Jean Chrysostome/Commentaire sur les Actes des Apôtres


Œuvres complètes
Traduction par M. Jeannin.
Texte établi par M. Jeannin, L. Guérin & Cie (8p. 557-595).

HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APÔTRES[1]. modifier

HOMÉLIE I. modifier


J’AI ÉCRIT UN PREMIER LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT ET ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU’AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL, INSTRUISANT PAR LE SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU’IL AVAIT CHOISIS. (CHAP. 1,1, 2)

ANALYSE. modifier

  • 1. Saint Chrysostome annonce qu’il va expliquer le Livre des Actes, parce que ce Livre est peu connu, quoiqu’il renferme d’admirables instructions.
  • 2. Il fait ensuite ressortir la modestie de saint Luc qui, parlant de son Évangile, l’appelle seulement un Livre, et il montre qu’on doit avoir toute confiance en un écrivain, témoin des faits qu’il raconte.
  • 3. L’orateur entre ensuite dans l’explication détaillée des premiers versets, et observe que les apôtres ont eu soin de prouver principalement la résurrection du Sauveur, parce que ce point étant bien établi, il était facile d’en faire découler sa divinité.
  • 4. Si Jésus-Christ voulut que les apôtres attendissent, à Jérusalem, la venue de l’Esprit-Saint, ce fut pour qu’ils ne s’élançassent pas au combat à demi-armés, et pour qu’ils donnassent à leurs concitoyens les prémices de leur mission.
  • 5. L’Esprit-Saint lui-même ne descendit sur les apôtres que dix jours après l’Ascension, afin qu’ils se préparassent mieux à le recevoir comme Esprit de consolation.
  • 6. Et saint Chrysostome infère de ce titre la divinité du Saint-Esprit, autrement il n’eût pu les consoler de l’absence du Fils de Dieu.
  • 7 et 8. Et à l’occasion de ces paroles : Vous serez baptisés dans l’Esprit-Saint, il s’élève vivement contre la pernicieuse coutume de ne recevoir le baptême qu’à la dernière extrémité, et réfute les vains prétextes dont on colorait cette négligence.


1. Plusieurs ignorent l’existence même du livre des Actes, ainsi que le nom de son auteur. J’ai donc cru utile d’en entreprendre l’explication pour remédier à cette profonde ignorance, et vous révéler le riche trésor que ce livre renferme. Sa lecture ne nous sera pas moins avantageuse que celle de l’Évangile lui-même, tant il abonde en maximes de sagesse, en vérités dogmatiques et en récit de miracles, principalement de ceux que l’Esprit-Saint a opérés. Il mérite ainsi d’être lu avec attention et d’être commenté avec soin. Nous y voyons en effet l’accomplissement des prédictions que Jésus-Christ a faites dans son Évangile ; la vérité y brille de toutes les clartés de l’histoire, et, après la descente du Saint-Esprit, les apôtres y paraissent des hommes tout nouveaux. Jésus-Christ leur avait dit : « Celui qui croira en moi fera les œuvres que je fais et en fera de plus grandes ». Il leur avait également prédit qu’ils seraient conduits devant les magistrats et les rois, flagellés dans les synagogues et exposés à mille cruels traitements. Mais il leur avait promis qu’ils sortiraient victorieux de toutes ces épreuves, et il avait annoncé que son Évangile serait prêché dans le monde entier. Eh bien ! le livre des Actes nous raconte le parfait accomplissement de ces diverses prédictions et de plu sieurs autres que les apôtres avaient recueillies de la bouche de Jésus-Christ. (Jn. 14,12 ; Mt. 10,18)
Vous y verrez les apôtres parcourir d’un vol rapide les continents et les mers, et de timides et grossiers qu’ils étaient naguère, devenir soudain des hommes nouveaux. Ils méprisent les richesses et la gloire, et ils se montrent supérieurs à la colère, à la volupté et à toutes les autres passions. Vous les verrez encore s’aimer comme des frères, étouffer tout souvenir de leurs anciennes rivalités et bannir tout désir comme toute dispute de prééminence. Mais surtout vous admirerez en eux le radieux épanouissement de la charité ; car ils cultivent avec un soin tout particulier cette vertu que Jésus-Christ leur avait tant recommandée, et dont il avait dit : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn. 13,35) Quant aux vérités dogmatiques, ce livre en renferme un certain nombre que sans lui nous ne connaîtrions que très-imparfaitement ; et l’on peut dire en général qu’il éclaire d’un jour tout nouveau la vie, les exemples et la doctrine de Jésus-Christ, qui est le chef de tous les chrétiens.
Toutefois, la plus grande partie des Actes contient le récit des travaux de saint Paul, qui a plus travaillé que tous les autres apôtres ; et la raison en est que l’auteur de ce livre est saint Luc, son disciple. Au reste, la fidélité de ce disciple à ne pas abandonner son maître est, entre mille preuves de sa haute vertu, une des plus éclatantes. C’est le témoignage que lui rend saint Paul,'lorsqu’il écrit à Timothée Démas et Hermogène m’ont quitté pour aller, l’un en Galatie et l’autre en Dalmatie, et « Luc est seul avec moi ». (2Tim. 4,11) Dans la seconde épître aux Corinthiens, il dit de lui que « son éloge se trouve, à cause de l’Évangile, dans toutes les églises » (2Cor. 8,18) ; et dans sa première épître aux mêmes Corinthiens, il avait déjà dit : « Jésus-Christ apparut à Pierre et ensuite aux onze, selon l’Évangile que vous avez reçu ». (1Cor. 15,5, 1) Or cet évangile est celui de saint Luc. Mais si Jésus-Christ a inspiré le premier ouvrage, il n’est pas moins évident qu’il a aussi inspiré le second. Et si l’on me demande pourquoi saint Luc qui est resté auprès de l’apôtre jusqu’à son martyre, n’a pas prolongé son récit jusqu’à ce moment, je répondrai que le livre des Actes, tel que nous le possédons, remplit parfaitement le but de l’écrivain. Car les évangélistes ne se sont proposé que d’écrire le plus essentiel ; et ils ont si peu ambitionné la gloire de beaucoup écrire, qu’ils nous ont laissé un grand nombre de traditions orales.
Toutes choses sont donc admirables en ce livre, mais principalement le langage simple et familier avec lequel les apôtres, sous la direction du Saint-Esprit, expliquent la divine économie de notre salut. Il faut observer aussi que, dans les questions élevées qui se rattachent à Jésus-Christ, ils ont peu parlé de sa divinité et se sont longuement étendus sur son humanité, sa passion, sa résurrection et son ascension. Car l’important, alors, était d’établir ces points de notre foi ; en sorte que l’on crût en Jésus-Christ ressuscité et monté aux cieux. Nous voyons dans l’Évangile que le divin Sauveur se préoccupe surtout de prouver qu’il a été envoyé par le Père ; et dans le livre des Actes, il insiste spécialement sur ces trois faits.. qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel, et qu’il est revenu vers celui qui l’avait envoyé. Ce dernier article était celui qu’il fallait proposer le premier ; autrement les dogmes de la résurrection et de l’ascension n’eussent rendu l’ensemble de la foi que plus incompréhensible aux Juifs. C’est pourquoi on les initie peu à peu et comme insensiblement aux plus sublimes vérités du christianisme. Aussi l’apôtre, annonçant Jésus-Christ dans Athènes, ne parle-t-il que de son humanité. Et c’était prudence de sa part ; car lorsque le Christ lui-même révélait aux Juifs son égalité de nature avec Dieu le Père, ils le traitaient de blasphémateur et voulurent plusieurs fois le lapider ; mais comment eussent-ils, après le supplice du calvaire, accueilli ce même langage dans la bouche de pauvres pêcheurs ?
2. Et pourquoi parler des Juifs, quand les apôtres eux-mêmes se troublaient et s’offensaient de la doctrine sublime que Jésus-Christ leur développait ? Aussi leur disait-il : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ». (Jn. 16,12) Si tels étaient les apôtres qui avaient vécu plusieurs années avec lui ; qui avaient vu ses miracles et qui avaient connu les secrets du royaume des cieux, des hommes tout récemment arrachés aux autels et aux sacrifices de l’idolâtrie, détrompés du culte des chats et des crocodiles, et éclairés à peine sur les erreurs du paganisme, pouvaient-ils soudain comprendre les sublimes mystères de la foi ? Quant aux Juifs, qui chaque jour répétaient ce précepte de la loi mosaïque : « Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, et il n’y a point d’autre Dieu que lui » (Deut. 6,4), qui avaient vu Jésus-Christ attaché à la croix, qui l’avaient eux-mêmes crucifié et mis dans le tombeau, et qui ne l’avaient point vu ressuscité ; s’ils eussent entendu tout d’abord proclamer que ce même Jésus était Dieu et égal à Dieu le Père, ils se seraient récriés contre cette doctrine et se fussent retirés. C’est pourquoi les apôtres ne leur révèlent que par degré la sublimité de nos dogmes, et se proportionnent à leur faiblesse. Remplis eux-mêmes de la plénitude de l’Esprit-Saint, ils opèrent des miracles plus grands que ceux de Jésus-Christ ; et ils les opèrent en témoignage de sa résurrection, et pour guérir ces infortunés paralytiques.
Ainsi saint Luc se propose, dans le livre des Act. de prouver la résurrection de Jésus-Christ, parce que ce point gagné, tout le reste suit facilement ; c’est le but de son livre, et comme le sommaire de tout son récit. Au reste, en voici la préface : « J’ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné ». Pourquoi rappeler son Évangile ? Afin de montrer sa scrupuleuse véracité. Car au commencement de son Évangile, il a dit : « J’ai cru qu’après avoir été exactement informé de toutes choses, depuis leur commencement, je devais en écrire l’histoire avec ordre ». Bien plus, peu content de ses propres recherchés, il s’en réfère au témoignage des apôtres, et continue ainsi : « Comme nous les ont racontées ceux qui dès le commencement les ont vues, et qui ont été les ministres de la parole ». (Lc. 1,1, 3) Mais parce que, dans ce premier ouvrage, il s’est gagné la confiance de ses lecteurs, il n’a pas besoin dans celui-ci dé recourir à de nouveaux témoignages ; Car Théophile est déjà persuadé, et de plus le livre lui-même porte tous les caractères d’une scrupuleuse véracité. Et en effet, nous ajoutons foi aux récits de saint Luc, quand il nous raconte ce que d’autres lui ont appris ; mais ne devons-nous pas le croire plus encore, quand il écrit, non d’après les récits qui lui ont été, faits, mais d’après ce qu’il a vu et entendu lui-même ? Aussi semble-t-il nous dire que si nous avons reçu son témoignage sur la vie de Jésus-Christ, nous ne saurions le récuser sur les apôtres. Mais quoi ! le livre des Actes est-il purement historique, et ne renferme-t-il aucun sens spirituel ? Nullement ; et en voici la raison. C’est que les apôtres, qui avaient rapporté à saint Luc les actions du divin Sauveur, qui en avaient été les témoins, et qui avaient été les ministres de la parole, étaient eux-mêmes remplis de l’Esprit-Saint. Et pourquoi ne dit-il pas : comme nous ont rapporté les choses ceux qui avaient mérité de recevoir l’Esprit-Saint, mais. « qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement ? » Parce qu’un témoin oculaire inspiré toujours une plus grande confiance. D’ailleurs, un autre langage eût peut-être paru vain et orgueilleux à des esprits prévenus ou bornés.
C’est ainsi que le Précurseur disait aux Juifs « Je l’ai vu, et j’ai rendu témoignage qu’il est Fils de Dieu » (Jn. 1,34), et que le Sauveur lui-même éclairait par les paroles suivantes l’ignorance de Nicodème : « Ce que nous savons, nous le disons, et ce que nous avons vu, nous le témoignons, mais personne ne reçoit notre témoignage ». (Jn. 3,11) C’est encore à ce même témoignage des yeux que Jésus-Christ faisait allusion, quand il disait à ses apôtres : « Vous me rendrez témoignage, parce que vous avez été avec moi dès le commencement ». (Jn. 15,27) Enfin les apôtres eux-mêmes tiennent souvent ce langage : « Nous en sommes tous témoins, ainsi que l’Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui croient en lui ». (Act. 2,32) Et saint Pierre, pour attester pleinement le fait de la résurrection de Jésus-Christ, dit : « Nous avons mangé et bu avec lui ». (Act. 10,41) Mais si les Juifs admettaient ainsi de préférence le témoignage des apôtres qui avaient vécu avec le Sauveur, c’est qu’ils ignoraient complètement la nature et les opérations de l’Esprit-Saint. Aussi saint Jean parlant du sang et de l’eau qui découlèrent du côté de Jésus, dit-il dans son évangile, qu’il l’a vu ; et il donne ce témoignage comme le plus certain de tous. Toutefois, l’inspiration de l’Esprit-Saint est pour tout autre qu’un infidèle, bien supérieure au témoignage des yeux. Au reste, saint Luc avait, lui aussi, reçu l’Esprit-Saint comme l’attestent les prodiges qu’opéraient alors tous les fidèles auxquels l’Esprit-Saint se communiquait indistinctement. Nous en avons encore une seconde preuve dans l’éloge que lui donne saint Paul, et dans la charge honorable que les églises lui avaient confiée. « Nous vous avons envoyé avec Tite », écrit-il aux Corinthiens, « un de nos frères dont l’éloge se trouve à cause de l’Évangile dans toutes les églises, et qui de plus a été choisi par ces églises pour nous accompagner dans nos voyages et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères ». (2Cor. 8,18-19)
3. Et maintenant, admirons tout d’abord la modestie et l’humilité de cet auteur. Il ne dit point : J’ai écrit un premier évangile, mais « un premier livre », jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage ; et cependant l’apôtre assure que « son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans toutes les églises ». Il s’exprime donc avec cette exquise modestie : « J’ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné ». Et pour mieux préciser l’époque qu’embrasse sa narration, il ajoute : « Depuis le commencement jusqu’au jour où il monta au ciel ». Mais l’évangéliste saint Jean nous déclare formellement qu’on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus-Christ. « Si elles étaient rapportées en détail », dit-il, « je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ». (Jn. 21,25) Comment donc saint Luc dit-il qu’il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné ? Il suffit d’observer qu’il ne dit pas : J’ai écrit tout ce que Jésus a fait et enseigné, il dit seulement : « J’ai écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné », c’est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que ses miracles, ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus important.
Remarquons ensuite combien est humaine et apostolique l’âme de saint Luc. Il entreprit cette œuvre pénible et difficile, la rédaction de son évangile, pour le salut d’un seul homme, « pour vous faire connaître », dit-il, « la vérité « dès choses qu’on vous a enseignées ». (Lc. 1,4) C’est qu’il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : « Ce n’est pas la volonté de mon Père qu’un seul de ces petits périsse ». (Mt. 18,14) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu’un seul livre, adressé a un seul et même lecteur, a-t-il voulu diviser l’ouvrage en deux parties ? C’est d’abord calcul de prudence, pour ne pas trop fatiguer son lecteur, et puis C’est que les deux récits sont bien différents.
Mais, avant de poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus-Christ lui-même a soin d’appuyer ses paroles de l’autorité de ses exemples ; il exhorte ses disciples à la douceur, et il leur dit : « Apprenez de moi « que je suis doux et humble de cœur ». (Mt. 11,29) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement qu’il pouvait dire : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ». (Mt. 8,20) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et accomplit ainsi cette parole : « A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau ». (Mt. 5,40) Mais il a donné plus que ses vêtements, puisqu’il a donné tout son sang. C’est cette même règle de conduite qu’il a prescrite à ses disciples ; aussi l’apôtre disait-il aux Philippiens : « Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ». (Phil. 3,17) Et en effet, rien de plus froid qu’un docteur qui ne sait que discourir : il est moins un philosophe qu’un comédien. Les apôtres ont donc voulu agir avant que de parler ; et véritablement ils avaient d’autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la passion du Sauveur son œuvre par excellence ; car c’est en souffrant qu’il a réalisé l’œuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption.
« Jusqu’au jour où, il s’est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu’il avait choisis ». « Les instruisant par le Saint-Esprit », c’est-à-dire, leur révélant une doctrine toute spirituelle, et nullement humaine.
Cette parole peut encore s’entendre dans ce sens qu’il leur enseignait ce que lui communiquait l’Esprit-Saint. Et c’est ainsi que Jésus-Christ, parlant humblement de lui-même, disait : « Je chasse les démons par l’Esprit de Dieu ». (Mt. 12,28) Et, en effet, l’Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles instructions donnait-il à ses apôtres ? « Allez », leur disait-il, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; leur enseignant à garder, tout ce que je vous ai confié ». (Mt. 28,19) Combien est glorieuse cette mission des apôtres, qui reçoivent l’ordre d’évangéliser l’univers, et dont les paroles seront remplies de l’Esprit-Saint ! Car c’est ce qu’indique cette remarque de l’écrivain sacré : « Jésus les instruisait par l’Esprit-Saint », c’est-à-dire, que les paroles qu’il leur adressait étaient esprit et vie.
Or, saint Luc ne s’exprime ainsi que pour concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le désir de connaître les secrets que Jésus-Christ leur a confiés. Et en effet, les apôtres vont parler selon l’inspiration de l’Esprit-Saint, et ils nous révéleront les préceptes qu’ils reçurent du Sauveur « jusqu’au jour où il fut élevé dans le ciel ». Saint Luc ne dit pas : Jusqu’au jour où le Christ monta dans le ciel, parce qu’il ne parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus-Christ, après sa résurrection, avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n’a écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s’y arrêtent ; il est vrai, un peu plus que – les deux autres ; et néanmoins leur récit est loin d’être précis et complet, car ils se hâtaient vers un autre but. Ce sont donc les apôtres qui, en nous rapportant ce qu’ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus-Christ. « Auxquels il se montra vivant ». Après avoir parlé de l’ascension de Jésus-Christ, saint Luc mentionne sa résurrection ; et parce qu’il avait dit : « Il fut élevé dans le ciel », il ajoute aussitôt qu’ « il se montra vivant à ses apôtres », afin de prévenir ce doute qu’il ne se serait élevé dans le ciel que par un secours étranger. Car s’il s’est ressuscité lui-même, à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle est moins étonnant que le premier.
4. Voyez-vous donc quels dogmes sublimes sont cachés sous cette simple parenthèse ! « Leur apparaissant durant quarante jours ». C’est que Jésus-Christ ne vivait pas au milieu d’eux comme avant sa résurrection. Aussi saint Luc ne dit-il pas : Leur apparaissant quarante jours, mais « durant quarante jours » ; car il se montrait et disparaissait successivement. Et pourquoi ? Parce qu’il voulait spiritualiser davantage leurs pensées, et rendre moins humain l’amour qu’ils lui portaient. Cette conduite attestait encore de sa part une profonde sagesse ; car elle disposait prudemment les apôtres à croire qu’il était ressuscité, et à confesser qu’il était plus qu’un homme. Or, le dogme de la résurrection de Jésus-Christ et celui de sa divinité semblaient se contredire ; car l’un s’appuyait sur des faits humains, et l’autre sur des faits tout opposés. Et cependant tous deux ont été établis en temps opportun.
Mais pourquoi Jésus-Christ ne s’est-il montré qu’aux apôtres, et non à tous les Juifs ? Parce que le plus grand nombre, ignorant le mystère d’un Dieu homme, l’eussent pris pour un fantôme. Et en effet, si d’abord les apôtres eux-mêmes furent troublés et demeurèrent incrédules, et s’ils ne se rendirent qu’après avoir touché ses plaies ; et après avoir mangé avec lui, quels eussent été les sentiments de la multitude ? C’est pourquoi Jésus-Christ voulut confirmer par de nouveaux miracles celui de sa résurrection, mais ces miracles n’ont pas eu seulement pour but de convaincre les apôtres, et ils sont encore pour nous tous une preuve certaine de la résurrection de Jésus-Christ. Cette même conviction qu’ils portèrent alors dans l’esprit de ceux qui en furent les témoins, se transmettra d’âge en âge à tous ceux qui les croiront. De là ce dilemme dont nous poursuivons les incrédules : Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, et s’il est encore mort, comment les apôtres ont-ils fait des miracles, en son nom ? Mais ils n’ont fait aucun miracle. Comment donc le christianisme s’est-il établi ? Car son établissement est un fait qui tombe sous les yeux et dont on ne peut ni contester, ni récuser la réalité.
Ainsi l’incrédule qui nie les miracles se confond lui-même, car ce serait le plus grand de tous les miracles, que, sans miracle, l’univers se soit converti à la voix de douze hommes pauvres et ignorants ; et en effet, ces pêcheurs n’ont point vaincu l’idolâtrie par l’argent, l’éloquence ou tout autre moyen naturel. Il faut donc reconnaître forcément en eux une vertu divine puisque leur couvre est au-dessus de toute force humaine. Jésus-Christ resta donc sur la terre encore quarante jours après sa résurrection, et il se montra fréquemment à ses apôtres, afin qu’ils pussent bien s’assurer de la vérité, eh bien se convaincre qu’il n’était point un fantôme ; mais, à cette première preuve, il voulut en ajouter une seconde, et, comme nous le dit saint Luc, « il mangea avec eux ». Aussi les apôtres ont-ils toujours soin de citer ce fait comme un témoignage certain de sa résurrection. « Nous avons mangé », disent-ils, « et nous avons bu avec lui ». (Act. 10,41)
Mais quel était l’objet de ces fréquentes apparitions ? Saint Luc nous l’apprend par ces mots : « Il leur apparaissait et leur parlait du royaume de Dieu ». Les apôtres étaient découragés et troublés par tout ce qui était arrivé ; et, en outre, Jésus-Christ allait les lancer sur de terribles champs de bataille : il leur découvre donc l’avenir pour les fortifier, et « leur commande de ne point quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du a Père ». D’abord, dans le premier instant de leur crainte et de leur frayeur, il les avait amenés dans la Galilée, afin qu’ils pussent écouter sa parole avec plus d’assurance et de liberté ; mais, après qu’ils eurent entendu cette parole, et joui de ses entretiens pendant quarante jours, « il leur commanda de ne point quitter Jérusalem » ; et pourquoi ? Le général retient ses soldats dans les rangs jusqu’à ce qu’ils soient complètement armés, et il ne lance point sa cavalerie avant que chaque cheval n’ait reçu son cavalier ; et ainsi Jésus-Christ ne veut point que ses apôtres affrontent le combat sans avoir reçu l’Esprit-Saint, de peur qu’ils ne succombent sous la multitude de leurs ennemis.
J’ajoute encore deux autres raisons : la première, qu’un grand nombre de Juifs devaient croire dans Jérusalem, et la seconde, pour qu’on ne dît pas qu’abandonnant leurs amis et leurs concitoyens, ils allaient par orgueil prêcher l’Évangile à des peuples étrangers. C’est pourquoi ils annonceront d’abord la résurrection de Jésus-Christ à ces mêmes Juifs qui l’ont mis à mort, qui l’ont crucifié et enseveli, et dans les lieux mêmes où ce déicide a été commis. Disons aussi que rien ne frappa davantage les païens ; car, voyant la conversion (le ceux mêmes qui avaient crucifié Jésus-Christ, ils en conclurent la réalité de leur crime et la certitude des mystères de la croix et de la résurrection. Enfin, Jésus-Christ veut en dernier lieu prévenir cette objection que pouvaient lui faire les apôtres : Comment nous, qui sommes si peu nombreux et si faibles, pourrons-nous vivre au milieu de cette foule d’hommes pervers et homicides ? Mais voyez comme le divin Sauveur aplanit d’avance et résout toutes les difficultés « en leur commandant d’attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de ma bouche ». Et quand est-ce qu’ils l’ont entendue ? Lorsqu’il leur avait dit : « il vous est avantageux que je m’en aille, car, si je ne m’en vais, l’Esprit consolateur ne viendra pas en vous » ; et encore : « Je prierai mon Père et il vous enverra un autre Consolateur qui demeurera avec vous ». (Jn. 16,14, 16)
5. Et maintenant pourquoi l’Esprit-Saint ne fut-il pas donné en présence même de Jésus-Christ, ou du moins immédiatement après son ascension. Car Jésus-Christ ne monta au ciel que le quarantième jour, et le Saint-Esprit ne descendit sur les apôtres que le cinquantième ; en outre, puisque l’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, comment Jésus-Christ avait-il pu dire : « Recevez l’Esprit-Saint ? » (Jn. 20,22) Je réponds à cette dernière objection que, par cette parole, Jésus-Christ disposait et préparait ses apôtres à recevoir l’Esprit-Saint. Car si le prophète Daniel trembla à la vue d’un ange, combien plus l’approche d’une si grande grâce devait-elle troubler les apôtres ! On peut répondre aussi que le Sauveur parlait de ce qui devait arriver, comme d’une chose déjà faite. C’est ainsi qu’il avait dit à ces mêmes apôtres : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l’ennemi ». (Lc. 10,19)
Mais pourquoi la descente du Saint-Esprit n’eut-elle pas lieu immédiatement ? C’est qu’il fallait que, par l’ardeur de leurs désirs, les apôtres méritassent de la recevoir. De plus, l’Esprit-Saint ne descendit sur eux que lorsque Jésus-Christ les eut quittés, car s’il fût venu pendant que le divin Sauveur était au milieu d’eux, ils l’eussent beaucoup moins désiré ; et il différa même huit ou neuf jours après l’ascension, parce que rien ne nous porte plus à Dieu que le sentiment du besoin. Ainsi Jean le précurseur n’envoie ses disciples à Jésus-Christ qu’au moment où sa captivité leur rendait ce secours nécessaire. D’ailleurs, il convenait que notre nature prît d’abord possession du ciel, et qu’ainsi fût accompli l’acte de notre réconciliation ; alors seulement la venue de l’Esprit-Saint pouvait inonder les cœurs d’une joie pure. Et en effet, si Jésus-Christ eût attendu pour se retirer la venue de l’Esprit-Saint, la présence de celui-ci eût apporté aux apôtres moins de consolation, car ils étaient si fortement attachés à leur divin Maître, qu’ils ne pouvaient s’en séparer qu’avec une peine extrême. Aussi leur disait-il lui-même pour les consoler : « Il vous est avantageux que je m’en aille ». (Jn. 16,17) Il voulut donc retarder de quelques jours l’envoi de l’Esprit-Saint, afin que, pénétrés et de douleur pour son absence et du vif sentiment de leur faiblesse, ils éprouvassent, comme je l’ai dit, une joie pure et parfaite.
Mais si l’Esprit-Saint était inférieur au Fils, il n’eût pu être pour les apôtres une consolation suffisante ; et comment Jésus-Christ leur eût-il dit : « Il vous est avantageux que je m’en aille ? » C’est pourquoi il était réservé à ce divin Esprit clé répandre en eux les plus vives lumières de la science et de la doctrine, afin qu’ils ne le crussent pas inférieur au Fils. Il n’était pas moins nécessaire que Jésus-Christ leur commandât de rester à Jérusalem, en même temps qu’il leur promettait de leur envoyer le Saint-Esprit. Autrement ils se fussent dispersés après son ascension ; mais l’attente de ce divin Esprit fut comme un lien qui les retint dans Jérusalem. Ainsi, Jésus-Christ commanda à ses apôtres « d’attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de ma bouche. Car Jean », ajouta-t-il, « a baptisé dans l’eau ; mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit sous peu de jours ». (Act. 1,5) Le Sauveur déclare ici quelle distance le sépare du précurseur ; et ce n’est point obscurément, comme quand il avait dit : « Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui ». (Mt. 11,11) Mais il parle manifestement : « Jean », dit-il, « a baptisé dans l’eau, mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit ». Ainsi, il n’allègue donc plus l’autorité du précurseur, et se contente de le nommer, rappelant ainsi les divers témoignages qu’il lui a rendus. Il révèle ainsi à ses apôtres leur propre supériorité sur Jean-Baptiste, parce qu’ils doivent être baptisés dans l’Esprit-Saint. Observez encore que Jésus-Christ ne leur dit ras : Je vous baptiserai dans l’Esprit-Saint ; mais : « Vous serez baptisés ». Et cette parole est pour nous une leçon d’humilité : car il est évident, par le témoignage même du précurseur, que c’était Jésus qui baptiserait. « Il vous baptisera », avait-il dit, « dans le Saint-Esprit et dans le feu ». (Lc. 3,16) Aussi, le Sauveur se contente-t-il de nommer saint Jean.
L’Évangile nous raconte donc les actions et les discours de Jésus-Christ, et les Actes des Apôtres contiennent le récit des opérations diverses du Saint-Esprit. Sans doute, ce divin Esprit n’avait point cessé d’agir, de même que le Christ continue encore sa puissante action ; mais il avait agi jusqu’alors par l’humanité sainte du Sauveur, en laquelle il résidait, comme dans son sanctuaire, et maintenant il agit par ses apôtres. Il s’était reposé dans le sein virginal de Marie, et y avait formé le corps du Sauveur Jésus, en qui il habitait, comme dans son temple ; mais il descendit alors sur les apôtres, il avait apparu autrefois sous la figure d’une colombe, et dans ce jour il se montra sous celle de langues de feu. Pourquoi ces symboles différents ? Parce qu’au baptême de Jésus-Christ, il annonçait le règne de la douceur, et qu’au jour de la Pentecôte, il prophétisait la sévérité de la vengeance. Et c’est avec raison qu’on nous parle ici de jugement ; car, si la miséricorde divine surabonde seule dans la rémission des péchés, il est juste, quand une âme a reçu les dons dé l’Esprit-Saint, examiner et d’apprécier l’usage qu’elle en fait.
Mais comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : « Vous serez baptisés », puisqu’il n’y avait point d’eau dans le cénacle ? C’est que l’Esprit-Saint supplée à l’élément de l’eau. Et c’est ainsi qu’on dit de Jésus qu’il est Christ, quoiqu’il n’ait reçu aucune onction d’huile, parce que l’Esprit-Saint s’est reposé en lui. Au reste, il est facile de prouver que les apôtres ont également reçu le baptême de l’eau, mais antérieurement. La pratique aujourd’hui est d’administrer en même temps le baptême et la confirmation, mais il n’en a pas été ainsi des apôtres, car ils furent d’abord baptisés par Jean-Baptiste. Et ne nous en étonnons point, les publicains et les courtisanes accouraient à son baptême, à plus forte raison ceux qui devaient être baptisés dans l’Esprit-Saint. Mais comme le Sauveur avait souvent entretenu ses apôtres de la venue de l’Esprit-Saint, ils eussent pu penser qu’il s’en tiendrait encore à une promesse qui ne se réaliserait jamais. C’est pourquoi il a soin d’ajouter que « ce sera sous peu de jours ». Toutefois, il ne précise point le jour, afin d’exciter leur vigilance ; mais il le leur annonce comme proche, pour entretenir leur courage ; et s’il ne le leur fait point connaître plus explicitement, c’est qu’il veut qu’ils se tiennent toujours prêts et disposés. A ce premier motif de confiance), la brièveté du retard, il en ajoute un second, l’assurance « de la promesse qu’ils ont entendue de sa bouche ». Car ce n’est plus ici, semble-t-il leur dire, une simple parole, mais une promesse solennelle. Quant à nous, ne nous étonnons point que Jésus-Christ nous cache le jour de son dernier avènement, puisqu’il n’a point voulu révéler à ses apôtres le jour si proche de la descente du Saint-Esprit. Et son silence à cet égard a eu pour but de les maintenir dans une attente vive et inquiète.
6. Et en effet, la grâce, je ne saurais trop le dire, la grâce ne se communique qu’aux âmes attentives et vigilantes. Aussi, le prophète Élie dit-il à son disciple : « Si tu me vois, lorsque je serai enlevé, tu auras ce que tu as demandé ». (2R. 2,10) Le Sauveur lui-même adressait presque toujours cette question à ceux qui l’approchaient : Croyez-vous ? car si nous ne désirons vivement le bienfait que nous sollicitons, nous n’en apprécierons que faiblement le prix et l’importance. C’est ainsi encore que saint Paul ne recouvra pas la vue sur-le-champ, mais il resta aveugle pendant trois jours ; et durant cet intervalle, la crainte le purifiait de ses péchés, et le disposait à recevoir l’Esprit-Saint. L’ouvrier qui teint en pourpre, fait subir aux étoffes une certaine préparation afin qu’elles retiennent mieux l’éclat de la couleur. Et c’est ainsi que Dieu veut que d’abord notre âme se dispose par une active vigilance à recevoir la plénitude de ses grâces. Il n’envoya donc point tout aussitôt l’Esprit consolateur, et attendit jusqu’au jour de la Pentecôte.
Peut-être demanderez-vous pourquoi nous ne conférons pas le baptême en ce jour, mais seulement à la fête de Pâques ? La raison en est que si la grâce du sacrement est la même dans ces deux jours, le jeûne qui précède le second y dispose mieux l’âme. Un second motif, non moins grave, se tire du temps même de la Pentecôte. Quel est-il ? Nos pères ont considéré le baptême comme un frein puissant contre les passions, et une forte leçon de morale, en sorte qu’à l’époque même des plaisirs, il puisse nous retenir dans les bornes de la tempérance chrétienne. C’est pourquoi, lorsque nous devons nous nourrir de Jésus-Christ, et nous asseoir à sa table sainte, nous évitons les moindres péchés, et nous nous préparons à la communion par le jeûne, la prière et la vigilance. Celui que le prince nomme à une charge importante, ne néglige rien de ce qu’exige sa nouvelle dignité ; et l’argent, le temps et les soins ne lui coûtent point pour se mettre à la hauteur de sa position. Mais quels châtiments ne méritons-nous pas, nous qui nous approchons de la table sainte avec tant de négligence, qui nous préparons si peu à recevoir cet aliment céleste, et qui, après l’avoir reçu, sommes si tièdes et si lâches ?
Mais si nous sommes lâches après la communion, c’est qu’avant de nous y présenter, nous n’avons pas veillé sur nous-mêmes. Aussi, en voit-on plusieurs retourner presque immédiatement à leur premier vomissement. On dirait qu’ils n’ont été délivrés de leurs anciens péchés que pour tomber dans un état plus grave encore, et se rendre dignes de plus rigoureux supplices. Et, en effet, rien n’irrite plus le courroux du souverain Juge que cette coupable négligence après la grâce d’une heureuse guérison. Aussi réalisent-ils à leur égard cette menace de Jésus-Christ au paralytique : « Voilà que vous êtes guéri ; ne péchez plus désormais, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis ». (Jn. 5,14) Le Sauveur fit aussi la même prédiction aux Juifs, et leur annonça que leur ingratitude serait punie des plus terribles châtiments. « Si je n’étais venu », dit-il, « et si je ne leur eusse parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jn. 15,22) Le péché de rechute est donc empreint d’une double et quadruple malice. Et comment ? Parce qu’après avoir reçu l’honneur de la régénération spirituelle, nous devenons ingrats et pécheurs. Aussi le baptême n’est-il point pour nous un titre à un châtiment moins sévère.
Observez, en effet, que ce sacrement efface tous les péchés, quelque graves qu’ils soient l’homicide ou l’adultère. Oui, il n’est aucun péché, ni aucune impiété que le baptême ne puisse remettre, parce que la grâce divine est pleine et entière. Supposons donc maintenant qu’après votre baptême vous retombiez dans ces mêmes crimes, sans doute le pardon qui vous a été précédemment accordé, n’est point révoqué, « car les dons de Dieu et sa grâce sont sans repentir » (Rom. 11,29) ; mais vous n’en mériterez pas moins, pour ces nouveaux péchés, un même châtiment plus rigoureux que si les premiers ne vous eussent pas été pardonnés. Car ici ce n’est plus un simple péché, mais un double et triple caractère de malice. Au reste, l’apôtre nous apprend combien est grande la punition de ces péchés. « Celui », dit-il, « qui viole la loi de Moïse, est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins ; songez donc combien mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, profané le sang de l’alliance, et outragé l’esprit de la grâce ». (Héb. 10,28, 29)
Je crains que quelques-uns n’interprètent mes paroles comme un conseil de différer leur baptême. Mais telle n’est point mon intention, et je veux seulement exhorter ceux qui l’ont reçu à persévérer dans la tempérance et la douceur chrétiennes. J’appréhende, me direz-vous, de ne pas conserver l’innocence de mon baptême. Vous la conserverez en recevant ce sacrement dans de pieuses dispositions. Mais je ne le reçois point par un effet de cette même appréhension. Eh quoi ! ne craignez-vous pas de mourir sans baptême ? Le Seigneur est miséricordieux, me répondrez-vous. C’est pourquoi vous devez recevoir le baptême, car le Seigneur est bon et secourable. Or, quand il est question d’agir sérieusement, vous oubliez cette bonté, et quand il ne faut que différer selon vos désirs, vous vous en faites un prétexte et un motif. Mais aujourd’hui le moment est favorable pour user de cette bonté, et plus nous aurons fait ce qui dépend de nous, et plus aussi elle s’épanchera large et abondante. Celui qui se confie à la miséricorde divine, obtiendra par la pénitence le pardon des péchés commis après le baptême, mais celui qui veut raffiner sur cette même miséricorde, s’expose, s’il meurt sans la grâce du baptême, à d’inévitables supplices.
Et pourquoi hasarder ainsi votre salut ? Car il est impossible, oui, il est impossible, selon moi, que, bercé par de telles espérances, vous fassiez quelque chose de vraiment grand et généreux. Que ne bannissez-vous ces craintes chimériques ? Et pourquoi attendre un avenir incertain ? Ne vaut-il pas mieux échanger la crainte contre l’activité et le travail qui vous rendront devant Dieu grand et élevé ? Est-ce que vous préféreriez la crainte au travail ? Mais si l’on vous mettait dans une maison qui menace ruine et qu’on vous dît : Attendez indolemment que la charpente tombe sur votre tête, car elle peut tomber comme elle peut tenir encore, ou bien remuez-vous et passez dans un bâtiment plus sûr. Je vous le demande, choisiriez-vous une indolence pleine de dangers, plutôt qu’un travail plein de sécurité ? Eh bien ! agissez de même aujourd’hui, car l’avenir est incertain et ressemble à une maison qui menace ruine ; mais la réception du baptême, quelque laborieuse qu’elle soit, nous préserve de tout danger.
7. Sans doute, fasse le ciel que nous ne péchions point après notre baptême ! Mais si ce malheur nous arrivait, ne nous décourageons pas, car le Seigneur est miséricordieux, et il nous facilite mille moyens d’obtenir notre pardon. Au reste, de même que le chrétien qui pèche après son baptême mérite d’être puni plus sévèrement que le catéchumène, ainsi ceux qui connaissent les voies de la pénitence et ne veulent point les suivre, sont dignes de plus rigoureux châtiments. Et en effet, autant est immense la bonté de notre Dieu, autant, si nous n’en profitons point, s’accroîtront nos supplices. Que dis-tu, ô homme ? Rempli de malice et de misères, soudain tu es rentré en grâce avec ton Dieu, et par un don gratuit de sa bonté, et non par tes propres efforts, tu as été élevé à l’honneur de partager son héritage, et voilà que de nouveau tu retombes dans tes premiers désordres, quoique tu n’ignores pas que tu en seras sévèrement puni. Cependant, ce même Dieu, loin de te repousser, multiplie sous tes pas les voies de la pénitence et les moyens de recouvrer son amitié ; mais toi, tu ne veux te donner ni action, ni mouvement.
Comment mériter ton pardon ? Et comment échapper aux justes railleries des gentils qui traitent ta conduite de mensonge et d’hypocrisie ? Si votre religion, nous disent-ils, est la véritable, pourquoi un si grand nombre négligent-ils de s’y faire initier ? Certes, vos mystères sont sublimes et bien dignes d’être recherchés. Mais nul ne témoigne un sincère désir de se purifier par le baptême, et chacun le renvoie même à ce moment suprême, qui est bien plus l’heure de faire un testament que de demander l’initiation sacrée. Car celle-ci exige un esprit sain et une âme sobre et vigilante. Ainsi parlent les gentils ; et moi j’ajoute que, dans l’état où vous demandez le baptême, vous ne voudriez pas faire un testament de peur de donner prise à quelques chicanes. C’est pourquoi on a soin d’ajouter cette clause à tout testament : Moi vivant, et jouissant de toutes mes facultés, j’écris les présentes dispositions. Comment donc le catéchumène, qui n’a pas la conscience de ses actions, pourra-t-il dignement recevoir le saint baptême ?
Mais si les lois interdisent à celui qui ne possède point le plein usage de sa raison, de disposer de choses terrestres et de sa propre fortune, quand il s’agit du royaume des cieux et de ses biens infinis, serez-vous capable, affaibli par la maladie, de recevoir pleinement l’instruction chrétienne ? Comment pourrez-vous dire que vous êtes enseveli avec Jésus-Christ, puisque vous êtes sur le point de quitter la vie ? Que dis-je ? les paroles ne suffisent pas et la reconnaissance doit se manifester par les œuvres. Mais vous agissez comme celui qui se fait inscrire pour la milice lorsque la guerre est terminée, ou comme l’athlète qui se dépouille de ses vêtements quand les spectateurs quittent le cirque. Et en effet, le soldat ne revêt point son armure pour prendre incontinent la fuite, mais il veut combattre l’ennemi et remporter la victoire. Au reste, n’accusez point mes paroles d’être intempestives, parce que nous ne sommes plus au temps du carême ; car c’est pour moi une peine extrême que de vous voir observer si scrupuleusement à cet égard les temps et les moments. L’eunuque dont il est parlé au livre des Actes était en voyage, et toutefois il n’attendit pas une circonstance plus favorable. Et le geôlier de la prison où l’apôtre était détenu, le voyant battu de verges, chargé de fers et exposé à une longue captivité, se hâta de recevoir le baptême. Mais ici, on ne peut alléguer ni les embarras du voyage, ni les rigueurs de la prison, et l’on diffère jusqu’au dernier soupir.
8. Doutez-vous encore de la divinité de Jésus-Christ ? Eh bien ! sortez de ce lieu, n’écoutez plus la parole sainte, et rasez votre nom de la liste des catéchumènes. Mais si vous croyez au Christ Dieu et homme, et si vous êtes éclairé sur la religion, pourquoi ces retards, ces délais et cette négligence ? Je crains, dites-vous, de retomber dans le péché. Eh ! vous ne craignez pas un malheur plus grand encore, celui de quitter la vie tout chargé du poids de vos iniquités. Car l’on est plus coupable de ne pas recevoir la grâce qui nous est offerte, que d’échouer dans ses efforts pour la conserver. Dites-moi, que répondrez-vous au Seigneur quand il vous demandera pourquoi vous ne vous êtes pas approché du sacrement de la régénération, ou pourquoi vous n’en avez pas entièrement rempli les engagements ? Ici vous pourrez alléguer la difficulté des commandements et des vertus ; mais il n’en est pas de même à l’égard du baptême, puisqu’il est une grâce toute gratuite et un plein affranchissement.
Vous craignez de retomber dans le péché c’est bon à dire après le baptême ; et c’est alors en effet que vous devrez craindre de perdre votre liberté. Mais aujourd’hui pourquoi craindre d’en recevoir le don gratuit ? Eh quoi ! avant le baptême vous êtes pieux et fervent, et après le baptême vous seriez tâche et négligent ! Vous voulez attendre l’époque du carême. Et pourquoi ? Ce temps est-il plus privilégié qu’un autre ? Car ce ne fut pas au temps de Pâques, mais dans un autre, que les apôtres reçurent cette grâce. Ces huit mille hommes convertis par saint Pierre, le centurion Corneille, l’eunuque de la reine Candace et une multitude d’autres, n’ont pas été baptisés dans les solennités pascales. C’est pourquoi ne différons pas jusqu’à ce terme encore éloigné, de peur que, retardant toujours, nous ne soyons surpris par la mort vides de ce bienfait et privés de cette grâce. Ah ! vous ne sauriez croire combien je souffre lorsque, apprenant qu’un d’entre vous est mort sans baptême, je songe aux épouvantables tourments et aux inévitables supplices de l’enfer ! Mais mon anxiété n’est pas moins douloureuse quand j’en vois d’autres toucher à leurs derniers moments et ne témoigner aucun désir du baptême.
Aussi comme les choses se passent alors tout contrairement à la dignité de ce sacrement ! Car le baptême devrait toujours être une occasion de joies pieuses, de réjouissances et de fêtes, et voilà que l’épouse du malade apprenant qu’on se hâte sur l’avis du médecin, se répand en larmes et en soupirs, comme à l’approche d’un malheur. Bientôt, en effet, toute la ' maison retentit de cris et de gémissements, et l’on dirait qu’un criminel condamné à mort est conduit au supplice. Cependant le malade lui-même devient plus souffrant, et la guérison, quand elle a lieu, augmente son anxiété et semble le frapper d’un coup terrible. C’est que, ne s’étant point préparé au sacrement, il ne montre qu’une honteuse faiblesse et fuit les luttes de la vertu. Voyez-vous donc quels artifices déploie le démon, et combien il rend aux yeux dos païens notre foi risible et ridicule ! Mais si nous voulons nous soustraire à toutes ces dérisions, vivons selon les préceptes du divin Sauveur. Or, il a institué le baptême non pour crue nous le recevions à nos derniers moments, mais pour qu’après l’avoir reçu nous produisions des fruits de vie. Et comment direz-vous à un mourant : Couvrez-vous de fruits ? Et cependant ne savez-vous pas que « les fruits de l’Esprit-Saint sont la charité, la joie et la paix ? » (Gal. 5,22)
Mais hélas ! tout le contraire arrive. Une épouse verse des larmes quand elle devrait se réjouir ; des enfants sanglotent, quand ils devraient se livrer à la joie ; et le malade lui-même, déjà entouré des ombres de la mort, ne manifeste que trouble et qu’inquiétude ; ce jour devrait être pour lui un jour de fête, et il s’abandonne à un profond chagrin, parce qu’il va laisser ses enfants orphelins, son épouse veuve et sa maison déserte. Est-ce ainsi, je vous le demande, qu’on s’approche des saints mystères et que l’on s’assoit à la table eucharistique ? En vérité, ce n’est pas supportable. Lorsque l’empereur adresse aux prisonniers des lettres de grâces, c’est un sujet de joie et d’allégresse. Et quand, du haut des cieux, le Seigneur envoie son divin Esprit et nous remet, non une dette pécuniaire, mais tous nos péchés, vous n’accueillez cette grâce que par des pleurs et des gémissements. N’est-ce pas là une révoltante anomalie ? Je ne dis pas encore que l’eau baptismale n’est versée que sur un cadavre et qu’un sacrement est profané, car le ministère du prêtre n’est pas ici en cause, et je n’attaque que l’indifférence de quelques-uns. C’est pourquoi, je vous en conjure, élevez-vous au-dessus de toutes ces difficultés et approchez-vous du baptême avec un saint empressement. L’ardeur que nous aurons montrée sur la terre pour mener une vie chrétienne, nous donnera l’assurance de parvenir un jour au bonheur céleste. Puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II. modifier


OR, CEUX QUI ÉTAIENT PRÉSENTS, L’INTERROGEAIENT, DISANT : SEIGNEUR, SERA-CE DANS CE TEMPS-CI QUE VOUS RÉTABLIREZ LE ROYAUME D’ISRAËL ? (ACT. 1,6)

ANALYSE. modifier

  • 1. Saint Chrysostome, dans cette Homélie, développe d’abord les raisons qui ont porté le Sauveur à ne pas répondre directement à la question que lai faisaient les apôtres, s’il allait rétablir le royaume d’Israël, et il rapproche sa réponse évasive de celle qu’il leur fit quand ils l’interrogèrent sur la fin du monde.
  • 2. Il décrit ensuite l’admirable spectacle de l’Ascension ; et il tire une preuve de la divinité de Jésus-Christ de ce qu’il s’éleva par sa propre vertu, et sans le secours d’un char de feu, comme le prophète Elle.
  • 3. La vue de deux anges sous une forme humaine, vint alors consoler les apôtres consternés de ne plus voir Jésus, en les assurant qu’il reviendra, au dernier jour, de la même manière, c’est-à-dire, en son humanité sainte.
  • 4. Mais il ne pourrait reparaître en cette humanité, s’il n’était véritablement ressuscité ; c’est pourquoi l’orateur s’élève contre les Manichéens qui niaient la résurrection des corps, parce qu’ils regardaient la chair comme essentiellement mauvaise, et comme l’œuvre du principe du mal. – Ce principe, ils le faisaient coéternel avec Dieu, et soutenaient que Dieu n’était bon que pour le combattre.
  • 5. L’Orateur, pour réfuter ces blasphèmes, en montre l’extravagance, et prouve que sans le secours des sens corporels l’âme ne pourrait rien savoir, ni rien apprendre. – Enfin, il démontre que le mal ne peut exister exclusivement sans le bien, puisqu’il en renferme toujours quelque partie, et il termine par une profession de foi sur la résurrection des corps, dont celle de Jésus-Christ est le fondement et le modèle.


1. Les apôtres, voulant interroger Jésus-Christ, l’entourèrent tous ensemble, afin d’en obtenir une réponse, ne fût-ce que par unanimité de leur prière. Car ils n’ignoraient point que dans sa bouche cette parole : « Nul ne sait le jour » (Mt. 24,36), signifiait moins un refus formel et une complète ignorance qu’une réponse évasive. Ils s’approchent donc de nouveau et renouvellent leur demande. Mais ils n’eussent jamais osé la lui adresser s’ils n’avaient cru à sa prédiction ; et parce qu’il leur avait promis que bientôt ils recevraient l’Esprit-Saint, ils se croyaient déjà dignes de connaître ce jour et de jouir de la liberté promise. C’est qu’ils ne voulaient pas se lancer dans de nouveaux périls et ne songeaient qu’à goûter quelque repos. Et en effet, ils n’oubliaient point les dangers qu’ils avaient courus et même le péril de mort auquel ils avaient été exposés. Aussi, sans faire aucune mention de l’Esprit-Saint, posent-ils ainsi la question : « Seigneur, sera-ce dans ce temps-ci que vous « rétablirez le royaume d’Israël ? » Ils ne disent pas : Quand rétablirez-vous ? mais : Sera-ce présentement que vous rétablirez ; tant ils désiraient connaître ce jour ! C’est pourquoi ils abordent le Sauveur tous ensemble et comme pour lui faire honneur.
Je pense toutefois qu’ils ne comprenaient pas clairement en quoi consistait ce royaume, car ils n’avaient pas encore été instruits par l’Esprit-Saint. Observons aussi qu’ils ne disent pas : Quand cela arrivera-t-il ? mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Comme si déjà l’époque était passée. Au reste, cette demande prouve qu’ils étaient encore attachés aux choses de la terre, quoique bien moins qu’auparavant. Et cependant, quelque imparfaits qu’ils soient, ils se font déjà de Jésus-Christ des idées plus hautes ; et lui-même, les voyant plus avancés dans les voies spirituelles, leur tient un langage plus sublime. Il ne répète donc point ce mot : « Le Fils de l’homme ne connaît pas ce jour », mais il leur dit : « Ce n’est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance ». C’est comme s’il leur eût dit : Vous demandez à connaître une chose au-dessus de votre portée. Vous m’objecterez qu’ils avaient déjà connu des mystères bien plus relevés. Et si vous en doutez, direz-vous, voici quelques indications sommaires qui vous le prouveront. Oui, je vous le demande, quels mystères plus sublimes que ceux qui leur avaient été révélés. Car ils savaient que Jésus-Christ était Fils de Dieu et méritait les honneurs divins ; ils savaient qu’il ressusciterait, qu’il monterait au ciel, et qu’il s’assoirait à la droite de Dieu le Père. Ils savaient, prodige vraiment incroyable, que dans la personne de Jésus-Christ, notre chair, élevée au plus haut des cieux, serait adorée des anges, et que cet Homme-Dieu reviendrait sur la terre pour juger tous les hommes. Enfin, ils savaient que dans ce grand jour, assis eux-mêmes sur des trônes, ils jugeraient les douze tribus d’Israël, et que les gentils prendraient la place des Juifs rejetés.
La connaissance d’un avenir si admirable tient vraiment du miracle, et il semble qu’il est moins étonnant de savoir l’époque précise où un royaume sera rétabli. De plus, l’apôtre a connu des secrets qu’il n’est pas permis à l’homme de révéler, les choses qui ont précédé la création du monde. Est-il donc plus difficile d’en connaître la fin que le commencement ? Il le paraît, vous répondrai-je, puisque Moïse, qui nous a donné la chronologie du monde, n’en marque point la fin. Salomon possédait aussi ces mêmes connaissances, car il dit : « Je raconterai ce qui a été dès le commencement du monde ». (Sir. 51,11) Quant aux apôtres, ils connurent plus tard que l’avènement du Seigneur était proche, comme le prouve cette parole de saint Paul : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude ». (Phil. 4,5, 6) Mais alors ils ne le connaissaient pas, quoiqu’ils en eussent vu les signes avant-coureurs.
Observons aussi qu’au sujet de l’Esprit-Saint, Jésus-Christ s’était contenté de dire à ses apôtres, sans rien préciser, qu’ils le recevraient « sous peu de jours ». Et c’est pour les tenir dans l’attente qu’il adopte cette ligne de conduite. Car ce n’était plus, il est vrai, le dernier jour du monde qu’ils voulaient connaître, mais celui de sa royauté temporelle, comme le prouve leur demande : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Il ne leur fit donc aucune réponse positive. Quand ils l’avaient interrogé sur la fin du monde, il leur avait répondu sévèrement, pour éloigner d’eux la pensée que leur délivrance était proche. Et il les avait lancés dans les périls de la prédication évangélique. Ici, nous retrouvons la même conduite, mais avec un langage plus doux. Et en effet, il semble craindre que sa réponse ne leur paraisse une injure, ou un vain subterfuge ; aussi, entendez la promesse qu’il leur fait d’un Consolateur qui les remplira de joie. « Vous recevrez », leur dit-il, « la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». (Act. 1,8) Et aussitôt, pour prévenir une seconde interrogation, il, s’éleva vers les cieux.
Lorsqu’ils l’avaient interrogé sur le dernier jour du monde, il leur avait fait cette réponse toute pleine de terreur et d’obscurité : Je né le sais pas ; et ici il disparaît soudain à leurs regards. Car ils avaient un tel désir de connaître ce secret, qu’ils seraient revenus à la charge ; néanmoins, il était absolument nécessaire qu’il leur fût caché. Et en effet, je vous le demande, les gentils ont-ils plus de peine à croire le dogme de la fin du monde que celui d’un Dieu fait homme, né d’une vierge, et, conversant parmi les hommes. Certes, c’est bien ce dernier mystère. Vous ne sauriez en douter, et je rougis de tant insister sur une chose aussi simple. Les apôtres eussent pu dire à Jésus-Christ : Pourquoi nous tenez-vous en suspens ? et c’est pour prévenir cette parole qu’il leur parle « Des temps que le Père a disposés dans sa puissance ». Au reste, la puissance du Père et celle du Fils sont donc égales : « Car comme le Père ressuscite les morts et les vi« ville, ainsi le Fils vivifie ceux qu’il veut ». (Jn. 5,21) Mais s’il y a égalité de puissance dans les actions, comment n’existerait-elle pas dans la science des événements, puisque la résurrection d’un mort est bien supérieure à la connaissance du jour où le royaume d’Israël sera rétabli ? Pourquoi donc le Fils de Dieu, qui opère ce premier et si étonnant prodige, ne ferait-il pas à plus forte raison le second ?
2. La parabole suivante vous aidera à me comprendre. Lorsqu’un enfant pleure et nous demande un objet qui ne lui est pas utile, nous cachons cet objet, et montrant nos mains vides, nous lui disons : Je ne l’ai pas. Jésus-Christ en agit ainsi envers ses apôtres. Mais comme ce même enfant, si on ne lui présente rien, redouble ses pleurs et ses cris, parce qu’il croit qu’on se moque de lui, nous nous éloignons sous prétexte que quelqu’un nous demande, et au lieu de l’objet qu’il désirait, nous lui en offrons un autre. Nous avons même bien soin, pour écarter ses premiers désirs, de louer cet objet au-dessus de celui qu’il demandait, et nous nous esquivons aussitôt. Ainsi se conduisit le divin Sauveur. Ses apôtres l’interrogeaient curieusement, et il leur répondit qu’il ne pouvait satisfaire leur curiosité. D’abord cette parole les consterna, ruais bientôt ils renouvelèrent leur demande ; et de son côté, Jésus-Christ réitéra la même réponse. Cependant il ne cherche plus à les épouvanter, et après leur avoir rappelé : es œuvres, il leur donne une raison plausible de son refus : c’est que « le Père a disposé ces temps dans sa puissance ».
Eh quoi ! ô Jésus, n’êtes-vous pas initié aux secrets du Père ? Vous connaissez le Père, et il vous cacherait ses décrets ? vous avez dit « Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils » ; et encore : « L’Esprit pénètre toutes « choses, même les profondeurs de Dieu » ; et il n’y aurait que ce secret qui vous serait caché ? (Lc. 10,22 ; 1Cor. 2,10) Cela ne peut être ; et tel n’est point le sens de sa réponse. Mais Jésus-Christ a feint de ne pas connaître ce jour pour éloigner des questions intempestives. C’est pourquoi les apôtres n’osèrent plus l’interroger, de peur de s’attirer ce reproche : « Et vous aussi, vous avez perdu le sens ». (Mt. 15,16) Car ils ne l’abordaient alors qu’avec bien plus de réserve qu’auparavant. « Mais vous recevrez », ajoute-t-il, « la vertu « de l’Esprit-Saint qui viendra en vous ». Tout à l’heure il refusait de répondre à leurs questions, et maintenant, comme un maître qui seul est juge de ce qu’il doit dire à son élève, il leur révèle un secret dont la connaissance était utile pour calmer leurs frayeurs et étayer leur faiblesse. C’est aussi afin de mieux les rassurer et de raffermir leur courage, qu’il voile les difficultés de l’avenir. Comme il allait les quitter, il ne leur adresse nulle parole sévère, et avec un art infini il tempère le blâme par l’éloge. Ne craignez, point, leur dit-il, « car vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui viendra en vous, et vous serez mes témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie ». Auparavant il leur avait dit : « N’allez point vers les nations, et n’entrez point dans les villes des Samaritains ». (Mt. 10,5) plais aujourd’hui il veut qu’ils prêchent l’Évangile dans toute la Judée, dans la Samarie, et, ce qu’il dit pour la première fois, « jusqu’aux extrémités de la terre ».
Ce fut après cette solennelle parole que, prévenant toute nouvelle question, « il s’éleva en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux ». Eh bien ! les apôtres n’ont-ils pas rempli leur mission, et prêché l’Évangile ? Certes, Jésus-Christ leur avait confié une œuvre vraiment grande ! Jérusalem, avait-il dit, a été témoin de votre faiblesse, et c’est à elle que vous adresserez tout d’abord la parole que vous porterez ensuite jusqu’aux extrémités de la terre fuis, pour affermir leur croyance en ses paroles, « il s’éleva en leur présence ». Jésus-Christ, qui n’était point ressuscité sous le regard de ses apôtres, voulut donc monter au ciel en leur présence. C’est que dans ce dernier mystère il devait y avoir autre chose que le témoignage des yeux. Les apôtres, qui virent l’accomplissement du miracle de la résurrection, n’en avaient pas vu le commencement : et le contraire arriva dans l’ascension ; il leur eût été vraiment inutile d’assister au prodige de la résurrection, puisque Jésus-Christ devait en personne le leur raconter, et que d’ailleurs le tombeau vide le proclamait lui-même. Mais une parole divine pouvait seule nous apprendre ce qui suivit l’ascension.
Et en effet l’œil ne pouvait atteindre ces hauteurs incommensurables, ni s’assurer que le Christ s’était véritablement élevé jusqu’aux cieux. Aussi qu’est-il arrivé ? Les apôtres savaient que celui qui s’élevait était Jésus-Christ, et ils s’en rapportaient sur ce point au témoignage de ses propres paroles ; mais, parce qu’ils ne pouvaient plus le reconnaître dans un si prodigieux éloignement, il fut nécessaire que des anges vinssent les assurer qu’il était entré dans les cieux. C’est donc par suite d’une admirable disposition de la Providence, que dans ce mystère tout n’est pas révélé par l’Esprit-Saint, et qu’une partie nous est attestée par le témoignage des yeux. : liais pourquoi une nuée le déroba-t-elle aux regards des apôtres ? Cette nuée était un signe que déjà il avait pénétré dans les cieux. Et en effet, ce ne fut point un tourbillon de feu ni un char de feu qui le reçut comme le prophète Élie (2R. 2,11), mais une nuée qui symbolisait le ciel lui-même, selon cette parole du Psalmiste : « Le Seigneur s’élève sur les nuées ». (Ps. 103,3) Quoique cette parole s’applique principalement à Dieu le Père, on peut néanmoins l’entendre de Jésus-Christ, comme se rapportant à la puissance divine, car autrement la nuée n’aurait aucune signification symbolique. Le prophète Isaïe dit également : « Le Seigneur est assis sur une nuée a légère ». (Is. 19,1)
3. Ce prodige s’opéra donc au moment où les apôtres faisaient à Jésus-Christ une question qu’ils considéraient comme très-importante, et où tout préoccupés de ce qu’il allait leur répondre, ils étaient attentifs et vigilants. Une nuée protectrice couvrit le mont Sinaï, lorsque Moïse pénétra dans le tourbillon ; mais dans l’ascension, ce n’était point pour protéger Jésus-Christ. Observons aussi que le divin Sauveur ne dit pas absolument à ses apôtres « Je m’en vais », cette parole les eût contristés ; mais il leur dit : « Je vous enverrai l’Esprit consolateur ». (Jn. 16,5, 7) Quant à son élévation au plus haut des cieux, ils la virent de leurs propres yeux. Dieu ! quel magnifique spectacle ! « Et comme ils le contemplaient montant vers le ciel, voilà que deux hommes se présentèrent devant eux avec des vêtements blancs, et leur dirent : Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux ? Ce Jésus, qui du milieu, de vous a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l’y avez vu monter ».
Ce sont des anges qui leur apparurent sous une forme humaine, et avec un visage riant. Observons aussi la manière dont ils s’expriment : en parlant de Jésus-Christ, ils disent : « ce Jésus », comme le montrant du doigt, et en s’adressant aux apôtres, ils les nomment « hommes de Galilée », afin de donner à leur parole plus de poids et d’autorité. Autrement, pourquoi les désigner par le nom de leur patrie ? Ajoutons encore que l’éclat de leur beauté attirait sur eux les regards des apôtres, et prouvait surabondamment qu’ils venaient du ciel. Mais pourquoi Jésus-Christ leur envoie-t-il ses anges, au lieu de leur parler lui-même ? C’est que déjà il les avait instruits de toutes choses, et qu’il suffisait de les leur rappeler par le ministère des esprits célestes.
Ceux-ci ne disent point : ce Jésus qui a été élevé, mais « qui est monté au ciel », pour montrer au contraire dans ce mystère l’action de sa divinité. Quand ils veulent désigner son humanité ; ils disent : « Ce Jésus qui, du milieu de vous, a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». Car ici la divinité élève l’humanité. « Il viendra », disent-ils, et il ne sera pas envoyé. En quoi donc le Fils est-il moindre que le Père ? « Une nuée le reçut » ; expression parfaitement juste, puisqu’il s’éleva lui-même sur la nuée, selon cette parole de l’apôtre : « Celui qui est descendu, est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux ». (Eph. 4,10)
Observez donc comment les anges varient leur langage, selon qu’ils se proportionnent à l’intelligence des apôtres, ou qu’ils envisagent l’excellence du Fils de Dieu. D’ailleurs, cet admirable spectacle inspira aux apôtres des idées toutes sublimes, et leur donna une importante notion du second avènement de Jésus-Christ. « Il viendra de la même manière », dirent les anges. Cette parole signifie que Jésus-Christ paraîtra en son humanité sainte, ce que les apôtres désiraient tant savoir, et que ce sera aussi sur les nuées qu’il paraîtra pour le jugement général. « Et voilà », dit saint Luc, « que deux hommes se présentèrent devant eux ». Pourquoi, dit-il, « deux hommes ? » Parce que ces deux anges avaient revêtu une forme humaine, afin de ne point effrayer les apôtres. « Et ils leur dirent : Pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux ? » Cette parole est pleine de bienveillance, et toutefois elle n’annonce pas comme prochain le second avènement du Sauveur. Les anges en affirment seulement la circonstance la plus importante, la certitude que Jésus-Christ reviendra, et la confiance avec laquelle nous devons attendre son retour. Mais quand aura lieu ce retour ? C’est un détail moins important, et ils le taisent.
Cependant les apôtres, arrachés au magnifique spectacle qu’ils contemplaient, écoutent attentivement le message qui les assure que ce Jésus, qu’ils ne voient plus, est réellement monté au ciel, et qui les prémunit eux-mêmes contre une vaine curiosité. Car, si auparavant ils demandaient à Jésus-Christ : « Où allez-vous ? » aujourd’hui, bien que dans toute autre circonstance ils eussent dit : « Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » ils connaissaient tellement sa bonté, que, même après sa passion, ils renouvellent cette question : « Rétablirez-vous ? » Il leur avait dit auparavant : « Vous entendrez parler de guerre et de bruits de guerre, mais ce ne sera encore ni la fin », ni la prise de Jérusalem. (Mc. 13,7) Aussi les apôtres ne parlent-ils que du royaume d’Israël, et non de la fin du monde. D’ailleurs, ils n’avaient eu avec lui que de courts entretiens après sa résurrection, et c’est pourquoi, altérés de gloire et de célébrité, ils s’empressent de l’interroger sur ce prochain rétablissement. Mais Jésus-Christ se renferme dans un silence absolu, parce qu’il n’y avait pour eux aucune nécessité de le savoir. C’est donc par respect pour ce silence du divin Maître, qu’ils ne lui disent plus : « Quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde ? » mais : « Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Ils pensaient, en effet, que ce temps était déjà arrivé, quoique Jésus-Christ leur eût fait comprendre par une parabole qu’il n’était pas encore proche. Aussi ne répond-il à leur demande que par ces mots : « Vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui viendra en vous ».
Observez ici que Jésus-Christ dit, en parlant du Saint-Esprit, qu’ « il viendra » en eux, et non qu’il leur sera envoyé, afin de lui conserver un honneur égal à celui des deux autres personnes de la Trinité. Comment donc, ô ennemis de l’Esprit-Saint, osez-vous dire qu’il est une créature ? « Et vous serez mes témoins ». Cette parole donnait à entendre que Jésus-Christ allait monter au ciel, ou plutôt elle rappelait aux apôtres ce qu’il leur avait déjà annoncé. Au reste, c’est à l’ascension du divin Sauveur que se rapporte cette parole du Psalmiste : « Les nuées et l’obscurité sont sous ses pieds ». (Ps. 96,2) Et cette parole est identique à celle-ci : « Une nuée le reçut ». Reconnaissons donc en lui le roi des cieux, puisque son Père lui envoie un char royal : et il le lui envoie afin que les apôtres ne soient point tentés de murmurer ou d’imiter Élisée qui, voyant que son maître lui était ravi, déchira ses vêtements. Mais que disent les anges ? « Ce Jésus qui, du milieu de vous, s’est élevé dans le ciel, viendra de la même manière ». C’est avec raison aussi que saint Luc dit : « Et voilà que deux hommes se présentèrent devant eux ». Car, nous lisons au livre de la loi que toute affaire se termine sur la déposition de deux ou trois témoins. (Deut. 17,6) Aussi, les deux anges affirment-ils la même chose. « Avec des vêtements blancs ». Au sépulcre du Sauveur, les apôtres avaient déjà vu un ange brillant de lumière, qui leur avait révélé les pensées de leurs cœurs, et de même ici un ange leur annonce le mystère de l’ascension. Quant aux prophètes, ils en ont souvent parlé en le mêlant à celui de la résurrection.
4. Partout nous retrouvons ce ministère des esprits célestes : à Nazareth près de Marie, à Bethléem pour la naissance de Jésus, au sépulcre pour sa résurrection, et ici pour son ascension. De même aussi, dans son second avènement, les anges seront ses précurseurs. Mais ; après avoir dit : « Ce Jésus qui, du milieu de vous s’est élevé dans le ciel », ils ajoutent aussitôt, pour prévenir toute pensée de tristesse : « Il viendra de la même manière ». Les apôtres respirèrent donc un peu, en apprenant que Jésus ne leur était pas enlevé pour toujours, et qu’il reviendrait de la même manière qu’il était monté au ciel. Remarquons aussi ce mot. « Du milieu de vous ». Il a bien sa raison de convenance, car il rappelle aux apôtres l’amour de Jésus, le choix de leur élection, et la promesse de ne point lés abandonner. Jésus-Christ a voulu être seul témoin de sa résurrection ; et de tous les miracles qui ont précédé ou suivi l’incarnation, celui-ci est le plus étonnant. Aussi disait-il lui-même : « Détruisez ce temple, et dans trois jours je le relèverai ». (Jn. 2,19) Mais au jour de son ascension, ce sont des anges qui annoncent son second avènement, en disant : « Il viendra de la même manière ». Que celui donc qui désire voir Jésus-Christ, et qui s’attriste de ne pas l’avoir vu, recueille cette parole ; s’il mène une vie vraiment chrétienne, il est assuré de le voir et de réaliser ses désirs. Car il reviendra environné de gloire, porté sur les nuées, et dans son humanité sainte. Mais combien sera-t-il alors plus admirable de le voir descendre ainsi des cieux, que de (avoir vu s’y élevant de la terre ! Il viendra, disent les anges, mais ils se taisent sur les causes de ce second avènement. « Il viendra de la même manière » ; c’est une preuve de sa résurrection : car, s’il est monté au ciel en son corps, à plus forte raison est-il ressuscité en son corps. Où sont donc ceux qui nient la résurrection ? Sont-ils païens, ou chrétiens ? Je l’ignore ; ou plutôt, je ne le sais que trop bien. Ce sont des païens qui nient la création, et qui affirment également que Dieu ne peut ni tirer une créature du néant, ni la ressusciter du tombeau. Cependant, ils rougissent bientôt de méconnaître ainsi la puissance du Seigneur, et tâchent de s’excuser en disant qu’absolument il pourrait ressusciter les corps, mais que cette résurrection est inutile. Elle est donc bien vraie, leur répondrai-je, cette parole dé l’Écriture : « L’insensé ne dit que des extravagances ». (Is. 32,6) Quoi ! vous n’avez pas honte de refuser à Dieu le pouvoir de tirer du néant une créature ? Mais, s’il ne crée qu’avec une matière préexistante, en quoi diffère-t-il de l’homme ? Eh ! d’où vient le mal ? me direz-vous. Et moi, je vous répondrai que vous ne devez point, pour en expliquer l’existence, admettre un principe mauvais. D’ailleurs, votre langage est doublement absurde. Car, d’abord, si vous ne pouvez concevoir en Dieu le pouvoir créateur, vous comprendrez plus difficilement encore l’origine du mal ; en second lieu, vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. Réfléchissez donc combien il est dangereux de rechercher trop curieusement la source du mal, et parce qu’on ne la connaît pas, d’en faire un second Dieu. Sans doute, il vous est permis d’aborder cette question, mais évitez tout blasphème. Eh quoi ! je blasphème ! Oui, c’est un blasphème que d’affirmer l’éternité d’un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par lui-même ; mais vous avez oublié cette parole de l’apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait ». (Rom. 1,20) C’est pourquoi le démon dit que la matière préexistait avant Dieu et avant la création, afin que celle-ci ne nous conduise point à Dieu. Car, je vous le demande, est-il plus difficile de tirer une créature du néant que de rendre bon ce qui est essentiellement mauvais ? Je parle dans votre hypothèse, et, en supposant que ce principe existe, je dis qu’étant mauvais par lui-même, il ne peut être utilisé pour le bien. Et maintenant, pour parler des qualités d’un être, je vous demanderai lequel est le plus facile, ou d’ajouter une qualité qui n’existait pas, ou de changer une qualité existante en la qualité contraire ? Et encore, laquelle de ces deux choses est la plus aisée ou de bâtir une maison là où il n’y en a jamais eu, ou de relever des ruines ? Évidemment, c’est la première. Concluons donc que le difficile ou même l’impossible ce n’est pas de créer bon ce qui n’existe pas, mais de faire que ce qui est essentiellement mauvais devienne bon.
5. Dites-moi encore lequel est le plus difficile de composer un parfum, ou de forcer la fange à prendre les propriétés du parfum ? Et puisque nous soumettons les œuvres de Dieu à nos faibles raisonnements, (vous, du moins, car pour moi je m’en défends), répondez-moi n’est-il pas plus facile de former l’œil que de faire qu’un aveugle voie, tout en demeurant aveugle, et voie mieux que celui qui a les meilleurs yeux, que de se servir de la cécité pour opérer la vue, de la surdité pour produire l’audition ? Évidemment, la première chose est plus aisée. Eh bien ! vous accordez à Dieu le plus difficile, et vous lui refusez le plus facile 1 Mais pourquoi insister sur cette question ? Nos contradicteurs disent encore que nos âmes sont une portion de la substance divine. Quel langage impie et extravagant ! Ils veulent prouver que Dieu est l’auteur du mal, et ils ne profèrent qu’un horrible blasphème. Car ils font le mal coéternel à Dieu, à qui ils refusent toute existence antérieure. Ainsi ils ne rougissent point d’admettre le mal en partage d’une si haute prérogative.
Mais en second lieu, le mal, selon eux, est immortel ; car ce qui n’a pas eu de commencement, ne saurait avoir une fin. Entendez-vous ce blasphème ? Il faut donc nécessairement admettre que rien, ne vient de Dieu, ou dire que lui-même n’existe pas. Mais, en troisième lieu, comme je l’ai déjà observé, c’est là une contradiction flagrante, et qui ne peut qu’attirer la malédiction divine. En quatrième lieu, ils attribuent à une matière variable la puissance la plus absolue. En cinquième lieu, ils affirment que le mal est cause que Dieu est bon, en sorte que, sans le principe mauvais, la bonté divine n’existerait point. En sixième lieu, il nous ferment toute voie pour arriver à la connaissance de Dieu. Septièmement enfin, ils abaissent Dieu jusqu’à l’homme ; que dis-je ? jusqu’au bois et à la plante. Et en effet, si notre âme est une portion de la substance divine, et si elle passe dans le corps des animaux, et même dans les plantes, comme les concombres, les melons et les raves, il est permis de dire que Dieu lui-même s’écoule en un concombre.
Voulons-nous donc dire que l’Esprit-Saint s’est bâti un temple dans le sein virginal de Marie, ils sourient de dédain ; et quand nous ajoutons qu’il habite dans le sanctuaire de notre âme, nous provoquons leurs railleries. Et cependant ils ne rougissent point, par un nouveau genre d’idolâtrie, d’abaisser la substance divine jusqu’à un concombre, un melon, une mouche, un hanneton et un âne. Mais ce n’est pas la rave, direz-vous, qui est en Dieu, et c’est Dieu qui est dans la rave ; car jamais la rave n’a été Dieu. – Et pourquoi reculez-vous devant cet écoulement de la divinité dans les corps ? – Parce que ce serait peu digne de Dieu. – Mais votre système est mille fois plus indigne de lui. – Je ne saurais l’avouer. – Et pourquoi ? – C’est qu’il n’est réellement indigne de Dieu que d’habiter dans l’homme. – Découvrez-vous le venin de l’impiété ?
Mais pourquoi nient-ils la résurrection des corps, et que disent-ils à ce sujet ? C’est que, selon eux, la chair est essentiellement mauvaise. Et comment, leur dirais-je, connaissez-vous Dieu et la nature ? Comment encore un sage peut-il acquérir la sagesse sans le secours du corps ? détruisez les sens, et que pourrez-vous savoir et apprendre ? Quelle ignorance serait donc le partage de l’âme, si nos sens étaient viciés dans leur principe ! Car il suffit, pour affaiblir ses facultés, qu’une partie du corps, le cerveau par exemple, soit lésée ; et que serait-ce si le corps tout entier était mauvais ! Montrez-moi l’âme en dehors du corps et n’entendez-vous pas les médecins dire chaque jour qu’une maladie violente affaiblit nos facultés mentales ? Pourquoi donc, leur dirai-je encore, ne vous détruisez-vous pas ? Car le corps n’est-il pas matière ? – Certainement. – Vous devriez donc le haïr : et pourquoi encore lui prodiguez-vous la nourriture et mille caresses, quand depuis longtemps vous auriez dû le détruire et briser votre prison ? Mais peut-être Dieu ne peut-il agir sur la matière, s’il ne s’infuse en elle, et ne peut-il lui commander, s’il ne se mêle avec elle, et ne se répand en toutes ses parties ? Quelle faiblesse de raisonnement ! Dans un État, tous obéissent aux ordres du prince, et Dieu ne commanderait pas un principe mauvais ! Mais, en résumé, la matière elle-même ne saurait subsister, si elle ne contenait un peu de bien, car le mal ne peut exister sans cette adjonction, et, s’il n’était joint à quelque vertu, il n’existerait point. Telle est la condition du mal.
Supposez, en effet, un voluptueux qui ne se contraigne jamais, et il ne vivra pas dix jours : un malfaiteur qui attaque même ses complices, et il sera bientôt condamné à mort : un voleur qui dérobe publiquement, et il sera promptement jugé. Telle est donc la nature du mal, qu’il ne peut subsister que par le mélange de quelque bien, et telles sont, selon eux, les conditions d’existence gaie Dieu lui a imposées. Une société uniquement composée de citoyens pervers, ne saurait se soutenir ; et les méchants tombent dès qu’ils s’élèvent non plus contre les bons, mais contre eux-mêmes. « En vérité, ces hommes qui se disent sages sont devenus fous ». (Rom. 1,22) Car, si le corps de l’homme est mauvais, pourquoi les éléments qui nous environnent, l’eau, la terre, la lumière et l’air, ont-ils été créés ? Car l’air est un corps, quoiqu’il manque d’épaisseur et de solidité. Nous avons bien raison de dire, avec le Psalmiste : « Les impies m’ont raconté leurs fables ». (Ps. 118,85) Mais ce langage est intolérable, et nous ne devons plus l’écouter. Oui, la résurrection des corps est certaine ; c’est le dogme que proclament le tombeau vide du Sauveur et le bois auquel il a été attaché. D’ailleurs, les apôtres ne disent-ils pas : « Nous avons mangé et nous avons bu avec lui ? » Croyons donc à la résurrection, et que nos mœurs soient en rapport avec notre foi, nous obtiendrons ainsi les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III. modifier


ALORS LES APÔTRES RETOURNÈRENT A JÉRUSALEM, DE LA MONTAGNE APPELÉE DES OLIVIERS, ÉLOIGNÉE DE JÉRUSALEM DE TOUT LE CHEMIN QU’ON PEUT FAIRE UN JOUR DE SABBAT. (ACT. 1,12)

ANALYSE. modifier

  • 1. L’Orateur, après avoir montré les apôtres et les disciples retirés dans le Cénacle, explique la conduite de Pierre dans l’élection du successeur de Judas, et fait ressortir la primauté de cet apôtre, en même temps que sa douceur et sa condescendance.
  • 2. Il revient ensuite sur quelques circonstances précédentes, et fait admirer le zèle des disciples à persévérer dans la prière, et à ne faire tous qu’un cœur et qu’une âme : aussi le Cénacle était-il la vivante image du ciel. – Après cette digression, saint Chrysostome continue le récit de l’élection de saint Matthias, et trouve de belles paroles pour louer la prudence avec laquelle saint Pierre conduisit toute cette affaire.
  • 3. Il insiste sur le mot Haceldama, qui fut le nom du champ acheté des trente deniers que rapporta Judas, et il trouve dans la signification de ce mot, champ du sang, une prédiction des malheurs qui accablèrent les Juifs.
  • 4. L’Orateur prend occasion de l’abnégation humble et modeste que fit paraître le juste Joseph, lorsque le sort lent décidé contre lui, pour flétrir sévèrement ceux qui briguaient l’épiscopat, et il trace à grands traits les devoirs et les charges d’un véritable évêque.
  • 5. Il termine en disant que sa joie et sa consolation est de voir son cher troupeau marcher dans les voies de la justice et de la sainteté.


1. « Alors », dit saint Luc, « les apôtres revinrent ». Alors : à quel moment ? Après qu’ils eurent entendu les paroles des anges ; car, comment eussent-ils pu soutenir cette séparation, si Jésus-Christ ne leur eût promis de revenir ? J’incline aussi à croire que l’ascension arriva un jour de sabbat ; autrement saint Luc n’eût pas spécifié aussi exactement due : « La montagne des Oliviers est éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu’on peut faire un jour de sabbat ». On sait, en effet, que la longueur de ce chemin était fixée par la loi. « Et, étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute où demeuraient Pierre, Jacques et Jean ». Les apôtres étaient donc restés à Jérusalem après la résurrection ; et aux trois qu’il vient de nommer, saint Luc joint « André, frère de Pierre, Philippe et Thomas, Barthélemi et Matthieu, Jacques, fils d’Alphée, Simon le zélé, et Jude, frère de Jacques ». Or, ce n’est point sans raison qu’il dresse ainsi la liste des apôtres. Car puisque l’un avait trahi son divin Maître, qu’un autre l’avait renié, et qu’un troisième n’avait pas cru à sa résurrection, saint Luc nous assure, en les nommant tous, qu’à l’exception du traître, tous étaient rentrés en grâce.
« Ils persévéraient unanimement dans l’o« raison et la prière, avec les femmes ». Belle conduite ! Car la prière est une arme puissante contre la tentation, et le divin Maître leur en avait souvent parlé. D’ailleurs, leur situation présente les y portait assez ; et ils craignaient tant les Juifs qu’ils s’étaient renfermés dans une chambre haute. « Avec les femmes ». Ce sont celles qui, au témoignage du même évangéliste, suivaient le Sauveur « avec Marie, mère de Jésus, et ses frères ». Comment donc est-il dit que le disciple bien-aimé l’avait reçue chez lui ? » (Jn. 19,26) C’est qu’elle était revenue parmi les apôtres depuis que Jésus-Christ les avait réunis. « Et avec ses frères » : c’est-à-dire, avec ceux de ses proches qui d’abord ne croyaient pas en lui.
« En ces jours-là, Pierre se levant au milieu des frères ». Pierre est l’apôtre vif et impétueux auquel Jésus-Christ a confié la garde de son troupeau ; et parce qu’il est le premier en dignité, le premier aussi il prend la parole. Or, « ils étaient environ cent vingt ». Et il dit : « Mes frères, il fallait que ce qu’avait prédit l’Esprit-Saint fût accompli ». Mais ici on peut demander pourquoi Pierre ne s’adresse jas directement à Jésus-Christ, pour le prier de désigner celui qui devra remplacer le traître Judas, et pourquoi encore les apôtres ne se chargent pas seuls de cette élection ? Je réponds d’abord que Pierre était devenu moins présomptueux et plus humble, et je donne ensuite deux raisons de ce que les apôtres ont voulu remettre à Dieu le choix d’un douzième apôtre. La première est qu’ils étaient absorbés par de graves occupations, et la seconde, que ce mode d’élection prouvait parmi eux la présente du Sauveur. Et, en effet, c’était lui qui les avait choisis aux jours de sa vie mortelle, et c’est lui qui les choisit encore après son ascension. N’était-ce pas là pour eux une grande consolation ? Mais observez encore que Pierre prend en toutes choses l’avis de ses frères, et qu’il ne fait rien avec hauteur et autorité. Au lieu de dire simplement : Choisissons celui-ci à la place de Judas, il cherche à les consoler de ce crime horrible en usant de circonlocution. Car la trahison de Judas les avait profondément consternés ; et ne nous en étonnons point, aujourd’hui encore nous en sommes tout bouleversés : et que ne durent-ils donc pas éprouver ? « Mes frères » ; c’était le nom dont Jésus avait appelé ses apôtres ; et quel autre nom convenait mieux en la bouche de Pierre ? Aussi est-ce à tous qu’il adresse ce langage affectueux. Cette église du cénacle représentait donc l’ordre et la hiérarchie des esprits célestes. Car tous, hommes et femmes, ne faisaient qu’un : et c’est ainsi que nous devrions être. Nul ne se préoccupait alors du monde, ni même des soins de la famille, tant les épreuves nous sont utiles, et les afflictions salutaires !
« Il fallait que ce qui a été prédit par l’Esprit-Saint fût accompli ». A l’exemple de Jésus-Christ, Pierre console ses frères en leur rappelant la prophétie divine, et il leur montre que rien n’arrive par hasard, et que tout a été prédit. « Il fallait », dit-il, « que ce que l’Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David fût accompli ». Il ne dit point : David a prédit, mais l’Esprit-Saint par sa bouche. Voyez donc quelle doctrine saint Luc promulgue dès les premières lignes de son récit ; aussi ai-je eu raison de dire, en commençant ces homélies, que le livre des Actes était l’Œuvre du Saint-Esprit : « Ce que l’Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David ». Ici saint Pierre cite le roi-prophète, et s’appuie sur son témoignage, parce qu’il savait qu’auprès des apôtres son autorité serait plus grande que celle de tout autre prophète. « Touchant Judas qui a été le guide ». Quelle réserve dans son langage ! Nulle injure, nulle insulte ; il s’abstient même d’appeler Judas du nom de scélérat et de maudit. Il se contente donc de raconter le fait, et, sans prononcer le mot trahison, il cherche à rejeter sur les complices de Judas la honte de son crime. Encore ne les poursuit-il pas avec véhémence, et se borne-t-il à les désigner par ces mots : « Ceux qui ont pris Jésus ».
Remarquons aussi qu’avant d’indiquer le psaume de David d’où il a tiré cette prophétie, Pierre raconte l’action de Judas, afin que le présent soit une garantie de l’avenir. Il rappelle également que ce traître a déjà reçu le châtiment de son crime. « Car il était compté parmi nous », dit-il, « et il avait reçu sa part de ce ministère ; et il a possédé un champ du salaire de l’iniquité ». Ici le discours devient moral, et laisse entrevoir une sévère leçon. Pierre dit aussi que ce champ a été possédé par Judas, et non par les Juifs. Mais parce que des esprits faibles sont plus touchés du présent que de l’avenir, il rappelle immédiatement quel a été son châtiment. « Et s’étant pendu, il s’est brisé par le milieu du corps, et ses entrailles se sont répandues sur la terre ». Remarquez qu’il insiste bien plus sur la punition du crime que sur le crime lui-même, et qu’il en tire comme un motif de consolation. « Et ceci a été connu de tous les habitants de Jérusalem, en sorte que ce champ a été appelé en leur langue HACELDAMA, c’est-à-dire, champ du sang ».
2. Les Juifs l’appelèrent donc ainsi uniquement par rapport à Judas, qui lui valut ce nom. Et Pierre cite en témoignage les ennemis mêmes du Christ, car c’est ce que signifie cette parole : « En leur langue ». Enfin, après avoir raconté l’événement, il mentionne la prophétie qui l’annonçait. « Comme il est écrit au livre des Psaumes : Que sa demeure soit déserte, et que nul n’y habite, et qu’un autre reçoive son apostolat ». (Ps. 67,26) La première partie de la prophétie concerne la maison et les biens de Judas, et la seconde se rapporte à son apostolat et à son sacerdoce. Mais, par cette citation, Pierre semble dire : « que je vous propose est bien moins mon propre conseil que l’accomplissement des décrets de celui qui l’a fait prédire. Et en effet, le témoignage du Psalmiste empêchait qu’il ne parût vouloir exécuter seul cette élection, et faire ce que Jésus-Christ aurait fait lui-même.
« Il faut donc », dit-il, « que parmi ceux « qui ont toujours été unis à nous ». Pourquoi fait-il cette communication à toute l’assemblée ? Afin de prévenir toute contestation, et toute dispute. Car ce qui était autrefois arrivé aux apôtres pouvait se renouveler parmi les disciples. Aussi Pierre, qui veut en éviter jusqu’au moindre prétexte, a-t-il soin de dire dès le début : « Mes frères, il faut choisir parmi nous ». Ainsi il abandonne l’élection au choix de la multitude, et par là il témoigne de son respect envers ceux qui seront proposés, et éloigne de lui tout soupçon de partialité. Or, qui ne sait que souvent ce soupçon a causé les plus grands maux ? L’apôtre cite donc la prophétie pour établir la nécessité de l’élection, et il ne se réserve que de désigner ceux sur qui elle peut tomber, en disant : « Il faut choisir un de ceux qui ont toujours été unis à nous ». S’il eût circonscrit le choix parmi les plus dignes, il eût offensé tous les autres. C’est ce qu’il évite, s’en remettant au bénéfice de l’élection. Observons encore qu’il ne dit pas simplement : « Parmi ceux qui ont été unis à nous », mais « parmi ceux qui ont toujours été unis à nous pendant que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il faut qu’on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ». Eh ! pourquoi ce choix était-il nécessaire ? Afin que le collège apostolique fût complet. Mais est-ce que Pierre ne pouvait pas choisir lui-même ? Sans doute, il le pouvait, et il s’en abstint par humilité. D’ailleurs il n’avait pas encore reçu l’Esprit-Saint.
« Alors ils en présentèrent deux, Joseph, appelé Barsales ; et surnommé le Juste, et Matthias ». C’est l’assemblée qui les présente, et non pas Pierre. Celui-ci s’est borné à proposer cette élection, moins comme un projet venant de lui que comme l’accomplissement d’une ancienne prophétie. Ainsi, il interprète l’Écriture, et ne commande rien. « Ils présentèrent Joseph, appelé Barsales ; et surnommé le Juste ». Peut-être plusieurs parmi les frères se nommaient-ils Joseph : c’est pourquoi saint Lue désigne celui-ci par un double surnom. Nous observons également que parmi les apôtres plusieurs ont eu un surnom : ainsi nous trouvons Jacques fils de Zébédée ; Jacques fils d’Alphée ; Simon Pierre ; Simon le Zélé ; Jude, frère de Jacques et Judas Iscariote. Le surnom de Juste pouvait aussi lui venir du changement de ses mœurs, ou bien il se l’était donné lui-même. Quoi qu’il en soit, « ils présentèrent Joseph, appelé Barsabas, et surnommé le Juste, et Matthias ; et se mettant en prière ; ils dirent : Seigneur, vous, qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi pour prendre place dans ce ministère et dans l’apostolat dont Judas est déclin par son crime, pour s’en aller en son lieu ». Ils mentionnent ici son crime, comme pour déclarer qu’ils ne cherchent qu’un témoin de la résurrection de Jésus-Christ, et qu’ils ne veulent que compléter le collège apostolique. « Alors ils tirèrent leurs noms au sort, car l’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, et le sort tomba sur Matthias, et il fut compté avec les onze apôtres ». (Act. 1,20, 26)
« Ceux-ci », dit saint Luc (ayant entendu la parole des anges), « retournèrent à Jérusalem de la montagne appelée des Oliviers, éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu’on peut faire un jour de sabbat ». Cette remarque indique qu’ils n’eussent pu faire un long trajet dans l’état de frayeur et de crainte où ils se trouvaient. « Et étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute », parce qu’ils n’osaient se montrer dans la ville. Ils montèrent donc dans une chambre haute, afin qu’il fût plus difficile de les découvrir. « Et ils persévéraient tous unanimement dans la prière ». Observez ici avec quel soin ils persévèrent dans la prière, et admirez l’unanimité qui règne parmi eux. Elle est si grande qu’ils semblent tous ne faire qu’un cœur et qu’une âme. C’est le double témoignage que leur rend saint Luc.
Quant à Joseph, époux de Marie, il était probablement mort, car si les frères de Jésus croyaient en lui, comment fût-il resté incrédule, lui qui avait cru avant tous ? Et en effet, il ne considérait point le Christ comme un pur homme, ainsi que l’attestent ces paroles de Marie à Jésus : « Votre père et moi nous vous cherchions, fort affligés ». (Lc. 2,48) Joseph avait donc connu le divin Sauveur avant tous. Et celui-ci disait à ses frères : « Le monde ne peut vous haïr, mais il me hait ». (Jn. 7,7) Je veux aussi vous faire admirer la modestie de Jacques. Il était désigné pour être évêque de Jérusalem, et cependant il garde le silence. Considérez également la profonde humilité de tous les autres disciples : ils ont banni toute rivalité et se cèdent mutuellement les honneurs de l’apostolat. Car il semblait que cette église naissante habitât déjà dans les cieux et ne tint plus à la terre. Aussi, sans être revêtu de marbre précieux, le cénacle était-il tout resplendissant de la ferveur des premiers fidèles. « Et ils étaient », dit saint Luc, « environ cent vingt ». Ce nombre se composait sans doute des soixante-dix disciples que Jésus-Christ avait choisis lui-même, de quelques autres qui se distinguaient par leur piété, comme Joseph et Matthias, et des femmes qui suivaient le Sauveur.
3. Admirez ici la prudence de saint Pierre. Il commence par citer l’autorité d’un prophète, et ne dit point : Ma parole peut bien suffire, tant il est éloigné de toute pensée d’orgueil. Mais il n’envisage que l’élection d’un douzième apôtre, et il poursuit ce but, quoiqu’il n’ignore pas qu’il ne commande point à tous au même titre. Au reste, toute cette conduite prouve l’éminence de sa vertu, et montre que Pierre comprenait la prérogative du commandement bien moins comme une charge honorifique, que comme un engagement de veiller au salut de ses inférieurs. Au reste, ceux qui étaient proposés pour l’apostolat ne pouvaient en tirer vanité, car ce choix les exposait à mille dangers, et ceux qui n’étaient point désignés ne pouvaient également s’attrister et se croire déshonorés. Mais aujourd’hui, c’est tout le contraire qui arrive par rapport aux dignités ecclésiastiques.
Les disciples étaient au nombre de cent vingt, et de toute cette multitude, il n’en demande qu’un. Mais c’est à juste titre qu’il propose l’élection et qu’il prend dans cette affaire la principale autorité, parce que le soin de tous lui a été confié. Et en effet, Jésus-Christ lui avait dit : « Quand tu seras converti, confirme tes frères ». (Lc. 22,32) « Judas », continue donc saint Pierre, « avait été compté parmi nous », et c’est pourquoi il faut choisir en sa place un autre témoin. Là-dessus, il allègue, à l’exemple de son divin Maître, l’autorité de l’Écriture ; et il ne parle pas de Jésus-Christ lui-même, parce que le Sauveur avait souvent prédit cette trahison. Il s’abstient également de citer ce passage des Psaumes qui s’y rapporte évidemment : « La bouche du pécheur et les lèvres du fourbe se sont ouvertes contre moi » (Ps. 108,2) ; et il rappelle seulement la prophétie qui annonce le châtiment de l’apostat. C’était en effet tout ce, qu’il importait aux disciples de connaître.
Pierre déclare aussi combien a été grande envers Judas la bonté du divin Maître. Car « il avait été », dit-il, « compté parmi nous, et il avait reçu sa part de ce ministère ». « Sa part », dit-il toujours, montrant ainsi que tout vient de Dieu et de sa libre élection. Ce mot était encore un souvenir de l’ancienne loi et rappelait aux apôtres que Jésus-Christ les avait choisis pour être la part de son héritage, comme autrefois le Seigneur avait choisi les lévites. Enfin, Pierre insiste sur la fin honteuse de Judas, et il fait observer que le prix même de sa trahison en proclame le châtiment. « Il a possédé », dit-il, « un champ du salaire de l’iniquité ». Voyez comme tout arrive selon les décrets divins. « Le salaire de l’iniquité ». Certes, il est plus d’une sorte d’iniquités, mais nulle n’est plus criminelle que la trahison de Judas ; et cette trahison est une souveraine iniquité. Mais comme il ne suffisait pas qu’elle fût connue de la génération présente, les Juifs, à leur insu, et comme Caïphe, qui prophétisait sans le savoir, donnèrent à ce champ un nom qui devait perpétuer le souvenir de ce forfait. Le Seigneur les força donc à nommer ce champ « Haceldama », comme en prévision des malheurs de la nation.
Déjà même ce nom prouve un premier accomplissement de la prophétie par rapport à Judas ; car « il eût mieux valu pour lui de n’être jamais né ». (Mt. 26,24) Au reste, cette parole s’applique également aux Juifs, qui ne méritaient pas moins que leur guide d’être châtiés. Mais, pour le moment, saint Pierre n’en parle point, et il se borne à justifier ce nom prophétique : Haceldama, par la citation de ce verset des psaumes : « Que sa demeure soit déserte ». (Ps. 68,26) Et en effet, quel lieu plus désert qu’un tombeau ? Aussi ce champ fut-il avec raison appelé ainsi. Et Judas, qui en fournit le prix, quoiqu’il ne l’ait pas lui-même acheté, doit être justement considéré comme la cause d’une si grande désolation. Or, une étude sérieuse des faits nous montre que cette première désolation fut le principe de toutes celles qui accablèrent les Juifs. Eh ! ne savons-nous pas que la famine en fit périr des milliers, et que la guerre en moissonna un si grand nombre, que Jérusalem devint le cimetière des étrangers et des soldats ? Bien plus, on dédaignait d’enterrer les cadavres, parce qu’on les jugeait comme indignes des honneurs de la sépulture.
« Il faut », dit saint Pierre, « que parmi ceux qui se sont unis à nous ». Observez avec quel soin il veut des témoins oculaires, quoiqu’il sût bien que l’Esprit-Saint devait leur être envoyé, et qu’il y attachât une grande importance. « Qui se sont unis à nous pendant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous ». Cette dernière parole signifie que les apôtres avaient habité avec lui, et qu’ils avaient été plus que ses disciples. Car, dès le commencement, plusieurs le suivaient, comme nous l’apprenons de l’évangéliste qui nous dit « qu’André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient en« tendu Jean et qui avaient suivi Jésus ». (Jn. 1, 40) « Pendant tout le temps », poursuit l’apôtre, « que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean ». Il précise avec raison cette époque, parce que l’Esprit-Saint leur avait seul révélé les mystères qui avaient précédé, et qui échappaient à la connaissance des hommes. « Jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ». Il ne dit pas, un témoin de tous les miracles de Jésus-Christ, mais seulement un témoin de sa résurrection, parce qu’il avait droit à être cru sur tous les autres faits, celui qui pouvait dire : Ce Jésus, qui buvait et qui mangeait avec nous, et qui a été crucifié, est le même qui est ressuscité. Ainsi, il cherche, non un disciple qui ait vu les faits qui ont précédé ou suivi la résurrection, mais qui puisse rendre témoignage de celle-ci. Car les autres faits étaient publics et évidents, tandis que la résurrection s’était opérée comme en secret, et n’était connue que d’un petit nombre. Remarquez encore que les apôtres ne disent point : des anges nous l’ont affirmée, mais nous l’avons vue. Eh ! quelle preuve nous en donnez-vous ? Les miracles que nous faisons. Ils étaient donc des témoins entièrement dignes de foi.
« Alors, ils en présentèrent deux ». Et pourquoi pas un plus grand nombre ? Pour ne pas augmenter le trouble des esprits, et circonscrire l’élection. Ce n’est pas non plus sans raison que saint Luc ne place Matthias qu’au second rang ; cela prouve que souvent celui qui est prééminent devant les hommes, est bien petit devant Dieu. Et se mettant en prière, ils dirent : « Seigneur, vous qui connaissez les cœurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi ». Vous, Seigneur, disent-ils, et non pas nous. Et ils rappellent bien à propos qu’il connaît les cœurs, car c’est lui seul, et non les hommes, qui doit faire l’élection. Tous les disciples priaient donc avec une entière confiance, car il fallait absolument que l’un des deux fût choisi. Et ils ne disent pas : choisissez, Seigneur ; mais « montrez-nous lequel des deux vous avez choisi » ; parce qu’ils n’ignoraient pas le dogme de la prescience divine. « Pour prendre place dans ce ministère et l’apostolat ». C’est qu’en dehors de l’apostolat, il y avait un autre ministère. « Et ils les tirèrent au sort ». Ils s’en rapportèrent à ce signe de la volonté divine, se jugeant indignes de faire eux-mêmes l’élection.
4. L’histoire de Jonas nous apprend que sans égard à l’indignité des consultants, qui ne songeaient pas même à prier, le Seigneur dirigea le sort parce qu’ils agissaient de bonne foi. Mais ici cette direction ne pouvait leur faire défaut, puisqu’il s’agissait de compléter le chœur des apôtres et d’en parfaire le nombre sacré. Joseph ne murmura point de son exclusion, car, les apôtres ne nous l’eussent pas caché, eux qui nous ont rapporté les actes nombreux de murmures auxquels les principaux d’entre eux se laissèrent souvent entraîner. Imitons le silence de ce juste. Je ne le dis pas à tous, mais à ceux qui recherchent les dignités. Si vous croyez que le choix vient de Dieu, pourquoi murmurer ? Vous vous irritez et vous murmurez contre Dieu même, puisque c’est lui qui a fait ce choix. Or, dans ces circonstances, la jalousie et le murmure rappelleraient la conduite de Caïn. Celui-ci éprouva un vif ressentiment de ce que le sacrifice de son frère était plus agréable au Seigneur que le sien ; et il ne fit paraître qu’une basse et envieuse jalousie, lorsqu’il eut dû montrer un sincère repentir. Je ne dis point que vous en veniez jusque-là, mais je soutiens qu’il appartient à Dieu de dispenser utilement les charges et les dignités. Car, souvent vous, qui avez des mœurs simples et modestes, vous n’y êtes point propres. Et de même aussi, il ne suffit pas d’une vie pure et exemplaire pour gouverner une église. Car celui-ci est apte à un emploi, et celui-là à un autre – Il est facile d’en trouver mille exemples dans la sainte Écriture.
Mais je dirai franchement pourquoi l’on brigue ainsi l’épiscopat. C’est qu’on l’envisage moins comme une charge pleine de sollicitude pour le salut de ses frères, que comme un honneur et un repos. Ah ! si vous étiez bien persuadé qu’un évêque doit être le serviteur de tous, et qu’il doit porter les fardeaux de tous ; qu’on pardonne aux autres quelques mouvements de colère, et qu’en lui on n’en tolère aucun ; qu’on excuse beaucoup dans les autres, et que pour lui on est implacable, vous n’ambitionneriez pas cette dignité. Un évêque est exposé à la malignité de toutes les langues et à la critique de tous, des sages comme des insensés. En proie à mille inquiétudes, lé jour et même la nuit, il devient encore pour plusieurs un objet de haine ou de jalousie. Sans doute, je ne parle pas ici de ces évêques qui ne s’étudient qu’à plaire à tout le monde, qui craignent le moindre travail, et qui font de l’épiscopat un état de repos et de somnolence. Je les laisse de côté, et je parle de ceux qui veillent sur leur troupeau, et qui exposent leur salut pour sauver vos âmes.
Répondez-moi : Le père de famille qui a dix enfants, tous parfaitement soumis, et habitant avec lui, ne laisse-t-il pas néanmoins d’exercer sur eux une continuelle vigilance ? Eh l que fera donc un évêque dont la nombreuse famille qui reconnaît son autorité n’est point placée sous son œil, ni sous sa main ? Mais, direz-vous, il est entouré d’honneurs. De quels honneurs ? Sur la place publique, les derniers des mendiants lui prodiguent l’injure et le sarcasme. Eh ! pourquoi ne leur ferme-t-il pas la bouche ? Vous parlez tout à votre aise ; mais la chose n’est pas facile à faire. Oui, si un évêque ne donne aux fainéants comme aux travailleurs, tous s’accordent pour le décrier, et tous osent l’accuser et le calomnier. Si c’était un prince, la crainte arrêterait ; mais ici, ce motif est nul, car les insulteurs ne craignent point Dieu.
Qui pourrait encore se représenter les soucis d’un évêque par rapport à la prédication, au maintien de la doctrine, et aux nombreuses difficultés des ordinations ? Peut-être suis-je moi-même un évêque faible, misérable et de nulle valeur ; mais il me semble que les choses sont bien telles que je les dépeins. Aussi, un pasteur est-il véritablement comme une nacelle qui est battue des vagues. Car de tous côtés, il est assailli par ses amis et ses ennemis, par ses proches et par les étrangers. Eh quoi ! un seul empereur gouverne l’univers, et un évêque ne l’est que d’une seule ville. Je l’avoue, et néanmoins les sollicitudes de l’évêque sont d’autant plus grandes que la mer est plus houleuse et les vagues plus furieuses. Comment ? C’est que le prince fait agir ses nombreux ministres, et que ses lois et ses volontés sont parfaitement exécutées. Mais ici il n’en est pas de même. L’évêque ne saurait commander avec une souveraine autorité ; s’il est sévère, on l’appelle rigide, et s’il est bon et facile, on l’accuse d’être lâche et indifférent. Il faut donc qu’il unisse en lui comme deux éléments contraires, et qu’il ne s’attire ni le mépris, ni la haine.
Que dirai-je de la préoccupation des affaires ? Combien d’hommes il doit nécessairement offenser, même sans le vouloir ! et combien d’autres il est obligé de traiter avec sévérité ! Je parle ici dans toute la sincérité de mon âme, et je dis que peu de pasteurs se sauvent, et que le plus grand nombre se damnent, parce que la charge pastorale exige une vertu héroïque. Et en effet il faut que sans cesse l’évêque fasse violence à son caractère, et qu’il exerce sur lui-même la plus active vigilance. Eh ! ne voyez-vous pas quel es qualités doit posséder un évêque ? Il doit être puissant en doctrine, patient, et capable d’instruire fidèlement. Mais que de difficultés dans ce ministère de la parole ! Bien plus, l’évêque est responsable du salut de ses frères ; et, pour ne citer qu’un seul exemple, si par sa faute un catéchumène meurt sans baptême, son salut n’est-il pas bien hasardé ? car la perte d’une âme est un malheur qu’on ne peut assez déplorer.
Le salut d’une âme est d’un si haut prix que, pour l’assurer, le Fils de Dieu s’est fait homme, et qu’il est mort sur la croix : de quels supplices la perte de cette âme ne sera-t-elle donc pas punie ? La justice des hommes condamne l’homicide au dernier supplice ; eh ! que ne fera pas la justice divine ! Ne me dites point qu’ici le prêtre ou le diacre sont seuls responsables, car leur péché rejaillit sur l’évêque qui leur a imposé les mains. Nouvelle difficulté : un indigne a reçu l’ordination. Que conseillera la prudence pour réparer des fautes accomplies ? L’évêque marche alors entre deux précipices, car il ne doit, ni tolérer l’homme en question, ni scandaliser les fidèles. Faut-il donc retrancher tout d’abord ? mais l’occasion ne se présente pas. Faut-il tolérer ? ce serait le mieux, direz-vous, car les fautes de ce clerc retombent sur celui qui lui a imposé les mains. Eh quoi ! faut-il ne plus lui imposer les mains et ne pas l’admettre à un degré plus élevé ? mais ce sera rendre son indignité publique. Nouvel écueil, nouveau scandale. L’admettra-t-on à un degré plus élevé ? on ne fera qu’aggraver le mal.
5. Concluons que celui qui considère la dignité épiscopale comme une charge lourde et onéreuse, ne s’y engagera pas facilement. Mais aujourd’hui on la regarde comme une magistrature séculière, et nous perdons devant Dieu tout ce que nous gagnons devant les hommes en gloire et en honneur. Quel gain solide en retirons-nous ? et tout n’est-il pas néant et vanité ? Vous ambitionnez le sacerdoce ; eh bien ! mettez en regard l’enfer, et le compte qu’il vous faudra rendre ; la vie calme et paisible que vous menez, et la rigueur des supplices éternels. Si un laïque pèche, il sera puni moins sévèrement ; mais si un prêtre pèche, il se damne. Rappelez-vous les travaux de Moïse, sa douceur et ses mérites ; et cependant quelle punition ne lui attira pas un seul péché ! mais elle fut juste, parce que ce péché devint préjudiciable à tout le peuple. Moïse fut donc puni rigoureusement, bien moins parce que sa faute avait été publique, que parce qu’il avait péché comme prêtre. Car le châtiment d’un péché public est tout autre que celui d’un péché secret. La faute peut être la même ; mais la punition en est différente. Que dis-je ? il n’y a point égalité dans la faute ; et autre est un péché secret, et autre un péché public. Au reste, un évêque ne saurait pécher en secret.
Juste et innocent, il est bien à souhaiter qu’il ne soit pas exposé aux traits de la calomnie ; mais, fautif et pécheur, il ne peut les éviter. Un mouvement de colère, un rire peu mesuré et un sommeil trop prolongé, deviennent contre lui une occasion d’amères critiques. Que de gens s’en offensent ! Les uns lui tracent des règles de conduite, et les autres, rappelant le souvenir des anciens évêques, blâment le nouveau pasteur ; mais s’ils retracent ainsi les vertus de ces anciens prêtres et évêques, c’est bien moins par zèle de leur gloire que par esprit de censure et de malignité. La guerre, disent-ils, plaît toujours aux nouveaux soldats. Ce proverbe est vrai aujourd’hui encore, et nous-mêmes nous le répétons à la veille du combat. Mais dès qu’arrive ce jour, rien ne nous distingue plus du grand nombre. Car, loin de combattre ceux qui oppriment les pauvres, nous ne défendons pas même le troupeau de Jésus-Christ, et nous ressemblons à ces pasteurs dont parle Ézéchiel, qui tuent et dévorent les brebis. (Ez. 34,2) Quel évêque paît le troupeau de Jésus-Christ avec la même sollicitude que Jacob gardait celui de Laban ? et qui, à son exemple, supporte les froids de la nuit ? Ne m’objectez point mes veilles et mes soins empressés, car tout ce que je fais n’est rien.
Cependant les consuls eux-mêmes sont moins honorés qu’un évêque. A la cour il est le premier ; et parmi les dames, et dans le palais des grands on lui défère le premier rang. Hélas ! ces honneurs ont tout vicié et tout corrompu. Si je parle ainsi, ce n’est point pour vous faire rougir, et je ne veux que modérer en vous le désir de l’épiscopat. Quelle différence faites-vous entre le briguer vous-même, ou y parvenir par les intrigues d’un ami ? De quel œil regarderez-vous désormais ce puissant auxiliaire ? et que pourrez-vous alléguer pour votre justification ? Celui qui n’a accepté l’épiscopat que malgré lui, peut du moins présenter cette répugnance comme une excuse ; et, quoique le plus souvent on ne lui en tienne pas compte, elle ne laisse pas d’être une excuse réelle. Vous savez quel a été le sort de Simon ? Eh ! qu’importe qu’au lieu d’argent, vous prodiguiez l’adulation et l’intrigue ! « Que ton argent périsse avec toi ! » lui dit Pierre, et il vous dira à vous : Que votre ambition périsse avec vous, parce que vous avez cru que le don de Dieu s’acquérait par des moyens humains !
Mais qui arrive à l’épiscopat par cette voie ? Plût à Dieu qu’on ne pût en citer un seul exemple ! Au reste, je désire vivement que ces paroles ne vous concernent en rien, et ce n’est que par incident que j’ai touché ce sujet : car lorsque je m’élève contre l’avarice, je n’ai en vue aucun de vous, ni en général, ni en particulier. Plaise donc au ciel que tous nos avertissements vous deviennent inutiles ! Le désir du médecin est de voir que ses soins multipliés rendent superflu l’emploi des remèdes et de même je souhaite que mes paroles se perdent dans l’air, et né soient qu’un vain bruit. De mon côté, je suis disposé à tout souffrir plutôt que de reprendre ce sujet ; et si vous le voulez, je n’y reviendrai plus, pourvu que mon silence soit sans danger. Car je ne pense pas que le plus ambitieux d’entre vous veuille, sans y être contraint, aspirer à l’épiscopat. Désormais je me bornerai à vous instruire par de bons exemples, car c’est là le meilleur de tous les enseignements. Un habile médecin gagne gros par ses cures, et néanmoins il préfère voir ses amis en bonne santé. C’est ainsi que je désire l’heureuse santé de vos âmes, car tout en voulant me sauver, je ne veux point votre perte. Ah ! si je pouvais vous faire voir toute la charité de mon cœur, nul ne s’offenserait même d’un reproche amer. « Car il est certain que les blessures d’un ami valent mieux que les baisers empressés d’un ennemi ». (Prov. 27,6)
Vous m’êtes plus chers que la lumière elle-même ; et je souhaiterais cent fois d’en être privé, pourvu que je pusse à ce prix convertir vos âmes ; tant votre salut m’est plus doux que les rayons du soleil. Eh ! de quels charmes sont-ils pour moi, si la douleur de votre perte répand sur mes yeux d’épaisses ténèbres ? La lumière extérieure est bonne, quand elle s’harmonise avec la joie du cœur ; et elle fatigue l’œil, lorsque l’âme est plongée dans un noir chagrin. Je parle ici en toute sincérité, et puisse l’expérience – ne jamais vous l’apprendre ! Au reste, s’il arrive qu’un seul d’entre vous tombe dans une faute grave, réveillez mon zèle. Que je périsse si je deviens semblable au paralytique ou à l’insensé, et si je suis réduit à dire avec le prophète : « La lumière de mes yeux s’éteint, et elle n’est plus en moi ». (Ps. 37,10) Eh ! quelle espérance peut me sourire, quand vous ne faites aucun progrès dans la vertu ! Mais aussi quelle tristesse peut m’accabler, quand vous vous conduisez dignement ! Oui, je ne marche plus, je vole lorsque j’entends dire du bien de vous. « Comblez donc ma joie ». (Phil. 23) Car je ne souhaite, et je ne désire que votre avancement spirituel, et je ne veux l’emporter sur vous tous qu’en une seule chose ; c’est que je vous aime et que je vous chéris. Oui, vous êtes tout pour moi, père, mère, frères et enfants. Ah ! ne pensez pas qu’aucune de mes paroles me soit inspirée par un sentiment d’aversion ! je ne parle que pour votre correction ; « et le frère », dit l’Écriture, « qui est aidé par son frère, est semblable à une ville fortifiée ». (Prov. 18,19) Ne murmurez donc point ; car, moi aussi, j’estime votre parole, et bien volontiers je recevrais vos avis et vos observations. Nous sommes tous frères, et nous n’avons tous qu’un seul et même Maître. Or, dans une famille, un seul commande, et tous les autres obéissent. C’est pourquoi ne murmurez point ; mais en toutes choses agissons pour Dieu, à qui soit la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV. modifier


QUAND LES JOURS DE LA PENTECÔTE FURENT ACCOMPLIS, LES DISCIPLES ÉTAIENT TOUS ENSEMBLE EN UN MÊME LIEU, ET SOUDAIN UN BRUIT S’ENTENDIT VENANT DU CIEL. (ACT. 2,1, 2)

ANALYSE. modifier

  • 1. L’orateur explique d’abord les rapports qui existent entre la Pentecôte des Juifs et celle des chrétiens, et puis les raisons symboliques des langues de feu, sous lesquelles se montra l’Esprit-Saint.
  • 2. Il dépeint ensuite l’étonnement où le don des langues jeta tous ceux qui en furent témoins, et puis il oppose l’excellence et la supériorité du feu, comme emblème de l’action de l’Esprit-Saint, aux divers signes de l’inspiration qu’avaient reçus les prophètes de l’Ancien Testament, et il y trouve une preuve de la sainteté des apôtres. – Ceux-ci parlent toutes les langues, parce qu’ils doivent convertir tous les peuples, et tandis que les uns sont dans l’admiration d’un tel prodige, les autres l’attribuent à l’ivresse, ainsi que les ennemis de Jésus-Christ attribuaient ses miracles au prince des démons.
  • 3. Mais Pierre élève la voix au nom des onze qui l’entourent : Quel homme ! et quel langage ! à un tel changement on reconnaît l’action divine de l’Esprit-Saint. – Ici l’orateur trace un éloquent parallèle entre les plus diserts philosophes, et ce pécheur du lac de Génézareth, qui, tout rempli d’une science céleste, confond les plus beaux génies, et réfute les plus subtils sophistes.
  • 4. Il compare ensuite la doctrine et la morale de ce Platon, qu’on a surnommé divin, à la doctrine et à la morale de l’apôtre, et laisse à ses auditeurs de décider lequel des deux fait plus d’honneur à l’humanité. – Enfin il termine en exaltant de nouveau la vertu humble et réelle des apôtres en opposition avec l’orgueil et la vanité des philosophes païens.


1. A quelle époque de l’année se célébrait la fête de la Pentecôte ? Au moment de mettre la faux dans la moisson, et de recueillir le froment ; telle est la figure, et voici la vérité. Lorsque la faux de la parole évangélique doit être mise dans la moisson des âmes, le Saint-Esprit paraît, semblable à une faux aiguë. Aussi le Sauveur avait-il dit : « Levez vos yeux et regardez les campagnes, car elles blanchissent déjà pour la moisson » ; et encore : « La moisson est grande et les ouvriers peu nombreux ». (Jn. 4,35 ; Lc. 10,2) Il s’empresse d’envoyer la faux, parce que le moment de la moisson était arrivé. Et, en effet, il en avait déjà comme recueilli les prémices en introduisant notre nature dans les cieux. « Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis », c’est-à-dire, non avant la solennité, mais le jour même de la fête, et il y avait opportunité que la descente de l’Esprit-Saint s’opérât un jour de fête, afin que les témoins de la mort de Jésus-Christ vissent également ce prodige. « Et soudain un bruit s’entendit, venant du ciel ». Pourquoi la venue de l’Esprit-Saint, est-elle annoncée par ces signes sensibles ? Parce que, malgré ce concours de circonstances, si les Juifs dirent « ils sont, pris de vin », que n’eussent-ils pas dit dans toute autre hypothèse ? Mais ce ne fut pas un bruit ordinaire, « il vint du ciel » ; et comme il se fit entendre soudain, il excita l’attention des disciples. « Et il remplit toute la maison ». C’est un symbole de la puissance de l’Esprit-Saint. Soyez attentifs : saint Luc nous dit que tous les disciples étaient réunis ; en sorte que tous crurent sur le témoignage de leurs sens, et que tous devinrent ainsi des témoins dignes de foi.
Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. « Et ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent ». Ce n’est pas sans raison que l’écrivain sacré dit : « Comme des langues ». Il veut prévenir l’erreur de ceux qui croient que l’Esprit-Saint est un élément sensible ; aussi dit-il : « comme un feu », et : « comme un vent ». Ce n’était donc pas un simple courant d’air. Lorsque ce même Esprit dut se manifester à Jean-Baptiste, il apparut au-dessus de Jésus-Christ, sous la forme d’une colombe ; et aujourd’hui qu’il s’agit d’évangéliser l’univers, il vient comme un feu ardent. « Et il s’arrêta sur chacun d’eux » ; c’est-à-dire, se fixa et se reposa sur chacun d’eux, car telle est la signification du verbe s’arrêter. Mais l’Esprit-Saint ne se reposa-t-il que sur les douze apôtres, à l’exclusion de tous les autres ? Nullement, il se répandit également sur les disciples qui étaient au nombre de cent vingt. Aussi est-ce avec juste raison que saint Pierre cite ce passage d’un prophète : « Dans ces derniers temps, dit le Seigneur Dieu, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes ». (Joël, 3,1)
Observez aussi que ce ne fut pas seulement pour frapper d’étonnement les disciples, mais encore pour les remplir de grâce que l’Esprit-Saint s’annonça sous le double symbole du vent et du feu. C’est pourquoi saint Luc ajoute « Qu’ils furent tous remplis de l’Esprit-Saint, et qu’ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait « de les parler ». Ce don des langues, inouï jusqu’alors, fut le seul signe des opérations du divin Esprit, et il était un témoignage bien suffisant. Mais ce divin Esprit « s’arrêta sur chacun d’eux » ; par conséquent sur Joseph qui n’avait pas été élu, et qui n’eut plus à envier la préférence donnée à Matthias. « Et tous furent remplis » ; c’est-à-dire que la grâce de l’Esprit-Saint ne leur fut point départie comme avec mesure, mais dans toute sa plénitude. « Et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait de les parler ». Saint Luc n’eût point dit « tous », s’il n’eût voulu désigner que les apôtres, et si ce don n’eût été communiqué également à tous les autres disciples. Et, en effet, puisqu’il avait précédemment désigné les apôtres chacun par son nom, il lui eût suffi de constater ici leur présence.
Observez encore que l’Esprit-Saint descendit sur les disciples dans le temps qu’ils persévéraient dans la prière et l’union des cœurs. Ces mots : « Comme des langues de feu », nous rappellent un autre prodige de ce genre, celui du buisson ardent. « Selon que l’Esprit-Saint leur donnait de parler », car toutes leurs paroles étaient autant de sentences. « Or, il y avait à Jérusalem », poursuit saint Luc, « des Juifs religieux qui y habitaient ». C’était par un motif de religion que ces Juifs s’y étaient fixés. Et, comment ? Parce que pour le faire ils avaient dû, étant de diverses contrées, quitter leur patrie, leurs biens et leur famille. Aussi saint Luc dit-il « qu’il y avait à Jérusalem des habitants, Juifs religieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel ; et ce bruit s’étant répandu, il s’en assembla un grand nombre, et ils furent fort étonnés ». Le prodige s’était accompli dans l’intérieur de la maison, et une légitime curiosité y faisait accourir tous ceux qui en entendaient parler. « Et ils étaient fort étonnés ». Que signifie cette expression ? Elle marque en eux un mélange de trouble et d’admiration.
Mais saint Luc nous révèle la cause de cette disposition, quand il ajoute que « chacun les entendait parler en sa langue. Or, cette multitude s’entre-disait : Ces gens-là qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? » Voyez-vous comme tous les esprits et les regards se tournent vers les apôtres. « Comment donc les entendons-nous parler chacun la langue du pays où nous sommes nés ? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs aussi et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler, chacun en notre langue, des merveilles de Dieu. Ils étaient donc dans la stupeur et l’admiration, se disant l’un à l’autre : Que veut dire ceci ? » (Act. 2, 5, 12) Les voyez-vous accourir de l’Orient et de l’Occident ? « Mais quelques-uns se moquaient, disant : C’est qu’ils sont pleins de vin nouveau ».
2. Quelle impudence et quelle malignité ! car la Pentecôte ne tombait pas au temps de la vendange. Mais, ô comble de la malice ! tandis que tous les autres, Romains, prosélytes, et peut-être même les bourreaux qui avaient crucifié le Christ, reconnaissent la vérité du prodige ; ces Juifs ne savent répondre aux nombreux miracles qu’opèrent les apôtres que par cette raillerie : « Ces gens sont pleins de vin nouveau ». Mais reprenons l’explication des premiers versets. « L’Esprit-Saint », dit saint Luc, « remplit toute la maison ». Ce divin Esprit fut pour les apôtres comme une piscine d’eau, et le feu marquait, la plénitude de la grâce et la véhémence du zèle. Ce n’est pas ainsi que ce même Esprit se communiquait aux prophètes, et il le faisait d’une manière moins solennelle. Le Seigneur présenta un livre à Ézéchiel ; et il lui dit : Dévore ce livre qui contient ce que tu devras dire. « Et je dévorai le livre », dit le prophète, « et il fut dans ma bouche comme le miel le plus doux ». (Ez. 3,3) À l’égard de Jérémie, c’est la main du Seigneur qui toucha ses lèvres. (Jer. 1,9) Mais ici l’Esprit-Saint paraît en personne, et se montre ainsi égal en gloire au Père et au Fils.
Ézéchiel dit encore : « Je vis un livre qui contenait des plaintes lugubres, des malédictions et des calamités ». (Ez. 2,9) La tradition de ce livre lui fut une preuve suffisante de l’inspiration divine : et, en effet, il avait besoin d’en être averti par quelque signe ; mais, du reste, il n’était envoyé qu’à une seule nation, et à ses concitoyens. Les apôtres, au contraire, devaient se répandre dans le monde entier, et parmi des peuples inconnus. Le manteau d’Élie fut pour Élisée le gage des dons de prophétie et de miracles, David reçut avec l’onction sainte celui de l’inspiration divine, et du milieu du buisson ardent le Seigneur confia à Moïse la mission de délivrer. Israël. Mais ici se révèle un ordre de choses tout nouveau, le feu lui-même s’arrête sur chacun des disciples. Eh ! pourquoi ce feu ne parut-il pas embraser toute la maison ? Parce que tous en eussent été effrayés. Au reste, c’est ce qui eut effectivement lieu, car il faut faire plus attention à ce globe de feu qui parut alors, qu’« à ces langues qui se partagèrent ». Eh ! combien devait être immense le foyer d’un aussi vaste incendie ! Saint Luc dit aussi avec raison que les langues « se partagèrent », parce qu’elles partaient toutes d’un même tronc, et qu’elles recevaient leur force et leur énergie du divin Paraclet.
Observez encore qu’alors pour la première fois fut manifestée la sainteté des apôtres ; aussi, reçurent-ils l’Esprit-Saint. Nous voyons également que David ne se montra pas moins fidèle au Seigneur après qu’il eut triomphé de ses ennemis, qu’il ne l’avait été lorsqu’il gardait les troupeaux ; que Moïse, qui avait méprisé les palais des rois, prit en mains, après quarante ans, la conduite du peuple hébreu ; que Samuel, élevé dans le temple, devint juge en Israël, et qu’Élisée et Ézéchiel, qui avaient tout quitté, reçurent le don de prophétie. La suite des faits prouve qu’il en avait été ainsi des apôtres, et qu’ils avaient eux-mêmes tout abandonné. C’est pourquoi l’Esprit-Saint vint en eux, parce qu’ils avaient fait preuve de vertu et de générosité. Ils avaient appris par leur propre expérience à connaître la faiblesse de l’homme, mais ils apprirent alors quel est le mérite de la pauvreté volontaire.
Saül reçut l’Esprit-Saint lorsque Samuel lui rendit témoignage qu’il était homme de bien. Mais personne ne l’a jamais reçu de la même manière que les disciples, pas même Moïse, le plus grand de tous les prophètes. Et en effet, il perdit quelque chose de sa plénitude, lorsque son esprit se reposa sur Josué. Ici rien de semblable. Vous allumez à un brasier autant de lampes que, vous voulez, sans diminuer son volume ; et c’est ce qui arriva aux apôtres. Au reste, ce feu montrait moins l’abondance de la grâce qu’il ne signifiait la source même de l’Esprit-Saint où ils puisaient, et on peut y trouver un rapport réel avec cette parole du Sauveur : « Je donnerai à celui qui croira en moi, je lui donnerai une fontaine d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle ». (Jn. 4,14) Or, il était bien à propos que la plénitude de l’Esprit-Saint se répandît sur les apôtres, car ils ne devaient point disputer avec un Pharaon, mais combattre contre le démon. Leur empressement à accepter cette lutte n’est pas moins admirable ; ils ne s’autorisent point de l’exemple de Moïse pour dire que leur parole était lente et leur langue embarrassée, et ils n’allèguent point avec Jérémie leur inexpérience. Mais, quoiqu’ils aient entendu des prédictions plus effrayantes et plus élevées, ils n’osent se refuser à l’ordre du Seigneur. Nous pouvons donc en conclure qu’ils furent réellement des anges de lumière et les dispensateurs des vérités éternelles.
Jusqu’à ce jour les apôtres n’avaient été favorisés d’aucune vision céleste. Mais dès que l’homme-Dieu fut monté au plus haut des cieux, l’Esprit-Saint en descendit « pareil à un vent violent qui s’approche ». C’était déclarer aux apôtres que rien ne leur résisterait, et qu’ils disperseraient leurs ennemis comme une poussière légère. « Et il remplit toute la maison ». Cette maison figurait l’univers entier. « Et il s’arrêta sur chacun d’eux, et une grande multitude s’assembla et fut tout étonnée ». Voyez la piété des apôtres : ils ne se hâtent pas, de parler et hésitent à rompre le silence. Les méchants, au contraire, s’écrient soudain : « Ces gens sont pleins de vin nouveau ». La loi ordonnait aux Juifs de se présenter au temple trois fois chaque année, et c’est pourquoi des hommes religieux de toutes les nations demeuraient à Jérusalem. Cette circonstance prouve combien l’auteur du livre des Actes cherche peu à flatter les Juifs. Et, en effet, il ne dit point qu’ils se soient exprimés en belles paroles, et il se contente d’écrire : « Ce bruit s’étant répandu, une grande multitude s’assembla et fut tout étonnée ».
Au reste, cet étonnement était tout naturel, car les Juifs croyaient que par la mort de Jésus-Christ tout était fini. Cependant leur conscience se troublait à la vue de ce sang dont leurs mains étaient encore toutes dégoûtantes, aussi s’effrayaient-ils de tout : « Est-ce », disent-ils, « que tous ceux qui parlent ne sont pas Galiléens ? » Eh oui ! les apôtres étaient véritablement de la Galilée, et ils ne s’en cachaient pas. D’ailleurs le bruit de ce vent impétueux avait tellement saisi les esprits, qu’une grande multitude dé toutes les nations du monde s’était rassemblée. Quant aux apôtres, ils puisaient une nouvelle assurance dans ce fait, qu’ignorant l’idiome persan, ils apprenaient des Perses eux-mêmes qu’ils le parlaient. Saint Luc cite ici en particulier des peuples ennemis des Juifs pour annoncer que les apôtres devaient les soumettre au joug de l’Évangile.
3. Mais comme les Juifs étaient, à cette époque, dispersés au milieu des nations, il est vraisemblable que plusieurs gentils se trouvaient alors à Jérusalem, car la connaissance de la loi avait été répandue parmi eux. Ils étaient donc présents en grand nombre, et pouvaient rendre témoignage de ce qu’ils avaient entendu. Ainsi tous s’accordaient pour attester unanimement le prodige, les indigènes, les étrangers et les prosélytes. « Nous les entendons », disent-ils, « parler en notre langue des grandeurs de Dieu ». C’est que la parole des apôtres n’était point une parole vulgaire, mais un langage sublime. C’est pourquoi ils hésitaient d’abord, car jamais semblable prodige ne s’était vu. Observez aussi parmi cette foule la probité des uns ; ils s’étonnent, et expriment leur étonnement par cette exclamation : « Que veut dire ceci ? Mais d’autres disaient en se moquant : Ils sont pleins de vin nouveau ». O impudence ! Et toute s n’en soyons pas surpris, puisqu’ils ont bien dit que le Sauveur qui chassait les démons, était lui-même possédé du démon. (Jn. 8,48) Ici comme toujours, l’intempérance de la langue ne cherche qu’à se répandre, et peu lui, importe qu’elle déraisonne ; pourvu qu’elle parle.
« Ils sont pleins de vin nouveau » ; oui, c’est par l’effet d’une ivresse toute céleste que des hommes exposés à mille dangers, craignant la mort et plongés dans une profonde tristesse, osent tenir un tel langage. Au reste, il n’est pas inutile d’observer que ce reproche était si peu vraisemblable, que son énonciation seule prouvait « eux-mêmes étaient troublés par les fumées du vin. Ils expliquaient donc la conduite et le langage des apôtres, en disant : « Ils sont pleins de vin nouveau. Mais Pierre, se tenant debout avec les onze, éleva la voix et dit » : Vous avez admiré son esprit de sagesse dans l’élection de Matthias, admirez ici son courage. Et en effet, au milieu de cette stupeur et de cet étonnement général, ce n’était pas un prodige `moins surprenant qu’un homme simple et ignorant osât parler devant une aussi grande multitude. Car si quelquefois on se trouble dans un cercle d’amis, Pierre ne devait-il pas être tout interdit en s’adressant à des ennemis qui ne respiraient que le sang et le meurtre ? D’ailleurs, le son seul de sa voix prouva que ni loi, ni ses collègues n’étaient ivres, et fit connaître qu’ils n’étaient point, comme les prêtres des idoles, agités de transports furieux, ou dominés par quelque violence extérieure. Que signifie cette parole : « avec les onze ? » Elle marque que tous avaient également reçu le don des langues, et que tous parlaient par là bouche de Pierre. C’est pourquoi les onze l’entourent, confirmant sa parole par leur témoignage. « Il éleva donc la voix et dit » : c’est-à-dire, qu’il s’exprima avec une rare intrépidité.
Or, Pierre n’agissait ainsi que pour faire comprendre aux Juifs quels miracles venait de produire la grâce de l’Esprit-Saint. Et en effet, ce même homme, qui avait tremblé à la voix d’une servante, parle hardiment au milieu d’un peuple nombreux qui ne respire que le sang et le meurtre. Mais il fallait qu’il fût bien assuré de la résurrection de Jésus-Christ, pour qu’il en parlât avec une pleine assurance à des gens qui ne savaient que rire et se moquer.
Eh ! n’était-ce donc point tout ensemble légèreté, impiété et impudence que d’attribuer à l’ivresse ce don merveilleux des langues ? Mais cette froide raillerie ne troubla point les apôtres et ne les intimida point. Car la présence de l’Esprit-Saint les avait comme transformés et rendus supérieurs à tout sentiment bas et terrestre. Oui, quand l’Esprit-Saint remplit une âme, d’un vase de terre il en fait un vase d’or. Eh ! voyez Pierre ! Est-ce encore cet apôtre timide et insensé, auquel Jésus-Christ disait : « Et vous aussi êtes-vous sans intelligence ? et qu’il appelait Satan, même après son admirable profession de foi ? (Mt. 15,46 ; 16, 23)
Admirez également l’union qui règne entre tous les apôtres. Ils cèdent la parole à Pierre, parce qu’il ne fallait pas que tous parlassent à la fois. « Pierre éleva donc la Voix » ; et il parla aux Juifs avec une grande hardiesse Voilà donc ce que c’est que d’être un homme spirituel, et pour que tout nous soit facile, il suffit que nous nous rendions dignes de recevoir les dons de l’Esprit-Saint. L’incendié qui rencontre des matières inflammables se nourrit et se développe avec une nouvelle rapidité, et dévore souvent ceux qui tentent d’arrêter ses progrès. C’est ce que l’on vit au jour de la Pentecôte ; ou plutôt supposez un combat entre un homme qui porte un réchaud ardent, et un autre qui est tout chargé de paille et de foin, et vous comprendrez avec quelle supériorité les apôtres engagèrent la lutté. Le nombre de leurs adversaires les fit-il jamais reculer ? N’avaient-ils pas à combattre l’indigence et la faim, la honte et l’infamie, l’insulte et là raillerie, car on les considérait comme de vils imposteurs ? Tous ces maux fondaient sur eux, et ils étaient également en butte aux sarcasmes des uns et aux moqueries des autres. Nous les voyons encore exposés aux fureurs d’un peuple insensé, aux séditions et aux embûches ; aux bûchers, aux glaives et aux bêtes féroces. De toutes parts on leur déclarait une guerre cruelle, et ils semblaient aussi insensibles à toutes ces persécutions que si elles n’eussent été qu’un rêve ou une ombre vaine. Que dis-je ? Après avoir épuisé sur eux-mêmes toute la fureur de leurs ennemis, ils leur firent éprouver les mêmes anxiétés ; car l’écrivain sacré nous les représente en proie à la colère et à la crainte, à l’incertitude et à la frayeur. C’est pourquoi ils s’écrient : « Voulez-vous donc faire tomber sur nous le sang de cet homme ? » (Act. 5,28)
Mais il n’est pas moins admirable de voir les apôtres nus et sans armes engager le combat contre des ennemis armés de toutes pièces, et lutter, faibles et infirmes, contre des princes qui avaient pour eux la puissance et l’autorité. Ignorants et peu orateurs, ils entraient en dispute avec des jongleurs et des magiciens, des sophistes, des rhéteurs et des philosophes qui avaient vieilli dans les chicanes de l’académie et du portique. Et cependant Pierre, qui n’avait fréquenté que les bords du lac de Génésareth, en triompha comme s’ils n’eussent été que des poissons muets. En vérité, il les vainquit avec autant de facilité qu’un pêcheur prend des poissons muets. Le fameux Platon, qui a débité tant de belles choses, se tait lui-même, tandis que Pierre parle aux Juifs, aux Parthes, aux Mèdes, aux Elamites, aux Indiens, et enfin à tous les peuples et aux nations les plus éloignées. Que devient aujourd’hui l’orgueil de la Grèce, le nom d’Athènes, et les rêve ries de ses philosophes ? Pierre de Galilée, Pierre de Bethsaïde, Pierre t’ignorant les a tous surpassés. Mais, je vous en conjure, ne rougissez point de la patrie ni du nom de votre vainqueur ; car, si vous voulez savoir son nom, il s’appelle Pierre, et ce vous sera une nouvelle confusion. Ce qui vous a perdu, c’est que vous avez méprisé la simplicité, et trop exalté l’éloquence. Vous vous êtes trompés de route, et ana lieu dé suivre la voie royale, facile et unie, vous avez pris un sentier rude, escarpé et difficile. Aussi n’avez-vous pu arriver au royaume des cieux.
4. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne s’est-il pas, de préférence, révélé à Platon, ou à Pythagore ? Parce que Pierre montrait plus de dispositions pour cette divine philosophie. Car les premiers n’étaient que des enfants, et ne recherchaient que la vanité de la gloire humaine ; le second, au contraire, était un homme mûr, et vraiment ami de la sagesse. Aussi était-il capable de recevoir les dons de la grâce. Vous riez peut-être de mes paroles, et je ne m’en étonne point, car les Juifs aussi se moquaient des apôtres, et disaient qu’ils étaient pleins de vin nouveau. Mais lorsque ; quelques années après, ils furent en proie aux maux les plus extrêmes, et qu’ils virent la prise de Jérusalem et la démolition de ses murailles, l’incendie du temple et ces calamités qu’on ne peut décrire, ils n’eurent plus envie de rire. Eh bien ! vous aussi, vous ne rirez plus au jour du jugement, et en face des feux de l’enfer.
Mais pourquoi parler de l’avenir ? Désirez-vous connaître quel a été Pierre et quel a été Platon ? Étudions leur conduite, leurs mœurs et leur doctrine. Platon a consacré son existence à formuler des aphorismes vains et inutiles. Car de quelle utilité m’est-il de savoir que l’âme d’un philosophe se transforme en mouche ? En vérité, si l’âme de Platon n’a pas été transformée en mouche, du moins elle n’a pas bourdonné moins pertinemment qu’une mouche. Quelles niaiseries ! Et un esprit sage peut-il débiter de semblables rêveries ! Au reste, Platon était naturellement ironique et jaloux de tous. C’est pourquoi il s’est comme attaché à ne produire rien d’utile, ni par lui-même, ni par les autres. Ainsi il a emprunté à Pythagore le dogme de la métempsycose et a promulgué lui-même la théorie d’une république dont plusieurs lois sont infâmes. Que les femmes, dit-il, soient communes ; que les jeunes filles paraissent nues devant les jeunes gens, et que les parents et les enfants ne se connaissent point. Est-il rien de plus insensé ?
Mais en voilà assez pour Platon. Dans le christianisme, au contraire, ce n’est plus la nature, mais la philosophie de Pierre qui, au nom de la charité, déclare que tous les hommes sont frères, et corrige ainsi la doctrine scandaleuse de Platon. Car celui-ci ne cherchait qu’à introduire dans la famille un adultère et à faire rejeter le véritable père. N’était-ce pas plonger l’âme dans l’ivresse et la fange des passions ? Aussi disait-il avec une cynique hardiesse : Que les femmes soient communes. Si je rapportais les théogonies des poètes, on m’accuserait de débiter des fables, mais ces philosophiques rêveries ne sont-elles pas plus ridicules encore ? Et jamais les poètes ont-ils propagé d’aussi monstrueuses doctrines ? Ce prince des philosophes transforme encore la femme en amazone et l’arme d’un casque et d’une cuirasse. Enfin, il ose dire que l’homme et le chien sont une seule et même espèce, parce que dans l’un comme dans l’autre, il y a union des deux sexes. Peut-on déraisonner plus cyniquement !
Mais ici, je ne puis que reconnaître l’action du démon qui s’efforce de prouver que l’homme est l’égal de la bruite ; et c’est par son inspiration que des philosophes ont accrédité cette absurde et dangereuse doctrine, et qu’ils ont dit que la brute était, comme l’homme, douée de raison. Eh ! voyez quel désordre règne parmi eut sur la question de l’âme. Les plus savants ont dit que notre âme se transformait en mouche, en chien et en bête ; et leurs successeurs, rougissant d’une telle doctrine, sont tombés dans une autre non moins honteuse. Car ils veulent que l’animal entre en partage de la raison humaine, et ils nous montrent comme plus excellentes que l’homme les créatures qui ont été faites pour son service. Que dis-je ? Ils leur accordent même le don de prescience et le sentiment religieux. Le corbeau et la corneille, disent-ils, connaissent Dieu, et comme les prophètes, ils prédisent l’avenir. Les chiens, au témoignage de Platon, forment une véritable république qui a ses lois, qui observe la justice, et qui même connaît la jalousie. Peut-être ne m’en croyez-vous pas ? Je n’en suis pas surpris, car vous êtes nourris des saines doctrines du christianisme ; et, accoutumés à ces viandes délicieuses, vous ne pouvez regarder comme un homme celui qui se repaît de telles ordures.
Mais lorsque nous reprochons aux païens ces fables insipides, ils nous répondent que nous ne les comprenons pas. Ah ! plaise au ciel que jamais nous ne comprenions de pareilles inepties ! Au reste, il ne faut pas être bien savant pour découvrir l’abîme où nous conduisent cette impiété et cette confusion de toutes choses. Comme le corbeau, vous répétez, ô insensés, ce que vous n’entendez pas vous-mêmes, et vous agissez en enfants, car vous êtes de véritables enfants. Mais Pierre tient un tout autre langage, et sa parole est comme une vive lumière qui chasse les ténèbres et dissipe la nuit, profonde qui enveloppait l’univers. Et muant à son mérite personnel, que dirai-je de sa douceur et de sa charité ? Combien il était éloigné de tout sentiment de vanité ; et quoiqu’il ressuscitât les morts, il regardait le ciel avec une humble simplicité. Si jamais un de ces prétendus philosophes eût pu, par des opérations magiques, produire quelque chose qui ressemblât à un tel miracle, n’eût-il pas immédiatement exigé qu’on l’honorât comme un Dieu et qu’on lui dressât des autels et des temples ? Mais les apôtres opèrent chaque jour ces miracles, et ils n’imaginent rien de semblable.
Que sont, en réalité, les divinités du paganisme : Minerve, Apollon et Junon ? Des démons qui se font adorer sous ces divers noms. Et est-il un roi idolâtre qui ne désire mourir pour obtenir les honneurs de l’apothéose ? Combien la conduite des apôtres est opposée ! Car, écoutez ce que disent Pierre et Jean après la guérison du boiteux : « Hommes d’Israël, pourquoi nous regardez-vous, comme si par notre vertu ou notre puissance nous avions fait marcher cet homme ? » Et dans une autre circonstance, ils s’écrient : « Nous sommes mortels et hommes comme vous ». (Act. 3,12 ; 14, 14) Dans les philosophes, au contraire, tout est orgueil, arrogance et recherche de la gloire ; le vrai amour de la philosophie ne dirigea jamais leur conduite. Or, dès qu’on n’agit que par désir de la gloire, tout se ressent de cet esprit vil et grossier ; et quelles que soient d’ailleurs ses qualités extérieures, le philosophe qui ne possède pas celle-ci, n’est point véritablement ami de la sagesse ; il n’est que l’esclave d’une violente et honteuse passion. Mais le mépris de la gloire humaine est bien propre à nous enseigner la vertu et à chasser de notre âme toute affection vicieuse. Je vous exhorte donc à faire tous vos efforts pour guérir en vous cette maladie, car c’est le seul moyen de nous rendre agréables à Dieu et d’attirer sur nous le bienveillant regard de cet œil qui ne se ferme jamais. Ainsi, employons tous nos soins à acquérir les dons célestes, à fuir les maux présents et à mériter les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant, toujours et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE V. modifier



HOMMES DE LA JUDÉE, ET VOUS TOUS QUI, HABITEZ JÉRUSALEM, APPRENEZ CECI ET PRÊTEZ L’OREILLE A MES PAROLES. (ACT. 2,14, JUSQU’AU VERS. 21)

ANALYSE. modifier

  • 1. L’orateur explique le discours de l’apôtre saint Pierre, et en fait voir toutes les beautés d’ensemble et de détail. – D’abord ce n’est plus cet homme timide qui tremblait à la voix d’une servante, mais c’est un apôtre plein d’une noble hardiesse et d’une mâle éloquence.
  • 2. L’application de la prophétie de Joël à la conversion des gentils lui fournit ensuite d’heureux développements, et l’annonce qu’elle contient de la ruine de Jérusalem lui en fait tracer un lugubre et effrayant tableau.
  • 3. Mais si le Seigneur châtie ainsi ses ennemis sur la terre, quels seront les supplices de l’enfer ? Et quoique ce sujet soit peu agréable à ses auditeurs, il est obligé de le traiter pour satisfaire aux devoirs de sa charge.
  • 4. De là l’orateur est amené à se comparer au magistrat sévère qui maintient l’ordre dans la cité, et que le peuple maudit quelquefois, tandis qu’il n’a que des louanges et des applaudissements pour le riche citoyen qui lui prodigue les fêtes et les jeux. – Mais lequel des deux est réellement le plus utile ? – Le doute n’est pas possible ; et de même l’évêque qui explique la loi divine, et qui montre la terrible sanction dans les menaces de l’enfer, est le vrai père de son peuple. – Celui-ci ne doit donc point murmurer contre lui, mais profiter de ses avis pour acquérir les biens éternels.


1. Pierre s’adresse ici à cette foule d’étrangers qui étaient accourus, mais, en leur parlant, il ne néglige pas de réfuter ses calomniateurs. Car la divine Providence n’avait permis leurs amères critiques que pour donner à l’apôtre l’occasion de se défendre et d’annoncer l’Évangile. Et parce qu’ils se glorifiaient beaucoup d’habiter Jérusalem, il leur dit : « Apprenez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles ». Ce langage ne pouvait que les rendre attentifs et les disposer à écouter favorablement sa défense. « Non, ces hommes ne sont point ivres, comme vous le pensez ». Que ce langage est doux et bienveillant ! Pierre avait pour lui la plus grande partie du peuple, et néanmoins il n’adresse à ses critiques que de bienveillantes paroles. Il écarte d’abord tout mauvais soupçon à leur égard, et n’établit sa propre défense qu’en second lieu. Aussi ne dit-il pas, comme vous vous l’imaginez par une supposition insensée, ou une froide plaisanterie, mais « comme vous le pensez ». Il donne ainsi à entendre qu’ils ne parlent point sérieusement, et il semble imputer leur faute bien plus à l’ignorance qu’à la malice.
« Non, ces hommes ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu’il n’est que la troisième heure du jour ». Cette raison est-elle péremptoire ? et les apôtres ne pouvaient-ils, en effet, s’être enivrés à la troisième heure du jour ? Sans doute, ils l’eussent pu ; mais, sans beaucoup insister sur cette circonstance, Pierre se borne à nier le fait qu’alléguaient ses détracteurs ; et cette réserve nous apprend à ne pas beaucoup parler hors de la nécessité. Au reste, la suite de son discours confirme cette assertion, et désormais il s’adresse à tous : « Mais c’est ce qui a été prédit par le prophète Joël, dans les derniers temps, dit le Seigneur ». (Joël, 2,28) L’apôtre ne nomme pas encore le Christ, et, sans faire mention de sa promesse, il rapporte tout au Père ; c’est de sa part une profonde habileté. Il évite donc d’insister de prime abord sur ce qui concernait Jésus-Christ, et de rappeler les promesses qu’il leur avait faites après sa mort sur la croix ; car t’eût été ruiner par avance tout le succès de sa prédication. Mais les apôtres ne pouvaient-ils pas, me direz-vous, prouver sa divinité ? Oui, sans doute, si vous supposer la foi en sa mort et sa résurrection. Mais en ce moment c’était ce qu’il fallait faire croire ; et, en parler inconsidérément, c’était s’exposer à se faire lapider.
« Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ». Il leur donnait ainsi de bonnes espérances, car, s’ils le voulaient, ils pouvaient, eux aussi, recevoir ce divin Esprit. Mais il les avertit en même temps qu’ils n’en jouiront pas exclusivement, afin de ne pas exciter contre eux la jalousie des gentils ; et, pour couper dans sa racine toute pensée d’envie, il ajoute : « Et vos fils prophétiseront ». C’est comme s’il leur eût dit : Cette miraculeuse effusion de l’Esprit-Saint n’est ni votre bien, ni votre gloire exclusifs, mais la grâce en passera jusqu’à vos enfants. Par honneur il leur donne le nom de pères, et il appelle leurs fils ceux qui devaient être disciples de l’Évangile. Et vos jeunes gens auront des visions, et a vos vieillards auront des songes. Et, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ». C’était adroitement leur insinuer qu’eux, les apôtres, étaient approuvés de Dieu, puisqu’ils avaient mérité de recevoir l’Esprit-Saint, tandis que les Juifs en étaient rejetés, parce qu’ils avaient crucifié le Seigneur Jésus.
Autrefois Jésus-Christ, pour apaiser l’irritation des Juifs, leur disait : « Par qui vos enfants chassent-ils les démons ? » (Mt. 12,27) Il ne disait pas, mes disciples, afin d’éviter tout soupçon de s’encenser lui-même ; et c’est ainsi que Pierre ne dit pas nous ne sommes pas ivres, mais nous parlons sous l’inspiration du Saint-Esprit. Observons aussi qu’il ne se borne pas à alléguer ce fait, mais qu’il l’appuie sur l’autorité d’un prophète. Aussi, cette autorité le remplit-elle de force et de courage. Sa simple parole avait suffi pour repousser l’accusation d’ivresse ; mais, quand il s’agit d’attester l’effusion de la grâce, il invoque l’autorité d’un prophète. « Je répandrai », dit le Seigneur, « de mon Esprit sur toute chair ». Cette expression générale se rapporte à ce que Dieu instruisait ses prophètes ou par songe, ou par une révélation manifeste. L’apôtre aborde ensuite ce passage assez terrible de la prophétie : « Et je ferai paraître », dit le Seigneur, « des prodiges dans le ciel, et des miracles sur la terre ». Ces paroles désignent le jugement dernier et la ruine de Jérusalem. « Je ferai paraître du sang et du feu, et une colonne de fumée ; et le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang ». Quel tableau ! et quelles affreuses calamités ! Ces lugubres emblèmes représentent les maux extrêmes qui arriveront au dernier jour ; et néanmoins, l’historien Josèphe raconte que plusieurs prodiges de ce genre parurent dans les airs, et annoncèrent les désastres de la Judée.
Cependant, l’apôtre répand parmi ses auditeurs un vif sentiment de crainte, en leur rappelant ces épaisses ténèbres et l’attente du jugement. « Car elles précéderont le grand « jour dit Seigneur ». C’était leur dire : ne vous abusez pas en croyant que vous pouvez pécher impunément. Et telle est la conclusion de cette annonce du jour grand et terrible du Seigneur. Eh bien ! a-t-il remué les consciences, et changé les rires en remords ? Et, en effet, si déjà les pronostics de ce jour éclatent, les périls des derniers temps sont donc proches. Mais quoi ! va-t-il prolonger cet effrayant langage ? Nullement ; il permet à ses auditeurs de respirer, et continue ainsi : « Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Selon saint Paul, cette parole désigne Jésus-Christ ; mais, par prudence, Pierre ne le dit pas manifestement. (Rom. 10,13)
Et maintenant, si nous revenons sur ses premières paroles, nous observerons qu’il s’est élevé avec force contre ses critiques et ses railleurs. « Apprenez ceci », leur a-t-il dit, « et prêtez l’oreille à mes paroles ». En s’adressant à eux, il leur avait dit : « Hommes de la Judée ». C’est-à-dire, selon moi, vous qui habitez dans la Judée. Mais voulez-vous connaître combien Pierre est aujourd’hui changé ? rappelons-nous ce passage de l’Évangile. « Une servante s’approcha de lui, disant : Et toi, tu étais avec Jésus de Nazareth. Mais il répondit : Je ne connais point cet homme. Et, interrogé de nouveau, il commença à faire des serments et des imprécations ». (Mt. 26,69, 72)
2. Admirez aussi l’assurance et la noble franchise de sa parole. Il ne loue point ceux de ses auditeurs qui avaient dit : « Nous les entendons parler en notre langue des grandeurs du Dieu » ; et il se borne à exciter davantage leur zèle par la sévérité dont il use envers ses détracteurs. Ainsi son langage ne laisse apercevoir aucune trace de flatterie, et une remarque qui se justifie toujours, c’est que son discours, quoique rempli d’une extrême bienveillance, présenté le rare mérite d’éviter également l’adulation et l’injure. Ce n’est pas non plus sans une profonde raison que le prodige de la Pentecôte s’effectua à la troisième heure du jour, car à ce moment le soleil brille, les plaisirs de la table ne nous retiennent plus, et les charmes du jour et de la conversation attirent tous les hommes sur la place publique.
Au reste, le langage de Pierre respire une noble franchise. « Prêtez l’oreille à mes paroles ». Et aussitôt, sans rien dire de lui-même, il ajoute : « Ceci est ce qui a été dit par le prophète Joël, dans les derniers temps ». Il indique ainsi, par cette expression un peu emphatique, que la réalisation des menaces divines est peu éloignée, et, pour ne point paraître la fixer à la seconde génération, il ajoute : « Et vos vieillards auront des songes ». Voyez l’admirable enchaînement de ses paroles. D’abord il a nommé les fils, à l’exemple de David qui a dit : « A la place de vos pères, il vous est né des enfants ». (Ps. 44,17) Et Malachie dit également : « Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants ». (Mal. 4,6)
« Je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes ». Ces paroles nous révèlent toute la force de cet Esprit divin qui, en nous délivrant du péché, nous attache à son service. Eh ! quelle n’est pas l’excellence de ce don qui se communique même au sexe le plus faible, dans une large proportion, et noir à quelques individus seulement, comme autrefois à Débora et Holda. Mais observez que Pierre évite de dire que cet Esprit dont parle le prophète est l’Esprit-Saint, et qu’il néglige ainsi d’expliquer les termes de la prophétie. Il se contente de la citer, parce que cette citation suffit à son but. Il se tait également sur Judas, dont tout le monde connaissait la triste fin, et il pense avec raison, qu’à l’égard des Juifs, l’autorité du prophète Joël est l’argument le plus péremptoire. Et, en effet, aux yeux des Juifs, les prophéties l’emportaient sur les miracles. Aussi les voyons-nous contredire ceux de Jésus-Christ, et se taire quand il leur allègue une prophétie. Un jour il leur dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite » (Ps. 109,1 ; Mt. 22,42) ; et ils furent si confus qu’ils n’osèrent plus répondre. C’est pourquoi, et il est facile de le vérifier, le Sauveur ne négligeait aucune occasion de leur citer les saintes Écritures, comme lorsqu’il leur dit : « L’Écriture appelle dieux ceux auxquels la parole de Dieu est adressée ». (Jn. 10,35) C’est donc à l’exemple de son divin Maître que Pierre cite cette prophétie : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair », c’està-dire, sur les gentils. Mais – il ne révèle rien et n’explique rien, parce que l’obscurité même de la prophétie servait ses projets. « Je ferai paraître des prodiges dans le ciel ». Le vague de cette menace était bien propre 'à épouvanter les esprits, et toute explication en eût diminué la salutaire terreur. Il se tait donc sur cette prophétie, comme étant par elle-même assez claire, et facile à comprendre. D’ailleurs, il se réserve de l’expliquer en parlant de la résurrection, et il y dirige l’enchaînement de son discours. Ainsi son silence est volontaire et réfléchi, parce que la promesse d’un heureux 'avenir eût été impuissante pour attirer les Juifs à l’Évangile. Ajoutez encore que nul n’échappera aux désastres du dernier jour, tandis que sous Vespasien les chrétiens évitèrent la mort. Et c’est à cette fuite que se rapportent ces paroles du Sauveur : « Si ces jours n’eussent été abrégés, toute chair eût été détruite ». (Mt. 24,22) Le premier malheur des Juifs fut, en effet, cette ligne de circonvallation qui prit, comme dans un filet, tous les habitants de Jérusalem, et le second fut la ruine et l’incendie de la ville.
L’apôtre continue ensuite la métaphore, et met, comme sous les yeux de ses auditeurs, la désolation de Jérusalem : « Le soleil », dit-il, « se changera en ténèbres et la lune en sang ». Que signifie ce changement de la lune en sang ? Il me paraît indiquer un effroyable carnage ; et ce langage était bien propre à consterner tous les esprits. « Et quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ». Quiconque, dit-il ; c’est-à-dire, sans qu’il l’explique, le prêtre, l’esclave et l’homme libre. « Car il n’y a plus en Jésus-Christ d’homme ni de femme, d’esclave ni d’homme libre ». (Gal. 3,28) Et certes, toutes distinctions sont avec raison abolies sous l’Évangile, de même qu’elles subsistaient sous la loi mosaïque, parce qu’elle n’était que figurative. Et en effet, si, dans le palais impérial, le noble ne se distingue point du plébéien, et si chacun ne s’illustre que par ses œuvres et se recommande par son service, combien plus doit-il en être ainsi dans le christianisme ! « Quiconque invoquera le nom du Seigneur ». Ce n’est pas sans raison que le prophète emploie ce terme ; car Jésus-Christ nous assure que « tous ceux qui lui disent : « Seigneur, Seigneur, ne seront point sauvés », et qu’il n’y aura d’élus que ceux qui le lui diront avec ce véritable amour qui repose sur une bonne vie et une grande confiance. Au reste, l’apôtre ne décourage point ses auditeurs, bien qu’il leur révèle de profonds mystères et qu’il ne leur cache point les terreurs des supplices éternels. Et comment ? Parce qu’il leur montre le salut dans l’invocation du nom du Seigneur.
3. Que dites-vous, ô grand apôtre ? Vous placez le salut à côté de la croix ! Attendez un peu, et vous connaîtrez combien est grande la miséricorde du Sauveur Jésus. Car la vocation des gentils n’est pas une preuve moins éclatante de sa divinité que sa résurrection et ses miracles. Souvenez-vous aussi qu’un des attributs de Dieu est d’être infiniment bon ; aussi Jésus-Christ dit-il : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul ». (Lc. 18,19) Mais il punit également en Dieu, en sorte que sa bonté ne doit point favoriser en nous la paresse et la négligence. C’est ce que nous apprend admirablement l’apôtre quand il dit : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ».
Et maintenant je veux, en parlant de la ruine de Jérusalem et de l’effroyable vengeance que le Seigneur en tira, vous prémunir contre les marcionites et plusieurs autres hérétiques. Ils disent qu’en Jésus-Christ le Dieu était bon, et que l’homme était mauvais. Or, qui est l’auteur de ces maux ? L’homme mauvais a-t-il vengé le Dieu bon ? Nullement. C’est donc un être qui lui est étranger, ou bien le Dieu bon a fait ainsi éclater ses vengeances. Mais alors il est manifeste qu’il faut les rapporter au Père non moins qu’au Fils. C’est ce que prouvent, pour le Père, plusieurs passages de l’Évangile, et spécialement celui-ci où il est dit que le père de famille détruira sa vigne. (Mt. 21,41) Il est également écrit du Fils qu’il fait ce commandement à ses serviteurs « Quant à mes ennemis qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir devant moi ». (Lc. 19,27)
Dans un autre endroit, Jésus-Christ annonce les calamités qui accableront Jérusalem, calamités inouïes jusqu’alors, et qu’il prédit lui-même. Voulez-vous que je vous en rappelle quelques traits ? On vit une mère, épouvantable atrocité ! faire rôtir son propre enfant. Et quoi de plus lamentable qu’un tel fait ! Faut-il décrire les horreurs de la famine et de la peste ? Et il y eut des horreurs plus grandes encore. On foulait aux pieds les lois de la nature et celles de l’humanité, et les hommes se montraient plus cruels que les bêtes féroces. Or tous ces maux furent amenés par cette guerre sanglante que permirent le Seigneur et son Christ. Ces faits sont un bon argument contre les marcionites et contre ceux qui nient l’existence de l’enfer ; et on peut s’en servir utilement pour confondre leur impudence. Et puis, cette dernière désolation ne surpasse-t-elle pas celle de la captivité ; et la famine qu’elle occasionna ne fut-elle pas plus cruelle qu’à cette époque ? Certainement ; et c’est de tous ces maux que Jésus-Christ lui-même a dit : « Cette tribulation sera telle qu’on n’en a jamais vu et qu’on n’en verra jamais de semblable ». (Mt. 24,21)
Comment donc quelques-uns disent-ils que Jésus-Christ a remis aux Juifs la peine de leur déicide ? Cette objection est peu grave, et vous pouvez facilement la résoudre. Au reste, on ne pourrait ici rien inventer qui approchât de la réalité ; et si le récit que nous en possédons était dû à une plume chrétienne, il serait permis de le soupçonner d’exagération. Mais on ne saurait s’inscrire en faux contre sa véracité, puisqu’il a pour auteur un Juif, très attaché à sa nation, et qui écrivait après 1a promulgation de l’Évangile. On voit en effet que dans toutes circonstances il s’attache à relever ses concitoyens. Concluons qu’il existe un enfer, et que Dieu est bon. Le récit des malheurs de Jérusalem vous a remplis d’effroi ; eh ! que sont ces maux en comparaison des supplices de l’enfer ? Mais voilà que de nouveau je vous deviens fâcheux et importun. Que faire à cela ? Ma position l’exige. Un évêque ressemble à un maître sévère qui encourt la haine de ses élèves. Mais, puisque les ministres d’un roi exécutent ses ordres, même les plus rigoureux, ne serait-il pas absurde que, pour vous complaire, je négligeasse les devoirs de ma charge ?
Chacun a son œuvre à remplir ; et le devoir du plus grand nombre est de se secourir mutuellement dans un esprit de compassion et de bienveillance, de douceur et de bonté. Le pasteur, au contraire, pour être utile à son troupeau, doit se montrer dur et sévère, fâcheux et importun. Car il fera le bien par d’austères remontrances plus que par d’agréables compliments. Tel est aussi le sort du médecin ; et toutefois il est moins rude, parce que les bienfaits de son art se réalisent soudain, tandis que ceux de l’évêque se réservent pour l’éternité. Ainsi encore, le juge est odieux aux malfaiteurs et aux séditieux, et le législateur est importun à ceux que gêne la loi. Mais un accueil bien différent est réservé à celui qui flatte le peuple, qui l’amuse et qui lui préparé des jeux et des fêtes. Et en effet, quels applaudissements ne reçoivent pas ces riches citoyens qui donnent les jeux publics et se ruinent en prodigalités ! Aussi le peuple reconnaissant célèbre-t-il leurs louanges, et par honneur il tend les rues de riches tapisseries, illumine les maisons, porte des palmes et leur offre des couronnes et de somptueux vêtements. Le malade, au contraire, s’attriste en voyant le médecin, et le séditieux devient humble en présence du juge : il perd soudain sa pétulance et son audace, parce qu’il sait que le devoir de ce juge est de le châtier.
Mais examinons qui est plus utile à une cité, ou l’édile qui fournit aux dépenses des jeux, du théâtre et des repas publics, ou le magistrat qui, an lieu de ces pompes superflues, s’entoure de chevalets, de fouets, de bourreaux et de soldats terribles, qui prononce des paroles sévères et des arrêts rigoureux, et qui commande à ses licteurs d’écarter du forum une foule tumultueuse. Eh bien ! examinons quels résultats amènent deux conduites si opposées. Le magistrat est un homme odieux et l’édile est un galant homme. Mais que produisent le fêtes qu’il prodigue ? De froids plaisirs qui durent jusqu’au soir et s’évanouissent avec l’aurore ; des rires indécents et des paroles libres et légères. Eh ! que doit-on au magistrat ? La crainte et la tempérance, la soumission de l’esprit et la retenue des mœurs, l’amour du travail, la répression des mauvaises passions de l’âme, est un rempart contre les désordres extérieurs. Sous l’égide de ces vertus, chacun jouit tranquillement de sa fortune, tandis que le régime contraire la dilapide dans les jeux et les fêtes ; et si des voleurs ne nous l’enlèvent pas, le plaisir et l’ostentation nous la ravissent. Cependant on s’aperçoit bien qu’on est volé, mais on ne laisse pas que d’en rire. Ce sont des voleurs d’un genre tout nouveau : ils dépouillent leur victime et puis lui persuadent qu’elle doit s’en réjouir.
4. Mais dans la religion, rien de semblable, et le Seigneur, qui est le père de tous, nous prescrit le secret de nos bonnes œuvres, et même de nos bonnes intentions. Car il a dit : «  Prenez garde de faire l’aumône devant les hommes ». (Mt. 6,1) Le chrétien y apprend donc à fuir toute injustice. Car il y a également injustice à dérober le bien d’autrui, et à se plonger dans les excès de la table, ou à s’abandonner à une joie effrénée et dissolue. Il y apprend encore à garder la chasteté, et à éviter l’impureté, puisque ce péché se commet même par un simple regard. Il y apprend enfin à pratiquer la modestie et à repousser le faste et l’orgueil, et il n’oublie point, selon la parole de l’apôtre, que : « si tout lui est permis, tout n’est pas expédient ». (1Cor. 6,12) En un mot, l’Église est l’école des vertus, et le théâtre celle des vices. Mais laissons ce sujet, et je me borne à vous dire que les fêtes du monde sont plus fécondes en chagrins qu’en véritables plaisirs. Il suffit, pour nous en convaincre, de considérer au lendemain d’une fête, celui qui en a fait les frais, et ceux qui y ont pris part. Tous, et surtout le premier, nous les verrons tristes et abattus. Et en effet, le jour précédent, le peuple se livrait à une folle gaîté, et il se réjouissait sous un riche vêtement ; mais, comme il ne lui appartenait pas, il s’attriste aujourd’hui, et s’afflige de ne plus le posséder. Quant à celui qui a fait les frais de la fête, il se croyait moins heureux que ses joyeux convives : mais le lendemain, ceux-ci n’ont qu’à rendre les habits qu’on leur avait prêtés, tandis que lui-même tombe dans un profond chagrin. Ah ! si, dans les choses extérieures, la joie enfante la tristesse, et le malheur l’utilité, à plus forte raison en est-il ainsi dans les choses spirituelles !
C’est pourquoi personne ne s’irrite contre les lois, et même tous les regardent comme protectrices de la sûreté publique ; car elles ne sont point l’ouvrage de législateurs étrangers, ou ennemis, mais l’œuvre des citoyens, des édiles et des tuteurs de la cité. Tous, ils ont cru bien mériter de la patrie en établissant ces lois, et cependant elles renferment des peines et des châtiments ; car, toute loi contient une sanction pénale. Mais, n’est-il pas absurde de décerner aux législateurs humains les noms de sauveurs, de bienfaiteurs et de protecteurs, et d’appeler dur et fâcheux l’évêque qui vous explique les lois divines ? Oh ! quand je vous parle de l’enfer, que fais-je, sinon de vous exposer la, sanction de ces lois ? Les législations de la terre édictent des peines sévères contre l’homicide, le vol, l’adultère et autres crimes semblables ; pourquoi donc murmurer si je mets sous vos yeux les supplices dont vous menace, non un homme, mais Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu ? Que celui, dit-il, qui est sans miséricorde, soit rigoureusement puni. Car, telle est la conclusion de la parabole sur le pardon des ennemis. Que celui, ajoute-t-il, qui garde le souvenir d’une offense, subisse le dernier supplice ; que celui qui s’irrite sans motif soit jeté dans le feu, et que celui qui injurie son frère, soit condamné aux peines de l’enfer !
Au reste, ne vous troublez point si ces lois vous paraissent nouvelles ; car Jésus-Christ n’est venu sur la terre que pour y apporter une nouvelle législation. Et en effet, la raison seule nous dit que l’homicide et l’adultère doivent être punis ; et, si l’Évangile ne contenait pas une autre défense, il eût été inutile qu’un législateur divin nous l’eût apporté. Aussi ne dit-il pas : Que l’adultère soit puni, mais bien celui qui se permet même un regard mauvais, et il spécifie le lieu et le genre du supplice. Jésus-Christ n’a point écrit son Évangile sur des tables de pierre, et il ne l’a point gravé sur des colonnes de bronze ; mais il a surnaturalisé l’âme des douze apôtres, et par l’opération de l’Esprit-Saint, il y a gravé ces lois que nous vous faisons connaître. C’était le devoir des prêtres à l’égard des Juifs, afin que nul ne prétextât son ignorance, et à plus forte raison est-ce le mien ? Si quelqu’un disait : Je n’écouterai pas, et ainsi je ne serai point jugé ; il devrait s’attendre à un châtiment plus rigoureux, car son excuse ne serait valable qu’en l’absence dé toute instruction. Mais, puisqu’un évêque instruit son peuple, elle n’est plus recevable. Souvenez-vous donc que Jésus-Christ lui-même a condamné les Juifs : « Si je n’étais pas venu », disait-il, « et si je ne leur eusse pas parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jn. 15,22) L’apôtre s’écrie également : « Que dis-je ? Est-ce qu’ils n’ont pas entendu la parole du salut ? Sans doute ; car la voix des apôtres a retenti par toute la terre ». (Rom. 10,18)
Alléguez donc votre ignorance, si personne ne vous prêche la doctrine évangélique. Mais quand l’évêque est assis dans sa chaire, et qu’il remplit son devoir, vous n’avez plus d’excuse. J’ajoute aussi que Jésus-Christ, qui a établi dans son Église les apôtres, comme autant de colonnes de la vérité, a voulu honorer les évêques du même privilège. Et si nous nous sommes rendus indignes de comprendre les sublimes inscriptions que portent ces colonnes, fixons du moins sur elles un regard respectueux. Les colonnes, non plus que les lois, ne sont coupables des menaces qu’elles profèrent contre les malfaiteurs ; et il en est ainsi des bienheureux apôtres. Mais l’Église, qui est la colonne de vérité, ne se dresse pas dans un seul lieu, et ses inscriptions sont répandues dans le monde entier. Passez jusqu’aux Indes, et vous les entendrez publier ; avancez jusqu’à l’Espagne, et jusqu’aux limites de l’univers, et vous ne trouverez personne qui, avec un peu de bonne volonté, ne parvienne à les connaître. Ne murmurez donc point contre ces lois divines, mais efforcez-vous de pratiquer les vertus chrétiennes, afin que vous puissiez obtenir les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. ==FIN DU TOME HUITIÈME.==

HOMÉLIE VI. modifier


HOMMES D’ISRAËL, ÉCOUTEZ CES PAROLES. (ACT. 2,22, JUSQU’AU VERS. 36)

ANALYSE. modifier

  • 1. Saint Chrysostome développe habilement l’art et le tact exquis avec lesquels saint Pierre propose à ses auditeurs les grands mystères de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Il glisse légèrement sur le premier, comme étant un fait public, et s’appuie pour prouver le second sur l’autorité de David, dont les prophéties étaient connues et respectées de tous.
  • 2. Revenant ensuite sur l’explication des premiers versets de ce discours, l’orateur fait ressortir la force du témoignage qu’allègue l’apôtre en faveur de la résurrection de Jésus-Christ, et le montre assis dans les cieux sur un trône de gloire, régnant sur ses ennemis, et envoyant l’Esprit-Saint à ses apôtres. – Cependant, pour ne pas offusquer ses auditeurs, Pierre, comme l’observe saint Chrysostome, signale principalement ici l’action du Père, se contentant de faire entendre que le Fils étant Dieu comme lui, participe également à cet envoi.
  • 3. Mais si Dieu le Père a établi dans les cieux le règne de son Fils, c’est afin de nous faire part de son royaume ; et cependant les chrétiens méprisent ce royaume, et courent encenser le démon qui les conduit à l’enfer. – Ici l’orateur trace un éloquent parallèle entre la conduite du Seigneur et celle du démon ; et entre l’homme doux et patient et celui qui habituellement se livre à tous les transports de la colère.
  • 4. L’âme de l’un, calme et sereine, ressemble à ces montagnes qui jouissent d’une température toujours douce et toujours égale, et le cœur de l’autre rappelle le tumulte et les cris de la place publique. – Le choix d’un chrétien ne saurait donc être douteux.


