L’Encyclopédie/1re édition/FLUXION
FLUXION, s. f. (Géométrie transcend.) M. Newton appelle ainsi dans la Géométrie de l’infini, ce que M. Léibnitz appelle différence. Voyez Différence & Différentiel.
M. Newton s’est servi de ce mot de fluxion, parce qu’il considere les quantités mathématiques comme engendrées par le mouvement ; il cherche le rapport des vîtesses variables avec lesquelles ces quantités sont décrites ; & ce sont ces vîtesses qu’il appelle fluxions des quantités : par exemple, on peut supposer une parabole engendrée par le mouvement d’une ligne qui se meut uniformément, parallelement à elle-même, le long de l’abscisse, tandis qu’un point parcourt cette ligne avec une vitesse variable, telle que la partie parcourue est toûjours une moyenne proportionnelle entre une ligne donnée quelconque & la partie correspondante de l’abscisse, voyez Abscisse. Le rapport qu’il y a entre la vitesse de ce point à chaque instant, & la vîtesse uniforme de la ligne entiere, est celui de sa fluxion de l’ordonnée à la fluxion de l’abscisse ; c’est-à-dire de y à x : car M. Newton désigne la fluxion d’une quantité par un point mis au-dessus.
Les géometres anglois, du moins pour la plûpart, ont adopté cette idée de M. Newton, & sa caractéristique : cependant la caractéristique de M. Leibnitz qui consiste à mettre un d au devant, paroît plus commode, & moins sujette à erreur. Un d se voit mieux, & s’oublie moins dans l’impression qu’un simple point. A l’égard de la méthode de considérer comme des fluxions ce que M. Léibnitz appelle différences, il est certain qu’elle est plus juste & plus rigoureuse. Mais il est, ce me semble, encore plus simple & plus exact de considérer les différences, ou plutôt le rapport des différences, comme la limite du rapport des différences finies, ainsi qu’il a été expliqué au mot Différentiel. Introduire ici le mouvement, c’est y introduire une idée étrangere, & qui n’est point nécessaire à la démonstration : d’ailleurs on n’a pas d’idée bien nette de ce que c’est que la vîtesse d’un corps à chaque instant, lorsque cette vîtesse est variable. La vîtesse n’est rien de réel, voyez Vîtesse ; c’est le rapport de l’espace au tems, lorsque la vîtesse est uniforme : sur quoi voyez l’article Équation, à la fin. Mais lorsque le mouvement est variable, ce n’est plus le rapport de l’espace au tems, c’est le rapport de la différentielle de l’espace à celle du tems ; rapport dont on ne peut donner d’idée nette, que par celle des limites. Ainsi il faut necéssairement en revenir à cette derniere idée, pour donner une idée nette des fluxions. Au reste, le calcul des fluxions est absolument le même que le calcul différentiel ; voyez donc le mot Differentiel, où les opérations & la métaphysique de ce calcul sont expliquées de la maniere la plus simple & la plus claire. (O)
Fluxion, (Medecine.) ce terme est employé le plus communément dans les écrits des anciens, pour exprimer la même chose que celui de catarrhe ; par conséquent on y trouve la signification de l’un & de l’autre également vague.
En effet, Hippocrate regardoit la tête comme la source d’une infinité de maladies ; parce que, selon lui, c’est dans sa cavité que se forment les matieres des catarrhes, qui peuvent se jetter de-là sur différens organes, tant éloignés que voisins : il n’en est presque aucun qui soit exempt de leurs influences. Ce vénérable auteur entendoit donc par catarrhe ou fluxion, une chûte d’humeurs excrémentitielles, mais principalement pituiteuses, de la partie supérieure du corps vers les inférieures : aussi, selon lui (lib. de princip.), la tête est-elle le principal réservoir de la pituite, pituitæ metropolis : il employoit donc dans ce sens le mot fluxion, comme un mot générique.
Galien ne l’adopta pas sous une acception aussi étendue : on trouve dans la définition qu’il en a donnée, que cette lésion de fonction n’est autre chose qu’un écoulement de différentes sortes d’humeurs qui tombent du cerveau par les narines & par les ouvertures du palais, & font un certain bruit en se mélant avec l’air qui sort des poumons, il attribuoit cette sorte de catarrhe à l’intempérie froide & humide du cerveau, & à toutes les humeurs qui remplissent la tête.
