L’Encyclopédie/1re édition/CARTE

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CARTE, s. f. (Géog.) figure plane qui représente la surface de la terre, ou une de ses parties, suivant les lois de la perspective. Voyez Terre, & Perspective.

Une carte est donc une projection de la surface du globe ou d’une de ses parties, qui représente les figures & les dimensions, ou au moins les situations des villes, des rivieres, des montagnes, &c. Voyez Projection.

Cartes universelles, sont celles qui représentent toute la surface de la terre, ou les deux hémispheres. On les appelle ordinairement mappemondes. Voyez Mappemonde.

Cartes particulieres, sont celles qui représentent quelques pays particuliers, ou quelques portions de pays.

Ces deux especes de cartes sont nommées souvent cartes géographiques, ou cartes terrestres, pour les distinguer des hydrographiques ou marines, qui ne représentent que la mer, ses îles, & ses côtes.

Les conditions requises pour une bonne carte, sont 1°. que tous les lieux y soient marqués dans leur juste situation, eu égard aux principaux cercles de la terre, comme l’équateur, les paralleles, les méridiens, &c. 2°. que les grandeurs de différens pays ayent entr’elles les mêmes proportions sur la carte, qu’elles ont sur la surface de la terre : 3°. que les différens lieux soient respectivement sur la carte aux mêmes distances les uns des autres, & dans la même situation que sur la terre elle-même.

Pour les principes de la construction des cartes, & les lois de projection, voyez Perspective & Projection de la sphere. Voici l’application de ces principes à la construction des cartes.

Construction d’une carte, l’ail étant supposé placé dans l’axe. Supposons, par exemple, qu’il faille représenter l’hémisphere boréal tel qu’il doit paroître à un œil situé dans un des points de l’axe, comme dans le pole austral, & en prenant le plan de l’équateur pour celui où la représentation doit se faire : nous imaginerons pour cela des lignes tirées de chaque point de l’hémisphere boréal à l’œil, & qui coupent le plan en autant de points. Tous ces derniers points joints ensemble, formeront par leur assemblage la carte requise.

Ici l’équateur sera la limite de la projection ; le pole de la terre se représentera ou se projettera au centre ; les méridiens de la terre seront représentés par des lignes droites qui iront du centre de l’équateur ou du pole de la carte, à tous les points de l’équateur ; les paralleles de latitude formeront de petits cercles, dont les centres seront le centre même de l’équateur ou de la projection.

La meilleure maniere de concevoir la projection d’un cercle sur un plan, c’est d’imaginer un cone dont le sommet placé à l’endroit où nous supposons l’œil, soit radieux, ou envoye des rayons dont la base soit le cercle qu’il faut représenter, & dont les côtés soient autant de rayons lancés par le point lumineux : la représentation du cercle ne sera alors autre chose que la section de ce cone par le plan, sur lequel elle doit se faire ; & il est clair que selon les différentes positions du cone, la représentation sera une figure différente.

Voici maintenant l’application de cette théorie à la pratique. Prenez pour pole le milieu P (Pl. de Géog. fig. 2.) de la feuille de laquelle vous voulez faire votre carte ; & de ce point comme centre, décrivez pour représenter l’équateur, un cercle de la grandeur que vous voulez donner à votre carte. Ces deux choses peuvent se faire à volonté ; & c’est d’elles que dépend la détermination de tous les autres points ou cercles. Divisez votre équateur en 360 parties, & tirez des droites du centre à chaque commencement de degré : ces droites seront les méridiens de votre carte, & vous prendrez pour premier méridien celle qui passera par le commencement du premier degré ou par zéro. Voyez Méridien.

Construction des paralleles sur la carte. Marquez par les lettres AB, BC, CD, DA, les quatre quarts de l’équateur, compris le premier depuis zéro jusqu’à 90 ; le second, depuis 90 jusqu’à 180 ; le troisieme, depuis 180 jusqu’à 270 ; & le quatrieme, depuis 270 jusqu’à zéro ; & de tous les degrés d’un de ces quarts de cercle BC, comme aussi des points qui marquent 23d 30′ à 66d 30′, tirez des droites occultes au point D, qui marquent celui où ces lignes coupent le demi-diametre APC : enfin du point P comme centre, décrivez différens arcs qui passent par les différens points de PC ; ces arcs seront les paralleles de latitude ; le parallele de 23d 30′ sera le tropique du cancer ; & celui de 66d 30′ sera le cercle polaire arctique. Voyez Parallele & Tropique.

Les méridiens & les paralleles ayant été ainsi décrits, on écrira les différens lieux au moyen d’une table de longitude & de latitude, comptant la longitude du lieu sur l’équateur, à commencer du premier méridien, & continuant vers le méridien du lieu ; & pour la latitude du lieu, on la prendra sur le parallele de la même latitude. Il est évident que le point d’intersection de ce méridien & de ce parallele, représentera le lieu sur la carte ; & on s’y prendra de même pour y représenter tous les autres lieux.

Quant à la moitié de l’écliptique qui passe dans cet hémisphere, ce grand cercle doit se représenter par un arc de cercle ; de façon qu’il ne s’agit plus que de trouver sur la carte trois points de cet arc. Le premier point, c’est-à-dire celui où l’écliptique coupe l’équateur, est le même que celui où le premier méridien coupe l’équateur ; & il se distingue par cette raison, par le signe d’Aries. Le dernier point de cet arc de cercle, ou l’autre intersection de l’équateur & d’écliptique, c’est-à-dire la fin de Virgo, sera dans le point opposé de l’équateur à 180d le milieu de l’arc, c’est le point où le méridien de 90d coupe le tropique du cancer : ainsi nous avons trois points de cet arc qui donneront l’arc entier. Voyez Cercle & Corde.

Les cartes de cette premiere projection ont la premiere des qualités requises ci-dessus : mais elles manquent de la seconde & de la troisieme ; car les degrés égaux des méridiens sont représentés sur ces cartes par des portions de ligne droite inégales.

On peut par cette méthode représenter dans une carte presque toute la terre, en plaçant l’œil, par exemple, dans le pole antarctique, & prenant pour plan de projection celui de quelque cercle voisin, par exemple, celui de cercle antarctique. Il ne faut ici de plus qu’à la premiere projection, que continuer les méridiens, tirer des paralleles du côté de l’équateur, & achever l’écliptique : mais ces cartes seroient trop embrouillées & trop difformes pour qu’on pût en faire usage.

On se contente pour l’ordinaire de tracer les deux hémispheres séparément ; ce qui rend la carte beaucoup plus nette & plus commode. Si on veut avoir par le moyen de cette carte la distance de deux lieux A, B, (fig. 3. n°. 2. Géog.) situés sous le même méridien PB, on décrira les arcs de cercle AE, BD ; on verra combien la partie ED contient de divisions ou de degrés, & on aura le nombre de degrés depuis E jusqu’en D. Or comme un degré de la terre contient 25 lieues, il faudra prendre 25 fois ce nombre de degrés pour avoir la distance de A en B.

M. de Maupertuis a démontré dans son discours sur la Parallaxe de la lune, que les loxodromiques dans cette projection devenoient des spirales logarithmiques. Voyez Loxodromique, & Spirale logarithmique . Supposons donc que AG (fig. 3. n°. 4. Géog.) soit une portion de spirale logarithmique, ou projection de loxodromique, & qu’on veuille savoir la distance AG de deux lieux placés sur le même rhumb, il est certain que AG sera à AB en raison constante, c’est-à-dire dans le rapport du sinus total au cosinus de l’angle du rhumb, ou de l’angle de la loxodromique avec le méridien : donc connoissant AB par la méthode précédente, & sachant de plus, comme on le suppose, l’angle du rhumb, on connoîtra AG ; c’est-à-dire, on connoîtra de combien de lieues sont éloignés l’un de l’autre les deux endroits dont les points A, G, sont la projection.

Cette projection est la plus aisée de toutes : mais on préfere pour l’usage celle où l’œil est placé dans l’équateur. C’est en effet de cette derniere sorte qu’on fait ordinairement les cartes. Au reste, comme la situation de l’écliptique, par rapport à chaque lieu de la terre, change continuellement, ce cercle ne doit point avoir lieu, à proprement parler, sur la surface de la terre : mais on s’en sert pour représenter, conformément à sa situation, quelques momens marqués ; par exemple, celui où le commencement d’aries & de libra seroit dans l’intersection du premier méridien & de l’équateur.

