L’Idylle éternelle/Texte entier


JACQUES MADELEINE




L’Idylle éternelle


AVEC UNE PREFACE
PAR
CATULLE MENDÈS




PARIS
PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR
28 bis, rue richelieu, 28 bis
1884
Tous droits réservée

PRÉFACE



L’anormal, l’extraordinaire, le monstrueux, l’à-rebours, le pas possible sont aujourd’hui, dans la vie et dans l’art, si peu exceptionnels, si fréquents, que le naturel paraîtrait la chose la plus surprenante du monde ; et beaucoup de gens pensent que le grand succès de la foire serait pour la baraque où l’on montrerait des veaux à une seule tête et des moutons qui n’auraient que quatre pattes. Mais, voilà, on n’en trouve plus, même dans les plus sauvages contrées, de ces animaux demeurés tels que furent leurs ancêtres dans le primitif Eden ; les personnes qui habitent Bois-Colombes ou les solitudes forestières de la Norwège, — enfin la campagne, — sont d’accord pour affirmer qu’à présent, loin de sauteler, les cabris cheminent pesamment avec des sabots de bœufs ou de bisons, que des ailes palpitent au dos rétif des ânes, et que le corbeau rossignole tandis que le rossignol croasse sous les lilas fleuris d’églantines. Au milieu de ces détraquements ou de ces métamorphoses les âmes de Buffon et de Linnée errent stupéfaites par le bêlement des lions et la rougeur sanglante des lys ! De sorte que, pour montrer un mouton à quatre pattes et un veau à tête unique, l’exhibiteur forain serait tenu de recourir à de coupables supercheries.


Et il ne faudrait pas moins de stratagème à l’artiste qui voudrait paraître simple, naïf, ingénu, en ce temps de complications et de raffinements effrénés.

Oui, cela est vrai, il y a des instants où, après les paroxysmes maladifs de la poésie et du roman modernes, nous nous accommoderions, nous, les auteurs, vous, les lecteurs, d’une petite littérature bien honnête, bien innocente ; pareils à des roquentins repentis ou ayant l’air de l’être, nous prendrions volontiers le menton à cette sainte Nitouche. Le désir des ingénuités hante plus d’une fois les libertins vieillis ; la chimère de l’amour platonique se mêle aux rancœurs des débauches ; et les lendemains d’ivrognerie sont assoiffés d’eau claire. Mais ce ne sont là que de brèves et vaines fantaisies, dont la réalisation ne tarderait pas à produire le plus parfait ennui ! Nous avons pris l’habitude de l’excessif, et l’impossible nous est indispensable ; la perversité, même quand elle nous a lassés, nous r’attire ; nous sommes, — soit, je l’accorde, — les chiens qui retournent à leur vomissement, mais nous y retournons inévitablement, logiquement, — innocemment, oserai-je dire, car nous n’avons pas fait la loi à laquelle nous obéissons ; et en vérité l’artiste moderne qui, par une condescendance à la feinte pudeur de quelques critiques, essaierait de rénover les innocences de jadis, serait bien autrement coupable que le plus artificiel et le plus raffiné des parnassiens ou des naturalistes, puisqu’à sa dépravation intime qu’il nierait en vain, il ajouterait le mensonge de la simplicité et l’hypocrisie de la vertu !


M. Jacques Madeleine est-il coupable à ce point ? ou bien, — exception dont on chercherait vainement un autre exemple, — faut-il voir en lui un poète sincèrement naïf ? Malgré ce que je viens d’écrire, j’incline à le croire. Pour feindre une ingénuité aussi fraîche que la sienne, il faudrait une perversité tellement extraordinaire que l’innocence elle-même est plus probable qu’un si parfait mensonge. Allons, je crois à la réalité de sa candeur, sans espérer que les lecteurs lui en sachent gré, car ils retournent vite des Agnès aux Célimènes. Voici donc un jeune poète qui se montre jeune en effet. Il pourrait, comme tant d’autres, — qui d’ailleurs sont dans leur droit, — conduire sa muse au bal macabre des Monstruosités et des Peurs, au sabbat des impures joies où le dos de Satan ressemble à la face de l’hyperdémoniaque Marquis ; c’est dans les venelles d’églantier qu’il donne rendez-vous à l’inspiratrice, et là, sous le vol des papillons blancs et la neige tremblante des duvets, leurs deux bouches si proches qu’elles vont être un baiser, disent le même sonnet d’amour ! Il croit au printemps dans les champs ou dans la ville, aux fleurs des prés et aux femmes des fenêtres ; à la durée des roses comme à l’éternité des tendresses. C’est à peine si un peu de mélancolie trouble çà et là son âme adolescente ; il ignore les grimaçants désespoirs, les colères, les malédictions ; est-ce que cela existe véritablement, le mal, les trahisons, les maîtresses qui men tent ? Parce qu’il est doux, tout lui semble doux ; et s’il pleure, à peine, c’est entre deux sourires. Que sera ce poète dans l’avenir, quand les déceptions lui auront fait le cœur plus triste et plus vaste, — ce qui déchire, élargit, — quand l’enfant sera un homme ? Sera-t-il, comme tant d’autres, amer et cruel, lui, si tendre, sera-t-il, comme quelques-uns, sinistre, lui, si délicat ? C’est le secret des années futures. Aujourd’hui, il est le chanteur sans malice, épris de tout ce qui est gracieux, luisant, sonore, le promeneur ravi à travers les rues où le soleil fait s’épanouir, comme de grandes fleurs de mousseline, les ombrelles des jeunes filles, le bohème des sentiers pleins d’abeilles et de fauvettes ; et c’est lui qui, dans le parc de Silvia, apprend aux bouvreuils la sérénade de Zanetto.

Mais il y a chez M. Jacques Madeleine, en même temps qu’un poète naïf, un artiste singulièrement subtil. Oui, ce jeune homme, presque enfant, qui vient d’écrire ses premiers poèmes, n’ignore plus aucun des mystères du vers et, nourri des bonnes doctrines, ayant appris tout ce que peut enseigner l’exemple des maîtres, il a, en outre, comme tous les bons ouvriers, cette manière à soi de rhythmer et de rimer — un don, comme la passion ! — qui personnalise la science. Quelques étourdis se sont avisés d’imprimer qu’aujourd’hui, par suite de la vulgarisation du métier prosodique, tout le monde peut faire de bons vers, qu’il faut même un certain effort pour n’en pas écrire de tels. Stupidité profonde ! Ces étourneaux pensent donc que tout l’art du vers consiste dans une banale richesse de rimes, dans la correction quelconque de la forme, dans une harmonie à peu près dépourvue de heurts et de dissonnances ? Ils ne savent donc pas que, chez les poètes dignes de ce nom, il y a dans le groupement des mots, dans le choix des sonorités, dans le retour des consonnances, dans le prolongement infini de la mélodie poétique ou dans sa brusque interruption, un art profond, presque impossible à révéler, dont le mystère est peut-être aussi divin que celui de l’inspiration elle-même ? Ils ne se sont jamais demandé pourquoi, — même quand l’esprit dans le bercement du rhythme perd, un instant, la perception du sens exprimé par la parole, — pourquoi le vers de Charles Baudelaire nous ravit en d’infinies mélancolies, pourquoi celui de Théodore de Banville a les bruits éblouissants d’une cascatelle de pierreries, et pourquoi celui de Leconte de Lisle résonne comme du bronze frappé d’un marteau d’or ? La vérité, c’est qu’en aucun temps, — à cause précisément de la vulgarisation des vains procédés, — il n’a été aussi difficile de faire de bons vers, qui n’aient pas seulement l’air d’être tels, mais qui soient de bons vers en effet ! Si M. Jacques Madeleine montrait seulement, dans l’Idylle éternelle, le joli charme d’une fraîche ingénuité, s’il se bornait à être gracieux, amoureux, heureux, je n’oserais être sûr de son avenir poétique, car il y a, comme la beauté du diable, le talent du diable, assez peu rare et qui passe vite. Mais, parce que je lui connais le sens intime du vers, le respect religieux de la forme, je n’hésite pas, je crois que ce jeune poète est un vrai poète. Celui qui a fait de tels vers est de ceux qui sont nés pour en faire et ne cesseront jamais d’en faire ! Et quand les premiers printemps seront passés, quand les amoureuses auront menti, après les tristesses, après les misères, après toutes les amertumes, — la vie, hélas ! — il restera à M. Jacques Madeleine, pour achever sa tâche et pour rasséréner son âme, cette force et cette consolation, l’amour du vers, qui aura survécu à toutes les roses fanées et à tous les baisers flétris.


Catulle Mendès


À
LÉON DIERX,
au grand rêveur mélancolique
qui a chanté
dans des poèmes impérissables
la tristesse des amours automnales,
j’offre humblement
cette éphémère chanson d’avril
J, M.


L’IDYLLE ÉTERNELLE

PROLOGUE


 
Autrefois je vous ai chantés,
Réves aux splendeurs décevantes,
Et j’ai mis des sonorités
Dans l’or pur des formes savantes.
 
Mes vers ardents, audacieux,
Ailes blanches et larges rimes,
Se perdaient dans les vastes cieux,
Ne se posaient que sur les cimes.