Selon Sennert, il y a deux termes principaux pour désigner les mouvemens extraordinaires les plus sensibles de nos humeurs : lorsque ces mouvemens consistent dans un passage, un flux d’humeur, de quelque nature qu’elle soit, d’une partie telle qu’elle puisse être aussi, dans une autre indifféremment ; il dit que ce transport est appellé ῥεῦμα & ῥευματισμὸς ; que cette sorte de mouvement est la plus générale : & il attribue la signification reçûe de son tems, du mot κατάῤῥως, aux seules fluxions d’humeurs portées du cerveau vers un autre organe quelconque de la tête ou de toute autre partie voisine, seulement vers le gosier, par exemple, ou vers les mâchoires ou les poumons : encore distingue-t-il le catarrhe ainsi conçû, en trois différentes especes, sous différens noms.
Ainsi il dit, que le catarrhe qui a son siége dans la partie antérieure de la tête, vers la racine du nez, avec un sentiment de pesanteur sur les yeux, est appellé gravedo ; c’est ce qu’on nomme vulgairement rhûme de cerveau : c’est une fluxion qui a son siege dans la membrane pituitaire, dont un des principaux symptomes est l’enchifrenement, voyez Enchifrenement. Si l’humeur se jette sur la gorge, il forme, selon cet auteur, l’espece de catarrhe nommé βράγχος, rancedo ; c’est la maladie qu’on nomme enroüement, voyez Enrouement. Si l’humeur engorge les poumons, la fluxion retient le nom de catarrhe proprement dit, voyez Catarrhe. Ces trois distinctions sont très bien exprimées dans un dystique fort connu, qui trouve tout naturellement sa place ici :
Si fluit ad pectus, dicatur rheuma catarrhus ;
Ad fauces branchus, ad nares esto corysa.
Mais il paroît par ce dystique même, que le nom commun à toutes les fluxions catarrheuses, est celui de rhûme, ou affection rhumatismale. Ainsi il suit de ce qui a été dit ci-devant sur la signification du mot ῥεῦμα, qu’il est le mot générique employé pour exprimer toutes sortes de fluxions, tant catarrheuses qu’autres, sur quelque partie du corps que ce soit.
Cependant il faut observer que le mot latin fluxio rendu en françois par celui de fluxion, n’est presque pas un terme d’art : il ne sert aux Medecins, que pour s’exprimer avec le vulgaire sur le genre de maladie qui consiste dans un engorgement de vaisseaux formé comme subitement, c’est-à-dire en très-peu de tems, ordinairement ensuite d’une suppression de l’insensible transpiration, qui augmente le volume des humeurs ; ensorte que l’excédent, qui tend d’abord à se répandre dans toute la masse, est jetté par un effort de la nature, forme comme un flux sur quelque partie moins résistante, plus foible à proportion que toutes les autres ; idée qui répond parfaitement à celle des anciens, qui attribuoient toutes sortes de fluxions, soit catarrheuses, soit rhûmatismales, à l’excès de force de la puissance expultrice des parties mandantes en général sur la puissance retentrice de la partie recevante : d’où il suit que le ressort de cette partie étant moindre qu’il ne doit être par rapport à la force d’équilibre dans tous les solides, n’oppose pas une résistance suffisante pour empêcher qu’il ne soit porté dans cette partie une plus grande quantité d’humeurs qu’elle n’en reçoit ordinairement, lorsque la distribution s’en fait d’une maniere proportionnée : ensorte que les fluxions peuvent être produites, ou par la foiblesse absolue, ou par la foiblesse respective des parties qui en sont le siége, entant qu’il y a aussi excès de force, absolu ou respectif, dans l’action systaltique de toutes les autres parties. C’est d’après cette considération que les anciens disoient que les fluxions se font par attraction ou par impulsion, (per ὦσιν, vel per ἕλξιν), c’est-à-dire parce que les parties engorgées pechent par défaut de ressort, tandis que toutes les autres conservent celui qui leur est naturel ; ou que celles-ci augmentent d’action par l’effet du spasme, de l’érétisme, par exemple, tandis que celles-là n’ont que leur force ordinaire.