Construction des cartes, en supposant l’œil placé dans le plan de l’équateur. Cette méthode de projection, quoique plus difficile, est cependant plus juste, plus naturelle, & plus commode que la premiere. Pour la concevoir, nous supposerons que la surface de la terre soit coupée en deux hémispheres par la circonférence entiere du premier méridien ; nous proposant de représenter chacun de ces hémispheres dans une carte particuliere, l’œil sera placé dans un point de l’équateur, éloigné de 90d. du premier méridien, & nous prendrons pour plan transparent où la représentation doit se faire, celui du premier méridien. Dans cette projection l’équateur devient une droite, aussi bien que le méridien éloigné de 90d du premier : mais les autres méridiens, ou paralleles aux équateurs, deviennent des arcs de cercle, ainsi que l’écliptique. Voyez Projection stéréographique de la sphere.

Voici la méthode pour les construire. Du point E comme centre (figure 3.) décrivez un cercle de la grandeur que vous voulez donner à votre carte, il représentera le premier méridien, qui est aussi le même que celui de 180d ; car tirant le diametre BD, il partagera le méridien en deux demi-cercles, dont le premier BAD conviendra à zéro, & l’autre BCD à 180d. Ce diametre BD représentera le méridien de 90d ; ainsi le point B sera le pole arctique, & le point D, le pole antarctique. Le diametre AC perpendiculaire à BD, sera l’équateur. Divisez les quarts de cercle AB, BC, CD, DA, en 90 degrés chacun ; & pour trouver les arcs des méridiens & des paralleles, vous vous y prendrez de cette sorte. Il faudra par la méthode donnée ci-dessus, & démontrée à l’article Projection stéréographique de la sphere, diviser l’équateur en ses degrés ; savoir en 180, parce que celui de la carte ne représente en effet que la moitié de l’équateur. Par ces différentes divisions & par les deux poles, vous décrirez des arcs de cercle B 10 D, B 20 D, & ces arcs représenteront les méridiens.

Pour décrire les paralleles, il faudra diviser de la même sorte le méridien BD en 180d, & par chacune de ces divisions, & les divisions correspondantes des quarts de cercle AB, BC, décrire des arcs de cercle ; on aura de cette maniere les paralleles de tous les degrés, avec les tropiques, les polaires, & les méridiens.

L’écliptique peut se marquer de deux façons ; car sa situation sur la terre peut être telle que ses intersections avec l’équateur répondent perpendiculairement au point E : en ce cas, la projection de ce demi-cercle, depuis le premier degré du Cancer jusqu’au premier du Capricorne, sera une droite qu’on déterminera en comptant un arc de 23d 30′ de A vers B, & tirant par l’extrémité F de cet arc un diametre. Ce diametre représentera l’écliptique pour la situation dont nous parlons ; & on pourra comme ci-dessus, le diviser en degrés, & y marquer les nombres, signes, &c. Mais si l’écliptique est placée de façon que son intersection avec l’équateur réponde au point A, sa projection sera en ce cas un arc de cercle qui passera par les points d’intersection A & C de l’écliptique & de l’équateur, pris sur la droite qui marque la projection de l’équateur ; & par celui qui marque l’intersection du tropique du Cancer, & du méridien de 90d pris sur la droite qui sert de projection à ce méridien. Ces points suffisent pour décrire cet arc de cercle.

Il ne reste plus pour rendre la carte parfaite, qu’à prendre dans les tables les longitudes & les latitudes des différens lieux, & à placer ces lieux conformément sur la carte ; ce qu’on fera selon qu’on l’a enseigné dans la construction des cartes de la premiere espece. On pourroit dans cette projection représenter sur une seule carte presque tout le globe de la terre ; il ne faudroit pour cela que prendre pour plan de projection, au lieu du plan du premier méridien, le plan de quelqu’autre petit cercle, parallele à ce premier méridien, & fort proche de l’œil ; car par ce moyen on pourra décrire tous les méridiens & les paralleles à l’équateur en entier, sans qu’ils sortent des limites de la carte. Mais comme cela rendroit la carte confuse & embrouillée, on ne le fait que rarement ; & il paroît plus à propos de représenter les deux hémispheres en entier sur deux cartes différentes.

Un des avantages de cette projection est qu’elle représente d’une maniere un peu plus vraie que la précédente, les longitudes & les latitudes des lieux, leurs distances de l’équateur & du premier méridien. Ses inconvéniens sont : 1°. qu’elle rend les degrés de l’équateur inégaux, ces degrés devenant d’autant plus grands, qu’ils sont plus près de DAB ou de son opposé BCD, ce qui fait que des espaces inégaux sur la terre sont représentés comme égaux sur la carte ; & réciproquement ; défaut qu’on n’éviteroit que par d’autres, peut-être plus grands. 2°. Que les distances des lieux & leurs situations mutuelles ne peuvent pas se bien déterminer dans les cartes de cette projection.

Construction des cartes sur le plan de l’horison, ou dont un lieu donné quelconque à volonté doive être le centre ou le milieu. Supposons, par exemple, qu’on veuille décrire la carte dont le centre soit la ville de Paris, nous supposerons sa latitude de 48d 50′ 10″; l’œil sera placé dans le nadir ; la carte transparente sera le plan de l’horison, ou quelqu’autre plan parallelle à celui-là, en supposant qu’on veuille représenter dans la carte plus qu’un hémisphere : prenez le point E, fig. 4. pour Paris, & de ce point comme centre, décrivez le cercle ABCD pour représenter l’horison, que vous diviserez en quatre quarts de cercle, & chacun d’eux en 90d. Que le diametre BD soit le méridien ; B, le côté du nord ; D, celui du sud ; la ligne tirée de l’est de l’équinoxe, à l’ouest de l’équinoxe, marquera le premier vertical ; A le côté de l’est ; C celui de l’ouest, c’est-à-dire, deux points du premier vertical, éloignés de part & d’autre de 9° du zénith. Tous les verticaux sont représentés par des droites tirées du centre E, aux différens degrés de l’horison. Divisez BD en 180 degrés par les méthodes précédentes, & le point de EB qui représentera 48d 50′ 10″, à compter depuis B, sera la projection du pole boréal, que nous marquerons par la lettre P. Le point de ED qui représentera 48d, 50′ 10″ de l’arc DC, en allant de C vers D, sera l’intersection de l’équateur avec le méridien de Paris, que vous marquerez par la lettre Q. De ce point Q, en allant vers P, vous écrirez les nombres 1, 2, 3, &c. comme aussi en allant de Q vers D, & en allant de B vers P, il faudra marquer les degrés de cette sorte 48, 47, 46, &c.

Vous prendrez ensuite les points correspondans des degrés égaux ; & de leur distance prise pour diametre, vous décrirez des cercles qui représenteront les paralleles ou cercles de latitude avec l’équateur, les tropiques & le cercle polaire. Pour les méridiens, vous décrirez par les points APC un cercle qui représentera le méridien de 90 degrés de Paris, & dont le centre sera le point M, & PN le diametre ; & ayant divisé KL en degrés par les méthodes précédentes, vous décrirez par les points PN, & par les points de division de la ligne KL, des cercles dont les portions renfermées dans le cercle BADC représenteront les méridiens.

Les cartes rectilignes sont celles où les méridiens & les paralleles sont tout-à-la-fois représentés par des droites, ce qui est réellement impossible par les lois de la perspective, parce qu’on ne peut point assigner de position pour l’œil & le plan de projection, telle, que les cercles de longitude & de latitude deviennent tous-à-la-fois des lignes droites. Dans la premiere méthode que nous avons donnée ci-dessus, les méridiens étoient des droites, mais les paralelles étoient des cercles. Dans la plûpart des autres especes de projections, les méridiens & les paralleles sont des courbes. Il y a une espece de projection où les méridiens sont des droites, & les paralleles des hyperboles. C’est lorsque l’œil seroit supposé placé dans le centre de la terre, & que la projection se feroit sur un parallele au premier méridien : mais cette projection est plûtôt de pure curiosité que d’usage.

Construction des cartes particulieres. Les cartes particulieres de grandes étendues de pays, comme les cartes d’Europe, se projettent de la même maniere que les cartes générales, observant seulement qu’il est à propos de faire choix de différentes méthodes pour différentes pratiques : par exemple, l’Afrique & l’Amérique par où passe l’équateur, ne se projetteroient pas convénablement par la premiere méthode, mais par la seconde ; l’Europe & l’Asie se projetteroient mieux par la troisieme ; & les pays voisins des poles ou les zones froides, par la premiere.

Ainsi, pour commencer, tirez sur votre plan ou papier une droite, que vous prendrez pour le méridien du lieu sur lequel l’œil est imaginé placé, & divisez-la comme ci-dessus en degrés, qui seront les degrés de latitude : prenez ensuite dans les tables la latitude des deux paralleles qui en terminent les deux extrémités ; il faudra marquer dans le méridien ces degrés de latitude, & tirer par ces mêmes degrés des perpendiculaires, qui serviront à la carte de limite nord & sud. Cela fait, il faudra tirer des paralleles dans les différens degrés des méridiens, & placer les lieux jusqu’à ce que la carte soit complette.