 
Mais, par un matin de printemps,
Une fleurette à peine éclose
(0 blonde qui n’a pas vingt ans)
M’a charmé, si fraîche et si rose !

Et, l’âme en fête, j’ai compris
La chanson discrète et naïve,
Les mots doucement attendris
Que voulait son âme pensive.

— Le souvenir triste et charmant
D’une enfant qu’on a trop aimée
Sans avoir été son amant,
Rose de passé parfumée ;

Un reproche dans un baiser,
Une larme dans un sourire,
L’aveu qu’on ne voulut oser
Et le mot qu’on n’a pas su dire ;


Le profond, le subtil frisson
Des amours troublantes et brèves,
Voilà ma vie et ma chanson
Et je ne veux pas d’autres rêves.
 
Et je vais, me laissant charmer
Dans l’extase de vivre en Elle
Et dans l’enivrement d’aimer,
En chantant l’Idylle Eternelle.


CHANSON EXTASIÉE


Si je t’aime, enfant trop chérie,
Si pour l’encadrer dans l’azur
Mon âme éprise de féerie
A choisi ton visage pur,

C’est que toute délicatesse
Est dans le rhythme précieux
Et dans l’exquise petitesse
De ton cher corps délicieux :

C’est que les indicibles roses
Sur tes lèvres ont mis les leurs,
Que tes yeux, paupières mi closes,
Ont des regards ensorceleurs ;

C’est que ta voix musicienne,
Par les mots que tu n’as pas dits,
Evoque l’Idylle ancienne
Des impossibles paradis ;

C’est qu’il faut pour prendre la Lyre
Avoir des yeux extasiés.
— Je l’adore avec le sourire
Des rossignols pour les rosiers.


RENOUVEAU


C’était l’hiver ! j’étais un Jardin que les Roses
Désertaient. — Les chardons stupides, les pavots
Endormeurs poussaient seuls et croissaient sans rivaux
Dans mon champ infertile aux horizons moroses.
 
Tout semblait s’enliser en la bourbe des proses
Et je raillais vos airs naïfs, ô chers dévots
De l’Amour, qui sentez toujours des chants nouveaux
Épanouir vos cœurs de leurs floraisons roses.


Mais je t’ai vue, ô chère enfant, j’ai vu tes yeux,
Ton sourire adoré, ton corps délicieux,
Ton âme. Et, comme au temps jadis, je veux écrire

Des Rimes, qui diront leurs rêves doux et chers.
Il a suffi de ton regard, de ton sourire,
Pour faire éclore en moi tout un bouquet de vers.


LA PETITE REINE


Vous avez l’air vainqueur d’une petite reine,
Reine des cœurs, ma chère âme ! De très grands Rois
Adoreraient ce rire argentin qui s’égrène,
Ce front impérieux et timide à la fois.
 
Je vous habillerais toute de mousselines
Blanches, si j’étais Roi ; les Lys purs et glacés
De royales blancheurs n’auraient jamais assez,
Ni les Cygnes, ni les Aubes, ni les Hermines.


À vos seins adorés que j’aimerais sans fin,
Des marguerites, des muguets, des roses pâles.
Sur votre front charmant, le diadème fin
En dentelle d’argent tout constellé d’opales.
 
Dans le fauteuil royal aux solennels blasons,
Inconfortable et dur, votre grâce craintive
S’inclinerait, rêvant à de vieilles chansons
Et, dans cet apparat incommode, captive.

Voilà le cadre exquis que vous donnent mes vœux,
Ô ma charmante, ô ma divine souveraine !
Si j’étais un grand Roi, vous me diriez : « Je veux ! »
Vous avez l’air vainqueur d’une petite reine.


Reprise du même motif


Vous avez l’air vainqueur d’une petite reine.
De très grands Rois
Adoreraient ce rire argentin qui s’égrène,
Ce front impérieux et timide à la fois.

Je vous habillerais toute de mousselines
Blanches, d’hermines !


Vos cheveux ondulés se crespent, exigeant,
Comme au temps où le grand Ronsard chantait sans cesse
Une princesse,
Le petit diadème en dentelle d’argent.

Des marguerites, des muguets, des roses pâles
Et des opales !

Voilà le cadre exquis que vous donnent mes vœux.
En souveraine,
Si j’étais un grand Roi, vous me diriez : « Je veux ! »
Vous avez l’air vainqueur d’une petite reine.


L’AIMEE


I


Quand, après l’exquise journée
Qui n’aura pas de lendemain,
L’heure du départ fut sonnée,
Je ne t’ai pas tendu la main.

La nuit tombait, la nuit profonde ;
Les contours flottaient indécis.
Mes yeux de larmes obscurcis
Ne voyaient plus ta tête blonde.


Peut-être en tes yeux passait-il
Un regret qui s’envola vite
Ou l’angoisse étrange et subite
D’un rêve doux, triste et subtil.

Dans la grande mélancolie
De cette belle nuit d’été,
Je n’aurai pas même emporté
Leur expression affaiblie.

Tristes jusqu’à la mort, les cieux
Étaient pleins dans la nuit profonde
De rêves défunts, et mes yeux
Ne voyaient plus ta tête blonde.


II


Ce qui m’a mis au fond de l’âme
Tant d’angoisse et tant de douceur,
C’est ta grâce troublante, ô femme
Encore enfant, presque une sœur ;

C’est ta tristesse habituelle
Qui parfois, rêveuse, sourit,
Et ta tête spirituelle
Sans que tu fasses de l’esprit ;

Ta voix douce, ta tête blonde
Et tes fins cheveux crespelés,
Tes yeux qu’une lueur profonde
Emplit de rêves êtoilês.


Ô charme exquis d’un pur visage !
Toujours, toujours, je te revois
Dans l’adorable paysage,
Et j’entends le son de ta voix.

Mais tu n’as pas compris, sans doute,
Et tu ne penses plus à moi.
J’ai repris la banale route,
Et je n’emportais rien de toi.
 
Ah ! ce serait si douce chose
De garder, même sans espoir,
Ce rêve, fleur craintive, éclose
Aux premiers jours d’automne, un soir.

J’ai peur que dans l’oubli funeste
Mon pauvre amour n’aille sombrer,
Mais j’ai peur aussi qu’il ne reste
Dans mon cœur, pour le torturer.


III


Et pourtant, par cette soirée
Qui les rendait presque pensifs,
Dans l’ombre vague des massifs
De mille étoiles éclairée.

Parmi l’universel émoi
Que nous versait la nuit lassée,
Je t’ai pris toute ta pensée :
Un moment tu vécus par moi.

Des songes lents planaient dans l’ombre
Mystérieuse de ce soir,
Et l’on était allé s’asseoir
Au jardin, sous le grand ciel sombre.


Un infini besoin d’aimer
Nous donnait l’angoisse profonde,
Et tes yeux bleus, chère enfant blonde,
Par instants semblaient s’allumer.
 
C’était l’heure des rêveries
Où tremblent des regrets charmants,
C’était l’heure, ô rares moments !
Des délicates causeries.

Je parlais des maîtres rêveurs
Dont les rimes enchanteresses
Savent donner tant de caresses
Aux inoubliables saveurs.

Je parlais des divins poètes
Qui, dans leurs exquises chansons,
Font passer de si doux frissons
Et tant de larmes inquiètes


Je disais que tous ces vainqueurs
Sont des âmes mélancoliques
Et que des rêves idylliques
Pleurent toujours en ces grands cœurs.
 
Je disais que tous ces artistes
Semblent toujours, ivres d’azur,
Chercher quelque chose d’obscur
Qui les pâlit et les rend tristes.

Je disais ces choses. J’étais
Sans nul doute bien ridicule
Dans cet immense crépuscule,
Et, pensive, tu m’écoutais.
 
Ô minute trop tôt passée,
Ô cher souvenir ! un moment
Je t’ai pris tout ton cœur charmant
Je t’ai pris toute ta pensée.


C’était pour toi, l’as-tu su voir,
Que je disais toutes ces choses.
O chère blonde aux lèvres roses,
L’as-tu compris ? — Qui peut savoir
 
Les rêves pleins d’ardentes fièvres
Envolés dans l’azur sans fin,
Quand le soir met, le soir divin,
Des baisers à toutes les lèvres ?


IV


Trois ou quatre ans se sont passés !
Vous étiez une enfant encore
Et nous déjà les insensés
Qu’un espoir surhumain dévore.

Nous voulions les grands horizons
Traversés d’immenses rafales,
Les extases, les grands frissons
Et les passions triomphales.
 
Oh ! les rêves que l’on rêvait, —
Sans voir que, tout près, si gracile,
Une petite fleur avait
L’odeur exquise de l’Idylle.


Nous emportions là bas, au fond
Des campagnes et des bois mêmes,
Notre rêve vaste et profond
Et nos projets de grands poëmes.
 
Et la maison, sous les lilas,
Qu’on nous avait abandonnée,
Retentissait des grands éclats
De notre voix désordonnée.
 
Vous, dont les yeux sous les cils d’or
Ont des pudeurs de sensitive,
En ce temps là, trop jeune encor,
Vous n’étiez pas aussi craintive.