Ainsi dans toute fluxion, il se porte trop d’humeurs ; il en est trop arrêté dans la partie qui en est le siége ; ce qui suppose toûjours que la congestion suit la fluxion, voyez Congestion. Cependant il est des hémorrhagies, des écoulemens de différentes humeurs, qui doivent être attribués à la même cause que celle des fluxions, quoiqu’il n’y ait pas congestion : on devroit donc les regarder comme appartenans à ce même genre de maladie : cela est vrai ; mais c’est une chose de convention purement arbitraire, que l’on ait attaché l’idée de fluxion aux seuls engorgemens catarrheux, avec augmentation sensible ou présumée du volume de la partie affectée.
D’après ce qui vient d’être dit de la cause prochaine des fluxions, il paroît que la théorie qui les concerne doit être tirée absolument de celle de l’équilibre dans l’économie animale, c’est-à-dire des lésions de cet équilibre : voyez donc Équilibre, (Medecine.) pour suppléer à ce qui ne se trouve pas ici à ce sujet, parce qu’il en a été traité dans l’article auquel il vient d’être renvoyé, afin d’éviter les répétitions : on peut voir dans cet article la raison de tous les symptomes qui se présentent dans les fluxions, & des indications à remplir, pour y apporter remede.
On peut inférer des principes qui y sont établis, que s’il est quelques fluxions qui se font sans fievre, d’autres avec fievre, c’est que l’humeur surabondante qui en est la matiere, peut être déposée avec plus ou moins de difficulté dans la partie qui doit la recevoir. Si cette partie ne pêche que très-peu, par le défaut de ressort, respectivement à celui du reste du corps, il faut de plus grands efforts de la puissance expultrice générale, qui tend à se décharger : ces efforts sont une plus grande action dans tous les solides, qui constitue de véritables mouvemens febriles. Voyez Effort, (Econom. anim.) Fievre. Les fluxions chaudes, inflammatoires, sanguines, bilieuses, telles que les phlegmoneuses, les érésypélateuses, &c. se forment de cette maniere.
Si la partie où doit se faire le dépôt cede sans résister au concours de résistance formée par la force de ressort, par l’action & la réaction actuelles des autres parties, d’où résulte une véritable impulsion, une impulsion suffisante pour déterminer le cours des fluides vers celles en qui cette force, cette action, & cette réaction sont diminuées : ce dépôt se fait sans fievre, sans aucun autre dérangement apparent dans l’ordre des fonctions ; telles sont les fluxions froides, pituiteuses, ou œdémateuses, &c.
Ainsi comme l’exposition des causes de toutes les différentes sortes de fluxions appartient à chacune d’entre elles spécialement, de même les différentes indications à remplir & les différens traitemens doivent être exposés dans les articles particuliers à chaque espece de ce genre de maladies : par conséquent, voyez Inflammation, Phlegmon, Érésypele, Œdême.
Il suffit de dire ici en général, qu’on doit apporter une grande attention dans le traitement de toutes sortes de fluxions ; à observer si elles sont critiques ou symptomatiques ; si elles proviennent d’un vice des humeurs, ou d’un vice borné au relâchement absolu ou respectif, par cause de spasme des solides de la partie dans laquelle est formé le dépôt ; s’il convient de l’y laisser subsister, ou de le détourner ailleurs, où il ne produise pas des lésions aussi considérables, &c.
Il faut bien se garder d’employer des répercussifs, lorsque les humeurs déposées sont d’une nature corrompue, & qu’elles ne peuvent pas être reprises dans la masse sans y produire de plus mauvais effets qu’elles ne produisent dans la partie où elles sont jettées : les résolutifs même ne doivent être mis en usage dans ce cas, qu’avec beaucoup de prudence : les suppuratifs, ou tous autres moyens propres à en procurer l’évacuation selon le caractere de la fluxion, chaud ou froid, sont les remedes préférables. On ne doit point faire usage de remedes toniques, astringens, contre les fluxions, que dans les cas où sans aucun vice des humeurs, elles se jettent sur une partie seulement, à cause de sa foiblesse absolue ou respective ; ou lorsque, sans causer de pléthore, la matiere du dépôt peut être ajoûtée à la masse ; & dans le cas où il n’y auroit à craindre, en employant ces secours, que l’augmentation de son volume, la saignée ou la purgation placées auparavant d’une maniere convenable, peuvent suffire pour prévenir & éviter ce mauvais effet.
