L’Encyclopédie/1re édition/DIFFÉRENTIEL

DIFFÉRENTIEL, adj. On appelle dans la haute Géométrie, quantité différentielle ou simplement différentielle, une quantité infiniment petite, ou moindre que toute grandeur assignable. Voyez Quantité & Infini.

On l’appelle différentielle ou quantité différentielle, parce qu’on la considere ordinairement comme la différence infiniment petite de deux quantités finies, dont l’une surpasse l’autre infiniment peu. Newton & les Anglois l’appellent fluxion, à cause qu’ils la considerent comme l’accroissement momentané d’une quantité. Voyez Fluxion, &c. Leibnitz & d’autres l’appellent aussi une quantité infiniment petite.

Calcul différentiel ; c’est la maniere de différentier les quantités, c’est-à-dire de trouver la différence infiniment petite d’une quantité finie variable.

Cette méthode est une des plus belles & des plus fécondes de toutes les Mathématiques ; M. Leibnitz qui l’a publiée le premier, l’appelle calcul différentiel, en considérant les grandeurs infiniment petites comme les différences des quantités finies : c’est pour quoi il les exprime par la lettre d qu’il met au-devant de la quantité différentiée ; ainsi la différentielle de x est exprimée par dx, celle de y par dy, &c.

M. Newton appelle le calcul différentiel, méthode des fluxions, parce qu’il prend, comme on l’a dit, les quantités infiniment petites pour des fluxions ou des accroissemens momentanés. Il considere, par exemple, une ligne comme engendrée par la fluxion d’un point, une surface par la fluxion d’une ligne, un solide par la fluxion d’une surface ; & au lieu de la lettre d, il marque les fluxions par un point mis au-dessus de la grandeur différentiée. Par exemple, pour la fluxion de x, il écrit ẋ ; pour celle de y, ẏ, &c. c’est ce qui fait la seule différence entre le calcul différentiel & la méthode des fluxions. V. Fluxion.

On peut réduire toutes les regles du calcul différentiel à celles-ci.

1°. La différence de la somme de plusieurs quantités est égale à la somme de leurs différences. Ainsi d (x + y + z) = d x + d y + d z.

2°. La différence de xy est y d x + x d y.

3°. La différence de xm, m étant un nombre positif & entier, est m xm-1 d x.

Par ces trois regles, il n’y a point de quantité qu’on ne puisse différentier. On fera, par exemple, . Voyez Exposant. Donc la différence (regle 2) est (regle 3.) . La différentielle de est . Car soit , on a & & . De même  ; donc la différence est , & ainsi des autres.

Les trois regles ci-dessus sont démontrées d’une maniere fort simple dans une infinité d’ouvrages, & sur-tout dans la premiere section de l’analyse des Infiniment petits de M. de l’Hopital, à laquelle nous renvoyons. Il manque à cette section le calcul différentiel des quantités logarithmiques & exponentielles, qu’on peut voir dans le I. volume des œuvres de Jean Bernoulli, & dans la I. partie du traité du calcul intégral de M. de Bougainville le jeune. On peut consulter ces ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde. Voyez Exponentiel. Ce qu’il nous importe le plus de traiter ici, c’est la métaphysique du calcul différentiel.

Cette métaphysique dont on a tant écrit, est encore plus importante, & peut-être plus difficile à développer que les regles mêmes de ce calcul : plusieurs géometres, entr’autres M. Rolle, ne pouvant admettre la supposition que l’on y fait de grandeurs infiniment petites, l’ont rejettée entierement, & ont prétendu que le principe étoit fautif & capable d’induire en erreur. Mais quand on fait attention que toutes les vérités que l’on découvre par le secours de la Géométrie ordinaire, se découvrent de même & avec beaucoup plus de facilité par le secours du calcul différentiel, on ne peut s’empêcher de conclure que ce calcul fournissant des méthodes sûres, simples & exactes, les principes dont il dépend doivent aussi être simples & certains.