Malgré les frémissements fous
Des rimes prises au passage,
Vous veniez broder près de nous
En petite femme bien sage.


Et parfois émue, écoulant
Les strophes nouvelles écloses,
Vous vous arrêtiez un instant
Pour songer à toutes ces choses.
 
Notre flamme vous ravissait
Et vous vous étonniez d’entendre
Le vers nombreux qui bruissait
Triste ou joyeux, superbe ou tendre ;

Vous admiriez naïvement
Le poète dans le poème,
— Et c’est peut-être à ce moment
Qu’il eût fallu dire : Je t’aime !


V


Après si longtemps !… Un étrange
Eblouissement m’est venu !
C’était toi, mon pauvre cher ange,
Et tu ne m’as pas reconnu.
 
Je ne retrouvais plus mon rêve.
Moi non plus, et tu n’étais pas
La vision exquise et brève
Quec j’appelle souvent tout bas.
 
Ah ! bien exquise et bien troublante
Cependant ! plus belle cent fois
Que l’autre, celle-là qui chante
En mon cœur depuis tant de mois.


Pourtant ! faut-il qu’il recommence
Cet amour qui n’a pas cessé ?
Ce serait nouvelle démence,
Et nouvel espoir insensé !

Ô chère âme, qu’un autre t’aime
Puisqu’à mes yeux irrésolus
Tu n’es plus tout à fait la même.
Et que tu ne me connais plus !


SERPENTINE


Ô petite main !
Elle se dégante
D’un air si joli, sur notre chemin.
Je t’aime d’amour, menotte élégante
Blanche, fine, douce,
ô petite main !


Les jolis bras blancs !
Au bord de la manche
On devine un peu des contours troublants
Et l’on voit un peu de la peau si blanche.
On les mangerait,
les jolis bras blancs !

Oh ! le joli cou.
Des lignes exquises !
Comme c’est tentant : on ne sait jusqu’où
Il ferait aller nos âmes conquises
Par cette promesse.
Oh ! le joli cou.

Oh ! les grands yeux noirs.
Leur regard me plonge
Dans l’extase, ou dans de grands désespoirs….
Est-ce un aveu tendre ou bien un mensonge
Qu’il faut qu’on y lise ?
Oh ! les grands yeux noirs.


Le cher petit nez !
Dans ses courbes roses.
Dans ses fins replis les Amours sont nés.
Il semble humer d’excellentes choses,
De troublants parfums,
le cher petit nez.

L’adorable pied !
Dans cette bottine
Coquette et cambrée, il faut l’épier
Mignard et sonnant la chanson mutine,
La chanson d’amour,
l’adorable pied.

La taille divine :
Et comme on devine
Des tas de secrets charmants tout à fait,
À la voir flexible et souple cà souhait
Et fine à ravir,
la taille divine !


Ah ! l’exquise lèvre.
On sent, à la voir
Sourire, en son cœur une ardente fièvre,
Et pour la calmer il faudrait pouvoir
Y coller sa lèvre,
à l’exquise lèvre !



POUR UNE


N’était-ce rien que moqueries ?
Ou l’amour faisait-il voler
Vers mon cœur pour le consoler
Ces oiseaux bleus, vos rêveries ?
 
Des ressouvenirs anciens
Dans leur brume vous avaient prise.
Vous étiez triste, ô tant exquise.
Et vos yeux ont cherche les miens.


Par quelle ardente sympathie
Un seul regard m’a-t-il charmé ?
Ah ! je n’avais jamais aimé
Que vous, quand vous êtes partie.
 
Partie !… Et, seul, je me souviens ;
Je revois cette aurore brève,
Vos cheveux couleur de mon rêve
Et vos yeux qui cherchaient les miens.

Quand nous nous reverrons, votre âme,
Dites ! n’aura rien conservé
Du rêve qu’elle avait rêvé.
Et vos yeux n’auront plus leur flamme.
 
Ou, plus cruels encor, ce soir
Désiré comme nulle aurore,
Ne sauront-ils, tendres encore,
Qu’aggraver mon mal sans espoir.


Ainsi, vois, perfide ou sincère,
Toujours tu me tortureras,
Ô méchante, qui ne sais pas
Tout le mal que tu peux me faire.


POUR UNE AUTRE


Oh ! ces yeux, terribles charmeurs
Dont l’abîme obscur m’épouvante,
Qui me font vivre et dont je meurs !
 
Clarté noire, candeur savante !
Menace de cieux inédits,
De l’enfer promesse vivante !

Sont-ils les phares des maudits ?
Ou les belles lampes des anges
Dans les blancheurs du Paradis ?


Faut-il qu’on chante leurs louanges,
Ou qu’on les maudisse, ces yeux
Si redoutables sous leurs franges ?
 
Parfois ils semblent, radieux,
Des étoiles inaccessibles
À nos désirs audacieux ;
 
Et parfois, flèches invincibles
Aux pointes lourdes de poison,
Ils prennent tous les cœurs pour cibles.

Qu’ils me donnent un grand frisson.
Ou fassent chanter en mon âme
Une très perverse chanson,

J’ai peur des yeux de cette femme.


UNE AUTRE ENCORE


Pas jolie, et pourtant charmante,
Elle ferait, avec ses yeux
De gamin plus que vicieux,
Une très désirable amante.
 
Mignonnette, quinze ou seize ans,
Et coquette avant d’être femme.
Déjà cette perverse affame
Tout un peuple de courtisans.


Déjà, science naturelle
Aux moindres filles de Paris,
Elle sait mettre en tout son prix
Sa petite personne grêle.

On songe, à voir, éveil des sens,
Ses mouvements de jeune chatte
Folle, énervée et délicate,
À d’autres jeux moins innocents.
 
Elle saura vite, oh ! bien vite,
Avec ses sourires moqueurs
Torturer gentiment les cœurs…
Commence par le mien, petite !


À
la mieux aimée


Quand je tiens dans mes bras votre petite sœur,
Et que sa tête rose
Avec un abandon qui n’est pas sans douceur
Tout contre moi se pose,
 
Vous riez. Mais, un soir, si le besoin, soudain
Vous prenait d’être aimée,
Si vous veniez à moi dans le fond du jardin
Souriante et charmée,


Chère, je vous prendrais comme un petit enfant
Sur mes genoux assise ;
Vos deux bras me feraient un collier triomphant
D’une douceur exquise ;

Noyé dans vos cheveux, paradis amoureux
Où mon baiser se joue,
Je poserai : mon front, ô cher bébé peureux,
Le long de votre joue ;

Et je te bercerais en te disant tout bas
Des choses très anciennes,
Ces chansons de l’amour que surent, n’est-ce pas,
Tant de musiciennes.


SOUS BOIS


C’est un Théodore Rousseau
Ce sous bois où fuit une sente,
C’est une étude ravissante
Digne d’un magistral pinceau.
 
Les caprices de la feuillée
Sous les chauds baisers des rayons
S’illuminent d’explosions
De fantaisie ensoleillée.


Et pour faire un chemin bien frais
Aux délicates amoureuses
Les branches d’arbre langoureuses
Se courbent en arceaux discrets.

La fraîche mousse sur la terre
Forme un tapis denticulé,
Et comme un ruban déroulé
Le sentier fuit avec mystère.

Quelques méandres, et voici
Déjà le bout de la clairière,
Et le sentier s’enfuit derrière
Un rideau d’arbres épaissi.

Où va-t-il ? Est-ce lui qui mène
L’aventureux Prince charmant
Près de la Belle au bois dormant,
Dans le miraculeux domaine ?


Va-t-il dans le palais lointain,
Dans le palais des belles fées,
Dont, souvent, par folles bouffées,
Vibre clair le rire argentin ?

Mène-t-il au pays du rêve ?…
Oh ! ne pénétrons pas plus haut
Pour ne pas voir tout aussitôt
S’envoler l’illusion brève.


JUILLET


Le ciel clair s’cmplissant d’une splendeur profonde
A des frissons d’avril et des souffles ailés
Et le vent du matin fait onduler les blés
Comme les vagues d’une mer dorée et blonde.

On marche lentement le long des champs jaunis.
Les herbes que saisit la main indifférente
Laissent longtemps aux doigts une odeur pénétrante,
Âcre ressouvenir d’espoirs indéfinis.


Midi s’approche ; on fuit dans la fraîcheur des sentes,
Le soleil de Juillet, peintre miraculeux,
Va flamber, allumant les espaces plus bleus
Et dorant les moissons de ses touches puissantes.


CHANSON D’AUTOMNE


C’est l’automne avec son cortège
De grands vents, de pluie et de froids.
L’air est déjà chargé de neige
Et les oiseaux sont pleins d’effrois.
 
Les grands arbres n’ont plus de feuille,
Plus de retraites, plus de nuit
Qui les couvre et qui les accueille,
Et l’été, le doux été fuit.


Voici que leur troupe s’assemble
Désolée et morne, à la fin !
Et comme pour combattre ensemble
Le froid, la tempête et la faim.
 
Pour s’arrêter une seconde
Las ! ils trouvent déjà plus
L’herbe épaisse, chaude et profonde
Et les arbrisseaux bien feuillus.
 