Il est des circonstances dans bien des maladies, où il faut procurer des fluxions artificielles, comme dans les fievres malignes, par des applications relâchantes qui rompent l’équilibre, pour déterminer la nature à opérer une métastase salutaire ; par exemple, dans les parotides par des épispastiques, pour détourner vers la surface du corps une humeur morbifique qui s’est fixée, ou qui menace de se fixer dans quelque partie importante : ce qui a lieu, par exemple, dans la goutte qu’on appelle remontée (Voyez Fievre maligne, Goutte) ; par des cauteres, lorsqu’il s’agit de faire diversion d’un organe utile à une partie qui l’est peu, comme pour les ophthalmies, à l’égard desquelles on applique ce remede à la nuque ou derriere les oreilles, ou aux bras, &c. Voyez Ophthalmie, Cautere. (d)
Fluxion, (Manége, Maréchall.) fluxion qui affecte les yeux de certains chevaux, & dont les retours & les périodes sont reglés, de maniere qu’elle cesse pendant un certain intervalle, & qu’elle se montre ensuite de nouveau dans un tems fixe & déterminé. L’intervalle est le plus souvent d’environ trois semaines ; son tems est d’environ quatre ou cinq jours, plus ou moins, ensorte que son retour ou son période est toûjours d’un mois à l’autre.
Considérons les signes de cette maladie, eu égard à l’intervalle après lequel elle se montre régulierement, & eu égard au tems même de sa durée & de sa présence.
Ceux qui décelent le cheval lunatique, c’est-à-dire le cheval atteint de cette fluxion, quand on l’envisage dans l’intervalle, sont communément l’inégalité des yeux, l’un étant ordinairement alors plus petit que l’autre, leur défaut de diaphanéité, l’enflure de la paupiere inférieure du côté du grand angle, son déchirement à l’endroit du point lachrymal, & l’espece d’inquiétude qui apparoît par les mouvemens que fait l’animal duquel on examine cet organe. Les autres qui sont très sensibles dans le tems même de la fluxion, sont l’enflure des deux paupieres, principalement de celle que nous nommons l’inférieure, l’inflammation de la conjonctive, un continuel écoulement de larmes, la couleur rougeâtre & obscure de l’œil, enfin la fougue de l’animal qui se livre alors à une multitude de défenses considérables ; car il semble que cette fluxion étant dans le tems, influe sur son caractere, & en change l’habitude.
Tous ces symptomes ne se manifestent pas néanmoins toûjours dans tous les chevaux lunatiques, parce qu’une même cause n’est pas constamment suivie du même effet, mais l’existence de quelques uns d’entr’eux suffit pour annoncer celle de la maladie dont il s’agit. D’ailleurs elle peut attaquer les deux yeux en même tems, & dans un semblable cas, il n’est pas question de rechercher s’il est entr’eux quelque disproportion.
L’expression de cheval lunatique par laquelle on désigne tout cheval atteint de cette fluxion, démontre assez évidemment que nous avons été persuadés que les mouvemens & les phases de la lune dominoient l’animal dans cette occasion. Si ceux qui cultivent la science dont il est l’objet, avoient mérité de participer aux lumieres qui éclairent ce siecle, sans doute que la plûpart d’entr’eux ne persévereroient pas dans cette erreur qui leur est encore chere ; ils ne seroient pas même forcés de parvenir à des connoissances profondes, pour être détrompés. Une simple observation les convaincroit qu’ils ne peuvent avec fondement accuser ici cet astre ; car dès que les impressions de cette fluxion ne frappent pas dans le même tems tous les chevaux qui y sont sujets, & se font sentir tantôt aux uns dans le premier quartier, & aux autres tantôt dans le second, & tantôt dans le décours, il s’ensuit que les influences & les différens aspects de la lune n’y contribuent en aucune maniere. Je n’ignore pas ce qu’Aristote & presque tous les anciens ont-pensé des effets des astres sur les corps sublunaires, & ce que Craanen & l’illustre Sthal parmi les modernes, ont dit & supposé : mais leurs écarts ne justifient point les nôtres, & ne nous autorisent point à chercher dans des causes étrangeres les raisons de certaines révolutions uniquement produites par des causes purement méchaniques.
