉLEVÉE COMME UNE BELLE TIGE A L’ALLÉGRESSE DE TOUTE LA TERRE. – UN AUTRE : A LA SPLENDEUR DE TOUTE LA TERRE, SPLENDEUR DÉTERMINÉE DÈS LE PRINCIPE.

ANALYSE.

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  • 1. Explication littérale des versets 1-3 du psaume.
  • 2. Explication des versets 4-9.
  • 3. Explication des versets 10-15. – La justice attribut nécessaire de Dieu.
  • 4. Exhortation.


1. Ici encore il s’agit de populations délivrées de la guerre, délivrées des combats. Car les Juifs, revenus de Babylone et arrachés à leur longue captivité, après avoir recouvré la terre de leurs aïeux et échappé à tant de guerres, chantent des cantiques d’actions de grâces en l’honneur de Celui qui est l’auteur de tous ces biens, et disent : « Le Seigneur est grand et digne de toute louange. » Ils disent qu’il est « grand », mais non pas combien, car nul ne le sait. C’est pourquoi le Psalmiste ajoute « et digne de toute louange. » Sa grandeur n’a pas de limites. Ce qui revient à dire : Il faut nous contenter de le glorifier et de le louer, et cela sans mesure ; il faut le louer, et pour sa grandeur même qui est infinie et qu’on ne peut concevoir, et pour l’immensité des bienfaits dont il nous a comblés. Il a voulu et il a pu ce qu’il a voulu et Dans la cité de notre « Dieu, sur sa sainte montagne. » Que dis-tu, ô Psalmiste ! Tu enfermes l’éloge de Celui qui est infiniment grand et digne de louanges, dans une ville et sur une montagne ? – Non, répond-il, ce n’est pas là ce que je veux dire, mais bien que c’est nous qui l’avons connu avant les autres hommes[15]. – Est-ce encore pour cela qu’il a dit « dans la cité de notre Dieu », ou bien veut-il nous montrer par là que les prodiges opérés dans cette ville ont témoigné de la grandeur et de la gloire de Dieu, que ces Juifs naguère prisonniers, délaissés, méprisés, enfermés sur une terre ennemie comme dans un tombeau, ont été tout à coup entourés par lui d’un tel éclat, qu’ils se sont mis au-dessus de leurs vainqueurs, sont revenus d’exil, ont recouvré leur sécurité première et retrouvé leur patrie dans sa splendeur d’autrefois ? Ce que nous voyons, dit-il, des œuvres de Dieu est si grand, qu’il n’en faut pas plus pour nous prouver son existence. Mais comme autrefois les Juifs n’étaient pas assez intelligents pour le comprendre, il se fit mieux connaître d’eux en les aidant contre leurs ennemis, en leur donnant la victoire, en leur procurant constamment ces triomphes extraordinaires, en tournant à leur profit toutes leurs révolutions, en faisant pour eux des prodiges audessus de tout espoir et de toute attente. Le Psalmiste appelle cette ville la ville de Dieu, non pas qu’il prive les autres villes de sa protection, mais il montre que les Juifs possédaient quelque chose de plus que les autres peuples, par rapport à la connaissance de Dieu. Les autres villes ne pourraient être appelées villes de Dieu, que parce qu’il les a créées, tandis que celle-ci a droit à ce titre non seulement pour ce motif, mais encore parce qu’elle est intimement unie à Dieu et que c’est là qu’il a fait tous ses miracles. Alors on disait qu’elle était la ville de Dieu, aujourd’hui c’est nous tous qui sommes appelés les fils de Dieu. « Ceux qui sont à Jésus-Christ, dit l’Apôtre, ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés. » (Gal. 5,24) Voyez-vous toute la force de la vertu ? C’est pour cela que cette montagne était appelée la montagne de Dieu, parce que Dieu y était honoré.
« Dont il établit bien les racines à la joie de toute la terre. » Voilà une expression bien obscure, aussi devons-nous y donner notre attention. A la simple lecture elle nous embarrasse, mais si on l’examine avec soin, on verra 1a suite et l’exacte enchaînement des idées. Le Psalmiste s’exprime en ces termes : « Le Seigneur est grand dans la cité de notre Dieu, sur sa sainte montagne dont il établit bien les « racines », c’est-à-dire qu’il donne à sa ville de belles racines, de beaux fondements, une belle base – avec la joie et dans l’allégresse de toute la terre.. Un autre interprète le donne à entendre lorsqu’il dit : a Dont il établit bien « les racines à la splendeur déterminée de toute « la terre », Car Dieu a fait de cette ville la splendeur et la joie du monde entier. Là était la source de la piété, là prit racine, là prit naissance la notion du vrai Dieu. Telle était donc cette ville dont il avait établi les racines, qu’il avait posée sur de beaux fondements, pour l’ornement de la terre, pour sa joie et pour son bonheur. Car. Jérusalem était alors l’école de la terre, et ceux qui voulaient connaître la joie, embellir et parer leur âme, y venaient puiser les connaissances dont ils avaient besoin. C’est encore dans le même sens qu’il a dit : « dont il établit bien les racines », et non pas seulement ; « dont il établit les racines. » Si de plus vous voulez prendre cette expression dans le sens mystique, vous reconnaîtrez la justesse et la vérité de la prédiction. C’est de là que l’allégresse, c’est de là que la joie et le bonheur sont descendus partout sur la terre ; c’est là qu’étaient les sources de la sagesse, dans cette ville où le Christ fut crucifié, d’où les apôtres prirent leur essor. « Car de Sion viendra la loi, et le Verbe du Seigneur viendra de Jérusalem (Mic. 4,2) », et cette joie repose sur des racines éternelles. « Monts de Sion, flancs de l’Aquilon. » Un autre dit : « Monts de Sion, croupes de l’Aquilon ; » et le texte hébreu : « Ar Sion jerchthé Saphoun. » Dans quel but, dites-moi, parle-t-il maintenant de l’Aquilon, et nous fait-il la description de ces lieux ? Comme c’était toujours de ce côté-là que la guerre venait les assaillir, et que les peuples étrangers faisaient irruption, les prophètes se servent toujours de ces mêmes termes, et appellent cette guerre la guerre qui vient de l’Aquilon (Jer. 1,13-14), et représentent Jérusalem comme un bassin que le feu chauffe toujours de ce côté. C’est en effet par là que les frontières de la Perse et de la Palestine se touchent. Le Psalmiste admirait donc ces événements, et il ajoutait ces mots pour montrer que Dieu avait rendu imprenable cette cité constamment attaquée par les peuples venant du nord. C’est comme si l’on disait en parlant du corps : ce membre était faible, tu l’as rendu plus fort ; tel est aussi le sens caché de ses paroles dans ce même passage. Le plaisir et la sécurité règnent en ces lieux, d’où nous venaient la désolation et les larmes, et qui étaient pour nous un objet d’affliction. Il n’y a que joie et bonheur là où nous ne connaissions que les menaces, la crainte et les dangers, et désormais nul ne redoute les nations du nord, nul ne s’abat, nul ne s’inquiète, mais tous sont heureux et satisfaits, parce que tu as établi ses racines dans la joie. « La cité du grand Roi. Dieu sera connu dans ses maisons, lorsqu’il prendra sa défense (4). » Un autre dit, « fut connu ; » un autre, « Dieu dans les palais de sa cité sera connu pour un rempart ; », un autre, « Dieu dans les maisons de sa cité fut reconnu pour être capable de la tirer du danger. »
2. L’auteur du psaume proclame la majesté de Jérusalem, il la comble de louanges, il la couronne en disant : « La cité du grand Roi. » Ensuite, montrant comment elle est la cité du grand R. il ajoute « il sera connu dans ses a maisons. » C’est nous faire voir combien il en prend soin puisqu’il la sauve tout entière sans en rien excepter, et que, non content de la protéger dans son ensemble, il étend ses soins prévoyants à chacune de ses maisons. Pour nous nous n’avions pas besoin de cela pour le connaître, mais il a profité de cette occasion pour faire éclater sa force aux yeux de ses ennemis. Sous le règne d’Ézéchias les peuples étrangers s’étaient abattus autour de Jérusalem comme un nuage, et l’avaient enfermée comme dans un filet, ils se retirèrent après avoir perdu la plus grande partie de leurs soldats. Bien des fois encore d’autres peuples marchèrent contre elle, qui durent s’éloigner couverts de confusion. Tous ces succès, dit le Psalmiste, on les doit à la Providence divine, et Jérusalem lui doit son éclat. Et sa grandeur ne lui vient pas seulement de son éclat, mais encore de la façon dont elle a conquis cet éclat. « Voici que les rois de la terre se sont assemblés, et ont conspiré unanimement contre elle ; » un autre dit : « Voici que les rois se sont mis en ordre de bataille. Mais l’ayant vu, ils ont été tout étonnés, tout remplis de trouble, et d’une émotion extraordinaire (6) : le tremblement les a saisis ; ils ont ressenti alors les douleurs que sent la femme qui est en travail d’enfant (7), dans le souffle d’un vent impétueux (8). » Un autre dit, « par un vent impétueux ; » un autre, « par une fièvre ardente. Tu briseras les vaisseaux de « Tharsis. » Un autre, « tu broieras. » Dans le texte hébreu on lit « Tharsis. » Dans ce passage le Psalmiste nous explique que c’était une guerre redoutable, une vaste coalition, et que la victoire n’en fut que plus brillante. Car après nous avoir dit que Dieu défend Jérusalem et qu’il la couvre de sa puissante protection, il nous montre ensuite comment il s’y prit pour la défendre. Des milliers de peuples étaient accourus (c’est ce qu’il nous fait comprendre en nous parlant du grand nombre de leurs rois), et ce n’était pas une simple incursion, ils s’étaient coalisés et avaient uni leurs troupes : mais ils rencontrèrent des obstacles si extraordinaires qu’ils se retirèrent frappés d’étonnement : Telle fut l’issue de cette guerre ils battirent en retraite, pleins de stupeur et d’effroi. Profondément troublés ils s’enfuirent tout tremblants, devant un petit nombre d’ennemis, eux si nombreux, devant quelques bataillons disséminés ; eux qui avaient uni leurs armées, et ils ne se sentaient pas plus d’énergie qu’une femme qui est en travail d’enfant. Ce qui prouve bien qu’une intervention surhumaine avait conduit cette guerre, que c’était Dieu qui avait dirigé les armées, qu’il avait non seulement abattu l’orgueil des ennemis, mais aussi troublé leur esprit, et mis dans leur âme les douleurs que ressent la femme dans l’enfantement, et frappé leur cœur d’une indicible épouvante. Il arriva la même chose que si une flotte nombreuse se réunissait, et qu’un vent violent, se déchaînant sur elle, brisait tous les navires, submergeait les galères, et y jetait tout à coup le plus affreux désordre. Car cet exemple me semble montrer que la victoire fut facile, et le désordre extrême. Embarqués sur une flotte, et venus de régions lointaines, tous périrent : la colère de Dieu les renversa, comme eût fait un tourbillon impétueux. C’est pour cela que voulant indiquer d’où ils étaient venus, le psaume ajoute le nom de Tharsis. Car c’est ce que veut dire le texte hébreu par le mot que nous avons mis, à cause de vous, à la suite de notre citation. Voilà ce que l’on peut dire : oit bien on peut répéter ce que je disais plus liant, à savoir que Dieu mit le désordre au milieu de cette multitude d’ennemis, comme les vents violents qui souvent s’abattent sur les vaisseaux de Tharsis et les brisent.
« Nous avons vu dans la cité du Seigneur des armées, dans la cité de notre Dieu, ce que nous avons entendu annoncer (9). » Voyez-vous comme ils s’expliquent ces mots que nous avons vus plus haut : « Dont Dieu établit bien les racines », c’est-à-dire dont Dieu prend toujours soin, qu’il protége toujours, qu’il munit toujours de remparts ? Car après avoir raconté lés événements de ce temps-là, le Psalmiste ramène son récit aux événements du temps passé, et nous montre la parenté qui les unit. Ce que nous avions vu écrit, dit-il, nous l’avons vu réalisé, nous avons vu les victoires, les trophées de Dieu, sa protection et ses magnifiques miracles. Car Dieu n’a pas cessé d’en faire, et c’est bien lui qui nous sauve des dangers, qui nous mène par la main à la connaissance de sa divinité. C’est par un heureux à-propos que le Prophète a fait mention de ces événements arrivés longtemps auparavant, puisqu’il instruit ses concitoyens et par le récit des anciens miracles, et par celui des miracles nouveaux, si bien que ceux dont l’esprit est le plus épais croient, en voyant ce qui vient de se passer, à ce qui s’est passé autrefois, y trouvent deux fois leur profit, et voient de leurs propres yeux ce qu’ils ne connaissaient que pour l’avoir entendu dire. « Dieu l’a fondée et affermie pour toute l’éternité. Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton peuple (10). » Un autre dit : « Nous avons apprécié, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton peuple[16] », – et dans le texte hébreu on lit : «  Echalach demmenu. Comme la gloire de ton nom, ô Dieu, s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, votre louange s’y étend de même (11). »
3. Après avoir dit : nous avons vu ce dont nous avions entendu parler, le Psalmiste raconte aussi et ce dont il savait entendu parler, et ce qu’il a vu. De quelle chose donc avait-il entendu parler, et qu’a-t-il vu ? Que la faveur de Dieu fait sa cité plus forte, et la rend indestructible. Voilà ses fondements, voilà sa force, voilà ce qui la rend imprenable, plutôt que l’alliance et l’aide naturelle des hommes, plutôt que la force des armes, plutôt que les tours et que les remparts. Mais quoi ? Dieu la tient sous sa domination. Voilà surtout l’idée avec laquelle ils devaient se familiariser, l’idée que le Prophète ne cesse de leur suggérer. « Nous avons reçu, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton peuple. » Que signifient ces mots : « Nous avons a reçu ? » que nous avons espéré, que nous avons attendu, que nous avons connu ton amour pour nous. Car après avoir dit : Dieu a jeté les fondements, a établi les racines, a élevé les remparts de Jérusalem, le Prophète, pour montrer que tant de bienfaits n’ont pas été provoqués par les mérites de ceux qui en ont été l’objet, mais qu’ils sont uniquement l’effet de Celui qui en est l’auteur, voulant en même temps rabattre l’orgueil des Juifs, le Prophète tient à peu près de langage : nous sommes redevables de ces heureux événements à ta miséricorde, à ta gloire, à ta bonté. Et c’est pour cela qu’il a ajouté : « Comme la gloire de ton nom, ô Dieu, s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, ta louange s’y étend de même. C’est ta louange », dit-il, qui a produit des succès si considérables et si étonnants, si grands et si glorieux. Car tu n’as mesuré tes bienfaits ni à la grandeur de ceux que tu as obligés, ni à leurs mérites, mais à ta propre grandeur. C’est donc ta louange, c’est-à-dire, le concert d’éloges auquel ont donné lieu tes actes, qui a répandu au loin le bruit de ce succès. Bien que

ces événements se soient passés en Palestine, ils étaient si grands et si considérables, que la renommée les a fait connaître jusqu’aux extrémités de la terre, et que les contrées lointaines en ont été informées. Ce qui s’était passé en Égypte n’était-il pas plus exactement connu de la prostituée de Jéricho que de ceux qui étaient présents ? (Jos. 2,10) A son tour la Palestine a vu les événements survenus au milieu de son peuple, proclamés parmi ceux qui habitent la Perse. Enfin les Persans ont vu ce qui était arrivé chez eux parvenir aux derniers confins de la terre. C’est ainsi que le grand roi envoya par toute la terre des lettres qui publiaient le miracle de la fournaise. (Dan. 3,98) C’est ainsi que le Prophète, après avoir dit : « Et ta louange a pénétré aux extrémités de la terre », ajoute : « Ta droite est pleine de justice », fidèle, dans ce passage, à son invariable habitude de remonter des objets sensibles aux qualités inhérentes à la nature de Dieu. Ce n’est pas qu’il veuille nous faire croire qu’on puisse ajouter à Dieu ou qu’en en puisse retrancher quelque chose (loin de lui cette pensée !), mais comme la parole de l’homme et sa langue sont faibles, il faut ajouter au langage une interprétation qui convienne à la majesté de Dieu.
Par les qualités inhérentes à la nature de Dieu, le prophète entend celles qui sont inséparables de son essence. Or quelles sont-elles ? « Ta droite », dit le Prophète, « est pleine de « justice. » Il montre par là qu’en accordant ses bienfaits, il y a été sollicité non par les mérites de ceux qui en étaient l’objet, mais par sa propre essence, puisqu’il est dans son essence qu’il se complaise dans la justice, qu’il se complaise à aimer les hommes. Tel est son but, telle est sa coutume, et c’est ce qui explique pourquoi les Juifs ont reçu de lui tant de bienfaits. De même que la chaleur est le propre du feu, et la lumière le propre du soleil, de même, et bien plus encore, la bienfaisance est le propre de Dieu. C’est ce qui fait dire au Prophète : « Ta droite est pleine a de justice », pour signifier qu’elle déborde chez lui, qu’elle fait corps avec lui.
« Que le mont de Sion se réjouisse, et que les filles de Juda soient dans des transports de joie à cause de tes jugements, « Seigneur (12). » Un autre dit : « à cause de tes décisions. Environnez Sion, et embrassez-la ; racontez toutes ces choses du haut de ses tours (13). » Un autre dit : « Comptez le nombre de ses tours ; » un autre : « Faites son éloge. Appliquez-vous à considérer sa force (14). » Un autre : « à considérer son enceinte. » Un autre : « sa richesse. Et faites la distribution de ses maisons. » – Un autre : « Mesurez ses palais afin que vous en « fassiez le récit à une autre génération. » – Un autre : « à la génération qui va suivre. Car c’est là le vrai Dieu, notre Dieu, pour tous les siècles et pour toute l’éternité ; et il régnera sur vous dans tous les siècles (15). » Pourquoi donc cet ordre d’aller autour de la ville, d’en compter les tours, d’en remarquer les édifices, de nous rendre compte de sa beauté, de calculer l’étendue de ses enceintes et de ses murs, de mesurer ses palais et ses maisons ? Ces paroles n’ont pas besoin de nos commentaires, elles sont assez claires par elles-mêmes, car nous pouvons en lire la cause immédiatement après. Cette cause quelle est-elle ? « Afin d’en faire le récit », dit-il, « à une autre génération. »Ce qui peut se ramener à ceci : Soyez contents, réjouissez-vous, bondissez de joie. Rendez-vous nettement compte de sa puissance, que ce ne soit pas une simple appréciation, comme s’il s’agissait du premier objet venu. Car après avoir été un amas de décombres, après avoir été arrachée jusque dans ses racines, après que le sol même où elle s’élevait eût été presque détruit, et qu’on eût désespéré de la voir jamais se relever, au point que le Prophète disait : « Nos os sont devenus tout secs, notre espérance est perdue, nous sommes anéantis (Ez. 37,11) », et comme on ne s’attendait plus à la recouvrer, leur patrie leur fut rendue, non pas telle qu’ils l’avaient perdue, mais bien plus belle et plus brillante, plus illustre, plus grande ; plus riche, plus forte, avec des maisons plus spacieuses, des marchés plus vastes, avec une puissance plus considérable et des ressources bien supérieures. « La gloire de cette dernière maison », dit en effet le Prophète, « sera encore plus grande que celle de la première. » (Agg. 2,10) Il s’adresse au peuplé et voici à peu près le langage qu’il lui tient : Cette ville à laquelle vous renonciez, sur laquelle vous ne fondiez plus aucun espoir, cette ville qui n’était qu’une ruine, comment a-t-elle recouvré un éclat plus brillant que son éclat d’autrefois ? Rendez-vous donc bien compte de tout cela, de sa reconstruction, de son éclat, de sa gloire, afin de vous bien pénétrer de la puissance de Dieu qui a relevé cette ville, détruite même dans votre espérance, et qui l’a relevée pour la faire plus grande, afin de raconter à vos descendants le pouvoir de ce Dieu, et son infatigable protection, en ajoutant qu’il a toujours veillé sur nous comme un prince, comme un pasteur. Ces récifs seront, même pour ceux qui viendront plus tard, un sujet de sages réflexions, une occasion de bien connaître Dieu, et de s’appliquer à la vertu. Voilà pourquoi le Prophète invite ses concitoyens à faire le tour de Jérusalem : il veut qu’ils donnent de bons enseignements à leurs descendants.
4. Ainsi donc, nous aussi, ayons dans l’esprit notre cité de Jérusalem, pour la contempler toujours et sans relâche, pour nous représenter sans cesse ses beautés ; cette Jérusalem, la capitale du Roi des siècles, où sont les esprits des justes, où sont les chœurs des patriarches, des apôtres et de tous les saints : où tout est immuable, où rien ne passe, où sont ces beautés incorruptibles que nul n’a viles, que ceux-là seuls peuvent posséder qui ont complètement oublié ces biens périssables et passagers qui sont le souci de notre vie d’ici-bas, je veux parler de la fortune, des délices et des funestes plaisirs qui nous viennent du diable. – Contemplons-la pour devenir chaque jour plus affectueux envers nos frères, hospitaliers envers les indigents, plus charitables envers notre prochain et plus disposés à pardonner du fond du cœur à ceux qui nous ont offensés, afin que, vivant vertueusement et selon la volonté de Dieu, nous héritions du royaume des cieux, en Jésus-Christ, notre Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, en compagnie du Père et du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous lés siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION SUR LE PSAUME XLVIII.

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1. POUR LA FIN, AUX ENFANTS DE CORÉ. – SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE TRIOMPHE. – 2. PEUPLES, ÉCOUTEZ TOUTES CES CHOSES. – UN AUTRE : ÉCOUTEZ CECI. PRÊTEZ L’OREILLE, VOUS TOUS QUI HABITEZ LA TERRE. – UN AUTRE : L’OCCIDENT. ON LIT DANS LE TEXTE HÉBREU, OLD. – 3. ET CEUX QUI SONT NÉS DE LA TERRE ET CEUX QUI SONT FILS DES HOMMES. – UN AUTRE : ET L’HUMANITÉ, ET EN OUTRE LES FILS DE CHAQUE HOMME, LE RICHE EN MÊME TEMPS QUE LE PAUVRE. UN AUTRE : (LE RICHE ET LE PAUVRE) ENSEMBLE.

ANALYSE.

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  • 1. Ls Prophète adresse son enseignement à tous les hommes sans distinction aucune.
  • 2. Versets 4 et 5. – Ce n’est pas de lui-même, mais de Dieu que le Prophète tire l’enseignement qu’il va publier.
  • 3. L’obscurité de l’Écriture excite l’attention du lecteur. – R est nécessaire de discerner ce qui est à craindre de ce qui ne l’est pas : le péché seul est terrible et à craindre.
  • 4. Qui craint le péché ne craint rien autre chose. – Versets 7-9.
  • 5. Prières des saints. – Dignité de l’âme. – Nécessité des œuvres – La mort ne détruit pas la substance. – Résurrection universelle.
  • 6. Faste inutile des tombeaux. – La vertu procure l’immortalité. – Le pêcheur Pierre s’est emparé de Rome.
  • 7 et 8. Que la nature de l’homme est glorieuse. – Dignité de l’âme. – L’homme comparé aux brutes.
  • 9. Ce qu’il faut entendre par ces mots : l’âme périra. – Châtiment des avares.

10. Que la vertu est libre et le vice esclave. – Le luxe des monuments accuse les morts. 11. Les puissants de ce monde ne sont pas à craindre. – La vertu est la gloire de l’homme.
1. Le Prophète va nous révéler d’importants secrets. Car il n’aurait pas convoqué les hommes, de tous les points de la terre, pour venir l’entendre, il ne les aurait pas invités à venir s’asseoir comme dans un théâtre, s’il n’avait à nous raconter quelque chose de grand, d’éclatant, quelque nouvelle digne d’une si vaste assemblée. Car il ne parle plus comme s’il ne voulait prophétiser que pour les Juifs, pour les habitants de la Palestine. On dirait un apôtre, un évangéliste qui adresse ses paroles à tout le genre humain. La loi ne formait qu’un peuple, dans un coin reculé de la terre, mais la parole évangélique a retenti de la Judée sur toute la surface du globe, elle s’est étendue, et a parcouru autant de pays que le soleil en éclaire. La première était comme une institution d’enfants, un règlement élémentaire, un ministère de condamnation et de mort : la seconde n’est que grâce et que paix. Puisqu’il a convoqué tout le genre humain pour l’écouter, approchons, nous aussi, et voyons ce que veut nous dire le Psalmiste, qui préside cette immense réunion de tout le genre humain : As-tu invité tous les hommes à venir, sans te préoccuper de savoir s’il y en a parmi eux qui soient d’origine étrangère, s’il y en a d’instruits, s’il y en a d’ignorants ? – Oui, tous. Et c’est pour cela qu’il a dit dès le début : « Peuples, écoutez tous », et qu’il ai nsisté encore en ces termes : « et ceux qui sont nés de la terre, et ceux qui sont fils des hommes ; » adressant son appel à l’humanité tout entière. Oh ! quel enseignement ! Comme il est fait pour tous, commun à tous ! Aussi ce n’est pas un simple appel fait à tous les hommes, il les invite encore à écouter ses paroles avec beaucoup de zèle et de recueillement. Car il ne s’est pas contenté de dire « Peuples, écoutez toutes ces choses : Prêtez « l’oreille », ajoute-t-il. Or, prêter l’oreille, ce n’est pas autre chose que d’écouter avec recueillement, et avec une attention soutenue. Car prêter l’oreille se dit spécialement de ceux qui se parlent à l’oreille, et font grande attention, l’un à ce qu’il dit, l’autre à ce qu’il entend « Prêtez l’oreille, vous tous qui habitez la « terre », et s’il y en a parmi vous qui ne sont pas comptés au rang des nations, qui vivent pêle-mêle ou dispersés par tribus comme les nomades, ceux-là aussi je les convoque pour venir entendre mes paroles.
Voyez comme l’orateur est habile. Tout d’abord il éveille l’attention des auditeurs, et les tient en suspens par cet appel en masse. Après quoi il les humilie afin de prévenir le sentiment d’orgueil qui pourrait s’élever chez eux, à la vue de leur grand nombre. Voilà surtout les auditeurs qu’il faut à celui qui va parler le langage de la sagesse, des auditeurs contrits et humiliés, dépourvus d’orgueil et d’arrogance. Comment donc a-t-il rabattu leur orgueil ? en leur rappelant ce qu’ils sont. Car après avoir dit « Peuples », il ajoute : « et ceux qui sont nés de la terre, et ceux qui « sont les fils des hommes », nommant ainsi la substance de laquelle nous tirons notre origine, rappelant que la terre est notre mère commune à tous. Pourquoi cette expression « ceux qui sont les fils des hommes ? » Après avoir prononcé ces mots « ceux qui sont nés « de la terre », il ajoute « et ceux qui sont les « fils des hommes », afin qu’on n’aille pas croire avec les mythologues païens que les hommes ont pris naissance dans la terre comme les plantes, explication donnée par quelques-uns d’entre eux qui ont imaginé une certaine race d’hommes nés d’une semence jetée en terre. Les hommes sont vos pères, mais eux et vous, vous avez pour origine la terre. « Pourquoi » donc « la terre et la cendre s’enorgueillissent-elles ? » (Sir. 10,9) Songe à ta mère, et humilie-toi, foule aux pieds ton arrogance ; « Songe que tu es terre et que tu retourneras en terre (Gen. 3,19) », et rejette tout sentiment d’orgueil. Voilà l’auditeur qu’il me faut. Je te soumets à cette préparation, afin de te rendre propre à recevoir mes paroles. « Le riche en même temps que le pauvre. » Voyez combien l’Église est généreuse ! Comment en effet ne serait-elle pas généreuse elle qui admet ses auditeurs sans distinction de rang, qui donne tous ses enseignements avec une égale libéralité, qui fait asseoir à la même table et le riche et le pauvre ? Le Prophète, en disant que nous sommes nés de ta terre et que nous sommes fils des hommes, signale l’unité de notre race, et de plus, fait ressortir que nous sommes tous de même nature. S’il fait intervenir cette différence, et cette inégalité qui résultent de nos conditions, c’est pour dire qu’il l’exclut, puisqu’il nous convoque tous sans exception, car tous sans exception nous sommes de même nature. Je vous convoque tous indistinctement, parce que nous sommes tous citoyens d’une même patrie qui est la terre habitée. (Act. 17,26) Mais vous songez encore à la différence que mettent entre les hommes la richesse et la pauvreté, et vous faites intervenir l’inégalité. Eh bien ! je ne veux pas non plus de cela. On ne me verra pas admettre les riches et rebuter les pauvres, ou bien appeler les pauvres et repousser les riches. Loin de là ! qu’ils viennent les uns et les autres ; et je ne dis pas seulement les uns et les autres, faisant entre ceux-ci les premiers, et ceux-là les derniers, ou bien au contraire faisant entrer ceux-ci les derniers et ceux-là les premiers ; non, non, qu’ils viennent en même temps. Qu’il n’y ait de distinction ni dans l’assemblée, ni dans mon langage, ni dans l’auditoire. Quoique riche tu es sorti de la même argile que le pauvre, tu es venu au monde de la même manière, tu as la même origine. Tu es fils d’un homme, et lui aussi.
2. Puisque vous êtes égaux sur les points essentiels, et qu’il n’est pas dû plus d’honneurs à l’un qu’à l’autre, pourquoi t’enfler de je ne sais quelle vaine et chimérique supériorité, pourquoi diviser ce qui est commun, d’après des distinctions qui ne reposent sur rien ? Tout est commun entre vous : nature, origine, parenté. Pourquoi donc ces costumes destinés à marquer la distinction des rangs ? Voilà ce que je ne tolère pas. C’est pour cela que je t’appelle avec le pauvre en disant : « le riche en même temps que le pauvre. » Pour toute autre chose on ne saurait voir réunis le riche et le pauvre : on ne les voit ensemble, ni dans les tribunaux, ni dans la cour des rois, ni sur les places publiques, ni dans les banquets : à l’un les honneurs, à l’autre le mépris ; à l’un, pleine liberté de parole, à l’autre la réserve timide, « car la sagesse du pauvre est comptée pour rien, et ses discours ne sont pas écoutés. » (Qo. 9,16) Le riche parle, et on l’approuve : le pauvre ouvre la bouche, et on ne lui permet pas de parler. Mais ici il n’en est pas de même. Je ne tolère pas dans l’Église ces folles prétentions, mon enseignement est commun à tous.
Voyez l’habileté du Prophète, comment, avant même de commencer sa harangue, il fait pressentir par son seul appel, la vaste étendue de ses enseignements. Car en appelant tous les hommes ensemble, il ne permet ni à l’un de s’enorgueillir, ni à l’autre de s’humilier, mais il leur montre que la richesse n’est pas plus un bien que la pauvreté n’est un mal, mais que ce sont des accessoires empruntés au monde extérieur. Et que m’importe que tu sois ceci ou cela. Je ne vois pas que toi, riche, tu aies plus que le pauvre, et que le pauvre ait moins que toi. Mais peut-être dira-t-on. Et toi qui n’es qu’un homme et qui participes de la, même nature que nous, d’où vient que tu as de toi une si bonne opinion que tu t’imagines être capable d’instruire toute, la terre, et que tu appelles à toi tous les hommes des extrémités de ta terre ? Tes paroles sont-elles donc dignes d’une telle assemblée ? – Oui, répond-il. Car après avoir convoqué tous les hommes, écoutez ce qu’il dit pour qu’on ajoute foi à ses paroles : « Ma bouche proférera des paroles de Sagesse, et la méditation de mon cœur des paroles de prudence (4). » Un autre : « et mon cœur fredonnera des paroles de prudence », ce que le texte hébreu rend par « ovagith. » Voyez-vous comme son discours va droit au but ? Je ne parlerai ni des richesses, dit-il, ni des dignités, ni de la puissance, ni de la force du corps, ni d’aucune autre chose périssable c’est de la sagesse que je vais parler, j’en parlerai consciencieusement, et non pas à la légère, en homme qui ne la connaît que d’hier. « Je prêterai l’oreille pour entendre la parabole (5). » Un autre : « Je prêterai l’oreille à la parabole », ce que le texte hébreu rend par « Lamasal. Je découvrirai sur la harpe ce que j’ai à proposer. » Un autre : « l’énigme que j’ai à proposer ; – Idathei », en hébreu.
Comment relier ces phrases aux précédentes ? Ce n’est plus un maître, c’est un disciple que je vois. Tu nous as appelés, ô Prophète, pour nous faire entendre d’utiles leçons, et après que nous sommes tous arrivés, que nous sommes tous réunis, après nous avoir prévenus que tu allais prononcer de sages paroles, voilà que tu quittes, sans avoir rien dit encore, le rôle de maître pour celui de disciple. – N’a-t-il pas dit en effet : « Je prêterai l’oreille pour entendre la parabole ? » Pourquoi cela ? – Pourquoi ? parce qu’il est vraiment habile, et qu’il veut mettre de la suite entre ses paroles. Après avoir dit : « Je proférerai des paroles de sagesse », afin qu’on ne croie pas que ses paroles sont simplement celles d’un homme, et : « la méditation de mon cœur des paroles de prudence », afin qu’on ne le soupçonne pas d’avoir inventé ce qu’il veut avancer, il montre par ces réflexions que ses paroles viennent de Dieu, qu’il ne dit rien qui lui appartienne en propre, et qu’il ne fait que répéter ce qu’il a entendu dire. J’ai prêté l’oreille, dit-il, aux paroles de Dieu, je les ai entendues, et je ne fais que vous révéler la communication qui m’est venue d’en haut. Ce qui faisait dire à Isaïe : « Le Seigneur me donne une langue savante quand je dois parler : de plus il m’a donné des oreilles capables de l’entendre. » (Is. 50,4) Paul à son tour a dit : « La foi vient de ce qu’on a ouï ; et on a ouï parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée. » (Rom. 10,17) Vous le voyez, il a été disciple avant d’enseigner. Aussi un autre interprète a-t-il dit : « et mon cœur fredonnera. » Que signifie ce mot fredonnera ? Il chantera, il récitera un psaume inspiré par le Saint-Esprit. S’il parle de méditation, n’en soyez pas troublé : il a constamment médité et repassé en lui-même les paroles de l’Esprit-Saint, et ce n’est qu’après cela qu’il les a communiquées aux autres hommes. Pourquoi parle-t-il de parabole ? Voilà un mot qui a bien des significations. La parabole est une causerie, un exemple, un reproche, comme quand on dit : « Tu nous as fait devenir la fable des nations, et les a peuples secouent la tête en nous regardant. » (Ps. 43,15) La parabole est encore un discours énigmatique, ce que beaucoup appellent une question à deviner, qui contient bien un sens, mais dont les paroles sont obscures et renferment une pensée cachée, comme lorsque Samson dit : « La nourriture est sortie de celui qui mangeait, et la douceur est sortie du fort (Jug. 14,14) », et Salomon : « Il pénétrera les paraboles et leur sens mystérieux. » (Prov. 1,6) La comparaison s’appelle aussi parabole : « Il leur proposa une autre parabole, en disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait « semé de bon grain dans son champ. » (Mt. 13,24) On dit aussi qu’il y a parabole quand on parle par figures : « Fils de l’homme, dis-leur cette parabole : un grand aigle à la vaste envergure. » (Ez. 16,1, 3) Par l’aigle c’est le roi qu’on désigne. La parabole est encore une figure et une image comme le montre saint Paul par ces paroles : « C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu le voulut tenter ; car c’était son fils unique qu’il offrait, celui qui avait reçu les promesses de Dieu. C’est pourquoi il le recouvra en parabole (Héb. 11,17,19) », c’est-à-dire en figure et en image (de la résurrection).
3. Que vient donc faire ici la parabole ? Il me parait bon de vous l’expliquer. Si le Prophète se sert d’un langage énigmatique et difficile à entendre, n’en soyez pas troublés : il agit ainsi pour éveiller l’auditeur, car souvent une trop grande facilité énerve l’attention, et voilà pourquoi il parle par paraboles. D’ailleurs le Christ parlait souvent par paraboles, puis il les expliquait à ses disciples quand il était seul avec eux. La parabole sert à faire distinguer celui qui est digne de celui qui ne l’est pas celui qui est digne en effet cherche à trouver le sens des paroles qu’on lui adresse, celui qui est indigne passe à côté et les néglige. C’est ce qui arrivait alors. Les difficultés que contenaient les paraboles imaginées par le Christ ne réveillaient pas l’esprit des Juifs, et ne les amenaient pas à lui faire des questions, tellement ils écoutaient peu ce qu’il leur disait. Cependant il y a de quoi éveiller l’esprit de recherche, là où l’on peut distinguer une esquisse. C’est ce que faisait alors Jésus-Christ, et il parlait par paraboles, pour exciter les Juifs et les réveiller de leur engourdissement et de leur assoupissement ; mais ils n’en étaient pas plus attentifs, tandis que ses disciples s’attachaient à lui quoiqu’ils ne comprissent pas, et restaient à ses côtés précisément parce qu’ils ne comprenaient pas. Aussi, quand il était seul avec eux, leur expliquait-il ses paraboles. Voilà ce qui fait dire au Psalmiste : « Je prêterai l’oreille pour entendre la parabole ; je découvrirai sur la harpe ce que j’ai à proposer. » Ce qu’il veut proposer est une question obscure et énigmatique, c’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Je vous parlerai en énigmes de ce qui s’est fait depuis la création du monde. » (Ps. 77,2) Voilà pourquoi il annonce qu’il proférera des paroles de sagesse, car il est plein de confiance dans la révélation divine ; voilà pourquoi il dit : « Je découvrirai sur la harpe ce que j’ai à vous proposer », afin de montrer que sa doctrine lui a été inspirée par le Saint-Esprit, et qu’elle lui vient d’en haut, et voilà pourquoi il présente ses conseils sous forme de chant, afin de donner plus de douceur à ses paroles.
Voyez-vous quel est son exorde ? Il a convoqué toute la terre, il a exclu l’inégalité qui règne ici-bas, il nous a fait ressouvenir de notre nature, il a rabattu notre orgueil, il a promis de dire quelque chose des grand et de généreux, il a déclaré que ses paroles ne lui appartenaient point, qu’il n’était que l’écho de Celui qui règne dans les cieux, il nous a fait entendre que son langage serait très-obscur, afin de nous rendre plus attentifs : il a promis de ne nous enseigner que des principes de sagesse inspirés par le Saint-Esprit, et qu’il n’avait cessé de méditer. Écoutons-le donc, et ne soyons pas inattentifs. Car si sa parole est sage, qu’il s’agisse de parabole ou de question à deviner, il faut que notre intelligence se tienne en éveil. Quel est donc ce conseil, quelle est cette question, quelle est cette parabole, quelle est cette sagesse qui lui vient d’en haut ? « Quel sujet aurai-je de craindre au jour mauvais ? « (6). » Un autre : « aux jours du méchant », ce que le syriaque, rend parce mot « Rha. Ce sera si je me trouve enveloppé dans l’iniquité de mon talon. » Un autre : « de mes pas. » Ce que le texte hébreu rend par « Aon acoubbei isoubboundi. » Voyez-vous comme il présente sa question, son exigence, combien son langage est obscur et mystérieux ? Mais, si vous le voulez bien, sachons d’abord ce qu’il entend par ce jour mauvais. Que désigne ordinairement l’Écriture par ce jour mauvais ? Elle désigne le jour des malheurs, le jour des châtiments, le jour des épreuves. C’est aussi ce que le Psalmiste dit ailleurs : « Heureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent ! Dieu le sauvera au jour mauvais. » (Ps. 40,1) Le jour mauvais, c’est ce jour terrible, redoutable, ou on fera le compte des péchés. Avez-vous vu d’abord les limites précises posées par cette philosophie venue d’en haut, comme la parole du Prophète définit heureusement ce qui doit exciter la crainte, ce qui mérite condamnation ? Si l’on ne fait pas cette distinction essentielle, on est réduit à errer comme dans une obscurité profonde, et dans un véritable chaos.
Faute de distinguer ce qu’il faut craindre et ce qu’il faut mépriser, notre vie sera exposée à bien des erreurs et à bien des dangers. Car s’il est d’une souveraine démence de craindre ce qui n’est pas redoutable, il en est de même quand on se rit de ce qu’il faut craindre. Les hommes diffèrent des enfants en ce que ceux-ci, à cause de l’imperfection de leur intelligence, ont peur des masques et des hommes qui s’affublent d’un sac, tandis qu’ils s’imaginent que ce n’est rien d’insulter son père ou sa mère ; ils mettent les pieds dans le feu et sur les lampes allumées, et craignent certains bruits qui n’ont rien de redoutable, toutes choses qui ne font même pas tourner la tête à un homme. C’est donc parce qu’il y a beaucoup d’hommes qui ont moins de bon sens que les enfants, que le Prophète fait cette distinction, et qu’il nous dit ce que nous devons craindre. Il ne veut point parler de ce qui paraît redoutable au vulgaire, c’est-à-dire de la pauvreté, de l’humilité, de la maladie, choses que la plupart trouvent non seulement redoutables, mais encore pesantes et intolérables, il ne parle de rien de tout cela, c’est le péché seul qu’il désigne. Tel est le sens de ces mots : « Je me trouverai enveloppé dans l’iniquité de mon talon. » Tel est le sens de cette parole énigmatique, de cette figure neuve et singulière. Car ce doit être bien neuf et bien singulier pour le vulgaire que de dire qu’il ne faut rien craindre de ce qui attriste là vie d’ici-bas. Que craindrai-je donc, dit-il, dans le jour mauvais ? Une seule chose, c’est que je ne sois enveloppé dans l’iniquité de ma voie et de ma vie. Car l’Écriture, par le talon, désigne la tromperie. « Celui qui mangeait mon pain, dit-elle, a levé le talon contre moi. » Esaü dit de Jacob : « Voilà la seconde fois qu’il me supplante comme avec le talon. » (Gen. 27,36) Tel est le péché, il est trompeur et sait s’emparer des hommes. Voilà ce que je crains, dit le Psalmiste, le péché qui me trompe, qui m’enveloppe.
4. C’est pourquoi saint Paul appelle le péché (Héb. 12,1) d’un nom qui signifie qu’il nous entoure constamment, aisément, facilement. Dans les tribunaux d’ici-bas les hommes redoutent bien des choses, l’influence de la richesse, la puissance des grands, l’insulte, la fraude. Là rien de pareil : le péché seul est à redouter, car il enveloppe de tous côtés ceux dont il s’empare, et sa puissance est plus irrésistible que celle des armées. Il faut donc tout faire pour ne pas nous laisser envelopper par lui. Quand nous voyons qu’il veut nous circonvenir, il faut éviter de lui donner prise, comme font les bons soldats. S’il nous a saisis, il faut le combattre sans hésiter, ce que fit David qui brisa sa puissance par la force de son repentir. (2Sa. 12,13) Il avait été enveloppé par lui, mais il sut lui échapper promptement. Celui qui a cette crainte, ne craindra jamais autre chose : il se rira des biens de la vie présente, méprisera les ennuis qu’elle recèle et ne laissera son âme accessible qu’à la crainte du péché. Il n’y a plus rien, rien de redoutable pour celui qui possède cette crainte, pas même la mort ; ce résumé de toutes les épouvantes : il ne craindra que le péché. Comment cela ? Parce que c’est le péché qui nous livre à la géhenne, qui nous envoie subir les peines éternelles. Si au contraire nous le combattons avec succès, ce triomphe amène toutes les vertus à sa suite. Songez combien il est beau de ne pas s’enorgueillir de ses avantages, de n’être pas humilié de ses malheurs, de ne tenir aucun compte des choses présentes, de ne regarder que l’avenir, d’attendre le grand jour et de vivre avec cette crainte. Ce sera un ange qu’un tel homme, qui n’aura craint que le péché, sans se préoccuper du reste. Car il ne craindra rien autre chose, s’il craint seulement ce qu’il faut craindre ; au contraire celui qui n’éprouvera pas cette crainte-là, sera exposé à bien des dangers redoutables. « Ceux qui mettent leur confiance dans leurs propres forces, et qui se glorifient de la grandeur de leurs richesses. » Un autre : « Ceux qui se vantent (7). Le frère ne rachètera pas « son frère, l’homme ne rachètera pas l’homme, il ne pourra se rendre Dieu favorable (8), ni payer la rançon de son âme (9). »
Mais où est la suite des idées ? dira-t-on. Ces idées ont beaucoup de suite, une suite non interrompue, elles se rattachent étroitement à ce qui précède. Comme le Prophète parle du tribunal suprême, du compte redoutable qu’il faudra rendre de ses actions, de la justice incorruptible de Dieu, et que, dans les tribunaux d’ici-bas, on a bien souvent corrompu la justice, acheté les juges, échappé au châtiment, il proclame bien haut que la justice divine est incorruptible ; en ajoutant ces paroles, il augmente la crainte dont il nous parlait d’abord, et il montre par là qu’il avait raison de dire que nous n’avons à craindre que le péché, et pas autre chose. Là, il n’est pas possible de corrompre la justice à prix d’argent, ni de s’arracher aux tourments de la géhenne en prodiguant les présents ; il n’y a plus ni protection, ni plaidoirie, ni rien de semblable qui puisse nous sauver. Soyez riche, soyez puissant, soyez connu, tout cela est vain et inutile. Là, chacun est puni ou couronné selon ses actes. Le riche qui vivait du temps de Lazare était bien riche, à quoi lui a servi sa richesse ? (Lc. 16) Les vierges folles étaient connues des vierges sages (Mt. 25), eh bien ! ces relations ne leur ont été d’aucune utilité ; là, en effet, on ne demande qu’une chose. Vous donc, dit le Prophète, qui êtes fiers de votre richesse, qui êtes puissants, vous vous enorgueillissez en pure perte ; car rien de tout cela ne vous suivra par-devant l’auguste tribunal, ni l’immensité de vos richesses, ni votre puissance. Il n’y aura ni alliance de famille, ni parenté, ni rien de pareil qui puisse vous délivrer du danger. Là on ne peut se sauver ni en prodiguant l’argent, ni en achetant la miséricorde de Dieu, ni en payant la rançon de son âme. Que dit donc l’Écriture ? « Servez-vous de l’inique Mammon pour vous faire des amis, afin qu’il vous fasse recevoir dans les tentes éternelles. (Lc. 16,9) Quel est le sens de ces paroles ? Il n’est nullement contraire, nullement opposé à ce qui précède : loin de là, il s’y rapporte parfaitement. Dans la vie présente, il faut se faire des amis en donnant de l’argent, en dépensant sa fortune pour ceux qui sont dans le besoin. Dans ce passage, l’Évangéliste n’a donc en vue que l’aumône et la libéralité. De sorte que si vous vous en allez dans l’autre monde sans avoir rien fait de tout cela, nul ne vous protégera. Car ce n’est pas l’amitié de ces gens-là qui peut vous protéger, mais bien le fait même d’avoir employé l’inique Mammon à vous procurer des amis. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute ces mots « se servir de l’inique Mammon pour acquérir des amis », voulant vous faire entendre que vous serez protégé par vos propres actions, par vos aumônes, par votre amour pour vos semblables, par votre empressement à secourir ceux qui sont dans le besoin. Pour preuve que la parenté, que les alliances de famille ne peuvent rien sans les actes, écoutez ce que dit le Prophète. « Quand même Noé, Job et Daniel, se tiendraient là en personne, ils ne délivreraient ni leurs fils, ni leurs filles. » (Ez. 14,14-18) Et que parlé-je de la vie future, lorsque l’amitié ne sert de rien, même dans la vie présente ? Combien Samuel n’a-t-il pas pleuré, n’a-t-il pas gémi, sans pouvoir arracher Saül à sa condamnation ? Combien Jérémie n’a-t-il pas prié pour les Juifs, et ses prières n’ont pas eu d’autre effet que de lui attirer les reproches du Seigneur ? Et pourquoi vous étonner si Jérémie n’a pu rien faire, lui qui avoue que Moise lui-même, s’il eût vécu à cette époque, indurait pas été assez puissant pour sauver les Juifs d’alors, tellement ils s’étaient laissé dominer, absorber par le péché ? (Jer. 15,1)
5. Combien saint Paul n’a-t-il pas déploré le sort des Juifs, lui qui disait : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœur une grande affection pour leur salut, et que je le demande à Dieu par mes prières ! » (Rom. 10,1) Ces prières, quel résultat ont-elles eu ? Aucun. Que dis-je ? des prières ! Il souhaitait même d’être anathème pour leur salut. (Rom. 9,3) Quoi donc ? Les instances des saints sont donc superflues ? Non pas. Elles ont au contraire une singulière efficacité quand on leur vient en aide soi-même. C’est ainsi que Pierre ressuscita Tabitha, résurrection opérée non seulement par ses prières, mais aussi par les aumônes de cette femme. (Act. 9,36, et suiv) C’est ainsi que les saints en protégèrent d’autres par leurs prières. Et cela a lieu ici-bas, dans le séjour du travail et de la lutte ; mais là-haut rien de pareil, les actes seuls peuvent contribuer au salut. Il me semble que le Prophète poursuit de ses railleries ceux qui sont riches sur cette terre, et ceux qui sont fiers. Car il ne dit pas ceux qui ont de la fortune, ou bien ceux qui possèdent une grande puissance, mais « ceux qui se confient dans l’étendue de leur richesse, et qui sont fiers de leur puissance. » Il se moque d’eux et s’attaque à eux parce qu’ils mettent leur confiance dans des ombres, et qu’ils s’enorgueillissent pour de la fumée. Il a dit avec raison : « Il ne donnera pas la rançon de son âme », car le monde entier ne suffirait pas pour payer cette rançon. Aussi est-il dit : « Et que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme ? » (Mt. 16,26) Afin de comprendre que le monde entier n’est pas suffisant pour payer la rançon de l’âme, écoutez ce que dit saint Paul de quelques autres saints : « Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n’était pas digne. » (Héb. 11,37 et 38) Le monde est fait pour l’âme. De même qu’un père ne préférerait pas sa maison à son fils, dé même Dieu ne préfère pas le monde à l’âme : ce qu’il faut, c’est agir, et bien agir. Voulez-vous savoir ce que valent nos âmes ? Le Fils unique, quand vint le moment de les racheter, ne donna ni 1e monde, ni un homme, ni la terre, ni la mer, mais son sang, ce sang si précieux. Ce qui a fait dire à saint Paul : « Vous avez été achetés d’un grand prix ; ne vous rendez pas esclaves des hommes. » (1Cor. 7,23) Vous voyez combien l’âme est précieuse. Quand donc vous aurez perdu cette âme achetée si cher, comment désormais pourrez-vous la racheter ? « Car le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus. » (Rom. 6,9) Vous avez vu tout ce que coûte l’âme, vous avez vu tout ce qu’elle vaut. Ne la méprisez donc pas, ne la laissez pas au pouvoir de l’ennemi. « L’homme se consume dans des travaux sans fin, et il vivra jusqu’à la fin (10). » Un autre interprète dit : « Il s’est reposé pour toujours… » Un autre dit : « Il s’est reposé dans ce temps-ci, et il continuera de vivre pendant les siècles. »
Après avoir parlé des riches, après avoir parlé des puissants, et montré qu’il n’y a rien à gagner aux richesses ni à la puissance, il ne s’adresse plus qu’à ceux qui ont vécu dans la vertu, à ceux qui sont dans la peine et dans la misère, pour les préparer air combat comme les athlètes de la philosophie. N’allez pas m’objecter, dit-il, qu’il n’y a là que fatigues et travaux : songez au résultat, songez que l’homme devient immortel, qu’une vie éternelle le recevra ; une vie qui n’a pas de fin. Combien n’est-il pas préférable, après avoir souffert un peu ici-bas, de jouir d’un délassement perpétuel, plutôt que dé s’exposer à vivre toujours dans les tourments pour avoir eu la faiblesse de céder un instant à ses passions ? Ensuite montrant que ce n’est pas seulement là-haut que se trouve ce qui concerne les récompenses et les couronnes, mais que dès cette vie on peut y préluder, voici ce qu’il ajoute : « Il ne verra pas l’œuvre de la mort, quand il verra les sages trépasser (11). » Ne me dites pas : Tu parles seulement des choses futures. Je vous donne sur cette terre le gage de la couronne à venir, ou plutôt je vous donne les arrhes mêmes et les récompenses. Comment, et de quelle manière ? Parce que celui qui pratique cette philosophie, et qui s’appuie sur l’espérance de la vie future, ne croira même pas que la mort soit la mort. En voyant étendu sous ses yeux le corps d’un homme qui vient d’expirer, il n’éprouvera pas les mêmes impressions que la foule : il songera aux couronnes, aux prix décernés au vainqueur, à ces biens ineffables que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, à cette rie de bonheur passée en compagnie des anges. De même que le laboureur en voyant le grain se dissoudre, loin de tomber dans l’abattement se réjouit surtout alors et se félicite, parce qu’il sait que cette dissolution est le principe d’une reproduction nouvelle et meilleure, et le point de départ d’une récolte plus abondante, de même le juste, fier de ses bonnes actions, attendant chaque jour le royaume des cieux, ne se décourage pas, comme le vulgaire, ne s’émeut pas, ne se trouble pas en présence de la mort. Il sait que, pour ceux qui ont bien vécu, la mort est un acheminement à une vie meilleure, un départ pour un pays plus beau, une course triomphale pour aller recevoir la couronne. De quels sages est-il question ? Non pas des vrais sages, mais de ceux qu’on regarde comme tels. Il me semble que le Psalmiste désigne les sages selon le monde, et qu’il se moque d’eux précisément parce qu’avec leur prétendue sagesse ils n’ont été que des insensés qui n’ont jamais pris la résurrection pour sujet de leurs méditations philosophiques. (Rom. 1,22).
Quand donc l’homme dont nous parlons verra mourir ces philosophes, qu’il les verra porter au tombeau avec des lamentations, des larmes et des plaintes, il n’éprouvera aucune de ces tristes impressions. Il sera au-dessus de telles atteintes, parce qu’il s’appuie sur de solides et bonnes espérances et qu’il sait que cette destruction du corps n’est pas celle de la substance même, mais que c’est la dissolution de la partie mortelle, la suppression de la partie corruptible. Cette mort ne détruit pas le corps, elle n’en détruit que la partie périssable, si bien que la substance reste pour ressusciter avec une gloire plus grande, ce qui toutefois n’aura pas lieu pour tous. Sa résurrection s’étendra bien à tous, mais la résurrection glorieuse rie sera le partage que de ceux qui auront bien vécu. « L’homme sans raison et l’homme sans intelligence périront en même temps, et ils laisseront leurs richesses à des étrangers. Leur sépulture sera leur demeure de siècle en siècle, et ils avaient appelé leurs terres de leur nom (12). » Un autre dit, « l’intérieur de leurs maisons de siècle en siècle. » Un autre, « leurs demeures de génération en génération, et ils ont appelé la terre de leur nom. » Ce que l’hébreu rend par ces mots « ale adomoth. »
6. Avez-vous vu comme il nous éloigne du vice et de la cupidité, et nous conduit vers la vertu, non seulement en nous parlant des avantages de la vie future, mais encore en faisant ressortir les avantages de la vie présente, en éteignant notre folle passion pour les richesses, en traitant d’insensés ceux qui n’ont d’yeux que pour les biens d’à présent, et en le prouvant par des faits ? Quoi de plus insensé, dites-moi, qu’un homme qui se fatigue et se tourmente, et amasse tant de richesses, pour qu’un autre jouisse du fruit de ses peines ? Quoi de plus triste que cette inutile dépense de travail ? Cet homme, après avoir versé sa sueur et supporté tant de fatigues, s’en va de ce monde, et laisse à d’autres la jouissance de ses biens, non pas toujours à ses parents et à ceux qu’il connaît, mais bien souvent à ses adversaires, à ses ennemis ! Aussi le Prophète n’a-t-il pas dit : Ils laisseront leurs biens à d’autres, mais : « Ils laisseront leurs biens à des étrangers. » Que veut-il dire par ces mots – « L’homme sans raison et l’homme sans intelligence périront en même temps ? » Ces paroles, sont une suite de ce qui précède il me paraît que dans ce passage il fait allusion aux impies, à ceux qui n’ont d’yeux que pour les biens présents, qui ne songent pas à l’avenir et qu’il appelle pour cela des insensés. Si vous croyez, qu’il n’y a plus rien après cette vie, pourquoi vous fatiguer et vous rendre malheureux pour amasser de tous côtés d’immenses richesses, pourquoi supporter les travaux, et ne pas jouir des résultats qu’ils amènent ? « Et leurs tombeaux seront leurs demeurés de siècle en siècle. » Le Psalmiste, en parlant ainsi, ne fait qu’exprimer, la secrète pensée de ces hommes-là. « Ce sera leur séjour de génération en génération : ils ont appelé leurs terres de leur nom. » Quelle pire folie que de nous dire qu’on tombeau sera notre demeure éternelle, et de mettre notre amour-propre à nous élever de beaux monuments funèbres !
Bien des hommes se sont fait construire des tombeaux plus magnifiques que des maisons. En faisant ces dépenses, qui ne sont pas nécessaires, ils se fatiguent et se donnent de la peine soit pour leurs ennemis, soit pour les vers et pour la poussière. Telles sont les préoccupations de ces hommes qui n’espèrent pas en la vie future. Et à ce propos, l’idée me vient de déplorer le sort de ce grand nombre d’hommes qui, tout en conservant l’espoir d’une vie future, imitent en cela ceux qui ne partagent nullement le même espoir, et se montrent pires qu’eux en bâtissant des tombeaux, en faisant construire de superbes monuments, en enfouissant de l’or, et en transmettant leurs biens à d’autres hommes. Celui qui n’attend plus rien après cette vie, s’il se donne de la peine pour les biens de ce monde, agit déraisonnablement sans doute, mais agit conformément à sa croyance qui lui interdit l’espoir d’une autre vie. Mais toi, ô homme, qui connais la vie future, et ces biens ineffables qu’annonce l’Évangile lorsqu’il dit que « les justes alors brilleront comme le soleil (Mt. 13,43) », sur quel pardon comptes-tu, sur quelle excuse ? Que ! châtiment ne mériterais-tu pas, toi qui dépenses toute ton énergie pour de la poussière, pour de la cendre, pour des tombeaux, pour des adversaires, pour des ennemis ?
« Ils ont appelé leurs terres de leur nom. » Voici un autre genre de folie : ils donnent leur nom à des maisons, à des propriétés, à des salles de bains, et croient gagner à cela un beau sujet de satisfaction, et poursuivent l’ombre à la place de la vérité. Si tu désires laisser une mémoire durable, ne donne pas ton nom à des maisons, ô homme, mais dresse un trophée de bonnes actions, qui protégeront ton nom dès cette vie, et qui te procureront la vie future avec un repos éternel. Si tu tiens à laisser ton souvenir, je vais t’enseigner la vraie route et la plus facile à suivre : pratique la vertu. Bien ne rend notre nom immortel comme la vertu. Et pour preuve, vois les martyrs, vois les reliques des apôtres, vois quels souvenirs ont laissés ceux qui ont bien vécu. Que de rois ont fondé des villes, creusé des ports, et s’en sont allés après leur avoir donné leur nom ? Ils n’y ont rien gagné, le silence et l’oubli ont dévoré (76) leur mémoire tandis que le pêcheur Pierre, qui n’avait rien fait de tout cela, s’empare de la reine des villes, et brille, même après son trépas, d’une lumière plus vive que celle du soleil, parce qu’il se mit à la recherche de la vertu, ta conduite est ridicule et honteuse. Car tes monuments funèbres, loin de te rendre fameux, feront de toi un objet de ridicule, et provoqueront le rire de tous les hommes. Le temps aurait pu livrer ta cupidité à l’oubli, mais partout s’élèvent tes vastes constructions comme des colonnes et des trophées de ton avarice. – « Mais l’homme, au milieu de sa grandeur, ne l’a pas comprise : il s’est ravalé au rang des animaux privés de raison, et s’est fait semblable à eux (13). »
Il me paraît que dans ce passage le Prophète ne songe plus qu’à déplorer le malheur de cet être doué de raison, aux mains duquel est confiée la royauté de la terre, et qui s’abaisse au niveau de la bête de somme en s’épuisant à d’inutiles travaux, en produisant des œuvres contraires à son salut, en poursuivant la vaine gloire, en recherchant avidement les richesses, en se livrant à des efforts sans résultat. Ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est la vertu, c’est la faculté de méditer l’avenir, c’est de faire toutes choses en vue de la vie future, c’est de mépriser les choses présentes. Pour les animaux, la vie ne dépasse pas le cercle de la vie présente, tandis que nous, notre vie d’ici-bas n’est qu’un passage à une autre vie meilleure et qui n’a pas de fin. Ceux qui ne savent rien des choses futures sont au-dessous de la brute, et non seulement ceux-là, mais encore ceux qui vivent dans la corruption ; ce sont des serpents, des scorpions et des loups pour la méchanceté, des bœufs pour la stupidité, des chiens pour l’impudeur.
7. Quoi de plus stupide, dites-moi, que de passer son temps à s’occuper de tombeaux et de mausolées, que de rester bouche béante en apprenant que d’autres hommes ont donné leur nom à ces monuments ! Si notre mémoire reste, nous le devrons à la vertu seule, et non à des maisons, à des statues, à des enfants ni à rien de pareil. Les maisons sont l’œuvre d’un architecte, un produit de son habileté, les statues sont l’œuvre du statuaire, et les enfants sont du fait de la nature : dans tout cela tu n’as nul souvenir à revendiquer. Aussi le Prophète traite-t-il d’insensé l’homme qui a de telles pensées ; et qui, après avoir plié sa tête sous le joug de la stupidité, se conduit avec moins d’intelligence encore que la brute. La brute du moins est utile et sert pour l’agriculture, mais l’homme, en s’abandonnant à la stupidité, est en cela même devenu l’inférieur de la brute. Le Prophète, après avoir dit plus haut combien était épaisse, grossière et basse, l’intelligence de ces hommes, après avoir dit combien était inutile la peine qu’ils prenaient pour acquérir des richesses, le Prophète, voulant rendre encore plus accablantes les charges qui pèsent sur eux, place en regard les bienfaits de Dieu. Ce que font souvent les prophètes. Ainsi Isaïe, au moment d’accuser les Juifs, dit d’abord que Dieu les a comblés d’honneurs, et voici en quels termes : « J’ai nourri des enfants, je les ai élevés, et ils m’ont méconnu. » (Is. 1, 2) Et dans ce passage de notre psaume, le Prophète, voulant montrer en un seul mot les bienfaits que Dieu a accordés aux hommes de son propre mouvement, dit : « L’homme, au milieu de sa grandeur, ne l’a pas comprise. » Quelle est cette grandeur ? Écoutez ce qu’il dit dans un autre psaume : « Vous l’avez mis un peu au-dessous des anges, vous l’avez couronné de gloire et d’honneur. » (Ps. 7,6) Ensuite, décrivant ces honneurs, il ajoute : « Vous avez tout mis à ses pieds, les brebis, les bœufs, le bétail qui paît dans les plaines ; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer et tout ce qui parcourt les sentiers de la mer. » (Ps. 7,78) C’était là le plus grand honneur qu’on pût faire à l’homme que de lui confier le sceptre et de lui soumettre tout ce que l’œil peut voir, et cela sans qu’il y eût encore droit par ses mérites. Car Dieu, avant de créer l’homme, a dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » (Gen. 1,26) Ensuite le Prophète explique cette expression « à notre « image » en ajoutant ces mots : « Que les hommes commandent aux poissons de la mer, aux animaux de la terre, aux oiseaux du ciel. »
Et cet avorton, haut de trois coudées, qui est si inférieur aux autres animaux pour la force du corps, il l’a mis au-dessus de tous en lui donnant la raison, en daignant lui accorder une âme raisonnable, ce qui est la plus grande marque d’honneur. Par la raison, l’homme a bâti des villes, a traversé les murs, a embelli la terre, a fait des milliers d’inventions, a dompté les animaux les plus sauvages, et ce qu’il y a de plus grand, de plus beau, il a connu Dieu, son créateur, il n’a eu qu’à se laisser conduire comme par la main pour arriver à la vertu, il a eu la connaissance de ce qui est bien, et de ce qui ne l’est pas. Seul de tous les êtres que nous voyons, il adore Dieu, il est aussi le seul qui jouisse de ses révélations, il a été initié à des mystères, et il est instruit des choses du ciel. C’est pour lui que la terre, pour lui que le ciel, pour lui que le soleil et les astres ont été faits ; c’est pour lui que la lune suit son cours, que les différentes saisons et les solstices se succèdent ; c’est pour lui que les fruits, que les végétaux, que les innombrables espèces des animaux se reproduisent ; c’est pour lui qu’ont été faits le jour et la nuit ; c’est pour lui que les apôtres et les prophètes, pour lui que les auges ont été souvent envoyés. À quoi bon entrer dans tant de détails ? Les faire connaître tous est impossible. C’est pour lui que Dieu le Fils unique s’est fait homme, qu’il a été crucifié, qu’il a été mis au tombeau, et les effrayants prodiges qui ont suivi la Résurrection, c’est pour lui qu’ils ont eu lieu. C’est pour lui que la loi, pour lui que le paradis ont été faits, pour lui que le déluge a eu lieu. Et ceci même est un des plus grands honneurs qu’on pût lui faire, que de travailler à sa perfection par les bienfaits et par les châtiments. C’est pour lui que pendant tous les siècles antérieurs la Providence divine s’est déployée à l’infinie. Il n’y a pas jusqu’au jugement dernier qui ne soit une marque d’honneur pour lui. Ce qui fait dire à Job : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu aies daigné le soumettre à un jugement ? » (Job. 14,3) C’est aussi ce que dit ailleurs le même Psalmiste : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu te sois souvenu de lui ? » (Ps. 8,5) C’est encore pour lui que le Fils unique viendra les mains pleines de biens infinis. De ces biens il nous a déjà donné une partie par la grâce du baptême, par les mystères et les autres cérémonies du culte, et il a rempli la terre de beaucoup d’autres merveilles : il a promis de nous donner l’autre, le royaume des cieux, et la vie éternelle, il a promis de nous laisser son héritage, et de nous faire régner avec lui. Aussi saint Paul a-t-il dit. « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui. » (2Tim. 2,12) C’est à tout cela que songe le Prophète quand il compare aux brutes ceux qui renient la noblesse de leur origine pour se livrer au vice, et qui désertent leur poste pour vivre de la vie des bêtes. Procédé familier à d’autres prophètes qui veulent confondre par ces comparaisons l’impudence de leurs auditeurs. L’un dit : « Les voilà devenus comme des étalons en rut. » (Jer. 5,8) L’autre : « Le bœuf reconnaît celui à qui il appartient, l’âne reconnaît la crèche de son maître (Is. 1, 3) », et ses paroles sont encore plus amères que celles de David : « Il est tombé au rang des animaux privés de raison, et il est devenu semblable à eux », car il dit que les hommes sont devenus plus stupides que ces animaux qui, eux du moins, reconnaissent leur maître, « tandis qu’Israël « ne me reconnaît pas », dit le Seigneur.
8. Ailleurs un autre sage voulant montrer que le fainéant, l’homme abattu, flétri par la paresse, est inférieur même à la fourmi, le renvoie auprès d’elle pour apprendre à aimer le travail : « Va », dit-il, « paresseux, vers la fourmi, et prends-la pour modèle. » (Prov. 6,6, 8) « Car celle-ci, sans avoir de terre à cultiver, sans que personne la force, sans avoir « à obéir à aucun maître, prépare sa nourriture durant l’été, et pendant la moisson met « de côté d’abondantes provisions. » Il lui recommande encore de se rendre auprès de l’abeille : « Va auprès de l’abeille, et apprends combien elle est bonne ouvrière : son fruit l’emporte sur les fruits les plus doux : les princes et les simples particuliers recherchent pour leur santé le produit de ses travaux. » (Sir. 11,3) Un autre dit : « Tes princes sont comme des loups d’Arabie. » (Sophron. 3,3) Un autre encore : « Tu es resté assis dans le désert, comme une corneille. » (Jer. 3,2) Et le fils de Zacharie s’écrie : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui doit tomber sur vous ? » (Mt. 3,7) Un autre dit encore : « Ils ont brisé les œufs d’aspic, et ourdi des toiles d’araignée. » (Is. 59,5) Le même Psalmiste a dit ailleurs : « Le venin de l’aspic dégoutte de leurs lèvres. » (Ps. 140,3) Et ailleurs encore : « Leur colère est comme celle des serpents. » (Ps. 57,5) Telle est la puissance du vice : cet homme si grand, si noble, au front chargé de diadèmes, il le ravale au niveau des êtres privés de raison. C’est pour cela que dans le présent psaume, le Prophète, après avoir choisi deux sortes de vices, et avoir laissé aux auditeurs le soin de réfléchir sur les autres, stigmatise ainsi ceux qui se laissent prendre à leurs pièges. Quoi de plus insensé que l’homme qui, en pure perte et pour le malheur de sa tête, parcourt toute la terre, et amasse d’immenses richesses, non pas pour lui-même, mais pour d’autres qu’il ne connaît pas, et souvent pour ses ennemis, pour ceux qui trament sa ruine ! Oui, il a eu raison de dire : « Ils laisseront leurs biens à des étrangers. » Quoi de plus insensé que de s’exposer aux fatigues et aux péchés qui sont la suite de la poursuite des richesses, pour laisser à d’autres la jouissance de ces mêmes richesses !
Ensuite le Psalmiste, en même temps que leur cupidité ; met en scène leur amour de la vaine gloire qu’il stigmatise avec une grande véhémence en disant : « Ils ont appelé leurs terres de leur nom. » Quoi de plus stupide que ces gens qui confient leur mémoire à des pierres, à des poutres, à la matière inanimée, qui leur remettent le soin de leur propre gloire ! Ces mêmes hommes ont renversé des familles de fond en comble, ont dépouillé des veuves, pillé des orphelins afin de bâtir pour les vers une superbe demeure, et de construire pour la pourriture et pour la corruption de superbes enceintes, et tout cela dans l’idée que ces monuments rendront leur mémoire éternelle, monuments qui n’ont pas même pu arrêter un instant la dissolution de leur corps ! – Leur propre voie est un scandale pour eux, (14). »
Quelle est cette voie, dites-moi ? C’est l’empressement que l’on met à s’occuper de pareilles choses, c’est ce travail inutile, c’est cette ardente passion des richesses et cette soif insatiable de gloire. De là, dit le Prophète, du scandale et des empêchements pour eux dès cette vie, en attendant le châtiment que leur réserve l’avenir. Cette voie n’est donc pas un petit scandale, un petit empêchement, un petit obstacle pour la pratique de la vertu. Aussi le Prophète dit-il : « Leur voie est un scandale pour eux. » Et il a bien fait d’appeler leur voie, un scandale. Ils s’enchaînent eux-mêmes, ils se mettent eux-mêmes des entraves : « Et après cela leur bouche répétera leurs propres louanges. » Ces paroles nous signalent la plus fâcheuse des inconséquences humaines, celle qui entraîne tous les autres maux à sa suite. En effet, ceux qui commettent une telle erreur, qui commettent un tel péché et tombent dans une telle observation, se félicitent ; s’admirent eux-mêmes, se posent comme des modèles à imiter ; et se complaisent dans leurs actions : or, songez quelle excitation c’est pour les mauvais désirs, que de voir le vice vanté par ceux qui s’y livrent. Si le vice honni, insulté, confondu, si le vice flagellé, déchiré, détesté par la conscience de ceux qui sont encore un peu maîtres d’eux-mêmes, s’épanouit avec tant d’impudeur et s’il grandit de jour en jour : dans quels excès les hommes dont nous parions ne tomberont-ils pas, quand ils verront que, bien loin d’opposer comme une digue aux débordements du vice, les reproches, le témoignage de la conscience, le blâme, le repentir, la honte, le désir de se soustraire aux regards, les gémissements, les plaintes, ceux qui se livrent au vice font tout le contraire, qu’ils se comblent eux-mêmes de louanges, qu’ils se prétendent par leurs vices mêmes supérieurs aux autres hommes, et qu’ils se vantent de ce qu’ils ont fait, car tel est le sens de cette parole : « Et après cela leur bouche répétera leurs propres louanges », ces hommes-là, je le répète, dans quels excès une tomberont-ils pas ? Car ils sont tellement dévoyés, ils ont si bien perdu tout sens moral-, que même après avoir assouvi leurs désirs ; dans de moment, où voyant le mieux leur crime, ils devraient rougir, ils sont tout fiers, portent la tête haute et se complaisent dans ce qu’ils ont fait. Tel est le péché : avant l’action il se dissimule sa propre laideur, et l’ivresse du plaisir fait disparaître ce qu’il a de repoussant ; après l’action, quand le plaisir que nous causent nos désirs satisfaits va s’affaiblissant peu à peu, que la conscience commence à : se faire entendre, et qu’elle flagelle nos sophismes réduits à leurs seules forces, alors surtout nous voyons les funestes conséquences du péché. Mais eux ne sentent rien de tout cela, même après que leurs désirs sont satisfaits. Loin de là, c’est précisément après avoir vu leurs richesses s’accumuler, leurs tombeaux s’élever, leurs vaines et fastueuses constructions s’achever, lorsqu’ils.devraient s’attrister et gémir, c’est alors, c’est après tout cela, après l’action, après la satiété qu’ils sont plus malades encore. Ainsi donc puisqu’il n’y a plus rien de sain chez eux, il ne reste plus qu’à laisser intervenir la Providence.
9. Si ceux qui se condamnent eux-mêmes pour les fautes qu’ils ont commises, préviennent ainsi la justice de Dieu, comme l’a dit saint Paul : « Si nous, nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés » (1Cor. 11,31), ceux qui ont la maladie du péché au point de ne s’en pas repentir, et qui ne se reprochent pas leurs erreurs, ne font qu’attirer sur eux-mêmes, et bâter la vengeance du Seigneur. Puisque ces hommes, tout en pillant les biens d’autrui, ou en prodiguant les leurs qu’ils devraient employer à secourir les pauvres, ne dépensent que pour des tombeaux, pour les vers et la corruption, et que loin de se repentir de ce qu’ils font ils continuent d’être malades, d’une maladie incurable, écoutez quelles sont les conséquences de leur aveuglement. – Ces conséquences, quelles sont-elles donc ? – Ils sont livrés à la vengeance de Dieu ; aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Ils seront entassés comme des brebis, la mort sera leur pasteur (15). » S’il les compare à des brebis, ce n’est point à cause de leur douceur (quoi de plus féroce que ces hommes qui voient d’un œil sec la nudité des pauvres, et leur ventre creusé par la faim, et qui embellissent leurs tombeaux, séjour de la corruption, des vers et de la pourriture !), c’est parce que leur ruine sera facile, parce qu’ils seront anéantis tout à coup, et qu’ils offrent une proie facile aux embûches de leurs ennemis. Rien de plus faible en effet que l’homme qui vit dans le péché. Telle sera aussi leur condition : ils seront frappés, ils seront anéantis aussi complètement, ils seront précipités en enfer avec autant d’aisance, de facilité, de promptitude, avec aussi peu de peine que des brebis qu’on immole. Ce sera la mort, où plutôt quelque chose de bien plus redoutable que la mort qui les frappera. Car après cette fin, une mort immortelle s’emparera d’eux, ils ne reposeront jamais dans le sein d’Abraham, et on ne lés verra jamais aller ailleurs que dans l’enfer, ce séjour des vengeances, des châtiments et de l’extermination. Ici-bas leur fin aura été vile, méprisable, et là-haut ils ne connaîtront que les châtiments. On a coutume de dire : on l’a égorgé comme un mouton, quand on veut parler d’un homme facile à tuer. Après avoir vécu comme des brutes, ils périssent comme des brutes sans l’espoir consolant de la vie future, et ce ne sera pas tout, « la mort sera leur pasteur ! »
Il me semble que dans ce passage le Prophète, en parlant de la mort, veut parler des châtiments et de l’extermination qui attendent le coupable là-bas ; c’est ainsi qu’il dit ailleurs : « L’âme qui pèche, périra elle-même (Ez. 18,20) », pour nous faire comprendre, non qu’elle sera détruite en réalité, mais qu’elle sera punie. C’est une suite de là même figuré, car après avoir parlé des brebis, il nous montre leur pasteur. Quel est-il ce pasteur ? C’est le ver venimeux, ce sont les ténèbres sans fin, les chaises qui ne se délient jamais, les grincements de dents. Voyez que de châtiments les pressent de toutes parts ! Dans cette vie, ils ne peuvent arriver à la vertu, ils sont les esclaves, les captifs du péché, ils se livrent à des travaux vains et ridicules : à la fin de cette vie, ils meurent comme la première brute venue après la fin de cette vie, ils sont voués pour toujours à l’extermination : « Et, quand le jour se lèvera ; ils seront dominés par les justes. » Comme beaucoup ; parmi ceux qui ont l’esprit le plus épais et dont l’insensibilité égale presque celle des pierres, n’ont aucune idée nette et précise de la vie future.qu’ils doivent espérer, et qu’ils restent bouche béante à admirer les biens présents, les biens qu’ils voient, il cherche à les épouvanter par le sens caché de ses reproches. Ensuite, après avoir en quelques mots, fait allusion à ce que l’avenir leur réserve, il insiste de nouveau sur le mépris et sur les châtiments qui les atteignent dès cette vie, et il fait cela pour leur montrer combien ils sont faibles, vils et méprisables, et que, fussent-ils dix mille fois plus riches, hissent-ils au comble de la puissance, ils n’en sont pas moins de véritables esclaves à côté de ceux qui suivent les traces de la vertu. Aussi dit-il : « Et, quand le jour se lèvera, ils seront dominés par les justes », c’est-à-dire, les justes les domineront immédiatement, et toujours, et pour cela ils n’auront besoin ni dé faire un effort, ni d’attendre longtemps, ni même d’attendre un instant. Car telle est la nature des choses, le vice est l’esclave de la vertu, il la craint, il là redoute, malgré son fard et tous ses brillants déguisements, et quoique la vertu toute nue ne combatte qu’avec ses seules forces. Et cependant nous voyons le contraire, dit-on, nous voyons les méchants dominer les bons. Mais ne nous en rapportons pas à l’erreur du Vulgaire, erreur née d’un faux jugement.. Examinons les choses suivant la droite raison et vous verrez se réaliser ce que j’ai avancé. Supposons un maître pervers avec un esclave vertueux : ou plutôt, si vous l’aimez mieux, choisissons un exemple plus relevé. Supposons un roi qui soit pervers et un de ses sujets qui soit vertueux, et voyons quel est celui qui est le maître, quel est celui des deux chez qui éclate le signe de la domination, quel est le supérieur, quel est l’inférieur. Comment donc nous en assurer ? Supposons que le roi ordonne à son sujet de faire quelque chose de mal, de commettre un péché : que va faire ce sujet vertueux et fidèle ? non seulement il ne cédera pas, non seulement il n’obéira pas, mais il essayera même de faire revenir le prince sur son ordre, et cela au péril de sa vie. Quel est donc l’homme vraiment libre, de celui qui ne fait que ce qu’il veut et qui ne craint pas son roi, ou de celui qui voit ses ordres méprisés par son sujet ? Et, pour ne pas nous borner à une vague supposition, cette Égyptienne, la femme de Putiphar, n’était-ce pas une reine ? Ne commandait-elle pas à toute l’Égypte ? N’avait-elle pas un roi pour époux ? N’était-elle pas environnée d’une grande puissance ? Or qu’était Joseph ? N’était-ce pas un esclave, un captif ? N’était-ce pas un serviteur acheté à prix d’argent ? Ne vint-elle pas attaquer ce jeune homme avec toutes ses armes, et non par procuration, mais par elle-même ? Eh bien ! qui des deux était libre ou esclave ? Celle qui était forcée de prier, de faire des avances et de supplier, celle qui était l’esclave non d’un homme, mais d’une, passion détestable, ou celui qui méprisait et diadème, et sceptre, et manteau de pourpre, et tout cet attirail de la royauté, et qui brisait les artifices de cette femme ? L’une ne se retira-t-elle pas avec la honte d’un échec, et dominée par une nouvelle passion, par la colère aveugle, par le désir du meurtre, tandis que l’autre sortait de cette épreuve la tête couverte de mille et mille couronnes, après avoir montré que la servitude même ne faisait que rehausser davantage la fierté de l’homme libre ?
10. Il n’y a rien de plus libre que la vertu, rien de moins libre que le vice. Aussi est-il dit ailleurs : « Le serviteur sage dominera les maîtres insensés. » (Prov. 17,2) Le captif, eût-il des richesses infinies, n’en serait que plus près de tomber au pouvoir de tous les autres hommes ; il en est de même de celui qui est subjugué par les passions, il est plus vil que l’araignée. Dans la guerre, ne voyons-nous pas que ce sont les hommes sages qui triomphent ? Quand il faut agir ou délibérer, la raison n’est-elle pas toujours de leur côté, même quand nul ne les écoute ? Et après cette vie, n’avons-nous pas vu le riche demander une goutte d’eau comme un mendiant, sans pouvoir l’obtenir ? Le pauvre au contraire, après avoir vécu sagement et vertueusement, n’a-t-il pas obtenu le bonheur suprême, n’a-t-il pas partagé le sort d’Abraham ? Et si nous nous reportons au temps des apôtres, tout enchaînés, tout flagellés qu’ils étaient et quoique soumis à des supplices de toutes sortes, n’étaient-ils pas supérieurs à ceux qui les traitaient ainsi ? Songez combien ils avaient frappé l’esprit de leurs persécuteurs pour les avoir amenés à dire : « Que faire à de tels hommes ? » (Act. 4,16) Et ces hommes, ils les tenaient enchaînés, ils les tenaient sous leur main, en plein tribunal ! D’un côté des juges et des princes, de l’autre des accusés, et pourtant ce sont ceux-ci qui out vaincu. Partout, si nous voulions entrer dans le détail, nous verrions l’homme vertueux supérieur au méchant, supérieur de cette vraie supériorité et non de cette supériorité menteuse et selon les idées du vulgaire, supériorité fausse et facile à confondre, supérieur de cette supériorité solide que rien ne peut ébranler. « Et leur puissance vieillira dans l’enfer », c’est-à-dire s’affaiblira. Voici ce que signifient ces paroles : non seulement ils seront ici-bas faciles à vaincre, car nul ne prendra leur défense, nul ne leur tendra la main, et ils seront exposés aux attaques de tous, mais, ce qu’il y a de plus terrible, ils ne trouveront là-bas personne pour les assister, personne pour les secourir, personne pour leur tendre la main, personne pour adoucir leurs châtiments par des paroles de consolation. C’est ainsi que les vierges sages n’ont été d’aucun secours aux vierges folles, Abraham d’aucun secours au mauvais riche, Noé, Job et Daniel d’aucun secours à leurs fils et à leurs filles. « Leur puissance vieillira », cela veut dire qu’elle s’affaiblira, qu’elle disparaîtra. « Ce qui passe et vieillit, est près de sa fin. Ils ont été précipités hors de leur gloire. » (Héb. 8,13)
L’objet de leurs plus vifs désirs, l’objet de tous leurs efforts et de toutes leurs préoccupations, c’était de jouir d’une gloire durable après leur mort parle moyen de leurs richesses, de leurs vastes constructions, de leurs tombeaux et de leurs noms qu’ils y faisaient inscrire : voici que cette gloire même ils ne l’obtiendront pas, dit le Prophète, et c’était ce qui excitait le plus leurs soucis tandis qu’ils vivaient, parce qu’ils savaient cela. Ces constructions sont des accusations contre ceux qui ne sont plus. Et même, si le corps est caché sous terre, les pierres du tombeau prennent une voix pour accuser chaque jour leur cruauté, leur impudeur, pour les dénoncer comme des ennemis publics, pour appeler sur eux les imprécations, les plaintes et les insultes des passants. Quelle est donc cette gloire qui consiste à laisser après soi ces monuments accusateurs qui, loin de garder le silence, appellent la parole sur les lèvres de tous ceux qui les voient et qui semblent solliciter les parents à s’indigner coutre ceux qui les ont fait bâtir ? Où trouver une folie égale à celle de ces hommes qui font tout ce qu’il faut pour être châtiés, pour être couverts de confusion, pour se susciter des accusateurs, pour s’exposer à voir leur sépulture violée ; qui font tout pour accumuler sur eux les imprécations, les insultes, les plaintes sans nombre, et cela non seulement de la part de ceux à qui ils ont fait du mal, mais encore de la part de ceux à qui ils n’en ont pas fait ? « Mais Dieu rachètera mon âme des mains de l’enfer, lorsqu’il me recevra (16). »
Après avoir dit le salaire des méchants et le prix dont on payera leurs péchés, il parle des récompenses réservées aux hommes vertueux. C’est son habitude et c’est aussi celle des autres prophètes, afin que l’auditeur puisse peser sa décision en se rendant compte et du châtiment destiné au péché, et des récompenses promises à la vertu. Voici la part des pécheurs, dit le Prophète : le déshonneur, les vains travaux, la stupidité, le ridicule, la honte, l’extermination, la mort, le châtiment, les vengeances éternelles, la faiblesse qui expose aux mauvais traitements, la privation de la gloire et de la sécurité, les insultes, les accusations, l’absence de toute consolation au milieu de leurs maux soit pendant cette vie, soit après. Pour nous ce sera tout le contraire, nous n’aurons pas de châtiments à craindre, notre âme sera libre, en sûreté, glorieuse et Honorée. Tout cela en effet est sous-entendu dans ces paroles : « Cependant Dieu rachètera mon âme des mains de l’enfer lorsqu’il me recevra. » Par l’enfer, il désigne les châtiments, les supplices terribles de la vie future. Or jugez quels honneurs nous attendent non seulement d’après cela, mais encore d’après ce qui suit. Quand Dieu m’aura reçu, dit-il, je le verrai plus distinctement que je ne fais aujourd’hui. Aujourd’hui c’est la foi qui dirige nos pas, et non la vue même de la divinité alors nous verrons Dieu face à face. (1Cor. 13,12) On payera la rançon de mon âme, et mon corps jouira du même privilège. « Ne craignez pas l’homme quand il aura multiplié ses richesses et étendu la gloire de sa « maison (17). » Puisqu’il en est ainsi, dit le Prophète, pourquoi craindre les choses présentes, pourquoi vous soucier de la pauvreté ? pourquoi avoir peur de celui qui est riche ? On vous a enseigné tout ce qui a trait à la résurrection et à la répartition des biens éternels, et au châtiment des pervers ; pourquoi donc ensuite trembler devant des chimères ? Les seuls biens stables et solides, ce sont ceux-là : les autres, les biens de la terre, sont semblables à des fleurs qui se flétrissent. Aussi le Prophète, lassant de côté tout le reste, s’est élancé contre la citadelle de tous les maux, contre la passion des richesses : celle-là détruite, tout le reste tombe en même temps.
11. Et comment n’aurais-je pas peur, dit l’homme, devant ceux qui disposent d’une telle puissance ? – La puissance est le jouet du sort, la force ne dure qu’un instant, la prospérité ne fait que passer, les richesses, la fortune et ces grands honneurs, tout cela ressemble à des ombres, à des rêves. Aussi le Prophète dit-il encore : « Parce qu’à sa mort il n’emportera pas ses richesses, et que sa gloire ne descendra pas avec lui dans le tombeau (18) », – nous donnant ainsi un motif de ne pas craindre ce qui dure si peu. La mort est venue, dit-il, elle a coupé la racine, et voilà que ses feuilles tombent, voilà que sa maison devient une proie offerte à qui veut la prendre. Les brebis et les chèvres portent la dent sur l’arbre qu’on vient de couper et qui est étendu par terre, il en est de même des riches dont nous parlons : parmi leurs ennemis, parmi leurs amis et parmi ceux à qui ils ont rendu service, combien ne s’en trouve-t-il pas qui viennent prendre part à la curée ? Et cet homme environné d’une si grande puissance, qui possédait tant d’échansons, de cuisiniers, de cratères d’or et d’argent, tant et tarit d’arpents de terre, qui avait des maisons, des esclaves, des chevaux, des mules, des chameaux, des armées de serviteurs, il s’en va seul, nul ne l’accompagne, et il n’emporte même pas ses vêtements avec lui. Plus est grand le luxe qui l’entoure, plus sera riche le festin que sa mort prépare aux vers, plus il excitera les convoitises des malfaiteurs qui violent les sépultures, plus il provoquera de mauvais desseins contre ses restes infortunés. Toute cette magnificence ne sert qu’à l’exposer plus encore aux outrages, en appelant, en armant contre lui les mains de ceux qui ouvrent les tombeaux pour leur reprendre le dépôt qui leur a été confié. – Et qu’est-ce que cela ? dira-t-on. Il n’en triomphe pas moins ici-bas, et il jouira de son triomphe jusqu’à sa mort. – Dites plutôt que beaucoup n’en jouiront pas même jusqu’à leur mort : exposés sans cesse aux mauvais desseins, ils sont mille fois plus malheureux que les condamnés, quand on leur ravit leurs richesses, quand ils retombent dans une honteuse obscurité, quand ils sont jetés en prison. Tel trônait hier sur un char, qui est aujourd’hui dans les fers : tel était hier courtisé par des flatteurs, qui se voit aujourd’hui entouré de bourreaux : tel exhalait l’odeur des parfums, qui est souillé de son propre sang : tel s’étendait sur une couche délicate, qui se voit jeté sur la dure : tel était adulé de tous, qui se voit méprisé de tous. – Mais, dira-t-on encore, à sa mort même on l’entoure d’une pompe magnifique. – Et que lui fait cela, à lui qui ne le sent plus ? La mauvaise odeur qu’il exhale, l’horreur, qu’il inspire, la haine qu’il excite font plus d’impression sur les assistants que ces pompes brillantes ; car ce faste et ces dépenses lui attirent immédiatement et pour toujours la haine de ses enfants. Voyez combien est juste l’expression dont se sert le Prophète, et combien sa sagesse est profonde. Non content d’intimider le riche en lui montrant qu’il n’emportera rien avec lui ; il le dépouille dès cette vie de tout cet imposant appareil, et lui prouve que sa richesse n’existe pas, même lorsqu’il la possède et qu’il en jouit. Car, il ne dit pas : « Quand il aura étendu sa gloire », mais bien, « quand il aura étendu la gloire de sa maison. » Car toutes ces choses que j’ai énumérées, ces fontaines, ces promenades, ces bains, cet or et cet argent, ces chevaux et ces mules, ces tapis, ces étoffes, font la gloire de la maison et non celle de l’homme qui l’habite. La vertu est la gloire de l’homme, aussi accompagne-t-elle celui qui la possède, tandis que la gloire de la maison reste, ou plutôt elle ne reste même pas, mais disparaît avec la maison, sans avoir servi de rien à celui qui l’habitait, car cette gloire ne lui appartient pas en propre. « Parce que son âme sera bénie pendant sa vie (19). » Après avoir parlé de sa richesse et de sa gloire, il passe à ses flatteurs. Ce que recherchent surtout les riches, ce sont les flatteries de la place publique, les hommages du peuple, les louanges décernées par la multitude, et les éloges menteurs, et ils regardent comme un grand bien d’être accueillis par des applaudissements au théâtre, dans les banquets et dans les tribunaux, d’entendre leur nom répété par toutes les bouches, de se croire un objet d’envie pour les autres : aussi voyez comme il leur ravit encore cette jouissance en en limitant la durée. « Pendant sa vie », dit-il, c’est-à-dire, ces hommages, ces bonnes paroles qu’on lui adresse ne dureront pas plus que la vie d’ici-bas : cela périra en même temps que le reste, comme tout ce qui relève du temps et de la fortune. Bien plus, lorsqu’il cessera de pouvoir mettre à contribution le zèle de ses flatteurs, après sa mort, ce sera le contraire qui aura lieu, car sa présence n’intimidera plus personne. « Il te rendra hommage quand tu lui auras fait du bien. » Voyez comme il critique la bienfaisance des gens riches. Toi, tu flattes et tu fais des avances, feignant une bienveillance menteuse et de courte durée : mais celui auquel tu t’adresses, dit-il, quand même il se déclarerait ton obligé, ne te sera reconnaissant qu’autant qu’il aura acheté de toi, et cela bien cher, le droit de te faire faire ce qui lui convient. Car « il te rendra hommage », remarque bien cela, « quand tu lui auras fait du bien. » Il ne dit pas, quand tu lui auras été utile, quand ta loi aura rendu service, mais : quand tu lui auras procuré ce qui lui fait plaisir, ce qui lui convient. Le Prophète montre ainsi que cette bienfaisance est pernicieuse à deux points de vue, et parce qu’elle provoque de fausses démonstrations de reconnaissance, et parce qu’elle nous attache des serviteurs dangereux. « Il ira rejoindre les générations de ses pères, il cessera de voir la lumière pendant l’éternité (20). Et l’homme, au milieu de sa grandeur, ne l’a pas comprise : il s’est ravalé au niveau des animaux privés de raison, et s’est fait semblable à eux. Il ira rejoindre ses pères (21) », autrement dit, il les imitera, et étant fils de pervers, il héritera de leur perversité ; ou bien encore c’est comme si l’on disait : s’il n’a fait aucun bien, il se trouvera que sa richesse lui a été inutile : ceux qui sont morts avant lui il les laissera couchés dans la poussière, jusqu’au Jour du jugement, sans pouvoir même contempler la lumière suivant la loi de la nature. Ensuite le Prophète se répète en disant : « Et l’homme, au milieu de sa grandeur, ne l’a pas comprise ; il s’est ravalé au niveau des animaux privés de raison et s’est fait semblable à eux. » Cet homme, dit-il, cet homme qui est mort de la sorte, et qui n’a pas usé de ses richesses comme il devait le faire, ne différera en rien de la brute, car il n’a pas connu l’honneur que Dieu lui a fait, et il s’est rendu semblable aux bêtes, pour qui la vie n’a d’autre but et d’autre fin que la mort. Puissions-nous tous être délivrés de ces erreurs, et ceux qui s’instruisent et ceux qui enseignent, en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME XLIX.

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LE DIEU DES DIEUX, LE SEIGNEUR A PARLÉ, ET IL APPELLE LA TERRE DEPUIS L’ORIENT JUSQU’A L’OCCIDENT.

ANALYSE.

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  • 1. Des diverses acceptions du mot Dieu dans la sainte Écriture. – Ce psaume semble au commentateur une suite du précédent. Il a été aussi composé pour confondre les pécheurs. – Dans le précédent, le Prophète avait invité la terre à venir l’entendre, dans celui-ci, il adresse son appel aux éléments.
  • 2. et 3. – Des deux avènements du Fils de Dieu, l’un simple et humble, l’autre terrible et éclatant.
  • 4. Comment l’on doit adorer Dieu : Pourquoi les sacrifices ont été permis aux Juifs.
  • 5. Quel est le sacrifice qui plaît à Dieu.
  • 6. Comparaison des afflictions de la vie avec les maux de la vie future.
  • 7. et 8. Louer le vice est un péché : il faut s’indigner contre ces pécheurs.
  • 9. C’est un devoir de s’occuper du salut du prochain.

10. Que les réprimandes soient faites en particulier et jamais en public.
1. Le même Psalmiste a dit ailleurs : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux ; » et un peu plus loin : « J’ai dit, vous êtes des dieux. » (Ps. 81,1 et 6) Et saint Paul : « Car encore qu’il y en ait qui soient appelés dieux, et qu’il y ait plusieurs seigneurs. » (1Cor. 8,5) Et Moïse : « Tu ne parleras point mal des dieux. » (Ex. 22,28) – Et ailleurs : « Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. » (Gen. 6,2) Le même Moïse a dit encore : « Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché, celui qui se servira du nom du Seigneur, sera lapidé. » (Lev. 24,15-16) Il a été dit ailleurs : « Que les dieux qui n’ont point fait le ciel et la terre périssent sous le ciel. » (Jer. 10,19) Quel sens faut-il donner à ce mot dans ces différentes citations, et de quels dieux s’agit-il ici ? On veut parler des princes. Aussi après ces mois : « Tu ne parleras point mal des dieux », Moïse ajoute-t-il aussitôt « et tu ne médiras point de Celui qui commande à ton peuple. » (Ex. 22, 28) Il s’agit des descendants d’un homme vertueux. Car Enos, pour avoir montré une grande vertu, fut appelé du nom de Dieu : ses descendants et ceux de son frère s’unirent par des mariages. Le Prophète appelle enfants de Dieu les enfants de l’homme vertueux. « Ils commencèrent », dit-il, « à être appelés du nom de bien. » (Gen. 4,26) Il désigne aussi le peuple juif, qu’il honore de cette appellation, dans la phrase suivante : « Je l’ai dit : vous êtes des dieux, et vous êtes les fils du Très-Haut. » (Ps. 81,6) Il appelait ainsi ce peuple par suite de l’affection particulière qu’il avait pour lui. C’est ainsi que s’expliquent encore ces mots : « Celui qui maudira le nom de Dieu sera en état de péché », ce qui revient à dire : celui qui médira du prince, commettra un péché. « Celui qui se servira du nom du Seigneur sera lapidé », c’est-à-dire celui qui donnera le nom du vrai Dieu aux dieux qui n’existent pas. La preuve, c’est que ce péché est considéré comme indigne de tout pardon, et qu’on inflige la peine la plus terrible à celui qui s’en rend coupable. On appelle encore dieux, les dieux des gentils, mais ce n’est ni pour les honorer, ni par déférence, c’est pour signaler l’erreur de ceux qui les appelaient ainsi. Voilà pourquoi saint Paul a dit : « Car encore qu’il y en ait qui soient appelés dieux (1Cor. 8,5) », pour montrer qu’il n’admet ni leur existence, ni l’honneur qu’on leur fait en leur donnant ce nom. De qui donc le Psalmiste, dont nous expliquons en ce moment les paroles, parle-t-il, quand il dit : « Le Dieu des dieux ? » Il me semble qu’il désigne les dieux des païens, non parce qu’ils existent, mais parce que les peuples voués à l’erreur se sont imaginé qu’ils existaient. Comme les Juifs étaient encore trop grossiers, qu’ils n’avaient pas coin piétement rompu avec leurs habitudes d’idolâtrie, que les idoles leur en imposaient toujours, et qu’il y avait chez eux beaucoup de restes de l’ancienne iniquité, il en profite pour purger leur esprit de ces erreurs, en leur montrant que Dieu est le maître même de ces faux dieux. Dieu est aussi le maître des démons, mais il n’est leur maître qu’en ce qui concerne leur substance même, car leurs pensées et leur perversité tout entière leur appartiennent en propre. Il me semble que ces paroles du prophète sont une suite du psaume précédent. Car celui-ci également a été écrit pour confondre et pour accuser les pécheurs : dans l’autre, le Prophète invite la terre entière à venir l’entendre, dans celui-ci il adresse son appel aux éléments mêmes répandus sur toute la terre. Voici un autre théâtre, et un autre auditoire : là nous avons vu comparaître les nations, les enfants de la terre, le pauvre et, le riche : ici c’est la terre et le ciel, c’est Dieu lui-même qui se présente à nous pour être jugé, Dieu qui prononce sa défense devant le peuple des Juifs. Aussi notre attention doit-elle redoubler. Un autre prophète a fait de même, il nous montre Dieu se soumettant à un jugement, et il place au rang des juges les abîmes et les fondements de la terre. « Écoutez », dit-il, « abîmes et fondement, de la terre, car Dieu va débattre son procès contre son peuple et avec son peuple. » (Mic. 6,2) On lit ailleurs : « Il plaidera contre vous et contre vos pères. » (Jer. 2,9) On peut voir cette figure répétée en beaucoup d’endroits de l’Écriture, elle est vraiment imposante et digne de l’affection de Dieu pour les hommes. Elle nous montre son inexprimable bonté, en nous le faisant voir qui s’abaisse jusqu’à venir se soumettre au jugement des hommes. – « C’est de Sion qu’il fera briller la splendeur de sa gloire (2). » Expression qui se ressent de l’enthousiasme prophétique, mais qui est d’accord aussi avec la vérité de l’histoire. C’est là en effet que même du temps de l’ancienne loi, brilla la gloire de Dieu. Car c’est là que s’élevait le temple et le saint des saints, que s’observaient les cérémonies religieuses et les lois politiques établies par l’Ancien Testament, que se réunissait la foule des prêtres, que se faisaient les sacrifices et les holocaustes, que se chantaient les hymnes sacrés et les psaumes ; tout était là, et c’est encore là que furent écrites les prophéties qui annonçaient les événements de l’avenir. Et quand parut enfin la vérité, c’est là qu’elle prit naissance. C’est de là que la croix resplendit sur le monde, c’est là que s’accomplirent les innombrables triomphes de la religion nouvelle. Ce qui faisait dire à Isaïe, lorsqu’il parla dans ses prophéties de la loi du Nouveau Testament : « C’est de Sion que viendra la loi, et le Verbe du Seigneur viendra « de Jérusalem, et il rendra ses jugements au « milieu des nations. » (Is. 2,3-4) par Sion il désigne ici tout le territoire avoisinant, ainsi que la ville qui s’étendait à ses pieds, Jérusalem, la capitale des Juifs. C’est de là que, comme de la barrière d’un hippodrome, les apôtres, ces coursiers aux jambes agiles, s’élancèrent à la conquête du monde : c’est là qu’ils commencèrent à donner des signes de leur mission : là, eurent lieu la résurrection et l’ascension ; là, fut l’exorde et le commencement de notre salut : c’est là que l’on commença à prêcher les saints mystères. Là pour la première fois le Père se révéla, le Fils unique se fit connaître, l’Esprit répandit sa grâce sur les hommes. C’est là que les apôtres parlèrent des aloses incorporelles, des grâces, des puissances, et des biens qui nous étaient promis pour l’avenir. Le Prophète songeait à tout cela quand il appelait Sion la splendeur de Dieu. Car ce qui fait la beauté et la splendeur de Dieu, c’est sa bonté, son amour pour les hommes, sa bienveillance répandue sur tous. « Dieu, notre Dieu, viendra manifestement, et il ne gardera pas le silence »
Voyez-vous comme le langage du Prophète devient de plus en plus clair, comme il nous découvre le trésor de ses secrets, et comme il darde des rayons plus brillants quand il prononce ces mots : « Dieu viendra manifestement ? » Quand donc est-ce qu’il n’est pas venu manifestement ? Quand ? La première fois qu’il vint ici-bas, car il vint sans bruit alors, sans être vu du plus grand nombre et pendant longtemps sans en être reconnu. Que dis-je, du plus grand nombre ? La vierge même qui l’enfanta ignorait le secret du mystère[17], ses frères mêmes ne croyaient pas en lui, celui qui paraissait être son père ne se doutait nullement de sa grandeur.
2. Et pourquoi parlé-je des hommes ? Il ne fut même pas reconnu du diable, car s’il avait su qui il était, il ne lui aurait pas dit sur la montagne : « Si tu es le Fils de Dieu », et ces paroles il les prononça une et deux et trois fois. (Mt. 4,3, 6) Aussi Jésus lui-même dit-il à Jean qui commençait à découvrir ce qu’il était : « Cesse immédiatement (Mt. 3, 15) ; » c’est-à-dire, tais-toi maintenant, le moment n’est pas encore venu de découvrir le secret de mon incarnation, je veux continuer d’échapper aux regards du diable ; tais-toi donc, dit-il : « Car il nous convient qu’il en soit ainsi. » Et en descendant de la montagne il recommandait à ses disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ. (Mt. 17,9) Car il allait alors comme le pasteur qui cherche sa brebis errante et qui tend des pièges à la bête indocile pour s’en emparer ; aussi s’enveloppait-il des ombres du mystère. Comme le médecin qui évite tout d’abord d’effrayer le malade, il ne voulut pas se manifester dès le début, mais insensiblement et peu à peu. Ce qui fait dire plus loin au même prophète, quand il veut taire allusion au peu de bruit de son arrivée : « Il descendra comme la pluie sur la toison et comme la goutte d’eau sur le sol. » (Ps. 71, 6) Il est venu sans bruit, sans troubler, sans agiter la terre, sans lancer d’éclairs, sans ébranler le ciel, sans se faire accompagner du peuple des anges, sans briser le firmament parle milieu pour descendre ensuite porté par les nuages. Non, il est venu en silence, conçu par une vierge, porté neuf mois dans son sein, il naît dans une étable comme le fils d’un simple artisan, dans ses humbles langes il est exposé aux complots, il fuit avec sa mère en Égypte. Ensuite il revient, après la mort de celui qui avait commis toutes ces impiétés et il continue d’aller et de venir sous l’apparence d’un homme du peuple ; humbles étaient ses vêtements, plus humble était sa table, il marchait, il marchait sans cesse au point d’en être fatigué. Mais au jour marqué par le Prophète, il ne viendra pas ainsi, il viendra si manifestement qu’il n’aura pas besoin d’un héraut pour annoncer sa venue. Aussi, pour faire comprendre l’éclat de sa présence, disait-il lui-même : « Si l’on vous dit : Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, n’y entrez point. Si l’on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez point pour y aller. Car, comme un éclair qui sort de l’Orient et paraît tout d’un coup jusqu’à l’Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. » (Mt. 24,26, 27) Il se montrera et s’annoncera lui-même. C’est ce qui a lieu quand l’éclair paraît et nous n’avons pas besoin qu’on nous l’annonce. Au moment même où il se montre il est vu de tous et de tous à la fois. C’est ainsi que saint Paul dit : « Car aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l’archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel. » (1Thes. 4,15) Le Prophète le voyait ainsi porté par les nues, avec le torrent qui roule devant lui, avec le terrible tribunal où chacun doit rendre de sa vie un compte inévitable. C’est alors, alors que viendra l’heure du jugement et des débats, aussi apparaîtra-t-il non plus comme un médecin, mais comme un juge. Aussi Daniel voit-il son trône, le torrent qui roule au pied de son tribunal et tout lui apparaît en feu, et le char et les roues. (Dan. 7,9, 10) Mais au commencement et quand il parut pour la première fois il ne découvrit aux regards ni le feu, ni le torrent, ni rien de tout cela : on ne vit qu’une étable, une auberge, une chaumière, une mère dans la pauvreté. Par là, Daniel nous montre son inflexibilité et son immutabilité. Car après avoir dit que celui qui était assis sur leur trône avait les cheveux blancs comme de la laine et que ses vêtements étaient éclatants comme la neige, non pour nous faire croire qu’il s’agisse en réalité de cheveux et de vêtements, mais pour nous montrer rayonnant partout un feu pur et éclatant, il ajoute : « Le feu brûlera sur sa face et au tour de lui tourbillonnera une tempête violente. » (Dan. 7,9) Par ces images il nous fait comprendre que le Seigneur ne change pas, qu’il est inflexible, qu’il brille comme la lumière et qu’il est inaccessible. Il ne s’en tient lias au feu, mais pour montrer l’impétuosité de sa vengeance, il ajoute ces mots : « une tempête violente. » Par ce mot καταιγίς (tempête) nous entendons soit une masse énorme de neige qui en tombant entraîne et renverse tout sur son passage, soit un tourbillon, une trombe qui produit les mêmes ravages et à laquelle rien ne résiste. C’est donc pour nous figurer l’irrésistible impétuosité de la colère divine qu’il s’est servi de ces images. – « Il appellera les cieux et la terre pour juger son peuple (4). »
Il parle encore des éléments, source de tant de biens pour la race humaine, non seulement en ce qui concerne la vie du corps et sa formation, mais encore en ce qui concerne la connaissance de Dieu. Car la beauté et la grandeur de la création, la manière dont elle a été conçue, les substances d’où se sont formés les éléments et ce que les éléments ont produit et produisent à leur tour, soit de tout temps et en général, soit de temps en temps et en particulier, tout cela nourrit et entretient le corps, et nous amène à reconnaître Celui qui a tout fait. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Car les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, sont devenus visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent. » (Rom. 1,20) Et ailleurs : « Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l’avait point connu dans les ouvrages de la sagesse divine (1Cor. 1, 21) ; » c’est-à-dire n’avait tu as reconnu la sagesse qui éclate dans la création, ce qui cependant n’est pas un petit, mais un très-grand et très-intelligible enseignement. Et les résultats de cette même création qui se produisent tous les jours, bien que paraissant n’être qu’une conséquence des lois de la nature, proclament aussi l’existence du Créateur. Car le Créateur est le maître de la nature.
3. Ne vous étonnez pas s’il s’adresse spécialement aux Juifs, en parlant du jugement universel. C’est de la même manière que saint Paul a dit : « La fureur et la colère, l’affliction et le désespoir se répandront sur l’âme de tout homme qui fait le mal : du juif premièrement et puis du gentil. » (Rom. 2,8, 9) Et ailleurs : « Et ainsi tous ceux qui ont péché sans avoir reçu la loi, périront aussi sans être jugés par la loi : et tous ceux qui ont péché étant sous la loi seront jugés par la loi. » (Id. 12) « Rassemblez autour de lui ses saints, tous ceux qui ont contracté avec lui une alliance scellée par le sacrifice (5). » Pourquoi donc, ceux qu’il va mettre en accusation, qu’il va condamner, les appelle-t-il ici des saints ? C’est pour donner plus de force à l’accusation, pour rendre la punition plus éclatante par les honneurs rendus à l’accusé. De même nous, quand nous voyons quelques personnes qui ont fait le mal, et que nous voulons leur rendre nos reproches plus sensibles, nous les appelons par leurs qualités, rie manière à donner plus de poids à l’accusation, disant : appelle le diacre, ou bien, appelle le prêtre, puisqu’ils avaient le titre de prêtres du Roi des rois, de peuple privilégié, et qu’ils en étaient fiers, il prend pied là-dessus pour donner plus d’étendue à ses reproches. « Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par le sacrifice. » Comme après avoir osé mille et mille infamies, fait le mal de toutes les manières, après avoir dérobé, cherché à s’approprier le bien d’autrui, après avoir tué, commis l’adultère, répandu des flots de sang, ils pensaient s’être bien conduits, et ne s’être pas écartés de la loi et de l’alliance jurée, pourvu qu’ils sacrifiassent des brebis et des veaux, il prend acte de tout cela pour leur lancer l’outrage et la raillerie en disant : « Ceux qui ont fait avec lui une alliance scellée par les sacrifices », c’est-à-dire ceux qui croient qu’il suffit pour leur salut de sacrifier quelques animaux. – « Et les cieux annonceront sa justice (6). »
Dans ce passage encore, voulant nous faire sentir combien sa justice est éclatante, combien elle est brillante, évidente, indiscutable, combien elle est reconnue de tous, il nous la montre proclamée par les éléments insensibles, employant ainsi la même figure qu’auparavant. « Car Dieu est juge », il veut dire que Dieu détermine avec justice ce qui revient à chacun. Il n’a pas voulu par là nous apprendre simplement que Dieu exerce les fonctions de juge, mais bien nous faire entendre qu’il est juste, et qu’il se montre tel envers tous. Ce mot de « juge », en parlant de Dieu, est synonyme de juste, et saint Paul s’en est servi clans le même sens quand il a dit. « Car comment Dieu jugera-t-il le monde ? » (Rom. 3,6) Ce qui fait un vrai jugement, ce qui fait le vrai juge ce n’est pas simplement de prononcer un arrêt, mais de le prononcer avec équité. Les Juifs seront jugés, et les Juifs d’alors, et ceux qui, venus après eux, et contemporains du Nouveau Testament, se seront livrés au péché. Ceux-là auront à répondre de leurs infractions aux lois de la nature et à la loi de Dieu, ceux-là verront en outre s’élever contre eux les bienfaits mêmes de Jésus-Christ. Que pourront-ils dire, quel motif, pourront-ils donner pour excuser leur incrédulité ? Mais, je vous en prie, méditez avec soin ces paroles, afin de pouvoir vous en servir pour fermer la bouche à ceux qui soutiendraient le contraire. Car il vaut mieux qu’ils soient vaincus par nous et qu’ils reviennent de leur erreur, que de leur laisser croire qu’ils sont victorieux et que de les laisser partir ainsi pour l’autre vie où ils se verraient condamner par le commun Juge de la terre. Que pourraient répondre les Juifs ? Pourquoi ont-ils fait périr le Christ ? Quel reproche, grave ou non, avaient-ils à lui faire ? – Il se faisait passer pour Dieu, dira-t-on. – Cependant ce n’était pas leur langage au moment où ils le mettaient en croix ; il était tout autre. Car ils ne disaient pas, celui qui se fait passer pour Dieu, mais : « Celui qui se fait passer pour roi, n’est pas ami de César. » (Jn. 19, 12) Souvent on voulut le proclamer roi, mais il fuyait cet honneur. – Mais auparavant, dira-t-on, on lui reprochait de se faire passer pour Dieu. Eh bien ! que signifie cette objection ? Si c’était une prétention injuste et mensongère, et sans rien de fondé, ce reproche aurait une raison d’être : mais si elle était légitime, il fallait l’adorer et non le mettre en croix. Voyons donc s’il se faisait passer pour Dieu, sans l’être réellement, c’est-à-dire s’il montrait, s’il manifestait sa divinité. A quoi recourir pour le savoir ? Aux événements qui se passèrent alors ? à ceux qui se passent aujourd’hui. Aux circonstances qui accompagnèrent son enfantement ? Qui donc est jamais né d’une vierge ? Qui fit paraître comme lui une étoile dans le Ciel ? Qui fit faire à des mages une route aussi longue, et cela non par force ni contrainte, mais par persuasion et par le simple effet de la révélation ? Voyez-vous la création qui tout entière reconnaît son maître ? La nature cède la première, ne résiste point et ne dit pas : Je ne veux pas laisser l’enfantement s’accomplir, je n’ai pas appris à faire naître un enfant d’une mère restée vierge, je ne sais pas rendre une femme mère sans union charnelle. Elle fut déconcertée et se laissa écarter de ses limites propres, car elle avait reconnu son maître. Après sa naissance les anges apparurent pour indiquer que celui qui habite dans les cieux était sur la terre, et la terre devint le ciel, puisque le Roi avait établi sa demeure ici-bas, et les mages, venus de si loin, se prosternèrent devant lui. Cet enfant gisait sur une crèche en Palestine, et ces hommes appartenant à une terre étrangère, le comblaient d’autant d’honneurs et d’hommages qu’on en doit à Dieu. (Mt. 2,2) Mais peut-être n’admettra-t-on pas ces preuves et en demandera-t-on d’autres que la génération présente puisse vérifier par elle-même. Nous ne serons pas embarrassés pour en trouver. Telle est la nature de la vérité, qu’elle ne manque jamais de moyens de justification. Et, dans le cas présent, nos contradicteurs n’ont pas même l’ombre d’une objection à mettre en avant. Car si vous n’étiez pas présent lorsque Jésus-Christ est né d’une vierge, il fallait vous en rapporter au Prophète qui disait : « Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel. » (Is. 7,14) Si vous n’étiez pas présent lorsqu’il allait et venait sur terre sous la forme humaine, et qu’on voyait le Maître vivre au milieu de ses esclaves, consultez Jérémie qui vous répondra ces paroles : « C’est lui qui est notre Dieu, et nul autre ne sera devant lui. C’est lui qui a trouvé toutes les voies de la sagesse, et qui les a découvertes à Jacob son serviteur, à Israël son bien-aimé. Après cela, il a été vu sur la terre et il a conversé avec les hommes. » (Bar. 3,36. 37, 38)
4. Quant aux autres preuves vous verrez que les Prophètes dont vous avez feuilleté et fatigué inutilement les livres jusqu’à ce jour, proclament bien haut tout ce qui peut rendre certaine cette conjecture. Bien souvent déjà nous avons soutenu de pareilles discussions contre ces contradicteurs, et nous en soutiendrons bien souvent encore : mais en attendant restons attachés à notre sujet. « Et les cieux annonceront sa justice, parce que Dieu est juge. » Il me semble qu’ici le Prophète désigne par ce mot de justice son infatigable bienveillance, son affection pour nous, son active prévoyance qui s’adresse à tous les hommes sous tant de formes et de tant de manières, et qui se manifeste par l’œuvre même de la création, par l’établissement de sa loi, par le don de sa grâce, par tout ce que nous voyons comme par ce que nous ne voyons pas, par les prophètes, par les anges, par les apôtres, par les châtiments dont il nous frappe, par ses bienfaits, par ses menaces, par ses promesses, par l’ordre même des temps. « Écoute, mon peuple, et je parlerai ; Israël, je te rendrai témoignage (7). »
Voyez dès le début quelle complaisance et quelle douceur. De même qu’un homme dirait à un autre homme qui le troublerait et ferait du bruit : si tu veux m’entendre, je parlerai si tu veux m’écouter, je t’adresserai la parole, – de même notre Maître dit à nous, ses esclaves : si vous voulez m’entendre, je vous parlerai. Car ils n’avaient plus ni ressort, ni énergie, et ils ne pouvaient même pour un instant écouter avec recueillement la lecture de la loi. C’est à cela que faisait allusion le prophète qui se trouvant en Perse disait : « Je serai pour eux comme la voix de l’harmonieux, psaltérion. » (Ez. 33,32) Ils ne cessaient de recommander aux prophètes de ne plus prophétiser (1R. 19,10), bien plus ils les repoussaient comme s’ils eussent été importunés par eux. (Zac. 7,11) Nous voyons même un roi faire des menaces à un prophète et lui enjoindre de ne plus l’importuner. (Amo. 7,13) « Je suis le Dieu, ton Dieu. » Ce n’est pas sans raison que le Prophète se sert deux fois de la même expression. Comme il s’adressait à des gens insensibles, endurcis et peu disposés à l’écouter, il se mit à parler de la souveraineté de Dieu, trouvant ainsi un exorde excellent pour l’explication qui allait suivre, et faisant comprendre à ses auditeurs qu’ils doivent à Dieu leur liberté, et qu’il serait juste qu’ils lui fussent attachés comme l’esclave à son maître, comme la créature au Créateur, eux qui ont reçu tant de bienfaits, qui ont reçu tant d’honneurs. « Je ne t’accuserai point sur tes sacrifices et sur tes holocaustes ; ils sont toujours présents à mes yeux (8). »
C’est là le reproche que les autres prophètes adressent aux Juifs qui, négligeant ce qu’il y avait de plus important dans la vertu, mettaient leur espoir de salut dans ces holocaustes, et étaient toujours prêts à dire pour leur défense : nous offrons des sacrifices, nous offrons des holocaustes. Mais je ne suis pas venu pour vous juger là-dessus, répond le Seigneur, ni pour vous reprocher d’avoir négligé les sacrifices. Isaïe les atteint plus directement quand il dit : « Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes ? J’en suis rassasié. Je ne veux plus de vos holocaustes, de la graisse de vos animaux, du sang de vos génisses, des agneaux et des boucs. Qui vous a demandé d’apporter ces offrandes ? » (Is. 1,11-12) Certes Dieu leur avait parlé souvent de sacrifices, mais, s’il en était question dans la loi qu’il leur donnait, ce n’était pas qu’il y tînt essentiellement, c’était pour condescendre à leur faiblesse. Jérémie dit aussi : « Pourquoi m’apportez-vous l’encens de Saba et les parfums des terres les plus éloignées ? » (Jer. 6,20) Et tous les prophètes, pour ainsi dire, affirment que c’est là une chose de peu d’importance. Aussi le Seigneur commence-t-il en ces termes : « Je suis le Dieu, ton Dieu », montrant par là que cette manière de l’adorer n’est pas digne de lui. Il faut adorer Dieu non en faisant fumer l’encens ou brûler la chair des victimes, mais par une vie vertueuse, par une vie tonte selon l’esprit et non selon le corps. Les démons qu’adorent les nations étrangères ne veulent pas de ce culte et préfèrent l’autre. Nous en trouvons le témoignage dans ces paroles d’un poète grec : \q Τὸ γὰρ λάχομεν γέρας ἡμεῖς. \q Telle est la part que le destin nous a faite. \q (Iliade Alpha, v. 49, Oméga, v. 98)
Il n’en est pas de même de notre Dieu. Les démons altérés du sang des hommes, et voulant les amener peu à peu à souiller leurs mains par le carnage, exigeaient constamment d’eux ce genre de sacrifices. Dieu au contraire désirant leur faire perdre peu à peu l’habitude d’immoler les animaux a cru y arriver par cette condescendance, et il leur a permis les sacrifices pour les supprimer un jour. « Je n’accepterai point les veaux de la maison, ni les boucs de tes troupeaux (9). Car toutes les bêtes des forêts sont à moi, et celles de la montagne, et les bœufs (10). Je connais tous les oiseaux du ciel, et ce qui fait la beauté des champs m’appartient (11). »
Voyez-vous comme peu à peu il les écarte de ces préoccupations grossières, comme il entr’ouvre l’enveloppe durcie où leur esprit s’est enfermé, et comme il leur montre que s’il leur a enjoint de lui offrir des sacrifices, ce n’est pas qu’il en eût besoin, et que s’il ratifie cet usage dans la loi qu’il leur a donnée, ce n’est pas qu’il l’approuve. Si je tenais à être adoré, de la sorte, dit-il, moi qui possède tout ce qui est sous le soleil, et qui suis le Créateur de toutes choses, je pourrais me procurer d’abondants sacrifices. Ensuite mêlant l’ironie au reproche afin de les frapper davantage, il ajoute : « Si j’avais faim je n’irais pas te le dire, car toute la terre est à moi avec ce qu’elle renferme (12). » Comme il ne leur avait fait cette concession que pour les amener peu à peu à laisser tomber ces sacrifices en désuétude, et qu’ils ont persisté à suivre cette déplorable coutume sans tirer aucun profit de sa condescendance, il leur parle en termes plus vulgaires comme ferait un homme s’entretenant avec un autre homme : « Si j’avais faim, je n’irais pas te le dire », c’est-à-dire, je n’ai pas faim (car Dieu ne peut connaître ni la faim, ni aucun besoin physique), et si je voulais d’un culte semblable, je ne serais pas embarrassé en fait de sacrifices et d’holocaustes. J’ai tout à ma disposition, et je puis en user largement. Je suis le Seigneur et Maître de toutes choses, et cependant je veux bien recevoir de toi ce qui m’appartient, afin de t’amener par ce moyen à m’aimer et à renoncer à ces vaines habitudes.
5. Puis ramenant l’homme à des sentiments plus élevés il dit : « Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs (13) ? » « non seulement, dit-il, je n’ai pas prescrit aux hommes une pareille coutume, mais même j’ai prononcé de très-forts châtiments contre ceux qui se nourrissent de sang. Comment donc aurais-je besoin du sang versé, moi qui détourne mes esclaves de cette nourriture ! – Après avoir rejeté tout cela, et montré que c’était indigne de lui, et mêlé beaucoup d’ironie à ses reproches, il ne s’en est point tenu là, il leur indique un autre genre de sacrifice. C’est là le fait d’un très-habile médecin, qui non content d’écarter les remèdes inutiles, applique sur la plaie ceux qui peuvent être efficaces. Après avoir réglé ce point-là, il dit : « Offre à Dieu un sacrifice (14). » Et quel sacrifice ? dira-t-on. – Un sacrifice non sanglant : c’est le sacrifice qui convient le mieux à Dieu. Aussi, après ces mots, « offre à Dieu un sacrifice », ajoute-t-il « un sacrifice de louanges », c’est-à-dire un sacrifice d’actions de grâces, d’hymnes sacrés, de glorifications par les actes. Son langage revient à ceci : Vis de manière à glorifier ton maître. C’est aussi ce que le Christ nous enseignait par ces paroles : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,16) Louer quelqu’un n’est pas autre chose que faire son éloge, le glorifier et le célébrer. Que votre vie soit donc telle que votre maître en soit glorifié, et vous aurez offert un sacrifice parfait. C’est aussi le sacrifice qu’exige saint Paul : « Offrez à Dieu vos corps », dit-il, « comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux. » (Rom. 12,1) Ailleurs le même Psalmiste s’exprime en ces termes : « Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai dans mes louanges : ce sacrifice sera plus agréable au Seigneur que l’immolation des jeunes taureaux dont la corne commence à paraître et dont le sabot s’élargit. » (Ps. 68,31, 32)
Voilà le sacrifice offert par Job quand après le coup terrible et extraordinaire qui l’avait frappé, il rendait des actions de grâces au Seigneur et prononçait ces paroles : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a retiré : comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles. « Et offre au très-Haut les prières que tu lui dois. » (Job. 1,21) Il parle ici des supplications, et nous conseille de prier sans relâche, et de nous empresser de tenir nos engagements. Et il a eu raison de dire : « Offre ce que tu dois. » Car après avoir promis il ne reste plus qu’à tenir. C’est ainsi qu’Anne livra son fils, considérant cela comme une dette essentielle. (1Sa. 1,28) Vous aussi, si vous vous êtes engagé soit à faire l’aumône, soit à mener une vie chaste, soit à quelque autre chose de semblable, hâtez-vous de payer cette dette. Bien plus, à y regarder de près, on doit payer à Dieu la dette de la vertu, quand même on ne s’y serait pas engagé. C’est à quoi faisait allusion le Christ en disant, « ce que nous devions faire, nous l’avons fait. » (Lc. 17,10) Puis il racontait la parole de l’esclave à qui on donnait l’ordre peu pénible d’aller faire son service avant de se mettre à table. Ailleurs nous lisons ces mots : « Ne tarde pas à payer la dette de ton vœu. » (Qo. 5,3) Tu as promis, paie, de peur que la mort ne survienne et ne t’arrête brusquement. En quoi cela me regarde-t-il ? dira quelqu’un : je ne suis pas le maître de mon existence. Raison de plus pour ne pas tarder, puisque tu reconnais que tu ignores le moment précis où tu partiras, puisque tu n’es pas maître de ton existence, et que l’heure de ton départ ne dépend pas de toi. Ainsi ce que tu prenais pour un argument en ta faveur se retourne contre toi, et si tu n’as pas payé, ce n’est pas la faute de la mort, mais la faute de ta lenteur et de tes hésitations. – « Et invoque-moi au jour de ton affliction, et je te délivrerai, et tu me glorifieras (15). »
Voyez-vous comme il récompense généreusement nos hommages ? Où trouver rien qui égale une si grande bonté, car il ne se contente pas d’accorder des récompenses à notre vertu, récompenses bien au-dessus de nos travaux et qu’il nous donne au moment le plus opportun. – Mais pourquoi dit-il : « Invoque-moi ? » Pourquoi attend-il d’être invoqué par nous ? – Il veut se rapprocher de nous plus intimement et rendre plus vive notre affection pour lui en nous comblant de ses présents, en recevant les nôtres, en se laissant invoquer. La vertu nous fait vivre dans l’intimité de Dieu ; la fidélité à tenir nos engagements envers lui produit le même résultat, et la prière à son tour affermit cette intimité. Voilà pourquoi il dit : « Donne-moi et je te donnerai. » (Mt. 19,13) Et en réalité tout en donnant c’est toi qui reçois, car lui-même n’a nullement besoin de ces choses-là. Sois doux, sois modeste et sois chaste, tu n’ajoutes rien à Dieu, mais tu t’honores toi-même et tu te rends meilleur. Et cependant c’est cela même qu’il récompense en toi avec tant de générosité, comme s’il t’en avait quelque obligation. Avant de recevoir cette récompense tu jouis d’un plaisir bien doux, tu as conscience ; d’avoir bien fait, et tu as bon espoir pour l’avenir. Par ces mots « dans le jour de ton affliction » il ne veut parler ni du jour des malheurs, ni du jour des revers, il veut dire que si le péché vous fait la guerre, si le diable assiège votre âme en lui inspirant de mauvais désirs, vous trouverez en lui un allié puissant et dévoué. « Et je t’en tirerai, et tu me glorifieras. » Il nous montre encore une fois qu’il n’a pas besoin d’être glorifié par nous (et quel besoin en pourrait-il avoir étant le Dieu de gloire ?) S’il y tient c’est pour que l’hymne d’actions de grâces nous soit une occasion de nous rappeler ses bienfaits et de nous attacher davantage à lui, et avant tout de rendre notre vie sainte et heureuse.
6. On ne s’écarterait pas d’une interprétation légitime en disant que par le jour de l’affliction le Prophète a eu aussi en vue la vie future, car ce jour-là commence l’ère de l’éternelle affliction. Ici-bas en effet la mort qui survient met fin à nos malheurs, les amis nous consolent, ainsi que l’idée que cela doit finir un jour ; souvent on espère un revirement de fortune, souvent le temps adoucit nos souffrances, le temps, et la vue des malheurs d’autrui. Car bien des personnes se consolent presque de leurs malheurs en apprenant qu’elles ont des compagnons d’infortune, et en voyant beaucoup d’exemples de ce qui leur arrive. Là-bas rien de pareil : les coupables ne trouveront personne pour les consoler, et ils seront tous dépourvus d’amis. Le temps n’adoucira point leurs souffrances (comment cela se pourrait-il puisqu’ils seront consumés sans relâche par les flammes ?) ils ne pourront espérer d’y échapper, car leur supplice durera autant que l’éternité ; ils ne pourront compter sur la mort, car leur châtiment sera immortel, et leur corps sera immortel aussi pour le subir toujours. Ils n’auront pas même, ce qui pour beaucoup est une consolation, la satisfaction de voir les autres châtiés comme eux. Et d’abord, ils ne pourront voir le supplice de leurs compagnons, au milieu des ténèbres qui arrêteront leurs regards, comme un rempart impénétrable, ensuite l’excès de leur souffrance ne leur permettrait pas de jouir de cette espèce de consolation. Le riche n’y pourra rien trouver qui puisse le consoler, pas plus que ceux qui grincent des dents. – « Dieu a dit au pécheur : pourquoi te mêles-tu de publier mes décrets ? »
Avez-vous remarqué la suite et l’accord des pensées ? Ne dirait-on pas une lyre, une cithare très-bien faite et qui habilement maniée produit différents sons qui forment un accord parfait ? Cette pensée, on peut la retrouver chez les apôtres et chez les autres prophètes. C’est aussi ce que dit saint Paul quand il démontre qu’il ne sert de rien d’instruire les autres, quand on n’a pas commencé par s’instruire le premier. Comme les Juifs, outre qu’ils tiraient vanité de leurs sacrifices, étaient fiers de leur loi, et de leur titre d’instituteurs des nations, il leur prouvait qu’ils ne gagnaient pas grand-chose à tout cela, puisqu’ils ne s’instruisaient pas eux-mêmes, et il les attaquait très-vivement en ces termes : « Et cependant vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Vous qui publiez qu’on ne doit point voler, vous volez. Vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges. Vous qui vous glorifiez dans la foi, vous déshonorez Dieu par le violement de la loi. » (Rom. 2,21-23) Aussi dit-il ailleurs en parlant de lui-même : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même. » (1Cor. 9,27) Voilà comme il rabat l’orgueil de ceux qui sont fiers d’instruire les autres, et qui eux-mêmes ne pratiquent pas la vertu. C’est le même raisonnement, présenté sous une autre forme, qu’il emploie contre les Juifs quand il dit : « Lors donc que les Gentils qui n’ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande ; n’ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi. » (Rom. 2,14) Et, plus haut. « Car ce ne sont point ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ; mais ce sont ceux qui gardent la loi qui seront justifiés. » (Id. 5,43) Le Prophète dit aussi : « Ceux qui tenaient la loi dans leurs mains ne m’ont pas connu. » (Jer. 2,8) Et ailleurs. « La main menteuse des scribes a gravé le mensonge. » (Id. 7,8) Et pourquoi ? – « Parce que la tourterelle et l’hirondelle et le moineau des champs ont connu le temps de leur passage, et que mon peuple n’a point connu mes jugements. » (Id. 7) Or celui qui parle ainsi déclare que, non seulement celui qui ne recherche pas la vertu, ne gagne rien à enseigner les autres, mais qu’il se rend par cela même indigne de ces nobles fonctions. Si dans les tribunaux du monde on punit et on flétrit celui qui a mal agi en le privant de la parole, comment permettre à celui qui aura à rendre compte de ses péchés de prendre la parole dans l’enceinte où l’on instruit le peuple, dans celle enceinte encore plus respectable que les tribunaux profanes ? Là les coupables subissent les châtiments qu’on leur a infligés ; ici tout est disposé en vue non de punir les coupables, mais d’effacer leurs fautes par le repentir. Dans la cour des rois on ne saurait être admis à l’honneur d’interpréter la parole royale si l’on était convaincu d’avoir une mauvaise vie. Pourquoi publies-tu mes décrets et les enseignes-tu aux autres, tandis que tu fais le contraire de ce qu’ils commandent, que ta vie n’est pas d’accord avec tes paroles, et que tu détournes de toi ceux qui étaient disposés à te prêter leur attention ? Tes paroles ne les instruisent pas autant que tes actions les détournent. Aussi le Christ nous vante-t-il le maître dont l’enseignement est parfait, parce qu’il s’appuie sur les paroles et sur les actes. « Celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. » (Mt. 5,19)
Que la vie ait donc une voix retentissante qui enseigne les mêmes choses que ta bouche, et quand même tu la tiendrais fermée, tu surpasseras les sons éclatants de la trompette, tu seras entendu et de ceux qui sont près do toi, et de ceux qui sont au loin. C’est ainsi que les cieux racontent, la gloire de Dieu. Ils n’ont ni bouche ni langue pour parler, ni poitrine pour respirer, mais ils sont beaux et en les voyant l’homme s’émerveille et songe à la puissance du Créateur. Que la vertu soit pour ton âme, ce qu’est là-haut pour le ciel le beau spectacle qu’il nous offre. Mais si tout souillé de crimes, en butte à mille accusations et surtout aux accusations de ta propre conscience, tu t’efforces de prendre possession de la chaire du Maître, en faisant le procès aux vices, c’est toi-même que fui accuses tout autant que les autres hommes. « Et pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance ? » C’est avec raison que le Prophète a dit « ta bouche », car le cœur de l’impie n’a point goûté le fruit de la, parole de Dieu, et ses lèvres s’agitent en vain, et seulement pour l’accuser pendant, qu’il parle. Et à bien examiner cette pensée, on verrait crue Dieu traite comme un ennemi celui qui ne met pas les actes d’accord avec ses paroles. – « Tu hais l’ordre et tu as rejeté ma parole derrière toi (17). » Par l’ordre, il veut ici parler de la discipline établie par la loi qui met l’âme dans un juste équilibre, qui chasse le vice, qui fait mûrir les germes de vertu. Comment donc se fait-il que tu la manies, cette discipline, que tu la distribues aux autres, sans en rien garder pour ta conduite ? « C’est que tu as rejeté », dit-il, « ma parole derrière toi. »
7. non seulement tu n’as rien pris pour toi de la discipline de la loi, mais encore tu as mutilé ce que la nature t’en avait donné. Car nous faisons naturellement la distinction de ce qu’il faut et de ce qu’il ne faut pas faire. Mais toi tu as rejeté ces préceptes de la nature, et tu n’en as plus gardé le souvenir. – « Quand tu voyais un voleur tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l’adultère avec le séducteur (18). » Il n’est pas possible de trouver un homme pur de tout péché, ce qui a fait dire à quelqu’un : « Qui se vantera d’avoir le cœur pur, ou quel homme osera affirmer qu’il est exempt de tout péché ? » (Prov. 20,9) Et à saint Paul : « Ma conscience ne me reproche rien, mais », ajoute-t-il, « je n’en suis pas plus justifié par cela. » (1Cor. 4,4) « Le juste, dès qu’il parle, commence par s’accuser lui – même (Prov. 18,17) », c’est-à-dire par accuser ses propres péchés ; or, afin qu’on ne puisse dire : si tous sont en état de péché et que Dieu défende au pécheur de publier ses décrets, qui les publiera ? Pour prévenir cette objection, le Prophète énumère les différentes sortes de péchés. « Il y a le péché « mortel (Jean, v, 16) », comme celui que signale Héli : « Lorsqu’un homme offensera un homme, le prêtre priera pour lui ; mais s’il offense Dieu, qui priera pour lui ? » (1Sa. 2,25) Aux yeux de la loi, certains péchés étaient irrémissibles et entraînaient la mort, d’autres étaient faciles à réparer. Par exemple, le Christ dit, dans le Nouveau Testament : « Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter sa faute en particulier entre vous et lui. S’il ne vous écoute point, prenez encore avec vous deux personnes. S’il ne les écoute pas plus que vous, qu’il soit pour vous comme un païen et un publicain. » (Mt. 18, 15) Cependant Pierre a dit ailleurs : « Combien de fois, si mon frère pèche envers moi, lui remettrai-je son péché ? » Et il lui est répondu : « Jusqu’à soixante-dix fois sept fois (Id. 21) », tandis que dans le passage précédent on dit de s’arrêter après deux tentatives de réconciliation, parce que le péché, passé ce délai, est grave, et qu’on n’est plus obligé de persister dans les avances qu’on a faites. Quoi ! il y a donc contradiction ? Non, non ; mais il a été dit : « Jusqu’à soixante-dix fois sept fois », c’est avec cette restriction, pourvu qu’il se repente. Comment remettre un péché à celui qui ne veut ni le confesser, ni s’en repentir ? Au moins, quand nous demandons des remèdes au médecin, nous lui montrons nos plaies. Quel est donc le pécheur dont il est question dans ce passage de l’Écriture ? Écoutons scrupuleusement, car elle nous le dépeint par ce qui suit : « Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui, et tu partageais l’adultère avec le séducteur. Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies (19). Tranquillement a assis tu parlais contre ton frère : tu couvrais d’opprobre le fils de ta mère (20). » Voyez-vous, comme dans un tableau, la peinture du vice, et comme le vice a fait du méchant une brute, et comme il lui a fait perdre les nobles sentiments qu’il tenait de la nature ? Mais ne tiens contentons pas de passer devant ce tableau, examinons-le au contraire avec soin et dans tous ses détails. « Quand tu voyais un voleur, tu courais pour te joindre à lui. »
Voilà la cause de tous nos maux : voici surtout ce qui nous éloigne de la vertu, ce qui chez le plus grand nombre détruit l’amour du bien, lorsque, loin de blâmer ceux qui font mal, on se réjouit avec eux. Et cette complaisance est aussi coupable que le péché lui-même. Écoutez ce que dit saint Paul : « non seulement ils font ces choses, mais encore ils approuvent ceux qui les font. » (Rom. 1,32) Ce n’est pas un péché sans grièveté que de se réjouir avec ceux qui font le mal, quand même on ne le ferait pas soi-même. Celui qui a péché peut prétexter la nécessité, rejeter ses torts sur sa pauvreté, excuses mal fondées du reste ; mais toi, d’où vient que tu approuves son action, toi qui n’en retires ni plaisir, ni profit ? Lui se repentira peut-être : mais toi, tu te fermes cette porte, tu te prives de ce remède, tu obstrues de tes propres mains la voie qui pourrait te conduire au port du repentir. Quand il te verra, toi qui ne pèches pas et qui devais lui faire des reproches, non seulement ne pas lui en faire, mais encore le protéger de ton silence, et non seulement le protéger de ton silence, mais encore te faire son complice, que pensera-t-il de lui-même ? de son péché ? La plupart du temps, la plupart des hommes ne s’inspirent pas seulement de leur propre pensée pour décider ce qu’ils doivent faire, mais ils se laissent corrompre par les préférences des autres hommes. Si le pécheur voit tous les hommes se détourner de lui, il pensera qu’il a commis une très-mauvaise action. Niais s’il voit que loin de nous indigner et de lui témoigner notre mécontentement, nous nous montrons doux et bien disposés pour lui, le tribunal de sa conscience achèvera de le corrompre, puisque sa propre corruption trouvera un stimulant de plus dans l’approbation du plus grand nombre, et alors que n’osera-t-il pas ? Quand se condamnera-t-il lui-même et cessera-t-il de pécher sans scrupule ? Aussi ou doit quand on fait mal se condamner soi-même, car c’est le moyen de rompre avec le mal, et, quand on ne fait pas ce qui est bien, on doit louer ce qui est bien, car le zèle est un acheminement à l’action. Dans le cas présent, comme celui dont nous parlons approuve ce qui se fait, il est naturel que le Prophète le flétrisse de toutes ses forces. Car si le vice, tout omis qu’il est, est si puissant, et si la vertu, malgré les éloges dont on l’honore, décide si peu de personnes à endurer les fatigues qu’elle leur offre, qu’arrivera-t-il si cet état de choses vient à changer ? Et cependant voilà ce qu’on peut voir souvent dans le corps des prêtres. Or si cela est mal chez le disciple, combien plus chez le maître !
8. O homme, que fais-tu ? La loi a été violée, la chasteté méprisée, et tous ces crimes sont le fait de quelqu’un de ceux qui occupent les fonctions sacerdotales, en un mot c’est un véritable chaos, et tu ne frémis pas ? Le Prophète s’adresse même aux éléments insensibles pour qu’ils déplorent avec lui la corruption générale : « Le Ciel a été dans la stupeur », dit-il, « et la terre a frissonné d’horreur. » (Jer. 2,12) Et ailleurs il est dit : « On verra le Carmel s’attrister, le vin s’attrister, et s’attrister la vigne. » (Is. 24,7) Ce qui est sans vie s’afflige, gémit et, s’indigne avec le souverain Maître, et toi, l’être doué de raison, tu n’éprouves aucune douleur ? Bien loin d’éclater eu reproches, de te constituer le vengeur terrible des lois de Dieu, tu partages le crime ! Et quel espoir de pardon peux-tu avoir ? – Dieu a-t-il donc besoin qu’on lui prête main-forte ? Lui faut-il des aides ? – Non, mais il veut faire de toi l’exécuteur de sa justice, afin que tu ne tombes point dans la même faute, que tu deviennes meilleur en t’indignant contre les vices d’autrui, et que ce soit pour toi une occasion de lui témoigner ton amour. Quand tu passes à côté de celui qui fait mal sans le blâmer, sans montrer ton chagrin, tu diminues la vigueur de ton âme, tu l’exposes à tomber, et spécialement à tomber dans les mêmes fautes que tu ne songes pas à reprendre. Et par ton indulgence déplacée, tu ne nuis pas peu à cet homme en chargeant le compte qu’il aura à rendre un jour, et en l’affaiblissant pour les luttes de cette vie. Ces paroles n’ont pas trait seulement au vol, mais encore à toute sorte de péchés : le Prophète a cité d’abord ce péché le moindre de tous, pour que vous sachiez que si celui qui le commet n’obtient pas son pardon, il sera bien plus difficile de l’obtenir pour tout autre péché. Écoutez donc ce qu’il dit aussitôt après : « Et tu partageais l’adultère avec le séducteur », passant à un péché plus grand encore, car le vol est de beaucoup moins grave que l’adultère. L’examen et la comparaison de ces péchés a suggéré la réflexion suivante : « Il n’est pas étonnant qu’un homme ait été pris à voler, car il vole pour rassasier son âme qui a faim. » (Prov. 6,20) Si donc ce péché est indigne de pardon, l’adultère le sera bien plus encore. Ici le Prophète, par l’adultère, entend la fornication. Si donc vous voyez l’un de ceux qui sont réunis avec vous se livrer à la fornication, et s’approcher des sacrements, dites à celui qui les administre : Un tel est indigne des sacrements, arrête ses mains profanes. Car s’il n’est pas même digne de publier les décrets de Dieu, songe jusqu’où ira la vengeance de Dieu sur lui ; lorsqu’il aura touché la sainte table, et non seulement sur lui, mais encore sur celui qui l’a protégé de son silence. Car le Prophète n’a pas dit : Et tu commettais l’adultère, mais, « tu partageais l’adultère avec le séducteur. » Hélas ! quel péché c’est donc que de cacher la pourriture des autres, puisqu’on nous dit qu’en agissant ainsi nous mériterons de partager la veine réservée au péché lui-même et cela tout autant que celui qui l’a commis. Lui peut du moins alléguer l’emportement de la passion, quoique ce soit une excuse sans valeur, comme le voleur peut alléguer la faim ; mais toi tu n’as pas même cette ressource. Pourquoi donc, si tu ne retires du péché aucun avantage, prendre la part du châtiment ? C’est ainsi que les juges punissent non seulement ceux qui ont osé commettre l’adultère, mais aussi les serviteurs qu’ils savent avoir eu connaissance du fait, et volontiers leurs maîtres, en les livrant à la justice, boiraient leur sang et mangeraient de leur chair, car ils les rendent responsables de l’accomplissement de l’adultère, tout autant que la femme infidèle. En n’écartant pas les voiles qui cachaient le couple adultère, ils lui ont rendu le crime plus facile : ils se sont mal conduits à l’égard de la femme coupable et du mari déshonoré, à l’égard du séducteur lui-même. S’ils avaient dénoncé, dévoilé ce qui se passait, ils auraient prévenu toute tentative de ce genre. De même que celui-là surtout attire le gibier dans les filets qui, tranquillement assis à côté, les cache à ceux qui vont s’y faire prendre, emploie tous les moyens pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de la ruse, et ne fait aucun bruit ni rien qui puisse faire fuir sa proie : de même, si vous restez tranquillement assis à côté des filets tendus par le diable, et que, sachant que l’adultère va tomber, vous ne cherchiez pas à lui faire peur par vos cris, c’est vous surtout qui serez l’auteur de sa perte.
Ne me répondez point par ces paroles qui ne respirent que l’égoïsme et l’apathie : qu’est-ce que cela me fait ? Je ne me soucie que de ce qui me regarde. Mais c’est précisément vous occuper de vos intérêts que de vous occuper de ceux de votre prochain. Ce qui faisait dire à saint Paul : « Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres. » (1Cor. 10,21) Si tu veux trouver ton propre bien, dit-il, cherche celui des autres. « Ta bouche était pleine de malice, et ta langue tramait des fourberies. Tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d’opprobre le fils de la mère. » N’allez pas dire : ce que j’en fais, c’est par pure affection. Par pure affection, quand vous ne voulez ni arrêter, ni retenir celui qui va tomber dans l’abîme ? quand vous vous montrez indulgent pour des plaisirs défendus ? quand vous voyez d’un œil indifférent le malheureux qui boit le poison ? Non, non, vous ne sauriez dire cela. Car ce qui proue que ce n’est pas là de l’affection, mais de l’apathie, de la négligence et du manque de cœur…… comment se fait-il que, laissant là celui qui vous a fait du tort, vous médisiez de votre frère qui ne vous en a fiait aucun ? Comment se tait-il que vous ayez de mauvais desseins contre celui qui ne vous a fait aucun tort et qui ne vous a manqué en rien ? Voyez jusqu’où, de chaque côté, peut aller le vice celui qu’enivre la passion, vous ne cherchez pas à le réveiller de son ivresse pour lui rendre son bon sens, et celui qui ne vous a fait aucun tort, vous le frappez. « Car, tranquillement assis, tu parlais contre ton frère : tu couvrais d’opprobre le fils de ta mère. »
9. Voyez comme ce reproche devient plus accablant à mesure qu’on l’examine. Celui qui a causé les mêmes douleurs à la mère qui vous a enfanté, dit le Prophète, celui qui a été porté dans le même sein que vous, celui qui s’est assis à la même table et qui a vécu dans la même maison, celui qui est une des tiges du même tronc qui vous a porté, celui qui a grandi avec vous, vous en faites l’objet de vos médisances. Puis, non-content de cela, vous formez de mauvais desseins et vous les exécutez, car tel est le sens de ces paroles « tu le couvrais d’opprobre. » Si vous ne devez pas médire de celui qui est votre frère selon la nature, combien plus ne devez-vous pas médire de votre frère en Jésus-Christ ? Ne laissez donc pas tomber dans le péché celui qui va le commettre, et ne calomniez ni n’injuriez celui qui ne vous a fait aucun tort : d’un côté, ce serait pécher par envie, de l’autre, par apathie : oui, c’est de l’apathie que de ne pas retenir celui qui va tomber, c’est de l’envie que de chercher à faire tomber celui qui se tient droit. Et voyez comme le Prophète ne se contente pas de faire simplement allusion à celui qui dit du mal des autres, mais bien à celui qui n’agit ainsi que par ruse et par animosité « Tranquillement assis, dit-il, tu parlais contre a ton frère. » Caïn du moins, quand il tua son fière, ne priva qu’un seul homme de la vie d’ici-bas, mais ceux-là, avec leurs médisances, en perdent des milliers, et eux-mêmes tout d’abord. Car ils ne nuisent pas seulement à celui dont ils médisent, mais à d’autres encore, ou plutôt ils ne nuisent qu’à ceux qui les écoutent. En effet, celui qui est l’objet de médisances quai ne reposent que sur le mensonge, non seulement n’éprouve aucun tort, mais encore a droit aux plus grandes récompenses. Ce n’est pas celui qui supporte, mais c’est celui qui tait le mal, c’est celui-là qui mérite d’être puni ; il en est de même de celui qui inédit et de celui de qui on médit, pourvu que ce dernier n’ait pas donné sérieusement prise à la médisance. Ne nous préoccupons donc pas d’éviter la médisance, c’est impossible, et c’était ce que pensait le Christ, lorsqu’il disait : « Malheur à vous, lorsque les hommes diront du bien de vous ! » (Lc. 6,26), mais préoccupons-nous de ne pas lui donner prise. Celui qui veut que tout le monde dise du bien de lui s’expose à perdre souvent son âme parce qu’il aime la gloire humaine, qu’il s’entremêle de choses qu’il devrait laisser de côté, qu’il cherche à plaire là où il ne le faut pas, afin de s’attirer la bienveillance de l’un et de l’antre. Celui qui prend le contre-pied et dédaigne de s’acquérir une bonne réputation, se perd lui aussi. De même qu’il est impossible que l’homme vertueux jouisse de l’approbation universelle, de même il est impossible que l’on ne finisse point par être l’objet de la médisance universelle à force de lui prêter le flanc. Si tout en vivant de manière à n’offenser personne, vous vous trouvez en butte aux attaques des médisants, la récompense qui vous est destinée n’en sera que plus belle.
C’est ce qui arriva du temps des apôtres et du temps de ces généreux martyrs. Il faut bien que nous sachions que, si l’on nous critique pour une action que notre conscience ne nous reproche pas, nous ne devons pas pour cela faire fi du médisant, à cause du mal qu’il fait, mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, sans toutefois compromettre notre salut, pour lui ôter tout prétexte même mal fondé. C’est pour cela que saint Paul faisait distribuer l’argent des aumônes aux pauvres par beaucoup de personnes, il donne la raison de sa conduite en ces termes : « Et notre dessein en cela a été d’éviter que personne ne nous puisse rien reprocher sur le sujet de cette aumône abondante, dont nous sommes les dispensateurs. » (2Cor. 8,20) Il vit qu’on allait peut-être se scandaliser, et, quoique ce fût à tort, il ne négligea ni ne méprisa ces symptômes, mais comme il ne tenait qu’à lui d’arrêter le scandale, il se préoccupa de ceux-là même, de ceux qui se scandalisaient. Ailleurs il dit : « Si donc ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai plutôt jamais de chair de toute ma vie, pour ne pas scandaliser mon frère. » (1Cor. 8,13) Ces choses n’ont aucune importance, mais du moment qu’elles occasionnent du scandale, dit-il, quand bien même il n’en résulterait pour moi aucun dommage, je ne fais pas fi du salut de ceux qui se scandalisent. Mais si le dommage qu’il te cause avait plus d’importance que son salut, fais fi de celui qui se scandalise ; dans le cas contraire, n’en fais pas fi. Telle devait être notre règle générale de conduite, savoir quand il faut mépriser ceux qui se scandalisent et quand il ne faut pas les mépriser. Par exemple, les Juifs se scandalisaient de ce que saint Paul n’observait pas leur loi, il en résultait que des milliers de personnes abandonnaient la loi de Dieu et n’avaient plus qu’une foi douteuse. Que fait-il donc ? Voulant remédier au scandale (car le salut de tant de personnes l’emportait sur toute autre considération), voulant aussi rétablir la foi ébranlée et chancelante, il ne se pressa point de faire savoir qu’il n’observait pas la loi, et il réussit, ce qui était le point le plus important. Ils se scandalisaient encore de ce qu’il prêchait au nom du Crucifié, mais dans cette circonstance, il ne tint aucun compte de ceux qui se scandalisaient, car les avantages qu’il retirait de cette prédication étaient plus importants que tout le reste. (1Cor. 1,23) C’est ainsi qu’agit le Christ. Comme il s’entretenait avec les mêmes Juifs de leur genre de nourriture et qu’ils se scandalisaient de ce qu’il avait dit : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais c’est ce qui sort de la bouche de l’homme qui le souille (Mt. 15,11) », il répondit : « Laissez-les, toute plante que mon Père céleste n’a point plantée sera arrachée. » (Id. 13) Une autre fois comme ils lui demandaient de payer le tribut, quoiqu’il sût qu’il ne devait pas le payer, il pensa que la circonstance n’exigeait pas qu’il révélât sa majesté et dit : « Afin que nous ne les scandalisions point, allez-vous-en à la mer, et jetez votre ligne, et le premier poisson que vous tirerez de l’eau, prenez-le et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes que vous prendrez et que vous leur donnerez pour moi et pour vous. » (Mt. 17,26) Comme il apportait aux Juifs sa loi si pleine de sagesse et qu’il les voyait livrés à un aveuglement incurable, il cessa naturellement de se préoccuper d’eux, et viola leur loi pour y substituer la sienne. D’un autre côté comme ils n’étaient pas encore en état de comprendre la grandeur de sa mission, il était naturel qu’il se mît à leur niveau et qu’il dissimulât sa divinité en consentant à payer le tribut. « Tranquillement assis tu parlais contre ton frère. » Mais c’était pour le corriger, diras-tu.
10. Il ne fallait pas le critiquer en te cachant de lui, mais, comme le voulait le Christ, le prendre en particulier et le corriger. Les reproches publics ne font souvent que rendre les coupables plus éhontés, souvent les pécheurs, quand ils voient qu’ils peuvent le faire sans attirer l’attention, se décident facilement à rentrer dans la bonne voie, mais quelquefois aussi, quand ils savent qu’ils ont perdu l’estime générale, ils tombent dans le désespoir et se laissent aller à l’effronterie. Sans doute il t’avait fait quelque tort. Et pourquoi donc t’en faire à toi-même ? Car celui qui se venge se frappe de la même épée que sa victime. Si tu veux te rendre service à toi-même et te venger en même temps de celui qui t’a fait quelque tort, dis du bien de lui. En agissant ainsi tu lui créeras une foule d’accusateurs qui sauront bien remplir ta place, et tu recevras plus tard une belle récompense, tandis que si tu médis de lui, on ne te croira pas, on te soupçonnera d’y mettre de l’animosité, et de cette manière ton désir de vengeance se retournera contre toi. En voulant détruire sa réputation tu provoques précisément un résultat contraire, car on atteint le but que tu poursuis par la modération dans les paroles et non par la médisance. Je te le répète, faire autrement c’est arriver à un résultat tout à fait contraire : tu te couvres encore plus de honte, sans pouvoir atteindre ton rival des traits que tu lui décoches. Quand ceux qui nous entendent comprennent que c’est la haine qui nous fait parler, ils cessent d’être attentifs à ce que nous leur disons, et il se passe alors la même chose que dans les tribunaux quand se présente ce que les légistes appellent le cas d’exception : alors toute l’affaire reste suspendue. Il en est de même dans la circonstance présente, on te soupçonne de vouloir satisfaire une rancune personnelle, et ce soupçon empêche la justice de suivre son cours. Ne va donc pas dire du mal d’autrui, pour ne pas te souiller toi-même, ne salis pas tes mains à manier la boue, l’argile et la brique ; tresse plutôt des couronnes avec la rose, la violette et d’autres fleurs ; ne porte pas l’ordure dans ta bouche, comme fait l’escarbot[18] (c’est aussi ce que font les médisants qui sont les premiers victimes de leur propre infection), portes-y plutôt des fleurs, comme l’abeille, et tires-en du miel, et sois doux et affable pour tout 1e monde. Tous se détournent du médisant comme d’une bête immonde et infecte, et parce qu’à l’exemple de la sangsue qui se gorge de sang, et de l’escarbot qui se repaît d’ordure, il se nourrit des maux d’autrui, tandis que celui dont la bouche ne prononce que de bonnes paroles se voit accueilli de tous comme un membre de la famille commune, comme un véritable frère, comme un fils, comme un père. Et pourquoi parler des choses présentes et des opinions des hommes ? Songe au jour redoutable, au tribunal incorruptible, songe que si tu mens tu combleras la mesure de tes péchés. « Je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. » (Mt. 12,36) Et quand même ces paroles inutiles ne seraient pas mensongères, dit le Sauveur, même dans ce cas, vous n’échapperiez pas à la condamnation, pour avoir publié les misères de votre prochain et l’avoir couvert d’opprobre. Pensez au pharisien. Il n’était pas publicain, et cependant il devint plus coupable que le publicain, pour avoir médit du publicain. Le publicain n’était pas pharisien, et cependant il devint plus vertueux que le pharisien, parce qu’il avait reconnu ses péchés. – « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ! ton iniquité « m’a jugé semblable à toi : je t’accuserai, je te mettrai face à face avec tes péchés (21). »
41. Voyez-vous l’ineffable bienveillance du Seigneur ? voyez-vous son infinie bonté ? Voyez-vous quel inépuisable trésor de patience ? Car silence est ici synonyme de patience. Après tous les crimes que tu as osé commettre, dit-il, je ne t’ai point puni, j’ai tout supporté, tout enduré et je t’ai donné le temps de revenir à résipiscence. Et toi, loin de profiter du répit que je t’accordais, tu es devenu encore plus pervers. Non seulement tu n’as pas changé, non seulement tu n’as pas rougi, non seulement tu ne t’es pas condamné toi-même pour les péchés que tu avais commis, mais encore tu as cru que moi qui ai montré tant de longanimité, tarit de patience, moi qui me suis tu, qui ai supporté tous tes méfaits, tu as cru que j’en agissais ainsi avec toi non par patience et dans un esprit de douceur, ruais parce que je ne voulais pas te reprendre et que je ne trouvais rien à redire à tes actions. – « Comprenez maintenant, vous qui oubliez le Seigneur (22). »
Que devons-nous comprendre ? – Ce que je viens de dire, répond le Prophète. Que signifie ce mot : « comprenez ? » – C’est comme s’il y avait « méditez. » Mais qu’y a-t-il d’obscur dans ces paroles ? Est-il besoin de les creuser longtemps ? Ce qu’il y a de plus saillant, c’est que la manière même de son enseignement nous prépare à un changement qui doit s’opérer dans la religion. Parle peu de cas qu’il fait des sacrifices il se fait l’introducteur de la loi évangélique. D’ailleurs voyant les hommes engloutis par l’impur amas de leurs péchés, et voulant, pour ainsi dire, les retirer des fanges du vice, et écarter d’eux l’habitude de suivre cette route qui les conduisait au mal, comme on écarte la chassie des yeux malades, il cherche à réveiller chez eux la mémoire de leurs méfaits, afin qu’ils n’aillent pas les laisser tomber dans l’oubli et perdre ainsi le fruit de l’expérience. C’est que l’habitude du péché rend notre âme aveugle, fait de nous des insensés, et obscurcit le regard pénétrant de notre intelligence. « De peur qu’il ne vous saisisse, et qu’il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses étreintes (22). » O bienveillance ineffable ! C’est là le langage d’une mère affectueuse ou plutôt c’est le langage d’une bonté infiniment supérieure à l’affection maternelle. Celui qui a dressé la liste si longue de nos péchés, celui qui a montré tant de courroux cherche à nous en préserver. Celui qui a dit : « Je t’accuserai, et je te mettrai face à face avec tes péchés », et qui a prononcé notre condamnation, le voilà qui, revenant sur sa décision, ne veut plus nous livrer aux vengeances de sa justice, et qui nous traite comme s’il devait nous ramener au bien à force de conseils et d’exhortations, en nous rendant sages par la peur du châtiment, et en disant « de peur qu’il ne vous saisisse comme un lion dévorant, et qu’il ne se trouve personne pour vous délivrer de ses étreintes. – Le sacrifice de louange et le culte qui m’honore, c’est la voie que j’indiquerai à l’homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu (23). »
Après nous avoir témoigné sa bienveillance, après avoir eu recours aux exhortations, aux conseils, aux menaces, après avoir employé la crainte, suspendu sur nos têtes les supplices dans toute leur horreur, après s’être encore remis à nous donner des conseils, il nous indique aussi de quelle manière nous pouvons effacer nos fautes, en disant : « Le sacrifice de louange est le culte qui m’honore », c’est-à-dire, non seulement le sacrifice de louange dissipera ma colère et effacera votre condamnation, mais encore je le considérerai comme un culte qui m’honore. Voyez quelle grande chose c’est que de revenir au bien, puisque Dieu lui-même s’en tient pour honoré. « C’est la voie que j’indiquerai à l’homme, celle qui doit le sauver en le menant à Dieu. » O récompense ineffable ! O bienveillance infinie ! Il promet de montrer à ceux qui font le bien la voie qui mène à Dieu, la voie qu’il faut suivre pour être réellement sauvés en Dieu ! Croyons donc en ses promesses, et glorifions le Seigneur par la pureté de notre vie, et par le sacrifice de louanges, puisque ce genre de sacrifice est la voie qui nous conduit au salut. Et puissions-nous tous y arriver, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, car c’est à lui qu’appartient la gloire et la puissance, et maintenant, et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CVIII.

