L’Encyclopédie/1re édition/OMBRE

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OMBRE, s. f. (Optique.) est un espace privé de lumiere, ou dans lequel la lumiere est affoiblie par l’interposition de quelque corps opaque. Voyez Lumiere.

La théorie des ombres est fort importante dans l’Optique & dans l’Astronomie ; elle est le fondement de la Gnomonique & de la théorie des éclipses. Voyez Cadran, Gnomonique & Eclipse.

En voyant l’ombre suivre exactement toutes les situations du soleil, ou plutôt en observant que les mouvemens de l’ombre sont les mêmes que ceux des rayons, qui parviendroient jusqu’à terre s’ils n’étoient interrompus, l’astronome s’instruit de la marche du soleil par la marche de l’ombre ; il fait tomber ou reçoit l’ombre d’une pyramide, d’un stile ou d’une colonne sur des lignes & sur des points, où elle lui montre tout-d’un-coup & sans efforts de sa part, l’heure, l’élévation du soleil sur l’horison, & jusqu’au point précis du signe céleste sous lequel il se trouve actuellement. Au lieu de l’ombre, on peut faire passer par un trou un rayon vif qui vienne de son extrémité blanchir & désigner parmi des points & des lignes tracés par terre ou ailleurs, l’endroit qui a rapport au progrès du jour ou du mois qui s’écoule. On pratique une petite ouverture ronde ou à la voûte ou à la muraille qui fait ombre du côté du midi, à un pavé ou à un parquet. On étend sur ce pavé une lame de marbre ou de cuivre qui dirige ses extrémités vers les deux poles : on nomme cette ligne méridienne, parce qu’elle embrasse nécessairement tous les points sur lesquels tombera le rayon du soleil chaque jour de l’année, au moment que cet astre est également distant de son lever & de son coucher. Cette diversité y est exprimée par autant de marques qui distinguent précisément les solstices, les équinoxes & les éloignemens journaliers du soleil, depuis l’équateur jusqu’à l’un & l’autre des tropiques dans lesquels sa course est renfermée. Voyez un plus grand détail sur cet objet aux articles Gnomon & Méridienne.

Comme on ne peut rien voir que par le moyen de la lumiere, l’ombre en elle-même est invisible. Lors donc qu’on dit que l’on voit une ombre, on entend que l’on voit des corps qui sont dans l’ombre, & qui sont éclairés par la lumiere que réfléchissent les corps collatéraux, ou qu’on voit les confins de la lumiere.

Si le corps opaque qui jette une ombre est perpendiculaire à l’horison, & que le lieu sur lequel l’ombre est jettée soit horisontal, cette ombre s’appelle ombre droite : telle est l’ombre des hommes, des arbres, des bâtimens, des montagnes, &c.

Si le corps opaque est placé parallelement à l’horison, l’ombre qu’il jette sur un plan perpendiculaire à l’horison se nomme ombre verse.

Lois de la projection des ombres par les corps opaques. 1°. Tout corps opaque jette une ombre dans la même direction que les rayons de lumiere, c’est-à-dire vers la partie opposée à la lumiere. C’est pourquoi à mesure que le corps lumineux ou le corps opaque changent de place, l’ombre en change également.

2°. Tout corps opaque jette autant d’ombres différentes qu’il y a de corps lumineux pour l’éclairer.

3°. Plus le corps lumineux jette de lumiere, plus l’ombre est épaisse. Ainsi l’épaisseur de l’ombre se mesure par les degrés de lumiere dont cet espace est privé. Ce n’est pas que l’ombre qui est une privation de lumiere, soit plus forte pour un corps que pour un autre, mais c’est que plus les environs de l’ombre sont éclairés, plus on la juge épaisse par comparaison.

4°. Si une sphere lumineuse est égale à une sphere opaque qu’elle éclaire, l’ombre que répand cette derniere sera un cylindre, & par conséquent elle sera toujours de la même grandeur, à quelque distance que le corps lumineux soit placé : de sorte qu’en quelque lieu qu’on coupe cette ombre, le plan de la section sera un cercle égal à un grand cercle de la sphere opaque.

5°. Si la sphere lumineuse est plus grande que la sphere opaque, l’ombre formera un cône. Si donc on coupe l’ombre par un plan parallele à la base, le plan de la section sera un cercle, & ce cercle sera d’autant plus petit, qu’il sera plus éloigné de la base.

6°. Si la sphere lumineuse est plus petite que la sphere opaque, l’ombre sera un cône tronqué ; par conséquent elle deviendra toujours de plus grande en plus grande. Donc, si on la coupe par un plan parallele à la base, ce plan sera un cercle d’autant plus petit, qu’il sera plus proche de la base, mais ce cercle sera toujours plus grand qu’un grand cercle de la sphere opaque.

