Paul Ollendorff, éditeur (p. 139-142).


LA LUNE


À Louis Wouters


Un petit enfant regardait la lune.
— Oh : mon cher petit, ne regarde pas
Cette face blême, au loin, sur la dune.
Elle est tout là-bas, vois tu, tout là-bas !

Et jamais, jamais, vois-tu, mon cher ange,
Tu ne parviendras à la décrocher.
Et moi-même, moi, le chercheur étrange.
Je ne voudrais pas te l’aller chercher.

 
Fais vite dodo quand vient la nuit brune,
Ô mon cher petit. Ne regarde pas
Cette décevante et trompeuse lune.
Elle est tout là-bas, vois-tu, tout là-bas !

Fuis cette espérance idiote, en somme,
Ne regarde pas la lune, vois-tu.
Tu ne pourrais plus devenir un homme
Comme tes amis, riche et bien vêtu.

La lune, petit, je l’ai regardée
Plus qu’il ne convient, à ce qu’il paraît,
Et c’est pour cela que j’aime une Idée
Impossible et folle et qui te tuerait.

Et c’est pour cela, vois-tu, que je reste
Un incorrigible et triste vaurien,
Et qu’engagé dans la route funeste,
Je ne pourrai plus arriver à rien.


Et, si je l’avais, pourtant, décrochée !
Mais elle est bien haut, mon petit ami,
Elle est tout là-bas. De l’avoir cherchée,
J’en suis revenu morne et tout blêmi.
 
Va, traîne la vie obscure et commune,
Ô mon cher petit. Ne regarde pas
Cette décevante et trompeuse lune :
Elle est tout là-bas, vois-tu, tout là-bas !