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« 2. O DIEU, NE TAISEZ PAS MA LOUANGE, PARCE QUE LA BOUCHE DU PÉCHEUR, LA BOUCHE DU FOURBE S’EST OUVERTE CONTRE MOI. 3. ILS ONT PARLÉ CONTRE MOI AVEC UNE LANGUE PERFIDE, ILS M’ONT INVESTI DE PAROLES DE HAINE, ILS M’ONT COMBATTU SANS MOTIF. 4. AU LIEU DE M’AIMER, ILS SE SONT. FAITS MES DÉTRACTEURS ET MOI JE VOUS INVOQUAIS. 5. ILS M’ONT RENDU LE MAL POUR LE BIEN ET LA HAINE POUR L’AMOUR, 6. ÉTABLISSEZ L’IMPIE SUR MON ENNEMI ET QUE LE DIABLE SE TIENNE A SA DROITE. 7. LORSQU’ON LE JUGERA, QU’IL SORTE CONDAMNÉ ET QUE SA PRIÈRE MÊME DEVIENNE UN CRIME. 8. QUE SES JOURS SOIENT ABRÉGÉS ET QU’UN AUTRE REÇOIVE SA MISSION. 9. QUE SES ENFANTS DEVIENNENT ORPHELINS, QUE SA FEMME DEVIENNE VEUVE. 10. QUE SES ENFANTS NE CONNAISSENT PLUS LE REPOS, QU’ILS SOIENT VAGABONDS, MENDIANT LEUR PAIN, QU’ILS SOIENT CHASSÉS DE LA DEMEURE QUI LEUR APPARTIENT. 11. QUE « L’USURIER DÉVORE TOUTE SA FORTUNE ET QUE DES ÉTRANGERS S’EMPARENT DU FRUIT DE SES TRAVAUX. »

ANALYSE.

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  • 1. et 2. Le psaume CVIII est une prophétie sous forme d’imprécation, à la persécution que les Juifs devaient faire souffrir à Jésus-Christ et de la punition terrible du peuple déicide. – Le Prophète y prédit aussi la trahison de Judas. – Ces prophéties, sous forme d’imprécation, ne sont pas rares dans l’Écriture. – Il ne faut pas s’insurger contre ces prêtres de Dieu. – Le nom de Fils est souvent employé dans l’Écriture pour exprimer une parenté morale.
  • 3. Les péchés de malice et de propos délibéré offensent beaucoup plus Dieu que ne le font les péchés de faiblesse.
  • 4. Les méchants qui persécutent les justes non seulement ne se rendent pas lorsqu’ils voient ces justes ne leur opposer que la piété, mais même ils se moquent d’eux en les insultant avec outrage.


1. Pour bien comprendre ce psaume, il nous faut faire appel à toute notre sagacité. Car ces paroles, à ne les considérer que comme on les entend prononcer tout d’abord, jettent le trouble dans l’âme de ceux qui écoutent et ne réfléchissent pas. Ce psaume n’est rempli que d’imprécations, et d’un bout à l’autre c’est le même style : on y sent bouillonner, brûler la colère, et celui qui parle ne s’arrête pas à la personne de l’ennemi dont il a à se plaindre, mais il poursuit de sa vengeance et ses enfants, et son père et sa mère : il ne se contente pas d’une seule victime, il les entasse les unes sur les autres. Voyez que de souhaits de vengeance : « Établissez l’impie sur mon ennemi, et que le diable se tienne à sa droite. » C’est-à-dire, qu’il soit accusé, accablé par des hommes pervers et acharnés à sa perte, et qu’il ne puisse triompher d’eux, souhait qui se retrouve dans ces paroles : « Lorsqu’on le jurera qu’il sorte condamné. » Cette vengeance ne lui suffit pas ; après qu’on l’aura condamné, il désire qu’un autre lui succède dans sa charge et dans ses honneurs : « Qu’un autre », dit-il, « reçoive sa mission. » Il ne s’en tient même pas là, mais pour lui fumier le seul port qui lui restât, il demande qu’il ne puisse obtenir la bienveillance de Dieu, et il dit : « Et que sa prière même devienne un crime. » Et cependant il demande aussi qu’il meure avant l’âge : « Que ses jours soient abrégés. » Il ne s’en tient même pas là, et cependant rien que ces malédictions auraient dû lui suffire. Il y ajouts encore, ce qui est la marque d’une âme profondément irritée. Un ou deux châtiments, ce n’est pas assez pour lui, voilà pourquoi il en demande un si grand nombre. Ce qui suit est encore pire, car il souhaite aux enfants d’être orphelins, à la mère d’être veuve. Et pourtant il est nécessaire que tout cela leur arrive du moment que le chef de la famille s’éloigne pour toujours. Néanmoins, dans le feu de sa colère, il formule une imprécation pour chacune de ces conséquences inévitables. Ce n’est pas assez pour lui que les enfants de son ennemi deviennent orphelins ; même après avoir accumulé sur eux tant de malheurs il va plus loin, et rend leur infortune plus terrible, en souhaitant qu’ils soient réduits à errer et à faire le métier de vagabonds. « Que ses enfants ne connaissent plus le repos », dit-il, « qu’ils soient vagabonds, qu’ils demandent l’aumône. » C’est-à-dire qu’ils errent sans jamais s’arrêter, qu’ils ne puissent se procurer le nécessaire, qu’ils ne cessent de changer de lieu, chassés, poursuivis sur toute la terre, et sans trouver nulle part une place où s’arrêter. Avec cela il souhaite qu’ils soient dans la pauvreté, dans une pauvreté extrême et intolérable, au l’oint de ne pas obtenir l’aide de leurs parents, qu’ils aillent çà et là quêtant l’assistance des étrangers et des inconnus. Écoutez en quels termes il fait connaître sa pensée ; après avoir dit : « Que ses fils soient vagabonds et qu’ils mendient », il ajoute : « Qu’ils soient chassés de la demeure qui leur appartient ; que l’usurier dévore toute sa fortune, et que des étrangers s’emparent du fruit de ses travaux. » Voilà que sa vengeance se présente sous une autre forme : il livre leurs biens à la rapacité des étrangers, il les expose aux empiétements de l’usure, il les accable de dommages de toute sorte et, ce qu’il y a de plus terrible, il les laisse sans protecteur au milieu de tant de maux. Tel est en effet le vœu qu’il fait entendre : « Que nul ne lui vienne en aide (12). »
Ces malheurs par eux-mêmes sont accablants, combien plus encore pour ceux qui ne trouvent personne pour les protéger ! « Que nul n’ait pitié de ses orphelins. » O ciel ! quel excès de colère ! mais quoi ! il ne se contente pas de priver ces enfants, devenus orphelins avant le temps, des douceurs de la compassion, que dis-je de la compassion ? Il les précipite dans la misère la plus profonde. « Que ses enfants », dit-il en effet, « soient voués à l’extermination. Que son nom soit effacé en mue seule génération (13). » Voyez-vous la colère qui déborde dans ses paroles et qui ne s’arrête nulle part ? Il souhaite qu’ils vivent en proie à toutes sortes de misères, qu’ils soient livrés à l’extermination, et qu’ils périssent sans que leur nom leur survive. Et comme si le malheur des enfants ne lui suffisait pas, il ajoute encore : « Que l’iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point effacé (14). Que leurs péchés soient « toujours devant le Seigneur, et que leur souvenir disparaisse de dessus la terre (15). » Voilà bien le fait d’un homme profondément irrité, d’appeler d’abord sur la tête de son ennemi tous les malheurs à la fois, puis de les citer en détail et d’y revenir avec insistance. « Que l’iniquité de ses pères soit présente à la mémoire du Seigneur », et il ajoute, « et qu’elle ne soit pas effacée », ce qui revient au même, mais la colère l’emporte et le fait se servir des deux expressions à la fois. Ce qu’il veut dire, le voici : Seigneur, tuez-le, égorgez-le, faites-le disparaître. Que de malédictions ! Mais, si vous le voulez bien, je vais revenir sur mes pas et les énumérer de nouveau. Qu’il tombe au milieu d’hommes pervers, dit-il, qu’il soit accusé, qu’il soit vaincu par eux, qu’il soit condamné, qu’il meure avant l’âge, qu’il soit dépouillé de ses honneurs, qu’il les voie transmis non pas à ses descendants, mais à d’autres, que sa femme périsse, que ses enfants soient pauvres, orphelins, que leur vie soit celle des mendiants, qu’ils soient condamnés, qu’ils soient chassés de partout, que nul ne vienne à leur aide, qu’ils cessent même d’avoir part à la bienveillance de Dieu, qu’il n’y ait pour eux ni port, ni asile où ils puissent se réfugier, que son nom soit effacé de dessus la terre, qu’il périsse et que son nom ne lui survive pas, que son père, que sa mère soient punis pour tes péchés qu’ils ont commis, après cela qu’ils périssent, qu’ils disparaissent complètement et sans laisser de traces.
2. L’auditeur qui entend ces paroles n’est-il pas frappé d’épouvante ? Ne désirez-vous pas savoir quel est celui qui est l’objet de telles imprécations ? Quand nous entendons un homme en accabler un autre d’injures, nous ne manquons pas de demander aux assistants quel est celui qu’on insulte. Quand donc nous entendons le Psalmiste proférer ces malédictions, nous devons bien plus encore demander, et demander avec terreur, avec une âme toute contristée, quel est celui qui s’est attiré une colère si terrible, quel est celui qui a offensé le Saint-Esprit, au point de s’exposer à tant de si redoutables représailles. Eh bien ! s’il vous plaît, reprenons le psaume et donnons-y beaucoup d’attentions. Que nul ne se trouble. Je déduirai mes explications avec toute l’exactitude désirable, du moins autant que je le puis. Car il n’est pas sans importance l’objet de nos recherches. Une chose en premier lieu mérite explication : pourquoi les enfants du pécheur, de cet homme si décrié, pourquoi ses enfants, pourquoi sa femme, pourquoi ses parents sont-ils châtiés avec lui ? En second lieu, quel est-il ce maudit ? En troisième lieu, comment le prince des apôtres prouve-t-il que ce psaume s’adresse à Judas Iscariote, ou plutôt non pas le psaume tout entier, mais une partie du psaume ? « Car », dit-il, « il est écrit dans le livre des Psaumes : Que sa demeure devienne déserte : qu’il n’y ait personne qui l’habite. » (Act. 1,20) Mais voilà qui nous donne un autre sujet de recherches, car ces deux phrases ne se trouvent pas dans ce psaume. Aussi n’a-t-il pas indiqué celui-ci, il a parlé du livre des Psaumes en général. L’expression : « Que sa demeure devienne déserte » se lit dans un autre psaume, et cette expression : « Qu’un autre reçoive sa mission » est tirée du psaume que nous lisons en ce moment. Mais l’apôtre Pierre les a réunies toutes deux pour en former un seul témoignage. C’est ce que saint Paul fait en toute occasion, comme quand il dit : « Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l’impiété de Jacob. (Rom. 11,26 ; Is. 59,20) Et ceci sera pour eux mon testament, quand je retrancherai leurs péchés. » (Is. 27,9)
Mais comment qualifier ces paroles ? Est-ce une prophétie, ou une imprécation ? C’est une prophétie sous forme d’imprécation. Nous trouverons cela autre part encore ; Jacob s’est, lui aussi, servi du même procédé. Comme il faut que les auditeurs fassent leur profit des malheurs qui ont frappé d’autres hommes, il arrive que les prophètes adoptent pour énoncer leurs prédictions, des figures de style telles, que les enseignements qu’elles contiennent nous trouvent plus respectueux et plus craintif. Car ce n’est pas la même chose que de dire : tel ou tel sera puni, ou de proférer les mêmes menaces avec le ton de la colère et de l’indignation. Et pour prouver que ce ne sont pas là des explications irréfléchies, je vais vous citer les paroles mêmes des prophètes.. sur son lit de mort, dit à ses fils : « Venez ici et je vais vous dire ce qui doit vous arriver dans les derniers jours. » (Gen. 49,1) Et le voilà gui, au moment de prophétiser, se laisse emporter, pour ainsi dire, par le bouillonnement de sa colère, et qui, dès les premiers mots, éclate en imprécations : « Ruben, « mon premier-né, toi qui es dur à supporter, « dur et intraitable, tu m’as outragé, puisses-tu ne pas croître comme l’eau. » (Gen. 49,3) Il prophétise sa ruine sous forure de malédiction. Par contre, lorsqu’il annonce d’heureux événements, c’est sous forme de souhait : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre. » (Id. 27,28) Ces paroles contiennent encore une prophétie. Il est évident que ce n’est pas là l’expression de la colère d’un homme, car à l’égard de Chanaan, son père fait de même et dit : « Chanaan sera ton esclave (Id. 9,25) », afin que vous sachiez que Dieu se tient devant ceux qui sont en butte aux outrages, et qu’il marche contre leurs agresseurs. Le Christ use aussi du même procédé, il prophétise, quand il dit avec l’accent de la douleur et du regret : « Malheur à toi, Chorozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïda ! » (Lc. 10,13) Ou bien encore, quand il s’écrie : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes ! » Quel est donc l’objet de ce psaume ? Il concerne en partie Judas, car le Saint-Esprit prophétisait par la bouche de David, et, pour le reste, il s’adresse à d’autres. Ceci encore est une manière d’agir familière aux prophètes. Nous la trouverons employée plus d’une fois Le début s’adresse à une personne, le reste à une autre. Et pour vous en assurer une seconde fois, vous remarquerez que, après l’entrée des Juifs dans la terre promise, le fils de Navé reçoit de Dieu l’ordre de diviser les douze tribus en douze parties différentes, et de le faire en bénissant les unes, en maudissant les autres. Ces bénédictions et ces malédictions n’étaient que l’annonce de ce qui devait arriver. Il disait : « Sois maudit dans la ville, sois maudit dans tes champs. » (Deut. 28,16). Et ces nombreuses malédictions adressées aux tribus forment une très-longue tirade.
Ce que nous pouvons dire du présent psaume, c’est que la malédiction cache une prophétie, qu’elle annonce, qu’elle proclame à l’avance les malheurs qui doivent frapper Judas, ensuite elle retombe sur d’autres personnes et s’adresse à certains hommes qui s’étaient révoltés contre l’autorité sacerdotale. C’est pour nous apprendre combien il est mal de résister aux prêtres de Dieu, et d’employer contre eux la ruse et l’iniquité. Car le psaume ne fait pas autre chose que de nous instruire des châtiments destinés à ceux qui maltraitent le prochain, à ceux qui, pleins de ruse et de corruption, se lèvent contre les hommes qui ne leur ont fait aucun mal. S’il demande que les enfants soient punis, n’en soyez point trop étonné, mon cher frère : par les enfants du pécheur il entend ceux qui ont partagé son crime. Car l’Écriture reconnaît une filiation du vice comme une filiation du sang, et même, en l’absence de tout lien naturel, elle emploie cette expression de fils, comme lorsqu’elle dit : « Vous, vous êtes les fils du diable. » (Jn. 8,44) Comment des êtres de chair pourraient-ils être les fils d’un être incorporel ! Mais la parenté du vice a remplacé pour eux les liens du sang. C’est ainsi que Jésus les rejette encore du sein d’Abraham, en disant.« Si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez ce qu’a fait Abraham. » (Jn. 8,39) Que le fils ne doit pas être puni pour les fautes du père, pas plus que le père pour celles du fils, cela ne fait de doute pour personne. C’est aussi ce que déclare la loi, il n’y a d’exception que dans le cas où le père aurait mal élevé son fils : même alors il n’est pas puni pour son fils, mais pour sa propre faiblesse. Héli en est un exemple. (1Sa. 3,13)
3. Si vous le jugez convenable, reprenons le psaume : « O Dieu, ne taisez pas ma louange. » Ce qu’un autre interprète ainsi : « O Dieu, ne soyez pas sourd pour mon éloge », et un autre : « Ne gardez pas le silence », c’est-à-dire, ne négligez pas de me venger, réprimez le crime. Car c’est vous qui êtes le Dieu glorieux, le Dieu grand, et vous pouvez arrêter ces excès. « Parce que la bouche du pécheur, la bouche du fourbe s’est ouverte contre moi. Ils ont parlé contre moi avec une langue perfide, ils m’ont investi de paroles de haine, ils m’ont combattu sans motif. Au lieu de m’aimer, ils se sont faits mes détracteurs, et moi je vous invoquais. »
Voyez-vous cet excès de perversité ? cet accord pour le mal ? cette préparation au crime ? C’est là ce qui irrite le plus Dieu, quand ceux qui cherchent à faire le mal y apportent de la réflexion, de la préméditation et s’y exercent à l’avance. Autre chose est de se laisser aller au vice par entraînement et par séduction, autre chose de le pratiquer, autre chose encore, et c’est le cas le plus grave, de se montrer méchant à l’égard de celui qui ne l’est pas. Ces paroles, « au lieu de m’aimer, ils se sont faits mes détracteurs », prouvent que les méchants dont il est question avaient affaire à un bienfaiteur, à un homme digne d’être aimé, digne d’être payé de ses bons services, et qu’ils ne lui ont témoigné que de l’ingratitude. « Et moi je vous invoquais. » Voyez-vous sa sagesse, sa modération, sa douceur ? Voyez-vous sa piété ? Je n’ai pas pris les armes, dit-il, je ne les ai pas combattus, mais je me suis réfugié auprès de vous : j’ai invoqué votre alliance, votre intervention, et votre irrésistible protection, qui était mon aune la plus redoutable. Ensuite, après avoir dit ce qui concerne Judas, comment il se condamna lui-même, comment il porta contre lui-même un arrêt de mort, comment il se pendit, comment son apostolat fut confié à un antre, il revient à son premier objet. C’est encore là une des formes de la prophétie, s’interrompre, introduire un épisode, le développer, puis, après cela, revenir à ce qui a été dit au début. C’est l’inintelligence des Juifs qui forçait le prophète à envelopper sa pensée.
Il fait allusion, comme je l’ai déjà dit, à certain personnage qui, vers l’époque où les Juifs revinrent de la captivité de Babylone, forma de mauvais desseins contre l’autorité sacerdotale. C’est un fait connu des hommes studieux qui ont lu l’histoire. Il lui prophétise de grands malheurs, et qu’il sera privé de tout appui. Il demande qu’on lui ferme tout refuge, qu’il n’obtienne de Dieu ni délai, ni bienveillance, ni pardon. Ceci, comme je l’ai dit plus haut, et comme je ne cesserai de le dire, semble être une imprécation et ce n’est qu’une prophétie qui nous montre combien Dieu s’irrite quand on forme de mauvais desseins contre l’autorité sacerdotale. Ensuite il entre dans le détail des châtiments qu’il souhaite à son ennemi et dit : « Parce qu’il ne s’est pas souvenu de faire miséricorde (16), et qu’il a poursuivi un homme pauvre, mendiant, au cœur contrit et mortifié (17). » Former de mauvais desseins et surtout les former contre l’homme qui devrait, au contraire, exciter notre compassion et notre sympathie, voilà le dernier degré de la cruauté, le comble de l’inhumanité. Un tel homme a pris les sentiments de la bêle féroce, ou plutôt il est devenu plus cruel encore que la bête féroce, chez qui la férocité est un instinct, tandis que lui, qui a eu l’honneur de recevoir la raison en partage a prostitué au vice sa noble nature. La bête féroce montre une certaine affection, une certaine douceur pour celles qui sont de son espèce et de sa famille, mais ces gens-là, loin de respecter cette loi commune établie par la nature, attaquent et renversent celui dont ils devraient avoir pitié, qu’ils devraient aider et redresser. « Et il a aimé la malédiction, et elle le frappera, et il n’a pas recherché la bénédiction, et elle s’éloignera de lui (18). » Après lui avoir souhaité beaucoup de malheurs, il montre qu’il faut en rapporter la cause première non pas à lui-même, mais à son ennemi, à celui qui, par ses actions, s’est privé de la faveur de Dieu et s’est exposé aux coups de sa vengeance. « Et il s’est revêtu de la malédiction comme d’un vêtement, et elle a pénétré dans ses entrailles comme de l’eau, elle a pénétré dans ses os comme de l’huile. » Le Prophète s’exprime ainsi pour nous faire comprendre que le pécheur sera frappé d’un coup terrible et qu’il s’expose à d’éternels châtiments, et il nous fait voir que tous les hommes doivent leurs malheurs à eux-mêmes et à leur propre volonté, puisque par leurs actions et leur conduite ils éloignent d’eux les biens qui les attendaient, pour attirer sur leur tête la vengeance de Dieu. « Qu’elle soit comme le vêtement dont il se couvre, et qu’elle soit a comme une ceinture dont il sera toujours enveloppé (19). »
Ce qu’il dit est pour nous montrer l’indicible colère de Dieu s’attachant à de tels hommes, et peut se ramener à ces termes : le malheur s’en emparera si bien qu’ils ne pourront pas même changer leur condition, il les pénétrera profondément, il y demeurera indestructible. Ensuite, afin de nous prouver que c’est la méchanceté qu’il châtie et le vice qu’il redresse, et que ce n’est pas seulement contre l’homme dont il a à se plaindre, mais encore contre ceux qui ont à rendre compte de semblables méfaits, que sera portée cette condamnation : il ajoute : « Tel est le salaire réservé à ceux qui se font mes détracteurs par-devant le Seigneur (20). » C’est-à-dire, voilà le châtiment, voilà la condamnation réservée à ceux qui s’élèvent contre moi, à ceux qui me tendent des embûches, à ceux qui me combattent comme un ennemi, « et à ceux qui blasphèment contre mon âme. » Les paroles sont donc punies, et punies très rigoureusement.
4. Après avoir terminé ce qu’il avait à dire sur son ennemi, il se réfugie de nouveau auprès de Dieu pour invoquer sa protection. Il ne se contente pas d’indiquer le châtiment destiné à ceux qui le poursuivent de leurs mauvais desseins ; il montre aussi que les victimes des méchants ont un vengeur et qu’une protection puissante leur est assurée, et il ajoute. « Et vous, Seigneur, agissez pour moi à cause de votre nom (21). » Voyez sa pitié et sa reconnaissance, voyez son humilité. Et cependant il avait dans ses souffrances un motif légitime à taire valoir pour obtenir l’assistance divine : en effet, on peut voir en plusieurs endroits de l’Écriture que ceux qui ont été injustement maltraités par les hommes ont plus de droits à réclamer la protection de Dieu. Mais lui néglige cet avantage, n’a recours qu’à la bonté de Dieu, et dit : « Agissez pour moi, à cause de votre nom. » C’est presque comme s’il disait : non pas parce que je le mérite, mais à cause de vous-même parce que vous êtes clément et miséricordieux. C’est pourquoi il ajoute : « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur. » Il n’en est pas souvent ainsi de la miséricorde des hommes : il arrive parfois qu’elle nuise à ceux qui en sont l’objet et qu’elle est la cause de leur perte. La miséricorde de Dieu, au contraire, s’exerce toujours à notre avantage. « Délivrez-moi, car je suis pauvre et mendiant, et mon cœur est troublé au dedans de moi (22). » Le voyez-vous encore qui demande à être sauvé, non parce qu’il en est digne, non parce que c’est juste, mais parce qu’il est tout à fait abattu, qu’il est accablé, qu’il a eu mille et mille maux à supporter ? « Et mon cœur est troublé au dedans de moi. » Telle est la puissance du malheur non seulement il a prise sur notre corps, mais encore il porte le trouble dans notre âme. – « Comme l’ombre, qui décline, j’ai passé ; j’ai été agité comme les sauterelles (23). » Il parle de la violence de ses persécuteurs, de leur inexprimable perversité, et de sa piété toujours forme au milieu des malheurs. – « Mes genoux sont affaiblis par le jeûne, et ma chair, privée de nourriture, s’est desséchée (24). » Voyez-vous quelles armes puissantes il a su se procurer pour repousser les embûches et le mauvais vouloir de ses ennemis ? « Je suis devenu pour eux un opprobre ; ils m’ont regardé, et ils ont secoué la tête (25). » Voilà bien le caractère du méchant : non seulement il ne cède point, quand il voit le juste lui opposer sa piété, mais encore il l’outrage, il le raille, il l’attaque. Que fait le juste alors ? Il a recours à l’alliance irrésistible, à la protection toujours victorieuse, et dit : « Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, et sauvez-moi selon votre miséricorde ! Et qu’ils sachent que votre main est là, et que c’est vous, Seigneur, qui m’avez délivré (27). » Que signifient ces mots : « Qu’ils sachent que votre main est là ? » C’est-à-dire, qu’ils sachent que c’est vous qui combattez pour moi, que c’est vous qui me protégez. Je ne veux pas seulement être sauvé, je veux encore qu’ils sachent par qui je l’ai été, afin de doubler le prix de ma victoire, de doubler le prix de ma couronne, et d’augmenter ma gloire. « Ils me maudiront, et vous, vous me bénirez. Que mes ennemis soient confondus, tandis que votre serviteur sera dans l’allégresse (28). » Il y a là, pour l’auditeur, un enseignement philosophique. Le Prophète lui prouve que, fût-il en butte à toutes sortes de malédictions, il n’en éprouvera aucun dommage, si Dieu le bénit, et que la honte et l’insulte retomberont non sur lui, mais sur ceux qui voulaient l’en accabler. « Tandis que votre serviteur sera dans l’allégresse à cause de vous. » Ce n’est pas sans raison qu’il ajoute ces mots « à cause de vous », montrant que c’est de Dieu que lui vient son allégresse, puisque c’est Dieu qui lui a dispensé ces biens. Désormais aucun événement fâcheux ne saurait me troubler ; mon allégresse venant de vous restera toujours entière. – « Que mes ennemis soient revêtus d’ignominie, que leur honte les recouvre comme un manteau (29). » Voyez encore comme il appelle sur eux non seulement le châtiment mais encore la honte et l’ignominie, afin qu’ils y puisent un enseignement pour venir à résipiscence, et qu’ils en prennent occasion pour changer et devenir meilleurs. – « Ma bouche rendra au Seigneur de solennelles actions de grâces, et je chanterai ses louanges au milieu d’une assemblée nombreuse (30). « Parce qu’il s’est assis à la droite du pauvre, pour sauver mon âme de la main de ses persécuteurs (31). » Pour remercier Dieu de tous ces biens, il le chante dans ses hymnes, il lui rend des actions de grâces, il célèbre ses louanges, il annonce à tous son intervention victorieuse, il s’avance comme au milieu d’un théâtre, et se fait le héraut de ses bienfaits. Voilà le sacrifice, voilà les présents qui conviennent à Dieu ; il faut garder de ses bienfaits un souvenir éternel, il faut les graver dans sa pensée, les avoir toujours sur les lèvres, et les raconter à de nombreux auditeurs. De la sorte, celui qui a profité du bienfait, sera payé de sa gratitude, et augmentera encore l’affection que Dieu lui porte : et puis, ceux qui en seront informés deviendront plus pieux au souvenir de ce qui est arrivé à d’autres, et la vue des bienfaits accordés au prochain ne fera que stimuler leur zèle pour la vertu.


EXPLICATION DU PSAUME CIX.

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1. « LE SEIGNEUR DIT A MON SEIGNEUR : ASSEYEZ-VOUS A MA DROITE. »

ANALYSE.

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  • 1. Saint Chrysostome va montrer que ce psaume sape par la base les fausses doctrines des Juifs, de Paul de Samosate, d’Arias, de Marcion, des Manichéens et de ceux qui ne croient pas à la résurrection. – Les premières paroles du psaume affirment l’existence et la divinité du Fils.
  • 2. Le Juif, en refusant de croire aux prophéties qui concernent le Christ, renversa la plus grande partie de l’Ancien Testament. La parole : Ex utero ante luciferum genui te, fait tomber les hérésies de Paul de Samosate et d’Arias.
  • 3. et 4. Explication du verset : Virgam vtrtutis tuca emittet Dominus ex Sion. La croix est la venge de la puissance du Christ.
  • 5. Tecum principium in die virtutis viae : Le Christ possède la toute-puissance qui ne saurait lui être enlevée.
  • 6. Puissance du Christ et gloire des saints au dernier jour du monde.
  • 7. Ante Luci ferum genui te.
  • 8. et 9. Explication du 4° verset. – Melchisédech figure de Jésus-Christ. – Il boira en passant l’eau du torrent. – La vie simple et frugale du Christ doit étre le modèle de la nôtre.


1. Je vous en prie, que votre esprit s’éveille et demeure attentif. Car le psaume nous entretient aujourd’hui des plus sublimes spéculations, et il se tient prêt a confondre l’hérésie ; et non pas une seule hérésie, mais l’hérésie sous toutes ses formes. Il combat en effet les Juifs, Paul de Samosate, les disciples d’Arius, ceux de Marcion, les Manichéens, et tous ceux qui ne croient pas à la résurrection. Puisque la lutte est engagée contre tant d’adversaires, il nous faut regarder de tous nos yeux, afin d’apprécier exactement le mérite des combattants. Dans les autres luttes, quand un détail échappe au spectateur, il n’en éprouve aucun dommage, car l’assemblée dont il fait partie s’est réunie non pour profiter d’un enseignement, mais pour satisfaire sa curiosité. Mais maintenant, si vous n’examinez pas avec une scrupuleuse attention, comment l’adversaire engage la lutte, et comment nous repoussons son attaque, ce ne sera pas un dommage ordinaire que vous aurez à éprouver. Pour éviter donc ce fâcheux inconvénient, que votre intelligence s’éveille, que votre attention soit vive et soutenue. C’est aux Juifs que nous nous attaquons d’abord et contre eux que nous entrons en ligne, et nous faisons combattre avec nous le Prophète en lui empruntant ses propres paroles. Nous disons, nous, qu’il fait manifestement allusion au Christ, tandis qu’ils n’admettent pas notre explication et en imaginent une autre. Commençons par détruire leurs arguments, et après nous développerons les nôtres. Et, en attendant, demandons-leur quel est celui que le juste appelle son Seigneur quand il s’exprime ainsi. « Le Seigneur dit à mon Seigneur. » Il ne parle pas ici d’une seule personne, mais de deux personnes dont l’une adresse la parole à l’autre. Quelle est, d’après eux, celle qui a pris la parole ? C’est Dieu. Et celle qui écoute ? C’est Abraham. D’autres disent due c’est Zorobabel, et d’autres encore indiquent une autre personne. Ils sont comme des gens ivres qui parlent sans pouvoir s’entendre, ou plutôt comme des gens qui marchent dans les ténèbres, et qui se heurtent les uns les autres. Comment donc, dites-moi, Zorobabel serait-il le seigneur David ? Et comment pourrait-on raisonnablement expliquer qu’il ait tenu à grand honneur d’être appelé David ? La suite prouve jusqu’à l’évidence, qu’il ne s’agit nullement ici ni de Zorobabel, ni de David ; ni l’un ni l’autre n’ont eu les honneurs du sacerdoce. Or il est ici question d’un personnage qui exerce un sacerdoce nouveau et merveilleux. « Vous êtes le prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech (4). » Cependant développons le point que nous avons à traiter maintenant. Ils avancent d’autres raisons encore plus faibles que celles-là, ils disent que ces paroles s’adressent au peuple Juif. Mais ce peuple n’a pas été prêtre, et ce qui suit ne peut pas davantage se rapporter à lui. Ainsi donc laissons cet argument de côté, il est sans valeur et ne mérite pas les honneurs d’un siège en règle, et produisons une autre de leurs objections. Que disent-ils encore ? Que c’est l’esclave d’Abraham qui parle ainsi de son Seigneur. Mais en vérité quoi de plus absurde ? Que vient faire ici l’esclave d’Abraham ? Comment son Seigneur aurait-il été prêtre, lui gui avait recours à Melchisédech, comme au prêtre de Dieu, et qui lui demandait sa bénédiction ? Comment expliquer raisonnablement que les paroles qui suivent ont trait à Abraham, « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore ? » Et comment les rapporter soit à David, soit à Zorobabel, soit au peuple Juif ? Ces paroles ne conviennent qu’à un être d’une nature supérieure. Et cette expression, « asseyez-vous « à ma droite », comment s’explique-t-elle si elle s’adresse aux personnages qu’on vient de supposer ? Elle ne s’explique pas. Comment Dieu irait-il dire à Abraham : « Asseyez-vous à ma droite », quand ce même Abraham se regarde comme très-honoré de pouvoir se tenir debout à côté des anges. Mais enfin nos adversaires doivent avoir quelque objection spécieuse à nous faire, quelle est-elle donc ? La voici : Eh quoi ! disent-ils, vous faites intervenir un autre Seigneur, quand l’Écriture a déclaré ouvertement que « le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur, et que vous n’adorez que lui, et que, hors de lui il n’y a pas de Dieu ? » (Deut. 6,4, 43 ; et 4, 35) A qui donc s’adressent ces paroles, dites-moi ? À qui si ce n’est surtout à votre intelligence, ô Juif ? Pourquoi n’a-t-on rien dit de pareil ni à Abraham, ni à Isaac, ni à. ni à Moïse, mais à vous seul, et cela quand, après la sortie d’Égypte, vous adoriez le veau d’or ? Pourquoi donc, dites-le-moi ?
Peut-être êtes-vous embarrassé sur ce que vous avez à dire : eh bien ! moi je vais répondre pour vous. Comme, après votre sortie d’Égypte, vous aviez fait un veau d’or, et que vous l’aviez adoré, que vous vous étiez fait initier au culte de Belphégor (Nb. 25), que la multitude des dieux des païens vous en imposait, et que vous adoptiez cette foule de dieux, quoique cela fût contraire à la loi ; c’est pour arrêter les progrès de votre maladie, et pour arrêter aussi cette invasion des faux dieux que le Prophète ajouta ce mot « un seul », et non pour nier l’existence du Fils unique. Pourquoi en effet est-il dit au commencement de l’Écriture : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ? » (Gen. 1, 26) Et une autre fois : « Venez, descendons et mettons le désordre dans leur langage. » (Gen. 2,7) Et David dit aussi : « C’est pourquoi Dieu, votre Dieu, a sacré d’une onction de joie, qui vous élève au-dessus de ceux qui doivent la partager. » (Ps. 44,8) Si Moïse se sert de ces expressions, « Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur », c’est à cause de votre faiblesse d’esprit. Et pourquoi vous étonnez-vous que cela ait eu lieu pour le dogme, puisque Dieu, quand il s’est agi de la morale s’est départi de la règle parfaite pour une moins parfaite, afin de condescendre à notre faiblesse ? Ainsi, il a permis le divorce, quoiqu’il eût dans l’origine porté une loi tout autre. Il a établi beaucoup de distinctions pour les animaux, quoique au commencement il eût pris une décision contraire, puisqu’il disait : « Je vous ai donné toutes choses comme les légumes d’un jardin. » (Gen. 9,3) Il a aussi porté plusieurs lois concernant le lieu où il voulait être adoré et n’a pas permis qu’on lui offrit partout ses prières, et cependant il n’avait pris dans le principe aucune mesure à ce sujet. Car il apparut à Abraham dans la terre des Perses, et en Palestine et partout, et plus tard il se montra à Moïse dans le désert.
2. Eh quoi ! dira-t-on, l’Écriture est donc en contradiction avec elle-même ? Loin de nous une pareille supposition. Dieu règle chaque chose à propos et suivant l’utilité, afin de remédier à la faiblesse de chaque génération. C’est pour cela qu’il vous a été dit, ô Juifs : « Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur. » Quant à son Fils, les Prophètes ont témoigné qu’il existait et la Bible garde le dépôt de leur témoignage, mais ils ne l’ont pas déclaré ouvertement, pour ne pas heurter votre faiblesse d’esprit, ils ne l’ont pas caché non plus, afin que vous puissiez plus tard venir à résipiscence, et recueillir dans cette Bible, votre livre national, les dogmes de la religion vraie. C’est pair là surtout que nous pourrons prouver aux Gentils, quand nous discuterons contre eux, que les Prophètes étaient vraiment Prophètes, et c’est par là que nous démontrerons que l’Ancien Testament est tout à fait digne de foi. Mais si vous supprimez cette preuve, comment fermer la bouche aux Gentils ? Que leur direz-vous, en effet ? Leur citerez-vous la sortie d’Égypte, et les prophéties qui vous concernent ? Mais certainement ils n’admettront rien de tout cela. Tandis que si vous leur racontez ce qui a été dit du Christ dans l’Ancien Testament, et que Nous leur montriez que les événements sont venus témoigner en faveur des prophètes, ils ne pourront pas même essayer de résister. Si vous critiquez nos dogmes, ô Juifs, comment ferez-vous pour défendre votre Ancien Testament. ? Et si l’on vous dit, prouvez-moi que Moïse a dit vrai, que répondrez-vous ? Que vous croyez en ces paroles. Notre Nouveau Testament est donc beaucoup plus authentique, puisque nous aussi nous y croyons. Or vous, vous ne formez qu’une seule nation, tandis que nous, nous représentons tous les habitants de la terre, de plus, la parole de Moïse n’a pas eu sur vous autant d’action qu’en a eu sur nous celle de Jésus-Christ, votre puissance n’est plus, et la nôtre subsiste encore. Aurez-vous recours aux prédictions ? Mais nous en avons bien plus. Ainsi donc en supprimant nos dogmes, vous obscurcissez les vôtres. Aurez-vous recours aux miracles ? Eh bien ! montrez-nous un miracle de Moïse vous ne le pouvez, puisqu’il n’existe plus, tandis que nous, nous pouvons montrer encore les miracles si nombreux et si divers que le Christ opère encore aujourd’hui, et ses prédictions plus éclatantes que le soleil. Aurez-vous recours à votre loi ? Mais la nôtre est d’une perfection beaucoup plus haute. Mais quoi ! Vous êtes sortis d’Égypte malgré les Égyptiens ! Peut-on comparer ce triomphe remporté sur les seuls Égyptiens à la conquête de la terre entière ameutée contre nous ? Et si je dis cela, ce n’est pas pour mettre en lutte l’Ancien et le Nouveau Testament : le ciel m’en préserve. Non, mais c’est pour fermer la bouche à l’ignorance juive. C’est Dieu, le même Dieu, qui nous a donné, qui a fait l’un et l’autre. Ce que je veux prouver c’est que le Juif en détruisant les prophéties qui concernent le Christ, ruine presque toutes les prophéties, et qu’il ne saurait prouver la noble origine de l’Ancien Testament, s’il n’admet le Nouveau. La preuve que Dieu né s’adresse pas à un homme, c’est qu’il lui dit : « Asseyez-vous à ma droite », et que celui auquel il parle est appelé « Seigneur » comme lui, et qu’il l’a engendré de son sein avant l’aurore, et qu’il était son prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et que le Seigneur s’exprime en ces termes, la domination est avec vous. Voilà qui est d’une éclatante évidence pour ceux qui sont dans leur bon sens.
Si un autre Juif, portant le masque du chrétien, s’élève contre nous, je veux parler de Paul de Samosate, nous pourrons le confondre même en nous servant du Nouveau Testament. Cependant, afin de ne point paraître abandonner le sujet que nous traitons en ce moment pour changer de tactique, repoussons ce nouvel adversaire avec les mêmes armes. Que dit-il donc celui-là ? Que Jésus-Christ n’était qu’un homme, et qu’il n’a commencé d’être que du jour où il est né de Marie. Que répondras-tu donc, dis-moi, à cette parole du psaume : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore ? » Ce que nous avons déjà dit contre les Juifs, il nous faut le répéter contre cet homme et contre ses sectateurs. Et la faute n’en est pas à nous, mais à eux qui ont emprunté une si grande partie de leurs croyances aux Juifs : ce qui fait que nous nous servirons des mêmes armes pour les combattre. Car ceux qui nous attaquent de la même manière, nous devons les frapper des mêmes traits.
Pourquoi donc le Prophète nous représente-t-il Dieu et son interlocuteur assis sur le même trône ? C’est pour nous montrer qu’il y a entre eux égalité d’honneur, ce qui suffit à fermer la bouche aux partisans d’Arius. Aussi Jésus répondait-il aux Juifs, qui disaient que le Christ était fils de David : « Comment donc David l’appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite ? » (Mt. 22,43, 44) Plus tard saint Paul ayant à parler de la mission de Jésus-Christ, donne de ce passage une explication très-claire, et qui porte un coup mortel à Marcion, et à Manichéus, et à tous ceux qui sont malades de la même maladie ; car il explique avec nue sagesse tout à fait à la hauteur de son sujet comment Jésus a été prêtre selon l’ordre de Melchisédech.
Pour nous, revenons encore au texte déjà cité : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Asseyez-vous à ma droite. » Voyez-vous l’égalité d’honneur ? Car le trône est le symbole de la royauté, et s’il n’y a qu’un seul trône, c’est que la royauté a été partagée entre ceux qui s’y sont assis. Ce qui a fait dire à saint Paul : « Il se sert des esprits pour en faire ses anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres. Mais il dit à son Fils : Votre trône, ô Dieu, sera un trône éternel. » (Héb. 1,7, 8) C’est ainsi que Daniel voit la création tout entière debout autour du Seigneur, avec les anges et les archanges, pendant que le Fils de l’homme s’avance sur les nuées et s’approche de l’ancien des jours. (Dan. 7) Si cette manière de parler scandalise quelques personnes, qu’elles se rappellent qu’il a été dit : « Asseyez-vous à ma droite », et elles cesseront de se scandaliser. De même que nous ne disons pas qu’il est plus grand que son Père, parce qu’il est assis à sa droite, c’est-à-dire à la place d’honneur, de même ne dites pas qu’il est moindre que son Père et qu’il lui est inférieur, mais dites qu’ils sont égaux. Ce qui est prouvé par ce fait qu’ils partagent le même siège. « Jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied. » Et quels sont ces ennemis ? Écoutez les paroles de saint Paul : « Jésus-Christ le premier, comme les prémices de tous ; puis ceux qui sont à lui, qui ont cru en son avènement. Et alors viendra la consommation de toutes choses. Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous les pieds. » (1Cor. 15,23, 25)
3. Avez-vous remarqué l’accord qui règne entre les paroles du Prophète et celles de l’Apôtre ? L’un a dit : « Jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied », et l’autre, « Jusqu’à ce qu’il lui ait pris tous ses ennemis sous les pieds. » Mais pas plus chez l’un que chez l’autre ce terme de « Jusqu’à ce que » ne désigne une limite de temps. Autrement, que deviendrait cette parole du Prophète : « Sa puissance est une puissance éternelle, et sa royauté est une royauté qui ne périra jamais, et sa royauté n’aura pas de fin », s’il ne devait régner que jusqu’à cette époque-là ? Voyez-vous bien qu’il ne faut pas prendre simplement les textes au pied de la lettre, ruais qu’il faut en approfondir le sens ? En entendant le Prophète dire que le l’ère place les ennemis de son Fils sous ses pieds, ne vous troublez pas. S’il parle ainsi, ce n’est pas qu’il regarde le Fils comme dépourvu de vigueur. Saint Paul prétend que c’est lui-même qui met ses ennemis sous ses pieds : « Il doit régner jusqu’a ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds. » (1Cor. 14,25) Et de nouveau il met tout à ses pieds, quand il dit : « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père, lorsqu’il aura anéanti toute puissance et tout empire. » (1Cor. 15,24) C’est-à-dire, quand il mettra le bon ordre dans son royaume il fera cesser toute puissance. Tel est le sens du mot καταρχήσει. En disant que tout lui appartient, le Prophète ne sépare pas son Père de lui, pas plus que du père il ne sépare le Fils. Ce qui appartient à celui-là, appartient à celui-ci, et ce qui appartient à celui-ci appartient à celui-là. Aussi est-il dit : « Tout ce qui est à moi, est à toi, tout ce qui est à toi, est à moi. » (Jn. 18,10) Quand donc vous entendrez dire que le Père a soumis les ennemis du Fils, n’allez pas croire que le Fils soit étranger à ce succès, et si vous comprenez que c’est le Fils qui les a soumis, ne dites pas que le Père n’y est pour rien. Leurs succès sont communs comme toutes leurs actions. – « Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance (2). »
La verge de sa puissance, c’est sa puissance elle-même. Le Prophète parle de Sion, parce que c’est là que le Christ a commencé le cours de ses triomphes. C’est là qu’il a donné sa loi, là qu’il a fait ses miracles ; c’est de là qu’est partie la bonne nouvelle pour s’étendre sur toute la surface de la terre. Si vous voulez dégager de ces paroles le sens élevé qu’elles renferment, écoutez saint Paul : « Mais approchez-vous de la montagne de Sion, et de la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et de l’Église des premiers-nés. Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance. » (Héb. 12,22) C’est tantôt la verge qui punit et récompense, tantôt la verge qui console, et c’est le symbole de la royauté. Et pour vous assurer qu’elle est tantôt l’une et tantôt l’autre, écoutez ces paroles du Prophète : « C’est ta verge et ton bâton qui m’ont consolé. » (Ps. 22,4) Et autrefois : « Vous les gouvernerez avec une verge de fer : vous les briserez comme des vases de terre. » (Ps. 2,9) Saint Paul dit aussi : « Que voulez-vous ? que j’aille vers vous avec la verge, ou bien avec l’esprit de douceur et de charité ? » (1Cor. 4,21) Avez-vous vu comme la verge peut servir à instruire ? Voyez maintenant comment elle peut servir à gouverner. Car Isaïe a dit : « Il sortira une verge de la racine de Jessé, et une fleur s’élèvera de la même racine (Is. 2,1) », – et David : « Votre trône, ô Dieu, est éternel : c’est une verge d’équité que la verge de votre royauté. » (Ps. 44,7) Ici le Prophète parle de cette verge avec laquelle les disciples parcoururent la terre, corrigeant les mœurs des hommes, et les ramenant du vice et de l’abrutissement à un genre de vie plus conforme à la nature et à la raison. Allez, dit le Sauveur, « et enseignez toutes les nations. » (Mt. 28,19) Moïse aussi avait une verge, avec laquelle, grâce à l’intervention divine, il accomplissait toutes sortes de prodiges. Celle-ci divisait les eaux des fleuves, celle-là, celle des apôtres, brisait le joug de l’impiété sur toute la surface de la terre. On pourrait, non sans raison, appeler la croix du Christ la verge de sa puissance. Car c’est cette verge qui a bouleversé la terre elles mers, et quia donné aux apôtres tant de puissance. C’est avec cette verge qu’ils se mirent à parcourir toute la terre et qu’ils accomplirent ces fameux prodiges. C’est en portant cette verge qu’ils vinrent à bout de toutes leurs entreprises, et cela tri commençant par Jérusalem. – « Soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. » Remarquez cette prophétie plus éclatante que le soleil. Quel est le sens de ces mots « Au milieu de vos ennemis ? » C’est-à-dire au milieu des Gentils, au milieu des Juifs ? Et c’est ainsi que nos Églises ont pris racine et se sont développées au milieu même des villes païennes, c’est ainsi qu’elles out vaincu et triomphé. Quelle plus éclatante preuve de victoire, que d’élever des autels au milieu même de ses ennemis, que d’être au milieu d’eux comme la brebis au milieu des bêtes féroces, comme l’agneau au milieu des loups ? C’est ce que Jésus leur disait en ces termes : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups (Mt. 10,16) : » prodige néanmoins admirable que le premier. Il n’est pas moins beau d’être comme les brebis au milieu des loups, que de vaincre les ennemis au milieu desquels on se trouve. Mais c’est encore bien plus beau d’avoir, au nombre de douze, soumis toute la terre par la force de la persuasion. « Et soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. » Il n’a pas dit, soyez vainqueur au milieu de vos ennemis, mais, « soyez maître », voulant montrer que ce n’est pas un triomphe obtenu par la force des armes, mais une autorité qui n’a besoin que de s’affirmer pour se faire obéir. Car les apôtres vainquirent, en ayant le Christ avec eux, comme s’ils n’avaient eu qu’à donner des ordres. C’est pourquoi toute maison leur était ouverte, les fidèles leur obéissaient avec plus d’empressement que des esclaves, leur livraient leurs biens, déposaient leurs honneurs aux pieds des apôtres, et n’osaient rien prendre sur ce qui leur appartenait pour satisfaire leurs besoins. La majesté des apôtres leur imposait tellement qu’ils n’osaient se joindre à eux.
4. Et cette puissance, ils l’exerçaient, non seulement sur les fidèles, mais encore sur les infidèles. A quoi reconnaît-on l’esclave, dites-moi ? N’est-ce pas à le voir faire tout ce que son maître lui ordonne ? Et à quoi reconnaît-on le maître ? N’est-ce pas à le voir obtenir de ses esclaves tout ce qu’il lui plaît de recommander ? Quels sont donc ceux qui ont obtenu alors tout ce qu’ils voulaient sous la domination des rois et des gouverneurs ? Ne sont-ce pas les apôtres ? Oui, sans doute. Car les rois et les gouverneurs voulaient retenir la terre sous le joug de l’impiété, et ordonnaient aux hommes d’adorer les démons : tandis que les apôtres ordonnaient le contraire, et c’est leur volonté qui s’est accomplie. Si vous me parlez de la prison, du fouet, des tourments, vous ne faites que montrer davantage la puissance de ces hommes. Et comment ? Parce que leur volonté a triomphé malgré ces mêmes obstacles. Car leur domination repose non sur la loi des maîtres de la terre, mais sur la vertu, elle n’a besoin d’aucun secours étranger, bien plus elle brille d’autant plus qu’elle trouve plus d’adversaires. Souvent les maîtres d’ici – bas ont vu leur puissance détruite par les complots de leurs esclaves, car cette puissance est vile et sans force réelle, tandis que tous leurs efforts n’ont rien pu contre la puissance des apôtres, et n’ont servi qu’à la rendre plus éclatante. Quel est donc le maître le plus glorieux, de celui qui a besoin de beaucoup d’aides pour maintenir ses esclaves dans l’obéissance, ou de celui qui, sans tout cet appareil, dispose à son gré de ceux qui lui sont soumis ? N’est-il pas évident que c’est celui-ci ? Bien souvent ces maîtres-là auraient perdu la puissance qu’ils exercent sur de nombreux esclaves, s’ils n’avaient eu pour eux l’aide des lois et le séjour des villes où leur répression est aisée et même ils auraient perdu à la fois la puissance et la vie : Paul au contraire faisait éclater sa puissance partout et jusque dans le désert. Voulez-vous vous assurer de vos propres yeux que sa dénomination était plus glorieuse que celle des rois ! Il fit admettre ses lois par toute la terre, et partout les hommes laissant de côté celles des rois venaient se conformer aux injonctions qu’il leur faisait par écrit. Les rois étaient maîtres des corps, les apôtres étaient maîtres des âmes. Quel est l’esclave qui obéissait à son maître, le sujet qui obéissait à son roi avec autant de bonne volonté que les fidèles à saint Paul, seulement an reçu de ses lettres ? Comment exprimer l’attachement, le dévouement de ces pommes qui étaient prêts à s’arracher les yeux pour lui ? Qui jamais posséda d’aussi fidèles serviteurs ? C’est en voyant tout cela, en les voyant se faire obéir si facilement des fidèles, se rendre si redoutables aux infidèles qu’ils chassaient et repoussaient comme un vil troupeau, en voyant le Christ triompher si glorieusement par eux, que le Prophète au lieu de dire simplement, « soyez maître au milieu de vos ennemis », a dit, « soyez maître souverain au milieu de vos ennemis », montrant ainsi toute l’étendue de sa domination. Voilà ce que virent les ennemis des apôtres, et ils ne purent rien faire contre eux, quoiqu’ils eussent pour eux et lois, et bourreaux et puissance sans limites. Les apôtres étaient encore plus puissants grâce à celui qui habitait en eux. Le Christ a été maître souverain par eux, et il n’a pas été simplement maître, il a été encore maître souverain, car sa victoire était complète. Animé par celui qu’ils portaient en eux, les fidèles bravaient et le feu, et les bêtes féroces et tous ! es autres supplices. C’est que le Christ était avec eux dans toutes leurs épreuves : aussi luttaient-ils contre les supplices comme si leur corps eût appartenu à d’autres, et dégagés de tout souci terrestre, ils étaient dans la joie et dans l’allégresse, ne reconnaissaient que l’autorité du Christ, et n’épargnaient ni leur fortune, ni leur corps, ni leur vie d’ici-bas. Voilà ce que faisaient ceux qui jadis avaient été les adversaires et les ennemis du Christ qui, non content de leur faire sentir son irrésistible puissance et d’étouffer leur haine, leur inspira cet attachement, ce dévouement extraordinaire. Ainsi donc, quand on dit que le Père place ses ennemis sous ses pieds, on ne le dit pas, comme je l’ai déjà fait remarquer, pour faire croire que le Fils n’a pas de puissance par lui-même, mais, comme j’en ai fait plus haut l’observation, c’est pour qu’on pense que le Père et le Fils sont un seul Dieu en deux personnes distinctes, et pour qu’on ne pense pas qu’il y ait dans le monde deux êtres incréés. Pour bien comprendre que la victoire remportée par le Fils sur ses ennemis lui appartient tout entière, rappelez-vous ses autres triomphes, et n’allez pas prendre les paroles du psaume dans leur sens vulgaire : autrement on n’aboutirait qu’à des absurdités. Afin de vous en convaincre écoutez ce que je vais dire : Les uns, d’ennemis qu’ils étaient, sont devenus les amis du Christ, les autres furent et sont encore ses ennemis. D’ailleurs saint Paul lui aussi indique que de ses ennemis il fera ses amis quand il dit : Lorsqu’il remettra son royaume à Dieu son Père. » (1Cor. 25,21) C’est à quoi fait encore allusion le Sauveur lorsque, s’adressant à son Père lui-même, il lui dit : « Je vous ai glorifié dans le monde, j’ai terminé la tâche que vous m’aviez confiée. » (Jean, 17, 4) Quant à la soumission de ses ennemis, ç’a été l’œuvre du Père. Et ce qu’a fait le Fils est encore plus grand. Car ce n’est pas la même chose de châtier ceux qui persistent dans leur inimitié, ou de changer leurs sentiments de haine en sentiments d’amour. Mais tout cela ne fait pas que le Fils soit inférieur au Père, ou que le Père soit inférieur au Fils. Pour vous convaincre que l’une et l’autre chose sont autant l’œuvre du Père que l’œuvre du Fils, écoutez ces paroles : « Éloignez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel qui est préparé pour le diable et pour ses anges. » (Mt. 25,41) Et celui qui envoie ses anges pour recueillir la mauvaise herbe, c’est le Fils unique, et nous le voyons en toute circonstance punir le diable. Et cela, les démons eux-mêmes le reconnaissent quand ils disent : « Venez-vous ici avant le temps pour nous tourmenter ? » (Mt. 8,29) Preuve que c’est lui qui doit les tourmenter un jour. Voyez-vous bien que, quand on dit que c’est le Père qui a fait triompher le Fils, il faut entendre en même temps que le Fils, lui aussi, a pris part au triomphe ? Mais ce qui prouve encore que ce qui appartient au Père appartient aussi au Fils, ce sont ces paroles du Fils : « Nul ne vient à moi, s’il n’est amené par mon Père. » (Jn. 6,41) Et celles-ci. « Personne ne vient au Père que par moi. » (Jn. 14,6) Il ne faut donc pas prendre ces paroles dans le sens vulgaire, et l’on ne doit pas croire que par cette expression « vos ennemis » on ne désigne que les ennemis du Fils seul, car il dit : « Celui qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père. » (Jn. 5,23)
5. Ainsi les Juifs étaient non seulement les ennemis du Fils, mais encore les ennemis du Père. C’est pourquoi il les a frappés d’une ruine complète, a renversé leur ville, et n’en a fait qu’un amas de décombres. Et s’il ne s’est pas vengé aussitôt après avoir été mis en croix, c’est qu’il leur donnait ainsi le temps de se repentir s’ils en avaient la volonté, et il leur envola les apôtres afin qu’en apprenant par eux quelle était sa puissance, ils pussent quoique bien tard revenir à de meilleurs sentiments. Mais comme ils étaient atteints d’une maladie incurable, il mit le comble à leurs malheurs, ce qui était un autre moyen de les rappeler au repentir et de les faire renoncer à l’ancienne loi, en les amenant, par la force même des choses, à reconnaître la vérité, dont ils ne devraient plus douter en voyant adoré partout celui qu’ils avaient insulté, en voyant leur puissance entièrement détruite. Mais comme ils n’en ont lias profité pour devenir meilleurs, ils se sont rendus indignes de pardon et seront voués aux châtiments éternels. Quand on nous parle de marche-pied, n’allez pas croire qu’il s’agisse d’un objet sensible et matériel, le Prophète se sert de ce mot pour exprimer l’assujettissement des ennemis du Christ. La preuve qu’il les tient assujettit, c’est que là où il n’y a qu’un trône, il n’y a aussi qu’un marche-pied. – « La domination est avec vous au jour de votre puissance (3). » Comme le Prophète a dit plus haut : « Jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied », et qu’il ne veut pas qu’on se figure que le Fils est sans force et qu’il a besoin d’être aidé, comme si c’était un simple apôtre, écoutez comme il détruit à l’avance ce soupçon, lorsqu’il dit : « La domination est avec vous au jour de votre puissance. » Quel est le sens de ces mots : « la domination est avec « Nous ? » En vous, dit-il, est la domination, elle n’y est pas survenue plus tard, mais elle est en vous de toute éternité. C’est aussi ce qu’Isaïe voulait exprimer quand il disait : « Qui porte sa domination sur son épaule (Is. 9,6) », c’est-à-dire qui la porte en lui-même, dans son essence, dans sa nature, ce qui n’a pas lieu pour les rois (car leur domination à eux repose sur la multitude de leurs années), ce qui n’avait pas lieu non plus pour les apôtres (car leur domination à eux aussi ne pouvait se passer d’un appui étranger, de l’appui du Christ), tandis que le Christ possédait la domination par sa propre nature, par essence, et ce n’est pas plus tard, après sa naissance, qu’il a acquis cette domination. Ce n’est pas chez lui une chose venue du dehors, il est né tel aussi : comme on l’interrogeait sur sa royauté, il répondit : « C’est pour cela que je suis né, et que je suis venu dans le monde (Jn. 18,37) « La domination est avec vous au jour de votre puissance. » Ces paroles : « La domination est avec vous » n’ont pas que ce sens-là, elles en ont encore un autre, non seulement elles indiquent que la domination du Christ vient de lui et non d’un autre, mais encore qu’elle dure et durera toujours. Les hommes perdent souvent leur puissance, même de leur vivant, et si ce n’est pas de leur vivant, ils la perdent toujours au moment où ils meurent : ou plutôt la domination n’est pas avec eux-mêmes, quand ils vivent, elle est, comme je viens de le dire, dans leurs armées, dans leurs gardes du corps, dans leurs grandes richesses, dans les fortifications dont ils s’entourent, elle est en un mot dans tous les moyens dont ils usent pour la conserver. Il n’en est pas ainsi pour Dieu, sa domination est en lui, elle y est perpétuellement et sans interruption ; et de même qu’il est impossible qu’il n’existe pas, de même il est impossible qu’il ne soit pas le maître souverain. « Au jour de votre puissance. » On peut entendre par là soit le jour où sa puissance s’est déjà montrée, soit le jour où elle se montrera encore. À chaque fois il fera éclater souverainement sa puissance. Ne croyez-vous pas que ce soit une preuve extraordinaire de puissance, que d’anéantir la mort par sa propre mort, de briser les portes d’airain, d’effacer le péché, de supprimer la malédiction originelle, de détruire tout ce triste héritage de maux et de vices, qui nous avait légué le temps passé, et d’introduire à la place de nouveaux biens et de nouvelles vertus ? Quoi d’égale à cette puissance, soit que l’on considère les prodiges par elle accomplis, soit que l’on considère le succès final ? Les morts ressuscitaient, les lépreux étaient guéris, les démons chassés, la mer était enchaînée, les péchés effacés, les paralytiques recouvraient leurs forces, le paradis était ouvert, les rochers se fendaient, le voile du temple se déchirait, les rayons du soleil se détournaient et les ténèbres voilaient la face de la terre, les saints endormis du sommeil de la mort se réveillaient, l’ennemi du genre humain reprenait le chemin de son ancienne demeure, la voûte du ciel s’entrouvrait et s’élargissait, la nature humaine si longtemps foulée aux pieds s’élevait par-dessus les cieux jusqu’aux plus sublimes hauteurs, et, ce qu’il y avait de plus merveilleux, prenait place sur le trône royal, et voyait debout à ses côtés les anges et les dominations : tous les vices étaient mis en fuite, la vertu était ramenée, le Saint-Esprit répandait sa grâce ; des pêcheurs, des publicains et des faiseurs de tentes fermaient 1a bouche aux philosophes et aux orateurs, et détruisaient la tyrannie des démons ; ils détruisaient les autels, les temples, les fêtes elles solennités des païens ; ils supprimaient de vive force et l’odeur de la graisse des victimes, et la fumée de l’encens offert aux dieux, et les sacrifices impurs ; ils mettaient en fuite et les devins, et les quêteurs de la grande déesse, et toute la cohue de ces serviteurs du diable : sur toute la surface de la terre s’élevaient des églises, se fortifiaient des groupes de vierges, des troupes de moines ; la piété régnait sur les villes et dans les campagnes, et les chœurs des justes et des saints mêlés à la foule des anges et des dominations unissaient leurs voix pour chanter avec eux les louanges du Seigneur ; partout se propageait la race des martyrs et des confesseurs de la foi, partout régnait une vertu douce et séduisante ; les tribus barbares s’instruisaient à la sagesse chrétienne, et ces hommes, naguère plus féroces que les bêtes sauvages, mettaient toute leur ardeur à se conformer aux enseignements du Christ, et la divine parole parcourut autant de pays que le soleil en éclaire, après que le Sauveur eut été mis en croix et qu’il eut ressuscité. Le Prophète avait devant les yeux ce magnifique spectacle quand il disait : « La domination est avec vous au jour de votre puissance. »
6. Si vous voulez vous représenter le dernier jour, et comprendre comment ce jour-là, lui aussi, est le jour de sa puissance, songez quel imposant spectacle ce sera, que de voir le ciel se replier lui-même, de voir la nature entière se relevant enfin de sa longue corruption ; de voir, sur un signe du Christ, tous les morts apparaître, de voir le diable confondu, les démons humiliés, les justes couronnés, tous les hommes rendant compte de leurs péchés ou recevant le prix de leurs bonnes actions ; et quel imposant spectacle que de voir enfin commencer une autre vie ! Alors plus de mort, de vieillesse, ni de maladie, plus de pauvreté, de mauvais traitements, ni d’embûches, plus de maisons, de villes, de métiers, ni de voyages sur mer, plus de vêtements pour se couvrir le corps, plus de nourriture, ni de boissons, ni de toits, ni de lits, ni de tables, ni de lampes, plus d’embûches, de combats, ni de tribunaux, plus de mariages, de douleurs d’enfantement, ni d’accouchements. Tout cela se dissipe et disparaît comme de la poussière. À la vie d’ici-bas succède une vie meilleure, notre corps devient incorruptible, immortel et très-robuste. C’est à quoi font allusion ces paroles de saint Paul : « Car la figure de ce monde passe. » (1Cor. 7,31) Si vous ne croyez pas aux choses qu’on vous dit, parce que vous lie les voyez pas se réaliser maintenant, représentez-vous, d’après ce que vous voyez dès cette vie, ce qui aura lieu plus tard. Parcourez en esprit tous les pays habités, et les terres et les mers, la Grèce et les contrées étrangères, les pays habités et ceux qui ne le sont pas, les villes du continent et les îles, de la mer, les montagnes et les lacs, et en voyant éclater partout la puissance du Christ, en entendant son nom glorieux répété par toutes les bouches, dites-vous à vous-même que celui qui a pu tant de choses, a fait des promesses qui se réaliseront.
Si vous voulez une preuve tirée d’un fait particulier, demandez-vous pourquoi de tous les points de la terre habitée les hommes accourent en foule pour voir un tombeau vide, quelle est cette puissance qui attire les voyageurs des extrémités du monde pour voir le lieu où il est né, le lieu où il a été enseveli, le lieu où il a été mis en croix : représentez-vous cette croix elle-même, et demandez-vous de quelle puissance elle est le signe. Car avant que le Christ y pérît, on regardait la croix comme un instrument de supplice abominable, comme le plus ignominieux, comme le plus infâme. Mais voilà que ce genre de mort est devenu plus honorable que la vie elle-même, voilà que cette croix est devenue plus glorieuse que les diadèmes, voilà que tous les hommes en portent le signe sur leur front, et qu’ils s’en parent, bien loin d’en rougir. Et ce ne sont pas seulement les simples particuliers qui en agissent ainsi, ceux-là même dont le front est couronné portent la croix au-dessus de leur diadème, et ce n’est pas à tort : la croix en effet ne vaut-elle pas mieux que dix mille diadèmes ? Car si le diadème pare notre tête, la croix sauve notre âme. Voilà notre défense contre les démons, voilà le diadème qui préserve notre âme de la maladie du péché, voilà notre arme invincible et notre rempart inexpugnable, voilà ce qui nous protège infailliblement contre tous les assauts, et qui non seulement nous met à l’abri des invasions des barbares et des incursions des ennemis, mais encore nous défend contre les phalanges des démons acharnés à notre perte. – « Au milieu des splendeurs des saints », un autre, « au milieu de la gloire du saint », un autre « au milieu de la gloire des saints. »
Ici encore le Prophète parle du jour de la puissance, et de celui que nous voyons, et de celui qui viendra plus lard : pour lui la splendeur des saints, c’est leur beauté. Quelle splendeur peut rivaliser avec celle de saint Paul, quelle gloire, avec celle de saint Pierre ? Les hommes qui ont parcouru la terre, en jetant plus d’éclat que le soleil, en semant les germes de la piété ! Comme des anges descendus du ciel, ils intimidaient les hommes qui n’osaient, les approcher. C’est ce que nous fait entendre celui qui a composé le livre des Actes des Apôtres, quand il dit : « Nul n’osait se joindre à eux. » (5, 13) Leurs vêlements mêmes étaient pleins d’une grâce efficace, et l’ombre de leur corps faisait des miracles. » (Act. 5,15 ; 19, 12) Si sur cette terre ils se révélaient avec tant d’éclat, représentez-les vous tels qu’ils seront, quand viendra le grand jour, quand ils auront an corps incorruptible, un corps immortel, et d’un éclat supérieur à tout ce qu’on voit ici-bas, représentez-les-vous eux et ceux qui leur ressemblent, prophètes, apôtres, justes, martyrs et confesseurs, et tous ceux qui se sont conformés à la vraie loi en vivant dans la foi du Christ. Représentez-vous ces peuples de bienheureux, ces clartés, ces rayons, cette gloire, ces belles et sereines et solennelles magnificences. Qui peindra ce tableau ? La parole ne le peut, ceux-là seuls qui sont dignes de le contempler pourront se figurer toutes ces splendeurs. Selon moi, ce sera quelque chose de pareil à ce qui arriverait si le ciel était illuminé par plusieurs soleils ou par de continuels éclairs : ou plutôt, pour en revenir à ce que j’ai dit, j’ai beau m’efforcer de peindre avec la parole cet imposant spectacle, je ne pourrais jamais le faire en termes dignes du sujet. Toutes ces images sont prises dans le monde sensible, mais cette splendeur, cette gloire qui doivent alors éclater dans le ciel, seront d’une beauté bien supérieure à tout ce que je viens de décrire, car le corps des bienheureux ne sera pas seulement incorruptible et immortel, il sera aussi revêtu d’une gloire ineffable. « Au milieu des splendeurs des saints. » Pour ne pas se borner à nous représenter le Christ dans ce qu’il a de terrible, il nous le montre doux et bienfaisant, et dit : « Au milieu de la splendeur des saints. » Ceci est encore une marque de sa puissance, que de donner une telle splendeur aux saints, et c’est aussi ce que signifient ces paroles de saint Paul : « Qui transformera notre corps, tout vil et abject qu’il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux » (Phil. 3,21).
7. Puis, après avoir signalé cette grande et sublime métamorphose, il ajoute : « Selon cette « vertu efficace par laquelle il peut s’assujettir toutes choses. » (Id) Ne cherchez point, dit-il, comment, ni de quelle manière. Car il peut tout ce qu’il veut. Pourquoi le Prophète n’a-t-il pas dit au milieu de la splendeur, mais : « Au milieu des splendeurs des saints ? » Parce que les récompenses éternelles, en quoi consistent ces splendeurs, sont nombreuses et de différentes sortes. « Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur : et, entre les étoiles, l’une est plus éclatante que l’autre. Il en arrivera de même dans la résurrection des morts. » (1Cor. 15,41-42) Le Christ a dit aussi : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. » (Jn. 14,2) C’est pourquoi cette splendeur n’a pas de fin. Elle ne cède ni à la nuit, ni aux ténèbres, mais elle est grande et indescriptible, elle surpasse de beaucoup celle que nous voyons, et, ce qu’il y a de plus admirable en elle, c’est qu’elle est sans limites. C’est aussi en quoi se manifeste l’ineffable puissance du Roi des cieux qui donne à des corps faibles et sujets à la corruption une telle force et une telle puissance. Puis, après avoir peint à grands traits ce sublime spectacle, après avoir enlevé les auditeurs sur l’aile de l’espérance, il prouve que ces merveilles doivent naturellement avoir lieu, puisque celui qui les accomplit est si grand. Quel est-il donc celui qui les accomplit ? C’est Celui qui est consubstantiel au Père ; aussi le Prophète ajoute-t-il : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore. »
Ceux qui forcent le sens de ces paroles pour les rendre conformes à leur opinion, disent qu’il s’agit de la génération selon la chair. Et alors, dites-moi, pourquoi cette expression « avant l’aurore ? » – Le Prophète veut dire qu’il a été engendré la nuit, et qu’il est né avant le matin. – Mais si c’était là ce que voulait dire le Prophète, l’expression aurait trahi sa pensée, et puis le Prophète né parlait pas avec la précision de l’historien, autrement on ne pourrait plus dire que ce que les Évangélistes ont enseigné, d’une manière exacte, les Prophètes l’avaient annoncé à l’avance, mais en le laissant suivant leur coutume, enveloppé de certaines ombres. En se servant de cette expression : « Avant l’aurore », le Prophète a donc voulu dire non pas avant le lever de l’aurore, mais avant la nature, avant l’existence de l’aurore. C’est là une distinction que l’Écriture ne manque pas de faire, et elle dit avant la nature, tantôt avant la fonction, comme par exemple : « On doit avancer le matin pour vous rendre grâces, et venir à vous avant le lever de la lumière. » (Sag. 16,28) Ici le Prophète veut parler du matin. Il a dit : « avant le lever du soleil ; » et non avant le soleil, ou avant la nature du soleil, parce qu’il n’existait rien ici-bas avant la nature du soleil : il a dit : « avant le lever du soleil », afin de bien montrer qu’il s’agit ici du matin. Ailleurs lorsqu’il s’agit de ! a nature du soleil, l’Écriture ne dit pas avant le lever du soleil, mais : « Avant le soleil », ainsi : « Son nom subsiste avant le soleil et avant la lune, pendant les générations des générations. » (Ps. 71,17-5) De même que cette expression : « Avant le soleil », et celle-ci : « Avant le lever du soleil » offrent un sens différent, car l’une nous représente la fonction du soleil, et désigne le matin, tandis que l’autre désigne la nature de cet astre ; de même, si, dans ce passage, le Prophète avait voulu désigner la nuit, il n’aurait pas dit « avant l’aurore. » mais avant le lever de l’aurore. Du reste, le Christ n’interprétait pas ce passage dans le sens de la génération selon la chair, mais dans le sens de la génération selon l’Esprit. « Que vous semble du Christ », disait-il aux juifs : « et de qui est-il fils ? » Comme ils répondaient : « Il est fils de David », il leur citait ce psaume et disait : « Comment se fait-il que David dise : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma, droite ? – Si donc celui auquel Dieu s’adresse est le Seigneur de David, comment se fait-il que vous disiez qu’il est le fils de David ? » (Mt. 22,42-45) Dans quel but Jésus-Christ parlait-il ainsi ? Pour montrer qu’il était bien le Fils de Dieu.
Quoi donc ? Est-ce qu’il n’a pris naissance qu’avant l’aurore ? nullement. Car il est dit autre part : « Son trône existe avant la lune. » Et ce n’est pas seulement avant la lune, puisque le Prophète dit du Père : « Avant que les montagnes fussent créées ; avant que la terre fût formée, avant qu’elle fût habitée, et depuis le commencement des siècles vous existez, et vous existerez tant que les siècles dureront. » (Ps. 89,2) Cependant Dieu n’existe pas seulement depuis le commencement des siècles, mais il existait encore avant eux, et son existence ne dure pas seulement autant que celle des siècles, car elle dure infiniment. N’allez donc pas vous déconcerter à la lecture des textes sacrés, et sachez leur donner l’interprétation qui convient à la majesté de Dieu. Remarquez aussi l’habileté du Prophète : il n’a point commencé le psaume par ces mots : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore. » Il nous montre d’abord le Christ dans son triomphe, il le célèbre par ses œuvres, puis au moment opportun, il nous dévoile sa divine majesté. C’est encore ainsi que le Christ lui-même disait : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi ; mais si je les fais, quand même vous ne croiriez pas en moi, croyez en mes œuvres. » (Jn. 10,37) Il parlait ainsi afin qu’en apprenant que celui qui est assis à la droite du Père, que celui qui est appelé Seigneur comme le Père, que celui qui partage sa royauté, que celui qui l’exerce avec tant d’éclat, que celui qui est maître souverain des nations, afin qu’en entendant dire que celui-là est le fils de Dieu et qu’il existe avant toute la création, vous n’alliez pas vous étonner et vous troubler. Il faut encore admirer le Prophète pour l’art avec lequel tantôt il fait parler Dieu en personne, tantôt il parle en sort propre nom. Ces expressions : « Asseyez-vous à ma droite », et : « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore », qui sont les plus majestueuses, il les met dans la bouche du Seigneur ; dans le reste du psaume, c’est lui-même qui parle. Examinez aussi comme il se sert de l’expression propre. Il lui suffisait de dire : « Je vous ai engendré ; » mais pour se mettre à la portée de ceux qui rampent sur cette terre, et pour leur faire comprendre que le Christ est vraiment le fils de Dieu, il complète cette expression en disant. « Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore. » De même que s’il parle de la main de Dieu, ce n’est pas pour nous faire croire qu’il s’agisse réellement d’une main, mais pour nous donner une image de, la puissance créatrice ; de même il ne parle du sein de Dieu que pour nous faire connaître que Jésus est bien son fils.
8. Ensuite voulant donner à sa prophétie la solennité d’un arrêt rendu par un juge, il s’adresse à Dieu lui-même, ce qui dénote un amour bien vif et une joie extrême, et ce qui est la marque d’une, âme toute pleine de l’esprit de Dieu « Le Seigneur a juré, et il ne s’en repentira pas : vous êtes le prêtre éternel, selon l’ordre de Melchisédech. » Voyez-vous comme il revient à prendre un ton moins élevé, suivant qu’il parle de ce qui entre dans les attributs de Dieu ou de ce qui entre dans les attributs de l’homme ? C’est aussi ce que font les évangélistes, afin de conserver intact le dogme sous ses deux aspects. Pourquoi ces mots : « Selon l’ordre de Melchisédech ? » Par allusion aux mystères, car celui-ci porta le pain et le vin à Abraham, et parce que ce sacerdoce est en dehors de la loi, et parce qu’il n’a ni commencement ni fin, comme le remarque saint Paul. Car Melchisédech n’avait que l’ombre, tandis que Jésus possède la réalité : même ressemblance pour les noms, si les noms de Jésus et de Christ annonçaient la mission du Sauveur ; le nom même de Melchisédech annonçait aussi la sienne[19]. On ne connaît ni le commencement, ni la fin de la vie de Melchisédech, non qu’il n’ait eu ni commencement ni fin, mais cela vient de ce qu’on n’a pas sa généalogie. De même Jésus n’a ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, non pas seulement comme Melchisédech, mais sa durée n’a réellement et absolument parlant, ni commencement ni fin. L’un était l’ombre, l’autre est la réalité. Quand vous entendez prononcer ce nom de Jésus, vous ne vous représentez que la signification qui lui est propre, sans rien chercher de plus et sans vous figurer que Jésus est réellement là ; de même quand vous entendez dire que Melchisédech n’a eu ni commencement ni fin, n’allez pas vous le représenter ainsi dans la réalité, contentez-vous de lui appliquer, cette épithète, et gardez ce qu’elle a de réel pour Jésus. Quand vous entendrez dire que Dieu a prononcé un serment, ne le croyez pas. La colère de Dieu n’est ni de la colère, ni de la passion, ce que nous appelons ainsi n’est chez lui que la volonté de punir : il en est de même du serment. Car Dieu ne jure pas, il dit seulement : « Cela sera. »
Après avoir parlé de la splendeur des saints, après avoir mis les ennemis du Seigneur sous ses pieds, et nous avoir annoncé le jour de sa puissance, le Prophète ne fait plus que prédire ce que nous voyons se réaliser aujourd’hui. Remarquez dans quel ordre il dispose ses paroles pour manier plus facilement l’intelligence rebelle de l’auditeur. Il l’effraye d’abord en lui parlant du jugement, et le fait se relâcher de son indocilité, puis il arrive à parler des événements présents. C’est ainsi que s’explique ce mélange de styles différents. Voyez plutôt : « Jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis à vous servir de marche-pied. » Ceci a rapport aux choses à venir. Puis il arrive aux événements présents : « Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance.
Soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. » Après quoi il revient aux événements à venir : « La domination est avec vous au jour de votre puissance, et dans les splendeurs des saints. » Ensuite il parle de nouveau des événements présents, et ce n’est plus dans un esprit de sévérité, mais dans un esprit de douceur : « Vous êtes le prêtre éternel a selon l’ordre de Melchisédech », ce qui est le signal de la délivrance du péché et du retour à Dieu. Après avoir insisté là-dessus autant qu’il le jugeait à propos, il nous entretient encore de la mission du Christ, prend un ton moins élevé et s’exprime ainsi : « Le Seigneur est assis à votre droite (6). » Cependant il a dit plus haut que c’était lui qui était assis à la droite du Seigneur. Voyez-vous comme il faut se garder de lire à la légère les textes sacrés ? Qu’est-ce donc que cette expression. « le Seigneur est assis à votre droite ? » Comme il vient de toucher au mystère de l’incarnation, la liaison des idées l’amène à parler de la chair et des secours qu’elle reçoit, car il voit le Sauveur dans l’agonie, dans la sueur, et dans une sueur de sang, il le voit aussi qui reprend ses forces. (Lc. 22,44) Telle est en effet la nature de la chair.
« Il écrasera les rois au jour de sa colère. » On pourrait avec raison appliquer ces paroles à ceux qui sont présentement en révolte contre l’Église, et à ceux qui auront un jour à rendre compte de leurs péchés et de leurs impiétés. – « Il jugera parmi les nations, il multipliera ses coups. » Quel est le sens de ces mots : « Il jugera parmi les nations ! » C’est-à-dire il fera le procès des démons et les condamnera. Et pour preuve qu’il les a jugés, écoutez ces paroles du Christ : « C’est maintenant que le monde va être jugé, c’est maintenant que le prince de ce monde va être chassé dehors. » (Jn. 12,31) Et celles-ci : « Et pour moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tout à moi. » (Id. 32) S’il se sert d’une image un peu matérielle, n’en soyez pas étonne c’est là une habitude des saintes Écritures : « Il brisera sur le sol la tête de beaucoup. » Si vous vouliez prendre ces paroles dans leur sens élevé, on pourrait vous dire que cela signifie qu’il détruira l’orgueil des insensés ; mais si vous préférez n’y voir que l’expression d’un fait sensible, on pourra vous dire qu’il s’agit des malheurs du peuple juif, qu’il a complètement détruit et frappé d’un coup terrible. – « En passant, il boira l’eau du torrent (7). » Ces paroles du Prophète nous montrent combien le Christ était simple et modeste dans sa manière de vivre, qu’il n’affichait aucun faste, qu’il n’avait point de gardes, qu’il ne s’entourait point d’un appareil imposant pendant qu’il accomplissait ses prodiges, qu’il recherchait au contraire la simplicité au point de boire de l’eau du torrent. Il était aussi frugal pour sa boisson que pour sa nourriture : il mangeait du pain d’orge, et l’eau du torrent était sa boisson. Il est venu pour nous enseigner ce genre de vie qui convient aux amis de la sagesse, pour nous apprendre à être maîtres de notre estomac, à fouler aux pieds le faste, à fuir l’orgueil. Ensuite le Prophète, pour nous montrer ce qu’on gagne à vivre ainsi, ajoute : « C’est pourquoi il lèvera la tête. » Tel est le fruit qu’on retire d’une vie humble et austère.
9. Ceci s’applique non à la divinité, mais à la chair qui boit de l’eau du torrent, et qui se relève. Car cette simplicité loin de lui faire tort ne fait que la grandir extraordinairement. Vous donc, mon cher frère, grâce à ces exemples méprisez le luxe et la magnificence, recherchez un genre de vie modeste et facile, si vous voulez devenir vraiment grand et illustre. Votre maître est venu pour cela, pour vous tracer cette route. C’est pour cela que le Prophète, après avoir dit les triomphes du Christ, ajoute ces paroles qui peuvent presque se traduire ainsi : Parce que vous avez entendu parler de victoires et de trophées, ne vous attendez pas à voir des armes et des soldats, des chars, des chevaux et des cavaliers, des hoplites, des mêlées bruyantes et tumultueuses. Ce triomphateur est si modeste, si humble qu’il boit l’eau du torrent ; et cependant c’est lui qui accomplira tous ces prodiges. Qu’ils écoutent ces enseignements ceux qui ont des tables aussi richement servies que celles des Sybarites, qui ne rêvent que plats, que desserts de toute sorte, qui rassemblent de tous côtés des cuisiniers de spécialités différentes, qui enrégimentent à leur service marins, pilotes et rameurs pour se faire apporter des pays étrangers des vins, des essences et tout l’attirail de la gourmandise, pour se précipiter eux-mêmes dans l’abîme et tomber au dernier degré de l’abjection. Nous ne sommes pas plus haut parce que nous avons beaucoup de besoins, que nous ne sommes plus bas parce que nous en avons peu. Et, si vous le voulez bien, représentons-nous l’une et l’autre condition : supposons un homme qui entretienne partout une foule de personnes chargées de subvenir à ses besoins, des marins, des pilotes, des artisans, des serviteurs, des tisseurs et des brodeurs, des bouviers et des bergers, des écuyers et des palefreniers, qu’il ait en un mot pour accomplir tous ses ordres un nombreux personnel : supposons en regard un autre homme qui ne jouisse d’aucun de ces avantages, qui se contente de pain et d’eau, qui ne porte qu’un vêtement très-simple. Quel est celui qui est au-dessus de l’autre, quel est celui qui est au-dessous ? N’est-il pas évident que le plus grand est celui qui n’a qu’un seul vêtement. Lui, pourra mépriser même le roi sur son trône, tandis que l’autre est l’esclave de ceux qui lui procurent tous ces biens, il s’incline devant eux, il leur adresse des paroles flatteuses, car il craint, en perdant leurs bons offices, d’éprouver un dommage considérable. Rien ne nous rend esclaves comme d’avoir beaucoup de besoins ; de même aussi rien ne nous rend libres comme de n’avoir besoin que d’une seule chose. C’est ce qu’on peut voir même chez les animaux. Que gagne un âne à porter des fardeaux considérables, dût-il en jouir mille et mille fois ? Où est le dommage pour celui qui est débarrassé de tous ces fardeaux, s’il peut compter sur la nourriture nécessaire ? C’est pourquoi le Christ voulant faire de ses disciples des hommes supérieurs aux autres, car ils allaient parler devant la terre entière, les débarrassa de toutes ces préoccupations, leur donna des ailes, leur donna des mœurs plus rigides que l’acier. Rien ne fortifie l’âme, comme de la dégager de ces entraves, et rien ne l’affaiblit, comme de ne pas l’en dégager. Dans le premier cas nous ne sommes pas plus exposés à rencontrer la douleur, que nous ne le sommes, dans le second, à rencontrer le plaisir. De ces deux hommes, en effet, l’un a des maîtres et des maîtresses nombreux, difficiles et cruels, l’autre n’est l’esclave de personne et est le maître de tous, et cela en toute sécurité il jouit de la lumière du soleil, est insensible aux intempéries de l’air, et ne connaît nulle contrariété. La colère ne le surexcite pas, la haine, la jalousie, les soucis ne rident pas son front, ni ces passions, ni aucune autre de ce genre. Son âme est aussi calme qu’une rade aux eaux paisibles où ne pénètre pas la tempête, et il suit d’un pas tranquille le chemin qui le conduit vers le ciel, sans se laisser détourner par les biens d’ici-bas. Afin donc que nous aussi nous jouissions de cette sécurité, et de ce calme inaltérable pendant la vie présente, et que nous franchissions le grand passage avec autant de sérénité, efforçons-nous de nous conformer à ce genre de vie, c’est ainsi que nous jouirons des biens éternels, de ces biens qui défient toute description, qui surpassent notre imagination et notre intelligence, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel appartiennent la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CX.

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1. « SEIGNEUR, JE VOUS RENDRAI HOMMAGE DE TOUT MON CŒUR. »

ANALYSE.

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  • 1. L’action de grâces est ce que Dieu exige surtout de nous.
  • 2. La mort est utile ; quelle est celle qui est mauvaise, quelle est celle qui est bonne.
  • 3. Il est utile de contempler la création. Toutes les œuvres de Dieu doivent éveiller en nous le désir de lui rendre grâces.
  • 4. Si Dieu punissait les péchés à mesure qu’ils se commettent, il y a longtemps que le genre humain aurait cessé d’exister. Dieu fait encore des miracles.
  • 5. Misericors et miserator Dominus escam dedit timentibus se. Virtutem operum suorum annuntiavit populo suo. Opera manuum ejus veritas et judicium.
  • 6. Il y a différents genres de préceptes. Les lois humaines sont passagères et obscures, les lois divines sont claires et permanentes.
  • 7. Quel est le principe de la sagesse. Définition de la sagesse. Il est nécessaire de joindre les œuvres à la foi.