1. Ces paroles ne sont point, dans la bouche de saint Pierre, un langage d’adulation ; mais parce qu’il avait vivement pressé ses auditeurs, il prend un ton plus modéré et cite, avec opportunité, un passage du Psalmiste. Il répète aussi le début de son discours, afin de prévenir en eux le trouble de l’esprit, car il va leur parler de Jésus-Christ. Précédemment ils ont entendu dans la paix et le calme la citation qu’il a faite du prophète. Joël ; mais le nom de Jésus les eût soudain offusqués ; c’est pourquoi l’apôtre ne l’a pas prononcé. Observez encore qu’il ne dit pas : Obéissez à ma parole, mais Écoutez ces paroles ; et certainement, il n’y avait là rien qui pût les offenser. Enfin, remarquons qu’il évite de toucher tout d’abord aux mystères les plus sublimes et qu’il commence par ce qu’il y a de plus humble : « Jésus de Nazareth », dit-il. Pierre nomme donc la patrie de Jésus ; et cette patrie n’était qu’une obscure bourgade ; et il ne révèle de lui rien de grand et d’élevé, pas même ce que tout autre prophète en eût annoncé. « Jésus de Nazareth, homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous ». Ces premiers mots annoncent déjà un grand mystère, et révèlent que Jésus a été envoyé de Dieu. Or, c’est ce que toujours et en toute circonstance le précurseur et les apôtres ont soin de prouver. Écoutez la parole du précurseur : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est celui-là ». (Jn. 1,33) Tel est aussi le témoignage que Jésus-Christ lui-même se rend tout spécialement, lorsqu’il dit : « Je ne suis point venu de moi-même, mais le Père m’a envoyé ». (Jn. 7,28) Et ce langage se retrouve à toutes les pages de l’Évangile.
C’est pourquoi Pierre, le prince du collège apostolique, l’ami du Christ et son ardent disciple, Pierre, à qui les clés du royaume des cieux ont été confiées, et qui a reçu les révélations de l’Esprit, a saisi d’abord ses auditeurs de crainte et d’effroi, et puis il a ranimé leur courage en leur montrant qu’ils n’étaient point exclus des grâces célestes. Enfin, après les avoir ainsi préparés à recevoir le don de la loi, il aborde la grande question de Jésus-Christ. Eh ! comment osera-t-il affirmer sa résurrection en face de ceux mêmes qui l’ont fait mourir ? Aussi ne se hâte-t-il pas de dire qu’il est ressuscité, mais seulement que Dieu l’a envoyé vers eux. Et la preuve, ce sont les miracles qu’il a opérés. Encore ne dit-il pas que Jésus les a opérés lui-même, mais que Dieu les a opérés par lui, afin de mieux gagner ses auditeurs par ce langage si empreint de modération. Quant à la certitude de ces miracles, il s’en rapporte à leur propre témoignage. « Jésus », dit-il, « homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous par les merveilles, les prodiges et les miracles qu’il a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ». C’est alors seulement, et comme par incident, qu’il rappelle le crime affreux qu’ils avaient commis, et qu’il s’efforce de les excuser. Mais, en réalité ; quoique ce déicide eût été arrêté dans les conseils divins, ils n’en étaient pas moins coupables.
« Ce Jésus », dit-il, « qui vous a été livré par le conseil et la prescience de Dieu, l’immolant par la main des méchants, vous l’avez mis à mort ». Nous retrouvons ici le même langage et presque les mêmes expressions dont Joseph avait usé à l’égard de ses frères : « Ne craignez point, car ce n’est pas vous qui m’avez livré, mais c’est Dieu qui m’a envoyé ici ». (Gen. 15,5) Néanmoins, parce qu’ il avait dit que la mort de Jésus était arrêtée dans les conseils divins, les Juifs eussent pu répliquer : Nous avons donc bien fait ; c’est pourquoi il les convainc d’homicide par cette parole : « L’immolant par la main des méchants, vous l’avez mis à mort ». Il désigne ici Judas et montre que les Juifs n’eussent pu exécuter leur noir dessein, si Dieu ne le leur eût permis et si le traître ne leur eût livré Jésus. Car c’est ce que signifie ce mot « livré », et l’apôtre rejette ainsi tout l’odieux du crime sur Judas qui livra le Sauveur et le trahit par un baiser. Quant à ces mots : « Par la main des méchants », ils se rapportent à la trahison de Judas, ou aux soldats qui crucifièrent le Sauveur, en sorte que les Juifs l’ont, mis à mort, moins par eux-mêmes que « par la main des méchants ». Mais comme les apôtres ont toujours soin de prêcher d’abord la passion de Jésus-Christ, tandis que Pierre ne fait ici qu’indiquer sa résurrection ; et quoiqu’elle soit le point fondamental de la religion, il se contente de l’affirmer. C’est que le crucifiement et la mort de Jésus étaient des faits publics ; mais il n’en était pas encore ainsi de sa résurrection. Aussi ajoute-t-il : « Dieu l’a ressuscité après l’avoir délivré des douleurs du tombeau, et il était impossible qu’il y fût retenu ». Ici l’apôtre nous révèle un grand et sublime mystère : car ce mot : « Il était impossible », signifie que Jésus-Christ lui-même a permis au tombeau de le renfermer, et que la mort, en voulant le retenir, a souffert des violences aussi extrêmes que les douleurs de l’enfantement. C’est en effet sous cette image que l’Écriture se plaît à nous représenter les efforts de la mort, et elle nous indique en même temps que le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. On peut aussi donner un autre sens à ces paroles : « Il était impossible qu’il fût retenu dans le tombeau », et dire qu’elles signifient que la résurrection de Jésus-Christ est différente de celle des autres hommes. Et aussitôt, avant que ses auditeurs aient eu le temps de s’arrêter à quelques pensées, Pierre cite le Psalmiste et coupe court à tout raisonnement humain : « Car David a dit de lui ». Mais observez combien cette façon de s’exprimer est humble, et c’est la même modestie de langage que ci-dessus. Cependant il ne laisse pas que d’en tirer cette grande leçon, qu’il ne faut pas s’affliger de la mort. « J’ai toujours », dit-il, « le Seigneur en ma présence ; et il est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. C’est pourquoi vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer ». (Ps. 15,8)
Pierre voulant alors développer cette prophétie, commence ainsi : « Mes frères ». C’est toujours ainsi qu’il s’exprime lorsqu’il veut annoncer quelques grandes vérités ; et ce début est bien propre à rendre ses auditeurs attentifs et bienveillants. « Mes frères, qu’il soit permis de vous dire hardiment du patriarche David ». Quelle humilité ! et comme il parle modestement, dès qu’il peut le faire sans danger ! Il n’affirme donc pas que la prophétie concerne Jésus-Christ à l’exclusion de David ; et il agit en cela très prudemment, afin qu’en honorant à leurs yeux cet illustre prophète, il les amène à mieux respecter son autorité. Bien plus, en s’excusant comme d’un trait de hardiesse, de rapporter un fait public, il les loue et les flatte habilement Aussi ne dit-il pas simplement David, mais le patriarche David. « Qu’il soit donc permis de dire hardiment du patriarche David qu’il est mort et enseveli ». Il n’ajoute point qu’il n’est pas ressuscité, mais il le fait assez entendre par ces mots : « Et son sépulcre est parmi nous jusqu’à ce jour ». Cette citation suffit à son dessein, et, au lien d’en venir immédiatement à Jésus-Christ, il loue de nouveau le saint roi. « Or, comme il était prophète et qu’il savait que Dieu lui avait promis avec serment ».
2. Pierre s’exprime ainsi afin que du moins ; par honneur pour David et pour ses descendants, les Juifs accueillissent le dogme de la résurrection. Car si Jésus-Christ n’était réellement ressuscité, la prophétie ne serait pas accomplie, et eux-mêmes auraient à en rougir. « Et comme il savait que Dieu lui avait promis avec serment ». Ce n’était pas une simple promesse, mais un serment solennel. « Dieu lui avait donc promis avec serment que, selon la chair, le Christ sortirait de sa race, et qu’il serait assis sur son trône ». Admirez quels profonds mystères l’apôtre laisse soupçonner ! et comme il cite avec assurance les paroles du prophète, dès qu’il a su s’insinuer dans l’esprit de ses auditeurs. Aussi proclame-t-il ouvertement la résurrection de Jésus-Christ. « C’est pourquoi son âme n’a point été laissée dans le tombeau, et sa chair n’a point vu la corruption ». Ce langage a droit de nous étonner. Et, en effet, il affirme que la résurrection de Jésus-Christ n’est point semblable à celle des autres hommes, et que la mort, qui l’a tenu quelques instants, n’a pu étendre sur lui son empire souverain. Quant au péché des Juifs, Pierre l’a laissé entrevoir comme dans l’ombre, et sans parler du châtiment que ce péché méritait, il s’est borné à déclarer que les Juifs avaient mis à mort le Christ : puis il a exposé les preuves de sa divinité. Mais dès qu’il est démontré que celui qui a été mis à mort, est le Juste par excellence, et l’ami de Dieu, vous avez beau taire le châtiment de ce crime, les coupables se condamneront eux-mêmes plus sévèrement que vous ne pourriez le faire. C’est pourquoi, afin de mieux se concilier leur attention, il s’en réfère aux décrets du Père éternel, et tire cette conclusion de la prophétie, qu’ « il était impossible » que le Christ restât dans le tombeau.
Mais revenons sur l’explication des premiers versets. « Jésus de Nazareth que Dieu a rendu célèbre parmi vous ». Ainsi, le doute n’est plus permis à son égard parce qu’il s’est fait connaître par ses œuvres. Aussi, Nicodème disait-il à Jésus-Christ : « Personne ne peut faire « les miracles que vous faites ». (Jn. 3,2) Pierre dit également : « Dieu l’a rendu célèbre par les merveilles, les prodiges et les miracles qu’il a opérés par lui au milieu de vous ». Ce n’est donc point secrètement, puisqu’il a agi devant tout le peuple. C’est ainsi que l’apôtre conduit insensiblement ses auditeurs, des faits qu’ils connaissent à ceux qu’ils ignorent ; et quand il dit que tout cela s’est fait « par suite des décrets divins », il semble dire que de leur part ce crime a été involontaire, puisqu’il avait été prévu et réglé dans la sagesse et les conseils du Seigneur. Il passe donc rapidement sur tout ce qui eût pu les contrister, et dirige tous ses efforts à leur prouver que le Christ a été mis à mort. C’était dire à ses auditeurs : Quand vous le nieriez, ceux-ci, à savoir, les apôtres, l’attesteraient. Or, celui qui triomphe de la mort ne pourra-t-il pas plus aisément encore se venger de ses bourreaux ? Certainement. Mais Pierre évite de le dire ; et, sans leur annoncer que le Christ exterminera la nation déicide, il se borne à le leur faire comprendre.
Nous apprenons également du discours de l’apôtre quelle est la signification de ce mot « être retenu ». Car celui qui retient une chose avec souffrance, cherche moins à en conserver la possession qu’à s’en décharger et à soulager ainsi sa douleur. C’est aussi avec une admirable justesse que saint Pierre dit : « David parlant au nom du Christ », de peur qu’on ne crût qu’il parlait en son nom. Voyez-vous maintenant avec quelle hardiesse il interprète la prophétie et en expose clairement le sens, en montrant le Christ assis sur son trône ? Or, le royaume du Christ est un royaume spirituel qui n’existe qu’au ciel. C’est pourquoi le fait de la résurrection implique celui de la possession de ce royaume ; et le prophète ne pouvait pas ne point en parler, puisque la prophétie concernait le Christ. Mais pourquoi le Psalmiste parle-t-il « de la résurrection du Christ », plutôt que de son royaume ? C’est pour nous révéler un grand mystère. Et pourquoi dit-il qu’il est assis sur son trône ? Parce que du haut des cieux il étend son autorité sur tous les Juifs et principalement sur ceux qui l’ont crucifié.
« Et sa chair n’a point vu la corruption ». Cette parole n’exprime pas moins fortement le dogme de la résurrection que celle-ci : « Dieu a ressuscité ce Jésus ». Et voyez-vous comme maintenant il le désigne par son nom ? « Et nous en sommes tous témoins. Après donc qu’il a été élevé, de la main de Dieu » ; Pierre en revient encore à Dieu le Père, quoique déjà il ait suffisamment, montré son action, parce qu’il sait combien cet argument est puissant. Il laisse également comprendre, sans le dire ouvertement, que ce même Jésus est monté au ciel, et qu’il y réside. « Et après qu’il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Observez ici que l’apôtre attribue l’envoi de cet Esprit divin au Père, et non au Christ. Mais, après avoir rappelé les miracles de celui-ci, l’attentat des Juifs contre sa personne, et le prodige de sa résurrection, il s’enhardit à en parler librement, et leur cite la déclaration de témoins qui ont tout vu et tout entendu. Cependant, s’il revient fréquemment sur la résurrection de Jésus-Christ, il ne parle qu’une seule fois du crime de ceux qui l’ont crucifié, pour éviter de leur être importun. « Après donc qu’il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Quel sublime mystère recèlent ces paroles ! Et je pense qu’ici saint Pierre fait allusion à la promesse que Jésus-Christ fit à ses apôtres avant sa passion. Aussi remarquez comme en ceci il lui attribue l’action principale, et comme il obtient adroitement un immense résultat. Car si Jésus-Christ a répandu l’Esprit-Saint, c’est de lui que parlait le prophète, quand il disait : « Dans les derniers jours je répandrai de mon Esprit sur vos serviteurs et sur vos servantes, et je ferai paraître des prodiges dans le ciel ».
Quelle doctrine se cachait donc sous ces paroles ? Mais à cause même de sa sublimité, l’apôtre la voile aux regards de ses auditeurs, et attribue au Père l’envoi du Saint-Esprit ; c’est pourquoi il se borne à énumérer les biens que nous a procurés l’incarnation du Fils, les miracles que celui-ci a opérés, la royauté qu’il a fondée, le peuple au milieu duquel il a paru, et il ajoute comme incidemment que lui aussi donne l’Esprit-Saint. Toute parole qui ne tend pas à l’utilité de ceux qui l’écoutent, est une parole vaine et inutile. C’est ce que témoigne le saint précurseur quand il dit : « Le Christ vous baptisera lui-même en l’Esprit-Saint ». (Mt. 3,11) Pierre montre également que Jésus-Christ, bien loin d’affaiblir la vertu de sa croix, l’a rendue plus brillante, puisqu’il accomplit en ce jour, à l’égard de ses disciples, la promesse qu’il avait précédemment reçue de son Père. C’était donc, dit l’apôtre, cette promesse qu’il nous avait faite, et qu’il se réservait d’accomplir dans toute son étendue, après le mystère de sa passion. « Je répandrai » ; cette expression marque la dignité du bienfaiteur, et l’abondance de ses dons. La suite de ce discours en est une preuve sensible, car c’est après avoir reçu l’Esprit-Saint, que Pierre annonce hardiment l’ascension de Jésus-Christ, et que, pour la prouver, il allègue, à l’exemple du Sauveur, le témoignage du Psalmiste. « Car David », dit-il, « n’est point monté au ciel ».
3. Ici la parole de l’apôtre se relève noblement, et il parle avec fermeté. Il n’a donc plus recours à ces précautions oratoires : qu’il me soit permis de vous dire ; mais il s’exprime en toute franchise. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Or, si le Christ est le Seigneur de David, à plus forte raison l’est-il des Juifs. « Assieds-toi à ma droite ». Cette parole résume toutes choses. « Jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Cette citation ne pouvait manquer de renouveler dans les esprits une salutaire terreur, car elle montrait quelle sera la conduite du Seigneur envers ses amis et ses ennemis. Mais, pour se mieux concilier ses auditeurs, Pierre se hâte d’attribuer au Père l’exercice de la souveraineté, et, après avoir proclamé ces sublimes mystères, il abaisse insensiblement son langage.
« Que toute la maison d’Israël sache donc ». Voyez comme il prévient le doute et l’hésitation, et comme il continue avec autorité. « Que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus ». Il cite les paroles du Psalmiste, et, au lieu de dire : Que toute la maison d’Israël sache donc certainement que le Christ est assis à la droite de Dieu le Père, ce qui marquait la gloire la plus élevée, il laisse ce privilège, et dit plus humblement que Dieu l’a « fait », c’est-à-dire, l’a établi Christ et Seigneur. Ainsi, il omet de parler de la personne même du Fils, et ne s’arrête qu’à l’action du Père. « Ce Jésus que vous avez crucifié ». Que ce dernier membre de phrase est heureux ! et quels remords il devait exciter, dans l’âme de cette multitude. Car l’apôtre, qui lui a d’abord montré toute la grandeur du crime, en désigne ici les coupables, afin qu’ils en comprennent mieux l’énormité, et qu’ils en conçoivent une salutaire terreur. Et en effet, les bienfaits sont moins puissants pour attirer les hommes que la crainte pour les corriger. Mais il est des hommes admirables, de pieux amis du Seigneur, qui sont au-dessus de ce double motif ; tel était Paul qui aimait Dieu sans s’inquiéter du ciel, ni de l’enfer.
C’est là véritablement aimer Jésus-Christ, et ne point se conduire en mercenaire, qui ne cherche que son profit et son avantage : c’est là être véritablement chrétien, et n’agir que par le principe de l’amour divin. Combien donc notre conduite est-elle digne de larmes, puisqu’appelés à cet héroïsme de vertu, nous ne savons pas même considérer le ciel comme le but d’un utile négoce. Jésus-Christ nous promet les plus riches trésors, et nous ne l’écoutons point. Ah ! quels châtiments ne mérite pas une telle indifférence ! L’homme qu’excite la tyrannique passion de l’or ne considère point s’il se trouve en rapport avec un étranger, ou un esclave ; avec un ennemi, ou un rival implacable, pourvu qu’il espère en tirer quelqu’argent. Il n’est donc rien qu’il né fasse volontiers, fallût-il les aduler, les servir, et les tenir pour les plus honnêtes gens du monde, dès qu’il est assuré d’en être grassement payé : tant la soif du lucre éteint en lui toute autre pensée. Eh ! le royaume des cieux est moins puissant sur nous que la vue d’un vil métal ! Cette perspective ne peut émouvoir notre indifférence, et néanmoins celui qui nous promet ce royaume n’est pas un homme ordinaire ; c’est le Roi des cieux.
Cependant, à ne considérer même que le royaume qui nous est promis, et le Dieu qui veut nous le donner, il est beau de recevoir un tel don, et de le recevoir de telles mains. Hélas ! nous agissons comme ces insensés à l’égard desquels un roi veut couronner mille bienfaits en les associant à l’héritage de son fils, et qui ne savent que mépriser ses offres généreuses. Mais, au contraire, que le prince des méchants, celui qui, plein de malice, a précipité nos premiers parents et toute leur postérité dans un abîme de maux, nous présente une obole, et soudain nous courons l’adorer. Dieu nous promet un royaume, et nous le méprisons ; le démon nous entraîne vers l’enfer, et nous l’honorons. Ainsi, d’un côté le Seigneur, et dé l’autre le démon. Mais quelle différence encore dans leurs commandements ! Oui, supposons qu’il n’existe ni Dieu, ni démon, ni ciel, ni enfer, cette différence seule suffirait à éclairer notre choix. Et, qu’ordonnent-ils donc l’un et l’autre ? Le démon, tout ce qui souille l’homme ; et Dieu, tout ce qui fait sa gloire et son honneur. Le démon, tout ce qui nous rend malheureux et infâmes ; et Dieu, tout ce qui nous apporte la paix et la tranquillité. Écoutez en effet les paroles de l’un : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ». (Mt. 11,29) Quel est, au contraire, le langage de l’autre ? Soyez dur et inhumain, furieux, et moins homme que bête féroce. Quant aux résultats de ces commandements, de quel côté est l’utilité et l’opportunité ? Mais, à part toutes ces considérations, il suffit de savoir que l’un des deux est le démon ; et, si nous en sommes bien persuadés, nous le vaincrons avec plus de gloire. Car l’utilité du précepte, et non sa facilité, nous doit faire connaître celui qui nous porte un véritable intérêt. C’est ainsi que les pères donnent à leurs enfants des ordres sévères, et les maîtres à leurs esclaves ; mais ils n’en sont pas moins pères et maîtres, tandis que les autres sont dépendants et serviteurs.
Et maintenant, voulez-vous examiner la question sous le rapport du bonheur ? La solution en est facile et évidente. Et en effet, y a-t-il parité de satisfaction entre l’homme irascible et furieux et l’homme doux et patient ? L’esprit de ce dernier possède le calme d’une paisible solitude et l’âme du premier ressemble à ces places publiques où se presse une foule importune et où les gens qui conduisent des chameaux, des mulets et des ânes, crient à tue-tête pour avertir les passants de se garer. Oui, je comparerai le méchant à ces villes où l’on n’entend que le bruit de l’enclume et du marteau et où l’encombrement est si grand qu’à chaque pas on risque de heurter les autres ou d’en être soi-même heurté. Mais le juste est semblable à une montagne dont le sommet jouit de la douce haleine des zéphyrs et s’illumine des rayons d’une pure lumière. Des sources jaillissantes abreuvent mille fleurs qui en font un délicieux jardin ; l’on dirait une prairie que le printemps a émaillée de plantes et de fleurs et qu’il arrose de limpides ruisseaux. Ajoutez au plaisir des yeux celui de l’oreille que charment de suaves mélodies. Car, ou les oiseaux chantent sur les cimes élevées des grands arbres, ou la cigale, le rossignol et l’hirondelle harmonisent leurs voix et leurs concerts : D’autres fois c’est le zéphyr qui se joue dans les hautes branches des arbres et qui, agitant les pins et les mélèzes, imite les chants mélodieux du cygne ; ou ce sont les lis et les roses de la vallée qui s’inclinent comme dans un fraternel embrassement et présentent l’image d’une mer calme et tranquille. Les fleurs nous offrent d’autres emblèmes non moins gracieux. Ainsi la rose symbolise l’arc-en-ciel, la violette la mer azurée, et le lis le ciel. Mais cet admirable spectacle de la nature qui réjouit l’œil, récrée également le corps. On y respire en effet un tel bien-être qu’on se croit plutôt dans les cieux que sur la terre.
4. Dirai-je encore que le murmure des eaux qui se précipitent en cascade et frémissent sur un lit de cailloux, détend nos membres fatigués et provoque un doux sommeil ? Cette description vous charme et vous ferait aimer la solitude ; ruais combien plus délicieux est L’état d’une âme humble et patiente. Et ne croyez pas que ma parole se soit égayée dans cette description pour le seul plaisir de peindre la nature et d’en tracer un riant tableau ; non, non. J’ai voulu vous montrer quels sont les charmes de la patience, et vous faire comprendre qu’il est plus doux et plus utile de vivre avec un homme vraiment patient, que d’habiter ces lieux enchanteurs. Et en effet, jamais il ne déchaîne autour de lui le souffle violent de l’aquilon, et son langage doux et modéré ne rappelle que les brises légères d’un paisible zéphyr. Ses reproches eux-mêmes sont pleins de bienveillance et imitent le chant des oiseaux. Comment donc ne pas trouver auprès de lui le véritable bonheur ? Si sa parole ne peut rien sur le corps, du moins elle calme et récrée l’âme ; et les soins habiles d’un médecin coupent moins vite la fièvre que la parole d’un homme patient n’apaise un esprit furieux et emporté. Eh ! pourquoi parler du médecin, puisqu’un fer rouge qu’on plonge dans l’eau, perd sa chaleur moins promptement qu’un cœur courroucé ne se calme au contact d’un homme patient ? Mais de même qu’on ne fait sur la place publique aucune attention au chant des oiseaux, ainsi mes paroles frappent inutilement l’oreille d’un esprit furieux et irascible. Combien donc la douceur est préférable à la colère et à l’emportement. D’ailleurs Dieu nous commande la première et le démon la seconde. Aussi, quand même il n’existerait ni Dieu, ni démon, n’oubliez point que nos propres intérêts nous prescriraient encore de cultiver cette vertu et de fuir ce vice.
Et en effet, l’homme doux et patient est débonnaire pour lui-même et utile aux autres, tandis que l’homme violent et irascible devient ennuyeux à lui-même et inutile aux autres. Eh ! y a-t-il rien de moins aimable et de plus triste, de plus fatigant et de plus insupportable que de vivre avec un esprit de ce caractère, tandis que nos relations avec un esprit pacifique sont empreintes de charmes et de douceurs ! Il vaut mieux habiter avec une bête féroce qu’avec le premier ; car celle-ci s’apprivoise et devient soumise, mais celui-là s’irrite des démarches mêmes que vous faites pour l’apaiser, tant la colère est son état habituel ! Les jours joyeux et sereins de l’été et les tristes frimas de l’hiver sont moins opposés que ces deux hommes.
Mais, avant d’exposer tous les maux dont la colère est le principe à l’égard du prochain, examinons ceux qu’elle nous attire. Sans doute c’est déjà un grand mal que de nuire à ses frères, et j’en parlerai plus tard. Pour le moment je vous demande quel bourreau déchire les côtés comme la colère et l’emportement, quel dard transperce le corps aussi cruellement, et quel accès de folie ébranle aussi complètement la raison ? J’en ai connu plusieurs que la colère a rendus malades ; et, de toutes les fièvres, celles-ci sont les plus dangereuses. Mais si tels sont les ravages que cette passion porte dans le corps, que seront ceux dont elle afflige l’âme ? Eh ! ne dites point qu’on ne les voit pas au dehors, mais pensez que si l’homme furieux et emporté se nuit ainsi à lui-même, il ne peut amener pour les autres que de terribles malheurs. Plusieurs en effet ont perdu la vue par suite d’un accès de colère, et plusieurs autres sont tombés dans de graves maladies. Mais l’homme vraiment patient soutient sans fléchir le poids de l’adversité. Et cependant, malgré, toute la rigueur de ses commandements et en dépit des supplices de l’enfer où ils nous conduisent, le démon, cet ennemi juré de notre salut, se voit obéi avec plus d’empressement que le Sauveur Jésus, qui est notre bienfaiteur et qui ne nous intime que des préceptes faciles, salutaires, et non moins utiles à nous-mêmes qu’à nos frères.
Rien de plus dangereux, mon cher frère, que la colère et l’emportement. Si sa violence ne dure qu’un instant, les suites en sont bien graves. Car souvent toute la vie ne suffit pas pour réparer un mot prononcé dans la colère ; et un seul acte d’emportement brise souvent toute une carrière. Mais ce qui est plus déplorable encore, c’est que souvent un instant, une action et une parole nous font perdre les biens éternels et nous dévouent aux plus affreux supplices. Je vous en conjure donc, muselez cette bête féroce. Mais c’est assez parler de la douceur et de la colère, et si vous voulez poursuivre ce parallèle entre l’avarice et la générosité, l’impureté et la chasteté, la jalousie et la bienveillance, vous trouverez entre elles la même différence. Il me suffit de vous avoir montré à reconnaître par le seul énoncé du précepte quel en est l’auteur, Dieu ou le démon. Ah ! obéissons à Dieu et ne nous précipitons point dans l’enfer ; et tandis que nous en avons le temps et la facilité, purifions notre âme de la tache du péché, afin que nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. modifier


A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND DE LEUR CŒUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES, QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. 2,37, JUSQU’A LA FIN)

ANALYSE. modifier

  • 1. L’Orateur montre, par les sentiments de componction que font paraître les Juifs, le succès de la méthode que saint Pierre a suivie, et développe la réponse de cet apôtre : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. – Ici saint Chrysostome trace le tableau de cette vie si admirable des premiers fidèles, et nous les représente persévérant dans la prière, la fraction du pain et la communauté des biens.
  • 2. A l’égard de ce merveilleux désintéressement, il observe qu’ils faisaient de leurs biens un sage et utile usage, et ne les dédaignaient point, comme quelques philosophes, par vanité et arrogance. – Il appuie également sur le tact avec lequel saint Pierre leur propose le baptême sans s’étendre sur la passion et la mort de Jésus-Christ, parce qu’il voulait ménager ici, comme précédemment, leur trop grande susceptibilité.
  • 3. L’Orateur revient ensuite sur le spectacle qu’offraient les premiers fidèles, et exalte leur charité qui – enfantait pour tous la joie pure de l’âme, et l’abondance des biens célestes. – Il rehausse ensuite magnifiquement leur simplicité, et prouve que la prudence qui accompagne toujours cette vertu, ainsi que la confiance en Dieu, finissent par réussir.
  • 4. Ces premiers fidèles étaient ardents à se mortifier, et les chrétiens de nos jours ne recherchent que les délices ; ils se dépouillaient de leurs biens, et nous prétendons conserver les nôtres avec affection ; ils descendaient nus dans l’arène, et nous nous présentons au combat pompeusement parés : la lutte ne peut donc être égale. – C’est pourquoi nous devons, à leur exemple, retrancher toute cupidité, et, par un désintéressement vrai et sincère, nous assurer la victoire sur le démon, et la possession des biens éternels.


1. Considérez ici les avantages inestimables de la douceur. Elle pénètre dans les cœurs plus avant que la violence, et les perce plus profondément. Le fer qui ouvre un abcès dur et compact ne produit qu’une légère douleur ; mais si des émollients ont rendu cet abcès tendre et impressionnable, la douleur devient vive et forte. C’est ainsi que l’apôtre devait amollir d’abord les esprits, et puis les piquer. Or ce résultat s’obtient par la douceur, et non par la colère, les reproches violents et les injures. Car l’emportement augmente le mal, et la douceur le diminue. Aussi voulez – vous amener celui qui vous a insulté à reconnaître sa faute, reprenez-le avec une extrême douceur. Telle est la conduite de l’apôtre. Il rappelle à ses auditeurs le souvenir de leur crime ; et sans y ajouter aucun reproche, il s’étend sur les dons de Dieu à l’égard des Juifs, et sur les preuves des faits qui se sont accomplis parmi eux.
C’est pourquoi ils surent gré à l’apôtre de sa douceur, parce qu’il ne faisait entendre à ceux qui avaient crucifié son Dieu, et qui voulaient la mort de ses disciples, que le langage d’un père et d’un maître affectionné. Mais bientôt ils joignirent à ces sentiments de reconnaissance les remords d’une conscience coupable, et ils comprirent toute l’énormité de leur crime. Car Pierre ne permit point qu’ils s’abandonnassent aux fureurs du désespoir, ni que leurs âmes fussent enveloppées de ténèbres. Il se hâta donc de dissiper, par l’humilité de sa parole, les nuages de l’indignation, et puis il leur représenta la grièveté de leur faute. Chaque jour l’expérience justifie une semblable conduite. Quand nous disons à un injuste agresseur qu’il nous a blessé, il s’efforce de nous prouver le contraire. Mais si nous lui soutenons que, loin d’avoir été atteint par ses traits, c’est nous qui l’avons percé, il se récrie et se déclare invulnérable. Aussi, voulez-vous fortement embarrasser votre ennemi, ne l’accusez pas, mais prenez sa défense, et il s’accusera lui-même. Car l’homme aime naturellement la contradiction. Pierre ne l’ignorait pas ; c’est pourquoi il évite de les reprendre avec aigreur, et s’efforce, autant qu’il peut, de les excuser tout doucement. Aussi parvint-il à toucher leurs esprits. Eh ! qui atteste ce succès ? Leurs propres paroles, car ils disent : « Frères, que ferons-nous ? »
Voyez-vous comme ils appellent frères ces mêmes hommes qu’ils nommaient séducteurs ? Ce n’est point qu’ils s’égalent à eux, et ils ne veulent que s’attirer leur bienveillance et leur amitié. Observez encore qu’après les avoir appelés frères, et avoir dit : « Que ferons-nous ? » ils n’ajoutent pas : Nous ferons donc pénitence, mais : qu’ils s’abandonnent à leur conduite. C’est ainsi que dans un naufrage imminent, ou dans une grave maladie, tous laissent agir le pilote ou le médecin, et lui obéissent docilement. Et de même ces Juifs reconnaissent hautement qu’ils sont en un péril extrême, et qu’il ne leur reste plus aucune espérance de salut. Aussi ne disent-ils point : Comment serons-nous sauvés ? mais : « Que ferons-nous ? » Ils s’adressaient à tous les apôtres ; mais Pierre seul répond. Et que dit-il ? « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Il ne dit pas encore : Croyez ; mais : « Que chacun de vous soit baptisé », parce qu’ils devaient recevoir la foi avec le baptême ; et pour leur en montrer les avantages il ajoute : « En rémission de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit ». N’était-ce pas leur dire : Pourquoi différer ce baptême qui vous apportera la rémission de vos péchés et la plénitude des dons célestes ?
Bien plus, afin de rendre sa parole plus persuasive encore, il ajoute : « Car la promesse », celle dont il avait parlé précédemment, « est faite à vous, et à vos enfants ». Ainsi le don de l’Esprit-Saint est d’autant plus excellent qu’ils pourront le laisser en héritage à leurs enfants. « Et à tous ceux qui sont éloignés » ; à plus forte raison à vous qui êtes proches « et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu appelle ». Observez que l’apôtre ne parle de « ceux qui sont éloignés » que quand il voit ses auditeurs rentrer en eux-mêmes et se condamner eux-mêmes. Car de semblables dispositions empêchaient qu’ils ne fussent jaloux des gentils. « Et par plusieurs autres discours il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ». Voyez comme Pierre parle toujours brièvement, sans faste et sans ostentation – « Il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ! » La doctrine parfaite sait également inspirer la crainte et l’amour. « Sauvez-vous de cette génération perverse ». S’il parle du présent plutôt que de l’avenir, c’est que rien ne nous touche plus vivement. Aussi leur prouve-t-il que sa parole les délivrera des maux présents et futurs.
« Ceux donc qui reçurent sa parole furent baptisés, et il y eut en ce jour environ trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ». Ne pensez-vous pas que tout autre miracle eût moins réjoui les apôtres que ces nombreuses conversions ? « Or ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion ». Ici l’écrivain sacré note spécialement deux vertus : la persévérance et l’union ; des esprits ; et il nous fait ainsi entendre que les apôtres continuèrent longtemps encore à les instruire. « Ils persévéraient donc dans la communion, et dans la fraction du pain, et dans la prière ». En outre, dit saint Luc, tout était commun entre eux, et ils se soutenaient dans ces saintes dispositions. « Et la crainte était dans les âmes, et les apôtres opéraient beaucoup de merveilles et de miracles ». Je ne m’en étonne pas. Car ce n’étaient pas des hommes ordinaires. Ils n’envisageaient plus les choses sous un aspect tout profane ; et ils étaient tout embrasés des feux de l’Esprit-Saint. Mais parce que Pierre, dans son discours, avait entremêlé les promesses et les menaces, le présent et l’avenir, les esprits étaient d’autant plus frappés de crainte que les prodiges confirmaient les paroles. Ainsi aux jours de la Pentecôte comme en ceux du Sauveur, les prodiges précédaient la doctrine et les miracles l’accompagnaient.
« Or tous ceux qui croyaient vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ». Voyez quels progrès rapides ! Car à l’union de la prière et de la doctrine, ils ajoutaient celle de la vertu. « Ils vendaient leurs terres et leurs biens et les distribuaient à tous selon que chacun en avait besoin ». Voyez encore quelle crainte dominait les esprits ! « Et ils les distribuaient », c’est-à-dire, en faisaient un sage partage, « selon que chacun en avait besoin ». Ce n’était donc pas cette prodigalité de certains philosophes qui abandonnaient leur patrimoine ou jetaient leur or dans la mer, plutôt par folie et déraison que par un véritable mépris des richesses. Car toujours le démon s’est étudié à corrompre l’usage des créatures que Dieu a faites, comme si l’on ne pouvait user sagement de l’or et de l’argent.
2. « Et tous les jours ils étaient ensemble dans le temple ». Ces paroles nous apprennent quels fruits produisit immédiatement la prédication des apôtres ; et admirez avec quel zèle ces Juifs oubliaient le soin de toute affaire temporelle et se rendaient assidûment au temple. Car leur respect pour ce lieu sacré croissait avec leur ferveur ; et les apôtres ne les en éloignaient pas encore par bonté et par condescendance. « Et ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu et agréables à tout le peuple ». Je crois que, par cette expression : Rompant le pain, l’écrivain sacré a voulu désigner les jeûnes et l’abstinence que pratiquaient ces premiers chrétiens, puisque leur nourriture était frugale et ennemie de, toute recherche. Apprenez donc ici, mes frères, que le bonheur de la vie accompagne la frugalité bien plus que les délices de la table ; et la pratique de la sobriété nous est une source de joie, tandis que l’intempérance du festin est un principe de tristesse. La parole de Pierre fit donc éclore la sobriété chrétienne qui produisit à son tour un pur et saint contentement.
Et comment ? me direz-vous. Parce que leurs aumônes « les rendaient agréables à tout le peuple ». Car il faut faire moins attention aux prêtres qui s’élevaient contre eux par esprit d’une basse jalousie, qu’au peuple qui les accueillait avec faveur. « Or le Seigneur augmentait chaque jour ceux qui devaient être sauvés dans l’Église ; et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble ». Tant l’union et la concorde sont bonnes en toutes choses !
Cependant Pierre « rendait témoignage par d’autres discours ». Cette remarque de saint Lue nous fait entendre que l’apôtre donna quelque développement à ses premières paroles, ou qu’après avoir amené ses auditeurs à croire en Jésus-Christ, il laissa aux autres apôtres le soin de leur expliquer la pratique de cette croyance. Il évite aussi de leur parler de la croix, et dit seulement : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Pourquoi dont ne leur parle-t-il point fréquemment de la croix ? Par ménagement et pour éviter tout reproche ; aussi se borne-t-il à dire : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Ainsi, au tribunal de la religion, les choses se passent tout autrement que dans celui de la justice humaine : car l’aveu de sa faute assure le salut du pécheur.
Observez encore avec quel tact Pierre insiste sur un point bien important. Après avoir signalé la grâce du baptême, il ajoute immédiatement : « Vous recevrez le don de l’Esprit-Saint » ; et en présence des prodiges qui s’opéraient sous leurs yeux, les Juifs ne pouvaient pas ne point croire à cette promesse. Au reste, l’apôtre se contente de leur révéler ce qu’il y avait de plus facile, et qui, par la communication des dons célestes, les pouvait conduire au salut. Car il savait bien qu’à l’occasion la saveur de ces premiers biens les enflammerait d’un nouveau zèle. Mais parce qu’il voyait en ses auditeurs le désir de connaître ce point capital de son discours, il leur apprit que cette connaissance était un don de l’Esprit-Saint. Aussi voyez avec quelle attention ils l’écoutent et comme ils louent une parole qui les remplit de crainte et de frayeur ! Bien plus, ils croient et demandent le baptême.
Mais reprenons l’explication des premiers versets de notre texte : « Ils persévéraient », dit saint Luc, « dans la doctrine ». Nous pouvons évidemment conclure de ces paroles que les apôtres instruisirent ces néophytes non seulement pendant un, deux ou trois jours, mais tout le temps que demandait leur conversion. « Et tous étaient dans une grande frayeur ». « Tous », c’est-à-dire même ceux qui ne croyaient pas. Et il est vraisemblable que, dans ces derniers, cette frayeur venait ou du changement prodigieux qu’ils voyaient, ou peut-être des miracles qui s’opéraient sous leurs yeux. Saint Luc dit aussi qu’ils vivaient « dans une intime union », expression plus forte que l’adverbe « ensemble », parce qu’on peut vivre avec des personnes dont on ne partage pas les sentiments. Enfin il ajoute que Pierre les exhortait par ses discours, et sans en rien rapporter, il se borne à cette sommaire indication. Mais elle suffit pour nous apprendre que les apôtres présentèrent d’abord à ces néophytes, comme à de tendres enfants, le lait et le miel de – la doctrine évangélique, et qu’en peu de temps ceux-ci atteignirent une perfection tout angélique.
« Et ils distribuaient à tous leurs biens, selon que chacun en avait besoin ». Ces nouveaux disciples voyaient qu’entre eux les dons spirituels étaient communs et que tous en étaient également favorisés ; aussi en vinrent-ils promptement à l’idée d’en faire autant pour les biens de la terre. « Or, tous ceux qui « croyaient, vivaient ensemble ». Mais ils n’habitaient pas la même maison, comme le prouvent ces autres paroles : « Et ils avaient tout en commun ». Ainsi l’égalité était parfaite sans que l’un eût plus, et l’autre moins, et ils formaient comme une société d’esprits célestes, puisque chacun ne possédait, rien en propre. Cette pauvreté volontaire coupait donc jusque dans ses racines le principe de tous les maux, et ces nouveaux disciples prouvaient par là qu’ils avaient compris la doctrine évangélique.
Or, Pierre leur disait : « Sauvez-vous de cette génération perverse ; et il y eut en ce jour environ, trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ». Parce qu’ils étaient trois mille, ils ne craignaient point de se produire au-dehors, et chaque jour ils montaient au temple, où ils se rendaient assidûment. C’est aussi ce que firent peu après les apôtres Pierre et Jean car tout d’abord ils ne changèrent rien à la loi de Moïse. Au reste l’honneur rendu au temple rejaillissait sur le Maître du temple. Voyez aussi quels rapides progrès faisait en eux l’esprit de piété ! Ils se dépouillaient avec joie de leurs biens terrestres, et ils s’en réjouissaient d’autant plus qu’ils estimaient davantage leurs richesses spirituelles. L’orgueil et la jalousie, le faste et le mépris étaient inconnus parmi eux, c’étaient des enfants qui ne voulaient qu’être instruits ; et ils avaient la candeur d’un enfant nouveau-né.
Direz-vous que je trace un tableau d’imagination ? mais rappelez-vous le dernier tremblement de terre dont le Seigneur a épouvanté cette ville. Quel n’était pas l’effroi et la consternation générale ! qui songeait alors à tromper son frère, ou à médire de lui ! ce que faisait parmi nous la terreur et l’effroi, la charité l’opérait parmi les premiers chrétiens : ils ne connaissaient point cette froide parole, « le mien » et « le tien » ; aussi s’asseyaient-ils pleins de joie à une table commune. L’un ne pensait point qu’il faisait les frais du festin, et l’autre qu’il était nourri gratuitement, quoique cela nous paraisse aujourd’hui une véritable énigme. Mais c’est que chacun se regardait comme propriétaire des biens de la communauté, en même temps qu’il les considérait comme appartenant à tous les frères. Ainsi le pauvre ne rougissait point de sa pauvreté, et le riche ne s’enorgueillissait point de ses richesses. De là naissait une joie vraie et sincère, parce que dans l’un le sentiment de la reconnaissance, et dans l’autre celui d’une bonne œuvre resserrait entre tous les liens d’une fraternelle unanimité. Mais parce que, même dans l’aumône, il peut se glisser quelque orgueil, quelque vanité ou quelque hauteur, l’apôtre nous dit : « qu’il ne faut point la faire avec tristesse, et comme par force ». Qu’il est donc beau le témoignage que saint Luc rend à ces premiers chrétiens ! il atteste leur foi sincère, leur vie irréprochable, et leur persévérance dans la doctrine, la prière, la frugalité et la joie.
3. Deux choses cependant pouvaient les attrister : le jeûne et l’abandon de leurs biens. Mais ils y trouvaient un double sujet de joie ; et à la vue de semblables dispositions, chacun les aimait comme son père. Nul ne songeait à molester son frère, et ils s’abandonnaient entièrement à la grâce divine. Aussi étaient-ils généreux et intrépides au milieu des dangers. Mais cette confiante simplicité attestait tout l’héroïsme de leur vertu, plus encore que le mépris des richesses, le jeûne et la persévérance dans la prière. Ils louaient donc le Seigneur en esprit et en vérité ; et ce sont là les seules louanges qu’il demande. Eh ! voyez comme ils en sont immédiatement récompensés ! car la faveur dont le peuple les entoure prouve combien ils étaient aimables et savaient se faire aimer. Et en effet, qui ne loue et qui n’admire un homme simple dans ses mœurs, et qui. ne se lie volontiers avec un homme franc et sincère ? Mais n’est-ce point à eux qu’appartiennent le salut et tous les dons du ciel ?
Les bergers n’ont-ils pas été les premiers appelés à l’Évangile ? et Joseph n’était-il pas admirable de simplicité, lui qui, même en soupçonnant une faute, ne s’arrête à aucune mesure rigoureuse. Est-ce que Dieu n’a point toujours choisi des hommes simples et francs ? « Toute âme simple », dit l’auteur des Proverbes, « sera bénie » ; et encore : « Celui qui marche avec simplicité, marche avec sécurité ». (Prov. 2,25 ; 10, 9) Je l’avoue, me direz-vous ; mais il faut y joindre la prudence. Eh ! la simplicité n’est-elle pas inséparable de la prudence ? Vous ne soupçonnez pas le mal ; vous ne le commettez donc point : vous ne vous offensez de rien ; pourriez-vous donc conserver le souvenir d’une injure ? on a cherché à vous humilier et vous n’en avez eu aucun ressentiment ; on a parlé contre vous, et vous n’y avez fait aucune attention ; on vous jalouse, et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse ; et l’âme n’est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l’accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes ; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu’il possède, au lieu qu’un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l’amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis.
Mais qu’arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d’être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül ? Et néanmoins qui fut vainqueur ? Que n’eut pas à souffrir Joseph ? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime ? Qui fut plus simple qu’Abel, et plus méchant que Caïn ? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité ? et le rang élevé où il parvint, n’eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères ? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres, se confiant pour toutes choses au Seigneur. C’est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu’il ne tombât entre leurs mains ; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu’il triompherait de tous leurs mauvais desseins.
Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n’atteint point son adversaire, en en sorte qu’il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d’un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu’il ne tourne tout en mal, et qu’il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l’amitié et l’union sont impossibles ; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier ; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s’ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n’aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que « mauvais » dérive de « mal » ; et en effet, l’Écriture joint toujours ces deux mots : « Le mal et le travail », dit-elle, « résident sous la langue des mauvais » ; et encore : « Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ». (Ps. 9,7 ; 89, 10).
Et maintenant si l’on s’étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lorsqu’aujourd’hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l’oracle de la sagesse et la mère de la piété ; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l’avoue, me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande : pourquoi tant de vices parmi nous ? À la parole des apôtres, trois mille hommes d’abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu’aujourd’hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D’où vient encore, qu’ils étaient si unis ensemble ? si prompts et si agiles au service de Dieu ? et quel feu sacré les embrasait ? C’est qu’ils se convertissaient sincèrement, qu’ils ne recherchaient pas les – honneurs comme on le fait aujourd’hui, et que, dégagés de toute affection terrestre, ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d’une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c’est en cela que ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu’une vie molle et délicate. Aussi dans l’occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s’accusant eux-mêmes : « Que ferons-nous » ? Nous disons également : que ferons-nous ? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au monde, et nous nous estimons profondément sages. Ils accomplissaient strictement leurs devoirs, et nous, nous négligeons les nôtres. Ils se condamnaient eux-mêmes, et craignaient pour leur salut ; aussi devinrent-ils des saints, et ils reconnurent toute l’excellence du don qu’ils avaient reçu.
4. Mais comment leur ressembleriez-vous, vous qui faites tout le contraire ? Dès la première prédication, ils demandèrent le baptême, et n’alléguèrent point ces froides excuses qu’aujourd’hui nous mettons en avant. Ils ne cherchèrent ni retards, ni prétextes, quoiqu’ils ne connussent pas encore l’ensemble de la religion, et qu’ils n’eussent entendu que cette parole : « Sauvez-vous de cette génération perverse ». Ils ne furent donc pas lâches et négligents, mais ils crurent à la parole des apôtres, et prouvèrent leur foi par leurs œuvres. Ils se montrèrent donc tels qu’ils étaient, et à peine entrés dans la lice, ils se dépouillèrent de leurs vêtements. Nous, au contraire, nous les conservons, même en nous présentant au combat. Aussi notre adversaire nous renverse-t-il sans grands efforts, car, par tout ce vain attrait, nous lui facilitons notre chute.
Nous agissons comme l’athlète qui, voyant son antagoniste nu et couvert de poussière, noirci par le soleil, frotté d’huile et tout ruisselant de sueur, de boue et de sable, se hâterait de parfumer sa chevelure, de revêtir un vêtement de soie, de chausser des brodequins dorés, de relever une robe longue et traînante, et de ceindre une couronne d’or, et puis engagerait la lutte, non seulement cette superbe parure gênerait ses mouvements, mais le soin qu’il prendrait pour ne la point salir ou déchirer occasionnerait promptement sa défaite, et il tomberait bientôt blessé, comme il le craignait, dans les principales parties du corps. Or, voilà l’heure du combat, et vous vous couvrez d’un vêtement de soie ? Voilà le moment de la lutte et de la course, et vous vous parez avec une ridicule recherche ? Pouvez-vous espérer la victoire ? Il ne s’agit pas ici de combats extérieurs, mais d’une lutte intestine. Car lorsque l’âme est enchaînée par les soucis et les préoccupations des biens terrestres, elle ne nous permet ni de lever le bras, ni de frapper l’ennemi, tant elle nous rend mous et efféminés. Ah ! puissions-nous briser ces liens, et vaincre ce tyrannique ennemi !
C’est pourquoi, comme si ce n’était pas assez de renoncer à nos richesses, Jésus-Christ nous dit encore : « Vendez tout ce que vous possédez, et le donnez aux pauvres ; et venez, et suivez-moi ». (Mc. 10,21) Ainsi le renoncement aux biens de la terre ne suffit pas toujours pour nous établir dans une parfaite sûreté, et il faut y joindre mille précautions. – Mais, à plus forte raison, si nous retenons ces biens, deviendrons-nous incapables de tout héroïsme, et prêterons-nous à rire aux spectateurs et à notre cruel ennemi. Au reste, quand même le démon n’existerait point, et que nul ne nous attaquerait, l’amour des richesses multiplierait pour nous les chemins (le l’enfer. Où sont donc aujourd’hui ceux qui disent : Pourquoi le démon a-t-il été créé ? Car ici l’action du démon est nulle, et c’est nous qui faisons tout. Ce langage pourrait être permis à ces anachorètes qui vivent sur les montagnes, qui ont embrassé la sainte virginité, et qui ont méprisé l’argent et tous les biens de la terre, et qui ont quitté généreusement maison et champ, père, femme et enfants. Mais ils se taisent, et laissent ces blasphèmes à ceux qui ne devraient jamais les prononcer.
La passion de l’argent est comme une arène où le démon nous provoque, et il ne mérite pas que nous y descendions. Mais c’est lui, me direz-vous, qui allume en nous cette ardente cupidité. Fuyez donc, ô homme ! et éteignez ces feux dangereux. Si vous voyiez un homme secouer d’un lieu élevé un vêtement couvert de poussière, et un autre assis au-dessous recevoir tranquillement ces immondices ; vous ne plaindriez point ce dernier, et même vous diriez dans votre indignation qu’il n’a que ce qu’il mérite. Tous les passants lui diraient également : Ne soyez donc pas si imbécile ! et ils blâmeraient plus celui qui reçoit l’outrage que celui qui en est l’auteur. Or, maintenant vous ne pouvez ignorer que le démon n’excite en nous la soif des richesses, et qu’il est à notre égard la cause d’épouvantables malheurs. Vous le voyez préparer, comme une fange immonde, les pensées les plus honteuses, et vous ne comprenez pas qu’il vous les jette au visage, quand il ne faudrait qu’un peu vous éloigner pour les éviter. L’imbécile dont je parlais tout à l’heure n’aurait qu’à changer de place, et il s’épargnerait tout désagrément ; et vous aussi n’accueillez pas ces pensées, et vous éviterez le péché.
Réprimez donc en vous la cupidité. Eh ! comment y parviendrai-je, me direz-vous ? Si vous étiez païen, et si, comme tel, vous n’étiez touché que des biens de la terre, cela vous serait peut-être difficile, quoique des païens l’aient fait. Mais vous espérez le ciel et les biens – éternels, et vous dites : Comment réprimer la cupidité ? Si je vous tenais un langage tout contraire, le doute vous serait permis ; et si je vous disais : Désirez les richesses, vous me répondriez avec raison Comment puis-je les désirer en voyant tout ce que je vois ? Si je vous disais encore, en vous offrant de l’or et des pierres précieuses Donnez la préférence à une masse de plomb, hésiteriez-vous à me répondre : Eh ! puis-je le faire ? S’il ne fallait, au contraire, que mépriser le plomb, rien ne vous serait plus facile. En vérité, j’admire moins qu’on méprise les richesses que je ne m’étonne qu’on les puisse rechercher. Car c’est le caractère d’une âme basse, qui n’a aucune élévation dans la pensée, et qui, semblable à un vil insecte, rampe à terre, et se complaît dans la boue et la fange. Étrange langage ! vous prétendez à l’héritage de la vie éternelle, et vous dites : Comment mépriserai-je la vie présente ? Est-ce que ces deux vies peuvent être comparées ? on vous offre la pourpre impériale, et vous dites Comment rejetterais-je ces sales haillons ? on va vous introduire dans le palais du prince, et vous dites : Comment abandonnerais-je cette humble cabane ? Certes, nous sommes toujours nous-mêmes la cause et le principe de tous nos malheurs, parce que nous ne secouons jamais une coupable indolence. Car tous ceux qui l’ont réellement voulu y sont parvenus avec ferveur et facilité. Ah ! puissent mes paroles convaincre vos esprits, en sorte que votre conduite soit vraiment chrétienne, et que vous deveniez les imitateurs de ces premiers héros du christianisme, par la grâce et la miséricorde du Fils unique de Dieu, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII. modifier


OR, PIERRE ET JEAN MONTÈRENT ENSEMBLE AU TEMPLE, A LA PRIÈRE DE LA NEUVIÈME HEURE. (ACT. 3,1, JUSQU’AU VERSET 11)

ANALYSE. modifier

  • 1. Le sujet de cette homélie est la guérison d’un boiteux opérée par les apôtres saint Pierre et saint Jean et pour mieux faire ressortir l’éclat du miracle, l’orateur constate d’abord l’état de cet homme. – Il développe ensuite tous les détails de ce miracle, et loue la conduite pleine de reconnaissance que tint ce boiteux.
  • 2. Cependant le peuple s’étant rassemblé, Pierre en prend occasion de faire connaître Jésus-Christ. – Ici saint Chrysostome, après avoir rappelé le discours fait dans le cénacle, montre l’apôtre s’élevant dans celui-ci à une plus grande hauteur de force et de confiance. – Mais soudain il interrompt son sujet, et, abordant une question de morale, il exhorte ses auditeurs à travailler courageusement à l’acquisition des vertus chrétiennes, leur prouvant que l’habitude d’une seule facilite la pratique de toutes les autres.
  • 3. C’est pourquoi il les supplie avec prières et avec menaces d’extirper du milieu de Constantinople le jurement et le blasphème, et montre quelle sera sur l’univers entier l’heureuse influence d’un tel exemple. – Si un petit nombre seulement obéit à la voix du pasteur, il s’en consolera, parce qu’il vaut mieux pour lui n’avoir à diriger que quelques brebis dociles que de commander à une multitude de chrétiens qui déshonorent aux yeux des païens la sainteté de la religion.


1. Une étroite amitié unissait les deux apôtres, Pierre et Jean. Aussi voyons-nous que, dans la dernière cène, « Pierre fait signe à Jean », et qu’ils courent tous deux au tombeau. C’est encore Pierre qui interroge Jésus-Christ au sujet de Jean et lui dit : « Et celui-ci, que deviendra-t-il ? » (Jn. 21,21) Saint Luc, qui a omis le récit de plusieurs autres miracles, y rapporte là guérison du boiteux, parce qu’elle frappa plus fortement tous ceux qui en furent témoins. Mais observons tout d’abord que les deux apôtres ne montèrent point au temple dans le dessein d’opérer un miracle, car, à l’imitation de leur divin Maître, ils évitaient tout ce qui pouvait tourner à leur avantage. Pourquoi donc vinrent-ils au temple ? Est-ce qu’ils observaient encore le culte mosaïque ? Nullement : trais c’était pour l’édification générale. Nous les voyons en effet opérer un prodige nouveau qui les affermit eux-mêmes dans leur vocation, et qui détermine la conversion d’un grand nombre de disciples. Ce boiteux l’était de naissance, et par conséquent incurable par les moyens ordinaires. Il était âgé de quarante ans, comme on va nous le dire, et depuis quarante ans on n’avait pu le guérir. Au reste vous savez assez combien toute infirmité de ce genre est rebelle aux traitements de la médecine, et la sienne était si grande qu’il ne pouvait même pourvoir aux besoins de son existence. Du reste tout contribuait à le faire connaître, le lieu où il se tenait, et le genre même de son infirmité. « Or, il y avait », dit saint Luc, un homme boiteux dès le sein de sa mère, qui était porté, et qu’on plaçait chaque jour à la porte du temple, appelée la Belle-Porte, pour demander l’aumône à ceux qui y entraient ». Il demandait donc l’aumône, et ne connaissait pas les apôtres auxquels il s’adressait. « Voyant Pierre et Jean entrer au temple, il les pria de lui « donner l’aumône. Mais Pierre et Jean le fixèrent, et Pierre lui dit : Regardez-nous ». A ces mots, il ne se lève point, et persiste à leur demander l’aumône. Car telle est la coutume du pauvre, il ne se rebute point d’un premier refus, et renouvelle ses instances. Rougissons donc, nous qui cessons de prier, si le Seigneur ne nous exauce sur-le-champ. Au reste voyez comme Pierre se hâte de lui adresser une parole de bienveillance : « Regardez-nous », lui dit-il. Ainsi s’épanchaient au dehors les dispositions de son âme. « Mais celui-ci les regarda attentivement, « espérant en recevoir quelque aumône. Or, « Pierre dit : Je n’ai ni or, ni argent ; mais ce que j’ai, je te le donne ». Il ne dit point : Je te donne une chose bien plus précieuse que l’argent ; que dit-il donc ? « Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche, et l’ayant pris par la main droite, il le souleva ». L’apôtre imita dans cette circonstance le Sauveur Jésus, qui, lui aussi, tendait la main à tous ceux dont la foi était faible et chancelante, pour prouver que ce n’était pas en eux un mouvement spontané.
« Et l’ayant pris par la main droite, il le souleva. ». Cette guérison attestait la résurrection de Jésus-Christ, car elle en était une image. « Et aussitôt ses jambes et ses pieds s’affermirent ; et, s’élançant, il se leva et marcha ». Il s’essayait, pour ainsi dire, à marcher, et il expérimentait si ses jambes pourraient le soutenir ; il avait des pieds, mais ils étaient perclus. Quelques-uns même disent que dans le premier moment il ne savait pas marcher. « Et marchant, il entra avec eux dans le temple ». En vérité, voilà un étonnant prodige. Ce boiteux n’est point conduit par les deux apôtres, mais il les suit, et fait ainsi connaître ses bienfaiteurs. Bien plus, sautant de joie, il louait le Seigneur, et non les hommes, car il ne les regardait que comme tes instruments de la bonté divine. C’est ainsi qu’il se montrait reconnaissant.
Mais revenons sur l’explication des versets précédents. « Pierre et Jean montaient au temple à la neuvième heure de la prière ». Peut-être était-ce l’heure où l’on y portait le boiteux, parce que, à ce moment, le temple était plus fréquenté. Au reste saint Luc réfute tout autre motif que celui de recevoir l’aumône, car il dit expressément : « On le plaçait à la porte du temple pour demander l’aumône à ceux qui y entraient ». Ce détail si précis est une preuve de la sincérité du récit. Mais pourquoi, direz-vous, ses parents ne l’avaient-ils pas conduit à Jésus-Christ ? Peut-être étaient-ils eux-mêmes incrédules ; et, en effet, quoiqu’ils se trouvassent en ce moment dans le temple, ils ne le présentèrent point aux deux apôtres. Cependant ils les virent entrer, et ils ne pouvaient ignorer les grands prodiges qu’ils avaient déjà opérés. « Il les priait de lui faire l’aumône ». Il les reconnut sans doute à leur extérieur pour des hommes charitables, aussi s’empressa-t-il de les arrêter.
Il n’est pas inutile d’observer qu’ici saint Jean garde le silence, et que saint Pierre parle en son nom. « Je n’ ai », dit-il, « ni or, ni argent ». Il ne dit point, comme nous, je n’ai pas sur moi ; mais absolument : je n’ai pas. Vous rejetez donc ma demande, pouvait lui dire ce boiteux. Non, reprenait Pierre ; mais je vous fais part de ce que j’ai. Voyez l’humble modestie de l’apôtre ! il ne se glorifie point même devant celui dont il va devenir le bienfaiteur. On ne voit ici agir que les lèvres et la main. Ce boiteux représentait les Juifs, qui, au lieu d’implorer la guérison, de leurs âmes, rampaient sur la terre, et ne demandaient que des biens temporels. Ils fréquentaient le temple, mais c’était pour mieux s’enrichir. Quelle fut donc la conduite de l’apôtre ? Il ne méprisa point ce boiteux, et ne chercha point un riche, disant : Si le miracle s’opère à son égard, il ne fera aucun bruit. Ainsi il n’attendit aucune gloire de celui qu’il allait guérir, et il ne le guérit point en présence de nombreux témoins, car il était encore sur le seuil de la porte, et non dans l’intérieur du temple que remplissait la multitude. Pierre ne, s’entoura point de tant ale solennité, et quand il fut entré dans le temple, il ne, publia point ce miracle. Son extérieur seul avait engagé ce boiteux à lui demander l’aumône. Mais, par un prodige nouveau et plus grand, cet homme eut à l’instant la conscience de sa guérison. Tout au contraire, un malade guéri après de longues années, en croit à peine une guérison qu’il voit de ses propres yeux. Or, ce boiteux étant guéri, suivit les apôtres et rendit grâces à Dieu. « Il entra avec eux dans le temple », dit saint Luc, « marchant, sautant et louant Dieu ».
2. Admirez comme il saute de plaisir, et ferme ainsi la bouche à tous les murmures des Juifs. Je croirais aussi que, pour mieux prouver la réalité de sa guérison, il se donnait ces violents mouvements qu’on ne peut feindre. C’était bien ce même homme perclus des deux jambes, et qui ne pouvait se remuer, même pressé par la faim ;-et certes, s’il eût pu marcher seul, il n’eût point voulu partager ses aumônes avec ceux qui l’assistaient. Comment donc aujourd’hui le voudrait-il ? Ou comment feindrait-il une guérison pour faire honneur à des gens qui lui auraient refusé une légère aumône ? Mais il conservait, même après sa guérison, le sentiment d’une vive reconnaissance, et il en donna des preuves dans cette circonstance comme dans la suite. Au reste, il était généralement connu, et c’est ce que dit expressément saint Luc, « Et tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. Et tous reconnaissaient que c’était celui-là même qui était assis à la Belle-Porte du temple pour demander l’aumône ». Cette expression « reconnaissaient », est parfaitement juste, car ce ne fut point ce miracle qui le fit connaître, comme nous le disons de ceux dont nous n’avons qu’un vague souvenir. Mais pouvait-on ne pas croire qu’au nom de ce même Jésus qui opérait de si grands prodiges, les péchés étaient remis ?
« Et comme celui qui avait été guéri tenait par la main Pierre et Jean tout le peuple étonné courut vers eux, au portique qui s’appelle le portique de Salomon ». L’attachement et l’amitié ne permettaient pas à ce boiteux de quitter ses bienfaiteurs, et sans doute qu’il les louait et les remerciait. « Et tout le peuple courait vers eux, ce que voyant Pierre, il prit la parole ». Pour la seconde fois le même apôtre agit et parle. Dans le cénacle le prodige de l’universalité des langues lui avait gagné l’attention de ses auditeurs, et dans le temple c’est la guérison de ce boiteux. Alors il avait pris, comme pour texte de son discours, le déicide que les Juifs avaient commis, et maintenant il part du sujet même de leurs pensées. Il ne sera donc pas sans intérêt d’examiner en quoi ces deux discours diffèrent et se ressemblent. Le premier fut prononcé dans le cénacle, avant toute conversion et tout miracle le second, au contraire, le fut en présence du peuple étonné, du boiteux guéri, et d’une foule qui ne doutait plus, et qui ne disait plus : « Ces gens sont pris de vin ». Observez encore que là Pierre parlait au nom de tous les apôtres, et ici au nom seul de saint Jean ; et enfin qu’il s’exprime avec plus de force et de confiance.
Tel est, en effet, le caractère de la vertu ; qu’elle progresse toujours et rie s’arrête jamais. Remarquez aussi que ce premier miracle s’opère dans le temple, afin de fortifier la foi des nouveaux fidèles. Ce n’est donc point dans un lieu retiré, et comme en secret que Pierre agit, et néanmoins ce n’est point dans l’intérieur du temple, où le peuple était nombreux. Mais comment le peuple put-il croire à ce miracle ? Parce que celui-là même sur qui il avait été opéré publiait sa guérison ; or, si elle n’eût été réelle, aurait-il seulement osé se montrer à la foule ? Ainsi ce miracle s’opère dans un lieu qui est tout ensemble public et secret. Et voyez ce qui arrive : Pierre et Jean montaient au temple pour prier, et ils firent tout autre chose. Ainsi le centurion Corneille priait et jeûnait pour obtenir une grâce tout autre que la révélation dont il fut favorisé.
Jusqu’ici Pierre désigne le Sauveur sous le nom de Jésus de Nazareth ; et il dit au boiteux « Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche ». C’était un moyen de l’amener à croire à sa parole. Mais, je, vous le demande, ne vous lassez pas dès les premiers instants de cet entretien ; et quoique plusieurs peut-être se retireront après ce premier récit, je veux y revenir. D’ailleurs avec un peu de bonne volonté, nous arriverons bientôt à la fin, et nous atteindrons le but. Car, comme dit le proverbe, le zèle engendre le zèle, et la lâcheté, la lâcheté. Le peu de bien que l’on a fait, encourage à en faire plus encore, et on le continue avec confiance. Plus on met de bois sur un brasier, et plus il devient ardent. Ainsi plus l’âme se nourrit de pieuses pensées, et plus elle devient invincible à la tentation. Vous faut-il un exemple ? Dans notre cœur naissent, comme des ronces et des épines, le parjure-, le mensonge, la dissimulation, la fraude, la malignité, la raillerie, l’injure, la moquerie et les paroles impures et obscènes. D’un autre côté pullulent dans ce même cœur l’avarice, la rapine, l’injustice, l’hypocrisie et la malice. Ajoutez-y encore la concupiscence, l’immodestie, l’impureté, la fornication et l’adultère ; et enfin l’envie, la jalousie, la colère, l’emportement, la haine ; la vengeance, le blasphème et mille autres vices. Si vous triomphez des premiers, vous vaincrez facilement les seconds et même les troisièmes.
C’est qu’une première victoire fortifie l’âme et la prépare à de nouveaux succès. Que celui qui a l’habitude de jurer, se corrige donc de cette diabolique coutume, et non seulement il remplira un devoir, mais encore il se sentira porté aux divers exercices de la piété. Car celui qui s’interdit le péché du blasphème, ne voudra point en commettre d’autre, et il gardera honorablement la vertu qu’il s’est acquise. Il se respectera lui-même avec le même soin que nous évitons de salir un habit précieux. Il en arrivera donc bientôt à ne plus se permettre aucun acte de colère, d’emportement, ni de méchanceté, et ainsi, en avançant peu à peu, il atteindra la perfection. Mais souvent nous voyons arriver tout le contraire : car celui qui a bien commencé, ne se soutient pas ; il retombe par lâcheté dans ses premiers désordres et devient incorrigible. Par exemple, nous nous sommes imposé la loi de rie pas jurer, et pendant trois ou quatre jours nous v avons été fidèles : Mais dans une circonstance la tentation l’a emporté et nous avons perdu tout le fruit de notre première victoire. Alors, hélas ! nous tombons dans un lâche découragement, et nous ne voulons plus renouveler nos efforts. Cela se comprend jusqu’à un certain point ; car on est toujours peu empressé à relever un bâtiment qu’on a vu s’écrouler ; et cependant il faudrait s’armer de courage et recommencer avec une nouvelle énergie.
3. Proposons-nous donc chaque jour la pratique d’une vertu, et commençons par les plus faciles. Renonçons à la mauvaise habitude de jurer, mettons un frein à notre langue et ne prenons jamais en vain le nom du Seigneur. Ici point de dépenses, point de pratiques et nuls efforts pénibles : il suffit de le vouloir et tout est fait ; car c’est une affaire d’habitude. Aussi je vous le demande instamment : sachez vouloir. Si je vous avais annoncé une distribution d’argent, tous, vous vous seriez empressés d’accourir ; et si vous me voyiez dans un péril extrême, vous n’hésiteriez pas à exposer votre vie pour m’en arracher. Eh bien ! aujourd’hui, je suis en proie à une vive douleur, et je souffre tout autant que si j’étais prisonnier, battu de verges ou condamné aux mines. Tendez-moi une main secourable, et réfléchissez à quels dangers vous m’exposez si je ne puis obtenir de vous-mêmes le plus léger acte de vertu ; je dis léger sous le rapport du travail et des efforts. Et en effet, que répondrai-je à ces accusations : Pourquoi n’as-tu pas exhorté et repris ? Pourquoi n’as-tu pas commandé, insisté sur l’obligation et menacé fortement les désobéissants
Il ne me suffira pas de répondre que j’ai averti, car on répliquera qu’il fallait plus que de simples remontrances, et l’on me condamnera par l’exemple d’Héli. Ce n’est point, à Dieu ne plaise ! que je vous compare à ses fils. Mais enfin il les reprenait et leur disait : « Mes enfants, n’agissez pas ainsi, car j’apprends qu’on parle mal de vous ». (1Sa. 2,__PAGESEPARATOR__24) Cependant l’Écriture dit qu’il n’avertit point ses enfants, c’est-à-dire qu’il ne le fit pas avec assez de force et de sévérité. De plus, n’est-il pas absurde de voir, parmi les Juifs, un chef de synagogue parler en maître et se faire obéir, tandis qu’ici ma parole est méprisée et dédaignée ? Je ne cherche point ma propre gloire et je n’en veux point d’autre que vos mœurs chrétiennes ; mais je cherche votre, salut. Chaque jour je crie, je tonne à vos oreilles, et malgré la véhémence de mes paroles, personne ne m’écoute. Ah ! combien j’ai à craindre qu’au jour du jugement je ne rende compte de ma trop grande indulgence ! C’est pourquoi je vous le déclare à haute et intelligible voix : j’interdis l’entrée de l’église à quiconque se permettra encore de parler le langage de Satan, c’est-à-dire de jurer.
Je vous donne un mois pour vous corriger ; et ne m’alléguez point la nécessité de vos affaires ni la défiance que l’on a de votre parole, car vous pouvez changer cette habitude de tout attester par serment. Je sais bien que je vais prêter à la critique ; mais il vaut mieux pour moi d’être critiqué pendant ma vie que de brûler après ma mort. Au reste, qui rira de moi, sinon les insensés ? Car quel homme sage blâmerait mon zèle à faire observer la loi divine ? Mais les plaisanteries des méchants retomberont bien moins sur moi que sur Jésus-Christ lui-même.: Ce mot vous fait horreur, et cependant il est vrai. Si j’étais l’auteur de cette loi, ces froides railleries m’atteindraient ; mais puisque Jésus-Christ en est le législateur, elles se dirigent contre lui. Oui, il a été autrefois moqué, frappé à la joue et souffleté, et aujourd’hui encore il reçoit absolument les mêmes outrages. Aussi nous menace-t-il de l’enfer et du ver qui ne meurt pas.
Je le répète donc et je vous le déclare de nouveau : Rira et raillera qui voudra, peu m’importe ; car je ne suis en place que pour être moqué et honni, et pour tout souffrir, étant, selon l’apôtre, « la balayure du monde ». (1Cor. 4,13) Mais quiconque enfreindra le précepte qui défend de jurer, j’interdis, comme à son de trompe, l’entrée de l’église, fût-il prince ou même empereur. Déposez-moi de ma charge, ou, si vous m’y laissez, ne m’exposez pas au péril de la damnation. Et comment oserais-je m’asseoir sur ce trône ; si je ne fais rien de grand ? Il vaudrait beaucoup mieux alors que j’en descendisse, car je ne connais pas de position plus triste que celle d’un évêque qui est inutile à son peuple.
Convertissez-vous donc, je vous en supplie, et veillez sur vous-mêmes réunissons nos efforts et nous obtiendrons quelque succès. Avec moi employez le jeûne et la prière pour demander à Dieu qu’il vous accorde de déraciner cette funeste habitude. Est-il une gloire comparable à celle d’être les docteurs de l’univers ? Et, ne sera-ce pas déjà beaucoup si partout on sait que le jurement est inconnu dans Constantinople ? Par là vous aurez droit à une double récompense, parce que vous aurez été vertueux et zélés pour la sanctification de vos frères. Car ce que je suis au milieu de vous, vous le serez à l’égard de toutes les nations pas une qui ne veuille vous imiter, en sorte que, vous luirez à tous les regards comme la lampe placée sur le chandelier. Est-ce tout ? non certainement, et ce n’est que le commencement d’une vie vraiment chrétienne, car celui qui s’interdit le jurement s’adonnera bientôt, bon gré, mal gré, par honte ou par crainte, à la pratique des autres vertus.
Mais plusieurs, me direz-vous, vont se retirer, choqués de vos paroles. Eh ! ne savez-vous pas « qu’un seul qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux que mille impies ». (Sir. 16,3) Aussi tout vous semble-t-il bouleversé, et sens dessus dessous, parce que, comme au théâtre, nous estimons plus le choix que le nombre des personnes. Et, en effet, à quoi sert le nombre ? Voulez-vous connaître combien un saint l’emporte à lui seul sur toute une multitude ? opposez-lui une armée entière, et vous verrez qui fera de plus grandes choses. Josué fils de Navé, combattit seul contre les ennemis d’Israël, et il les vainquit, tandis que d’autres chefs succombèrent avec de – nombreuses armées. Ainsi, mon cher frère, une multitude qui ne fait pas la volonté de Dieu, est nulle. Sans doute, je désire et je souhaite, même aux dépens de ma vie, que cette Église brille par la multitude de ses fidèles, mais de véritables fidèles : et si je ne puis en réunir un grand nombre, je me consolerai par l’excellence du choix. Un seul diamant n’est-il pas plus précieux que mille oboles ? ne vaut-il pas mieux avoir l’œil bon et sain que de le perdre et de devenir gras et obèse ? n’est-il pas plus avantageux de ne posséder qu’une brebis, que d’en avoir cent attaques de la teigne ? enfin, un père ne préfère-t-il pas deux ou trois enfants vertueux à un plus grand nombre méchants et vicieux ?
D’ailleurs, ne savez-vous pas que peu entreront dans le royaume des cieux, et que beaucoup tomberont dans l’enfer ? Eh ! quel avantage me procurerait un grand nombre de mauvais chrétiens ? aucun, ou plutôt leur exempte serait pernicieux aux autres. Ce serait comme si un chef, ayant le choix entre dix soldats valides et mille autres malades et infirmes, voulait les réunir tous ensemble. Certes, un tel mélange ne produirait aucun bon résultat ; et de même je ne devrais en attendre que de la honte pendant nia vie, et d’affreux supplices après ma mort, car le grand nombre ne me justifiera point devant le Seigneur, et la stérilité de mes œuvres me condamnera. N’est-ce pas même la réponse que nous font les païens, quand nous leur disons : Voyez comme nous sommes nombreux ? Oui, vous êtes nombreux, disent-ils, mais mauvais.
Aussi je le déclare encore une fois à haute voix et du ton le plus sévère : J’éloignerai et j’exclurai de l’église tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre, et tant que je serai assis sur ce trône, je n’admettrai là-dessus aucune excuse. Si l’on m’en fait descendre, je n’aurai plus la responsabilité de votre conduite ; mais aussi longtemps que je serai votre pasteur, je serai ferme et vigilant, moins par la crainte du supplice que par le désir de votre salut. Ah ! que je le souhaite ardemment ! et combien, pour l’obtenir, je me répands en douloureux gémissements ! mais obéissez à votre pasteur, afin que sur la terre et dans le ciel votre obéissance soit magnifiquement récompensée, et que nous obtenions tous les biens éternels, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IX. modifier


OR, PIERRE VOYANT, CELA, DIT AU PEUPLE : HOMMES D’ISRAËL, POURQUOI VOUS ÉTONNEZ-VOUS DE CECI, OU POURQUOI NOUS REGARDEZ-VOUS, COMME SI C’ÉTAIT PAR NOTRE VERTU, OU PAR NOTRE PIÉTÉ, QUE NOUS EUSSIONS FAIT MARCHER CE BOITEUX ? (ACT. 3,12, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE. modifier

  • 1. Après avoir montré la modestie de saint Pierre, qui repousse personnellement la gloire de ce miracle, l’Orateur entre dans le développement de son discours, et y rehausse deux éminentes qualités : la force avec laquelle il reproche aux Juifs leur déicide, et la douceur avec laquelle il leur ouvre la voie du repentir et de la pénitence.
  • 2. Il observe aussi que l’apôtre qui, dans son premier discours, s’était appuyé de l’autorité de David pour prouver la résurrection de Jésus-Christ, allègue ici celle de Moise pour établir que tous doivent croire à sa doctrine, et particulièrement les Juifs, qui sont les fils des prophètes.
  • 3. A l’égard du déicide commis sur la personne de Jésus-Christ, Pierre oppose leur conduite à celle de Pilate qui vouait l’absoudre, et leur fait ainsi sentir l’énormité de leur crime.
  • 4. Quant à la guérison de ce boiteux faite au nom de Jésus, elle prouve que Jésus ego vraiment ressuscité, car comment un mort pourrait-il opérer un tel prodige ?
  • 5. L’Orateur revient ensuite sur la prophétie de Moise, et de nouveau en fait ressortir la gloire de Jésus-Christ, qui est ce législateur que tous doivent écouter.
  • 6. Puis il termine par une vive exhortation à bannir le serment de toutes transactions commerciales et alaires civiles.


1. Ce second discours de l’apôtre respire plus de confiance que le premier. Ce n’est point qu’il cédât alors à un sentiment de crainte, mais c’est qu’un ton moins humble eût irrité des esprits railleurs. Aussi s’étudie-t-il dès les premiers mots à capter leur attention. Apprenez ceci, leur dit-il, et prêtez l’oreille à mes paroles. Ici, au contraire, ces précautions oratoires devenaient inutiles, car les esprits n’étaient point lâches ni distraits. Le miracle les avait rendus attentifs et les avait remplis de crainte et d’étonnement. Ces dispositions exigeaient donc un exorde tout différent, et en repoussant toute gloire personnelle, Pierre acquérait un nouveau droit à leur bienveillance. Et, en effet, l’orateur est assuré de plaire à son auditoire, quand il s’annonce modestement, et repousse tout soupçon d’orgueil et de vanité. Au reste, ce mépris de la gloire que faisaient paraître les deux apôtres, rejaillissait glorieusement sur eux, et montrait que la guérison de ce boiteux était une couvre divine à laquelle les hommes n’avaient aucune part, et 'qu’eux-mêmes devaient admirer, bien loin de s’en attribuer l’honneur.
Voyez-vous donc combien Pierre est pur de toute ambition, et avec quel soin il repousse la gloire qu’on lui décerne ? C’est ainsi qu’avaient agi les anciens justes ; Daniel, qui disait : « Si je parle, ce ne sera point parce que je possède une sagesse toute particulière » ; Joseph qui s’écriait : « L’interprétation des songes ne vient-elle pas de Dieu ? » et David qui répondait à Saül : « Lorsqu’un lion ou un ours venait, j’invoquais le nom du Seigneur et je les déchirais de mes mains ». (Dan. 2,30 ; Gen. 40,8 ; 1R. 17,34) Et de même nos deux apôtres disent : « Pourquoi nous regardez-vous comme si par notre vertu et notre piété nous avions fait marcher ce boiteux ? » Car ce n’est pas ici notre œuvre, et nous n’avons pu par nous-mêmes attirer sur cet homme une si grande grâce.
« Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères ». L’apôtre rappelle souvent le souvenir dés anciens patriarches pour écarter tout soupçon d’une religion nouvelle, et de même que dans son premier discours il avait nommé David, il cite dans celui-ci Abraham et ses descendants. « A glorifié son Fils Jésus ». Toujours la même humilité que dans son exorde ; et puis il insiste sur le crime des Juifs, le flétrit hautement et n’en parle plus en termes couverts, comme il avait fait précédemment. Son but est de presser leur conversion, car plus ouvertement il condamne leur déicide et plus il éveille leur attention. « A glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu’il devait être renvoyé absous ». Vous êtes donc coupables d’un double crime, parce que Pilate voulait le renvoyer absous et que vous vous y êtes opposés.« Vous avez donc renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu’on vous accordât la grâce d’un homicide ; et vous avez fait mourir l’auteur de la vie, mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et nous sommes témoins de sa résurrection ». C’est comme s’il eût dit : vous avez préféré à Jésus un insigne voleur. C’était donc un reproche bien grave ; mais parce qu’il les tenait sous sa main, il les presse vivement. « Vous avez fait mourir l’auteur de la vie ; mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ». Ici il montre le dogme de la résurrection ; et pour prévenir cette objection, sur quelles preuves se repose-t-il ? il ne cite point les prophètes, mais son propre témoignage, parce que désormais il mérite d’être cru. La première fois qu’il avait parlé de la résurrection de Jésus-Christ, il avait invoqué l’autorité de David. Et ici, en se posant lui-même comme témoin, il s’appuie sur le collège apostolique. « Nous sommes », dit-il, « témoins de sa résurrection, et c’est par la foi en son nom, que sa puissance a affermi cet homme que vous voyez et que vous connaissez ; et c’est la foi qui vient de lui, qui a donné à celui-ci une entière guérison en présence de vous tous ». Avant d’expliquer le miracle, il en montre la certitude par ces mots : « En présence de vous tous ». Mais, parce qu’il les avait sévèrement repris, en leur montrant glorieux et ressuscité, ce Jésus qu’ils avaient fait mourir, il se hâte d’adoucir sa parole, et leur ouvre la voie du repentir.
« Et maintenant, mes frères, je sais que vous l’avez fait par ignorance, ainsi que vos chefs ». Il leur présente donc, une double excuse : d’abord leur « propre ignorance », et puis « l’exemple de leurs chefs ». C’est ainsi que Joseph disait à ses frères : « Dieu m’a envoyé devant vous ». (Gen. 45,5) Bien plus, ce qu’il n’avait fait qu’indiquer par ces mots « Il a été livré par le conseil et la prescience de Dieu » (Act. 2,23), il le développe en disant que « le Seigneur vient d’accomplir « ainsi ce qu’il avait prédit par la bouche de ses prophètes, que le Christ devait souffrir ». C’était presque les absoudre de ce crime, en leur montrant qu’ils n’avaient fait qu’exécuter la volonté de Dieu ; et en disant : « selon ce qui avait été prédit », il leur rappelle indirectement les reproches qu’ils adressaient à Jésus-Christ sur la croix : Que Dieu le délivre, s’il le veut ; car il a dit : je suis le Fils de Dieu. Qu’il se confie donc en lui, et qu’il descende présentement de la croix. (Mt. 27,40 ; Lc. 29,35) Eh quoi ! ô insensés, pensiez-vous qu’il condescendrait à vos amères railleries ? Non, bien certainement. Mais il fallait que ces choses arrivassent pour accomplir les prophéties. Aussi Jésus-Christ ne descendit-il point de la croix, non par impuissance, mais par un acte de sa puissance. C’est donc cette excuse que l’apôtre présente à ses auditeurs, afin qu’ils la saisissent avec empressement ; et en disant : « Dieu vient d’accomplir ainsi ce qu’il avait prédit », il rapporte toutes choses à l’exécution de ses volontés. « Faites donc pénitence », ajoute-t-il, « et convertissez-vous ». Il ne dit point : En renonçant à vos péchés, mais : « Afin que vos péchés, soient effacés », ce qui présente le même sens ; puis il indique quels seront les fruits de cette pénitence : « Quand les temps de repos que la présence du Seigneur doit donner, seront venus ». Pouvait-il mieux leur faire sentir dans quel abîme de maux ils étaient tombés, et de quels malheurs ils étaient affligés ! Il leur adresse donc ces paroles, parce qu’il n’ignore point qu’ils cherchent quelque consolation, et qu’elles sont propres à adoucir l’amertume de leur, douleur.
2. Mais admirez avec quelle sagesse procède l’apôtre. Dans son premier discours, il s’est borné à insinuer la résurrection de Jésus-Christ et son ascension : ici, au contraire, il n’hésite pas à annoncer son second avènement. « Quand le Seigneur », dit-il, « aura envoyé Jésus-Christ prédit longtemps d’avance. Et il faut », c’est-à-dire, il est nécessaire, « que le ciel le reçoive jusqu’au jour du rétablissement de toutes choses ». Pourquoi ne vient-il donc pas aujourd’hui ? la raison en est manifeste. « C’est qu’il faut que tout ce que Dieu a prédit par la bouche de ses saints prophètes, dès le commencement du monde, s’accomplisse. Car Moïse a dit à nos pères : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira ». Précédemment Pierre avait cité David, et ici il cite Moïse. « Tout ce que Dieu a prédit ». L’apôtre ne dit pas : « Tout ce que le Christ a prédit » mais : « le Seigneur », afin de les amener insensiblement à la foi au Sauveur Jésus. C’est pourquoi il leur allègue un témoignage irrécusable, celui, de Moïse qui a dit : « Le Seigneur, votre Dieu, vous suscitera d’au milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira ». Écoutez maintenant la menace : « Et quiconque n’aura pas écouté ce prophète, sera exterminé du milieu du peuple ». (Deut. 18,15)
« Or tous les prophètes », continue l’apôtre, «.depuis Samuel, et dans les temps postérieurs, ont annoncé ces jours ». C’était révéler clairement à ses auditeurs le châtiment d’Israël. Mais observez que toutes les fois que saint Pierre doit leur annoncer quelque chose d’important, il allègue le témoignage des prophètes, et qu’il en trouve des mieux appropriés aux promesses, non moins qu’aux menaces, comme celui-ci : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ». (Ps. 109,2) Dans son admirable concision, ce verset énonce le crime et le genre du châtiment. « Un prophète semblable à moi ». Pourquoi donc vous étonner ! « Car vous êtes les fils des prophètes » ; aussi vous disais-je que toutes ces choses ont été faites pour vous. Les Juifs pouvaient en effet se considérer comme rejetés, du Seigneur à cause de leur déicide ; car il leur paraissait invraisemblable que le Dieu qu’ils venaient de crucifier les aimât comme ses enfants. C’est néanmoins ce qu’avait prédit Moïse : « Vous êtes », avait-il dit, « les fils des prophètes, et les enfants de l’alliance que Dieu a établie avec nos pères, disant à Abraham ; Et en ta race seront bénies toutes les familles de la terre ». (Gen. 12,3) C’est donc pour « vous premièrement que Dieu, a envoyé son Fils, le ressuscitant ». Sans doute, c’est aussi pour tous les autres peuples, mais premièrement pour vous qui l’avez crucifié. « Et il l’a envoyé afin que vous soyez bénis, et que chacun de vous revienne de son iniquité ».
Mais reprenons l’explication de ce discours. L’apôtre veut convaincre les Juifs que ni Jean ni lui ne sont l’auteur de ce miracle ; aussi leur dit-il : « Pourquoi vous étonnez-vous ? » Cependant il ne veut ras qu’ils doutent de sa réalité ; et c’est pour le leur rendre plus certain encore, qu’il prévient leurs pensées, et s’écrie : « Pourquoi nous regardez-vous comme si nous avions opéré ce prodige par notre vertu et notre piété ? » Si cette guérison vous trouble et vous agite, apprenez quel en est l’auteur, et vous cesserez de vous en étonner. Ici encore, comme toujours, Pierre s’appuie sur le témoignage de Dieu, et dès qu’il a affirmé que tout arrive selon ses conseils, il n’hésite plus à reprendre vivement ses auditeurs. Aussi a-t-il dans son premier discours nommé Jésus « un homme approuvé a de Dieu au milieu d’eux » ; et il leur rappelle sans cesse qu’ils l’ont mis à mort pour mieux faire resplendir le miracle de sa résurrection. Mais ici ce n’est plus seulement Jésus de Nazareth ; et il lui donne un titre bien plus auguste. « Le Dieu de nos pères », dit-il, « a glorifié son Fils Jésus ».
Admirez cependant l’humilité du saint apôtre ; il ne s’emporte point contre ses auditeurs, et ne leur dit point subitement : Croyez en Jésus-Christ, car voilà que cet homme, âgé de quarante ans et boiteux de naissance, a été guéri en son nom. Un tel langage les eût rebutés : il s’en abstient donc, et s’empresse de louer l’étonnement qu’ils font paraître. Il nomme ensuite Dieu, le Père de Jésus, et ne dit point que celui-ci avait guéri le boiteux, quoiqu’il fût véritablement l’auteur de cette guérison, afin de prévenir cette objection Jésus était un malfaiteur, et comment peut-on lui attribuer cette gloire ? C’est pourquoi il leur rappelle quel jugement Pilate en a porté, et leur montre ainsi, pour peu qu’ils veuillent réfléchir, que Jésus n’était point un malfaiteur, car Pilate n’eût point alors voulu le relâcher. Observez aussi le choix de cette expression : « Pilate jugeant qu’il devait être absous ». Ce n’était pas en lui une simple volonté, mais un vrai jugement qui' attestait que vous demandiez la grâce de l’homme qui avait commis un meurtre, et que vous rejetiez celui qui rappelait les morts à la vie.
Ils pouvaient encore faire cette objection Comment ceux qui abandonnèrent alors leur Maître, viennent-ils aujourd’hui le glorifier ? Pierre y répond en citant le témoignage des prophètes qui avaient prédit que les choses devaient ainsi arriver. D’autre part il les reprend vivement, de peur qu’ils ne – cherchassent à s’excuser sur l’ordre et les conseils du Seigneur. Car c’était un crime énorme que d’avoir renié Jésus-Christ en présence de Pilate ; et la présence parmi eux du meurtrier qu’ils lui avaient préféré, leur ôtait à cet égard toute excuse. Pierre agit donc avec une grande sagesse, et leur prouve combien, dans ces circonstances, leur conduite a été honteuse et légère. Pilate, qui était païen, qui voyait Jésus pour la première fois, et qui n’avait été témoin d’aucun prodige, voulait le délivrer, et vous, qui aviez été comme nourris au milieu de ses miracles, vous vous y êtes opposés. Au reste Pilate, en renvoyant Jésus absous, prétendait accomplir un devoir de justice, et non point faire un acte de compassion et d’indulgence. Car écoutez ses propres paroles : La coutume est de vous accorder la délivrance d’un prisonnier : « Et voulez-vous que je vous délivre celui-ci ? » Et vous, dit l’apôtre, « vous avez rejeté le saint et le juste ». Il ne dit point : Vous avez livré, mais : « vous avez rejeté ». Cette expression est parfaitement juste, parce qu’ils s’étaient écriés : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». (Jn. 19,15)
Observons enfin que l’apôtre, après avoir reproché aux Juifs de n’avoir point réclamé la délivrance du juste, et même de l’avoir rejetée, ajoute : Et vous l’avez mis à mort. Lorsque les esprits étaient encore tout plongés dans les, ténèbres, il n’avait eu garde de parler ainsi ; mais les voyant troublés et agités, il frappe ces coups violents parce qu’ils peuvent mieux les sentir. Ce n’est point dans le transport de l’ivresse, mais quand elle est dissipée, qu’on peut faire d’utiles représentations ; et de même l’apôtre profite d’un moment lucide pour parler sévèrement et énumérer leurs nombreux forfaits. Ils ont livré à la mort celui que Dieu a glorifié, ils l’ont renié en présence de Pilate qui le trouvait innocent, et ils lui ont préféré un voleur.
3. Admirez aussi comme il insinue que la résurrection de Jésus-Christ est un effet de sa puissance. Dans son premier discours, il avait dit : « Il était impossible qu’il fût retenu dans le tombeau ». Et ici : « Vous avez mis à mort l’auteur même de la vie ». Il n’a donc point reçu la vie d’un autre. L’esprit de malice enfante le mal, et le père de l’homicide est celui qui a commis le premier meurtre. Ainsi l’auteur de la vie est celui qui possède, la vie par lui-même : « Que Dieu a ressuscité », ajoute l’apôtre, « et c’est par la foi en son nom », poursuit-il, « que sa puissance, a affermi cet homme que vous voyez, et que vous connaissez ; et c’est cette foi qui vient par lui, qui a donné à cet homme une entière guérison ». Mais puisque la foi que ce boiteux a eue en Jésus-Christ a opéré son entière guérison, pourquoi Pierre dit-il « en son nom », et non point par son nom ? C’est que les apôtres n’osaient pas encore prêcher la foi en Jésus-Christ ; et néanmoins, pour ôter tout ce que ce mot « par son nom », aurait eu de peu élevé, il ajoute immédiatement : « Que la puissance de ce nom a affermi cet homme, et que la foi qui vient par lui, a donné à cet homme une entière guérison ».
Observez donc avec quelle condescendance l’apôtre ménage ses paroles. Et en effet celui-là s’est ressuscité lui-même, dont le nom seul a redressé ce boiteux qui était aussi impuissant à marcher que s’il eût été mort. Remarquez aussi comme toujours il s’en rapporte à leur propre témoignage. Il avait dit précédemment : « Vous le savez vous-mêmes » ; et : « au milieu de vous ». Ici il dit également : « Que vous voyez et que vous connaissez et en présence de vous tous ». Il est vrai qu’ils ignoraient que ce boiteux avait été guéri au nom de Jésus, mais ils savaient qu’il était boiteux. Et les deux apôtres publiaient que cette guérison n’était pas leur œuvre, mais celle de la puissance de Jésus-Christ. Si ce miracle n’avait été bien réel, et s’ils n’avaient eux-mêmes cru fermement à la résurrection du Sauveur, jamais ils n’eussent cédé à un mort l’honneur de cette guérison, et ils l’eussent tournée à leur propre avantage, d’autant plus que tous les regards se fixaient sur eux.
Mais parce que Pierre voyait tous les esprits troublés et agités, il s’empresse de les rassurer en leur donnant le nom de frères. « Mes frères », leur dit-il dans son premier discours, sans parler de lui-même ; il les avait exclusivement entretenus de Jésus-Christ. « Que toute la maison d’Israël sache donc certainement ». Ici au contraire il ajoute quelques avis. Précédemment il avait attendu l’explosion de leur étonnement et de leurs railleries, et maintenant il parle le premier, parce qu’il connaît leurs œuvres et qu’il sait que les esprits sont plus traitables. Toutefois on ne peut conclure des premières paroles de l’apôtre que les Juifs avaient agi par ignorance. Et en effet, qui oserait sous ce prétexte les excuser d’avoir demandé la grâce de l’homicide Barabbas, et d’avoir rejeté Jésus que Pilate jugeait digne d’être renvoyé absous, parce qu’ils voulaient le faire mourir ? Cependant il leur ouvre comme une voie au repentir et à l’excuse, et leur suggère même un moyen assuré de défense, en disant : En faisant mourir Jésus, vous saviez bien qu’il était innocent, mais peut-être ignoriez-vous qu’il fût le principe de la vie. C’est ainsi qu’il excuse ses auditeurs du crime de déicide, et même ceux qui en furent lés auteurs. Autrement il eût augmenté leur obstination, s’il se fût répandu en reproches amers. Car reprenez trop sévèrement l’homme qui a commis une faute grave, et il l’aggravera en cherchant à s’excuser.
Remarquez aussi que l’apôtre ne leur dit plus : Vous l’avez tué, vous l’avez crucifié ; mais seulement : « vous Pavez fait mourir », amenant ainsi ses auditeurs à un sincère repentir. Si les premiers ont agi par ignorance, à plus forte raison les seconds ; et si Dieu leur pardonne, pourrait-il ne point pardonner aux autres ? Admirez encore la réserve de l’apôtre. Il a dit précédemment : « Toutes ces choses sont arrivées selon le conseil et la prescience de Dieu » ; et ici : « Le Seigneur vient d’accomplir ce qu’il avait fait prédire de Jésus-Christ ». Mais il ne cite aucun fait en témoignage de sa parole, parce que dans toute cause criminelle ce genre de preuve présage le châtiment. « Je donnerai », dit le Seigneur, « les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa mort ». (Is. 53,9) Et encore : « Le Seigneur a accompli ce qu’il avait fait prédire par la bouche de tous les prophètes, que le Christ devait souffrir ». L’apôtre leur révélait ainsi un grand mystère, puisque ce n’était pas un seul prophète, mais tous les prophètes, qui l’avaient annoncé ; et en même temps il leur rappelait que, quoiqu’ils eussent agi par ignorance, rien n’était arrivé que selon la volonté du Seigneur.
Nous voyons donc combien est admirable cette sagesse divine qui fait concourir à ses fins même la malice des pécheurs : « Il a accompli ». Pierre emploie ce terme pour marquer que rien ne manquait aux souffrances du Christ, et déclarer qu’il avait à cet égard accompli les prophéties dans toute leur étendue. Il semble aussi qu’il eût dû leur dire : Ne vous croyez pas innocents de ce déicide, parce qu’il avait été prédit, et que vous avez agi par ignorance. Toutefois ce langage eût été un peu sévère ; aussi leur dit-il plus doucement : « Faites donc pénitence ». Et pourquoi ? « Afin que tous vos péchés soient effacés », et ceux que vous avez commis en crucifiant le Sauveur, quoique peut-être votre ignorance puisse en partie vous excuser, et tous les autres dont vous vous êtes rendus coupables. Il ajoute ensuite : « Quand les temps de repos seront venus ». C’était parler obscurément de la résurrection, car le temps véritable du repos est celui que désirait saint Paul, lorsqu’il disait : « Pendant que nous sommes dans ce corps, comme dans une tente, nous gémissons sous son poids ». (2Cor. 5,4) Enfin, montrant que Dieu est l’auteur de ce repos, l’apôtre poursuit ainsi : « Quand le Seigneur aura envoyé Jésus-Christ qui vous a été annoncé depuis longtemps ». J’observe aussi que Pierre ne dit point : Afin que votre péché soit effacé, mais : « vos péchés » ; et encore qu’il se contente d’insinuer « l’envoi » ou la mission du Christ, sans entrer dans aucune explication. Il ajoute seulement « qu’il faut que le ciel le reçoive ». Mais pourquoi parler comme au futur, et ne pas dire que le ciel l’a reçu ? C’est qu’il fait allusion aux prophéties anciennes qui annonçaient que tels étaient les décrets et les conseils divins. Au reste, il omet à dessein la génération éternelle du Verbe, et continue à parler de l’économie de son incarnation. « Moïse a dit à vos pères : le Seigneur vous suscitera un prophète ». Précédemment l’apôtre avait dit : « Jusqu’au jour du rétablissement de toutes choses, jour que Dieu à prédit par la bouche de tous ses saints prophètes, dès le commencement du monde ». Et ici il fait enfin paraître Jésus-Christ lui-même. Mais s’il a fait lui-même plusieurs prédictions, et si nous devons l’écouter, qui nous accuserait d’erreur lorsque nous disons que tout a été prédit par les prophètes ?
4. Au reste l’apôtre veut montrer qu’ils ont en effet prédit toutes ces choses ; et un examen attentif nous le prouvera, quoique les prophéties ne laissent pas que d’être quelquefois obscures. Pierre ne parlait donc pas un langage nouveau. « Selon ce qui a été prédit ». Ici encore il effraie ses auditeurs, en insinuant que plusieurs prophéties ne sont pas encore accomplies. Comment donc a-t-il pu dire que le Christ « avait accompli tout ce qu’il devait souffrir ? » Il a dit : « Le Christ a accompli », et non pas. Tout a été accompli, déclarant, par cette manière de parler, que le Christ avait personnellement souffert tout ce qu’il devait souffrir, mais que tout ce qui avait été prédit, comme devant ensuite arriver, n’avait pas encore été accompli. « Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi ». Cette parole ne pouvait que lui concilier la bienveillance de ses auditeurs ; et admirez le double caractère d’humilité et d’élévation par lequel il désigne le Christ ! Et, en effet, le Christ est bien grand puisqu’il monte dans les cieux, et en même temps il est bien humble puisqu’il est semblable à Moïse. Au reste, cette ressemblance était alors très-importante.
Mais en même temps le Christ est bien au-dessus de Moïse, « puisque quiconque ne l’écoutera pas sera exterminé ». A cette première preuve de supériorité, l’apôtre en ajoute un grand nombre d’autres, et il en forme comme un imposant ensemble de témoignages. « Dieu le suscitera du milieu de vos frères ». Moïse lui-même a donc fait entendre de graves menaces contre ceux qui ne l’écouteraient pas, et l’apôtre les résume en quelques mots. « Et tous les prophètes », ajoute-t-il, « depuis Samuel ». Il ne les cite point chacun en particulier, pour ne pas trop allonger son discours, et il les omet à dessein après avoir heureusement allégué le témoignage de Moïse. « Vous êtes », poursuit-il, « les fils des prophètes, et les enfants de l’alliance que Dieu a faite ». Les enfants « de l’alliance », c’est-à-dire les héritiers. Et afin d’éloigner jusqu’à la pensée qu’ils lui étaient redevables de ce bienfait, l’apôtre leur rappelle que depuis longtemps ils avaient acquis ce droit. Et il leur prouve ainsi combien le Seigneur les a aimés.
« C’est à vous que Dieu, ressuscitant son Fils, l’a premièrement envoyé ». Il ne dit point simplement : Dieu vous a envoyé son Fils, mais après l’avoir ressuscité, c’est-à-dire après que vous l’avez eu crucifié. Et pour qu’ils n’attribuassent point cet acte de miséricorde au Fils et non au Père, il ajoute : « Afin qu’il vous bénisse ». Mais si le Christ, qui est votre frère, vous bénit, la promesse du Seigneur se réalise. Aussi, loin que vous soyez exclus du nombre de ses enfants, il veut que vous deveniez les maîtres et les chefs de vos frères. C’est pourquoi vous ne devez point vous considérer comme rejetés et abandonnés de Dieu. « Afin que chacun de vous revienne de son iniquité ». Ainsi ce n’est pas une simple bénédiction, mais une bénédiction pleine et abondante. Eh ! que sera donc cette bénédiction ! Elle sera vraiment grande. Car revenir seulement de ses iniquités, ne suffit pas pour les expier, ni, à plus forte raison, pour obtenir la bénédiction divine. Et en effet, quand celui qui commettait l’injustice, devient vertueux, on ne peut dire qu’il est béni, et il reçoit seulement le pardon de ses fautes.
Mais ces mots. « Semblable à moi », ne peuvent s’appliquer à Jésus-Christ qu’en qualité de législateur, et autrement ils n’auraient aucun sens. Aussi Moïse ne dit-il pas simplement : « Vous l’écouterez » ; mais : « que toute âme qui n’écoutera pas ce prophète, sera exterminée du milieu du peuple ». Au reste ce n’est qu’après les avoir convaincus de péché, et après leur en avoir offert la rémission avec la promesse dés biens du ciel, que l’apôtre allègue le témoignage de Moïse. Eh ! quelle est la conclusion de ses paroles ? » Jusqu’ « au jour du rétablissement de toutes choses ». Ainsi il leur cite Moïse comme les engageant à écouter tout ce que Jésus-Christ leur dira, et les y invitant sous les plus graves menaces. Oui, ces menaces sont terribles, et c’est pourquoi il faut lui obéir. Et maintenant que signifient ces mots : « Fils des prophètes, et enfants de l’alliance ? » Ils signifient héritiers et successeurs. Si vous êtes les fils du père de famille, pourquoi donc ne considérez-vous votre patrimoine que comme un bien étranger ? Vous avez sans doute commis un grand crime, mais vous pouvez en obtenir le pardon.
Que ces paroles sont consolantes ! Et puis il ajoute ; « Dieu vous a envoyé son Fils pour « vous bénir ». Il ne dit pas ; pour vous sauver ; mais : pour, vous bénir, ce qui est bien plus excellent ; et il montre ainsi que Jésus crucifié bénira ceux mêmes qui l’ont attaché à la croix. Imitons-le donc, et rejetons toute pensée de sang et d’inimitié. Il ne suffit pas de ne point se venger ; car la vengeance était défendue par la loi ancienne ; mais il faut nous conduire envers ceux qui nous ont fait tort comme envers de véritables amis, et les aimer comme nous-mêmes. Nous serons ainsi les imitateurs et les disciples de ce Jésus qui est mort sur la croix, et qui n’a rien épargné pour le salut de ses bourreaux, jusqu’à leur envoyer ses apôtres. D’ailleurs ne méritons-nous pas souvent l’injustice qu’on nous fait éprouver ? Mais à l’égard de Jésus-Christ la conduite des Juifs fut aussi impie qu’injuste, car ils crucifièrent leur bienfaiteur, l’homme qui jamais ne leur avait fait de mal. Quel fut donc leur motif ? Dites-le-moi. L’orgueil et la vanité. Et cependant Jésus-Christ les honorait dans toute circonstance. Comment ? Rappelez-vous ces paroles : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc tout ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ». Et encore : « Allez, et montrez-vous au prêtre ». (Mt. 23,2, III, 8, 4) C’est ainsi que Jésus, pouvant perdre ses ennemis, leur offrait le salut, et à son exemple soyons amis de tous, et réservons pour le démon seul tout sentiment de haine et d’inimitié.
5. Mais voulez-vous aimer facilement vos frères ? évitez le serment et la colère. Car nous ne saurions haïr celui contre lequel nous ne nous permettrons pas même un mouvement de colère. Or puisque le serment en est la cause la plus ordinaire, ne jurez plus, et vous aurez comme coupé les ailes à la colère. On peut dire aussi que le serment et la colère sont le vent qui enfle la voile ; mais s’il ne souffle pas, carguez la voile ; il ne sert de rien de la tenir déployée. Oui, supprimons les cris et les jurements, et nous aurons comme coupé le nerf de la colère. Si vous en doutez, essayez, et l’expérience vous convaincra qu’il en est ainsi. Je propose cet accord à l’homme lé plus irascible ; qu’il s’abstienne de jurer, et de mon côté je ne lui parlerai plus de pratiquer la douceur chrétienne. Tout sera parfait, car il n’y aura plus ni serment, ni parjure.
Au reste, vous ne savez pas dans quelles difficultés vous vous engagez. Et en effet, le serment est une chaîne qui vous enlace de toutes parts, en sorte qu’il vous faut faire les plus grands efforts pour arracher votre âme à un péril inévitable. Mais si vous n’y réussissez pas, vous vous abandonnez aussitôt à la douleur, aux disputes et aux imprécations. Encore toute cette colère s’échappe-t-elle en pure perte ! C’est pourquoi ordonnez et menacez, mais gardez-vous d’y ajouter le serment. Car vous pourrez alors, et à votre gré, revenir sur vos actes et sur vos paroles. D’ailleurs je ne veux aujourd’hui que vous parler avec beaucoup de douceur, puisque votre bienveillante attention me prouve que déjà vous vous êtes en grande partie corrigés. Je me bornerai donc à vous rappeler quelles circonstances ont donné lieu au serment, et l’ont propagé parmi les hommes. Le récit de son origine et celui des temps et des personnages au milieu desquels il s’est produit pour la première fois vous sera un témoignage de ma reconnaissance. L’homme vertueux n’est point étranger au langage d’une saine philosophie, et l’homme vicieux n’est point digne de l’entendre.
Dès les premiers siècles, Abraham conclut plusieurs traités, immola des victimes et offrit des sacrifices ; mais il ne prononça aucun serinent. Quelles en furent donc la cause et l’occasion ? La malice toujours croissante des hommes, l’oubli complet de toute notion de justice, et les progrès de l’idolâtrie. Alors donc, et alors seulement les hommes, étant devenus irréligieux, commencèrent à prendre Dieu à témoin de leurs paroles. Et en effet qu’est-ce que le serment ? Une garantie qu’on donne de sa sincérité, quand la corruption des mœurs ôte toute confiance. Ainsi le premier reproche que mérite celui qui fait un serment est d’être si peu sincère qu’on ne saurait croire à sa parole sans une garantie, et même la plus grande qu’il puisse offrir. Car c’est parce qu’on le juge indigne de la moindre confiance, que l’on repousse toute garantie qui viendrait des hommes, et que l’on exige celle de Dieu. En second lieu, celui qui requiert le serment, n’est pas moins coupable, s’il l’exige dans toutes les affaires, et s’il refuse tout autre mode de transaction.
O démence, honte et folie ! ô homme, toi qui n’es qu’un ver de terre, cendre et poussière, tu appelles le Seigneur en témoignage de ta parole, et tu le forces à devenir ta caution ! Mais si une querelle s’élevait parmi vos esclaves, et si dans le feu de la dispute l’un d’eux osait appeler son maître en garantie de sa parole ; pour toute réponse vous le feriez châtier sévèrement, et vous lui apprendriez ainsi à ne point se jouer de votre autorité. Bien plus, supposons qu’au lieu de son maître, cet esclave invoquât le témoignage d’un homme vénérable, celui-ci ne s’en tiendrait-il pas offensé ? Mais je ne demande point le serment, me direz-vous. Très-bien ; cessez donc de l’exiger ; et quand on vous dira : Voulez-vous un tel pour caution, refusez-vous-y absolument. Quoi ! faut-il que je perde mon bien ? Je ne dis point cela, et, je me plains seulement de l’offense que vous faites à Dieu. C’est pourquoi celui qui exige le serment est certainement plus coupable que celui qui le prête ; mais je n’absous point celui qui jure sans en être requis.
Une conduite bien plus criminelle est celle de ces hommes qui jurent pour une obole, pour un rien, souvent même pour une chose injuste. Encore du moins si l’on ne s’exposait point au parjure. Car dans ce cas, il y a un grave désordre, et il faut en faire retomber la responsabilité sur celui qui a reçu le serment et sur celui qui l’a prêté. Mais que de choses me direz-vous, sont douteuses et inconnues ! Vous devez alors n’agir qu’avec beaucoup de réserve, et si vous êtes imprudent, ne blâmez que, vous seul. Au reste, il vous serait plus avantageux de souffrir ce dommage que tout autre. Car, lorsque vous appelez à serment votre débiteur, que vous proposez-vous ? de l’entraîner à un parjure ? Mais ce serait une véritable démence, et le châtiment en retomberait sur votre tête ; il vaudrait mieux pour vous perdre votre fortune, qu’exposer ainsi le salut de votre frère, risquer le vôtre et offenser le Seigneur. Une telle conduite dénoterait une grande insensibilité de cœur, et une profonde impiété.
Mais j’espère, me direz-vous, que cet homme gardera son serment. Pourquoi donc ne le croiriez-vous pas sur sa parole ? C’est que plusieurs craignent de violer un serment, et se font un jeu d’une simple promesse. Erreur, erreur, ô mon frère ! car celui qui s’est accoutumé à ravir le bien ou la réputation du prochain, ne respectera pas un serment, et celui qui s’effraie d’un parjure, s’effraiera bien plus encore d’une injustice. Mais il ne s’y résout qu’avec peine. – Il mérite donc que vous le traitiez avec bonté. Au reste, oublions un instant cette coutume d’exiger le serment dans toutes les transactions et affaires civiles, et portons la question sur le terrain des mœurs privées : Ici, vous ne pouvez alléguer aucune excuse, car vous jurez, et vous vous parjurez souvent pour une valeur de dix oboles. Mais parce que Dieu ne lance pas sa foudre et ne nous écrase pas, nous continuons à le blasphémer ; et dans quelles circonstances ? A propos d’un panier de légumes, d’une paire de souliers, ou d’une modique somme d’argent.
Eh quoi ! si Dieu ne nous punit pas sur-le-champ, croyons-nous ne pas commettre de péché ? Erreur ! ce délai de sa vengeance ne prouve qu’une chose, la miséricorde du Seigneur, et nullement notre vertu. Pourquoi donc ne jurez-vous point par la vie de votre enfant, ou par, la vôtre ? Et pourquoi ne dites-vous pas : Si je manque à ma parole, que je sois livré aux mains du bourreau ? Mais vous craignez de proférer un, pareil serment, et à vos yeux, Dieu est moins que vos membres et que votre tête. Prononcez du moins quelque, imprécation contre vous-mêmes. Mais Jésus-Christ a porté à notre égard la bonté jusqu’à nous défendre de jurer par notre tête ; et nous, au contraire, nous poussons la témérité jusqu’à profaner la gloire de Dieu, et attester son saint nom sous le plus frivole prétexte. Vous ne savez donc pas ce qu’est Dieu, et quelle bouche est digne de l’invoquer ? S’agit-il d’un homme illustre par ses vertus, nous disons : Purifiez vos lèvres et louez-le ensuite ; mais nous prononçons à la légère et sans aucun respect le nom adorable du Seigneur, ce nom qui est au-dessus de tout nom, qui est admirable sur toute la terre, et que les démons eux-mêmes n’entendent qu’avec frémissement.
6. O détestable coutume qui nous fait mépriser le nom du Seigneur ! Certes, si vous forciez votre débiteur à jurer dans le lieu saint, vous vous croiriez coupable de sacrilège. Mais qui vous inspirerait cette horreur ? L’usage qui est contraire à de pareils serments, tandis que ce même usage les autorise en tout autre lieu. Eh quoi ! est-il donc permis de prononcer en vain le saint nom de Dieu ? Les Juifs l’entouraient d’un tel respect qu’ils l’écrivaient sur une lame d’or, et que le grand prêtre seul la portait sur le front. Nous, au contraire, nous le proférons presque à chaque instant avec une coupable légèreté. Si dans l’ancienne loi il était interdit de prononcer même le nom de Dieu, n’est-ce pas, je vous le demande, une étrange audace et un véritable délire que de l’appeler en témoignage de notre parole ? Toute perte devrait nous paraître préférable à un tel blasphème. Je vous le répète donc, et je vous adjure de ne pas l’oublier. Bannissez le serment de toutes vos transactions civiles ou commerciales, et amenez-moi tous les désobéissants. Oui, je vous le dis et je vous le recommande en présence de tout le clergé de cette ville, il n’est permis à personne de jurer, soit en prenant en vain le nom de Dieu, soit de toute autre manière.
Si quelqu’un viole cette défense, qu’on me le dénonce, quel qu’il soit. Vous n’êtes que des enfants, et il faut que je vous traite comme des enfants. Mais qu’il n’en soit pas ainsi ! car je rougirais pour vous si vous aviez encore besoin d’être menés la verge à la main. Oseriez-vous, n’étant que catéchumène, vous approcher de la table sainte ? Et ce qui est bien plus grave encore, vous ne craignez point, après votre baptême, de vous asseoir à cette table, dont tous les prêtres n’approchent pas, et de vous permettre ensuite de criminels jurements. Certes, vous n’oseriez, au sortir de ce lieu saint, frapper votre enfant, et vous n’avez ni honte, ni crainte de jurer après avoir communié ! Amenez-moi les coupables ; j’en ferai bonne justice, et je les renverrai contents et satisfaits. Au reste, faites ce que vous voudrez ; pour moi, je vous intime ce commandement : Ne jurez point. Eh ! comment espérer encore que l’on sera sauvé si l’on transgresse ainsi toutes les lois divines ? Les contrats et les actes de commerce ne sont-ils donc faits que pour la perte de votre âme ? Et pouvez-vous gagner autant que vous perdrez ?
Celui que vous avez appelé à serment se parjure-t-il ? Vous perdez son âme et la vôtre. – Mais il remplira son serment. – Vous n’en avez pas moins donné la mort à son âme, en le forçant de transgresser un précepte divin. Corrigeons-nous donc de cette criminelle coutume, et bannissons le serment de la place publique, des boutiques, et en général de toutes nos transactions. Nous sommes, assurés d’en retirer le plus grand fruit. Car ne pensez pas avancer vos affaires en transgressant la loi divine. Mais personne, me direz-vous, ne veut me croire sur parole, et l’on m’oblige à mille serments. Telle est l’objection qui m’est faite souvent ; et moi je vous réponds que vous êtes coupables de jurer ainsi avec tant de facilité. Car s’il en était autrement et si l’on savait bien que jamais vous ne vous permettez de jurer, je vous assure qu’on aurait plus de confiance en votre parole qu’aux serments multipliés de mille autres. Moi, je ne jure point, et cependant vous me croyez de préférence à ceux qui ont toujours le serment à la bouche.
Mais, m’objecterez-vous, vous êtes prince et évêque. Sans doute et même quelque chose de plus. Car, répondez-moi en toute franchise :, Si j’avais la criminelle habitude de jurer en toute circonstance, respecteriez-vous beaucoup ma dignité ? Nullement. Ma, dignité est donc en dehors de la question. Et maintenant, je vous le demande, que gagnez-vous à jurer ainsi ? L’apôtre savait endurer la faim ; et à son exemple, vous devriez préférer la pauvreté à cette criminelle violation de la loi divine. Vous restez incrédule : eh bien ! ne néglige aucun moyen, et souffrez même, s’il le faut, pour, vous corriger ; est-ce que Dieu ne vous en récompensera pas ? Et Celui qui nourrit chaque jour les parjures et les blasphémateurs, vous laisserait-il mourir de faim parce que vous auriez obéi à sa parole ?
O vous donc, qui êtes ici réunis, prenez tous l’engagement de ne plus jurer, et déjà célèbres par votre foi, distinguez-vous encore par là des autres églises de la. Grèce, et même de tous les autres peuples. Ce sera un sceau céleste qui nous désignera en tous lieux comme le royal troupeau de Jésus-Christ. Notre langage et nos paroles nous feront distinguer des autres fidèles comme un accent étranger fait reconnaître un barbare d’avec un Grec. Eh ! dites-moi, qui distingue les perroquets des autres oiseaux ? N’est-ce pas leur aptitude à parler ? Et de même, comme autrefois les apôtres, nous nous ferons connaître à notre parole, si nos entretiens sont tout angéliques. Lorsqu’on vous dira : Prêtez serment ; répondez : Jésus-Christ le défend et je ne le prêterai pas. C’en sera assez pour vous affermir dans toutes les vertus chrétiennes, vous ouvrir les voies de la piété, vous initier à la véritable philosophie, et vous faciliter l’exercice des moyens de salut. Soyons fidèles à observer ces règles, et nous obtiendrons les biens du temps et ceux de l’éternité, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Traduit par M. l’abbé DUCHASSAING.

HOMÉLIE X. modifier


COMME ILS PARLAIENT AU PEUPLE, LES PRÊTRES ET LE CAPITAINE DES GARDES DU TEMPLE SURVINRENT. (CHAP. 4,1, JUSQU’AU VERS. 23)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Les apôtres sont de nouveau arrêtés et menés devant le tribunal des prêtres juifs. – Belle réponse que fait saint Pierre ; l’orateur en montre l’à-propos et la portée. – Pierre qui tremblait naguère devant la servante de Caïphe, parait aujourd’hui avec un visage assuré devant Caïphe lui-même.
  • 4 et 5. Exhortation morale contre les théâtres et les jurements. – L’orateur est confondu de ce qu’au lieu de s’élancer dans les hautes régions de l’enseignement évangélique, il soit encore obligé de ramper à terre pour reprendre les préceptes que les prophètes avaient jadis inculqués aux Juifs. – Pour extirper la criminelle habitude du jurement, donnons-nous des surveillants dans toutes les personnes qui nous entourent.


1. Ils n’avaient pas encore eu le temps de respirer après les premières persécutions, que déjà de nouvelles venaient les visiter. Et voyez comment la Providence ménage les événements ! C’est d’abord ta persécution du rire qu’ils ont à souffrir tous ensemble, et ce n’est pas peu de chose. En second lieu, ce sont les chefs qui tombent en péril. Ces deux épreuves n’arrivent pas coup sur coup ni au hasard. Les apôtres se signalent d’abord par leurs discours à la multitude, leur puissance éclate ensuite par un grand miracle, et ce n’est qu’après cela, c’est-à-dire quand leur confiance s’est affermie ; qu’ils sont appelés de Dieu à livrer des combats plus difficiles. Mais considérez comment ceux qui ont soudoyé un traître contre Jésus-Christ, en viennent maintenant à mettre eux-mêmes la main sur les disciples, et comment leur audace et leur impudence se sont accrues depuis le crucifiement du Sauveur. C’est que le péché, tant qu’il n’est pour ainsi parler qu’en enfantement, garde une certaine pudeur, et que, quand il est une fois accompli, il accroît l’impudence de ceux qui l’ont commis. Mais pourquoi le capitaine des gardes vient-il aussi ? « Les prêtres », dit le texte, « survinrent avec le capitaine des gardes ». C’était afin de donner à cette affaire le caractère d’un crime d’État, et pour ne pas courir le risque de se faire justice eux-mêmes comme dans une affaire privée. C’est une conduite qu’ils s’appliquent partout à tenir. « Ne pouvant souffrir qu’ils enseignassent le peuple (2) ». Leur dépit venait non seulement de ce que les apôtres enseignaient, mais de ce qu’ils annonçaient la résurrection du Sauveur, et même notre propre résurrection par Jésus-Christ. « Qu’ils enseignassent le « peuple », dit le texte, « et qu’ils annonçassent la résurrection des morts en Jésus-Christ ». Il y a eu tant de vertu dans la résurrection de Jésus-Christ, qu’il est devenu l’auteur de la résurrection des autres. « Et ils mirent la main sur eux, et ils les jetèrent en prison jusqu’au lendemain, parce qu’il était déjà tard (3) ». O impudence ! ils avaient les mains encore toutes pleines du premier sang qu’ils avaient répandu, et leur fureur n’en était pas ralentie, ils voulaient même lés remplir d’un nouveau sang. La présence du capitaine des gardes à cette affaire avait peut-être encore une autre raison outre celle que nous avons donnée ; peut-être craignait-on les disciples qui étaient devenus une multitude. « Il était déjà tard ». Les Juifs agissaient de la sorte et gardaient les apôtres pour lés adoucir, mais ce délai ne servait qu’à ajouter à leur constance. Considérez quels sont ceux qu’on arrête ; ce sont les chefs des apôtres : on veut en faire pour les autres un exemple qui les empêche de se rechercher les uns les autres et d’agir de concert.
« Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours » de Pierre « crurent et le nombre des hommes fut d’environ cinq mille (4) ». Qu’est ceci ? Les voyait-on entourés de considération ? Ne les voyait-on pas, au contraire, chargés de fers ? Qu’est-ce donc qui attirait à la foi ? Voyez-vous éclater la vertu de Dieu ? Tout conspire à ébranler la foi, et c’est le contraire qui arrive. C’est que le discours de Pierre avait jeté la semence divine fort avant dans les âmes, c’est qu’il avait touché les cœurs. Les Juifs étaient irrités de voir que les disciples ne les craignaient pas et qu’ils comptaient pour rien les maux présents. Voici en effet le raisonnement que faisaient les disciples : Si le Crucifié opère de telles œuvres, s’il a fait marcher le boiteux, nous n’avons rien à craindre de ceux-ci. C’était donc là un effet de la divine sagesse. C’était par son action que le nombre des croyants augmentait. Effrayés de cet accroissement, les ennemis de la foi enchaînèrent les apôtres à la vue de leurs disciples, pour intimider ceux-ci. Le contraire de ce qu’ils voulaient arriva.. Ils n’interrogèrent pas les prisonniers devant les fidèles, mais à l’écart, de peur que ceux-ci ne profitassent de la fermeté de leurs réponses s’ils les entendaient.
« Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes, s’assemblèrent dans Jérusalem, avec Ange le grand prêtre, Caïphe, Jean Alexandre et tous ceux qui étaient de la race sacerdotale (5, 6). Voilà qu’ils se réunissent encore une fois ; car, pour comble de malice, ils n’observaient plus même la loi. De nouveau ils dissimulent leur mauvais dessein sous les formes de la justice, afin de noircir ces innocents par un jugement injuste. « Et ayant fait venir les apôtres au milieu d’eux, ils leur dirent : Par quelle puissance ou au nom de qui, faites-vous ceci (7) ? » Ils le savaient bien. « Ils ne pouvaient souffrir », dit le texte, « qu’ils annonçassent en Jésus-Christ la résurrection des morts ». C’était pour cela même qu’ils les avaient arrêtés. Pourquoi donc les interrogent-ils ? Ils espéraient les faire rétracter, et ils comptaient bien tout réparer par ce moyen. Voyons donc ce qu’ils disent : « Au nom de qui faites-vous ceci ? Alors Pierre, rempli de l’Esprit-Saint leur dit » : C’est le moment de se rappeler les paroles de Jésus-Christ et d’en remarquer l’accomplissement : « Lorsqu’ils vous mèneront dans leurs synagogues, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz ». (Lc. 12,11, 12) Ils avaient donc, reçu une grande puissance. Mais écoutons la réponse : « Princes du peuple et sénateurs d’Israël ». Admirez cette sagesse ! l’apôtre est plein de confiance, mais il ne dit rien d’injurieux, il s’exprime respectueusement : « Princes du peuple », dit-il, « et sénateurs d’Israël, puisqu’aujourd’hui l’on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et qu’on veut s’informer de la manière dont il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous et à tout le peuple d’Israël ». Dès son exorde il fait retentir à leurs oreilles des paroles courageuses et pénétrantes. Il leur rappelle ce qui s’est passé, il leur dit que c’est pour un bienfait qu’on les appelle en jugement. C’est comme s’il disait : Il fallait nous couronner pour cette action, il fallait nous signaler au public comme des bienfaiteurs insignes : et maintenant nous sommes appelés en jugement pour le bien que nous avons fait à un homme, infirme, non pas riche, non pas noble : qui donc en pourrait prendre ombrage ?
2. Ce début est plein de gravité. Il y est montré que les Juifs s’enlacent eux-mêmes dans les filets du malheur. « Nous vous déclarons que c’est au nom de Jésus de Nazareth ». Il ajoute aussitôt la chose qui causait surtout leur dépit. Il faisait ce que Jésus-Christ avait commandé : « Ce que l’on vous dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits des maisons. (Mt. 10,27) C’est au nom « de Jésus-Christ de Nazareth que vous avez crucifié, que Dieu a, ressuscité d’entre les morts, c’est en son nom que cet homme se tient debout devant vous et guéri (8-10) ». Ne croyez pas que nous cachions sa patrie ni le genre de sa mort. « Celui que, vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est en son nom que cet homme-ci se tient debout devant vous et guéri ». Encore la passion, encore la résurrection. C’est lui qui est cette pierre « rejetée par vous, et que vous n’avez pas voulu admettre dans votre édifice, et qui est devenue la principale pierre de l’angle ». Il les fait souvenir d’une parole propre à les effrayer. « Car », dit l’Écriture, « celui qui tombera sur cette pierre, sera brisé, et celui sur qui tombera cette pierre, elle le broiera. (Mt. 21,44) Et il n’y a et point de salut par aucun autre ». Combien de coups pensez-vous que ces paroles leur ont valus ? « Car nul autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés (12) ». Ici le discours devient sublime. Dès qu’il ne s’agit plus de devoir à remplir, mais seulement de liberté à montrer, Pierre ne ménage plus rien. Les mauvais traitements ne lui faisaient pas peur. Il ne dit pas simplement : Nous ne pouvons être sauvés par un autre ; mais : et Il n’y a point de salut « par aucun autre », montrant ainsi que celui-là peut nous sauver et voulant en même temps effrayer ses auditeurs. « Lorsqu’ils virent la constance de Pierre et de Jean sachant que c’étaient des hommes sans lettres, et du commun du peuple, ils en furent étonnés ; ils savaient aussi qu’ils avaient été disciples de Jésus (13) ». Et comment des hommes sans lettres étaient-ils devenus assez éloquents pour l’emporter sur des lettrés, sur des princes des prêtres ? – Ce n’étaient pas eux qui parlaient, mais la grâce du Saint-Esprit par leur bouche. « Et comme ils voyaient aussi l’homme qui avait été guéri présent avec eux, ils n’avaient rien à leur opposer (14) ». Cet homme ne manquait pas de courage, on le voit, puisqu’il accompagnait les apôtres devant le tribunal ; de manière que si les Juifs avaient dit.: Non, vous n’avez guéri personne, il était là pour leur répondre.
« Ils leur commandèrent donc de sortir de l’assemblée, et ils se mirent à délibérer entre eux ». Voyez-vous leur embarras ? Les voyez-vous agir par une crainte tout humaine ? Autrefois, lorsqu’ils ne pouvaient ni empêcher l’œuvre du Christ, ni en amortir l’éclat, mais que la foi à sa parole croissait en proportion des efforts qu’ils faisaient pour l’arrêter, ils avaient dit : « Que ferons-nous ? » Et voici qu’ils le disent encore aujourd’hui. O démence, de s’imaginer que les mauvais traitements viendraient à bout de l’intrépidité des apôtres ! Ils n’avaient rien pu contre eux dès le commencement, et ils comptaient faire quelque chose après la puissance de parole qu’ils venaient de voir éclater en eux. Plus donc ils s’efforçaient d’arrêter l’Évangile, plus il faisait son chemin. « Que ferons-nous à ces gens-ci ? Car ils ont fait un miracle qui est connu de tous les habitants de Jérusalem ; cela est certain, et nous ne pouvons pas le nier. Mais afin qu’il ne se répande pas davantage parmi le peuple, défendons-leur avec menaces de parler à l’avenir en ce nom-là à qui que ce soit. Et les ayant fait appeler, ils leur défendirent de parler en quelque manière que ce fût, ni d’enseigner au nom de Jésus ».
Voyez leur impudence et la sagesse des apôtres ! « Mais Pierre et Jean répondant, leur dirent. Jugez vous-mêmes s’il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu’à Dieu ; pour nous, nous ne pouvons ne point parler des choses que nous avons vues et entendues. Alors ils les renvoyèrent avec menaces, ne trouvant point de moyen de les punir à cause du peuple ». Les miracles leur fermèrent la bouche, et ne leur permirent pas d’accomplir, leurs menaces ; néanmoins, ils n’avaient pas honte de leur défendre de parler. « Parce que tous rendaient gloire à Dieu de ce qui était arrivé. Car l’homme qui avait été guéri d’une manière si miraculeuse avait plus de quarante ans ». (19-22)
Mais reprenons. « Que ferons-nous », disent-ils, « à ces gens-ci ? » D’abord ils font tout pour la gloire humaine. Ils avaient encore une autre intention : ils ne voulaient pas passer pour des meurtriers, comme on le voit par ce qu’ils disent quelque temps après : « Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme. – Défendons-leur avec menaces de ne plus parler en ce nom à qui que ce soit ». O démence ! Ils sont convaincus qu’il est ressuscité, par conséquent qu’il est Dieu ; et ils espèrent, par leurs machinations ; retenir dans l’ombre celui que la mort n’a pu garder. Y a-t-il rien d’égal à cette démence ? Cependant, ne vous étonnez pas trop de les voir encore une fois tenter l’impossible. Telle est l’impiété ; elle ne voit rien à rien, elle se trouble de tout, Ils se sont trompés dans leurs calculs, et ils en éprouvent un vif dépit ; c’est l’histoire de tous ceux qui ont éprouvé une déception, une mystification. En effet, les apôtres, malgré la défense qu’on leur avait faite, allaient répétant sans cesse et partout que Dieu avait ressuscité Jésus, que c’était au nom de Jésus que le boiteux était maintenant guéri, preuve éclatante de la résurrection de Jésus-Christ. Quoique les pharisiens eussent eux-mêmes quelque idée de la résurrection, idée incomplète il est vrai et puérile, néanmoins ils tombent dans l’incrédulité et le trouble, ils se demandent ce qu’ils feront à ces hommes. Cependant, n’y avait-il pas dans cette franchise des apôtres de quoi les convaincre qu’il n’y avait rien à faire ? Pourquoi es-tu incrédule, ô Juif, réponds-moi ? Il fallait considérer le miracle accompli et les discours entendus, et non la malice de la multitude. Pourquoi ne les livrent-ils pas aux Romains ? C’est qu’ils s’étaient déjà discrédités auprès d’eux par leur conduite envers le Christ, de manière qu’ils travaillaient contre eux-mêmes en différant de dénoncer les disciples. Envers le Christ, ils n’avaient pas agi de la sorte : ils l’avaient arrêté au milieu de la nuit et conduit aussitôt au supplice, et ils n’avaient pas différé d’agir, parce qu’ils redoutaient le peuple ; mais au sujet des apôtres, ils n’agissent plus avec la même décision, et la même confiance. Ils ne les conduisent pas devant Pilate, le souvenir de la passion de Jésus-Christ les retient, ils craignent de recevoir des reproches. « Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes s’assemblèrent dans Jérusalem ».
3. Voie de nouveau des assemblées à Jérusalem, le sang est répandu sans respect pour la ville sainte. Voici encore Anne et Caïphe. Naguère l’apôtre Pierre avait tremblé devant la servante de celui-ci qui l’interrogeait ; il avait renié son Maître déjà arrêté par le même Caïphe. Maintenant que le voilà lui-même amené en présence des mêmes hommes, voyez comme il parle : « Puisqu’aujourd’hui l’on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et que l’on veut savoir par la vertu de qui il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous ». Ils disent : « Au nom de qui avez-vous fait cela ? » Pourquoi dites-vous simplement « cela ? » Pourquoi ne pas dire expressément la chose dont il s’agit ? pourquoi la laisser dans l’ombre ? « Au nom de qui avez-vous fait cela ? » Pierre répondit que ce n’était pas eux qui l’avaient fait. Voyez sa prudence ; il ne dit pas simplement : Nous l’avons fait au nom de Jésus-Christ ; mais que dit-il ? « C’est en son nom que celui-ci se tient debout devant vous et guéri ». Il ne dit pas qu’il a été guéri par eux. Cette parole : « Puisqu’aujourd’hui l’on nous demande raison du bien que nous avons fait », a une grande portée : Pierre les accuse par là de ne faire que des accusations de ce genre, et de ne se plaindre que du bien que l’on fait aux hommes. Il leur rappelle aussi ce qui s’est passé, et qu’ils sont toujours prêts à répandre le sang, et le sang des bienfaiteurs de l’humanité. Admirez encore une fois la force et la gravité de ce langage ! Les apôtres s’aguerrissaient et devenaient intrépides. Saint Pierre montre aux Juifs qu’ils prêchent eux-mêmes Jésus-Christ malgré eux, qu’ils ne font que mettre en évidence la doctrine nouvelle en la discutant et l’examinant. – « Que vous avez crucifié ». Quelle franchise ! «. Que Dieu a « ressuscité d’entre les morts ». Ceci témoigne encore d’une plus grande liberté. C’est comme s’il disait : Ne croyez pas que nous cachions ce que vous tenez vous autres pour ignominieux ; nous sommes si éloignés de le dissimuler, que nous le publions hautement. C’est presqu’une attaque ouverte, et il ne dit pas cela simplement, mais il insiste sur la même pensée en disant : « C’est lui qui est la pierre que vous avez rejetée, et que vous n’avez pas voulu admettre dans votre édifice ». Puis, pour montrer qu’ils n’ont fait que travailler malgré eux à sa gloire, il ajoute : « Il est devenu la pierre principale de l’angle ». Vous avez donc réprouvé, ô Juifs, celui qui était honorable et bon par nature. C’est ainsi qu’ils parlaient, tant le miracle qu’ils avaient opéré leur donnait de confiance. Remarquez comment, lorsqu’il s’agit d’enseigner, ils citent de nombreuses prophéties, et lorsqu’il ne faut que faire preuve d’assurance, ils se contentent d’affirmer leur sentiment : « Car nul autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés ; aux hommes », parce que ce nom a été donné à tous, et non pas aux seuls Juifs. L’apôtre prend ses adversaires eux-mêmes à témoin. Ceux-ci demandaient : « Au nom de qui avez-vous agi ? » Au nom du Christ, répond Pierre. « Il n’y a pas d’autre nom que celui-là en qui nous puissions être sauvés ». La chose est d’elle-même évidente, pourquoi donc m’interrogez-vous ? Ces paroles sont d’une âme qui méprise la vie présente. Cette liberté de langage le montre assez. Ici il fait clairement voir que, lorsqu’il s’exprimait humblement au sujet du Christ, c’était par condescendance et non par crainte qu’il le faisait.
Maintenant que le moment était venu, il en parlait avec une sublimité qui frappait d’étonnement tous les auditeurs. Voici un signe non moindre que le premier : « Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus ». L’écrivain sacré n’a pas tracé ces mots au hasard. C’était pour rappeler en quelle circonstance les Juifs avaient vu les apôtres, c’est-à-dire pendant la passion. Pierre et Jean étaient seuls avec Jésus alors, et c’est là que les pharisiens les virent si humbles et si tremblants. Aussi un changement si complet leur paraissait étrange. C’était toujours le même tribunal ayant Anne et Caïphe pour chefs. Ils étaient donc stupéfaits de retrouver maintenant si intrépides des hommes qu’ils avaient vus naguère si timides. Ce n’était pas seulement par leur langage que ceux-ci montraient qu’ils se souciaient fort peu d’une affaire où il y allait pour eux de la peine capitale, mais encore par leur attitude, par leur voix et par leurs regards ; en un mot, la résolution où ils étaient de parler, de ce qu’ils savaient, éclatait dans toute leur personne aux yeux du peuple. Les Juifs s’étonnaient aussi parce que c’étaient des hommes sans lettres et du commun. Comme on peut être sans lettres et n’être cependant pas du commun, et réciproquement, il met les deux termes, parce que les deux choses étaient vraies pour les apôtres : « Sachant », dit le texte, « que c’étaient des hommes sans lettres ». Comment le savaient-ils ? Par leur manière de s’énoncer. Les apôtres ne font pas de longs discours ; ils disent simplement et sans artifice ce qu’ils veulent dire, mais avec un accent qui prouve leur résolution courageuse. Peut-être les eussent-ils maltraités, si l’homme guéri par eux n’eût été là. « Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus » ; circonstance qui leur faisait voir qu’ils tenaient de lui ce qu’ils disaient, et qu’ils agissaient en qualité de ses disciples. D’ailleurs le miracle récent parlait encore plus haut qu’eux, et c’était lui surtout qui fermait la bouche aux Juifs : « Jugez s’il est juste en présence de Dieu de vous obéir plutôt qu’à « Dieu ». Maintenant qu’ils n’ont plus rien à craindre (les menacer équivalait à les absoudre), leur langage s’adoucit, tant ils étaient loin de l’audace qui provoque. Ils ont fait un miracle qui est connu de tout le monde, « nous ne pouvons le nier ». De sorte qu’ils l’auraient nié, s’il en eût été autrement, si le témoignage de la multitude n’eût été là.
Le miracle était manifeste ; mais que n’ose pas l’iniquité, de quelle impudence n’est-elle pas capable ? « Défendons-leur avec mes traces ». Que dites-vous ? Vous croyez, par des menaces, pouvoir arrêter la prédication de la vérité ? – Les commencements sont toujours pénibles et difficiles. Vous avez tué le Maître et, vous n’avez rien empêché ; et maintenant vous espérez nous détourner par des menaces ? L’emprisonnement n’a pas intimidé notre voix, et vous l’intimiderez, vous que nous ne comptons pour rien avec toutes vos menaces ? « Jugez devant Dieu s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu ». Ici il dit Dieu pour Jésus-Christ. Voyez-vous l’accomplissement de cette parole : « Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, ne les craignez point ? » (Mt. 10,16, 26)
4. Ensuite ils affirment la résurrection par ce qu’ils ajoutent : « Pour nous, nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu ».C’est-à-dire : Nous sommes des témoins dignes de foi, et vous qui nous menacez, vous nous menacez encore en vain. Au lieu de se convertir à la vue d’un miracle pour lequel le peuple glorifiait Dieu, ils lancent des menaces de mort. C’était faire la guerre à Dieu lui-même. Après les avoir menacés, ils les renvoyèrent. Les apôtres n’en furent que plus illustres et plus glorieux. « Ma puissance », est-il écrit, « se montre tout entière dans la faiblesse ». Ils avaient montré qu’ils étaient préparés à tout événement. Qu’est-ce à dire : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu ? » C’est-à-dire : Si ce que nous disons est faux, reprenez-nous ; si c’est la vérité, pourquoi voulez-vous nous fermer la bouche ? Voyez ce que peut la sagesse. Les Juifs sont dans l’embarras, les apôtres dans la joie ; ceux-là sont couverts de confusion, ceux-ci agissent en tout avec franchise ; ceux-là sont dans la crainte, ceux-ci dans la confiance. Quels étaient, dites-moi, ceux qui craignaient, de ceux qui disaient : « De peur que cette doctrine ne se répande dans le peuple », ou de ceux qui disaient : « Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu ? » La joie, la franchise, l’allégresse, tels sont les sentiments des apôtres, et ceux des prêtres juifs sont le découragement, la honte et la crainte ; ils redoutaient le peuple. Ceux-là disaient ouvertement ce qu’ils voulaient, ceux-ci ne faisaient pas ce qu’ils voulaient. Quels étaient ceux qui étaient dans les liens et les périls ? N’était-ce pas surtout ceux-là ?
Attachons-nous donc à la vertu. Faites en sorte que nous ne parlions pas seulement pour votre : plaisir et votre consolation. Ce n’est pas ici un théâtre, mon cher frère, où l’on vient voir des comédiens ou entendre des musiciens, où le fruit qu’on retire s’arrête à un plaisir qui ne dure qu’un jour. Et encore, plût à Dieu que ce plaisir fût seul, et qu’il ne fût pas accompagné d’un dommage ! Mais ce lieu-là, on ne le quitte pas sans remporter chez soi quelque chose des ordures qui s’y débitent. Le jeune homme remporte dans sa mémoire tout ce qu’il peut retenir des mélodies et des chants sataniques qu’il y a entendus, et constamment il les répète à la maison. Le vieillard, un peu moins léger, ne fredonne pas les airs, mais il redit les paroles qu’il a entendues. Mais d’ici, vous sortez sans rien remporter. Quelle honte, mes frères ! Nous avons porté une loi, ou pour mieux dire, ce n’est pas nous qui l’avons portée, non : « N’appelez personne votre maître sur la terre », dit le Sauveur. (Mt. 23,8) Le Christ a porté une loi qui défend de jurer. Comment cette loi est-elle observée ? C’est un sujet que je ne me lasserai pas de traiter. « Si je reviens de nouveau », dit l’apôtre, « Je serai sans pitié ». (2Cor. 3,2) Vous êtes-vous occupés de cette affaire ? Y avez-vous songé ? Avez-vous montré quelque zèle, ou bien faut-il que nous recommencions toujours la même exhortation ? Mais, dans tous les cas, je reprendrai encore ce sujet, afin que vous vous occupiez enfin de cette affaire, si jusqu’ici vous n’avez rien fait, et afin que vous redoubliez de zèle si vous en avez déjà montré, et que vous exhortiez les autres. Par où débuterons-nous donc ? Voulez-vous que ce soit par un passage de l’Ancien Testament ? Mais c’est là notre honte que nous n’observions pas même les prescriptions de l’Ancien Testament, lorsqu’il nous faudrait aller bien au-delà. Nous ne devrions pas être obligés de vous prêcher ces préceptes, qui ne convenaient qu’à la faiblesse juive. Voici les exhortations qu’il conviendrait d’adresser à des chrétiens : Rejetez l’argent, soyez ferme, donnez votre vie pour l’Évangile, moquez-vous de toutes les choses de la terre, n’ayez aucune attache à la vie présente. Si quelqu’un vous fait tort, faites-lui du bien ; s’il vous trompe, bénissez-le ; s’il vous injurie, honorez-le, élevez-vous au-dessus de tout. Ce sont ces préceptes et d’autres semblables qu’il faudrait vous inviter à pratiquer.
Mais maintenant c’est sur le jurement que nous sommes obligés de parler. Nous faisons comme un maître de philosophie qui se verrait contraint de remettre ses élèves à l’étude des syllabes et de l’alphabet. Songez combien serait ridicule un homme qui, portant une longue barbe, un bâton et une robe de philosophe, irait à l’école avec des enfants et étudierait les mêmes choses qu’eux. Eh bien ! notre conduite n’est pas moins singulière. Car la différence est moindre entre la philosophie et l’alphabet qu’entre le christianisme et le judaïsme. De l’un à l’autre, il y a la même distance qu’entre l’ange et l’homme. Si quelqu’un, dites-moi, faisant descendre un ange du ciel l’invitait à demeurer ici pour entendre nos discours comme devant en profiter pour mieux régler sa conduite, ne ferait-il pas une chose ridicule ? Que s’il est déjà ridicule d’avoir encore besoin de tels enseignements, que sera-ce que de n’y être même pas attentif ? Quelle honte ! Quelle damnation ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour des chrétiens d’avoir encore besoin qu’on leur apprenne qu’il ne faut pas jurer ? Corrigeons-nous donc afin que nous cessions d’être dignes de risée. C’est donc à la loi ancienne que nous allons emprunter notre enseignement. Et que dit-elle ? « N’accoutumez point votre bouche au jurement, ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ». Pourquoi ? « Parce que, comme un esclave qu’on met sans cesse à la torture en porte toujours la marque, ainsi en est-il de tout homme qui jure ». (Sir. 13,9, 11)
5. Voyez la prudence du Sage. Il ne dit pas: n’accoutumez point votre pensée, mais : « votre bouche » ; il savait que la bouche est tout dans ce péché qui se corrige aisément. C’est une pure habitude qui fait agir sans réflexion ; telle que celle qu’ont beaucoup de personnes qui, allant au bain, se signent en entrant. C’est un geste que la main sait faire d’elle-même, sans que la volonté y ait aucune part. Une autre fois, c’est encore la main qui, au moment où une lampe s’allume, et pendant que l’esprit est ailleurs, fait le signe de la croix. Il en est ainsi de la bouche qui jure elle n’agit point avec le consentement de l’âme, mais par habitude, et tout est dans la langue. « Ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ; parce que, comme un esclave qu’on met sans cesse à la torture, en porte toujours les marques ; ainsi en est-il de tout homme qui jure ». Ce n’est point le parjure, mais le jurement qui est ici défendu et menacé d’un châtiment. Donc, c’est un péché de jurer. L’âme de celui qui a l’habitude de jurer est en effet telle que ce serviteur mis tous les jours à la torture, elle est couverte d’autant de plaies et de meurtrissures. – Mais je ne vois pas cela, dites-vous. C’est précisément ce qu’il y a de terrible que vous ne le voyiez pas. Vous pourriez le voir, si vous vouliez. Dieu vous a pour cela donné des yeux. C’était avec ces yeux-là que voyait le prophète lorsqu’il disait « Mes plaies se sont pourries et corrompues, à cause de ma folie ». (Ps. 37,5) Nous avons méprisé Dieu, nous avons haï le nom divin, nous avons foulé aux pieds le Christ, nous nous sommes affranchis de la pudeur, personne ne rappelle avec respect le nom de Dieu. Si vous aimez quelqu’un et que l’on prononce son nom, vous vous lèverez. Mais Dieu, vous l’appelez sans cesse comme s’il n’était rien. Appelez-le, lorsque vous faites du bien à votre ennemi ; appelez-le pour le salut de votre âme ; alors il viendra, alors vous le réjouirez ; au lieu que maintenant vous l’irritez. Appelez-le comme l’appela Étienne : « Seigneur », disait-il, « ne leur imputez pas ce péché ». (Act. 7,59) Appelez-le comme l’appela la femme d’Elcana, avec des larmes, des gémissements, des prières. Je ne vous le défends pas, je vous y exhorte même fortement. Appelez-le comme l’appela Moïse, qui l’invoquait à haute voix pour ceux qui l’obligeaient de s’enfuir. Vous ne feriez que prononcer à la légère le nom d’un homme respectable, que cela serait considéré comme une offense ; et lorsque vous avez continuellement, sans raison et même à contre-temps, le nom de Dieu à la bouche, vous croyez que c’est une chose sans conséquence ? Quel châtiment ne mériterez-vous pas ? Je ne vous défends pas d’avoir toujours Dieu dans votre pensée, je le souhaite au contraire, c’est mon plus grand désir, mais que ce ne soit pas autrement qu’il ne lui plaît, que ce soit pour le louer, pour lui rendre hommage. Nous en retirerions de grands fruits, si nous ne l’appelions que lorsqu’il faut, et pour les choses qu’il faut.
Pourquoi ces faits miraculeux qui éclataient du temps des apôtres et dont nous sommes privés, aujourd’hui ? Cependant c’est toujours le même Dieu, le même nom ; et les effets ne sont pas les mêmes. Pourquoi cela ? Parce que les apôtres ne l’appelaient qu’à propos de leur prédication. Mais nous l’appelons pour des choses toutes différentes. Si c’est parce qu’on ne vous croit pas que vous jurez, dites simplement : « Croyez-moi » ; ou, si vous voulez, jurez par vous-même. Je ne dis pas cela, à Dieu ne plaise ! pour faire une loi opposée à celle du Christ, qui nous commande de ne dire que « oui, oui, non, non », je le dis par condescendance, pour vous induire à quelque chose de beaucoup moins grief, et pour vous affranchir d’une habitude tyrannique. Que de chrétiens recommandables à tout autre égard se sont perdus par ce seul vice ! Voulez-vous savoir pourquoi l’on permettait le serment aux anciens ? (Le parjure leur était défendu) ; c’est parce qu’ils juraient par les idoles.
N’avez-vous pas honte d’être encore régis par les mêmes lois qui servaient à conduire ces hommes faibles ? Lorsque j’entreprends de convertir un païen, je commence par lui faire connaître Jésus-Christ avant de lui enseigner qu’il ne faut pas jurer. Mais si le fidèle qui connaît déjà Jésus-Christ et sa doctrine a toujours besoin de la même condescendance que le païen, quel avantage le fidèle a-t-il sur le païen ? – Mais l’habitude, dites-vous, est une chose fâcheuse ; il est difficile de s’en défaire. – Si telle est1a tyrannie de l’habitude, changez votre mauvaise habitude en une autre contraire. – Et comment est-ce possible ? direz-vous. – Je répète ce que j’ai déjà dit bien des fois : Ayez des moniteurs pour observer vos paroles et les reprendre. Il n’y a aucune honte à être redressé par d’autres ; il y en a bien plutôt à repousser la correction et de le faire au détriment de son salut. Quand il vous arrive de mettre votre vêtement à l’envers, vous permettez même à votre serviteur de vous en avertir, vous n’avez pas honte de recevoir de lui cette espèce de leçon, et cependant c’est un fait qui a bien son ridicule. Et vous aurez honte d’être averti par un autre d’un travers dont votre âme sera affectée ? Vous laisserez votre serviteur arranger votre vêtement, et si quelqu’un veut parer votre âme vous le repousserez ? Quelle folie ! Laissez-vous reprendre par votre serviteur, par votre enfant, par votre ami, par votre parent, par votre voisin. Comme une bête féroce ne peut plus s’échapper quand elle est cernée de toutes parts, de même il faudra que vous vous observiez, lorsque vous serez entouré de tant de gens qui vous surveilleront, vous corrigeront ; vous reprendront. Peut-être supporterez-vous difficilement ce régime pendant un, deux ou trois jours. Mais ensuite la difficulté disparaîtra, et au bout de quatre jours, il n’en sera plus question. Faites-en l’essai si vous ne me croyez pas ; songez-y, je vous en conjure. Le mal à corriger est grave, mais la correction sera d’autant plus fructueuse ; vous avez tout ensemble un grand mal à détruire, un grand bien à conquérir. Puisse le bien se faire, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, empire, honneur, soit au Père, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. JEANNIN.

HOMÉLIE XI. modifier


AYANT ÉTÉ RENVOYÉS, ILS REVINRENT VERS LES LEURS ET LEUR RACONTÈRENT TOUT CE QUE LEUR AVAIENT DIT LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES ANCIENS. (CHAP. 4,23, JUSQU’AU VERS. 35)

ANALYSE. modifier

  • 1. Courage des apôtres. – Union admirable des premiers fidèles.
  • 2. Sens du mot main dans l’Écriture. – Les miracles étaient nécessaires pour prouver la résurrection.
  • 3. Saint Chrysostome propose aux cent mille chrétiens de Constantinople de renouveler la vie en commun des premiers chrétiens.
  • 4. Contre les serments.


1. Ils racontent, mais non par vaine gloire comment cela serait-il ? Ils font simplement voir des preuves de la grâce du Christ. Ils racontent donc tout ce qu’on leur a dit ; et s’ils passent sous silence ce qu’ils ont dit eux-mêmes, ils n’en sont cependant pas moins devenus plus bardis. Et voyez comme ils reviennent au véritable secours, à leur invincible auxiliaire ! comme ils y reviennent, dis-je, d’un même cœur et avec ardeur : car la prière qu’ils font n’est pas une prière ordinaire. « Ceux-ci ayant entendu, élevèrent « unanimement la voix vers Dieu et dirent » Voyez comme leurs prières sont déterminées et précises ! Quand ils demandaient que le ciel désignât un homme digne de l’apostolat, ils disaient : « Seigneur, qui connaissez le cœur de tous les hommes, faites-nous connaître ». (Là, en effet, la prescience était nécessaire) Mais ici, comme il s’agissait de fermer la bouche à leurs adversaires, ils insistent sur l’idée de domination, et voici comme ils commencent « Seigneur Dieu, qui avez fait le ciel et la terre et la mer, et tout ce qu’ils renferment ; qui avez dit par la bouche de votre serviteur David : « Pourquoi les nations ont-elles frémi, et les peuples ont-ils formé de vains projets ? Les rois se sont levés et les princes se sont réunis contre le Seigneur et contre son Christ ». (Ps. 21) Ils rappellent cette prophétie comme pour réclamer de Dieu l’exécution des traités, et aussi pour se consoler eux-mêmes par l’inutilité des projets ennemis. Le sens de leurs paroles est donc celui-ci : Menez tout cela à terme et faites voir que leurs projets sont vains. « Car Hérode et Ponce-Pilate se sont réellement ligués dans cette ville avec les gentils et le peuple d’Israël contre votre saint Fils, Jésus, que vous avez consacré par votre onction, afin d’accomplir tout ce qui avait été décrété par votre main et dans votre conseil. Et maintenant, Seigneur, regardez leurs menaces ». Voyez-vous cette sagesse ? Ils ne souhaitent point de mal, ils ne spécifient même pas les menaces ; ils se contentent de dire qu’on les a menacés ; car l’écrivain ne parle qu’en abrégé. Voyez encore : ils ne disent point : brisez-les, renversez-les. Que disent-ils donc ? « Donnez à vos serviteurs d’annoncer votre parole en toute liberté ». Apprenons à prier de la sorte. Quelle ne serait pas la colère d’un homme à la vie duquel on aurait attenté ou que l’on aurait menacé de mort ? De quelle haine ne serait-il pas rempli ? Il n’en est pas ainsi de ces saints. « En étendant votre main pour que des guérisons, des signes et des prodiges s’opèrent au nom de votre saint Fils Jésus ». Si par ce nom des miracles se font, la liberté de notre langage sera grande, veut-il dire. « Après qu’ils eurent prié, le lieu où ils étaient assemblés, s’ébranla ». Preuve qu’ils avaient été exaucés et que Dieu les visitait. « Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit ». Qu’estce que cela : « Ils furent remplis ? » C’est-à-dire : ils furent embrasés par l’Esprit ; car c’était la grâce qui brûlait en eux. « Et ils annonçaient avec confiance la parole de Dieu. Or, la multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme ». Voyez-vous qu’avec la grâce de Dieu ils faisaient encore tout ce qui dépendait d’eux ? c’est ce qu’il faut remarquer partout, qu’avec la grâce de Dieu, ils déploient tout ce qui est en eux ; ce qui fait dire à Pierre : « Je n’ai ni or ni argent ». Ainsi ce qui a été dit plus haut : que tous étaient « dans le même sentiment » est répété ici : « La multitude des fidèles n’avait qu’un cœur et qu’une âme ». Après avoir dit qu’ils furent exaucés, l’écrivain fait voir leur vertu. En effet, il est sur le point d’aborder l’histoire de Sapphire et d’Ananie : et avant de raconter leur crime, il parle d’abord de la vertu des autres. Dites-moi, je vous prie, est-ce la charité qui produit le désintéressement, ou le désintéressement qui produit la charité ? Il me semble que la charité produit le désintéressement qui resserre davantage ses liens. Écoutez ce qui est dit : « Tous n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». Mais le cœur et l’âme sont la même chose. « Aucun d’eux n’appelait sien ce qu’il possédait, mais tout était en commun parmi eux. Et les apôtres rendaient avec une grande force témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus-Christ ». L’auteur s’exprime comme s’il s’agissait d’une mission à remplir par eux ou d’une dette à payer ; c’est-à-dire ils rendaient à tous avec liberté témoignage du royaume de Dieu. « Aussi, une grande grâce était en eux tous ; car il n’y avait point d’indignes parmi eux ». C’était comme dans la maison paternelle où tous les enfants sont égaux. Et on ne pouvait pas dire qu’ils nourrissaient les autres, quoique telles fussent leurs dispositions. Mais la merveille était que, renonçant à toute propriété, ils semblaient les nourrir, non plus de leurs biens particuliers, mais du bien commun. « En effet, tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, en apportaient le prix, et le déposaient aux pieds des apôtres, et on distribuait à chacun selon ses besoins ». C’était un grand honneur que le prix fût déposé, non dans les mains, mais aux pieds des apôtres « Or, Joseph, surnommé par les apôtres Barnabas, ce qui est interprété fils de Consolation ».
Il ne me semble pas que ce soit le Joseph dont est question à propos de l’élection de l’apôtre Mathias : lequel s’appelait Joseph Barsabas, et fut ensuite surnommé le Juste. Celui-ci a reçu des apôtres le surnom de Barnabas, fils de Consolation. Ce surnom me paraît lui avoir été donné à cause de sa vertu, comme s’il eût eu une disposition particulière à consoler. « Lévite, cypriote d’origine, ayant un champ, le vendit, en apporta le prix et le déposa aux pieds des apôtres ».
2. Observez ici, je vous prie, comment il fait voir que là loi est annulée, comment il nous dit : « Lévite, cypriote d’origine ». En changeant de patrie, les lévites gardaient donc leur nom. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. « Ayant été renvoyés, ils vinrent près des leurs et leur racontèrent tout ce que leur avaient dit les princes des prêtres et les anciens ». Voyez l’humilité et la sagesse des apôtres. Ils ne vont point çà et là se vanter et dire comment ils ont réfuté les prêtres ; ils ne cherchent pas dans leurs récits la vaine gloire, mais ils retournent vers les leurs et racontent simplement ce que les anciens leur ont dit. Par là, nous apprenons qu’ils ne se sont point jetés témérairement dans les épreuves, mais qu’ils les ont soutenues avec courage quand elles se sont présentées. Tout autre, appuyé sur la multitude, aurait peut-être dit des injures, proféré mille choses pénibles à entendre. Il n’en est pas ainsi de ces sages ils font tout avec douceur et calme. « Ayant entendu cela, ils élevèrent tous ensemble la voix vers Dieu ». C’est le cri de la joie et d’une grande ferveur. Voilà les prières efficaces ; celles qui sont pleines de sagesse, qui ont de tels objets, qui partent de telles sources, qui se font en de telles circonstances et de telle manière ; les autres sont maudites et impures. Voyez comme il n’y a rien de superflu : ils ne parlent que de la puissance de Dieu ; ou plutôt, comme le Christ disait aux Juifs : « Si je parle dans l’Esprit de Dieu », de même les disciples parlent « par le Saint-Esprit ». Et voilà que le Sauveur aussi parle dans l’Esprit. Mais écoutez ce qu’ils disent : « Seigneur Dieu, qui avez dit par la bouche de votre serviteur David : Pourquoi les nations ont-elles frémi ? » L’usage de l’Écriture est de parler d’une seule chose comme si elle parlait de plusieurs. Ils veulent donc dire : Ils ont été impuissants ; mais vous, vous avez tout fait, vous qui dirigez et menez toute chose à bon terme, vous l’habile et le sage par excellence, vous qui vous servez de vos ennemis pour accomplir vos desseins. Ils parlent de l’habileté et de la sagesse de Dieu pour montrer que c’était bien en qualité d’ennemis et d’adversaires et dans des vues homicides que les Juifs s’étaient ligués ; mais, ô Dieu ! la conjuration n’a pas eu d’autre résultat que l’accomplissement de vos desseins, « de tout ce qui avait été décrété par a votre main et par votre conseil ». Qu’est-ce à dire : « Par votre main ? » Votre main signifie ici, ce me semble, votre puissance et votre volonté. Il suffit, dit-il, que vous ayez voulu ; car ce n’est pas la puissance qui prévoit. « Par « votre main » veut donc dire : tout ce que vous avez commandé ou tout ce que vous avez fait. Comme alors ils n’ont formé que de vains projets, faites qu’il en soit de même encore aujourd’hui.
« Et donnez à vos serviteurs », c’est-à-dire que leurs menaces n’aient pas d’effets. Et ils font cette prière, non pour détourner d’eux les périls, mais en faveur de la prédication. En effet, ils ne disent pas : arrachez-nous aux dangers. Que disent-ils donc ? « Donnez à vos serviteurs d’annoncer votre parole en toute liberté ». Vous qui avez mené ces choses à bon terme, menez-y encore celles-ci. « Que vous avez consacré par votre onction ». Voyez comme dans leur prière ils font la part de la passion du Christ ; comme ils lui rapportent tout et lui attribuent la liberté dont ils jouissent ! Voyez-vous aussi comme ils demandent tout pour Dieu et rien par ambition et pour leur propre gloire ? De leur part, ils promettent de ne point se laisser effrayer ; mais ils demandent des signes. « En étendant votre main pour que des guérisons, des miracles et des prodiges s’opèrent ». Bien : sans cela, en effet, déployassent-ils une immense ardeur, ils n’aboutiraient à rien. Dieu exauça leur prière, et le prouva en ébranlant le lieu où ils étaient. « Après qu’ils eurent prié, le lieu fut ébranlé ». Et pour vous convaincre que telle était la cause de ce mouvement, écoutez le prophète : « Lui qui regarde la terre et la fait trembler » ; et encore : « La terre a été ébranlée à l’aspect de Dieu, à l’aspect du Dieu de Jacob ». (Ps. 103,32 ; 113, 7) Et Dieu fait cela pour imprimer une plus grande terreur, pour les fortifier après les menaces et leur inspirer une plus grande liberté. En effet, c’était au commencement ; ils avaient besoin de signes sensibles pour opérer la foi : ce qui ensuite ne se reproduisit plus. Ils retirèrent donc une grande consolation de leur prière.
Ils ont raison de demander la grâce des miracles ; autrement, ils n’eussent jamais pu démontrer la résurrection. Ils ne demandaient pas seulement un motif de sécurité pour eux, mais encore à ne pas être couverts de confusion et à pouvoir parler en liberté. Le lieu fut ébranlé, mais ils n’en furent que plus affermis. C’est quelquefois un signe de colère, quelquefois un signe de visite et de providence ; ici, c’est un signe de colère. Lors de la passion du Sauveur, le fait se produisit d’une manière étrange et surnaturelle ; car alors toute la terre fut ébranlée. Et le Sauveur lui-même avait dit : « Il y aura des famines et des pestes et des tremblements de terre en divers lieux ». Du reste, c’était aussi un signe de colère contre les Juifs : mais il remplit les apôtres de l’Esprit. Voyez ! c’est après la prière que les apôtres sont remplis de l’Esprit. « Et la grâce était grande en eux tous : car il n’y avait point de pauvre parmi eux ». Vous voyez que la puissance de l’Esprit était grande où et quand il le fallait. Il s’agit encore de la question des biens, qu’il rappelle une seconde fois pour porter au mépris des richesses. Plus haut, il a dit : « Nul ne regardait comme étant à lui rien de ce qu’il possédait » ; ici il dit : « Qu’il n’y avait point de pauvre parmi eux ».
3. Et ce n’était pas là uniquement l’effet des miracles, mais aussi de leur volonté, comme le prouve l’histoire de Sapphire et d’Avanie. Ils rendaient témoignage de la résurrection non seulement par la parole, mais aussi par la vertu, selon ce que dit Paul : « Ma prédication a consisté, non dans les paroles persuasives de la sagesse humaine ; mais dans la manifestation de l’Esprit et de la vertu », non seulement de la vertu, mais d’une grande vertu. Il a raison de dire : « La grâce était en eux tous ». C’était la grâce parce qu’il n’y avait pas de pauvres ; c’est-à-dire il n’y avait point de pauvres à cause de la générosité de ceux qui donnaient. Car ils ne donnaient pas une partie pour conserver l’autre ; ou encore ils ne donnaient pas le tout comme étant leur bien propre. Toute inégalité avait disparu, ils vivaient dans une grande abondance ; et ils donnaient en témoignant leur respect pour les apôtres. Car ils n’osaient pas déposer leurs dons dans les mains des apôtres, ils ne les leur présentaient pas avec ostentation, mais ils les mettaient à leurs pieds, les en constituaient dispensateurs et maîtres, afin que tout fût pris dans le trésor commun et non dans le leur. Par là ils n’étaient point exposés à la vaine gloire. S’il en était encore ainsi, nous serions tous, riches et pauvres, bien plus contents, et les riches n’en seraient pas moins heureux que les pauvres. Dépeignons, si cela vous plaît, cet état en paroles et goûtons-en le charme, puisque nous ne pouvons pas le faire en réalité. Ce qui s’est passé alors démontre jusqu’à l’évidence qu’ils ne s’appauvrissaient pas en vendant, mais qu’ils enrichissaient les pauvres.
Traçons donc ce tableau. Supposons que tous vendent ce qui leur appartient, et en mettent le prix en commun ; c’est une simple supposition : que personne ne se trouble, ni riche ni pauvre. Quelle serait, pensez-vous, la quantité de l’or qui se recueillerait ? Je conjecture (car il n’est pas possible d’arriver ici à une parfaite exactitude), que si tous et toutes se dépouillaient de leur argent et livraient leurs terres, leurs propriétés, leurs maisons (je ne parle pas des esclaves, car alors on ne les vendait pas, mais on leur donnait sans doute la liberté), on parviendrait peut-être à la somme d’un million de livres d’or, ou de deux fois, trois fois cette somme. Car, dites-moi, à quel nombre s’élève la population mêlée de cette ville ? Combien y supposez-vous de chrétiens Voulez-vous cent mille, et le reste composé de gentils et de Juifs ? Combien y recueillerait-on de millions de livres d’or ? D’autre part, quel est le nombre des pauvres ? Je ne pense pas qu’il dépasse cinquante mille. Que faudrait-il pour les nourrir chaque 'jour ? S’ils mangeaient en commun, s’ils s’asseyaient à la même table, la dépense ne serait pas énorme. Mais, dites-vous, que ferions-nous quand tout serait dépensé ? Eh ! pensez-vous qu’on en, viendrait jamais à bout ? La grâce de Dieu ne serait-elle pas mille fois plus abondante ? Ne se répandrait-elle pas avec largesse ? Quoi ! n’aurions-nous pas fait de la terre un ciel ? Si parmi trois mille et cinq mille qu’ils étaient alors, on obtint un tel succès que personne ne se plaignait de la pauvreté, à combien plus forte raison n’arriverait-on pas au même résultat dans une si grande multitude ? Et quel étranger refuserait d’y contribuer ? Pour démontrer que la division des richesses amène un surcroît de dépenses et engendre la pauvreté, supposons une maison où il y a dix enfants, un homme et une femme : celle-ci, ouvrière en laine, celui-là apportant ses profits du dehors ; dites-moi, cette famille mangeant en commun et habitant la même maison, dépenserait-elle plus que si elle était divisée ? Il est évident qu’elle dépenserait plus si elle était divisée ; car si ces dix enfants étaient séparés, il faudrait dix maisons, dix tables, dix domestiques, et des revenus en conséquence. Quoi encore ! Là où il y a une multitude de serviteurs, ne vivent-ils pas tous à la même table, afin de diminuer la dépense ? La division entraîne donc toujours une diminution, tandis que l’union et la concorde produisent un accroissement. Ainsi les habitants des monastères vivent comme autrefois les fidèles. Et là, qui meurt de faim ? Qui ne vit pas dans une grande abondance ? Mais aujourd’hui les hommes ont plus peur de cela que de tomber dans une mer sans fond et sans bord. Cependant, si nous avions fait l’expérience de ce genre de vie, nous l’embrasserions sans crainte. Et quelle grâce ne serait-ce pas ? Car si, dans ce temps-là, quand il n’y avait que trois mille, que cinq mille fidèles, quand on avait pour ennemi le monde entier, quand on n’avait de consolation à attendre d’aucun côté, si alors, dis-je, on entra courageusement dans cette voie, à combien plus forte raison ne le pourrait-on pas aujourd’hui, où, par la grâce de Dieu, les fidèles remplissent le monde ? Et dans ce cas combien resterait-il de gentils ? aucun, selon moi ; nous les aurions bientôt tous gagnés et attirés à nous. Oui, si nous entrions dans cette voie, j’ai confiance en Dieu qu’il en serait ainsi. Croyez-moi seulement, et tout réussira comme je le dis ; et si Dieu nous conserve la vie, j’espère que nous embrasserons bientôt cette règle.
4. En attendant, observez et maintenez avec force la loi sur le serment. Que celui qui l’observe dénonce celui qui la viole, qu’il l’accuse et le réprimande vertement. Car le temps fixé approche, où je ferai l’enquête et retrancherai et exclurai le prévaricateur. Puissions-nous n’en découvrir aucun parmi nous ! Puissent tous avoir été fidèles à observer ce pacte spirituel ! Qu’il en soit ici comme à l’armée, où le mot d’ordre distingue le soldat de l’étranger. En réalité, nous sommes maintenant en guerre, et il est nécessaire de reconnaître nos frères. Et quel avantage n’est-ce pas d’avoir ce signe distinctif,.et chez nous et hors de chez nous ? Quelle arme n’avons-nous pas contre les ruses du démon ? Car une bouche qui ne sait pas jurer attirera promptement Dieu par la prière, et frappera le démon d’un coup mortel ; une bouche qui ne sait pas jurer ne saura pas non plus proférer l’injure. Repoussez, jetez ce feu hors de votre langue comme hors de votre maison. Laissez-la un peu respirer, et diminuez la plaie. Je vous y exhorte vivement, afin de pouvoir vous donner un autre enseignement ; car tant que ce succès ne sera pas obtenu, je n’ose passer à un autre sujet. Corrigez-vous donc entièrement sur ce point, saisissez d’abord toute l’importance du résultat, et alors je traiterai d’autres lois, ou plutôt ce ne sera pas moi, mais le Christ. Plantez cette vertu dans votre âme, et bientôt vous deviendrez le paradis de Dieu, paradis bien préférable au paradis terrestre. Car il n’y aura plus parmi vous ni serpent, ni arbre de mort, ni autre chose de ce genre. Enracinez profondément en vous cette habitude. Si vous le faites, le profit n’en sera pas pour vous seuls, qui êtes ici présents, mais pour tous les hommes, et non seulement pour les hommes qui vivent aujourd’hui, mais pour ceux qui viendront dans la suite. Car une bonne habitude une fois établie et observée par tout le monde, se perpétue pendant de longs siècles, et le temps ne peut plus la détruire. Si un homme fut lapidé pour avoir ramassé du bois un jour de sabbat, quel ne sera pas le châtiment de celui qui commet une faute bien plus grave que de ramasser du bois, d’un homme qui amasse tout un fardeau de péchés, c’est-à-dire une multitude de serments ? Quel ne sera pas son supplice ? Si vous vous corrigez là-dessus, vous obtiendrez de grands secours de Dieu. Si je vous dis : n’injuriez pas, vous m’objecterez votre colère ; si je vous dis : ne portez pas envie, vous trouvez une autre excuse. Ici vous, n’avez rien de pareil à dire. C’est pourquoi j’ai commencé par les choses faciles, comme il est d’usage dans tous les arts. On n’aborde les choses difficiles qu’après avoir d’abord appris les choses faciles. Vous verrez combien celle-ci l’était, quand, vous étant corrigés par la grâce de Dieu, vous recevrez d’autres prescriptions.
Donnez-moi confiance et devant les gentils et devant les Juifs, et surtout devant Dieu. Je vous en conjure au nom de la charité, par les douleurs dans lesquelles je vous ai enfantés, « vous, mes petits enfants ». Je n’ajouterai point ce qui suit : « Que j’enfante de nouveau » ; ni je ne dirai : « Jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous ». Car j’ai la confiance que le Christ est formé en vous. Mais j’ajouterai : « Mes frères bien-aimés et chéris, ma joie et ma couronne ». (Gal. 4,19, et Phil. 4,1) Croyez bien que je ne tiendrai pas un autre langage. Quand on me mettrait sur la tête mille couronnes royales ornées de pierreries, je ne me réjouirais pas comme je me réjouis de votre avancement ; bien plus, je ne crois pas qu’un roi goûte une joie comme celle que je ressens à votre occasion. Que dis-je ? Quand même il reviendrait vainqueur de tous ses ennemis ; quand, à sa propre couronne, il en ajouterait un grand nombre d’autres et des diadèmes, symboles de son triomphe, je ne crois pas que ces trophées lui procureraient autant de satisfaction que m’en procure votre avancement. En effet, je suis fier comme si j’avais mille couronnes sur la tête, et non' sans raison ; car si, par la grâce de Dieu, vous contractez cette habitude, vous aurez remporté mille victoires plus difficiles que celles de ce souverain ; vous aurez lutté et combattu contre les méchants démons, contre les esprits pernicieux, non par l’épée, mais par la langue et là volonté. Et voyez quel succès que celui-là, si vous le remportez ! D’abord vous aurez rompu une mauvaise habitude ; secondement, vous aurez détruit un faux raisonnement, source de tous les maux, en vertu duquel la chose est regardée comme indifférente et sans danger ; troisièmement, vous aurez vaincu la colère ; quatrièmement, l’avarice ; car ce sont là les suites du serment. De plus, vous puiserez là une grande ardeur pour d’autres progrès. Comme les enfants qui apprennent les lettres, non seulement les apprennent, mais par elles se forment insensiblement à lire ; ainsi en sera-t-il de vous ; le faux raisonnement ne vous trompera plus ; vous ne direz plus que c’est une chose indifférente, vous ne parlerez plus par habitude, mais en toutes choses vous vous tiendrez fermes, afin qu’ayant pratiqué en tout la vertu selon Dieu, vous jouissiez des biens éternels, par la grâce et la bonté du Fils unique, avec qui, au Père, et en même temps au Saint-Esprit, sont la gloire la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XII. modifier


MAIS JOSEPH, QUI FUT SURNOMMÉ PAR LES APÔTRES BARNABAS (CE QUI EST INTERPRÉTÉ FILS DE CONSOLATION), LÉVITE, ORIGINAIRE, DE CHYPRE, AYANT UN CHAMP, LE VENDIT, EN APPORTA LE PRIX ET LE DÉPOSA AUX PIEDS DES APÔTRES. VERS. 36, 37, JUSQU’AU VERS. 16 DU CHAP. V)

ANALYSE. modifier

  • 1. Histoire d’Avanie et de Sapphire punis pour avoir menti au Saint-Esprit, et dérobé une partie de ce qu’ils avaient déjà consacré au Seigneur.
  • 2. Justice, nécessité et utilité du châtiment d’Avanie et de Sapphire.
  • 3. Sagesse et puissance de saint Pierre.
  • 4. Contre les serments et les parjures.


1. Sur le point de raconter l’histoire d’Avanie et de Sapphire, et avant de montrer un homme tombé dans un très-grand péché, saint Luc en rappelle un autre qui s’était bien conduit ; pour faire voir qu’an sein d’une multitude ainsi réglée, malgré une si grande grâce, au milieu de tant de signes miraculeux, Ananie, sans se corriger par l’exemple des autres, mais une fois aveuglé par l’avarice, a attiré le châtiment sur sa tête. « Ayant un champ », ce qui indique qu’il n’en avait qu’un, « le vendit, en apporta le prix et le déposa aux pieds des apôtres. Or, un homme nommé Ananie avec Sapphire, son épouse, vendit ce qu’il possédait, et frauda sur le prix du champ, sa femme le sachant, et en apportant une certaine partie, la déposa aux pieds des apôtres ». Ce qu’il y avait de grave, c’est que la faute leur était commune et qu’il n’y avait pas d’autre témoin. Comment cette pensée était-elle venue à ce malheureux ? « Mais Pierre lui dit : Avanie, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point de te faire mentir au Saint-Esprit et détourner une partie du prix de ton champ ? » Voyez encore ici un signe éclatant, beaucoup plus grand même que le premier. « Restant entre tes mains, ton champ n’était-il pas à toi ? et vendu, le prix n’était-il pas encore en ta puissance ? » C’est-à-dire : A-t-on usé de force ? est-ce qu’on t’a fait violence ? vous attire-t-on malgré vous ? « Pourquoi as-tu formé ce dessein dans ton cœur ? Ce n’est pas aux hommes, mais à Dieu que tu as menti. En entendant ces paroles, Ananie tomba et expira » : Et pourquoi ce signe est-il plus grand que l’autre ? Parce que la parole de Pierre donne la mort, parce qu’il lit dans la conscience et connaît des choses faites en secret. « Et tous ceux qui entendirent cela furent saisis d’une grande crainte. Des jeunes gens se levant, emportèrent le mort et allèrent l’ensevelir. Or, il s’écoula un espace d’environ trois heures, et sa femme, ignorant ce qui s’était passé, entra. Pierre lui dit : Répondez-moi : est-il vrai que vous avez vendu votre champ un tel prix ? » Il voulait la sauver, car le mari était l’auteur de la faute. C’est pourquoi il s’empresse de lui offrir l’occasion de se justifier et la faculté de se repentir. C’est ce qui lui fait dire : « Répondez-moi : est-il vrai que vous avez vendu votre champ un tel prix ? Oui, répondit-elle. Mais Pierre reprit : Pourquoi vous êtes-vous concertés pour tenter le. Saint-Esprit ? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enseveli votre époux et ils vont vous emporter. Aussitôt elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens en entrant là trouvèrent morte, l’emportèrent et l’ensevelirent près de son époux. Et une grande frayeur se répandit dans toute l’Église et chez tous ceux qui apprirent ces choses ». Mais à la suite de cette frayeur, les signes se multiplièrent ; écoutez-en la preuve : « Il s’opérait beaucoup de signes et de prodiges dans le peuple par les mains des apôtres. Ils étaient tous réunis dans le portique de Salomon ; et aucun des autres n’osait se joindre à eux ; mais le peuple les exaltait ». Et c’était juste. Pierre était réellement terrible, lui qui reprochait et punissait les pensées les plus secrètes. On s’attachait particulièrement à lui, et à cause du miracle et à cause de son premier, de son second et de son troisième discours. C’était lui qui avait fait le premier et le second miracle, et encore celui-ci qui ne me semble pas simple, mais double, puisque d’abord il a pénétré le secret des consciences, et qu’ensuite la mort a obéi à ses ordres. « Mais le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, augmentait ; de sorte qu’ils portaient les malades dans les places publiques et les déposaient sur des lits et des grabats, afin que quand Pierre viendrait, son ombre au moins couvrit quelqu’un d’eux ». Cela n’a pas eu lieu pour le Christ ; ainsi s’est réalisé ce qu’il avait dit : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais et en fera de plus grandes encore ». (Jn. 14,12) « Or, la foule accourait des villes voisines de Jérusalem, apportant des malades et ceux qui étaient tourmentés par les esprits impurs, et tous étaient guéris ».
Mais considérez avec moi comme toute leur vie est remplie de contrastes. D’abord, découragement à cause de l’ascension du Christ, puis courage à cause de la descente de l’Esprit ; nouveau découragement, à raison des railleries, puis joie à cause des fidèles et du miracle ; tristesse encore, parce qu’ils ont été saisis, puis contentement parce qu’ils ont pu se justifier. Et ici encore nous trouvons joie et tristesse : joie parce qu’ils brillent aux yeux des hommes, et qu’ils jouissent des révélations divines ; tristesse parce qu’ils donnent la mort même à leurs frères ; joie à cause de leur éclat, tristesse de la part du prince des prêtres. Du reste, c’est ce que nous pouvons voir partout, même chez les anciens, si nous voulons regarder attentivement. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « Ils vendaient et apportaient les prix et les mettaient aux pieds des apôtres ». Vous voyez, mon cher, qu’ils ne donnaient point aux apôtres la peine de vendre, mais qu’ils vendaient eux-mêmes et leur remettaient les prix. Ananie n’agit point ainsi : il soustrait une partie du prix du champ qu’il a vendu, et il est puni pour s’être mal conduit et avoir été surpris à dérober ce qui lui appartenait. Ceci est un reproche, et un reproche très-vif, à l’adresse des prêtres d’aujourd’hui. Et comme sa femme était complice, l’apôtre l’interroge à son tour.
2. Mais, dira-t-on peut-être, elle a été traitée bien durement. Que dites-vous ? Quelle dureté y a-t-il là, de grâce ? Si un homme qui a ramassé du bois est lapidé, à combien plus forte raison doit l’être un voleur sacrilège. Or, cet argent était déjà sacré. Par conséquent, celui qui avait voulu vendre son bien et en donner le prix, devenait certainement sacrilège en en soustrayant une partie. Or, si celui qui soustrait de son propre bien, est sacrilège, à plus forte raison celui qui dérobe du bien d’autrui. Et si les choses ne se passent plus ainsi, si le châtiment n’est plus, immédiat, n’allez pas croire à l’impunité. Voyez-vous qu’on lui fait un crime d’avoir dérobé une partie de l’argent qu’il avait rendu sacré ? Ne pouviez-vous pas, lui dit l’apôtre, user de votre bien, même après l’avoir vendu ? Vous en a-t-on empêché ? Pourquoi le retirez-vous, après l’avoir promis ? Voyez comme dès l’abord le diable se met à l’œuvre, au milieu de si grands signes et de si grands prodiges, et surtout comment il a aveuglé ce malheureux. Un fait de ce genre s’est passé dans l’ancienne loi, quand Charmé[2] fut convaincu d’avoir soustrait des objets voués à l’anathème ; et vous savez cependant quelle punition on en tira. Car, mon cher auditeur, le vol des choses sacrées est un péché extrêmement grave, un acte de souverain mépris. Nous ne vous avons point forcé de vendre, ni de nous donner votre argent après avoir vendu ; vous avez agi par votre propre volonté : pourquoi donc dérobez-vous quelque chose d’objets consacrés ? « Pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur ? » Mais si Satan est le coupable, pourquoi accuser Ananie ? Parce qu’il a cédé à la puissance de Satan et en a été rempli. Il fallait le corriger, dira-t-on. Mais il ne se serait pas corrigé : celui qui avait eu sous les yeux de tels spectacles et n’en avait tiré aucun profit, se fût encore bien moins amendé par d’autres moyens. Et pourtant on ne pouvait passer légèrement là-dessus ; il fallait retrancher cette gangrène de peur que le corps entier n’en fût infecté. Ici, c’est l’avantage du coupable lui-même, qu’on l’empêche d’aller plus loin dans le mal, et ensuite tous les autres en sont rendus plus vigilants ; dans l’autre supposition, t’eût été le contraire. C’est pourquoi Pierre réprimande d’abord et fait voir que la faute ne lui a point échappé, ensuite il prononce l’arrêt. « Pourquoi », lui dit-il, « as-tu fait cela ? » Tu voulais posséder ? Il fallait conserver dès le commencement et ne pas promettre ; mais maintenant que tu reprends après avoir consacré, c’est commettre un plus grand sacrilège. Celui qui prend le bien d’autrui peut y être poussé par le désir de posséder ce qui ne lui appartient pas ; mais toi, tu pouvais garder le tien. Pourquoi donc consacrer ces choses, et les reprendre ? Tu as agi là avec un souverain mépris. Point de pardon pour ton crime ; il est inexcusable.
Que personne ne se scandalise s’il y a encore aujourd’hui des voleurs sacrilèges. Car, s’il y en avait alors, à plus forte raison y en a-t-il aujourd’hui, que les vices abondent. Accusons-les donc publiquement, afin, que les autres tremblent. Judas était sacrilège ; mais les disciples n’en furent, pas scandalisés. Voyez-vous les maux qu’engendre la passion des richesses ? « Et tous ceux qui entendirent cela furent saisis d’une grande crainte ». Ananie fut puni, les autres en profitèrent ; on avait donc eu raison d’agir ainsi ; quoique d’autres signes eussent précédé celui-ci, jamais la frayeur n’avait été aussi grande. Ainsi se vérifie ce qui est écrit : « Le Seigneur se fera connaître en rendant des jugements ». La même chose était arrivée à l’occasion de l’arche : Oza fut puni, les autres eurent peur. Mais alors le roi, saisi de crainte, éloigna l’arche, tandis qu’ici les autres redoublèrent de vigilance. Vous voyez que Pierre n’appela point Sapphire, mais attendit qu’elle entrât ; et aucun des autres n’avait osé annoncer ce qui était arrivé.
C’était l’effet de la crainte du maître, du respect et de l’obéissance des disciples. « Un espace de trois heures ». Sapphire ne savait rien, aucun de ceux qui étaient là ne l’avait avertie, bien que la nouvelle eût eu le temps de se répandre ; mais ils avaient peur. Aussi l’historien nous dit-il, tout surpris : « Ne sachant pas ce qui s’était passé, elle entra ». Cependant voici qui pouvait faire voir que Pierre connaissait les choses cachées : pourquoi celui qui n’a interrogé personne, vous interroge-t-il ? N’est-ce pas évidemment parce qu’il sait ce qui s’est passé ? Mais un grand aveuglement ne permit pas à Sapphire de dépouiller son intention criminelle ; elle répond avec une grande audace : car elle croyait parler à un homme. C’était une aggravation de leur péché qu’ils l’eussent commis d’un commun consentement et comme en vertu d’un pacte. « Pourquoi vous êtes-vous concertés pour tenter le Saint-Esprit ? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enseveli votre époux, et qui vont vous emporter ». D’abord, il lui fait sentir sa faute, ensuite il annonce qu’elle subira le même châtiment que son mari, et avec justice, puisqu’elle a commis le même péché. Et comment, direz-vous, « soudain tomba-t-elle à ses pieds et rendit-elle l’âme ? » Parce qu’elle était tout près. Ce fut ainsi qu’ils s’attirèrent leur propre punition. Et comment n’en aurait-on pas été frappé ? Qui n’aurait pas craint l’apôtre ? Qui n’aurait pas été saisi d’admiration ? « Et ils étaient tous réunis dans le portique de Salomon ». D’où il suit qu’ils habitaient dans le temple, et non dans une maison quelconque. Ils ne craignaient plus, du reste, le contact des objets immondes ; mais ils touchaient les morts sans scrupule. Et voyez comme ils sont sévères envers les leurs, tandis qu’ils n’usent point de leur pouvoir à l’égard des étrangers. « Mais le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, augmentait tous les jours, en sorte qu’on déposait dans les places publiques les malades sur des lits et des grabats, afin que, quand Pierre viendrait, son ombre au moins couvrît quelqu’un d’entre eux ».
3. La foi de ceux qui approchaient ainsi était grande, plus grande même que du temps du Christ. Pourquoi cela ? A cause de la prédiction que le Christ avait faite. « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, il en fera de plus grandes encore », comme ils demeuraient au même lieu sans en sortir, tous leur apportaient leurs malades sur des lits et des grabats. : c’était prodige de tout côté, et de la part des croyants, et de la part de ceux qui étaient guéris, et de la part de celui qui avait été puni, et par la liberté de leur langage, et par la vertu de ceux dont la foi était affermie : car tout ne reposait pas seulement sur les miracles. En effet, quoique dans leur modestie ils attribuassent tout au Christ, au nom duquel ils – déclaraient agir, cependant c’était aussi l’effet de leur vie et de leur vertu. Et remarquez qu’on ne fixe pas ici le nombre des croyants, mais qu’on l’abandonne aux conjectures du lecteur, tant les progrès de la foi étaient considérables ! Aussi prêchait-on la résurrection avec plus de force : « Personne n’osait se joindre à eux, mais le peuple les exaltait ». L’écrivain parle ainsi pour prouver qu’ils ne paraissaient déjà plus méprisables comme auparavant, et qu’un pêcheur, un simple particulier avait produit cet effet en peu de temps, en un moment.
Ce genre de vie, cette liberté de parole, ces miracles et tout le reste avaient fait de la terre un paradis. On les admirait comme des anges, rien ne les émouvait, ni les railleries, ni les menaces, ni les dangers, et de plus ils étaient extrêmement humains et pleins de sollicitude : ils aidaient les uns de leurs richesses et guérissaient les autres de leurs maladies. « Pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur ? » Pierre, sur le point de punir, s’en justifie et instruit les autres. Car, comme le fait devait paraître très-dur, il exerce envers Ananie et sa femme un jugement terrible. S’il ne les eût pas frappés tous les deux d’un tel châtiment pour une faute impardonnable, quel mépris de Dieu n’en serait pas résulté ! Ce qui prouve que c’était là la raison, c’est qu’il ne les punit pas avant d’avoir démontré la faute. Aussi personne ne gémit, personne ne poussa un cri ; mais tous furent saisis de frayeur. Et non sans raison : car leur foi augmentait, les signes se multipliaient, une grande crainte se répandit parmi les leurs, parce que les choses du dehors nous troublent moins que celles du dedans. Si donc nous sommes unis les uns aux autres, personne ne nous fera la guerre ; mais si, au contraire, nous sommes divisés, tous nos ennemis tomberont sur nous. Voilà pourquoi ils étaient pleins de confiance, se jetaient librement sur la place publique au milieu des ennemis et triomphaient ; ainsi s’accomplissait cette parole : « Régnez au milieu de vos ennemis ». (Ps. 109,2) Et la preuve d’une plus grande vertu, c’est qu’ils opéraient de tels prodiges même en prison, même dans les fers. – Mais si un simple mensonge attirait un si grand châtiment, que sera-ce du parjure ? Bien plus, si une femme, pour avoir simplement dit « oui, tel prix », n’a pu échapper à une si terrible punition, quel supplice sera le vôtre, ô vous qui jurez et vous parjurez ?_ Il est à propos aujourd’hui de démontrer par l’Ancien Testament la gravité du parjure. « La faux volait, large de dix coudées ». (Zac. 5,2) Le vol désigne la rapidité avec laquelle la peine suit le parjure ; la largeur et la longueur de dix coudées indiquent la violence et l’étendue du châtiment ; le vol partant du ciel fait voir que la sentence sort du tribunal céleste ; la forme de faux montre que le supplice est inévitable. Car comme la faux qui tombe sur le cou ne se retire pas d’elle-même, mais reste même quand la tête est abattue ainsi la vengeance qui atteint ceux qui jurent est terrible et ne s’arrête que quand sa tâche est accomplie. Et ne nous rassurons pas si nous échappons au châtiment, bien que nous ayons juré ; car ce délai tourne à notre détriment. À quoi pensez-vous ? Que depuis Ananie et Sapphire, beaucoup ont commis la même faute et n’ont point subi la même peine ? Et vous demandez pourquoi ? Ce n’est pas qu’on leur ait fait grâce, mais ils sont réservés à un plus grand supplice.
4. Ainsi ceux qui pèchent souvent doivent plus craindre quand ils ne sont pas punis que quand ils le sont ; car le délai de la punition et la longanimité de Dieu ne font qu’aggraver leur supplice. Ce n’est donc pas à éviter la punition, mais le péché, que nous devons tendre ; et si la punition ne suit pas le péché, nous n’en devons que trembler davantage. Dites-moi : si vous menaciez votre esclave sans le frapper, quand serait-il plus effrayé, plus disposé à vous abandonner et à fuir ? ne serait-ce pas sous le coup de vos menaces ? Aussi nous exhortons-nous mutuellement à ne pas toujours menacer un serviteur, de peur d’imprimer en son âme une crainte plus vive, d’y jeter un trouble plus grand que si nous le frappions ; du reste ici le mal n’est que passager, tandis que là il est éternel. Ne vous occupez donc pas de savoir si quelqu’un reçoit le coup de faux, mais s’il commet telle ou telle faute. Il se fait maintenant bien des choses qui se faisaient au temps du déluge, et le déluge n’arrive plus ; mais on est menacé de l’enfer et de ses supplices. Beaucoup commettent les crimes qu’on commettait à Sodome, et la pluie de feu ne tombe pas, parce que le fleuve de feu est prêt. Beaucoup ont osé ce qu’osa Pharaon, et ils n’ont point subi le sort de Pharaon, ils n’ont point été submergés dans la mer Rouge : mais l’abîme les attend là où la souffrance n’éteint pas le sentiment, là où il n’est pas donné de mourir, mais où l’on est consumé par d’éternelles tortures, par des chaudières brûlantes et les angoisses de la suffocation. Beaucoup osent encore ce qu’ont osé les Israélites, et les serpents ne les ont pas dévorés ; mais le ver qui ne meurt pas les attend. Beaucoup ont osé ce qu’a osé Giézi, et ne sont pas devenus lépreux ; mais, au lieu de la lèpre, ils seront un jour déchirés et rangés parmi les hypocrites. Beaucoup ont juré et se sont parjurés ; s’ils ont jusqu’ici échappé au châtiment, ne nous rassurons pas pour cela : le grincement de dents les attend. Et peut-être seront-ils punis et n’échapperont-ils pas même ici-bas, quoique plus tard, en commettant d’autres péchés qui aggraveront leur supplice ; car souvent des fautes moindres nous conduisent à de plus grandes pour lesquelles il faut tout acquitter. Ainsi quand quelque malheur vous arrive, souvenez-vous que vous avez commis ce péché. C’est ce qui arriva aux fils de. Jacob. Rappelez-vous les frères de Joseph ; ils avaient vendu leur frère, ils avaient essayé de le tuer, ils l’avaient même tué autant qu’il était en eux ; ils avaient trompé, affligé leur vieux père, et rien de fâcheux ne leur était arrivé. Mais après bien des années, ils coururent les plus grands périls, et ils se souvinrent alors de leur péché. Et pour preuve que ce n’est point ici une simple conjecture, écoutons ce qu’ils disent : « Oui, « nous sommes coupables envers notre frère n. (Gen. 42,21) De même quand il vous arrivera quelque chose, dites : Oui, nous sommes coupables, parce que nous n’avons pas écouté le Christ, parce que nous avons juré ; mes serments et mes parjures sont retombés sur ma tête. Faites donc votre confession ; ils firent la leur et ils furent sauvés. Eh ! quoi ? parce que le châtiment ne suit pas immédiatement la faute, vous pécheriez plus hardiment ? Mais Achab ne subit pas son sort aussitôt après le meurtre de Naboth. Et pourquoi cela ? Dieu vous donne un certain temps pour vous laver dans les eaux de la pénitence ; si vous persévérez, il amène enfin le châtiment. Vous voyez comme les menteurs ont été punis ; songez a ce que souffriront les parjures, songez-y et abstenez-vous. Bon gré mal gré, il faut que celui qui jure se parjure, et celui qui se parjure ne peut être sauvé. Un seul parjure peut tout perdre et attirer le châtiment tout entier. Ainsi donc, je vous en conjure, veillons sur nous, afin qu’évitant la punition attachée à cette faute, nous soyons jugés dignes de la miséricorde de Dieu, par la grâce et la compassion du Fils unique en qui appartiennent, au Père, et en même temps au Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII. modifier


LE PRINCE DES PRÊTRES SE LEVANT, LUI ET TOUS CEUX QUI ÉTAIENT DE SON PARTI ILS APPARTENAIENT A LA SECTE DES SADDUCÉENS FURENT REMPLIS DE COLÈRE, ET ILS MIRENT LA MAIN SUR LES APÔTRES ET LES JETÈRENT DANS UNE PRISON PUBLIQUE. VERS. 17, 18, JUSQU’AU VERS. 33)

ANALYSE. modifier

  • 1. Jetés en prison, les apôtres en sont miraculeusement tirés par un ange.
  • 2. Fermeté des apôtres, belle réponse qu’ils font à ceux qui les interrogent.
  • 3. Les apôtres persécutés, plus heureux que ceux qui les persécutent. – Il n’y a pas de jouissance comparable à celle de souffrir pour le Christ.
  • 4. Que le pauvre jouit de plus de sécurité que le riche et est plus apte à accomplir les commandements de Dieu, par exemple celui qui défend de jurer.