Ils sont tous là, troupe inquiète.
Sur un rameau de peuplier,
Une mince et sèche baguette
Que leurs petits corps font ployer.


RENOUVEAU


Ô doux Printemps, aube embaumée,
Sous tes lilas en floraison
Me caches-tu la bien aimée ?
 
Une langoureuse chanson
Volera-t-elle sur mes lèvres
Où tremblote un vague frisson ?
 
Vous sentirai-je, exquises fièvres ?
Les désirs fous reviendront-ils,
Bondissant ainsi que des chèvres ?


Le charme indécis des Avrils
Me rendra-t-il mes rêves roses
Plus délicats et plus subtils ?

Et, dans le grand réveil des choses,
Ouvrirai-je, enfin réveillé,
Mes paupières trop longtemps closes ?

Ou, du Printemps ensoleillé
Craignant les tendresses tfôp fortes,
Resterai-je, seul, défeuillé,

Comme un vieil arbre aux branches mortes ?


RÊVE D’IDYLLE


I


Un charme capiteux, étrange
Emane de vos mouvements.
Vous avez de grands yeux charmants.
Vous avez une tête d’ange,
 
D’Ange perfide et langoureux
En cravates de mousseline.
Vous avez la grâce câUne
Et les sourires amoureux.


C’est vous qu’on aime, exquise blonde,
C’est vous qui m’avez fait rêver
Ce rêve fou : vous enlever,
Vous emporter au bout du monde.


2


Le Faune dans ses bras nerveux
Prenait la nymphe effarouchée
Et mordait à pleine bouchée
Les seins roses, les blonds cheveux.
 
Et la nymphe blonde aux seins roses
Se débattait, et, de sa main,
Prévoyant de terribles choses,
Cachait ses yeux ; — mais, en chemin,
 
Tandis que l’homme aux pieds de chèvre
Au bout du monde l’emportait,
Un sourire alléché flottait
(Oh ! les doigts mal clos) sur sa lèvre.


3


Formes suaves, fins contours,
Lueurs fauves, roses et blanches
Des épaules, des bras, des hanches,
Mon rêve vous verra toujours.

Ce Faune ! Votre chevelure
M’a tenu des discours pervers
Et j’ai bien su lire à travers
Les promesses de votre allure.

Tes lèvres, lorsque tu souris,
M’ont fait deviner d’autres choses
Plus souriantes et plus roses.
Et vos grands yeux m’ont tout appris.


4


Mon rêve, exquise blonde, écoute.
Mon plus doux rêve, le voici :
T’emporter loin, bien loin d’ici,
Pour t’avoir à moi toute, toute.

Dans le parfum de tes cheveux
Je voudrais oublier le monde
En écoutant, exquise blonde,
La musique de tes aveux.

Il faudrait pour guérir mes fièvres.
Le subtil, le troublant baiser
Que mes lèvres voudraient poser
Longuement sur tes chères lèvres.


5


Songe aux caresses inconnues
Que je trouverais pour tes seins,
Et songe aux habiles desseins
Qu’inspireraient tes formes nues.

Toute la nuit sur toi penché,
Songe, et ne songe pas sans crainte
Aux sanglots de l’ardente étreinte ;
Songe aux douceurs du doux péché.
 
Et calcule combien de fièvres
Sous mes baisers frissonneraient,
Combien de roses fleuriraient
Sous les caresses de mes lèvres.


6


Un beau jour, nous te trouverons
Au fond des bois, sous les feuillées,
Parmi les ramures mouillées,
Les lilas et les liserons,
 
Maisonnette ! Nous entrerons,
Et les choses ensommeillées
Par nos sourires ré%’eillées
Battront des ailes sur nos fronts.


Et nous serons chez nous. Nos rêves,
Nos longs baisers dans les nuits brèves,
Les aveux de ta douce voix,

Tes seins blancs et tes lèvres roses
Empliront de troublantes choses
La maisonnette au fond des bois.


RONDEL

Octavien de Saint-Gelais


J’ai cueilli l’exquise fleurette
La première qui, ce printemps,
Sous les souffles chauds et chantants,
Ait entr’ouvert sa collerette.

Une voix charmante et discrète
Flottait dans l’air de temps en temps.
J’ai cueilli l’exquise fleurette.


L’âme émue, ô douceur secrète
De l’amoureuse que j’attends !
Plein d’espoirs encore hésitants,
Parmi des chansons de fauvette,
J’ai cueilli l’exquise fleurette.


CANTIQUE


Avant les douces floraisons
De nos amoureuses roses,
J’ai rimé pour tes seins roses
De délicates chansons.

Et quand elles seront fanées,
J’aurai pour tes trahisons
De douloureuses chansons,
Requiems des hyménées.


Mais tous nos rosiers sont en fleurs !
Laisse-moi cueillir mes roses,
Baiser tes lèvres mi-closes
Et tes yeux ensorceleurs.

Si tu veux des vers idylliques,
Je te lirai simplement
Ceux de l’Eternel Amant
Du Cantique des Cantiques.


Tes seins blancs sont meilleurs à ma bouche gourmande
Que les fraises des bois ;
Ma faim les veut toujours, et ma soif redemande
Le doux vin que j’y bois.
Tes cheveux parfumés sont la mer attiédie
 Où mon rêve est bercé.
Ils tombent lourdement sur ta hanche arrondie
Et ton sein oppressé.
Tes lèvres sont la coupe ardente et savoureuse
Que rien ne peut tarir,


La coupe où le doux vin de l’ivresse amoureuse
Attire mon désir.
Ton corps a le troublant et lilial calice
D’une mystique fleur.
Comme tu es charmante aux heures de délice,
Ma colombe, ma sœur !
Ton corps est un palmier dont tes seins sont les grappes ;
À la chute du jour,
Dans le palmier fleuri nous ferons nos agapes
Et nos fêtes d’amour.
Ton corps est une vigne aux grappes opulentes,
Où je m’enivrerai.
C’est un jardin d’oubli plein de magiques plantes,
Où je m’endormirai.


CHUCHOTEMENTS


La petite chambre est bien close.
Une lueur vacille rose,
Eclairant nos deux fronts pâlis.

L’odeur grisante de Septembre
Embaume la petite chambre.
Les rideaux tombent à grands plis.



Enfoui sous vos avalanches,
Mousselines, dentelles blanches,
Le petit lit ne se voit pas.


Le petit lit se voit à peine,
Mais il nous attend, dis, ma reine.
Ne dis rien, ou parle tout bas !



L’arôme de ton corps me grise,
Dans le parfum de tes cheveux
Je trouverai l’ivresse exquise.

Tes seins roses, tes reins nerveux,
Mon amoureuse délicate,
Ont des sursauts de jeune chatte.



Un sourire, extase grisante,
Sur ta lèvre reconnaissante
Appelle encore mes baisers,

Ton corps brisé, tes seins lassés
N’ont plus leurs ardeurs frémissantes.
Je te mordrai pour que tu sentes…


PAYSAGE SENTIMENTAL


1


La chambre toute désolée
N’a rien gardé de notre amour.
Tout est vide depuis le jour,
Méchante, où tu t’en es allée.

Mais dans le bois, le petit bois
Où nous menait la vieille route.
Je te retrouve toute, toute,
Avec l’ivresse d’autrefois.


Sous son ombre mystérieuse
Il a, dans le parfum des lys,
Embaumé l’amour de jadis,
Si loin de toi, chère oublieuse !


2


D’incertitude nuancé,
Le soleil d’avril, dans les branches,
Évoque en moi, visions blanches,
Ton cher sourire du passé.

Quelque chose comme une larme
Semble trembler dans un rayon
Et c’est, ô blanche vision,
Même tendresse et même charme.

On voit dans les feux irisés
Frissonner les feuilles de lierre.
Le battement de ta paupière
Etait pareil sous mes baisers.


3


Ce petit ruisseau qui se ride
Aux dernières brises du soir,
Tout plein de ciel, me fait revoir
Tes doux yeux d’un azur timide.
 
Des frissons d’ailes gracieux
Se posent sur des campanules.
Ainsi des rêves, libellules,
Erraient toujours dans tes doux yeux.
 
L’orage tord les jeunes plantes.
L’eau s’émeut sous un coup de vent.
Tes doux yeux ainsi trop souvent
S’emplissaient de tristesses lentes.


4


Parmi l’herbe disséminées,
Marguerites aux cols fluets,
Primevères et graminées,
Et forêts vierges de bluets ;

Dans les sentes, des pendentines
Elégantes de liserons,
De viornes et d’églantines,
Qui venaient effleurer nos fronts ;
 
Et ces floraisons dans les branches
Encombraient d’un exquis fouillis
D’or et d’azur, vertes et blanches,
Ce petit coin du Doux Païs.


5


Te souvient-il, ma douce amie.
Du petit coin bien abrité
Où, rose, tu t’es endormie
Dans les roses, un soir d’été ;

Où j’ai, moi, sous les branches vertes,
Veillé délicieusement
Ton sommeil exquis et charmant,
Dormeuse aux lèvres entr’ouvertes ?

— J’erre encor dans le petit bois
Pas à pas, (extases pareilles !)
Et n’osant respirer, parfois,
Car j’ai peur que tu ne t’éveilles.


