Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard/1878-08-17

Le grand ballon captif à vapeur de M. Henri Giffard
LE GRAND BALLON CAPTIF À VAPEUR
DE M. HENRY GIFFARD
(Suite. — Voy. 43,71, 103,124 et 136.)

Il y a bientôt un mois que le grand ballon captif de la cour des Tuileries fonctionne avec une précision et une sûreté qui font à juste titre l’admiration de tous ceux qui assistent à son fonctionnement ou qui prennent part à ses ascensions. Ces résultats n’ont été obtenus par M. Henry Giffard que par le soin avec lequel il a éprouvé la solidité des nombreux organes qui constituent ce matériel gigantesque.

Fig. 1. — Appareil employé pour éprouver la solidité de l’étoffe du grand ballon captif à vapeur de M. Henry Giffard.

La figure 1 représente l’appareil qui a été employé pour mesurer la résistance à la déchirure de l’étoffe du ballon captif. Une bande de cinq centimètres de largeur du tissu est pincée entre deux mâchoires m et m’ ; ces mâchoires, sont serrées à l’aide des vis V et V’. En tournant la manivelle M, on éloigne la mâchoire m de la mâchoire m’, la bande d’étoffe s’allonge jusqu’au moment où elle se rompt. Une aiguille mobile autour d’un demi-cadran, représenté à la gauche de la gravure (fig. 1), donne l’effort en kilogrammes. On voit au-dessous, en B, au 1/5 de grandeur d’exécution, un morceau de l’étoffe ainsi rompue. Cette bande de 0m,05 a exigé un effort de 200 kilogrammes. L’étoffe du ballon captif avant de se rompre subit un allongement considérable de 1/10 environ. Il en résulte que le ballon pourrait s’accroître de plus d’un quart de son volume avant que son étoffe ne cédât à l’action de la pression.

Si l’épreuve de la solidité du tissu offre une importance capitale, celle qui concerne la solidité du câble, en présente une non moins considérable. Mais tandis que, dans le premier cas, M. Henry Giffard a pu employer un appareil connu, il lui a fallu pour le second cas, créer de toutes pièces un appareil tout nouveau, dont nous sommes heureux de pouvoir donner la description à nos lecteurs. — Cet appareil que représente la figure 2, se compose d’un solide châssis de bois, au-dessus duquel est installée la presse hydraulique qui doit déterminer la rupture de la portion du câble que l’on soumet à l’essai.

Fig. 2. — Appareil construit par M. Henry Giffard pour éprouver la résistance à la rupture d’un morceau du câble du grand ballon captif à vapeur de la cour des Tuileries.

Sur le premier plan de notre gravure, on voit la pompe à deux corps qui refoule l’eau sous le piston de la presse hydraulique placée à la partie supérieure du châssis.

Sous le piston de cette presse se trouve une traverse en fer portant de chaque côté deux bielles pendantes soutenant une seconde traverse autour de laquelle est fixée la partie supérieure du morceau de câble à éprouver. L’extrémité inférieure de ce morceau de câble, est maintenue par une troisième traverse qui est fixée au moyen d’une chappe à la partie inférieure du châssis.

On voit représenté en E un accumulateur qui au moment de la rupture du câble évite des secousses violentes au manomètre que nous allons décrire un peu plus loin. Le tube qui amène l’eau à l’accumulateur est adapté en A et celui qui conduit au manomètre est adapté en E. Le tuyau B figuré contre le montant de droite du châssis sert à évacuer l’air qui se trouve dans la presse au moment de la mise en train.

Le manomètre qui mesure la pression est représenté en C à la gauche de notre gravure. Il est tout nouveau, et constitue un des organes les plus intéressants de tout le système. Ce manomètre est formé d’un tube aplati enroulé en hélice un assez grand nombre de fois : les proportions en sont telles qu’il peut indiquer une pression s’élevant à 300 atmosphères. Il fait décrire à l’aiguille indicatrice des pressions, un tour entier du cadran sans aucun intermédiaire, sans aucune multiplication de mouvement. L’appareil est donc tout à la fois, d’une grande précision et d’une grande puissance. Le manomètre que nous venons de décrire a été réglé directement à l’aide d’un plongeur étalon ayant exactement 1 centimètre carré de section, et soulevant directement des poids indicateurs, en mettant en jeu une méthode qui permettait de tenir compte du frottement quoique très-faible de ce plongeur.