Des cartes particulieres de moindre étendue. Les Géographes suivent une autre méthode dans la construction des cartes qui doivent représenter une plus petite portion de la terre. Premierement on tire une droite au bas du plan, qui puisse représenter la longitude, & qui serve de bornes à la partie méridionale du pays qu’on veut décrire. On prend dans cette ligne autant de parties égales que le pays comprend de degrés de longitude ; au milieu de cette ligne, on lui éleve une perpendiculaire dans laquelle on prend autant de parties que le pays contient de degrés de latitude. On détermine de quelles grandeurs ces parties doivent être par la proportion d’un degré de grand cercle aux degrés des paralleles qui terminent le pays dont on fait la carte. Par l’extrémité de cette perpendiculaire, on tire une autre droite perpendiculaire ou parallele à celle d’en-bas, sur laquelle les degrés de longitude doivent se représenter comme dans la ligne d’en-bas ; c’est-à-dire, presqu’égaux les uns aux autres, à moins que les latitudes des deux extrémités ne soient fort différentes l’une de l’autre ; car si la parallele la plus basse est située à une distance considérable du cercle équinoctial, ou que la latitude de la limite boréale soit beaucoup plus grande que celle de l’australe, les parties ou degrés de la ligne supérieure ne seront plus égaux aux parties ou degrés de l’inférieure ; mais ils seront moindres suivant la proportion du degré de la partie septentrionale, au degré de la partie méridionale. Après qu’on aura ainsi déterminé soit sur la ligne supérieure, soit sur l’inférieure, les parties qu’on doit prendre pour les degrés de longitude ; on tirera par les points de division de ces paralleles des droites qui représenteront les méridiens ; & par les différens degrés de la perpendiculaire élevée au milieu de la premiere ligne transversale, on tirera des lignes paralleles à cette premiere ligne transversale, lesquelles représenteront les paralleles de latitude. Enfin on placera les lieux suivant la méthode qui a été déjà enseignée, aux points dans lesquels les méridiens ou cercles de longitude concourront avec les paralleles ou cercles de latitude.

Pour les cartes de province ou de pays de peu d’étendue, comme de paroisses, de terres, &c. on se sert d’une autre méthode plus sûre & plus exacte qu’aucune des précédentes. Les angles de position ou ceux sur lesquels doivent tomber les lieux, y sont déterminés par des instrumens propres à cet effet, & rapportés ensuite sur le papier. Cela fait un art à part qu’on appelle arpentage. Voy. Arpentage, &c.

Les fig. 10. & 11. de la Géographie représentent des cartes particulieres de quelque portion de la terre ; la figure 10 est la représentation d’une portion assez considérable, où les méridiens, comme on le voit, sont des lignes convergentes. La figure 11 est la représentation d’une portion peu étendue, où les méridiens & les paralleles sont des lignes droites sensiblement paralleles. L, K, I, sont trois lieux placés sur la carte. Si on connoît les lieux K, I, & leur distance au lieu L, on connoîtra facilement la position du lieu L ; car il n’y a qu’à décrire des centres K, I, & des distances LK, LI, qu’on suppose données, deux arcs de cercle qui se couperont au point cherché L. Voyez Lever un plan.

L’usage des cartes se déduit facilement de leur construction. Les degrés des méridiens & des paralleles marquent les longitudes & les latitudes des lieux ; & l’échelle des lieues qui y est jointe, la distance des uns aux autres. La situation des lieux les uns par rapport aux autres, comme aussi par rapport aux points cardinaux, paroît à la seule inspection de la carte, puisque le haut en est toûjours tourné vers le nord ; le bas vers le sud, la droite vers l’est, & la gauche vers l’ouest ; à moins que la boussole qu’on met assez souvent sur la carte, ne marque le contraire.

Carte Marine, est la projection de quelques parties de la mer sur un plan, pour l’usage des navigateurs. Voyez Projection.

Le P. Fournier rapporte l’invention des cartes marines à Henri fils de Jean roi de Portugal ; elles different beaucoup des cartes géographiques terrestres, qui ne sont d’aucun usage dans la navigation : toutes les cartes marines ne sont pas non plus de la même espece ; il y en a qu’on nomme cartes planes ; d’autres réduites ; d’autres, cartes de mercator ; d’autres, cartes du globe, &c.

Les cartes planes, sont celles où les méridiens & les paralleles sont représentés par des droites paralleles les unes aux autres.

Ptolomée les rejette dans sa Géographie, à cause des erreurs auxquelles elles sont sujettes, quoiqu’elles puissent être utiles dans des voyages courts. Leurs défauts sont, 1°. que puisque tous les méridiens se rencontrent en effet dans les poles, il est absurde de les représenter, sur-tout dans de grandes cartes, par des droites paralleles ; 2°. que les cartes planes représentent les degrés des différens paralleles égaux à ceux de l’équateur, & par conséquent les distances des lieux de l’est à l’ouest, plus grandes qu’elles ne sont ; 3°. que dans une carte plane, le vaisseau paroît, tant qu’on garde le même rhumb de vent, faire voile dans un grand cercle du globe, ce qui est pourtant très-faux.

Malgré ces défauts des cartes planes, elles sont cependant assez exactes, lorsqu’elles ne représentent qu’une petite portion de la mer ou de la terre ; & elles peuvent être en ce cas d’un usage fort simple & fort commode.

Construction d’une carte plane. 1°. Tirez une droite comme AB (Pl. de navigation, fig. 9.), & divisez-la en autant de parties égales, qu’il y a de degrés de latitude dans la portion de mer qu’il faut représenter ; 2°. joignez-y-en une autre BC à angles droits, & divisez-la en autant de parties égales les unes aux autres, & à la premiere, qu’il y a de degrés de longitude dans la portion de mer que vous voulez représenter ; 3°. achevez le parallélogramme ABCD, & partagez son aire en petits quarrés, & les droites paralleles à AB, CD, seront les méridiens, & les paralleles à AD & BC, les cercles paralleles ; 4°. vous y placerez, au moyen d’une table de longitudes & de latitudes, les côtes, les îles, les bayes, les bancs de sable, les rochers, de la maniere qui a été prescrite ci-dessus pour les cartes particuliers.

Il s’ensuit de-là 1°. que la latitude & la longitude du lieu où est un vaisseau étant données, on pourra aisément représenter son lieu dans la carte ; 2°. qu’étant donnés dans la carte, les lieux F & G, d’où le vaisseau part, & où il va ; la ligne FG, tirée de l’un à l’autre, fait avec le méridien AB un angle AFG égal à l’inclinaison du rhumb ; & puisque les portions F1, 12, 2G, entre des paralleles équidistans sont égales, & que l’inclinaison de la droite FG à tous les méridiens ou à toutes les droites paralleles à AB, est la même, la droite FG représente donc le rhumb. On peut prouver de la même maniere que cette carte représente véritablement les milles de longitude.

Il s’ensuit de-là qu’on peut se servir utilement des cartes planes pour diriger un vaisseau dans un voyage qui ne soit pas de long cours, ou même dans un voyage assez long, pourvû qu’on ait soin qu’il ne se glisse point d’erreur dans la distance des lieux F & G, ce qu’on corrigera de la maniere suivante.

Construction d’une échelle pour corriger les erreurs des distances dans les cartes planes. 1°. Transportez cinq degrés de la carte à la droite AB, fig. 10, & divisez-les en 300 parties égales ou milles géographiques ; 2°. décrivez sur cette droite un petit cercle ACB, qu’il faudra diviser en 90 parties égales : si l’on veut savoir en conséquence, combien cinq degrés font de milles dans le parallele de cinquante, qu’on prenne au compas l’intervalle AC égal à cinquante, & qu’on le transporte au diametre AB, sur lequel il marquera le nombre de milles requis.

Il s’ensuit de-là que si un vaisseau fait voile sur un rhumb à l’est ou à l’ouest, hors de l’équateur, les milles correspondans aux degrés de longitude, se trouveront comme dans l’article précédent ; s’il fait voile sur un rhumb collatéral, alors on peut supposer toûjours la course de l’est à l’ouest dans un parallele moyen entre le parallele du lieu d’où le vaisseau vient, & de celui où il va.

Il est vrai que cette réduction par une parallele moyenne arithmétique n’est pas exacte : cependant on s’en sert souvent dans la pratique, parce que c’est une méthode commode pour l’usage de la plûpart des marins. En effet, elle ne produira point d’erreur considérable, si toute la course est divisée en parties dont chacune ne passe pas un degré ; ce qui fait qu’il est convenable de ne pas prendre le diametre du demi-cercle ACB de plus d’un degré, & de le diviser au plus en milles géographiques. Pour l’application des cartes planes à la navigation, voyez Navigation.