1. Rien de plus impudent ni de plus audacieux que la malice. Connaissant, par expérience, le courage des apôtres d’après leurs premières tentatives, ils en forment cependant de nouvelles et se lèvent encore une fois. Qu’est-ce que ceci : « Le prince des prêtres se levant, lui et tous ceux qui étaient de son parti ? » Cela veut dire qu’il, s’éveilla, tout ému de ce qui s’était passé. « Et ils mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans une prison publique ». Maintenant l’attaque est plus violente. Ils ne les jugèrent pas immédiatement, espérant qu’ils s’adouciraient. Et, comment voyons-nous que l’attaque est plus violente ? Parce qu’ils les mettent dans une prison publique. Voilà les apôtres exposés de nouveau aux dangers et éprouvant aussi de nouveau le secours de Dieu. Comment ? Écoutez la suite : « Mais un ange du Seigneur ouvrit pendant la nuit les portes de la prison et les faisant sortir, leur dit : Allez, et vous tenant dans le temple, annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie ». Ceci s’est fait pour leur consolation, comme aussi pour leur avantage et leur instruction. Et voyez se renouveler ici ce qui s’est passé du temps du Christ. Il ne les rend pas témoins des miracles qu’il opère, mais il les dispose pour leur instruction ; ainsi il ne leur a pas permis de voir la manière dont il ressuscitait, car ils n’en étaient pas dignes ; mais il leur démontre par ses œuvres qu’il est ressuscité. De même, quand il changea l’eau en vin, les convives ne s’en aperçurent pas, puisqu’ils étaient ivres ; ce fut à d’autres qu’il laissa le soin d’en juger. Il en est de même ici. On ne vit point sortir les apôtres, mais on eut des preuves pour constater leur évasion miraculeuse. Pourquoi les fait-il sortir pendant la nuit ? Parce que c’était le meilleur moyen de faire croire à leur témoignage ; parce qu’autrement on ne serait pas venu pour les interroger ou qu’on ne les aurait pas crus. Il en arriva de même autrefois : par exemple dans le temps de Nabuchodonosor : il vit les enfants louer Dieu au milieu de la fournaise et fut frappé de stupeur. Il aurait d’abord fallu demander aux apôtres Comment êtes-vous sortis ?
Mais, comme si rien ne se fût passé, on leur dit : « Ne vous avions-nous pas absolument défendu de parler ? » Et voyez comme ils ont tout appris par d’autres. Ils voient la prison fermée et les gardes debout de tant les portes. « Les apôtres ayant entendu ces paroles entrèrent dans le temple au point du jour, et là ils enseignaient. Mais le prince des prêtres arrivant et ceux de son parti avec lui, ils assemblèrent le conseil et tous les anciens des enfants d’Israël ; et ils envoyèrent à la prison pour qu’on amenât les apôtres. Quand les officiers furent arrivés, on ouvrit la prison, et ne les ayant pas trouvés, ils retournèrent en porter la nouvelle et dirent : Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée et les gardes debout devant les portes ; mais ayant ouvert, nous n’avons trouvé personne dedans ». Il y avait ici, comme pour le sépulcre, une double garantie le sceau et les gardes. Voyez à quel point ils sont ennemis de Dieu ! Dites-moi : étaient-ce des faits humains, tout ce qui se passait ? Qui les avait tirés de la prison fermée ? Comment étaient-ils sortis, quand les gardes étaient debout devant les portes ? C’est vraiment là le langage de gens furieux et ivres. Comme des enfants privés de raison, ils espèrent vaincre des hommes qu’une prison, que des chaînes, que des portes fermées n’ont pu retenir ! Cependant leurs ministres sont là, qui confessent le fait, comme pour leur ôter toute excuse. Voyez-vous comme les signes se multiplient, les uns par eux, les autres pour eux : ceux-ci plus éclatants que les premiers ?
C’est avec raison que la nouvelle n’a pas été portée immédiatement, mais qu’il y a d’abord eu embarras, afin que, témoins de la puissance divine, ils soient ainsi instruits de tout. « Lorsqu’ils eurent entendu ces discours[3], le prince des prêtres, le magistrat du temple et les princes des prêtres étaient embarrassés et ne savaient que faire. Mais quelqu’un arriva et leur dit : Voilà que ceux que vous avez mis en prison sont dans le temple debout et enseignant le peuple. Alors le magistrat s’en allant avec les ministres, les amena sans violence, car ils craignaient d’être lapidés par le peuple ». O folie ! Ils craignaient le peuple, dit-on ; à quoi cela leur servait-il ? C’était Dieu qu’il fallait craindre, Dieu qui les enlevait toujours de leurs mains comme des oiseaux ; et ils craignaient le peuple ! « Le prince des prêtres les interrogea en disant : « Ne vous avions-nous pas absolument défendu d’enseigner en ce nom-là ? Et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et que vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ». Que répondent les apôtres ? Ils leur parlent encore avec douceur, bien qu’ils pussent leur dire : Qui êtes-vous pour vous mettre en opposition avec Dieu ? Que répondent-ils enfin ? Ils répondent en donnant encore avec douceur des exhortations et des conseils. « Pierre répond, et avec lui les apôtres : Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes ». C’est là une grande philosophie par laquelle ils prouvent qu’ils combattent pour Dieu. « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous-mêmes avez fait mourir en le suspendant à un bois. Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ». Celui que vous avez fait mourir, leur dit-il, Dieu l’a ressuscité. Voyez comme il attribue encore tout au Père, de peur que le Christ, ne parût étranger au Père. « Et l’a exalté de sa droite ». Il n’indique pas seulement la résurrection, mais encore l’exaltation, c’est-à-dire l’ascension. « Pour procurer la pénitence à Israël ».
2. Voyez encore une fois le profit et l’enseignement parfait sous forme d’apologie. « Et nous sommes les témoins de ces choses ». Voilà une grande liberté de langage. Pour confirmer ce qu’il avance, il ajoute : « Et aussi l’Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent ». Vous voyez qu’ils ne s’appuient pas seulement sur leur propre témoignage, mais encore sur celui de l’Esprit. Et ils ne disent pas : « Qu’il nous a donné », mais : « À ceux qui lui obéissent » ; usant en cela de modestie, faisant voir en même temps que cet Esprit est grand et qu’eux-mêmes peuvent le recevoir. Voyez comme ils sont instruits par paroles et par actions, et n’y font pas attention, en sorte que leur condamnation sera juste. Car Dieu a permis que les apôtres fussent traduits en jugement, afin que leurs ennemis fussent instruits, s’ils voulaient l’être, et pour qu’ils prissent eux-mêmes confiance. « Ayant entendu ces choses, ils frémissaient de rage et pensaient à les faire mourir ». Voyez l’excès de la malice ! Au lieu de s’effrayer de ce qu’ils avaient entendu, ils frémissent de rage et songent à les faire mourir. Mais il est nécessaire de reprendre ce qui a été lu plus haut. « Un ange du Seigneur ouvrant les portes de la prison pendant la nuit, les fit sortir en disant : Allez, tenez-vous dans le temple, et annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie. Les fit sortir » ; il ne les emmène pas lui-même, mais il les renvoie ; ce qui montre l’intrépidité dont ils ont fait preuve eu entrant la nuit dans le temple pour enseigner. Si les gardes les avaient fait sortir, comme leurs ennemis le pensaient, ils se seraient enfuis, à supposer qu’ils se fussent laissé séduire ; bien plus, dans le cas même où les magistrats leur auraient donné la liberté, ils ne se seraient pas arrêtés dans le temple, mais ils auraient pris la fuite ; il n’y a personne qui ne sente cela à moins d’être fou.
« Ne vous avions-nous pas absolument défendu ? » S’ils vous ont jamais obéi, votre reproche est fondé ; mais s’ils vous ont dit qu’ils ne vous obéiraient pas, vos reproches sont inutiles, vos défenses superflues. Voyez l’inconséquence désastreuse et l’excès de la démence ! Ils veulent enfin révéler l’intention homicide des Juifs, et faire voir qu’ils n’agissent point par amour pour la vérité, mais par vengeance. Voilà pourquoi les apôtres ne leur répondent pas avec hauteur, car ils étaient docteurs ; et pourtant quel homme, après avoir remué toute la ville, et étant favorisé de telle grâce, n’aurait pas pris un ton élevé ? Autre fut la conduite des apôtres : ils ne se fâchèrent point, mais ils les prirent en pitié, versèrent des larmes et ne songèrent qu’aux moyens de les délivrer de l’erreur et de la colère. Ils ne leur disent plus : « Jugez vous-mêmes », mais ils prêchent avec fermeté : « Celui que Dieu a ressuscité » ; montrant par là que tout ceci se passe selon la volonté de Dieu. Ils ne disent pas : Ne vous avons-nous pas dit que « nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu », car ils ne sont point querelleurs ; mais ils reviennent sur les mêmes sujets, à savoir : la croix et la résurrection. Ils ne disent pas pourquoi le Christ a été crucifié, ni qu’il l’a été pour nous ; mais ils y font allusion et ne parlent pas clairement, parce qu’ils veulent d’abord les épouvanter. Dites-moi : quelle rhétorique y a-t-il là-dedans ? Aucune. Ils annoncent sans apprêt l’Évangile de vie. Après avoir dit : « L’a exalté », il ajoute pourquoi : « Pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ».
Mais, direz-vous, cela paraissait alors incroyable. Eh ! comment cela n’eût-il pas été croyable, quand ni les chefs, ni la foule n’y pouvaient contredire ? quand on fermait la bouche aux uns et qu’on instruisait les autres ? « Et nous sommes les témoins de ces choses ». De quelles choses ? De l’annonce du pardon, de la pénitence ; car la résurrection était un fait établi. Que le Christ donne la rémission, nous en sommes témoins et aussi l’Esprit-Saint, qui ne serait pas venu si les péchés n’avaient pas été remis ; en sorte que cette preuve est incontestable. Tu entends, malheureux, parler de la rémission des péchés, tu entends dire que le Christ ne demande pas vengeance, et tu veux donner la mort ? Quel excès de malice ! Il fallait donc ou convaincre les apôtres de mensonge, ou, si on ne le pouvait, ajouter foi à leur parole ; que si on ne voulait pas ajouter foi à leur parole, il ne fallait pas les faire mourir. Qu’y a-t-il là-dedans qui mérite la mort ? Mais dans leur fureur ils ne savaient pas même ce qui s’était passé. Voyez comme les apôtres, après avoir rappelé le crime, parlent de pardon ; montrant par là que si le crime était digne de mort, la rémission était offerte au repentir. Comment les aurait-on persuadés autrement qu’en leur disant qu’ils feraient bien d’en profiter ? Et voyez la méchanceté ! On leur amène des sadducéens, qui étaient les plus opposés au dogme de la résurrection. Mais leur malice ne leur servit à rien. – On dira peut-être. Comment un homme aussi favorisé que les apôtres ne serait-il pas devenu grand ? Mais voyez comme, avant de recevoir la grâce, ils persévéraient tous dans l’oraison, et attendaient le secours d’en haut. Et vous, mon cher auditeur, qui espérez le royaume du ciel, vous ne supportez rien ? Vous avez reçu l’Esprit, et vous n’endurez ni de telles souffrances, ni de tels périls ? Et eux, avant d’avoir pu respirer à la suite des premières épreuves, étaient conduits à de nouvelles. Et quel avantage de ne point s’enorgueillir, d’être exempt de vaine gloire ? Quel profit de parler avec douceur ? Ici tout n’était pas l’effet de la grâce ; leur bonne volonté se manifeste par bien des preuves ; et si les dons de la grâce étaient chez eux si éclatants, il faut l’attribuer à leur fidélité et à l’ardeur de leur zèle.
3. Et voyez dès l’abord quelle est la sollicitude de Pierre, sa sobriété, sa vigilance ; comment les fidèles se dépouillaient de leurs biens. Ils n’avaient rien en propre, ils s’adonnaient à la prière, ils vivaient dans la concorde, ils jeûnaient. Quels fruits de grâce ! Aussi, leurs ennemis sont-ils confondus par leurs propres ministres, lesquels reviennent annoncer ce qu’ils ont vu, comme ceux qu’on envoya un jour vers le Christ, disaient : « Jamais homme n’a parlé comme parle cet homme ». (Jn. 7,46) Considérez ici avec moi leur mansuétude, leur condescendance, et aussi l’hypocrisie du prince des prêtres. Il leur parle en effet avec douceur, parce qu’il a peur, et qu’il veut plutôt les empêcher d’agir que les faire mourir, vu que ceci lui était, impossible. Et pour émouvoir la foule, et suspendre sur sa tête la menace des derniers périls, il leur dit : « Voulez-vous faire retomber sur nous le sang de cet homme ? » – Le crois-tu donc un homme encore ? – Il s’exprime ainsi pour leur faire voir que l’ordre qu’il donne est dicté par la nécessité. Écoutez la réponse de Pierre : « Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ». Il ne parle pas ici des nations, pour ne donner aucune prise.
« Et ils songeaient à les faire mourir ». Voyez encore une fois comme les uns sont dans l’angoisse et la douleur, et les autres dans le calme, l’allégresse et la joie ; et ce n’est pas chez ceux-là une simple douleur, mais « un frémissement de rage ». Il est donc vrai de dire : Mal faire, c’est souffrir ; on le voit bien ici. Les apôtres sont dans les chaînes, sont traduits devant le tribunal, et leurs juges sont dans l’incertitude, dans un extrême embarras. Les voilà comme l’homme qui frappe le métal le plus dur, et reçoit lui-même le coup. Ils voyaient que la confiance des apôtres n’avait point diminué, que leur prédication augmentait, qu’ils parlaient sans crainte et ne fournissaient aucun prétexte contre eux. Imitons-les, chers auditeurs, et soyons intrépides dans tous les périls. Il n’y a pas de périls pour celui qui craint Dieu, mais pour celui qui ne le craint pas. Comment celui que la vertu élève au-dessus des souffrantes, qui considère le présent comme une ombre fugitive, pourrait-il éprouver quelque mal ? Que craindrait-il ? Qu’est-ce qui pourra être un mal pour lui ? Cherchons donc un asile sur ce roc inébranlable. Quand on nous construirait une ville entourée de murailles : mieux encore, quand on nous transporterait dans une terre où nous serions à l’abri de tout trouble et au sein de l’abondance, en sorte que nous n’eussions rien à démêler avec personne, notre sécurité serait moins grande que celle où nous met le Christ. Supposez, si vous le voulez, une ville d’airain, entourée d’un mur inexpugnable ; il n’y a point d’ennemis, la terre est grasse et fertile, tout s’y trouve en abondance ; les citoyens y sont doux et bienveillants, il n’y a pas un seul méchant, ni voleur, ni brigand, ni calomniateur, ni tribunal ; la parole y suffit pour les contrats ; supposons, dis-je, que nous habitions cette ville : eh bien ! nous n’y serions pas encore en sécurité. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait se quereller avec des serviteurs, avec une femme, avec des enfants, ce qui serait la source d’un immense chagrin. Mais là, rien de pareil, rien qui puisse causer de la douleur ou de la tristesse.
Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que tout ce qui nous semble un sujet de chagrin était pour eux une source de joie et de bonheur. En effet, pourquoi se seraient-ils attristés ? De quoi se seraient-ils plaints ? Voulez-vous une comparaison ? D’un côté, c’est un homme consulaire, opulent, qui habite la ville impériale, qui n’a d’affaires avec personne, qui n’a d’autre occupation que de vivre dans les délices, qui se voit placé au faîte des richesses, des honneurs et de la puissance ; de l’autre côté, plaçons Pierre, si vous le voulez, Pierre enchaîné, accablé de maux sans nombre ; et nous le trouverons plus heureux. Songez quelle est l’abondance de sa joie, puisqu’il jouit même dans les fers. Car, comme ceux qui possèdent une magistrature élevée sont insensibles au mal qui leur arrive et n’en sont pas troublés dans leur satisfaction ; ainsi les apôtres, au sein de leurs maux, éprouvaient plutôt de la joie que de la tristesse. Car il n’est pas possible, non, il n’est pas possible d’expliquer le plaisir que ressentent ceux qui souffrent quelque chose de pénible pour le Christ ; ils jouissent beaucoup plus des maux que des biens. Si quelqu’un aime le Christ, il sait ce que je dis. Quoi ! devaient-ils fuir ces maux pour trouver la sécurité ? Mais s’il s’agissait d’un simple changement de gouvernement, quel est l’opulent qui eût pu échapper à tant de périls, en vivant au milieu de tant de peuples ? Eux pourtant, comme aidés par un ordre royal, sont venus à bout de tout, et même bien plus facilement. Car un ordre royal n’aurait pas fait ce qu’ont fait leurs paroles ; un ordre royal impose la nécessité, et on venait à eux spontanément, volontiers, et avec de vives actions de grâce. Quel ordre souverain aurait pu déterminer à renoncer aux richesses, à la vie ; à mépriser sa maison, sa patrie, ses proches, son salut même ? Et voilà ce qu’a pu la voix de pêcheurs et de fabricants de tentes. En sorte qu’ils étaient heureux, plus puissants et plus forts que tous. Oui, dirait-on, parce qu’ils faisaient des prodiges. Mais, dites-moi, quels prodiges faisaient les fidèles, les trois mille, les cinq mille, qui pourtant vivaient dans une grande allégresse ? Et cela devait être. Avec la possession des richesses, la cause de tous les chagrins avait été supprimée. Là, là, en effet, était la source des guerres, des disputes, de la tristesse, du découragement, de tous les maux ; la source de ce qui rend la vie désagréable et pénible. Car vous trouverez plus d’affligés chez les riches que chez les pauvres. Si quelques-uns pensent le contraire, ils jugent d’après leur opinion, et non d’après la nature des choses. Rien d’étonnant, du reste, à ce que les riches éprouvent quelque jouissance ; les galeux en éprouvent lien une grande. Et la preuve qu’il n’y a pas (le différence, entre les galeux et l’âme des riches, c’est que ceux-ci, quoique accablés de soucis, s’y attachent pourtant à cause d’un plaisir passager ; tandis que ceux qui en sont débarrassés se portent bien et sont exempts de chagrin.
4. Lequel est le plus doux, dites-moi, lequel est le plus sûr, de n’avoir à songer qu’à un morceau de pain, qu’à un vêtement, ou de s’occuper de mille personnes esclaves ou libres, tout en se négligeant soi-même ? Celui-là ne craint que pour lui, et – vous, vous êtes inquiets pour tous ceux qui dépendent de – vous. Et pourquoi, direz-vous, croit-on devoir fuir la pauvreté ? Parce qu’il y a d’autres biens que beaucoup ont, en aversion, non parce qu’il faut les fuir, mais parce qu’ils sont d’une pratique difficile ; la pauvreté est de ce nombre. Celui qui peut la supporter ne la juge las digne d’aversion. Pourquoi les apôtres ne la repoussaient-ils point ? Pourquoi beaucoup l’embrassent-ils et courent-ils à elle, loin de l’avoir en horreur ? Car il n’y a que les fous qui puissent désirer ce qui est odieux.
Quand des philosophes, quand des hommes sublimes vont à elle comme à une place de sûreté, comme à un lieu salubre, il ne faut pas s’étonner que d’autres pensent différemment. Le riche ne nie semble pas être autre chose qu’une ville sans murailles, située en plaine, et s’attirant de tous côtés des ennemis, tandis que la pauvreté est une place sûre, entourée de murs d’airain et d’un accès difficile. C’est le contraire qui a lieu, direz-vous ? Ce sont les pauvres qui sont souvent traînés devant les tribunaux, ce sont eux qu’on injurie et qu’on malmène. Alors ceux-là ne sont pas simplement des pauvres, mais des pauvres qui veulent s’enrichir. Je ne parle pas d’eux, mais de ceux qui embrassent volontairement la pauvreté. De grâce, pourquoi personne ne traduit-il devant les tribunaux les pauvres qui vivent dans les montagnes ? Cependant, si la pauvreté prête facilement à l’oppression, ce sont ceux-là qu’on devrait le plus tôt traduire devant les tribunaux. Pourquoi n’y traîne-t-on pas les mendiants ? Pourquoi personne ne leur fait-il violence, ne les calomnie-t-il ? N’est-ce pas parce qu’ils sont en un lieu de sûreté ? À combien de gens la pauvreté et la mendicité ne paraissent-elles pas le comble du malheur ? Quoi ! direz-vous, la mendicité est-elle une bonne chose ? Oui, s’il y a quelqu’un pour la consoler, pour en avoir pitié, pour lui donner l’aumône ; chacun sait que c’est une existence dégagée de soucis et pleine de sécurité. Je ne vous y exhorte pas, tant s’en faut, mais je vous engage à ne pas désirer les richesses. Lesquels, s’il vous plaît, vous semblent les plus heureux, de ceux qui pratiquent la vertu, ou de ceux qui s’en tiennent éloignés ? Les premiers, sans doute. Et lesquels sont les plus aptes à apprendre des choses utiles et à briller dans la sagesse ? Les premiers encore. Si vous en doutez, écoutez la preuve : Qu’on amène un mendiant de la place publique, qu’on le suppose estropié, boiteux, manchot ; qu’on amène ensuite un autre homme, beau, robuste de corps, plein de vie, opulent, de naissance illustre et très-puissant. Conduisons-les tous les deux à l’école de la philosophie, et voyons celui qui accueillera le mieux ses leçons. Commençons par, le premier précepte : Soyez humble et modeste ; c’est là l’ordre du Christ : Lequel des deux l’accomplira le mieux ? « Heureux ceux qui pleurent ! » lequel écoutera le mieux cette parole ? « Heureux les humbles ! » Lequel sera le plus attentif ? « Heureux ceux qui ont le cœur pur ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! » (Mt. 5,5-10). Lequel accueillera le mieux ces enseignements ? Ou, si vous le voulez, rapprochons-les l’un de l’autre : N’est-il pas vrai que l’un est orgueilleux et enflé, et l’autre toujours humble et modeste ? Évidemment, cette pensée a cours, même chez les païens : Epictète, esclave, estropié, pauvre comme Irus, et ami des immortels ; voilà le pauvre. L’âme du riche, au contraire, est remplie de tous les maux, de folie, de vaine gloire, de mille passions ; de colère, de fureur, d’avarice, d’injustice, de tous les vices. Il est donc clair que le premier est plus disposé que le second à la philosophie. Vous voulez savoir laquelle des deux conditions est la plus douce, car c’est là, je le vois, ce qui préoccupe beaucoup de gens. Et encore ici il n’y a pas place au doute, car celui qui est le plus près de la santé jouit d’un grand bonheur. Répondez-moi donc : Lequel, du riche ou du pauvre, est le plus disposé à observer cette lui que nous voulons rétablir ? Lequel jure le plus facilement, de celui qui s’irrite, contre ses enfants, et qui a des affaires avec mille personnes, ou de celui qui demande un morceau de pain ou un vêtement ? Celui-ci n’a aucun besoin de jurer, s’il le veut, mais passe sa vie sans rien faire. Bien plus, celui qui n’a point appris à jurer, dédaignera souvent les richesses, et verra que la pauvreté fraie de tout côté le chemin à la vertu, mène à l’équité, au mépris de la fortune, à la piété, au repos de l’âme, à la componction.
Ne nous négligeons pas, chers auditeurs, mais déployons un grand zèle : ceux qui sont corrigés, pour se maintenir en cet état, ne pas se relâcher, ne pas reculer en arrière ; ceux qui sont encore en retard, pour se relever et achever celui est commencé. En attendant que les premiers tendent la main aux seconds, comme on le fait à des naufragés afin de les amener au port, c’est-à-dire au point de ne plus jurer. Car ne pas jurer est un port réellement sûr, un port où l’on ne peut plus être submergé par la violence des vents. La colère, l’injustice, la fureur ou toute autre passion, ont beau s’agiter : l’âme est en sûreté et ne laisse plus tomber une parole déplacée, car elle ne s’est imposée aucune nécessité, aucune loi. Voyez ce qu’Hérode a fait pour remplir un serment ! il a tranché la tête du précurseur : « A cause de son serment et à cause des convives il ne voulut point la contrarier ». (Mc. 6,26) Que n’ont pas souffert les tribus, à raison du serment qu’elles avaient fait contre celle de Benjamin ? (Jdt. 21,10) Que n’a pas coûté, à Saül son serment ? Il est vrai qu’il s’est parjuré ; mais Hérode a commis un meurtre qui est encore pire qu’un parjure. Vous savez aussi ce qui est résulté du serment de Josué aux Gabaonites. Le serment est un filet du démon. Brisons donc le lien et nous pourrons facilement nous tenir en garde. Dégageons-nous du filet de Satan ; craignons l’ordre de Dieu ; prenons les meilleures habitudes, afin d’avancer, d’observer ce commandement et tous les autres, et d’obtenir les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui est, au Père, en union avec le Saint-Esprit, gloire, force, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV. modifier


ALORS UN PHARISIEN, NOMMÉ GAMALIEL, DOCTEUR DE LA LOI, HONORÉ DE TOUT LE PEUPLE, SE LEVA DANS LE CONSEIL, ET ORDONNA DE LES FAIRE SORTIR UN INSTANT. VERS. 34, JUSQU’AU VERS. 7 DU CHAP. VI)

ANALYSE. modifier

  • 1. Le pharisien Gamaliel, le maître de saint Paul, émet l’avis de renvoyer les apôtres, et d’abandonner leur entreprise à elle-même.
  • 2. Institution des diacres.
  • 3. Quand les prêtres et les diacres ont commencé dans l’Église.
  • 4. Exhortation morale sur le mépris des injures.


1. Ce Gamaliel était le maître de Paul. Il est surprenant qu’étant judicieux et instruit dans la loi, il ne crût pas encore. Il n’était absolument pas possible qu’il restât incrédule ; ses paroles, son conseil le prouvent : « Il ordonna de les faire sortir un instant ». Voyez la prudence de l’orateur et comme il frappe d’abord d’épouvante ses auditeurs. Mais, pour ne pas être soupçonné de penser comme les apôtres, il s’adresse aux membres du conseil, comme s’ils étaient de son avis ; son langage n’est pas violent, il semble traiter avec des hommes ivres de fureur, et dit : « Hommes d’Israël, prenez garde à ce que vous ferez à l’égard de ces hommes, c’est-à-dire, n’y allez pas au hasard et à la légère. Car avant ces jours-ci a paru Théodas se disant être quelqu’un, et auquel s’attacha un nombre d’environ quatre cents hommes ; il a été tué, et tous ceux qui croyaient en lui ont été dispersés et réduits à rien ». C’est par des exemples qu’il cherche à les rendre sages, et, pour les consoler, il cite Théodas, qui avait séduit un grand nombre de partisans. Mais avant de rapporter des exemples, il leur dit : « Prenez garde à vous » ; et après les avoir rapportés, il exprime son avis en disant : « Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes. Après Théodas, se leva Judas le Galiléen, dans le temps du recensement ; il attira à sa suite une foule nombreuse ; il périt à son tour et tous ceux qui s’étaient attachés à lui furent dispersés. Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes et laissez-les. Si leur entreprise ou cette œuvre est des hommes, elle tombera d’elle-même ; niais si elle est de Dieu, vous ne pouvez la détruire ». Comme s’il disait : Attendez : s’ils se sont réunis d’eux-mêmes, rien ne les empêchera de se séparer : « Et peut-être vous vous trouveriez combattre contre Dieu ». L’impossibilité du succès, l’inutilité de leurs efforts, c’est ce qu’il objecte pour les détourner. Il ne dit point par qui les rebelles ont été tués, ruais seulement qu’ils ont été dispersés, croyant sans doute superflu d’en dire davantage. Mais, par ce qu’il ajoute, il leur fait comprendre que si l’œuvre est de l’homme, il n’y a pas à s’en inquiéter ; tandis que si elle est de Dieu, tous leurs efforts ne viendront pas à bout de la détruire. Et ce discours parut si sensé, qu’ils se déterminèrent à ne point faire mourir les apôtres, mais à les flageller. « Ils se rangèrent à son avis, et ayant rappelé les apôtres, ils les firent battre de verges et leur défendirent de parler au nom de Jésus, après quoi ils les renvoyèrent ». Voyez après quels prodiges on les flagelle. Et cependant la doctrine s’étendait de plus en plus, car ils enseignaient chez eux et dans le temple.
« Et eux sortaient du conseil pleins de joie de ce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ ; et tous les jours ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Or en ces jours, comme le nombre des disciples augmentait, il s’éleva a chez les Grecs un murmure contre les Hébreux, parce que les veuves de ceux-là étaient dédaignées dans le service quotidien ». Il ne veut pas précisément parler de ce temps même, mais il suit l’usage de l’Écriture de donner comme présent ce qui doit arriver dans la suite. Je pense que par grecs il entend ceux qui parlaient cette langue, bien qu’ils fussent hébreux. C’est donc une nouvelle tentation, et si vous y faites attention, vous verrez que dès le début il y a eu des guerres au dedans comme au-dehors. « Mais les douze ayant convoqué la foule des disciples, dirent : Il n’est pas convenable que nous abandonnions la prédication pour vaquer au service des tables ». Très-bien : il faut en effet préférer le plus nécessaire au moins nécessaire. Mais voyez comme ils pourvoient à ce service, sans négliger la prédication. On choisit les plus respectables : « Frères, cherchez donc parmi vous sept hommes de bon témoignage, remplis de l’Esprit et de sagesse, à qui nous confierons ce service. Quant à nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. La proposition fut agréée de toute la multitude ; et ils choisirent Étienne, homme rempli de foi et du Saint-Esprit ». Ainsi ceux que l’on choisit sont remplis de foi, afin d’éviter ce qui est arrivé à l’occasion de Judas, d’Ananie et de Sapphire. « Et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon, et Parmena, et Nicolas, a prosélyte d’Antioche, qu’ils présentèrent aux apôtres ; et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains. Et la parole du Seigneur s’étendait, et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem ; beaucoup de a prêtres même obéissaient à la foi ». Mais revenons à ce qui a été dit plus haut : « Hommes, prenez garde à vous ! » Voyez comme Gamaliel leur parle avec douceur et en peu de mots ; il ne leur rappelle point d’anciennes histoires, bien qu’il le pût, mais des faits récents plus propres à confirmer ce qu’il avance. Aussi s’enveloppe-t-il d’une espèce d’énigme : « Avant ces jours-ci » ; comme pour dire : Il y a peu de temps. S’il eût dit tout d’abord Renvoyez ces hommes, il eût éveillé des soupçons, et sa parole n’aurait pas eu autant de force, mais les exemples qu’il cite lui en donnent une particulière. C’est pourquoi il ne se contente pas d’un seul exemple, mais en cite un second. Il aurait pu en produire un troisième, et prouver ainsi surabondamment qu’il avait raison, en les détournant de leur projet homicide : « Ne vous occupez pas de ces hommes ».
2. Considérez aussi sa mansuétude. Il ne parle pas longuement, mais brièvement, et mentionne les rebelles sans colère : « Et tous ceux qui s’étaient attachés à lui furent dispersés ». En disant cela, il ne blasphème point le Christ, mais il atteint son but : « Si l’œuvre est des hommes, elle tombera d’elle-même ». Il me semble faire ici un raisonnement et leur dire : « Comme elle n’est pas tombée, elle n’est donc pas de l’homme. Et peut-être vous vous trouverez combattre contre Dieu ». Pour les réprimer, il leur montre l’impossible, l’inutile « Mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez ». Il ne dit pas : Si le Christ est Dieu, car l’œuvre même le prouvait ; il n’affirme point que l’œuvre soit humaine ni divine, mais il laisse au temps le soin de décider et de convaincre. Mais, dira-t-on, s’il a persuadé les juges, pourquoi ont-ils ordonné la flagellation ? Ils n’avaient, il est vrai, rien à objecter à ce langage si juste ; néanmoins ils ont voulu satisfaire leur fureur, et d’ailleurs ils pensaient par là épouvanter les apôtres. En parlant en l’absence de ceux-ci, Gamaliel eut plus de facilité à gagner les juges ; la douceur de sa parole et ses raisonnements fondés sur la justice les persuadèrent. Il leur prêchait presque l’Évangile ; bien plus, son langage si juste semblait leur dire : vous êtes bien convaincus que vous ne pouvez détruire cette œuvre. Pourquoi n’avez-vous pas cru ? Cette prédication est si grande, qu’elle a le témoignage même de ses ennemis. La première fois il y avait quatre cents hommes, la seconde fois une grande multitude ; ici les premiers étaient douze. Ne vous épouvantez donc pas de la foule qui s’y joint : « Car si l’œuvre est des hommes, elle tombera d’elle-même ». Il aurait encore pu citer un autre fait qui s’était passé en Égypte ; mais la preuve eût été superflue. Voyez-vous comme il conclut son discours en imprimant la crainte ? Il ne se contente pas d’ouvrir simplement son avis, pour ne pas avoir l’air de défendre les apôtres ; mais il raisonne d’après les événements. Il n’a pas osé affirmer que l’œuvre ne vient pas des hommes, ni qu’elle ne vient pas de Dieu ; car s’il eût dit qu’elle venait de Dieu, on l’eût contredit ; s’il eût affirmé qu’elle venait de l’homme, ils eussent été disposés à la combattre. Voilà pourquoi il leur conseille d’attendre la fin, en disant : « Ne vous occupez pas ». Eux font entendre de nouvelles menaces, bien persuadés qu’ils ne pourront rien, mais ils suivent leurs propres inclinations. Car c’est là le caractère de la malice, de tenter souvent l’impossible : « Après celui-là, se leva Judas ». Ceux qui voudront plus de détails, n’ont qu’à lire Josèphe, qui raconte fidèlement l’histoire de ses personnages ; Voyez-vous quel courage il a eu à dire : « est de Dieu », quand la suite des événements a pu seule l’amener à la foi ? Il y a là en effet une grande hardiesse de langage, et point d’acception de personnes : « Ils se rangèrent à son avis, et ayant appelé les apôtres, ils les firent fouetter de verges et les renvoyèrent ». Ils respectèrent l’opinion de cet homme ; par conséquent ils renoncèrent au projet de faire mourir les apôtres, et se contentèrent de les faire fouetter et de les renvoyer : « Mais eux sortirent du conseil pleins de joie de ce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ ». Sur combien de prodiges ce prodige l’emporte ! Vous ne trouverez rien de semblable dans l’antiquité. Jérémie, il est vrai, fut flagellé pour la parole de Dieu ; Élie et d’autres encore furent menacés ; mais ici et par cela, comme par les signes miraculeux, ils manifestèrent la puissance de Dieu. On, ne dit pas qu’ils ne souffrirent point ; mais que la souffrance leur causa de la joie. Comment le voyons-nous ? Par la liberté dont ils usèrent ensuite ; même après la flagellation, ils se livrèrent à la prédication avec ardeur : « Ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Mais dans ces jours ». Quels jours ? Quand tout ceci se passait ; quand on flagellait, quand on menaçait, quand le nombre des disciples augmentait ; alors : « Un murmure s’éleva ». C’était peut-être à cause de la multitude, car il est difficile de maintenir l’ordre dans un si grand nombre : « Et beaucoup de prêtres obéissaient à la foi ». On insinue ici que beaucoup de ceux qui avaient comploté la mort du Christ, croyaient.
« Il s’éleva un murmure, parce que leurs veuves étaient dédaignées dans le service quotidien ». Il y avait donc un devoir quotidien à l’égard des veuves ; vous voyez qu’il appelle cela service, et non d’abord aumône ; c’est le moyen de relever ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Peut-être cela provenait-il de la négligence de la foule, et non de la malice ; il signale le mal (et il était grand), afin qu’il fût immédiatement guéri. Voyez-vous que, dès le début, il y a des maux, non seulement au-dehors, mais au dedans ? Ne songez pas seulement à la guérison du mal, mais à sa grandeur. « Mes frères, choisissez sept hommes parmi vous ». Ils n’agissent pas d’après leur propre volonté, mais ils s’excusent d’abord aux yeux de la foule. Ainsi faudrait-il encore agir maintenant : « Il n’est pas convenable que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables ». Il parle d’abord d’inconvenance, en faisant voir que les deux devoirs ne pouvaient se concilier ; comme quand il s’agissait d’élire Mathias, il parlait de nécessité, vu qu’un apôtre avait défailli et qu’ils devaient être douze. Ici aussi ils démontrent qu’il y a nécessité ; mais avant d’agir, ils avaient attendu que le murmure s’élevât ; toutefois, ils ne le laissèrent pas grandir.
3. Voyez encore : ils leur laissent le choix et préfèrent ceux qui plaisent à tout le monde et reçoivent de tous un bon témoignage. Quand il s’agissait de proposer Mathias : « Il faut », dirent-ils, « choisir un de ceux qui ont toujours été avec nous ». Ici, ils ne tiennent plus ce langage ; la question n’était pas la même. Aussi n’abandonnent-ils point le choix au sort, et quoiqu’ils pussent eux – mêmes choisir sous l’inspiration de l’Esprit, cependant ils s’en abstiennent ; ils préfèrent s’en rapporter au témoignage de la foule. Ils se réservent, il est vrai, de fixer le nombre, de régler l’élection, d’en déterminer le but : mais ils abandonnent à la multitude la désignation des sujets, pour ne pas paraître faire des faveurs, quoique Dieu eût permis à Moïse de choisir des vieillards de sa connaissance. Dans de tels offices il faut une grande sagesse. N’allez pas croire que, parce qu’ils ne sont pas chargés de prêcher, ils n’ont pas besoin de sagesse ; il leur en faut, et beaucoup. « Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole ». Au commencement comme à la fin, ils s’excusent. « Nous nous appliquerons ». Il le fallait ; ce n’était point assez d’y aller à la légère et comme au hasard ; l’application était nécessaire. « La proposition fut agréée de toute la multitude » : c’était le juste effet de leur sagesse, tous approuvèrent la proposition, parce qu’elle était raisonnable. « Et ils choisirent » (c’est le second choix qu’ils font) « Étienne, homme plein de foi et du Saint-Esprit, et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon, et Parména, et Nicolas, prosélyte d’Antioche, et les présentèrent aux apôtres. Et ceux-ci ayant prié, leur imposèrent les mains ». Ceci nous apprend que c’est la foule qui les a elle-même désignés et comme tirés de son sein, et non les apôtres. Voyez aussi comme l’écrivain est bref ; il ne dit point comment ils ont été ordonnés, mais simplement qu’ils l’ont été par la prière ; car c’était une ordination. Un homme impose la main ; mais c’est Dieu qui fait tout, c’est sa main qui touche la tête de l’ordonné, si l’ordination se fait comme il faut. « Et la parole de Dieu s’étendait, et le nombre des disciples augmentait ». Ceci n’est point dit sans raison, mais pour montrer la puissance de l’aumône et du bon ordre. Du reste, devant raconter ce qui regarde Étienne,]'écrivain en donne d’abord les motifs : « Et beaucoup de prêtres », dit-il, « obéissaient à la foi ». En voyant le chef et le docteur, parler ainsi, ils pouvaient encore juger par les œuvres. Ce qu’i][y a d’étonnant, c’est que le peuple ne se soit pas divisé dans l’élection et n’ait pas désapprouvé les apôtres.
Mais quelle dignité conféra-t-on aux élus ? Quelle ordination reçurent-ils ? C’est ce qu’il faut savoir. Était-ce celle de diacres ? Elle n’existait pas encore dais les églises ; toute l’administration, reposait sur les prêtres ; il n’y avait même pas encore d’évêques, excepté les apôtres. Ainsi, je ne vois pas que le nom de diacres ni de prêtres fût alors clairement connu et admis ; et pourtant, c’est dans ce but qu’ils furent ordonnés. On ne se contente pas de leur confier la fonction, ruais on prie pour qu’ils en aient le pouvoir. Et je vous demande si ces sept hommes en avaient besoin, au milieu d’une telle abondance d’argent, d’une telle multitude de veuves. Aussi ce ne sont pas de simples prières, triais de longues supplications ; c’était ici le moyen d’action comme dans la prédication ; car ils faisaient presque tout par la prière. Ainsi les apôtres préféraient les choses spirituelles, ainsi ils étaient envoyés en mission, ainsi eux-mêmes avaient reçu ordre de prêcher. L’auteur ne dit pas cela, ne les loue pas, mais se contente de dire qu’il n’était pas convenable d’abandonner la fonction qui leur était confiée. Moïse avait aussi réglé que ceux qu’il choisissait ne se chargeraient point de tout. C’est encore pour cela que Paul dit : « Seulement nous devions nous ressouvenir des pauvres ». (Gal. 11,10) Mais voyez comme ceux-ci ont surpassé ceux-là. Ils jeûnaient, ils persévéraient dans la prière. C’est ce qu’il faudrait encore faire aujourd’hui. On ne dit pas seulement qu’ils sont spirituels, mais remplis de l’Esprit et de sagesse : indiquant par là qu’il fallait beaucoup de sagesse pour supporter les accusations des veuves. A quoi sert que le dispensateur ne vole pas, s’il dissipe tout, ou s’il est orgueilleux et porté à la colère ? Sous ce rapport Philippe était admirable ; car on dit de lui : « Nous sommes entrés dans la maison de Philippe l’évangéliste, qui était un des sept, et nous y avons séjourné ». (Act. 21,5) Rien d’humain, vous le voyez. « Et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem ». Le nombre augmentait à Jérusalem ! Il est étonnant que la prédication s’étende là où le Christ avait été mis à mort. Ainsi, non seulement aucun des disciples ne se scandalisa de voir les apôtres flagellés, de voir les uns menacer, les autres tenter le Saint-Esprit, les autres murmurer ; mais le nombre des croyants augmentait, tant le sort d’Avanie les avait rendus sages et les avait remplis de frayeur ! Et voyez comment ce nombre augmente : c’est après les épreuves, et non auparavant. Considérez ici la bonté de Dieu. Parmi ces princes des prêtres qui excitaient la foule à demander la mort, qui s’écriaient et disaient : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même » ; parmi ceux-là, dis-je : « Beaucoup obéissaient à la foi ».
4. Soyons donc les imitateurs de Dieu. Il les a reçus, et non rejetés. Traitons ainsi les ennemis qui nous ont accablés de maux. Si nous avons quelque bien, faisons-leur-en part ; ne les oublions jamais, dans nos bienfaits. Si nous calmons leur fureur en souffrant les mauvais traitements, à bien plus forte raison en leur faisant du bien ; ce dernier point est moins grand que l’autre. Car il n’y a pas de parité entre faire du bien à un ennemi et désirer souffrir davantage ; mais par l’un nous arriverons à l’autre. C’est là la dignité des disciples du Christ. Ils avaient crucifié celui qui était venu leur faire du bien ; ils avaient flagellé le maître des disciples, et néanmoins, il les appelle au même honneur que ses disciples, il leur communique des biens comme à eux. Soyons, je vous en prie, les imitateurs du Christ ; c’est en cela qu’il faut l’imiter, par là nous serons égaux à Dieu ; c’est une chose plus qu’humaine. Pratiquons l’aumône : c’est à son école que s’apprend cette philosophie. Celui qui sait avoir pitié du malheureux, saura aussi oublier les injures ; et celui qui sait oublier les injures, pourra aussi faire du bien à ses ennemis. Apprenons à compatir aux maux du prochain, et nous saurons aussi supporter ses mauvais traitements. Demandons à celui qui est mal disposé à notre égard, s’il ne se condamne pas lui-même, s’il ne voudrait pas être sage, s’il ne dit pas que tout est l’effet de la colère, de la bassesse, de l’infortune, s’il n’aimerait pas mieux être du côté de ceux qui supportent l’injure en silence que du côté de ceux qui la font dans un accès de fureur, s’il n’admire pas celui qui souffre. Et ne croyez pas que cette conduite rende méprisable. Rien ne rend méprisable comme de commettre l’injure ; rien ne rend respectable comme de la supporter. Par l’un on est injuste, par l’autre on est philosophe ; l’un ravale au-dessous de l’homme, l’autre met au niveau de l’ange. Quand même l’injurié serait moindre que celui qui l’injurie, il pourrait encore s’en venger, s’il le voulait. En tout cas l’un excite la compassion de tout le monde, l’autre est un objet de haine. Quoi ! Le premier n’est-il pas de beaucoup meilleur que l’autre ? Tous regarderont l’un comme un furieux et l’autre comme un homme sensé. Quand donc on veut vous forcer à dire du mal de quelqu’un, répondez : Je ne puis médire de cet homme, car je ne sais s’il est tel que vous le dites. Gardez-vous surtout d’en penser du mal ou d’en dire à un autre, ou d’en demander à Dieu contre lui. Si vous le voyez accuser, défendez-le ; dites : c’est la passion qui a parlé, et non l’homme ; c’est le courroux, et non l’amitié ; c’est la colère, et non l’âme. Pour chaque faute raisonnons ainsi. N’attendez pas que le feu s’allume ; étouffez-le dès l’abord ; n’irritez pas la bête féroce et ne la laissez pas s’irriter ; car vous ne seriez plus le maître d’éteindre l’incendie. Qu’a-t-il dit ? Fou ? insensé ? Mais lequel est responsable du mot, de celui qui le dit ou de celui qui l’entend ? Celui qui le dit, fût-il sage, passera pour un fou ; celui à qui on l’adresse, fût-il insensé, passera pour un sage et un philosophe. Lequel, dites-moi, est insensé, de celui qui avance des faussetés, ou de celui qui n’en est pas même ému ? Car s’il est d’un sage de ne pas s’émouvoir même quand on l’excite ; de quelle folie taxera-t-on celui qui s’émeut sans cause ? Je ne parle pas encore des supplices réservés à ceux qui injurient ou outragent leur prochain. Mais quoi ! il a traité son semblable de méprisable parmi les méprisables, de vil parmi les vils ? Encore une fois, l’injure retombe sur sa tête. C’est lui qui paraît réellement vil, tandis que l’autre passera pour honorable et digne de respect ; car faire un crime à quelqu’un de telles choses, je veux parler de l’obscurité de la naissance, est l’indice d’une âme basse. Mais celui-là est vraiment grand, vraiment admirable, qui regarde ces injures comme rien et les écoute avec autant de plaisir que si on lui attribuait quelque qualité. Mais on l’accuse d’adultère et d’autres crimes de ce genre ? C’est le cas de rire alors : quand la conscience ne reproche rien, il n’y a pas lieu dé se fâcher. Même en songeant aux paroles méchantes et impures qu’il profère, vous ne devez pas vous affliger. Il n’a fait que révéler d’avance ce qui aurait été connu plus tard de chacun ; il se montre aux yeux de tous comme indigne de confiance, lui qui ne sait pas cacher les défauts du prochain ; il se nuit donc plus qu’à un autre, il se ferme le port, et se prépare un compte terrible au dernier jugement. Il sera bien plus repoussé que l’autre, lui qui a révélé ce qui devait rester secret. Quant à vous, taisez ce que vous savez, si vous voulez avoir une bonne réputation, non seulement vous détruirez ce qui a été dit et vous ne le révélerez pas ; mais vous obtiendrez encore un autre avantage : vous échapperez à toute condamnation. Un tel a dit du mal de vous ? Dites : S’il savait tout, il ne se serait pas borné à cela.
Vous avez admiré ce que j’ai dit ? vous en avez été frappés ? mais il faut le mettre en pratique. C’est pour cela que nous vous citons les paroles des infidèles ; non que les Écritures n’en renferment un grand nombre de semblables, mais parce que celles-là sont plus propres à faire rougir. Ensuite, l’Écriture elle-même dit à notre honte : « Les païens n’en font-ils pas autant ? » (Mt. 5,47) Le prophète Jérémie nous montre les enfants de Rachel refusant de transgresser la loi de leur père. Marie dit du mal de Moïse ; mais aussitôt Moïse prie pour faire cesser son châtiment et ne veut pas même qu’on sache qu’il a été vengé. Ce n’est pas ainsi que nous agissons nous voulons surtout qu’on sache que l’injure que nous avons reçue n’est pas restée impunie. Jusqu’à quand n’aurons-nous que des pensées terrestres ? Tout combat suppose deux parties. Si vous tirez des deux côtés les hommes qui sont en fureur, vous les irritez davantage ; si vous les tirez à gauche ou à droite, vous calmez leurs transports. Si celui qui frappe rencontre un homme impatient, il en devient plus emporté ; s’il rencontre un homme qui lui cède, il se calme plus tôt et les coups retombent sur lui. Car un adversaire exercé à toutes sortes de combats ne triomphe pas aussi facilement de son antagoniste que l’homme qui se laisse injurier sans répondre. Alors l’insulteur se retire couvert de honte et condamné d’abord par sa conscience, puis par tous les témoins. C’est un proverbe que : qui honore, s’honore ; donc aussi : qui injurie, s’injurie.
Personne, je le répète, ne pourra nous nuire, si nous ne nous nuisons nous-mêmes ; personne ne m’appauvrira, si je ne m’appauvris le premier. Examinons un peu, je vous prie : J’ai l’âme pauvre, et tout le monde s’épuise en dons pour moi : à quoi cela me sert-il ? Tant que mon âme ne sera pas changée, c’est parfaitement inutile. Que j’aie l’âme grande, au contraire, et que tout le monde m’enlève ce que je possède : je n’ai rien perdu. Que je mène une vie impure et que tout le monde dise le contraire : quel profit en tiré-je ? On dit, mais on ne croit pas. Au contraire, que ma vie soit pure et que tout le monde dise le contraire : qu’importe ? Leur propre conscience les condamne ; ils ne croient point ce qu’ils disent. Il ne faut donc admettre ni l’éloge ni le blâme. Et pourquoi dis-je cela ? Parce que, si nous le voulons, personne ne pourra nous tendre des embûches, ni nous envelopper dans une accusation. Examinons encore : Quelqu’un est traîné devant un tribunal, calomnié, si vous le voulez même, condamné à mort : Eh bien ! qu’est-ce que ces souffrances d’un moment, quand on est innocent ? Mais c’est là qu’est le mal, direz-vous. Et moi je dis que c’est là le bien : souffrir innocemment. Quoi ! voudriez-vous qu’on fût coupable ? Encore un mot : Un philosophe païen ayant appris qu’un tel était mort, et un de ses disciples disant : Hélas ! et il est mort innocent ; le philosophe se retourna et lui dit voudriez-vous qu’il fût mort coupable ? Et Jean n’est-il pas mort injustement ? Lequel plaignez-vous le plus de celui qui meurt coupable ou de celui qui meurt innocent ? N’appelez-vous pas l’un malheureux, et n’admirez-vous pas l’autre ? En quoi la mort nuit-elle à celui qui y fait un profit immense loin d’y rien perdre ? Si elle rendait mortel un être immortel, peut-être lui ferait-elle tort : mais si elle ne fait que tirer avec gloire de cette vie un homme mortel et qui, d’après la loi de sa nature, devait bientôt mourir ; où est le dommage ? Que notre âme soit en règle et rien du dehors ne pourra lui nuire. Mais vous n’êtes pas dans la gloire ? Qu’importe ? Il en est de la gloire comme des richesses. Si j’ai l’âme grande, je n’ai besoin de rien ; si je suis avide de vaine gloire, plus j’acquerrai, plus j’aurai besoin. Mais si je méprise la gloire, je deviendrai plus éclatant et plus glorieux. Puisque nous savons cela, rendons grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé une telle vie et embrassons-la pour sa gloire : car c’est à lui qu’appartient la gloire, avec le Père qui n’a pas de commencement, et son Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XV. modifier


MAIS ÉTIENNE, PLEIN DE GRACE ET DE FORCE, FAISAIT DES PRODIGES ET DES MIRACLES ÉCLATANTS PARMI LE PEUPLE (VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 5 DU CHAP. VII)

ANALYSE. modifier

  • 1. Saint Étienne devant le conseil.
  • 2 et 3. Les premiers mots du discours de saint Étienne sapent le judaïsme par sa base.
  • 4 et 5. –, La vie présente est une lutte, un temps d’épreuve. – Agissons toujours de sorte que le Seigneur soit de notre côté. – Avantages de la tribulation. – Qu’il faut réprimer la colère.


1. Voyez comme il y en a un parmi les sept qui se distingue et tient le premier rang. Bien que tous aient reçu l’ordination, il a néanmoins attiré sur lui une plus grande grâce. Il ne faisait pas de miracles avant sa manifestation ; afin que nous apprenions que pour faire descendre le Saint-Esprit, la grâce ne suffit pas, mais qu’il faut encore l’ordination. Que si auparavant ils étaient remplis de l’Esprit, c’était de celui du baptême. « Quelques-uns de la synagogue se levèrent ». Il emploie encore cette expression « se levèrent », pour marquer leur exaspération et leur colère. Voyez ici leur grand nombre et aussi une nouvelle accusation. Car Gamaliel ayant écarté leur premier sujet d’accusation, ils en produisent Uni autre. « Alors se levèrent quelques-uns de la synagogue dite des Affranchis, de celle des Cyrénéens et des Alexandrins, et de ceux qui étaient de Cilicie et d’Asie, pour disputer avec Étienne ; et ils ne pouvaient résister à sa sagesse et à l’Esprit qui parlait. Alors ils subornèrent des hommes pour dire qu’ils l’avaient entendu proférer des paroles de blasphème contre Dieu et contre Moïse ». Pour établir l’accusation, ils disent : Il parle contre Dieu et contre Moïse. Voilà pourquoi ils disputaient avec lui, afin de le forcer à dire quelque chose. Mais lui s’énonçait avec clarté, et peut-être parlait-il de l’expiration de la loi ; ou, s’il n’en parlait pas ouvertement, tout au moins l’insinuait-il : car, s’il en eût parlé explicitement, il n’y aurait pas eu besoin de suborner de faux témoins.
Les synagogues des Affranchis et des Cyrénéens étaient différentes. Les habitants de Cyrène, ville au-delà d’Alexandrie, avaient des synagogues là et parmi les nations, et peut-être demeuraient-ils là pour ne pas être obligés de voyager continuellement. On appelait « libertini », les esclaves affranchis par les Romains. Comme beaucoup d’étrangers habitaient à Jérusalem, ils y avaient des synagogues où l’on devait lire la loi et prier. Examinez un peu avec moi comment Étienne est forcé ici d’enseigner, et comment ses adversaires, à la vue des miracles, ne sont pas seulement excités à la jalousie, mais subornent de faux témoins, parce qu’il les confond par ses discours et qu’ils ne peuvent plus le supporter. Ils ne voulaient point le tuer sans motif, mais après condamnation, afin de compromettre la réputation des apôtres ; puis, laissant les apôtres, ils viennent aux diacres, toujours pour épouvanter les premiers. Ils ne disent pas : Il parle ; mais : « il ne cesse de parler », aggravant ainsi la calomnie. « Ils soulevèrent les anciens et les scribes, et, accourant ensemble, l’entraînèrent et l’amenèrent au conseil ; et ils produisirent de faux témoins qui dirent : Cet homme ne cesse de parler contre ce lieu saint et contre la loi. Il ne cesse », disent-ils, comme pour montrer le but de ses efforts. « Nous l’avons entendu dire : que Jésus de Nazareth détruira ce lieu et changera les traditions que Moïse nous a données ». Ils accusaient déjà ainsi le Christ, quand ils disaient : « Toi, qui détruis le temple de Dieu ».
Ils professaient un grand respect pour le temple, parce qu’ils voulaient s’y établir, et aussi pour le nom de Moïse. Vous voyez que l’accusation est double : « Il détruira ce lieu et changera les coutumes ». Elle n’est pas seulement double, mais amère et grosse de périls. « Et tous ceux qui étaient assis au conseil, jetant les yeux sur lui, virent que son visage était comme le visage d’un ange ». Ainsi peuvent briller même ceux qui sont dans un degré inférieur. Mais de grâce, qu’avait-il de moins que les apôtres ? N’avait-il pas fait des miracles ? N’avait-il pas parlé avec une grande liberté ? ce : Ils virent que son visage était comme le visage d’un ange ». C’était la grâce, c’était la gloire de Moïse. Il me semble que Dieu l’avait revêtu de cet éclat, peut-être parce qu’il avait quelque chose à dire, et pour les frapper d’épouvante par son seul aspect. Car il est possible, très-possible, que des figures remplies de la grâce céleste soient aimables aux yeux des amis et respectables et terribles aux yeux des ennemis. Ou peut-être veut-on donner la raison pour laquelle on l’a laissé parler. Mais que dit le prince des prêtres ? « Les choses sont-elles ainsi ? » Voyez-vous comme la question est pleine de douceur et n’a rien de désagréable Aussi Étienne commence-t-il son discours de la façon la plus bienveillante : « Hommes, mes frères et mes pères, écoutez : le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham quand il était en Mésopotamie, avant qu’il habitât à Charan ». Dès le début il détruit leur opinion et prononce, sans qu’on s’en doute, que le temple n’est rien, non plus que la coutume, qu’ils n’empêcheront pas la prédication, et que toujours Dieu part de l’impossible pour préparer et exécuter ses desseins. C’est là le tissu de son discours par lequel il leur démontre qu’ayant toujours été l’objet de la bonté de Dieu, ils n’ont payé ses bienfaits que d’ingratitude et qu’ils tentent l’impossible. « Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit : Sors de ton pays et viens dans la terre que je te montrerai ».
2. Il n’y avait pas de temple encore, pas de sacrifices, et pourtant Abraham était honoré de la vue de Dieu, lui dont les ancêtres étaient de l’Orient et qui habitait une terre étrangère. Et pourquoi tout d’abord appelaient-ils Dieu le Dieu de gloire ? Parce que Dieu a glorifié ceux qui étaient méprisés ; et pour nous montrer que, s’il a glorifié ceux-là, à plus forte raison, glorifiera-t-il ceux-ci. Voyez-vous comme il les entraîne loin des choses matérielles, et d’abord loin du lieu, puisqu’il s’agissait de lieu ? « Le Dieu de gloire ». Si Dieu est le Dieu de gloire, il est évident qu’il n’a pas besoin de la nôtre, ni de celle du temple, puisqu’il est lui-même la source de la gloire. Ne pensez donc pas que vous le glorifierez par là. Et pourquoi, direz-vous, l’Écriture ne rapporte-t-elle ici que ce seul trait de la vie d’Abraham ? Parce qu’elle omet ce qui n’est pas absolument nécessaire. Elle ne nous a appris que ce qu’il nous était utile de connaître ; à savoir qu’ayant vu le Fils, il a émigré vers lui[4]. Elle a passé le reste sous silence, parce qu’Abraham est mort peu de temps après s’être établi à Charan.
« Sors de ta parenté ». Ici il leur fait voir qu’ils ne sont pas fils d’Abraham. Comment cela ? Parce qu’Abraham a obéi et qu’ils n’obéissent point. De plus apprenons, par ce qu’Abraham a fait sur l’ordre de Dieu, que c’est lui qui a eu la peine et que ce sont eux qui recueillent les fruits, et que tous leurs pères ont été dans les tribulations. « Et sortant de la terre des Chaldéens, il habita à Charan ; et après la mort de son père Dieu le transporta dans la terre où vous habitez maintenant, mais il ne lui donna là ni héritage, ni seulement où poser le pied ». Voyez comme il les détache de la terre ! Il ne dit pas : Il donnera, mais : « il n’a pas donné » ; pour faire voir que tout vient de lui, et que rien ne vient d’eux. Abraham sortit, en laissant sa parenté et sa patrie. Pourquoi Dieu ne lui a-t-il pas donné cette terre ? Parce que c’était la figure d’une autre terre et qu’il avait promis de la lui donner. Vous voyez que ce n’est pas sans raison qu’il reprend son discours : « Il ne l’a pas donnée », dit-il. « Et il promit de la donner à sa race après lui, quoiqu’il n’eût point de fils ». Par là il montre la puissance de Dieu, qui fait des choses qui semblent impossibles. Dieu, en effet, promet de rendre maître de la Palestine un homme qui en est à une si grande distance, puisqu’il habite en Perse.
Mais reprenons ce quia été dit plus haut « Fixant les yeux sur lui, ils virent que son visage était comme celui d’un ange ». D’où venait cette grâce qui brillait dans Étienne ? N’était-ce pas de la foi ? Évidemment : car on lui a rendu plus haut le témoignage qu’il était plein de foi. Il y a donc une grâce qui n’est pas celle des guérisons ; c’est pourquoi l’apôtre dit : « A l’un est donné la grâce des guérisons, à l’autre le langage de la sagesse ». Ici, il me semble qu’on insinue qu’il était plein de grâce quand on dit : « Ils virent que son visage était comme celui d’un ange » : ce qui a été dit aussi de Barnabé. Nous apprenons par là que les hommes simples et innocents sont surtout admirés, et que la grâce brille particulièrement en eux : « Alors ils subornèrent des hommes pour dire : nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème ». Ils accusaient les apôtres de prêcher la résurrection et d’attirer à eux une grande foule ; ici ils accusent parce que des guérisons s’opèrent. O stupidité ! ils blâment ce qui devrait exciter leur reconnaissance ; comme autrefois avec le Christ, ils espèrent vaincre en paroles ceux qui triomphent par les œuvres, et ils se jettent dans des discours sans fin. Ils n’osaient les enlever sans motif, n’ayant aucun sujet d’accusation. Et voyez comme les juges eux-mêmes ne rendent aucun témoignage ! car ils auraient été réfutés mais ils en subornent d’autres, afin de ne pas avoir l’air de commettre une injustice. Il en avait été de même avec le Christ. Voyez-vous la force de la prédication ? Comment elle subsiste chez ceux qui ont été flagellés et même lapidés, traînés devant les tribunaux et même repoussés de tous côtés ? Aussi, nonobstant les faux témoignages, non seulement ils n’ont pu vaincre les apôtres, mais ils n’ont pas même pu leur résister, malgré leur extrême impudence. Ainsi Étienne les a vaincus par force, quoiqu’ils se conduisissent indignement (comme ils l’avaient fait avec le Christ), eux qui ne négligeaient rien pour le faire mourir : afin qu’il fût évident pour tous que ce n’était pas un homme, mais Dieu qui combattait contre les hommes.
Et voyez ce que disent les faux témoins subornés par ceux qui l’avaient entraîné au conseil dans une intention homicide : « Nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu ». O impudents ! vous faites des choses blasphématoires contre Dieu et vous n’en avez souci, et vous avez l’air de vous inquiéter de Moïse ! Moïse n’est là que parce qu’ils ne s’inquiètent guère du service de Dieu ; c’est toujours Moïse qu’ils mettent en avant : « Moïse », disent-ils, « qui nous a sauvés », afin d’irriter un peuple prompt à s’enflammer. Et pourtant comment un blasphémateur remporterait-il de tels triomphes ? comment un blasphémateur aurait-il fait de tels prodiges au milieu du peuple ? Mais voilà ce que c’est que la jalousie : elle égare tellement ceux qu’elle saisit, qu’ils n’ont pas même la conscience de ce qu’ils disent. « Nous l’avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu » ; Et encore : « Cet homme ne cesse de parler contre le lieu saint et la loi » ; et ils ajoutent : « Que nous a donné Moïse » ; il n’est plus question de Dieu.
3. Voyez-vous comme ils l’accusent d’avoir renversé le gouvernement et d’être impie ? Il était évident pour tous qu’il était incapable d’un langage si audacieux, tant il y avait de douceur dans ses traits ! L’Écriture ne dit pas cela de lui, quand on ne le calomniait pas ; maintenant que tout est calomnie, Dieu a raison de la confondre par le seul aspect de son visage : On ne calomniait pas les apôtres, mais on les empêchait d’agir ; Étienne était calomnié, voilà pourquoi l’aspect de sa figure doit d’abord le justifier. Peut-être le prêtre en rougit-il. En disant : « Il promit », Étienne fait voir que la promesse a été faite avant que le lieu en fût fixé, avant la circoncision, avant le sacrifice, avant le temple ; qu’ils n’ont point reçu la circoncision ni la loi à raison de leurs mérites, mais que la terre seule a été la récompense de l’obéissance. Avant même que la circoncision soit donnée, la promesse est remplie. Il insinue que, quitter par l’ordre de Dieu, sa patrie et sa parenté (la patrie est là où Dieu conduit) et n’y avoir point d’héritage, ce sont des figures ; et encore que les Juifs sont chaldéens, si on y regarde de près ; ensuite qu’il faut obéir à la parole de Dieu, même sans miracles et quelque inconvénient qu’il en doive résulter ; puisque le patriarche abandonna tout, même le tombeau de son père, pour obéir à Dieu ; que si son père ne l’accompagna pas en Palestine, parce qu’il ne croyait pas, à bien plus forte raison les fils seront-ils exclus, quoique bien avancés dans le chemin, puisqu’ils n’ont pas imité la foi de leur père. « Mais il promit de la lui donner et à sa postérité après lui ».
On voit ici la bonté de. Dieu et la foi d’Abraham. Car obéir « lorsqu’il n’avait point encore de fils », montre sa docilité et sa foi, surtout quand les faits semblaient démentir la promesse ; par exemple de n’avoir pas même où poser le pied quand il serait arrivé, de n’avoir pas de fils : ce qui n’était pas propre à affermir sa foi. Réfléchissons-y, nous aussi, et croyons aux promesses divines, même quand les événements semblent les contredire ; bien que chez nous, loin de les contredire, ils leur soient parfaitement conformes. Car là où il y a des promesses dans le monde, si les faits leur sont opposés, ils le sont réellement ; mais chez nous il en est tout autrement : Dieu a dit ici l’affliction, là le repos. Pourquoi confondre les temps ? Pourquoi tout renverser sens dessus dessous ? Vous vous affligez parce que vous vivez dans la pauvreté ? Et cela vous trouble ? Que cela ne vous trouble pas. Vous auriez raison de vous troubler, si vous deviez être affligé là-bas, mais la tribulation en ce monde est une source de repos. « Cette maladie », lisons-nous, « ne va pas à là mort ». Cette tribulation est une punition ; elle est une leçon et un amendement. Le présent est un temps de combat ; il faut donc lutter ; car c’est la guerre, c’est la lutte. Dans le combat, personne ne cherche le repos, personne ne cherche le plaisir, ni ne s’inquiète de ses biens, ni n’est en souci pour sa femme : on n’a qu’une chose en vue, vaincre l’ennemi. Faisons-en autant ; et si nous triomphons, si nous revenons avec les palmes, Dieu nous donnera tout. N’ayons qu’un seul souci : vaincre le démon ; ou plutôt ce n’est point là le résultat de nos efforts, mais uniquement l’effet de la grâce de Dieu. Que notre seule occupation soit donc de nous attirer la grâce, de nous procurer ce secours. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » N’ayons qu’un souci, c’est qu’il ne soit point notre ennemi, qu’il ne se détourne pas de nous.
4. Ce n’est point l’affliction, mais le péché qui est un mal. Le péché, voilà la véritable affliction, quand même nous vivrions dans le plaisir ; je ne parle pas seulement de l’avenir, mais du présent. Quels ne sont pas les remords de notre conscience ? Et est-il un tourment pire que celui-là ? Je voudrais interroger ceux qui vivent dans les vices, leur demander si le souvenir de leurs péchés ne leur revient jamais ? s’ils ne tremblent pas ? s’ils ne craignent pas ? s’ils ne souffrent pas ? s’ils n’appellent pas heureux ceux qui vivent au sein des montagnes, dans la pratique du jeûne et de la sagesse ? Voulez-vous goûter un jour le repos ? souffrez ici-bas pour le Christ, rien n’égale cette satisfaction. Les apôtres se réjouissaient d’avoir été flagellés. Paul nous y exhorte quand il dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur ». Et comment, direz-vous, se réjouir dans les fers, dans les tourments, devant les tribunaux ? On peut y goûter une très-grande volupté. Apprenez comment cela se fait : celui à qui sa conscience ne reproche rien, sera dans l’abondance de la joie ; en sorte que plus son affliction sera grande, plus son bonheur augmentera. Dites-moi, je vous prie : Un soldat, couvert de blessures, n’est-il pas très-heureux de revenir et de pouvoir montrer ces signes de courage, d’illustration et de gloire ? Et vous, si vous pouviez vous écrier comme Paul : « Je porte les stigmates de Jésus », vous pourriez aussi être grand, illustre et glorieux. Mais, dites-vous, il n’y à plus de persécution ? Alors combattez contre la vaine gloire ; et si quelqu’un dit du mal de vous, supportez-le pour l’amour du Christ. Combattez coutre la tyrannie de l’orgueil, contre la colère, contre les tentations de la concupiscence. Voilà des stigmates, voilà des épreuves. Dites-moi : qu’y a-t-il de plus terrible que des épreuves ? L’âme ne souffre-t-elle pas ? ne brûle-t-elle pas ? Là le corps seul est déchiré ; ici, l’âme souffre seule. Seule elle souffre quand elle se fâche, quand elle est envieuse, quand elle fait quelque chose de ce genre, ou pour mieux dire quand elle le souffre. Car ce n’est pas agir, mais souffrir, que de se mettre en colère, d’être jaloux ; aussi cela s’appelle maladies, blessures, plaies de l’âme. En effet, c’est maladie et pire que maladie.
Vous, qui vous livrez à la colère, songez que vous vous rendez malades. Donc, celui qui ne se fâche pas, ne souffre pas. Vous voyez que ce n’est pas celui qui reçoit l’injure qui souffre, mais celui qui la fait, comme je le disais plus haut. Il est évident qu’il souffre, puisque cela s’appelle passion. Et il souffre même dans le corps ; car la perte de la vue, la stupidité et beaucoup d’autres maux sont les effets de la colère. Mais, direz-vous, il n’injurie que son fils ou son serviteur. Ne pensez pas que ce soit faiblesse, si vous n’en faites pas autant. Dites-moi, est-ce bien faire ? Je ne pense pas que vous le disiez. Ne faites donc pas ce qu’il n’est pas bon de faire. Je sais à quelles colères de tels hommes sont sujets. Que sera-ce, direz-vous, s’il se contente de mépriser ? de répéter ce qu’il a dit ? Reprenez alors, menacez, suppliez : la douceur brise la colère ; approchez-vous et reprenez. Cela ne doit pas se faire quand il s’agit de nous ; mais cela est nécessaire quand il s’agit des autres. Ne regardez point comme fait à vous-même l’outrage fait à votre fils ; si vous en souffrez, que ce ne soit pas comme d’une injure personnelle : car si votre fils est maltraité, ce n’est point sur vous, mais sur l’auteur, que retombe l’injure. Émoussez la pointe du glaive ; qu’il rentre dans le fourreau. S’il en est tiré, souvent, dans un mouvement de colère, on peut s’en servir mal à propos ; s’il y reste, même quand on a l’occasion de s’en servir, la colère s’éteindra. Le Christ ne veut pas que nous nous fâchions pour lui ; écoutez en effet ce qu’il dit à Pierre : « Remettez votre épée au fourreau ». Et vous vous fâcheriez pour votre fils ! Apprenez à votre fils à être sage. Racontez-lui les souffrances du Maître : imitez le Maître vous-même. Quand ses apôtres devaient être livrés aux outrages, il ne leur a pas dit : Je vous vengerai : Que leur a-t-il dit ? « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». Souffrez donc avec courage : vous n’êtes pas meilleurs que moi. Dites cela à votre fils, à votre serviteur : Tu n’es pas meilleur que ton maître.
Mais ces paroles de la sagesse ont l’air de contes de vieille. Hélas ! pourquoi ne peut-on exprimer en paroles ce que l’expérience démontre si bien ? Pour vous convaincre, supposez que vous êtes au milieu de deux partis en lutte, du côté des innocents et non des coupables ; ne remporterez-vous pas vous-même la victoire ? ne cueillerez-vous pas des palmes magnifiques ? Voyez comme Dieu est injurié, et avec quelle douceur et quel calme il parle : « Où est ton frère Abel ? » Et que répond Caïn ? « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » Quoi de plus arrogant ? Qui aurait supporté cela, même de la part d’un fils ? Et même de la part d’un frère, n’eût-on pas pris cela pour un affront ? Mais Dieu reprend avec la même douceur : « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Mais, direz-vous, Dieu est au-dessus des atteintes de la colère. C’est pour cela que le Fils de Dieu est descendu, pour vous faire dieu autant qu’un homme peut l’être. Je ne puis être Dieu, direz-vous, puisque je suis un homme. Eh bien ! amenons ici des hommes. Et n’allez pas croire que je parlerai de Paul et de Pierre ; non, j’en prendrai qui leur sont bien inférieurs. Le serviteur d’Élie injurie Anne, en disant : « Allez cuver votre vin ». (1Sa. 3,14) Que peut-on dire de plus injurieux ? Mais que répond-elle ? « Je suis une femme qui ai l’amertume au cœur ». En vérité, rien n’égale l’affliction : elle est la mère de la sagesse. Et cette même Anne ayant une rivale, ne l’injurie pas ; que fait-elle donc ? Elle recourt à Dieu, elle prie, elle oublie sa rivale, et ne dit pas Elle m’a accablée d’ignominie, vengez-moi ; tant cette femme avait l’habitude de la sagesse ! Hommes, rougissons ; car vous savez que rien n’est comparable à la jalousie.
5. Le publicain, injurié par le pharisien, ne rend pas injure pour injure, bien qu’il l’eût pu s’il l’eût voulu ; mais il supporte tout avec sagesse, et dit : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Memphibaal[5] accusé, calomnié par un serviteur, ne dit rien, ne fait rien contre lui, pas même auprès du roi. Voulez-vous connaître la sagesse même d’une femme publique ? Entendez le Christ dire, quand elle lui essuyait les pieds de ses cheveux : « Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume ». (Mt. 21,31) La voyez-vous debout, versant des larmes et expiant des péchés ? Le pharisien l’accable d’outrages, elle ne s’en fâche point. S’il savait, disait-il, que cette femme est une pécheresse, il ne la laisserait point approcher. Elle ne lui répond pas : Quoi ! êtes-vous donc exempt de péché ? Mais elle souffre davantage, elle gémit davantage et verse des larmes plus brûlantes. Que si les femmes, les publicains, les prostituées pratiquent la sagesse, même avant la grâce, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui, après une si grande grâce, sommes plus querelleurs, plus mordants, plus récalcitrants que les bêtes sauvages ?
Rien de plus honteux que la colère, rien de plus vil, rien de plus terrible, rien de plus désagréable, rien de plus nuisible. Et je dis cela, non seulement pour vous engager à être doux envers les hommes, mais aussi pour vous exhorter à supporter votre femme, si elle est babillarde ; qu’elle soit pour vous une matière de lutte et d’exercice. Quoi de plus absurde que d’établir des gymnases où nous n’avons rien à gagner, où nous affligeons notre corps ; et de ne pas nous créer des gymnases domestiques, où nous puissions gagner des couronnes, même avant le combat ! Votre femme vous injurie ? Ne devenez pas femme vous-même ; car dire des injures est le propre de la femme ; c’est une maladie de l’âme ; c’est un défaut. N’estimez pas qu’il soit indigne de vous d’être injurié par une femme ; ce qui serait indigne de vous, ce serait de dire des injures, quand une femme est sage. C’est alors que vous vous déshonorez, que vous vous faites tort à vous-même ; mais si vous supportez l’injure, vous donnez une grande preuve de force. Je ne dis pas ceci pour engager les femmes à dire des injures, tant s’en faut ; mais pour vous encourager à être plus patients, quand cela arrive par l’instigation de Satan. C’est le propre des hommes forts de supporter les faiblesses. Si votre serviteur vous contredit, soyez sage ; ne le traitez point comme il le mérite, mais ne dites et ne faites que ce qu’il convient. Ne faites jamais d’injure à une jeune fille, en proférant un mot déshonnête ; ne traitez jamais un serviteur de scélérat : ce n’est pas lui qui recevrait l’injure, mais vous. Il n’est pas possible que l’homme en colère reste en lui-même, pas plus qu’une mer en fureur ; et la source ne peut rester pure, si elle reçoit de la boue ; alors tout se mêle ; disons plus, tout est sens dessus dessous. Quand vous frapperiez votre serviteur ; quand vous déchireriez sa tunique, c’est encore vous qui souffririez le plus : il ne souffre que dans son corps ou dans son vêtement, et vous, vous souffrez dans votre âme. C’est elle que vous avez déchirée, que vous avez blessée ; vous avez renversé le cocher, et l’avez fait fouler et traîner par les chevaux ; absolument comme si un cocher se fâchait contre un autre et se laissait traîner. Que vous grondiez, que vous avertissiez, que vous fassiez toute autre chose, faites-le sans emportement et sans colère. Car si celui qui reprend est le médecin du coupable, comment le guérira-t-il s’il se nuit à lui-même et ne se guérit pas ? Si par exemple un médecin venait pour guérir quelqu’un, et commençait par se blesser la main ou par se rendre aveugle, dites-moi, guérirait-il son malade ? Non, répondez-vous. Donc, soit que vous grondiez, soit que vous avertissiez, gardez vos yeux purs. Ne remuez pas la vase de votre âme, autrement comment la guérison serait-elle possible ? L’homme calme et l’homme irrité ne sauraient jouir de la même tranquillité. Pourquoi renverser le maître de son siège et lui parler quand il est à terre ? Ne voyez-vous pas que les juges, quand ils doivent exercer leur fonction, s’asseyent sur leurs sièges et dans un vêtement convenable ? Faites de même : revêtez votre âme de la toge (qui n’est autre que la modération) et asseyez-vous sur le trône, en qualité de juge. Mais le coupable ne craindra pas, dites-vous. Il craindra bien davantage. Quand vous êtes irrité, dissiez-vous les choses les plus justes, votre serviteur les attribue à la colère ; mais si vous lui parlez avec modération, il se condamnera lui-même. Mais, ce qui est le point principal : Dieu vous accueillera, et vous pourrez obtenir ainsi les biens éternels, par la grâce, la compassion et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XVI. modifier


TOUTEFOIS DIEU LUI PARLA ET LUI DIT QUE SA POSTÉRITÉ HABITERAIT EN UNE TERRE ÉTRANGÈRE OU ELLE SERAIT RÉDUITE EN SERVITUDE ET MALTRAITÉE PENDANT QUATRE CENTS ANS. MAIS LA NATION QUI L’AURA TENUE EN ESCLAVAGE : C’EST MOI QUI LA JUGERAI, DIT LE SEIGNEUR, ET APRÈS CELA ELLE SORTIRA ET ME SERVIRA EN CE LIEU-CI. (CHAP. 6, 7, JUSQU’AU VERS. 34)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Suite du discours de saint Étienne. – La résurrection figurée dans l’ancienne Loi. – Providence de Dieu.
  • 3 et 4. Avantages des afflictions. – Preuve par des exemples. – La joie dans le Seigneur, la seule solide, naît des tribulations. Comparaison de l’homme orgueilleux et de l’humble. – Comparaison de l’homme luxurieux et de l’homme sobre et tempérant. – Portrait repoussant du premier. – Le travail seul peut nous donner la santé. – Exhortation à la sobriété.


1. Vous voyez l’ancienneté et le mode de la promesse ; et il n’y a nulle part de sacrifice ni de circoncision. Ici il fait voir que Dieu a permis l’affliction des Juifs, mais qu’elle ne restera pas impunie. « Mais la nation qui l’aura « tenue en esclavage, c’est moi qui la, jugerai, « dit le Seigneur ». Vous le voyez, celui qui a promis et donné la terre, a d’abord permis l’affliction ; ainsi maintenant il promet le royaume, mais il permet auparavant l’épreuve des tentations. Si alors la liberté est venue après quatre cents ans, quoi d’étonnant à ce qu’il en soit de même pour le royaume des cieux ? C’est cependant ce que Dieu a fait, et le temps n’a point démenti sa parole, bien que l’oppression des Juifs ait été grande. Mais il ne s’est pas contenté de punir les oppresseurs : il a aussi promis des biens aux opprimés. Étienne me semble ici rappeler aux Juifs les bienfaits qu’ils ont reçus. « Et il lui donna l’alliance de la circoncision ; et ainsi il engendra Isaac ». Ici il baisse un peu le ton. « Et il le circoncit le huitième jour ; et Isaac, Jacob ; et les douze patriarches. Et les patriarches jaloux vendirent Joseph pour « l’Égypte ». C’est aussi ce qui est arrivé pour le Christ, dont Joseph était la figure ; c’est ce qu’il insinue et dont il forme tout le tissu de son histoire. Car ils l’ont maltraité sans avoir rien à lui reprocher, et quand il venait leur apporter de la nourriture ils l’ont mal accueilli. Voyez encore ici la longue attente de l’exécution de la promesse, laquelle cependant a un terme. « Et Dieu était avec lui », et cela à cause d’eux. « Et il l’a délivré de toutes ses « tribulations ». Ici il fait voir qu’ils ont contribué sans le savoir à l’accomplissement de la prophétie, qu’ils étaient eux-mêmes les auteurs du mal, que le mal est retombé sur leur tête. « Et il lui donna grâce et sagesse devant Pharaon, roi d’Égypte ». Il donna grâce devant un roi barbare, à un esclave, à un captif, que ses frères avaient vendu et que ce prince honora. « Or il vint une famine, dans toute la terre d’Égypte et en Chanaan, et une grande tribulation, et nos pères ne trouvaient pas de nourriture. Mais Jacob ayant appris qu’il y avait du blé en Égypte, il y envoya nos pères une première fois. Et la seconde fois, Joseph fut reconnu de ses frères ». Ils descendirent pour acheter, et ils eurent besoin de lui. Et lui, que fit-il ? Il ne se contenta pas de montrer sa bonté, mais il instruisit Pharaon de leur présence et les lui présenta. « Et l’origine de Joseph fut connue de Pharaon. Or Joseph envoya chercher Jacob son père, et toute sa parenté, au nombre de soixante-quinze personnes. Et Jacob descendit en Égypte et il y mourut, lui et nos pères. Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté à prix d’argent du fils d’Hémor, fils de Sichem. Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Égypte, jusqu’à ce qu’il s’éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Nouveaux motifs de désespoir : d’abord la famine ; ensuite ils sont tombés aux mains de leur frère ; en troisième lieu, le roi prononce contre eux un arrêt de mort ; et pourtant ils ont été sauvés de tous ces dangers. Ensuite, pour montrer la sagesse de Dieu, il dit : « En ce temps-là naquit Moïse qui fut agréable au Seigneur ». S’il est étonnant que Joseph ait été vendu par ses frères, il l’est bien plus qu’un roi, destiné à périr, ait élevé celui même qui devait le renverser du trône.
Voyez-vous presque partout la figure de la résurrection ? Que quelque chose se fasse par la volonté de Dieu ou par celle de l’homme, c’est bien différent. Mais rien, de ceci n’était l’effet de la volonté humaine. « Et il était puissant en paroles et en œuvres ». Il dit cela pour montrer que Moïse fut un sauveur, et que l’on se montra ingrat envers lui. De même que Joseph, Moïse sauva ceux qui l’avaient maltraité. Sans doute on ne le fit pas réellement mourir, mais, comme Joseph, il fut tué en parole. Joseph fut vendu pour passer de sa patrie dans une terre étrangère ; Moïse fut chassé d’une terre étrangère à une terre étrangère. L’un procura de la nourriture, l’autre donna des conseils pour apprendre à être avec Dieu. De tout cela, ressort la vérité proclamée par Gamaliel : « Si cette œuvre est de Dieu, vous ne pourrez la détruire ». Mais vous, qui voyez comment ceux dont on a cherché la perte deviennent les sauveurs de ceux qui voulaient les perdre, admirez la sagesse et les ressources de Dieu ! car, si ceux-ci n’eussent pas formé leurs coupables projets, ils n’eussent pas été sauvés. Il vint une famine, et elle ne les fit pas mourir. Bien plus : ils furent sauvés par celui qu’ils croyaient perdu. Le roi donne un ordre, et il ne les détruit pas ; au contraire, le peuple croissait quand celui qui les connaissait mourut. Ils voulaient faire périr leur sauveur, et ils n’en purent venir à bout.
2. Vous voyez comment Dieu fait tourner à l’accomplissement de sa promesse les efforts mêmes que le démon fait pour la détruire. Ils étaient donc autorisés à dire : Dieu est fécond en ressources et il peut nous tirer d’ici. Car, c’était là une preuve de la sagesse de Dieu que le peuple se multipliât au sein de l’adversité, au milieu de la servitude, des mauvais traitements, des meurtres. Telle était la grandeur de la promesse. Qu’ils se fussent multipliés dans leur propre pays, t’eût été moins étonnant. Et ils ne sont pas restés peu de temps sur la terre étrangère, mais quatre cents ans. Cela nous apprend qu’ils ont montré une grande sagesse : car on ne se conduisait point envers eux comme des maîtres à l’égard de leurs serviteurs, mais comme des ennemis et des tyrans. Voilà pourquoi Dieu prédit qu’ils seront un jour dans une grande liberté : car c’est le sens de ces paroles : « Ils me serviront et reviendront ici », non sans être vengés. Et voyez comme il semble attribuer ici quelque chose à la circoncision, bien qu’il ne lui accorde réellement rien : car la promesse avait précédé la circoncision qui n’est venue qu’après. « Et les patriarches jaloux ». Ici, il ne les blesse pas ; il cherche à leur faire plaisir. Il appelle leurs ancêtres patriarches, parce qu’ils en étaient fiers. D’autre part, il fait voir que les saints n’ont pas été exempts de tribulations ; mais que c’est au sein même des tribulations qu’ils ont été secourus. Et non seulement ils ne s’en dégageaient pas, mais quand ils auraient dû y mettre un terme, ils aidaient à leurs oppresseurs. Comme les frères de Joseph, en le vendant, l’avaient rendu plus illustre, ainsi fit le roi pour Moïse, en ordonnant de tuer les enfants : car, sans cet ordre, rien ne serait arrivé.
Voyez la providence de Dieu ! Le roi met Moïse en fuite, et Dieu ne s’y oppose pas, parce qu’il ménage l’avenir et veut le rendre digne de la vision céleste sur la terre étrangère. Ainsi, celui qui a été vendu comme esclave, il le fait roi là même où on le croit esclave. Et comme Joseph règne là où on l’a vendu, ainsi le Christ déploie sa puissance dans la mort. Ce n’était pas seulement une question d’honneur, mais aussi confiance en sa propre vertu. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. « Et il l’établit intendant sur l’Égypte et sur toute sa maison ». Voyez quels événements Dieu prépare par la famine. « Jacob descendit en Égypte avec soixante-quinze personnes. Et il y mourut, lui et nos pères. «  Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté à prix d’argent du fils d’Hémor, fils de Sichem ». Preuve qu’ils n’avaient pas même la propriété d’un tombeau. « Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Égypte, jusqu’à ce qu’il s’éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Vous voyez que Dieu ne les avait pas multipliés pendant tant d’années, mais seulement quand la fin approcha ; et pourtant ils avaient passé plus de quatre cents ans en Égypte. Voilà le prodige. « Celui-ci, circonvenant notre nation, affligea nos pères, jusqu’à leur faire exposer leurs enfants pour en empêcher la propagation ». – « Circonvenant » ; par ce mot il indique le meurtre secret : car Pharaon ne voulait pas les tuer publiquement ; et pour cela il ajoute : « Jusqu’à leur faire exposer leurs enfants. En ce même temps naquit Moïse qui fut agréable à Dieu ». L’étonnant est que le futur chef ne naît ni avant ni après, mais au milieu même de ces mesures de fureur.
« Et il fut nourri trois mois dans la maison de son père ». C’est quand tout est humainement désespéré, quand ses parents l’ont rejeté, que l’action de la Providence se montre avec éclat. « Exposé ensuite, la fille de Pharaon le prit et le nourrit comme son fils ». Quand de si grands événements se passaient, il n’y avait encore ni temple, ni sacrifice. Et il fut nourri dans une maison étrangère. « Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens, et il était puissant en paroles et en œuvres ». Je m’étonne qu’il eût vécu là quarante ans et que la circoncision ne l’ait pas trahi ; et encore plus que lui et Joseph, au sein d’une vie tranquille, aient ainsi négligé leurs propres intérêts pour sauver les autres. « Mais lorsque s’accomplissait sa quarantième année, il lui vint dans l’esprit de visiter ses frères, les enfants d’Israël. Et ayant vu l’un d’eux injustement traité, il défendit et vengea celui qui souffrait l’injure, en frappant l’Égyptien. Or, il pensait que ses frères comprendraient, que Dieu les sauverait par sa main ; mais ils ne le comprirent pas ».
Voyez comme Étienne ne paraît point encore importun, quand il rappelle de si grands événements, et comment on supporte de l’entendre : tant la beauté de son visage les charmait ! « Il pensait que ses frères comprendraient ». Et pourtant il prouvait sa mission par ses œuvres, et il n’y avait pas besoin d’un effort d’intelligence ; néanmoins, ils ne comprirent pas. Voyez avec quelle modération il parle, et comment, après avoir montré Moïse irrité dans cette circonstance, il nous le présente plein de douceur dans une autre. « Le jour suivant il en vit qui se querellaient, et il s’efforçait de les remettre en paix, en disant : « Hommes, vous êtes frères ; pourquoi vous faites-vous tort l’un à l’autre ? Mais celui qui faisait injure à l’autre le repoussa en disant : Qui t’a établi chef et juge sur nous ? Veux-tu me tuer comme tu as tué hier l’Égyptien ? » C’était dans les mêmes sentiments, paraît-il, et dans le même langage qu’ils disaient au Christ : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». Ainsi les Juifs avaient-ils coutume de traiter leurs bienfaiteurs. Voyez-vous la folie ? Ils accusent celui qui doit les sauver, en disant : « Comme tu as tué hier l’Égyptien. Sur cette parole, Moïse s’enfuit, et il demeura comme étranger sur la terre de Madian, où il engendra deux fils ». Il fuit, mais la fuite, pas plus que là mort, ne détruisit l’œuvre providentielle. « Et après quarante ans, l’ange du Seigneur lui apparut dans le désert du mont Sina, au milieu d’un buisson enflammé ».
3. Voyez-vous comme le temps ne saurait nuire aux vues de la Providence ? C’est quand il est en fuite, quand il est proscrit, quand il a passé un long temps sur la terre étrangère et qu’il y a eu deux fils, quand il n’y a plus d’espoir de retour, c’est alors que l’ange lui apparaît. Il donne le nom d’ange au Fils de Dieu, comme à un homme. Et où a lieu l’apparition ? Dans le désert, non dans le temple. Vous le voyez : combien de prodiges ! Et il n’y a point de temple, point de sacrifice. Et ce n’est pas seulement dans le désert, mais dans un buisson. « Ce que Moïse apercevant, il admira la vision, et comme il s’approchait pour examiner, la voix du Seigneur se fit entendre ». Voilà que Dieu lui fait l’honneur de lui parler. « Je suis le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ». Ici, on voit non seulement que l’ange qui lui apparaît est l’ange du grand conseil, mais encore on découvre la bonté que Dieu montre dans cette vision. « Mais Moïse, devenu tout tremblant, n’osait plus regarder. Et le Seigneur lui dit : Ôte la chaussure de tes pieds ; car le lieu où tu es est une terre sainte ». Il n’y a pas de temple, et le lieu est devenu saint par l’apparition et l’opération du Christ. C’est bien plus merveilleux que le Saint des saints, où Dieu n’a jamais apparu de cette manière, où jamais Moïse n’a ainsi tremblé. Vous avez vu la bonté de Dieu, voyez aussi sa sollicitude. « J’ai vu parfaitement l’affliction de mon peuple qui est en Égypte, j’ai entendu son gémissement, et je suis descendu pour le délivrer. Maintenant, viens, je t’enverrai en Égypte ». Ici, il fait voir que Dieu les conduisait par des bienfaits, par les châtiments et par les prodiges ; mais eux restaient les mêmes. Ceci nous apprend aussi que Dieu est partout. Convaincus de cette vérité, recourons à lui dans les afflictions. « J’ai entendu son gémissement ». – Il ne dit pas simplement : « J’ai entendu » ; mais : à cause des malheurs. Et si quelqu’un demande Pourquoi a-t-il permis qu’ils fussent ainsi affligés ? qu’il apprenne que les afflictions sont pour tous les justes des sources de récompenses ; ou encore il a permis qu’ils – fussent affligés pour faire éclater sa puissance et leur apprendre à être sages en tout. Et voyez que dans le désert non seulement « ils s’engraissèrent, ils s’épaissirent, ils s’élargirent », mais encore ils abandonnèrent Dieu. Car partout, mon cher auditeur, le relâchement de l’âme est un mal. Voilà pourquoi Dieu dit à Adam dès le commencement : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». Il a permis qu’ils fussent affligés, de peur que, passant à un repos parfait du sein d’une grande tribulation, ils n’en conçussent de l’arrogance, car l’affliction est un grand bien.
Écoutez là-dessus le roi David : « C’est pour mon bien que vous m’avez humilié ! » L’affliction est une grande chose pour les grands hommes, objets de notre admiration, à plus forte raison pour nous. Si vous voulez, examinons-la en elle-même. Supposons un homme nageant dans la joie, livré au plaisir et à la volupté : quoi de plus honteux ? quoi de plus insensé ? Supposons au contraire quelqu’un accablé de douleur et de chagrin, quoi de plus sage ? Aussi le Sage nous dit-il : « Il vaut mieux entrer dans une maison de deuil que dans une maison de joie ». (Sir. 7,3) Peut-être vous moquez-vous de ce que je dis ? Eh bien ! voyons ce qu’Adam fut dans le paradis et ce qu’il fut après ; ce que Caïn fut d’abord et ce qu’il fut ensuite. L’âme ne reste point fixe en elle-même ; mais, comme le souffle du vent, le plaisir l’emporte, elle devient légère, elle n’a plus rien de solide. En effet, elle est prompte à promettre, prompte à engager sa parole, et ballottée par une multitude de raisonnements. De là des rires déplacés, de la gaîté sans raison, un flux de paroles niaises et inutiles. Mais pourquoi parler de la foule ? Prenons quelque saint, par exemple, et voyons ce qu’il a été dans la joie et ce qu’il a été dans la tristesse. Voulez-vous que nous choisissions David ? Quand il était dans le plaisir et dans le bonheur à raison de ses nombreux trophées, de ses victoires, de ses couronnes, de ses délices, de sa sécurité, voyez ce qu’il a dit et ce qu’il a fait : « Pour moi j’ai dit au sein de mon abondance : Je ne serai plus jamais ébranlé ». (Ps. 29) Mais écoutez ce qu’il disait quand il était dans l’affliction : « Et s’il me dit : Je ne veux plus de toi ; me voici : qu’il fasse ce qui sera agréable à ses yeux ». (2Sa. 15,26) Quoi de plus sage que ces paroles : que tout ce qui plaît à Dieu s’accomplisse ? Et encore ce qu’il disait à Saül : « Si le Seigneur vous excite contre moi, que votre sacrifice soit de bonne odeur ». (1Sa. 24,19) Quand il était dans l’affliction, il épargnait même ses ennemis ; mais dans la suite il n’épargna ni ses amis, ni ceux qui ne lui avaient fait aucun mal. Jacob disait aussi dans sa tristesse : « Si Dieu me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ». (Gen. 27,30) Jusque-là le fils de Noé n’avait rien fait de coupable ; mais dès qu’il fut assuré d’être sauvé, vous savez comme il devint insolent. Et quand Ezéchias était dans l’affliction, voyez ce qu’il a fait pour son salut : il revêtit un sac et s’assit à terre ; mais quand il était dans la joie, il tomba par enflure de cœur. Aussi Moïse donne-t-il cet avis : « Quand tu auras mangé et bu et que tu seras rassasié, souviens-toi de ton Dieu ». (Deut. 6,12) Un lieu de délices est dangereux et produit l’oubli de Dieu. Quand les Israélites étaient dans l’affliction, ils étaient beaucoup plus nombreux ; dans les temps prospères ils périssaient tous. Mais pourquoi chercher des exemples chez les anciens ? Voyons, si vous le voulez, ce qui se passe chez nous. La plupart s’enflent quand ils sont dans la prospérité ; ils sont odieux à tout le monde, ils sont colères tant qu’ils jouissent du pouvoir : quand ils l’ont perdu, ils deviennent humbles, doux, et sont ramenés à l’étude, de leur propre nature. C’est ce que David nous enseigne, quand il dit : « L’orgueil les a dominés jusqu’à la fin ; leur iniquité est comme le résultat de leur embonpoint ». J’ai dit tout cela afin que nous ne cherchions pas la joie à tout prix. Mais, demandez-vous, pourquoi Paul dit-il : « Réjouissez-vous toujours ? » Il n’a pas dit simplement : « Réjouissez-vous » ; mais il a ajouté : « Dans le Seigneur ».
4. Et voilà la plus grande joie, celle que goûtaient les apôtres, la joie profitable, qui a son principe, sa racine, sa matière dans les prisons, dans la flagellation, dans les persécutions, ce qui lui donne un résultat avantageux. Toute autre est la joie du monde : elle commence par le plaisir, elle finit par la tristesse. Je ne défends pas de se réjouir dans le Seigneur ; j’y exhorte beaucoup au contraire. Les apôtres étaient flagellés, et ils se réjouissaient ; ils étaient chargés de chaînes, et ils rendaient grâces ; ils étaient lapidés, et ils prêchaient. Voilà la joie que je veux ; celle qui ne procède point de la chair, mais de l’esprit. On ne peut se réjouir à la fois selon le monde et selon Dieu ; car quiconque se réjouit selon le monde se réjouit de la richesse, de la volupté, de la gloire, de la puissance, du faste ; mais celui qui se réjouit selon Dieu, se réjouit d’être méprisé pour lui, de la pauvreté, du délaissement, du jeûne, de l’humilité. Ce sont, vous le voyez, des motifs tout opposés. Ici tous ceux qui sont sans joie sont sans chagrin, et ceux qui sont sans chagrin sont sans joie. Et en réalité voilà ce qui fait le véritable bonheur ; car, du côté du monde, il n’y en a que le nom de bonheur, puisque tout est dans la tristesse. Quelle n’est pas la tristesse de l’orgueilleux ? Combien son arrogance ne lui coûte-t-elle pas ! Il s’attire mille injures, une grande haine, beaucoup d’inimitié, de jalousie, d’envie. S’il est injurié par de plus puissants que lui, il s’en afflige ; s’il ne tient pas tête à tout le monde, il est déchiré. Mais l’homme humble, au contraire, jouit d’une grande félicité ; il n’attend d’honneurs d’aucun côté ; s’il en reçoit, il s’en réjouit ; s’il n’en reçoit point, il ne s’attriste pas, il se félicite plutôt. Ainsi il y a une grande volupté à recevoir des honneurs sans les rechercher. L’homme du monde, au contraire, cherche à être honoré et ne l’est pas. Mais l’honneur ne procure pas le même plaisir à celui qui le recherche et à celui qui ne le recherche pas. Le premier ne croit jamais en avoir assez, tant qu’il en puisse avoir ; si peu que le second en reçoive, il est aussi content que s’il avait tout. De plus l’homme qui vit dans les délices a mille affaires, bien que ses revenus arrivent facilement et coulent comme de source ; il craint les maux qui naissent de la volupté, et les incertitudes de l’avenir ; l’autre est toujours tranquille, toujours joyeux, parce qu’il est habitué au régime de la médiocrité. Il ne se croit pas malheureux parce qu’il n’a pas une table splendide, mais il jouit de n’avoir point à redouter un avenir incertain. Quant aux maux qui naissent d’une vie de délices, chacun les connaît, mais il est nécessaire d’en dire un mot. Il y a deux guerres, celle du corps et celle de l’âme ; il y a deux tempêtes, deux maladies, et de plus, ces maladies sont incurables et entraînent de grandes calamités. Il n’en est pas de même de la frugalité ; elle procure une double santé, des avantages doubles. « Un sommeil sain », dit le Sage, « est le partage de l’estomac sobre ». (Sir. 31,24) En toute chose la médiocrité est désirable, et le défaut de modération a des inconvénients. Et voyez jetez sur un petit charbon une grande quantité de bois, vous n’aurez pas une flamme brillante, mais une fumée extrêmement désagréable.
Chargez un homme grand et fort d’un fardeau qui dépasse ses forces, vous le verrez tomber à terre avec sa charge. Mettez sur un navire une cargaison trop lourde, vous ferez un misérable naufrage. Il en est ainsi d’une vie de délices ; car de même que dans les vaisseaux surchargés il y a un grand tumulte, quand les matelots, le pilote, le timonier, les passagers, jettent à la mer ce qui est sur le pont et ce qui est, à fond de cale ; ainsi le voluptueux rejette tout, se corrompt lui-même et périt[6]. Et ce qu’il y a de plus honteux, c’est que le rôle des organes est interverti, que la bouche est assimilée aux parties les moins nobles et se trouve plus, déshonorée qu’elles ; que si la bouche est ainsi dégradée, que sera-ce de l’âme ? Là tout est obscurité, tempête, ténèbres, confusion de pensées pressées, étreintes, l’âme elle-même proclamant sa détresse. Aussi ceux qui sont les esclaves de leur ventre s’accusent les uns les autres, ne se supportent pas mutuellement et rejettent avec empressement toute l’ordure de leur cœur. Et quand elle est rejetée, ils n’ont pas le calme pour autant ; mais il leur reste les maladies et les fièvres. Oui, dira-t-on, ils sont malades, et leur conduite est honteuse ; il est inutile de nous raconter tout cela, de nous énumérer leurs maladies ; mais moi, qui n’ai pas de quoi manger, je suis malade aussi, je suis déchiré, je me conduis honteusement ; et ceux qui vivent dans les délices on les voit en bon état, gras, joyeux, montés sur des chevaux. Hélas ! quel langage déplorable ! Et ceux qui souffrent de la goutte, qui ne vont qu’en voiture, qui sont liés et bandés dans tous les membres, dites-moi un peu d’où viennent-ils ? Je les nommerais par leurs noms, si je ne craignais qu’ils ne s’en offensassent comme d’une injure. Mais, dirait-on, il y en a qui se portent bien, sans doute, mais parce qu’ils s’adonnent au travail et non pas seulement au plaisir. Mais montrez-moi un homme toujours s’engraissant, toujours oisif et inerte, inoccupé et malgré cela bien portant, vous ne le pouvez pas. Quand tous les médecins seraient là, ils ne pourraient guérir de ses maladies l’homme toujours adonné à son ventre : la nature des choses ne le permet pas. Je vais vous donner l’opinion même des médecins :
Tout ce qu’on introduit dans l’estomac ne devient pas aliment ; car la nourriture elle-même ne contient pas uniquement des éléments nutritifs ; il est des parties destinées aux sécrétions, d’autres à l’alimentation. Si donc vous usez de modération, tout se passe en règle, chaque chose prend sa place propre ce qui est sain et utile va où il doit aller, l’inutile et le superflu se sépare et est rejeté. Mais si vous ne gardez pas de mesure, même ce qui est nutritif devient nuisible. Un exemple rendra ceci plus sensible : Dans le blé il y a la fleur de farine, là farine et le son. Si la meule rencontre la quantité qu’elle peut moudre, elle sépare elle-même les parties ; si on lui en jette trop à la fois, tout est confondu. Il en est de même du vin : si on le traite d’une manière convenable et dans le temps voulu, il se fait d’abord un mélange, puis une partie descend et forme la lie, l’autre monte en écume, et le reste est à l’usage de ceux qui veulent en user : c’est la partie utile qui ne subit pas volontiers de changements ; mais jusque-là ce n’est ni du vin ni de la lie, car tout est mêlé. Ainsi en est-il encore de la mer dans une grande tempête. De même donc que nous voyons alors surnager les poissons morts qui n’ont pu descendre au fond à raison du froid ; ainsi quand la voracité fond sur nous comme un torrent, elle met tout en mouvement et fait surnager comme mortes nos pensées jusque-là saines et tranquilles. Eh bien ! puisque tant d’exemples nous font voir de si grands inconvénients, cessons d’appeler heureux ceux qu’il faudrait appeler malheureux, et de plaindre ceux qu’il faudrait appeler heureux, et aimons la sobriété. N’entendez-vous pas les médecins dire que la pauvreté est la mère de la santé ? Et moi je dis qu’elle n’est pas seulement la mère de la santé du corps, mais aussi de celle de l’âme. C’est ce que Paul, ce vrai médecin, nous crie : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». Suivons son avis, afin d’être sains et de faire ce qu’il faut faire dans Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII. modifier


CE MOÏSE, QU’ILS AVAIENT RENIÉ, DISANT : QUI L’A ÉTABLI CHEF ET JUGE SUR NOUS ? FUT CELUI-LÀ MÊME QUE DIEU ENVOYA COMME CHEF ET LIBÉRATEUR PAR LA MAIN DE L’ANGE QUI LUI APPARUT DANS LE BUISSON. (CHAP. 7,35, JUSQU’AU VERS. 53)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Suite du discours de saint Étienne. – Que la législation mosaïque et le temple n’étaient que des institutions transitoires.
  • 3 et 4. Parlons et agissons en toute occasion avec le calme et la confiance de saint Étienne. – La colère dégrade l’homme ; il n’est pas d’action dans la vie qu’elle ne trouble, pas de dessein qu’elle ne fasse échouer. – On l’a bien définie un mouvement déraisonnable. – Loin de nous cette colère funeste ; mais ayons celle qui brûle d’opérer le salut de notre prochain. – Trop souvent nous sommes mous et sans vigueur lorsqu’il s’agit de corriger le prochain, et violent quand il faudrait montrer de la mansuétude.


1. Voici qui convient parfaitement au but qu’on se propose. « Ce Moïse », quel est-il ? Celui qui a failli périr, celui qu’ils ont méprisé, qu’ils ont renié en disant : « Qui t’a établi chef ? » Tout comme ils disaient au Christ : « Nous n’avons de roi que César. Ce fut celui-là que Dieu envoya comme chef et « libérateur par la main de l’ange qui lui avait dit : Je suis le Dieu d’Abraham ». Il montre ici que les miracles qui furent opérés, le furent par le Christ. « Celui-là », c’est-à-dire, Moïse (et voyez comme il le fait briller), « les a tirés de la terre d’Égypte, y opérant des prodiges et des miracles, aussi bien que dans la mer Rouge et dans le désert pendant quarante ans. C’est ce Moise qui a dit aux enfants d’Israël : Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi », c’est-à-dire, méprisé, exposé aux embûches. En effet, Hérode a voulu tuer le Christ, qui a été sauvé en Égypte, comme Moïse encore enfant avait été mis en danger de périr. « C’est lui qui se trouva dans l’assemblée du peuple au désert, avec l’ange qui lui parlait sur le mont Sina, et avec nos pères, lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Encore une fois, point de temple, point de sacrifice. « Avec l’ange, il reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Ici il indique que Moïse n’a pas seulement fait des prodiges, mais aussi donné une loi comme le Christ. Et comme Moïse a fait des miracles avant de donner une loi, ainsi a fait le Christ. Mais habitués à désobéir, ils ne l’écoutèrent point, même après les prodiges, même après les miracles opérés pendant quarante ans. non seulement ils n’obéirent point, mais ils firent tout le contraire. D’où il ajoute : « Et nos pères ne voulurent point lui obéir, mais ils le repoussèrent, retournant de cœur en Égypte, et disant à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ; car ce Moïse, qui nous a tirés de la terre d’Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent une victime à l’idole, et ils se réjouissaient dans l’œuvre de leurs mains. Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes : « Maison d’Israël, m’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert ? Vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer. Aussi je vous transporterai au-delà de Babylone. Il les laissa », c’est-à-dire, il permit. « Et le tabernacle du témoignage a été avec nos pères dans le désert comme Dieu le leur avait ordonné, parlant à Moïse afin qu’il le fît selon le modèle qu’il avait vu ».
Bien qu’il y eût un tabernacle, il n’y avait pas de sacrifices. Et la preuve en est dans ces paroles du prophète : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices ? » Le tabernacle du témoignage existait, et il leur était inutile, car ils périssaient. Avant cela les miracles n’avaient servi à rien ; ils ne servirent pas davantage après. « Et l’ayant reçu, nos pères l’emportèrent ». Voyez-vous que tout lieu est sanctifié par la présence de Dieu ? Aussi dit-il : « Dans le désert », pour comparer lieu à lieu. Ensuite vient le bienfait. « Et l’ayant reçu, nos pères l’emportèrent sous Jésus dans le pays des nations que Dieu chassa devant nos pères jusqu’aux jours de David, qui trouva grâce devant Dieu et demanda de trouver une demeure pour le Dieu de Jacob ». David demanda de bâtir, et cela ne lui fut point accordé, quoiqu’il fût grand et admirable. C’est Salomon, ce prince rejeté, qui bâtit. Aussi ajoute-t-il : « Ce fut Salomon qui lui bâtit un temple. Mais le Très-Haut n’habite pas dans les temples faits de main d’homme ». Ce qui précède l’avait déjà prouvé, mais la parole du prophète le déclare encore ; écoutez comment : « Selon ce que dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, ou quel est le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait toutes ces choses ? » Ne vous étonnez pas, leur dit-il, si le Christ fait du bien même à ceux qui le rejettent comme roi, puisqu’il en a été ainsi du temps de Moïse. Et il ne les a pas seulement sauvés, mais sauvés pendant qu’ils étaient dans le désert. Ne voyez-vous pas que tous ces miracles ont été faits pour eux ? Ainsi celui qui s’était entretenu avec Dieu, qui avait été sauvé contre toute attente, qui avait fait tant de prodiges et était doué d’une si grande puissance, montre que la prophétie devait être entièrement accomplie, et n’est point en contradiction avec lui-même.
Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « C’est ce Moïse qui a dit : Dieu vous suscitera un prophète comme moi ». C’est à cela, je pense, que le Christ faisait allusion, quand il disait : « Le salut vient des Juifs » (Jn. 4,22), se désignant lui-même : « C’est lui qui se trouva au désert avec l’ange qui lui parlait ». Il montre une seconde fois que c’est le Christ qui a donné la loi, puisqu’il était avec Moïse dans l’assemblée, dans le désert. Il rappelle ici le grand prodige qui s’est opéré sur la montagne. « Qui a reçu les paroles de vie pour nous les donner ». Moïse fut partout admirable, mais surtout au moment où il fallait donner la loi. Que signifient ces mots : « Paroles de vie ? » Ils désignent ou ce que ses discours avaient en vue, ou les prophéties. Puis vient le reproche aux patriarches, qui, après tant de signes et de prodiges, après avoir reçu les paroles de vie, « ne voulurent point lui « obéir ». Il les appelle avec raison « paroles de vie », pour montrer qu’il y en a d’autres qui ne sont point telles, ainsi que le dit Ézéchiel : « Je vous ai donné des commandements qui ne sont pas bons ». (Ez. 20,25) C’est pour cela qu’il dit : « Paroles de vie. Mais ils le repoussèrent, retournant de cœur en Égypte », où, ils gémissaient, où ils criaient, où ils invoquaient Dieu. « Et ils dirent à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ».
2. O folie ! « Fais », disent-ils, « afin qu’ils marchent devant nous ». Où ? Vers l’Égypte. Voyez-vous comme ils renonçaient difficilement aux mœurs des Égyptiens ? Que dites-vous ? Vous n’attendez pas celui qui vous a délivrés, vous rejetez le bienfait, vous fuyez votre bienfaiteur ? Et voyez comme ils l’outragent ! « C’est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d’Égypte ». Le nom de Dieu n’est prononcé nulle part ; tout est attribué à Moïse. Quand il faudrait rendre grâces, on met en avant le nom de Moïse ; mais quand il faut obéir à la loi, on n’en parle plus. Il leur avait dit qu’il montait pour recevoir la loi ; ils me l’attendirent pas même quarante jours. « Fais-nous des dieux ». Ils ne disent pas : un dieu, mais « des dieux », tant ils étaient égarés, au point de ne savoir ce qu’ils disaient. « Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent des sacrifices à l’idole ». Voyez-vous l’excès de leur folie ? Pendant que Dieu se manifeste à Moïse, ils font un veau et lui immolent des victimes. « Et ils se réjouissaient dans l’œuvre de leurs mains ». Ils se réjouissaient quand il eut fallu rougir. Et quoi d’étonnant si vous méconnaissez le Christ, quand vous méconnaissez Moïse et Dieu qui s’est manifesté par tant de miracles ? Mais les Juifs ne se contentent pas de méconnaître, ils outragent en faisant des idoles. « Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel ». Voilà l’origine de ces coutumes, de ces sacrifices ; ils ont d’abord immolé aux idoles. C’est ce que David rappelle quand il dit : « Et ils firent un veau à Horeb et ils adorèrent l’ouvrage du ciseau ». (Ps. 105) En effet, avant cela on ne parlait pas même de sacrifices, mais de préceptes de vie, de paroles de vie ; point d’initiations, mais des prodiges et des signes. « Comme il est écrit au livre des prophètes ». Ce n’est pas sans raison qu’il produit ce témoignage, mais pour prouver qu’il n’y a pas besoin de sacrifices. Et voyez ce qu’il dit : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert ? Au contraire, vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer ». Ce langage est emphatique ; il signifie : Vous ne pouvez dire que vous avez sacrifié aux dieux parce que vous me sacrifiiez d’abord à moi-même. Et cela dans le désert, où il avait surtout pris leur direction. « Et vous avez porté le tabernacle de Moloch ». Voilà la cause des sacrifices.
« Aussi je vous transporterai au-delà de Babylone ». Ainsi la captivité accuse leur malice. Mais, direz-vous, pourquoi y avait-il un « tabernacle du témoignage ? » Afin qu’ils eussent Dieu pour témoin ; c’était là son seul but. « Selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne ». Ainsi la description en avait été faite sur la montagne ; on le portait de tous côtés dans le désert, et il ne se fixait nulle part. Il l’appelle « tabernacle du témoignage » uniquement à cause des prodiges et des préceptes. Cependant ni le tabernacle ni eux n’avaient de temple. L’ange en avait donc donné la figure. « Jusqu’aux jours de David ». Ainsi jusque-là il n’y eut pas de temple, et pourtant les nations avaient été repoussées, celles dont il est dit : « Que Dieu chassa devant nos pères ». Il a dit cela pour montrer encore une fois qu’il n’y avait pas de temple. Quoi donc ? Tant de miracles et point de temple ? Oui ; le tabernacle d’abord, et point de temple. Et il demanda de trouver grâce devant le Seigneur. Il demanda et ne bâtit pas ; le temple n’était donc pas une bien grande chose, bien que, pour l’avoir bâti, Salomon soit réputé grand par quelques-uns et même préféré à son père. Mais la preuve qu’il n’était pas meilleur que son père, qu’il ne l’égalait même pas (sauf l’opinion d’un petit nombre), est dans le passage suivant : « Le Très-Haut n’habite pas dans des temples bâtis de main d’homme, selon la parole du prophète : Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds ». Et encore ces choses ne sont-elles pas dignes de Dieu ; puisqu’elles sont créées, puisqu’elles sont l’œuvre de ses mains ? Voyez comme il élève peu à peu leur pensée ! Il fait voir par le prophète que ce langage même n’est pas digne de Dieu.
Et pourquoi, dira-t-on, parle-t-il ici avec tant de vivacité ? L’approche de la mort lui donnait une grande liberté : car je pense qu’il la connaissait par révélation. « Hommes à tête dure et incirconcis du cœur et des oreilles » ; ceci est encore prophétique et ne lui est pas propre. « Vous résistez toujours à l’Esprit-Saint. Il en est de vous comme de vos pères ». Quand il ne voulait pas qu’il y eût de sacrifices, vous en faisiez ; quand il en veut, vous n’en faites plus ; quand il ne voulait pas vous donner de préceptes, vous en demandiez ; quand vous les aviez reçus, vous les avez méprisés ; quand le temple était debout, vous adoriez des idoles ; quand il veut être adoré dans le temple, vous faites tout le contraire. Remarquez qu’il ne dit pas : Vous résistez à Dieu, mais et à l’Esprit » ; ainsi il n’y voyait aucune différence. Il va plus loin : « Il en est de vous comme de vos pères ». Le Christ leur faisait le même reproche, voyant qu’ils se glorifiaient toujours de leurs pères « Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? Ils ont mis à mort ceux qui prédisaient la venue du Juste ». Pour les contenir, il leur parle encore « du Juste : que vous avez naguère trahi et mis à mort ». Il leur fait deux reproches : de l’avoir méconnu, et de l’avoir fait mourir. « Vous qui avez reçu la loi par le ministère, des anges et ne l’avez pas gardée »
3. Qu’est-ce que cela ? Quelques-uns pensent que les anges auraient réglé la loi. Mais il n’en est pas ainsi. Où a-t-on jamais vu que les anges aient réglé une loi ? Il veut dire que la loi a été donnée à Moïse par le ministère de l’ange qui lui a apparu dans le buisson. En effet, n’était-il pas homme ? Rien donc d’étonnant que ceux qui avaient fait l’un, aient encore fait l’autre ; si vous avez tué ceux qui annonçaient, à plus forte raison deviez-vous tuer celui qui était annoncé. Il démontre ainsi qu’ils ont désobéi à Dieu, aux anges, aux prophètes, à l’Esprit, à tous, comme le dit ailleurs l’Écriture : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes et renversé vos autels ». (1R. 19,10) Ils ne respectaient donc la loi qu’en apparence, quand ils disaient : « Il blasphème contre Moïse ». Mais lui leur démontre qu’ils blasphèment non seulement contre Moïse, mais aussi contre Dieu ; qu’ils ont déjà fait cela autrefois, qu’ils ont détruit les traditions et qu’ils n’en ont plus besoin ; que tout en lui reprochant d’être en opposition avec Moïse, ils résistent eux-mêmes à l’Esprit, non d’une manière ordinaire, mais avec homicide, et que depuis longtemps ils nourrissent leur inimitié. Voyez-vous comme il leur prouve qu’ils sont en opposition avec Moïse, avec tous, et qu’ils n’observent pas la loi ? En effet, Moïse avait dit : « Le Seigneur vous suscitera un prophète » ; d’autres avaient prédit qu’il viendrait ; un prophète même avait dit : « Quelle maison me bâtirez-vous ? » Et encore : « M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans ? » C’était là la liberté d’un homme portant sa croix.
Imitons-la, bien que nous ne soyons pas en guerre ; la liberté est de tous les temps. « Je parlais », dit-il, « de votre loi en présence des rois et je n’étais point confondu ». (Ps. 118) Si nous sommes aux prises avec des gentils, fermons-leur ainsi la bouche, sans colère, sans rudesse. Car si nous agissons avec colère, ce n’est plus de la liberté, mais de la passion ; si nous procédons avec douceur, c’est de la vraie liberté. Il n’est pas possible que la même chose sait en même temps vertu et vice. La liberté est une vertu, la colère est un vice. Si nous voulons parler librement, nous devons donc être exempts de colère, de peur qu’on n’attribue notre langage à cette passion. Quelque justes que soient vos paroles, de quelque liberté que vous usiez, quelques avertissements que vous donniez, quoi que vous fassiez enfin ; si vous agissez avec colère, tout est perdu. Voyez qu’Étienne parle sans colère ; il ne les injurie pas, mais il se contente de leur rappeler les paroles des prophètes. Et la preuve qu’il était sans colère, c’est qu’il a prié pour ceux qui le maltraitaient, disant : « Ne leur imputez pas ce péché ». Paroles qui ne respirent point la colère, mais la douleur et la tristesse qu’il ressent à leur occasion. Aussi est-il dit de son visage : « Ils virent son visage comme le visage d’un ange », afin de les attirer.
Soyons donc exempts de colère. Là où elle se – trouve, l’Esprit-Saint n’habite pas maudit l’homme qui s’y livre ! Il n’y a rien de sain à attendre d’une telle source. Car comme dans la tempête il se fait un grand tumulte, de grands cris, et que ce n’est pas le moment de philosopher ; ainsi en est-il dans la colère. Si on veut donner ou recevoir des leçons de philosophie, il faut attendre à être dans le port. Ne voyez-vous pas que, quand nous voulons parler de choses sérieuses, nous cherchons des endroits tranquilles, où règne le calme et la paix, afin de n’être point dérangés ? Que si le tumulte du dehors nous gêne, à plus forte raison le trouble du dedans. Si quelqu’un prie, sa prière est inutile, s’il la fait avec emportement et colère ; s’il parle, il est ridicule ; s’il se tait, il ne l’est pas moins ; s’il mange, il en souffre ; de même s’il boit ou ne boit pas ; s’il est assis ou debout ; s’il marche ou s’il dort : car la colère peut s’imaginer dans les rêves. Y a-t-il rien qui ne soit déplacé dans l’homme en colère ? Son regard est déplaisant, sa bouche tordue, ses membres tremblants et enflés, sa langue n’a plus de frein et ne ménage rien, son esprit est hors de lui-même ; sa tenue est inconvenante ; tout est désagréable en lui. Quelle différence y a-t-il entre les yeux des possédés du démon et ceux de l’homme qui est ivre ou en colère ? N’est-ce pas la même fureur ? Cela ne dure qu’un temps, dira-t-on, mais le furieux n’est enchaîné non plus que temporairement : et quoi de plus misérable ? Et on ne rougit pas de s’excuser en disant : Je ne savais ce que je disais l Et pourquoi ne le saviez-vous pas, vous homme raisonnable, vous qui avez la raison à votre disposition ? Pourquoi vous conduisez-vous comme les animaux brutes, comme le cheval furieux et emporté ? Cette apologie même est coupable. Plût au ciel que vous eussiez su ce que vous disiez ! C’était la colère qui parlait, dites-vous, et non pas moi. Comment était-ce la colère, puisqu’elle n’a pas d’autre puissance que celle que vous lui prêtez ? C’est comme si l’on disait : Ce n’est pas moi, mais ma main qui a porté ces blessures. Qu’est-ce qui a surtout besoin de colère ? n’est-ce pas la guerre ? n’est-ce pas le combat ? Et pourtant, là encore, la colère gâte tout, perd tout. Car c’est surtout dans le combat qu’il faut se tenir en garde contre la colère ; surtout encore quand on veut proférer une injure. Et comment combattre ? direz-vous. Par la raison, par la douceur. Combattre, c’est être d’un côté opposé. Ne voyez-vous pas que les guerres mêmes ont des lois, un ordre, des temps fixes ? La colère n’est autre chose qu’un élan déraisonnable ; or, un être sans raison ne peut rien faire de raisonnable.
4. Ainsi donc Étienne disait tout cela et ne se fâchait point. C’était aussi sans colère qu’Élie disait : « Jusqu’à quand boiterez-vous des deux côtés ? » (1R. 18,21) Phinéés porta le coup mortel et ne se fâcha pas. Car la colère ne laisse pas voir ; enchaînant tout comme dans un combat de nuit, elle égare à son gré les yeux et les oreilles. Débarrassons-nous donc de ce démon, arrêtons-le dès le début, mettons en guise de frein un sceau sur notre cœur. La colère est un chien impudent ; qu’elle apprenne à se soumettre à la loi. Si le chien chargé de la garde du troupeau est tellement féroce, qu’il n’obéisse pas à l’ordre du berger et ne reconnaisse pas sa voix, tout est détruit, tout est perdu. Il paît avec les brebis ; mais s’il les dévore, il devient inutile et on le tue. S’il sait vous obéir, nourrissez-le ; il est utile en aboyant contre les loups, contre les voleurs, contre le chef des voleurs, mais non contre les brebis ou les gens de la maison. S’il n’est pas docile, il perd tout ; s’il méprise lavoir du maître, il détruit tout. Loin d’altérer la douceur qui est en vous ; que la colère la protège, et la fasse fleurir ; or, elle la protégera et la fera prospérer en toute sécurité, si elle consume les pensées impures et mauvaises, si elle poursuit le démon à outrance. Et le moyen de conserver la douceur, c’est de ne jamais penser de mal du prochain : nous nous rendrons respectables en apprenant à né jamais agir avec insolence. Rien ne rend impudent comme une mauvaise conscience. Pourquoi les prostituées sont-elles impudentes ? Pourquoi les vierges sont-elles pudiques ? N’est-ce pas le péché qui en ; est cause chez celles-là, et la chasteté chez celles-ci ? Car rien ne rend impudent comme le péché.. C’est tout le contraire, dites-vous ; il inspire la honte. Qui, chez celui qui se condamne lui-même ; mais il rend les autres plus insolents, plus, hardis, car l’homme qui désespère de lui-même devient audacieux. Il est écrit, : « Quand l’impie est arrivé au fond de l’abîme du péché, il méprise ». (Prov. 18,3) Tout homme qui ne sait plus rougir est insolent, et tout insolent est audacieux. Voulez-vous savoir où se perd la douceur ? Quand les mauvaises pensées l’absorbent.
Mais quand cela serait, et quand le chien n’aurait pas poussé de grands aboiements, il ne faudrait pas encore désespérer. Car nous avons une fronde et une pierre (vous savez ce que je veux dire).: nous avons une lance, une étable, un enclos, où nous pouvons abriter nos pensées contre le péril. Traiter doucement les brebis, se montrer vigilant et féroce contre les étrangers, voilà le mérite du chien ; puis ne pas toucher aux brebis, quand il a faim, et quand il est rassasié, ne pas épargner les loups. Qu’il en soit ainsi de la colère ; même quand elle mord, qu’elle ne s’écarte point des lois de la modération ; quand elle est en repos, qu’elle s’anime contre les mauvaises pensées. Elle ne doit point négliger, mais garder ce qui est à nous, fût-il blessant d’ailleurs ; elle doit détruire ce qui est étranger, quelque flatteur qu’il paraisse. Souvent le démon flatte comme un chien ; mais que chacun sache qu’il est étranger. Ainsi, accueillons la vertu, même quand elle attriste : repoussons le vice, même quand il réjouit. Ne soyons pas au-dessous des chiens, à qui le fouet et les chaînes ne font pas lâcher prise. Mais si l’étranger les nourrit, ne seront-ils pas encore plus nuisibles ? Il est des cas où la colère est utile : c’est quand elle aboie contre les étrangers. Que signifient ces mots : « Celui qui se met sans raison en colère contre son frère ? » (Mt. 5,22) C’est-à-dire, ne vous vengez pas, ne réclamez pas en justice ; mais si vous voyez quelqu’un en danger de périr, tendez-lui la main. Dès que vous êtes dégagé de toute affection personnelle, ce n’est plus de la colère.
David surprit Saül ; il ne se fâcha pas, il ne le perça pas de sa lance, il ne s’empara point de son ennemi, mais il repoussa l’assaut du démon. Moise tua l’étranger qui commettait une injustice ; mais il n’en agit point de même avec un homme de son peuple ; il réconciliait ses frères et repoussait les étrangers. Aussi, l’Écriture lui rend-elle ce témoignage : qu’il était le plus doux des hommes ; et pourtant il était vigilant. Il n’en est pas, ainsi de nous Quand nous devrions montrer de la douceur, nous sommes plus féroces que les bêtes sauvages ; et quand il faudrait montrer de l’ardeur, rien de plus lâche et de plus endormi. Ainsi donc, parce que nous ne savons pas user des ressources qui sont en nous, notre vie se consume dans l’inutilité. C’est comme en fait de meubles, si nous prenons l’un pour l’autre, nous perdons tout. Par exemple : un homme a une épée, et au lieu de l’employer où il faudrait, il se sert de sa main ; évidemment, il ne saurait réussir ; et si, quand il faudrait se servir de sa main, il emploie son épée, il perd tout. Ainsi, un médecin qui ne coupe pas où il faudrait, et coupe où il ne faudrait pas, gâte tout. Je vous prie donc d’agir ici à propos. Tant qu’il ne s’agit que de nos propres intérêts, ce n’est pas le cas de nous mettre en colère ; mais quand il faut corriger les autres, usons de ce moyen pour les sauver. En nous tenant ainsi toujours en garde contre cette passion, nous serons semblables à Dieu, et nous obtiendrons les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XVIII. modifier


EN ENTENDANT CELA, ILS FRÉMISSAIENT DE RAGE DANS LEUR CŒUR, ET ILS GRINÇAIENT DES DENTS CONTRE LUI. (CH. 7,54, JUSQU’AU VERS. 25. DU CHAP. VIII)

ANALYSE. modifier

  • 1. Martyre d’Étienne.
  • 2. Dispersion de l’Église de Jérusalem. – L’Évangile prêché dans Samarie. – Simon le Magicien.
  • 3. La différence qui avait paru autrefois entre les prestiges des magiciens de Pharaon et tes miracles de Moïse, se retrouve la même entre les œuvres des apôtres et les enchantements de Simon le Magicien. – Saint Pierre le réprimande et ne le punit pas ; pourquoi?
  • 4. Saint Chrysostome exhorte ceux qui ont des maisons à la campagne d’y faire construire des églises. – Il est plus beau et plus utile de bâtir une église qu’un tombeau.
  • 5. Bonheur des campagnes qui possèdent une église.


1. Il est étonnant qu’ils n’aient pas pris de ces paroles occasion de le tuer, mais que, dans la fureur où ils sont, ils cherchent encore un motif d’accusation. Ainsi les méchants sont toujours malheureux. Comme les princes des prêtres se disaient dans leur embarras : « Que ferons-nous à ces hommes ? » de même ceux-ci frémissent en eux-mêmes. Et pourtant c’était Étienne qui aurait dû s’irriter, lui gui n’avait point fait dé mal, et qui souffrait, et était calomnié comme s’il en eût fait. Mais les calomniateurs n’en sont que mieux confondus, tant j’avais raison de vous dire que mal faire c’est souffrir ! Cependant il n’a rien avancé de faux, il a dit la vérité. Ainsi, quand on nous accuse sales raison, nous ne souffrons réellement pas. Ils voulaient le faire mourir, mais non sur-le-champ ; il leur fallait un prétexte plausible pour voiler leur crime. Mais quoi ? L’affront qu’ils recevaient n’était-il pas un motif plausible ? Non ; ce n’était pas une injure de la part d’Étienne, mais l’accusation du prophète. Ou peut-être différaient-ils volontairement l’exécution du crime, comme avec le. Christ, pour ne pas paraître le condamner, à cause dés accusations qu’il avait portées contre eux, mais à cause de son impiété. Et c’était la piété qui avait inspiré ses paroles ! C’est pourquoi, après l’avoir fait mourir, cherchant encore à détruire sa réputation, « ils frémissaient de rage » ; car ils craignaient qu’il n’arrivât quelque chose de nouveau à son occasion. Ils font donc à Étienne ce qu’ils avaient fait au Christ ; et comme, lorsque celui-ci disait : « Vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la majesté », ils criaient au blasphème et en appelaient au témoignage de la foule ; ainsi font-ils encore maintenant. Là ils déchirèrent leurs vêtements ; ici ils se bouchèrent les oreilles. « Mais comme il était rempli de l’Esprit-Saint, levant les yeux au ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus qui se tenait à la droite de Dieu, et il dit : Voilà que je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. Eux alors poussant un grand cri et se bouchant les oreilles, se précipitèrent tous ensemble sur lui. Et l’entraînant hors de la ville, ils le lapidèrent ».
Pourtant s’il avait menti, il aurait fallu le renvoyer comme un fou. Mais il n’avait parlé ainsi que pour les attirer. Et comme, en mentionnant seulement la mort du Christ, il n’avait rien dit de la résurrection, c’est à propos qu’il en vient enfin à ce dogme. Il raconte comment le Christ lui a apparu, afin de leur faire accepter sa parole : car voyant qu’il leur avait déplu en disant qu’il était assis, il traite du sujet de la résurrection et dit qu’il est debout. Voilà pourquoi, je présume, son visage a été glorifié. Car Dieu dans sa bonté voulait les attirer par les moyens mêmes qui leur servaient à tendre des embûches, bien que le résultat n’ait pas été obtenu. « Et l’entraînant hors de la ville, ils le lapidèrent ». Le supplice a lieu hors de la ville, comme pour le Christ ; et c’est dans la mort que se fait la confession et la prédication. « Et les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saul. Et ils lapidaient « Étienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus-Christ, recevez mon esprit ». Par là, il leur montre et leur apprend qu’il ne meurt pas. « Puis, ayant fléchi les genoux, il cria d’une « voix forte : Seigneur, ne leur imputez point ce péché ». Comme pour se purger du reproche d’avoir d’abord parlé avec colère, il dit : « Seigneur » ; ou peut-être parce qu’il voulait les attirer par là. Car leur pardonner la colère et la fureur avec laquelle ils commettaient le meurtre, montrer une âme exemptée de passion, c’était certainement le moyen de faire accueillir sa parole. « Or Saul était consentant de sa mort. Mais il s’éleva en ce temps-là une grande persécution contre l’Église qui était à Jérusalem ». Cette persécution n’était pas sans – cause, mais elle arrivait, ce me semble, par les vues de la Providence. « Et tous, excepté les apôtres, furent dispersés dans les régions de la Judée et de la Samarie ». Voyez-vous comme Dieu permet de nouveau les épreuves ? Mais voyez aussi comme les choses sont ménagées. Les miracles leur avaient attiré l’admiration, ils n’avaient point souffert de la flagellation ; ils sont établis dans les diverses contrées, la parole se multiplie, et à la fin Dieu permet qu’un grand obstacle survienne. Et il s’élève une persécution extraordinaire, telle qu’ils prennent la fuite en même temps (car ils craignaient leurs ennemis devenus plus audacieux), et que chacun peut se convaincre que les Juifs sont hommes à craindre et à fuir. Ils soutirent persécution pour que vous ne puissiez pas dire qu’ils devaient leur succès uniquement à la grâce ; ils deviennent plus timides et leurs ennemis plus audacieux. « Et ils furent tous dispersés, excepté les apôtres ». J’avais donc raison de dire que cette persécution était l’œuvre de la Providence ; car si elle n’eût pas eu lieu, ils n’auraient pas été dispersés. « Mais des hommes religieux ensevelirent Étienne, et firent ses funérailles avec un grand deuil ». Ils le pleurent parce qu’ils n’étaient pas encore parfaits, ou parce qu’Étienne était aimable et digne de respect. Ainsi, non seulement la crainte, mais aussi la douleur et le deuil, font voir qu’ils sont hommes.
3. Et qui n’aurait pas pleuré cet agneau plein de douceur, lapidé et étendu mort ? L’évangéliste lui a composé une digne épitaphe, en disant : « Puis, ayant fléchi les genoux, il cria d’une voix forte. Et ils firent ses funérailles avec un grand deuil ». Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « Comme il était rempli de l’Esprit-Saint, levant les yeux au ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu ; et il dit. Voilà que je vois les cieux ouverts. Et ils se bouchèrent les oreilles et se précipitèrent tous ensemble sur lui ». Comment y avait-il là matière à accusation ? Et cependant celui qui avait fait tant de prodiges, qui les avait tous vaincus par la parole, qui avait dit de si grandes choses, ils l’entraînent à leur gré et assouvissent sur lui leur fureur. « Mais les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saul ». Voyez comme on raconte en détail tout ce qui regarde Paul, afin de vous faire voir l’œuvre de Dieu qui s’accomplira plus tard en lui. En attendant, non seulement il ne croit pas, mais il frappe Étienne par ces milliers de mains homicides ; et c’est ce que ces mots indiquent : « Or Saul était consentant de sa mort ». Et ce bienheureux ne se contente pas d’une simple prière, mais il prie avec attention : « Ayant fléchi les genoux », dit-on. Aussi sa mort fut-elle divine ; car jusqu’alors il était accordé aux âmes d’habiter les limbes. « Et tous furent dispersés dans les régions de la Judée et de la Samarie ». C’est sans crainte qu’ils se mêlent aux Samaritains, eux qui ont entendu dire : « N’allez point vers les gentils ». « Excepté les apôtres ». Par là on indique que, pour attirer les Juifs, les apôtres n’avaient point quitté la ville, ou qu’ils voulaient inspirer de la confiance aux autres.
« Cependant Saul ravageait l’Église ; entrant dans les maisons et entraînant des hommes et des femmes, il les jetait en prison ». C’était là une grande fureur : être seul et entrer dans les maisons, tant il était prêt à donner sa vie pour la loi ! « Traînant des hommes et des femmes ». Voyez donc quelle licence ! quelle injure ! quelle folie ! Enhardi par le meurtre d’Étienne, il maltraite en mille manières ceux qui tombent entre ses mains. « Et ceux donc qui avaient été dispersés, passaient d’un lieu dans un autre, en annonçant la parole de Dieu ». « Or Philippe étant descendu dans la ville de Samarie, leur prêchait le Christ. Et la foule était attentive à ce que disait Philippe, l’écoutant unanimement et voyant les miracles qu’il faisait. Car des esprits impurs sortaient d’un « grand nombre d’entre eux en poussant de grands cris, et beaucoup de paralytiques et de boiteux furent guéris. Il y eut donc une grande joie dans cette ville. Or un certain homme, nommé Simon, qui auparavant avait exercé la magie dans la ville, séduisait « le peuple de Samarie, se disant être quelqu’un de grand. Et tous, du plus petit jus« qu’au plus grand, l’écoutaient disant : Celui-ci est la grande vertu de Dieu ». Observez une autre tentation, celle de Simon : « Et la foule s’attachait à lui, parce que depuis longtemps il leur avait troublé l’esprit par ses enchantements. Mais quand ils eurent cru à Philippe qui leur annonçait la parole de Dieu, ils furent baptisés, hommes et femmes. Alors Simon lui-même crut aussi, et lorsqu’il eut été baptisé, il s’attachait à Philippe. Mais voyant qu’il se faisait des prodiges et de grands miracles, il était frappé d’étonnement et d’admiration. Or les apôtres qui étaient à Jérusalem, ayant appris que Samarie avait reçu la parole de Dieu, leur envoyèrent Pierre et Jean qui, étant venus, prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent l’Esprit-Saint ; car il n’était pas encore descendu sur aucun d’eux, mais ils avaient seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors ils leur imposaient les mains et ils recevaient l’Esprit-Saint. Or Simon voyant que, par l’imposition des mains des apôtres, l’Esprit-Saint était donné, il leur a offrit de l’argent disant : Donnez-moi aussi ce pouvoir, afin que tous ceux à qui j’imposerai les mains, reçoivent l’Esprit-Saint ».
Comment, direz-vous, ceux-ci n’avaient-ils point reçu l’Esprit-Saint ? Ils avaient reçu l’Esprit de rémission, mais pas encore celui des miracles. Et la preuve qu’ils n’avaient pas reçu l’Esprit des miracles, c’est que Simon, témoin de ses effets, vint le demander. Quoique la persécution sévît alors, le Seigneur les en sauva néanmoins, en leur faisant comme un rempart de prodiges. Bien loin d’abattre leur courage, la mort d’Étienne n’avait fait que l’augmenter ; c’est pourquoi les maîtres se dispersent, afin de mieux propager la doctrine. Et voyez encore comme ils jouissent, comme ils sont heureux. « Il y avait une grande joie dans la ville », quoique le deuil fût grand aussi. C’est ainsi que Dieu a coutume d’agir, mêlant la joie à la tristesse, afin de se faire mieux admirer. Mais la maladie de Simon était déjà vieille ; voilà pourquoi elle ne se guérit pas. Et comment l’a-t-on baptisé ? Comme le Christ a choisi Judas. Voyant les prodiges qui s’opéraient, il est saisi de stupeur ; mais il n’ose pas demander la grâce des miracles, parce qu’il sait que les autres ne l’ont pas encore reçue. Pourquoi ne l’a-t-on pas frappé de mort, comme Ananie et Sapphire ? Parce que celui qui avait « jadis » recueilli du bois ayant été puni de mort pour l’instruction des autres, personne ne subit ensuite le même supplice. Ainsi se conduit Pierre, qui ayant frappé Ananie et Sapphire, ne frappa point Simon, mais se contente de lui dire : « Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as cru que le don de Dieu s’achète avec de l’argent ! »
3. Et pourquoi, étant baptisés, n’ont-ils pas reçu l’Esprit-Saint ? C’est, ou parce que Philippe n’osait pas le donner, réservant cet honneur aux apôtres, ou (et cette opinion est préférable), parce qu’il n’avait pas un aussi grand pouvoir, bien qu’il fût des sept. Je pense que ce Philippe était certainement un des sept, le second après Étienne. Voilà pourquoi il baptise. Il ne donnait point l’Esprit à ceux qu’il baptisait ; car il n’en avait pas le pouvoir ! Ce don n’appartenait qu’aux douze. Observez bien : les apôtres n’étaient pas sortis, mais on avait réglé que les disciples sortiraient, eux qui étaient inférieurs en grâce, puisqu’ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit-Saint. Ils avaient reçu le pouvoir de faire des miracles, mais non celui de donner l’Esprit aux autres. C’était là le privilège des apôtres ; aussi voyons-nous qu’eux seuls, les Coryphées, et non les autres, l’exerçaient. « Or, Simon voyant que par l’imposition des mains des apôtres, l’Esprit-Saint était donné ». Il n’eût pas ainsi parlé s’il n’y avait pas eu quelque chose de sensible. Paul en fit autant quand ils parlaient les langues. Avez-vous vu la perversité de Simon ? Il offre de l’argent ; et cependant il n’avait pas vu Pierre opérer à prix d’argent ; il n’agissait donc pas par ignorance, mais comme tentateur et afin d’établir une accusation. Aussi lui répond-on : « Il n’y a pour toi ni part ni sort dans tout ceci ; car ton cœur n’est pas droit devant Dieu ». Encore une fois il révèle la pensée, quand Simon croyait se cacher. « Fais donc pénitence de cette méchanceté, et prie le Seigneur qu’il te pardonne, s’il est possible, cette pensée de ton cœur. Car je vois que tu es dans un fiel d’amertume et dans des liens d’iniquité. « Simon répondant, dit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous avez dit ». Quand il aurait dû se repentir du fond de son cœur et pleurer, il ne le fait que par manière d’acquit. « Qu’il te pardonne, s’il est possible ». Cela ne vent pas dire que la faute n’eût pas été pardonnée, si le coupable eût vergé des larmes ; mais c’est la coutume, même chez les prophètes, de ne point parler de pardon, de dénoncer d’une manière absolue le châtiment futur, et non de dire : Si vous faites telle chose, vous obtiendrez votre pardon.
Pour vous, admirez comme au milieu du malheur, ils s’attachent à la prédication, loin de la négliger ; et comment, ainsi que du temps de Moïse, la distinction s’établit entre les prodiges. La magie était pratiquée, et néanmoins les vrais miracles faciles à distinguer, bien qu’il ait dû n’y avoir aucun possédé du démon, puisque depuis longtemps Simon troublait leur esprit par ses enchantements ; mais comme il y avait beaucoup de possédés, beaucoup de paralytiques, ces signes n’étaient donc pas vrais. Or, Pierre n’attirait pas seulement par les miracles, mais aussi par la parole, en prêchant le royaume du Christ. Simon ayant été baptisé, s’attachait, dit-on, à Philippe. Ce n’était pas par esprit de foi qu’il s’y attachait, mais pour devenir semblable à lui. « Étant venus, ils prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent l’Esprit-Saint ; car il n’était encore descendu sur aucun d’eux. Alors ils leur imposaient les mains et ils recevaient l’Esprit-Saint ». Voyez-vous qu’il faut une grande puissance pour donner l’Esprit-Saint ? Car ce n’est pas la même choie d’obtenir la rémission et de recevoir tin si grand pouvoir. « Mais Simon voyant que par l’imposition des mains des apôtres, l’Esprit-Saint était donné, il leur offrit de l’argent ».
Avait-il vu faire cela aux autres ? L’avait-il vu faire à Philippe ? Pensait-il que les apôtres ne connaissaient pas le motif de sa démarche ? Aussi Pierre a-t-il raison d’appeler cela un don, quand il dit : « Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as estimé que le don de Dieu peut s’acquérir pour de l’argent ! » Voyez-vous comme ils sont exempts de toute attache à l’argent ? « Il n’y a pour toi ni part ni sort en ceci ; car ton cœur n’est pas droit devant Dieu ». Il agissait en tout par malice et il fallait être simple. « Fais donc pénitence, car je vois que tu es dans un fiel d’amertume et dans des liens d’iniquité ». Ces paroles sont pleines d’indignation. Il ne le punit point, pour que la foi ne fût pas imposée par nécessité, pour que la chose ne parût pas trop dure, pour produire des sentiments de pénitence, ou encore parce que pour le corriger il suffisait de l’avoir confondu, d’avoir révélé le fond de sa pensée et de l’avoir forcé de convenir qu’il était surpris. En effet, ces paroles « Priez vous-mêmes pour moi », sont un interdit et un aveu. Voyez comment, malgré sa perversité, il croit quand il est confondu, et comment il s’humilie quand on le reprend une seconde fois. « En voyant les signes qui se faisaient il était frappé d’étonnement » ; montrant par là que tout ce qu’il faisait lui-même était supercherie. On ne dit pas qu’il s’approcha, mais qu’il « fut frappé d’étonnement ». Et pourquoi ne vint-il pas tout d’abord ? Parce qu’il espérait rester caché, parce qu’il attribuait à l’art les miracles qui s’opéraient ; mais quand il vit qu’il ne pouvait échapper aux apôtres, il s’approcha. « Car des esprits impurs sortaient d’un grand nombre de possédés, en jetant de grands cris ». C’était le signe de leur sortie ; chez les magiciens c’était tout le contraire ; ils ne faisaient que serrer les liens. « Beaucoup de paralytiques et de boiteux étaient guéris ». Ici aucune supercherie : il fallait marcher et agir. « Et tous l’écoutaient en disant : Celui-ci est « la vertu de Dieu ». Ainsi s’accomplit la parole du Christ : « Il s’élèvera beaucoup de faux « christs et de faux prophètes en mon nom ». Et pourquoi ne l’ont-ils pas confondu tout d’abord ? C’était assez pour eux qu’il se condamnât lui-même ; il y avait là-dedans une instruction. Mais ne pouvant résister, il dissimule comme les magiciens qui disaient : « Le doigt de Dieu est là ». Et pour ne pas être repoussé une seconde fois, il s’attachait à Philippe et ne le quittait plus.
4. Considérez avec moi les conséquences providentielles de la mort d’Étienne. Les fidèles sont dispersés dans les pays de la Judée et de la Samarie, ils annoncent la parole, ils prêchent le Christ, ils opèrent des prodiges, peu à peu l’on reçoit le don. Il y a ici double signe : donner aux uns, refuser à l’autre, c’était un très grand signe. « Et eux, après avoir rendu témoignage et prêché la parole de Dieu, revinrent à Jérusalem et « évangélisaient beaucoup de contrées des Samaritains ». C’est avec raison qu’on dit : « Après avoir rendu témoignage ». Peut-être le rendent-ils à cause de Simon, afin que les fidèles ne soient plus trompés, qu’ils soient en sécurité et ne se laissent plus entraîner par l’inexpérience. « Ils revinrent à Jérusalem ». Pourquoi reviennent-ils là où domine la tyrannie, où est le principe du mal, où règne le goût du sang ? Ils font ce que font les généraux d’armées, qui se portent au point le plus menacé. Remarquez qu’ils ne sont d’abord pas venus à Samarie, mais bien les disciples, qui avaient été chassés, comme sous le Christ ; et qu’enfin les apôtres sont envoyés aux fidèles de cette ville. « Or les apôtres qui étaient à Jérusalem ayant appris cela leur envoyèrent Pierre et Jean ». Pourquoi sont-ils envoyés ? l’ourles délivrer de la magie et leur rappeler la doctrine qu’ils avaient reçue du Christ, lorsqu’ils commencèrent à croire. Quand donc Simon aurait dû au contraire demander à recevoir l’Esprit-Saint, il n’en a souci et demande de pouvoir le donner aux autres, quoique ceux-là ne l’eussent pas reçu de façon à le donner ; mais il voulait l’emporter sur Philippe qui était un des disciples : « Que ton argent périsse avec toi ! » Ce m’est pas une malédiction, mais une leçon. Comme Simon ne savait pas employer son argent à propos, l’apôtre lui dit : Puisque tu es tel, qu’il te reste ; à peu près comme s’il disait : Qu’il périsse avec ta mauvaise volonté, puisque tu estimes assez peu le don de Dieu pour le croire une chose tout humaine : ce qui n’est pas. S’il s’était présenté comme il l’aurait dû, il aurait été reçu et non repoussé comme un fléau. Voyez-vous que celui qui se fait une idée basse des grandes choses commet une double faute Simon reçoit deux ordres : « Fais pénitence et prie Dieu qu’il te pardonne, s’il est possible, cette pensée de ton cœur ». Tant cette pensée était coupable ! Et comme l’apôtre le savait incorrigible, il dit : « Te pardonne, s’il est possible ». Et Simon, craignant la foule, n’osa nier. – Certainement s’il n’eût pas été troublé, il aurait dit : Je ne savais pas, j’ai agi sans réflexion ; mais il avait été frappé d’abord des miracles et ensuite de ce qu’on avait mis au jour le fond de sa pensée. C’est pourquoi il s’en alla au loin, à Rome, comme si l’apôtre n’eût pas dû y arriver avant lui. « Ils évangélisaient beaucoup de contrées des Samaritains ».
Voyez combien les voyages leur donnaient d’occupation ; mais ils ne les entreprenaient pas sans motifs. Nous devrions en faire de pareils. Mais que parlé-je de voyages ? Beaucoup ont des villages et des campagnes et ne s’en inquiètent nullement. Ils déploient la plus grande sollicitude à se créer des salles de bains, à augmenter leurs prix, à se faire construire des cours et des maisons ; quant à savoir comment les âmes sont cultivées, ils n’en ont nul souci. Quand vous voyez des épines dans un champ, vous employez le fer et le feu, vous détruisez pour débarrasser la terre de cette peste ; mais quand vous voyez les âmes des laboureurs pleines d’épines que vous n’arrachez pas, ne tremblez-vous pas, dites-moi, ne craignez-vous pas celui qui doit un jour vous en demander compte ? Ne faudrait-il pas que chaque fidèle construisît une église, eût un docteur pour conférer et avant tout travaillât à ce que tout le monde fût chrétien ? Comment, de grâce, un laboureur sera-t-il chrétien, quand il vous voit négliger ainsi votre propre salut ? Vous ne pouvez pas faire des prodiges et par là gagner les âmes ? Soit, mais employez les moyens qui sont à votre disposition : la bonté, l’autorité, la douceur, les caresses et le reste.
Beaucoup construisent des marchés publics et des bains, mais point d’églises. Tout plutôt qu’une église. C’est pourquoi je vous exhorte et vous supplie, je vous demande comme une grâce, ou plutôt je vous impose comme une loi, de n’avoir aucune maison de campagne qui ne soit pourvue d’une église. Ne me dites pas : Il y en a une tout près, dans le voisinage ; la dépense serait grande et j’ai peu de revenus. Si vous avez quelque chose à donner aux pauvres, employez-le là ; cela vaudra mieux. Nourrissez un docteur, un diacre, une assemblée de prêtres. Soyez à l’égard de l’Église comme vous seriez à l’égard d’une femme ou d’une fiancée, ou comme si vous mariiez votre fille : faites-lui une dot. Par là votre campagne sera comblée de bénédictions. Et en effet, quel bien lui manquera ? Est-ce peu de chose, dites-moi, que le pressoir soit béni ? Est-ce peu de chose que Dieu ait sa part et les prémices de tous vos fruits ? Cela contribue à tenir les laboureurs en paix. Le prêtre en deviendra respectable : ce qui est utile à la sécurité du lieu. Il y aura là pour vous des prières continuelles, des hymnes, des communions, l’oblation tous les dimanches. Lequel est le plus admirable que d’autres construisent de magnifiques tombeaux pour que la postérité sache qu’un tel les a construits, ou que vous bâtissiez des églises ? Pensez que jusqu’à l’arrivée du Christ vous serez récompensé pour avoir élevé un autel à Dieu.
5. Dites-moi : si un roi vous ordonnait de bâtir une maison où il dût loger, ne mettriez-vous pas tout en couvre ? Or, l’église que vous bâtissez est un palais pour le Christ. Ne regardez donc pas à la dépense, mais songez au fruit que vous en recueillerez ; les laboureurs cultivent la terre, vous, cultivez leurs âmes ; ils vous apportent des fruits, vous, menez-les au ciel. Celui qui pose le principe, est l’auteur de toutes les conséquences. Vous serez donc cause qu’il y aura des catéchumènes dans les lieux voisins. A coup sûr, les établissements de bains rendront les paysans plus mous, les cabarets les rendront plus voluptueux ; et cependant vous en fondez par amour de la gloire. Les marchés, les fêtes, les rendront plus insolents ; mais ici, il en est tout autrement. Quel beau spectacle que celui d’un vieillard, marchant sur les traces d’Abraham, blanchi par l’âge, les reins ceints, bêchant, travaillant de ses mains ! Quoi de plus aimable qu’untel champ ? C’est là que la vertu est plus grande. Là, point d’impudicité, car on la repousse ; là, point d’ivrognerie, point de volupté, car on l’élimine ; là, point de vaine gloire, car on l’éteint ; là, la bienveillance emprunte le plus vif éclat de la simplicité. Quel bonheur de sortir et d’entrer dans la maison de Dieu, de voir qu’on l’a construite, de prendre son repos, puis d’assister aux chants de la nuit et du matin, d’avoir un prêtre à sa table, de s’entretenir avec lui, et de voir les autres se rendre au saint lieu ! Voilà le rempart, voilà la sécurité de la campagne. Voilà le champ dont il est dit : « L’odeur d’un champ rempli, que le Seigneur a béni ». Que si la, campagne est déjà agréable à cause du repos et des larges loisirs dont on y jouit, que sera-ce quand cet avantage s’y rencontrera encore ! Une campagne où il y aune église ressemble au paradis de Dieu. Là, oint de cri, point de tumulte, point d’ennemis d’aucune sorte, point d’hérésies ; tous y sont amis et partagent les mêmes croyances. Le repos vous amène à la philosophie ; le prêtre, vous prenant à ce point de départ, vous guérira sans peine. Ici, la place publique fait oublier tout ce que nous disons ; là, ce que vous entendrez restera gravé dans votre esprit. Par l’influence du prêtre, vous deviendrez tout autre à la campagne ; il sera le chef de tous, il en sera le gardien par sa présence et par l’ordre qu’il établira parmi eux. Dites-moi : à combien se monte la dépense ? Faites d’abord un petit bâtiment en guise de temple ; votre successeur y fera un portique, un autre y ajoutera autre chose, et ainsi tout vous sera attribué. Voua aurez peu donné et vous recevrez la récompense du tout. Commencez, jetez les fondements : bien plus, excitez-vous les uns les autres ; piquez-vous d’émulation. Maintenant, s’il s’agit de construire des magasins pour y déposer de la paille, du blé ou toute autre chose de ce genre, on s’y prête facilement ; mais, quand il s’agit de récolter des âmes, on ne s’en inquiète pas ; et les fidèles sont obligés de faire de longues routes, d’entreprendre de longs voyages pour trouver une église.
Et quel avantage pourtant qu’au milieu d’un repos parfait un prêtre vienne dans une église, s’approche de Dieu, et prie chaque jour pour la maison, pour le domaine ! Est-ce peu de chose, dites-moi, que votre nom soit prononcé dans les saintes oblations, que chaque jour des prières montent vers Dieu en faveur de la localité ? Quel profit pour vous et pour, les autres ! Peut-être y a-t-il des propriétaires voisins qui ont des intendants ; vous êtes pauvre et aucun d’eux ne daigne venir chez vous ; mais ils pourront inviter le prêtre et le faire asseoir à leur table. Voyez-vous que de biens en résulteront ? en attendant, votre demeure sera exempte de tout soupçon ; on n’y accusera personne d’homicide, de vol ; on n’y soupçonnera rien de semblable. Autre consolation encore, en cas de maladie ou de mort. L’amitié qui unira les membres de ces assemblées ne sera pas de circonstance et de hasard ; ces assemblées elles-mêmes seront beaucoup plus agréables que celles qui ont lieu dans les solennités publiques, non seulement les réunions, mais ceux qui y président deviendront plus respectables à cause du prêtre. Vous entendez tout le monde dire que dans l’antiquité Jérusalem était plus honorée que toutes les autres villes, et non sans cause : la piété y régnait alors. En effet, partout où Dieu est honoré, il n’y a rien de mauvais ; comme, au contraire, partout où il n’est pas honoré, il n’y a rien de bon. Ce sera une grande sécurité devant Dieu et devant les hommes. Je vous en prie donc : mettez la main à l’œuvre, non avec lenteur, mais avec zèle. Si celui qui sépare une chose précieuse d’une chose vile est comme la bouche de Dieu (Jer. 15,19), quelle ne sera pas la bonté divine à l’égard de celui qui rend service à tant d’âmes, qui les sauve même et dans le temps présent et dans les temps à venir, jusqu’à l’avènement du Christ ?
Formez un rempart contre le démon, et ce rempart c’est une église. Que de là sortent les mains qui doivent travailler, mais qu’avant d’aller au travail elles s’élèvent pour la prière. Ainsi le corps se fortifiera, l’agriculture sera féconde et on se délivrera de tous les maux. Il n’est pas possible d’expliquer un tel bonheur, à moins de l’avoir éprouvé. Ne dites pas que cela ne donne aucun revenu. Quelque décidé que vous soyez, ne mettez pas la main à l’œuvre si vous n’êtes pas convaincu que le profit en vaut mieux pour vous que toute la propriété ; n’entreprenez rien, si ce ne sont point là vos dispositions, si vous ne regardez cette tâche comme préférable à toutes les autres. Quel profit plus grand, que d’introduire des âmes dans l’aire céleste ? Hélas ! vous ne savez donc pas ce que c’est que de gagner des âmes ! Écoutez ce que le Christ dit à Pierre : « Si tu m’aimes, pais mes brebis ». (Jn. 21,15) Si vous voyiez les brebis ou les chevaux du roi exposés aux embûches faute d’étable, que vous leur en construisissiez une et leur donnassiez un berger, quelle récompense te roi ne vous accorderait-il pas ? Et maintenant que vous recueillez le troupeau du Christ et que vous lui donnez un berger, vous ne croiriez pas faire quelque chose de grand ? Que dis-je ? Si celui qui scandalise un seul homme, est menacé d’un si grand supplice, celui qui en sauve un si grand nombre ne sera-t-il pas sauvé ? Cela est de toute évidence. Quelque péché qu’il ait commis ou doive commettre dans la suite, ne l’efface-t-il pas ? Mesurez, sur le supplice de celui qui scandalise, la récompense de celui qui sauve. Si Dieu n’attachait pas tant d’importance au salut d’une seule âme, il ne s’irriterait pas autant de sa perte. Convaincus de ces vérités, attachons-nous à cette œuvre spirituelle ; que chacun m’appelle, et nous nous y appliquerons ensemble dans la mesure du possible. S’il y a trois propriétaires, qu’ils s’entendent entre eux ; s’il n’y en a qu’un, les voisins se laisseront gagner par son exemple. Tendez à ce but unique, je vous en prie, afin que, agréables à Dieu en toutes choses, nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec l’Esprit-Saint, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX. modifier


CEPENDANT UN ANGE DU SEIGNEUR PARLA A PHILIPPE, ET LUI DIT : LÈVE-TOI ET VA VERS LE MIDI, SUR LE CHEMIN QUI DESCEND DE JÉRUSALEM A GAZA, CELLE QUI EST DÉSERTE. ET SE LEVANT IL PARTIT. (CHAP. VIII,26, 27, JUSQU’AU VERS. 9 DU CHAP. IX)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Baptême de l’eunuque éthiopien. – Philippe transporté miraculeusement de Gaza à Azoth. – Conversion de saint Paul.
  • 4. L’abandon des Livres saints nous conduit à notre perte.
  • 5. Dans l’Église même il y a une inattention générale, lorsque la voix du lecteur fait entendre la sainte parole des Écritures, et pourtant les auditeurs sont très ignorants des mystères.

1. Il me semble qu’il a reçu cet ordre pendant qu’il était à Samarie : car, en partant de Jérusalem, on ne va pas vers le midi, mais vers le nord, tandis qu’en partant de Samarie, on va vers le midi. « Celle qui est déserte ». L’ange dit cela, pour le rassurer contre l’attaque des Juifs. Philippe ne demande pas pourquoi ; mais il se lève et part. « Et voilà qu’un Éthiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d’Éthiopie, et préposé sur tous ses trésors, était venu adorer à Jérusalem et s’en retournait, assis sur son char, et lisant le prophète Isaïe ». Ces paroles contiennent un grand éloge. Il demeurait en Éthiopie, il était accablé d’affaires, ce n’était point un jour de fête, il se trouvait dans une ville livrée aux superstitions, et il était venu adorer à Jérusalem. Son empressement était grand, car il lisait assis sur son char. « Alors L’Esprit dit à Philippe : Approche et tiens-toi contre ce char. Et Philippe accourant, entendit l’eunuque qui lisait le prophète Isaïe, et il lui dit : Croyez-vous comprendre ce que vous lisez ? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me l’explique ? » Voyez cette nouvelle preuve de piété. Quelle est-elle ? C’est qu’il lit sales comprendre, et qu’après avoir lu, il cherche le sens. « Et il prie Philippe de monter et de s’asseoir près de lui. Or le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : Comme une brebis, il a été mené à la boucherie, et comme un agneau sans voix devant celui qui le tond, il n’a pas ouvert sa bouche. Dans l’humiliation son jugement a été aboli. Qui racontera sa génération, puisque sa vie est retranchée de la terre ? Or, répondant à Philippe, l’eunuque dit : De qui, je vous prie, dit-il cela ? Est-ce de lui ou de quelque autre ? Alors Philippe ouvrant la bouche, et commençant par ce passage de l’Écriture, lui annonça Jésus ». Vous voyez comme la Providence arrange tout en faveur de l’eunuque. D’abord il lit et ne comprend pas ; ensuite il lit le passage où sont racontés la passion, la résurrection et le don. « Et comme ils allaient par le chemin, ils rencontrèrent de l’eau, et l’eunuque dit : « Voilà de l’eau ; qu’est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ? » Voyez-vous son ardeur ? Voyez-vous son empressement ? « Et il fit arrêter le char ; alors tous deux, Philippe et l’eunuque, descendirent dans l’eau, et il le baptisa. Lorsqu’ils furent remontés de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l’eunuque ne le vit plus. Mais il continuait son chemin, plein de joie ».

Pourquoi, direz-vous, l’Esprit du Seigneur enleva-t-il Philippe ? Parce qu’il devait traverser d’autres villes et y prêcher l’Évangile ; et aussi pour le faire admirer, et prouver à l’eunuque que ce qui venait de se passer n’était pas l’effet de la puissance de l’homme, mais de celle de Dieu. « Pour Philippe, il se trouva dans Azoth, et il évangélisait en passant toutes les villes, jusqu’à ce qu’il vînt à Césarée ». Ceci démontre qu’il était un des sept, puisqu’on le trouve ensuite à Césarée. L’Esprit l’enleva à propos ; autrement l’eunuque l’aurait prié de venir avec lui, et Philippe l’aurait peut-être affligé par son refus ; car le moment n’était pas encore venu. Voyez-vous les anges coopérer à la prédication ? Sans prêcher eux-mêmes, ils appellent les prédicateurs. Et c’est là qu’est la merveille : ce, qui était rare et difficile autrefois, devient maintenant très-fréquent. Ce qui s’était passé, présageait d’ailleurs qu’ils triompheraient des étrangers. Car le témoignage des croyants était digne de foi et propre à inspirer le même zèle à ceux qui les écoutaient. Voilà pourquoi l’eunuque s’en allait plein de joie ; mais il n’eût pas été aussi joyeux s’il avait tout su. Mais qu’est-ce qui empêchait, direz-vous, qu’il n’apprit tout en détail, pendant qu’il était assis sur son char, surtout dans le désert ? C’est qu’il ne s’agissait point de faire de l’ostentation.
Mais examinons ce qui a été lu plus haut. « Et voilà qu’un Éthiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d’Éthiopie ». Il est clair que Candace régnait sur les Éthiopiens. Autrefois les femmes régnaient, et c’était la loi en Éthiopie. Philippe ne savait pas pourquoi il se trouvait dans le désert, parce que ce n’était pas l’ange, mais l’Esprit qui l’avait enlevé. L’eunuque ne voit rien de cela, ou parce qu’il est encore imparfait, ou parce que c est l’affaire des hommes spirituels et non des hommes charnels, et il ne sait pas ce qu’a appris Philippe. Et pourquoi l’ange ne lui apparaît-il pas, pour le conduire à Philippe ? Parce que peut-être il eût été plutôt frappé d’étonnement que convaincu. Voyez la sagesse de Philippe ! Il ne blâme pas, il ne dit pas : Vous êtes un ignorant, moi je vous instruirai. Il ne dit pas : je sais cela parfaitement. Il ne le flatte pas en disant : Vous êtes bienheureux de lire. Son langage est donc également éloigné de la présomption et de la flatterie ; c’est plutôt celui du véritable intérêt et de la bonté. Il fallait que l’eunuque questionnât, exprimât un désir. Mais Philippe fait assez voir qu’il connaît son ignorance, quand il lui dit : « Croyez-vous comprendre ce que vous lisez ? » Il lui indique en même temps qu’il y a là un grand trésor caché.
2. Mais voyez avec quelle prudence l’eunuque s’excuse. « Comment le pourrais-je », dit-il, « si personne ne me l’explique ? » Il n’a point regardé à l’habit, il n’a point dit : Qui es-tu ? Il ne blâme pas, il ne parle pas avec arrogance, il ne se vante pas de savoir, mais il confesse qu’il ignore ; et voilà pourquoi on l’instruit. Il montre sa plaie au médecin ; il comprend que celui-ci sait et veut l’instruire. Il le voit exempt de faste : car Philippe était modestement vêtu. Voilà pourquoi il est avide d’entendre et attentif à ce qui se dit ; en lui s’accomplissait cette parole : « Celui qui cherche, trouve. (Mt. 7,3) Il pria Philippe « de monter et de s’asseoir près de lui ». Voyez-vous son empressement ? Voyez-vous son désir ? Il le prie de monter et de s’asseoir près de lui ; il ne savait pas ce qu’il allait lui dire, mais il s’attendait simplement à entendre expliquer une prophétie. C’était de sa part une plus grande marque d’honneur de ne pas seulement faire monter Philippe, mais de l’en prier. « Et Philippe accourant l’entendit qui lisait ». La course indique un homme avide d’enseigner, la lecture un homme avide de savoir. Car il lisait précisément à l’heure où le soleil est le plus ardent. Or le passage était celui-ci : « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ». Une autre preuve de son désir de s’instruire, c’est qu’il a dans les mains le plus sublime des prophètes. Aussi Philippe s’explique-t-il avec lui sans vivacité mais avec calme ; il ne parle même qu’après avoir été interrogé, après en avoir été prié. Questionnant de nouveau, l’eunuque demande : « De qui, je vous prie, le prophète dit-il cela ? » Il me semble qu’il ignorait que les prophètes parlent des autres, ou tout au moins d’eux-mêmes, sous des noms supposés. Pauvres et riches, que l’exemple de cet intendant nous fasse rougir. « Ensuite ils rencontrèrent de l’eau, et il dit : Voilà de l’eau ». Ceci est l’indice de son extrême ferveur. « Qu’est-ce qui « empêche que je ne sois baptisé ? » Voyez-vous son désir ? Il ne dit pas : Baptisez-moi ; il ne se tait pas non plus ; mais son langage tient en quelque sorte le milieu entre le désir et le respect : « Qu’est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ». Voyez comme il a la doctrine complète ; car le prophète embrasse tout : l’incarnation, la passion, la résurrection, l’ascension, le jugement futur ; et c’est ce qui inspire à l’eunuque un grand désir. Rougissez aussi, vous qui n’êtes pas encore éclairés. « Et il fit arrêter le char ». Il parle, il commande, avant même d’écouter. « Lorsqu’ils furent remontés de l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe ». C’était pour montrer l’action de la divinité, et faire comprendre à l’eunuque que Philippe n’était point un homme ordinaire. « Et il continuait son chemin, plein de joie ». Ces paroles indiquent qu’il se fût attristé, s’il avait tout su ; mais la vivacité de sa joie l’empêchait de voir le présent, quoiqu’il eût été honoré de la visite de l’Esprit. « Et il se trouva dans Azoth ». Il y eut ici grand profit pour Philippe : car ce qu’il avait ouï-dire des prophètes, d’Habacuc, d’Ézéchiel et d’autres, se réalisait en lui, puisqu’en un instant il avait parcouru une grande distance et se trouvait à Azoth, où il resta, parce qu’il devait y prêcher l’Évangile.

« Cependant Saul respirant encore menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur, alla trouver le prince des prêtres, et lui demanda des lettres pour la synagogue de Damas, afin que s’il y trouvait des hommes et des femmes de cette voie, il les conduisît enchaînés à Jérusalem ». C’est à propos qu’il parle ici du zèle de Paul, pour montrer qu’il a été attiré au milieu de son extrême ardeur. Non encore rassasié par le meurtre d’Étienne, par la persécution et la dispersion de l’Église, il va trouver le prince des prêtres. Ici s’accomplit la parole du Christ à ses disciples : « L’heure vient où quiconque vous fera mourir, croira rendre hommage à Dieu ». (Jn. 16,2) Ainsi agissait Paul, mais non pourtant comme les Juifs, tant s’en fallait ! Et la preuve que c’est le zèle qui l’anime, c’est qu’il passe aux villes étrangères. Mais eux ne s’inquiétaient pas même de ce qui se passait à Jérusalem ; ils n’avaient qu’une chose en vue, l’honneur. Et pourquoi allait-il à Damas ? C’était une grande ville, une ville royale ; il craignait qu’elle ne fût envahie. Et voyez son empressement, voyez son ardeur, et comme il se conforme bien à la loi ! Il ne va pas trouver le gouverneur, mais le prince des prêtres. « Il lui demande des lettres, afin que s’il en trouvait de cette voie ». Il applique ce mot « voie » aux croyants, parce qu’alors tout le monde les appelait ainsi, peut-être parce qu’ils suivaient la voie qui mène au ciel. Mais pourquoi ne reçoit-il pas le pouvoir de les punir sur place, mais de les conduire à Jérusalem ?

Afin que le châtiment leur fût infligé par une puissance plus élevée. Voyez dans quel péril il se jette, et aussi comme il craint que mal ne lui arrive. Il s’associe des compagnons, peut-être par peur ; ou bien, comme il marchait contre une multitude, il s’entoure d’une multitude, afin de pouvoir plus hardiment « amener, enchaînés, à Jérusalem, les hommes et les femmes qu’il trouverait ». Il voulait, d’ailleurs, montrer à tous, le long du chemin, qu’il était seul l’auteur de l’entreprise, dont les autres n’avaient pas autant de souci. Et voyez que déjà auparavant il jetait en prison. Les autres n’en avaient pas le pouvoir, mais son ardeur le lui donnait. « Et comme il était en chemin et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière du ciel brilla autour de lui ; et, tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? »

3. Pourquoi cela ne s’est-il point passé à Jérusalem ? à Damas ? Afin que d’autres ne pussent pas en altérer le récit, et que celui qui était parti pour un tel motif, fût cru quand il le raconterait. En effet, il l’expose lui-même, quand il se défend devant Agrippa. Ses yeux sont malades, parce qu’une lumière trop vive est nuisible ; car les yeux ont leur mesure de force. On dit aussi qu’un son trop éclatant rend sourd et stupide. Mais il fut seul aveuglé, et la crainte éteignit sa colère, en sorte qu’il entendît ces paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » On ne lui dit pas : crois, ni rien de semblable ; mais on l’accuse. Et celui qui l’accuse lui dit à peu près quel tort, grand ou petit, t’ai-je fait, pour que tu agisses ainsi ? « Il dit : Qui êtes-vous, Seigneur ? » Déjà il se reconnaît serviteur. Le Seigneur répondit : « Je suis Jésus que tu persécutes ». Comme s’il disait : Ne t’imagine pas que tu fasses la guerre aux hommes. Ceux qui étaient avec lui entendirent bien la voix de Paul, mais ne virent point celui à qui il répondait. Et c’était juste : ils n’entendirent que ce qu’il y avait de moins important. Car s’ils avaient entendu cette voix, ils n’eussent pas cru : mais en voyant que Paul répondait, ils furent frappés d’étonnement. « Lève-toi, entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire ». Remarquez qu’on ne lui révèle pas tout, d’abord, qu’on se contente en premier lieu de calmer son âme et de lui donner bon espoir qu’il recouvrera la vue. « Or les hommes qui l’accompagnaient demeuraient tout étonnés, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Saul se leva donc de terre et, les yeux ouverts, ne voyait personne. Alors le conduisant par la main, ils le firent entrer à Damas ». Ce sont les dépouilles du démon, ce sont ses instruments qu’ils introduisent, comme il est d’usage après la prise d’une ville ou d’une capitale. Et ce qu’il y a d’étonnant, c’est que ce sont des adversaires, des ennemis qui l’amènent, à la vue de tout le monde. « Et il fut trois jours sans voir, et il ne mangea ni ne but ». A-t-on jamais rien vu de semblable ? La conversion de Paul console du chagrin causé par le meurtre d’Étienne, bien que le genre de mort de celui-ci renferme en lui-même sa consolation ; et que la conversion du pays des Samaritains soit aussi un très-grand sujet de joie.

Et pourquoi, dira-t-on, cela n’est-il pas arrivé plus tôt ? Pour montrer que le Christ était vraiment ressuscité. Car, comment celui qui le persécute, qui ne croit ni à sa mort ni à sa résurrection, qui s’acharne sur ses disciples ; comment, dites-moi, celui-là aurait-il cru, si le crucifié n’eût eu une grande puissance ? Les autres ont cru, soit ! mais que direz-vous à celui-ci ? D’ailleurs il n’est venu qu’après la résurrection, et pas immédiatement encore, afin que son hostilité devînt plus manifeste. Car ce furieux qui verse le sang, qui jette en prison, croit sur-le-champ. Ce n’était point assez qu’il ne fût pas avec le Christ, il fallait encore qu’il fit une guerre violente aux fidèles ; il n’est excès de fureur auquel il ne se livre ; il est le plus emporté de tous. Mais dès qu’il a perdu la vue, il y voit un signe de la puissance et de la clémence divine. Peut-être aussi fallait-il qu’on ne le soupçonnât pas de dissimulation. Mais comment soupçonner de dissimulation un homme altéré de sang, qui va trouver les prêtres, qui se précipite dans les dangers, qui pourchasse et punit même les étrangers ? Et c’est donc après tout cela qu’il reconnaît la puissance de Dieu. Et pourquoi la lumière ne l’enveloppe-t-elle pas dans la ville, et non en dehors ? Parce que la foule n’aurait pas cru, et s’en serait peut-être amusée ; puisque un jour ceux qui étaient présents et qui avaient entendu une voix du ciel, disaient : « C’est le tonnerre ». (Jn. 12,29) Lui, au contraire, sera bien plutôt cru quand il racontera ce qui le touche de si près. On le conduit enchaîné, quoique sans liens ; on traîne celui qui espérait traîner les autres. Et pourquoi ne mange-t-il ni ne boit-il ? Il condamne sa conduite, il s’avoue coupable, il prie, il conjure le Seigneur. Que si l’on objecte que la nécessité l’y forçait (car il en arriva autant à Elymas), nous répondrons : Soit ! mais Elymas demeura comme il était. Et comment se fait-il qu’il n’ait pas été forcé de croire ? Eh ! qu’y avait-il de plus propre à faire violence que le tremblement de terre au moment de la résurrection ; que le témoignage même des gardes qui, après tant d’autres signes, affirmaient avoir vu le Christ ressuscité ? Tout cela instruit, mais ne force point à croire. Et pourquoi les Juifs n’ont-ils pas cru, bien qu’ils connussent tout cela ? Il était évident que Paul disait la vérité : car si rien n’était arrivé, il ne se serait pas converti ; tous devaient donc croire. Il n’était point au-dessous de ceux qui prêchaient la résurrection du Christ, il était même bien plus digne de foi, puisqu’il s’était converti subitement. Il n’avait eu de rapport avec aucun fidèle ; c’est à Damas, ou plutôt près de Damas, qu’a eu lieu sa conversion. Je demande maintenant aux Juifs Pourquoi, de grâce, Paul s’est-il converti ? Il a vu tant de prodiges et il ne s’est pas converti ; son maître a changé, et lui n’a point changé ; qui l’a convaincu, ou plutôt qui lui a inspiré subitement cette si grande ardeur, qui lui faisait désirer d’être anathème pour le Christ ? Ici la vérité des choses apparaît dans tout son éclat. En attendant, comme je le disais tout à l’heure, que la conduite de l’eunuque éclairé et appliqué à la lecture nous fasse rougir. Voyez-vous comme il est puissant, riche, et pourtant occupé, même en voyage ? Que devait-il être chez lui, lui qui ne supportait pas même d’être oisif en route ? qu’était-il pendant la nuit ?

4. Vous tous qui êtes dans les dignités, écoutez et imitez son humilité et sa piété. Quoi qu’il retournât chez lui, il ne dit point : Je rentre dans ma patrie, j’y recevrai le baptême : froid langage que tiennent la plupart. Il n’est pas besoin de signes, il n’est pas besoin de prodiges : il crut sur la parole du prophète. C’est pourquoi Paul s’afflige sur lui-même, en disant : « Moi j’ai obtenu miséricorde de Dieu, parce que j’ai agi par ignorance, dans l’incrédulité, et afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montrât toute sa patience ». (1Tim. 1,13, 16) Certainement, cet eunuque est digne d’admiration. Il n’a point vu le Christ, il n’a point vu de miracle ; il voyait Jérusalem encore debout, et il a cru à Philippe. Qui l’a donc rendu tel ? son âme était pleine de sollicitude, il s’appliquait aux Écritures, il s’adonnait à la lecture. Or le larron avait vu des prodiges, les mages avaient vu l’étoile ; mais lui n’avait rien vu de pareil, et pourtant il crut, tant est utile la lecture des Écritures ! Mais Paul, dira-t-on, ne méditait-il pas la loi ? Oui, mais il me semble qu’il a été réservé à dessein pour le but que, j’indiquais plus haut, à savoir, parce que le Christ voulait attirer les Juifs de tout côté, car rien ne pouvait leur être plus utile que sa conversion, s’ils eussent eu de l’intelligence. Elle devait plus les attirer que les signes, que tout autre moyen ; comme aussi rien n’était plus propre à scandaliser des âmes grossières. Voyez donc Dieu faire des prodiges après la dispersion des apôtres. Les Juifs avaient accusé les apôtres, les avaient jetés en prison ; Dieu fait des miracles. Et voyez comment les tirer de prison, amener Philippe, attirer Paul, se montrer à Étienne : autant de signes de sa main. Et puis voyez quel honneur est fait à Paul, quel honneur à l’eunuque ! Au premier le Christ se montre, peut-être durement, parce qu’autrement il n’eût pas cru. Et nous qui sommes familiers avec ces prodiges, rendons-nous-en dignes. Beaucoup de gens entrent maintenant à l’église et ne savent pas ce qui s’y dit ; mais l’eunuque, même sur la place publique, même sur son char, s’appliquait à la lecture des Écritures.
Il n’en est pas de même de vous ; personne n’a ce livre entre les mains ; tout plutôt que la Bible. Mais pourquoi n’a-t-il pas vu Philippe avant d’entrer à Jérusalem, mais seulement après ? Parce qu’il ne devait pas voir les apôtres chassés, vu qu’il était encore faible ; et parce qu’il n’aurait pas cru aussi facilement qu’il l’a fait après avoir été instruit par le prophète. Il en sera de même pour vous : si quelqu’un veut lire attentivement les prophètes, il n’aura pas besoin de signes ; et si vous le voulez, voyons la prophétie elle-même. « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ; dans l’humiliation, son jugement a été aboli ». Par là l’eunuque apprit que le Christ a été crucifié, que la vie terrestre lui a été enlevée, qu’il n’avait pas commis de péché, qu’il a pu sauver les autres, que sa génération ne saurait être racontée, que les pierres se sont fendues, que le voile s’est déchiré, que les morts sont sortis de leurs tombeaux ; ou plutôt Philippe lui dit tout cela en expliquant le texte du prophète. La lecture des Écritures est donc une grande chose. Ainsi s’accomplissait la parole de Moïse : « Assis, couché, debout, marchant, souviens-toi de ton Dieu ». (Deut. 6,7) Les voyages surtout, quand ils se font dans la solitude, nous donnent occasion de réfléchir, parce que personne ne nous distrait. C’est en route que l’eunuque obtient la foi, et Paul aussi ; mais c’est le Christ lui-même, et non un autre, qui attire Paul. Ceci dépassait le pouvoir des apôtres ; le plus merveilleux encore, c’est que, quoique les apôtres fussent à Jérusalem et qu’aucun d’eux ne se trouvât à Damas, Paul revint croyant de cette ville ; et ceux qui étaient à Damas savaient qu’il n’avait point la foi en sortant de Jérusalem, puisqu’il portait des lettres pour enchaîner les fidèles. Comme un excellent médecin, le Christ l’a guéri au fort même do la fièvre ; car il fallait le saisir dans l’accès de sa fureur. C’est alors que sa chute a été plus sensible, et qu’il s’est mieux condamné lui-même pour avoir formé de si criminelles entreprises. Mais il serait bon de reprendre le fil du discours que nous vous adressions. A quoi bon les Écritures ? je vous le demande ? En ce qui vous regarde, elles n’existent plus. A quoi bon l’église ? Enfouissez les livres ; peut-être le jugement sera-t-il moins terrible, la punition moins forte. Oui, celui qui les enfouirait et ne les écouterait plus, les outragerait moins que vous ne le faites maintenant. Quel serait en effet son tort à leur égard ? De les avoir enfouis. Quel est le nôtre ? De ne pas les écouter. Or, je vous le demande, lequel est le plus injurieux de ne pas répondre à qui se tait, ou de ne pas répondre à qui parle ? Évidemment c’est ce dernier. Donc vous qui n’écoutez pas cette voix qui vous parle, vous commettez une plus grave injure, vous montrez un plus grand mépris. « Ne nous parlez pas », disaient autrefois les Juifs aux prophètes ; mais vous, vous faites pire, en disant : Ne nous parlez pas, nous ne ferons rien. Car les Juifs engageaient les prophètes à ne pas parler, de peur que leur parole ne leur inspirât quelque sentiment de piété ; mais vous, par un mépris plus grand, vous ne faites pas même cela. Croyez-moi : quand vous nous fermeriez la bouche de votre propre main, vous ne commettriez pas un aussi grand outrage que maintenant. Car enfin, celui qui écoute et n’obéit pas, ne montre-t-il pas un plus grand mépris que celui qui n’écoute pas ?
5. Traitons ce sujet plus à fond. Si quelqu’un contenait celui qui l’injurie et lui fermait la bouche, à cause de la peine qu’il éprouverait à se voir injurié, et qu’un autre rien eût aucun souci, n’eût pas même l’air d’y faire attention, lequel montrerait le plus grand mépris ? N’est-ce pas celui-ci ? Le premier fait voir qu’il sent le coup ; le second ferme, pour ainsi dire, la bouche à Dieu. Ce mot nous fait horreur mais écoutez comment cela se fait. La bouche par laquelle Dieu parle, est la bouche de Dieu. Car de même que notre bouche est celle de notre âme, bien que notre âme n’ait pas de bouche ; ainsi la bouche des prophètes est la bouche de Dieu. Écoutez et tremblez. Un diacre se tient debout, élève la voix et crie : « Attention ! » et cela bien des fois. Cette voix est celle de toute l’Église, et personne ne fait attention. Après lui, le lecteur commente la prophétie d’Isaïe et personne encore ne fait attention, bien que ce langage n’ait rien d’humain. Ensuite, s’adressant à l’auditeur, il dit : « Voici ce que dit le Seigneur », et personne encore n’est attentif. Que dis-je ? Il raconte des choses effrayantes, horribles, et personne n’est attentif. Mais que dit la foule ? – On nous lit toujours les mêmes choses. – Et voilà surtout ce qui vous perd. Quand même vous sauriez cela, ce n’est pas une raison pour en détourner votre esprit ; au théâtre, le spectacle est toujours le même et vous ne vous en lassez pas. Comment osez-vous parler ainsi, vous qui ne connaissez pas même les noms des prophètes ? Vous ne rougissez pas de vous excuser en disant qu’on vous lit toujours les mêmes choses, quand vous ne savez pas même les noms des écrivains, bien que vous les entendiez toujours ? Vous convenez vous – même qu’on dit toujours les mêmes choses. Si je disais cela par manière de reproche, vous devriez recourir à une autre excuse, et ne pas ainsi vous accuser vous-même. Dites-moi : Ne donnez-vous point d’avis à votre fils ? Et s’il vous disait que vous répétez toujours les mêmes choses, ne prendriez-vous pas cela pour une injure ? Il serait permis de ne pas répéter, si nous savions bien ces choses, et que nous le prouvassions par notre conduite ; et encore la lecture n’en serait-elle pas inutile. Qui égale Timothée ? Et pourtant Paul lui écrit : « Appliquez-vous à la lecture et à l’exhortation ». (1Tim. 4,13) Car il est impossible, absolument impossible d’épuiser le sens des Écritures ; c’est une source qui n’a pas de fond. J’ai su, dit-on ordinairement, et cela m’a échappé[7].
Voulez-vous que je vous prouve que ce n’est pas toujours la même chose ? À combien portez-vous le nombre de ceux qui ont parlé sur les évangiles ? Eh bien ! tous ont dit quelque chose d’extraordinaire et de nouveau. Car plus on s’y applique, plus la vue devient perçante, plus on est éclairé de la pure lumière. Elles sont grandes, les choses dont je parle. Qu’est-ce qu’une prophétie, dites-le-moi ? qu’est-ce qu’un récit ? qu’est-ce qu’une parabole ? une allégorie ? une figure ? un symbole ? les évangiles ? Ou plutôt répondez seulement à cette question si claire : pourquoi les appelle-t-on évangiles ? Vous avez souvent ouï dire que les évangiles ne doivent renfermer rien de triste ; néanmoins ils sont remplis de passages bien sévères. « Leur feu ne s’éteindra pas et leur vie ne mourra point ». (Mc. 9,43) Et cet autre : « Et il le divisera et il lui donnera sa part avec les hypocrites » (Mt. 24,51) ; et ceci : « Il leur dira : Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité ». (Id. 7,23) Ne nous faisons donc point d’illusion, en nous imaginant que c’est là un langage à la façon des Grecs. Est-ce que cela ne nous regarde pas ? Mais vous êtes sourds, et, dans votre stupidité, vous baissez la tête. Les évangiles, dit-on, ne doivent contenir rien de pratique, mais simplement donner de bons conseils. Et les choses pratiques y abondent, comme celle-ci : « Si quelqu’un ne hait pas son père et sa mère, il n’est pas digne de moi ». (Lc. 16,26) « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive ». (Mt. 10,34) « Vous aurez des tribulations dans le monde ». (Jn. 16,33) Voilà qui est bien, mais ce ne sont pas de bonnes nouvelles ; la bonne nouvelle, c’est ceci : vous aurez tels biens ; comme on se dit familièrement les uns aux autres : qu’ai-je à faire avec les évangiles ? Votre père ou votre mère viendra. L’évangile ne dit pas : Faites cela ! Dites-moi donc encore : quelle différence y a-t-il entre les évangiles et les livres des prophètes ? Pourquoi ceux-ci ne s’appellent-ils pas évangiles ? car ils disent les mêmes choses, comme, par exemple : « Le boiteux sautera comme un cerf ». (Isa. 35,6) ; « Le Seigneur donnera la parole à ceux qui évangélisent ». (Ps. 57) « Je vous donnerai un ciel nouveau et une terre nouvelle ». (Isa. 65,17) Pourquoi ces livres ne s’appellent-ils pas évangiles ? Pourquoi l’évangile ne s’appelle-t-il pas prophétie ? Mais si, ne sachant pas même ce que c’est que les évangiles, vous méprisez ainsi la lecture des Écritures, que vous dirai-je ? Je vous dirai encore autre chose : Pourquoi quatre Évangiles ? Pourquoi pas dix ? Pourquoi pas vingt ? Pourquoi un plus grand nombre n’ont-ils pas entrepris de composer des évangiles ? Pourquoi pas un seul ? Pourquoi des disciples ? Pourquoi d’autres qui n’étaient pas disciples ? En deux mots, pourquoi les Écritures ? Pourtant l’Ancien Testament dit le contraire : « Je vous donnerai un Testament nouveau ». (Jer. 31,31) Où sont ceux qui disent : c’est toujours la même chose ? Vous ne parleriez pas ainsi, si vous saviez que quand même un homme vivrait dix mille ans, il n’y trouverait pas toujours la même chose. Croyez-moi bien : je ne résoudrai aucune de ces questions ni en particulier, ni en publie ; si quelqu’un trouve la solution, j’approuverai par un signe de tête ; sinon je resterai tranquille. Nous avons fait de vous des hommes inutiles, en expliquant toujours tout sur-le-champ, et en ne refusant pas quand il aurait fallu. Vous avez maintenant de nombreuses questions : étudiez-les, cherchez en la raison. Pourquoi évangiles ? Pourquoi pas prophéties ? Pourquoi des choses pratiques dans les évangiles ? Si quelqu’un – est embarrassé, qu’un autre cherche, et communiquez-vous le fruit de vos réflexions ; quant à nous, nous garderons le silence. Car si ce que nous avons dit jusqu’ici ne vous a servi à rien, ce que nous pourrions ajouter serait encore plus inutile. En vérité, nous puisons dans un tonneau percé ; mais votre punition n’en sera que plus terrible. Nous nous tairons donc. Il dépend de vous qu’il n’en soit pas ainsi. Si nous voyons en vous du zèle, peut-être reprendrons-nous la parole, afin que vous deveniez de plus en plus agréables à Dieu et que nous nous réjouissions en vous : glorifiant en tout Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire, la puissance, la grandeur et l’honneur, avec le Père, qui n’a pas de commencement, et son Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l’abbé DEVOILE.