6


Quand les bois sont pleins de murmures,
J’entends ta douce et chère voix
Qui gazouillait sous les ramures
Dans la solitude des bois.

Tout se taisait pour mieux entendre
Dans un sourire émerveillé
La musique rêveuse et tendre
De ton rire de pleurs mouillé.

Et quelquefois une fauvette,
Pressentant une exquise sœur,
Mêlait sa voix, oh ! l’indiscrète,
A ta voix pleine de douceur.


7


Le matin me dit tes pâleurs
Et dans le frisson de l’aurore
Qui boit au calice des fleurs,
Je te revois timide encore.

Le jour ensoleillé, le jour
Me rappelle tes formes blanches,
Quand tu venais, prête à l’amour,
Sous l’asile discret des branches.

Et le soir triste, le doux soir
Me rapelle tes formes blanches,
Quand tu venais, très lente, voir
S’ouvrir les étoiles fleuries.


8


Sur le vieux banc, près du vieil arbre,
Un rayon vient tout près de moi
Se poser, blanchissant le marbre.
Je me figure que c’est toi.

Ne crois pas que trop de tristesse
Se mêle à mon cher souvenir.
Des choses qu’on a vu finir
Plus douce est la délicatesse.

Dans ce cadre doré de jour
Où, comme au temps passé, je t’aime,
Le souvenir de notre amour
Est plus doux que notre amour même.


L’HIRONDELLE


vers pour être chantés


I


Je chante celle là qui, comme une hirondelle,
Dès les premiers rayons du chaud soleil d’été,
Était venue, un beau matin, d’un grand coup d’aile,
Avec le rameau vert de l’amour enchanté.
 
Je chante celle là qui, comme une hirondelle,
Dès les premiers frissons des lugubres hivers,
S’est envolée, un soir morose, oh ! l’infidèle,
Pour chercher des pays toujours fleuris et verts.


II


C’est l’heure des mélancolies,
          Et vos pâleurs
Suprêmes sont encor pâlies,
          Dernières fleurs.

Combien aussi de rêves roses
          Se flétriront !
Renaîtront-ils, lorsque les roses
           Refleuriront ?


III


 
Le vieux soleil découragé
A perdu ses ardeurs bénies
Et l’air s’est de neige chargé.
 
Les feuilles sont partout jaunies
Et, le soir, les soleils couchants
Ont des tristesses infinies.
 
Les bois, les plaines et les champs
Se revêtent d’un manteau sombre,
Et sont pleins de détails touchants.

La nature rêveuse s’ombre
De tons pensifs et somnolents.
Tristes pensers naissent sans nombre.
 
Et dans les promenoirs dolents
Où l’âme s’arrête assombrie,
On sent errer, vague, à pas lents.
 
L’inconsolable Rêverie.


IV


               Il faut perdre cette maîtresse,
                         Oh ! si traîtresse,
Qui comme un rêve bleu n’aura fait que passer,

               Il faut pleurer cette amoureuse
                         Si savoureuse
Lorsque sa bouche en fleur s’ouvrait pour un baiser.

               Elle était toute parfumée,
                         La bien aimée.
Des senteurs de l’avril qui commence à pousser.

               Je sens une angoisse mortelle :
                         Nous aimait-elle,
Celle dont l’amour put si vite se glacer ?

               N’étaient-ce que paroles vaines,
                         Ou, dans ses veines,
Circulait-il un feu qui sut trop s’apaiser ?

               Aux premiers froids, cette hirondelle
                          Trop infidèle
Sur un autre arbre en fleurs vole pour se poser.


V


Dans la plaine,
          Une voix jolie
Chante, pleine
          De mélancolie,

Un air lent,
          Un air éploré.
Rappelant
          L’amour expiré.

Et l’on songe
          Aux amours anciennes,
O mensonge !
           Si musiciennes,

Aux aimés,
          Aux rêves défunts
Parfumés
          De tant de parfums.


VI


 
C’est donc fini. Tout ce beau rêve
N’est plus qu’un beau rêve envolé.
Oh ! je sens mon cœur désolé
Et peu s’en faut qu’il ne se crève.

Aimer toujours ! Souffrir sans trêve !
O mon amour inviolé,
Pour cet hiver, reste isolé ;
Il faut, vois-tu, te mettre en grève.

Sous mes cils perlent quelques pleurs,
Et ce sont là les seules fleurs
Que, cet automne, tu recueilles.
 
Le rameau s’est étiolé,
L’arbre n’a plus bientôt de feuilles
Et l’oiseau s’est vite envolé.


VII


Rappelle-toi, mon cœur, ce matin de Printemps
                    Où la chère maîtresse
Faisait fleurir en toi des rêves éclatants
          Pleins d’amour et d’ivresse.

Rappelle-toi, mon cœur, la belle nuit d’Été,
          Où, dans mes bras captive,
Je craignais de meurtrir, follement emporté,
          L’exquise sensitive.

Les Printemps sont passés et les Étés sont morts.
          Rien ne reste plus d’elle.
Faudra-t-il donc toujours, ô cœur plein de remords,
          Aimer cette infidèle ?


VIII


Chère infidèle, tu me sèvres
De baisers depuis bien longtemps.
Oh ! je voudrais, lèvres sur lèvres,
Te redire les mots chantants.

Je sens ma pauvre âme mordue
Par le cruel besoin d’aimer.
Oh ! je voudrais, trop tôt perdue !
Dans tes bras encor me pâmer,
 
Sentir encor, dans nos caresses,
Le parfum de ton corps subtil.
Au moins les anciennes ivresses,
T’en souvient-il, t’en souvient-il ?


IX


Lorsque le printemps nous rapportera
Le nouveau soleil et les primeroses,
Plus d’une hirondelle alors reviendra,
O mon pauvre cœur, et l’on oubliera
Les mornes saisons, les saisons moroses.

Sera-ce toujours, ô cœur trop subtil,
La même hirondelle aux ailes si blanches ?
Qu’importe, l’amour nous revient d’exil
Et j’entends déjà la chanson d’avril
Qui chante joyeuse à travers les branches.


EPILOGUE


Toujours, toujours, tant qu’on verra
Des jeunes hommes en ce monde,
Tant qu’un charme doux sortira
D’une fillette rose et blonde,
 
On verra dans les champs fleurir
L’Idylle, l’Eternelle Idylle,
Et dans les cœurs jeunes courir
Une flamme ardente et subtile.

Et l’on entendra la chanson,
La douce chanson idyllique,
Vibrer avec un grand frisson
Dans toute âme mélancolique.




Se laisser prendre au charme exquis
D’une lèvre où l’on voudrait lire,
Se savoir tout entier conquis
Dès l’instant qu’on la voit sourire ;

Avoir l’indicible ferveur
Des longues nuits où l’on médite,
Heureux ou triste, et très rêveur,
Sur la parole qu’elle a dite ;

Sentir son âme s’enflammer
Et que tout se résume en Elle,
Aimer, aimer, aimer, aimer !
— Et c’est là l’Idylle Eternelle.





Et toujours, tant que l’on verra
Des amoureuses en ce monde
Et qu’en nos âmes vibrera
La chanson troublante et profonde,

Les jeunes hommes dans leurs vers
Chanteront leurs mignonnes reines
Et les ciels bleus et les bois verts
Confidents discrets de leurs peines,

Et feront, oh ! l’exquis tourment,
Dans leurs odelettes graciles,
Alterner éternellement
L’Art et l’Amour, ces deux Idylles.


Vieux artistes,
Roman Comique, Prosodie,
Poètes futurs.




VIEUX ARTISTES


À GEORGES MILLET


Mon cher ami, je rêve au temps
Où nous aurons des barbes blanches.
Combien d’étés et de printemps
Auront fait refleurir les branches !
 
Oh ! que de rêves envolés !
Que de choses nous aurons vues !
Que de lumineuses bévues,
Et que dvnours inconsolés !

 
Que de glorieuses lubies !
Que d’échecs terribles soufferts !
D’épreuves vaillamment subies
Et de chûtes dans les enfers !

Malgré la lutte et les années
Tu seras resté droit et fier,
Et dans tes strophes déchaînées
Revivra le rêve d’hier.

Un beau jour, mon vieux frère d’armes,
J’arriverai dans ton logis,
Les yeux consumés par les larmes,
Les yeux par le travail rougis.

J’arriverai, mettons de Nîmes,
De Quimper ou de Briançon,
Apportant de nouvelles rimes
Et toujours la même chanson.

 
Et nous ne saurons que nous dire,
Dépaysés et trop joyeux,
Si ce n’est, avec un sourire
Tout ému, ces seuls mots : Mon vieux !

Nous serons de pauvres vieux certe,
De pauvres vieux moroses, mais
De ceux là dont nul ne déserte
Et qui restent sur les sommets.
 
Nous serons brisés par les luttes
Et nullement comblés d’honneurs,
Et les oublieuses minutes
Auront trop pesé sur nos coeurs.
 
Le bonheur nous sera rebelle,
Mais notre part sera pourtant
La plus superbe et la plus belle.
Noire sort le plus éclatant.