7°. Pour trouver la longueur de l’ombre ou l’axe du cône d’ombre d’une sphere opaque éclairée par une sphere plus grande, les demi-diametres des deux étant comme CG & IM, Pl. d’optique, fig. 12. & les distances entre leurs centres GM étant données, voici comme il faut s’y prendre. Tirez la ligne FM parallele à CH, alors vous aurez IM=CG ; & par conséquent FG sera la différence des demi-diametres GC & IM. Par conséquent comme FG, qui est la différence des demi-diametres, est à GM, qui est la distance des centres, de même CF, qui est le demi diametre de la sphere opaque, est à MH, qui est la distance du sommet du cône d’ombre au centre de la sphere opaque. Si donc la raison de PM à MH est bien petite, de sorte que MH & PM ne different pas considérablement, MH pourra être pris pour l’axe du cône d’ombre, sinon la partie PM doit en être soustraite. Pour la trouver, cherchez la valeur de l’arc LK, car en la soustrayant d’un quart de cercle, il restera l’arc IQ, qui est la mesure de l’angle IMP. Cet arc LK se trouvera aisément, car il est la mesure de l’angle LMK, lequel est égal à l’angle MHI ; or cet angle MHI est un des angles du triangle rectangle MHI, dont les côtés MI & MH sont connus : ainsi on trouvera facilement l’angle MHI. Puis donc que dans le triangle MIP, qui est rectangle en P, nous avons, outre l’angle IMQ, le côté IM, le côté MP est aisé à trouver par la Trigonométrie.

Par exemple, si le demi diametre de la terre MI=1, & qu’on suppose le demi-diametre du soleil de 15 minutes (voyez Diametre), on en conclura que l’angle MIP ou KML n’est que de 16′ : car à cause de la petitesse du globe M par rapport au globe du soleil G, & de la grande distance GM du soleil, l’angle GMF ou KLM est à-peu près égal au demi-diametre du soleil. D’où il s’ensuit que MP n’est qu’environ la 228e partie de MI ou de I, c’est-à-dire dans la raison du sinus de 15′ au sinus total, ou à-peu près comme 15′ à 57 degrés. Voyez Sinus. Donc comme MH contient aussi environ 228 fois MI, il s’ensuit qu’on peut négliger PM par rapport à MH, & prendre MH ou 228 demi-diametres de la terre pour la longueur de l’axe du cône.

On voit par la solution précédente que la distance GM du corps opaque au corps lumineux est toujours en rapport constant avec la longueur MH de l’axe du cône, puisque le rapport de ces deux signes est égal à celui qu’il y a entre la différence FG des demi-diametres, & le demi-diametre MI du corps opaque. D’où il est aisé de conclure que si la distance GM diminue, il faut diminuer pareillement la longueur de l’ombre ; par conséquent l’ombre diminuera continuellement à mesure que le corps opaque approchera du corps lumineux.

8o. Trouver la longueur de l’ombre que fait un corps opaque T S, fig. 13, la hauteur du corps lumineux, par exemple du soleil au-dessus de l’horison (c’est à-dire l’angle SUT), & la hauteur du corps étant donnés. Puisque dans le triangle rectangle STUT est un angle droit, l’angle U & le côté TS sont donnés, on trouvera par la Trigonométrie la longueur de l’ombre U T. Voyez Triangle.

Ainsi, supposé que la hauteur du soleil est de 37°. 45′. & la hauteur d’une tour 178 piés, TU sera 241 piés .

9o. La longueur de l’ombre TU & la hauteur du corps opaque TS étant données, trouver la hauteur du soleil au-dessus de l’horison.

Puisque dans le triangle rectangle STU, qui est rectangle en T, les côtés TU & TS sont donnés, on trouve l’angle U par la proportion suivante. Comme la longueur de l’ombre TU est à la hauteur du corps opaque TS, de même le sinus total est à la tangente de la hauteur du soleil au-dessus de l’horison. Ainsi, si TS est 30 piés & TU 45, TUS sera 33°. 41′.

10°. Si la hauteur du corps lumineux, par exemple du soleil sur l’horison TUS, est 45° ? la longueur de l’ombre TU est égale à la hauteur du corps opaque ; car alors l’angle U étant de 45 degrés, l’angle TSU est aussi de 45 degrés, & par conséquent les côtés TS, TU opposés à ces angles sont égaux.

11°. Les longueurs des ombres T Z & TU du même corps opaque TS, à différentes hauteurs du corps lumineux, sont comme les cotangentes de ces hauteurs, ou, ce qui revient au même, comme les tangentes des angles TSU, complémens des hauteurs SUT.

Ainsi, comme la cotangente d’un angle plus grand est moindre que celle d’un angle plus petit, plus le corps lumineux est haut, c’est-à dire plus l’angle SUT est grand, plus l’ombre diminue ; c’est pour cela que les ombres à midi sont plus longues en hiver qu’en été.