1. Pourquoi ces mots « de tout » mon cœur ? c’est-à-dire avec tout le zèle possible, avec force, sans se préoccuper des soucis de cette vie, en élevant son âme à Dieu, en la tenant détachée des liens du corps. « De cœur », c’est-à-dire non pas seulement des paroles, de la langue, et de la bouche, mais aussi de la pensée. C’est ainsi que Moïse, lorsqu’il formulait ses lois, a dit : « Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. » (Deut. 6,5) Il me semble qu’ici hommage est synonyme d’actions de grâces. Je chanterai des hymnes, dit le Prophète, je rendrai grâces au Seigneur. C’est à cela en effet qu’il a consacré sa vie entière, c’est par là qu’il débute, c’est par là qu’il finit : c’était sa préoccupation continuelle que de rendre grâces à Dieu tant pour les bienfaits qu’il en avait reçus que pour ceux qui avaient été accordés à d’autres hommes. Il n’y a rien à quoi Dieu tienne tant c’est le sacrifice, c’est l’offrande qu’il préfère, c’est la marque d’une âme reconnaissante, et c’est un coup sensible porté au diable : c’est par là que le bienheureux Job a mérité sa couronne et sa gloire, parce qu’il ne se laissa point déconcerter ni par les nombreux malheurs dont il fut frappé, ni par les conseils pernicieux de sa femme, et qu’il persista à rendre grâces au Seigneur pour tout ce qu’il faisait, et non seulement alors qu’il était riche, mais encore au moment même où il était plongé dans la pauvreté : non seulement alors qu’il était bien portant, mais encore au moment même où il était frappé dans sa chair : non seulement dans le cours de sa prospérité, mais encore au milieu du terrible orage qui fondit sur toute sa maison, et sur la nature même de son corps. C’est là le principal témoignage de reconnaissance que de remercier Dieu avec effusion au milieu de ses afflictions et de ses adversités, et de persister quand mémo à lui rendre grâces : pensée qui est aussi celle du Prophète, et qu’il nous fait entendre par ce qui suit. Comme beaucoup parmi les hommes rendent grâces au Seigneur quand ils sont dans la prospérité, pour s’irriter contre lui quand leur fortune, change, et que quelques-uns vont jusqu’à critiquer ses actes, le Prophète, pour nous montrer que cette conduite n’est pas une suite naturelle des événements, mais bien le fait d’une âme pervertie, ajoute ces paroles : « Dans le conseil des « justes et dans leur assemblée les œuvres de Dieu sont grandes (2). » Il parle ainsi pour nous faire comprendre que pour un juge intègre, pour un tribunal incorruptible, il est évident que les œuvres de Dieu sont grandes et pleines de merveilles. Elles sont grandes par elles-mêmes, mais elles ne peuvent paraître telles qu’à celui dont le jugement est sain. Ainsi, le soleil est brillant et lumineux par lui-même, et il éclaire de ses rayons la terre tout entière, et cependant pour ceux dont les yeux sont malades, le soleil n’a rien de tout cet éclat. Est-ce la faute du soleil, ou n’est-ce pas plutôt celle de la maladie qui a affaibli leurs organes ? Lors donc que vous verrez un homme blâmer les œuvres de Dieu, que la perversité, de cet homme ne vous induise pas à les calomnier vous aussi, mais représentez-vous la grandeur et la providence de Dieu, et alors vous ne verrez dans les paroles de cet homme qu’un exemple remarquable d’inintelligence. Celui qui reproche au soleil d’être ténébreux, ne fait pas le procès à cet astre, mais bien à sa propre infirmité dont il donne une preuve évidente : celui qui se plaint de l’amertume du miel ne peut nous faire douter que le miel ne soit doux, mais en parlant ainsi il fait le procès à la maladie qui a dépravé chez lui le sens du goût : il en est de même de celui qui critique les œuvres de Dieu. De même que les paroles de cet homme-là n’ont de prise ni sur les œuvres de Dieu, ni sur l’idée qu’on s’en fait, et qu’elles ne servent qu’à faire ressortir son inintelligence, de même ceux qui ne jugent pas sainement des œuvres de Dieu, ne reconnaissent même pas les merveilles qui s’offrent à leurs regards, tandis qu’une âme droite et non pervertie sera étonnée devant les prodiges que recèlent même les choses qui nous paraissent le plus pénible. Et en effet, dans tout ce que fait Dieu, qu’y a-t-il qui ne soit merveilleux ? Si vous le voulez, laissons de côté tout le reste pour ne nous occuper que de ce qui paraît aux hommes pénible et fâcheux, de la mort, de la maladie, de la pauvreté et des autres choses de ce genre. Eh bien ! pour un cœur droit, il n’y a là rien qu’il ne doive approuver, admirer. Si la mort est le fruit du péché originel, cependant la puissance de Dieu, – sa bonté, sa providence sont telles qu’il a su la tourner à l’avantage du genre humain. Qu’a la mort de si pénible, dites-moi ? Ne nous délivre-t-elle pas de nos peines ? ne nous débarrasse-t-elle pas de nos soucis ! ne savez-vous pas que Job en fait l’éloge et qu’il dit : « La mort est le moment du repos pour l’homme, et ses voies lui sont cachées (Job. 3,23) ? » N’est-ce pas l’écueil du vice ? En effet, si un homme est pervers, les œuvres de sa perversité sont interrompues par sa mort : « Car celui qui est mort, est délivré du péché (Rom. 6,7) », c’est-à-dire il ne commet plus de péchés. Si c’est un homme de bien qui quitte cette vie, les œuvres de sa vertu seront pour toujours en sûreté et conservées dans un asile inviolable. La mort, dites-moi, ne rend-elle pas les vivants plus sages et plus humains ? N’avez-vous pas souvent observé ces riches si fiers dont le sourcil est relevé, quand ils rencontrent un convoi funèbre, et qu’ils voient étendu ce corps muet et immobile, qu’ils voient les enfants orphelins, la femme dans le veuvage, les amis dans le chagrin, les esclaves en vêtements noirs, et tout ce sombre attirail d’une maison en deuil ? comme ils rentrent en eux-mêmes ! comme ils s’humilient ! comme ils sont contrits l Eux qui ont entendu tant de fois prêcher la sainte parole sans en tirer aucun profit, les voilà devenus sages tout d’un coup à la vue de ce spectacle : ils comprennent combien est peu de chose et combien est peu durable cette nature humaine, combien est vermoulue et peu stable cette puissance dont ils sont fiers, et dans les malheurs qui frappent les autres, ils voient les changements qui les attendent eux-mêmes.
2. La mort est là, et cependant que de rapines, quelle cupidité. ne dirait-on pas que c’est comme chez les poissons où le plus fort dévore le plus faible ? Eh bien ! que serait-ce si la mort n’était pas prête à nous frapper ? Où s’arrêterait la cupidité ? Si tes hommes, sachant qu’ils ne jouiront pas du fruit de leurs rapines et qu’ils devront bon gré mal gré le laisser en d’autres mains, n’en sont pas moins en proie à ce vertige et à cette rage, comment pourrait s’éteindre la flamme de leurs mauvais désirs, s’ils pouvaient les satisfaire en toute sécurité ? Eh quoi ! Les couronnes du martyre, n’est-ce pas la mort qui les tresse ? Et saint Paul, ne s’est-il pas élevé d’innombrables trophées, lui qui disait : « Il n’y a point de jour que je ne meure, j’en atteste la gloire que je reçois de vous ? » (1Cor. 15,31) La mort n’est pas un mal, ce qui est un mal c’est la mauvaise mort. Aussi le Prophète dit-il : « La mort de ses saints est précieuse devant Dieu (Ps. 115,15) », et ailleurs : « La mort des pécheurs est mauvaise », appelant mauvaise la mort de ceux qui sortent de la vie avec une mauvaise conscience, une conscience qu’accablent le poids et le souvenir de nombreux péchés. Tandis que celui dont la conscience est pure, en sortant de cette vie court s’emparer des récompenses et de la couronne qui lui sont réservées. Afin de comprendre que ce n’est pas la nature même des choses, ruais l’opinion des hommes, qui nous trouble lorsque nous songeons à la mort, écoutez ce que dit saint Paul quand il s’occupe de ce sujet « Car tandis que nous sommes dans cette tente nous gémissons, attendant l’effet de l’adoption divine, la rédemption et la délivrance de nos corps. » (2Cor. 5,1 ; Rom. 8,23) C’est pour nous prouver la même chose qu’il dit ailleurs : « Mais quand même je devrais répandre mon sang sur la victime et le sacrifice de votre foi, je m’en réjouirais en moi-même, et je m’en conjouirais avec vous tous : et vous devriez aussi vous en réjouir, et vous en conjouir avec moi. » (Phil. 2,17, 18) Si la mort loin d’être un objet d’horreur, est désirable pour ceux qui vivent vertueusement, combien plus doit-il en être de même de la pauvreté et de tout le reste. « Les œuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés. » Un autre, « ont été soignées. »
Ici le Prophète me semble parler des créatures, et proclamer la sagesse de Dieu. Plus haut il nous parlait des actes de sa Providence quoique nous ayons, pour nous mettre à la portée de la faiblesse d’esprit de ceux qui nous écoutaient, donné encore un autre sens à ses paroles) il nous parlait des prodiges, des merveilles, qu’il a si souvent accomplis dans le gouvernement de la race humaine. Quel est le sens de ces paroles : « Ses œuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés ? » Elles sont faites avec soin, comme le dit un autre interprète, elles sont préparées, agencées, elles sont faites, complétées, de manière à satisfaire pleinement ses volontés, de manière à prouver sa puissance, elles ne sont pas imparfaites, elles ne sont pas au-dessous de leur fin qui est de concourir à l’accomplissement de ses ordres. C’est aussi ce que le Prophète dit ailleurs : « Le feu, la grêle, la neige, les vents et les tourbillons, tout sert à l’exécution de ses plans (Ps. 148,8) », c’est-à-dire à l’exécution de ses ordres. C’est encore dans le même sens qu’il a dit : « Il a fait la lune pour marquer les temps, le soleil connaît l’heure de son coucher : vous amenez les ténèbres, et la nuit se fait. » (Ps. 103,19-20) Dieu ne s’est pas contenté d’organiser toutes choses pour suivre immuablement l’ordre que nous leur voyons observer : même quand il leur ordonne le contraire, elles lui obéissent docilement. Il donne un ordre à la mer, et la voilà qui, non seulement n’engloutit pas les Juifs, comme il eût été dans sa nature de le faire, mais qui étend et aplanit ses vagues, présente une surface plus solide que la pierre et les transporte sur la rive opposée. (Ex. 14,22) non seulement la fournaise ne brûla pas, mais encore elle produisit de la rosée avec des sifflements. (Dan. 3,24) non seulement les bêtes féroces ne dévorèrent pas Daniel, mais encore elles lui servirent de gardes du corps. (Id. 22) non seulement la baleine ne dévora pas Jonas, mais encore elle le conserva sain et sauf comme un dépôt qui lui aurait été confié. (Jon. 2) non seulement la terre refusa de porter Dathau et Abiron, mais encore elle se montra plus terrible que la ruer lorsqu’elle s’ouvrit pour les engloutir et les dévorer et les faire disparaître devant le peuple assemblé. (Nb. 16,32) On pourrait encore voir bien d’autres merveilles dans la création, et qui devraient convaincre ceux qui sont assez insensés pour défier la Nature, que la création n’obéit pas fatalement à ses lois, mais que tout cède et fléchit devant la volonté de Dieu. La nature est l’œuvre de cette même volonté qui dispose et organise toute la création à son gré, et qui, tantôt conserve immobile les limites qu’elle lui a posées, tantôt les déplace facilement, selon qu’il lui plaît, et renverse l’ordre naturel des choses. « Les œuvres ont été méditées de manière à satisfaire toutes ses volontés », c’est-à-dire de manière à réaliser tous ses ordres et tous ses commandements, et non seulement de manière à réaliser ses commandements, mais encore de manière à le faire connaître des hommes, car c’est là l’objet de sa volonté, c’est surtout dans ce but qu’il a fait tout cela. Ce que dit le Prophète revient donc à ceci, que les œuvres de Dieu sont disposées de telle sorte que les hommes attentifs et de bon sens reconnaissent qu’elles révèlent avec beaucoup de netteté, d’évidence et de clarté l’existence de Dieu à l’intelligence humaine. C’est surtout dans ce but que Dieu a disposé toutes choses dès le principe, afin qu’en voyant la grandeur, la beauté et l’ordre de la création, en voyant marcher et fonctionner toutes choses avec régularité, l’âme du spectateur s’émût, et que son intelligence s’éveillât à la recherche du Créateur et de l’architecte suprême, à la recherche de Dieu, et qu’elle adorât celui qui a fait ces choses, et qu’elle lût le secret de son existence dans la création, comme dans un livre. Le spectacle de la création nous est très-utile non seulement pour arriver à la connaissance de Dieu, mais encore pour régler notre conduite. L’homme cupide, en voyant le jour céder la place à la nuit, et le soleil à la lune, aura honte de ne pas imiter le bon ordre qui règne parmi les éléments, et, fût-il le plus fort, il ne convoitera pas les biens de ceux qui sont plus faibles : l’adultère et le débauché, en voyant la mer d’abord furieuse se calmer en approchant du rivage, rougiront à leur tour de ne pas imiter le bon ordre qui règne parmi les flots, ils pourront refréner promptement l’excès de leur passion, arrêter par la crainte du Christ l’élan qui les emporte, dissiper toute cette écume des désirs impurs, et se soumettre au frein de la chasteté. Si nous jetons les yeux sur la terre ferme, nous pourrons y trouver facilement d’utiles sujets de méditation, surtout pour ce qui concerne le mystère de la résurrection, et nous pourrons admettre ce qu’on en dit. Voyons le sol recevoir un grain de blé : ce grain est dur, bientôt après il se dissout et se pourrit pour produire d’autres grains bien plus beaux encore. Voyons la vigne en hiver : elle n’a ni feuilles, ni vrille, ni raisins, ce n’est que du bois tout sec, on dirait un squelette ; mais vienne le printemps, et la voilà qui reprend toute sa beauté. C’est ainsi qu’en voyant la mort et la vie se succéder dans le corps des végétaux et dans les semences, nous pourrons faire de sages méditations sur la résurrection de la chair. La fourmi nous enseignera l’amour du travail, l’abeille, l’amour du beau et les avantages de l’association, comme dit le proverbe : « Paresseux, va vers la fourmi, cherche à imiter ses voies, et deviens plus sage qu’elle. Car sans avoir de laboureur à ses côtés, sans y être obligée par personne, sans obéir à un maître, elle prépare sa nourriture pendant l’été, et durant la moisson se fait une réserve abondante. Ou bien va trouver l’abeille, et apprends d’elle ce que c’est que de travailler ; le fruit de ses travaux est recherché pour la santé et par les rois et par les simples particuliers. Son corps est faible, mais comme elle honore la sagesse, elle surpasse les autres êtres. » (Prov. 6,6-8)
3. Et l’abeille même s’entretiendra avec vous, elle vous dira de ne pas admirer à première vue la beauté du corps, quand la vertu ne s’y joint pas, et de ne point mépriser la laideur, quand l’âme est belle. C’est aussi la même recommandation que nous fait l’auteur des Proverbes, lorsqu’il dit : « L’abeille est petite entre tout ce qui vole, et son fruit l’emporte sur les fruits les plus doux. » (Sir. 2,3) Observez les oiseaux, et ce spectacle vous offrira aussi d’utiles enseignements. Ce qui, faisait dire au Christ : « Considérez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment point, ils ne moissonnent point, et votre Père céleste les nourrit. » (Mt. 6,26) Si des êtres privés de raison ne s’inquiètent pas de leur nature, quelle excuse aurez-vous à présenter, vous qui ne montrez pas, pour les choses de ce monde, autant de dédain que les oiseaux ? Si vous voulez vous habituer à mépriser la parure, les fleurs des champs vous enseigneront le goût de la simplicité. C’est ce que le Christ nous montre par ces paroles : « Considérez les lis des champs ; ils ne travaillent point, ils ne filent point ; et cependant je vous le dis en vérité, Salomon même dans toute sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. » (Mt. 6,28, 29) Lors donc que vous vous préoccuperez de la beauté de vos vêtements, songez que, malgré tous vos efforts, vous trouverez parmi l’herbe des champs, des fleurs qui feront pâlir votre luxe, et avec lesquelles vous ne pourrez rivaliser. Laissez donc de côté cette absurde passion. Nous pourrions trouver bien d’autres sujets de méditation en considérant soit les animaux, soit les fleurs, soit les semences. « Il faut rendre hommage à la magnificence de l’œuvre de Dieu (2). »
C’est-à-dire, à la magnificence de chacune de ses œuvres, car il ne s’agit point ici d’une œuvre seulement. Un autre interprète a dit : « Il faut louer et célébrer ses œuvres », et le premier : « Il faut rendre hommage », c’est-à-dire, il faut rendre grâces à Dieu et le glorifier. Chacune des choses que nous voyons suffit à éveiller en nous le désir de lui rendre grâces, de lui chanter des hymnes, de le bénir et de le glorifier. Il n’est pas permis de dire : Pourquoi ceci ? à quoi bon cela ? Les ténèbres et le jour, la disette et l’abondance, le désert et les pays inhabitables, les terres grasses et profondes, la vie et la mort, en un mot tout ce que nous voyons suffit pour exciter, chez ceux qui savent s’en rendre bien compte, le désir de rendre grâces au Seigneur. C’est ce que Dieu lui-même nous démontre lorsque, parlant par la bouche d’un de ses prophètes, il fait voir que ses vengeances sont autant de bienfaits : « Je les ai détruits, comme Dieu a détruit Sodome et Gomorrhe ; je les ai frappés de fièvres brûlantes et de maladies de foie. » (Amo. 4,11) Dans une autre circonstance, il s’exprime ainsi par la bouche d’un autre prophète : « Je les ai ramenés de la terre d’Égypte, et je les ai rachetés de la maison de la servitude (Mic. 6,4) ; » et montre le bienfait caché sous le châtiment. Il en est de même de ce que nous voyons : c’est autant de bienfaits pour nous, autant de sages et instructifs enseignements destinés à combattre le vice. Les hommes agissent tantôt pour faire du bien aux autres, tantôt dans un esprit de haine et d’aversion tandis que Dieu fait tout dans un esprit de bienveillante, ainsi ce fut pour son bien qu’il plaça le premier homme dans le paradis terrestre, pour son bien aussi qu’il l’en chassa : ce fut pour le bien des hommes qu’il fit le déluge, et pour leur bien qu’il lança sur Sodome le feu qui la consuma. Considérez chacune de ses actions, et vous verrez qu’il a tout fait en vue du bien. C’est pour notre bien qu’il nous a menacés de la géhenne : si les pères, lorsqu’ils frappent leurs enfants, sont tout aussi bien leurs pères que lorsqu’ils les caressent, et tout aussi bons pères dans un cas que dans l’autre, pourquoi n’en serait-il pas de même de Dieu ? Ce qui faisait dire à saint Paul : « Quel est le fils que son père ne châtie pas ? » (Héb. 12,7) Et à Salomon : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, il corrige avec le fouet tous ceux de ses enfants qu’il veut instruire. Sa justice subsiste dans les siècles des siècles. » (Prov. 3,12)
4. Il me semble que dans ce passage Salomon s’adresse à ceux qui sont scandalisés à la vue des malheurs qui frappent ceux qu’on ne croirait pas devoir en être frappés, c’est à peu près comme s’il parlait en ces termes : ne vous troublez pas en voyant des hommes faussement accusés, à qui l’on nuit et que l’on maltraite sans qu’ils l’aient mérité : car il leur reste un tribunal incorruptible, il leur reste un juge intègre qui donne à chacun selon son mérite. Si maintenant vous voulez demander compte à ce juge de ses décisions, prenez garde d’attirer sur vous une sentence de condamnation. Car si, à chacun de nos péchés, Dieu devait répondre par un châtiment, si, à chacune de nos fautes il devait infliger la condamnation qu’elle mérite, il y a longtemps que le genre humain aurait disparu de dessus la terre. Et pourquoi parlé-je de tel ou tel ? Pour vous prouver ce que j’avance, je vais amener devant vous cet homme supérieur à tous les hommes, ce Paul dont la voix a été entendue de toute la terre, qui fut ravi au troisième ciel, qui fut transporté dans le paradis, que Dieu a initié à ses mystères redoutables, ce vase d’élection, ce paranymphe du Christ, cet homme quia mené la vie d’un ange, qui est arrivé à un tel degré de perfection. Si Dieu n’avait pas voulu patienter avec lui, s’il n’avait pas voulu le supporter à l’époque de ses erreurs, de ses blasphèmes et de ses persécutions, et s’il l’eût arrêté dans sa course en le frappant de la condamnation qu’il méritait, ne l’eût-il pas privé dès l’abord de tout moyen de se repentir ? Et saint Paul le savait bien, lui qui disait : « Je rends grâces à notre Seigneur Jésus-Christ, qui m’a fortifié, de ce qu’il m’a jugé fidèle en m’établissant dans son ministère ; moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur et un ennemi outrageux. Mais j’ai reçu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fit éclater son extrême patience et que j’en devinsse comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui pour acquérir la vie éternelle. » (1Tim. 12,13-16)
Et la femme prostituée, s’il l’eût châtiée, quand aurait-elle changé ? Et s’il avait puni le publicain Matthieu, à l’époque où il était encore publicain et où il ne s’était pas encore converti, ne lui aurait-il pas enlevé tout moyen de se repentir ? Oh peut en dire autant du bon larron, autant des mages, autant de chacun de ces célèbres pécheurs. Dieu retient sa colère, il retarde la vengeance que demande sa justice pour appeler les hommes à la pénitence ; que s’ils demeurent incorrigibles, ils subiront infailliblement la peine due à leurs péchés. Aussi le prophète, pour consoler ceux qui sont victimes de l’injustice, et pour imposer plus de réserve à Ceux qui la font, a-t-il ajouté : « Sa justice subsiste dans les siècles des siècles. » Ce qu’il veut nous faire entendre par ces paroles, le voici : O vous qui souffrez l’injustice, ne désespérez pas, si la mort vous frappe, d’obtenir la justice qui tous est due, car, après volve départ de ce monde, vous recevrez pleinement la récompense de vos peines, et vous, qui ravissez les biens des autres, qui vous les appropriez, qui semez partout le désordre, si vous venez à finir vos jours en paix, n’en soyez pas plus rassuré : car, après voire départ de ce mondé, vous rendrez compte de tout ce que vous avez fait, et vous subirez la peine due à votre perversité. Car Dieu subsiste toujours ainsi que sa justice dont rien, pas même la mort, n’interrompt le cours, pas plus quand il s’agit de récompenser les peines endurées par l’homme vertueux, que quand il faut infliger nu vice le châtiment qui lui est dû. « Il a perpétué la mémoire de ses merveilles (4). »
Quel est le sens de ces paroles, « il a perpétué la mémoire de ses merveilles ? » C’est-à-dire il n’a pas cessé d’en faire, et il en fait toujours. Car ces mots « il a perpétué la mémoire », signifient qu’il n’a pas cessé, qu’il ne s’est pas désisté pendant toutes les générations de produire des merveilles, et de réveiller l’attention des esprits épais par la vue des prodiges qu’il opérait. L’homme sage et d’un esprit élevé n’aura pas besoin de miracles : « Bienheureux », en effet, « ceux qui n’ont pas vu et qui ont a cru ! » (Jn. 20,29) Comme Dieu se préoccupe non seulement de ces hommes, mais encore de ceux dont l’intelligence est moins ouverte, il ne cesse pas de faire des miracles presque à chaque génération. La création telle que nous la voyous est déjà une merveille, cependant pour faire une plus vive impression sur l’esprit engourdi de la multitude il a produit beaucoup de miracles soit en public, soit en particulier, comme par exemple le déluge, la confusion des langues, la destruction de Sodome, ce qu’il a fait pour Abraham, pour Isaac, pour. pour les Juifs pendant leur séjour en Égypte, et pendant leur sortie de ce pays, pendant qu’ils étaient au désert, ce qu’il a fait pour eux en Palestine, à Babylone, au retour de la captivité, au temps des Macchabées, après que le Christ eut passé sur cette terre, et pendant qu’il y était, puis ce qu’il a fait jusqu’à nos jours, la ruine de Jérusalem, l’établissement de l’Église, le Verbe parcourant le monde, transporté sur les flots, propagé par la guerre, le peuple innombrable des martyrs, et tant d’autres miracles. On pourrait citer bien des miracles particuliers arrivés soit dans les maisons, soit dans les villes. Mais tenons-nous en aux miracles d’un caractère universel, à ceux qui sont évidents et qui sont connus de tous, et qui se produisent à chaque génération. Combien n’en a-t-on pas vu éclater au temps de Julien, ce prince des impies, alors que l’Église était en butte à ses attaques ? Combien, du temps de Maximin ? Combien, sous les rois qui l’avaient précédé ? Si vous voulez vous reporter aux miracles arrivés en la génération présente, voyez ces croix gravées tout à coup sur les vêtements, le temple d’Apollon frappé de la foudre, le saint martyr Babylas transporté de Daphne dans un autre endroit, cette victoire éclatante sur le démon, la mort extraordinaire du gardien des trésors du roi, la mort violente du roi lui-même, de ce Julien, le prince des impies, la ruine et la fin de son oncle, les fontaines de vers, mille autres prodiges, la famine, la sécheresse, le manque d’eau qui en fut la suite et qui fit tant de ravages dans les cités, et mille autres prodiges arrivés par toute la terre.
5. Vous savez aussi ce qui se passa dans la Palestine à cette époque. Quand les Juifs voulurent relever ce temple que Dieu avait condamné à la destruction, le feu jaillissant des fondations, chassa tous les travailleurs, et le travail resté inachevé en est une preuve. « Le Seigneur est plein de bonté et de miséricorde. Il a donné la nourriture à ceux qui le craignent (5). » Le Prophète, après avoir proclamé les bienfaits de Dieu, bienfaits manifestés par ses miracles et par ses œuvres, après avoir dit le soin qu’il avait pris de nous, donne encore plus de poids à ses paroles en montrant que si Dieu a fait tant et de si grandes choses pour le salut des hommes, s’il a employé et s’il emploie tous les moyens pour former leur cœur et leur esprit et les préparer à le connaître et à pratiquer la vraie sagesse, s’il protège et soutient leur existence, il le fait non pas parce qu’il le doit, mais (ce qui doit porter au comble notre reconnaissance) par pitié pour nous et par bienveillance, non pas parce qu’il a besoin de le faire, mais par pure bonté. « Il a donné la nourriture à ceux qui le craignent. » Pourquoi parler ici de ceux qui le craignent ? Ce ne sont pas ceux-là seuls qu’il nourrit. Car il dit dans l’Évangile « qu’il fait lever le soleil pour les bons et pour les méchants, qu’il fait pleuvoir pour ceux qui sont justes et pour ceux qui ne le sont pas. » (Mt. 10,45) Comment donc le Prophète a-t-il pu dire « à ceux qui le craignent ? » Il me semble qu’ici il parle non pas de ta nourriture du corps, mais de celle de l’âme. Aussi ne parle-t-il que de ceux qui craignent le Seigneur, car c’est à ceux-là qu’elle est destinée. L’âme veut sa nourriture comme le corps. Et pour preuve, écoutez ces paroles : « L’homme ne vivra pas seulement de pain, il vivra aussi de toute parole sortie de la bouche de Dieu. » (Mt. 4,4) C’est donc de cette nourriture que parle le Prophète, de celle que Dieu a donnée de préférence à ceux qui le craignent, il parle des enseignements du Verbe divin et de ses préceptes où se résume toute sagesse. « Il se souviendra toujours de son alliance. » Afin de rabattre le sot orgueil des Juifs, et de leur enlever tout sujet de vanité, surtout afin de montrer que tous les biens dont ils ont joui ils les ont dus, non à leurs propres mérites, mais à l’affection que Dieu avait pour leurs pères et à l’alliance qu’il avait contractée avec eux, il dit : « Il se souviendra toujours de son alliance. » Et c’était là suivant les recommandations de Moïse, ce que les Juifs devaient se répéter entre eux et ce qu’ils devaient méditer à l’époque où ils pénétraient dans la terre de promission. Car il disait : « Si tu viens à bâtir de belles villes, si tu viens à t’entourer de trésors, ne va pas dire : cela m’est arrivé à cause de ma justice, mais : cela m’est arrivé à cause de l’alliance contractée avec mes pères. » (Deut. 9,4, 5) Rien de pire qu’une folle présomption ; aussi Dieu la frappe-t-il sans relâche, toujours, et de toute manière. « Il manifestera à son peuple la force de son bras (6), pour lui donner l’héritage des nations (7). »
De l’ensemble le Prophète descend aux détails : des événements qui intéressent l’univers, il descend à ceux qui ne concernent que les Juifs. Et cependant, à y regarder de près, on peut placer ceux-là au rang de ceux qui intéressent tout l’univers. Car les événements survenus chez eux étaient un enseignement pour les autres : leurs guerres, leurs trophées et leurs victoires suffisaient à tenir lieu de prédication pour ceux qui en auraient fait l’objet de leurs méditations. La succession de ces événements est en dehors et au-dessus de la logique humaine. Quelle explication logique donner de la chute des murs de Jéricho, quand sonnèrent les trompettes des Juifs ! des succès et du triomphe de cette femme qui commandait des armées ! de la victoire de ce petit garçon qui mit fin avec sa fronde aux attaques des ennemis ! et combien d’autres événements aussi extraordinaires ! C’est ainsi, c’est par une telle série de prodiges que les Juifs vainquirent leurs adversaires et les chassèrent de la Palestine. Lors donc que le Prophète dit : « Il manifestera à son peuple la force de son bras, pour lui donner l’héritage des nations », il n’a en vue qu’une chose, c’est de montrer la puissance du Seigneur qui, non content de repousser les nations ennemies des Juifs, employait pour en arriver là des moyens tels que ce peuple ne pouvait manquer de connaître (et pour cela les événements antérieurs suffisaient déjà), que c’était le bras divin qui frappait les ennemis, et que c’était parce que Dieu se faisait leur général, que les Juifs triomphaient de leurs adversaires. Il les instruisait par des paroles et surtout par des laits, par leurs chaussures et leurs vêtements qu’il conservait, par la nourriture qu’il leur envoyait, par la nuée qui les éclairait la nuit et les guidait le jour, par les guerres, par la paix, par leurs victoires, par le labourage, par les pluies, en un mot, toute chose prenait une voix pour proclamer l’action du Maître suprême, et pour aiguillonner leur intelligence émoussée, et en aucun temps Dieu ne cessa de leur donner des preuves de sa puissante protection. – « Les œuvres de ses mains sont la vérité et la justice. »
Après avoir parlé de la puissance de Dieu, le Prophète nous entretient aussi de l’équité de ses jugements, car les actions du Seigneur témoignaient non seulement de sa puissance, mais encore de sa justice. Il ne se contenta pas de chasser les nations des territoires où il voulait établir les Juifs, il se montra juste même en cela. Aussi Moïse dit-il autre part : « Les péchés des Amorrhéens n’ont pas encore comblé la mesure. » (Gen. 15,16) On peut dire cela non seulement des Juifs et des événements qui les concernent, mais aussi de tous les autres événements en général. En toutes choses, Dieu procède suivant la vérité et avec discernement, c’est-à-dire avec justice. Bien souvent l’Écriture célèbre son esprit de vérité et de bonté. Par là, elle veut dire que sa conduite à notre égard est un mélange de bonté et de justice. Car s’il n’eût fait que ce qui était juste, toutes choses auraient péri.
6. Aussi le même Prophète dit-il ailleurs : « N’entrez pas en jugement avec votre serviteur, car nul homme, vivant ne sera justifié en votre présence (Ps. 142,2) », et ailleurs encore : « Si vous tenez compte de toutes nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant vous ? » (Ps. 129,3) Justice et bonté, tels sont les deux principes, qui guident le Seigneur dans tout ce qu’il fait. S’il s’en fût tenu à la stricte justice, tout eût péri : s’il n’eût employé que la bonté, les hommes se seraient, pour la plupart, encore plus relâchés. Et c’est afin de varier nos moyens de salut, et de nous mener au bien qu’il s’inspire à la fois de sa justice et de sa bonté. « Tous ses commandements sont fidèles (8). » Ici le Prophète, comme il l’a déjà fait souvent, part de la sagesse et du soin qui éclatent dans les merveilles si, diverses de la création, pour nous entretenir des lois que Dieu a établies et pour traiter encore de sa providence sous cet aspect particulier. Car ce n’est pas seulement par la manière dont il a disposé cette création si belle et si grande qu’il a fait le bonheur du genre humain, mais aussi par les lois qu’il lui a données. Dans le psaume XVIII, le Prophète, parlant du Seigneur à ces deux points de vue, commence par dire : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ; » arrivé au milieu du psaume, et après avoir décrit les splendeurs de la création, il ajoute : « La loi du Seigneur est irréprochable, elle convertit les âmes les commandements du Seigneur portent au loin la lumière, ils éclairent les yeux. » (Ps. 18,8, 9) De même après avoir, dans le présent psaume, dit les prodiges, les merveilles et les œuvres de Dieu, il en vient à parler de ses commandements, et s’exprime ainsi : « Tous ses commandements sont fidèles, ils sont affermis à jamais, ils sont le résultat de la vérité et de la droiture. » Ce n’est pas sans intention qu’il se sert du mot « tous », s’il emploie cette expression, c’est qu’il veut peindre les commandements du Seigneur dans toute leur variété. Car, parmi ces commandements, on peut distinguer ceux auxquels obéissent la création, le soleil et la lune, la nuit et le jour, et les étoiles, et la terre et la nature, ceux qu’il a imposés dès l’origine à la nature, lorsqu’il forma le genre humain, et c’est de ceux-là que saint Paul dit : « Lorsque les Gentils qui n’ont pas la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi (Rom. 2,14) », et qu’il dit ailleurs : « Car je me plais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur. » (Rom. 7,22)
Il y a de ces commandements qui sont écrits. Et tous ces commandements subsistent. S’ils ont changé, ce n a pas été en mal, mais en mieux. Ce commandement : « Tu ne tueras point » n’a pas été supprimé, mais étendu ; et cet autre : « Tu ne commettras pas l’adultère » n’a pas été effacé, mais affirmé avec plus d’énergie. C’est ce qui a fait dire au Sauveur : « Je ne suis point venu pour détruire la loi ou les prophètes, mais pour les compléter. » (Mt. V, 17) Car celui qui s’abstient de se mettre en colère, s’abstiendra encore plus du meurtre, et celui dont les regards ne sont pas impurs est encore plus éloigné de commettre l’adultère. Le caractère essentiel de la loi de Dieu c’est l’éternelle durée, qu’il s’agisse de la création, de la nature, de la sagesse ou du Nouveau Testament. Aussi le Christ a-t-il dit : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point (Mt.V, 17) », montrant par là qu’elles sont inébranlables. Car tout ce que le Seigneur veut faire subsister subsiste sans interruption et sans que rien en interrompe la durée. « Ils sont le résultat de la vérité et de la droiture. » Qu’entend le Prophète par ces mots : « le résultat de la vérité et de la droiture ? » Dans ces commandements, dit-il, il n’y a ni ambages, ni faux-fuyants, ni obscurité, il n’y arien qui témoigne de la partialité ou de la haine, tous ils n’ont qu’un but, notre utilité et notre avantage. Ce n’est pas comme les lois des hommes qui durent si peu, qui sont si peu claires et qui se ressentent tant de leur origine. Car parmi ces lois, combien sont l’œuvre des passions humaines ! C’est pour se venger de ses ennemis ou pour complaire à ses amis que le législateur les a composées. Il n’en est pas ainsi des lois de Dieu, elles sont plus claires que le soleil, elles n’ont en vue que l’intérêt de ceux à qui elles s’adressent, elles les conduisent à la vertu, à la vérité et non à ces mensonges, je veux parler de la richesse et de la grandeur qui ne sont que mensonges, tandis que les œuvres de Dieu ne sont que vérité ; elles apprennent non à s’enrichir, non à se procurer les biens d’ici-bas, mais à jouir des biens que nous réserve l’autre vie. Elles ne nous parlent, ces lois, que de la réalité, que de la vérité, de la vérité pure. « Tous ses commandements sont fidèles. » Comment « fidèles ? » Ils sont stables, durables. Si on les transgresse, le châtiment suit la désobéissance et on ne peut y échapper, et si les hommes négligent de les faire observer, Dieu est là prêt à les venger. N’allez donc pas dire que les paroles de Dieu ne sont que des menaces exagérées à dessein. Jamais un législateur ne se contente de menaces, il veut aussi corriger. Si vous ne croyez pas fermement à ce que l’avenir nous destine, songez aux événements passés et qu’ils vous servent de leçon. Le déluge de Noé, l’incendie de Sodome, Pharaon et son armée engloutis sous les eaux, les Juifs exterminés, leurs captivités, leurs guerres, étaient-ce là de simples menaces ou des menaces suivies d’effet ? Si ces événements, qui ne sont qu’une image affaiblie de ceux que recèle la vie future se sont accomplis de la sorte, que sera-ce plus tard ? La réalité sera d’autant plus terrible que les hommes auront montré plus de perversité en se livrant au péché après avoir été l’objet de tant de soins et d’une protection si efficace. « Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple (9). »
Selon l’histoire, le Prophète parle de la délivrance des Juifs, selon le sens anagogique de la délivrance de l’univers, sens confirmé par ce qui suit : « il a conclu avec lui une alliance éternelle. » Il s’agit ici du Nouveau Testament. Il fait mention de ses commandements et de sa loi, mais comme elle a été violée et qu’un tel acte doit exciter la colère du Seigneur, il dit « qu’il a envoyé la rédemption à son peuple », ainsi que le Seigneur l’a dit lui-même : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. » (Jn. 12,47) Puisque la loi transgressée frappe le coupable d’un châtiment, « c’est la loi », dit-il, « qui provoque le châtiment, car là où il n’y a pas de loi, on ne transgresse pas la loi. » (Rom. 4,15) Et ailleurs : « Tous ont péché, et sont devenus indignes de la gloire de Dieu, mais il les justifie par un effet de sa grâce. » (Id. 3,23, 24) Voilà pourquoi le Prophète s’exprime en ces termes : « Il a envoyé la rédemption à son peuple. »
7. Cependant il ne se contente pas de nous envoyer la rédemption, mais après la rédemption, la loi reprend son cours, afin que par notre conduite nous nous montrions dignes de la grâce dont nous avons été l’objet. « Son nom est saint et terrible (10). » Le Prophète, à la vue des preuves éclatantes que Dieu a données de sa protection et de sa providence soit dans l’Ancien, soit dans le Nouveau Testament, soit par ses œuvres, soit par ses commandements, soit par ses prodiges, soit par ses miracles, est saisi d’enthousiasme : il admire la grandeur de Dieu, il le glorifie et chante un hymne en l’honneur de Celui qui a fait toutes ces choses. « Son nom est saint et terrible », c’est-à-dire son nom commande l’étonnement et l’admiration. Si cela est vrai de son nom, combien plus de Dieu lui-même ? Comment son nom est-il saint et terrible ? Les démons le redoutent, les maladies en ont peur, c’est à lui, c’est à ce même nom que les Apôtres ont dû leurs succès sur cette terre. C’est à ce nom que David eut recours comme à une arme au moment de combattre, et il terrassa l’étranger qui menaçait sa patrie ; ce nom a fait réussir mille et mille entreprises, c’est sous les auspices de ce nom que nous sommes initiés aux mystères sacrés. Le Prophète, après avoir repassé en lui-même tous les prodiges accomplis par ce nom, tous les bienfaits que nous lui devons, ses triomphes sur ceux qui le reniaient, sa protection efficace assurée à ceux qui le respectaient, après avoir médité ces événements supérieurs aux lois de la nature, supérieurs même aux méditations de l’intelligence humaine, le Prophète dit : « Son nom est saint et terrible. » Or s’il est saint, il exige de ceux qui veulent le célébrer dans leurs hymnes, une bouche sainte, une bouche sainte et pure.
« La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. La véritable intelligence est en ceux qui l’éprouvent (10). » Que signifie ce mot « commencement ? » C’est-à-dire que la crainte du Seigneur est la source, est la racine, est la base de la sagesse. Après avoir parlé avec tant de pompe et de solennité du Maître de la terre et montré combien il était frappé de crainte et de respect, le Prophète en vient naturellement à prononcer les paroles que je viens de citer, pour nous prouver que celui qui craint le Seigneur est rempli de toute sagesse et possède la véritable intelligence. Ensuite, afin qu’on ne croie pas qu’il suffit pour être sage de connaître Dieu, il ajoute : « La véritable intelligence est en ceux qui l’éprouvent. » La foi ne suffit point, si notre conduite n’est d’accord avec elle. Comment se fait-il que la crainte du Seigneur soit le commencement de la sagesse ? C’est qu’elle chasse de notre cœur tous les vices pour mettre à la place toutes les vertus. Par sagesse, le Prophète n’entend pas la sagesse des paroles, mais celle des actions, car ceux-là même qui n’appartiennent pas à l’Église ont défini la sagesse, la distinction des choses divines et des choses humaines. Cette distinction, la crainte de Dieu nous apprend à la faire, en éloignant le vice de notre âme, en y faisant germer la vertu à la place, en nous préparant à faire fi des biens présents, en tournant nos regards vers le ciel. Quoi de plus sage qu’une âme ainsi préparée !
Dans ce passage, ce que veut le Prophète, ce n’est pas seulement un auditeur, mais un homme qui pratique. « La véritable intelligence est en ceux qui l’éprouvent », c’est-à-dire ceux qui pratiquent la sagesse et qui le montrent par leurs actions, ceux-là ont la véritable intelligence. « La bonne et véritable intelligence », dit-il, car il y a la fausse et mauvaise intelligence, comme lorsqu’il lit : « Ils sont sages pour faire le mal, mais ne savent pas faire le bien. » (Jer. 4,22) Ce qu’il veut, c’est que l’intelligence soit mise au service de la vertu.
« Sa louange subsiste dans les siècles des siècles. » En quoi consiste cette louange, dites-moi ? Elle consiste dans nos actions de grâces, dans sa glorification, glorification éternelle qui procède de ses œuvres et qui même les précède, et qui est un de ses attributs essentiels. Car Dieu est éternel, et par lui-même infiniment louable, il est louable quand on considère sa grandeur et toutes ses autres qualités, il est louable aussi à cause de ses œuvres, quand on sait distinguer sa sagesse dans le spectacle de la création. Si le Prophète parle ainsi, c’est pour nous exhorter à rendre à Dieu des actions de grâces, et pour nous montrer qu’ils sont indignes de tout pardon, même de ce pardon banal que l’on prodigue à toutes sortes de fautes, ceux qui murmurent contre ce qu’il fait. En effet, puisqu’il est si évident, si clair, si manifeste qu’il a droit à nos louanges, à nos actions de grâces et à nos hommages, puisque sa gloire est assise sur des fondements tellement solides, tellement inébranlables, qu’elle défie les atteintes de la mort et qu’elle ne connaît ni limites, ni fin, ne pouvons-nous pas dire de ceux qui osent blasphémer contre elle, qu’ils nient ce qui est plus évident que le soleil, et qu’ils se rendent volontairement aveugles. Car la gloire de Dieu n’est pas une gloire passagère qui puisse excuser leur ignorance, elle n’est ni douteuse, ni obscure : non, non, elle est manifeste, elle est durable, elle est immortelle et reste toujours immortelle, et n’aura jamais de fin.
Traduit par M. A. BOUCHERIE


EXPLICATION DU PSAUME CXI.

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1. « HEUREUX L’HOMME QUI CRAINT LE SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. De l’amour pour les commandements de Dieu
  • 2. Bonheur du juste, même ici-bas.
  • 3. La justice de Dieu preuve de l’antre vie.
  • 4. En quel sens il est écrit que le Juste ne sera pas ébranlé.
  • 5. Fondement de la constance du Juste. Que l’aumône est un placement.
  • 6. Condition terrestre du méchant opposée à celle de l’homme juste et charitable.


1. Le début de ce psaume me paraît se rattacher étroitement à la fin du précédent, de sorte que ces deux psaumes forment pour ainsi dire un seul corps et une suite non interrompue. Le Psalmiste dit dans le précédent : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. » Il dit ici : « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur ; » les mots sont différents, mais le sens reste le même c’est toujours un avertissement de craindre le Seigneur. Là, il donne à celui qui le craint le nom de sage : ici il l’appelle heureux : tel est le vrai bonheur, tandis que tout le reste n’est que vanité, ombres, futilités : tant les richesses que la puissance, tant la beauté que l’argent. On dirait des feuilles qui tombent, des ombres qui passent, des songes qui s’envolent. C’est dans la crainte de Dieu que consiste la vraie félicité. Puis attendu que les démons aussi craignent Dieu et le redoutent, le Psalmiste nous avertit de ne pas croire que cela suffise pour le salut, en faisant ici ce qu’il a fait plus haut. Après ces mots : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse », venaient les suivants : « Tous ceux qui agissent conformément à cette crainte sont remplis d’une intelligence salutaire ; » c’est-à-dire pratique après la croyance : de même ici, après avoir parlé de la crainte, il montre qu’il ne s’agit pas seulement de la crainte qui vient à la connaissance, laquelle existe même chez les démons, en ajoutant ces paroles : « Et qui a une grande affection pour ses commandements. » Par là il exige une conduite parfaite et une âme éprise de la sagesse. Il ne dit pas : Qui accomplira ses commandements, mais : qui a de l’affection pour ses commandements c’est-à-dire qu’il réclame quelque chose de plus. Quoi donc ? C’est de les accomplir avec empressement, avec zèle, d’être passionnés pour eux, de les exécuter ponctuellement : de les aimer, non pas en vue de la récompense promise à ceux qui s’y conforment, mais en vue de Celui qui les a promulgués ; de pratiquer la vertu avec délices, et non par crainte de l’enfer ni des châtiments qui menacent le vice, non dans l’espérance du royaume promis, mais pour l’amour du législateur. Il en est de même ailleurs encore. Le Psalmiste dit, pour exprimer la joie que lui causent les préceptes divins : « Que vos paroles sont douces à mon gosier ! elles sont au-dessus du miel pour ma bouche. » (Ps. 118,103) Paul demande la même chose sous cette forme énigmatique : « Comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté et à l’iniquité pour l’iniquité, ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification. » (Rom. 6,19)
C’est-à-dire mettez à rechercher la vertu tout l’empressement, toute l’ardeur que vous avez déployée dans la poursuite du vice, laquelle ne vous promettait pourtant, au lieu de couronnes, que des châtiments et des supplices. Néanmoins il prétend encore garder dans sa demande une juste mesure. Car il a soin de dire préalablement : « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair », faisant voir par là qu’il ne faut pas manifester moins de passion pour la vertu qu’on n’en manifeste généralement pour le vice ; c’est comme s’il disait : quelle pourrait être l’excuse de ceux qui ne montreraient pas une vertu égale à leur iniquité passée, qui n’auraient pas même pour la vertu l’empressement qu’ils ont eu pour le vice ? Voilà pourquoi notre prophète a dit : « Qui a une grande affection pour ses commandements. » En effet l’homme qui craint Dieu comme il faut, accueillir ses ordres avec beaucoup d’empressement. L’amour qu’il a pour le maître lui fait aimer la loi, quelque rigoureuse qu’elle puisse paraître. Et que personne ne me fasse un crime d’employer ici cet exemple de l’amour. Paul lui-même s’en est servi en disant : « Comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté, ainsi faites-les servir à la justice. » L’homme épris d’une courtisane, même insulté, injurié, battu, déshonoré, même chassé de sa patrie, exclu de l’héritage paternel et du cœur de son père, même en butte à des épreuves encore plus redoutables, endure tout avec délices par un effet de son amour déréglé.
Eh bien ! si l’on trouve du plaisir dans de telles humiliations, comment ne recevrait-on pas avec délices les ordres de Dieu, ces ordres salutaires et glorieux, qui nous inspirent la sagesse et améliorent notre âme ? Comment y trouverait-on quelque chose de rigoureux ? Ce qui fait cette apparente rigueur, ce n’est point la nature même des préceptes, mais bien la tiédeur du vulgaire. Qu’on les reçoive au contraire avec ferveur, on les trouvera commodes et légers. Aussi le Christ disait-il : « Mon joug est aimable, et mon fardeau est léger. » (Mt. 11,30) Et vous allez vous convaincre qu’en effet il en est comme je dis, que c’est la tiédeur du vulgaire qui lui rend pénibles des choses aisées, tandis que la ferveur facilite les plus pénibles. Quand les Juifs avaient la manne pour nourriture, ils se plaignaient, ils souhaitaient la mort : Paul au contraire, en proie à la faim, se réjouissait et tressaillait d’allégresse. Les Juifs disaient : « Notre vie est languissante à cause de la manne. » (Nb. 11,6) « Nous avez-vous fait sortir pour nous tuer parce qu’il n’y avait pas de sépulcres en Égypte ? » (Ex. 14,11) Mais voici comment parlait Paul : « Je me réjouis dans mes souffrances, et accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ. » Dans quelles souffrances ? La faim, la soif, la nudité et toutes les misères. « Qui a une grande affection pour ses commandements. » Comment cela peut-il se faire ? Par une crainte parfaite et un parfait amour de Dieu ; par une considération attentive de ce qu’est la vertu : avant d’être couronnée, elle trouve en elle-même sa récompense. Quand vous fuyez l’adultère, l’homicide, songez quel bonheur ce sera pour vous de n’être point condamné par votre conscience, de n’avoir point à rougir devant les autres, de pouvoir jeter sur tout le monde des regards assurés. Il n’en est pas ainsi de l’adultère : tout le fait frémir et trembler, il redoute jusqu’aux ombres.
2. L’avare, l’envieux, subiront un châtiment pareil. Ce sera tout le contraire pour celui qui sera demeuré exempt de ces vices. « Sa postérité sera puissante sur la terre (2). » Par ce mot de postérité l’Écriture désigne souvent non la succession par voie de génération, mais une transmission de vertu. – Aussi Paul expliquant la parole « je te donnerai cette terre à toi et à ta postérité », disait-il « tous ceux qui sont issus d’Israël ne sont pas Israël, et ceux qui appartiennent à la race d’Abraham ne sont pas tous ses enfants : mais c’est en Isaac que sera ta postérité. » (Rom. 9,6-7) Ailleurs il dit : « Dans ta race seront bénies toutes les nations. » (Gal. 3,8) Qu’il ne s’agit pas ici des Juifs, c’est ce que les faits montrent clairement ; ces hommes chargés de malédictions, comment auraient-ils pu procurer des bénédictions à d’autres ? Il est question de l’Église, qui joue ici le rôle de postérité comme ayant hérité de la foi. Tels sont les hommes vertueux ; tels sont les enfants, des hommes qui craignent Dieu. « Sa postérité sera puissante sur la terre. »
Pourquoi ce mot « sur la terre. » Pour montrer qu’il en sera ainsi même avant qu’ils partent d’ici-bas, avant qu’ils fassent l’expérience des biens d’en haut. Car, ainsi que je l’ai dit précédemment, la vertu trouve sa récompense en elle-même, avant d’avoir obtenu sa couronne. Que l’homme dont nous parlons a une postérité puissante, due celui qui a la vertu pour rempart est plus fort que qui que ce soit, les apôtres l’enseignent, les prophètes le montrent. Et le Seigneur fait entendre la même chose en disant : « Quiconque entend mes paroles et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est descendue et les fleuves ont débordé, et les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, elle n’a pas été renversée, parce qu’elle était fondée sur la pierre. » (Mt. 7,24-25). Combien de peuples ameutés, de tyrans furieux, combien d’épées, de lances, de traits, de fournaises, d’animaux dévorants, combien de précipices, de mers, combien de complots, de dénonciations, de fourberies n’eurent point à affronter les apôtres : néanmoins rien ne les ébranla, ils furent supérieurs à tout ; leur essor les éleva au-dessus de la portée des flèches ; ils réussirent même à attirer dans leurs rands ceux qui conspiraient leur perte. En effet, rien n’égale le pouvoir de la vertu ; ni la pierre n’en a la solidité, ni le bronze, la force : le vice, au contraire, est ce qu’il y a de plus vil et de plus faible au monde, quelle que puisse être l’opulence qui l’environne, et l’étendue de son pouvoir apparent. Que si telle est déjà leur force ici-bas, jugez quelle sera dans les cieux la puissance de ces justes. « La génération des hommes droits sera bénie. » La voyez-vous resplendir, trouver de toutes parts des hérauts, des panégyristes, des admirateurs ? Et cela, non parmi les premiers venus, mais chez les hommes intelligents. Car pour ceux qui rampent à terre, ils ne sauraient comprendre ses mérites. Ceux qui la loueront, l’admireront, la célébreront principalement, ce seront ceux qui auront conservé un esprit sain. – Réfléchissez à ce que doit être un bien dont la possession vous rend l’égal des anges, des apôtres, des – rands hommes que l’on admire : en effet, si tels doivent être ceux qui le célèbrent, on peut juger par lit de ce qu’il est lui-même. « Gloire et richesse sont dans sa maison. » Voilà qu’il passe encore des choses sensibles à celles que l’intelligence peut seule apercevoir. Car l’Écriture appelle richesse la richesse qui consiste dans les bonnes œuvres, lorsqu’elle dit par exemple : « Faire le bien être riche de bonnes actions. » (1Tim. 6,18) Telle est en effet la vraie richesse ; l’autre n’est qu’un vain nom sans réalité.
Toutefois, si c’est la richesse matérielle qu’on veut voir ici, nous ne serons pas pour cela réduits au silence. Qui fut jamais plus riche, même d’argent, que les apôtres chez qui les biens affluaient comme à torrents ? Tous ceux qui étaient possesseurs de terres ou de maisons les vendaient et en apportaient le prix qu’ils déposaient aux pieds des apôtres. Voyez-vous quelle opulence ? les biens de tous étaient à eux, sans qu’ils eussent pour leur part aucun souci : ils en étaient les intendants plutôt que les maîtres. Ceux qui possédaient une propriété y renonçaient pour l’offrir aux apôtres : ils se chargeaient eux-mêmes de la vendre, d’en faire de l’argent, et leur laissaient pleins pouvoirs pour la distribution. De là ces mots de Paul : « Comme n’ayant rien et possédant tout. » (2Cor. 6,10) Ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’au sein d’une pareille opulence, ils n’étaient point les esclaves de leurs trésors tant de biens n’avaient pas le pouvoir de les asservir. Voilà justement la richesse par excellence, celle qui consiste à n’avoir pas besoin de richesse. « Gloire et richesse sont dans sa « maison. » Il n’est plus besoin d’explication sur ce point. Leur gloire leur venait de Dieu. Car la gloire aussi les suivait selon la divine parole : « Cherchez le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » (Mt. 6,33) Qui jamais inspira plus de respect ? On les accueillait comme des anges du Seigneur, on leur apportait des trésors qu’on déposait à leurs pieds. Ils étaient plus illustres que ceux dont le front est ceint du diadème. Quel roi marcha jamais au milieu d’une pompe semblable à celle qui accompagnait Paul, partout admiré quand il parlait, quand il ressuscitait les morts, guérissait les malades, mettait les démons en fuite, et cela par le simple contact de ses vêtements ? Il faisait de la terre un autre ciel, et amenait tous les hommes à la vertu.
3. S’il en est ainsi sur la terre, songez à la gloire qui attend les mêmes hommes dans les cieux. Qu’est-ce à dire : « Dans sa maison ? » C’est-à-dire avec lui. Quant aux richesses mondaines, elles ne sont pas, à vrai dire, avec celui qui les possède, puisque la possession n’en est jamais assurée : elles sont entre les mains des sycophantes, des flatteurs des magistrats, des esclaves de la maison : voilà pourquoi on les répand de tous côtés, comme si l’on craignait de les garder chez soi : de là tant de surveillance, de précautions parfaitement inutiles, puisqu’il n’est pas de sentinelle qui puisse empêcher la fuite de pareils trésors. « Et sa justice subsiste dans les siècles des siècles. » Un autre traduit : « Et sa miséricorde subsiste dans les siècles des siècles. » Ou il parle ici de la vertu en général, ou, spécialement, de la vertu opposée à l’injustice ; ou encore, si l’on adopte l’autre interprétation, par miséricorde il faut entendre la bonté. Telle est la puissance de la miséricorde. c’est une chose immortelle, impérissable, quine saurait jamais s’éteindre. Toutes les choses humaines sont emportées par le temps : seul, le fruit de la miséricorde subsiste éternellement sans se flétrir : et il n’est pas de conjoncture fâcheuse qui puisse en avoir raison. En vain le corps se dissout, elle lui survit ; elle part avant nous pour nous préparer ces gîtes dont parle le Christ en disant : « Dans la maison de mon Père j’ai des gîtes nombreux. » (Jn. 14,2) De sorte qu’en cela encore elle domine de beaucoup les choses humaines, qui sont loin d’avoir la même perpétuité. Nommerez-vous la beauté ? la maladie la flétrit, la vieillesse la consume. La puissance ? elle passe de main en main. La richesse, ou tout autre des avantages qui brillent d’un vif éclat dans la vie présente ? ou ils nous quittent de notre vivant,. ou ils nous abandonnent à l’instant de la mort. Il n’en est pas ainsi da fruit de la justice : le temps ne l’altère point, la mort ne le détruit pas ; au contraire, il n’est jamais si bien en sûreté qu’une fois à l’abri dans ce port tranquille.
« La lumière s’est levée dans les ténèbres pour les hommes droits (4). » Voulant décrire la félicité de l’homme qui craint. Dieu, le Psalmiste énumère jusqu’aux avantages qu’il recueille dans cette vie : par exemple, en disant que ses biens sont impérissables, qu’il jouira de la gloire, qu’il sera supérieur à tous, qu’il verra résister à toutes les attaques ceux qui lui ressemblent par leur vertu et deviennent, à ce titre, ses enfants, qu’au milieu des plus grands embarras, il jouira d’une sécurité parfaite. Voilà ce qui signifie : « La lumière s’est levée dans les ténèbres pour les hommes droits. » Dieu fera briller la lumière au milieu de l’obscurité en faveur des hommes ainsi disposés, de ceux qui marchent droit. Qu’est-ce à dire dans les ténèbres ? Cela signifie que même dans les tribulations, la détresse, les tentations, Dieu les comblera subitement de joie. – C’est ce que Paul indique en disant : « Je ne veux pas que vous ignoriez, touchant la tribulation qui nous est survenue en Asie, que le poids en a été excessif et au-dessus de nos forces, au point que nous étions las de vivre. » Voilà les ténèbres. « Mais nous, nous avons reçu en nous-mêmes l’arrêt de la mort, afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts, qui nous a délivrés de si grands périls. » (2Cor. 100,8-10) Voyez-vous la lumière qui se lève ? Vous pouvez observer la même chose au sujet des trois enfants. Ils s’attendaient à être brûlés, et une rosée pure tomba sur eux. De même pour Daniel et les autres prophètes. Que si quelqu’un veut voir ici une autre figure, il la trouvera justifiée par ce qui s’est passé dans le monde. Les ténèbres couvraient la terre et l’océan, l’erreur était partout répandue : alors, d’en bas se leva le Soleil de la justice. En effet, comme les hommes d’alors, oubliant le ciel, cherchaient Dieu sur la terre, c’est là qu’il leur apparut dans sa condescendance pour leur faiblesse, afin de les élever aux sublimes hauteurs.
« Le Seigneur Dieu est miséricordieux, compatissant et juste. » Il vient de dire que « la « justice de Dieu subsiste », afin de nous consoler. Mais comme parmi les hommes miséricordieux et ceux dont la vie est droite, il en est beaucoup dont le sort ne répond pas à leur mérite, il ajoute ensuite cette autre consolation : « Le Seigneur est miséricordieux, compatissant et juste ; » d’où l’on peut tirer une double conclusion. En effet, si le Seigneur est miséricordieux, s’il accorde souvent aux pécheurs leur pardon, à plus forte raison ne souffrira-t-il pas que les justes s’en aillent sans couronne. Que s’il ne leur donne pas ici-bas leur récompense, il le fera certainement là-haut. Il ajoute « et juste » : s’il est juste, comme il l’est en réalité, il rendra à chacun selon ses œuvres, quand bien même cette rétribution n’aurait pas lieu en ce monde : et c’est même la plus forte preuve que nous ayons de la résurrection. En effet, lorsque tant d’hommes de bien ont eu à endurer mille maux, lorsque tant de pervers ont vécu dans une complète impunité, que deviendrait cette justice promise à chacun sans une résurrection, sans une autre vie, un jugement, une rétribution ? Ensuite, après avoir effrayé son auditeur par cette mention de la justice, lui avoir inspiré la crainte de voir ses péchés soumis à une enquête, il se hâte d’adoucir cette crainte, en ajoutant : « L’homme qui est sensible à la compassion et qui prête est bon : il réglera ses discours au jugement (5). »
4. Voyez quelles palmes il promet à l’homme charitable : le fruit de sa bonté est éternel ; les tentations ne l’assiégeront pas ; il imitera Dieu qui est lui-même un Dieu de miséricorde : il recevra le pardon de ses péchés. Car c’est ce que signifie « il réglera ses discours au jugement. » C’est-à-dire il trouvera un avocat, il aura les moyens de se défendre. Il ne sera point frappé de condamnation, grâce à la miséricorde qui plaidera éloquemment pour lui. Un autre interprète dit : « Réglant ses affaires avec jugement. » Cela veut dire qu’il jouira d’une félicité parfaite, qu’il ne fera aucune entreprise coupable : tant sa conduite sera habile. – Tout au contraire l’homme cruel, inhumain, sans miséricorde, est tout à fait incapable de diriger ses affaires. En effet, quoi de plus triste que d’épargner son argent, quand on voit son âme en péril, et de ne pas songer à celle-ci ? Voilà pourquoi le Christ a loué cet intendant qui, se voyant en danger, diminua des créances. – Eh bien ! si lorsqu’il s’agit de la vie présente, on peut abandonner tous ses biens pour se racheter du péril, quand on est menacé du châtiment éternel, comment ne serait-il pas absurde de ne point recourir à la même précaution ? Voilà pourquoi le Psalmiste appelle bande économe l’homme compatissant qui donne peu pour avoir beaucoup, de l’argent pour avoir le ciel, qui sacrifie un vêtement pour obtenir un royaume, un pain et de l’eau fraîche, afin de participer aux biens de la vie future. En effet, conçoit-on une administration plus intelligente que celle qui abandonne des biens périssables, fugitifs, éphémères, pour entrer en possession d’impérissables trésors, et par le même moyen, de la sécurité dans la vie présente ? De là ces paroles : « Il réglera ses discours au jugement ; » ou suivant l’autre interprétation : « Réglant ses actions avec jugement. » De quel jugement est-il ici question ? Est-ce du jugement dernier ? Ou bien cela veut-il dire qu’il arrangera bien ses affaires, que nul désordre ne s’y fera remarquer, que chaque chose sera à sa place, que tout marchera en bon ordre et avec méthode, sans confusion, sans embarras, grâce au secours fourni par la miséricorde ? C’est ce qu’indique plus clairement le second interprète, en disant : « Réglant ses actions avec jugement. » En effet, c’est l’homme miséricordieux qui règle ainsi ses affaires ; tandis que l’autre est incapable d’administrer, de faire fortune. « Parce qu’il ne sera jamais ébranlé (6). » Que peut-on comparer à l’administration d’un homme qui trouve un pareil moyen de se mettre à l’abri des dangers imprévus, d’échapper aux orages de la vie, de se dérober à toutes les chances ordinaires de la condition humaine, ou, s’il y reste en butte, de ne pas y succomber ? Ce qu’il y a d’étonnant, en effet, c’est que l’assaut des tentations ne puisse l’abattre ni l’ébranler. Mais quoi ? N’a-t-on pas vu beaucoup d’hommes compatissants servir de jouets a la tempête ? Jamais. Ces hommes ont pu devenir pauvres, tomber au dernier degré de l’indigence, être précipités dans l’infortune : néanmoins ils n’ont pas succombé, parce qu’ils se sont rappelé leurs actions, parce qu’ils ont su attirer sur eux la protection et la faveur divines, parce qu’ils ont su trouver dans leur bonne conscience une ancre forte et assurée. Aussi le Psalmiste ne dit-il point qu’ils ne seront pas attaqués, mais bien qu’ils ne seront pas ébranlés. C’est ainsi que le Christ, en parlant de l’homme qui bâtit sur la pierre, ne dit pas qu’il ne sera point assailli par la tempête, mais seulement que les efforts mêmes de la tempête seront impuissants contre lui. Et ce qu’il y a justement d’admirable, c’est que sa sécurité, au lieu d’être due uniquement à l’absence de tentations, subsiste invariablement au fort des artifices dirigés contre lui. Il est impossible qu’une âme riche de miséricorde soit jamais submergée par l’infortune. « La mémoire du juste sera éternelle (7). » – Voyez comment ce n’est pas durant sa vie seule, mais après sa mort même, qu’il instruit, qu’il catéchise les hommes. Comment donc pourrait-il jamais être à plaindre de son vivant, celui qui restera même après sa mort un maître de contentement pour autrui ? C’est comme une preuve mise ici-bas sous les yeux des plus incrédules, qu’une récompense éternelle l’attend dans les cieux : son corps est déjà enseveli et confié à la terre, que son nom vole de bouche en bouche.
Tel est le pouvoir de la vertu. Le temps ne prévaut point sur elle ; le nombre des jours ne saurait la flétrir. Ce privilège lui est accordé en vue du salut des méchants. Car les justes n’ont pas besoin de nos louanges : mais ces louanges sont nécessaires à ceux qui vivent dans l’iniquité afin que la renommée des bonnes œuvres d’autrui les rendent plus sages et les guérissent de leur perversité. Où sont donc ces hommes qui élèvent des tombeaux magnifiques, et font sortir de terre de superbes monuments ? Qu’ils viennent apprendre le moyen d’immortaliser une mémoire. Ce ne sont point des constructions de pierre, des enceintes de murs, des tours : c’est le spectacle d’une vie de bonnes œuvres. Le Psalmiste parle ici pour ces incrédules déterminés qui ne se préoccupent point de l’avenir : il parle des choses présentes, des choses sensibles pour les attirer vers les choses futures : avant tout, il montre que la vertu, comme je l’ai répété souvent, trouve en elle-même sa récompense, avant d’obtenir la palme qui lui est promise. « Une mauvaise nouvelle ne l’effrayera pas. » – De même que plus haut il ne disait pas que cet homme ne serait point attaqué, mais qu’il ne serait pas ébranlé par les attaques : de même en cet endroit il ne dit pas que nulle mauvaise nouvelle n’arrivera jusqu’à ses oreilles, mais qu’aucune ne sera capable de l’effrayer.
5. Et d’où lui viendra cette sécurité ? C’est en vain qu’il voit la guerre déchaînée, des villes renversées par des tremblements de terre, des pirates, des brigands livrer tout au pillage, des barbares envahir son pays, la maladie mettre ses jours en péril, la colère d’un juge menacer sa tête, que sais-je encore ? il ne craint rien. C’est qu’il a eu soin de mettre à l’avance ses biens en dépôt dans un inviolable asile : loin de trembler aux approches de la mort, il se hâte au contraire de partir pour le pays où il doit trouver son bénéfice. Car « où est le trésor de l’homme, là est son cœur. » (Mt. 6,21) Si des trafiquants, pour peu qu’ils aient envoyé dans leur pays quelques marchandises vénales, n’ont pas de repos qu’ils n’aient revu leur trésor : à plus forte raison notre juste, qui a mis en dépôt dans les cieux toutes ses épargnes, sera-t-il pressé de rompre tous les liens qui l’attachent à la terre pour s’élancer dans la vie future. Aussi rien n’est-il capable de l’effrayer. « Son cœur est préparé à espérer dans le Seigneur. » D’après un autre : « Son cœur est inébranlable », c’est-à-dire la même chose en expliquant le mot « préparé. » Voici ce qu’il veut dire : rien n’est, capable de l’ébranler, ni de l’attacher aux choses d’ici-bas. Il est constamment et tout entier élevé vers Dieu voilà son espérance, l’attente dans laquelle il persévère invariablement, sans se laisser amollir ni distraire par aucune des choses d’ici-bas. Car tel est l’effet des soucis intéressés ; ils partagent et dérangent l’esprit. Il faut donc redire cette maxime évangélique : « Où est le trésor de l’homme, là est son cœur. Son cœur est fixé, il ne sera point ébranlé (8). » Reconnaissez-vous l’homme quia bâti sa maison sur la pierre ? Que pourrait craindre un homme nu et alerte qui ne donne prise d’aucun côté ? que pourrait craindre celui que Dieu protège et favorise ? Il est assuré de deux côtés, là-haut par la grâce de Dieu, ici-bas parla tranquillité de son âme ; et rien ne peut l’ébranler, ni pertes d’argent, ni persécutions, ni calomnies. Il échappe à toutes les atteintes parce qu’il a quitté la terre pour chercher un abri dans les cieux, dans cet asile inaccessible à tous les complots des méchants. Car vous n’ignorez pas que tous ces complots ont pour cause et pour objet l’argent, que c’est l’argent qui excite tout l’empressement des hommes. « Jusqu’à ce qu’il méprise ses ennemis. » Qui sont-ils, ces ennemis, sinon les méchants démons, et le diable lui-même ? – « Il a dissipé, il a donné aux pauvres : sa justice demeure éternellement (9). »
Il a parlé de l’aumône, de prêt, de miséricorde : mais il y a bien des degrés dans l’aumône : l’un donne moins, l’autre davantage ; voyons quel homme charitable il a en vue, celui qui retranche de son superflu pour donner, ou celui qui épuise ses ressources. Il est clair que c’est celui qui épuise ses ressources, celui qui n’épargne rien pour son œuvre. C’est ce que Paul demande, lorsqu’il dit : « Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions. » (2Cor. 9,6) Voyez la justesse des termes employés par le Prophète. Il ne dit pas, a distribué, a répandu, mais « a dissipé », indiquant par là en même temps et la prodigalité de celui qui donne, et le rapport de son œuvre avec l’action de semer. Les semeurs pareillement dissipent ce qu’ils ont en réserve, et sacrifient un bien présent pour un bénéfice futur. Cela vaut mieux que d’amasser : on gagne moins à entasser qu’à prodiguer – de la sorte.. On dissipe de l’argent et on récolte de la justice ; on dissipe des biens qui passent afin de se procurer les biens qui durent : ainsi font les cultivateurs. Seulement, les cultivateurs travaillent pour un profit incertain, car c’est la terre qui reçoit leurs graines : vous, au contraire, vous semez dans la main de Dieu, de façon que vous ne sauriez rien perdre. Ainsi quand vous trouverez que l’or est une belle chose, et que vous hésiterez à vous en défaire, songez aux semeurs, songez aux prêteurs, songez aux marchands, qui tous commencent par faire des frais et des dépenses ; et encore leur placement est-il chanceux, car les flots, le sein de la terre, les créances, tout cela est incertain. – Il arrive souvent que celui qui a prêté perd jusqu’à son capital : mais celui qui ensemence le ciel n’a rien à craindre de semblable ; il peut être rassuré et sur son capital et sur ses intérêts, s’il est permis d’appeler de ce nom ce qui dépasse le capital de beaucoup. Car le capital, c’est l’argent ; les intérêts ici, c’est le royaume des cieux. Voyez-vous ce placement qui rapporte des intérêts supérieurs au capital ? Voilà pour l’avenir ; quant au présent, vous y jouirez d’une liberté complète. Vous serez à l’abri des complots ; vous éteindrez la convoitise des sycophantes et des fourbes ; vous passerez votre vie entière dans la sécurité ; car, au lieu d’être torturé par les soucis au sujet de vos biens actuels, l’espérance vous donnera des ailes pour vous élever jusqu’aux choses futures. « Sa gloire sera exaltée. » Il revient souvent sur cette idée si chère aux hommes, de la gloire et des honneurs : la gloire attend les justes là-haut ; et ici-bas même elle leur sera libéralement octroyée. Car il n’y a personne d’aussi glorieux, d’aussi illustre, que l’homme miséricordieux.
6. Considérez, si vous le voulez, ceux qui prodiguent inutilement leur argent dans les théâtres et les hippodromes ; amenez au milieu d’eux celui qui fait l’aumône, et vous verrez alors ce que rapportent à chacun ses dépenses. L’homme charitable, on ne cesse de lui applaudir unanimement, de l’admirer, de voir en lui un père commun, un refuge ouvert à tous ; l’autre, quand on lui a prodigué pendant un jour des applaudissements excessifs et tumultueux, on le décrie ensuite comme un homme sans cœur, sans humanité, un vaniteux, un instrument de libertinage, un ministre de corruption. Dans les entretiens qui peuvent avoir lieu à ce sujet, on flétrit, on condamne les dépenses de l’un ; l’autre, au contraire, il n’est pas d’homme assez impudent, assez pervers, assez inhumain, pour lui marchander ses éloges et son admiration. C’est en effet le propre de la vertu que d’obtenir les hommages de ceux mêmes qui ne la pratiquent pas ; tandis que le vice est un objet d’horreur et de blâme, même pour ceux qui s’y adonnent. D’où il suit que ceux qui prodiguent leur argent en folles dépenses ne reçoivent pas même les éloges de ceux qu’ils enrichissent comme les prostituées, les conducteurs de chars, les danseurs, et sont même décriés par eux ; l’homme charitable, au contraire, est célébré non seulement par les pauvres qu’il secourt, mais encore par ceux mêmes qui ne profitent point de ses largesses. Tous l’admirent et l’ont en affection. « Le pécheur le verra, et il en sera irrité ; il grincera des dents et séchera de dépit (10). » La vertu est, en effet, une chose incommode et importune au vice. De même que le feu consume les ronces, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains : ils y voient, en effet, comme un reproche, un blâme à l’adresse de leur méchanceté. Mais considérez comment jusqu’au milieu du dépit qui le ronge, le pécheur n’ose rétorquer l’accusation ni regarder en face le visage serein de la vertu ; comment, dans la douleur qui dévore son âme et se manifeste au-dehors par des grincements de dents, il n’ose élever la voix, et reste en proie à une torture secrète.
Voilà ce que c’est que le, vice : même sur les degrés du trône, même aux côtés de ceux qui portent le diadème, il reste ce qu’il y a au monde de plus faible et de plus vil : quelles que soient les apparences de pouvoir dont il est revêtu, ce n’est jamais que trouble, qu’orage, que tempêtes ; tandis que c’est tout le contraire pour la vertu. Jusque dans l’extrême dénuement, jusque dans les cachots, elle efface l’éclat de la pourpre, elle jouit d’une sécurité parfaite, elle échappe aux orages comme dans l’abri d’un port paisible, non seulement garantie contre les atteintes des méchants, mais capable encore de se venger d’eux dans son silence même, et de leur faire expier cruellement leur perversité. En effet, quoi de plus malheureux qu’un homme vicieux qui, esclave de l’argent, est en outre tourmenté par le spectacle des bonnes œuvres d’autrui, qui trouve son châtiment dans la bonne renommée du prochain, qui se punit lui-même, en déchirant sa conscience, en tourmentant son cœur, en jouant vis-à-vis de lui-même le rôle de bourreau i Voyez-vous quel est le pouvoir incomparable de la vertu ? Voyez-vous la faiblesse et la misère du vice ? Et ce n’est pas seulement en cela que réside son infortune : on pourrait en citer bien d’autres marques. C’est ce que le Psalmiste lui-même indique en ajoutant : « Le désir des pécheurs périra. » Qu’est-ce à dire : « Le désir des pécheurs périra ? » Cela signifie qu’il ne trouve pas où se fixer. En effet, comme les objets de ce désir sont fugitifs et périssables, le désir lui-même leur emprunte cette inconstance : il s’éteint, il meurt, il ne prend racine nulle part. Mais si telle est ici-bas la condition des pécheurs, songez à la destinée qui les attend dans la vie future. Afin d’échapper à un pareil sort, fuyons leurs traces ; entrons et marchons résolument dans cette autre voie sûre, heureuse, glorieuse, qui nous conduit au ciel, qui nous assure en toutes choses la protection divine, qui nous prépare à la sagesse, et nous procure des biens si nombreux que la parole aurait peine à en faire le compte. Puissions-nous tous les obtenir, ces biens, par la grâce et la bonté, etc.


EXPLICATION DU PSAUME CXII.

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« LOUEZ, ENFANTS, LE SEIGNEUR, LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. Ce que c’est que bénir et glorifier Dieu.
  • 2. La nouvelle loi prédite. Que le langage de l’Ancien Testament est un langage de condescendance.
  • 3. Dieu relève ce qui est humble : allusion à la venue du Christ. Récapitulation.


1. Il est souvent question de ces louanges dans les Écritures : ce n’est pas, en effet, une chose de peu d’importance, mais un sacrifice, une offrande agréable à Dieu : le sacrifice de louanges me glorifiera, est-il écrit. (Ps. 49,23) Et ailleurs : « Je louerai le nom de mon Dieu avec un chant, je le célébrerai dans une louange : et cela plaira à Dieu plus qu’un jeune veau à qui la corne pousse au front et au pied. » (Ps. 68,31, 32) Les saints Livres répètent le même précepte eu plusieurs endroits ; et ceux qui sont sauvés croient témoigner avec éclat leur reconnaissance en offrant ce genre de sacrifice. Et qu’y a-t-il là de difficile ? dira-t-on ; n’est-il pas aisé au premier venu d’en faire autant, de louer Dieu ? Pour peu que vous prêtiez une exacte attention vous verrez à la fois et la difficulté attachée à cette offrande et le profit qu’on en retire. D’abord c’est aux justes que sont demandés les hymnes de ce genre : avant de les chanter à Dieu, il faut commencer par bien vivre. « Il n’y a pas de belle louange dans la bouche d’un pécheur. » (Sir. 15,9) En second lieu, comme il y a deux manières de louer, Soit en paroles, soit en actions, c’est la dernière que Dieu recherche surtout ; telle est la glorification qu’il préfère. « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos belles actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,16) Telles sont les louanges des Chérubins. Et voilà pourquoi le Prophète, qui a entendu cette mélodie mystique, accuse sa propre misère, en disant : malheureux que je suis ! « Homme, ayant des lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple qui a des lèvres impures. » (Is. 6,3) Aussi le Psalmiste, quand il prescrit d’offrir des louanges, commence-t-il par les puissances d’en haut, en disant : « Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le, vous tous qui êtes ses anges. » (Ps. 148,1-2) Il faut donc devenir un ange et ensuite chanter la louange. Ne voyons donc pas en cela un éloge ordinaire : avant notre bouche, il faut que notre vie résonne ; avant notre langue, notre conduite doit faire entendre sa voix. De cette façon, jusque dans le silence nous pouvons louer Dieu : de cette façon, si notre voix s’élève, elle formera avec notre vie un concert harmonieux. Mais ce n’est pas la seule chose qui soit à considérer dans ce psaume : remarquez encore que tous les hommes y sont invités à concerter ensemble à former un chœur universel. Car ce n’est pas à une ni à deux personnes que s’adresse le Psalmiste, c’est au peuple tout entier. Le Christ nous invite à la concorde et à la charité, en nous prescrivant de faire en commun nos prières, et de nous confondre dans l’Église entière devenue comme une seule personne, en disant : « Notre Père, donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Remettez-nous nos offenses comme nous les remettons : et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Partout il emploie le pluriel ; et il prescrit à chaque fidèle en particulier, soit qu’il adresse sa prière isolément ou en commun, de prier en même temps pour ses frères. De même le Prophète invite tous les hommes à un concert de prières, et dit : « Louez le nom du Seigneur. » Que fait ici : « Le nom : » sans doute ce mot exprime la ferveur de la personne qui parle : mais il fait entendre quelque chose de plus, à savoir, que le nom du Seigneur soit glorifié par notre entremise, que notre vie même montre qu’il est digne d’hommages : il l’est en réalité : mais Dieu veut que notre conduite même rende cette vérité sensible. Que si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. « Que le nom du Seigneur soit béni dès ce jour et jusque dans l’éternité (2). » Qu’est-ce à dire, pour qu’il soit béni ? votre souhait est-il nécessaire ? voyez-vous qu’il ne s’agit pas ici de la bénédiction attachée naturellement à Dieu, mais de celle qui s’exprime par l’entremise des hommes ? C’est au sujet de cette dernière que Paul écrit pareillement : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit. » (1Cor. 6,20) Par lui-même Dieu est grand, sublime, digne de toute louange : parmi les hommes, il devient tel quand ses serviteurs offrent le spectacle d’une vie capable d’appeler sur son nom les bénédictions de tous ceux qui les voient. Le Christ nous ordonne la même chose, lorsqu’il nous recommande de répéter toujours dans nos prières : « Que votre nom soit sanctifié. » (Mt. 6,9) C’est-à-dire que notre vie même le glorifie. En effet, si nous le blasphémons en vivant mal, nous le glorifions, le bénissons, le sanctifions, en pratiquant la vertu. Voici le sens de ces paroles : accordez-nous de passer toute notre vie dans la vertu, afin que nous contribuions aussi à faire de votre nom un objet de bénédictions. « Du lever du soleil à son couchant, louable est le nom du Seigneur (3). » Voyez-vous comment il annonce en quelque sorte la cité nouvelle, et fait entrevoir dès lors la noblesse de l’Église. Ce n’est plus seulement de la Palestine, de la Judée qu’il est ici question, mais de toutes les contrées de la terre. Or quand cela s’est-il vu, sinon depuis les progrès de notre foi ? Dans l’ancien temps, le nom de Dieu, loin d’être béni en Palestine ; était encore blasphémé à cause des Juifs qui habitaient ce pays. Il est écrit : « A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Is. 52, 5) Et aujourd’hui ce même nom est célébré par toute la terre. C’est ce qu’un autre prophète annonçait en disant : « Le Seigneur paraîtra, et exterminera tous les dieux des nations ; et ils l’honoreront, chacun de sa place. » (Soph. 2,11) Un autre prophète dit également : « Parce qu’en nous les portes seront fermées, et que le feu de mon autel ne sera pas allumé gratuitement, car du lever du soleil à son couchant mon nom a été glorifié parmi les nations et en tout lieu l’on offre à mon nom l’encens et une oblation pure. » (Mal. 1,10-11)
2. Voyez-vous comment il ravale, il anéantit le judaïsme, étend sur toute la terre le gouvernement de l’Église, et prédit notre culte ? Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de Babylone. S’il fit alors cette prophétie, ce fut pour empêcher les Juifs de dire que cette captivité, cet abandon sont ceux de Babylone. Ces épreuves étaient finies, les Juifs étaient revenus à leur premier régime : c’est alors que le messager de Dieu s’exprime ainsi, par allusion à l’abandon qui devait avoir lieu sous Vespasien et Titus, abandon qui doit rester à jamais irréparable. Car le tour de l’Église est venu. De là ces mots : « Mon nom est grand parmi les nations ; » c’est-à-dire béni, loué par leur vie, dans le même sens qu’il dit ici ; « Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations (4). »
Vous voyez encore ici son culte pénétrer chez les nations, non pas seulement chez une, deux ou trois, mais chez toutes les nations de la terre. Quoi de plus clair que cette prophétie ? Mais comment Dieu est-il élevé sur toutes les nations ! Est-ce nous qui l’élevons ? Ce n’est pas sans doute qu’il nous appartienne d’ajouter quelque chose à sa grandeur ? A Dieu ne plaise ! Il s’agit ici des dogmes, du culte, de l’adoration et de tous les autres hommages que nous lui rendons, en concevant de lui non pas une idée basse comme les Juifs, mais une idée beaucoup plus haute et plus relevée. Telle est en effet notre loi : autant le ciel est au-dessus de la terre, autant la nouvelle loi surpasse l’ancienne. De là ces expressions : « Le Seigneur est élevé sur toutes les nations. » En effet, lorsque nous le relevons en un sens par le culte que nous lui rendons, nous n’ignorons pas que ce culte appelle sa condescendance. Il surpasse celui de l’ancienne loi, mais il est encore bien peu digne de Celui à qui il s’adresse. Paul a dit, pour montrer cela et marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons aujourd’hui, de celle qui nous est réservée dans la vie future : « Quand j’étais petit enfant, je raisonnais comme un petit enfant, mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l’enfant. » (1Cor. 13,11) Et encore : « C’est imparfaitement que nous connaissons et imparfaitement que nous prophétisons. » Et enfin : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face. » (Id. 9,12) Il montre par là que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l’enfant diffère de l’homme parvenu à la pleine maturité. « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Après avoir parlé de la louange, de la glorification qui résulte de la conduite humaine, après nous avoir invités à exalter Dieu, à le louer, le glorifier de la sorte ; en progressant dans la vertu, il indique l’endroit où cela se fait principalement. Cet endroit est le ciel. Là réside la gloire de Dieu. Ce sont les anges, avant tout, qui le glorifient : ils le glorifient non seulement par leur propre nature, mais encore par une obéissance de bons serviteurs, en accomplissant avec scrupule ses ordres et ses volontés. Voilà pourquoi il dit ailleurs : « Puissants, accomplissant sa parole. » (Ps. 102,20) Voilà pourquoi dans les Évangiles le Christ ordonne de prier et de dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux. » C’est-à-dire qu’il nous soit donné, à nous aussi, de le sanctifier comme le sanctifient les anges, exempts de tout vice et fidèlement attachés à la pratique de la vertu. Le Psalmiste fait entendre la même chose en disant : « Sa gloire est au-dessus des cieux. » Ne vous bornez pas à considérer sur la terre les créatures visibles, ni même l’ordre des corps célestes, élevez-vous, par la pensée des choses sensibles aux choses intelligibles, contemplez la beauté des essences célestes, la magnificence de l’empire qui est là-haut, et vous saurez alors comment sa gloire est dans les cieux.
« Qui est comme le Seigneur notre Dieu qui habite les hauteurs et regarde les choses humbles ? » Ne vous semble-t-il pas que voilà une grande parole ? Néanmoins, si vous songez de qui il est question, vous la trouverez bien insuffisante. Il ne tarit pas, je l’ai dit, s’en tenir aux paroles, il tarit porter plus haut sa pensée. Comment peut-il habiter dans les cieux, celui dont la présence remplit le ciel et la terre, celui (lui est partout, celui qui dit : « C’est Dieu, c’est moi qui m’approche, Dieu n’est pas loin. (Jer. 23,23) Celui qui a mesuré le ciel à l’empan et la terre dans la paume de la main, celui qui embrasse le tour de la terre. » (Is. 40,12,22) C’est parce qu’alors il s’adressait aux Juifs qu’il emploie ce langage afin d’initier peu à peu leur esprit, d’élever, de soulever de terre insensiblement leur pensée. Voilà pourquoi le Psalmiste ne se borne pas à dire : « Celui qui habite les hauteurs leurs et qui regarde ce qui est humble ; » il commence par dire d’abord : « Qui est comme le Seigneur notre Dieu ? » et par là il explique la seconde partie de sa phrase. Il parie ainsi pour condescendre à la faiblesse des Juifs qui avaient la superstition des images et adoraient des dieux enfermés dans des temples et des lieux déterminés. Voilà pourquoi il procède par comparaison, bien que Dieu soit hors de comparaison avec quelque chose que ce soit, comme je l’ai dit plus haut (et je ne me lasserai pas de le répéter) : il approprie ainsi son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Il songeait moins alors à parler dignement de la majesté divine, qu’à se faire comprendre des Juifs. C’est pour cela qu’il n’avance que pas à pas, sans néanmoins s’en tenir à la bassesse de leurs idées et tout erg leur découvrant des perspectives plus hautes. En effet, après ces mots : « Lui qui habite les hauteurs et regarde ce qui est humble », il passe à un ordre de conception plus relevé, en ajoutant : « Dans le ciel et sur la terre. » Par là il indique que Dieu est à la fois là-haut et ici-bas. S’il considère ce qui se passe sur la terre, ce n’est pas de loin ni du fond du ciel, il n’est pas emprisonné dans le ciel, il est partout présent, il est auprès de chaque être.
3. Voyez-vous comment il élève progressivement l’esprit de ses auditeurs ? Après cela, quand il les a soulevés de terre, qu’il a fixé sur le ciel leurs regards, afin de leur proposer encore un plus grand spectacle, il passe à une autre preuve de la puissance divine, en disant : « Celui qui tire de la poussière l’indigent, et relève le pauvre de dessus son fumier (7). » Car c’est le propre d’une grande, d’une infinie puissance, que d’élever jusqu’aux petites choses. Ailleurs l’Écriture nous représente le contraire, à savoir, les grandes choses abaissées, par exemple en ce passage : « Broyant la force, et déchaînant le malheur contre les solides remparts. » (Amo. 5,9) – Ici au contraire il est dit que Dieu sait élever les petits. Tout cela est dit en général. Si l’on veut néanmoins y chercher un sens figuré, on verra que cela s’applique très-bien aux nations, que le genre humain a passé par un tel changement lors de la venue du Christ. En effet, quoi de plus misérable que notre espèce ? Cependant le Christ l’a relevée, l’a fait monter au ciel avec nos prémices, l’a fait asseoir sur le trône paternel. « Et relève le pauvre de dessus son fumier. Pour le faire asseoir avec les chefs, avec les chefs de son peuple (8). » Par ce mot fumier il désigne une basse condition, et le coup subit qui vient la changer, montrant ainsi que tout pour Dieu est aisé et facile. Il passe ensuite à quelque chose de plus élevé. Qu’est-ce donc ? C’est que Dieu sait non seulement bouleverser les fortunes et changer la bassesse en élévation, mais déplacer les bornes de la nature même, et rendre mère une femme stérile. Il poursuit donc ainsi : « Celui qui donne à celle qui était stérile la joie de se voir dans sa maison mère de plusieurs enfants (9). » C’est ce qui advint pour Anne et pour mille autres femmes. Voyez-vous que l’hymne est désormais complet et terminé ? Le Psalmiste a dit le bonheur réservé à la terre, comment le judaïsme devait finir, comment la lumière d’une nouvelle loi, celle de l’Église ; devait briller à son tour, comment le sacrifice serait offert désormais en tout lieu. Ensuite afin de convaincre les hommes les plus grossiers de la vérité de sa prédiction, il confirme au moyen de faits passés ce qu’il annonce pour l’avenir. Voici le sens de ses paroles : N’allez pas douter de ce grand changement, qui doit porter au plus haut degré de gloire les nations perdues. Ne voyez-vous pas ces choses arriver tous les jours ? Les petits grandir et prendre place au premier rang. Ne voyez-vous pas la nature corrigée dans ses imperfections, des lemmes stériles qui deviennent mères tout à coup ? Il est arrivé quelque chose de semblable pour l’Église : elle était stérile, et elle est devenue mère d’innombrables enfants. De là ces paroles d’Isaïe : « Réjouis-toi, femme stérile, toi qui n’enfantes point : élève la voix et crie, toi qui ne portes pas parce que les enfants de la délaissée sont plus nombreux que ceux de l’épouse. » (Is. 54,1) Il prédit ainsi la future destinée de l’Église. Voilà pourquoi le Psalmiste termine son hymne en cet endroit, après avoir donné à sa prophétie la confirmation des faits précédemment opérés par la grandeur de Dieu. Car tout ce que Dieu juge à propos, il n’a pas de peine à l’accomplir. Il peut changer l’ordre de la nature, convertir la bassesse en grandeur, et réformer le cœur de l’homme. Instruits de ces vérités, faisons notre devoir, et nous jouirons d’une gloire parfaite, nous atteindrons l’ineffable sommet, grâce à la protection de Dieu, à qui puissance et gloire, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.


EXPLICATION DU PSAUME CXIII.

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« LORSQU’ISRAËL SORTIT DE L’ÉGYPTE, ET LA MAISON DE JACOB D’UN PEUPLE BARBARE, DIEU PRIT POUR SANCTUAIRE LA MAISON DE JUDA, ET ÉTABLIT SON EMPIRE DANS ISRAËL. »

  • 1. Que Dieu avant de réclamer la foi, a prouvé sa puissance par les miracles. – En quel sens la race d’Israël a été le peuple de Dieu. – Royauté de Dieu signalée par des bienfaits.
  • 2. Suite du même sujet. – Sens de quelques expressions figurées.
  • 3. Sens de l’expression : Dieu d Abraham, et autres semblables. – Dieu invoqué au nom de sa gloire, exauce dans sa miséricorde.
  • 4. Folie des idolâtres.
  • 5. Qu’est-ce que bénir Dieu, être béni de Dieu ? – Effets de la bénédiction divine avant l’Évangile et depuis que la sollicitude de la divine Providence est universelle. – Explication des mots les vivants, les endormis.


1. Le Psalmiste témoigne ici de la bonté de Dieu, de son infinie douceur. En quoi consiste cette bonté ? C’est que Dieu commence par nous donner des preuves de son pouvoir avant de réclamer notre adoration. Telle est la signification de ces paroles : « Lorsqu’Israël sortit de l’Égypte, Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. » Alors, veut-il dire, il montra sa puissance par les miracles d’Égypte, par ceux du désert : alors aussi il prit possession de son peuple. Il avait tenu la même conduite avec Adam. D’abord il avait fait le monde et prouvé par là sa sagesse et sa puissance : ensuite il créa l’homme et exigea son adoration. De même encore le Fils unique de Dieu avait commencé par donner mille signes divers de sa mission ayant de réclamer la foi. Voilà pourquoi il ne dit pas tout d’abord à ceux qui l’approchèrent les premiers, sans avoir encore aucun gage, aucune preuve de sa divinité : Croyez-vous que je puis faire cela ? Il se bornait à montrer ses miracles. Mais quand il eut laissé dans chaque endroit de la Palestine des monuments de son pouvoir, guérissant les infirmes, chassant le vice, discourant sur le royaume, promulguant les lois de salut, alors il exigea la foi de ceux qui l’approchaient. Les hommes veulent commander d’abord, et ensuite ils songent à faire le bien : mais Dieu commence par les bienfaits. Et à quoi servirait-il de rappeler tous ceux que nous lui devons, quand il est allé jusqu’à endurer le supplice de la croix, et n’est devenu le maître du monde qu’après avoir donné cette marque de sa sollicitude ? Le psaume fait allusion à la même chose, en disant : « Lorsqu’Israël sortit de l’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. » – Lors de la sortie d’Égypte, du départ, de la délivrance. Que s’il ne se borne pas à dire « d’Égypte » et ajoute « du milieu d’un peuple barbare », c’est pour indiquer la sollicitude de Dieu par ce nom donné aux ennemis de son peuple. – En effet, les Hébreux n’auraient pu échapper à la servitude de ce peuple dur, inhumain, barbare, s’ils n’avaient été assistés par une main puissante, par un bras invincible. Ils étaient plus farouches que des bêtes sauvages, plus durs que des bêtes féroces, ces hommes qui s’étaient vu frapper de tant de plaies sans céder. En disant « peuple barbare », le Psalmiste montre l’infinie puissance de Dieu qui sut persuader à une nation barbare et inhumaine de laisser partir ses esclaves, puis l’y contraindre par la force, vaincre son obstination en la précipitant dans les flots, et délivrer ainsi son peuple.
Qu’est-ce à dire « Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda ? » C’est-à-dire que cette maison devint son peuple fidèle, dévoué, consacré à son service. Ce mot sanctuaire s’employait ordinairement en parlant du temple, du saint des saints : c’est ainsi que Zacharie nous représente des hommes qui font la question suivante : « Le sanctuaire est entré ici : est-ce que nous jeûnerons ? » (Zac. 7,3) il s’agit ici du retour de l’arche et des autres choses saintes. « Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. » Auparavant le pays était impur et souillé, mais après le retour du peuple, la ville devint le sanctuaire de Dieu c’est-à-dire qu’elle fut sanctifiée par les cérémonies saintes, les sacrifices, le culte, et tout l’appareil de la religion. « Et établit son empire « dans Israël. » Ce n’est pas que tout l’univers ne fût déjà sous son empire, mais les Israélites devinrent alors plus particulièrement ses sujets. Ils entendaient les prophéties, ils écoutaient la voix de Dieu, et leurs intérêts étaient de sa part l’objet d’une attention spéciale. Il y a encore une autre raison qui justifie ce titre de peuple de Dieu : c’est que souvent pour obéir à Dieu, ils marchaient au combat, ou à quelque autre entreprise. Car après les avoir tirés des mains des barbares, affranchis de la tyrannie, de la servitude, sauvés d’un extrême péril et d’une erreur impie, il était devenu leur roi. Ailleurs il dit pour établir son droit et montrer qu’avant d’exiger rien d’eux, il avait commencé par payer de sa personne : « Est-ce que j’ai été un désert pour la maison d’Israël, ou une terre en friche ? » Voici le sens de cette parole : ai-je été stérile pour vous ? Ne vous ai-je pas comblé de biens ? Ne suis-je pas allé jusqu’à changer l’ordre de la nature ? n’ai-je pas plié les éléments à votre service ? Ne vous ai-je pas nourris sans vous imposer aucune des fatigues humaines ? Voilà pourquoi il dit : « Est-ce que j’ai été un désert pour la maison d’Israël ? » En d’autres termes, n’ai-je pas porté mille fruits pour elle ? délivrance d’Égypte, affranchissement de l’esclavage des barbares, prodiges, vivres dans le désert, partage de la Palestine, victoires sur les nations, trophées sans nombre, victoires multipliées, inconcevables merveilles, prodiges sur prodiges, fertilité de la terre, accroissement de population, gloire répandue par toute la terre, et mille autres bienfaits ? Voyez-vous les fruits de Dieu ? Aussi le Prophète poursuit-il en disant « Est-ce que j’ai été une terre en friche ? » En d’autres termes : N’avez-vous pas reçu de moi mille bienfaits ? n’ai-je pas béni votre entrée et votre sortie, vos bergeries, votre bétail, votre pain, votre eau ? ne vous ai-je pas mis en sûreté ? ne vous ai-je pas rendus indomptables, terribles, invincibles à tous ? tous les biens de la terre et du ciel n’affluaient-ils pas chez vous en abondance ? En effet, le roi se révèle surtout par l’intérêt, la sollicitude qu’il montre pour ses sujets.
2. C’est pour cela que le Christ a dit « le bon « berger… » qu’attendez-vous ? est honoré, courtisé ? non, « le bon berger donne sa vie « pour ses brebis. » En cela consiste l’autorité, en cela le talent d’un pasteur : à négliger ses propres affaires pour s’occuper de ses sujets il en est d’un prince, comme d’un médecin ou plutôt ce qui est vrai de celui-ci l’est encore bien plus de celui-là. Le médecin consacre son art au salut d’autrui ; le prince y emploie jusqu’à ses propres périls. Ainsi fit le Christ, souffleté, crucifié, en butte à mille tortures ; d’où ce mot de Paul : « Le Christ ne s’est point complu en lui-même ; mais, comme il est écrit : les outrages de ceux qui vous outrageaient sont tombés sur moi. » (Rom. 15,3 ; Ps. 68,10) En conséquence le Psalmiste rappelle ici un bienfait ou plutôt trois, et même une infinité : la fin de la captivité en pays barbare, de l’exil, de la servitude, de tant de maux et de misères, et une multitude de miracles accomplis : puis il rapporte comment Dieu a choisi les Juifs pour sanctuaire, pour sujets, car ceci même est un bienfait, et des plus grands, que de les avoir admis au rang de ses sujets. « La mer le vit et s’enfuit ; le Jourdain retourna en arrière (3). » Voyons le langage s’élever et le bienfait grandir. A quoi bon parler des barbares et des gentils, quand la création elle-même céda, changea de face à la vue d’un tel guide, à la voix d’un pareil conducteur ? En effet rien ne résistait alors au peuple hébreu, afin que tous pussent juger que les événements ne se passaient point suivant l’ordre des choses humaines, que c’était une puissance divine et cachée qui opérait tant de miracles. Considérez la sublimité du langage, et comme elle est bien à sa place. Le Psalmiste ne dit pas : « reculé ni a fait place, mais bien la mer le vit et s’enfuit. » Par là il veut représenter la vitesse de cette retraite, le degré de cet effroi, la facilité de l’opération divine.
Et pour qu’on n’aille pas croire que ces choses s’accomplirent par hasard ou dans un temps marqué par la nature, elles né se renouvelèrent pas : elles n’eurent lieu qu’une fois, sur l’ordre de Dieu et avec acception de personnes. La violence désordonnée des eaux devint à sa voix, comme une force animée et raisonnable, pour sauver les uns, perdre les autres, ensevelir ceux-là, faciliter le passage de ceux-ci. On peut observer la même chose au sujet de la fournaise de Babylone. Le feu, cet élément indiscipliné par nature se montra docile à la volonté de Dieu, lorsqu’il épargna ceux qui étaient dans la fournaise et s’élança sur ceux qui étaient alentour pour les consumer. « Le Jourdain retourna en arrière. » Voyez-vous que les miracles s’opèrent dans des temps et des lieux divers ? Afin de montrer aux hommes que la puissance de Dieu est répandue partout, qu’aucun lieu ne l’enferme, Dieu fit éclater ses prodiges dans le désert, dans le pays des barbares et partout, tantôt en mer, tantôt sur les fleuves, tantôt à l’époque de Moïse, tantôt à celle de Jésus : partout les miracles accompagnaient le peuple de Dieu, afin que sa dureté et son aveuglement, cédant à la vertu de ces prodiges, devinssent capables d’accueillir avec docilité la vraie doctrine. « Les montagnes ont bondi comme des béliers et les collines comme des agneaux (l4). » Ici une importante question s’élève. Quelques-uns conçoivent des doutes, et disent : nous sommes instruits des événements pissés ; l’histoire nous apprend que la Mer Rouge s’entr’ouvrit à la sortie, que le Jourdain retourna en arrière au passage de l’arche : mais que les montagnes et les collines ont tressailli, c’est ce qu’aucune relation ne nous révèle. Que répondre à cela ? Il faut répondre que le Prophète voulant représenter avec force l’allégresse, ainsi que la grandeur des miracles, prête aux choses inanimées elles-mêmes, les tressaillements et les soubresauts que la joie cause chez les êtres vivants. De là cette comparaison ajoutée « comme des béliers et comme des agneaux. » En effet, quand ces animaux se réjouissent ; ils marquent leur plaisir par des trépignements. Ainsi donc, de même qu’un autre dit à propos de malheurs, que la vigne et le vin ont été dans le deuil (Is. 24,7), non que la vigne puisse être dans l’affliction, mais afin d’indiquer un extrême abattement par cette hyperbole qui associe les êtres inanimés eux-mêmes à la douleur générale : de même le Psalmiste, en cet endroit, fait participer la création à la joie dont il parle, afin de montrer combien elle est grande. Ne disons-nous pas de même que la joie anime tout à l’approche d’un personnage illustre ? Vous avez rempli de joie notre maison, disons-nous : non pas que nous ayons en vue les murs, mais afin de représenter l’excès de l’allégresse. « Pourquoi, ô mer, as-tu fui ? et toi, Jourdain, pourquoi es-tu retourné en arrière ? » « Pourquoi avez-vous bondi, montagnes, comme des béliers, collines, comme des agneaux ? » Il continue sous forme d’interrogation, et converse avec les éléments, en vertu de la même idée qui lui a dicté cette expression « bondir ? » S’il pariait ainsi sans attribuer d’ailleurs le sentiment à ces choses, mais pour marquer comme je l’ai dit plus haut un excès de joie et de bienfaits, c’est dans le même sens qu’il leur adresse cette question : il ne croit pas qu’elles puissent lui répondre ni qu’elles sentent rien : il ne veut que donner plus d’énergie à son langage, et montrer ce qu’il y a d’extraordinaire dans les événements.
3. C’est parce qu’il s’agit d’un fait inouï et contraire à l’ordre de la nature qu’il interroge, et fait ensuite la réponse. Quelle est cette réponse ? « La terre a été ébranlée à la présence du Seigneur, à la présence du Dieu de Jacob (7). » Ici encore ébranlement signifie surprise, étonnement, stupeur, et est destiné à faire ressortir la grandeur des événements. Puis, afin de montrer ce que vaut la vertu d’un homme, il recourt au nom du serviteur pour désigner le Maître. Ce que Paul signale comme la plus glorieuse prérogative qui ait été conférée aux saints de ce temps, en récompense de leur détachement à l’égard de toutes les choses terrestres. En effet, il ne se borne pas à faire mention du privilège, il en indique encore la raison, afin de révéler à son auditeur le moyen d’y participer. En quoi consiste ce privilège ? en ce que le Maître est désigné par le nom de ses serviteurs. De là cette parole : « Pour ce motif Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu. » (Héb. 11,16) Mais comment s’appelait-il leur Dieu ? En disant : « Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. » (Ex. 3,6). Plus haut, Paul indique le motif de cette appellation, en disant : « Et torrs ceux-ci sont « morts, n’ayant pas reçu les biens promis, « mais les voyant et les saluant de loin et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. » (Héb. 11,13) Voilà le motif, et par là s’explique la suite : « Pour ce motif, Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu. » Quel est ce motif ? dites-moi. C’est qu’ils ont confessé qu’ils étaient étrangers et voyageurs, qu’ils n’avaient rien de commun avec ce monde ; c’est qu’ils ont rompu avec les choses terrestres, et vécu ici-bas comme en exil. Qui changea la « pierre en des torrents d’eau, et la roche en des fontaines (8). » Quel pardon peuvent espérer encore, je vous le demande, les obstinés et les endurcis ? Quand la roche et la pierre amollissent leur dureté pour obéir aux ordres de Dieu, l’homme doué du privilège de la parole, l’homme, le moins farouche des êtres, se montrera plus insensible ! Par roche il désigne ici un genre de pierre que le fer entame difficilement, et dont il peut tout an plus écorcher la surface. Eh bien ! la roche elle-même s’est amollie, a changé de nature pour ! livrer passage à une onde jaillissante. En effet, le Créateur de la nature sait aussi en déplacer les bornes, en bouleverser l’ordre : et il l’a fait plus d’une fois pour montrer que c’est lui qui a tiré toutes choses du néant. En conséquence, après avoir rappelé les anciens bienfaits de Dieu, ses prodiges, ses miracles, comment il mit fin à la servitude en pays barbare, comment il remit son peuple en liberté, bouleversa les éléments, répandit partout la joie, le Psalmiste l’invoque au secours de sa détresse présente, et se réfugie dans le même port. Ensuite comme ces anciens bienfaits n’avaient point été accordés au mérite, mais dus seulement à la bonté de Dieu, et octroyés en vue de son nom : « Afin que mon nom ne soit pas profané », est-il écrit (Ez. 20,9), afin aussi que tous fussent instruits par la vue des événements du pouvoir de la divinité, et en tirassent un enseignement, il fait valoir cette nouvelle considération, en disant : Quand bien même notre vie ne plaiderait pas pour nous, quand nos actions ne nous donneraient pas crédit auprès de vous, agissez pour votre nom, comme disait autrefois Moïse. Voici ces paroles, analogues à celles de ce personnage : « Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous ; mais donnez la gloire à votre nom (9). » Non pas pour nous, non pas pour nous rendre illustres ou renommés, mais pour manifester en tous lieux votre propre puissance. Mais si son nom est glorifié quand il nous prête aide et protection, il l’est aussi quand nous vivons dans la vertu et brillons par notre conduite. « Que votre lumière brille devant les hommes, « afin qu’ils voient vos belles actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Comme il est glorifié par nos vertus, il est blasphémé par nos mauvaises actions. C’est ce qu’il indique par la bouche dit Prophète, en disant : « Mon nom est blasphémé à cause de vous parmi les nations. » (Is. 52,5) N’ayant pas d’autre moyen de plaider la cause des hommes, le Psalmiste recourt au même moyen que Moïse.
Mais Dieu n’agit pas toujours de même dans sa sollicitude pour notre salut. S’il devait toujours opérer de même, beaucoup de tièdes deviendraient pires, parce qu’ils compteraient sur sa gloire comme sur un gage infaillible de sécurité et de salut pour eux-mêmes. Mais il n’en est pas ainsi. Car Dieu ne se soucie pas tant de sa gloire que de notre salut. S’il est des hommes qui méprisent la gloire, à plus forte raison en est-il ainsi de Dieu, qui n’a besoin d’aucune des choses que nous pouvons donner : mais comme je l’ai dit, le Prophète, ayant rôle d’avocat emploie le moyen de justification dont il dispose, et le reproduit même à deux reprises, en disant : « Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous ; » insistant ainsi sur l’indignité de ceux dont le salut est en question. « mais donnez la gloire à votre nom. » Quant à nous, nous méritons mille maux, mais faites en sorte que votre nom ne soit pas profané. « Pour votre miséricorde et votre vérité (10). » Un autre interprète dit : « À cause de votre miséricorde. » Vous le voyez, il n’ignore pas lui-même que souvent Dieu, dans son mépris pour cette première considération, n’envisage qu’une chose, l’amendement des pécheurs. Voilà pourquoi il ajoute : « Pour votre miséricorde et votre vérité. » En d’autres termes, à cause de votre miséricorde, secourez-nous : quand bien même vous vous souciez peu de la gloire qui vient des hommes, songez à votre miséricorde, à votre vérité. On peut en effet, on peut acquérir de la gloire par lé châtiment non moins que par la compassion. Mais ce n’est pas en cette considération que je vous sollicite, c’est au nom de votre miséricorde. Nous devrions glorifier votre nom par notre vie, notre conduite. Mais puisque nous nous sommes privés nous-mêmes de ce titre, aidez-nous par bonté, par miséricorde : « De peur que les nations ne viennent à dire : où est leur Dieu ? »
4. J’entends bien des personnes, aujourd’hui encore, proférer le même veau : mais il est à craindre qu’elles ne parlent sans savoir ce qu’elles disent : autrement verrions-nous tant de rapines, d’injustices, de crimes de toute sorte ?
« Notre Dieu a fait dans le ciel et sur la terre tout ce qu’il a voulu (11) : » Ici il redresse l’erreur des hommes déraisonnables. Attendu que beaucoup d’hommes méconnaissent l’existence de Dieu, il combat cette opinion en disant : « Notre Dieu a fait dans le a ciel tout ce qu’il a voulu. » Par conséquent, il l’a fait à bien plus forte raison sur là terre. Mais qu’est-ce à dire, il a fait dans le ciel tout ce qu’il a voulu ? Il veut parler ou des puissances d’en haut et des peuples innombrables qui habitent le ciel, ou de la facilité avec laquelle les ordres divins sont accomplis. Que si la terre offre beaucoup de désordre et de confusion, ne vous en étonnez point. Cela provient de la méchanceté des hommes, et non de l’impuissance de Dieu, dont les choses célestes montrent assez la force et le pouvoir. S’il n’en est pas ainsi sur la terre, la faute en est à ceux qui se rendent indignes.
On en trouvera encore une autre raison, si l’on considère que la longanimité s’oppose à ce que beaucoup d’actions reçoivent ici-bas la rétribution qui leur est due. Voilà pourquoi on voit des méchants obtenir l’avantage sur des justes : c’est que le bon Dieu ne veut pas demander sur-le-champ compte à chacun de ses fautes, sans cela notre espèce serait anéantie depuis longtemps. Ce passage signifie donc que Dieu est fort, puissant, capable de punir ; les choses du ciel en sont la preuve : s’il ne punit pas, c’est qu’il use de longanimité, et veut attirer les coupables au repentir. « Les idoles des nations sont de l’argent et de l’or, des ouvrages de la main des hommes (12). Elles ont une bouche et elles ne parlent point, elles ont des yeux et elles ne verront point (13). Elles ont des oreilles et n’entendront point, elles ont des narines et ne sentiront point (14). Elles ont des mains sans pouvoir toucher, elles ont des pieds sans pouvoir marcher, elles ne crieront point avec leur gorge (15). Que ceux qui les font leur deviennent semblables (16). » Dans le psaume CV, pour montrer leur démence, il disait : « Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. » (37). Ici il fait voir la stupidité de ces adorateurs d’une matière inanimée. Et il passe en revue tous les membres des idoles, afin de compléter la dérision. Puis il poursuit en disant : « Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui s’y confient. » C’est vertu, en général, que de ressembler à Dieu : ici c’est un, malheur qu’il leur souhaite. Songez à ce que peuvent être ces dieux, quand on ne saurait rien souhaiter de pire à quelqu’un que de leur ressembler. Il s’y prend à merveille, on le voit, pour railler l’extrême folie des idolâtres et les couvrir de ridicule.
Et comment ne serait-il pas ridicule, je vous le demande, de rendre un hommage fidèle à une statue qui offre l’image de la suprême indécence ? Qui voudrait voir une femme nue ? Eh bien ! le démon ne nous guette pas moins auprès d’une représentation semblable. Les idoles sont des images tantôt de fornication, tantôt de sodomie. Que signifient cet aigle, ce Ganimède, cet Apollon qui poursuit une vierge, et tant d’autres figures abominables ? Partout luxure, partout incontinence, partout des représentations d’amours illicites et furieuses. Images, fêtes, solennités, mystères, toutes ces choses attestent, rappellent, enseignent des infamies, et non pas seulement des ordures, mais encore des homicides. C’est ainsi que l’on s’y prend pour apaiser ces démons. Là on ne trouve qu’incontinence, orgies, cruauté, barbarie, homicides : tels sont les seuls éléments des fêtes. Après avoir raillé, en conséquence, l’insensibilité des idoles, et l’aveuglement de ceux qui s’y confient, il en revient aux louanges de Dieu, en disant : « La maison d’Israël a espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (17). La maison d’Aaron a espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (18). Ceux qui craignent le Seigneur ont espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (19). » Par là, il proclame à la fois la puissance de Dieu et son élévation incomparable au-dessous de tous les êtres. En mettant sous nos yeux ce que Dieu a fait pour le peuple Juif, il nous rappelle un double ou plutôt un triple bienfait. En premier lieu, Dieu a délivré les Juifs des démons ; en second lieu, il s’est fait connaître ; en troisième lieu il a prêté son assistance.
Le Psalmiste parle ensuite séparément d’Israël, de la race sacerdotale, et de ceux des Gentils qui vinrent se joindre au peuple de Dieu. Ce n’est pas la même chose, en effet, qu’un prêtre et un simple particulier : le prêtre a un titre de plus. La division est donc en ce point justifiée par la prérogative de l’ordre sacerdotal.
5. Ensuite, voulant montrer que la Providence divine ne s’étendait point seulement sur la Judée, il fait mention également des étrangers, des païens réunis, et dit que le secours et la bénédiction sont devenus choses communes à tous. « Le Seigneur s’étant souvenu de nous, nous a bénis. Il a béni la maison d’Israël ; il a béni la maison d’Aaron (20). Il a béni ceux qui craignent le Seigneur (21). » Qu’est-ce à dire : « Il a béni ? » C’est-à-dire il a comblé de biens. L’homme peut aussi bénir Dieu, en disant, par exemple bénis, mon âme, le Seigneur. Mais celui qui bénit Dieu ne rend service qu’à lui-même ; il ajoute à sa propre gloire sans obliger Dieu en aucune façon. Dieu, au contraire, en nous bénissant, nous rend plus glorieux sans y rien gagner lui-même. Rien ne manque, en effet, à la divinité : de sorte que, dans les deux cas, le profit est pour nous-mêmes. Mais comment les a-t-il bénis ? Il leur a envoyé du pain du haut du ciel, il a fait jaillir pour eux l’eau d’un rocher, il a protégé leur entrée, leur sortie ; il a multiplié leur bétail, leurs troupeaux, il les a nommés son peuple, il a fait de la prêtrise une royauté, il a donné la loi, il a envoyé ses prophètes. De là, ces assurances qu’on lit ailleurs : « Il n’a pas fait ainsi pour chaque peuple, et il ne leur a pas manifesté ses jugements. » (Ps. 147,9) Et encore : « Quelle nation est assez sage pour que le Seigneur Dieu s’en approche ? Les petits avec les grands. » (Deut. 4,7) C’est-à-dire qu’aucune race n’était privée de bénédiction, et que les mêmes grâces étaient répandues sur tous. « Que le Seigneur vous multiplie, vous et vos fils (22). » Encore une espèce de bénédiction, l’accroissement de la race. Le contraire est représenté par un autre comme un châtiment, en ces termes : « Nous avons diminué de nombre, et nous sommes bien peu par rapport à tous ceux qui habitent la terre. » (Dan. 3,37) Même en Égypte, ils jouissaient de cette bénédiction ; malgré la foule des obstacles, les travaux, la misère, la barbarie de leurs tyrans, rien ne pouvait arrêter l’accomplissement de la parole divine, et la bénédiction produisit de tels effets qu’en deux cents années ils devinrent six cent mille. En cela consistait alors la bénédiction ; aujourd’hui, sous le règne de la nouvelle loi, elle produit des effets bien plus relevés. Paul a dit : « Béni Dieu, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ! » (Eph. 1,3) Et ailleurs : « Mais à celui qui est puissant pour tout faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons, à lui gloire dans l’Église ! » (Id. 3,20, 21) Les prophètes de l’ancien temps, quand ils voulaient faire du bien à quelqu’un, avaient recours à la bénédiction qu’on a vue. Élisée fit présent d’un fils à la femme qui l’avait accueilli. Sous la nouvelle loi, les bienfaits sont autres et incomparablement plus grands. Ce n’est pas là ce que la marchande de pourpre demandait aux apôtres. Qu’était-ce donc ? « Si vous n’avez pas jugé que je suis indigne devant le Seigneur, entrez et restez chez moi. » (Act. 16,15)
Voyez-vous la différence, la diversité des prières aux temps de l’Ancien et sous le Nouveau Testament ? Le Christ a dit de même : « Réjouissez-vous de ce que vos noms ont été inscrits dans les cieux. » Et Paul : « Que Dieu vous remplisse de toute grâce et de toute gloire dans votre joie, afin que vous abondiez dans l’espérance et dans la vertu de l’Esprit-Saint. » (Rom. 15,13) Bénédiction dont la vertu est d’accorder des biens ineffables et n’a rien de terrestre. Paul dit encore : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement. » Mais aux temps de l’ancienne loi, quand les hommes étaient plus grossiers, c’étaient les choses sensibles qui formaient le tissu de la bénédiction, et la fécondité des femmes était regardée comme un bien incomparable. En effet, une fois que la mort eut été introduite à la suite du péché, Dieu voulant consoler notre espèce, et lui montrer que loin de vouloir l’exterminer, l’anéantir, il la rendrait au contraire bien plus nombreuse, prononça ces paroles : « Croissez et multipliez. » (Gen. 9,1) Mais la mort n’eut pas été plus tôt reconnue pour un simple sommeil, que la virginité devint un titre d’honneur. D’où ces mots de Paul : « Je voudrais que tous les hommes fussent dans la continence, ainsi que moi. » Et encore : « Il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme. » (1Cor. 7,7) Et ces paroles du Christ : « Il y a des eunuques qui se sont faits eunuques en vue du royaume des cieux. » (Id. 5,1 ; Mt. 19,12) D’ailleurs, dès le principe, Dieu avait fait entendre qu’on a besoin de vertu et non d’une postérité nombreuse. Écoutez en quels termes un sage dit : « Ne désirez point une troupe inutile d’enfants, s’ils n’ont pas la crainte de Dieu ; et ne vous occupez pas de leur nombre. Car mieux vaut un que mille et mourir sans postérité que d’avoir des enfants impies ; et mieux vaut un qui fait la volonté du Seigneur que mille qui transgressent la loi. » (Sir. 16,4) Mais les stupides Juifs, dans leur attachement à la chair, dans leur insouciance pour la vertu, disaient : « Que cherche Dieu, sinon la progéniture ? » (Mal. 2,15) Aussi, voulant leur montrer que ce n’est pas cela qu’il cherche, en mille circonstances, il punit leurs vices par la mort. « Soyez bénis du Seigneur (23). » Remarquez ces derniers mots. Voilà, en effet, la bénédiction véritable. Il y a aussi des gens qui sont bénis parmi les hommes ; mais les biens qui leur en reviennent sont humains. La suprême bénédiction, la voici : les hommes, bénissent, en ce sens qu’ils louent, célèbrent les hommes riches, puissants, glorieux. Mais c’est là une bénédiction temporaire, et inutile au moment même où elle se fait sentir : celle de Dieu est perpétuelle, et elle nous seconde dans les plus grandes choses. « Qui a fait le ciel et la terre. »
6. Voyez-vous le pouvoir de la bénédiction ? Les paroles de Dieu deviennent des réalités c’est une de ces paroles, du moins, qui a créé le ciel. « Par une parole du Seigneur », est-il écrit, « les cieux furent établis », (Ps. 3,2-6) La parole dont il vous bénit, c’est cette parole puissante.
« Le Ciel du ciel est au Seigneur ; la terre, il l’a donnée aux fils des hommes (24). » Que dites-vous ? Il a choisi le ciel pour en faire son séjour, et après s’être réservé l’étage supérieur, il nous a assigné cette terre pour habitation ? A Dieu ne plaise ! ce langage est celui de la condescendance. S’il en était ainsi que vous dites, comment subsisterait dès lors cette autre parole divine : « Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre ? dit le Seigneur. » (Jer. 23,24) Car ces deux choses sont contradictoires, si nous nous en tenons au sens qui s’offre tout d’abord, au lieu d’approfondir la doctrine qui y est renfermée. Que signifie donc ceci : « Le Ciel du ciel est au Seigneur : la terre, il l’a donnée aux fils des hommes ? » C’est une expression de condescendance qui n’implique point que Dieu soit confiné dans le Ciel. Ce n’est pas non plus parler dignement de lui que de dire : « Le ciel est son trône, et la terre son escabeau, (Isaïe 66, 4) : » encore le langage de la condescendance. Dieu embrasse tout, supporte tout, loin d’être assujetti à aucune condition de lieu, il domine lui-même et contient toutes choses ; s’il est écrit que le ciel est sa maison, c’est parce que ce lieu est pur d’iniquité. Le ciel ne marque donc pas en cet endroit un séjour choisi, non plus que dans cet autre passage : « Il a marqué les limites des peuples selon le nombre des anges de Dieu, (Deut. 32,8) ; » et dans celui-ci : « Il a choisi la maison de Jacob. » (Ps. 134,4) N’entendez point par là que les Juifs deviennent les siens, à l’exclusion des autres hommes, abandonnés désormais de sa providence, et frustrés de son secours. Dieu est commun à tous les hommes ce langage n’est employé ici que pour marquer la tendresse particulière qu’il avait pour les Juifs, comme valant mieux, il faut bien le croire, que les autres hommes. En effet, qu’il ne les choisit pas à l’exclusion des autres, que sa sollicitude demeura toujours universelle, c’est ce que montrent et les faits d’avant Moïse, et tout ainsi bien ceux qui arrivèrent de son temps ; enfin ceux qui se passèrent successivement après lui. Le soleil, la terre, la mer, tout le reste fut donné à tous en commun par le Seigneur ; chez tous il implanta pareillement la loi naturelle. Abraham était perse[20] : Dieu l’aima, le fit, changer de pays, il se servit de lui pour corriger les Égyptiens, les habitants de Chanaan, ceux qui venaient de la Perse ; de son fil et de son petit-fils pour rendre meilleures, autant qu’il lui appartient, beaucoup de peuplades voisines. Après la naissance de Moïse, il achemina les Égyptiens à la doctrine sainte par sa conduite envers les Juifs ; de même les habitants de la Palestine, et ensuite ceux de Babylone : Ainsi, en disant : « Le ciel du ciel est au Seigneur », le Psalmiste entend que le Seigneur se complaît, dans les habitants de ce séjour, parce qu’ils sont exempts de toute iniquité. Et vous-même, si vous ne restez pas attaché à la terre, si vous devenez un ange, vous monterez promptement au ciel et dans la maison paternelle ; même avant le jour de la résurrection, vous voilà émigré d’ici-bas, et promu aux honneurs. Car de même que beaucoup de sénateurs conservent leur dignité, quoique vivant à la campagne ; de même si vous voulez devenir citoyens du ciel, même en vivant ici-bas, vous jouirez de cette dignité. « Les morts ne vous loueront pas, Seigneur, ni tous ceux qui descendent dans l’enfer (25). »
« Mais nous les vivants, nous bénirons le Seigneur dès maintenant et dans tous les siècles (26). » Par « morts » il n’entend pas ici les trépassés, mais ceux qui sont décédés dans l’impiété, ou ceux qui ont vieilli dans le péché. Abraham, Isaac, avaient déjà fini leurs jours, qu’ils vivaient encore, en ce sens que leur méritoire était honorée par les vivants. Quand Moïse prie pour le peuple placé sous sa conduite, il se sert de leurs noms pour émouvoir Dieu, il les adjoint à sa supplication. C’est encore en leur nom, que les trois enfants sollicitent leur délivrance. « Ne détournez pas votre miséricorde de nous, à cause d’Abraham qui fut aimé de vous, d’Isaac votre serviteur, et d’Israël votre saint. » (Dan. 3,35) Comment les appeler morts, eux qui jouissaient d’un pareil pouvoir ? Le Christ a dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts. » (Mt. 8,22) C’est pour cela que Paul appelle les défunts non pas les morts, mais : « Les endormis : Je ne veux pas que vous ignoriez », dit-il, « mes frères, au sujet des endormis. » (1Thes. 6,12) Car le juste même trépassé n’est pas mort, il n’est qu’en état de sommeil. Celui qui doit être envoyé dans une vie meilleure, n’est qu’endormi : celui qui doit être traîné à la mort éternelle, celui-là est mort, qu’il soit défunt ou en vie. Les uns descendent dans l’enfer, les autres monteront au ciel, et seront avec le Christ. Aussi le Prophète ne dit-il pas simplement : les vivants, mais « Nous les vivants », se désignant ainsi lui-même. Et d’où vient cette addition ? De ce que Paul s’est exprimé de même en disant « Nous les vivants, nous qui restons, nous n’arriverons pas les premiers en la présence du Seigneur. » (1Thes. 4,16) De même qu’ici, ce mot « Nous » ne permet pas d’appliquer la phrase à tout le monde, mais seulement aux fidèles, à ceux qui imitent la conduite de Paul, ainsi dans notre texte : « Nous les vivants », doit s’entendre de ceux qui vivent dans la vertu, à la façon de David. « Dès maintenant et dans tous les siècles. » Voyez-vous comme la suite confirme cette interprétation, à savoir, qu’il parle de ceux qui vivent selon la vertu ? Personne ne vit ici-bas jusque dans l’éternité, c’est le privilège de ceux-là seuls, comme destinés à une immortalité glorieuse. Les pécheurs vivent aussi ; mais c’est dans les tourments, les supplices, les grincements de dents : les autres vivent dans tout l’éclat de la gloire, et leur seule occupation est d’offrir à Dieu les hymnes mystiques avec les puissances incorporelles. Tâchons d’obtenir cette vie afin de goûter le même bonheur, afin d’entrer en possession du partage que rien ne peut représenter, pas plus l’esprit que la parole, et dont l’expérience seule peut révéler les délices, desquelles puissions-nous tous jouir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXIV.

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1. « J’AI AIME PARCE QUE LE SEIGNEUR EXAUCERA LA VOIX DE MA PRIÈRE. »

ANALYSE.

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  • 1. Des vrais et des faux biens. Pourquoi Dieu permet la souffrance. Le bien de l’âme, souverain bien.
  • 2. Providence de Dieu à l’égard des enfants. Bienfait de la mort et des souffrances.
  • 3. Félicité de la vie future.


1. Et quel est l’homme, direz-vous qui n’aime pas, quand on l’exauce ? Beaucoup de mondains. Ils ne veulent pas écouter quelles sont les choses qui leur importent, et ils en souhaitent qui ne leur sont point avantageuses : puis, exaucés, ils gémissent et se désolent. Ce qui nous est avantageux, c’est ce que Dieu connaît pour tel, quand ce serait la pauvreté, la faim, la maladie, que sais-je encore ? Ce que Dieu juge nous être utile, ce qu’il nous donne, voilà les choses profitables. Écoutez plutôt ce qu’il dit à Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance se consomme dans la faiblesse. » (2Cor. 12,9) C’est que l’intérêt de Paul était d’être persécuté, affligé, opprimé. Instruit par cette réponse, il dit « Aussi, je me complais dans les infirmités, les injures, les persécutions. » (Id. 10) 1l n’appartient donc pas aux premiers venus de se réjouir quand Dieu les exauce, en procurant leur bien. Beaucoup veulent de faux biens et s’y complaisent. Tel n’était pas le Prophète : il aima, quand Dieu l’eut exaucé, en lui accordant ce qui lui était utile, « Parce qu’il a incliné son oreille vers moi (2). » Encore des expressions humaines pour représenter le consentement de Dieu. Cette parole renferme de plus une autre allusion ; il a l’air de dire : je ne méritais pas d’être entendu ; mais il est descendu jusqu’à moi. « Et dans mes jours je l’invoquerai. » Qu’est-ce à dire, « dans mes jours ? » Parce que j’ai été exaucé, veut-il dire, je ne veux pas pour cela m’enfuir ni me relâcher ; je consacrerai tous mes jours à cette occupation.
« Les douleurs de la mort m’ont environné, les dangers de l’enfer m’ont surpris. J’ai trouvé l’affliction et la douleur (3) ; et j’ai invoqué le nom du Seigneur (44). » Voyez-vous quelle forte armure ? quelle consolation efficace contre toutes les épreuves ? quelle âme échauffée par l’amour du Maître ? Voici ce qu’il veut faire entendre : il m’a suffi, pour échapper aux maux qui m’environnaient, d’invoquer, le Seigneur. Pourquoi nous, l’invoquons-nous tant de fois sans être tirés de peine ? C’est que nous ne l’appelons pas comme il faut. Pour lui il est toujours prêt à nous seconder. Écoutez plutôt ce qu’il dit dans les Évangiles : « Quel est d’entre vous l’homme qui, si son fils lui demande du pain, lui « présentera une pierre ? Ou, si c’est un poisson qu’il lui demande, lui présentera-t-il un serpent ? si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ? » (Mt. 7,9, 49) Voyez-vous combien grande est cette bonté auprès de laquelle la nôtre ne paraît plus que méchanceté ? Puisque tel est notre maître, recourons toujours à lui, invoquons-le, lui seul, à notre aide et nous le trouverons prêt à nous sauver. Si des naufragés réfugiés sur une planche flottante n’ont qu’à appeler les premiers venus du plus loin qu’ils les aperçoivent, pour émouvoir leur charité, bien qu’ils n’aient rien de commun avec eux, et pas d’autre recommandation que leur infortune, à bien plus forte raison le bon Dieu en qui la miséricorde est innée a-t-il pitié des malheureux, pour peu qu’ils consentent à recourir à lui, à l’invoquer avec ferveur, renonçant à toutes les espérances humaines. Par conséquent, si vous venez à tomber dans quelque infortune imprévue, ne vous laissez pas abattre, relevez aussitôt votre courage et réfugiez-vous dans ce port sans orages, dans cette imprenable tour qui est l’assistance de Dieu. Car si Dieu vous laisse tomber, c’est afin que vous l’invoquiez. Mais c’est justement alors que la plupart se laissent décourager et perdent jusqu’à la piété qu’ils avaient, quand ils devraient faire tout le contraire. C’est l’amour extrême de Dieu pour nous, c’est son désir de nous attacher plus étroitement à lui qui le détermine à souffrir que nous tombions dans la peine. Les mères se servent de masques effrayants pour forcer leurs enfants rebelles à se jeter dans leurs bras : ce n’est pas qu’elles veuillent leur causer du chagrin, mais elles imaginent ce moyen pour les retenir auprès d’elles. De même Dieu, dans son désir constant de vous attacher à lui, dans son amour extrême, si ce n’est trop peu dire encore, permet que vous tombiez dans de telles épreuves : et c’est afin que vous vaquiez perpétuellement à la prière, que vous l’invoquiez continuellement, que vous négligiez tout le reste pour ne songer qu’à lui. « O Seigneur, délivrez mon âme. » Un autre interprète traduit : « Je vous en prie, Seigneur, retirez mon âme. » Un autre : « O Seigneur, sauvez mon âme. »
Voyez-vous la sagesse du Psalmiste ? Comment il oublie toutes les choses mondaines pour s’occuper d’un seul objet, de maintenir son âme à l’abri de toute atteinte qui pourrait lui porter préjudice ? En effet, si l’âme se porte bien, tout le reste suivra : au contraire si elle va mal, il n’est point de prospérité qui puisse dès lors nous être bonne à quelque chose. Aussi ne faut-il négliger aucun moyen, action ou parole, pour la sauver. C’est le sens caché dans cette parole : « Soyez prudents comme les serpents. » (Mt. 10,16) Ainsi que le serpent sacrifie le reste de son corps pour sauver sa tête, ainsi vous devez, vous, tout immoler au salut de votre âme. En effet, ni la pauvreté, ou la maladie, ni cet autre mal qui paraît être comme le résumé des autres, la mort, ne sont en état de nuire à ceux qu’ils frappent, tant que leur âme reste intacte : pareillement la vie même cesse d’être un avantage, quand l’âme est perdue ou gâtée. C’est pour cela que le Psalmiste parle de l’âme et de l’âme seule, qu’il souhaite que le jugement ne lui soit pas rigoureux, et qu’elle échappe aux intolérables supplices. « Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu a pitié (5). » Voyez-vous comment il enseigne à l’auditeur à ne pas désespérer, à ne point se décourager ? C’est à peu près comme s’il disait : point de désespoir : Dieu est miséricordieux. Point de découragement : Dieu est juste. De cette façon il guérit l’un du relâchement, l’autre du désespoir : et par là il travaille doublement à notre salut.
2. Puis, afin de montrer que Dieu incline plutôt vers la miséricorde, il poursuit en répétant : « Et notre Dieu a pitié. » Il dit à dessein « notre Dieu », afin de l’opposer aux dieux dont il a parlé précédemment. Ces autres dieux ont pour occupation le meurtre, le massacre, les guerres sans trêve. Le nôtre ne songe qu’à répandre ses bienfaits, à pardonner, à nous tirer de péril et rien n’est plus propre à montrer que ces divinités ne sont que des démons funestes, tandis que notre Dieu est un Dieu bon, un Dieu protecteur, un Dieu véritable.
« Le Seigneur veille sur les petits enfants, j’ai été humilié et il m’a sauvé (6). » Il touche ici un côté fort important de la Providence. « Miséricordieux et juste, il a pitié », il aborde une des œuvres les plus frappantes de cette bonté. Quelle œuvre ? Celle qui s’opère sur les petits enfants. Nous avons, nous dans la raison un maître qui nous instruit de ce que nous devons éviter, rechercher, qui nous enseigne à repousser loin de nous les maux qui s’approchent, à nous affranchir de ceux qui nous accablent, nous avons des forces, nous connaissons des expédients ; faute de pareils secours, les enfants seraient sans protecteur, pour ainsi dire, s’ils ne trouvaient une assistance assurée dans la Providence divine qui ne saurait s’éloigner d’eux un seul moment sans les livrer tous à une perte certaine. Sans cela les serpents, les volatiles domestiques, tant d’autres animaux qui hantent les maisons tueraient dans les langes les jeunes nourrissons. Ni nourrice, ni mère, ni personne, ne sauraient montrer une sollicitude suffisante, pour les préserver, s’il leur manquait l’appui d’en haut. Quelques-uns croient d’ailleurs qu’il s’agit ici des enfants encore emprisonnés dans le sein maternel. « J’ai été humilié et il m’a sauvé. » Il ne dit pas : Dieu n’a pas permis que je fusse en péril, mais bien, j’ai été en péril et il m’a sauvé. En effet, après avoir parlé de la Providence en général, il continue à parler en son propre nom, suivant son usage d’associer partout le général et le particulier. N’allez donc pas, mes chers frères, rechercher une vie à l’abri de tous les orages, ce ne serait pas un bien pour vous. Si les prophètes n’y trouvaient point leur avantage, à plus forte raison n’y trouveriez-vous pas le vôtre. Ils n’y trouvaient point leur avantage, dis-je, écoutez en effet : « C’est un bien pour moi que vous m’ayez humilié, afin que je connaisse vos jugements. » Ici Dieu est remercié de deux choses, d’avoir permis le péril et de n’avoir pas abandonné l’homme en danger. Ce sont deux espèces de bienfaits, et le premier n’est pas inférieur à l’autre, ou même, si j’ose le dire, il est plus grand. En effet, le second n’a eu pour effet que d’écarter le péril, le premier a rendu l’âme plus sage. « Rentre, ô mon âme, dans le repos, parce que le Seigneur a répandu sur toi ses bienfaits (7). Parce qu’il a délivré mon âme de la mort, mes yeux, des larmes, mes pieds de la chute (8). Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des vivants (9). » L’interprétation historique fait voir ici une délivrance merveilleuse, un soulagement, un affranchissement. Mais si l’on veut prendre ce passage dans le sens anagogique, on pourra se représenter cet affranchissement comme notre départ d’ici-bas et retrouver lit le repos dont il s’agit. Car on échappe par là à tous les dangers imprévus et l’avenir cesse d’être un mystère inquiétant, on est en sûreté une fois qu’on a quitté la terre le cœur plein de bonnes espérances. En effet, quoique la mort ait été introduite ici-bas par le péché, cela n’empêche pas que Dieu ne la fasse servir à notre avantage. Voilà pourquoi il n’en est pas resté là, mais a rendu de plus notre existence pénible : c’est afin de nous faire comprendre qu’il n’aurait pas permis la mort elle-même, si cette œuvre de sa sagesse n’était pas très-utile. Voilà pourquoi après avoir dit : « Au jour où tu en mangeras, tu mourras », il ne s’est pas borné à exécuter sa menace, en disant : « Tu es terre et tu retourneras en terre. » Mais voici ce qu’il ajoute : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. La terre produira pour toi des épines et des ronces, elle te nourrira dans la peine. » Et il dit à la femme : « Je multiplierai tes douleurs et tes gémissements. Tu enfanteras dans les douleurs. » C’est que la mort n’aurait pas suffi pour les rendre sages. Il est vrai qu’elle corrige beaucoup d’hommes, car sa venue les rend insensibles. Mais les épreuves de la vie nous améliorent de notre vivant. Que si l’on y voit un sujet de terreur, la faute en est à la faiblesse des âmes. C’est ce que montrent les prières de saint Paul et ses transports de joie, lorsqu’il dit, par exemple : « Partir et être avec le Christ, c’est bien préférable », et encore : « Je me réjouis, je partage votre joie à tous, de même, vous aussi, réjouissez-vous, partagez ma joie. » Mais le contraire l’afflige : « Nous gémissons en nous-mêmes », dit-il, « attendant l’adoption, la délivrance de notre corps. » Et ailleurs : « Nous qui sommes dans cet abri, nous gémissons affligés. »
3. Voyez-vous combien c’est une belle chose que la sagesse ? Ce qui paraît aux autres mériter des larmes, lui semble valoir des prières : ce qui paraît aux autres sujet de joie et de contentement, il n’y trouve que des raisons de gémir. N’est-ce pas, en effet, un digne sujet de lamentations, que d’être exilé, expatrié ? N’est-ce pas un bonheur que de se réfugier promptement dans le port de tranquillité, et d’être admis dans la cité céleste, affranchi enfin des douleurs, des peines, des gémissements ? Mais, direz-vous, en quoi cela regarde-t-il un pécheur tel que moi ? Voyez-vous que ce n’est pas la mort qui fait l’affliction, mais le mauvais état de la conscience ? Cessez donc d’être un pécheur, et vous soupirerez après la mort. « Mes yeux des larmes. » – Rien de plus naturel : là-bas il n’y a ni chagrins, ni tristesse, ni pleurs. « Mes pieds de la chute. » Ceci est plus important encore. Comment cela ? C’est que nous sommes affranchis non seulement du chagrin, mais encore des pièges qui pourraient nous faire trébucher. Il est établi sur un roc, celui qui est parti chargé de bonnes œuvres ; il est entré au port ; il ne trouve plus d’obstacles ; le trouble, les alarmes ont disparu. Celui-là vit au sein d’une gloire perpétuelle qui a quitté dans cette disposition le séjour d’ici-bas. « Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des vivants. » – Un autre dit « devant le Seigneur. » Un autre « je marcherai. » C’est ce que Paul, lui aussi, indique par ces mots : « Et nous serons ravis dans des nuées en l’air, au-devant du Seigneur et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur. » (1Thes. 4,16) Et remarquez cette parole « au pays des vivants. » – C’est là-haut qu’est la vraie vie, exempte de mort, et riche de biens sans mélange. Quand « il aura détruit », dit le même apôtre, « tout pouvoir, tout empire, toute puissance, il détruira un dernier ennemi, la mort. » (1Cor. 15,24) Mais ces choses détruites, il ne reste plus aucun sujet d’affliction, ni souci, ni épreuve, tout est joie, tout paix, tout amour, toute joie, toute allégresse, tout est parfait, solide. Car il n’y a là-haut aucune chute pareille, ni colère, ni chagrin, ni avarice, ni désirs charnels ou pauvreté, ni richesse, ni infamie, ni rien de semblable. – Aspirons donc à cette vie, et faisons toutes choses en vue d’elle. Voilà pourquoi nous sommes exhortés à dire dans notre prière : « Que votre royaume arrive : » c’est afin que ; nous ayons perpétuellement ce jour devant les yeux. En effet celui qui est possédé d’un pareil amour, celui qui vit dans l’espoir de ces biens, celui-là ne souffre ici-bas aucun naufrage, et ne se laisse abattre par aucun des chagrins de ce monde. – De même que ceux qui se rendent dans une capitale ne se laissent arrêter par aucune des choses qu’ils peuvent rencontrer sur leur route, prairies, vergers, ravins, déserts, et, indifférents aux divertissements comme aux obstacles, ne songent qu’à la patrie qui les attend : ainsi celui qui chaque jour se représente la ville céleste, et qui nourrit en lui cet amour, ne se laissera ébranler par aucune épreuve, trouvera sans charme et sans gloire ce qu’il verra de plus glorieux et de plus charmant. Que dis-je ? il n’en verra rien : car il aura d’autres yeux ceux dont parle Paul, en disant : « Comme nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles : en effet, les choses visibles sont éphémères ; les choses invisibles sont éternelles. » – Voyez-vous comment il nous montre la route avec d’autres paroles ? Attachons-nous donc à la poursuite de ces choses invisibles, afin de les posséder et de jouir de la vie éternelle : à laquelle puissions-nous tous arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui gloire et puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME CXV.

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1. « J’AI CRU, C’EST POURQUOI J’AI PARLÉ : MAIS J’AI ÉTÉ HUMILIÉ ENTIÈREMENT. »

ANALYSE.

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  • 1. La foi est le principe de toutes les grandes choses : c’est elle qui a soutenu le peuple juif au milieu de ses épreuves, qui a inspiré ses prophètes et mérité à Abraham de devenir le père des croyants. Nous n’avons pas de meilleur moyen de glorifier Dieu.
  • 2. La foi nous enseigne tontes choses et elle est notre force, car rien ne lui résiste Sans doute c’est un don de Dieu qui la donne à qui il lui plait ; mais nous pouvons nous en rendre dignes par nos bonnes œuvres : témoin le centurion Corneille.
  • 3. Avec la foi, tout s’explique, tout profite dans la vie ; sans elle, il n’y a qu’incertitude, que défaillances, que trouble et scandale, car l’homme abandonné à lui-même n’est que mensonge, c’est-à-dire, vil, passager, pur néant.
  • 4. Malgré cette bassesse de l’homme, le peigneur le comble de bienfaits, ce qui est d’autant plus admirable qu’il est plus grand et que l’homme est plus petit. Et il veille sur lui, non seulement pendant sa vie, mais jusqu’après sa mort, le glorifiant sur la terre et dans le ciel.
  • 5. Pour mériter cette grâce, il faut le servir, se faire son esclave, selon le mot de saint Paul, et lui offrir continuellement un sacrifice de louanges, d’actions de grâces en reconnaissance de ces immenses bienfaits.