Carte réduite, ou carte de réduction : c’est celle dans laquelle les méridiens sont représentés par des droites convergentes vers les poles, & les paralleles par des droites paralleles les unes aux autres, mais inégales. Il paroît donc par leur construction qu’elles doivent corriger les erreurs des cartes planes.

Mais puisque les paralleles y devroient couper les méridiens à angles droits, il s’ensuit aussi que ces cartes sont défectueuses à cet égard, puisqu’elles représentent les paralleles comme inclinés aux méridiens ; c’est ce qui a fait imaginer une autre espece de cartes réduites, dans lesquelles les méridiens sont paralleles, mais les degrés inégaux ; on les appelle cartes de Mercator.

Carte de Mercator : c’est celle dans laquelle les méridiens & les paralleles sont représentés par des droites paralleles, mais où les degrés des méridiens sont inégaux, & croissent toûjours à mesure qu’ils s’approchent du pole dans la même raison que ceux des paralleles décroissent sur le globe ; au moyen de quoi, ils conservent entre eux la même proportion que sur le globe.

Cette carte tire son nom de celui de l’auteur qui l’a proposée le premier, & qui a fait la premiere carte de cette construction, savoir de N. Mercator : mais il n’est ni le premier qui en ait eu l’idée (car Ptolomée y avoit pensé quinze cents ans auparavant) ni celui à qui on en doit la perfection ; M. Whright étant le premier qui l’ait démontrée, & qui ait enseigné une maniere aisée de la construire, en étendant la ligne méridienne par l’addition continuelle des sécantes.

Construction de la carte de Mercator. 1°. Tirez une droite, & divisez-la en parties égales, qui représentent les degrés de longitude, soit dans l’équateur, soit dans les paralleles qui doivent terminer la carte ; élevez de ces différens points de division des perpendiculaires qui représentent les différens méridiens, de façon que des droites puissent les couper toutes sous un même angle, & par conséquent représenter les rhumbs ; & vous ferez le reste comme dans la carte plane, avec cette condition de plus, que pour que les degrés des méridiens soient dans la proportion convenable avec ceux des paralleles, il faut augmenter les premiers ; car les derniers restent les mêmes à cause du parallélisme des méridiens. Voyez Degré.

Décrivez donc dans l’équateur CD, & de l’intervalle d’un degré, (Pl. Navig. fig. 11.) le quart de cercle DLE, & élevez en D la perpendiculaire DG ; faites l’arc DL égal à la latitude, & par le point L tirez CG ; cette droite CG sera le degré du méridien propre à être transporté sur le méridien de la carte ; le reste se fera comme dans les cartes planes. Supposons qu’on demande dans la pratique de construire une carte plane de Mercator, depuis le quarantieme jusqu’au cinquantieme degré de latitude boréale, & depuis le sixieme jusqu’au quinzieme degré de longitude ; tirez d’abord une droite qui représente le quarantieme parallele de l’équateur, & divisez-la en douze parties égales, pour les douze degrés de longitude que la carte doit contenir ; prenez ensuite une ligne de parties égales, sur l’échelle de laquelle ces parties soient égales à chacun des degrés de longitude, & à chacune de ses extrémités élevez des perpendiculaires, pour représenter deux méridiens paralleles, qu’il faut diviser au moyen de l’addition continuelle des sécantes, lesquelles on démontre croître dans la même proportion que les degrés de longitude décroissent. Voyez Sécante.

Ainsi pour la distance de 40d de latitude à 41d, prenez 131 parties égales de l’échelle, qui font la sécante de 40d 30′ ; pour la distance de 41d à 42d, prenez 133 parties égales de l’échelle, qui font la sécante de 41d 30′, & ainsi de suite jusqu’au dernier degré de votre carte, qui contiendra 154 de ces parties égales, lesquelles font la sécante de 49d 30′, & doivent donner par conséquent la distance du 49d de latitude au 50. Par cette méthode les degrés de latitude se trouveront évidemment augmentés dans la proportion suivant laquelle les degrés de longitude décroissent sur le globe.

Le méridien étant divisé, il faudra y ajoûter la boussole ou le compas de mer : choisissant pour cela quelqu’endroit convenable dans le milieu, on tirera par cet endroit une parallele au méridien divisé, laquelle sera le rhumb de nord ; & au moyen de celle-ci on aura les 31 autres points de compas : enfin on rapportera les villes, les ports, les côtes, les îles, &c. au moyen d’une table de latitude & de longitude, & la carte sera finie.

Dans la carte de Mercator, l’échelle change à proportion des latitudes : si par conséquent un vaisseau fait voile entre le 40 & le 50 de la parallele de latitude, les degrés des méridiens entre ces deux paralleles devront servir d’échelle pour mesurer le chemin du vaisseau ; d’où il s’ensuit que quoique les degrés de longitude soient égaux en longueur sur la carte, ils doivent néanmoins contenir un nombre inégal de milles ou de lieues, & qu’ils décroîtront à mesure qu’ils approcheront plus près du pole, parce qu’ils sont en raison inverse d’une quantité qui croît continuellement.

Cette carte est très-bonne, quoique fausse en apparence : on trouve par expérience qu’elle est fort exacte, & qu’il est en même tems fort aisé d’en faire usage. En effet elle a toutes les qualités requises pour l’usage de la navigation. La plûpart des marins, dit Chambers, paroissent cependant éloignés de s’en servir, & aiment mieux s’en tenir à leur vieille carte plane, qui est, comme on l’a vû, très-fautive.

Pour l’usage de la carte plane de Mercator dans la navigation, voyez Navigation.

Carte du globe. C’est une projection qu’on nomme de la sorte à cause de la conformité qu’elle a avec le globe même, & qui a été proposée dans ces derniers tems par MM. Senex, Wilson, & Harris : les méridiens y sont inclinés, les paralleles à égales distances les uns des autres, & courbes ; & les rhumbs réels sont en spirales, comme sur la surface du globe. Cette projection est encore peu connue ; nous n’en pouvons dire que peu de chose, jusqu’à ce que sa construction & ses usages ayent une plus grande publicité ; cependant M. Chambers en espere beaucoup, puisqu’elle est munie d’un privilége du roi d’Angleterre, qu’elle paroît sous sa protection, qu’elle est approuvée de plusieurs navigateurs habiles, & entr’autres du docteur Halley, & qu’elle a subi en Angleterre l’épreuve d’un examen très-sévere. M. Cambers ajoute que la projection en est très-conforme à la nature, & par conséquent fort aisée à concevoir ; & qu’on a trouvé qu’elle étoit exacte, même à de grandes distances, où ses défauts, si elle en eût eu, auroient été plus remarquables. V. Globe. Voyez aussi la Geographie de M. Wolf.

Cartes composées par rhumbs & distances. Ce sont celles où il n’y a ni méridiens ni paralleles, mais qui ne montrent la situation des lieux que par rhumbs, & par l’échelle des milles.

On s’en sert principalement en France, & sur-tout dans la Méditerranée.

On les trace sans beaucoup d’art, & il seroit par conséquent inutile de vouloir rendre un compte exact de la maniere de les construire ; on ne s’en sert que dans de courts voyages. (O)

Carte ou Quarte, s. f. (Commerce.) mesure de grains dont on se sert en quelques lieux de la Savoie, & qui n’est pas partout d’un poids égal.

La carte de Conflans pese 35 livres poids de marc.

Celle de S. Jean de Maurienne, 21 livres aussi poids de marc.

La carte de Faverge, 30 poids de Geneve.

La carte de Miolans, S. Pierre d’Albigny, S. Philippe, vingt-cinq livres poids de Geneve.

Celle de Modane, 24 livres aussi poids de Geneve. Voyez Livre, Marc, Poids. Dict. du Com. (G)

Carte-blanche, se dit dans l’Art militaire pour exprimer qu’un général peut faire ce que bon lui semble sans en avertir la cour auparavant. Ainsi dire qu’un général a carte-blanche, c’est dire qu’il peut attaquer l’ennemi lorsqu’il en trouve l’occasion, sans avoir besoin d’ordres particuliers. (Q)

Carte ou Carde, instrument dont se servent les Perruquiers pour travailler les cheveux destinés à faire des perruques. C’est une espece de peigne composé de dix rangées de pointes de fer de près d’un pouce & demi de hauteur, épaisses de deux lignes, & éloignées les unes des autres par la pointe, d’environ trois lignes. Ces pointes sont enfoncées dans une planche de bois de chêne, assujettie sur une table par des clous, & rangées en losanges.

Il y a des cartes ou cartes de plusieurs grosseurs, sur lesquelles on passe les paquets de cheveux pour les mêlanger, en commençant par les plus grosses, & successivement jusqu’aux plus fines.