12°. Pour mesurer la hauteur de quelque objet, par exemple, d’une tour AB, fig. 14, par le moyen de son ombre projettée sur un plan horisontal ; à l’extrémité de l’ombre de la tour C enfoncez un bâton, & mesurez la longueur de l’ombre AC : enfoncez un autre bâton en terre dont la hauteur DE soit connue, & mesurez la longueur de son ombre EF ; alors dites, comme EF est à AC, ainsi DE est à AB. Si donc AC est 45 piés, EF 4 & ED 5 piés, AB sera 36 piés.

13°. L’ombre droite est à la hauteur du corps opaque, comme le cosinus de la hauteur du corps lumineux est au sinus de cette même hauteur.

14°. La hauteur du corps lumineux demeurant la même, le corps opaque AC, fig. 15, sera à l’ombre verse AD, comme l’ombre droite EB est au corps opaque DB.

Ainsi, 1o. le corps opaque est à l’ombre verse comme le co-sinus de la hauteur du corps lumineux est à son sinus ; par conséquent l’ombre verse AD est au corps opaque AD, comme le sinus de la hauteur du corps lumineux est à son co-sinus. 2o. Si DB=AC, alors DB sera une moyenne proportionnelle entre EB & AD, c’est-à-dire que la longueur du corps opaque sera moyenne proportionnelle entre son ombre droite & son ombre verse. 3o. Quand l’angle C est 45°. le sinus & le co-sinus sont égaux, & par conséquent l’ombre verse est égale à la longueur du corps opaque.

Pour trouver l’ombre d’un corps irrégulier quelconque exposé à un corps lumineux de figure quelconque, il faut imaginer de chaque point du corps lumineux une espece de pyramide ou cône de rayons qui viennent raser le corps, de maniere qu’on ait autant de pyramides qu’il y a de points dans le corps lumineux ; & l’ombre parfaite du corps sera contenue dans l’espace ou portion d’espace qui sera commune à toutes ces pyramides : car il est visible que cet espace ne recevra aucun rayon de lumiere. Toutes les autres portions d’espace qui ne recevront pas de rayons de quelques points, mais qui en recevront de quelques autres, seront dans la penombre, & cette penombre sera plus ou moins dense à différens endroits, selon qu’il tombera en ces endroits des rayons d’un moindre ou d’un plus grand nombre de points du corps lumineux. Voyez Penombre.

La théorie des ombres des corps & de leur penombre est très-utile dans l’Astronomie, pour le calcul des éclipses. Voyez Eclipse.

Les ombres droites & les ombres verses sont de quelque utilité dans l’arpentage, en ce que par leur moyen on peut assez commodément mesurer les hauteurs, soit accessibles, soit inaccessibles. On se sert des ombres droites quand l’ombre n’excede point la hauteur, & des ombres verses quand l’ombre est plus grande que la hauteur. Pour cet effet on a imaginé un instrument qu’on appelle ligne des ombres, au moyen duquel on détermine les rapports des ombres droites & des ombres verses de tout objet à sa hauteur.

Au reste, il n’est pas inutile de remarquer que tout ce qu’on démontre, soit dans l’optique, soit dans la perspective sur les ombres des corps, est exact à la vérité du côté mathématique ; mais que si on traite cette matiere physiquement, elle devient alors fort différente. L’explication des effets de la nature dépend presque toujours d’une géométrie si compliquée, qu’il est rare que ces effets s’accordent avec ce que nous en aurions attendu par nos calculs. Il est donc nécessaire dans les matieres physiques, & par conséquent dans le sujet que nous traitons, de joindre l’expérience à la spéculation, soit pour confirmer quelquefois celle-ci, soit pour voir jusqu’où elle s’en écarte, afin de déterminer, s’il est possible, la cause de cette différence.

Ainsi on trouve, par exemple, dans la théorie que l’ombre de la terre doit s’étendre jusqu’à 110 de ses diametres ; & comme la lune n’en est éloignée que d’environ 60 diametres, il s’ensuivroit de-là que quand elle tomberoit ou toute entiere ou en partie dans l’ombre de la terre, cet astre tout entier ou sa partie éclipsée devroit disparoître entierement, comme quand la lune est nouvelle, puisqu’alors la lune entiere ou sa partie éclipsée ne recevroit aucun des rayons du soleil. Cependant elle ne disparoît jamais ; elle paroît seulement rougeâtre & pâle, même au plus fort de l’éclipse, ce qui prouve qu’elle n’est que dans la pénombre, & qu’ainsi l’ombre de la terre ne s’étend pas jusqu’à 110 de ses diametres.

