L’Idylle éternelle/Roman comique

Paul Ollendorff, éditeur (p. 99-102).


ROMAN COMIQUE


À Catulle Mendès


Fantasque, épris de l’infini,
Le grand poète Glatigny,
Virtuose au doigté rhythmique
Du plus difficile des arts,
S’enivra longtemps des hasards
Imprévus du Roman Comique.

Il erra longtemps dans les bois
Pleins pour lui de sons de hautbois
Et d’odelettes ravissantes
Et vit vos corps roses souvent,
Nymphes, quand il passait, rêvant,
Parmi la profondeur des sentes.

Il pâtit souvent de la faim
Dans ses caravanes sans fin
Et, suivant Fracasse, l’Etoile,
Marton, Léandre et dona Sol,
Prit des leçons du rossignol
En couchant à la belle étoile.

Il n’eut parfois pour s’habiller
Qu’un costume de vieux papier,
Mince, peu sûr et tout en loques,
Mais pour ses rêves, dans ses vers,
Il faisait de beaux pourpoints verts
Aux scintillantes pendeloques.


On l’eût bien pris pour un voleur !
Il faisait métier de souffleur
Et soufflait d’indigestes proses,
Mais dans les sentiers incertains
En rhythmes superbes, hautains,
Il chantait la gloire des Roses.

Captivé par les longs cheveux,
Les lèvres et les reins nerveux
D’une enfant sans mélancolie,
Il la suivait tout en chantant,
Et restait l’amoureux pourtant
De la belle nymphe Thalie.

Il erra longtemps. Mais, un jour,
Il dut s’arrêter au détour
De la route, pris de fatigue.
Il mourut, ce musicien,
Eidèle à son culte ancien.
Sous le ciel de clartés prodigue.


Que notre sort n’est-il ainsi !
Nous voudrions errer aussi
Parmi la nature enivrante
Et, dédaigneux du repos vil,
Aux premières brises d’avril,
Suivre la Comédie errante.

Et s’il nous faut rester cloués
Dans nos laides maisons, voués
À l’écœurante platitude,
Nos esprits libres, nos esprits
Tout enfiévrés se sentent pris
D’une semblable inquiétude.

Notre âme est, comme Glatigny,
Toujours éprise d’infini
Et d’aventureuse musique,
Et toujours nous recommençons
Par nos incessantes chansons
Un éternel Roman Comique.