* Cartes, s. f. (Jeux.) petits feuillets de carton oblongs, ordinairement blancs d’un côté, peints de l’autre de figures humaines ou autres, & dont on se sert à plusieurs jeux, qu’on appelle par cette raison jeux de cartes. Voyez Lansquenet, Breland, Pharaon, Ombre, Piquet, Bassette, &c. Entre ces jeux il y en a qui sont purement de hasard, & d’autres qui sont de hasard & de combinaison. On peut compter le lansquenet, le breland, le pharaon, au nombre des premiers ; l’ombre, le piquet, le médiateur, au nombre des seconds. Il y en a où l’égalité est très-exactement conservée entre les joüeurs, par une juste compensation des avantages & des desavantages ; il y en a d’autres où il y a évidemment de l’avantage pour quelques joüeurs, & du desavantage pour d’autres : il n’y en a presqu’aucun dont l’invention ne montre quelqu’esprit ; & il y en a plusieurs qu’on ne joue point supérieurement, sans en avoir beaucoup, du moins de l’esprit du jeu. V. Jeu.

Le pere Ménestrier, Jésuite, dans sa bibliotheque curieuse & instructive, nous donne une petite histoire de l’origine du jeu de cartes. Après avoir remarqué que les jeux sont utiles, soit pour délasser, soit même pour instruire ; que la création du monde a été pour l’Etre suprème une espece de jeu ; que ceux qui montroient chez les Romains les premiers élémens s’appelloient ludi magistri ; que Jesus-Christ même n’a pas dédaigné de parler des jeux des enfans : il distribue les jeux en jeux de hasard, comme les dés, voyez Dés ; en jeux d’esprit, commes les échecs, voyez Echecs ; & en jeux de hasard & d’esprit, comme les cartes. Mais il y a des jeux de cartes, ainsi que nous l’avons remarqué, qui sont de pur hasard.

Selon le même auteur, il ne paroît aucun vestige de cartes à joüer avant l’année 1392, que Charles VI. tomba en phrénésie. Le jeu de cartes a dû être peu commun avant l’invention de la gravure en bois, à cause de la dépense que la peinture des cartes eût occasionnée. Le P. Ménestrier ajoûte que les Allemands, qui eurent les premiers des gravures en bois, graverent aussi les premiers des moules de cartes, qu’ils chargerent de figures extravagantes : d’autres prétendent encore que l’impression des cartes est un des premiers pas qu’on ait fait vers l’impression en caracteres gravés sur des planches de bois, & citent à ce sujet les premiers essais d’Imprimerie faits à Harlem, & ceux qu’on voit dans la bibliotheque Bodleyane. Ils pensent que l’on se seroit plûtôt apperçû de cette ancienne origine de l’Imprimerie, si l’on eût considéré que les grandes lettres de nos manuscrits de 900 ans paroissent avoir été faites par des Enlumineurs.

On a voulu par le jeu de cartes, dit le P. Ménestrier, donner une image de la vie paisible, ainsi que par le jeu des échecs, beaucoup plus ancien, on en a voulu donner une de la guerre. On trouve dans le jeu de cartes les quatre états de la vie ; le cœur représente les gens d’église ou de chœur, espece de rébus ; le pique, les gens de guerre ; le trefle, les laboureurs ; & les carreaux, les bourgeois dont les maisons sont ordinairement carrelées. Voilà une origine & des allusions bien ridicules. On lit dans le pere Ménestrier que les Espagnols ont représenté les mêmes choses par d’autres noms. Les quatre rois, David, Alexandre, César, Charlemagne, sont des emblèmes des quatre grandes monarchies, Juive, Greque, Romaine, & Allemande. Les quatre dames, Rachel, Judith, Pallas, & Argine, anagrame de regina, (car il n’y a jamais eu de reine appellée Argine) expriment les quatre manieres de régner, par la beauté, par la piété, par la sagesse, & par le droit de la naissance. Enfin les valets représentoient les servans d’armes. Le nom de valet qui s’est avili depuis, ne se donnoit alors qu’à des vassaux de grands seigneurs, ou à de jeunes gentilshommes qui n’étoient pas encore chevaliers. Les Italiens on reçû le jeu de cartes les derniers. Ce qui pourroit faire soupçonner que ce jeu a pris naissance en France, ce sont les fleurs-de-lis qu’on a toûjours remarquées sur les habits de toutes les figures en cartes. Lahire, nom qu’on voit au bas du valet de cœur, pourroit avoir été l’inventeur des cartes, & s’être fait compagnon d’Hector & d’Ogier le Danois, qui sont les valets de carreau & de pique, comme il semble que le Cartier se soit réservé le valet de trefle pour lui donner son nom. Voyez l’article Jeu. Bibl. cur. & instruct. p. 168.

Après cette histoire bonne ou mauvaise de l’origine des cartes, nous en allons expliquer la fabrication. Entre les petits ouvrages, il y en a peu où la main d’œuvre soit si longue & si multipliée : le papier passe plus de cent fois entre les mains du Cartier avant que d’être mis en cartes, comme on le va voir par ce qui suit.

Il faut d’abord se pourvoir de la sorte de papier qu’on appelle de la main brune, voyez Papier ; on déplie son papier & on le rompt : rompre, c’est tenir le papier ouvert de la main gauche par le bas du pli, de la droite par le haut du pli, de maniere que les deux pouces soient dans le pli, & faire glisser les autres doigts de la main droite tout le long du dos du pli, en commençant par le bas ; ce qui ne peut se faire sans appliquer le haut du dos du pli contre le bas du dos du pli, & paroître rompre les feuilles Le but de cette opération, qu’on réitere autant de fois qu’il est nécessaire sur le même papier, c’est d’en effacer le pli du mieux qu’on peut.

Après qu’on a rompu le papier, on en prend deux feuilles qu’on met dos à dos : sur ces deux feuilles on en place deux autres mises aussi dos à dos : mais il faut que ces deux dernieres déborrdent les deux premieres, soit par en-haut, soit par en-bas, d’environ quatre doigts. On continue de faire un tas le plus grand qu’on peut de feuilles prises deux à deux, dans lequel les deux 1, 3, 5, 7, 9, &c. se correspondent exactement, & sont débordées d’environ quatre doigts par les deux 2, 4, 6, 8, 10, &c. qui par conséquent se correspondent aussi exactement. Cette opération s’appelle mêler. Dans les grosses manufactures de cartes il y a des personnes qui ne font que mêler. On donne six liards pour mêler deux tas ; la rame fait un tas.

Après qu’on a mêlé, ou plûtôt tandis qu’on mêle d’un côté, de l’autre on fait la colle. La colle se fait avec moitié farine, moitié amydon : on met sur vingt seaux d’eau deux boisseaux de farine, & trente livres d’amydon. On délaye la farine & l’amydon avec de l’eau tiede : cependant il y en a qui chauffe sur le feu : quand elle est prête à bouillir, on jette dedans le mêlange de farine & d’amydon, en le passant par un tamis de crin médiocrement serré. Tandis que la colle se cuit, on la remue bien avec un balai, afin qu’elle ne se brûle pas au fond de la chaudiere : on la laisse bouillir environ une bonne heure ; on la retire ensuite, & elle est faite. Il faut avoir soin de la remuer, jusqu’à ce qu’elle soit froide, de peur, disent les ouvriers, qu’elle ne s’étouffe, ou devienne en eau. On ne s’en sert que le lendemain.

Quand la colle est froide, le colleur la passe par un tamis, d’où elle tombe dans un baquet, & se dispose à coller. Pour cet effet il prend la brosse à coller. Cette brosse est oblongue ; elle a environ cinq pouces de large, & sa longueur est de la largeur du papier : elle est de soie de sanglier, & garnie en-dessus d’une manique ou courroie de lisiere. On la voit Pl. du Cartier, fig. 9. le colleur la trempe dans la colle, & la passe sur le papier de la maniere qui suit : il l’applique au centre de la feuille, d’où il va à l’angle du haut qui est à droite, & de-là à l’angle du bas qui lui est opposé à gauche : il remet sa brosse au centre, d’où il l’avance à l’angle du haut qui est à gauche, la ramenant de-là à l’angle opposé du bas qui est à droite : il lui est enjoint de réitérer huit fois cette opération sur la même feuille.

Cela fait il enleve cette feuille enduite de colle, & avec elle la feuille qui lui est adossée. Il fait la même opération sur la premiere des deux feuilles suivantes, les enleve toutes deux, & les place sur les deux précédentes. Il continue ainsi, collant une feuille & en enlevant deux, & reformant un autre tas, où il est évident qu’une feuille collée se trouve toûjours appliquée contre une feuille qui ne l’est pas. Dans ce nouveau tas les feuilles ne se débordent point ; on les applique les unes sur les autres le plus exactement qu’on peut.