Feu M. Maraldi voulant éclaircir ce phénomene, a fait des expériences en plein soleil avec des cylindres & des globes, pour voir jusqu’où s’étend leur ombre véritable. Voyez mémoires de l’acad. 1711. Il a trouvé que cette ombre, qui devroit s’étendre à environ 110 diametres du cylindre ou du globe, ne s’étend, en demeurant toujours également noire, qu’à une distance d’environ 41 diametres. Cette distance devient plus grande quand le soleil est moins lumineux. Passé la distance de 41 diametres, le milieu dégénere en pénombre, & il ne reste de l’ombre totale que deux traits fort noirs & étroits qui terminent de part & d’autre la pénombre, suivant la longueur. Ces deux traits sont de la noirceur qui appartient à l’ombre véritable ; l’espace qu’occupe la fausse pénombre & ces deux traits, appartiendroit à l’ombre véritable, parce qu’il est de la largeur qui convient à celle-ci. La largeur de la fausse pénombre diminue & s’éclaircit à mesure qu’on s’éloigne, & les deux traits noirs gardent toujours la même largeur. Enfin, à la distance d’environ 110 diametres, la fausse pénombre disparoît, les deux traits noirs se confondent en un, après quoi l’ombre véritable disparoît entierement, & on ne voit plus que la pénombre. Il faut remarquer que la vraie pénombre qui doit dans la théorie entourer & renfermer l’ombre véritable, accompagne des deux côtés les deux traits noirs d’ombre.

Quand l’ombre est reçue assez proche du cylindre, & qu’elle n’a pas encore dégénéré en fausse pénombre, on voit autour de la vraie pénombre, des deux côtés & en dehors, deux traits d’une lumiere plus éclatante que celle même qui vient directement du soleil, & ces deux traits s’affoiblissent en s’éloignant.

M. Maraldi, pour expliquer ce phénomene, prétend que les rayons de lumiere qui rasent ou touchent le corps opaque, & qui devroient renfermer l’ombre, ne continuent pas leur chemin en ligne droite après avoir rasé le corps, mais se rompent & se replient vers le corps, de maniere qu’ils entrent dans l’espace où il ne devroit point du tout y avoir de lumiere, si les rayons continuoient leur chemin en ligne droite. Il compare les rayons de lumiere à un fluide qui rencontre un obstacle dans son cours, comme l’eau d’une riviere qui vient frapper la pile d’un pont, & qui tourne en partie autour de la pile, de maniere qu’elle entre dans l’espace où elle ne devroit point entrer si elle suivoit la direction des deux tangentes de la pile. Selon M. Maraldi, les rayons de lumiere tournent de la même façon autour des cylindres & des globes ; d’où il résulte, 1°. que l’ombre réelle ou l’espace entierement privé de lumiere, s’étend beaucoup moins qu’à la distance de 110 diametres ; 2°. que les deux bords ou arcs du cylindre autour desquels les rayons tournent, n’en étant nullement éclairés, doivent toujours jetter une ombre véritable ; & voilà les deux traits noirs qui enferment la fausse pénombre, & dont rien ne peut faire varier la largeur. Comme ces bords sont des surfaces physiques qui par leurs inégalités causent des réflexions dans les rayons, ce sont ces rayons réfléchis qui tombant au-dehors de la vraie pénombre, & se joignant à la lumiere directe qui y tombe aussi, forment par-là une lumiere plus éclatante que la lumiere directe. Cette lumiere s’affoiblit en s’éloignant, parce que la même quantité de rayons occupe toujours une plus grande étendue ; car les rayons qui sont tombés paralleles sur le cylindre, vont en s’écartant après la réflexion.

Si on se sert de globes au lieu de cylindres, l’ombre disparoît beaucoup plûtôt, savoir à 15 ou 16 diametres ; elle se change alors en une fausse pénombre entourée d’un anneau noir circulaire, puis d’un anneau de vraie pénombre, & ensuite d’un autre anneau de lumiere fort éclatante. La fausse pénombre disparoît à 110 diametres, & l’anneau qui l’environne se change en une tache noire obscure ; passé cette distance, on ne voit plus que la pénombre. M. Maraldi croit que la raison pour laquelle l’ombre disparoît beaucoup plutôt avec des globes qu’avec des cylindres, c’est que la figure des globes est plus propre à faire tourner les rayons de lumiere que la figure du cylindre.

L’ombre de la terre ne s’étend donc qu’à 15 ou 16 diametres, & ainsi il n’est pas surprenant que la lune ne soit pas totalement obscurcie dans les éclipses. Mais nous avons vu que la fausse pénombre est toujours entourée d’un anneau noir jusqu’à la distance de 110 diametres : ainsi, suivant cette expérience, il paroîtroit s’ensuivre que la lune devroit paroître totalement obscurcie au commencement & à la fin de l’éclipse, ce qui est contre les observations. M. Maraldi, pour expliquer ce fait, dit que l’atmosphere de la terre doit avoir son ombre à l’endroit où devroit être l’anneau noir ; & comme cette ombre est fort claire à cause de la grande quantité de rayons que l’atmosphere laisse passer, elle doit, selon lui, éclairer l’anneau obscur, & le rendre à-peu-près aussi lumineux que la fausse pénombre. Mais suivant cette explication, la prétendue clarté de l’anneau noir devroit être d’autant moindre que la distance seroit plus grande ; & cependant les observations & la théorie prouvent que la pénombre est d’autant plus claire que la distance est plus grande. M. Maraldi ne se dissimule pas cette objection ; & pour y répondre, il croit qu’on doit attendre des observations plus décisives sur la différente obscurité de la lune éclipsée. Quoi qu’il en soit, & quelle que doive être l’ombre de la terre, les expériences que nous venons de rapporter n’en sont pas moins certaines & moins curieuses.