Deux sortes de parties composent le corps de l’animal : des parties solides & des parties fluides. Les solides sont des tissus de vaisseaux composés eux-mêmes de vaisseaux. Les fluides ne sont autre chose que les liqueurs qui circulent continuellement dans les solides qui les contiennent. L’équilibre exact qui résulte de l’action & de la réaction des solides sur les fluides, & des fluides sur les solides, est absolument indispensable pour rendre l’animal capable d’exercer les fonctions propres & conformes à sa nature ; car cet équilibre perdu, la machine éprouvera des dérangemens plus ou moins considérables, &c. Or si par une cause quelconque, si par exemple, conséquemment à la suppression de quelques excrétions, ou par quelques obstacles qui peuvent se rencontrer dans les vaisseaux, soit des parties internes, soit des parties externes de la tête, il y a engorgement dans ces vaisseaux, il y aura nécessairement inflammation, & de-là tous les accidens dont j’ai parlé ; cet engorgement parvenu à un certain point qui est positivement celui où tous ces accidens se montrent, la nature fait un effort ; les vaisseaux trop gonflés se dégorgent, soit par l’évacuation très-abondante des larmes, soit encore par quelqu’autre des voies servant aux excrétions naturelles, & les parties rentrent ensuite dans leur état jusqu’à ce que la même cause subsistant, un nouvel engorgement produise au bout du même tems les symptomes fâcheux qui caractérisent la fluxion périodique, dont la pléthore doit être par conséquent envisagée comme la véritable cause.
Le retour arrive dans un tems juste, fixe & déterminé, parce que les causes sont les mêmes, que les parties sont aussi les mêmes, & que s’il a fallu un mois pour former l’engorgement, il faut un même espace de tems pour sa réproduction. La plénitude se forme insensiblement & par degrés : les tuyaux qui se trouvoient engorgés dans le tems, & qui sont libres dans l’intervalle, n’ont qu’un certain diametre au-delà duquel ils ne peuvent s’étendre ; or la surabondance d’humeurs ne peut être telle qu’elle force, qu’elle surcharge les tuyaux, qu’autant que ces humeurs seront en telle & telle quantité ; & pour que ces humeurs soient en telle & telle quantité, il faut un intervalle égal ; cet intervalle expiré, le tems marqué arrive, pendant lequel, au moyen de l’évacuation, la plénitude cesse ; & le tems expiré, arrive de nouveau l’intervalle pendant lequel survient la plénitude, & ainsi successivement, le période dépendant entierement de la proportion des forces expansives aux forces résistantes. S’il n’est pas absolument exact dans tous les chevaux attaqués, & que l’on y observe des variétés, ces divers changemens doivent être attribués à l’exercice, aux alimens, aux saisons ; & si ces causes ne produisent pas dans quelques-uns les mêmes impressions, & que la quantité d’humeurs soit assez grande dans un tems toûjours certain & limité, on peut dire qu’elles sont compensées par d’autres choses. Du reste, pourquoi la nature employe-t-elle plûtôt ici vingt-sept ou vingt-huit jours que quarante ? La question est ridicule & la solution impossible ; les nombres seuls de proportions s’annoncent par les effets, mais la raison en est cachée dans toute la structure de la machine.
N’aspirons onc qu’à ce qu’il nous est permis & qu’à ce qu’il nous importe essentiellement de connoître. Si la pléthore est la source réelle de la fluxion périodique dont nous parlons, tous les signes indicatifs de cette maladie ne pourront s’appliquer que par le même principe. Or l’œil est attaqué, ou les deux yeux ensemble paroissent plus petits, attendu que les paupieres sont enflées ; cette enflure ne provient que de l’engorgement ou de la replétion des vaisseaux sanguins & lymphatiques, & ces parties étant d’ailleurs d’un tissu lâche par elles-mêmes, il n’est pas étonnant qu’il y ait un gonflement emphisémateux. L’œil est larmoyant, parce que l’inflammation causant un gonflement à l’orifice des points lachrymaux, les larmes d’ailleurs beaucoup plus abondantes ne peuvent point être absorbées ; elles restent à la circonférence du globe, principalement à la partie inférieure qui en paroît plus abreuvée qu’à l’ordinaire, & elles franchissent dès lors l’obstacle que leur présente la caroncule lachrymale. L’œil est trouble & la cornée lucide moins transparente, parce que les vaisseaux lymphatiques étant pleins de l’humeur qui y circule, la diaphanéité ne peut être telle que dans l’état naturel. L’œil est rougeâtre, parce que dès que la plénitude est considérable, les vaisseaux qui ne doivent admettre que la lymphe, admettent des globules sanguins ; enfin la fougue de l’animal ne naît que de l’engorgement des vaisseaux du cerveau, qui comprimant le genre nerveux, changent en lui le cours des esprits animaux, & par conséquent son habitude.