M. Leibnitz, embarrassé des objections qu’il sentoit qu’on pouvoit faire sur les quantités infiniment petites, telles que les considere le calcul différentiel, a mieux aimé réduire ses infiniment petits à n’être que des incomparables, ce qui ruineroit l’exactitude géométrique des calculs ; & de quel poids, dit M. de Fontenelle, ne doit pas être contre l’invention l’autorité de l’inventeur ? D’autres, comme M. Nieuwentit, admettoient seulement les différentielles du premier ordre, & rejettoient toutes celles des ordres plus élevés : ce qui n’a aucun fondement : car imaginant dans un cercle une corde infiniment petite du premier ordre, l’abscisse ou sinus verse correspondant est infiniment petit du second ; & si la corde est infiniment petite du second, l’abscisse est infiniment petite du quatrieme, &c. Cela se démontre aisément par la Géométrie élémentaire, puisque le diametre d’un cercle qui est fini, est toûjours à la corde, comme la corde est à l’abscisse correspondante. D’où l’on voit que les infiniment petits du premier ordre étant une fois admis, tous les autres en dérivent nécessairement. Ce que nous disons ici n’est que pour faire voir, qu’en admettant les infiniment petits du premier ordre, on doit admettre ceux de tous les autres à l’infini ; car on peut du reste se passer très-aisément de toute cette métaphysique de l’infini dans le calcul différentiel, comme on le verra plus bas.

M. Newton est parti d’un autre principe ; & l’on peut dire que la métaphysique de ce grand géometre sur le calcul des fluxions est très-exacte & très-lumineuse, quoiqu’il se soit contenté de la faire entre-voir.

Il n’a jamais regardé le calcul différentiel comme le calcul des quantités infiniment petites, mais comme la méthode des premieres & dernieres raisons, c’est-à-dire la méthode de trouver les limites des rapports. Aussi cet illustre auteur n’a-t-il jamais différentié des quantités, mais seulement des équations ; parce que toute équation renferme un rapport entre deux variables, & que la différentiation des équations ne consiste qu’à trouver les limites du rapport entre les différences finies des deux variables que l’équation renferme. C’est ce qu’il faut éclaircir par un exemple qui nous donnera tout à la fois l’idée la plus nette & la démonstration la plus exacte de la méthode du calcul différentiel.

Soit AM (fig. 3. analys.) une parabole ordinaire, dont l’équation, en nommant AP, x, PM, y, & a le parametre, est yy = ax. On propose de tirer la tangente MQ de cette parabole au point M. Supposons que le problème soit résolu, & imaginons une ordonnée pm à une distance quelconque finie de PM ; & par les points M, m, tirons la ligne mMR. Il est évident, 1°. que le rapport de l’ordonnée à la soûtangente, est plus grand que le rapport ou , qui lui est égal à cause des triangles semblables MOm, MPR : 2°. que plus le point m sera proche du point M, plus le point R sera près du point Q, plus par conséquent le rapport ou approchera du rapport  ; & que le premier de ces rapports pourra approcher du second aussi près qu’on voudra, puisque PR peut différer aussi peu qu’on voudra de PQ. Donc le rapport est la limite du rapport de mO à OM. Donc si on peut trouver la limite du rapport de mO à OM, exprimée algébriquement, on aura l’expression algébrique du rapport de MP à PQ ; & par conséquent l’expression algébrique du rapport de l’ordonnée à la soûtangente, ce qui fera trouver cette soûtangente. Soit donc MO = u, Om = z, on aura ax = yy, & ax + au = yy + 2yz + zz. Donc à cause de ax = yy, il vient au = 2yz + zz & .