Le P. Grimaldi a observé le premier qu’en introduisant la lumiere du soleil par un trou fait à la fenêtre d’une chambre obscure, l’ombre des corps minces cylindriques, comme un cheveu, une aiguille, &c. exposés à cette lumiere, étoit beaucoup plus grande qu’elle ne devroit être, si les rayons qui rasent ce corps & qui doivent en terminer l’ombre, suivoient exactement la ligne droite. M. Newton a observé après lui ce phénomene. Le P. Grimaldi l’attribue à une diffraction des rayons, c’est-à-dire qu’il prétend que les deux rayons extrèmes qui rencontrent le corps & qui en sont les tangentes, ne suivent pas cette direction de tangentes, mais s’en écartent au-dehors, comme s’ils fuyoient les bords qu’ils ont rencontrés. M. Newton a adopté cette explication, & en a fait voir l’accord avec son système général de l’attraction. M. Maraldi, après avoir répété ces mêmes expériences, a cru devoir en donner une autre explication : on en peut voir le détail dans les mémoires de l’académie de 1723. Nous nous contenterons de dire ici que ces expériences & l’explication qu’il en donne ont beaucoup de rapport avec les expériences que nous avons rapportées sur les globes & les cylindres, & avec l’explication que ce même auteur en donne. Voyez Diffraction. Jusqu’ici nous avons supposé que les points qui sont dans l’ombre d’un corps sont absolument privés de lumiere, & cela est vrai mathématiquement, en ne considérant qu’un corps isolé ; mais il n’en est pas ainsi dans la nature : on peut regarder l’ombre, physiquement parlant, comme une lumiere diminuée. Dans ce sens elle n’est pas un néant comme les ténebres : des lois invariables aussi anciennes que le monde, font rejaillir la lumiere d’un corps sur un autre, & de celui-ci successivement sur un troisieme, puis en continuant sur d’autres, comme par autant de cascades ; mais toujours avec de nouvelles dégradations d’une chûte à l’autre. Sans le secours de ces sages lois, tout ce qui n’est pas immédiatement & sans obstacle sous le soleil, seroit dans une nuit totale. Le passage du côté des objets qui est éclairé à celui que le soleil ne voit pas, seroit dans toute la nature comme le passage des dehors de la terre à l’intérieur des caves & des antres. Mais par un effet des ressorts puissans que Dieu fait jouer dans chaque parcelle de cette substance légere, elle pousse tous les corps sur lesquels elle arrive, & en est repoussée, tant par son ressort que par la résistance qu’elle y éprouve. Elle bondit de dessus les corps qu’elle a frappés & rendus brillans par son impression directe : elle est portée de ceux-là sur ceux des environs ; & quoiqu’elle passe ainsi des uns aux autres avec une perte toujours nouvelle, elle nous montre ceux mêmes qui n’étoient point tournés vers le soleil.

L’écarlate semble changer de nature en passant dans l’ombre ; elle change encore en passant dans une ombre plus forte. Tous les corps, même ceux qui ont les couleurs les plus claires, se rembrunissent à mesure qu’ils se détournent des traits du soleil & des premieres réflexions de la lumiere, ce qui met partout des différences ; car en relevant ou détachant un objet par le secours d’un fond ou d’un voisinage plus ou moins brun, elle embellit, elle caractérise & démêle à nos yeux ce que l’éloignement ou l’uniformité de la couleur auroit confondu.

L’étude du mélange & des diminutions graduelles de la lumiere & des ombres, fait une des plus grandes parties de la Peinture. En vain le peintre sait-il composer un sujet, bien placer ses figures & dessiner le tout correctement, s’il ne sait pas par les affoiblissemens & par les justes degrés du clair & de l’obscur, rapprocher certains objets, en reculer d’autres, & leur donner à tous du contour, des distances, de la fuite, un air de vérité & de vie.

Les Graveurs, pour multiplier les copies des plus riches tableaux, ne mettent point d’autre couleur en œuvre que le blanc de leur papier, qu’ils convertissent en tant d’objets qu’ils veulent, par les masses & par les degrés d’ombre qu’ils y jettent ; ou bien tout au contraire ils sillonnent de gros traits leur cuivre : ensorte que le papier qu’on appliqueroit sur cette planche noircie, ne présenteroit après l’impression qu’une ombre uniforme ou une noirceur universelle. Ils effacent ensuite sur ce cuivre plus ou moins de ces traits : les points d’ombre affoiblis deviennent autant de points de l’objet ; & plus ces points d’ombre sont applanis & bien effacés, plus les objets deviennent forts & relevés. M. Formey.