1. A propos de ces paroles qu’il cite, le bienheureux Paul s’exprime ainsi : « Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous croyons aussi nous, et c’est pourquoi nous parlons. » (2Cor. 4,13) Il faut donc commencer par dire comment l’Apôtre a entendu ces paroles, en examinant le sujet qu’il avait entrepris de traiter, ce sera un bon moyen de connaître la pensée du Prophète. Du reste, la meilleure manière d’instruire c’est, non pas de prendre dans un discours un passage détaché, pour s’arrêter au point particulier qu’on a choisi, mais de remonter jusqu’au début du texte en question. A quel propos donc saint Paul rappelle-t-il ces mots du Psalmiste. C’est à propos de la résurrection et de l’acquisition des biens futurs qui surpassent toute parole, toute intelligence et toute pensée. Et précisément parce qu’un tel sujet était infiniment au-dessus de toute parole, et ne pouvait être expliqué, la foi était nécessaire pour le saisir. Mais les Juifs, à raison des vaines espérances qui les gonflaient d’orgueil, auraient pu être troublés et croire qu’on les trompait, aussi l’Apôtre se hâte-t-il de redresser leur grossière ignorance par la citation des paroles du Prophète, comme s’il leur eût dit : Je ne vous demande pas une chose nouvelle en vous demandant la foi, vous voyez qu’elle date de loin : Voilà pour saint Paul. Quant au roi David, comme il devait, lui aussi, annoncer aux Juifs les biens à venir, qui étaient en dehors de l’ordre des choses humaines, pour qu’on ne pût pas refuser d’y croire, il commença ainsi son psaume : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. » Jérusalem n’était plus, son temple avait été renversé, et tous ses habitants avaient été emmenés captifs et chargés de chaînes dans une terre étrangère : les barbares avaient pris possession de leur terre, et le vainqueur avait forcé les Juifs à planter des vignes, à bâtir des maisons, à contracter des mariages. Un tel état de choses jetait les Juifs dans le désespoir et ils pensaient en eux-mêmes : si alors que nous avions une ville, des armes, des remparts, de l’argent en si grande abondance, un temple avec son autel, son culte et ses cérémonies, tout ce qui concerne, en un mot, l’exercice de notre religion, nous avons été faits prisonniers et emmenés en captivité, comment pourrons-nous recouvrer notre patrie, maintenant que nous sommes en pays étranger, dépouillés de tout, sans armes et sans liberté ? Et ces pensées en troublaient un grand nombre des plus faibles, et ils ne faisaient plus attention aux prophéties, prédisant leur retour. C’est pourquoi David s’exprima de la sorte pour montrer que la foi est nécessaire dans tout ce que Dieu nous annonce. D’autres, comme Isaïe, leur parlent autrement. « Rappelez dans votre esprit », leur dit-il, « cette roche dont vous avez été taillés et cette citerne profonde d’où vous avez été tirés. » (Is. 51,1) Puis il ajoute : « Jetez les yeux sur Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantés, et considérez que l’ayant appelé lorsqu’il était seul, je l’ai béni et je l’ai multiplié. » (Id. 2) Ces paroles peuvent se traduire ainsi : Abraham n’était-il pas étranger ? N’était-il pas sans enfants et déjà avancé en âge ? N’avait-il pas une femme qui à raison de ses années et de sa constitution était stérile ? Toutes ses espérances n’étaient-elles pas anéanties complètement ? Et pourtant avec ce seul vieillard jusque-là sans enfants, j’ai peuplé la terre. Pourquoi donc vous troubler ? Si avec un seul homme j’ai pu peupler le monde, à plus forte raison, avec vous quoique vous soyez en petit nombre, je repeuplerai Jérusalem. Voilà pourquoi il dit : « Rappelez dans votre esprit cette roche d’où vous avez été taillés », pour indiquer Abraham, « et cette citerne profonde dont vous avez été tirés », désignant ainsi Sara. Car de même qu’une citerne n’a pas de source jaillissante, mais seulement l’eau qu’elle reçoit des pluies du ciel, ainsi Sara reçut d’en haut la faculté de concevoir dont elle était privée. Et de même encore qu’une pierre n’a jamais porté de fruit, ainsi en était-il d’Abraham[21]. Et pourtant c’est de là que je vous ai tirés pour peupler des régions aussi nombreuses et aussi étendues. Voilà pourquoi encore le Seigneur conduit Ézéchiel dans une plaine où il lui fait voir un amas d’ossements qui revivent à la parole du Prophète. Alors les montrant aux Juifs il leur dit : « Si je puis ainsi ressusciter les morts, à plus forte raison, je saurai vous ramener dans votre patrie, vous qui vivez. » (Ez. 37,1-13) Très-bien pour ces prophètes, mais que veut dire le Psalmiste par cette parole : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ? »
C’est-à-dire, il faut avoir confiance dans les promesses. Car, pour moi qui les méditais ces divines promesses, qui les conservais dans mon cœur, j’ai chassé tout trouble aussitôt que j’ai cru. Saint Paul parlant de nos biens sensibles et visibles requiert la foi. D’où il suit que s’il en est ainsi pour les choses matérielles, à plus forte raison pour les biens invisibles. Si la foi fut nécessaire aux Juifs pour recouvrer leur ville, combien plus à nous qui attendons le Ciel. Toutes les fois donc qu’il s’agit de quelque chose de grand que nous ne saurions atteindre ni par la pensée, ni par le raisonnement, il faut avoir recours à la foi et ne point examiner les choses d’après les règles d’une logique humaine : car les opérations miraculeuses de Dieu leur sont infiniment supérieures. Il faut donc imposer silence à la raison, et recourir à la foi pour glorifier Dieu. Essayez par le raisonnement de trouver le secret de ses opérations, ce n’est point le glorifier, c’est vouloir soumettre à notre humble raison les desseins admirables de la Providence.
2. C’est pourquoi saint Paul parlant, lui aussi, d’Abraham et de la manière admirable dont il fit taire sa raison pour ne considérer que la puissance de Celui qui lui faisait des promesses, nous assure que par sa conduite il glorifia Dieu souverainement : « Il n’hésita point », nous dit-il, « et il n’eut pas la moindre défiance de la promesse que Dieu lui avait faite, mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu et étant pleinement persuadé qu’il est tout-puissant pour faire tout ce qu’il a promis. » (Rom. 4,20, 21)
Mais que signifient ces autres paroles : « Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu’il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé : Nous croyons aussi, nous, et c’est aussi pourquoi nous parlons ? » (2Cor. 4,43) Elles nous révèlent un grand mystère : à savoir, que : L’Esprit qui a inspiré le Nouveau Testament a également inspiré l’Ancien, et qu’il a parlé dans l’un aussi bien que dans l’autre, que la foi nous enseigne toutes choses et que sans elle nous ne pouvons absolument rien. « Nous croyons aussi, nous », est-il écrit, « et c’est pourquoi nous parlons. » Ôtez-nous la foi, nous ne pourrons pas même ouvrir la bouche. Mais pourquoi l’Apôtre n’a-t-il pas dit : « Parce que nous avons une même foi », au lieu de dire : « parce que nous avons « un même esprit de foi ? » Outre la raison que nous venons de dire, c’était pour montrer qu’il faut l’assistance de l’Esprit-Saint pour s’élever à la hauteur de la foi et pour sentir le néant et la faiblesse de notre raison. C’est toujours dans le même but que dans un autre endroit il s’exprime ainsi : « Or, ces dons du Saint-Esprit qui se font connaître au-dehors sont donnés à chacun pour l’utilité de toute l’Église. Car, l’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don de la foi, un autre la grâce de guérir les maladies. » (1Cor. 12,7-9) On me dira peut-être, qu’il s’agit ici, ce qui est vrai du reste, de la foi nécessaire pour opérer les miracles. Mais je sais, moi aussi, qu’il y a une autre foi dont les apôtres disaient. « Augmentez en nous la foi (Lc. 17,5) », sans parler de celle par laquelle nous sommes tous chrétiens, et qui ne nous fait point faire de prodiges, mais qui nous donne la science infuse de la piété. Or, dans ces deux derniers cas, nous avons encore besoin de l’assistance de l’Esprit-Saint, selon cette parole de saint Luc « Le Seigneur lui ouvrit le cœur pour entendre ce que Paul disait (Act. 16,14) », et celle autre du Christ : « Personne ne vient à moi si mon Père ne l’attire. » (Jn. 6,44) Mais si la foi vient de Dieu, comment donc pèchent ceux qui ne croient pas, puisque l’Esprit ne vient pas à leur secours, que le Père ne les attire pas, et que le Fils ne les met pas dans la voie ? Car il dit de lui-même : « Je suis la voie (Jn. 14,6) », pour montrer que sans Lui on ne saurait être amené vers le Père. Si donc le Père attire, le Fils conduit, l’Esprit illumine, comment peuvent être coupables ceux qui ne sont ni attirés, ni conduits, ni illuminés ? – En ne se rendant pas dignes de recevoir cette lumière. Voyez ce qui arriva à corneille. (Act. 10) Il ne trouva point en lui le bienfait de la foi, mais Dieu l’appela après qu’il s’en fut rendu digne par ses prières et ses bonnes œuvres. Aussi Paul parlant de la foi aux Éphésiens, leur dit : « Et en effet, cela ne vient pas de vous puisque c’est un don de Dieu. » (Eph. 2,8) Ce qui ne veut pas dire que nous soyons impuissants à produire des bonnes actions. Car bien qu’il appartienne à Dieu d’attirer et de conduire, il choisit cependant les âmes droites et dociles à ses inspirations pour leur donner son secours.
C’est pourquoi saint Paul, dans un autre endroit, parle « de ceux qui ont été appelés selon le décret de Dieu. » (Rom. 8,28) Car ni notre vertu, ni notre salut ne sont le résultat de la nécessité. Et quoique nous soyons redevables de la plus grande partie et presque de tout à Dieu, il nous a cependant laissé une certaine part à notre salut, afin d’avoir une raison apparente de nous couronner un jour. Voilà pourquoi après avoir dit que « nous avons un même esprit de foi », c’est-à-dire, ce même Esprit qui a parle ; dans l’Ancien Testament, Paul a ajouté : « Nous croyons aussi nous, et c’est pourquoi nous parlons. » (2Cor. 4,43) Nous avons du reste un besoin de la foi bien plus grand qu’autrefois, et à cause de la nature des biens qui nous sont promis, lesquels sont invisibles et spirituels, et à cause de l’ordre des temps. Car ce n’est pas dans cette vie mais dans l’autre qu’on sera récompensé. En outre, il fallait la foi même pour les biens présents, car les dons qui nous étaient faits, comme la participation aux saints mystères, la grâce du baptême, ne pouvaient être reçus sans la foi ! Et puis, la vertu de ces dons surpasse toute intelligence. Si donc la foi était nécessaire quand il s’agissait de biens grossiers et sensibles, à plus forte raison l’est-elle aujourd’hui : Mais les paroles de l’Apôtre ont été suffisamment expliquées. Il est temps de revenir à notre prophétie et de vous faire comprendre ce que dit ici le saint roi David. Que dit-il donc ? – « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé. » Il n’avait encore rien dit, mais il fait allusion au langage intérieur qu’il avait tenu et qui peut se traduire ainsi : Alors, dit-il, que je repassais dans mon esprit et les malheurs des Juifs, et leurs infortunes, et leur extermination, et les derniers ravages, je n’ai pas désespéré de voir des jours meilleurs. Au contraire, je les ai attendus, je les ai annoncés et j’ai parlé. Dans mes premiers psaumes j’ai traité longuement cette question et je n’ai fait que vous annoncer ce que la foi m’enseignait.
3. Voyons maintenant combien est chancelant et troublé celui qui n’est pas instruit par cette même foi. Quoiqu’il s’agisse encore d’un psaume de David, ce ne sont pas ses propres sentiments qu’il a exprimés, mais les troubles intérieurs d’une âme sans consistance quand il s’est écrié : « Que Dieu est bon à Israël et à ceux qui ont le cœur droit, mais mes pieds ont failli me manquer et mes pas ont été chancelants. » (Ps. 72,2) Ce qui doit s’entendre non des pieds et des pas, mais des raisonnements défectueux. Il en donne aussitôt un exemple en ajoutant. « Car j’ai été touché « d’un zèle d’indignation contre la prospérité « des méchants. » (Id. 7) C’est-à-dire, en voyant les barbares florissants et les Juifs humiliés et abattus. Mais voici le vice du raisonnement. « Et j’ai dit : C’est donc inutilement que j’ai travaillé à purifier mon cœur et que j’ai lavé mes mains dans la compagnie des innocents. » (Id. 13) Et il nous apprend lui-même ce qui l’a poussé à s’exprimer ainsi : « C’est qu’il a vu les pécheurs eux-mêmes dans l’abondance de tous les biens de ce monde, et qu’ils ont acquis de grandes richesses. » (Id. 12) Mais entendez-le se reprendre ensuite lui-même : « Que si je disais : je parlerai de la sorte : un grand travail s’est présenté devant moi et j’ai reconnu que je ne « pouvais le comprendre jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu et que j’y apprenne quelle doit être leur fin. » (Id. 15, 16, 17) C’est comme s’il eût dit : j’étais indigné, affligé dans mes raisonnements, car c’est toujours le résultat qu’ils produisent. Ensuite, j’ai pensé que j’entreprenais une œuvre difficile, car mes recherches sur de semblables sujets ne pourront m’amener à rien de certain tant que je ne serai pas dans ma patrie.
Jugez par là combien il est dangereux d’abandonner les choses de la foi aux raisonnements humains, au lieu de les confier à la foi elle-même. Si celui dont parle le Prophète eût été ferme et constant dans sa foi, il n’eût pas été troublé, les pieds n’auraient pas failli lui manquer et ses pas n’auraient pas été chancelants. Mais il n’en est pas de même du Psalmiste. Solidement établi sur la pierre il n’était pas troublé, et malgré le triste état où il voyait les affaires des Juifs, malgré la prospérité des barbares, dans un grand nombre de psaumes, il parlait souvent en termes clairs et avec assurance du retour clans sa patrie. Et sa foi était si grande qu’il ne faisait attention ni à la puissance de ses ennemis, ni à l’impuissance des Juifs, mais à la toute-puissance du Seigneur dont il tenait les promesses. Et voilà pourquoi il s’écrie : « J’ai cru et c’est pourquoi j’ai parlé ; j’ai été humilié extrêmement. » Une autre version porte : « J’ai été affligé extrêmement. » – « Dans mon abattement j’ai dit : Tout homme est menteur (2). » Ou selon une autre version : « J’ai dit dans le trouble de mon esprit : Tout homme ment. » C’est ici qu’apparaît de nouveau la splendeur de la foi, car avec elle, l’infortune la plus grande ne saurait précipiter dans le désespoir. Cette vertu, en effet, est comme une ancre sacrée qui retient et affermit de toutes parts le vaisseau de notre esprit qui s’y attache et on le remarque principalement dans les rencontres les plus fâcheuses de la vie où la foi nous persuade d’attendre avec patience l’effet de l’espérance qu’elle nous inspire, et nous fait rejeter tous les raisonnements humains. C’est ce qu’il veut nous faire entendre par ces paroles : « Pour moi, j’ai été affligé extrêmement. » En d’autres termes : J’ai été bien affligé sans doute, mais je n’ai pas désespéré ni perdu courage. Pour nous montrer ensuite qu’il a été non seulement affligé, mais dans l’angoisse la plus grande il ajoute ces paroles : « Dans mon abattement, j’ai dit : « Tout homme est menteur. » Qu’est-ce à dire, « dans mon abattement ? » – Dans mon malheur extrême, dans l’excès de mes maux. Car j’ai été assailli par une épreuve si violente qu’elle m’a plongé dans l’anéantissement et dans un profond sommeil. Il s’agit ici de cette défaillance, de cette insensibilité que produit le malheur. De même, ce qui est dit d’Adam, que Dieu lui envoya un profond sommeil doit s’entendre d’une certaine privation de sentiment. Car l’extase ou le ravissement d’esprit consiste à être hors de soi. Dieu avait donc envoyé à Adam un sommeil extatique pour l’empêcher de sentir l’extraction de sa côte et d’en éprouver de la souffrance, et en le privant ainsi secrètement du sentiment de la peine, il lui déroba par cet anéantissement momentané, la douleur qu’il aurait ressentie. Il est encore écrit : « Il leur survint un ravissement d’esprit. » (Act. 10,10) Il s’agit encore ici d’un sommeil extatique et d’une absence de sentiment, c’est le sens du mot « ravissement. » Mais cela a lieu, ou par l’action de Dieu, ou par la grandeur des maux qui produisent un sommeil profond et une sorte d’engourdissement, les malheurs ayant coutume en effet, d’amener l’anéantissement et le sommeil. Par son a abattement », le Psalmiste entend donc ici l’excès des maux qui l’ont accablé. Mais que signifient ces mots : « Tout homme est menteur. » N’y a-t-il donc personne de véridique ? Comment alors Job a-t-il pu être appelé un homme véridique, juste et religieux ? Et les prophètes ? S’il ont été menteurs, s’ils ont trompé dans ce qu’ils ont dit, il n’y a plus rien de solide. Et Abraham ? et tous les Justes ? Vous voyez combien il serait mauvais de s’en tenir à la lettre de l’Écriture sans chercher à en pénétrer l’esprit. Qu’a donc voulu dire le Psalmiste par ces expressions : « Tout homme « est menteur ? » – La même vérité que dans ces autres paroles : « L’homme est devenu a semblable au néant. » (Ps. 143,4) C’est ce qu’a dit encore un autre prophète. « Toute chair n’est que de l’herbe et toute sa gloire est comme la fleur des champs (Is. 40,6) », pour exprimer une chose très-vile, passagère, semblable à l’ombre, à un songe et à quelque fantôme.
4. Et afin que vous sachiez que mon raisonnement s’appuie sur des motifs solides, remarquez qu’une version porte : « Tout homme est mensonge. » Une autre : « Tout homme ment ; » ou bien encore : « défaille. » Expressions bien différentes les unes des autres ; car, mentir est l’effet d’un vice qui réside dans l’âme, tandis que défaillir, être passager, ressembler à une onde qui s’écoule, à un songe, à une fleur, à une ombre indique la bassesse de notre nature. Cela revient à ce qu’on lit ailleurs : « Je ne suis que terre et que cendre. » (Gen. 18,27). Et encore : « Pourquoi la terre et la cendre s’élèvent-elles d’orgueil ? » (Sir. 10,9). Ou bien à ces autres paroles du Psalmiste : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui ? » (Ps. 8,5) Partout le témoignage de la bassesse de notre nature, de son néant. Ne disons-nous pas des moissons qu’elles ont été trompeuses pour marquer qu’elles n’ont pas répondu à notre attente et qu’elles n’ont pas rapporté autant que nous espérions ; et dans le même sens, que l’année a été trompeuse ? L’homme est chose vile et de nul prix, et nous ne nous en apercevons jamais mieux que dans le malheur, parce qu’alors nous jetons ordinairement les yeux sur le néant de notre nature. C’est pourquoi le Psalmiste ayant l’âme abattue et sentant sa nature confondue, veut nous montrer combien elle est abjecte et misérable sous tous rapports eu disant : « Tout homme est menteur. » C’est-à-dire l’homme n’est que néant, comme il avait exprimé la même vérité dans cet autre passage : « L’homme passe comme en image. » (Ps. 38,7). – « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits (3). »
Comme il fait bien ressortir la grandeur des bienfaits de Dieu, non seulement parce qu’il a reçu mais encore par sa propre indignité, car, malgré la diversité du langage, on sent qu’il est animé ici des mêmes sentiments que dans un autre psaume où il disait : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? » (Ps. 8,5) Or, ce qui double le prix des bienfaits, c’est d’être grands par eux-mêmes et d’être conférés à ceux qui ne sont que néant. Dans ce cas, la reconnaissance pour être en rapport avec le bienfait, doit être d’autant plus grande. C’est ce que le Prophète a voulu nous faire entendre par ces mots : « Que rendrai-je au Seigneur ? » Pour indiquer que lui, homme de mensonge, n’étant que bassesse et néant, a reçu des biens extraordinaires : « Pour tous les biens qu’il m’a faits. » C’est le propre d’un cœur reconnaissant de rechercher avec soin à donner quelque chose en retour des bienfaits reçus et de croire qu’il n’a rien fait, quand il a payé tout ce qu’il pouvait. Et c’est bien ce que nous voyons se réaliser ici de la part du Prophète. Car il témoigne doublement sa reconnaissance, et en donnant tout ce qu’il peut et en pensant que ce qu’il a donné n’a pas de valeur. Que va-t-il donc faire ? – Il va nous l’apprendre lui-même, écoutez-le : – « Je prendrai le calice « du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur (4). »
Ceux qui entendent ces paroles dans le sens anagogique veulent qu’il s’agisse de la participation aux saints mystères. Pour nous, qui nous en tenons à l’histoire, nous disons en suivant notre pensée qu’il est question des oblations de liqueur, des sacrifices et des hymnes en actions de grâces. Il y avait autrefois, en effet, divers sacrifices ; on distinguait le sacrifice de louanges, le sacrifice pour les péchés, les holocaustes, les hosties pacifiques, celles pour le salut et un grand nombre d’autres. Tout ce qui précède revient donc à ceci : Je ne puis payer Dieu ce qui lui revient, mais je ferai ce que je pourrai. J’offrirai au Seigneur un sacrifice d’actions de grâces, et je le ferai souvenir de mon salut. – « Je m’acquitterai de mes vœux « envers le Seigneur devant tout son peuple (5). »
Par ses vœux il entend ici ses promesses et ses engagements, car dans ses malheurs il avait eu recours à Dieu et il s’était constitué son débiteur, promettant que s’il échappait à ses ennemis, il lui offrirait en retour les sacrifices dont nous venons de parler. Donc, s’écrie-t-il, puisque mes épreuves ont cessé, « je m’acquitterai de mes vœux envers le Seigneur devant tout son peuple. – C’est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints (6). » Une autre leçon porte : « C’est une chose honorée devant le Seigneur. » Pourquoi cette conclusion et quel rapport a-t-elle avec ce qui précède ? Elle en a un très-grand si on veut l’examiner avec soin. Comme le Psalmiste avait dit, pour montrer les bienfaits de Dieu : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits ? » En preuve de ces bienfaits il ajoute que Dieu prend soin non seulement de la vie, mais encore de la mort de ses saints, soit qu’elle arrive d’après les lois de la nature ou par la volonté du Seigneur. N’entendez-vous pas saint Paul qui vous crie : « Il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie, c’est pourquoi j’ai une certaine confiance qui me persuade que je demeurerai encore avec vous tous et que j’y demeurerai même assez longtemps ? » (Phil. 1,24-25). Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’il en soit de la mort comme de la génération de quelques hommes, qui ne sont pas nés selon les lois de la nature ; ainsi Isaac et Samuel. Aussi ne sont-ils pas appelés enfants de la chair, mais enfants de la promesse. Ainsi encore Moïse n’est pas mort purement et simplement, mais il est mort par l’ordre exprès de Dieu ; et Jean est mort par sa permission. Cette dernière mort fut la récompense d’une courtisane, mais elle n’en fut pas moins honorée, et ce qu’il y a même de particulièrement admirable, c’est que malgré cette circonstance elle fut comblée de gloire. C’est que le saint précurseur avait été martyr de la vérité et il fut tellement en honneur qu’il inspira de la crainte à son meurtrier. Nous en trouvons la preuve dans l’évangéliste saint Mc. car voici ce qu’il rapporte d’Hérode « Cependant Hérode disait : voilà Jean-Baptiste qui est ressuscité et c’est pour cela qu’il se fait par lui tant de miracles. » (Mc. 6,14) Voyez encore comment la mort d’Abel était précieuse et honorée : « Où est Abel ton frère ? La voix du sang de ton frère crie vers moi. » (Gen. 4,9, 10).
5. Considérez, à propos de Lazare, comment après sa mort, les anges l’accompagnaient. (Lc. 16,22) Contemplez, auprès du tombeau des martyrs, ce concours des villes et des peuples que leur amour enflamme. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi Dieu est rempli de sollicitude pour la mort do, ses saints et il en prend un soin extrême. Ils ne meurent pas d’une manière quelconque, ni fortuitement ; mais selon les desseins de sa divine providence. C’est ce qu’il voulait nous montrer par ces mots : « Devant les yeux du Seigneur. O Seigneur, je suis votre serviteur, je suis votre serviteur et le fils de votre servante (7). »
Il ne s’agit pas ici d’une servitude ordinaire, mais de celle qui est produite par un grand amour et une vive affection. C’est ce désir enflammé dont est rempli le Psalmiste, et qui est sa plus belle couronne et son plus beau titre de gloire. Dieu lui-même en a fait le plus grand sujet de louanges, en disant : « Moïse, mon serviteur, est mort. » (Jos. 1, 2) « Et le fils de votre servante. » C’est-à-dire, depuis les siècles les plus reculés, dans la personne de mes ancêtres, je suis attaché à votre service. Paul, de son côté, regardait cette dépendance comme la principale gloire de Timothée, quand il disait : « J’ai le souvenir de cette foi sincère qui est en vous, qu’a eue premièrement Loïde, votre aïeule et Eunice, votre mère. Je suis aussi très-persuadé que vous l’avez et que vous avez été nourri dès votre enfance dans les Lettres saintes. » (2Tim. 1,5 ; 3, 15) Et en parlant de lui-même : « Je suis né hébreu, de pères hébreux » (Phil. 3,5), ou bien : « Sont-ils hébreux ? Je le suis. « Sont-ils Israélites ? Je le suis aussi. » (II Cor xi, 22) Ils avaient quelque chose de plus que les prosélytes, ceux qui étaient tels par leurs ancêtres, et c’est dans ce sens que le Psalmiste s’écrie : « Et le fils de votre servante. »
« Vous avez rompu mes liens. » Il ne dit pas, vous avez affaibli, mais « vous avez rompu », afin de montrer que désormais ils seraient sans effet. Ce qu’il entend ici par ses liens, ce sont les afflictions, les tentations et les dangers. Il y a des liens qui sont bons, dont on souhaite d’être enchaîné, comme dans ces paroles : « Le lien de la dilection (Eph. 4,3) », et « c’est le lien de la perfection. » (Col. 3,14) Il y a d’autre part un lien opposé à celui-ci : « Chacun est enchaîné par les liens de ses péchés. » (Prov. 5,22) C’est ce que veut faire entendre le Christ, quand il dit : « Pourquoi donc ne fallait-il pas délivrer de ses liens cette fille d’Abraham que Satan avait enchaînée ? » (Lc. 13,16) Isaïe lui-même dit du Sauveur : « Je vous ai établi pour être le réconciliateur des nations… pour dire à ceux qui étaient dans les chaînes, sortez. » (Is. 49,8-9) Il ne s’est donc pas contenté de délier ces liens, il les a rompus, ce qui est beaucoup plus : Que si l’on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique et dire qu’il s’agit ici des liens du péché et de tout le vieil homme, on ne se trompera pas. Il y a encore, un autre lien, le plus beau de tous, que Paul ne quittait jamais, répétant toujours : « Moi, Paul, enchaîné pour l’amour de Jésus-Christ (Eph. 3,1 ; 6, 20) », ou bien : « Jésus-Christ pour l’amour duquel je suis lié de cette chaîne. » (Act. 28,20)
« Je vous sacrifierai une hostie de louanges (8). » C’est ainsi qu’au début, à la fin, partout et toujours, le Prophète paye à Dieu le même tribut. Il a commencé par lui dire : « Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur. » Ici : « Je vous sacrifierai une hostie de louanges. » C’est-à-dire, je vous rendrai grâces, je vous louerai. « Et j’invoquerai le nom du Seigneur. » Pour nous faire comprendre comment c’est un sacrifice de louanges : « Je m’acquitterai de mes vœux envers le Seigneur, devant tout son peuple (9) ; à l’entrée de la maison du Seigneur, au milieu de vous, ô Jérusalem (10). » Ce n’était point par ostentation ni pour s’attirer de la gloire qu’il en agissait ainsi, mais pour exciter un semblable zèle dans tous lés autres et leur inspirer de prendre part à sa reconnaissance envers Dieu. C’est ainsi qu’agissent torrs les saints, invitant à s’associer à leurs louanges, non seulement les autres gommes, mais encore toute créature. Il n’y a rien qui soit plus agréable au Seigneur que la reconnaissance, non seulement dans la prospérité, mais même dans l’adversité. C’est la principale hostie, c’est la meilleure offrande. Ainsi agissaient, et Job. et Paul et Jacob. Ainsi ont agi tous les justes, témoignant à Dieu leur piété et leur gratitude, surtout au milieu des difficultés. Imitons ces exemples et rendons constamment grâces à Dieu, afin de mériter les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXVI.

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4. « NATIONS, LOUEZ LE SEIGNEUR, PEUPLES, LOUEZ-LE TOUS : « PARCE QUE SA MISÉRICORDE A ÉTÉ PUISSAMMENT AFFERMIE SUR NOUS ET QUE LA VÉRITÉ DU SEIGNEUR DEMEURE ÉTERNELLEMENT. »

ANALYSE.

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Ce psaume renferme la prophétie de l’établissement de l’Église chrétienne et de la prédication de l’Évangile par toute la terre. Vous y voyons encore que notre salut est l’œuvre de la miséricorde de Dieu.
Il est évident pour tous que ces paroles contiennent la prédiction de l’établissement de l’Église chrétienne et de la prédication de l’Évangile dans toute la terre. Car le Psalmiste ne s’adresse pas à une, à deux ou à trois nations seulement, mais à la terre entière et à la mer. Cette prophétie se vérifia quand le Christ fit son apparition glorieuse. Passant ensuite à la cause de notre salut, le Psalmiste dit qu’il ne vient pas de nos œuvres, ni de notre vie, ni de notre foi, mais uniquement de la miséricorde de Dieu. « Parce que sa miséricorde a été puissamment affermie sur nous. » C’est-à-dire qu’elle est devenue stable, ferme et plus solide que la pierre. Chaque jour même elle reçoit de l’accroissement. « Et la vérité du Seigneur demeure éternellement. » Quoique à l’arrivée du Christ la vérité ait paru dans sa plus belle splendeur, ces dernières paroles indiquent qu’avant Lui tout ce qui arrivait était symbole et figure, selon cette autre parole de l’Évangéliste : « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité a été faite par Jésus-Christ. » (Jn. 1,17)



EXPLICATION DU PSAUME CXVII.

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« LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU’IL EST BON, PARCE QUE SA MISÉRICORDE S’ÉTEND DANS TOUS LES SIÈCLES. »

ANALYSE.

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  • 1. La miséricorde du Seigneur est infinie : témoin la maison d’Israël, qui, au milieu de ses épreuves, a reçu des grâces si nombreuses ; témoin la maison d’Aaron en faveur de laquelle se sont opérées tant de merveilles. Mais pour voir cette miséricorde il faut craindre Dieu dont la Providence n’est visible qu’à ceux qui sont exempts de passions et de préjugés.
  • 2. Il suffit d’être malheureux pour avoir droit à la bonté divine. Avec son aide et sa protection on n’a rien à craindre, car, dit saint Paul, « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Mais pour s’en rendre digne, il faut mettre de côté toute confiance dans les secours humains et lui demeurer constamment attaché.
  • 3. Le Seigneur attend pour nous secourir que tout soit désespéré, humainement parlant, afin que son secours soit peu évident. Par ce moyen, il nous empêche de nous attribuer un succès qui n’est dû qu’à lui et il excite davantage notre reconnaissance.
  • 4. La bonté du Seigneur ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais elle nous met en possession de la gloire et de l’illustration, en nous délivrant de la corruption du tombeau pour nous ressusciter à une vie meilleure.
  • 5. Mais les portes de l’éternité bienheureuse ne s’ouvriront que pour ceux qui auront été châtiés et éprouvés en ce monde C’est pourquoi le Palmiste remercie le Seigneur d’avoir eu à souffrir. – Ici est rappelé le principal bienfait, la merveille par laquelle Dieu nous a ouvert le Ciel, je veux dire le mystère de l’Incarnation du Verbe.
  • 6. Béni soit donc Celui qui vient au nom du Seigneur, que notre vie soit employée à le bénir, à le remercier, à profiter de ses grâces et de ses exemples, et célébrons à jamais, invitons toute créature à s’unir à nous pour célébrer ses miséricordes infinies !…


1. Il y a une parole de ce psaume que le peuple a coutume de répéter en chœur après chaque vers, et c’est la suivante : « C’est ici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous-y donc et soyons pleins d’allégresse. » À ces mots, presque tous se lèvent, et c’est surtout le chant que les fidèles ont l’habitude de faire entendre dans cette assemblée spirituelle, dans cette fête céleste. Pour nous, si vous le voulez bien, nous parcourrons ce psaume dès le début et nous commencerons notre explication dès les premiers mots et non pas au verset qui sert de refrain. Nos pères permirent aux simples fidèles de s’en tenir à ce verset parce qu’il était harmonieux et qu’il renfermait un dogme sublime. Du reste, ils n’auraient pu retenir le psaume en entier et ces paroles exprimaient la doctrine la plus parfaite. Quant ! nous, il faut que nous le voyions dans son ensemble, quoique la plus grande prophétie soit au milieu. Car c’est au verset 22 qu’on lit : « La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée, a été placée à la tête de l’angle. » C’est du reste ce que le Christ lui-même dit aux Juifs, un peu moins clairement sans doute : il ne voulait pas augmenter encore la colère dont ils étaient enflammés, « car il ne brisera point le roseau cassé et il n’éteindra point la mèche « qui fume encore. » (Is. 42,3) Néanmoins il le leur dit : attaquons donc ce psaume par son début, connut, nous l’avons déjà dit. Et quel est ce début : « Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde s’étend dans tous les siècles. » Le Prophète avant présents à l’esprit les bienfaits dont le Seigneur a comblé toute la terre, sa bonté infinie et sa miséricorde qui éclatent en toutes choses, s’attache à faire ressortir la source de tant de biens « Que la maison d’Israël dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s’étend dans tous les siècles (2). » Qu’est-ce que j’entends ? « La maison d’Israël » qui a souffert des captivités nombreuses, qui a servi en Égypte, qui a été emmenée aux extrémités de la terre, qui en Palestine a enduré des maux sans nombre ! Sans doute, me répond le Palmiste. Il n’y a point de meilleurs témoins de ces bienfaits et personne n’en a reçu de plus nombreux et de plus signalés. Bien plus, leurs épreuves mêmes sont une marque de son infinie bonté, et un examen un peu attentif prouvera qu’ils lui doivent de grandes actions de grâces pour la venue du Sauveur, car les maux dont elle a été pour eux la source doivent être attribués à leur malice et non à. Notre-Seigneur. En effet, c’est pour eux qu’il venait et il leur répétait souvent : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt. 15,24) », et à ses disciples : « N’allez point dans les terres des Gentils, mais plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël (Id. 10,5, 6) ; » et à la Chananéenne « Il n’est pas juste de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens. » (Ibid 15, 26) Toutes ses démarches, toutes ses actions se rapportaient donc à leur salut. S’ils parurent dans la suite indignes de ces bienfaits, c’est à leurs crimes et à leur ingratitude extraordinaire qu’il faut l’imputer. « Que la maison d’Aaron dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s’étend dans tous les siècles (3). »
Le Prophète fait ici un appel spécial aux prêtres, afin qu’ils viennent chanter les louanges du Seigneur, montrant ainsi l’excellence du sacerdoce. Car, par cela même qu’ils étaient supérieurs aux autres ils reçurent de Dieu plus de gloire, non seulement par l’honneur du sacerdoce, mais dans bien des circonstances. Ainsi quand le feu sortit du Tabernacle (Lev. 10,2), ce fut à cause d’eux ; et la terre qui s’entr’ouvre (Nb. 16,32), et la verge qui fleurit (Id. 17,8), et tant d’autres prodiges ont lieu à cause d’eux et pour eux. « Que tous ceux qui craignent le Seigneur disent maintenant qu’il est bon, que sa miséricorde s’étend dans tous les siècles (4). » Car ce sont ceux-là principalement qui peuvent voir sa bonté et en toutes circonstances trouver les preuves de sa miséricorde. Que signifient ces paroles : « Sa miséricorde s’étend dans tous les siècles ? » C’est-à-dire due continuellement et sans interruption elle se montre avec éclat dans tous les événements. Il est vrai que ceux dont les yeux de l’âme sont trop faibles ou que quelques passions rendent malades, n’aperçoivent pas cette bonté et cette miséricorde, pas plus que ceux dont les yeux sont malsains ne peuvent contempler le soleil. Et ceux mêmes qui les ont bien disposés sont forcés de les détourner de sa splendeur. Ainsi en est-il de la Providence générale de Dieu dont la prudence et la sagesse sont si élevées qu’elles Font infiniment au-dessus de toute raison humaine. Ajoutez à cela mille cupidités qui, en nous rendant insensés, nous ôtent la vue et nous empêchent de l’apercevoir. La première est l’amour de la volupté qui fait passer par-dessus les choses les plus manifestes sans qu’on les découvre. La seconde est l’ignorance et le dérèglement de l’esprit. Si nous voyons un père châtier son enfant, nous l’approuvons, nous le louons même, et c’est à ce signe surtout que nous reconnaissons qu’il est père. Que Dieu veuille au contraire nous punir de nos mauvaises actions, nous ne le supportons pas, nous sommes indignés. Quelle absurdité ! quelle perversité comparable à celle-là, puisqu’elle nous fait révolter contre des choses tout à fait opposées et nous fait gémir ici de la présence du châtiment, là de son absence. Que l’on aperçoive des hommes qui volent, qui envahissent le bien d’autrui, on veut bien qu’ils soient punis. Quand il s’agit de ses propres fautes on raisonne tout autrement. Ce qui est l’indice d’un cœur dépravé et corrompu. La troisième, c’est le défaut de discernement de ce qui est bien d’avec ce qui est mal, ce qui fait porter des jugements faux ; ce défaut vient de ce qu’on est entièrement adonné au vice et qu’on se complaît dans le mal. La quatrième, le peu de connaissance qu’on a de la grandeur de ses fautes. Une cinquième cause de notre aveuglement, c’est la distance infinie qui se rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut ajouter que Dieu ne veut pas tous les jours tout découvrir parce qu’il juge qu’il doit nous suffire de connaître peu à peu les événements.
2. Il ne faut donc pas trop chercher à pénétrer en foules choses la Providence divine, ce serait prétendre à dés choses infinies et infiniment au-dessus de toute nature créée. Quant à ceux qui veulent la comprendre sur certains points il faut qu’ils soient exempts de ces passions dont nous venons de parler, et alors ils la verront plus clairement que le soleil, quoique partiellement, et le peu qu’ils en verront leur apprendra à rendre grâces pour le tout. « J’ai invoqué le Seigneur du milieu de l’affliction, et le Seigneur m’a exaucé, et m’a mis au large (5). » Quelle miséricorde ! quelle bonté de la part du Seigneur : Le Psalmiste ne dit pas : j’étais digne, il ne dit pas : j’ai montré mes bonnes œuvres, mais simplement : « J’ai invoqué », et ma prière a suffi pour éloigner de moi le malheur. C’est ainsi que parle Dieu à propos des Égyptiens : « J’ai vu l’affliction de mon peuple et je suis descendu pour le délivrer. » (Ex. 3,7-8) Il ne dit pas : J’ai vu la vertu de mon peuple ou son retour a de meilleurs sentiments, mais son affliction, et j’ai entendu ses cris de détresse. Qui ne reconnaîtrait, à ces traits, le père bienfaisant et miséricordieux qui s’empresse dé secourir par le seul motif qu’on est malheureux ? Les hommes ne regardent pas comme digne d’être sauvé quiconque est : affligé, et s’il leur arrive de voir torturer et battre de verges des esclaves, ils ne volent pas à leur, secours, mais ils sont arrêtés par la considération de leurs fautes. Dieu a pardonné par cela seulement qu’on était affligé, et non content d’avoir délivré de l’affliction, il a procuré une grande sécurité. « Il m’a exaucé », dit le Psalmiste, et il m’a mis au large. Il y a plus : l’affliction n’a été permise qu’afin de rendre meilleurs et plus sages ceux qu’elle a frappés. « Le Seigneur est mon soutien et je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire (6). ».
Quelle grandeur d’âme ! quel esprit élevé ! Comme il sait monter au-dessus de la, faiblesse humaine pour mépriser toute, la nature ! Ne nous contentons pas de constater le fait, ruais apportons des preuves à l’appui. Le Psalmiste rie dit pas : Je ne souffrirai plus, mais : « Je ne craindrai point ce que l’homme pourra me faire. » C’est-à-dire, quoique je souffre, je ne craindrai rien, exprimant la même pensée que saint Paul quand il s’écrie : « Si Dieu est, pour nous qui sera contre nous ? (Rom. 8,31). Pourtant les ennemis des Juifs étaient innombrables, mais rien ne les accablait. Ne faudrait-il pas en effet, une âme bien pusillanime et bien basse pour craindre ses semblables quand elle a la protection et l’amitié du Seigneur ? Ici au contraire elle est supérieure à toutes les craintes qui l’assaillent de toutes parts. Agissons nous-mêmes de la sorte de peur que nous rie nous privions du secours de Dieu en redoutant trop les obstacles humains, car cette crainte serait une insulte envers l’assistance divine. Telle fat ta cause des malheurs qui fondirent sur la maison d’Ézéchias. En effet, le soleil avait rétrogradé et était revenu sur ses pas, et ce miracle aurait suffi pour remplir d’effroi ceux qui étaient venus pour le constater ; mais le roi craignant d’être un jour assailli par ses visiteurs voulut les effrayer et exciter leur admiration non par les prodiges dont il avait été l’objet, mais par des choses humaines : c’est pourquoi il leur montra ses trésors dans lesquels il plaçait toute sa confiance. (2R. 20,14, et suiv) Aussi, Dieu irrité lui dit par son prophète : « Tout cela te sera ravi (Id) », c’est-à-dire, ces objets dans lesquels tu te confies et tu mets tes espérances. Israël, à son tour, est accusé de se confier dans ses trésors et dans ses chevaux. Que fait le prophète ? Il les avertit de se hâter d’apaiser le Seigneur par une conduite tout opposée et de dire : « Nous ne monterons pas sur nos chevaux. » (Os. 14,4) Dieu vous honore et vous le méprisez. Dieu vous honore en vous offrant son secours et vous vous abandonnez aux, espérances Humaines, prétendant trouver le salut dans l’argent qui, n’est qu’une vile matière. non seulement il veut nous sauver, mais il veut nous honorer en mémé temps. Il nous aime ardemment, voilà pourquoi il veut nous séparer de tout pour nous attacher à lui seul : il nous retranche tout pour nous amener à lui et chacun de ses actes semble nous dire : « Espérez en moi » et demeurez-moi, constamment attachés. « Le Seigneur est mon soutien et je mépriserai mes ennemis (7). »
Il ne se venge pas, il ne punit pas ses ennemis, mais il remet ce soin à Dieu. « Il est bon de se confier au Seigneur plutôt que de se confier dans l’homme (8). Il est bon d’espérer au Seigneur plutôt que d’espérer dans les princes (9). Il ne s’agit pas ici d’une comparaison, mais l’Écriture a coutume de s’exprimer ainsi, même dans les choses qui n’admettent pas de comparaison, pour condescendre à la faiblesse de ceux auxquels elle s’adresse. Le Psalmiste n’a donc pas voulu établir une comparaison, mais simplement s’abaisser jusqu’à notre intelligence. C’est dans le même sens qu’un autre prophète a dit : « Maudit soit l’homme qui met sa confiance en l’homme ! » (Jer. 17,5) Rien n’est plus faible, en effet, que cette espérance. Une toile d’araignée offrirait plus de ressource. Cette espérance n’est pas seulement faible, elle est encore dangereuse. J’en prends à témoin ceux qui se sont souvent confiés dans les hommes avec lesquels ils ont été accablés. La confiance en Dieu n’est pas seulement solide, mais elle est sûre et à l’abri de tout changement. Aussi saint Paul proclamait que l’espérance en Dieu ne trompe jamais ; et dans un autre endroit la sagesse s’exprime ainsi : « Considérez tout ce qu’il y a d’hommes parmi les nations et voyez s’il y en a un seul qui ait espéré dans le Seigneur et qui ait été confondu. » (Sir. 11,11) Mais moi, direz-vous, j’ai espéré en vain. Voilà une bonne parole, mes frères, mais elle ne contredit en rien la sainte Écriture. En effet, si vous avez été confondus, c’est que vous n’avez pas espéré comme il fallait, que vous avez cessé d’espérer, que vous n’avez pas attendu la fin, que vous avez été faibles. Agissez autrement désormais, et quand vous serez sous le poids des malheurs ou des difficultés, ne perdez pas courage, car l’espérance consiste surtout à demeurer fermes au milieu des maux et des périls les plus grands.
3. Quel malheur comparable à celui de ces barbares Ninivites ! Ils étaient déjà enlacés dans les filets de leurs ennemis, la ruine de leur ville était imminente : néanmoins, ils ne perdirent pas courage, mais ils donnèrent les plus grands signes de pénitence et ils obtinrent que Dieu révoquât sa sentence. Voilà qui nous montre bien la vertu de l’espérance. Et croyez-vous que dans le ventre de la baleine le Prophète ne songeait pas encore et au temple, et à son retour dans la ville de Jérusalem ? (Jon. 2,5) Vous aussi, fussiez-vous aux portes de la mort et exposés de toutes parts aux plus grands périls, ne désespérez pas, car Dieu sait dans les circonstances même les plus difficiles trouver une heureuse issue. C’est ce qui a fait dire à la sagesse : « Du matin au soir il y a de nombreux changements et tout cela est faible aux yeux de Dieu. » (Sir. 18,26) Rappelez-vous l’histoire de ce tribun mourant de faim au milieu de l’abondance la plus grande. (2R. 7,2) Et celle de la veuve qui était dans l’abondance malgré sa pauvreté. (1R. 17,2 et suiv) Plus la misère dans laquelle vous vous trouvez est extrême, plus vous devez espérer. Car le moment que Dieu choisit de préférence pour montrer sa puissance, ce n’est pas aussitôt que commencent nos épreuves, mais c’est lorsque tout semble désespéré. C’est alors le vrai temps du secours de Dieu. Aussi voyons-nous qu’il ne délivra pas d’abord les trois jeunes hommes de Babylone, mais seulement après qu’ils eurent été jetés dans la fournaise. (Dan. 3,93) Ni Daniel avant qu’il eût été mis dans la fosse aux lions, mais seulement sept jours après. (Dan. 14,39, 40) Il ne faut pas faire attention à la nature des choses qui ne peut que jeter dans le désespoir, mais à la puissance de Dieu qui amène à bonne fin ce qui paraissait sans ressource. C’est ce que veut nous montrer le Psalmiste en même temps que nous faire comprendre les ressources de la puissance divine qui peut délivrer ceux qui sont tombés dans les plus grands maux dont ils sont accablés et comme écrasés, quand il ajoute : « Toutes les nations m’ont assiégé (10). » Comprenez-vous l’imminence du danger ? Il ne s’agissait pas de livrer une bataille, de résister aux ennemis d’un seul pays, mais le Roi-Prophète était cerné et comme enveloppé d’un filet ou comme pris dans un piège ; et cela, non par un, par deux ou par trois ennemis, mais par toutes les nations réunies. Et cependant tous ces biens, malgré leur nombre et leur force, sont brisés par la confiance en Dieu. « Mais je les ai repoussées au nom du Seigneur. Elles m’ont assiégé et environné et je les ai repoussées au nom du Seigneur (11). « Elles m’ont toutes environné, comme des abeilles le rayon de miel, et elles se sont embrasées comme un feu qui a pris à des épines, mais je les ai repoussées au nom du Seigneur (12). »
Comme le Psalmiste nous dépeint bien la grandeur de son infortune ! Il ne s’est pas contenté de dire : « Elles m’ont environné », mais il les compare à des abeilles et au feu dans les épines. Les abeilles indiquent une grande vivacité dans l’action et les épines une colère irrésistible et une soif de vengeance inextinguible. Est-il possible en effet de résister au feu (lui est tombé sur des épines ? Cependant, dit le Prophète ; alors que rues ennemis excités contre moi m’assaillaient avec la violence et la rapidité de l’incendie, non seulement j’ai pu m’échapper, mais je les ai repoussés. Le même prodige s’opère sur la matière, le feu brûlait un buisson, et le buisson n’était pas consumé, et le feu ne s’éteignait pas, mais ces deux substances demeuraient ensemble sans se détruire. (Ex. 3,2) Cependant, qu’y a-t-il de plus faible que le bois d’un buisson, de plus ardent que le feu ? Mais la puissance admirable de Dieu, qui opère des miracles qui nous surpassent, permit qu’il en fût ainsi. Il se produisit un miracle semblable pour le Roi-Prophète. Ses ennemis accouraient avec la rapidité de la flamme, et comme des abeilles, ils l’entouraient avec une grande vivacité, ils le cernaient de tous côtés, mais leurs efforts furent vains. Les armes invincibles et le secours inexpugnable du nom de Dieu les dispersa tous. « J’ai été poussé, on a fait effort pour me renverser, et le Seigneur m’a soutenu (13). »
Le Psalmiste nous a fait connaître la grandeur de ces maux par la multitude et les dispositions menaçantes, par l’ardeur et l’acharnement de ceux qui l’entouraient : maintenant il arrive à ce qu’il a souffert. J’ai été en butte à tant d’infortunes, nous dit-il, que j’ai failli être renversé et abattu. J’ai été tellement pressé et presque renversé que j’étais sur le point de tomber, mais au moment de m’abattre sur mes genoux, comme j’étais déjà penché et sans espoir dans les secours humains, le Seigneur a fait paraître son secours. Or Dieu en use de la sorte afin que personne ne lui ravisse et ne s’attribue la gloire qui revient à lui seul. C’est ainsi qu’il fit pour Gédéon dans l’histoire des Juges. (Jug. 7) Et voilà pourquoi encore, sous le règne d’Ézéchias, il choisit la nuit pour remporter une brillante victoire. (2R. 19,35) En effet, si ce prince qui n’avait pris part ni au combat, ni à la victoire, devint néanmoins si téméraire, il l’eût été bien davantage s’il eût assisté à la défaite de ses ennemis et s’il les eût vus tomber. C’est donc bien à l’instant où tout semble désespéré que Dieu donne son secours. Témoin Goliath (1Sa. 17), témoins les apôtres. Écoutez saint Paul : « Nous avons entendu prononcer en nous-mêmes l’arrêt de notre mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts. » (2Cor. 1,9) « Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges. C’est bien en lui que j’ai trouvé mon salut (14). »
En d’autres termes, il a été ma puissance et mon secours. Mais que signifient ces mots « Le sujet de mes louanges ? » C’est que non seulement il délivre des périls, mais il rend célèbre et illustre et partout on peut constater qu’il sauve et qu’il glorifie tout à la fois. Ces paroles ont encore un autre sens caché que voici : qu’à jamais, dit-il, je chante l’hymne de ma reconnaissance, que ma voix lui soit consacrée entièrement, et que je ne sois occupé désormais qu’à le louer.
4. Combien donc sont coupables et quelle perte éprouvent ceux qui se souillent par des chants diaboliques, et qui se plaisent à faire entendre continuellement les cantiques du démon, bien différents de ce juste qui loue sans cesse son Sauveur. « Les cris d’allégresse et du salut se font entendre dans les tentes des justes (15). » Après un succès complet remporté par Dieu, ceux qui jouissent de la victoire sont dans la joie et l’allégresse, par la double raison qu’ils sont sauvés et qu’ils le sont par Dieu. La cause de leur joie est le Seigneur lui-même qui a triomphé. Mais il faut que nous sachions ce qui a engagé Dieu à donner son assistance, et le Psalmiste ajoute : « Dans les tentes des justes. » Il ne s’agit pas de maison, mais de « tentes », pour indiquer que c’est une demeure où l’on ne doit s’arrêter qu’en passant. Telle était la tente d’Abraham, quand après avoir vaincu les rois il revenait couvert de la gloire que ses exploits lui avaient méritée. Telle la lente de Paul quand il rentrait après avoir triomphé des démons, fait disparaître l’erreur, et s’être rendu célèbre par ses succès. – « La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance, la droite du Seigneur m’a élevé (16). »
Tel est le sujet de l’allégresse du Psalmiste. Il ne fait que répéter ici ce qu’il disait tout à l’heure en montrant que tous ses succès sont l’œuvre de Dieu : Il est donc bien vrai que sa bonté ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais qu’elle nous met encore en possession de la gloire et de l’illustration. En effet, après avoir dit : « La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance », il a ajouté : « La droite du Seigneur m’a élevé », pour faire ressortir la gloire qui avait rejailli sur lui. Car, « m’a élevé » signifie, m’a comblé de gloire, et c’est ainsi que Dieu donne non seulement la force, mais encore la grandeur. – « Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les œuvres du Seigneur (17). »
Les périls me menaçaient de la mort, mais j’ai dit : « Je ne mourrai point, mais je vivrai. » C’est-à-dire, la puissance du Seigneur est si grande que même avant la Nouvelle Loi, il a délivré de la mort au milieu de périls qui ne laissaient plus d’espoir, préconisant ainsi d’avance la résurrection future dont il nous a du reste donné une image dès l’origine en enlevant Hénoch au ciel. (Gen. 5,21) Si vous ne croyez pas possible la résurrection des morts, que ce fait vous serve de preuve. Comment, en effet, ce corps a-t-il pu subsister aussi longtemps ? Car il y a bien de la différence entre relever une maison qui tombe eu ruines et conserver autant de temps celle qui s’écroule de vétusté. Ne songez-vous donc point que le Seigneur a créé l’homme qui n’existait pas ? A plus forte raison pourra-t-il le rendre à la vie. Nous avons encore une autre figure de la résurrection dans l’enlèvement d’Élie qui n’est pas encore mort. (2R. 2,11) Pour Dieu, tout se fait vite et facilement. « Il n’y a rien d’impossible à Dieu », dit l’Évangéliste (Lc. 1,37) ; et le Prophète : « Tout ce qu’il a voulu, il l’a fait. » (Ps. 113,11) Le travail d’un artisan quelconque ne vous serait-il pas impossible ? Néanmoins vous vous inclinez devant sa science. Et ainsi, tandis que vous consentez à vous soumettre, devant l’habileté de votre semblable, vous voulez contrôler les couvres de la sagesse du Seigneur, et pour ne pas les admettre, vous refusez un acte de foi. Quelle folie ! « Je ne mourrai pas, mais je vivrai. » On peut, sans crainte de se tromper, entendre ces paroles dans le sens anagogique, car bien qu’elles aient été dites de la résurrection, « Je ne mourrai pas » signifiant que la mort n’est pas une mort véritable, elles veulent dire aussi dans une acception différente, « Je ne mourrai pas » d’une seconde mort. C’est dans ce dernier sens que le Christ disait : « Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » (Jn. 11,25-26)
« Et je raconterai les œuvres du Seigneur. » Voilà principalement en quoi consiste la vie Lover Dieu et annoncer à tous ses merveilles. De quelles œuvres s’agit-il ici, je vous prie ? De celles qui vont être rapportées : « Le Seigneur m’a châtié pour me corriger, mais il ne m’a point livré à la mort (l8). » Comme on voit apparaître les œuvres admirables du Seigneur et l’utilité que nous en retirons ! David ne rend pas seulement grâces à Dieu de ce qu’il a été délivré, mais il regarde même sa chute comme un très-signalé bienfait et la tentation comme un avantage en disant : « Le Seigneur m’a châtié pour me corriger. » Car l’utilité de la tentation consiste en ce qu’elle nous rend meilleurs. Admirons la puissance de Dieu et le soin qu’il prend de nous. Il a permis que David fût accablé de maux, puis il l’a délivré, car, dit ce saint roi, « il ne m’a pas « livré à la mort. » Ou, selon la belle interprétation d’une autre version : « Il ne m’a pas « donné à la mort. » Paroles qui nous font bien voir que tout dépend de sa puissance. Et ainsi David a été sauvé deux fois, d’abord des maux du corps, et ensuite du péché. C’est pourquoi saint Paul disait aux Hébreux dans son épître : « Si vous n’êtes point châtiés, tous les autres l’ayant été, vous êtes donc des bâtards et non des enfants légitimes. » (Héb. 12,8) – « Ouvrez-moi les portes de la justice afin que j’y entre et que je rende grâces au Seigneur (l9). » Les portes s’ouvrent à ceux qui sont châtiés, qui déposent le fardeau de leurs péchés.
5. Celui qui a été châtié peut dire avec assurance, « ouvrez-moi les portes de la justice. » Il faut prendre ces paroles dans le sens anagogique et les entendre des portes du ciel qui demeurent fermées aux méchants et qui ne s’ouvrent qu’à la vertu, à l’aumône et à la justice. – « C’est là la porte du Seigneur, et les justes entreront par elle (20). » Il y a les portes de la mort, les portes de la perdition, et les portes de la vie, les portes étroites et difficiles. Comme il y a plusieurs portes, le Prophète fait connaître ce qui distingue la porte du Seigneur en ajoutant « C’est là la porte du Seigneur. » Les premières ne sont pas du Seigneur. Mais quelle est la marque de celle du Seigneur ? – C’est qu’elle s’ouvre pour ceux qui sont châtiés et affligés, car elle est étroite et basse. Or, si elle est basse, ceux qui sont affligés et opprimés entrent par elle, de même que celle qui mène à la mort est large et spacieuse. – « Je vous rendrai grâces de ce que vous m’avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut (21). » Le Psalmiste ne dit pas seulement à Dieu : « Vous m’avez exaucé ; » mais comme il avait été châtié et par là rendu meilleur, il lui rend grâces non seulement d’avoir été exaucé, mais encore d’avoir été châtié : c’est en cela du reste qu’il a été exaucé et il ne pouvait assez en remercier le Seigneur. Car, comme je vous l’ai dit et comme je ne cesserai de vous le répéter, il n’y a pas d’oblation ni de sacrifice comparables à l’oblation et au sacrifice de l’action de grâces. – « La pierre qu’ont rejetée ceux qui ont bâti a été placée à la tête de l’angle (22). » Qu’il s’agisse ici du Christ, c’est évident pour tous. Car lui-même dans les Évangiles cite cette prophétie en se l’appliquant, quand il dit « N’avez-vous jamais lu que la pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient a été placée à la tête de l’angle ? » (Mt. 21,42 ; Lc. 20,17)
Si ces paroles paraissent sans liaison avec ce qui précède et si cette prophétie ne fait qu’interrompre le cours de notre histoire, ce n’est pas une nouveauté qui doive nous surprendre, parce que la plupart des prophéties de l’Ancien Testament sont énoncées de la sorte. – Car si elles n’eussent pas été ainsi voilées, les Livres saints auraient été détruits. Ainsi, quand il est question de la naissance de notre Sauveur, quoique la prophétie paraisse se rattacher à l’histoire dont il s’agissait alors, elle n’a rien néanmoins de commun avec elle, comme par exemple celle-ci : « Une vierge concevra et elle enfantera un fils à qui on donnera le nom d’Emmanuel, c’est-à-dire, Dieu avec nous. (Is. 7,14 ; Mt. 1,27) La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient. » – Par ceux qui bâtissaient on entend ici les Juifs, les docteurs de la loi, les scribes, les pharisiens, qui ont rejeté le Sauveur en disant : « Vous êtes un Samaritain, vous êtes possédé du démon. » (Jn. 8,48) Et encore : « Cet homme n’est pas de Dieu, mais il séduit le peuple. » (Jn. 8,12) Malgré cette réprobation il a pourtant été jugé digne de devenir la principale pierre de l’angle. C’est que toute pierre n’est pas propre à être placée dans les angles : mais il faut pour cela des pierres de choix, capables de relier ensemble les deux côtés. Les paroles du Prophète peuvent donc s’interpréter ainsi : Celui que les Juifs ont rejeté avec mépris a paru tellement admirable que non seulement il a pu tenir sa place dans l’édifice, mais que même il a servi à relier les deux murs. Et quels sont ces deux murs ? – Les Juifs et ceux qui croyaient d’entre les Gentils, selon ce mot de saint Paul : « Car c’est lui qui est notre paix, qui des deux peuples (du Juif et du Gentil) n’en a fait qu’un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa doctrine a aboli la loi de préceptes, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples. » (Eph. 2,14, 15) Et encore : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes en Jésus-Christ, qui est la principale pierre de l’angle. » (Id. 20) Dans ce qui précède, ce sont les Juifs surtout qui sont en cause, eux qui, voulant construire, n’ont pas su discerner la pierre convenable, mais qui ont rejeté, au contraire, comme défectueuse, celle qui pouvait faire la solidité de l’édifice. Maintenant, si nous voulons savoir de Notre-Seigneur lui-même quels sont ces deux murs, écoutons-le nous dire : « J’ai encore d’autres brebis quine sont pas de cette bergerie et il faut que je les amène. Elles entendront ma voix et il n’y aura qu’un troupeau et qu’un pasteur. » (Jn. 10,16) Ce fait avait été figuré bien des siècles auparavant dans la personne d’Abraham qui fut le père de ces deux peuples, à savoir, les circoncis et les incirconcis. Mais encore une fois, ce n’était que la figure, nous avons la réalité dans Notre-Seigneur qui « est devenu la principale pierre de l’angle », en réunissant ces deux nations. – « C’est le Seigneur qui a fait cette pierre (23). » Qu’est-ce à dire : « C’est le Seigneur qui a fait cette pierre ? » C’est que ce qui a été exécuté était au-dessus des hommes, et il n’était au pouvoir d’aucun d’eux, pas plus qu’au pouvoir des anges et des archanges de former un pareil angle. Nul ne peut opérer ce prodige, fût-il juste, prophète, ange ou archange ; à Dieu seul était réservée cette œuvre admirable, elle est de son domaine exclusif. Une autre version porte : « C’est le Seigneur qui a fait cela. » C’est-à-dire cette œuvre admirable qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer, l’œuvre de L’angle. « Et c’est ce qui paraît à nos yeux digne d’admiration. » Qu’est-ce qui paraît admirable ? – l’angle, la réunion de ces deux peuples en une même religion. Parmi les Juifs il y eut plusieurs myriades de croyants : les apôtres avaient été pris parmi eux. Le Psalmiste a eu bien raison de dire : « À nos yeux. » Car ce prodige ne brille pas à tous les regards. Qui ne serait étonné, ravi, en songeant que le Christ fut adoré là même où il avait été crucifié et que ceux qui le crucifièrent sont dans l’ignominie, tandis que ses adorateurs sont couverts de gloire ? Sa parole se répandit dans tout l’univers, ralliant tous les hommes à la vérité. C’est donc quelque chose d’admirable pour tous, à quelque point de vue qu’on se place, mais surtout et avec beaucoup plus d’évidence pour ceux qui croient, comme le marquent ces mots : « À nos yeux. C’est ici le jour que le Seigneur a fait : réjouissons-nous, et soyons pleins d’allégresse (24). » Le mot jour doit s’entendre ici non du cours périodique du soleil, mais des choses merveilleuses qui ont été accomplies. Car, de même qu’on dit d’un jour qu’il est mauvais, en faisant allusion, non à la marche du soleil, mais aux malheurs arrivés dans ce temps, ainsi on appelle bon le jour où il s’est passé de belles choses. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi : C’est Dieu qui a fait les choses admirables accomplies en ce jour, car sa main seule était capable de les réaliser.
6. Y a-t-il rien qui soit comparable à ce jour ? C’est à pareil jour, en effet, qu’a eu lieu la réconciliation de Dieu avec les hommes ; alors l’antique guerre a été terminée, et la terre a envahi le ciel, et les hommes indignes de la terre ont paru dignes du royaume céleste, et les prémices de notre nature ont été élevées au-dessus des cieux, et le paradis a été ouvert, et nous avons recouvré notre ancienne patrie, et la malédiction a été abolie, et le péché a été détruit, et ceux qui avaient été punis par la loi ont été sauvés sans la loi, et la terre entière et la mer ont reconnu leur souverain, sans parler d’autres prodiges innombrables que notre discours ne suffirait pas à énumérer. Aussi le Prophète, après avoir repassé dans son esprit ces merveilles, les attribue toutes à Dieu, montrant que ce qui a été fait, a été fait par Dieu. « Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d’allégresse. » Il s’agit ici d’une joie spirituelle, joie de l’esprit, joie de l’âme. « Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d’allégresse » d’avoir été mis en possession de si grands biens. C’est la marque d’une grande vertu de se réjouir du bien, d’en tressaillir, d’en être rempli d’allégresse, de recevoir avec plaisir les bienfaits de Dieu. « O Seigneur, conservez, je vous en « prie ; ô Seigneur, faites prospérer le règne « de votre Christ, je vous en prie. » En voyant la prospérité de la terre, les changements et les transformations heureuses qui s’accomplissaient, le Psalmiste félicite ceux qui en sont l’objet et il s’écrie : « O Seigneur, conservez, je vous en prie, ô Seigneur, faites prospérer le règne de votre Christ, je vous en prie. » C’est-à-dire, conservez ceux qui jouissent, et pour que leurs désirs soient accomplis et qu’ils produisent des fruits dignes de votre grâce, rendez-leur la voie facile, afin qu’après être arrivés au terme de leurs désirs, ils ne se séparent plus de tels biens. « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (26) ! » C’est que nos biens ne consistent pas seulement dans ce qui a été fait, mais ils nous conduisent à d’autres biens, infiniment supérieurs : la résurrection, la vie éternelle, l’héritage avec le Christ ; toutes choses que le Psalmiste veut faire entendre par ces paroles : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Notre Sauveur a dit la même chose aux Juifs : « En vérité, en vérité je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ? » (Mt. 23,39) En effet, comme ils lui jetaient à la face, à tout propos, qu’il n’était pas de Dieu, qu’il était l’ennemi de Dieu, il leur dit : Vous me rendrez vous-mêmes témoignage que je ne suis pas l’ennemi de Dieu, quand vous m’aurez vu venir, sur les nues et que vous vous serez écriés : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Paroles admirables et pleines de louanges qui rendront les Juifs inexcusables ; car les événements qui s’accompliront alors apporteront une telle lumière qu’ils arracheront ce cri qui sera tout à la fois, et la glorification de Dieu et l’accusation la plus terrible contre ceux qui le proféreront. « Nous vous bénissons de la maison du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu et il a fait paraître sa lumière sur nous (27). » Il est question ici de tout le peuple fidèle qui a trouvé la bénédiction dans la maison du Seigneur. Partout on entend les prophètes appeler bienheureux ceux qui croiront. Pourquoi les bénédictions dont il s’agit ici et d’où vient ce bonheur ? C’est que « le Sauveur nous est apparu. La grâce de Dieu notre Sauveur a paru, tel et elle nous a appris que renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre avec tempérance, avec justice et avec piété, étant toujours dans l’attente de la béatitude que nous espérons et de l’avènement du grand Dieu et notre Sauveur, Jésus-Christ. » (Tit. 2,11-13) Le Psalmiste admire ici les bienfaits de l’Incarnation, dans laquelle Notre-Seigneur a paru parmi nous, bien qu’il fût Dieu, et de la substance divine. Il a voulu dire qu’il était apparu, qu’il s’était revêtu de notre chair, qu’il avait passé par le sein d’une vierge, qu’il s’était fait homme et qu’il avait habité parmi nous. C’est pourquoi il s’est écrié : « Nous vous bénissons » de nous avoir octroyé nu tel bienfait. C’est ce que voulait faire entendre le Christ, quand il disait : « Beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l’ont point vu, et d’entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu. » (Mt. 13, 17) « Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous ces lieux, jusqu’à la corne de l’autel. » Une autre version porte : « Rassemblez des branches nombreuses pour orner le lieu de vos réunions. » Et une troisième : « Sacrifiez en ce jour de fête des victimes choisies. » Nous passons ainsi de la prophétie à l’histoire. C’est comme si le Psalmiste disait : « Mettez-vous en fête, rassemblez-vous en grand nombre. » Mais qu’est-ce à dire : « Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous les lieux ? » Ou bien, selon un autre interprète : « Sacrifiez des victimes choisies ? » Ou bien encore : « Ornez le temple de branches et de couronnes ? » On pourrait lire dans l’hébreu : « Esrou ag baad oth thim. » « Amenez l’agneau au milieu des branches touffues, jusqu’aux cornes de l’autel. » Mais quel que soit le sens qu’on adopte, il est question d’une fête, d’un jour de joie, d’une assemblée nombreuse. Et c’est ainsi qu’après avoir parlé de choses spirituelles, le Psalmiste revient aux objets matériels et rappelle leur retour. « Vous êtes mon Dieu et je vous rendrai mes actions de grâces ; vous êtes mon Dieu et je vous exalterai. Je vous rendrai grâce de ce que vous m’avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut (28). » David montre ici qu’il faut remercier Dieu, alors même qu’on n’en a reçu aucun bienfait, et qu’on doit le combler d’honneur et de gloire à cause de sa majesté, à cause de sa nature, à cause de sa gloire ineffable. C’est le sens de ces dernières paroles placées après l’énumération des bienfaits qu’il a répandus avec profusion sur ses enfants, et il semble nous crier à tous : Même sans ces bienfaits, je serais reconnaissant et je rendrais grâces d’avoir au Seigneur si grand, si élevé, qu’il ne peut être ni vu ni compris. Car ici, « exalter » signifie glorifier. « Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde s’étend dans tous les siècles (29). » Ce n’est point assez pour le Psalmiste d’offrir lui-même ce sacrifice de louanges, mais il appelle tous les hommes afin qu’ils s’unissent à lui pour prendre part à sa reconnaissance et à ses actions de grâces. Et il chante la bonté de Dieu, célébrant sa perpétuité et sa grandeur. Maintenant que nous sommes instruits de ces choses, soyons fidèles, nous aussi, à rendre continuellement nos actions de grâces à ce Dieu bon, à lui offrir ce sacrifice de louanges, afin de mériter les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


EXPLICATION DU PSAUME CXIX.

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CANTIQUE DES DEGRÉS, OU SELON UNE AUTRE VERSION : CANTIQUE POUR LES MONTÉES. 1 « J’AI CRIÉ VERS LE SEIGNEUR LORSQUE J’ÉTAIS DANS L’AFFLICTION, ET IL M’A EXAUCÉ. »

ANALYSE.

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  • 1. Le seul moyen de monter à Dieu c’est d’être dans les afflictions et les épreuves, conformément à cette parole du Maître : Bienheureux ceux qui pleurent, car alors ou se détache de soi-même et des choses de la terre, et on crie vers le Seigneur qui s’empresse toujours de nous exaucer.
  • 2. Dans notre course à travers le monde, nous rencontrons bien des obstacles : le principal est le commerce avec les hommes pervers et trompeurs. C’est pourquoi nous devons nous unir au Prophète pour demander à Dieu d’en être délivrés et d’être mis en possession du Ciel.
  • 3. Pour être exaucés, considérons cette terre comme un lieu d’exil et un passage, et soyons avec les méchants comme des agneaux au milieu des loups. Que la douceur soit notre seule arme de résistance. Elle nous fera triompher des pécheurs que nous convertirons, et mériter les biens éternels.


l. Chacun des autres psaumes a une inscription particulière, mais ici on en a réuni plusieurs sous un même titre : « Cantiques des degrés » ou « des montées », selon un autre interprète. » Quelques-uns même les nomment simplement, « degré. » Et pourquoi cette dénomination, direz-vous ? – Au point de vue historique, c’est parce qu’ils parlent du retour de Babylone, et qu’ils font mention de la captivité des Juifs en ce pays. – Dans le sens an agogique, c’est, au dire de plusieurs interprètes, parce qu’ils conduisent dans le chemin de la vertu ; or, la voie par laquelle nous y arrivons est semblable à des degrés par lesquels l’homme vertueux et sage monte lentement jusqu’à Dieu. D’autres voient dans ces psaumes une figure de l’échelle de Jacob qui fut montrée à David et qui touchait le ciel. C’est aussi au moyen de degrés et d’échelles qu’on peut s’élever aux lieux qui sont inabordables ou trop élevés. Hais comme ceux qui montent, arrivés à une certaine hauteur sont menacés du vertige, il est nécessaire d’affermir non seulement ceux qui s’élèvent, ruais encore ceux qui sont parvenus au sommet. – Il n’y a qu’un moyen de salut : c’est de ne pas considérer à quelle élévation nous sommes parvenus, de peur de nous enorgueillir, mais d’examiner combien il nous reste encore de chemin à faire et de nous efforcer d’arriver au but, comme voulait nous le faire entendre saint Paul quand il disait : « Oublions ce qui est derrière nous, avançons-nous vers ce qui est devant nous. » (Phil. 3,13) Telle est l’explication du sens anagogique. Maintenant, si vous le trouvez bon, revenons à l’histoire et considérons ceux qui furent délivrés de la captivité. Comment donc eut lieu cette délivrance ? – Par le désir de voir Jérusalem ; tandis que ceux qui n’avaient pas le même souci, ne profitèrent pas de la grâce de Dieu, mais passèrent leurs jours dans une perpétuelle servitude ; ce sera aussi notre sort si nous agissons comme eux. Car si, au lieu d’être embrasés de l’amour des choses saintes et du désir de la céleste Jérusalem, nous nous attachons sans cesse à la vie présente, nous souillant dans la fange des choses terrestres, nous ne pourrons arriver à la patrie.
« J’ai crié vers le Seigneur lorsque j’étais dans l’affliction et il m’a exaucé. » Comme l’affliction nous est avantageuse ! comme la clémence est prompte à nous secourir ! la première nous porte à répandre des supplications saintes, la seconde exauce sur-le-champ ceux qui l’invoquent. C’est ce que nous voyons pour ce peuple juif en Égypte. Écoutez le Seigneur : « J’ai vu l’affliction de mon peuple, et j’ai en tendu ses gémissements, et je suis descendu pour le délivrer. » (Ex. 3,7, 8)
Donc, mes très-chers, vous aussi, quand vous êtes dans l’affliction, ne vous désespérez pas, ne devenez pas nonchalants ; mais alors principalement ranimez votre courage, parce que dans ce moment nos prières sont plus pures et que plus grande aussi est la miséricorde de Dieu pour vous. Vivez constamment de telle sorte que la vie vous soit à charge ; n’oubliez pas que : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés (2Tim. 3,12) ; et que c’est par beaucoup de tribulations que nous devons entrer dans le royaume des cieux. » (Act. 14,21)
Ne courons donc pas après une vie molle et dissolue et ne cherchons pas à entrer par la voie large, car elle ne conduit pas au ciel, mais par la voie étroite et difficile. Si nous voulons parvenir aux demeures célestes, fuyons les plaisirs, foulons aux pieds la pompe extérieure du siècle, méprisons les richesses, la gloire, et la puissance, attachons-nous à la pauvreté, à la componction du cœur, à la confession, aux larmes, et poursuivons tout ce qui peut nous procurer le salut. C’est le moyen d’être plus en sûreté et de faire monter plus facilement nos prières vers Dieu. Si nous nous préparons de la sorte et si nous invoquons le Seigneur avec de semblables dispositions, il nous exaucera certainement, selon cette parole du Prophète : « Lorsque j’étais dans l’affliction, j’ai crié et j’ai été exaucé. » Apprenons donc à nous élever peu à peu et à donner pour ainsi dire des ailes à nos prières en chassant toute inquiétude et tout trouble dans les afflictions ; ce sera le moyen de les rendre très-profitables. Si le prophète Élisée, tout homme qu’il était, ne permit pas à son disciple de repousser une femme qui venait à lui, disant : « Laissez-la parce que son âme est dans l’amertume « (2R. 4,27) », afin de nous montrer que son affliction était pour elle une excuse et une défense très-grandes, à plus forte raison, Dieu ne nous repoussera pas si nous nous présentons à lui avec une âme remplie de tristesse. Voilà pourquoi encore le Christ appelle bienheureux ceux qui pleurent et malheureux ceux qui rient. Aussi a-t-il commencé par là ses béatitudes en disant. « Bienheureux ceux qui pleurent[22] ? » (Mt. 5,5) – Si donc vous voulez monter les degrés de la vertu, retranchez dans vos habitudes tout ce qu’il y a de désordonné et de vain ; astreignez-vous à un genre de vie difficile, abstenez-vous des choses terrestres. C’est là le premier degré. Car il est impossible, d’une impossibilité absolue, de monter en même temps l’échelle et de rester attaché à la terre.
2. Vous voyez comme le ciel est élevé, vous connaissez la brièveté du temps, vous savez combien l’heure de la mort est incertaine. Ne tardez donc pas, ne différez point, mais entreprenez ce voyage avec une grande ardeur, afin que vous puissiez franchir deux, trois, dix et vingt degrés par jour. – « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse (2). » On voit briller ici ce précepte évangélique : « Priez afin que vous « n’entriez pas en tentation. » (Lc. 22,46) C’est qu’il n’y a point, ô mes très-chers, de tentation plus dangereuse, que d’être livré à un homme trompeur : il est plus à craindre que n’importe quelle bête sauvage. Elle, du moins, se montre telle qu’elle est, mais le fourbe cache souvent son poison sous le masque de la douceur, afin qu’on ne puisse découvrir les embûches et qu’on tombe sans défiance dans ses pièges. C’est pourquoi le Psalmiste demande sans cesse à Dieu, avec instance, d’être délivré de tels ennemis. Que s’il faut fuir les gens fourbes et dissimulés, à plus forte raison les trompeurs, et ceux qui répandent des doctrines perverses. Les lèvres les plus dangereuses sont celles qui attaquent la vertu et qui portent au mal. C’est pourquoi le Prophète demande que son âme en soit délivrée. C’est vers ce point qu’il dirige tous ses traits : – « Que recevrez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse ? » Une autre version porte : « Que vous produira, que vous rapportera la langue trompeuse ? » Et une troisième : « Que vous donnera, que vous rapportera la langue selon l’imposture ? » Expressions qui tendent toutes à montrer qu’il s’agit d’une grande malice et d’une espèce de vice horrible. C’est pourquoi vous voyez le Prophète irrité, ému, s’écrier : « Que recevrez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse ? » Ce qui revient à ceci quel supplice sera digne d’un tel crime ! Ce qu’Isaïe voulait dire aux Juifs par ces paroles « A quoi servirait de vous frapper de nouveau, vous qui ajoutez péché sur péché (Is. 1,5) », le Psalmiste le dit par celle-ci : « Que retirerez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse ? » C’est comme s’il disait le méchant trouve son châtiment dans sa propre faute, et il devance le jugement de Dieu pour se punir puisque de lui-même il engendre le vice. car il n’y a pas de plus grand supplice pour l’âme que d’être livrée au vice, même avant qu’il sort puni. Quel châtiment donc pour un tel crime ? Il n’y en a point ici-bas ; Dieu seul pourra le trouver, l’homme n’y parviendrait pas, car c’est une malice qui surpasse tout châtiment. Mais Dieu se charge de la vengeance, et c’est ce que veut faire entendre le Prophète quand il ajoute aussitôt : – « Vous avez été percé avec des flèches très-pointues poussées par une main puissante, et vous serez brûlé avec des charbons dévorants (4). »
Le Psalmiste compare ici à des flèches les supplices dont il s’agit. Une autre version porte : « Les flèches de l’homme puissant qui me poursuit sont aigres, elles sont brûlantes comme des charbons accumulés. » Ou bien encore : « Comme des charbons de genévrier ; » expressions métaphoriques et variées qui augmentent en nous la crainte du supplice. Car ces mots : « charbons accumulés, charbons de genévrier » ont le même sens. Dans le premier cas on veut faire ressortir le nombre des peines, dans le second, leur intensité. C’est ce qu’ont voulu nous faire entendre les Septante quand ils ont traduit par « charbons dévorants », c’est-à-dire, dévastateurs, destructeurs, ruineurs. Les saintes Lettres, pour nous donner une idée de la vengeance de Dieu, la comparent à des choses que nous regardons comme terribles et elles nous la représentent comme des flèches ou comme du feu. Il me semble aussi qu’il y a dans ces mots une allusion aux barbares, et c’est dans ce sens qu’un autre interprète a dit : « Délivrez mon âme de la lèvre menteuse. » Car telles sont leurs paroles, telles leurs ruses et leurs embûches. Tout en eux respire la fraude et les plus grands crimes. – « Que je suis malheureux de ce que mon exil est si long ! J’ai demeuré avec les habitants de Cédar (5). » On lit dans une autre leçon : « Que je suis malheureux d’avoir prolongé mon exil ! » Et dans une troisième : « Que je suis malheureux d’avoir été si longtemps dans la terre étrangère ! »
Ce sont des lamentations au sujet de la captivité de Babylone. Saint Paul parlant de l’exil de cette vie qui se prolonge trop longtemps s’écrie : « Pendant que nous sommes dans le corps comme dans une tente, nous gémissons sous le poids de notre condition mortelle (2Cor. 5,4) ; » et encore : « Et non seulement les créatures soupirent, mais nous qui avons reçu les prémices de l’Esprit nous gémissons nous-mêmes. » (Rom. 8,23) C’est que la vie présente est un exil. Que dis-je, un exil ? C’est quelque chose de pire. Et Notre-Seigneur lui-même l’a appelée un passage quand il a dit : « La porte de la vie est petite et la voie qui y mène est étroite. » (Mt. 7,14) Aussi la meilleure, et par conséquent la première science pour nous, c’est de savoir que nous ne sommes dans ce monde que des voyageurs. Les anciens patriarches n’avaient pas d’autre doctrine et saint Paul les en loue hautement, comme on peut le voir dans ses Épîtres : « Pour cette cause Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu. » (Héb. 11,16) Pour quelle cause, je vous le demande ? Parce qu’ils confessèrent qu’ils étaient étrangers et voyageurs. (Héb. 11,13) Car c’est là le principe et le fondement de toute vertu, parce que celui qui est étranger au milieu de ce monde sera citoyen du ciel. Celui qui est étranger aux objets d’ici-bas, ne se complaira point dans le présent ; maison, argent, bonne chère, rien ne le touchera ; mais semblable à ceux qui habitent un pays étranger, dont tous les actes, toutes les pensées tendent à les faire rentrer dans leur patrie, et qui chaque jour ont hâte de revoir la terre qui les a vus naître ; ainsi celui qui est enflammé du désir des biens futurs, ne se laissera ni abattre par les adversités, ni enorgueillir par les prospérités du présent, mais il passera par-dessus tout, comme le voyageur qui fait sa route. C’est pourquoi nous devons dire dans notre prière : « Que votre règne arrive ! (Mt. 6,10 ; Lc. 11,2) », afin qu’entretenant dans notre âme la pensée et le désir ardent de cet avènement, et que l’ayant sans cesse devant les yeux, nous ne considérions plus les choses présentes. Si les Juifs, désireux de revoir Jérusalem, même après leur délivrance, pleurent encore au souvenir du passé, serons-nous pardonnables, pourrons-nous être excusés de ne pas être embrasés d’un violent amour de la Jérusalem céleste ?
3. Voyez donc comme ils se lamentent d’être obligés de vivre avec leurs ennemis : « J’ai demeuré », disent-ils, « avec les habitants de Cédar, mon âme a été longtemps étrangère. » Ils ne gémissent pas seulement d’être détenus sur la terre, de l’exil, mais encore d’habiter avec des barbares, imitant en cela l’exemple des autres prophètes qui se lamentent en ces termes sur la vie présente : « Malheur à moi, parce qu’on ne trouve plus de saints sur la terre ; il n’y a personne qui ait le cœur droit. » (Mic. 7,12) Le Psalmiste lui-même ne s’est-il pas écrié dans un autre endroit ? « Sauvez-moi, Seigneur, parce qu’il n’y a plus de saints sur la terre ! » (Ps. 11,2) C’est qu’en effet cette vie n’est pas seulement pénible parce qu’elle renferme une grande vanité et des soucis importuns, mais encore à cause du grand nombre des méchants. Car il n’y a rien de plus fâcheux pour les gens de bien que d’être obligés de vivre avec des hommes pervers. La fumée et la vapeur fatiguent moins les yeux que le commerce des méchants n’attriste l’âme. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même prend soin de nous montrer combien de pareils rapports sont à charge. En effet, quand il s’écrie : « Jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? » N’est-ce pas dire en termes moins clairs : « J’ai demeuré avec les habitants de Cédar ? » Ces peuples barbares ont pour habitude de traiter leurs inférieurs avec la cruauté des bêtes sauvages, en sorte qu’ils vivent sous des tentes et qu’ils sont réduits à la férocité de ces animaux. Mais plus terribles encore sont ces ravisseurs cupides qui passent leur vie dans les débauches, dans le luxe et les plaisirs de toutes sortes. – « Mon âme a été longtemps en exil (6). »
Pourtant il semble que non, car cet exil ne fut que de soixante-dix ans. Mais le Psalmiste a moins en vue le nombre des années que les peines qu’il avait endurées, car quelque court que soit le temps d’une affliction, il paraît fort long à ceux qui souffrent. Tels doivent être nos propres sentiments, et quoique nous vivions peu d’années sur cette terre, elles doivent nous paraître nombreuses à cause du désir des biens célestes. Et en parlant de la sorte, je ne veux point accuser la vie présente ; loin de moi une telle pensée, car cette vie est l’œuvre de Dieu, mais je voudrais faire naître en vous le désir des biens futurs et y détruire toute complaisance dans la possession des objets présents et tout attachement à votre corps, comme aussi vous empêcher de ressembler à ces âmes vulgaires qui, après une longue vie, se plaignent de n’avoir eu que peu d’années sur cette terre. Quoi de plus insensé ! Quelle n’est pas la stupidité de ces hommes à qui on offre le ciel avec tous ses biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus (1Cor. 11,9), et qui soupirent après des ombres, et qui veulent traverser le fleuve de cette vie, trouvant leur plaisir à rester continuellement au milieu des flots, des tempêtes et des naufrages. Il n’en était pas ainsi de saint Paul. Niais il avait hâte d’avancer, et il n’y avait qu’une chose qui pût le retenir, le salut de ses frères. « Je gardais un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix ; dès que je leur parlais, ils s’élevaient contre moi (7). »
C’est ainsi que le Prophète nous montre combien il est pénible de demeurer dans cette vie. Il n’a pas dit : « Avec ceux qui n’ont pas la paix », mais, « avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique. » Voilà l’avantage de l’affliction, voilà le fruit de la captivité. Qui de nous pourrait maintenant en dire autant ? Nous trouvons que c’est déjà beaucoup d’être pacifique avec les pacifiques, tandis que le Prophète gardait un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix. Que devons-nous donc faire pour n’être pas en défaut sur ce point ? C’est de demeurer sur cette terre comme des étrangers – car j’en reviens toujours à mon premier raisonnement, – comme des voyageurs qui ne se laissent arrêter par aucune des choses présentes. Il n’y a rien, en effet, contre quoi nous devions lutter et combattre autant que contre l’amour des choses présentes et le désir de la gloire, de l’argent et des délices. Mais quand nous aurons coupé tous ces liens et que notre âme ne sera plus retenue par aucun, nous verrons où était le principe de la lutte et sur quoi doivent reposer les bases de la vertu. Ainsi encore, le Christ veut que nous soyons « comme des brebis au milieu des loups (Mt. 10,16) », afin que nous ne disions pas J’ai tant souffert que je suis devenu violent. – Car, nous répond-il, quand vous auriez souffert mille maux, gardez la douceur de la brebis et vous triompherez des loups. Cet homme est méchant et vif, mais vous disposez de forces si considérables que vous êtes au-dessus de tous les méchants. Quoi de plus doux que la brebis, de plus sauvage que le loup ? Elle triomphera de lui cependant, comme on l’a vu par tes martyrs. C’est qu’il n’y a rien de plus puissant que la mansuétude, rien de plus fort que la douceur. Aussi le Christ nous ordonne-t-il d’être comme des agneaux au milieu des loups. Puis, après avoir parlé de la sorte, comme si celle douceur ne suffisait pas à qui veut paraître son disciple, il ajoute autre chose encore : « Soyez », nous dit-il, « simples comme des colombes (Mt. 10,16) », réunissant ainsi la mansuétude des deux animaux doux et simples par excellence. Tant est grande la vertu qu’il exige de nous quand nous sommes avec des gens sauvages ! Et ne me dites pas : Cet homme est méchant, je ne puis le souffrir. Car c’est surtout avec des personnes grossières et inhumaines qu’il faut faire preuve de douceur. C’est alors qu’éclate la vertu, c’est alors que son utilité, son heureux succès, ses fruits brillent à tous les yeux.
« Dès que je leur parlais ils s’élevaient contre moi. » Un autre interprète dit. « Et quand je leur parlais, ils combattaient. » Ce qui signifie : « J’étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix ; » ou bien : Quand je leur parlais ils combattaient contre moi. Expressions qui reviennent toutes à ceci : Au moment même où je parlais à mes ennemis, alors surtout que je montrais ma charité en proférant les paroles les plus affectueuses, ils s’emportaient, ils me dressaient des embûches et rien ne les arrêtait. Néanmoins, je faisais paraître ma vertu, sans avoir égard à leurs mauvaises dispositions.
Ainsi doit-il en être de nous. Quoiqu’on réponde à notre amour en nous frappant, en nous blessant, en nous tendant des pièges, ne cessons point de nous montrer plein de bonté, nous souvenant de la parabole qui nous ordonne d’être comme des agneaux et des colombes au milieu des loups. En agissant ainsi nous rendrons nos ennemis meilleurs et nous mériterons les biens célestes. Puissions-nous tous les posséder un jour, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXX.

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CANTIQUE DES DEGRÉS, OU BIEN, CANTIQUES DES MONTÉES. 1. « J’AI LEVÉ MES YEUX VERS LES MONTAGNES D’OU ME VIENDRA LE SECOURS. » OU BIEN, « JE LÈVE », ETC.

ANALYSE.

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  • 1. L’âme accablée de maux se tourne vers Dieu pour y puiser sa consolation. Mais si les Juifs charnels et grossiers agissaient de la sorte au milieu de leurs infortunes, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi pour nous qui aspirons à des biens infiniment supérieurs. Soyons donc pleins de courage dans l’adversité, faisant tout notre possible et Dieu fera le reste.
  • 2. Nous serons fermes au milieu des épreuves, notre pied ne sera pas ébranlé, si, détachés de la terre, nous regardons en haut d’où viendra notre secours. Placer ici-bas nos espérances, c’est nous tromper nous-mêmes, car on ne saurait compter sur l’homme et à cause de son impuissance à faire toujours le bien, et à cause de son inconstance. Il n’y a que Dieu qui soit tout-puissant et qui ne trompe jamais.


1. Voici l’âme qui, accablée de maux, ne peut se débarrasser ni trouver une issue, et qui se tourne vers Dieu pour y puiser sa consolation. Constatons de nouveau l’avantage des épreuves : elles élèvent et fortifient l’âme, elles la portent à implorer le secours d’en haut et la détachent de tout ce qui appartient à cette vie. Si les Juifs grossiers et attachés à la terre étaient rendus meilleurs par la douleur de leur captivité, au point de tourner ainsi leurs regards vers le ciel, il est bien juste que dans nos maux, nous les imitions en recourant au Seigneur, car nous sommes tenus à une plus grande perfection. Ils étaient alors au milieu de leurs ennemis, sans ville, sans forteresse, sans armes, sans argent, sans ressource en un mot ; mais captifs et esclaves, ils demeuraient avec leurs maîtres et leurs vainqueurs. Accablés sous le poids de leurs malheurs, ils recouraient à une force invincible, et privés de tout secours humain, ils trouvaient dans cet abandon même le principe de leur force, en disant à Dieu : « J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra mon secours. » En d’autres termes : Tout ce que les hommes peuvent nous procurer nous manque ou bien nous a abandonnés, nous avons tout perdu, il ne nous reste désormais qu’un moyen de salut : c’est Dieu. « Mon secours me doit venir du Seigneur qui a fait le ciel et la terre (2). » Comme ils cherchent Dieu partout, sur la terre, au ciel, sur les montagnes, dans les déserts de toutes parts ils le placent devant leurs yeux. Comme leur âme s’élève toujours davantage et comme en toutes circonstances ils annoncent la providence de Dieu ! Ce n’est pas sans motif que le Psalmiste a ajouté : « Qui a fait le ciel et la terre. » Mais il y a dans ces paroles un raisonnement caché qui revient à dire : Si Dieu a fait le ciel et la terre, il peut, même dans une terre étrangère, porter secours et tendre partout, jusque dans un pays barbare, une main secourable ; comme aussi, conserver ceux qui ont été chassés de leur patrie. Si une seule parole lui a suffi pour produire tous ces éléments, à plus forte raison pourra-t-il nous délivrer de nos ennemis. Voyez, depuis qu’ils sont dans un pays étranger, avec quelle sagesse raisonnent ceux qui avaient moins d’intelligence que des pierres. Ils ne songent plus à leur temple, mais au ciel et à la terre. Admirons comment ils proclament la création du monde, la sagesse de Dieu et sa providence. Ceux qui un peu auparavant disaient au bois : « Vous êtes mon Dieu », et à la pierre : « Vous m’avez donné la vie (Jer. 2,27) », reconnaissent aujourd’hui le Créateur de tout l’univers. Mon secours me doit venir du Seigneur et non des hommes, ni du nombre des chevaux, ni des richesses, ni de la fidélité des alliés, ni de la force des remparts. Notre secours nous doit venir du Seigneur, c’est une assistance insurmontable, une protection invincible, et non seulement invincible, mais encore prompte et facile. Il est tout près de nous et il ne faut, pour l’obtenir, ni flatter les gardiens de la maison, ni dépenser de grandes sommes, ni envoyer des ambassades, mais chacun peut, sans sortir de sa maison, en être favorisé, en le demandant à Dieu avec un cœur détaché des choses humaines et plein de confiance, pourvu qu’il ait les regards fixés sur le ciel. C’est afin de nous faire sentir la nécessité de nous détacher des choses sensibles pour nous élever plus haut, que Dieu a créé l’homme droit, à l’exclusion des autres animaux, et qu’il lui a placé les yeux à la partie supérieure du corps. Il n’y a que lui, en effet, qui soit fait de la sorte, car les autres animaux sont courbés vers la terre, et ils ont le regard tourné en bas. L’homme au contraire se dresse vers le ciel afin d’en contempler les objets, de les méditer, de les approfondir et de rendre ainsi plus pénétrants les yeux de son âme. C’est ce qui faisait dire à la sagesse : « Les yeux du sage sont à la tête. » (Qo. 2,14) C’est-à-dire qu’il est affranchi de tous les objets terrestre, il vit dans le ciel pour en contempler les merveilles. « Ne permettez donc point, ô enfant d’Israël, que votre pied soit ébranlé. Et que celui qui vous garde ne s’endorme point (3). » Quelle diligence ces paroles exigent de nous ! Comme les Juifs se sont souvenus du secours de Dieu et qu’ils implorent son assistance, le Prophète vient les aider de ses conseils, leur disant en quelque sorte : Si vous voulez être exaucés, faites tout ce qui dépendra de vous. Mais que leur recommande-t-il ? Écoutez : « Ne permettez point que votre pied soit ébranlé. » C’est-à-dire, ne soyez point renversés ni abattus et vous verrez Dieu vous tendre la main, et il ne vous délaissera pas, il ne se retirera pas de vous. Tout dépend donc de nous, et le succès est en notre pouvoir. Mais puisqu’il en est ainsi, si nous voulons obtenir quelque chose, nous ne devons rien négliger, car telle est la volonté de Dieu ; quelque faibles et de peu d’importance que soient nos efforts, nous devons les faire valoir, et ne pas rester oisifs, engourdis, mous et abattus, mais agir et employer tous nos soins pour notre salut. C’est ce qui est signifié par les ouvriers de la onzième heure. (Mt. 20,6) Et si vous me demandez ce qu’ils pouvaient faire de si important à la onzième heure, je vous répondrai que leur travail devait être l’occasion et la cause de leurs couronnes, et voilà pourquoi David ajoute : « Ne permettez donc pas que votre pied soit ébranlé, et Celui qui vous garde ne s’endormira point. » Faites ce que vous pourrez, et Dieu fera le reste. Il résulte également de ce qui précède que, malgré nos efforts, nous avons besoin du secours de Dieu pour être en sûreté et pour demeurer fermes et solides.
2. Mais quel est l’homme dont le pied est ébranlé, sinon celui qui se porte vers les objets passagers, qui ne reposent sur rien de solide ? Tel, l’amour de l’argent, le désir des choses qui ont rapport à cette vie. C’est pourquoi il est souvent renversé et abattu et il court de grands dangers au sujet des choses les moins importantes. C’est qu’en effet les choses du monde ne sont jamais stables ni immobiles ; mais toujours elles changent, elles sont en mouvement ; elles sont plus agitées que les flots, elles passent plus vite que la pluie qui tombe, elles offrent moins de consistance que le sable et elles se répandent plus promptement. « Assurément, celui qui garde Israël ne s’assoupira point et rie s’endormira point (4). » Si vous vous êtes prémunis, comme je viens de le dire, continue le Psalmiste, le Seigneur ne « s’assoupira point et ne s’endormira point ; » en d’autres termes, il ne vous quittera pas, il ne vous délaissera pas, il ne vous abandonnera pas dans votre nudité et votre isolement. Et c’est pour nous bien pénétrer de cette pensée qu’il a ajouté à dessein : « Celui qui garde Israël. » Ce qui revient à dire : si par un acte continuel de sa providence, depuis un temps qui remonte jusqu’à vos ancêtres, il a pris soin de vous, il ne cessera pas de faire ce qu’il a fait et il agira comme par le passé, à moins dire « votre pied ne soit ébranlé. » Et non seulement, il ne vous abandonnera pas, mais il vous défendra et il vous tiendra en grande sûreté. Voilà pourquoi le Psalmiste poursuit en ces termes : « Le Seigneur vous gardera, le Seigneur sera sur votre droite pour vous donner sa protection (5). » Une autre leçon porte : « Le Seigneur sera à votre droite. » Il sera votre défenseur, votre aide, votre secours. Remarquez comment, dans cette circonstance encore, le Seigneur vent que nous agissions. Semblable à ceux qui assistent dans les combats, il sera à notre droite, afin que nous soyons indomptables, forts, puissants, que nous triomphions, que nous remportions la victoire, car c’est principalement par sa protection que nous faisons toutes choses. non seulement il sera près de nous, mais il nous secourra, mais il nous protégera. Je le dis de nouveau, c’est par les choses qui sont sous nos yeux que le Prophète exprime le secours de Dieu : et par « sa droite et sa protection » il figure sa garde la plus absolue en tous points et son secours le plus prochain. « Le soleil ne vous brûlera point durant le jour, ni la lune pendant la nuit (6). » C’est ce qui eut lieu pour les Juifs quand ils sortirent de l’Égypte et qu’ils vivaient dans le désert. Ici le Psalmiste a voulu figurer une grande sécurité il est même vraisemblable que ces mêmes Juifs, à leur retour de la captivité, fuient favorisés de quelque miracle de cette sorte. Et ce prophète n’a ajouté ce qui précède que pour nous montrer abondamment cette providence de Dieu qui, non contente de délivrer des maux, affranchit même ses enfants des incommodités auxquelles les hommes sont sujets. Il donne son secours avec une telle générosité et une bonté si ineffable que non seulement il est proportionné à nos besoins, mais qu’il nous récompense au-delà de nos espérances. « Le Seigneur vous gardera de tout mal, le Seigneur gardera votre vie (7). »
Celui, en effet, qui étend son souci et sa providence jusqu’aux plus petites choses pour empêcher qu’elles ne vous nuisent, saura bien vous délivrer de ceux qui voudraient vous assiéger. Tout ce qui peut nous arriver de fâcheux, cède au moindre signe de Dieu ; ce qui n’est pas au pouvoir de l’homme. Car si bien souvent il a délivré d’un mal, il n’a pu délivrer d’un autre, ou s’il l’a pu, il ne l’a pas voulu. Mais la main de Dieu est forte et toute-puissante, et il sera toujours à même de repousser et de dissiper tout ce qui nous assaillira et de nous délivrer en toute circonstance. « Le Seigneur protégera votre sortie et votre entrée, ou votre approche », selon une autre version.
L’entrée et la sortie de la vie n’indiquent-elles pas un secours continuel et incessant ? Y a-t-il rien de comparable à une pareille charité, à une pareille miséricorde ? Le Psalmiste embrasse ici toute la vie, car elle est renfermée tout entière entre ces deux termes, l’entrée et la sortie. Et pour nous le faire comprendre plus clairement encore il a ajouté : « Dès maintenant et jusque dans l’éternité. » Ce n’est point un jour, dit-il, ni deux, ni trois, ni vingt, ni cent, mais toujours. Les hommes seraient incapables de pareilles choses, étant sujets, comme ils le sont, à des changements nombreux, à une grande instabilité, à des vicissitudes continuelles. Tel est aujourd’hui votre ami, qui demain est votre ennemi, et celui qui vous secourt en ce moment vous abandonne bientôt après. Souvent même, il ne se contente pas de vous abandonner, mais il vous opprime et il vous tend des pièges plus dangereux que ceux de n’importe quel ennemi. Mais en Dieu, tout demeure immobile, perpétuel, immortel, stable et sans fin.
Faisons donc tout notre possible pour mériter ses biens. Nous nous rendrons ainsi dignes de jouir d’une grande paix et d’être mis en possession des biens futurs, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXI.

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« JE ME SUIS RÉJOUI, LORSQU’ON M’A DIT : NOUS IRONS DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. Le Psalmiste nous montre les avantages des épreuves par l’exemple de la captivité des Juifs. Eux, qui auparavant ne voulaient pas entendre la parole sainte et qui priaient avec dégoût, se réjouissent d’apprendre qu’ils reverront la maison du Seigneur.
  • 2. C’est qu’il y avait pour eux de grands avantages dans la nécessité où ils étaient de monter à Jérusalem pour les grandes solennités : les principaux étaient d’entretenir entre tous l’esprit de charité, et de conserver parmi eux la connaissance du vrai Dieu et le souvenir des merveilles opérées en leur faveur. En retour, Dieu les récompense par ses bénédictions les plus abondantes.


1. Voilà une parole qu’on n’aime guère aujourd’hui. Qu’on soit invité à aller au cirque, au théâtre d’iniquités, on accourt en foule, mais s’il s’agit de la maison de prière, il y a bien des indifférents. Il n’en fut pas ainsi des Juifs : et, chose bien grave à observer, c’est que les Chrétiens paraissent plus négligents qu’eux. Mais d’où venaient aux Juifs de pareils sentiments ? Je l’ai déjà dit, ce fut la captivité qui les rendit meilleurs. – À dater de ce temps ceux qui auparavant abandonnaient avec dégoût, le temple et l’audition de la parole sainte pour courir sur les montagnes, sur les collines, dans les bois se livrer à toutes sortes d’infamies, se détachèrent de ce culte impie et depuis lors cette annonce les ranima, les excita, les fortifia et remplit leur âme de joie. Ils étaient encore tourmentés par la faim et parla soif, mais cette fois il ne s’agissait plus de pain ni d’eau, mais bien de la parole de Dieu dont ils étaient affamés et altérés. (Amo. 8,11) Ainsi corrigés par le châtiment qu’ils venaient de subir, ils désiraient ardemment de recouvrer cette maison de Dieu qu’ils avaient perdue. Alors ils embrassaient jusqu’au sol lui-même, et ils s’écriaient : « Ces ruines ont été agréables à vos serviteurs et ils auront compassion de cette terre (Ps. 101,15) ; » et encore : « Quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la face de mon Dieu (Ps. 41,3) ? » ou bien. « Je me souviendrai de vous dans la terre du Jourdain, près d’Hermon, et de la petite montagne (Id. 7) ; » enfin : « Je me suis souvenu de ces choses et j’ai répandu mon âme au dedans de moi-même. » (Id. 5) Mais dites-nous quelles sont ces choses dont vous vous êtes souvenu : « C’est que je passerai dans le lieu du tabernacle admirable où paraît la gloire du Seigneur, et que j’irai jusqu’à la maison de mon Dieu. » (Id. 5). C’est-à-dire, je verrai de nouveau les danses et les grandes assemblées, le culte de mon Dieu et ses cérémonies. « Mes pieds étaient fermes dans ton enceinte, ô Jérusalem (2) ! » Une autre leçon porte : « Je me suis réjoui lorsqu’on m’a dit : Nous allons dans la maison du Seigneur. Nos pieds sont arrêtés à tes portes, ô Jérusalem ! » Quelle allégresse extraordinaire ! On croirait les voir déjà en possession de ce qu’ils souhaitent si ardemment, tant ils se réjouissent d’en parler, embrassent de leurs désirs la maison de prière et la ville sainte. C’est ainsi que Dieu a toujours coutume d’agir : quand nous ne savons pas apprécier les biens que nous possédons, il les arrache de nos mains, afin que la privation opère ce que l’usage n’a pu faire. Aussi les Juifs remis en possession de leur ville et de leur temple rendent de grandes actions de grâces pour avoir recouvré leur patrie. « Jérusalem qui est bâtie comme une ville ; » ou bien : « Jérusalem bâtie comme une ville. » Selon les Septante, il s’agit ici du temps qui a précédé la construction de Jérusalem et il faut traduire : « Jérusalem sera bâtie comme une ville. » – Selon un autre interprète, il est question de ce qui est arrivé après la captivité et on doit lire : « Nous avons recouvré a Jérusalem bâtie comme une ville. » Comme il régnait alors une solitude extrême dans la ville sainte qui n’offrait que des ruines, en sorte que ses tours rasées, ses murailles abattues ne présentaient plus que des vestiges de l’ancienne patrie, les Juifs, en voyant à leur retour une pareille désolation, se souviennent de la prospérité d’autrefois ; ils racontent les splendeurs du passé et rapportent comment a été réduite à un état si honteux, celle qui était autrefois magnifique et illustre, qui possédait un temple, des princes, des rois et des pontifes, qui était la plus belle et la plus ornée. Si vous doutez qu’il en fût ainsi, écoutez ce qui suit : « Jérusalem qui est bâtie comme une ville. » Donc, ce n’était plus une ville alors, et cette vérité ressort encore de ce qui suit : « Dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles. » Ces paroles indiquent qu’avant la captivité il y avait des édifices nombreux, solides et bien disposés, en sorte qu’ils présentaient un ensemble compacte et harmonieux et servaient de retraite à une population immense. Et c’est ce qu’a voulu faire entendre un autre interprète quand il a dit de Jérusalem qu’elle était « parfaitement unie. » Voici d’autres attributs de Jérusalem qui proclament sa gloire : « C’est là que sont montées toutes les tribus, les tribus du Seigneur, comme les témoins et les députés d’Israël, pour y célébrer les louanges du nom du Seigneur (4). » Ce qui en effet faisait une des plus belles gloires de la cité, c’était moins sa grandeur et ses édifices, que parce qu’elle était le centre où tout aboutissait, soit qu’il s’agît d’un conseil, d’une assemblée sainte ou d’une délibération sur un sujet quelconque. C’est qu’en effet là était le temple où s’accomplissaient tous les rites, toutes les cérémonies ; là étaient les prêtres, les lévites, la demeure royale, le sanctuaire, les vestibules, et l’autel des sacrifices, et les fêtes, et les grandes assemblées, et les prières, et les lectures publiques, et pour tout dire en un mot, là résidait tout ce qui constituait la forme du gouvernement. Et voilà pourquoi toutes les tribus devaient s’y réunir principalement trois fois par an, aux fêtes publiques et solennelles de Pâques, de la Pentecôte et de la Scénopégie ou des Tabernacles. Et il n’était pas permis d’aller ailleurs. C’est donc pour célébrer cette prérogative glorieuse de Jérusalem que le Psalmiste s’écrie : « C’est là que sont montées toutes les tribus. » Ou, « que sont montés tous les sceptres », selon une autre version. Et remarquez que le Prophète n’a pas dit simplement « toutes les tribus », mais, « toutes les tribus du Seigneur. » Bien que toutes les tribus appartinssent au Seigneur, il ne leur était pas permis d’exercer clans leur pays les actes dont nous venons de parler. – C’était un privilège réservé à la métropole qui rassemblait tout et attirait tout à elle.
2. Il en était ainsi afin que les Juifs eussent une raison de connaître Dieu ; car, dispersés çà et là, ils auraient pu être portés à l’idolâtrie et s’engager dans le culte des fausses divinités. C’est pourquoi le Seigneur leur ordonna de s’assembler à Jérusalem pour y célébrer leurs fêtes, sacrifier et prier, afin que leurs dispositions au vagabondage et à t’impiété fussent ainsi limitées, comprimées et retenues. Tel est le sens de ces paroles : « Les tribus du Seigneur, comme les témoins et les députés d’Israël. » Que signifient ces « témoins d’Israël ? » C’est-à-dire, le témoignage le plus grand, la marque évidente de la Providence divine, en sorte qu’il n’était plus possible d’excuser ceux qui abandonneraient leur Dieu pour courir aux idoles, car le Seigneur ne pouvait pas donner une preuve plus éclatante de sa providence, de sa puissance et de sa sagesse. C’est là, en effet, qu’on lisait la Loi contenant le récit des faits mémorables du passé et de l’histoire. Ce temps qu’ils passaient ensemble resserrait les liens de la charité qui les unissait. Les fêtes qu’on devait célébrer étaient un motif de réunion, et une plus grande crainte du Seigneur, une piété plus vive et d’autres biens innombrables résultaient de leur assemblée dans la ville sainte. « Pour y célébrer les louanges du nom du Seigneur », c’est-à-dire pour rendre grâces, adorer, prier, offrir des sacrifices qui les portaient à la piété et rendaient plus sûre l’observance des moindres détails de leur religion. « Car c’est là qu’ont été établis les trônes pour la maison de David (5). »
Voici encore une autre prérogative de la ville sainte, qui est d’être la demeure des rois. Car c’est le sens de ces paroles : « C’est là qu’ont été établis les trônes pour la maison de David », ou « de la maison de David. » Jérusalem, en effet, était le centre d’une double principauté ; la principauté des prêtres et celle des rois, qui étaient en quelque sorte inséparables, en sorte que la ville était ornée comme d’une double couronne et d’un double diadème. C’est là que résidaient les juges auxquels on déférait tout ce qui surpassait l’intelligence, de la multitude. Si, dans les autres villes, il avait été porté une sentence sur la justice de laquelle il y avait doute, la cause était déférée aux juges qui siégeaient à Jérusalem, comme il arrive dans les appels. Quand ils avaient prononcé, on ne pouvait plus en revenir. C’est ainsi qu’il en était autrefois, mais aujourd’hui quel spectacle navrant ! partout la solitude et des ruines ; on aperçoit quelques restes d’édifices ravagés par le feu, d’une apparence misérable, tristes vestiges et souvenirs bien minimes d’une grandeur qui n’est plus. Aussi le Prophète ne termine-t-il pas son discours par cet affligeant tableau, mais il rappelle les Juifs à des espérances plus joyeuses en leur disant : « Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem (6). » Que signifient ces paroles : « Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem ? » C’est-à-dire priez, sollicitez. Une autre leçon porte : « Embrassez », ou, « saluez Jérusalem. » En d’autres termes : Demandez à ce qu’elle revienne à son ancienne prospérité, afin qu’elle soit à l’abri des guerres fréquentes et que désormais elle jouisse de la sécurité. Si tel n’est point le sens de ces paroles, elles sont une prédiction, et alors « demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem », indique qu’elle jouira de la paix. « Et que ceux qui l’aiment, ô ville sainte, soient dans l’abondance », ou bien, « qu’ils soient en paix ; » ou bien encore, « qu’ils soient dans la prospérité. » C’est là une grande source de bonheur, que non seulement les biens soient dans Jérusalem, mais que ceux qui l’aiment puissent en jouir. C’est le contraire qui arrivait autrefois. Car ceux qui la haïssaient et qui l’opprimaient étaient les plus puissants, les plus célèbres et les plus illustres et ils triomphaient facilement. Mais maintenant ceux qui la chérissent seront dans une grande sécurité, ainsi que ceux qui font cause commune avec elle. Par ces derniers, le Psalmiste entend ceux qui devaient soutenir son parti, ou ses propres habitants. « Que la paix soit dans tes forteresses. » ou « dans ton avant-mur », ou bien, « dans tes remparts (7). »Dans tes forteresses, c’est-à-dire dans ta substance, dans ceux qui t’habitent, dans ta prospérité. Comme la guerre est chose pernicieuse et que c’est ce qui l’a perdue, il lui souhaite la paix, « et l’abondance dans tes tours », ou bien, « dans les palais. » Selon un autre interprète le Psalmiste souhaite à Jérusalem « la félicité » ou « le repos. » Il ne prédit pas seulement sa future délivrance des maux, mais la possession de biens innombrables, la paix, l’abondance, la fertilité. De quel prix, en effet, peut être la paix pour ceux qui vivent dans la pauvreté, la faim et la misère ? A quoi sert l’abondance dans les périls de la guerre ? C’est pourquoi le Prophète prédit ces deux biens à la fois : l’abondance et la paix qui permettra d’en jouir. – « A cause de mes frères et de mes proches (8). » Ou il s’agit des voisins qui se sont réjouis de la chute des Juifs, et il souhaite la paix afin qu’à leur tour ils soient confondus et qu’ils reconnaissent la puissance de Dieu ; ou, par ses frères il entend ceux qui habitent la ville, et dans ce dernier cas il veut dire : A cause de mes frères et de mes proches je prie pour la paix afin qu’ils respirent enfin, maintenant que le malheur les a rendus meilleurs.
« J’ai parlé de paix pour toi, ô Jérusalem ! – J’ai cherché à te procurer toutes sortes de biens à cause de la maison du Seigneur, notre Dieu (9). » Une autre version porte : « Je parlerai afin que la paix soit au milieu de toi. » Comme le Psalmiste avait dit : « A cause de mes frères et de mes proches », il a voulu montrer qu’il n’appuyait pas sa prière sur leurs mérites, mais qu’il souhaitait seulement de les voir comblés d’un plus grand bienfait, et voilà pourquoi il a ajouté : « A cause de la maison du Seigneur, notre Dieu. » C’est-il dire, par sa gloire je souhaite la paix, afin que son cule soit de nouveau rétabli et sa doctrine répandue partout. Comme il y avait des Juifs qui étaient nés au temps de la captivité, tandis que les autres avaient été témoins du départ et du retour ; quand ils s’étaient acquittés de leurs devoirs envers Dieu, ils s’entretenaient ensemble du passé, et les anciens parlaient et de leur félicité d’autrefois, et de la prospérité dont, ils avaient joui et qu’ils avaient perdue. Admirons aussi comment le Psalmiste réprime l’arrogance des Juifs : Dans la crainte qu’ils ne s’imaginent qu’ils ont suffisamment expié leurs fautes, puisqu’ils ont recouvré leurs biens, il leur apprend que c’est à cause de la gloire de Dieu qu’ils sont de retour dans leur patrie, afin que cette connaissance leur procure la sécurité et les préserve du péché qui leur attirerait de nouveau les mêmes châtiments.
Pour nous, qui sommes instruits de ces choses, faisons tous nos efforts pour ne pas tomber ; et, s’il nous est arrivé de commettre le mal, appliquons-nous à nous relever promptement, et à ne pas retomber de nouveau dans la crainte d’encourir la menace qui fut faite au paralytique : « Vous voilà guéri, ne péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. » (Jn. 5,14)En parlant ainsi, Notre-Seigneur a voulu exhorter les bons à se conserver avec soin dans la vertu et ceux qui sont délivrés de leurs péchés à persévérer dans leur conversion, afin que tous ensemble nous obtenions les biens célestes. Puissions-nous en jouir tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.



EXPLICATION DU PSAUME CXXII.

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1. « J’AI ÉLEVÉ MES YEUX VERS VOUS QUI HABITEZ DANS LES CIEUX. »

ANALYSE.

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Dieu, quelque part qu’on l’invoque, exauce toujours nos prières. Mais c’est à la condition qu’on s’abandonnera ! lui sans réserve, n’ayant d’autre espérance que dans son secours. Il faut surtout se présenter à lui avec les sentiments de l’humilité la plus profonde, car il ne hait rien tant que l’orgueil.
On voit briller partout l’heureux fruit de la captivité, car ceux qui étaient attachés aux choses temporelles et qui mettaient leur confiance dans les Assyriens et les Égyptiens, aussi bien que dans la puissance de leurs murailles et la quantité de leurs richesses, ont abandonné toutes ces espérances, pour se réfugier sous la main invincible du Seigneur, en laquelle seule ils espèrent, l’esprit tourné en haut et détaché des choses de ce monde. Comme ils ne peuvent plus aller, selon leur coutume, dans le temple qui a été détruit, ils invoquent enfin le Dieu du ciel. Quand nous disons qu’il habite dans le ciel, nous ne prétendons pas qu’il puisse être circonscrit dans un lieu : loin de nous une pareille idée ! car il remplit tout. Mais c’est que le ciel est plus spécialement le siège de sa puissance et le lieu de son repos. N’est-il pas écrit aussi qu’il demeure parmi les hommes ? « J’habiterai en eux et je m’y promènerai. » (2Cor. 6,16) Donc, pendant que les Juifs demeuraient parmi les barbares, ils reçurent une grande leçon, car dans le dénuement où ils étaient, de toutes les choses de la vie, ils virent clairement comment Dieu, quelque part qu’on l’invoque, exauce promptement nos prières. Comme le rayon d’un nouveau genre de vie allait briller bientôt à leurs regards, le Prophète prélude aux événements futurs en soulevant peu à peu et d’une manière énigmatique le voile qui les cache. « Comme les yeux des serviteurs sont attachés sur les mains de leurs maîtres et comme les yeux de la servante le sont sur les mains de sa maîtresse, de même nos yeux sont fixés vers le Seigneur notre Dieu, en attendant qu’il ait pitié de nous (2). » Ici encore, quelle piété ferme et solide ! Ils n’ont pas une espérance d’un instant, mais ils y demeurent constamment attachés et comme enchaînés. Aussi, par l’exemple qu’ils ont apporté, ils veulent nous faire comprendre qu’ils n’espèrent pas d’autre assistance ni d’autre secours, et que c’est vers Dieu seul qu’ils tournent leurs regards. C’est ainsi que la servante et le serviteur n’ont d’autre ressource pour préparer la nourriture, les vêtements et les autres choses nécessaires que d’avoir recours à leurs maîtres. Ils ne se retirent point, ils attendent jusqu’à ce qu’ils aient reçu ce qu’il faut, et après avoir reçu, ils rendent grâces, c’est là un devoir auquel ils ne manquent jamais. Voilà pourquoi le Psalmiste, pour nous faire comprendre que les Juifs ont les yeux tournés vers le Seigneur et cela assidûment, qu’ils n’ont pas d’autre espérance et qu’ils sont tellement attentifs à attendre son secours qu’ils le regardent seul comme l’auteur de tout bien, a rappelé l’exemple de la servante et des serviteurs.
Remarquez comment ceux qui, avant leurs malheurs, avaient besoin d’être excités à recourir à Dieu et qui recevaient ces exhortations avec ennui et dégoût, sont devenus meilleurs. C’est à un point que maintenant ils ne veulent plus se passer de lui ; mais fidèles à son service ils l’invoquent jusqu’à ce qu’il ait pitié d’eux. Ils ne disent pas : En attendant qu’il nous ait satisfaits ou récompensés, mais, « Jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous. » Vous donc, chrétiens, persévérez avec constance dans vos prières, que vous receviez ou non ce que vous demandez et quand même vous ne seriez pas exaucés tout de suite, ne vous retirez point, vous le serez plus tard. Si la persévérance de la veuve fléchit ce juge cruel dont parle l’Évangile (Lc. 18), quelle excuse feront valoir ceux qui sont si portés au découragement, à la paresse, au silence ? N’avez-vous pas remarqué comme les servantes sont sous la dépendance de leurs maîtresses, fixant sur elles leurs pensées et leurs regards ? Qu’il en soit de même pou nous à l’égard de Dieu. Attachons-nous à lui seul, et mettant tout le reste de côté, soyons au nombre de ses serviteurs. Alors, tout ce qui nous sera utile, nous l’obtiendrons sûrement. « Ayez pitié de nous ; Seigneur, ayez pitié de nous, parce que nous sommes remplis de confusion et dans le dernier mépris (3). En « effet, notre âme est toute remplie (4). » Voilà bien le langage du cœur contrit. Les Juifs s’appuient sur la miséricorde du Seigneur pour demander leur salut, et cette miséricorde ils ne croient point la mériter, alors ils invoquent les grands châtiments qu’ils ont endurés, selon ce mot de Daniel : « Nous sommes réduits à un plus petit nombre que toutes les autres nations qui sont sur la terre. » (Dan. 3,37) Ils s’écrient dans leurs prières : Nous avons enduré la dernière misère, nous avons été dépouillés de notre patrie et de notre liberté, conduits en esclavage chez tes barbares, depuis longtemps nous vivons dans l’opprobre, consumés par la faim, la soif et les privations de toutes sortes, nous n’avons cessé d’être conspués, foulés aux pieds ; épargnez-nous donc, ayez donc pitié de nous. Mais que signifient ces mots : « Notre âme est toute remplie ? » C’est-à-dire, notre âme a été fondue, anéantie par la grandeur de nos maux. Il y en a que l’excès du malheur trouve courageux, mais il n’en a pas été de même pour nous, l’affliction nous est insupportable et nous abat. C’est ainsi que Dieu leur fait payer par l’adversité l’abus qu’ils ont fait des honneurs, car il a coutume d’agir de la sorte en toute circonstance. Ainsi, avait-il puni Adam en le chassant du paradis terrestre, pour avoir abusé des avantages de ce séjour, et Eve trouva dans la servitude et la dépendance le remède à la faute qu’elle avait commise en voulant s’égaler à Dieu. De même, les Juifs que la liberté et une longue sécurité dans leurs foyers avaient rendus pervers et dissolus furent corrigés par l’excès contraire. Et maintenant qu’ils implorent la miséricorde de Dieu, ils lui disent : « Notre âme est toute remplie de confusion, étant devenue un objet d’opprobre aux riches et de mépris aux superbes. » Une autre version porte : « Notre âme est bien rassasiée des blâmes de ceux qui sont dans l’abondance et des mépris des superbes ; » une troisième : « des railleries des arrogants », ou bien, « du mépris de ceux qui sont dans l’abondance. » Mais toutes ces expressions ont le même sens et nous montrent les Juifs déplorant leur malheur en disant : « Notre âme est rassasiée de mépris. »
Les Septante renferment un autre sens que voici : Puissent nos maux, en accablant nos ennemis, leur faire éprouver ce qu’ils nous ont fait et rabattre ainsi leur force et leur orgueil ! C’est du reste, ce que nous voyons fréquemment, car le Seigneur a coutume d’abaisser les esprits superbes et d’humilier ceux qui s’élèvent, afin de les détourner de la voie qui les conduirait à leur perte. C’est qu’il n’y a rien de pire que l’orgueil. C’est là, en effet, que sont venues les tentations et les peines, la mort et tous les malheurs qui nous accablent, de là les souffrances et les maladies qui sont comme autant de freins destinés à réprimer l’âme superbe et enflée par l’orgueil. Ne vous troublez donc pas, mes très-chers, lorsque vous êtes tentés, mais souvenez-vous de cette parole du Prophète : « Il est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos ordonnances pleines de justice. » (Ps. 118,71) Recevez le malheur comme un remède et sachez profiter de la tentation, alors vous pourrez acquérir une plus grande tranquillité. Puissions-nous en être trouvés dignes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXIII.

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1. « SI LE SEIGNEUR N’AVAIT ÉTÉ AVEC NOUS. »

ANALYSE.

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  • 1. L’homme a deux grands ennemis à combattre : le démon et ses semblables. Le premier est terrible, comme il l’a bien fait voir par la manière dont il a traité Job dans sa personne et dans tous ses biens. Les hommes ne sont pas moins à craindre, car l’homme livré à la colère est pire qu’un animal sauvage ; cette passion le rendant aveugle et insensé : notre saint nous donne les remèdes pour la guérir.
  • 2. Mais la protection divine est plus que suffisante pour nous garder et quels que soient le nombre et la fureur de ceux qui cherchent à nous nuire, elle saura bien nous sauver. Quant à Satan, notre Sauveur l’a vaincu et désarmé, et il n’y a que les 1âches qui lui cèdent la victoire. Aussi, sommes-nous sans excuse si nous ne profitons pas des armes spirituelles qu’il nous a laissées et qui doivent nous assurer infailliblement la victoire.


1. Ce que j’ai dit souvent, je le répète en ce moment et je le répéterai encore, à savoir, que la captivité offre un grand enseignement et qu’elle peut ramener à la sagesse tout esprit attentif. Voyez, en effet, ceux qui se précipitaient vers les idoles, qui méprisaient Dieu et qui s’adonnaient à l’impiété, que disent-ils après leur captivité ? En quels termes attribuent-ils leur salut à lieu ? Le Prophète lui-même, comme un excellent conseiller, leur ordonne de répéter souvent les mémés choses. Il commence donc par parler le premier, après quoi il leur commande, comme un maître à ses disciples, de redire après lui : « Qu’Israël dise maintenant : Si le Seigneur n’avait été avec nous lorsque les hommes s’élevaient contre nous, ils auraient pu nous dévorer tout vivants. » Ils s’étaient vus sans armes, dépouillés de tout, captifs et esclaves ; récemment délivrés de leurs maux, ils avaient une ville qui n’était pas environnée de murailles, ce n’était pas même une ville, et ainsi après leur retour ils étaient comme une proie sans défense. Mais Dieu leur servit de rempart et de citadelle. Disons, nous aussi, en ce moment. « Si le Seigneur n’avait été avec nous… nos ennemis auraient pu nous dévorer tout vivants. Que n’aurait pas fait, en effet, le diable, notre ennemi, si le Seigneur n’eût été pour nous ? Écoutez ces paroles du Sauveur à Pierre : « Simon, Simon, Satan a demandé souvent à vous cribler, comme on crible le froment, mais j’ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point. » (Lc. 22,31) C’est une bête méchante et insatiable, et si elle n’était continuellement réprimée, elle sèmerait partout le désordre et la destruction. Dieu ne lui lâcha qu’un instant la bride contre le saint homme Job. et il renversa sa maison de fond en comble, disloqua son corps et fit comme une affreuse tragédie, en détruisant ses richesses, en tuant ses enfants, en faisant sortir de sa chair des vers en abondance, en soulevant contre lui sa femme, ses amis, ses ennemis, jusqu’à ses serviteurs qui l’accablaient de leurs reproches. Il nous anéantirait nous-mêmes si le Seigneur ne le retenait par mille moyens. C’est pourquoi le Psalmiste s’écrie : « Si le Seigneur n’avait été avec nous. » Les Juifs étaient en petit nombre et méprisés, et à peine de retour ils avaient à supporter de nombreuses attaques. Or, la sagesse de Dieu se montrait encore, en ce qu’il ne leur donnait pas la sécurité subitement et d’un seul coup, ruais à la longue et par degrés, afin de les maintenir dans la connaissance de son saint nom, et de ne pas laisser passer sans fruit la leçon qu’ils avaient reçue dans leur captivité. Comme la délivrance des maux a pour effet de rendre les hommes plus négligents, le Seigneur, tout en leur accordant les biens, permet qu’ils soient constamment tentés, afin qu’ils trouvent, dans les épreuves, un exercice continuel de la sagesse. Cependant, il ne les laisse pas toujours dans l’affliction, car ils succomberaient ; ni dans le repos et la prospérité, pour les préserver du relâchement ; mais il les sauve en les faisant passer par des vicissitudes sans fin.
« Ils auraient pu nous dévorer tout vivants. » Quelle cruauté dans leurs ennemis ! Ce sont des hommes qui montrent une férocité égale à celle des bêtes sauvages. Que dis-je ? Elle la surpasse même puisqu’elle s’exerce centre leurs semblables. Après son premier choc, l’animal se calme et se retire ; repoussé, il ne revient pas à la charge ; mais quand les hommes ont échoué dans leurs projets pervers, ils attaquent de nouveau, et ils se montrent avides de sang. Telle est la colère insensée, tels sont l’ardeur et le feu que cette passion allume dans l’âme. Comment guérir cette maladie ? Songeons à ce que nous sommes, réfléchissons à la mort et à ceux qui nous quittent tous les jours, méditons sur notre nature ; nous ne sommes que cendre et poussière. Si la beauté de votre visage vous fait encore illusion, allez visiter les tombeaux et les cercueils de vos pères, contemplez-les dans leur repos, et en voyant cette poignée de terre, vous trouverez une grande occasion de vous abaisser. Ne trouvez pas ce langage trop sévère. De même que ceux qui out eu la fièvre ont besoin d’un air pur après leur guérison, ainsi ceux que les passions poussent à la folie, trouveront dans les tombeaux, comme dans une demeure très-salutaire, un remède à de nombreuses maladies. La vue seule d’une urne suffit, en effet, pour abaisser les plus arrogants. Transportez-vous ensuite, par la pensée, à ce jour terrible du jugement dernier, où personne ne prendra votre défense ; songez aux questions qui vous seront adressées, au compte que vous aurez à rendre, à ces supplices où il n’y a plus de soulagement à espérer, Ces réflexions seront comme un charme qui calmera vos passions. Voyez aussi, parmi les hommes, ceux qui, dans la vie présente, ont passé de la richesse à la pauvreté, de la gloire à l’ignominie, et si vous éprouvez encore de la colère, que ce ne soit pas contre votre semblable, mais contre l’esprit du mal. Voilà de quoi vous fâcher. Ne vous réconciliez jamais avec lui, tournez et épuisez contre lui toute votre fureur, c’est contre lui qu’il faut diriger vos coups et lui faire une guerre acharnée. « Lorsque leur fureur s’est irritée contre nous, sans doute alors les eaux nous auraient submergés (4), un torrent aurait été amené sur notre âme. Assurément notre âme eût trouvé cette inondation insupportable. » L’eau et le torrent marquent ici la grande colère des ennemis des Juifs. L’eau, en effet, se précipite en désordre, entraînant avec une grande force et une grande violence tout ce qu’elle rencontre. Il ne s’agit pas seulement ici de l’invasion des maux, mais de leur peu de durée.
2. Ne nous décourageons donc pas quand le malheur fond sur nous. Ce n’est qu’un torrent qui se précipite, une nuée qui passe. S’agit-il de quelque chose de fâcheux ? cela aura une fin ; de quelque chose de difficile ? cela ne durera pas toujours. S’il en était autrement, la nature n’y suffirait pas. Mais, direz-vous, un grand nombre sont entraînés par le torrent. Sans doute. Mais la cause en est moins clans sa violence que dans la lâcheté de ceux qui se laissent abattre trop facilement. Afin donc que le torrent ne nous entraîne pas et que nous puissions marcher d’un pas ferme jusque dans ses plus grandes profondeurs, sondons-le et saisissons l’ancre divine, pour n’avoir plus à redouter aucun naufrage. Un torrent n’est terrible que pour un temps, bientôt après il s’apaise d’une manière étonnante : « Les eaux nous auraient submergés. » Selon une autre version : « Alors les eaux nous auraient inondés en passant sur notre âme comme un torrent, et notre âme eût trouvé cette inondation insurmontable ; » ou bien : « Alors les superbes auraient passé sur notre âme comme un torrent. » Admirons la grandeur du secours de Dieu et comment, au milieu de tant de maux, il ne permet pas que ses enfants soient submergés. En effet, s’il laisse augmenter les maux, ce n’est pas pour nous accabler, mais pour nous éprouver davantage et faire éclater sa puissance. Les superbes, dont il est ici question, sont les ennemis qui, tout en se précipitant sur les Juifs avec plus de violence qu’un torrent quelconque ou qu’une inondation insurmontable, ne leur ont fait aucun mal. La cause en est dans la protection de Dieu, dans son assistance divine et son secours invincible. Aussi, après avoir dit qu’il a été délivré des maux, il nomme son libérateur et il le comble de louanges. « Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas laissés en proie à leurs dents ! Car notre âme a été arrachée de leurs mains comme un passereau du filet des chasseurs. »
Quel contraste entre la faiblesse des Juifs et la puissance de leurs ennemis. Ces derniers se précipitaient semblables à des bêtes féroces et à des lions prêts à se nourrir de leur chair, pleins de force et de colère ; eux, au contraire étaient plus faibles que le passereau. Mais les miracles de la puissance divine n’apparaissent jamais mieux que quand la faiblesse triomphe de la force insurmontable. Et puis, ce qui rendait ces embûches intolérables, ce n’était pas seulement la puissance redoutable des uns, leur colère, et leur soif de carnage, et fa faiblesse des, autres, leur petit nombre et leur peu de défense : mais, de plus, ces derniers étaient environnés de maux, comme enveloppés par les difficultés, et ayant de toutes parts des guerres à soutenir. Cependant, Celui qui est la puissance par excellence, dit le Psalmiste, et qui peut toujours sauver, quels que soient les maux et les périls dont on est environné, nous a délivrés avec une grande facilité. Tel est le sens de ces paroles : « Notre âme a été arrachée de leurs mains comme un passereau du filet des chasseurs. » – « Le filet a été rompu et nous avons été délivrés (7). » Mais comment cela s’est-il fait ? C’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre (8). » Comme il est fort, comme il est puissant, Celui qui est venu à leur secours ! Il a même fait disparaître ce qui servait à dresser des embûches. Tout ce qui précède peut être pris dans le sens anagogique et doit s’entendre du diable et du genre humain. Nous y voyons comment le Seigneur a renversé et détruit les pièges de Satan depuis le jour où il a dit à ses disciples : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions et toute la puissance de l’ennemi de votre salut. » (Lc. 9,19) Il ne s’agit plus d’une guerre ouverte, la partie n’est pas égale, notre ennemi est renversé par terre et abattu, tandis que nous sommes debout, le dominant et le frappant de haut. Il est sans force, tandis que nous sommes pleins de vigueur. Comment se fait-il alors qu’il triomphe si souvent ? C’est l’effet de notre lâcheté et de la paresse de ceux qui dorment ; si vous vouliez résister il n’oserait pas vous attaquer de front. S’il triomphe de ceux qui s’endorment, ce n’est point à cause de sa puissance, mais de notre négligence. Qui ne triompherait d’un homme endormi, fût-on le plus faible de tous ? Le fort est enchaîné, tous ses filets sont rompus, sa puissance brisée, sa demeure renversée, ses armes sans effet. Que faut-il de plus ? Pouvez-vous encore le craindre ? Pourquoi trembler ? On nous ordonne de fouler aux pieds celui qui est déjà terrassé. Encore une fois, pourquoi tremblez-vous ? pourquoi attendre pourquoi hésiter ? Oublions-nous clone quel est Celui qui nous doit secourir ? non seulement notre ennemi est devenu moins fort, mais notre secours est plus grand. Le triomphe de la chair a été arrêté, le poids du péché enlevé, et nous avons reçu la grâce du Saint-Esprit qui donne la force. « Ce qu’il était impossible que la loi fît, parce qu’elle était affaiblie par la chair, Dieu l’a fait, ayant envoyé son propre Fils revêtu d’une chair semblable à celle qui est sujette au péché ; et par le péché commis contre ce même Fils, lorsqu’il a été conduit à la mort, il a condamné le péché qui régnait dans notre chair, afin due la justice de la loi soit accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair. » (Rom. 8,3-4) Il nous a assujetti la chair, il nous a donné pour armure le bouclier de la justice, la ceinture de la vérité, le casque du salut, l’épée de la foi, le glaive de l’esprit. Il nous a laissé des arrhes, en nous présentant sa chair pour nourriture, son sang pour breuvage ; il nous a offert sa croix comme une lance, mais une lance qui ne cède jamais. Il a lié notre ennemi, il l’a terrassé. Il ne nous reste donc plus d’excuse si nous sommes vaincus, et si nous cédons, nous n’avons plus de pardon à espérer. Nous avons en effet mille moyens de vaincre.
« Le filet a été rompu », dit-il, « et nous avons été délivrés. Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » Nous avons donc pour général et pour roi Celui qui a créé l’univers, et qui par sa seule parole a produit tant d’êtres, et cette masse de la terre, et cette immensité de l’espace. Point d’abattement donc, mais résistez courageusement, rien ne peut vous empêcher de triompher.
Sachant cela, mes bien-aimés, soyons sobres, combattons vaillamment, ne nous endormons pas, mais après avoir préparé nos armes et raffermi notre courage, frappons notre ennemi avec ardeur, afin qu’après avoir remporté une victoire éclatante nous soyons mis glorieusement en possession du royaume des cieux. Puissions-nous l’obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.



EXPLICATION DU PSAUME CXXIV.

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1. « CEUX QUI METTENT LEUR CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR SONT FEMMES COMME LA MONTAGNE DE SION. »

ANALYSE.

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1 C’est par les épreuves et les tribulations que l’homme devient meilleur et semblable à ce juste du poète païen ; rien ne doit l’ébranler. L’homme, être raisonnable, n’est pas destiné à une vie molle et oisive, mais il doit lutter et combattre constamment, sans se laisser jamais abattre, à l’exemple de Daniel et des trois jeunes hommes dans la fournaise.

  • 2. La raison de sa confiance, c’est qu’il a pour protecteur un chef invincible qui ne permettra pas que les biens des justes, si enfants, soient aux mains des pécheurs. Il est si bon, du reste, qu’il ne nous punit que faiblement sur cette terre, pour nous rappeler à lui et nous faire mériter les récompenses éternelles. Mais il demande de nous un cœur droit, une lime franche et sans dissimulation : c’est à ces cœurs et à ces âmes qu’il promet la paix sur la terre et au ciel.


l. Que signifie : « de Sion ? » Pourquoi n’avoir pas dit simplement : « Comme une montagne », au lieu de nommer cette montagne ? – C’est pour nous apprendre que nous ne devons pas perdre courage dans les épreuves ni en être accablés ; mais mettre en Dieu toute notre espérance et tout supporter avec courage, les guerres, les combats et les troubles. De même que cette montagne, qui avait été autrefois déserte et sans habitants, était revenue à sa prospérité première, et dans son premier état, s’était de nouveau peuplée d’habitants et avait vu s’opérer des miracles ; ainsi l’homme fort, malgré les malheurs sans nombre qui l’accablent, ne sera jamais renversé. Ne recherchez donc pas une vie exempte de soucis et de peines, hais courageuse au milieu des dangers. Il y a bien de la différence entre rester tranquillement au port, et traverser la mer en fureur. Dans le premier cas on devient mou, lâche et énervé ; tandis que celui qui a eu à lutter contre les rochers cachés dans la mer, contre les écueils du rivage, la violence des vents et une foule d’autres périls et qui en a triomphé, a rendu son âme plus courageuse. C’est que cette vie ne nous a pas été donnée pour que nous la passions dans l’oisiveté, ou le découragement et à l’abri de l’adversité, mais afin que la souffrance nous rende plus illustres. Ne recherchez donc pas une existence oisive et inutile, semée de plaisirs et de délices. Ce n’est point là le désir d’un homme fort, d’un être raisonnable, mais plutôt d’un ver de terre, d’un animal sans intelligence. Priez surtout afin que vous n’entriez point en tentation ; que s’il vous arrive parfois d’y tomber, n’en soyez ni attristés, ni troublés, mais faites tous vos efforts pour en sortir meilleurs. Voyez un vaillant soldat : quand le clairon l’appelle il ne pense qu’au triomphe, à la victoire, aux couronnes, aux exemples de ses ancêtres qui se sont signalés. Vous aussi, quand la trompette spirituelle sonne, résistez avec le courage d’un lion : qu’on vous oppose le fer ou le feu, avancez. Les éléments eux-mêmes savent respecter les mâles courages. Les bêtes féroces, elles aussi, ont coutume de craindre les hommes valeureux, et malgré la faim. malgré la nature qui les aiguillonne et les excite, elles oublient tout en présence du juste, elles mettent un frein à leur courroux. Soyez donc remplis d’une sainte ardeur et vous ne craindrez pas les flammes, quand même vous les verriez s’élever jusqu’au ciel. Vous avez un chef généreux et tout-puissant qui d’un simple signe peut faire disparaître tout ce qui vous importune. Il tient tout en son pouvoir : le ciel, la terre, la mer, les animaux sauvages, et le feu. Il peut tout transformer, tout mouvoir à son gré. Je vous demande donc d’où peuvent venir vos craintes, sinon de votre lâcheté et de votre nonchalance personnelle. La mort n’est-elle pas le plus grand de tous les maux ? Eh bien ! ce n’est cependant qu’une dette que nous payons à la nature. Pourquoi ne travaillez-vous pas à vous la rendre profitable ? Puisqu’il faut bon gré, mal gré, avancer dans cette vie, pourquoi ne serait-ce pas à notre avantage ? Aux rudes épreuves de ce monde succéderont les biens de l’éternité, qui seront une source de jouissances infiniment au-dessus de la douleur présente. Que si ces épreuves vous paraissent insupportables, songez à ceux qui, sans aucune récompense, se consument à la longue, en proie à une faim continuelle, à des maladies incurables et longues qui leur font souvent souhaiter la mort. On en a vu qui se sont poignardés, d’autres qui se sont pendus pour en finir avec la vie. Pour vous, qui avez devant les yeux et le ciel et les biens qu’il renferme, vous ne craignez pas, vous ne tremblez pas d’être mous et lâches, surtout quand vous avez un aide aussi puissant ! Écoutez donc le Prophète qui vous crie : « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont fermes comme la montagne de Sion ; » voulant nous faire entendre par cette montagne, que notre confiance cri Dieu doit être immuable, solide, invincible et inexpugnable. Car, de même que les machines les plus nombreuses et les plus puissantes ne sauraient ni renverser, ni ébranler cette montagne, ainsi celui qui a placé en Dieu son espérance, résistera à toutes les attaques : il n’y a pas de montagne, en effet, dont la force puisse être comparée à la confiance en Dieu. – « Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé. » Une autre leçon porte – « Il sera inébranlable à tout jamais celui qui demeure près de Jérusalem. »
Mais quoi ? Daniel et les trois enfants ne lurent-ils pas ébranlés ? – Nullement, car s’ils furent expatriés, conduits en captivité, ils ne furent pas ébranlés un seul instant. Et au milieu d’une si grande perturbation de toutes choses, malgré la violence des flots, ils étaient immobiles comme le rocher et restaient tranquilles dans le port, sans éprouver rien de pénible. N’appelez pas ébranlement, l’émotion causée par les événements de la vie. Être ébranlé, c’est donner la mort à son âme, perdre sa vertu ; ce qui n’a pas lieu pour ceux qui sont sobres et vigilants au milieu des périls ; leur sagesse au contraire, y puise une nouvelle vigueur et ils en sortent avec plus d’éclat. Si vous voulez entendre dans un sens anagogique ces paroles : « Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé », représentez-vous la cité céleste. Ceux qui y sont parvenus sont à l’abri des épreuves. Il n’y a rien qui puisse les faire déchoir, ni passions, ni plaisirs, ni occasion de pécher, ni douleur, ni ennui, ni danger : tout cela est bien loin. – « Jérusalem est environnée de montagnes et le Seigneur est autour de son peuple pour le défendre dès maintenant et pour toujours (2). » Ces paroles signifient que Jérusalem tire un grand secours de sa position même, mais le Prophète ne veut pas qu’elle s’y confie, et il l’élève jusqu’à un autre secours inexpugnable, qui est Dieu.
2. Sans doute, dit le Psalmiste, les montagnes la défendent, mais il lui faut encore un protecteur qui la rende inexpugnable, selon cette parole d’un autre interprète : « Le Seigneur environne son peuple. » En d’autres termes, ne vous fiez pas à la hauteur des montagnes, car ce qui rend Jérusalem inexpugnable, c’est que « le Seigneur ne laissera pas toujours le sort des justes sous la verge des pécheurs(2). » Montrant ainsi aux justes un motif légitime d’attendre le secours de Dieu, et de s’y confier. Quel est ce motif ? C’est que le Seigneur ne laissera pas les biens des justes aux mains des pécheurs : paroles bien propres à nous faire confier dans l’assistance divine et à persévérer dans la vertu, puisque c’est le moyen de jouir à jamais de son secours et de conserver nos biens. Il résulte de là, en effet, qu’il ne tient qu’à nous d’avoir la paix et de n’être pas dépouillés. Ici « la verge des pécheurs », signifie le règne de nos ennemis et ce verset peut s’entendre ainsi : il ne permettra pas que les pécheurs s’emparent de l’héritage des justes. Si parfois le contraire a lieu pour un temps, c’est à titre de correction, de châtiment et de leçon. « De peur, que les justes a n’étendent la main vers l’iniquité. » Ou bien : « C’est pourquoi les justes n’étendent point les mains vers l’iniquité. » Comme il a été dit que le Seigneur les défendrait, les vengerait ; repousserait leurs ennemis, et les maintiendrait dans leurs possessions, le Psalmiste semble ajouter maintenant : Châtiés par les épreuves et rendus meilleurs par les biens qu’ils auront reçus, les justes auront, pour persévérer dans la vertu, un double motif qui les préservera du mal. Tout a donc été fait pour rendre leur âme meilleure ; l’adversité a servi à la corriger, et les faveurs reçues à augmenter son zèle. – « Faites donc du bien, Seigneur », ou bien, « accordez vos bienfaits à ceux qui sont bons et dont le cœur est droit (4). » – Mais pour ceux qui se détournent dans les voies obliques, le Seigneur les joindra à ceux qui commettent l’iniquité (5). » C’est ainsi qu’en toute circonstance les biens que nous recevons, les châtiments que nous encourons, dépendent de nous. Toutefois, la bonté de Dieu n’en brille pas avec moins d’éclat, car elle triomphe de nos résistances par des récompenses qu’elle nous distribue avec une largesse extraordinaire. Tombons-nous en faute ? elle ne nous inflige qu’une faible peine ; tandis qu’elle paye le bien que nous avons fait par une récompense infiniment au-dessus de nos mérites.
Par « cœurs droits » on entend ici les cœurs simples, ennemis de la dissimulation, ignorant les détours ou les feintes. Dieu attache un tel prix à la droiture que partout il la met en première ligne. Telle est aussi la vertu, simple et franche, contrairement au vice qui est hideux, ami des détours et de l’obscurité. Des exemples feront mieux ressortir la chose. Voyez celui qui veut monter et dresser des embûches : que d’essais, que de tentatives variées, de discours trompeurs ! quel artifice ! quelle éloquence ! Chez celui qui dit la vérité, au contraire, il n’y a ni travail, ni difficulté, ni feinte, ni art, ni fourberie, ni rien de semblable, car la vérité se montre assez par elle-même. Et comme les corps difformes ont besoin de beaucoup d’art et de déguisements pour masquer leur laideur naturelle, tandis que ceux qui sont naturellement beaux, se prisent assez, sans avoir besoin d’un éclat emprunté, ainsi en est-il de la vérité et du mensonge, de la vertu et du vice. D’où il résulte clairement, qu’indépendamment de la justice divine, le vice porte avec lui son supplice et la vertu sa récompense. Et de même que celle-ci a en elle des récompenses qui précèdent les couronnes immortelles, ainsi le vice contient un châtiment qui devance la punition de Dieu. Car en fait de châtiment, y en a-t-il de plus grave que le péché lui-même ? Aussi saint Paul parlant de ceux qui exercent des métiers infâmes, en prostituant la fleur de l’âge et en renversant les lois de la nature, a-t-il proclamé que leurs actions étaient leur plus grand supplice, même avant tes châtiments de Dieu : « Les hommes commettant avec les hommes une infamie abominable, et recevant ainsi en eux-mêmes la juste peine qui était due à leur erreur. » (Rom. 1,27). Appelant ainsi récompense du péché, le péché lui-même et les excès auxquels il porte. « Que la paix soit sur Israël. » Le Psalmiste termine par une prière. Telles sont les âmes des saints : à l’exhortation, aux conseils, ils joignent la prière pour donner à leurs auditeurs le plus grand secours possible. Il s’agit ici non de la paix terrestre, mais de celle qui est infiniment au-dessus. Le Prophète dit d’où elle vient et il demande que l’âme ne se jette pas dans un trouble funeste en entrant en guerre avec elle-même. Recherchons-la, nous aussi, cette paix, afin de pouvoir obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


EXPLICATION DU PSAUME CXXV.