Donc est en général le rapport de mO à OM, quelque part que l’on prenne le point m. Ce rapport est toûjours plus petit que  ; mais plus z sera petit, plus ce rapport augmentera ; & comme on peut prendre z si petit qu’on voudra, on pourra approcher le rapport aussi près qu’on voudra du rapport  ; donc est la limite du rapport de , c’est-à-dire du rapport . Donc est égal à que nous avons trouvé être aussi la limite du rapport de mO à OM ; car deux grandeurs qui sont la limite d’une même grandeur, sont nécessairement égales entr’elles. Pour le prouver, soient Z & X les limites d’une même quantité Y, je dis que X = Z ; car s’il y avoit entr’elles quelque différence V, soit X = Z ± V : par l’hypothèse la quantité Y peut approcher de X aussi près qu’on voudra ; c’est-à-dire que la différence de Y & de X peut être aussi petite qu’on voudra. Donc, puisque Z differe de X de la quantité V, il s’ensuit que Y ne peut approcher de Z de plus près que de la quantité V, & par conséquent que Z n’est pas la limite de Y, ce qui est contre l’hypothèse. Voy. Limite, Exhaustion.

De-là il résulte que est égal à . Donc . Or, suivant la méthode du calcul différentiel, le rapport de MP à PQ est égal à celui de dy à dx ; & l’équation ax = yy donne adx = 2ydy & . Ainsi est la limite du rapport de z à u ; & cette limite se trouve en faisant z = 0 dans la fraction . Mais, dira-t-on, ne faut-il pas faire aussi z = 0 & u = 0, dans la fraction , & alors on aura  ? Qu’est-ce que cela signifie ? Je réponds, 1°. qu’il n’y a en cela aucune absurdité ; car peut être égal à tout ce qu’on veut : ainsi il peut être . Je réponds, 2°. que quoique la limite du rapport de z à u se trouve quand z = 0 & u = 0, cette limite n’est pas proprement le rapport de z = 0 à u = 0, car cela ne présente point d’idée nette ; on ne sait plus ce que c’est qu’un rapport dont les deux termes sont nuls l’un & l’autre. Cette limite est la quantité dont le rapport approche de plus en plus en supposant z & u tous deux réels & décroissans, & dont ce rapport approche d’aussi près qu’on voudra. Rien n’est plus clair que cette idée ; on peut l’appliquer à une infinité d’autres cas. Voyez Limite, Série, Progression, &c.

Suivant la méthode de différentier, qui est à la tête du traité de la quadrature des courbes de M. Newton, ce grand géometre, au lieu de l’équation , auroit écrit , regardant ainsi en quelque maniere z & u comme des zéros ; ce qui lui auroit donné . On doit sentir par tout ce que nous avons dit plus haut l’avantage & les inconvéniens de cette dénomination : l’avantage, en ce que z étant = 0 disparoît sans aucune autre supposition du rapport  ; l’inconvénient, en ce que les deux termes du rapport sont censés zéros : ce qui au premier coup-d’œil ne présente pas une idée bien nette.

On voit donc par tout ce que nous venons de dire que la méthode du calcul différentiel nous donne exactement le même rapport que vient de nous donner le calcul précédent. Il en sera de même des autres exemples plus compliqués. Celui-ci nous paroît suffire pour faire entendre aux commençans la vraie métaphysique du calcul différentiel. Quand une fois on l’aura bien comprise, on sentira que la supposition que l’on y fait de quantités infiniment petites, n’est que pour abréger & simplifier les raisonnemens ; mais que dans le fond le calcul différentiel ne suppose point nécessairement l’existence de ces quantités ; que ce calcul ne consiste qu’à déterminer algébriquement la limite d’un rapport de laquelle on a déjà l’expression en lignes, & à égaler ces deux limites, ce qui fait trouver une des lignes que l’on cherche. Cette définition est peut-être la plus précise & la plus nette qu’on puisse donner du calcul différentiel ; mais elle ne peut être bien entendue que quand on se sera rendu ce calcul familier ; parce que souvent la vraie définition d’une science ne peut être bien sensible qu’à ceux qui ont étudié la science. Voyez le Disc. prélimin. page xxxvij.

Dans l’exemple précédent, la limite géométrique & connue du rapport de z à u est le rapport de l’ordonnée à la soûtangente ; on cherche par le calcul différentiel la limite algébrique du rapport de z à u, & on trouve . Donc nommant s la soûtangente, on a  ; donc . Cet exemple suffit pour entendre les autres. Il suffira donc de se rendre bien familier dans l’exemple ci-dessus des tangentes de la parabole ; & comme tout le calcul différentiel peut se réduire au problème des tangentes, il s’ensuit que l’on pourra toûjours appliquer les principes précédens aux différens problèmes que l’on resout par ce calcul, comme l’invention des maxima & minima, des points d’inflexion & de rebroussement, &c. Voyez ces mots.