Quand on a formé ce tas d’environ une rame & demie, on le met en presse. La presse des Cartiers n’a rien de particulier ; c’est la même que celle des Bonnetiers & des Calendreurs. On presse le tas légerement d’abord ; au bout d’un quart-d’heure, on revient à la presse, & on le serre davantage. Si l’on donnoit le premier coup de presse violent, le papier qui est moite de colle, foible & non pris, pourroit s’ouvrir. On laisse ce tas en presse environ une bonne heure ; c’est à peu près le tems que le colleur employe à former un nouveau tas pareil au premier : quand il est formé, il retire de presse le premier tas, & y substitue le second. Un bon ouvrier peut faire quinze à seize tas par jour. Il a six blancs par tas.

Quand le premier tas est sorti de presse, on le torche ; torcher, c’est enlever la colle que l’action de la presse a fait sortir d’entre les feuilles : cela se fait avec un mauvais pinceau qu’on trempe dans de l’eau froide, afin que ce superflu de colle se sépare plus facilement. Cette colle enlevée des côtés du tas ne sert plus.

Ces feuilles qui sortent de dessous la presse, collées deux à deux, s’appellent étresses ; quand les étresses sont torchées, on les pique. Pour cet effet on a une perce ou un poinçon qu’on enfonce au bord du tas, environ à la profondeur d’un demi-doigt : on enleve du tas un petit paquet d’environ cinq étresses percées, & on passe une épingle dans le trou. L’épingle des Cartiers est un fil de laiton de la longueur & grosseur des épingles ordinaires, dont la tête est arrêtée dans un parchemin plié en quatre, dans un bout de carte, ou même dans un mauvais morceau de peau, & qui est plié environ vers la moitié, de maniere qu’il puisse faire la fonction de crochet. Le piqueur perce toutes les étresses, & garnit autant de paquets d’environ cinq à six qu’il peut faire, chacun de leur épingle. Le colleur s’appelle le servant du piqueur ; celui-ci gagne environ trente sous par jour.

Quand tous les paquets d’étresses sont garnis d’épingles, on les porte sécher aux cordes. L’opération de suspendre les étresses aux cordes par les épingles en crochet, s’appelle étendre. Les feuilles ou étresses demeurent plus ou moins étendues, selon la température de l’air. Dans les beaux jours d’été, on étend un jour, & l’on abat le lendemain. Abattre, c’est la même chose que détendre. On voit que l’été est la saison favorable pour cette partie du travail des cartes ; en hyver, il faudroit un poele, encore n’éviteroit-on pas l’inconvénient du feu, qui mange la colle & fait griper le papier. Ceux qui entendent leur intérêt se préparent en été de l’ouvrage pour l’hyver.

En abattant, on ôte les épingles, & l’on reforme des tas ; quand ces nouveaux tas sont formés, on sépare : séparer, c’est détacher les étresses les unes des autres, & les distribuer séparément ; cette opération se fait avec un petit couteau de bois appellé coupoir.

Quand on a séparé, on ponce ; poncer, c’est, ainsi que le mot le désigne, frotter l’étresse des deux côtés avec une pierre ponce : il est enjoint de donner dix à douze coups de pierre ponce de chaque côté de l’étresse. Cet ouvrage se paye à la grosse. On donne cinq sous par grosse ; un ouvrier en peut faire sept à huit par jour.

Cela fait, on trie ; trier, c’est regarder chaque étresse au jour, & en enlever toutes les inégalités, soit du papier, soit de la colle ; ce qui s’appelle le bro. Le triage se fait avec une espece de canif à main, ou grattoir, que les ouvriers nomment pointe.

L’étresse triée formera l’ame de la carte. Le papier dont on fait les étresses vaut cinquante à cinquante-deux sous la rame. Quand l’étresse est préparée, on prend deux autres sortes de papiers : l’une appellée le cartier, qui ne sert qu’à l’usage dont il s’agit ; il est sans marque ; il pese vingt-deux liv. le paquet ou les deux rames, & vaut environ quinze francs la rame : l’autre, appellée le pau, qui vaut à peu-près trois livres douze sols la rame. Le papier d’étresse, le cartier, & le pau, sont à peu-près de la même grandeur, excepté le cartier ; mais c’est un défaut : s’ils étoient bien égaux, il y auroit moins de déchet.

Ces papiers étant préparés, on mêle en blanc. Pour cette opération, on a un tas de cartier à droite, & un tas de pau à gauche. On prend d’abord une feuille de pau, on place dessus deux feuilles de cartier ; puis sur celles-ci deux feuilles de pau ; puis sur ces dernieres deux feuilles de cartier, & ainsi de suite jusqu’à la fin, qu’on termine ainsi qu’on a commencé, par une seule feuille de pau. Il faut observer que le nouveau tas est formé de maniere que les feuilles se débordent de deux en deux, comme quand on a mêlé la premiere fois pour faire les étresses ; ce nouveau tas contient environ dix mains de papier.

Quand on a mêlé en blanc, on mêle en étresse ; mêler en étresse, c’est entrelarder l’étresse dans le blanc : ce qui s’exécute ainsi. On enleve la premiere feuille de pau, on met dessus une étresse ; sur cette étresse deux feuilles de cartier ; sur les deux feuilles de cartier, une étresse ; sur cette étresse, deux feuilles de pau, & ainsi de suite : d’où l’on voit évidemment que chaque étresse se trouve entre une feuille de cartier & une feuille de pau. Les feuilles de cartier, de pau, & les étresses, doivent se déborder dans le nouveau tas.

Après cette manœuvre, on colle en ouvrage. Cette opération n’a rien de particulier ; elle se fait comme le premier collage ; & consiste à enfermer une étresse entre une feuille de pau & une feuille de cartier. Après avoir collé en ouvrage, on met en presse, on pique, on étend, & on abat, comme on a fait aux étresses, avec cette différence qu’on n’étend que deux des nouveaux feuillets à la fois ; ces deux feuillets s’appellent un double : avec un peu d’attention on s’appercevra que les deux blancs ou feuilles de cartier sont appliquées l’une contre l’autre dans le double, & que les deux feuilles de pau sont en dehors ; par ce moyen la dessiccation se fait sans que le papier perde de sa blancheur. Le cartier fait le dos de la carte, & le pau le dedans ; le Cartier qui entend ses intérêts, conduira jusqu’ici pendant l’été sa matiere à mettre en cartes.

Lorsque les doubles sont préparés, on a proprement le carton dont la carte se fait ; il ne s’agit plus que de couvrir les surfaces de ces doubles, ou de têtes ou de points. Les têtes, ce sont celles d’entre les cartes qui portent des figures humaines ; toutes les autres s’appellent des points.

Pour cet effet, on a un moule de bois, tel qu’on le voit, Pl. du Cart. fig. 5. il porte vingt figures à tête ; ces figures sont gravées profondément ; voyez l’article de la Gravûre en Bois. Ce moule est fixé sur une table ; il est composé de quatre bandes, qui portent cinq figures chacune ; chaque bande s’appelle un coupeau.

On prend du papier de pau, on le déplie, on le rompt, on le moitit ; moitir, c’est tremper. Voyez Imprimerie. On le met entre deux ais : on le presse pour l’unir ; au sortir de la presse, on moule.

Pour mouler, on a devant soi ou à côté un tas de ce pau trempé ; on a aussi du noir d’Espagne qu’on a fait pourrir dans de la colle. Plus il est resté long-tems dans la colle, plus il est pourri, meilleur il est. Il y en a dont le pié a deux à trois ans. On a une brosse ; on prend de ce noir fluide avec la brosse ; on la passe sur le moule : comme ce sont les parties saillantes du moule qui forment la figure, & que ces parties sont fort détachées du fond, il n’y a que leurs traces qui fassent leurs empreintes sur le papier, qu’on étend sur le moule & qu’on presse avec un froton ; le froton est un instrument composé de plusieurs lisieres d’étoffes roulées les unes sur les autres : de maniere que la base en est plate & unie, & que le reste a la forme d’un sphéroide allongé. Voyez Pl. du Cart. fig. 13. On continue de mouler autant qu’on veut. Les moules sont aujourd’hui au bureau ; on y va mouler en payant les droits : ils sont d’un denier par cartes. Ainsi un jeu de piquet paye à la ferme 32 deniers. Après cette opération, on commence à peindre les têtes, car le moule n’en a donné que le trait noir, tel qu’on le voit fig. 5. On applique d’abord le jaune, ensuite le gris, puis le rouge, le bleu & le noir. On fait tous les tas en jaune de suite, tous les tas en gris, &c.

Le jaune n’est autre chose que de la graine d’Avignon qu’on fait bouillir, & à laquelle on mêle un peu d’alun pour la purifier ; le gris, qu’un petit bleu d’indigo qu’on a dans un pot ; le rouge, qu’un vermillon broyé & délayé avec un peu d’eau & de colle ou gomme ; le bleu, qu’un indigo plus fort, délayé aussi avec de la gomme & de l’eau ; le noir, que du noir de fumée.