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1. « LORSQUE LE SEIGNEUR A FAIT VENIR CEUX DE SION QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS AVONS ÉTÉ COMBLÉS DE CONSOLATIONS. » UN AUTRE INTERPRÈTE DIT : « LORSQUE LE SEIGNEUR AURA FAIT REVENIR CEUX QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS SERONS CONSOLÉS. »

ANALYSE.

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  • 1. On distingue plusieurs captivités, mais la pire de toutes, c’est celle qui consiste à être sous la domination de Satan. Il n’y a pas tyran plus impitoyable, comme il l’a bien fait voir par l’exemple de Judas. Heureux au contraire ceux qui sont les serviles captifs de Notre-Seigneur : ils ont tout lieu de se glorifier, comme saint Paul.
  • 2. Peur recueillir les joies da ciel, il faut semer ici-bas dans les larmes de l’affliction, car de même que la terre doit être bouleversée et déchirée pour rapporter du fruit, ainsi l’âme a besoin d’être remuée et agitée par les tribulations de toutes sortes, pour produire tes fruits de vertu qui lui mériteront les récompenses éternelles. La pluie arrose et féconde la terre, les larmes sont la rosée fécondante de l’âme : Heureux donc ceux qui sèment dans les larmes, ils recueilleront les joies et l’allégresse de l’éternité !


1. Le mot « captivité » n’a qu’une signification, il est vrai, mais il s’entend de bien des façons. Il y a, en effet, une bonne captivité, selon ce mot de saint Paul : « Réduisant en captivité tous les esprits pour les soumettre à Jésus-Christ (2Cor. 10,5) », et il y en a une mauvaise, d’après ces autres paroles : « Traînant après eux, comme captives, des femmes chargées de péché. » (2Tim. 3,6) Il y a une captivité spirituelle exprimée ainsi par Isaïe : « Prêchez la grâce aux captifs (Is. 61,1) ; » et il y a une captivité matérielle, sensible, infligée par l’ennemi. De ces deux dernières, la première est la plus grave, car souvent ceux qui ont fait des prisonniers de guerre, épargnent les vaincus, et quand même ils leur ordonneraient de transporter du bois, de l’eau, ou des vivres pour les chevaux, ils ne peuvent atteindre leur âme. Celui, au contraire, qui est devenu l’esclave du péché a un maître dur et intraitable, qui le force à faire les choses les plus honteuses et les plus déshonorantes, car la tyrannie du vice ne pardonne pas, elle est s’ans pitié. Aussi, voyez comment après avoir rendu captif le misérable et infortuné Judas, elle est cruelle à son égard au point d’en faire un sacrilège et un traître. Et puis, après qu’il a commis son crime, elle le conduit en présence des Juifs pour qu’il avoue sa faute : mais ne voulant pas que cet aveu lui serve, elle le potasse à se pendre au lieu de lui laisser recueillir les fruits de sa pénitence. C’est un tyran redoutable, en effet, que celui qui nous commande le mal et qui déshonore ceux qui lui obéissent. C’est pourquoi, je vous en conjure, fuyons son empire avec le plus grand soin, luttons avec lui, qu’il n’y ait pas de réconciliation possible, et une fois délivrés, demeurons clans notre liberté.
Si ceux qui ont échappé à la captivité des barbares ont été consolés, à plus forte raison, nous qui avons été arrachés au, joug du péché devons-nous être dans la joie et l’allégresse et conserver à jamais notre bonheur, évitant de le troubler ou de le perdre en retombant aussitôt dans les mêmes fautes.
« Nous avons été comblés de consolation. » Ou selon d’autres interprètes d’accord avec l’hébreu : « Nous avons été comme des gens qui rêvent. » (Dans l’étonnement où nous étions notre délivrance nous a paru comme un songe) Que signifie le mot : « Consolés ? » C’est-à-dire, remplis de repos, de joie et de plaisir. – « Alors notre bouche a été remplie de cantiques de joie et notre langue de cris d’allégresse. Alors on dira de nous, parmi les nations : le Seigneur a fait de grandes choses en leur faveur (2). – Oui, le Seigneur a fait pour nous de grandes choses (3). » En d’autres termes : la joie que nous ressentons d’être délivrés de la captivité ne doit pas peu contribuer à nous rendre meilleurs. – Mais le moyen, direz-vous, de ne pas se réjouir d’un tel bien ? – Cependant, quand leurs pères eurent été affranchis de la servitude d’Égypte et remis en liberté, par la plus noire ingratitude ils murmuraient malgré les biens dont ils étaient comblés, ils s’indignaient, ils étaient tristes, mécontents. Pour nous, semblent-ils dire, il en sera tout autrement : nous nous réjouissons, nous sommes dans l’allégresse, apprenez d’eux le sujet de leur joie. – Nous nous réjouissons, s’écrient-ils, non seulement parce que nous avons été délivrés de nos maux, mais encore parce que tous verront par là que Dieu prend soin de nous. « Car alors, on dira de nous parmi les nations : Le Seigneur a fait de grandes choses en leur faveur. Oui, le Seigneur a fait pour nous de grandes choses. » Cette répétition ne sert qu’à faire mieux ressortir le sujet de leur joie. Dans le premier cas, ce sont les nations qui parlent, dans le second membre de phrase ce sont eux-mêmes. Et puis, remarquez qu’ils n’ont pas dit : « Le Seigneur nous a sauvés ; » ni, « le Seigneur nous a délivrés ; » mais, « il a fait pour nous de grandes choses », afin de faire éclater davantage la conduite admirable et merveilleuse de Dieu à leur égard. Et c’est ainsi, comme je vous l’ai fait observer bien des fois, que le monde entier était instruit par ce peuple tandis qu’il était conduit en, captivité et rendu à la liberté. Leur retour lui-même était comme une prédication, car on parlait d’eux partout, la miséricorde de Dieu envers eux brillait à tous les regards à cause des miracles frappants dont ils avaient été l’objet et qui dépassaient tout ce qu’on pouvait imaginer. Aussi bien, Cyrus qui les retenait les laissa partir sans qu’on l’en priât, mais parce que Dieu avait fléchi son cœur ; et non content de les renvoyer il voulut encore les combler de largesses et de présents. « Et nous en sommes remplis de joie. – Seigneur, faites revenir nos frères captifs, qu’ils se répandent dans cette terre comme un torrent dans le pays du midi » Comment le Prophète a-t-il pu dire ait commencement de ce psaume : « Lorsque le Seigneur a fait revenir ceux de Sion qui étaient captifs ? » et ici : « Faites revenir », comme s’il s’agissait d’une chose future ? Du reste, ce dernier sens nous est particulièrement indiqué par la version qui porte, non point : « Lorsque le Seigneur a fait revenir ; » mais bien : « Lorsque le Seigneur aura fait revenir ; » parce que la chose était alors commencée et qu’elle ne fut pas accomplie tout d’un coup, car il y eut plusieurs captivités : on en compte trois.
2. Voici donc ce qu’on peut dire : Le Prophète demande que la délivrance soit complète et absolue, contrairement au désir de beaucoup de Juifs qui voulaient rester au milieu des barbares, et dans son immense désir de la voir se réaliser, il s’écrie : « Faites revenir le reste de nos frères captifs. « Qu’ils se répandent dans cette terre comme un torrent dans le pays du midi. » En d’autres termes, excitez-nous, pressez-nous avec une grande ardeur et une grande violence. C’est ce que voulaient exprimer d’autres interprètes quand ils disaient : « Qu’ils se répandent comme des canaux ; » ou bien : « Comme des bassins qu’on vide ; » ou bien encore : « comme des écluses qu’on ouvre. – Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie (5). » Ces paroles ont été dites des Juifs, mais elles peuvent trouver leur application dans bien d’autres cas. C’est en effet le propre de la vertu d’être largement récompensé de ses peines. Mais il faut d’abord commencer par travailler et par souffrir avant de chercher le repos. C’est du reste ce qui a lieu pour tout ce qui se rapporte à cette vie. Et voilà pourquoi le Psalmiste y fait allusion dan : t son discours, en nous parlant du semeur et de la moisson. De même que celui qui sème doit travailler, souffrir, endurer le chaud et le froid, ainsi en est-il de celui qui est à la poursuite de la vertu. C’est que rien n’est, moins que l’homme, fait pour le repos ; et voilà pourquoi Dieu a rendu étroit et difficile le chemin qui conduit à la vertu. Bien plus, ce n’est pas seulement la vertu qui est pénible, mais c’est tout ce qui a rapport à cette vie, et même à un plus haut degré. Car, celui qui sème comme celui qui bâtit, le voyageur, le charpentier, l’artisan, quiconque en un mot, veut se procurer quelque avantage, doit travailler et souffrir : et de même qu’il faut les pluies aux semeurs, il nous faut les larmes ; et comme la terre a besoin d’être labourée et retournée, ainsi l’âme fidèle a besoin des tentations et des afflictions pour l’empêcher de produire des mauvaises herbes, pour la rendre plus souple et tempérer son effervescence et son orgueil. Car la terre, elle aussi, ne produit rien de bon, si on ne la cultive avec soin. Le Prophète veut donc que les Juifs se réjouissent non seulement de leur retour, mais encore de leur captivité et qu’ils remercient Dieu de ces deux bienfaits. Voilà pour le semeur, passons maintenant à ce qui regarde la moisson.
Semblables, leur dit-il encore, à ceux qui sèment avec peine pour recueillir ensuite des fruits abondants, on vous a vus pendant votre captivité affligés, repoussés, persécutés, supportant l’hiver, la rigueur des saisons, la guerre, les pluies, le froid et la glace et répandant des larmes. – Car les larmes sont à l’affliction ce que les pluies sont aux semences. Mais voici que vous avez reçu la récompense de toutes ces peines. Ainsi donc ces paroles : – « En s’en allant, ils marchaient en pleurant et ils répandaient leur semence (6). Mais en s’en revenant ils marcheront avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson », doivent s’entendre non du blé, mais des événements de la vie, et elles nous apprennent à ne pas nous inquiéter et à ne pas gémir dans les afflictions. De même que celui qui sème ne se laisse pas abattre par les difficultés sans nombre qu’il rencontre, dans la prévision d’une moisson splendide et abondante, ainsi celui qui est éprouvé ne doit pas s’inquiéter ni se tourmenter, quelle que soit la grandeur de ses maux, dans l’attente d’une riche moisson, et en considération des avantages nombreux dont l’affliction est pour lui la source. Que ces mêmes réflexions nous fassent remercier Dieu des épreuves comme du repos et de la paix. Quelle que soit la diversité des événements, tous tendent au même but comme pour la semence et la moisson. Supportons donc les adversités avec un cœur fort et généreux, en rendant grâces à Dieu dont nous célébrerons également la gloire dans le repos et la prospérité, afin de mériter les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXVI.

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1. « SI LE SEIGNEUR NE BÂTIT UNE MAISON, C’EST EN VAIN QUE TRAVAILLENT CEUX QUI LA BÂTISSENT ; SI LE SEIGNEUR NE GARDE UNE VILLE, C’EST EN VAIN QUE VEILLE CELUI QUI LA GARDE. – 2. C’EST EN VAIN QUE VOUS VOUS LEVEZ AVAIT LE JOUR, LEVEZ-VOUS APRÈS QUE VOUS VOUS SEREZ REPOSÉS. »

ANALYSE.

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  • 1. L’essentiel pour l’homme, c’est d’attirer sur lai la protection divine ; sans elle, tous ses efforts seront vains, toutes ses peines inutiles, avec elle au contraire, il réussira toujours biais il ne faut pas qu’il se contente d’implorer cette protection et qu’il reste ensuite trois la nonchalance et le repos, mais il doit déployer toute son énergie. C’est à cette condition que le Seigneur l’assistera.
  • 2. Avec cette assistance divine, tout prospérera, tout lui réussira, et il trouvera dans les épreuves mêmes une source de bonheur et de joie ; car le comble de la félicité et le souverain bien consistent à être armés du secours d’en haut. C’est ce que, nous voyons se réaliser pour les Juifs quand ils viennent relever Jérusalem.


1. Ce psaume traite de l’état des choses après le retour des Juifs. Délivrés de la captivité, sortis du milieu des barbares, ils trouvèrent leur ville en ruine, leurs murailles et leurs tours renversées, et ils s’efforcèrent de les relever ; mais leurs voisins en grand nombre les attaquaient de toutes parts, pour les en empêcher, soit jalousie de leur bonheur, soit crainte de leurs succès. Cependant le temps marchait, et avec une telle rapidité, qu’on employa plus de quarante ans, seulement pour construire le temple, comme les Juifs le proclamèrent plus tard : « On a été quarante-six ans à bâtir ce temple. » (Jn. 2,20) Paroles qui doivent s’entendre non de la première construction faite par Salomon, mais de celle qui fut exécutée après la délivrance de la domination des Perses. Ainsi donc, comme la construction de la ville, du temple et des murailles exigeait beaucoup de temps (car il en fallut considérablement pour relever la ville), le Psalmiste l’exprime de la sorte pour apprendre aux Juifs à recourir à Dieu, en leur montrant que tous leurs efforts seront vains et inutiles, s’ils n’attirent sur eux le secours divin. Car non seulement ce secours leur a été indispensable pour être délivrés de la captivité, mais il l’est encore afin qu’après leur délivrance ils puissent relever leurs murailles. Et sans parler de murs à élever, ni de ville à bâtir, quand même tout cela serait terminé et parfaitement organisé, on ne pourrait pas même les garder sans l’assistance divine. En parlant ainsi, le Prophète voulait, par tous les moyens possibles, porter les Juifs à implorer la protection d’en haut, car il craignait que le repos et la prospérité ne les rendissent, pus négligents. C’est pour les mêmes raisons que Dieu ne leur donna pas tous ses bienfaits à la fois et d’un seul coup, mais successivement et à la longue, de peur que, délivrés trop promptement de leurs maux ils ne retombassent dans leurs premiers égarements. Et puis, à mesure qu’il leur accordait ses biens, il les avertissait fréquemment, en réveillant de temps en temps leur torpeur par les attaques de l’ennemi. Par conséquent, ce qui est dit ici ne doit pas être restreint au cas particulier dont il s’agit, hais il faut y voir un principe général qui s’applique à tout, et en conclure que dans les événements de la vie, nous ne devons jamais être lâches ni nous laisser abattre, mais faire tous nos efforts et ensuite nous abandonner complètement à la volonté du Seigneur, plaçant en lui toutes nos espérances. De même que sans l’aide de Dieu nous ne pourrons réussir en rien, ainsi notre négligence et notre lâcheté paralyseront son assistance au point de nous empêcher d’arriver à nos fins. « C’est en vain que vous vous levez avant le jour pour vous enrichir par votre travail. Levez-vous après que vous vous serez reposés. » Un autre interprète dit : « C’est en vain que vous attendez pour vous reposer », et un troisième : « Que vous différez de vous reposer. » Ce qui revient à dire : malgré votre vigilance, quoique vous vous leviez de grand matin et que vous vous couchiez fort lard, passant tout votre temps à travailler et à souffrir, sans le secours d’en haut, tous ces efforts purement humains n’aboutiront à rien, et toute cette application, toute cette peine seront sans fruit.
« Vous qui mangez d’un pain de douleur. » Ces dernières paroles nous font voir combien pénible est la vie des Juifs qui sont obligés d’être sous les armes pour bâtir. C’est qu’en effet, d’une main ils portaient la corbeille ou la pierre et de l’autre le glaive, obligés qu’ils étaient de se partager pour travailler et pour combattre et de joindre des armes à leurs instruments de travail. Car la ville était sans fortifications et par conséquent à découvert, ils craignaient à chaque instant les attaques de l’ennemi. C’est pourquoi ils se tenaient sous les armes, pour élever leurs murs, tout prêts à saisir le glaive ou l’épée au cas où les sentinelles avancées donneraient le signal d’une irruption soudaine en sonnant de la trompette aussitôt qu’ils verraient un mouvement. Mais malgré tant de précautions, ajoute le Psalmiste, quand même vous « mangeriez le pain de la douleur », vos efforts seront inutiles à moins que vous n’attiriez sur vous la protection divine. Que si, pour relever une ville et der murailles, l’assistance du Seigneur était si indispensable, quel besoin plus grand n’en avons-nous pas, nous qui voulons parcourir la voie qui conduit au ciel ? car « après le sommeil qu’il aura donné à ses bien-aimés ils verront naître des enfants qui seront comme un héritage et un don du Seigneur (3). » Que signifie cette conclusion ? – Elle est admirable et bien en harmonie avec ce qui précède, car elle revient à ceci : sans l’aide de Dieu rien ne subsiste ; mais qu’il paraisse, il apporte avec lui, le sommeil agréable, le repos, la vie exempte de périls et pleine de sécurité.
2. Lors donc que Dieu aura donné le repos à ses enfants, quand il aura réparé leurs forces, repoussé cens qui les attaquaient, non seulement ils pourront bâtir leur ville et la garder, mais ils recevront des biens infiniment plus importants : ils deviendront les pères de nombreux enfants, et leur postérité croîtra brillante. Et ainsi « le fruit de leurs entrailles sera la récompense de leurs travaux », ou bien « leur récompense sera la fécondité du sein de la mère. » En d’autres termes, ils recevront en récompense une postérité nombreuse. Car bien que ce soit là une chose qui paraisse toute naturelle, quand Dieu s’en mêle, elle réussit mieux ; le secours d’en haut lui est même indispensable, et c’est la condition pour que Jérusalem soit peuplée d’habitants. Mais tout leur bonheur consistera-t-il à élever une ville, à la bien garder, à posséder une postérité nombreuse ? – Non, car à ces biens viendront s’en ajouter d’autres que le Psalmiste nous indique dans les paroles suivantes : « Telles sont les flèches dans la main d’un homme fort, tels sont les enfants de ceux qui ont été éprouvés par l’affliction », ou, selon une autre version, par la captivité : » Ce qui revient à dire : non seulement ils seront en sûreté derrière leurs murailles, et dans l’intérieur de leur ville fortifiée, non seulement leur postérité sera nombreuse, mais, de plus, ils seront terribles pour leurs ennemis et redoutables comme des flèches. Et remarquez qu’ils ne sont pas comparés simplement à des flèches, mais « à des flèches dans la main des forts. » Les flèches en effet ne sont pas terribles par elles-mêmes, et c’est seulement quand elles sont lancées par un bras vigoureux qu’elles portent la mort où elles sont dirigées. C’est donc ainsi qu’ils seront terribles. Mais de qui s’agit-il ? – « Des enfants de ceux qui ont été éprouvés par l’affliction. » C’est-à-dire, de ceux qui étaient autrefois faibles et enchaînés. Le Prophète rappelle souvent aux Juifs, pendant leur prospérité, les malheurs du passé, afin de ramener leur esprit à de meilleurs sentiments, et par les maux qu’ils ont soufferts et dont ils sont délivrés, et par les biens qui les attendent. – « Heureux l’homme qui a accompli son désir en eux ; de tels enfants ne seront point confondus lorsqu’ils parleront à leurs ennemis à la porte de la ville (5). » – On lit dans l’hébreu : « Heureux l’homme qui a rempli son carquois de telles flèches ; » parce qu’avec cette grâce ils obtiendront la force du corps, une vigueur irrésistible, une nombreuse et belle famille, la sécurité et la splendeur de la cité, la victoire et le triomphe dans les guerres. Aussi le Psalmiste proclame-t-il bienheureux ceux auxquels est réservée une pareille félicité, car, dit-il, ils seront armés pour la défense. Mais ce ne sera pas encore là tout leur bonheur : ils auront de plus, le privilège de ne pouvoir être humiliés. « Ils ne seront point confondus lorsqu’ils parleront à leurs ennemis à la porte de la ville. » Que signifient ces paroles, sinon, la plus grande gloire, la plus belle illustration, le comble de l’allégresse et de la félicité ? On ne pourra plus leur reprocher d’avoir un Dieu qui n’a pas eu soin d’eux, un Dieu impuissant, ou bien un Dieu fort dont leurs péchés ont éloigné l’assistance. Illustres en tout, à cause de leur ville, de leurs murailles, de leurs forteresses, de leurs enfants, de leurs armes, de leur puissance, ils ne se cacheront pas de honte à la vue de leurs ennemis, mais ils marcheront vaillamment leur rencontre, pleins de confiance et d’ardeur, parce que Dieu montrera toujours qu’il s’est chargé de leur défense. Le comble de leur félicité et leur souverain bien consistent désormais à être armés du secours d’en haut. Et le Prophète termine son psaume par ces paroles pour nous apprendre à rechercher, nous aussi, cet ornement qui doit faire notre unique gloire. Que tel soit donc le but de tous nos efforts, et nous serons dignes des biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre – Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, en union avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXVII.

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1. « HEUREUX TOUS CEUX QUI CRAIGNENT LE SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. Il n’y a de bonheur possible ici-bas, que dans la crainte du Seigneur ; les richesses, la santé, la gloire, les honneurs, les joies de la famille ne procurent qu’une félicité mensongère et toujours incomplète. Dieu seul fait trouver la joie jusque dans les épreuves de ses saints, comme le prouve l’exemple de Joseph à la cour de Putiphar.
  • 2. La sainteté conservée n’est pas nécessaire pour cela. Ceux qui, après l’avoir perdue par le péché l’ont recouvrée par la pénitence, jouissent des mêmes avantages, témoins le bon larron et Madeleine. Dieu fait tourner toutes ces choses à l’avantage de ceux qui le craignent et qui vivent dans ses voies, comme on le voit par ce qui arriva à Lazare et à Job.
  • 3. II faut, qu’à l’exemple de tous ces saints, nous soyons occupés à louer et à remercier Dieu au milieu de nos tribulations, bien persuadés que ce qui nous arrive ici-bas n’est rien en comparaison du bonheur qui nous attend au ciel.
  • 4. Ayons donc ce bonheur sans cesse présent à l’esprit, qu’il soit l’objet de toutes nos pensées et de toutes nos demandes, comme nous l’indique la prière que Notre-Seigneur lui-même nous a enseignée, et qui, sur sept demandes, en renferme à peine une ayant trait aux choses temporelles. La volonté des hommes, leurs actions bonnes ou mauvaises arrêtent le cours des bienfaits de Dieu en suspendant l’effet de ses menaces. Veillons donc sans cesse et prions.


1. Remarquez au commencement de ce psaume, la même idée qu’à la fin du précédent. Car, de même que le Prophète proclamait bienheureux et à l’abri de l’humiliation, ceux qui avaient Dieu pour aide et pour protecteur, aussi commence-t-il par exprimer la même pensée en disant : « Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur ! » Et comme précédemment, partant de cette idée qui lui sert de principe, il parle en général, il a bien raison de dire : « Tous ceux, n pour montrer que maître ou esclave, pauvre ou difforme de corps, tout le monde peut parvenir à cette béatitude qu’il proclame. Il y a bien un autre bonheur vain, mensonger, que beaucoup vantent, et qu’une foule de circonstances réunies procurent à peine. Car remarquez que si une seule de ces circonstances vient à manquer, cette félicité humaine disparaît. Ainsi par exemple qu’un homme soit riche, ce n’est point assez pour son bonheur s’il n’a encore la santé. Ou bien, si ce riche est difforme de corps, son bonheur est incomplet, il est plus malheureux que les pauvres. Beaucoup de riches luttant contre les maladies proclament bienheureux les pauvres qui parcourent les routes en mendiant, et ils s’estiment très-misérables avec dix mille talents. Mais supposons la santé unie aux richesses, si la gloire et les honneurs font défaut, ce n’est rien encore ; car l’on rencontre des mortels, possesseurs d’immenses trésors et d’une santé parfaite, et qui souffrent beaucoup en considérant ceux qui sont au premier rang. Ils se croient les plus malheureux parce qu’ils sont exclus des honneurs, et, pour les obtenir, ils rampent devant ceux qui souvent sont au-dessous de leurs propres esclaves.
J’admets encore la gloire, les richesses, la santé, il faudra que vous y ajoutiez la sécurité, ou bien cet heureux du siècle en butte aux intrigues, à l’envie, à la malveillance, à la haine, aux accusations calomnieuses, sera le plus infortuné, passant sa vie à trembler comme un lièvre, se déliant de son ombre et regardant tout le monde avec effroi. Mais aucun de ces inconvénients n’existe : notre homme est aimé de tous, tout lui réussit à souhait ; à lui la gloire, les richesses, la sécurité, les honneurs (choses qui ne sauraient aller ensemble ; mais supposez-les un instant réunies). Eh bien ! quoique la prospérité l’inonde, que rien ne lui résiste, que l’amour de ses semblables, la santé du corps, une paix parfaite, la victoire et la domination sur tous concourent à son bonheur, je le vois cependant plus à plaindre que ceux qui n’ont rien de tout cela, parce qu’il est uni à une femme méchante et perverse. Mais sa femme est parfaite et selon ses désirs, seulement ses enfants sont mauvais ; et alors comment voulez-vous qu’il ne soit pas le plus infortuné ? Ou bien, il n’en a point et pour le coup il pleure et se lamente. Et c’est ainsi qu’en considérant chacune des choses humaines on ne rencontre que misères. À quoi bon poursuivre cet examen ? – Souvent il suffit d’un serviteur pervers pour tout bouleverser, tout confondre, en sorte que rien n’est si peu stable due la gloire qui vient des hommes.
Que bien différent est celui qui craint Dieu. A l’abri des flots tumultueux (lui monde il reste assis au port, où il jouit d’une véritable et solide félicité. Aussi le Prophète ne voit que lui à proclamer bienheureux. C’est que la félicité du monde n’est parfaite qu’autant que tout contribue à la procurer ; et même malgré ce concours, elle est bientôt ébranlée par les choses même qui ont servi à la former. C’est la fortune qui a subi un échec, c’est une épouse, souvent fort belle, qui vous est ravie par la mort ; ce sont des serviteurs qui vous ont trahi ; des fils qui ont été parricides ; enfin, comme je l’ai déjà dit, ce bonheur n’offre partout qu’incertitude et déception. Pour celui qui craint Dieu, au contraire, quand tout s’élèverait contre lui, non seulement sa félicité n’en recevrait aucune atteinte, mais elle en deviendrait plus solide et plus durable. Ni la pauvreté, ni l’ignominie, ni les difformités corporelles, ni la malice d’une épouse, ni la perversité des enfants, rien en un mot de tout ce qu’on peut imaginer, ne saurait affaiblir ni altérer ce bonheur. Comme il ne repose sur aucun de ces objets, leur ruine ne saurait l’atteindre : c’est au ciel qu’il prend sa source, et voilà ce qui le rend inattaquable. Mais si vous le voulez, confirmons par des exemples, ce que nous avançons. Voyez Joseph : il est esclave, sur une terre étrangère, loin de sa patrie, au pouvoir des barbares, des Sarrasins d’abord, puis des cruels Égyptiens ; il est accusé d’adultère, mis en jugement, exposé aux calomnies, jeté en prison, chargé de fers. Quelle atteinte reçoit-il de toutes ces épreuves ? – Aucune ; elles sont pour lui au contraire une source de bonheur. Et ce qui est surtout admirable, comme je vous l’ai déjà observé, c’est que non seulement les adversités ne sauraient porter atteinte à cette félicité, mais elles la rendront plus éclatante. Car, sans les circonstances dont nous venons de parler, Joseph n’eût pas été aussi heureux.
2. Faut-il vous parler maintenant de ceux qui, après s’être plongés dans le vice, ont été subitement transformés et se sont dépouillés de toutes leurs iniquités ? Quoi de plus misérable que le bon larron ? – Et dans un instant il devint le plus heureux des mortels. Cependant il avait commis une foule de meurtres qui lui avaient valu le supplice de la croix et il était prêt de mourir : tous l’accusaient ; tout son temps s’était consumé, toute sa vie s’était passée dans le crime ; mais pendant un court moment il craignit Dieu comme il fallait, et il devint heureux. La pécheresse publique avait fait de sa beauté un trafic honteux, elle s’était livrée aux outrages de tous, ce qui en avait fait la dernière des créatures, mais elle fut heureuse à L’instant où elle craignit Dieu comme il fallait. C’est qu’il n’y a aucun mal qui ne disparaisse devant la crainte du Seigneur. De même que le feu rend brillant et beau le fer, quelque tortueux et souillé qu’il soit, en enlevant la rouille et en corrigeant complètement tous les défauts, ainsi la crainte de Dieu opère en un clin d’œil les mêmes transformations et aucun événement ne peut abattre ceux qui sont sous sa protection. Timothée n’était-il pas faible, continuellement exposé aux maladies et à la souffrance ? Qui fût plus heureux que lui cependant ? Et Job ? – Privé de ses biens, de ses enfants, couvert d’ulcères, chargé d’opprobres, d’insultes et d’injures, n’était-il pas en outre tourmenté par la faim et par tous les maux humains ? Et cependant, quel bonheur comparable au sien ? non seulement aucune de ces épreuves ne l’abattit, mais il en devint plus fort. Ajoutez à tout cela les invectives dont le chargeait sa femme, et qui ne servirent qu’à faire éclater davantage sa fermeté. Aussi bien, est-ce la considération de tous ces exemples qui faisait dire au Prophète : « Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur et qui marchent dans ses voies ! » Vous auriez pu penser que la crainte seule suffisait si le Psalmiste n’eût ajouté : « Qui marchent dans ses voies. » Ce qui prouve qu’il faut deux choses : « Craindre et marcher. » Car on en a vu qui avaient une foi parfaite, mais que leur vie coupable rendait les plus misérables des hommes. Et c’est pour ne point paraître applaudir à leur état que le Prophète a ajouté : « Qui marchent dans ses voies. » Et quelles sont ses voies, sinon la vie vertueuse ? Car c’est par elle qu’on peut monter au ciel, parvenir à cette cité par excellence, voir Dieu lui-même autant qu’il peut être vu par la créature. On les appelle « les voies de Dieu », parce que c’est par elles qu’on peut parvenir à Dieu dans le ciel : on ne dit pas « la voie », mais « les voies », pour marquer qu’elles sont nombreuses et variées. Dieu nous en prépare plusieurs afin qu’à raison de leur nombre, il nous soit plus facile d’y entrer. En effet, parmi les hommes, les uns sont remarquables par la virginité, d’autres vivent honnêtement dans le mariage, d’autres dans la viduité ; ceux-ci ont tout abandonné, ceux-là une partie seulement ; il en est qui s’avancent par la voie droite, d’autres par la pénitence. Et ainsi le Seigneur a mis à notre disposition un grand nombre de voies afin que nous y entrions facilement. Vous n’avez pu conserver la pureté de votre baptême, mais vous pouvez la recouvrer par la pénitence, par vos libéralités ou vos aumônes. L’argent vous manque ? Vous pouvez visiter les malades, consoler les prisonniers, donner l’hospitalité, un verre d’eau, offrir deux oboles, comme la veuve, gémir avec ceux qui sont dans l’affliction, car c’est là un genre d’aumône. Mais vous manquez de tout, vous êtes si pauvre, votre corps est si débile que vous ne pouvez exécuter aucun mouvement ! Supportez toutes ces privations avec courage, rendant grâces à Dieu, et vous recevrez une grande récompense. C’est précisément en cela que consista la belle conduite de Lazare : car il n’aida personne de ses richesses. Comment l’aurait-il pu, lui qui manquait des aliments nécessaires ? Il n’entra dans aucun cachot, dans l’impossibilité où il était de se tenir debout, ou de se soutenir. Il ne visita aucun malade – comment l’aurait-il pu, lui dont les chiens léchaient les ulcères ? Et cependant il obtint la récompense promise à la vertu pour avoir supporté avec courage les épreuves de sa position, et pour n’avoir pas laissé échapper le plus petit murmure en voyant un homme cruel et inhumain vivre dans les honneurs et les délices, tandis qu’il était exposé à tant de maux. Et voilà pourquoi il fut reçu dans le sein d’Abraham, bien que la mort ne l’eût pas rendu meilleur, et que pendant sa vie il eût été complètement inutile, alors qu’il gisait dans le vestibule du riche. Et ainsi il était couronné avec ce patriarche qui avait opéré tant et de si belles choses, il était proclamé vainqueur et il reposait clans son sein, lui qui n’avait fait aucune aumône, qui n’avait pu voler au secours de l’infortune, exercer l’hospitalité, ni faire rien de semblable : mais il avait rendu grâces à Dieu en toutes choses et il avait gagné la couronne admirable de la patience. C’est une grande chose que l’action de grâces, la sagesse et la patience au milieu de tant et de si grands maux, il n’y a même rien au-dessus. C’est ce qui a valu à Job sa couronne, c’est ce qui faisait dire à Satan : « L’homme donnera toujours la peau d’autrui pour conserver sa propre peau, et il abandonnera volontiers tout ce qu’il possède pour sauver sa vie. Mais étendez votre main et frappez sa chair. » (Job. 2,4, 5) Car c’est un point capital que de pouvoir dominer tellement son âme dans la douleur qu’elle ne pèche pas. C’est un mérite comparable à celui du martyre, c’est le plus grand de tous les biens.
3. Maintenant, mes très-chers frères, lorsque vous êtes en proie à la maladie, à la fièvre ou à la douleur, ce qui arrive souvent, et que la violence des tourments vous porte à blasphémer, si vous savez vous maîtriser et rendre grâces à Dieu en le louant et en l’adorant, vous recevrez la même récompense. À quoi bon, je vous le demande, blasphémer, et prononcer des paroles amères ? Votre douleur en devient-elle moins vive ? Quand même ce serait un moyen de l’adoucir il ne faudrait pas compromettre le salut de votre âme pour soulager votre corps, non seulement votre douleur n’est pas diminuée, mais elle en devient plus forte. Car aussitôt que le diable voit qu’il a pu vous amener à blasphémer, il rend plus ardent le feu qui vous brûle, plus cuisante votre peine, afin de vous faire assouvir sa soif du mal. Donc, je le répète, quand même le blasphème vous soulagerait, il faudrait vous en abstenir. Mais puisqu’il ne sert de rien, à quoi bon vous tuer vous-même ? Impossible de se taire, direz-vous ? – Rendez grâces à Dieu, comblez-le de gloire et d’honneur, tandis qu’il vous éprouve par le feu de la souffrance. Qu’à la place des blasphèmes, les louanges du Seigneur sortent de votre bouche, ce sera le moyen tout à la fois de mériter une grande récompense et d’adoucir vos maux. Écoutez encore notre bienheureux de tout à l’heure disant à Dieu : « Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté (Job. 1, 21) ; » et encore : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n’en recevrions-nous pas aussi les a maux ? » (Job. II, 40) Mais, répondez-vous, je n’ai pas reçu les richesses en partage. Alors votre blessure est moins profonde d’autant. Car il n’y a pas de comparaison entre ne plus rien posséder après avoir été riche et vivre dans la pauvreté où l’on a toujours été. Si en voyant les maux des autres et en les comparant avec leurs infortunes, beaucoup de pauvres se croient plus malheureux par ce rapprochement ; quand il ne s’agit plus des autres, mais qu’on compare le présent avec le passé, la douleur est d’autant plus grande que la jouissance d’autrefois fait ressentir plus vivement la privation actuelle. Ainsi est-il moins pénible de n’avoir jamais eu d’enfants que d’en avoir pour les perdre ensuite. Car autre chose est de n’avoir rien reçu, autre chose d’être privé de ce qu’on possédait. Supportez donc avec courage tout ce qui vous arrive, c’est là un vrai martyre. En effet, le refus de sacrifier aux idoles, fallût-il souffrir la mort, n’est pas la seule chose qui fasse le martyre ; on peut également en mériter la palme en supportant avec patience une grande douleur qui nous porte à blasphémer et en s’abstenant de toute parole inconvenante. Job ne fut pas couronné mur avoir refusé de sacrifier, mais pour avoir enduré courageusement ses douleurs et ses amertumes, Paul ne fut-il pas proclamé vainqueur à cause des verges, des tourments et des autres persécutions qu’il souffrit avec actions de grâces ? « Vous mangerez en paix le fruit des travaux de vos mains ; vous êtes heureux et tout vous réussira heureusement (2). »
Pourquoi avoir répété le mot « heureux ? » Parce que le Psalmiste, connaissant toute la grandeur de cette expression, s’arrête avec complaisance pour la méditer. Que signifie cet « heureusement ? » – « Votre épouse sera comme une vigne fertile appuyée sur les côtés de votre maison (3). » Une autre leçon porte : « Votre femme sera dans le secret », ou bien, « dans le lieu le plus retiré de votre maison, comme une vigne qui porte beaucoup de fruits. Vos enfants seront autour de votre table, comme de jeunes oliviers autour de a l’arbre qui les a produits. C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur (4). »
Que dites-vous de ce bonheur, de ces avantages ? L’abondance intérieure, la paisible jouissance de ces travaux, une épouse, une multitude d’enfants ? Ce n’est point là le bonheur promis par le Prophète. Ce n’est qu’un accessoire, un surcroît, selon ce mot de saint Luc : Cherchez avant tout le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné comme par « surcroît. » (Lc. 12,31) Comme le Psalmiste s’adressait à des âmes encore faibles, il les élève comme des enfants par la comparaison des choses sensibles. Et n’en soyons point surpris. Si saint Paul, malgré la sublimité de ses enseignements, emploie ce langage avec ceux qui rampaient encore à terre, à plus forte raison le Prophète devait le faire. Est-ce bien vrai pour saint Paul ? – Très-souvent même. Ainsi quand il traite de la virginité, il ne dit mot des avantages réservés à ceux qui la garderont, mais il parle simplement de l’affranchissement des ennuis du mariage. Et quand il s’agit du respect des enfants pour leurs parents, il en use de même, disant « que c’est le premier des commandements auxquels Dieu ait promis une récompense. » (Eph. 6,2) Et quels sont les termes du précepte ? « Honore ton père et ta mère et tu auras une longue vie en ce monde. » Et quand il écrit sur la conduite à tenir envers ses ennemis, il propose encore une récompense sensible, « agissant de la sorte, dit-il, « vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. » (Rom. 12,20) Il n’en est pas de même du Sauveur, car il n’a pas affaire aux faibles, mais pour prix de la virginité, il propose le royaume des cieux. (Mt. 19,12) Et à ceux qui aiment leurs ennemis, il promet qu’ils seront semblables à Dieu, autant que les hommes peuvent l’être. (Mt. 5,44, 45) Même dans l’Ancien Testament, alors que les chrétiens étaient conduits par des objets sensibles, nous voyons les sages s’élever à des considérations plus hautes, selon cette parole de saint Paul : « Tous ces saints sont morts dans la foi et y ont persévéré jusqu’à la fin, sans avoir reçu l’effet des promesses que Dieu leur avait faites, mais les voyant et comme les saluant de loin. » (Héb. 11,13)
Ceux qui craignent Dieu n’auront donc pas pour récompense unique la jouissance des biens terrestres, comme une épouse, des enfants, la prospérité dans leurs affaires, ce ne seront là que des accessoires et comme un certain superflu, mais l’essentiel consistera en premier lieu, dans cette crainte même de Dieu qui porte en elle sa récompense : et ensuite, dans la révélation de ces biens ineffables que « l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. » (1Cor. 2,9) « Que le Seigneur vous bénisse de Sion afin que vous contempliez les biens de Jérusalem (5). » Ou bien ; « et voyez Jérusalem dans les biens. » Les biens dont il s’agit ici sont la cité, les richesses, la gloire, les victoires, les honneurs, la prospérité, la fertilité, la sécurité et la paix.
4. « Tous les jours de votre vie. » Ces dernières paroles font un effet admirable. Car la marque la plus grande que Dieu tiendrait ses promesses, la preuve la plus éclatante de sa providence, c’était qu’ils ne subissent aucun échec ni aucun changement, qu’ils ne succombassent pas, tant qu’ils n’auraient point provoqué son indignation, et par là modifié ses heureuses dispositions à leur égard. – « Et que vous voyiez les enfants de vos enfants. (6). » Je vous entends m’objecter que plusieurs de ceux qui ont marché dans la crainte du Seigneur n’ont jamais eu d’enfants. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Ce n’est pas pour le présent que nous nous dépouillons de tout, mais c’est principalement pour plaire à Dieu et en vue des biens futurs. Autrefois, il pouvait en être ainsi ; mais maintenant nous recherchons le ciel et les récompenses qu’il renferme. Que si, malgré votre crainte de Dieu vous n’avez pas eu d’enfants, qui sait s’il ne vous a pas dédommagé par d’autres avantages préférables à celui-ci. Il ne nous rémunère pas tous de la même manière, mais il varie ses récompenses, car il est riche. Combien n’en avons-nous pas vus qui avec des enfants estimaient heureux ceux qui n’en avaient pas ? Combien qui, avec d’immenses richesses, sont sortis de cette vie plus misérablement que les pauvres ! Combien avaient acquis la gloire, qui en ont été percés comme d’une glaise, et ont eu à endurer les plus grands maux ! Ne courez pas après les charges et cessez de demander compte à Dieu de ces actes, mais supportez tout avec courage et actions de grâces. De plus, n’attachez votre cœur à aucune des choses présentes. Voilà pourquoi la prière que Dieu lui-même nous a enseignée ne renferme qu’une demande ayant trait aux choses matérielles, et rien de plus. Et encore cette demande devient spirituelle par la restriction de son objet. Toutes les autres demandes se rapportent au ciel et au royaume céleste, à la manière de vivre dans la perfection et à notre délivrance des péchés. Relativement aux choses sensibles il ne nous est recommandé de dire qu’une chose. – Laquelle ? – « Donnez« nous aujourd’hui notre pain qui est au-dessus de toute substance (Mt. 6,11) », et voilà tout. C’est qu’étant appelés à une autre patrie et destinés à une vie plus parfaite, nos demandes doivent être conformes à notre vocation, et quand même les faveurs de ce monde nous inonderaient, il faudrait les rejeter avec une grande confiance. « Que la paix soit sur Israël ! » Une autre leçon porte : « Et voyez les enfants de vos enfants et la paix sur Israël. » C’est là une prière commune. Les juifs désirent par-dessus tout la paix, parce qu’ils ont été accablés et épuisés par une longue guerre. Que leur importe tout le reste sans la paix ? Le Psalmiste leur promet le principal bienfait qui pût leur être accordé, celui duquel dépendait leur sécurité, je veux dire la paix, et il la leur promet perpétuelle : ce qui est particulièrement l’œuvre de la providence de Dieu, laquelle donne et assure la jouissance de ce qu’elle accorde. Les choses humaines étant de leur nature fragiles et passagères, pour leur montrer que les biens qu’il leur annonce ne leur viendront pas du hasard, mais de Dieu même et de sa volonté sainte, il ajoute tous les jours et il leur promet une paix durable. – Ils en jouirent tant que la chose dépendit de Dieu si elle fut interrompue, ce fut l’effet de leur malice. De même que parfois le Seigneur suspend ses châtiments dont il avait menacé ceux qui fléchissent sa colère par la pénitence, ainsi révoque-t-il ses engagements si ceux auxquels il avait promis ses biens se rendent indignes de les obtenir. Pour lui donc, il leur a promis la paix tous les jours, mais leur malice a arrêté l’exécution de ses promesses. Ce que je vous prie de bien observer, afin que ses menaces ne nous désespèrent pas, mais que nous apaisions sa colère par la pénitence, et aussi pour que nous ne nous endormions pas dans la promesse des biens qui nous a été faite, mais que nous hâtions l’accomplissement par notre zèle et notre diligence à améliorer notre vie. Sans cela la promesse serait insuffisante pour notre salut. N’avait-il pas été promis à Judas, comme aux autres apôtres, qu’il s’assoirait sur un trône ? S’il ne s’y assit pas, ce ne fut pas la faute de Dieu qui avait fait la promesse, mais celle du traître qui s’en rendit indigne. Nous donc, qui avons reçu la promesse d’un royaume, ne soyons point lâches, mais faisons tous nos efforts pour parvenir aux biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Traduit par M. l’abbé GAGEY.


EXPLICATION DU PSAUME CXXVIII.

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1. « ILS M’ONT SOUVENT ATTAQUÉ DEPUIS MA JEUNESSE ; OUI, QU’ISRAËL LE DISE. – 2. ILS M’ONT SOUVENT ATTAQUÉ DEPUIS MA JEUNESSE ; C’EST QU’EN EFFET ILS N’ONT RIEN PU CONTRE MOI. UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : MAIS ILS N’ONT RIEN PU CONTRE MOI. »
« Ils m’ont souvent attaqué depuis ma jeunesse ; oui, qu’Israël le dise » (1) Ils m’ont « souvent attaqué depuis ma jeunesse ; c’est qu’en effet ils n’ont rien pu contre moi (2). » Un autre interprète traduit : « Mais ils n’ont rien pu contre moi. »
Ce psaume se rattache encore au précédent. Car la construction du temple ayant été interrompue, et l’ouvrage ne s’achevant pas, le Psalmiste veut donner bon espoir aux Juifs, afin qu’ils ne se découragent point, et cherchant dans le passé de quoi les disposer à la confiance pour l’avenir ; il leur apprend à dire les paroles du psaume dont il s’agit. Et que signifient-elles ? Que les ennemis des Juifs, quoique les ayant souvent attaqués, ne purent l’emporter sur eux, et ne remportèrent point de victoire complète. Et cependant, dit le Psalmiste, ces ennemis firent les Juifs prisonniers, les transportèrent en pays étranger, et les vainquirent dans plusieurs guerres. Oui, mais avant tout, ce ne fut pas par leur propre force que ces ennemis triomphèrent alors, ce fut par l’effet du péché des Juifs ; et en outre, ils ne gardèrent pas leur supériorité jusqu’à la fin. Ils ne purent ni exterminer tout à fait la race, ni anéantir entièrement la ville, ni perdre la nation pour toujours ; mais après que, par la permission de Dieu, ils eurent eu quelque temps le dessus, ils furent vaincus à leur tour. Et comment le furent-ils ? En ce que les Juifs redevinrent florissants comme auparavant. C’est ce qu’exprime un autre interprète, en traduisant : « Mais ils n’ont pas été plus forts que moi. Les pécheurs travaillaient sur mon dos, ils ont prolongé leur iniquité (3). » Que signifient ces paroles ? Le Psalmiste veut dire : Ils ne m’ont pas tendu des pièges ordinaires, mais ils ont formé contre moi nombre de complots et d’embûches, ourdissant mille ruses et m’assaillant en cachette. Car l’expression, « sur mon dos », indique ou la perfidie et la dissimulation, ou bien un traitement exercé de vive force et avec une grande rigueur. Cela signifie donc, ils cherchaient à briser ma puissance. Un autre interprète, au lieu de : « Ils travaillaient », traduit par : « Ils ont labouré », pour montrer qu’ils mettaient toute leur ardeur à tendre ces pièges contraires à la justice. « Ils ont prolongé leur iniquité. » Que veut dire ici le Psalmiste ? Il fait voir qu’ils mirent dans leurs attaques non seulement beaucoup de violence, mais encore beaucoup de persistance, y employant un temps considérable, faisant de ces embûches leur grande affaire, et y mettant un acharnement continuel. Toutefois, ils n’y gagnèrent rien, grâce non pas à notre force, mais à la puissance de Dieu. C’est pourquoi, voulant montrer Celui qui élève le trophée et qui est l’auteur de la victoire, il ajoute : « Le Seigneur dans sa justice a tranché les cous des pécheurs (4). » Et un autre traducteur, au lieu de : « les cous », a mis : « les lacets », pour signifier les embûches, les artifices, les ruses. Et le Psalmiste a eu raison de ne pas dire : il a détruit, mais, « Il a tranché », pour mieux mettre en évidence qu’il a opéré ce résultat en rendant leurs desseins désormais inutiles. Et en effet, lorsque la ville commençait à se rebâtir, une foule de gens, consumés d’envie, attaquèrent les Juifs de tous côtés, et ce ne fut pas une ou deux fois seulement, mais à bien des reprises. Cela est arrivé aussi à l’Église. Quand elle commençait à s’accroître, tout le monde l’attaquait continuellement : ce furent d’abord les princes, les peuples, les tyrans ; puis vinrent les pièges des hérésies : de toutes parts une vaste guerre s’alluma, sous des formes diverses. Malgré cela, elle ne servit de rien les plans des ennemis ont été déjoués, et l’Église est florissante. « Que tous ceux qui détestent Sion soient couverts de honte et forcés « à tourner le dos[23] (5). Qu’ils deviennent comme l’herbe des toits, qui s’est desséchée avant qu’on l’arrachât (6) ; dont le moissonneur n’a point rempli sa main[24]. Et dont « celui qui ramasse les javelles n’a point rempli son sein (7). Et ceux qui passent n’ont point dit : Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous. Nous vous avons bénis au nom du Seigneur (8). » Le Psalmiste termine par une prière cette exhortation ; et, tant par le récit des événements passés que par cette même prière, il dispose l’auditeur à prendre courage, et lui montre le motif injuste de cette guerre. C’est l’envie, c’est la haine, qui a fait entreprendre cette suite de combats ; aussi dit-il : « Que tous ceux qui détestent Sion soient couverts de honte et forcés à tourner le dos. » Puissent-ils non seulement avoir le dessous, mais d’une manière honteuse et digne de risée. Ensuite, par ces paroles « Qu’ils deviennent comme l’herbe des toits », il insiste sur l’image ; il ne les compare pas simplement à l’herbe, mais à celle des toits. Pourtant même celle qui croît dans une bonne terre, passe bien vite ; eh bien ! pour peindre plus vivement encore le peu de valeur de nos adversaires, il les compare à l’herbe qui pousse sur les maisons ; de manière que la facilité de renverser nos ennemis ressort pour nous d’un double rapprochement : la nature de l’herbe et la nature du lieu. Telles sont, nous dit-il, leurs attaques : elles n’ont ni racine, ni soutien ; ces adversaires semblent d’abord un instant fleurir, mais ensuite on les voit ce qu’ils sont, et leurs menées retombent sur eux-mêmes. Telle est aussi la prospérité de ceux qui vivent dans l’iniquité, tel est le brillant des choses de la vie ; à peine apparu, tout cela s’évanouit, n’ayant ni fondement ni force intime. Il ne faut donc pas tenir compte de ces avantages, mais, songeant à leur fragilité, il faut aspirer aux biens immortels, inébranlables et immuables. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire au Père ainsi qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXIX.

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1. « DES PROFONDEURS J’AI CRIÉ VERS VOUS, SEIGNEUR. SEIGNEUR, EXAUCEZ MA PRIÈRE. »

ANALYSE.

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  • 1. Les prières, pour être bonnes, doivent partir du fond du cœur. Dieu exauce la prière ardente.
  • 2. Nul homme ; si Dieu voulait le juger à la rigueur, ne serait trouvé juste.
  • 3. De la confiance en Dieu.


1. Que signifient ces mots : « Des profondeurs ? » Ce n’est pas simplement la bouche, ni simplement la langue qui prononce ces mots, tandis que la pensée est errante ; non, ils sortent du fond le plus intime du cœur, c’est avec un grand zèle, une grande ferveur, que la pensée les tire de ses profondeurs. Telle est, en effet, l’âme des affligés ; elle remue en même temps qu’elle, le cœur tout entier, en invoquant Dieu avec une grande componction, et c’est pour cela qu’elle se fait écouter. Oui, de telles prières ont une grande force, et rien ne les abat ni ne les ébranle, quand même le démon viendrait à la charge avec une grande violence. De même qu’un arbre vigoureux, qui envoie de toutes parts ses racines sous terre à une grande profondeur, et en étreint rigoureusement tous les replis, résiste ainsi à toute la violence des vents, tandis que celui qui ne tient qu’à la surface du sol est ébranlé au moindre souffle qui arrive, et bientôt, arraché avec sa racine, s’en va joncher la terre ; de même les prières, lorsqu’elles partent du cœur, qu’elles ont des racines profondes, alors taille et mille pensées ont beau survenir, et le démon déployer tous ses armements, elles demeurent fermes et invincibles, rien ne peut les abattre ; celles au contraire qui ne partent que de la bouche, que des lèvres, qui ne viennent pas du cœur, ne peuvent pas non plus monter jusqu’à Dieu, à cause de la tiédeur de celui qui les profère. Un tel homme, au moindre bruit le voilà renversé ; le moindre tumulte l’arrache à son oraison ; la bouche retentit, mais le cœur est vide et la pensée au dépourvu. Ah ! ce n’est pas ainsi que priaient les saints, eux dont la contention d’esprit allait jusqu’à ployer le corps tout entier. Ainsi le bienheureux Élie, voulant prier, chercha d’abord la solitude ; puis, s’étant mis la tête entre les genoux, il embrasa son cœur d’une grande ferveur, et donna cours alors à ses prières. (1R. 18,42) Voulez-vous maintenant le voir prier debout ? Contemplez-le une autre fois dressé vers le ciel, et avec une telle contention qu’il fait descendre le feu d’en haut. (ibid. 5,36-38) De même lorsqu’il voulut ressusciter le fils de la veuve, c’est en se raidissant tout entier qu’il opéra cette résurrection, et cela sans en être brisé, sans bâiller comme nous autres, mais réchauffé au contraire par l’ardeur de sa prière. (1R. 17,19-22) Mais pourquoi parler d’Élie et de ces saints illustres ? J’ai souvent vu des femmes prier tellement du fond du cœur pour un mari en voyage ou un enfant malade, et verser de tels torrents de larmes, qu’elles obtenaient enfin ce qu’elles demandaient par leur prière. Eh bien ! si pour la santé d’un enfant, si pour un mari qui est à l’étranger, des femmes s’enflamment à ce point dans leurs prières, quelle excuse aura l’homme qui n’a que de la tiédeur lorsque son âme est morte ? C’est bien pour cela que souvent, après avoir prié, nous nous retirons vides comme auparavant. Écoutez comment Anne priait du fond du cœur, quels torrents de larmes elle versait, et comment elle était transportée au sortir de sa prière ! (1Sa. 1,10-11) C’est que celui qui prie ainsi, recueille de grands avantages de sa prière, même avant d’obtenir ce qu’il demande, car il fait taire toutes ses passions, il apaise sa colère, se dépouille de sa jalousie, mortifie sa concupiscence, dompte son amour pour les choses de la vie, établit son âme dans un grand calme, enfin s’élève jusqu’au ciel. Car de même que la pluie, en tombant sur la terre desséchée, la fait devenir molle, ou de même que le feu assouplit le fer, ainsi une telle prière amollit et attendrit plus énergiquement que le feu, plus efficacement que la pluie, la sécheresse que les passions ont communiquée à l’âme. L’âme est chose tendre et impressionnable ; mais, semblable à l’Ister, dont l’eau devient souvent dure comme la pierre sous l’influence du froid, ainsi notre âme, sous l’influence du péché et d’une grande tiédeur, s’endurcit et se pétrifie. Nous avons donc besoin d’une forte chaleur pour amollir cette dureté. Or, c’est principalement la prière qui en vient à bout. Lors donc que vous y avez recours, ne cherchez pas seulement à obtenir ce que vous demandez, cherchez aussi comment vous pourrez, en priant, rendre votre âme meilleure. Car c’est là l’œuvre de la prière. L’homme qui prie ainsi s’élève au-dessus des choses de ce monde, il s’envole par la pensée, il donne de l’agilité à son intelligence et n’est plus emprisonné par aucune passion. « Des profondeurs j’ai crié vers vous, Seigneur. » Le Psalmiste met ici deux choses : « Des profondeurs », et : « J’ai crié vers vous. » Par ces cris, il ne veut pas dire le son de la voix, mais la disposition de notre esprit. « Seigneur, écoutez ma voix. » Il y a deux enseignements à tirer de là : le premier, c’est que nous ne pouvons absolument rien obtenir de Dieu, si nous n’y apportons ce qui dépend de nous ; c’est pour cela qu’il commence par dire : « Des profondeurs, j’ai crié », et qu’il ne dit qu’ensuite : « Écoutez ma voix. » Le second point, c’est qu’une prière énergique, à laquelle se joignent les flots de larmes de la componction, a un grand pouvoir auprès de Dieu pour le faire accéder à ce que nous implorons. Et en effet, c’est en homme qui a accompli quelqu’œuvre très-méritoire, et qui a fait ce qui dépendait de lui, que le Psalmiste ajoute : « Seigneur, écoutez ma voix (1). Que vos oreilles deviennent attentives à la voix de rua prière (2). » Il appelle « oreilles » la faculté que Dieu a d’entendre ; et par le mot de « voix », il fait allusion non pas au son produit par notre souffle, ni à nos cris, mais à notre tension d’esprit. « Si vous considérez les iniquités, Seigneur, « Seigneur, qui pourra résister ? » Ceci, c’est afin que personne ne vienne dire : Pécheur comme je suis, et sous le poids de misères sans nombre, je ne puis m’approcher de Dieu, le prier ni l’invoquer ; pour détruire ce prétexte, le Psalmiste s’exprime ainsi : « Si vous considérez les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra résister ? » Car cette question : « Qui pourra ? » revient à dire : Il n’y a personne qui puisse. Non en effet, cela ne se peut, il n’y a personne au monde qui, s’il rendait un compte exact de ses actions, fût jamais en état d’obtenir indulgence et miséricorde.
2. Et si je vous parle ainsi, ce n’est pas afin de porter les âmes à la tiédeur, c’est pour consoler ceux qui tombent dans le découragement. Car qui pourra se vanter d’avoir le cœur pur, « ou dire avec assurance qu’il est exempt de péché ? » (Prov, 20,9) Sans aller chercher d’autres exemples, je n’ai qu’à vous citer saint Paul ; et si je voulais lui faire passer rigoureusement en revue sa conduite, il n’y résisterait pas non plus. En effet, qu’aurait-il à dire ? Il avait lu les Prophètes avec soin, en observateur zélé de la loi de ses pères, il voyait les prodiges qui s’accomplissaient, et pourtant il restait persécuteur ; et il ne changea pas avant d’avoir été favorisé de cette merveilleuse vision, et d’avoir entendu cette voix terrible ; jusque-là il avait continué à jeter partout le trouble et le désordre. Néanmoins, Dieu oublia tout cela, il l’appela, et daigna le combler de sa grâce. Et que dirons-nous de Pierre, lui qui occupe le premier rang ? Après des miracles et des prodiges sans nombre, après tant d’exhortations et d’avertissements Dieu ne le convainquit-il point d’avoir gravement failli ? Pourtant, Dieu oublia cela aussi, et il établit Pierre le prince des apôtres. Aussi lui dit-il : « Simon, Simon, voilà que Satan a cherché à te passer au crible comme le blé ; et moi j’ai prié pour toi afin que ta foi ne vienne pas à manquer. » (Lc. 22,31-32) Vous le voyez, si après tout cela Dieu n’usait de miséricorde et d’indulgence, s’il venait juger les hommes d’après un examen rigoureux, il les trouverait coupables tous absolument. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela (1Cor. 4,4) ; » et au Psalmiste : « Si vous considérez les iniquités, Seigneur, Seigneur ! » La répétition de ce dernier mot n’est pas l’effet du hasard : elle montre un homme saisi d’étonnement et d’admiration devant l’extrême miséricorde, l’immense majesté de Dieu, devant l’océan sans bornes de sa bonté. « Qui pourra résister ? » Le Psalmiste ne dit pas : Qui pourra échapper ? mais : « Qui pourra résister ? » On ne pourra même, veut-il dire, rester en la présence de Dieu. « Parce que c’est de vous que vient la propitiation (11). » Que signifient ces mots ? En voici le sens : Ce n’est pas en vertu de nos propres mérites, mais c’est grâce à votre bonté, qu’il nous est possible d’échapper au châtiment. En effet, si votre justice nous épargne, cela dépend de votre miséricorde. Si cette dernière nous est refusée ; nos propres actions ne suffiront pas pour nous soustraire à la colère à venir.
3. C’est ce que Dieu nous enseigne encore lorsqu’il dit par son Prophète : « C’est moi qui efface tes iniquités. » (Is. 43,25) C’est-à-dire, cela n’appartient qu’à moi, c’est le fait de ma bonté, de mon amour pour toi. De sorte que tes actions ne sauraient jamais suffire pour te mettre à l’abri du châtiment, si ma miséricorde n’y venait ajouter son œuvre. Et plus loin : « Je vous supporte (Is. 46,4) », dit-il encore. « A cause de votre nom, je vous ai a attendu, Seigneur. Mon âme a attendu l’effet de votre parole. » (Ps. 129,4) « Mon âme a espéré dans le Seigneur. » (Id. 5) Une autre version porte : « A cause de votre loi », et une troisième : « Afin que votre parole fût connue. » Dans tous les cas, voici le sens : à cause de votre miséricorde, à cause de votre loi, j’ai attendu mon salut ; car si je considérais ce qui dépend de moi, il y a longtemps que j’aurais perdu tout courage et tout espoir ; mais comme je songe à votre loi et à votre parole, j’en conçois de bonnes espérances. A quelle parole songe-t-il ? A la parole de la miséricorde divine. Car c’est ce Dieu qui dit : « Autant le ciel est distant de la terre, autant mes résolutions sont distantes des vôtres, et mes voies de vos voies. » (Is. 59,9) Et autre part : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant le Seigneur a affermi sa miséricorde sur ceux qui le craignent. » (Ps. 102,11) Et ensuite : « Autant l’orient est distant de l’occident, autant il a éloigné de nous nos iniquités. » (Id. 12) C’est-à-dire, je n’ai pas seulement sauvé ceux qui avaient fait de bonnes œuvres, mais j’ai épargné les pécheurs, et au milieu de tes prévarications j’ai fait paraître ma protection et ma sollicitude. Un autre interprète traduit : « Afin que vous soyez redouté, je vous ai attendu, Seigneur. » Redouté de qui ? de mes ennemis, de ceux qui me tendent des embûches et qui me baissent. Maintenant, que signifie : « A cause de votre nom ? » C’est-à-dire : Quoique je sois un pécheur, et sous le poids de misères sans nombre, cependant, je le savais, de peur que votre nom ne fût profané, vous ne nous auriez pas laissés périr. C’est ce que Dieu dit aussi dans Ézéchiel : « Ce n’est pas à cause de vous que je le fais, mais à cause de mon nom, afin qu’il ne soit pas profané parmi les nations. » (Ez. 36,22) Ce qui veut dire : par nous-mêmes, nous ne méritions pas d’être sauvés, et nous ne pouvions fonder aucune espérance sur nos actions ; mais nous attendons notre salut à cause de votre nom, et cet espoir nous est laissé. Dans une autre version nous lisons : « A cause de la crainte j’ai attendu le Seigneur. » Dans une autre : « A cause de la loi j’ai attendu le Seigneur. Mon âme a attendu l’effet de ta parole. » Dans une autre : « Mon âme a espéré en sa parole. » Et dans une autre : « Mon âme a attendu, et j’ai prêté l’oreille pour entendre sa parole. » C’est-à-dire, j’avais une ancre sainte qui m’était fournie par les déclarations et les promesses continuelles attestant sa miséricorde et sa bonté, et je ne désespérais pas de mes propres intérêts. « Depuis la première heure du matin jusqu’à la nuit, qu’Israël espère dans le Seigneur (6). » Il veut dire par là : toute la vie, puisque c’est : le jour et la nuit durant. Car il n’est rien de tel pour le salut, que de l’avoir toujours en vue, et de rester attaché à cette espérance, malgré les mille événements qui peuvent survenir et nous porter au découragement. Cette idée est un rempart indestructible, un abri inviolable, une forteresse inattaquable. Ainsi, quand même les circonstances vous menaceraient de la mort, de quelque danger, d’une ruine totale, ne renoncez pas à espérer en Dieu, à attendre de lui votre salut. Tout est pour lui facile et aisé, et il saura bien trouver une issue pour vous tirer d’une position inextricable. Ce n’est donc pas seulement lorsque les événements suivent leur cours naturel, que vous devez vous attendre à ce que Dieu vous accorde ses secours, c’est encore et surtout quand survient la tempête, quand se gonflent les flots, et que nous courons les derniers dangers. Car c’est surtout alors que Dieu déploie sa puissance. Tel est donc le sens de ce passage : il faut espérer continuellement dans le Seigneur, tout le temps de notre existence, durant toute notre vie. « Parce qu’auprès du Seigneur est la miséricorde, et que la rédemption abonde auprès de lui. Et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités (7). » Que signifie : « Parce qu’auprès du Seigneur est la miséricorde ? » C’est-à-dire, il y a en lui une source, un trésor d’amour pour les hommes, qui se répand continuellement sur eux. Où est la miséricorde, est aussi la rédemption : et une rédemption non pas ordinaire, mais considérable, un océan immense d’amour pour nous. Ainsi, même quand nous sommes compromis par nos péchés, il ne faut ni perdre courage ni désespérer. Car là où il y a miséricorde et monté, on n’exige pas un compte rigoureux des fautes commises, attendu que le juge, dans sa grande compassion, et entraîné par son penchant à nous aimer, néglige la plupart des griefs. Tel est Dieu en effet il est porté, il est enclin à faire continuellement miséricorde et à nous accorder notre pardon : « Et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités. » Si donc Dieu est ainsi, si la grandeur de son amour pour nous se déverse de toutes parts, il est aisé de voir qu’il sauvera aussi son peuple, et qu’il l’affranchira non seulement du châtiment, mais encore des péchés. Instruits de cette vérité, persévérons dans l’invocation et dans la prière, et n’y renonçons jamais, soit que nous obtenions, soit que nous n’obtenions pas. Car s’il est le maître de donner, il l’est aussi de donner quand il veut, et c’est lui également qui connaît à point le moment favorable. Persévérons donc dans nos supplications, dans nos invocations, dans notre confiance en sa miséricorde et en sa bonté, et ne désespérons jamais de notre salut, mais contribuons-y selon notre pouvoir, et alors ce qui dépend de lui ne pourra manquer de venir à la suite, puisqu’il y a chez lui miséricorde ineffable et amour illimité pour les hommes. Puissions-nous tous en ressentir les effets, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXX.

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1. « SEIGNEUR, MON CŒUR NE S’EST POINT ÉLEVÉ D’ORGUEIL, ET MES YEUX NE SE SONT PAS FIÈREMENT PORTÉS EN HAUT. » – AUTRE TEXTE : « MES YEUX NE SE SONT POINT ÉLEVÉS D’ORGUEIL, ET JE N’AI PAS MARCHÉ AU MILIEU DES CHOSES GRANDES, NI AU MILIEU DES CHOSES SURPRENANTES ET AU-DESSUS DE MOI. » – AUTRE TEXTE : « AU MILIEU DES CHOSES MAGNIFIQUES. » – AUTRE TEXTE : « AU MILIEU DES CHOSES POMPEUSES, NI AU MILIEU DES CHOSES DONT LA GRANDEUR FUT AU-DESSUS DE MOI (1). »

ANALYSE.

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Quand est-ce qu’il est permis de se glorifier. C’est même quelquefois un devoir pour nous. – Combien nous devons fuir l’orgueil et la société des orgueilleux.
1. Eh quoi ! saint Paul, tout en y étant forcé, dit que c’est une folie, de se louer soi-même ; aussi ajoute-t-il : « Je me suis glorifié a follement, c’est vous qui m’y avez forcé. » (2Cor. 12,11) Comment donc le Prophète a-t-il ignoré cela et se glorifie-t-il maintenant, non pas devant deux ou trois personnes, non pas devant une dizaine d’auditeurs, mais à la face du monde entier ? Et voici en quels termes il se glorifie : Je suis humble et modéré, je suis excessivement humble, je suis simple ; car c’est là le sens de : « Comme est l’enfant a sevré à l’égard de sa mère (2). » Pourquoi donc tient-il ce langage ? C’est qu’il n’est pas toujours défendu de se glorifier et que dans Certains cas cela est même nécessaire ; bien plus, il y a des circonstances où ce n’est pas en nous glorifiant, mais en ne nous glorifiant pas, que nous serions insensés. C’est pour cela que le même saint Paul nous dit : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur. » (2Cor. 10,17) En effet, celui qui ne se glorifie point de la croix, est le plus insensé et le plus coupable des hommes, celui qui ne se glorifie pas de la foi est le plus malheureux des mortels, celui qui ne se glorifie point et ne se confie point en ces choses-là périra infailliblement. Aussi l’Apôtre disait-il plein d’assurance « Quant à moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, excepté dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (Gal. 6,14) Et l’on trouve ailleurs dans l’Écriture : « Que le riche ne se glorifie pas dans sa richesse, ni le sage dans sa sagesse, ruais voici de quoi il doit se glorifier, c’est de comprendre et de connaître le Seigneur. » (Jer. 9,23, 24) Quelle est donc la mauvaise manière de se glorifier ? C’est quand nous le faisons comme le Pharisien. (Lc. 18) Et pourquoi, demandera-t-on, saint Paul a-t-il dit : « Je me suis glorifié follement, c’est vous qui m’y avez forcé ? » Parce qu’il racontait les actions méritoires de sa vie, sa belle conduite, choses qu’il n’aurait pas dû proclamer s’il n’y avait pas eu nécessité. Il dit aussi un peu plus haut : « Même si je veux me glorifier, je ne serai pas insensé, car je dirai la vérité. » (2Cor. 12,6) De sorte que celui qui dit la vérité, quand la circonstance l’y détermine, n’est pas un insensé. Ainsi le Prophète non plus n’était pas insensé lorsqu’il se glorifiait, car il disait la vérité. Mais quel est le motif qui l’a amené à tenir ce langage ? C’était pour apprendre à ceux qui l’écoutaient qu’après avoir été délivrés de leurs maux, ils ne devaient pas s’abandonner de nouveau au vertige de l’orgueil, ni dégagés de leurs chaînes, retomber par de nouveaux écarts, dans la nécessité d’une autre captivité. Ainsi, en racontant sa propre conduite, il corrige l’auditeur et il ne dit pas : Je me suis senti élevé d’orgueil, mais j’ai maîtrisé ma passion ; il dit : « Mon cœur ne s’est point élevé d’orgueil ; » c’est-à-dire, la malice n’a pas même effleuré mon âme. Sa pensée était comme un port tranquille où n’entrent point les flots de ce mal qui est la cause de tous les autres, la source des plus grandes iniquités. Que veut-il dire par ces paroles : « Seigneur, mon cœur ne s’est point enflé d’orgueil et mes yeux ne se sont pas fièrement portés en haut ? » Cela signifie : Je n’ai point froncé les sourcils, ni dressé la tête. Car le mal de l’orgueil, en débordant de la source de passion qui est au dedans de nous, reproduit sur notre corps même l’expression de ce bouillonnement intérieur. « Et je n’ai pas marché au a milieu des choses grandes, ni des choses surprenantes et au-dessus de moi. » Que signifie : « Au milieu des choses grandes ? » Cela veut dire : Parmi les hommes orgueilleux, riches, vains et arrogants. Voyez-vous quelle humilité rigoureuse ? non seulement il était lui-même exempt de cette plaie, mais il allait jusqu’à fuir les gens qui en étaient dévorés et dans sa grande haine pour l’orgueil, il se dérobait à de telles sociétés. Car comme il détestait ce vice, non seulement il s’y dérobait, non seulement il lui fermait tout accès à sa pensée, mais encore il fuyait à une grande distance de ceux qui s’y abandonnaient, de sorte que même de ce côté il n’en pouvait subir la contagion.
Or ce n’est pas un faible mérite que de fuir les arrogants, de haïr les orgueilleux, de s’écarter d’eux et de les avoir en horreur : c’est la plus grande sûreté pour la vertu et la meilleure garde pour l’humilité. « Ni au milieu des choses surprenantes et au-dessus de moi. » Ou autrement : « Ni au milieu des choses dont la grandeur fût au-dessus de moi (1). « Si je n’ai pas été humble dans mes sentiments, mais haut dans mes pensées, comme est l’enfant sevré à l’égard de sa mère, vous rétribuerez mon âme en conséquence. » Ou autrement : « Que mon âme soit rétribuée en conséquence. » Il use ici d’une transposition ; c’est comme s’il y avait : Si je n’ai pas été humble comme est l’enfant sevré à l’égard de sa mère, si j’ai été haut dans mes pensées, que mon âme soit rétribuée en conséquence. Et le sens, le voici : non seulement j’étais pur du vice, je veux parler de l’orgueil ; non – seulement j’étais étranger à ceux qui le nourrissaient en eux-mêmes, mais je cultivais au dernier point la vertu opposée à ce vice, savoir, l’humilité, la modération, la contrition. C’est cela même que Jésus-Christ commandait à ses disciples en ces termes : « Si vous ne changez et si vous ne devenez comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Mt. 18,3) Ainsi le Prophète veut dire : J’ai eu autant d’humilité que l’enfant à la mamelle. Car de même que cet enfant se tient attaché à sa mère, qu’il est humble, qu’il est exempt de tout, orgueil, qu’il a en partage l’innocence et la simplicité ; ainsi étais-je à l’égard de Dieu, me tenant continuellement attaché à lui. Et ce n’est pas au hasard qu’il donne pour exemple l’enfant que l’on a sevré ; il veut nous représenter la tribulation, la détresse, le chagrin, la grandeur des maux. Ainsi, comme l’enfant qu’on vient d’arracher à la mamelle, ne se détache pas pour cela de sa mère, mais qu’avec des plaintes et des larmes, des impatiences, des inquiétudes et des gémissements, il persiste à rester attaché à celle, qui lui a donné le jour, et ne veut pas s’en séparer ; de même, dit le Prophète, quoique je fusse dans les tribulations, dans la détresse, dans de nombreux malheurs, je restais attaché à Dieu. Et s’il n’en a pas été ainsi, que mon âme reçoive sa rétribution, c’est-à-dire que je subisse le dernier châtiment. « Qu’Israël espère dans le Seigneur, depuis maintenant et jusque dans l’éternité (4) ! » Vous le voyez, comme je vous le disais en commençant, pour les choses qui regardent la foi et les dogmes, il faut, même sans motif particulier, se glorifier continuellement, et celui qui ne s’en glorifie pas est perdu ; et quant aux actions méritoires de notre vie, nous ne devons jamais reculer à nous en glorifier, quand les circonstances nous y amènent. Et quelles circonstances ? Elles sont nombreuses et diverses, et l’instruction de nos auditeurs est de ce nombre. Le Prophète le savait bien ; c’est ce qui fait que, pour nous montrer qu’il rapporte ses propres mérites, afin d’entraîner ses auditeurs au même zèle, il ajoute ces paroles : « Qu’Israël espère dans le Seigneur, depuis maintenant et jusque dans l’éternité : » C’est comme s’il nous disait Quand même les malheurs, les découragements, les guerres, les captivités, n’importe quels maux imprévus viendraient vous assiéger, tenez-vous attaché à l’espérance en Dieu, à l’attente des biens futurs, et alors vous ne pouvez manquer d’obtenir une bonne fin, car Dieu récompensera par la délivrance de vos maux votre bonne espérance d’ici-bas, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION SUR LE PSAUME CXXXI.

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1. « SOUVIENS-TOI, SEIGNEUR, DE DAVID, ET DE TOUTE SA DOUCEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. Douceur de Moise ; en quoi elle consistait. La vraie douceur est accompagnée de fermeté.
  • 2. L’auteur du psaume s’autorise de la douceur de David et des promesses de Dieu pour demander au ciel le rétablissement du temple et du culte.
  • 3. Les biens que demande l’auteur du psaume sont les biens spirituels. Une partie des fils de David n’ayant pas observé les conditions auxquelles les promesses de Dieu étaient attachées, l’auteur du psaume n’a plus à invoquer que la prédilection volontaire de Dieu pour Sion. Quels sont les biens dont Dieu a promis de la combler. Pour tenir ses promesses, Dieu veut que nous remplissions les conditions qu’il y a mises. Il ne faut, ni se relâcher par trop de confiance, ni se décourager par une crainte mal entendue de ses menaces.


1. Nous voyons d’autres circonstances où, aime titre à son salut, on se contente d’invoquer le souvenir de ses ancêtres : mais ici, on rappelle en outre leurs mérites, et spécialement celui qui est la source de toutes les vertus, ce caractère de mansuétude, d’humilité, de douceur, qui faisait principalement admirer Moïse lui-même. En effet, l’Écriture nous dit : « Il était le plus doux de tous les hommes de la terre. » (Nom. 12,3) Ici, certains hérétiques, pensant trouver en faute sa conduite, et ce que, l’Écriture dit de lui, s’écrient : Comment donc ? c’était le plus doux des hommes, celui qui se jeta sur cet Égyptien, et le tua ? celui qui sema parmi les Juifs tant de meurtres et de guerres intestines ? celui qui donna ordre aux enfants de Lévi de mettre à mort leurs proches ? celui qui entr’ouvrit la terre par sa prière, qui attira d’en haut la foudre, engloutit les uns dans la mer, et en brûla d’autres ? Si cet homme était doux, quel sera donc l’homme colère et cruel ? Arrêtez : ne tenez point de discours superflus. Que Moïse fût doux, qu’il fût le plus doux des hommes, c’est ce que je prétends, c’est ce dont je ne me départirai point ; et si vous voulez, je n’irai pas chercher ma preuve autre part, je tâcherai de la trouver dans les faits mêmes que l’on objecte. Je serais pourtant bien en droit d’alléguer, et le langage qu’il tint à Dieu au sujet de sa sœur, et les supplications qu’il adressa au ciel en faveur de la nation juive, tant de paroles apostoliques et divines, la mansuétude enfin avec laquelle il conversait avec le peuple. Il me serait permis de citer ces exemples, et d’énumérer bien d’autres faits encore ; mais si vous le voulez, laissons-les de côté, et, nous servant des propres objections de nos ennemis, rapportées en premier lieu, montrons qu’il était très-doux, parles raisons même qui font croire à certaines gens qu’il était rigide, cruel et colère. Comment procéderons-nous ? Nous distinguerons d’abord, et nous définirons ce que c’est que la douceur, ce que c’est que la dureté. Le seul fait de frapper ne constitue pas absolument, la dureté, comme celui d’épargner ne prouve pas nécessairement la douceur ; celui-là est doux qui, assez courageux pour supporter les offenses qui lui sont faites, défend les opprimés, et se conduit en, vengeur sévère de ceux que l’on outrage ; si bien que quiconque agit autrement est un homme apathique, endormi, un homme autant dire mort, mais il n’est point doux, il n’a point la, mansuétude. N’avoir aucun souci des victimes de l’injustice, ne pas s’affliger de leur sort, ne point s’irriter contre les auteurs de ces outrages, ce n’est pas là de la vertu, c’est de la lâcheté ; ce n’est pas de la douceur, c’est de l’apathie. Ainsi, c’est précisément une preuve de sa douceur que cette chaleur qui allait jusqu’à le faire bondir quand il voyait les autres injustement traités, incapable qu’il était de maîtriser son indignation en faveur de la justice. Quand c’était lui l’offensé, il ne se vengeait pas, il ne sévissait pas, il supportait tout jusqu’au bout avec résignation. S’il avait été dur, colère, cet homme si bouillant, si enflammé pour la défense d’autrui, n’aurait pas pu se contenir pour ses griefs personnels ; on l’eût vu au contraire s’irriter alors bien davantage. Car vous le savez, nos propres maux nous affectent plus que ceux des autres. Moïse, lui, quand on faisait tort à autrui, tirait vengeance de l’injure à l’égal de ceux mêmes qui l’avaient soufferte ; mais quant aux offenses dont lui-même était l’objet, il en faisait le sacrifice avec une grande patience ; de sorte qu’il montrait en, lui, portées au plus haut point, les qualités opposées, la haine de l’iniquité d’une part, et de l’autre la longanimité. Et que devait-il donc faire, selon vous ? Laisser l’injustice se commettre, et le mal se répandre par tout le peuple ? Mais ce n’était pas là le devoir d’un chef de nation, ni le fait d’un homme patient et longanime ; cela n’eût dénoté que l’apathie et l’abattement. Quand la gangrène s’étend et menace d’envahir le corps entier, vous ne blâmez pas le médecin qui en arrête les progrès par l’amputation : et vous dites qu’un homme fut la dureté même, parce qu’il voulut par un coup d’une certaine rigueur, retrancher un mal bien plus cruel que la gangrène et qui allait gagnant tout le peuple ? Jugement inconsidéré, car à la tête d’un peuple pareil, pour mener une nation si intraitable, si dure et si rétive, il fallait réprimer les abus dès le principe, couper le mal à sa naissance, pour ne pas lui permettre d’aller plus avant. Mais, dira-t-on, il a englouti Dathan et Abiron. Eh quoi ! Fallait-il donc qu’il laissât fouler aux pieds le sacerdoce, renverser les lois de Dieu, détruire ce dont toutes choses dépendent, c’est-à-dire la dignité sacerdotale ; fallait-il qu’il ouvrît à tout le monde le sanctuaire, et que, par sa faiblesse à l’égard de tels hommes, il livrât les enceintes sacrées à quiconque eût voulu y porter ses pas sacrilèges ; fallait-il enfin que l’ordre fût partout boule versé ? C’est là surtout ce qui eût été un acte, non de douceur, mais d’inhumanité et de cruauté, de laisser un si grand mal s’accroître, et, pour épargner deux cents hommes, d’eau perdre tant de milliers. En effet, répondez, lorsque Moïse ordonna aux enfants de Lévi de massacrer leurs proches, qu’aurait-il fallu faire ? Dieu était irrité, l’impiété allait croissant et rien ne pouvait les soustraire à la colère céleste : Moïse aurait-il dû, laissant le fléau du ciel s’abattre sur toutes les tribus, livrer ainsi la race hébraïque à une extermination générale, et, le châtiment s’accomplissant, ne point s’occuper du péché, qui devenait alors irrémédiable. Ou bien n’a-t-il pas dû plutôt, par la punition corporelle et le meurtre de quelques hommes enlever le péché, apaiser le courroux du ciel, et rendre Dieu propice a toux qui avaient commis de telles offenses ? En examinant de cette manière la conduite du juste Moïse, vous trouverez que c’est principalement en cette circonstance qu’il nous montre sa douceur.
2. Mais nous laisserons les personnes qui aiment à s’instruire réfléchir là-dessus d’après ce que nous en avons dit, et afin de ne pas donner à l’accessoire des proportions plus grandes qu’au fond même du discours, revenons à notre sujet. Quel était-il ? « Souviens-toi, Seigneur, de David, et de toute sa douceur ; du serment qu’il fit au Seigneur, de la prière qu’il fit au Dieu de Jacob (2). » L’auteur du psaume parle d’abord de la douceur de David ; puis, omettant le récit de ce qui concerne Saül, les frères de David, Jonathas, ainsi que de la patience de David à l’égard du soldat qui l’avait abreuvé de mille outrages ; passant également sous silence bien d’autres faits encore, il en vient à un autre point, qui était particulièrement l’objet d’un grand zèle. Et pourquoi procède-t-il ainsi ? Pour deux motifs : le premier, c’est que la douceur est la qualité qui plaît le plus à Dieu ; « Car sur qui jetterai-je les yeux », dit-il, « si ce n’est sur l’homme doux et pacifique, et qui redoute mes paroles ? (Is. 66,2) » L’autre motif, c’est que l’affaire la plus urgente, c’était la réédification du temple, la reconstruction de la ville, et le rétablissement des anciennes coutumes : c’est donc principalement à ce point qu’il se hâte d’arriver, et laissant le premier de côté comme évident et reconnu, (ce fait, manifeste pour tout le monde, c’est la douceur de David), il aborde ce dont il a surtout besoin pour le but qu’il se propose. En effet, que désirait-on voir ? Le temple rebâti, et les anciens sacrifices rétablis. Et comme David s’était spécialement distingué sous ce rapport, l’auteur du psaume demande à Dieu, en récompense du zèle de David, la reconstruction du temple, et il dit : « Souviens-toi, Seigneur, de David, et de toute sa douceur ; du serment qu’il fit au Seigneur, de la prière, qu’il fit au Dieu de Jacob : Je jure de ne point entrer sous l’abri de ma maison, de ne point monter sur le lit où est ma couche (3), de ne point donner de sommeil à mes yeux, d’assoupissement à mes paupières, ni de repos à ma tête, jusqu’à ce que j’aie trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob (5). » Mais en quoi cela te concerne-t-il, demandera Dieu à l’auteur du psaume. C’est que, répondra-t-il à Dieu, je suis le descendant de David ; et comme son zèle vous fut agréable, comme vous lui promîtes en récompense d’affermir sa race et sa royauté, nous venons maintenant, à ce titre, réclamer l’effet de ce contrat. Or David n’avait point dit : Jusqu’à ce que j’aie bâti (car cette faveur ne lui avait pas été accordée), mais : « Jusqu’à ce que j’aie trouvé, un lieu pour le Seigneur, et un tabernacle. » Ainsi, l’auteur dit psaume ne parle pas de celui qui avait bâti le temple, et il met en avant celui qui avait promis de le bâtir, afin de vous apprendre quel grand bien c’est qu’une intention droite, et comment Dieu a coutume de réserver toujours une récompense pour la bonne volonté : c’est pour cela qu’il rappelle de préférence le souvenir de David, attendu que c’est plutôt lui, que son fils, qui a bâti le temple. L’un a promis de le construire, l’autre en a reçu l’ordre. Et voyez ici l’empressement de David. non seulement il dit qu’il n’entrera pas dans sa maison, qu’il ne montera pas sur sou lit, mais il déclare qu’il ne goûtera pas même sans tourment ce qui est de nécessité physique, tant qu’il n’aura pas trouvé un lieu et un tabernacle pour le Dieu de Jacob. Dieu reprochait aux Juifs le contraire lorsqu’il leur disait : « Vous habitez, vous autres, dans des maisons élégamment, lambrissées ; et moi, ma maison est délaissée. (Agg. 1,4) Jusqu’à ce que j’aie trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob. » Voyez encore par ce passage quel zèle, quelle âme pleine de sollicitude ! « Jusqu’à ce que j’aie trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob ; » ainsi parle le Roi-Prophète, lui qui avait tout à ses ordres, c’est qu’il ne voulait pas simplement bâtir, il voulait que ce fût dans l’emplacement le plus convenable ; le mieux approprié au temple ; et pour cela lit avait besoin de chercher, tant son âme était vivante ! « Car nous avons appris que l’arche a été à Ephratha, et nous l’avons trouvée dans les champs de la forêt (6). » Ici, l’auteur du psaume rapporte des faits anciens, pour indiquer que l’arche a précédemment erré pendant longtemps, allant de place en place ; c’est ce que signifie : « Car nous avons appris qu’elle a été à Ephratha », c’est-à-dire : nos pères nous ont raconté, nous savons par ouï-dire, que déjà, après avoir erré de tous côtés, dans les plaines et les campagnes, elle s’était ensuite fixée : eh bien ! puisse la même chose arriver encore aujourd’hui ! Par Ephratha, il entend ici la tribu de Juda, où elle avait été amenée après ses nombreux voyages. « Nous entrerons dans les tabernacles du Seigneur, « nous l’adorerons dans le lieu où se sont tenus ses pieds » Vous novez de quelles expressions matérielles il s’est servi, à cause de l’extrême grossièreté de ses auditeurs, en leur parlant de tabernacles de Dieu, de ses pieds, et d’un lieu, où ses pieds se sont tenus. Il désigne par tous ces mots l’endroit où était l’arche, parce que c’était de l’arche que sortaient des voix terribles qui, dans les affaires des Juifs, dissipaient les obscurités, et qui prédisaient l’avenir. « Lève-toi. Seigneur, pour te rendre au lieu de ton repos, toi et l’arche de ta sanctification (3). » Ou autrement : « De ta force. » Autrement encore : « De ta puissance. » Du reste, les deux sens sont conformes à la vérité. Car c’était de l’arche que Dieu envoyait la sainteté, et les paroles écrites qui y étaient placées procuraient à la fois et ! a sainteté et la force.
3. L’auteur du psaume a donc bien dit : oui, Dieu fit éclater une grande puissance par le moyen de l’arche, non pas une ou deux fois, mais souvent, comme par exemple lorsqu’elle fut prise par les habitants d’Azot, lorsqu’elle renversa les idoles, lorsqu’elle frappa ceux qui l’avaient prise, lorsqu’ayant été restituée elle arrêta le fléau ; enfin, par d’autres merveilles encore qu’elle opérait là où elle était alors, elle manifestait sa vertu. Et que signifient ces mots : « Lève-toi pour te rendre au lieu de ton repos ? » C’est-à-dire, mets un terme à nos marches errantes, aux déplacements de ton arche que nous portons avec nous et fais enfin qu’elle se repose. « Tes prêtres se revêtiront de justice (9). » Suivant une autre version : « Que tes prêtres s’enveloppent de justice », et suivant une autre encore : « Que tes prêtres se revêtent de justice », ce qui est certainement plus clair, car ce sont ici les paroles, non d’un homme qui prophétise, mais d’un homme qui prie et qui demande la possession de la vertu. Il appelle justice les cérémonies saintes, le sacerdoce, le culte, les sacrifices, les offrandes et aussi la régularité de la conduite, car c’est surtout des prêtres qu’elle doit être exigée. « Et tes saints seront dans l’allégresse », lorsque ces choses arriveront. Voyez, il n’ambitionne ni la reconstruction de la ville, ni l’abondance des vivres, ni les autres genres de prospérité ; ce qu’il cherche c’est la dignité du temple, le repos de l’arche, la perfection des prêtres, les cérémonies sacrées, le culte, le sacerdoce. Puis, comme les Juifs demandaient aussi tout cela, mais qu’ils étaient coupables de beaucoup de péchés, il s’autorise encore de celui dont il descend. « À cause », dit-il, « de David ton serviteur, ne repousse pas le visage de ton christ (10). » Pourquoi dit-il : « A cause de David ton serviteur ? » Ce n’est pas seulement, veut-il dire, en faveur de la vertu de David, ni parce qu’il a montré tant de zèle pour la construction du temple, mais encore parce que tu as fait un pacte avec lui. « A cause de David ton serviteur, ne repousse pas le visage de ton christ. » Quel est ce christ ? Celui qui, ayant reçu l’onction sainte, gouverne maintenant le peuple et est à la tête de la nation. « Le Seigneur a juré à David la vérité et il ne la démentira pas. Je placerai sur ton trône quelqu’un qui viendra du fruit de tes entrailles (11). » En effet, après avoir évoqué le souvenir de David et de sa vertu, ainsi que de son zèle relativement au temple, après avoir rappelé les événements d’autrefois et réclamé auprès de Dieu pour que le temple reparût avec ses premières institutions, l’auteur du psaume met en avant ce qui est pour lui l’objet capital, en reproduisant les conventions établies par Dieu. Et quelles sont-elles ? « Je placerai sur ton trône quelqu’un qui viendra du fruit de tes entrailles. » Toutefois ce pacte n’a pas été fait purement et simplement, mais avec une certaine restriction. Quelle est-elle donc cette restriction ? Écoutez, l’Écriture ajoute : « Si tes fils gardent mon alliance et ces témoignages que je leur enseignerai, et si leurs fils les gardent dans la suite des siècles, ils seront assis sur ton trône (12). » Dieu ayant établi ces conventions avec les fils de David, leur en remit l’acte entre les mains ; et ceux-ci disaient en réponse : « Nous ferons et nous écouterons tout ce qu’a dit le Seigneur. » (Ex. 24,7) Puis, comme l’auteur du psaume voit que plusieurs d’entre eux ont transgressé les conventions, il reprend ta suite de son discours, il met tout en couvre pour trouver des paroles de consolation, et voici ce qu’il dit : « Car le Seigneur s’est choisi Sion, il l’a adoptée de préférence pour être a sa demeure (13). Elle est, dit-il, mon lieu de a repos dans la suite des siècles. C’est là que « j’habiterai, parce que je l’ai choisie de préférence (14). » Ce qui signifie, ce n’est pas un homme qui a choisi ce lieu, c’est Dieu même qui l’a désigné par condescendance pour leur faiblesse. Voici donc le sens : ce lieu que vous ayez choisi, que vous avez élu, que vous avez désigné, que vous avez jugé convenable, ne le laissez pas tomber en ruines, ne le laissez pas périr. Car vous avez dit : « J’y habiterai. » Mais il avait parlé ainsi aux conditions précitées. Quelles conditions donc ? « Si tes fils gardent mon alliance. Je comblerai sa chasse[25] de mes bénédictions (15). » Un autre interprète traduit : « Sa nourriture. » Le mot chasse signifie ici l’abondance des vivres, des récoltes, ainsi Dieu souhaite que tout leur afflue comme de source. En effet, les Juifs étaient autrefois dans de telles conditions d’existence qu’ils ne ressentaient pas les nécessités physiques ; lorsqu’ils avaient Dieu pour eux, il n’y avait chez eux ni disette, ni famine, ni peste, ni mort prématurée, ni aucun de ces fléaux tels qu’il en arrive souvent parmi les hommes : tout leur affluait comme de source, la main de Dieu corrigeant la faiblesse des choses humaines. L’auteur du psaume dit donc ici : Vous avez promis de bénir la chasse de Sion, c’est-à-dire, de lui fournir avec toute garantie l’abondance des choses nécessaires. « Je rassasierai ses pauvres de pains (15). Je revêtirai ses prêtres de salut et ses saints tressailleront d’allégresse (16). C’est là que je ferai paraître la puissance de David, j’ai préparé un flambeau a pour mon christ (17). Je couvrirai ses ennemis de confusion et sur lui fleurira ma sanctification (18). »
Voyez la prospérité résultant de toutes les conditions réunies, aucune des choses nécessaires ne leur manque, les prêtres sont en sûreté, le peuple dans la joie et le roi plein de force. Car ce qu’il appelle ici le flambeau promis au roi, c’est, ou la protection divine, ou le salut, ou la lumière, et ces avantages sont accompagnés du genre de prospérité le plus insigne. Quel est-il ? Les ennemis seront couverts de honte et personne ne viendra corrompre tant de biens. Et l’auteur du psaume ne dit pas seulement la ruine, mais la honte, il veut que, restant en vie ; ils soient couverts de confusion, qu’ils se cachent et que par les maux qu’ils endureront, ils témoignent de la force et de la prospérité de ce peuple. « Et sur lui fleurira ma sanctification. » Que signifie : « Et sur lui ? » Cela veut dire : Sur le peuple. « Ma sanctification. » Un autre interprète a mis : « La puissance ; » un autre « Sa distinction ; » et un autre : « Ce qui le distingue. » Quelle est en définitive le sens de ce passage ? Je crois que cela signifie le succès, la sécurité, la force, la royauté.
Les dons que je lui ai réservés dès le commencement, veut dire l’auteur du psaume, demeureront florissants et en pleine vigueur ils ne se flétriront ni ne dépériront ; mais tout cela aura lieu, si la condition dont nous avons parlé plus haut continue à être observée. Quelle condition ? « Si tes fils gardent mon alliance. » Car les promesses de Dieu, toutes seules, ne nous procurent pas les différents biens, si, de notre côté, nous ne faisons pas ce qui dépend de nous, et nous ne devons pas, comptant sur ces promesses, nous relâcher et nous endormir. Car il y a beaucoup de biens que Dieu a promis et qu’il ne donne pas, parce qu’il trouve que ceux qui en ont reçu les promesses en sont indignes ; de même qu’il ne donne pas leur effet aux maux dont il nous avait menacés, lorsque ceux qui l’avaient irrité se convertissent ensuite et désarment sa colère. Instruits de ces vérités, ne nous laissons pas aller à la tiédeur en nous fiant aux promesses de Dieu, afin de ne point faire de chute, et en même temps, ne nous décourageons pas sous l’impression des menaces, mais convertissons-nous. Car c’est ainsi que nous pourrons obtenir les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXII.

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1 « QU’Y A-T-IL JE LE DEMANDE, DE BON OU D’AGRÉABLE ? (AUTRE VERSION : QU’Y A-T-IL, JE LE DEMANDE, DE BON ET DE BEAU), SI CE N’EST QUE DES FRÈRES HABITENT ENSEMBLE UNIS ? »

ANALYSE.

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Caractères et avantages de la concorde.
Il y a bien des choses moralement belles, qui ne sont pas agréables ; d’autres, qui font plaisir sont dépourvues de la grande et véritable beauté : quant à trouver ces deux qualités réunies, cela n’est pas fort aisé. Mais dans le fait qui nous occupe, les deux conditions se sont rencontrées : plaisir et grande beauté morale. C’est là en effet le principal apanage de la charité : outre son utilité, elle est aussi très-facile, et en même temps agréable à pratiquer. C’est donc bien elle que le Psalmiste célèbre encore ici. En effet, il ne parle pas simplement de la demeure que l’on occupe, ni de réunion dans une seule petite habitation, mais il parle d’habiter ensemble unis, c’est-à-dire dans la concorde et la charité ; car il en résulte alors que plusieurs ne font qu’une seule et même âme. Puis, après avoir dit que cela était beau et agréable, il rend son discours encore plus clair, en mettant sous forme de comparaison ce qu’il vient de dire, et il emprunte des images matérielles capables de le présenter plus nettement à nos yeux. Et voyez quelles sont ces images : « C’est comme ce parfum qui, répandu sur la tête, descendit sur la barbe, sur la barbe d’Aaron (9), et jusqu’au bord de son vêtement (3). » En effet Aaron, en sa qualité de grand prêtre, se frottait de ce parfum, qui, ruisselant sur lui de tous côtés, le rendait très-gracieux à voir, en même temps qu’agréable et attrayant à cause de cette bonne odeur. Ainsi, veut dire le Psalmiste, comme Aaron frotté de ce parfum, offre un aspect brillant, un extérieur éclatant, qu’il est tout enveloppé d’une odeur suave, et qu’il est la joie des yeux qui le contemplent ; de même cette union entre frères est une belle chose ; et de même que ce spectacle non seulement est beau à voir, mais encore réjouit les yeux, ainsi cette charité met la joie dans l’âme. « C’est comme la rosée de l’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion (3). » Nouvelle image qu’il emprunte, fort gracieuse aussi, et propre à charmer l’esprit qui s’y arrête les expressions qu’il emploie ne sont pas l’effet du hasard : avant la captivité, dix tribus avaient vécu séparées des deux autres : cette division était devenue la cause de nombreuses iniquités ; elle avait jeté les Juifs dans les dissensions, les querelles elles guerres ; afin donc que cet état de choses ne reparaisse point, il avertit le peuple, il lui conseille de ne plus donner l’exemple de cette scission, mais d’habiter ensemble, de rester uni, d’obéir à un seul chef, à un seul roi, et de faire que la charité répande ses flots salutaires dès à présent et à jamais, semblable à la rosée qui pénètre partout. Il compare la charité à un parfum et à la rosée, voulant par le premier représenter la bonne odeur, et par la seconde, le repos et le charme de la vue. « Parce que c’est là que le « Seigneur a ordonné que fût sa bénédiction (4). » Quel endroit désigne le mot : « Là ? » L’endroit habité de la manière que l’on vient de dire, avec cet accord, cette bonne intelligence, cette union dont on a parlé. Car c’est là la bénédiction, comme le contraire est la malédiction. C’est pourquoi l’Écriture loue ailleurs la même chose en ces termes : « L’amitié entre les frères, la concorde entre les proches, le mari et la femme ayant de la condescendance l’un pour l’autre. » (Sir. 25,2) Et autre part, se servant de figures pour donner à entendre leur force, elle s’exprime ainsi : « S’ils se couchent deux ensemble, ils seront réchauffés, et la corde qui est triple ne sera pas vite rompue. » (Qo. 4,11-12) En effet elle nous montre ici, et le plaisir et la force ; elle nous fait voir que même dans leur repos leur plaisir sera grand, et que s’ils se mettent à agir, grande sera leur force. Elle dit encore : « Le frère secouru par son frère est comme une ville fortifiée. » (Prov. 12,19) Et Jésus-Christ nous déclare ceci : « Là où deux ou trois personnes sont réunies en mon nom, j’y suis au milieu d’elles. » (Mt. 18,20) C’est notre nature même qui le réclame. Aussi, lorsque Dieu forma l’homme au commencement, il dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul « (Gen. 2,18) ; » et quand il fit cet être due l’on appelle la femme, il l’unit à l’homme par les liens étroits du besoin, et il nous rapprocha l’un de l’autre en mille manières. Ensuite le Psalmiste ajoute fort bien : « Et la vie dans l’éternité. » Car où est la charité, il y a grande sécurité, et grande assistance de la part de Dieu. En effet, elle est la mère des biens, elle en est la racine et la source, elle est la suppression des guerres, l’anéantissement des dissensions. C’est pour montrer cela qu’il ajoute : « Et la vie dans l’éternité. » Car de même que les dissensions et les querelles occasionnent les morts, et les morts prématurées ; de même la charité et la concorde produisent la paix et font les cœurs unis ; or, où il y a paix et union des âmes, l’existence est pleine de confiance et de sécurité. Et pourquoi parler de la vie actuelle ? C’est encore la charité qui nous fait obtenir le ciel et les biens mystérieux, et elle est la reine des vertus. Puisque nous le savons, soyons diligents à en poursuivre la possession, afin de jouir des biens présents et des biens futurs : puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire au Père ainsi qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXIII.

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« MAINTENANT DONC BÉNISSEZ LE SEIGNEUR, VOUS TOUS QUI ÊTES LES SERVITEURS DU SEIGNEUR, VOUS QUI VOUS TENEZ DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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Quelle grande sainteté est requise pour la réception de la sainte Eucharistie. La nuit ne doit pas être employée tout entière à dormir. Les chrétiens peuvent honorer Dieu partout.
Ici le Psalmiste termine les psaumes des degrés, et pour les couronner dignement, il conclut par la louange et la bénédiction. Il veut que l’on se montre serviteurs du Seigneur non seulement par la croyance aux dogmes, mais aussi par la pratique des vertus, c’est ce qu’il fait entendre lorsqu’il ajoute : « Vous qui demeurez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu. » Car à celui qui est impur et profane, il n’est pas permis de franchir même le seuil de l’enceinte sacrée. En sorte que quiconque est digne d’entrer, est digne aussi de chanter les louanges. La maison de Dieu est comme le ciel, et non moins que le ciel, la maison de Dieu est fermée à toute puissance ennemie.
Considère, ô homme, quelle est ta dignité, et puisque tu es devenu toi-même un temple, quelle pureté tu ne devrais pas présenter ? Et en quoi consiste cette pureté ? à rejeter toute pensée mauvaise, à rendre la forteresse de ton cœur inaccessible aux forces diaboliques, à demeurer comme dans un inviolable sanctuaire, tout occupé d’orner ton cœur. Dans le temple juif, tout lieu n’était pas accessible à tout homme, mais il y avait plusieurs enceintes différentes : une pour les prosélytes, une pour les Juifs d’origine, une pour les prêtres, une pour le grand-prêtre, et encore dans laquelle celui-ci n’entrait pas tous les jours, mais seulement une fois l’année ; s’il en était ainsi pour ce temple matériel, quelle sainteté ne te faut-il pas à toi dépositaire de sacrements bien plus grands que les symboles que renfermait le Saint des saints ! Tu as pour résider en toi non les chérubins, mais le Maître même des chérubins ; ni l’urne d’or, ni la manne, ni les tables de pierre, ni la verge d’Aaron, mais le corps et le sana du Seigneur, et au lieu de la lettre, l’esprit, et une grâce surpassant toute pensée humaine, un don inénarrable. Plus sont, grands les sacrements, et redoutables les mystères dont tu as été honoré, plus doit l’être aussi la sainteté exigée de toi, et plus le sera certainement ta punition si tu transgresses les commandements. – « Durant les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire (2). » Une autre version : « Saintement ; » une autre : « d’une manière sainte et bénissez le Seigneur. »
Pourquoi dit-il : « Durant les nuits ? » Pour nous apprendre à ne pas donner toute la nuit au sommeil, et pour nous faire entendre que les prières sont plus pures, alors que l’esprit est plus prompt, et le repos plus profond. S’il est recommandé de venir dans le sanctuaire jusque pendant la nuit, songez quelle sera l’excuse de celui qui durant ce temps ne prie pas même dans sa maison. Le Prophète veut que vous quittiez votre couche, que vous vous renfliez au temple, que vous y passiez la nuit en prière, et vous, vous ne priez pas même en ressaut dans l’intérieur de votre maison. « Saintement ; » est bien dit, cela nous montre qu’il faut prier sans aucune mauvaise pensée dans l’esprit, pensée de rancune, pensée d’avarice, pensée d’un péché quelconque de nature à donner la mort à l’âme. – « Et bénissez le Seigneur. » La bénédiction parfaite est celle qui résulte de la parfaite harmonie des paroles et de la vie ; elle demande que vous glorifiez aussi par vos actions le Dieu qui vous a créés, selon cette parole de l’évangile : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos belles actions et qu’ils glorifient votre Père qui est aux cieux. » (Mt. 5,16) – « Qu’il vous bénisse de Sion, le Seigneur qui a créé le ciel et la terre (3). »
C’est-à-dire si vous faites ces choses, vous obtiendrez en retour la bénédiction de Dieu, c’est-à-dire si vous vous levez la nuit, si vous priez saintement, si vous êtes digne d’entrer dans la maison du Seigneur, si vous faites en sorte d’être vous-mêmes des temples convenables. Avant donc exhorté comme il fallait, le Psalmiste clôt son discours par une prière. C’est le propre d’un excellent maître de redresser le disciple par le conseil et de le fortifier ensuite par la prière. Que veut-il montrer en disant : « De Sion ? » C’était un nom agréable à entendre pour les Israélites, c’était le lieu exclusif où s’accomplissaient tous les rites sacrés. C’est pourquoi le Prophète souhaite à ses compatriotes de recouvrer leur premier état religieux, ainsi que la pratique de leurs cérémonies saintes, afin d’obtenir par là les bénédictions de Dieu. Puis pour les élever à des dogmes plus hauts et leur apprendre que Dieu est partout, que c’est pour condescendre à leur faiblesse qu’il a décrété la construction du temple, mais qu’il convient de l’invoquer partout, le Psalmiste a ajouté : « Qui a créé le ciel et la terre. »
Dans ce temps-là c’était à Sion que les fidèles invoquaient Dieu, nous, nous l’honorons en tout lieu, en tout endroit, à la maison, sur la place publique, dans la solitude, en vaisseau, dans les hôtelleries, partout. Rien de ce qui est du lieu n’empêche la prière, pourvu que la manière de vivre soit convenable à la prière. Réalisons cette condition, et invoquons Dieu partout, et il viendra, et il nous secourra, et tout ce qui sera difficile il nous le rendra aisé et facile, et il daignera nous mettre en possession de, biens éternels, à la jouissance desquels puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXIV.

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1 « LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR ; LOUEZ LE SEIGNEUR, VOUS QUI ÊTES SES SERVITEURS ; VOUS QUI DEMEUREZ DANS LA MAISON DU SEIGNEUR, DANS LE PARVIS DE LA DE NOTRE DIEU. LOUEZ LE SEIGNEUR, PARCE QUE LE SEIGNEUR EST BON. (1, 2, 3) »

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Heureuse influence que la psalmodie exerce sur les âmes. De l’élection du peuple juif, qu’elle avait pour but l’intérêt de toutes les nations.
  • 3. Phénomènes merveilleux résultant de la rencontre des éléments contraires. De l’utilité des vents. Ce qu’il faut entendre par ces trésors d’où, selon le Psalmiste, Dieu tire les vents.
  • 4. et 6. Universalité de la Providence divine.
  • 7. De la vanité des idoles, du parti que le démon sait en tirer pour perdre les hommes.


Nouvelle exhortation au sacrifice par ! es louanges ; car c’est là le sacrifice, l’oblation qui convient à Dieu. Aussi, ailleurs encore, le Psalmiste dit-il : « Je louerai le nom de mon Dieu, en chantant un cantique ; je le glorifierai par mes louanges, ce qui sera plus agréable à Dieu qu’un jeune veau, montrant ses premières cornes et ses ongles. » (Ps. 68,31, 32) Et il ne cesse de rappeler la maison, le parvis, le lieu où il attache, où il retient les transports des fidèles. En effet, dès le commencement la loi a voulu l’établissement du temple, pour prévenir toute impiété, toute idolâtrie ; pour tenir en un seul lieu les croyants rassemblés, pour empêcher la licence vagabonde, qui trouvait partout, dans les bois, auprès des fontaines, sur les collines, sur les montagnes, des occasions d’impiétés, de sacrifices, de libations sur les hauts lieux. Aussi le législateur va-t-il jusqu’à prononcer la mort contre celui qui sacrifie hors du temple : « Celui qui n’aura pas présenté l’offrande à l’entrée du tabernacle, pour être offerte au Seigneur, sera coupable de meurtre. » (Lévitique, 17,4) Si la loi rassemble de toutes parts les Hébreux en un seul et même lieu, c’est pour leur donner les enseignements de la sagesse, c’est pour les préserver de tous les écarts de la pensée. Et il leur est enjoint de chanter des cantiques et des psaumes, parce que les louanges adressées à Dieu les édifient dans la piété, leur exposent les vieilles histoires, les événements de l’Égypte, les événements du désert, ce qui est arrivé dans la Terre Promise, ce qui s’est passé quand la loi fut donnée, ce qu’on a vu sur le Sinaï, les guerres qu’ils ont eus à soutenir ; en même temps que le peuple bénissait son Dieu, il chantait et s’instruisait tout ensemble, il apprenait les règles de vie qui le préparaient à des dogmes supérieurs. « Louez le Seigneur, parce que le Seigneur est bon. » Une autre version porte : « Parce que le Seigneur est débonnaire. » Toutes les qualités qu’on désire le plus en Dieu, l’Écriture les lui attribue saris cesse, l’affection pour l’homme, la miséricorde, une débonnaire douceur.
« Chantez son nom, parce que cela est beau. » Ces paroles montrent que la louange est un plaisir, qu’accompagne l’utilité. Le principal avantage des hymnes qu’on adresse à Dieu, c’est de purifier l’âme, d’élever la pensée, de faire connaître la doctrine, d’apprendre la sagesse qui réfléchit sur le présent et sur l’avenir. A ces avantages, la mélodie ajoute un grand plaisir ; c’est une consolation, c’est une récréation, et elle rend vénérable celui qui fait entendre ces chants. Ce qui prouve la vertu efficace des hymnes, c’est ce que dit un interprète : « Parce que cela est convenable ; » un second interprète encore : « Parce que cela est doux. » Tous les deux disent la vérité. Quelque libertin que soit celui qui chante, s’il respecte son chant, il endort la tyrannie de ses passions ; quoique accablé sous le poids de vices sans nombre, quoique possédé d’un mal qui abat son âme, sous l’action du plaisir qui la caresse, sa pensée devient plus légère, son intelligence prend des ailes, son âme s’élève sur les hauteurs —. « Parce que c’est Jacob que le Seigneur s’est choisi pour être à lui ; parce que c’est d’Israël qu’il a fait sa possession (4). » Le psaume ne parle pas des bienfaits partagés avec les autres peuples, mais du bienfait propre à Israël, et qui en fait un peuple choisi. Quel était ce bienfait ? C’est que Dieu s’est choisi ce peuple, qu’il se l’est consacré, qu’il lui a montré une bienveillance toute particulière ; et partout les prophètes se plaisent à rappeler les bienfaits qu’ils ont reçus de Dieu, ils en font comme la trame de leurs discours. Mais que signifient ces paroles : « sa possession ? » C’est-à-dire sa richesse, son luxe. En effet, si chétif que fût ce peuple, Dieu l’a choisi pour lui, comme on recherche la richesse ; sans s’arrêter au petit nombre, ne considérant que la vertu à laquelle il veut amener ce peuple, il l’a choisi, parce que les autres nations ne lui présentaient pas autant de ressources, et ce peuple est devenu un peuple de choix, et pour manifester la bienveillance de celui qui l’a choisi, et pour servir d’enseignement aux hommes. C’est en effet l’habitude de Paul lui-même d’appeler richesse, le salut des hommes. Exemple, ces paroles : « C’est le même Seigneur « qui répand ses richesses sur tous ceux qui l’invoquent (Rom. 10,12) ; » et ailleurs : « Cela regarde son maître, s’il demeure ferme ou s’il tombe. » (Rom. 14,4). Voyez comme il montre la bienveillance de Dieu, sa providence, sa sollicitude, son amour pour les fidèles en les considérant comme sa possession. Cette providence si rare se révèle donc de deux manières, et parce que Dieu a choisi ce peuple, et parce qu’il en a fait sa possession. Avez-vous bien compris comment le Psalmiste a montré l’amour de Dieu pour l’homme ? Voilà pourquoi, dès le commencement, il dit : « Louez le Seigneur, parce que le Seigneur est bon, parce que j’ai reconnu que le Seigneur est grand (5). » Voilà un nouveau motif de louanges. – Mais que voulez-vous dire, ô Prophète ? Vous avez reconnu, dites-vous, que le Seigneur est grand : est-ce que les autres hommes l’ignorent ? – Non, certes, mais ils ne le savent pas comme moi. – Oui, c’est là surtout le propre des saints, et de ceux qui se sont élevés le plus haut ; ils connaissent mieux la grandeur de Dieu ; ils ne la connaissent pas tout entière (car cela est impossible), mais ils la connaissent mieux que les autres. « Et que notre Dieu est élevé au-dessus de tous les dieux. » Voyez-vous, objectera-t-on, il a dit : « Que Dieu est grand ; » il a dit : « J’ai reconnu que le Seigneur est grand ; » et en poursuivant son discours, il l’affaiblit ; il compare Dieu aux autres dieux et il ne lui accorde qu’une supériorité relative. Nullement ; le Psalmiste a égard à la faiblesse de ceux qui l’écoutent, et ce n’est que pas à pas qu’il les fait monter avec lui ; ce n’est pas, en effet, une bien grande preuve de la grandeur de Dieu que de dire qu’il est plus grand que les autres dieux, au-dessus de tous, mais je répète ce qu’il me tardait de dire, il mesure son langage à la faiblesse de ceux qui l’entendent ; il les fait monter pas à pas. C’était œuvre de charité de ne leur faire entendre que ce qui pouvait produire en eux la persuasion.
2. En effet, que cette supériorité de Dieu défie toute comparaison, c’est ce que le Psalmiste montre par les paroles qui suivent, où il donne la plus forte preuve de la puissance divine, où il montre qu’il a voulu accommoder ses premières paroles à la faiblesse de ceux qui l’entendent. Voilà pourquoi, quand il ne fait qu’énoncer, ses expressions sont faibles ; mais quand il veut insister, quand il démontre, quand il fournit les arguments qui établissent la grandeur de Dieu, ses paroles sont grandes alors. Que dit-il donc ensuite, qui soit digne de Dieu, de Dieu seul ? Voyez ce qu’il ajoute : « Le Seigneur a fait tout ce qu’il a voulu, dans le ciel, dans la terre, dans les mers, et dans tous les abîmes (6). » Voyez-vous la toute-puissance, qui se suffit à elle-même ? Voyez-vous la source de vie ? Voyez-vous la force invincible ? Voyez-vous l’incomparable supériorité ? Voyez-vous la force, à qui rien ne fait obstacle ? Voyez-vous la facilité absolue, que rien tic gêne ? car, dit-il, le Seigneur a fait tout ce qu’il a voulu. » Où cela ? répondez-moi. « Dans le ciel et dans la terre ; » c’est-à-dire, non seulement ici-bas, mais dans le ciel même ; non seulement dans le ciel, mais sur la terre ; non seulement sur la terre, mais de plus, « dans les mers et dans tous les abîmes. » Abîmes signifie ici les parties les plus profondes de la terre, de même que « dans le ciel », signifie les parties les plus élevées des cieux. Eh bien ! ces immensités n’ont rien qui embarrasse sa volonté ; elle franchit tous les espaces ; et, voyez la merveille ! Il a tout fait, et pour cela il ne lui a fallu ni peine ni fatigue, il n’a pas même eu besoin de commander, sa simple volonté lui a suffi pour tout faire, il a seulement voulu et l’œuvre a suivi. Voyez-vous comme le Psalmiste montre la facilité de l’œuvre, le luxe intarissable des ouvrages, la puissance qui ne connaît pas d’obstacle ? Ensuite, cessant de parler du ciel et de la mer, il montre les ouvrages qui en dépendent, il ne les nomme pas tous, mais, franchissant rapidement ce qui est dans le ciel,.quoiqu’il y ait là des merveilles, il parle de ce qui est autour du ciel. Pourquoi ? C’est que ces premières merveilles, si éclatantes qu’elles fussent, étaient ignorées d’un grand nombre ; les autres, quoique moins admirables, étaient pourtant visibles, tous en avaient le spectacle. S’adressant à des hommes moins touchés de l’invisible que du spectacle étalé sous leurs yeux, il commence son enseignement par les merveilles visibles ; le conseil qu’il donne, il le met lui-même en pratique. Que conseille-t il donc ? De louer Dieu par ses œuvres, en les passant en revue l’une après l’autre, et de lui rendre gloire pour chacune de ses œuvres. En donnant le conseil de louer Dieu, il ne cessait pas de répéter : « Louez le nom du Seigneur ; louez le Seigneur, vous qui êtes ses serviteurs. » Et maintenant il montre comment il faut le louer ; en parcourant la création tout entière, en admirant, en exaltant la sagesse de Dieu, sa providence, sa puissance, sa sollicitude. Par là, nous apprenons que notre nier n’est pas la seule qui existe, mais qu’il y en a beaucoup d’autres, et d’une étendue immense. En effet, le Psalmiste dit : « Dans les mers, et dans tous les abîmes. » La mer Caspienne, la mer des Indes, et la mer Rouge sont séparées de la nôtre ; et, en dehors, enveloppant tout le reste, est l’Océan. « Il fait venir les nuées de « l’extrémité de la terre (7). » Autre version : « Il fait monter ; » autre version : « Il attire des dernières limites ; » autre version : « Du bout du monde. » C’est encore ce qu’on voit dans Job : « C’est lui qui enserre les eaux dans les nuées. » (Job. 25,8) Et Salomon : « Contenant l’eau comme dans un vêtement. » (Prov. 30,4) Le Psalmiste ici parle d’une autre merveille. De laquelle ? De celle qui a lieu lorsque l’air devenu plus lourd s’élève néanmoins, et, nonobstant le corps pesant qu’il porte, suit une marche ascendante, et contraire à celle que suivent naturellement les corps graves. Voyez que de merveilles ! l’eau est contenue dans l’air ; et, ce qui est bien plus admirable encore, l’eau est contenue dans un corps plus léger qu’elle qui la porte ; mais ce qui est encore plus incroyable, c’est que l’eau contenue dans cet air, une fois répandue hors du nuage, n’est plus retenue par l’air qui est au-dessous, mais s’écoule en divers sens, de tous côtés, et se précipite sur la terre. Si elle était contenue dans le nuage naturellement, il faudrait qu’elle fût aussi contenue dans l’air. Supposons dans l’air, une outre peine d’eau, supposons que cette outre soit portée par l’air, nécessairement l’air portera aussi l’eau contenue dans l’outre, si cette eau vient à en sortir ; voilà la conséquence naturelle des faits. Mais parce que toutes ces œuvres sont des merveilles faites pour confondre la pensée humaine, elles sont supérieures aux lois ordinaires de la nature comme à la raison de l’homme. Comment ! ce qui est contenu dans l’air du nuage n’est plus contenu dans l’air qui suit le nuage ? Avez-vous compris ce qu’il y a là de merveilleux, et comment un fait inférieur à tant d’autres merveilles, est encore une merveille ? Le Psalmiste montre, de plus, un autre prodige, en disant : soit de « l’extrémité de la terre », soit des « limites de la terre. » En effet, non seulement les nuées montent, mais de plus elles voyagent ; et ce n’est pas où elles ont d’abord paru, qu’elles envoient la pluie, elles franchissent souvent de grands espaces, versant ailleurs leurs eaux, par-delà les cités et les peuples. La merveille n’est donc pas seulement qu’elles montent, mais qu’elles marchent aussi solidement que sur un plancher, en portant une si grande masse d’eaux.
3. « Il change les éclairs en pluie. » Voyez encore un autre prodige : des natures contraires qui se réunissent ; rien n’est plus essentiellement du feu, que l’éclair ; rien n’est plus froid que l’eau, et cependant ces éléments se mêlent sans se confondre, sans se tempérer l’un par l’autre ; chacun d’eux conserve toute sa force. Le feu persiste dans l’eau et l’eau dans le feu, et le feu ne dessèche pas l’eau ; l’eau n’éteint pas le feu. L’éclair est plus vif que la lumière du soleil, c’est un feu plus brillant, plus pénétrant ; c’est ce qu’atteste le regard de l’homme en perpétuel rapport avec les rayons du soleil, et incapable de supporter l’éclair, même un seul instant ; le soleil met un jour entier à parcourir le ciel, l’éclair en un moment illumine la terre ; c’est ce que le Christ atteste par ces paroles : « Comme un a éclair qui sort de l’orient et paraît à l’occident. » (Mt. 24,27) « Et il fait sortir les vents de ses trésors. » Autre élément maintenant, qui ne nous est pas d’une mince utilité, au contraire, élément précieux, vital, qui nous ranime, qui nous rafraîchit, qui rend l’air plus léger ; telle est, en effet, l’œuvre des vents ; ils secouent l’air en tous les sens ; ils en préviennent l’immobilité qui le corromprait ; ils font mûrir les fruits, ils nourrissent les corps ; comment énumérer les services qu’ils rendent aux navigateurs ? ils s’élèvent à des époques déterminées, selon un ordre établi ; ils se retirent mutuellement les uns devant les autres ; ils dansent sur la surface de la mer et ils transportent les matelots. Tel vent pousse le marin et le transmet à un autre qui le reçoit ; dans les routes contraires qu’ils suivent, ils se montrent nos serviteurs, et la guerre qu’ils se livrent nous est encore utile. On pourrait parler d’autres services, en nombre infini, que les vents nous rendent ; toutefois, sans s’y arrêter, le Prophète laisse à celui qui écoute le soin de les découvrir ; il se borne à montrer la facilité de la production, car ces paroles : « De ses trésors », ce n’est pas pour faire entendre qu’il y ait je ne sais quels trésors des vents, c’est pour montrer la facilité de leur production, la rapidité, la toute-puissance du pouvoir qui les tient tout prêts. En effet, celui qui possède un trésor, y puise à son aise, il en tire toutes choses à sa volonté ; c’est ainsi que le Créateur de l’univers a tout créé sans peine, et enrichi la nature.
Voyez, dans l’air, quelle variété, quelles transformations dans l’eau et dans le feu ? Les eaux sortent des fontaines ou de la mer, ou de l’air, ou des nuages, ou du ciel, ou des espaces supérieurs au ciel, ou des abîmes de la terre ; et le feu maintenant vient du soleil, ou de la lune, ou des astres, ou des éclairs, ou de l’air, ou du bois, ou de ce qui nous entoure, ou de nos lumières, ou de la terre ; et, en effet, partout se rencontre le feu qui vient de la terre ; témoin les sources d’eaux chaudes, et le feu qui jaillit des pierres par le frottement, qui jaillit de la chevelure des arbres, par le frottement encore, et il y a le feu des tonnerres. Variété dans l’air maintenant : l’un est plus épais, celui qui nous entoure ; l’autre, l’air supérieur, est plus subtil et aussi plus mâle de feu. Innombrable variété maintenant dans la nature des vents : l’un est plus subtil, l’autre plus épais ; l’un rafraîchit, l’autre dessèche ; l’un est plus humide, l’autre est plus chaud. Considérons encore les nuages aériens les uns s’avancent lentement, les autres vont avec la vitesse d’un cheval au galop ; mêmes différences dans les nuées poussées par les vents : les unes ressemblent à des urnes, tantôt remplies d’eau, tantôt vides ; les autres à un éventail. Quant à toi, au spectacle de cette diversité, de cette variété, apprends à admirer l’Ouvrier qui a fait toutes ces choses.
« Il a frappé les premiers-nés de l’Égypte (8). » Après les généralités, après avoir montré la providence de Dieu embrassant toute la terre, par ses éclairs, par ses vents, par la variété des fonctions de l’air, par les nuages, par les pluies ; après avoir confondu les insensés qui attribuent à la lune même une providence, il arrive aux œuvres particulières faites dans l’intérêt particulier des Juifs. Que la terre, que le ciel, que l’univers se ressente de la bonté de Dieu, c’est ce que le Psalmiste a montré ; maintenant, pour exciter la reconnaissance des Juifs, il raconte, de plus, les faits qui les concernent en particulier, il leur montre que le Dieu de l’univers, qui prend soin de toutes choses, leur a départi certains bienfaits qui ne sont que pour eux, quoiqu’à un autre point de vue, il faille reconnaître que les faveurs, qui leur étaient départies, étaient encore, des bienfaits pour le monde entier. En effet, le privilège qui les avait choisis entre les autres peuples, était pour les peuples un motif d’émulation. Ce que Paul fait entendre par ces paroles : « Leur chute est devenue le salut des gentils, jaloux de les remplacer. » (Rom. 11,11) Comme un père, quand ses enfants s’éloignent de lui, en prend un qu’il fait asseoir sur ses genoux, ce qu’il ne fait pas seulement par amour pour ce fils, mais bien plutôt pour que ses autres enfants se piquent d’émulation à cette vue, s’empressent de revenir, afin de recevoir la même preuve de bonté ; ainsi Dieu a fait à l’égard des Juifs ; il ne les a pas pris sur ses genoux, mais dans ses bras, comme dit le Prophète ; « et il les a mis sur son dos. » (Os. 11,3) Il leur prodigue les faveurs qu’ils enviaient, le temple, les sacrifices, et, ce qu’ils désiraient plus ardemment encore, les secours dans les combats, les victoires, les trophées, l’abondance qui vient de la terre, la fertilité des fruits ; et par là, en même temps qu’il les enrichit, il porte les autres peuples à rivaliser avec eux. Mais comme les Juifs se seraient corrompus s’il n’eût eu pour eux que des caresses, il leur fait sentir aussi le frein des châtiments. C’est que la sagesse de Dieu est grande, et, de ce qui semble impossible, il fait sortir les moyens qui rendent tout facile.
4. Considérez maintenant la sagesse du Prophète ; il débute par des œuvres d’un caractère général, avant d’en venir à des faits particuliers, afin que nul insensé ne s’imagine que ce soit d’un Dieu particulier à un peuple qu’il parle. Voilà pourquoi il commence par le général, avant de toucher les détails, avant de dire : « Il a frappé les premiers-nés de l’Égypte. » Ne vous semble-t-il pas que cette rigueur avait surtout pour but l’intérêt des Juifs ? Eh bien ! si je vous montre que Dieu, en frappant ce coup, pensait aussi aux autres peuples ; que diront ceux qui prétendent que la providence de Dieu ne s’occupe pas de l’univers ? Comment le prouverons-nous ? Il suffit certes de la pensée que Dieu exprime d’une manière si manifeste par ces paroles : « Car je vous ai établis pour faire éclater en vous ma toute-puissance, et pour rendre mon nom célèbre dans toute la terre. » (Ex. 9,16 ; Rom. 9,17) Comprenez-vous que c’était une prédication que cette mort des premiers-nés de l’Égypte ? que cette plaie, venue de la main de Dieu, c’était une parole destinée à publier partout sa puissance ? Cette providence se préoccupe donc de tout l’univers alors même qu’elle sert les intérêts des Juifs. Quant à sa puissance, Dieu l’avait fait connaître assez dans les temps anciens, par exemple, par Joseph et par Abraham ; en cette circonstance pourtant, il la déclara d’une manière plus manifeste. Comment ? C’était alors par des bienfaits ; mais, dans le second cas, ce fut par une plaie terrible. Et il ne cesse pas, comme je l’ai souvent dit, de se montrer à chaque génération, de se manifester par ses œuvres ; il ne le fait pas toujours de la même manière ; ses moyens sont variés et différents. Tantôt, c’est l’épouse d’Abraham qu’il frappe de stérilité ; tantôt c’est la famine ou l’abondance qu’il envoie ; après, ce sont des plaies infligées coup sur coup. Comme ces Égyptiens accusaient Dieu d’impuissance, ils causèrent ainsi eux-mêmes la mort de leurs premiers-nés, et changèrent en sang les eaux de leur fleuve. A la même époque, Dieu leur donna encore d’autres marques, mais moins éclatantes de sa puissance. Ainsi les sages-femmes des Égyptiens, qui avaient méprisé des ordres cruels, éludé un monstrueux décret du roi, jouirent d’une grande abondance de bien. C’était un double effet de la providence de Dieu d’abord, que des femmes eussent montré plus de vertu que ceux qui portaient au front le diadème, et ensuite que leur vertu eût été récompensée, et que leurs familles se fussent accrues extrêmement. Ces paroles, en effet, « Dieu fit du bien aux sages femmes (Ex. 1,20) », signifient que leur parenté s’étendit ; c’est que, pour les bienfaits que les Juifs reçurent d’elles, ces femmes avaient mérité la récompense du Seigneur, parce qu’elles ne tuaient pas les enfants des Juifs. Dieu accorda à ces Égyptiennes une nombreuse postérité.
Mais comme les Égyptiens persistaient dans leur endurcissement, Dieu les frappa d’une plaie encore plus terrible, qui fut un enseignement pour la terre, un enseignement pour les Égyptiens ; les autres peuples apprirent par la renommée ce que les Égyptiens connurent par leurs propres souffrances, par la vue et par l’expérience, et torts purent savoir quelle est la puissance de Dieu ; et c’est pour cette raison que le fléau leur avait été prédit. Dieu ne voulait pas que la plaie parût un effet du hasard, un de ces coups que la mort frappe d’elle-même. Aussi pouvons-nous appliquer dans cette circonstance une parole prononcée ailleurs au sujet du Sauveur. Quelle est cette parole ? « Dominez au milieu de vos ennemis. » (Ps. 109,2) Dieu en effet ne les fit pas sortir pour les mener dans le désert, ni ailleurs ; ce fut au milieu même de leur ville qu’il les frappa. Et maintenant, voyez, jusque dans la plaie, la clémence, car le fléau s’attaqua d’abord aux troupeaux, et ce n’est qu’ensuite qu’il s’étendit sur les hommes. Comment donc ne pas admirer ce pouvoir qui produit toute chose dans le même instant, qui montre à la fois une modération et une sagesse ineffables ? Et en effet, cette plaie ne fut pas la première qu’il leur infligea ; il leur en envoya d’autres d’abord, afin de les corriger, et, quand il frappa le dernier coup, ce rie fut qu’après l’avoir annoncé ; pourquoi ? C’est qu’il voulait par de simples paroles les ramener à la sagesse, et prévenir ainsi une correction effective. Ensuite, quand ils refusèrent de se corriger, Dieu ne permit pas que la plaie eût un, sens équivoque. On aurait pu croire que c’était un effet du hasard, urne maladie, une peste survenue par accident ; mais voyez quel concours de circonstances ! d’abord, dans une seule nuit, tous sont frappés ; secondement, ce sont tous les premiers-nés qui périrent. Une peste ne se serait pas attaquée seulement à tous les premiers-nés, en épargnant les autres ; elle aurait fait, de tous indistinctement, ses victimes ; troisièmement, une peste n’aurait pas absolument respecté les Juifs, de manière à ne s’attaquer qu’aux Égyptiens ; elle aurait, au contraire, sévi bien plus cruellement sur les Juifs, accablés de fatigues, de misères, de tant d’innombrables maux, depuis longtemps épuisés par la pauvreté et par la faim : elle ne serait pas tombée sur les personnes royales, élevées en dignité, jouissant de l’abondance de toutes choses, entourées de tant de soins. Une peste n’aurait pas fait invasion tout à coup ; elle aurait été précédée de symptômes précédant son arrivée. Au contraire ici, le mal sévit tout d’abord, dans toute sa rigueur, afin de confondre la démence des Égyptiens. Après cette plaie, malgré la conscience qui leur disait si clairement que c’était là un fléau envoyé de Dieu, ils poursuivirent les Juifs qui se retiraient. Ce qui est la preuve de leur délire, et la plus forte justification de la conduite de Dieu. Comme les signes allaient cesser, il les termine par un dernier signe qui sert à justifier tous les autres, pour peu qu’on veuille réfléchir sur ces événements. A celui (lui dirait : pourquoi tous les Égyptiens sont-ils punis, quand le roi retient seul les Juifs, est seul coupable ? le dernier signe est une réponse qui résout la question. Comment supprime-t-il l’objection, ce dernier signe ? C’est qu’après que leurs premiers-nés eurent été frappés, les Égyptiens chassèrent les Juifs, même en dépit du roi. Donc, s’ils avaient voulu, dès le commencement, ils auraient été plus forts que le roi ; donc s’ils n’ont pas forcé la main au roi, tout d’abord, ce n’est point qu’ils ne le pouvaient pas, c’est qu’ils ne le voulaient pas. Et de plus, ce qu’ils ont fait ensuite, leur acharnement à poursuivre les Juifs, aggrave encore leur faute.
5. C’est précisément ce que nous avons vu, à propos de Saül. Quand il fallut soustraire son fils à sa colère, tous vinrent, poussés par l’esprit d’adulation, lui arracher ce fils, quoiqu’il eût transgressé la loi. (1Sa. 14,45) Mais quand le roi voulut mettre à mort tant de prêtres, ces mêmes flatteurs ne firent pas entendre une seule parole pour les défendre. (1Sa. 22,17) S’ils avaient pour eux dans le premier cas, un sentiment naturel, dans le second c’était le sentiment du droit qu’ils devaient invoquer. Les victimes étaient des prêtres, et le meurtre était tan sacrilège, un effet de la colère et non d’un juste jugement. Mais la raison de cette conduite c’était l’engourdissement des âmes et l’indifférence à l’égard des prêtres. Eh bien, voyez, plus tard, en punition de ces fautes, quels malheurs ! cette coupable négligence coûta cher. J’en conclus que quand vous serez témoins d’un sacrilège, vous ne devrez pas rester dans l’inertie, dans une lâche indolence ; il faut alors être plus ardent que le feu, ressentir l’injure aussi vivement que les victimes ; c’est par là qu’on évite des calamités sans nombre. – « Depuis l’homme jusqu’aux animaux. » Pourquoi : « Jusqu’aux animaux ? » Comme ils ont été créés pour l’homme, Dieu les punit aussi, à cause de l’homme, afin d’ajouter à l’épouvante ; afin d’aggraver le fléau ; afin de montrer que la plaie est envoyée par Dieu, que la guerre vient du ciel. « Et il a fait éclater des signes et des prodiges, au milieu de toi, ô Égypte (9) ! »
Qu’est-ce à dire : « Au milieu de toi ? » Ou ce terme désigne le lieu, ou il veut dire, d’une manière manifeste. En effet, ces paroles : « Au milieu », signifient partout la même chose que, ouvertement ; c’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Il a opéré notre salut au milieu de la terre (Ps. 63,12) ; » ce qui est au milieu, tous le voient. « Il a envoyé des signes et des prodiges au milieu de toi, Égypte ; » et c’est avec une grande sagesse ; car il s’agissait de corriger les hommes, et de parler aux yeux de ceux qui profiteraient de ces enseignements. Car ces prodiges n’arrivaient pas au hasard ; c’était l’effet d’une conduite admirable ; et comme ces merveilles étaient de grands coups, et que ces coups frappaient d’une manière admirable, ils avaient une double utilité. « Contre Pharaon et contre tous ses serviteurs. » Voyez-vous l’ineffable puissance ? Comprenez-vous bien ? Comme ils étaient tous ensemble, le châtiment les a visités tous ensemble, de manière que les uns en souffraient, que les autres y trouvaient leur profit. Mais maintenant, que veulent dire ces paroles : « Contre tous ses serviteurs ? » Assurément ils n’avaient pas tous des premiers-nés ; mais le Psalmiste parle des autres signes ; et, en Égypte, pendant que les Égyptiens étaient frappés, les Israélites profitaient de la leçon. Dans le désert, pendant que les Juifs recevaient les bienfaits de Dieu, les autres en profitaient également. Dieu envoya des plaies aux ennemis des Juifs ; il combla les Juifs dé bienfaits ; et, soit plaies, soit bienfaits, tous y trouvèrent leur utilité. Mais pourquoi ne pas combler de bienfaits les Égyptiens aussi ? c’est que d’ordinaire les hommes frappés par Dieu apprennent mieux à le connaître que ceux qui reçoivent ses bienfaits. Quant à ce qui prouve que Dieu ne voulait pas les punir, voyez-le différant toujours, retenant les coups, manifestant, par les maux qu’il envoie, comme par les biens, son pouvoir et sa clémence. Certes, après la première, la seconde, la troisième plaie, Dieu pouvait les considérer comme atteints d’une maladie incurable et les perdre lotis ; mais Dieu ne le voulut pas, et, quoiqu’il connût l’avenir, qu’il sût bien que ni la cinquième, ni la sixième, ni la dixième plaie ne les rendraient meilleurs, il ne s’arrêta pas dans la marche qui lui convenait. De là, pour nous, les plus fortes raisons d’admirer sa puissance, sa sollicitude, sa sagesse et sa bonté : sa puissance, parce qu’il a frappé ; sa sollicitude, parce qu’il s’est retenu ; sa sagesse, parce que, connaissant l’avenir, il a néanmoins suivi sa marche. Et maintenant ce qui prouve surtout sa clémence, c’est qu’il frappa, d’abord les êtres moins considérables, ceux qui ne sont pas doués de raison. Puis, allant progressivement, il atteignit le roi lui-même ; ce qui était le meilleur moyen de donner du retentissement au fléau. En effet, les manieurs d’un particulier sont obscurs, mais quand un homme illustre est frappé, la nouvelle aussitôt s’en répand partout.
Après les raisons qui décident le châtiment, le Psalmiste indique les plaies. Mais il ne les passe pas en revue, il ne les détaille pas, un seul mot lui suffit et il passe outre en disant : « Il a fait éclater des signes et des prodiges au milieu de toi, Égypte. » Ensuite, il fait sortir de l’Égypte le peuple de Dieu, pour le conduire dans le désert, montrant partout que Dieu n’est pas seulement le Dieu de quelques hommes, que son empire ne se borne pas à une seule contrée, que sa domination embrasse l’univers. Voilà pourquoi il ajoute : « Il a frappé plusieurs nations, il a tué des rois puissants (10). » Dans tout ce voyage, lieu donne des preuves variées de sa puissance, se servant de faits sensibles pour instruire les peuples. En effet, leurs guerres et leurs victoires miraculeuses les éclairaient sur la nature des événements arrivés antérieurement en Égypte et leur faisaient comprendre qu’il fallait les attribuer, non pas à l’air ni aux autres éléments, ni à aucune autre casse naturelle, mais à la main divine qui les guidait et combattait pour eux dans les batailles. En sorte que ces deux groupes de faits se renvoyaient une mutuelle clarté, ceux de l’Égypte aidaient à comprendre ceux du désert et réciproquement. En, effet, lorsque sans amies, sans bataille rangée, les Israélites mettaient en déroute leurs ennemis, il devenait évident pour eux que si, en Égypte, Dieu s’était servi des éléments, ce n’était pas qu’il en eût besoin, mais qu’il voulait manifester différemment et diversement sa puissance. « Séon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan (11). » Le Psalmiste ne passe pas en revue les villes, il n’insiste pas sur les détails, il ne raconte pas les batailles une à une ; mais ici encore, son grand esprit franchit d’un bond d’innombrables prodiges : il pouvait s’arrêter, amplifier ce riche et tragique sujet, il n’en fait rien ; à travers cette incomparable abondance, cette richesse des œuvres de Dieu, il s’élance et poursuit sa route. Or ces peuples étaient armés, ils habitaient des villes fortifiées, ils connaissaient la guerre, l’art de disposer les armées ; les Israélites étaient des exilés, ignorant les batailles, respirant à peine d’une longue servitude, d’une tyrannie interminable, consumés par la faire et par les malheurs exposés aux mauvais traitements du premier qui voudrait leur faire injure ; mais sous la conduite de ce Dieu, ils étaient plus puissants que tous les peuples.
6. Ce n’est pas tout, la guerre était juste, les Israélites n’auraient pas fait d’invasion, si les peuples ne leur en eussent fourni des motifs, en leur barrant le passage, ce qui était de la dernière inhumanité. Quant aux Iduméens, Dieu ne souffrit pas qu’ils fussent enveloppés dans la guerre. Le silence de Dieu aurait pu autoriser les Israélites, à faire de nouvelles invasions : Dieu les prévint, il leur apprit avec quels peuples ils devaient combattre, de quels peuples ils devaient se détourner, il leur fit la leçon dans le désert, mais c’est avec des faits qu’il écrivit en quelque sorte la loi qu’ils devaient suivre en pareil cas et la conduite qu’ils devaient tenir envers les peuples qu’ils rencontreraient, « Et tous les royaumes de Chanaan. » Comprenez-vous que cet enseignement s’adresse à la terre entière ? Comme le feu dévore les épines, de même ils envahissaient tous ces peuples et nul ne pouvait leur résister. Écoutez les paroles de Balaam, instruit, non par les prophètes, non par Moïse, mais par l’expérience même : « Voici le peuple qui lèche toute la terre. » (Nb. 22,4) Comprenez-vous la justesse de la métaphore ? Il ne dit pas : le peuple qui fait la guerre, qui renverse mais qui lèche la terre, voulant montrer par là la facilité de la victoire, les trophées sans effusion de sang, la conquête au pas de course ; ils n’ont pas besoin, dit-il, d’armées rangées en batailles, ni de combats ; il leur suffit d’envahir les pays et rien ne leur résiste. En effet, Dieu ne leur a pas accordé seulement les victoires qui résultent des lois de la guerre, des règles de la stratégie ; on aurait pu attribuer les événements à leur valeur personnelle, mais Dieu soulevait contre leurs ennemis tous les éléments de l’univers. D’abord il abattait les courages, la grêle tombant par torrents, tua dans une rencontre beaucoup d’ennemis ; le soleil, suspendant sa course, prolongea une bataille ; ajoutez un grand nombre de prodiges du même genre, un bruit de trompettes plus violent que le feu, s’abattant sur des tours, fit écrouler les murailles. Cette conduite de Dieu avait une double utilité, les uns apprenaient que la guerre qui leur était faite, ne leur venait pas des hommes, et les autres apprenaient à lever leurs regards vers Dieu, à ne jamais s’enorgueillir des événements, à fuir la présomption, à pratiquer la modestie. Ils gagnaient moins à vaincre qu’à vaincre de cette manière : ce qui les rendait terribles devait les rendre en même temps modestes ; terribles assurément, puisqu’ils avaient un tel général ; modestes eu outre, parce qu’ils n’avaient pas lieu de s’enorgueillir de leurs triomphes. « Et il a donné leur terre en héritage à Israël ; il l’a donnée, pour être l’héritage de son peuple (12). »
C’est là le plus grand prodige : non seulement ils chassaient les peuples, mais il leur était donné de s’emparer des pays, et de s’en partager les villes : ce qui était pour eux une grande joie, un grand triomphe, une grande gloire ; et c’était là un effet de la puissance du Seigneur. Ce n’est pas un mince avantage que de s’emparer d’un pays ennemi : il faut, pour cela, un grand secours qui vient de Dieu. – « Seigneur, votre nom subsistera éternellement, et le monument de votre gloire persistera à travers les générations (13). » Une autre version dit : « Et votre souvenir. » Ici, le Psalmiste s’interrompt pour glorifier Dieu ; c’est l’usage des Saints. Quand ils commencent à parler de ses miracles, ils s’enflamment, et impossible à eux de finir leurs récits, sans glorifier Dieu, sans le bénir pour les merveilles qu’ils ont racontées ; ils satisfont ainsi leur cœur. C’est ce que nous voyons encore, à chaque page, dans le bienheureux Paul, surtout au commencement de ses épîtres, comme lorsqu’il dit aux églises de Galatie : « Que la grâce et la paix vous soient données, par Dieu notre Père, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré lui-même pour nos péchés, selon la volonté de Dieu notre Père, à qui soit la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (Gal. 1,3, 5) » Et, dans l’épître aux Romains : « Les Israélites à qui appartient l’adoption des enfants de Dieu, sa gloire, son alliance, son culte, ses promesses, de qui les patriarches sont les pères, et desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est Dieu au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il. » (Rom. 9,4) Et ailleurs encore : « Au Roi des siècles, immortel, invisible, à l’unique sage, à Dieu soient l’honneur et la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. » (1Tim. 1,17), C’est ce que fait encore ici le Prophète. Après avoir conçu, dans sa pensée, cette providence de Dieu qui embrasse le monde entier, ces plaies de l’Égypte, la diversité des bienfaits qu’il a répandus sur les Juifs dans le désert, tous les prodiges qu’il a opérés contre leurs ennemis, cette ineffable bonté l’enflamme, et il laisse s’échapper de son cœur cette glorification « Seigneur, votre nom subsistera éternellement, et le monument de votre gloire persistera à travers les générations ; » c’est-à-dire, votre gloire n’est jamais interrompue ; rien ne l’amoindrit, rien n’en suspend le cours ; elle demeure toujours, à l’abri de tout changement, de toute conversion, florissante, vigoureuse. Que signifie maintenant : « Et le monument de votre gloire persistera à travers les générations ? » Votre mémoire, dit-il, n’a pas de fin, n’a pas de limite. « Parce que le Seigneur jugera son peuple, et se laissera fléchir aux prières de ses serviteurs (14). » Ce qui peut se dire, soit en appliquant le tout au peuple de Dieu, à savoir que Dieu lui infligera des châtiments, et ensuite s’arrêtera et ranimera son peuple ; soit en faisant une division ; il se laissera fléchir par son peuple, il jugera ses ennemis ; c’est-à-dire, les uns, il les ranimera : c’est ce que veut dire : « Il se laissera fléchir ; » maintenant, il jugera, à savoir les ennemis de son peuple, c’est-à-dire, il leur infligera des châtiments.
7. Ensuite, ne pouvant pas raconter les œuvres méritoires des Israélites, pour les justifier d’une certaine manière, il emploie ces mots de « peuple » et de « serviteurs. » Après avoir dit : « Il se laissera fléchir », le Psalmiste montre que la réconciliation est un effet de sa clémence, et non de leurs mérites. Car, du moment qu’on se laisse fléchir c’est qu’il faut pardonner ; c’est assez dire, que les actions méritoires manquent, et que le temps de la clémence est venu. Donc, après avoir dit : « Le monument de votre gloire persistera à travers les générations ; » comme, à cette époque, les Israélites étaient le seul peuple qui reconnût le Seigneur, le Psalmiste ne veut dire que ceci : le salut de votre peuple est votre glorification au milieu des nations. La gloire propre à Dieu lui est assurée, même quand nul ne l’adore, et ne lui offre son culte ; gloire inaltérable, impérissable, inaliénable. Quant à la glorification de Dieu au milieu des peuples, ce sera un effet de notre conservation, quand nous aurons recouvré notre cité, notre sainte demeure, notre temple ; quand nous aurons été rendus à notre premier gouvernement. – « Les idoles des nations ne sont que de l’argent et de l’or, et les ouvrages de la main des hommes (15). »
Le Psalmiste a commencé par dire : « Notre-Seigneur est au-dessus de tous les dieux. » Cette expression semblait donner l’idée d’une excellence relative, accommodée à la faiblesse de l’esprit des auditeurs. Voyez maintenant comme il développe cette grandeur incomparable. Il a d’abord rappelé la puissance de Dieu, les merveilles du ciel, de la terre, des abîmes ; les prodiges accomplis pour les Juifs, dans leur propre pays, sur la terre étrangère, contre leurs ennemis, au milieu des nations ; ensuite il a rappelé la bonté de Dieu, son amour pour les hommes, sa sollicitude, sa sagesse, sa force ; il a montré qu’il est le Dieu de l’univers, attentif aux besoins de tout l’univers ; alors il raille, il tourne en ridicule la faiblesse des idoles, et, tout de suite, il les attaque par leur propre nature ; ou plutôt, leur seul nom lui fournit son premier reproche. Une idole en effet, qu’est-ce, qu’un objet sans force, méprisable, dont le nom seul révèle l’infirmité ? De là, ces premières paroles : « Les idoles des nations ne sont que de l’argent et de l’or. » Premier reproche, Idoles ; second reproche, matière inanimée ; troisième reproche, par cela même que ce sont des idoles, non seulement elles sont d’elles-mêmes, faibles, viles, misérables, mais, en outre, ce sont des choses que les hommes ont faites. Voilà pourquoi il ajoute : Et les ouvrages de la « main des hommes ; » ce qui est certes le plus grand reproche adressé à ceux qui les adorent. En effet, ces hommes, qui ont fait ces idoles, attendent leur propre salut de ce qui n’existerait pas sans eux. – « Elles ont une bouche, et elles ne parleront point ; elles ont des yeux, et elles ne verront point ; elles ont des oreilles, et elles n’entendront point ; car il n’y a point d’esprit dans leur bouche ; que ceux qui les font, leur deviennent semblables, et tous ceux aussi, qui se confient en elles (16, 18). »
Voyez-vous comme il insiste sur le ridicule, comme il démontre la fraude ; il arrive en effet souvent que les démons leur communiquent le mouvement ; le Psalmiste met à découvert la feinte et la comédie ; il montre qu’il n’y a pas d’esprit dans leur bouche. Et pourquoi le perfide démon ne fait-il, et ne dit-il rien sans les idoles ? Parce que ces idoles, à cause des types qu’elles représentent, sont comme les colonnes du temple abominable de la fornication, de l’adultère et de toutes les turpitudes humaines ; la vue de ces simulacres est un moyen de séduction que le démon emploie pour induire les hommes à imiter les actions dont les idoles leur offrent les représentations : voilà pourquoi, il est si assidu auprès de ces idoles qu’il meut pour mieux tromper. Le Psalmiste les attaque encore par une autre ironie : « Que ceux qui les font leur deviennent semblables. » Réfléchissez en vous-mêmes, demandez-vous ce que sont ces dieux, s’il suffit, pour prononcer une imprécation terrible, de demander qu’on leur devienne semblable. Chez nous, il n’en est pas de même ; c’est le comble de la vertu la plus haute, c’est acquérir d’inestimables biens, que de se faire, autant qu’il est possible, semblable à Dieu. Chez les idolâtres, au contraire, tel est le tulle, tels sont les dieux, que leur devenir semblable, c’est le dernier des malheurs que puisse souhaiter l’imprécation. Donc, que ces dieux soient une matière inanimée, l’ouvrage de ceux qui leur vouent un culte, des simulacres informes, sans vie, dépourvus de tout sentiment, que ce soit la plus terrible imprécation que de souhaiter qu’on leur devienne semblable ; toutes ces vérités montrent l’erreur profonde des idolâtres. Après avoir mis en lumière la faiblesse, l’égarement, la perversité des démons, la stupidité des fabricateurs d’idoles, délivré de ces pensées, le Psalmiste conclut en glorifiant le Seigneur ; il ne raconte plus les œuvres que Dieu a faites ; il les a suffisamment exposées. Mais, pour toutes les œuvres qui, sont reconnues de tous, il réclame le tribut d’éloges, dû par ceux qui jouissent des divins bienfaits ; il les appelle donc à glorifier Dieu ; il fait entendre ces paroles : « Maison d’Israël bénissez le Seigneur ; maison d’Aaron, bénissez le Seigneur ; maison de Lévi, bénissez le Seigneur ; vous qui craignez le Seigneur, bénissez le Seigneur ; que le Seigneur soit béni de Sion, lui qui habite dans Jérusalem (21). » Pourquoi n’appelle-t-il pas tout le peuple à la fois ? Pourquoi fait-il une division ? C’est pour vous apprendre la grande différence qui distingue les bénédictions. En effet, autre est la bénédiction du prêtre, autre est la bénédiction du lévite ; autre est la bénédiction du laïque, autre est la bénédiction qui vient du peuple entier. Quant à cette expression, « Bénissez », elle a pour but de montrer quelle est cette nature bienheureuse et sans mélange. « Bénissez », en effet, cela veut dire, parce que vous êtes affranchis de vos ennemis ; parce que vous avez été jugés dignes d’adorer un tel Dieu ; parce que vous avez reconnu la vérité. Dieu, en effet, est de lui-même, béni ; il porte en lui la bénédiction ; il n’a besoin d’aucune louange ; et pourtant, vous, de votre côté, bénissez-le ; non pas que votre bénédiction ajoute quelque chose à ce qu’il a en lui, mais c’est que, vous-mêmes, vous retirerez, de cette bénédiction, un fruit précieux ; quoiqu’il soit de sa nature essentiellement béni, ce qui est de toute certitude, il veut pourtant, il veut, de plus, être béni par nous. Maintenant le Psalmiste nomme encore Sion et Jérusalem. C’est que le gouvernement des Juifs y résidait ; c’était là que leur culte avait ses fondements ; c’était là qu’ils puisaient l’enseignement et la sagesse ; et le Psalmiste veut rendre ces lieux vénérables, magnifiques, en y attachant le nom même de Dieu, afin que la vénération dont ces lieux seraient l’objet, augmentât le désir de s’y porter ; que ce désir croissant y attirât plus de peuple ; que le peuple, attiré en plus grand nombre, imprimât plus profondément dans son âme le culte de Dieu ; que ce culte plus profondément imprimé, produisît un accroissement de cette vertu pour laquelle toutes choses ont été faites. On disait alors : Jérusalem et Sion ; nous disons aujourd’hui : le ciel, et ce qui est dans le ciel. C’est donc là, je vous en conjure, qu’il nous faut attacher, afin d’obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXV.