Qu’est-ce en effet que trouver un maximum ou un minimum ? C’est, dit-on, faire la différence de dy égale à zéro ou à l’infini ; mais pour parler plus exactement, c’est chercher la quantité qui exprime la limite du rapport de dy fini à dx fini, & faire ensuite cette quantité nulle ou infinie. Voilà tout le mystere expliqué. Ce n’est point dy qu’on fait = à l’infini : cela seroit absurde ; car dy étant prise pour infiniment petite, ne peut être infinie ; c’est  : c’est-à-dire qu’on cherche la valeur de x qui rend infinie la limite du rapport de dy fini à dx fini.

On a vû plus haut qu’il n’y a point proprement de quantités infiniment petites du premier ordre dans le calcul différentiel ; que les quantités qu’on nomme ainsi y sont censées divisées par d’autres quantités censées infiniment petites, & que dans cet état elles marquent non des quantités infiniment petites, ni même des fractions, dont le numérateur & le dénominateur sont infiniment petits, mais la limite d’un rapport de deux quantités finies. Il en est de même des différences secondes, & des autres d’un ordre plus élevé. Il n’y a point en Géométrie de ddy véritable ; mais lorsque ddy se rencontre dans une équation, il est censé divisé par une quantité , ou autre du même ordre : en cet état qu’est-ce que  ? c’est la limite du rapport , divisée par dx ; ou ce qui sera plus clair encore, c’est, en faisant la quantité finie , la limite de .

Le calcul differentio-différentiel est la méthode de différentier les grandeurs différentielles ; & on appelle quantité differentio-différentielle la différentielle d’une différentielle.

Comme le caractere d’une différentielle est la lettre d, celui de la différentielle de dx est ddx ; & la différentielle de ddx est dddx, ou d2x, d3x, &c. ou , &c. au lieu de ddx, d3x, &c.

La différentielle d’une quantité finie ordinaire s’appelle une différentielle du premier degré ou du premier ordre, comme dx.

Différentielle du second degré ou du second ordre, qu’on appelle aussi, comme on vient de le voir, quantité differentio-différentielle, est la partie infiniment petite d’une quantité différentielle du premier degré, comme ddx, dxdx, ou dx2, dxdy, &c.

Différentielle du troisieme degre, est la partie infiniment petite d’une quantité différentielle du second degré, comme dddx, dx3, dxdydz, & ainsi de suite.

Les différentielles du premier ordre s’appellent encore différences premieres ; celles du second, différences secondes ; celles du troisieme, différences troisiemes.

La puissance seconde dx2 d’une différentielle du premier ordre, est une quantité infiniment petite du second ordre ; car dx2 : dx ∷ dx . 1 ; donc dx2 est censée infiniment petite par rapport à dx ; de même on trouvera que dx3 ou dx2dy, est infiniment petite du troisieme ordre, &c. Nous parlons ici de quantités infiniment petites, & nous en avons parlé plus haut dans cet article, pour nous conformer au langage ordinaire ; car par ce que nous avons déjà dit de la métaphysique du calcul différentiel, & par ce que nous allons encore en dire, on verra que cette façon de parler n’est qu’une expression abrégée & obscure en apparence, d’une chose très-claire & très-simple.

Les puissances différentielles, comme dx2, se différentient de la même maniere que les puissances des quantités ordinaires. Et comme les différentielles composées se multiplient ou se divisent l’une l’autre, ou sont des puissances des différentielles du premier degré, ces différentielles se différentient de même que les grandeurs ordinaires. Ainsi la différence de dxm est , & ainsi des autres. C’est pourquoi le calcul differentio-différentiel est le même au fond que le calcul différentiel.