Au moyen de cet appareil, M. Henry Giffard a constaté que pour rompre le petit bout du câble, il fallait une pression équivalente à un poids de plus de 28 000 kilogrammes et de plus de 36 000 kilogrammes au grand bout. Si l’on songe que le ballon captif n’exerce jamais sur le câble une traction de plus de 8 000 kilogrammes, et que pendant le fonctionnement, le câble n’est soumis à aucun frottement, à aucune cause d’usure ou de détérioration, on aura la certitude que rien ne peut détacher l’immense aérostat captif, du lien qui le fixe à l’emplacement d’où il domine chaque jour la ville de Paris tout entière.

Admettons cependant que par impossible la rupture du câble ait lieu, et examinons ce qui doit arriver en cette circonstance. Nous répondrons ainsi à des affirmations erronées qui ont été émises, à ce sujet, par des écrivains insuffisamment renseignés.

Si le câble cassait, le ballon s’élèverait rapidement dans les airs, mais la soupape automatique inférieure s’ouvrirait aussitôt sous la pression du gaz. Cette soupape qui a 1m,20 de diamètre débiterait 50 à 60 mètres cubes de gaz par seconde, sans augmentation appréciable de pression, c’est-à-dire sous 4 ou 5 centimètres d’eau.

Pendant la première minute le ballon perdrait donc 3 600 kilogrammes de force ascensionnelle, il en perdrait un peu moins pendant la seconde minute, et ainsi de suite pendant les minutes suivantes. Dans de telles conditions, par le seul jeu automatique de la soupape inférieure, l’aérostat ne pourrait s’élever à plus de 2 500 mètres d’altitude.

Nous admettons ici que le ballon est livré à lui-même, et qu’il s’élève librement, il n’en serait pas ainsi dans le fait, puisque MM. Eugène et Jules Godard, et Camille Dartois, sont toujours dans la nacelle, et que jamais le ballon n’accomplit une ascension, sans que deux au moins de ces praticiens expérimentés ne soient au nombre des voyageurs. — Dans le cas de la rupture du câble, les aéronautes tireraient la corde de la soupape supérieure qui peut débiter par minute un volume de gaz correspondant à une force ascensionnelle de 500 à 600 kilogrammes. Le jeu de cette soupape serait utilisé pour l’atterrissage comme dans les ballons ordinaires.

Le ballon captif pourrait être conduit à terre dans les conditions les plus favorables. Jamais jusqu’ici aucun aérostat n’a été plus richement armé pour la descente. On en jugera par la comparaison suivante. Un ballon de 2 000 mètres cubes du siège de Paris offre en section 160 mètres carrés. Le grand ballon représente en section 6 ballons du siège ou 960 mètres carrés en nombre rond. — Or un ballon du siège de Paris était chargé de 120 kilogrammes de cordes d’arrêt et d’ancre : si le ballon captif avait dans le double fond de sa nacelle 1206 = 720 kilogrammes de cordes et de grappins, il pourrait fonctionner dans les mêmes conditions qu’un ballon du siège. Mais il est chargé d’une quantité bien supérieure d’engins d’arrêt, puisqu’il est toujours muni de 1 200 kilogrammes de guide-rope, auxquels il faut ajouter un énorme grappin de 120 kilogrammes, et plus de 1 100 kilogrammes de sacs de lest. Le ballon captif, toute proportion de volume gardée, est donc deux fois mieux équipé pour la descente qu’un ballon du siège de Paris.

Il nous est donc permis de terminer par les conclusions suivantes :

1o Le câble du ballon captif ne semble pas devoir jamais se casser, puisque pendant son fonctionnement il est soumis à une traction qui, au maximum, ne dépasse jamais le tiers de celle que nécessiterait sa rupture.

2o Si le câble cassait, les voyageurs dans la nacelle ne s’élèveraient qu’à une faible hauteur par le seul débit de la soupape automatique intérieure. Pour accomplir la descente, les aéronautes se trouveraient dans des conditions bien plus favorables qu’avec les aérostats ordinaires.

Après avoir formulé les conditions qui précèdent, nous ajouterons encore quelques mots sur le bel appareil que M. Giffard a construit pour l’essai du câble de son grand ballon captif. Cet appareil n’intéresse pas seulement le ballon des Tuileries, il va être appelé à rendre de grands services à l’art de la corderie qui manquait jusqu’ici d’un système aussi précis. Il va être employé prochainement à d’autres expériences qui se feront à l’usine de MM. Flaud et Cohendet, où il a été construit.
Gaston Tissandier.

La suite prochainement. —