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1. « LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU’IL EST BON, PARCE QUE SA MISÉRICORDE EST ÉTERNELLE. »

ANALYSE.

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  • 1. Dieu toujours miséricordieux. Les miracles de Dieu ne sont pas seulement des miracles de puissance, mais encore de bonté et de clémence.
  • 2. Quelques-uns prétendent qu’il n’y eut pas qu’une seule voie ouverte dans les eaux de la mer Rouge, mais qu’il y en eut une pour chaque tribu du peuple d’Israël.
  • 3. De l’admirable providence que Dieu exerça sur son peuple depuis sa sortie d’Égypte, jusqu’à son établissement dans la terre de Chanaan. Du grand mérite de l’humilité.


1. Après avoir parlé des bienfaits de Dieu envers les hommes, le Psalmiste réfléchit sur la grandeur de sa miséricorde ; il ne la mesure pas, ce qui est impossible ; mais, jaloux de montrer l’infini de cette grandeur, il invite les hommes à glorifier Dieu, et il les appelle tous à la fois, par ces paroles : « Louez le Seigneur », c’est-à-dire rendez-lui des actions de grâces, bénissez-le « parce que sa miséricorde est éternelle. » Qu’est-ce à dire, Est éternelle ? C’est-à-dire qu’on ne le voit pas, un jour, vous accorder un bienfait ; un autre jour, se retirer de vous ; un jour, vous prendre en pitié ; un autre jour, se montrer sans miséricorde. Ces variations se rencontrent chez l’homme, dont l’âme est troublée par les passions, sans consistance, distraite, embarrassée, offusquée par divers accidents, gênée dans sa condition. Dieu n’est pas de même ; sa miséricorde ne s’interrompt pas ; il ne cesse jamais de l’exercer, quoiqu’il l’exerce diversement, avec une grande variété de moyens. Il est toujours miséricordieux, et jamais il ne cesse de combler les hommes de bienfaits. Le Psalmiste, après avoir dit que cette miséricorde ne s’interrompt jamais, en montre les preuves, qu’il puise dans les choses visibles. Comme il veut conduire les Israélites à la vraie religion, voyez ici encore la comparaison qu’il fait de Dieu avec les dieux des Gentils ; c’est pour s’accommoder, comme nous l’avons déjà vu, à la portée de ses auditeurs. Car que dit-il : – « Louez le Dieu des dieux », et, chaque fois, il ajoute : « Parce que sa miséricorde est éternelle ; » et, « louez le Seigneur des seigneurs. » Dans le psaume précédent, il le montrait supérieur à tous les dieux ; ici l’expression est plus forte, « il est leur maître et leur Seigneur », soit que vous entendiez par là les idoles, soit que vous pensiez aux démons. En effet, quoique les démons l’aient offensé, malgré l’opprobre, l’ignominie qui les flétrit, ils n’en sont pas moins ses esclaves et ses sujets. Donc, pour cette raison, dit-il, louez, confessez que vous avez le Dieu supérieur à tous ; le Dieu à qui nul ne ressemble ; qui est le maître de tous, le Seigneur de tous. Mais Dieu s’appelle le Dieu de ceux qui lui plaisent, comme lorsqu’il dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » (Ex. 3,6) Comment donc peut-il dire ici, le dieu des démons ? C’est qu’il faut entendre cette parole ici d’une manière, et là, d’une autre manière ; d’une part, elle signifie le lien d’affection qui attache Dieu à ses serviteurs, et la grandeur de son amour pour eux ; d’autre part, elle marque sa supériorité.
« Lui qui fait seul de grands prodiges, parce a que sa miséricorde est éternelle (4). » Le Psalmiste vient d’affirmer que Dieu est le maître et le seigneur des dieux ; il prouve ensuite son affirmation ; il confirme ce qu’il a dit ; il célèbre la puissance de Dieu. Et maintenant le Psalmiste ne dit pas : Quia fait, mais « qui fait », montrant par là, qu’il ne se lasse pas d’accorder des bienfaits, d’accomplir des miracles, au-dessus de toute croyance. Et maintenant, il établit ces deux caractères de l’excellence de Dieu, à savoir qu’il fait, et qu’il fait seul. Et même ou en pourrait compter trois et jusqu’à quatre, à savoir, qu’il fait, qu’il fait des miracles, qu’il fait de grands miracles, qu’il est seul à les faire. Et maintenant, ces paroles ne sont pas pour rabaisser le Fils, mais pour montrer l’intervalle qui sépare Dieu des démons. Et voyons ces grands miracles, que Dieu fait seul. En commençant, le Psalmiste ne nous parlait pas de sa puissance, mais de son affection pour nous et de sa bonté. « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon », disait-il. Comment donc est-il arrivé à parler maintenant de sa puissance ? c’est que ces miracles ne sont pas seulement des effets de sa puissance, mais aussi de son affection et de sa bonté. Pour montrer ces miracles, le Psalmiste ajoute : « Qui a fait les cieux, avec une souveraine intelligence ; qui a affermi la terre sur les eaux (6). » Une autre version dit : « Qui a condensé la terre dans les eaux, qui a fait de grands luminaires, tout seul (7) ; le soleil, pour présider au jour (3) ; la lune et les étoiles, pour présider à la nuit (9). » Ces merveilles prouvent sans doute sa puissance et sa sagesse ; cependant ils montrent aussi la grandeur de sa bonté ; immenses, belles et durables, les œuvres de Dieu, publient sa puissance et sa sagesse ; faites pour nous et à notre usage, elles prouvent l’affection, la bonté qui ne se dément pas. Comprenez-vous comment sa miséricorde est éternelle ? Il n’a pas fait ces prodiges pour dix années, vingt années seulement, pour un siècle, pour deux, pour mille ans ; il les a prolongés, par-delà toute la durée de notre vie. Et voilà pourquoi le Psalmiste termine chaque verset ainsi : « Parce que sa miséricorde est éternelle. » Et ce qui est admirable, c’est que Dieu, ayant créé le monde, l’a donné à l’homme dès le commencement, et qu’après que l’homme eut failli, Dieu ne l’a même point dépossédé. En effet, les présents qu’il avait faits à l’homme avant le péché, Dieu lui en a laissé la jouissance, après le péché ; il ne lui en a pas interdit l’usage, après une désobéissance si grave. Et il n’a pas fait seulement un ciel, mais il en a fait un second, nous montrant par là, dès le commencement, qu’il ne veut pas nous abandonner sur la terre, mais nous transporter dans cet autre séjour. En effet, s’il ne devait pas bous y établir, pourquoi aurait-il fait un ciel ? Ce ciel lui est inutile ; il n’a besoin de rien, mais comme il voulait nous y installer, après nous avoir fait quitter la terre, il nous a préparé cette habitation.
2. Voilà pourquoi le Prophète termite chaque verset de cette manière, « Parce que sa miséricorde est éternelle ; » la bonté de Dieu a saisi son âme. « Qui a affermi la terre sur les eaux. » Voyez encore ici l’affection de Dieu pour l’homme ; nous sommes devenus mortels, assujettis à de nombreux besoins, et Dieu ne nous a pas abandonnés. Ici même, il nous a donné, provisoirement, une demeure convenable, et il a rempli la terre de tant de preuves de son amour pour nous, que le discours ne saurait les énumérer. Le Prophète plonge dans cet abîme de bienfaits ; il y voit, pour ainsi dire, une mer immense, et s’élançant du fond de ces abîmes, il fait entendre comme un grand cri. « Que vos œuvres sont grandes, Seigneur ; vous avez fait toutes choses avec sagesse ! » (Ps. 103,24) Considérons le soleil, la lune, l’ordre des saisons ; nouvelle preuve de cette bonté qui s’étend sur l’univers. En effet, quels puissants moyens d’embellir la vie, quels ornements, ou plutôt quelles sources de la vie ; car voilà ce qui la soutient, ce qui donne aux fruits la sève et la maturité, sans quoi la vie serait impossible ; voilà ce qui nous fait reconnaître les temps, ce qui nous montre les heures, ce qui distingue le jour et la nuit, ce qui règle, et sur la terre, et sur la mer, les courses des voyageurs ; voilà ce qui répond à tant d’autres besoins de notre existence. Voyez-vous comment la miséricorde du Seigneur est éternelle ? voyez-vous pourquoi le Prophète termine chaque verset par ce refrain ? Maintenant, un autre interprète, au lieu de, « Pour présider au jour » dit : « Pour dominer le jour. » Un autre interprète, au lieu de : « Pour présider à la nuit », dit : « Pour présider dans la nuit. Qui a frappé l’Égypte avec ses premiers-nés (10), qui a fait sortir Israël du milieu d’eux (11), avec une main puissante et un bras élevé (12). » Il revient sans cesse sur le miracle accompli en Égypte, parce que les Juifs étaient des ingrats qui entendaient toujours raconter ces merveilles, et qui les oubliaient toujours. Or, ici, quelle preuve éclatante encore de la bonté de Dieu ? En frappant ce coup, le Seigneur délivrait les Israélites de la servitude, et leur postérité y trouvait une occasion de connaître Dieu. Et maintenant remarquons ici encore une autre idée. Quelle est-elle ? C’est que, même après la plaie qui fit périr les premiers-nés, Dieu a manifesté une fois de plus sa puissance, en arrachant son peuple à la servitude, en terrifiant les Égyptiens, en les ensevelissant dans la mer. Ces paroles ont pour but de prévenir l’irréflexion qui attribuerait à je ne sais quelle faiblesse le commandement qui prescrivit aux Israélites de prendre l’or et les vases d’argent. Ce que Dieu a fait, c’était pour frapper de terreur les, ennemis, par tous les moyens ; c’était pour montrer qu’il a une force indépendante et libre, qui fait tout ce qu’elle veut ; c’était pour les tromper, pour leur donner le vertige ; ce qu’il a fait ouvertement, il pouvait le faire en les abusant ; ce qu’il a fait en abusant les Égyptiens, il pouvait le faire ouvertement. Dans les deux cas, il montre sa puissance. Voulez-vous la preuve que cette conduite inspira une grande frayeur aux étrangers ? écoutez ce que dirent plus tard les devins d’Azot : « C’est le Dieu rigoureux qui a frappé l’Égypte, et qui, après avoir joué les Égyptiens, a fait sortir les Israélites. » (1Sa. 6,6) Voyez-vous la terreur dont les saisit ce qu’il y a de furtif, de trompeur dans la force qui les extermine ?
« Qui a divisé la mer Rouge en plusieurs parties (13). » Un autre interprète : « En section ; » un autre, « en segments. » Quelques-uns prétendent en effet qu’il n’y eut pas qu’une seule route, mais que la mer fut partagée, eu égard au nombre des tribus, de telle sorte qu’il y eut beaucoup de passages. Sans doute ce prodige montrait une grande puissance, un Dieu terrible et puissant ; toutefois il y avait là aussi une grande preuve de bonté, non seulement en faveur de ceux pour qui s’opérait le prodige, mais encore dans l’intérêt même des persécuteurs, s’ils avaient voulu y faire attention. En effet si Dieu les ensevelit dans la mer, c’était pour les punir, eux qui avaient vu tant de miracles, de l’audace qu’ils montraient encore contre les flots. Eussent-ils été de tous les hommes, les plus dépourvus de sentiment, ils auraient dû, en considération des prodiges qui avaient précédé, en considération des prodiges présents, et qu’ils avaient sous les yeux, admirer, adorer la divine puissance, et renoncer à une lutte inconvenante. Au contraire, ils voient la création tout entière qui se transforme au gré du Seigneur, pour leur faire la guerre, et, même alors, ils ne reviennent pas de leur fureur, et ils persistent, ils ont devant les yeux un prodige qui surpasse toute croyance, ils voient une route étrange, inouïe, et ils ne craignent pas de s’y engager. Voilà pourquoi la mer est devenue leur tombe. Il n’y avait pas là une œuvre de la nature, mais un coup frappé par une main divine. Et voilà pourquoi, en quelques instants bien courts, se produisirent des choses contraires. Et la mer ne se partageait pas seulement de manière à n’ouvrir qu’une route, il y eut autant de routes que de tribus. Et maintenant, à chaque prodige que raconte le Psalmiste, il rappelle la miséricorde, car toutes les fois que les éléments faisaient voir des prodiges, Dieu prévenait les pensées qui les auraient regardés comme des œuvres de la nature ; il y montrait la force du secours d’en haut, qui seul accomplit les miracles qui surpassent la raison humaine. C’est ce qui est arrivé dans cette mer ; c’est ce qui devient manifeste, si l’on considère que ce prodige ne s’est pas renouvelé depuis : or les œuvres de la nature se reproduisent fréquemment ; et à des époques déterminées. « Qui a fait passer Israël par le milieu de cette mer, parce que sa miséricorde est éternelle (14). »
Voyez-vous comme il termine chaque verset, parce refrain : « Parce que sa miséricorde est éternelle ? » Tous ces prodiges marquaient une providence qui ne s’interrompt pas. Car si tous les événements ont eu un terme, le souvenir qui en est resté a fourni à la postérité de puissants motifs pour s’élever à la connaissance de Dieu. Ces événements racontés par la tradition aux générations successives, ouvraient aux âmes la route de la vraie sagesse. D’ailleurs, la Providence divine ne s’est pas contentée de ces anciens événements. Après les prodiges de l’Égypte, cette affection qui entoure les hommes ne s’est pas démentie ; à chaque occasion, à toutes les époques, elle a déployé les marques visibles d’un ineffable amour. Aussi dans l’admiration dont le frappe cette affection infatigable, le Psalmiste ne se lasse pas de répéter : « Parce que sa miséricorde est éternelle. » Et c’est avec raison qu’il ajoute : « Et il a fait passer Israël par le milieu de cette mer », car voilà bien une preuve de la puissance de Dieu. En effet, il ne lui suffit pas de faire rebrousser la mer, de ménager à son peuple un facile passage. Ce fait, s’il n’y eut eu que ce fait, aurait frappé les Israélites de stupeur et d’épouvante, ils n’auraient pas osé s’avancer, ce prodige les eût glacés de terreur. Mais il appartenait à la puissance de Dieu, quand la mer se retirait ainsi, d’inspirer aux Israélites l’audace, la résolution nécessaire pour entreprendre cette route nouvelle, étrange. A voir, en effet, à droite, à gauche, les vagues ainsi coupées, s’élevant comme des montagnes, toutes droites, il fallait une âme élevée, généreuse, pour se risquer sans crainte, sans inquiétude, au milieu de cette mer qui pouvait retomber d’une si grande hauteur, des deux côtés, les renverser, submerger dans ses abîmes le peuple tout entier. « Et il a renversé Pharaon avec toutes ses forces dans la mer Rouge (15). » C’est pour marquer la facilité de l’engloutissement, que le Psalmiste a employé ces expressions. Quant à vous, considérez non seulement la puissance et la colère que Dieu a fait éclater ici, mais la patience aussi qu’il a montrée. Il ne les a pas exterminés tout d’abord, malgré leur impudence et leur obstination, portées à un tel point qu’ils se sont eux-mêmes, de gaieté de cœur, précipités dans cet abîme. Ce n’est pas sans raison non plus que l’armée aussi est châtiée, tous avaient pris part au péché, tous avaient été également des persécuteurs, ils reçoivent également leur part du supplice et du châtiment. « Il a fait passer son peuple parle désert, parce que sa miséricorde est éternelle (16). » Prodige non moins étonnant que la traversée au milieu de la mer. Sans doute, ils sentaient sous leurs pieds la terre sèche, qui pouvait les supporter ; toutefois ils souffraient des incommodités sans nombre et dont chacune suffisait pour les détruire, pour les livrer à la mort la plus cruelle ; la faim, le manque d’eau, la soif, des rayons dévorants, la multitude des bêtes féroces, le manque absolu du nécessaire. Vous savez tout ce qu’il faut à l’homme pour vivre. Eh bien ! quoique dépourvus de tout, sans abri, sans aliments, sans vêtements suffisants, sans chaussures, sans rien de tout ce que l’on a d’ordinaire, ils pouvaient se croire au milieu des cités, ces voyageurs errant dans la solitude. Et maintenant, considérez tout ce que le Psalmiste a passé de miracles, combien de merveilles arrivées dans le désert, combien d’années de ce gouvernement prodigieux. Il ne rappelle que deux miracles relatifs aux rois qu’ils rencontrèrent. Le Psalmiste ne parle pas de cette table d’un genre si nouveau, de ce pavillon surprenant, de cette lampe qui n’avait jamais paru auparavant, de ces vêtements toujours neufs, de ces chaussures qui ne s’usaient pas, des sources jaillissant des rochers, de tous ces prodiges étonnants, incroyables, qui rendirent facile un tel voyage. Il ne rappelle que deux miracles, comment Dieu extermina les rois barbares, comment il érigea, en faveur de son peuple, le trophée d’une grande victoire, tout le reste, le Psalmiste se remet sur l’auditeur du soin de le recueillir ; le texte dit : « Il a frappé des rois puissants, il a fait mourir de grands rois (18), Séhon, roi des. Amorrhéens (19), et Og, roi de Basan (20) », et, à chaque verset il ajoute : « Parce que sa miséricorde est éternelle », montrant par là que les ennemis avaient beau se succéder, aucun d’eux pourtant ne put vaincre les Israélites. Pourquoi ? C’est que la bonté de Dieu ne se lassait pas de les protéger. C’est là ce que signifie cette perpétuelle répétition : « Parce que sa miséricorde « est éternelle. Et il a donné leur terre en héritage ; en héritage à Israël son serviteur (22). » Double bienfait, les ennemis sont vaincus et leurs biens deviennent la possession des Israélites. C’était là en effet la marque d’un grand pouvoir, non seulement de chasser les habitants d’un pays, mais encore d’avoir la force de s’emparer de leurs terres et de conserver un pays étranger.
Et ensuite, le Psalmiste tient à expliquer, que ce n’est pas à leurs propres mérites, mais à la bonté de Dieu, que les Israélites doivent tant d’avantages, et il ajoute : « Parce que le Seigneur s’est souvenu de nous dans notre « abaissement (23). » Signifiant par là que nous ne devons rien attribuer à nos vertus, à un bonheur qui nous serait personnel, que nous devons tout à l’abaissement même où nous sommes descendus. Ce qu’il dit, revient à ceci Nos malheurs, l’oppression qui nous écrasait, ont suffi pour le fléchir ; car, dès le commencement, lorsque Dieu affranchit son peuple de la tyrannie des Égyptiens, Dieu ne dit pas j’ai regardé, j’ai vu leur conversion, mais « J’ai regardé, j’ai vu l’affliction de mon peuple, en Égypte. » (Ex. 3,7) « Et il nous a rachetés de la servitude de nos ennemis (24). » Pour ne pas énumérer lentement une à une les guerres, les irruptions, les victoires, les trophées, après avoir résumé d’un mot la série des triomphes, il passe tout le détail de ce qui a été fait pour les Juifs, il arrive à l’action générale de la Providence : « Il donne la nourriture à toute chair », autre version « Il donne le pain ; » autre version : « Donnant « le pain. » Ce n’est donc ni la terre, ni l’eau, ni l’air, ni le soleil, ni quelqu’autre créature qui produisent les fruits ; tout vient de Dieu seul. Maintenant, voyez ici, non seulement la puissance, mais la bonté ineffable. En effet ce que dit le Christ : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ; il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes (Mt. 5,45) ; » c’est précisément ce que le Psalmiste exprime par ces paroles : « Il donne la nourriture à toute chair ; » c’est-à-dire, non seulement aux justes, à ceux qui font le bien, mais aux pécheurs, aux impies, à tous les hommes ; et c’est là surtout ce qui proclame sa puissance. Comprenez-vous que le psaume se propose principalement de nous conduire à la connaissance de Dieu ? et voilà pourquoi il commence et il se termine par des pensées générales. d’abord il parle du soleil, et de la lune, et des éclairs, et des pluies, qui ne sont pas des faits attachés à une partie seulement de l’univers ; et il termine en parlant de la nourriture commune de tous les êtres. Ensuite, après avoir bien établi que cette Providence est générale, il ajoute : « Louez le Dieu du ciel, parce que sa, miséricorde est éternelle (26). » Paroles qui montrent clairement que dans les espaces supérieurs comme dans les régions au-dessous, c’est toujours le même Seigneur, étendant partout sa prévoyance et ses soins. Donc pour tous ces biens, offrons-lui nos actions de grâces ; pour les bienfaits communs, pour les bienfaits particuliers ; pour sa bonté, pour son affection, pour sa puissance, pour sa sollicitude ; et, sans cesse, faisons ce que nous ordonne le Psalmiste : « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle. » Voilà en effet un sacrifice, voilà une oblation, voilà ce qui plus que tout le reste nous rend Dieu propice, et nous assure sa bienveillance. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXVI.

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1. « SUR LES RIVES DES FLEUVES DE BABYLONE, NOUS NOUS SOMMES ASSIS, ET LÀ, NOUS AVONS PLEURÉ AU SOUVENIR DE SION. »

ANALYSE.

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  • 1. Les Israélites sont corrigés parla captivité qui les rend plus dociles aux volontés de Dieu, plus fidèles aux observances de leur loi et les guérit pour jamais de leur penchant pour l’idolâtrie.
  • 2. Prédiction et imprécation centre Babylone. Quand les prophètes lancent des imprécations, c’est qu’ils expriment non leurs propres sentiments, mais ceux de leurs peuples.


1. Brûlants regrets de la : cité perdue, brûlant désir du retour. Tant que ces hommes eurent leur bonheur dans lieurs mains, on les vit dédaigneux, insolents ; une fois qu’ils eurent tout perdu, alors ils ne montrèrent plus que des regrets. C’était pour réveiller leur amour que Dieu les bannissait de leur cité. C’est la conduite du Seigneur ; lorsqu’enivrés des biens qu’il nous donne, nous en perdons le sentiment ; il nous en prive, pour nous rendre plus sages ; et nous les faire désirer de nouveau. Mais pourquoi les voyons-nous s’asseoir sur les rives des fleuves ? c’est qu’ils sont captifs, emmenés sur une terre ennemie, loin de toutes murailles et de toute cité. « Nous avons suspendu aux saules qui sont au milieu de Babylone les instruments de nos chants ; » une autre version : « Nos cithares ; » une autre version : « Nos lyres : » Et pourquoi emportèrent-ils, eux captifs, ces instruments, qui leur étaient inutiles ? C’était encore un effet dé la prévoyance de Dieu, afin que sur une terre étrangère ils eussent des souvenirs de leur premier état ; c’était pour raviver leur affliction à la vue de ces emblèmes de leurs cérémonies. « Car, ceux qui nous avaient emmenés captifs, nous demandaient de chanter des cantiques, et ceux qui nous avaient enlevés, nous disaient : Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion (3). » C’était pour eux un grand avantage, que ces barbares voulussent entendre leurs cantiques. Et maintenant voyez comme la captivité les corrigeait ! Ils avaient jadis dans leur patrie perdu l’habitude de ces chants ; ils avaient renié leur religion ; ils avaient, de mille manières, foulé la loi aux pieds ; et ces mêmes – hommes, sur la terre étrangère ; se montraient exacts et fidèles observateurs de la loi ; malgré les instances, les menaces des barbares, qui les entouraient de tous côtés, qui voulaient les entendre, en dépit de tout, ils refusent de contenter leur désir ; ils leur opposent la loi, et cette loi, ils la, conservent avec fidélité. Quant à cette expression, « Ceux qui nous avaient enlevés », une autre version la modifie ainsi : « Ceux qui nous traitaient avec arrogance. » Ce qui revient à ceci : Ceux qui autrefois s’emportaient contre nous, et nous maltraitaient se sont adoucis avec le temps ; ils sont devenus plein de clémence et de mansuétude, au point de vouloir même entendre nos cantiques. Toutefois ces captifs refusèrent. Voyez-vous la force que donne l’affliction ; la componction, la contrition qu’elle opère ? Ils pleuraient, et ils observaient la loi ; ils avaient vu les larmes des prophètes, ils en avaient ri, ils s’en étaient joués, ils s’en étaient moqués ; et maintenant, sans personne pour leur adresser des exhortations, ils versaient des larmes, et ils faisaient entendre des gémissements. Les ennemis, de leur côté, retiraient, de cette conduite, de précieux avantages ; ils voyaient en effet, que ces captifs ne pleuraient pas, parce qu’ils étaient captifs, parce qu’ils étaient en servitude, parce qu’ils habitaient une terre étrangère, mais parce qu’ils étaient déchus du culte de leur Dieu. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Au souvenir de Sion. » Ils ne pleurent pas en effet seulement par hasard ; mais pleurer est leur principale occupation ; voilà pourquoi le Psalmiste dit en commençant : « Nous nous sommes assis, et nous avons pleuré. » Évidemment, nous nous sommes assis afin de nous livrer à nos gémissements et à nos lamentations. Mais pourquoi ne leur était-il pas permis de chanter sur la terre étrangère ? c’est parce que des oreilles profanes ne devaient pas entendre ces cantiques secrets. « Comment chanterons-nous un cantique du Seigneur, sur la terre étrangère (4) ? » Ce qui veut dire : Il ne nous est pas permis de chanter ; quoique nous soyons déchus de notre patrie, nous voulons observer toujours la loi, avec une scrupuleuse fidélité. Vous avez beau exercer votre domination sur nos corps, vous ne triompherez pas de notre âtre. Voyez-vous comme l’affliction conduit l’âme à la sagesse, et la rend supérieure aux épreuves et aux malheurs ? « Si je t’oublie, ô Jérusalem, que ma main droite soit mise en oubli ; que ma langue s’attache à ma gorge (6). »
Voyez, encore ici, le grand changement. Chaque jour ils entendaient dire qu’ils seraient chassés de leur cité ; et ils demeuraient dans l’insouciance : Maintenant, ils se chargent eux-mêmes d’imprécations, s’ils venaient à l’oublier. Et maintenant que signifie, « que ma main droite soit mise en oubli ? » C’est-à-dire, que mes propres forces m’oublient, et que je devienne muet dans l’excès de mes maux, « Si je ne me souviens pas de toi, si je ne me propose pas Jérusalem comme le principe de ma joie. » Qu’est-ce que cela veut dire, « si je ne me propose pas Jérusalem ? » C’est-à-dire, si non seulement je ne me souviens pas de toi, dans les autres moments, mais de plus dans mes hymnes et dans mes cantiques. Quant à cette expression, « si je ne me propose « pas ; » c’est-à-dire, si je ne prends pas pour premier motif, pour prélude, et rien ne saurait exprimer plus fortement le regret et l’amour brûlant de ces exilés pour Jérusalem. Écoutons, tous tant que nous sommes, et instruisons-nous. En effet, de même que les Israélites rie cherchent que Jérusalem une fois qu’ils en sont bannis ; de même un grand nombre d’entre nous souffriront de pareilles douleurs, dans ce jour redoutable où ils seront déchus de la céleste Jérusalem. Toutefois ces malheureux, après avoir perdu leur patrie, conservaient l’espérance du retour ; mais nous, une fois hors de la patrie céleste, nous aurons perdu jusqu’à cet espoir. « Le ver qui les ronge », dit l’Évangile, « ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point. » (Mc. 9,43) Voilà pourquoi nous devons apporter le zèle le plus actif à nous conduire, dans la vie présente, de telle sorte que nous ne tombions pas dans la captivité, que nous ne soyons pas exclus, exilés à jamais de cette bienheureuse patrie. « Souvenez-vous, Seigneur, des enfants d’Edom, de ce qu’ils ont fait aux derniers jours de Jérusalem, de leurs cris : ruinez-la, ruinez-la jusque dans ses fondements (7). »
Une autre version, au lieu de, « souvenez-vous des enfants », porte : « Souvenez-vous pour les enfants d’Edom. » Toutes ces paroles marquent également le brûlant désir de la patrie ; de là, cette prière : Punissez les barbares, à qui notre captivité n’a pas suffi ; que notre, ruine n’a pas assouvis ; qui nous ont poursuivis en disant : Creusez, jusqu’à ce que vous ayez fait disparaître la dernière des fondations. Car, ils voulaient détruire jusqu’aux bases de la cité, ils en voulaient arracher jusqu’aux fondations les plus enfoncées dans la terre.
2. Or, ces ennemis étaient des Arabes qui. s’étaient réunis aux Babyloniens pour envahir la Judée. Le Prophète rappelle souvent leur souvenir ; il leur fait d’amers reproches de ce que, malgré la parenté qui les unissait aux, Israélites ils se sont montrés pour eux plus cruels que tous les ennemis. « Filles de Babylone que je plains (8) ; » un autre, « que je vois « dévastées ; » un autre, « qu’il faut mettre au pillage. » Ici le Prophète montre la puissance de Dieu qui ne se borne pas à délivrer du malheur, mais qui prépare les calamités aux ennemis de son peuple. Il prédit les malheurs dont Babylone est menacée, et il la plaint d’avance des maux qui devaient l’assaillir. C’est encore un enseignement pour les Juifs ; c’est une preuve de la puissance de Dieu, étendue sur tout l’univers. « Heureux celui qui te traitera comme tu nous as traités ; » un autre texte : « Qui te fera ce que tu nous as fait. Heureux celui qui prendra, qui écrasera tes petits enfants contre la pierre » Ces paroles où respire une colère avide de châtiments et de supplices, marquent le bouleversement dans les pensées de ces captifs qui demandent un grand châtiment, un supplice plein d’étonnement et d’épouvante. Souvent les paroles des prophètes n’expriment pas leurs sentiments personnels, ruais les passions des autres. Voulez-vous savoir la pensée du Prophète ? Vous l’entendrez dire : « Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’ont fait du mal. » (Ps. 7,5) Si j’ai dépassé la mesure prescrite par la loi. Le Psalmiste exprime donc ici des émotions qui ne sont pas les siennes, l’indignation, la douleur des captifs ; il montre la haine violente des Juifs, dont la colère allait jusqu’à sévir contre l’enfance. La loi nouvelle n’admet pas cette fureur ; elle nous ordonne de donner à boire, de donner à manger à nos ennemis, de prier pour ceux qui nous persécutent, voilà ce que nous faisons en vertu de la loi que nous avons reçue. Que nous dit cette loi ? « Si votre justice n’est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Mt. 5,20). Appliquons-nous donc, avec un zèle ardent, à l’observer, à la pratiquer tout entière, à mériter, en quittant la terre, d’habiter dans le ciel, pour vivre avec les chœurs des anges. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens à venir. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXVII.

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1. « JE VOUS LOUERAI, SEIGNEUR, DE TOUT MON CŒUR. »

ANALYSE.

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  • 1. Il dépend de nous que nous soyons exaucés de Dieu.
  • 2. Dieu n’abandonne pas ceux qui sont dans l’affliction. Dieu ne fait pas miséricorde indistinctement.


1. Je vous ai souvent expliqué ces paroles ; nous n’y insisterons pas aujourd’hui, et nous prendrons tout de suite ce qui vient après. Que signifie : « Je célébrerai votre gloire à la vue des anges ? » Un autre interprète dit : « Je vous chanterai, ô mon Dieu, en liberté ; un autre : « À la vue des dieux, je chanterai pour vous. » S’il entend, par là, les anges qui sont dans le ciel, ses paroles reviennent à dire : Je m’efforcerai de vous chanter avec les anges, et je rivaliserai avec eux, et je mêlerai ma voix aux chœurs des puissances d’en haut. Si je ne suis pas leur semblable par la nature, l’ardeur de mon zèle au moins me permettra de rivaliser avec eux. Si nous en croyons une autre interprétation ; le Psalmiste semble parler ici des prêtres : c’est en effet l’habitude de l’Écriture d’appeler le prêtre, et un ange et un dieu tantôt elle dit : « Vous ne parlerez point mal des dieux, et vous ne maudirez point le prince de votre peuple (Ex. 22,28) ; » tantôt : « Les lèvres des prêtres garderont le jugement ; c’est de leur bouche que l’on recherchera la justice parce que le prêtre est l’ange du Seigneur tout-puissant. » (Mal. 2,7) Donc, s’il faut entendre ainsi ces paroles d’aujourd’hui ; voici la pensée : Les prêtres commenceront à chanter, chanteront les premiers, comme il convient, et moi je suivrai, je les accompagnerai ; et moi aussi je chanterai pour vous, parce que vous avez entendu toutes les paroles de ma bouche. Voyez-vous la profonde reconnaissance ? voyez-vous le zèle attentif et scrupuleux ? Celui-ci ne ressemble pas à certains hommes nonchalants et lâches, pleins d’ardeur quand il s’agit de recevoir, et engourdis après qu’ils ont reçu. Celui-ci presse afin d’obtenir, et, quand il a obtenu, il montre encore la même constance, l’assiduité de la reconnaissance. Et ce qui prouve la pureté, l’excellence de ses prières, c’est que Dieu l’a écouté. Car, ce qui détermine le Seigneur à nous écouter, c’est que notre prière soit digne de lui.
D’où il suit qu’il dépend de nous d’être écoutés de Dieu ; demandons-lui ce qu’il peut nous donner ; demandons-le avec un désir ardent ; montrons-nous dignes d’être exaucés ; Dieu nous écoute alors, et il nous accorde ce que nous lui demandons. « Je vous adorerai dans votre saint temple (2). » Ce n’est pas une vertu ordinaire qui peut monter jusqu’au temple, et y porter l’adoration qui vient d’une conscience pure. Il ne suffit pas de fléchir les genoux ; il ne suffit pas d’entrer ; ce n’est pas là ce qu’on demande ; mais la ferveur, mais le recueillement de la pensée ; je ne dis pas le recueillement du corps seulement, mais la présence de la pensée dans le temple, voilà ce qui est exigé. Ce n’est pas un petit privilège que d’adorer le Dieu de l’univers, comme il convient qu’on l’adore. Si c’est une dignité que d’approcher les rois de la terre ; c’en est une bien plus grande que d’approcher le Dieu par qui tout subsiste. « Et je publierai les louanges de votre nom pour votre miséricorde et votre vérité. » Qu’est-ce à dire ? Je vous bénirai, dit-il, parce que j’ai ressenti toute votre sollicitude. Ce ne sont pas mes vertus qui m’ont donné de recouvrer ma patrie, de revoir le temple ; je dois tout à votre miséricorde, à votre bonté. Voilà pourquoi je vous adorerai, voilà pourquoi je vous confesserai ; je ne méritais que punition et châtiment ; je ne méritais que de demeurer éternellement sur la terre étrangère, et cependant vous m’avez bientôt rappelé. « Parce que vous avez élevé au-dessus de tout votre saint nom. » Ce qui veut dire : Je ne bénirai pas seulement vos bienfaits, mais votre gloire ineffable, et votre grandeur infinie, et votre nature qu’aucune expression ne peut traduire. « Parce que vous avez élevé », dit-il, « au-dessus de tout votre saint nom ; » c’est-à-dire, vous l’avez élevé par vos bienfaits, par les éléments, par ce qui existe dans le ciel, par ce qui existe sur la terre ; par les châtiments, par, ce que vous avez fait à nos ennemis, par ce que vous avez fait à votre peuple. Il n’y a pas une seule partie de la création, dans le ciel, sur la terre, dont la voix ne proclame, avec plus de retentissement que la trompette, la grandeur de votre nom. Passez en revue les anges, les archanges, les démons, les éléments insensibles, les pierres, les semences des choses, le soleil, la lune, les continents, les mers, les poissons, les oiseaux, les lacs, les fontaines, les fleuves, tout révèle que votre nom est grand. Au lieu de ces paroles : « Vous avez élevé au-dessus de tout votre saint nom », une autre version dit : « Vous avez élevé an« dessus de tous les noms votre parole. » Un autre : « Votre voix. » « Dans le jour où je vous « invoquerai, exaucez-moi ; » une autre version : « Dans le jour où je vous ai invoqué, vous m’avez exaucé. » Telle est, en effet, la promesse que Dieu a faite : « Dans le jour où vous m’invoquerez, je vous exaucerai, et je dirai : Vous n’avez pas fini de parler, me voici. » (Is. 58,6) Et le Psalmiste ne demande que ce que le Seigneur a promis. Telles sont en effet les âmes que la douleur afflige ; il leur tarde de se voir affranchies de leurs maux. « Vous exalterez mon âme par votre vertu ; » une autre version : « Vous avez établi dans mon âme les vertus. » Vous vous rappelez qu’au lieu de : « Exaucez-moi », une autre version dit : « Vous m’avez exaucé. Que signifie donc là parole : « Vous exalterez », Πολυωρήσεις ? Les phénomènes appelés météores qui se passent dans les hauteurs sont ainsi nommés, en grec μετέωρα du mot αἴρεσθαι, de là le mot μετεωρισμοί, qui s’applique aux flots que la mer élève, que, pour ainsi dire, elle exalte. Donc cette expression Πολυωρήσεις, revient à : Vous m’exalterez, vous m’enlèverez dans les hauteurs. Le Psalmiste a encore employé la même expression dans un autre passage : « Vous avez élevé à votre hauteur les enfants des hommes. » (Ps. 11,9) Et là se trouve le mot grec ἐπολυώρησαν, c’est-à-dire, vous avez attiré, emporté dans les hauteurs ; de même ici encore il emploie ce mot πολυωρήσεις με, pour faire entendre, vous me remplirez d’une grande joie ; vous rendrez mon âme comme un météore ; et, ce qui est le plus grand de tous, les biens, vous ne permettrez pas que cette élévation, que cette allégresse soit sans consistance et de peu de durée, mais vous ferez qu’elle soit puissante, forte, ferme et inébranlable. Voilà caque veut dire : «. Vous exalterez mon âme par votre vertu. ».
2. Sa pensée, la voici : Votre vertu m’exaltera, votre force m’emportera dans les hauteurs, et vous serez mon secours. Voilà pourquoi un autre interprète, mettant en lumière la même pensée, dit : « Vous avez établi dans mon âme les vertus. » C’est bien dit, « dans mon âme ; » car c’est le propre de Dieu, de retremper les âmes dans les afflictions, comme on l’a vu au sujet des apôtres. Battus de verges, ils s’en retournaient plein de joie, c’est ainsi que leur âme s’exaltait. (Act. 5,41) C’est là l’opération par laquelle éclate le plus sa puissance ; au milieu des épreuves, il ne laisse pas nos âmes tomber dans le découragement. « Que tous les rois de la terre vous louent, Seigneur, parce qu’ils ont entendu annoncer toutes les paroles de votre bouche (4). » Voyez jusqu’où va sa piété ! il ne veut pas être seul à bénir Dieu, il veut que tous ceux qui ont la puissance, s’associent à ses bénédictions, et, avec eux, tous ceux qui portent le diadème. Quelles que soient leur autorité et leur puissance, tous vous doivent, ô Seigneur, des actions de grâces même pour les bienfaits que d’autres ont reçu de vous. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Parce qu’ils ont entendu annoncer toutes les paroles de votre bouche. » Si donc ils ont pour vous des actions de grâces, ils en recueilleront de grands fruits, un gain précieux ; car tels sont les présents que vous faites, ils sont à la portée de tous ; il suffit de vouloir pour se les partager, pour en jouir. Leur autorité royale ne leur servira jamais autant que d’écouter vos paroles ; voilà ce qui les rend inébranlables, voilà pour eux la force ; voilà la beauté, voilà l’honneur, voilà la royauté ; voilà pour l’autorité, la vraie gloire et la vraie puissance. « Et que l’on chante dans les voies du Seigneur (5) ; » autre version : « Et que l’on chante les voies du Seigneur. » Si l’on prend ; « dans les voies du Seigneur », cela veut dire conformément à vos lois, à vos commandements, ô mon Dieu ! si l’on prend, au contraire, « les voies », que l’on chante, dit le texte, vos glorieux prodiges ; qu’on vous loue, qu’on vous célèbre, qu’on vous proclame, c’est ce que veut dire cette expression, « que l’on chante ». Parce que la gloire du Seigneur « est grande ; » c’est-à-dire ; exposée aux yeux de tous, manifeste à tous, évidente pour tous, prête à décerner ses bienfaits à tous ; faisant, de tous, ses tributaires, parla reconnaissance. « Car le Seigneur est très-élevé : il regarde les choses basses (6). »
Élevé en nature ; élevé en substance ; ce que dit le Psalmiste en ce moment, c’est pour s’accommoder au culte juif ; c’est une manière de parler. Ce qui suit, c’est une correction, pour redresser l’esprit : courbé vers la terre, et lui inspirer des pensées bien supérieures. Quelle est donc l’expression qui suit. « Et il ne voit que de loin les choses les plus élevées ? » En effet, il est ici question de la prescience, qui est surtout le propre de la puissante divine ; voilà pourquoi, dans les prophètes, Dieu prend si souvent occasion de cette prescience, pour condamner ceux qui sont retenus dans les liens de l’idolâtrie. Un autre interprète dit « Et ce qui est élevé, il le distingue de loin ; » un autre : « Et ce qui est sublime. » En effet, après avoir dit, « le Seigneur est très-élevé, il regarde les choses basses ; » le Psalmiste ajoute : « Il ne voit que de loin les choses les plus élevées », montrant, par là, que, non seulement il les connaît, mais qu’il les connaît à une grande distance, c’est-à-dire avant qu’elles arrivent, qu’elles soient accomplies, avant qu’elles se réalisent. « Si je marche au milieu des afflictions, vous me vivifierez (7). » Il ne dit pas : Vous chasserez loin de moi l’affliction, mais, je demeurerai au milieu même des douleurs, et vous me vivifierez, c’est-à-dire vous pouvez sauver celui qui est tombé dans les plus grands dangers ; vous pouvez, chose prodigieuse, incroyable, du sein même des tortures, du milieu même des ennemis, retirer, mettre en sûreté, celui que tant d’épreuves assiègent. « Vous avez étendu votre main contre la fureur de mes ennemis ; » un autre interprète : « Vous étendrez votre main contre le souffle de mes ennemis. » Comprenez-vous, dans les deux textes, la manifestation de la plus grande puissance ? car voici ce que dit le Psalmiste : « Au milieu même des douleurs, vous pourrez me sauver. » Ces furieux que la rage transporte, qui vomissent des flammes, vous pouvez les renverser, les jeter par terre. « Et votre droite m’a sauvé ; » un autre : « Et votre droite me sauvera », c’est-à-dire, votre puissance, votre force. Car Dieu est fécond en ressources et en moyens ; il ne lui coûte rien de sauver ceux qui étaient dans le désespoir. « Le Seigneur acquittera pour moi (8) ; » un autre : « Le Seigneur payera avec moi ; » un autre « Achèvera le paiement », c’est-à-dire, punira mes ennemis. Il ne dit pas, punira, mais « acquittera pour moi », montrant par là que, tout obligé que je suis à rendre un compte, c’est lui-même qui payera et satisfera. Car il est plein de bonté ; on peut d’ailleurs appliquer ces paroles à ce que le Christ a fait pour nous ; car c’est lui quia tout acquitté pour nous. « Seigneur, votre miséricorde est éternelle ; ne méprisez pas les ouvrages de vos mains. » Le Psalmiste donne ici deux raisons qui expliquent pourquoi l’on peut se concilier la clémence de Dieu ; l’une, c’est qu’il est plein de miséricorde et de bonté, que sa miséricorde ne se dément pas, ne connaît pas de bornes, que sa clémence ne s’arrête jamais ; l’autre, c’est qu’il est notre créateur et celui qui nous a faits.
Mais si nous voulons être sauvés par cette clémence, par cette bonté, montrons, de notre côté, que nous ne sommes pas indignes de la miséricorde. (Ex. 33,19) « Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde. » (Rom. 9,15) Dieu, en effet, ne fait pas miséricorde sans aucune espèce de discernement. Dieu fait quelque distinction ; s’il agissait sans discernement, personne ne serait puni. C’est pourquoi ne faisons pas notre devoir seulement pour obtenir la miséricorde, mais aussi parce que c’est Dieu qui nous a faits. La créature qui est l’ouvrage de Dieu, l’ouvrage d’un si grand artisan, d’un tel roi, doit se conduire de manière à mériter tant de sollicitude et d’affection prévoyante. Si telle est notre conduite, nous obtiendrons les biens à venir. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXVIII.

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POUR LA FIN, A L’AUTEUR DE LA VICTOIRE. – « SEIGNEUR, VOUS N’AVEZ ÉPROUVÉ ET CONNU. »

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Comment doit s’entendre l’expression vous m’avez éprouvé, appliquée à Dieu. Qu’est-ce à dire être assis et être levé ? De la prescience de Dieu. Qu’elle ne rend pas l’homme bon ou mauvais.
  • 3. Ténèbres veut dire affliction, nuit, adversité Tout est souple quand Dieu commande. à son ordre les éléments produisent des effets contraires à ceux qu’ils produisent ordinairement.
  • 4 et 5. Nous sommes la propriété de Dieu, c’est pourquoi il prend soin de nous. Fuir les hommes de sang, éviter les méchants. La voie éternelle, c’est la voie de la vertu.


1. Que dites-vous ? Dieu a eu besoin de vous éprouver pour vous connaître ? Avant de vous éprouver, il ne vous connaissait pas ? Loin de nous cette pensée. Comment serait-elle vraie de celui qui connaît toutes choses avant leur naissance ? Ces paroles : « Vous m’avez éprouvé », signifient, vous avez, de moi, une connaissance parfaite ; de même quand l’Apôtre dit : « Celui qui pénètre le fond des cœurs », il n’exprime pas l’ignorance, mais la science parfaite ; et ici, le Psalmiste disant. « Vous m’avez éprouvé », exprime la connaissance la plus sûre ; c’est comme s’il disait : vous avez, de moi, une connaissance parfaite. « Vous m’avez connu, que je fusse assis ou levé (2). » Par ces expressions, « être assis » et « être levé », il marque la vie tout entière. Ces deux positions embrassent toute la vie, agir, entreprendre, entrer, sortir. Ensuite, comme il a dit en commençant : « Vous m’avez éprouvé », il ne veut pas qu’on s’imagine étourdiment que Dieu a besoin d’éprouver, d’expérimenter pour connaître, et il ajoute « Vous m’avez connu, que je fusse assis, ou levé. » Voyez encore la correction résultant des paroles qui suivent : « Vous avez découvert de loin mes pensées. » Le Psalmiste montre par là que Dieu ne connaît pas, pour avoir fait une expérience ; que Dieu n’a pas besoin d’expérience, mais que sa prescience connaît tout. Celui qui connaît les pensées encore cachées dans notre esprit, n’a pas besoin des actions qui les manifestent ; et d’ailleurs il ne connaît pas seulement nos pensées, quand elles sont dans notre esprit, mais il les connaît avant qu’elles y soient ; et non seulement avant qu’elles y soient, mais encore bien longtemps auparavant. Voilà pourquoi le Psalmiste, voulant mettre cette vérité en évidence, ajoute « Vous avez découvert de loin mes pensées. » Mais, si Dieu connaît jusqu’aux pensées, pourquoi provoque-t-il la manifestation des pensées par les œuvres ? Ce n’est pas parce que lui-même a besoin de connaître, mais c’est parce qu’il veut que les actions glorifient ceux qui les font. Dieu connaissait Job avant de l’avoir mis à l’épreuve ; aussi en rendait-il ce témoignage : « Un homme juste, aimant la vérité, et qui craint Dieu. » (Job. 2,3) Mais Dieu l’a rois à l’épreuve, pour le rendre plus fort, pour confondre la malice du démon, pour provoquer les autres hommes à rivaliser avec ce saint personnage. Et qu’y a-t-il d’étonnant que Dieu ait traité Job ainsi, quand il tient la même conduite avec les pécheurs ? Dieu savait parfaitement que les Ninivites ne méritaient pas de mourir, qu’ils se repentiraient, qu’ils deviendraient meilleurs ; cependant il les met à l’épreuve, et partout il nous fait voir les marques les plus évidentes du soin qu’il prend de nous, et de sa Providence ; la connaissance pure et simple ne lui suffit pas. C’est pourquoi, le Fils unique du Père disait aussi : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi ; si au contraire je les fais, quand même vous ne croiriez pas en moi, croyez en mes œuvres. » (Jn. 10,37-38)
Comme il y a beaucoup de gens d’un esprit épais, dépourvus de sentiment, qui répètent beaucoup de discours de ce genre : Dieu a choisi un tel, chéri un tel, détesté un tel, et voilà pourquoi celui-ci est mauvais et méprisable, le Psalmiste parle d’abord des œuvres pour redresser ces jugements faux, voilà dans quel dessein il présente d’abord à la pensée la vertu se manifestant par les œuvres. Dieu sait qu’un tel sera vertueux, avant que celui-ci ait montré sa vertu par ses actions, voilà ce que déclare le Prophète pour enseigner la prescience divine, mais aussitôt il se hâte de parler de cette vertu s’épanouissant, par les actions, dans la plénitude d’elle-même, afin que l’irréflexion ne s’avise pas de dire que c’est la prédiction qui a fait de tel homme ce qu’il est en réalité. Voyez donc la démonstration que fait Paul de cette vérité. « Avant qu’ils fussent nés, et avant qu’ils eussent fait aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs œuvres, mais à cause de l’appel et du choix de Dieu, il fut dit à Rébecca : Le plus grand sera assujetti au moins grand. » (Rom. 9,11-13) Et en effet, Dieu n’a pas besoin d’attendre que les actions aient eu leur accomplissement ; bien avant les actions, Dieu connaît celui qui sera méchant et celui qui ne le sera pas. « Vous avez remarqué le sentier par lequel je marche, et vous avez prévu toutes mes voies (4). » Plus haut, il emploie les expressions « être assis » et « être levé » pour signifier les actions qui constituent les habitudes de la vie ; et en effet, nous disons souvent : Un tel sait parfaitement comment il est assis, comment il est levé, pour marquer sa parfaite connaissance ; et ici encore, il appelle « voie » et « sentier » la vie tout entière. Et voilà pourquoi il ajoute : « Vous avez prévu toutes mes voies. » Maintenant cette expression, « vous avez remarqué », ne montre pas que Dieu cherche, qu’il examine, mais qu’il connaît parfaitement. Ce qui le prouve, c’est ce qui suit : « Vous avez prévu », c’est-à-dire vous connaissez, avant l’accomplissement, toutes les actions bonnes et mauvaises, « Qu’il n’y a pas de ruse dans ma langue ; » un autre : « De contradiction. » Voilà la plus grande marque de la vertu, voilà le couronnement de tous les biens ; voilà ce que le Christ demande, avant toutes choses, par ces paroles : « Si vous ne vous convertissez pas, si vous ne devenez pas semblables à ces petits, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux (Mt. 18,3) ; » la simplicité, l’innocence, l’absence de toute ruse, de toute feinte, voilà ce qu’il veut dire. Aussi s’est-il choisi pour apôtres des hommes sans habileté et sans finesse d’esprit, et il disait. « Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et de ce que vous les avez révélées aux petits. » (Mt. 11,25) Voyez maintenant le Psalmiste ! il ne dit pas : parce que j’ai accueilli et rejeté la ruse, mais parce que jamais ma langue n’a souffert de ce mal, jamais ce vice n’a trouvé accès auprès de moi. « Vous avez, Seigneur, une égale connaissance de toutes les choses, et futures et anciennes (5) » non seulement, dit-il, vous connaissez mes pensées, mes actions, les voies par lesquelles je marche, mais, de plus, toutes les choses passées et futures. « C’est vous qui m’avez formé, et vous avez mis votre main sur moi. » De la prescience il passe au pouvoir de créer, et du pouvoir de créer, il retourne à la prescience ; non seulement Dieu nous a faits quand nous n’étions pas encore, mais, de plus, après nous avoir faits, il nous tient sous son empire.
2. Double témoignage que Paul, à son tour, rend au Christ par ces paroles : « Dieu avant parlé autrefois à nos pères, en divers temps, et en diverses manières, par les prophètes, « nous a enfin parlé, en ces derniers jours, par son Fils, qu’il a fait hériter de toutes choses ; » il ajoute ensuite l’ouvrage même de la création : « Et par qui il a même créé les siècles. » (Héb. 1,1-2) Et, après avoir parlé de sa substance, en ces mots : « Et comme il est la splendeur de sa gloire, et le caractère de sa substance. » (Id. 3) Il ajoute encore sa providence en disant : « Et qu’il soutient tout par la puissance de sa parole. » Dans son épître aux Colossiens, il revient sur cette pensée : « Car tout a été créé par lui, dans le ciel et sur la terre, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ; tout a été créé par lui, et pour lui. « Il est lui-même avant tout. » (Col. 1,16-17) Voilà pour marquer sa puissance créatrice ; ensuite, exprimant sa providence, l’Apôtre ajoute : « Et toutes choses subsistent en lui. » Ce double témoignage, Jean, à son tour, le rend par ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans lui. » (Jn. 1,3) Voilà pour la création ; ensuite, pour la providence : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » (Id. 4) C’est ce que le Prophète nous montre également ici : « C’est vous qui m’avez formé », voilà le créateur ; de plus, il exprime la providence : « Et vous avez mis votre main sur moi. » Qu’est-ce à dire, « vous avez mis ? » Vous me régissez, vous me formez, vous me portez. C’est encore ce que dit Paul : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » Ce n’est pas seulement notre naissance, mais la persistance de notre être qui suppose nécessairement son pouvoir. (Act. 17,28) « Merveilleuse est votre science au-dessus de moi ; elle est pleine de force, et je ne pourrai y atteindre (6). » Une autre version : « Elle me surpasse », au lieu de, « elle est pleine de force » ; une autre dit : « Elle est tout à fait élevée. » Quant à ces expressions, elles reviennent à ceci : je jouis de votre providence, et, quoique je sache bien que vous avez toute prescience, que je n’étais pas et que vous m’avez fait, impossible pourtant à moi d’avoir, de vous, cane connaissance parfaite, manifeste : « Mais merveilleuse est votre science », c’est-à-dire elle me surpasse, elle s’élève au-dessus de moi, elle est trop forte pour que ma raison la puisse comprendre, tant cette connaissance est merveilleuse, tant elle est grande. Mais quoi ! si, toute merveilleuse et grande qu’elle est, on peut la comprendre ? nullement. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Je ne pourrai y atteindre ; » c’est pour que vous n’ayez pas cette prétention. Et maintenant, quand il dit : N’avoir pas cette connaissance, il ne dit pas : j’ignore Dieu, mais : Je n’ai pas, de lui, une connaissance parfaite, absolue, et claire ; c’est précisément ce que dit Paul : Car nous savons bien assurément qu’il existe, mais quelle est sa substance ? c’est ce que nous ne savons pas. Il faut croire, pour s’approcher de Dieu, premièrement, qu’il y a un Dieu. (Héb. 11,6) Il ne dit pas, qu’il faille connaître sa substance, que nul ne connaît ; nous savons qu’il est bon, qu’il est clément, plein d’affection et de douceur ; jusqu’où s’étend sa grandeur ? nous l’ignorons. Ici le Psalmiste, négligeant tout cela, nous propose un moyen qui semble plus facile, et cependant il avoue, encore ici, son ignorance, non seulement, déclare-t-il, je ne dis pas quelle est sa substance, quelle est la grandeur de sa bonté ; j’avoue que ces choses sont incompréhensibles ; mais, de plus, comment est-il présent partout ? je ne puis le dire. Voilà qui surpasse encore notre intelligence.
Aussi, après avoir dit : « Merveilleuse est votre science au-dessus de moi », il ajoute « Où irai-je pour me dérober à votre Esprit, et où m’enfuirai-je de devant votre face Si je monte dans le ciel, vous y êtes ; si je descends dans l’enfer, vous êtes présent (8) ; si je prends des ailes, dès le matin et que j’aille habiter aux extrémités de la mer (9) ; » une autre version : « Me fixer. » Eh bien ! là. Un autre texte : « là encore, c’est votre main qui me conduira ; ce qui me soutiendra, c’est votre droite. » « Esprit, face », ces mots, ici, marquent Dieu lui-même ; c’est-à-dire : où irai-je, pour m’éloigner de vous ? Vous remplissez tout ; vous êtes présent partout ; non point partiellement, mais, vous êtes présent partout, tout entier. Et maintenant, le Psalmiste ne dit pas : Partout où j’irai, vous me suivrez, et vous me retiendrez ; mais partout où j’irai, vous êtes là ; c’est-à-dire, je vous trouve là, me prévenant. De là, ces paroles : « Merveilleuse est votre science au-dessus de moi. » Si vous ne la connaissez pas parfaitement, me direz-vous, comment savez-vous qu’elle est merveilleuse ? C’est parce qu’elle surpasse ma raison, c’est parce qu’elle est au-dessus de ma pensée. Il en est comme des rayons du soleil, nous ne pouvons pas parfaitement les connaître, et c’est précisément pour cette raison qu’ils nous paraissent admirables. De même, pour la connaissance de Dieu ; nous ne sommes pas absolument sans le connaître, puisque nous savons qu’il est, et qu’il est bon, clément, affable, miséricordieux ; qu’il est partout. Mais maintenant, quelle est sa substance ? jusqu’où s’étendent les qualités que nous proclamons ? comment est-il partout ? nous l’ignorons. C’est pourquoi, après avoir dit comment cette science est merveilleuse ; après avoir proclamé la prescience, le pouvoir de créer, de prévoir, la substance incompréhensible, inexplicable, il énonce un autre pouvoir, plein de mystère aussi, dès qu’on cherche à l’expliquer, car ce pouvoir est incompréhensible en lui-même. Qu’est-ce donc ? « C’est votre main qui me conduira là, et, ce qui me soutiendra, c’est votre droite ; » c’est-à-dire, vous pouvez faire que les hommes tombés dans de grands et terribles malheurs, n’y restent pas comme des prisonniers ; vous les délivrez au milieu même des plus grands dangers.
3. Pour expliquer cette pensée, il ajoute « Et j’ai dit : peut-être que les ténèbres me fouleront aux pieds, mais la nuit même s’illumine dans mes plaisirs. Parce que les ténèbres ne seront pas obscures grâce à vous, et que la nuit sera lumineuse comme le jour (11). Ainsi les ténèbres de l’une, ainsi la lumière de l’autre (12) ; » après l’énumération que j’ai parcourue, après avoir montré, non seulement Dieu présent partout, mais Dieu conduisant, protégeant, fortifiant, il ajoute ensuite, il montre non plus la merveille de cette force qui protège, mais la merveille de ce pouvoir supérieur à la nature. En effet, après avoir dit : « Ce qui me soutiendra, c’est votre droite, et elle me conduira », il ajoute : « Et j’ai dit : peut-être que les ténèbres me fouleront aux pieds. » Un autre texte : « Si je dis : peut-être les ténèbres me couvriront ; » un autre : « me cacheront. »
Les ténèbres marquent ici l’affliction ; ce que dit le Psalmiste, revient à ceci : j’ai été assiégé par les maux, et j’ai dit en moi-même, les maux triompheront de moi. C’est en effet ce que signifie cette expression : « Les ténèbres me fouleront aux pieds. » Un autre texte : « Les ténèbres me couvriront. Et la nuit s’illuminera dans les plaisirs ; » un autre texte : « La nuit deviendra lumineuse autour de moi. » Qu’est-ce que cela veut dire ? j’ai parlé ainsi, dit le Psalmiste, parce que j’étais préoccupé de la nature des choses, mais tout à coup les maux se sont convertis en bien ; ou plutôt, les maux n’ont pas été changés en biens, mais, dans la persistance même des maux, j’ai senti les doux effets de la bonté. Il ne dit pas en effet, la nuit a été détruite, mais la nuit était lumineuse ; c’est-à-dire la nuit, demeurant la nuit, les maux, les calamités (car c’est là ce qu’exprime le mot nuit), n’ont pas pu me fouler sous leurs pieds. Mais la lumière a brillé dans la nuit, c’est-à-dire, une puissance m’a défendu. En effet, les contraires naissent, apparaissent au sein des contraires, quand il plaît à Dieu. N’avez-vous pas vu la même fournaise et en même temps un feu dévorant et une rosée rafraîchissante ? ni la flamme ne s’éteignait, ni la rosée ne se desséchait ; grêle et flamme s’accordaient ensemble. D’où vient cela, répondez-moi ? Comment s’est opéré ce prodige ? je veux le savoir, ou plutôt, non ; je ne veux pas savoir ce comment, car c’est impossible. J’ai foi à ce qui est arrivé, et j’adore Celui qui a opéré l’œuvre. « Car le plus grand nombre de ces œuvres sont des secrets. » (Sir. 16,22) Ne vous souvenez-vous pas, que les Égyptiens en plein jour marchaient à tâtons, comme dans les ténèbres, que les Israélites voyaient au contraire dans les ténèbres comme en plein jour, et que, dans le principe, tandis que les ténèbres régnaient partout, la lumière éclata tout à coup au milieu d’elles ? C’est que partout Celui qui a fait la nature est le maître des choses, non de telle sorte qu’il produise ce qui n’existe pas, mais de telle sorte qu’il modifie la nature des choses existantes. « Parce que les ténèbres ne seront plus obscures par vous. » Un autre texte : « Auprès de vous. Et la nuit sera lumineuse comme le jour. » Un autre texte : « Mais la nuit même paraîtra comme le jour : ainsi les ténèbres de l’une, ainsi la lumière de l’autre. » Un autre texte. « Semblables sont ses ténèbres et sa lumière. » C’est avec raison que le texte dit : « Par vous ; » ce qui signifie, grâce à vous. Le Psalmiste exprime cette pensée : si vous le voulez, Seigneur, les ténèbres ne seront plus des ténèbres, mais produiront l’effet de la lumière. Voilà pourquoi il ajoute : « La nuit sera lumineuse comme le jour ; » c’est pour éclaircir sa pensée ; il veut dire : La nuit fera paraître ce qui est le propre du jour, comme si c’était le propre de la nuit. C’est qu’en effet, lorsqu’il plaît à Dieu, les éléments opèrent ce qui est contraire à leur nature, aussi facilement que ce qui leur a été attribué en propre, dès l’origine des choses. Oui, si vous le voulez, la nuit sera capable de montrer la lumière, aussi bien qu’elle montre les ténèbres.
Voilà pourquoi il ajoute : « Ainsi les ténèbres de l’une, ainsi la lumière de l’autre. » Ces expressions s’appliquent en toute propriété aux éléments ; par métaphore elles s’appliquent aux actions des hommes. Ce qui montre que Dieu ale pouvoir de procurer au sein des afflictions la tranquillité d’un bonheur paisible, parce que Dieu prend souci des affligés. Cela est merveilleux, étrange : c’est cependant ce qui est arrivé à Joseph. Son bonheur, ses honneurs, s’il fût resté dans la maison paternelle, n’auraient pas égalé sa prospérité, sa grandeur, après avoir été vendu, après avoir été élevé dans la maison d’un barbare. Ceux mêmes qui travaillaient à le perdre préparaient son diadème, apprêtaient sa pourpre, et du sein même de l’infamie à laquelle on le vouait, est sorti pour lui l’honneur qui l’a porté au trône. Avez-vous bien compris notre explication ? « La nuit sera lumineuse comme le jour. » Quant à cette expression : « Ainsi les ténèbres de l’une, ainsi la lumière de l’antre », elle a donné lieu à la même réflexion ; de même que les ténèbres, de même la lumière aura son tour, non seulement d’une manière apparente ; mais Dieu, le Dieu, ton Seigneur, changera la nature des choses. « Car, vous êtes le maître de mes reins, Seigneur ; vous m’avez pris dès le ventre de ma mère (13). » Quel rapport, entre ces paroles et celles qui ont été prononcées ? La conséquence est rigoureuse, et les idées sont étroitement liées. Après avoir célébré une puissance si grande, il montre que Dieu l’exercé pour l’utilité des hommes et leur élus grand bien.
Il ne faut pas que l’insensé puisse dire : Et que me fait à moi sa grandeur, sa puissance, sa prescience ? Montrez-moi le profit que nous en retirons. Le Psalmiste a ajouté : « Vous êtes le maître de mes reins », se servant d’une partie de l’homme pour désigner l’homme tout entier. Ce n’est pas chose indifférente, quand on loue la Providence, que de sentir qu’on est propriété de Dieu. Qui possède, prend soin et pourvoit. Aussi le Psalmiste, pour exprimer cette idée, ajoute-t-il : « Vous m’avez formé dès le ventre de ma mère ; » c’est-à-dire, à tous les instants, vous avez pris soin de me rendre fort ; vous avez pourvu à tout ; sans cesse vous vous êtes occupé de moi ; vous m’avez mis en sûreté dès ma première enfance, dès le maillot, et ce que j’ai dit, vous me l’avez enseigné par les faits mêmes : « Je vous louerai, parce que vous avez fait éclater votre grandeur d’une manière terrible ; vos œuvres sont admirables, et mon âme en est vivement frappée (14). » Qu’est-ce à dire ? Vous m’avez formé, mais j’ignore comment vous m’avez formé ; à vous, la providence, mais je ne puis embrasser toute votre providence dans ma pensée ; vous êtes partout, mais cela même je ne le comprends pas ; vous connaissez l’avenir et lé passé et les secrets de l’esprit de l’homme, mais ma raison est impuissante à s’expliquer cette merveille ; vous changez les natures des choses, et vous faites qu’en persistant elles fassent paraître des effets contraires ; et, vous produisez les contraires comme s’ils étaient les propriétés mêmes spécialement attribuées à chaque nature.
4. Donc, après avoir rassemblé tous ces titres, le Psalmiste, divinement inspiré, fait entendre une grande voix qui s’écrie : « de vous louerai, parce que vous avez fait éclater votre grandeur d’une manière terrible », c’est-à-dire, vous avez paru admirable, et vous êtes admirable ; « admirables sont vos œuvres et mon âme en est vivement frappée. » Et que puis-je raconter de vous, dit le Psalmiste, lorsque ce qui vient de vous, étale une grandeur magnifique ? Cessant dès lors de tout passer en revue, il se borne à la connaissance particulière qu’il a de lui-même, et il dit : « Et mon âme en est vivement frappée. » Elle n’en est pas seulement frappée ; mais profondément, dit-il, et vivement. Mais maintenant si son âme connaît, comment a-t-il pu dire auparavant : « Merveilleuse est votre science au-dessus de moi, elle est pleine de force, je ne pourrai y atteindre. » Ces paroles s’appliquent à Dieu même, les autres aux ouvrages de Dieu. Que si les dernières paroles s’appliquaient aussi à Dieu même, nous dirions : il sait que Dieu est admirable, grand, élevé. Maintenant quelle est sa substance ? Car je veux me répéter ; comment subsistent sa majesté, sa magnificence ? Comment expliquer ce qui a été dit ? C’est ce à quoi il ne peut répondre. Mais l’impossibilité même de la réponse est une preuve de la connaissance, quoique cela semble être un paradoxe. La mer aussi est d’une grandeur que nous ne connaissons pas ; et pourtant, ce qui prouve précisément que nous avons de la mer une idée vraie, c’est que nous en ignorons la grandeur. Dire que l’on peut mesurer la mer, c’est donner la meilleure preuve qu’on ne la connaît pas. Il y a donc une profession de connaître qui prouve que l’on ignore, une manière d’ignorer, qui témoigne que l’on connaît. « Mes os ne vous sont point cachés, à vous qui les avez faits dans un lieu caché ; ni toute ma substance que vous avez formée comme au fond de la terre (15). »
Le voici encore, parlant de la connaissance que Dieu possède, et il le montre connaissant toutes ces choses. Donc, il dit, si vous voulez, que Dieu connaît toutes les choses cachées, ou il exprime quelqu’autre pensée, concernant la formation et la création. Alors même où j’étais à l’état de formation, vous me connaissiez ; vous saviez toute chose, lorsque la nature produisait insensiblement son œuvre ; quoiqu’elle travaillât en secret, et comme dans les profondeurs de la terre. Toutes choses sont pour vous mises à nu et à découvert ; un autre interprète dit : « Mes os ne vous ont été cachés par aucun voile, ces os qui m’ont formé en secret ; » un autre interprète : « Vous n’avez pas ignoré ma force, qui m’a formé en secret ; j’ai été construit par des forces diverses, comme dans les profondeurs de la terre ; » un autre texte : « Vous n’avez pas ignoré ma puissance, ni mes os, lorsque j’ai été formé en secret ; j’ai été façonné dans les profondeurs de la terre. » Donc, tous les interprètes expriment les mêmes pensées. Ainsi, pendant que j’étais formé, vous avez parfaitement connu ma formation, partie par partie ; et chacun de mes membres, et l’accroissement de chacun de ces membres, vous l’avez connu. C’est ce que dit le Christ lui-même : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés (Lc. 12,7) ; » parole qui nous montre à la fois la providence et la science. « Vos yeux m’ont vu lorsque j’étais encore informe. » Répétition de la même idée. Je n’étais pas formé, vous me connaissiez ; un autre texte porte : « Je n’avais, pas encore de forme, vos yeux m’ont vu. » Paroles qu’on, peut aussi appliquer aux actions, et ainsi, ce qui n’était pas encore fait, vos yeux l’ont vu. « Et dans votre livre, tous les hommes seront inscrits ; un jour ils seront formés, sans qu’un seul y manque. » Voilà qui est obscur, mais la suite du texte et un autre interprète vont nous mettre à même de saisir le sens. Ce que dit le Psalmiste est une conséquence de ce qui précède ; or, qu’a-t-il dit précédemment ? « Je n’étais pas formé, vos yeux m’ont vu ; » c’est-à-dire, je n’avais encore aucune espèce de figure, j’étais encore une chose qu’on façonne, une chose qu’on tisse, et vos yeux m’ont vu aussi distinctement que l’on voit une forme parfaite, une figure achevée, à qui rien ne manque, qui n’a plus besoin d’attendre un seul jour pour recevoir son perfectionnement, Et, ce qui vous fera comprendre que c’est bien là le sens, écoutez un autre interprète : « Je n’étais pas formé, et vos yeux m’ont vu d’avance, avec tous ceux qui ont été inscrits dans votre livre, qui sont formés au jour où il ne leur manque plus un seul jour. » Vous m’avez vu, dit-il, avec ceux, c’est-à-dire, vous m’avez vu de la même manière que vous avez vu ceux qui sont formés dans leurs jours, jours auxquels ne manquait pas un seul jour. S’il s’exprime de la sorte, ce n’est pas qu’il y ait un livre là-haut ; ce n’est pas qu’il y ait personne d’inscrit, mais l’image de ce livre, sert à montrer la science exacte de Dieu ; comme lorsque l’Écriture dit : « Le Seigneur a entendu, et a écrit dans le livre (Malachie, 3,16) ; » et encore : « Les livres ont été ouverts. ».(Dan. 7,10) « Pour moi, ô Dieu, j’ai honoré vos amis d’une façon toute singulière (17) ; » un, autre texte : « Vos amis m’ont été précieux ce n’est pas le fait d’une vertu médiocre que de combler d’honneur les amis de Dieu ; vous, avez pris soin de moi, dit-il ; je n’étais pas ; vous m’avez fait naître ; vous me gouvernez ; et moi, en retour, j’honore vos amis. « Et leur empire s’est affermi », c’est-à-dire, ils sont devenus puissants ; un autre texte : « Combien leurs têtes se sont multipliées. » Ce qui, est plus clair, car il ajoute : « Je les compterai et ils surpasseront les grains de sable (18). » Moi, je les honore, mais vous, vous les multipliez ; vous les rendrez plus nombreux que les grains de sable ; et non seulement vous les multipliez, mais, de, plus, vous les rendez forts et puissants. Car c’est là ce que veut dire : « Et leur empire s’est affermi. » Double prospérité, la multiplication et l’accroissement des forces. « Je me suis levé et je suis encore avec vous ; » un autre texte : « Je sortirai de mon sommeil, et je serai pour toujours auprès de vous.. »
Ce n’est pas une faible marque de vertu, que de conserver la vertu dans la prospérité. Un grand nombre d’hommes, dit le Psalmiste, après avoir joui du bonheur, vous ont oublié ; mais ce n’est pas moi ; même quand je me serai levé, c’est-à-dire quand je serai affranchi de mes maux, je serai toujours avec vous, « Si vous exterminez les pécheurs, ô Dieu (19). » Il ne dit pas, si vous exterminez, je serai avec vous : il fait cette promesse sans condition. Quant à ce qu’il demande, ce n’est pas que Dieu détruise les hommes, mais qu’il les convertisse, qu’il les tire du péché, pour en faire des justes ; car il ne dit pas : Si vous exterminez les hommes, mais, « les pécheurs. » Un autre texte, au lieu de, « les pécheurs », porte, « le transgresseur », signifiant, par là, les ennemis qui adorent les idoles.
« Hommes de sang, éloignez-vous de moi. » Ces hommes de sang sont les meurtriers qui se plaisent dans les massacres. C’est avoir progressé d’une manière notable dans la vertu, que de s’enfuir, que de s’écarter avec horreur des réunions de tels hommes. Le Psalmiste explique ensuite pourquoi il faut les fuir. « Parce que vous êtes querelleurs dans vos pensées (20). » Un autre texte : « Ces hommes dont la pensée s’élève contre vous ; » un autre texte : « Parce qu’ils vous ont aigri, par leurs pensées perverses. » Voyez, il ne se préoccupe pas de lui-même, mais de l’injure faite à Dieu, et il s’écarte de tels hommes avec horreur, il repousse tout commerce avec eux. En effet ce qui a perdu les Juifs, c’est qu’ils conversaient avec les méchants. Aussi reçurent-ils une loi qui les en séparait, qui leur ordonnait d’éviter les mariages avec eux ; et, quand ils sortirent de l’Égypte, ils furent pendant quarante ans séparés des antres peuples, dans la solitude. Cette loi avait pour nom « la haie », parce qu’elle les entourait de toutes parts et supprimait tout commerce avec les méchants. Les Juifs, en effet, étaient faciles à circonvenir ; leurs mœurs étaient variables et leur caractère mobile. « Ils regarderont comme des vanités les villes élevées par vous. » Un autre texte : « C’est en vain qu’ils se sont élevés pour rivaliser avec vous ; » un autre : « Pour être vos ennemis. » Voilà donc pourquoi il s’en écarte avec horreur, c’est qu’ils se sont élevés contre la gloire de Dieu, c’est qu’ils ont transgressé la loi ; c’est qu’ils ont fait entendre des blasphèmes. « Seigneur, n’ai-je pas haï ceux qui vous haïssaient et ne séchais-je pas d’ennui à cause de vos ennemis (21). « Je les haïssais d’une haine parfaite et ils sont devenus mes ennemis (22). »
C’est ainsi que Dieu lui-même a promis aux Juifs d’être l’ennemi de leurs ennemis ; l’adversaire de leurs adversaires ; c’est là la meilleure preuve d’affection. Et le Psalmiste paie le Seigneur de retour, par la même conduite envers les amis, envers les ennemis de Dieu. En effet, il a dit plus haut : « J’ai honoré, d’une façon toute singulière, vos amis, ô mon Dieu ! » Ici maintenant : « J’ai haï ceux qui vous haïssent. » J’ai aimé outre mesure ; et ici encore : J’ai haï outre mesure. Car il ne dit pas seulement : J’ai haï, mais encore : « J’ai séché d’ennui. O Dieu, éprouvez-moi et sondez mon cœur, interrogez-moi, et connaissez les sentiers par lesquels je marche(23), et voyez si la voie de l’iniquité se trouve en moi ; et conduisez-moi dans la voie qui est éternelle (24). » Or, il a dit en commençant : « Vous m’avez éprouvé et connu parfaitement, vous m’avez connu, que je fusse assis ou levé, vous avez découvert de loin mes pensées, vous avez remarqué le sentier par lequel je marche, et toute la suite de ma vie, et vous avez prévu toutes mes voies. Vous connaissez toutes les choses futures et anciennes. » Comment donc dit-il maintenant, comme s’il n’avait pas encore été éprouvé, « Éprouvez-moi ? » Vous voyez qu’il se sert du langage humain, non pour tenir ainsi nos âmes dans l’abaissement ; au contraire, il veut qu’après nous être formé, par toute espèce de réflexions, une pensée digne de Dieu ; nous nous élevions jusqu’aux hautes régions de l’intelligence. Il demande à être éprouvé, à être examiné, non pas pour que son cœur soit connu de celui qui, dès le commencement, connaît toutes choses, même avant leur naissance ; mais afin que nous acquérions nous-mêmes la connaissance que donne l’expérience des choses. Voilà en effet ce que veut dire cette parole, « Éprouvez-moi. Et voyez si la voie de l’iniquité se trouve en moi, et conduisez-moi dans la voie éternelle. »
Or, maintenant cette voie éternelle, que peut-elle être, sinon la voie spirituelle qui conduit au ciel et qui n’a pas de fin ? En effet, tout le reste est caduc, momentané, renfermé dans la vie présente ; aussi, négligeant tout ce périssable, le Psalmiste cherche ce qui est immortel, sans limites, sans fin. Et maintenant, qu’est-ce qui conduit vers cette voie ? Le secours de Dieu, la volonté qui fait ce qui dépend d’elle ; la vertu, la sagesse qui s’élève au-dessus des choses de la vie présente. Les choses de l’autre vie ne sont ni éphémères, ni momentanées ; telle est la vertu avec ses fruits toujours fleurissants, jamais flétris, ses biens immortels, impérissables, sans fin. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par 1a bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXXXIX.

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1. « DÉLIVREZ-MOI, SEIGNEUR, DE L’HOMME MÉCHANT, DÉLIVREZ-MOI DE L’HOMME INJUSTE. »

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Une, volonté dépravée rend l’homme pire que les bêtes féroces. Rien ne peut nuire à l’homme que le péché. Le démon est nommé absolument le mauvais. Le méchant se nuit à lui-mème. Il ne faut pas craindre les méchants, mais les plaindre ; ne pas les insulter, mais les éviter
  • 3 et 4. L’affliction ramène à Dieu. La méchanceté réfléchie est la pire. Le vice entraîne naturellement avec soi sa peine. Nécessité de modérer sa langue, qu’il ne faut pas demander compte à Dieu de ce qu’il fait.


1. Où sont-ils maintenant ceux qui disent A quoi bon les bêtes féroces ? à quoi bon les scorpions ? à quoi bon les vipères ? Voici qu’on vient de trouver un animal plus méchant, non par nature, mais par choix, l’homme. Aussi, le Prophète oublie tous les autres animaux méchants, c’est de l’homme qu’il veut être délivré. Eh bien ! répondez-moi, je vous en prie : parce que l’homme est méchant, valait-il mieux qu’il n’y eût pas d’homme ? Dire oui, ce serait le comble de la démence. Rien n’est nuisible à l’homme que le péché ; le péché disparaissant, tout devient facile, plus d’embarras, c’est la tranquillité, c’est la paix ; avec le péché, partout les écueils, et les tempêtes, et les naufrages. Et maintenant, que nul ne nous condamne, si nous disons que l’homme vicieux est plus méchant qu’une bête féroce. Si la nature a refusé à celle-ci la douceur, en revanche il est facile de tromper sa cruauté : ce qu’elle est naturellement, elle le fait voir ; tandis que l’homme qui médite le crime, qui se cache sous mille masques, est la bête féroce dont il est le plus difficile de se défendre. Sous la peau de la brebis souvent se cache le loup, et la foule imprudente se laisse prendre. Or, comme les bêtes féroces de ce genre ne sont pas faciles à surprendre, le Prophète a recours aux prières, et c’est le secours de Dieu qu’il implore pour être préservé de leurs attaques. En effet, le démon s’insinue souvent dans de pareils monstres, et c’est ainsi qu’il frappe ses coups ; il y en a donc un grand nombre, qui de toutes parts nous tendent leurs pièges. Le méchant nous assiège, le démon furieux nous fait la guerre, la tentation nous accable et nous trouble ; de là cette prière que nous apprenons « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » (Mt. 6,13) Les combats sont variés, les mêlées se multiplient et il faut être prêt à tout. De même que celui qui se dispose à parcourir les mers, doit prévoir tous les caprices des vagues impétueuses, les souffles furieux, les nuages amoncelés, les récifs, les écueils, les irruptions des monstres de la mer, les incursions des pirates, la faim, la soif, tous les périls des flots, les disputes entre les marins, le manque de subsistances, tous les malheurs de ce genre, et se tenir prêt à combattre tout cela ; ainsi, celui qui va traverser l’orageux détroit de la vie présente, doit prévoir les souffrances du corps, les maladies de l’âme, les perfidies de la part de, l’homme, les attaques venant des ennemis ; les artifices des faux amis, la pauvreté, les tourments, les outrages, les phalanges des démons, la fureur de l’ange des ténèbres, et se préparer à y tenir tête, s’il est juste, s’il veut parvenir jusque dans la cité royale ; s’il veut, comblé de richesses, pousser son vaisseau dans le port.
Ici, le Psalmiste dit : « L’homme méchant ; » mais, quand il parle du démon, il dit simplement : « le méchant. » Pourquoi ? C’est que le démon est le père de la méchanceté. Voilà pourquoi on l’appelle, par excellence, le Méchant ; cet adjectif mis seul à la place de son nom propre le désigne assez, puisque aucune méchanceté n’égale celle qui est en lui, non par sa nature, mais par sa propre volonté. Si maintenant, vous tenez à savoir d’où vient le nom de méchanceté, vous en retirerez encore un grand profit. Les Grecs appellent la méchanceté πονηρία parce qu’elle apporte au méchant πόνον, de la peine, du chagrin. Voilà pourquoi un sage, exprimant cette pensée, dit : « Si tu es méchant, tu seras seul victime de ta méchanceté ; si au contraire, tu es bon, ce qui est bon, tu l’auras, et pour toi, et pour tes proches. » (Prov. 9,12) Et comment, me dira-t-on peut-être, le méchant est-il seul victime de sa méchanceté ? Combien d’hommes n’afflige-t-il pas par ses outrages ? le réponds qu’il ne peut nuire à qui ne s’endort pas dans la lâcheté, dans l’inaction. Et, si vous voulez, laissons de côté l’homme méchant ; prenons le méchant lui-même, le démon ; arrêtons sur lui nos regards. Dites-moi, n’a-t-il pas versé toute sa méchanceté sur Job ? Or, quel mal lui a-t-il fait ? N’a-t-il pas rehaussé sa gloire ? Ne s’est-il pas ménagé à lui-même une chute plus terrible ? Et maintenant Caïn ? N’a-t-il pas été seul victime de sa méchanceté ? Nullement, me répond-on, mais Abel avec lui. Comment et de quelle manière ? Parce qu’il a été rapidement lancé dans le port qu’aucun flot n’agite ; mais c’est une rare faveur pour lui, qu’après avoir fait le bien, il soit mort ; il ait payé, de la manière la plus avantageuse, la dette commune ; car ce qui lui était commun avec les autres hommes, ce que la nécessité lui réservait, lui est arrivé avec une ample récompense. Ce n’est pas là souffrir un malheur, mais se parer le front d’une plus belle couronne. Et quel mal les frères de Joseph lui ont-ils fait ? N’ont-ils pas été seuls victimes de leur méchanceté ? Mais, me répond-on, Joseph a été esclave, et après, moi, j’ajoute qu’il a été dans les fers ; mais la question n’est pas là, il ne s’agit pas de savoir s’il a été esclave et dans les fers, mais s’il en a éprouvé aucun dommage, et c’est le contraire que nous voyons ; car il y a trouvé le plus grand profit ; il a conquis de plus grands titres à l’affection particulière du Seigneur. Et ce qui paraissait contrarier sa fortune, lui a valu le bonheur dans la vie présente.
Donc, ne craignons pas les méchants, mais prenons-les en pitié. On pouvait les craindre, lorsqu’on ne connaissait pas encore la voie élevée qui conduit à la sagesse ; mais aujourd’hui, ils ne sont plus à craindre, puisque désormais les cieux nous sont ouverts, et que les hommes sont devenus des anges. La bête qui, d’un bond impétueux, s’élance sur la pointe du fer, paraît se venger de celui qui le tient ; mais elle se fait à elle-même une grave blessure, et, pareillement, qui regimbe contre l’aiguillon, s’ensanglante les pieds.
2. Telle est la vertu ; c’est un aiguillon, c’est la pointe d’un glaive, et tous les méchants sont pires que les bêtes féroces, et plus qu’elles, dépourvus de raison. Ainsi, quand ils se ruent contre les gens de bien, ils se transpercent profondément eux-mêmes. Aux gens de bien ils font souvent du tort, soit dans leur argent, soit dans leur personne ; mais ils se blessent eux-mêmes dans l’âme, et c’est là le vrai tort, le vrai dommage. En effet, si les pertes d’argent nous attaquaient dans notre propre vertu, Paul ne nous aurait pas prescrit de souffrir l’injure sans la rendre ; si c’était un mal que d’être atteint par l’injustice. Celui, dont les lois ne commandent que le bien, ne nous aurait pas ordonné ce qui est mal. Cependant quoi qu’il en soit ainsi, il ne faut pas faire insulte aux méchants, ni leur courir sus, mais éviter, décliner leur commerce ; quand ils nous attaquent, les recevoir avec une fermeté virile. Voilà pourquoi nous avons l’ordre de prier, afin de ne pas entrer en tentation. Aussi, après avoir dit : « Délivrez-moi, Seigneur de l’homme méchant », le Psalmiste ajoute : « Délivrez-moi de l’homme injuste », se servant de l’expression générale qui marque le vice ; car l’injuste, ici, n’est pas simplement celui que l’avarice égare, mais celui que toutes les autres passions aussi poussent à l’injustice. Et la prière d’être délivré est pour demander de ne pas succomber, de ne pas devenir pareil à l’homme injuste. Et le Psalmiste ne se contente pas de prier, il commence par dire, qu’il a fait ce qui dépend de lui. C’est ainsi que vers la fin du psaume précédent, il dit qu’il fuyait tout commerce avec les méchants. Voilà ce qui l’autorise à demander, ici, le secours de Dieu. Précédemment il montre les dispositions de son cœur par ces paroles : « Hommes de sang, éloignez-vous de moi. » (Ps. 138,19) Voici qu’à présent, il prie Dieu pour être délivré de leur méchanceté. Ce n’est pas en effet une circonstance légère, indifférente pour la sécurité, pour la liberté, pour le plaisir, quel qu’il soit, de la vie, que d’être délivré de la société de pareils hommes, que d’être bien loin de tout commerce avec les méchants. Au contraire, c’est là un grand élément de bonheur. Il dépeint ensuite leur méchanceté, et il ajoute : « Ceux qui ne pensent, dans leur cœur, qu’à commettre des injustices, me livraient tous les jours des combats. ». Voyez-vous ces bêtes féroces, dont il est difficile de se garder, qui méditent, au fond de leur cœur, leurs mauvais desseins, et qui cachent, dans le secret de leur âme, leur perfidie ? « Ceux qui ne pensent », dit-il, « dans leur cœur ; » c’est-à-dire qui n’ont pas encore mis au jour, mais qui nourrissent au dedans d’eux-mêmes la méchanceté dont leur âme est pour, ainsi dire grosse, et, ce qu’il y ai de plus terrible, qui ne procèdent pas étourdiment, qui ne s’égarent pas dans leur chemin, mais accomplissent leur œuvre avec une entière attention. C’est ce que veut dire : « Ceux qui ne pensent, « dans leur cœur ; » c’est-à-dire qui s’appliquent avec une ardeur passionnée, avec un désir ardent. « Me livraient tous les jours des combats. » Ces paroles expriment la vie tout entière ; les combats, dont il est question ici, ne sont pas ceux qui se livrent en règle, les armes à la main, mais ceux qui résultent des perfidies préparées : de ce que font, et sur la place publique, et dans l’intérieur des maisons, des hommes qui n’ont ni bouclier ni cuirasse, mais, pour toute arme, la perversité, et dont les paroles font de plus cruelles blessures que des javelots. Or le comble de leur perversité, ce n’est pas seulement qu’ils pratiquent la ruse, la feinte, qu’ils sont prêts à tous les combats, mais encore que, pendant toute la durée de la vie, ils ne suspendent par aucune trêve cette guerre terrible. S’ils tenaient tant à faire la guerre, ils avaient une raison de légitimes combats, ils devaient entreprendre la lutte contre les péchés, opposer leurs armes au démon, combattre les maladies de l’âme, aiguiser leurs glaives contre les mauvais anges. Mais c’est là une mêlée que ne soupçonnent même pas les hommes méchants. Ils ne font que se lancer mutuellement des traits, qui les frappent eux-mêmes. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle d’un serpent ; le venin des aspics est sous leurs lèvres (3). » Voyez la bassesse du vice : des hommes, il fait des bêtes sauvages, des aspics, des serpents ; et cette langue, destinée à être l’interprète de la raison, ils la ravalent à cette brutalité. Et maintenant, l’accusation que le Psalmiste leur a déjà adressée, il la leur oppose encore. Quelle est-elle ? « Le venin des aspics est sous leurs lèvres. » Mais que signifie cette expression ? « Le venin des aspics est sous leurs lèvres », dit-il, « toujours ; » c’est-à-dire, sans cesse ; de même qu’il a dit plus haut : « Ils me livraient tous les jours des combats », de même il dit encore ici : « Ils ont aiguisé leur langue comme celle d’un serpent ; le venin des aspics est sous leurs lèvres toujours. Tel est le sens de diapsalma », en hébreu « sel », qui revient à « toujours. » Or le vice, même dans un temps bien court, est chose grave et importune ; mais, quand on ne se lasse pas de le suivre, quand on en est insatiable, quel pardon peut-on mériter ? de quelle excuse peut-on se couvrir ? « Préservez-moi, Seigneur, de la main du pécheur ; des hommes injustes, délivrez-moi. Ils ne pensent qu’à me faire tomber (4) ; les superbes m’ont dressé des pièges en secret ; ils ont tendu des filets pour me surprendre, et ils ont mis près du chemin de quoi me faire tomber (5). » Rien de plus injuste que ceux qui s’adonnent au vice, qui, avant de nuire aux autres, commencent par se blesser dans l’âme ; ils sont des sujets de scandale, ils sont cause que la gloire de Dieu est décriée par les insensés qui voient leurs crimes impunis ; ils ont reçu leur âme et leur corps de la bonté de Dieu ; ils oublient la reconnaissance qu’ils lui doivent ; pour tant de gloire et de bienfaits ; ils rendent à leur bienfaiteur tout le contraire de ce qu’ils lui doivent. Où trouver plus d’injustice, plus d’ingratitude ? Et, ce qui est plus grave et surpasse tout crime, ils s’efforcent aussi de nuire aux autres : « Ils ne pensent qu’à me faire tomber. » Si leurs pensées n’ont pas été suivies d’effet, il faut l’attribuer à la souveraine clémence de Dieu. C’est Dieu qui déjoue leurs conseils impies.
3. Or, maintenant voyez combien le crime était médité, avec quelle application les pièges étaient dressés. Ils se sont cachés, ils ont tendu leurs pièges, et cela, près de la route, afin de s’aider de la longueur du chemin, et des ténèbres, et de la proximité, pour mieux saisir celui qu’ils voulaient prendre et réduire sous leur pouvoir. C’était une œuvre de la perversité, que de tendre partout des pièges, uniquement pour perdre un homme. Voulez-vous voir comment le démon tend ses filets ? Voyez encore ce qui arrive à Job. Quoi de plus large, quoi de plus long, quoi de plus rapproché que le piège ? Ce n’est pas seulement dans la personne de ses parents, et de ses amis, et de sa femme, c’est dans son corps même, qu’il a tendu le piège. « J’ai dit au Seigneur, vous êtes mon Dieu ; exaucez, ô Seigneur, la voix de ma prière ; Seigneur, Seigneur, qui êtes toute la force de mon salut (7). » Un autre texte : « La puissance de mon salut. » Après avoir parlé de la guerre et des pièges, et montré que les maux sont insupportables, il se réfugie auprès de l’invincible auxiliaire ; c’est le ciel qu’il implore, pour obtenir le secours qui peut seul l’affranchir.
C’est la preuve d’une âme généreuse, c’est la marque d’un esprit sage, de ne pas chercher son refuge, dans de pareilles circonstances, auprès des hommes ; de répudier les pensées de la terre ; de lever les yeux au ciel ; d’invoquer le Dieu partout présent ; de ne se, laisser abattre par aucun trouble ; de triompher de tous les vertiges. Voyez maintenant la convenance des paroles. Il ne dit pas : Dans telle circonstance, dans telle autre, j’ai fait le bien ; ni, j’ai opéré telle action juste ; mais que dit-il ? « Vous êtes mon Dieu », exprimant par là la raison qui le détermine à demander du secours ; c’est qu’il se réfugie auprès du, Seigneur, auprès du suprême ouvrier, auprès du roi. « Exaucez, ô Seigneur, la voix de ma supplication, Seigneur, Seigneur, qui êtes la force de mon salut. » Il dit, « la force ou la puissance de mon salut », montrant par là, que c’est aussi la puissance qui décerne les châtiments et les supplices. Mais vous m’avez fourni, dit-il, la force du salut ; vous pouvez, en effet, et faire du mal et exterminer ; mais c’est toujours à mon salut que vous avez fait servir votre puissance. Voyez maintenant l’affection qui respire dans ces paroles ; ces mots répétés, cette expression qu’il ajoute, « de mon salut », tout marque l’heureuse disposition de son cœur. « Vous avez mis ma tête à couvert sous votre ombre, au jour du combat. » Voyez-vous l’expression de la reconnaissance ? Il rappelle ce qui s’est passé, que Dieu l’a mis en sûreté. C’est là, en effet, ce qui signifie cette expression, « vous avez mis ma tête à couvert sous votre ombre. » Et maintenant, voyez de quelle manière il montre comme il est facile à Dieu de protéger. En effet, il ne dit pas : avant le jour, mais : Au jour même ; quand les malheurs étaient suspendus sur moi, quand les ennemis étaient rangés en bataille, quand j’étais au milieu des plus grands dangers, c’est alors que vous m’avez iris en sûreté. C’est qu’en effet Dieu n’a besoin ni de préparatifs, ni d’aucune exhortation, lui qui connaît le présent, l’avenir, le passé ; lui qui peut tout, présent toujours, et toujours prêt à secourir. Le Psalmiste montre ensuite la victoire éclatante, la sécurité complète ; il ne dit pas : vous m’avez sauvé, mais que dit-il ? « Vous avez mis ma tête à couvert sous votre ombre », c’est-à-dire, vous m’avez garanti de la moindre importunité ; je n’ai pas même senti la chaleur ; sécurité parfaite, sécurité, plaisir, repos, voilà ce que vous m’avez procuré à tel point que je n’ai pas même senti de chaleur importune ; j’étais agréablement à l’ombre, hors de toute atteinte, libre. De là cette expression, « Vous avez mis ma tête à couvert sous votre ombre. » Et par ce troyen il montre encore la promptitude, la facilité du divin secours ; car ce mot, à couvert », c’est comme s’il disait : il suffit que vous soyez là, et tout mal disparaît. « Seigneur, ne me livrez pas au pécheur selon son désir (9). » Un autre texte : « N’accordez pas, ô Seigneur, ce que demandent les désirs du transgresseur ; » ce qui revient à dire : n’exaucez pas ses désirs contre moi ; c’est-à-dire, ce qu’il désire contre moi, ne lui permettez pas de l’accomplir. Et il ne dit pas : ce qu’il désire, mais selon le désir qu’il a contre moi ; le Psalmiste veut dire, n’exaucez pas la moindre partie de ce qu’il désire. Tels sont en effet les méchants ; c’est avec un désir ardent qu’ils trament des perfidies contre le prochain, tel est le démon, de qui l’Écriture dit : « Il rôde comme un lion rugissant, cherchant celui qu’il dévorera. » (1Pi. 5,8) C’est avec cette rage avide qu’il attaqua Job, et c’est ainsi qu’il méditait d’attaquer Pierre ; aussi l’Écriture dit-elle : « Que de fois Satan t’a demandé, pour te cribler comme le froment ! » (Lc. 22,31) Voyez-vous cet ardent désir ? Il y a aussi des hommes que l’envie tourmente, que le mal réjouit, qui rivalisent avec Satan pour ce vice ; l’Écriture les appelle des malheureux « Malheur à vous, qui vous réjouissez des maux ; qui trouvez vos délices dans la perversité des méchants ! » (Prov. 2,144) Et c’est avec raison que l’Écriture parle ainsi, car c’est là la marque d’un esprit dépravé et corrompu. S’il faut souffrir, s’il faut gémir, s’il faut pleurer pour ceux qui périssent, quel pardon mériteront, de quelle excuse pourront se couvrir ceux qui sont si loin de plaindre les méchants, qu’au contraire ils se réjouissent de leurs crimes ? N’avez-vous pas vu le Christ lui-même, au moment de punir, pleurer la perte de Jérusalem ? N’avez-vous pas vu Paul, se lamenter et gémir, parce que la perte des autres le plonge dans le deuil ? Mais il y a des hommes assez dépravés pour regarder comme une consolation de leurs maux, les douleurs qui accablent les autres. « Ils ont formé des desseins contre moi ; ne m’abandonnez pas, de peur qu’ils ne s’élèvent toujours », C’est là ce que veut dire Diapsalma. Un autre texte « Ne vous éloignez pas, de peur qu’ils ne s’élèvent. » Voilà le propre d’une âme souillée, corrompue ; c’est le propos délibéré, c’est après une longue réflexion, qu’elle se porte au mal ; il ne lui suffit pas des emportements qui la perdent ; elle y ajoute la délibération, le long examen, qui a pour objet de commettre le crime.
4. Quelle sera ton excuse, à toi, qui fais ton étude du vice, qui délibères afin d’accomplir des œuvres détestables, et qui t’adjoins des complices ? Mais voyez l’humilité du Psalmiste ! il ne dit pas : Ne m’abandonnez pas, parce que je suis digne de vous ; ne m’abandonnez pas, parce que j’ai passé ma vie dans la vertu. Mais, que dit-il ? Ne m’abandonnez pas, « de peur qu’ils ne s’élèvent », c’est-à-dire, de peur qu’ils ne deviennent plus arrogants, plus insolents, après que vous m’aurez abandonné. « Toute la malignité de leurs détours et tout le travail de leurs lèvres les accablera eux-mêmes. (9) » Autre texte : « La haine amère de ceux qui m’entourent et tout le mal de leurs lèvres les accableront. » Il entend ici par « détours », les rassemblements, les conciliabules, les ateliers de mauvais conseils, les pensées criminelles. Ces paroles reviennent à ceci : que leurs pensées criminelles, que toute leur méchanceté, toute leur dépravation les écrasent et les perdent. « Le travail de leurs lèvres ; » le travail, c’est ici la perversité. En effet, la perversité est un travail, pour celui qui en est atteint ; c’est sa perte, la perversité l’écrase. C’est ce qui est arrivé à propos de David ; ses ennemis s’attendaient à le voir tomber dans les plus affreux malheurs ; son nom est devenu plus glorieux. Assurément, me dit-on ; mais ce n’est pas là ce que je cherche ; mais montrez-moi comment de pareils ennemis se blessent eux-mêmes, se perdent par leurs propres conseils ; montrez-nous-en des exemples. Exemple : les frères de Joseph. Ils voulaient en faire un : esclave, ils voulaient le perdre, et ils se sont eux-mêmes exposés aux plus grands dangers. Et certes, c’est dans la servitude, c’est dans la mort qu’ils ont précipité leur frère, autant qu’il était en leur pouvoir de l’y jeter.
Absalon voulait s’emparer de la royauté, pour anéantir son père, et cette royauté l’a perdu lui-même. « Des charbons enflammés tomberont sur eux ; vous les précipiterez dans le feu (10). » Ce qui revient à ceci : Sans doute, le vice tout seul suffit pour perdre ceux qui l’embrassent ; mais, de plus, outre le poids de leurs vices, ils auront à supporter la colère divine. Les charbons et le feu signifient ici le supplice infligé par le ciel. Souvent le feu a frappé les méchants. Exemple : Dathan, Coré, Abiron, et ceux qui entouraient la fournaise de Babylone. « Ils ne pourront subsister dans les malheurs ; » un autre texte : « Ils tomberont dans les fosses pour n’en pas sortir ;» autre texte : « Promptement, et ils n’en sortiront pas. » La pensée d’un des textes est celle-ci : vous les perdrez de telle sorte qu’ils ne se relèveront pas, l’autre interprète dit : avec une grande rapidité, car c’est là ce que signifie l’expression dont il s’est servi. « L’homme de langue ne sera pas dirigé sur la terre (11). »
Après avoir parlé de la colère de Dieu, le Psalmiste montre encore que le vice tout seul est suffisant pour perdre ceux qui en sont atteints. Ce n’est pas une faible preuve de la perversité, que l’insolence et le débordement de la langue. L’homme qui se laisse emporter par sa langue, c’est ici l’homme pétulant, le diseur de riens, le médisant, qui sans cesse aboie, qui n’a rien pour le mettre au-dessus du chien. Dites-moi le fruit qu’on retire d’une pareille disposition. « Il ne sera pas dirigé », dit le texte, « sur la terre. » Autre texte : « Il ne s’établira point », c’est-à-dire, il sera renversé, terrassé, anéanti. Voilà le fruit de la médisance. Ennemi pour tous, importun pour tous, à charge pour tous, voilà le médisant. De même que l’homme patient, doux, ami du silence, est solidement établi, et se rend agréable à tous, de même le médisant mène une vie incertaine, assiégé partout de mille ennemis, et surtout, il porte dans son âme un trouble qui ne lui permet pas de goûter le repos. Et même quand nul ne l’inquiète, mille combats, qui confondent son âme, s’élèvent au fond de son cœur. « L’homme injuste sera la proie des maux jusqu’à ce qu’il meure. » C’est ainsi que parle encore un autre sage[26]. « Les iniquités donnent la chasse à l’homme méchant. » Voyez-vous encore la preuve que le vice tout seul suffit pour perdre celui qui le porte dans son cœur ? Mais pourquoi ici cette allusion à la chasse ? C’est pour vous faire comprendre les suites inévitables de la perversité ; c’est afin que, si vous n’êtes pas frappé aussitôt que l’injustice est commise, vous ne vous laissiez pas, pour cela, enivrer d’une heureuse confiance. Voici, en effet, ce qui se passe à la chasse : le chasseur n’atteint pas toujours, ni tout de suite. Cependant, même quand les bêtes qu’on poursuit, ne sont pas prises, elles ne sont pas en sûreté, pour n’être pas encore embarrassées dans les filets. Eh bien ! il faut pareillement que l’injuste ne se laisse pas aller à la confiance, pour n’être pas encore pris ; tôt ou tard il sera pris. Si vous aimez votre sûreté, renoncez au vice, et vous jouirez d’une pleine sécurité. Mais maintenant, pourquoi dit-il : « Jusqu’à ce qu’il meure ? » C’est parce qu’il y en a beaucoup qui sont pris, pour être sauvés, comme ceux qui sont pris par les apôtres et par les saints ; mais il n’en est pas de même des méchants ; le vice qui leur donne la chasse, les prend pour les perdre, et les exterminer. Et pourquoi le châtiment ne frappe-t-il pas tout de suite le pervers ? C’est un effet de la clémence du Seigneur ; s’il envoyait tout de suite chacun des pécheurs au supplice, la plus grande partie du genre humain aurait déjà disparu. « J’ai connu que le Seigneur fera justice à celui qui est affligé, et qu’il vengera les pauvres ; mais les justes loueront « votre nom, et ceux qui ont le cœur droit, « habiteront avec votre visage (13). » Un autre texte : « Auprès de votre visage. » Au lieu de, « Habiteront », un autre texte dit : « Demeureront ; » un autre encore : « Seront assis ; » et au lieu de, « J’ai connu, je sais. ». Après avoir dit : « Donneront la chasse », et, « Périront ; » après avoir montré que le supplice ne vient pas tout de suite, il ne veut pas que les esprits grossiers tombent dans le relâchement, et il ajoute : « J’ai connu », afin de bien montrer la certitude de cet avenir, et que les victimes de l’injustice trouveront certainement un vengeur. Quant aux pauvres, ce mot n’a pas ici son sens absolu ; il faut entendre, par là, ceux qui sont tout à fait humbles et contrits. Les paroles du Psalmiste sont une consolation pour ceux qui souffrent de l’injustice, et une correction, un avertissement pour ceux qui la commettent. Il ne faut pas que les uns, parce qu’ils attendent, désespèrent ; que les autres, parce que l’heure est différée, oublient de plus en plus le soin de leur âme. L’ajournement a pour but de provoquer le repentir ; quant à celui qui persévère, il s’attire un châtiment plus rigoureux, et c’est tout à fait justice. Pourquoi ? Parce que les pécheurs auront méconnu tant de bontés dont ils auront été l’objet, et ne seront pas devenus meilleurs. Considérez en effet la grandeur de la clémence de Dieu ! quand il permet que ses serviteurs endurent des mauvais traitements, s’il ne les venge pas, c’est qu’il veut que votre repentir vous corrige.
« Mais les justes loueront votre nom. » Que signifient ces paroles ? Quoi qu’il arrive, ils vous rendront grâces ; soit qu’ils voient les humbles éprouvés par l’injustice, soit qu’ils voient les méchants exaltés, ils ne vous demanderont pas d’explication. C’est là, en effet, le caractère le plus distinctif de la justice ; en tout temps et en toutes choses, rendre à Dieu des actions de grâces. « Et ceux qui ont le cœur droit, habiteront avec votre visage », c’est-à-dire, après avoir joui du secours qui vient de vous, n’ayant dans leurs pensées que vous, désormais, toujours avec vous ; n’en seront plus jamais séparés. Quoi qu’il arrive, ils ne se plaindront jamais ; ils ne s’affligeront jamais des événements ; car c’est là la marque d’une âtre qui ne chancelle pas, d’une pensée que rien n’ébranle, de ne pas demander de comptes au Seigneur. Voilà ce qui faisait dire à Paul « En vérité, ô homme, qui donc es-tu, toi qui contestes avec Dieu ? Un vase d’argile dit-il à celui qui l’a fait : pourquoi m’avez-vous fait ainsi ? » (Rom. 9,20) Montrons donc, nous aussi, montrons toujours la même sagesse, rendant, pour toutes choses, des grâces au Seigneur, parce qu’à lui appartiennent la gloire et la bénédiction, et l’adoration, et maintenant, et toujours, et dans la durée infinie des siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME CXL.

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1. « SEIGNEUR, J’AI CRIÉ VERS VOUS ; EXAUCEZ-MOI, ÉCOUTEZ MA VOIX, LORSQUE JE POUSSERAI MES CRIS VERS VOUS. »

ANALYSE.

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  • 1. Ce psaume se récitait tous les jours, le soir, à Antioche. Il est obscur et difficile à comprendre, c’est une raison de plus pour l’étudier avec soin. Le cri dont il est ici question, c’est le cri du cœur.
  • 2. La prière digne d’être écoutée est celle qui demande les biens éternels, celle qui ne souhaite pas de mal aux ennemis.

3, A Jérusalem il y avait deux autels, un d’or, un d’airain. Sur le premier s’offrait matin et soir le sacrifice d’adoration qui est toujours dû à Dieu et qui était toujours, accepté ; sur le second s’offrait le sacrifice pour l’expiation des péchés, l’acceptation de celui-ci dépendait des dispositions de ceux qui l’offraient. Bonne odeur de l’oraison ; l’encensoir est un symbole, qui exprime la pureté de la langue et des mains. Pourquoi faut-il élever les mains dans l’oraison?

  • 4. De la garde de la langue et de la bouche ; qu’il y a un temps de parler et un temps de Se taire ; combien la langue ne doit-elle pas être pure, elle qui reçoit le corps du Seigneur !
  • 5. C’est un mal de se taire quand il faudrait parler. Il faut compatir aux affligés.
  • 6. On demandera compte même d’une parole inutile. Dans le cœur est la source de la vertu et du vice.
  • 7. L’existence du libre arbitre constatée. L’excuse aggrave le péché, la confession l’efface, et apaise Dieu. Fuir les orgies et les théâtres comme la peste. Recevoir avec douceur les réprimandes des gens de bien.
  • 8. La prière ne suffit pas si l’on n’y joint les bonnes œuvres.
  • 9. L’espérance en Dieu est une ancre sûre.


