Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XV
Jusqu’à préſent, nous avons reçu ſur nos têtes les rayons perpendiculaires du ſoleil. Bientôt nous ne les recevrons qu’obliques. Ce n’eſt plus de l’or que nos avides & cruels Européens iront chercher loin de leur patrie. Moins inſensés, s’ils franchiſſent encore les mers, ce ſera pour ſe ſouſtraire aux calamités de leurs propres contrées ; ce ſera pour trouver le repos & la liberté ; pour défricher des terres incultes ; pour couvrir de filets des rives poiſſonneuſes ; pour chercher ſur le haut des montagnes, dans le fond des forêts des animaux à dépouiller de leurs précieuſes fourrures.
Les ſauvages poſſeſſeurs des contrées où nous allons faire nos premiers pas ne ſeront point une race d’hommes abâtardie, ſans force de corps & ſans élévation d’âme : mais des chaſſeurs, des guerrière endurcis aux travaux, braves, éloquens, jaloux de leur indépendance, & préſentant alternativement des exemples de la férocité la plus inouïe, de la plus héroïque magnanimité & de la plus abſurde ſuperſtition.
La ſuperſtition, cette plante funeſte eſt donc de tous les climats ; elle croît donc également dans les plaines & ſur les rochers ; ſous les feux de la ligne, ſous les frimats du pôle, & dans l’intervalle tempéré qui les sépare. La généralité de ce phénomène défigneroit-elle par-tout un élan de l’homme ignorant & peureux vers l’auteur de l’exiſtence & le diſpenſateur des biens & des maux, l’inquiétude d’un enfant qui cherche ſon père dans les ténèbres ?