Quant au prognostic que l’on doit porter, nous ne l’asseoirons point sur les idées que l’on s’est formé jusqu’à présent de cette maladie, ni sur l’inutilité des efforts que l’on a faits pour la vaincre. Il n’est point étonnant qu’elle ait resisté à des topiques plus capables d’augmenter l’inflammation que de l’appaiser ; à des barremens d’arteres & de veines dont les distributions n’ont lieu que dans les parties qui entourent le globe, & non dans celles qui le composent ; à l’opération d’énerver ; à des amulettes placées sur le front ; enfin aux tentatives de M. de Soleysel, que la célébrité de son nom ne justifiera jamais d’avoir expressément prohibé la saignée, & d’avoir ordonné d’exposer le cheval malade au serein & à l’humidité de la nuit. Nous avouerons néanmoins que les suites peuvent en être fâcheuses. En effet, il est bien difficile que les évacuations qui donnent lieu à la cessation du paroxysme, soient toûjours assez completes pour que l’organe recouvre toute son intégrité, surtout si les dilatations que les vaisseaux ont souffert ont été réitérées ; car dès lors ils perdent leur ton, & le moindre épaississement, la pléthore & l’acrimonie la plus legere les rendront susceptibles d’un engorgement habituel, d’où naîtra infailliblement la cécité qui ne succede que trop souvent à la fréquence des retours. L’œil s’atrophie par le défaut du suc nourricier, l’orbite est dénuée de graisses, & j’ai même apperçû dans le cadavre une diminution notable du volume des muscles de cet organe, qui étoit sans doute occasionnée par le desséchement. Il est aisé de comprendre que la maladie parvenue à son dernier degré, tous les remedes sont d’une inefficacité absolue : mais je peux certifier d’après plusieurs expériences, que si l’on en prévient les progrès & que l’on n’attende pas la multiplicité des rechûtes, on cessera d’imaginer qu’elle est incurable.
Huit jours avant le paroxysme, l’engorgement commence à être considérable. Faites une saignée plus ou moins copieuse à l’animal, & dès ce moment retranchez-lui l’avoine : mettez-le au son & à l’eau blanche : le même soir administrez-lui un lavement émollient, pour le disposer au breuvage purgatif que vous lui donnerez le lendemain : réitérez ce breuvage trois jours après l’effet du premier ; il est certain que les symptomes ne se montreront point les mêmes, & que le période qui auroit dû suivre celui-ci, sera extrèmement retardé : observez avec précision le tems où il arrivera, à l’effet de devancer encore de huit jours celui du troisieme mois, & pratiquez les mêmes remedes : cherchez de plus à rendre la circulation plus unie & plus facile : divisez les humeurs, au moyen des médicamens incisifs & atténuans : recourez à l’æthiops minéral, à la dose de 40 grains jusqu’à 60, mêlé avec le crocus metallorum. Vous pouvez y ajoûter la poudre de cloportes, à la dose de 50 grains. Il est encore quelquefois à-propos d’employer la tisane des bois. J’ai vû aussi de très bons effets de l’usage des fleurs de genêt données en nature, & d’une boisson préparée que j’avois fait bouillir, & dans laquelle j’avois mis cinq onces ou environ de cendres de genêt renfermées dans un noüet. A l’égard du séton, que quelques auteurs recommandent, & qui, selon eux, a procuré de très grands changemens, je ne saurois penser qu’il ne puisse être salutaire, puisqu’il répond à l’indication ; mais je crois que ce secours seul est insuffisant, & ils l’ont éprouvé eux mêmes. (e)
Fluxion, (Manége, Maréch.) Nous nommons ainsi la prompte accumulation des humeurs dans une partie quelconque où les liquides ne peuvent librement se frayer une route. Lorsque l’accumulation se fait avec lenteur, & que cette collection n’a lieu qu’insensiblement, nous l’appellons congestion. Dans le premier cas, les tumeurs sont formées conséquemment à la vélocité du fluide qui aborde, & à la foiblesse de la partie qui le reçoit ; dans le second, cette seule foiblesse les occasionne. Voyez Tumeur. (e)