Nous serons vieux, nous serons tristes,
Mais calmes, apaisés enfin,
Mais nous serons de grands artistes,
S’il ne ment, mon espoir divin !

Nous saurons dompter les Chimères,
Nous saurons les grandes saveurs
De toutes les choses amères
Si douces pour les vieux rêveurs.

Tout ce que nos mains sûres d’elles
Toucheront, sera transformé.
Notre œuvre immense à grands coups d’ailes
Volera dans l’air enflammé.

Cela vaut que l’on se dépense
Et que l’on n’ait jamais fléchi !
Nous aurons notre récompense
Quand nos cheveux auront blanchi.


ROMAN COMIQUE


À Catulle Mendès


Fantasque, épris de l’infini,
Le grand poète Glatigny,
Virtuose au doigté rhythmique
Du plus difficile des arts,
S’enivra longtemps des hasards
Imprévus du Roman Comique.

Il erra longtemps dans les bois
Pleins pour lui de sons de hautbois
Et d’odelettes ravissantes
Et vit vos corps roses souvent,
Nymphes, quand il passait, rêvant,
Parmi la profondeur des sentes.

Il pâtit souvent de la faim
Dans ses caravanes sans fin
Et, suivant Fracasse, l’Etoile,
Marton, Léandre et dona Sol,
Prit des leçons du rossignol
En couchant à la belle étoile.

Il n’eut parfois pour s’habiller
Qu’un costume de vieux papier,
Mince, peu sûr et tout en loques,
Mais pour ses rêves, dans ses vers,
Il faisait de beaux pourpoints verts
Aux scintillantes pendeloques.


On l’eût bien pris pour un voleur !
Il faisait métier de souffleur
Et soufflait d’indigestes proses,
Mais dans les sentiers incertains
En rhythmes superbes, hautains,
Il chantait la gloire des Roses.

Captivé par les longs cheveux,
Les lèvres et les reins nerveux
D’une enfant sans mélancolie,
Il la suivait tout en chantant,
Et restait l’amoureux pourtant
De la belle nymphe Thalie.

Il erra longtemps. Mais, un jour,
Il dut s’arrêter au détour
De la route, pris de fatigue.
Il mourut, ce musicien,
Eidèle à son culte ancien.
Sous le ciel de clartés prodigue.


Que notre sort n’est-il ainsi !
Nous voudrions errer aussi
Parmi la nature enivrante
Et, dédaigneux du repos vil,
Aux premières brises d’avril,
Suivre la Comédie errante.

Et s’il nous faut rester cloués
Dans nos laides maisons, voués
À l’écœurante platitude,
Nos esprits libres, nos esprits
Tout enfiévrés se sentent pris
D’une semblable inquiétude.

Notre âme est, comme Glatigny,
Toujours éprise d’infini
Et d’aventureuse musique,
Et toujours nous recommençons
Par nos incessantes chansons
Un éternel Roman Comique.


THALIA


I


À Théodore de Banville


La folle vendangeuse aux yeux de chrysolithe
Bondissait sous le ciel attique à travers champs ;
Térence, dans ses vers gracieux et touchants,
La fit danser devant un spectateur d’élite.

Puis c’est Shakspeare avec tout son monde insolite,
Songes de nuits d’été pleines de joyeux chants,
Belles dames, bouffons sages, gnomes méchants ;
Monde idéal où, seul, le faux Vrai périclite.


Maintenant sur la scène, ô nymphe Thalia !
L’on ne te cherche plus. La brune Italia
Des poètes retient la Rime fantaisiste

Dans les sonnets ambrés de subtils concetti,
Et notre Thalia capricieuse et triste
C’est Rosalinde en son élégant travesti.


II


À Gabriel Vicaire


La Rosalinde gracieuse
Avec ses habits de garçon
Et qui cueille à chaque buisson
Quelque chanson délicieuse,

Sous ta figure soucieuse,
Mercutio, dont la chanson
Toujours folle a toujours raison
D’èire amère et capricieuse :


C’est notre nymphe Thalia,
La Reine de l’Italia
Shakspearienne et fantaisiste

Des sonnets et des concetti,
Muse fantasque, folle et triste,
La Rosalinde en travesti.


LE ROSSIGNOL


À Léon Dierx


Il fait nuit et les bois sont calmes,
Un souffle léger par instants,
Ose à peine agiter les palmes
Sur des rhythmes doux et chantants.
 
Dans le grand silence féerique
Soudain éclate un chant béni,
Un chant de poète lyrique
Modulé d’un art infini.


Écoutez bien ! c’est l’ouverture
Du miraculeux opéra.
Le théâtre, c’est la nature,
Et le Rossignol chantera.
 
Le Rossignol jette ses rimes
Par delà les cimes d’argent,
Par delà les lointaines cimes
De l’azur nocturne émergeant.

Pour baiser les douces menottes
Qu’aime tant ce triste Lindor,
Le Rossignol jette ses notes
Par delà les étoiles d’or.

Dans le silence ému, dans l’ombre,
Écoutez cette exquise voix,
Cette voix éclatante et sombre
Qui remplit de rêves les bois.


Un amour décevant et triste
Pleure en ce chant inimité
Que l’âme ardente de l’artiste
Fait vibrer dans l’illimité.


SONNETS D’ÉTUDE


I


la piazza


À José-Maria de Heredia


C’est une place immense avec des colonnades
De marbre, et qui descend par des grands escaliers
Au Canal dont les flots calmes et réguliers
Bercent des galions d’œillets et de grenades.

 
Sur le pavé de marbre on voit les promenades
Lentes se dérouler des graves Bacheliers,
Capucins, Sénateurs, Marchands et Chevaliers,
Et la nuit on entend de vagues sérénades.

Des Orateurs sous les Portiques. Mais le soir
Tombe : on va sur des bancs de cipolin s’asseoir
Et l’on entend le grand poète sonnettiste.

Puis passe avec sa cour aux pourpoints bleus et verts
La grande Impéria, la courtisane artiste,
Qui s’arrête un moment pour écouter des vers.


II


les chats


À Léon Valade


Toi que comprennent bien les chats silencieux,
Tu te pâmes, mignonne, à perdre tes mains fines
Dans la riche toison de ces bêtes divines,
À plonger longuement tes regards dans leurs yeux.

Au fond de leurs yeux verts, livre mystérieux,
Tu déchiffres ton rêve, et ces âmes félines
Reflètent, n’est-ce pas, les visions câlines
Que ton inquiétude évoque en d’autres cieux.


Lorsque tes doigts nerveux frissonnent, sympathiques,
Au toucher onduleux de leurs corps élastiques,
Ils se pâment sous ta caresse. Cherchent-ils
 
Aussi dans tes grands yeux ton âme délicate,
Sentant bien que tu n’es, sous ces dehors subtils.
Qu’une voluptueuse et dangereuse chatte ?


III


la diva


À Albert Mérat


 
Vous êtes sculpturale, et belle, je le sais,
A tenter le ciseau d’un jeune Praxitèle :
Mais je veux voir en vous, chère, ô chère Immortelle,
Une musique frêle aux soupirs cadencés.

Votre beau corps est fait d’accords doux et lassés ;
Si l’on entend un vers, on dit de vous : c’est Elle
Votre souple démarche est gracieuse et telle
Qu’une ode déroulant ses rhythmes enlacés.


Lorsque vous modulez quelques phrases tragiques,
C’est le sanglot sans fin des violons magiques ;
En sons miraculeux, subtils, filés, perlés,

Lorsque vous nous chantez même un fragment de prose,
Votre voix s’éparpille, et lorsque vous parlez,
C’est quelque chose comme un air du Cimarose.


IV


la musicienne


À Georges Courteline


 
Parisienne exquise, elle est musicienne
Dans l’âme, et, chaque soir, elle s’assied devant
Une partition d’un maestro savant.
Pleine de morbidezze et de grâce ancienne.
 
Ses longs doigts fuselés d’enfant patricienne
Errent sur le clavier et modulent souvent
La valse préférée, esquissée en rêvant
Par son âme d’artiste et de parisienne.


Cette musique lente, au caprice musqué,
Soupire et meurt, noyant son âme dans un rêve
Extatique et subtil, et, quand elle a plaqué,

Rêveuse, les derniers accords, elle relève
Sa traîne avec un geste adorable, et se lève
En souriant d’un air mièvre et compliqué.


V


la marquise


À Raoul Galas


 
Toute charmante, avec la science requise
Pour régner au milieu d’un tourbillon mondain,
Vous êtes d’un moderne adorable, et soudain
L’âme qui vous a vue est charmée et conquise.

Mais vous avez aussi la grâce tant exquise
Des dames du vieux temps, et leur joli dédain.
Vous semblez faite pour errer dans un jardin
Royal, cheveux poudrés, en robe de marquise.

 
Aussi j’adorerai, subtil, selon de vieux
Clichés toujours nouveaux, marquise, vos beaux yeux.
Variant avec goût la phrase peu rebelle

En chevalier galant je vous ferai ma cour,
Et je répéterai sur tous les modes : Belle
Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.


VI


la fée


À Victor d’Auriaz


Je suis la Fée, ô curieux !
Des Sourires tendres et roses
Et des Clartés d’apothéoses
Et des Rhythmes harmonieux.
 