Ombre en perspective est la représentation de l’ombre d’un corps sur un plan. Elle differe de l’ombre réelle comme la représentation ou la perspective du corps differe du corps même. L’apparence d’un corps opaque & d’un corps lumineux dont les rayons sont divergens (par exemple d’une chandelle, d’une lampe, &c.), étant donnée, trouver l’apparence de l’ombre suivant les lois de la Perspective : en voici la méthode. Du corps lumineux qu’on considere dans ce cas comme un point, & qu’on suppose déjà rapporté sur le plan du tableau, de maniere qu’on sache en quel endroit l’œil doit le voir, laissez tomber une perpendiculaire sur le plan géométral, c’est-à-dire trouvez dans ce plan la position du point sur lequel tombe une perpendiculaire tirée du milieu du corps lumineux ; & des différens angles ou points élevés de ce corps, tracé scenographiquement, laissez tomber des perpendiculaires sur le plan : joignez ces points sur lesquels tombent les perpendiculaires par des lignes droites, avec le point sur lequel tombe la perpendiculaire qu’on a laissé tomber du corps lumineux ; & continuez ces lignes vers le côté opposé au corps lumineux ; enfin par les angles les plus élevés du corps opaque, & par le centre du corps lumineux tirez des lignes qui coupent les premieres, les points d’intersection sont les termes ou les limites de l’ombre.

Par exemple, supposez qu’on demande de projetter l’apparence de l’ombre d’un prisme ABCDED, Pl. de Perspective, fig. 8. n°. 2, tracé scénographiquement ; comme les lignes AD, BE & CF sont perpendiculaires au plan géométral, & que LM est pareillement perpendiculaire au même plan (car le corps lumineux est donné si la hauteur LM est donnée), tirez les lignes droites GM & HM par les points MD & E ; par les points élevés A & B, tirez les lignes droites GL & HL, qui coupent les premieres en G & en H. Comme l’ombre de la ligne droite AD se termine en G, & l’ombre de la ligne droide BE en H, & que les ombres de toutes les autres lignes droites conçues dans le prisme donné sont comprises entre les points GHDE ; GDEH sera l’apparence de l’ombre projettée par le prisme.

Cette construction suppose au reste que l’élévation de l’œil soit la même que celle du corps lumineux. Mais en général, quelle que soit la position de l’œil, on peut avoir la perspective de l’ombre par les regles ordinaires, en regardant l’ombre comme une figure donnée.

M. l’abbé de Gua a démontré, dans les usages de l’analyse de Descartes, que la projection de l’ombre d’une courbe sur un plan quelconque, étoit une autre courbe du même ordre ; ce qu’il est très-aisé de prouver en considérant que l’équation entre les coordonnées de l’ombre montera toujours au même degré que l’équation entre les co-ordonnées de la courbe. Cette proposition est analogue à celle-ci, que la section d’un cône quelconque par un plan quelconque, est toujours du même degré que la courbe qui est la base du cône. Pour la démonstration de ces deux propositions, il ne faut que deux ou trois triangles semblables, au moyen desquels on verra que les co-ordonnées de la courbe & de l’ombre seront réciproquement exprimées par des équations où ces coordonnées ne monteront qu’au premier degré : d’où il est aisé de voir que les équations de la courbe & de l’ombre seront aussi du même degré. On peut voir le détail de la démonstration dans l’ouvrage cité de M. l’abbé de Gua. (O)

Sur la génération des courbes par les ombres, voyez l’article Courbe.

Ombre, (Géog.) obscurité causée par un corps opaque opposé à la lumiere ; la Géographie considere principalement l’ombre causée dans la lumiere du soleil, & en tire plusieurs usages que nous allons expliquer sommairement.

Les hommes ont remarqué de bonne-heure que lorsque le soleil éclaire l’hémisphere où ils sont, tous les corps élevés, comme les arbres, les hommes eux-mêmes, jettent une ombre ; mais elle ne va pas toujours du même côté. Elle est infailliblement en ligne droite avec le corps opaque & le soleil ; & comme cet astre parcourt successivement divers points de l’horison, l’ombre le suit fidellement dans son cours, & est tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Par exemple, si l’on plante perpendiculairement une perche bien droite dans un champ, après en avoir observé l’ombre à midi, on verra que l’ombre de six heures du matin & de six heures du soir, font ensemble une ligne droite qui coupe à angles droits l’ombre du midi au pié de la perche. A quelque heure du jour que ce soit, l’ombre que jette un corps élevé perpendiculairement est toujours en droite ligne avec le corps lumineux.

Les soleil semble sortir de l’horison, il s’éleve jusqu’à midi, après quoi il descend, & se perd dans l’horison qui nous le dérobe peu à peu, & enfin il disparoît entierement. Ces différens degrés de hauteur mettent une extrème variété entre les différentes longueurs des ombres. Plus il est bas, plus elles sont longues ; plus il est haut, plus elles sont courtes. Il s’ensuit qu’étant au point de midi dans la plus grande hauteur où il puisse être ce jour-là ; l’ombre la plus courte est celle que donne alors le corps élevé.

