Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard/1878-10-12

Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard

LE GRAND BALLON CAPTIF À VAPEUR
DE M. HENRY GIFFARD
(Suite. — Voy. p. 43, 71, 103, 124, 136, 183, [Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard/1878-08-24

Les ascensions du ballon captif continuent avec une régularité et un succès toujours croissants ; dans les belles journées du commencement d’octobre, ce puissant matériel accomplissant sans aucune interruption depuis 10 heures du matin jusqu’à 6 heures du soir, 24 ascensions consécutives, a parfois élevé en un seul jour 900 personnes au sein de l’atmosphère. Depuis un mois environ, l’air est plus fréquemment chargé de brumes et de nuages ; les spectacles que l’on admire à 500 mètres d’altitude, sont plus majestueux encore qu’ils ne l’étaient au cœur de l’été. À l’heure du coucher du soleil, la nature se révèle dans sa beauté au-dessus de l’immense plateau que l’on domine dans la nacelle. Paris tout entier apparaît dans les bas-fonds, et l’horizon se nuance tout à coup de cette parure de couleurs dont le soleil sait revêtir les nuées quand il y descend pour éclairer d’autres régions.

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Fig. 1. — Effet de coucher du soleil observé dans la nacelle du ballon captif de M. Henry Giffard, le 14 septembre 1878.
Altitude : 510 mètres. 6 h. 55 du soir. (D’après nature, par Albert Tissandier.)

Nous plaçons sous les yeux de nos lecteurs deux gravures qui leur donneront quelque idée de ces tableaux incomparables. La première (fig. 1) représente le coucher du soleil observé le 14 septembre à l’altitude de 510 mètres, au-dessus de la cour des Tuileries. Le mont Valérien dominait un plateau de vapeur, d’une nuance gris-perle ; la forteresse colorée d’un bleu indigo intense, se découpait nettement sur un ciel d’or. Les nuages supérieurs assez épais, dominaient cette scène grandiose : on eût dit de sombres rideaux opaques, L’air était calme ; la nacelle planait à l’extrémité de son câble, avec l’immobilité du balcon d’un phare. Paris au-dessous s’éclairait, et les lumières électriques de l’avenue de l’Opéra, s’allumaient subitement, comme pour remplacer la lumière de l’astre du jour.

Fig. 2. — Effet de coucher du soleil observa dans la nacelle du ballon captif, le 28 septembre 1878. Altitude : 480 mètres. 5 h. 23 du soir. (D’après nature, par Albert Tissandier.)

La seconde gravure (fig. 2) donne l’aspect du coucher du soleil observé le 28 septembre ; la terre à l’horizon était entièrement masquée par les brumes qui venaient de se colorer d’une nuance jaune d’or ; le soleil apparaissait en un grand disque de feu, à moitié caché par un lambeau de nuage d’une belle couleur violacée.

Les ascensions exécutées dans le grand ballon captif de M. Henry Giffard ont souvent donné lieu à des observations météorologiques fort curieuses. Nous citerons notamment celle qui a été faite le 21 août 1878.

À 2 heures de l’après-midi, le vent était tout à fait nul, l’atmosphère brumeuse, la température de 20°, l’humidité relative à terre de 77. — À 2 heures 10 minutes, l’aérostat planait à 480 mètres d’altitude, au sein d’une brume translucide, l’humidité relative à cette hauteur n’était plus que de 67, la température de 18°,10. — Au moment où l’aérostat revenait à terre, on aperçut nettement au milieu de quelques rayons solaires, une pluie fine qui se formait à un niveau inférieur, à 200 mètres d’altitude environ. Le ballon planait ainsi au-dessus de ces fines gouttelettes, qui prenaient l’aspect de fines parcelles de diamant.

Le jeudi 26 août, à 11 heures du matin, le ballon captif en s’élevant, disparut pour la première fois d’une façon complète au sein d’une nappe de vapeurs très épaisses qui s’étendait à 300 mètres seulement au-dessus de Paris. Les passants étonnes avaient complètement perdu de vue l’immense aérostat ; c’était un spectacle vraiment singulier, que celui du câble qui se montrait seul et qui paraissait attaché à la partie inférieure des nuages.

La plupart des ascensionnistes manifestent leur étonnement à la vue de ces grands spectacles de l’air, et ils se livrent d’autant plus librement à leur admiration que leur sécurité est plus grande. Depuis le 25 septembre, M. Henry Giffard, qui ne veut rien livrer au hasard, a pourvu le ballon captif d’un câble neuf, qui plus gros encore que le précédent, mesure 9 centimètres de diamètre à sa partie supérieure et 8 centimètres à sa partie inférieure. Ce câble, fabriqué comme le précédent à la corderie du Mail à Angers, ne pèse pas moins de 2 800 kilogrammes ; il permet aux voyageurs de s’élever dans la nacelle du Grand Captif, avec plus de sécurité, sans aucun doute, que lorsqu’ils traversent un pont suspendu.

Cette solidité exceptionnelle du matériel permet d’affronter des vents assez impétueux, contre lesquels des ballons ordinaires que l’on voudrait maintenir captifs se briseraient infailliblement. C’est merveille de voir le grand aérostat de la cour des Tuileries, osciller comme un vaste pendule sous l’action puissante du vent du nord, ou des rafales du sud-ouest. Si le spectacle est imposant, l’enseignement que peut en tirer le météorologiste est d’une haute importance. Le ballon captif est une véritable sonde aérienne, et il révèle constamment l’existence de courants superposés qui échappent à l’observateur terrestre. À 100 ou 200 mètres d’altitude on est fréquemment plongé dans des courants aériens très-rapides qui se meuvent au-dessus d’une couche d’air terrestre tout à fait calme. Quelquefois c’est le contraire qui se présente, la couche atmosphérique supérieure n’est pas agitée, tandis que des rafales superficielles soufflent à terre.

Gaston Tissandier.

La suite prochainement. —