Je suis Flamme. Mes mille feux,
Quand ils illuminent les choses,
Partent des paupières mi closes
De l’adorée aux chers grands yeux.


Sourire, il faut que je sourie
Sur la lèvre exquise et fleurie
De celle qu’en rêve tu vois.

Je suis la Musique elle-même,
Et je chante en la douce voix
De celle qui t’a dit : Je t’aime.


d’après Bouville


VII


les Atlantes et les Cariatides
du Musée des Antiques.


À Augusta Holmès


Atlantes ! dont le corps dans le roc vif sculpté
S’arcboute et fait saillir les pectoraux solides,
On dirait, tant l’effort creuse vos fronts de rides,
Que le faix est trop lourd pour être supporté.

Regardez le Sourire et la Sérénité
De ces corps féminins, de ces Cariatides
Qui, lorsque vous ployez, se redressent, splendides !
Vous n’avez que la force, elles ont la Beauté.


Beauté vaut plus que Force, et, puissance infinie
De la Forme idéale et sainte, l’Harmonie
Soutient le monde entier mieux qu’un Atlas tortu.

Depuis les jours divins où Vénus souveraine
A surgi, la Beauté dédaigneuse et sereine
Est la seule Puissance et la seule Vertu.


VIII


les violettes


À Paul Bourget


 
Dans les sous bois d’avril qui sont à peine verts,
Tu nais, petite fleur délicate et sans arme,
Qu’épanouit un souffle et qu’emplit une larme,
Et nous t’allons cueillir au sortir des hivers.

Mais les fières beautés pour qui rêvent nos vers
Aiment à s’entourer, contraste plein de charme,
De diamants et de violettes de Parme,
Dans les flots des satins, des blondes et des vairs.

 
Que la valse s’anime ou qu’elle s’alentisse,
Ton parfum doux murmure alors un chant factice
Où tu mêles encor ton primitif accent.
 
Et j’aime à respirer, moite et fade, ton âme,
Lorsqu’à la fin des nuits, dans le bal languissant,
Tu te meurs lentement entre deux seins de femme.


IX


musique féline


À Raoul Gineste


Chats langoureux, chattes jolies,
Lorsqu’aux soirs tièdes et discrets
Vous miaulez de grands secrets
Et de douces mélancolies,

Par l’éloignement assouplies
Vos belles chansons, à longs traits,
Versent en nous le rêve frais
Des étoiles au loin pâlies.

 
Et, lorsque enfin pour nos salons
Vous armez les clairs violons
De leurs cordes harmonieuses,

Ce miaulement infini
Prend des notes délicieuses
Sous l’archet de Paganini.


X


des roses ?


À Paul Verlaine


 
Evoquerai-je vos pâleurs,
Roses thé, roses blanches, roses
Du Bengale, et vous, roses roses
Où la rosée a mis ses pleurs ?

Ne trouvez-vous pas que ces fleurs
Sont depuis bien longtemps décloses ?
Ces banales et vieilles choses
N’ont plus d’odeurs ni de couleurs.


Voici quelques fleurs maladives
Du Cap, de Chine ou des Maldives,
Fleurs du Lân, késaras, styrax ;

Et, pour de plus grandes délices,
Nous verserons en ces calices
Quelques gouttes d’opoponax.


XI


Maggiolata
Première matinée de mai


À Emile Blémont


Monna Nina, voici refleurir les saisons
Printanières, et les jeunes métamorphoses.
Entends-tu dans les fleurs tout fraîchement écloses
Les oiselets qui font si douces leurs chansons ?
 
C’est Mai. C’est le doux mois de ces belles moissons,
Les moissons de baisers et les moissons de roses.
Tout revit, les sonnets et les aimables choses.
Le printemps et l’amour, toutes les floraisons.


Monna Nina, suivant la coutume galante,
À ton seuil adorable et bien aimé, je plante
L’arbre amoureusement fleuri, l’arbre de mai.

Il dit la loi d’amour, Monna Nine, il proclame
Qu’il faut fleurir, qu’il faut sourire au bien-aimé.
Qu’il faut se souvenir enfin que l’on est femme.

                              Ouvre tes bras, ouvre ton âme !
Amour, c’est le sourire attendri du Printemps,
Souviens-toi que je t’aime, et des joyeux vingt ans.


à l’italienne, colla coda


XII


frères d’armes


À Georges Millet


 
Nous étions des enfants quand ce besoin nous prit
De sertir nos pensers en d’éclatantes rimes
Et perdre notre vie à ces folles escrimes,
À ce métier ingrat dont tout le monde rit.

Mais n’est-ce pas le signe éclatant d’un esprit
Noble, fou d’idéal, qui répute pour crimes
De végéter sans gloire, et sans tenter les cimes
Hautaines où le Rêve en sa splendeur fleurit ?


Et puis il faut des cœurs de héros ! L’on se laisse
Aller parfois, il est des heures de faiblesse
Où l’on maudirait l’art cruel. — Mais je connais
 
L’âpre désir qui mord ton âme inassouvie
Et je sais trop aussi que j’en ai pour la vie.
— Va, mon cher, nous ferons encor bien des sonnets.


BOUT DE LETTRE

(de Bretagne)


À Paul Léaux


Palette, d’après les usages
De nos peintres voyageurs, si
Tu venais voir ce pays ci,
Tu verrais de beaux paysages.

Tu verrais des choses vraiment
Qui raviraient ton cœur d’artiste :
Tantôt, c’est grandiose et triste,
Tantôt, c’est clair et c’est charmant…


Nous, nous voyons toutes ces choses,
Mais le vers n’est pas un pinceau
Et notre Muse, pauvre oiseau,
N’a pas les ailes grandioses.

Un coin discret, tranquille et clos
Ferait cent fois mieux notre affaire
Pour rimer lentement, et faire
À loisir nos petits tableaux.
 
Griffonner sur des bouts de tables.
Cela vaut mieux et c’est plus sûr
Que d’aller contempler l’azur
Et voir des sites admirables.

Mais je te plains plus qu’à demi,
Tu ne vois pas trop la nature
Et tu fais beaucoup d’écriture
Pour un peintre, mon cher ami.


PROSODIE


À François Coppee


1


Dans la rosée et les roseaux.
Dans les plaines, au bord des eaux,
Traçant de délicats réseaux,
          Les hirondelles,

Petits oiseaux capricieux,
Rasent le sol, puis dans les cieux
Prennent un vol audacieux
          À tire d’ailes.


2


Elles trempent parfois leur aile au ruisseau clair.
          L’œil les suit ; mais, déjà, dans l’air,
Elles ont disparu comme un rapide éclair.

          Dédaignant le repos des branches,
On voit dans l’infini, parmi des avalanches
          De lumière, leurs ailes blanches.

Elles planent, et puis redescendent encor,
          Et reprennent leur grand essor
Dans la profondeur vague au milieu du ciel d’or.


3


 
Et cette hirondelle exquise, la Muse,
          Aux mêmes détours s’amuse.

Il lui faut l’azur de lueurs strié.
          Infiniment varié.

Il lui faut aussi la fraîcheur des îles
          Et la grâce des Idylles.


4


Une minute avant l’ondée
Les hirondelles sont là-haut ;
Elles descendent aussitôt
De la profondeur insondée.

La rivière est déjà ridée
Par un frisson fait d’un sanglot ;
Elles viennent raser le flot
Avec leur aile intimidée.

Ô chère Muse, c’est ainsi
Que tu viens, déhcate aussi,
Nous consoler par tes caresses,

Dans l’attente ou le souvenir
Des plus douloureuses tendresses.
Lorsque les larmes vont venir.


LA LUNE


À Louis Wouters


Un petit enfant regardait la lune.
— Oh : mon cher petit, ne regarde pas
Cette face blême, au loin, sur la dune.
Elle est tout là-bas, vois tu, tout là-bas !

Et jamais, jamais, vois-tu, mon cher ange,
Tu ne parviendras à la décrocher.
Et moi-même, moi, le chercheur étrange.
Je ne voudrais pas te l’aller chercher.

 
Fais vite dodo quand vient la nuit brune,
Ô mon cher petit. Ne regarde pas
Cette décevante et trompeuse lune.
Elle est tout là-bas, vois-tu, tout là-bas !

Fuis cette espérance idiote, en somme,
Ne regarde pas la lune, vois-tu.
Tu ne pourrais plus devenir un homme
Comme tes amis, riche et bien vêtu.

La lune, petit, je l’ai regardée
Plus qu’il ne convient, à ce qu’il paraît,
Et c’est pour cela que j’aime une Idée
Impossible et folle et qui te tuerait.

Et c’est pour cela, vois-tu, que je reste
Un incorrigible et triste vaurien,
Et qu’engagé dans la route funeste,
Je ne pourrai plus arriver à rien.


Et, si je l’avais, pourtant, décrochée !
Mais elle est bien haut, mon petit ami,
Elle est tout là-bas. De l’avoir cherchée,
J’en suis revenu morne et tout blêmi.
 
Va, traîne la vie obscure et commune,
Ô mon cher petit. Ne regarde pas
Cette décevante et trompeuse lune :
Elle est tout là-bas, vois-tu, tout là-bas !