1. Voici un psaume dont les paroles sont, pour ainsi dire, connues de tout le monde ; à tout âge on le chante ; quant à la pensée que les paroles expriment, on l’ignore. Et des reproches assez sévères pourraient être adressés à ceux qui chantent tous les jours, avec les lèvres, des paroles, sans rechercher le sens renfermé dans ces paroles. Supposez qu’une eau pure et limpide s’offre à vos yeux. Vous ne pouvez pas vous empêcher d’aller tout, près, d’y tremper vos mains, de boire de cette eau ; dans une prairie chaque jour fréquentée on ne résiste pas au plaisir de cueillir quelques fleurs. Quant à vous, qui, depuis l’enfance jusqu’au dernier jour de votre vieillesse, ne faites que chanter ce psaume, vous en savez les mots, voilà tout. Il y a là un trésor caché, vous êtes assis à côté ; vous avez une bourse magnifique, vous la portez à droite et à gauche, mais toujours scellée et fermée, et il n’est personne parmi vous que la curiosité excite à rechercher ce que veut dire ce psaume. Ni recherches, ni examen. Et cependant, on ne peut pas dire que la clarté du psaume soit faite pour nous endormir, que le sens se présentant de lui-même il n’y a pas lieu de faire des recherches. L’obscurité d’un tel psaume à de quoi réveiller celui qui ne dort pas trop profondément, je me trompe, celui qui est tout à fait endormi. Car que dit-il ? « Ne penchez point mon cœur vers des discours de malice (4). » Et que signifie maintenant : « Le juste m’instruira avec miséricorde et me reprendra ? » Et ce qui suit, répondez-moi ; toutes les ténèbres ont-elles rien de plus ténébreux ? « Ma prière s’entendra encore au milieu des choses qui les flattent. Ils ont été absorbés contre la pierre, leurs juges (6). » En dépit d’une si épaisse obscurité, comme si c’était là un cantique ordinaire, le grand nombre passe, sans arrêter. Mais nous ne voulons pas insister sur ce reproche, qui vous serait à charge ; arrivons à ce que nous dit le psaume. Attention, je vous en prie, car ce n’est pas sans dessein, j’imagine, que les Pères ont décrété la lecture de ce psaume tous les soirs, et ce n’est pas parce que l’on y trouve « L’élévation de mes mains est comme le sacrifice du soir ; » car cette pensée se rencontre dans d’autres psaumes. Ainsi : « Le soir, le matin et à midi, je raconterai et j’annoncerai. » (Ps. 54,18) Et encore : « Le jour vous appartient, et la nuit est aussi à vous. » (Ps. 73,16) Et encore : « Les pleurs se répandent le soir, et la joie le matin. » (Ps. 29,6) Et il ne manque pas de psaumes qui conviennent au soir. Ce n’est donc pas pour cette raison que les Pères ont décidé la récitation de ce psaume ; mais ils l’ont regardé comme un remède salutaire, comme une expiation des péchés ; ils ont voulu que toutes les souillures que nous aurions contractées dans toute la durée du jour, soit sur la place publique, soit chez nous, soit ailleurs, en quelque lieu que ce fût, nous pussions les laver le soir, par ce cantique spirituel. C’est un remède qui fait disparaître tout cela. Tel est aussi le psaume du matin ; car rien n’empêche de le rappeler en peu de mots. Ce psaume ranime l’amour de Dieu, réveille notre âme, l’embrase d’un feu vif, la remplit de joie et de charité, et nous pouvons ensuite nous approcher de Dieu. Voyons-en les premières paroles, et ce qu’elles nous enseignent : « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et j’aspire vers vous, dès que la lumière paraît ; mon âme a soif de vous. » (Ps. 62,1) Comprenez-vous l’amour brûlant qu’expriment ces paroles-? Or, où se trouve l’amour de Dieu, tous les vices disparaissent ; où se trouve le souvenir de Dieu, tous les péchés s’évanouissent, et la méchanceté est anéantie. « Je me suis présenté devant vous ainsi dans votre sanctuaire pour contempler votre puissance et votre gloire. » (Ps. 62,3) Qu’est-ce à dire, « Ainsi ? » avec ce désir, avec cet amour, afin de voir votre gloire qui, par toute la terre, est visible. Mais il ne faut pas abandonner ce que nous avons dans nos mains, pour prendre un autre psaume que nous rencontrons sur notre route. Donc nous nous contenterons de renvoyer l’auditeur à ce qui a été dit sur cet autre psaume ; attachons-nous à ce qui fait notre sujet aujourd’hui.
Que nous dit donc aujourd’hui le Psalmiste ? « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi. » Que dis-tu, je t’en prie ? C’est parce que tu as crié que tu veux qu’on t’exauce, et voilà le motif que tu donnes pour être exaucé ? Donc, ce qu’il faut, c’est une voix forte et qui s’entende au loin ; mais voilà qui n’est pas raisonnable ; car quel est le péché de celui qui a la voix faible, qui n’a pas de voix, qui a la langue pesante et embarrassée ? N’est-il pas vrai que Moïse n’avait pas un si bel organe et qu’il était écouté plus que tous les autres ? Est-ce que les Juifs ne poussaient pas, plus que tous les autres, de grands cris ? Dieu cependant n’écoutait pas leurs prières. Évidemment une voix forte ou une voix grêle, ce sont des avantages ou des infirmités naturels. Or, cela ne fait pas que nous soyons exaucés ou non. Car, il n’y a rien là qui mérite, soit la louange, soit le blâme. On voit un très-grand nombre d’avantages naturels accordés même à des scélérats : n’était-ce pas un bel homme, et d’une belle figure, et dont les cheveux bouclés relevaient la beauté, Absalon ? Et encore : N’est-il pas vrai qu’Élisée avait la tête chauve, au point d’être tourné en ridicule par les enfants ? Eh bien ! la beauté de l’un ne lui a servi à rien ; et celui-ci n’a en rien souffert de sa laideur. Et à quoi bon parler de voix faible et grêle, et de langue embarrassée, lorsqu’on entendait jusqu’au silence de Moïse, lorsque Anne n’avait pas besoin de parler ? Dieu disait aux Juifs : « Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point. » (Is. 1,15) Pourquoi donc le Psalmiste vient-il nous dire ici : « J’ai crié vers vous, exaucez-moi. » Il entend par là le cri intérieur d’une âme embrasée, d’un esprit contrit, le cri de Moïse, que Dieu exauçait ; car, de même que celui qui pousse des cris, épuise toutes ses forces, de même celui qui pousse les cris de l’âme, y applique toutes les forces de sa pensée.
2. Voilà donc le cri que Dieu nous demande, le cri qui convertit l’âme, ne la laisse jamais inactive, distraite. Il ne manque pas de gens en effet, qui sont présents dans le temple sans aucun doute, mais qui ne poussent vers Dieu aucun cri. Ce sont leurs lèvres qui crient, prononçant le nom de Dieu, qu’elles portent partout, mais la pensée ne soupçonne pas ce que disent les lèvres. Celui dont je parle ne crie pas, quand il ferait, de sa voix le plus grand vacarme ; celui dont je parle ne prie pas le Seigneur, quand même il paraîtrait tout à fait le prier, ce qui ne s’applique pas à Moïse. Il criait et il était exaucé. Aussi Dieu lui dit : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » (Ex. 14,15) Or, ce n’étaient pas seulement ses cris, mais son silence même, qui lui obtenaient ce qu’il désirait, parce qu’il s’était montré digne d’être exaucé par Dieu. Voulez-vous voir encore des pécheurs, soutenant le cri ardent de leurs prières, criant d’une manière retentissante, et obtenant ce qu’il désire. Voyez la courtisane, dont le silence est un cri (Lc. 7,38) ; voyez le publicain ; sa prière a suffi pour le justifier. (Lc. 18,13-14) Le publicain aussi pousse un vrai cri, qui lui fait dire : « Seigneur, j’ai crié vers vous, exaucez-moi ; » et sa prière est faite pour être écoutée.
« Lorsque je pousserai mes cris vers vous. » Voyez encore une autre vertu de la prière ! En effet, il ne demande pas d’être exaucé seulement pour l’ardeur qu’il apporte à sa prière, mais aussi parce que sa prière est digne d’attirer l’attention de ces yeux qui ne dorment jamais. De quelle nature est cette prière ? C’est une prière qui ne souhaite aucun mal aux ennemis ; qui ne demande ni richesses, ni opulence, ni puissance, ni gloire, ni rien de périssable, mais, uniquement, ce qui est impérissable, immortel. En effet, dit l’Écriture « Cherchez le royaume de Dieu, et tout cela vous sera accordé par surcroît. » (Mt. 6,33) « Lorsque je pousserai mes cris vers vous. » Voyez-vous le zèle enflammé, la ferveur qu’il nous demande, lorsque nous invoquons le Seigneur ? En effet, c’est alors surtout que le démon nous presse, et nous menace. Comme il sait que nos armes les plus fortes sont let prières ; comme il sait que, quels que soient nos péchés, notre bassesse, si nous prions Dieu en appliquant toute notre âme à la prière, si i nous le prions d’une manière conforme à ses commandements, nous pouvons obtenir les plus grands biens, c’est alors que le démon s’efforce d’éteindre notre zèle, de distraire nos pensées, afin que nous ne recueillions aucun y fruit de nos prières.
Instruits de ces vérités, fortifions-nous contre l’ennemi commun, n’adressons jamais à Dieu de prières contre nos ennemis, imitons les apôtres. Assaillis de maux innombrables, jetés, en prison, exposés aux plus grands de tous les périls, ils se réfugiaient dans la prière, ils disaient : « Considérez leurs menaces. » (Act. 4,29) Et après qu’ajoutaient-ils ? Brisez-les ou exterminez-les, langage ordinaire de l’imprécation ? Nullement, mais : « Et donnez à vos serviteurs la force d’annoncer votre parole. » (Id) Comment et par quels moyens ? En mettant à mort les persécuteurs ? en les écrasant ? en les exterminant ? nullement. Mais comment donc ? « En faisant des merveilles et des prodiges, par le nom de votre saint Fils Jésus. » (Id. 30) Voyez-vous la parfaite sagesse de la prière, (lui ; après tant et de si grands maux, ne demande pas le supplice des ennemis ? Tels se sont montrés les apôtres, quand ils étaient pleins de vie ; mais maintenant, Étienne, au moment de se voir arracher la vie présente, non seulement ne souhaitait aucun mal à ses ennemis ; mais, quand on le lapidait quand on lui donnait la mort, dans ce moment même, il ne pensait, par sa prière, qu’à soustraire ses ennemis à la colère à venir, à la punition de leur péché ; il dit : « Ne leur imputez point ce péché. » (Act. 6,59) Quel pardon mériteront-ils donc, que diront-ils pour se défendre, ceux qui souhaitent du mal à leurs ennemis dans leurs prières ? et le moyen que Dieu exauce des prières qui violent ses lois ? Donc, ne tenons jamais de pareils discours ; il ne suffit pas de ne pas prier contre ses ennemis, il faut encore éteindre sa colère contre eux, et voilà pourquoi l’Apôtre dit : « Je veux que les hommes prient en tous lieux, levant des mains pures, sans colère, et sans contention (1Tim. 2,8) ; » c’est-à-dire, quoique vous ayez un ennemi qui vous poursuive, éteignez votre colère, avant de vous approcher du Seigneur ; et, non seulement gardez-vous, dans votre prière, de rien dire contre lui, mais encore purifiez votre âme du poison qui la souille. Si telle est votre prière, si vous invoquez Dieu avec un zèle ardent, vous n’aurez pas fini votre prière, que vous serez exaucé. C’est ce que demande le Psalmiste par ces paroles : « Écoutez ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers vous. » Par là, en effet, il rappelle la promesse de Dieu même : « Vous parlerez encore, et je vous dirai : me voici. » (Is. 58,9) « Que ma prière s’élève vers vous, comme la fumée de l’encens en votre présence (2). » Autre texte : « Que ma prière se présente comme l’encens, en votre présence ; » autre texte : « Se dispose. » « L’élévation de mes mains est le sacrifice du soir ; » autre texte : « Est le don du soir ; » autre texte : « L’oblation du soir. »
Que veut nous enseigner le Prophète, en nous parlant du sacrifice du soir ? C’est qu’il y avait autrefois deux autels, l’un d’airain, l’autre d’or ; le premier était public, recevant les offrandes de presque tout le peuple ; l’autre était situé dans le sanctuaire, et derrière le voile. Et, pour être plus clair, nous essayerons de tout reprendre dès le commencement. Les Juifs avaient autrefois un temple, long de quarante coudées, large de vingt ; dans cette longueur, il y avait dix coudées, derrière le voile, d’interceptées, et ce qui était intercepté s’appelait le saint des saints. Ce qui était au-dehors s’appelait simplement le saint. Et maintenant tout était resplendissant d’or dans le saint des saints.
3. Quelques-uns ont prétendu qu’en dehors du saint des saints les poutres aussi avaient des clous d’or. Le grand prêtre seul entrait dans le saint des saints, une seule fois dans l’année ; là, se trouvait l’arche avec les chérubins ; là aussi se trouvait l’autel d’or, où s’offrait l’encens, et qui servait uniquement au sacrifice. Ce sacrifice ne s’accomplissait qu’une fois l’an. C’était donc, dans le temple extérieur, que se voyait l’autel d’airain, sur lequel chaque soir s’offrait l’agneau que l’on brûlait ; c’est ce qui s’appelait le sacrifice du soir. Car il y avait de plus un sacrifice du matin, et, deux fois par jour, il fallait allumer l’autel ; sans compter les autres offrandes apportées par, le peuple ; car il était prescrit par la loi, et ordonné aux prêtres, de prendre, sur ce qui leur appartenait, en l’absence de toute autre offrande, une fois le matin, et une fois le soir, un agneau, que l’on sacrifiait et que l’on brûlait. Et cela s’appelait le sacrifice du matin, le sacrifice du soir. Or, Dieu avait prescrit ces sacrifices, pour montrer qu’il faut toujours l’honorer, et quand le jour commence, et quand le jour finit.
Ce sacrifice était donc toujours accueilli, ce genre d’offrandes n’était jamais refusé. Quant à ce qui s’offrait pour les péchés, tantôt le sacrifice était accueilli, tantôt il ne l’était pas, selon que ceux qui le présentaient, se distinguaient par leurs vertus ou par leurs vices. Quant aux sacrifices offerts, non pour obtenir la rémission des péchés, mais parce qu’ils étaient ordonnés par la loi, prescrits pour le culte, ils étaient absolument accueillis. Le Psalmiste demande donc que sa prière ressemble à ce sacrifice que ne souillaient en aucune manière les péchés de celui (lui l’offrait ; il demande que sa prière ressemble à la sainteté, à la pureté de l’encens, et sa demande nous enseigne que nos prières doivent être pures, et d’une odeur agréable. Telle est, en effet, l’odeur de la justice ; le péché au contraire a une odeur fétide, dont le Prophète veut parler dans un autre endroit, disant : « Mes iniquités se sont élevées sur ma tête, et elles se sont appesanties sur moi, comme un fardeau insupportable ; mes plaies ont été remplies de pourriture et de corruption. » (Ps. 37,5, 6) L’encens est bon de soi et odoriférant, mais pour qu’il développe sa bonne odeur, il faut qu’il soit brûlé ; de même la prière est bonne de soi, mais elle est meilleure, et d’une odeur plus suave, quand elle sort d’une âme ardente, que la ferveur anime ; quand l’âme est un encensoir, où s’allume un feu dévorant. En effet, on ne mettait pas l’encens avant qu’il y eût du feu dans le réchaud, avant que les charbons fussent allumés. Faites de même dans votre âme ; embrasez-la d’abord par le désir, avant d’y mettre la prière. Le Psalmiste prie donc, afin que sa prière ressemble à l’encens, que l’élévation de ses mains soit comme le sacrifice du soir ; car et l’encens et le sacrifice sont accueillis. Comment ? à quelles conditions ? Si, des deux côtés, tout est pur ; si, des deux côtés, il n’y a ni sujet de reproche, ni vice ; si la langue et la main ne craignent aucun jugement ; si les mains ne sont souillées ni par l’avarice, ni par la rapine ; si la langue n’est pas chargée de mauvaises paroles, de même que l’encensoir doit être pur, ne rien porter que le feu et l’encens, de même la langue ne doit proférer aucune parole impure ; elle ne doit exprimer que la sainteté, la bénédiction ; et les mains à leur tour doivent être comme l’encensoir. Que votre bouché soit donc un encensoir, et gardez-vous de l’emplir de ce qui pourrait la souiller. Ceux qui souillent leur bouche ; ce sont les hommes qui font entendre des paroles honteuses, impures. Maintenant, pourquoi ne dit-il pas : le sacrifice du matin, mais : « Le « sacrifice du soir ? » À mon avis, l’expression est indifférente. S’il avait dit : le sacrifice du matin, ces personnes, qui n’ont rien de mieux à faire, auraient demandé pourquoi ne dit-il pas : comme le sacrifice du soir. Mais maintenant, si l’on ne veut pas y mettre une curiosité indiscrète, on peut se contenter de la réflexion que voici : le sacrifice du matin attend le sacrifice du soir ; au contraire, le sacrifice du soir est le complément du sacrifice ; le culte du jour a reçu son couronnement ; tout est achevé. Mais que signifie maintenant l’élévation des mains dans la prière ? c’est que tant de crimes, tant de coups donnés, de meurtres ; de déprédations, d’œuvres que l’avarice opère, et que produit la convoitise, s’accomplissent par le ministère des mains ; et, si l’on nous ordonne de les tendre dans la prière, c’est pour que cette fonction des mains soit comme un lien qui enchaîne l’iniquité, comme une expiation qui purifie de tout crime ; c’est afin qu’au moment de pratiquer la rapine, de vous jeter sur le bien d’autrui, de frapper le prochain, la pensée qu’un jour vous élèverez vers Dieu ces mains pour vous défendre ; la pensée qu’elles vous serviront à offrir ce sacrifice spirituel, vous empêche de les déshonorer, de les rendre auprès de Dieu impuissantes, parce qu’elles auront servi à des œuvres coupables. Purifiez-les donc par l’aumône, par la clémence ; employez-les à secourir l’indigent, avant de les tendre à Dieu, dans la prière. Si vous les lavez avant la prière, à bien plus forte raison convient-il que vous ne les souilliez pas par le péché. Si vous craignez ce qui à moins de gravité, redoutez ce qui en a davantage. Il n’est pas absolument contraire à la raison de faire sa prière avec des mains que l’eau n’a pas purifiées ; mais les offrir à Dieu, souillées de péchés sans nombre, voilà ce qui attire une, colère terrible.
4. Ces mêmes conseils, suivons-les aussi pour ce qui concerne et notre bouche et notre langue ; que la corruption n’y trouve aucun accès, si nous voulons les employer à la prière. Une personne qui possède un vase d’or, ne s’en servira jamais pour un vil usage, parce que la matière est trop précieuse : à bien plus forte raison nos bouches, incomparablement plus précieuses que l’or et les perles, ne doivent pas être souillées de paroles honteuses, impudiques, de médisances, d’outrages ; ce n’est pas sur un autel d’airain ou d’or que vous offrez votre encens, mais dans un sanctuaire plus précieux, dans le temple spirituel. D’un côté, est une matière inanimée ; en vous, c’est Dieu qui réside, et vous êtes un membre du Christ, et son corps. « Mettez, Seigneur ; une garde à ma bouche (3). » Il a prié le Seigneur, lui demandant d’être exaucé ; lui demandant d’accepter sa prière ; voyez maintenant le premier désir qu’il exprime, la supplication qu’il fait entendre. En effet, il ne dit pas : accordez-moi la fortune ; accordez-moi les honneurs que les. hommes recherchent ; accordez-moi la victoire sur mes ennemis ; accordez-moi des enfants ; rien de pareil. Il ne s’abaisse pas à tout cela ; il ne demande à Dieu que des présents dignes de lui. Eh quoi ? ne peut-on pas demander à Dieu des biens sensibles ? Assurément il est permis de les demander, mais avec la modération qui règle ces paroles de Job : « Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir, et des vêtements pour me vêtir. » (Gent. 28,20) C’est ainsi que le Christ nous a ordonné de prier, et de prononcer ces paroles : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » (Mt. 6,11) Avant tout, ce qu’il faut demander, ce sont les biens spirituels ; et c’est ce que fait le Psalmiste en disant : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche. »
Comprenez-vous cette prudence ? comprenez-vous cette sagesse ? la prière qu’il fait tout d’abord ? Il demande la première de toutes les vertus, sans laquelle on tombe dans tous les finaux, avec laquelle on s’assure tous les biens. Il faut compter par milliers les maux qu’enfante la pétulance de la langue, et, de même, les biens que procure la circonspection. De même donc que c’est en vain que l’on possède maisons, villes, murailles, ouvertures, portes, si l’on n’a pas aussi des gardiens qui sachent les fermer, et les ouvrir quand il faut ; ainsi, ni la bouche ni la langue ne sont d’aucune utilité, sans la raison qui sait avec quel soin, avec quelle circonspection il faut fermer et ouvrir, ce qu’il faut laisser sortir, ce qu’il faut garder. « Il en est moins », dit l’Écriture, « qui sont morts par le glaive que par la langue. » (Sir. 28,18) Et maintenant le Christ : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche, qui souille l’homme, mais ce qui en sort. » (Mt. 15,11) Et un autre : « Mettez une porte et un verrou à votre bouche. » (Sir. 28,25) Mais le sage, qui connaît, ici, toute la difficulté, a recours aux prières, et c’est Dieu qu’il appelle à son secours. Il fait mieux, il indique lui-même la difficulté, par ces paroles : « Qui donnera à mes lèvres un cachet qui les ferme ? » (Sir. 22,27) C’est qu’il faut, d’une part, contribuer de ce qui est en nous, voilà pourquoi il nous donne comme un précepte : « Mettez une porte et un verrou ; » il faut, d’autre part, invoquer le secours de Dieu, pour que notre zèle vienne à la pratique. Donc, ne nous lassons pas de garder notre bouche ; servons-nous de la raison, comme d’une clef, non pas pour la tenir toujours fermée, mais pour ne l’ouvrir qu’au temps, convenable. Parfois en effet, le silence est plus utile que la parole, de même que la parole est plus utile que le silence ; et aussi le sage disait : « Le temps de se taire, et le temps de parler. » (Qo. 3,9) – En effet, si les bouches devaient toujours être ouvertes, il n’y aurait pas de portes ; si elles devaient toujours être fermées, il n’y aurait pas besoin de gardes. À quoi bon garder ce qui est fermé ? Mais, s’il y a des portes et des gardes, c’est pour que nous fassions chaque chose en temps convenable. Maintenant un autre texte dit : « Faites un fléau de balance et un bassin pour votre langue. » (Sir. 28,17), demandant par là une attention plus scrupuleuse ; il ne suffit pas de faire entendre les paroles nécessaires, il faut de plus les produire avec circonspection, avec une réflexion attentive, les peser, pour ainsi dire, avec lu plus grand soin. Ce que nous faisons pour l’or, pour une matière périssable, faisons-le bien plus encore pour les paroles, de manière qu’il n’y ait rien de moins, rien de trop. De là ce que dit le sage : « Ne retenez pas la parole dans le temps salutaire. » (Sir. 4,23). Voyez-vous qu’il y a un temps où il convient que la parole sorte ; un autre texte, indiquant le moment du silence, dit : « S’il faut parler, répondez, sinon que votre main soit sur votre bouche. » (Id. 5,14) Et encore : « Celui qui abonde en paroles, sera détesté (Id. 20,8) ; » et encore : « Mieux vaut l’homme qui cache sa sottise, que l’homme qui cache sa sagesse. » (Id. 20,33) Avez-vous entendu des paroles ? « qu’elles meurent en vous, rassurez-vous, elles ne vous feront pas éclater. » (Id. 19,10) Autre texte : « Pressé par la parole, l’insensé accouchera, comme pressée par l’enfant, celle qui enfante. » (Id. 19,11) Ensuite, parlant de la mesure : « Parle, jeune homme, s’il te faut parler, au plus deux fois ; si l’on t’interroge, résume en peu de mots beaucoup de choses. » (Id. 32,10, 11) Il faut beaucoup d’attention pour manier la langue avec circonspection et sécurité. Aussi, le sage dit encore : « Il y a des réprimandes qui ne sont pas à propos, et il y a un silence qui est de la sagesse. » (Id. 19,28 ; 20, 5) Car il lie suffit pas de se taire, ni de parler à propos ; il faut encore y joindre beaucoup de grâce. De là, ce que disait Paul : « Que toutes vos paroles soient toujours accompagnées de grâce et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun. » (Col. 4,6)
Pensez que c’est l’organe qui nous sert à nous entretenir avec Dieu, à célébrer ses louanges ; par cet organe, nous recevons la victime redoutable. Les fidèles comprennent nos paroles ; voilà pourquoi il convient que la langue soit pure de toute accusation, de toute parole mauvaise, honteuse, calomniatrice ; si quelque pensée impure nous agite, avec violence, étouffons-la au dedans de nous-mêmes, ne souffrons pas qu’elle se produise en paroles. Si l’impatience, qui n’est qu’une faiblesse de l’âme, vous expose à quelque fâcheux éclat, il faut dessécher cette racine, tenir la porte bien fermée, la garder avec soin ; il ne faut pas laisser naître les pensées mauvaises ; si elles naissent, il les faut étouffer à l’intérieur, il en faut dessécher la racine.
5. Cette garde, Job sut la faire ; aussi ne proféra-t-il aucune parole mal sonnante. Le plus souvent il gardait le silence, et, quand il lui fut nécessaire de parler avec sa femme, il fit entendre les paroles de la sagesse. Car, la seule raison de parler, c’est que les paroles sont plus utiles que le silence. Voilà pourquoi le Christ aussi disait : « Les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile (Mt. 12,36) ; » et Paul : « Que des paroles impures ne sortent pas de votre bouche. » (Eph. 4,29) Et maintenant, le moyen de faire bonne garde à la porte, de n’avoir rien à se reprocher ? écoutez un autre texte : « Que toute explication, donnée par vous, soit selon la loi du Très-Haut. » (Sir. 9,15) Car, si vous avez pour habitude de ne faire entendre aucune parole inutile ; si votre pensée et votre bouche se retranchent toujours clans les récits de la sainte Écriture, ce sera pour vous une garde plus solide que le diamant. De la bouche, partent un grand nombre de chemins qui conduisent à la mort : telles sont les paroles honteuses, les basses plaisanteries, les discours de la vaine gloire, de la jactance, et de l’orgueil. Ainsi le Pharisien, pour n’avoir pas fermé la porte de sa bouche, perdit, par quelques paroles, tout ce qu’il avait chez lui. Il était comme un homme dont la maison n’a pas de porte : il y avait un trésor à l’intérieur, il n’a pas su le garder, et tout à coup il est devenu pauvre. Considérez encore ici un autre orgueilleux, qui s’est perdu de même, par des paroles superbes. C’est celui qui disait. « Au-dessus des astres du ciel, j’établirai mon trône. » (Is. 14,13) Et maintenant les Juifs, pour s’être réjouis des maux du prochain, s’entendent appliquer ces, paroles « Parce que tu as dit, c’est bien, Israël est devenu comme les autres nations. » Et maintenant ils sont couverts d’opprobre ; ce qui fait qu’ils murmurent, et disent : « Tous ceux qui font le mal, passent pour bons aux yeux du Seigneur, et ils lui sont agréables ; et nous, nous regardons les étrangers comme heureux ; et voici que l’on rétablit ceux qui font les crimes. Ne les voyez-vous pas inscrits dans le livre ? » (Mal. 2,17 ; 3, 15) D’autres se perdent pour leurs murmures, comme dit Paul : « Ne murmurons point, comme murmurèrent quelques-uns, qui ont été frappés de mort par l’ange exterminateur. » (1Cor. 10,10) Et quand donc murmurèrent-ils ? quand ils disaient : « Vous nous avez amenés ici, pour nous faire mourir dans la solitude, comme s’il n’y avait pas de sépulcres dans l’Égypte. » (Ex. 14,11) D’autres, par les frivoles plaisirs, comme dit l’Écriture : « Ils ont mangé, et ils ont bu, et ils se sont levés ensuite pour jouer. » (Ex. 32,6) D’autre, par leurs paroles de malédiction « Car quiconque dit à son frère, insensé, méritera d’être condamné par le jugement « (Mt. 5,22) ; » et d’autres encore, en bien plus grand nombre, par d’autres péchés, ont trouvé la mort ; ils n’avaient pas mis une garde à leurs lèvres.
Et maintenant voulez-vous la preuve que quelques-uns sont morts pour avoir gardé un silence intempestif ? la voici : « Si vous n’avertissez pas le peuple, il mourra dans son péché, mais je vous redemanderai son sang. » (Ez. 3,20) Un autre se perd parce que, sans aucune circonspection, il parle et révèle les secrets qui lui sont confiés : « Gardez-vous », dit le texte, « de donner les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. » (Mt. 7,6) Un autre se perd par le rire ; de là ces paroles : « Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! » (Lc. 6,25) Voyez-vous, comme la bouche vous perd ? voyez maintenant comment elle sauve, par des paroles contraires. Vous avez vu le pharisien perdu par sa bouche, voyez le publicain sauvé par sa bouche. Vous avez vu le châtiment du barbare orgueilleux et plein de jactance. Voyez l’homme juste, qui parle avec mesure et qui dit : « Je ne suis que poudre et que cendre (Gen. 18,27) ; » vous avez vu l’homme qui se réjouit du mal d’autrui, repris et puni, voyez celui qui compatit, sauvé. En effet, dit l’Écriture, « Mettez un signe sur le visage des hommes qui pleurent et qui gémissent. » (Ez. 9,4) Voilà pourquoi Paul aussi disait : « Se réjouir avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent. » (Rom. 12,15) Si vous ne pouvez, faire plus, dit-il, vous n’apporterez pas une faible consolation à l’affligé, en vous affligeant avec lui. Vous avez vu le rieur, livré aux gémissements, voyez maintenant celui qui pleure, consolé. En effet, « bienheureux ceux qui pleurent », dit le Sauveur, « parce qu’ils seront consolés ! » (Mt. 5,5) Vous avez vu que ceux qui murmurent sont punis, voyez maintenant comment ceux qui rendent dos actions de grâces sont sauvés : « Vous êtes béni, Seigneur, et il faut louer votre nom, parce que votre justice s’est montrée dans tout ce que vous nous avez fait. » (Dan. 3,26, 27) Et un peu plus bas : « Toutes les choses que vous avez montrées parmi nous, vous les avez faites avec sagesse. » (Id. 28) Ces Juifs disaient : « Tous ceux qui font le mal, passent pour bons aux yeux du Seigneur ; » au contraire, ceux-ci répétaient : « Vos yeux sont purs, pour ne point souffrir le mal. » (Hab. 1,13) Ces Juifs trouvaient les étrangers heureux, parce que ceux qui font les crimes sont rétablis, disaient-ils ; le Psalmiste, au contraire, proclame le bonheur de ceux à qui Dieu accorde son secours : « Heureux », dit-il, « le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu (Ps. 143,15) ; et encore : « Gardez-vous de porter envie aux méchants et n’ayez point de jalousie contre ceux qui commettent l’iniquité. » (Ps. 36,4) Avez-vous vu les saints, donnant aux autres de bons conseils, et demeurant eux-mêmes inébranlables au milieu des tentations ? Écoutez Jacob : « Si Dieu me donne du pain pour me nourrir et un vêtement pour me vêtir (Gen. 28,20) ; » et Abraham : « Je ne recevrai rien de vous, depuis un fil jusqu’à un cordon de soulier. » (Gen. 14,23) Or, quand il voyait son épouse menacée d’un outrage, et quand il souffrait de la famine, il ne fit entendre aucune parole déplacée. Et, quand son fils lui dit : « Mon père, voici le bois et le feu, où est donc la brebis (Gen. 22,7) ? » voyez la douceur et la sagesse de la réponse : « Dieu verra la brebis qu’il lui faut, mon fils. » Ni la nature, ni la pitié ne troublent le langage qu’il tient à son fils dans ce tête-à-tête, où ils étaient seul à seul ; et cela, quand tout conspirait à rendre plus violent en lui l’amour paternel. Et qu’on ne dise pas, que c’est la crainte des autres qui a retenu ses larmes ; loin de tout témoin, seul, il montre la solide vigueur de la sagesse.
6. Vous avez vu ceux à qui leurs rires ont attiré des châtiments, voyez maintenant ceux que leurs pleurs et leurs jeûnes ont sauvés, pensez aux Ninivites. (Jon. 3) Vous avez vu ceux qui, par leurs malédictions, se sont attiré des supplices. Considérez ceux qui, pour leurs paroles de bénédiction, ont reçu des récompenses : « Celui qui te bénit est béni et qui te maudit est maudit. » (Nb. 24,9) « Bénissez ceux qui vous persécutent ; priez pour ceux qui vous outragent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,41, 45) Comprenez-vous bien qu’il ne faut être ni toujours fermé, ni ouvert pour toutes choses, mais savoir distinguer les temps ? Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche et à mes lèvres, une porte qui les ferme exactement. » Maintenant, quelle sera cette garde, sinon la pensée redoutable qui montre le feu réservé à ceux dont la bouche est indiscrète. Placez à votre porte le gardien armé des menaces de la conscience, jamais il n’ouvrira cette porte à contre-temps, il saura toujours l’ouvrir à propos pour votre utilité, pour vous assurer des biens innombrables. De là, ce que dit un sage : « Ayez toujours présente à la pensée votre fin dernière et vous ne pécherez jamais. » (Sir. 7,36) Voyez-vous comme ici encore c’est la même pensée ? Pour moi, je la fais plus terrible encore, en conseillant d’envisager non seulement la mort, triais encore ce qui suit la mort. Qu’il en soit ainsi et aucune souillure ne naîtra dans l’âme.
Après le Psalmiste, écoutez celui qui, à son tour, nous dit : « De toutes paroles oiseuses, tu rendras compte au jour du jugement. » (Mt. 12,36) Considérez encore que c’est par là que la mort est entrée dans le monde. Si en effet, la femme n’avait pas eu d’entretien avec le serpent ; si elle n’avait pas accueilli ses paroles, il ne lui aurait fait aucun mal, elle n’aurait pas donné le fruit à son mari, celui-ci ne l’aurait pas mangé. Ce que je dis, ce n’est pas pour accuser la bouche ni la langue ; loin de moi cette intention, mais ce qu’il faut accuser, c’est l’abus, et l’abus vient du relâchement de la pensée. Il y a encore une autre voie de perdition dans la bouche, je parle des baisers honteux, impurs, ou de ceux que donnent la perfidie et la trahison. Mettez aussi une garde pour les prévenir : tel était le baiser de Judas, baiser perfide. Ce n’est pas là ce que Paul recommande, lorsqu’il prescrit aux frères de se donner le baiser mutuel : « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. » (2Cor. 13,12) Tel n’était pas non plus le baiser de David à Jonathas, saint et chaste baiser, plein d’une affection sincère (1Sa. 20,41) ; saints baisers encore, ceux qui tombèrent sur le cou de Paul, lorsque tes frères, se jetant sur lui, le traitaient. (Act. 20,37) Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche et une porte ; » et il ne se contente pas de dire « une porte », mais : « Une porte qui la ferme exactement », ajoute-t-il, qui soit une muraille pour la contenir et la fortifier. Ce n’est pas tout, il y a encore un autre genre de perdition par la langue, lorsque l’on dit : pourquoi ceci ? dans quel but cela ? Voilà pourquoi Paul, réprimandant ceux qui tiennent ce langage irréfléchi : « En vérité », dit-il, « ô homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rom. 9,20) Mais il ne suffit pas de mettre une garde à la bouche, c’est à la pensée qu’il en faut mettre une, avant de garder la bouche ; aussi un sage a-t-il dit : « Qui donnera des verges à ma pensée, pour fustiger mon ignorance ? » (Sir. 23,2) Et le Christ de son côté supprime au dedans de nous les pensées mauvaises, en disant : « Quiconque aura regardé une femme avec un mauvais désir, a déjà commis l’adultère. » (Mt. 5,28) Voyez-vous comme il ne laisse pas aux passions le temps de germer ; comme il supprime, dès la racine, et la concupiscence et la colère ? « Quiconque », dit-il, « se mettra en colère ; contre son frère, méritera d’être condamné au feu de l’enfer. » (Id. 22) Ce n’est pas non plus un faible garant de sécurité, que d’être sobre de paroles ; de là, ce que dit l’Écriture : « La multitude des paroles ne sera point exempte de péché, mais celui qui est modéré dans ses discours, est très-prudent ; ne portez point mon cœur à des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes péchés (4). » Un autre texte : « Ne troublez point mon cœur par des discours mauvais, de manière qu’il conçoive des pensées criminelles. » Pourquoi l’ordre naturel est-il interverti ? Pourquoi parle-t-il de la bouche d’abord avant de parler de la pensée ? Ce n’est pas au hasard ni airs dessein qu’il procède ainsi. En effet, lorsque des prisonniers veulent s’enfuir, ceux qui sont chargés de les garder commencent par s’emparer des portes de la prison. C’est là, pour tous les geôliers, les premiers soins ; une fois cette précaution prise, le reste est facile. De même ici le Psalmiste fait chaque chose en son temps, et les conseils qu’il donne reviennent à ceci : Que les portes soient closes et l’on aura bit, n vite raison des mauvaises pensées. Voilà pourquoi, dès le principe, il ne leur permet pas d’entrer venant du dehors ; puis il arrache la mauvaise racine en disant : « Ne portez point mon cœur à des paroles de malice. » Ce n’est pas que Dieu y porte le cœur, loin de nous cette pensée ; mais ce qu’il dit doit s’entendre ainsi : Ne souffrez point que mon cœur se porte, ne souffrez point qu’il se détourne vers de mauvaises pensées.
C’est là, en effet, qu’est la source de la vertu ou de la corruption, dans le cœur. Quelles sont les paroles de malice ? nombreuses et diverses ; il y a les paroles perfides, celles qui accusent Dieu, celles qui détournent de la vertu, celles qui recherchent le vice, celles qui développent des doctrines funestes, qui racontent les mœurs coupables et que l’on écoute avec plaisir. Ces paroles et les autres du même genre sont les paroles de malice ; et comme il y a les pensées et les discours de malice, de même il y a les paroles de vie. Voilà pourquoi les disciples disaient au Christ : « Vous avez les paroles de la vie éternelle, à qui irons-nous ? » (Jn. 6,69) Or, les paroles de vie sont celles qui donnent la vie ; on les appelle aussi les paroles du salut, parce qu’elles procurent le salut. De là, ce que dit un sage : « N’empêchez pas le discours dans le temps du salut. » (Sir. 4,23) Les paroles de malice, sont, en outre, tes paroles qui font des pervers de ceux qui les prononcent.
7. Il y a un air pestilentiel et qui engendre les maladies ; il y a de même des paroles funestes. Le mal que cet air fait au corps, ces paroles le font à l’âme qui les reçoit. Le Psalmiste adresse donc à Dieu cette prière par les paroles qu’il ajoute, comme nous l’avons vu : ne souffrez pas que mon cœur accueille des paroles de ce genre ; ne permettez pas qu’il se porte vers ces discours. Voyez-vous bien comme il montre ici la liberté propre à notre, âme, l’innocence propre à notre nature ? elle n’a pas le vice en elle, mais c’est par négligence qu’elle incline au vice et l’accueille. « Pour chercher des excuses à mes péchés. » Voilà la grande route de la perdition, quand, l’âme pécheresse, bannissant la crainte, s’ingénie à trouver des excuses et des prétextes pour couvrir sa lâcheté ; c’est ce qui arrive quand un homme a commis un adultère et qu’un autre l’engage à secouer les remords, et lui dit : est-ce ta faute ? la faute, c’est à l’amour. C’est un malheur assurément que le péché, mais ce qui rend ce malheur plus terrible, c’est, après avoir commis le péché, de dire qu’il n’y a pas de péché. Voilà les armes les plus efficaces du démon ; c’est ce qui est arrivé à nos premiers parents : Adam aurait dû avouer son péché ; il le rejeta sur Eve ; Eve s’en prit au démon. (Gen. 3) Il fallait dire : nous avons péché ; nous avons enfreint la loi ; ces malheureux non seulement n’avouent pas, mais encore ils composent une défense. Le démon savait bien que la confession du péché était l’affranchissement du péché, et il leur persuada de payer d’impudence. Eh bien ! toi, mon bien-aimé, quand tu auras péché, dis : j’ai péché. Rien de plus légitime que cette manière de se défendre ; par là, tu te rends Dieu propice ; par là, tu obtiens encore de retomber moins vite dans les mêmes fautes. Si tu cherches, au contraire, de vains prétextes pour affranchir ton âme de ses craintes, tu ne fais que lui ménager une rechute plus facile dans les mêmes liens du péché, et tu irrites la colère de Dieu. Est-il un pécheur qui ne trouve, pour ses fautes, une excuse effrontée ? le meurtrier s’en prend à la colère ; le voleur, à la pauvreté ; l’adultère, à l’amour, set un autre, au pouvoir qui l’aurait contraint. Excuses insensées, raisonnements sans raison. Ces choses, ne font pas les péchés ; les seules causes des péchés ce sont les âmes des pécheurs. Et la preuve, je l’emprunte aux conséquences qui résultent nécessairement, de la disposition des âmes. Voici un homme, dont la vie se passe dans la pauvreté ; il a des désirs, il est soumis aux nécessités de la nature, et cependant il s’abstient du péché ; quelle excuse les autres allégueront-ils encore ? Voilà pourquoi le sage dit si bien : « Qui donnera des verges à ma pensée, pour fustiger mon ignorance ? » (Sir. 23,2) Voyez David ; il ne s’excuse pas après son péché ; il dit : « J’ai péché envers le Seigneur. » (2Sa. 3,13) Or il aurait pu dire : pourquoi cette femme était-elle nue ? pourquoi se baignait-elle devant moi ? mais il savait bien que ce sont là de frivoles excuses, qu’il n’y a là aucune raison ; aussi arrive-t-il à la seule excuse possible, il dit : « J’ai péché. » Saül ne fit pas de même ; quand on le réprimandait au sujet de la femme ventriloque, il disait : « Je suis réduit à l’extrémité, les étrangers me font la guerre. » (1Sa. 28,15) Aussi le supplice de Saül fut terrible. Il aurait dû dire : j’ai péché, j’ai désobéi à la loi ; ce n’est pas là ce qu’il dit. Mais il allait, venait, cherchant des excuses insensées, « Comme les hommes qui commettent l’iniquité. » Le Psalmiste ajoute ces paroles, pour montrer que c’est là ce qui les distingue, les excuses impudentes ; et voilà pourquoi David conseille, avec autant d’assiduité qu’il recommande la vertu, de fuir les réunions de ces hommes. Et, de tout le livre des psaumes, la première parole est pour dire : « Heureux l’homme qui ne s’est point laissé aller à suivre le conseil des impies, qui ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s’est point assis dans la chaire de ceux qui sont corrompus ! » (Ps. 1,1) Et voilà pourquoi vous le trouverez lui-même confessant toujours ses péchés.
Ainsi, après avoir fait le dénombrement du peuple, il disait : « C’est moi qui ai péché, « c’est moi qui suis le pasteur, et qui suis « coupable. » (2Sa. 24,7) Il ne dit pas quel mal ai-je fait en dénombrant le peuple ? mais il se condamne lui-même, et il obtient le pardon pour tout le peuple, En effet, rien ne nous rend Dieu plus propice que la confession des péchés, et nous la ferons toujours si nous fuyons la société de ceux qui affranchissent de toute crainte les consciences coupables et les jettent dans le relâchement. Voilà pourquoi Paul et Jérémie reviennent souvent sur ce sujet, et tous les deux nous donnent le conseil de fuir ! a société des méchants, et de ; ceux qui négligent la vertu. Job aussi met cette conduite au rang des vertus : « Si j’ai marché », dit-il, « avec ceux qui pratiquent la dérision. » (Job. 31, 5) Pour le Psalmiste, il montre de plus, qu’il ne s’est pas même assis au milieu d’eux : « Je ne me suis point assis dans l’assemblée de ceux qui plaisantent. » Voilà pourquoi Paul à son tour ne veut pas que l’on prenne ses repas avec les méchants et défend tout commerce avec eux : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le et n’ayez point de commerce avec lui. » (2Thes. 3,14)
« Pour moi, je ne communiquerai pas avec les meilleurs d’entre eux. » Un autre texte « Je ne veux pas manger de leurs mets agréables ; » un autre texte : « Je ne veux pas prendre ma part de leurs délices. » Dans ce passage le Psalmiste donne le même conseil que l’Apôtre : il recommande de fuir les délices, les banquets de ces méchants ; c’est là surtout que le péché s’aggrave ; c’est là que s’accroît la licence.
8. Ce n’est pas une faible marque de la vertu, ce n’est pas un médiocre moyen de correction que de fuir les banquets de ce genre, de pareilles assemblées, de ne pas tenir à de pareilles amitiés, de ne pas se faire l’esclave de son ventre, au risque de briser le nerf de l’âme, de frapper d’engourdissement le ressort de la sagesse. C’est pour avoir ménagé l’amitié, qu’un grand nombre s’engloutissent dans les flots de l’ivresse, qu’un grand nombre se laissent prendre à la fornication, s’embrasent du feu des voluptés, conséquences funestes des banquets et des théâtres, où pullule l’iniquité. Le Psalmiste montre aussi qu’il n’a pas voulu s’asseoir à ces tables impures : « Que le juste me reprenne et me corrige avec charité, mais que l’huile du pécheur ne graisse point ma tête (5). » Autre texte : « Que le juste me plaigne dans sa miséricorde et me reprenne. » Ajoutez encore cette disposition à la première ; ce n’est pas une petite vertu que de savoir accepter les réprimandes adressées par les hommes justes. Or, ce que dit le Psalmiste, revient à ceci : il en est qui parlent pour vous faire plaisir, et qui vous perdent : je ne veux jamais me trouver dans leurs assemblées ; mais ceux dont la sévérité vous corrige, vous découvre vos fautes, vous reprend, voilà ceux que je veux choisir. Et en effet, la plus grande marque de la miséricorde et de l’affection, c’est de guérir les blessures : « Mais que l’huile du pécheur ne graisse point ma tête. » Voyez-vous quelle âme affermie dans la vertu ? Elle supporte avec plaisir les réprimandes des hommes justes, mais elle repousse les flatteries de ceux qui transgressent la loi. Pourquoi ? c’est que souvent la compassion même de ces hommes est mortelle ; les autres, par la véhémence de leurs réprimandes et de leurs reproches, vous corrigent, et, au blâme qu’ils vous adressent, se joint la compassion ; la compassion des autres, au contraire, c’est la mort. Voilà pourquoi un sage a dit : « Les blessures faites par les amis valent mieux que les baisers offerts par les ennemis. » (Prov. 27,6) Considérez maintenant ce que signifie cette parole de l’Apôtre : « Reprenez, gourmandez, exhortez. » (2Tim. 4,2) Telle est en effet, la réprimande des saints. C’est ce que font aussi les médecins ; non seulement ils coupent, mais de plus ils pansent. C’est pourquoi le Christ de son côté, pour faire que la réprimande soit acceptée, ne souffre pas qu’elle soit a d’abord publique ; il dit : « Allez lui représenter sa faute en particulier. » (Mt. 18, 15) C’est aussi la conduite que tenait Paul, unissant la réprimande à la miséricorde, tantôt disant : « O Galates insensés (Gal. 3,1) ! » tantôt : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement. » (Gal. 4,19) Il faut en effet que celui qui reprend, invente mille moyens pour rendre sa ! réprimande acceptable ; il faut une grande, adresse pour administrer ce remède, et il en faut plus assurément à celui qui réprimande, qu’à celui qui coupe les chairs. Pourquoi ? y C’est que, d’un côté, ce que l’on coupe est différent de ce qui ressent la douleur ; ici au contraire, c’est la même substance qui est coupée et que la douleur atteint. « Mais que l’huile du pécheur ne graisse point ma tête. » Qu’est-ce à dire ? Le pécheur, dit-il, ne recherche point l’intérêt de celui qui l’écoute, mais son intérêt à lui : il veut paraître plein de douceur, d’agrément et d’affection. Le juste, au contraire, préfère au plaisir d’être agréable, l’utilité d’autrui. De là, entre les deux, la plus grande différence. Et maintenant, sils compassion même du méchant doit être repoussée, quand donc faut-il l’admettre près de soi ? Jamais. Aussi, quand même il vous fournirait de l’argent ; quand même il vous ? promettrait plaisirs délicieux et honneurs, repoussez le méchant, fuyez-le ; suivez le juste, au contraire, même quand il vous raille, même quand il vous réprimande, car voilà celui qui vous aime. « Car ma prière subsistera pendant leurs plaisirs. » Un autre texte : « au milieu de leurs vices ; » un autre texte : « dans leurs perversités. »
Il s’agit ici de ce qu’il demande ; tout à l’heure il était question de ce qu’il tire de lui-même. Et par là, il nous montre qu’il ne suffit pas de prier avec confiance, pour ne rien faire et s’endormir, mais qu’il faut, de plus, agir, personnellement. Or, ici, qu’apporte-t-il de lui-même ? il n’apporte pas des brebis, des bœufs, des sommes d’argent, mais la pureté des mœurs et l’extrême attention à fuir les pervers. non seulement, dit-il, je fuirai leurs pernicieuses flatteries, je n’accepterai pas leurs réprimandes, mais, de plus, je m’opposerai à leurs convoitises. Tant s’en faut que j’accepte leur compassion, qu’au contraire j’opposerai ma prière à leurs désirs ; car c’est là ce que signifie cette expression : « Ma prière subsistera pendant leurs plaisirs. Leurs juges ont été précipités, absorbés, contre la pierre. » Un autre texte : « Seront brisés dans une main de pierre (6). » Le Psalmiste montre ici combien il est facile d’exterminer le péché, comme le vice est près du gouffre. Les chefs mêmes, dit-il, qui dévastaient tout, ont péri. Et maintenant, il ne dit pas, ont péri, mais : « Ont été absorbés », montrant par là qu’il ne reste plus d’eux aucune trace ; c’est ce qu’il dit encore de l’impie. « J’ai passé, il n’était plus ; je l’ai cherché, et je n’en ai plus trouvé la place. » (Ps. 36,36) Qu’est-ce à dire, « Contre ? » C’est-à-dire « auprès. » Ces paroles reviennent à ceci : De même que la pierre jetée dans la mer ne reparaît plus, ainsi leur prospérité s’abîme, ne reparaît plus. C’est une destruction complète. Si vous voulez, voici ce qu’il dit. C’en est fait absolument de leur nom, de leur gloire, ou encore : de leur force, de leur puissance, si solidement établie. C’est là en effet ce que signifie le second texte : « Ils seront brisés dans une main de pierre. Ils écouteront mes paroles, parce qu’elles sont a devenues agréables. » Un autre texte. « Parce qu’elles sont puissantes ; » un autre texte : « parce qu’elles sont fortifiées d’une garde puissante ; » un autre texte : « Parce qu’elles sont devenues recommandables par l’apparence ; » c’est-à-dire, l’expérience leur apprendra la douceur de mes exhortations et de mes conseils : comment cela ? c’est le fruit de la réprimande des justes, et leur enseignement apporte un grand plaisir.
9. Telle est en effet la vertu : pour une peine d’un instant qu’elle demande, elle procure un bien-être sans fin. « Comme une terre compacte que l’on rompt et que l’on répand sur le champ, nos os ont été brisés et dispersés le long du sépulcre. » Un autre texte : « De même qu’il arrive, quand le laboureur fend la terre, ainsi nos os ont été brisés à la bouche de l’enfer ; » un autre texte : « De même que le fer qui brise et découpe la terre, nos os ont été brisés dans l’enfer ; » un autre texte : « De même que celui qui s’entend à cultiver et à creuser la terre, nos os ont été brisés près de l’enfer (7). » Après avoir dit que ses paroles renferment le vrai plaisir, il rappelle les antiques calamités. Quoique nous ayons, dit-il, souffert les derniers malheurs, comme une terre déchirée, labourée, creusée ; quoique nous ayons été tous dispersés, que nous ayons péri, que nous soyons arrivés aux portes mêmes de la mort, cependant, même ainsi traités, nous préférons la réprimande et la correction des justes à la compassion des pécheurs. En effet, quoi qu’il nous soit arrivé, nous sommes suspendus à l’espérance qui nous vient de vous, et rien ne nous arrivera qui puisse nous empêcher de regarder vers vous.
Ce qui fait qu’il ajoute : « Parce que vers vous, Seigneur, Seigneur, se sont élevés mes yeux ; j’ai espéré en vous, ne m’ôtez pas la vie (8). » Malgré, dit-il, les calamités sans nombre qui fondent sur nous, malgré les guerres, malgré les batailles, malgré les morts, malgré les portes de l’enfer, nous ne lâchons pas l’ancre sainte, nous nous attachons à l’espérance que vous combattrez avec nous, et, répudiant les armes et les combats, nous espérons la délivrance qui nous viendra de votre secours. « C’est en vous que j’ai espéré, ne m’ôtez pas la vie. » Autre texte : « Ne rendez pas vide ma vie », c’est-à-dire ne souffrez pas que je m’en aille sans avoir rien fait. » « Gardez-moi du piège qu’ils m’ont dressé et des embûches de ceux qui commettent l’iniquité (9). » Il ne parle pas ici seulement des haines déclarées, mais des perfidies secrètes, cachées, difficiles à observer, à connaître, dont on ne peut se préserver que par le secours d’en haut. Et maintenant, il termine son discours par la prière qui l’a commencé ; il montre que, pour ce qui dépend de lui, il l’apporte, l’espérance en Dieu, des regards tournés sans cesse vers Dieu, l’aversion pour la société des méchants, la haine des désirs coupables, et maintenant, il attend de Dieu la force, le secours qui fait supporter facilement ce qui est le plus insupportable, et rend supérieur à tout. Voilà en effet, ce qui forme le tissu complet de la vertu ; notre zèle d’une part, d’autre part, le secours de Dieu. « Les pécheurs tomberont dans le filet, pour moi, je suis seuil jusqu’à ce que je passe (10). » Dans quel filet tomberont-ils ? Dans le filet de Dieu ; c’est-à-dire, ils seront vaincus, ils seront pris. En effet, le propre des justes est de se redresser, de voir leur sagesse se ranimer ; les pécheurs, au contraire, dont le mal est sans remède, vont jusqu’ au châtiment, jusqu’au supplice : « Pour moi, je suis seul jusqu’à ce que je passe. » Autre texte : « Ensemble avec moi, jusqu’à ce que je passe ; » autre texte : « Concentré en moi-même ; » c’est-à-dire, je suis un tout compacte, bien uni, non dispersé ; si vous voulez, comme l’entendent les Septante, loin des méchants, pur de tout commerce avec eux, et comme vivant seul, ce qui est la plus haute vertu. Et maintenant, ce n’est pas pour lui la conduite d’un, de deux ou de trois jours, mais de sa vie tout entière. Voilà le mur inexpugnable, voilà la forteresse ; c’est là ce qui fait grandir la vertu, fuir les méchantes, se ramasser sur soi-même, et se tenir ainsi replié tant que dure la vie, et, loin des corrupteurs, vivre dans la solitude. La solitude ne consiste pas à être seul ; elle réside dans l’âme, que possède l’amour et le zèle de la sagesse. C’est ainsi qu’au milieu des villes, des places publiques, de tous les bourdonnements du dehors, on peut être des hommes de solitude lorsqu’on fuit les assemblées corrompues, lorsqu’on se joint aux assemblées des justes. Voilà la route où l’on ne bronche pas. Donc, que celui qui est propre à corriger les autres, vive avec ceux qui sont capables de recevoir le remède, et les rende meilleurs ; que le faible s’enfuie loin des méchants, afin de n’en souffrir aucun dommage. C’est ainsi que la vie présente se passera polir lui dans la sécurité, dans la sûreté, et qu’il obtiendra les biens à venir. Puissions-nous tous les posséder, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLI.

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1. « J’AI ÉLEVÉ MA VOIX POUR CRIER VERS LE SEIGNEUR. J’AI ÉLEVÉ MA VOIX POUR PRIER LE SEIGNEUR. »

ANALYSE.

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  • 1. L’affliction produit deux effets salutaires : elle nous rend plus vigilants ; elle fait que Dieu nous exauce.
  • 2. Les malheureux trouvent peu d’hommes qui les assistent. Le diable tend ses pièges jusque sur le chemin de la vertu. Dieu ne punit jamais les péchés autant qu’ils le méritent.

3 La patience dans les afflictions est méritoire.
1. Vous voyez son habitude constante ; c’est toujours ainsi qu’il commence. Avez-vous remarqué cette répétition : « J’ai élevé ma voix, j’ai élevé ma voix ? » Ce n’est pas, sans dessein ; cette répétition a pour but de nous apprendre deux qualités de la prière, l’allégresse entière de l’âme et la parfaite attention de la pensée. Ajoutez, en outre, qu’il nous marque expressément que c’est sa voix à lui. Tous en effet, ne font pas entendre une voix ; tous ne l’élèvent pas vers Dieu, et tous ne s’adressent pas à lui, avec leur propre voix. Or, il faut que toutes ces circonstances se réunissent dans la prière. Celui qui crie contre ses ennemis, ne fait pas entendre la voix d’un homme, mais d’une bête féroce, d’un serpent ; celui qui se laisse aller à la négligence, et qui n’écoute pas ce qu’il dit lui-même, ne crie pas vers Dieu ; il parle inutilement et au hasard ; celui dont la pensée n’est pas éveillée, a beau crier de toutes ses forces, celui-là ne crie pas. Le mot « voix », en effet, comme je l’ai souvent dit, ne marque pas ici la force des poumons, mais l’attention de l’esprit. Le Psalmiste, ne ressemble pas à celui que je viens de dire ; il réunit les trois circonstances ; il montre qu’il crie avec la voix, et qu’il s’adresse à Dieu, et qu’il se sert de sa voix propre. Voilà, pourquoi, à deux reprises, il nous dit : « J’ai élevé ma voix, j’ai élevé ma voix. Je répands ma prière en sa présence et j’exposerai devant lui mon affliction (2). » Voyez-vous l’âme dégagée de toutes les choses de la vie présente ? Il ne cherche pas un refuge auprès des hommes ; ce n’est pas à eux qu’il demande du secours ; ce qu’il lui faut, c’est le secours invincible, l’assistance d’en haut. Il montre ensuite toute la force de son attention, toute l’ardeur de son désir, désir caché dans les profondeurs de son âme, mais qu’il veut manifester par ces paroles : « Je répands ; » ce qui marque l’abondance et la richesse.
Nous apprenons encore par là, que les afflictions ne sont pas d’une médiocre utilité pour la sagesse. Voici, en effet, le fruit de l’affliction, et, par conséquent, que personne ne songe à s’y soustraire. Elle a deux avantages que voici : le premier, de nous rendre plus zélés, plus attentifs ; le second, et c’est aussi un précieux privilège qu’elle nous confère, elle nous rend plus dignes d’être écoutés. Aussi, le Psalmiste ne dit pas : ma justice, ni mes bonnes œuvres, mais, « mon affliction. » C’est que cette affliction est pour lui une puissante recommandation. Voilà pourquoi Isaïe fait entendre ces paroles : « Consolez mon peuple, dit Dieu ; ô prêtres, parlez au cœur de Jérusalem ; car elle a reçu le double de la main du Seigneur pour les afflictions endurées en expiation de ses péchés. » (Is. 40,1-2) Et Paul : « Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée. » (1Cor. 5,5) Et, en écrivant aux Corinthiens, il leur disait : « C’est pour cette raison qu’il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et qu’un grand nombre dorment ; si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu. Mais lorsque nous sommes jugés par le Seigneur, il nous châtie afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. » (1Cor. 11,30, 32) Et maintenant Abraham disait au riche : « Vous avez reçu vos biens dans votre vie, et Lazare ses maux. C’est pourquoi il reçoit à cette heure la consolation, et vous êtes dans les tourments. » (Lc. 16,25) Écoutons maintenant David, quand Séméï le maudissait : « Laissez-le me maudire, puisque le Seigneur le lui a commandé, afin qu’il vît mon affliction. » (2Sa. 16,11, 12) Et partout l’Écriture nous montre ceux qui se plaisent dans les afflictions, et les supportent avec patience, non seulement, se purifiant d’un grand nombre de péchés, mais encore obtenant, auprès de Dieu, une grande confiance, un grand crédit. « Lorsque mon âme est toute prête à me quitter, et vous connaissez mes voies (2). » Les cœurs pusillanimes succombent alors, et font entendre, de plus, de mauvaises paroles ; le sage, au contraire, montre, alors surtout, sa sagesse, parce que l’affliction redouble ; son zèle.
Donc lorsqu’il vous arrivera de voir un homme qui désespère dans l’affliction, ou qui fait entendre quelques paroles amères, n’en accusez pas l’affliction, mais la pusillanimité. En effet, le propre de l’affliction, c’est de produire les effets contraires : l’application de l’âme, la contrition du cœur, l’attention de ta pensée, un accroissement de piété. Aussi Paul disait : « L’affliction produit la patience, la patience produit l’épreuve. » (Rom. 5,3) Si les Juifs murmuraient dans l’affliction, ce n’est pas à l’affliction, mais au délire de leur âme qu’il faut attribuer ces murmures, puisque l’on voit les saints, dans l’affliction, se couvrir de plus de gloire, s’appliquer avec plus d’ardeur à la sagesse. Aussi le Psalmiste lui-même disait-il encore : « Il m’est bon, Seigneur, que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos ordonnances pleines de justice. » (Ps. 118,71) Et Paul : « De peur que la grandeur de mes révélations n’exaltât mon orgueil, j’ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon, qui est l’ange de Satan chargé de me souffleter. C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit ; car ma puissance se manifeste entièrement dans la faiblesse. Je prendrai donc plaisir dans les afflictions, dans les infirmités, dans les persécutions ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis puissant. » (2Cor. 12,7, 10) Voyez-vous comme l’affliction ne sert qu’à l’exciter davantage à chercher en Dieu son refuge ; comme il s’attache à Dieu avec plus de passion encore, quand il est au fond d’un abîme de maux ? C’est là ce que signifie cette parole : « Lorsque mon âme est toute prête à me quitter ; » voyez-vous comme l’affliction le rend plus diligent et meilleur ? Quant à ceci : « Et vous connaissez mes voies », un autre interprète dit : « Car, vous savez, dans la voie où je marchais, ils ont caché un piège ; je considérais à ma droite, et je regardais, et il n’y avait personne qui me connût (5). » Ces paroles nous montrent la grandeur de la calamité, les maux qui s’accroissent, les pièges des ennemis, leur première attaque, afin de le terrasser ; et, ce qui est, de tous les malheurs, le plus affligeant, non seulement aucun compagnon, aucun aide, mais pas une âme qui le connût.
2. La solitude était entière et l’abandon complet. On voit, en effet, peu d’hommes assister, porter secours au moment du malheur, surtout lorsque le malheur menace de grands dangers. Mais le juste n’a pas souffert de cet abandon ; au contraire, il y a trouvé une grande utilité ; il y a conquis la familiarité auprès de Dieu. Eh bien donc ! vous aussi, mon bien-aimé, quand vous voyez vos maux s’accroître, pas d’abattement, pas de désespoir ; devenez, au contraire, plus sage et plus vigilant. En effet, si Dieu permet ces épreuves, c’est pour secouer votre indolence, c’est pour vous tirer de votre lourd sommeil. Alors en effet disparaissent toutes les superfluités, alors expirent toutes les pensées de la vie présente, alors la prière devient plus ardente, alors l’aumône et la continence se pratiquent d’un esprit plus allègre, et il est facile de triompher de chacun de ces vices qu’à mis en déroute l’affliction. Ce n’est pas en effet, afin de nous punir, que Dieu, dès le principe, nous a suscité les embarras des épreuves, des chagrins, quoiqu’il ait dit que nous les devions regarder comme des châtiments, mais c’est surtout pour nous amender, pour nous rendre meilleurs. Et voyez donc ! sous la menace de la douleur, au milieu des épreuves et des fatigues de la vie, le vice s’accroît et grandit ; si vous supprimiez ces entraves, quels progrès ne ferait-il pas ? Et qu’y a-t-il d’étrange à ce que l’affliction soit un bien pour l’âme, lorsqu’elle en est un même pour le corps, lorsque l’excès des délices est funeste même à la chair ?
Les perfidies partout préparées rendent l’homme prudent et circonspect. Il nous suffit d’être attentifs, pour n’en recevoir aucun mal. De là ce que dit un sage : « Reconnaissez que vous passez au milieu des filets, et que vous vous promenez sur les toits des cités ; » de même, ici, le Psalmiste : « Dans la voie où je marchais, ils ont caché un piège. » Si l’on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique, on verra qu’elles s’appliquent bien à la conduite du démon, qui ne cache pas au loin, mais tout près, les pièges qu’il nous tend.
C’est pourquoi nous avons besoin d’une grande vigilance, car il cache le piège, dans l’aumône, où il met la vaine gloire ; dans le jeûne, où il met l’arrogance ; ce n’est pas dans les chemins que nous ne suivons pas, mais précisément dans nos chemins, dans les chemins où nous marchons, et c’est là, de beaucoup, le plus redoutable de tous les dangers. « Il ne m’est resté aucun moyen de fuir. » Voyez ici encore un autre mal, qui, vient s’ajouter à tant de maux. En effet, le Psalmiste nous montre non seulement qu’il y a des pièges dans les chemins, qu’il n’y a personne pour porter secours au malheureux, personne qui le connaisse ; mais il ne lui reste pas même un moyen d’échapper, de pourvoir, par la suite, à soir salut. Ainsi, il était au milieu des maux embarrassé, retenu, dans l’impossibilité de fuir, et cependant, même ainsi, il ne désespérait pas. « Et nul ne cherche à sauver ma vie », c’est-à-dire à me défendre, à me secourir. Eh bien, que fait-il ? Dans un manque si complet : de ressources, dans une si grande difficulté, désespère-t-il de son salut ? Nullement. C’est à Dieu qu’il demande tout de suite un refuge, et il dit : « J’ai crié vers vous, Seigneur, j’ai dit : « Vous êtes mon espérance et mon partage, dans la terre des vivants (6). » Voyez-vous cette âme généreuse ? le malheur, loin de l’abattre, lui donne des ailes ; absolument privé de secours, au milieu de toutes ces difficultés, le sage a reconnu la main invincible, la force toute-puissante, et, au milieu de tous ces embarras, le facile moyen d’échapper. « J’ai dit : Vous êtes mon espérance. » Tous les moyens humains, dit-il, sont réprouvés, la tempête est tellement au-dessus de tous les secours qu’aucun art ne saurait éviter le naufrage. Et pourtant, quoique tout ici soit désespéré aux yeux des hommes, quoique nous soyons tous à bout de force, épuisés par les malheurs, à vous cependant toutes choses sont faciles ; et de là vient que, pleins d’espoir en vous, nous ne languissons plus. « Vous êtes mon partage dans la terre des vivants », c’est-à-dire, mon lot, mon trésor, mes richesses, vous êtes tout pour moi « dans la terre des vivants ; » ce qu’il appelle, « la terre des vivants », c’est sa patrie, car la captivité de Babylone, il l’appelle souvent les enfers et la mort. Sur la terre étrangère, on ne célébrait pas le culte accoutumé, au contraire, dans la patrie, s’accomplissaient tous les sacrifices, toutes les cérémonies, voilà pourquoi il dit : « Vous êtes mon partage dans la terre des vivants. » Toujours vous avez pris soin de moi, dit-il, et je jouissais de votre familiarité dans la terre des vivants, et je communiquais fréquemment avec vous. « Soyez attentif à ma prière, parce que je suis extrêmement humilié (7). »
Vous voyez, comme je l’ai déjà dit plus Haut, la raison qu’il tait valoir ici encore, il s’appuie sur ce qu’il est humilié, c’est-à-dire, sur ce qu’il a été puni outre mesure pour ses péchés. Cette expression « extrêmement », n’est pas pour réclamer contre ce qui est arrivé ; ce n’est que l’expression de la douleur et de la faiblesse de celui qui souffre. En effet, si vous considérez ce que les péchés méritent, l’humiliation n’est pas trop grande ; mais si vous ne voulez voir que la faiblesse de celui qui souffre, l’humiliation est excessive, et dépasse la mesure. Jamais Dieu, sachez-le bien, n’exige de nous un châtiment qui soit proportionné à nos fautes. Si la peine paraît insupportable à ceux qui la subissent, cela ne vient pas de la nature du châtiment, mais de l’infirmité de ceux qui l’endurent. « Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils sont devenus plus forts que moi. » Voici une autre raison, l’injustice des ennemis qui attaquent, et la grande infirmité de celui qui est poursuivi. « Tirez mon âme de la prison où elle est afin que je confesse votre nom (8). » « Confesser », veut dire ici, rendre grâces. Ces paroles reviennent à ceci : délivrez-moi de mes maux. En effet, par la prison de son âme, il entend la rigueur extrême du malheur.
3. « Afin que je confesse votre nom. » Voilà encore qui n’est pas indifférent, à savoir, quo ceux qui sont dans la prospérité n’oublient pas les bienfaits qu’ils ont reçus. Un grand nombre d’hommes, dans le moment des afflictions, montrent beaucoup de zèle ; au contraire, dans la prospérité, dans le calme, ils se négligent. Il en est d’autres qui dans le repos se négligent, et, au moment de l’affliction, désespèrent et s’affaissent sur eux-mêmes. Le Psalmiste, au contraire, flans ces deux circonstances si différentes, montre toujours la même sagesse. Ni l’affliction ne l’a abattu, au contraire, elle l’a porté à faire entendre ses prières et ses supplications ; ni la prospérité et les loisirs de la paix ne l’ont jeté dans l’inaction, mais, dans ces circonstances mêmes il s’est trouvé encore disposé à rendre au Seigneur des actions de grâces. « Les justes sont dans l’attente de la justice que vous me rendrez. » Un autre texte : « Les justes me couronneront, quand vous m’aurez favorisé de vos bienfaits. » Qu’est-ce à dire ? Le bien que vous me ferez, sera aussi utile aux justes. Car ils se réjouiront ; ils seront saisis d’allégresse ; ils tressailliront, en me voyant affranchi de mes maux. Telles sont en effet les âmes des justes ; les infortunés excitent leur compassion et les heureux ne leur inspirent pas d’envie. Au contraire, les saints se réjouissent et partagent leur joie, et ils félicitent ceux qui ont reçu des bienfaits. C’est là le conseil que donnait Paul, quand il disait : « Se réjouir avec ceux qui se réjouissent et pleurer avec ceux qui pleurent. » (Rom. 12,15) Ce n’est pas là une médiocre vertu ; beaucoup d’hommes se réjouissent à voir ceux que le malheur terrasse ; quand l’infortuné se redresse, beaucoup d’hommes lui portent envie, triste fruit d’une cruauté, d’une haine qui n’a rien d’humain. Il n’en est pas de même des justes : affranchis de ces deux vices, ils possèdent l’humanité et la clémence. Et de même que chez les uns, la cruauté produit à la fois et la joie féroce et l’envie ; de même l’humanité et la clémence sont le partage de ceux qui ont pitié du malheur, et s’associent à la joie des heureux. Mais pourquoi dit-il : « Dans l’attente de la justice que vous me rendrez ? » Selon un autre texte : « Quand vous m’aurez favorisé de vos bienfaits ; » selon d’autres encore : « Quand vous m’accorderez ma rétribution et ma rémunération. » Or, il a parlé plus haut de son affliction, de son humiliation, il n’a pas parlé de ses glorieuses vertus, ni de la confiance que lui donnent ses mérites. De quoi donc réclame-t-il le salaire ? il le demande pour les jours de l’humiliation. Ce n’est pas en effet, une vertu commune que de supporter l’affliction eu rendant des actions de grâces ; et voilà pourquoi il appelle « justice » la récompense qui s’attache à cette conduite. Donc, cessons de nous tourmenter dans les afflictions, et prions pour ne pas entrer en tentation. Acceptons ce qui peut arriver ; c’est ainsi que nous nous purifierons de nos péchés, et que, s’il y a en nous quelque justice, nous ajouterons à cette justice un plus vif éclat. C’est ce que Job nous a fait voir ; l’affliction l’a rendu plus brillant. C’est un bien, même pour les corps ; est un bien, non seulement pour l’homme, mais pour les animaux ; non seulement pour les animaux, mais pour les plantes mêmes ; et voilà pourquoi les agriculteurs ne souffrent pas que la vigne ait un feuillage trop luxuriant ; et, pour les autres végétaux, pour les arbres, ils s’opposent à la croissance exagérée, ils les traitent avec la faux de manière que toutes leurs forces convergent vers les racines ; il ne faut pas que ces forces, s’épuisant dans les feuilles, produisent des fruits sans saveur et inutiles. C’est ce qui arrive, même dans l’homme. Quand son ardeur se consume en superfluités, l’âme n’a plus de force pour produire le fruit mûr de la piété parfaite. C’est ce qui arrive dans les eaux ; l’eau stagnante et sans écoulement est malsaine ; mais l’eau agitée, qui se prodigue en tous sens, qui se transmet par des tubes et des aqueducs, non seulement est salubre, mais elle est plus agréable à la vue, au toucher, au goût. Souvent l’affliction a vaincu la nature ; ce qui est flasque, ce qui retombe de soi-même vers la terre, sous une pression subite, se redresse tout à coup et se relève. C’est l’histoire de l’homme : quiconque supporte facilement l’affliction, s’élève à une plus grande hauteur, même au sein de l’abjection qui le courbait, qui l’abaissait jusqu’à terre ; voilà comment l’affliction produit des fruits précieux. Donc, instruits de ces vérités, recevons avec mille actions, de grâces les malheurs qui nous sont envoyés ; rendons-les ainsi plus supportables, et préparons-nous les biens à venir ; et puissions-nous tous les recevoir en partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLII.

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1. « SEIGNEUR, EXAUCEZ MA PRIÈRE ( προσευχή). »

ANALYSE.

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  • 1. Double sens du mot proseukhe . La conscience est comme un juge intérieur
  • 2. La justice de Dieu est clémente. Du fruit que produit la confession des péchés.
  • 3. Qu’il y a plusieurs sortes d’humilité. Que les pécheurs sont dans les ténèbres, qu’ils n’entendent pas les cris des pauvres
  • 4. État d’une mauvaise conscience : inquiétude des avares.
  • 5. Les miracles sont moins nécessaires aujourd’hui qu’autrefois. La fosse dont il est question dans le verset 7 n’est autre que l’abîme du péché.
  • 6. Dans l’Écriture, les termes d’équité et de justice sont souvent synonymes de ceux de clémence et de miséricorde.


1. Le mot προσευχή présente deux sens : celui de prière vocale et celui de promesse ou vœu. Par là s’explique ce conseil du sage : « Ne répétez pas deux fois la même parole dans votre prière, προσευχή. » (Sir. 7,14). Par ces paroles, il ne nous exhorte pas à ne pas nous répéter, quand nous invoquons, quand nous prions le Seigneur ; loin de nous cette pensée, car il nous est ordonné de persévérer dans nos prières. Mais ce qu’il veut, c’est que nous ne différions pas d’accomplir la promesse que nous avons faite à Dieu, de l’accomplir au plus vite. Voilà pourquoi il est dit ailleurs : « Ne différez point de vous acquitter de votre vœu. » (Qo. 5,3) L’avenir en effet, est incertain ; une maladie, des affaires imprévues peuvent susciter un empêchement. Si la mort arrive et vous surprend, vous serez sans excuse. Or, ici, dans notre psaume, προσευχή veut dire, demande et supplication. C’est ce que le Psalmiste indique lui-même, en ajoutant : « Recevez de vos oreilles ma supplication, selon la vérité qui est en vous. » Un autre texte : « Selon la fidélité qui est en vous ; » un autre texte : « Selon la sûreté qui est en vous. » Ce qui veut dire : consentez à ma demande, et faites que ce que je veux, s’accomplisse, confirmez ma demande par la vérité qui est en vous ; servez-vous de votre puissance pour en assurer l’accomplissement. Mais voyons de quelle espèce est la demande. En ce monde, lorsqu’un homme adresse une supplication, ceux qui la reçoivent en considèrent la nature, et si la demande est juste et légitime, on l’écoute.
Mais en vérité, en ce monde, c’est pour avoir des honneurs, des dignités, de l’argent, qu’on fait des supplications ; souvent encore c’est pour écarter l’injustice : quelques-uns demandent des choses qui dépassent le pouvoir de ceux à qui ils s’adressent. Nous, au contraire, nous supplions pour qu’on nous pardonne nos péchés, et nous faisons entendre notre supplication, quand le juge intérieur ne nous les a pas remis ; j’entends par là, notre conscience ; qui nous poursuit et nous tourmente. Et eu effet, il n’est pas en son pouvoir de nous les remettre. Or, de même qu’on ne va pas trouver l’empereur, pour lui parler d’un habit déchiré, ou de dix oboles volées, de même vous, et à bien plus forte raison, prenez garde, quand vous vous approchez de Dieu, de ne pas l’aller entretenir de sujets misérables et sans aucune espèce d’importance, comme, par exemple, si on vous a pris de l’argent, ou si l’on vous a fait quelqu’affront, niais parlez-lui des torts que vous fait le démon ; c’est alors surtout que vous avez besoin du secours d’en haut. Mais vous n’avez personne qui s’intéresse à vous, et présente votre supplication ? Lorsque le roi s’avance, parlez-lui, et choisissez le temps convenable. Plais quand le roi s’avance-t-il ? Toujours, et à chaque instant. Mais quand est-ce le temps convenable ? Ce sera quand vous voudrez, quand vous vous serez préparé, de manière à être digne de l’aborder. On prescrivit aux Juifs de s’arrêter aux pieds de la montagne, pour se présenter devant Dieu, de mettre des vêtements blancs, et de n’avoir pas de commerce avec leurs femmes. (Ex. 19,12, 14-15) Pour vous, purifiez votre âme, sans songer à vos vêtements, et, avec la modération et la décence de la sagesse, approchez, allez trouver le roi, si vous voulez sincèrement obtenir ce que vous demandez. Le voyage n’est pas coûteux ; pour toute provision ayez avec vous la vertu. Et où est-il ce roi ? Auprès de ceux dont le cœur est contrit. Avancez-vous par ce chemin, « le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent en vérité. » (Ps. 144,18) C’est là que vous le trouverez, c’est là que vous lui parlerez. Il est proche de tous ceux qui rompent le pain aux affamés et qui dispensent l’aumône. Si vous prenez ce chemin, vous le trouverez tout prêt à vous accorder votre demande. « Vous parlerez encore », dit-il, « et je vous dirai : me voici. » (Is. 58,9) Et pas n’est besoin d’intermédiaire ; c’est par vous-mêmes que vous obtiendrez ce que vous demandez. « Exaucez-moi selon l’équité de votre justice. » Que faites-vous, ô homme ? Vous allez dire tout de suite après. « N’entrez point en jugement avec votre serviteur parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous (2). » Et voici que vous demandez d’être écouté, comme il est juste. Que veut-il donc dire ?
« Justice » veut dire ici clémence, et dans beaucoup de passages de l’Écriture, nous pouvons voir que « justice » signifie « clémence. » Et c’est avec raison. Chez les hommes, la justice se sépare de la miséricorde ; chez Dieu, il n’en est pas de même, mais, à la justice, se joint la miséricorde, et dans une proportion si grande que la justice même s’appelle clémence. Ainsi, considérez, au moment du déluge, la grandeur de la miséricorde, et, en même temps, la grandeur de la justice. S’il y eut un châtiment infligé aux pécheurs d’alors ; ce châtiment pourtant fut au-dessous de ce qu’ils avaient mérité. Cessez de considérer ici la masse des eaux, le nombre des jours que dura ce naufrage du déluge, et la terre devenue alors un abîme ; qu’importe tout cela à ceux qui périrent ? Spectacle épouvantable sans doute, mais pour ceux qui sont morts, il n’y a pas là un supplice. Où est la punition de ceux qui ne sentaient rien de ce qui se passait ? Pour ceux qui moururent vite, ils souffrirent, en un instant, une mort très-douce, plus clémente que la mort par le feu, par le glaive, par la pendaison, par les tortures : leur fin fut beaucoup moins pénible. Ils avaient plutôt l’image du supplice qu’ils ne le subissaient en l’éprouvant. Ainsi, ceux qui avaient passé toute leur vie, jusqu’au dernier moment de leur vieillesse, commettant de telles iniquités, ont été punis, en un instant bien court, si toutefois il faut appeler puni celui qui paye la dette à la nature.
2. Avez-vous bien compris la grandeur de la clémence ? En voulez-vous encore une autre preuve ? Dieu n’a pas tout de suite envoyé le déluge ; il l’a prédit, une première fois, une seconde fois, souvent. La construction de l’arche était un avertissement aux pécheurs, mais ils, ne le comprirent point, et cependant cet avertissement même n’était pas nécessaire, les coupables n’avaient pas besoin qu’on leur révélât leur perversité. La nature ne leur apprit rien : comme des porcs immondes, ce n’est pas assez dire, plus immondes que des porcs, dans la corruption qu’ils s’envoyaient les uns les autres, renversant toutes les lois de la nature, indociles à toute exhortation, à tout conseil, ne retirant aucune utilité du spectacle de ce juste qu’ils avaient sous leurs yeux ; eh bien ! ces grands coupables n’ont souffert qu’un instant seulement l’expiation ; disons mieux, ils ont été arrachés à la mort, et affranchis d’un juste châtiment, car c’est chose bien plus malheureuse de commettre le crime, que d’être enseveli sous les eaux du déluge. Eh bien ! répondez-moi, est-ce vraiment un supplice, pour des hommes ainsi rongés par le vice, ainsi associés dans le crime et dans la honte, et se souillant ainsi les uns les autres, que d’être affranchis d’une corruption si funeste ? Dirons-nous que le médecin, amputant des membres gangrenés, inflige au corps une punition ? Ne dironsnous pas qu’il fait un acte de bonté, d’humanité ? N’admirerons-nous pas bien davantage la sagesse et la clémence de Dieu, qui emploie de tels moyens pour corriger ceux qui lui appartiennent ? Ce qu’il faut donc, à chaque instant, c’est admirer et glorifier Dieu. Et ce qui fait que nous ne cesserons jamais de méditer avec étonnement sa providence, que nous ne cesserons jamais de le louer, c’est la rapidité avec laquelle il a pratiqué l’amputation, supprimé la racine du mal, et pratiqué un traitement sans douleur. Ne vous troublez donc pas, à cette pensée, que tous les hommes, tout à coup, en un moment, ont été engloutis. Qu’importe que leur châtiment se soit opéré ainsi, ou d’une manière insensible ? Que fait, à celui qui meurt, quel avantage pour lui de mourir seul, ou quel mal éprouve-t-il de ce qu’il meurt avec tous les hommes ? « Exaucez-moi selon l’équité de votre justice », c’est-à-dire, avec bonté, avec clémence. C’est là sa pensée, et ce qui le prouve c’est ce qu’il ajoute : « Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur. » C’est également la prière de Job qui était « un homme juste, ami de la vérité et fuyant le mal. » (Job. 1,1) Il disait : « Il n’y a personne qui puisse juger les deux parties, ni prononcer entre les deux. » (Job. 9,33) Et quand Dieu lui apparut : « Je n’ai qu’à mettre ma main sur ma bouche. » (Id. 39, 34) Ce qu’il disait, quoique Dieu le provoquât et lui dît « Ceignez vos reins comme un homme. » (Id. 42) C’est encore là le reproche que l’Écriture adresse aux Juifs : « Quelle injustice vos pères avaient-ils trouvée en moi, lorsque vos chefs se sont conduits injustement envers moi ? » (Jer. 2,5)
Or, si Dieu tient cette conduite, c’est qu’il ne veut pas prononcer contre eux un jugement trop sévère. Il veut les amener à sentir leurs péchés, à les confesser, afin de pouvoir leur accorder le pardon et leur faire connaître ainsi la grandeur de ses bienfaits. Et voilà pourquoi Dieu fait entendre cette parole : « Dis le premier tes iniquités ; » non point pour être condamné, mais, « Pour être justifié. » (Isaïe. 43,26) Voilà pourquoi ce n’est pas Dieu lui – même qui les énonce ; il prépare le pêcheur à les révéler. S’il voulait punir, il accuserait lui-même ; mais, au contraire ; parce qu’il veut faire miséricorde, il cède la parole au pécheur, afin que le pécheur reçoive la couronne de la reconnaissance, et que, par la confession, il s’attire la miséricorde. Qu’y a-t-il de comparable à cette bonté ? rien. Parlez, dit le Seigneur, et je ne demande rien de plus ; faites votre confession, et il me suffit ; dites, et c’en est fait, je m’abstiens. « N’entrez point en jugement avec votre serviteur. » Beaucoup d’hommes se conduisent bien, parce que Dieu les jugera. En effet, les sages connaissent depuis longtemps le jugement à venir ; quant aux insensés, à force d’entendre cette parole perpétuellement répétée des prophètes : « Le Seigneur veut entrer en jugement avec son peuple, et se justifier devant Israël (Michée, 11,2) ; » et encore : « Écoutez, vallées et fondements de la terre (Id) ; » et encore : « Cieux, écoutez, et toi, terre, prête l’oreille (Is. 1,1) ; » par suite de ce perpétuel jugement dont il est parlé, les insensés mêmes ont su se bien conduire. En effet, quelques Juifs disaient : « Pourquoi avons-nous jeûné, sans que vous nous ayez regardés ? » (Is. 58,3) Et : « Quiconque fait le mal, fait le bien devant la face du Seigneur. » (Malachie, 2,17) Et : « Ceux qui vivent dans l’impiété, s’établissent, et nous les appelons des hommes heureux (Ibid ni, 15) ; » et : « La voix du Seigneur n’est pas équitable. » (Ez. 33,17) Or, le bienheureux Job lui-même, quand il fut saisi par la tentation, ne pensa pas comme les Juifs, ne parla pas comme eux ; gardons-nous de le croire. Il dit toutefois : « Pourquoi n’y a-t-il personne qui puisse juger les deux parties, et prononcer entre les deux ? Qu’il retire donc sa verge de dessus moi, et que sa terreur ne m’épouvante pas. » (Job. 9,33, 34) De là vient que le Seigneur lui dit : « Je vous interrogerai ; pour vous, « répondez-moi. » (Job. 42,4) Il avait été frappé de stupeur, après avoir dit : « Pourquoi suis-je encore jugé pendant que je suis corrigé et que j’accuse le Seigneur (Job. 11,4) ? » il dit encore : « J’avais seulement entendu parler de vous, maintenant, au contraire, je vous vois de mes propres yeux. » (Id. 42,5, 6) « J’ai parlé avec trop de légèreté, et je me suis anéanti à mes yeux ; je ne me suis plus regardé que comme terre et cendre ; je n’ai qu’à mettre ma main sur ma bouche. » (Job. 39,34) Alors Dieu lui dit : « Non, mais ceignez vos reins comme un homme. » On dirait qu’il lui rappelle ses paroles, et qu’il veut lui faire entendre ceci : Puisque vous avez voulu plaider avec moi, eh bien ! me voici, je suis prêt. Avez-vous bien compris la clémence ineffable de Dieu ? Avez-vous bien compris la bonté infinie ? Voilà pourquoi les trois enfants disaient aussi : Nous avons péché, nous avons mal t’ait, nous avons commis l’injustice. Comme il est un grand nombre d’hommes tout à fait dépourvus de sens, qui imputent leurs péchés à Dieu, parce que le démon qui les travaille, leur inspire ces pensées mauvaises, Dieu, pour supprimer jusqu’à la racine cette injustice fréquente, répète souvent qu’il veut plaider avec eux.
3. C’est un péché de ce genre que commit le premier homme, Adam ; il disait : « La femme que vous m’avez donnée, m’a présenté le fruit et j’en ai mangé. » (Gen. 3,12) « Les Juifs aussi commettaient beaucoup de péchés de cette sorte. Parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous. » Mais à quoi bon parler, dit-il, de moi, de celui-ci, ou de celui-là ? Il n’est pas d’homme sur la terre qui, plaidant sur les commandements que vous lui avez faits, puisse être justifié ; à vous la pleine et entière victoire. « Car l’ennemi a poursuivi mon âme (3). » Ceci peut s’entendre assurément de Saül qui était alors son ennemi, et qui le poursuivait. On peut encore l’entendre, dans le sens apagogique, de l’ennemi des hommes, du démon. Eu effet, il ne cesse pas de poursuivre ceux qui appartiennent à Dieu. Comment donc nous garantir de sa poursuite ? Trouvons un lieu où il ne puisse pas entrer. Et quel est ce lieu ? Quel autre lieu que le ciel ? Et maintenant, comment pouvons-nous monter au ciel ? Écoutez Paul qui nous dit, qui nous montre que même embarrassés par la chair, comme nous le sommes, nous pouvons habiter dans le ciel : « Méditez ce qui est dans le ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; » et encore : « Nous vivons dans le ciel. » (Phil. 3,20) – « Il a humilié ma vie jusqu’en terre. »
Le mot : « Humilié » a bien des sens : il y a la vertu de l’humilité, comme lorsque le Psalmiste dit : « Le Seigneur ne méprisera pas un cœur contrit et humilié. » (Ps. 50,19) Il y a, de plus, l’humiliation des malheurs ; il y a encore l’humiliation des péchés. Or, celle qu’exprime ici le Psalmiste ; est celle qui vient des malheurs. Voilà pourquoi il ajoute : « Il a humilié ma vie jusqu’en terre. » Il y a encore l’humiliation qui provient de l’orgueil, comme lorsque l’évangéliste dit : « Quiconque s’élève, sera humilié. » Il y a encore une autre humiliation, qui résulte de notre insatiable cupidité ; car quoi de plus abject et de plus humiliant que de s’ensevelir dans des pensées de richesses, dé puissance, de gloire ? Humiliation pour deux raisons : farce qu’on rampe à terre, et parce qu’on regarde comme grand ce qui est si petit, comme font les enfants qui estiment à si haut prix leurs balles, leurs dés et tous leurs jouets, ce qui ne prouve pas la grandeur de ces objets, mais la faiblesse et l’imperfection de l’intelligence chez leurs admirateurs. Chez les enfants, ce qu’il faut accuser, c’est un défaut de l’âge et de la nature ; chez les autres, c’est le vice de la volonté. Voici un homme d’un âge mûr, qui regarde la table, le luxe, les délicatesses de la vie comme quelque chose de grand. Quoi de plus bas, quoi de plus humble ! Et maintenant, beaucoup de personnes regardent ces âmes frivoles comme des esprits grands et élevés. Ces personnes-là sont encore bien plus basses. Eh bien ! donc, apprenons ce qui constitue la grandeur vraie et ce qui opère l’humilité. La vraie grandeur, c’est de mépriser ce que les hommes admirent. Maintenant le Prophète parte de l’humiliation que produisent les malheurs. « Il m’a réduit dans l’obscurité comme ceux qui sont morts depuis des siècles. » Il indique là un double malheur, l’obscurité, et la mort depuis des siècles ; double allusion à la captivité d’alors. Celui qui est dans l’obscurité, peut encore agir, même au sein des ténèbres, s’il allume un flambeau ; le Psalmiste, pour montrer toute l’étendue du malheur, parle des morts, et il rend la tragédie plus lugubre. Tels sont ceux qui vivent dans le péché ; ils sont comme des morts dans les ténèbres ; ils ont beau promener autour d’eux des milliers de flambeaux, ils ont beau regarder le soleil, ils ont beau se rendre éclatants, par les vêtements dont ils se couvrent, par la pompe dont ils s’entourent ; ils ne valent pas mieux, au contraire, ils sont de pire condition que les morts, que ceux qui habitent dans les ténèbres ; ils sont d’autant plus à plaindre que, pour les uns c’est l’effet de la nature, tandis que, pour les pécheurs, c’est la faute de la volonté. Il convient aussi d’entendre, par ces ténèbres, les ténèbres à venir, dont parle l’évangéliste : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt. 22,13) Il y a ; de plus, les ténèbres du vice : « Ceux qui sont assis », dit l’Évangile, « dans les ténèbres, et dans l’ombre de la mort (Lc. 1,79) ; » et Paul : « Nous ne sommes point enfants des ténèbres (1Thes. 5,5) ; » et encore : « Ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été rempli de ténèbres. » (Rom. 1,21)
Et de même que ceux qui sont dans les ténèbres, ignorent la nature des choses, de même encore ceux qui vivent dans le péché, ne distinguent pas les choses ; ils courent vers ales ombres comme à la réalité, poursuivant les richesses, les délices, la puissance, et ils ne connaissent ni amis ni ennemis. Avec leurs ennemis, ils sont aussi confiants qu’avec des amis ; et, à voir comme ils traitent leurs amis, on croirait que ce sont des ennemis. Ne voyez-vous pas les pauvres, criant tous les jours et faisant retentir leurs plaintes ? et nul pourtant ne les écoute. Pourquoi ne les écoute-t-on pas ? C’est que le démon a placé les indifférents, les insensibles dans les ténèbres comme ceux qui sont morts depuis des siècles. Car ce que sont les ténèbres et la nécessité de mourir, tel est pour eux l’endurcissement du cœur. Ceux qui sont assis dans les ténèbres, ne voient pas les maux qui fondent sur eux ; c’est encore ce qui arrive à ceux qui ne voient pas, tout près d’eux, les malheurs, et qui tombent clans les gouffres et les précipices. Ceux qui sont assis clans les ténèbres, ne craignent pas de commettre avec aine pleine assurance des actions honteuses ; c’est ce que font ceux qui vivent dans la perversité ; ils sont comme assis, dans les ténèbres, et, comme si aucun œil humain ne les voyait, ils font tout avec sécurité ; an milieu même des villes, ils commettent leurs crimes aussi librement que dans la solitude.
4. « Ceux qui sont assis dans les ténèbres », éprouvent une frayeur continuelle ; c’est ce qui arrive aux pécheurs ; ni le ravisseur, ni l’avare, ne peut être sans crainte, quelque insolence qu’il étale, quel que soit l’extérieur triomphant qu’il oppose aux regards. Car voilà ce que fait une mauvaise conscience ; et certes tous ces pécheurs étaient depuis longtemps privés de tout pardon, mais ils le sont bien davantage aujourd’hui, que le Soleil de justice a brillé, et qu’ils demeurent encore assis dans les ténèbres. Et comment, après que le soleil a brillé, demeurent-ils encore assis dans les ténèbres ? c’est parce qu’ils ont la vue faible. Ils se sont enterrés dans les repaires, les cavernes, les gouffres de la perversité et ils ne peuvent pas regarde : la lumière, parce qu’ils ont la vue faible. « Mon âme a été toute remplie d’angoisse, mon cœur a été tout troublé au dedans de moi (4). » Un autre texte : « Et mon âme s’agitait en tous sens, en moi. » C’est l’excès de l’affliction, qu’exprime le trouble de la pensée. Que signifie, « Au dedans de moi ? » Je n’avais personne à qui parler, qui put me consoler. Telles sont en effet les âmes des méchants, toujours bouleversées, non seulement parle présent, mais encore par l’attente des maux, jamais pour eux de tranquillité, jamais de sécurité pour leur âme ; ils sont plus bouleversés qu’aucune mer ; ni la nuit, ni le jour ne leur apporte l’apaisement de la tempête ; mais ils sont tourmentés de toutes parts, même en l’absence de tout persécuteur ; guerre domestique, guerre intestine, et, sans pouvoir jouir de ce qu’ils ont acquis, ils sont, par l’inquiétude de ce qu’ils ne tiennent pas encore, déchirés de mille manières ; toujours inquiets des affaires des autres, attachant sur la fortune d’autrui des regards curieux ; sans cesse préoccupés de persuader quelque chose à celui-ci, d’effrayer celui-là, de séduire un tel par des paroles flatteuses, de faire violence à tel autre ; en voici un autre qu’ils vont entourer de leurs soins ; et les calomnies, les achats, les ventes, les testaments, les fidéi-commis, les usures, les capitaux, toute cette lie de malheurs, ils s’en inondent, et c’est lorsque tout leur vient à flots, qu’ils sont surtout bouleversés. Voyez ce riche tout hors de lui : pourquoi ? parce que son champ a été de la plus grande fertilité ; et il ne sait que résoudre, et le voilà dans la perplexité, et il dit : que ferai-je ? j’abattrai mes greniers et j’en bâtirai de plus grands. (Lc. 12,18) Le pauvre, au contraire n’a aucun embarras de ce genre.
« Je me suis souvenu des jours anciens, j’ai médité sur toutes vos œuvres (5). » Ce n’est pas une petite consolation que de connaître le passé et le présent. En effet, comme Dieu, soit dit sans y insister, Dieu administre par les mêmes lois les affaires d’aujourd’hui et celles du temps passé, la plus grande consolation du présent, c’est le souvenir des temps qui ne sont plus. Voilà pourquoi, dans un antre psaume, nous voyons : « Nous privera-t-il de sa miséricorde dans toute la suite des siècles ? » (Ps. 76,8-9) Et un autre texte : « Regardez les anciennes générations, et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été abandonné ? » (Sir. 2,10) Et Paul : « Or toutes ces choses qui leur arrivaient, étaient des figures, et elles ont été écrites pour nous servir d’instruction, à nous autres qui nous trouvons à la fin des temps. » (1Cor. 10,11) Et ce n’est pas seulement l’histoire des autres, mais le souvenir, fréquemment rappelé de notre propre histoire, qui nous est utile. C’est ce que montre l’Apôtre, en disant : « Rappelez en votre mémoire ce premier temps où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats, au milieu des afflictions. » (Héb. 10,32) Et la preuve par le contraire : « Quel fruit tiriez-vous donc alors de ce qui vous fait rougir maintenant ? » (Rom. 6,21) Et un autre sage[27] : « Rappelez-vous vos derniers moments, et vous ne pécherez pas pour l’éternité. » (Sir. 7,36) Quoiqu’il s’agisse ici de l’avenir, il le considère comme le passé, parce que la mort est commune à tous ; c’est ce que Paul fait aussi lui-même, empruntant, à l’avenir et au passé, les moyens qu’il emploie, soit pour consoler, soit pour corriger : « Je ne veux pas », dit-il, « que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée ; qu’ils ont tous passé la mer Rouge ; qu’ils ont tous mangé d’un même aliment spirituel ; mais il y en eut peu qui fussent agréables à Dieu. » (1Cor. 10,1, 3, 4, 5) Quelquefois, c’est de l’avenir qu’il parle : « Qui souffriront la peine d’une éternelle damnation, étant confondus par la face du Seigneur, et par la gloire de sa puissance. » (2Thes. 1, 9) Et encore : « Car ta colère de Dieu est tombée sur eux, et y demeurera jusqu’à la fin. » (1Thes. 2, 16) « Parce que ce jour sera manifesté par le feu. (I, Cor. 3,13) Et encore : « Car c’est pour ces choses, que la colère de Dieu tombe sur les fils de la désobéissance. » (Eph. 5,6) Tous ces exemples ont pour but la correction ; maintenant, quand il faut consoler, l’Apôtre emploie soit le passé soit l’avenir. Exemple, par le passé : « Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Dieu des miséricordes, le Père de toute consolation, qui nous console dans tous nos maux, afin que nous puissions aussi consoler les autres, par la consolation que nous recevons de Dieu. » (2Cor. 1, 3-4) Exemple pris de l’avenir maintenant : « Les souffrances de la vie présente n’ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous. » (Rom. 8,18) Voilà pourquoi le Psalmiste dit à son tour ici : « Je me suis, souvenu des jours anciens ; j’ai médité sur toutes vos œuvres. » Il ne se borne pas à dire : je me suis souvenu, mais « J’ai médité », c’est-à-dire, je me suis appliqué, j’ai travaillé avec beaucoup de soin à me rappeler ce qui est arrivé aux hommes d’autrefois. C’est que la connaissance de l’Écriture est, pour nous, ?! une grande consolation, un grand enseignement de sagesse ; aussi, Paul nous dit : « Nous espérons, par la patience et par la consolation que les Écritures nous donnent. » (Rom. 15,4) Et encore : « Toute l’Écriture, inspirée de Dieu, est utile pour instruire, pour reprendre, et pour corriger. », (2Tim. 3,16)
5. Voilà donc d’où lui vint la consolation, C’est qu’au milieu d’afflictions si grandes et dans le trouble de son âme, il méditait les vieilles histoires ; c’est qu’il rappelait dans sa mémoire les différentes manifestations de la sagesse prévoyante de Dieu. « J’ai médité sur toutes vos œuvres, je méditais les actions de vos mains. » Un autre texte : « Je méditais les ouvrages de vos mains. » Il montre ainsi que cette méditation était une grande consolation pour lui, et lui assurait la familiarité auprès de Dieu. Aussi, ajoute-t-il. « J’ai déployé mes mains vers vous (6). » Il ne dit pas : j’ai entendu, mais, « J’ai déployé », pour marquer la vive affection du cœur ; il lui tarde, pour ainsi dire, de s’élancer loin de son corps et de se précipiter vers Dieu. Le souvenir de ses œuvres admirables m’a rempli comme d’un divin enthousiasme, et quand, j’ai eu considéré toute votre bonté, l’admirable enseignement qui ressort des malheurs, et, la liberté qui a suivi l’affranchissement des maux, je me suis de nouveau réfugié en vous. « Mon, âme est en votre présence comme une terre ; sans eau. » Un autre texte : « Comme une terre altérée de vous, toujours », ce que veut dire « diapsalma. » Dans l’adversité, dit-il, dans la prospérité, en toutes circonstances, j’ai toujours montré la même ardeur. Mats ; maintenant que signifie, « Comme une terre sans eau ? » De même que la terre altérée : désire la pluie, ainsi je désire être continuellement auprès de vous. Or, ce désir a grandi sous le poids des afflictions, et voilà pourquoi Dieu a souffert qu’elles devinssent de plus en plus pesantes, montrant par là la grandeur, de sa prévoyance. En effet, non seulement il a produit les créatures, mais encore il prend soin de ce qu’il a fait naître, il prend soin des hommes, et, sans exception, de tout ce qui existe. Voilà pourquoi Paul disait : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » (Act. 17,28) Et ailleurs : « Toutes choses subsistent en lui. » Et David : « Toutes les créatures attendent de vous, que vous leur donniez leur nourriture, lorsque le temps en est venu ; lorsque vous la leur donnez, elles la recueillent, et, lorsque vous ouvrez votre main, elles sont toutes remplies de votre bonté. Mais si vous détournez d’elles votre face, elles seront troublées. » (Ps. 103,27-29) Et encore : « Lui qui regarde la terre, et la fait trembler. » (Id. 32) Et Isaïe « Qui tient le globe de la terre. » (Is. 40,22) En ce qui concerne la vertu : « Si le Seigneur », dit le Psalmiste, « ne bâtit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent. » (Ps. 126,1) Et ailleurs : « Qui donne, à celle qui était stérile, la joie de se voir, dans sa maison, la mère de plusieurs enfants. » (Ps. 112,9) Et voilà pourquoi il secoue la terre, touche les montagnes, et en fait sortir la fumée. (Ps. 103,32) « Et il obscurcit le soleil, au point de le faire défaillir, afin de montrer par là que c’est lui qui est l’ouvrier. » (Is. 38)
Vous voyez, dans l’Écriture, le soleil qui recule, et la lune avec lui. (Jos. 10,13) Et beaucoup d’autres miracles. Lorsque la connaissance de Dieu n’était pas encore répandue, ces prodiges avaient lieu ; mais il n’est plus besoin d’un enseignement de ce genre, aujourd’hui que les choses mêmes crient, et montrent le Seigneur. Vous rappelez-vous les ténèbres de l’Égypte, et la conversion des éléments ? Si l’on dit que l’absence de la lumière ne fut alors qu’un événement naturel, et n’arriva pas par l’ordre exprès de Dieu, qu’on m’explique les ténèbres, lorsque le Christ fut attaché à la croix. Et en effet, le soleil ne disparut pas, à un moment déterminé d’avance, mais quand cette disparition était le moins conforme à la nature, puisque c’était alors le quatorzième jour de la lune, et l’époque de la pleine lune. (Mt. 27,45) Or les éclipses ne se font pas dans ces conditions ; mais les contradicteurs se trouvent à court d’explications. C’est pourquoi il est manifeste qu’ainsi que tout ce qui arrive, de même toutes ces éclipses se font par l’ordre du grand ouvrier. « Hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer, mon âme est tombée dans la défaillance (7). » Que dites-vous ? vous pressez le médecin de vous guérir ? nullement. Mais, ici encore, c’est l’habitude des âmes dans l’affliction, comme des hommes que les malheurs éprouvent, de faire venir les médecins, même quand rien ne presse, et de pourvoir vite à la délivrance. Voilà pourquoi le Psalmiste aussi ajoutait : « Mon âme est tombée dans la défaillance. » Or, si Dieu peut réveiller, même au sein de la mort, à bien plus forte raison le peut-il, avant que la mort ait frappé. Mais, comme je l’ai dit, c’est par là qu’éclate la faiblesse de notre nature. Le Psalmiste savait bien que, pour Dieu, tout est facile, mais l’homme ne peut pas résister à ses maux. « Ne détournez pas de moi votre visage, de peur que je ne sois semblable à ceux qui descendent dans la fosse. » Autre texte : « Ne cachez pas votre visage loin de moi. » Or, d’où vient que Dieu détourne son visage ? Dieu lui-même le dit par l’organe d’Isaïe : « Est-ce que ma main s’est raccourcie ? ce sont vos iniquités qui font la séparation entre moi et vous. » (Is. 59,1-2) Donc, quand nous faisons quelque action mauvaise, il se détourne. « Vos yeux sont purs », dit un prophète, « pour ne point souffrir le mal, et vous ne pouvez regarder l’iniquité. » (Hab. 1,13) Et voilà pourquoi encore il se détourne des arrogants. « Sur qui jetterai-je les yeux, dit le Seigneur, sinon sur l’homme doux et paisible qui écoute mes paroles avec tremblement ? » (Is. 66,2) Appliquons-nous donc à cette vertu, afin d’attirer sur nous les regards du Seigneur ; afin de ne pas tomber dans le gouffre du vice, rempli d’épaisses ténèbres. Ceux mêmes qui sont tombés peuvent remonter, il faut donc que ceux qui tombent ne restent pas couchés contre la terre.
Maintenant, la fosse où sont les bêtes féroces et qui est pleine de ténèbres, c’est la nature du péché. Sachons donc y jeter les cordages des Écritures pour lier notre volonté, et, si nous tombons, nous nous relèverons promptement. Et maintenant dans quelle pensée entreprendrons-nous de remonter ? quand nous serons tombés, pas de dégoût, pas de désespoir, mais chantons, pour notre usage, ces paroles du Prophète : « Quand on est tombé, est-ce qu’on ne se relève point ? » (Jer. 8,4) Et encore : « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, gardez-vous bien d’endurcir vos cœurs, comme il arriva au temps du murmure qui excita sa colère. » (Ps. 94,8, 9) Faisons-nous, avec cette pensée, des liens qui nous ramènent vers lui. « Faites-moi bientôt entendre une réponse de miséricorde, parce que c’est en vous que j’ai mis mon espérance (8). » Un autre texte : « Faites-moi entendre, dès le matin, une réponse de miséricorde. » C’est-à-dire, promptement.
6. Comprenez-vous ce que demande l’âme affligée, bouleversée ? elle veut être entendue, avant l’épreuve, afin que l’espérance, que l’attente la redresse. La demande revient à ceci : faites que je me relève, comme vous me l’avez promis ; vient ensuite un motif légitime, pour obtenir ce qu’on demande : « Parce que c’est en vous que j’ai mis mon espérance. » Dieu en effet demande, avant tout, que nous levions toujours nos yeux vers lui ; que, sans cesse, nous nous suspendions à lui : « Faites-moi connaître la voie dans laquelle je dois marcher. » Ceci peut, si vous le voulez, s’exprimer comme il suit : attendu que ma conscience s’est abîmée dans le vice, je demande une conscience nouvelle : ou encore il entend ici par voie nombre de choses ignorées des hommes, ce que Paul nous montre aussi par ces paroles : « Nous ne savons ce que nous devons demander à Dieu, par nos prières. » (Rom. 8,26) Si Paul, doué d’une si grande connaissance, est ignorant sur ce point, qu’y a-t-il d’étonnant que le Psalmiste aussi professe la même ignorance ? Et maintenant, voyez qu’il ne recherche ici rien de sensible, mais la voie qui conduit à Dieu, et qu’il commence lui-même par faire d’abord ce qui dépend de lui. En effet, il ne se borne pas à dire : faites-moi connaître la voie qui conduit vers vous ; mais que dit-il ? « Parce que j’ai élevé mon âme vers vous », c’est-à-dire, je me suis attaché à vous, c’est sur vous que je tiens mes yeux fixés, c’est vous seul que je regarde. Voilà, en effet, à quelle condition Dieu se fait connaître. Aussi, disait-il en parlant des Juifs, quand on lui demandait pourquoi il ne leur adressait que des paraboles : « En voyant ils ne voient point, en écoutant, ils n’entendent point. » (Mt. 13,13) Quant à cette expression, « j’ai élevé », elle signifie j’ai conduit vers vous, j’ai transporté vers vous mon âme.
« Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur, parce que c’est à vous que j’ai recours (9). » Vous voyez que, partout, la prière est justifiée. « Ne détournez pas de moi, dit-il, votre visage, parce que c’est en vous que j’ai mis mon espérance. Faites-moi connaître votre voie, parce que j’ai élevé mon âme vers vous. Délivrez-moi de mes ennemis, parce que c’est à vous que j’ai recours. Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu (10). » Il ne se borne pas à dire enseignez-moi votre volonté, mais : « Enseignez-moi à faire votre volonté », c’est-à-dire conduisez-moi jusqu’à la pratique ; car il est besoin du secours d’en haut, de l’enseignement du ciel, pour que nous nous avancions dans la voie qui conduit à la vertu, et n’oublions pas cette condition, que nous ne demeurions pas inactifs, mais que nous fassions ce qui dépend de nous. « Parce que vous êtes mon Dieu. » Voyez-vous que ces prières n’ont rien que de spirituel ? il ne s’agit pas d’argent, de puissance, de gloire, mais de l’accomplissement de la volonté de Dieu. Voilà ce qu’il demande ; ce qui est le trésor de tous les biens, la richesse qui ne manque jamais, le principe et la racine de la félicité, et le milieu, et la fin. « Votre esprit souverainement bon me conduira dans une terre droite et unie. » Voyez-vous comment nous apprenons, comment nous recevons l’enseignement relatif à cette voie ? c’est par le moyen de l’Esprit-Saint. Aussi, disait Paul, « Dieu nous a révélé par son Esprit. » (1Cor. 2,10) Dans une terre droite et unie. » Si vous prenez le mot au propre, il désigne par là sa patrie ; si vous le prenez dans le sens anagogique, il entend la voie qui conduit à la vertu. Un autre texte dit : « Dans une terre plane ; ». c’est qu’en effet il n’y a rien de plus uni, qui ressemble plus à une surface plane que la vertu, libre de tout ce qui trouble, de tout tumulte : « Vous me ferez vivre, Seigneur, pour la gloire de votre nom. » Voyez-vous, ici encore, que c’est vers Dieu qu’il se réfugie, qu’il ne fonde pas sa confiance sur sa conduite ? « Selon l’équité de votre justice vous ferez sortir mon âme de l’affliction qui la presse. » Un autre texte : « Selon votre miséricorde. » Voyez-vous la vérité de ce que je disais plus haut, qu’il donne souvent à la justice let nom de clémence ? « Vous ferez sortir mon âme ! de l’affliction qui la presse. Priez en effet, dit le Seigneur, pourrie pas entrer en tentation. » (Mc. 14, 38) « Et vous exterminerez tous mes ennemis, par un effet de votre miséricorde (12). » Ce n’est pas, dit-il, parce que j’ai rien mérité, mais à cause de votre clémence, que vous me délivrerez de ceux qui me font la guerre. Délivrez-moi de ceux qui m’entourent de pièges ; faites que je respire un peu dans mon affliction ; « et vous perdrez tous ceux qui persécutent mon âme, parce que je suis votre serviteur. » Vous voyez, ici encore, que la prière est justifiée ; nous n’avons, à vrai dire, aucun droit d’être exaucés ; mais il faut nous préparer de manière à mériter ce que nous désirons, il faut faire ce qui dépend de nous, avant de rien demander. Car, il ne suffit pas de la seule prière ; les Juifs aussi priaient, et s’entendaient dire : « Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point. » (Is. 1,15) Et qu’y a-t-il d’étonnant que les Juifs ne fussent pas écoutés, quand Jérémie lui-même, priant pour eux, est réprimandé, et s’entend dire, une fois, deux fois : « Ne priez point pour ce peuple, parce que je ne vous écoulerai point ? » (Jer. 7,16) ? Et qu’y a-t-il d’étonnant que Jérémie ne soit pas écouté ? « Quand même », dit le Prophète, « et Noé, et Job et Daniel, se trouveraient en ce pays, ils ne délivreraient ni leurs fils, ni leurs filles. » (Ez. 14,14,16) Instruits de ces vérités, ne nous contentons pas de prier ; mais, en même temps que nous prions, rendons-nous dignes de nous voir décerner, et les biens de la vie présente, et les biens à venir. Puissions-nous tous les recevoir en partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLIII.

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« BÉNI SOIT LE SEIGNEUR MON DIEU, QUI APPREND A MES MAINS À COMBATTRE, ET MES DOIGTS À FAIRE LA GUERRE. »

ANALYSE.

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  • 1. Le secours divin nous est nécessaire dans la guerre que nous avons à soutenir contre les démons. Nature de cette guerre. Si nous voulons obtenir miséricorde, donnons occasion à la miséricorde. Le secours de Dieu est encore nécessaire à ceux qui conduisent les hommes, pour les maintenir dans le devoir.
  • 2. De la présomption de certains hérétiques qui se vantent de connaître Dieu tel qu’il est. Dieu nous est inconnu, non pas dans son existence et ses attributs, mais dans sa substance.
  • 3. Comment doivent s’entendre tes expressions descendre et toucher, appliquées à Dieu. Ce qu’il faut entendre par la main de Dieu. Les vrais étrangers sont les infidèles. La charité ne connaît pas d’étrangers.
    1. Que dites-vous ? le Seigneur vous apprend à faire la guerre, à livrer des combats, des batailles rangées ? sans doute, et on ne se trompera pas en lui attribuant les victoires ainsi remportées ; car c’est là ce que signifie cette expression, « Qui apprend à mes mains. » C’est-à-dire qui me rend vainqueur de mes ennemis, qui me donne la force, et me permet d’élever des trophées. En effet, quand David renversa Goliath, Dieu fut l’auteur de la victoire ; et quand le même David fit avec succès un grand nombre de guerres, érigea des trophées, emporta d’assaut des villes ennemies, ce fut Dieu encore qui le rendit victorieux. Et voilà pourquoi il chantait : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat. » (Ps. 82,3) Du temps de Moïse aussi, Dieu opéra grand nombre d’actions guerrières.


Mais il est encore une autre guerre, plus redoutable que les combats ordinaires des hommes, une guerre où nous avons surtout besoin du secours d’en haut, lorsque nous avons à combattre les puissances contraires à notre nature. Et maintenant la preuve que nous avons contre ces puissances une guerre à soutenir, écoutez ce que dit Paul : « Car nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux. » (Eph. 6,12) Guerre d’autant plus redoutable que ces puissances sont d’une autre nature, d’une nature invisible, et qu’il ne s’agit pas, dans la lutte, de petits intérêts, mais de notre salut ou de notre perte. Impossible ici de voir manifestement les victimes ; impossible de connaître par avance les époques, les difficultés, les lieux, ni quoi que ce soit des circonstances de cette guerre. En effet, c’est sur la place publique, c’est dans l’intérieur de la maison, c’est à l’heure où on se livre, soit aux jeux, soit au repos que ces phalanges vous attaquent, de sorte qu’il faut être fortifié sans cesse et à toute heure. Car cette guerre se fait sans trêve, sans messager qui la déclare, sans rien de semblable ; c’est une guerre qui ne s’annonce pas, qui ne se déclare pas ; et voilà pourquoi il faut toujours être fortifié, être pourvu de tout ce qui donne la force et la vie. Les vivres pour cette guerre, les armes qu’elle réclame, c’est la lecture de L’Écriture sainte ; qui en est privé, meurt de faim. En effet, dit le Prophète : « Je leur enverrai, non la famine du pain, ni la soif de l’eau, mais la famine qui veut entendre la parole du Seigneur. » (Amo. 8,11) Dans cette guerre donc, aussi bien que dans les batailles ordinaires, il faut le secours d’en haut. « Ce n’est point », dit le Psalmiste, « dans sa grande puissance qu’un roi trouve son salut, et le géant ne se sauvera point par la grandeur de ses forces. Le cheval trompe celui qui en attend son salut, et toute sa force ne sauvera point l’écuyer. » (Ps. 32,16, 17) Aussi, beaucoup d’ennemis ont-ils été mis en déroute par ceux qui tout d’abord avaient confié aux prières la mission de conduire leurs armes, et de rompre les phalanges ennemies. « Il est tout rempli de miséricorde pour moi ; il est mon refuge, mon défenseur et mon libérateur (2). » Voyez-vous, ici encore, la prière adressée à la clémence pour obtenir le salut ? Et maintenant, il est encore une autre pensée qu’exprime ici le Psalmiste. Voici en effet ce qu’il montre, et ce qu’il dit : Je ne serais pas même digne de miséricorde, si Dieu de lui-même n’écoutait ma prière. Donc c’est Dieu qui, « Est tout rempli de miséricorde pour moi. » Cette miséricorde en effet, je ne l’ai pas méritée par mes actions ; il a beau être tout rempli de miséricorde, cette miséricorde pourtant, il ne la fait pas sans distinction. En effet, dit le Seigneur ; « je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j’aurai pitié de qui il me plaira d’avoir pitié. » (Rom. 9,15) Il faut donc, si nous voulons obtenir la miséricorde, lui donner, par notre conduite, une raison d’exercer sa clémence. Et maintenant, par cela même qu’il a obtenu miséricorde, le Psalmiste dit que c’est un bienfait de Dieu. Comprenez-vous bien cette contrition ? Comprenez-vous cette reconnaissance, et voyez-vous comme il attribue le tout à la bonté de Dieu ? « Il est mon refuge, mon défenseur et mon libérateur, et c’est en lui que j’ai mis mon espérance. » Il ne se lasse pas, de déposer en Dieu son espérance, donnant, à tous les hommes, cette leçon, qu’il faut tenir bon dans les dangers ; qu’il faut, au sein de l’adversité, tenir ses regards attachés sur Dieu ; qu’il ne faut jamais, ni désespérer ni se laisser abattre. Car c’est lui qui « est mon refuge et mon défenseur. » Et si, quand les dangers commencent, il ne me couvre pas, il ne me défend pas, même alors je dois avoir pleine confiance ; si c’est lui qui est mon refuge, il saura bien toujours me délivrer des dangers. En effet, voici surtout en quoi consiste l’espérance : les objets qui frappent nos yeux, devraient nous jeter dans le désespoir, et, au contraire, nous sommes pleins de confiance, et nous attendons un meilleur avenir. « C’est lui qui assujettit mou peuple sous moi. » Voilà qui est bien dit, car, ici encore, il est besoin du secours d’en-Haut, pour que les sujets consentent à la sujétion, pour qu’il n’y ait ni sédition ni révolte. Ce n’est pas seulement pour soumettre les ennemis, ruais encore pour s’assujettir ceux de la même nation, de la même famille, qu’il est besoin d’un fort secours d’en haut. C’est un grand privilège que de bien gouverner les siens ; ce succès n’est pas moindre que la victoire sur les ennemis. On a vu en effet, bien souvent, dans les guerres, des vainqueurs élever des trophées, et dans la paix ces vainqueurs étaient immolés pour n’avoir pas su tenir d’une manière convenable leurs sujets sous la bride. Ce n’est donc pas à la puissance des princes qu’il faut attribuer la soumission de ceux qui sont en armes, mais au secours de Dieu. Et, de même que c’est de Dieu qu’émanent les victoires sur les ennemis, de même c’est lui qui opère l’obéissance des peuples à leurs princes. « Seigneur, qu’est-ce que l’homme pour vous être fait connaître à lui ? ou qu’est-ce que le fils de l’homme pour que vous l’estimiez ? » Un autre texte : « Qu’est-ce que l’homme, pour que vous cherchiez à le connaître ? » Un autre texte : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous le reconnaissiez ? » Il faut bien que ce soit un être plein de grandeur, celui qui est destiné à connaître Dieu, ou plutôt à être connu de lui ; et encore celui à qui Dieu aura voulu se révéler. Aussi, les Septante disent avec une parfaite justesse : « Pour vous être fait connaître à lui », montrant par là, que ce n’est pas nous qui l’avons trouvé, mais lui-même qui s’est laissé trouver. En effet, le texte ne dit pas : Qu’est-ce que l’homme pour vous connaître ? mais : « Qu’est-ce que l’homme pour vous être rait connaître à lui ?
2. Et voilà pourquoi Paul, à son tour, ne cesse pas de reprendre cette pensée en tout sens : « Mais alors je le connaîtrai, comme je suis moi-même connu de lui. » (1Cor. 13,12) Entendez le Christ lui-même : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis. » (Jn. 15,16) Entendez maintenant Paul dans un autre passage : « Si quelqu’un aime Dieu, il est connu de lui. » (1Cor. 8,3) Et voilà pourquoi il ne cesse pas de dire et de répéter sans cesse que lui-même a été appelé, nous montrant par là, que ce n’est pas lui qui a couru vers le Seigneur, mais que d’abord il a été appelé. De même, il dit encore dans un autre passage : « Je poursuis ma course pour tâcher d’atteindre où Jésus-Christ m’a destiné. » (Phil. 3,12) Il ne dit pas pour tâcher d’atteindre où je me suis destiné, mais, « où Jésus-Christ « m’a destiné. » Et maintenant comment le Psalmiste dit-il : « Qu’est-ce que l’homme ? » On sait bien qu’un autre dit : « C’est une grande chose que l’homme, c’est une chose précieuse que l’homme plein de miséricorde. » Autre part : « Dieu le créa à son image. » (Gen. 1,27) « Il a reçu en partage le gouvernement de toutes les créatures. » (Sir. 17,2) « Et il y a eu quelques hommes : dont le monde n’était pas digne. » (Héb. 11,38) Mais ces paroles concernent la vertu, que quelques hommes ont pu montrer. « Qu’est-ce que l’homme ? » Il s’agit ici de la nature, la nature de l’homme est grande : mais si vous considérez la connaissance qu’il a reçue en partage, il s’en faut de beaucoup que cette connaissance égale sa nature.
Ces paroles sont pour les hérétiques, pour ceux qui vont, dans leur délire, jusqu’à oublier les bornes de leur nature ; ignorants, qui ne comprennent pas que ce qu’ils prétendent savoir est au-dessus de leur raison. En effet, il peut y avoir de l’ignorance dans la connaissance et de la connaissance dans l’ignorance, et, si vous voulez bien, considérons à ce point de vue les objets sensibles. Dites-moi en effet ce que vous penseriez de celui qui dirait qu’il peut mesurer la mer, qu’il sait combien elle renferme de coupes ? Des paroles de ce genre ne prouveraient-elles pas qu’on ignore plus que personne ce que c’est que la mer ? Celui au contraire qui avoue ne pas le savoir, mais qui affirme l’immensité défiant toute mesure, celui-là connaît le mieux la mer. Supposez un homme vous disant : J’ai vu Dieu, je l’ai saisi de mes propres yeux, cet homme-là n’ignore-t-il pas absolument la nature de Dieu ? Lui qui fait un être visible de l’être qui ne tombe pas sous les sens, en voulant grossir sa connaissance il perd même celle qu’il pourrait avoir. Supposez maintenant un homme disant : Dieu n’est pas visible, personne ne peut le voir ; cet homme-là n’a-t-il pas une grande connaissance de Dieu ? Supposez maintenant un homme disant que Dieu est incompréhensible ; un autre, au contraire, qu’on peut le comprendre ; n’est-il pas vrai de dire que le dernier ignore, que le premier sait la nature de Dieu ? Ne voyez-vous pas que Paul aussi marche par cette voie, en disant : « Ce que nous avons de science et de prophéties, est imparfait. » (1Cor. 13,9) Considérez tout ce qu’il a fallu de prodiges pour nous apprendre, non pas quelle est la substance de Dieu, mais qu’il y a un Dieu. C’est donc là encore ce que dit Paul : « Pour s’approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu’il y a un Dieu. » (Héb. 11,6) La création tout rentière le proclame ; « la grandeur, la beauté des créatures fait qu’on s’élève vers le Créateur. » (Sagesse, 13,5) La constitution même de l’homme, les honneurs qu’il a reçus de Dieu, les châtiments, les bienfaits, les différents conseils qui le gouvernent, les prédictions des prophètes, les divers miracles, voilà par quels moyens Dieu se montre ; et ensuite est venu le Fils unique qui a mis l’admirable et prodigieux couronnement qui complète cette économie. Et lorsque tant d’hommes encore ne voient pas ce qui est manifeste, tu prétends comprendre, par ta raison propre, la substance de ce Dieu ? Donc, m’objecte-t-on, vous ne connaissez pas Dieu ; loin de nous cette ignorance. Assurément, je sais qu’il existe, je sais qu’il est clément, bon, miséricordieux, prévoyant, prenant soin de toutes choses ; je sais tout ce qu’en ont dit les Écritures ; mais maintenant quelle est la substance de Dieu ? Je n’en sais rien. Adam aussi crut pouvoir en découvrir davantage ; le démon lui inspira cette prétention et Adam perdit même ce qu’il possédait. C’est ce qui arrive aux hommes, qui se laissent conduire par la raison humaine et qui ne veulent pas comprendre, que c’est le Seigneur qui donne la sagesse ; que c’est de sa bouche, que sortent la prudence et la science. (Prov. 2,6) Ils ne veulent pas entendre ce que dit Paul : « Dieu nous l’a révélé par son Esprit. » (1Cor. 2,10) Paul bannit, par là, les raisonnements humains : « Détruisant », dit-il, « les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la science de Dieu. » (1Cor. 2,10 ; 2Cor. 10,5) Et un autre sage : « Les raisonnements des hommes sont timides et leurs inventions chancelantes. » (Sagesse, 9,5) « Qu’est-ce que l’homme pour vous être fait connaître à lui ? » Considérez l’infini de cette grandeur, ou plutôt même en parlant ainsi, je ne fais pas entendre une parole digne de Dieu, mais je ne sais de quel langage me servir ; car, quand nous parlons de grandeur à propos de Dieu, nous n’employons pas des termes propres ; mais puisqu’il n’est pas permis de trouver d’autres termes, je me sers de ceux qui se rencontrent. En effet, quand je l’appelle le Très-Haut, je ne le circonscris pas dans un lieu, mais je montre l’élévation, la grandeur de sa nature, qui le distingue, qui le met en dehors ; au-dessus de tous les êtres. Voilà pourquoi le Psalmiste dit. « Qu’est-ce que l’homme pour vous être fait connaître à lui ? » En effet, Dieu l’a fait humble et lui a départi de grands privilèges, de manière qu’il ne put pas s’exalter, lorsque la modestie est la conséquence nécessaire de la bassesse de sa nature. « Ou qu’est-ce que le Fils de l’homme pour que vous l’estimiez ? » Avez-vous bien compris la majesté de la nature de Dieu ? « L’homme est devenu semblable à la vanité (4). » Un autre interprète, au lieu de : « À la vanité », dit : « À une vapeur. » Or, ce mot « vanité » ne signifie pas autre chose que ceci que l’homme est caduc, ne vit qu’un temps, que sa vie est courte ; dans ce passage, il s’agit du corps, et voilà pourquoi Abraham disait : « Je ne suis que terre et cendre. » (Gen. 18,27) Et maintenant Isaïe : « Toute chair, n’est que de l’herbe et toute sa gloire est comme la fleur des champs. » (Is. 40,6) Mais maintenant, que signifie « L’homme est devenu semblable à la vanité ? » Cela veut dire au néant ; il n’est rien, en effet, parmi les choses humaines, qui soit ferme ni stable ; tout passe, tout disparaît promptement. « Ses jours passent comme l’ombre », c’est-à-dire même dans le présent il n’y a en eux aucune stabilité et ils s’envolent vite.


3. Et maintenant, considérez cette vérité dans la réalité même des choses ; réfléchissez sur les puissants de ce monde, qui se font traîner dans des chars, qui exercent des magistratures, qui jettent les hommes en prison, qui condamnent aux verges ; quelle différence y a-t-il entre eux et une ombre ? Je ne dis pas seulement, au moment de la mort ; je dis, même avant la mort. En effet, quand ils ont déposé leur magistrature toute leur pompe disparaît et s’envole ; mais c’est ta réalité qui nous attend, après notre départ d’ici. Il y aura un compte réel à rendre, des châtiments réels, des biens réels aussi, et le juge est celui qu’il est absolument impossible de tromper. Au contraire, ce qui se passe sous nos yeux, ressemble à des jeux d’enfants ; qui juge aujourd’hui est jugé demain ; les changements se pressent, se succédant rapidement ; c’est l’inconstance dans ce qui ne fait que passer. « Seigneur, abaissez vos cieux et descendez, touchez les montagnes et elles se réduiront en fumée (5). » Un autre : « Quand a vous avez incliné vos cieux que vous êtes descendu et que vous avez touché les montagnes, elles ont été réduites en fumée. » Que signifie cet enchaînement de paroles ? Enchaînement, oui certes, et les paroles présentes tiennent fortement à ce qui précède. En effet, après avoir parlé de la bassesse humaine, montré le néant de notre nature, le Psalmiste lui impose encore un frein ; il réprime l’arrogance qui se gonfle, il ajoute des paroles qui reviennent à peu près à ceci. Certes, ils auraient bien dû, par eux-mêmes, comprendre la bassesse de leur nature et ne pas tant se complaire en eux-mêmes et ne pas concevoir tant de fierté ; mais, puisqu’ils ne le veulent pas, montrez-leur, Seigneur, par la réalité même, à quelle bassesse ils sont réduits.
« Seigneur, abaissez vos cieux, et descendez. » Ce qu’il dit, ce n’est pas que Dieu descende ; en effet comment pourrait-il descendre, Celui qui est présent partout ? Mais il veut, par ces expressions humaines, inspirer la terreur aux auditeurs d’un esprit un peu lent ; il parle donc de ces choses, en se conformant au langage humain. Sans doute, cette action de fou cher les montagnes paraît avoir de la grandeur ; elle est toutefois assurément de beaucoup au-dessous de la dignité de Dieu. En effet, Dieu n’a pas besoin de toucher les montagnes, pour les réduire en fumée ; il n’a pas même besoin de faire un signe ; il lui suffit d’y penser, de le vouloir. Donc, après avoir parlé de la bassesse de l’homme, il parle encore de la puissance du Dieu, autant que l’homme peut traiter un pareil sujet ; car, ses expressions encore sont bien au-dessous de cette majesté. « Faites briller vos éclairs et vous les dissiperez ; envoyez vos flèches, et vous les remplirez de trouble (6). » Éclairs, ici, et flèches ne sont pas pris dans le sens propre ; il désigne ainsi les supplices, s’appuyant sur des faits connus, pour persuader, à celui qui méprise Dieu, au lâche, au négligent, de trembler, de respecter avec crainte, et de s’abaisser. Si, en effet, on ne peut supporter l’éclair, quoiqu’il ne soit pas envoyé pour le châtiment, à l’heure où Dieu voudra punir, qui pourra le supporter ? Et maintenant, les flèches de Dieu sont les pestes, les famines, les malheurs imprévus, les innombrables supplices. « Faites éclater, du haut du ciel, votre main toute-puissante, et délivrez-moi ; sauvez-moi de l’inondation des eaux, de la main des enfants étrangers (7). » C’est qu’en effet la puissance de Dieu n’est pas prompte, seulement pour punir, mais pour conserver. Quant à la main, elle marque ici l’assistance, le secours. Et voilà pourquoi il ne dit pas, étendez, mais : « Faites éclater. » Si d’ailleurs il dit, dans quelqu’autre passage, « Étendez », cette expression a le même sens. Maintenant l’inondation marque l’irruption insolente des ennemis, l’attaque courtise et impétueuse. Ce qui prouve en effet qu’il ne s’agit pas ici des eaux à proprement parler, c’est ce qu’il ajoute : « De la main des enfants étrangers. » Or, ces enfants étrangers me paraissent indiquer ici ceux qui sont étrangers à la vérité. De même, en effet, que les fidèles sont regardés par nous comme des frères, de même nous regardons comme des étrangers les infidèles ; et c’est surtout par cette raison que nous distinguons l’étranger de Celui qui nous tient de près par l’affection. En effet, celui-là est mon parent, qui a le même père que moi, qui participe à la même table, il me tient de plus près que celui qui m’est uni seulement par la communauté de race. Ce genre de parenté est plus parfait que l’autre, de même que l’éloignement par suite de dispositions et de principes contraires, est plus déclaré, plus évident que celui qui résulte de la diversité des familles. Donc ne vous arrêtez pas à ce fait, que nous vivons sous le même ciel, dans la même par tie du monde ; car ce qu’il me faut, c’est une autre communion qui surpasse le ciel ; là est ce qui nous rapproche, et ce qui nous fait vivre. En effet, dit l’Apôtre : « Notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. » (Col. 3,3) Nous n’habitons plus la terre ; mais nous nous sommes transportés dans la métropole d’en haut ; nous y avons une autre lumière, la vraie lumière, une autre patrie, d’autres concitoyens, d’autres parents. Et voilà pourquoi, disait Paul : « Vous n’êtes plus des étrangers, ni des voyageurs, mais vous êtes concitoyens des saints. » (Eph. 2, 19) Comment donc le Christ a-t-il pu dire que le samaritain était le prochain, lui séparé du peuple par un si grand intervalle ? (Lc. 10,36) Cela n’a pas été dit par rapport à la nature, cela signifie que lorsqu’il s’agit de bien à faire, il faut que tout homme soit pour vous le prochain ; mais quand il s’agira de la vérité, discernez quel est le prochain et quel est l’étranger. Vous avez beau avoir un frère du même père et de la même mère, s’il n’est pas en communion avec vous sous la loi de la vérité, qu’il soit plus étranger pour vous que n’importe quel scythe ou barbare. Et maintenant, si c’est un scythe ou un sarmate, mais qui possède la connaissance pleine et entière des dogmes, qui ait la même croyance que vous, il doit être plus votre parent que celui qui est sorti des mêmes flancs que vous. Et voilà comment nous distinguons le barbare de celui qui ne l’est pas ; nous ne consultons ni la langue ni l’origine, mais la pensée, mais l’âme. En effet, ce qui constitue l’homme avant tout, c’est l’observance pleine et entière des dogmes ; c’est la vie conforme à la sagesse.
4. Mais voyons maintenant la peinture que le Prophète présente de ces étrangers, quand il nous dit : « Sauvez-moi de la main des enfants étrangers, dont la bouche profère des paroles vaines, et dont la droite est une droite pleine d’iniquités (8). » Voyez-vous quels sont ceux qu’il appelle des étrangers ? Ceux qui vivent dans le crime, ceux qui aiment l’iniquité, ceux qui tiennent des discours insensés, qui ne disent rien d’utile. Reconnaissez donc les étrangers, à leurs discours, à leurs paroles. C’est ainsi que le Christ dit. « Vous les connaîtrez par leurs fruits. » (Mt. 12,16) En effet, de même qu’on donne aux soldats un grand nombre de signes pour se reconnaître, de telle sorte que si un combat a lieu pendant la nuit, ou si des tourbillons de poussière obscurcissent le jour et amènent les ténèbres, ou si quelque confusion ou perturbation arrive, ils ne soient pas exposés à prendre leurs compagnons pour leurs ennemis, ni les ennemis pour leurs compagnons ; de même le Prophète nous donne dans ce passage des signes pour nous permettre de distinguer le parent et l’étranger, à savoir leurs discours et leurs actions. « Dont la bouche profère des paroles vaines, et dont la droite est une droite pleine d’iniquités. » C’est qu’en effet nous avons à soutenir une guerre, une bataille, un combat nocturne des plus cruels ; les démons nous frappent ; nos passions nous tendent des pièges ; nos pensées se soulèvent contre nous. Il y a aussi, pour les initiés aux mystères, des signes de reconnaissance, et si nous voulons distinguer le profane de l’initié ces signes nous serviront.
« Dont la droite est une droite pleine d’iniquités. » Quoi de plus triste que de voir cette main, faite pour nous secourir, devenir un instrument de trahison ! En effet, si nous avons des mains, c’est pour nous préserver nous-mêmes et préserver les autres de l’injure ; c’est pour faire disparaître les crimes, c’est pour servir de port et de refuge à ceux qui subissent la violence et l’injustice. Quelle sera donc l’excuse de ceux qui se servent de ces armes, non pour le salut des autres, mais pour leur pro lire perte ? « Je vous chanterai, ô Dieu, un nouveau cantique (9). » Quel est encore ici l’enchaînement des pensées ? enchaînement parfait. Car le Psalmiste a dit : « Faites éclater votre main, et sauvez-moi », et dispersez-les, et il proclame qu’il saura reconnaître ce, secours en offrant une récompense inutile, il est vrai, à Dieu qui la recevra, mais très-avantageuse à l’homme qui l’offrira. Or, quelle sera cette offrande ? « Je vous chanterai, ô « Dieu, un nouveau cantique. » C’est bien peu de chose, si on compare ce don à la grandeur du bienfait. Mais le fidèle a donné tout ce qu’il, avait ; et nous aussi, nous ne demandons aux pauvres, à ceux qui ne possèdent rien, que le remerciement et la gratitude. Pour nous, ce que nous en faisons, c’est pour être glorifiés, Dieu, au contraire, n’a pas besoin d’être glorifié, mais il veut glorifier ceux qui le chantent, et trouver ainsi l’occasion de leur décerner de nouveaux bienfaits. « Je vous chanterai sur l’instrument à dix cordes », c’est-à-dire, je vous rendrai grâces. On avait alors des instruments pour chanter les cantiques ; aujourd’hui au lieu d’instruments nous pouvons nous servir de notre corps ; nous pouvons en effet chanter par nos yeux et non seulement par notre langue ; nous pouvons chanter par nos mains, par nos pieds et par nos oreilles. En effet, quand chacun de ces organes fait ce qui est, pour Dieu, un sujet d’honneur et de gloire, quand l’œil n’a pas de regards impudiques ; quand les mains ne s’allongent pas pour la rapine, mais se déploient pour l’aumône ; quand les psaumes, quand les discours spirituels trouvent des oreilles prêtes à les recevoir ; quand nos pieds courent à l’église ; quand notre cœur ne devient pas un atelier de ruses, mais un foyer de charité, les membres de notre corps forment un psaltérion, une lyre, et chantent un nouveau cantique, non seulement de paroles, mais un cantique d’actions. « Qui donnez le salut aux rois (10). » Et en effet, ce ne sont pas les forteresses, les nombreux soldats, les satellites, les gardes du corps, mais le secours de Dieu qui les conserve. « Qui sauvez David votre serviteur. » Après avoir parlé en général, le voici qui parle de lui en particulier, et il ne dit pas qui avez sauvé, mais « qui sauvez », montrant la perpétuité de la providence de Dieu.
5. Et ensuite il renouvelle la prière déjà faite, conjurant, suppliant pour être délivré des méchants, et il dit : « Sauvez-moi du glaive meurtrier, retirez-moi d’entre les mains des enfants étrangers dont la bouche profère des paroles vaines et dont la droite est une droite pleine d’iniquités (11). »
« Leurs fils sont comme de nouvelles plantes dans leur jeunesse » Il décrit ici les prospérités et les richesses de ce monde, et il place au premier rang, comme il est juste, d’avoir des enfants à qui tout prospère, tressaillant de joie, des enfants des deux sexes ; il ajoute donc : « Leurs filles sont parées et ornées comme des temples. » Il montre ici, avec la jeunesse, l’excès du luxe, les bandelettes, l’attirail de la coquetterie des femmes, ce qui est le fruit d’une grande prospérité. Ensuite, ce qui paraît au second rang, ce qu’aujourd’hui peut-être on mettrait au premier, c’est la richesse, qu’il dépeint par ces paroles : « Leurs celliers sont si remplis qu’ils regorgent les uns dans les autres (13). » Qu’est-ce que cela veut dire : « Qu’ils regorgent les uns dans les autres ? » Les celliers trop petits, dit-il, ne peuvent pas contenir leurs richesses : « Leurs brebis sont fécondes, et leur multitude se fait remarquer quand elles sortent ; leurs vaches sont grasses (14). » Ce qui ne paraissait pas alors indifférent pour la prospérité. Les anciens, en effet, faisaient consister les richesses en brebis, en troupeaux de gros bétail, en toute espèce de troupeaux, en semences ; on n’avait pas encore trouvé la lâcheté et la mollesse de nos jours. « Il n’y a point de brèche dans leurs murailles, ni d’ouverture par laquelle on puisse passer ; » ce qui veut dire que leurs champs sont cultivés avec toute espèce de soin et de zèle, qu’ils ont des trésors de fruits ; que leurs haies se tiennent ; que leur vigne est, de toutes parts, bien plantée, et bien défendue. « Et l’on n’entend point de cris dans leurs places ; » un autre texte : « Dans leurs vestibules ; » autre espèce de prospérité,.mais que toute espèce de richesse ne donne pas, à savoir la paix, la tranquillité, la sécurité. Il n’est personne pour leur préparer des pièges ; personne pour leur faire la guerre ; aucun tumulte, aucune confusion : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède tous ces biens ; mais plutôt, heureux le peuple, qui a le Seigneur pour son Dieu (15). » Voyez-vous la vertu du fidèle ? Il a fait comparaître toutes les richesses ; il les a toutes nommées, il a dit ensuite ce qu’en pense le vulgaire, et pour lui, il n’en retire aucune impression humaine. Et il ne regarde pas comme heureux les possesseurs de ces biens, mais, les négligeant tous, c’est sur le véritable trésor qu’il fait reposer son bonheur. Les autres, dit-il, ont appelé heureux ceux qui possèdent ces biens, mais moi, je regarde comme heureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Et, par cette seule expression, il fait voir en quoi consiste tout bonheur, toute espèce de biens, toute puissance. En effet, ces biens de la terre s’écoulent et passent ; notre bonheur, au contraire, demeure éternellement ; à la place des brebis, des fils, des bœufs, des haies, des vignes, c’est la béatitude de Dieu qui sera notre trésor, notre sécurité, notre mur inexpugnable. Donc, en entendant ces paroles, ne vous laissez troubler par aucun des attachements de la terre ; allez, et laissant loin de vous les ombres, saisissez-vous de la vérité. En effet, il a débuté en disant que l’homme est semblable à la vanité, et que ses jours sont comme l’ombre qui passe. Donc, si vous voyez quelques-uns de ces heureux, comblés de tous les biens, vivant dans le crime, quand l’univers entier les estimerait heureux, jugez-les, vous, des infortunés qu’il faut plaindre. Quant à ceux, au contraire, qui se sont voués à Dieu, dites qu’ils sont dignes d’envie, qu’ils ont en partage la félicité. Et nous, tous tant que nous sommes, recherchons toujours ces vraies richesses, cette pleine béatitude, afin d’obtenir, et les biens de la vie présente et les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLIV.