Un auteur célebre de nos jours dit dans la préface d’un ouvrage sur la Géométrie de l’infini, qu’il n’avoit point trouvé de géometre qui pût expliquer précisément ce que c’est que la différence de dy devenue égale à l’infini dans certains points d’inflexion. Rien n’est cependant plus simple ; au point d’inflexion la quantité est un maximum ou un minimum ; donc la différence divisée par dx est = 0 ou = à l’infini. Donc, en regardant dx comme constant, on a la quantité à zéro ou à l’infini ; cette quantité n’est point une quantité infiniment petite, c’est une quantité qui est nécessairement ou finie, ou infinie, ou zéro, parce que le numérateur ddy qui est infiniment petit du second ordre, est divisé par dx2, qui est aussi du second ordre. Pour abréger, on dit que ddy est = à l’infini ; mais ddy est censée multipliée par la quantité  ; ce qui fait disparoître tout le mystere. En général ddy = à l’infini ne signifie autre chose que l’infini ; or dans cette équation il n’entre point de différentielle ; par exemple soit  ; on aura & l’infini n’est autre chose que à l’infini, c’est-à-dire à l’infini, ce qui arrive quand x = a ; on voit qu’il n’entre point de différentielle dans la quantité , qui représente ou la limite de la limite de . On supprime le dx2 pour abréger ; mais il n’en est pas moins censé existant. C’est ainsi qu’on se sert souvent dans les Sciences de manieres de parler abrégées qui peuvent induire en erreur, quand on n’en entend pas le véritable sens. Voyez Elémens.

Il résulte de tout ce que nous avons dit, 1o. que dans le calcul différentiel les quantités qu’on néglige, sont négligées, non comme on le dit d’ordinaire, parce qu’elles sont infiniment petites par rapport à celles qu’on laisse subsister, ce qui ne produit qu’une erreur infiniment petite ou nulle ; mais parce qu’elles doivent être négligées pour l’exactitude rigoureuse. On a vû en effet ci-dessus que est la vraie & exacte valeur de  ; ainsi en différentiant ax = yy, c’est 2ydy, & non 2ydy + dy2 qu’il faut prendre pour la différentielle de y2, afin d’avoir, comme on le doit,  ; 2o. Il ne s’agit point, comme on le dit encore ordinairement, de quantités infiniment petites dans le calcul différentiel ; il s’agit uniquement de limites de quantités finies. Ainsi la métaphysique de l’infini & des quantités infiniment petites plus grandes ou plus petites les unes que les autres, est totalement inutile au calcul différentiel. On ne se sert du terme d’infiniment petit, que pour abréger les expressions. Nous ne dirons donc pas avec bien des géometres qu’une quantité est infiniment petite, non avant qu’elle s’évanoüisse, non après qu’elle est évanoüie, mais dans l’instant même où elle s’évanoüit ; car que veut dire une définition si fausse, cent fois plus obscure que ce qu’on veut définir ? Nous dirons qu’il n’y a point dans le calcul différentiel de quantités infiniment petites. Au reste nous parlerons plus au long à l’article Infini de la métaphysique de ces quantités. Ceux qui liront avec attention ce que nous venons de dire, & qui y joindront l’usage du calcul & les réflexions, n’auront plus aucune difficulté sur aucun cas, & trouveront facilement des réponses aux objections de Rolle & des autres adversaires du calcul différentiel, supposé qu’il lui en reste encore. Il faut avoüer que si ce calcul a eu des ennemis dans sa naissance, c’est la faute des géometres ses partisans, dont les uns l’ont mal compris, les autres l’ont trop peu expliqué. Mais les inventeurs cherchent à mettre le plus de mystere qu’ils peuvent dans leurs découvertes ; & en général les hommes ne haïssent point l’obscurité, pourvû qu’il en résulte quelque chose de merveilleux. Charlatanerie que tout cela ! La vérité est simple, & peut être toûjours mise à portée de tout le monde, quand on veut en prendre la peine.