POÈTES FUTURS


À Robert de la Villeherve


Oui, nous aurons vécu dans un temps sans égal
Où des éclosions sans fin d’œuvres magiques
Donnent aux cœurs pieux un superbe régal
Par le ruissellement de leurs rimes lyriques.

C’est notre passion, notre culte fatal,
Ayant étudié les grands chefs-d’œuvre antiques,
De saluer, émus, le matin triomphal
De poèmes nouveaux qui sont déjà classiques.

Mais nous mourrons un jour, bientôt ; et dans mille ans
Nos fils, ayant aussi des chanteurs excellents,
Liront leurs doux Sonnets et leur Ode sonore,
 
Et je songe, attristé, qu’après notre trépas,
Les poètes des temps futurs feront encore
Des volumes de vers que nous ne lirons pas.



Reprise d’Idylle




RETOUR


Quel doux rève c’est !
(Qui donc y pensait ?
        Personne.)
Mars émerveille
        Frissonne
Tout ensoleillé.


Ô réveil des choses !
Les arbustes roses
        Et verts
Font faire aux poètes
        Des vers
Avant les fauvettes.

Et j’ai dit : Je veux
Que de blonds cheveux
        D’aurore
Rendent plus subtil
        Encore
Ce doux mois d’avril.


Avril est revenu comme un voyageur sombre,
Les lèvres sans baisers et les yeux sans regard,
Très las, qui ne sait plus, cœur envahi par l’ombre,
Retrouver au retour les chansons du départ.
 
Les choses qu’il revoit, qui pourtant furent siennes,
L’attristent ; au bonheur qui s’offre il dit : « Va-t’en !
Je garde la rancœur des douleurs anciennes
Et le ressouvenir des idylles d’antan. »

Ô rires désappris ! sans rapporter les roses,
Les rêves et la grâce aimable des lilas,
Morne et pâle, les yeux en pleurs, les lèvres closes,
Avril est revenu comme un voyageur las.


POUR UNE


Cher ange, mon rêve lassé
Veut se noyer parmi les ondes
De tes pesantes tresses blondes
Où Jadis persiste enlacé.
 
Que les souffrances du passé
Jettent en nous, comme des sondes
Qui tombent dans les mers profondes,
Leur émoi que rien n’a chassé !


Quand nos âmes sont assouvies,
Dans l’extase ardente ravies,
Il est doux de se souvenir

De nos angoisses, de nos fièvres,
Aux heures tristes où nos lèvres
N’osaient pas encore s’unir.


POUR UNE AUTRE


Nos deux mains se sont, un instant,
Fébriles, dans l’ombre pressées ;
Tes paupières s’étaient baissées,
Mais j’ai lu ton rêve hésitant.

Dans nos yeux un espoir flottant
Nous parlait de lèvres baisées
Et d’extases entrelacées…
Et ce serait bien doux pourtant !

 
Va, gardons telle, ma chérie,
Notre divine illusion
Si délicatement fleurie.

Quelle longue possession
Peut valoir la grâce indécise
D’un rêve frêle, que l’on brise ?


PRINTEMPS D’EXIL


Les oisillons de mon pais
Ai ois en Bretagne.


 
Comme ce doit être idyllique
Dans les bois de notre pays !
Ô jours anciens évanouis,
De notre âme douce relique.

Votre printemps aussi s’applique
Et met des fleurs dans les taillis…
Comme ce doit être idyllique
Dans les bois de notre pays !


Mais dans l’exil tout se complique
Et ce sont des bonheurs haïs
Dont nous sommes tout éblouis.
Ô cher lointain mélancolique,
Comme ce doit être idyllique
Dans les bois de notre pays !


L’AIMÉE


I


Quand ce mal terrible brûla
Les pâles roses de ta bouche
Et qu’il te tordit sur ta couche.
Pauvre ange, je n’étais pas là.

Quand la mort frappait à la porte,
Je n’étais pas là, sur le seuil ;
J’aurais su, voyant un cercueil,
Que ma seule aimée était morte !

 
Ce n’était pas moi qu’appelait
Pendant cette agonie affreuse
Ta plainte lente et douloureuse,
Ton souffle Aiible qui râlait ;

Et quand ton père vint, très pâle,
Sa voix aimée emplit tes yeux
De pleurs doux et délicieux,
Un sourire coupa ton râle.

Et pourquoi, pauvre ange, pourquoi
Aurais-tu mis dans la souffrance
Ta suprême et frêle espérance
Et ton dernier recours en moi ?

Qui, pourtant, angoisse infinie,
De loin, sans te voir, sans pouvoir
T’adoucir l’heure, et sans savoir,
Souffrais toute ton agonie.


Car tu dois toujours ignorer
Que je pleurais et que je t’aime,
Hélas ! et je n’avais pas même
Le droit triste et doux de pleurer.


I


 
Pour avoir tant souffert, à l’heure
Où les autres ne savent pas
Que l’on peut, hélas ! ici bas
Tant souffrir, ni pourquoi l’on pleure,

Pour avoir senti sur tes yeux
La mort poser ses mains de glace
Et le vent de son aile lasse
Frissonner parmi tes cheveux,

Comme tu dois être plus belle
Qu’aux jours limpides de jadis
Où vers de jeunes paradis
Ton âme frêle ouvrait son aile !


Ton pauvre petit corps d’enfant
Si délicat et si gracile,
La douleur a dû, trop habile,
L’affiner en le torturant.

Ta voix qui semble dans l’aurore
Un oiseau prêt à s’envoler,
Quelque chose doit y trembler
De plus doux, de plus triste encore.

Et tes yeux, ange revenu
De la lumière ou bien de l’ombre,
Gardent sans doute, reflet sombre,
La vision de l’inconnu.


SOUVENIRS EN FLEUR


I


Ô printemps morts, avrils défunts
Pleins de baisers et de parfums,
Rendez-moi vos délicatesses,
Oh ! revenez, et fleurissez
Mon âme morne et ses tristesses,
Souvenirs des amours passés !


II


 
Elle était pâle, elle était frêle
Comm un lis qui va s’entr’ouvrir,
Et l’on croyait sentir en elle
Quelque chose qui va fleurir.

Elle était gracile et petite
Et son souvenir délicat
Se parfume de clématite,
De verveine et de seringat.

Et je la retrouverai toute,
Avec d’inutiles sanglots,
En cueillant au bord de la route
Un lilas blanc à peine éclos.


III


La mignonne enfant que j’adore
M’envoie un œillet et je sais
Que des souvenirs de baisers
M’attendent là, tièdes encore.

Dans l’humidite de la fleur
Il reste un doux parfum de lèvres ;
J’y retrouve, ô charmantes fièvres,
Sa délicieuse pâleur.
 
J’y colle ma bouche enflammée
Comme sur son sein blanc et nu.
Cher petit œillet, que n’es tu
Le sein blanc de ma bien aimée !


IV


Plus sentimental qu’un Clitandre,
Je crois au langage des fleurs
Et, subtil, je sais bien entendre
Leurs chers aveux ensorceleurs.

La rose est amoureuse et tendre
Et la rosée y met des pleurs ;
C’est sans doute de trop attendre
Que les grands lys ont ces pâleurs.

 
De douces choses sont écrites
Dans les feuilles des marguerites
Et les pétales des lilas ;
 
Et ces délicats interprètes
Ne sont jamais trompeurs, ni las
De guérir nos peines secrètes.


V


 
Par un doux temps de rêveries
Où nos âmes étaient fleuries,
Je m’étais mis, pour mieux te voir.
À l’autre bout de la terrasse ;
Tu me regardais de la place
À travers la clarté du soir.

Pour ne pas troubler les fauvettes
Mes lèvres s’agitaient muettes,
Mais, lisant sur mes lèvres, rien
Ne t’échappait de tous leurs signes.
« Je te hais ! » firent ces malignes.
Tu répondis : « Je le sais bien. »


VI


Le plus ancien de les bouquets,
Fleurs sous de longs baisers décloses,
Etaient-ce des œillets, des roses,
Je ne sais plus, ou des muguets ?

Mais, ô délicate tendresse,
Ces trois brins, je le sais cncor,
Étaient liés par un fil d’or
Arraché de ta blonde tresse.
 
Et ce fil d’or, ce léger fil
Pour charmer à jamais mon âme
M’apportait ton parfum de femme
Plus que celui des fleurs subtil.


Finale


Souvenirs des amours frcmissantes encore !
Brunies du jour naissant, tendres éveils d’aurore,
Chansons dans les frissons des bois toujours fleuris,
Clairs lointains de soleil, et soirs endoloris
Ou la brise est soupir, ou le soupir halète !
Ô souvenirs aimés, mon âme vous reflète,
Blancs lilas, arbrisseaux chanteurs, ciel azuré !
Et dans ce doux pays où je l’isolerai
Mon Rève est calme et pur comme un Cygne en voyage
Sur un grand lac perdu dans un beau paysage.


TABLE



L’Idylle éternelle


— reprise du même motif 
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 43
 47
 57
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Vieux artistes, etc.


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Reprise d’Idylle


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