HOMÉLIE XX. modifier


OR, IL Y AVAIT A DAMAS UN DISCIPLE NOMMÉ ANANIE, A QUI LE SEIGNEUR DIT, DANS UNE VISION « ANANIE ». ET IL RÉPONDIT : « ME VOICI, SEIGNEUR ». LE SEIGNEUR LUI DIT : « LEVEZ-VOUS, ET VOUS EN ALLEZ DANS LA RUE QU’ON APPELLE DROITE, CHERCHER DANS LA MAISON DE JUDAS UN NOMMÉ SAUL DE TARSE, CAR IL Y EST EN PRIÈRES ». ET IL A VU, DANS UNE VISION, UN HOMME NOMMÉ ANANIE, QUI ENTRAIT ET LUI IMPOSAIT LES MAINS, AFIN QU’IL RECOUVRÂT LA VUE. (VERS. 10, 11, 12, JUSQU’AU VERS. 25)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Paul aveugle, à Damas, guéri par Ananie. – Zèle ardent de Paul ; sa prudence et son courage.
  • 3 et 4. Beau développement sur cette pensée : la grande accusation que le chrétien doit redouter, c’est d’avoir été inutile.


1. Pourquoi le Seigneur n’appelle-t-il, n’envoie-t-il aucun des principaux apôtres pour l’instruction de Paul ? C’est qu’il ne fallait pas un homme pour amener Paul à la foi, il fallait le Christ lui-même. Ananie ne l’a pas enseigné, mais seulement baptisé. A peine baptisé, Paul s’attire la grâce de l’Esprit par l’ardeur de son zèle. Maintenant, qu’Avanie fut un personnage considérable, c’est ce qui est évident, et parce qui lui est communiqué, et par la réponse qu’il oppose : « Seigneur, j’ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme a fait de maux à vos saints, dans Jérusalem (13) ». S’il, a pu opposer, à Dieu, une pareille réponse, que n’aurait-il pas dit à un ange que Dieu lui aurait envoyé ? Nous avons vu que Philippe ne fut pas averti de ce qui doit arriver ; un ange se montre à lui ; l’Esprit lui ordonne d’avancer, de s’approcher du chariot. Ici, l’Esprit fait plus ; il rassure Ananie ; il semble lui dire : C’est un homme qui est en prières, c’est un aveugle, et vous avez peur. Moïse aussi nous fait voir une peur semblable. Les paroles d’Avanie marquent plutôt la peur que le manque de foi. Écoutez-les : « Seigneur, j’ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme… » Que dites-vous ? Dieu parle, et vous hésitez ! Ainsi, on ne connaissait pas encore la puissance du Christ. « Et même il est venu en cette ville, avec un pouvoir des princes des prêtres, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom (14) ». D’où le savait-on ? Il faut croire que la terreur était générale, et l’on avait eu grand soin de courir aux informations. Ananie ne parle donc pas pour apprendre au Christ quelque chose, mais Ananie ne comprend pas, dans une pareille conjoncture, la possibilité de ce qu’on lui demande. C’est ainsi qu’ailleurs les disciples disent : « Qui peut être sauvé ? » (Mc. 10,26) Mais voyez comme tout est disposé de manière à lui inspirer de la confiance. Un songe, une vision, une voix qui avertit : Il est en prières, dit le Seigneur, donc ne craignez rien. Et pourquoi ne lui annonce-t-il pas clairement la victoire remportée ? C’est pour nous apprendre à ne pas publier nos triomphes, ou plutôt, c’est précisément parce que le Seigneur voyait la crainte d’Avanie. Et ce n’est pas pour Dieu une raison de lui dire : Il ne refusera pas de vous croire. Mais que lui dit-il ? « Levez-vous, et vous en allez. Car il a vu, dans une vision, un homme qui lui imposait les mains. Dans une vision », parce qu’il était aveugle. Et la grandeur du miracle n’a pas transporté le disciple, tant il avait peur ! C’est de lui pourtant que Dieu s’est servi pour rendre la vue à Paul devenu aveugle. Le Seigneur lui repartit : « Allez le trouver, parce que cet homme m’est un vase d’élection pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois, et devant les enfants d’Israël ; car je lui montrerai combien il faudra qu’il souffre pour mon nom (15, 16) ». non seulement, ce sera un fidèle, dit le Seigneur, mais un docteur, et il parlera, en toute liberté, « devant les gentils et devant les rois ». Sa doctrine grandira au point de prévaloir sur toutes les nations et sur les rois. « Ananie s’en alla donc, et, étant entré dans la maison, il lui imposa les mains et lui dit. Saul, mon frère, le Seigneur m’a envoyé Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où vous veniez, afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit (17). Jésus », dit-il, « qui vous est apparu dans le chemin ».
Certes, ce n’est pas le Christ qui lui a dit ces choses, mais l’Esprit. « Et aussitôt, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue ; et s’étant levé, il fut baptisé (18). Ayant ensuite mangé, il reprit des forces (19) ». Il ne fit que lui imposer les mains, et aussitôt de ses yeux tombèrent les écailles. On a trouvé, dans ces écailles, la cause de cette cécité. Mais pourquoi le Seigneur ne lui enleva-t-il pas les yeux ? Voici ce qu’il y eut de plus étrange : Saul, ayant les yeux ouverts, ne voyait point : il subit cette infirmité jusqu’à ce qu’il eût quitté la loi pour Jésus. « Et aussitôt », dit le texte, « il fut baptisé. Ayant ensuite mangé, il reprit des forces ». Il va sans dire qu’il était brisé par le voyage, par l’épouvante, par la faim, par le trouble de son cœur. Pour prolonger ce trouble, le Seigneur le laissa dans la cécité jusqu’à l’arrivée d’Avanie. Il ne fallait pas non plus qu’on prît cette cécité pour une imagination ; de là, les écailles. Ce qui est certain, c’est que Saul n’eut pas besoin d’autre enseignement ; ce qui lui était arrivé lui tint lieu d’enseignement. « Et il demeura, durant quelques jours, avec les disciples qui étaient à Damas. Et il se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu’il était le Fils de Dieu (20) ». Voyez, tout de suite il se met à enseigner dans les synagogues. Il ne rougit pas de son changement, il n’a pas peur de démentir ce qui l’a rendu fameux auparavant. Et non seulement il enseigne, mais il enseigne dans les synagogues. Ainsi, il a commencé par donner la mort, il était prêt à commettre mille meurtres. Voyez-vous la puissance du signe qui l’a frappé ? Par le même signe, Saul, à son tour, surprend tous les hommes. Ce que montre le texte, en ajoutant : « Tous ceux qui l’écoutaient étaient frappés d’étonnement, et ils disaient : N’est-ce pas là celui qui, persécutait avec tant d’ardeur, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient ce nom, et qui est venu ici pour les emmener prisonniers aux princes des prêtres ? Mais Saul se fortifiait de plus en plus, et confondait les Juifs qui demeuraient à Damas, leur prouvant que Jésus était le Christ (21, 22) ». Dans sa connaissance de la loi, il leur fermait la bouche, il ne leur permettait pas de souffler le mot. Ils avaient cru se délivrer de tous les discours de ce genre en se délivrant d’Étienne, et ils retrouvaient un autre Étienne encore plus véhément.
2. Mais reprenons ce qui concerne la vision d’Avanie. Le Seigneur ne lui dit pas : Allez lui parler et l’instruire. Car si ces paroles : « Il est en prières, et il a vu un homme qui lui imposait les mains », ne suffisaient pas pour persuader Ananie, à plus forte raison, les autres paroles eussent été peu convaincantes. « Il a vu », dit le texte, « dans une vision » ; par conséquent il ne se défiera pas de vous ; donc ne craignez rien, mettez-vous en route. C’est ainsi qu’il arrive à Philippe de ne pas tout comprendre au premier moment. « Parce qu’il m’est un vase d’élection ». Paroles qui ont pour but de dissiper la crainte, et d’inspirer la confiance ; puisque ce persécuteur devait prendre les intérêts du Seigneur, au point de souffrir beaucoup de maux. L’expression, « C’est un vase », montre que la perversité n’est pas naturelle en lui ; « d’élection », montre qu’il a été trouvé bon, car on ne choisit que ce qui a été trouvé bon. La réponse d’Avanie ne prouve pas qu’il refuse de croire, ni qu’il pense que le Christ se soit trompé ; rejetons ces pensées ; mais Ananie effrayé, tremblant, n’a rien entendu de ce qu’on lui disait, du moment que le nom de Paul eut frappé son oreille ; telle fut son épouvante aussitôt qu’il eût entendu ce nom ; et cependant, en apprenant la cécité dont le Seigneur l’avait frappé, Ananie devait se rassurer. « Et même il est venu en cette ville, dit-il, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom ». C’est comme s’il disait J’ai peur qu’il n’aille, moi aussi, m’emmener à Jérusalem ; voulez-vous me jeter dans la gueule du lion ? Voulez-vous me livrer à lui ? Il a peur ; et ce qu’il dit, c’est pour nous faire connaître, par tous les moyens, la vertu de Paul. Que les Juifs tiennent un pareil langage, il n’y a là rien de merveilleux ; mais que ce soit Ananie qui parle ainsi et avec une telle épouvante, c’est la plus grande preuve de la puissance de Dieu.
« Saul, mon frère ». L’épouvante est grande ; mais l’obéissance est plus grande encore, après l’épouvante. Le Seigneur avait dit : « C’est un vase d’élection » ; on pouvait croire que Dieu agissait seul ; pour corriger cette pensée, le texte ajoute : « Pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d’Israël ». Ananie entend ici ce qui devait le plus réjouir son cœur ; le persécuteur allait donc se tourner contre les Juifs. Aussi ce n’est pas de la joie seulement, mais de la confiance qui remplit l’âme d’Ananie. « Car je lui montrerai », dit le texte, « combien il faudra qu’il souffre pour mon nom ». Ces paroles révèlent l’avenir, et en même temps opèrent la persuasion : un jour, il souffrira tout, ce persécuteur si furieux, et Ananie ne veut pas le baptiser pour qu’il recouvre la vue ; tant mieux, dit Ananie, laissez-le dans sa cécité ; ce qui fait sa douceur aujourd’hui, c’est qu’il est aveugle. A quoi bon m’ordonner de lui ouvrir les yeux ? pour, qu’il continue à nous emmener prisonniers ? Eh bien ! non, ne redoutez pas l’avenir : quand ses yeux se rouvriront, ce n’est pas contre nous, mais pour nous, qu’il se servira de ses yeux ; donc, « pour qu’il recouvre la vue ». Puis il ajoute : N’ayez pas peur, il ne vous fera aucun mal ; au contraire, il souffrira un grand nombre de maux. Et ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il souffrira d’abord ; et ensuite, il se précipitera dans les dangers. « Saul, mon frère, Jésus qui vous est apparu dans le chemin, m’a envoyé (47) ». Il ne lui dit pas : qui vous a aveuglé, mais « qui vous est apparu » ; langage plein de mesure, et qui n’a rien de présomptueux. Ainsi, de même que Pierre disait à propos du boiteux « Pourquoi nous regardez-vous comme si c’était par notre vertu ou par notre puissance, « que nous eussions fait marcher ce boiteux ? » (Act. 3,12) De même Ananie, en cette circonstance : « Jésus qui vous est apparu ». Il lui imposait les mains, en prononçant ces paroles, et la double cécité était guérie. Quant à cette observation, « ayant mangé, il reprit des forces » ; c’est pour montrer l’affaiblissement de Saul, et par suite du chagrin que lui causait sa cécité, et par suite de la peur, et par suite de la faim. Car il ne voulut prendre de nourriture qu’après qu’il eût été baptisé, et gratifié ainsi des plus précieux dons. Et Ananie ne dit pas : Jésus le crucifié, le Fils de Dieu, celui qui fait des miracles ; mais que lui dit-il ? « Qui vous est apparu ». Il ne le désigne que parce que Saul connaît de lui ; le Christ n’avait rien ajouté, n’avait pas dit : Je suis le crucifié, le ressuscité, mais : « Celui que vous persécutez ». Ananie ne lui dit pas : le persécuté, afin de ne pas prononcer des paroles de triomphe ni de sarcasme. « Qui vous est apparu », dit-il, « dans le chemin ». Sans doute, il n’a pas été vu, mais ce qu’il a opéré, l’a fait voir. Et pour alléger ce qu’il y a de pénible dans ces paroles, vite Ananie ajoute : « Afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit ». Ainsi, il n’est pas venu pour le confondre à propos de ce qui est arrivé, mais pour lui apporter la grâce. Quant à moi, il me semble que Saul et que Corneille ont reçu le Saint-Esprit tout de suite après que ces paroles eurent été prononcées. Cependant celui qui le communiquait, n’était pas un des douze. Qu’importe ? il n’y avait, dans ces circonstances, rien qui appartînt à l’homme, rien qui se fît par l’énergie de l’homme. C’était Dieu qui était là, opérant tout. Et, en même temps, le Seigneur fait deux choses : il enseigne à Saul la modération de la sagesse, en ne le conduisant pas vers ceux qui reçurent les premiers le titre d’apôtres ; de plus, le Seigneur montre qu’il n’y a, dans ce fait, rien d’humain. Ce qui n’empêche pas que Saul fût jugé digne de posséder l’Esprit qui donne des signes, afin que, par là encore, sa foi éclatât ; car il ne fit pas de miracle. « Et aussitôt », dit le texte, « il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu’il est le Fils de Dieu ». Il ne prêchait pas le Christ ressuscité, le Christ – vivant ; qu’annonçait-il donc ? Il avait choisi avec une admirable précision son dogme, « que Jésus est le Fils de Dieu ». Les infidèles refusent d’ajouter foi à ces paroles, quand ils auraient dû non seulement y ajouter foi, mais les recevoir avec transport. Et pourquoi ne se bornent-ils pas à dire que c’était un persécuteur ? pourquoi disent-ils qu’il exterminait ceux qui invoquent ce nom ? Ils montraient bien ainsi tout ce qu’il y avait d’insensé dans leur fureur ; ils ne prononçaient pas le nom de Jésus ; leur jalousie ne voulait pas entendre ce nom, tant ils étaient semblables à des bêtes fauves ! « Et même il est venu en cette ville pour ». Nous ne pouvons pas dire, dit le texte, qu’il fut d’abord avec les apôtres.
3. Voyez combien de témoignages pour montrer que Paul faisait partie des ennemis de la foi. Quant à lui, loin d’en rougir, au contraire, il s’en glorifiait. « Mais Saul se fortifiait de plus en plus et confondait les Juifs (22) » ; c’est-à-dire, leur fermait la bouche, ne leur permettait pas de souffler le mot ; « leur prouvant que Jésus est le Christ ». Il instruisait, dit le texte, car il fut tout de suite docteur. « Longtemps après, les Juifs résolurent « ensemble de le faire mourir (23) ». Les Juifs reprennent l’argument toujours en vigueur chez eux, désormais ils ne cherchent plus sycophantes, accusateurs, faux témoins : ils n’en veulent plus. Que veulent-ils donc ? Désormais ils font eux-mêmes la besogne. Ils voyaient la doctrine se propager, ils ne veulent plus avoir recours à des jugements. « Mais Saul fut « averti du dessein qu’ils avaient formé contre « sa – vie ; et comme ils faisaient bonne garde, « jour et nuit, aux portes, pour le tuer (24) ». Pourquoi ? c’est que Paul leur était plus insupportable que tous les miracles que l’on avait vus, que la conversion des cinq mille, que la conversion des trois mille. Et maintenant voyez-le sauvé, non par la grâce de Dieu, mais par l’habileté humaine ; c’est pour vous faire connaître la vertu de l’homme qui brille même en l’absence de tout miracle, de son éclat propre. « Les disciples le prirent et le descendirent, durant la nuit, par la muraille, a dans une corbeille (25) ». Naturellement pour déjouer tous les soupçons. Eh bien, après, échappé à ce danger, renonce-t-il à sa mission ? Nullement ; il se retire, afin de mieux les attaquer ; la sincérité de sa foi tenait encore en défiance un grand nombre de personnes. Voilà pourquoi cette fuite eut lieu longtemps après. Qu’est-ce à dire ? il est vraisemblable que Paul refusa longtemps de partir, malgré peut-être un grand nombre d’avertissements ; mais, quand il sut le dessein formé contre lui, il permit à ses disciples d’agir ; car il eut des disciples tout de suite.
C’est ce qu’il indiquait, en disant : « Celui qui était à Damas gouverneur de la province pour le roi Arétas, faisait faire la garde dans la ville des Damascéniens, afin de me prendre ». (2Cor. 11,32) Et, voyez : l’évangéliste ne dit rien avec exagération ; il ne cherche pas la gloire de Paul ; il dit seulement que l’on excita le roi. Les disciples le firent donc partir seul, et personne avec lui. Ce qui s’explique, parce qu’il fallait qu’il allât se montrer aux apôtres à Jérusalem ; ou plutôt les disciples le firent partir de telle sorte que, dans la suite, c’était lui seul qui devait pourvoir à sa sûreté. Mais lui, bien loin d’y penser, fit tout le contraire, et aussitôt il s’élança au milieu des furieux. Voilà le zèle brûlant ; voilà le comble de la ferveur. Et, voyez, sans discontinuer, dès le premier jour, comme il observe le précepte qu’entendirent les apôtres : « Celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas ». (Mt. 10,38). Ce fait, qu’il venait après les autres, ne le rendait que plus ardent. Et sa conduite était l’application de cette parole : « Celui à qui on remet beaucoup, aimera davantage ».(Lc. 7,47) Aussi, plus il se fit attendre, plus il prouva son amour ; condamnant ouvertement sa vie première, se reprenant à chaque instant à la flétrir, il ne croyait jamais avoir assez fait pour effacer ses premières actions. « Assurant », dit le texte, c’est-à-dire, qu’il était plein de douceur dans son enseignement. Et, voyez, on ne lui dit pas : Toi qui désolais les fidèles, d’où vient que tu es changé ? Ses ennemis rougissaient, et ne faisaient ces réflexions qu’en eux-mêmes ; il, aurait pu leur dire avec beaucoup plus de raison : C’est vous surtout qu’il convient d’instruire, car c’est ainsi qu’il se défend auprès d’Agrippa.
Imitons-le, nous aussi, je vous en conjure, et soyons prêts à braver tous les dangers plais pourquoi, dira-t-on, a-t-il pris la fuite ? ce n’est pas par lâcheté ; mais il voulait se conserver pour la prédication. S’il eût été lâche, il ne serait pas allé à Jérusalem ; il ne se serait pas aussitôt chargé de répandre la doctrine ; il aurait modéré sa fougue. Non, il n’y avait en lui aucune lâcheté, mais il y avait de la prudence. Le meurtre d’Étienne l’avait instruit ; aussi ne craignait-il pas de mourir pour la prédication, si toutefois sa mort était d’une grande utilité. C’était un homme qui ne voulait pas même voir le Christ, malgré l’ardent désir qu’il éprouvait de le voir, parce qu’il n’avait pas encore rempli sa tâche auprès des hommes. Voilà ce que doit être l’âme d’un chrétien.
4. Dès le commencement, dès les premiers pas de sa course, le caractère de Paul se déclarait ; disons mieux, même avant ce temps. Car, dans la conduite même qu’il tint avant de posséder la vraie science, il agissait conformément à la raison humaine. Si, après tant de temps, il n’éprouvait pas encore le désir de quitter la vie, à bien plus forte raison, au commencement de sa mission, quand il ne faisait que de sortir du port. Et maintenant le Christ ne l’arrache pas au danger, mais le laisse aller, parce qu’il est un grand nombre d’actions que le Seigneur tient à voir accomplir par la sagesse humaine. Autre raison encore de le laisser aller. C’est pour nous apprendre que les apôtres mêmes furent des hommes, et que ce n’est pas toujours, en toute occasion, la grâce seule qui opère ; autrement, on aurait pu ne les prendre que pour des morceaux de bois. Voilà donc pourquoi ces hommes, en beaucoup de circonstances, administraient d’eux-mêmes. Faisons ainsi pour ce qui nous concerne, et sachons, de la même manière, prendre soin du salut de nos frères. Le martyre n’est pas plus glorieux que la force qui ne refuse aucune souffrance pour procurer le salut d’un grand nombre ; rien ne réjouit tant le cœur de Dieu. Je veux redire ce que j’ai souvent dit ; je le redirai pour exprimer mon vif désir : d’ailleurs, le Christ faisait de même quand il rappelait le devoir de pardonner : « Lorsque vous priez, remettez ce que vous pouvez avoir contre quelqu’un ». (Mt. 5,23) Il dit encore à Pierre : « Je ne vous dis pas de pardonner jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois ». (Id. 18,22) Et en fait, il a pardonné lui-même le mal qu’on lui faisait ; et c’est parce que nous savons que c’est là le but du christianisme, que nous revenons sans cesse sur ce sujet.
Non, rien n’est plus froid qu’un chrétien qui ne sauve pas ses frères. Vous ne pouvez pas ici objecter la pauvreté ; la femme aux deux petites pièces de monnaie parlerait contre vous. Pierre disait : « Je n’ai ni or ni argent ». (Act. 3,6) Paul était pauvre, à tel point que souvent il ressentit la faim et manqua de la nourriture nécessaire. Vous ne pouvez pas objecter votre obscurité : les apôtres étaient obscurs et sortis d’hommes obscurs. Vous ne pouvez pas prétexter de votre ignorance dans la littérature ; eux aussi étaient des hommes sans lettres. Et seriez-vous un esclave, seriez-vous un esclave fugitif, vous pouvez toujours faire ce qui dépend de vous. Tel était Onésime ; et voyez le nom que Paul lui donne, à quelle dignité il l’élève : « Afin », dit-il, « qu’il communique avec moi dans mes liens ». (Phm. 1,10) Vous ne pouvez pas objecter vos maladies ; car Timothée aussi avait des maladies fréquentes ; écoutez la preuve qu’en donne Paul : « Usez d’un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Tim. 5,23) Il n’est personne qui ne puisse être utile au prochain, avec la volonté de faire ce qui dépend de lui. Ne voyez-vous pas combien les arbres stériles sont vigoureux, beaux, élancés, unis, élevés ; cependant, si nous avions un jardin, nous préférerions à ces arbres des grenadiers, des oliviers couverts de fruits ; car ces arbres stériles sont pour le plaisir, non pour l’utilité ; l’utilité qu’ils peuvent avoir est mince ; à eux ressemblent ceux qui ne considèrent que leur intérêt propre ; ou plutôt ils ne leur ressemblent même pas, ils ne sont bons qu’à subir la vengeance. Ces arbres stériles servent à construire des édifices, à en consolider l’intérieur. Telles étaient ces vierges, chastes, parées, pratiquant la continence, mais inutiles ; aussi on les brûle. Tels sont ceux qui n’ont pas nourri le Christ. Et maintenant, voyez : aucun d’eux n’est accusé pour ses péchés, pour ses fornications, pour ses parjures, pour rien ; la grande accusation, c’est d’avoir été inutile. Tel était celui qui enfouissait le talent ; sa vie était sans reproche, mais inutile. Comment, je vous le demande, un tel homme peut-il être un chrétien ? Répondez-moi : si le ferment, mêlé à la farine, ne transforme pas toute la pâte, est-ce, à vrai dire, un ferment ? Et encore, si un parfum n’embaume pas ceux qui approchent, pouvons-nous l’appeler un parfum ? Ne dites pas qu’il vous est impossible d’agir sur les autres ; si vous êtes chrétien, ce qui est impossible, c’est que vous n’agissiez pas. Ce qui est dans la nature n’admet pas de contradiction ; il en est de même de ce que nous disons ici : Ce que nous demandons est dans la nature du chrétien ; n’outragez pas Dieu. Dire que le soleil ne peut pas briller, c’est outrager le soleil ; dire qu’un chrétien ne peut pas être utile, c’est outrager Dieu et l’accuser de mensonge. Car il est plus facile pour le soleil de n’avoir ni chaleur ni clarté, que pour le chrétien de n’avoir pas de lumière ; il est plus facile à la lumière de devenir les ténèbres, que de voir une telle contradiction. Ne dites pas impossible ; l’impossible c’est le contraire. N’outragez pas Dieu. Si nous disposons bien nos affaires, ce que je dis se fera comme une conséquence naturelle ; la lumière du chrétien ne peut rester cachée ; on ne peut dérober aux regards cette lampe brillante. Donc, pas de négligence. De même que la vertu profite et à nous et à ceux à qui notre vertu est utile, ainsi la malignité est doublement funeste et à nous et à ceux que nous blessons. Supposez un ignorant, si vous voulez, souffrant, de la part d’un ennemi, des maux sans nombre, et personne ne le venge, et il répond à ses ennemis par des bienfaits. Quel enseignement, quelle parole, quelle exhortation ne serait pas au-dessous de cette conduite ? Donc, pénétrés de ces vérités, attachons-nous à la vertu, puisque c’est le seul moyen de conquérir le salut, puisqu’il faut les bonnes œuvres de la vie présente pour entrer dans le partage des biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXI. modifier


ÉTANT VENU A JÉRUSALEM, PAUL CHERCHAIT À SE JOINDRE AUX DISCIPLES ; MAIS TOUS LE CRAIGNAIENT, NE CROYANT PAS QU’IL FUT LUI-MÊME DISCIPLE. ALORS BARNABÉ L’AYANT PRIS AVEC LUI, L’AMENA AUX APÔTRES, ET LEUR RACONTA COMMENT LE SEIGNEUR LUI ÉTAIT APPARU DANS LE CHEMIN. (CHAP. 9,26, 27, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Paul à Jérusalem. – Discussion sur les premiers voyages de Paul. – Démonstration de la principauté de Pierre. – Résurrection de Thabite.
  • 4 et 5. Magnifique mouvement d’éloquence : la mort du pécheur, le vrai deuil, les vrais sujets de larmes ; les aumônes utiles aux morts ; les offrandes pour les défunts.


1. Nous aurons raison ici de nous demander comment il a pu écrire, dans sa lettre aux Galates : « Je ne suis point retourné à Jérusalem, mais je m’en suis allé en Arabie et à Damas ; et ainsi, trois ans s’étant écoulés, je retournai à Jérusalem pour voir Pierre, et je n’ai vu aucun des apôtres ». (Gal. 1,17-19) D’où vient qu’ici, au contraire, le texte dit que Barnabé l’amena aux apôtres ? Ou l’apôtre veut dire : Je ne suis pas allé pour demeurer (car il dit immédiatement avant : « Je n’ai pas pris conseil de la chair et du sang » (Id. 16 ;) je ne suis pas allé à Jérusalem trouver les apôtres qui me précédaient) ; ou voici encore l’explication que l’on peut donner : les pièges qui lui furent tendus à Damas, furent postérieurs au voyage en Arabie ; ensuite il retourna de Damas à Jérusalem. Donc lui-même n’alla pas voir les apôtres, mais il cherchait à se joindre aux disciples, comme n’étant pas encore docteur, mais simplement disciple lui-même. Il n’alla donc pas pour voir les apôtres qui le précédaient ; et en effet, ils ne lui ont rien appris. Ou il ne parle pas de ce voyage, il le passe sous silence, et voici ce qui est arrivé : Il s’en est allé en Arabie, ensuite à Damas, ensuite à Jérusalem, de là en Syrie ; ou bien, s’il n’en est pas ainsi, voici ce qu’il faut croire : Il alla à Jérusalem, de là il fut envoyé à Damas ; il alla ensuite en Syrie, ensuite une seconde fois à Damas, ensuite à Césarée ; et alors, après quatorze ans sans doute, Barnabé l’amena aux frères. Si cette explication n’est pas vraie, il s’agit alors d’une autre époque, car l’historien abrège considérablement le récit, entassant les époques. Voyez quel détachement de la gloire ! Il ne raconte pas cette fameuse vision, il passe outre, et ensuite il commence de cette manière : « Étant venu à Jérusalem, il cherchait à se joindre aux disciples, mais tous le craignaient ». Et voici ce qui montre encore la chaleur de Paul : Ce n’est pas l’histoire d’Ananie, ce n’est pas l’admiration qu’il excitait à Damas, mais ce sont les faits qui se sont passés à Jérusalem. Il est certain qu’on attendait de lui quelque chose de supérieur à l’homme ; et remarquez : Paul ne va pas trouver les apôtres ; la modestie le retient ; il va voir les disciples, parce qu’il est lui-même disciple ; on ne le regardait pas encore comme un fidèle.
« Alors Barnabé l’ayant pris, l’amena aux apôtres, et leur raconta comment le Seigneur lui était apparu dans le chemin ». Ce Barnabé était un homme doux et bon, son nom signifie « fils de la consolation » ; d’où il suit qu’il fut l’ami de Paul. Quant à sa bonté, à son affabilité, la preuve c’est sa conduite présente, et sa conduite avec Jean ; c’est ce qui explique l’assurance de Paul, qui lui raconte comment le Seigneur lui est apparu dans le chemin, et que Dieu lui a parlé, et qu’à Damas il s’est montré librement un serviteur du Seigneur Jésus. Il est vraisemblable qu’à Damas, Barnabé avait entendu parler de Paul. Telle fut la préparation de son apostolat dans lequel les œuvres confirmèrent les paroles. « Et il était avec eux, entrant et sortant dans Jérusalem, et parlant avec force et liberté au nom du Seigneur Jésus. Il parlait aussi et il discutait « avec les Juifs grecs (28, 29) ». Les disciples le craignant, les apôtres n’ayant pas encore confiance en lui, Paul s’arrange de manière à dissiper leurs craintes. Il parlait, dit le texte, et il discutait avec les Juifs grecs. Les Juifs grecs étaient ceux qui parlaient grec, et l’Écriture a tout à fait raison ; car les autres ne voulaient même pas le voir : « Et ceux-ci cherchaient à le tuer » ; ce qui prouve à la fois, et la violence des vaincus et l’éclat de la victoire et le chagrin qu’elle causait : « Ce que les frères ayant reconnu, ils le menèrent à Césarée.(30) ». Cette conduite s’explique par la crainte ; ils craignaient pour lui ce qui était arrivé à Étienne ; ils le mènent à Césarée : « Et ils l’envoyèrent à Tarse ». Quelle que soit leur crainte, ils l’envoient toutefois, et pour qu’il prêche, et pour qu’il soit en sûreté, Tarse étant sa patrie. Eh bien ici, voyez comme il est vrai de dire que la grâce n’agit pas toujours seule, que Dieu permet aussi aux hommes de faire beaucoup de choses par la sagesse qui leur est propre, par la prudence humaine. Ce qui est vrai de Paul, l’est bien plus des autres hommes. Il lui permet donc d’enlever tout prétexte à ces malheureux : « Cependant l’Église était en paix par toute la Judée et la Samarie, et elle s’établissait marchant dans la crainte du Seigneur, et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit (31) ». L’historien va parler de Pierre visitant les fidèles ; il ne veut pas que cette démarche paraisse un effet de la crainte ; il expose donc d’abord l’état de l’Église, montrant qu’au temps de la persécution Pierre était resté à Jérusalem. Mais l’Église étant partout en paix, Pierre laisse Jérusalem, telle est la ferveur qui l’emporte ! En effet, la paix n’était pas une raison pour que l’on n’eût pas besoin ailleurs de sa présence. Et pourquoi, dira-t-on, ce voyage, en pleine paix, après le départ de Paul ? C’est que les peuples vénéraient surtout ceux qu’ils voyaient souvent, et qui excitaient l’admiration de la foule. Quant à Paul, on le méprisait, et les haines étaient allumées contre lui.
2. Avez-vous bien compris comment la paix succède à la guerre, ou plutôt avez-vous bien compris le résultat de cette guerre ? Elle a dispersé les auteurs de la paix. Dans la Samarie, Simon fut couvert de honte ; dans la Judée, arriva l’histoire de Sapphire ; donc, quoique la paix régnât, il n’y avait pas lieu à se relâcher, c’était une paix qui avait besoin de consolation. « Or, Pierre, visitant de ville en ville tous les disciples, vint aussi voir les saints qui habitaient à Lydde (32) ». C’était comme un général qui passe la revue pour voir ce qui est bien aligné, ce qui est dans l’ordre, en quel lieu sa présence est nécessaire. Voyez-le courant de tous les côtés, et se trouvant partout le premier. S’agit-il de choisir un apôtre ? il est le premier ; s’agit-il de répondre aux Juifs accusant les apôtres d’être ivres, de guérir un boiteux, de haranguer les peuples ? on le voit avant tous les autres. Faut-il, parler aux magistrats ? c’est lui qui se montre. Quand il faut punir Ananie, opérer des guérisons par son ombre, c’est toujours lui. On le trouve partout où il y a du danger, et partout où il y a quelque chose à administrer. Quand les choses vont d’elles-mêmes, tous agissent en commun ; Pierre ne recherche pas de prérogatives d’honneur. Mais maintenant, quand il faut opérer un miracle, c’est lui qui s’élance ; et ici, c’est lui encore qui se, charge d’un travail, et qui fait un voyage. « Il y trouva un homme, u nommé Enée, qui, depuis huit ans, était couché sur un lit, étant paralytique, et Pierre lui dit : Enée, le Seigneur Jésus-Christ vous guérit ; levez-vous, et faites vous-même votre lit ; et aussitôt il se leva (33, 34) ».
Et pourquoi n’attendit-il pas que l’homme lui montrât sa foi ? pourquoi ne lui demanda-t-il pas s’il voulait être guéri ? Assurément c’est parce qu’il fallait produire un grand effet sur la foule, que ce miracle s’opéra. Aussi combien l’utilité en fut grande ! Écoutez ce que le texte ajoute : « Tous ceux qui demeuraient à Lydde, et à Sarone, virent cet homme guéri, et ils se convertirent au Seigneur (33) ». Pierre a donc eu raison de parler ainsi. C’était un homme connu de tout le monde, et, pour prouver la vérité du miracle, l’apôtre lui ordonne d’emporter son grabat. En effet, les apôtres ne se bornaient pas à guérir ; mais, avec la santé, ils rendaient aussi la force. D’ailleurs, ils n’avaient pas encore donné de preuves de leur puissance ; il n’est pas étonnant que le paralytique ne fût pas tenu de croire, puisque le boiteux n’avait pas dû manifester sa foi. De même que le Christ, lorsqu’il commença d’opérer des miracles, n’exigeait pas la foi, de même firent les apôtres. A Jérusalem, on exigeait la foi ; de là vient qu’à cause de leur foi tous les malades étaient exposés dans les rues, afin que l’ombre de Pierre, venant à passer, s’étendît au moins sur quelqu’un d’entre eux. A Jérusalem, en effet, il y avait eu beaucoup de miracles ; mais c’était pour la première fois qu’on en voyait à Lydde. Parmi les miracles, les uns avaient pour but d’attirer les infidèles, les autres de consoler ceux qui partageaient la foi. « Il y avait aussi à Joppé, entre les disciples, une femme nommée Thabite, ou en grec, Dorcas ; elle était remplie de bonnes œuvres et des aumônes qu’elle faisait. Or, il arriva en ce temps-là, qu’étant tombée malade, elle mourut ; et, après qu’on l’eut lavée, on la mit dans une chambre haute ; et comme Lydde était près de Joppé, les disciples, ayant appris que Pierre y était, envoyèrent vers lui deux hommes pour le prier de venir auprès d’eux (36, 37, 38) ».
Pourquoi les disciples attendirent-ils qu’elle mourût ? Pourquoi ne se pressèrent-ils pas d’importuner Pierre ? C’est que, dans leur sagesse, ils regardaient comme inconvenant d’importuner les apôtres pour de telles choses, et de les arracher à la prédication. Et si le texte dit que Joppé était près de Lydde, c’est pour montrer que, vu la proximité, les disciples demandaient ce qui pouvait se faire sans dérangement (cette femme faisait partie des disciples) ; et qu’ils n’y attachaient pas une extrême importance. « Pierre partit aussitôt, et s’en alla avec eux. Lorsqu’il fut arrivé, ils le menèrent à la chambre haute (39) ». Ils ne lui demandent rien, ils s’en rapportent à lui, pour la rendre à la vie, si c’est sa volonté ; et ainsi se trouve accomplie cette parole : « L’aumône délivre de la mort (Tob. 12,9). « Et toutes les veuves l’entourèrent, en pleurant, et lui montrant les tuniques et les robes que Dorcas leur faisait ». C’est dans la chambre où cette morte était exposée qu’ils conduisent Pierre, avec la pensée peut-être que ce spectacle serait pour lui une occasion de manifester la sagesse chrétienne. Voyez-vous tout ce que cette conduite dénote de progrès dans la sagesse ? Et le nom de cette femme n’est pas rappelé au hasard, il montre la conformité de son nom et de sa vie : une femme vigilante, alerte, comme une chèvre, Dorcas ; car il y a beaucoup de noms qui portent en eux-mêmes leur raison ; nous vous l’avons souvent dit. « Elle était remplie », dit le texte, « de bonnes œuvres, et des aumônes qu’elle faisait ». Grand éloge pour cette femme, d’avoir fait ses bonnes couvres et ses aumônes, de manière à en être remplie. Or, il est manifeste qu’elle s’appliquait d’abord aux bonnes couvres, ensuite aux aumônes, « qu’elle faisait », dit le texte. Grande humilité. Ce n’est pas ce qu’on voit chez nous ; tous alors attachaient une grande importance à l’aumône. Alors Pierre, ayant fait sortir tout le monde, se mit à genoux, et en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : « Thabite, levez-vous ; elle ouvrit les yeux et, ayant vu « Pierre, elle se mit sur son séant (40) ». Pourquoi faire sortir tout le monde ? pour éviter l’émotion, le trouble causé par les larmes. « Se mit à genoux, et en prières » ; c’était la marque d’une grande application pour prier. « Il lui donna la main », dit le texte (41). Ici, le texte montre successivement la vie, ensuite la force communiquée, l’une par la parole, l’autre par la main. « Il lui donna la main ; et la leva, et ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante ». C’était, pour les uns, une consolation ; ils revoyaient leur sœur ; ils contemplaient un miracle ; pour les veuves, c’était une protection qu’elles retrouvaient. « Ce miracle fut su de toute la ville de Joppé, et plusieurs crurent au Seigneur ; et Pierre demeura plusieurs jours, dans Joppé, chez un corroyeur nommé Simon ».
3. Voyez la modestie et la douceur de Pierre : il ne reste pas auprès de cette femme, auprès de quelqu’autre personnage marquant, mais chez un corroyeur ; par tous les moyens, il enseigne l’humilité. Il ne veut pas que les humbles rougissent, que les grands s’élèvent. S’il fit son voyage, c’est qu’il pensait que les fidèles avaient besoin de sa doctrine. Mais reprenons les paroles de notre texte : « Il cherchait », dit le texte, « à se joindre aux disciples ». Paul ne les aborde pas effrontément, mais avec humilité. L’Écriture ici donne le nom de disciple même à ceux qui ne faisaient pas partie des douze ; c’est que tous méritaient alors ce nom de disciples, par l’excellence de leurs vertus. Leur vie était conforme à un modèle illustre. « Mais tous le craignaient », dit le texte. Voyez comme ils redoutaient les périls, comme la crainte était puissante encore. « Alors Barnabé, l’ayant pris avec lui, l’amena aux apôtres et leur raconta ». Ce Barnabé, je crois, était depuis quelque temps l’ami de Paul ; de là vient qu’il raconte tout ce qui le concerne. Quant à Paul, il n’en dit rien lui-même, et je pense que plus tard il n’en parle pas davantage, excepté dans quelque nécessité. « Et il était avec eux dans Jérusalem, parlant avec force et liberté au a nom du Seigneur Jésus ». Ce qui donnait aux autres de la confiance. Voyez-vous, ici encore, ce que vous avez vu ailleurs, des fidèles qui veillent prudemment sur lui, et qui le font partir, et comment la main de Dieu ne se montre pas encore pour le défendre ? Et c’est par là qu’éclate son énergie propre. Dès ce moment, je ne crois pas qu’il voyage par terre ; il dut s’embarquer ; ce qu’il fit par le conseil de celui qui voulait faire servir son voyage à la prédication. Et les pièges qu’on lui tendait, et le voyage à Jérusalem, tout cela était disposé, non sans dessein, mais afin qu’il ne demeurât pas plus longtemps suspect. « Et il disputait avec les Juifs grecs. Cependant « l’Église », dit le texte, « était en paix, et elle s’établissait, marchant dans la crainte du Seigneur, et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit », c’est-à-dire, elle croissait, elle portait la paix dans son sein, la véritable paix ; et il était bon qu’il en fût ainsi, car la guerre extérieure lui avait fait beaucoup de mal. « Et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit ». L’Esprit-Saint les consolait, et par les prodiges, et par les œuvres. En outre, il résidait dans chacun des apôtres en particulier. « Or Pierre, visitant de ville en ville tous les disciples, vint aussi voir les saints qui habitaient à Lydde. Il y trouva un homme nommé Enée, qui était couché et il lui dit : Enée, le Seigneur Jésus-Christ vous guérit ». Parole, non d’ostentation, mais de confiance. Quant à moi, je suis tout à fait porté à croire que le malade a ajouté foi à la parole, et que c’est là ce qui l’a guéri. Que le miracle ait été fait sans ostentation, c’est ce qui résulte de ce qui suit. En effet, Pierre ne dit pas : Au nom de Jésus-Christ, mais il semble annoncer un miracle plutôt que l’opérer. « Tous ceux qui demeuraient à Lydde en furent témoins, et ils se convertirent au Seigneur ». J’ai donc eu raison de dire que les miracles avaient pour but la persuasion et la consolation.
« Il y avait aussi à Joppé, entre les disciples, une femme nommée Thabite. Or, il arriva en ce temps-là, qu’étant tombée malade, elle mourut ». Voyez-vous les signes miraculeux qui se montrent partout ? Il n’est pas dit simplement que Thabite mourut, mais, après être tombée malade ; mais l’on n’appela pas Pierre avant qu’elle fût morte. « Et les disciples, ayant appris que Pierre y était, envoyèrent vers lui pour le prier de venir auprès d’eux » : Voyez, ils ont recours à d’autres pour le faire venir, et ils l’appellent, et Pierre consent, il vient, il ne se formalise pas de ce qu’on le fait venir ; c’est un grand bien que la tribulation, qui rapproche ainsi nos âmes. Et maintenant, pas de larmes, pas de sanglots. « Après qu’on l’eut lavée, on la mit dans une chambre haute », c’est-à-dire, on lui fit tout ce qui convient aux morts. « Pierre partit aussitôt et s’en alla avec eux. Lorsqu’il fut arrivé dans la chambre haute, il se mit à genoux et en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : Thabite, levez-vous ». Dieu ne permet pas tous les signes avec la même facilité ; celui-ci était dans l’intérêt des disciples. Dieu ne s’inquiétait pas seulement de sauver les autres hommes, il voulait aussi le salut de ses serviteurs. Donc celui dont l’ombre seule guérissait tant de malades, s’applique maintenant et fait tout pour ressusciter cette femme. Il faut dire aussi que la foi des assistants coopérait à cette œuvre. Donc, il ressuscite cette morte d’abord en l’appelant par son nom. Cette femme, comme si elle se réveillait, ouvrit d’abord les yeux ; à la vue de Pierre, elle se mit aussitôt sur son séant, et enfin, sentant sa main, la voilà raffermie. Quant à vous, considérez ici le fruit qu’il vous faut recueillir, l’utilité du miracle, et non le spectacle. Si Pierre fait sortir tout le monde, c’est pour imiter son Maître. En effet, là où se versent les pleurs, un si grand mystère n’est pas à sa place ; disons mieux, là où s’opèrent les miracles, il ne faut pas de larmes. Écoutez, je vous en conjure, quoique nos yeux ne voient plus rien de pareil, il n’en est pas moins vrai que, maintenant encore, au milieu des morts, s’accomplit un grand mystère. Voyons, répondez-moi, si, pendant que nous sommes ici, l’empereur appelait quelqu’un de nous à sa cour, faudrait-il donc pleurer et gémir ? Des anges se présentent, envoyés du ciel, c’est du ciel qu’ils viennent, de la part du souverain Seigneur, pour appeler leur compagnon d’esclavage, et vous pleurez, et vous ne comprenez pas le mystère qui s’accomplit ? Combien redoutable est ce mystère, comme il est fait pour exciter l’épouvante, et, en même temps, combien il mérite et nos chants d’allégresse et notre joie !
4. Comprendrez-vous enfin qu’il n’y a pas là un sujet de larmes ? Ce mystère est la plus grande marque de la sagesse de Dieu. Comme on abandonne une maison, ainsi fait l’âme, pressée de se réunir à son Seigneur. Et vous êtes dans le deuil ? Il fallait donc pleurer à la naissance de l’enfant, car la dernière naissance est bien plus heureuse. L’âme s’en va vers une autre lumière ; elle s’échappe comme d’une prison ; elle retourne comme on revient, d’un combat. Sans doute, m’objectera-t-on ; mais vous parlez des justes ; et que t’importe, ô homme ? auprès des justes éprouves-tu ce que je dis ? Eh bien, dites-moi, que peut-on reprocher à l’enfant, au petit enfant ? Pourquoi votre deuil pour le nouveau baptisé, car, pour celui-ci encore, la condition est la même ? Pourquoi donc votre deuil ? Ne voyez-vous pas que c’est comme un pur soleil qui s’élève ? que l’âme pure, quittant son corps, est une lumière brillante ? L’empereur, faisant son entrée dans la ville, ne mérite pas le silence de l’admiration autant que l’âme rejetant son corps pour s’en aller avec les anges. Réfléchissons donc sur l’âme, sur le saisissement, sur l’admiration, sur la volupté qu’elle éprouve. Pourquoi votre deuil, encore une fois ? Ne pleurez-vous donc que sur les pécheurs ? Plût au ciel qu’il en fût ainsi ! Je ne l’empêcherai pas ce deuil-là ; plût à Dieu que telle en fût la cause ! De là les larmes apostoliques ; de là les larmes du Seigneur. Jésus aussi, Jésus pleura sur Jérusalem. Je voudrais que ce fût à ce caractère qu’on reconnût le deuil ; mais lorsqu’aux exhortations qu’on vous adresse, vous n’opposez que des mots, l’habitude, les liaisons rompues, la protection qui vous est enlevée, vous ne parlez pas du vrai deuil, je ne vois là que des prétextes. Faites le deuil du pécheur, versez sur lui des larmes ; et moi aussi, j’en verserai avec vous, j’en verserai plus que vous, d’autant qu’il est plus exposé aux châtiments, le pécheur ; et moi aussi, je me lamenterai, et de mes lamentations je vous dis la cause, et ce n’est pas vous seulement qui devez pleurer le pécheur, mais la cité tout entière et tous ceux que vous rencontrez, comme vous pleurez sur les malheureux que l’on mène à la mort, car c’est la réalité, c’est une mort sinistre que celle des pécheurs. Mais toutes les idées sont confondues. Voilà le deuil que commande la sagesse, qui est un grand enseignement, l’autre n’est que faiblesse, pusillanimité. Si nous sentions tous le vrai deuil, nous corrigerions les vivants. Si l’on vous donnait des remèdes contre la mort qui frappe les corps, vous ne manqueriez pas d’y recourir ; si vous saviez pleurer la mort du pécheur, vous l’empêcheriez, vous l’écarteriez, et de vous, et de lui.
Mais, ce que nous voyons c’est une énigme ; nous pourrions empêcher cette mort, nous ne l’empêchons pas ; et, quand elle arrive, nous nous livrons au deuil. O hommes, vraiment dignes d’être pleurés ! quand ils se présenteront au tribunal du Christ, quelle parole entendront-ils, quel traitement leur faudra-t-il subir ? C’est en vain qu’ils ont vécu, ou plutôt non, ce n’est pas en vain, mais c’est pour leur malheur. Il convient de dire, en parlant d’eux : « C’eût été un bien pour eux de ne pas être nés ». (Mc. 14,21) Car quelle utilité pour eux, répondez-moi, d’employer tara de temps pour assurer le malheur de leurs têtes ? S’ils n’avaient fait que le perdre, la perte ne serait pas si grande. Répondez-moi : qu’un mercenaire dissipe vingt ans de sa vie en labeurs inutiles, ne le verrez-vous pas se lamenter et {; émir ? Ne paraîtra-t-il pas le plus misérable de tous les hommes ? Eh bien, voici un pécheur qui a dissipé, sans profit, sa vie entière ; il n’a pas vécu un seul jour pour lui ; il a tout livré aux plaisirs, à la luxure, à la cupidité, au péché, au démon ; ne devons-nous pas le pleurer ? répondez-moi. N’essaierons-nous pas de l’arracher à ses dangers ? Car nous pouvons, oui, nous pouvons, nous n’avons qu’à le vouloir, alléger son châtiment. Prions pour lui sans cesse, faisons l’aumône. Quand ce pécheur serait indigne, Dieu nous exaucera. Si en faveur de Paul, il a sauvé des pécheurs ; si en faveur des uns il fait grâce aux autres, pourquoi, par égard pour nous, ne le ferait-il pas ? Faites-vous des richesses de votre prochain, de vos propres richesses des ressources de qui vous voudrez, un moyen de secours ; versez l’huile goutte à goutte, ou plutôt épanchez l’eau en abondance. Un tel n’a pas les moyens de faire l’aumône ? qu’il puisse au moins avoir pour lui les aumônes de ses parents ; il ne peut pas se prévaloir des aumônes qu’il a faites ? qu’il montre au moins les aumônes faites pour lui. C’est ainsi que l’épouse priera avec confiance dans l’intérêt de l’époux, présentant pour lui le prix qui le rachètera ; et plus il a été pécheur, plus il a besoin de l’aumône. Et ce n’est pas là la seule raison c’est qu’il n’a plus maintenant la même force qu’autrefois, ou plutôt il a bien moins de pouvoir. Ce n’est pas la même chose pour le salut de travailler pour soi ou de laisser travailler les autres. Ce dernier moyen étant par lui-même moins efficace, compensons du moins ce désavantage à force de zèle.
Ce n’est pas auprès des monuments, ce n’est pas auprès des sépulcres qu’il nous faut nous fatiguer ; protégez les veuves, voilà le plus grand des devoirs à rendre aux morts. Prononcez un nom, et dites à toutes les veuves qui entendent ce nom, d’adresser à Dieu leurs prières, leurs supplications, voilà qui apaisera le Seigneur. Si Dieu ne regarde pas celui qui n’est plus, il regardera celui qui fait l’aumône dans l’intention du mort ; preuve touchante de la bonté de Dieu. Les veuves qui vous entourent, en versant des larmes, peuvent vous affranchir, non pas de la mort présente, mais de la mort à venir. Un grand nombre d’hommes ont été fortifiés par les aumônes des autres à leur intention. Supposez qu’ils n’aient pas été entièrement délivrés, ils ont du moins reçu quelque consolation ; s’il n’en était pas ainsi, expliquez le salut des petits enfants. Certes, d’eux-mêmes, ils ne méritent rien, leurs parents seuls font tous les frais ; souvent des femmes ont reçu et conservé, comme présents du Seigneur, des enfants qui n’avaient rien fait pour être sauvés. Le Seigneur nous a donné, pour le salut, des ressources nombreuses, c’est à nous de ne pas les négliger.
5. L’aumône ? répondra-t-on. Mais si l’on est pauvre ? A mon tour je réponds : La valeur de l’aumône, ce n’est pas le don, mais l’intention. Donnez dans la mesure de vos ressources, et vous avez payé votre dette. Mais, m’objectera-t-on, un étranger qui est seul, qui ne connaît personne ? Et pourquoi ne connaît-il personne ? dites-moi. Cela même est un châtiment de n’avoir pas un ami, de ne pas connaître un honnête homme. Si nous ne sommes pas, par nous-mêmes, en possession de la vertu, sachons au moins nous faire des amis vertueux, nous ménager une épouse, un fils qui ait la vertu en partage, afin que nous puissions, par eux, en recueillir quelque fruit, un fruit si mince qu’il soit, mais enfin que nous puissions recueillir. Procurez-vous, non pas une épouse riche, mais une épouse vertueuse ; ce sera votre consolation ; appliquez-vous à donner à votre fils, non la fortune, mais la piété ; à votre fille, la chasteté ; ce sera, pour vous encore, une consolation. Si c’est à de tels biens que vous attachez votre cœur, et vous aussi, vous serez vertueux ; c’est une partie de la vertu de savoir se ménager de tels amis, une telle épouse, de tels enfants.
Ce n’est pas en vain que l’on fait des offrandes pour ceux qui ne sont plus ; ce n’est pas en vain qu’on fait pour eux des prières ; ce n’est pas en vain qu’on distribue pour eux des aumônes. L’Esprit-Saint a disposé toutes ces pratiques, afin que nous puissions nous aider les uns les autres ; car, voyez ce qui arrive vous portez secours à celui-là, et celui que vous avez aidé vous aide à son tour ; vous avez, d’un instinct généreux, méprisé les richesses, et celui que vous avez sauvé vous enrichit des grâces de l’aumône. Ne mettez pas en doute le fruit qu’il vous sera donné de recueillir. Ce n’est pas en vain que le diacre vous crie : Pour ceux qui sont morts dans le Christ et pour ceux qui gardent leur souvenir ; ce n’est pas le diacre qui fait entendre cette parole, c’est l’Esprit-Saint lui-même ; et je vous annonce le don de l’Esprit. Que dites-vous ? Dans les mains du prêtre est l’hostie sainte, et tout est prêt ; arrivent les anges, les archanges, arrive le Fils de Dieu ; une sainte horreur s’empare de tous ; et, dans le silence universel, les diacres élèvent seuls la voix ; et vous pensez que tout cela se fait en vain ? Et, out le reste aussi se fait donc en vain, et les offrandes au nom de l’Église, et les offrandes au nom des prêtres, et les offrandes pour obtenir la plénitude. Loin de nous cette pensée ! mais tout s’accomplit avec foi. Que signifient les offrandes au nom des martyrs, invoqués à cette heure solennelle ? Quelle que soit la gloire des martyrs, même pour ces glorieux martyrs, c’est une grande gloire que leur nom soit prononcé en la présence du Seigneur, au moment où s’accomplit cette mort, ce sacrifice plein de tremblement, cet ineffable mystère. Lorsque l’empereur est présent, assis sur son trône, tout ce que l’on veut de lui on peut l’obtenir ; une fois qu’il s’est levé, toutes les paroles sont inutiles ; de même ici, au moment où s’accomplissent les mystères, c’est pour tous un honneur insigne d’obtenir un souvenir. Voyez, en effet, méditez ; on annonce le mystère terrible, Dieu q ni s’est livré lui-même pour le monde ; au moment où s’accomplit ce miracle, c’est avec un grand sentiment de l’à propos que le prêtre évoque le souvenir de ceux qui ont péché. Quand les rois sont conduits en triomphe, alors on célèbre aussi tous ceux qui ont pris leur part de la victoire ; en même temps on relâche les prisonniers, parce que c’est un jour de fête ; la fête une fois passée, celui qui n’a rien obtenu, n’en recueille aucun fruit : il en est de même ici, dans ce triomphe du Seigneur. Car, dit l’apôtre, « toutes les fois que vous mangez ce pain, vous annoncez la mort du Seigneur ». (1Cor. 11,26) C’est pourquoi ne nous approchons pas à la légère, et ne disons pas que ces choses se font au hasard. D’ailleurs si nous rappelons le souvenir des martyrs, c’est parce que nous croyons que le Seigneur n’est pas mort ; et c’est un témoignage que la mort est morte, de voir que le Seigneur a passé par la mort. Pénétrés de cette vérité, considérons quelle magnifique consolation nous pouvons apporter à ceux qui ne sont plus ; au lieu de nos larmes, au lieu de nos lamentations, au lieu de nos monuments, donnons-leur nos aumônes, nos prières, nos pieuses offrandes, afin de leur obtenir, d’obtenir pour nous-mêmes, les biens qui nous ont été promis, par la grâce et par la bonté du Fils unique de Dieu, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXII. modifier


IL Y AVAIT A CÉSARÉE UN HOMME NOMMÉ CORNEILLE, QUI ÉTAIT CENTENIER DANS UNE COHORTE DE LA LÉGION APPELÉE L’ITALIENNE ; IL ÉTAIT RELIGIEUX ET CRAIGNANT DIEU ; AVEC TOUTE SA MAISON, IL FAISAIT BEAUCOUP D’AUMÔNES AU PEUPLE, ET IL PRIAIT DIEU INCESSAMMENT. UN JOUR, VERS LA NEUVIÈME HEURE, IL VIT CLAIREMENT DANS UNE VISION UN ANGE DE DIEU QUI SE PRÉSENTA DEVANT LUI ET LUI DIT : « CORNEILLE ! » ALORS, REGARDANT L’ANGE, IL FUT SAISI DE FRAYEUR, ET LUI DIT : « SEIGNEUR, QU’Y A-T-IL ? » L’ANGE LUI RÉPONDIT : « VOS PRIÈRES ET VOS AUMÔNES SONT MONTÉES JUSQU’EN LA PRÉSENCE DE DIEU, ET IL S’EN EST SOUVENU ». (CHAP. 10,1, 2, 3, 4, JUSQU’AU VERS. 22)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Histoire du centurion Corneille.
  • 3 et 4. Développement original et brillant sur la charité comparée à une source d’eau vive.


1. Ce n’est pas un Juif, il ne vit pas selon la loi ; mais c’est un homme qui suit déjà nos institutions. Et voyez, deux croyants : l’eunuque de Gaza, et l’homme d’aujourd’hui ; tous deux, constitués en dignité, tous deux l’objet d’un soin spécial. Mais ne croyez pas que cette grâce leur vienne de leur dignité ; non, éloignez de vous cette pensée ; elle leur est accordée à cause de leur piété. Leur dignité ne leur a été accordée que pour mieux faire briller leur piété. En effet, on admire plus un riche, un homme puissant, qui montre des vertus semblables. Certes, c’est une grande gloire pour l’eunuque que ce grand voyage entrepris par lui, que ces lectures non interrompues dans de pareilles circonstances, au milieu du voyage ; que ce soin de faire monter Philippe à côté de lui dans son char, et tant d’autres détails. C’est une belle gloire aussi pour le centenier, que ses aumônes, ses prières, au milieu du commandement qu’il exerce. Voilà pourquoi l’Écriture fait mention de sa charge, et c’est avec raison, pour éviter le reproche de mensonge. « Dans une cohorte », dit l’Écriture, « de la légion appelée italienne ». Le mot « cohorte » correspond à ce que nous appelons aujourd’hui « nombre ». – « Il était religieux et « craignant Dieu, avec toute sa maison ». Ceci est dit afin que vous n’alliez pas attribuer à sa dignité la faveur qu’il a reçue. Quand il fallut attirer Paul à la foi, ce : ne fut pas un ange, ce fut le Seigneur lui-même qui lui apparut. Et le Seigneur ne l’envoie pas au premier venu parmi les douze, mais à Ananie. Ici, an contraire. Dieu envoie un ange, comme il envoie Philippe à l’eunuque, s’accommodant à l’infirmité de ses serviteurs, et enseignant par là comment nous devons nous conduire dans les mêmes circonstances. Car le Christ se montre souvent lui-même à ceux qui souffrent et qui ne trouvent pas en eux les moyens de s’approcher de lui. Maintenant, voyez encore ici un éloge de l’aumône, comme nous en avons vu un à propos de Thabite. « Il était religieux et craignant Dieu, avec toute sa maison ». Écoutons, tous tant que nous sommes, nous qui ne prenons pas de soin de nos domestiques. Celui-ci prenait soin de ses soldats et faisait l’aumône à tout le peuple. C’est ainsi qu’il était irréprochable dans ses croyances, dans sa conduite. « Un jour, vers la neuvième heure, il vit clairement, dans une vision, un ange de Dieu, qui se présenta devant lui, et lui dit : Corneille ! » Pourquoi voit-il un ange ? C’est afin que Pierre soit pleinement convaincu ; ou plutôt, ce n’est pas pour prévenir l’hésitation de Pierre, mais celle des autres moins fermes que lui. Maintenant, « vers la neuvième heure », c’est-à-dire, quand il était libre de soins, en repos, en prières, dans la contrition du cœur. « Alors, regardant l’ange, il fut saisi de frayeur ». Remarquez : l’ange ne lui dit pas tout de suite ce qu’il doit lui annoncer ; il le rassure d’abord et relève son esprit. Si la vision lui inspira de la crainte, ce fut toutefois une crainte modérée, qui ne faisait qu’appeler son attention. Les paroles de l’ange le rassurèrent, ou plutôt l’éloge qu’elles renfermaient, adoucirent sa crainte. Quelles furent ces paroles ? Écoutez : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu. Envoyez donc présentement des personnes à Joppé, et faites venir un certain Simon, surnommé Pierre (5) ». Pour prévenir toute erreur des envoyés, il ne se contente pas de dire le surnom, il marque aussi le lieu où l’on trouvera celui que l’on cherche. « Qui est logé chez un corroyeur, nommé Simon, dont la maison est près de la mer (6) ».
Voyez-vous comme les apôtres, dans leur amour de la solitude, de la tranquillité, recherchaient les parties des villes qui se trouvaient à l’écart ? Que serait-il arrivé, s’il s’était rencontré un autre Simon, corroyeur aussi lui-même ? Mais l’ange donne encore une autre indication : l’habitation près de la mer. Ces trois circonstances ne pouvaient pas se rencontrer. L’ange ne lui dit pas pourquoi il devait agir ainsi, ce qui aurait pu ralentir son ardeur ; il le laissa, excité du désir de savoir ce qui allait arriver. « Dès que l’ange, qui lui parlait, se fut retiré, Corneille appela deux de ses domestiques, et un soldat craignant Dieu, du nombre de ceux qu’il commandait, et, leur ayant dit tout ce qui lui « était arrivé, il les envoya à Joppé (7, 8) ». Vous comprenez ? L’Écriture n’ajoute pas ce détail sans motif ; c’est pour montrer que ceux qui lui obéissaient craignaient Dieu comme lui. « Et leur ayant dit tout ce qui lui était arrivé », dit le texte. Voyez la modestie de cet homme ! il ne dit pas : faites venir auprès de moi Pierre ; ce n’est que pour persuader l’apôtre qu’il raconte ainsi tout ; il montre, en cela, de la prévoyance. Il ne croit pas devoir prendre un ton d’autorité, pour appeler Pierre ; voilà pourquoi il raconte tout ce qui lui est arrivé ; il fait preuve ainsi d’une rare modestie, quoiqu’il ne dût pas avoir grande idée d’un homme logé chez un corroyeur. « Le lendemain, lorsqu’ils étaient en chemin, et qu’ils approchaient de la ville, Pierre monta sur le haut de la maison où il était vers la sixième heure, pour prier (9) ». Voyez comme l’Esprit ménage les temps, n’allant ni trop vite, ni trop lentement ! « Pierre monta », dit le texte, « sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier », c’est-à-dire, se mit à l’écart, dans un lieu tranquille, comme le sont les chambres hautes. « Et ayant faim, il voulut manger ; mais, pendant qu’on lui apprêtait de la nourriture, il lui survint un ravissement d’esprit, et – il vit le ciel ouvert (10) ». Qu’est-ce qu’un ravissement d’esprit ? Son esprit entra en contemplation ; son âme, pour ainsi dire, sortit de son corps. « Et il vit le ciel ouvert, et comme une grande nappe, liée par les quatre coins, qui descendait du ciel en terre, où il y avait de toutes sortes d’animaux terrestres, quadrupèdes, reptiles et oiseaux du ciel ; et il entendit une voix, qui lui dit : Levez-vous, Pierre, tuez et mangez. Mais Pierre répondit : Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé. Et la voix, lui parlant encore, une seconde fois, lui dit : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Cela s’étant fait jusqu’à trois fois, la nappe fut retirée dans le ciel (11-16) ».
2. Que signifie cette vision ? C’est un symbole pour l’univers tout entier. Il s’agissait d’un incirconcis, n’ayant rien de commun avec les Juifs. Tous devaient bientôt accuser Pierre de transgresser la loi, qui leur était fort à cœur. Il était nécessaire que Pierre pût dire « Je n’ai jamais mangé ». Ce n’est pas que Pierre eût peur ; loin de nous cette pensée ! mais l’Esprit-Saint, comme je l’ai déjà dit, lui ménageait une réponse à ses accusateurs, à qui il pourrait dire qu’il avait fait résistance. C’étaient des gens qui tenaient fort à ce que la loi fût observée. Il était envoyé aux gentils. Donc il fallait que les Juifs ne pussent pas l’accuser, et toutes choses, comme je me suis empressé de le dire, furent disposées d’en haut à cet effet. Il ne fallait pas non plus que cette vision ne parût qu’une image fantastique. Pierre dit : « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé ». Et la voix lui dit : « N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié ». Ces paroles, qui ne semblent s’adresser qu’à Pierre, sont dites uniquement pour les Juifs, car le reproche qui s’adresse au Maître, tombe à bien plus forte raison sur ceux-ci. La nappe c’est la terre, et les animaux qui sont dedans, représentent les gentils. Quant à ces paroles : « Tuez et mangez », elles signifient qu’il faut s’approcher des gentils ; et ce fait, qui se reproduit jusqu’à trois fois, c’est l’emblème du baptême. « Je n’ai garde, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de tout ce qui est impur et souillé ». Mais pourquoi, direz-vous, ce refus ? C’est pour qu’il ne fût pas dit que Dieu l’avait tenté, comme il tenta Abraham, en lui donnant l’ordre d’offrir son fils en sacrifice ; comme le Christ tenta Philippe, en lui demandant : Combien de pains avez-vous ? Cette question n’était pas pour obtenir un renseignement, mais pour le tenter. Maintenant, dans la loi sur les choses pures et impures, les prescriptions de Moïse étaient précises, aussi bien en ce qui concerne les animaux terrestres qu’en ce qui concerne ceux de la mer. Et cependant Pierre ne savait à quoi se résoudre. « Lorsque Pierre était en peine en lui-même de ce que pouvait signifier la vision qu’il avait eue, les hommes envoyés par Corneille, s’étant enquis de la maison de Simon, se présentèrent à la porte. Ils appelèrent, et demandèrent, si ce n’était pas là que Simon, surnommé Pierre, était logé (17, 18) ».
Ainsi Pierre s’étonne en lui-même, il hésite, et ces hommes arrivent à temps pour le tirer de son hésitation. C’est ainsi que le Seigneur permit que Joseph eût un moment d’hésitation, et alors il lui envoya l’archange. (Mt. 2,13) C’est un bonheur pour l’âme de se voir délivrée de l’hésitation qui a commencé par la troubler. Pour l’hésitation de Pierre, elle n’était pas de longue date, il ne la ressentit qu’au moment du repas. « Cependant Pierre, pensant à la vision qu’il avait eue, l’Esprit lui dit : Voilà trois hommes qui vous demandent ; levez-vous donc, descendez, et ne faites point difficulté d’aller avec eux, car c’est moi qui les ai envoyés (19, 20) ». Il faut voir, encore ici, une défense ménagée à Pierre auprès des disciples. C’est pour que ceux-ci sachent bien que Pierre a hésité, et qu’il a appris gaie son hésitation devait cesser : « Car c’est moi qui les ai envoyés ». Admirez la puissance de l’Esprit ! Ce que Dieu fait, on l’attribue à l’Esprit. L’ange ne s’était pas exprimé ainsi. Ce n’est qu’après avoir dit : « Vos prières et vos aumônes », qu’il ajoute : « Envoyez » ; il montre d’abord qu’il vient d’en haut ; mais comme l’Esprit est le Seigneur lui-même il dit : « C’est moi qui les ai envoyés. Pierre, étant descendu pour aller trouver ces hommes, leur dit : Je suis celui que vous cherchez ; quel sujet vous amène ? Ils lui répondirent : Corneille, centenier, homme juste et craignant Dieu, selon le témoignage que lui rend toute la nation juive, a été averti par un saint ange, de vous « faire venir dans sa maison, et d’écouter vos « paroles (21, 22) ». Ils font entendre cet éloge afin de bien montrer que c’est un ange qui a apparu à Corneille. Pierre les ayant donc fait entrer les logea (23) ». Voyez-vous par quoi commence l’œuvre des gentils ? Par un homme pieux que ses œuvres ont rendu digne d’une telle faveur. Si, même dans ces circonstances, les Juifs sont scandalisés, supposez un homme ne méritant rien, que n’auraient-ils pas dit ? « Pierre les ayant fait entrer », dit le texte, « les logea ». Voyez quelle sécurité ! il ne veut pas qu’il leur arrive rien ; il les fait entrer, et il les reçoit avec une pleine confiance auprès de lui. « Le jour d’après, Pierre partit avec eux, et quelques-uns des frères de la ville de Joppé l’accompagnèrent ; le jour d’après ils arrivèrent à Césarée (24) ». Corneille était un personnage important, d’une ville importante ; en ce qui le concerne, tout est disposé avec sagesse ; l’histoire commence par la Judée ; Corneille n’est pas endormi, mais il veille ; et c’est pendant le jour que l’ange lui apparaît, environ à la neuvième heure ; c’était un homme d’une conduite exacte et régulière. Mais voyons, reprenons ce que nous avons déjà dit : « Et l’ange lui dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu ». D’où il est évident que l’ange l’appela, et que c’est là ce qui fait que Corneille a vu l’ange. Si l’ange ne l’avait pas appelé, il ne l’aurait pas vu, tant ce Corneille était appliqué à tout ce qu’il faisait ! « Et faites venir Simon, surnommé Pierre ». En ce moment, l’ange lui montre qu’il doit le faire venir pour son utilité ; mais pour quelle espèce d’utilité ? L’ange n’en dit rien. Eh bien, de même, Pierre ne dit pas tout. Vous ne voyez de toutes parts que des récits écourtés, pour piquer la curiosité. C’est ainsi qu’on appelle Philippe, seulement pour aller dans la solitude. « Pierre monta sur le haut de la maison, vers la sixième heure, pour prier, et il lui survint un ravissement d’esprit ». Il vit « comme une nappe » ; réfléchissez : la faim n’a pas été assez forte pour faire courir Pierre au linge déployé devant lui. Ce qui devait couper court à son hésitation, c’est la voix qu’il entendit : « Levez-vous, Pierre, tuez et mangez ». Peut-être était-il à genoux quand il vit la vision. Moi, je pense que c’est le prédication que signifie cette vision. Maintenant, qu’elle lui vint de Dieu, ce qui le prouve, c’est qu’elle descendait sur lui d’en haut, et de plus, qu’il était dans un ravissement d’esprit. Ajoutez à cela qu’une voix se fit entendre d’en haut ; que le fait eut lieu trois fois ; que le ciel s’ouvrit ; que cela venait du ciel et y fut retiré ; grande preuve que c’était là une opération tout à fait divine !
3. Et maintenant, pourquoi la chose se passe-t-elle ainsi ? Par égard pour ceux à qui Pierre devait la raconter ; parce que lui-même avait entendu ces paroles : « N’allez point vers les gentils ». (Mt. 10,5) Et ne soyez pas dans l’étonnement : si Paul fut forcé d’avoir recours à la circoncision et d’offrir des victimes, à bien plus forte raison ces ménagements furent utiles au début de la prédication pour ceux qui étaient encore peu affermis. « Et voici », dit le texte, « que les hommes envoyés par Corneille se présentèrent à la porte ; ils appelèrent et demandèrent si ce n’était pas là que Simon, surnommé Pierre, était logé ». La maison était misérable ; voilà pourquoi ils demandent en bas des renseignements ; ils ne vont pas interroger les voisins. « Cependant Pierre, pensant à la vision qu’il avait eue, l’Esprit lui dit : Levez-vous, descendez et ne faites point difficulté d’aller avec eux, car c’est moi qui les ai envoyés ». Remarquez, l’Esprit ne dit pas Car voilà pourquoi une vision vous est apparue ; mais : « C’est moi qui les ai envoyés », montrant ainsi qu’il faut obéir, qu’il n’y a pas de compte à demander. Il devait suffire à Pierre, pour être persuadé, d’entendre l’Esprit. Faites cela, dites cela, n’en cherchez pas plus long. « Pierre étant descendu, leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Pourquoi ne les reçoit-il pas aussitôt ? Pourquoi la question qu’il leur adresse ? Il voit des soldats ; il ne se contente pas de les interroger ; il commence par se faire connaître, et il leur demande ensuite ce qui les amène, afin que sa question ne fasse pas croire qu’il veut se cacher. Et la question qu’il leur adresse est de telle sorte, que, si on le pressait, il partait tout de suite avec eux ; sinon, il les logeait chez lui. Maintenant, pourquoi ceux-ci lui disent-ils : « Il vous prie de venir dans sa maison ? » C’est parce que cet ordre leur avait été donné. Peut-être aussi est-ce une excuse au nom de Corneille, comme s’ils disaient : Ne le condamnez pas ; ce n’est pas parce qu’il vous méprise qu’il nous a envoyés vers vous ; il obéit à un ordre qu’il a reçu. « Et Corneille les attendait avec ses parents et ses plus intimes amis, qu’il avait assemblés chez lui ». Et c’est avec raison : il n’eût pas été convenable de ne pas réunir ses parents et ses amis ; d’ailleurs ceux-ci, en se réunissant, devaient mieux entendre la parole de Pierre.
Avez-vous bien compris la puissance de l’aumône, et dans notre entretien précédent, et dans celui-ci ? Vous avez vu l’aumône délivrer de la mort qui n’a qu’un temps, elle délivre aujourd’hui de la mort éternelle.. Aujourd’hui l’aumône ouvre, de plus, les portes du ciel. Voyez quel bien précieux fut la foi pour Corneille ! elle lui valut la visite d’un ange, l’opération de l’Esprit en lui, le voyage du prince des apôtres se rendant auprès de lui, et une vision, qui ne laisse rien à désirer. Combien n’y avait-il pas à cette époque de centurions, de tribuns, de souverains ? Et aucun d’eux n’a reçu pareille faveur. Écoutez, vous tous, qui remplissez les armées, qui formez les cortèges des rois. « Il était religieux », dit le texte, « et craignant Dieu », et, ce qui vaut mieux encore, « avec toute sa maison ». Il était donc si attentif à la piété que, non seulement il savait se conduire, mais il conduisait de même tous les gens de sa maison. Ce n’est pas là notre habitude à nous, qui ne négligeons rien pour nous faire craindre de nos serviteurs ; mais qui, de leur piété, nous soucions fort peu. Il n’en était pas de même de Corneille ; c’était avec sa maison tout entière qu’il craignait Dieu. Et il n’était pas seulement le père commun de tous ceux qui vivaient avec lui, mais le père de ses soldats. Écoutez ce que l’on dit encore ; ce n’est pas sans dessein que le texte ajoute : « Tout le peuple rendait de lui témoignage ». C’était pour prévenir le reproche d’incirconcision. Les Juifs mêmes, dit le texte, lui rendent témoignage ; donc il n’est rien d’égal à l’aumône ; disons mieux : si grande est l’efficacité de l’aumône, lorsque les mains qui la dispensent sont pures, que, si les trésors injustement amassés ressemblent à des sources d’où jaillirait de la boue, les dons qu’épanche l’aumône ressemblent aux eaux limpides et pures, aux ruisseaux du paradis, plein de charmes pour la vue, de charmes pour le toucher, répandant au milieu du jour une douce fraîcheur ; telle est l’aumône. Sur les rives de cette source ne s’élèvent pas des peupliers, des pins, des cyprès, mais des plantes bien supérieures et beaucoup plus élevées : l’amour de Dieu, la considération auprès des hommes, la gloire rejaillissant jusqu’à Dieu, l’amour de tous, la rémission des péchés, la plénitude de la confiance, le mépris des richesses ; l’aumône qui alimente l’arbre de la charité. Rien, en effet, n’entretient la charité autant que la miséricorde. C’est par elle que l’arbre élève ses rameaux dans les airs. Cette source vaut mieux que le fleuve du paradis ; elle n’est pas divisée en quatre branches, elle touche le ciel même. C’est d’elle que sort le fleuve, rejaillissant dans la vie éternelle. (Jn. 4,14) La mort y tombe comme l’étincelle dans l’eau, où elle s’éteint, tant il est vrai que partout où elle jaillit, elle opère des biens ineffables ! elle éteint le fleuve de feu comme l’eau fait d’une étincelle ; elle étouffe lever sinistre et le réduit à rien. Qui possède cette source ne grince pas des dents ; cette eau tombant sur les fers, les brise ; tombant sur les fournaises, les éteint toutes à l’instant.
4. Et comme le fleuve du paradis, on ne la voit pas tantôt verser des ruisseaux, tantôt se dessécher (s’il en était ainsi ce ne serait plus une source). C’est une source toujours jaillissante. Notre source épanche toujours des eaux plus abondantes, avant tout sur ceux qui ont le plus besoin de miséricorde ; et, en même temps, la source est inépuisable. Et qui la reçoit se réjouit. Voilà l’aumône. Ce n’est pas seulement un courant rapide, mais un courant non interrompu. Veux-tu faire pleuvoir sur toi, des divines fontaines, la miséricorde de Dieu ? commence par avoir ta source à toi ; rien ne vaut ce trésor. Si tu ouvres les issues de cette source, l’écoulement sera tel que tous les abîmes en seront comblés. Dieu n’attend de nous que l’occasion d’épancher sur nous tous les trésors qu’il tient en réserve. Dépenser, prodiguer, voilà, pour lui, la richesse, voilà l’abondance. Elle est grande l’ouverture de cette source ; pur et limpide en est le courant. L’ouverture, ne la bouchez pas, n’obstruez pas le courant, qu’aucun arbre stérile ne se dresse auprès pour en absorber les eaux. Avez-vous des richesses ? ne plantez pas là des saules ; tels sont les plaisirs, attirant tout à soi, n’ayant rien à montrer, ne portant pas de fruits ; ne plantez pas de pins, ni rien de semblable, rien, de ce qui dépense et ne produit point. Tel est le plaisir de la toilette : c’est beau à voir, mais inutile ; remplissez les abords avec de la vigne ; tous les arbres fruitiers que vous voudrez, plantez-les, dans les mains des pauvres. Rien n’est plus gras que cette terre-là. La capacité de la main est peu de chose, et pourtant, l’arbre planté là, s’élève jusqu’au ciel, et tient bon. Voilà ce qui s’appelle vraiment planter ; car, si ce qu’on plante en terre ne meurt pas tout de suite, c’est pour périr dans cent ans. A quoi bon planter des arbres dont tu ne peux jouir ? Avant que tu en jouisses, la mort arrive, et t’enlève ; l’arbre dont je te parle, à ta mort, te donne son fruit. Si tu plantes, ne plante pas dans le ventre inutile de la gloutonnerie, le fruit s’en irait où chacun sait ; mais plante dans les entrailles fertiles de l’affliction, dont le fruit bondit jusqu’au ciel. Fais goûter le repos à l’indigent déchiré dans les sentiers étroits, si tu ne veux pas voir l’affliction rétrécir ton large chemin. Ne remarques-tu pas que les arbres, arrosés sans mesure, ont les racines pourries ; au contraire, ceux qu’on arrose modérément, s’accroissent et grandissent. Eh bien ! n’inonde pas ton ventre d’un excès de boisson, ne fais pas pourrir la racine de L’arbre. Donne à boire à celui qui a soif, afin que l’arbre porte son fruit. Le soleil préserve de pourriture les arbres arrosés modérément ; mais ceux qu’on arrose sans fin, il les pourrit, voilà ce que fait le soleil. Partout l’excès est funeste, fuyons-le donc, pour obtenir ce que nous désirons. C’est, dit-on, sur les hauteurs que jaillissent les sources ; tenons donc nos âmes dans les hauteurs, et bientôt l’aumône en découlera ; car il est impossible, sans la miséricorde, qu’une âme soit haute, et il est impossible qu’une âme miséricordieuse ne soit pas une âme élevée. Qui méprise les richesses, voit donc, au-dessous de lui, la racine de tous les maux. Les sources, le plus souvent, sont dans les lieux déserts ; sachons donc aussi retirer notre âme loin des choses tumultueuses, et l’aumône jaillira auprès de nous. Plus les sources sont purifiées, plus elles sont abondantes ; nous aussi, plus nous nous purifierons à notre source, plus nous verrons tous les biens jaillir autour de nous. Celui qui possède une source, est rassuré ; si nous avons, nous aussi, la source de l’aumône, nous serons rassurés, car cette fontaine nous est utile pour nos breuvages, pour nos irrigations, pour nos édifices, pour tous nos besoins Rien n’est meilleur que ce breuvage ; cette fontaine ne verse pas l’ivresse ; cette fontaine, il vaut mieux la posséder que de verser des flots d’or ; plus riche que toutes les mines d’or est l’âme qui renferme l’or dont je parle. Car cet or-là ne nous accompagne pas dans les palais de la terre, mais il nous suit dans le palais céleste. Cet or est l’ornement de l’Église de Dieu ; de cet or se fait le glaive de l’esprit, le glaive qui sert à déchirer le dragon ; de cette fontaine sortent des perles précieuses, qui ornent la tête du roi. C’est pourquoi ne négligeons pas de telles richesses, mais faisons l’aumône largement, afin de mériter la bonté de Dieu, par la grâce et par la miséricorde de son Fils unique, à qui appartient toute gloire, l’honneur et l’empire, ainsi qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIII. modifier


LE LENDEMAIN, DIT LE TESTE, IL PARTIT AVEC EUX, ET QUELQUES-UNS DES FRÈRES DE LA VILLE DE JOPPÉ L’ACCOMPAGNÈRENT, ET VINRENT AVEC LUI A CÉSARÉE. CORNEILLE LES ATTENDAIT, AVEC SES PARENTS ET SES PLUS INTIMES AMIS QU’IL AVAIT ASSEMBLÉS CHEZ LUI. (CH. 10,23, 2-1, JUSQU’AU VERS. 43)

ANALYSE. modifier

  • 1-3 Suite de l’histoire du centenier Corneille.
  • 3 et 4. Contre la tiédeur. – Vertu du baptême. – Reconnaissance que nous devons à Dieu. – Ne pas mourir sans avoir fait effort pour s’acquitter envers Lui. – Combien la loi de Dieu est plus aimable que celle des hommes. – Contre la curiosité indiscrète et frivole qui cherche des problèmes à résoudre au lieu de chercher à bien vivre. – Contre la mollesse nonchalante.


1. Il rend ses devoirs à ses hôtes, d’abord ; ensuite il sort avec eux. C’est bien. Il commence par les accueillir avec affabilité ; ils étaient fatigués du voyage ; il fait leur connaissance en les recevant dans sa maison, et ce n’est qu’ensuite qu’il sort avec eux. « Le lendemain », dit le texte, « il partit avec eux et quelques-uns des frères ». Il ne s’en va pas tout seul avec eux, d’autres frères l’accompagnent, et il y a là une certaine disposition de la Providence : ces frères devaient lui servir de témoins, plus tard, quand il aurait besoin de se justifier. « Corneille les attendait, avec ses parents et ses plus intimes amis, qu’il avait assemblés citez lui ». C’est le propre d’un homme rempli d’affection et de piété, lorsque de tels biens lui arrivent, de tenir vivement à en faire part à ses amis ; Corneille a donc raison d’appeler ses intimes, ceux avec qui il ne craignait pas de s’entretenir chaque jour sur des sujets qu’il aurait eu tort de traiter avec d’autres personnes. Il me semble, à moi, que les amis, les parents de Corneille vivaient sous sa direction. « Lorsque Pierre fut entré, Corneille vint au-devant de lui, et, se jetant à ses pieds, il l’adora. Mais Pierre, le relevant, lui dit :« Levez-vous, je ne suis qu’un homme (25, 26) ». Ce que fait Corneille prouve son humilité, prouve que c’est un homme d’un bon exemple, qui sait bénir Dieu ; Corneille montre aussi par là qu’indépendamment de l’ordre qu’il a reçu, il agit par un fonds considérable de piété qu’il porte en lui. Et maintenant, Pierre ? « Levez-vous, je ne suis qu’un homme ». Voyez-vous comme les apôtres tiennent, avant tout, à prévenir la trop haute opinion que l’on pourrait se former d’eux ? « Et s’entretenant avec lui, il entra dans la maison, où il trouva plusieurs personnes qui s’y étaient assemblées ; alors, il leur dit : Vous savez que les Juifs ont en grande horreur d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui (27, 28) ». Voyez-le parler tout de suite de la bonté de Dieu, et montrer la grandeur des biens qu’il leur a départis. Et il ne faut pas seulement admirer ici les paroles qu’il fait entendre ; mais, en même temps, la grandeur de ses paroles, et la modestie de sa conduite. En effet, il ne leur dit pas : Nous, qui ne daignons pas entretenir des rapports avec qui que ce soit, nous venons vers vous ; mais que dit-il ? « Vous savez (c’est l’ordre de Dieu, dit-il), qu’il est contraire à la loi, d’avoir des liaisons avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Et ensuite, pour n’avoir pas l’air de faire à Corneille une faveur : « Mais Dieu m’a fait voir que je ne devais regarder aucun homme comme impur ou souillé ». Ce qu’il dit là, c’est pour ne pas avoir l’air d’adresser une flatterie à Corneille. « C’est pourquoi dès que vous m’avez demandé, je n’ai fait aucune difficulté de venir (29) ». Les apôtres ne voulaient pas que la chose parût défendue, et toutefois faite par égard pour Corneille qui était un personnage important. Pierre veut que le Seigneur seul paraisse avoir dirigé sa conduite. Voilà pourquoi il rappelle la défense, non seulement d’avoir quelque liaison avec un étranger, mais encore d’aller le trouver chez lui.
« Je vous prie donc de me dire pourquoi vous m’avez envoyé chercher ». Ce n’est pas par ignorance qu’il interroge ; Pierre savait tout, sa vision l’avait instruit. De plus, les soldats l’avaient averti. Mais il veut, avant tout, que ces gentils s’expriment et se montrent attachés à la foi. Que fait donc Corneille ? Il ne répond pas : Est-ce que les soldats ne vous l’ont pas dit ? Mais voyez la douceur, l’humilité de son langage : « Il y a maintenant quatre jours que, jeûnant et m’étant mis en prières, dans ma maison, à la neuvième heure, j’ai vu un homme qui est venu se présenter devant moi, vêtu d’une robe éclatante, et il m’a dit : Corneille, votre prière a été exaucée, et vos aumônes sont montées jusqu’en la présence de Dieu, et il s’en est souvenu (30, 34). M’étant mis en prière, dit-il, à la neuvième heure ». Qu’est-ce à dire ? Cet homme me semble s’être fixé certains jours, pour mener une vie plus appliquée à la piété ; et voilà pourquoi il dit : « il y a quatre jours ». Voyez le prix de la prière c’est pendant qu’il s’appliquait à un pieux devoir qu’un ange lui apparaît. Le jour présent, un ; le jour où les envoyés de Césarée sont partis de Joppé, deux ; le jour de l’arrivée à Joppé, trois ; le jour de la vision de Corneille, quatre ; de sorte que c’est le second jour en remontant, après le jour de la prière de Pierre : « Je vis un homme qui se présenta tout à coup devant moi, vêtu d’une robe éclatante : » Il ne dit pas, un ange, tant il évite de prononcer des paroles orgueilleuses. Et il me dit : « Corneille, votre prière a été entendue, et vos aumônes sont montées jusqu’à la présence de Dieu, et il s’en est souvenu. C’est pourquoi, envoyez à Joppé, et faites venir de là Simon, surnommé Pierre ; il loge dans la maison de Simon, corroyeur, près de la mer. C’est lui qui vous dira ce qu’il faut que vous fassiez. J’ai envoyé à l’heure même vers vous, et vous m’avez fait la grâce de venir ; nous voilà donc maintenant tous assemblés devant vous, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire (32, 33) ». Donc la question de Pierre : « Pourquoi m’avez-vous envoyé chercher ? » n’était que pour motiver ces paroles de Corneille. « Alors Pierre, prenant la parole, dit : En vérité, je vois bien que Dieu n’a point d’égard aux diverses conditions des personnes, mais qu’en toute nation, celui qui le craint, et qui pratique la justice, lui est agréable (34, 35) ». Ce qui veut dire : soit incirconcis, soit circoncis. Paul fait la même déclaration : « Car Dieu ne fait point acception des personnes. (Rom. 2,11) Nous voilà donc maintenant tous assembles », dit Corneille, « en présence de « Dieu ». Voyez la grandeur de la foi, la grandeur de la piété ! il savait bien que Pierre ne disait rien au nom de l’homme ; « Dieu m’a montré », dit Pierre, et voilà pourquoi Corneille répond : « Nous voilà donc maintenant tous assemblés, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire ». Eh quoi ! le Persan est-il donc agréable au Seigneur ? Il le sera, s’il le mérite par sa foi. Voilà encore pourquoi le Seigneur n’a pas dédaigné l’eunuque de l’Éthiopie. Et que direz-vous, m’objectera-t-on, des hommes religieux qui ont été dédaignés ? Loin de nous cette pensée ! nul n’est dédaigné parmi ceux qui ont la piété en honneur ; non, non. Il n’est pas possible qu’un tel homme soit dédaigné. « En toute nation », dit l’apôtre, « celui qui craint Dieu, et qui pratique la justice ». Ce qu’il entend par justice, c’est la vertu tout entière.
2. Voyez-vous comme Pierre rabaisse l’orgueil par ces paroles : « En toute nation, celui qui craint Dieu, lui est agréable ? » c’est comme s’il disait : Dieu ne rejette personne ; il agrée tous ceux qui ont la foi. Ensuite, comme Pierre ne veut pas que ceux à qui il s’adresse, se croient au nombre des rejetés, il ajoute : « Dieu a fait entendre sa parole aux enfants d’Israël, en leur annonçant la paix par Jésus-Christ, qui est le Seigneur de tous (36) ». Ces paroles ont pour but de persuader les personnes présentes ; il s’exprime ainsi pour faire parler Corneille : « Dieu a fait entendre », dit-il, « sa parole aux enfants d’Israël ». Voyez ! il leur donne, en parlant ainsi, la prérogative ; ensuite il les produit comme témoins, en disant : « Vous savez la parole qui s’est fait entendre dans toute la Judée, en commençant par la Galilée, après le baptême que Jean a prêché ». Ce qu’il confirme par les paroles suivantes : « Comment Dieu a oint de l’Esprit-Saint et de force Jésus de Nazareth (37, 38) ». Il ne dit pas : Vous connaissez Jésus (car ils ne le connaissaient pas), mais il raconte ce que Jésus a fait. « Qui a passé, en faisant du bien, et en guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon ». Ces paroles montrent toutes les possessions des démoniaques, les convulsions sous l’action de Satan. « Parce que Dieu était avec lui ». Il abaisse ensuite son langage, non sans dessein, à mon sens, mais parce qu’il parle à des hommes : « Et nous sommes témoins de toutes les choses qu’il a faites dans la Judée et dans Jérusalem (39) ». Et vous, dit-il, et nous. « Ils l’ont fait mourir en l’attachant à une croix ». Ici, il prêche la passion. « Mais Dieu l’a ressuscité le troisième jour, et a voulu qu’il se montrât, non pas à tout le peuple, mais aux témoins fixés d’avance par Dieu ; à nous, qui avons mangé qui avons bu avec lui, après sa résurrection d’entre les morts ». Voilà la plus forte preuve de la résurrection. « Et il nous a commandé de prêcher et d’attester devant le peuple que c’est lui qui a été établi de Dieu pour être le juge des vivants et des morts (39, 40, 41, 42) ». Voilà encore un grand argument pour montrer que les apôtres sont dignes de foi. Il rend donc témoignage, en disant : « Tous les prophètes lui rendent témoignage, que tous ceux qui croiront en lui, recevront, par son nom, la rémission de leurs péchés (43) ». Il prédit ainsi ce qui arrivera ; il confirme cette prédiction en citant à propos les prophètes.
Mais reprenons ce qui a été dit plus haut de Corneille. « Il envoya », dit le texte, « à Joppé pour faire venir Pierre ». C’est parce qu’il avait la certitude que Pierre viendrait qu’il l’envoya chercher. « Et Pierre s’entretenant avec lui », dit le texte. De quoi s’entretenait-il ? Sans doute, j’imagine, de ce qui a été dit plus haut. « Et, se jetant à ses pieds, il l’adora ». Vous voyez partout un entretien sans adulation, et plein d’humilité ; c’est un mérite que nous avons déjà remarqué dans l’eunuque ; « il commanda », dit le texte, « à Philippe, de monter et de s’asseoir dans le char », quoiqu’il n’ignorât pas quel homme c’était ; et qu’il ne sût que ce qu’il venait de lire dans le prophète. Celui-ci fait plus : il tombe, il se jette aux pieds de l’apôtre. Voyez-vous ces mœurs sans aucune espèce de faste ? Mais maintenant considérez comment Pierre montre qu’il vient de la part de Dieu, lorsqu’il dit : «  Vous savez qu’il n’est pas permis aux Juifs d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Mais pourquoi n’a-t-il pas tout de suite parlé de sa vision ? Parce qu’il était tout à fait étranger aux sentiments de la vaine gloire. Il se dit envoyé de Dieu ; comment a-t-il été envoyé ? Il ne l’explique pas ; mais, quand la nécessité le commande. Voici comment il s’exprime : « Vous savez qu’il n’est pas permis aux Juifs d’avoir quelque liaison avec un étranger, ou d’aller le trouver chez lui ». Voyez comme il est loin de la vaine gloire ! En parlant ainsi, il se fait, de ce qu’ils savent eux-mêmes, une garantie.
Eh bien, maintenant, Corneille ? « Nous voilà », dit-il, « maintenant en la présence de Dieu, pour entendre tout ce que le Seigneur vous a ordonné de nous dire ». Il ne dit pas : En présence d’un homme, mais en la présence « de Dieu », montrant, par ces paroles, en quelle disposition on doit s’approcher des serviteurs de Dieu. Comprenez-vous cette ferveur ? Comprenez-vous combien cet homme était digne de cette grande distinction ? « Alors Pierre », dit le texte, « prenant la parole, dit : En vérité, je vois bien que Dieu n’a point d’égard aux diverses conditions des personnes ». Cette observation, Pierre l’adresse aux Juifs présents ; c’est pour sa défense. Au moment de révéler la – parole aux gentils, il commence par présenter comme sa défense. Quoi donc ? Auparavant, Pierre faisait-il donc acception des personnes ? nullement. Même auparavant, il était toujours le même. « Tout homme », dit-il, « qui craint Dieu, et dont les œuvres sont justes, lui est agréable ». C’est ce que déclare Paul dans ses lettres : « Lors donc que les gentils, qui n’ont point la loi, font les choses que la loi commande ». (Rom. 2,14) Voilà le dogme et la conduite de Dieu. Si Dieu n’a dédaigné ni les mages, ni l’Éthiopien, ni le larron, ni la courtisane, à bien plus forte raison, ne méprisera-t-il pas ceux qui opèrent la justice et qui la veulent. Mais quoi ? S’ils sont doux et bons, ceux qui ne veulent pas croire ? Eh biefs, vous venez de donner la raison, c’est qu’ils ne veulent pas croire. Maintenant, l’homme bon ici, ce n’est pas celui qui a la douceur en partage, mais celui qui opère la justice, c’est-à-dire celui qui, dans toutes ses actions, est agréable au Seigneur, et, pour être agréable, il faut craindre Dieu. Or, un homme de ce – caractère, Dieu seul le connaît. Voyez comment le centenier s’est rendu agréable. A peine a-t-il entendu la parole, il a obéi ; aujourd’hui, me direz-vous, un ange viendrait, que personne ne l’écouterait. Mais aujourd’hui les signes sont beaucoup plus considérables qu’autrefois, et cependant combien d’incrédules ? Pierre communique ensuite la doctrine, et il a soin de conserver aux Juifs, leur noble prérogative. « Dieu a fait entendre sa parole aux enfants d’Israël, en leur annonçant la paix, par Jésus-Christ, qui est le Seigneur de tous ». Il parle d’abord de la domination, et il le fait en termes tout à fait élevés, parce qu’il s’adresse à une âme déjà élevée, et qui reçoit avec chaleur ce qu’on lui annonce. Ensuite, pour prouver comment c’est le Seigneur de tous, il a soin de dire : « Dieu a fait entendre sa parole, en leur annonçant la paix », c’est-à-dire, en les appelant au bonheur, non pas au jugement.
3. Par là, il déclare que la parole a été envoyée par Dieu, d’abord aux Juifs. Il en donne ensuite la démonstration, par les événements qui se sont accomplis dans toute la Judée. « Vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée ». Et voici qui est admirable : « Qui a commencé par la Galilée, après le baptême que Jean a prêché ». Il a d’abord parlé de l’œuvre glorieuse du Seigneur ; ce n’est qu’après qu’il a assez d’assurance pour parler de sa patrie : « Jésus de Nazareth ». Pierre n’ignorait pas que la seule patrie était une occasion de scandale. « Comment Dieu a oint de l’Esprit-Saint et de force », seconde preuve. On aurait pu dire, qui le démontre ? Pierre ajoute : « Qui passait, en faisant le bien, et en guérissant tous ceux qui étaient sous la puissance du démon ». Il montre ensuite la grandeur du pouvoir unie à ses bonnes couvres ; pour surmonter le démon il fallait que ce pouvoir fût grand. On en donne la cause : « Parce que Dieu était avec lui ». Voilà pourquoi les Juifs aussi disaient : « Nous savons, maître, que vous êtes venu de la part de Dieu, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui ». (Jn. 3,2) Et maintenant, après avoir montré qu’il est envoyé de Dieu, il ajoute qu’il a été tué, pour prévenir l’égarement des pensées. Remarquez-vous que, nulle part, il ne cache le supplice de la croix ? au contraire, il se hâte de le mentionner. « Cependant ils l’ont fait mourir », dit-il, « en l’attachant à une croix ; et Dieu a voulu qu’il se montrât vivant, non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis, avant tous les temps (39, 40) ». C’était le Christ qui les avait choisis lui-même ; mais l’apôtre attribue cela à Dieu : « Choisis, avant tous les temps », dit-il. Voyez comment il prouve la résurrection ; par le repas en commun. Pourquoi le Christ ressuscité ne fait-il aucun miracle, se bornant à manger et à boire ? c’est que la résurrection, toute seule, était, d’elle-même, un assez grand miracle ; et impossible d’en trouver une plus grande preuve que ce fait, que le ressuscité buvait et mangeait. « Pour attester », dit-il. Ces paroles ont une énergie terrible ; impossible de prétexter l’ignorance. Et l’apôtre ne dit pas C’est le Fils de Dieu, mais, ce qui était de nature à épouvanter le plus les Juifs : « C’est lui qui a été établi de Dieu, pour être le juge des vivants et des morts (42) ». Suit une preuve imposante prise des prophètes, lesquels étaient en grande estime : « Tous les prophètes lui rendent témoignage (43) ». Après avoir inspiré la crainte, il mentionne le pardon, annoncé non par lui, mais par les prophètes ; ce qui est terrible, vient de lui, ce qui est plus doux, vient des prophètes. O vous tous, qui que vous soyez, qui avez obtenu cette rémission des péchés, vous tous, tant que vous êtes, qui avez trouvé la foi, après avoir appris la grandeur du don, je vous en conjure, veillez sur vous-mêmes, n’outragez pas le bienfaiteur. Si nous avons obtenu la rémission des péchés, ce n’est pas pour dégénérer, mais pour nous élever bien plus haut vers la perfection.
Donc, gardons-nous bien de dire que la cause de nos malheurs, c’est Dieu, parce qu’il ne punit pas, parce qu’il n’inflige pas de châtiment ; car enfin, répondez-moi : un meurtrier est pris, le prince le relâche, les meurtres qui suivront, seront-ils imputés au prince ? Non, assurément ; et comment se peut-il que notre langue impie outrage Dieu sans épouvante, sans un frisson d’horreur ? Quels discours n’entendons-nous pas ? Quel bruit de paroles ! C’est Dieu lui-même qui a permis les crimes, répète-t-on. Il fallait châtier les coupables ; honneurs, couronnes, dignités, il ne leur fallait rien de tout cela, il en fallait tirer satisfaction et vengeance. Que fait Dieu au contraire ? il les honore et les rend tels qu’ils sont. Je vous en prie, je vous en conjure, qu’aucun de nous jamais ne fasse entendre de pareilles paroles. Mieux vaudrait mille fois être enfoui dans la terre, que de proférer, contre Dieu, de pareils discours. Les Juifs aussi disaient : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même » ; et encore : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ». (Mt. 27,40) Mais ces blasphèmes d’aujourd’hui sont plus affreux que ceux-là ; qu’il ne soit pas dit que nous l’appelons un docteur d’iniquités ; n’allons pas, par de pareils blasphèmes, nous exposer à l’éternel supplice. Car, dit l’apôtre, « vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Rom. 2,24) Appliquons-nous à faire dire le contraire ; menons une vie conforme à notre vocation ; approchons-nous du baptême de l’adoption, car elle est vraiment grande, la puissance du baptême, qui admet les hommes régénérés au partage des dons célestes ; qui ne souffre pas que les hommes restent simplement des hommes. Faites en sorte que le grec ait foi dans la grande puissance de l’Esprit, puissance qui transforme, puissance qui régénère. Pourquoi attendre ainsi l’heure de vos derniers soupirs, comme un fugitif, comme un méchant, comme un être qui ne doit pas vivre pour Dieu ? Pourquoi cette disposition de votre cœur, comme si votre Dieu était sans entrailles, était un maître féroce ? Quoi de plus froid, quoi de plus misérable, que de recevoir ainsi le baptême ? Dieu a fait de vous son ami ; il vous a gratifié de tous ses dons, afin que vous-même vous lui montriez tout ce qu’on attend d’un ami. Répondez-moi : je suppose un homme à qui vous auriez fait mille injures, mille outrages, vous tomberiez entre ses mains, et cet homme se vengerait de vous en partageant, avec vous, tous ses biens ; pour les injures qu’il aurait reçues de vous, il vous admettrait au nombre de ses amis, il vous couronnerait, il dirait que vous êtes son propre fils, et ensuite, tout à coup, il viendrait à mourir. Ne regarderiez-vous pas sa mort comme un malheur ? ne diriez-vous pas : Je voudrais le voir vivant, afin de m’acquitter envers lui, afin de le payer de retour, afin de ne pas paraître ingrat envers mon bienfaiteur ? Voilà certes quelles seraient vos dispositions envers un homme ; et, quand il s’agit de Dieu, vous pensez à partir sans vous acquitter envers celui qui vous a fait tant de dons ? Ah ! croyez-moi, approchez-vous de lui, quand vous pouvez encore le payer de retour. Pourquoi fuir ? Sans doute, me répond-on, mais je ne suis pas maître de moi. Donc Dieu nous a commandé l’impossible ? Voilà ce qui bouleverse tout ; voilà d’où vient, sur la terre, la corruption ; nul ne se propose de vivre selon Dieu. Les zélés catéchumènes n’ont aucun souci de mener une vie droite. Et voilà comment ceux qui ont déjà reçu le baptême ont été baptisés : les uns, c’est quand ils n’étaient encore que des enfants ; les autres, c’est dans leurs maladies, après de nombreux délais, parce qu’ils ne sentaient pas en eux le désir de vivre selon Dieu ; et ceux-là n’ont aucun zèle. Et ceux qui ont reçu le baptême en parfaite santé, montrent à leur tour aussi peu de zèle ; ils sortent du baptême plein d’ardeur, mais ils sont bientôt les premiers à éteindre leur feu. Et ne pouvez-vous donc pas vous livrer à vos affaires ? Et, est-ce que je vous sépare de votre femme ? C’est de la fornication que je veux vous séparer. Est-ce que je vous interdis l’usage de votre fortune ? C’est l’avarice que je vous interdis, et la rapine. Est-ce que je veux vous contraindre à vous dépouiller de tout ? Un peu de ce que vous avez, voilà tout ce que je vous demande pour les indigents. « Votre abondance », dit l’apôtre, « supplée à leur pauvreté ». (2Cor. 8,14) Dans cette mesure même nous ne réussissons pas à vous persuader. Est-ce que nous vous forçons au jeûne ? C’est l’ivresse que nous voulons réprimer, avec la gourmandise. Ce que nous retranchons, c’est ce qui vous déshonore, c’est ce que vous-mêmes, vous trouvez plus affreux que la géhenne, plus redoutable, plus odieux. Est-ce que l’on vous interdit le plaisir et la joie ? Non, mais ce qui est honteux, ce qui est indigne.
4. Que craignez-vous, que redoutez-vous, pourquoi tremblez-vous ? Là où se trouve le lien conjugal, la vraie jouissance des richesses, la tempérance, quelle est l’occasion de pécher ? Vos maîtres, en dehors de l’église, d’un ton qui commande, exigent de vous bien autre chose, et vous les écoutez. Ce n’est pas seulement une petite part de ce que vous avez qu’ils réclament, mais ils vous disent : Il faut donner tant, et, quand vous objecteriez votre pauvreté, peu importe, ils insistent encore. Le Christ au contraire ne parle pas ainsi : il vous dit : Selon ce que vous avez, donnez, et je vous mettrai au premier rang. Ces étrangers vous disent encore : Voulez-vous de la gloire ? Abandonnez père, mère, parents, proches, et résidez dans les palais des rois, pour y être fatigués, affligés, esclaves, en proie à des douleurs sans nombre. Le Christ au contraire ne parle pas ainsi, il vous dit Restez chez vous, avec votre femme et vos enfants ; vivez tranquilles, à l’abri des dangers. Sans doute, me direz-vous ; mais le roi promet des richesses. Mais Dieu promet la royauté, et, de plus, des richesses avec la royauté ; car il dit : « Cherchez premièrement le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mt. 6,33) Le roi de la terre ne donne rien par surcroît, tandis que Dieu donne d’avance. « J’ai été jeune », dit le Psalmiste, « et je suis vieux maintenant ; mais je n’ai point encore vu le juste abandonné, ni sa race cherchant son pain ». (Ps. 36,25) Commençons donc, pratiquons les premières vertus ; ne nous attachons qu’à la vertu seule, et vous verrez quels biens elle conquiert. Est-ce donc sans fatigue que vous gagnez les biens de la terre ; vous qui montrez tant de mollesse à la poursuite des biens du ciel ? Oui, me direz-vous, on a ceux d’ici-bas sans peine, sans fatigue ; c’est pour les biens d’en haut qu’il faut se fatiguer. Tout au contraire, mille fois non ; mais si nous voulons dire la vérité, ces biens d’en-bas ne s’acquièrent qu’au prix des fatigues et des sueurs ; les biens d’en haut, nous n’avons qu’à vouloir, s’obtiennent facilement.
Ne nous éloignons pas, je vous en prie, des divins mystères ; ne remarquez pas que celui qui avant vous a été baptisé est devenu un méchant, est déchu de ses espérances ; ne vous relâchez pas. Que voyons-nous dans la milice ? Les timides d’une part ; de l’autre, les braves qui se couvrent de gloire ; ne regardons pas les lâches ; rivalisons avec les vaillants. En outre, considérez combien d’hommes, après le baptême, sont devenus des anges ; redoutez l’avenir incertain. La mort vient comme un voleur de nuit, et ce n’est pas assez dire, comme un voleur ; elle nous surprendra pendant notre sommeil ; pendant que nous sommes nonchalamment couchés, la voilà qui nous prend, qui nous emporte. Si Dieu a fait l’avenir incertain, c’est pour que l’attente continuelle de cette heure incertaine nous attache à la vertu. Mais Dieu est bon, me direz-vous ; combien de temps encore répéterons-nous cette froide et ridicule parole ? Eh bien, moi je dis et je ne cesserai pas de redire, non seulement que Dieu est bon, mais que rien ne surpasse sa bonté, et qu’il dispose toutes choses pour notre utilité. Combien d’hommes ne voyez-vous pas souffrant toute leur vie de l’éléphantiasis ? Combien d’hommes, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, toujours aveugles ; d’autres, devenus aveugles après coup ; d’autres, victimes de la pauvreté ; d’autres languissant dans les fers ; d’autres, dans les mines ; d’autres, enterrés vivants ; d’autres, emportés par la guerre ? Ne sont-ce pas là des marques de la divine bonté, je vous le demande ? Dieu ne pouvait-il pas prévenir ces maux, s’il l’eût voulu ? Au contraire, il les a permis. Oui, me direz-vous. Eh bien, dites-moi, pourquoi des aveugles de naissance ? Je ne répondrai pas tant que vous ne me promettrez pas que vous serez baptisés, et que, baptisés, vous conformerez votre vie à la sagesse. C’est un problème qu’il ne vous appartient pas de résoudre, et la parole n’a pas pour but le plaisir. Supposez cette question résolue, il en viendra une autre, car l’Écriture est un abîme de questions. C’est pourquoi non seulement ne vous faites pas une habitude de résoudre des problèmes, mais ne cherchez jamais de problème à résoudre. Les questions d’ailleurs se succéderaient sans fin. Pour une solution que vous auriez trouvée, je vous proposerais mille autres questions à résoudre. Apprenons par conséquent plutôt à chercher la sagesse qu’à chercher des solutions. Supposons que nous les ayons trouvées, nous ne les trouvons pas toutes. Il n’est pour de telles questions qu’une solution possible, la foi, qui croit que Dieu fait tout avec justice, avec bonté, avec utilité pour nous, et que sa raison est incompréhensible. Voilà l’unique solution, et il n’en est pas de meilleure ; car, quelle est, répondez-moi, la solution par excellence ? C’est de ne plus chercher de solution, parce que tout est expliqué. Si vous êtes bien persuadés que tout est administré par la divine Providence, qui permet certaines choses, par des raisons qu’elle seule connaît, et qui en opère certaines autres, vous êtes affranchis de toute recherche, et vous jouissez du profit de la solution. Mais revenons à notre sujet ; puisque vous voyez tant de supplices, Dieu permettant toutes ces choses, servez-vous de la santé de votre corps, pour assurer la santé de votre âme. Mais, direz-vous, qu’ai-je besoin de fatigues et d’affliction, puisque je puis, sans fatigues, acquitter toute ma dette ? Assurément voilà qui n’est pas évident, car non seulement il arrive que vous ne pouvez pas vous acquitter sans fatigues, mais il peut arriver aussi que vous partiez chargés de tout ce qui pèse sur vous. D’ailleurs, quand ce que vous dites serait de toute évidence, vos paroles seraient encore difficiles à supporter. Dieu vous a appelés dans les combats ; il vous a donné des armes d’or ; au lieu de les prendre et de vous en servir, vous voulez conserver votre vie sans gloire, n’opérant aucune bonne action. Répondez-moi ; je suppose que la guerre nous menace ; l’empereur est là ; vous voyez les uns s’élancer au milieu des phalanges, porter des coups à l’ennemi, distribuer d’innombrables blessures ; vous en voyez d’autres qui se livrent à des combats singuliers ; d’autres bondissent ; d’autres encore s’élancent sur leurs chevaux, et l’empereur leur décerne des éloges, et on les admire ; et les applaudissements les saluent, on les couronne ; tandis qu’il en est qui ne veulent s’exposer à aucun coup et qui restent au dernier rang ? Bientôt la guerre est terminée ; les uns, on les appelle, on les comble de nobles récompenses ; leurs noms sont dans toutes les bouches ; les autres, au contraire, restent avec leurs noms ignorés ; ils ont la vie sauve ; voilà leur seule récompense : à laquelle de ces deux classes d’hommes voudriez-vous appartenir ? Fussiez-vous de pierre, fussiez-vous plus lâches que les êtres insensibles, inanimés, ne préféreriez-vous pas mille fois être rangés parmi les braves ? Oui, certes, et je vous en prie, et je vous en conjure, quand vous devriez tomber en combattant, n’est-ce pas là le sort qu’il faudrait résolument choisir ? Ne voyez-vous pas quel éclat accompagne ceux qui tombent dans les combats, quelle illustration, quelle gloire ? Et pourtant une fois qu’ils sont morts, ils ne peuvent plus attendre les honneurs que l’empereur décerne ; au contraire, dans cette guerre dont je parle, il n’est rien de pareil : votre gloire sera d’autant plus grande que vos blessures seront nombreuses. Puissions-nous tous en avoir à montrer, sans les recevoir des persécutions, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV. modifier


PIERRE PARLAIT ENCORE, LORSQUE LE SAINT-ESPRIT DESCENDIT SUR TOUS CEUX QUI ÉCOUTAIENT SA PAROLE ; E LES FIDÈLES CIRCONCIS, QUI ÉTAIENT VENUS AVEC PIERRE, FURENT FRAPPÉS D’ÉTONNEMENT DE VOIR QUE LA GRACE DU SAINT-ESPRIT SE RÉPANDAIT AUSSI SUR LES GENTILS. CAR ILS LES ENTENDAIENT PARIER DIVERSES LANGUES, ET GLORIFIER DIEU. (CHAP. 10, VERS. 44, 45, 46)
Traduit par M. C. PORTELETTE.

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Économie de la Providence dans la conversion des Gentils. – Conduite de Pierre, qui ne fait rien de lui-même, Dieu seul opérant tout.
  • 3 et 4. Développement pathétique de l’efficacité de la pénitence. – Combien y en aura-t-il de sauvés dans tout ce peuple ! Magnifique mouvement d’éloquence pressante, élevée, saisissante. – Contre les spectacles.


1. Voyez la conduite de Dieu ! il n’a pas permis que le discours fût achevé, ni que le baptême fût donné par l’ordre de Pierre. Ils montraient une âme merveilleusement disposée ; ils avaient reçu le commencement de la doctrine ; ils regardaient le baptême comme la rémission des péchés, et aussitôt l’Esprit arriva. Ce qui avait lieu, en outre, parce que la providence de Dieu voulait ménager à Pierre de puissants moyens de défense, non seulement ils reçoivent l’Esprit, mais ils parlaient diverses langues ; ce qui frappait d’étonnement les assistants. Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? A cause des Juifs, car ce prodige excitait toute leur haine. Aussi est-ce partout Dieu qui agit seul. Et Pierre est là, pour ainsi dire, par hasard, leur disant qu’il convient maintenant d’aller trouver les nations, qu’il convient qu’elles soient instruites. Et ne soyez pas surpris, en effet, si, après de si grandes marques, et à Césarée et à Jérusalem, il y a eu des disputes, que ne serait-il pas arrivé sans ces merveilles qui accompagnèrent les apôtres ? Voilà pourquoi ces signes paraissent d’une manière éclatante. Et maintenant, voyez comment Pierre profite de l’occasion pour se justifier, et, pour preuve que sa réponse lui est inspirée par la circonstance, écoutez l’évangéliste : « Alors Pierre dit : Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont déjà reçu le Saint. Esprit comme nous ? (47) ». Voyez jusqu’où il est arrivé, et quel était son désir d’aller plus, loin ; c’était là depuis longtemps sa pensée : « Peut-on refuser », dit-il, « l’eau du baptême ? » Il s’emporte, pour ainsi dire, contre ceux qui refuseraient, qui diraient que le baptême ne peut être donné aux gentils. Le plus nécessaire, dit-il, est accompli : ils ont reçu le baptême que nous avons reçu nous-mêmes. « Et il commanda qu’on les « baptisât, au nom du Seigneur Jésus-Christ (48) ». C’est après s’être justifié qu’il ordonne de les baptiser, les instruisant par les faits mêmes, tant les Juifs étaient indisposés ! Il se justifie d’abord, quoique les faits parlassent assez d’eux-mêmes ; et ce n’est qu’ensuite qu’il donne son ordre.
« Après cela, ils le prièrent de demeurer quelques jours avec eux ». Il a donc raison de demeurer avec eux en toute confiance. « Les apôtres et les frères qui étaient dans la Judée apprirent que les gentils mêmes avaient reçu la parole de Dieu, et lorsque Pierre fut venu à Jérusalem, les circoncis disputaient contre lui, et lui disaient : Pourquoi avez-vous été chez des hommes incirconcis et avez-vous mangé avec eux ? (Chap. 11,1, 2, 3) ». Et « les circoncis disputaient » ; ce ne sont pas les apôtres. Qu’est-ce que cela veut dire, « disputaient ? » C’est-à-dire, étaient scandalisés, tout à fait scandalisés. Et voyez ce qu’ils lui reprochent : Ils ne lui disent pas : Pourquoi avez-vous prêché ? mais « Pourquoi avez-vous mangé avec eux ? » Or Pierre ne répond pas à ce reproche sans valeur (sans valeur en réalité), mais il fait entendre une réponse imposante : S’ils avaient reçu l’Esprit, eux aussi, comment pouvions-nous leur refuser le baptême ? Pourquoi donc, avec les Samaritains, la chose ne s’est-elle pas passée de même ? Comment est-ce le contraire qui est arrivé ? Car non seulement le Saint-Esprit ne descendit pas avant le baptême, mais pas même après le baptême. Et les Juifs ne se sont pas indignés ; au contraire, ils ont très-volontiers envoyé chez eux, précisément pour cette raison. Mais ici l’accusation contre Pierre ne porte pas sur ce point. Ils savaient bien, en effet, qu’il agissait par la grâce divine. « Mais pourquoi », disent-ils, « avez-vous mangé avec eux ? » Il y avait d’ailleurs une différence du tout au tout entre les Samaritains et les gentils. Et en outre, c’est un effet de la sagesse que Pierre soit accusé pour l’édification des autres. Car ce n’est pas sans dessein que Pierre leur a tout raconté. Or, maintenant soyez comme il est exempt de faste et de vaine gloire ! Le texte dit : « Mais Pierre commença à leur raconter par ordre comment la chose s’était passée : Lorsque j’étais dans la ville de Joppé, en prières,(4, 5) ». Il ne dit pas pourquoi ni à quelle occasion ; « il me survint un ravissement d’esprit ; et j’eus une vision, dans laquelle je vis descendre du ciel comme une grande nappe, tenue par les quatre coins, qui s’abaissait et venait jusqu’à moi ; et la considérant avec attention, j’y vis des animaux terrestres à quatre pieds, des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux du ciel. J’entendis aussi une voix qui me dit : Pierre, levez-vous, tuez et mangez (6, 7) ». Que veut-il dire par là ? Il suffisait, dira-t-on, pour opérer la persuasion, de dire qu’il avait vu une nappe. Cependant une voix se joignit à la vision. « Je répondis : Je n’ai garde, Seigneur, car jamais rien d’impur ni de souillé n’entrera dans ma bouche (8) ». Comprenez-vous ? Ce que je devais faire, dit-il, je l’ai fait ; j’ai dit que je n’ai jamais mangé. Ces paroles étaient sa réponse à ceux qui lui disaient : « Pourquoi avez-vous été, et pourquoi avez-vous mangé avec eux ? » Quant à cela, il ne le dit pas à Corneille ; et en effet, il n’y avait pas de nécessité. « Et la voix, me parlant du ciel une seconde fois, me dit : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié. Cela se fit jusqu’a trois fois, et ensuite toutes ces choses furent retirées dans le ciel. Au même temps, trois hommes, qui avaient été envoyés vers moi de la ville de Césarée, se présentèrent dans la maison où j’étais (9, 10, 11) ». Il raconte ce qui est nécessaire, passant le reste sous silence, ou plutôt, par ce qu’il raconte, il prouve ce qu’il ne dit pas. Et voyez comme il se défend, sans user de son autorité de maître ; il savait bien, en effet, que plus il mettrait de modestie dans sa réponse à ses accusateurs, plus il parviendrait à les calmer. « Jamais rien d’impur ni de souillé n’entra dans ma bouche », dit-il. Et voilà comment il défend sa vie tout entière. « Au même temps, trois hommes se présentèrent dans la maison où j’étais, et l’Esprit me dit d’aller avec eux sans faire aucune difficulté (12) ».
2. Voyez-vous que c’est l’Esprit qui fait la loi ? « Ces six de nos frères que vous voyez, vinrent aussi avec moi ». Quoi de plus humble que Pierre, qui invoque, ici encore, le témoignage des frères ! « Ces six de nos frères que vous voyez, vinrent aussi avec moi, et nous entrâmes dans la maison de cet homme, qui nous raconta comment il avait vu, dans sa maison, un ange qui s’était présenté devant lui, et lui avait dit : Envoyez à Joppé, et faites venir Simon, surnommé Pierre ; il vous dira des paroles par lesquelles vous serez sauvé, vous et toute votre maison (13, 14) ». Il ne cite pas les paroles adressées par l’ange à Corneille : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’en présence de Dieu, et il s’en est souvenu » ; il ne veut pas les heurter, il ne cite que des paroles dont le sens n’a rien d’orgueilleux : « Il vous dira des paroles par lesquelles vous serez sauvé, vous et toute votre maison ». Voyez-vous comme il se hâte pour la raison que j’ai dite ? Et il ne parle pas de la vertu de Corneille. Eh bien, voilà donc l’Esprit qui l’envoie, Dieu qui lui donne son ordre, qui, d’un côté, l’appelle par le ministère d’un ange, qui, d’un autre côté, le pousse encore ; qui supprime tout obstacle matériel ; que fallait-il faire ? Pierre ne dit rien de tout cela, il s’appuie sur ce qui a suivi, et qui fournissait une preuve irrésistible. Et pourquoi, dira-t-on, le dernier lait ne s’est-il pas produit seul ? Dieu a tout ménagé de manière à prouver surabondamment que le commencement n’est pas le fait de l’apôtre. S’il était parti de lui-même, sans que rien fût arrivé, les Juifs auraient été tout à fait choqués. Il commence par se les rendre favorables en disant : « À ceux qui ont déjà reçu le Saint-Esprit comme nous ». Et encore : « Quand j’eus commencé à leur parler, le Saint-Esprit descendit sur eux comme il était descendu sur nous au commencement (15) ». Et non content de ce qu’il vient de dire, il rappelle la parole du Seigneur : « Alors je me souvins de cette parole du Seigneur : Jean a baptisé dans l’eau, mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit (16; Mt. 3,11) ». C’est pourquoi il n’est rien arrivé de nouveau ; c’est une prédiction qui s’est accomplie, filais, dira-t-on, le baptême n’aurait pas dû être donné ; remarquons que le baptême était un fait accompli, puisque le Saint-Esprit était descendu. Aussi Pierre ne dit-il pas : J’ai ordonné d’abord de les baptiser ; que dit-il ? « Peut-on refuser l’eau du baptême ? » montrant par là qu’il n’a rien fait de son propre mouvement. Ce que nous avions, ils l’ont reçu. « Puis donc que Dieu leur a donné la même grâce qu’à nous, qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je ; moi, pour empêcher le dessein de « Dieu ? (17 »). C’est pour leur fermer complètement la bouche qu’il ajoute : « La même grâce ». Voyez-vous comme Dieu accorde à ces gentils les mêmes avantages qu’aux apôtres, aussitôt qu’ils ont cru. Dieu leur donne une grâce égale à celle qu’il nous communique, à nous qui avons cru clans le Seigneur ; Dieu se charge lui-même de les purifier. Et l’apôtre ne dit pas : la même grâce qu’à vous, mais « Qu’à nous » ; manière d’adoucir son discours. Qu’avez-vous donc à vous indigner, puisque nous nous rangeons nous-mêmes parmi vous ? « Ayant entendu ces paroles, ils s’apaisèrent, et glorifièrent Dieu, en disant : Dieu a donc aussi fait part aux gentils du don de la pénitence ; qui mène à la vie (18) ? » Voyez-vous comme tout s’explique et s’apaise par suite du discours de Pierre, qui raconte exactement ce qui est arrivé ? Les voilà donc glorifiant Dieu, qui accordait aussi la pénitence aux gentils, et voilà en même temps ces Juifs humiliés par ces discours. À partir de ce moment, la porte est ouverte aux gentils. Mais, si vous le voulez bien, reprenons plus liant. Le texte ne dit pas que c’était Pierre qui disputait ; mais : « Les circoncis ». En effet, Pierre savait bien ce qui se préparait. Il y avait lieu d’admirer que les gentils fussent arrivés à la foi. Néanmoins, quand les Juifs entendirent que les gentils avaient cru, ils ne s’émurent point ; ce qui les indignait, c’est que Dieu leur eût accordé l’Esprit ; c’est, lorsque Pierre racontait sa vision, ce qu’il disait : Dieu m’a montré qu’il n’y a aucun homme qui soit impur et souillé. Pierre le savait déjà auparavant ; aussi prépara-t-il son discours dans l’intérêt des gentils, pour montrer qu’il n’y avait plus de gentils, dès que la foi les avait saisis. Il n’y a rien d’étonnant qu’ils aient reçu l’Esprit avant le baptême ; la même chose est arrivée de notre temps. Pierre montre ici qu’ils n’ont pas été baptisés comme les autres, mais bien ; mieux. Les choses sont donc disposées avec une parfaite sagesse, de manière due les Juifs, réduits au silence, regardent les gentils comme leurs égaux. « Et ils le prièrent », dit le texte, « de rester ». Avez-vous bien compris les mauvaises dispositions des Juifs ? Voyez-vous quel zèle pour la loi ? Ne respectant ni la dignité de Pierre, ni les signes qui avaient paru, ni un si grand ouvrage, ni ce prodige de conversion, ils disputaient sur de petites choses. Si, en effet, rien de ce que vous avez vu pour la défense de Pierre ne se fût manifesté, Pierre n’aurait pas assez fait. Mais Pierre ne se défend pas par ces règles étroites ; c’était un homme sage, ou plutôt ses paroles ne venaient pas do sa sagesse à lui, ruais de l’Esprit, et, dans sa défense, il ne s’attribue rien à lui-même, il attribue tout à Dieu. Il leur dit presque : C’est Dieu qui a fait que j’eusse un ravissement ; moi j’étais simplement en prière ; c’est Dieu qui m’a montré cette nappe ; moi, je lui faisais des réponses contraires ; Dieu m’a encore répondu, et moi, je ne l’entendais pas encore ; « Et l’Esprit me dit d’aller » ; et, eu allant, je ne courais pas ; j’ai dit que c’était Dieu (lui m’envoyait ; et cependant ce n’est pas moi en suite qui ai baptisé ; mais c’est Dieu encore qui a tout fait. Ainsi, en réalité, c’est Dieu qui les a baptisés, ce n’est pas moi. Et Pierre ne dit pas : Après tout ce qui était arrivé, ne fallait-il pas ajouter l’eau, qui manquait encore ? Non : comme si rien n’eût manqué au baptême. « Qui étais-je », dit-il, « pour empêcher le dessein de Dieu ? » Ah ! quelle manière de se défendre ! En effet, il ne leur dit pas maintenant que vous êtes renseignés, apaisez-vous ; mais que leur dit-il ? il soutient leur assaut ; on l’accuse, il se justifie. « Qui étais-je pour empêcher le dessein de Dieu ? » Défense éloquente et efficace ; je ne pouvais pas empêcher ; de sorte qu’ils finirent par se tenir en repos et glorifier Dieu.
3. C’est ainsi que nous devons, nous aussi, dans les biens qui arrivent au prochain, glorifier Dieu, au lieu de proférer des paroles insultantes comme le font un grand nombre des nouveaux baptisés, quand ils en voient d’autres aussitôt après le baptême partir de cette vie. Il faut glorifier Dieu, même de ce qu’il ne permet pas de rester. Car, si vous le voulez, vous avez reçu, vous, un plus grand don, je ne parle pas du baptême (car l’autre le partage avec vous), mais vous avez reçu le temps d’ajouter à votre glorification. L’autre a revêtu la robe, et il ne lui a pas été permis de s’y distinguer ; mais, à vous, Dieu a donné un pouvoir considérable pour faire un noble usage de vos armes, pour les essayer ici-bas. L’autre s’en va, n’ayant que le salaire de la foi ; vous, vous restez dans le stade et vous pouvez recevoir beaucoup de récompenses pour vos œuvres, et paraître un jour surpasser cet autre, autant que le soleil surpasse la plus petite des étoiles, autant que le général surpasse le dernier des soldats ; disons mieux, de toute la différence entre le dernier des soldats et l’empereur. Donc n’accusez que vous-mêmes ; ou plutôt ne vous accusez pas, mais corrigez-vous toujours. Car il ne suffit pas d’accuser, il faut lutter. Vous êtes renversés ? Vous avez reçu de cruelles blessures ? Relevez – vous, rentrez en possession de vous-mêmes ; vous êtes encore sur le stade, vous êtes encore sur le théâtre. Ne voyez-vous pas combien de combattants, jetés par terre dans la mêlée, ont recommencé la bataille ? Seulement ne tombez pas volontairement, vous portez envie à celui qui est parti ? Félicitez-vous vous-mêmes bien plus que lui. Celui-là est affranchi du péché ; mais vous, vous n’avez qu’à vouloir, et, non seulement vous expierez vos fautes, mais, de plus, vous vous enrichirez de bonnes œuvres ; ce qui, pour l’autre, est impossible. Nous pouvons nous exciter nous-mêmes.
Ils sont grands, les remèdes de la pénitence, que nul donc ne désespère. Il n’y a réellement de désespéré que celui qui désespère de lui-même ; celui-là ne peut plus attendre de salut. L’affreux malheur, ce n’est pas de tomber dans un abîme de maux, mais d’y rester étendu, après y être tombé ; l’impiété, ce n’est pas de tomber dans l’affreux abîme, mais d’y rester dans l’insouciance, après y être tombé. Est-ce ainsi que ce qui doit éveiller toutes vos inquiétudes, ne fait qu’ajouter à votre insouciance ? – Mais vous avez, dans votre chute, reçu tant de blessures ! – Aucune blessure de l’âme n’est incurable ; le corps en a d’incurables ; l’âme, pas une. Le corps est-il blessé, nous prenons mille soins qui nous fatiguent ; les blessures de l’âme nous laissent plein de nonchalance. Ne voyez-vous pas le peu de temps qu’il a fallu au larron pour tout réparer ? Ne voyez-vous pas le peu d’instants qui suffisent aux martyrs, pour consommer leur victoire ? Mais ce n’est plus le temps des martyrs ? Mais c’est toujours le temps des combats, je le redis sans cesse, nous n’avons qu’à vouloir. « Car ceux qui veulent », dit l’apôtre, « vivre dans la piété en Jésus-Christ, seront persécutés ». (2Tim. 3,12) Ceux qui vivent dans la piété subissent toujours la persécution, si non de la part des hommes, au moins de la part des démons ; persécution plus terrible que toutes les autres. Et d’abord la persécution qui vient de la négligence. La croyez-vous donc à mépriser la persécution que produit la négligence, le plus terrible des fléaux, mal plus funeste que ce qu’on appelle la persécution ? Comme une eau courante, la négligence détrempe l’âme ; ce qu’est l’hiver comparé à l’été, voilà la négligence comparée à la persécution. Et ce qui prouve combien est plus détestable la persécution de la négligence, c’est qu’elle jette l’âme dans l’assoupissement ; c’est qu’elle l’engourdit dans le relâchement et l’indolence, c’est qu’elle éveille toutes les passions ; elle arme l’orgueil, elle arme la volupté, elle arme la colère, l’envie, la vaine gloire, la basse jalousie. Dans la persécution ordinaire, aucune de ces passions ne saurait nous troubler ; la terreur qui envahit l’âme écarte, pour ainsi dire, de son fouet, le chien aboyant ; empêche tout grondement des mauvais instincts. Qui donc, dans la persécution, se livre à la vaine gloire ? qui donc cède à la volupté ? Personne. Le tremblement, l’épouvante opère la tranquillité, prépare le port où l’on goûte la paix, dispose l’âme à la piété.
J’ai entendu dire à nos pères (je ne désire pas que notre âge subisse cette épreuve, car il nous est défendu de désirer les tentations), qu’autrefois c’était au sein de la persécution que l’on pouvait voir de vrais chrétiens. Car nul alors ne s’inquiétait de fortune, de femme, d’enfants, de famille, de patrie ; tous n’avaient qu’un désir unique, le salut de leur âme. Ou se cachait, les uns, dans les tombeaux, dans les sépultures ; les autres, dans les solitudes. Et non seulement des hommes, mais des femmes tendres et délicates allaient y chercher une retraite pour y lutter sans cesse avec la faim. Eh bien, je vous le demande, pensait-elle beaucoup à la vie somptueuse, pensait-elle aux délices, aux plaisirs, cette femme cachée dans un tombeau, attendant la servante qui lui apportait son repas, ayant peur d’être prise, et demeurant dans ce tombeau comme dans un four ? Désirait-elle les délices de la vie ? Savait-elle seulement qu’il y a une vie délicieuse, qu’il y a un monde ? Ne comprenez-vous pas que si la persécution est terrible, c’est lorsque nos passions s’élancent Burnous comme des bêtes fauves ? C’est, n’en doutez pas, c’est lorsqu’on s’imagine qu’il n’y a pas de persécution ; c’est alors assurément que la persécution doit frapper d’épouvante. Et ce qui rend cette guerre redoutable entre toutes, c’est que l’on se croit en paix. Nous ne prenons pas les armes, nous ne sommes pas debout, pour repousser l’ennemi ; personne n’a peur, personne ne tremble. Si vous ne me croyez pas, demandez aux gentils, qui nous persécutent ; quand le christianisme était-il le plus prospère ? Quand les chrétiens se sont-ils couverts de plus de gloire ? C’est quand ils étaient en petit nombre. C’est qu’alors aussi les âmes étaient riches en vertus. Qu’importe, répondez-moi, l’abondance d’une herbe inutile, quand on peut la remplacer par des pierres précieuses ? Ce n’est pas la multitude, c’est l’éclat de la vertu qui seul a du prix. Élie était seul, mais le monde n’était pas digne de lui. Le monde renferme des milliers de milliers d’êtres, mais ces milliers d’êtres ne sont rien, puisque tous ces êtres ensemble n’en valent pas un. « Mieux vaut un seul homme faisant la volonté du Seigneur, que mille adonnés à l’injustice ». (Sir. 21,3) C’est ce qu’un sage insinue encore par ces paroles : « Ne désirez pas la multitude des fils inutiles ». (Id. 1) Ils servent uniquement à provoquer contre Dieu plus de blasphèmes que s’ils n’étaient pas chrétiens : Qu’ai-je besoin de la multitude ? aliment plus considérable pour le feu de l’enfer. Vous apprendriez de votre corps la même vérité, il vous dirait que mieux vaut une nourriture modérée, et la santé, que des mets délicats, et la maladie. La première nourriture est préférable à l’autre ; la première est une nourriture, l’autre est un poison. La guerre encore enseignerait la même chose, savoir : que mieux vaut une dizaine d’hommes résolus, et expérimentés, que des milliers de gens ne sachant rien faire. Ceux-ci, non seulement ne combattent pas, ils gênent les combattants. La navigation vous dit encore : mieux vaut n’être que deux matelots habiles, qu’une foule innombrable sans habileté. Cette troupe innombrable fera sombrer le navire.
4. Ce que j’en dis, ce n’est pas par aversion contre vous, contre ce peuple innombrable, mais je voudrais vous voir tous hommes, d’une vertu éprouvée, et vous défiant du grand nombre. Bien plus nombreux sont ceux qui tombent dans la géhenne, mais plus grande est la royauté du ciel, quoiqu’elle ait peu d’élus. La multitude du peule juif était comme le sable de la mer. Il n’y eut qu’un seul homme, pour sauver tout ce peuple : Le seul Moïse était plus puissant que tous les Juifs ; le seul Jésus était plus puissant que tant de milliers. Inquiétons-nous moins de rassembler des chrétiens nombreux, que des chrétiens véritables. Ayons de bons chrétiens et le grand nombre viendra aussi. Il n’est personne qui veuille tout de suite rendre sa demeure spacieuse ; on la veut d’abord solide et bien éprouvée ; ensuite on la rend spacieuse. Nul ne jette des fondations de manière à se rendre ridicule. Cherchons d’abord ce qui doit venir en premier lieu ; le reste viendra plus tard. Si nous réussissons d’abord, nous réussirons aussi après ; si nous n’avons pas d’abord ce qu’il nous faut, ce qui vient ensuite est inutile. Que l’Église possède ceux qui peuvent être sa gloire ; elle aura bien vite, en outre, la multitude. S’il lui manque des chrétiens dignes de la glorifier, jamais la multitude ne la glorifiera.
Combien y en a-t-il, suivant vous, dans notre ville qui obtiendront leur salut ? Les paroles que je vais faire entendre sont pénibles, toutefois je les dirai : Parmi tant de milliers d’hommes, il n’y a pas cent chrétiens qui obtiendront leur salut. Et ceux-là même l’obtiendront-ils ? Je n’en sais rien. Quelle corruption, répondez-moi, parmi les jeunes gens ! Quel relâchement parmi les vieillards ! Nul ne s’inquiète d’élever son fils comme il devrait le faire ; nul, à la vue d’un vieillard, ne songe à l’imiter. Les modèles ont disparu, et voilà pourquoi il n’y a plus de jeunes gens que l’on puisse admirer. Ne me dites pas : nous formons une multitude ; réflexion d’hommes insensés. Et supposez que pour les hommes cette réflexion eût quelque valeur ; pour Dieu, qui n’a pas besoin de nous, elle n’en a plus. Mais, tenez, écoutez donc ce (: lui prouve que cette réflexion, même pour les hommes, est sans valeur : un homme a un grand nombre de serviteurs ; si ces serviteurs sont corrompus, que de maux ne souffrira-t-il pas ! Celui qui n’a pas même un serviteur, se trouve à plaindre de n’être pas servi ; mais celui qui a des serviteurs pervers, se précipite avec eux dans la perdition, et sa perte est plus déplorable. S’il est triste de n’avoir personne à son service, ce qui est bien plus triste, c’est d’avoir des ennemis, pour lutter contre eux, pour leur faire la guerre. Ce que je dis, c’est afin de prévenir l’admiration qui considère dans l’Église la multitude ; je voudrais nous voir tous jaloux de rendre cette multitude vertueuse, chacun de nous s’emparant d’un autre membre, dont il ferait son affaire personnelle ; chacun de nous, attirant au bien, non seulement ses amis, non seulement ses parents ; ce que je redis et redis sans cesse ; non seulement les voisins, mais encore les étrangers. Par exemple : on fait la prière et tous sont là pêle-mêle, jeunes gens, vieillards, qui n’ont rien dans la tête ; des balayures, et non des jeunes gens, riant, plaisantant, conversant, (je dis ce que j’ai entendu), ils sont à genoux, se renvoyant les uns aux autres des quolibets. Eh bien ! vous qui êtes là, jeune homme ou vieillard, à ce spectacle, réprimandez, et sévèrement, et, si l’on ne vous écoute pas, appelez le diacre ; menacez, faites ce qui dépend de vous. Et si l’on osait vous répondre par des violences, certes vous trouveriez des soutiens en foule. Qui donc aurait assez peu de raison pour ne pas partager votre colère contre de pareils désordres, pour refuser de se mettre de votre côté ? Sachez vous ménager, au sortir l’église le salaire de votre prière. Dans une maison de maître, les meilleurs serviteurs sont ceux qui tiennent le mieux tout en ordre.
Vous verriez, dans une maison, un vase d’argent égaré, vous auriez beau n’être pas chargé d’en prendre soin, ne reporteriez-vous pas ce vase dans cette maison ? Je suppose un vêtement qui va se perdre, et peu vous importe à vous, et vous êtes l’ennemi de l’intendant de la maison ; cependant, comme vous aimez le maître, ne vous ferez-vous pas un devoir de lui reporter ce vêtement ? Eh bien, c’est à présent ce que je vous demande. Je vous parle de nos vases à nous. Si vous les voyez en désordre, rangez-les ; venez me trouver, je ne m’y oppose pas ; parlez-moi, avertissez-moi, je ne peux pas tout voir ; il faut me pardonner. Voyez la corruption dont la terre est infectée. Avais-je tort de dire que nous ne sommes qu’un amas d’herbes inutiles, une mer pleine de confusion ? Je ne dis pas que tous commettent de pareils désordres, mais tel est l’assoupissement répandu sur ceux qui entrent dans l’église, qu’ils ne préviennent rien, qu’ils ne redressent rien. Maintenant j’en vois d’autres qui continuent leurs conversations et restent debout pendant la prière ; d’autres comprennent mieux la décence, ce n’est pas seulement pendant la prière, mais quand le prêtre bénit. Est-ce pousser assez loin l’audace ? Espérez donc le saint l Com ment parviendrons-nous à apaiser Dieu ! Entrez dans une salle d’exercices et de jeux, vous verrez tout le monde formant un chœur bien ordonné, on n’aura rien négligé. De même que, dans, une lyre bien accordée, la variété des parties forme un tout harmonieux d’où résulte une symphonie ravissante, de même ici nous devrions, tous tant que nous sommes, nous unir, ne formant qu’un seul chœur d’une parfaite harmonie. Car nous ne sommes qu’une Église, nous ne sommes que les membres harmonieusement agencés d’une seule tête ; nous ne sommes tous qu’un seul corps ; négliger un membre quel qu’il soit, c’est négliger le corps entier, qui se meurt. Voilà comment le bon ordre du grand nombre est en péril par le désordre d’un seul. Et ce qu’il y a d’effrayant, c’est qu’ici vous ne venez pas à un divertissement, à une danse pour danser, et vous apportez le désordre ! Ignorez-vous donc que vous êtes avec les anges ? que c’est avec les anges que vous faites entendre vos chants et vos hymnes, et vous passez le temps à rire ! Si la foudre ne tombe pas, non seulement sur ces malheureux, mais sur nous, n’y a-t-il pas lied d’en être surpris ? car voilà qui est fait pour attirer la foudre. Le souverain est là ; son armée vous voit ; et vous, bravant tous ces regards, vous riez ou laissez rire ? Mais à quoi bon ces reproches ? à quoi bon ces réprimandes ? Ces fléaux, ces pestes, ces empoisonneurs infectant l’Église de mille souillures ; chassez-les. Quand s’abstiendront-ils de rire, ceux qu’on voit rire à l’heure redoutable ? Quand cesseront-ils de faire des plaisanteries, ceux qui prennent le temps de la bénédiction pour causer et converser ? Comment ! nul respect pour les assistants, nulle crainte de Dieu ! Eh quoi ! ne nous suffit-il pas du secret engourdissement de notre esprit, de la divagation de nos pensées dans la prière ? Y faut-il joindre encore l’indécence du rire et des plaisanteries ?
Sommes-nous au théâtre ici ? Oui, c’est le théâtre, pour dire ce que j’en pense, qui produit tout cela ; en voilà les fruits : indiscipline et dérèglement. Ce que nous édifions ici, on le détruit là-bas : et ce n’est pas tout, ajoutez-y nécessairement encore l’infection de mille autres souillures. Supposez une place qu’on voudrait purifier, et, plus élevée que ce champ, une source y répandant de la vase ; plus vous purifiez la terre, et plus la vase la recouvre. C’est ce qui se montre ici. Ceux que les théâtres nous envoient souillés, nous les purifions, ils y retournent, et nous reviennent plus souillés encore : on dirait qu’ils ne vivent que pour accroître notre tâche ; ils nous viennent portant la corruption dans leurs mœurs, dans leurs gestes, dans leurs paroles, dans leur rire, dans leur nonchalance. Et nous, de notre côté, nous raclons ces ordures, et il semble que ce que nous voulons, c’est uniquement les purifier, pour les voir revenir avec plus de fumier. Aussi, je vous remets entre les mains de Dieu. Et je conclus, et je vous signifie, à vous qui êtes bien portants, que ce sera pour vous votre jugement, votre condamnation, que d’avoir vu ces désordres, ces conversations, surtout à une telle heure, sans avoir fait entendre votre voix pour avertir, pour corriger. Cette correction a plus de mérite que la prière même. Cessez de. prier, réprimandez ; ce sera pour le coupable un service, et pour vous un profit. Et ainsi nous pourrons tous, tant que nous sommes, être sauvés, et obtenir le royaume des cieux. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. Traduit par M. C. PORTELETTE.

HOMÉLIE XXV. modifier


CEUX DONC QUI AVAIENT ÉTÉ DISPERSÉS PAR LA TRIBULATION SURVENUE A CAUSE D’ÉTIENNE, ALLÈRENT JUSQU’EN PHÉNICIE, EN CHYPRE, ET A ANTIOCHE, N’ENSEIGNANT LA PAROLE A PERSONNE, SI CE N’EST AUX JUIFS. (CHAP. 11, VERS. 19, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE) s ANALYSE.

  • 1-3. Le Christianisme s’introduit à Antioche.
  • 3 et 4. Puissance de l’aumône. – Les moyens de faire l’aumône sont nombreux.


1. La persécution ne servit pas peu au progrès de la parole de Dieu : « Pour ceux qui aiment Dieu », dit saint Paul « tout concourt « au bien ». (Rom. 8,28) Si donc, on se fût proposé de propager l’Église, on n’eût pas fait autre chose : je veux dire, autre chose que disperser les docteurs. Voyez jusqu’où s’étendit cette prédication : « Ils allèrent », disent les Actes, « jusqu’en Phénicie et en Chypre, et à Antioche, n’enseignant la parole à personne, si ce n’est aux Juifs ». Voyez-vous comment tout se passa par l’action de la Providence pour Corneille ? Ceci sert à la défense du Christ et à l’accusation des Juifs. Lors donc qu’Étienne est mis à mort, que deux fois Paul est en danger, que les apôtres sont flagellés, les nations et les. Samaritains sont reçus à la foi. Et Paul le proclame en disant : « Il fallait d’abord vous enseigner la parole de Dieu, mais vous vous en êtes vous-mêmes jugés indignes, voici donc que nous nous dirigeons vers les nations ». (Act. 13,46) Ils parcoururent donc les nations et les instruisirent.
« Quelques-uns d’entre eux, des hommes de Chypre et de Cyrène, étant venus à Antioche, conversaient avec les Grecs, et leur annonçaient le Seigneur Jésus. Et la main du Seigneur était avec eux, et un grand « nombre crut et Se convertit au Seigneur Jésus (120, 21) ». Il est vraisemblable, du reste, qu’ils savaient la langue grecque, et qu’il y avait un grand nombre de ces hommes à Antioche. « Et la main du Seigneur », disent les Actes, « était avec eux », c’est-à-dire, ils faisaient des prodiges. Ne voyez-vous pas qu’il fut besoin de prodiges pour les porter à croire ? « Cette nouvelle parvint aux oreilles de l’Église qui était à Jérusalem, et on députa Barnabé pour aller jusqu’à Antioche (22) ». Pourquoi donc, lorsqu’une si grande ville recevait la parole de Dieu, n’y allèrent-ils pas eux-mêmes, et y envoyèrent-ils Barnabé ? Ce fut à cause des Juifs. Cependant ce qu’il y a à faire est d’une grande importance, et d’une si grande, que Paul doit se rendre à Antioche. Ce n’est pas sans raison, mais tout à fait d’après les vues de la Providence, qu’on déteste Paul, afin que ne soit pas renfermée dans Jérusalem la voix de la prédication, la trompette du ciel. Ne voyez-vous pas comment, partout, suivant qu’il l’a décrété dans les cieux, le Christ se sert pour le bien, de la malice des Juifs, et même de la haine qu’ils portent à Paul pour édifier l’Église des gentils ? Examinez aussi ce saint homme, je veux dire Barnabé, comme il s’oublie lui-même et court à Tarse : « Lorsqu’il fut arrivé (à Antioche), voyant la grâce de Dieu, il s’en réjouit ; et il les exhortait tous à persévérer dans le Seigneur dans le dessein de leur cœur, parce qu’il était un homme juste, rempli de l’Esprit-Saint et de foi. Et une foule nombreuse fut acquise au Seigneur. Barnabé partit pour Tarse, afin d’y aller chercher Paul, et l’ayant trouvé, il le conduisit à Antioche (23, 25) ». Barnabé, homme simple et bon, était l’ami de Paul. C’est à cause de cela qu’il alla chercher l’athlète, le général, le lutteur, le lion : Je ne sais ce que je dois dire, car quoi que je dise, mes paroles seront toujours au-dessous de la grandeur de Paul. Barnabé alla donc vers le chien de chasse, capable de tuer les lions, vers le taureau vigoureux, vers la lampe éclatante, vers la bouche assez puissante pour enseigner l’univers. C’est réellement à cause du long séjour de Paul à Antioche, que les fidèles furent appelés chrétiens. « Et il advint qu’ils restèrent une année tout entière avec l’Église ; ils instruisirent une foule nombreuse, et c’est à Antioche pour la première fois que les disciples furent appelés chrétiens (26) ».
C’est une grande gloire pour cette ville ; car, cela la place bien haut entre toutes les autres, d’avoir possédé la première pendant un si long temps, cette voix éloquente. C’est de là que tout d’abord les disciples furent honorés de ce nom : Ne voyez-vous pas à quel haut rang Paul éleva cette ville, et quelle célébrité il lui donna ? C’est l’œuvre de Paul. Là, où trois mille et cinq mille avaient cru, ainsi qu’une si grande multitude, rien de semblable n’arriva, et les disciples, disait-on seulement, marchaient dans la voie du Christ : à Antioche on les nomma chrétiens. « Il vint dans ces jours de Jérusalem des prophètes à Antioche (27) ». Comme c’était là que devait être planté l’arbre fruitier de l’aumône, la providence pourvoit utilement à y envoyer des prophètes. Observez avec moi que nul des plus illustres apôtres ne fut le docteur des chrétiens d’Antioche ; ils eurent pour docteur des Cypriens, des Cyrénéens, et Paul (celui-ci supérieur aux autres), de même que Paul avait eu pour maître Barnabé et Ananie ; mais cela ne le rabaisse en rien, car il eut aussi pour maître le Christ. « L’un d’entre eux, nommé Agabus, se leva, et prédit qu’une grande famine affligerait la terre entière. C’est cette famine qui advint sous Claudius César (28) ». Cet homme prédisait par avance qu’une grande famine arriverait nécessairement, et elle est arrivée suivant qu’il l’avait annoncé. Pour que certaines personnes ne, pensent pas que la famine arriva parce que le christianisme faisait son entrée dans le monde, et que les démons s’étaient enfuis, le Saint-Esprit prédit les événements à venir, comme le Christ a prophétisé une foule de choses qui sont arrivées depuis.
La famine ne vint pas cependant parce que dans le principe elle devait arriver, mais bien à cause des maux dont on avait accablé les apôtres. Ces maux, Dieu les supportait quelque temps avec patience, mais comme ils persévéraient, la famine vint pour annoncer aux Juifs leur malheur à venir. Mais, si la famine était venue à cause des Juifs, il fallait, à cause des autres nations, qu’elle cessât. Quelle injure avaient faite les Grecs aux apôtres, pour être frappés, innocents qu’ils étaient, des mêmes malheurs ? Si ce n’était pas à cause d’eux que ce fléau frappait le monde, les Juifs eussent dû voir grandir leur gloire, puisque c’était pour leur loi qu’ils agissaient, qu’ils mettaient à mort les apôtres, les persécutaient, les opprimaient et les poursuivaient de tous côtés. Considérez à quelle époque la famine arrive c’est lorsque les gentils étaient reçus à la foi.
2. Mais si c’est à cause des maux endurés par les disciples, que vint la famine, il fallait, dit-on, tes en préserver eux-mêmes. Pourquoi, dites-le-moi ? Le Christ n’avait-il pas prédit aux apôtres : « Vous aurez des tribulations « dans le monde ? » Mais vous qui dites ces choses, peut-être ajouterez-vous aussitôt qu’il n’eût pas fallu permettre qu’ils fussent flagellés. Considérez donc que pour eux la famine fut une cause de salut, l’occasion de l’aumône, la source de beaucoup de biens, comme elle l’eût été pour vous, si vous l’aviez voulu ; mais vous ne l’avez pas voulu. La famine est prédite afin de prédisposer les chrétiens à l’aumône, puisque ceux qui sont à Jérusalem souffrent de grands maux. Auparavant, ils ne supportaient pas la famine. On envoie Paul et Barnabé pour servir « chacun des disciples suivant ses moyens… (29)» Ne voyez vous pas qu’aussitôt qu’ils ont reçu la foi, aussitôt elle porte des fruits, non seulement pour ceux qui sont avec eux, ruais encore pour ceux qui sont éloignés ? Il me semble que cela veut dire ici ce que Paul répète ailleurs, à savoir : « Ils nous ont donné la main en signe de commune pensée à Barnabé et à moi… nous recommandant seulement de nous souvenir des pauvres ». (Gal. 29) Telle fut la grande utilité de la famine. Regardez, dans leur tribulation, ils ne fondent point comme nous en larmes et en gémissements ; mais ils se livrent à un travail immense et plein de zèle, car ils annoncent la parole avec une plus grande liberté. Ils ne disaient pas : Nous, gens de Cyrène et de Chypre, oserons-nous entreprendre la conquête de cette grande et brillante cité mais, confiants dans la grâce de Dieu, ils entreprirent d’enseigner la doctrine, et les autres ne dédaignèrent pas de se faire instruire par eux. Voyez toutes les choses accomplies par ces petits, la prédication étendue, ceux qui sont à Jérusalem prenant soin de tout le reste ensemble, et dirigeant la terre entière comme une seule maison. Ils apprennent que Samarie a reçu la parole de Dieu, et ils y envoient Pierre et Jean ; ils apprennent ce qui se passe à Antioche, ils y envoient Barnabé. La route était longue, il ne fallait pas que les apôtres s’absentassent longtemps, de peur qu’on ne s’imaginât qu’ils avaient pris la fuite et quitté leurs disciples. Ils s’éloignent par nécessité, lorsqu’ils voient l’état désespéré de la nation juive, lorsque d’ailleurs la guerre est imminente, et que ce peuple doit être anéanti, et que la sentence est portée. Ils restèrent à Jérusalem jusqu’à l’époque où Paul partit pour Rome lis partent donc, non par crainte de la guerre, puisqu’ils allaient chez le peuple qui devait la faire ? La guerre commence après la mort des apôtres, et la parole dite contre les Juifs reçoit son accomplissement. « La colère de Dieu contre eux touche à sa fin ». (1Thes. 2,16) La grâce brilla d’un éclat d’autant plus vif, que les apôtres étaient plus obscurs, elle fit de grandes choses par de faibles instruments.
Mais reprenons ce qui a été dit : « Il les encourageait tous à persévérer dans le Seigneur », dit le texte, « parce qu’il était un homme bon ». Il me semble que le mot bon signifie un homme simple, sans détours, embrasé d’ardeur pour le salut du prochain. C’était non seulement un homme bon, mais encore rempli de l’Esprit-Saint et de foi. C’est pour cela qu’il les exhortait tous, selon la disposition de son cœur, avec des éloges et des encouragements. Remarquez que, comme une terre féconde, cette ville reçut la parole, et produisit de grands fruits. Pourquoi donc Barnabé fit-il sortir Paul de Tarse pour l’amener à Antioche ? Ce n’est pas sans raison, mais parce qu’il y avait là grande espérance la ville est vaste, et la population nombreuse. Voyez comme c’est la grâce qui fait tout, et – non point Paul ; considérez aussi comment cette couvre a été commencée par d’obscurs ouvriers : dès qu’elle commence à briller, les apôtres y envoient Barnabé. Mais pourquoi ne l’y envoyèrent-ils pas plus tôt ? Ils agissaient avec une grande circonspection, en ce qui les concernait, et ils ne voulaient pas se faire reprocher par les Juifs d’admettre les gentils. Cependant comme l’admission des gentils dans l’Église était nécessaire, et qu’il devait y avoir une discussion à ce sujet, le fait de la conversion de Corneille la précède. C’est alors que se prononce cette parole : « Pour que nous, nous allions chez les gentils, et eux chez les circoncis ». Mais voyez combien heureusement la famine établit des relations entre les convertis de la gentilité et les fidèles de Jérusalem. Ceux-ci reçoivent donc ce que leur envoient leurs frères. Les chrétiens de ce temps-là, plus courageux que nous, avaient autre chose que des larmes à opposer au malheur. Quoi qu’il en soit, les chrétiens vivaient désormais avec plus de liberté, loin de ceux qui les pouvaient gêner, au milieu d’hommes qui n’avaient rien à craindre des Juifs. Ce qui ne contribuait pas peu au progrès de l’œuvre. Ils émigrèrent même à Chypre, où la sécurité et la liberté étaient plus grandes. « Ils n’enseignaient la parole à personne, si ce n’est aux Juifs ». Ce n’était pas par la crainte des hommes qu’ils ne comptaient pour rien ; mais par respect pour la loi, dont ils supportaient encore le fardeau. « Il y avait à Antioche des hommes de Chypre et de Cyrène », ceux-ci surtout ne s’occupaient guère des Juifs. Ces hommes conversaient avec les Grecs, « et leur annonçaient le Seigneur Jésus ». Peut-être est-ce parce qu’ils ne savaient pas parler hébreu, qu’on les appelait grecs. « Lorsque Barnabé fut arrivé et qu’il eût vu l’œuvre de la grâce de Dieu » (non l’œuvre des hommes), « il les exhortait à persévérer dans le Seigneur ». Peut-être, ces louanges et ces félicitations données par lui à la foule, en convertirent plusieurs. Mais d’où vient qu’on n’écrit pas à Paul, et qu’on envoie Barnabé à Antioche ? Les apôtres ne connaissaient pas encore la vertu de cet homme, et c’est pour cela qu’il fut décidé d’envoyer Barnabé. Comme la multitude était grande, et aussi parce que personne n’y mettait d’obstacle, la foi germa facilement ; et surtout parce qu’il n’y avait aucune épreuve à subir, parce que Paul prêchait, et qu’il n’y avait aucune nécessité de fuir ; c’est avec raison que des prophètes, et non les apôtres eux-mêmes, prédisent la famine ; ce ministère les eût rendus odieux. On peut à bon droit s’étonner que les habitants d’Antioche ne se soient point offensés d’être initiés à l’Évangile par ces docteurs de second ordre, et qu’au lieu de se tenir pour méprisés, ils aient été satisfaits, tant ils avaient d’ardeur pour la parole de Dieu. Les apôtres n’attendirent pas le temps de la famine, et envoyèrent Barnabé avant qu’elle fût venue. « Chacun donnait suivant ses moyens ».
3. Remarquez que, dans le conseil des apôtres, on confie cette œuvre à d’autres personnes : Paul et Barnabé sont envoyés à Antioche. C’est par une grande prévoyance qu’on agit ainsi. D’ailleurs l’œuvre était commencée, il n’y avait plus lieu de s’en scandaliser. Aujourd’hui personne ne fait de même, quoique la famine soit plus grande que celle d’alors. Un fléau qui fait souffrir tout le monde, sans exception, est chose plus grave sans comparaison qu’une famine, dont les plus pauvres souffrent seuls, tandis que les autres sont dans l’abondance. Alors il n’y avait qu’une espèce de famine, et les pauvres eux-mêmes donnaient. « Chacun donnait suivant ses moyens ». Aujourd’hui il y a double famine, comme double abondance : une dure famine, non pas celle qui fait désirer d’entendre la parole de Dieu mais celle qui doit être soulagée par l’aumône. Alors les pauvres de Jérusalem, et les habitants d’Antioche qui leur envoyèrent de l’argent, profitèrent les uns et les autres de la famine, ceux-ci toutefois plus que ceux-là ; maintenant, les pauvres et nous, nous souffrons de la famine : les pauvres, parce qu’ils sont dépourvus de la nourriture nécessaire ; nous, parce que nous sommes privés de la miséricorde de Dieu. Rien n’est plus nécessaire que cette dernière nourriture. On n’a pas à subir les maux qui naissent de l’abondance. Le trop plein de cette nourriture n’est point à rejeter aux lieux secrets ; rien de plus admirable, rien de plus sain qu’une âne qui en est rassasiée. Elle habite une région où n’arrive ni maladie, ni famine, ni infirmité d’aucune sorte : rien ne peut la vaincre. Mais de même que le fer, non plus qu’aucune autre substance, ne saurait entamer un corps de diamant ; de même rien ne pourra triompher d’une âme corroborée par l’aumône. Qui donc, dites-le-moi, pourrait la dompter ? La pauvreté ? Non, car elle est appuyée sur les trésors des rois. Le voleur et le bandit ? Mais personne ne peut transpercer ses murailles. Les vers ? Mais son trésor est dans un lieu inaccessible à ce fléau. La jalousie et l’envie ? Mais elle ne saurait en être atteinte. Les calomnies et les embûches ? Cela non plus. Ce trésor est inviolable. Mais j’aurais honte de montrer seulement les inconvénients dont est affranchie l’aumône, si je ne parlais aussi des avantages qu’elle possède, non seulement, elle est à l’abri de l’envie, mais elle est comblée de bénédictions même par ceux qui ne reçoivent pas ses bienfaits. De même que les hommes cruels et sans pitié n’ont pas seulement pour ennemis les victimes de leurs injustices, mais aussi ceux qui n’ayant rien souffert d’eux ont compassion de leurs victimes et les accusent ; ainsi ceux dont la vie est un tissu de bonnes œuvres, n’obtiennent pas seulement les louanges de ceux à qui ils ont fait du bien, mais encore celles des autres hommes. Que dis-je, que l’envie ne peut rien contre elle, et qu’elle est à l’abri des trames des méchants, des voleurs et des bandits ? Ce n’est pas là son seul bonheur ; non seulement elle ne subit pas d’amoindrissement, mais elle s’accroît et se multiplie. Qu’y a-t-il de plus ignoble que Nabuchodonosor ? Quoi de plus honteux ? Qui fut plus injuste que lui ? C’était un homme impie ; il vit mille présages, mille signes précurseurs, et il ne voulut pas se repentir ; au contraire, il précipita les serviteurs de Dieu dans la fournaise ardente, bien qu’après cela il ait adoré le Seigneur. Que lui dit donc le prophète : « O roi, que mon conseil trouve grâce devant vous ; rachetez vos péchés par l’aumône, et vos iniquités par la pitié pour les pauvres, peut-être le pardon viendra pour vos fautes ». (Daniel, 4,24) Il lui parla ainsi, sans hésiter (car il était persuadé) ; il voulut le porter à une crainte plus grande, et lui montrer D’extrême nécessité d’agir ainsi. S’il eût parlé par affirmation, le roi eût été plus négligent. C’est ainsi que nous vous pressons aussi quelquefois, lorsque nous disons : Exhortez tel et tel, et nous n’ajoutons pas qu’il vous écoutera certainement, mais que peut-être il vous écoutera. Car le doute cause une plus grande appréhension, et excite davantage. Cependant ces paroles ne furent pas claires pour le roi. Que dites-vous ? Y aurait-il un pardon pour de si grands crimes ? Certainement.
Il n’y a pas de péché que l’aumône ne puisse purifier et qu’elle ne puisse détruire. Tout péché est au-dessous d’elle, et elle est le remède souverain contre toute blessure. Quoi de plus bas que le publicain ? Son état est l’occasion de toute injustice. Mais Zachée se justifia entièrement par l’aumône. Voyez comme le Christ le démontre, puisqu’il veillait à ce que l’on eût une bourse parmi les siens pour porter ce que l’on donnait. Et Paul dit : « Nous recommandant seulement de nous « souvenir des pauvres ». Il existe partout, dans les Écritures, de nombreux textes sur ce sujet : « Les richesses particulières », dit l’Esprit-Saint, « sont le prix de l’âme de l’homme ». Et le Christ ajoute : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez, donnez aux pauvres, puis venez et suivez-moi ». Telle est la véritable perfection. Mais l’aumône ne s’exerce pas seulement par l’argent, elle se fait aussi par les œuvres. Voici un exemple : Le cas se présente de protéger quelqu’un, de lui tendre la main ; souvent la protection par les actions fait plus que de grands dons d’argent.
4. Permettez-nous d’exposer à présent les divers genres d’aumônes. Vous pouvez faire l’aumône par vos richesses ? Ne soyez pas négligent. Vous pouvez faire l’aumône en patronnant quelqu’un ? Ne dites pas : Puisque je n’ai pas de fortune, ceci n’est rien ; car c’est beaucoup ; ayez conscience de votre action comme si vous aviez donné de l’or. Vous pouvez faire l’aumône par un service quelconque ? Faites encore cela. Par exemple, vous êtes médecin ? Soignez les malades, c’est là une noble chose. Vous pouvez donner un bon conseil ? C’est là une œuvre plus grande que toutes les autres. Elle est meilleure, porte plus de fruits et procure un plus grand gain ; car par là vous ne chassez pas la famine, mais une mort funeste. C’était l’espèce de richesse dont les apôtres étaient comblés. Aussi confièrent-ils à des inférieurs la distribution des aumônes, tandis qu’eux s’occupaient de l’enseignement. Croyez-vous que ce serait une faible aumône – de pouvoir délivrer de son mal une âme inquiète, livrée aux derniers périls et en proie aux ardeurs qui la dévorent. Par exemple, vous voyez un ami en proie à l’amour de l’argent ?
Ayez pitié de cet homme. Sa passion le suffoque ? Éteignez ce feu. Mais quoi, il n’est pas persuadé ? Faites tout ce que vous pouvez, et ne négligez rien. Vous le voyez enlacé par mille liens ? (Car les richesses sont de véritables chaînes) Allez vers lui, visitez-le, exhortez-le, efforcez-vous de briser ses chaînes. S’il ne le veut pas, la faute en sera toute à lui. Voyez-vous un homme nu et sans asile ? (Car au regard du ciel celui-là est nu et sans asile qui ne s’occupe pas de marcher dans la voie droite) Conduisez-le dans votre demeure, revêtez-le du vêtement de la vérité, donnez-lui droit de cité au ciel. Que ferais-je donc, si moi aussi je suis nu, dit-on ? Revêtez-vous tout d’abord vous-même ; si vous voyez que vous êtes nu, vous voyez clairement que vous avez besoin de vous vêtir. Si vous savez la raison de cette nudité, vous saurez facilement comment la couvrir. Combien de femmes portent des vêtements de soie, qui sont tout à fait dépouillées des vêtements de la vertu ? Que leurs époux les en revêtent. Mais ces vêtements ne leur conviennent pas, elles veulent les autres ? Faites d’abord ainsi que j’ai dit. Poussez-les au désir de ces vêtements, montrez-leur qu’elles sont nues, dissertez avec elles sur le jugement à venir ! Dites : Nous aurons besoin là-bas de ces vêtements et non des autres.
Si vous voulez me le permettre, je vous montrerai cette nudité. L’homme nu, en hiver, devient raide et tremblant, il se tient debout tout contracté, il serre ses bras contre son corps ; en été, il n’en est plus ainsi. Si donc je montre que les hommes et les femmes riches sont d’autant plus nus de cette façon, qu’ils sont plus revêtus, ne vous en irritez pas. Que sera-ce donc, dites-moi, lorsque nous parlerons de la géhenne et de ses tourments : est-ce que ceux-ci ne deviendront pas et plus raides et plus tremblants que ces hommes nus ? Est-ce qu’ils ne gémiront pas cruellement et ne se condamneront pas eux-mêmes ? Mais quoi, lorsqu’ils vont au-devant de quelqu’un et lui disent : Priez pour moi, ne disent-ils pas la même chose que ceux-là ? Mais, malgré tout ce que nous avons dit, cette nudité n’est pas évidente encore, là-bas elle le sera. Comment et de quelle manière ? Lorsque tous apparaîtront, dépouillés de leurs vêtements de soie et de leurs pierres précieuses, et, revêtus des seuls vêtements de leur vertu et de leur malice ; lorsque les pauvres seront environnés d’une gloire immense ; alors les riches nus et couverts de honte seront livrés aux supplices. Quoi de plus beau que ce riche revêtu de pourpre ? Quoi de plus misérable que Lazare ? Lequel suppliait à la façon des mendiants ? Lequel était dans l’abondance ? Dites-moi, si quelqu’un couvre sa demeure de tapisseries, et reste nu à l’intérieur, quel bien en tirera-t-il ? Il en est ainsi pour les femmes. Elles couvrent de nombreux ornements la demeure de leur âme, je veux dire leurs corps, et au dedans la maîtresse de la demeure reste nue. Prêtez-moi les yeux de l’âme, et je vous montrerai la nudité de l’âme. Quel est donc le vêtement de l’âme ? La vertu, c’est évident. Quelle est sa nudité ? Le vice. De même que si on dépouille un homme libre, celui-ci rougit, se resserre et s’enfuit ; ainsi de l’âme, si nous voulons la contempler, privée de ce vêtement de la vertu, elle rougit. Combien, pensez-vous, rougissent maintenant, et descendent dans le fond de leur cœur, comme pour aller chercher quelque vêtement, afin de ne pas entendre ces paroles ? Celles à qui la conscience ne reproche aucun vice, sont heureuses, se réjouissent, sont dans les délices et sont glorieuses de ces paroles. Écoutez quelques mots sur la bienheureuse Thècle. Pour voir Paul, elle donna ses joyaux. Tous pour voir le Christ, vous n’avez pas donné une obole ; vous admirez ce que Thécle a fait, et vous ne l’imitez pas. N’entendez-vous pas comment le Verbe béatifie les miséricordieux : « Bienheureux les miséricordieux », dit-il, « car il leur sera fait miséricorde ». Quel gain retirerez-vous des vêtements précieux ? Jusques à quand serons-nous dans l’admiration de ces vêtements ? Revêtons-nous de la gloire du Christ, enveloppons-nous de sa beauté, pour mériter la louange ici-bas, et posséder là-haut les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVI. modifier


EN CE TEMPS-LA LE ROI HÉRODE ENTREPRIT DE TOURMENTER QUELQUES-UNS DES MEMBRES DE L’ÉGLISE. – IL FIT PÉRIR PAR LE GLAIVE JACQUES, FRÈRE DE JEAN. – VOYANT QUE CELA PLAISAIT AUX JUIFS, IL RÉSOLUT DE S’EMPARER DE PIERRE. C’ÉTAIT ALORS LE JOUR DES AZYMES. (CHAP. 12,1, 2, 3, JUSQU’AU VERS. 17)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Pierre est mis en prison par Hérode et délivré par un ange.
  • 3 et 4. Que l’affliction est un grand bien. – Bonheur de ceux qui veillent. – Le spectacle de la nuit élève l’âme vers le Créateur. – La nuit est le meilleur temps pour la prière et pour la pénitence.