Nous ferons ici au sujet des quantités différentielles du second ordre, & autres plus élevées, une remarque qui sera très-utile aux commençans. On trouve dans les mém. de l’acad. des Sciences de 1711, & dans le I. tome des œuvres de M. Jean Bernoulli, un mémoire où l’on remarque avec raison que Newton s’est trompé, quand il a crû que la différence seconde de zn, en supposant dz constante, est au lieu qu’elle est , comme il résulte des regles énoncées ci-dessus, & conformes aux principes ordinaires du calcul différentiel. C’est à quoi il faut prendre bien garde ; & ceci nous donnera encore occasion d’insister sur la différence des courbes polygones & des courbes rigoureuses, dont nous avons déjà parlé aux art. Central & Courbe. Soit, par exemple, , l’équation d’une parabole : supposons dx constant, c’est-à-dire tous les dx égaux, on trouvera que donne pour l’ordonnée correspondante exacte, que j’appelle , & que donne l’ordonnée correspondante que je nomme , exactement égale à  ; donc est l’excès de la seconde ordonnée sur la premiere, & est l’excès de la troisieme sur la seconde : la différence de ces deux excès est  ; & c’est le , tel que le donne le calcul différentiel. Or si par l’extrémité de la seconde ordonnée on tiroit une tangente qui vînt couper la troisieme ordonnée, on trouveroit que cette tangente diviseroit le en deux parties égales, dont chacune seroit par conséquent ou . C’est cette moitié du vrai que M. Newton a prise pour le vrai entier ; & voici ce qui peut avoir occasionné cette méprise. Le véritable se trouve par le moyen de la tangente considérée comme sécante dans la courbe rigoureuse ; car en faisant les constans, & regardant la courbe comme polygone, le sera donné par le prolongement d’un des côtés de la courbe, jusqu’à ce que ce côté rencontre l’ordonnée infiniment proche aussi prolongée. Or la tangente rigoureuse dans la courbe rigoureuse étant prolongée de même, donne la moitié de ce & M. Newton a crû que cette moitié du exprimoit le véritable, parce qu’elle étoit formée par la soûtangente ; ainsi il a confondu la courbe polygone avec la rigoureuse. Une figure très-simple fera entendre aisément tout cela à ceux qui sont un peu exercés à la géométrie des courbes & au calcul différentiel. V. au mot Courbe, l’histoire de l’acad. des Scienc. de 1722, & mon traité de Dynamique, I. partie, à l’article des forces centrales.

Equation différentielle, est celle qui contient des quantités différentielles. On l’appelle du premier ordre, si les différentielles sont du premier ordre, du second, si elles sont du second, &c.

Les équations différentielles à deux variables appartiennent aux courbes méchaniques ; c’est en quoi ces courbes different des géométriques. On trouvera leur construction au mot Courbe. Mais cette construction suppose que les indéterminées y soient séparées ; & c’est l’objet du calcul intégral. Voyez Intégral.

Dans les équations différentielles du second ordre, où , par exemple, est supposé constant, si on veut qu’il ne soit plus constant, on n’a qu’à diviser tout par  ; & ensuite au lieu de , mettre ou , & on aura une équation où rien ne sera constant. Cette regle est expliquée dans plusieurs ouvrages, & sur-tout dans la seconde partie du traité du calcul intégral de M. de Bougainville, qui ne tardera pas à paroître. En attendant on peut avoir recours aux œuvres de Jean Bernoulli, t. IV. page 77 ; & on peut remarquer que , en supposant constant, est la même chose que , en supposant constant : or est le même, soit qu’on prenne constant, soit qu’on le fasse variable. Car y demeurant la même, ne change point, pourvû que dx soit infiniment petite. Pour le bien voir, on n’a qu’à supposer ou , on aura au lieu de dans l’équation ; or ce est la même chose que , sans supposer rien de constant. Donc, &c.

Il me reste à parler de la différentiation des quantités sous le signe s. Par exemple, on propose de différentier , en ne faisant varier que y, A étant une fonction de x & de y : cette différence est , étant le coefficient de dy dans la différentielle de A. On trouvera la méthode expliquée dans les mém. de l’acad. de 1740, page 296, d’après un mémoire de M. Nicolas Bernoulli ; & cette méthode sera détaillée dans l’ouvrage de M. de Bougainville. Je passe legerement sur ces objets qui sont traités ailleurs, pour venir à la question, de l’inventeur du calcul différentiel.