Le soleil n’est pas toujours dans la même hauteur à son midi par rapport à nous : durant les équinoxes, il est dans l’équateur : il s’en écarte ensuite pour s’avancer de jour en jour vers l’un ou vers l’autre tropique. Quand il est au tropique du capricorne, ce qui arrive au solstice d’hiver, il est dans son plus grand éloignement par rapport à nous. Il s’éleve beaucoup moins haut que quand il est dans l’équateur, & par conséquent l’ombre du midi, quoique la plus courte de celles de tout ce jour-là est plus longue à proportion, que celles du midi des jours où il est dans l’équateur.

Après être arrivé au tropique d’hiver, il se rapproche de jour en jour de l’équateur, & la longueur de l’ombre à midi décroît à proportion jusqu’à l’équinoxe du printems, alors il avance vers le tropique du cancer, & comme par-là il se rapproche encore plus de nous, l’ombre de midi continue à s’accourcir à proportion, parce qu’alors il s’éleve d’autant plus par rapport à notre pays.

Il est donc aisé de comprendre que les saisons mettent une grande différence entre la longueur des ombres à midi. Celles du solstice d’été sont les plus courtes ; celles du solstice d’hiver sont les plus longues ; celles des équinoxes sont moyennes entre ces deux longueurs. Plus les climats que nous habitons sont éloignés de l’équateur terrestre (car la terre a aussi le sien) plus l’ombre méridienne d’un corps élevé doit être longue, à proportion de l’éloignement. Cela s’ensuit naturellement des principes qui viennent d’être déduits. Prenons un même jour, par exemple, le premier Juin à midi, l’ombre d’une perche de douze piés sera plus longue en Suede qu’à Paris, & à Paris qu’à Alger. Cela est facile à concevoir.

Ceci posé, l’ombre peut servir à connoître combien les lieux sont plus proches ou plus éloignés de l’équateur ; elle peut aussi servir à déterminer la durée des saisons ; aussi voyons-nous que dans la plus haute antiquité, les nations savantes ont élevé des colonnes ou des obélisques, dont l’ombre étant observée par d’habiles gens, servoit à déterminer le cours du soleil & les saisons qui en dépendent.

Ces colonnes, ces obélisques des anciens surmontés d’une boule, n’étoient pas un simple ornement, mais un instrument de mathématique qui servoit à décrire sur le terrein par le moyen de l’ombre, le chemin que le soleil fait ou semble faire dans le ciel. Une preuve décisive de l’ancienneté de ces obélisques ; c’est qu’on en voit sur des médailles grecques antiques, & antérieures à Pythéas de Marseille. Telle est entr’autres celle de Philippe, roi de Macédoine, rapportée par Goltzius. t. III. tab. xxx. n. 5.

L’ombre d’un obélisque à sa pointe, répond au bord supérieur du soleil : pour avoir le point central du soleil, il faut quelque chose qui rectifie cela. En mettant une boule, le centre de l’ombre qu’elle forme, donne ce point sans autre opération, ce qui est une facilité. La différence qui résulte du calcul de l’ombre d’un obélisque, avec, ou sans cette boule, est considérable, puisqu’elle est de tout le demi-diametre du soleil ; & cette différence doit être observée pour la justesse du calcul astronomique.

Ces obélisques ont été appellés gnomon, γνώμων, mot qui en grec signifie ce qui montre, ce qui marque, ce qui fait connoître, & que l’on a adopté en notre langue. La science de l’ombre a recommencé à être cultivée avec succès en ces derniers siecles, & a produit cette variété prodigieuse de cadrans solaires pour toutes les expositions possibles.

Ce que nous avons dit jusqu’à présent des ombres ne convient généralement qu’aux peuples situés entre l’équateur & le pole septentrional, vers lequel leur ombre est toujours tournée à midi. Au-de-là de l’équateur, c’est tout le contraire. L’ombre d’un objet élevé se tourne toujours vers le sud, lorsqu’il est midi. Cela se conclud sans peine du principe général, que l’ombre est toujours opposée en droite ligne au corps lumineux. Puisque les habitans de ce pays-là sont entre la ligne du soleil & le pole méridional, il faut qu’à midi leur ombre soit tournée nécessairement vers ce pole.

Pour distinguer les ombres, on les nomme du nom de la partie du monde vers laquelle elles se jettent ; l’ombre d’une pyramide à six heures du matin est occidentale, à midi septentrionale pour nous, meridionale pour les peuples au-delà de l’équateur, & à six heures du soir elle est orientale ; ceci n’a pas besoin d’être prouvé.

Les Grecs appellent l’ombre σκία ; de-là viennent tous ces mots terminés en scii, & formés de diverses propositions, comme α, sans ; ἀμφὶς, de deux côtés ; περὶ, tout à l’entour, ou du mot ἑτερος, l’un ou l’autre ; & ces mots que les géographes latins ont emprunté des Grecs, ont servi à distinguer les habitans du globe terrestre par la différence des ombres.