1. Quel temps désigne « ce temps-là ? » Celui qui suivit immédiatement. Dans le texte, il en est ainsi ; ailleurs, cette parole s’interprète d’une autre manière. Ainsi lorsque Matthieu dit : « En ces jours Jean vint prêchant », il ne désigne pas les jours suivants, mais ceux auxquels se passaient les choses qu’il raconte. L’Écriture se sert de cette forme, lorsqu’elle raconte les faits qui ont suivi, et aussi lorsqu’elle relate des faits arrivés après un certain laps de temps, s’exprimant comme si elle rapportait la suite immédiate. Elle dit bien : « Le roi Hérode » ; mais cet Hérode n’est pas celui du temps du Christ. Voici une autre preuve. Voyez, ce que je disais au commencement, comme les choses s’enchaînent, comme elles sont mélangées de tranquillité et de persécution ; ce ne sont plus les Juifs, ni le conseil, c’est le roi qui met la main à l’œuvre du mal. Le pouvoir est plus grand, la guerre est d’autant plus terrible, qu’elle est entreprise en vue de plaire aux Juifs. « Il fit périr par le glaive Jacques frère de Jean », sans raison et comme par hasard. Si quelqu’un demande pourquoi Dieu l’a permis ? Nous répondrons que c’est pour leur bien propre que Dieu permet la mort des martyrs : d’abord, pour démontrer que, même lorsqu’on les met à mort, ils triomphent, comme il en arriva pour Étienne. En second lieu, pour donner aux Juifs, lorsqu’ils auront satisfait leur fureur, l’occasion de se repentir de leur folie ; enfin, en troisième lieu, pour montrer que rien n’arrive que par sa permission. « Voyant que cela plaisait aux Juifs, il résolut de s’emparer aussi de Pierre ». O immense perversité ! En quoi leur était-il agréable en commettant un meurtre gratuit et téméraire ? « C’était le jour des azymes ». Nouvel et frappant exemple de scrupule judaïque. Pour eux, tuer un innocent n’est rien, l’important, c’est de ne pas le tuer le jour des azymes. « Et lorsqu’il se fut et emparé de lui, et l’eut mis en prison, il le confia à la garde de quatre sections de quatre soldats (4) ». C’était le fait de la colère et de la crainte. « Il fit périr par le glaive Jacques frère de Jean », dit le texte. Voyez-vous le courage des apôtres ? De peur qu’on ne puisse dire que les apôtres affrontent la mort sans danger et sans crainte, parce que Dieu les délivre. Le Seigneur permet qu’on les mette à mort, eux et surtout leurs chefs, pour montrer aux homicides que cela ne peut les faire reculer ni les arrêter. « Pierre était gardé dans la prison : mais l’Église adressait sans cesse pour lui ses prières à Dieu (5) ». C’était dans son chef et dans son principal organe que l’Église était attaquée. Cet emprisonnement de Pierre, survenant après la mort de Jacques remplissait les fidèles de terreur.
« Mais lorsque Hérode devait le produire devant le peuple, pendant cette nuit Pierre dormait entre deux soldats, lié par une double chaîne ; les gardes gardaient la porte de la prison. Et voilà que l’ange du Seigneur lui apparut, et la lumière brilla dans le cachot. Et touchant le côté de Pierre, il le réveilla, et lui dit : Levez-vous promptement, et les chaînes tombèrent de ses mains (6, 7) ». Voyez, cette nuit même, Dieu le délivra. « Et la lumière brilla dans le cachot », afin qu’il ne crût pas à un songe ; et personne ne vit la lumière excepté lui. Quoique ce fait fût certain, il était si imprévu que Pierre se croyait le jouet d’une illusion. Mais si le fait se fût passé autrement, l’apôtre eût douté bien davantage. Dieu l’avait laissé plusieurs jours en prison avant de le délivrer, pour qu’il s’apprît à regarder la mort en face. Pourquoi donc, dit-on, Dieu ne permit-il pas qu’il tombât entre les mains d’Hérode, et l’arracha-t-il alors à sa puissance ? Parce que la mort de Pierre eût plongé l’Église dans la stupeur, au lieu que la mort de Jacques eut un bon résultat. On n’eût pas cru que les apôtres fussent des hommes, si tout s’était passé d’une façon divine. Que n’a pas fait Dieu pour Étienne ? Ne fit-il pas ressembler son visage à celui d’un ange ? Et qu’a-t-il négligé dans le cas présent ? « L’ange lui dit : Ceignez vos reins, et mettez vos sandales à vos pieds ». Dieu montre ici qu’il ne s’agit pas d’une évasion opérée par ruse ; le prisonnier qui s’évade en perçant les murs est trop pressé pour prendre tant de précautions, comme de mettre ses sandales et se ceindre les reins. « Il fit ainsi. Et l’ange lui dit : Revêtez-vous de vos habits, et suivez-moi. Et étant sorti, il le suivait ; et il ne savait pas si ce que faisait l’ange était la vérité ; il croyait avoir eu un songe. Lorsqu’ils eurent passé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer qui conduit à la ville, et elle s’ouvrit d’elle-même devant eux (8-10) ». Voici un second prodige. Aussitôt que l’ange eut disparu, Pierre comprit. « Lorsqu’ils furent sortis, ils « allèrent jusqu’à la première rue, et aussitôt l’ange s’éloigna de lui. Et Pierre, revenu à lui-même, dit : Je sais maintenant que le Seigneur a véritablement envoyé son ange, et il m’arrache des mains d’Hérode et de l’attente du peuple juif (11) ». – « Je sais maintenant », dit-il, non alors. Pourquoi cet événement se passe-t-il ainsi ? Pourquoi Pierre n’a-t-il pas le sentiment de ce qui se passe, bien qu’il reçût une délivrance qui était aussi celle de toute l’Église ? Dieu veut qu’il soit délivré soudainement, et qu’après sa délivrance, il ait le sentiment de ce qui est arrivé. Une grande preuve qu’il ne s’enfuit pas, c’est que les chaînes lui sont tombées des mains. « Ayant considéré, il se rendit à la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc, où étaient réunis et priaient beaucoup de disciples. Pierre ayant frappé à la porte du vestibule, une servante, nommée Rhodé, vint pour écouter. Et ayant reconnu la voix de Pierre, à cause de sa joie elle n’ouvrit pas la porte (12-14) ». Remarquez que Pierre n’entre pas aussitôt, mais qu’auparavant la bonne nouvelle est annoncée aux siens. « Étant accourue, elle annonça que Pierre était à la porte. Ils lui dirent : Tu es folle. Mais elle soutenait qu’il en était ainsi ».
2. Remarquez que les servantes mêmes sont remplies de piété. De joie, elle n’ouvrit pas la porte ; ils refusaient de croire à cet événement. « Elle soutenait qu’il en était ainsi », disent les Actes. « Mais ils disaient : C’est son ange. Et Pierre continuait à frapper. Ayant ouvert, ils le virent, et furent hors d’eux-mêmes. Leur faisant signe de sa main de se taire, il leur raconta comment le Seigneur l’avait fait sortir de la prison. Et il dit : Annoncez-le à Jacques et aux frères. Et s’étant levé, il alla dans un autre endroit (16, 17) ». Reprenons de plus haut la suite de ce qui a été rapporté. « En ce temps-là », dit l’auteur, « le roi Hérode entreprit de tourmenter quelques-uns des membres de l’Église ». Comme une bête féroce, il envahit l’Église sans cause et par caprice. C’est là ce que disait le Christ : « Vous boirez le calice que je vais boire, et vous serez baptisé du baptême dont j’ai été baptisé ». (Mc. 10,39) « Il fit donc périr parle glaive Jacques frère de Jean », dit le texte. Mais comment, dit-on, ne fit-il pas périr Pierre aussitôt ? L’écrivain en donne la raison : « C’étaient les jours des azymes », dit-il, et il voulait que cette mort fût entourée du plus grand éclat possible. Les Juifs, sur l’avis de Gamaliel, s’abstenaient de tuer les disciples ; d’ailleurs ils n’avaient pas de motifs, mais ils les faisaient tuer par d’autres mains. Comme il y avait un autre Jacques le frère du Seigneur, on désigne celui-ci en disant : « Frère de Jean ». Remarquez-vous que les trois apôtres étaient les chefs suprêmes de l’Église, surtout Pierre et Jacques ? C’était là surtout la condamnation des Juifs. Il devenait évident que ce n’était pas une parole humaine qui était prêchée, et l’on voyait véritablement l’accomplissement de cet oracle : « Nous avons été considérés comme des brebis l’immolation. Voyant donc que cela plaisait aux Juifs, il résolut de s’emparer aussi de Pierre ». Le meurtre, et le meurtre injuste, plaisait. La folie d’Hérode est grande ; il était aux ordres des absurdes passions des Juifs ; quand il eut fallu faire tout le contraire, et arrêter leur fureur, il l’excitait comme s’il eût été le bourreau des malades et non leur médecin ; et cependant il avait mille exemples, et de son aïeul et de son père Hérode : il savait de combien de maux avait souffert le premier à cause du massacre des enfants ; et que le second, par l’assassinat de Jean avait soulevé une guerre terrible. « S’étant emparé de lui, il le mit en prison ». Il craignait que Pierre, à cause de la mort de Jacques ne s’éloignât, et voulant s’assurer de lui, il le jeta en prison. Plus la garde est rigoureuse, plus le spectacle offert est prodigieux. Tout cela fut bon pour Pierre, il sortit de là plus éprouvé, et montra sa force propre.
« La prière », disent les Actes, « se faisait sans interruption en faveur de Pierre ». La prière est une marque de tendresse. Tous redemandaient leur père, leur père bien-aimé. « Elle était sans interruption la prière faite pour lui ». Apprenez quels étaient les sentiments des fidèles pour leurs maîtres. Ils ne recourent pas à l’émeute et aux troubles, mais à la prière qui est le secours invincible. Ils ne disaient pas : Hommes de néant que nous sommes, comment prierions-nous pour lui. Ils priaient par amour, et ils ne pensaient rien de semblable. Voulez-vous apprendre ce que firent les persécuteurs même sans le vouloir ? Ils rendirent les uns plus fermes contre les épreuves, et les autres plus zélés. Si l’on veut les mettre à mort, on choisit un jour de fête comme pour mieux faire éclater leur gloire. « Mais lorsque Hérode devait le produire devant le peuple », disent les Actes, « Pierre cette nuit même dormait ». Voyez Pierre, il dort, il n’est en proie ni à l’inquiétude, ni à la crainte. Cette nuit, dans laquelle il doit être produit devant le peuple, il dormait, il avait tout remis entre les mains clé Dieu. Ce n’est pas tout. « Il était couché entre deux soldats, lié par deux chaînes ». Voyez combien la garde est rigoureuse ? « Et voilà que l’ange du Seigneur lui apparut, et lui dit : Levez-vous promptement ». Les gardiens dormaient tous, et ils ne s’aperçurent pas de ce qui se passait. La lumière brilla afin que Pierre pût voir, et entendre, et qu’il ne s’imaginât point que ce fût un songe. Et pour qu’il ne tarde pas, on lui touche le côté. On ne lui dit pas seulement : « Levez-vous », mais on ajoute : « promptement », tant il dormait profondément. « Il lui semblait qu’il avait une vision », disent les Actes. « Il passa donc la première et la seconde garde ». Où sont maintenant les hérétiques ? Qu’ils nous disent comment il passa : mais ils ne le pourraient pas. Et cependant, c’est pour lui persuader que ce n’est pas un songe que l’ange lui ordonne de se ceindre et de se chausser ; c’est aussi pour secouer son sommeil, et lui montrer que la chose est vraie. C’est pour cela aussi que soudain ses chaînes lui tombent des mains, et il entend qu’on lui dit : « Levez-vous promptement ». Cette parole n’était pas dite pour le troubler, mais pour lui persuader de ne pas tarder. « Et il ne savait pas », dit le livre, « si ce que faisait l’ange était vrai ; il lui semblait qu’il avait une vision ». Et c’était avec raison, tant le prodige était grand !
3. Ne voyez-vous pas combien est grand ce miracle ? combien il frappe celui qui le voit ? combien il semble incroyable ? Si Pierre continuait à croire que c’était un songe, même après qu’il se fût ceint et chaussé, que n’eût pas fait un autre que lui ? « Ayant donc traversé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer. Et lorsqu’ils furent sortis, ils allèrent jusqu’à la première rue, et aussitôt l’ange s’éloigna de lui ». Ce qui s’est passé dans l’intérieur de la prison est plus merveilleux, ce qui suit est plus naturel. Lorsqu’il n’y eut plus d’obstacle, l’ange s’en alla. Pierre n’aurait pu passer au milieu de tant de difficultés ; car, véritablement, il était dans la stupeur. « Maintenant je sais », dit-il, « que le Seigneur a vraiment envoyé son ange, et il m’a arraché des mains d’Hérode, et à l’attente du peuple juif ».
« Maintenant » (non pas alors que j’étais dans la prison). « Ayant considéré, il alla à la maison de Marie, mère de Jean ». Que veut dire « ayant considéré ? » Ayant réfléchi à l’endroit où il était. Voilà ce qu’il a considéré : ou bien qu’il ne devait pas aller n’importe où, mais rendre grâces à son bienfaiteur. Ayant donc considéré, il alla à la maison de Marie. Quel est ce Jean ? Peut-être celui qui était toujours avec les apôtres, et c’est pour cela que l’auteur a donné aussi son surnom.
Considérez combien l’affliction est utile ; combien les fidèles ont gagné en priant la nuit ; et combien aussi la prière les a rendus vigilants. N’avez-vous pas vu le bien qu’a procuré la mort d’Étienne ? N’avez-vous pas vu de quelle utilité a été cet emprisonnement de Pierre ? Dieu, en ne punissant pas ceux qui persécutent les apôtres, montre la grandeur de l’Évangile ; et même en permettant que les méchants vivent exempts des maux qu’ils font souffrir aux bons, il montre que les tribulations en soi sont quelque chose d’excellent, et que nous ne devons chercher ni à les fuir ni à en tirer vengeance. Remarquez aussi dans quelle considération étaient les servantes chez les premiers chrétiens. « A cause de sa joie, elle n’ouvrit pas », dit l’auteur. Cet incident fut heureusement ménagé, de peur que les disciples ; voyant soudainement l’apôtre, ne demeurassent stupéfaits et incrédules ; et aussi pour que leur intelligence fût préparée. Et ce que nous avons accoutumé de faire, la servante le fit aussi ; car elle s’empressait d’aller porter la bonne nouvelle ; en effet, c’était une bonne nouvelle. « Ils lui dirent : Tu es folle. Mais elle soutenait qu’il en était ainsi. Ils lui dirent : C’est son ange ». Il est donc prouvé par là que chacun de nous a un ange. Mais d’où leur vient cette pensée que c’était un ange ? Ils supposaient cela à cause de la circonstance. « Mais comme il continuait à frapper, ils ouvrirent, le virent, et furent stupéfaits. Pierre ayant fait signe de la main », imposa silence pour se faire entendre. Les disciples désiraient, plus que toute autre chose, non seulement que Pierre fût sauvé, mais encore qu’il fût présent au milieu d’eux. Les fidèles apprirent de la bouche de Pierre tout ce qui s’était passé ; leurs persécuteurs l’apprirent aussi, s’ils avaient voulu croire, mais ils ne voulurent pas. La même chose arriva aussi pour le Christ.
« Annoncez ces choses à Jacques et aux frères ». Remarquez qu’il ne recherche pas la vaine gloire, car il ne dit pas. Annoncez ces choses partout à tout le monde ; mais « aux frères ». « Et il s’en alla dans un autre lieu ».
Il ne tentait pas Dieu, et ne se précipitait pas lui-même dans la persécution. Les apôtres ne firent ainsi que lorsqu’ils en eurent reçu l’ordre, par exemple lorsque l’ange leur eût dit : « Entrez dans le temple et parlez au peuple ». (Act. 5,20) Les apôtres entendirent ces paroles, et aussitôt ils obéirent. Mais ici l’ange ne dit rien de semblable à Pierre, il lui donna seulement la permission de s’éloigner après l’avoir fait sortir en silence et enlevé pendant la nuit. Et les choses se passent ainsi 'pour nous apprendre qu’en maintes occasions les apôtres, pour éviter de tomber en péril, se sont conduits suivant les lumières de la prudence humaine. Afin que les disciples, après son départ, ne disent pas que c’était son ange, ils le disent tout d’abord, et ils le voient ensuite lui-même, et il leur enlève cette opinion. Si c’eût été un ange, il n’eût pas frappé à la porte, il ne se fût pas retiré dans un autre lieu. Le fait paraît même plus croyable que s’il se fût passé en plein jour. Eux qui étaient libres demeuraient en prière, lui qui, était dans les chaînes dormait ; s’il eût pensé que ce qui se faisait fût la vérité, il en eût été effrayé et n’en aurait pas gardé le souvenir ; mais, croyant à un songe, il ne se troubla pas. « Ils arrivèrent près de la porte de fer ». Vous voyez si elle était solide. «, Ayant traversé la première et la seconde garde, ils arrivèrent à la porte de fer ». Et pourquoi, direz-vous, les apôtres ne font-ils pas ces prodiges par eux-mêmes ? Pourquoi ? Parce qu’en les délivrant par le moyen de ses anges, Dieu les honore. Quoi donc, Paul ne fût-il pas délivré sans l’intervention d’un ange ? Oui, mais il y avait une raison à cela ; il s’agissait alors de convertir le geôlier, et, dans le cas présent, il s’agissait seulement de délivrer l’apôtre ; d’ailleurs, Dieu accomplit ses œuvres de diverses manières. Là, Paul chantait des hymnes ; ici, Pierre dormait. Ne cachons donc pas lés merveilles de Dieu, mais efforçons-nous de les célébrer pour notre propre utilité, et aussi pour l’édification des autres. De même que celui qui préféra être dans les chaînes est admirable, plus admirable encore est celui qui ne s’éloigna pas avant d’avoir annoncé tout à ses frères. « Et il dit : Annoncez cela à Jacques et aux frères ». Pourquoi cette recommandation ? Afin qu’ils se réjouissent et ne soient pas dans l’inquiétude ; et aussi pour que les apôtres apprennent la nouvelle par les disciples, et non ceux-ci par les apôtres. Ainsi il s’occupait des plus humbles. Rien n’est donc préférable à une légère affliction. Dans quel état pensez-vous que fût alors leur âme ? De combien de joie ne fût-elle pas remplie ?
Où sont maintenant les femmes qui dorment toute la nuit ? Où sont les hommes qui ne se retournent pas même sur leur lit ? Voyez-vous une âme vigilante ? Rendus plus purs que le ciel par la persécution, les disciples chantaient des hymnes au Seigneur avec es femmes, les serviteurs et es servantes. Maintenant, lorsque nous voyons un petit danger, nous nous laissons abattre. Rien de plus splendide, que cette église. Soyons les imitateurs et les émules de ces chrétiens. La nuit n’a pas été faite pour que nous dormions et soyons oisifs pendant toute sa durée : témoin les artisans, les âniers, les marchands, et l’Église de Dieu qui se lève pendant la nuit. Levez-vous donc, vous aussi, et contemplez le chœur des astres, le silence profond, et le calme immense de la nuit ; admirez avec transport la sagesse du Maître de la nature. Alors l’âme est plus pure : elle est surtout plus légère, plus subtile. Les ténèbres elles-mêmes, le profond silence sont propres à produire la componction. Si vous contemplez le ciel comme semé d’yeux innombrables par les astres, vous goûterez une joie infinie en pensant d’abord au Créateur. Si vous pensez que ceux qui crient tout le jour, rient, dansent, sautent, commettent l’injustice, menacent, s’adonnent à l’avarice et à tous les vices ; si vous pensez, dis-je, que tous ces hommes ne diffèrent plus en ce moment des morts, vous prendrez en pitié cette vie mondaine à la fois si vaine et si fastueuse. Le sommeil vient, il triomphe de la nature ; il est l’image de la mort, il est l’image de la consommation de toutes choses. Vous regardez dans la rue, vous n’entendez aucune voix ; si vous arrêtez vos regards sur votre demeure, vous voyez tout le monde, comme étendu dans un sépulcre. Toutes ces choses sont propres à fortifier l’âme, et à la faire penser à la consommation universelle.
4. Voici ce que j’ai à dire aux hommes et aux femmes. Fléchissez les genoux, gémissez, priez le Seigneur de vous être propice. Il se laisse mieux fléchir par ces prières nocturnes, lorsque vous faites du temps du repos le temps des larmes. Rappelez-vous la parole d’un roi (130) : «  Je me suis fatigué dans les gémissements, je laverai chaque nuit mon lit, j’arroserai chaque nuit ma couche de mes larmes ». Quelque opulent que vous soyez, vous ne l’êtes pas plus que ce roi ; quelque riche que vous soyez, vous ne l’êtes pas plus que David. Et il dit de nouveau : « Au milieu de la nuit je me levais pour vous louer à cause des jugements de votre justice ». (Ps. 6,7 ; 118, 42) Alors la vaine gloire ne vous agite plus ; comment cela se pourrait-il, lorsque tous dorment et personne ne vous voit ? Alors, ni la nonchalance, ni la lâcheté ne s’emparent de vous ; comment le pourraient-elles, l’âme étant occupée à de telles choses ? Après de telles veilles, le sommeil est doux, et les révélations admirables. Faites cela aussi, ô vous homme, et non la femme seulement. Que votre maison soit une église composée d’hommes et de femmes. Quand il n’y aurait qu’un homme et qu’une femme, ce ne serait pas un empêchement. « Là où deux sont réunis en mon nom », dit le Christ, « je suis au milieu d’eux ». (Mt. 18,20) Là où le Christ est au milieu, là est une grande multitude. Là où est le Christ, là sont nécessairement aussi les anges, les archanges et toutes les puissances. Vous n’êtes donc pas seul, puisque le Seigneur de tous est avec vous. Entendez encore le prophète disant : « Un seul qui fait la volonté du Seigneur vaut mieux que mille prévaricateurs ». (Sir. 16,3) Rien de plus faible que de nombreux pécheurs ; rien de plus fort qu’un seul homme vivant suivant la loi de Dieu. Si vous avez des enfants, réveillez aussi vos enfants, et que la maison devienne tout à fait une église pendant la nuit. S’ils sont petits, et qu’ils ne puissent supporter la veille, qu’ils se reposent après la première ou la seconde prière. Seulement, levez-vous, et faites-vous en une habitude. Rien de meilleur que 1e trésor où se déposent ces prières. Écoutez les paroles du prophète : « Si je me souvenais de vous sur ma couche, le matin je méditais sur vous ». (Ps. 62,7) Mais vous direz : J’ai passé le jour à travailler, je me suis fatigué, et je ne puis me lever. Ce sont là des prétextes et des excuses. Si fatigué que vous soyez, vous ne l’êtes pas autant que le forgeron qui lève, et laisse retomber son pesant marteau sur un fer embrasé, le corps toujours exposé à la fumée. Et cependant, il passe dans ce travail la plus grande partie de la nuit. Les femmes elles-mêmes savent comment, quand on a quelquefois le désir d’aller à la campagne, ou à une fête nocturne, on y veille pendant la nuit entière. Ayez donc un atelier spirituel, non pour y fabriquer des marmites et des bassins, mais pour y édifier votre âme qui est bien meilleure qu’un forgeron ou un orfèvre. Cette âme vieillie par le péché, jetez-la dans le creuset de la confession, faites tomber le marteau sur elle d’une grande hauteur ; c’est-à-dire, les paroles de blâme ; allumez le feu de l’Esprit-Saint. Vous avez un art bien supérieur à exercer. En effet, vous ne façonnez pas de vases d’or ; mais, comme le forgeron fabrique un ustensile, vous formez votre âme qui est plus précieuse que l’or. Vous ne façonnez pas un vase matériel, mais vous débarrassez votre âme de toutes les chimères de ce monde. Ayez avec vous une lumière, non celle qui brûle, mais celle dont le prophète a dit : « Votre loi est une lumière pour mes pieds (Ps. 118, 105) ». Enflammez votre âme par la prière, et si vous voyez qu’elle est assez enflammée, enlevez-la du feu, et façonnez-la pour le mieux.
Croyez-moi, le feu ne saurait si bien enlever la rouille du fer, que la prière nocturne, la rouille de nos péchés. Imitons au moins les gardes de nuit. Ces hommes, en vertu de la loi humaine, font leurs tournées au milieu du froid, poussant de grands cris ; parcourant les rues, souvent mouillés et transis, pour vous, pour votre conservation, et la garde de vos richesses. Cet homme exerce une si grande vigilance sur votre fortune ; mais vous, vous n’avez nul souci de votre âme. Je ne vous astreins pas à courir dehors comme cet homme de garde, ni à pousser de grands cris, ni à vous épuiser de fatigue ; mais dans votre chambre à coucher, ou dans la partie retirée de votre demeure, fléchissez le genou devant le Seigneur, et suppliez-le. Pourquoi le Christ a-t-il veillé pendant la nuit ? N’est-ce pas pour nous donner l’exemple ? Les plantes respirent à cette heure, je veux dire la nuit ; l’âme alors reçoit plus qu’elles de rosée. Celles que le soleil a brûlées pendant le jour, se ravivent pendant la nuit. Mieux encore que la rosée, les larmes de la nuit sont versées sur la concupiscence, sur toute sorte d’ardeur et de feu, et elles empêcheront que l’âme ne souffre rien de grave. Si l’âme ne jouit de cette rosée, elle sera consumée pendant le jour. Qu’aucun de vous ne devienne la proie de ce feu ; mais, rafraîchis par la clémence divine, et recueillant les fruits de sa bonté, puissions-nous tous ainsi être délivrés du fardeau de nos fautes, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tons les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XXVII. modifier


LORSQUE LE JOUR FUT VENU, L’AGITATION N’ÉTAIT PAS PETITE PARMI LES SOLDATS. QU’ÉTAIT DONC DEVENU PIERRE ? HÉRODE L’AVANT DEMANDÉ, ET NE LE TROUVANT PAS, FIT FAIRE UNE ENQUÊTE CONTRE LES GARDES, ET ORDONNA DE LE FAIRE MOURIR ; ET S’ÉLOIGNANT DE LA JUDÉE, IL ALLA DEMEURER A CÉSARÉE. (CHAP. 12, VERS. 18 ET 19, JUSQU’AU VERS. 4 DU CHAP. XIII)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Mort et châtiment d’Hérode, le persécuteur de saint Pierre.
  • 2 et 3. Avantage du jeûne. – Rien n’est plus douteux qu’une femme qui n’est pas sobre. – Honteux effets de l’intempérance.


1. Bien des gens demandent comment Dieu autrefois put supporter qu’on immolât les enfants à cause de lui, et laisser mettre à mort les soldats à cause de Pierre, lorsque cependant il eût pu les sauver avec l’apôtre. Nais si l’ange eût emmené les soldats avec Pierre, on eût pris le fait pour une évasion ordinaire. Pourquoi n’a-t-il pas disposé les choses autrement, dit-on ? En effet, quel malheur immérité ! Si nous considérions que ceux qui souffrent injustement n’éprouvent aucun dommage, nous ne demanderions pas cela. Pourquoi ne dites-vous pas aussi, à propos de Jacques pourquoi ne le délivra-t-il pas ? D’ailleurs, le temps de la Justice n’était pas venu encore, pour que chacun reçût ce qu’il méritait. Mais Pierre ne les avait pas jetés entre les mains d’Hérode. Ce prince était surtout chagrin d’avoir été joué comme son aïeul l’avait été de se voir trompé par les Mages ; c’était surtout un amer dépit d’être devenu un objet de risée. Il est bon d’entendre les paroles de l’écrivain. « Lorsque le jour fut venu », dit-il, « l’agitation fut grande parmi les soldats, pour savoir ce qu’était devenu Pierre. Hérode l’ayant réclamé, et ne le trouvant pas, fit une enquête contre les gardes et ordonna de les mettre à mort ». Il apprit d’eux (car il fit une enquête) qu’il avait laissé ses chaînes et qu’il avait pris ses sandales, et que jusqu’a cette nuit il avait été avec eux. Mais que cachèrent-ils ? Pourquoi n’avaient-ils pas pris la fuite eux-mêmes ? Il dut être étonné, il dut être frappé de stupeur. Du reste leur mort fait éclater à la fois et le prodige divin et la malice d’Hérode. Mais voyez comment l’auteur ne cache rien, et comme il mentionne un fait historique afin de nous instruire. Il dit donc ensuite : « Descendant de la Judée, Hérode demeura à Césarée. Hérode était irrité contre les Tyriens et les Sidoniens. Ils vinrent ensemble vers lui, et ayant gagné Blastus, le chambellan du roi, ils lui demandèrent la paix parce que leur pays tirait sa subsistance des terres du roi. Au jour fixé, Hérode, revêtu de son manteau royal, et assis sur son tribunal, les harangua ; le peuple criait : C’est la voix d’un dieu et non celle d’un homme. Mais l’ange du Seigneur le frappa tout à coup, parce qu’il ne rendait pas gloire à Dieu, et il expira dévoré par les vers. Mais la parole de Dieu grandissait et se multipliait (20-24) ».
C’est là un grand événement. La vengeance divine le frappe tout à coup, bien qu’elle ne l’ait pas atteint à cause de Pierre, mais à cause de son orgueilleux discours. Mais si le peuple l’acclame, dira-t-on, quel est en cela son crime ? C’est d’avoir reçu ces acclamations comme s’en trouvant digne. Grande leçon pour ceux qui font de téméraires flatteries. Remarquez que les uns et les autres sont dignes de châtiment ; mais lui seul est frappé. Le temps du jugement n’est pas venu encore, mais Dieu frappe le plus coupable, et épargne les autres, afin qu’ils profitent de l’exemple. « Et la parole de Dieu, disent les Actes, croissait et se multipliait », c’est-à-dire, après cet événement. Voyez-vous la providence de Dieu ? « Barnabé et Paul retournèrent à Jérusalem, après avoir accompli leur ministère ; ils prirent avec eux Jean surnommé Marc (25). Il y avait dans l’Église qui était à Antioche, des prophètes et des docteurs, Barnabé, Siméon, surnommé Niger, Lucius de Cyrène, Manahen, frère de lait d’Hérode le Tétrarque, et Paul ». (Chap. 13,1) L’auteur nomme encore Barnabé le premier : Paul, en effet, n’était pas encore célèbre, et n’avait fait aucun prodige. « Pendant qu’ils servaient le Seigneur a et qu’ils jeûnaient, l’Esprit-Saint dit : Mettez-moi à part Barnabé et Paul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés. Alors après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les congédièrent (2 et 3) ». Que veut dire : « Servaient le Seigneur ? » Cela veut dire « Prêchaient. Mettez-moi à part Barnabé et Paul ». Que veut dire. « Mettez-moi à part ? » Pour l’œuvre, pour l’apostolat. Remarquez par qui se fait l’ordination : par Lucius de Cyrène et Manahem, ou plutôt par l’Esprit-Saint. La grâce de Dieu se montre d’autant plus clairement que les personnes sont moins grandes. Enfin Paul est ordonné pour l’apostolat, afin qu’il prêche avec autorité. Comment donc Paul dit-il : « Non par les hommes, ni par le moyen des hommes ? » Il dit : Non par les hommes, pour montrer qu’aucun homme ne l’avait ni appelé ni amené ; il dit : « Par le moyen des hommes », pour signifier que nul ne l’a envoyé, si ce n’est l’Esprit-Saint. C’est pour cela, que l’auteur ajoute : « Ceux-ci, ayant donc été envoyés par l’Esprit-Saint, descendirent à Séleucie, et de là naviguèrent vers Chypre (4) » : Mais revenons au commencement de notre texte : « Le jour étant venu, l’agitation fut grande parmi les soldats, à cause de Pierre ; Hérode fit une enquête contre les soldats, et ordonna de les faire périr ». Il fut tellement dépourvu de bon sens, qu’il osa punir injustement. Voici que je défends leur cause. Les chaînes étaient là, les gardes étaient à l’intérieur, la prison était fermée, nulle part la muraille n’était percée ; tous disaient : Cet homme a dû être enlevé ; pourquoi les condamnez-vous ? S’ils eussent voulu le délivrer, ou bien ils l’auraient délivré plus tôt, ou bien ils seraient partis avec lui. – Mais ils ont reçu de l’argent ? – Comment celui qui n’en avait même pas à donner à un pauvre, leur en aurait-il donné ? En effet les chaînes n’étaient ni brisées ni déliées. Il fallait comprendre que le fait venait de Dieu et non des hommes. En suite l’auteur rapportant un fait historique, il donne les noms pour montrer la vérité de ce qu’il rapporte. « Et ayant gagné Blastus, chambellan du roi », disent les Actes, « ils demandaient la paix ». Ils agissent ainsi à cause de la famine. « Au jour fixé, Hérode s’assit sur son tribunal et fit un discours, « Aussitôt l’ange du Seigneur le frappa, et, dévoré par les vers, il expira ».
2. Josèphe dit qu’Hérode fut atteint d’une longue maladie. Beaucoup ignoraient donc le fait raconté par saint Luc. Au reste, l’ignorance où ils étaient avait encore son utilité, car ils attribuaient le malheur d’Hérode à la mort de Jacques et au meurtre des soldats. Remarquez que lorsqu’il fit périr l’apôtre, il ne fit rien de semblable ; mais lorsqu’il eut fait périr les soldats, il devint taciturne, il est dans la perplexité, la honte le poursuit, il descend de la Judée et va à Césarée. Il me semble que, voulant aussi mettre à mort les apôtres, il vint à Césarée pour en faire son apologie. Il était furieux contre eux lorsqu’il courtisait les Césaréens, Voyez comme cet homme était avide de vaine gloire. Devant leur accorder une faveur, il le harangua. Josèphe dit qu’il portait une splendide robe d’argent. Remarquez aussi combien ce peuple est flatteur, et quel est le bon sens des apôtres. Celui que la foule entière acclamait, ils le méprisaient. Ils purent respirer de nouveau, et des biens sans nombre furent le résultat de la punition d’Hérode. Si cet homme, pour avoir entendu cette parole : « La voix d’un dieu et non celle d’un homme », fut ainsi frappé quoiqu’il n’eût rien dit, combien plus eût dû souffrir le Christ, s’il n’avait été Dieu, le Christ, qui disait sans cesse : « Mes paroles ne sont pas les miennes » ; et « mes serviteurs combattraient », et tant de choses semblables. Hérode termina sa vie d’une façon honteuse et misérable, et il n’est rien resté de lui d’éclatant. Remarquez aussi comme il est persuadé par Blastus ; avec quelle facilité ce malheureux homme est emporté par la colère et aussitôt s’apaise ; à quel point il est l’esclave du peuple et ne jouit d’aucune liberté. Considérez aussi l’autorité de l’Esprit-Saint. « Pendant qu’ils servaient le Seigneur et qu’ils jeûnaient », dit l’auteur, « le Saint-Esprit leur dit : Mettez-moi à part Barnabé et Paul ». Eût-il osé, s’il n’eût joui de la même puissance que le Père et le Fils, dire ces paroles ? Ceci a lieu pour que ces apôtres ne demeurent plus tous ensemble. L’Esprit-Saint voit qu’ils sont plus forts et qu’ils peuvent suffire à un plus grand nombre. Comment leur parla-t-il ? Peut-être par les prophètes. C’est pour cela qu’il est dit auparavant qu’il y avait des prophètes ; ils jeûnaient et servaient Dieu, pour nous apprendre qu’ils eurent besoin d’une grande sobriété. Il est ordonné à Antioche où il prêche. Pourquoi l’Esprit-Saint ne dit-il pas Mettez à part pour le Seigneur, mais « pour « moi ? » Pour, montrer l’unité de puissance et d’autorité.
Remarquez-vous l’importance du jeûne ? Il montre que l’Esprit-Saint fait toutes choses. C’est un grand bien que le jeûne. Il n’est circonscrit par aucune limite. Lorsqu’il faut ordonner, ils jeûnent ; et alors l’Esprit leur parle. Le jeûne n’est pas cela seulement, mais s’abstenir des délices est une sorte de jeûne aussi. 1e ne commande que celui-ci : Ne jeûnez pas, mais abstenez-vous des délices. Recherchons la nourriture, mais non la corruption ; cherchons la nourriture, mais non pas ce qui est la source des maladies de l’âme et du corps ; recherchons la nourriture qui procure quelque plaisir, non les délices, qui sont une source d’incommodité ; c’est cela qui est délice, ceci est une véritable peste ; cela est joie, ceci chagrin ; l’un est dans la nature, et l’autre lui est opposé. Si quelqu’un vous donnait à boire de la ciguë, ne serait-ce pas contre nature ? Si l’on vous servait du bois et des pierres, ne les repousseriez-vous pas ? Et avec raison, car c’est contre nature. Ainsi sont les délices De même que dans une ville, pendant un siégé, il y a tumulte et agitation quand les ennemis s’y introduisent ; ainsi en est-il pour l’âme quand le vin et la bonne chère s’en emparent. « Pour qui les malédictions ? pour qui les ennuis et les vaines paroles ? pour qui « le jugement, si ce n’est pour ceux qui passent « leur temps à boire ? Pour qui les yeux livides ? » (Prov. 23,29-30) Mais quoi que nous disions, nous n’éloignerons pas de la bonne chère ceux qui y sont adonnés, si nous n’attaquons pas une autre maladie.
Et d’abord parlons des femmes. Rien de plus honteux qu’une femme adonnée aux plaisirs de la table, rien de plus hideux que celle qui s’enivre. La fleur de son visage se fane, la sérénité et la douceur de ses yeux se trouble ; c’est comme un nuage qui passe sous le soleil et en intercepte les rayons. Elle devient une chose ignoble, servile et couverte de toutes les ignominies. Combien est désagréable la respiration d’une femme exhalant l’odeur puante du vin, vomissant des viandes corrompues, alourdie et ne pouvant se soulever, rouge plus qu’il ne convient, et prise de vertiges et de bâillements répétés. Mais telle n’est – pas la femme qui s’abstient de ces plaisirs : elle imprime le respect, elle est sage et belle. Une âme bien réglée communique au corps une grande beauté ; ne croyez pas, en effet, que la beauté ne vienne que des formes corporelles. Prenez une jeune fille bien faite, mais turbulente, bavarde, médisante, adonnée au vin, coquette, ne devient-elle pas plus laide que la plus difforme ? Au contraire, qu’elle soit modeste et discrète, qu’elle sache rougir, ne parler, qu’avec mesure, et jeûner ; dès lors sa beauté est doublée, sa grâce devient plus grande, son visage plus agréable par la chasteté et la décence dont il est orné. Voulez-vous que nous parlions maintenant des hommes ? Quoi de plus hideux que l’ivrogne ? Il est la risée de ses serviteurs, la risée de ses ennemis, la pitié de ses amis, le digne objet de mille blâmes, une bête plutôt qu’un homme ; car se repaître à l’excès appartient au léopard, au lion, à l’ours. C’est convenable pour eux ; ils n’ont pas une âme raisonnable. Et même, chez ces animaux, lorsqu’ils se repaissent outre mesure et plus que ne le veut la nature, le corps entier se corrompt. Combien plus en estil ainsi pour nous ? C’est pour cela que, Dieu nous a donné un petit estomac ; c’est, pour cela qu’il nous a fixé une petite mesure de nourriture, afin de nous enseigner à soigner notre âme.
3. Étudions la constitution même, de notre corps, et nous verrons qu’une petite partie de noire être est consacrée à cette opération, La bouche et la langue sont destinées aux hymnes, notre gorge à la, parole. La nécessité de la nature nous a ainsi liés, afin que nous ne puissions, même malgré nous, tomber dans un grand, embarras d’affaires. Si les délices de la table n’étaient la source de tant de peines, de maladies et d’indispositions, elles seraient supportables. Mais les bornes imposées à, la nature sont faites de telle sorte que, même en le voulant, nous, ne puissions les dépasser. Recherchez-vous le plaisir, mon cher auditeur ? Vous le trouverez dans la frugalité. La santé ? C’est encore là qu’il vous faut la chercher. La quiétude ? Vous ne, la rencontrerez que là. La liberté, la vigueur du, corps, sa bonne constitution, la sagesse de l’âme, la vigilance ? Tous les biens naissent de la frugalité. Dans la bonne chère se trouvent les choses contraires : l’aigreur, la langueur, la, maladie, la bassesse et la prodigalité. D’où vient donc, direz-vous, que tous nous courons à la bonne chère ? Cela vient de ce que nous sommes malades. En effet, dites-moi pourquoi la malade recherche-t-il, ce qui est nuisible ? N’est-ce pas là encore un signe de maladie ? Pourquoi, le boiteux ne marche-t-il pas droit ? N’est-ce pas à cause de sa nonchalance, et parce qu’il ne veut pas aller au médecin ? Parmi les choses de ce inonde, les unes procurent une joie passagère, et sont la cause d’un châtiment éternel ; les autres, au contraire, causent des souffrances passagères, et, procurent une joie, sans fin. Celui donc qui est assez lâche et, nonchalant pour ne pas mépriser les joies présentes, afin de gagner les biens futurs, est promptement séduit. Dites-moi, comment fut séduit, Esaü ? D’où vient qu’il préféra une joie passagère à l’honneur à venir ? cela vint de la mollesse et de la faiblesse de son esprit. Mais cela même d’où vient-il ? direz-vous. Cela provient de nous-mêmes, et évidemment de là. Lorsque nous le voulons, nous nous excitons, nous-mêmes, et nous devenons tempérants. Toutes les fois, qu’une nécessité survient, ce n’est, qu’en faisant des efforts que nous parvenons à voir et à embrasser ce qui est bien. Lors donc que vous devrez vous livrer à la bonne chère, songez combien est court le plaisir qu’on y trouve, songez au dommage qui en résulte (car c’est un véritable dommage de dépenser tant de richesses pour son, propre malheur), songez, aux maladies, aux, infirmités, et méprisez la bonne chère. Combien voulez-vous que j’énumère d’hommes devenus victimes de la gourmandise ? Noé s’enivra et resta nu ; et que de maux à cause de cela ! Esaü, par gloutonnerie, livra son droit d’aînesse, et il fut sur le point de commettre un fratricide. « Le peuple d’Israël s’assit pour boire et pour manger, et ils se levèrent pour jouer ». (Ex. 32,6) : C’est pour cela qu’il est dit : « En buvant et en mangeant, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu ». (Deut. 6,2) Ceux qui se plongèrent dans la bonne chère, tombèrent dans l’abîme. « La veuve, qui vit dans le luxe », dit l’Écriture, « est morte, quoique vivante » (1Tim. 5,6) et ailleurs : « Le bien-aimé s’engraissa, il s’appesantit, et se révolta ». (Deut. 32,16) Et l’apôtre dit encore : « Ne cherchez pas à contenter les désirs de la chair ». Je ne fais pas une loi du jeûne (personne : ne me comprendrait), mais je repousse les délices ; excessives, je blâme la bonne chère pour, votre utilité. De même qu’un torrent, les délices renversent, tout ; rien ne saurait leur résister : elles renversent les trônes. Que dirai-je de plus ? Voulez-vous faire bonne chère ? Donnez aux pauvres ; appelez le Christ, afin d’être encore dans les délices lorsque la table sera enlevée. Vous n’avez pas maintenant, cet avantage ; je le crois, bien ; les choses d’ici-bas s’ont, si peu stables. Mais plus tard vous l’aurez. Vous voulez faire bonne chère ? Nourrissez votre âme, donnez-lui la nourriture dont elle a besoin. Ne la tuez pas par la faim. C’est le temps de la, guerre, c’est le temps du combat ; et vous vous asseyez pour faire bonne chère ! Ne voyez-vous pas ceux qui tiennent le sceptre, vivre frugalement à l’armée ? « Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang » (Eph. 6,1), et vous vous engraissez lorsqu’il faut combattre ? L’ennemi, grinçant des dents est là, et vous êtes plongé dans la mollesse et attaché à la table. Je sais que je parle en vain, mais pas pour tous. « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ». Le Christ est desséché par la faim, et vous, crevez des suites de votre gourmandise. Ce sont deux excès. Quel mal ne causent pas les délices de la table ? Elles portent en elles leurs contraires : Je ne vois pas d’où elles ont pris ce nom. Mais de même que la gloire et la richesse sont ainsi nommées quoiqu’elles ne soient que misère et pauvreté, de même le plaisir de la table porte ce nom quoiqu’il ne soit qu’amertume. Devons-nous être immolés, que nous nous engraissons nous-mêmes ? Pourquoi préparez-vous aux vers un festin si copieux ? Pourquoi préparez-vous une masse plus abondante de corruption ? Pourquoi déposez-vous en vous des sources d’humeurs et d’odeurs fétides ? Pourquoi vous rendez-vous vous-même inutile en tout ? Voulez-vous que l’œil soit bon ? Rendez le corps robuste. Parmi les cordes d’instrument, celle qui est grasse et souillée est inutile pour la mélodie ; celle, au contraire, qui est partout bien tendue, est tout à fait harmonieuse. Pourquoi enterrez-vous l’âme ? Pourquoi rendez-vous sa muraille plus épaisse ? Pourquoi épaissir le nuage de fumée qui vous aveugle, car de la bonne chère s’élèvent de toutes parts comme des vapeurs et des brouillards. A défaut d’autres, les athlètes vous enseigneront qu’un corps plus grêle est plus robuste. Ainsi l’âme adonnée à la philosophie est plus forte. Je la compare à un écuyer sur son coursier. Or, il est d’expérience que les chevaux trop gras donnent beaucoup de peine aux écuyers, et qu’ils sont difficiles à manier. Ce qu’on souhaite, c’est que l’écuyer monté sur un cheval vigoureux et docile remporte le prix de la course. Mais donnez à un écuyer un cheval qu’il soit obligé de traîner, qui tombe mille fois sous lui, et qu’il ne puisse exciter même en se servant de l’éperon, si habile que soit cet écuyer il n’obtiendra pas la panne. Ne négligeons pas notre âme, ne la laissons pas opprimer par le corps ; mais au contraire rendons-la plus clairvoyante ; rendons son aile légère, ses, liens plus larges. Nourrissons-la de saintes paroles et de frugalité : ainsi notre corps sera robuste, et notre âme sera dans la joie, sera exempte de peine : et après avoir ainsi réglé convenablement notre existence, nous pourrons atteindre au sommet de la vertu, et jouir des biens éternels par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit, pour le Père et l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVIII. modifier


CEUX-CI DONC ENVOYÉS PAR L’ESPRIT-SAINT, DESCENDIRENT A SÉLEUCIE, ET DE LÀ ILS NAVIGUÈRENT VERS CHYPRE. ÉTANT ARRIVÉS À SALAMINE, ILS ANNONÇAIENT LA PAROLE DE DIEU DANS LES SYNAGOGUES DES JUIFS. ILS AVAIENT AUSSI JEAN POUR MINISTRE. (CHAP. 13,4, 5, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Saint Paul et saint Barnabé prêchent l’Évangile ensemble. – Conversion du proconsul Sergius Paulus.
  • 2 et 3. Parfois l’on triomphe d’un vice par un autre vice. – Qu’il faut fuir la gloire humaine, et quelle gloire il faut rechercher.


1. Après avoir reçu l’imposition des mains, ils partirent ensemble, et naviguèrent vers Chypre, parce que là il n’y avait pas de persécution, et que la parole était déjà répandue. Les chrétiens étaient nombreux à Antioche, la Phénicie était proche de la Palestine, Chypre était éloignée. Du reste, ne demandez pas pourquoi, puisqu’ils sont poussés par l’Esprit-Saint. « Car ils n’avaient » pas seulement été élus, mais même envoyés par l’Esprit-Saint. « Et étant venus à Salamine, ils annonçaient la parole dans les synagogues des Juifs ». Voyez-vous leur empressement à annoncer tout d’abord la parole aux Juifs, afin de ne pas s’en faire des contradicteurs ? Les apôtres ne parlaient qu’aux Juifs seuls, et ceux-ci allèrent dans les synagogues. « Ils parcoururent l’île tout entière, et rencontrèrent un certain magicien faux prophète juif, nommé Bar Jesu, qui était avec le proconsul Sergius Paulus, homme sage, qui ayant fait venir Barnabé et Saul désirait entendre la parole de Dieu. Elymas le magicien (ainsi s’interprète son nom) leur résistait, et cherchait à détourner le proconsul de la foi (6-8) ». Voici de nouveau un magicien juif comme Simon. Remarquez encore que, tant que la parole de Dieu n’était prêchée qu’aux autres, il ne s’en indignait pas beaucoup, et qu’il ne s’émut que quand les apôtres vinrent chez le proconsul. Ce qu’il y a d’étonnant de la part du proconsul, c’est qu’étant prévenu par la magie, il voulut néanmoins entendre les apôtres. Ainsi tirent aussi les Samaritains. La magie vaincue ne sert qu’à faire éclater davantage la vertu divine. Partout la vaine gloire et l’amour du commandement sont la cause de grands maux. « Mais Saul, qui est aussi appelé Paul, rempli de l’Esprit-Saint, le regarda, et lui dit : Homme, plein de toute ruse et de toute tromperie, enfant du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur ? Et voici maintenant que la main du Seigneur est sur toi, tu seras aveugle, et ne verras pas le soleil jusqu’à un certain temps (9-11) ». Ici le nom de l’apôtre est changé après l’ordination, comme il est arrivé à Pierre. Remarquez que ce n’est pas là une injure, mais une sévère réprimande. En effet, c’est ainsi qu’il faut mettre à la raison les turbulents et les impudents. « Homme plein de toute ruse et de toute tromperie, ennemi de toute justice ». Ici Paul révèle le fond de la pensée de cet homme qui, sous prétexte de sauver le proconsul, le veut perdre. « Ne cesseras-tu pas de pervertir les voies du Seigneur ? » Et il dit avec foi : Ce n’est pas à nous que tu fais la guerre, contre nous que tu combats, mais tu bouleverses les voies du Seigneur, les voies droites, ajoute-t-il avec éloge. « Et maintenant voici que la main du Seigneur est sur toi, et tu seras aveugle ». Paul veut le convertir par le même miracle qui a servi à le convertir lui-même. Et ce mot « jusqu’à un certain temps » n’était pas la parole de celui qui châtie, mais plutôt de celui qui convertit. Si c’eût été la parole de celui qui châtie, il l’eût rendu aveugle pour toujours. Mais au contraire il ne le frappe que pour un temps, et seulement pour gagner le proconsul. « Aussitôt l’ombre et les ténèbres tombèrent sur lui, et tournant de tous côtés, il cherchait quelqu’un qui lui donnât la main. Alors le proconsul, voyant ce qui était arrivé, crut, admirant la doctrine du Seigneur (12) ». Il convenait qu’un homme adonné à la magie fût instruit par ce châtiment : ainsi furent instruits par les pustules les magiciens de l’Égypte. Remarquez que les apôtres ne perdent pas de temps en cet endroit ; dès que le proconsul a cru, ils ne se laissent point amollir par les flatteries et les honneurs, ils se remettent aussitôt à l’œuvre et se transportent dans le pays au-delà de la mer.
« Paul et les siens ayant mis à la voile, passèrent de Chypre à Perge de Pamphilie. Jean s’étant séparé d’eux, retourna à Jérusalem. Pour eux, après avoir traversé Perge, ils se rendirent à Antioche de Pisidie, et étant entrés dans la synagogue ; ils s’assirent (13, 14) ». Ils entraient toujours dans la synagogue, selon l’habitude des Juifs, pour n’être ni attaqués ni chassés ; c’est avec cette prudence qu’ils menaient leur œuvre à bonne fin. « Après la lecture de la loi et des prophètes, les princes de la synagogue envoyèrent vers eux, en disant : Hommes nos frères, si vous avez quelque discours d’exhortation pour le peuple, pariez (15) ». Ce sont maintenant les actes de Paul que nous apprenons à connaître ; ceux de Pierre nous ont été assez exposés dans ce qui précède. Mais reprenons notre texte. « Lorsqu’ils furent arrivés à Salamine, dit l’auteur, ils annonçaient la parole de Dieu » dans la métropole de Chypre. Ils passèrent une année à Antioche. Il fallait en sortir, et ne pas y rester toujours ; il fallait aux chrétiens d’Antioche de plus grands docteurs. Remarquez qu’ils ne perdent pas le temps à Séleucie, sachant que le voisinage d’Antioche avait déjà beaucoup profité aux Séleuciens. Mais ils ont hâte d’aller où il y a urgence. Lorsqu’ils furent arrivés à la métropole de l’île, ils désiraient convertir le proconsul. Cette parole : « Était avec le proconsul homme prudent », n’est pas une flatterie ; et l’événement même vous l’apprend, car il n’eut pas besoin de nombreux discours, et il voulut aussitôt les entendre. L’auteur rapporte le nom des villes, pour montrer que, puisque les habitants avaient reçu la parole récemment, il était nécessaire de les encourager à persévérer dans la foi. C’est pour cela qu’ils y vont souvent. Voyez aussi que Paul ne dit rien au magicien, tant que celui-ci n’en donna pas l’occasion. Mais ils annonçaient seulement la parole. Voyant l’attention que les autres donnaient à la parole de Dieu, le magicien n’eut plus qu’une préoccupation, celle d’empêcher le proconsul d’être persuadé. Pourquoi l’apôtre ne fit-il pas un autre miracle ? Parce qu’il n’y en avait pas de plus propre à prendre l’ennemi.
2. Remarquez que la réprimande précède le châtiment. Il justifie d’avance la punition qu’il va lui infliger, en disant : « O homme plein de toutes sortes de ruses ! » c’est-à-dire, qui n’en néglige aucune. Et c’est avec justesse qu’il dit « de toutes sortes de ruses », le magicien rusait en effet : « fils du diable », car il faisait son couvre. « Ennemi de toute justice », la doctrine à laquelle il s’opposait était en effet de toute justice. Il me semble que Paul disait ces choses pour attaquer sa vie. Pour démontrer que ces paroles n’étaient pas inspirées par la colère, l’auteur dit auparavant. « Paul rempli du Saint-Esprit », c’est-à-dire de la force du Saint-Esprit. « Et maintenant, voici que la main du Seigneur est sur toi ». Ce n’était pas une vengeance, mais un remède. Comme s’il disait : Ce n’est pas moi qui agis, mais la main de Dieu ; remarquez sa modestie : « Tu seras aveugle, et tu ne verras pas la lumière du soleil jusqu’à un certain temps ». Il lui dit cela pour lui donner lieu de se repentir. Les apôtres ne cherchaient pas à se signaler parla terreur, même en ne frappant que leurs ennemis. Ils usaient parfois de sévérité envers leurs disciples quand c’était nécessaire, mais jamais contre les étrangers, afin qu’on ne pût attribuer les progrès de leur œuvre à la contrainte et à la terreur. La preuve de la cécité fut qu’il cherchait quelqu’un qui lui tendît la main. Le proconsul voit cette cécité, et aussitôt il croit, frappé d’étonnement, ajoute le texte. Il vit que ce n’étaient pas là des paroles et rien de plus, ni de purs prestiges. Voyez quel amour de la doctrine dans cet homme revêtu d’une dignité si haute ! Paul ne dit pas au mage : Vous ne cessez de pervertir le proconsul, mais a les voies du Seigneur » : ce qui était bien plus grand, et ne ressemblait en rien à une flatterie. Pourquoi Jean s’éloigne-t-il d’eux ? L’auteur dit en effet : « Jean s’étant séparé d’eux, retourna à Jérusalem » ; parce qu’il redoutait un plus long voyage ; il n’était cependant que ministre, et eux seuls s’exposaient au danger. Venant à Perge, ils ne font que traverser les autres villes, car ils se hâtaient d’arriver à la métropole, à Antioche. Voyez combien l’écrivain abrége. « Ils s’assirent » ; dit-il, « dans la synagogue le jour du sabbat » ; comme pour préparer la voie à la parole. Ils ne parlent pas les premiers, mais on les invite et on les engage comme des hôtes à parler. S’ils ne fussent pas restés en cet endroit, ils auraient manqué l’occasion de parler ; c’est là que Paul prêche pour la première fois. Voyez sa prudence ; là où la parole s’est répandue, il ne fait que passer ; là où il n’y avait pas de disciple, il demeurait plus longtemps ; il le dit lui-même lorsqu’il écrit : « Ainsi j’ai cherché à évangéliser là où n’a pas encore été nommé le Christ ». (Rom. 15,20) C’était là le fait d’un grand courage. Paul fut un homme admirable dès le commencement ; crucifié, placé au premier rang, il savait de quelle grande grâce il était privilégié, il montra un zèle égal. Il ne s’irrita pas contre Jean, car il n’était pas à lui ; mais il s’attachait à l’œuvre de Dieu ; il ne redouta rien, il ne craignit pas au milieu d’une immense multitude qui l’entourait. Remarquez comment la Providence fait que Paul ne prêche pas à Jérusalem ; il suffit qu’on y soit instruit de sa conversion ; mais la haine que les Juifs lui portaient, ne lui eût pas permis d’y prêcher. Il s’en va donc au loin, là où il n’est pas connu. Il confondit d’abord le magicien, et montra ce qu’était cet homme, et le prodige fil voir qu’il était tel que Paul avait dit. Ce miracle était l’image de l’aveuglement de son âme. Il est affligé pour un certain temps, afin qu’il fasse pénitence. Ils entrèrent à propos dans la synagogue, le jour du sabbat, lorsque les Juifs y étaient assemblés : « Et après la lecture de la loi et des prophètes, les princes de la synagogue leur envoyèrent dire : Hommes, nos « frères, si vous avez quelque discours d’exhortation pour le peuple, parlez ». Remarquez qu’ils agissent alors sans, nulle envie ; après, il n’en fut plus de même. Vous auriez dû, ô Juifs, désirer plus que jamais entendre les apôtres, après les avoir entendus une fois. Mais, ô amour de la puissance, ô amour de la vaine gloire, comme tu perds et détruis tout ! Cette passion pousse les hommes à travailler contre leur propre salut et contre celui des autres ; elle rend tellement infirme et aveugle, qu’il faut chercher des conducteurs. Plût au ciel qu’il en fût même ainsi ! Plût au ciel que les gens avides de vaine gloire cherchassent des conducteurs ! Mais ils ne souffrent pas qu’on les conduise, et ne s’en rapportent en tout qu’à eux-mêmes. Cet amour nous aveugle, il est devant les yeux comme un brouillard, et un nuage à : travers lequel on ne saurait voir.
Quel moyen de défense aurons-nous, nous qui triomphons d’un vice par un autre vice, mais non par la crainte de Dieu ? Exemple Beaucoup qui étaient libertins et avares, par la parcimonie ont vaincu le plaisir ; d’autres, épris de la vaine gloire, ont triomphé de ces deux vices en dépensant sans économie, et en affectant une sagesse vaine ; d’autres, fort désireux de vaine gloire, font taire cette passion et affrontent le déshonneur, poussés par la convoitise et la cupidité ; d’autres, pour assouvir leur fureur, subissent mille maux, et n’en ont aucun souci, pourvu qu’ils accomplissent leur volonté. Et ce que la passion humaine peut faire, la crainte de Dieu ne le peut. Et que dis-je, la passion ? Ce que peut le respect humain, la crainte de Dieu ne le peut faire. Nous : faisons beaucoup de bonnes œuvres, comme nous commettons beaucoup de péchés par respect humain, mais nous ne craignons pas Dieu. Combien par honte ont dépensé leur fortune ? Combien, par une vaine ambition, n’ont pas servi leurs amis pour le mal ? Combien, par crainte pour leurs amis, ont commis mille péchés ?
3. Si donc la passion, et le respect humain peuvent nous porter aux péchés et aux bonnes œuvres, c’est en vain que nous dirons : je ne peux pas ; nous pouvons ce que nous voulons. Il faut que tous veuillent. Mais, dites-moi : Pourquoi ne pouvez-vous triompher de la vaine gloire, lorsque d’autres la vainquent, qui ont la même âme, le même corps, la même forme, et vivent de la même vie ? Pensez à Dieu, pensez à la gloire d’en haut, mettez-la en face des choses présentes, et aussitôt vous fuirez cette gloire vaine. Si vous désirez la gloire, soyez avide de la vraie gloire. Qu’est-ce que la gloire, lorsqu’elle engendre l’infamie ? Qu’est-ce que la gloire, lorsque vous êtes forcé de rechercher les louanges de vos inférieurs, et que vous en avez besoin ? C’est un honneur de jouir de la gloire qui vient de plus grand que soi. Si vous aimez vraiment la gloire, aimez celle qui vient de Dieu. Si, par amour de la gloire qui vient de Dieu, vous dédaignez celle qui vient des hommes, vous verrez combien celle-ci est méprisable. Tant que vous ne comprendrez pas cette gloire qui vient de Dieu, vous ne verrez pas combien la gloire qui vient des hommes est honteuse et ridicule. De même que ceux qui sont épris de l’amour d’une femme laide et méchante, tant qu’ils, lui sont affectionnés, ne sauraient voir sa laideur, parce que la passion obscurcit leur jugement ; de même, dans le cas présent, tant que nous sommes retenus par la passion, nous ne pouvons comprendre la grandeur du mal. Comment, direz-vous, nous en délivrerons-nous donc ? Pensez à ceux qui ont dépensé de grands biens, sans en avoir retiré aucun fruit ; pensez aux morts qui ont joui de cette gloire instable qui périt et s’évanouit ; pensez que cette gloire en porte le nom seulement, et n’est pas la gloire elle-même. Qu’est-ce donc que la gloire, dites-le-moi, donnez-m’en une définition ? C’est d’être l’admiration de tous, direz-vous. Justement ou injustement ? Si c’est injustement, ce ne serait pas l’admiration, mais l’accusation, l’adulation, la calomnie ; si c’est justement, cela ne saurait être. Le peuple ne juge pas avec droiture ; et il admire ceux qui servent ses désirs. Et, si vous le voulez, examinez ceux qui jettent leur fortune, aux, courtisanes, aux cochers, aux danseurs. Mais nous ne parlons pas de ceux1à, dites-vous, nous parlons des hommes justes et droits, qui peuvent faire beaucoup de bien. Plût à Dieu qu’on voulût les admirer ! la pratique des bonnes œuvres serait facile ; mais il en est autrement. Qui maintenant a des louanges pour l’homme juste et droit ? C’est le contraire qui arrive. Quoi de plus insipide que la justice, si pour prix de la justice, on attend les louanges de la foule ? C’est la même chose que, si un excellent peintre, après avoir fait le portrait d’un roi, recevait les louanges des ignorants. D’ailleurs, l’homme qui agit en vue de la gloire humaine, abandonnera bien vite la pratique de la vertu. En effet, s’il aspire aux louanges des hommes, il fait ce qu’ils veulent, et non ce qu’il voudrait lui-même. Que vous conseillerai-je donc ? Je vous conseillerai de vous attacher à Dieu, de vous contenter de ses louanges, de faire tout ce qui lui plaît, de faire le bien, et de n’aspirer nullement aux louanges des hommes : car elles corrompent le jeûne, l’aumône et la prière, et rendent vaines toutes vos bonnes actions ; pour n’avoir pas à essuyer ce dommage, fuyons cette passion. Ne visons qu’aux louanges de Dieu, à son approbation, et à la bonne renommée qui nous vient du Seigneur commun des hommes, de sorte qu’après avoir passé la vie présente dans la vertu, nous jouissions des biens promis avec ceux qui aiment, Dieu, par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XXIX. modifier


PAUL S’ÉTANT LEVÉ, ET AYANT FAIT SIGNE DE LA MAIN POUR IMPOSER SILENCE, DIT : « HOMMES D’ISRAËL, ET CEUX, D’ENTRE VOUS QUI CRAIGNEZ DIEU, ÉCOUTEZ : LE DIEU DE CE PEUPLE A CHOISI NOS PÈRES, ET IL A EXALTÉ CE PEUPLE PENDANT SON SÉJOUR DANS LA TERRE D’ÉGYPTE, ET PAR LA PUISSANCE DE SON BRAS L’A TIRÉ DE CETTE TERRE ». (CHAP. 13, VERS. 16 ; 17, JUSQU’AU VERS. 41)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Discours de saint Paul aux habitants d’Antioche de Pisidie. – Commentaire sur la véritable mission de Jésus comme Messie : Témoignage de David, de Jean-Baptiste. – Vanité de la loi Mosaïque depuis la venue de Jésus.
  • 3. De la piété. – Inutilité d’écouter les instructions si on n’en profite pas pour avancer dans la vertu.
  • 4. Remèdes contre les vices, tirés de l’Écriture sainte : Contre la colère, l’orgueil. – L’Écriture fournit des exemples de toutes les vertus. – Un seul vice suffit pour se perdre. – Manière de dompter ses passions en s’y exerçant.


1. Remarquez que Barnabé cède le pas à Paul ; comme Jean le cède partout à Pierre. Barnabé avait amené. Paul de Damas, il était plus vénérable que lui ; mais les apôtres ne considéraient que l’avantage commun. « Paul s’étant levé et ayant fait signe de la main pour imposer silence ». C’était l’usage des Juifs. C’est pour cela qu’il s’adresse ainsi à eux. Remarquez comme il fraie la route à la parole : il les loue d’abord, et leur montre le grand intérêt, qu’il leur porte en disant : « Qui craignez Dieu ». Ensuite il commence son discours. Il ne dit pas les prosélytes ; c’était un nom malheureux. « Le Dieu de ce peuple a choisi nos pères ». Voyez, il appelle, lui aussi, comme Étienne, le Dieu commun des hommes, leur Dieu particulier, et leur montre les immenses bienfaits qu’ils ont reçus autrefois. Les apôtres agissent ainsi, pour faire comprendre aux Juifs que Dieu, en leur envoyant son Fils, n’a fait que mettre le comble aux bienfaits dont il les a toujours comblés. Exprimant la même pensée que le Christ dans la parabole de la vigne (Lc. 20,13), il dit : « Il a exalté le peuple pendant son séjour dans la terre d’Égypte, et par la puissance de son bras, il l’a tiré de cette terre ». Cependant le contraire était arrivé[8], mais ils devinrent nombreux, et des prodiges furent faits en leur, faveur. Les prophètes rappellent toujours le souvenir de ce qui s’est passé en Égypte. Remarquez que Paul passe sous silence les événements malheureux, ne parle point des sujets de plainte de Dieu, mais seulement des bienfaits de la bonté divine, les laissant réfléchir sur les autres événements. « Et pendant quarante années il les nourrit dans le désert ». Et ensuite il aborde le sujet de la terre promise, et il dit : « Et ayant détruit sept peuples dans la terre de Chanaan, il leur donna en héritage la terre de ces peuples (19) ». Puis un longtemps, quatre cent cinquante ans s’écoulèrent : « Et ensuite pendant quatre cent cinquante ans il leur donna des juges jusqu’au prophète Samuel (20) ». Il leur montre par là que Dieu a pourvu de diverses manières à leur gouvernement. « Ensuite ils demandèrent des rois ». Il ne parle pas de leur ingratitude ; mais partout de la bonté de Dieu. « Et Dieu leur donna Saül, fils de Cis, homme de la tribu de Benjamin, pendant quarante ans (21). Et après l’avoir rejeté, il suscita pour roi, David, fils de Jessé, à qui il rendit ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé, homme selon mon cœur, qui accomplira mes volontés (22) ». Cela est important, puisque le Christ sortait de David. Puis il montre Jean rendant témoignage au Christ, et il dit : « De sa race, Dieu a suscité suivant sa promesse le sauveur d’Israël, Jésus ; et Jean a prêché, en vue de sa venue, le baptême de la pénitence à, tout le peuple d’Israël. Lorsque Jean remplissait sa course, il disait : Qui croyez-vous que je sois ? Je ne suis pas celui que vous pensez, mais voici qu’il vient après moi celui dont Je ne suis pas digne de dénouer les souliers (23-26) ». Et Jean ne rend pas simplement témoignage, mais il éloigne de lui la gloire, quoique tous la lui attribuent. Ce n’est pas la même chose de repousser la gloire que nul ne vous donne, et de la repousser quand tous vous la décernent ; et cela non pas par un simple refus, mais avec une si grande humilité. « Hommes, mes frères, fils de la race d’Abraham, et ceux qui parmi vous craignent Dieu, le Verbe du salut vous a été envoyé. Ceux qui habitaient Jérusalem, et leurs princes, ne l’ont pas reconnu ; et les paroles des prophètes qu’on lit tous les jours de sabbat, en le condamnant, ils les ont accomplies. Et ne trouvant aucune cause de mort contre lui, ils ont demandé à Pilate de le faire mourir (26-28) ». Partout les apôtres s’appliquent à montrer que le Christ est leur bien particulier, dupeur que, le considérant comme un objet étranger, ils ne s’éloignent de lui, surtout après qu’ils l’ont crucifié. « Ne l’ayant pas reconnu » ; dit-il, de sorte que c’était un péché d’ignorance. Voyez comme il les excuse avec douceur. Mais cela ne suffit pas, il établit encore qu’il devait en être ainsi. Et pour que personne ne dise : Comment est-il prouvé qu’il est ressuscité ? Paul dit encore : « Ils sont ses témoins ».
Il le prouve ensuite, par les Écritures : « Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui a été écrit de lui, on le descendit de la croix, et on le mit dans un tombeau. Mais bien l’a ressuscité d’entre les morts le troisième jour, et il a été vu pendant un grand nombre de jours par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem ; ils sont ses témoins devant le peuple. Et nous, nous vous annonçons la promesse quia été faite à nos pères car Dieu l’a accompli pour nous, leurs fils, et il a ressuscité Jésus, suivant qu’il est écrit dans le psaume deuxième : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Et pour montrer qu’il l’a ressuscité d’entre les morts, et qu’il ne doit, point retourner dans la corruption ; il dit : J’accomplirai les saintes promesses que j’ai faites à David. C’est pour cela aussi qu’il est dit dans un autre endroit : Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption. David, après avoir établi la volonté de Dieu dans sa propre génération, s’est endormi, et a été réuni à ses pères, et a vu la corruption ; mais celui que le Seigneur a ressuscité n’a point vu la corruption ». Voyez avec quelle hardiesse Paul parle. Pierre n’a jamais dit cela. « Sachez donc, hommes mes frères, que par ce Jésus nous est annoncée la rémission de nos péchés, et quiconque croit en lui est justifié de tout ce dont vous n’avez pu être justifiés dans la loi de Moïse ». Ensuite il ajoute cette terrible parole : « Prenez donc garde qu’il ne vous arrive ce qui est dit dans les prophètes : Voyez, contempteurs, considérez, admirez et disparaissez, car je fais en vos jours une œuvre que vous ne voudrez pas croire, si quelqu’un vous la raconte (29-41) ».
2. Voyez comme Paul compose le tissu de son discours avec les faits actuels, les prophéties et la race de promission. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « Hommes mes frères, fils de la race d’Abraham ». Il les appelle par le nom de leur père. « La parole du salut vous a été envoyée ». Ce mot : « à vous », il ne le dit pas aux Juifs à l’exclusion des autres peuples, mais pour donner à ses auditeurs le moyen de se séparer de ceux qui ont osé faire mourir le Christ. Et cela est éclairci par ce qui suit : « En effet, ceux qui habitaient Jérusalem ne l’ont pas reconnu, et n’ayant point entendu les paroles des prophètes, lues tous les jours de sabbat dans les synagogues, ils les ont accomplies en le jugeant ». C’est une circonstance qui aggrave la faute de n’avoir pas fait attention à des paroles qu’ils entendaient souvent. Mais cela ne doit pas surprendre ; ce que l’apôtre a dit de la conduite de leurs pères en Égypte et au désert, était suffisant pour montrer l’ingratitude de ce peuple. Mais comment, dira-t-on, le méconnurent-ils, puisque Jean le leur signalait ? Faut-il s’en étonner, puisqu’ils l’ont méconnu malgré toutes les prophéties qui l’avaient si clairement et si hautement désigné. Ensuite vient une autre accusation : « Et n’ayant trouvé aucune cause de mort » ; ceci n’était pas le fait de l’ignorance. Admettons, en effet, qu’ils ne l’aient pas considéré comme le Christ, pourquoi le mettaient-ils à mort ? « Et ils demandèrent à Pilate de le faire mourir. Lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui avait été écrit de lui, on le descendit de la croix et on le mit dans un tombeau ». Voyez le zèle que les Juifs déploient dans toute cette affaire. Paul indique le genre de mort, et introduit Pilate en cause, pour prouver clairement la passion du Christ par le tribunal qui la décida, et pour accuser en même temps plus fortement les Juifs qui ont livré Jésus à un étranger. Paul ne dit pas : ils l’accusèrent ; mais « ils demandèrent » qu’on le mît à mort, sans qu’on eût trouvé de crime de mort en lui, pour montrer qu’ils obtinrent cela comme une grâce de Pilate, qui ne voulait pas le faire mourir ; Pierre le dit plus ouvertement encore par ces paroles : « Pilate, jugeant qu’il devait être relâché ». (Act. 3,13) Paul aimait beaucoup les Juifs. Remarquez qu’il ne s’arrête pas à l’ingratitude de leurs pères, mais il leur inspire la crainte à eux-mêmes. Étienne, au contraire, s’y arrête comme il lui convenait, à qui allait être mis à mort, qui ne voulait pas tant instruire les Juifs que leur montrer que la loi était abrogée.
Mais Paul ne parle pas de même, il se contente de les menacer et de les épouvanter. « Mais Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. Il a été vu pendant un très-grand nombre de jours par ceux qui étaient venus avec lui de la Galilée à Jérusalem ». Voyez comment Paul, poussé par l’Esprit-Saint, leur rappelle à tout propos la passion et le tombeau du Christ. « Et nous vous annonçons, leur dit-il, la promesse qui a été faite à nos pères » ; c’est-à-dire : Nos pères ont reçu la promesse, vous, vous, en avez vu l’accomplissement. Ensuite, il appelle Jean en témoignage par ces paroles « De cette race, suivant la promesse, Dieu a suscité un Sauveur à Israël, et avant sa venue, Jean prêchait le baptême de la pénitence à Israël ». Puis il le cite de nouveau en témoignage lorsqu’il disait : « Je ne suis pas celui que vous pensez ». Ensuite il donne le témoignage des apôtres en faveur de la résurrection : « Ceux-ci sont ses témoins auprès du peuple ». Enfin il termine par cette parole de David : « Vous ne permettrez pas que votre saint voie la corruption ». Les paroles prises dans les anciens n’avaient pas assez de force par elles-mêmes, et les paroles de Jean et des apôtres ne prouvaient pas assez non plus sans les prophètes, c’est pour cela que Paul se sert des uns et des autres pour rendre sa prédication persuasive. Comme les Juifs étaient retenus par la crainte, vu qu’ils avaient, mis le Christ à mort, comme d’ailleurs leur conscience les éloignait, les apôtres ne leur parlent pas comme à des membres du Christ, ni comme à des hommes qui auraient livré un bien qui ne leur appartenait pas, mais comme à ceux qui auraient livré leur propre bien. Le nom de David était cher aux Juifs, aussi met-il ses paroles en avant pour leur faire accepter le Christ ; comme si David leur disait : C’est mon fils qui sera votre roi, ne rejetez donc pas son joug. Que veut dire : « J’accomplirai mes saints engagements avec David ? » C’est-à-dire, les engagements sûrs, les engagements qui ne doivent jamais être brisés. Il ne s’arrête pas à cela, vu qu’ils ont foi en cette parole. Mais il les menace du châtiment, et passant à ce qui était désirable pour eux, il leur montre que la loi est abrogée ; puis il s’arrête à ce qui importe surtout et leur montre que de grands biens sont promis à ceux qui seront fidèles, et que de grands maux attendent les transgresseurs. Ensuite, il parle avec louange de David : « David dans sa génération accomplit la volonté de Dieu, et fut réuni à ses pères ». Ainsi Pierre, en rappelant David, disait : « On peut, parler avec confiance du patriarche David ». Paul ne dit pas qu’il est mort, mais « qu’il a été réuni à ses pères », ce qui était plus doux à dire. Remarquez que nulle part il ne parle de leurs bonnes œuvres, mais seulement de ce qui les accuse. Il énumère les bienfaits de Dieu, en disant : « Il a choisi, il a élevé, il a nourri ». C’est là un éloge, mais celui de Dieu. II ne donne de louanges qu’à David, parce que le Christ vient de lui. Jean appelle l’entrée du Christ, « avant l’entrée du Christ », son incarnation, sa manifestation dans la chair. Ainsi Jean en écrivant l’Évangile, en appelle souvent à Jean-Baptiste, car son nom était célèbre dans toute la terre. Remarquez enfin que Paul ne parle pas d’après lui-même, niais d’après le témoignage de Jean.
3. Remarquez-vous comme Paul montre avec soin que Dieu a tout conduit ? Mais écoutons ce que les apôtres ont persuadé aux hommes, en prêchant le Christ crucifié. Qu’y a-t-il de plus incroyable, qu’il ait été mis dans le tombeau par ceux à qui il annonçait le salut ; et que cet homme enseveli remette les péchés, et mieux que la loi ? Aussi Paul ne dit-il pas : Dont vous n’avez pas voulu, mais bien : « Quiconque croit en Jésus est justifié de ce dont vous n’avez pu être justifié dans la loi de Moïse ». Et il montre par là la faiblesse de la loi. Il dit avec raison : « Quiconque », pour déclarer que cela s’applique à tout croyant. Mais à quoi bon toute cette doctrine, s’il n’en résultait quelque bien ? Aussi met-il en dernier lien la rémission des péchés, avantage dont il fait ressortir la grandeur, en montrant que ce qui était impossible à la loi, Jésus crucifié l’a fait par sa mort. Paul disait donc avec raison : « Ils sont ses témoins devant le peuple », qui l’a mis à mort. Ils ne le seraient pas s’ils n’étaient fortifiés par la puissance divine. Ils n’attesteraient pas de telles choses à des hommes qui ne respirent que le meurtre, à ceux mêmes qui ont mis le Christ à mort. Il dit cette parole : « Je vous ai engendré aujourd’hui » ; car il sait que tout le reste suit de là. Mais pourquoi Paul n’apporte-t-il pas de témoignage qui puisse les convaincre que la rémission des péchés vient de : Jésus ? Parce qu’il ne voulait que démontrer clairement aux Juifs que Jésus était ressuscité ; ceci prouvé, il était indubitable par là que la rémission des péchés vient par lui. D’ailleurs il voulait les amener au désir de ce grand bien. La mort de Jésus n’était donc pas un abandon de Dieu, mais l’accomplissement des prophéties. Il rapporte les faits historiques dont l’ignorance fut pour les Juifs la source de tant de maux. Paul insinue ce sens à la fin de son discours, en disant : « Voyez, contempteurs, et faites attention ». Remarquez comme il coupe court à cette parole dure, en ajoutant : « Pour qu’il ne vous arrive pas ce qui a été dit aux autres : j’accomplis une œuvre que vous ne croirez pas, si quelqu’un vous la raconte ». Ne vous étonnez pas, cette incrédulité semble inconcevable, mais elle avait été prédite. On pourrait aussi à bon droit nous dire à nous : « Voyez, contempteurs », en parlant de ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les affaires de l’Église sont en souffrance, quoique vous pensiez que tout soit en paix. Et c’est un grand malheur de ne pas savoir que nous sommes dans le malheur, lorsque nous sommes plongés dans des maux sans nombre.
Que dites-vous ? Nous avons des églises, des biens, et le reste, les collectes se font, chaque jour le peuple assiste à l’office divin, et nous méprisons. La prospérité de l’Église ne se reconnaît pas à ces signes. Mais à quel signe, direz-vous, la reconnaîtra-t-on ? Ce sera si nous avons de la piété, si nous rentrons dans nos demeures chaque jour avec un gain spirituel nouveau, si nous avons fait quelque fruit grand ou petit ; si nous n’accomplissons pas la loi d’une façon quelconque et connue pour l’acquit de notre conscience. Qui est sorti meilleur des assemblées de tout un mois ? C’est là la question : car souvent ce qui nous semble bien se trouve être mal, parce que nous n’en retirons aucun profit pour notre avancement spirituel. Et encore plût à Dieu que nous fussions toujours au même point ; mais hélas ! vous rétrogradez. Quel fruit avez-vous retiré des assemblées ? Si vous en avez retiré quelque fruit, vous devriez tous mener depuis longtemps une vie sage, car tant de prophètes vous parlent deux fois la semaine, tant d’apôtres, tant d’évangélistes vous entretiennent, qui tous vous exposent les dogmes du salut, et les préceptes qui peuvent amener à mieux régler vos mœurs. Le soldat qui va à l’exercice devient plus habile dans la tactique ; l’athlète qui fréquente la Palestre est plus exercé à combattre ; le médecin qui suit les cours d’un maître devient plus judicieux, il sait et apprend de plus en plus : Vous, qu’avez-vous gagné ? Je ne parle pas à ceux qui ont fréquenté les assemblées pendant un an, mais bien à ceux qui y viennent depuis leur première jeunesse. Croyez-vous que ce soit toute la piété de venir exactement à l’assemblée ? Ce n’est rien, si l’on n’en retire pas de fruit ; si nous ne recueillons rien, il vaut mieux rester à la maison. Si nos ancêtres nous ont construit des églises, ce n’est pas pour que nous venions nous y montrer en public : cela se ferait aussi bien dans la place publique, aux bains et dans les pompes publiques. Mais ils ont voulu réunir les disciples et les docteurs, afin que, par le soin de ceux-ci, ceux-là devinssent meilleurs. Ce que nous faisons maintenant n’est que l’accomplissement d’une loi et une sorte de décorum ; du reste, c’est affaire de pure coutume. Vienne Pâques, il se fait beaucoup de bruit, de grands rassemblements ; je ne dirai pas : il vient beaucoup d’hommes ; car ce qui se fait n’est pas œuvre d’hommes. La fête est passée, le bruit cesse, et l’on rentre dans un calme infructueux. Combien de veilles de nuit ne fait-on pas ? Combien ne chante-t-on pas de cantiques ? En devient-on meilleur ? Que dis-je ? on en devient pire ; beaucoup en effet font tout cela par vaine gloire. À quel point pensez-vous que j’aie les entrailles déchirées en voyant tout s’en aller comme dans un tonneau percé ? Mais vous me direz sans cloute : Nous savons les Écritures. Qu’est-ce que cela ? Montrez votre science dans les Écritures, par vos œuvres : là est le gain, là est l’utilité. L’église est un atelier de teinture : si vous en sortez toujours sans avoir reçu aucune teinture, à quoi sert d’y aller souvent ? Le dommage en est plus grand. Qui de vous ajoute quoi que ce soit aux coutumes qu’il a reçues de ses ancêtres ? Par exemple. Tel a accoutumé de faire mémoire de sa mère, de sa femme, de son enfant : Il le fait, soit qu’il l’apprenne ou ne l’apprenne pas de nous, poussé qu’il y est par la coutume et la conscience. Vous indignez-vous donc de cela, direz-vous ? Loin de là, je m’en réjouis fort, mais je voudrais (lue cet homme retirât quelque fruit de notre allocution ; et ce que la coutume lui fait faire, je voudrais qu’il le fît par notre exhortation, et que de nouvelles habitudes s’ajoutassent aux habitudes déjà prises. Pourquoi travaillerai-je et radoterai-je en vain, si vous devez rester dans vos habitudes, si les assemblées ne vous font aucun bien ?
4. Certes, dit-on, nous prions. Qu’est-ce que cela sans les œuvres ? Écoutez la parole du Christ : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui qui accomplit la volonté de mon Père qui est dans les cieux ». (Mt. 7,21) Souvent j’ai résolu de me taire, en voyant qu’il ne se faisait parmi vous aucun progrès à ta suite de mes discours ; peut-être ce progrès se fait-il, mais telle est l’impatience et l’ardeur de mon désir, qu’il m’arrive d’éprouver ce qu’éprouvent les hommes qui ont la folie des richesses. De même, en effet, que ceux-ci, quelque grands biens qu’ils amassent, pensent ne rien avoir ; de même aussi moi, par le désir de votre salut qui m’anime, tant que je ne vous verrai pas atteindre le but, je penserai n’avoir rien fait, parce que j’ambitionne de vous voir parvenir au sommet même de la perfection. Je voudrais qu’il fût ainsi : je voudrais que ce que j’éprouve fût l’effet de mon impatience, et non de votre mollesse : je crains fort de mal conjecturer. Il y a tout lieu de croire, en effet, que si vous aviez fait chaque jour quelque progrès, depuis si longtemps que nous parlons, nous n’aurions plus besoin de parler aujourd’hui. Car nous vous avons assez parlé, non seulement pour vous instruire vous-mêmes, mais encore pour vous mettre à même d’instruire, si vous aviez le moins du monde profité de chacun de nos discours. Puisque nous avons toujours besoin de vous avertir, cela ne prouve pas autre chose, si ce n’est que votre conduite n’est pas parfaite.
Que faut-il donc faire ? Car il ne faut pas seulement vous adresser des reproches. Je vous prie et vous conjure de ne pas seulement sous occuper de venir à l’église, mais aussi de remporter, en vous retirant dans vos maisons, quelque remède contre vos passions ; de la sorte vous serez bientôt munis, non par nous, mais par les divines Écritures, de tous les remèdes propres à toutes les maladies de vos âmes. Par exemple, est-on colère, qu’on fasse attention aux lectures des Écritures, et on trouvera certainement, soit dans les histoires, soit dans les conseils, quelque chose qui conviendra. Ainsi dans le conseil il est dit : « Le moment de sa fureur est devenu sa ruine ». (Sir. 1,28) Et ailleurs : « L’homme colère n’est pas modéré » (Prov. 11,25) ; et mille choses semblables. Ailleurs on lit encore : « L’homme qui n’est pas maître de sa langue ne prospérera pas ». (Ps. 139,12) Le Christ a dit : « Celui qui se met sans raison en colère contre son frère »… (Mt. 5,22) Le prophète dit aussi : « Mettez-vous en colère, mais ne péchez pas ». (Ps. 4,5) Et ailleurs : « Maudite soit leur colère, parce qu’elle est implacable ». (Gen. 49,7) Dans les histoires, ce sera pour vous un exemple, lorsque vous lirez que Pharaon et l’Assyrien, enflammés de colère, ont péri par cette cause. Un autre est-il épris de l’amour des richesses, qu’il entende cette parole : « Rien de plus injuste que l’avare, car cet homme met son âme en vente ». (Sir. 10,9) Et cette autre du Christ : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt. 6,24) ; et l’apôtre, lorsqu’il dit : « L’avarice est la racine de tous les vices ». (1Tim. 6,10) Le prophète dit : « Si vos richesses sont abondantes, n’y attachez pas, votre cœur ». (Ps. 61,10) Et beaucoup de textes semblables. Par les histoires vous connaîtrez Giézi, Juda, les princes des prêtres, les scribes, et vous saurez « que les présents aveuglent les yeux des sages ». Un autre est-il orgueilleux ? qu’il écoute cette parole : « Dieu résiste aux superbes » (Prov. 3,34) ; « le principe du péché est l’orgueil » (Sir. 10,14) ; et aussi : « Tout homme au cœur hautain est impur devant Dieu ». (Prov. 16,5) Dans les histoires vous lirez ce qui est arrivé au démon et à tous les autres. En somme, car nous ne pouvons tout énumérer, que chacun choisisse dans les divines Écritures le remède à ses propres blessures. Si vous ne pouvez guérir le tout, guérissez déjà une partie aujourd’hui, demain une autre, ensuite le tout.
Vous trouverez dans les Écritures de nombreux exemples sur la pénitence et sur la confession, sur l’aumône et sur la justice, sur la sagesse et sur toutes choses. « Toutes ces choses ont été écrites », dit saint Paul, « pour notre instruction ». (Rom. 15,4) Si donc c’est pour notre instruction que l’Écriture traite toutes sortes de sujets, prêtons notre attention à l’Écriture. Pourquoi nous faisons-nous de vaines illusions ? Je crains qu’il ne soit dit de nous : « Nos jours se sont écoulés dans la vanité, et nos années ont passé avec rapidité ». (Ps. 67,33) Qui de nos auditeurs s’est éloigné du théâtre ? Qui a abandonné l’avarice ? Qui est devenu plus zélé pour l’aumône ? Je voudrais le savoir, non par vaine gloire, mais pour devenir plus ardent à la vue du fruit évident de mes travaux. Mais comment m’appliquerai-je à mon œuvre, en voyant des pluies si abondantes de doctrines tombées inutilement, et notre semence toujours à la même mesure, et les fruits toujours aussi maigres ? Enfin le temps de l’aire, où l’on emploie le van, est arrivé. Je crains qu’il n’y ait que de l’herbe ; je crains que tous nous ne soyons jetés dans la fournaise. L’été est passé ; l’hiver est venu ; nous sommes assis, jeunes et vieux, enchaînés par nos propres vices. Ne me dites pas : Je ne commets pas la fornication. Quelle utilité pour vous de n’être pas fornicateur, si vous êtes avare ? Le passereau, quoiqu’il ne soit pas pris de toutes parts, s’il est seulement retenu par le pied, périt cependant, arrêté dans le filet, et ses ailes ne lui servent à rien, vu qu’il est pris par le pied. Ainsi, vous qui n’êtes pas pris par la fornication, mais qui aimez l’argent, vous êtes pris cependant ; la question n’est pas de savoir comment vous êtes pris, mais si vous l’êtes. Que le jeune homme ne dise pas : Je ne suis point avare ; peut-être êtes-vous fornicateur. Encore une fois, quel gain à cela ? Tous les vices ne peuvent pas être réunis chez nous dans un même âge de la vie, mais ils sont partagés entre tous les âges, et cela par la miséricorde de Dieu, de peur qu’ils ne devinssent indomptables, s’il, s’emparaient de nous tous à la fois ; de peur aussi que la lutte contre eux ne fût trop difficile. Quelle paresse n’y aurait-il donc pas de notre part, à ne pouvoir triompher des passions ainsi divisées, à nous laisser vaincre dans chaque saison de la vie, et à nous prévaloir fièrement des qualités qui nous viennent, non de la vertu, mais de l’âge. Ne remarquez-vous pas les cochers, qui usent de toutes sortes de soins, d’exercices et de travaux, de certaines nourritures mêmes, et de bien d’autres moyens pour n’être pas renversés de leur char ? Voyez ce que peut l’art ! Un homme même courageux ne peut souvent modérer un seul cheval ; et un tout jeune homme, par son art, en prend deux souvent, et les dirige et les conduit avec facilité. Chez les Indiens, dit-on, l’éléphant, cette bête énorme et redoutable, se laisse mener avec plaisir par un enfant de quinze ans. Pourquoi parlé-je ainsi ? Parce que si, par notre art et notre vigilance, nous domptons les éléphants et les chevaux, bien plus pourrons-nous dompter nos passions. D’où vient que nous sommes sans force pendant notre vie entière-? Jamais nous ne nous sommes appliqués à cet art ; jamais aux jours de loisir, libres de toutes luttes, nous ne nous sommes entretenus avec nous-mêmes sur ce qui était bon à faire. Nous ne songeons à mettre le pied sur notre char que lorsqu’il faut combattre ; c’est pour cela que nous devenons un objet de risée. N’ai-je pas dit souvent : Exerçons-nous en notre intérieur avant la tentation ? Souvent nous nous exaspérons à la maison contre nos serviteurs ; apaisons alors notre colère pour apparaître calmes au milieu de nos amis ; si nous nous exercions en toute autre chose, nous ne serions pas un objet de risée au jour du combat. Mais maintenant on a des armes, des exercices, des études pour toute autre chose, comme pour les arts et la lutte ; nullement pour la vertu. L’agriculteur n’oserait cultiver une vigne, si d’abord il ne s’était convenablement exercé à la culture ; le pilote ne s’assiérait pas au gouvernail, s’il ne s’était préalablement instruit ; et nous, avec notre inexpérience, nous voulons tenir la première place. On devrait se taire ; on ne devrait rien dire ni rien faire avant d’avoir pu apprivoiser la bête féroce qui est en nous. Est-ce que la fureur et la concupiscence ne combattent pas plus violemment contre nous que toute bête féroce ? Ne vous lancez pas sur la place publique avec ces bêtes féroces avant de les avoir domptées et apprivoisées. Ne savez-vous pas combien gagnent et sont admirés ces hommes qui conduisent à travers le cirque les lions apprivoisés, parce qu’ils ont dressé à la douceur une bête sans raison ? Mais si tout à coup le lion devient féroce, il chasse tout le monde de la place, son conducteur lui-même est en péril, et de plus, il peut causer la perte des autres. Vous donc, apprivoisez d’abord le lion, et conduisez-le seulement alors, non pour gagner quelque argent, mais pour faire un bénéfice auquel rien n’est comparable, car rien n’est comparable à la douceur ; elle est bonne à ceux qui la possèdent et à ceux qui en profitent. Courons donc après elle, afin qu’après avoir suivi avec soin la route de la vertu, nous acquérions les biens éternels, par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX. modifier


COMME ILS SORTAIENT, ON LES PRIA DE RÉPÉTER CES PAROLES LE SABBAT SUIVANT. (VERSET 42, JUSQU’AU VERSET 13 DU CHAPITRE XVIII)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Saint Paul et saint Barnabé à Lystre. – Guérison d’un paralytique. – Les habitants de cette ville, prenant les deux apôtres pour des dieux, veulent leur sacrifier.
  • 3 et 4. Eloge de l’humilité. – Nous enseignons mieux par nos exemples que par nos paroles. – Le saint Docteur blâme la vanité de certains prédicateurs et s’élève éloquemment contre la mauvaise habitude d’applaudir dans la maison de Dieu.


1. Voyez toute la prévoyance de Paul. non seulement il fit naître alors leur admiration, mais il excita en eux le désir de l’entendre encore ; il avait seulement ensemencé leurs âmes, sans finir sa tâche ni terminer son discours, car il voulait d’abord se concilier leur attention et leur bienveillance, et ne pas les rebuter en surchargeant leur esprit dès la première fois. Il avait dit : « C’est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée », mais il n’avait pas expliqué de quelle manière ; ensuite il parle de lui-même pour la première fois. Voyez quel enthousiasme ! « On les suivait », dit le texte. Pourquoi ne les a-t-il pas baptisés aussitôt ? Il n’était pas encore temps ; il fallait fortifier leurs convictions. « Quand l’assemblée fut séparée, beaucoup de Juifs et de prosélytes suivirent Paul et Barnabé qui les exhortaient à persévérer dans la grâce de Dieu (43). Le sabbat suivant, presque toute « la ville s’assembla pour écouter la parole de Dieu (44). Mais les Juifs, voyant cette affluente, furent remplis d’envie et combattaient les discours de Paul, mêlant des blasphèmes à leurs contradictions (45) ». Voyez comme la méchanceté se nuit à elle-même en voulant nuire aux autres. C’était une grande gloire pour les apôtres que cette contradiction qu’on leur opposait : d’abord ces gens les priaient de parler, maintenant « ils mêlaient des blasphèmes à leurs contradictions ». Quelle insolence ! ce qui méritait leurs éloges attirait leurs contradictions. « Alors Paul et Barnabé leur dirent hardiment : C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils (46) ». Voyez-vous comment l’opposition qu’ils rencontrent leur fit étendre leur prédication et se dévouer de plus en plus aux gentils, après avoir établi qu’ils n’avaient rien à se reprocher envers leurs compatriotes ? Il ne dit pas : Vous êtes indignes ; mais : « Vous vous jugez indignes », afin d’éviter toute parole blessante. « Voici que nous nous tournons vers les gentils (47), car voici l’ordre que le Seigneur nous a donné : Je t’ai établi pour la lumière des gentils, afin que tu serves leur salut jusqu’à l’extrémité de la terre ». (Is. 49,6) Les premières paroles pouvaient déplaire aux gentils en leur donnant à entendre que les apôtres ne leur conféraient pas ces biens par un zèle charitable, mais parce que les Juifs les repoussaient ; c’est pour cela qu’il ajoute la prophétie : « Je t’ai établi pour la lumière des gentils, afin que tu serves à leur salut jusqu’à l’extrémité de la terre. Les gentils entendant cela se réjouirent (48) », apprenant qu’ils allaient jouir des biens dont les Juifs seraient privés ; mais ceux-ci n’en étaient que plus piqués. « Les gentils, entendant cela, se réjouirent et glorifiaient la parole du Seigneur ; tous ceux qui avaient été prédestinés à la vie éternelle crurent », c’est-à-dire, ceux que Dieu avait désignés pour cela. Voyez la promptitude de ces travaux ! « La parole du a Seigneur se répandait dans tout le pays (49) » ; c’est-à-dire, se publiait. C’est comme s’il disait : Ils ne se contentaient pas du zèle, ils y ajoutaient les œuvres. Voyez encore quels autres prodiges ce zèle qui les excite va leur faire accomplir. Ils se préparent à parler avec une nouvelle audace et à se rapprocher des gentils. Voici de quelle manière : « Paul et Barnabé leur dirent hardiment : C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais, puisque vous la rejetez, voici que nous nous tournons vers les gentils ».
Ainsi il ne leur restait plus qu’à aller trouver les gentils. Mais leur audace est mêlée de prudence, et avec raison : car si Pierre s’était justifié, ils avaient bien plus besoin de justification, puisque personne ne les appelait à cette nouvelle mission. Aussi l’apôtre dit-il : « C’était à vous d’abord », pour constater qu’il avait commencé à leur parler ; « qu’il fallait annoncer », reconnaissant ainsi qu’il devait s’adresser à eux. « Mais puisque vous la repoussez », il ne leur dit pas : Malheur à vous ; ni : Vous serez punis ; mais : « Nous nous tournons vers les gentils ». Vous voyez que leur courage est plein de modération. « Mais les Juifs excitèrent des femmes dévotes et de qualité, ainsi que les principaux habitants de la ville, les portèrent à persécuter Paul et Barnabé et à les chasser du pays (50)». Voyez quel avantage avaient pris les adversaires de la prédication, et à quel excès d’emportement ils avaient entraîné ces femmes. « Alors, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, ils vinrent à Icone (51) ». Ils partirent en accomplissant la terrible parole du Christ : «. Si quelqu’un ne vous reçoit pas, secouez en sortant la poussière de vos pieds ». (Mt. 10,14 ; Mc. 6,11) Ils ne le firent point sans raison suffisante, mais après avoir été chassés. Du reste, cela ne fit aucun tort à leurs disciples, qui n’en furent que plus attachés à leur parole. Pour le faire voir, il ajoute : « Cependant les disciples étaient remplis de joie et du Saint-Esprit (52) ». La persécution du maître n’ôte rien à la confiance du disciple et même ajoute à son zèle.
« Étant à Icone, ils entrèrent dans la synagogue des Juifs, et parlèrent de telle sorte qu’une grande foule de Juifs et de Grecs embrassèrent la foi ». (Chap. 14,1) Ainsi ils entrent encore dans une synagogue. Vous voyez qu’ils n’étaient pas devenus plus craintifs, quoiqu’ils eussent dit : « Nous nous tournons vers les gentils ». Cependant ils enlèvent toute excuse aux incrédules, car « une grande multitude de Juifs et de Grecs embrassèrent la foi ». Il est probable, en effet, qu’ils ont aussi prêché aux Grecs. « Ceux des Juifs qui restèrent incrédules, excitèrent et irritèrent l’esprit des gentils contre les frères (2) ». Ainsi, les Juifs excitèrent les gentils, comme si ce n’eût pas été assez d’eux-mêmes. Pourquoi donc les apôtres ne sortirent-ils pas aussitôt ? Parce qu’ils n’étaient point chassés, mais seulement combattus. « Ils restèrent donc longtemps, publiant hautement le Seigneur qui rendait témoignage à la parole de sa grâce, en opérant par leurs mains des prodiges et des miracles (3) ». Voilà ce qui les encourageait, tandis que leur zèle encourageait leurs disciples. Aussi ne prodiguaient-ils pas les miracles ; ils comptaient comme miracle la foi de leurs auditeurs. L’indépendance de leur parole produisait encore un autre effet. « Toute la ville était partagée : les uns étaient avec « les Juifs, et les autres avec les apôtres (4) ». Cette séparation servait encore à les accuser. C’est ce que disait le Christ. « Je ne suis pas venu vous apporter la paix, mais le glaive ». (Mt. 10,34) « Mais comme les gentils et les Juifs, avec leurs principaux chefs, allaient se jeter sur eux pour les outrager et les lapider (5), les apôtres l’ayant su, s’enfuirent à Lystre et à Derbe, villes de Lycaonie, et au pays d’alentour, où ils prêchèrent l’Évangile (6) ».
2. Ils cherchent encore à développer la prédication, et quand ils y parviennent, on les expulse de nouveau : Remarquez l’avantage des persécutions : les persécuteurs sont vaincus, et les persécutés couverts de gloire. Paul, arrivant à Lystre, opère un grand miracle ; il guérit un boiteux en lui parlant à haute voix. Voici comment : « Il y avait à Lystre un homme perclus de ses pieds, boiteux dès le ventre de sa mère, et qui n’avait jamais marché (7). Cet homme écouta la prédication de Paul ; et Paul, arrêtant les yeux sur lui et voyant qu’il avait ta foi d’être sauvé (8), lui dit à haute voix : Levez-vous et tenez-vous droit sur vos pieds. Et il sautait, et il marchait (9) ». Pourquoi parla-t-il à haute voix ? Pour que la foule fût amenée à croire. Observez que cet homme était attentif aux paroles de Paul, comme l’indique ce mot : « il écouta ». Remarquez son zèle ; le chagrin de son infirmité n’ôtait rien à son attention. « Paul arrêta les yeux sur lui et vit qu’il avait la foi d’être sauvé ». Cet homme s’était déjà familiarisé avec la « préélection ». Une marche opposée à ce qui se passait d’ordinaire avait été suivie à son égard. D’ordinaire on guérissait le corps, puis l’on s’occupait de l’âme. Ici, il en fut tout autrement, car il me semble que Paul songea d’abord à l’âme. Cet homme « sautait et marchait », mais ces démonstrations étaient nécessaires pour prouver sa parfaite guérison : « Les assistants, ayant vu ce que Paul avait fait, élevèrent la voix et dirent en langue lycaonienne : Ce sont des dieux sous forme humaine, descendus au milieu de nous (10) ». « Ils appelaient Barnabé Jupiter, et Paul, Mercure, parce que c’était lui qui portait la parole (11). Le prêtre de Jupiter, dont le temple était près de la ville, amena des taureaux avec des couronnes devant la porte, voulant, ainsi que le peuple, leur offrir un sacrifice (12) ». D’abord, ils n’avaient pas manifesté un pareil projet, ils s’écriaient seulement dans leur langage : « Ce sont des dieux sous forme humaine descendus au milieu de nous » ; aussi les apôtres ne leur répondaient rien. Mais quand ils virent les couronnes, ils sortirent et déchirèrent leurs vêtements : « Les apôtres Barnabé et Paul ayant entendu cela, déchirèrent leurs vêtements, et, s’avançant au milieu de la multitude, ils crièrent et dirent (13) : Amis, que faites-vous ? Nous ne. Sommes que des hommes faibles comme vous (l4) ». Observez que la gloire mondaine ne les souille jamais ; non seulement ils ne la désirent point, mais ils la repoussent quand elle se présente, comme le dit encore Pierre : « Pourquoi nous considérer ainsi, comme si nous avions fait marcher cet homme par notre vertu et notre propre puissance ? » (Act. 3,12) Ils répètent ici la même chose. Joseph aussi disait à propos des songes : « N’est-ce pas Dieu qui nous éclaire ainsi ? » (Gen. 40,8), Daniel parle de même : « Cette révélation ne vient pas de la sagesse qui est en moi ». (Dan. 2,30) Paul tient partout le même langage, quand il dit : « Qui est capable d’un pareil ministère ? » Et aussi : « Nous ne sommes capables d’avoir par nous-mêmes aucune bonne pensée, comme venant de nous-mêmes, mais c’est Dieu qui nous en rend capables ». (2Cor. 2,16 ; 3, 5)
Mais reprenons l’explication de notre texte plus haut. Ce n’était pas un attachement ordinaire que le peuple avait pour eux : qu’était-ce donc ? On désirait les entendre de nouveau, et ce zèle se manifestait par des actions. Vous voyez que partout on les implore ; on ne se contente pas de les accueillir, on les adore. Aussi, notre auteur dit-il plus loin : « Ils leur parlaient et les engageaient à persévérer dans la grâce de Dieu ». Pourquoi les auditeurs n’ont-ils pas commencé par les contredire ? Parce que ceux qui les y excitaient ne s’étaient pas encore déchaînés. Mais bientôt, voyez quel changement dans leurs sentiments ; ils n’arrivent pas seulement aux contradictions, ils vont jusqu’aux blasphèmes ; c’est que la perversité ne sait jamais s’arrêter. Mais remarquez le courage, des apôtres : « C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu : mais puisque vous la rejetez… » Cependant, ce langage n’a rien d’offensant, comme quelquefois celui des prophètes, lorsqu’ils s’écrient : « Trêve de vaines paroles ». Les apôtres disent : c’est cette parole que vous rejetez, ce n’est pas nous ; vos injures ne s’adressent donc pas à nous. Mais il ne faut pas croire que cela montre de leur part aucune timidité ! Vous ne vous en jugez pas dignes ; voilà pourquoi il a commencé par dire : « Vous l’avez rejetée », et enfin : « nous nous tournons vers les gentils ». Ce discours est plein de douceur. Il ne dit pas : nous vous abandonnons ; car il veut leur montrer que peut-être il reviendra vers eux : ce ne sont pas vos injures qui nous détournent de vous, mais c’est l’ordre de Dieu, car il faut instruire les gentils : seulement, ce n’est pas nous, c’est vous-mêmes qui êtes cause du bien que nous leur ferons. « Voici l’ordre que le Seigneur nous a donné : Je t’ai établi la lumière des gentils, afin que tu serves à leur salut » ; c’est-à-dire, pour les, instruire de ce qui est nécessaire à leur salut, et non seulement les gentils, mais tout le monde. C’est là ce que signifient ces paroles : « Tous ceux qui avaient été prédestinés à la vie éternelle ». Cela prouve qu’ils étaient désignés dans la pensée de Dieu. Dans ce mot « prédestinés », il faut bien voir qu’il ne s’agit pas d’une aveugle fatalité. « Il les a connus et il les a vus d’avance ». (Rom. 8,__PAGESEPARATOR__29). Or, ces élus n’étaient pas seulement répandus dans la ville, mais dans le pays, car les gentils, ayant entendu la prédication, avaient été entraînés peu à peu. « Mais les Juifs excitèrent des femmes dévotes et firent naître une persécution ». Ainsi, vous voyez qu’ils étaient cause de tout ce que faisaient ces femmes. « Ils les chassèrent de la contrée » ; c’est-à-dire, non seulement de la ville, mais de tout le pays. Voici le plus frappant : « Les disciples étaient remplis de joie et du Saint-Esprit ». On chassait leurs maîtres et ils se réjouissaient ! Admirez la nature et la puissance de l’Évangile ! « Mais les Juifs irritèrent l’esprit des gentils contre les frères ». C’est-à-dire, qu’ils répandaient une foule de calomnies et d’accusations sur les apôtres et les fidèles, et corrompaient les esprits simples.
3. Observez comme Paul rapporte toujours tout à Dieu. « Ils restèrent longtemps prêchant sans se laisser intimider, pleins de confiance dans le Seigneur, qui rendait témoignage à la parole de sa grâce ». Ne croyez pas que cette expression rabaisse la divinité ; c’est lorsqu’ils parlaient que se montrait leur confiance. Saint Paul dit de même que « Jésus-Christ a rendu, témoignage sous Ponce-Pilate » ; ici c’était devant le peuple. Les apôtres s’éloignèrent quand il fallut céder à la fureur. « Ils s’enfuirent à Lystre et à Derbe, villes de Lycaonie, et au pays d’alentour », où la colère de leurs ennemis pouvait moins les poursuivre : aussi ne s’arrêtaient-ils pas seulement dans les villes, mais encore dans les campagnes. Remarquez la simplicité des gentils et la malice des Juifs. Les gentils prouvaient par leurs actions qu’ils étaient dignes d’écouter la parole des apôtres : n’eussent-ils vu que leurs miracles, ils les auraient honorés. Ils les regardaient comme des dieux, tandis que les autres les chassaient comme perturbateurs. Les uns, non seulement n’interrompaient point leur prédication, mais ils disaient : « Des dieux, sous forme humaine, sont descendus parmi nous » ; tandis que les autres étaient scandalisés. Les premiers « appelaient Barnabé Jupiter, et Paul, Mercure ». Cela me fait croire que Barnabé avait l’air vénérable. Une tentation aussi grave venait d’une énorme exagération ; mais elle fait éclater la vertu des apôtres : voyez encore comme ils rapportent tout à Dieu.
Imitons-les en cela, et pensons que rien n’est à nous, puisque notre foi elle-même ne nous appartient pas. Pour voir qu’elle nous appartient bien moins qu’à Dieu, écoutez encore saint Paul : « Cela ne vient pas de nous, mais c’est un don de Dieu ». (Eph. 2,8) Ne soyons donc jamais gonflés. d’orgueil, puisque nous ne sommes que des hommes, c’est-à-dire, de la terre et de la cendre, de l’ombre et de la fumée. Dites-moi, de quoi tirez-vous vanité ? Vous avez fait l’aumône et épuisé vos richesses ? Qu’est-ce que cela ? Réfléchissez que Dieu aurait pu ne pas vous faire riche : Songez aux pauvres, songez surtout à ceux qui, après avoir tout donné et livré leurs corps eux-mêmes, ont dit : nous sommes des serviteurs inutiles. Vous vous êtes sacrifié à vous-même ; le Christ s’est sacrifié pour vous ; vous avez donné ce que vous aviez reçu ; le Christ n’avait rien reçu de vous. Songez à l’incertitude de l’avenir et ne vous enorgueillissez point, mais tremblez. Si vous avez quelque mérite, ne le diminuez pas par votre arrogance. Voulez-vous faire des actions véritablement belles ? Ne vous imaginez jamais avoir accompli de belles actions. Vous êtes vierge ?.mais bien des martyres aussi, étaient vierges, et la virginité ne les a pas défendues contre la cruauté et l’inhumanité.
Rien n’est comparable à l’humilité ; c’est la mère, la racine, l’aliment, le lien et la base de tous les biens : sans elle nous sommes impurs, abominables, exécrables. Supposez quelqu’un qui ressuscite les morts, fasse marcher les boiteux et guérisse les lépreux. S’il y met de l’orgueil, il n’est rien de plus souillé, de plus impie, de plus scélérat. Pensez que vous n’êtes rien par vous-même. Vous possédez l’éloquence et l’art d’enseigner ? Ne croyez pas pour cela valoir plus que les autres. Vous, devez vous humilier d’autant plus, que plus de dons vous ont été accordés, car celui à qui l’on remet plus, aime plus (Lc. 7,47). Sans compter les autres raisons, il faut vous humilier parce que Dieu vous a favorisé. Aussi vous devez trembler, car souvent ces faveurs peuvent vous perdre, si vous n’y veillez pas.
Pourquoi vous enorgueillir ? Parce que vous enseignez la sagesse ? Il est facile de le faire en paroles ; enseignez-moi par l’exemple de votre vie : c’est la meilleure instruction. Vous vantez la modération, et là-dessus vous développez un long discours, vous faites couler à profusion les flots de votre éloquence. Il vaudrait mieux, vous dira-t-on, l’enseigner en la pratiquant, car jamais l’enseignement borné aux paroles ne pénétrera l’esprit aussi bien que les actions. Si vous n’agissez pas, vous ne serez bon à rien, vous nuirez plutôt : mieux vaut se taire. Pourquoi cela ? Parce que vous me proposez quelque chose d’impossible. Réfléchissez que si vous ne faites rien de tout ce que vous dites, je suis bien plus excusable de n’en rien faire, moi qui ne dis rien. De là cette parole du prophète : « Dieu dit au pécheur : Pourquoi parles-tu de ma justice ? » (Ps. 49,16) Rien n’est donc plus nuisible que de voir un homme qui enseigne bien, mais dont la conduite contredit le langage : il en est résulté bien des maux pour l’Église. Aussi, excusez-moi, je vous prie, si je m’arrête là-dessus quelque temps. Bien des gens font tout ce qu’ils peuvent pour parvenir à parler longtemps devant la foule, et s’ils obtiennent les applaudissements du public, ils sont plus heureux que l’empereur : mais si leur discours se termine au milieu du silence, cet accueil froid et muet leur est plus pénible que l’enfer. Ce qui a bouleversé les églises, c’est que vous ne demandez point des discours qui vous remplissent de componction, mais qui vous charment par l’harmonie et l’arrangement des mots, comme si vous écoutiez des chanteurs et des musiciens ; et nous autres, nous prenons un soin ridicule et déplorable pour flatter vos goûts que nous devrions combattre.
4. Nous ressemblons à un père trop faible pour un enfant chétif, qui ne lui donnerait que des gâteaux, des friandises insignifiantes, ruais rien de nourrissant. Aux reproches des médecins, il répondrait : Que voulez-vous ? Je ne puis pas voir pleurer un enfant. Malheureux, insensé et traître, indigne du nom de père ! Ne valait-il pas mieux le chagriner un instant pour lui rendre la santé, que de lui donner ce plaisir éphémère qui doit causer une douleur continuelle. Voilà ce que nous faisons, nous aussi quand nous travaillons à faire un discours élégant, bien disposé, harmonieux, afin de plaire au lieu d’être utiles ; pour amuser, non pour toucher ; pour recueillir des éloges et des applaudissements, mais non pour corriger les mœurs.
Croyez-moi, car je sais ce qu’il en est quand on m’applaudit dans un discours, je sens que je suis homme (pourquoi n’avouerais-je pas la vérité?), je me réjouis, je m’exalte. Mais rentré chez moi, je songe que ceux qui m’ont applaudi n’ont rien gagné à m’entendre ; du moins, le peu de profit qu’ils en ont tiré s’est perdu avec le bruit des applaudissements : alors je me tourmente, je gémis et je pleure ; il me semble, dans mon découragement, que mes discours ne servent à rien, et je me dis à moi-même : à quoi bon toutes mes sueurs, si ceux qui m’écoutent ne veulent point profiter de mes paroles ?
Souvent j’ai songé à établir comme règle de défendre les applaudissements, et à vous persuader d’écouter en silence et dans une attitude convenable. Laissez-moi dire, je vous en prie, et croyez-moi : si vous y consentez, établissons dès à présent cette règle qu’il ne soit permis à personne d’interrompre l’orateur par des applaudissements. Si quelqu’un veut admirer, qu’il admire en silence : personne ne l’en empêchera, et tout ce qu’il a de zèle et d’ardeur sera mieux employé à retenir le discours. Pourquoi applaudissez-vous ? J’établis une règle là-dessus et vous ne pouvez pas l’observer, même en l’écoutant. Il en résultera une foule d’avantages, et notre sagesse en profitera beaucoup. Quand les philosophes païens parlaient, il n’y avait jamais d’applaudissements : pendant les prédications des apôtres jamais on n’a dit que l’auditoire les eut interrompus par des applaudissements. Cela sera un grand profit pour nous. Mais convenons bien de cela pour que les auditeurs restent tranquilles et l’orateur aussi. Quand même, après avoir applaudi, on retiendrait encore en s’en allant quelque chose de ce qu’on aurait entendu, cette manière d’approuver ferait toujours mauvais effet ; mais je n’insiste pas là-dessus, de crainte de paraître trop sévère. Enfin, puisque cette coutume ne peut être que nuisible, détruisons cet obstacle, supprimons ces élans et coupons court à ces emportements de l’âme. Le Christ parla sur la montagne, et tout le monde garda le silence jusqu’à la fin de son discours. Je ne prive de rien ceux qui aiment à applaudir ; au contraire, ils admireront davantage. Il vaut bien mieux écouter en silence, et pouvoir en tout temps, chez soi et ailleurs, applaudir par réflexion, que de rentrer sans rien rapporter et sans savoir pourquoi on a applaudi. Une pareille manière d’entendre n’est-elle pas ridicule ? n’est-ce pas à la fois une flatterie et une dérision que de vanter l’éloquence d’un orateur sans pouvoir expliquer ce qu’il a dit ? C’est là une flatterie, que l’on comprendrait seulement chez celui qui entendrait des musiciens et des tragédiens, car il sait bien qu’il n’en pourrait faire autant : ici, quand il ne s’agit plus de mélodies et de belles voix, mais de sagesse et de raisonnements, comment excuser celui qui ne pourrait rendre compte du plaisir que lui a causé l’orateur ? Rien ne convient mieux dans une église que le silence et le bon ordre. Le tumulte est à sa place dans les théâtres, les bains, les fêtes et les marchés, mais l’endroit où l’on enseigne les dogmes divins doit être le refuge du calme, de la tranquillité et de la sagesse ce doit être un port à l’abri des orages. Sachez-le tous, je vous en prie et je vous en conjure. Je cherche toutes les manières imaginables de me rendre utile à vos âmes : en voilà une qui me semble bien importante ; elle me sera aussi profitable qu’à vous-mêmes. Elle nous préservera des chutes où pourraient nous entraîner l’amour des éloges et de la gloire ; elle nous engagera à chercher dans nos discours l’utile plutôt que l’agréable ; et à préférer sans cesse la force des pensées au choix et à l’arrangement des mots. Entrez dans l’atelier d’un peintre, vous y remarquerez un grand silence. Qu’il en soit de même ici, car la noblesse des couleurs que nous employons ne permet pas de tracer des portraits de particuliers, mais seulement des images royales. Qu’est-ce donc ? vous applaudissez encore ? Je vois qu’il est difficile de vous détourner de ce travers, qui cependant n’est pas naturel et ne provient que d’une mauvaise habitude. Notre langue est un crayon, et le Saint-Esprit est l’artiste qui le dirige. Dites-moi, quand on administre les sacrements, voit-on du trouble, du tumulte ? Dans les baptêmes, ou dans toute autre cérémonie, le calme et le silence ne règnent-ils pas ? Le ciel même s’en réjouit ! Aussi les Grecs non convertis blâment vos applaudissements, comme si nous faisions tout pour la gloire et l’ostentation. Mais, dira-t-on, si l’on parvient à les supprimer, il n’y aura plus d’émulation ? Il doit suffire, à celui qui aime les louanges, de les recueillir en comptant les fruits de sa prédication. Aussi, je vous en conjuré, établissons cette loi ; afin que, faisant tout pour la gloire de Dieu, nous méritions sa clémence, par la grâce et la miséricorde de son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXI. modifier


LES APÔTRES BARNABÉ ET PAUL, AYANT ENTENDU CELA, DÉCHIRÈRENT LEURS VÊTEMENTS, ET S’AVANÇANT AU MILIEU DE LA FOULE, ILS CRIÈRENT : – « AMIS, QUE FAITES-VOUS ? NOUS NE SOMMES QUE DES HOMMES FAIBLES COMME VOUS ET NOUS VOUS AVERTISSONS DE QUITTER CES ILLUSIONS POUR VUS CONVERTIR AU DIEU VIVANT QUI A FAIT LE CIEL, LA TERRE ET LA MER, ET TOUT CE QU’ILS CONTIENNENT ». (CHAP. 14, VERS. 13, 14, JUSQU’AU VERS. 26)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Courage de saint Paul.
  • 3 et 4. Que la tribulation a de grands avantages. – Comment l’on doit supporter les injures. – Portrait de l’homme en colère qui nous montre toute la laideur de cette hideuse passion.


1. Voyez quelle véhémence montrent partout les apôtres ! Ils déchirent leurs vêtements, ils s’élancent, ils crient : tout ce que l’enthousiasme des esprits faisait pour eux, ils le repoussent et en témoignent leur affliction. En effet, t’eût été pour eux un véritable deuil, une douleur inconsolable, d’être regardés comme des dieux et de fortifier l’idolâtrie qu’ils venaient renverser. Sans doute c’était un piège du démon. Mais ils en ont horreur ; et que font-ils ? « Nous ne sommes », disent-ils, « que des hommes faibles comme vous ». Ils détruisent le mal dès son origine ; ils ne disent pas seulement : « Nous sommes des hommes », mais : « des hommes comme vous ». Pour ne pas être honorés comme des dieux, remarquez ce qu’ils ajoutent : « Nous vous avertissons de quitter ces illusions pour vous convertir au Dieu vivant qui a fait le ciel, la terre et la mer et tout ce qu’ils contiennent ». (Ps. 145,6) Observez qu’ils ne s’arrêtent pas à citer les prophètes ni à dire pourquoi le Créateur a laissé les gentils à eux-mêmes. « Dans les siècles passés, il a laissé marcher toutes les nations dans leurs voies (15) ». Il dit qu’il l’a permis, mais il ne dit pas encore pourquoi, et, pour aller au plus pressé, il ne prononce même pas le nom du Christ. « Néanmoins, il n’a point cessé de se manifester, en répandant sur nous des bienfaits célestes, en nous envoyant les pluies et les saisons favorables aux récoltes, nous donnant une nourriture abondante et remplissant nos cœurs de joie (16) ». Il ne cherche pas à aggraver leur fauté, mais il les engage à rie servir que Dieu. En effet, les apôtres savaient que, s’il faut s’efforcer de parler de Dieu d’une manière digne de lui, il est encore plus important d’être utile à ceux qui écoutent. Voyez comme il dissimule le blâme qu’ils méritent. En effet, il aurait pu leur reprocher de jouir de tant de biens sans connaître celui qui les leur prodiguait : cependant il ne le dit pas ouvertement, il le donne seulement à entendre. « C’est du ciel », dit-il, « que Dieu nous envoie les pluies ». David avait parlé de même : « L’abondance du froment, du vin et de l’huile a multiplié le peuple » (Ps. 4,8) ; souvent, en parlant de la création, il revient sur ce sujet. Jérémie célèbre d’abord la Création, puis le bienfait providentiel des pluies ». (Jer. 5,24) D’après ces autorités, les apôtres ajoutent : « Dieu nous remplit de largesses et de joie ». C’est-à-dire, qu’il nourrit les hommes avec abondance, au lieu de leur donner le strict nécessaire. « Mais ils eurent beau parler, à peine purent-ils empêcher que le peuple ne leur sacrifiât (17) ». Voilà ce qu’il y eut de plus admirable chez eux : ils ne songèrent qu’à les détourner de leur folie.
« Plusieurs Juifs arrivèrent d’Antioche et d’Icone et gagnèrent le peuple ; ils lapidèrent Paul et le traînèrent hors de la ville, croyant qu’il était mort (18) ». Voilà l’œuvre du démon ! Les Juifs agissaient ainsi, non seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes, et montraient autant d’ardeur à ruiner la prédication que les apôtres en mettaient à l’affermir. « Ils gagnèrent le peuple ; ils lapidèrent Paul et le traînèrent hors de la ville, croyant qu’il était mort ». On reconnaît ici l’accomplissement de cette parole « Ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse »(II Cor. XII ; 9) ; cela était plus grand que de guérir un boiteux. Les gentils les avaient regardés comme des dieux ; mais, après avoir gagné le peuple, les Juifs le traînèrent hors de la ville. Si quelques habitants avaient admiré les apôtres, ïl est probable que tous n’avaient pas été du même avis : aussi vous voyez que, dans cette même ville où on les avait ainsi admirés, ils souffrent de cruels traitements. Pourquoi Dieu l’avait-il permis ? c’est ce que Paul nous explique lui-même en disant : « Il ne faut pas que personne m’estime au-dessus de ce qu’il voit en moi, ou de ce qu’il entend dire de moi ». (2Cor. 12,6)
« Les disciples s’étant amassés autour de « lui, il se leva et rentra dans la ville (19) ». – Voyez quelle ardeur ! voyez quel zèle fervent et enflammé ! Il revient dans la ville pour faire voir que, s’il la quittait, c’était pour répandre la parole de Dieu et pour éviter d’irriter personne. Cela faisait aux apôtres plus d’honneur que des miracles, et eux-mêmes en étaient plus heureux. Car on ne dit pas qu’ils fussent satisfaits d’opérer des miracles, mais plutôt d’être jugés dignes de se voir méprisés pour la gloire du Seigneur ; c’est ce qu’ils avaient appris par ces paroles du Christ : « Ne vous réjouissez pas parce que les démons vous sont soumis » (Lc. 10,20) ; leur véritable joie était de souffrir pour le Christ. Aussi revenaient-ils dans toutes les villes où ils avaient couru quelque danger. « Le lendemain, il partit avec Barnabé pour aller à Derbe. Après avoir annoncé l’Évangile dans cette ville et instruit plusieurs personnes, ils revinrent à Lystre, à Icone et à Antioche (20), fortifiant le courage des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, et leur montrant qu’il faut passer par bien des tribulations pour a entrer dans le royaume de Dieu (21) ».
2. Tels étaient leurs discours et leurs enseignements. « Ils fortifiaient le courage des disciples », leur inspirant ainsi la constance et l’union, et les engageant à fuir toute occasion de péché. Grâce à l’accord qui s’établit entre les apôtres et leurs disciples, les uns parvinrent du premier coup aux prédications les plus persuasives, et les autres à comprendre la nécessité des souffrances et de la fermeté, ainsi qu’à rechercher moins les miracles que les épreuves. Aussi Paul disait-il : « Subissant les mêmes combats que j’ai soutenus, comme vous l’avez vu et entendu dire ». (Phil. 1,30) Ils essuyaient de fréquentes persécutions ; partout ils étaient combattus, attaqués, lapidés. Aussi voyez quelles étaient leurs exhortations, et comme ils enseignaient à préférer les tribulations à toute chose. Voici encore une autre consolation qui leur était réservée : « Traversant la Pisidie, ils vinrent en Pamphylie, et ayant annoncé la parole du Seigneur à Perge, ils descendirent à Attalie (23, 24) ». Car, pour ne pas laisser leurs disciples se décourager en voyant ce que souffraient ceux qu’ils avaient d’abord regardés comme des dieux, ils vinrent près d’eux et les exhortèrent. Remarquez-le bien : Paul va d’abord à Derbe, pour laisser à la fureur populaire le temps de s’apaiser ; puis il revient à Lyslre, à Icone et à Antioche, s’éloignant devant la colère et revenant près du peuple apaisé. Vous voyez que la conduite des apôtres était dirigée non seulement par la grâce divine, mais aussi par leur activité personnelle. « De là ils firent voile jusqu’à Antioche, d’où ils avaient été envoyés à la grâce de Dieu pour faire l’œuvre qu’ils avaient accomplie (25) ». Pourquoi reviennent-ils à Antioche ? Pour annoncer ce qu’ils avaient fait. Du reste la Providence dévoilait ainsi une grande œuvre ; c’est qu’il ne fallait pas craindre d’instruire les gentils. Voilà ce qu’ils viennent annoncer, pour que tout le monde puisse le savoir. La Providence permet en même temps l’arrivée à Antioche de ceux qui s’opposaient à cette communication avec les gentils ;.mais les apôtres ; partis de Jérusalem avec tant de courage, y reviennent avec une égale confiance ; en même temps ils font preuve de soumission. En effet, s’ils avaient montré de l’indépendance en s’adressant aux gentils sans en avoir reçu la mission, ils prouvent aussi leur obéissance en rendant compte de leurs travaux ; leur conduite n’est pas suspecte d’orgueil. C’était d’Antioche « qu’ils avaient été envoyés à la grâce de Dieu » le Saint-Esprit l’avait ordonné, mais ce qui vient du Saint-Esprit vient aussi du Fils, car le Fils et le Saint-Esprit ont une même puissance et une même nature. « Après y être arrivés et avoir convoqué l’Église, ils racontèrent quelles grandes choses Dieu avait faites par eux, et comment il avait ouvert aux gentils la porte de la foi (26). Et ils demeurèrent là assez longtemps avec les disciples (27) » ; ils avaient raison, car c’était une grande ville qui avait besoin de docteurs.
Mais revenons à ce qui, précède. Ils avaient fait impression sur le peuple, en déchirant leurs habits, comme l’avait fait Josué fils de Navé, quand son peuple fut vaincu. Ne croyez pas que cela fut indigne d’eux, ou inconvenant de leur part ; il n’en fallait pas moins – pour apaiser cet emportement, et pour éteindre cet incendie. Puisqu’ils ont dû avoir recours à de pareils moyens, nous ne devons reculer devant rien. Puisqu’ils ont à peine réussi de cette manière à convaincre le peuple, sans cela, que serait-il arrivé ? S’ils avaient agi différemment, ils auraient passé pour des orgueilleux qui ne recherchent, que la gloire. Réfléchissez à la sage modération du langage des apôtres, ainsi étonnés et stupéfaits, quand il fallait réprimander le peuple. Il fut surtout retenu par ces paroles : « Nous sommes des hommes faibles comme vous, et nous vous avertissons de quitter ces illusions pour vous convertir à Dieu ». Cela voulait dire : nous ne sommes que des hommes, mais nous valons mieux que vos dieux, car ceux-là sont morts. Vous voyez que non seulement ils indiquent les erreurs, mais ils enseignent la vérité ; tout cela, sans parler de choses invisibles. « Dieu », dit-il, « a fait le ciel et la terre et tout ce qui s’y trouve ». Il prend les siècles à témoin de ses paroles. O Juifs insensés ! Ils ont eu l’audace de séduire un peuple qui honorait ainsi les apôtres et de lapider Paul. Ils l’ont traîné hors de la ville, peut-être parce qu’ils le craignaient encore ! « Les apôtres prièrent en jeûnant, pour recommander leurs disciples au Seigneur ». Cela montre qu’il faut jeûner dans les tentations. Ils ne parlent pas de ce qu’ils ont fait, mais de ce que Dieu a fait par eux ; ils en parlent aussi simplement que de leurs épreuves. Ils n’étaient pas conduits par le hasard, ni par le désir de se reposer, mais par la providence du Saint-Esprit, afin d’affermir la prédication chez les gentils. Et pourquoi, direz-vous, n’ont-ils pas fait de prêtres à Chypre ni à Samarie ? Parce que Samarie était près des premiers apôtres, et Chypre près d’Antioche, où la parole divine se multipliait ; ils allaient où leur secours était le plus nécessaire, surtout pour les gentils qui lavaient besoin de tout apprendre. Ils arrivèrent pour enseigner, parce que le Saint-Esprit leur avait imposé cette mission. Admirez l’ardeur de Paul ! Il ne délibère pas pour savoir s’il doit parler aux gentils, mais il leur parle sans hésiter. Aussi disait-il : « Je n’ai pas pris conseil de la chair et du sang ». (Gal. 1, 16)
3. En réalité, la tribulation est un grand bien et un bonheur pour une âme forte et courageuse. Combien ont été ainsi conduits vers la foi divine et ont brillé d’un éclat incomparable ? Aussi faut-il toujours avoir un grand zèle, une adresse parfaite et une âme préparée à la mort ; car pour aller au royaume des cieux, il n’y a pas d’autre chemin que ce lui de la croix. Ainsi ne nous flattons point. On ne peint supporter les fatigues de la guerre si l’on recherche les plaisirs, l’argent, si l’on montre de la bassesse ou de la lâcheté : à plus forte raison dans cette guerre ! Ne pensez-vous pas que c’est la plus terrible de toutes ? « Il ne s’agit pas de combattre contre des hommes de sang et de chair ». (Eph. 6,12) L’ennemi vous poursuit aux repas, à la promenade, aux bains. Il ne vous fait trêve que pendant votre sommeil ; même alors il vous attaque souvent en vous envoyant des pensées impures et des songes voluptueux. Et nous, comme si l’objet de ces attaques ne valait pas la peine d’être défendu, nous ne montrons ni tempérance, ni vigilance, nous ne songeons point à la multitude des puissances qui nous menacent, nous ne réfléchissons pas que notre indifférence même est déjà une défaite, et au milieu de pareils dangers nous vivons comme dans les délices de la paix. Croyez-moi, ces périls sont aujourd’hui plus grands que ceux auxquels Paul a été en butte. On lui lançait des pierres ; maintenant on lance des paroles qui font plus de mal que des pierres. Que faut-il faire alors ? Ce qu’il a fait lui-même. Il n’eut point de haine pour ses ennemis, mais il rentra dans la ville hors de laquelle ils l’avaient traîné, afin de répandre ses bénédictions sur ceux qui l’avaient ainsi maltraité. De même, si vous avez à supporter un homme grossier et insolent, vous pourrez dire avec raison que vous aussi avez été lapidé ! Et ne dites point : je n’ai fait de mal à personne ! Quel mal Paul avait-il fait pour être lapidé ? Il leur annonçait le royaume des cieux, il les détournait de l’erreur, il les ramenait à Dieu ; tout cela méritait des couronnes, des applaudissements, des bienfaits sans nombre, et non des pierres cependant, voilà comment il fut récompensé ! Quelle victoire est plus brillante ? « Ils l’ont traîné », dit l’Écriture : Vous aussi l’on vous a traîné, mais ne vous irritez pas et annoncez la parole de Dieu avec douceur. On vous a injurié ? Taisez-vous, ou même, si vous le pouvez, répondez par des bénédictions, et, tout en annonçant la parole de Dieu, vous aurez en même temps enseigné la douceur et la bonté. Je sais que bien des personnes supportent plus facilement les blessures que les outrages, les plaies du corps que celles de l’âme ; mais ne nous affligeons pas et soulageons ceux qui s’affligent. Ne voyez-vous pas que les lutteurs, la tête meurtrie, les dents cassées, supportent leurs douleurs avec constance ? Pour vous il n’est pas besoin de grincer des dents ni de mordre. Songez à Notre-Seigneur et vous vous rappellerez les remèdes dont il dispose. Songez à Paul. Réfléchissez que vous, qui avez été frappé, vous êtes vainqueur, tandis que celui qui a frappé est vaincu ; cette pensée suffit pour tout guérir. On vous attaque ; ne vous laissez pas entraîner, et vous avez fait votre devoir : demeurez ferme, et l’ennemi perd sa force. C’est une grande consolation de souffrir pour le Christ : autrement, vous ne prêchez pas le langage de la foi, mais celui de la sagesse humaine. Mais, direz-vous, plus je montrerai de douceur, plus l’on me persécutera. Ainsi, vous vous plaignez de ce qui doit augmenter votre récompense ? Mais, direz-vous, c’est un homme intraitable. Vous dites cela pour excuser votre faiblesse, car il sera bien plus intraitable, si vous vous vengez de lui. Si Dieu avait prévu que la vengeance pût rendre les méchants plus traitables, il vous aurait dit au contraire : Venge-toi. Mais il sait ce qui convient le mieux.
Ne faites pas de lois opposées à celles de Dieu ; obéissez-lui. Vous ne valez pas mieux que Celui qui nous a créés. Il a dit : Supporte les injures ; et vous dites : Je rends les injures à celui qui me les fait, afin de le rendre plus traitable. Vous êtes donc plus sage que Dieu ? Toutes ces paroles proviennent de la passion, de la dureté, de l’insolence, et sont contraires à la loi de Dieu. Ne faut-il pas lui obéir, quelque dommage que l’on souffre ? Quand Dieu a donné un ordre, nous ne devons jamais y contredire. « Une réponse soumise apaise la colère ». (Prov. 15,4) Mais il faut qu’elle soit soumise, bien loin d’être arrogante. Ce qui est bon pour l’un, l’est aussi pour l’autre ; au contraire, si celui que vous voulez conduire au bien vous fait du mal ; il s’en fait encore plus à lui-même. « Médecin ; guéris-toi toi-même ». (Lc. 4,23) Il a dit du mal de moi. – Faites son éloge. – II m’a injurié. – Parlez-lui poliment. – Il a cherché à me nuire. – Faites-lui du bien. Que votre conduite soit l’opposé de la sienne, pourvu que vous songiez à son salut et que vous ne cherchiez pas à vous venger. Mais, direz-vous, après avoir souvent profité de ma patience, il est devenu pire qu’il n’était. – C’est son affaire, ce n’est pas la vôtre. Voulez-vous savoir ce que Dieu a souffert ? On a renversé ses autels, on a tué ses prophètes, et il a tout supporté ; ne pouvait-il pas faire tomber la foudre ? Puis, après qu’il eut envoyé ses prophètes et qu’on les eut tués, il envoya son Fils lui-même. Ainsi, plus l’impiété se déchaînait, plus il multipliait ses bienfaits. Vous, de même, si vous rencontrez un homme emporté, soyez le premier à lui céder ; son caractère a besoin, plus qu’un autre, d’être traité avec douceur. Plus l’offense est grossière, plus_ elle réclame de bonté de notre part : un malade a besoin qu’on lui passe tout ; il en est de même pour l’homme en colère. Quand une bête s’emporte, tout le monde la fuit ; il en est de même pour l’homme en fureur. Ne croyez, pas que ce soit là une marque de respect : est-ce que nous rendons hommage aux bêtes féroces et aux fous, quand nous les évitons ? Pas le moins du monde ; c’est plutôt une marque de mépris et d’injure ; ou plutôt, il n’y a ni mépris, ni injure, mais pitié et bonté. Ne voyez-vous pas que les matelots, quand le vent s’élève, carguent les voiles pour que le navire ne s’engloutisse point ; ne voyez-vous pas que le cavalier, dont le cheval s’emporte, le laisse aller au lieu de l’arrêter, de peur que la force ne lui manque tout à coup ?
4. Agissez de même. La colère est un feu, une flamme ardente qui ne demande qu’à tout dévorer ; ne lui donnez pas d’aliments, et bientôt tous les ravages s’arrêteront. La colère n’a pas de force par elle-même, si mien ne la nourrit. Autrement, rien ne peut vous excuser. Cet homme a perdu la raison, il ne sait plus ce qu’il fait : vous qui le voyez, qui appréciez ce spectacle et qui n’en devenez pas plus sage quelle indulgence méritez-vous ? Celui qui, arrivant dans un festin, verrait dès le vestibule les inconvenances d’un homme ivre, puis ensuite tomberait aussi dans le même état, ne serait-il pas bien moins pardonnable après cet exemple ? Ici il en est de même. Ne croyons pas nous excuser, en disant : Je n’ai pas commencé. Ce qui nous accuse, c’est justement que la vue de notre adversaire ne nous a pas rendus plus sages. C’est comme si un meurtrier disait : D’autres ont frappé avant moi. Il en est d’autant plus coupable, s’il a vu commettre des assassinats, et s’il n’a pas eu horreur d’en commettre lui-même.
Après avoir vu un homme abattu et épuisé par l’ivresse, vomir, rouler des yeux hagards, souiller la table et faire fuir ses voisins, si vous tombez dans le même état, n’en serez-vous pas plus coupable ? Tel est aussi l’homme en colère : plus que celui qui vomit il a les veines gonflées, les yeux enflammés, le cœur agité : il vomit des paroles plus impures que les déjections de l’ivrogne et qui ne sont pas mieux digérées, car sa rage ne le permet pas. De même que chez l’un l’excès de liquide soulève l’estomac et en fait tout sortir ; de même chez l’autre, une ardeur excessive soulève l’âme et ne lui permet pas de cacher ce qu’il faudrait taire : ce qui est bon ou mauvais à dire s’échappe pêle-mêle et le salit plus que ceux qui l’entendent. Fuyons donc las gens en colère aussi bien que ceux qui vomissent. Que faut-il faire alors ? Jeter de la cendre sur le vomissement et appeler tout bas les chiens pour qu’ils le mangent. Je, sais que je vous dégoûte, mais je voudrais que vous vous fussiez dégoûtés en le voyant et que vous n’eussiez pas envie d’en rire. L’homme qui injurie est plus immonde que « le chien qui revient à son vomissement ». Je ne ferais pas cette comparaison s’il ne vomissait qu’une fois, mais puisqu’il rejette encore les mêmes infamies, il semble qu’il les ait avalées de nouveau. Qu’y a-t-il de plus abominable, de plus impur que cette bouche qui avale de pareilles choses ? Est-ce la nature qui l’y engage ? non sans doute, rien n’est plus contraire à la nature.
Pourquoi cela ? Parce qu’il n’est pas conforme, mais opposé à notre nature, d’injurier sans raison : ce n’est plus le langage d’un homme, mais celui d’une bête ou d’un fou. C’est une maladie qui répugne autant à notre nature qu’une maladie du corps. Or, si notre nature est obligée de supporter ce qui lui est contraire, elle se détruit peu à peu, tandis qu’elle subsiste si tout lui est conforme. J’aimerais mieux, me trouver à table près de quelqu’un qui mangerait de la boue que près d’un homme qui parlerait ainsi. Né voyez-vous pas les pourceaux manger des excréments ? On peut dire que ces gens-là en font autant. Quoi de, plus dégoûtant que leurs paroles injurieuses ? Ils n’ont garde dé prononcer un mot honnête et convenable, mais ils font et ils disent tout ce qu’il y a de honteux et d’indécent : ce qu’il y a de pis, c’est que le déshonneur qu’ils veulent jeter sur les autres rejaillit sur eux, et cette intention même prouve « ils se déshonorent. Je laisse de côté les calomnies : mais supposons qu’une courtisane célèbre ou tout autre personnage trop connu se dispute avec quelqu’un, et qu’on échange des injures mutuelles. De quel côté viennent les paroles offensantes ? On ne dit au premier que ce qui est su de tout le monde, et il n’en est pas de même pour le second : par conséquent, la réputation de l’un n’a rien à en craindre et celle de l’autre en souffre, beaucoup. Supposez encore qu’un homme ait commis des fautes cachées : connues seulement d’un homme grossier qui, après avoir gardé quelque temps le silence, finit par l’injurier ; eh bien ! l’offense retombe plutôt sur l’offenseur. Comment cela ? Il a divulgué une mauvaise action, et donné en même temps une mauvaise opinion de sa véracité : s’il y a eu un meurtre de commis, lui dira-t-on, il fallait tout dire. Aussi tout le monde se détourne de lui avec horreur comme si ce n’était pas un homme ; mais une bête sauvage et cruelle ; on est moins indulgent pour lui que pour celui qu’il accuse. Nous ressentons moins d’éloignement pour ceux qui ont des infirmités que pour celui qui les dévoile quand on voudrait les dissimuler. Celui-là n’offense pas seulement la personne dont il parle, cette offense rejaillit sur lui-même ainsi que sur l’humanité : il a blessé ceux qui l’écoutaient, il n’a donc fait que du mal. Paul dit à ce sujet : « Que vos discours soient bons et édifiants, afin d’inspirer la piété à ceux qui vous écoutent ». (Eph. 4,29) Veillons à ce que notre langue ne dise que du bien, afin qu’on nous recherche et qu’on nous aime. Cependant, on est arrivé à cet excès de perversité, que bien des gens se glorifient de ce dont ils devraient rougir. Il y en a qui vous menacent ainsi : Prenez garde à ce que je dirai de vous. Ce sont là des paroles dignes d’une femme, et encore d’une vieille ivre et ignoble, d’une coureuse de rues, d’une entremetteuse. Il n’y a rien de plus honteux que ces paroles, et de plus indigne d’un homme ; il semble réduit à la faiblesse d’une femme, s’il met sa force dans sa langue et son orgueil dans les injures, comme les histrions des foires, les baladins, les parasites et les flatteurs. Celui qui se vante d’un pareil talent ressemble plus à un pourceau qu’à un homme. Vous devriez vous cacher, vous devriez, si quelqu’un raconte ce que vous avez dit, rougir devant ce cruel témoignage de votre lâcheté ; loin de là, vous répétez partout vos propos injurieux. Songez que vous ne pouvez rien contre ceux que vous attaquez ainsi.
Aussi, je vous en conjure, en pensant à cette perversité dont bien des gens se glorifient, cherchons à amender, à corriger cette extravagance ; écartons de notre ville ces réunions où l’injure a tant de part, veillons sur notre langage et évitons toute mauvaise parole, afin que nous puissions, purifiés de nos péchés, nous concilier la bienveillance d’en haut et mériter la clémence de Dieu, par la grâce et la pitié de son Fils unique, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXII. modifier


ILS DEMEURÈRENT LÀ ASSEZ LONGTEMPS AVEC LES DISCIPLES. – QUELQUES-UNS QUI ÉTAIENT VENUS DE JUDÉE, INSTRUISAIENT, AINSI LES FRÈRES : « SI VOUS N’ÊTES PAS CIRCONCIS SELON LA COUTUME DE MOÏSE, VOUS NE POUVEZ ÊTRE SAUVÉS. » (CHAP. 14, VERS. 27 JUSQU’AU VERS. 1-14 DU. CHAP. XV)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Discours de saint Pierre au concile de. Jérusalem.
  • 2 et 3. Qu’if faut réprimer la colère. – Comment on peut guérir l’orgueil.


1. Vous voyez que les Juifs eux-mêmes avaient partout forcé les apôtres à se porter vers les gentils. Quand on commença à l’accuser, Paul ne fit que se justifier, afin de n’offenser personne ; mais les Juifs se détournant de lui, il s’adressa aux gentils. Pour éviter tout excès d’un côté ou dé l’autre, il établit cette règle, que les apôtres étaient envoyés par Dieu pour parler indistinctement aux uns et aux autres, mais cela excita la jalousie de ceux qui arrivaient de Judée. Ceux-là, non seulement exigeaient la circoncision, mais prétendaient que l’on ne pouvait être sauvé sans cela. Il fallait donc enseigner le contraire et dire que la circoncision lie procurait pas le salut. Voyez combien de tentations de part et d’autre ! Du reste, c’est la Providence qui a permis que Paul fût présent, afin de s’opposer à cette opinion. Paul ne dit pas : Qu’est-ce donc ? Ne suis-je pas digne de confiance après tarit de miracles ? Mais il usa de condescendance à leur égard. Remarquez, du reste, qu’en apprenant ce qui s’était fait chez les gentils, tout le monde s’en réjouit, même les Samaritains.
« Paul et Barnabé s’étant donc fortement élevés contre : eux, il fut résolu, que Paul et Barnabé et quelques-uns d’entre les autres iraient à Jérusalem pour consulter les apôtres et les prêtres sur cette question (2). Les fidèles de cette église les ayant accompagnés à leur départ, ils traversèrent la Phénicie et la Samarie, racontant la conversion des gentils, et ils faisaient une grande joie à tous les frères (3). Étant arrivés à Jérusalem, ils furent reçus par l’église, les apôtres et les prêtres, annonçant tout ce que Dieu avait fait par leur moyen (4) ». Voyez quelle providence dirige tout cela ! « Plusieurs de la secte des pharisiens, qui avaient cru, s’élevèrent et soutinrent qu’il fallait circoncire les gentils et leur imposer la loi de Moïse (5). Les apôtres et les prêtres s’assemblèrent pour examiner cette question (6). Après qu’ils eurent beaucoup conféré ensemble, Pierre se leva, et leur dit : Frères, vous savez qu’il y a longtemps que Dieu m’a choisi parmi vous pour que les gentils pussent entendre de ma bouche la parole de l’Évangile et y croire (7) ». Observez que Pierre n’avait pas encore pris beaucoup de part à cette œuvre, et que, jusque-là, il était pour les coutumes judaïques. Cependant il dit : « Vous savez tous ». Peut-être, en effet, se trouvait-il là quelques-uns de ceux qui l’avaient accusé autrefois d’être allé chez Corneille, et aussi quelques-uns de ceux qui l’y avaient accompagné ; aussi invoque-t-il leur témoignage : « Il y a longtemps que Dieu m’a choisi ». Que veut-il dire quand il ajoute : « Parmi vous ? » Il parle des fidèles de Palestine, ou seulement de ceux qui sont présents. Quand il dit : « Par ma bouche », il montre que Dieu parle par sa voix et que son langage n’a rien d’humain. « Dieu qui connaît les cœurs, lui a rendu témoignage (8). ». Ainsi il les appelle à ce témoignage spirituel. « En leur, donnant le Saint-Esprit aussi bien qu’à nous ». Vous voyez que partout il met les gentils au niveau des Juifs. « Il n’a point fait de différence entre eux et nous, ayant purifié leurs cœurs par la foi (9) ». La foi à elle seule, dit-il, leur a donné tout ce que nous avons. Cela suffisait pour taire rentrer les Juifs en eux-mêmes. Il aurait pu leur apprendre aussi que la foi seule était nécessaire et dispensait des pratiques et de la circoncision, car il ne s’agissait pas seulement de soutenir la cause des gentils, mais de supprimer pour eux la loi de Moïse. Cependant on ne le dit pas encore. « Maintenant pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons pu porter ? (10). Mais nous croyons que parla grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous serons sauvés aussi bien qu’eux ; (11) ». Que signifient ces mots : « Pourquoi tentez-vous Dieu ? » Ils veulent dire : Pourquoi manquez-vous de confiance en Dieu et le tentez-vous, comme s’il n’était pas capable de sauver par la foi ? Conserver l’ancienne règle, est une marque d’incrédulité. Ensuite il remarque qu’eux-mêmes ne l’ont point observée, mais il ne les en accuse point, car il n’en rejette pas la faute sur eux, mais sur la loi. « Ce joug que ni nos a pères ni nous-mêmes n’avons pu porter mais c’est par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous croyons devoir être sauvés aussi bien qu’eux ». Quelle puissance dans ces paroles ! Ce que Paul dit dans plusieurs passages de son épître aux Romains, Pierre le dit ici : « Si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a de la gloire, mais non devant Dieu ». (Rom. 4,2) Vous voyez qu’il s’agissait encore plus de l’instruction des Juifs que de la défense des gentils. Même sans cette occasion, un pareil langage n’aurait peut-être pas paru suspect ; mais cette occasion étant donnée, c’était une raison de plus pour parler hardiment. Remarquez aussi tout ce qu’ils gagnent par les efforts de leurs adversaires : Sans cela ces choses n’eussent pas été dites, non plus que celles qui le furent plus tard. Les Juifs apprennent par là que quelles que soient leurs dispositions à l’égard des gentils, ils ne doivent pas s’opposer à leur conversion.
Mais étudions encore ce discours. « Il m’a choisi parmi vous, et depuis longtemps ». C’est-à-dire : Ma mission est ancienne et ne date pas d’aujourd’hui. Cette considération est importante quand il s’agit de se séparer, même des Juifs convertis : il soutient donc ses paroles par les circonstances de temps et de lieu. Le mot « il m’a choisi » est aussi fort juste : il ne leur parle pas seulement d’une volonté, mais d’un choix. Comment s’est-il manifesté ? Par le Saint-Esprit. Pierre montre aussi que ce qui s’est passé, témoigne non seulement de la grâce, mais aussi de la vertu des gentils, et que Dieu n’a pas été plus avare envers ceux-ci qu’envers les juifs. « Il n’a fait », dit-il, « aucune différence entre eux et nous ». C’est donc le cœur qu’il faut chercher partout, et il dit avec raison : « Dieu qui connaît les cœurs, lui a rendu témoignage ». C’est la même pensée que plus haut : « Seigneur, qui connaissez les cœurs de tous les hommes, dirigez-nous »., (Act. 1,24) Et pour montrer que c’est bien là ce qu’il veut dire, voyez ce qu’il ajoute : « Il n’a fait aucune différence entre eux et nous ». Quand il parle du témoignage de Dieu en faveur des gentils, c’est un mot bien grave, tel que celui de Paul : « La circoncision n’a pas plus d’importance que le prépuce ». (1Cor. 7,19) Et aussi : « Afin de réunir les deux peuples en lui-même ». (Eph. 2,15) Tout cela est en germe dans le discours de Pierre. Il ne dit pas : Les circoncis ; mais : « Parmi nous » ; c’est-à-dire, parmi les apôtres. Pour ne pas les blesser, en disant qu’il n’y avait « aucune différence », il ajoute : « Dieu a purifié leurs cœurs par la foi », ce qui l’empêche de leur paraître suspect. Tout en supprimant ce qui pourrait choquer dans son langage, il finit par leur faire voir que l’ancienne loi était bonne, mais que les hommes étaient trop faibles pour la porter.
2. Cependant voyez ce qu’il y a de terrible dans la fin de son discours. Il ne s’appuie pas sur les prophéties, mars sur les faits présents dont ses auditeurs étaient témoins : En effet, ils les attestent, et ce qu’ils ont vu confirme ce qu’ils entendent. Observez aussi qu’il permet pour la première fois une discussion dans l’église, et qu’il y prend part. Et comme il ne dit pas des « circoncis », mais des « gentils » «(et ainsi, d’une part, il exprime plus fortement sa pensée par une insinuation, et, de l’autre, il met en doute que l’on puisse se sauver en suivant la loi), voyez comme il poursuit : il montre que les Juifs sont en danger, car ce que la loi ne peut faire, la foi le peut, et que, cette loi n’existant même plus, ils sont dans un péril inévitable. Il ne leur dit pas : Vous êtes infidèles, ce qui serait trop dur, surtout pour une cause déjà gagnée. Il n’y avait pas dé gentils à Jérusalem ; mais à Antioche il est clair qu’il y en avait. Aussi les apôtres y vont et y passent assez longtemps. Cela avait déplu à plusieurs pharisiens qui étaient encore possédés de leur ambition maladroite et qui voulaient dominer les gentils. Mais Paul était un savant docteur et il s’y opposa : quand il revint, les dogmes commençaient à se préciser. Car si les apôtres de Jérusalem n’avaient pas eu les exigences des pharisiens, Paul et Barnabé les avaient bien moins encore. Voyez comme ceux qui n’avaient pas cherché à dominer, se réjouissent maintenant dans leur foi. Ils n’allaient pas faire des récits pleins d’orgueil et d’ostentation, mais se justifier (le la prédication qu’ils avaient faite aux gentils aussi ne disent-ils rien de ce qui leur est arrivé avec les Juifs. Les pharisiens étaient bien obstinés, puisque, même après leur conversion, ils conservaient leurs usages et n’obéissaient pas aux apôtres. Mais pour ceux-ci, remarquez comme ils parlent avec douceur et sans déployer leur autorité : ce qui plaît fait toujours plus d’impression. Ne voyez-vous pas que ce qui agit, ce n’est pas la force de leurs paroles, mais celle de leurs actions, celle du Saint-Esprit ? Malgré de pareils soutiens, ils parlent doucement. On ne songeait pas à accuser ceux d’Antioche, mais cela en fournit l’occasion, tant était grand le désir de dominer chez ceux qui accusaient les apôtres, même sans les en prévenir. Ceux-ci ne firent rien de semblable ; mais après avoir exposé leur doctrine par leurs discours, ils la développèrent avec une nouvelle ardeur par leurs écrits. C’est toujours une chose admirable que la bonté : mais je dis la bonté et non l’indifférence, la bonté et non la flatterie. Tout cela ne peut se confondre.
Rien n’irritait Paul, non plus que Pierre. Si vous avez des preuves, pourquoi vous emporter ? Est-ce afin de les affaiblir ? car un homme en colère ne peut convaincre de rien. Hier, nous avons déjà parlé sur la colère, rien ne nous empêche d’en parler encore aujourd’hui, car les observations répétées feront peut-être plus d’effet. Un remède peut avoir une certaine influence pour guérir une blessure, mais si on ne l’emploie pas souvent, sa vertu disparaît. Parce que je reviens sur le même sujet, ne croyez pas que je désespère de vous ; s’il en était ainsi, je me tairais au contraire, si je vous parle, c’est que j’ai grande espérance de vous être utile. Plût au ciel que ces mêmes sujets fussent plus souvent traités dans nos entretiens, que toutes nos conversations, tous nos soins fussent employés à chercher les moyens de corriger nos vices ! N’est-ce pas, en effet, une opposition absurde ? Les empereurs qui vivent dans le luxe et les plus grands honneurs, n’ont d’autre occupation, soit à table, soit partout ailleurs, que de chercher à vaincre leurs ennemis, et pour cela ils tiennent conseil chaque jour, rassemblent des officiers et des soldats, lèvent dés tributs, pensant qu’il n’y a que deux nécessités politiques : vaincre leurs ennemis, et maintenir leurs sujets en paix ; nous, au contraire, nous ne songeons pas à tout cela, même en rêve, mais nous pensons à acheter un champ ou des esclaves, à nous enrichir, à nous divertir chaque jour. Quant à ce qui nous touche véritablement nous-mêmes, nous ne voulons, seulement pas en entendre rien dire aux autres. De quoi donc pourra-t-on parler ? Du dîner ? Cela regarde les cuisiniers. De l’argent ? C’est l’affaire des banquiers et des marchands. Des maisons ? Laissons cela aux architectes et aux maçons. De la terre ? C’est l’occupation des laboureurs. Ce qui devrait être notre unique occupation, c’est d’enrichir notre âme. Ne vous rebutez donc pas de nos discours. Personne ne blâme le médecin qui parle toujours de médecine, ni tes autres savants qui nous entretiennent de leurs sciences. Si nos défauts étaient assez bien corrigés pour ne plus réclamer nos observations, on nous accuserait peut-être de nous faire valoir quand nous continuerions à prêcher : on aurait tort. En effet, les, médecins ne s’adressent pas seulement aux malades, mais aussi aux gens bien portants, et leurs livres ont une double intention : guérir la maladie et conserver la santé. Ainsi, quand même nous nous porterions bien, ce ne serait pas une raison de nous négliger, mais de tout faire pour maintenir notre santé.
3. Pour les, maladies de l’âme, nos discours ont donc deux obligations à remplir : d’abord, de guérir la maladie, puis, après la guérison, d’empêcher les rechutes. Actuellement, nous, cherchons une méthode pour une cure difficile ; il n’est pas question de bonne santé ! Comment couper court à ce défaut déplorable ? Comment apaiser cette fièvre cruelle de la colère ? Voyons d’où elle procède et détruisons la cause : D’où vient-elle d’ordinaire ? D’un excès d’arrogance et d’orgueil, Supprimons cette cause et la maladie disparaîtra. Qu’est-ce que l’orgueil ? D’où procède-t-il ? Nous sommes conduits à remonter vers un nouveau principe. Suivons donc la route que cette instruction nous marquera, afin d’arracher le mal jusque dans les profondeurs de ses racines. Qu’est-ce qui fait naître l’orgueil ? C’est que nous ne nous étudions pas, nous-mêmes. Nous examinons avec soin la nature d’un terrain, quoique nous ne soyons pas laboureurs, ainsi que la valeur des plantes, de l’or, des habits, de tout enfin, quoique nous ne soyons pas marchands ; mais quant à nous, quant à notre nature, nous n’y songeons pas le moins du monde. Mais, direz-vous, qui donc ne connaît pas sa propre nature ? Bien des gens, pour ne pas dire tous ; et, si vous le voulez, je vais vous en donner la preuve. Qu’est-ce que l’homme, dites-moi ? Si l’on vous demande : En quoi diffère-t-il des brutes ? Quel lien a-t-il avec les puissances célestes ? Que doit-il devenir ? Pourrez-vous répondre juste à toutes ces questions ? Je ne le crois pis.
Tout être provient d’une substance ; ainsi l’homme est, pour ainsi dire, la substance humaine qui doit devenir un ange ou une brute. Ce discours vous parait-il déplacé ici ? C’est pourtant ce que les Écritures vous répètent souvent. Il y a des hommes dont elle dit : « C’est un ange du Seigneur, et l’on cherchera le jugement sur ses lèvres » (Mal. 2,7) ; et aussi : « J’enverrai mon ange devant ta face ». (Id. 3,1) Il y en a d’autres dont elle dit : « Serpents, race de vipères ». (Mt. 12,34) Du reste, chacun peut se conduire de manière à devenir à la fois un homme et un ange : Que dis-je, un ange ? Même un fils de Dieu ; car il est écrit : « J’ai dit : vous êtes dieux et tous enfants du Très-Haut ». (Ps. 81,6) Ainsi le plus admirable ; c’est qu’il, dépend de lui de devenir Dieu, ange et fils de Dieu.: les hommes peuvent aussi créer des anges. Cela vous étonne peut-être ? Mais écoutez ces mots du Christ : « Dans la résurrection, il n’y a plus de noces ni de mariage ; on est semblable aux anges ». (Lc. 20,35, 36) Et aussi : « Que celui qui peut comprendre, le comprenne ». (Mt. 19,12) En résumé, c’est la vertu qui fait les anges ; or, nous sommes les maîtres d’être vertueux ; donc nous pouvons créer des anges, sinon par nôtre nature, au moins par notre volonté. En effet, sans la vertu il ne sert à rien d’avoir la nature d’un ange ; cela se voit par le diable qui d’abord était un ange ; au contraire, quand la vertu existe, la nature humaine n’empêche rien. C’est ce que l’on voit par Jean qui était un homme, par Élie qui est monté au ciel, et par tous ceux qui y monteront à leur tour. Leur corps ne leur a pas fait obstacle pour habiter le ciel, tandis que les démons n’ont pu y rester, quoiqu’ils fussent immatériels. Ainsi, que personne ne se tourmente et ne s’irrite contre les obstacles de sa nature, mais contre ceux de sa volonté ! Il a dégénéré d’un être incorporel, ce lion terrible dont il est dit : « Le diable, notre adversaire, tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant qu’il pourra dévorer ». (1Pi. 5,8) Nous, malgré nos corps, nous devenons des anges. Celui qui trouve une substance précieuse et qui la dédaigne parce qu’il ne s’y connaît pas, se fait beaucoup de tort à lui-même, qu’il s’agisse d’huîtres à perles, de coquilles à pourpre ou de toute autre chose semblable ; de même, si nous ignorons notre nature, nous la dédaignons complètement ; mais si nous la connaissons, nous y donnons toute notre attention et nous en retirons un grand avantage. Elle nous fait avoir des vêtements royaux, une demeure royale ; nous devenons rois nous-mêmes, et en nous tout est royal. N’abusons donc point de notre nature pour notre perte ; Dieu nous a faits un peu inférieurs aux anges (Ps. 8,6, et Héb. 2,7) ; c’est-à-dire qu’il nous a faits mortels, mais il nous a indemnisés de cette légère infériorité. Ainsi, rien ne nous empêche d’être des anges, dès à présent, si nous le voulons. Veuillons-le donc, veuillons-le, et, si nous parvenons à nous transformer ainsi, rapportons-en la gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

HOMÉLIE XXXIII. modifier


APRÈS QU’ILS SE FURENT TU, JACQUES PRIT LA PAROLE ET DIT : « FRÈRES, ÉCOUTEZ-MOI. – SIMÉON VOUS A RACONTÉ COMMENT DIEU A SONGÉ D’ABORD À PRENDRE CHEZ LES GENTILS UN PEUPLE CONSACRÉ A SON NOM : – ET IL EST D’ACCORD AVEC LES PAROLES DES PROPHÈTES ». (CHAP. 15, VERS. 13, 14, 15, JUSQU’AU VERS. 34)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Discours de saint Jacques au concile de Jérusalem, et lettre du concile aux chrétiens d’Antioche.
  • 3 et 4. Il ne se fait aucun bien ici-bas qu’il ne soit mélangé de quelque mal. – Qu’il est facile même pour un païen de distinguer l’Église véritable des sectes hérétiques.


1. Jacques était évêque de l’église de Jérusalem ; aussi parle-t-il le dernier, et ainsi se trouve accompli ce passage de l’Écriture : « Toute parole sera établie par la bouche de deux ou trois témoins ». (Deut. 17,6) Remarquez avec quelle sagesse il fonde son avis sur les nouveaux et les anciens prophètes ; en effet, il ne pouvait pas citer ses œuvres personnelles, comme Pierre et comme Paul.
Aussi, la Providence avait-elle tout bien disposé pour que les travaux dont il s’agissait fussent l’ouvrage des apôtres qui ne devaient pas résider à Jérusalem, et que Jacques qui enseignait dans cette ville, n’y eût pas de part, mais ne fût pas d’un avis opposé. Que dit-il ? « Frères, écoutez-moi : Siméon vous a raconté… » Quelques personnes pensent que ce Siméon est celui dont saint Luc a parlé ; d’autres croient que c’est un homonyme[9]. Que ce soit l’un ou l’autre, il est inutile de le rechercher, il faut seulement recueillir ces paroles « Frères », dit Jacques… ; voilà un homme plein de bienveillance et une harangue plus parfaite encore, puisqu’elle termine le débat. « Comment Dieu a songé d’abord à prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom : et il est d’accord avec les paroles des prophètes ». Comme il était connu depuis peu de temps et qu’il n’inspirait pas autant de confiance que les anciens, il cite une ancienne prophétie, disant : « Ainsi qu’il est écrit : « Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la maison de David qui est tombée, je réparerai ses ruines et la relèverai (16) ; afin que le reste des hommes, et tous les gentils qui seront appelés de mon nom cherchent le Seigneur (17). C’est ce que dit le Seigneur qui « fait tout cela ». (Amo. 9,11) Quoi donc ? Jérusalem a-t-elle été relevée ? N’a-t-elle pas plutôt été détruite ? Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Quelle est donc la restauration dont il parle ? La même que celle qui suivit la ruine de Babylone. « Dieu connaît ses œuvres a de toute éternité (18) ». Tout cela est digne de foi, car il n’avance rien de nouveau, mais tout a été prévu dès le commencement.
Enfin, il donne son avis : « C’est pourquoi je juge qu’il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent à Dieu (19), mais qu’on leur doit seulement écrire qu’ils s’abstiennent des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang (20). Car, quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent dans les synagogues, où on le lit chaque jour de sabbat (21) ». Comme les gentils ne connaissaient pas l’ancienne loi, il leur en impose avec raison quelques prescriptions, pour ne pas paraître l’abroger. Voyez, du reste, qu’il ne les impose pas comme faisant partie de la loi, mais comme venant de lui-même, puisqu’il dit : « Je juge » ; c’est-à-dire, je le pense de moi-même et non pour l’avoir lu dans la loi. Ensuite on prononce la décision générale. « Alors il fut résolu, par les apôtres et les prêtres avec toute l’Église, de choisir quelques-uns d’entre eux, pour envoyer à Antioche, avec Paul et Barnabé ils choisirent Jude, surnommé Barsabas, et Silas qui étaient les principaux d’entre les frères (22), et ils écrivirent par leur main ce qui suit… (23) ». Vous voyez qu’ils ne se contentent pas d’établir ces règles, mais pour qu’elles soient reçues avec plus de confiance, ils envoient quelques-uns d’entre eux, afin que Paul et ses amis ne soient pas suspects. Voyez aussi quelle sévérité dans les termes de cette lettre : « Les apôtres, les prêtres et les frères, à nos frères d’entre les gentils, qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut. Comme nous avons su que quelques-uns qui venaient d’avec nous vous ont troublés par leurs discours et ont renversé vos âmes (en vous disant de circoncire vos enfants et d’observer la loi de Moïse[10], sans que nous leur, en eussions a donné l’ordre (24) ». Cela suffisait pour condamner cette témérité, mais la bonté des apôtres les empêche d’insister. « Après nous être rassemblés dans un même esprit, nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos chers frères Barnabé et Paul (25), qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (26) ».
On voit par là que ce n’était pas un ordre tyrannique, qu’ils étaient tous d’accord et qu’ils n’avaient écrit qu’après avoir bien réfléchi. Nous avons choisi, disent-ils, des messagers parmi nous. Ensuite, afin qu’on ne pût croire qu’ils fussent envoyés pour nuire il Paul et à Barnabé, voyez l’éloge de ces apôtres ! « Ils ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous vous avons donc envoyé Jude et Silas, qui vous annonceront la même chose de vive voix (27). Car il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous… (28) » (tout cela n’a donc rien d’humain, puisque c’est le Saint-Esprit qui le décide) « de « ne point vous imposer d’autres charges » : ainsi ils avouent de nouveau que la loi est une charge pesante ; du reste, ils s’expliquent à ce sujet : « D’autres charges que celles-ci qui a sont nécessaires : de vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication, dont vous ferez bien de vous garder (29) ». Certaines de ces prescriptions ne sont point dans la nouvelle loi, car le Christ n’en a point parlé ; mais ils empruntaient cela à l’ancienne loi. En parlant de « chairs étouffées », ils défendent le meurtre. « Ayant donc été envoyés, ils vinrent « à Antioche, où ils assemblèrent les fidèles et a leur remirent la lettre (30). Ceux-ci, l’ayant lue, eurent beaucoup de joie et de consolation (31) ». Pour mieux faire voir en quoi consistait cette consolation, il est encore écrit : « Jude et Silas étant eux-mêmes prophètes, consolèrent et fortifièrent les frères par plusieurs discours (32) : et après être restés là quelque temps, ils quittèrent les fidèles et retournèrent en paix auprès des apôtres a (33) ».
2. Plus de discussions ni de luttes ; aussi, après les avoir fortifiés, ils partent en paix ils étaient venus pour critiquer Paul, et la doctrine de Paul s’établit. Ainsi, l’Église ne connaissait pas la vanité, mais tout y respirait la modération. Voyez, en effet ; Paul parle après Pierre, et personne ne lui impose silence. Jacques attend, et ne se hâte point de parler ; cependant il présidait l’assemblée. Jean et les autres apôtres n’élèvent pas la voix ; ils se taisent et ne s’emportent pas, tant leur âme était exempte de vanité !
Mais revenons sur ce qui précède. Après qu’ils se furent tu, Jacques prit la parole et dit : « Siméon a raconté comment Dieu conçut d’abord ce dessein ». Pierre avait parlé avec plus de véhémence, mais Jacques s’exprime plus posément. C’est ce que l’on doit faire dans une haute position ; il faut laisser dire par d’autres ce qui peut être pénible à entendre et parler avec plus de douceur. Il a raison de dire : « Siméon a raconté », il semble ne faire ici que rapporter l’avis des autres. Observez qu’il montre que depuis longtemps Dieu avait « ce dessein de prendre chez les gentils un peuple consacré à son nom ». non seulement il le choisit, mais encore il l’associe à son nom, c’est-à-dire à sa gloire. II ne regarde point la vocation des gentils comme une honte pour son nom, il l’appelle une gloire. En effet, cette gloire s’en accroissait. Mais il donne aussi à entendre quelque chose d’étonnant. Qu’est-ce donc ? C’est que l’élection des gentils est la plus ancienne. « Je reviendrai ensuite édifier de nouveau la maison de David, qui est tombée ». En réfléchissant là-dessus, on reconnaîtra que la maison de David est encore debout ; car, puisque c’est un de ses descendants qui règne, son royaume s’étend partout. Qu’importeraient les maisons et la ville, s’il n’y avait pas de sujets ? Et quel dommage la ruine de la ville peut-elle causer, lorsque tout le monde serait prêt à se sacrifier pour le souverain ? Aussi, non seulement cette maison subsiste, mais elle brille par-dessus toutes les autres, car elle est aujourd’hui célèbre par tout l’univers. Or, si la maison de David a été relevée, il est de toute nécessité qu’elle ait été auparavant renversée. Quand il dit : « Je rétablirai », il en explique la raison : « Pour que les autres hommes cherchent le Seigneur ». Si donc la ville a été relevée pour celui qui devait se choisir un peuple parmi les gentils, il est clair qu’elle a été élevée à cause de la vocation des gentils. Quels sont « les autres hommes ? » Ceux qui étaient alors abandonnés. Mais observez qu’il en parle à leur place, c’est-à-dire en dernier. « C’est ce que dit le Seigneur qui fait tout cela ». non seulement il le dit, mais il le fait : ainsi la vacation des gentils est l’œuvre de Dieu. On posait une autre question que Pierre résolut clairement en disant : Il n’est pas nécessaire de les circoncire. A quoi bon ce discours ? C’est qu’on ne prétendait pas exclure les gentils fidèles ; on disait seulement qu’il ne fallait les admettre que d’après l’ancienne loi. Voilà pourquoi Pierre a eu raison de parler ainsi ; mais comme c’était là ce qui inquiétait le plus l’auditoire, Jacques s’en occupe à son tour. Remarquez qu’il s’agissait de faire une loi pour ne pas accomplir la loi, comme Pierre l’avait déjà insinué : maintenant il fallait montrer que notre vocation, à nous autres gentils, était décidée depuis longtemps ; c’est ce que fait Jacques ; puis il arrive aux prescriptions dont les Écritures n’ont point parlé ; il fait, pour apaiser les scrupules, une concession à la faveur de laquelle il émet cette conclusion : « Aussi je juge qu’il ne faut point inquiéter les gentils qui se convertissent », c’est-à-dire, qu’il ne faut pas les repousser. Car, si Dieu les a appelés et si nos pratiques les détournent, nous combattons contre Dieu. C’est pourquoi il parle avec raison des « gentils qui se convertissent », montrant par là que c’était la providence céleste qui les réclamait et que leur obéissance ne faisait que répondre à son appel.
Qu’entend-il par ces mots : « Je juge ? » cela signifie : J’ai le droit de décider ainsi. « Mais il faut leur écrire qu’ils s’abstiennent des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang ». C’étaient là des observations matérielles, mais nécessaires à suivre, car il eût été très-dangereux de les négliger. Pour que personne ne vienne dire pourquoi n’en écrit-on pas autant aux Juifs ? il ajoute : « Quant à Moïse, il y a eu de tout temps, dans chaque ville, des hommes qui le prêchent » ; c’est-à-dire, Moïse leur parle sans cesse. C’est ce qu’il entend par ces mots : « On le lit chaque jour de sabbat ». Voyez quelle tolérance ! Quand il ne voit pas d’inconvénient à le laisser prêcher, il l’accorde sans difficulté, et consent à ce que les Juifs l’étudient partout, mais il en détourne les gentils : de plus, les raisons pour lesquelles il appelle sur Moïse le respect et l’obéissance des Juifs, sont cause qu’il en détourne les gentils. Pourquoi ne leur enseigne-t-il pas cette loi ? Parce que ceux-ci ne sont point disposés à la croire. Il fait voir aussi par là que les Juifs eux-mêmes n’étaient pas tenus d’en observer davantage. Si donc, semble-t-il ajouter, nous n’écrivions pas aux Juifs, ce n’est pas qu’ils doivent en observer davantage, mais c’est qu’ils ont quelqu’un pour leur donner ces prescriptions. Il ne dit pas : de peur de les scandaliser ou de les bouleverser, comme saint Paul écrivant aux Galates (Gal. 1,7), mais : je juge qu’il ne faut pas les inquiéter ; il fait voir que cela les inquiéterait sans leur être utile. Ainsi, il enlève toutes les entraves. Il semble conserver la loi parce qu’il lui emprunte quelques prescriptions, mais en réalité il la supprime, parce qu’il ne les emprunte pas toutes. Il avait souvent parlé de ces prescriptions : mais il voulait paraître respecter la loi, et, d’un autre côté, donner ces règles comme venant, non pas de Moïse, mais des apôtres ; alors, afin d’en établir plusieurs, il en divisa une. C’est là surtout ce, qui les apaisa. C’est la Providence qui permet cette dispute, afin qu’après cela le dogme fût mieux établi. « Alors, il fut résolu par les apôtres de choisir les principaux parmi les frères pour les envoyer » : ils n’envoient pas les premiers venus, mais les principaux : « À ceux qui étaient à Antioche, en Syrie et en Cilicie », où la séparation avait pris naissance.
3. Vous voyez qu’ils ne disent rien qui puisse les affliger ; ils songent seulement à ce que tout soit bien réglé ; cela servait à ramener ceux qui avaient soulevé cette discussion. Ils ne leur disent point : Vous êtes de pernicieux séducteurs, ni rien de semblable ; quoique Paul le, fasse au besoin comme quand il s’écrie : « Homme rempli de ruses ! » (Act. 13,10) Mais ici, puisqu’ils se corrigent, cela n’est plus nécessaire. Remarquez encore qu’ils ne disent pas : Quelques-uns d’entre nous vous ont ordonné d’observer l’ancienne loi, mais « ils ont troublé et renversé vos âmes ». Cette expression est parfaitement juste ; quoique peu employée. Vos âmes, qui étaient déjà fortifiées solidement, ils les ont renversées comme un édifice, pour y substituer des matériaux de leur fabrique. « Cependant nous ne leur avions donné aucun ordre : Il nous a plu, après nous être rassemblés dans un même esprit avec nos chers frères Paul et Barnabé ». S’ils leur sont chers, ils ne les mépriseront pas, et s’ils ont exposé leur vie, ils sont dignes de foi. « Nous avons donc envoyé Jude et Silas qui vous feront entendre les mêmes choses de vive voix ». Il ne fallait pas, en effet, que la lettre parût seule, de peur qu’on ne la crût extorquée par de faux rapports. L’éloge de Paul fit taire tous ces propos. Car observez que ce n’est pas seulement Paul ou Barnabé qui arrive, mais aussi des messagers de l’Église, afin que ni l’un ni l’autre ne fût suspect, et que l’on vit qu’ils étaient en communauté de dogmes avec ceux de Jérusalem. Cela prouve combien ils sont dignes de foi, sans se comparer eux-mêmes à la source de la foi, car ils sont loin de cet orgueil. Voilà le sens de ces paroles et de celles-ci : « Ce sont des hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » Mais pourquoi ces mots : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous », lorsqu’il suffisait de mettre : « Au Saint-Esprit ? » Ils disent : « Au Saint-Esprit » pour montrer qu’il ne s’agit pas d’une décision humaine, et ils ajoutent : « À nous », pour montrer qu’ils s’y soumettent, quoiqu’ils soient circoncis, « de ne vous imposer aucune autre charge ». Ils parlent ainsi, parce qu’ils s’adressent à des hommes faibles et timides ; voilà pourquoi ils ajoutent ces mots. Cependant ils font voir que cette décision n’est pas une condescendance, un ménagement pour leur faiblesse, loin de là ; mais il s’agissait d’une pratique répugnante pour les maîtres, inutile et pénible pour les disciples. Voyez comme cette lettre est courte, comme elle ne contient rien de superflu, ni développements oratoires, ni syllogismes, mais seulement la décision, car c’était la loi du Saint-Esprit, et souvent ils répètent cette expression de chargé pénible.
Les envoyés « assemblèrent les fidèles et leur remirent la lettre ». En outre, ils les exhortèrent par leurs discours, ce qui était nécessaire afin d’écarter tout soupçon. « Étant eux-mêmes prophètes, ils exhortèrent les frères par plusieurs discours ». On vit alors combien Paul était digne de foi. Sans doute ses paroles auraient dû suffire, mais il avait besoin d’un pareil appui. « Après être demeurés là quelque temps, ils retournèrent en paix ». Il n’y a plus de sédition, d’opposition. Il semble que tous se soient donné la main, comme le dit Paul : « Ils nous donnèrent la main en signe d’union à Barnabé et à moi » (Gal. 11, 9) ; et aussi. « Ils ne m’ont rien appris de nouveau ». (Id. 6) En effet, ils avaient approuvé son avis, l’avaient loué et admiré ! Ici il montre que sa doctrine pouvait se démontrer par des raisonnements humains et que le Saint-Esprit n’était pas indispensable pour cela ; enfin que ses adversaires avaient commis une faute difficile à excuser, comme on le reconnaissait sans l’intervention du Saint-Esprit. Il montre que les autres prescriptions ne sont pas nécessaires ; donc elles sont superflues, puisque celles-ci sont les seules indispensables. « Vous ferez bien de vous abstenir de ces choses ». Cette parole montre que rien ne leur manquera, s’ils observent cette défense. Cela pouvait se dire seulement de vive voix, mais les apôtres envoyaient une lettre pour établir une loi écrite. Puis, afin d’assurer l’obéissance à cette loi, on la lut aux fidèles qui de leur côté s’y soumirent en paix. Ne nous scandalisons pas des hérésies. Dans les commencements de la prédication, voyez combien de scandales : je ne dis pas chez les infidèles, cela n’était rien, mais chez les fidèles eux-mêmes. D’abord Ananie, puis des murmures, après cela Simon le Magicien, puis les accusations contre Pierre à propos de Corneille, ensuite la famine, et enfin cette discussion qui était plus grave que tout le reste.
En effet, il ne peut se faire aucun bien sans que quelque mal ne s’y mêle. Ne nous troublons donc pas si nous voyons quelques scandales, mais rendons grâces à Dieu qui cherche à nous rendre meilleurs, car la vertu est souvent rehaussée, non seulement par les tribulations, mais aussi par les tentations. En : effet, on ne montre pas un grand amour pour la vérité quand on la possède sans que personne vous en détourne ; mais cet amour éclate si beaucoup de personnes cherchent à vous induire en erreur. Eh quoi ! est-ce pour cela qu’arrivent les scandales ? Je ne dis pas que Dieu en soit l’auteur, loin de là ; mais il ne les aurait jamais permis si la perversité des autres ne lui avait servi à nous perfectionner. « Accorde-leur de ne faire qu’un ». (Jn. 17,24) Quand il arrive des scandales, cela ne nuit pas aux fidèles, mais plutôt leur est utile. C’est ainsi que les bourreaux sont les bienfaiteurs involontaires des martyrs ; pourtant ce n’est pas Dieu qui excite leur fureur ; de même ne nous inquiétons pas de ceux qui causent du scandale. Ce qui prouve l’excellence de la foi, c’est le nombre de ceux qui l’affectent et la contrefont ; sans la beauté de la religion, il n’y aurait, pas d’hypocrisie ; je vais vous le faire voir clairement.
4. On cherche toujours à falsifier les parfums ; comme par exemple les feuilles d’amome ; comme ces parfums sont rares et indispensables, on les contrefait de bien des façons, car personne ne voudrait imiter une chose qui n’aurait pas de valeur. L’aspect d’une vie pure provoque l’hypocrisie, car personne ne chercherait à ressembler à un méchant, mais plutôt à un solitaire. Que faut-il dire aux gentils, tels que les Grecs ? Un Grec se présente et dit : Je veux me faire chrétien, mais je ne sais à quoi m’arrêter ; chez vous, il y a bien des disputes, des révoltes, des discussions tumultueuses ; quelle secte faut-il embrasser ? Que choisirai-je ? Chacun me répond : c’est moi qui dis la vérité ! Lequel croirai-je, moi qui n’entends rien aux Écritures ? Chaque secte, lui répondrons-nous, prétend s’appuyer sur les Écritures, et nous aussi, assurément ; car si nous prétendions vous convaincre par de simples raisonnements, cela vous étonnerait avec raison : au contraire, si"nous vous disons de croire aux Écritures dans leur simplicité et leur vérité, vous jugerez facilement que celui qui les accepte est chrétien, et que celui qui les repousse ne l’est pas. Mais qu’arrivera-t-il si quelqu’un vient vous expliquer l’Écriture à sa manière ? Pourrez-vous soutenir un autre sens et discuter les deux interprétations ? Votre question, me répondrez-vous, n’est pas raisonnable ni judicieuse ; comment pourrais-je décider pour ou contre vous ? Je veux être disciple et vous me supposez déjà docteur. – Si quelqu’un nous tient ce langage, que lui répliquer ? Comment le convaincre ? S’il ne dit pas cela comme faux-fuyant et prétexte, demandons-lui s’il condamne les païens. Sa réponse nous suffira ; s’il les condamne, il est des nôtres. Demandons-lui pourquoi il les condamne, car il a une raison pour cela. C’est, répondra-t-il évidemment, parce que leurs divinités étant des créatures, ne sont pas le Dieu incréé. Fort bien. S’il trouve ce même caractère chez les hérétiques, et l’opposé chez nous, est-il besoin d’en dire davantage ? Tous nous confessons que le Christ est Dieu. Mais voyons ceux qui sont conséquents avec eux-mêmes et ceux qui ne le sont pas. Pour nous, en disant que le Christ est Dieu, nous ne lui attribuons rien qui ne soit digne de Dieu, nous disons qu’il possède la puissance, qu’il n’est pas esclave, mais libre, et qu’il fait tout de lui-même ; l’hérétique dit tout le contraire. Je lui demanderai encore : votre intention, en étudiant une science telle que la médecine, est-elle simplement de recueillir au hasard tout ce qui se dit, malgré les différences d’opinion ? Vous n’admettrez pas sans examen tout ce que l’on vous dira, cela ne serait pas digne d’un homme ; si vous avez du bon sens et du jugement, vous ne croirez que ce que vous saurez être vrai. Or, nous annonçons le Fils de Dieu, et nos discours s’accordent avec cette prétention ; nos adversaires disent aussi qu’ils l’annoncent, mais le même accord n’existe pas. Pour parler plus clairement, ils ont des hommes dont ils portent le nom ; je veux parler du nom des hérésiarques, et chaque, hérésie a le sien ; pour nous, aucun homme ne nous a donné son nom ; le nôtre rie vient que de la foi.
Mais votre hésitation n’est qu’un prétexte. Dites-moi, quand vous voulez acheter un habit, sans vous connaître aux étoffes, pourquoi cependant ne dites-vous pas : Je ne sais point acheter, on me tromperait ? Ne faites-vous pas au contraire tout ce qu’il faut pour en juger ? Quelque soit l’objet que vous veuillez acheter, vous prenez toutes vos précautions ; mais ici, vous parlez de manière à faire croire que vous ne voulez embrasser aucune secte chrétienne, Eh bien ! supposons un homme qui n’ait pas de religion du tout, et imaginons qu’il dise en général ce que vous dites des chrétiens en particulier : Il y a une infinité d’hommes, et ils ont des opinions diverses : l’un est païen, l’autre juif, un troisième chrétien ; il ne faut admettre aucune croyance, car comment choisir entre ces dogmes qui se contredisent ? Je suis disciple, je ne veux pas être juge ni condamner aucune opinion. On ne pourrait plus dire cela, même comme prétexte. Puisque vous avez su repousser les religions fausses ou altérées, vous saurez aussi, dans la véritable, reconnaître la meilleure foi. Pour celui qui n’a encore repoussé aucun dogme, le choix général sera facile ; celui qui a fait ce premier pas, mais qui n’a pas encore déterminé son choix particulier, y sera conduit naturellement et peu à peu. Ne cherchons pas de détours ni de prétextes ; tout cela est facile. Voulez-vous que je vous montre que tous ces retards sont des prétextes ? Vous savez ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire ; pourquoi donc ne faites-vous point ce qu’il faut, mais au contraire ce qu’il ne faut pas ? Agissez tout autrement, puis interrogez Dieu de bonne foi, et il vous révélera tout. « Dieu n’a point égard aux personnes » (Act. 10,34) ; mais dans toute nation, celui qui le craint et qui pratique la justice est accepté par lui. Celui qui l’écoute sans préjugé, ne peut manquer d’être convaincu. S’il existait une longueur à laquelle on dût tout rapporter, il n’y aurait pas besoin de calculer, il serait facile de reconnaître ceux qui mesurent bien ou mal ; c’est ce qui existe pour la religion. Comment ne le voit-on pas ? Cela tient à bien des causes : aux préjugés et aux passions humaines. Mais, observera-t-on, nos adversaires en disent autant contre nous. Eh quoi ? nous sommes-nous séparés de l’Église ? Avons-nous des hérésiarques ? Avons-nous pris notre nom d’un homme ? Avons-nous, à leur exemple, des chefs, tels que Marcion, Manicheus, Arius, ou tout autre pro, moteur d’hérésie ? Si nous nous rattachons à quelques noms, ce n’est pas à ceux des sectaires, mais à ceux des hommes qui ont gouverné et dirigé l’Église. Nous n’avons point de maîtres sur la terre, à Dieu ne plaise ! Mais un seul qui est au ciel. Telle est aussi, dira-t-on, la prétention de nos adversaires, mais ils ont leur nom qui les accuse et leur ferme la bouche. Les gentils aussi étaient d’opinions diverses, il y avait différentes écoles de philosophes, mais cela n’empêcha personne d’embrasser la véritable religion. Cependant quand ils se consultaient à ce sujet, pourquoi ne disaient-ils pas à propos des chrétiens : Ce sont des Juifs comme les autres ; lesquels faut-il croire ? Mais ils obéirent à la loi qu’il fallait choisir. Nous aussi, obéissons aux lois de Dieu ; faisons tout ce qui peut lui plaire, et réglons-nous d’après sa volonté pendant notre existence présente, afin qu’ayant passé dans la vertu le reste de notre vie, nous puissions jouir des biens qu’il promet à ceux qui l’aiment, et obtenir d’être mis au rang de ceux qu’il chérit, par la grâce et la bonté de son Fils unique, ainsi que de l’Esprit-Saint et vivificateur, Déité unique et véritable, maintenant et à toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XXXIV. modifier


PAUL ET BARNABÉ RESTÈRENT A ANTIOCHE, OU ILS ANNONÇAIENT AVEC PLUSIEURS AUTRES LA PAROLE DU SEIGNEUR. – QUELQUES JOURS APRÈS PAUL DIT A BARNABÉ : « RETOURNONS VISITER NOS FRÈRES PAR TOUTES LES VILLES OU NOUS AVONS ANNONCÉ LA PAROLE DU SEIGNEUR, POUR VOIR EN QUEL ÉTAT ILS SONT ». (CHAP. 15, VERS. 35, 36, JUSQU’AU VERS. 13 DU CHAP. XVI)

ANALYSE. modifier

  • 1-4. Séparation de Paul et de Barnabé ; qu’elle a servi à la propagation de l’Évangile. – Paul circoncit Timothée pour mieux abolir la circoncision. – Paul est invité en songe à se rendre en Macédoine. – Deux sortes de songes et visions.
  • 5. Exhortation à orner son âme.