Il est constant que Leibnitz l’a publié le premier ; il paroît qu’on convient aujourd’hui assez généralement que Newton l’avoit trouvé auparavant : reste à savoir si Leibnitz l’a pris de Newton. Les pieces de ce grand procès se trouvent dans le commercium epistolicum de analysi promotâ, 1712, Londini. On y rapporte une lettre de Newton du 10 Décembre 1672, qu’on prétend avoir été connue de Leibnitz, & qui renferme la maniere de trouver les tangentes des courbes. Mais cette méthode, dans la lettre citée, n’est appliquée qu’aux courbes dont les équations n’ont point de radicaux ; elle ne contient point le calcul différentiel, & n’est autre chose que la méthode de Barrow pour les tangentes un peu simplifiée. Newton dit à la vérité dans cette lettre, que par sa méthode il trouve les tangentes de toutes sortes de courbes, géométriques, méchaniques, soit qu’il y ait des radicaux, ou qu’il n’y en ait pas dans l’équation. Mais il se contente de le dire. Ainsi quand Leibnitz auroit vû cette lettre de 1672, il n’auroit point pris à Newton le calcul différentiel ; il l’auroit pris tout au plus à Barrow ; & en ce cas ce ne seroit, ni Newton, ni Leibnitz, ce seroit Barrow qui auroit trouvé le calcul différentiel. En effet, pour le dire en passant ; le calcul différentiel n’est autre chose que la méthode de Barrow pour les tangentes, généralisée. Voyez cette méthode de Barrow pour les tangentes, expliquée dans ses lectiones geometricæ, & à la fin du V. livre des sections coniques de M. de l’Hopital, & vous serez convaincu de ce que nous avançons ici. Il n’y avoit, pour la rendre générale, qu’à l’appliquer aux courbes dont les équations ont des radicaux ; & pour cela il suffisoit de remarquer que est la différentielle de , non-seulement lorsque m est un nombre entier positif (c’est le cas de Barrow), mais encore lorsque m est un nombre quelconque entier, ou rompu, positif, ou négatif. Ce pas étoit facile en apparence ; & c’étoit cependant celui qu’il falloit faire pour trouver tout le calcul différentiel. Ainsi quel que soit l’inventeur du calcul différentiel, il n’a fait qu’étendre & achever ce que Barrow avoit presque fait, & ce que le calcul des exposans, trouvé par Descartes, rendoit assez facile à perfectionner. Voyez Exposant. C’est ainsi souvent que les découvertes les plus considérables, préparées par le travail des siecles précédens, ne dépendent plus que d’une idée fort simple. Voyez Découverte.

Cette généralisation de la méthode de Barrow, qui contient proprement le calcul différentiel, ou (ce qui revient au même) la méthode des tangentes en général, se trouve dans une lettre de Leibnitz du 21 Juin 1677, rapportée dans le même recueil, p. 90. C’est de cette lettre qu’il faut dater, & non des actes de Leipsic de 1684, où Leibnitz a publié le premier les regles du calcul différentiel, qu’il connoissoit évidemment sept ans auparavant, comme on le voit par la lettre citée. Venons aux autres faits qu’on peut opposer à Leibnitz.