On se sert pour appliquer ces couleurs, de différens patrons ; le patron est fait d’un morceau d’imprimure. Les ouvriers entendent par une imprimure, une feuille de papier qu’on prépare de la maniere suivante : faites calciner des écailles d’huîtres ou des coques d’œufs ; broyez-les & les réduisez en poudre menue. Mêlez cette poudre avec de l’huile de lin, & de la gomme arabique, vous aurez une composition pâteuse & liquide, dont vous enduirez le papier. Vous donnerez six couches à chaque côté ; ce qui rendra la feuille épaisse, à peu-près comme une piece de 24 sous.

C’est au Cartier à découper l’imprimure ; ce qu’il exécute pour les têtes avec une espece de canif : pour cet effet, il prend une mauvaise feuille de carte toute peinte, il applique cette feuille sur l’imprimure & l’y fixe ; il enleve avec sa pointe ou son canif toutes les parties peintes de la même couleur, & de la feuille & de l’imprimure : puis il ôte cette imprimure & en substitue une autre sous la même feuille, & enleve au canif tant de la feuille que de l’imprimure, une autre couleur, & ainsi de suite autant qu’il y a de couleurs. La feuille peinte qui sert à cette opération, s’appelle faute. Voyez fig. 6. un patron découpé, c’est-à-dire, dont on a enlevé toutes les parties qui doivent être peintes d’une même couleur en jaune, si c’est un patron jaune. Comme il y a cinq couleurs à chaque carte, il y a aussi cinq patrons. On applique les patrons successivement sur la même tête, & on passe dessus avec un pinceau la couleur qui convient ; il est évident que cette couleur ne prend que sur les parties de la carte, que les découpures du patron laissent découvertes. Dans la fig. 6. d’un patron jaune, les parties couvertes sont représentées par le noir ; & les parties découpées, par les taches irrégulieres blanches.

Voilà pour la peinture des têtes. Quant à celle des points, les patrons ne sont pas découpés au canif, mais à l’emporte-piece. On a quatre emporte-pieces différens, pique, trefle, cœur, & carreau, dont on frappe les imprimures. Les bords de ces emporte-pieces sont tranchans & coupent la partie de l’imprimure sur laquelle ils sont appliqués ; ces imprimures ainsi préparées servent à faire les points, comme celles des têtes ont servi à peindre les figures : il faut seulement observer pour les têtes, que la planche en étant divisée en quatre coupeaux, on passe le pinceau à quatre reprises.

Quand tous les papiers ou feuilles de pau sont peintes, comme nous venons de dire, il s’agit de les appliquer sur les doubles ; pour cet effet, on les mêle en tas : une feuille peinte, un double ; une feuille peinte, un double, & ainsi de suite : de maniere que le double soit toûjours enfermé entre deux feuilles peintes. On colle, on presse, on pique, on étend, comme ci-dessus. On abat, & l’on sépare les doubles, ainsi comme nous avons dit qu’on séparoit les étresses. Ce nouveau travail n’a rien de particulier ; il fait seulement passer l’ouvrage un plus grand nombre de fois entre les mains de l’ouvrier.

Quand on a séparé, on prépare le chauffoir ; le chauffoir est tel qu’on le voit, fig. 7. c’est une caisse de fer quarrée, à pié, dont les bords supportent des bandes de fer quarrées, passées les unes sur les autres, & recourbées par les extrémités. Il y en a deux sur la longueur, & deux sur la largeur ; ce qui forme deux crochets sur chaque bord du chauffoir.

On allume du feu dans le chauffoir ; on passe dans les crochets ou agraffes qu’on remarque autour du chauffoir, une caisse quarrée de bois qui sert à concentrer la chaleur ; on place ensuite quatre feuilles en dedans de cette caisse quarrée, une contre chaque côté, puis on en pose une dessus les barres qui se croisent ; on ne les laisse toutes dans cet état, que le tems de faire le tour du chauffoir. On les enleve en tournant, on y en substitue d’autres, & l’on continue cette manœuvre jusqu’à ce qu’on ait épuisé l’ouvrage ; cela s’appelle chauffer.

Au sortir du chauffoir, le lisseur prend son ouvrage & le savonne par-devant, c’est-à-dire du côté des figures. Savonner, c’est avec un assemblage de morceaux de chapeau cousus les uns sur les autres à l’épaisseur de deux pouces, & de la largeur de la feuille (assemblage qu’on appelle savonneur) emporter du savon, en le passant sur un pain de cette marchandise, & le transporter sur la feuille en la frottant seulement une fois. On savonne la carte pour faire couler dessus la pierre de la lissoire.

Quand la carte est savonnée, on la lisse. La lissoire est un instrument composé d’une perche, dont on voit une extrémité Planche du Cart. fig. 8. l’autre bout aboutit à l’extrémité d’une planche, qu’on voit dans la vignette de la même Planche, fixée aux solives. Cette planche fait ressort. La figure M est la boîte de la lissoire ; la figure n en est la pierre. Cette pierre, qui n’est autre chose qu’un caillou noir bien poli, se place dans l’ouverture qu’on voit à la partie supérieure de la boîte M. La pierre se polit sur un grès ; on la figure à peu-près en dos d’âne. On voit, figure Mn, la boîte avec sa pierre. On apperçoit à la partie supérieure de la figure Mn de part & d’autre, deux entailles circulaires. La langue solide qui est entre les entailles, se place dans la fente de l’extrémité de la perche 8. On apperçoit aux deux extrémités de la boîte Mn, deux éminences cylindriques : ce sont les deux poignées avec lesquelles l’ouvrier appellé lisseur, fait aller la lissoire sur la feuille de carte. Cette carte à lisser est posée sur un marbre. Ce marbre est fixé sur une table ; la pierre de la lissoire appuyée fortement contre la carte, sur laquelle l’ouvrier la fait aller de bas en haut, & de haut en bas. Pour qu’une feuille soit bien lissée, il faut qu’elle ait reçû vingt-deux coups ou vingt-deux allées & venues. Un bon ouvrier lissera trente mains par jour : il est payé 30 sous. Son métier est fort pénible ; & ce n’est pas une petite fatigue que de vaincre continuellement l’élasticité de la planche qui agit à un des bouts de la perche de la lissoire, & applique fortement la pierre contre la feuille à lisser. On voit dans la vignette, fig. 3. un lisseur ; figure 2. un ouvrier occupé à peindre des points ; & fig. 1. un ouvrier qui peint des têtes.

Quand la carte est lissée par-devant, on la chausse, comme on a fait ci-dessus. Il faut observer que soit en chauffant, soit en réchauffant, c’est la couleur qui est tournée vers le feu. Le réchauffage se fait comme le chauffage. Après cette manœuvre, on savonne la carte par-derriere, & on la lisse par-derriere.

Au sortir de la lisse, la carte va au ciseau pour être coupée. On commence par rogner la feuille. Rogner, c’est enlever avec le ciseau ce qui excede le trait du moule, des deux côtés qui forment l’angle supérieur à droite de la feuille. Pour suivre ce trait exactement, il est évident qu’il faut que la face colorée soit en-dessus, & puisse être apperçûe par le coupeur. Les traits du moule tracés autour des cartes, & qui, en formant pour ainsi dire les limites, en assûrent l’égalité, s’appellent les guides : c’est en effet ces traits qui guident le coupeur.

Le coupeur a son établi particulier. Il est représenté dans la vignette, fig. 4. il est composé d’une longue table, sur laquelle est l’esto. L’esto est un morceau de bois d’environ deux pouces d’épais, sur un bon pié en quarré, bien équarri & assemblé le plus fermement & le plus perpendiculairement qu’il est possible avec le dessus de la table. On voit, figure 12. l’esto séparé Z, & fig. 4. de la vignette, on le voit assemblé avec la table par les tenons 4, 4, & ses clavettes ou clés 5, 5, sur la surface Z de l’esto, fig. 12. on a fixé un litau 2 percé : c’est dans le trou de ce litau qu’on place la vis 12, dont l’extrémité a reçoit l’écrou b sur l’autre surface de l’esto. La corde qui passe par-dessus le bord supérieur de l’esto, soûtient une broche de fer à laquelle elle est attachée, & qui sert à avancer ou reculer la vis. On voit à l’extrémité de la vis, deux arrêts circulaires 1, 2, dont nous ne tarderons pas d’expliquer l’usage. On voit, fig. 10. & 11. les ciseaux desassemblés ; & dans la vignette, fig. 4. on les voit assemblés avec l’établi, & en situation pour travailler. Le bout d’une des branches 2, se visse dans le solide de l’établi par le boulon taraudé, & son extrémité est contenue entre les deux arrêts circulaires de la vis ; ensorte que cette branche ne peut vaciller non plus que l’autre, qui est fixée à celle-ci par le clou, comme on voit vignette, fig. 4.