1. Remarquez une fois de plus, avec quelle complaisance ils prodiguent leur parole. Quant aux autres apôtres, saint Luc nous a déjà fait connaître leur caractère, et nous a fait voir que les uns étaient plus doux et plus indulgents, les autres plus fermes et plus sévères. En effet, les dons des hommes sont différents, et il est clair que cette différence est elle-même un don. Un caractère sympathise avec certaines mœurs, et un autre caractère avec certaines autres ; changez tout cela, vous gâterez tout. Vous croyez voir parfois s’élever une discussion, mais tout est providentiel et rien n’arrive que pour mettre chacun à la place qui lui convient. Du reste, il ne fallait pas que tous fussent au même rang ; il fallait au contraire que l’un commandât et que l’autre obéit ; c’est encore un effet de la Providence. Les Cypriotes ne ressemblaient pas à ceux d’Antioche ni aux autres fidèles ; il fallait les traiter avec plus de douceur. « Barnabé voulait prendre avec lui Jean surnommé Marc (37). Mais Paul le priait de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie, et n’avait pas pris part à leur œuvre (38). Il y eut donc entre eux une contestation à la suite de laquelle ils se séparèrent ; et Barnabé ayant pris Marc, fit voile pour Chypre (39). Paul ayant choisi Silas, partit avec lui, après avoir été a abandonné à la grâce de Dieu par les frères (40) ».
De même chez les prophètes, nous trouvons diverses habitudes et différents caractères : par exempte, Élie était sévère et Moïse était doux. Ici Paul fut inflexible ; cependant il montre encore de la condescendance : « il priait Barnabé de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie ». Un général ne voudrait pas garder constamment un serviteur indigne de lui : Il en est de même pour un apôtre. C’est ce que Paul fait voir à tout le monde, et à son collègue en particulier. Quoi ! direz-vous, Barnabé était-il un méchant homme ? Nullement, et il serait même absurde de le penser. Quelle absurdité, en effet, d’appeler quelqu’un méchant pour une chose aussi peu importante ! Mais remarquez d’abord qu’il n’y avait aucun mal à ce qu’ils se séparassent, si par ce moyen ils pouvaient évangéliser tous les gentils ; c’était même un grand bien. Remarquez ensuite que, sans cette occasion, ils eussent eu de la peine à se séparer. Peut-être vous étonnerez-vous que saint Luc n’ait point passé cela sous silence ? Mais, ajouterez-vous, s’ils devaient se séparer, il fallait le faire sans discussion. C’est ici que la nature humaine se montre. Si les intérêts du Christ l’exigeaient, rien ne valait mieux que cette occasion. Du reste, une discussion n’est point blâmable quand elle a lieu sur de pareils sujets, et que chacun défend une idée juste. On ferait bien de la condamner si chacun des adversaires ne soutenait que son avantage particulier ; mais quand tous deux cherchent à enseigner et à convertir, si chacun prend une route différente, quel mal y a-t-il à cela ? Ils se dirigeaient souvent par la raison humaine, car ils n’étaient faits ni de pierre ni de bois. Vous voyez que Paul reprend le choix de Barnabé et donne ses raisons. Barnabé, qui avait été son compagnon et son associé dans tant de circonstances, avait sans doute beaucoup de respect pour lui, mais ce respect n’allait pas jusqu’à négliger son devoir. Lequel, des deux avait raison, ce n’est pas à nous d’en juger ; mais ce fut tin événement providentiel, car sans cela, tandis que certains peuples auraient été visités deux fois, d’autres ne l’auraient pas été une seule. Ce n’était pas sans raison qu’ils étaient restés à Antioche, c’était pour enseigner, Qui enseignaient-ils ? à qui prêchaient-ils l’Évangile ? Tantôt aux fidèles, tantôt à ceux qui ne l’étaient pas encore. Comme il y avait une foule de scandales, leur présence était nécessaire : il faut voir non pas en quoi ils ont différé, mais en quoi ils ont été d’accord. Ainsi leur séparation produisit un grand bien et la prédication en prit un nouvel essor. Quoi donc ! se séparèrent-ils ennemis ? Non certes, car vous voyez ensuite Paul combler Barnabé de louanges dans ses épîtres. « Il y eut entre eux une contestation », mais ce n’était pas une hostilité ni une querelle. Cette contestation fit qu’ils se séparèrent, et avec raison ; car ce que chacun d’eux pensait être utile, il n’aurait pu le faire plus tard, à cause de son compagnon.
2. Je crois que cette séparation a été décidée avec réflexion et qu’ils se sont dit l’un à l’autre : Puisque je ne veux pas ce que tu veux, ne disputons pas, allons chacun de notre côté. Ils montrèrent donc beaucoup de condescendance mutuelle. Barnabé voulait respecter l’œuvre de Paul, et c’est pour cela même qu’il le quittait : de même Paul ne voulait pas nuire aux travaux de Barnabé : aussi agit-il de même en le laissant aller. Plût au ciel que chez nous aussi les séparations n’eussent pas d’autre cause que le zèle de la, prédication ! « Paul ayant choisi Silas partit avec lui, après avoir été abandonné à la grâce de Dieu par les frères ». Voilà un homme admirable et véritablement grand ! Cette discussion fut bien profitable pour Marc : la sévérité de Paul le convertit et l’indulgence de Barnabé empêcha qu’il ne fût laissé de côté : tel est l’avantage auquel aboutit en résumé cette lutte. Se voyant repoussé par Paul, il s’effraya beaucoup et se condamna lui-même ; mais se voyant protégé par Barnabé, il s’attacha à lui, et le disciple fut corrigé par la contestation élevée entre les apôtres, tant il fut loin d’en être scandalisé ! Il l’eût été sans doute si les apôtres n’avaient agi que par vanité, mais puisqu’ils semblaient ne rien faire que pour son propre salut et que cette discussion prouvait qu’on faisait bien de l’estimer, de quoi pouvait-il s’étonner ?
3. Remarquez la sagesse de Paul. Il n’entre point dans d’autres villes avant de visiter celles qui avaient déjà reçu la parole. « Il traversa la Syrie et là Cilicie, confirmant les Églises (41) ». « Il arriva à Derbe et à Lystre (16,1) ». En effet, il n’aurait pas été raisonnable de courir au hasard. Agissons de même, et que les premiers instruits soient aussi les premiers perfectionnés, pour qu’ils ne fassent pas obstacle à ceux qui les suivent. « Visitons nos frères », dit-il, « pour voir en quel état ils sont ». Il était naturel qu’il l’ignorât ; aussi voulait-il les revoir. Voyez comme il est toujours vigilant, inquiet, incapable de repos et s’exposant à mille dangers. Observez que ce n’est point par crainte qu’il est venu à Antioche. Il ressemble à un médecin qui va voir ses malades, et il montre la nécessité de visiter encore les villes « où ils ont annoncé la parole du Seigneur ». Barnabé s’est éloigné et ne l’accompagne plus. « Paul choisit Silas et fut abandonné à la grâce de Dieu ». Que signifie cela ? C’est que les frères prièrent et invoquèrent Dieu pour lui. Vous voyez partout combien la prière des frères est puissante. Il fit la route à pied, afin de pouvoir être utile à tous ceux qui le voyaient, et cela se comprend quand les apôtres devaient se hâter, ils voyageaient par mer ; mais ici il en était autrement : « Il rencontra un disciple, nommé Timothée, fils d’une femme juive fidèle et d’un père gentil. Les frères qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient un témoignage avantageux de, ce disciple (2). Paul voulut donc qu’il vînt avec lui ; et l’ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ; car tous savaient que son père était gentil (3) ».
Ici l’on doit être frappé de la sagesse de Paul. Lui qui avait soutenu tant de luttes contre la circoncision, qui n’avait eu ni trêve ni repos avant d’avoir tout réglé et fait triompher son opinion, le voilà qui circoncit un disciple ! non seulement il ne s’oppose point à cet usage, mais il le pratique lui-même. Rien n’égalait la prudence de Paul ; il agissait toujours pour le bien et non d’après un parti pris. « Il voulut qu’il vînt avec lui ». Admirez cette précaution de l’emmener, « à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ». Voilà pourquoi il l’a circoncis, car les Juifs n’auraient jamais accepté la parole de Dieu de la bouche d’un incirconcis. Et qu’en résulta-t-il ? Voyez quel avantage ! Cette circoncision tendait à détruire la circoncision, puisque le nouveau fidèle devait prêcher les dogmes des apôtres. – Voyez une contradiction, et une contradiction qui produit l’édification. Ce n’est plus avec d’autres qu’ils sont en lutte : ils se contredisent eux-mêmes, et c’est pour édifier l’Église. Ainsi, voulant supprimer la circoncision, Paul la pratique pour mieux la supprimer. « Les Églises croissaient en nombre de jour en jour (5) ». Voilà à quoi servait la circoncision. Il ne s’arrête pas là, puisqu’il venait seulement pour visiter ; mais que fait-il ? Il va plus loin. « Allant de ville en ville, ils donnaient pour règle aux fidèles de garder les ordonnances qui avaient été établies par les apôtres et par les prêtres de Jérusalem (4).
« Aussi les Églises étaient confirmées dans la foi, et croissaient en nombre de jour en jour (5). Lorsqu’ils eurent traversé la Phrygie et la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit d’annoncer la parole de Dieu en Asie (6). Étant venus en Mysie, ils se disposaient à passer en Bithynie, mais l’Esprit ne le permit pas (7) ». L’auteur ne dit pas pourquoi ces défenses leur furent imposées, il se contente de les rapporter, ce qui nous apprend qu’il faut obéir sans en rechercher la raison, et nous montre aussi que souvent ils agissent d’après la sagesse humaine. « Ils passèrent ensuite la Mysie, et descendirent à Troade (8). Paul eut une vision pendant la nuit : un Macédonien lui apparut et lui fit cette prière : Passez en Macédoine et secourez-nous (9) ». Pourquoi cette vision, et pourquoi le Saint-Esprit ne commanda-t-il pas lui-même ? C’est qu’il voulait aussi exercer son influence de cette manière. Souvent les saints sont visités par des songes, et saint Paul lui-même, au commencement de sa conversion, vit apparaître un homme qui lui imposait les mains. Actuellement, le Saint-Esprit l’entraîne, parce moyen, à étendre davantage sa prédication. C’est pour cela que, d’après l’ordre du Christ lui-même, Paul ne doit pas s’arrêter dans d’autres villes.
En effet, les habitants de ces contrées devaient sans doute être instruits encore longtemps par Jean et n’avaient peut-être pas besoin d’autres secours : aussi Paul n’avait-il pas besoin d’y rester. Il partit donc pour continuer son voyage. « Aussitôt qu’il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu ne nous appelât, pour y prêcher l’Évangile (10). Nous étant donc embarqués à Troade, nous vînmes droit à Samothrace et le lendemain à Néapolis (11). De là à Philippes, qui est la première colonie romaine qu’on rencontre de ce côté-là, en Macédoine, où nous demeurâmes quelques jours (12) ». C’est ainsi que plus tard le Christ lui apparaît et lui dit : « Il faut que tu te présentes devant César ». (Act. 27,24) Ensuite il rapporte les lieux où il passe, il détaille son récit, et indique où il s’est arrêté : il a séjourné dans les villes importantes et a seulement traversé les autres la colonie établie dans une ville en montrait l’importance.
Mais revenons à ce qui précède. Paul montre à Barnabé leur départ comme indispensable, en lui disant : « Visitons les villes où nous avons annoncé la parole de Dieu ». Cependant, devait-il prier celui qu’il devait bientôt réprimander ?
4. C’est ce qui se passe encore entre Dieu et Moïse. L’un supplie et l’autre s’irrite, comme quand il dit à Moïse : « Si son père lui avait craché à la figure » (Nb. 12,14) ; et aussi : « Laisse-moi faire et dans ma colère je détruirai ce peuple ». (Ex. 32,10) C’est ce que l’on voit aussi lorsque Samuel pleure Saül. (1Sa. 15,35) Dans ces circonstances d’où résultent tant d’avantages, l’un est irrité, l’autre ne l’est point ; c’est ce que nous voyons ici. Du reste, cette contestation a sa raison d’être pour qu’elle soit profitable et n’ait pas l’air d’une fiction. Barnabé aurait fini par, céder dans cette occasion, lui qui cédait d’ordinaire, lui qui aimait Paul au point qu’il l’avait cherché à Tarse et présenté aux apôtres, qu’il avait confondu leurs aumônes et soutenu ses dogmes. Il ne se serait point fâché dans cette circonstance, mais tous deux se séparent pour commencer ou achever l’instruction de ceux qui avaient besoin de leurs leçons ; c’est ce que Paul dit encore plus loin : « Ne vous fatiguez jamais de faire le bien ». (2Thes. 3,13) Dans ce passage il y a des gens qu’il blâme, et en même temps il recommande de faire du bien à tout le monde. C’est aussi ce que nous avons l’habitude de vous dire. Ici encore il me semble que certaines personnes en voulaient à Paul ; du reste, en les mettant à part, il fait tout, il avertit, il exhorte. Il y a une grande puissance dans la concorde, dans la charité ; ce que vous demandez est très-important, et vous ne l’êtes guère ; n’importe, on écoutera toujours votre demande ; ne craignez rien. « En passant dans les villes, il rencontra un disciple, nommé Timothée, dont les frères, qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient bon témoignage ». La foi de Timothée était grande, puisque tout le monde en rendait un pareil témoignage. Paul trouva en lui un autre associé pour remplacer Barnabé. Aussi lui dit-il : « Je me souviens de tes larmes et de ta foi sincère qu’ont eue d’abord ton aïeule Loïde et ta mère Eunice ». (2Tim. 4,5) Lorsqu’il le prit et le circoncit », il en dit la raison : c’était « à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là ». Voilà pourquoi il le circoncit, ou bien encore à cause de son père qui ne s’était pas séparé des gentils, et qui, par conséquent, n’était pas circoncit. Voilà déjà, comme vous le voyez, une dérogation à la loi. Quelques personnes pensent que Timothée était né après la prédication de l’Évangile, mais cela n’est pas certain. « Depuis l’enfance », lui dit Paul, « tu connais les saintes Écritures ». Ces mots signifient peut-être encore qu’il voulait l’instituer évêque, et qu’il ne pouvait rester incirconcis. En effet, cette obligation n’existait plus pour les gentils qui se convertissaient : c’était là un grand pas de fait que d’avoir écarté un sujet de scandale aussi ancien. On commençait à abroger cette coutume en décidant que les gentils pouvaient s’en abstenir sans qu’on les blâmât, et sans qu’il leur manquât rien pour la religion ; le reste devait venir tout seul, Cependant comme Timothée devait exercer la prédication, Paul le circoncit, quoiqu’il fût gentil par son père et fidèle par sa mère. Du reste, Paul ne s’inquiéta pas de cette circonstance, parce que l’œuvre immense qu’il accomplissait regardait les gentils ; mais il pratiqua cette circoncision, parce que Timothée devait répandre la parole du Seigneur. Observez ici tout le bien qu’il accomplit quand il semble se contredire. « Les églises se multipliaient ». Vous voyez que cette circoncision, non seulement n’a fait aucun mal, mais, a procuré même de grands avantages.
« Aussitôt qu’il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne donnant point que Dieu nous y appelât ». Cette apparition n’était pas celle d’un ange, comme à propos de Philippe et de Corneille : qu’était-ce donc ? Cette vision rentre dans l’ordre naturel et non dans l’ordre surnaturel. Les manifestations naturelles ont lieu pour des ordres faciles à suivre : celles qui sont surnaturelles interviennent pour des devoirs plus pénibles. Un songe suffisait pour le retirer d’une ville où il voulait prêcher ; mais, quand ce désir était devenu une passion, il n’en pouvait être détourné que par une révélation du Saint-Esprit. C’est ainsi que, Pierre entendit ces mots : « Lève-toi, et descends ». (Act. 10,20) Ainsi le Saint-Esprit ne se manifeste pas lui-même quand il s’agit de choses faciles : il suffit d’un songe. Joseph ; qui était facile à persuader ne voit rien qu’en songe ; d’autres ont une véritable vision. C’est ce qui était arrivé à Corneille et à Paul lui-même. Mais ici, « il lui apparaît un Macédonien, qui le priait ainsi ».
Il ne dit pas : qui ordonnait, mais « qui priait » ; c’est-à-dire, qui lui demandait ce dont il avait besoin. Pourquoi ces mots : ne « doutant point » ? c’est-à-dire, conjecturant. En effet, ils devaient le conclure de cette vision, apparue seulement à Paul, des défenses que le Saint-Esprit leur avait faites et de la proximité où ils étaient de la Macédoine. Ils en étaient encore avertis par la direction de leur navigation, car il n’y avait pas longtemps qu’ils avaient approché de cette frontière de la Macédoine. On reconnaît ici l’avantage providentiel de cette contestation. Sans cela, l’œuvre du Saint-Esprit aurait été incomplète, et la Macédoine n’aurait pas reçu la parole divine. Un pareil progrès montre que ce n’était pas seulement l’action des hommes. Aussi Barnabé ne s’en fâcha point ; seulement « il y eut une contestation entre eux ». Ils n’en furent pas plus irrités l’un que l’autre.
5. Nous voyons par là qu’il ne faut pas écouter ces paroles sans attention, mais les étudier et nous en pénétrer : car tout cela n’est pas écrit en vain. C’est un grand malheur de ne pas connaître l’Écriture : ce qui devrait être notre salut, peut devenir notre perte. C’est ainsi que l’on voit souvent des remèdes souverains, ne servir qu’à la destruction et à la mort de ceux qui les emploient sans en connaître l’usage, et des armes tuer quelquefois les imprudents qui voulaient les utiliser pour leur défense. La raison en est que nous songeons à toute autre chose qu’à l’avantage de notre âme, et que nous sommes préoccupés de tout, excepté de ce qui nous importe le plus. Nous veillons toujours à la solidité de notre maison, et nous craignons pour elle les ravages des années et des orages ; mais notre âme ne nous inquiète pas : nous avons beau la voir menacée de fond en comble, peu nous importe. Si nous avons des animaux, nous veillons sur eux, nous les faisons soigner, guérir ; en un mot, nous n’épargnons rien. Nous tenons à ce qu’ils soient bien abrités, et nous recommandons à ceux qui en sont chargés de ne pas les fatiguer par des exercices ou des fardeaux excessifs, de ne pas les faire sortir de nuit quand le temps n’est pas favorable, de ne pas trafiquer sur leur nourriture ; enfin nous faisons une foule de prescriptions pour nos animaux, tout cela sans songer à notre âme. Mais pourquoi m’arrêter sur ceux des animaux qui nous sont utiles ? Bien des gens ont des oiseaux qui ne servent qu’à les amuser ; cependant ils font là-dessus une foule de recommandations, ils n’oublient et ne négligent rien : enfin nous sommes préoccupés de tout, excepté de nous-mêmes. Sommes-nous donc inférieurs à toutes ces créatures ? Nous sommes fâchés, si l’on nous injurie en nous appelant : chien ; mais quand nous nous injurions ainsi nous-mêmes, non par nos paroles, mais par nos actions, en prenant moins de soin de notre âme que de nos chiens, cela ne nous choque point. En vérité, c’est à n’y rien comprendre. Combien voit-on de gens qui font en sorte que leurs chiens ne mangent pas plus qu’il ne faut, afin que leur appétit non satisfait, les rende plus légers et plus ardents à la chasse, tandis qu’ils ne s’imposent à eux-mêmes aucune règle contre les excès du plaisir ; ils semblent ainsi apprendre la sagesse aux animaux dont ils empruntent la brutalité.
Voilà une chose étrange. Qu’est-ce donc que la sagesse des animaux, direz-vous ? Ne trouvez-vous pas une grande sagesse chez le chien affamé qui saisit une pièce de gibier, et qui, sachant s’abstenir de cette nourriture mise à sa portée, fait taire son appétit pour attendre son maître ? Rougissez donc, et vous-même exercez-vous à une pareille sagesse. Vous n’avez aucune excuse. Puisque cet être qui, par sa nature, n’a ni parole ni raison, peut acquérir une pareille sagesse, vous en êtes bien plus capable. En effet, cela ne vient pas de leur nature, mais des soins de l’homme ; car autrement tous les chiens seraient de même. Tâchez donc de ressembler à des chiens comme ceux-là. Vous me forcez à de pareilles comparaisons. Je voudrais vous comparer aux anges, mais vous diriez qu’ils sont trop au-dessus de nous ; aussi je ne parle pas des anges : à Paul ? vous, diriez que c’était un apôtre ; aussi je ne parle point de Paul : à un homme ? vous diriez que, s’il a été sage, c’est qu’il a pu l’être ; aussi, je ne parle point d’un homme, mais d’un animal dont la sagesse ne provient ni de sa nature, ni de sa volonté : Chose étrange ! elle ne vient pas de lui-même, mais de vos soins à vous-même. Il ne songe pas qu’il est fatigué, épuisé par sa course, qu’il s’est donné la peine de prendre cette proie ; ou plutôt, il laisse tout cela de côté pour obéir à son maître et vaincre son appétit. Oui, direz-vous, mais il attend des éloges, il attend une meilleure nourriture, Eh bien ! dites vous à vous-même que le chien méprise les avantages présents à côté de ceux de l’avenir, tandis que l’espérance du bonheur futur ne peut vous détourner des jouissances actuelles. Le chien sait encore que, s’il déchire le gibier destiné à son maître, non seulement il en sera privé, mais qu’il n’aura même pas sa pâture habituelle et qu’il aura des coups au lieu de nourriture. Vous, au contraire, vous ne pouvez même pas voir cela, et la raison ne fait pas pour vous ce que l’habitude fait pour le chien. Cherchons donc à imiter les chiens. Les faucons et les aigles nous donnent des leçons semblables au lieu de chasser les lièvres et les chevreuils, ils poursuivent les oiseaux, et c’est encore l’homme qui les instruit. Voilà ce qui peut nous condamner ou nous servir d’exemple.
Je vous parlerai encore des chevaux sauvages et indomptés, qui ruent et qui mordent : en peu de temps les écuyers habiles les forment si bien que le cavalier se plaît à leur faire prendre toute espèce d’allure ; tandis que personne ne dirige l’allure déréglée de notre âme, elle bondit, elle rue, elle se traîne par terre comme un enfant, elle fait mille extravagances, personne ne lui met ni frein ni entraves, et elle ne peut supporter son habile écuyer ; je veux dire le Christ : aussi tout va de travers. Nous corrigeons la gourmandise des chiens, nous domptons la férocité des lions et l’indocilité des chevaux, enfin nous faisons parler les oiseaux : n’est-il pas absurde d’exercer les animaux à des actions raisonnables, et de laisser prendre des instincts sauvages à des créatures raisonnables ?
Rien, assurément, rien ne peut nous excuser. Tous ceux qui se conduisent bien, fidèles ou infidèles, n’hésiteront pas à nous accuser ; car il y a des infidèles qui se conduisent bien nous avons même vu qu’on trouvait de bons exemples chez les animaux, chez les chiens ; l’homme seul en donne de mauvais. Nous-mêmes, nous devons nous condamner puisque nous faisons le bien quand nous voulons, et que notre faiblesse seule nous fait tomber en faute. Car on a vu des gens bien pervers se corriger par l’effet de leur volonté. Tout le mal, comme je le disais, vient de ce que les biens que nous cherchons nous sont étrangers. Si vous faites élever une maison splendide, vous cherchez ce qui convient à la maison plutôt qu’à vous : si vous portez de beaux habits, c’est avantageux pour votre corps et non pour vous-même : un beau cheval, c’est la même chose. Personne ne s’inquiète si son âme est belle : cependant, si elle est belle, on n’a besoin de rien autre chose ; si elle ne l’est pas, aucune autre chose ne peut servir. C’est comme pour une mariée : Supposez un lit nuptial orné de tissus dorés, des chœurs de belles femmes, des couronnes de roses, un beau fiancé, les servantes et les amies plus belles les unes que les autres ; si la mariée est laide, tout cela ne l’embellira pas. Mais si elle est belle, pensez-vous qu’elle aura besoin de ces splendeurs ? Sien au contraire. Car celle qui est laide le paraît encore plus avec tout cet éclat, mais celle qui est belle semble l’être encore plus dans sa simplicité. Il en est de même pour l’âme ; lorsqu’elle est belle, toutes les richesses ne lui ajoutent aucun prix et voilent au contraire sa beauté ; car le sage ne brille pas dans l’opulence, mais plutôt dans la pauvreté. S’il est riche, on dit que sa vertu tient à ce qu’il ne manque de rien : au contraire, s’il mérite l’admiration générale, parce que sa pauvreté ne le contraint à rien dont il puisse rougir, personne ne pourra plus lui disputer la couronne de la sagesse.
Si donc nous prétendons aux richesses véritables, embellissons notre âme. De quoi vous servirait-il d’avoir des mulets blancs, bien soignés et bien nourris, si vous, qui les montez, êtes maigre, galeux et difforme : de même, que vous servirait-il d’avoir de beaux lits moelleux, aussi bien ornés que bien travaillés, si votre âme n’avait que des haillons, si elle était nue et sale ? Qu’importe – qu’un cheval s’avance en mesure et semble danser plutôt que marcher, qu’importe qu’il soit accompagné d’un cortège de fête, si celui qui le monte boite plus qu’un boiteux – et remué ses mains et ses pieds d’une manière plus bizarre qu’un ivrogne ou un fou ? Dites-moi, celui qui vous donnerait un beau cheval, mais vous disloquerait le corps, vous ferait-il du bien ? Maintenant c’est votre âme qui est disloquée et vous ne vous en inquiétez point. Je vous en conjure, pensons enfin à nous-mêmes : ne nous mettons pas au-dessous de toutes les créatures Si l’on nous injurie, cela nous pique et nous afflige : mais quand nous nous faisons injure à nous-mêmes par nos actions, nous n’y prenons pas garde. Repentons-nous, si tard que ce soit, veillons sur notre âme et cultivons la vertu, afin que nous puissions obtenir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXV. modifier


LE JOUR DU SABBAT, NOUS SORTÎMES DE LA VILLE, ET NOUS ALLÂMES PRÈS DE LA RIVIÈRE, OU ÉTAIT LE LIEU ORDINAIRE DE LA PRIÈRE. NOUS NOUS ASSÎMES ET NOUS PARLÂMES AUX FEMMES QUI ÉTAIENT ASSEMBLÉES. – IL Y EN AVAIT UNE NOMMÉE LYDIE, DE LA VILLE DE THYATIRE, MARCHANDE DE POURPRE, QUI SERVAIT DIEU. ELLE ÉCOUTA, ET LE SEIGNEUR LUI OUVRIT LE CŒUR POUR ÊTRE ATTENTIVE AUX PAROLES DE PAUL. (CHAP. 16, VERS. 13, 14, JUSQU’AU VERS. 24)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Conversion de la marchande de pourpre. – Démon chassé du corps d’une servante. – Les apôtres battus de verges et mis en prison par les magistrats de Philippes.
  • 2 et 3. Rien de plus inutile que l’homme oisif. – Contre la bonne chère.


1. Voilà encore Paul qui se rapproche des habitudes juives, à cause des circonstances de temps et de lieu. On ne priait pas seulement dans la synagogue, mais en dehors ; il y avait pour cela comme un rendez-vous, car les usages des Juifs avaient quelque chose de matériel. « Le jour du Sabbat », car il était probable que la foule se rassemblerait ce jour-là, « nous nous assîmes et nous parlâmes aux femelles qui étaient assemblées. Il y en avait une nommée Lydie, de la ville de Thyatire, marchande de pourpre, qui servait Dieu. Elle écouta, et le Seigneur lui ouvrit le cœur pour être attentive aux paroles de Paul ». Tout cela est bien modeste. Il s’agit d’une femme de condition obscure, comme on le voit par sa profession, mais voyez quelle sagesse elle possède. Ou lui rend d’abord ce témoignage qu’elle craignait Dieu et qu’elle invita les apôtres. « Après qu’elle eut été baptisée, et sa famille avec elle, elle nous fit cette prière : « Si vous me croyez fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et y demeurez ; et elle nous y força (15) ». Voyez comment elle les persuade tous ; remarquez aussi la prudence avec laquelle elle supplie les apôtres, l’humilité de ses paroles et sa grande sagesse. « Si vous me jugez », dit-elle, « fidèle au Seigneur ». Rien n’est plus puissant pour persuader. Qui ne serait touché de semblables paroles ? Ce n’étaient pas seulement des instances, des supplications, c’était de la contrainte, puisqu’on ajoute : « Elle nous y força » ; c’est-à-dire, par ces paroles. Voyez quels fruits précoces, et comme elle apprécie l’importance de sa conversion. Vous, me jugez fidèle, vous l’avez prouvé en me confiant de pareils mystères, car vous ne l’eussiez pas fait sans avoir confiance en moi. Elle n’osa pas les inviter avant d’avoir été baptisée, ce qui prouve qu’elle n’aurait pu les t’engager, avant cela. Pourquoi Paul et ses compagnons hésitaient-ils, refusaient-ils, au point de se faire contraindre ? Pour exciter le zèle de cette femme ou bien pour la raison que dit le Christ : « Quand vous entrerez dans une ville, informez-vous si quelqu’un mérite de vous recevoir et demeurez chez lui ». (Lc. 10,8) Ainsi la Providence conduisait tout.
« Or, il arriva que, comme nous allions au lieu de la prière, nous rencontrâmes une servante qui, ayant un esprit Pythien, apportait un grand gain à ses maîtres, en devinant (76). Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant : Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui nous annoncent la voie du salut (17) ». Pourquoi le démon dit-il de pareilles choses, et pourquoi Paul s’y oppose-t-il ? C’était malignité d’un côté et prudence de l’autre, car le diable voulait ainsi empêcher les apôtres d’être dignes de foi. En effet, si Paul avait accepté son témoignage, le démon aurait trompé les fidèles en se prévalant d’une pareille approbation, car le démon ne les vante que pour s’établir à leur place et ne s’humilie que pour les perdre. Aussi Paul se contenta d’abord de ne pas accepter ce témoignage et de le repousser, ne voulant point prodiguer les miracles : mais comme le démon persévérait plusieurs jours et dévoilait ses intentions en disant toujours : « Voilà les hommes du Dieu Très-Haut qui nous annoncent la voie du salut ; il lui commanda de sortir. Paul, ayant peine à le souffrir, se tourna vers elle et dit à l’esprit : « Je te commande au nom de Jésus-Christ de sortir de cette fille, et il sortit à l’heure même (18). Mais les maîtres de cette fille, « voyant qu’ils avaient perdu l’espérance de leur gain, se saisirent de Paul et de Silas ; et les ayant emmenés dans la place devant ceux qui commandaient dans la ville (19), ils les présentèrent aux magistrats, en leur disant : Ces hommes troublent toute notre ville, car ce sont des Juifs qui veulent établir une manière de vivre qu’il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains (21) ». Ainsi l’argent cause du mal partout. O cruauté des païens ! Ils voulaient que cette servante restât possédée, afin de leur rapporter de l’argent. « Ils se saisirent de Paul et de Silas, et ils disaient : Ces hommes troublent toute notre ville ». Que faisaient-ils pour cela ? Pourquoi ne pas les avoir arrêtés plus tôt ? « Car ce sont des Juifs », tant ce nom avait une mauvaise réputation. « Ils veulent établir une manière de vivre qu’il ne nous est point permis de recevoir ni de suivre, à nous qui sommes Romains ». Ils en font un crime de lèse-majesté. « La foule se jeta sur eux (22). » O folie ! Ils n’examinent point, ils ne réfléchissent pas ; tandis qu’après un pareil miracle, on aurait dû se prosterner devant les apôtres et les regarder comme des bienfaiteurs et des sauveurs. Si vous voulez des richesses, pourquoi ne pas vous empresser de recueillir ces immenses trésors ? N’est-il pas plus beau de pouvoir chasser les démons que de leur obéir ? Voilà des miracles, mais l’amour de l’argent l’emporta. « Les magistrats firent déchirer leurs habits et commandèrent qu’ils fussent battus de verges ; et, après qu’on leur en eut donné plusieurs coups, ils les mirent en prison et ordonnèrent au geôlier de les garder sûrement (23) ». Ainsi, c’était Paul qui avait tout fait, les miracles et la prédication ; cependant Silas partagea ses dangers. Pourquoi dit-on que Paul « eut peine à souffrir ces paroles ? » C’est à cause de la malice du démon, dont il dit ailleurs : « Nous n’ignorons point ses pensées. » (2Cor. 2,11) Pourquoi les habitants ne disent-ils pas : Ils ont chassé un démon, ils ont été impies envers Dieu ? Pourquoi font-ils de cela un crime de lèse-majesté ? c’est qu’autrement ils se seraient avoués vaincus. C’est ainsi que l’on disait à propos du Christ : « Nous n’avons d’autre roi que César ». (Jn. 19,15) « Quiconque se prétend roi est l’ennemi de César. (Id. 12) Ici ils les mirent en prison », tant était grande leur fureur. « Le geôlier ayant reçu cet ordre, les mit dans un cachot et leur serra les pieds dans des ceps (24) ». Observez qu’il les met dans un cachot, et cela est encore providentiel. Comme il allait se produire un grand miracle, tout se passa en dehors de la ville, dans l’endroit le plus convenable, et à l’abri de toute tentative et de tout danger. Remarquez combien l’historien s’attache à tout indiquer. Comme on était dans le calme, on faisait d’autant plus d’attention à ce qui se disait car Philippes n’était pas une grande cité. Nous-mêmes, apprenons par là à ne rougir de personne. Pierre demeure chez un corroyeur, Paul chez une marchande de pourpre ; est-ce là de l’orgueil ? Prions donc Dieu pour qu’il ouvre notre cœur : du reste, Dieu ouvre tous les cœurs qui s’y prêtent ; mais on en voit qui s’y refusent. Mais revenons à ce qui précède. « C’était une femme marchande de pourpre, à qui Dieu ouvrit le cœur pour qu’elle « fût attentive aux paroles de Paul ». Ouvrir le cœur regardait Dieu, l’attention dépendait de cette femme ; ainsi, c’était une œuvre à la fois divine et humaine. « Après avoir été baptisée, elle pria en disant : Si vous m’avez jugée ». Vous le voyez, elle est baptisée et elle reçoit les apôtres en leur faisant cette supplication, plus instante que celle d’Abraham. Elle ne donne pas d’autre gage que celui de son salut. Elle ne dit pas : si vous m’avez jugée une femme d’une condition supérieure et pieuse, mais quoi ? « Fidèle au Seigneur ». Je le serai de même pour vous, si vous n’hésitez pas à me suivre. Elle ne dit point : chez moi ; mais : « Restez dans ma maison », pour montrer qu’elle agissait ainsi de tout son cœur, tant sa foi était grande !
Mais, dites-moi, quel était ce démon ? C’était le dieu Pythien ; on l’appelle ainsi parce qu’on était en Grèce. Vous voyez donc qu’Apollon était un démon ; il cherchait à tenter les apôtres pour les exciter au mal : voilà pourquoi il faisait parler la servante.
2. O monstre de perversité ! puisque tu sais qu’ils annoncent la voie du salut, pourquoi ne sors-tu pas de toi-même ? Ce que voulait Simon, quand il disait : « Accordez-moi que celui à qui j’imposerai les mains reçoive le Saint-Esprit » (Act. 8,19) ; le démon le fait également ici : comme il voyait que l’on accueillait les apôtres, il dissimule, espérant qu’ils le laisseront dans ce corps s’il les célèbre lui-même. Mais si, quand il s’agit d’un homme, « la louange n’est pas agréable dans la bouche d’un pécheur » (Sir. 15,9), elle l’est encore bien moins de la part du démon. Si le Christ n’a pas besoin d’un témoignage humain, pas même de celui de Jean il réclame encore moins celui du démon. La prédication ne vient pas des hommes, mais du Saint-Esprit. Plusieurs habitants poussaient des clameurs insolentes, espérant troubler les apôtres par leurs cris, et disaient : « Ce sont des hommes qui troublent notre ville ». Que dites-vous ? N’êtes-vous pas esclaves du démon ? pourquoi ne l’écoutez-vous plus maintenant ? Il dit lui-même que « ce sont là les serviteurs du Dieu Très-Haut » ; et vous dites : « Ils troublent notre ville ». Le démon dit « Ils annoncent la route du salut », et vous dites : « Ils nous enseignent une manière de vivre que nous ne devons pas suivre ». Vous voyez qu’ils n’écoutent même plus le démon et qu’ils ne songent qu’à une chose : l’amour de l’argent. « Ils les menèrent dans la place, devant ceux qui commandaient la ville, et le « peuple se jeta sur eux ». Observez que les apôtres ne répondent rien et ne se défendent pas : ce qui les rend encore plus admirables. Car il est écrit : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant : ma grâce te suffit, car ma force se montre tout entière dans la faiblesse ». (2Cor. 12,10 et 9) Ainsi leur douceur leur méritait une nouvelle admiration. Plus leur prison était étroite, plus le miracle fut éclatant. Sans doute les magistrats voulaient éviter une sédition. Pour contenter là foule furieuse, ils firent immédiatement frapper les apôtres ; s’ils les firent mettre en prison et garder soigneusement, c’était pour les juger ensuite. « On leur serra les pieds « avec des ceps », qui remplaçaient les cordes. Que de larmes ne devons-nous pas verser sur ce qui se passe aujourd’hui ! Voilà ce qu’ils souffraient patiemment, tandis que nous vivons dans le luxe et au milieu des fêtes, et dans les théâtres. Aussi arrivons-nous à notre ruine et à notre perte, tout en cherchant partout le plaisir, lorsque nous craignons d’être insultés pour le Christ ou même de défendre sa cause. Rappelons-nous souvent, je vous en conjure, leurs souffrances et leur constance, leur calme et leur courage. Voilà ce qu’ils supportaient pour accomplir l’œuvre de Dieu. Ils ne disaient pas : Pourquoi Dieu ne nous secourt-il pas quand nous annonçons sa parole ? Mais ces épreuves même leur étaient utiles, et, même quand ils n’étaient pas secourus, ils en sortaient plus fermes, plus forts et plus audacieux. « La tribulation donne la patience ». (Rom. 5,4)
Ne recherchons donc pas une vie molle et, dissolue. Nous venons de voir que les apôtres recueillaient un double avantage, parce qu’ils se fortifiaient et que leur récompense en devenait plus grande ; de même, une manière de vivre opposée a un double inconvénient, parce qu’elle amollit sans cesse et parce qu’elle ne promet aucune récompense, mais plutôt une punition. Rien de plus inutile que l’homme qui passe tout son temps dans le luxe et la dissolution. Celui qui n’a pas été éprouvé est réprouvé, non seulement pour les luttes spirituelles, mais pour toutes les autres. La paresse n’est bonne à rien, et l’amour du plaisir ne réussit même pas à le procurer, car il n’en résulte que le dégoût. Il n’y a pas tant d’agréments dans la gourmandise et la volupté ; tout cela passe et disparaît. Gardons-nous de les rechercher. Si nous examinons quel est le plus heureux, de l’homme qui travaille et se fatigue, ou de celui qui vit dans le luxe et l’oisiveté, nous trouverons que c’est encore le premier. Le second a un corps énervé et lymphatique, ses sens eux-mêmes, loin d’être sains et intacts, restent languissants et émoussés ; dans un pareil état, on n’a même pas le plaisir de la santé. Lequel faut-il préférer pour un cheval ? L’oisiveté ou l’exercice ? Pour un navire ? de pourrir au port, ou de voguer dans la mer ? Pour l’eau ? de rester stagnante ou de s’écouler ? Pour le fer ? le repos ou le mouvement ? Ne voit-on pas que d’une façon il brille et ressemble à l’argent, tandis que de l’autre il est rongé par la rouille, hors d’usage et perd quelque chose de sa substance ? Voilà ce qui arrive à une âme oisive, la rouille l’envahit et lui ôte son éclat ainsi que toutes ses autres qualités. Par quel procédé peut-on enlever cette rouille ? En l’aiguisant au moyen des fatigues ; ce sont elles qui rendent à l’âme sa puissance et son activité. Comment, dites-moi, si elle restait émoussée, inerte comme du plomb, pourrait-elle arracher les vices et blesser le démon ? À qui peut plaire l’homme qui nourrit son obésité et se fait traîner comme un phoque ?
3. Je ne vous parle pas de ceux dont c’est la conformation naturelle, mais de ceux qui se sont rendus tels que je le dis par leur gourmandise, tandis que la nature les avait destinés à être dispos. Le soleil s’est levé, il a répandu partout ses rayons éclatants, il a éveillé chaque homme pour l’envoyer à ses travaux ; le laboureur a saisi son hoyau, le forgeron son marteau, tous les ouvriers manient les instruments de leur profession ; la femme a repris sa quenouille ou sa toile ; mais le paresseux, bien avant dans la matinée, se lève comme un porc pour remplir son ventre, et ne songe qu’à bien dîner. Car, même parmi les animaux, les seuls qui ne se réveillent qu’après le jour et pour se repaître, sont ceux qui ne sont bons qu’à être mangés eux-mêmes ; tandis due les bêtes de somme et celles qui rendent quelque service, ont aussi leur travail, même la nuit. Il sort de table quand le soleil éclaire déjà toute la place, et il se lève en se détirant comme un porc engraissé, après avoir passé la meilleure partie du jour dans l’ombre. Il reste longtemps assis, accablé sous le poids de l’ivresse ; c’est là sa principale occupation. Puis il se fait parer et va promener sa honte, n’ayant plus rien de l’homme et ne montrant qu’une brute sous forme humaine, Ses yeux sont chassieux, sa bouche sent le vin, sa pauvre âme semble elle-même abattue par une indigestion, il traîne une masse de chair comme un éléphant. Puis il s’assied près d’autres personnes, mais sa conversation et ses actions sont telles, qu’il, vaudrait mieux pour lui dormir qu’être éveillé. Une mauvaise nouvelle le trouve plus faible qu’une jeune fille ; une bonne, plus vain qu’un enfant ; il bâille à chaque instant. Il a tout à craindre de toutes les attaques, sinon de la part des hommes, au moins de celle des passions ; un pareil homme est facilement entraîné par la colère, la volupté, la jalousie, par tout enfin. Chacun le flatte, le caresse, amollit encore son âme ; aussi son état devient-il pire de jour en jour. S’il se présente une difficulté d’affaires, il n’est plus que cendre et que poussière, et ses habits de soie ne lui servent à rien. Ce n’est pas sans raison que nous vous parlons ainsi, mais pour vous empêcher de vivre oisifs et inutiles. L’oisiveté et les plaisirs sont inutiles dans toutes professions et ne servent qu’à la vanité et à la mollesse. Comment un pareil homme ne serait-il point condamné par tout le monde, domestiques, amis et parents ? Qui est-ce qui n’a pas le droit de dire : C’est un fardeau de la terre, c’est un être inutile au monde ? non seulement il est inutile, mais il se fait tort à lui-même, il fait son malheur et celui des autres. On se demande ce qu’il y a de plus doux que le repos ? Voilà à quoi aboutit ce que l’on cherche tant, l’inaction et l’oisiveté. Qu’y a-t-il de plus déplaisant qu’un homme qui n’a rien à faire, de plus gênant, de plus malheureux ? Ne vaudrait-il pas mieux être chargé de chaînes, que de s’asseoir dans la place pour bâiller et regarder les passants ? L’âme est destinée par sa nature à une activité continuelle ; elle ne souffre pas le repos. Dieu a fait tout être vivant pour agir ; sa nature particulière détermine son genre d’action, mais sa nature générale lui interdit le repos. Ne prenons pas exemple sur les malades, mais consultons l’expérience. Rien de plus pénible que la nonchalance, que l’inaction ; aussi Dieu nous a imposé la nécessité du travail. Le repos prolongé nuit à tout ce qui existe et à notre corps lui-même. Si l’œil est inactif, de même que la bouche, l’estomac ou toute – autre partie du corps, celui-ci est bientôt réduit à l’extrémité, mais cela est surtout vrai pour l’âme. Du reste, ce n’est pas seulement l’oisiveté qui est nuisible, mais aussi toute occupation mal choisie. Les dents souffrent si elles ne broient rien, mais elles s’émoussent si elles cherchent à broyer ce qui est trop dur. De même l’âme s’affaiblit, soit qu’elle reste inactive, soit qu’elle se livre à des occupations qui ne lui conviennent pas. Nous devons donc fuir ces deux écueils : l’oisiveté et les actions plus nuisibles que l’oisiveté. Quelles sont-elles ? Celles qui inspirent l’avarice ; la colère, la calomnie, les disputes, le meurtre, la jalousie et tous les autres vices. Voilà ce que nous ne devons pas faire, tandis que nous devons rechercher de toute notre force les actions inspirées par les vertus, afin d’obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVI. modifier


VERS MINUIT, PAUL ET SILAS S’ÉTANT MIS EN PRIÈRE, CHANTAIENT A LA LOUANGE DE DIEU, ET LES PRISONNIERS LES ENTENDAIENT. – TOUT À COUP IL SE FIT UN SI GRAND TREMBLEMENT DE TERRE, QUE LES FONDEMENTS DE LA PRISON EN FURENT ÉBRANLÉS ; TOUTES LES PORTES S’OUVRIRENT EN MÊME TEMPS, ET LES LIENS DE TOUS LES PRISONNIERS FURENT ROMPUS. (CHAP. 16, VERS. 25, 26, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Paul et Silas sont délivrés de leur prison par un tremblement de terre. – Le geôlier de la prison se convertit.
  • 3. Qu’il faut prier la nuit : – Ce que c’est que prier en vérité.


1. Que peut-on trouver d’égal à leurs âmes ? Battus de verges, ils étaient couverts de blessures, ils avaient subi mille injures, encouru les plus grands dangers, ils étaient attachés au fond d’un cachot ; or, même dans cet état, ils ne songeaient pas au sommeil ; ils veillaient, au contraire. Voyez tout l’avantage des tribulations ! tandis que nous autres, couchés dans des lits moelleux, à l’abri de tout danger, nous dormons toute la nuit. Peut-être leur position même les excitait-elle à veiller. Ils ne cédèrent point à la tyrannie du sommeil, à l’accablement de la douleur, à l’abattement de la crainte ; tout cela, au contraire, les animait et les réjouissait. « Vers minuit, ils priaient et chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les entendaient ». C’était pour eux une chose nouvelle et étonnante. « Tout à coup il se fit un si grand tremblement de terre, que les fondements de la prison en furent ébranlés ; toutes les portes s’ouvrirent en même temps et les liens de tous les prisonniers furent rompus ». La terre trembla afin que le geôlier fût éveillé, et les portes s’ouvrirent pour rendre le miracle plus frappant, mais les autres prisonniers ne s’en aperçurent pas, car ils se seraient tous enfuis. « Le geôlier s’étant éveillé et voyant toutes les portes de la prison ouvertes, tira son épée et voulut se tuer, s’imaginant que les prisonniers s’étaient sauvés (27). Mais Paul lui cria à haute voix : Ne « vous faites pas de mal, car nous sommes tous ici (28) ». II admira encore plus la bonté de Paul : il s’étonna de voir un homme qui, pouvant fuir, ne l’avait pas fait, et qui le détournait de se tuer lui-même. « Alors le geôlier ayant demandé de la lumière, entra et se jeta en tremblant aux pieds de Paul et de Silas (29), et les ayant fait sortir, il leur dit : « Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé (30) ? » Voyez jusqu’où allait son admiration ! « Ils lui répondirent : Croyez à Notre Seigneur Jésus-Christ et vous serez sauvé, vous et votre famille (31). Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison (32) ». En se hâtant de parler ainsi à leur geôlier, ils montraient toute leur bonté pour lui. « À cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et aussitôt il fut baptisé avec toute sa famille (33). Puis les ayant menés dans son logement, il leur servit à manger ; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu’il avait cru en Dieu (34) ». Il les soigna ainsi comme pour les remercier et leur rendre hommage. « Le jour étant venu, les magistrats lui envoyèrent dire par des huissiers qu’il laissât aller ces prisonniers (35) ». Les magistrats avaient sans doute appris ce qui s’était passé, mais ils n’osaient pas les mettre ouvertement en liberté. « Aussitôt le geôlier vint dire à Paul : Les magistrats ont mandé qu’on vous élargit ; sortez donc maintenant et allez en paix (36). Mais Paul dit aux huissiers : Après nous avoir publiquement battus de verges, sans connaissance de cause, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont mis en prison, et maintenant ils nous font sortir en secret. Il n’en sera pas ainsi, mais qu’ils viennent eux-mêmes nous en tirer (37). Les huissiers rapportèrent ces paroles aux magistrats qui eurent peur, ayant appris qu’ils étaient citoyens romains (38). Ils vinrent donc leur faire des excuses, et, les ayant mis hors de la prison, ils les supplièrent de se retirer de la ville (39). Et eux, au sortir de la prison, ils allèrent chez Lydie, et ayant vu les frères, ils les consolèrent et partirent (40) ». Paul ne part point aussitôt après l’ordre des magistrats, peut-être à cause de Lydie et des autres frères, ou bien pour intimider les magistrats en évitant de s’éloigner avec trop de résignation, et aussi pour encourager les fidèles. Ils avaient donc, mes bien-aimés, trois griefs contre les magistrats : ils étaient citoyens romains, non condamnés, et on les avait jetés publiquement en prison. Ainsi les apôtres ne négligent point toutes ces considérations humaines.
Comparons cette nuit à celles que nous passons au milieu des festins, de l’ivresse, de la débauche ; celles où notre sommeil est aussi pesant que la mort, ou bien nos veilles plus pénibles que ce sommeil même. Les uns, en effet, quand ils dorment, sont privés de tout sentiment : les autres ne veillent que pour leur perte et leur malheur, à préparer des intrigues, à gagner de l’argent, à combiner des vengeances, à méditer des méchancetés, à repasser les injures qu’ils ont dites ou entendues dans la journée ; c’est ainsi qu’ils rallument leur colère et s’excitent à tous les crimes. Voyez comme Pierre dormait : la Providence l’avait voulu ; en effet, quand l’ange se présenta, personne ne devait voir ce qui se passait. La délivrance de Paul fut encore disposée pour éviter que le geôlier se tuât lui-même. Pourquoi n’y eut-il pas d’autre miracle ? Parce que cela suffisait pour entraîner et convaincre cet homme qui aurait été dans un grand danger, si Paul avait été délivré autrement ; car un miracle nous touche moins que ce qui peut nous sauver : ce qui suivit servait à prouver que le tremblement de terre n’était pas un phénomène ordinaire. Il eut lieu la nuit, parce que rien ne se faisait pour l’ostentation, mais tout pour le salut des hommes. Cet homme n’était pas méchant ; il avait mis les apôtres au cachot parce qu’il en avait reçu l’ordre, mais non de son propre mouvement. Pourquoi Paul n’éleva-t-il pas la voix tout d’abord ? Cet homme était plein de trouble et d’émotion et ne l’aurait pas écouté. Aussi quand il le voit prêt à se tuer, il l’arrête et lui crie : « Nous sommes tous là ! » Alors le geôlier, « ayant demandé de la lumière, entra et se prosterna devant Paul et Silas ». Le geôlier tombe aux pieds de ses prisonniers. « Il les fait sortir et leur dit : Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » En effet, de quoi parlaient les apôtres ? Observez aussi que le geôlier ne les aime pas seulement parce qu’ils l’ont sauvé, mais parce qu’il admire leur puissance.
2. Voyez ce qui se passe de part et d’autre. D’un côté, voilà une servante débarrassée du mauvais esprit, et les magistrats mettent en prison ceux qui l’ont ainsi délivrée du démon : (le l’autre côté, au seul aspect des portes ouvertes, le geôlier ouvre les portes de son cœur, le dégage de tous es liens et allume sa lumière ; car cette lumière brillait dans son cœur. Il s’élance et se prosterne, sans demander : Comment cela s’est-il fait ? qu’est-il arrivé ? Il dit aussitôt : « Que dois-je faire pour être sauvé ? Là-dessus, que dit Paul ? Croyez à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vous serez sauvé, vous et votre maison ». Ce que les hommes désirent le plus, c’est que toute leur, famille soit sauvée. « Ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa maison ». Il lava les plaies de leurs corps, et, eux, celles de son âme ; il donna la nourriture temporelle et reçut la nourriture spirituelle. « Et il se réjouit ». Cependant tout se réduisait à des paroles et à de grandes espérances ; mais c’était une preuve, qu’il avait la foi et que tout lui était remis. Qu’y a-t-il de pire, de plus cruel, de plus sauvage qu’un geôlier ? Cependant il les accueillit avec beaucoup de respect : il ne se réjouit pas d’avoir été préservé de la mort, mais « d’avoir cru en Dieu. Croyez au Seigneur », lui dit Paul ; aussi est-il écrit : « Il crut à Dieu », pour montrer que ce n’était pas le pardon d’un coupable et d’un pécheur. Aussi les apôtres disent-ils : « Ils nous ont battus, sans condamnation préalable, et nous ont jetés en prison », pour montrer qu’ils avaient agi en même temps que la grâce. Voyez comme cette grâce se manifeste de différentes manières, pour la délivrance de Pierre, puis de Paul, qui tous deux étaient apôtres.
Les magistrats « furent effrayés » : pourquoi ? Par la qualité de citoyens romains, mais non par l’injustice de la condamnation. « Ils les supplièrent de sortir de la ville ». Ils leur demandaient cela comme une grâce ; mais ceux-ci ne partirent qu’après avoir visité Lydie et l’avoir encouragée : en effet, ils ne pouvaient laisser cette femme hospitalière dans l’angoisse et l’affliction. Ils partirent donc, non pour obéir aux magistrats, mais pour déployer leur zèle apostolique ; cette ville ayant été suffisamment instruite par le miracle, il ne fallait pas y rester plus longtemps. Car un miracle semble avoir plus d’éclat et faire plus de bruit quand ceux qui l’ont fait ne sont plus là : en effet, 1a foi du geôlier le proclamait assez haut : que peut-on voir de plus étonnant ? Voilà un homme que l’on charge de chaînes, et c’est lui qui délie les autres ; il brise une double chaîne et sacrifie sa liberté pour la rendre à celui qui la lui avait enlevée. Voilà vraiment les œuvres de la grâce. « Sortez », leur dit-on, « allez en paix » ; c’est-à-dire, en sécurité et sans rien craindre. Ils veulent aussi que le geôlier, soit hors de tout danger, et n’encoure aucune responsabilité. Ils ne disent point : On nous a battus et jetés en prison après les miracles que nous avons faits ; personne ne s’en serait inquiété. Ils disent ce qui pourrait le plus frapper les esprits : « Nous n’étions pas condamnés et nous sommes citoyens romains ». Songeons toujours à une pareille captivité, plutôt encore qu’au miracle. Que diront les gentils, en voyant le prisonnier convertir le geôlier ? Il ne s’agissait, répondront-ils, que d’un homme méprisable, misérable et privé de sens, sujet à tous les vices et à toutes les erreurs. Ils diront encore. Qu’importe de convertir un corroyeur, une marchande de pourpre, un eunuque, un geôlier, des esclaves et des femmes ? Mais que pourront-ils répliquer, quand nous leur citerons des personnages bien plus élevés, un centurion, un proconsul et bien d’autres depuis ce temps-là jusqu’à nos jours, des rois et des empereurs. Eh bien ! je vais vous dire quelque chose d’étrange : nous allons considérer les moins importants. Qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? Cela est étonnant en effet : il n’y aurait rien d’extraordinaire s’il s’agissait de faire comprendre la première chose venue ; mais quand il s’agit de la résurrection, du royaume des cieux, de la conduite de la vie, il est plus étonnant d’en faire acquérir l’intelligence et la conviction à des gens simples qu’à des personnes instruites. En l’absence de tout danger, si l’on enseigne une science, on distingue naturellement les élèves sans intelligence. Mais si vous dites à un de ces hommes que vous appelez esclaves : Si tu m’écoutes, tu t’exposes à tous les dangers, tout le monde te sera hostile, il te faudra mourir après avoir subi mille maux. Avec tout cela, si vous persuadez son âme, on ne pourra plus dire que c’est par faute d’intelligence. On pourrait le prétendre si ces dogmes promettaient le plaisir ; mais si l’esclave embrasse une doctrine à laquelle ne peuvent s’élever les philosophes, voilà ce qui est le plus étonnant.
Parlons, si vous le voulez, de ce corroyeur, et voyons ce que Pierre lui dit, ou bien revenons à ce geôlier. Que lui dit Paul ? Il lui parle de la résurrection du Christ, de la résurrection des morts et du royaume des cieux ; aussitôt il le convertit sans peine. Eh quoi ! il n’a pas besoin de lui dire qu’il faut vivre sagement, ne pas être avare ni cruel, et même donner ses biens à d’autres ? Cependant le voilà convaincu de ces vérités qui n’appartiennent pas aux esprits faibles, mais aux grandes âmes. Supposons que sa simplicité même lui eût fait accepter les dogmes ; qu’est-ce donc que cette simplicité qui lui fait accepter la vie parfaite ? Plus il y a de simplicité chez un homme converti à des principes que même les philosophes n’ont pu persuader aux philosophes, plus le miracle est extraordinaire, surtout quand les esclaves et les femmes se convertissent et déploient des vertus que Platon et aucun autre philosophe n’ont pu inspirer à personne. Que dis-je, à personne ? pas à eux-mêmes. Si fou s’en rapporte à Platon, il ne faut pas mépriser les richesses, puisqu’il possédait tant de biens de toute espèce, des anneaux d’or et des vases précieux. Quant à l’approbation publique, Socrate, qui a si bien parlé là-dessus, nous a fait voir qu’il ne la méprisait pas, puisqu’il a tout fait pour la gloire. Si vous connaissiez ses discours, je pourrais vous en parler longuement et vous montrer qu’il y prodigue l’ironie, du moins s’il faut s’en rapporter à ses disciples : tout ce qu’ils ont écrit d’après lui, semble avoir pour fondement un vain amour de la gloire.
3. Mais laissons les philosophes de côté et revenons sur nous-mêmes. A ce qui précède, il faut encore ajouter les dangers qui menaçaient les nouveaux fidèles ; nous ne devons donc point rougir de leur condition. Mais songeons à cette nuit que passèrent les apôtres, au bois qui leur servait d’entraves, à leurs chants religieux ; cherchons nous-mêmes à les imiter, et nous verrons s’ouvrir pour nous, non pas une prison, mais le ciel. Oui, nos prières peuvent ouvrir le ciel lui-même. Par ses prières, Élie a fermé le ciel et l’a ouvert L’autre vie a aussi une prison : « Ce que vous aurez lié sur terre, sera lié aussi dans le ciel ». (Mt. 16,19) Prions pendant la nuit, et nous romprons ces chaînes. Comme preuve que les prières effacent les péchés, nous avons l’exemple de la veuve et celle de cet ami qui, à une heure indue de la nuit, ne cesse pas de frapper. Nous pouvons encore citer Corneille : « Tes prières et tes aumônes sont montées en présence de Dieu ». (Act. 10,4) Enfin, croyons-le, d’après ce que dit Paul : « La veuve qui est vraiment veuve et solitaire, espère en Dieu et persévère jour et nuit dans ses prières ». (1Tim. 5,5) S’il le dit pour une veuve, une faible femme, cela est encore plus vrai pour les hommes.
Je vous l’ai déjà dit, et je le répète. Sans même dire beaucoup de prières, veillons assez pour en dire une seule avec attention : cela suffit, je n’en demande pas davantage. Si ce n’est pas au milieu de la nuit, que ce soit du moins le matin. Montrez par là que la nuit n’est pas faite seulement pour le corps, mais pour l’âme : ne souffrez point qu’elle s’écoule sans profit et rendez grâces à Dieu ; ces grâces retombent sur vous. Dites-moi, si nous sommes préoccupés d’une affaire importante, n’allons-nous pas solliciter tout le monde ? Puis, si nous obtenons promptement ce qu’il nous faut, nous respirons. Eh bien ! ne voudriez-vous pas avoir à solliciter quelqu’un qui fût disposé à vous savoir gré de vos sollicitations ? Ne voudriez-vous pas être dispensé de chercher à qui vous adresser, mais trouver un protecteur tout prêt, et ne pas avoir besoin d’intermédiaire pour vos demandes ? N’est-ce pas ce qu’il y a de plus avantageux ? Il agit pour nous, d’autant plus que nous n’avons pas besoin d’autres appuis : semblable à un ami sincère, il nous reproche surtout de ne pas avoir assez de confiance en lui et de ne le faire solliciter que par d’autres. C’est ainsi que nous sommes à l’égard de ceux qui nous demandent une faveur ; nous la leur accordons plutôt quand ils se présentent eux-mêmes, que s’ils se font représenter par d’autres. Mais, direz-vous, si je l’ai offensé ? Ne l’offensez plus et repentez-vous ; venez ensuite, et c’est surtout alors que vous éprouverez sans retard toute sa bonté. Dites-lui seulement : Je vous ai offensé ; dites-le du fond de l’âme et en toute sincérité, et tout vous sera remis. Vous n’avez pas autant de désir de vous faire pardonner vos péchés, qu’il n’en a de les pardonner. Pour comprendre que vous ne le désirez pas assez, songez combien peu vous veillez et vous faites l’aumône ; lui, au contraire, afin de remettre nos péchés, n’a pas épargné son Fils unique, qui partage son trône. Voyez-vous qu’il désire le pardon des pécheurs encore plus qu’eux-mêmes ? Hâtons-nous donc et ne remettons rien à demain. Il est bon et clément, donnons-lui seulement prise sur nous, afin de ne pas rester inutiles à nous-mêmes, car il nous pardonnerait encore sans cela. De même que dans mille circonstances nous confions nos intérêts à différentes personnes, nous pouvons nous reposer sur lui du soin de notre salut. « Présentons-nous devant lui en lui rendant hommage » (Ps. 94,2), car il est bon et clément.
Cependant que fera-t-il si vous ne l’invoquez pas avec sincérité, si vous ne lui dites : Pardonnez-moi, que des lèvres et non du cœur ? Qu’est-ce qu’invoquer avec sincérité ? c’est-à-dire, de toute son âme, avec un esprit pur : on dit d’un parfum qu’il est pur quand il n’est mêlé avec rien ; il en est de même ici. Celui qui le prie et l’invoque sincèrement, persévère et ne s’arrête qu’après avoir été exaucé ; mais celui qui se contente d’accomplir le précepte de la prière, ne l’invoque pas sincèrement. Qui que vous soyez, ne dites pas seulement : Je suis un pécheur ; mais cherchez à perdre cette opinion de vous-même ; ne le dites pas seulement, mais affligez-vous-en. Si vous éprouvez cette souffrance, vous chercherez à en guérir ; si vous n’y travaillez pas, c’est que vous ne souffrez point et qu’alors votre prière est une dérision. Celui qui dit : Je suis malade, ne fait-il pas tout pour guérir ? La prière est une arme bien puissante. « Si vous savez donner à vos enfants ce qui leur convient, combien plus votre père ne vous le donnera-t-il pas ». (Lc. 11,13) Pourquoi ne voulez-vous pas aller vers lui ? Il vous aime, il est plus puissant que toute créature, il peut et il veut ; qui vous arrête ? Rien. Adressons-nous donc à lui avec confiance, allons le trouver en lui apportant les offrandes qu’il réclame, le pardon des injures, la bonté et la douceur. Tout pécheur que vous êtes, ne craignez pas de lui demander la rémission de vos péchés, pourvu que vous puissiez lui présenter cet hommage mais, fussiez-vous juste, cela ne vous sert à rien si vous ne savez oublier les offenses. Celui qui ne pardonne pas à son prochain, ne peut lui-même obtenir un pardon complet. Dieu est sans comparaison plus clément que nous ; cela est clair pour tout le monde, n’est-il pas vrai ? Or, si vous pouvez lui dire : J’ai été offensé, et j’ai dompté ma colère ; j’ai été patient contre la violence, afin d’accomplir vos ordres ; ne vous pardonnera-t-il pas lui-même ? Certainement il vous remettra toutes vos fautes. Ainsi bannissons de nos âmes le souvenir des injures ; cela nous suffit pour être exaucés. Prions donc avec vigilance et persévérance, pour jouir avec abondance des fruits de la clémence divine et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVII. modifier


ILS PASSÈRENT DE LA PAR AMPHIPOLIS, PAR APOLLONIE, ET VINRENT A THESSALONIQUE, OÙ LES JUIFS AVAIENT UNE SYNAGOGUE. – PAUL Y ENTRA, SUIVANT SA COUTUME, ET IL LES ENTRETINT DES ÉCRITURES PENDANT TROIS JOURS DE SABBAT. – LEUR DÉCOUVRANT ET LEUR FAISANT VOIR QU’IL FALLAIT QUE LE CHRIST SOUFFRIT ET QU’IL RESSUSCITÂT D’ENTRE LES MORTS : ET CE CHRIST, LEUR DISAIT-IL, EST JÉSUS QUE JE VOUS ANNONCE. (CHAP. 17, VERS. 1, JUSQU’AU VERS. 15)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Les Juifs persécutent les apôtres. – Saint Paul ne se lasse pas de vouloir les sauver.
  • 3. Exhortation à la concorde. – Nous avons tous besoin les uns des autres. – Il est en notre pouvoir de mettre fin à la lutte pénible entre l’esprit et la chair. – Belle allégorie dans laquelle lame est représentée sous l’image d’une ville gouvernée par l’intelligence. – Ruses du démon.


1. Ils ne font que passer par les petites villes et s’empressent d’arriver aux grandes, d’où leur parole pouvait se répandre aux environs comme en coulant d’une fontaine. Suivant son habitude, Paul entra dans la synagogue des Juifs qu’il n’abandonnait pas, quoiqu’il eût dit : « Nous nous tournons vers les gentils » (Act. 13,46) : au contraire, il montrait un nouveau zèle pour eux. Écoutez ses paroles : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon cœur une grande affection pour le salut d’Israël et que je le demande à Dieu par mes prières » (Rom. 10,4) ; et aussi : « J’eusse désiré être anathème et séparé du Christ pour mes frères ». (Id. IX ; 3) Il le faisait pour la promesse et la gloire de Dieu, et afin de ne pas scandaliser les gentils. « Il les entretint des Écritures pendant trois jours de sabbat, leur découvrant et leur faisant voir qu’il fallait que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât d’entre les morts, et que ce Christ était Jésus qu’il annonçait ». Voyez-vous qu’il commençait avant tout par prêcher la passion. Ainsi les apôtres n’en rougissaient pas et savaient combien une pareille prédication était salutaire. « Quelques-uns d’entre eux crurent et se joignirent à Paul et à Silas ; comme aussi une grande multitude de Grecs craignant Dieu et plusieurs femmes de qualité (4) ». L’auteur ne fait que résumer la prédication, car il est tellement ennemi des paroles inutiles que rarement il rapporte les discours en entier. « Mais des fanatiques parmi les Juifs incrédules, prirent avec eux quelques méchants hommes de la lie du peuple ; et ayant excité un tumulte, ils troublèrent toute la ville et vinrent en foule à la maison de Jason, voulant enlever Paul et Silas et les mener devant le peuple (5). Mais, ne les ayant pas trouvés, ils traînèrent Jason et quelques-uns des frères devant les magistrats de la ville, en criant : il y a des gens qui sont venus ici pour troubler la ville (6) ! Jason les a reçus ; ils sont tous rebelles aux ordonnances de César en proclamant un autre roi, Jésus (7) ». Quelle accusation ! Ils les présentent encore comme coupables de lèse-majesté, en prétendant qu’ils disent « qu’il y a un autre roi, Jésus. Ils émurent donc la populace et les magistrats de la ville qui les écoutaient (8). Mais Jason et les antres ayant donné caution, les magistrats les laissèrent aller (9) ». Ce Jason était un homme admirable, puisqu’il s’exposait au danger pour en délivrer les apôtres. « Dès la nuit même, les frères conduisirent hors de la ville Paul et Silas, pour aller à Bérée, où étant arrivés ils entrèrent dans la synagogue des Juifs (10), ( 183) : « Ceux-ci étaient plus nobles que ceux de Thessalonique ; ils reçurent la parole avec beaucoup d’affection et d’ardeur, examinant tous les jours les Écritures, pour voir si ce « qu’on leur disait était véritable (11) ». Ils étaient « plus nobles », c’est-à-dire meilleurs vous voyez qu’ils lisaient les Écritures, non pas négligemment, mais avec soin ; et l’expression du texte montre combien ils les scrutaient. Ils voulaient se convaincre encore mieux par eux-mêmes de la passion, car ils étaient déjà dans le chemin de la foi. « De sorte que plusieurs d’entre eux, et beaucoup de femmes grecques de qualité et un assez grand nombre d’hommes, crurent en Jésus-Christ (12). Mais quand les Juifs de Thessalonique surent que Paul avait aussi annoncé la parole de Dieu à Bérée, ils y vinrent émouvoir et troubler le peuple (13). Aussitôt les frères se hâtèrent de faire sortir Paul pour aller vers la mer ; et Silas avec Timothée demeurèrent à Bérée (14) ». Vous voyez que tantôt il cède, tantôt il résiste ; enfin, qu’il agit souvent par prudence humaine. « Mais ceux qui conduisaient Paul le menèrent jusqu’à Athènes, où ils le quittèrent après avoir reçu ordre de lui, de dire à Silas et à Timothée qu’ils vinssent le trouver au plus tôt (15) ».
Mais revenons à ce qui précède. « Pendant trois jours de sabbat, il leur parlait en leur découvrant les Écritures ». Rien de mieux, tant qu’ils pouvaient le faire. C’est ainsi qu’agissait le Christ ; partout il expliquait les Écritures, mais il ne faisait pas des miracles partout. Comme on était aussi opposé à Paul et qu’on l’appelait imposteur et sorcier, il parle des Écritures. Car celui qui cherche à persuader, seulement avec des prodiges, est suspect avec raison ; celui qui persuade d’après les Écritures évite de pareils soupçons. Nous voyons que Paul convertit souvent par sa seule prédication : ainsi, quand il enseignait à Antioche, toute la ville se rassembla autour de lui ; voilà un fait bien important, c’était un miracle qui n’était pas vulgaire, et un des plus grands possibles. Mais ici, pour que les apôtres ne crussent pas qu’ils pouvaient, Dieu permettait qu’ils fussent chassés. Il en résultait deux conséquences : c’était de les empêcher d’être fiers comme des vainqueurs ou tremblants comme des criminels ; aussi, leur vocation était-elle providentielle. « Beaucoup de personnes pieuses parmi les gentils, un grand nombre de femmes de qualité et d’hommes furent convertis ». Mais les Juifs leur étaient toujours contraires. Comment celui qui a dit : « Nous sommes envoyés aux gentils, et d’autres aux circoncis (Gal. 11, 9) », discutait-il avec les Juifs ? Il le faisait, pour ainsi dire, par-dessus le marché. Mais, s’il devait parler aux Juifs, comment disait-il encore ? « Celui qui a agi avec Pierre auprès des circoncis, a agi avec moi auprès des gentils ». (Id. 8) De même que les autres apôtres, quoique réservés pour les circoncis, parlaient aussi aux gentils, de même Paul, quoiqu’il parlât plus souvent aux gentils, ne négligeait pas les Juifs, afin de ne pas faire paraître de divisions.
2. Mais pourquoi, direz-vous, commençait-il par entrer dans les synagogues ? C’est qu’il convertissait les gentils au moyen des Juifs et par ce qu’il disait aux Juifs : il savait, en effet, que c’était une bonne méthode pour amener les gentils à la foi. Aussi disait-il : « Je reste l’apôtre des gentils ». (Rom. 11,13) Toutes ses lettres montrent qu’il lutte contre les Juifs. « Il fallait », dit-il, « que le Christ souffrît ». Si cela était nécessaire, il fallait aussi qu’il ressuscitât, car la souffrance était bien plus étonnante que la résurrection. En effet, si Dieu a livré à la mort Celui qui n’avait rien fait de mal, à plus forte raison il a dû ressusciter. « Mais des Juifs incrédules prirent avec eux quelques hommes de la lie du peuple et troublèrent la ville ». Il y avait donc des gentils dans ce rassemblement ; et si les Juifs en prirent plusieurs, c’est qu’ils ne se croyaient pas assez nombreux pour faire une émeute et qu’ils n’avaient pas de motif raisonnable pour cela. C’est ce qui arrive toujours dans les séditions où l’on se sert des hommes les plus pervers. « Comme ils ne trouvaient pas les apôtres, ils emmenèrent Jason ». Quelle tyrannie ! On arrachait sans raison les gens de leur domicile. « lis sont a tous rebelles aux ordonnancés de César, en « proclamant Jésus comme un autre roi ». Comme les apôtres ne disaient rien de contraire à ces ordonnances et ne troublaient pas la ville, ils leur imputent un autre crime et les accusent de lèse-majesté. Que craignez-vous de Jésus puisqu’il est mort ? Voyez comme partout les persécutions développent la prédication. « Ceux-ci étaient plus nobles que ceux de Thessalonique », c’est-à-dire, ils ne faisaient aucun mal : les uns se convertissent, les autres, au contraire, ne songent qu’à troubler les apôtres. Beaucoup furent convertis parmi les gentils et leurs femmes : voilà encore les progrès de la foi chez les gentils.
Considérez en même temps que si les apôtres ont fui, c’était l’effet de la Providence et non celui de la crainte ; autrement, ils eussent cessé leur prédication, de peur d’irriter encore les esprits. Mais qu’arrivait-il ? la fureur de leurs ennemis s’apaisait, et cependant leur prédication s’étendait. Aussi, dit-on avec raison, à propos de cette émeute, que les Juifs sont venus exciter la foule ; ce qui montre bien l’excès de leur fureur. « Aussitôt, les frères se hâtèrent de faire sortir Paul pour aller vers la mer ». Ils n’emmènent que Paul, craignant qu’il n’arrivât quelque malheur à l’homme qui dirigeait tout. Ainsi, la grâce n’opérait pas seule ; elle laissait aux hommes leur action, les excitait, les réveillait et n’écartait pas d’eux les inquiétudes. Vous voyez qu’elle a protégé les apôtres jusqu’à la ville de Philippes ; ici il n’en est plus de même. « Ils quittèrent Paul après en avoir reçu l’ordre de dire à Silas et à Timothée qu’ils vinssent le rejoindre au plus tôt ». Paul avait raison, car si puissant qu’il fût, il avait besoin d’eux. Ainsi, c’était bien l’ordre de Dieu qui les envoyait en Macédoine, car les lumières de la foi avaient commencé à se répandre dans le reste de la Grèce. Du reste, Paul dépassait quelquefois les préceptes divins. Ainsi, le Christ voulait qu’il vécût de l’Évangile, mais il se privait de le faire (1Cor. 9,14 et 15) ; le Christ ne l’avait pas envoyé pour baptiser (1Cor. 1,17) ; cependant il baptisait. Il s’employait donc à tout, quoique, en général, il fût envoyé près des gentils, de même que Pierre près des circoncis. « Jason et les autres ayant donné caution, les magistrats les laissèrent aller ». Vous voyez que Jason donne caution pour Paul et risque ainsi sa vie pour lui. « Ils étaient plus nobles que les gens de Thessalonique », c’est-à-dire, plus avancés en vertu et en foi divine. « Ils reçurent la parole avec beaucoup d’affection et d’ardeur, examinant tous les jours les Écritures, pour voir si ce qu’on leur disait était véritable ». Ainsi, ils n’y mettaient point d’entraînement ni d’irréflexion.
La plus grande de ces villes était Thessalonique où il y avait beaucoup de populace, et il n’est pas étonnant que les hommes soient plus méchants dans une grande ville : en effet, plus elle est grande, plus nombreuses sont les occasions de désordres. De même que le mal sévit plus grièvement dans un corps qui lui fournit plus d’aliments, ainsi se renouvelèrent à Thessalonique, dans de plus vastes proportions, les scènes déplorables d’Irone. Aussi Paul les quitte pour les punir d’avoir cherché le malheur des autres ; c’est ce qu’il entend par ces paroles : « Les Juifs nous empêchaient de parler aux gentils. » (1Thes. 2,16) Pourquoi, dira-t-on, les apôtres ne restèrent-ils pas ? Pourquoi ne firent-ils pas de miracles ? Si Paul était resté longtemps dans la ville où on l’avait lapidé, n’aurait-il pas dû encore bien mieux rester ici ? C’est que Dieu ne leur permettait pas de prodiguer les miracles ; car vaincre sans miracles est plus merveilleux que tous les miracles possibles. Maintenant Dieu gouverne sans faire de miracles ; c’était déjà ainsi qu’il voulait gouverner d’ordinaire. Aussi les apôtres ne s’empressaient point d’en faire, et Paul lui-même dit : « Nous prêchons le Christ crucifié ». (1Cor. 1,23) A ceux qui cherchent en nous des artisans de miracles, nous leur expliquons ce que les miracles même ne sauraient expliquer, et nous les convertissons. Voilà ce qu’il y avait de plus merveilleux. Aussi, quand la prédication s’étend, voyez comme se multiplient les miracles de cette nature. Il en fallait faire plus pour les fidèles que pour les autres, mais comment les apôtres font-ils ces miracles ? En s’éloignant et en cédant. « Ils le firent sortir pour aller vers la mer ». Pourquoi cela ? Pour qu’il fût moins facile de le saisir. Ainsi ils avaient agi d’une manière bien méritoire pour eux-mêmes, et accompli, à l’égard de Paul, une grande œuvre et une belle action : ils ne songeaient qu’à l’arracher au danger.
3. Remarquez tout l’intérêt que les disciples portaient à ces illustres apôtres. Maintenant, grands et petits, nous sommes divisés : parmi nous les uns s’élèvent et les autres en sont jaloux. Pourquoi sont-ils jaloux ? Parce que nous sommes gonflés d’orgueil et que nous ne voulons point les traiter sur le pied d’égalité. La bonne harmonie d’un corps n’admet point de gonflement : il n’y en a pas parce que les membres sont tellement disposés que chacun a sa fonction particulière : la tête a besoin des pieds et les pieds de la tête. Dieu l’a voulu ainsi pour la société ; c’est nous qui ne voulons pas : et pourtant, même sans qu’il nous l’eût commandé, nous devrions avoir la charité. Ne voyez-vous pas que les païens eux-mêmes nous accusent quand ils vantent les avantages de l’amitié ? Les laïques ont besoin de nous, et, à notre tour, nous avons besoin des laïques. Ainsi, sans disciples et sans sujets, il n’y aurait ni maîtres ni souverains : que pourraient-ils faire ? De même encore la terre a besoin du laboureur et le laboureur de la terre. Quelle récompense aura le maître s’il n’a point de disciples à montrer ? Quelle récompense auront les disciples s’ils ne profitent pas d’un enseignement excellent ? Ainsi nous avons besoin les uns des autres : on n’est pas général sans soldats, souverain sans sujets, et même il en faut beaucoup. On ne peut rien faire par soi-même, ni des mains ni de l’intelligence : on est d’autant plus honoré qu’il y a plus de monde qui vous entoure. Par exemple, les pauvres ont besoin d’aumônes, et ceux qui font l’aumône ont besoin de pauvres qui la reçoivent. « Vous cous sidérant les uns les autres, afin de vous exciter mutuellement à la charité et aux bonnes œuvres ». (Héb. 10,24) Aussi la puissance collective de l’Église est considérable, et ce qui est impossible à chacun de ses membres devient possible à tous quand ils sont unis. Voilà ce qui prouve la nécessité des prières pour le monde entier, pour les destinées de l’Église, pour la paix, pour ceux qui souffrent. Et c’est ce que Paul montre en disant : « Afin que la grâce que nous avons reçue, en considération de plusieurs personnes, soit aussi reconnue parles actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous » (2Cor. 1,11) ; c’est-à-dire, pour que beaucoup de personnes participent à cette grâce : aussi réclame-t-il souvent leurs prières. Voyez encore ce que Dieu dit aux habitants de Ninive : « Et moi je n’épargnerai pas cette ville où il y a plus de cent vingt mille hommes ». (Jn. 4,11) Il dit aussi : « Quand deux ou trois hommes sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ». (Mt. 18,20) Si deux personnes ont cette puissance, un grand nombre ne l’aura-t-il pas davantage ? Une seule aurait quelque influence, mais beaucoup moins. Pourquoi restez-vous seul ? Pourquoi n’en attirez-vous pas d’autres ? Pourquoi ne propagez-vous pas la charité ? Pourquoi ne faites-vous pas naître l’amitié ? Vous manquez de ce qu’il y a de plus essentiel dans la vertu. Quand les méchants se réunissent ensemble, Dieu s’en irrite encore davantage, de même qu’il prend plaisir à voir les bons s’unir entre eux. « Ne vous réunissez pas pour faire le mal », dit-il, (Ex. 23,2), « tous se sont égarés, tous ensemble sont inutiles » (Ps. 13,3), et leur perversité les fait presque chanter de joie.
Recherchez des amis plutôt que des serviteurs, plutôt que toute autre chose. Si vous êtes un homme de paix, vous êtes un fils de Dieu ; à plus forte raison si vous faites des amis. Celui qui réconcilie obtient le nom de fils de Dieu ; quel nom mérite celui qui rend amis ceux qu’il a réconciliés ? Chargeons-nous de cette négociation, tâchons que les ennemis deviennent amis et que les indifférents se réunissent, mais commençons par nous-mêmes. Celui chez qui la concorde n’habite pas, et qui se dispute avec sa femme, n’inspirera pas de confiance s’il veut réconcilier les autres ; et de même qu’il est dit : « Médecin, guéris-toi toi-même » (Lc. 4,23), on lui en dira autant. Quelle hostilité trouvons-nous en nous-mêmes ? Celle de l’âme et du corps, du vice et de la vertu. Terminons cette guerre, soyons vainqueurs dans ce combat ; alors, en paix avec nous-mêmes, nous parlerons aux autres avec une assurance entière, sans que notre conscience nous reproche rien. La colère lutte avec la douceur, l’amour des richesses avec le désintéressement, la jalousie avec la bonté. Terminons cette guerre, triomphons de ces ennemis, dressons des trophées de notre victoire et rétablissons la paix dans notre état. Notre âme, en effet, c’est un état, c’est un gouvernement où se trouvent bien des citoyens et des étrangers, mais renvoyons les étrangers pour qu’ils ne corrompent point les citoyens. Ne souffrons aucune idée étrangère ou altérée, aucune pensée de la chair. Ne voyons-nous pas que, si un ennemi est surpris dans une ville, on le juge comme un espion ? Ainsi renvoyons les étrangers et même exterminons les ennemis. Si nous en surprenons un, livrons à l’intelligence qui nous gouverne cette pensée barbare et qui n’appartient à la cité que par les apparences. Nous avons beaucoup de ces pensées qui sont nos ennemies par leur nature, mais qui sont couvertes d’une peau de brebis. C’est ainsi que les Perses, quand ils ont ôté leur tiare, leurs caleçons et leurs chaussures barbares pour prendre nos habits, quand ils se sont rasés et qu’ils parlent notre langue, dissimulent leur hostilité ; mais quand on les soumet à la question, on découvre tout ce qu’ils cachaient. Agissez de même ici : soumettez cette pensée à toutes les épreuves, et vous reconnaîtrez bientôt tout ce qu’elle a de barbare. Je veux vous montrer par un exemple quels sont ces espions que le démon envoie pour voir ce qui est en nous prenons-en un pour le mettre à nu et l’examiner avec soin devant notre tribunal ; nous choisirons, si vous le voulez, un de ceux que Paul avait saisis. « Ce sont des ordonnances qui ont quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans un rigoureux traitement qu’on fait subir au corps, et dans le peu de soin qu’on prend de rassasier la chair ». (Col. 2,23) Par exemple, le diable voulait introduire le judaïsme ; s’il voulait le faire par lui-même, il n’y parviendrait pas. Voyez maintenant son artifice. Le corps, dit-il, doit pratiquer l’abstinence ; or, c’est de la sagesse, c’est de l’humilité de se priver de nourriture et de la repousser. De même il a voulu, avec certains hérétiques, nous entraîner vers la créature. S’il avait dit : Adorez la créature, il se serait trahi lui-même ; mais il dit que Dieu est créé. Mais en présence des juges, mettons à nu le sens des Écritures apostoliques, conduisons le coupable en face de ce tribunal, et les juges distingueront les prédications du mensonge de celles de la vérité. Bien des gens font des gains, des gains injustes, afin de donner aux pauvres : c’est là une mauvaise pensée. Mais, débarrassons-la de tout ce qui peut la dissimuler et réfutons-la pour ne pas nous laisser surprendre : cherchons au contraire à éviter tous les pièges du démon pour garder avec soin les véritables dogmes, passer avec assurance la vie présente et jouir des biens qui nous ont été promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVIII. modifier


PENDANT QUE PAUL LES ATTENDAIT A ATHÈNES, SON ESPRIT ÉTAIT IRRITÉ VOYANT L’ATTACHEMENT DE CETTE VILLE A L’IDOLÂTRIE. – IL PARLAIT DONC DANS LA SYNAGOGUE AVEC LES JUIFS ET CEUX QUI CRAIGNAIENT DIEU, ET AUSSI DANS LA PLACE AVEC CEUX QUI S’Y RENCONTRAIENT. (CHAP. 17, VERS, 16, 17, JUSQU’AU VERS. 31)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Saint Paul devant l’Aréopage. – Les Juifs plus acharnés que les païens à persécuter les chrétiens. – Exorde habile don saint Paul se sert dans son discours aux Athéniens. – Misère de la philosophie, si on la compare à la doctrine révélée.
  • 4 et 5. Faites pénitence, car vous serez jugés. – Ces paroles de saint Paul s’adressent aussi bien à nous qu’aux Athéniens. – Pour aimer Dieu représentez-vous souvent ses bienfaits. – Saint Chrysostome raconte que dans sa jeunesse il échappa, ainsi qu’un de ses amis, à un péril imminent.


1. Observez que Paul a plus d’épreuves à supporter de la part des Juifs que de celle des gentils. À Athènes, il n’a rien de grave à supporter et tout se borne à des railleries : les Juifs, au contraire, sont tellement irrités qu’ils commettent beaucoup de violences. Aussi est-il dit : « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit était irrité en voyant l’attachement de cette ville à l’idolâtrie ». Son irritation était juste, car nulle part on ne voyait tant d’idoles. « Il parlait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu, et aussi dans la place avec ceux qui s’y rencontraient ». Vous le voyez, il discute encore avec les Juifs pour fermer complètement la bouche à ceux qui le représentaient comme se vouant aux gentils à l’exclusion des Juifs. Quant aux philosophes, il est étrange qu’en l’entendant parler ainsi ils n’aient pas commencé par le mépriser et repousser ses prédications en disant : Cela ne ressemble pas à la philosophie. S’ils ne l’ont pas fait, c’est que lui-même ne montrait aucun orgueil ; car, du reste, ils ne pouvaient rien comprendre ni rien sentir de tout ce qu’il leur disait. Comment l’eussent-ils compris, puisque les uns faisaient Dieu matériel, et que les autres faisaient consister le souverain bien dans le plaisir : « Il y eut aussi quelques philosophes épicuriens et stoïciens qui conférèrent avec lui, et les uns disaient : Qu’est-ce que veut dire ce discoureur ? et les autres : « Il semble qu’il prêche de nouveaux dieux ; à cause qu’il leur annonçait Jésus et la résurrection (18) » ; car ils pensaient que la résurrection était une certaine divinité, puisqu’ils adoraient aussi des déesses. « Enfin, ils le prirent et le menèrent à l’Aréopage, en lui disant : Pourrions-nous savoir de vous quelle est cette nouvelle doctrine que vous nous publiez (19) ? Car vous nous dites de certaines choses dont nous n’avons pas encore ouï parler. Nous voudrions donc bien savoir ce que c’est (20) ». Ils le menèrent à l’Aréopage, non pour s’instruire, mais pour le punir, car c’était là que se jugeaient les affaires capitales. Remarquez comme, sous prétexte de s’instruire, ils accusent la nouvelle doctrine afin de la détruire. Du reste, c’était la ville des bavards.
« Or tous les Athéniens, et les étrangers qui demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu’à dire et à entendre quelque chose de nouveau (21). Paul, étant donc au milieu de l’Aréopage, leur dit : Athéniens, il me semble qu’en toutes choses vous êtes religieux jusqu’à l’excès (22) ; car, ayant regardé en passant les statues de vos dieux, j’ai trouvé aussi un autel, sur lequel il est écrit : « Au Dieu inconnu. C’est donc ce Dieu que vous adorez sans le connaître, que je vous annonce (23) ». Il semble ne rien leur dire de désagréable et même faire leur éloge. « Je vois que vous êtes religieux jusqu’à l’excès », c’est-à-dire, extrêmement pieux. Mais cet autel où était écrit : « Au Dieu inconnu », qu’était-ce donc ? Les Athéniens, à plusieurs époques, avaient admis beaucoup de dieux et même ceux de l’étranger. Ils avaient le temple de Minerve, celui de Pan, et d’autres divinités qui leur étaient venues de tous côtés ; mais ils craignaient qu’il n’y en eût quelqu’une qui leur fût inconnue et qui fût adorée quelque part ; aussi, pour plus de sûreté, ils lui avaient élevé un autel ; mais comme ils ne savaient quel était ce Dieu, ils avaient mis cette inscription : « Au Dieu inconnu ». Paul dit que c’est Jésus-Christ, ou plutôt le Dieu de l’univers. « Celui que vous adorez sans le connaître, c’est celui que je vous annonce ». Voyez comme il leur montre qu’ils l’ont déjà accepté : Je ne vous apporte, dit-il, rien d’étranger, rien de nouveau. Car les autres lui disaient sur tous les tons. « Quelle est cette nouvelle doctrine que vous nous publiez, car vous nous dites de certaines choses dont nous n’avons pas encore ouï parler ». Il détruit aussitôt leur soupçon, puis il ajoute : « Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans ce monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre (24) ». Ensuite, pour qu’on ne s’imagine pas que ce Dieu soit la première divinité venue, il complète en disant : « Il n’habite point dans des temples bâtis par les hommes ; il n’est point honoré par les ouvrages des mains de « l’homme, comme s’il avait besoin de quelqu’un ». Voyez comme il arrive peu à peu à discuter la philosophie et à railler les erreurs des gentils. Il donne à tous la vie, la respiration et toutes choses. « Il a fait naître d’un sang unique toute la race des hommes, et leur a donné pour demeure toute l’étendue de la terre (26) ». Tels sont les attributs de Dieu ; mais voyez s’ils ne conviennent pas aussi à son Fils : « Le Seigneur », dit-il, « du ciel et de la terre », que les païens regardaient comme des dieux. Il parle de la création et des hommes. « Il a marqué des époques précises et des limites à chaque peuple, afin qu’ils cherchassent Dieu et qu’ils tâchassent de le trouver comme sous leur main et à tâtons, quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous (27). Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être ; et comme quelques-uns de vos poètes l’ont dit : Nous sommes même la race de Dieu (28) ». C’est ce que dit le poète Aratus. Voyez quelle démonstration il leur donne d’après ce qu’ils avaient fait et dit eux-mêmes. « Puisque nous sommes la race de Dieu, nous ne devons donc pas croire que la divinité soit semblable à de l’or, à de l’argent ou à de la pierre, dont l’art et l’industrie des hommes ont fait des figures (29) ». Mais pourrait-on dire : C’est précisément pour cela que nous devons le croire semblable à une statue d’or ou d’argent. Point du tout ; car nous n’y ressemblons point nous-mêmes, et surtout nos âmes. Pourquoi n’a-t-il pas aussitôt employé le langage philosophique, et n’a-t-il pas dit Dieu est de nature incorporelle, invisible et sans figure ? Parce qu’il semblait inutile de parler ainsi à des hommes qui ne savaient pas encore que Dieu était unique. Aussi, laissant cette question, il insiste sur ce qu’il a déjà examiné, et dit : « Dieu, méprisant ces temps d’ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes, et en tous lieux, qu’ils se convertissent (30), parce qu’il a arrêté un jour auquel il doit juger le monde, selon la justice, par celui qu’il a destiné à être juge ; ce dont il a donné à tous les hommes une preuve certaine en le ressuscitant d’entre les morts ». Vous voyez qu’il avait ébranlé leurs âmes par ce mot : « Il a arrêté un jour » ; ce qui les avait terrifiés ; puis il trouve l’occasion d’ajouter : « En le ressuscitant d’entre les morts ».
Mais revenons à ce qui précède. « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit était irrité ». Cette irritation ne signifie pas de la colère ou de l’indignation, mais de la vigilance et du zèle ; de même que dans le passage où il est dit : « Il y eut entre eux une contestation ». (Act. 15,39)
2. Observez que c’est la Providence qui a permis qu’il fût, malgré lui, obligé d’attendre ses compagnons. Le mot « d’agitation » montre seulement sa sollicitude, mais, je le répète, sa vigilance était loin de ressembler à la colère et à l’indignation. Il ne pouvait supporter ce qu’il voyait, mais il en souffrait. « Il discutait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu ». Vous le voyez discutant encore contre les Juifs ; quant à ceux qui craignaient Dieu, il entend par là les prosélytes. Car les Juifs étaient dispersés de tous côtés depuis la venue du Christ ; ainsi la loi tombait, et en même temps leur présence exhortait les hommes à la piété. Quant à eux, ils n’y gagnaient rien, sinon de multiplier les témoignages de leurs malheurs. « Quelques philosophes épicuriens et stoïciens discutaient avec lui ». Les Athéniens ne jouissaient plus de leurs lois, puisqu’ils étaient soumis aux Romains. Alors, de quoi et pourquoi voulaient discuter ces philosophes ? Parce qu’ils en voyaient d’autres qui discutaient avec Paul et qui avaient de la considération pour lui. Mais observez qu’ils commencent par parler d’une manière offensante : « L’homme animal ne comprend pas ce qui vient de l’Esprit ». (1Cor. 2,14) « Il semble », disent-ils, « annoncer de nouveaux démons ». Ils donnaient à leurs divinités le nom de démons, car leurs villes étaient pleines d’idoles. Ils le prirent et le conduisirent devant l’Aréopage ». Pourquoi devant l’Aréopage ? Pour l’effrayer, car c’était là qu’on jugeait les affaires capitales. « Pourrions-nous savoir quelle est cette nouvelle doctrine que vous publiez, car vous nous dites des choses que nous n’avons jamais entendues. Or, tous les Athéniens et les étrangers qui demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu’à dire ou à entendre quelque chose de nouveau ». Cela montre que tout ce peuple, qui n’était occupé qu’à parler et à écouter, regardait cependant cette doctrine comme nouvelle, parce qu’il ne l’avait jamais entendu expliquer. « Paul étant donc au milieu de l’Aréopage ; leur dit : Athéniens, il me semble qu’en toutes choses vous êtes religieux jusqu’à l’excès. En passant j’ai vu vos statues ». Il ne dit pas encore : vos démons, mais il s’y prépare ; quand il dit qu’ils sont « religieux à l’excès », c’est pour parler de cet autel. « C’est Dieu », dit-il, « qui a fait le monde et tout ce qu’il contient ». D’un seul mot il renverse tous les dogmes des philosophes. En effet, les épicuriens disaient que l’univers s’était formé de lui-même par une réunion d’atomes ; les stoïciens prétendaient que tout était matériel et périrait par une conflagration. Mais Paul leur dit : le monde, avec tout ce qu’il contient, est l’œuvre de Dieu. Voyez quelle brièveté et, en même temps, quelle clarté ! Remarquez aussi que c’était pour eux une chose étrange que l’idée du monde créé par Dieu. Ce que le premier venu sait maintenant était ignoré des Athéniens et des savants parmi les Athéniens. S’il a tout fait, il est, clair qu’il est aussi le maître de tout. Vous voyez que Paul réunit ainsi les qualités de Dieu et de Créateur ; elles s’appliquent aussi au Fils. Les prophètes disent partout que l’attribut principal de Dieu est, en effet, la création ; mais les païens séparaient les idées de Créateur et de Seigneur, parce qu’ils croyaient la matière incréée. Enfin Paul n’expose et n’établit ses idées que d’une manière voilée, mais il corrige celle des païens. « Dieu n’habite pas », dit-il, « des temples bâtis par les hommes ». Il habite en effet des temples, mais bien différents, qui sont les âmes des hommes ; aussi a-t-il supprimé le culte matériel.
Eh quoi ? N’habitait-il pas le temple de Jérusalem ? Non, sans doute, mais il s’y manifestait. Pourquoi donc était-il honoré par les mains de l’homme chez les Juifs ? Ce n’était pas par leurs mains, mais par leurs esprits ; car il ne recherchait pas le culte matériel comme s’il en avait eu besoin. « Est-ce que je mangerai », dit-il, « la chair des taureaux, ou que je boirai le sang des boucs ? » (Ps. 49,13) Paul avait dit : « Il n’est point honoré par les ouvrages de la main des hommes comme s’il avait besoin de rien » ; mais ce n’était pas assez ; c’est là un attribut de la divinité, mais il fallait en indiquer d’autres. Aussi il ajoute : « C’est lui qui donne à tous la vie, la respiration et toutes choses ». Il expose ainsi deux caractères de la divinité ; n’avoir besoin de personne et donner à tous. Comparez à cela la philosophie de Platon ou celle d’Epicure, et vous verrez combien elles sont frivoles. « Il a donné la vie et la respiration ». Vous voyez qu’il n’a pas engendré, mais créé notre âme. Remarquez encore comment il tranche la question dé la matière : « Il a fait d’un sang unique toute la race humaine, et lui a donné pour demeure toute l’étendue de la terre ». Voilà une théorie bien supérieure à celle des atomes et de la matière éternelle. Elle montre que ni le corps ni l’âme de l’homme ne sont dus à une agrégation fortuite ; c’était là ce que disaient les païens en prétendant qu’il n’y avait pas de création. Lorsque Paul dit que Dieu ne veut pas être honoré par les mains des hommes, il sous-entend qu’il veut l’être par leur esprit et leurs pensées. « C’est », dit-il, « le maître du ciel et de la terre ». Il n’y a donc pas de divinités spéciales. « Dieu a fait le monde et tout e qu’il contient ». Après avoir montré comment le monde a été fait, il déclare que Dieu n’habite pas des temples faits de la main des hommes ; c’est comme s’il disait : Si c’est Dieu, il est clair qu’il a tout créé ; s’il n’a point créé, il n’est pas Dieu. Les dieux, dit-il, qui n’ont pas fait le ciel et la terre, doivent périr. Il expose des dogmes bien supérieurs à tout ce que l’on connaissait (quoiqu’il ne révèle pas toutes les grandes vérités, car le temps n’était pas encore venu, et il parlait comme à des enfants) ; du moins il explique le Dieu créateur, souverain et indépendant.
3. En disant qu’il avait fait venir le genre humain d’un sang unique, il fait voir qu’il est l’auteur de tous les biens. Est-il rien d’aussi sublime ? Que Dieu ait fait tous les hommes avec un seul, cela est admirable ; mais qu’il les contienne tous en lui-même, cela est bien plus admirable encore. « Il donne à tous le souffle et la vie ». Mais que veulent dire ces mots : « Il a marqué des époques précises et des limites d’habitation à chaque peuple, afin qu’ils cherchent Dieu et qu’ils tâchent de le trouver, comme avec la main et à tâtons ». Tout le monde, veut-il dire, n’est pas dans la nécessité de chercher Dieu ; il est vrai que Dieu a ordonné de le chercher ; mais ce n’est pas en tout temps, c’est seulement à des époques prescrites. Ces paroles signifient seulement que ceux même qui l’avaient jusque-là cherché parmi eux ne l’avaient pas trouvé, quoique sa présence fût aussi manifeste que si l’on pouvait le toucher. Car, en réalité, on ne peut pas dire que le ciel soit d’un côté et qu’il ne soit pas de l’autre, qu’il soit visible à une époque et non à une autre. Il est facile à trouver à toute époque et dans tout pays ; Dieu a voulu qu’on pût le chercher sans être arrêté par les obstacles de temps et de lieux. Mais cette doctrine, que le royaume des cieux existait partout et en tout temps, n’aurait été profitable pour ces gens-là que s’ils avaient voulu l’appliquer. Aussi Paul ajoute : « Quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous », mais qu’il soit près de tout le monde. C’est comme s’il disait : non seulement Dieu nous a donné la respiration, la vie, et tout en un mot ; mais, ce qui est le comble de, ses bienfaits, il s’est fait connaître à nous, il nous a accordé de pouvoir le trouver et le posséder. Mais nous n’avons pas voulu le chercher, quoiqu’il fût à notre portée : « Il n’est pas loin de chacun de nous ». O ciel ! l’apôtre dit que Dieu est à côté de chacun des habitants de la terre. Est-il rien de plus grand que cette parole ? Voyez comme elle confond la pluralité des dieux. Pourquoi dire seulement qu’il n’est pas loin ? » Il est si près qu’on ne peut vivre sans lui, car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être ». Paul semble dire, comme en prenant une comparaison matérielle : on ne peut ignorer que l’air est répandu partout, qu’il est près de nous et même en nous ; il en est de même pour le créateur de toutes choses. Ainsi tout, dit-il, vient de lui ; c’est de la Providence qu’il veut parler, et de la conservation du monde, lorsqu’il dit que nous avons en lui l’être, le mouvement, la vie. Il ne dit pas Par lui, mais : « En lui », ce qui annonce une union plus intime. Le poète qu’il cite n’avait pas la même idée quand il disait : « Nous sommes sa race ». Ces mots que le poète applique à Jupiter, Paul les applique à Dieu ; non pas qu’il confonde l’un et l’autre, loin de là ! Mais il les adresse à qui de droit. Il rend aussi au vrai Dieu l’autel qu’on n’avait pas dressé pour lui. En effet, chez les gentils, beaucoup de paroles et d’actions religieuses s’adressaient, à leur insu, au Dieu véritable, mais ils croyaient qu’elles s’appliquaient à un autre.
Dites-moi, en effet, à qui cette inscription « Au Dieu inconnu », pouvait-elle convenir le mieux, au Créateur, ou au démon ? Assurément c’était au Créateur, que l’on savait exister ; sans le connaître. De même cette faculté de tout produire ne s’applique véritablement qu’à Dieu et non à Jupiter qui n’était qu’un homme et un détestable imposteur. Ce n’est pas à propos d’un être pareil que Paul a pu dire : « Nous sommes sa race » ; loin de là ! Son idée est toute différente. Il dit que nous sommes fils de Dieu, c’est-à-dire sa famille, ses proches, ou bien encore ses alliés et ses voisins. Pour qu’on ne lui fasse plus ce reproche : « Vous nous dites des choses étrangères à nos oreilles », (en effet rien n’est plus désagréable aux hommes en général), il cite un de leurs poètes. Il ne leur dit point : Vous ne devez pas croire que Dieu ressemble à un objet d’or ou d’argent, c’est là une pensée perverse et détestable ; il leur parle plus doucement : « Nous ne devons pas croire » à cette ressemblance, mais nous devons voir plus haut. Qu’est-ce qui est plus haut ? Dieu, mais nous n’en parlons pas encore, car c’est le nom de la toute-puissance ; jusqu’ici nous ne disons que ceci : Le divin ne ressemble pas à ces objets ; en effet, qui pourrait le soutenir ? Voyez comme il arrive peu à peu à l’idée de l’immatériel : car une divinité, quand même on la concevrait matérielle, différerait encore de ces représentations : « Puisque nous sommes la race de Dieu, nous ne devons pas croire que le divin soit semblable à de l’or, à de l’argent ou à de la pierre dont l’art et l’industrie des hommes ont fait des figures ». Mais, dira-t-on : Puisque nous ne le pensons pas, à quoi bon ce langage ? C’est que le discours de Paul s’adressait à la multitude, aussi avait-il raison de parler ainsi ; car si nous-mêmes, au point de vue de notre âme, nous ne ressemblons pas à ces objets, Dieu y ressemble encore bien moins : il commence donc par les détourner de cette idée, non seulement Dieu ne ressemble point à un produit de l’art du sculpteur, mais aucune conception humaine ne peut le représenter, ni l’art ni la pensée ne peuvent se le figurer. Aussi dit-il : Si Dieu peut être le produit de l’art et de la pensée humaine, si la substance de Dieu est donc aussi dans une pierre, comment, nous qui vivons en lui, ne le trouvons-nous pas ? Il reproche ainsi deux choses à ses auditeurs : D’abord de ne pas trouver Dieu, ensuite de se le figurer comme ils le font. Par elle-même, la pensée humaine n’est pas digne de foi. Mais après avoir ainsi ému leurs esprits et leur avoir montré qu’ils étaient inexcusables, voyez ce qu’il ajoute : « Dieu ; méprisant ces temps d’ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu’ils se convertissent ». Quoi ! personne ne sera puni ? Personne de ceux qui voudront se repentir. Il ne parle pas de ceux qui sont morts, mais de ceux auxquels s’adresse sa parole. Dieu, dit-il, ne vous demande pas de comptes. Il ne dit pas : Dieu vous a dédaignés, vous a pardonnés ; il dit : vous ignoriez. Le dédain supposerait qu’il n’inflige pas de punition à ceux qui en méritent, mais ce n’était qu’une erreur. Il ne dit point : Vous vous êtes égarés volontairement, mais il l’a fait comprendre plus haut, en disant : « Il faut se repentir en tous lieux ». Par, là, il faut comprendre toute la terre.
4. Voyez comme il les détourne de la pluralité des dieux : « Parce qu’il a arrêté un jour dans lequel il doit juger le monde selon la justice », il parle encore du monde pour indiquer les hommes, « par celui qu’il a marqué en le ressuscitant des morts ». Observez qu’il atteste la passion, par cela même qu’il rappelle la résurrection. La vérité du jugement est prouvée par la résurrection dont elle est la conséquence nécessaire, et la vérité de toutes ces paroles était démontrée, puisqu’il s’était relevé du tombeau. En effet, tout le monde étant convaincu qu’il était ressuscité des morts, on devait aussi croire tout le reste. Voilà ce que l’on disait aux Athéniens et ce qu’il faudrait aussi nous dire ; savoir : que nous devrions tous faire pénitence, parce que Dieu a marqué un jour où il jugera le monde. Voyez quel juge il nous donne, rempli de providence, de bonté, de miséricorde, de puissance, de sagesse, enfin réunissant toutes les qualités du Créateur. Ses paroles ont prouvé qu’il était ressuscité des morts. Faisons donc pénitence, puisque le jugement est inévitable. Si le Christ n’est pas ressuscité, nous ne serons pas jugés ; s’il est ressuscité, nous serons certainement jugés. « Il est mort pour commander aux vivants et aux morts. (Rom. 14,9) » « Nous serons tous présents devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rémunéré a d’après ses actions ». (Id. 10, et 2Cor. 5,10) Ne pensez pas que ce soient là des paroles en l’air : il s’agit de la résurrection universelle, car c’est ainsi que se fera le jugement. Ces mots : « En le ressuscitant des morts », s’appliquent au corps ; c’est lui qui était mort, qui avait succombé. Chez les païens, on rejette également la création et le jugement ; on les regarde comme des contes d’enfants ou comme les folies de l’ivresse. Mais nous qui en sommes profondément convaincus, profitons-en, et efforçons-nous d’être les serviteurs du Christ. Jusques à quand serons-nous ses ennemis ? Jusques à quand le repousserons-nous ? Vous vous écriez : Nous en sommes loin ; pourquoi ce langage ? Je me garderais bien de le dire si vous ne le faisiez pas, mais à quoi servirait de me taire quand les faits parlent aussi clairement ? Comment parviendrons-nous à l’aimer ? Je l’ai dit mille fois, mais je vais le répéter encore : il me semble avoir trouvé pour cela une méthode puissante et infaillible. Après avoir réfléchi aux bienfaits que nous avons reçus de Dieu en commun avec tous les hommes, et qui sont trop importants et trop nombreux pour que nous puissions les compter ; après en avoir rendu grâces à Dieu, songeons à tous les bienfaits que chacun de nous a reçus, et rappelons-les tous les jours à notre mémoire. Comme ils font sur nous plus d’effet que les autres, chacun de nous doit les méditer et examiner avec soin s’il n’a pas évité quelque danger, échappé à ses ennemis, enfin s’il n’a pas quelques bienfaits inscrits à son compte sui le livre de Dieu :.par exemple, s’il n’a pas été soustrait à quelque péril en sortant avant le jour, s’il n’a pas triomphé de l’attaque de quelques malfaiteurs, s’il n’a pas été guéri d’une maladie dont tout le monde désespérait ; toutes ces pensées ont une grande influence pour nous rendre Dieu propice. Si Mardochée, du moment que le roi se rappela le service qu’il lui avait rendu, fut récompensé par ce souverain au point de partager sa grandeur, nous serons récompensés à plus forte raison si nous examinons avec soin en quoi Dieu a reçu nos offenses et en quoi nous avons reçu ses bienfaits ; nous montrerons ainsi notre reconnaissance et notre repentir. Mais personne ne fait cette méditation. Quand nous parlons de nos péchés, nous disons seulement que nous avons péché sans récapituler nos fautes ; de même, quand nous parlons des bienfaits de Dieu, nous disons en général que nous en avons reçu, mais nous ne les examinons pas en particulier, nous ne disons point où, quand, ni comment ils nous ont été accordés. Mettons-y dorénavant tout notre soin. Si même on peut retrouver les plus anciens, qu’on les rappelle au souvenir, comme si l’on avait découvert un grand trésor. Cela nous est encore utile pour ne pas désespérer. Car lorsque nous aurons vu que Dieu nous a souvent protégés, nous ne désespérerons plus et nous ne croirons plus qu’il nous ait abandonnés : nous posséderons ainsi une grande preuve de sa providence à notre égard, puisque nous songerons que, malgré nos péchés, il ne nous a pas punis et que même il nous a protégés.
5. Voici une anecdote que j’ai entendu raconter. Un enfant qui n’avait pas encore quinze ans se trouvait aux champs avec sa mère. Des miasmes ayant infecté l’air, tous deux furent pris de la fièvre ; c’était en automne. La mère se hâta d’aller à la ville. L’enfant, auquel les médecins ne permirent pas ce déplacement, étant dévoré par la fièvre, eut l’idée de se gargariser, croyant qu’il apaiserait la fièvre par ce moyen et en ne prenant aucun aliment. C’était une idée d’enfant, aussi cette obstination mal placée ne lui fit-elle aucun bien. Lorsqu’enfin il se trouva à la ville, sa langue était paralysée et il resta longtemps sans parler, au point de ne rien pouvoir articuler ; cependant il lisait et prit des leçons pendant longtemps, mais cela ne l’avançait à rien. Il avait perdu toute espérance et sa mère était désolée. Les médecins faisaient des consultations de toutes espèces, sans aucun résultat ; enfin le bon Dieu rompit le lien de sa langue et il parla avec autant de facilité qu’autrefois. Sa mère racontait aussi que, lorsqu’il était petit, il avait eu dans le nez ce qu’on appelle un polype ; les médecins en avaient aussi désespéré ; sa mère était réduite à désirer sa mort, et son père (qui existait encore) ; le croyait également perdu ; en un mot, c’était une anxiété générale. Mais le mouvement violent d’un accès de toux chassa cette excroissance maladive, et tous les accidents cessèrent. Néanmoins, après qu’il fut guéri, il lui tomba sur les yeux une fluxion d’une humeur âcre et visqueuse qui produisait une chassie tellement épaisse, que les yeux en étaient fermés : le plus grave était la crainte qu’il ne restât aveugle, comme tout le monde le prévoyait. Cependant, par la grâce de Dieu, il fut encore délivré promptement de cette maladie.
Voilà ce que j’ai entendu dire ; je vais maintenant vous raconter ce que je sais par moi-même. À l’époque où j’étais très-jeune, les tyrans qui gouvernaient notre ville conçurent des soupçons : l’extérieur des remparts était garni de soldats pour tâcher de saisir des livres de sorcellerie et de magie. Celui qui avait écrit cet ouvrage et qui l’avait jeté, à peine terminé, dans la rivière, fut arrêté : on lui demanda son livre qu’il ne put donner, et on le fit passer dans la ville tout couvert de chaînes. Après avoir recueilli des preuves de sa culpabilité, on le punit ; pendant ce temps, comme j’allais à l’église des martyrs, je passais près des jardins sur la rivière, avec un camarade. Celui-ci, voyant un livre qui flottait, le prit d’abord pour un linge ; il s’approcha, reconnut que c’était un livre et descendit pour le prendre. Moi, je taquinais mon camarade, et, en plaisantant, je réclamais ma part de l’épave.
Mais, dit-il, voyons ce que c’est ; et, en tournant un coin de la page, il vit des figures de magie. Au même instant un soldat vint à passer. Mon ami cacha le livre, il tremblait de peur. Qui aurait cru que nous l’avions retiré du fleuve, tandis que l’on arrêtait une foule de gens, même sans qu’ils fussent suspectés ? Nous n’osions le jeter, de peur d’être aperçus, et nous redoutions également de le déchirer. Enfin, avec l’aide de Dieu, nous réussîmes à le jeter, et nous fûmes sauvés du danger le plus terrible.
Je pourrais, si je le voulais, vous citer une foule d’exemples, mais je vous ai dit ces faits afin que vous en profitiez et pour que, si l’un de vous est exposé à des accidents, non pas identiques, mais analogues, il ne les oublie jamais. Par exemple, si une pierre lancée droit contre vous ne vous atteint pas, gardez-en toujours un souvenir, qui sera très-agréable à Dieu. Quand nous nous rappelons les hommes qui ont pu nous sauver la vie, nous sommes affligés d’être incapables de rien faire pour eux : nous devrions, à plus forte raison, avoir le même sentiment à propos de Dieu. Il en résulte encore un autre avantage : Si nous sommes portés au désespoir, disons-nous : « puisque nous recevons le bien de la part du Seigneur, ne devons-nous pas aussi en accepter le mal ? » (Job. 2,10) Jacob avait la même pensée quand il disait : « L’ange qui m’a arraché au mal depuis ma jeunesse[11]». (Gen. 48,16) Réfléchissons, non seulement que nous avons été arrachés au mal, mais rappelons-nous comment et dans quelles circonstances. Voyez comme Jacob se rappelle chaque bienfait en particulier : « J’ai passé le Jourdain avec mon bâton ». (Gen. 32,10) Les Juifs gardaient constamment le souvenir de ce qui était arrivé à leurs ancêtres, et parlaient sans cesse de leurs aventures d’Égypte. Et nous aussi, à plus forte raison, rappelons-nous ce qui nous est arrivé quand nous sommes tombés dans l’inquiétude et le malheur, et reconnaissons que si Dieu ne nous avait tendu la main, nous aurions péri depuis longtemps. Songeons-y tous et pensons-y chaque jour, rendons à Dieu de continuelles actions de grâces, rapportons tout à sa gloire et ne cessons de le célébrer, afin d’être récompensés de notre reconnaissance, par la grâce et la miséricorde de son Fils unique, auquel, ainsi qu’au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXIX. modifier


MAIS LORSQU’ILS L’ENTENDIRENT PARLER DE LA RÉSURRECTION DES MORTS, QUELQUES-UNS S’EN MOQUÈRENT ET LES AUTRES DIRENT : « NOUS VOUS ENTENDRONS UNE AUTRE FOIS SUR CE POINT ». – AINSI PAUL SORTIT DU MILIEU D’EUX. (CHAP. 17, VERS. 32, 33, JUSQU’AU VERS. 18 DU CHAP. XVIII)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Saint Paul prêche à Corinthe. – Il comparait devant le proconsul Gallien. – Saint Paul fut conduit à Rome enchaîné, parce que s’il y fût arrivé autrement il en aurait été chassé en qualité de Juif, car le décret d’expulsion porté par Claude contre les hommes de cette nation, était encore récent.
  • 3 et 4. Exhortation à la mansuétude. – Que l’insulteur n’attire le mépris que sur lui-même. – Comparaison entre l’homme emport et l’homme patient. – L’homme patient ressemble à Dieu, l’homme colère au démon.


1. Pourquoi Paul, après avoir persuadé les Athéniens au point que ceux-ci lui disaient u Nous vous entendrons une autre fois sur ce « point », et lorsqu’il n’y avait aucun danger, se hâte-t-il de quitter Athènes ? Peut-être savait-il qu’il n’y aurait pas grand succès ; d’ailleurs le Saint-Esprit le conduisait à Corinthe. « Quelques-uns néanmoins se joignirent à lui et embrassèrent la foi ; entre lesquels fut Denys, sénateur de l’Aréopage, une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux (34) ». « Après cela, Paul, étant parti d’Athènes, vint à Corinthe (18, 1) ». Et ayant trouvé un « juif, nommé Aquilas, originaire du Pont, qui était nouvellement venu d’Italie avec Priscille, sa femme, parce que l’empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome, il se joignit à eux (2). Et parce que leur métier était de faire des tentes et que c’était aussi le sien, il demeurait chez eux et y travaillait (3) ». C’était en effet, comme je l’ai dit, le Saint-Esprit qui le menait à Corinthe où il devait rester, car les Athéniens, quoique toujours amateurs de nouveaux discours, n’y faisaient guère attention ; c’est qu’ils tenaient moins à écouter qu’à parler eux-mêmes, aussi s’éloignaient-ils de l’orateur. Puisque telle était leur habitude, pourquoi accusaient-ils Paul de « paraître annoncer des dieux étrangers ? » C’est que ces dogmes étaient pour eux fort obscurs. Cependant il convertit Denys l’Aréopagite et quelques autres, car ceux qui voulaient vivre en hommes de bien ne tardaient pas à écouter sa parole, mais il n’en était pas de même pour les autres. Paul semble s’être contenté de leur laisser les germes de la foi, car la moitié de sa vie s’était déjà écoulée. Il mourut sous Néron ; alors on était sous Claude, époque à laquelle se préparait déjà la guerre contre les Juifs, mais de loin, et comme pour les ramener au bien en attendant, on les renvoyait de Rome comme des pestiférés ! Aussi, c’est la Providence qui permit que. Paul fût emmené en captivité, pour qu’il ne fût pas chassé comme un Juif, mais amené par force et privé de sa liberté.
« Il demeurait chez eux ». O ciel ! quelle justice il devait trouver chez eux pour y demeurer ! Mais s’il demeure avec eux, c’est surtout parce qu’avec des gens de sa profession il est mieux placé pour ne rien recevoir de personne, selon ce qu’il dit : « Mais je fais cela, et je le ferai toujours, afin d’ôter à ceux qui la cherchent une occasion de se glorifier en paraissant semblables à nous. (2Cor. 11,12) Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils (4). Quand Silas et Timothée furent venus de Macédoine, Paul fut encore plus excité par le Saint-Esprit à attester aux Juifs que Jésus était le Christ (5) ». Cela montre qu’ils gênaient ses prédications et même s’y opposaient. Voilà ce qu’ils faisaient. Que fit Paul ? Il les abandonne en les frappant de terreur. Il ne leur dit plus : « C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole » (Act. 13,46) ; mais il le donne à entendre : « Comme les Juifs le contredisaient et blasphémaient, il secoua ses habits et leur dit. Que votre sang retombe sur votre tête ; pour moi, j’en suis innocent, je vais désormais chez les gentils (6). Étant parti de là, il alla dans la maison d’un nommé Juste[12], qui craignait Dieu, dont la maison tenait à la synagogue (7). Crispe, chef d’une synagogue ; crut aussi au Seigneur avec toute sa famille : plusieurs Corinthiens, ayant entendu Paul, crurent aussi et furent baptisés (8) ». Voyez comment, après avoir encore dit « désormais », il ne néglige pas les Juifs ; il n’avait parlé ainsi que pour exciter leur zèle. Ensuite il vient chez Juste, dont la maison tenait à la synagogue. Il avait choisi ce voisinage pour animer la foi des Juifs, s’ils voulaient s’y prêter. « Crispe, chef d’une synagogue, crut aussi au Seigneur avec toute sa famille ». C’était surtout là une raison suffisante pour les convertir. « Le Seigneur dit à Paul, en vision durant la nuit : ne crains rien, mais parle sans te taire (9) ; car je suis avec toi et personne ne pourra te maltraiter, parce que j’ai dans cette ville un grand peuple (10) ». Voyez toutes les raisons que Dieu emploie pour le convaincre, et surtout celle-ci qui est la plus rassurante : « Car j’ai dans cette ville un grand peuple ». Cependant, dira-t-on, ils se sont emportés contre lui ? Mais leur colère a été impuissante, et ils se sont bornés à le conduire devant le proconsul. « Il demeura donc un an et demi à Corinthe, leur enseignant la parole de Dieu (11). Or, Gallion étant proton d’Achaïe, les Juifs, d’un commun accord s’élevèrent contre Paul et le menèrent à tribunal (12), en disant : Celui-ci veut persuader aux hommes d’adorer Dieu d’une manière contraire à la loi (13) ». Vous marquez que c’est toujours pour la même raison qu’on l’accuse en public. Remarquez aussi, lorsque les Juifs disent qu’il persuade aux hommes d’adorer Dieu d’une manière contraire à la loi, que le proconsul ne s’en inquiète pas et que plutôt il défend Paul. Écoutez sa réponse : « S’il s’agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter ». Cela semble le langage d’un homme juste, et on en est convaincu en observant toute, la sagesse de la réponse. « Comme Paul allait parler, Gallion dit aux Juifs : S’il s’agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter (14). Mais s’il ne s’agit que de contestations de doctrine, de mots et de votre loi, démêlez vos différends comme vous l’entendrez, car je ne veux point m’en rendre juge (15). Il les fit retirer ainsi de son tribunal (16). Et tous les gentils, ayant saisi Sosthènes, chef d’une synagogue, le battaient devant le tribunal sans que Gallion s’en mît en peine (17) » C’était encore une preuve de justice, car li coups que l’on donnait à cet homme ne semblaient pas au proconsul une offense pou lui-même, tant les Juifs étaient insolents.
2. Mais revenons à ce qui précède. « Lorsqu’ils entendirent parler de la résurrection des morts, les uns s’en moquaient, les autres disaient : Nous vous entendrons une autre fois ». Qu’elles étaient cependant grandes et sublimes ces vérités qui attiraient plutôt leurs railleries que leur attention ! Ils se moquaient de la résurrection, car « l’homme animal ni saisit pas les choses qui viennent de l’Esprit ». (1Cor. 11,14) Ainsi Paul se retira du milieu d’eux. Pourquoi ce mot : « ainsi ? » C’est-à-dire que les uns lavaient cru et que les autres l’avaient raillé. « Quittant donc Athènes il vint à Corinthe. Ayant trouvé un Juif nommé Aquila, originaire du Pont, et qui était nouveau venu en Italie, il demeura avec lui et y travailla ». Voyez comme la loi commence à tomber. Aquila était Juif, et il accomplit à Cenchrées le vœu de se faire couper les cheveux (18) ; puis il va en Syrie avec Paul ; comme il était du Pont, il ne tient pas à venir à Jérusalem ni dans ses environs, et il en reste éloigné. Paul demeure chez lui et ne rougit pas d’y demeurer ; il y reste comme dans une bonne hôtellerie, plus commode pour lui que tous les palais. Ne riez pas, mes bien-aimés. Un athlète est mieux dans un gymnase que sur des tapis moelleux ; une épée de fer convient mieux au soldat qu’une épée d’or. Au milieu de sa prédication, « il travaillait ». Rougissons donc, nous qui vivons dans l’oisiveté, même quand nous n’avons pas de prédication à faire. « Il discutait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils. Mais les Juifs a le contredisant avec des paroles de blasphème », il s’éloigna. Par ce moyen, il comptait mieux les attirer. Pourquoi, en effet, quitte-t-il sa maison afin de venir demeurer près de la synagogue ? N’est-ce pas dans une intention de conversion ? car il ne considérait pas le danger qu’il pourrait y avoir. « Il leur attestait » : il n’enseigne plus, mais il atteste. « Les Juifs le contredisant avec des paroles de « blasphème, il secoua ses habits et dit : Que « votre sang retombe sur votre tête ! » S’il le fait, c’est pour les effrayer aussi bien par ses actions que par ses paroles, et il s’exprime avec toute l’énergie d’un homme qui a déjà fait tant de conversions. « Pour moi », dit-il, « j’en suis innocent ; désormais je vais chez les gentils ». Ainsi nous sommes responsables du sang de ceux qui nous ont été confiés, lorsque nous les négligeons. De même encore lorsqu’il dit : « Au reste, que personne ne me cause de nouvelles, peines ». (Gal. 6,17) C’était pour effrayer, car les Juifs n’étaient jamais aussi terrifiés de ses paroles due lui-même ne souffrait de leur incrédulité. « Partant de là, il vint dans la maison de Juste ». Il voulait ainsi leur faire croire qu’il ne s’occupait plus que des gentils. « Crispus, chef de synagogue, crut au Seigneur ainsi que toute sa famille ». Voilà donc la foi qui s’étend sur une famille tout entière. C’est de ce Crispus, chef de synagogue, qu’il dit : « Je n’ai baptisé personne que Crispus et Gaïus ». (1Cor. 1,14) Je crois que c’était aussi le même qu’on appelait Sosthènes, dont la fidélité était telle, qu’après avoir été battu, il resta toujours attaché à Paul. « Le Seigneur dit à Paul, dans une vision pendant la nuit : Ne crains rien et parle ». Aussi reste-t-il longtemps dans cette ville, et ce qui l’y engage, ce n’est pas seulement la multitude des fidèles, mais l’attachement qu’il avait pour Jésus-Christ ; car le danger n’en était que plus grand lorsque les fidèles devenaient plus nombreux et que parmi eux se trouvait un chef de synagogue. « Ne crains rien », lui dit le Seigneur. Cela suffisait pour le ranimer s’il avait été accessible à la crainte : peut-être aussi n’avait-il éprouvé aucune frayeur ; alors cette exhortation n’était faite que pour l’en détourner. Car, pour fortifier les siens, Dieu n’a pas toujours besoin de permettre qu’ils aient été faibles. En effet, rien ne causait à Paul autant de douleur que l’incrédulité et l’opposition à la foi. Voilà ce qui lui était plus pénible que tous les dangers. « Ne garde pas le silence, car j’ai un grand peuple dans cette ville ». Peut-être alors le Christ lui est-il apparu.
« Gallion étant proconsul d’Achaïe : les Juifs d’un commun accord s’élevèrent contre Paul ». Observez que c’est après un an et demi qu’ils s’élèvent contre lui, quand ils n’avaient plus l’usage de leurs propres lois. Ce qui exaltait surtout les Corinthiens, c’est qu’ils savaient que le gouverneur ne s’abaisserait pas jusqu’à une pareille affaire. En effet, ce n’était pas la même chose de l’emporter dans une contestation judiciaire ou d’entendre le gouverneur déclarer aux Juifs qu’il ne s’inquiétait pas de cette affaire. Voyez combien celui-ci est prudent. Il ne répond pas immédiatement : Je ne m’en inquiète pas ; mais que dit-il ? « O Juifs, s’il s’agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter. Mais s’il ne s’agit que de mots et de votre loi, décidez vous-mêmes ; je ne veux pas en être juge : il les renvoya ainsi de son tribunal ». La victoire fut éclatante. « Et tous ayant saisi Sosthènes, chef d’une synagogue, le battaient devant le tribunal, sans que Gallion s’en mit en peine ». Quelle honte pour tous ! « Sans que Gallion s’en mît en peine ». Cependant l’offense retombait sur lui. Mais ceux-ci, livrés à eux-mêmes et pleins de honte, s’abandonnent à leur injuste fureur. Mais pourquoi Paul ne les frappe-t-il pas à leur tour, puisqu’il en avait aussi la permission ? C’est qu’il savait réfléchir. Il ne frappa point, pour que le juge connût de quel côté était la douceur. Les assistants en retirèrent un grand enseignement : ils reconnurent, par la bonté des uns et la violence des autres, que ces choses réclamaient la sentence du juge. Aussi celui-ci ne dit pas : Je le défends, de crainte qu’ils ne commissent de nouvelles violences ; mais « je ne veux pas. Je ne veux pas », dit-il, « en être juge », tant il avait de réserve. C’est ce que Pilate disait à propos du Christ : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». (Jn. 18,34) Le proconsul aussi voulait qu’ils jugeassent suivant la loi ; mais les Juifs se conduisirent comme des fous ou des gens ivres. Paul vint donc d’Athènes à Corinthe, parce que dans cette dernière ville, Dieu y avait un grand peuple. On le frappa et il garda le silence.
3. Cherchons à l’imiter et ne frappons ceux qui nous frappent que par notre douceur, notre silence, notre patience. Ce sont là les armes les plus puissantes, celles qui font des blessures plus graves et plus pénibles, car les plaies de l’âme sont plus douloureuses que celles du corps. Souvent nous sommes obligés de blesser nos amis ; mais, comme c’est dans leur intérêt, ils doivent s’en réjouir. Au contraire, si vous avez une intention offensante, vous frappez le cœur, et vous causez la plus grande douleur possible, car c’est là que les blessures sont cruelles. Nous allons maintenant faire tous nos efforts pour démontrer que la douceur frappe plus que la rudesse. Cela se reconnaît clairement par les faits et l’expérience. Cependant, si vous le permettez, nous allons en faire la démonstration par le raisonnement, quoique nous l’ayons déjà faite plusieurs fois.
Quand nous recevons une injure, rien ne nous afflige plus que le jugement de ceux qui en sont témoins ; en effet, ce n’est pas la même chose d’être injurié en public ou en particulier, et nous supportons bien plutôt l’injure quand elle est secrète, quand personne n’en a été témoin et ne la connaît. Ce n’est donc pas tant l’injure elle-même qui nous afflige que sa publicité : au point que si quel qu’un nous honorait, en public et nous injuriait en particulier, nous lui en saurions gré. C’est que l’outrage n’est pas par lui-même ce qui cause notre douleur, c’est le jugement des assistants et la crainte de leur mépris : Que sera-ce donc, si les spectateurs sont pour nous ? L’insulteur ne devient-il pas alors l’insulté, puisque les témoins jugent en, notre faveur ? Dites-moi, en effet, qui méprisent-ils ? Celui qui lance l’outrage, ou celui qui le subit en silence ? Un mouvement irréfléchi nous porterait à dédaigner celui qui reçoit l’injure ; mais examinons froidement pour ne pas nous laisser entraîner par la passion : alors, qui condamnerons-nous d’un commun accord ? Assurément celui qui fait injure à l’autre, s’il est son inférieur, nous dirons qu’il est fou ; s’il est son égal, nous dirons qu’il ne réfléchit pas ; s’il lui est supérieur, nous ne l’approuverons pas davantage. Lequel, dites-moi, mérite nos éloges, celui qui se trouble, s’agite, s’emporte et méconnaît ainsi notre commune nature, ou bien celui qui reste tranquille et sans orage dans le port de la sagesse ? Celui-là ne ressemble-t-il pas à un ange, et le premier ressemble-t-il même à un homme ? L’un ne supporte pas ses chagrins, l’autre supporte même ceux d’autrui ; l’un ne peut se souffrir lui-même, l’autre souffre encore son prochain ;-l’un est ballotté par la tempête, l’autre navigue en paix, et son navire est poussé par des vents favorables. Il n’a pas permis à l’ouragan de la colère de gonfler ses voiles et de submerger le vaisseau de son âme ; mais un zéphyr bienveillant le conduit avec douceur dans le port de la sagesse. De même que, dans un navire menacé du naufrage, les matelots ne savent ce qu’ils jettent à la mer, si ce sont leurs effets ou ceux qu’ils ont reçus en dépôt, et qu’ils perdent tout, ce qui est précieux comme ce qui ne l’est pas, mais, qu’une fois la tempête apaisée, en réfléchissant à tout ce qu’ils ont ainsi jeté, ils se mettent à pleurer, et que le chagrin de leurs pertes les empêche de jouir du beau temps ; de même aussi, ceux chez qui se déchaîne l’orage de la fureur parlent et agissent en désordre' et sans savoir pourquoi ; mais, quand leur colère s’est calmée, ils réfléchissent à leur emportement, ils songent à ce qu’ils ont perdu et ne jouissent pas du calme qui leur est rendu, parce qu’ils se souviennent d’avoir lancé des paroles qui les déshonorent et leur ont fait subir une perte plus grande que celle de leurs richesses, la plus grande de toutes, celle de la considération qui s’attache à la justice et à la douceur.
La colère nous couvre de véritables ténèbres. « L’insensé a dit dans son cœur : il n’a pas de Dieu ». (Ps. 13,1) Peut-être ce mot serait-il juste aussi pour l’homme en colère, et pourrait-on ajouter que l’homme en fureur a dit : il n’y a pas de Dieu. En effet, « il ne s’inquiète pas de l’étendue de sa colère. » ( Ps. 10,4, sec. Heb) S’il lui survient une pieuse pensée, le voilà qui fuit en désordre, qui ne sait où se réfugier. Si vous n’êtes pas plus affligé que l’homme injurié par vous, injuriez-le encore, continuez ; mais le tribunal secret de votre conscience vous a déjà flagellé mille fois. Quand vous saurez que la victime de vos injures n’a prononcé aucune parole amère, n’en serez-vous pas plus affligé ? Dites-moi, comment avez-vous pu outrager si cruellement cet homme si doux, si humble, si modeste ? Voilà ce que nous disons souvent, mais nous ne voyons pas que la conduite en profite. Eh quoi ! Un homme insulte un homme, un serviteur son compagnon de servitude ? Mais pourquoi s’en étonner puisque bien des gens insultent Dieu lui-même ?
4. Que cela vous console, si l’on vous offense. On vous a injuriés ? mais l’on injurie Dieu lui-même. On vous a insultés ? mais on insulte Dieu lui-même. On a craché sur vous ? c’est ce qu’a souffert Notre-Seigneur. Il est comme nous, il souffre les offenses et n’offense pas. Jamais il n’a blessé personne injustement ; loin de là ! jamais il n’a été injurieux ni injuste ; c’est donc nous et non pas vous qui sommes avec lui. Supporter l’injure, ç’est le propre de Dieu ; injurier sans raison, c’est l’œuvre du démon. Voilà les deux côtés. On a dit au Christ : « Vous êtes possédé du démon ». (Jn. 7,20) Il reçut un soufflet d’un esclave du grand prêtre. (Jn. 18,22) C’est au niveau de pareilles gens qu’il faut mettre ceux qui insultent injustement. Car si, à propos d’une seule parole, Jésus a donné à Pierre le nom de Satan (Mc. 8,33), ce nom s’appliquera encore bien mieux aux Juifs, lorsqu’ils agiront en Juifs ; de même qu’ils ont déjà été appelés enfants du diable (Jn. 8,44), parce qu’ils faisaient des actions diaboliques. Qui êtes-vous donc, pour outrager, dites-moi ? Ou plutôt, si vous outragez, c’est que vous n’êtes rien ; car celui qui mériterait le nom d’homme n’outragerait point. Dans les disputes, on dit souvent : Qui es-tu ? On devrait parler autrement ; dire, par exemple : Insulte-moi tant que tu voudras ; tu n’es rien. Nous disons plutôt : Pourquoi m’insultes-tu ? Et l’on nous répond toujours : Parce que je vaux mieux que toi. Cette réponse est l’opposé de la vérité ; mais comme nous interrogeons mal, on nous répond mal ; c’est notre faute. Nous semblons supposer que ceux qui nous outragent sont des hommes supérieurs ; lorsque nous leur disons : Qui es-tu, toi qui m’insultes ? On nous répond en conséquence. Il fallait leur dire au contraire : Tu m’insultes ? Eh bien ! insulte-moi, car tu n’es rien. C’est plutôt à ceux qui n’injurient jamais, qu’il fallait dire : Qui es-tu, toi qui n’insultes pas ? Tu dépasses la nature humaine. L’homme vraiment libre, vraiment noble, est celui qui ne dit rien d’ignoble, même à ceux qui le méritent.
Dites-moi, parmi les accusés, combien s’en trouve-t-il qui ne méritent pas la mort ? Cependant, loin d’être chargé de l’exécution, le juge ne fait que les interroger ; et encore ne le fait-il point par lui-même. Si le juge trouve convenable de prendre un intermédiaire pour parler à un méchant homme comme il le mérite, nous devons craindre, à bien plus forte raison, d’outrager nos égaux ; car, si nous les outrageons, ce ne sera pas le moyen de nous élever au-dessus d’eux ; nous devons apprendre, au contraire, que ces outrages retombent sur nous. Voilà pourquoi nous ne devons pas insulter, même les méchants ; quant aux hommes de bien, il y a cette autre raison qu’ils ne le méritent point ; enfin, il y a un troisième motif, c’est qu’il ne faut jamais insulter. Du reste, voyez ce qui en résulté quand un homme reçoit une injure ou un dommage, cela s’étend à celui qui l’a causé ainsi qu’aux témoins. Quoi donc ? Faut-il faire venir des bêtes féroces pour tout terminer, car il ne reste plus d’autre moyen. Lorsque des hommes se laissent emporter par leurs passions injustes, c’est aux bêtes à les réconcilier. De même quand les maîtres d’une maison se battent entre eux, c’est aux domestiques à les remettre d’accord ; (cela n’est peut-être pas naturel, mais l’occasion l’exige) Il en est de même ici : Tu m’insultes ? soit ; car tu n’es pas un homme.
Ainsi l’insulte, qui semble une marque de grandeur et de dignité, ne convient, au contraire, qu’aux esclaves, de même que les hommes libres doivent parler convenablement. C’est aux uns qu’il appartient de faire le mal, aux autres de le supporter. Par exemple, imaginez une domestique voleuse qui soustrait en cachette quelque chose à son maître ; c’est l’image de l’injure : elle ressemble, pour ainsi dire, à un voleur qui s’est glissé dans une maison et cherche à dérober quelque chose ; de même l’insulteur guette de tous côtés pour enlever quelque chose de votre honneur. Peut-être réussirons-nous encore à, l’exprimer par un autre exemple. Si quelqu’un dérobe dans une maison les vases destinés aux 'plus vils usages et les emporte à la vue de tout le monde, il n’est pas seulement honteux pour son vol, il l’est pour lui-même, qui prend et emporte de pareils objets ; de même l’insulteur, vomissant devant tout le monde des paroles impures, salit bien moins les autres que lui-même en proférant des propos qui souillent sa langue et sa pensée. Il en arrive autant quand nous luttons contre les méchants ; c’est comme si nous frappions un objet corrompu qui nous salirait nous-mêmes en couvrant nos mains de pourriture. Réfléchissons sur tout cela, je vous en conjure, fuyons ce danger et purifions nos paroles, afin qu’évitant de prononcer aucune injure, nous puissions rester irréprochables pendant cette vie présente, et acquérir les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. HOUSEL.

HOMÉLIE XL. modifier


PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA, S’ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT FAIT UN VŒU. (CHAP. 18, VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 8 DU CHAP. XIX)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Priscille et Aquila ; leur zèle. – Ils complètent l’instruction d’Apollon. – Zèle de ce disciple. – Divers voyages de saint Paul. – Saint Paul à Ephèse. – Différence entre le baptême de Jean et celui du Christ.
  • 3 et 4. Exhortation à la charité, obstacles qui s’opposent à ce que la charité commence à exister ; comment se forme la charité ; sa force, ses effets.


1. Voyez comme la loi mosaïque n’est plus observée, et comme la conscience est désormais la règle des âmes ! C’était une coutume juive de se tondre la tête par suite d’un vœu. Le sacrifice qui n’avait pas été fait après que Sosthène avait été frappé, devait s’accomplir. Il fallait que Paul s’éloignât ; c’est pourquoi il se hâte. Prié par les Éphésiens de rester avec eux, Paul n’accède pas à leur désir. Pourquoi va-t-il de nouveau à Antioche ? En effet : « Il monta à Jérusalem, et ayant salué l’Église, il descendit vers Antioche ». Il avait pour cette ville une sorte d’affection humaine. En effet, c’est là que les disciples avaient été qualifiés du nom de chrétiens, et l’apôtre livré à la grâce de Dieu ; là qu’il avait achevé son instruction. Il navigua donc vers la Syrie, et laissa les autres à Éphèse pour y instruire les fidèles. Pendant le long séjour qu’ils avaient fait avec lui, ils avaient appris bien des choses, mais n’avaient pas encore cependant abandonné les pratiques judaïques. Une femme fait la même œuvre que les hommes, elle enseigne le pense ##Rem que ce qui l’empêchait d’aller en Asie, c’est que des affaires plus pressantes l’appelaient en Syrie. Remarquez que ; prié de rester à Éphèse, il ne se rend pas à la demande qu’on lui fait, parce qu’il était nécessaire qu’il s’en allât. Il ne les quitte pas cependant sans leur promettre de revenir ; apprenez de quelle manière. « Paul », disent les Actes, « vint à Éphèse, et les y laissa. Pour lui, il entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Comme ils lui demandaient de rester plus longtemps avec eux, il n’acquiesça pas à leur demande ; mais il leur fit ses adieux, et leur dit : Il faut que j’aille passer la fête qui arrive, à Jérusalem ; ensuite, si Dieu le veut, je reviendrai vers vous. Et il s’éloigna d’Éphèse, et partit pour Césarée. Lorsqu’il fut monté à Jérusalem et qu’il eut salué l’Église, il descendit vers Antioche. Il y passa un certain temps, et, lorsqu’il en fut parti, il traversa la Galatie et la Phrygie, en confirmant tous les disciples dans la foi (19-23) ». Remarquez qu’il visite tous les lieux où il est allé auparavant. « Un Juif, nommé Apollon, Alexandrin de naissance, homme éloquent et instruit dans les Écritures, vint à Éphèse ». Voici que les hommes érudits entreprennent de prêcher, et les disciples voyagent. Voyez-vous comment se propage la prédication ? « Cet homme était instruit dans la voie du Seigneur, il parlait plein du feu de l’Esprit-Saint et enseignait exactement les choses du Seigneur, quoiqu’il ne connût que le baptême de Jean. Il commença à parler hardiment dans la synagogue ; mais Aquila et « Priscille l’ayant entendu, s’emparèrent de lui et lui enseignèrent d’une manière plus exacte la voie du Seigneur (23-26) ». Si cet homme ne connaissait que le baptême de Jean comment était-il enflammé du feu de l’Esprit-Saint ? L’Esprit-Saint, en effet, n’était pas donné ainsi. Si ceux qui vinrent après lui eurent besoin du baptême du Christ, comment cet homme n’en eût-il pas eu besoin ? Qu’y a-t-il donc à dire ? Ce n’est pas sans raison que l’écrivain a marqué ces deux choses. Il me semble que cet Apollon était l’un des cent-vingt disciples qui furent baptisés avec les apôtres (Act. 1,15) ; ou bien, s’il n’en est pas ainsi, ce qui arriva à Corneille advint aussi pour lui. Mais ne fut-il baptisé qu’après qu’Aquila et Priscille l’eurent instruit plus exactement ? Il me paraît certain qu’il avait dû être baptisé, puisque les douze apôtres ne connurent rien parfaitement, pas même ce qui concernait Jésus avant le baptême. Il est donc vraisemblable qu’il avait été baptisé. Du reste, si ceux qui avaient reçu le baptême de Jean se faisaient baptiser de nouveau, il convenait que les disciples le fissent aussi. « Apollon voulant passer en Achaïe, les frères qui l’y avaient engagé écrivirent aux disciples, et les supplièrent de le recevoir. Lorsqu’il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru par la grâce de Dieu. Il convainquait les Juifs en public avec grande force, et démontrait d’après les Écritures que Jésus était le Christ. Il advint que, pendant qu’Apollon était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, vint à Éphèse. Ayant rencontré plusieurs disciples, il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir cru ? Ils lui répondirent : Nous n’avons pas même ouï-dire qu’il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit donc : En qui donc avez-vous été baptisés ? Ils lui répondirent : Nous avons été baptisés du baptême de Jean. Paul leur dit : Jean a donné le baptême de la pénitence en disant au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire, en Jésus-Christ. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus ; et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux ; et ils parlaient diverses langues et prophétisaient. Et ils étaient environ douze hommes (27 ; 19, 7) ». Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l’Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d’Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. « Lorsqu’il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru, car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d’après les Écritures que Jésus était le Christ ». Par là Apollon montre combien il était savant dans les Écritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c’est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. « Il advint », disent les Actes, « que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Éphèse ». Ces provinces sont auprès de Césarée et au-delà. « Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés ? » Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela est évident par cette parole : « Disant qu’ils croient en Celui qui doit venir après lui ». Il ne dit pas : Le baptême de Jean n’est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ : ce qu’ils firent ; et ils reçurent le Saint-Esprit par l’imposition des mains de Paul. « Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ». De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu’ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu’il se manifestât d’abord ; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues.
2. Mais reprenons ce qui a été lu précédemment. « Paul s’embarqua pour la Syrie, ayant avec lui Priscille et Aquila », qu’il laissa à Éphèse lorsqu’il y fut parvenu. Il les laissa à Éphèse, ou bien parce qu’il ne voulut pas leur faire partager la fatigue de ses voyages, ou bien parce qu’il voulait qu’ils demeurassent à Éphèse pour y enseigner lis habitèrent ensuite Corinthe : on le voit par le témoignage si honorable que Paul leur rend. Il les salue aussi dans son épître aux Romains : j’en conclus qu’ils allèrent ensuite à Rome, comme pour revoir, cette ville qu’ils avaient quittée par l’ordre de Néron. « Et après être descendu vers Césarée, il monta à Jérusalem, et lorsqu’il eut salué l’Église, il alla à Antioche. Il y séjourna un certain temps, et en partit pour parcourir la Galatie et la Phrygie ». Il me semble que les fidèles s’étaient rassemblés là, car les apôtres ne se séparaient pas d’eux si promptement. Voyez comment il les presse. Il parcourt de nouveau ces contrées afin de fortifier les disciples par sa présence. « Un Juif, nommé Apollon », disent les Actes, « savant dans les Écritures, vint à Éphèse ». C’était un homme zélé, c’est pour cela qu’il voyageait. « Celui-ci étant venu en Achaïe convainquait avec force les Juifs en public ». C’est de lui que parle Paul lorsqu’il écrit : « Touchant notre frère Apollon ». (1Cor. 16,42) Qu’il les confondît en public, cela montrait sa confiance ; qu’il le fît avec vigueur, cela prouve son talent ; par les saintes Écritures, cela témoigne en faveur de sa science. La confiance ne peut rien par elle-même sans le talent de la parole, ni le talent de la parole sans la confiance. Ce n’est donc pas en vain que Paul laissa Aquila à Éphèse : l’Esprit-Saint en disposa ainsi à cause d’Apollon, pour que cet homme fût plus fort pour Corinthe. Et pourquoi donc les Juifs ne firent-ils rien contre cet homme et se révoltèrent-ils contre Paul ? Ils savaient que Paul était le Coryphée, ou bien que son nom était célèbre. « Aquila et Priscille le prirent chez eux, et l’instruisirent plus exactement sur les voies de Dieu ». Voyez comme ils agissent avec foi, et non par envie et malveillance. Aquila était instruit, mais il était plutôt instruit lui-même. Comme ils avaient fait un long séjour avec Paul, ils avaient été assez instruits pour pouvoir enseigner les autres. « Comme il voulait passer en Achaïe, ceux qui l’exhortaient écrivirent aux disciples » de le recevoir. L’auteur explique la raison pour laquelle ils écrivent : c’est « afin qu’on le reçoive ».
Comment est-il prouvé que ces habitants d’Éphèse avaient reçu le baptême de Jean ? De ce qu’à l’interrogation : « Au nom de qui avez-vous été baptisés ? » ils répondent ; « Nous avons été baptisés du baptême de Jean ». Peut-être étaient-ils allés à Jérusalem dans ce temps ; ils étaient sortis vers Jean et s’étaient fait baptiser ; mais, bien que baptisés, ils ne connaissaient pas Jésus. Il ne leur dit pas Croyez-vous en Jésus ? mais bien : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit ? » Il savait qu’ils ne l’avaient pas reçu : Paul veut qu’ils le disent, afin que, sachant ce qui leur manquait, ils le demandassent. « Et Paul leur ayant imposé les mains, l’Esprit-Saint vint sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient ». En vertu même du baptême, ils prophétisent. Le baptême de Jean n’avait pas ce privilège, et c’est pour cela qu’il était imparfait. Pour qu’ils soient dignes de ces grâces, Paul les prépare d’avance. C’est pour cela que Jean lorsqu’il baptisait, voulait qu’on crût en celui qui viendrait après lui. Par là est démontré un grand dogme, à savoir : que ceux qui sont baptisés sont purifiés totalement de leurs péchés. En effet, s’ils n’étaient pas purifiés, ils ne recevraient pas le Saint-Esprit, et ne seraient pas aussitôt dignes de ces grâces. Remarquez que la grâce était double : grâce de parler diverses langues, grâce de prophétiser. C’est donc avec raison que Paul leur dit que le baptême de Jean fut un baptême de pénitence et non de pardon, pour les élever plus haut, et leur persuader que le baptême était dénué de ce don ; car le pardon était l’effet du baptême donné en second lieu. Comment ceux-qui reçurent le Saint-Esprit n’enseignaient-ils pas, tandis qu’Apollon qui ne l’avait pas encore reçu enseignait ? Parce qu’ils n’étaient ni si fervents, ni si instruits, et que celui-ci était très-instruit et brûlant de zèle. Il me semble que cet homme avait une grande liberté de parole. Cependant s’il parlait exactement de Jésus, il avait besoin d’une instruction plus soignée. Ainsi, bien qu’il ne sût pas toute chose, il attirait l’Esprit-Saint par sa ferveur, comme il arriva à Cornélius. Beaucoup peut-être regrettent le baptême de Jean et voudraient qu’il fût encore donné ; mais beaucoup négligeraient de mener une vie vertueuse, ou bien chacun s’imaginerait de rechercher la vertu à cause de ce baptême, et non à cause du royaume des cieux. D’ailleurs il y aurait de nombreux faux prophètes ; les hommes d’une vertu éprouvée ne brilleraient guère, et on n’appellerait non plus guère bienheureux ceux qui auraient reçu simplement la foi. De même donc que « Bienheureux sont ceux qui ont cru sans avoir vu », bienheureux sont aussi ceux qui croient sans prodiges. Dites-moi, en effet, n’était-ce pas un reproche que le Christ faisait aux Juifs, lorsqu’il disait : « Si vous ne voyez des miracles, vous ne croyez point ». (Jn. 20,29) Nous ne souffririons pas de l’absence des miracles si nous voulions regarder nos avantages actuels. Nous possédons la source de tous les biens par le baptême. Nous avons reçu le pardon de nos péchés, la sanctification, la participation de l’Esprit-Saint, l’adoption, la vie éternelle. Que voulez-vous de plus ? Des prodiges ? Ils ont cessé. Vous avez la foi, l’espérance, la charité qui demeurent ; cherchez ces choses, elles sont plus grandes que les prodiges. Rien de comparable à la charité : « La charité est la plus grande de toutes les vertus » (1Cor. 13,13), dit l’Écriture. Mais de nos jours la charité périclite, le nom seul en reste, mais la chose n’est nulle part, nous sommes divisés entre nous.
3. Que faire donc pour que nous soyons unis ? Réprimander est facile, mais ce n’est là que la moitié de l’œuvre. Il faut donc montrer comment se forme l’amitié ; il faut nous appliquer à rejoindre les membres désunis. Il n’y a pas seulement à chercher si nous avons une même église, un même dogme ; mais, ce qui est grave, c’est que nous soyons en communion pour toute autre chose et que nous n’y soyons pas dans les choses nécessaires ; que nous soyons en paix avec tous, et que sous d’autres rapports nous soyons en dissentiment. Ne considérez pas que nous n’excitons pas de luttes journalières, mais bien que nous n’avons plus une charité sincère et stable. Il est besoin d’huile et de ligaments. Pensons que la charité est la marque distinctive des disciples du Christ, que sans elle tout le reste n’est rien, et que la charité est chose facile si nous le voulons. Certes, dit-on, nous savons cela, mais comment s’y prendre pour y arriver ? Comment faire pour que cela soit ? Comment s’y prendre pour nous aimer les uns les autres ? Commençons par détruire ce qui détruit la charité, et nous l’établirons ensuite. Que personne n’ait souvenir des injures, que nul ne soit jaloux, que nul ne se réjouisse du mal. Voilà les obstacles de la charité. Ce qui la fait naître est tout autre. Il ne suffit pas de montrer quels sont les obstacles à enlever ; il faut encore montrer ce qui la fait vivre. Sirach dit bien ce qui détruit la charité, mais non ce qui la concilie, et il indique les injures, la révélation d’un secret confié, et le mal fait par ruse. (Sir. 22,27) Mais ces choses convenaient aux Juifs charnels. Loin de nous de pareilles choses ; nous ne vous conduisons pas par ces moyens, mais par d’autres : Rien ne nous est utile sans la charité. Ayez mille biens, qu’en revient-il ? Ayez la richesse, soyez dans les délices et sans amis, quel gain en tirerez-vous ? Rien même dans les biens de la vie n’est plus beau que la charité ; de même que rien n’est plus nuisible que l’inimitié : « La charité couvre la multitude des péchés » (1Pi. 4,8), l’inimitié soupçonne même ce qui n’est pas. Il ne suffit pas de n’être pas ennemi, mais il faut aimer. Pensez que le Christ l’a ordonné et cela suffit. La persécution forme les amitiés et les noue. Mais, direz-vous, que faire maintenant qu’il n’y a pas de persécution ? Comment s’y prendre pour devenir amis ? n’avez-vous pas d’autres amis, dites-moi ? Comment êtes-vous leurs amis ? Comment persévérez-vous dans leur amitié ? Que personne, en attendant, n’ait d’ennemi, c’est déjà, beaucoup ; que personne ne porte envie ; quand on n’est pas envieux, on n’accuse personne. Nous habitons tous une même terre, nous nous nourrissons des mêmes fruits. Mais tout cela est peu de chose ; nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l’amitié. Mais l’affection chaleureuse, qui nous la donnera ? dit-on. Qu’est-ce qui fait l’amour des corps, la beauté du corps ? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres ; car il ne suffit pas d’aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d’abord d’être aimés, et l’autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer ? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu’à se faire aimer, qu’à acquérir une bonne réputation. « La bonne renommée est meilleure que d’abondantes richesses ». (Prov. 22,1) L’une demeure, les autres périssent ; on peut s’approprier l’une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s’en débarrassera difficilement ; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu’un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N’agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous ? dit-on. « La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ». (Sir. 6,5) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des mœurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu.
4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d’amitié : l’adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là ; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s’en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres ; c’est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n’avaient qu’une âme ; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l’autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l’autre par ses égaux ; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent ; l’autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte ; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre ; ainsi dans ce cas : la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d’amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie ; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s’il était possible, où il y aurait une seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n’importe quelle lyre et de n’importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c’est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s’éveiller, et les réduit à un silence absolu : De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le chœur des musiciens, et qu’on n’entend aucun bruit ; ainsi parmi les amis, quand la charité s’exerce, toutes les passions s’apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu’on a charmées et fascinées ; au sein des inimitiés, c’est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l’inimitié, nous ne parlerons que de l’amitié. S’il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence ; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à cœur qu’il se relève.
L’amitié est véritablement un mur inébranlable que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le danger. Il n’a aucune occasion de colère, tout l’entretient dans la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement ; l’envie n’a pas de prise sur lui, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans son cœur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires temporelles et spirituelles. Qu’est-ce donc qui peut lui être comparé ? Il est comme une ville toute environnée de murailles ; tout autre est comme une cité sans murs. C’est le fait d’une grande sagesse de pouvoir créer l’amitié. Détruisez l’amitié, et vous aurez tout détruit, vous aurez tout confondu. Si l’image de la charité a tant de puissance, quelle force n’aura pas la vérité elle-même ? Préparons-nous donc des amis, je vous en prie, que chacun s’applique à cet art. – Mais voici, dites-vous, que je m’y applique, mais celui-ci ne s’y applique pas. – Il y aura pour vous une plus grande récompense. – Oui, dites-vous, mais la chose est plus difficile. – Comment, dites-moi ? Voici que je vous atteste que si vous vous adjoignez seulement dix amis, et que si vous faites cette œuvre comme les apôtres ont fait celle de la prédication, les prophètes celle de l’enseignement, la récompense sera grande. Préparons-nous des images royales, c’est là la marque distinctive des disciples. Comment négligeons-nous de faire une œuvre qui est plus grande que de ressusciter les morts ? Le diadème et la pourpre désignent le roi, et quoiqu’on ait des vêtements d’or, si l’on n’a pas la pourpre, le roi ne se montre pas encore. Ainsi, dans le cas présent, prenez cette marque, et vous vous ferez des amis à vous-même et aux autres. Nul ne voudrait haïr étant aimé lui-même. Apprenons quelles sont les couleurs à mélanger pour parvenir à former cette image ; soyons affables, allons au-devant des amis. Ne dites pas : Si je vois quelqu’un en retard avec moi, je deviens plus méchant que lui ; mais lorsque vous voyez quelqu’un en retard avec vous, allez au-devant et faites cesser sa froideur. Vous le voyez souffrir et vous aggravez son mal ? Appliquons-nous surtout à nous prévenir mutuellement par des témoignages d’honneur. (Rom. 12,10) Ne pensez pas que ce soit se rabaisser soi-même que de tenir les autres pour supérieurs à nous. Si vous prévenez cet homme par l’honneur que vous lui rendez, vous vous honorez bien plus encore vous-même, à cause de l’honneur que vous vous attirez. Cédons partout aux autres les premières places. N’ayons aucun souvenir du mal qu’on nous a fait, ne nous souvenons que du bien. Rien ne rend si cher qu’un langage gracieux, des paroles bienséantes, un esprit sans morgue, méprisant la gloriole et les honneurs. Si nous agissons ainsi, nous serons inaccessibles aux embûches du diable, et, après avoir suivi avec exactitude les sentiers de la vertu, nous pourrons jouir des biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartient gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLI. modifier


PAUL ENTRA DANS LA SYNAGOGUE, ET, PENDANT TROIS MOIS, IL Y PARLA AVEC LIBERTÉ, DISCOURANT SUR LE ROYAUME DE DIEU, ET PERSUADANT LES JUIFS. (CHAP. 19, VERS. 8, JUSQU’AU VERS. 20) \s ANALYSE.

  • 1-3. Saint Paul à Éphèse ; son zèle, ses miracles. – Punition des exorcistes juifs. – Examen de la manière d’agir du démon contre les fils de Scéva. – Puissance du démon contre les incrédules. – Les grands exemples servent peu de temps, à cause de la malice des hommes. – Puissance du nom de Jésus, Sauveur du monde. – Des possédés du démon, et des grâces que leur procure leur état.
  • 4 et 5. Du péché et des maux qu’il cause à l’homme. – De la colère et de la rancune. – Maux qu’elles produisent, nécessité d’en triompher.


1. Voyez que Paul entre dans les synagogues partout où il va, c’est toujours par là qu’il débute. En effet, partout il voulait prendre chez les Juifs son point d’appui, comme je l’ai déjà dit. Du reste, déjà les nations remplies de ferveur le recevaient avec empressement, et les Juifs faisaient pénitence en voyant les gentils recevoir la foi. Il voulait trouver chez les Juifs quelques disciples, les séparer de leur nation et en faire un peuple à part. Il disputait assidûment avec eux, parce qu’il les persuadait. Parce qu’il est dit qu’il parlait avec liberté, ne croyez pas que cela veuille dire avec rudesse. « Comme plusieurs s’endurcissaient et ne voulaient pas croire, et parlaient en mal de la voie du Seigneur devant le peuple, il s’éloigna d’eux, et emmena ses disciples, et chaque jour il parlait dans l’école d’un certain Tyrannus. Cela eut lieu, pendant deux ales, si bien que tous les habitants de l’Asie, « Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ». On appelait avec raison la prédication une voie. Car c’était véritablement la route qui conduit au royaume des cieux. « Il disputait », dit l’auteur, « dans l’école d’un certain Tyrannus. Et cela eut lieu pendant a deux ans, si bien que tous, Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ». Voyez-vous combien fut utile l’assiduité de Paul ? Les Juifs et les Grecs entendirent la parole. « Et Dieu faisait par les mains de Paul des prodiges plus qu’ordinaires ; au point que l’on mettait sur les malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché son corps, et les maladies les abandonnaient, et les esprits mauvais sortaient de leurs corps (9, 12) ». non seulement ceux qui les portaient les touchaient, mais ceux qui les recevaient se les appliquaient. C’est pourquoi le Christ, observant ces circonstances, ne permit pas, à ce que je crois, qu’il allât en Asie. « Quelques-uns des exorcistes juifs qui parcouraient le pays, essayèrent d’invoquer sur ceux qui étaient possédés des esprits mauvais le nom du Seigneur Jésus, en disant : Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ». Voyez : ils ne voulaient pas croire en Jésus-Christ, et ils voulaient chasser les démons en son nom. Oh ! combien était grand le nom de Paul. « Il y avait sept fils de Scéva, prince des prêtres, qui faisaient cela ». Mais l’esprit mauvais leur répondit et leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul, mais vous, qui êtes-vous ? Et l’homme en qui était l’esprit mauvais sauta sur eux, et s’étant rendu maître d’eux, les maltraita si fort qu’ils s’enfuirent de cette maison nus et blessés. Ce fait fut connu de tous les Juifs et des Grecs qui habitaient Éphèse ». Ils agissaient ainsi en secret, et ensuite leur faiblesse fut divulguée. « Et la crainte s’empara de tous ceux-là, et le nom du Seigneur Jésus fut glorif ié. Et un grand nombre de ceux qui avaient cru, venaient, et ils confessaient et révélaient leurs actions ». Puisqu’ils avaient assez de puissance pour pouvoir faire de telles choses par les démons, c’est avec raison que tout se passe ainsi. « Beaucoup d’entre ceux qui avaient pratiqué la magie prirent leurs livres, et les brûlèrent en présence de tous ; on supputa le prix de ces livres, et on trouva une somme de cinquante mille deniers d’argent ; ainsi la parole de Dieu s’accroissait et se fortifiait (13, 20) ». Voyant qu’ils leur seront désormais inutiles, ils brûlent leurs livres. Quelquefois les démons eux-mêmes en agissent ainsi. Le nom ne sert donc à rien, s’il n’est prononcé avec foi. Le Christ a donc dit avec raison : « Celui qui croit en moi fera des choses plus grandes » (Jn. 14,12) ; et il faisait allusion à ces miracles. Voyez par là comment ils ont tourné leurs armes contre eux-mêmes. « Et il parlait », dit l’auteur, « dans l’école d’un certain Tyran, pendant deux années ». Là, il y avait des hommes fidèles et très-fidèles. Ces Juifs croyaient si peu à la puissance de Jésus, qu’ils ajoutaient le nom de Paul, aimant mieux croire à la grandeur de Paul qu’à celle de son maître. On peut admirer ici que le démon ne voulut pas se prêter à la fourberie des exorcistes ; qu’il les confondit et révéla leur comédie. Il me semble qu’il fut enflammé de colère, comme le serait quelqu’un qui, exposé aux derniers périls, se verrait poussé à bout par quelque misérable, et voudrait décharger sur lui toute sa colère. Pour ne pas sembler mépriser le nom de Jésus, il le confessa d’abord, et reprit ensuite sa puissance. Il est évident que ce n’est pas l’impuissance du nom de Jésus, mais bien la fraude de ces hommes ; autrement, comment expliquer que rien de semblable n’arriva à Paul ? Et l’homme sautant sur eux », dit l’auteur. Peut-être déchira-t-il leurs vêtements, et leur serra-t-il la tête ; c’est ce qu’indique le mot : « Sautant sur eux » ; c’est-à-dire, les attaquant avec une violence capable de les maltraiter de la sorte. Que signifie : « S’éloignant d’eux, il emmena « ses disciples ? » Qu’il coupa court à leurs mauvais propos. Paul agit ainsi et s’en va parce qu’il ne voulait pas enflammer leur envie, ni amener une dispute plus grave. Le mot, « il parlait avec liberté », signifie qu’il était préparé au danger, et qu’il enseignait clairement et sans voiler les dogmes. Par là, nous apprenons que nous ne devons pas nous mêler aux médisants, mais les fuir. Offensé en paroles par les Juifs, il ne leur rendit pas offense pour offense ; au contraire, il redoublait de zèle pour la prédication, et se conciliait de nombreux adhérents ; précisément, par cette raison que, bien qu’il entendît leurs mauvais propos, il ne s’en allait pas et ne se séparait pas d’eux. Remarquez que lorsque l’épreuve a cessé de la part des gens qui sont en dehors de l’Église, elle commence de la part des démons.
Voyez-vous l’aveuglement des Juifs ? Ils voyaient les vêtements de Paul accomplir des prodiges, ils n’y faisaient pas attention. Quel plus grand miracle pourrait-on voir ? Mais au lieu de tourner à leur salut, il tourne à leur perte. Si quelque grec est incrédule, qu’il croie en voyant l’ombre de Paul faisant ces prodiges. Ainsi, parce que Paul s’éloigne d’eux, les médisants et ceux qui calomniaient la foi (il l’appelle la voie) sont vaincus. Il s’éloigne pour que les disciples ne se retirent pas, et pour – ne pas exciter les Juifs à la colère, et il montre qu’ils fuient le salut par tous les moyens. Du reste, il ne se disculpe pas devant eux et ne leur montre pas la foi partout embrassée par les gentils. Et il discourt, non pas dans n’importe quel lieu, mais dans une école, parce que l’endroit est plus commode pour se rassembler.
2. Oh ! combien est grande la vertu de ceux qui croient ! Combien est grand l’aveuglement de ceux qui demeurent dans l’incrédulité, même après la manifestation de la vertu divine ! Simon demandait par esprit de lucre la grâce du Saint-Esprit, et ceux-ci agissaient de même pour la même raison. Quel aveuglement ! Et pourquoi Paul ne leur fait-il pas de reproches ? Parce que ses reproches eussent semblé dictés par l’envie. Telle est la raison de sa conduite en cette occasion. La même chose aussi au Christ ; mais alors on n’empêchait rien (c’était le commencement de l’Évangile) : Judas volait et n’était pas réprimé. Ananie et Saphire furent frappés de mort. Beaucoup de Juifs, qui faisaient opposition à Jésus-Christ ne souffrirent aucun châtiment, et Elymas fut frappé de cécité. « Je ne suis pas venu », dit le Christ, « pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé ». (Jn. 3,37) Voyez quelle scélératesse ! Des Juifs qui demeuraient encore dans le judaïsme voulaient trafiquer de ce nom divin. Ainsi ils faisaient tout par vaine gloire et en vue du gain. Considérez que partout les hommes se convertissent moins par les événements heureux que par les événements terribles. A propos du châtiment de Saphire, l’épouvante tomba sur l’Église, et les autres n’osaient se joindre à eux. Ici, ils prenaient les mouchoirs et les linges de Paul, et ils étaient guéris, mais ce n’est qu’après le châtiment infligé aux exorcistes qu’ils viennent confesser leurs fautes. De ce que le démon saute sur les Juifs, il est prouvé que la puissance du démon est grande lorsqu’elle s’exerce contre les infidèles. Pourquoi l’esprit mauvais ne dit-il pas : Qu’est-ce que Jésus ? Pourquoi prononce-t-il des paroles inutiles pour lui ? Il craignait lui-même le châtiment ; il savait que c’était ce nom qui lui donnait la faculté de se venger des insulteurs. Pourquoi ces misérables ne lui dirent-ils pas : Nous croyons ? lis redoutaient Paul. Cependant, combien n’eût-il pas été plus glorieux pour eux de le dire, si par là ils s’étaient approprié la puissance de Jésus ? D’ailleurs, ce qui était arrivé à Philippes les rendit sages. Considérez la modération de l’auteur ; il écrit simplement l’histoire, et n’accuse pas. La sincérité des apôtres est admirable. Saint Luc rapporte de qui ces exorcistes étaient fils, leur nom, leur nombre, donnant ainsi à ceux qui vivaient alors un signe certain de la vérité de ce qu’il raconte. Pourquoi donc ces Juifs voyageaient-ils ? Pour gagner de l’argent, mais non pour annoncer la parole. Comment l’auraient-ils fait ? Ils avaient raison de voyager, ensuite ce qui leur était arrivé faisait d’eux des prédicateurs involontaires. C’est ce que l’auteur donne à entendre en disant : « Cela fut connu de tous les Juifs et des Grecs habitants d’Éphèse ». Ce fait étrange ne devait-il pas convertir les endurcis, dites-moi ? Mais il ne les convertit pas. Et qu’on ne s’en étonne pas, rien ne persuade la méchanceté. Permettez-moi de vous montrer quelle fut la malice des exorcistes.- Pourquoi cela n’arriva pas sous le Christ, ce n’est pas le moment de traiter cette question ; disons seulement que ce fait ne se produit qu’au temps où il pouvait se produire utilement. Je soupçonne que ces exorcistes agissaient ainsi pour se moquer ; c’est pourquoi ils sont châtiés, pour que personne désormais n’ose prononcer ce nom témérairement. Cet événement amena beaucoup de fidèles à la confession, les remplit de crainte et fut une preuve éclatante que Dieu connaît tout. Ils se préservaient de l’affront d’être accusés par les démons en s’accusant eux-mêmes. Du moment que les démons, leurs auxiliaires pour le péché, se faisaient leurs accusateurs au lieu de les défendre, quel espoir leur restait, sinon la confession de leurs péchés ? Voyez quels grands maux arrivent peu après que de si grands prodiges ont été accomplis. Notre nature est ainsi faite : nous oublions promptement les bienfaits. Ne vous souvient-il pas que la même chose a eu lieu de notre temps ? Dites-moi donc : Est-ce que l’année dernière Dieu n’a pas ébranlé la ville entière ? Eh bien ! est-ce que tous ne couraient pas au baptême ? Est-ce que les libertins, les hommes infâmes et corrompus, abandonnant leurs demeures et les lieux qu’ils habitaient, ne se convertirent pas et ne devinrent pas pieux ? Or, trois jours après ils retournèrent à leur malice première. D’où cela vient-il ? De l’excès de notre lâcheté. Faut-il s’étonner qu’il en soit ainsi après un châtiment qui passe sans laisser de traces, lorsque la même chose arrive après une catastrophe qui laissé de son passage des monuments durables ? Le châtiment de Sodome, par exemple, n’a-t-il pas laissé d’impérissables vestiges ? Quoi donc ! Les peuples voisins en sont-ils devenus meilleurs ? Nullement. Et le fils de Noé n’était-il pas vicieux aussi ? Ne l’était-il pas en face même de la désolation universelle qu’il voyait de ses yeux ? Ne nous étonnons donc pas si les Juifs restèrent incrédules malgré de tels prodiges, eux qui ont su corrompre jusqu’à la foi elle-même, et la faire servir au mal : par exemple, lorsqu’ils disaient que le Fils de Dieu était possédé du démon. Est-ce que vous ne voyez pas qu’il en est encore ainsi, et que beaucoup d’hommes sont de là nature des serpents, gens incrédules et ingrats qui, comme les vipères, se hâtent de mordre la main du bienfaiteur qui les a réchauffés ? Je dis ceci afin que vous ne vous étonniez pas que ces miracles n’aient pas converti tous ceux qui les virent.
3. Notre âge a vu les miracles du tombeau de saint Babylas, il a vu ceux qui ont éclaté à Jérusalem et qui ont achevé la destruction du temple, et tous ne sont pas convertis. Qu’est-il besoin de rappeler les temps anciens ? Je vous ai dit ce qui est arrivé l’année dernière ; nul n’y a fait attention, on eut bientôt repris la pente du passé, et l’on est retombé aussi bas qu’auparavant. Toujours debout, le ciel crie, pour ainsi dire, sans cesse qu’il a un maître, que cet univers est l’œuvre d’un ouvrier, et quelques-uns persistent à dire le contraire. Ce qui est arrivé à Théodore l’année dernière, qui n’en a pas été frappé d’étonnement ? Et cependant la religion n’y a rien gagné ; mais ceux qui étaient devenus pieux pour un instant, sont retournés à ce qu’ils étaient auparavant. La même chose arriva aussi aux Hébreux : c’est pour cela que le prophète a dit : « Lorsqu’il les mettait à mort, ils le recherchaient, se convertissaient, et venaient au matin près du Seigneur ». (Ps. 77,34) Qu’est-il besoin de rapporter tout ce qui leur est arrivé en général ? Combien de maladies n’éprouvèrent-ils pas ? Combien de fois s’étant relevés ont-ils promis de changer de vie, et sont-ils cependant restés les mêmes ? Le changement subit nous démontre notre volonté et la liberté de notre nature. En effet, si le mal était naturel, nous ne pourrions changer ; car nous ne pouvons changer ce qui se fait par nature et par nécessité. Cependant nous changeons, direz-vous. Ne voyons-nous pas parfois des gens qui voient naturellement, devenir aveugles par frayeur ? parce que la nature cède lorsqu’une autre nature vient à l’encontre. Ainsi, c’est suivant l’ordre de nature que l’effroi nous cause l’aveuglement ; et c’est aussi naturellement que, s’il survient un sujet de frayeur plus terrible que le premier, la première crainte disparaît. Mais quoi donc, direz-vous, si la tempérance est dans la nature, et que la crainte la chasse lorsqu’elle l’a dominée ? Que direz-vous si je vous démontre que, même sous l’empire de la crainte, certaines personnes ne sont pas tempérantes, mais conservent jusque-là leur impudence, ne serez-vous pas obligés d’avouer que la nature n’y est pour rien ? Citerai-je des faits d’autrefois ou des faits d’aujourd’hui ? Pharaon, dites-moi, ne fut-il pas changé tout d’un coup, et n’en revint-il pas à sa première malice ? Dans le cas qui nous occupe, les exorcistes prononcèrent purement et simplement le nom de Jésus ; et ils dirent aux démoniaques, qui n’ignoraient pas ce qu’était Jésus : « Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ». La réponse que font les démoniaques prouve leur connaissance. Ces Juifs se bornent à dire Jésus, sans ajouter, comme ils devaient Le Sauveur du monde ##Rem, celui qui est ressuscité. Mais ils ne voulaient pas confesser sa gloire. C’est pour cela que le démon, sautant sur eux, leur dit : « Je connais Jésus, et je sais qui est Paul » ; comme s’il leur disait Vous ne croyez pas et vous abusez de ce nom en parlant comme vous faites. Le temple est désert, sa défense est facile à emporter ; vous n’êtes pas des prédicateurs, vous êtes à moi, dit-il. La fureur du démon est grande. Les apôtres auraient pu aussi maltraiter les Juifs comme faisait le démon ; étant plus forts que les démons, comment n’auraient-ils pu faire ce que faisaient ceux-ci ? ils n’usaient pas néanmoins de ce pouvoir. Cela montre bien leur douceur : on les chasse, et ils font le bien ; les démons que l’on sert font tout le contraire. « Je connais Jésus », dit-il, rougissez de honte, vous qui ne le connaissez pas. « Et je connais aussi Paul » : Et, en effet, il savait qu’il était le prédicateur de Dieu. Ensuite il saute sur eux, déchire leurs vêtements, et par là il semble leur dire : Ne croyez pas que j’agisse ainsi par mépris pour Jésus et pour Paul. La crainte du démon était grande aussi. Pourquoi ne déchira-t-il pas leurs vêtements sans ajouter ces paroles ? il eût ainsi assouvi sa colère et établi l’erreur. Il redoutait, comme je l’ai dit, la puissance inabordable ; et il n’eût pas eu tant de force s’il n’eût prononcé ces paroles. Voyez, partout les démons sont plus sages que les Juifs ; ils n’osent pas contredire la parole ni accuser les apôtres ni le Christ. Une fois ils disent : « Nous savons qui tu es » ; et Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps ? » (Mt. 8,29) Une autre fois : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut » (Act. 16,17) ; ici ils disent : « Je connais Jésus et je connais aussi Paul » ; car ils craignaient ces saints et tremblaient devant eux. Peut-être y a-t-il parmi vous quelqu’un qui, en entendant ces paroles, désire posséder une telle puissance de manière à empêcher les démons de le regarder en face, et qui envie l’avantage qu’ont eu ces saints de posséder aine telle force ? qu’il écoute le Christ : « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis », (Lc. 10,20), dit-il, parce qu’il savait que les hommes seraient fiers de ce privilège par vaine gloire. Si vous ambitionnez ce qui plaît à Dieu, et ce qui est d’utilité commune, vous suivrez une voie plus glorieuse. Il n’est pas si difficile d’être délivré du démon, que de se délivrer du péché. Le démon n’empêche pas d’acquérir le royaume des cieux, il coopère à nous le faire obtenir malgré lui, à la vérité. Mais il y coopère cependant, car il rend plus continent celui qu’il possède. Le péché au contraire exclut du royaume des cieux.
4. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il : je ne souhaite pas d’acquérir ainsi la continence ! Ni moi non plus je ne vous le souhaite pas, mais je vous souhaite de l’acquérir par une autre voie, en faisant tout par amour du Christ. Mais si, ce que je ne souhaite pas ; ce malheur vous arrivait, il faudrait encore demander cette grâce. Si donc le démon n’exclut pas du ciel, et si le péché en exclut, c’est un plus grand bien d’être délivré du péché. Appliquons-nous donc à délivrer le prochain du péché, et avant le prochain à nous en délivrer nous-mêmes. Veillons à ne pas laisser le démon s’emparer de nous. Examinons-nous avec zèle. Le péché est pire que le démon ; car le démon rend humble. Ne voyez-vous pas combien les démoniaques, lorsqu’ils sont délivrés, de leur maladie, sont tristes et chagrins ? comme leur visage est couvert de honte, et comme ils n’osent regarder ? Voyez l’absurdité : ceux-ci rougissent de ce qu’ils souffrent, et nous, nous ne rougissons pas de ce que nous faisons ; ils sont victimes de l’injustice, et ils ont honte, et nous, nous commettons l’injustice, et nous ne craignons rien. Et cependant leur malheur n’est pas digne de honte, mais bien de pitié, de bienveillance et d’indulgence ; il est même digne d’admiration et de louanges sans nombre, lorsque, soutenant contre le démon un combat si rude, ils supportent tout en rendant à Dieu des actions d e grâces ; notre état à nous, au contraire, est ridicule, honteux, digne d’accusation, de supplice et de châtiment ; il mérite les plus grands maux, l’enfer, il est impardonnable. Voyez-vous comme le péché est pire que le démon ? Les démoniaques, à cause des maux qu’ils endurent, ont un double bénéfice : l’un, qui est d’être plus continents et plus sages ; l’autre, qui est de s’en aller purs devant le Seigneur, puisqu’ils ont subi ici-bas le châtiment de leurs péchés propres. Souvent nous avons parlé sur ce sujet, et nous avons montré que ceux qui sont châtiés ici-bas, s’ils supportent leurs maux avec patience, sont déchargés vraisemblablement d’une grande partie de leurs péchés. Le mal qui provient du péché est double aussi : d’une part nous offensons Dieu, de l’autre, nous devenons plus mauvais qu’auparavant ; faites attention à ce que je vous dis.
Le péché ne nous blesse pas seulement parce que nous péchons, mais encore parce que l’âme contracte une habitude, comme il arrive pour le corps. Un exemple exprimera plus clairement ma pensée. De même que le fiévreux ne souffre pas seulement de sa maladie actuelle, mais encore de la faiblesse qui en est la suite, lorsqu’il revient à la santé après une longue maladie ; ainsi en est-il du péché ;. même après qu’il est guéri, nous ressentons encore l’affaiblissement qu’il nous a causé. Voyez celui qui a dit des injures à quelqu’un et n’en a pas été puni. Il ne doit pas seulement pleurer parce qu’il n’a pas subi la peine des injures qu’il a dites, il doit encore s’affliger pour une autre cause. Pourquoi donc ? Parce que son âme est devenue plus impudente. Chacun des, péchés que nous commettons dépose dans l’âme un certain poison qui y reste, même après la destruction du péché. N’entendez-vous pas ceux qui reviennent à la santé, après la maladie, dire : Je n’ose pas encore boire d’eau ? Et cependant ils sont rétablis ; mais la maladie leur a laissé cette infirmité. Les démoniaques, au milieu de leurs tortures, rendent des actions de grâces à Dieu, et nous, qui sommes heureux, nous blasphémons Dieu, et nous le supportons avec peine. Il s’en trouve plus parmi ceux qui jouissent de la santé et de la fortune, qui agissent ainsi, que parmi les pauvres et les infirmes. Le démon est là qui les menace comme un bourreau terrible, comme un maître d’école qui lève sa lanière et ne la laisse jamais reposer. Que si quelques-uns ne deviennent pas sages en passant par une telle épreuve, ils n’en sont pas punis. Ce n’est pas là un médiocre avantage. Si les insensés, les fous, les enfants, ne sont pas responsables, les démoniaques ne le sont pas non plus ; il n’y a personne d’assez cruel pour punir des péchés d’ignorance. Donc nous autres pécheurs sommes dans un état pire que celui des démoniaques. – Mais nous n’écumons pas, nos yeux ne se retournent pas, nos mains ne se tordent point. Plût à Dieu que nous souffrissions ces choses dans le corps, et non dans l’âme ! Voulez-vous que je vous montre une âme écumante, impure, aux yeux égarés ? Pensez aux hommes emportés par la colère et enivrés par la fureur ; ne lancent-ils pas des paroles plus impures que n’importe quelle écume ? Ils vomissent la puanteur et l’ordure. De même que les démoniaques, ils ne connaissent plus personne. Leur esprit est dans les ténèbres, leurs yeux sont renversés, ils ne distinguent plus ni amis ni ennemis, ni ce qui est respectable ni ce qui ne l’est pas ; ils voient tout à la fois sans rien distinguer. Ne les voyez-vous pas trembler comme les démoniaques ? – Mais ils ne tombent pas par terre ? Mais leur âme se jette par terre et tombe en se débattant dans l’agonie. Si elle se tenait comme il convient, la verrait-on dans cet état ? Est-ce qu’il ne semble pas que les actions et les paroles de ces hommes enivrés par la colère soient le fait d’une âme avilie, ayant perdu sa liberté d’action. Il est encore une autre sorte de fureur plus grave que celle-là. Laquelle donc ? – Lorsqu’on ne laisse pas la colère s’étendre, et qu’on nourrit en soi le souvenir du mal comme un bourreau domestique. Cette passion de la rancune perd d’abord ceux qui s’y livrent, pour ne pas parler de ce qu’elle cause dans l’avenir. Que pensez-vous que doive être le tourment d’un homme blessé jusqu’au fond de l’âme, examinant chaque jour comment il se vengera de son ennemi ? Cet homme se punit le premier et se châtie en s’excitant, se combattant et s’enflammant lui-même. Sans cesse le feu brûle en vous ; vous allumez la fièvre, vous attisez ce feu pour ne pas le laisser s’éteindre ; et vous pensez à faire du mal à votre ennemi, tandis que vous vous consumez vous-même en portant continuellement en vous cette flamme ardente, et en ne permettant pas à votre âme de se reposer ; Tous êtes comme une bête farouche, et votre esprit est plein de trouble et de tempêtes.
5. Que peut-il y avoir de plus funeste que cette fureur qui plonge dans un chagrin, une irritation et une ardeur perpétuelles ? Telles sont les âmes de ceux que tourmente la rancune. Sitôt qu’ils voient ceux dont ils veulent se venger, ils sont bouleversés ; sitôt qu’ils entendent la voix de leur ennemi, ils sont comme abattus, ils tremblent ; dans leur lit, ils se représentent mille sortes de vengeances, ils pendent leur ennemi, le tourmentent en esprit de mille manières ; mais s’ils le voient fleurir et prospérer, oh ! quel affreux supplice ! Pardonnez à votre ennemi, et arrachez-vous à ces tortures. Pourquoi vous condamner à un supplice qui n’a pas de fin pour né volis venger et né le punir qu’une seule fois ? Pourquoi vous plonger ainsi vous-même dans une langueur continue ? Pourquoi retenir ainsi dans la contrainte votre cœur qui aspire à la liberté ? Que votre haine ne dure pas jusqu’au soir » (Eph. 4,26), dit Paul. Comme la consomption ou un ver rongeur, elle dévore la racine de notre âme. Pourquoi enfermez-vous une bête féroce dans vos entrailles ? Mieux vaudrait avoir dans le cœur un serpent, une vipère, que la colère et la rancune ; ces reptiles eussent été promptement chassés ; mais la haine demeure toujours, elle s’attache aux dents, insère le poison et produit une armée de fâcheuses pensées. Mais j’agis ainsi, dit-on, pour que mon ennemi ne se moque pas de moi et ne me méprise pas. – O homme malheureux, homme infortuné, vous ne voulez pas être la risée de votre compagnon d’esclavage, mais vous consentez à être l’objet de la haine de votre Seigneur ! Vous ne voulez pas être méprisé par votre compagnon d’infortune, mais vous méprisez le Seigneur ! Vous ne pouvez supporter que cet homme vous méprise ; doutez-vous que Dieu ne s’indigne aussi lorsque vous vous riez de lui, que vous le méprisez et que vous ne voulez pas lui obéir ? Ce qui montre que cet homme ne vous tournera pas en risée, le voici : Si vous vous vengez, ce sera pour vous une source de risée et de mépris, car la vengeance est le fait de la petitesse d’esprit ; si au contraire vous pardonnez, vous exciterez l’admiration ; car pardonner est le fait d’un grand cœur. Mais mon ennemi ne le saura pas, dit-on. Que Dieu le sache, il suffit, pour que vous obteniez une plus ample récompense. « Prêtez », est-il dit, « à ceux de qui vous n’espérez rien recevoir ». Ainsi faisons le bien à ceux qui ne s’en aperçoivent, pour qu’ils ne diminuent pas notre récompense en nous louant ou en nous récompensant de quelqu’autre manière. Moins nous aurons reçu des hommes, plus nous recevrons de Dieu.
Quoi de plus digne de risée, quoi de plus absurde qu’une âme toujours enflammée par la colère, et désireuse de se venger ? C’est un projet de femme et d’enfant. Une femme s’irrite même contre les choses inanimées, et pour passer sa colère, elle frappera jusqu’au pavé ; tels sont les hommes qui veulent se venger de ceux qui les ont offensés. Ils sont donc dignes de risée ; car c’est le fait d’une âme puérile d’être ainsi en proie à la colère ; en triompher au contraire est une œuvre virile. Ce n’est donc pus nous que notre modération expose à la risée, mais nos ennemis. Vaincre la passion n’est pas le fait d’hommes méprisables ; il appartient aux hommes méprisables de craindre le sourire des étrangers, d’en subir l’influence, de succomber ainsi à sa passion, d’offenser Dieu et enfin de se venger. Voilà ce qui est vraiment digne de risée. Fuyons donc ces choses. Que celui qui nous a fait mille injures puisse dire qu’il n’a rien souffert de notre part, et que, s’il recommençait, il n’en souffrirait pas davantage. En tenant ce langage par lequel il croirait nous blesser, il ne pourrait publier plus haut notre vertu, ni faire mieux notre éloge. Plût à Dieu que tous ceux qui m’entourent pussent dire : c’est un homme sans cœur, homme à tout souffrir ; tous lui font injure, et il le supporte ; tous se jettent sur lui, et il ne se venge pas ! Puissent-ils ajouter quand il le voudrait, il ne le pourrait pas ; afin que Dieu me loue et non les hommes. Qu’on dise si l’on veut que c’est par défaut de cœur que nous ne nous vengeons pas. Cela ne nous fait aucun mal, puisque Dieu sait ce qu’il en est, mais cela met notre trésor sous une sauvegarde plus puissante. Si nous voulons considérer les hommes, nous perdrons tout : ne nous occupons pas de ce qu’on dit, mais de ce qui convient. Ceux-là disent : Je ne veux pas qu’on se moque de moi, ni que personne se vante de m’avoir offensé. O folie ! personne ne s’est ri de moi après m’avoir offensé, dit-on, c’est-à-dire : je me suis vengé. Mais c’est précisément parce que vous vous êtes vengé de l’offenseur que vous méritez d’être un sujet de risée. D’où sont sortis ces mots qui sont la honte, la ruine, la subversion de notre vie particulière et sociale ? N’est-ce pas de l’habitude de parler autrement que Dieu ? Ce que vous jugez ridicule, c’est-à-dire, de ne pas se venger, c’est précisément ce qui rend égal à Dieu. Est-ce que nous ne sommes pas ridicules à nos propres yeux, ainsi qu’à ceux des gentils, de parler ainsi en sens contraire de Dieu ? Je veux raconter un fait qui s’est passé dans les temps anciens, et qui a rapport non à la colère, ruais aux richesses. Quelqu’un avait un champ dans lequel était caché un trésor, sans que le maître le sût. Il vendit ce champ. Celui qui l’avait acheté, fouillant, cultivant, plantant, trouva le trésor qui était enfoui. Le vendeur l’apprit, et vint vers l’acheteur pour le contraindre à lui rendre le trésor, disant qu’il lui avait vendu le champ et non le trésor. L’autre à son tour le réfutait en disant qu’il avait acheté le champ et le trésor, qu’il n’y avait rien à dire là-dessus. De là dispute entre eux, l’un réclamant le trésor, l’autre refusant de le donner ; ils rencontrèrent un homme et se disputèrent devant lui ; ils lui demandèrent à qui devait être le trésor. Mais lui ne prononça rien ; il leur dit qu’il allait vider leur différend, car il était le maître du trésor. Il prit donc le trésor qu’ils lui abandonnèrent volontiers ; il souffrit ensuite mille maux, et apprit par là que les hommes avaient bien fait de se désister. Il faut en agir ainsi par rapport à la colère ; ne cherchons point à nous venger, et que ceux qui ont fait des injures s’appliquent à les réparer justement. Mais sans doute il y en a qui croient cela ridicule. Lorsque cette folie a pris le dessus, les gens modérés sont tournés en ridicule, et, au milieu de la foule des insensés, celui qui ne l’est pas semble l’être. Je vous en supplie donc, supportons l’injure. Contenons nous afin de pouvoir, purifiés que nous serons de cette malheureuse passion, être jugés dignes du royaume des cieux, par la grâce et les miséricordes du Fils unique, à qui appartiennent avec le Père et l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLII. modifier


APRÈS CES CHOSES, PAUL, PAR L’INSPIRATION DU SAINT-ESPRIT, RÉSOLUT D’ALLER A JÉRUSALEM ; EN PASSANT PAR L’ACHAÏE ET LA MACÉDOINE, IL DISAIT : « LORSQUE J’AURAI ÉTÉ LA IL FAUT QUE JE VOIE ROME ». AYANT DONC ENVOYÉ EN MACÉDOINE DEUX D’ENTRE CEUX QUI LE SERVAIENT, TIMOTHÉE ET ÉRASTE : IL PASSA LUI-MÊME UN CERTAIN TEMPS EN ASIE. IL ARRIVA QUE PENDANT CE TEMPS IL Y EUT UN GRAND TROUBLE TOUCHANT LA VIE DU SEIGNEUR. (CHAP. 19, VERS. 21-23, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Événements d’Ephèse ; sédition de Démétrius. – L’appât du gain en est la cause. – Le juif Alexandre apaise la foule. – Son discours. – Commentaire sur le discours de Démétrius.
  • 3 et 4. Bons effets de la tribulation. – Comparaison entre le deuil et la joie : La maison où se fait une noce et celle qui est dans le deuil ; le théâtre et la prison ; l’âme plongée dans les délices, et celle qui est dans l’affliction.


l. Lorsqu’il eut demeuré assez longtemps dans cette ville, Paul voulut s’en aller ailleurs. C’est pour cela qu’il envoie Timothée et Eraste en Macédoine, tandis qu’il reste encore quelque temps à Éphèse. Mais comment se fait-il qu’ayant d’abord eu la pensée d’aller en Syrie, il se détermine maintenant à passer en Macédoine ? Cela montre qu’il ne fait rien par sa propre volonté. Il prophétise en disant : « Il faut que je voie Rome ». Peut-être dit-il cela pour consoler les disciples comme s’il leur disait : Je ne reste pas, mais je reviendrai ; la prophétie qu’il ajoute est aussi un moyen de les encourager. De là il me semble que c’est d’Éphèse qu’il écrit aux Corinthiens, leur disant : « Je ne veux pas que vous ignoriez la a tribulation qui nous est arrivée en Asie ». (2Cor. 1, 8) Comme il a promis d’aller à Corinthe, il s’excuse de son retard par l’épreuve qu’il a eue à subir, entendant par là ses démêlés avec Démétrius. C’est ce Démétrius qui suscita ce grand trouble dont parle saint Luc. Nouveau danger, nouvelle commotion. Voyez-vous quel éclat jette la vertu de Paul ? Un double prodige s’opère, et les Juifs persistent dans la contradiction. Mais tout concourt au progrès de l’Évangile. « Un homme nommé Démétrius, orfèvre, qui faisait des temples a de Diane en argent, donnait beaucoup à gagner à ceux de ce métier. Il les réunit ainsi que d’autres qui étaient intéressés à ces sortes d’ouvrages et leur dit : Hommes, vous savez que le gain nous vient de cet art ; et vous voyez et vous apprenez que non seulement à Éphèse, mais encore dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et entraîné une foule nombreuse, en disant : « Ceux-ci ne sont pas des dieux qui sont fabriqués par la main des hommes, non seulement par là notre art est en danger de se perdre, mais il est à craindre que le temple de la grande Diane ne soit plus compté pour rien, et que soit détruite la majesté de celle que vénère toute l’Asie et l’univers (24-27) ». – « Qui faisait des temples de Diane en argent », dit l’auteur. Comment peut-on faire des temples en argent ? Ce n’était probablement que de petites boîtes. Diane était en grande vénération à Éphèse : l’incendie du temple causa tant d’affliction aux Éphésiens ; qu’on défendit de prononcer jamais le nom de celui qui y avait mis le feu. Remarquez que partout l’idolâtrie ne subsiste que par l’argent. Les ouvriers sont poussés par l’argent, Démétrius est poussé par l’argent ; le danger de leur religion n’est pas ce qui les fait agir, mais bien la crainte de voir disparaître leur gain. Voyez la malice de cet homme : il était opulent, et par conséquent la perte serait pour lui peu sensible ; mais elle devait être grande pour les ouvriers qui sont pauvres et qui vivent du travail de chaque jour. Cependant ils ne disent rien, lui seul parle ; et comme ils étaient du même métier que lui, il en fait des instruments de trouble. Ensuite il exagère le danger en disant : « Il est à craindre pour nous que notre partie ne se perde » : ce qui veut dire que, privés de ce métier, ils sont en danger de mourir de faim. Cependant ces paroles devaient suffire pour amener à la religion ; mais, misérables et sans intelligence comme ils étaient, ils se révoltent plutôt, et ils n’ont garde de réfléchir et de se dire à eux-mêmes : Si cet homme est assez puissant pour convertir le monde et mettre en danger les dieux, quelle doit être la puissance de son Dieu ! Combien donc ce Dieu nous donnera-t-il mieux les choses que nous craignons de perdre ? Démétrius s’était déjà emparé de leur esprit, en leur disant : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Voyez pour quelle raison s’indignent les gentils, c’est parce qu’on leur dit : « Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ». Il insiste partout sur la question de leur métier. Ensuite, comme pour mettre le comble à leur douleur, il ajoute en dernier lieu : « Non-seulement notre métier est en danger », c’est-à-dire, tout cela n’est rien ; mais ce qui est très-grave, c’est que le temple de la grande Déesse est en danger d’être détruit. Et pour ne pas sembler parler en vue du gain, il ajoute : « Que la terre entière vénère ». Voyez-vous comme il démontre là grande puissance de Paul ; il dit à ces gens qu’ils seront tous réduits à la misère et perdus si cet homme chassé de son pays, ce fabricant de tentes, peut faire de si grandes choses ? Voyez les témoignages rendus aux apôtres par leurs ennemis. Ailleurs ils disaient : « Vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine » (Act. 5,28) ; ici : « La majesté de la grande Diane sera détruite ». Dans une autre circonstance ces mêmes ennemis disaient : « Ceux qui ont bouleversé la terre sont ici » (Act. 17,6) ; maintenant ils disent : « Il y a danger pour nous que cette partie ne tombe à rien ». Les Juifs disaient aussi du Christ : « Voyez comme tout le monde va après lui, les Romains viendront et prendront notre ville ». (Jn. 12,19 et 11, 48)
Lorsqu’ils eurent entendu ce discours, ils furent remplis de fureur ». D’où venait cette fureur ? De ce qu’on leur avait dit de Diane et de la perte qu’ils allaient faire. C’est l’habitude, dans la place publique, de se soulever et de prendre feu à propos de quoi que ce soit. Il faut donc toujours agir avec circonspection. Voyez à quel point ils sont méprisables de s’enflammer à propos de tout. « Lorsqu’ils d l’eurent entendu, ils furent remplis de fureur », dit l’auteur, « et ils s’écriaient : La Diane des Éphésiens est grande. Et la ville a entière fut remplie de confusion ; ils se précipitèrent d’un commun accord vers le théâtre, entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, « Macédoniens, compagnons de Paul (28-29) ».
2. Ils font irruption sans raison, comme les Juifs chez Jason ; partout les apôtres sont prêts. Ils n’avaient, en agissant de la sorte, souci ni de la gloire, ni de la renommée. « Paul voulait sortir et aller vers le peuple ; mais les disciples ne le permirent pas. Quelques-uns des Asiarques qui étaient ses amis, envoyèrent près de lui pour le prier de ne pas se montrer au théâtre (30, 31) ». Ils le prient de cela, parce que c’était une foule sans raison, capable de tout oser dans son aveugle fureur. « Paul accède à cette prière » ; car il n’était ni ambitieux, ni avide de vaine gloire. « Les uns criaient d’une manière, les autres d’une autre ; car la foule était un mélange de toutes sortes de gens ». Telle est la multitude, elle se précipite au hasard, comme l’incendie. « La plupart ne savaient pas pourquoi ils s’étaient rassemblés. On fit sortir de la foule Alexandre que les Juifs poussaient en avant ». Les Juifs prenaient les devants par l’action de la divine Providence, afin qu’ils n’eussent pas possibilité de contredire ensuite. Cet homme est donc poussé en avant, et il parle ; écoutez ce qu’il dit : « Alexandre ayant fait faire silence de la main, voulait se justifier devant le peuple. Lorsqu’on sut qu’il était Juif, un seul cri partit de la foule entière qui s’écriait, pendant environ deux heures : La Diane des Éphésiens est grande ! » C’était une pensée d’enfant. Ils criaient sans interruption, comme s’ils eussent craint que leur culte ne fût aboli. Paul est resté là pendant deux ans : voyez combien il y a encore de gentils. « Lorsque le greffier eut apaisé la foule, il leur dit : Éphésiens, quel homme ignore que la ville d’Éphèse honore d’un culte particulier la grande déesse Diane, ainsi que le Diopétès ? » Cela tout d’abord éteignit leur fureur. « Le Diopétès ». Il ajoute ces mots pour plus de précision. C’était un autre temple qu’on nommait le Diopétès. Ou bien on appelait de ce nom l’idole de Diane pour signifier que cette argile venait de Jupiter, et n’avait pas été fait de la main d’un homme ; ou bien une autre statue s’appelait ainsi chez eux. « Puisque nul ne peut contredire ces choses, vous devez vous apaiser et ne rien faire avec précipitation. Vous avez emmené ces hommes qui ne sont pas sacrilèges et ne blasphèment pas – votre déesse a (32-37 ». Tout cela était pur mensonge, mais il parlait ainsi au peuple pour l’apaiser. « Si donc Démétrius et les ouvriers qui sont avec a lui ont lieu de se plaindre de quelqu’un, il a se tient des audiences sur la place, il y a des proconsuls, que la cause leur soit déférée. Si vous vous plaignez de quelqu’autre chose, « on réglera tout dans une assemblée légitime. « Nous sommes en danger de nous entendre accuser de la sédition pour ce qui s’est passé aujourd’hui, sans aucun motif que nous a puissions présenter comme étant la raison « de ce tumulte. Par ces paroles, il dissipa l’assemblée (38-40). » Il dit : « l’assemblée légitime », parce qu’il y avait en effet trois assemblées chaque mois. Cette assemblée était illégitime. Il les épouvante en disant : « Nous a sommes en danger d’être accusés de sédition ».
Mais reprenons. « Lorsque toutes ces choses eurent été accomplies », dit l’auteur, « Paul, inspiré par l’Esprit-Saint, résolut d’aller à Jérusalem, en passant par la Macédoine et a l’Achaïe ». Il n’agit plus ici par des raisons humaines ; mais c’est par l’inspiration de l’Esprit qu’il se décide à passer par ces pays. C’est là ce que signifie se décida », et c’est le sens du mot. L’auteur ne dit pas pour quelle cause Paul envoie Timothée et Eraste ; il me semble que cette détermination est prise aussi par « l’inspiration de l’Esprit-Saint ». Il est dit de même ailleurs : « C’est pourquoi n’y tenant plus, nous avons préféré rester seul à Athènes ». (1Thes. 3,1) Il envoya donc deux de ses ministres pour annoncer son arrivée et ranimer le zèle des disciples. C’est, en Asie qu’il demeure le plus longtemps, et c’est avec raison. Là, en effet, se trouvait une foule de philosophes. Et lorsqu’il fut au milieu d’eux, il discutait avec eux comme d’habitude. En effet il y avait là beaucoup de superstition. « Démétrios », dit l’auteur, « un orfèvre, ayant rassemblé les ouvriers de ce métier, leur dit : « Hommes, vous savez, vous voyez, vous apprenez (tant le fait était notoire) que ce Paul a persuadé et converti une grande foule ». S’il a persuadé, il n’a pas usé de violence, c’est ainsi qu’il faut persuader une ville. Ensuite il amène ce qui le touche de près, et ajoute : « Il a persuadé que ce ne sont pas des dieux que ceux qui sont faits par la main des hommes ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire ; il renverse notre art. Et de peur qu’ils ne réfléchissent et ne disent : Si un homme seul fait de telles choses, et s’il a une telle puissance, il faut se laisser persuader par lui, Démétrius ajoute : « Que toute l’Asie et la terre vénèrent ». Ils croyaient que leur voix les défendrait contre l’Esprit-Saint, ces païens, ces enfants, pour mieux dire. Nous tirons, dit-il, notre subsistance de ce métier. Et si vous tirez votre subsistance de ce métier, comment un homme simple a-t-il pu persuader à tant de monde de renoncer à cette superstition ? Comment a-t-il prévalu contre une coutume si invétérée ? Que dit-il ? Ce qu’il dit, ce qu’il fait, n’est pas le fait de Paul, n’est pas l’œuvre d’un homme. Il lui a suffi de dire : « Ce ne sont pas des dieux ». S’il a été si facile de trouver le défaut de cette impiété, il fallait la condamner dès longtemps ; si elle eût été forte, elle n’eût pas dû être si vite anéantie. « Là », dit-il, « ne se borne pas notre danger ». Il ajoute cela pour faire entendre quelque chose de plus grave. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils furent remplis de fureur, et ils criaient : La Diane des Éphésiens est grande ». Dans chaque ville il y avait des dieux particuliers. Tel était l’état de leur esprit, qu’ils croyaient par leurs cris rétablir son culte et détruire ce qui venait de s’accomplir.
3. Voyez cette foule confuse. « Comme Paul », dit l’auteur, « voulait aller vers le peuple, les disciples s’y opposèrent ». Paul voulait donc aller vers le peuple pour lui parler ; car il saisissait les temps de persécution pour instruire. Mais les disciples ne le permirent pas. Remarquez partout de quel soin prévoyant on l’entoure. Et dès le commencement ils l’emmenèrent, de peur qu’il ne reçût quelque coup mortel. Quoiqu’ils lui aient entendu dire qu’il doit voir Rome, cependant ils l’empêchent de sortir. C’est par l’action de la Providence qu’il l’a prédit par avance, afin que les disciples ne se troublent pas. Ils ne voulaient pas qu’il lui arrivât le moindre accident. « Quelques-uns des Asiarques le suppliaient », dit l’auteur ; « de ne pas entrer au théâtre ». Voyant son ardeur, ils le suppliaient. Et pourquoi, direz-vous, Alexandre voulut-il se justifier devant le peuple ? Était-il accusé lui-même ? Afin de trouver une occasion de tout bouleverser et d’exciter la fureur populaire. Vous avez vu l’emportement tumultueux des Éphésiens ? C’est donc avec raison que le scribe leur dit, sous forme de reproche : « Quel homme ne sait que la cité d’Éphèse ». Il parle tout de suite de l’objet de leurs craintes. C’est comme s’il leur disait N’honorez-vous pas la déesse ? Il ne dit pas : Quel homme ne connaît pas Diane ? Mais « notre cité », afin de les flatter. « Comme cela est incontestable, il faut vous calmer ». Leur faire ce reproche, c’est presque leur dire Pourquoi vous inquiétez-vous donc comme si cela était incertain ? Il est clair que l’insulte retombe sur la déesse lis voulaient que la religion assurât leur gain. Il les prend ensuite par la douceur, en leur montrant qu’ils se sont rassemblés sans raison. « Et rien », leur dit-il, « ne doit se faire témérairement ». Il leur parle ainsi pour leur montrer qu’ils ont agi étourdiment. « Si donc Démétrius et ceux qui sont avec lui ont quelque sujet de plainte, il y a des proconsuls ». Il leur dit cela en forme de reproche, pour indiquer qu’il ne fallait pas faire une assemblée publique pour des crimes privés. « Car nous sommes exposés à nous entendre reprocher » : Par là, il les jette dans l’embarras. « Puisqu’il n’y a pas de motif par lequel nous puissions rendre raison de cette émeute ». Voyez avec quelle prudence et quelle sagesse les infidèles raisonnent eux-mêmes. Il calma ainsi leur fureur. Aussi facilement elle avait été allumée, aussi facilement elle s’éteignit. « Par ces paroles, il dissout l’assemblée », dit l’auteur. Remarquez-vous comment Dieu permet les épreuves, et par elles réveille les disciples et les rend plus fervents ? Ne nous laissons donc pas abattre par les afflictions, car Dieu nous donnera le moyen de les supporter.
Rien ne fait naître et ne fortifie l’amitié comme la tribulation. Rien ne relie et ne resserre si bien les âmes fidèles ; rien ne nous est plus utile, à nous docteurs, pour que l’on écoute nos paroles. L’auditeur, qui demeure dans la tranquillité, est mou et négligent ; il semble supporter péniblement l’orateur ; dans la tribulation et l’angoisse, au contraire, il désire ardemment qu’on lui parle. Celui dont l’esprit est, dans la peine, cherche partout ce qui le console dans son affliction, et la parole procure une grande consolation : Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n’écoutaient-ils pas lorsqu’ils étaient dans l’affliction ? Parce qu’ils étaient Juifs, toujours faibles et misérables ; d’ailleurs, parce que leur affliction était extrême, et nous ne parlons que d’une affliction ordinaire. Remarquons donc ceci : les Juifs s’attendaient à être délivrés de leurs maux actuels, et ils se précipitèrent dans mille nouveaux malheurs. Cela ne jette pas l’âme dans un chagrin médiocre. Les tribulations nous détachent violemment de l’affection pour le monde d’ici-bas ; nous désirons bien vite la mort ; nous ne sommes plus amoureux de notre corps. Et c’est une grande partie de la philosophie de ne plus se complaire dans la vie présente et de n’y être plus attaché. L’âme affligée ne cherche pas à s’attacher à toutes choses, elle n’aime plus que le calme et le repos ; elle ne souhaite que d’être arrachée à la vie présente, quand même il n’y aurait rien à espérer après. De même qu’un corps fatigué et accablé de maux ne veut plus servir le ventre, triais se reposer et vivre dans la tranquillité ; de même l’âme affligée de mille maux, aspire au calme et à la paix ; celle qui ne connaît pas la peine, est stupide, troublée, indécise ; celle-là ne s’ébahit de rien, elle est étrangère aux molles voluptés ; toujours recueillie en elle-même, elle ne se laisse point emporter à tous les vents. L’une est plus virile, l’autre plus puérile ; celle-là est plus grave, celle-ci plus légère. Lorsqu’un corps tombe dans une eau profonde, s’il est léger, il surnage ; il en est de même d’une âme tout à coup plongée dans une grande joie. Tout le monde sait que nos plus grandes fautes sont causées par l’entraînement du plaisir.
Si vous le voulez, faisons la description de deux maisons : l’une où l’on fait des noces, l’autre où l’on est dans le deuil. Entrons par la pensée dans toutes les deux, et voyons quelle est la meilleure. Nous trouverons celle où l’on pleure pleine de sagesse, l’autre où l’on fait des noces est pleine d’inconvenances. Regardez en effet : là se profèrent des paroles honteuses, le rire est immodéré, les allures sont désordonnées, le vêtement et la démarche sans pudeur ; toutes les marques de la folie et de la sottise s’y rencontrent : en un mot, rien autre ne s’y trouve que le rire et la dérision. Ce n’est pas le mariage que je condamne, à Dieu ne plaise ! mais c’est ce qui accompagne les mariages. La nature alors est comme agitée d’une fureur étrange ; les assistants y sont semblables à des êtres sans raison et non à des hommes : les uns hennissent comme des chevaux, les autres ruent comme des ânes ; c’est une grande dissolution, une grande confusion ; il n’y reste plus rien de vertueux ni d’honnête. Là est la pompe du démon, les cymbales, les flûtes ; là se font entendre des chansons remplies de fornication et d’adultère. Il en est tout autrement là où l’on est dans le deuil, l’ordre y règne avec la bienséance. Un grand silence, un grand calme, une grande réserve, rien n’est déréglé ; si quelqu’un parle, c’est pour faire entendre des paroles pleines de sagesse ; mais, chose étonnante, pendant ce temps, ce ne sont pas seulement les hommes, mais même les serviteurs et les femmes dont tous les propos respirent la sagesse. Telle est, en effet, la nature du deuil ; chacun s’efforce de consoler celui qui est dans la peine, on lui communique mille pensées remplies de philosophie. On fait des prières pour que le malheur ne s’aggrave point. Pour consoler l’affligé, on lui énumère ceux qui ont souffert ce qu’il souffre. Qu’est-ce en effet que l’homme ? Étude de notre nature. Qu’est-ce donc que l’homme ? Accusation de sa vie et de sa vile existence, souvenir des choses à venir et du jugement.
4. Chacun rentre dans sa demeure : celui qui revient des noces, s’afflige de n’être pas lui aussi dans la bonne fortune ; celui qui revient du deuil est plus à l’aise, parce qu’il n’a rien souffert de semblable, et il s’en est allé, après avoir éteint en lui-même toute passion. Mais quoi ! Voulez-vous que nous mettions en parallèle les prisons et les théâtres ? Les unes sont des lieux d’affliction, les autres des lieux de plaisir. Souffrez que nous vous fassions voir ce qui se passe dans l’un et l’autre séjour. Dans la prison, beaucoup de philosophie : en effet, là où est le chagrin, là est aussi la philosophie. Celui qui auparavant était riche, orgueilleux, supportera que n’importe qui lui parle, car la crainte et la douleur consument son âme avec plus d’ardeur que le feu, et en amollissent la dureté ; alors il devient humble, austère, alors il comprend l’instabilité des choses de la vie, et il est fort contre toutes les adversités. Au théâtre, tout au contraire, se rencontrent le rire, la honte, la pompe diabolique, l’affaiblissement de l’esprit, la perte de temps, la dépense inutile des jours, tout l’apparat d’une concupiscence effrénée, l’enseignement de l’adultère, l’école de la prostitution et du libertinage, l’encouragement à la honte, les sujets de rire, l’exemple de la dépravation. Telle n’est pas la prison : là se trouvent l’humilité, l’exhortation, l’encouragement à la philosophie, le mépris des choses de cette vie. Toutes choses sont foulées aux pieds et méprisées ; la crainte se tient auprès du prisonnier comme le précepteur près de l’enfant, et le forme à tout ce qui est bon. Si vous le voulez bien, examinons ces lieux sous un autre point de vue. Je voudrais que vous rencontrassiez un homme sortant du théâtre, et un autre quittant la prison, et que vous vissiez l’âme hébétée, troublée ; et vraiment enchaînée du premier ; et celle du second, tranquille, déliée et libre. Celui, en effet, qui sort du théâtre les yeux épris des femmes du lieu, est véritablement lié par des chaînes plus fortes que le fer, c’est-à-dire par les lieux eux-mêmes, les paroles et les formes qu’il y a vues. Celui qui sort de la prison est débarrassé de tout, il ne croira plus rien souffrir désormais en comparant son sort à celui des autres ; pourvu qu’il ne soit plus enchaîné, il considérera cela comme une grâce, il méprisera les choses humaines en voyant tant de riches dans l’infortune, tant de puissants jetés dans les fers. Si on lui fait quelque injustice, il la supportera ; il en a tant vu. Le jugement à venir lui viendra à l’esprit, et il frissonnera d’horreur à l’idée de la prison de l’autre monde. De même que la prison l’a rendu doux envers tout le monde ; de même la perspective du jugement et du châtiment futur lui inspirera de la bonté pour sa femme, pour ses enfants et pour ses serviteurs.
Tel n’est pas celui qui revient du théâtre. Il regardera sa femme d’une façon peu aimable, il sera dur envers les domestiques, aigre avec ses enfants, sauvage avec tout le monde. Les théâtres engendrent de grands maux pour les cités, de grands maux, et nous n’en savons pas la grandeur. Si vous me le permettez, nous examinerons aussi ces séjours du rire, je veux dire les festins où se rencontrent les parasites et les flatteurs, et les délices de la bonne chère, et nous les comparerons avec les autres qu’habitent les boiteux et les estropiés. Dans les premiers se voient l’ivresse, les délices, l’énervement de l’âme. Dans les seconds, c’est tout le contraire. Voyez le corps, lorsqu’il s’engraisse et vit dans la délicatesse, il tombe promptement dans la maladie ; il n’en est pas ainsi lorsqu’il est réglé. Pour vous montrer cela plus clairement, prenons un corps qui ait beaucoup de sang et de chairs, et qui soit plein de sève ; il ne faudra qu’une nourriture ordinaire pour lui donner la fièvre, surtout s’il est oisif. Prenons-en un autre qui lutte habituellement avec la faim et l’affliction, celui-ci sera plus difficile à abattre et à vaincre. Quoique le sang soit sain en nous, il engendre cependant souvent la maladie par la réplétion ; s’il est moins abondant, quoique moins sain, on peut facilement le guérir. On peut en dire autant de l’âme, celle qui vit dans l’oisiveté et les délices suit. une pente plus rapide vers le péché : car elle est proche de la violence, de la volupté, de la vaine gloire, de l’envie, des embûches et de la calomnie ; mais il n’en est pas ainsi de celle qui vit dans la tribulation et la frugalité, elle est exempte de tous ses maux. Voyez combien est grande notre cité. D’où viennent les maux ? n’est-ce pas des riches ? n’est-ce pas de ceux qui sont dans la joie ? Quels sont ceux qui traînent les autres devant les tribunaux ? qui est-ce qui dilapide sa fortune ? Sont-ce les malheureux et les rebuts du monde, ou bien les orgueilleux et ceux qui sont dans la joie ? Il n’appartient pas à l’âme affligée de faire le mal. Paul a connu ses avantages, c’est pour cela qu’il dit : « La tribulation engendre la « patience ; la patience, l’épreuve ; l’épreuve, « l’espérance ; l’espérance ne confond pas ». (Rom. 5,3-5) Ne nous laissons pas abattre dans l’affliction, mais rendons grâces en toutes circonstances, pour gagner beaucoup et être, éprouvés devant Dieu qui permet les tribulations. L’affliction est un grand bien, et nous voyons cela par nos enfants ; sans l’affliction, l’enfant n’apprend rien de bon. Nous avons encore plus besoin qu’eux de l’affliction. S’ils ne fleurissent que lorsque leurs passions sont tenues dans le calme, à plus forte raison nous qui avons des passions beaucoup plus impérieuses, nous aurions bien plus besoin de maîtres ; les péchés des enfants ne sont pas très-grands, mais les nôtres le sont. L’affliction est notre précepteur. Ne l’attirons pas sur nous, mais supportons-la avec courage lorsqu’elle survient ; elle est la source de mille biens ; supportons-la afin de jouir de la grâce de Dieu et des biens qui sont préparés à ceux qui l’aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLIII. modifier


LE TUMULTE APAISÉ, PAUL CONVOQUA LES DISCIPLES, ET LES AYANT SALUÉS, IL PARTIT POUR ALLER EN MACÉDOINE. (CHAP. 20, VERS. 1, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Saint Paul, près de quitter Éphèse, passe la nuit à instruire les disciples. – Niort et résurrection d’Eutychus. – Voyages de saint Paul. – Commentaire sur le discours de saint. Paul pendant-la nuit à Éphèse. – Éloge de saint Paul.
  • 3. Exhortation an zèle, à la miséricorde : Exemple de Dieu qui agit par lui-même pour combler de bienfaits, et punit par ses anges.