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1. « JE CÉLÉBRERAI VOTRE GLOIRE, O MON DIEU, O MON ROI, ET JE BÉNIRAI VOTRE NOM, DANS TOUS LES SIÈCLES DES SIÈCLES. »

ANALYSE.

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  • 1. Nous mangeons la chair du Christ et nous buvons son sang. C’est surtout par nos actes que nous devons bénir Dieu. Pourquoi l’homme a été créé. Des bienfaits dont Dieu nous comble.
  • 2. Contre les Anoméens qui prétendaient connaître Dieu comme il se connaît lui-même. Les œuvres de Dieu manifestent sa providence.
  • 3 et 4. Dieu est bon envers tous, non seulement envers les justes, mais encore envers les pécheurs. Que veulent dire ces paroles : In tempore opportuno ?
  • 5. Utilité des afflictions.


1. Ce psaume mérite la plus grande attention ; en effet, on y trouve les paroles que chantent sans cesse les initiés à nos mystères : « Tous les yeux sont tournés vers vous, tous attendent de vous leur nourriture dans le temps convenable (15). » Il est juste que celui qui est devenu fils de Dieu, qui jouit de la table spirituelle, rende gloire à son père. En effet, dit le Prophète, « Le fils glorifie son père, et le serviteur redoutera son maître. » (Mal. 1,6) Vous êtes devenus fils et vous jouissez de la table spirituelle ; vous mangez la chair, vous buvez le sang de Celui qui vous a régénérés ; rendez-lui donc le tribut de reconnaissance que mérite un si grand bienfait. Glorifiez Celui qui vous a fait de tels dons ; et en prononçant les paroles de l’Écriture, conformez votre esprit aux pensées qu’elles expriment ; et, quand vous dites : « Je célébrerai votre gloire, ô mon Dieu, ô mon roi », montrez toute la tendresse de l’affection, afin que de vous aussi Dieu dise, comme d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » (Ex. 3,6) Si vous prononcez ces paroles : Mon Dieu et mon roi, si vous ne vous bornez pas à les prononcer, mais que de plus vous montriez l’affection que ces paroles expriment, Dieu, de son côté, dira de vous : Mon esclave et mon serviteur. Ce qu’il a dit de Moïse : « Et je bénirai votre nom dans tous les siècles des siècles. » Le voyez-vous qui nous révèle les récompenses de la vie future ? Or ici, la bénédiction dont il parle, ne consiste pas seulement dans les paroles, mais surtout dans les actions. C’est par là en effet que Dieu est exalté ; c’est par là qu’il est béni. Et voilà pourquoi nous avons l’ordre de dire dans notre prière : « Que votre nom soit sanctifié ; » ce qui veut dire, soit glorifié. « Je vous bénirai chaque jour, et je bénirai votre nom dans tous les siècles des siècles (2). » Un autre texte : Dans tous les siècles, à perpétuité. Voilà surtout ce qui caractérise une âme pieuse, s’affranchir des choses de la vie présente et se consacrer aux saints cantiques. Ce serait en effet une honte que l’homme, cet être doué de raison, supérieur à tous les êtres visibles, le cédât aux créatures d’un ordre inférieur, quand il s’agit de bénir le Seigneur. Et non seulement ce serait une honte, mais de plus, une absurdité ; et comment ne serait-ce pas une absurdité, lorsque le reste de la création, chaque jour, à chaque heure du jour, célèbre la gloire du Seigneur ? « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament publie les ouvrages de ses mains. Le jour la a proclame et l’annonce au jour, et la nuit en « donne connaissance à la nuit. » (Ps. 18,2,3) Le soleil, la lune, le chœur varié des astres, toutes les autres créatures, disposées dans un ordre magnifique, proclament le grand ouvrier. Donc, si la créature supérieure à toutes les autres ne tenait pas la même conduite, bien plus ne produisait que des œuvres, qui seraient pour son créateur une malédiction, un sujet de blasphémer son Dieu, quel pardon pourrait mériter l’homme, quelle serait son excuse, que pourrait-il répondre, lui qui est fait pour plaire à Dieu, pour obtenir la royauté dans la vie à venir, et qui n’en tient aucun compte, et qui s’embarrasse dans les affaires du siècle et les soucis du monde ? Le Psalmiste ne ressemblait pas à cet homme, sa vie entière était une offrande de louanges au Seigneur ; de louanges en paroles, de louanges en actions. Car, notre dette est considérable envers le Dieu qui nous a faits, quand nous n’étions pas encore ; qui nous a faits, tels que nous sommes ; qui nous a donné la naissance, et nous gouverne, et, chaque jour, nous montre des preuves particulières, des preuves publiques de sa providence, du soin qu’il prend de nous, soit secrètement, soit ouvertement, soit que nous le sachions, soit à notre insu. Qu’est-il besoin de rappeler les biens manifestes dont il nous a comblés ? Les créatures assujetties à notre service, la constitution de notre corps, la noblesse de notre âme ; ce gouvernement qui agit chaque jour, par des miracles, par des lois naturelles, par des châtiments ; la manifestation variée, incompréhensible de la Providence, ce bien qui renferme tous les biens, à savoir : qu’il n’a pas même épargné son Fils unique à cause de nous ; les présents dont il nous comble par le baptême, par les sacrements ; les biens ineffables à nous accordés, la royauté, la résurrection, pour héritage, la plénitude de la félicité. Énumérer un à un chacun de ces bienfaits, c’est s’abîmer dans une mer de grâces inénarrables, c’est reconnaître à combien de titres nous sommes les tributaires de la bonté de Dieu. Et, nous ne lui devons pas nos louanges uniquement pour ces dons, mais encore parce qu’il est la majesté infinie, l’être immuable et sans déclin. Oui, cette substance même nous commande de la glorifier, de la bénir ; nous lui devons nos actions de grâces sans fin, notre culte, notre adoration de tous les instants. C’est ce que le Prophète exprimait précisément par ces paroles : « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges, et sa grandeur n’a point de bornes (3). » Comme il a dit : « Je vous bénirai, et je célébrerai votre gloire », il tient à montrer que Dieu n’a besoin, ni de nos louanges, ni de nos bénédictions ; que sa gloire ne reçoit aucun accroissement des louanges qu’on lui décerne. En effet, sa substance est à l’abri de toute destruction : elle n’a besoin de rien absolument ; mais ceux qui louent le Seigneur, acquièrent eux-mêmes de la gloire. Et maintenant, ce n’est pas seulement pour cette raison, mais aussi parce que sa gloire est excellente, que nous lui devons nos louanges. De là ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges », C’est-à-dire, n’ayant besoin de rien absolument. Que signifie, « Digne de louanges ? » Digne d’être célébré, par nos louanges, par nos chants, par nos hymnes. Et maintenant, il n’est pas seulement digne de louanges, mais « infiniment digne ; » aussi ajoute-t-il, « infiniment. » Mais, maintenant, dans l’impossibilité de rendre, par des paroles, jusqu’à quel point le Seigneur est digne de louanges, il ajoute : « Et sa grandeur n’a point de « bornes. » Un autre interprète a dit : « Et sa grandeur ne se peut trouver ; » ce qui revient à ceci : puisque tu as un Seigneur qui est grand, toi aussi, élève ton esprit, dégage-toi des choses de la vie présente, conçois des sentiments au-dessus de la bassesse des choses présentes ; je ne te dis pas, laisse-toi égarer par le délire d’un vain orgueil, je te dis, fais-toi une âme grande, une âme élevée. Autre chose en effet est l’arrogance, autre chose la grandeur d’âme. L’arrogance consiste à se vanter sans sujet, à s’étaler, à mépriser ses compagnons d’esclavage ; l’élévation de l’âme au contraire consiste dans l’humilité de la pensée, qui regarde comme un pur néant les pompes de la vie présente.
2. Où sont-ils maintenant ceux qui prétendent connaître Dieu aussi bien que Dieu se connaît ? Qu’ils entendent la parole du Prophète : « Sa grandeur n’a point de bornes », et qu’ils rougissent de leur délire. « Les générations et « ensuite les générations loueront vos œuvres (4). » Le Psalmiste, ici, est fidèle à son habitude. Après avoir admiré la grandeur et la gloire de Dieu, il célèbre ses œuvres ; ce qu’il fait par ces paroles : « Les générations, et ensuite les générations loueront vos œuvres. » Il montre la grandeur qui éclate dans les ouvrages. Il veut dire : ces ouvrages n’ont pas une courte existence, ce ne sont pas des productions éphémères, de deux ou de trois années ; ces œuvres s’étendent, subsistent dans toute l’étendue des âges, de sorte que chaque génération les pourra contempler. C’est là en effet ce que signifie : « Les générations et ensuite les générations : » ce qui veut dire la génération présente, et celle qui suit et celle qui viendra encore après, et la suivante encore, et toute la série des générations. Et maintenant, la création s’étend et persiste, semblable à elle-même, dans toute la durée des temps ; à savoir, le ciel, la terre, la mer, l’air, les lacs, les fontaines, les fleuves, les semences, les plantes, les herbes, les bienfaits qu’elles nous transmettent ; le cours de la nature qui ne s’interrompt jamais ; les pluies, la succession inaltérable des saisons, la nuit, le jour, le soleil, la lune, les astres, tout le reste ; et, en outre, tout ce qui se fait chaque jour en vue de chaque génération, et en particulier et en public, pour la correction, pour le bien de la race universelle des hommes ; les merveilles qui éclataient sans cesse aux yeux des Juifs, les signes qui manifestaient la Providence, soit qu’elle rendît la terre féconde, soit qu’elle accordât des victoires, soit qu’elle éclatât de mille autres manières ; tout ce qui a paru à l’avènement du Christ ; tout ce qui s’est montré au temps des apôtres, au temps des persécutions ; signes bien plus nombreux et plus considérables que les signes antiques ; ajoutons-y encore ce qu’a vu notre génération. Car il n’est aucune époque où Dieu ne manifeste, en dehors de tous ces signes communs, un signe particulier de sa providence. « Et publieront votre puissance. » Elles la publieront soit par les bienfaits, soit par les châtiments. Dieu ne cesse jamais, en aucun temps, de pourvoir, par tous les moyens, aux besoins de notre nature, qu’il gouverne dans tous les temps. « Elles parleront de la magnificence de votre gloire et de votre sainteté et raconteront vos merveilles » Un autre texte : « Elles raconteront la beauté de votre louange, et les paroles de vos étonnantes merveilles. »
Le Psalmiste a montré la puissance, il montre maintenant la supériorité, l’excellence de cette puissance. Car elle n’a pas produit simplement des œuvres vulgaires, mais tout ce qu’elle a fait, est tellement merveilleux, surprenant, que ces œuvres dépassent la nature humaine, qu’on y trouve partout des raisons d’admirer, de glorifier l’ouvrier. Considérez donc les événements de l’Égypte, les événements de la Palestine, au temps d’Abraham, d’Isaac et de Joseph ; en Égypte encore, ce qui a éclaté au temps de Moïse, et dans le désert, et après l’entrée dans la terre promise ; et maintenant, ce qui s’est passé dans la captivité, sous Nabuchodonosor ; ce qu’on a vu dans la fournaise ; ce qu’on a vu dans la fosse ana lions, et au retour de la captivité, et à l’époque des prophètes ; toutes ces œuvres proclamaient la puissance de Celui qui les a faites, sa gloire, sa majesté ; œuvres éminemment destinées à frapper de stupeur et d’admiration. « Elles publieront la puissance de vos œuvres, terribles, et annonceront votre grandeur (6). »
Ces paroles montrent la plénitude de la puissance qui décerne les bienfaits et les châtiments ; elles montrent aussi, que toutes les merveilles énumérées sont ou des châtiments, ou des bienfaits. Et la preuve en est non seulement dans les événements d’alors, mais encore dans la nature même des créatures, lesquelles manifestent ce double caractère d’un pouvoir bienfaisant. Instruments destinés à porter la terreur, ainsi les éclairs, les tonnerres, les foudres, les tourbillons de feu, la peste, les neiges, la grêle, la nielle, la glace, les incendies, les inondations ; parmi les reptiles : les dragons, les scorpions, les serpents ; parmi les animaux qui volent, les sauterelles ; parmi les plus vils des êtres, la mouche des chiens, la chenille ; et ces instruments de douleur sont en même temps des instruments de la Providence, des instruments de conversion, pour secouer l’engourdissement, dissiper le sommeil, pour tirer l’homme de la léthargie, pour réveiller l’activité. Et non seulement dans ces êtres, mais dans leurs contraires aussi, éclate la perfection de la force qui les a produits. Aussi le Psalmiste, qui veut nous instruire de ces choses, après avoir dit : « Elles publieront la puissance de vos œuvres terribles, et annonceront votre grandeur », a-t-il ajouté : « Elles attesteront l’abondance de votre douceur (7). » Un autre texte : « De votre bonté, et elles tressailliront de joie, en célébrant votre justice. » Un autre interprète dit : « Et elles béniront vos miséricordes. » Quant à nous, après avoir énuméré les choses faites pour effrayer, nous devons aussi nommer les contraires. Nous les voyons, nous les trouvons autour de nous : la succession des saisons, les jours, les jardins, les prairies, la variété des fleurs, la douceur de l’eau qui désaltère, l’influence salutaire des pluies, les fruits de la terre, la variété de ses productions, la diversité des arbres, les vents agréables, les rayons du soleil, le disque étincelant de la lune, le chœur varié des astres, nuits calmes et tranquilles ; parmi les animaux : les brebis, les bœufs, les chèvres ; parmi las bêtes sauvages : les biches, les cerfs, les chèvres et tant d’autres qui sont innombrables ; parmi les oiseaux, ceux dont la chair est bonne à manger[28]. Il est visible que le but du Créateur n’est pas seulement la punition, mais beaucoup plus, le bienfait. Il est des œuvres dont le but est d’inspirer la terreur, et lorsque, parfois, Dieu essaie de pareils moyens, il le fait en vue des hommes tellement insensibles que la crainte même est impuissante à les corriger. Pour les œuvres qui manifestent sa munificence et sa splendeur, ce sont des bienfaits qui s’étendent non seulement sur ceux qui les méritent, mais sur les indignes.
3. Donc, le Seigneur, dans la variété des moyens par lesquels il opère notre salut, emploie tantôt les uns tantôt les autres, et les bienfaits plus souvent que les coups terribles, parce qu’il ne veut que notre bien. Aussi, menace-t-il de la géhenne non pour l’infliger, mais pour ne pas l’infliger. Il la réserve au démon « Allez, dit-il, au feu éternel qui a été préparé pour le démon (Mt. 25,41) ; » mais c’est le royaume du ciel qu’il nous prépare, montrant par là qu’il ne veut pas précipiter l’homme dans la géhenne. « Le Seigneur est clément et miséricordieux ; il est patient et rempli de miséricorde. Le Seigneur est bon envers tous, et ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres (8, 9). » Vous voyez que le Prophète insiste sur ces pensées plus douces ; là, son discours s’étend ; il sait, en effet, que c’est en cela surtout que s’exerce la puissance de Dieu. Dieu n’aurait pu nous conserver, si sa clémence n’eût été grande ; si nous continuons de vivre, c’est grâce à son immense bonté ; et voilà pourquoi il disait « C’est moi qui efface vos iniquités, et je vous ai défendus dans vos péchés. » (Is. 43,25) « Le Seigneur est clément et miséricordieux. » Voyez de quelle manière le Psalmiste démontre cette ineffable clémence ; non seulement Dieu a pitié des pécheurs, mais le Seigneur prouve encore autrement sa rare clémence, par la douceur, par la patience avec laquelle il attend le repentir ; de telle sorte que le pécheur peut, grâce à la clémence divine d’abord, grâce ensuite à son zèle propre, recouvrer son salut avec la confiance que donne l’accomplissement du devoir. Mais Dieu n’est pas seulement un Dieu de miséricorde ; ajoutez qu’il est plein de miséricorde. Le Psalmiste montre par là que cette miséricorde ne se peut mesurer, qu’elle est incompréhensible, qu’aucun discours ne la peut expliquer. Toutefois, par ce qu’il ajoute, il nous la montre, autant que possible : « Le Seigneur est bon envers tous, et ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres. »
Que signifie, « envers tous ? » Envers les pécheurs mêmes, dit-il ; envers ceux qui vivent dans le crime. Car, ce ne sont pas seulement les justes, ni les hommes vertueux, ni les pécheurs repentants, ce sont tous les hommes qui proclament, par les traitements qu’ils reçoivent, sa miséricorde et sa bonté. Et si l’on me demande : qui donc a éprouvé sa bonté ? Je dirai : ce n’est pas Abel seulement, mais Caïn ; ce n’est pas Noé seulement, mais ses enfants, mais ceux que le déluge a engloutis, car toutes ces œuvres sont des opérations de la bonté. Et si vous voulez comprendre, combien il est vrai de dire que cette bonté s’étend sur tous, faites, avec moi, la réflexion que voici : Quelle bonté, répondez-moi, Dieu n’a-t-il pas montrée envers ce meurtrier de son frère, envers celui qui n’avait pas reculé devant un pareil assassinat, envers celui qui avait souillé sa main, envers celui qui avait foulé aux pieds les plus saintes lois ? Il le livre à un châtiment, qui est plutôt un avertissement qu’un supplice ; il lui donne la longueur du temps pour se purifier de sa faute, et il fait servir à l’enseignement des autres les souffrances de ce grand coupable. Quelle bonté n’a-t-il pas montrée, répondez-moi, envers ces malades incurables des temps du déluge, que ni menaces, ni raisonnements, ni aucun autre moyen n’avaient pu arrêter dans leurs voies corrompues ? Il leur applique la dette commune de la nature, en place de remède ; il leur inflige la mort la plus légère, la mort au sein des eaux. Maintenant cette expression : « Envers tous », ne s’applique pas seulement aux hommes, mais à tous les êtres visibles, aux animaux, aux êtres dépourvus de raison. Ce n’est pas tout, si l’on remonte aux anges, aux archanges, on verra la plénitude de sa bonté, la plénitude de sa miséricorde ; car chaque œuvre révèle la grandeur de sa bonté. Voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Que toutes vos œuvres vous louent, Seigneur, et que vos saints vous bénissent (10) », c’est-à-dire, vous rendent des actions de grâces, vous adressent leurs chants, et ceux qui ont reçu le privilège de la raison, et ceux qui n’ont pas en partage la parole. Car, ceux qui ne parlent pas, ont été faits de telle sorte que chacun de ces êtres muets bénit Dieu, par l’essence même de sa nature, tout muet qu’il est, parce que les hommes voient ces êtres sans langage, et jouissent des services qu’ils leur rendent ; ces êtres louent le Seigneur, par leur propre substance ; les hommes le louent, de plus, par leur conduite et par leurs actions. C’est ce qu’exprime le Psalmiste, quand il ajoute : « Et que vos saints vous bénissent. » Ceux à qui il donne le nom de saints, ce sont les hommes qui accomplissent les volontés de Dieu, ceux auprès de qui les péchés et la corruption ne trouvent aucun accès. « Ils publieront la gloire de votre règne (11). » Que signifie, « ils publieront la gloire ? » C’est-à-dire, que rien ne vous manque ; que vous aimez la race humaine, que l’homme est l’objet de vos soins ; que vous, qui n’avez nul besoin de ceux qui vous sont soumis, vous leur montrez une providence pleine d’attention ; cela vent dire, que votre lumière est inaccessible, votre substance ineffable, incompréhensible. « Et célébreront votre puissance », c’est-à-dire chanteront votre puissance, irrésistible, invincible ; non pas que vous ayez besoin de ces hymnes et de ces louanges, mais elles sont utiles à ceux qui les font entendre ; elles sont, pour les autres, un enseignement, et elles les associent à ce concert de louanges. Aussi le Psalmiste ajoute-t-il : « Afin de faire connaître aux enfants des hommes la grandeur de votre pouvoir, et la gloire si magnifique de votre règne (12). » – Il montre par là que Dieu admet les louanges afin que tous les hommes connaissent sa puissance. Grande puissance, grande gloire, honneur magnifique, magnifique et ineffable ; non seulement au-dessus de toute parole, mais au-dessus des forces de la pensée. Mais maintenant il faut à cette magnifique et ineffable puissance des bouches qui la révèlent, puisque le grand nombre l’ignore. Le soleil aussi est l’astre le plus resplendissant et cependant les yeux malades n’en voient pas la lumière ; il en est de même de la divine Providence, plue éclatante que tous les soleils ; mais ceux dont ; la raison est pervertie, dont les oreilles sont fermées, ont besoin du zèle qui s’applique à dilater leur pensée.
4. Il ne faut donc pas se lasser de faire retentir auprès d’eux, de leur répéter cet enseignement. Maintenant que le Psalmiste a parlé, de la gloire, de la magnificence divine, qu’il a laissée dans sa course, qu’il n’a pas assez misa, en tout son jour, il reprend encore ce sujet, dans la mesure de ses forces, il montre ce qu’est cette gloire, il ajoute : « Votre règne est un règne qui s’étend dans tous les siècles (13). » Il ne se borne pas, dit-il, au siècle présent, mais il s’étend sur ceux qui viennent ensuite. Règne sans fin, règne sans limites, qui n’a pour limites que l’éternité. « Et votre empire, passe de race en race, dans toutes les générations. » Concevez, par là encore, que c’est un règne sans fin, comprenant tout dans l’univers, comprenant tout dans la série des siècles, comprenant tout dans l’étendue des temps. « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles, et saint dans toutes ses œuvres. » Après avoir dit que ce règne est sans fin, stable, solide, en dehors de tout changement, il exprime maintenant ce que la divine parole a de solide ; car cette expression Fidèle, veut dire ferme, vrai. Si le Seigneur est fidèle, ses paroles subsisteront absolument. Or, de même que son règne est en dehors de toute déchéance et n’a pas de limites, de même ses paroles sont solides et fermes. Donc, ni son règne n’est interrompu, ni ses paroles ne se perdent. Mais si ces paroles ne se perdent pas, il est nécessaire absolument qu’elles soient suivies de la réalité. Si quelque part il énonce quelque chose qui ne s’est pas accompli, voyez, Comment, même en ce cas, subsiste la vérité de sa parole : « Je prononcerai l’arrêt contre les nations et les royaumes, pour les perdre et les déraciner ; et si ces nations font pénitence de leurs vices, moi aussi je me repentirai des maux que j’avais promis de leur faire. » Et, pour ce qui concerne les bienfaits, de même : « Je promettrai des bienfaits », dit le Prophète, « et si les peuples changent, moi aussi je changerai, je ne me tiendrai pas à ce que j’avais dit. » (Jer. 18,7, 10).
« Et saint dans toutes ses œuvres. » Que veut dire « saint ? » Irréprochable, droit, pur, au-dessus de toute accusation, ne fournissant aucun prétexte de blâme. « Le Seigneur soutient tous ceux qui sont près de tomber, et il relève tous ceux qui sont brisés (14). » Le Psalmiste a dit du règne, qu’il n’a pas de fin ; des paroles, qu’elles sont vraies ; des œuvres, qu’elles sont irrépréhensibles. Il a parlé de la gloire et de la magnificence ; il parle maintenant de la clémence ; et voici, de ce règne, la gloire la plus éclatante non seulement Dieu soutient ceux qui sont debout, mais il prévient, la chute de ceux qui vont tomber, et ceux qui sont à terre, il les redresse. Et, ce qui est plus admirable, ce n’est pas à tel ou tel, mais à tous qu’il apporte ce secours ; à tous, quoique esclaves, quoique pauvres, quoique obscurs, quoique descendus d’êtres obscurs. Le Seigneur est en effet le Seigneur pour tous. Et il ne néglige pas ceux qui sont tombés, et il ne dédaigne pas ceux qui chancellent ; et ce qu’il fait dans la nature entière, il le fait pour chaque être en particulier. Si parmi ceux qui sont tombés il en est qui ne se relèvent pas, il n’en faut pas accuser celui qui veut les redresser, mais ceux qui ne veulent pas qu’on les relève. Quand Judas tomba, il voulut le relever, et, pour le relever, il fit tout, mais Judas ne voulut pas. Pour David, il est certain qu’après sa chute, il le releva et l’affermit ; Pierre allait tomber, il le retint ; voyez comment, écoutez : « Simon, Simon », dit-il, « voici que Satan vous a réclamés, pour vous cribler tous, comme on crible le froment ; et moi j’ai prié pour vous en particulier, afin que votre foi ne détaille point. » (Lc. 22,31-32) Le Psalmiste exprime ensuite un autre genre de bienfaits ; car elle est variée, multiple, la providence que déploie pour nous le Seigneur. « Tous, Seigneur, ont les yeux tournés vers vous, et ils attendent de vous, que vous leur donniez leur nourriture dans le temps propre (15). » Voyez-vous comme il montre que la bonté de Dieu s’étend sur tous, que ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres ? De même qu’il est dit dans l’Évangile : « Qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Mt. 5,45) », de même, ici, le Psalmiste, exprimant la même pensée, dit : « Et vous leur donnez leur nourriture dans le temps propre. » En effet, ce ne sont pas les pluies, la terre, l’air, c’est l’ordre de Dieu qui produit les fruits.
Cette expression « dans le temps propre », signifie, toutes choses arrivent à des époques déterminées, et se reproduisent d’après un ordre de successions diverses. C’est là en effet la plus grande preuve de la sagesse divine, que les productions destinées à nourrir tes hommes ne viennent pas toutes en même temps, mais quelles soient distribuées dans toute la durée de l’année, de telle sorte que le laboureur se repose, et que les fruits ne se corrompent : pas. Donc, cette expression « dans le temps propre », signifie, ou bien ce que nous avons dit précédemment, que toutes choses sont distribuées dans le temps qui convient à chacune d’elles, ou bien que Dieu donne la nourriture aux indigents, à ceux qui éprouvent le manque de ressources. Et pourquoi le Palmiste dit-il, me demandera-t-on : « Tous, Seigneur, ont les yeux tournés vers vous ? » Certes, un grand nombre de personnes attribuent tout au hasard, ainsi font les impies. Le Psalmiste exprime ici la vérité absolue du fait, comme lorsqu’il dit, dans un autre passage : « Il nourrit les petits des corbeaux, qui invoquent son secours (Ps. 146,9) », quoique ce soient des animaux qui n’ont pas la raison en partage. « Et les petits des lions rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur nourriture. » (Ps. 103,21) Assurément ces animaux sans raison, ne demandent rien à Dieu, à vrai dire ; mais, ici encore, le Psalmiste a en vue ce qu’il y a d’absolument vrai dans le fait qu’il rapporte, et ce n’est pas de la disposition intérieure des animaux, mais de la réalité des choses qu’il faut entendre ces paroles. « Vous ouvrez votre, main, et vous remplissez tous les animaux de bon plaisir (16). ». « Main » signifie ici l’opération divine, la force qui fournit. Toutes les paroles du Psalmiste montrent que ce n’est pas dans les éléments, mais dans la Providence divine, que réside la génération de tous les fruits. Et de plus, maintenant, pour montrer la facilité de l’œuvre, il dit : « Vous ouvrez votre main. » Les hommes d’alors, abandonnant la principale cause de tout ce qui existe, adoraient l’air et le soleil, auxquels ils se croyaient redevables de tous les fruits. Le Psalmiste, pour élever les esprits au principe suprême, à l’auteur de toutes choses, au Seigneur, fait souvent entendre les mêmes paroles ; il montre que c’est de sa main, c’est-à-dire, du soin qu’il prend de nous, de sa Providence, que nous viennent tous les biens qui nous inondent.
5. « De bon plaisir ; vous remplissez tous les animaux de bon plaisir. » Cela veut dire que Dieu remplit chaque être animé, de ce que veut cet être animé, de ce qui plaît à chacun de ces êtres. En effet, Dieu ne donne pas simplement la nourriture, mais il la donne selon l’utilité de chacun, selon le désir de chacun, de manière à rassasier ; voici ce que dit le Psalmiste : Et aux êtres sans raison, et aux hommes, et à tous les êtres, vous donnez ce qui est agréable à chacun, ce qui plaît à chacun ; et non seulement vous donnez mais vous donnez de manière à remplir, de manière que rien ne manque. Voilà pourquoi il dit : « Vous remplissez tous les animaux de bon plaisir. Le Seigneur est juste dans toutes ses voies, et saint dans toutes ses œuvres (17). » Ce qu’il entend par « voies », ici, c’est le gouvernement, la providence la sollicitude, avec laquelle Dieu a tout formé. Toutes ses œuvres, dit-il, célèbrent ses louanges, sont pleines de merveilles, qui ne laissent à personne aucun prétexte de blâme, quoiqu’il y ait des gens que, la colère possède, qu’agite une fureur insensée. ; Toutes ses œuvres sont naturellement brillantes, resplendissantes, proclamant la prévoyance de l’ouvrier, sa sollicitude, son affection pleine de tendresse, sa justice, sa sainteté. « Le Seigneur est proche de tous ceux qui l’invoquent en vérité (18). » Et voici ; maintenant un autre caractère de la Providence, et qui résume tous les biens. Après avoir dit les présents faits en commun même aux infidèles, les aliments et les pluies, le Psalmiste ajoute les dons particuliers pour les fidèles. Quels sont-ils ? D’être près d’eux, de les défendre, de prendre soin d’eux ; de déployer, pour eux, une plus grande providence ; d’être, pour eux, plein de bonté, de miséricorde, de douceur, de leur révéler les vrais biens.
« Il accomplira la volonté de ceux qui craignent, il exaucera leur prière et les sauvera (19). » Mais, dira-t-on, Paul voulait écarter de lui l’ange de Satan (2Cor. 12,8 c’est-à-dire, les tentations, les afflictions, les assauts perfides, et Dieu n’a pas fait ce que voulait Paul. Au contraire, il l’a fait, car lorsque Paul eut compris que ce qu’il demandait n’avait aucune utilité, il conçut une volonté contraire, une volonté forte, et qui était l’ouvrage de Dieu. Et voilà pourquoi Paul disait : « Je me plais dans les faiblesses, dans les afflictions, dans les persécutions. » (2Cor. 12, 10) S’il voulait d’abord tout le contraire cette volonté provenait de son ignorance ; mais, une fois qu’il eut appris que Dieu voulait qu’il fût éprouvé, Paul consentit sans peine la volonté de Dieu. Et, en effet, autre n’est pas la volonté de Dieu, autre la volonté de ceux qui le craignent ; et si parfois ceux-ci veulent ce que demandent les autres hommes, ils se corrigent bientôt. « Le Seigneur garde tous ceux qu’il aime, et il perdra tous les pécheurs (20). » Voici encore une remarquable preuve de la divine Providence ; elle conserve, elle fortifie, elle se révèle à tous. Maintenant ceux que le Psalmiste appelle pécheurs, ce sont ceux qu’afflige un mal sans remède, ceux qui ne veulent pas se corriger. Si parfois Dieu permet que quelques-uns de ceux qui l’aiment, soient frappés par la mort, voyons-y encore la marque du Dieu qui conserve. C’est ce qui est arrivé pour Abel. En effet, leurs corps ont beau mourir, leurs âmes subsistent plus glorieuses, et elles recevront ensuite des corps inaccessibles à la destruction. Donc, après avoir parlé de ces différentes espèces de providences, autant que le discours pouvait les exprimer ; des soins communs, des soins particuliers, de la sollicitude pour les saints, surtout pour ceux qui ont chancelé ; du soin de ceux qui sont renversés, de la providence, de la patience, de la correction des pécheurs, de la protection des saints, c’est encore par un cri de louanges qu’il termine, et il convie la terre à s’associer tout entière à ce tribut d’éloges : « Ma bouche publiera les louanges du Seigneur, que toute chair bénisse son saint nom, dans tous les siècles, et dans l’éternité » (21). Voyez-vous avec quelle sagesse il convie non seulement ceux qui reçoivent les bienfaits du Seigneur, mais ceux-mêmes qui sont punis (car la punition même révèle la providence) ; non seulement les hommes, mais encore les animaux, et les éléments, et toutes les créatures insensibles, car toutes sont remplies de la bonté du Seigneur ? Donc, nous aussi, ne cessons pas d’élever à ce Dieu si bon, à ce Dieu rempli de tant d’amour, à ce Dieu qui étend partout sa bienfaisance, de faire monter, à chaque heure, les cris de la louange, de le célébrer, par nos actions et par nos paroles, afin d’obtenir, et les biens de la vie présente, et les biens à venir, par la grâce et par la bonté de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLV.

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1. « O MON AME, LOUEZ LE SEIGNEUR. JE LOUERAI LE SEIGNEUR PENDANT MA VIE, JE CÉLÉBRERAI LA GLOIRE DE MON DIEU, TANT QUE JE VIVRAI. »

ANALYSE.

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  • 1. La condition des princes est la même que celle des derniers d’entre le peuple.
  • 2. Dieu n’a pas seulement le pouvoir de secourir les humbles et les justes ; il en a encore la volonté.


1. Comme il a fini, de même il recommence, par les louanges et les bénédictions. En effet, ce n’est pas un faible moyen de purifier l’âme. La louange qu’entend le Psalmiste, c’est, je ne me lasserai pas de le répéter, la louange par les actions. C’est ainsi que le Christ dit : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux. » (Mt. 5, 16) Et Paul encore : « Glorifiez Dieu, dans votre corps et dans votre esprit. » (1Cor. 6,20) Et de même que le Psalmiste a dit, dans le psaume précédent : « Chaque jour je vous bénirai », de même ici : « Je célébrerai la gloire de mon Dieu », dit-il, « tant que je vivrai. » Ensuite, comme il veut encore associer les hommes à ses paroles de bénédiction, il raconte et la bonté et la clémence de Dieu. L’amour le brûle, l’amour l’enflamme, et il parcourt l’univers entier, et la création tout entière ; il l’a fait entrer dans le chœur qu’il prépare. C’est là, en effet, la plus magnifique louange, c’est là pour Dieu la plus belle gloire ; car c’est le grand nombre que Dieu désire admettre à la participation du salut. « Ne mettez pas votre confiance dans les princes, ni dans les enfants des hommes, qui n’ont pas en eux le salut (2). » Un autre texte : « Dans celui qui ne peut vous sauver. » Écoutez ce conseil, cet avertissement, vous tous qui regardez avec admiration les choses humaines, appui fragile et périssable. Mais que veut dire, « qui n’ont pas en eux le salut ? » Ils n’ont pas même en eux leur propre salut ; ils ne peuvent pas se défendre eux-mêmes ; arrive la mort, ils se coucheront plus muets que des pierres. Car, voilà ce qu’exprime le Psalmiste en disant : « Son âme sortira, et il retournera dans la terre d’où il est sorti. En ce jour-là, périront toutes leurs pensées (3). » Un autre texte « Tous leurs projets. » Ce que dit le Psalmiste, revient à ceci : Celui qui ne peut pas se défendre lui-même, comment sauvera-t-il les autres ? Rien, en effet, n’est aussi faible et fragile qu’une telle espérance, et c’est ce que montre la nature même des choses. Aussi Paul, parlant de l’espérance en Dieu, disait « Cette espérance n’est point trompeuse. » (Rom. 5,5)
Ce qu’on ne peut pas dire des choses humaines, plus vaines que l’ombre. Ne me dites pas : c’est un prince. Un prince n’a rien de plus que le premier homme venu ; il est également soumis à une condition incertaine ; et tenez, dût cette parole vous surprendre précisément parce que c’est un prince, ayez encore moins de confiance. Ce sont là en effet des choses bien sujettes à l’écroulement, que ces principautés. Supposez qu’on ne le précipite pas du haut de son pouvoir, c’est lui qui se, précipite dans les emportements de la colère, dans les abus de pouvoir, attendu qu’il ne se croit pas comptable envers celui qui a reçu ses promesses. Et si ce prince est sage, il sera encore plus exposé aux chutes que les particuliers, parée qu’il est entouré d’ennemis plus redoutables, plus nombreux ; parce qu’il est d’autant plus facile à prendre, qu’il y a plus de gens pour lui tendre des pièges. Que signifient ces gardes du corps ? Que signifient toutes ces escortes qui veillent sur lui ? Et comment celui qui, au milieu d’une ville bien policée, n’est pas même sûr de défendre sa personne, mais se trouve là comme au milieu d’un peuple ennemi, exposé à tant de combats et de dangers, pourra-t-il sauver les autres ? Celui qui, en pleine paix, a plus à craindre que ceux qui font la guerre, comment pourra-t-il mettre les autres en sûreté, au-dessus de tous les périls ? Certes, il n’est pas difficile de compter ceux qui pouvaient vivre en toute sécurité chez eux, et qui se sont perdus, pour avoir mis leur confiance dans les princes. Et quand ces princes sont tombés, eux aussi ont été renversés ; il en est d’autres que leurs gardes ont trahis. Toutefois, le Prophète, laissant de côté tous ces accidents, vu qu’un grand nombre y ont échappé, ne parle que du terme, qui n’admet aucune incertitude, à savoir la mort. Tout vous a réussi, c’est bien. Voilà, dit le Psalmiste, un bon prince, il est reconnaissant et il vous prouvera sa reconnaissance. Mais, au milieu de ses promesses, voilà qu’il termine sa vie, et il vous laisse, avec vos espérances vaines, parce qu’il n’a pas assez vécu pour que ses promesses aboutissent à la réalité. Ainsi, quand il n’a pas même assez de vie pour accomplir une promesse, quand ses jours sont terminés avant que l’effet s’en réalise, voilà le fragile secours où vous tournez vos yeux ! Et ne voyez-vous pas que c’est l’histoire de tous les jours ? la chute du protecteur dépouille ses protégés, plus abaissés que jamais. Et cependant, à quoi bon dire que les promesses s’évanouissent et meurent, quand l’auteur même des promesses, quand le maître n’a pas pour lui la durée ! « Il retournera dans la terre », dit le texte, « d’où il est sorti. » Or si celui-là est mort, à plus forte raison ce qu’il a promis ; voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Et ce jour-là même périront toutes leurs pensées », montrant par là, non seulement que les promesses ne seront pas effectuées, mais de plus que celui qui promet périra. Que fait ensuite le Psalmiste ? Après vous avoir détournés de l’espérance fondée sur l’homme, il vous montre le port assuré, la citadelle inexpugnable et il vous donne un conseil. Voilà la meilleure de toutes les exhortations. Éloigner de ce qui est faible et conduire à ce qui est solide, détruire ce qui est vain, établir ce qui est vrai, repousser ce qui trompe et montrer ce qui est utile. « Heureux celui de qui le Dieu de Jacob se déclare le protecteur et dont l’espérance est dans le Seigneur son Dieu (5). » Comprenez-vous le conseil, l’exhortation ? Cette félicité dont il parle, comprend tous les biens et montre l’espérance pleine de sécurité. Après avoir attesté le bonheur de celui qui espère en Dieu, il exprime ensuite la puissance de Celui qui est le véritable secours ; l’autre était un homme, il s’agit maintenant de Dieu ; l’autre meurt, Dieu dure ; et non seulement Dieu dure, mais ses œuvres avec lui. Et voilà pourquoi le Psalmiste ajoute : « Qui a fait le ciel, et la terre, et la mer, et toutes les choses qu’ils contiennent (6). »
2. Que si ses œuvres sont éternelles, à bien plus forte raison, est-il lui-même éternel et tout-puissant. Ce qui le prouve, ce sont ses œuvres, qui révèlent sa force. Mais maintenant supposons qu’il est éternel et puissant, mais qu’il n’ait pas la volonté. Grand nombre d’insensés tiennent ce langage ; mais voyez comme le Psalmiste extermine ce soupçon. Après avoir dit : « Qui a fait le ciel, et la terre, et la mer, et toutes les choses qu’ils contiennent », il ajoute : « Qui garde à travers les siècles la vérité, qui fait justice à ceux « qui souffrent la justice (7). » Ce qui revient à dire : l’ouvrage ordinaire de Dieu, son habitude, ce qui le distingue au plus haut point, c’est de ne pas négliger ceux qui souffrent de l’injustice ; c’est de faire attention à ceux qu’on outrage, c’est de tendre la main à ceux qu’on persécute, et cela, continuellement. Aussi le Psalmiste dit-il : « A travers les siècles », pour montrer qu’il en est ainsi, et ce n’est pas seulement cette expression qui le montre, mais encore la suite : « Qui donne la nourriture à a ceux qui ont faim ; le Seigneur délie ceux qui sont enchaînés, le Seigneur éclaire ceux qui sont aveugles. » Un autre texte : « Le Seigneur illumine. Le Seigneur relève ceux qui sont brisés, le Seigneur chérit les justes, le Seigneur garde les étrangers, il prendra en sa protection l’orphelin et la veuve, et il détruira les voies des pécheurs (8, 9). » Voyez-vous comme il montre que la divine Providence s’exerce de toutes les manières ; qu’elle s’occupe de délivrer des malheurs, d’apporter un remède à la faim, de faire tomber les chaînes ? ce que peuvent en partie les hommes, mais pour ce qui suit, il n’en est pas de même. En effet, Dieu corrige ce que la nature a de vicieux ; il relève ceux qui sont tombés, il célèbre les hommes vertueux ; ceux qui n’ont pas de protecteur, il les conserve, les orphelins et les veuves dans l’affliction, il les console, il les ranime. Ensuite, comme le Psalmiste a dit : « Dieu chérit les justes, » il montre aussi le Seigneur secourable à un grand nombre, uniquement parce qu’ils sont malheureux. En effet ceux qu’il nourrit, il les nourrit parce qu’ils ont faim, non pas parce qu’ils sont vertueux ; ceux qui sont enchaînés, il les délivre, non pas parce qu’ils sont vertueux, mais parce qu’ils sont dans l’affliction, les aveugles, il les illumine, parce qu’ils sont aveugles ; il n’a pas égard à leurs bonnes œuvres, mais à leur affliction. De même encore pour celui qui est brisé, pour le voyageur, pour l’orphelin, pour la veuve. S’il est secourable pour ceux qui souffrent, a bien plus forte raison, l’est-il pour ceux qui cherchent la vertu ? Eh bien ! donc, puisqu’il a le pouvoir et la volonté, puisqu’en lui tout est durable, puisqu’il accueille la vertu, puisque les souffrances attirent sa compassion, pourquoi ne pas négliger l’être périssable, l’être faible, l’être soumis à la mort et chercher votre refuge auprès de Celui qui est fort, (lui est invincible, qui ne reproche pas à l’infortuné son malheur, mais lui porte secours et peut tout ce qu’il veut ? Et maintenant, considérez le soin avec lequel le Psalmiste choisit ses dernières paroles. Il ne dit pas : Dieu détruira les pécheurs, mais : « Les voies des « pécheurs », c’est-à-dire leurs actions. Car Dieu n’a pas d’aversion pour les hommes pécheurs, c’est le péché qu’il poursuit de sa haine. « Le Seigneur régnera dans tous les siècles ; votre Dieu, ô Sion, régnera dans toutes les générations (10). » Qu’il règne sans interruption, qu’il règne éternellement, c’est ce qui est incontestable. Et s’il n’accorde pas ici même la rémunération, c’est qu’il la garde pour la rendre plus magnifique. Donc, ne nous troublons pas clans les tentations, si nous ne voyons pas venir promptement la délivrance. Remettons-nous sur le Seigneur du soin de nous affranchir, quand l’heure sera venue. Si nous faisons quelque bien, ne réclamons pas aussitôt notre récompense ; sachons, ici encore, attendre la volonté de Dieu ; quand il diffère, c’est pour accorder une récompense plus glorieuse, et, en toutes circonstances, bénissons le Seigneur et ne cessons jamais d’exalter ses louanges. C’est ainsi que nous passerons la vie présente dans une parfaite sécurité et que nous obtiendrons les biens ineffables, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, ainsi qu’au Père qui n’a pas eu de commencement, ainsi qu’à l’Esprit vivifiant, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLVI.

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1. « LOUEZ LE SEIGNEUR, PARCE QU’IL EST BON DE LE LOUER. »

ANALYSE.

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  • 1. C’est le propre de Dieu de consoler ceux qui sont dans l’affliction.
  • 2. Que la providence de Dieu est immense comme lui.


1. Plus haut, dans le psaume cent quarante-quatre, le Psalmiste dit : « Le Seigneur est grand et infiniment digne de louanges (Ps. 144,3) », et il s’étend sur sa gloire. Ici, maintenant, il montre que c’est un bien même de le louer et que la louange produit des biens sans nombre. En effet, elle éloigne la pensée de la terre, elle redresse l’âme et l’élève, elle rend l’âme moins pesante, elle transporte l’esprit dans le ciel. Aussi Paul disait : « Chantant et psalmodiant du fond de vos cœurs à la gloire du Seigneur. » (Eph. 5,19) « Que la louange que l’on donne à notre Dieu, lui soit agréable ! » Un autre texte : « Alleluia ! car c’est un bien que le chant qui s’élève à Dieu. » Que signifie : « Que la louange que l’on donne à notre Dieu, lui soit agréable ? » Cela veut dire, qu’elle soit acceptée de lui. En effet, il ne suffit pas de chanter pour que la louange soit agréable à Dieu, il faut joindre aux chants la conduite, la prière, l’attention de l’esprit. Pour moi, je crois que ce psaume a pour sujet le retour des Juifs. Le Psalmiste le montre par ce qu’il ajoute en disant : « C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem et qui ressemblera tous les enfants d’Israël qui sont dispersés (2). » En effet, quoique ce soit Cyrus qui les ait renvoyés, ce n’est pas la volonté de Cyrus, c’est le pouvoir de Dieu qui seul a tout fait. Un autre interprète, au lieu de : « Qui bâtit », dit : « Qui bâtira. » Quant à : « Tous les enfants d’Israël qui sont dispersés », il remplace cette expression par « Expulsés. » Pourquoi ? C’est que tous n’ont pas été ramenés en même temps, mais, après le retour, peu à peu ils ont été réunis.
« Qui guérit ceux dont le cœur est brisé « et qui bande leurs plaies (3). » Un autre « texte : Leurs fractures. » Il ne fonde pas sa confiance sur sa conduite ; il parle encore de son malheur, et il rappelle la conduite ordinaire de Dieu. C’est en effet l’œuvre de Dieu, de consoler ceux qui sont abattus. De même, quand Paul disait : « Qui vivifie les morts ; » et encore : « Qui appelle ce qui n’est point, comme ce qui est (Rom. 4,47) », il racontait l’œuvre ordinaire du Seigneur. De même ici encore : « Qui guérit ceux dont le cœur est brisé », c’est pour montrer que, quelle que soit notre indignité, nous sommes l’ouvrage de Dieu, qui n’abandonnera pas ce qu’il a fait ; Dieu ne se départira pas de son habitude. C’est encore ainsi que Paul disait : « Mais Celui qui console les humbles, nous a consolés. » (2Cor. 7,6) Autre texte : « Celui qui donne la patience à ceux qui ont l’esprit humble. » (Is. 57,15) Mais voyez le Psalmiste lui-même dans un autre passage : « Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié. » (Ps. 50,19) Si vous voulez être consolés, rendez-vous humbles, faites-vous un cœur contrit. Donc il est question jusqu’ici de la volonté de Dieu, de sa bonté et de sa clémence ; il est bien entendu que c’est son œuvre propre que de consoler les malheureux. Pour ce qui suit, il s’agit de la puissance : « Qui compte les multitudes des étoiles (4) », c’est-à-dire qui les connaît. En effet, comme il s’agissait d’une multitude dispersée, et qui alors n’apparaissait nulle part, il était convenable de produire cet exemple pour montrer que Dieu peut rassembler, même ce qui est le plus dispersé. Il redresse, il console les cœurs contrits et il connaît exactement les multitudes innombrables des astres. Donc nous aussi, qui devons, selon ses promesses, égaler les astres en nombre, il nous ramènera tous. « Qui les appelle toutes par leurs noms. » Un autre texte « Appelant tous par leurs noms. » Un autre, texte : « Il les appellera, eux tous, par leurs noms. » Je pense que ceci s’applique aux Israélites, et que le Prophète exprime la même pensée qu’Isaïe plus tard : « Ne craignez point, Israël, je vous ai appelé des extrémités de la terre, et j’ai dit : Vous êtes mon fils. » (Isaïe 41,9) Que signifie, « Il les appellera eux tous par leurs noms ? » Aucun d’eux, dit-il, ne périra ; comme ceux qui appellent en prononçant les noms, ainsi fera Dieu, qui les ramènera tous. « Notre Seigneur est vraiment grand, et sa vertu est grande (5). » Comme il vient d’énoncer une très-grande merveille, que Dieu réunira tant de milliers d’hommes dispersés par toute la terre, il parle ensuite de sa puissance, afin d’amener à la foi les Juifs profondément troublés. « Et sa sagesse n’a point de bornes. » Ne demandez pas comment, ni par quel moyen, car sa grandeur est infinie. Voilà pourquoi le Psalmiste dit ailleurs : « Et sa grandeur n’a point de bornes. » (Ps. 144,3) mais de même que sa grandeur est infinie, ainsi encore sa sagesse. Et voilà pourquoi, après avoir dit : « Notre Seigneur est grand », il ajoute, « et sa sagesse n’a point de bornes », bien plus sa science est admirable. Voilà pourquoi il disait : « Votre science est élevée d’une manière merveilleuse au-dessus de moi, elle me surpasse infiniment et je ne pourrai jamais y atteindre. » (Ps. 138,6) Et maintenant ses jugements ne peuvent être scrutés, voilà pourquoi il disait : « Vos jugements sont un abîme très-profond. » (Ps. 35,7)
2. Donc, puisque telle est sa grandeur, sa puissance, sa sagesse, bannissez l’indiscrétion qui demande comment cela arrivera-t-il. « Le Seigneur prend dans ses bras ceux qui sont doux, mais il abaisse les pécheurs jusqu’en terre (6). » Les insensés auraient pu dire Que nous importe sa connaissance parfaite de tous les astres ? C’est pour les prévenir que le Psalmiste ajoute donc le soin que Dieu prend des hommes. Et maintenant, il ne dit pas : le Seigneur porte secours à ceux qui sont doux, mais, ce qui est bien plus expressif : « Prend dans ses bras », comme s’il parlait d’un bon père. Que signifie maintenant : « Prend dans ses bras ? » ranime, porte, transporte. Voyezvous encore ici la plénitude de sa puissance, qui s’exerce de deux manières, c’est-à-dire qui élève les humbles, et qui abaisse les arrogants ? et non seulement il les abaisse, mais il les abaisse profondément, ce que marque cette expression, « jusqu’en terre. » « Chantez les louanges du Seigneur en le confessant (7). » Autre texte : « Énumérez. » Donc, après avoir dit les merveilles de Dieu, il invite de nouveau à le célébrer. « Chantez les louanges du Seigneur, en le confessant », c’est-à-dire, en lui rendant des actions de grâce avec un grand zèle. « Publiez avec la harpe la gloire de notre Dieu. » Un autre texte : « Avec la lyre. C’est lui qui couvre le ciel de nuées et qui prépare la pluie pour la terre (8) », De peur qu’un être dépourvu de sentiment n’aille dire ici : Et que me font à moi les choses célestes ? le Psalmiste s’est empressé d’ajouter ce qui concerne les besoins de l’homme ; il montre tout de suite pourquoi Dieu couvre le ciel de nuées. C’est pour toi, dit-il, pour te préparer la pluie ; et la pluie c’est pour toi, pour faire pousser les herbes à ton usage. Et maintenant, voyez la sagesse du Psalmiste ! Il a dit les biens accordés à tous en général et dont l’abondance est faite pour fermer la bouche à l’impie. Car si telle est la munificence de Dieu pour les infidèles, s’il rassemble pour eux les nuées, s’il verse la pluie, s’il active la fertilité de la terre ; à bien plus forte raison fera-t-il de même pour vous qui vous appelez son peuple.
« Qui produit l’herbe sur les montagnes. » Voyez la grandeur de la Providence ! Ce n’est pas seulement dans les terres labourées, mais sur les montagnes, que la table est richement servie pour les bêtes de somme, qui ont été créées, afin de nous servir. Et le Psalmiste ajoute : « Qui donne aux bêtes la nourriture qui leur est propre et nourrit les petits des corbeaux qui invoquent son secours (9). » Il exprime ici un autre caractère de cette munificence, qui ne nourrit pas seulement les bêtes de somme au service de l’homme, mais de plus les autres animaux. « Les petits des corbeaux », dit-il, « qui invoquent son secours. » Eh bien ! si les bêtes, les bêtes sauvages, celles qui rendent le moins de services à l’homme, sont l’objet d’une si grande providence, à combien plus forte raison, cette providence s’occupera-t-elle des hommes, des hommes qui la célèbrent par des hymnes et des cantiques de louanges ! Ajoutez encore des hommes que Dieu a appelés son peuple particulier et sa portion. Ce n’est pas tout, les Israélites étaient faibles, sans armes, dépouillés de tout ; pour prévenir le trouble de leurs esprits, voyez le Psalmiste, quel soin il prend de corriger leur faiblesse ; écoutez ses paroles : « Il n’aime point qu’on se fie à la force du cheval, ni que l’homme s’assure sur la force de ses jambes. Le Seigneur met son plaisir en ceux qui le craignent et en ceux qui espèrent en sa miséricorde (10, 11). » Un autre texte : « Qui attendent sa miséricorde. » Si telles sont, dit-il, vos dispositions, la crainte, la parfaite espérance en lui, vous vous attirerez sa bienveillance, et, quand vous l’aurez conquise, vous serez plus forts que tous ceux qui ont des chevaux et des armes. On ne demande donc de vous qu’une seule chose. Ne vous plaignez pas, ne vous troublez pas, mais attendez sa miséricorde. Car voilà surtout ce qui constitue l’espérance, attendre ce qu’on ne reçoit pas aussitôt, attendre avec confiance sans jamais se décourager. Et le Psalmiste a raison de dire : « En sa miséricorde », car les Israélites ne pouvaient pas se fier en leurs couvres ; et pourtant, dit-il, quoique les événements nous aient trahis, espérez en sa miséricorde, vous obtiendrez les effets de sa providence et son secours. Puissions-nous tous les ressentir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

EXPLICATION DU PSAUME CXLVII.

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1. « JÉRUSALEM, LOUE LE SEIGNEUR ; SION, LOUE TON DIEU. »

ANALYSE.

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  • 1. Dieu ne protège pas seulement son peuple, c’est encore lui qui le nourrit. C’est ce que signifie : Et adipe frumenti satiat te. Sa Providence s’étend sur toute la nature : Velociter currit sermo ejus.
  • 2. Dieu, qui a fait tout, transforme tout.
  • 3. Les hommes n’ont jamais été sans loi ; avant que la loi positive leur eût été donnée, ils avaient la loi naturelle, selon laquelle seront uniquement jugés ceux qui n’en ont pas connu d’autre.
  • 4. Le présent psaume peut aussi s’interpréter anagogiquement, et dès lors la Jérusalem que Dieu protège, c’est l’Église, qui, toujours combattue, grandit toujours et grandira jusqu’à la fin des temps.


1. Ce n’est pas à la ville, c’est aux habitants qu’il s’adresse, et ce qu’il fait dans tous les psaumes, il le fait encore ici ; il ne se lasse pas de les exhorter, de les porter par ses conseils à offrir à Dieu, pour les bienfaits qu’ils en ont reçus, leurs actions de grâces ; à mettre leur confiance, non dans leurs édifices, non dans la solidité de leurs remparts, mais dans sa providence. Une fois ce point établi, il ajoute : « Car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants, au milieu de toi (2). » Que signifie, « Il a fortifié les serrures ? » c’est-à-dire, il t’a mise en sûreté, il t’a rendue inexpugnable. « Il a béni tes enfants ; » c’est-à-dire il l’a fait grandir, de manière à devenir une multitude. Distinguons ce bienfait, de cet autre bienfait : « Au milieu de toi ; » ce qui veut dire, il n’a pas béni des enfants dispersés, séparés les uns des autres, mais il les a réunis, et, au milieu de toi, il en a augmenté le nombre. Le Psalmiste donne ensuite une autre preuve de la Providence : « Il établit la paix sur tes frontières (3). » En effet, on peut être en sûreté, on peut être un grand peuple, et cependant souffrir de la guerre ; mais le Psalmiste montre que les Israélites sont aussi à l’abri de ce malheur. Et non seulement leur cité n’a pas à craindre les attaques de l’ennemi, mais leurs frontières mêmes sont en sûreté. Voyez-vous que de bienfaits il énumère ! Le premier bienfait, sans contredit, le plus grand de tous, c’est ce qu’il exprime ainsi : « Ton Dieu. » Ce mot seul révèle tous les bienfaits du Seigneur. Dieu a fait de toi son ami, son héritier ; le Seigneur commun de tous les êtres, est particulièrement ton Seigneur, à toi ; ce qui est certes la source de tous les biens ; second bienfait : il a mis la ville en sûreté ; troisième bienfait : il a multiplié le peuple ; quatrième bienfait : il a mis à l’abri, et des guerres et des tumultes, non seulement la ville, mais la nation tout entière. Et cela, il ne l’a pas fait une fois, deux fois, trois fois, mais il l’a fait sans interruption. Car, le Psalmiste ne dit pas, il a établi, mais, « Il établit. » Si parfois des guerres sont survenues, ce n’est pas que Dieu les abandonnât, mais c’est qu’eux-mêmes se séparaient de lui ; car, son occupation non interrompue, c’est de fortifier son peuple, de le mettre en sûreté, à l’abri, affranchi de toute guerre et de tout tumulte.
Le Psalmiste ajoute encore un autre bienfait : La grande fertilité de l’année, l’abondance des fruits ; il veut encore leur montrer que celte abondance ne doit être attribuée ni à la terre, ni à l’air, mais à la providence de Dieu. Comment s’exerce cette providence ? Il le dit aussitôt : « Il te rassasie du meilleur froment. » Voyez : il ne dit pas seulement, de froment, mais : « Du meilleur froment », pour montrer combien est grande la prospérité. « Le meilleur froment » signifie, ce qu’il y a, dans le fruit, de plus délicat et de plus nourrissant ; tels sont en effet les dons de Dieu, fortifiants et délicats. Donc, Dieu répand sur eux, de la manière la plus magnifique, le meilleur froment ; pour montrer cette magnificence, le Psalmiste ne dit pas, il te donne, mais : « Il te rassasie. Il envoie sa parole à la terre (4). » L’habitude du Psalmiste est de passer du particulier au général, et de revenir du général au particulier ; ce qu’il fait encore ici. Car, à propos de cette parole. « Loue ton Dieu », un insensé aurait pu croire que ce Dieu était seulement le Dieu des Juifs ; le Psalmiste montre comment c’est le Dieu de la terre entière ; comment sa providence s’étend sur tout l’univers, et il laisse le particulier pour ce qui s’applique à tout, pour la providence étendue sur tous en général. Aussi, après avoir dit : « Il envoie sa parole à la terre », le Palmiste ajoute, « Et cette parole court avec vitesse. » Ce qu’il dit, c’est pour montrer que Dieu s’inquiète non seulement de notre pays, mais de la terre entière. Quant au mot « parole », il signifie l’ordre, l’opération par laquelle Dieu pourvoit. Et maintenant pour montrer la facilité, la promptitude de l’action divine, le mot parole ne suffisant pas, l’auteur dit que la parole court, et ce n’est pas encore assez pour lui ; aussitôt il ajoute, avec vitesse. Ce qui revient à dire : Quel que soit l’ordre de Dieu, il s’accomplit avec la plus grande rapidité. C’est à la terre entière qu’il commande, et maintenant, que commande-t-il ? ce qui est nécessaire, pour que nous puissions vivre ; ce qui se rapporte à la nature de l’air, aux changements et aux vicissitudes des saisons, et voilà pourquoi le texte ajoute : « Il envoie la neige, comme de la laine ; la gelée blanche, comme de la cendre (5). » Un autre texte : « Le givre ; » l’hébreu porte « chephor » qui veut dire, pluie fine ou brouillard, et « choepher » qui veut dire rosée condensée. « Il envoie sa glace, divisée en une infinité de parties. « Qui pourra soutenir la rigueur de son froid (6) ? » Un autre texte : « Qui pourra soutenir sa chaleur ? Il enverra sa parole et il fera fondre toutes ces glaces ; son esprit soufflera et les eaux couleront (7). » Il s’agit de cette puissance infinie qui produit ce qui n’est pas ; transforme les créatures, et les façonne comme il lui plaît.
2. C’est ce qu’exprimait aussi un autre prophète, en disant : « Qui fait toutes choses, et les transforme. » (Amo. 5,8) La nature a des bornes invariables ; cependant quand Dieu commande, ces bornes disparaissent. Toutes choses en effet se plient à sa volonté. Quelquefois il change les substances ; d’autres fois, les substances persistent, mais il les fait servir à d’autres fins. Il laisse sommeiller en elles la vertu qui leur est propre, et il leur donne une vertu contraire ; ce qu’il a fait à propos de la fournaise. II y avait là du feu qui ne brûlait pas, et ceux qui étaient jetés dans la fournaise, y sentaient la rosée la plus agréable. Les Juifs traversaient la mer, et les flots ne les engloutissaient pas, et le peuple trouvait un sol plus résistant que la pierre. Dathan et Abiron sentaient bien la terre sous leurs pieds ; cette terre toutefois ne les supporta pas, et les engloutit plus vite que la mer. La verge d’Aaron était du bois sec, et elle porta un plus beau fruit que les arbres plantés en pleine terre. L’ânesse de Balaam était, de tous les animaux, le plus stupide, et cependant, frappée par Balaain, elle se défendit aussi bien que l’homme le plus sage. Quand Daniel fut jeté dans la fosse, il y avait des lions, qui montrèrent la douceur des brebis ; leur nature ne fut pas détruite, mais leurs œuvres furent changées. On peut voir bien d’autres merveilles, même dans les êtres inanimés. Ces prodiges, qui se répètent chaque année, qui tombent sous nos yeux, ne sont pas pour cela moins dignes d’admiration. Considérez, en effet, ce prodige de la neige qui bientôt devient de l’eau, et subit, en si peu d’instants, de si grandes transformations. Il ne faut pas perdre le sens des choses au point d’attribuer ces changements à l’action naturelle des éléments, au point de les considérer comme s’ils en étaient uniquement les causes. Voilà pourquoi le Psalmiste montre ici avec tant de soin quel est Celui qui commande, et la puissance de son commandement. « Il enverra sa parole et il fera fondre toutes ces glaces. » Sa parole, veut dire son ordre ; ce n’est pas la force des vents qui opère ces effets, mais Dieu, Dieu qui a fait les vents. Et maintenant si le Psalmiste a parlé des éléments, des changements qui s’accomplissent dans les éléments, c’est pour faire comprendre aux Juifs, épais et stupides, la puissance de Dieu ; il la leur fait voir par les œuvres qui se répètent chaque année ; il leur montre qu’il est facile à Dieu de faire, des choses, ce qui lui plaît ; de changer les contraires en leurs contraires. De même, en effet, que si la tempête, que si le froid glacial est insupportable, il est facile à Dieu de ramener la sérénité qui fond toutes les glaces ; de même, quand les Juifs étaient emmenés en servitude, tourmentés par leurs ennemis, il lui était facile de leur rendre la paix, leur patrie, leur première prospérité. Le Psalmiste ne se contente pas de ces pensées ; il en est une autre qu’il insinue ; quelle est-elle ? De même que ces intempéries, quoique incommodes, ont souvent leur utilité ; de même les malheurs qui frappèrent les Juifs, leur furent utiles, et eurent pour eux de grands avantages. Toutefois, pour ne pas les fatiguer, le Psalmiste leur parle d’un changement plus agréable. Mais que signifient ces exemples ? Il ne dit pas seulement, « Il envoie la neige », mais il ajoute, « Comme de la laine ; » ni, « la gelée blanche », mais il ajoute, « Comme de la cendre ; » ni, « Il envoie sa glace », mais il ajoute, « Divisée en une infinité de parties. » Il me semble avoir voulu signifier, par là, combien tout est facile pour Dieu, et se fait vite. « Il annonce sa parole à Jacob (8). » Autre texte : « Ses statuts ; » autre texte : « Ses ordres. Ses jugements et ses ordonnances à Israël ; il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations ; » un autre texte ; « Semblablement. Et il ne leur a point manifesté ses jugements. » Voyez comme, ici encore, il passe du général au particulier, à ce qui était le plus important chez les Juifs, parce qu’il veut ranimer leur ardeur. Au commencement du psaume, il a parlé des choses sensibles, utiles au corps, de la sûreté, de la fertilité de l’année, de la paix ; mais ici maintenant il élève son discours à de plus hautes pensées ; il leur parle de la loi qui leur a été donnée, ce qui est le plus grand bienfait, pour les écarter du vice, les conduire à la vertu, éclairer leur âme. Aussi Moïse, reprenant cette pensée en tout sens, disait : « Quel peuple est semblable à ce peuple ? Quelle grande nation a un Dieu aussi près d’elle, comme le Seigneur notre Dieu est près de nous, présent à toutes nos prières ? » (Deut. 4,7) Et David encore : « Le Seigneur fait ressentir les effets de sa miséricorde, et il fait justice à tous ceux qui souffrent la violence. Il a fait connaître ses voies à Moïse, et ses volontés aux enfants d’Israël. » (Ps. 102,6-7) Et Jérémie[29] : « C’est notre Dieu, aucun autre que lui ne sera regardé comme Dieu ; il a trouvé toutes les voies de la science, et il les a montrées à Jacob son fils, et à Israël son bien-aimé. »
Mais, peut-être objectera-t-on, puisqu’il n’a rien révélé aux autres hommes, comment peut-il les punir ? Que le Seigneur punisse, et ceux qui ont existé avant la loi, et les pécheurs répandus par tout l’univers, c’est ce que manifestent les paroles du Christ : « La reine du midi s’élèvera et condamnera cette génération ; » et encore : « Les Ninivites s’élèveront, et condamneront cette génération. » (Mt. 12,42-41) Le sens de ces paroles, c’est que ces anciens hommes aussi doivent rendre compte de manière à mériter les uns, la gloire, les autres, les châtiments. – Et maintenant, si on ne leur avait pas montré la conduite qu’ils devaient tenir, comment leurs juges peuvent-ils les condamner ? Comment l’Écriture dit-elle encore : « Le sang répandu sera vengé par le sang. Depuis le sang du juste Abel, jusqu’au sang de Zacharie ? « (Mt. 23,35) Comment dit-elle encore : « Au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement ? » (Mt. 11,24) Cette expression « moins rigoureusement » ne montre pas qu’il n’y aura aucun supplice, mais que le supplice ne sera pas aussi rigoureux, que les fautes l’exigeaient. Si les coupables qui ont été punis, ont encore à rendre un compte si sévère, parmi les autres, qui évitera le châtiment ?
3. Eh bien ! maintenant, nous pouvons voir au nombre de ceux que les châtiments attendent, ceux qui ont été punis par le déluge, et beaucoup d’autres, et Caïn lui-même ; Paul aussi exprime cette pensée, par ces paroles : « On y découvre aussi la colère de Dieu, qui éclatera du ciel contre tonte l’impiété et l’injustice des hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans l’injustice ; parce qu’ils ont connu ce qui peut se découvrir de Dieu, Dieu même le leur ayant fait connaître. Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, par la connaissance que ses créatures nous en donnent. Sa puissance éternelle et sa divinité brillent de manière à ôter toute excuse. » (Rom. 1,18, 20) Il parle ensuite de leur vie de manière à montrer qu’ils auront des comptes à rendre ; c’est ainsi qu’il dit ; « Et après avoir connu la justice de Dieu, ils n’ont pas compris que ceux qui font ces choses, méritent la mort ; et non seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font. Vous donc qui condamnez, ceux qui les commettent, et qui les commettez vous-mêmes, pensez-vous pouvoir éviter la condamnation de Dieu ? Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience, et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence ? Et cependant, par votre dureté, et par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colères, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra, à chacun, selon ses œuvres ; en donnant la vie éternelle à ceux qui, par leur persévérance dans les bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité ; et, répandant sa fureur et sa colère sur ceux qui ont l’esprit contentieux, et qui ne se rendent point à la vérité, mais qui embrassent l’iniquité. L’affliction et le désespoir accableront l’âme de tout « homme qui fait le mal, du juif première ment, et puis du gentil. » (Rom. 1,32 ; 2, 3,9)
Vous voyez, par tous ces textes que tous les hommes sans exception, même avant la loi, sont punis de leurs péchés ; que tous ceux qui ont pratiqué la vertu, et se sont abstenus de l’impiété, jouissent des biens du Seigneur. Comment donc châtiments ou récompenses sont-ils possibles, si les hommes ne savaient pas la conduite qu’ils devaient tenir ? Et maintenant, m’objecte-t-on, si les hommes connaissaient la conduite qu’ils devaient tenir, comment l’Écriture dit-elle : « Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses jugements ? » Écoutez ce qui est écrit, et ce que le texte signifie : le Seigneur n’a donné de loi écrite à aucun autre peuple ; tous, en effet, avaient la loi naturelle, qui détermine ce qui, est bien, ce qui est mal. Car lorsque Dieu fit l’homme, il mit aussitôt en lui ce tribunal incorruptible, la conscience qui, dans chaque homme, porte ses jugements ; quant aux Juifs, il leur accorda le privilège de connaître, par le moyen de paroles écrites, les prescriptions de la loi. Aussi, le Psalmiste ne dit pas : Il n’a rien fait pour aucune autre nation, mais, « il n’a point traité de la sorte », c’est-à-dire, il n’a donné aux autres nations, ni des tables ni des écrits, ni un Moïse législateur, ni tout ce qu’on a vu sur le Sinaï ; les Juifs seuls, par un privilège unique, ont joui de tout ce surcroît de secours ; mais la nature humaine, tous les hommes, sans exception, avaient la loi suffisante de la conscience. Ce que Paul, à son tour, exprimait ainsi : « Lors donc que les Gentils, qui n’ont, point la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi. » (Rom. 2,14) Et voilà pourquoi les Juifs méritent une condamnation plus sévère ; avec ta loi naturelle, ils ont reçu la loi écrite, et ils se sont souillés de tous les crimes, de sorte que l’excès même de la bienveillance de Dieu est, pour eux, l’occasion d’une condamnation plus rigoureuse, parce qu’ils y ont répondu parleur négligence. En ce qui concerne le sens littéral du psaume, il suffit de l’explication que nous cri avons donnée. Si maintenant on désire que nous interprétions, dans le sens anagogique, nous ne refuserons pas de marcher dans cette voie, sans faire violence à l’histoire, loin de nous d’y penser, mais en nous servant de l’histoire pour offrir cet enseignement aux plus studieux, autant que possible. « Jérusalem, loue le Seigneur ; Sion, loue ton Dieu. » Paul entend par là, la Jérusalem céleste, de laquelle il dit : « La Jérusalem d’en haut est vraiment libre, et c’est elle qui est notre mère. » (Gal. 4,26) De même que Sion représente pour lui l’Église quand il dit : « Vous ne vous êtes pas approchés d’une montagne sensible, d’un feu brûlant, d’un nuage obscur et ténébreux, des tempêtes ; mais vous vous êtes approchés de la ville de Sion, de l’Église des premiers-nés, qui sont écrits dans le ciel. » (Héb. 12,18, 22, 23) C’est donc ainsi que l’on peut dira par anagogie : « Jérusalem, loue le Seigneur ; Sion, loue ton Dieu. Car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants au milieu de toi. » Il l’a fortifiée, en effet d’une manière plus solide que Jérusalem ; il n’y a pas mis des verrous et des portes ; rempart c’est la croix, c’est la déclaration qu’il a faite du pouvoir qui lui est propre, par lequel il a partout élevé son enceinte, quand il a dit « Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. » (Mt. 16,18)
4. Aussi, dans le principe, empereurs et rois, tous, peuples et cités, les armées des anges déchus, toute la puissance du démon assaillirent l’Église de mille manières ; cependant tous ces efforts ont été déjoués ; tous ces ennemis, réduits au néant ; l’Église, au contraire, a grandi et s’est élevé si haut que sa tête domine au-dessus des cieux. « Il a béni tes enfants, au milieu de toi. » De même qu’aux premiers jours du monde, Dieu avait dit : « Croissez, et multipliez, et remplissez la terre (Gen. 1,28) », et la terre entière a entendu cette parole ; de même, plus tard : « Allez et instruisez toutes les nations (Mt. 28,19) ; » et : « Cet évangile sera prêché dans le monde entier (Mt. 26,13) ; » et il est arrivé que les extrémités de la terre, en un instant, ont été envahies par le commandement du Seigneur ; voilà pourquoi le Seigneur même disait : « Si le grain de froment ne meurt pas après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort il porte beaucoup de fruits ; » et plus loin « Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tout à moi. » (Jn. 12,21, 32) Et aux premiers jours du monde, un grand nombre d’hommes sont sortis d’un seul, la multitude s’est accrue d’après la loi de la nature, de là vient que les progrès ont été lents ; mais, au temps des apôtres, ce n’est pas par la loi de la nature, c’est par la grâce que la multitude a grandi, et voilà pourquoi, d’un seul coup, en un seul jour, trois mille bientôt, et bientôt cinq mille hommes, et bientôt des multitudes innombrables, et bientôt l’univers tout entier s’est transformé, régénération magnifique ; la foule s’est accrue et multipliée, et a témoigné, par la réalité même des choses, de la bénédiction qu’elle avait reçue. « Ces hommes-là, en effet, ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair. » (Jn. 1,13) C’est la grâce de Dieu qui les a fait naître : « Il établit la paix sur tes frontières (3). » Ce qui s’applique, avec une admirable propriété, à l’Église, car, ce qu’on ne peut trop admirer, c’est qu’au sein de la guerre, elle jouissait de la paix ; quand les ennemis l’entouraient de toutes parts, elle jouissait de toutes les délices de la sécurité parfaite. Aussi le Seigneur dit-il lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. » (Jn. 14,27) « Et il te rassasie du meilleur froment. » Ce qui peut se prendre aussi pour l’aliment spirituel de l’Église, car l’Église nous donne le pain de la vie. « Il envoie sa parole à la terre et cette parole court avec vitesse (1). » Quelle est cette parole, répondez-moi, je vous en prie ? Celle qui, portée par les apôtres, a pris partout son essor, plus rapide que l’oiseau, ce que David exprime dans un autre passage, en disant : « Le Seigneur remplira de sa parole les hérauts de sa gloire, afin qu’ils l’annoncent avec une grande force. » (Ps. 67,12) A l’insensé qui douterait ici, les éléments doivent suffire, pour démontrer la vérité. Comment la neige tombe-t-elle, en si grande quantité, et si subitement, de manière à couvrir, en un instant, toute la terre ? et il ne faut pas de longues heures pour due la surface envahie soit tout entière couverte. Le Psalmiste était un prophète ; il convenait qu’il prédit l’avenir et en même temps qu’il s’exprimât par des figures, et il devait développer les images que fournissent tes éléments. Or, ce qu’il dit revient à ceci : Il arrivera que la terre entière sera fortifiée par la parole de Dieu, et rapidement, et dans un instant bien court. Ensuite, pour prévenir les doutes qui pouvaient résulter de ce que les Juifs, si longtemps l’objet d’une providence si attentive, y ont répondu par des égarements si coupables ; pour prévenir cette objection : comment les habitants dispersés à la surface de l’univers pourront-ils, en un temps si court, se réunir dans la vertu, dans la conformité de la modération et de la sagesse ? Comme confirmation de la vérité qu’il démontre, le Psalmiste emprunte ses exemples aux éléments, à la neige, au brouillard, à la glace qui se forme en un instant. Ne refusez donc pas votre foi, quelle que soit la mobilité de l’esprit des Juifs. Mais les contradicteurs sont nombreux ! Eh bien ! eux aussi, ils disparaîtront, ils se soumettront. Le froid facile à supporter devient plus vif, et personne n’y résiste, et tous se retirent et cèdent la place ; à bien plus forte raison, cèdent à la parole, et au commandement du Seigneur, toutes les résistances qui la combattent ; car il peut changer les substances, mettre au jour ce qui n’existe pas et fortifier ce qui existe par lui, au point de faire de ses créatures des puissances auxquelles rien ne résiste. « Il annonce sa parole à. ses jugements et ses ordonnances à Israël (8). » Il faut encore ici entendre ce Jacob dans le sens spirituel, et Israël c’est celui que Paul a reconnu en disant : « Paix à vous et à l’Israël de Dieu ! » (Gal. 6,16) A lui la gloire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLVIII.

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1. « LOUEZ LE SEIGNEUR, O VOUS QUI ÊTES DANS LES CIEUX, LOUEZ-LE DANS LES PLUS HAUTS LIEUX, LOUEZ-LE, VOUS TOUS QUI ÊTES SES ANGES. »

ANALYSE.

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  • 1. Le Psalmiste invite tout l’univers à ! oser le Seigneur, il invite l’un et l’autre monde, celui d’en haut et celui d’en bas, le monde sensible comme le monde intelligible ; donc, il n’y a qu’un seul et même Créateur pour tous les êtres, soit spirituels, soit matériels : conclusion qui condamne le manichéisme. Toute créature loue Dieu à sa manière.
  • 2 et 3. Ipse dixit et facta sunt : ipse mandavit et creata sunt. Dans ces paroles, saint Chrysostome trouve l’affirmation de ces quatre vérités, que Dieu a créé ce qui existe, qu’il l’a créé en le tirant du néant, qu’il l’a créé sans peine, et qu’il régit et gouverne ce qu’il a créé.
  • 4. Toutes les créatures ont leur utilité, même les serpents et les scorpions. L’homme sage tire son profit de tout ce qui existe.
  • 5. Il vaut encore mieux avoir de mauvais magistrats que de n’en pas avoir du tout.


1. C’est l’habitude des saints, lorsque dans le transport de leur reconnaissance, ils vont rendre à Dieu des actions de grâces, d’appeler, auprès d’eux, un grand nombre de fidèles pour partager ce devoir de bénédiction ; on les voit toujours exhortant les âmes à s’associer à ce culte si beau d’adoration et d’hommages. C’est ce que firent les trois enfants dans la fournaise. (Daniel, III) Ils invitèrent toutes créatures à bénir Dieu pour le bienfait qu’ils en avaient reçu ; à élever vers le Seigneur leurs cantiques et leurs hymnes. C’est ce que fait encore ici le Psalmiste, s’adressant aux deux mondes, à celui d’en haut, à celui d’en-bas, au monde sensible, au monde que l’esprit seul conçoit. C’est encore ce que fait le prophète Isaïe, quand il dit : « Cieux, louez le Seigneur ; terre, soyez dans l’allégresse, parce que le Seigneur a eu pitié de son peuple. » (Is. 49,13) C’est ce que fait aussi le Psalmiste lui-même, quand il dit : « Lorsque Israël sortit de l’Égypte, et la maison de du milieu d’un peuple barbare, les montagnes sautèrent comme des béliers, et les collines comme les agneaux des brebis. » (Ps. 113,1, 4) Ailleurs encore, Isaïe : « Cieux, que les nuées « fassent descendre le juste comme une pluie. » (Is. 45,8) Les hommes ne suffisent pas seuls à la tâche de louer, de célébrer Dieu, et alors ils vont partout, cherchant des compagnons de leurs hymnes. Quant au Psalmiste, c’est ce qu’il fait souvent, comme quand il dit : « Adorez-le, vous tous, qui êtes ses anges. » (Ps. XCXVI, 7) Et encore : « Vous tous qui êtes des puissantes, et qui accomplissez ses ordres. » (Ps. 102,20)
Et maintenant le Psalmiste se propose encore une autre pensée, quelle est-elle ? Qu’un insensé n’aille pas se figurer qu’il y a deux créateurs du monde. Les créatures sont diverses, les substances, différentes (sensibles, spirituelles, visibles, invisibles, corporelles, incorporelles) ; il ne faut lias, de la diversité des ouvrages, conclure à la diversité des ouvriers. Voilà pourquoi le Psalmiste institue un chœur unique, un seul chœur de toutes les créatures, offrant le cantique au même Dieu, voilà pourquoi il dit que le même Dieu doit être célébré par les créatures d’en haut, par les créatures du monde inférieur. Il montre par là, que c’est un seul et même ouvrier qui a fait les unes et les autres. Maintenant il commence par celles du monde supérieur et il dit : « Louez-le, vous tous qui êtes ses anges ; louez-le, vous tous qui êtes ses puissances. » Un autre texte : « Vous tous qui composez ses armées : » C’est-à-dire : chérubins, séraphins, dominations, principautés, puissances. C’est le propre d’une âme embrasée, c’est le propre d’un amour brûlant d’exciter tous les êtres à louer celui qu’on aime ; c’est le propre d’une âme qui trouve toujours un plaisir plein de charme dans la pensée de Dieu ; qui s’extasie devant sa gloire, et qui l’admire. « Soleil et lune, louez-le ; étoiles et lumières, louez-le toutes ensemble ; » un autre texte : « Étoiles de la lumière, louez-le, cieux des cieux, et que toutes les eaux, qui sont au-dessus des cieux, louent le nom du Seigneur ; car il a parlé, et toutes ces choses ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées. Il les a établies pour le siècle, et pour le siècle du siècle. » Un autre texte : « Il les a établies, pour subsister sans interruption. Il leur a prescrit ses ordres, qui ne manqueront point de s’accomplir (3, 4-6). » Pourquoi, après avoir dit quelques mots des puissances célestes, se précipite-t-il si vite loin du ciel, vers les êtres visibles ? pourquoi cette longue énumération, passant, un à un, en revue les objets visibles, et du ciel, et de la terre ? C’est que ces objets se manifestaient plus clairement aux auditeurs ; ils les voyaient, ils les avaient sous les yeux. Et voilà pourquoi Moïse aussi, commençant son histoire par la création, ne s’étend, ni beaucoup, ni peu, sur les créatures supérieures ; il commence par le ciel et par la terre ; il parle du soleil, de la lune, des plantes, des animaux qui nagent, des quadrupèdes, et finit par l’homme. Quant aux « cieux des cieux », dont parle ici le Psalmiste, il ne s’agit pas d’une multitude de cieux différents ; « le ciel du ciel » a le même sens. L’hébreu en effet dit d’ordinaire : « Le ciel du ciel ; » c’est ainsi qu’autre part encore le Psalmiste dit : « Le ciel du ciel appartient au Seigneur ; quant à la terre, il l’a donnée aux enfants des hommes. » (Ps. 113,7) « Et toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux. » Vous avez entendu Moïse dire aussi que le Seigneur, partageant les eaux, laissa les unes en bas, éleva les autres sur les voûtes célestes, établit le firmament au milieu de l’abîme, et permit aux eaux supérieures de couler comme sur le dos de ces voûtes.
Mais maintenant, dira-t-on, quelles louanges peuvent faire entendre des créatures, sans voix, sans langue, sans âme, sans raison, sans intelligence ; qui n’ont ni l’organe de la parole, ni la pensée ? Il y a deux manières, de glorifier : l’une par les paroles, l’autre par ce que soient les yeux. On peut même ajouter une troisième manière, par la conduite et par les œuvres. Car, ce ne sont pas seulement les paroles, le silence même de l’homme glorifie Dieu ; c’est ainsi que le Christ a dit : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes couvres et qu’ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux. » (Mt. 5,16) ; et ailleurs : « Ceux qui me glorifient, je les glorifierai. » (1Sa. 2,30) Il y a, sans doute la glorification par la langue, exemple Moïse, glorifiant Dieu avec Marie et disant : « Chantons des hymnes au Seigneur, parce qu’il a fait éclater sa gloire. » (Ex. 15,1) Il y a aussi la glorification qui résulte de la création même ; c’est encore le Psalmiste qui nous dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament publie les ouvrages de ses mains. » (Ps. 18,1) Ainsi la création même le loue par la beauté, par la position, la grandeur, la nature, l’usage, les services, la persistance, l’utilité ; donc lorsque le Psalmiste dit : Louez le Seigneur, anges, vertus, cieux, lune, soleil, étoiles, eaux, qui êtes au-dessus des cieux, il veut dire que toute créature manifeste la sagesse de l’ouvrier, fait éclater des merveilles ; ce que Moïse a exprimé rapidement au commencement de son récit. « Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites, et elles étaient très bonnes (Gen. 1,31) ; » tellement bonnes qu’elles glorifiaient l’ouvrier, et portaient le spectateur de ces œuvres à louer Celui qui les avait faites.
2. Voilà donc la louange qu’entend le Psalmiste, c’est la beauté des œuvres ; voilà ce qui provoque en l’honneur de l’ouvrier les hymnes de louanges. Ce que Paul exprime aussi, en disant : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, sa puissance éternelle et sa divinité. » (Rom. 1,20) Et le Psalmiste, après avoir parlé des créatures, et laissé au spectateur le soin de conclure, de l’aspect des choses visibles, la beauté, la grandeur et l’utilité des œuvres de Dieu, indique une autre raison de louanges. « Dieu a parlé, et toutes ces choses ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées. Il les a établies pour le siècle, et pour le siècle du siècle, il leur a prescrit ses ordres, qui ne manqueront point de s’accomplir. »
La beauté, la merveilleuse magnificence de ses couvres se manifestent suffisamment aux regards. Quant à cette vérité, qu’il y a un ouvrier qui les a faites ; qu’elles ne sont ni des effets du hasard, ni incréées, c’est ce que l’on peut déduire des paroles mêmes de l’Écriture. Je veux apprendre à celui qui doute, qu’il y a, de ces œuvres un créateur, un ouvrier, prévoyant, plein de sollicitude. L’Écriture en effet pose ici deux vérités, ou plutôt trois ; et, si l’on examine le texte avec attention on verra même qu’il y en a quatre, à savoir : que l’ouvrier a créé, et a créé du néant, et a créé facilement, et que ce qu’il fait exister, il le gouverne. En effet, cette expression, « il a parlé » montre la facilité de l’œuvre ; c’est ainsi que Paul disait : « Qui vivifie les morts, et qui appelle ce qui n’est, point, comme ce qui est. » (Rom. 4,17) Ce mot « appelle » c’est pour montrer la facilité. Quant à ce fait, que Dieu gouverne ce qu’il fait exister, le Prophète l’indique encore par ces paroles : « Il les a établies pour le siècle, et pour le siècle du siècle. Il leur a prescrit ses ordres, qui ne manqueront point de s’accomplir. » Voyez comme, ici encore, il nous montre la puissance, l’autorité, non seulement par ce que l’ouvrier a établi, mais aussi, parce qu’il a prescrit ses ordres ; le Psalmiste emploie le langage humain pour faire comprendre l’action divine. De même qu’il vous est facile, à tous, de parler, de donner un ordre ; de même il est facile, pour Dieu, de créer du néant, et de gouverner ce qu’il fait exister, disons mieux, la facilité n’est pas égale ; elle est, chez Dieu, de beaucoup plus grande ; il n’est pas de paroles pour exprimer l’extrême facilité avec laquelle il a tout créé ; et, ce qui est admirable, ce n’est pas seulement qu’il gouverne, ni que les lois de la nature sont immuables, mais c’est que la création se perpétue à l’infini. Considérez la longueur du temps, et aucune confusion n’a troublé les êtres ; la mer n’a pas inondé la terre ; le soleil n’a pas dévoré, de ses feux, les objets visibles ; le ciel ne s’est pas ébranlé ; les limites du jour et de la nuit ne se sont pas confondues ; il n’y a pas eu de bouleversement dans les saisons, ni rien de pareil : tout ce qui a reçu l’être, et dans le monde supérieur, et sur la terre, a conservé exactement les limites une fois prescrites dès le commencement du monde à chaque partie de la création.
Après avoir parlé des créatures supérieures, de celles qui résident dans les cieux, le Psalmiste descend sur la terre. Nous l’avons déjà vu parlant des créatures supérieures, commencer par les puissances super-célestes, descendre ensuite aux créatures célestes ; de même, ici : des créatures célestes, il se précipite d’un bond vers celles de la terre. En effet, certains hommes décident que les créatures célestes sont dignes de Dieu, mais, pour celles de la terre, ils les censurent, parce que l’on trouve sur la terre des scorpions, des lions, des vipères, des dragons et d’autres espèces d’animaux ; des arbres stériles. Le Psalmiste, comme pour leur répondre, entreprend une autre manière de raisonnement. Or, voyez ce que fait le Psalmiste : laissant de côté les animaux dont l’utilité est reconnue, les brebis, les bœufs, dont l’utilité est une vérité de l’expérience ; les ânes, les chameaux, toits les animaux qui nous servent à transporter des fardeaux, il s’occupe de ceux qui paraissent inutiles, des dragons ; il parle des mers, qui ne sont pas navigables ; il parle de ce qui semble créé pour nous importuner ; du feu, de la grêle, de la neige, de la glace ; ensuite des arbres stériles, des montagnes ; il laisse, ici encore, de côté les plaines spacieuses et propres à la culture, les vergers produisant des fruits utiles et agréables ; il passe aux montagnes, aux collines, aux lieux déserts, et il mentionne tous les serpents. Pour plus de clarté, écoutons ses paroles mêmes. Après avoir dit : « Il leur a prescrit ses ordres, qui ne manqueront point de s’accomplir », il ajoute : « Louez le Seigneur, ô vous qui êtes sur la terre ; vous, dragons, et vous tous, abîmes d’eau, feu, grêle, neige, glace, vents, qui excitez les tempêtes ; vous tous, qui exécutez sa parole. » Un autre texte : « Vent de Typhon ; vous montagnes, et toutes les collines ; arbres fruitiers, et tous les cèdres ; bêtes sauvages, et tous les autres animaux, reptiles, et vous oiseaux qui avez des ailes. (7, 8, 9, 10) » D’où vient qu’il entreprend un pareil discours ? Il veut montrer à satiété la providence de Dieu. Et en effet, si les êtres en apparence inutiles, ennemis du genre humain, sont tellement bons, tellement utiles qu’eux aussi célèbrent Dieu, qu’ils exaltent la gloire de l’ouvrier qui les a faits, réfléchissez en vous-mêmes, que dirons-nous des autres êtres ? Si vous voulez bien, reprenons une à une chacune des créatures qu’il a nommées, « vous, dragons », dit-il, « et vous tous abîmes d’eau. » Il faut entendre ici par « dragons », les baleines comme dans un autre passage où il dit : « Ce dragon que vous avez formé pour s’y jouer (Ps cru, « 26) ;» les passages abondent, où l’on peut voir la baleine appelée de ce nom.
3. Et comment, dira-t-on, cet animal glorifie-t-il celui qui l’a fait ? Je réponds, moi, comment ne le glorifie-t-il pas ? Vous en voyez la grandeur, la structure, si nettement racontée dans le livre de Job. (Job. 40,41 et suiv) Comment n’admireriez-vous pas l’ouvrier, qui a produit un si grand animal ? Et en vérité, la grandeur n’est pas ici ce qui doit nous frapper ; remarquons de plus ce fait, que cet animal a pour résidence des mers qui ne sont pas navigables, et il faut admirer que ces limites ne soient pas franchies par un monstre féroce et d’une incomparable grandeur. Il reste dans les régions qui lui ont été fixées, et, non seulement il ne s’élance pas sur la terre, ni vers des contrées habitables, mais il ne s’échappe même pas vers ces parties de la mer que visitent les navigateurs ; il ne détruit pas les différentes espèces de poissons ; il vit en se renfermant dans les limites à lui fixées. Et ce n’est pas là la seule merveille ; considérons, dans l’abîme, l’immensité de la profondeur. Ce que nous avons remarqué dans un animal, peut encore se remarquer dans la mer ; soulevée par les vents, elle est irrésistible, le volume de ses eaux est immense et cependant elle ne franchit pas ses limites ; elle n’inonde pas les terres voisines, elle demeure attachée par d’indissolubles liens, quelle que soit d’ailleurs l’insolence de ses flots. Voyez donc une telle grandeur, les souffles si puissants qui la soulèvent, et cette merveille, cette masse désordonnée, cette masse énorme, cet élément d’une violence irrésistible, ne sort pas du lieu qui lui est propre ; et, au sein de perturbations si grandes, conserve l’ordre et la mesure. Méditez ces réflexions en vous-mêmes et vous chanterez alors le cantique de louanges en l’honneur de Dieu, et vous admirerez sa puissance, son habileté, sa force, son empire. Il y a encore des causes ineffables, connues seulement de celui qui a tout créé. De là, ce que disait un sage : « Ne demandez pas pourquoi ceci, à quoi bon cela ? Car tout a été fait à son usage. » (Sir. 39,2) « Feu, grêle, neige, glace, vents qui excitez les tempêtes, vous tous qui exécutez sa parole. » Ici encore, le Psalmiste ajoute une idée nouvelle. En effet, dans le psaume précédent, il admirait qu’en un instant bien court, là neigé envahit toute la surface de la terre ; il admirait la glace qui durcit, qui se transforme, se change en ses contraires. Maintenant, dans le psaume qui nous occupe, il s’étonne que ce qui n’était pas ait été fait ; que ce qui a été fait subsiste, et que ces créatures qui subsistent soient des serviteurs qui, quoique dépourvus de raison, exécutent les ordres de Dieu avec une parfaite obéissance. (Ps. 147, 5-6) Ce n’est pas tout, souvent un seul ordre a suffi pour la transformation complète des éléments en leurs contraires comme on l’a vu dans la fournaise de Babylone, où le feu brûlait et servait en même temps de rosée. Eh bien, après ? objecte-t-on, y a-t-il là une raison de rendre à Dieu des actions de grâces ? Sans doute, et une raison des plus puissantes. En effet, Dieu mérite également d’être loué, quand il punit et quand il exempte du châtiment ; car il y a là deux preuves qui manifestent également sa sollicitude, deux preuves égales de sa bonté. Les hommes suivent tantôt la bonté, tantôt la perversité, la colère ; Dieu, par des moyens différents, ne révèle jamais que sa bonté. Il faut donc également le louer d’avoir mis Adam dans le paradis et de l’en avoir chassé ; il faut lui rendre grâces, non seulement pour la royauté qu’il nous destine, mais aussi pour l’enfer ; car s’il l’a fait, s’il nous en menace, c’est pour nous affranchir du vice. En effet, si nous remercions le médecin, non seulement quand il nous permet la nourriture, mais quand il nous impose les tourments de la faim, non seulement quand il nous envoie en promenade sur la place publique, mais quand il nous tient chez nous, enfermés ; non seulement quand il nous frictionne, mais quand il brûle et ampute nos membres, parce que si les traitements sont différents, c’est toujours la même fin qu’il se propose ; de même il faut louer Dieu pour tout ce qu’il fait et il faut le louer beaucoup plus encore, parce que c’est Dieu ; le médecin n’est qu’un homme et souvent le résultat trompe le médecin ; mais ce que Dieu fait témoigne de la plus sage sollicitude. Et, voyez maintenant : la grêle et le feu n’ont pas été seulement des instruments de supplices, mais la grêle et le feu ont affranchi du supplice, ont terminé des guerres, ont repoussé des invasions ennemies. Ignorez-vous les prodiges accomplis par le moyen de ces éléments, et en Égypte, et dans la Judée, et au milieu de notre génération ? Et la puissance de Celui qui commande est si grande, que les œuvres qu’il accomplit par ses anges, par des créatures spirituelles, par de grandes puissances, il lui arrive souvent de les accomplir par le moyen des éléments, d’une manière admirable. Ce que Dieu fait, afin que l’insensé n’attribue pas les œuvres à l’ange, mais à Celui qui lui a commandé. Un ange a mis fin à une guerre ? la grêle en a fait autant. Un ange a exterminé les premiers-nés des Égyptiens ? La mer en fureur, elle aussi, a exterminé tout un peuple. Donc, pour toutes ces merveilles, rendez grâces au Dieu de bonté. « Vous, montagnes, et toutes les collines, arbres fruitiers et tous les cèdres ; vous, bêtes sauvages, et tous les autres animaux ; vous reptiles, et vous, oiseaux qui avez des ailes. » Voyez-vous la complaisance avec laquelle il s’arrête sur les êtres inutiles, les montagnes, les bois, les collines, les animaux, les reptiles, les arbres stériles ? Les arbres fruitiers montrent d’eux-mêmes leur utilité, de même que les plaines et les animaux d’un caractère doux ; mais les bêtes féroces, les serpents, les montagnes, les arbres stériles, dira-t-on, quelle utilité présentent-ils ? Une très-grande assurément et qui répond pour nous à de grands besoins, car les montagnes, et les collines, et les arbres stériles nous sont très-précieux, pour nous fournir des matériaux de construction. Si ces matériaux nous manquaient, notre race périrait ; de même donc que nous avons besoin de champs cultivés pour en tirer nos aliments, de même nous avons besoin de bois stériles et de pierres pour construire nos maisons et pour mille autres usages.
4. Mais les serpents, dira-t-on, les scorpions, les dragons, les lions, à quoi cela sert-il ? quelle en est l’utilité ? immense, inexprimable, aussi précieuse que celle que nous retirons des animaux apprivoisés. Ceux-ci nous sont utiles, à titre de serviteurs ; les autres vous inspirent la crainte, pour vous apprendre la modération ; pour vous exercer à la lutte ; pour vous rappeler la faute de votre premier père ; pour vous montrer les déplorables suites de la désobéissance. En effet, ces animaux n’étaient pas, dès le principe, terribles pour l’homme ; l’homme n’avait pas de raison pour les fuir ; ils étaient doux et apprivoisés ; tel était leur caractère, lorsque Dieu les conduisit auprès d’Adam, lorsque Adam leur donna leurs noms. Le serpent adresse la parole à la femme ; Eve ne s’en détourne pas avec horreur ; mais une fois que le commandement du Seigneur eut été transgressé, une fois que l’homme eut désobéi à Dieu, l’homme perdit la plus grande partie de ses glorieux privilèges. Donc, à la vue d’un lion, à la vue d’un serpent, rappelez-vous l’enseignement sacré, et ce spectacle sera pour vous une éloquente leçon de sagesse ; rappelez-vous aussi Daniel ; quand son âme eut reconquis l’antique innocence, il méprisa ces animaux qui inspirent la terreur. Paul, de même, méprisa la vipère. (Act. 28) Ces souvenirs réveilleront votre zèle, votre application.
Nous pouvons d’ailleurs admirer encore ici une autre preuve de la sagesse avec laquelle Dieu a disposé les choses. Quelle est-elle ? c’est que Dieu a fixé à ces animaux des résidences loin des villes, à savoir, les solitudes ; ils sont terribles et ils ne séjournent pas dans les cités ; ils ne s’élancent pas sur les hommes qui les habitent ; la solitude leur plaît, ils s’en contentent, parce que c’est là, dès le commencement, le séjour que Dieu leur a fixé. Ainsi, quand vous dormez, ces animaux parcourent la solitude : ce que le Prophète montre encore dans un autre endroit, par ces paroles : « Vous avez répandu les ténèbres, et la nuit a été faite, et c’est durant la nuit que toutes les bêtes de la forêt se répandent sur la terre. » (Ps. 103,20) Voyez-vous les traces, encore aujourd’hui subsistantes, de votre premier empire ? Quelque diminution qu’il ait subie, quoique mutilé, il conserve encore quelque signe qui le fait reconnaître. Ces bêtes sauvages sont comme des esclaves, relégués loin de nous, séparés de nous, par le temps et par l’espace ; ne les attaquez pas, elles n’oseront pas vous attaquer ; elles vivent dans les déserts ; vos angoisses, vos chagrins, parce que des bêtes féroces ont été faites, rie prouvent que votre démence. Si votre conduite est conforme à la vertu, elles ne vous feront aucun mal ; si vous avez souffert du mal que vous ont fait les bêtes féroces, pensez que vous avez souffert beaucoup plus de celui que vous ont fait les hommes. L’homme est plus redoutable que la bête féroce ; celle-ci montre sa férocité, l’homme cache sa perversité sous le masque de la douceur ; de là vient qu’il est souvent difficile de s’en préserver. Pratiquez la sagesse ; ni bêtes féroces, ni hommes ne vous nuiront, mais au contraire vous serviront beaucoup. Et que parlé-je de la bête féroce et de l’homme, lorsque le démon lui-même, non seulement n’a fait à Job, aucun mal, mais a été pour lui l’occasion de conquérir les plus glorieuses couronnes ? Que parlé-je de la bête féroce et de l’homme, lorsque les éléments mêmes que vous portez eu vous, si vous tombez dans le relâchement, sont, pour vous, des causes bien autrement graves de douleur ? je parle de la bile ou de la pituite, que, dans votre intempérance, vous ne songez pas à réprimer, ennemis funestes, tant il est vrai que nous avons un besoin absolu de modération et de vigilance. Mais ici, de même que la négligence attire les plus grands maux, ainsi l’attention à veiller sur soi-même suffit pour trouver les plus précieux avantages ; car enfin tout dépend de la volonté, du libre arbitre. Ce qu’est la neige dans l’univers, et le feu, et le vent des tempêtes ; la pituite, le sang et la bile le sont pour le corps, et ce qu’il faut, c’est que la parfaite sagesse règle notre tempérament, si nous voulons retirer, de notre constitution, futilité qu’elle comporte ; si nous ne voulons pas nous exposer aux maladies. Mais à quoi bon parler du corps ? l’âme aussi a des puissances qui, une fois exagérées, deviennent des maladies ; châtiez-les, modérez-les, ces mêmes puissances deviennent des auxiliaires ; la colère convenable est un remède salutaire ; la colère immodérée cause votre perte. Le désir naturel, suivi avec modération, fait de vous un père ; en effet, au point de vue de la procréation des enfants, ce désir a son utilité ; mais lâchez la bride, et il vous jette, trop souvent, dans les impuretés, dans les adultères. Donc, n’accusez pas les choses, n’accusez jamais que votre volonté. Si vous négligez de la surveiller, vous trouvez en vous-mêmes ce qui vous blesse ; dans votre propre corps, ce qui le perd. Avez soin de votre âme ; ni les anges déchus, ni le démon ne pourra vous nuire ; et les bêtes féroces, bien moins encore.
« Que les rois de la terre et tous les peuples (11) ; » un autre texte : « Et toutes les tribus. » « Que les princes et tous les juges de la terre ; que les jeunes hommes et tes jeunes filles ; » un autre texte : « Choisis. » Que les « vieillards ; avec les plus jeunes ; » un autre texte : « Avec les jeunes gens », « louent le nom du Seigneur. » Ici maintenant le Psalmiste parle d’une autre preuve de la Providence, à savoir, (les princes ; ce que Paul proclame aussi, dans sa lettre aux Romains, montrant, avec beaucoup de sagesse, que c’est une opération de la providence de Dieu d’avoir partagé tout le genre humain, d’une part en magistrats, d’autre part, en hommes qui leur obéissent. « Car le prince est le ministre de Dieu », dit-il, « pour vous, en vue du bien. » (Rom. 13,4) Supprimez-le, c’est la ruine du genre humain tout entier. Et en effet, si aujourd’hui que tant de princes et de magistrats sont corrompus et dépravés, leur utilité pourtant est si grande ; s’il est vrai que, malgré leur malignité, ils nous rendent de si importants services, réfléchissez en vous-mêmes, supposez que tous ceux à qui des commandements sont confiés, sont des hommes vertueux, quel ne serait pas alors le bonheur du genre humain ? Mais que des magistrats aient été établis, voilà l’œuvre de Dieu ; que des pervers soient élevés aux magistratures, et abusent de leur pouvoir, c’est ce qu’il ne faut attribuer qu’à la perversité humaine.
5. Donc, le Psalmiste nous dit qu’il faut rendre à Dieu de grandes actions de grâces, parce qu’il y a des rois et des juges. En effet, s’il a pris le soin de constituer, selon un ordre fixe, dans une mesure déterminée, le gouvernement des hommes ; s’il n’a pas voulu qu’un grand nombre d’hommes vécussent d’une vie plus grossière que celle des bêtes sauvages, il a dû alors, comme il a inventé l’art de conduire les chars, et la science de diriger les navires, inventer aussi les puissances des magistrats et des rois. Donc, prince ou magistrat, rends grâces au Dieu de bonté, qui t’a donné l’occasion de montrer tant de zèle et d’activité ; et toi, qui n’es qu’un simple citoyen, rends ainsi grâces au Seigneur, qui t’a donné quelqu’un pour prendre soin de toi ; qui n’a pas voulu que les trames des méchants pussent t’écraser ; vieillard ou jeune homme, rends grâces à Dieu ; c’est là en effet ce que prouve avant tout ce psaume. Il faut louer Dieu, pour toutes choses ; que l’on soit magistrat, ou que l’on soit simple citoyen. Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Et tous les peuples », c’est-à-dire, vieillard ou jeune homme, homme ou femme. « Parce qu’il n’y a que lui dont le nom est vraiment élevé. » Un autre texte. « Est au-dessus de tous (13). » « Au-dessus du ciel et de la terre se publient ses louanges ; » un autre texte : « Et se chantent ses hymnes. C’est lui qui élèvera la puissance de son peuple. Qu’il soit loué par tous ses saints, par les enfants d’Israël, par ce peuple, qui est proche de lui (14). » Ce qui revient à dire : j’ai montré, par toutes les créatures visibles, sa prévoyance, sa gloire, sa majesté. Eh bien ! c’est lui-même qu’il faut louer, non seulement pour ces raisons, mais, de plus, sans ces raisons, car, avant et sans ces raisons de louanges, à lui l’élévation, à lui la gloire, à lui, de la part de tous les êtres, les actions de grâces. Et maintenant cette expression, « Il n’y a que lui » c’est pour le distinguer des faux dieux. Le Psalmiste élève encore l’auditeur à une contemplation plus haute ; de la terre il l’enlève au ciel. De même, en effet, qu’au commencement, il est descendu du ciel sur la terre, de même, par un mouvement contraire, il emporte l’homme loin de tous les êtres visibles, au-dessus du ciel, en disant : « Au-dessus du ciel et de la terre, se publient ses louanges », ce qui veut dire, que, bien que les puissances supérieures, invisibles, purement spirituelles, ne cessent pas de rendre grâces à Dieu et de le louer, Dieu pourtant, un tel Dieu, un si grand Dieu, a daigné nous aussi, nous appeler son peuple, et non seulement nous appeler, mais nous élever, nous exalter. Voilà pourquoi il a ajouté : « Et c’est lui qui élèvera la puissance de son peuple. » Nouvelle raison de rendre, à ce Dieu, un plus grand culte ; et le Psalmiste nous montre que ce Dieu n’a besoin ni du culte ni de la vénération particulière de ce peuple (comment en aurait-il besoin, lui que glorifie la nature entière, à qui sont soumises tant de créatures ?). C’est par sa seule bonté qu’il s’est attaché particulièrement ce peuple, qu’il en a fait son ami, qu’il l’a rendu glorieux, illustre dans l’univers ; ce que montrent ces paroles : « Qu’il soit chanté par tous ses saints, par les enfants d’Israël, par ce peuple qui est proche de lui. » Le Psalmiste, en effet, n’a pas voulu ménager des prétextes à la nonchalance, à l’indolence en appelant les Israélites le peuple de Dieu ; il n’a pas voulu que, se confiant à ce titre, ils négligeassent la vertu. Aussi, après avoir dit. « Qu’il soit chanté par tous » il ne dit pas simplement, les hommes, mais « ses saints ; » et encore, après avoir dit, « par les enfants d’Israël », il a ajouté : « Par ce peuple qui est proche de lui. » Maintenant un autre interprète, au lieu de, qu’il soit chanté, dit, « qu’il soit loué. » Donc, ce que dit le Psalmiste, revient à ceci : si vous êtes saints, si vous vous approchez de Dieu, vous obtiendrez une grande gloire, car tous ses biens sont éternels, comme il convient à Celui qui possède tant de richesses et tant de gloire. Il faut donc, de plus, de notre côté, faire ce qui dépend de nous, afin de jouir, nous aussi, de la plénitude de la gloire, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire, et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CXLIX.

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1. « CHANTEZ AU SEIGNEUR UN CANTIQUE NOUVEAU. »

ANALYSE.

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  • 1. La meilleure action de grâces est celle qui résulte d’une vie remplie de bonnes œuvres.
  • 2. On a cherché un sens anagogique dans l’usage des instruments nommés dans ce psaume ; saint Chrysostome, qui en général se défie de toute allégorie non indiquée par le texte même de l’Écriture, ne voit dans ces instruments qu’un moyen de soutenir la faiblesse des Juifs.

L’attrait de la musique les attachait au culte de Dieu, que, sans cela, leur peu de ferveur leur aurait fait abandonner. Cette même idée se trouve répétée dans le psaume suivant.
1. Selon le sens anagogique, c’est le Nouveau Testament que désigne ce cantique nouveau ; car tout alors est devenu nouveau. Le Testament : « Je ferai », dit le Prophète, « avec vous un testament nouveau (Jer. 31,31) ; » la créature : « S’il y a dans le Christ, une nouvelle créature (2Cor. 5,17) ; » l’homme : « Dépouillez-vous du vieil homme et revêtez-vous du nouveau, qui se renouvelle en avançant dans la connaissance et la ressemblance de Celui qui l’a créé. » (Col. 3,9) C’est donc parce que la vie est nouvelle, parce que tout le reste est renouvelé, que l’on dit Nouveau Testament. Et le Prophète exhorte en ce moment à chanter un nouveau cantique. Dans le sens historique, le nouveau cantique c’est celui que les Israélites devaient faire entendre pour leurs victoires, pour leurs succès, pour leurs triomphes, cantique illustre et glorieux. « Que sa louange retentisse dans l’assemblée des saints. »
Voyez-vous bien comme il demande avant les paroles, la conduite, la reconnaissance exprimée par les actions, comme il exige les bonnes couvres, avant de vous introduire dans le chœur destiné à louer Dieu. C’est qu’il ne suffit pas des paroles pour l’action de grâces ; il y faut joindre encore la vertu dans les actions. « Que sa louange retentisse dans l’assemblée des saints. » Ces paroles renferment encore un autre enseignement. Elles montrent la nécessité des louanges unies à d’autres louanges, des hymnes s’élevant d’un chœur qui forme un concert. L’Église en effet, c’est un corps où tout se tient, c’est une assemblée. « Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a créé (2). » Avant les bienfaits particuliers, le Psalmiste montre le bienfait étendu sur tous ; c’est comme s’il adressait aux fidèles cette exhortation : bénissez Dieu, vous n’étiez pas, et il vous a fait naître et il vous a donné une âme ; ce n’est pas là un bienfait peu considérable. Le Psalmiste en montre ici d’ailleurs un plus grand. Il ne lui suffit pas en effet de la création, il y joint la familiarité, l’affection étroite qui unit à Dieu, et il engage les Israélites à lui rendre grâces, non seulement parce que Dieu les a faits, mais parce qu’il a fait d’eux son peuple. Voyez-vous comment il unit, comment il attache ce peuple à Dieu, voulant non seulement que ce peuple lui rende grâces, mais lui rende grâces avec plaisir, de tout son cœur, avec un amour ardent ; voilà, en effet, ce que signifie : « Qu’Israël se réjouisse. » Il demande donc, à celui qui rend grâces, l’affection, le désir ardent, l’amour énergique, actif, se consacrant tout entier à ce Dieu qu’on célèbre. C’est ce que le même Psalmiste exprimait dans un autre texte : « Comme le cerf soupire après les eaux vives, ainsi mon cœur soupire après vous, mon Dieu ; » et encore : « Mon âme est toute brûlante de soif, pour le Dieu fort et brûlant. (Ps. 41, 1-2) ; » et encore : « Mon âme brûle d’une soif ardente pour vous, et en combien de manières ma chair se sent-elle pressée de cette ardeur, dans cette terre déserte, sans chemin et sans eaux ? » (Ps. 62,2) Un autre texte donne : « Comme dans une a terre qui a soif. » Le Psalmiste, pour montrer la disposition de son âme, l’ardeur de son désir, compare son cœur à une terre qui a soif, à un cerf altéré. Il exprime encore, par d’autres paroles, le même désir en disant : « Quand viendrai-je, quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ? » (Ps. 41,3) Telles sont en effet les âmes des saints ; telle était l’âme de Paul, qui gémissait de voir ajourner son départ de cette vie. (2Cor. 5,4) « Que les enfants de Sion tressaillent de joie en celui qui est leur roi. » Voyez-vous ? Il exprime ce que je disais tout à l’heure, la familiarité, l’affection étroite qui a fait de ce peuple un peuple choisi. Voilà pourquoi il a ajouté : « En celui qui est leur roi. » Dieu en effet n’était pas leur roi seulement par le fait, tic la création, il l’était aussi par cette familiarité étroite, qui l’unissait à ce peuple. « Qu’ils louent son nom en chœur (3). » Voyez encore ici le brillant concert ! en effet, les chœurs ont été institués pour que tous, unis d’un même amour offrent ensemble au Seigneur leurs bénédictions. C’est ce que Paul exprime par ces paroles : « Ne nous retirant point des assemblées des fidèles. » (Héb. 10,25) C’est ce qu’exprime encore la prière présentée en même temps par tous : « Notre Père, qui êtes aux cieux (Mt. 6,9) ; » et : « Remettez-nous nos péchés (Lc. 11,4) ; » et « Ne nous induisez pas en tentation ; » et « Délivrez-nous du mal. » Vous y voyez partout le pluriel. C’est ainsi qu’autrefois on instruisait les fidèles à se réunir, pour faire entendre les hymnes et les cantiques en l’honneur de Dieu. Tout les formait à la charité et à la concorde. « Qu’ils célèbrent ses louanges, avec ale tambour et le psaltérion. »
2. Quelques personnes appliquant l’interprétation anagogique à ces instruments, prétendent que le tambour réclame de nous la mortification de la chair, tandis que le psaltérion nous avertit d’élever nos renards vers le ciel. En effet, cet instrument se touche par la partie supérieure, non pas par l’inférieure comme la cythare. Pour moi, je dirai que ces peuples se servaient anciennement de ces instruments, parce qu’ils avaient l’esprit lourd, qu’il y avait peu de temps qu’on les avait arrachés aux idoles ; et, de même que Dieu leur permit les sacrifices, de même il leur laissa ces instruments, pour s’accommoder à leur faiblesse. Donc, ce qu’il réclame d’eux ici, c’est de chanter avec joie ; voilà en effet ce que signifient ces paroles : « Qu’ils louent son nom par des concerts. » L’harmonie, c’est ici la pureté de la vie. Le Psalmiste, pour raviver leur ardeur, parle ensuite de la bonté du Pieu qu’il faut chanter : « Car le Seigneur a mis sa complaisance dans son peuple (4). » Quelle prospérité se pourrait comparer à la faveur d’un Dieu clément ? « Et il élèvera ceux qui sont doux, et les sauvera. » Voyez encore ici, comme il expose ce qu’il faut attendre de Dieu, ce que Dieu attend des hommes. De même que, tout à l’heure, en réclamant les actions de grâces, il a montré ce qui vient de Dieu, par ces paroles. « Car le Seigneur a mis sa complaisance dans son peuple ; » de même, ici encore, en promettant les bienfaits de Dieu, il exige en même temps ce qui dépend des hommes : « Et il élèvera ceux qui sont doux, et les sauvera. » Élever, voilà la part de Dieu ; être doux, voilà la part de l’homme. Ce qui vient de Dieu, ne se montre qu’après ce qui vient de l’homme. Et maintenant voyez la grandeur du don. Il ne dit pas, sauvera n’importe comment, mais : « Il élèvera et sauvera », c’est-à-dire, non seulement il délivrera des maux, mais il accordera de plus l’éclat et l’illustration ; avec le salut, il donnera aussi la gloire. Le Psalmiste, développant cette pensée, ajoute : « Les saints seront dans la joie, se voyant comblés de gloire (5). » De même que, plus haut, il réclame fa douceur du cœur, de même ici il demande la sainteté. Partout en effet Dieu se montre avec ses miracles, c’est ainsi qu’il a affranchi les Israélites de la servitude des Égyptiens ; c’est ainsi qu’il les a ramenés de Babylone, et ce n’est pas seulement en les affranchissant, mais c’est par les prodiges accomplis qu’il a surtout glorifié son peuple. « Ils se réjouiront dans le lieu de leur repos. » Ces paroles expriment la plénitude de la sécurité, la plénitude de la paix, la plénitude de la joie, la plénitude de la félicité. Et ce que dit le Palmiste, c’est pour faire savoir aux Israélites qu’ils ne doivent rien à leurs armes, rien à leur force particulière ; qu’ils doivent tout au secours de Dieu et qu’il importe de le conquérir par l’humilité et par la douceur. « Les louanges de Dieu seront toujours dans leur bouche, et ils auront, dans leurs mains, des épées à deux tranchants, pour exercer la vengeance du Seigneur sur les nations et ses châtiments sur les peuples (6, 7). » Il s’agit ici d’une guerre à faire par les cantiques chantés en chœur ; s’ils chantent, s’ils font entendre leurs hymnes, ils s’assureront la victoire. « Les louanges de Dieu », ce sont les hymnes, les psaumes, les actions de grâces ; voilà pourquoi, au lieu de louanges, un autre interprète dit : « Les hymnes. « Pour exercer la vengeance du Seigneur sur les nations et ses châtiments sur les peuples. » Qu’est-ce à dire ? C’est que leurs vainqueurs ne cessaient de les outrager ; or le Seigneur promet à son peuple de repousser, par la force des événements, les outrages de ces ennemis ; de leur montrer, par les événements mènes, que ce n’est pas à la faiblesse du Dieu des Israélites, mais aux péchés de son peuple, qu’ils ont dû leurs victoires. Quand tes Israélites eurent été suffisamment punis, il suffit d’un signe du Dieu de bonté, pour opérer, en faveur de son peuple, un admirable changement. Et maintenant, voyez l’insigne victoire ! le Psalmiste ajoute en effet : « Pour mettre leurs rois à la chaîne, et les plus nobles d’entre eux, dans les fers (8). » Voyez-vous l’excès de la puissance ? Ils n’ont pas seulement chassé, repoussé les ennemis loin d’eux ; mais ils les ont faits prisonniers, ils les ont traînés à leur suite, manifestant par tous ces événements la puissance de Dieu. « Pour exécuter sur eux le jugement qui est inscrit (9). » Qu’est-ce à dire : « Le jugement qui est inscrit ? » Cela veut dire, à découvert, manifeste, avéré, qu’il est impossible d’oublier. Tel est en effet le caractère des œuvres de Dieu, la grandeur ; l’excellence de ses miracles s’étend dans toute la durée des siècles. Telle sera donc, dit le Psalmiste, la victoire, tel sera le trophée, qu’il sera pour tous manifeste, à découvert, comme l’inscription d’une colonne, indestructible à jamais. Telle est la gloire réservée à tous ses saints. Quelle est cette gloire ? D’avoir vaincu, ou plutôt, ce n’est pas simplement d’avoir vaincu, mais d’avoir vaincu de cette manière, par le bras de Dieu, par le secours d’en haut. Et maintenant, voyez comme ici encore, il ne se lasse pas de parler des saints, excitant ainsi les fidèles à la pratique et au zèle de la vertu. Quant à moi, je ne crois pas qu’il entende par gloire, la victoire seulement, mais les louanges, les hymnes, les cantiques ; il rappelle dans toutes ces paroles, que ceux qui louent le Seigneur recevront un grand accroissement de gloire et deviendront plus illustres, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


EXPLICATION DU PSAUME CL.

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1. « LOUEZ LE SEIGNEUR DANS SES SAINTS. » UN AUTRE TEXTE : « DANS UN SANCTUAIRE. » UN AUTRE TEXTE : « DANS CE QU’IL SANCTIFIE. »

ANALYSE.

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Que tous les membres de notre corps louent Dieu et forment un concert en son honneur.
Ces paroles s’appliquent, soit au peuple, soit à la vie sainte, et aux saints. Or voyez comme ici encore, pour terminer son livre des psaumes, il parle de l’action de grâces, nous montrant, par là, que tel doit être le commencement, et telle doit être la fin de nos actions et de nos paroles. Aussi Paul disait : « Quoi que vous fassiez, ou en paroles ou en actions, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui, à Dieu le Père. » (Col. 3,17) C’est ainsi que commence notre prière. En effet, dire, « Notre Père », c’est rendre grâces pour les dons que l’on a reçus, et pour les indiquer, il suffit de prononcer ce nom. Dire, « Notre Père », c’est reconnaître l’adoption des enfants ; reconnaître l’adoption des enfants, c’est proclamer la justice, la sanctification, la rédemption, la rémission des péchés, tous les dons du Saint-Esprit. Il faut en effet, que tous ces bienfaits précèdent pour que nous jouissions de l’adoption qui nous fait enfants de Dieu, pour que nous méritions d’appeler Dieu, notre père. Mais il me semble que le Psalmiste insinue encore une autre pensée, quand il dit : « Dans ses saints. » Cela veut dire par le moyen de ses saints ; donc rendez grâces i Dieu de ce qu’il a introduit parmi les hommes une telle forme de vie ; de ce que, des hommes, il a fait des anges ; aussi, après avoir dit. « Dans ses saints », le Psalmiste ajoute : « Louez-le dans le firmament où il fait éclater sa puissance », montrant par ces paroles ce que j’ai déjà dit. Car les saints sont plus chers à Dieu que son firmament. Car le ciel est fait pour l’homme, et non l’homme pour le ciel. Maintenant un autre texte, au lieu de, « Dans le firmament », porte. « Dans l’indestructibilité ; » un autre : « Dans le firmament de sa puissance. » Or, le Psalmiste me paraît ici avoir encore une autre pensée, comme dans l’avant-dernier psaume. Là, en effet, il dit ; « Louez-le, vous tous qui êtes ses anges. » (Ps. 148,2) Ici, « Louez-le, dans son firmament », c’est-à-dire, vous qui êtes dans son firmament ; le Psalmiste ne se lasse pas d’inviter les puissances supérieures à s’associer à l’élan de ses louanges. « Louez-le dans les effets de son pouvoir ; » un autre : « Par ses puissances. » L’hébreu dit : « Begeburothau. » Voici la pensée : louez-le, à cause de tout ce qu’il a de puissance, à cause de sa force, à cause de ses miracles, à cause de son pouvoir, qu’il manifeste par toutes les créatures ; par celles qui vivent sur la terre, par celles qui vivent dans les cieux ; par les œuvres générales, par les œuvres particulières : à chaque instant, et toujours. Louez-le, « selon l’étendue de sa grandeur. » Est-ce possible, et quelles louanges pourraient égaler sa grandeur ? Le Psalmiste ne dit pas, une louange qui égale ; mais, dit-il, selon que vous pouvez comprendre l’immensité de cette grandeur, vous devez la louer, dans la mesure de vos forces, autant qu’une louange, digne de Dieu, de cette incomparable grandeur, peut sortir de la bouche d’un homme. Nul en effet, ne peut dignement louer Dieu. Avez-vous compris la passion de cette âme sainte ? avez-vous compris le feu qui la brûle, qui la tourmente, qui l’excite, qui lutte pour surmonter la naturelle faiblesse ; pour s’élancer de la terre au ciel ; l’ardeur de l’âme attachée à Dieu, qu’un désir brûlant jette dans le sein de Dieu ? « Louez-le, au son de la trompette ; » un autre texte : « Au son de la trompe. Louez-le, avec le psaltérion et la harpe ; » un autre : « Avec le nablum, (espèce de harpe), et la lyre ; louez-le avec le tambour, et dans les chœurs ; louez-le avec le luth et avec l’orgue ; » un autre texte : « Avec des cordes et avec la harpe ; « Louez-le, avec des cymbales harmonieuses ; « louez-le avec des cymbales de jubilation. » Un autre : « Avec des cymbales de signification, « Que toute haleine loue le Seigneur. » Un autre texte : « Que toute respiration. » Il excite tous les instruments ; il veut les entendre tous offrir à Dieu leur mélodie, il leur communique à tous la chaleur qui le brûle ; il les réveille tous.
Eh bien donc ! de même qu’il ordonne aux Juifs de louer Dieu par tous les instruments, de même il nous prescrit, à nous, de le louer par tous nos membres : par nos yeux, par notre langue, par nos oreilles et par nos mains ; ce que Paul, de son côté, exprime ainsi : « Offrez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, pour lui rendre un culte raisonnable. » (Rom. 12,1) La louange qui vient de l’œil, ce sont des regards dont rien n’altère la pureté ; la louange de la langue, ce sont les psaumes ; la louange de l’oreille, c’est l’ignorance des chants impurs, des discours qui accusent le prochain ; la louange que fait la pensée, c’est la simplicité qui ne connaît pas la ruse, et n’admet que la charité. Les pieds louent le Seigneur, lorsqu’ils ne courent pas au vice, mais aux bonnes œuvres ; les mains louent le Seigneur, quand elles ne s’abandonnent ni au vol, ni aux rapines, ni aux coups, ni aux violences ; quand elles s’emploient à l’aumône, à la défense des opprimés. L’homme devient alors une harpe harmonieuse d’une mélodie ravissante, spirituelle, qui s’élève à Dieu. Maintenant, ces instruments dont nous avons parlé, furent permis aux Juifs, à cause de la faiblesse de leur esprit ; on voulait les maintenir dans la charité, dans la concorde, les exciter à faire avec ardeur ce qui leur procurerait le salut. Dieu voulait, en leur permettant les plaisirs de ce genre, les amener à des désirs plus élevés. Dieu comprenait combien ces Juifs étaient grossiers, lâches, déchus, et il voulait les réveiller, les consoler de l’assiduité qu’il leur demandait, par les douceurs de la mélodie. Et maintenant que veut dire, « Les cymbales de la signification ? » Ce sont les psaumes. Et en effet, ils ne frappaient pas simplement les cymbales, ils ne jouaient pas simplement de la harpe, mais, autant que faire se pouvait, par les cymbales, par les trompettes, par la harpe, ils montraient le sens des psaumes, et le travail, et le zèle dont ils faisaient preuve dans ces exercices, leur était d’une grande utilité. « Que toute haleine « loue le Seigneur. » Après avoir invité au concert de louanges les créatures célestes ; après avoir réveillé le zèle du peuple, excité tous les instruments, il s’adresse à la nature entière, il invite tous les âges à ce concert vieillards, hommes faits, jeunes gens, adolescents, femmes, et généralement, sans exception aucune, tous les habitants de la terre ; il jette déjà les premières semences du Nouveau Testament, en s’adressant à ceux qui sont répandus sur toute la surface de l’univers. Donc ne nous lassons pas de louer Dieu, de lui rendre, pour toutes choses, des actions de grâces, et par nos paroles, et par nos actions. Voilà, en effet, notre sacrifice, notre oblation ; voilà le ministère par excellence, le digne emploi d’une vie réglée sur le modèle des anges. Et si nous persévérons ainsi à louer Dieu, nous passerons, sans aucune offense, la vie présente, et nous acquerrons lesbiens à venir. Puissions-nous tous nous les voir accordés, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. La traduction latine est inexacte ou tout au moins obscure. C’était un usage, dans l’antiquité, d’afficher les noms des esclaves fugitifs, comme on fait aujourd’hui pour les objets perdus, afin de les retrouver. On peut consulter à ce sujet une dissertation de Letronne, insérée à la fin de l’édition d’Aristophane, publiée par M. Didot, (III page 14) : Papyrus du Musée Royal, contenant l’annonce d’une récompense promise à qui découvrira et ramènera deux esclaves échappés.
  2. Il n’est pas à propos de faire remarquer ici qu’un bon nombre de ces métaphores étaient plus familières aux Grecs qu’elles ne le sont aux modernes, et particulièrement aux Français.
  3. Ailleurs, saint Chrysostome appelle ainsi le peuple voisin d’Abraham quand ce patriarche habitait Gérare.
  4. Erreur imputable soit à l’orateur, soit aux copistes.
  5. Le saint orateur indique ici deux légères variantes qui disparaîtraient dans une traduction.
  6. La différence des langues nous a contraint d’amplifier un peu ce que saint Jean ne fait qu’indiquer ; la nuance est celle qui existe en latin entre a quo et per quem
  7. Cet endroit est très-obscur, et l’éditeur bénédictin avoue ne pas le comprendre.
  8. Plat. Ap. Socrat p. 22 ; et Men p. 99. D.
  9. Les Septante, Théodotion et Symmaque traduisent par diapslama (qua vote designari volunt canendi vices aut flexus, dit Bossuet, dissert de Ps), et Aquila par Άεί, le mot hébreu Sela que l’on trouve souvent au milieu et quelquefois à la fin des psaumes.
  10. Je lis ἄφραχτος, au lieu d’ ἄφραστος.
  11. Saint Jean Chrysostome a passé quelques mots de l’épître aux Romains.
  12. Passage controversé. La traduction latine, quinam sunt autem Dei fortes, nisi apostoli, fidèles omnes ? ne rend pas le et du grec et semble ranger tous les fidèles au nombre de ceux qui représentent la puissance de Dieu.
  13. Il y a dans le texte poêle à frire. Comme il s’agit du supplice du feu, j’ai cru pouvoir y substituer le mot gril.
  14. Un manuscrit ajoute aux princes, aux rois, à la faim et à la soif, à la mort.
  15. Le traducteur latin lit πρὸ τῶν ἄλλων τοῦτο… ce qui est en effet la leçon de deux manuscrits, et rend le tout par quod nos auto alia hoc cognoverimus : J’aime mieux lire avec Savile et Morel : πρὸ τῶν ἄλλων τοῦτον.
  16. Le véritable texte donne ναοῦ (temple), et non λαοῦ (peuple).
  17. Il y a lieu de s’étonner de ce que dit ici saint Chrysostome, la Vierge connaissait le mystère puisque l’ange le lui avait révélé.
  18. escarbot : Nom donné à divers coléoptères, tels que bousier, cétoine, hanneton, ténébrion.
  19. Voir l’explication qu’en donne saint, Paul. (Héb. 5,2)
  20. Saint Chrysostome désigne par ce nom les Chaldéens, ainsi que dans d’autres passages Abraham venait de la Chaldée.
  21. A la vérité, Sara était stérile, puisque la sainte Écriture nous l’apprend. Mais comment notre auteur a-t-il pu dire qu’Abraham le lut également, et qu’il n’était pas plus capable d’engendrer qu’une pierre, puisqu’après la mort de Sara, malgré son âge bien plus avancé, il eut sept enfants de Céthura ? (Note des Bénédictins)
  22. Nous ne comprenons pas pourquoi saint Jean Chrysostome dit que Notre-Seigneur commença ses béatitudes par ces mots : Bien heureux ceux qui pleurent, puisque ni saint Matthieu, ni saint Luc ne placent cette béatitude la première. (Note des Bénédictins)
  23. Ἀποςτραφήτωςαν et Ἀνατραπήτωσαν ont un sens trop analogue, surtout suivis de εῖς τὰ ὀπίσω, pour qu’on puisse traduire en français une différence de versions que donne ici saint Chrysostome. (Em).
  24. Même remarque pour χεὶρ main en général, et δράξ main fermée pour tenir une poignée de quelque chose ; mais avec πληρῶ, remplir, il n’y a pas en français deux manières de traduire. (Em)
  25. Comme cette version diffère notablement, par suite du changement d’une seule lettre grecque, du sens que l’on est habitué à voir à ce verset, il n’est pas inutile de remarquer, avec la bible de Vence et l’édition Migne de saint Jean Chrysostome, que Θήραν, venationem, est la vraie leçon, quoique plusieurs exemplaires, même anciens, des Septante, portent déjà χήραν viduam. L’hébreu porte (צידה), qu’Aquila traduit par ἐπισιτισμόν, cibum. (E. M)
  26. Ou plutôt un autre interprète, car ce texte est de la version de Symmaque.
  27. Ou plutôt un autre interprète, car ce texte est de la version de Symmaque.
  28. A la leçon Ἰνδιχούς du texte, nous préférons celle-ci qui est par deux manuscrits Καὶ τοὺς πρὸς τροφὴν ἐπιτηδείους.
  29. Par erreur : la citation est de Bar. 3,36-37.