Il s’ensuit de cette disposition, que pour peu que l’ouvrier soit attentif à son ouvrage, il lui est impossible de ne pas couper droit & de ne pas suivre les guides. Quand il a rogné, il traverse. Traverser, c’est séparer les coupeaux, ou mettre la feuille en quatre parties égales. Quand il a traversé, il ajuste : ajuster, c’est examiner si les coupeaux sont de la même hauteur. Pour cet effet, on les applique les uns contre les autres, & on tire avec le doigt ceux qui débordent ; on repasse ceux-ci au ciseau. On doit s’appercevoir que le ciseau est tenu toûjours à la même distance de l’esto, & qu’il ne s’en peut ni éloigner, ni approcher. On a planté en 3, 3, sur le milieu de l’esto, dans une ligne parallele au tranchant de la lame immobile du ciseau, deux épingles fortes. On pose le coupeau à retoucher contre ces épingles en-dessous ; on applique bien son côté contre l’esto, & l’on enleve avec le ciseau tout ce qui excede. Cet excédent est nécessairement de trop, parce que la distance du ciseau à l’esto est précisément de la hauteur de la carte. Quand on a repassé, on rompt. Rompre, c’est plier un peu les coupeaux, & leur faire le dos un peu convexe. Après avoir rompu les coupeaux, on les mene au petit ciseau. Le petit ciseau est monté précisément comme le grand ; & il n’y a entre eux de différence que la longueur & l’usage. Le grand sert à rogner les feuilles & à les mettre en coupeaux ; & le petit, à mettre les coupeaux en cartes. On rogne, & l’on met en coupeaux les feuilles les unes après les autres ; & les coupeaux en cartes, les uns après les autres. Quand les coupeaux sont divisés, on assortit. Assortir, c’est ranger les cartes divisées par deux rangs de cartes, déterminés par l’ordre qu’elles avoient sur le moule ou sur les feuilles. Il y a entre la place d’une carte sur la feuille & sa place dans le rang, une correspondance telle que dans cette distribution ; toutes les cartes de la même espece, tous les rois, toutes les dames, tous les valets, &c. tombent ensemble : alors on dit qu’elles sont par sortes. Mises par sortes, on les trie. Trier, c’est mettre les blanches avec les blanches, les moins blanches ensemble, & ôter les taches, qu’on appelle le bro, comme nous avons dit. On distingue quatre lots de cartes relativement à leur degré de finesse : celles du premier lot s’appellent la fleur ; celles du second, les premieres ; celles du troisieme, les secondes ; celles du quatrieme & du cinquieme, les triards ou fonds.

Quand on a distribué chaque sorte relativement à sa qualité ou son degré de finesse, on fait la couche, où l’on forme autant de sortes de jeu qu’on a de différens lots ; ensuite on range & on complette les jeux, ce qui s’appelle faire la boutée. on finit par plier les jeux dans les enveloppes ; ce qu’on exécute de maniere que les jeux de fleur se trouvent au-dessus du sixain, afin que si l’acheteur veut examiner ce qu’on lui vend, il tombe nécessairement sur un beau jeu.

On prépare les enveloppes exactement comme les cartes, avec un moule qui porte l’enseigne du Cartier. Mais il y a à l’extrémité de ce moule une petite cavité qui reçoit exactement une piece amovible, sur laquelle on a gravé en lettres le nom de la sorte de jeu que l’enveloppe doit contenir, comme piquet, si c’est du piquet ; médiateur ou comete, si c’est médiateur ou comete : cette piece s’appelle bluteau. Comme il y a deux sortes d’enveloppes, l’une pour les sixains, l’autre pour les jeux, il y a plusieurs moules pour les enveloppes : ces moules ne different qu’en grandeur.

Les cartes se vendent au jeu, au sixain, & à la grosse. Les jeux se distinguent en jeux entiers, en jeux d’hombre, & jeux de piquet.

Les jeux entiers sont composés de cinquante-deux cartes ; quatre rois, quatre dames, quatre valets, quatre dix, quatre neuf, quatre huit, quatre sept, quatre six, quatre cinq, quatre quatre, quatre trois, quatre deux, & quatre as.

Les jeux d’hombre sont composés de quarante cartes, les mêmes que ceux des jeux entiers, excepté les dix, les neuf, & les huit qui y manquent.

Les jeux de piquet sont de trente-deux ; as, rois, dames, valets, dix, neuf, huit, & sept.

On distingue les cartes en deux couleurs principales, les rouges & les noires : les rouges représentent un cœur ou un losange ; les noires un trefle ou un pique : elles sont toutes marquées depuis le roi jusqu’à l’as de cœur, trefle, carreau ou pique.

Celles qu’on appelle roi, sont couronnées & ont différens noms. Le roi de cœur s’appelle Charles ; celui de carreau, César ; celui de trefle, Alexandre ; & celui de pique, David.

Les dames ont aussi leurs noms : la dame de cœur s’appelle Judith ; celle de carreau, Rachel ; celle de trefle, Argine ; & celle de pique, Pallas.

Le valet de cœur se nomme Lahire ; celui de carreau, Hector ; celui de pique, Hogier ; celui de trefle a le nom du Cartier.

Les dix portent dix points sur les trois rangées, quatre, deux, quatre ; les neuf sur les trois rangées, quatre, un, quatre ; les huit sur les trois rangées, trois, deux, trois ; les sept sur les trois rangées, trois, un, trois ; les six sur les deux rangées, trois, trois ; les cinq sur les trois rangées, deux, un, deux ; les quatre sur les deux rangées, deux, deux ; les trois sur une rangée, ainsi que les deux : l’as est au milieu de la carte.

S’il y avoit un moyen de corriger les avares, ce seroit de les instruire de la maniere dont les choses se fabriquent : ce détail pourroit les empêcher de regretter leur argent ; & peut-être s’étonneroient-ils qu’on leur en demande si peu pour une marchandise qui a coûté tant de peine.

On a mis de grands impôts sur les cartes, ainsi que sur le tabac ; cependant je ne pense pas que ceux même qui usent le plus de l’un, & qui se servent le plus des autres, ayent le courage de s’en plaindre. Qui eût jamais pensé que la fureur pour ces deux superfluités, pût s’accroître au point de former un jour deux branches importantes des fermes ? Qu’on n’imagine pas que celle des cartes soit un si petit objet. Il y a tel Cartier qui fabrique jusqu’à deux cents jeux par jour.

Il y auroit un moyen de rendre cette ferme beaucoup plus importante : je le publie d’autant plus volontiers, qu’il ne seroit certainement à charge à personne ; ce seroit de taxer le prix des cartes au-dessous de celui qu’elles ont. Qu’arriveroit-il de là ? qu’il y auroit si peu de différence entre des cartes neuves & des cartes recoupées, qu’on se détermineroit aisément à n’employer que des premieres. Le Fermier & le Cartier y trouveroient leur compte tous deux : ce qui est évident ; car les cartes se recoupent jusqu’à deux fois, & reparoissent par conséquent deux fois sur les tables. Si en diminuant le prix des cartes neuves, on parvenoit à diminuer de moitié la distribution des vieilles cartes, celui qui fabrique & vend par jour deux cents jeux de cartes, qui par la recoupe tiennent lieu de six cents, en pourroit fabriquer & vendre trois cents. Le Cartier regagneroit sur le grand nombre des jeux vendus, ce qu’on lui auroit diminué sur chacun, & la ferme augmenteroit sans vexer personne.

Il est surprenant que nos François qui se piquent si fort de bon goût, & qui veulent le mieux jusque dans les plus petites choses, se soient contentés jusqu’à présent des figures maussades dont les cartes sont peintes : il est évident, par ce qui précede, qu’il n’en coûteroit rien de plus pour y représenter des sujets plus agréables. Cela ne prouve-t-il point qu’il n’est pas aussi commun qu’on le pense, de joüer ou par amusement, ou sans intérêt ? pourvû qu’on tue le tems, ou qu’on gagne, on ne se soucie guere que ce soit avec des cartes bien ou mal peintes.

Carte, (Artificier.) ce mot signifie en général le carton dont se servent les Artificiers. Ils en désignent l’épaisseur par le nombre des feuilles de gros papier gris dont il est composé : ainsi on dit, de la carte en deux, trois, quatre, ou cinq, sans y ajoûter le mot de feuille, qui est sousentendu chez eux & chez les marchands qui les vendent.

On désigne les petites cartes en les appellant cartes à joüer ; & le gros carton plus roide & moins propre au moulage, qui doit être flexible, s’appelle carte-lisse.