1. Il fallait des consolations après cette secousse. Paul y veille, c’est encore pour consoler les disciples qu’il va en Macédoine, et ensuite en Grèce. Écoutez comme il les consola : « Lorsqu’il eut parcouru toutes les contrées, et eut exhorté les disciples par de nombreux a discours, il vint en Grèce. Il y demeura trois mois, et ayant été averti que les Juifs lui tendraient des embûches s’il allait par mer en Syrie, il prit la résolution de retourner a par la Macédoine. Il fut accompagné jusqu’en Asie par Sopater de Bérée, Aristarque et Secundus de Thessalonique, Gaius de Derbé, Timothée, et par Tychique et Trophime d’Asie. Ceux-ci étant partis avant nous, nous attendirent à Troade (2-5) ». Il est de nouveau persécuté par les Juifs et il va en Macédoine. Comment dit-il que Timothée était Thessalonicien ? Il ne dit pas cela, mais bien : Ceux-ci précédèrent l’Apôtre dans la Troade, pour lui préparer la voie. « Nous a mîmes à la voile à Philippes après les jours des Azymes, et nous arrivâmes auprès d’eux au bout de cinq jours. Nous restâmes là pendant sept jours ». Il me semble que Paul prenait soin de célébrer les fêtes dans les grandes villes. Il mit à la voile à Philippes, ville où il avait été mis en prison ; c’est son troisième voyage en Macédoine, et il rend mille bons témoignages aux Philippiens. Il y reste donc. « Le premier jour après le sabbat, comme nous nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul avant de partir les instruisait, et il prolongea son discours jusqu’au milieu de la nuit (6-7) ». Remarquez comme tout le reste n’était que l’accessoire de la prédication. C’était alors la Pentecôte et le jour du Seigneur, Paul prolongea son discours jusqu’au milieu de la nuit. Il avait un tel souci du salut des disciples, qu’il ne se taisait pas même la nuit, et qu’il enseignait d’autant mieux alors qu’on était dans le repos. Remarquez qu’il fit de longs discours, puisqu’il parla même après l’heure du souper. Mais le démon troubla la fête et ne fut pas le plus fort, quoiqu’il eût plongé, un auditeur dans le sommeil et l’eût précipité en bas. L’auteur rapporte ce fait tel qu’il arriva en continuant ainsi : « Il y avait de nombreuses lumières dans la salle du haut où nous étions réunis. Un jeune homme nommé Eutychus, assis au bord de la fenêtre, s’étant endormi profondément pendant le discours prolongé de Paul, fut entraîné par le poids du sommeil, et tomba du troisième étage en bas, et on le releva mort. Paul étant descendu, se coucha sur lui, et l’ayant embrassé, dit : Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. Il remonta donc, fit la fraction du pain, mangea ; puis ayant continué son entretien jusqu’au jour, il partit. Ils emmenèrent l’enfant vivant, et ne furent pas peu consolés (8-12) ».
Considérez avec moi ce spectacle. Ils sont rassemblés : « Les disciples étant rassemblés », dit le texte. Considérons aussi le prodige opéré. Le jeune homme était assis sur une fenêtre, et fort avant dans la nuit, tant était grand le zèle des auditeurs. Rougissons, nous qui sommes loin d’en montrer autant même pendant le jour. – Mais c’était Paul qui prêchait alors, dit-on. Que dites-vous ? Mais c’est encore Paul qui parle maintenant. Ou plutôt Paul ne parlait pas alors non plus qu’aujourd’hui ; celui qui parle, c’est le Christ, et personne n’écoute. Il n’y a pas de fenêtre maintenant, il n’y a pas de besoin pressant, le sommeil n’accable pas, et cependant nous n’écoutons pas. Vous ne pouvez non plus vous plaindre du manque d’espace ni d’aucune incommodité de ce genre. Ce qui est aussi admirable c’est que, quoique jeune, Eutychus n’était pas négligent ; accablé de sommeil, il ne s’en alla pas, et ne redouta pas le danger de tomber. Ne vous étonnez pas qu’il soit tombé en dormant ; car ce n’était pas par paresse qu’il dormait, mais par la faiblesse de la nature. Considérez, je vous prie, de quel zèle ils étaient enflammés jusqu’à monter à un troisième étage : il n’y avait pas alors d’Église. « Ne vous troublez pas », dit Paul, « car son âme est en lui ». Il ne dit pas : Il ressuscitera, car je le réveillerai, mais bien : « Ne vous troublez pas ». Voyez comme il est éloigné du faste et de la vaine gloire. « Il mangea », dit l’auteur, « les exhorta longuement jusqu’au jour, et partit ». Voyez-vous comment ils passaient la nuit en veillant ? La table était telle, que les auditeurs la quittaient sobres, et capables d’écouter de nouveau. Pour nous, en quoi différons-nous des chiens ? Voyez quelle différence entre les premiers disciples et nous ! « Ils emmenèrent l’enfant vivant, et furent grandement consolés ». Ils furent grandement consolés parce qu’ils avaient reçu l’enfant vivant, et aussi parce qu’un prodige s’était accompli. « Pour nous, nous montâmes sur un vaisseau et nous allâmes jusqu’à Asson, où nous devions reprendre Paul, selon l’ordre qu’il nous avait donné, car pour lui il avait voulu faire le chemin à pied. Lors donc qu’il nous eut rejoint à Asson, nous nous dirigeâmes sur Mitylène ». Souvent Paul se sépare des disciples. Voici qu’il va à pied, et eux voyagent sur un navire ; il laisse aux autres ce qui est plus agréable, et choisit pour lui ce qui est plus rude. Il voyageait à pied pour arranger beaucoup de choses, et pour enseigner aux Chrétiens à ne point se séparer de lui. « Nous nous rembarquâmes le lendemain, et nous arrivâmes en face de Chio. Le jour suivant nous touchâmes Samos, et, nous étant arrêtés à Trogile, le deuxième jour nous arrivions à Milet ». Paul se hâte, ils continuent leur route sans perdre de temps et en laissant de côté les îles. « Paul avait résolu de passer Éphèse sans y prendre terre, afin qu’il n’eût point occasion de s’arrêter en Asie, se hâtant pour être, s’il était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem (13-16) ».
2. Pourquoi cette hâte ? Ce n’était pas à cause de la fête, mais à cause de la multitude. Paul attirait à lui les Juifs par son respect pour les fêtes, et comme il voulait ramener les ennemis, il avait hâte de leur annoncer la parole. Songez quel grand fruit il dut faire en ce jour qui réunissait toute la nation. Mais d’ailleurs, pour que les Éphésiens ne fussent pas négligés, il prit d’autres mesures. Mais reprenons. « Et ayant salué les disciples », dit l’auteur, « il partit pour aller en Macédoine, et lorsqu’il leur eut adressé de nombreuses exhortations, il alla en Grèce ». Il ranimait ainsi leur foi et leur donnait d’abondantes consolations. Remarquez que partout il opère par la parole et non par des prodiges. « Devant aller en Syrie », dit l’auteur. Toujours il nous le montre empressé d’aller en Syrie. La cause, c’était l’Église et Jérusalem. C’était aussi son désir de régler toutes choses en ce pays. Cependant Troade n’est pas une grande ville ; pourquoi donc y restent-ils durant sept jours ? Peut-être était-elle grande par le nombre des disciples. Et lorsqu’il y fut demeuré sept jours, il passa la nuit suivante à les instruire, tant c’était avec peine qu’il se séparait d’eux, et eux de lui. « Lorsque nous fûmes rassemblés pour la fraction du pain », dit l’auteur. Le discours commença donc à l’heure indiquée pour la fraction du pain, et cette heure n’était pas trop avancée, mais l’entretien une fois commencé se prolongea. Ce n’était pas précisément pour l’instruction que l’on s’était réuni, mais pour la fraction du pain ; mais une fois qu’il eut entamé l’instruction, Paul ne s’arrêta plus qu’il ne l’eût longuement développée. Remarquez que tous participaient à la table de Paul. Il me semble qu’il parla à table, pour nous apprendre à regarder la nourriture de l’âme comme l’affaire principale, et celle du corps comme l’accessoire. Imaginez-vous cette maison illuminée, pleine de monde, et Paul parlant au milieu de l’assemblée. Imaginez-vous celle maison dont la foule occupait les fenêtres pour entendre cette trompette retentissante et contempler son majestueux visage. Quels pensez-vous que furent les auditeurs, quelle joie ils goûtaient ? Pourquoi parlait-il pendant la nuit ? Parce qu’il devait s’en aller et ne les verrait plus désormais. Il ne dit pas cela à cette foule, trop faible pour l’entendre ; mais il le disait aux autres. Le miracle devait aussi rappeler à jamais le souvenir de cette soirée. La joie des auditeurs était grande, et elle fut augmentée encore par cette interruption ; cette chute tourna aussi à l’avantage du docteur. D’ailleurs ce jeune homme qui mourut pour entendre Paul devait être un reproche continuel pour les paresseux. Mais pourquoi, dit-on, l’auteur énumère-t-il chaque endroit où ils allèrent, où ils s’arrêtèrent, et les endroits qu’il laissa de côté en naviguant ? Pour montrer qu’il naviguait assez lentement, et que c’était aussi par un motif humain qu’il, laissait de côté certains lieux pendant la navigation. « Il décida qu’on passerait Éphèse sans prendre terre, pour ne point perdre de temps en Asie ». C’était avec raison ; car il n’eût pu, s’il fut entré à Éphèse, ne pas s’y arrêter, parce qu’il n’aurait pas voulu affliger les disciples qui le prieraient de rester. Il faut ajouter qu’il était pressé. « Il se hâtait », dit l’auteur, « afin, s’il était possible, de passer le jour de la Pentecôte à Jérusalem ». Il ne pouvait donc s’arrêter à Éphèse. Vous voyez que Paul subit aussi les conditions de l’humanité : il désire, il se hâte et ne réussit pas toujours ni infailliblement. Il en est ainsi pour que nous ne pensions pas qu’il fût au-dessus de la nature humaine. Les saints et les hommes illustres ne différaient pas de nous par la nature, mais seulement parla volonté. C’est par là qu’ils attiraient sur eux une grâce immense. Voyez quelles grandes choses ils exécutent par eux-mêmes. C’est à cause de cela que Paul disait : « Pour ne pas donner sujet de s’offenser à ceux qui le veulent » (2Cor. 6,3) ; et ensuite : « Pour qu’on ne critique pas notre ministère ». Ces paroles sont la marque d’une vie sans tache et d’une grande indulgence. Atteindre au sommet de la vertu et conserver le sentiment d’une humble condescendance, voilà la perfection. Apprenez comment cet homme, qui allait au-delà des stricts préceptes du Christ, restait néanmoins le plus humble de tous : « Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous » (1Cor. 9,22), dit-il. Il se précipita même dans les dangers comme il le dit ailleurs : « Dans la patience sans bornes, dans les tribulations, dans le besoin, dans les malheurs, dans les prisons » (2Cor. 6,45) ; son amour pour le Christ était immense. S’il n’en eût été ainsi, tout le reste eût été vain, grâces reçues, vie sans tache et dangers. « Qui souffre sans que, je souffre ? qui est scandalisé sans que je brûle ? »
3. Suivons ces paroles, je vous en conjure, et exposons-nous au danger pour nos frères. Si le feu ou le fer vous menacent, précipitez-vous, mon cher, pour en arracher celui qui est avec vous membre d’un même corps ; précipitez-vous et ne craignez point. Vous êtes le disciple du Christ qui a donné sa vie pour ses frères ; le condisciple de Paul qui aurait voulu souffrir mille maux pour ses ennemis et pour ceux qui le persécutaient ; soyez plein de zèle, imitez Moïse. Celui-ci vit quelqu’un qu’on traitait injustement, et il se fit son vengeur ; il méprisa les délices des rois, et devint pour ceux qui souffraient, fugitif, errant, sans asile et sans parents ; il demeura longtemps sur la terre étrangère, il ne s’en fit pas de reproches à soi-même, et ne dit jamais Qu’est-ce que cela ? J’ai méprisé le trône, tant d’honneur et tant de gloire ; j’ai préféré venger ceux qu’on accablait d’injustices, et Dieu ne m’en a pas tenu compte, et non seulement il ne m’a pas rétabli dans mes premiers honneurs, mais voilà quarante ans que je passe sur la terre étrangère ; ce qui veut bien dire : Je n’ai pas reçu de récompense. Il ne dit ni ne pensa rien de tout cela. Faites donc ainsi Vous faites le bien et vous souffrez le mal, et cela pendant longtemps ; néanmoins né vous scandalisez ni ne vous troublez point, car le Seigneur vous en donnera récompense entière. Plus le paiement est différé, plus s’accumulent les intérêts. Ayons donc une âme compatissante et qui sache prendre sa part de la douleur d’autrui ; n’ayons jamais rien en nous de cruel et d’inhumain. Si vous ne pouvez faire plus, pleurez et gémissez : ces pleurs ne seront pas inutiles pour vous. S’il faut compatir aux maux de ceux que Dieu frappe justement, bien plus encore faut-il compatir aux maux de ceux qui souffrent injustement. « Les gens d’Oenan ne sortirent point pour pleurer sur la maison qui leur était voisine. Ils recevront la douleur parce qu’ils l’ont tournée en dérision ». Ézéchiel leur reproche ainsi de n’avoir pas pleuré avec leurs voisins. Que dites-vous, ô prophète ! Dieu punit : et je pleurerais avec ceux qui sont châtiés ? Certainement : car celui qui punit le veut ainsi, car lui-même en punissant ne se réjouit pas, mais il est plutôt dans la douleur. Puis donc que celui-là même qui punit ne se réjouit pas, ni vous non plus, ne vous réjouissez pas. Mais s’il sont punis justement, direz-vous, il ne faut pas s’attrister ? Au contraire, il faut s’affliger même alors de ce qu’ils ont paru dignes du châtiment. Dites-moi : Lorsque vous voyez votre fils brûlé ou coupé, ne vous attristez-vous pas ? Certainement vous ne vous dites pas à vous-même : Qu’est-ce que cela ? la coupure doit produire la santé ; la brûlure a pour but la guérison : cependant lorsque vous entendez les cris de votre enfant qui ne peut supporter ses douleurs, vous souffrez, et l’espoir de son retour à la santé ne suffit pas pour surmonter le trouble de la nature. Usons-en de même envers les autres hommes ; quoique le châtiment leur soit infligé pour leur bien, montrons-leur cependant une affection paternelle et des sentiments de père. Les châtiments de Dieu sont des coupures et des brûlures, et nous devons nous attrister de ce qu’ils aient eu besoin d’un tel remède pour être guéris. Si quelqu’un souffre volontairement ces maux pour là couronne, comme Pierre et Paul, alors ne vous affligez pas ; mais s’il subit un juste châtiment, alors pleurez et gémissez. Tels étaient les prophètes. C’est pourquoi l’un d’eux a dit : « Hélas ! Seigneur, détruirez-vous les restes d’Israël ? » (Ez. 9,8) Nous voyons souvent châtier des meurtriers et des scélérats, et nous souffrons et nous nous attristons. Ne soyons pas philosophes outre mesure : soyons miséricordieux, afin de trouver miséricorde. Rien n’est comparable à cette qualité, rien ne nous montre mieux un caractère humain que la miséricorde et la douceur. C’est pourquoi les lois renvoient tout le châtiment aux bourreaux ; elles obligent le juge à prononcer la sentence sans aller plus loin, elles appellent les bourreaux pour l’exécution. Ainsi, quelque juste que soit le châtiment, il n’appartient pas à l’homme qui se respecte de l’infliger, ce ministère convient à quelque mercenaire. Dieu ne frappe pas par lui-même, mais par le moyen des anges. Les anges sont donc des bourreaux, direz-vous ? Fi donc ! Je ne dis pas cela, mais ils sont des puissances vengeresses. Lorsque Sodome fut détruite, elle le fut par eux ; les plaies de l’Égypte furent aussi leur œuvre Il en a donné mission aux anges mauvais » (Ps. 77,49), dit l’Écriture. Lorsqu’il faut sauver, il agit par lui-même. Ainsi, il a envoyé son Fils pour le salut du genre humain. Et ailleurs l’Écriture ne dit-elle pas : « Je dirai aux anges : Rassemblez ceux qui commettent l’iniquité, et jetez-les dans la fournaise ». (Mt. 13,41, 42) Touchant les justes, il n’agit pas ainsi ; mais il leur dit : « Celui qui vous reçoit, me reçoit » (Idem, 10,40) ; et ailleurs : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le, dans les ténèbres extérieures ». (Idem, 22,13) Voyez, ici ce sont les serviteurs qui accomplissent ses ordres. Lorsqu’il doit faire du bien, c’est lui qui le fait, c’est lui qui appelle : « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé en héritage ». (Idem, 25,34) Lorsqu’il veut parler à Abraham, c’est lui qui vient ; lorsqu’il faut aller à Sodome, il envoie ses serviteurs comme un juge qui envoie ceux qui doivent punir. Et ailleurs : « Courage, serviteur bon et fidèle, parce que tu as été fidèle à propos de peu, je t’établirai sur beaucoup ». (Idem, 25,21) C’est lui-même qui bénit cet homme ; ce n’est pas lui, mais les serviteurs qui jettent le méchant dans les ténèbres. Instruits de ces choses, ne nous réjouissons pas à la vie de ceux qui sont punis, mais gémissons encore ; attristons-nous et pleurons sur eux, afin d’en recevoir récompense. Maintenant il y en a beaucoup qui se réjouissent, même des maux endurés par ceux qui souffrent injustement. Pour nous, n’agissons pas ainsi, mais montrons toutes sortes de commisérations ; afin que, nous aussi, nous soyons jugés dignes de la miséricorde de Dieu, par la grâce et la bonté de son Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit. Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLIV. modifier


ÉTANT A MILET, PAUL ENVOYA À ÉPHÈSE ET CONVOQUA LES PRÊTRES DE CETTE ÉGLISE. LORSQU’ILS FURENT VENUS PRÉS DE LUI, IL LEUR DIT : « VOUS SAVEZ QUE DEPUIS LE PREMIER JOUR OU JE SUIS ENTRÉ EN ASIE, JE SUIS DEMEURÉ AVEC VOUS PENDANT TOUT LE TEMPS, SERVANT LE SEIGNEUR AVEC VOUS EN TOUTE HUMILITÉ, AVEC BEAUCOUP DE LARMES, ET AU MILIEU DE BEAUCOUP D’ÉPREUVES QUI NE SONT ARRIVÉES PAR LES EMBÛCHES DES JUIFS ; QUE JE N’AI RIEN NÉGLIGÉ DE CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR VOUS ANNONCER LA PAROLE ET VOUS INSTRUIRE EN PUBLIC ET EN PARTICULIER, PRÊCHANT AUX JUIFS ET AUX GENTILS LA PÉNITENCE ENVERS DIEU, ET LA FOI ENVERS NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ». (CHAP. 20,17-21, JUSQU’AU VERS. 31)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Discours de saint Paul aux Éphésiens. – Éloge de l’humilité, et de la liberté de parole quand il s’agit de la vérité. – Nécessité de la vigilance pour les pasteurs. – Les loups puissants ravageurs du troupeau. – Nécessité de la vigilance pour les disciples.
  • 4. Reproches que saint Jean Chrysostome adresse à son peuple. – Il rappelle ce qu’il a fait depuis qu’il prêche, et se livre à sa douleur. – Ardeur de son désir pour le salut de son peuple. `


1. Paul, quoique pressé de passer outre, ne néglige rien et pourvoit à tout. Il fait venir les chefs de l’Église d’Éphèse et leur dit ce qu’on vient de lire. On ne peut qu’admirer comment, forcé qu’il est de dire quelque chose de glorieux pour lui, il s’y prend modestement. Ainsi Samuel, sur le point de remettre le commandement à Saül, dit à Israël : « Vous êtes témoins, ainsi que Dieu, si j’ai reçu quelque chose de vous ». (1Sa. 12,5) Et David, en qui l’on n’avait pas foi, dit aussi : « J’étais dans la bergerie, paissant les brebis ode mon père ; et lorsque vint l’ours, je le déchirai de mes mains ». (1Sa. 17,34, 35) Et Paul lui-même dit aux Corinthiens « J’ai été insensé ; vous m’y avez forcé ». (2Cor. 12,10) Dieu fait de même aussi : il ne parle pas simplement de lui-même, mais lorsqu’on ne veut pas croire en lui, il allègue ses bienfaits. Voyez donc ce que fait Paul d’abord il en appelle au témoignage de l’auditoire, pour qu’on ne pense pas qu’il parle avec vanité, et il atteste les auditeurs eux-mêmes qu’il n’a pas menti en disant ce qu’il a dit. Rien ne donne tant d’autorité à un docteur que d’avoir pour témoins de ses propres bonnes œuvres ceux qu’il a instruits. Ce qui est étonnant, c’est qu’il employa non pas un ou deux jours, mais plusieurs années à cette œuvre. « Vous savez », dit-il, « que j’ai été avec vous pendant tout le temps ». Il veut donc les exhorter à supporter avec courage toutes choses, et leur séparation de lui, et les épreuves qui doivent arriver, de même que firent Moïse et Jésus. Et voyez aussi ce qu’il ajoute : « Que j’ai été avec vous pendant tout le temps, servant le Seigneur en toute humilité ». Remarquez ce qui convient surtout à ceux qui commandent. « Haïssant l’orgueil » ; paroles qui se rapportent surtout aux princes que l’élévation de leur état pousse à l’idée exagérée d’eux-mêmes. Cette vertu est tellement la source des bonnes œuvres, que le Christ disait : « Bienheureux les pauvres en esprit ». (Mt. 5,3) non seulement Paul dit : avec humilité, mais bien : « en toute humilité ». Il y a beaucoup de sortes d’humilité ; car on peut voir l’humilité en paroles, en actions, envers les supérieurs, envers les inférieurs. Si vous le voulez, je vous dirai les divers modes de l’humilité. Il y en a qui sont humbles avec les humbles, et superbes avec les superbes ; cela n’est pas l’humilité. Il y en a d’autres qui, à l’occasion, conservent l’humilité et la grandeur envers toutes les personnes ; et c’est là surtout de l’humilité. Paul ne voulant pas passer pour orgueilleux en enseignant l’humilité, donne une base solide à son enseignement, en supprimant d’avance tout soupçon de ce genre. En effet, si j’ai vécu avec toute humilité, ce n’est pas par vanité que je dis ce que je vous dis. Ensuite il allègue sa douceur : « Je fus avec vous, servant le Seigneur », dit-il, pour montrer qu’ils furent les compagnons de ses bonnes œuvres. Ainsi, partout la vie commune est bonne. Il rend donc ses bonnes œuvres communes, et il ne s’attribue rien d’éminent. Pourquoi donc ? direz-vous. Est-ce qu’il pouvait être arrogant envers Dieu ? Il y en a beaucoup qui sont arrogants envers Dieu ; Paul n’était pas même arrogant envers ses, disciples. C’est l’œuvre parfaite du maître de former ses disciples par ses bonnes actions propres. Ensuite il montre sa force d’âme sur laquelle il passe rapidement : « Avec beaucoup de larmes, « au milieu de beaucoup d’épreuves qui me sont arrivées par les – embûches des Juifs ». Voyez-vous comme il s’attriste de ce qui est arrivé ? Là il me semble indiquer clairement sa commisération ; il s’affligeait sur ceux qui périssaient, sur les auteurs de ses tribulations. Il se réjouissait des maux qui lui arrivaient ; car il faisait partie de ce collège apostolique dont les membres se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir l’injure à cause de son nom ». (Act. 5,41) Il dit lui-même. « Maintenant je me réjouis de ce que j’ai souffert à cause de vous » ; et encore : « Une affliction légère et de courte durée nous acquiert un poids éternel de gloire au-dessus de toute grandeur dans le ciel ». (Col. 1,24 ; Il Cor. 4,17) Mais il dit cela par modestie. Ici il montre son courage, et non pas tant son courage que sa patience. C’est comme s’il disait : « J’endurais des maux, mais c’était avec vous ; ce qui est grave de la part des Juifs ». Voyez maintenant le caractère de la doctrine ; et il place en même temps la charité et la force : « Que je n’ai rien négligé », dit-il. Ceci montre un zèle qui n’a rien épargné. « De ce qui était utile ». Il parle avec raison ainsi. Il y avait des choses qu’il était inutile aux fidèles de savoir. Si cacher certaines choses eût été de la méchanceté, tout dire eût été de la sottise. C’est pour cela qu’il a ajouté : « De ce qui était utile ». Il indique par là qu’il a enseigné la doctrine, ne se bornant pas à l’énoncer une fois seulement pour l’acquit de sa conscience : que ce soit là le vrai sens, écoutez ce qu’il dit ensuite ; cela vous le prouvera, car il ajoute : « En public et dans les maisons » ; et il montre ainsi ses grands travaux, son zèle immense et sa persévérance Attestant aux Juifs et aux gentils ». Non à vous seulement, dit-il, mais aussi aux gentils. Là est la parole franche et libre ; cela veut dire qu’un apôtre doit parler, dût sa parole être inutile. Ce mot attester » qu’il emploie, signifie qu’il prêchait même à ceux qui n’étaient pas attentifs à sa parole ; c’est le sens le plus fréquent d’attester. « J’atteste le ciel et la terre », dit Moïse ; et Paul : « Attestant aux Juifs et aux gentils la pénitence envers Dieu ».
2. Qu’attestez-vous donc ? Qu’il faut changer de vie, qu’il faut se repentir et revenir à Dieu. Les Juifs ne l’avaient pas connu parce qu’ils avaient méconnu le Fils ; parce qu’ils n’avaient pas les œuvres ; non plus que la foi dans le Seigneur Jésus. Pourquoi dites-vous cela ? Pourquoi rappelez-vous ces choses ? Que s’est-il passé ? Quelle accusation portez-vous ? « Et voilà que maintenant, enchaîné par l’Esprit-Saint, je vais à Jérusalem ; ignorant ce qui doit m’y arriver, si ce n’est que dans toutes les villes où je passe l’Esprit-Saint me dit et m’atteste que des chaînes et des persécutions m’attendent. Mais je n’en fais aucun cas ; ma vie ne m’est pas si précieuse que d’accomplir ma course avec joie, et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus, d’attester l’Évangile de la grâce de Dieu (22-24) ». Pourquoi Paul dit-il cela ? Pour les préparer et les rendre capables de supporter les dangers visibles ou cachés, et d’obéir en tout à l’Esprit-Saint. Il montre qu’il est conduit à de grandes choses. « Si ce n’est que l’Esprit-Saint me dit et m’atteste dans toutes les villes par où je passe ». Il parle ainsi pour faire voir qu’il agit librement, et afin qu’on ne pense pas qu’il n’est pas libre, mais poussé par la nécessité. Ensuite il ajoute : « Ma vie ne m’est pas si précieuse que d’accomplir ma course avec joie, ainsi que le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus ». Vous voyez que ce ne sont pas là les paroles d’un homme qui se lamente, mais d’un homme modeste qui enseigne et qui ne reste pas indifférent aux événements. Il ne dit pas : Nous sommes dans l’angoisse ; mais : Il faut supporter nos maux ; il ne dit pas même Je juge que… Il parle de la sorte, non pour se louer lui-même, mais pour leur enseigner d’abord l’humilité, ensuite le courage, la liberté de parole. C’est comme s’il disait : Je n’aime pas cette vie plus que l’autre ; je pense qu’il est plus précieux pour moi d’accomplir ma course, et « d’attester avec insistance la doctrine de l’Évangile ». Il ne dit pas : Prêcher, enseigner ; mais quoi donc ? « Attester l’Évangile de la grâce de Dieu ». Il va dire quelque chose de plus pénible : « Je suis pur du sang de tous ». Il les prépare donc et leur montre qu’il ne reste plus rien. Comme il allait leur laisser la charge et le fardeau tout entiers, il attendrit leur cœur en disant : « Je sais maintenant que vous ne verrez plus désormais mon visage ». Puis il ajoute : « Je suis pur du sang de tous ». La douleur est double : ils ne verront plus son visage et eux tous. En effet, dit-il : « Vous ne verrez plus mon visage, vous tous, au milieu de qui je suis passé, prêchant le royaume de Dieu ». Je vous atteste donc avec raison, parce que je ne serai plus désormais avec vous, « que je suis pur du sang de tous ; car je n’ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Ne voyez-vous pas comme il les effraie et comme il accable leurs âmes affligées et troublées ? C’est avec raison, car c’était nécessaire. « Car je n’ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Celui qui ne parle pas est responsable du sang de l’homme, c’est-à-dire du meurtre. Rien de plus effrayant que cela. Il leur montre que ceux qui n’agiront pas comme lui, sont responsables du sang. Il semble se disculper, et il les épouvante : « Veillez donc sur vous et sur tout le troupeau, sur lequel le Saint-Esprit vous a constitués évêques, pour paître a l’Église de Dieu qu’il a acquise par son propre sang ». Voyez-vous ; il leur ordonne deux choses : redresser seulement les autres ne procure aucun bénéfice. « Je crains qu’ayant prêché les autres, je ne sois moi-même réprouvé » (1Cor. 9,27) ; non plus que de n’avoir soin que de soi-même. En effet, celui qui s’aime soi-même et ne recherche que ce qui le concerne, est semblable à celui qui a enfoui son talent. Ce qu’ajoute l’apôtre ne veut pas dire que notre salut est plus précieux que celui du troupeau ; mais parce que, si nous veillons sur nous-mêmes, le troupeau aussi en profite. « Sur lequel l’Esprit-Saint vous a constitués évêques, pour paître l’Église de Dieu ». Voyez quelles grandes obligations ! Vous avez été ordonnés par l’Esprit-Saint ; c’est ce que veut dire, en effet : « Vous a constitués ». C’est là une obligation ; ensuite pour paître l’Église de Dieu », voilà la seconde ; et voici la troisième : « Qu’il a acquise par son propre sang ». Ces paroles montrent la grandeur du ministère pastoral. Le danger non plus n’est pas médiocre pour nous, puisque le Seigneur, pour l’Église, n’a pas épargné son propre sang, si nous négligeons le salut de nos frères. Le Seigneur, pour réconcilier des ennemis, a versé son sang ; et vous n’avez pas même la force de conserver ceux qui sont devenus des amis. « Je sais qu’après mon départ des loups terribles viendront au milieu de vous, qui n’épargneront pas le troupeau (21-29) ». Il les fait ainsi porter leurs regards vers l’avenir, comme lorsqu’il dit ailleurs : « Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang. (Eph. 6,12) Il viendra au milieu de vous des loups terribles ». Double malheur qu’il ne soit plus là, et qu’il doive venir des ennemis menaçants. Pourquoi vous en allez-vous, ô Paul, si vous prévoyez cela ? L’Esprit me pousse, dit-il.
3. Remarquez qu’il ne dit pas seulement « des loups » et que ce n’est pas sans raison qu’il ajoute « terribles » pour marquer leur violence et leur audace ; et ce qui est plus grave, il, dit que ces loups devront surgir du milieu d’eux : ce qui, certes, est terrible puisque ce sera une guerre civile. Il dit donc avec beaucoup de raison : « Veillez », pour montrer que la chose exige beaucoup de zèle (il s’agit de l’Église) ; que le danger est grand (le Christ l’a rachetée de son sang), et que la guerre doit être grande, et qu’elle sera double. C’est là ce qu’il veut indiquer clairement en disant : « Et il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses pour entraîner les disciples à leur suite ». Ensuite, comme il les a tout à fait effrayés par cette parole : des « loups terribles », et aussi par celle-ci, savoir : qu’il surgirait du milieu d’eux des hommes proférant des paroles perverses, comme si quelqu’un embarrassé lui demandait : Comment donc ? comment faudra-t-il veiller ? il ajoute : « Veillez, et souvenez-vous que pendant trois années, nuit et jour, je n’ai cessé d’avertir avec larmes chacun de vous (32) ». Voyez quelle surabondance de zèle Avec larmes, nuit et jour, chacun de vous ». Qu’épargnait-il pour un grand nombre, celui qui savait ne rien épargner pour une seule âme. Ainsi il les unit tous. Ce qu’il dit signifie Ce que j’ai fait suffit ; je suis resté trois : ans ; ils sont suffisamment confirmés dans la foi, les racines sont assez fortes. « Avec larmes », dit-il. Voyez-vous qu’il faut verser des larmes dans ce ministère ? Faisons de même nous aussi. Le méchant ne s’attriste pas : attristez-vous, il s’attristera peut-être. Lorsqu’un malade voit le médecin prendre de la nourriture, il est excité par l’exemple. Ainsi en sera-t-il alors. S’il vous voit pleurer, il sera attendri, et deviendra un homme bon et doux. « Ne sachant pas », dit Paul, « ce qui doit m’arriver ». Mais quoi ! vous en allez-vous pour cela ? Nullement ; mais je sais sûrement que des chaînes et des tribulations m’attendent. Que des épreuves m’attendent ; je le sais ; quelles elles sont, je ne le sais pas, ce qui était plus grave. Ne croyez pas que je dise ces choses pour me plaindre ; je ne tiens pas ma vie comme si précieuse. Il parle ainsi pour leur rendre l’énergie, et leur persuader non seulement de ne pas fuir, mais de souffrir avec courage. Il appelle sa mission une course et un ministère, pour leur faire envisager d’une part la gloire qui provient de la course, et le devoir qu’impose le ministère. Je suis ministre, dit-il, je n’ai rien de plus. Il a soin de les consoler à l’avance et de prévenir la douleur que pourraient leur causer les maux qu’il doit souffrir, et de leur dire que c’est avec joie qu’il les endure, et ce n’est qu’après avoir montré le fruit qu’il vient à parler des choses pénibles. Il agit ainsi pour ne point accabler leur cœur. Quelles sont-elles ces choses pénibles ? « Il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses ». Quoi donc, dira quelqu’un, vous croyez-vous si grand, que si vous vous en allez nous mourions ? Je ne dis pas, répondit-il, que mon absence puisse avoir cet effet ; mais quoi ? Il surgira du milieu de vous ». Paul ne dit pas : à cause de mon départ ; mais « après mon départ », c’est-à-dire, après que je vous aurai quittés ; cela est déjà arrivé mais si cela est déjà arrivé, à plus forte raison cela arrivera-t-il après que je vous aurai quittés. Ensuite il donne le but de ces méchants : « Pour entraîner les disciples à leur suite ». Les hérésies n’ont pas d’autre motif que celui-là. Puis vient la consolation : « Qu’il s’est acquise par son propre sang » : S’il (le Christ) l’a acquise par son propre sang, il triomphera complètement : « Jour et nuit avec larmes », dit Paul, « je n’ai cessé d’avertir » : Ces choses nous seraient dites avec raison ; le discours semble s’adresser spécialement aux docteurs, mais il est commun à tous les disciples. Pourquoi en effet parlerai-je, avertirai-je, pleurerai-je jour et nuit, si le disciple ne veut pas se laisser convaincre ? Afin que personne ne pense que c’est assez ; pour sa défense, d’être disciple et de ne faiblir pas. Paul, après avoir dit : « J’atteste », ajoute ces mots : « Que je n’ai jamais négligé de vous annoncer ». Le docteur seul doit donc annoncer, prêcher, enseigner, ne rien négliger, annoncer nuit et jour ; mais lorsque ces œuvres sont accomplies, s’il n’est rien fait de plus, vous savez ce qui reste. Ensuite vient une, autre apologie : « Je suis pur du sang de tous ». Ne croyez pas que ces choses ne soient dites qu’à nous, car ce discours s’adresse aussi à vous, afin que vous fassiez attention à nos paroles, et que vous, ne vous éloigniez pas des discours publics.
Que ferai-je ? Voici que tous les jours je me fatigue à crier : Éloignez-vous du théâtre ; beaucoup se rient de nous ; abstenez-vous des serments, de l’avarice ; nous donnons mille avertissements, personne ne nous entend. – Mais je ne prêche pas la nuit. – Je voudrais le faire, même la nuit ; je voudrais, si les mille affaires qui m’occupent me le permettaient, m’asseoir à vos tables, auprès de vous, et vous parler ; mais si vous êtes négligents lorsque nous ne vous convoquons qu’une fois par semaine, négligents à tel point que beaucoup ne viennent pas, et que ceux qui viennent ne retirent aucun fruit de nos paroles, que feriez-vous donc si nous vous prêchions plus souvent ? Que ferons-nous ? Beaucoup, je le sais, se moquent de nous parce que nous parlons sans cesse sur le même sujet, tant nous leur sommes à charge. Ce n’est pas notre faute, c’est la vôtre. En effet, celui qui agit bien aime à entendre les mêmes choses, comme s’il entendait son éloge ; celui, au contraire, qui ne veut pas bien agir, pense qu’on l’importune, et s’il a entendu seulement deux fois parler de quelque sujet, il s’imagine l’avoir entendu souvent. « Je suis innocent du sang de tous », dit l’apôtre.
4. Il convenait à Paul de ; prononcer cette parole, mais nous n’osons la dire, nous qui avons conscience de mille négligences. A lui, en effet, toujours vigilant, toujours debout, à lui qui supportait tout pour le salut de ses disciples, il convenait de parler ainsi ; pour nous, nous emploierons la parole de Moïse et nous dirons : « Le Seigneur s’est irrité contre moi à cause de vous, parce que vous nous entraînez nous-mêmes dans beaucoup de péchés ». (Deut. 3,26) Lorsque nous perdons courage en voyant que vous ne faites aucun progrès, est-ce que la plus grande partie de nos forces ne nous abandonne pas ? Qu’est-il donc arrivé, dites-moi ? Voici que, par la grâce de Dieu, nous aussi depuis trois années, nous exhortons, non pas nuit et jour, il est vrai, mais souvent trois jours par semaine, et quelquefois sept. Quel avantage en avez-vous retiré ? Nous accusons, nous réprimandons, nous pleurons, nous nous affligeons, sinon ouvertement, au moins au fond de notre cœur. Les larmes qui coulent sont moins amères que celles qui ne sortent pas du cœur ; celles-là soulagent la douleur, celles-ci l’augmentent en la concentrant en nous-mêmes. Ainsi, lorsqu’on est dans la peine et qu’on ne peut exprimer son chagrin, pour ne pas paraître rechercher la vaine gloire, on souffre plus vivement que si l’on donnait cours à sa douleur. Si personne ne me croyait désireux de vains éloges, vous me verriez tous les jours verser des torrents de larmes qui n’ont pour témoins que ma petite demeure et la solitude. En effet, croyez-moi, j’ai désespéré de mon salut en pleurant sur vos maux ; je n’ai pas le loisir de pleurer sur les miens, tant vous êtes tout pour moi. Si je vous vois faire des progrès, ce bonheur m’empêche de sentir mes maux ; si je m’aperçois que vous ne faites aucun progrès, j’oublie encore une fois mes maux. Je suis encore joyeux de votre bien, même lorsque j’endure mille peines ; je serais encore triste de vos douleurs quand mille biens m’arriveraient. Quel espoir reste-t-il au docteur si le troupeau se corrompt ? Quelle vie ? quelle attente ? Avec quelle confiance se présentera-t-il devant Dieu ? Que dira-t-il ? Admettons qu’il ne lui soit pas fait de reproches, qu’on ne lui inflige pas de châtiment, mais qu’il soit pur du sang de tous, alors encore il souffrira cruellement ; car, quoique les pères ne doivent pas être accusés à cause de leurs fils, cependant ils gémissent et sont dans le chagrin.
Mais, dira-t-on, ne suffit-il pas au pasteur, pour qu’il soit justifié devant Dieu, qu’il ait veillé sur nos âmes ? Mais ils veillent comme devant rendre compte (Héb. 13,17) : ce qui paraît effrayant pour quelques-uns ; mais pour moi je n’en ai aucun souci. Si vous venez à périr, que je rende compte ou non, cela m’importe peu. Mon désir est que vous soyez sauvés, dussé-je rendre compte pour vous ; oui, que vous soyez sauvés, et que je sois accusé de n’avoir pas fait mon devoir. Je n’ai pas souci que vous soyez sauvés par mon moyen, pourvu que, par n’importe quelle voie, vous arriviez au salut. Vous ne savez pas la tyrannie des enfantements spirituels, vous ne savez pas que celui qui enfante de cette manière préférerait être coupé en morceaux que de voir un seul de ceux qu’il a enfantés périr ou se corrompre. Comment vous le persuader ? Nous ne nous servirons pas pour cela d’autre chose que de ce qui a été lu aujourd’hui. Nous pouvons dire, nous aussi, que nous n’avons rien négligé ; mais cependant nous nous attristons ; et la preuve en est que nous préparons que nous inventons mille moyens. Cependant nous aurions pu vous dire : Quel souci puis-je avoir ? J’ai fait ce qui dépendait de moi, je suis pur du sang ; mais cela ne console pas ; si notre cœur pouvait se déchirer et se montrer à vos yeux, vous verriez que vous y êtes renfermés et y occupez une large place, vous tous, femmes, enfants et hommes. Car telle est la force de la charité, qu’elle rend l’âme plus vaste que le ciel. « Recevez-nous », dit Paul, « nous n’avons fait d’injustice à personne. (2Cor. 7,2) Vous n’êtes point dans nous à l’étroit ». (Id. 6,12) Nous aussi nous disons : Recevez, nous. Paul avait Corinthe entière dans son cœur, et il dit : « Dilatez-vous, vous aussi ; vous n’êtes point à l’étroit ». (Id. 13,12) Mais moi, je ne saurais parler ainsi, car je sais bien que vous m’aimez et que vous me recevez ; mais quel bien retirer de ma charité ou de la vôtre, si les choses de Dieu ne font pas de progrès C’est là une grande source de peine, une grande cause de dommage. Je ne puis vous accuser en rien : « Car je vous rends témoignage que si cela eût été possible, vous vous seriez arraché les yeux et me les eussiez donnés ». (Gal. 4,15) Nous désirerions vous donner, non seulement l’Évangile, mais même notre propre vie. Nous sommes aimés et nous aimons, mais cela n’est pas en question. Nous aimerons le Christ d’abord ; car le premier commandement est celui-ci : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu ; le second lui est semblable : Et le prochain comme vous-même ». (Mt. 22,37, 39 ; Mc. 12,30) Nous observons le second, nous manquons encore au premier. Oui, il nous manque beaucoup à l’égard du premier, à vous et à moi.
Nous l’observons, mais non comme il convient. Vous savez la grande récompense promise à ceux qui aiment le Christ. Nous l’aimerons de toute la ferveur de notre âme, de sorte que, jouissant de sa bienveillance, nous éviterons les tempêtes de la vie présente, et mériterons d’acquérir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLV. modifier


ET MAINTENANT, MES FRÈRES, JE VOUS RECOMMANDE A DIEU, ET AU VERRE DE SA GRACE, A CELUI QUI PEUT ACHEVER L’ÉDIFICE, ET VOUS DONNER LE DROIT D’HÉRITAGE PARMI TOUS LES SAINTS. (CHAP. 20, VERS. 32, JUSQU’AU VERS. 18 DU CHAP. XXI)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Suite du discours de saint Paul aux Éphésiens. – Commentaire. – Voyages de saint Paul. – Agabus prophétise les tribulations qui doivent arriver à Paul. – Il faut secourir les pauvres. – Nécessité de donner l’hospitalité. – Récompense de h charité et de l’hospitalité. – Louanges d’Abraham.
  • 4. Comment on doit donner l’hospitalité. – Chacun doit donner l’hospitalité à l’imitation de l’Église. – Il faut former ses serviteurs au bien.


1. Ce que Paul fait dans ses épîtres, il le fait aussi dans ses conseils, il passe de l’exhortation à la prière. Comme il les a grandement effrayés, en leur disant : « Des loups terribles surgiront parmi vous », pour ne pas les consterner et anéantir leur courage, voyez comment il les console. « Et maintenant », dit-il. Il parle ainsi pour leur montrer que c’est comme – toujours. « Mes frères, je vous recommande à, Dieu et au Verbe de sa grâce », c’est-à-dire, à sa grâce. Il avait raison de parler ainsi, car il savait que c’est la grâce qui sauve. Souvent il leur rappelle la grâce, afin de les rendre plus zélés, puisqu’ils sont débiteurs, et de leur persuader d’avoir confiance à celui qui peut achever l’édifice. Il ne dit pas simplement édifier, mais achever l’édifice, montrant par là qu’ils étaient déjà édifiés. Ensuite il leur parle de l’espérance à venir, en disant : « Et vous donner le droit d’héritage parmi tous les saints ». Vient ensuite une nouvelle exhortation : « Je n’ai désiré l’argent, l’or et le vêtement de personne ». Il arrache la racine de tous les maux, l’avarice. Il ne dit pas : je n’ai pas reçu, mais bien : « Je n’ai pas désiré ». Ceci n’est pas grand encore, mais ce qui suit est magnifique. « Vous savez que pour mes besoins et pour ceux qui sont avec moi, ces mains m’ont servi. Je vous ai montré en tout par mon exemple, que c’est ainsi, en travaillant, qu’il faut aider ceux qui sont faibles ». Vous voyez qu’il travaille de ses mains et même jusqu’à se fatiguer. « Ces mains m’ont servi pour les besoins de ceux qui sont avec moi et les miens ». Il leur dit cela en forme d’enseignement, et voyez avec quelle dignité. Il ne dit pas : c’est ainsi qu’il faut s’enrichir, mais, que dit-il ? « C’est ainsi qu’il faut aider les faibles ». Il ne dit pas tous, mais : « Les faibles. Et vous souvenir de la parole que le Seigneur a dite : On est plus heureux de donner que de recevoir ». De peur qu’on ne pense qu’il s’adresse à eux et se donne pour exemple, comme il a dit ailleurs : « Vous donnant l’exemple » (Phil. 3,17), il ajoute la sentence du Christ, qui a dit : « On est plus heureux de donner que de recevoir ». Il a prié pour eux en les exhortant ; il prie aussi en action : « Ayant dit ces choses il se mit à genoux avec eux tous et pria » : non d’une façon quelconque, mais avec une grande componction.
La consolation est grande ; et lorsqu’il dit « Je vous recommande au Seigneur », il les console : « Ils commencèrent aussitôt à fondre en larmes, ils se jetaient au cou de Paul et l’embrassaient. Ils étaient surtout attristés par les paroles qu’il leur avait dites, qu’ils ne devaient plus voir son visage. Et ils le conduisaient jusqu’au navire (33-38) ». Il leur dit : « Des loups terribles viendront » ; il a dit « Je suis pur du sang de tous ». Ces deux choses sont effrayantes, et propres à attrister ; mais ils s’affligeaient bien davantage de l’avoir entendu dire qu’ils ne le verraient plus ; et c’était là, le plus rude combat pour eux. « Ils le conduisirent jusqu’au navire », dit l’auteur. C’est ainsi qu’ils l’aimaient, ainsi qu’ils lui étaient attachés. « Lorsque nous eûmes repris la mer après les avoir quittés, nous allâmes directement à Cos, le jour suivant à Rhodes et de là à Patare. Et ayant rencontré un navire qui passait en Phénicie nous y moulâmes, et prîmes, le large. Arrivés en vue de Chypre, nous la laissâmes sur la gauche, et nous fîmes voile pour la Syrie, « et abordâmes à Tyr ». (Chap. 21,1-2) Voyez : il va en Lycie, passe en Phénicie, laisse Chypre de côté et débarque à Tyr, parce que là le navire doit être déchargé. C’est la la cause pour laquelle il va à Tyr. « Y ayant trouvé des disciples, nous demeurâmes sept jours auprès d’eux : Ils disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem ». Voyez : ceux-ci lui annoncent aussi des afflictions. Ce fut providentiellement que ces choses lui furent dites Par d’autres, pour qu’on ne s’imaginât pas que Paul avait parlé au hasard et par jactance. Là on se quitta de nouveau, après avoir prié en commun. « Et ces jours étant écoulés, nous nous mîmes en route accompagnés par eux tous, avec leurs femmes et leurs enfants, jusqu’en dehors de la ville, et nous étant mis à genoux sur le rivage, nous fîmes des prières. « On s’embrassa mutuellement, puis nous montâmes sur le navire ; eux retournèrent vers leur demeure. Pour nous, de Tyr nous vînmes à Ptolémaïs, où nous terminâmes notre navigation, et ayant salué les frères, « nous restâmes un jour avec eux. Le lendemain, nous nous mimes en route et allâmes à Césarée. Et étant entrés dans la demeure « de Philippe, l’évangéliste, l’un des sept, nous restâmes chez lui ». Nous vînmes à Césarée, dit-il, et nous demeurâmes chez Philippe, l’un des sept. « Il avait quatre filles qui prophétisaient ». Mais elles ne prédirent rien à Paul, quoiqu’elles fussent prophétesses ; ce fut Agabus qui prophétisa ; écoutez comment : « Et comme nous demeurions pendant quelques jours il vint de la Judée un prophète nommé Agabus : Il vint à nous, prit la ceinture de Paul ; et s’en liant lui-même les pieds et les mains, il dit : Voici ce que dit l’Esprit-Saint : Ainsi dans Jérusalem les Juifs attacheront l’homme à qui appartient cette ceinture, et le livreront aux gentils ». Cet Agabus est celui qui avait prédit la famine. « Ils lieront ainsi l’homme à qui appartient cette ceinture », dit-il. Cet homme a fait ce que faisaient les prophètes, en peignant aux yeux les choses à venir lorsqu’ils parlaient de la captivité comme Ezéchiel. Ce qu’il y a surtout de grave, c’est qu’ils le livreront entre les mains des gentils. Lorsque nous eûmes entendu ces paroles, nous le priions, nous et ceux du lieu, de ne point monter à Jérusalem ». Beaucoup le priaient de ne point s’en aller ; mais lui ne l’entendit pas ainsi : « Paul répondit : Pourquoi pleurez-vous et affligez-vous mon cœur ? Car je suis prêt, pour le nom du Seigneur Jésus, non seulement à être lié, mais même à mourir à Jérusalem. Et comme nous ne pouvions le persuader, nous cessâmes d’insister, en disant : «  Que la volonté du Seigneur s’accomplisse (3-14 »).
2. Voyez-vous : toutes ces choses sont prédites par avance, pour que vous ne pensiez pas, par suite de cette parole : « Lié par l’Esprit-Saint », que Paul agisse par nécessité ; et aussi peur qu’on ne croie pas que Paul soit tombé dans des embûches qu’il ignorait. Les disciples pleuraient ; lui l’es encourageait, chagrin qu’il était de les voir dans les larmes. « Que faites-vous ? » dit-il. « Pourquoi pleurez-vous et affligez-vous mon cœur ? » Personne n’est plus aimant que Paul : parce qu’il les voyait pleurer, il s’affligeait, lui qui ne souffrait nullement de ses propres tribulations. Vous me faites injure en agissant ainsi, dit-il ; est-ce que je m’attriste, moi ? Alors ils cessèrent lorsqu’il leur dit : « Pourquoi agisses-vous ainsi, et affligez-vous mon cœur ? » Je pleure sur vous, dit-il, et non sur mes souffrances ; car je veux mourir pour eux.
« Je n’ai désiré », dit Paul, « ni l’argent, ni l’or, ni les vêtements de personne ; vous-mêmes savez que ces mains ont servi à mes besoins et aux besoins de ceux qui sont avec moi ». Ceux qui, à Corinthe et en Asie, pervertissaient les disciples, n’en faisaient pas autant. Il est vrai que nulle part il ne leur fait ce reproche dans son épître aux Éphésiens ; mais pourquoi ? parce qu’il ne fut point obligé de le faire ; mais il dit aux Corinthiens : « On ne ravira point cette gloire dans toute l’Achaïe ». (2Cor. 11,10) Il ne dit pas : Vous ne m’avez pas donné, mais bien : « Je n’ai désiré ni argent, ni or, ni vêtement », pour ne pas sembler dire qu’ils n’ont pas donné. Il ne dit pas de n’ai désiré rien des choses nécessaires à la vie, pour ne pas paraître les accuser ; s’il dit cela, c’est pour leur insinuer qu’il n’a rien reçu, alors qu’il nourrissait les autres. Voyez comme il travaillait avec zèle, cet homme qui, nuit et jour, les instruisait avec larmes et les avertissait. « Je vous ai montré toutes choses par mon exemple, parce qu’il faut par un pénible travail aider ceux qui sont faibles ». Cette parole est dite pour inspirer la terreur. Ce qu’il dit signifie : Vous ne pouvez arguer de votre ignorance ; je vous ai montré par mes œuvres qu’il faut travailler avec ardeur. Il ne dit pas que c’est mal de recevoir, mais qu’il est meilleur de ne pas recevoir : « Souvenez-vous de la parole du Seigneur qui a dit : On est plus heureux de donner que de recevoir ». Où le Christ a-t-il dit cela ? Peut-être les apôtres ont transmis cette parole sans qu’elle ait été écrite ; ou bien on peut la tirer par conclusion des autres paroles du Christ. En effet, il leur a montré, par son exemple, la force dans les dangers, la commisération envers les inférieurs, la hardiesse de langage dans l’enseignement, l’humilité, la pauvreté, et ceci, qui est plus grand que la pauvreté ; car s’il a dit : « Vendez ce que vous avez, si vous voulez être parfait », puisqu’il ne reçoit rien, et nourrit les autres, qu’y a-t-il de comparable à cela ? Le premier degré consiste à rejeter ce qui est à soi ; le second, se suffire à soi-même ; le troisième, aider les autres ; le quatrième, ne rien recevoir lorsque l’on prêche et qu’on pourrait recevoir. Paul était donc meilleur que ceux qui n’avaient rien. Il dit donc avec raison : « Ainsi il faut aider les pauvres ». C’est le fait de la commisération envers les pauvres, de leur donner le fruit de son propre travail ; leur donner le bien des autres, non seulement n’est pas bien, mais est même dangereux. « Et sautant au cou de Paul, ils pleuraient » : cela montre leur affection pour lui. Ils se suspendaient à son cou, comme pour lui donner leurs derniers embrassements, et parce qu’ils avaient retiré de son enseignement une grande charité et une grande tendresse. En effet si nous-mêmes, pour une séparation ordinaire, nous gémissons, quoique nous sachions que nous nous réunirons, comment les disciples eussent-ils pu alors sans douleur voir Paul s’arracher à eux ? Je pense que Paul dut pleurer aussi. « Arrachés ». Cela indique la violence « lorsque nous nous fûmes arrachés d’eux ». Le mot est juste. En effet ils ne pouvaient se jeter à lamer. Que veut dire : « Nous allâmes directement à Cos ? » C’est comme si l’auteur disait : Nous ne fîmes pas de détours, et ne nous arrêtâmes nulle part. « Le jour suivant nous étions à Rhodes ». Voyez comme Paul se hâte. « Et ayant rencontré un navire qui passait en Phénicie ». Peut-être ce navire était-il là, et ils y montèrent parce qu’ils n’en trouvèrent pas qui allât à Césarée. « Nous passâmes en vue de Chypre, en la laissant à gauche » ; il ne dit pas cela sans motif, mais pour montrer que Paul, quoique près de Chypre, ne jugea pas à propos de s’y arrêter, puisqu’ils allaient en droite lignes vers la Syrie. « Ensuite nous vînmes à Tyr », dit-il, « et y ayant rencontré les disciples, nous restâmes avec eux ». Comme ils sont proches de Jérusalem, ils ne se hâtent plus, mais ils demeurent avec les frères pendant sept jours. Voyez : il compte même les jours. Après les Azymes ils allèrent à Troade en cinq jours ; ensuite ils y restent sept jours, ce qui fait douze jours ; ensuite à Asson, à Mitylène, en face de Chio, à Trogile : à Samos, à Milet : en tout dix-huit jours ; après cela ils vont à Cos, à Rhodes, à Patare, voilà vingt et un jours ; ensuite de là à Tyr cinq jours, ce qui donne vingt-six jours ; il passe à Tyr sept jours, en tout trente-trois jours ; puis, il reste à Ptolémaïs un jour, trente-quatre ; puis il reste un plus grand nombre de jours à Césarée ; et alors enfin le prophète les emmène. Ainsi le jour de la Pentecôte est arrivé, et il la passe à Jérusalem. Voyez comme Paul se laissait persuader lorsque le Saint-Esprit ne l’en empêchait pas. Les disciples lui disaient : « Ne vous montrez pas en public », et il n’y alla pas ; souvent ils l’emmenaient, et il obéissait ; il s’enfuit deux fois par une fenêtre ; et maintenant que mille personnes, pour ainsi dire, le supplient, à Tyr et à Césarée, pleurent, lui annoncent toutes sortes de maux, il ne cède pas. Et on ne lui prédisait pas ces malheurs au hasard, mais par l’inspiration de l’Esprit-Saint. Si le Saint-Esprit ordonnait, pourquoi allaient-ils à l’encontre ? Parce qu’ils ne savaient pas le but que se proposait l’Esprit. D’ailleurs, ils ne l’exhortaient pas ainsi par l’inspiration de l’Esprit-Saint. non seulement ils lui prédisaient des malheurs, mais ils lui disaient qu’il ne fallait pas qu’il allât à Jérusalem, par ménagement pour lui. « Et lorsque ces jours furent accomplis », c’est-à-dire, lorsque furent passés les jours qu’il a énumérés « Tous nous faisant la conduite avec leurs femmes et leurs enfants. ».
3. Considérez combien grande était, la consolation ; après avoir prié de nouveau, ils se séparent. Paul et les siens demeurent un jour à Ptolémaïs, et plusieurs jours à Césarée. Et lorsque Paul a appris qu’il a de grands maux à souffrir, il se hâte, il ne s’arrache pas au danger, persuadé qu’il est du commandement de l’Esprit-Saint. « Après ces quelques jours nous nous préparâmes, et montâmes à Jérusalem ». C’est-à-dire, après avoir pris ce qui était nécessaire pour la route. « Plusieurs des disciples de. Césarée vinrent avec nous, emmenant avec eux notre hôte, un nommé Mnason##Rem, de Chypre, ancien disciple ; lorsque nous fûmes arrivés à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie ». Remarquez qu’Agabus n’a pas dit : Ils lieront Paul, pour ne pas sembler parler suivant une convention faite entre eux, mais bien : « L’homme à qui appartient cette ceinture ». Paul avait donc une ceinture. S’ils pleuraient, c’était parce qu’ils ne pouvaient le persuader de rester, puis ils restèrent en repos. Remarquez-vous leur esprit chrétien, et la tendresse de leur amour ? Nous cessâmes de le prier en disant Que la volonté du Seigneur s’accomplisse. « Emmenant avec nous notre hôte », dit l’auteur. Ils ne demeuraient donc pas dans l’Église. Alors qu’ils venaient pour enseigner, ils habitaient dans l’Église ; mais ici ils sont reçus par un ancien disciple. Paul expose que le temps de sa prédication a été long ; dès lors il me semble que, dans les. Actes ; l’auteur a retranché beaucoup d’années et qu’il n’a rapporté que ce qu’il était nécessaire de dire. Que signifient ces mots : « Que la volonté du Seigneur s’accomplisse ». Le Seigneur, veut dire, fera ce qui semblera le meilleur à ses yeux. Les disciples se calaient donc et ne le pressent plus. Ils savaient sans doute que telle était ia volonté de Dieu, et ils le conjecturaient de l’ardeur de Paul. En effet, Paul n’eût pas été si ardent, et le Seigneur n’eût pas permis qu’il fût en danger, puisqu’il l’avait toujours retiré du danger. Paul et ses compagnons ne voulaient pas être charge à l’église, puisque quelqu’un leur donnait l’hospitalité ; et ils n’exigeaient point qu’on leur fît honneur. « Les frères nous reçurent avec joie », dit l’auteur. On était alors en paix chez les Juifs, et il n’y avait pas de guerre comme auparavant contre les disciples. « Ils nous conduisirent chez celui qui devait nous donner l’hospitalité », dit-il. Celui-là reçut donc Paul comme son hôte.
Peut-être quelqu’un nous dira-t-il : Si l’on m’offrait de donner l’hospitalité à Paul, je la lui donnerais aussitôt et avec un grand plaisir. Voici que vous pouvez donner l’hospitalité au Maître de Paul et vous ne le voulez pas. « Celui, dit en effet le Christ, celui qui reçoit l’un de ces petits me reçoit ». (Mt. 18,5 ; Lc. 9,48) Plus votre frère est petit, plus le Christ vient vers vous avec lui. Celui qui reçoit quelqu’un de grand, souvent te fait par vanité ; celui qui reçoit un petit, le fait seulement pour le Christ. Vous pouvez recevoir aussi le Père du Christ, et vous ne le voulez pas. J’étais étranger et vous m’avez recueilli, dit le Christ, et ailleurs il dit encore : « Autant vous aurez fait pour l’un de ces petits, autant vous aurez fait pour moi ». (Mt. 25,35, 40) Quoique ce ne soit pas Paul, si c’est un fidèle et un frère, quelque petit qu’il soit, le Christ vient avec lui. Ouvrez votre demeure, et recevez-le. « Celui qui reçoit un prophète, recevra la récompense du prophète » (Id. 10,41), dit l’Écriture : Celui donc qui reçoit le Christ, recevra la récompense de l’hospitalité donnée au Christ. Ne refusez pas foi à ses paroles, mais Soyez fidèle. Le Christ a dit lui-même : Je viens avec eux. Et pour que vous ne soyez pas incrédule, il décerne le supplice à ceux qui ne le reçoivent pas, et des honneurs à ceux qui le reçoivent ; ce qu’il n’eût pas fait, si ce n’était lui-même qui dût recevoir l’honneur ou l’injure. Vous m’avez reçu dans votre demeure, dit-il, je vous recevrai dans le royaume de mon Père ; vous avez apaisé ma faim, je vous purifierai de vos péchés ; vous m’avez vu dans les chaînes, je vous ferai voir dans la liberté ; vous m’avez vu étranger, je vous fais citoyen des cieux ; vous m’avez donné du pain, je vous donne mon royaume tout entier pour que vous le receviez et le possédiez comme votre héritage. « Venez, possédez l’héritage du royaume qui vous a été préparé ». Il ne dit pas : Recevez ; mais « Possédez en héritage » ; ce qui se dit de ceux qui possèdent en maîtres, comme lorsque nous disons : Je possède cela par héritage. Vous avez agi envers moi en secret, je le dirai en public : ce que vous avez fait, c’était par bienveillance ; ce que je ferai, moi, ce sera pour payer ma dette. Parce que vous avez commencé, dit-il, je vous suis je fais comme vous, je ne rougis pas de publier le bien qui m’a été fait, non plus que de dire ce dont vous m’avez délivré : la faim, là nudité, le vagabondage. Vous m’avez vu dans les chaînes, vous ne verrez pas le feu de l’enfer ; vous m’avez vu infirme, vous ne verrez pas les tourments et les supplices. O mains véritablement bénies celles qui servent à de tels ministères, et sont jugées dignes de servir le Christ ! Les pieds qui entrent dans les prisons à cause du Christ, méprisent facilement le feu ; elles ne sont pas chargées de chaînes, les mains qui ont servi le Christ dans les chaînes ; vous lui avez donné un vêtement, vous serez revêtu du vêtement du salut ; vous avez été en prison avec lui, vous serez avec lui dans son royaume ; il publie ces choses sans rougir, il sait que vous l’avez visité. Le patriarche ne savait pas qu’il donnait l’hospitalité aux anges, et il les recevait. Rougissons, je vous en conjure ; il était assis en plein midi sur la terre étrangère ; il n’avait pas où poser son pied, puisqu’il était étranger ; étranger, il donnait l’hospitalité aux étrangers ; n’était-il pas en effet citoyen des cieux ? C’est pour cela que, même étant sur la terre, il n’était pas étranger. Nous sommes plus étrangers – sur la terre que cet étranger, nous qui ne donnons pas l’hospitalité ;. il n’avait pas de demeure ; une tente lui servait d’asile. Voyez aussi comme il est magnifique : il tue un veau, et pétrit de la farine. Voyez aussi son zèle : il fait cela par lui-même et avec sa femme. Considérez son humilité : il s’incline devant ses hôtes et les invite.
4. Celui qui donne l’hospitalité doit avoir toutes ces choses : empressement, gaieté, libéralité. L’étranger est craintif, il rougit, et si on ne lui montre pas une joie plus qu’ordinaire, il se retire comme si on le méprisait ; et recevoir ainsi est pire que ne pas recevoir. C’est pour cela que le patriarche s’incline devant ses hôtes et qu’il les reçoit en leur parlant, qu’il leur offre un siège. Quel étranger serait dans l’embarras étant ainsi accueilli ? Quoique notas ne soyons pas sur la terre étrangère, si nous le voulons, nous pourrons imiter le patriarche. Combien de nos frères sont étrangers ? L’Église, que nous appelons une hôtellerie est une demeure commune ; cherchez, vous aussi, asseyez-vous devant votre porte, recevez les étrangers. Si vous ne voulez pas les recevoir dans votre maison, fournissez-leur autrement le nécessaire. Mais quoi direz-vous, est-ce que l’Église ne l’a pas, ce nécessaire ? Elle l’a sans doute, mais qu’est-ce que cela vous fait ? De ce que, les étrangers seront nourris des biens communs dé l’Église, cela pourra-t-il vous servir ? Est-ce que si un autre prie, vous ne devez pas prier ? Pourquoi ne dites-vous pas ? Est-ce que les prêtres ne priant pas ? Pourquoi prierais-je ? Mais moi, direz-vous, je donne à celui qui ne peut pas être reçu là. Donnez cependant à celui-ci. Ce que nous désirons surtout, c’est qu’on donne à tous. Écoutez ce que dit Paul : « Qu’il suffise aux besoins de celles qui sont vraiment veuves, et que l’Église ne soit pas surchargée ». (1Tim. 5,16) Faites comme vous voulez, seulement faites quelque chose. Moi je ne dis pas : polar que l’Église ne soit pas surchargée ; mais : pour que vous ne soyez pas surchargé. Par ce raisonnement vous ne ferez jamais rien, vous renverrez tout à l’Église. L’Église a assigné une demeure commune pour vous ôter ce prétexte.
Mais l’Église, direz-vous, l’Église a des revenus, des biens, des sommes à dépenser. Dites-moi, n’a-t-elle pas aussi des dépenses à faire ? n’a-t-elle pas des frais journaliers ? Certainement. Pourquoi donc n’aidez-vous pas sa pauvreté ? J’ai honte de dire ces choses, cependant je ne force personne. Si l’on pense que c’est un vil intérêt qui nous fait parler, faites vous-même une hôtellerie de votre maison ; établissez-y un lit, établissez-y une table, mettez-y de la lumière. N’est-il pas absurde que, si des soldats arrivent, vous ayez pour eux, des demeures toutes prêtes, que vous y mettiez un grand soin ; que vous leur fournissiez tout ce qu’il leur faut, parce qu’ils vous protègent durant la guerre qui vous fait sentir ce besoin ; et que d’un autre côté vous n’ayez pas d’endroit où puissent demeurer les étrangers ? Faites mieux que l’Église : voulez-vous nous faire rougir ? Agissez ainsi ; surpassez-nous en libéralité ; ayez une demeure où le Christ vienne habiter ; Dites : C’est ici la cellule du Christ ; cette maison lui est destinée. Quoique ce soit une vile demeure, elle ne sera pas dédaignée. Le Christ, nu et étranger, voyage, il a besoin d’un toit. Fournissez-lui au moins cela ; ne soyez point inhumain et cruel ; si ardent pour les choses de la vie ; et si froid pour les choses spirituelles. Que le plus fidèle de vos serviteurs soif chargé de cela ; qu’il introduise les estropiés, les mendiants, ceux qui sont sans asile. Je dis cela pour vous faire honte. Il faudrait les recevoir dans le haut de votre demeure ; si vous ne le voulez pas, recevez-les en bas ; quoique fa soient les mulets et les serviteurs, recevez-y le Christ. Peut-être frémissez-vous en m’entendant. – Que dire cependant, si vous ne faites même pas cela ? Voici que je vous y exhorte ; et que je vous dis : Que ceci soit l’objet de vos soins. Mais, direz-vous, ce moyen d’exercer l’hospitalité ne nous convient pas. – Alors, adoptez-en un autre. Il y a beaucoup de pauvres et de pauvresses ; désignez quelqu’un uniquement pour les attendre ; que le pauvre soit le gardien de votre maison ; qu’il soit pour vous une enceinte et une muraille, un bouclier et une lance. Là où est l’aumône, le diable n’ose pas approcher, non plus qu’un mal quelconque. Ne méprisez pas un si grand avantage. Il y a partout une place assignée au char et aux voitures ; pour le Christ errant il n’y a aucune place. Abraham recevait les hôtes où il demeurait lui-même ; son épouse était là à la place de la servante, et eux à la place des maîtres. Il ignorait qu’il recevait le Christ ; il ne savait pas qu’il recevait les anges ; s’il l’eût su, il eût tout sacrifié. Mais nous, quoique nous sachions que nous recevons le Christ, nous ne montrons pas le zèle que déployait cet homme qui croyait recevoir des hommes.
Mais il y a, dira-t-on, beaucoup de trompeurs et d’ingrats. – Votre récompense en sera plus grande, parce que vous les recevez au nom du Christ. Si vous savez que ce sont des imposteurs, ne les recevez pas dans votre maison ; si vous ne le savez pas, pourquoi les accusez-vous témérairement ? C’est pour cela que je dis qu’ils aillent dans une hôtellerie. Quel moyen de défense avons-nous, puisque ceux-là, même que nous connaissons, nous ne les recevons pas et leur fermons la porte ? Que notre maison soit l’hôtellerie du Christ. Réclamons d’eux notre récompense, non de l’argent, mais qu’ils fassent de notre demeure l’hôtellerie du Christ : allons de tous côtés, attirons-les, faisons-leur la chasse, nous recevrons plus de bien que nous n’en ferons nous-mêmes. Je ne commande pas de tuer le veau ; donnez du pain au pauvre, un vêtement à l’homme nu, un toit à l’étranger. Ne prétextez pas qu’il y a la demeure commune de l’Église. Payez en cet endroit, et vous, donnez l’hospitalité, parce que chacun a la récompense de ce qui est fait par ses serviteurs. Les serviteurs du patriarche n’étaient pas formés comme les nôtres ; ils couraient et ne murmuraient pas comme les nôtres, car il les avait rendus pieux. Il les mena à la guerre et ils ne murmuraient pas, tant ils étaient sages. Il prenait de tous autant de soin que de soi-même ; car il disait sans doute comme Job : « Nous avons été formés du même sein ». (Job. 33,6)
Prenons donc, nous aussi, soin de notre salut, et ayons une grande sollicitude pour nos serviteurs, afin de les rendre honnêtes et vigilants, Que notre serviteur soit instruit des choses de Dieu. La vertu ne nous sera pas difficile si nous les formons comme il convient. De même que, dans la bataille, si les soldats sont bien rangés, le général combat avec avantage, et que le contraire arrive s’ils sont mal disposés ; de même que, lorsque les marins sont bien d’accord, le pilote dirige sans embarras ; de même aussi, lorsque vos serviteurs seront instruits, vous ne vous irriterez pas facilement, vous ne gronderez pas, vous ne vous emporterez pas de colère, vous ne les injurierez pas. Il se peut faire que vous respectiez vos serviteurs, s’ils sont honnêtes ; ils vous réjouiront et vous encourageront au bien. Par là toutes choses seront agréables, à Dieu ; ainsi la maison entière sera remplie de bénédiction ; ainsi en faisant ce qui plaît à Dieu nous jouirons abondamment du secours d’en haut. Puissions-nous tous l’obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLVI. modifier


LE JOUR SUIVANT PAUL ENTRAIT AVEC NOUS CHEZ JACQUES ; TOUS LES PRÊTRES ÉTAIENT PRÉSENTS. LORSQU’IL LES EUT SALUÉS, IL LEUR RACONTA UNE A UNE LES CHOSES QUE DIEU AVAIT FAITES PARMI LES NATIONS PAR SON MINISTÈRE. (CHAP. 21,18, 19, JUSQU’AU VERSET 16. DU CHAP. XXII)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Paul visite les apôtres à Jérusalem. – Paroles de saint Jacques. – Les coutumes légales. – Paul s’y soumet. – Sédition des Juifs contre Paul. – Nécessité des imposteurs pour faire triompher la foi.
  • 3. un scandale. – Quand il faut l’éviter, ou ne pas s’en occuper.


1. Celui-ci était le frère du Seigneur et évêque de Jérusalem, homme grand et admirable. Paul va vers lui, comme auparavant on l’a envoyé vers lui. Écoutez comment : « Le jour suivant », dit l’auteur, « Paul entra chez Jacques avec nous ». Voyez comme Paul est ennemi dé la vaine gloire. « Tous les prêtres étaient présents. Lorsqu’il les eut salués, il leur raconta une à une les choses que Dieu avait faites parmi les nations par son ministère ». Il raconte de nouveau les choses qui ont rapport aux nations, non par vaine gloire, loin de là, mais pour montrer la clémence de Dieu et les remplir d’une grande joie. Remarquez comme les auditeurs glorifiaient Dieu. Ils ne glorifiaient pas Paul, et ne s’étonnaient pas de ce qu’il avait fait, mais ils glorifiaient Dieu ». Il racontait la chose de façon à lui attribuer la gloire. « Lorsqu’ils l’eurent entendu, ils glorifiaient Dieu, et lui dirent : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la loi. Ils ont appris de vous que vous enseigniez l’éloignement de Moïse à tous les Juifs qui résident au milieu des nations, et que vous dites qu’il ne faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes (20) ». Voyez avec quelle grande modération ils parlent. Jacques parle, comme évêque, avec autorité ; on admet Paul à décider la question. Le discours de ces chrétiens est rempli de précautions bienveillantes, ils semblent dire : nous ne voulions point parler. Remarquez-vous l’importance de l’affaire ! « Vous voyez combien de milliers de Juifs ont cru ». Ils ne disent pas : combien de milliers de Juifs nous avons instruits ; mais : combien il y en a qui ont cru. Et ceux-ci sont tous zélés pour la loi », dit-il. Deux causes, la multitude et son sentiment. En effet, s’ils étaient peu nombreux, il faudrait les mépriser ; et il n’y aurait pas beaucoup à s’en occuper, si, étant nombreux, ils n’eussent pas gardé la loi. Il se présente une troisième cause : « Tous ont appris de vous », dit Jacques : « que vous enseignez l’éloignement de Moïse à tous les Juifs qui habitent a parmi les nations, et que vous dites qu’il ne a faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes ». Ensuite il ajoute : « Qu’en est-il donc ? La multitude va se réunir sans doute, car ils vont apprendre que vous êtes venu. Faites donc ce que nous vous disons ». Ils parlent ainsi pour lui donner un conseil et non pas un ordre. « Il y a parmi nous quatre hommes qui ont un vœu. Prenez ces hommes et purifiez-vous avec eux ; faites pour eux la dépense ; qu’ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu’ils ont appris sur vous n’est rien, et que vous marchez en gardant la loi ». Ils lui conseillent de faire son apologie en actions et non en paroles. « Qu’ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu’ils ont appris sur vous n’est rien ». Ils ne disent pas : Vous enseignez ; mais : « ils ont appris », signifiant par ce mot : ont été instruits ; « et que vous marchez », c’est-à-dire, que vous les observez vous-même amplement. On ne s’inquiétait pas seulement qu’il enseignait les coutumes aux autres, mais si lui-même les observait. Mais quoi, si les nations l’apprennent, ne se scandaliseront-elles pas ? Non, puisque nous, docteurs des Juifs, « nous leur avons envoyé dire ceci : mais touchant ceux qui a parmi les nations ont cru, nous avons écrit et décidé qu’ils n’aient point à observer rien a de semblable, si ce n’est qu’ils doivent s’abstenir de ce qui a été immolé aux idoles, du sang et de ce qui a été étouffé, et de la fornication ». Il parle ainsi en forme d’avertissement. Ce qu’il dit signifie : de même que nous l’avons réglé pour eux, quoique nous prêchions les Juifs ; ainsi vous, quoique vous prêchiez aux gentils, travaillez avec nous. Considérez Paul ; il ne dit pas : Je puis amener Timothée que j’ai circoncis, et je puis, par ce discours, les persuader certainement ; mais il leur obéit et fit tout ce qu’on lui conseillait ; et en effet, c’était le plus expédient. Ce n’était pas la même chose de faire son apologie en paroles, et de faire ces choses sans que personne ne sût rien. Payer pour eux n’était pas de nature à faire naître les soupçons. « Alors Paul ayant pris ces hommes, et, le jour suivant, s’étant purifié avec eux, il entra dans le temple en «, annonçant l’accomplissement des jours de la purification lorsqu’il offrirait l’oblation pour chacun d’eux (21, 26) ». « Annonçant », c’est-à-dire, déclarant : de sorte que c’était lui-même qui se faisait connaître, mais « lorsque les sept jours furent écoulés ».
2. Remarquez le temps qu’il donne à ces choses. « Les Juifs d’Asie ayant vu Paul dans le temple, soulevèrent la foule entière, et mirent la main sur lui en criant : Hommes d’Israël, aidez-nous : c’est là L’homme qui enceigne en tout lieu contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu ; de plus il a introduit des gentils dans le temple et violé ce lieu saint ». Voyez leurs mœurs partout turbulentes : ils crient témérairement dans le temple. « En effet, ils avaient vu avec lui dans la ville Trophime d’Éphèse, qu’ils pensaient avoir été introduit dans le temple par Paul. La ville tout entière fut troublée, il se fit un rassemblement de peuple ; et s’étant saisis de Paul, et ils l’arrachèrent du temple, et aussitôt les portes furent fermées ». Les Juifs mettent ici en avant ce qui les tourmentait le plus : « le temple et la loi ». Paul, quoiqu’il souffrît de telles injures, n’accusa pas les apôtres d’être la cause de ce qui lui arrivait, tant il avait un grand cœur. « Et ils le poussaient hors du temple ; et les portes furent fermées ». Ils voulaient le tuer, et pour cela ils le tiraient hors du temple, pour commettre ce crime en toute liberté. « Comme ils cherchaient à le tuer, la nouvelle arriva au tribun de la cohorte, que Jérusalem tout entière était bouleversée. Celui-ci prit avec lui aussitôt des soldats et des centurions, et marcha contre eux. Voyant le tribun et les soldats, ils cessèrent de frapper Paul. Alors le tribun s’étant approché, s’empara de lui, ordonna de le lier avec deux chaînes ; et il demandait qui était cet homme, et ce qu’il avait fait. Ils criaient dans la foule, l’un ceci, l’autre cela ». Et pourquoi, puisqu’il venait l’interroger, ordonna-t-il de le lier avec deux chaînes ? Pour calmer la fureur du peuple. « Et comme, à cause du tumulte, il ne pouvait savoir la vérité, il ordonna de le conduire dans le camp. Lorsqu’il fut arrivé près des a degrés, il se trouva qu’il était porté par les soldats à cause de la violence du peuple : La foule suivait, en effet, en criant : Ôtez-le ». Que signifie : « Ôtez-le ? » C’était l’habitude des Juifs de parler ainsi contre ceux qu’ils condamnaient, comme ils le firent contre le Christ, lorsqu’ils crièrent : « Ôtez-le », c’est-à-dire : faites-le disparaître du nombre des vivants. D’autres disent que « Ôtez-le » signifie ce qui se dit parmi nous suivant la coutume romaine : « Jetez-le aux enseignes ». Et lorsque Paul allait entrer dans le camp, il dit au tribun : « s’il m’était permis de vous dire quelque chose ? » Porté sur les degrés, il demande à parler au tribun. Voyez avec quelle douceur : « S’il m’était permis de vous dire quelque chose ? » dit-il. « Celui-ci lui dit : Savez-vous le grec ? N’êtes-vous pas cet Égyptien qui, il y a quelques jours, a excité du tumulte, et a entraîné après lui au désert quatre mille sicaires ? » Cet Égyptien était un homme séditieux et novateur. Paul se lave de cette accusation, et, par ce qu’il dit, détruit ce soupçon.
Reprenons. « Il y a parmi nous quatre hommes qui ont un vœu ; prenez-les avec vous, et purifiez-vous avec eux ». Paul n’oppose rien à cela et se laisse persuader. D’où l’on voit clairement qu’il n’était pas obligé de suivre ce conseil, mais que ce fut prévoyance et indulgence de sa part. Cela n’était pas un empêchement à la prédication, puisque les apôtres eux-mêmes gouvernaient les Juifs suivant les coutumes légales. Quoique Paul tienne ici lui-même cette conduite, cependant plus tard il accuse Pierre ; mais ce n’était pas une accusation pure et simple. En effet, ce qu’il avait fait lui-même dans le cas présent, Pierre, dans l’occasion à laquelle je fais allusion, le fit en se taisant pour l’établissement de la doctrine véritable[13]). Ils ne dirent pas : Il ne faut pas enseigner cela aux gentils ; n ##Rem : Il suffit que l’on ne le pêche pas ici ; mais ils disent : Il faut faire quelque chose de plus, les persuader que vous gardez la loi. Ce n’est là qu’une condescendance : ne craignez rien. Envoyez : les apôtres ne le persuadent point avant de lui avoir montré la prévoyance qu’il y a à agir de la sorte et le gain qu’on en peut retirer. Il était supportable d’agir de la sorte à Jérusalem. Faites cela ici, et hors de cette ville vous ferez autrement. « Alors Paul prit le lendemain ces hommes », dit l’auteur. Il ne différa pas, mais montra par l’action qu’il était persuadé. Il prend donc ceux avec qui il devait se purifier ; tant la prévoyance inspire de ferveur ! Et comment, direz-vous, les Juifs d’Asie le virent-ils dans le temple ? Il est vraisemblable qu’ils étaient venus passer quelques jours à Jérusalem. Voyez comment l’événement est préparé. En effet, après que les Juifs ont été persuadés, alors ils s’insurgent contre Paul ; et cela se passe ainsi pour que ces derniers ne s’insurgent pas en même temps contre lui. « Aidez-nous, hommes d’Israël », disent-ils. Comme si quelqu’un de difficile à saisir et à vaincre était tombé entre leurs mains. « Aidez-nous », disent-ils. « Cet homme est celui qui enseigne partout à tous », non seulement ici, mais partout. L’accusation tirée des circonstances présentes avait encore plus de gravité. « Il a même de plus profané le temple en y introduisant les gentils ». Cependant, au temps du Christ, les gentils montèrent au temple pour y adorer ; mais ils parlent de ceux qui étaient venus sans vouloir adorer. « Et s’étant emparés de Paul, ils le poussaient dehors ». Considérez qu’ils le chassent du temple ; ils se, passaient bien de lois et de tribunaux. C’est pourquoi ils le frappaient ; ainsi en tout, ils sont audacieux et pétulants. Mais lui ne se défendit pas alors, mais seulement plus tard ; avec raison, car alors ils ne l’auraient pas écouté Et pourquoi criaient-ils donc : « Ôtez-le ? » Ils craignaient qu’il ne s’enfuît. Mais voyez avec quelle modération Paul parle au tribun ! Que dit-il donc ? S’il m’était permis de vous – dire quelque chose n. Il était tellement humble qu’il parlait toujours avec modestie. « N’êtes-vous pas cet Égyptien ? »
3. Voyez la malignité : du démon. Cet homme était un imposteur et un magicien ; et le démon espérait, par son moyen, pouvoir jeter de l’ombre sur le Christ et les apôtres, et les faire passer pour les complices de ses crimes. Mais il ne put rien ; la vérité n’en éclata que mieux ; bien loin de souffrir des machinations du démon. S’il n’y eût pas eu d’imposteurs, le triomphe des apôtres eût peut-être provoqué quelques soupçons. Ce qui rend ce triomphe plus admirable, c’est qu’il s’est accompli malgré les imposteurs qui ont paru. Il n’est pas mis d’empêchement à l’apparition des imposteurs pour que les apôtres brillent davantage, ainsi que Paul dit ailleurs : « Afin que ceux qui ont été éprouvés soient distingués ». (1Cor. 11,19) Gamaliel disait quelque chose de semblable : « Il y a peu de temps s’est élevé Théodas ». (Act. 5,36) Quant aux sicaires, les uns disent que c’étaient des voleurs, qu’on appelait ainsi à cause des épées qu’ils portaient, et qu’on appelait chez les Romains « sica », un poignard ; d’autres pensent que leur nom leur vient d’une secte juive.
Il y a en effet, chez les Juifs, trois sectes principales : les Pharisiens, les Saducéens et les Esséniens, qui sont aussi appelés les saints (car le nom Esséniens signifie cela), à cause de la pureté de leur vie. On les appelait aussi les sicaires, parce qu’ils étaient zélés. Ne nous affligeons donc pas qu’il y ait des hérésies, puisque de faux christs voulurent tendre des embûches au Christ, afin d’obscurcir sa gloire, avant et après l’événement dont nous nous occupons. Mais la vérité brille et resplendit partout. Il en arriva de même du temps des prophètes. Il y avait de faux prophètes, et les prophètes brillaient par la comparaison. En effet, la maladie fait briller la santé ; les ténèbres font remarquer la lumière ; la, tempête fait aimer le calme. Les païens ne peuvent pas dire que les apôtres furent des fourbes et des imposteurs, car les imposteurs furent convaincus. Cela arriva à Moïse. Dieu permit qu’il y eût des magiciens, afin que Moïse ne passât pas pour l’être ; il permit qu’ils montrassent jusqu’à quel point la magie peut faire illusion ; au-delà ils ne purent tromper, mais ils avouèrent leur défaite. Les imposteurs ne nuisent en rien ; bien plus, ils rendent meilleurs ceux qui sont attentifs. Comment donc, direz-vous, si nous partageons leur gloire ? Les imposteurs ne sont pas glorifiés parmi nous, mais seulement par ceux qui n’ont pas de discernement. Ne nous occupons pas de la clameur de la coule, n’y attachons pas plus d’importance qu’il ne faut. Vivons pour Dieu et non pour lés hommes ; vivons en citoyens du ciel et non de la terre ; là sont les prix et les récompenses de nos travaux, là nous recevrons des louanges, là nous recevrons des couronnes. Ne nous occupons des hommes qu’autant qu’il est nécessaire pour ne pas leur donner prise sur nous. Si, sans que nous y ayons donné lieu ils veulent nous accuser témérairement et au hasard, rions et ne pleurons pas. Faites le bien devant Dieu et devant les hommes ; si l’ennemi vous poursuit lorsque vous faites le bien, ne vous en occupez même pas. Vous avez des exemples dans les Écritures : « Est-ce que j’obéis aux hommes ou bien à Dieu ? »(Gal. 1,10) dit Paul, et ailleurs : « Nous persuadons les hommes, mais Dieu nous connaît ». (2Cor. 5,11) Et le Christ disait de ceux qui se scandalisaient : « Laissez-les, ce sont des aveugles que conduisent des aveugles » (Mt. 15,14) ; et ailleurs : « Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous » (Lc. 6,26) ! et encore : « Que vos œuvres brillent de sorte qu’elles soient vues des hommes, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16) Ne vous étonnez pas s’il dit ailleurs : « Si quelqu’un scandalise l’un de ces petits, il est bon pour lui qu’on lui attache la meule d’un âne au cou, et qu’on le précipite au fond de la mer ». Car ces paroles ne sont en rien contraires, elles s’accordent parfaitement. Si cela arrive parmi nous, malheur à nous ! si cela n’arrive pas parmi nous, il en est autrement. Et ailleurs Paul dit : « Malheur à vous, par qui le nom de Dieu est blasphémé ! » (Rom. 2,24) Mais quoi ! si je fais ce qu’il faut faire et qu’un autre blasphème ? Ce n’est pas votre affaire, c’est la sienne ; car c’est lui qui blasphème. Mais comment se peut-il que l’on fasse ce que l’on doit et qu’on donne prise aux autres ? D’où voulez-vous que je tire des exemples ? du temps passé ou du temps d’aujourd’hui ? De peur de sembler amoureux de vaine gloire, voulez-vous que nous parlions de ce qui se présente aujourd’hui sous notre main ? Paul judaïsait à Jérusalem et non à Antioche. Il judaïsait et on se scandalisait ; mais les Juifs ne se scandalisaient pas avec raison. On dit qu’il salua l’échanson et la concubine de Néron. Combien eussent-ils dit de paroles contre lui à cause de cela, mais injustement ! S’il avait salué par libertinage ou pour quelque mauvaise cause, on eût parlé justement contre lui ; mais s’il a salué pour une bonne cause, pourquoi l’en blâmer ?
Je rapporterai quelque chose arrivé à l’un de mes amis. Dans un moment où Dieu faisait sentir sa colère, lorsqu’il était jeune, dans l’ordre des diacres, il se trouva que l’évêque était absent en ce moment, et qu’aucun des prêtres ne s’occupait d’instruire ; ils baptisaient à la hâte, en une seule nuit, une foule immense de plusieurs milliers de personnes, et tous étaient simplement baptisés sans être instruits. Ce jeune homme, prenant alors en particulier cent et deux cents personnes, leur parlait, et ne leur enseignait rien autre chose que les mystères, de sorte qu’il ne laissait approcher que des initiés. Beaucoup crurent qu’il ne faisait cela que parce qu’il désirait le commandement. Mais il ne prit pas garde à ce qu’ils pensaient ; il ne continua pas cependant ; il cessa immédiatement. Quoi donc ? Celui-ci fut-il une cause de scandale ? Je ne le pense pas ; en effet, s’il avait agi sans aucun motif, on eût pu lui faire à bon droit des reproches, et aussi s’il avait continué. Lorsque l’on est empêché par le scandale d’autrui de faire ce qui plaît à Dieu, on n’en doit faire aucun cas ; mais il faut y faire attention, lorsque nous le pouvons sans offenser Dieu. Lorsque nous parlons, et raillons les ivrognes, si quelqu’un se scandalise, faudra-t-il, dites-moi, cesser notre discours ? Écoutez le Christ : « Voulez-vous aussi », dit-il, « vous en aller ? » (Jn. 6,68) Ainsi on ne doit ni prendre trop de souci de la faiblesse de la multitude, ni la mépriser trop. Ne voyons-nous, pas les médecins agir ainsi ? Lorsque cela se peut, ils sont prêts à satisfaire aux désirs de leurs malades ; si, au contraire, leur condescendance peut porter préjudice aux malades, ils n’accèdent plus à ce qu’ils désirent ? En tout il faut observer la mesure convenable.
Plusieurs personnes poursuivaient d’injures une belle jeune fille à cause de son assiduité à l’instruction ; ils l’assaillaient et injuriaient même ceux qui l’instruisaient. Mais, quoi ? Fallait-il que ses maîtres cessassent à cause de cela ? En aucune façon ; car ils ne faisaient rien de contraire à la volonté de Dieu, mais bien au contraire, une œuvre très-agréable à Dieu. Ne considérons donc pas si quelques-uns se scandalisent, mais bien s’ils le font justement et si ce n’est pas pour nous perdre. « Si ce que je mange scandalise un frère », dit Paul, « je ne mangerai plutôt jamais de chair ». (1Cor. 8,13) Il dit cela à bon droit, car ce n’était pas une chose nuisible de n’en pas manger ; si toutefois quelqu’un se scandalise de ce que je veux renoncer, il ne faut plus faire attention à son scandale ? Mais qui, direz-vous, peut se scandaliser de cela ? Beaucoup, je le sais. Lors donc que la chose qui fait scandale est indifférente, abstenons-nous-en ; si nous voulons nous placer à ce point de vue, il faudra s’abstenir de beaucoup de choses ; au contraire, si nous ne donnons aucune attention au scandale, beaucoup périront par notre faute. Paul s’est précautionné contré le scandale en disant : « De peur que personne ne puisse rien nous reprocher sur le sujet de cette aumône abondante dont nous sommes les dispensateurs ». (2Cor. 8,20) Ce n’était pas une close nuisible de détruire le soupçon. Lorsque nous sommes dans une telle nécessité, qu’à cause du scandale que l’on voudrait éviter, il peut arriver de grands maux, ne nous occupons point de ce scandale. C’est celui qui se scandalise qui est à soi-même la cause de scandale, mais nous ne sommes plus responsables ; on ne peut sans danger lui céder. Beaucoup se sont offensés de ce que quelques fidèles couchaient dans les temples, comme si on ne devait pas y coucher ; mais c’est à – tort. Il n’y a aucun mal à cela. On s’offensait de ce que Pierre mangeait avec les gentils ; mais il s’en abstint : Paul ne fit pas de même. Partout il convient, en suivant les lois de Dieu, de veiller avec grand soin à ne pas fournir occasion au scandale, afin de se conserver innocent ; afin aussi de mériter la miséricorde de Dieu, par la grâce et la charité du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLVII. modifier


PAUL DIT : « JE SUIS JUIF, NATIF DE TARSE EN CILICIE, CITOYEN DE CETTE VILLE. JE VOUS EN PRIE, PERMETTEZ-MOI DE PARLER AU PEUPLE ». LE TRIBUN LE LUI AYANT PERMIS, PAUL, SE TENANT DEBOUT SUR LES DEGRÉS, FIT SIGNE DE LA MAIN AU PEUPLE. UN GRAND SILENCE S’ÉTANT FAIT, IL PARLA EN HÉBREU, DISANT… (CHAP. 21, VERS. 39 ET 40, JUSQU’AU VERS. 16 DU CHAP. XXII)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Discours de saint Paul au peuple juif. – Habileté chrétienne de ce discours – Commentaire sur la conversion de saint Paul. – Il faut faire accorder sa croyance et sa conduite. – N’écoutons pas nos passions.
  • 3 et 4. Que le témoignage que nous rendons à la foi s’accorde avec notre fidélité à la pratique des vertus. – Force de persuasion d’une bonne vie. – Maux produits par une vie mauvaise. – Punition de la mauvaise vie.


1. Remarquez que Paul, quand il parle à ceux qui sont en dehors de la foi, ne refuse pas d’user du secours des lois. Dans ce moment, il rappelle le tribun au respect, en nommant sa cité. C’est ainsi qu’il disait autrefois : « Après nous avoir battus de verges, sans connaissance de cause, nous qui sommes « citoyens romains, ils nous ont mis en prison ». (Act. 16,37) Le tribun lui ayant demandé : « N’êtes-vous pas cet Égyptien », Paul répond ; « Je suis Juif ». En parlant ainsi il fait cesser les soupçons du tribun. Ensuite, pour qu’on ne le croie pas Juif de naissance, il dit sa religion, ailleurs il dit qu’il vit sous la loi du Christ. Qu’est-ce que cela ? Paul ment-il donc ? Loin de là. Quoi donc ? N’a-t-il pas nié ? Il n’en saurait être ainsi. Il était Juif et chrétien, observant ce qu’il fallait, puisqu’il obéissait à la loi plus que tout le monde, en croyant au Christ ; en parlant à Pierre, il dit : « Nous sommes Juifs de race ». (Gal. 2,15) – Je vous en prie, permettez-moi de parler « au peuple ». Et c’est là un signe qu’il ne ment pas, puisqu’il les prend tous à témoin. Remarquez de nouveau comme il parle avec douceur. Et c’est 1à une nouvelle et forte preuve de son innocence, qu’il soit ainsi prêt à rendre compte de ses actes, et qu’il veuille répondre, en présence du peuple.
Considérez cet homme tout préparé, voyez l’action de la Providence. Si le tribun n’était venu, s’il ne l’avait enchaîné, il n’eût pas eu l’occasion de faire un discours pour sa défense, il n’eût pas obtenu un si grand silence. « Le tribun le lui ayant permis, Paul se tenait sur les degrés ». L’endroit où il était placé lui donnait une plus grande facilité à cause de l’élévation des degrés et des chaînes dont il était attaché. Quel spectacle plus beau à voir que celui de Paul parlant au peuple, les mains liées par une double chaîne ? Comment ne se trouble-t-il pas, comment n’est-il pas confondu à la vue d’une foule si nombreuse exaspérée contre lui, et en présence du chef des soldats ? D’abord il calme leur fureur, puis il discute. Voyez avec quelle prudence. En effet, ce qu’il fait dans son épître aux Hébreux, il le fait là aussi : Tout d’abord, il les apprivoise par l’usage de leur langue, ensuite par sa douceur. C’est pour cela que l’auteur continue : « Il se fit un grand silence : et leur parlant en hébreu, il dit : Hommes mes frères et mes pères, entendez mon apologie que je vous adresse ». Remarquez ce discours d’où toute flatterie est bannie, et si plein de douceur ; Il ne dit pas : maîtres ou seigneurs, mais « Frères » ; ce qu’ils aimaient le plus, comme s’il leur disait : Je ne vous suis pas étranger, je ne suis pas contre vous. « Hommes mes frères et mes pères », dit-il. Ce second mot est un titre d’honneur ; le premier, l’expression de la fraternité. « Écoutez mon apologie que je vous adresse ». Il ne dit pas l’enseignement, ni la harangue, mais l’Apologie » ; il se pose lui-même comme un suppliant. « Entendant qu’il parlait hébreu, ils firent un plus grand silence, ». Ne voyez-vous, pas comme il s’empare d’eux par leur propre langue pour laquelle ils avaient une sorte de vénération ? Voyez comme il continue son discours ainsi commencé, en disant : « Je suis Juif, né à Tarse de Cilicie, mais élevé dans cette ville, aux pieds de Gamaliel, instruit suivant la vérité de la loi paternelle, serviteur zélé de Dieu, comme vous l’êtes aujourd’hui ». – « Je suis », leur dit-il, « Juif », ce qu’ils aimaient le plus à entendre, « né à Tarse de Cilicie ». Pour qu’ils n’aillent pas se figurer une nation étrangère, il ajoute sa religion : « mais élevé dans cette ville ».
Il montre son grand zèle pour le culte, puisqu’il avait quitté sa patrie, ville célèbre et si éloignée, et avait voulu être élevé à. Jérusalem pour s’instruire dans la loi. Voyez quel respect il avait autrefois pour la loi. Il ne parle pas ainsi, seulement pour se défendre, mais pour montrer que ce n’est pas dans un but humain qu’il a été conduit à la prédication, mais parla puissance divine ; autrement il n’aurait pas été ainsi instruit tout d’un coup. S’il eût fait partie du commun des hommes, on eût pu faire cette supposition ; si, contraire, il était du nombre de ceux qui étaient le plus attachés à 1a loi, il n’était pas vraisemblable qu’il eût changé d’avis au hasard, et sans l’impulsion d’une urgente nécessité. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il : Qu’il eût été élevé à Jérusalem, cela importe peu ; qu’est-ce que cela signifie en effet, si pour quelque intérêt ou pour toute autre cause vous êtes venu ici ? Pour qu’on ne pense pas ainsi, il ajoute « aux pieds de Gamaliel » : et il ne dit pas simplement auprès de Gamaliel, mais « aux pieds de Gamaliel ». Montrant par là sa persévérance, son assiduité, son ardeur pour apprendre et son profond respect pour cet homme. « Instruit suivant la vérité de la loi paternelle » ; il ne dit pas simplement de la loi, mais « de la loi paternelle. », pour montrer qu’autrefois il était observateur de la loi, et qu’il ne la connaissait pas simplement. Il semble dire ces choses pour eux, mais c’est contre eux qu’il parle, puisqu’il a abandonné cette loi qu’il connaissait si bien. Ensuite, de peur qu’on ne lui fasse cette nouvelle objection : Pourquoi donc, si vous connaissez complètement la loi, ne la défendez-vous pas et ne l’aimez-vous pas ? Il ajoute : « Zélé pour la « pratique de la loi », c’est-à-dire : non seulement je la connaissais, mais j’étais fort zélé pour elle. Et après qu’il a parlé de lui-même avec tant d’éloges, il dit : « Comme vous l’êtes tous aujourd’hui ». Il les montre par là agissant, non par des raisons humaines, mais par zèle pour Dieu. Il parle ainsi pour capter leurs bonnes grâces, s’emparer de leurs esprits, et les retenir par des moyens légitimes ; voici des preuves : « Moi qui ai persécuté cette voie jusqu’à la mort, enchaînant et emprisonnant les hommes et les femmes, ainsi que le grand prêtre et les anciens m’en rendent témoignage ». Afin, d’empêcher, de dire : Et la preuve ? Il apporte le témoignage du grand prêtre et du conseil des anciens. Il dit pour les adoucir : « Zélé dans la pratique de la loi comme vous » ; c’est-à-dire, autant que vous, et par ses œuvres il leur montre qu’il l’était plus qu’eux. En effet, certes, je ne perdais pas de temps pour les saisir ; mais de plus je pressais les prêtres, j’entreprenais, des voyages, je n’attaquais pas seulement les hommes comme vous, mais encore les femmes, et je les emprisonnais tous, et je les jetais dans les cachots. Ce témoignage est indubitable, les accusations des Juifs sont insoutenables. Voyez combien il cite de témoins : les anciens, le grand prêtre, les habitants de la cité.
2. Remarquez que sa défense n’est pas marquée au cachet de – l’a crainte, mais plutôt de l’enseignement et de la – doctrine. Si les auditeurs n’eussent été des pierres, ils auraient fait attention à ses paroles. Jusqu’ici il a eu les Juifs pour témoins ; ce qui suit s’était fait sans témoins. « De qui, ayant reçu des lettres, j’allais vers les frères à Damas pour emmener enchaînés ceux qui demeuraient en cette ville, et les conduire à Jérusalem afin qu’on les punît. Il arriva que lorsque j’étais en route et proche de Damas, vers le midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m’enveloppa, je tombai par terre et j’entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, « pourquoi me persécutes-tu ? Je répondis : Qui êtes-vous, Seigneur ? Et il me dit : Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes » (Chap. 22,1-8) Ces paroles étaient dignes de foi, la conversion de Paul inexplicable autrement, devait leur mériter créance. Qu’est-ce que cela prouve, dira-t-on, s’il se vante ? Il ne se vante nullement. Pourquoi, dites-moi, se serait-il tout d’un coup enflammé d’un tel zèle ? Parce qu’il recherchait les honneurs ? Or il a enduré les outrages. Il recherchait le repos ? Cela non plus ; quelqu’autre chose ? La pensée ne peut rien"découvrir. Paul leur laisse ces conclusions à tirer, il raconte les choses, et leur dit : « J’étais proche de Damas, vers a midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m’enveloppa, je tombai par « terre ». Ceux qui m’accompagnaient, qui m’ont conduit par la main, qui ont vu la lumière, me sont témoins que je ne me vante point. « Ceux qui étaient avec moi virent la lumière ; et furent épouvantés ; mais ils n’entendirent pas là voix de celui qui me parlait ». Ne vous étonnez pas s’il parle ainsi en cet endroit, et si, ailleurs, il est dit d’une autre manière : « Ils, restèrent debout entendant la voix, mais ne voyant personne ». (Act. 9,7) Il n’y a pas contradiction. En effet il y avait deux voix : la voix de Paul, et celle du Seigneur ! Dans le dernier passage, la voix dont parle Paul est la sienne. Mais dans celui qui nous occupe, Paul ajoute : « Ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait ! » Donc ce mot ne voyant personne », ne s’applique pas à la vision, mais signifie qu’ils n’entendirent pas. En effet ; Paul ne dit pas qu’ils ne virent pas la lumière ; mais : « Ne voyant personne, ils restèrent immobiles » c’est-à-dire, né voyant pas la personne qui me parlait. Il convenait que ce fait se passât ainsi, car il fallait que Paul fût seul jugé digne de cette voix. Si ceux qui accompagnaient Paul eussent entendu la voix, le prodige n’eût pas été aussi grand. Comme c’étaient des hommes grossiers, la vision était plus propre à les persuader ; c’est pour cela qu’ils virent seulement la lumière, ce qui suffisait pour les persuader, et qui les épouvanta. D’ailleurs la lumière n’agit pas autant sur eux que sur Paul : La lumière en effet aveugla Paul, et, par ce qui lui arrivait, fournit à ses compagnons le moyen de voir, s’ils le voulaient. Il me semble que ce fut par une disposition de la Providence que ces hommes, ne crurent pas, pour qu’ils fussent des témoins dignes de foi. « Il me dit », rapporte Paul : « Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes ». La ville est à propos nommée, pour qu’ils le reconnaissent. Et les apôtres disaient de même : « Jésus de Nazareth ». Voyez : le Christ lui-même témoignait qu’il était persécuté. « Ceux qui étaient avec moi virent la lumière et furent épouvantés ; mais ils n’entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Je dis : Que ferai-je, Seigneur ? Le Seigneur me dit : Lève-toi, va à Damas, et là on te dira ce qu’il faut que tu fasses. Et comme je ne voyais pas, à cause de la splendeur de cette lumière, conduit par la main de mes compagnons, j’allai à Damas ; mais Ananie, homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs qui sont a Damas ; vint vers moi, et se tenant auprès de moi, me dit : Saul, mon frère, voyez. Et à l’heure même, je le regardai. Entrez, dit le Christ, dans la ville, et là on vous dira ce que vous devez faire ». Voici un nouveau témoin ; et voyez comme il le montre digne de foi. « Un certain Ananias, homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs, qui sont à Damas ; étant venu vers moi, et s’étant tenir auprès de moi, me dit : « Voyez ». Ainsi, rien n’était étranger. « Et à la même heure, je le regardai ». C’est là le témoignage par les faits. Voyez comme il est mélangé de personnages amis et étrangers. Les personnages, ce sont les prêtres, les anciens, les compagnons de route de Paul ; les événements, ce sont ce qu’il fait, ce qu’il souffre ; les faits servent de témoins aux faits, et non pas seulement les personnes ; ou bien encore d’une autre manière : Ananie était étranger. Ensuite, l’événement lui-même, c’est-à-dire, Paul recouvre la vue ; puis une grande prophétie : « Ananie dit : Le Dieu de nos Pères a étendu sa main sur vous par avance ; pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ». Il dit à propos de nos pères », pour montrer qu’ils ne sont pas Juifs, mais étrangers à la loi ; et qu’ils agissent par envie ; et non par zèle. « Pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ». Donc, c’est là sa volonté. Voyez comme la doctrine est expliquée par l’ordre de la narration. « Et que a vous entendiez la voix de sa bouche, parce d que vous serez son témoin auprès de tous les hommes de ce que vous avez vu et entendu. – Et pour que vous voyiez ce qui est juste », dit Ananie ; ce qui revient à dire : Si donc vous êtes juste, les Juifs sont coupables. « Et pour que vous entendiez la voix de sa bouche ». Voyez comme il développe la chose : « Parce que », dit-il, « vous serez son témoin ». Ainsi donc, à cause de cela, vous ne trahirez pas la vue et l’audition de ce que vous avez vu et entendu ; il le rend fidèle par ses deux sens qui ont été frappés. « Et maintenant qu’attendez-vous ? Levez-vous et soyez baptisé ; purifiez-vous de vos péchés, après avoir invoqué son nom (9-16) ».
3. Ananie, en cet endroit, prononça une grande parole ; car il ne dit pas : Soyez baptisé en son nom, mais bien « après avoir invoqué le nom du Christ. » C’était proclamer le Christ Dieu, car il n’est pas permis d’invoquer quelqu’autre que Dieu. Paul montre ensuite qu’il n’a point été contraint, car il dit : « Le Seigneur me dit : Va à Damas, et là on te dira ce qu’il te faut faire ». Rien qui n’ait son témoignage, mais il produit ici le témoignage de cette ville entière qui l’a vu conduit par la main. Remarquez aussi la, prophétie qu’il entend, dans laquelle on lui déclare qu’il sera le témoin du Seigneur. En effet, il a été le témoin du Seigneur ; et le témoin tel qu’il convenait qu’il fût, et par ses œuvres, et par ses paroles. Soyons nous-mêmes des témoins tels que lui, et ne trahissons pas nos croyances, non seulement dogmatiques, mais morales. Voyez donc : ce qu’il a vu et entendu, Paul en a rendu témoignage à tous les hommes, et rien n’a pu l’arrêter. Nous aussi, nous avons appris qu’il y aura une résurrection et mille biens ; donc, nous devons en rendre témoignage à tous les hommes ; mais nous rendons témoignage, direz-vous, et nous croyons : Comment cela, lorsque vous faites tout le contraire ? Mais, dites-moi, le vous prie : Si quelqu’un se disait chrétien, et ensuite, comme un apostat, s’adonnait au judaïsme, est-ce que ce témoignage serait suffisant ? En aucune façon, parce qu’on rechercherait le témoignage de ses, actions. Ainsi de nous, si nous disons qu’il y aura une résurrection, qu’il y aura des biens sans nombre, et qu’ensuite nous les dédaignions et nous attachions aux choses d’ici-bas, qui nous croira ? Tous, en effet, ne font attention qu’à ce que nous faisons et non à ce que nous disons. « Vous serez témoin devant tous les hommes », non seulement devant vos proches, mais aussi au milieu des infidèles. Les témoins, en effet, sont ceux qui persuadent ceux qui ne savent pas, et non ceux qui savent, Soyons des témoins dignes de foi. Mais comment serons-nous dignes de foi ? Par notre vie. Les Juifs s’insurgeaient contre Paul : Les passions s’insurgent contre nous pour nous pousser à renier notre témoignage. Mais ne leur cédons pas ; mous sommes des témoins envoyés par Dieu. Il y a des hommes qui jugent que Dieu n’est pas Dieu ; il nous a envoyés pour lui rendre témoignage. Rendons témoignage et Persuadons ceux qui nous contestent, car, si nous ne rendons pas témoignage, nous serons cause de leur erreur. Si, dans un tribunal où se traitent les affaires terrestres, on ne recevrait pas un témoin chargé de mille crimes, bien moins encore en ce cas où de si grandes choses sont l’objet de l’enquête. Nous disons, nous, que nous avons reçu renseignement du Christ, et que nous croyons à ce qu’il a enseigné ; ils nous disent, eux : Montrez-nous cela par vos actes. Votre vie, en effet, nous témoigne tout lé contraire, c’est-à-dire, que vous ne croyez pas.
Voulez-vous que nous examinions les avares, les voleurs, les gens qui amassent des richesses ; ceux qui pleurent, qui gémissent, qui bâtissent, qui s’occupent de toutes sortes d’affaires, comme s’ils ne devaient pas mourir ? Si vous ne croyez pas que vous deviez mourir, quoique la chose soit tellement certaine et évidente, comment croirons-nous à votre témoignage ? Il y a, en effet, beaucoup d’hommes qui vivent de telle sorte, qu’ils semblent ne pas croire qu’ils doivent mourir. Lorsque, dans une vieillesse avancée, ils commencent à bâtir, à cultiver leurs terres, quand donc penseront-ils à la mort ? Notre punition sera grave, si, appelés en témoignage, nous ne pouvons attester ce que nous voyons. Nous avons vu de nos yeux les anges, et plus clairement que ceux qui les ont vu de leurs yeux. Rendons donc témoignage au Christ, car les apôtres ne sont pas seuls ses témoins, mais nous le sommes aussi. Les apôtres ont été appelés témoins (martyrs) parce que, sommés d’abjurer, ils souffrirent tout pour, dire la vérité ; et nous, lorsque nos passions nous somment d’abjurer nos devoirs, ne succombons pas. L’or dit : Dis que le Christ n’est pas le Christ : Ne l’écoutez pas comme un Dieu, mais méprisez ses insinuations. Les convoitises mauvaises disent la même chose : mais vous, ne vous laissez pas persuader, tenez bon pour qu’on ne dise pas de nous : « Ils confessent de « bouche qu’ils connaissent Dieu, et le nient par leurs actes ». (Tit. 1,16) Ce n’est pas là l’œuvre de témoins, c’est tout le contraire. Que les autres nient Dieu, il n’y a rien là d’étonnant ; mais que nous, appelés à être ses témoins, devenions des renégats, cela est pénible et accablant, cela surtout nuit à la religion. « Il viendra en témoignage pour eux » (Lc. 21,1.3) ; mais si nous ne bronchons pas et sommes stables dans la foi. Si nous voulions tous rendre témoignage au Christ, bientôt nous aurions persuadé beaucoup, de gentils.
La vie est une grande chose, mes bien-aimés. Un homme, quelque sauvage qu’il soit, pourra condamner nos principes, mais il les admettra en secret, il les trouvera louables et les admirera. Et par quel moyen rendra-t-on sa vie la meilleure possible ? direz-vous. Par nul autre moyen qu’en agissant suivant l’impulsion de Dieu : Mais, quoi ! n’y a-t-il pas des gentils qui sont aussi vertueux ? Ces gentils, quand ils sont tels, le sont ou par nature ou par vaine gloire. Voulez-vous savoir quelle est la splendeur d’une bonne vie, et quelle force de persuasion elle possède ? Si beaucoup d’hérétiques ont eu des succès malgré la corruption de leurs dogmes, ils ne les ont obtenus que parce que beaucoup de personnes ; par respect pour la pureté de leur vie, n’examinèrent même pas leur doctrine ; d’autres, qui les désapprouvaient dans leur doctrine, les respectaient à cause de leur bonne vie. Ce n’était pas juste, sans doute ; mais cependant c’est ce qui est arrivé. C’est là ce qui a diminué la vénération pour notre foi ; tout est détruit et renversé, si l’on n’a pas une vie réglée ; la foi elle-même est pervertie par là. Nous disons que le Christ est Dieu, nous proférons mille autres choses, celle-ci entre autres, qu’il a ordonné à tous de bien vivre ; mais on ne voit la pratique de ce précepte que chez un petit nombre. Le dérèglement de la vie affaiblit le dogme de la résurrection, de l’immortalité de l’âme et du jugement, et il entraîne après lui beaucoup d’autres maux, tels que la croyance au destin, à la fatalité, et la négation de la Providence. L’âme, plongée dans des maux sans nombre, cherche à se consoler de cette façon pour ne pas s’attrister de la pensée qu’il doit y avoir un jugement, et que les principes de la vertu et de la malice sont en nous.
Une telle vie est la source de mille maux ; elle rend les hommes semblables à des bêtes sauvages, et même plus déraisonnables qu’elles ; car ce qui se trouve dans toutes les natures des bêtes sauvages, souvent se rencontre dans un seul homme, et détruit tout en lui : C’est pour cela que le démon a inventé l’erreur de la fatalité ; c’est pour cela qu’il a dit qu’aucune providence ne gouvernait le monde ; pour cela qu’il a imaginé de dire qu’il y avait de bonnes et de mauvaises natures, qu’il suppose le mal sans commencement et matériel ; c’est pour cela enfin qu’il fait tout pour corrompre notre vie. En effet, il n’est pas possible que celui qui mène une telle vie ne soit pas entraîné par les dogmes corrompus, et persévère dans la saine croyance ; ruais de toute nécessité il devra embrasser la mauvaise doctrine. Je ne pense pas, en effet, que l’on puisse parfaitement trouver, parmi ceux qui ne mènent pas une vie droite, quelqu’un qui ne médite mille choses sataniques ; par exemple, que tout marche au hasard et pêle-mêle dans le monde. Ayons soin de bien régler notre vie, je vous en conjure, pour ne point nous laisser aller aux mauvaises doctrines. Caïn eut pour châtiment de gémir et de trembler. Tels sont les méchants : ils ont tellement conscience de leurs maux sans l’ombre que souvent ils se réveillent en sursaut ; leurs pensées sont troublées, leurs yeux égarés ; tout fait naître en eux le soupçon, le doute est partout, leur âme est remplie d’une terreur mêlée d’une attente accablante, elle est bouleversée et rendue par la frayeur incapable d’agir. Rien de plus dissolu que cette âme, rien de plus insensé qu’elle. De même que les fous ne s’arrêtent à rien, de même elle est mobile dans ses pensées ; comment s’apercevrait-elle de son aveuglement, elle qui ne peut qu’à grand-peine, au sein de la paix et de la sérénité, découvrir sa propre noblesse originelle ? Lorsque tout est pour elle objet de trouble et de crainte, songes, paroles, figures, soupçons téméraires,-comment pourrait-elle se contempler elle-même, troublée et agitée ainsi ? Délivrons cette âme de ses craintes, brisons ses chaînes, quand bien même il n’y aurait pas de châtiment futur ; quel châtiment plus dur y aurait-il, que de vivre toujours dans la crainte, de n’avoir jamais confiance en qui que ce soit, et de n’être jamais en repos ? Sachant pleinement toutes ces choses, conservons-nous dans la tranquillité, cultivons la vertu, et nous pourrons obtenir les biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, louange, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLVIII. modifier


ÉTANT REVENU A JÉRUSALEM, PENDANT QUE JE PRIAIS DANS LE TEMPLE, IL ARRIVA QUE J’EUS UNE EXTASE, ET JE VIS JÉSUS QUI ME DISAIT : « HÂTE-TOI, SORS PROMPTEMENT DE JÉRUSALEM, CAR ILS NE RECEVRONT PAS TON TÉMOIGNAGE SUR MOI », ET JE DIS : « SEIGNEUR, ILS SAVENT EUX-MÊMES QUE C’ÉTAIT MOI QUI METTAIS EN PRISON ET QUI FAISAIS FOUETTER DANS LES SYNAGOGUES CEUX QUI CROYAIENT EN VOUS, ET QUE, LORSQU’ON RÉPANDAIT LE SANG D’ÉTIENNE, VOTRE TÉMOIN, J’ÉTAIS PRÉSENT, ET QUE J’ÉTAIS CONSENTANT A SA MORT, ET QUE JE GARDAIS LES VÊTEMENTS DE CEUX QUI LE METTAIENT A MORT. » (CHAP. 22,17-20)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Suite du discours de saint Paul aux Juifs. – Commentaire. – Injustice du tribun. – Paul dit : Je suis citoyen romain. – Fermeté de saint Paul. – Saint Paul devant le Sanhédrin. – Conduite du grand-prêtre. – Respect de saint Paul pour la Loi.
  • 3. Exhortation. – Qu’il faut discerner avec soin : les vices et les vertus. – La magnanimité, l’économie, la prodigalité, l’avarice. – La mansuétude et la mollesse ; ta liberté de parole et l’audace.


1. Voyez comme il se précipite dans le danger ; car il dit ensuite : « Lorsque je revins à Jérusalem » ; c’est-à-dire, après la vision de la route de Damas, je vins de nouveau à Jérusalem. « Pendant que je priais dans le temple, il arriva que j’eus une extase, et je vis Jésus qui me disait : Hâte-toi, sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage sur moi ». Cela encore n’est point sans témoignage, le témoignage se lire de l’événement. Le Christ avait dit : « Ils ne recevront pas ton témoignage », et ils ne, le reçurent pas. Et certes, par le raisonnement,.on pouvait supposer qu’ils recevraient le témoignage de Paul. « Car c’était moi qui emprisonnais et qui faisais fouetter », dit-il. Donc ils devaient recevoir son témoignage, mais cependant ils ne le reçurent pas. C’est pour cela qu’il apprend dans l’extase que son témoignage ne sera pas admis. Paul prouve deux choses en cet endroit : d’abord que les Juifs n’étaient pas excusables, puisqu’ils le persécutaient contre toute raison et toute vraisemblance ; en second lieu, il démontre que le Christ est Dieu, lui qui prédit ce qui est contraire à toute attente, et qui voit ; non seulement ce qui se faisait alors,.mais qui prévoit ce qui doit arriver. Comment donc le Christ dit-il : « Il portera mon nom devant les nations, les rois et les fils d’Israël. « Il portera », dit-il, et non pas il persuadera. D’ailleurs, dans d’autres endroits, les Juifs étaient persuadés, mais non à Jérusalem. C’était là surtout qu’ils auraient dû croire, puisque tous avaient connu l’ancien zèle de l’apôtre ; et, au contraire, c’est là surtout qu’ils sont incrédules. « Et lorsque l’on versait le sang d’Étienne votre témoin, j’étais présent, et consentais à sa, mort ». Voyez où le discours aboutit de nouveau, et quelle puissante preuve Paul fournit. Il montre qu’il était persécuteur, et non seulement persécuteur, mais qu’il frappait Étienne par mille mains. Il leur rappelle ce grand meurtre. Ils ne purent souffrir qu’il les confondît ainsi ; et la prophétie du Christ était accomplie. Le zèle de Paul était grand, son accusation était terrible ; et les témoins de la vérité du Christ parlaient librement. Les Juifs ne voulurent pas entendre le reste du discours, mais, enflammés de fureur, ils poussèrent des clameurs. « Et il me dit : Va, parce que je t’enverrai vers les nations éloignées. Les Juifs l’écoutaient jusque-là, et ils élevèrent, la voix en disant. : Ôtez de la terre un tel homme, car il ne se peut qu’il vive. Comme ils poussaient des clameurs, jetaient leurs vêtements, et lançaient de la poussière en, l’air, le tribun ordonna de le conduire dans le camp, disant de lui donner la question par les fouets, afin d’apprendre pour quelle cause ils criaient ainsi contre lui (21-24) ». Lorsque le tribun eût dû examiner si les choses étaient ainsi, et interroger les accusateurs, il ne fait rien de tout cela, il ordonne de le flageller. « En effet », dit l’auteur, « le tribun ordonna de le conduire dans le camp et de, le flageller, afin de connaître la cause pour laquelle ils criaient ainsi contre lui ». Il fallait apprendre cette cause de ceux qui criaient, et leur demander s’ils avaient à lui reprocher quelque chose pour ses paroles ; mais le tribun usé témérairement de son pouvoir, et agit de façon à leur faire plaisir ; il ne s’inquiétait pas d’agir avec justice, mais d’apaiser leur injuste fureur. « Comme on le conduisait aux lanières, Paul dit au centurion qui était présent : Vous est-il permis de flageller un citoyen romain et qui, n’est pas condamné ? »
Paul ne mentit pas, loin de là, en disant qu’il était Romain ; il était en effet Romain ; aussi le tribun, en l’apprenant, eut peur. Et pourquoi craignit-il, dira-t-on ? Il craignait d’être lui-même saisi et de se voir infliger un grand châtiment. Remarquez que, Paul ne, parle pas au hasard ; mais il dit : « Vous est-il permis?. » C’est en effet une double accusation : accusation, de punir sans cause, et de punir un citoyen romain. Ceux qui étaient honorés de ce titre avaient de grands privilèges, et ce privilège n’appartenait pas à tout le, monde. En effet, depuis Adrien seulement, dit-on ; tous furent appelés Romains ; mais anciennement, il n’en était pas ainsi. C’est pour s’exempter du supplice qu’il fait valoir son titre de Romain, car s’il eût été flagellé, il eût été par là rendu méprisable ; mais, parce seul mot, il les remplissait d’une grande frayeur. S’ils l’eussent flagellé, ils eussent bouleversé tout, ou bien ils l’auraient mis à mort ; mais il n’en arriva pas ainsi. Voyez comme Dieu permet, dans ce cas et dans d’autres, que les choses arrivent humainement. Le tribun répondit : « J’ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d’argent ». Il voulait dire par là qu’il soupçonnait Paul ; disant qu’il était Romain, d’user d’une feinte, et sans doute cette pensée lui vint de la mince apparence de Paul.
« Le centurion, après l’avoir entendu, alla dire au tribun : Voyez ce que vous allez faire, à cet homme est citoyen romain. Alors le tribun, venant vers Paul, lui dit : Dites-moi, êtes-vous Romain ? Paul lui dit : Certainement : Le tribun répondit : J’ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d’argent. Paul lui dit : Moi, je suis né Romain. Aussitôt, ceux qui devaient le torturer, le laissèrent. »
Et le tribun fut effrayé lorsqu’il sut qu’il était Romain, et qu’il l’avait lié. « Moi je suis né Romain », dit Paul. Donc il était fils d’un père romain. Qu’arriva-t-il ensuite ? Le tribun le délia, et le conduisit vers les Juifs. Il ne mentait pas en disant qu’il était Romain ; il y gagna d’être délivré de ses liens. Écoutez comment : « Le lendemain, le tribun voulant connaître d’une manière certaine de quoi les Juifs l’accusaient, le délia, et ordonna de réunir les princes des prêtres et le Sanhédrin ; et ayant amené Paul ; il le plaça au milieu d’eux (25-30). Paul regardant le conseil, leur dit ». Il ne parla plus au tribun, mais à la foule et au peuple entier. Et que dit-il ? Mes frères, jusqu’à cette heure je me suis conduit devant Dieu avec toute, la droiture d’une bonne conscience » ; ce qui veut dire : Je n’ai pas conscience d’avoir fait quoi que ce soit d’injuste envers vous, qui me rende digne d’être enchaîné ainsi : Que dit donc le grand prêtre ? Il eût dû regretter de ce que Paul, à cause d’eux, avait été enchaîné injustement. Mais, au contraire, il ajoute à l’offense, et ordonne de le frapper, ce qui se voit dans la parole suivante de l’auteur : « Le grand prêtre Ananie ordonna à ceux qui étaient présents de le frapper à la bouche ». Certes, voilà qui est bien : il est doux, le grand prêtre. « Alors Paul lui dit : Dieu te frappera, muraille blanchie. Tu es assis pour me juger suivant la loi, et tu ordonnes, malgré la loi, de me frapper. Ceux qui étaient présents lui dirent : Tu insultes le grand prêtre ; mais Paul leur dit : Je ne savais as, mes frères, qu’il fût le grand prêtre ; il est écrit, en effet : Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». (Chap. 13,1-5).
2. Quelques-uns disent qu’il parla avec connaissance de cause et par ironie ; il me semble que Paul ne savait nullement que ce fût le grand prêtre, autrement il l’eût respecté ; c’est pour cela qu’il s’excuse, lorsqu’il s’entend accuser, et qu’il ajoute : « Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ». Mais quoi, direz-vous, si ce n’était pas le prince du peuplé, fallait-il en injurier un autre ? En aucune façon ; il valait mieux supporter d’être insulté. On demande avec raison comment celui qui dit ailleurs
« Bénissez, lorsqu’on vous dit des injures ; « supportez qu’on vous persécute » (1Cor. 4,2), fait ici tout le contraire, et non seulement dit des injures, mais même profère des malédictions ? Loin de nous cette pensée, Paul n’a fait ni l’un ni l’autre ; mais, pour quelqu’un qui vent y faire attention, il est clair que ce sont là plutôt les paroles d’un homme qui parle avec liberté, que des paroles de colère ; d’ailleurs il ne voulait pas paraître méprisable aux yeux du tribun. Si celui-ci s’était abstenu de flageller Paul pour le livrer aux Juifs, il fût devenu plus hardi en le voyant frapper par des valets ; c’est pour cela que Paul attaque ainsi, non le serviteur, mais bien celui qui a commandé au serviteur. Ce mot : « Muraille blanchie, tu sièges pour me, juger suivant la loi », signifie la même chose que si Paul disait : Vous qui êtes coupable, et digne de mille châtiments. Remarquez combien le peuple fut frappé de sa hardiesse ; il fallait se repentir, mais ils préfèrent lui dire des injures. Mais Paul cite ta loi, parce qu’il veut montrer que s’il dit cet paroles, ce n’est ni par crainte, ni parce que celui qui les a entendues ne les méritait pas, mais bien parce qu’il obéit même alors à la loi. Je suis tout à fait convaincu que Paul ne savait pas qu’Ananie fût le grand prêtre, parce qu’il revenait après une longue absente, qu’il avait été rarement avec les Juifs, et que d’ailleurs il le voyait au milieu de beaucoup de monde. Le grand prêtre n’avait rien qui le désignât au milieu d’une foule de gens de toute espèce. Il me semble aussi qu’il leur adresse à tous ces paroles, pour leur montrer qu’il obéit à la loi ; et voilà pourquoi il s’excuse.
Reprenons : « Pendant que je priais dans le temple, dit Paul, il m’arriva d’avoir une extase ». Pour montrer que ce ne fut pas une simple imagination, il dit auparavant : « Pendant que je priais. Hâte-toi, et sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage ». Il montre ici qu’il ne s’est pas enfui par crainte de dangers de leur part, mais bien parce qu’ils n’admettraient pas son témoignage. Pourquoi dit-il donc : « Eux-mêmes savent que j’enchaînais ? » Ce n’est pas pour contredire le Christ, loin de là, mais pour apprendre l’œuvre admirable à laquelle il est destiné. « Va », dit le Christ, « parce que je t’enverrai chez les nations lointaines ». Voyez : le Christ ne l’instruisit pas de ce qu’il devait faire, mais il lui dit seulement de partir, et il obéit, tant il était docile : « Et ils élevèrent la voix, en disant : Ôtez-le, car il ne lui est pas permis de vivre ». O impudence ! certainement – il ne convient pas que vous viviez, vous, mais il n’en est pas de même de cet homme qui obéit en tout à Dieu. O scélérats et homicides ! « Et jetant leurs vêtements ; ils lançaient de la poussière. ». Ils agissent ainsi pour exciter une sédition plus sérieuse et épouvanter le chef. Mais remarquez qu’ils ne disent aucune raison, puisqu’ils n’en avaient aucune ; mais ils pensent épouvanter parleurs cris ; cependant il convenait que les accusateurs instruisissent le juge. « Et le tribun fut effrayé », dit l’auteur, « lorsqu’il eut appris que Paul était romain ». Ce n’était donc pas un mensonge que faisait Paul en disant qu’il était romain. « Et il le délivra de ses chaînes ; et l’ayant emmené, il le plaça devant le conseil ». C’est ce qu’il fallait faire au commencement, et non pas le lier et vouloir le fustiger ; il convenait de laisser libre l’homme qui n’avait rien fait pour mériter d’être enchaîné. « Et il le délivra, et l’emmenant, il le plaça au milieu d’eux ». Les Juifs étaient par là fort embarrassés. « Paul ; portant ses regards sur le conseil, leur dit : Mes frères ». Il leur fait voir par là sa hardiesse et son intrépidité. Mais voyez leur violence, car l’auteur ajoute : « Le grand prêtre Ananie ordonna de le frapper à la bouche ». Pourquoi le frappez-vous ? Qu’a-t-il dit d’insolent ? O impudence ! ô audace ! « Alors Paul lui dit : Dieu doit te frapper, muraille blanchie ». Oh ! quelle liberté de parole ! Il le traîne dans la boue à cause de son hypocrisie et de son injustice. Ananie, hésitant, n’ose même pas répondre ; mais ce sont ceux qui l’entourent qui ne peuvent supporter la hardiesse de Paul. Ainsi ils voyaient un homme qui n’avait pas peur de la mort, et ils ne purent le supporter. « Je ne savais pas », dit Paul, « que ce fût le grand prêtre ». Donc, s’il dit cette sévère parole, ce fut par ignorance ; s’il n’en eût pas été ainsi, le tribun l’ayant pris serait parti, ne se serait pas tu, et il l’aurait livré aux Juifs.
3. Paul fait voir ici qu’il souffre volontiers ce qu’il souffre, Et il se disculpe ainsi devant les Juifs ; en montrant qu’il le fait par respect pour la loi. Il les condamnait d’ailleurs tout à fait. Il se disculpe donc à cause de la loi et non à cause du peuple.-Et il avait raison ; car il était injuste de mettre à mort un homme innocent et qui ne leur faisait aucun mal. Ce que Paul a dit n’est donc point une injure, à moins que l’on ne dise aussi que le Christ proférait dès injures lorsqu’il disait : « Malheur à vous, scribes et pharisiens, parce que vous êtes semblables à des murailles blanchies ». (Mat. 23,27) Certainement, direz-vous, s’il eût parlé ainsi avant d’être frappé, ce n’eût pas été de la colère, mais de la franchise. J’ai dit la raison qui le fit parler : il ne voulait pas être traité avec mépris. Le Christ, injurié par les Juifs, leur a souvent dit des paroles qui ressemblaient à des injures. Lorsqu’il leur dit : « Ne croyez pas que je vous accuse » (Jn. 5,45), ce n’est pas là une injure, loin de là. Voyez avec quelle douceur Paul leur parle : « Je ne savais pas », dit-il, « qu’il fût le grand prêtre de Dieu ». Il dit cela, et ajouta ; pour montrer qu’il ne parlait pas par ironie : « Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple ». Ne voyez-vous pas qu’il le reconnaît comme le prince du peuple. Apprenons, noua aussi, la mansuétude, pour devenir parfaits en toute chose. On a besoin de beaucoup d’attention pour connaître ce qu’est ceci, ce qu’est cela. Il faut beaucoup d’attention parce que les vices sont voisins des vertus. L’audace n’est pas éloignée de la liberté de parole, la mollesse de la mansuétude. Il faut donc voir de près si, à la place d’une vertu qu’on croit avoir, on ne donne pas dans le vice voisin ; c’est comme si, croyant épouser la maîtresse, on épousait la servante. Qu’est-ce donc que la mansuétude ? qu’est-ce donc aussi que la mollesse ? Lorsque nous voyons les autres lésés, et que nous nous taisons, c’est de la mollesse ; lorsque nous-mêmes nous supportons l’injustice, c’est de la mansuétude. Qu’est-ce que la liberté de parole ? Elle consiste à défendre les autres. Qu’est-ce que l’audace ? C’est de vouloir nous venger nous-mêmes. De même que se lient ensemble la grandeur d’âme et la liberté de parole ; de même s’unissent l’audace et la mollesse. En effet, celui qui ne s’attriste pas pour soi-même, difficilement s’attristera pour les autres ; de même aussi celui qui ne se défend pas soi-même, difficilement ne défendra pas les autres. Lorsque nos mœurs sont pures de toute passion, elles admettent la vertu. De même qu’un corps libre de la fièvre prend de la force ; de même l’âme, libre des passions, prend de la force, aussi. La mansuétude ne saurait exister que dans une âme noble, virile et élevée. Croyez-vous que ce soit peu de chose de souffrir ; et de ne pas s’exaspérer ? Et on ne se trompe pas en disant que le soin des intérêts du prochain est la marque du courage ; en effet, celui qui a assez de force pour triompher d’une si grande passion, saura certainement en vaincre une autre. Par exemple, la crainte et la colère sont deux passions : si vous domptez la colère, certainement vous surmonterez la crainte. Si vous êtes doux, vous dompterez la colère ; si vous triomphez de la crainte, vous serez courageux. D’un autre côté, si vous ne domptez la colère, vous serez audacieux ; si vous ne pouvez triompher de ce vice, vous ne surmonterez pas non plus la crainte ; ainsi donc vous serez craintif. On voit alors se produire les mêmes, effets que dans un corps faible et mal organisé qui rie peut supporter la moindre fatigue : il est bien vite saisi et détérioré par le froid et le chaud. Ce qui est mal constitué périt ; ce qui est bien constitué se soutient toujours. De même la grandeur d’âme est une vertu, la prodigalité lui est voisine ; l’économie est une vertu qui a pour voisines l’avarice et la sordide épargne. Permettez-moi de faire d’autres rapprochements des diverses vertus.
Le prodigue n’est pas magnanime. En effet, comment celui qui est le jouet de mille passions pourrait-il avoir l’âme grande ? La prodigalité n’est pas le mépris des richesses, mais la sujétion à d’autres passions. Comme celui qui est forcé d’obéir à des voleurs n’est pas libre, ainsi la profusion ne naît pas du mépris des richesses, mais de l’ignorance où l’on est de l’art de bien régler sa dépense. En effet, si le prodigue pouvait garder sa fortune et en jouir, certainement il le voudrait faire. Celui qui emploie ses biens convenablement, celui-là est magnanime ; cette âme est vraiment grande, en effet,qui n’est point asservie à la passion, et compte pour rien les richesses. – De même l’économie est bonne ; et le meilleur économe est celui qui dépense utilement sa, fortune et ne la répand pas au hasard. La parcimonie n’est pas cela. L’économe dépense toujours convenablement ; l’avare, au contraire, même en cas d’urgente nécessité, ne donne pas son argent. L’économe serait donc frère de l’homme magnanime. Nous placerons donc ensemble le magnanime et l’économe, ainsi que le prodigue avec l’avare : tous les deux, en effet, souffrent de la pusillanimité, comme les deux premiers participent à la grandeur d’âme. N’appelons donc pas magnanime celui qui dépense au hasard, mais bien celui qui dépense à propos ; ni économe l’homme avare et sordide ; mais bien celui qui épargne à-propos son argent. Combien le riche vêtu de pourpre et d’or ne dépensait-il pas d’argent ? Cependant il n’était pas magnanime, car son âme était retenue captive parla dureté du cœur et mille voluptés. Comment une telle âme serait-elle grande ? Abraham était magnanime, lui qui dépensait pour donner l’hospitalité aux étrangers, tuait le veau ; et qui, quand il était besoin, n’épargnait ni son argent, ni sa vie elle-même. Lors donc que nous voyons quelqu’un dresser une table abondante, avoir des courtisanes et des parasites, né l’appelons pas un homme magnanime, mais plutôt disons que c’est un petit esprit. Voyez, en effet, de combien de passions il est le serviteur et l’esclave : la gourmandise, l’absurde volupté, l’adulation ; retenu qu’il est par de telles passions, réduit qu’il est par elles à l’impossibilité de fuir, comment l’appellerait-on une grande âme ? Aussi l’appellerons-nous plutôt un homme pusillanime ; en effet, plus il dépense sa fortune, plus la tyrannie qu’exercent sur lui les, passions est manifeste ; car si elles ne lui commandaient pas si impérieusement, il ne ferait pas tant de dépenses.
Enfin, si nous considérons un homme qui ne dépense rien ; pour aucune de ces choses, mais qui nourrisse les pauvres, secoure ceux qui sont dans le, besoin, et dresse pour soi-même urge table frugale, nous l’appellerons un homme tout à fait magnanime. Il est, en effet, d’une grande âme, tout en négligeant son propre repos, de s’occuper de celui des autres. Dites-moi, en effet, si vous voyiez quelqu’un gui, au mépris de tous lés tyrans, et ne tenant aucun compte de leurs ordres ; arrachât de leurs mains ceux qu’ils oppriment et qu’ils font souffrir, ne penseriez-vous pas que cette conduite a de la, noblesse et de la grandeur ? Pensez donc de même en ce cas présent. Les passions sont un tyran ; si nous les méprisons, nous serons grands ; si nous en retirons les autres ; nous serons beaucoup plus grands encore, et cela à bon droit. En effet, ceux qui suffisent, non seulement à eux-mêmes, mais encore aux autres, sont plus grands que ceux qui ne font ni l’un ni l’autre. Si au contraire quelqu’un, sur l’ordre d’un tyran, frappe l’un des inférieurs, en déchire un autre, en accable un autre d’affronts, dirons-nous que ce soit là de la grandeur d’âme ? Non certes, nous le dirons d’autant moins qu’il sera plus haut placé. Ainsi en est-il de nous. Voici que nous avons en nous une âme noble et libre, le prodigue a ordonné de frapper cette âme par les mauvaises passions ; dirons-nous que celui qui la frappe ainsi soit un grand cœur ? Nullement. Apprenons donc ce que c’est que la magnanimité et la prodigalité, l’économie et la sordide avarice, la mansuétude et la mollesse, la liberté de parole et l’audace ; afin que, les discernant entre elles, nous puissions passer la vie présente d’une manière agréable au Seigneur ; et acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLIX. modifier


OR, PAUL SACHANT QU’UNE PARTIE DE CEUX QUI ÉTAIENT LA ÉTAIENT SADDUCÉENS, ET L’AUTRE PHARISIENS, IL S’ÉCRIA DANS L’ASSEMBLÉE : « MES FRÈRES, JE SUIS PHARISIEN ET FILS DE PHARISIEN ; ET C’EST À CAUSE DE L’ESPÉRANCE D’UNE AUTRE VIE ET DE LA RÉSURRECTION QUE L’ON VEUT ME CONDAMNER ». PAUL AYANT PARLÉ DE LA SORTE, IL S’ÉLEVA UNE CONTESTATION ENTRE LES PHARISIENS ET LES SADDUCÉENS, ET L’ASSEMBLÉE FUT DIVISÉE. CAR LES SADDUCÉENS DISENT QU’IL N’Y A NI RÉSURRECTION, NI ANGE, NI ESPRIT ; AU LIEU QUE LES PHARISIENS RECONNAISSENT L’UN ET L’AUTRE. (CHAP. 23, VERS. 6-8, JUSQU’AU VERS. 30)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Saint Paul devant le conseil des Juifs. – Il divise habilement ses adversaires. – Le tribun, averti du complot que les Juifs ont formé de le tuer, l’envoie, pour le mettre en sûreté, à Césarée sous bonne escorte.
  • 3 et 4. Fermeté de saint Paul. – Comme tout ce que l’on entreprend contre les amis de Dieu tourne à leur avantage.


1. Voici encore un endroit où l’homme se montre seul. Paul en effet n’a pas continuellement l’assistance divine à son service, et il trouve parfois l’occasion de mettre du sien dans l’accomplissement de sa mission. Il le fait dans ce qui précède, il le fait encore après en continuant son apologie, et il réussit à diviser l’assemblée injustement conjurée contre lui. Il est sincère quand il se dit pharisien ; il était en effet pharisien de père en fils. Écoutez comment il use de cette circonstance pour se défendre. « Je suis pharisien et fils de pharisien, et c’est à cause de l’espérance d’une autre vie et de la résurrection des morts que l’on veut me condamner ». Puisque ses accusateurs ne veulent pas dire pourquoi Ils cherchent à le faire condamner, il faut bien que Paul le dise : « Or les pharisiens reconnaissent l’un et l’autre ». Mais il y avait trois choses, pourquoi donc l’auteur dit-il l’un et l’autre ? C’est parce que esprit et ange sont une même chose, ou bien encore, c’est parce que le mot ne se dit pas seulement de deux, mais aussi de trois : Dans ce cas l’auteur se serait exprimé abusivement, et sans s’occuper de la propriété des termes. Et voyez dès qu’il s’est déclaré du parti des pharisiens, ceux-ci aussitôt prennent sa défense. – « Il y eut donc un grand bruit. Et quelques-uns des scribes du parti des pharisiens contestaient en disant : Nous ne trouvons point de mal en cet homme. Si un esprit lui est apparu en effet, ou bien un ange (9), n’allons pas combattre Dieu », Et pourquoi n’avaient-ils – pas pris sa défense auparavant ? Parce que Paul ne s’était pas encore montré comme un des leurs, et qu’il n’était pas encore connu avant cette apologie comme un pharisien de naissance. Voyez-vous comment, à l’instant même où les passions se dissipent, la vérité se découvre ? Ce qu’ils disent revient à ceci : Quel crime y a-t-il si un ange lui a parlé, ou bien un esprit, et si, instruit par lui, il enseigne maintenant la résurrection ? Donc laissons-le, de peur qu’en le persécutant nous ne combattions contre Dieu même. La justification est parfaite, et Paul n’offre aucune prise à l’accusation. « Comme le tumulte augmentait, le tribun craignant que Paul ne fût mis en pièces par ces gens-là, commanda qu’on fit venir des soldats, afin qu’ils l’enlevassent d’entre leurs mains et le menassent dans la forteresse (10) ». Maintenant qu’il a appris que Paul est citoyen romain, le tribun appréhende que l’apôtre ne soit mis en pièces par la foule ; la situation n’était donc pas sans péril. Voyez-vous qu’il a eu raison de faire connaître sa qualité de citoyen romain ; sans cette révélation, le tribun n’eût pas conçu cette crainte. L’armée enlève donc l’apôtre. Les scélérats virent par là tous leurs efforts déjoués ; néanmoins, ils redoublèrent d’ardeur sans se laisser arrêter par l’échec qu’ils avaient subi. C’est ainsi que la méchanceté persiste toujours dans sa voie en dépit des obstacles. Combien cependant la Providence leur avait ménagé de motifs propres à faire tomber leur colère et à les faire venir à résipiscence. Ils n’en persistent pas moins dans leur voie. Paul avait donc usé pour sa défense d’un moyen efficace, puisque par là il a échappé au péril imminent d’être mis en pièces par ces furieux.
« La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit : Paul, ayez bon courage ; car comme vous avez rendu témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome. Le jour étant venu, les Juifs firent une ligue, et jurèrent, en appelant l’anathème sur eux-mêmes, de ne manger ni boire qu’ils n’eussent tué Paul. Ils étaient plus de quarante qui avaient fait cette conjuration (11-13). Ils jurèrent en appelant l’anathème sur eux-mêmes », dit le texte ; voyez quelle violence et quelle ardeur pour la vengeance et pour le mal. Que veut dire « appeler sur, soi l’anathème » ? Cela veut dire que ces Juifs jurèrent de renoncer à la foi en Dieu s’ils n’accomplissaient leur complot contre la vie de Paul. Ils ont donc été anathématisés à jamais, puisqu’ils ne tuèrent point Paul. Il y en eut quarante qui entrèrent dans cette conspiration. Voilà bien cette nation, s’il s’agit de s’entendre pour faire le bien, on ne trouvera pas deux hommes pour agir de concert ; s’il s’agit d’un crime à commettre, vous voyez aussitôt accourir un peuple entier. Et ils prennent pour complices même les chefs du peuple, comme l’affirme le texte en ajoutant : « Et ils vinrent se présenter aux princes : des prêtres et aux sénateurs, et ils leur dirent : Nous avons fait vœu, en appelant sur nous l’anathème, de ne point manger que nous n’ayons tué Paul. Vous n’avez donc qua faire savoir de la part du conseil au tribun, que vous le priez de faire amener demain Paul devant vous, comme pour connaître plus particulièrement de son affaire : et nous serons prêts pour le tuer avant qu’il arrive. « Mais le fils de la sœur de Paul ayant appris cette conspiration, vint et entra dans la forteresse, et en avertit Paul. Paul ayant appelé un des centeniers, lui dit : Je vous prie de mener ce jeune homme au tribun, car il a quelque chose à lui dire. Le centenier prit le jeune homme avec lui, et le mena au tribun ». Voici encore une fois Paul sauvé par une mesure de prudence humaine. Et voyez Paul ne dit ce secret à personne, pas même au centenier, il ne veut pas que le complot formé contre lui se divulgue. « Et le centenier vint trouver le tribun et lui dit : Paul le prisonnier m’a prié de vous amener ce jeune homme, qui a quelque chose à vous dire. « Le tribun le prenant par la main, et l’ayant tiré à part, lui demanda : Qu’avez-vous à me dire ? Ce jeune homme lui dit : Les Juifs ont résolu ensemble de vous prier que demain vous envoyiez Paul dans leur assemblée, comme s’ils„ voulaient connaître plus exactement de son affaire ; mais ne consentez pas à leur demande, car plus de quarante hommes d’entre eux doivent lui dresser des embûches, ayant fait vœu, avec de grands serments, de ne manger ni boire qu’ils n’aient tué Paul ; et ils sont déjà tout préparés, attendant seulement que vous leur ayez accordé ce qu’ils désirent. Le tribun ayant appris cela, renvoya le jeune homme, et lui défendit de découvrir à personne qu’il lui eût donné cet avis (14-22) ».
2. Le tribun fait sagement de lui recommander de ne rien dire à personne. Il donne ensuite ses ordres aux centurions. Paul est envoyé à Césarée pour s’y faire entendre sur un plus grand théâtre et devant un plus illustre auditoire. Les Juifs ne pourront pas dire qu’ils – auraient embrassé la foi s’ils avaient vu Paul, s’ils avaient entendu enseigner. Cette excuse leur est ainsi enlevée. La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit : « Paul, ayez bon courage ; car comme vous avez rendu témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome ». Remarquez : le Seigneur lui apparaît, puis il le laisse se sauver par des voies humaines. Admirez l’apôtre, il ne se trouble pas, il ne dit pas : Qu’est-ce que ceci veut dire ? Suis-je trompé par le Seigneur ? Pareille pensée ne lui vient même pas, nul soupçon de ce genre n’effleure son esprit, il croit simplement. Bien qu’il croie cependant, il ne s’endort pas, il ne néglige pas de prendre les mesures que lui suggère la sagesse humaine. Remarquez aussi comment les Juifs se sont imposés une sorte de nécessité, par l’anathème qu’ils ont appelé sur leurs têtes. Voilà le jeûne converti en un instrument de meurtre. Hérode s’était déjà assujetti à la nécessité du serment. Tel est l’artifice du démon, il cache ses pièges sous les apparences de la piété. Il eût fallu citer, accuser, composer un tribunal. Une conduite pareille n’était pas celle de prêtres, mais de chefs de brigands ; ni de magistrats, mais de fléaux publics. Et voyez l’excès de la méchanceté. Il ne leur suffit pas de se corrompre entre eux, ils entreprennent encore de corrompre le gouverneur. C’est pourquoi la Providence permet qu’il soit instruit de leurs menées. Ainsi ces hommes montrent, tant par l’impossibilité où ils sont de rien dire, que par leurs menées secrètes, qu’ils ne sont rien. Il est vraisemblable qu’après le départ de Paul, les princes des prêtres se présentèrent chez le gouverneur pour le demander, et qu’ils se retirèrent couverts de confusion à cause de l’insuccès de leur démarche. Le tribun agit sagement. Il ne voulait point livrer Paul par une complaisance coupable. Comment, demandera-t-on, ajouta-t-il foi à ravis##Rem du jeune homme ? Par ce qui s’était passé, il conjectura la vraisemblance de ce complot. Voyez que de méchanceté : ils imposent une sorte de nécessité aux prêtres eux-mêmes. Si les prêtres prirent sur eux une charge si importante, s’ils coururent ainsi tout le risque de l’affaire, faut-il s’étonner que les autres aient fait ce qu’ils ont fait. Paul est déclaré innocent par la sentence des païens, comme le Christ l’avait été par la voix de Pilate. Remarquez comme l’iniquité se combat elle-même. Ils : l’avaient livré pour le faire condamner et mettre à mort ; et c’est le contraire qui arrive, il est trouvé innocent et sauvé. Sans cela il eût été mis en pièces ; sans cela il eût été condamné, il eût péri non seulement le tribun le dérobe à la rage de ses ennemis, mais il devient l’instrument de son salut en le faisant protéger par une si forte escorte. Écoutez comment.
« Et ayant appelé deux centeniers, il leur dit. Tenez prêts dès la troisième heure de la nuit, deux cents soldats, soixante-dix cavaliers et deux cents lances, pour aller jusqu’à Césarée. Il leur ordonna aussi d’avoir des chevaux pour monter Paul, et le mener sûrement au gouverneur Félix. Il écrivit en même temps une lettre en ces termes : Claude Lysias, au très-excellent gouverneur Félix, salut. Les Juifs s’étant saisis de cet homme, et étant sur le point de le tuer, je suis intervenu avec des soldats et l’ai tiré de leurs mains, ayant su qu’il était citoyen romain. Et voulant savoir de quel crime ils l’accusaient, je le menai en leur conseil. J’ai trouvé qu’il n’était accusé que de certaines choses qui regardent leur loi, sans qu’il y eût en lui aucun crime – qui fût digne de mort ou de prison. Et sur l’avis qu’on m’a donné d’une entreprise que les Juifs avaient formée pour le tuer, je vous l’ai envoyé, ayant aussi commandé à ses accusateurs d’aller proposer devant vous ce qu’ils ont à dire contre lui. Adieu. (23-30) ». Cette lettre contient une justification de Paul : « Je n’ai trouvé en lui aucun crime qui fût digne de mort », en même temps qu’une accusation contre les Juifs. – Ils étaient, dit-il, sur le point de le tuer. Puis il ajoute : « Je l’ai mené en leur conseil », et ils n’ont rien trouvé à lui reprocher. Et au lieu de s’arrêter après leur première tentative et d’en rougir, ils cherchent de nouveau à le tuer, en sorte que la justice de sa cause paraît avec plus d’éclat. Et pourquoi le tribun envoie-t-il aussi les accusateurs ? Afin que devant le tribunal Paul fût déclaré innocent, après un minutieux examen.
Reprenons. « Je suis pharisien », dit-il. Il dit cette parole pour se les concilier. Puis, pour ne pas s’en tenir à une flatterie pure et simple, il ajoute : « Et c’est à cause de l’espérance d’une autre vie, et de la résurrection des morts, que l’on veut me condamner ». Il attaque pour se, mieux défendre ; car les sadducéens disent qu’il n’y a ni ange, ni esprit. Il n’existe rien d’incorporel selon les sadducéens, pas même Dieu lui-même, tant ils étaient matériels. Par conséquent, ils refusaient de croire à la résurrection. « Et quelques scribes du parti des pharisiens s’étant levés, discutaient et disaient : Nous ne trouvons rien de mal en cet homme ».
3. Voyez : le tribun entend les pharisiens déclarer Paul innocent ; et il ne prononce dans le même sens et il l’enlève plus hardiment. Les discours tenus par Paul avaient été remplis de sagesse. « La nuit suivante, le Seigneur se présentant à lui, lui dit : Ayez bon courage, Paul, comme vous m’avez rendu témoignage à Jérusalem, il faut de même que vous me rendiez témoignage dans Rome ». Voyez quelle consolation ! Le Seigneur commence par louer son apôtre ; ensuite, pour que son départ imprévu pour Rome ne l’effraie pas, il le lui annonce d’avance ; comme s’il disait : non seulement tu iras là, mais tu auras encore l’occasion d’y montrer la même intrépidité apostolique. Ensuite, il n’est pas dit qu’il se sauvera du péril, mais qu’il méritera par son témoignage la grande couronne dans la grande ville. Pourquoi l’apparition n’a-t-elle pas lieu avant le péril ? parce que c’est toujours dans les tribulations que Dieu console, c’est alors que sa présence est la plus désirée, et il nous exerce dans les périls. A ce moment-là, c’est vrai, il était dans le calme, étant débarrassé de ses liens ; mais il allait bientôt courir un danger terrible : « Nous avons juré en appelant l’anathème sur nous, de ne pas manger ni boire ». Quelle fureur étrange ! ils se soumettent à l’anathème sans aucune raison. « Afin qu’il l’amène vers vous, comme devant connaître plus exactement de son affaire ». Que dites-vous ? Est-ce qu’il, n’a point parlé publiquement devant vous jusqu’à deux fois ? n’a-t-il pas dit qu’il était pharisien ? N’est-il pas superflu d’aller plus loin ? Mais ils aimaient tant les tribunaux et les lois, ils tenaient si fort à ne rien négliger ! Et ils déclarent leur dessein, et ils annoncent le forfait qu’ils méditent. « Le fils de la sœur de Paul ayant appris le complot ». C’est pan trait, de la divine providence qu’ils n’aient pas remarqué qu’on les entendait. Que fit Paul ? Il ne fut pas troublé, mais il vit dans ce qui se passait l’œuvre de Dieu, et remettant tout à Dieu il sut tirer de ce fait son salut. Voyez comment Dieu a tout dispensé pour le bien. Le jeune homme dénonce le complot, on l’en croit, et Paul est sauvé. – Mais, dira-t-on, puisqu’il avait été renvoyé absous, pourquoi faire partir des accusateurs ? – Pour que l’enquête soit plus exacte et l’innocence de l’apôtre mieux établie. Telle est la conduite de Dieu : ce qui devait nous perdre dans la pensée de nos ennemis est souvent ce qui nous sauve. Aussi Joseph fut en butte aux pièges de la femme de son maître, et ce qui paraissait un piège se changea en voie de salut. Le séjour de la prison était en effet bien préférable à là maison où vivait ce monstre. Dans cette maison il était traité avec douceur, mais sa crainte des obsessions de sa maîtresse était continuelle, crainte pire pour lui que le séjour de la prison. Après l’accusation, il fut désormais libre et tranquille, et n’eut plus à redouter les pièges impurs de cette femme. Mieux valait pour lui la société des infortunés que celle d’une maîtresse égarée par sa passion. Ici il se consolait lui-même par la pensée qu’il était captif pour la chasteté ; là il redoutait les blessures qui pouvaient être faites à son âme : rien de plus fâcheux qu’une femme amoureuse pour un jeune homme qui ne veut pas consentir à son désir, rien de plus impur, de plus repoussant. Il n’y a pas de prison qui soit aussi dure. On peut donc dire qu’au lieu d’être jeté en prison, il en fut délivré. Cette femme attira sur Joseph l’inimitié de son maître, mais elle lui assura l’amitié de Dieu, elle le fit avancer dans l’intimité du Maître véritable et absolu ; elle le dépouilla de l’intendance de sa maison, mais elle l’introduisit dans la maison du Maître par excellence.
D’un autre côté ses frères le vendirent, mais ils le délivrèrent ainsi des ennemis qu’il rencontrait dans la maison de son père, de la haine, de l’envie, des embûches quotidiennes, ils l’envoyèrent loin de ceux qui le haïssaient. Quoi de plus fâcheux que d’être forcé de vivre avec des frères envieux, d’être en butte aux soupçons, aux pièges de toute espèce ? La Providence fit servir à, la grandeur du juste Joseph ce que ses frères et la femme de Putiphar avaient tenté pour le perdre. Était-il dans les honneurs, c’est alors qu’il était en danger ; était-il dans l’abaissement, c’est alors qu’il était le plus en sûreté. Les eunuques l’oublient, et ceci tourne encore à sa gloire et ne fait que lui ménager une occasion plus brillante pour sortir de prison ; de la sorte sa délivrance sera due non à la faveur humaine,.mais tout entière à la divine Providence ; il sortira à propos pour rendre de grands services, et Pharaon, en le tirant de sa prison, sera son obligé plus que son bienfaiteur. Il convenait que sa délivrance fût non pas une grâce accordée à un esclave, mais une conséquence de la nécessité où se trouverait le roi. Il convenait aussi que la sagesse de ce juste fût manifestée avec éclat. Si l’eunuque l’oublie, c’est afin que l’Égypte ainsi que le roi apprennent à le connaître. S’il eût été délivré plus tôt, il eût peut-être désiré de revoir sa patrie. C’est pour cela que mille nécessités, l’arrêtent, d’abord la servitude, puis la prison, enfin le service du roi ; c’est par ces ménagements que Dieu arrivait à ses fins. Il était donc comme un jeune cheval de bonne race qui brûlait de s’élancer librement dans l’espace pour rejoindre les siens, et que Dieu retenait là pour des motifs glorieux. Qu’il désirât de revoir son vieux père et de le délivrer de son chagrin, cela est évident puisque aussitôt il l’appelle près de lui.
4. Voulez-vous que nous considérions d’autres embûches pour faire voir, plus clairement encore qu’elles sont utiles à ceux qui y sont exposés, non seulement parce qu’elles sont toujours suivies d’une récompense sûre, mais encore parce qu’elles, sont accompagnées d’avantages actuels et présents ? L’oncle de Joseph persécuta le père, de celui-ci, il le contraignit à quitter son pars. Hé bien ! il ne fit que l’éloigner du péril et le mettre en sûreté. Il contribua à le rendre plus sage, il lui procura la faveur d’une vision. On objectera qu’il servit sur une terre étrangère. Mais il « arrive dans sa parenté, et ii y prend une épouse, et se fait estimer de son beau-père. Il est vrai que celui-ci voulut aussi lui tendre des embûches. Or, ces embûches tournent encore à son avantage, en le ramenant dans son pays. Un bonheur sans mélange lui eût fait oublier ce retour. J’avoue qu’on lui fit perdre la récompense à laquelle il avait droit, mais par suite cette même récompense se trouva encore augmentée. Plus la persécution multipliait ses attaques, plus la prospérité de Jacob fleurissait. S’il n’eût pas épousé l’aînée des filles de Laban, il ne se serait point vu promptement père de tant d’enfants, il eût passé d’assez longues années sans enfants, et dans le chagrin comme Rachel. Celle-ci avait un motif de pleurer étant si longtemps stérile, tandis que lui trouvait de la consolation, et pouvait repousser les plaintes de sa femme. De plus, s’il n’avait été privé de sa récompense, le désir ne lui serait pas venu de revoir sa terre natale, sa sagesse n’eût pas été mise en évidence, il n’eût pas vu Rachel et Lia s’attacher à lui plus étroitement qu’auparavant. Écoutez ce qu’elles dirent : « Votre père ne nous a-t-il pas dévorées nous et notre argent ? » (Gen. 31,15) Ainsi donc, à être persécuté, il gagna d’être aimé d’avantage. Il eut desservantes au lieu d’épouses, et il fut aimé d’elles, possession à laquelle nulle autre n’est comparable : Nul trésor, en effet, ne vaut l’amour qu’on se porte mutuellement entre époux. « Et une femme vivant en parfait accord avec son mari » (Sir. 25,2) : béatitude unique proclamée par le Sage. Cette condition existant, tout le reste, richesse et prospérité, vient par surcroît ; si au contraire elle manque, tout le reste devient inutile, tout se trouve bouleversé, tout se remplit d’amertume et de confusion. Recherchons donc ce point – avant tout. Celui qui recherche l’argent, ne recherche pas autre chose. Recherchons ce qui peut être durable. Ne recherchons pas en mariage les femmes riches, de peur que la disproportion de la fortune ne donne à l’épouse des sentiments de hauteur qui pourraient devenir une cause de discorde. Voyez ce que Dieu a fait, comment il a soumis la femme à son mari. Pourquoi n’avez-vous ni reconnaissance ni bon sens ? Cessez de pervertir le don de Dieu. Ne recherchez donc pas une femme gui soit riche, mais une femme qui soit votre compagne dans la vie, pour la procréation des enfants. Dieu a donné la femme à l’homme, non pour qu’elle lui rapporte des revenus, mais pour qu’elle soit son aide.. Celle qui vient avec une riche dot vient en ennemie, en souveraine, et non simplement comme une femme. Riche, elle se croit en droit d’être arrogante. Rien de plus vil qu’un homme qui a résolu de s’enrichir par cette voie. Si la richesse est déjà par elle – même remplie de tentations, que dire de la richesse ainsi acquise ? Ne considérez pas si un tel ou un tel a quelquefois réussi de cette manière par hasard, et contre toute vraisemblance. Ces heureuses fortunes ; qui arrivent extraordinairement à quelques-uns, ne méritent guère qu’on s’y arrête. Or, si l’on examine cette question au point de vue de la raison, il est certain que ces sortes d’unions sont remplies d’amertume. De plus le déshonneur ne vous atteint pas seul, il atteint encore vos enfants que vous laisserez pauvres si vous vous en allez le premier, car votre femme ne manquera pas de prétextes pour contracter un second mariage. N’en voyons-nous pas un grand nombre se remarier sous le prétexte d’éviter le mépris, et d’avoir quelqu’un qui administre leurs biens. Ne nous laissons donc pas entraîner au milieu de tant de maux par l’appât des richesses. Mais négligeons tout le reste, et recherchons une belle âme pour rencontrer l’affection. C’est là une grande richesse, un grand trésor qui comprend tous les biens de la vie ; puissiez-vous en jouir convenablement et vivre selon les lois de Dieu, afin que vous puissiez aussi obtenir les biens futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu’au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Cette dernière homélie a été traduite par M. JEANNIN.