Par une lettre de Newton du 13 Juin 1676, p. 49 de ce recueil, on voit que ce grand géometre avoit imaginé une méthode des suites, qui l’avoit conduit aux calculs différentiel & intégral ; mais Newton n’explique point comment cette méthode y conduit, il se contente d’en donner des exemples ; & d’ailleurs les commissaires de la société royale ne disent point si Leibnitz a vû cette lettre ; ou pour parler plus exactement, ne disent point qu’il l’a vûe : observation remarquable & importante, comme on le verra tout à l’heure. Il n’est parlé dans le rapport des commissaires que de la lettre de Newton de 1672, comme ayant été vûe par Leibnitz ; ce qui ne conclud rien contre lui, comme nous l’avons prouvé. Voyez p. 121 de ce recueil, le rapport des commissaires nommés par la société royale, art. II. & III. Il semble pourtant par le titre de la lettre de Newton de 1676, imprimée page 49 du recueil, que Leibnitz avoit vû cette lettre avant la sienne de 1677 ; mais cette lettre de 1676 traite principalement des suites ; & le calcul différentiel ne s’y trouve que d’une maniere fort éloignée, sous-entendue, & supposée. C’est apparemment pour cela que les commissaires n’en parlent point ; car par la lettre suivante de Leibnitz, page 58, il paroît qu’il avoit vû la lettre de Newton de 1676, ainsi qu’une autre du 24 Octobre même année, qui roule sur la même méthode des suites. On ne dit point non plus, & on sait encore moins, si Leibnitz avoit vû un autre écrit de Newton de 1669, qui contient un peu plus clairement, mais toûjours implicitement, le calcul différentiel, & qui se trouve au commencement de ce même recueil.

C’est pourquoi, si on ne peut refuser à Newton la gloire de l’invention, il n’y a pas non plus de preuves suffisantes pour l’ôter à Leibnitz. Si Leibnitz n’a point vû les écrits de 1669 & 1676, il est inventeur absolument : s’il les a vûs, il peut passer pour l’être encore, du moins de l’aveu tacite des commissaires, puisque ces écrits ne contiennent pas assez clairement le calcul différentiel, pour que les commissaires lui ayent reproché de les avoir lus. Il faut avoüer pourtant que ces deux écrits, sur-tout celui de 1669, s’il l’a lu, peuvent lui avoir donné des idées (voyez page 19 du recueil) ; mais il lui restera toûjours le mérite de les avoir eues, de les avoir développées, & d’en avoir tiré la méthode générale de différentier toutes sortes de quantités. On objecte en vain à Leibnitz que sa métaphysique du calcul différentiel n’étoit pas bonne, comme on l’a vû plus haut : cela peut être ; cependant cela ne prouve rien contre lui. Il peut avoir trouvé le calcul dont il s’agit, en regardant les quantités différentielles comme des quantités réellement infiniment petites, ainsi que bien des géometres les ont considérées ; il peut ensuite, effrayé par les objections, avoir chancelé sur cette métaphysique. On objecte enfin que cette méthode auroit dû être plus féconde entre ses mains, comme elle l’a été dans celles de Newton. Cette objection est peut-être une des plus fortes pour ceux qui connoissent la nature du véritable génie d’invention. Mais Leibnitz, comme on sait, étoit un philosophe plein de projets sur toutes sortes de matieres : il cherchoit plûtôt à proposer des vûes nouvelles, qu’à perfectionner & à suivre celles qu’il proposoit.

C’est dans les actes de Leipsic de 1684, comme on l’a dit plus haut, que Leibnitz a donné le calcul différentiel des quantités ordinaires. Celui des quantités exponentielles qui manquoit à l’écrit de Leibnitz, a été donné depuis en 1697 par M. Jean Bernoulli dans les actes de Leipsic ; ainsi ce calcul appartient en propre à ce dernier auteur.

Méthode différentielle, methodus differentialis, est le titre d’un petit ouvrage de Newton, imprimé en 1711 par les soins de M. Jones, où ce grand géometre donne une méthode particuliere pour faire passer par tant de points qu’on voudra une courbe de genre parabolique ; méthode très-ingénieuse. Comme M. Newton résout ce probleme, en employant des différences de certaines lignes, il a pour cette raison nommé sa méthode méthode différentielle. Elle est encore expliquée dans le lemme V. du III. liv. des principes mathématiques de la philosophie naturelle ; & elle a été commentée par plusieurs auteurs, entr’autres par M. Stirling dans son traité de summatione serierum, Lond. 1730, part. II. Voyez un plus grand détail aux articles Série, Parabolique, Courbe, Interpolation, &c. (O)