HOMÉLIE L. modifier


LES SOLDATS DONC, POUR EXÉCUTER L’ORDRE QU’ILS AVAIENT REÇU, PRIRENT PAUL AVEC EUX, ET L’EMMENÈRENT LA NUIT A ANTIPATRIDE. ET LE LENDEMAIN, ILS S’EN RETOURNÈRENT A LA FORTERESSE, AYANT LAISSÉ LES CAVALIERS CONTINUER LEUR ROUTE AVEC LUI. CEUX-CI, ÉTANT ARRIVÉS A CÉSARÉE, RENDIRENT LA LETTRE AU PROCURATEUR, ET REMIRENT PAUL ENTRE SES MAINS. (CHAP. 23, VERS. 31-33, JUSQU’AU VERS. 21 DU CHAP. XXIV)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Saint Paul descend de Jérusalem à Césarée escorté comme un roi. – Il comparaît devant le gouverneur qui le trouve innocent, mais néanmoins qui le retient prisonnier.
  • 3 et 4. Il faut supporter patiemment les injures et se réconcilier avec son ennemi. – L’offensé s’honore lui-même en faisant les premières démarches auprès de l’offenseur.


1. Ainsi Paul se met en route, escorté comme un roi, par un si grand nombre de gardes, et pendant la nuit, parce qu’ils redoutent l’effervescence de la colère du peuple. La multitude cesse du moins de le poursuivre, après qu’elle l’a expulsé de la ville. Or, le tribun n’eut pas protégé son départ avec tant de précautions, si lui-même ne l’eût reconnu innocent, et si, en même temps, il n’avait connu les passions sanguinaires auxquelles les Juifs étaient en proie. « Le procurateur ayant donc lu la lettre, s’enquit de quelle province était Paul, et ayant appris – qu’il était de Cilicie, il lui dit : Je vous entendrai, quand vos accusateurs seront venus, et il commanda qu’on le gardât au palais d’Hérode (34, 35) ». Lysias avait déjà pris sa défense ; mais les Juifs reviennent à la charge contre lui, ils surprennent la bonne foi du juge, et Paul est de nouveau jeté en prison ; écoutez de quelle manière, car le texte sacré ajoute : « Cinq jours après, le grand prêtre Ananie descendit à Césarée, avec quelques anciens du peuple et un certain orateur nommé Tertulle, qui se rendirent accusateurs de Paul devant le procurateur ». Voyez de quelle manière, loin de se désister, ils viennent sans être arrêtés par les mille obstacles qui s’opposaient à cette démarche, de sorte qu’en ce moment même il leur est impossible de ne pas en ressentir une sorte de confusion. « Et Paul ayant été appelé, Tertulle commençai à l’accuser en ces termes : Comme c’est par vous, très illustre Félix, que nous jouissons d’une profonde paix, et que plusieurs mesures très salutaires à ce peuple ont été arrêtées par votre sage prévoyance, nous le reconnaissons en toutes rencontres et en tous lieux, et notes vous en rendons de très humbles actions de grâces. Mais ne voulant pas vous détourner plus longtemps des affaires de votre gouvernement, je vous prie d’écouter avec votre bonté ordinaire ce que nous avons à vous dire en peu de paroles ». (Chap. 24, l, 4) Mais c’est vous-mêmes, grand prêtre et anciens du peuple, qui avez tout fait ; quel besoin aviez-vous donc d’un orateur ? Voyez comme celui-ci, dès le début, cherche à présenter Paul comme un novateur et comme un séditieux ; comme il cherche, par ses éloges, à capter l’opinion du juge. Remarquez aussi que, comme s’il avait beaucoup à dire, il court rapidement d’une chose à l’autre, et se borne à dire ceci : « Afin de ne pas vous détourner glus longtemps des affaires de votre gouvernement ». Voyez en même temps de quelle manière il fait naître dans le cœur du juge le désir de la sévérité, puisqu’il ne s’agit de rien moins pour lui que d’arrêter les menées du perturbateur de l’univers, et que c’est un grand intérêt qui excite leur zèle. « Ayant trouvé cet homme qui est une peste publique, qui pousse à la révolte tous les Juifs de l’univers, quai est le chef de la secte des Nazaréens, qui a même tenté de profaner le « temple, nous nous étions saisis de lui, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l’a arraché d’entre les mains avec une grande violence, ordonnant que ses accusateurs viendraient comparaître devant vous ; et vous pourrez vous-même l’examiner et reconnaître la vérité de toutes les choses dont nous l’accusons (54 »). – « Il excite », dit-il, « le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde ». Ils l’accusent d’être le fléau, l’ennemi publie de la nation, et le chef de la secte des Nazaréens. Rien n’était plus infamant que cette dénomination de Nazaréen », à cause du mépris qu’on affectait à l’égard de Nazareth. C’est pourquoi ils mettent en avant cette particularité, et cherchent à y trouver un nouveau sujet d’accusation contre lui. « Ayant trouvé cet homme », dit-il. Remarquez avec quelle méchanceté ils le décrient comme un criminel qui a pris la fuite, et qu’ils ont eu de la peine à atteindre, bien qu’il eût passé sept jours dans le temple. « Nous nous étions saisis de lui, et le voulions juger suivant notre loi ». Voyez comme ils outragent cette loi elle-même, à moins qu’il ne fût permis par la loi de frapper, de tuer, de dresser des embûches. Puis vient l’accusation dirigée contre Lysias. « Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l’a arraché d’entre les mains avec une grande violence », action, semble-t-il dire, qu’il ne lui appartenait pas de faire, et qu’il s’est pourtant permise. « Vous pourrez vous-même, en l’interrogeant, reconnaître la vérité des choses dont nous l’accusons. Les Juifs ajoutèrent que, tout cela était véritable ». Mais que fait Paul pendant ce temps ? Est-ce qu’il garde le silence sur tout cela ? Nullement. Il prend de nouveau la parole librement et sans crainte, il répond, et cela par ordre du procurateur ; car lé texte ajoute : « Mais le procurateur ayant fait signe à Paul de parler, il répondit en ces termes : J’entreprendrai avec d’autant plus de confiance de me justifier devant vous, que je sais que, depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province, et qu’il vous est aisé de savoir qu’il n’y a pas plus de douze jours que je suis venu adorer à Jérusalem, et ils ne m’ont point trouvé disputant avec qui que ce soit dans le temple, ni amassant le peuple, soit dans les synagogues, soit dans la ville, et ils ne sauraient prouver aucun des chefs dont ils m’accusent maintenant (9-13) ». Rendre témoignage à l’équité du juge, ce n’est pas le langage de la flatterie, langage que nous trouvons bien plutôt dans ces paroles : « C’est par vous que nous jouissons d’une profonde paix », ce qui revient à dire : Mais vous, pourquoi excitez-vous injustement des séditions ? Remarquez que les Juifs poussaient le juge à, l’injustice ; Paul ne cherche que la justice, et c’est pour cela qu’il dit : « J’entreprendrai avec d’autant plus de confiance de me justifier ». Il se prévaut ensuite du temps : « Je sais que depuis plusieurs années vous rendez la justice dans cette province ». Cela importait-il beaucoup à sa démonstration ? Sans doute : car par là il fait voir que le gouverneur lui-même sait que Paul n’a rien fait de ce dont il est accusé. Si, en effet, il eût excité quelque trouble, Félix, en sa qualité de juge, l’aurait su, et un fait aussi grave ne se serait pas dérobé à sa connaissance. Puis, comme l’accusateur n’a rien pu prouver sur les prétendues menées de Paul dans la ville de Jérusalem, voyez ce qu’il ajoute : « Il excite le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde », accumulant ainsi mensonge sur mensonge. Voilà pourquoi Paul le chassant de cette position, dit : « Je suis venu pour adorer », à peu près comme s’il disait pour se justifier : tant je suis éloigné de chercher à exciter des troubles. Et il insiste sur ce solide argument, en ajoutant : « Ils ne m’ont point trouvé disputant avec qui que ce soit, ni dans le temple, ni dans la ville, ni dans la synagogue », ce qui était vrai. Et Tertulle lui donne la qualification de chef. », comme dans un combat ou une émeute ; mais Paul se borne à répondre avec douceur : « Il est vrai, et je le reconnais devant vous, que selon cette religion qu’ils appellent secte, je sers le Dieu de nos pères, croyant toutes les choses qui sont écrites dans la loi et dans les prophètes ; espérant en Dieu, comme ils l’espèrent eux-mêmes, que tous les hommes justes injustes ressusciteront un jour (14, 15) ».
2. Considérez ceci : les Juifs s’attachent à le séparer, à l’isoler, d’eux : mais lui se confond avec eux en s’unissant à la, loi par les raisons mêmes qu’il fait valoir pour sa justification. Et pour donner plus de force à ce qu’il a dit, il ajoute : « C’est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes. Mais étant venu, après plusieurs années, pour faire des aumônes à ma nation et des sacrifices à Dieu ; lorsque je vaquais encore à ces exercices, ils m’ont trouvé purifié dans le temple, sans rassemblement du peuple et sans tumulte.(16, 18) ». Pourquoi êtes-vous monté à Jérusalem ? Pourquoi êtes-vous venu ? Pour adorer », répondit-il, « pour à faire des aumônes ». Ce n’était pas le fait d’un séditieux. Ensuite, il fait tomber les masques, en disant, sans rien particulariser : « C’est dans ces exercices que m’ont trouvé quelques Juifs d’Asie, qui auraient dû comparaître devant vous, et se rendre accusateurs, s’ils avaient quelque chose « contre moi ; mais que ceux-ci déclarent « s’ils ont trouvé en moi quelque iniquité, lorsque j’ai comparu dans leur assemblée, à moins que l’on ne m’accuse de cette parole que j’ai dite hautement en leur présence :.C’est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd’hui traduit en justice par vous (19-21) ». Le propre d’une justification complète, c’est de ne pas reculer devant ses accusateurs, et d’être prêt à rendre compte à tous de sa conduite. « C’est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd’hui », dit-il, « traduit en justice par vous ». Et il ne dit rien de tout ce qu’il pouvait dire à bon droit, à savoir : qu’ils l’ont épié, qu’ils l’ont détenu, qu’ils lui ont dressé des embûches : (car tout cela, ceux-ci racontent qu’ils l’ont fait, mais lui, quelque danger qu’il coure en ce moment, il n’en dit rien) il garde le silence à ce sujet ; et bien qu’il eût mille choses à dire, il borné ##Rem sa justification à ce seul point, dans la ville de Césarée, où son arrivée, au milieu d’une telle escorte, a eu un certain éclat. « Pendant que je vaquais à a ces exercices, ils m’ont trouvé purifié dans le temple ». Comment donc l’a-t-il profané ? La même personne n’a pu se purifier et adorer en même temps qu’elle profanait les saints lieux. Le soin qu’il a – de s’interdire les longueurs ajoute à la force de sa défense. Et cela même fait plaisir au juge ; et c’est aussi dans ce dessein que Paul me paraît resserrer le champ de sa justification. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut.
Comme Tertulle avait précédemment fait de longues harangues, il ne dit pas simplement : écoutez l’exposé de l’affaire, mais pour ne pas vous détourner plus longtemps des soins, de votre gouvernement, je vous prie de nous écouter avec votre bonté ordinaire », montrant par là qu’il a l’intention d’abréger. Peut-être arrange-t-il ainsi son discours pour gagner la faveur de Félix, ou plutôt, n’y a-t-il pas quelque chose de bienveillant à ne dire que quelques mots pour ne pas être importun, alors qu’on aurait beaucoup à dire ? « Nous avons trouvé cet homme qui est une pesté, publique… Il a même tenté de profaner le temple ». – Il ne l’a donc pas profané effectivement. – Mais peut-être a-t-il commis ailleurs cette profanation. – Nullement ; car, dans ce cas, Tertulle en eût parlé. Or, il se contente de dire ici : « il a tenté », mais le « comment » il ne l’ajoute, pas. En même temps qu’il s’attache ainsi à mettre en relief et à exagérer tout ce qui est contre Paul, voyez comme il atténue les torts des Juifs dans toute cette affaire. « Nous nous étions saisis de lui », dit-il, « et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l’a arraché d’entre les mains avec une grande violence ». Il fait voir ici que c’est par suite d’une sorte de violence qu’ils comparaissent ainsi devant un tribunal étranger, et qu’ils n’importuneraient pas en ce moment le procurateur, si Lysias ne les y avait forcés, et qu’il n’avait pas le droit de leur enlever cet homme. C’est contre – nous que cet homme a commis ses méfaits ; c’est donc chez nous qu’il devrait être mis en jugement. – Pour reconnaître que c’est bien là ce qu’il veut dire, vous n’avez qu’à voir la suite : « Avec une grande violence », dit-il, c’est là en effet de la violence. « Vous pourrez savoir de lui ». Il n’ose pas lui-même se porter accusateur, car c’était un homme indulgent pour ses semblables, et il ne veut pas non plus passer outre sans raison. Puis, pour qu’on ne croie pas qu’il vient, il fait de Paul son propre accusateur. « Vous pouvez », dit-il ; « l’examiner et reconnaître la vérité de toutes ces choses ». Viennent ensuite les témoins qui doivent confirmer ses allégations : « Les Juifs ajoutèrent que tout cela était véritable ». Les accusateurs sont ici à la fois témoins et accusateurs. Paul répond : « Sachant que depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province ». Puisque depuis plusieurs années il connaît le juge, il n’est donc ni un étranger, ni un barbare, ni un novateur. Et c’est avec raison qu’il ajoute ce mot : « avec justice », par lequel il exclut toute idée de partialité, soit à L’égard du grand prêtre, soit à l’égard du peuple, soit à l’égard de son accusateur. Remarquez qu’il s’abstient de toute invective, bien qu’il y soit poussé pair sa situation même. « Croyant », dit-il « toutes les choses qui sont écrites dans la loi ». Il dit cela pour montrer que ce dont ils l’accusent ne saurait être le fait d’un homme qui croit à la résurrection, résurrection qu’ils attendent eux-mêmes. Il n’a pas dit, en parlant d’eux, qu’ils croient à ce qui est écrit dans les prophètes, (car ils n’y croyaient pas). Comment croyait-il, lui, à tous ces prophètes, et non les Juifs ? C’est ce qu’il serait trop long d’expliquer en ce moment.
On pourrait s’étonner qu’énonçant tant de choses, nulle part il ne fasse mention du Christ. Je réponds que, dans ce terme croyant », il a compris tout ce qui avait trait au Christ, mais il s’en tient pour le moment au sujet de la résurrection, parce que cette croyance était commune aux chrétiens et aux Juifs, et qu’ainsi il écarte – tout soupçon de sédition. Vient ensuite la raison de son voyage à Jérusalem. « Je suis venu faire des aumônes à ma nation et à Dieu des offrandes », et cela depuis plusieurs années ». Comment donc aurait-il mis le trouble parmi des gens auxquels il est venu faire l’aumône, après avoir entrepris à cet effet un si grand voyage ? « Sans attroupement », dit-il, « sans tumulte ». Il s’attache partout à ôter à sa conduite tout caractère séditieux. C’est bien à propos qu’il fait appel, pour être ses accusateurs, aux Juifs d’Asie, disant : « Ils devraient paraître devant vous et m’accuser, s’ils avaient quelque grief contre moi ». Il est si assuré de son innocence quant aux choses dont on l’accuse, qu’il croit pouvoir leur porter ce défi. Et il accepte pour accusateurs ; non seulement les Juifs d’Asie, mais encore ceux de Jérusalem, et il presse ces derniers de se présenter aussi, en ajoutant : « Ou bien que ceux-ci même déclarent ». Car ce qu’ils supportaient avec peine dès le commencement, c’est que Paul annonçât la résurrection. Et il avait raison d’en agir ainsi : car ce point établi, il lui, était facile d’amener ce qui concerne la résurrection du Christ. « Quelle iniquité », dit-il, « ont-ils trouvée en moi, « lorsque j’ai comparu dans leur assemblée ? » Il dit : « Dans leur assemblée », pour montrer qu’ils n’ont rien trouvé contre lui, non pas à la suite d’une enquête faite à son sujet en particulier, mais en présence d’une multitude de gens examinant cette affaire avec le plus grand soin.
3. Que ce que je dis soit vrai, c’est ce que prouvent ceux-là même qui l’accusent sur ce point. C’est pour cela qu’il a dit : « C’est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes ». En effet, la vertu parfaite consiste à ne pas donner prise aux reproches des hommes, et à s’efforcer d’être également irréprochable devant Dieu. « J’ai crié », dit-il, « dans l’assemblée », montrant par cette expression : « J’ai crié », leur violence à son égard, comme s’il disait : Ils ne sauraient alléguer que j’ai fait cela sous prétexte de faire l’aumône ; car il n’y a eu autour de moi, à ce propos, ni attroupement, ni tumulte ; et d’ailleurs, après enquête faite à ce sujet, on n’a pas trouvé autre chose dans ma conduite. – Avez-vous remarqué sa mansuétude au sein des périls ? avez-vous remarqué la modération de son langage, et comme il n’a d’autre but que de détruire les accusations dirigées contre lui, sans les accuser à son tour, ne se justifiant qu’autant qu’il y est forcé ? Il agit ainsi à l’exemple du Christ qui disait : « Je ne suis pas possédé du démon, mais j’honore mon Père, et vous, vous m’avez déshonoré ». (Jn. 8,49) Et nous, imitons Paul, puisqu’il a été lui-même l’imitateur du Christ. Si Paul n’a eu aucune parole dure pour ceux qui en étaient venus à son égard jusqu’à vouloir le faire mourir, comment, nous, pourrions-nous mériter notre pardon, si nous nous laissons emporter jusqu’aux injures et aux outrages, en appelant nos ennemis des scélérats, des infâmes ? Comment pourrions-nous nous excuser même d’avoir des ennemis ? Ne comprenez-vous pas que celui qui honore les autres s’honore lui-même ? Mais nous, tout au contraire, nous nous outrageons nous-mêmes. Tu accuses, parce que tu as été outragé ! Pourquoi tombes-tu toi-même dans la même faute ? Pourquoi te blesses-tu toi-même ? Reste impassible, reste invulnérable, de peur qu’en voulant frapper autrui, tu ne te précipites toi-même dans le malheur. N’avons-nous pas assez de ces tempêtes de l’âme qui se soulèvent dans ses profondeurs sans que personne les excite, je veux dire nos désirs insensés, nos folles tristesses, nos abattements, et tant d’autres mouvements désordonnés ? faut-il encore que nous y accumulions comme à plaisir d’autres orages ?
Mais comment est-il possible, dites-vous, de supporter cet outrage ? – Comment, vous demanderai-je à mon tour, comment n’est-ce pas possible ? Est-ce que les mots peuvent nous blesser ? est-ce qu’il en reste sur notre corps des meurtrissures ? Quel est donc le mal qu’ils nous font ? Si nous le voulons, nais pouvons les supporter. Imposons-nous la loi de ne pas souffrir de leur atteinte, et nous les supporterons. Disons-nous à nous-mêmes. Ceci n’est pas l’effet de la haine qu’on nous porte, c’est plutôt l’effet d’une sorte d’infirmité. Et ce qui prouve que ce n’est ni l’effet de la haine, ni l’effet de la méchanceté, c’est que notre ennemi voulait se contenir, bien qu’on ait eu mille fois tort envers lui. Si nous nous contentons de faire cette réflexion que l’outrage provient d’une sorte d’infirmité, nous le supporterons, nous pardonnerons à celui qui nous a outragés, et nous nous efforcerons de ne pas tomber nous-mêmes dans ce défaut. Si je demande à tous ceux qui m’écoutent : Ne pourriez-vous pas, si vous le vouliez bien, avoir assez de philosophie pour supporter les outrages ? chacun répondra : Pour moi, du moins, je le crois ainsi. Eh bien donc, lui dirai-je, si quelqu’un t’a offensé malgré lui, sans le vouloir, et comme poussé par la passion, possède-toi. Ne vois-tu pas les démoniaques ? C’est bien moins une violente inimitié, qu’une sorte d’infirmité, qui met certaines personnes dans cet état. Il en est ainsi de nous ; c’est en nous-mêmes, ce n’est pas dans la nature même des injures, que se trouve la cause de notre émotion. Comment se fait-il, en effet, que nous supportons les mêmes outrages de la part d’un fou ? Et si ceux qui nous outragent sont des amis ou des supérieurs, nous supportons également leurs outrages. Mais quelle absurdité n’est-ce pas d’endurer ainsi ce qui nous vient de nos amis, des fous et des supérieurs, et de ne pas endurer ce qui nous vient de nos égaux ou de nos inférieurs ? Je l’ai déjà dit bien des fois : il s’agit, d’une chose qui ne dure qu’un instant, et que l’instant d’après voit s’évanouir ; un peu de patience, et tout est dit. Plus l’outrage est grave, plus est grande l’infirmité de celui qui outrage. Sais-tu dans quel cas il faut se chagriner ? Lorsque, à nos outrages, un autre n’appose que le silence. Car alors c’est lui qui est fort, et c’est nous qui sommes faibles ; mais si c’est le contraire qui arrive, non seulement il ne faut pas s’en chagriner, mais il faut même s’en réjouir. Tu as été couronné, tuas été proclamé vainqueur, sans que tu aies eu besoin de descendre dans l’arène. Tu n’as été incommodé ni par l’ardeur du soleil, ni par la poussière ; tu n’as pas eu à en venir aux mains, tu n’as eu qu’à vouloir : et assis ou debout, tu as reçu une belle couronne, une couronne plus belle que toutes celles qu’on décerne aux athlètes, car il est plus méritoire de triompher des traits de la colère que de frapper un ennemi qui vous attaque. Tu as vaincu, sans même avoir engagé la lutte ; tu n’as eu qu’à dompter la passion qui était en toi, égorgeant ainsi la bête irritée, ou, pour mieux dire, la muselant au moment où elle entrait en fureur, comme un pâtre prévoyant : c’était une guerre civile qui avait éclaté ; c’était en toi – même que le combat était engagé. – Car de même que ceux qui assiègent une place, cherchent à fomenter la guerre civile dans l’intérieur de cette place, et sont vainqueurs par l’emploi de ce moyen : de même celui qui nous outrage, s’il ne parvient pas à exciter en nous-mêmes l’ardeur du ressentiment, échouera dans son entreprise ; il n’a aucune force, aucun pouvoir, si nous n’attisons le feu en nous-mêmes. – Que l’étincelle de la colère demeure donc en nous, pour n’y être ranimée qu’à propos, et non contre nous-mêmes, ce qui nous exposerait à mille maux.
Ne voyez-vous pas de quelle manière, dans les maisons, le feu est tenu caché, sans être éparpillé nulle part et jeté au hasard parmi la paille et les étoffes, de peur que le moindre vent qui viendrait à souffler n’allume un incendie ? Quand la servante va quelque part une lampe à la main, et quand le cuisinier allume ses fourneaux, on leur recommande expressément de prendre des précautions ; et lorsque la nuit survient, nous avons soin de couvrir le feu de peur que, pendant notre sommeil ; et lorsque personne n’est là pour y veiller, il ne 'se rallume et qu’un incendie n’éclate. – Agissons de même à l’égard de la colère : ne la laissons pas s’éparpiller çà et là dans notre pensée, mais renfermons-la dans, les profondeurs de l’âme, de peur que le vent ne vienne à souffler, je veux parler des paroles offensantes que. nous sommes exposés à entendre : sachons contenir le souffle en nous-mêmes, pour ne l’employer qu’à propos et lorsque la chose est sans danger pour nous. S’il se déchaîne du dehors en toute liberté, il ne connaîtra pas de bornes et allumera un incendié qui dévorera tout. Que cette étincelle de la colère ne nous serve donc qu’à nous donner de la lumière. En effet, la lumière naît de la colère, quand celle-ci n’éclate qu’à propos. Portons des torches allumées pour surprendre ceux qui, à là faveur des ténèbres, cherchent à nuire à leurs semblables ; servons-nous-en pour épier les pièges du démon. Que cette étincelle ne soit pas abandonnée 'un peu partout, comme au hasard ; conservons-la sous la cendre ; que d’humbles pensées la recueillent et l’endorment dans leur sein. Nous n’en avons pas toujours besoin, mais seulement quand il nous faut vaincre quelque difficulté, aplanir quelque obstacle, quand il nous faut adoucir quelque cœur endurci, ou reprendre avec vigueur quelque esprit qui s’égare
4. Que de maux ont enfanté la colère et ses emportements ! Et ce qui est plus fâcheux, c’est qu’après que nous nous sommes séparés les uns des autres à la suite d’une altercation, nous ne nous sentons plus capables de nous réunir encore, mais nous attendons que les autres viennent à nous : chacun a honte de faire le premier pas en vue d’une réconciliation. Voyez donc, on ne rougit pas de donner comme le signal de cette mauvaise action, je veux dire, la séparation, le déchirement : mais on rougit de s’approcher pour rajuster ce qui a été ainsi mis en pièces, comme ferait celui qui n’éprouverait aucune peine à amputer son membre, mais qui rougirait d’avoir à le mettre en place, et à donner les soins nécessaires en pareil cas. Réponds-moi, ô homme ! As-tu de grands torts à te reprocher, et peut-on dire que c’est toi qui as provoqué la lutte ? Dès lors, il est juste que tu fasses les premiers pas pour te réconcilier, puisque tu as été la cause première du dissentiment. Mais c’est toi qui as été offensé ; c’est lui, dis-tu, qui est cause de tout. – Eh bien, pour cette raison même, fais les premiers pas, afin qu’on t’en admire davantage, et que tu obtiennes ainsi doublement la première – place, et pour n’avoir pas été la cause de cette rupture, et pour avoir empêché qu’elle ne se prolonge ; et peut-être déjà ton ennemi, à qui sa conscience reproche les mille méfaits dont tu te plains, en rougit-il, en a-t-il honte en secret. – Mais il s’est laissé aller aux derniers excès ! – Eh bien, pour cette raison même, n’hésite pas à accourir vers lui : car deux violentes passions le troublent : l’emportement et la colère. Tu viens d’articuler toi-même les motifs que tu as de faire les premières démarches : tu te possèdes, tu es sain d’esprit, ta vue n’est pas troublée comme la sienne, pour lui, il est plongé dans les ténèbres ; car tel est l’effet de l’emportement et de la colère. Toi qui es exempt de ces maux, toi qui te portes bien, va, comme le médecin ; voir le malade – Quel est le médecin qui osera dire : Puisque cet homme est malade, je ne veux pas aller à lui ? Tout au contraire, les médecins sortent précisément pour aller visiter ceux qu’ils savent hors d’état de venir les trouver. Quant à ceux qui sont en état de sortir, ils ne s’en inquiètent guère, parce qu’ils savent qu’ils ne sont que légèrement indisposés : ils réservent toute leur sollicitude pour ceux qui sont obligés de garder le lit. Est-ce que tu ne considères pas la colère, l’emportement, comme la pire des maladies ? L’emportement ne peut-il pas être assimilé à une fièvre violente, et la colère à une vive inflammation qui fait enfler nos membres ? Juge donc combien il est pénible d’être pris par la fièvre, ou d’avoir, une inflammation va, marche, éteins ce feu, car tu le peux – par la grâce de Dieu. : arrête au plais tôt cette inflammation, comme on arrête, au moyen de l’eau, les progrès d’un incendie.
Mais quoi, diras-tu, mes avances ne feront que l’exalter davantage ! – Cela ne te regarde pas : tu as fait ce que tu pouvais faire ; quant à lui, qu’il ne s’impute qu’à lui-même d’avoir si mal répondu à tes bons, sentiments : il doit nous suffire que notre conscience ne nous reproche pas qu’une chose fâcheuse soit arrivée parce que nous avons négligé de faire ce qui était de notre devoir. « Donnez », dit l’apôtre, « donnez à manger à votre ennemi, car en faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». (Rom. 12,20) Et tout en disant cela, il n’en veut pas moins que nous allions trouver notre ennemi, que nous nous réconciliions avec lui, que nous lui fassions du bien, non, pour amasser ainsi, des charbons, mais pour que notre ennemi, sachant cela, se calme, pour qu’il craigne et redoute les bienfaits et les témoignages d’amitié de son ennemi plus encore que ses embûches. Un ennemi vindicatif ne fait pas autant de mal à son ennemi, que celui-ci n’en reçoit d’un adversaire qui cherche à lui être utile et à lui faire du bien. En effet, le vindicatif se nuit à lui-même, et peut-être un peu à celui dont il cherche à se venger : mais celui qui, tout au contraire, cherche à faire du bien à son ennemi, « a amassé ; des charbons de feu sur la tête de ce dernier. ». – Ne devons-nous pas, diras-tu, nous abstenir de lui faire du bien, afin de lui épargner ce malheur qui doit en être la suite ? – Mais voudras-tu donc ; en agissant autrement, amasser les charbons sur ta propre tête ? Car c’est ce que fait la vengeance. – Mais vous voulez donc que j’aggrave encore le mal ? – Point du tout : ce n’est pas toi qui l’aggraves ; ce n’est qu’à son humeur brutale qu’il doit s’en prendre de cette aggravation. En effet, si alors que tu lui fais du bien, que tu l’honores, que tu as à cœur de te réconcilier avec lui, lui, au contraire, conserve au fond du cœur sa haine:, c’est contre lui-même qu’il allume ce feu dévorant, ç’est sa propre tête qu’il livre à ses ravages. Quant à toi, tu n’y es pour rien. Ne cherche pas à être plus miséricordieux que Dieu lui-même ; car, en voulant l’être, tu t’exposerais à mille maux. Mais que dis-je ! Quand tu voudrais l’être, tu ne le pourrais pas, même au plus faible degré. Et comment donc cela pourrait-il être ? « Autant », dit-il, « il y a de distance entre le ciel et la terre, autant mes desseins, sont au-dessus de vos desseins ». (Is. 55,9) Et en un autre endroit : « Si vous », dit-il, « qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus vous donnera votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 7, 11) Mais tout, cela n’est qu’une excuse, qu’un vain prétexte. Gardons-nous de porter un esprit de sophisme dans l’interprétation des ordres de Dieu. Tu demandes comment tu tombes ici dans le sophisme : le voici. L’apôtre a dit : « En faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». Mais toi, tu dis : Je crains mon ennemi, parce qu’il m’a fait beaucoup de tort, et cette crainte m’arrête quand il s’agit de lui faire du bien. N’est-ce pas là ce que tu dis ? Mais comment donc se fait-il que tu aies un ennemi ? Tu crains celui qui t’a fait du, tort, et tu ne te crains pas toi-même ! Plût à Dieu que tu eusses un peu plus de souci de ce qui te regarde ! N’agis pas, si tu veux, de cette façon envers ton ennemi dans cette intention, mais dans telle ou telle autre… Mais tu n’agis pas du tout. Eh bien, pour te déterminer, je ne veux plus te donner cette raison : « Que tu amasseras sur la tête de ton ennemi des charbons ardents », mais une autre raison plus haute. Tu peux agir, si tu veux, par ce nouveau motif, mais agis enfin. Paul a dit ce qui précède, pour t’exciter, par la crainte du châtiment, à bannir de ton cœur toute haine, Sachant tout ce qu’il n’y a de purement animal dans nos penchants, et que, par suite, si l’on ne nous montrait la perspective de quelque châtiment, il serait impossible de nous amener à aimer notre ennemi, il nous jette, pour ainsi dire, cette grossière pâture. Mais ce n’est pas là ce que le Christ a dit aux apôtres. Que leur dit-il ? Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,__PAGESEPARATOR__45) Il est, du reste, impossible que deux, hommes restent ennemis, quand l’un des deux fait du bien à l’autre. Voilà dans quelle vue Paul nous fait cette recommandation. Mais toi, pourquoi, philosophe en paroles, ne gardes-tu aucune mesure dans tes actions ? Tu ne donnes pas à manger à ton ennemi, pour ne pas amasser sur sa tête des charbons de feu. C’est fort bien. Mais est-ce que tu as pour lui dés ménagements, de l’affection, ou est-ce dans cette intention que tu agis ainsi envers lui ? Dieu sait si c’est ce motif qui te fait parler de la sorte. Toujours est-il que vis-à-vis de nous, tu uses de sophismes et de vains prétextes. Ton ennemi est-il réellement pour toi un objet de prévoyante sollicitude ? Crains-tu réellement qu’il ne soit châtié ? Tu as donc éteint en toi, en ce cas, toute l’ardeur de tes ressentiments : car celui qui aime son semblable, à ce point qu’il négligé son propre intérêt pour l’intérêt d’autrui, n’est plus ion ennemi. Tu diras probablement : jusques à quand nous permettrons-nous ces jeux d’esprit sans excuses en des choses aussi graves ? Je vous supplie donc de couper court à tout vain prétexte, quand il s’agit d’obéir aux lois de Dieu ; afin qu’après nous être conduits, dans la vie présente, d’une manière qui lui soit agréable, nous puissions obtenir les biens qui nous ont été, promis, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LI. modifier


OR FÉLIX, QUI CONNAISSAIT TRÈS-BIEN CETTE DOCTRINE, LES AJOURNA, DISANT : « LORSQUE LE TRIBUN LYSIAS SERA VENU, JE JUGERAI VOTRE AFFAIRE ». ET IL ORDONNA A UN CENTURION DE GARDER PAUL, MAIS EN LUI DONNANT PLUS DE LIBERTÉ, ET SANS EMPÊCHER QU’AUCUN DES SIENS LE SERVIT OU LE VISITÂT. (CHAP. 24,22-23, JUSQU’AU VERS. 22, DU CHAP. XXV)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. Paul comparaît devant Félix, Festus et le roi Agrippa. – Il en appelle à César.
  • 4 et 5. Nul ne peut nuire à qui ne se nuit pas à lui-même. – Malheur pie l’homme injuste.


1. Voyez le sérieux : examen auquel cette affaire est soumise : plusieurs juges s’en occupent, et pendant longtemps, pour que l’on ne pût pas dire que le jugement avait été surpris. Comme l’orateur avait fait mention de Lysias, disant qu’il leur avait enlevé. Paul avec violente, c’est à propos que le texte sacré nous montre Félix se prévalant de cette allégation :. « Or Félix, qui connaissait très-bien cette doctrine, les ajourna », c’est-à-dire, les renvoya à dessein à un autre jour, non qu’il eût besoin d’en savoir davantage, mais pour se débarrasser des Juifs par ces lenteurs : Il ne voulait pas, à cause d’eux, mettre Paul en liberté, et, d’une autre part, il ne pouvait pas le frapper d’urne peine, car c’eût été honteux. C’est pourquoi il diffère de rendre sa sentence, disant : « Lorsque le tribun Lysias sera venu, je jugerai votre affaire. Et il ordonna au centurion de garder Paul, mais en lui donnant plus de liberté, et sans empêcher qu’aucun des siens le servît ou le visitât ». – En lui donnant plus de liberté » ; par là il l’absout de l’accusation dirigée contre lui liais pourquoi donc le retient-il après l’avoir absous ? Pour ménager les Juifs, ou encore parce qu’il espère recevoir de l’argent. Voilà pourquoi il mande de nouveau Paul devant lui ; et pour nous montrer clairement que c’est pour cela qu’il le mande, l’historien sacré ajoute : « Quelques jours après, Félix étant revenu à Césarée avec Drusille sa femme, qui était juive, fit appeler Paul, et écouta ce qu’il lui dit de la foi en Jésus-Christ. Mais comme Paul lui parlait de justice, de chasteté, et du jugement à venir, Félix en fut effrayé et lui dit : C’est assez maintenant, allez ; je vous appellerai quand il en sera temps ; et parce qu’il espérait que Paul lui donnerait de l’argent, afin qu’il le mit en liberté, il l’envoyait chercher souvent et s’entretenait avec lui (24-26) ». Voyez quel caractère de vérité s’attache à l’Écriture. Il l’envoyait chercher souvent, non qu’il fût dans l’admiration à son sujet, ni qu’il donnât des éloges à ses paroles, ni qu’il fût disposé à croire ; mais pourquoi donc ? « Parce qu’il espérait qu’il lui donnerait de l’argent ». Considérez que, en relatant cette circonstance, l’écrivain sacré nous laisse assez comprendre quelle était l’opinion du juge. Certes, s’il eût condamné Paul, il n’eût pas agi de la sorte, et n’aurait pas voulu s’entretenir avec un criminel, avec un homme condamné par la justice. Et remarquez que Paul, admis aux entretiens du gouverneur, ne lui dit rien de ce qu’il fallait dire pour le toucher et le fléchir, mais lui tient des discours qui l’effrayent, qui jettent le trouble dans ses pensées : « Il parlait de justice, de chasteté et du jugement à venir ; Félix en fut effrayé ». Telle était la force des paroles de Paul, qu’elles épouvantaient le gouverneur. Puis un successeur est donné à celui-ci ; il n’en laissa pas moins Paul en prison, ce qu’il ne devait pas, faire, au lieu d’en finir en rendant son jugement. Mais c’est encore pour ménager les Juifs qu’il agit de la sorte. Et ceux-ci y mettaient untel acharnement, qu’ils revinrent à la charge auprès du juge ; jamais ils n’avaient poursuivi ainsi aucun des apôtres ; après avoir commencé à les attaquer, ils se désistaient. La Providence avait permis que Paul s’éloignât de Jérusalem où il avait à lutter contre ces bêtes féroces et voilà qu’ils demandent qu’il y soit amené de nouveau pour y être jugé. Mais ici encore se manifesta l’action de la Providence qui ne permit pas que le gouverneur fît ce qu’on lui demandait, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un homme qui, venant à peine de prendre possession de son gouvernement, était naturellement disposé à leur accorder quelque faveur. Et quand ils furent arrivés ; ils eurent l’impudence de renouveler leurs accusations avec plus de force ; et comme ils n’avaient pu le surprendre en faute contre leur loi, ils recoururent à leur ruse accoutumée, et qu’ils avaient déjà employée contre le Christ, et qui était de le représenter comme rebelle à César.
En effet, que Paul ait eu à se justifier d’offenses contre César, c’est ce qui est évident par ces mots que l’écrivain sacré, l’entendant ainsi, ajouté immédiatement : « Deux ans s’étant passés, Félix eut pour successeur Porcins Festus ; et voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison (27). Festus, « étant donc arrivé dans la province, trois jours après, monta de Césarée à Jérusalem. Et les princes des prêtres et les premiers d’entre les Juifs vinrent vers lui pour accuser Paul, et demandèrent en, grâce qu’il le fît amener à Jérusalem, préparant des embûches sur le chemin pour l’assassiner. Mais Festus leur répondit que Paul était gardé à Césarée, et que lui-même irait bientôt. Que les principaux d’entre vous, leur dit-il, y viennent avec moi, et s’il y a quelque crime en cet homme, qu’ils l’accusent. Or, après avoir demeuré huit ou dix jours à Jérusalem, il descendit à Césarée ; et le lendemain, il s’assit sur son tribunal et commanda qu’on amenât Paul. Quand on l’eût amené, les Juifs qui étaient descendus de Jérusalem, l’entourèrent, accusèrent Paul de plusieurs grands crimes dont ils ne pouvaient apporter aucune preuve. Et Paul se défendait, disant : Je n’ai péché en rien contre la loi des Juifs, ni contre le temple, ni contre César. Festus, qui voulait plaire aux Juifs, demanda à Paul : « Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi sur ce dont on vous accuse ». (25, 1-9) Voyez de quelle manière Festus cherche à satisfaire les Juifs, le peuple tout entier, et la cité. Une seconde fois Paul l’épouvante, en n’employant à cet effet que des armes honnêtes, écoutez de quelle manière : « Mais Paul dit : Me voici devant le tribunal de César, c’est là qu’il faut que je sois jugé. Je n’ai fait, aucun tort aux Juifs, comme vous le savez vous-même fort bien. Car, si j’ai nui à quelqu’un, ou si j’ai fait quelque chose qui mérite la mort, je ne refuse pas «.de mourir ; mais s’il n’y a rien de véritable dans leurs accusations, personne ne peut me livrer entre leurs mains. J’en appelle à César (10, 11) ». Quelqu’un dira peut-être ici : Pourquoi, après avoir entendu ces paroles : « Il faut aussi que tu rendes témoignage de moi à Rome » (Act. 23,11), Paul agissait dans cette occasion comme s’il n’y croyait pas ? Loin de nous une telle pensée ! Tout au contraire, il était plein de foi en ces paroles. C’eût été tenter Dieu que de se prévaloir de cette déclaration pour se précipiter en mille périls, en disant ensuite : Voyons si Dieu pourra me, délivrer. Mais ce n’est pas ainsi que Paul se conduit : il emploie pour sa défense tous les moyens qui sont en lui, et s’en remet à Dieu de j’issue de cette affaire. Et en se justifiant de cette façon, il fait une certaine impression sur l’esprit du gouverneur ; car c’est comme s’il lui disait : Si je suis coupable, c’est à bon droit que vous me livrez à mes ennemis ; mais si je suis innocent, pourquoi me livrez-vous à eux ? « Personne », dit-il, « ne peut me livrer entre leurs mains ». Il lui inspire une certaine crainte qui l’empêche de le livrer, alors même qu’il y serait enclin, et cet appel à César est pour lui une excuse auprès d’eux. « Alors Festus, ayant délibéré avec le conseil, répondit : Vous en avez appelé à César, vous irez vers César (12) ».
2. Considérez que le gouverneur communique cette affaire à Agrippa, pour que d’autres que lui-même, à savoir : le roi, l’armée et Bérénice en soient informés. Et Paul est ainsi amené à présenter encore une fois sa défense : « Quelques jours après, le roi Agrippa et Bérénice vinrent à Césarée pour saluer Festus. Et comme ils y demeurèrent plusieurs jours, Festus parla de Paul au roi, disant : Il y a un homme que Félix-a laissé prisonnier ; et que les princes des prêtres et les anciens des Juifs vinrent accuser devant moi pendant que j’étais à Jérusalem, me demandant sa condamnation je leur répondis : Ce n’est point la coutume des Romains de condamner à mort un homme avant que l’accusé ait ses accusateurs présents, et qu’on lui ait donné la liberté de se justifier du crime dont on l’accuse. Après donc qu’ils furent arrivés ici, je m’assis, sans différer, et dès le lendemain, sur le tribunal, et j’ordonnai qu’on amenât cet homme. Ses accusateurs ayant paru, ne lui reprochaient aucun des crimes dont je le soupçonnais. « Ils l’accusaient seulement de quelques débats touchant leur superstition, et sur un certain Jésus mort, que Paul assurait être vivant. Et ne sachant comment décider cette question, je lui demandai s’il voulait aller à Jérusalem, et y être jugé sur les points dont on l’accusait : Mais Paul en ayant appelé, et voulant que sa cause fût réservée à la connaissance d’Auguste, j’ai ordonné qu’on le gardât jusqu’à ce que je l’envoie à César. Et Agrippa dit à Festus : Je voudrais moi-même entendre cet homme. – Vous l’entendrez demain, dit Festus (13-22) ».
Considérez ce nouvel exposé de l’accusation des Juifs, tel qu’il est fait, non plus par Paul, mais par le gouverneur. « Les princes des prêtres et les anciens des Juifs », dit-il, « vinrent l’accuser devant moi, me demandant sa condamnation. Je leur répondis… » Voyez ce qu’il répond à leur confusion : « Ce n’est pas la coutume des Romains de livrer un homme à ceux qui demandant sa mort », c’est-à-dire, qu’il est absolument impossible de vous le livrer, avant de lui avoir permis de rendre compte de sa conduite : Ayant donc suivi cette coutume avant de condamner Paul, il n’a trouvé aucun grief : et voilà pourquoi il est dans la perplexité touchant cette affaire, comme la suite le montre : « Ne sachant comment décider cette question ». Il ne parle ainsi que pour voiler sa propre faute. Et pendant qu’il cherche à la voiler, Agrippa désire voir Paul. Remarquez que les gouverneurs, tout en ne cessant de repousser la haine des Juifs, sont souvent forcés d’agir contrairement à la justice, et de chercher des prétextes pour ajourner leur décision ; car ce n’était pas sans savoir ce qu’il faisait, que Festus venait d’ajourner sa sentence. Mais Agrippa, non seulement ne manifeste contre Paul aucun sentiment de répulsion, mais il veut même l’entendre : et il y a lieu de s’étonner qu’il ait aussi vivement désiré voir un homme qui était à ses yeux un accusé, bien qu’il le fût injustement. Et ceci serait encore une permission de la Providence. Aussi là femme même d’Agrippa entend Paul, comme son mari, et est admise dans l’assemblée. Et non seulement ils l’entendent, mais encore c’est en grande pompe qu’ils y viennent dans ce dessein, tant était vif le désir qu’ils en avaient ! Car, à défaut, il n’eût pas cherché à l’entendre, et s’il n’eût pas eu de Paul une haute idée, il n’eût pas admis sa femme à l’entendre avec lui. Et il me semble que, de son côté, celle-ci ne le désirait pas moins vivement. Remarquez aussi de quelle manière Paul s’empresse d’exposer sa doctrine, non seulement touchant, la foi en la rémission des péchés, mais encore sur les règles de la conduite humaine.
Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « C’est assez maintenant, allez ; je vous appellerai, quand il en sera temps ». Quel aveuglement ! Pendant que Paul lui faisait entendre sa parole, il s’attendait à recevoir de lui de l’argent ! Et, chose plus étrange encore ; après s’être entretenu avec lui, il, ne le mit pas en liberté ; mais comme il était arrivé au terme de son administration, voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison, prouvant par là qu’il n’était pas seulement l’esclave de l’argent, mais encore de l’opinion. – Misérable, comment peux-tu chercher à obtenir de l’argent d’un homme qui prêche le mépris de l’argent ? Et ce qui montre qu’il n’en reçut pas, c’est qu’il laissa Paul en prison ; il l’eût mis en liberté, s’il en eût reçu. Ainsi, Paul prêchait sur la tempérance, pendant que le gouverneur s’abandonnait à ces vaines espérances de profit, sans toutefois oser lui rien demander ; car c’est le propre de la méchanceté d’être lâche et de se métrer de tout. Il se contentait donc d’espérer ; et il était tout naturel qu’il cherchât à plaire aux Juifs, ayant été si longtemps gouverneur de leur pays. « Festus », dit notre texte, « étant donc arrivé dans sa province, les princes des prêtres et les premiers d’entre les Juifs vinrent, vers lui pour accuser Paul ». Ce fut donc sans retard, et dès – son arrivée, que les prêtres vinrent ; et ils n’eussent fait aucune difficulté de se rendre à Césarée, s’il ne les avait prévenus, puisqu’ils se présentent aussitôt qu’il est arrivé. « Et étant descendu à Césarée, il y passe dix jours ». Probablement, à ce que je vois, pour être à la disposition de ceux qui veulent le corrompre. Or Paul était en prison. « Et ils lui demandaient qu’il le fît amener à Jérusalem. ». Et pourquoi le lui demandaient-ils comme une faveur, s’il était juste qu’il fût puni de mort ? Mais Festus lui-même découvrit si nettement les menées des Juifs, qu’il s’écria dans l’assemblée : « Vous tous qui êtes ici présents, vous voyez cet homme contre qui toute la nation juive m’a sollicité ». En effet, par ce mot : « M’a sollicité », il fait clairement allusion à cette faveur qu’ils lui ont demandée. Et on voit que, dès ce moment, ils voulaient le pousser à rendre sa sentence, redoutant l’effet des paroles de Paul. Que craignez-vous ? Pourquoi vous hâter ainsi ? En effet, c’est une chose notoire « que Paul est gardé à vue ». Est-ce qu’il pourrait fuir ? « Que les principaux d’ente vous », dit-il, « l’accusent ». Voilà de nouveau ses accusateurs présents à Césarée, voilà de nouveau Paul tiré de sa prison. « Et le lendemain s’étant assis sur son tribunal ».
3. Voyez comme, aussitôt arrivé, il s’est assis sur son tribunal, tant ils ont mis d’ardeur à le pousser, à le presser. Et n’ayant pas encore été en rapport avec les Juifs, n’ayant pas encore reçu des preuves de leur déférence, il ne pouvait pas répondre autrement qu’il l’a fait : mais lorsqu’il fut venu à Jérusalem ; lui aussi cherche à leur plaire ; seulement, il y met de la ruse, et écoutez comment ; car le texte sacré ajoute : « Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi touchant ces choses ? » Comme s’il disait : « Je ne vous livre pas à eux, mais je serai moi-même votre juge ». Il dit cela, et le laisse ainsi maître du parti à prendre, afin de le séduire, pour ainsi dire, par ces ménagements et par ces égards. Car, s’il eût parlé sur le ton du commandement ; il eût paru tout à fait inconvenant de vouloir, mander à Jérusalem celui qui avait été trouvé innocent à Césarée.
Et Paul se garde bien de dire : « Je ne veux pas », de peur d’irriter le juge encore davantage ; mais il s’exprime de nouveau, comme il l’a fait, en toute liberté, et dit : « Je suis devant le tribunal de César ; c’est là qu’il faut que je sois jugé ». Admirable fierté ! Voyez le raisonnement qu’il leur oppose ; c’est comme s’il disait pour sa justification : Ces hommes m’ont déjà fait sortir une fois de leur ville, et ils croient me condamner en montrant que j’ai manqué à César. Eh bien ! C’est par celui même à qui j’ai manqué ; que je : veux être jugé. Et il ajoute : « Je n’ai nui en rien aux Juifs, comme vous le savez vous-même mieux que personne ». Il touche légèrement par ces mots au désir que ressentait le juge de plaire aux Juifs ; puis, arrivant finalement à sa conclusion : « Si j’ai fait quelque chose qui mérite la mort, je ne refuse pas de mourir ». C’est comme s’il disait : Je prononce la sentence contre moi-même. Et ce n’est pas là le discours d’un homme qui se condamne lui-même à la mort, mais d’un homme qui croit fermement à ses propres paroles. En effet, pour qu’une plaidoirie puisse convaincre et loucher, il faut qu’une noble assurance l’accompagne, « Mais s’il n’y a rien de véritable dans toutes les accusations qu’ils dirigent contre, moi, personne ne peut me livrer entre leurs mains ». Qu’est-ce à dire ? Il ne le pourrait pas, quand même il le voudrait. Il ne dit pas : Je ne mérite pas la mort, ou bien, je ne mérite pas d’être absous. Il se borne à dire : Je suis prêt à être jugé par César, et se souvenant en ce moment du songe qu’il avait eu, il n’en a que plus d’assurance pour en appeler à César. Et il ne dit pas : « Vous ne pouvez pas », mais : « Personne ne peut » ; et il ajoute : « J’en appelle à César », parole qui n’a rien d’offensant pour le gouverneur. « Alors Festus, après en avoir conféré avec l’assemblée, répondit : Vous ; en avez appelé à César, vous irez devant César ».
Avez-vous remarqué avec quelle faveur il traite les Juifs ? En effet, conférer avec les accusateurs, c’est, de la part d’un juge, un acte de faveur ; c’est le propre d’un esprit déjà gagné et séduit, et qui trouble l’ordre rigoureux qui doit présider à un débat judiciaire. Voyez-le ajournant de nouveau son jugement, et, par suite de cet ajournement, voyez comme Paul trouve, dans les embûches : qu’on lui tend, une occasion nouvelle de prêcher sa doctrine. En effet, la Providence permet qu’il soit amené à Jérusalem, entouré de gardes ; et sans que, personne, dans le trajet, l’importune ou lui tende des pièges. Autre chose était d’arriver purement et simplement à Jérusalem, autre chose d’y arriver pour un pareil motif. Son arrivée même fut pour les Juifs une occasion de s’y rassembler de toutes parts. Puis un certain temps se passe pendant son séjour à Jérusalem, afin que vous appreniez que, même quand ils ont tout le temps nécessaire pour préparer leurs attaques, ses ennemis ne sauraient prévaloir contre luit quand Dieu ne le leur permet pas. « Le roi Agrippa et Bérénice descendirent à Césarée ». Cet Agrippa, qui est aussi appelé Hérode Agrippa, me paraît être un autre que celui qui mit Jacques à mort ; il est le quatrième des Hérode, immédiatement après celui-ci. – Voyez maintenant les ennemis de Paul s’accordant et se concertant entre eux, comme malgré eux. Comme il y avait foule pour assister à cette affaire, Agrippa éprouva aussi le désir d’entendre les débats ; et il ne se borne pas à venir les entendre, il y a plus : il se rend en grande pompe dans l’assemblée. Et voyez la manière dont le gouverneur se justifie : « Comme lui-même en a appelé à Auguste, j’ai résolu de lui envoyer cet homme sur le compte duquel je n’ai rien de certain à écrire à l’empereur ». Telle est la décision de Festus, et ainsi se montre au grand jour la cruauté des Juifs. Car en parlant de la sorte, le gouverneur n’est pas suspect. Mais Dieu permet qu’il parle ainsi, pour que les Juifs soient condamnés même par sa bouche ; et après que tous les auront ainsi condamnés, alors Dieu lui-même enverra son châtiment. Or, examinez bien : Lysias les a condamnés, Félix les a condamnés, Festus, et ceux-là même qui voulaient leur être agréables, les ont condamnés, Agrippa les a condamnés. Que faut-il de plus ? Les pharisiens eux-mêmes les condamnèrent. Et que Festus lui-même les ait condamnés, c’est ce que vous pouvez entendre de sa bouche. « Ils n’intentaient contre lui aucune accusation touchant les choses dont je m’étais attendu qu’ils l’accuseraient ». Ils ont bien avancé certaines choses, mais ils n’ont rien prouvé les embûches dressées par eut à Paul, et l’audace même avec laquelle ils l’accusaient, faisaient bien conjecturer qu’ils seraient en état de donner cette preuve ; mais l’examen de l’affaire a fait tomber ces conjectures. « Relativement », dit-il, « à un certain Jésus mort ». Cette expression : « Un certain », est ici bien placée dans la bouche d’un homme élevé en dignité, et qui ne s’occupe pas des détails. C’est pour la même raison qu’il ajoute : « Ne sachant donc quelle résolution je devais prendre dans cette affaire ». Effectivement, la recherche de ces sortes de choses dépassait là portée d’esprit d’un tel juge. – Mais si tu es dans l’embarras, pourquoi l’entraînes-tu à Jérusalem ? C’est pourquoi Paul, qui décline son jugement, en appelle à César, en disant Me voici devant le tribunal de César ; c’est là qu’il faut que je sois jugé » ; car on l’accusait de rébellion contre César. Entendez-vous cet appel ? Entendez-vous les Juifs formant de nouveaux complots, préparant de nouveaux troubles ?
4. Tout cela fit naître dans le cœur d’Agrippa un vif désir de l’entendre. Et Festus lui accorde cette satisfaction, et la gloire de Paul n’en éclate que davantage. Tel est, ainsi que je l’ai dit, tout l’effet des menées ourdies contre lui. Sans ces menées, aucun magistrat n’eût daigné l’entendre sur ces choses, aucun ne l’eût entendu avec ce grand calme et ce profond silence. Et, en apparence, Paul ne fait qu’enseigner et se justifier ; mais, en réalité, c’est une harangue pleine de dignité qu’il fait entendre. Ne considérons donc pas toujours comme un malheur les mauvais desseins formés contre nous. Tant que nous ne nous dresserons pas des embûches à nous-mêmes, personne ne pourra nous en dresser, ou, pour mieux dire, on nous en dressera ; mais, loin de nous faire aucun mat, on nous sera d’une grande utilité, de sorte qu’il dépend de nous d’être maltraité ou de ne pas l’être. Oui, je vous l’atteste, je vous le dis de ma plus grande voix, que je voudrais rendre plus retentissante que la trompette, et je monterais volontiers sur une hauteur pour vous crier : Aucun homme habitant cette terre ne pourra faire de mal à un chrétien ; et que dis-je, aucun homme ? Il n’y a ni mauvais génie, ni tyran, ni diable, qui puisse lui nuire, s’il ne se fait pas du, tort à lui-même ; et quoi qu’en essaye pour nous faire du mal, on l’essayera en vain. Car, comme aucun des hommes qui sont sur la terre ne saurait nuire à un ange, de même aucun homme ne saurait nuire à un homme. Il y a plus : l’homme ne pourra même pas nuire à son semblable tant qu’il restera bon. Ne pouvant donc recevoir aucun dommage, ni faire aucun dommage à autrui, où trouverait-il son égal ? Car c’est pour lui un autre avantage qui ne le cède en rien aux deux premiers, de ne pas vouloir nuire à autrui. L’homme est donc une espèce d’ange : il est semblable à Dieu. En effet, Dieu possède ces perfections, seulement il les a par nature, tandis que l’homme les tient de sa propre volonté. Il ne peut donc ni éprouver quelque dommage, ni en faire éprouver à autrui. Il ne le peut pas, non par impuissance (car l’impuissance est tout le contraire) ; je veux dire qu’il n’en est pas capable. Sa nature est telle, qu’elle ne comporte pi l’un ni l’autre ; car faire du tort à autrui, ne serait qu’une autre espèce de dommage qu’il se ferait à lui-même. Nuire à autrui, se nuire à soi-même, ces deux façons d’agir sont équivalentes, et c’est ainsi qu’il se fait que nos plus grands péchés proviennent du tort que nous nous faisons à nous-mêmes. Ainsi le chrétien ne peut pas éprouver de dommage ; par cette raison même qu’il ne peut pas en causer.
Vérifions ensemble, si vous le voulez bien, en discutant les faits et les prenant par le détail, vérifions la justesse de cette assertion, que, nuire aux autres, c’est se nuire à soi-même. Supposez qu’un homme en offense un autre, qu’il l’outrage, qu’il le vole ; à qui donc cause-t-il du dommage ? N’est-ce pas à lui-même premièrement ? Il n’est personne qui ne voie cela clairement. L’offensé en éprouve un préjudice dans ses biens, et l’offenseur dans son âme ; son âme est vouée à la perdition et au châtiment. Qu’un homme porte envie à un autre : à qui donc le premier fait-il du tort ? Dites-moi, n’est-ce pas à lui-même ? Oui, tel est le caractère de l’injustice : elle commence par causer une infinité de maux à celui qui s’en rend coupable ; elle en fait peu à sa victime ; que dis-je ? Elle ne se contente pas de ne lui faire que peu de mal, on peut même dire qu’elle lui est utile. Vous faut-il d’autres preuves ? Eh bien, j’ajouterai : Supposons d’un côté (car tout est – là), supposons, un homme qui n’a que peu de bien, ou si vous voulez, qui n’a que le nécessaire pour vivre ; et, d’un autre côté, un homme riche qui a tout en abondance, qui a beaucoup de pouvoir. Et supposons, en outre, que celui-ci s’empare du peu de bien possédé par l’autre, qu’il le dépouille, qu’il le livre aux tourments de la faim, et que lui-même vive dans les délices, en faisant servir à ses plaisirs ce qu’il a injustement ravi à l’autre ; en agissant ainsi, on peut dire que non seulement il ne lui a pas nui, mais encore qu’il lui a été utile. Quant à lui-même, et pour ce qui le, concerne, non seulement il ne s’est procuré aucune utilité, mais il s’est : même causé un grand dommage. Et comment ? Dans cette vie les remords le tourmentent, le déchirent chaque jour ; et, autour de lui, tout le monde le condamne. A la suite de ces tortures, il entrevoit celles du jugement dernier.
Nous voyons bien, me direz-vous, tout le mal que l’un de ces deux hommes se fait à lui-même, mais dites-nous quelle utilité l’autre retire de tout cela. Je vous réponds : Il y a un grand profit à souffrir et à supporter courageusement ses souffrances : les souffrances sont l’expiation de nos péchés ; elles sont la grande école de la vertu, et comme l’apprentissage de la philosophie. Voyons donc lequel des deux est réellement malheureux. S’il est vraiment philosophe, l’un supportera avec courage les épreuves auxquelles il est soumis ; l’autre sera nuit et jour dans les terreurs, dans la défiance. Est-ce celui-ci, ou celui-là, qui éprouve un véritable dommage ? – Vous nous contez là des fables, dites-vous ? Eh quoi ? lorsqu’un homme n’a pas de quoi manger, et que, par suite, il se lamente, il est dans les angoisses, qu’il est forcé de mendier sans que personne lui donne, est-ce qu’il ne perd pas à la fois et son âme et son corps ? – Je vous réponds : C’est vous, au contraire, qui nous débitez des fables, et moi, je vous montre là réalité. Dites-moi : parmi les riches, n’en est-il pas qui sont dans les angoisses ? Et s’il en est ainsi, ne faut-il pas dire que la pauvreté n’est pas la cause de cet état ? – Mais, du moins, dites-vous, l’un de ces deux hommes n’éprouve pas les tortures de la faim. – Qu’est-ce à dire ? Il n’en sera que plus puni, pour avoir agi comme il fa fait, malgré ses richesses. Car ni la richesse ne rend l’homme fort, ni la pauvreté ne le rend faible ; s’il en était ainsi, aucun de ceux qui vivent dans les richesses ne vivrait malheureux, et aucun de ceux qui vivent dans la pauvreté ne proférerait des imprécations contre lui-même. Mais je vais vous montrer plus clairement encore que c’est réellement de votre côté que sont les fables. Dites-moi : Paul était-il dans la pauvreté, ou dans les richesses ? Souffrait-il de la faim, ou non ? Nous pouvons ici l’entendre parler lui-même : « Dans la faim et dans la soif ». (2Cor. 11,27) Les prophètes souffraient-ils de la faim, ou non ? Eux aussi étaient dans les angoisses. – Vous me citez encore Paul, vous me citez encore les prophètes, dites-vous, c’est-à-dire une ou deux douzaines d’hommes. – D’où voulez-vous donc, que je tire mes preuves ? – Montrez-nous en quelques-uns, dites-vous, pris sur un grand nombre, qui supportent courageusement toutes ces épreuves. – De tels exemples se produisent rarement, et les bons sont toujours en petit nombre. Mais, si vous le voulez, examinons la chose en elle-même. Voyons lequel des deux éprouve des inquiétudes plus' poignantes ; quel est celui des deux pour lequel elles sont plus légères. N’est-il pas vrai que si l’un deux est en souci pour sa nourriture de chaque jour, l’autre, bien que débarrassé de ce souci, est préoccupé d’une infinité d’autres choses ? Le riche, il est vrai, ne craint pas d’avoir à souffrir de la faim, guais il a d’autres craintes : souvent il craint pour sa propre vie. Le pauvre n’est pas exempt d’inquiétudes pour sa subsistance ; mais, en compensation, il est exempt de beaucoup d’autres inquiétudes : il vit dans la sécurité, il a l’esprit tranquille, en repos.
5. Au surplus, si commettre une injustice, loin d’être un mal, est un bien, pourquoi en rougissons-nous, pourquoi erg éprouvons-nous de la confusion ? Pourquoi, lorsqu’on nous outrage ; montrons-nous de l’indignation et le plus vif déplaisir ? – Et s’il n’est pas beau d’être victime de l’injustice, pourquoi en tirons-nous vanité ? pourquoi nous en glorifions-nous ? pourquoi nous en faisons-nous un mérite ? Voulez-vous savoir pourquoi le second de ces états vaut mieux que le premier ? Considérez ceux qui sont dans l’un, et ceux qui sont dans l’autre. Pourquoi y a-t-il des lois ? pourquoi y a-t-il des tribunaux ? pourquoi y a-t-il des châtiments ? N’est-ce pas pour les premiers, que l’on traite de cette façon comme des malades ? – Mais, dites-vous ; il y â beaucoup de plaisir à faire le mal. – Laissons de côté les considérations tirées de la vie future : n’examinons que l’état présent des choses. Qu’y a-t-il de plus malheureux qu’un homme qui est exposé à de tels soupçons ? Qu’y a-t-il de plus fragile ? qu’y a-t-il d’e plus chancelant ? N’est-il pas constamment comme un homme qui fait naufrage ? S’il fait quelque action juste, on ne le croit pas. Ayant égard à ce qu’il est capable de faire, plutôt qu’à ce qu’il a fait, tous le condamnent ; il a autant d’accusateurs qu’il compte de concitoyens : l’amitié même lui est interdite, car personne n’est désireux de devenir l’ami d’un homme qui a ; une telle réputation ; personne n’est jaloux de partager sa – déconsidération. Tous se détournent à son aspect, comme devant une bête féroce, ne voyant en cet homme injuste qu’un fléau, un pervers, un homicide, un ennemi de la nature entière. Si l’homme qui a fait du tort à son semblable tombe entre les mains de la justice, il n’a pas besoin de trouver un accusateur pour que la justice ait son cours, sa propre réputation se levant contre lui pour le condamner, mieux qu’un accusateur, quel qu’il fût, ne pourrait le faire.
Il n’en est pas ainsi de celui qui a été victime d’une injustice : tous sont ses protecteurs ; tous compatissent à son malheur ; tous lui tendent la main : il est en sûreté. S’il est, beau de commettre, une injustice, et si on peut le faire en toute-sécurité, que quelqu’un ose avouer hautement qu’il est injuste ; mais s’il ne l’ose pas, pourquoi poursuit-il comme un bien cette entreprise injuste ? Voyons que de maux résulteraient d’une semblable façon d’agir, en ce qui nous concerne personnellement. Dites-moi, si quelqu’une des parties de notre corps, dépassant sa sphère propre, empiétait sur une autre ; si, par exemple, la rate, ayant quitté sa place, voulait se mettre à la place d’un autre organe, n’en résulterait-il pas une maladie ? – Si les humeurs qui sont en nous envahissaient tout, n’en résulterait-il pas l’hydropisie ? Et qu’arriverait-il si la bile, si le sang, quittant les vaisseaux qui leur sont spécialement affectés, se répandaient dans tout le corps ? Mais quoi ! si, dans l’âme elle-même, la passion, le désir, et tous les autres éléments dépassent leur sphère propre, ne se perdent-ils pas eux-mêmes ? Il en est ainsi de la nourriture : si nous en prenons plus que nous n’en pouvons digérer, notre corps n’est-il pas immédiatement ravagé par les maladies ? D’où viennent les attaques de goutte ? D’où viennent les paralysies et l’agitation fébrile ? n’est-ce pas de l’excès dans l’usage des aliments ? Supposez encore que l’œil veuille recevoir plus de lumière qu’il ne peut, ou voir plus que ce qui est dans son horizon : cet excès, loin de lui être utile, lui portera préjudice. Cependant la lumière est bonne en elle-même, et le mal ne vient pour l’œil que de ce qu’il a méconnu sa portée et sa capacité naturelles. Si les sons d’une voix bruyante viennent tout à coup à blesser l’oreille, l’esprit est comme frappé de stupeur, et lui-même, s’il vient à réfléchir sur les choses qui sont au-dessus de sa portée, est comme saisi et confondu : en tout, ce qui excède la mesure, est funeste. Et ce qu’on appelle avarice ( πλεονεξία) consiste précisément dans le désir d’avoir plus que ce qui a été fixé. Ainsi, à l’égard des richesses, quand nous voulons nous charger de trop d’argent, nous nourrissons en nous-mêmes, sans nous en apercevoir, une bête féroce ; bien que nous possédions beaucoup, nous manquons encore de beaucoup de choses, et nous nous, embarrassons nous-mêmes dans mille soucis, et offrons au démon mille occasions de nous perdre. C’est pourquoi, quand il s’agit des riches, le démon n’a aucune peine à se donner. Leurs richesses mêmes les disposent on ne peut mieux à succomber à ses attaques. Mais tout le contraire a lieu à l’égard de ceux qui vivent dans la pauvreté. Ainsi, certaines situations se perdent d’elles-mêmes. Je vous exhorte donc à vous interdire la convoitise des richesses, afin que nous puissions tous éviter les pièges du malin esprit, et que ; nous étant attachés à la vertu, nous puissions obtenir les biens éternels par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LII. modifier


LE LENDEMAIN DONC, AGRIPPA ET, BÉRÉNICE VINRENT AVEC GRANDE POMPE, ET ÉTANT ENTRÉS DANS LA SALLE DES AUDIENCES AVEC LES TRIBUNS ET. LES PRINCIPAUX DE LA VILLE. PAUL FUT AMENÉ PAR LE COMMANDEMENT DE FESTUS. (CHAP. 25, VERS. 23, JUSQU’AU VERS. 29 DU CHAP. XXVI).

ANALYSE. modifier

  • 1. Paul devant le tribunal de Festus, et en présence du roi Agrippa et de la reine Bérénice. – Il se justifie et enseigne la résurrection de Jésus-Christ.
  • 2 et 3. Éloge de Paul. – Qu’il ne faut pas souhaiter d’être craint des hommes et que la vertu : l’emporte sur tous les biens.


1. Voyez quel auditoire se forme autour de Paul ! « Avec les principaux de la ville », dit le texte ; car le gouverneur et le roi ne s’avancent qu’après avoir réuni autour de leurs personnes tous leurs gardes, et au cortège se sont joints les tribuns ainsi que les premiers citoyens de la ville : en effet, ce sont ceux-là que le texte sacré appelle, par excellence, « les principaux ». Paul est ensuite amené, et voyez de quelle manière Festus annonce à l’assemblée qu’il l’y a fait comparaître, ne se contentant pas, de le proclamer innocent, mais prenant, en outre, sa défense : Que dit-il en effet ? « O roi Agrippa et vous qui êtes ici présents, vous voyez cet homme contre lequel tout le peuple juif m’est venu trouver dans Jérusalem et ici, me représentant avec de grands cris qu’il n’était pas juste de le laisser vivre plus longtemps. Cependant j’ai trouvé qu’il n’avait rien fait qui fût digne de mort ; et comme lui-même en a appelé à Auguste, j’ai décidé de le lui envoyer. Mais parce que je n’ai rien de certain à écrire à l’empereur, je l’ai fait avenir devant cette assemblée, et principalement devant vous, ô roi Agrippa, afin qu’après avoir examiné cette affaire je sache ce que je dois écrire. Car il me semble déraisonnable d’envoyer un prisonnier ; sans marquer en même temps quels sont les crimes dont on l’accuse (24-27) ». Considérez de quelle manière d’une part, il accuse les Juifs, et de l’autre, proclame l’innocence de Paul. Quel luxe inutile de formalités judiciaires ! Après l’enquête la plus approfondie, le gouverneur ne trouve pas de motif pour le condamner. Or les Juifs le disaient digne de mort. Voilà pourquoi il dit : « Cependant j’ai trouvé qu’il n’avait rien fait qui fût digne de mort » ; ajoutant ceci : « Je n’ai rien de certain à écrire à l’empereur ». Ainsi un trait bien frappant de l’innocence de Paul, c’est que le juge n’a rien à en dire. « C’est pourquoi, dit-il, je l’ai fait venir devant vous ; car il me semble déraisonnable d’envoyer un prisonnier sans marquer en même temps quels sont les crimes dont ou l’accuse ». Voyez dans quels embarras inextricables les Juifs ont jeté leurs magistrats ! Mais que fait Agrippa ? Désireux d’être renseigné touchant ces choses, il dit à Paul : « On vous permet de parler, pour votre défense ». Poussé par le vif désir qu’il a de l’entendre, le roi lui permet de parler. Et Paul prend immédiatement la parole, et s’énonce avec assurance, sans flatterie, se bornant à se dire heureux de ce qu’il lui est permis de parler en présence d’un prince qui sait tout ; et, ce qui le prouve, ce sont les raisons Mêmes qu’il avance ; écoutez-les : « Alors Paul, ayant étendu la main, commença sa défense en ces termes : Je m’estime heureux, ô roi Agrippa, de pouvoir me justifier devant vous de tous les griefs que les Juifs élèvent contre moi, parce que vous êtes pleinement informé de toutes les coutumes des Juifs, et de toutes les questions, qui sont entre eux ; c’est pourquoi je vous supplie de m’écouter avec patience ». (Chap. XXVI. 1-3) Certes, si sa conscience lui eût reproché quelque chose, il n’eût pas manqué de se troubler à la pensée d’être jugé par celui qui savait tout : mais c’est le propre d’une conscience pure, non seulement de ne pas refuser comme juge celui-là même qui sait exactement ce qui s’est passé, mais encore de s’en réjouir voilà pourquoi il s’estime heureux de cette circonstance, et dit : « Je vous supplie de m’écouter avec patience ». Et c’est parce qu’il avait quelques développements à donner à son discours, et qu’il avait quelque chose à dire sur lui-même, qu’il a pris celte précaution oratoire ; puis il ajoute : « Premièrement, pour ce qui regarde la vie que j’ai menée dans Jérusalem parmi ceux de ma nation depuis ma jeunesse, elle est connue de tous les Juifs. S’ils veulent rendre témoignage à la-vérité, ils savent déjà que dès mes plus tendres années, j’ai vécu en pharisien, faisant profession de cette secte qui est la plus exacte de votre religion (4-6) ». C’est comme s’il disait : Comment pourrait-il se faire que j’aie été un séditieux, étant encore si jeune, et alors que je puis invoquer le témoignage de tous ? Et pour qu’on ajoute foi à ce qu’il avance, il rappelle la secte à laquelle il appartient : « J’ai vécu faisant profession de cette secte qui est la plus exacte de votre religion ».
Et comme quelques-uns auraient pu lui adresser cette objection : Mais quoi ! ne peut-il pas se faire que ta secte soit admirable et que tu sois un méchant ? Voyez comme il prévient cette difficulté, en invoquant le témoignage de tous les Juifs qui connaissent sa vie et tout l’ensemble de sa conduite. « C’est ce que savent tous les Juifs, dit-il, s’ils veulent rendre témoignage à la vérité, m’ayant déjà connu dès mes plus tendres années. Et voilà que maintenant on m’oblige à paraître devant des juges ; parce que j’espère en la promesse que Dieu a faite à nos pères : de laquelle nos douze tribus, qui servent Dieu sans relâche nuit et jour, espèrent obtenir l’effet. « C’est cette espérance, ô roi Agrippa ! qui est le sujet de l’accusation que les Juifs forment contre moi : est-ce que l’on regarde donc, parmi vous, comme incroyable que Dieu ressuscite les morts (6-8) ? » – Il donne deux preuves de la résurrection : l’une est tirée des prophètes ; il ne cite aucun prophète en particulier, mais se contente de dire que telle est la croyance des Juifs ; l’autre, qui est plus forte, il la tire des faits mêmes. Et quelle est-elle ? Que le Christ, après être ressuscité des morts, s’est entretenu avec lui. Et cette preuve elle-même, il l’entoure d’autres preuves, en racontant, dans tous ses détails, son ancien emportement contre les chrétiens ; et il la relève ensuite par l’éloge des Juifs : « De laquelle nos douze tribus, qui servent Dieu nuit et jour, espèrent obtenir l’effet ». C’est comme s’il disait : Alors même que ma vie ne serait pas irréprochable, ce n’est pas sur ces choses que je devrais être jugé. Ô roi Agrippa ! Vient ensuite une autre raison : « Eh quoi, est-ce que l’on regarde parmi vous comme incroyable que Dieu ressuscite les morts ? » Car si telle n’était pas leur croyance, s’ils n’avaient pas été élevés dans ces dogmes, et que maintenant on vînt les mettre en avant, il y aurait probablement des gens qui fermeraient leurs oreilles à ce discours de Paul. Il rappelle ensuite ses persécutions contre les chrétiens, et cet exposé ne peut que donner plus de force à son raisonnement ; il invoque le témoignage des princes des prêtres, et des villes étrangères, et t’appelle la voix qui s’est fait entendre à lui, et qui lui a dit : « Il vous est dur de regimber contre l’aiguillon ». Après cela, il fait voir combien est grande la miséricorde de Dieu, lui apparaissant à lui, Paul ; qui le persécutait. Et il n’a pas seulement été bon envers moi, l’a-t-il entendre ##Rem, mais encore envers les autres hommes, auprès desquels il m’a envoyé pour leur enseigner la vérité.
2. Il cite ensuite la prophétie qu’il a entendue : « C’est pour cela que je vous ai apparu, vous délivrant de ce peuple et des gentils, auxquels je vous envoie maintenant ». Et pour mieux montrer les caractères divins de sa mission, il expose les faits en ces termes : « Pour moi, j’avais cru d’abord qu’il n’y avait rien que je ne dusse faire contre le nom de Jésus de Nazareth. Et c’est ce que j’ai exécuté dans Jérusalem, où j’ai mis en prison plusieurs dès Saints, en ayant reçu le pouvoir des princes des prêtres ; et lorsqu’on les faisait mourir, j’y ai donné mon consentement. J’ai été souvent dans toutes les synagogues où je les contraignais à blasphémer à force de supplices, et étant transporté de fureur contre eux, je les persécutais jusque dans les villes étrangères. Un jour donc, que j’allais dans ce dessein à Damas avec un pouvoir et une commission des princes des prêtres, et que j’étais en chemin, je vis, ô roi, briller du ciel, en plein midi, une lumière plus éclatante que celle du soleil, qui m’environna ainsi que tous ceux qui m’accompagnaient. Et étant nous tous tombés parterre, j’entendis une voix qui me disait en langue hébraïque : Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? Il vous est dur de regimber contre l’aiguillon. Et moi je dis : Qui êtes-vous, Seigneur ? Et le Seigneur me dit : Je suis Jésus, que vous persécutez. Mais levez-vous et vous tenez debout ; car je vous ai apparu, afin de vous établir ministre et témoin des choses que vous avez vues, et aussi de celles, que je vous montrerai, vous ayant délivré de ce peuple et des gentils auxquels je vous envoie maintenant, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et que, pour la foi « qu’ils, auront en moi, ils reçoivent la rémission des péchés et aient leur part à l’héritage des saints (9-18) ». Considérez avec quelle douceur Paul s’exprime : « Dieu m’a dit : je vous ai apparu afin de vous établir a ministre et témoin des choses que vous avez vues, et de celles aussi que je vous montrerai, vous ayant délivré de ce peuple et des gentils auxquels je vous envoie maintenant, « pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils, se convertissent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et qu’ils reçoivent la rémission des péchés ». C’est comme s’il disait : J’ai cru à ces paroles, c’est par cette vision qu’il m’a ramené à lui, et qu’il m’a tellement convaincu que je n’ai pu différer d’un seul instant. « Je ne résistai donc pas, ô roi Agrippa ! à la vision céleste ; mais j’ai annoncé premièrement à ceux de Damas, et ensuite dans Jérusalem, dans toute la Judée et aux gentils, qu’ils fissent pénitence, et qu’ils se convertissent à Dieu, en faisant de dignes œuvres de pénitence (19-20) ». Moi donc qui enseigne aux autres à vivre le plus saintement qu’il est possible, comment ai-je pu, dit-il, me faire le chef et l’instigateur de séditions et de disputes ? « Voilà le sujet pour lequel les Juifs s’étant saisis de moi dans le temple, se sont efforcés de me tuer. Mais par l’assistance que Dieu m’a donnée, j’ai subsisté jusqu’à ce jour, rendant témoignage de Jésus aux grands et aux petits ! et ne disant autre chose que ce que les prophètes et Moïse ont prédit comme devant arriver ; à savoir que le Christ souffrirait la mort, et qu’il serait le premier qui ressusciterait d’entre les morts, et qui annoncerait la lumière au peuple et aux gentils (21-23) » : Voyez comme tout ce discours est exempt de vanité et de vaine gloire, et comme il rapporte tout à Dieu. Voyez aussi avec quelle noble liberté il s’exprime : « Et maintenant même je ne me désiste pas de mon dessein ». Voyez son assurance : « Je suis fortifié dans ma croyance par les prophètes qui ont prédit que le Christ souffrirait la mort, et qu’il serait le premier qui, ressuscité d’entre les morts, annoncerait la lumière ». Comme s’il disait : « Le premier ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ». (Rom. 6,9) Il est clair que cette vérité, étant annoncée à tous, tous doivent s’attendre à ce qu’elle se réalise pour eux-mêmes.
Festus voyant la liberté avec laquelle Paul parlait au roi, sans cesser d’avoir les yeux sur lui, lui dit comme s’il ressentait quelque chose en lui-même : « Vous êtes insensé, Paul ». Et la suite vous prouve l’émotion qui le fait parler ainsi : « Lorsqu’il disait ces choses pour sa défense, Festus s’écria : Vous êtes insensé, Paul ; votre grand savoir vous met hors de sens (24) ». Et que fait Paul ? Il se borne à répondre avec douceur : « Je ne suis point insensé, très-excellent Festus ; mais a l’es paroles que je viens de dire sont des paroles de vérité, et de bon sens (25) ». Il expose ensuite les raisons qu’il a pour adresser au roi son discours. « Car le roi devant lequel je parle avec liberté est bien informé de tout ceci ; je sais qu’il n’ignore rien de ce que je dis, parce que ce ne sont pas des choses qui se soient passées en secret. O roi Agrippa ! ne croyez-vous pas aux prophètes ? Je sais que vous y croyez ». Il s’exprimait ainsi avec une sorte d’ironie ; car c’est comme s’il leur disait : Je sois qu’Agrippa connaît ces choses parfaitement, et vous, vous devriez être les premiers à les savoir (car c’est à cette conséquence que conduisent nécessairement ces mots : « Car ce ne sont pas des choses qui se soient passées en secret ») ; mais vous n’avez pas voulu. « O roi Agrippa ! ne croyez-vous pas aux prophètes ? Je sais que vous y croyez. – Et Agrippa dit à Paul : Il ne s’en faut guère que vous me persuadiez d’être chrétien. Paul lui répondit : Plût à Dieu que non seulement il ne s’en fallût guère, mais qu’il ne s’en fallût rien du tout que vous, et tous ceux qui m’écoutent présentement, devinssent tels que je, suis, à la – réserve de, ces liens (26-29) ». Voyez comme il prie : « Plût à Dieu que, etc. ». Et non seulement il prie, mais il prie avec ferveur : « Non-seulement vous, mais vous tous qui m’écoutez, puissiez-vous devenir tels que je suis » ! Puis il ajoute : « A la réserve de ces liens ». Ce n’est pas qu’il éprouve de la peine à porter ces chaînes, ce n’est pas qu’il en rougisse (car rien n’était plus glorieux pour lui) ; mais il s’exprime ainsi, pour avoir égard à leur manière de voir. Telle est la raison polir laquelle il ajoute : « À la réserve de ces liens ».
Mais revenons sur ce qui a été lu plus haut. Le lendemain dont, comme ils furent entrés dans la salle des audiences, Paul fut amené par le commandement de Festus. » Déjà les Juifs s’étaient désistés, voyant que. Paul en avait appelé, et c’est alors qu’il trouve devant lui un brillant auditoire, le roi et toute la multitude des Juifs s’étant rendus là en grande pompe, sans qu’on pût dire de ceux-ci que les uns y étaient venus, et les autres non : « Tout le peuple Juif, dit. Festus, m’est venu trouver dans Jérusalem et ici, me représentant avec de grands cris qu’il n’était pas juste de le laisser vivre plus longtemps ».
3. Voyez leur folie : ils vociféraient, disant qu’il fallait le mettre à mort. Il montre par là que c’est à bon droit que Paul en a appelé à César. Car s’ils n’ont rien de grave à lui reprocher, et qu’en même temps ils se mettent en fureur, il est tout naturel qu’il s’adresse – à César. « Afin qu’après que vous aurez examiné son affaire, je sache ce que j’ai à écrire n, Avez-vous remarqué à combien d’informations diverses cette affaire est soumise ? Et c’est aux Juifs que nous, devons cette défense que Paul présente en ce moment, et qui sera bientôt entendue par ceux qui sont à Rome. « Je m’estime heureux, dit-il, ô roi Agrippa ! de pouvoir aujourd’hui me justifier devant vous de toutes les choses dont les Juifs m’accusent ». Voyez comme, malgré eux, ils sont devenus, auprès de celui-là même qui règne sur eux, les hérauts de leur propre méchanceté et de la vertu de Paul, de sorte que Paul est renvoyé, à la suite de sa défense, avec plus d’éclat que si on l’avait délivré de ses chaînes ; car ce n’était pas un trompeur, un magicien, qu’un si grand nombre de juges renvoyaient ainsi absous. Laissant donc tout ce qu’il avait, chez ses compatriotes, il part pour Rome, mon purement et simplement, mais exempta de tout soupçon. Et il n’a pas dit : Qu’est-ce donc ? J’en ai déjà appelé à César ; j’ai déjà été jugé bien des fois ; quand tout cela, finira-t-il ? Non. Il est encore prêt à rendre compté de sa conduite devant celui qui connaît le mieux les affaires des Juifs. Aussi présente-t-il sa défense avec la plus grande liberté, en homme qui sait que ceux qui l’ont traduit en justice n’ont déjà plus de pouvoir sur lui ; toutefois, bien qu’ils fussent sans pouvoir sur lui, et qu’il ne relevât plus que de cette sentence : « Vous irez devant César », il rend compte très au long de toutes choses, et sans se permettre, d’éclaircir les unes et de passer les autres sous silence. Sa réplique revient à ceci : Ils m’accusent d’être un séditieux, ils m’accusent d’être u n sectaire, ils m’accusent d’avoir profané le temple. Eh bien ! je rends compte de tout cela : « Quant à la vie que j’ai menée dans Jérusalem depuis ma jeunesse, elle est connue de tous les Juifs. Et c’est ainsi que mes accusateurs mêmes sont témoins qu’il n’est pas, dans mes habitudes de fomenter des séditions. Ce qu’il a déjà dit auparavant « Zélé sectateur des traditions de nos pères », il l’insinue ici par ces paroles : « La vie que j’ai menée dès mon enfance ». Et c’est au moment même où le peuple était rassemblé qu’il invoque leur témoignage : ce qu’il a déjà fait, à cet égard, devant le tribunal de Lysias, il le renouvelle devant le tribunal de Festus, et il le renouvelle en ce, lieu, précisément parce qu’un plus grand nombre de Juifs étaient là pour l’entendre. Et il n’avait pas besoin d’une bien longue justification, en présence, des lettrés de Lysias qui l’absolvaient. « Tous les Juifs, dit-il, qui m’ont connu dès mes plus tendres années, le savent ». Et il ne se met pas à exposer quelle a été sa vie ; c’est à leur conscience qu’il laisse ce point à décider, faisant tout dépendre de cette doctrine de la résurrection des morts qu’il a embrassée, et faisant entendre par là qu’il ne l’aurait pas embrassée, s’il eût été un pervers, un criminel. « C’est donc, dit-il, pour cette doctrine de la résurrection, que je suis en ce moment « en jugement ». Cette même résurrection, ils la révèrent ; c’est pour elle qu’ils prient ; c’est pour elle qu’ils rendent un culte à Dieu, afin qu’il les y fasse participer ; ors c’est cette doctrine même que j’annonce, c’est parce que j’entretiens cette espérance que l’on m’accuse en ce moment. N’y a-t-il pas folie à tout faire pour obtenir cette résurrection, en même temps que l’on chasse et que l’or persécute celui qui y croit ? « Pour moi, dit-il, j’avais cru d’abord qu’il n’y avait rien que je ne dusse faire contre le nom de Jésus de Nazareth », c’est-à-dire, si j’ai cru devoir agir ainsi, c’est que, je n’étais pas au nombre des disciples du Christ, mais plutôt au nombre de ceux qui le combattaient. Ainsi Paul devint de la vérité chrétienne un témoin digne de foi, puisqu’après avoir tout fait pour combattre les chrétiens, après les avoir excités à blasphémer, après avoir mis tout en œuvre pour cette f ri ##Rem, dans les villes, auprès des magistrats, et qu’après avoir fait tout cela par lui-même et de son propre mouvement, un changement si soudain s’est opéré en lui feux qui agissaient de concert avec lui à cette époque sont aussi comme autant de témoins qu’il cite, et il montre ensuite toutes les raisons qu’il a eues de croire ; cette lumière resplendissante, les prophètes, les événements passés qui ont réalisé leurs prédictions, et ceux qui s’accomplissent en ce moment. Car il ajoute : « Lorsque j’étais en chemin, je vis en plein midi briller une lumière éclatante, qui m’environna ainsi que tous ceux qui m’accompagnaient ». Voyez donc de quelle manière il leur propose comme motifs de croire et les prophètes et ces derniers faits. Pour ne pas se donner à leurs yeux les airs d’un novateur, bien qu’il lui soit facile, dans cet ordre d’idées, de leur dire de grandes choses, il a de nouveau recours aux prophètes, et met en avant leurs prédictions. Ce qui lui est arrivé est plus digne de foi, comme s’étant passé tout récemment ; mais comme il a été seul à le voir, il le confirme de nouveau par l’autorité des prophètes : Et remarquez qu’il ne s’exprime pas devant le tribunal de la même manière que dans la synagogue. Là, en effet, il s’écrie : « Vous l’avez tué ! » Ici, il ne dit rien de semblable, pour ne pas enflammer encore davantage leur colère. Mais c’est bien la même chose qu’il fait entendre par ces mots : « Ne disant autre chose que ce que les prophètes et Moïse ont prédit devoir arriver, à savoir : que le Christ souffrirait ». Et ces paroles ne renferment aucune accusation, contre eux. Ainsi, ce que j’annonce, semble-t-il titre, à savoir : que le Christ serait le premier qui ressusciterait d’entre les morts, je le prouve par les prophètes : car c’est cela, même qu’ils annoncent. Recevez donc ce discours qui est le discours même des prophètes. Mais comme il a dit qu’il avait eu lui-même une vision, il s’exprime ensuite avec plus de fierté sur les belles et saintes œuvres dont l’accomplissement lui a été confié dans cette vision même ; et quelles sont-elles ? « Pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu ; car c’est pour cela que je vous ai apparu », c’est-à-dire, non pour punir, mais pour faire de vous un apôtre.
Remarquez qu’il énumère les maux qui sont le partage des incrédules, Satan, les ténèbres ; et les biens qui attendent les vrais croyants, la lumière, Dieu ; et le sort réservé aux saints. Et par là il n’exhorte pas seulement à la, pénitence ; il exhorte encore à mener une vie exemplaire. Remarquez en même temps que les gentils reviennent partout dans ce discours ; car, outre les Juifs ; il y avait des gentils dans l’auditoire. « Rendons, dit-il, témoignage de Jésus aux grands et aux petits », c’est-à-dire, aux hommes d’un rang élevé comme à ceux d’une condition obscure. Cela est dit à cause des soldats. Puis quittant le poste qu’il a occupé jusqu’ici pour sa propre défense, il prend le rôle de docteur. Et c’est alors que Festus lui dit : « Vous êtes insensé, Paul ». Ensuite, pour ne pas paraître s’ériger lui-même en maître, et de sa propre autorité, il cite les prophètes, Moïse prédisant que le Christ souffrirait, et qu’il serait le premier qui ressusciterait d’entre les morts, et qui « annoncerait la lumière air peuple et aux gentils. Festus s’écria alors de toute la puissance de sa voix…… », tant cette voix était pleine de fureur et de colère.
4. Et que répond Paul ? Ce ne sont pas là des choses qui se soient passées en secret ». Il veut parler de la croix, de la résurrection, de ces croyances qui se sont établies dans l’univers entier. « O roi Agrippa », dit-il, « ne croyez-vous pas », il ne dit pas : à la résurrection, mais « aux prophètes ? » Puis prévenant sa réponse : « Je sais », dit-il, « que vous y croyez ». Et Agrippa se borne à lui dire : « Il s’en faut peu que vous ne me persuadiez d’être chrétien ». Le mot : « Il s’en faut peu », Paul ne l’entend pas du fond des choses, mais dans le sens de : « Depuis peu de temps », et c’est à ce sens qu’il répond en homme simple et peu familier avec les artifices de la parole. Et il ne dit pas : « Je voudrais », mais « je prie Dieu que non seulement vous, mais tous ceux qui m’écoutent présentement… ». Remarquez combien ces paroles sont exemptes de toute flatterie : « Je prie Dieu », dit-il, « que vous deveniez tous aujourd’hui tels que je suis, à la réserve de ces liens ». Voyez : Lui qui se glorifie de ses chaînes, lui qui est fier de les montrer comme une chaîne d’or, les détourne maintenant des autres par ses vœux. Mais ne vous en étonnez pas ; car ils étaient encore trop faibles, et par condescendance, il appropriait son langage à leur faiblesse. Et quant au haut prix qu’il attache à ses chaînes, écoutez comme il les met, dans ses épîtres, au-dessus de tout, quand il dit : « Moi, Paul, qui suis prisonnier de Jésus-Christ » (Eph. 3,1) ; et encore : C’est pour Jésus-Christ que je suis dans les liens : c’est pour lui que je souffre beaucoup « de maux, jusqu’à être dans les chaînes comme un scélérat : mais la parole de Dieu n’est point enchaînée ». (Col. 4,3 ; et 2Tim. 2,9) Remarquez qu’il ne mentionne pas seulement les chaînes », mais qu’il ajoute encore : « Comme un scélérat », pour élever d’autant la gloire qu’il tire de ces chaînes. Un double supplice lui a été infligé : il était enchaîné, et il l’était comme un scélérat. Car s’il eût été jeté dans les fers comme pour une bonne action, il trouverait quelque consolation dans cette circonstance même ; mais il l’a été comme un scélérat, comme un homme qu’on surprend dans une action criminelle, et il ne s’est pas inquiété de cette aggravation de châtiment. C’est ainsi que l’âme s’élève sur les ailes de l’amour divin. En effet, si ceux qui brûlent d’un amour déshonnête, n’estiment rien d’honorable et de précieux que ce qui peut servir à la satisfaction de leurs convoitises, de tells sorte que la femme qu’ils aiment est tout à leurs jeux, combien plus ceux que captive ce céleste amour méprisent-ils tout ce que les autres recherchent. Et il n’est pas étonnant que nous ne comprenions pas le sens sublime de ces paroles :.nous sommes tout à fait étrangers à cette haute philosophie. Celui qu’embrase ce feu du Christ, devient comme s’il était le seul homme vivant sur la terre, tant il n’a nul souci, ni de ce qu’on appelle la gloire, ni de ce qu’on appelle l’ignominie : il est aussi indifférent à tout cela que le serait celui qui se trouverait seul au monde. Il méprise les afflictions, les flagellations, les cachots, comme s’il endurait tout cela dans un autre corps que le sien, ou plutôt comme s’il avait un corps plus dur que le diamant. Et quant aux plaisirs de cette vie, il s’en moque, il est insensible à leur égard, comme nous le sommes à l’égard des corps morts, ou comme si nous étions morts nous-mêmes. Il est aussi éloigné de se laisser surprendre par quelque passion, que l’or pur et, éprouvé par le feu est exempt de toute souillure. Et de même que les moucherons se gardent bien de se laisser tomber au milieu de la flamme, mais s’en écartent ; de même les passions n’osent même pas s’approcher de ce feu divin. Je voudrais bien pouvoir tirer de nous-mêmes les exemples que j’ai à vous proposer à ce sujet ; mais, n’en trouvant pas, je suis forcé de recourir à celui-là.
Considérez donc de quelle manière Paul envisage le monde entier. « Le monde », dit-il, « est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde » (Gal. 6,14), c’est-à-dire, je suis mort au monde, et le monde est mort en moi. Et encore : « Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi ». (ibid. 2,20) Il n’appartient qu’à Paul de s’exprimer ainsi ; mais nous qui sommes au-dessous de lui, autant que la – terre est éloignée du ciel, nous n’avons qu’à nous cacher, dans notre confusion, sans oser même ouvrir la bouche. Et ce qui prouve qu’il regardait les choses présentes tout comme s’il eût été dans un désert, c’est ce qu’il dit ailleurs ; écoutez-le : « Nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles », (2Cor. 4,18. » Vous allez me dire : c’est précisément le contraire de ce que vous dites, qui est vrai : ce sont les choses invisibles que nous ne voyons pas, et les visibles que nous voyons. – Les yeux qui liens Ont été donnés par le Christ sont tels que ceux que vous aviez déjà : ceux-ci voient les choses visibles, ruais ne voient pas les invisibles ; il en est de même des autres, mais dans un sens inverse : aucun homme voyant les choses invisibles, ne voit les choses visibles ; aucun homme voyant les choses visibles, ne voit les Invisibles. Est-ce qu’il n’en est pas de même chez nous ? Car lorsque, recueillant notre esprit par la réflexion ; nous raisonnons sur quelque chose d’invisible, c’est à l’aide de certaines facultés sublimes qui deviennent comme des yeux pour nous.
Méprisons la gloire ; préférons les moqueries aux éloges ; celui dont on se' moque, n’en éprouve aucun mal ; mais celui qu’on loue et qu’on flatte, éprouve dé grands maux. N’attachons pas grande importance aux choses qui ont coutume d’effrayer les hommes, mais traitons-les comme des jeux d’enfants. Si nous apercevons quelqu’un qui se met à faire peur à des enfants, nous ne l’admirons pas pour, cela, car quel que soit d’ailleurs cet individu, il n’effraie, après tout, que des enfants, et n’aurait pas le pouvoir d’effrayer un homme. Physiquement, comment s’y prennent ceux qui cherchent à effrayer ? Ils relèvent les sourcils, ou contournent de toute autre manière leur visage, pour avoir l’aspect menaçant, et ceux qui ont le regard doux et bon ne pourraient y réussir : de même ; au sens moral, c’est comme en émoussant la perspicacité naturelle de l’esprit de leurs semblables qu’ils parviennent à leur fin. Aussi un homme doux et doué d’une belle âme n’effraie personne tout au contraire, nous le révérons tous, nous l’honorons, nous avons pour lui une crainte respectueuse. Ne voyez-vous pas comme l’homme qui cherche à se rendre terrible est pour vous un objet de haine et d’abomination ? Ne suffit-il pas que certaines choses puissent nous effrayer pour que nous nous en détournions avec horreur ? N’en est-il pas ainsi des bêtes féroces, de certaines voix, de certains spectacles, de certains lieux, de l’air même, par exemple, quand nous sommes dans les ténèbres ?
5. N’attachons donc pas une grande importance à ce que les hommes nous craignent. Car, premièrement, aucun homme ne nous craint véritablement. En second lieu, il n’y a aucune grandeur véritable à être nain. La grandeur vraiment estimable réside dans la vertu. Remarquez ce qui en fait la grandeur. Tout en considérant comme méprisables isolément, certaines choses dont elle se compose, nous la proclamons admirable et bienheureuse en elle-même. En effet, qui pourrait se refuser à proclamer bienheureux le philosophe, quoique la pauvreté et beaucoup d’autres choses pareilles semblent méprisables ? Ainsi, bien que le philosophe ne brille, pour ainsi dire, qu’à travers ce cortège de choses qui semblent méprisables, voyez à quelle hauteur incomparable il se place ! Tu es orgueilleux de ta puissance, ô homme ! Mais, dis-moi, n’est-ce pas des hommes que te vient le pouvoir que tu exerces ? Eh bien, cet empire que tu as au-dehors, exerce-le en toi-même et dans l’intérieur de ton être. Le véritable magistrat n’est pas celui qu’on appelle ainsi, mais celui qui l’est réellement. Car de même qu’un roi ne saurait faire un médecin, ni un orateur, de même ne saurait-il faire un magistrat ; ce qui fait le magistrat, ce n’est ni la missive qui l’investit de sa charge, ni le titre qui lui est conféré. – Une comparaison éclaircira ma pensée : Supposez qu’un homme établisse une officine de pharmacien ; qu’il y réunisse des élèves ; qu’il y place des instruments de chirurgie et des remèdes, et qu’il aille ensuite visiter des malades. Est-ce que tout cela suffit pour faire un médecin ? Nullement : il lui faut l’art et l’habileté, et à défaut de cette condition, non seulement toutes ces choses que nous venons d’énumérer ne servent de rien, mais encore sont dangereuses : car il vaut mieux que celui qui n’est pas médecin n’ait pas de remèdes à sa disposition. En effet, n’en ayant pas, il ne peut ni guérir ni tuer les malades ; mais s’il en a, comme en même temps il ne sait pas s’en servir : il ne peut que faire des victimes, l’efficacité des remèdes ne résidant pas seulement dans leur nature propre, mais encore dans fart et l’intelligence de celui qui les applique : sans cette condition, tout est perdu. Eh bien, il en est de même quand il s’agit d’un magistrat : il a à sa disposition dès armes, une voix souvent enflée par la colère, des licteurs, les proscriptions qu’il peut prononcer : il est comblé d’honneurs, de présents, d’éloges ; il a aussi ses remèdes, ce sont lés lois ; il a ses malades, ce sont les hommes qu’il gouverne ; il a son officine, c’est le tribunal ; ses élèves, ce sont les soldats : mais s’il ignore l’art du médecin, toutes ces choses ne lui serviront de rien. Le juge est le médecin des âmes, et non des corps ; or, si la santé du corps exige tant de soins, à combien plus forte raison la santé de l’âme, qui a sur le corps une telle prééminence. Ainsi, avoir le nom de magistrat, ce n’est pas être magistrat ; car d’autres aussi sont appelés de grands noms, tels que Paul, Pierre, Jacques, Jean ; mais ce n’est pas à cause des noms qu’ils portent qu’ils sont tels qu’on les appelle : pour ne citer qu’un exemple, bien que je porte le même nom que le dernier des saints que je viens de mentionner, cette homonymie ne fait pas que je sois une seule et même personne avec lui ; je ne suis pas Jean, mais je m’appelle Jean. Ainsi, les hommes dont je parle ne sont pas des magistrats, mais on leur en donne le nom. Et il y en a qui sont magistrats, sans avoir rien de commun avec ceux dont je parle, comme le médecin est médecin, bien qu’il n’exerce pas son art, mais le tienne caché au-dedans de, lui-même. Il y a les magistrats qui se commandent à eux-mêmes.
Il y a pour l’âme trois choses : la maison, la cité, l’univers. Il faut que celui qui est chargé d’édifier une maison à laquelle il sera ensuite préposé, s’applique, au préalable, à régler son âme ; car cette âme est sa maison et s’il ne peut pas gouverner cette maison, où il est le maître, où il habite toujours avec lui-même, comment pourra-t-il n édifier n les autres ? Celui qui peut gouverner son âme, qui peut à telle de ses facultés assurer le commandement, à telle autre imposer l’obéissance, celui-là pourra aussi gouverner sa maison ; or, celui qui sait gouverner sa maison, saura gouverner la cité, et celui qui sait – gouverner la cité, pourra gouverner l’univers. Mais s’il ne peut gouverner son âme, comment pourra-t-il gouverner l’univers ? – J’ai dit tout cela pour que nous ne soyons pas follement engoués de l’autorité et de la puissance, pour que nous voyions bien ce que c’est que le pouvoir ; car ce que je viens de retracer, n’est pas un vrai pouvoir : c’est une dérision, un esclavage, ou de tout autre nom qu’on veuille l’appeler. Dites-moi, quel est le propre d’un magistrat ? N’est-ce pas d être utile à ceux qui sont sous son autorité, et de leur faire du bien ? Or, comment pourra-t-il être utile aux autres, celui qui n’a pu être utile à lui-même ? Celui dont l’âme est en proie aux mille tyrannies des passions, comment pourra-t-il apaiser les passions des autres ?
Le même raisonnement pourrait s’appliquer à notre engouement pour le plaisir. Examinons quels sont ceux qui ont le plaisir en partage. Est-ce, que ce sont les riches,-ou ceux qui ne le sont pas ? Le plaisir n’appartient, absolument parlant, ni aux uns ni aux autres, mais à ceux qui règlent et gouvernent leur âme de manière à ne pas nourrir d’avance en eux-mêmes une foule de sujets de tristesse et de chagrin. Et en quoi, me dira-t-on peut-être, consiste cette manière de vivre ? Car je vous vois tous impatients d’apprendre quelle est donc cette vie ainsi exempte de chagrins. Eh bien ; que ce soit d’abord pour vous une chose constante qu’il y a plaisir, qu’il y a jouissance pour l’homme à ne pas être tourments par de vains désirs, à ne pas ressentir cette sensualité qui recherche la délicatesse des mets et les vins, la somptuosité de la table et le luxe des vêtements. Et si je vous montre que cette vie exempte de chagrins, dont je viens de parler, consiste précisément à réprimer ses désirs et cette sensualité, attachez-vous à cette manière de vivre, et cherchez-y votre plaisir, car beaucoup de sujets de tristesse nous arrivent faute d’avoir convenablement réfléchi. Or, quel est celui des deux qui sera exposé à plus de chagrins : celui qui recherche toutes ces choses que j’ai énumérées, ou celui qui ne s’en préoccupe pas ; celui qui craint les vicissitudes des affaires humaines, ou celui qui ne les craint pas ; celui qui redoute les calomnies, l’envie, les délations, les embûches, l’a mort, ou celui qui est exempt de toi. Toutes ces craintes ; celui qui a besoin de beaucoup de gens, ou celui qui n’a besoin de personne ; celui qui est, pour ainsi dire, l’esclave de tout le monde, ou celui qui n’est l’esclave de personne ; celui qui a mille maîtres, ou celui qui ne craint qu’un seul maître ? C’est donc, dans la condition et dans la situation du second de ces deux hommes, que le plaisir est le plus grand. Attachons-nous donc à ce plaisir, et ne soyons pas engoués des choses présentes, mais tournons en risée les pompes et les vanités du monde, et gardons en tout la mesure, afin que nous puissions passer cette vie sans chagrins, et obtenir les biens promis, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LIII. modifier


LE ROI, LE GOUVERNEUR, BÉRÉNICE, ET CEUX QUI ÉTAIENT ASSIS AVEC EUX, SE LEVÈRENT. ET S’ÉTANT RETIRÉS A PART, ILS PARLÈRENT ENSEMBLE ET DIRENT : « CET HOMME N’A RIEN FAIT QUI SOIT DIGNE DE LA MORT OU DE LA PRISON ». AGRIPPA DIT A FESTUS : « CET HOMME POUVAIT ÊTRE RENVOYÉ ABSOUS, S’IL N’EN EUT POINT APPELÉ A CÉSAR. » (CHAP. XXVI VERS. 30-32, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE XXVII)

ANALYSE. modifier

  • 1-4. Saint Paul est embarqué pour aller à Rome comme prisonnier. – Tempête et naufrage. – Le navire est jeté sur la côte de l’île de Malte ; pas un des passagers ne périt.


5 Que c’est un grand avantage pour les hommes d’avoir un seul saint parmi eux. – La foi est un port sûr. – Grand pouvoir des saints.
1. Voyez comme ils rendent de nouveau leur, sentence à son sujet ; et après que Festus lui avait dit : « Vous êtes insensé, Paul », ils le déclarent innocent cri disant ainsi qu’il n’a mérité ni la mort, ni même la prison ; et ils l’auraient complètement relâché et mis hors de cause, s’il n’en eût appelé à César. Or, ceci arriva par la permission de la Providence ; c’est elle-même qui permit qu’on le laissât aller, sans le délivrer de ses chaînes. Voilà pourquoi il disait. « Jusqu’à être dans les chaînes comme un scélérat ». (2Tim. 2,9) Car si son maître a été mis an nombre îles méchants, à combien plus forte raison, lui, doit-il l’être ; mais il n’a pas plus de souci que ce même maître de la gloire ale ce monde. Et ce qui paraît étonnant, c’est qu’étant mêlé et confondu dans leurs rangs, il n’en ait reçu aucun mal.
« Après qu’il eut été résolu que nous serions embarqués pour nous rendre en Italie, on remit Paul avec d’autres prisonniers entre les mains d’un nommé Jules, centenier dans la cohorte appelée l’Auguste. Nous montâmes sur un vaisseau d’Adramyte, et nous levâmes l’ancre pour côtoyer les terres d’Asie, ayant avec nous Aristarque, macédonien de Thessalonique. Le jour suivant, nous arrivâmes à Sidon ». Remarquez que jusqu’à ce moment cet Aristarque est resté le compagnon de voyage de Paul, ce qui est utile pour qu’il puisse annoncer ensuite en Macédoine tout ce qui s’est passé. « Et Jules traitant Paul avec humanité, permit qu’il allât voir ses amis, et que l’on eût soin de lui. Étant partis de là, nous prîmes notre route au-dessous de Chypre, parce que les vents étaient contraires » (Act. 27,1-4) « Jules », dit-il, « traitant Paul avec humanité, lui permit… » Cette permission donnée honorait Jules ; de cette façon, Paul se rendant auprès de ses connaissances, pouvait en recevoir des soins ; car il est vraisemblable qu’il avait eu beaucoup à souffrir de la prison, des anxiétés, de ces déplacements incessants. Et remarquez que Jules ne dissimule pas ses intentions bienveillantes à ce sujet. Puis arrivent de nouvelles épreuves les vents sont encore une fois contraires. Voyez comme, de tout temps, les épreuves forment la trame de la vie des saints : ils avaient échappé au tribunal ; ils rencontrent maintenant le naufragé et la tempête. C’est ce que le texte expose comme il suit.
Et après avoir traversé la mer de Cilicie a et de Pamphylie, nous arrivâmes à Lystre de Lycie ; et là, le centenier ayant trouvé un vaisseau d’Alexandrie, qui faisait voile pour l’Italie, nous y fit embarquer ». – « Ayant trouvé », dit-il, « un vaisseau d’Alexandrie ». C’est bien à propos que ce navire est trouvé, pour que les actes de Paul soient annoncés, par les uns en Lycie, par les autres en Asie, Remarquez que Dieu n’innove rien, ne change rien quant à la marche des phénomènes naturels, et qu’il permet ainsi que Paul navigue avec des vents contraires. Mais c’est à cette occasion même qu’éclate l’action de la Providence.: pour les sauver de tout danger, pendant leur navigation, il ne les expose pas en pleine mer, mais il permet qu’ils ne s’écartent jamais des côtes. « Nous allâmes fort lentement pendant plusieurs jours, et nous arrivâmes avec de grandes difficultés vis-à-vis de Cnide, et, comme le vent nous empêchait d’avancer, nous côtoyâmes l’île de Crète vers Salmone. Et allant avec peine le long de cette côte, nous abordâmes à un lieu nommé Bons-Ports, près duquel était la ville de Lasée. Mais, parce que beaucoup de temps s’était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, le temps du jeûne, étant déjà passé, Paul donna cet avis à ceux qui nous conduisaient : Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls, non seulement pour le vaisseau et pour sa charge, mais aussi pour nos personnes et pour nos vies. Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote et du maître du vaisseau, qu’à ce que Paul disait (5-11) ». Je pense qu’on veut parler ici du jeûne que gardent les Juifs ; car ce ne fut que longtemps après la Pentecôte qu’ils repartirent de Bons-Ports ; de sorte qu’on peut conjecturer que c’est dans le cœur même de l’hiver qu’ils étaient venus dans les parages de la Crète. Et ce n’est pas une petite merveille de voir que c’est à cause de lui que tous ceux qui montaient avec lui ce navire sont préservés du naufrage. « Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls ; non seulement pour le vaisseau et pour sa charge, mais aussi pour nos personnes et nos vies ». Paul donc les exhortait à rester, et leur prédisait ce qui devait arriver ; mais eux, pressés de partir, et ayant d’ailleurs quelque difficulté à aborder en cet endroit, voulaient aller passer l’hiver à Phénice.
2. Et considérez, je vous prie, les desseins de la Providence : ils commencèrent par lever l’ancre et ils partirent ; ensuite le vent ayant soufflé avec violence ; ils furent forcés de s’abandonner à sa discrétion, et eurent beaucoup de peine à se sauter. « Et comme le port n’était pas propre pour hiverner, la plupart furent d’avis de se mettre en mer pour tâcher de gagner Phénice, qui est un port de Crète qui regarde les vents du, couchant d’hiver et d’été, afin d’y passer l’hiver. Le vent du midi commençait à souffler doucement, ils pensèrent qu’ils viendraient à bout de leur, dessein, et ayant levé l’ancre, ils côtoyèrent le plus près qu’ils purent l’île de Crète. Mais il se leva peu après un vent impétueux de nord-est ; qui donnait contre l’île ; et comme il emportait le vaisseau, sans que nous pussions y résister, nous le laissâmes aller au gré du vent. Nous fûmes poussés au-dessous d’une petite île appelée Claude, où nous pûmes à peine être maîtres de l’esquif. « Mais rayant enfin tiré à nous, les matelots employèrent toutes sortes de moyens, et lièrent le vaisseau par-dessous, craignant d’être jetés sur des bancs de sable ; ils abaissèrent les voiles, et s’abandonnèrent ainsi à la mer. Et comme nous étions rudement battus par la tempête, le jour suivant ils jetèrent les marchandises dans la mer, et le troisième jour, ils y jetèrent aussi de leurs propres mains tous les agrès du vaisseau. Le soleil ni les étoiles ne parurent durant plusieurs jours, et la tempête était toujours si violente que nous perdîmes tonte espérance de nous sauver. Mais comme il y avait longtemps que personne n’avait mangé, Paul se levant au milieu d’eux, dit…… » ##Rem Remarques qu’à la suite de cette violente tempête, il ne leur parle pas avec insolence, mais qu’il veut simplement lés disposer à ajouter, à l’avenir, plus de foi en ses paroles qu’ils ne l’ont fait. Voilà pourquoi il allègue ce qui vient de se passer comme confirmant la vérité de ce qu’il va dire. Et il leur prédit deux choses, à savoir : qu’ils seront jetés par les flots dans une île, et que le navire périra, mais que les passagers seront sauvés «(ce qui n’était pas une pure conjecture, mais une prophétie) ; et qu’il doit lui-même comparaître devant César. « Et ces paroles : « Dieu vous a donné tous ceux », ce n’est pas par vaine jactance qu’il les prononce, mais pour amener à la vraie foi ses compagnons de navigation : il ne leur parle pas ainsi pour qu’ils lui soient reconnaissants de ce qu’il a fait ; mais, pour qu’ils croient à la vérité de ses paroles : En disant : « Dieu vous a donné », c’est comme si Paul disait : « ils ont mérité la mort, car ils n’ont pas voulu t’écouter. Mais en ta faveur, je consens à leur faire grâce. Et parce qu’il y avait longtemps que personne n’avait mangé, Paul se levant au milieu d’eux, leur dit : Sans doute, mes amis, a vous eussiez mieux fait de me croire, et de ne point partir de Crète, pour nous épargner a tant de peine et une si grande perte. Je vous exhorte néanmoins à avoir bon courage, a parce que personne ne périra, et il n’y aura que le vaisseau de perdu. Car cette nuit même un ange de Dieu à qui je suis, et que je sers, m’a apparu et m’a dit : Paul, ne craignez point, il faut que vous comparaissiez devant César, et je vous annonce que Dieu vous a donné tous ceux qui naviguent avec vous. C’est pourquoi, mes amis, ayez bon courage : car j’ai cette confiance en Dieu que ce qui m’a été dit arrivera. Mais nous devons être jetés contre une certaine île. La quatorzième nuit, comme : les vents nous poussaient de tous côtés sur la mer Adriatique, les matelots crurent vers minuit qu’ils approchaient de quelque terre ; et ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses, et un peu plus loin ils en trouvèrent quinze. « Mais craignant que nous n’allassions donner a contre quelque écueil, ils jetèrent quatre ancres du côté de la poupe, et ils attendaient avec impatience que le jour parût. Or, comme les matelots cherchaient à s’enfuir du vaisseau, et qu’ils descendaient l’esquif en mer, a sous prétexte d’aller jeter les ancres du côté de la proue, Paul dit au centenier et aux soldats : Si ces gens-ci ne demeurent pas dans le vaisseau, vous ne pouvez vous sauver. Alors les soldats coupèrent les câbles de l’esquif et le laissèrent tomber (12-32) ».
Il nous a montré par là que les matelots, ne croyant pas à la vérité de ses paroles, étaient sur le point de s’éloigner du navire : mais le centenier et tous les soldats qui étaient avec lui, ne partageaient pas leur incrédulité. Voilà pourquoi il dit : « Si ces gens-ci prennent la fuite, vous ne pouvez vous sauver ». Au fond, il ne parle pas ainsi pour épargner ce malheur à ceux auxquels il s’adresse, mais pour retenir les matelots, et pour que la prophétie tout entière s’accomplisse.
Paul leur enseigne à tous sa sublime philosophie comme s’ils étaient réunis dans une église, et il les retire du milieu des dangers. Et la Providence permet que d’abord l’on n’ajoute pas foi aux discours de Paul, afin que l’expérience même des événements ramène la confiance en ses paroles. Et c’est ce qui arriva. Puis, il les exhorte à prendre de la nourriture, et c’est ce qu’ils font ; et lui-même en prend le premier, pour leur persuader, non par des paroles, mais par des actes, que la tempête ne doit faire aucun mal à leurs corps ; bien plus, qu’elle doit profiter à leurs âmes. « Au point du jour, Paul les exhorta tous à prendre de la nourriture, disant : Il y a aujourd’hui quatorze jours que vous êtes à jeun, et que vous n’avez rien pris en attendant la fin de la tempête. C’est pourquoi je vous exhorte à prendre de la nourriture, pour vous pouvoir sauver ; car il ne tombera pas un seul cheveu de la tête d’aucun de vous. Après avoir dit cela, il prit du pain, et ayant rendu grâces à Dieu devant tous, il le rompit, et commença à manger. Tous les autres prirent courage à son exemple, et se mirent aussi à manger. Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout. Quand ils furent rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer. Le jour étant venu ; ils ne reconnurent point quelle terre c’était ; mais ils aperçurent un golfe ayant un rivage, et ils résolurent d’y faire échouer le vaisseau, s’ils pouvaient. Ils retirèrent les ancres, et lâchèrent en même temps les attaches des gouvernails, et s’abandonnant à la mer, après avoir déployé la voile de l’artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent. Mais ayant rencontré une langue de terre qui avait la mer des deux côtés, ils y firent échouer le vaisseau, et la proue s’y étant enfoncée demeurait immobile, mais la poupe se rompit par la violence des vagues (33-41) ».
3. Le démon tente de nouveau d’empêcher l’accomplissement de la prophétie ; déjà ils avaient décidé qu’un certain nombre de passagers seraient mis, à mort : mais le centenier, voulant sauver Paul, ne le permit pas, tant il avait déjà d’attachement pour lui. « Les soldats étaient d’avis de tuer les prisonniers, de peur que quelqu’un d’eux, s’étant sauvé à la nage, ne s’enfuît. Mais le centenier les en empêcha parce qu’il voulait sauver Paul, et il commanda que ceux qui pouvaient nager se jetassent les premiers hors du vaisseau, et se sauvassent à terre, et que les autres se missent sur des planches et sur des pièces du vaisseau. Et ainsi ils gagnèrent tous la terre et se sauvèrent (42-44). Et s’étant ainsi sauvés, ils reconnurent que l’île s’appelait Malte ». (Chap. 28,1) Voyez-vous tout le bien qui est sorti de cette tempête ? Si cette tempête est arrivée, ce n’est pas que la main de Dieu les ait abandonnés. Et comment, direz-vous, pouvaient-ils tenir ainsi à jeun, et ne prenant aucune nourriture ? Ils étaient sous l’empire d’une crainte si vive, qu’elle ne leur permettait pas de ressentir les atteintes de la faim, au moment même où ils allaient courir les plus grands dangers. Et la merveille est bien plus grande que, dans un tel moment, ils aient été sauvés du milieu des dangers, lui-même et tous les autres à cause de lui. « Et après avoir déployé la voile de l’artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent ». Il dit cela pour montrer toute la violence de la tempête par laquelle ils étaient ballottés. Car ordinairement ce n’est pas cette manœuvre qu’ils exécutent. Et il a été dit plus haut qu’ils abaissèrent les voiles (c’est ce qui a lieu, quand le veut est violent), pour se garantir ainsi contre, l’impétuosité du vent. Et c’est dans l’Adriatique, où il est si difficile de se sauver, qu’ils se trouvaient exposés à tous ces dangers. « Or nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». Et comment l’auteur de ce récit sait-il qu’il y avait un tel nombre de gens naviguant ensemble ? Il est probable qu’ils ont demandé pour quel motif tous ces hommes naviguaient, et qu’ils ont ainsi tout appris. Ils ne prenaient aucune nourriture, parce qu’ils ne songeaient pas à manger en présence d’un si affreux danger.
Et voyez comme Paul sait mettre à profit, pour enseigner sa doctrine, tons ces retards, tous ces contre-temps ! Et ce n’était pas un petit résultat que d’amener à la vraie foi tous ces hommes ! Mais reprenons de plus haut les paroles de notre texte. « Mais parce que beaucoup de temps s’était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, Paul leur donna cet avis : « les amis, je vois que la navigation s’en va devenir très fâcheuse et pleine de périls ». Remarquez combien ce langage est exempt de tout orgueil : pour ne pas paraître, à leurs yeux, prophétiser, mais parler par simple conjecture. « Je vois », dit-il ; car ils ne l’eussent pas écouté, s’il leur eût dit cela tout de suite, et comme devant certainement arriver…… Dans l’ordre naturel des choses, ils étaient destinés à périr, mais Dieu y a mis des empêchements. « Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote qu’à ce que disait Paul ». Pour qu’il apparaisse clairement que ce n’est pas par conjecture due Paul a dit tout cela, le pilote dit tout le contraire, lui qui connaît par expérience ces sortes de choses. « Et comme le port n’était pas propre pour hiverner ». Remarquez ceci : les lieux mêmes, ainsi qualifiés, nous apprennent que ce n’était, pas par conjecture que Paul parlait de la sorte : ceux qui paraissent avoir parlé par conjecture, ce sont les passagers, et il yen avait un grand nombre de cet avis, qui conseillent au centenier de mettre à la voile. Mais cela ne leur servit de rien ; car ils ne tardèrent pas à être battus par la tempête, et furent obligés de jeter à la mer une partie de leur chargement. C’est pour montrer cela, que le texte ajoute : « Et comme nous étions rudement battus par la tempête, nous jetâmes de nos propres mains les agrès du vaisseau ». La Providence permet que tout cela arrive, pour qu’à l’avenir ils cessât d’être incrédules. L’ouragan se lève, et d’épaisses ténèbres les enveloppent. Pour éviter le naufrage, ils jettent à la mer et le blé et tout le reste » ; car c’est ce que signifient ces mots : « Nous jetâmes les agrès du navire. Et parce qu’il y avait longtemps que personne n’avait mangé, Paul leur dit : Il fallait m’écouter, pour vous épargner une si grande perte ». Voyez-vous comme la tempête, et ces ténèbres qui les enveloppent, contribuent à les rendre plus dociles ? Quant au centenier, il se montre docile à ce point qu’il laisse les soldats couper les câbles de l’esquif, pour le laisser périr dans les flots. Et ne soyez pas surpris que les matelots ne montrent que plus tard leurs dispositions à croire : cette espèce d’hommes est effrontée, et croit difficilement à ce qu’on lui dit.
Mais vous, considérez ici la prudence de Paul. Il ne prend pas le ton du reproche, de la colère, mais se contente de leur dire doucement : « Il fallait ». Il savait, en effet, que celui qui prend ce ton au moment d’un grand désastre, est mal accueilli, mais qu’il n’en est pas ainsi lorsque le plus grand danger est passé. Il ne les presse donc que lorsqu’ils ont perdu tout espoir de se sauver, et alors même, leur annonce des choses utiles. « Quand la quatorzième nuit fut arrivée », dit le texte, « pleins de crainte, ils attendaient avec impatience que le jour vint ». Il s’exprime ainsi, de peur que quelqu’un ne vienne à dire qu’il n’était rien arrivé. Et leur frayeur montre lien ce qui s’était passé en effet. « Pleins de crainte », dit-il, « ils attendaient avec impatience que le jour vint ». La position est dangereuse ; car c’est sur la mer Adriatique que tout cela arrive ; et depuis longtemps ils n’avaient pas mangé. « Il y a aujourd’hui quatorze jours », dit-il., « que vous êtes à jeun, et que vous n’avez rien pris en attendant la fin de la tempête ». Ainsi, tout concourait à les mettre, pour ainsi dire, aux portes de la mort. C’est pourquoi il ajoute : « Je vous exhorte à prendre de la nourriture, car ce n’est qu’ainsi que vous pourrez vous sauver », c’est-à-dire, prenez de la nourriture pour ne pas mourir de faim. « Et ayant pris du pain », dit le texte, « il rendit grâces à Dieu ».
4. Cette action de grâces pour ce qui vient de se passer non seulement les fortifie, mais encore leur donne du courage. « Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». C’est de tout ce monde qu’il a dit : Il ne périra pas, d’entre a vous, une seule âme ». Cette prédiction qu’ils seront tous sauvés, ne peut partir que d’une âme qui est en possession d’une certitude pleine et entière. « Quand ils furent rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer ». Avez-vous remarqué qu’ils ne croient Paul qu’en ce qui concerne le conseil qu’il leur a donné de prendre de la nourriture, et que déjà, ils s’en rapportaient tellement à Paul pour tout le reste, qu’ils jetaient le blé dans la mer. Voyez comme ils se laissent aller, dans leurs actions, à des sentiments tout humains, sans que Paul les en empêche. « Le jour étant venu, ils lâchèrent les attaches du gouvernail… Et les soldats étaient d’avis de tuer les prisonniers ». Ne pensez-vous pas qu’en cela encore ceux-ci auront été reconnaissants envers Paul ? En effet, c’est à cause de lui que le centenier ne permit pas qu’on les tuât. Et ce qui me fait croire plue ces hommes étaient évidemment des scélérats, c’est qu’on se décide à les mettre à mort de préférence aux autres. Mais on n’en fit rien, parce qu’on en fut empêché par le centenier : les uns donc se sauvèrent à la nage, les autres sur des radeaux ; de sorte qu’il n’y eut pas un seul des passagers qui n’échappât à la mort, et que la prophétie reçut enfin son accomplissement, bien que sans éclat, quant à la durée du temps écoulé : en effet, ce n’était pas plusieurs années à l’avance que Paul avait prédit ces événements, mais il s’était contenté de suivre comme pas à pas la marche naturelle des choses. Tout ici dépassait les espérances purement humaines, et ce ne fut qu’au prix de leur, propre délivrance qu’ils apprirent qui il était. On dira peut-être : mais pourquoi n’a-t-il pas sauvé aussi le navire ?
Pour qu’ils sussent bien à quels dangers ils venaient d’échapper, et parce que rien n’arrivait ici par l’effet d’un secours purement humain, mais par la main de Dieu qui les a sauvés, bien qu’ils n’aient plus de navire. Ainsi les justes, dans le déchaînement même des tempêtes, au milieu des flots d’une mer en courroux, non seulement ne souffrent aucun mal, mais encore ont le pouvoir de sauver ceux qui sont avec eux. Si ces prisonniers, après que le navire a été ballotté par les flots et a fait naufrage, ont été sauvés par Paul, songez combien on doit s’estimer heureux de posséder dans sa maison un saint homme ; car sur cette terre, bien des tempêtes tout autrement terribles que celles-là, se déchaînent sur nous ; mais Dieu peut nous sauver, pourvu que nous écoutions les saints, comme firent ces prisonniers, pourvu que nous lassions ce qu’ils nous prescrivent. Et ils ne sont pas sauvés purement et simplement, mais encore ils ont porté avec eux la foi dans le monde. Bien qu’un saint soit enchaîné, il opère encore de plus grandes choses que ceux qui sont libres. Et remarquez que c’est ce qui arrive ici. Le centenier, tout libre qu’il était de ses mouvements, avait besoin de cet homme enchaîné ; le pilote, si expérimenté dans son art, avait besoin de celui qui n’entendait rien à cet art, et qui, en réalité, était en ce moment le vrai pilote.
En effet, ce n’était pas ce navire-là, mais l’Église universelle qu’il gouvernait, non à l’aide d’un art tout humain, mais en vertu d’une science toute spirituelle, après avoir appris ce gouvernement de Celui qui est aussi le maître de la mer. Pour ce navire, il y a aussi bien des écueils, bien des flots soulevés, bien des souffles de malice a Ce n’est que combats au-dehors, que frayeurs au dedans ». De sorte que le véritable pilote, c’était lui. Jetez un coup d’œil sur l’ensemble de la vie humaine. Tantôt nous sommes l’objet de toute la bienveillance de nos semblables ; tantôt nous sommes ballottés au gré de leurs caprices, et souvent aussi nous tombons dans mille maux par nos propres folies ou par nos propres négligences, mais bien plus encore parce que nous n’écoutons pas Paul, et que nous nous hâtons d’aller là où il ne veut pas que nous allions. En effet, maintenant encore il est embarqué avec nous, mais sans être enchaîné comme il l’était alors ; maintenant encore il exhorte ceux qui naviguent sur la mer de ce monde, et leur dit : « Prenez garde à vous-mêmes, car je sais qu’après mon départ, il entrera parmi vous des loups ravissants ». Et encore : « Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux, et il y aura des hommes amoureux d’eux-mêmes, avares, glorieux » : Et ce vent-là est bien le plus dangereux pour ceux qui traversent les flots agités de cette vie.
5. Restons donc où il nous ordonne de rester, dans la foi, qui est pour nous le port le plus sûr ; écoutons-le plutôt que ce pilote qui est en nous, c’est-à-dire, notre raison. Ne faisons pas ce que nous suggère ce pilote, faisons ce que Paul nous recommande : il a déjà traversé sans péril bien d’autres tempêtes. N’attendons pas l’expérience pour nous instruire, mais avant toute expérience, sachons éviter l’outrage et la ruine. Écoutons-le nous disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». Ajoutons foi à ces paroles, sachant ce qui est arrivé à ceux qui n’ont pas voulu l’écouter. Et, dans un autre endroit, il explique d’où viennent les naufrages. « Quelques-uns ont fait naufrage, en perdant la foi ». Persistez donc dans les doctrines qui nous ont été enseignées, et auxquelles vous avez cru. Ajoutons foi aux paroles de Paul, et nous serons délivrés de tous les périls, alors même que nous serions au plus fort de la tempête, que nous serions restés quatorze jours à jeun, que tout espoir de salut serait perdu, que nous serions plongés dans les plus épaisses ténèbres. Considérons l’univers entier comme un navire sur lequel nous voguons, et où nous avons pour compagnons de notre traversée des méchants, des hommes perdus dé vices, les uns qui nous commandent, les autres qui nous gardent, et, à côté de quelques justes, comme Paul, des prisonniers, c’est-à-dire, des hommes qui sont dans les liens du péché. Si nous croyons à la parole de Paul, bien qu’enchaînés, nous ne périrons pas, mais, tout au contraire, nous serons délivrés de nos chaînes. Car, à nous aussi, Dieu pardonnera en sa faveur. Ne pensez-vous pas que lés péchés et les passions sont de bien lourdes chaînes ? C’est sur l’homme tout entier, et non sur ses mains seulement, qu’elles s’appesantissent. En effet, dites-moi : lorsqu’un homme, qui a acquis de grandes richesses, ne les emploie ni ne les dépense, mais les garde dans ses coffres, n’est-il pas chargé, par sa parcimonie même, de chaînes plus dures que quelque prisonnier que ce puisse être ? De même, quand un homme s’abandonne aux caprices du sort, ne se charge-t-il pas d’une autre espèce de chaînes ? Et lorsqu’il se livre à des pratiques superstitieuses ; lorsqu’il consulte les présages ; ou bien, lorsqu’il est la proie de quelque passion insensée ou de l’amour, ne trouve-t-il pas dans tout cela des chaînes plus lourdes que toutes celles qu’on pourrait imaginer ? Et qui pourra briser toutes ces chaînes ? Évidemment, nous ne pouvons en être délivrés que par l’aide de Dieu. Et une seule de ces choses suffit pour nous mettre en danger : mais si nous nous trouvons à la fois enchaînés, et ballottés par la tempête, jugez du danger dans lequel nous sommes. La faim, la tempêté, la méchanceté de nos guides, un contre-temps, chacun de ces maux pris à part ne suffit-il pas pour nous perdre ? Eh bien, c’est à tous ces maux réunis que Paul résista glorieusement. Or, il en est de même aujourd’hui : retenons les saints auprès de nous, et il n’y aura pas de tempête. Que dis-je ? S’il s’élève une tempête, peu après un grand calme, une grande sérénité lui succéderont, et, par suite, nous serons délivrés de tout danger, comme cette veuve qui avait donné l’hospitalité à un saint, par l’intercession duquel son fils ressuscité fut rendu aux embrassements de sa mère. Là où les saints mettent les pieds, il n’arrivera, rien de fâcheux ; ou s’il arrive quelque chose de fâcheux, cela n’arrive que pour nous éprouver et procurer la plus grande gloire de Dieu. Faites en sorte que le pavé de vos demeures soit souvent foulé par de tels pieds, et il ne le sera pas par ceux du démon. Et il est bien juste qu’il en soit ainsi. Un suave parfum qui embaume l’air, ne laisse pas de place aux odeurs désagréables : dé même là où l’on respire le parfum de la sainteté, le démon expire comme suffoqué par ces exhalaisons mortelles pour lui, tandis que ce même parfum, se répandant partout, réjouit tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec ce saint, et dilate leurs âmes. Là où croissent les ronces et les épines, là pullulent de hideuses bêtes ; mais il ne croit ni ronces ; ni épines, là où s’exerce l’hospitalité ; car l’esprit de miséricorde et de charité, en y pénétrant, les retranche et les fait disparaître mieux que ne pourrait le faire la faux la plus tranchante ou le feu le plus violent. Ne craignez rien : de même que les renards respectent les lions, de même tout respecte l’empreinte des pas des saints. « Le juste », dit l’Écriture, « a toute l’assurance d’un lion ». Introduisons ces lions dans nos demeures, et toutes ces bêtes seront mises en fuite, sans que ceux-ci aient besoin de pousser de grands cris ; il leur suffira de parler. Car le rugissement du lion a moins de pouvoir pour mettre en fuite les bêtes sauvages, que la prière du juste pour mettre en fuite les démons ; il n’a qu’à parler, ils tremblent. Mais, me direz-vous, où sont aujourd’hui de tels hommes ? – Partout, si nous avons la foi, si nous cherchons, et si, pour trouver, nous n’épargnons pas nos peines. – Mais, dites-moi, où donc avez-vous cherché ? Quand vous êtes-vous jamais occupé de ce soin ? Si vous ne cherchez pas, ne soyez pas surpris que vous ne trouviez pas ##Rem. « Celui qui cherche, trouve », et non celui qui ne cherche pas. Allez entendre ceux qui vivent dans la solitude ; il y en a dans toutes les parties de l’univers. Si vous ne pouvez pas recevoir ce saint dans votre maison, allez le trouver, liez-vous avec lui ; ou, du moins, approchez-vous de sa demeure, pour que vous puissiez réussir à le voir et obtenir sa bénédiction. Car elle est puissante la bénédiction qui nous vient des saints : ne négligeons rien pour l’obtenir, afin qu’à l’aide de leurs prières, nous puissions jouir de la miséricorde de ce Dieu, qui fait ta force des saints, par la grâce et la charité de son Fils unique, avec lequel, gloire ; puissance, honneur, au Père et, au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles dès siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LIV. modifier


ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP DE BONTÉ, CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU’IL FAISAIT, ALORS PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN. (CHAP. 28, VERS. 1-3, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Paul dans l’île de Malte, son arrivée à Rome. – 3. Les tentations procurent de grands avantages. – Utilité ces adversités.


1. Le texte nous explique de quelle manière les barbares leur témoignèrent leur humanité. « Ils nous reçurent tous chez eux », dit-il, « et allumèrent un grand feu ». Comme il était inutile qu’ils cherchassent à se sauver par un tel froid qui les aurait fait périr, ils allumèrent un grand feu. Paul ensuite jette dans le feu les sarments qu’il a ramassés. Voyez-le toujours agissant, et ne cherchant jamais à faire des miracles sans raison et sans but, mais seulement par nécessité. Et au moment même où la tempête s’élevait, ce n’était pas sans avoir des raisons qu’il prophétisait. Ici donc il se contente d’alimenter le feu, sans chercher par cela à se donner la moindre importance, mais uniquement pour que ses compagnons de voyage puissent se réchauffer et se remettre par ce moyen. Et en ce moment même une vipère que la chaleur avait fait sortir, le prit à la main. « Et quand les barbares virent cette bête qui pendait à sa main, ils s’entre-disaient : Cet homme, c’est sans doute quelque meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer ; la vengeance divine le poursuit encore et ne veut pas le laisser vivre (4) ». Et ce n’est pas sans raison que la Providence permet qu’ils soient témoins de cet – accident, et qu’ils en parlent en ces termes, afin que, lorsque le miracle sera arrivé, ils ne refusent pas d’y croire.. Et voyez comme le sens commun et la raison naturelle se montrent, dans toute leur rectitude, même chez les barbares ; voyez tout ce qu’il y a d’honnêteté dans leurs sentiments, et de réserve dans leurs jugements. Et ceux-ci sont les premiers à voir, afin qu’ils en admirent davantage ce qui va arriver. « Mais Paul ayant secoué la vipère dans le feu, n’en reçut aucun mal. Les barbares s’attendaient à ce que sa main s’enflerait, ou qu’il tomberait mort tout d’un coup : mais après avoir attendu longtemps, lorsqu’ils virent qu’il ne lui en arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment, et dirent que c’était un Dieu (5-6) ». Ceux qui s’attendaient à le voir tomber mort, voyant qu’il n’éprouvait aucun mal, disent maintenant : c’est un Dieu. Et voilà que de nouveau il est comblé d’honneurs par ces hommes, comme il le fut par cette multitude de la Lycaonie. « Or, il y avait en cet endroit un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut, et exerça, avec une grande bonté, l’hospitalité envers nous pendant trois jours (7) » Voilà un nouveau Publius, hospitalier comme le premier, vivant dans l’opulence. Celui-ci, qui ne savait rien de la religion du Christ, mais que le seul spectacle de leurs malheurs disposait à la pitié, les reçut et leur prodigua ses soins. « Or, il se rencontra que le père de Publius était malade de fièvre et de dysenterie ; Paul l’alla voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit (8) ». Il méritait bien d’obtenir de Paul ce service, et celui-ci, par un échange de bons procédés, guérit son père. « Après ce miracle, tous ceux de l’île qui étaient malades, vinrent à lui, et ils furent guéris. Ils nous rendirent ainsi de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui était nécessaire pour notre voyage (9-10) ». C’est-à-dire, tout ce qui était nécessaire ; soit à nous, soit aux autres qui étaient avec nous : considérez qu’à cause de Paul, après avoir échappé à la tempête, ils ne restent pas privés de soins, et sont même entourés de tous les égards d’une généreuse hospitalité ; car ils furent nourris en cet endroit pendant trois mois. Écoutez de quelle manière la suite du texte établit qu’ils sont demeurés là pendant tout ce temps.
« Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d’Alexandrie, qui avait passé l’hiver dans l’île, et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux. Nous abordâmes à Syracuse où nous restâmes trois jours. De là, en côtoyant la Sicile, nous vînmes à Rhégium, et un jour après, le vent du midi s’étant levé, nous arrivâmes en deux jours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent de demeurer sept jours auprès d’eux, et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous jusqu’au lieu appelé le marché d’Appius et les Trois Hôtelleries. Et Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu, et fut rempli d’une nouvelle confiance (11-15) ». Voyez comme tout cela arrive à cause de Paul, et pour amener à la foi les prisonniers, les soldats, le centenier. Car alors même qu’ils eussent été dé pierre, ils ne pouvaient manquer de se faire une haute idée de lui, par les conseils qu’il leur avait donnés, par les prophéties qu’il avait fait entendre, par les miracles qu’il avait opérés, et enfin par ses bienfaits : car c’était à lui qu’ils devaient d’avoir été nourris si longtemps. Remarquez de quelle manière, quand le jugement est droit, et qu’aucune passion ne le trouble, il accueille les pensées droites et sages. La prédication chrétienne avait déjà pénétré en Sicile, elle était arrivée jusqu’à Pouzzoles, puisqu’ils y trouvent un certain nombre de frères auprès desquels ils demeurent. Là, d’autres que la renommée avait attirés, vinrent au-devant d’eux ; l’affection qui unissait entre eux tous ces frères était si vive, qu’ils ne furent pas troublés dans leur résolution par cette pensée que Paul était dans les fers, mais se hâtèrent de venir au-devant de lui. – Avez-vous remarqué en même temps comme l’âme, de Paul, en cette circonstance, s’ouvre à des sentiments tout humains. Les ayant vus, dit notre texte, il fut rempli d’une nouvelle confiance. Bien qu’il eût déjà opéré tant de prodiges, il n’en puisa pas moins, dans cette vue de ses frères, de nouvelles forces, un nouveau Courage. Et cela nous apprend que, comme celle des autres hommes, son âme s’abandonnait tantôt au découragement, tantôt à l’espérance. « Quand nous fûmes arrivés à Rome, il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait avec un soldat qui le gardait (16) ». C’est une bien forte preuve qu’il était l’objet de l’admiration publique : déjà on ne le mettait plus sur le même rang, que les autres prisonniers. « Or il arriva que trois jours après, Paul pria les principaux d’entre les Juifs de le venir trouver ». Trois jours après, c’est-à-dire, avant qu’on eût eu le temps de semer des préventions dans leurs esprits. Qu’y avait-il de commun entré eux et lui ? Ce n’étaient pas ces Juifs qui devaient l’accuser. – Mais Paul néglige cette circonstance : il veut leur enseigner sa doctrine dès ce moment.
2. Les Juifs donc qui avaient été témoins de tant de prodiges, le persécutaient, le chassaient ; et les barbares, qui n’avaient rien vu, étaient touchés de compassion au seul spectacle de ses malheurs. « Cet homme », disent-ils, « est sans aucun doute quelque meurtrier ». ils ne disent pas simplement : « C’est un meurtrier » ; mais : « sans aucun doute », c’est-à-dire, qu’à leurs yeux la chose est certaine. « Et la vengeance divine », ajoutent-ils, « le Poursuit « encore et ne veut pas le laisser vivre ». En parlant ainsi, ils montraient qu’ils tenaient grand compte de la Providence, de sorte que les barbares étaient beaucoup plus philosophes que les philosophes mêmes. Ceux-ci, en effet, croient devoir retrancher ce monde sublunaire de l’ensemble des êtres auxquels s’étend l’action de la Providence ; ceux-là, au contraire, croient que Dieu est présent partout, et que l’on a beau se soustraire à son action, on finit toujours par se retrouver sous sa main puissante. Et voyez que non seulement ils ne se permettent absolument rien contre Paul, mais encore qu’ils le respectent, touchés de ses malheurs. Et on ne lée voit pas publier partout ce qu’ils pensent sur son compte ; c’est en se parlant entre eux qu’ils disent : « Cet homme est sans doute quelque meurtrier », et les chaînes dont ils le voyaient chargé, ainsi que ses compagnons, éveillaient naturellement ce soupçon dans leur esprit. Qu’ils rougissent ceux qui disent : Ne faites pas du bien à ceux qui sont en prison. —. Que cette conduite des barbares les fasse rougir : ces barbares ne savaient pas qui étaient ces hommes, mais il leur a suffi d’apprendre, au seul spectacle de leurs infortunes, qu’ils étaient des hommes, et à l’instant même ils les ont accueillis avec humanité : « Après avoir attendu longtemps », c’est-à-dire, que pendant longtemps ils s’attendaient à ce que Paul mourrait. Mais lui secoua la vipère dans le feu, et leur montra sa main qui n’avait reçu aucun mal. A cette vue, ils furent comme frappés de stupeur et d’étonnement. Et ce prodige ne fut pas opéré à leurs yeux d’une manière soudaine ; ils attendirent quelque temps avant de l’apercevoir, de manière que l’imagination n’était ici pour rien, et qu’il n’y avait ni supercherie, ni surprise. « Il y avait en cet endroit des terres qui appartenaient à un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut fort humainement, et exerça envers nous l’hospitalité ». Expressions bien justes, car il n’appartient qu’à un homme bon et généreux de donner l’hospitalité à deux cent soixante et dix personnes. Mais considérez les grands profits que donne l’hospitalité ! Ce n’est pas par nécessité, ce n’est pas malgré lui, mais parce qu’il pense y trouver quelque avantage, qu’il leur donne l’hospitalité pendant trois jours : c’est donc à bon droit qu’il reçoit la récompense de tant de générosité, récompense qui passe de beaucoup tout ce qu’il a fait. En effet, Paul commence par guérir son père de la dysenterie à laquelle il était sur le point de succomber, et non seulement son père, mais encore beaucoup d’autres malades qui le dédommagent de ses soins, en lui prodiguant les témoignages de respect et les provisions au moment de son départ. « Ils nous rendirent de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui nous était nécessaire pour notre voyage ». Ce n’est pas que Paul reçoive tout cela comme un salaire loin de nous cette idée ! Mais ainsi s’accomplissent ces paroles de l’Écriture : « L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture ». (Mt. 10,10) Or, il est manifeste que ceux qui l’accueillirent ainsi durent recevoir de lui la parole de l’Évangile ; il ne se serait pas écoulé trois mois dans ces entretiens, s’ils n’avaient cru et produit de dignes fruits de leur foi. Et l’on peut induire de là que le nombre de ceux qui crurent fut considérable.
Et nous nous embarquâmes », dit le texte, « sur un vaisseau d’Alexandrie, qui avait passé l’hiver dans l’île, et qui portait pou enseigne : Castor et Pollux ». L’image de ces dieux était probablement peinte sur ce navire, et ainsi on peut croire que ceux qui le montaient étaient idolâtres. Voyez d’abord les lenteurs de leur voyage, puis comme ils se hâtent d’arriver. « Mais il fut permis à Paul de demeurer où, il voudrait ». Paul était désormais si respectable à leurs yeux, qu’il lui était permis dé demeurer à part ; et cela n’a rien d’étrange car si, précédemment, ils l’ont déjà accueilli avec bonté, à plus forte raison maintenant. « Et le vent du midi s’étant levé, nous arrivâmes en deux fours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent d’y demeurer sept jours ; et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous, jusqu’au lieu appelé le Marché d’Appius, et aux Trois Hôtelleries ». Qu’ils soient sortis de Rome pour cette rencontre ; parce qu’ils craignaient le danger qu’elle pouvait avoir pour eux dans Rome même, ce qui s’est passé jusqu’ici nous autorise à leur supposer ces sentiments. Remarquez que, dans le cours d’une aussi longue navigation, ils n’ont jamais débarqué dans aucune ville, ruais dans une île ; et que l’hiver tout entier s’écoule dans cette navigation, tout se coordonnant et se concernant pour que ceux qui naviguent ensemble soient amenés à la vraie foi. « Il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait, avec un soldat qui le gardait ». Précaution bien opportune, pour que personne ne pût lui tendre des embûches en cet endroit ; quant aux factions, il ne pouvait pas s’en fermer ici. Ainsi, ce soldat ne gardait pas Paul précisément, mais veillait à ce qu’il ne lui arrivât rien de désagréable. En effet, au sein d’une si grande cité, résidence de l’empereur, de l’empereur à qui Paul en avait appelé, il ne pouvait se passer rien qui fût contraire à l’ordre. C’est ainsi que c’est toujours au moyen de ce qui semble être contre nous, qu’arrive tout ce qui est pour nous. – Ayant appelé auprès de lui les premiers d’entre les Juifs, il s’entretient avec eux, et ceux qui ne pouvant, s’accorder ni avec lui, ni entre eux, se retirent, s’attirent de sa part de sévères paroles auxquelles ils n’ont rien à répondre, car déjà il ne leur était plus permis de rien tenter contre lui. Ce quia lieu d’étonner, c’est que tout ce qui nous arrive d’heureux ne se réalise pas à l’aide d’événements qui paraissent concourir à notre sécurité, mais à l’aide d’événements tout contraires.
Pour bien voir cela, remontons plus haut, Pharaon ordonna que les enfants fussent jetés dans le. Nil. Si ces enfants n’y avaient pas été jetés, si Pharaon n’avait pas donné cet ordre, Moïse n’eût pas été sauvé et élevé dans le palais des rois. Au moment où on le sauvait des eaux, il n’était pas élevé en honneur ; il l’a été au moment où il à été exposé. Et Dieu agissait ainsi pour montrer les ressources infinies de sa sagesse et de sa puissance. Un Juif le menaça, en lui disant : « Est-ce que tu voudrais me tuer ? » (Ex. 2,14) Et cela lui fut utile. Ce fut aussi par une permission spéciale, de la Providence, qu’il eut cette vision dans le désert, qu’il philosopha dans ce même désert, et y vécut en sûreté jusqu’au temps marqué par elle. Et il en est ainsi de tous les pièges qui lui sont tendus parles Juifs. De chacune de ces épreuves, il reçoit un nouvel éclat, et c’est aussi ce qui arrive à Aaron ; ils se lèvent contre lui, et ils ne font qu’ajouter par là à sa gloire, car c’est après cet événement, que sa robe sacerdotale se pare de broderies, qu’une tiare couvre sa tête, que tout l’ensemble de son costume devient plus riche et plus orné, et que, par la suite, les lames d’airain de son pectoral excitent l’admiration, comme si c’était à partir de ce moment que le caractère divin de son élévation est au-dessus de toute contestation. Vous connaissez parfaitement tous les détails de cette histoire : je puis donc passer rapidement. Mais si vous voulez, remontons encore plus haut sur le même sujet. Caïn tua son frère : mais par là on peut dire qu’il contribua, à sa glorification. Écoutez ce que dit l’Écriture : « La voix, du sang de ton frère crie et s’élève devant moi ». (Gen. 4,10) Et ailleurs : « Sang qui parle plus avantageusement pour nous que celui d’Abel ». (Héb. 12,24) Caïn a délivré des incertitudes de l’avenir ; il a augmenté l’éclat de la récompense qui lui était destinée : nous avons tous vu dans l’Écriture la tendresse que Dieu avait pour lui. Quel tort lui a été fait, parce que sa, vie a fini un peu plus tôt ? Aucun. Que gagnent, dites-moi, ceux pour lesquels elle se prolonge un peu plus ? Rien. Car le bonheur ne consiste pas à passer dans ce monde un peu plus ou un peu moins d’années, mais à bien user du temps que nous y passons. – Les trois enfants furent jetés dans la fournaise, et par la ils ont acquis une gloire immortelle. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, et-il en est sorti glorieux et triomphant.
3. Vous voyez que partout de grands biens sont sortis des épreuves, dans l’histoire de l’ancienne alliance. A combien plus forte raison doit-il en être ainsi dans la nouvelle ! La malice des hommes ne fait que rendre la vertu plus éclatante, à peu près comme il arrive à celui qui, à l’aide d’un simple roseau, veut se battre contre le feu : on dirait qu’il le bat, mais en réalité le feu n’en devient que plus flamboyant, et le roseau se réduit en cendres. Ainsi la vertu se nourrit et se fortifie au milieu des pièges que lui tend la malice des hommes, et n’en devient que plus éclatante. Dieu se sert au besoin, pour nous grandir, des injustices mêmes qui nous sont faites. De même, le démon, lorsqu’il intervient dans quelque affaire semblable, ne fait qu’ajouter à la gloire de ceux qui supportent vaillamment ses attaques. Comment se fait-il, dites-vous, que les choses ne se soient pas pissées ainsi à l’égard d’Adam, et que, tout au contraire, il ait été déchu de sa dignité première ? Je réponds qu’à son égard aussi ; Dieu s’est servi, comme il le fallait, de l’épreuve, et que c’est lui-même qui s’est causé tout Je dommage qu’il a pu éprouver. Ce qui nous vient d’autrui ; est pour nous la cause de grands biens : il n’en est pas de même de ce qui vient de nous-mêmes. Comme le tort que nous font les autres nous cause du chagrin, et que nous n’en ressentons pas pour le tort que nous nous faisons à nous-mêmes, Dieu se plaît à faire voir que celui qui est injustement traité par autrui, est glorifié, et qu’au contraire, celui qui se fait du tort à lui-même en éprouve du dommage, afin que nous supportions avec courage l’un de ces torts, et que nous nous abstenions de tout ce qui pourrait constituer l’autre. Au reste, ces deux genres de torts se réunissent en la personne d’Adam. – Pourquoi as-tu ajouté une foi aveugle aux paroles de ta femme ? Pourquoi ne l’as-tu pas repoussée, lorsqu’elle te conseillait des choses funestes ? Tu as été la cause de tout : car si c’était le démon, il faudrait que ceux qu’il tente pareillement, succombent et périssent tous ; s’ils ne périssent pas tous, c’est donc à l’homme qu’il faut remonter pour trouver la cause première du, péché.
Mais, direz-vous, si la cause du mal est en nous, faudra-t-il admettre que l’on se perd même sans l’intervention du démon ? – Eh bien ! c’est ce qui arrive : plusieurs se perdent en – dehors de toute action du démon. Oui, celui-ci ne fait pas tout le mal ; notre lâcheté seule est la cause de beaucoup de choses : ou, si c’est à l’action du démon qu’elles peuvent être attribuées, c’est nous-mêmes qui lui avons fourni l’occasion d’agir : Dites-moi ; à quel moment le démon eut-il tout pouvoir sur Judas ? – Lorsque Satan ; me direz-vous, entra en lui. – Mais écoutez pour quel motif il y entra parce que c’était un voleur, et qu’il dérobait l’argent des aumônes. – Judas lui-même a donc ouvert à Satan une large entrée. Ainsi, ce n’est pas le démon, qui prend l’initiative : c’est nous qui l’appelons et le recevons n nous. – Mais ; direz-vous, sans lui, le mal que nous commettons ne serait pas si grand. – Oui, mais dans ce cas, nous devrions nous attendre à d’affreux supplices : maintenant, mes chers amis, et dans l’état actuel des choses ; une certaine douceur tempère les châtiments infligés à nos fautes. Si c’était de nous-mêmes, et de nous seuls qu’elles procédaient, ces châtiments seraient intolérables. Dites-moi, la faute commise par Adam, s’il l’eût commise en dehors de tout conseil et de toute suggestion, qui eût pu ensuite le soustraire aux dangers auxquels cette première faute l’exposait ? Dans ce cas, il n’eût pas commis de faute, direz-vous. – D’où le savez-vous ? En effet, celui que fut assez simple, assez sot, pour admettre un tel conseil, eût, à bien plus forte raison, agi par lui-même comme il l’a fait. Quel démon a soufflé dans l’âme des frères dé Joseph le feu de la jalousie ? – Veillons sans cesse sur nous-mêmes ; mes chers amis, et les pièges mêmes du démon tourneront à notre gloire. Quel mal lit-il à Jota en déployant contre lui tous ses artifices ? – Ne nous parlez pas ainsi, direzvous : un infirme est nécessairement exposé à éprouver quelque dommage. – Oui, mais cet infirme éprouvera ce dommage, alors même que le démon n’existerait pas. – Me direz-vous que ce dommage sera bien plus grand, si, à celle cause première de mal pour lui, s’ajoute l’opération même du démon ? – Je vous réponds qu’il est moins puni, si c’est avec cette coopération qu’il pèche : car tous les péchés ne sont pas suivis des mêmes châtiments. Ne nous trompons pas nous-mêmes : si nous veillons sur nous, le démon ne sera pas en nous l’auteur du mal : celui-ci sert bien plutôt à nous secouer dans notre sommeil, à nous réveiller. En effet, supposez un moment avec, moi qu’il n’y a pas de bêtes féroces, qu’il n’y a pas d’intempéries de l’air, qu’il n’y a pas de maladies, de douleurs, de chagrins, ni aucun autre mal physique de ce genre : dites-moi, dans ce cas, que serait l’homme ? A mon avis, il ressemblerait plus au plus vil des animaux qu’à un homme, plongé qu’il serait dans toutes les voluptés, sans que rien ne vînt jamais le troubler dans ses grossières jouissances. Actuellement, les soucis, les inquiétudes dont il est assailli, ont pour lui comme un apprentissage, comme une école de philosophie, un excellent instrument d’éducation et de perfectionnement moral. Faites une autre supposition : figurez-vous l’homme élevé dans un palais, exempt de toute douleur, de tout souci, de toute préoccupation d’esprit, sans aucune occasion de se mettre en colère ou d’éprouver quelque déception, pouvant faire tout ce qu’il veut ; obtenant tout ce qu’il désire, et trouvant toujours ses semblables disposés à lui obéir est-ce qu’un tel homme, au point de vue rationnel, ne serait pas au-dessous de quelque animal que ce puisse être ?
Dans ce monde donc, les malheurs, les souffrances sont pour l’âme comme fa pierre à aiguiser : aussi les pauvres, ballottés, éprouvés qu’ils sont par tant de tempêtes, sont-ils, en général, plus intelligents que les riches. Un corps paresseux et toujours en repos est sujet aux maladies, et perd même, dans cette inertie, quelque chose de sa beauté naturelle : il en est tout autrement d’un corps qui trouve dans le travail l’occasion d’exercer ses forces. L’âme éprouve quelque chose de semblable. Le fer se rouille, si on ne s’en sert pas ; il brille, au contraire, si on l’emploie, à quelque usage. Il en est ainsi de l’âme : il lui faut le mouvement ; or, le mouvement, elle le trouve dans les épreuves et dans les soucis qui l’assiègent. Si l’âme est privée de mouvement, les arts eux-mêmes périssent ; or, le mouvement pour elle naît des difficultés qu’elle rencontre, des contrariétés qu’elle éprouve. Sans les contrariétés, il n’y aurait rien pour la mettre en mouvement, de même que l’art lui-même ne trouverait pas de matière à s’exercer, si la perfection existait partout clans les œuvres de, la nature. L’âme aurait une certaine laideur si, sans effort de sa part, elle était comme portée partout. Ne voyez-vous pas que nous prescrivons aux nourrices de ne pas porter toujours les enfants dans leurs tafias, de peur que cétane tourne pour eux en habitude, et qu’ils né deviennent faibles et maladifs. Ceux qui sont nourris sous les yeux mêmes ale bons parents sont souvent plus chétifs que les autres, par suite des ménagements excessifs dont ils sont l’objet et qui altèrent leur santé-: Urne douleur modérée, des inquiétudes modérées ; et même une certaine pauvreté, sont bonnes à l’âme : car les bonnes choses, et leurs contraires, mais à un degré modéré, nous rendent également forts ; c’est leur excès seul qui nous perd : l’excès des unes nous amollit, l’excès des autres nous brise. N’avez-vous pas remarqué que c’est ainsi que le Christ a élevé ses disciples ? Si ceux-ci avaient besoin de passer par les épreuves, à combien plus forte raison nous sont-elles nécessaires ? Si elles nous sont nécessaires, ne nous fâchons pas, mais, tout au contraire, réjouissons-nous dans les tribulations : car tels sont tes remèdes qu’il convient. d’appliquer à nos blessures : les uns sont amers, les autres sont doux : employé séparément, chacun de ces deux genres de remèdes serait tout à fait inefficace. Rendons donc grâces à Dieu pour toutes ces choses prises ensemble ; car ce n’est pas sans raison qu’il permet qu’elles nous arrivent toutes indistinctement, mais parée que cela convient au plus grand bien de nos âmes. Élevant donc vers lui nos cœurs reconnaissants, rendons-lui grâces, glorifions-le, luttons courageusement, en songeant que nos épreuves – ne durent qu’un temps, et en tournant toutes nos pensées vers les biens de l’éternité, afin que, après avoir supporté avec résignation, soutenus par ces pensées, le poids de nos misères présentes, nous méritions d’obtenir de Dieu les biens à venir, par la grâce et la bonté de son Fils unique, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LV. modifier


TROIS JOURS APRÈS, PAUL PRIA LES PRINCIPAUX D’ENTRE LES JUIFS DE LE VENIR TROUVER ; ET QUAND ILS FURENT VENUS, IL LEUR DIT : « MES FRÈRES, QUOIQUE JE N’EUSSE RIEN COMMIS CONTRE LE PEUPLE, NI CONTRE LES COUTUMES DE NOS PÈRES, J’AI ÉTÉ FAIT PRISONNIER A JÉRUSALEM, ET MIS ENTRE LES MAINS DES ROMAINS QUI, M’AYANT EXAMINÉ, ME VOULAIENT METTRE EN LIBERTÉ, PARCE QU’ILS NE ME TROUVAIENT COUPABLE D’AUCUN CRIME QUI MÉRITÂT LA MORT. MAIS LES JUIFS S’Y OPPOSANT. J’AI ÉTÉ CONTRAINT D’APPELER A CÉSAR, SANS QUE J’AIE DESSEIN NÉANMOINS D’ACCUSER EN AUCUNE CHOSE CEUX DE MA NATION. C’EST POUR CE SUJET QUE JE VOUS AI PRIÉS DE VENIR ICI, AFIN DE VOUS VOIR ET DE VOUS PARLER ; CAR C’EST POUR L’ESPÉRANCE D’ISRAËL QUE JE SUIS LIÉ DE CETTE CHAÎNE ». (CHAP. 28, VERS. 17-20 ; JUSQU’A LA FIN DU LIVRE DES ACTES)

ANALYSE. modifier

  • 1 et 2. Paul s’entretient avec les Juifs de Rome. – Il leur démontre la vérité du Christianisme par les prophéties.
  • 3. Éloge de saint Paul. – Comparaison de l’éloquence de l’apôtre avec la mer.


1. C’est bien à propos qu’il convie ainsi les principaux d’entre les Juifs à avoir un entretien avec lui. Il désirait à la fois se justifier lui-même et justifier les autres : lui-même, de peur qu’ils ne l’accusassent et que cela ne leur fît du tort ; les autres, de peur qu’il ne semblât que c’était d’eux que dépendait l’issue de toute cette affaire, Car il est vraisemblable que le bruit s’était répandu, qu’il avait été livré par les Juifs ; or, cette circonstance suffisait pour, frapper l’esprit des Juifs de Rome. Il va donc au plus tôt au-devant de cette difficulté, et voyez avec quelle douceur il entame sa propre défense : « Mes frères, quoique je n’eusse rien commis contre le peuple ni contre les coutumes de nos pères, j’ai été fait prisonnier à Jérusalem, et mis entre les mains des Romains ». Après ces paroles, comme il était vraisemblable que quelques-uns de ceux qui l’entendaient allaient dire : « Mais comment croire qu’il ait été livré par eux sans raison ? » il ajoute : « Qui, m’ayant examiné, me voulaient mettre en liberté » ; comme s’il disait : Ils attestent mon innocence, les magistrats des Romains, lesquels m’ont jugé et voulaient me mettre en liberté. – Mais pourquoi donc ne t’ont-ils pas mis réellement eu liberté ? – « Les Juifs s’y opposant », ajoute-t-il. Voyez-vous comme il atténue leurs fautes ? Car s’il eût voulu les aggraver, il n’avait qu’à prendre, à leur sujet, un ton plus vif et plus véhément. Il se contente d’ajouter : « J’ai été contraint d’en appeler à César ». Ainsi tout tourne à l’indulgence et art pardon. Ensuite, de peur que l’on ne dise : « Mais quoi ! est-ce donc pour avoir un prétexte de les accuser, que tu en as appelé ? » Il prévient tout malentendu, en ajoutant : « Sans que j’aie dessein néanmoins d’accuser en aucune chose ceux de ma nation ». C’est-à-dire, j’en ai appelé à César, non pour avoir occasion de les accuser ; criais pour échapper au danger qui me menaçait moi-même. Car c’est à cause de vous que je suis chargé de ces chaînes.
Tant s’en faut que je sois animé de sentiments de haine à votre égard, qu’au contraire c’est pour vous que je suis chargé de chaînes. Et eux, que disent-ils ? Ils sont tellement gagnés par ce discours, qu’ils parlent comme s’ils cherchaient à se justifier eux-mêmes vis-à-vis de lui, et non seulement eux-mêmes, mais encore leurs compatriotes. « Ils lui répondirent : Nous n’avons point reçu de lettres de Judée sur votre sujet, et il n’est venu aucun de nos frères de ce pays-là qui nous ait dit du mal de vous. Mais nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ; car ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on la combat partout (21-22 ». Comme s’ils disaient : Ni par lettres, ni verbalement, ils ne nous ouf ##Rem dit aucun mal de vous : toutefois nous voulons vous entendre vous-même à ce sujet. Et ils prennent, les devant quant à la manifestation de leurs propres sentiments, en ajoutant : Ce que nous savons de cette secte, c’est qu’on la combat partout ». Ils ne disent pas : « Nous la combattons », mais « on la combat », se justifiant ainsi de tout reproche d’opposition. « Ayant donc pris jour avec lui, ils vinrent en grand nombre le trouver dans sa demeure, et il leur prêchait le royaume de Dieu, leur confirmant ce qu’il leur disait par plusieurs témoignages ; et depuis le matin jusqu’au soir, il tâchait de leur persuader la foi de Jésus par la loi de Moïse et par les prophètes. « Les uns croyaient ce qu’il disait, et les autres ne le croyaient pas ». Avez-vous remarqué qu’il ne leur répond pas immédiatement, mais qu’il leur fixe un jour pour venir l’entendre ? Et quand ils sont venus, c’est la loi de Moïse, ce, sont les prophètes, qui sont le point de départ et le fondement de ses discours : « Et les uns croyaient, les autres ne croyaient pas. Et ne pouvant s’accorder entre eux, ils se retiraient. Ce qui donna sujet à Paul de leur dire cette parole : C’est avec grande raison que le Saint-Esprit, qui a parlé à nos pères par le prophète Isaïe a dit : Allez vers ce peuple, et lui dites : Vous écouterez, et en écoutant, vous n’entendrez pas ; vous verrez, et en voyant, vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple s’est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes ; et ils ont bouché leurs yeux de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, « que leur cœur ne comprenne, et que, s’étant convertis, je ne les guérisse (23-27) ». Pendant qu’ils se retiraient en disputant les uns contre les autres, il leur cite Isaïe, non pour injurier ceux qui ne croient pas, mais pour confirmer dans leur foi ceux qui croient. Que dit Isaïe ? Vous écouterez, et en écoutant, « vous n’entendrez point ». Voyez-vous comme implicitement il montre qu’ils sont indignes de tout pardon, puisque ; ayant un prophète qui, d’avance, il y a tant de siècles, leur a avancé tout cela, ils ne se sont pas convertis ? Par ces mots : « C’est avec grande raison », il fait voir que c’est bien justement qu’ils ont été exclus du pardon ; de sorte qu’il n’a été donné qu’aux gentils de connaître ce mystère. Et quant à la résistance et à l’endurcissement des Juifs, ils n’ont rien qui doive nous surprendre : Ils avaient été prédits, il y a bien longtemps. Cherchant toutefois à faire naître en eux une sainte jalousie à la pensée de la conversion des gentils, il ajoute : « Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu’ils le recevront. Lorsqu’il leur eût dit ces choses, les Juifs s’en allèrent, ayant de nouveau de grandes conversations entre eux. Paul ensuite demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée, et où il recevait tous ceux qui le venaient voir, prêchant le royaume de Dieu, et enseignant ce qui regarde le Seigneur Jésus-Christ avec toute liberté, sans que personne l’en empêchât. Ainsi soit-il (28, 31) ». Ainsi éclate au grand joule la liberté dont il jouit, lui qu’on avait empêché de prêcher en Judée, prêche à Rome sans aucun obstacle, puisqu’il y demeure deux ans s’y livrant sans relâche à la prédication.
2. Mais reprenons. « C’est pour ce sujet, dit-il, que je vous ai priés de venir ici, afin de vous voir », c’est-à-dire, j’ai désiré vous voir, afin d’empêcher que le premier vend ne m’accusât devant vous, en vous disant ce qui lui passerait par l’esprit sur les vrais motifs qui m’ont amené ici. Croyez bien que je n’y suis pas venu pour faire du mal aux autres, en évitant moi-même d’en recevoir. Eux lui répondirent : « Nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ». Voyez comme ils lui parlent ici avec plus de douceur. « Nous voudrions bien », disent-ils ; et ils sont disposés à rendre compte eux-mêmes de leurs propres sentiments sur ces mêmes choses, et c’est pour cela qu’ils sont venus au jour marqué. Mais c’est là une preuve qu’ils se condamnent formellement eux-mêmes, qu’ils n’ont eu eux-mêmes aucune confiance. S’ils avaient eu cette confiance ; ils se seraient concertés entre eux pour s’emparer de lui ; mais comme cette ; assurance leur manque, ils mettent une certaine lenteur à se rendre auprès de lui. Et ce qui prouve bien que le cœur leur manquait, c’est qu’ils furent obligés de s’y prendre, à cet égard, à plusieurs reprises. « Et les uns croyaient ce qu’il disait, et les autres ne le croyaient pas, et ne pouvant s’accorder entre a eux, ils se retiraient » ; c’est-à-dire, que ceux qui refusaient de croire s’en allaient. Remarquez qu’en ce moment ils n’ourdissent pas de complots pour leur tendre des embûches, comme ils l’avaient fait en Judée où ils étaient soumis au joug de la tyrannie. Pourquoi donc Dieu avait-il arrêté dans ses desseins qu’il se rendrait ici, pourquoi lui avait-il crié : « Hâte-toi, sors promptement de Jérusalem ? » Pour faire éclater leur méchanceté et la vérité de la prophétie du Christ qui avait annoncé qu’ils ne voudraient pas recevoir ses envoyés ; pour que tout le monde sût que Paul était prêt à souffrir ; et enfin pour que la manière dont il était traité à Rome en ce moment, servît de consolation aux frères qu’il avait laissés en Judée où il avait souffert tant de maux. Et s’il a été exposé à tous ces maux en développant certains points de la doctrine judaïque, comment auraient-ils toléré qu’il leur prêchât tout ce qui concerne la gloire du Christ ?
On ne le supportait pas, quand il se soumettait aux purifications légales.: comment l’eût-on supporté, s’il eût annoncé l’Évangile du Christ ? – Il s’est contenté de se montrer, et cette vue seule les a exaspérés. C’est donc à bon droit que le salut a été procuré aux gentils ; c’est à bon droit que l’apôtre a été envoyé dans les pays lointains pour que les gentils reçussent sa parole. Examinez ce qui se passe : il appelle d’abord à lui les Juifs, et ce n’est qu’après qu’il leur a fait connaître sa mission, qu’il se rend chez les gentils. Ces expressions dont il se sert : « Le Saint-Esprit a dit », n’ont rien qui doive nous surprendre ; car les paroles mêmes du Seigneur sont souvent mises dans la bouche d’un ange : « C’est avec grande raison que l’Esprit-Saint à dit ». Cette expression est permise ici ; elle ne l’est pas quand il s’agit d’un ange. Lorsque nous exposons les paroles qui ont été prononcées par un ange, nous ne disons pas : « C’est avec grande raison que l’ange a dit », mais : « C’est avec grande raison que le Seigneur a dit ». – Ici nous lisons : « C’est avec grande raison que l’Esprit-Saint a dit » ; comme s’il voulait dire : Ce n’est pas à moi que vous refusez de croire, mais à l’Esprit, et c’est ce que, depuis longtemps, Dieu avait prédit. « M’ayant examiné, dit-il, ils voulaient me mettre en liberté » ; c’est-à-dire qu’ils voulaient me renvoyer absous, n’ayant rien trouvé en moi qui fût digne de condamnation. Et alors qu’il aurait fallu qu’ils l’arrachassent des nains des Romains, tout au contraire ils le leur livrent. Il lui restait encore tant de liberté, qu’ils n’ont pas eu le pouvoir de le condamner, et qu’ils se contentent de le livrer encore tout chargé de chaînes.
« J’ai été contraint d’en appeler à César, sans que j’aie dessein néanmoins d’accuser en aucune chose ceux de ma nation ». C’est-à-dire : ce n’est pas pour attirer de mauvais traitements sur la tête des autres, mais pour m’en délivrer moi-même que j’ai agi ainsi, et cela, non de mon propre gré, mais contraint et forcé. Voyez quelle familiarité respire dans ses paroles : loin de s’aliéner leurs cœurs, il les attire au contraire à lui par ce mot : « de ma nation ». Par là il se ménage un accès dans leur esprit pour la propagation de sa doctrine. Et il ne leur dit pas : Je n’accuse pas, mais « sans que j’aie dessein d’accuser », bien qu’il eût tant souffert de leur part en Judée. Voilà pourquoi il ne s’explique pas ouvertement, mais se contente de quelques allusions, et passe outre ; car, en ce moment, tout ce qu’il s’attachait à montrer, c’est que les Juifs de Judée l’avaient livré enchaîné aux Romains. Et maintenant c’était à eux (aux Juifs de Rome) à condamner cette conduite ; c’était à eux, du moins, à l’accuser, et bien plutôt ils les défendent ; mais par les choses mêmes qu’ils mettent en avant pour cette défense, en réalité ils les accusent. « Ce que nous savons, disent-ils, de cette secte, c’est qu’on la combat partout ». – Mais bien que les choses se passent ainsi, vous n’en croyez pas moins partout ». – « Auxquels il exposait le royaume de Dieu…… par la loi et par les prophètes ». Remarquez qu’ici encore ce n’est pas par des miracles, mais par la loi et les prophètes, qu’il leur ferme la bouche, et que c’est ainsi qu’il fait partout, bien qu’il pût faire des miracles ; mais ils n’eussent plus été un objet de foi, et c’était un bien grand miracle que de leur prouver sa doctrine parla loi et les prophètes. Ensuite, pour que vous ne considériez pas comme étrange que les Juifs persistent dans 1eur incrédulité, remarquez qu’il leur cite cette prophétie : « Vous écouterez, et en écoutant vous n’entendrez point ; vous verrez, et en voyant vous ne verrez point ». – Et ces deux choses, semble-t-il leur dire, sont l’une et l’autre encore plus vraies qu’elles ne l’étaient alors. – Ces paroles s’adressent à ceux qui refusaient de croire, et elles n’avaient rien d’injurieux elles se bornaient à prévenir le scandale. « Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu’ils le recevront ». Pourquoi donc avez-vous voulu nous parler ? Est-ce que vous ne saviez pas cela d’avance ? – Oui, sans doute, mais je vous rends compte de tout, pour essayer de vous convaincre et pour ôter tout prétexte de m’attaquer moi-même. « Et Paul demeura deux ans entiers…… enseignant avec toute liberté, sans que personne l’en empêchât ». Ce n’est pas sans raison que ces derniers mots sont ajoutés, car la prédication à parfois lieu librement, bien qu’avec certaines gênes. Rien donc ici ne fait obstacle à la liberté de Paul : il parlait sans aucune espèce d’empêchement. « Et Paul demeura deux ans entiers dans la maison qu’il avait louée », tant il était appliqué et assidu dans l’accomplissement de sa mission, ou, pour mieux dire, tant il avait à cœur d’imiter son Maître en toutes choses, pourvoyant à son logement à l’aide de soir travail, et non par le travail d’autrui ; car c’est là ce que signifient ces mots : « dans la maison qu’il avait louée ». Et que notre divin Maître n’ait pas eu de maison lui appartenant, c’est ce qui ressort de ces paroles qu’il adresse à celui qui lui a dit (sans trop savoir ce qu’il disait) : Je vous suivrai partout où vous irez : « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ». (Mt. 8,20) Et c’est ainsi qu’il a enseigné par son propre exemple à venir posséder, et à ne pas attacher son cœur aux biens de ce monde. « Et il y recevait tous ceux qui le venaient voir, prêchant le royaume de Dieu ». – Remarquez qu’il ne dit mien des choses présentes, et ne parle que du royaume de Dieu. Avez-vous fait attention à la marche que suit ici la divine providence ? L’historien arrête ici son récit, et laissé son lecteur tourmenté, pour ainsi dire, par la soif, et obligé de chercher en lui-même ce qu’il veut savoir. C’est ainsi qu’agissent aussi les auteurs profanes ; car, lorsqu’on sait tout, l’esprit se laisse aller à une sorte de mollesse et de somnolence. C’est donc ainsi que procède l’historien sacré : il ne raconte rien des choses qui out suivi, jugeant cela inutile à ceux qui liront les auteurs qui en ont parlé, et qui y trouveront. Le moyen de suppléer à ce qui manque ici. Car ce qui a suivi devait être en parfait accord avec ce qui a précédé. Écoutez Paul lui-même écrivant quelque temps après aux Romains : « Lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’irai vers vous ». (Rom. 10,24)
3. Voyez-vous comme elle sait tout prévoir cette âme sainte, et, pour ainsi dire, divine de Paul, qui, transporté par la sublimité de son génie, au-delà même des cieux, est capable d’embrasser en même temps toutes choses, de ce Paul dont le nom seul, pour ceux qui le connaissent, suffit pour exciter l’âme à la vigilance, pour la réveiller du plus profond assoupissement ? Rome l’a reçu chargé de chaînes, au moment où il vient de traverser les mers ; sauvé du naufrage, il vient pour la délivrer, d’un autre naufrage, celui de l’erreur. Car c’est, pour ainsi dire, comme un roi victorieux à la suite d’un combat sur mer, qu’il a fait son entrée dans cette splendide et royale cité : C’est de cela qu’il voulait parler, quand il écrivait : « Je viendrai, et nous jouirons d’une consolation mutuelle dans la plénitude de la consolation de l’Évangile ». (Rom. 15,29) Et, encore : « Je m’en vais, à Jérusalem pour remplir mon ministère envers les saints ». (Id. 5,25) C’est-à-dire, comme il l’a dit dans notre texte : « Je suis venu pour faire des aumônes à ma nation » : (Act. 22,17) Mais déjà approchait le moment où il devait recevoir la couronne promise : Rome l’a reçu chargé de chaînes : elle le verra couronné, elle entendra son nom proclamé avec honneur. « Là, dit-il, nous jouirons d’une consolation rituelle » (Rom. 15,32) ; en ce moment je pars pour remplir à Jérusalem mon ministère. Tel est le point de départ de la nouvelle carrière qu’il va parcourir glorieusement, et où, invincible par la foi, il élèvera trophées sur trophées. Corinthe le retint deux ans, l’Asie trois ans, et deux ans à Rome, où il était venu pour la seconde fois, quand il y termina sa vie mortelle. « La première fois, dit-il, que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté ». (2Tim. 4,16) Nous venons devoir comment il échappa à ses ennemis : ce ne fut qu’après qu’il eût rempli l’univers entier de la parole évangélique, qu’il vint y finir sa vie.
Que voulez-vous apprendre touchant les choses qui ont suivi ? Elles ne sont pas différentes de celles qui précèdent : des chaînes, des tortures, des combats, des prisons, des embûches, des délations, les bourreaux faisant, chaque jour, de nouvelles victimes. N’avez-vous pas aperçu déjà une petite partie de ce tableau ? Représentez-vous tout le reste d’après cela.
Si vous attachez vos regards sur une partie déterminée du ciel, en quelque lieu que vous alliez ensuite, vous apercevrez la même chose. De même, si vous ne voyiez qu’en partie les rayons du soleil, vous pourriez, d’après cette impression, vous représenter l’image de cet astre. Ainsi en est-il de Paul. Vous avez vu une partie de ses actes : tous les autres leur ressemblent ; c’est-à-dire qu’en tous vous ne, trouvez qu’angoisses et périls. Paul était comme un autre ciel, bien supérieur au nôtre, puisqu’il était tout illuminé par le soleil de justice qu’il portait en lui, et non par ce soleil vulgaire. Croyez-vous donc que ce soit là peu de chose ? Pour moi, je ne le crois pas. Lorsqu’on parle de l’apôtre, immédiatement tout le monde songe à Paul ; lorsqu’on parle de « Baptiste », tout le monde songe à Jean. À quoi pourrait-on comparer son éloquence ? À la mer, à l’océan ? Mais il n’y a aucune parité. Les flots de sa parole sont bien plus pressés, ils sont bien plus limpides, et en même temps bien plus profonds que ceux de la mer. Pour donner une idée de l’âme de Paul, il faudrait la comparer à la fois au ciel et à ; la mer, à l’un pour sa pureté, à l’autre pour sa profondeur. Cette mer ne sert pas à porter les navigateurs d’une ville dans une autre ; elle les porte de la terre au ciel ; et celui qui se confie à ses flots sera sûr de naviguer avec un vent favorable. Sur cette mer les vents ne se déchaînent pas ; à leur place, c’est le souffle divin du Saint-Esprit qui enfle les voiles et conduit les âmes au port. Il n’y a ici ni soulèvement des vagues, ni écueils, ni monstres marins : le calme le plus profond y règne. Cette mort est plus tranquille et plus sûre que quelque port qu’on puisse imaginer ; les flots qu’elle roule ont l’éclat et la transparence même du soleil : cette mer ne renferme, dans ses abîmes, ni des pierres précieuses, ni le mollusque, non moins précieux, dont on extrait la pourpre ; elle renferme des trésors bien plus riches. Celui qui veut descendre au fond de cette mer, n’a pas besoin de plongeur ; ni de quelque autre artifice que ce puisse être : il n’a besoin que d’une grande philosophie : il y trouvera tous les biens que renferme le royaume des cieux. Que dis-je ? Il pourra lui-même devenir roi, étendre sa domination surie monde entier, et monter au faîte des plus grands honneurs. Sur cette mer, le navigateur n’éprouvera aucun naufrage, parce qu’il saura tout, et dans la perfection.
Mais il arrive, sur cette mer comme sur l’autre, que ceux qui s’y risquent sans aucune expérience, y trouvent la mort ; c’est en effet le sort qui attend, les hérétiques qui tentent ce qui est au-dessus de leurs forces. Il faut connaître la profondeur de cette mer avant de rien tenter. Avant donc de nous y embarquer, ceignons nos reins avec le plus grand soin. « Je n’ai pu, dit-il ; vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ». (1Cor. 3,1) Que celui qui manque de patience, n’entreprenne pas cette navigation. Ayons soin de nous pourvoir d’avance de tout ce qui est nécessaire, je veux dire : du zèle, de la ferveur, des prières ; ce n’est que par ces moyens que nous pourrons tranquillement traverser les eaux vives de cette mer. Celui qui tient en main, pour sa défense, un glaive d’acier fortement trempé, est, pour ainsi dire, inexpugnable ; il en est ainsi de celui qui connaît Paul : son âme est si fortement trempée, qu’elle résiste à toutes les attaques. Mais ce n’est qu’à l’aide d’une vie pure que l’on peut comprendre les pensées de Paul. Voilà pourquoi il a dit lui-même : « Vous êtes comme des personnes à qui on ne devrait donner que du lait, parce que vous êtes devenus faibles et lents pour entendre ». (Héb. 5,11-12) Il existe, en effet, pour l’entendement une sorte d’infirmité. De même que l’estomac, quand il est malade, ne saurait recevoir les aliments, quelque sains qu’ils soient, s’ils sont de difficile digestion, de même l’âme enflée par l’orgueil, énervée, frappée de stérilité, devient incapable de recevoir la parole spirituelle. Vous vous rappelez que les disciples disaient à Notre-Seigneur : « Ce discours est dur ; qui donc pourra l’entendre ? » (Jn. 6,61) Mais si l’âme était forte, si elle était dans un état sain, tout lui deviendrait léger, tout lui deviendrait facile ; ses facultés s’exalteraient ; elle s’élèverait jusqu’à d’incommensurables hauteurs. Convaincus de cette vérité, donnons à notre âme cette belle santé : qu’une sainte émulation nous anime à imiter Paul, cette âme vaillante ; cette âme de diamant ; afin que, marchant sur ses traces, nous puissions traverser cet océan de la vie présente, aborder à ce port dont rien ne trouble la tranquillité, et obtenir ainsi les biens promis à ceux qui vivent d’une manière digne du Christ, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Ces six dernières Homélies ont été traduites par M. RICARD.

FIN DES HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APÔTRES.
  1. Pour l’avertissement, voir tome I, page 372.
  2. La Vulgate porte Achan, fils de Charmé (Jos. 7,1)
  3. Ce texte diffère de celui de la Vulgate.
  4. Allusion à ce passage de l’Évangile : Abrabam a désiré voir mon jour, il l’a vu, il s’en est réjoui.
  5. Memphiboseth dans la Vulgate.
  6. Il serait difficile de rendre littéralement cette phrase et la suivante, sans blesser la délicatesse de notre langue.
  7. Une note du texte dit que cette phrase ne se lie point avec ce qui précède.
  8. C’est-à-dire, si je ne me trompe, Dieu les tira de l’Égypte pour les conduire dans la terre promise ; mais le contraire arriva à cause de leur iniquité, car ils périrent presque tous dans le désert.
  9. La Vulgate dit Simon, c’est-à-dire Pierre. Alors Jacques parle du discours qu’il vient d’entendre, ce qui parait plus naturel.
  10. Le passage entre parenthèses est dans le texte grec du Nouveau Testament, et non dans la Vulgate.
  11. La Vulgate porte : A regelus qui erint me de cunctis malis.
  12. La Vulgate met Tite-Juste.
  13. \+jmp frechry|Voyez tome IV, page 167.\+jmp*