Ainsi on appelle asciens, ascii, du mot ἀσκιος, sans ombre, les peuples qui à midi n’ont point d’ombre, ce qui ne convient qu’aux peuples situés entre deux tropiques : car en certains tems de l’année, ils ont à midi le soleil à leur zénith ; ou pour dire la même chose en termes vulgaires, le soleil passe à plomb sur leurs têtes, de façon que leur ombre est alors sous eux. Cela n’arrive pas en même tems à tous les peuples situés entre les deux tropiques, mais successivement & à mesure que le soleil s’approche du tropique vers lequel ils sont ; par exemple, tous les peuples qui sont sous l’équateur n’ont point d’ombre à midi dans le tems des équinoxes. Ils ne commencent à en avoir, que quand il s’éloigne vers l’un ou vers l’autre des tropiques : alors ceux qui sont entre l’équateur & le tropique, dont le soleil s’approche de jour en jour, deviennent asciens, ou sans ombre à midi, à mesure que le soleil passe par leur parallele.

Les amphisciens, amphiscii, sont ceux qui ont deux ombres différentes, c’est-à-dire dont l’ombre est alternativement septentrionale ou méridionale ; cela est commun aux peuples qui habitent la zone torride. Supposons une pyramide ou un obélisque sur la côte d’or en Guinée au bord de la mer, auprès de Saint George de la Mine ou Elmina, comme l’appellent les Hollandois, ou en tel autre lieu de cette côte ; lorsque le soleil est par les 3d environ 30′, cette pyramide ou cet obélisque sera sans ombre ; mais lorsqu’il s’avance vers le tropique du cancer, ou qu’il en revient, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ce parallele que nous avons dit de 3 deg. environ 30 min. l’ombre de la pyramide ou de cet obélisque sera méridionale & tombera dans la mer. Au contraire, lorsque le soleil aura repassé ce parallele, l’ombre de la pyramide ou de l’obélisque sera septentrionale, & tombera dans les terres.

Il faut bien se ressouvenir que nous ne parlons ici que de l’ombre de l’instant du midi vrai. Le lecteur se rappellera aussi ce que nous avons dit de l’ombre de six heures du matin, & de celle de six heures du soir, qui, quoique jettées l’une à l’occident, l’autre à l’orient, font ensemble une ligne droite continuée aux deux côtés de la perche, dont le pié les unit. Il en est de même de l’ombre méridionale ou septentrionale qu’aura successivement la pyramide dont nous parlons ; ces deux ombres feront ensemble une ligne droite.

Les perisciens, periscii, sont ceux dont les ombres tournent autour d’eux. On sait que les peuples qui demeureroient sous un des poles, n’auroient dans toute l’année qu’un jour de six mois, & une nuit d’une égale durée ; or il est aisé de comprendre que ne perdant de vûe le soleil qui ne quitte point leur horison pendant six mois, leur ombre devroit tourner autour d’eux autant de fois qu’il y a de jours de vingt-quatre heures, dans ces six mois de jour perpétuel dont ils jouiroient. Il est ici question de l’ombre perpétuelle, & de toutes les heures, & non pas de l’ombre méridienne qui est toujours tournée du même côté, selon le pole.

Mais si l’on conçoit que le méridien ne se termine pas au pole, & qu’il se continue au delà en faisant un cercle entier, alors le soleil coupe deux fois le méridien, une fois à midi, & l’autre fois à minuit. Pour nous il disparoît, & lorsqu’il parcourt la partie inférieure de notre méridien, il ne peut nous donner d’ombre puisque sa lumiere nous est cachée ; mais les peuples que nous supposons sous le pole, ne cessent point de le voir pendant six mois, puisqu’il ne quitte point leur horison. Alors l’ombre de midi & l’ombre de minuit, tracées sur une même ligne qui est le méridien, se jettent en deux parties opposées, & font ensemble une ligne droite ; & ces deux ombres sont à douze heures l’une de l’autre. Si le corps élevé qui forme l’ombre, est précisément sous le pole, les deux ombres seront également tournées vers le midi. S’il est à quelque distance, l’ombre à midi sera septentrionale, & à minuit méridionale.

Les hétérosciens, heteroscii, sont les peuples dont l’ombre méridienne est toujours tournée du même côté. Cela convient à ceux qui habitent entre le tropique & le cercle polaire. Ceux qui sont au nord du tropique, ont toujours l’ombre méridienne septentrionale : ceux qui vivent au sud du tropique du capricorne, ont toujours l’ombre méridienne au midi.

Les peuples situés sous l’un ou l’autre des deux tropiques, n’ont point d’ombre quand le soleil est arrive a leur tropique. Le reste de l’année, ils ont une ombre qui est toujours la même à midi. C’est ce que les Géographes expriment par ces paroles, qu’ils sont asciens & hétérosciens.

Les peuples de la zone torride, situés entre les deux tropiques, n’ont point d’ombre quand le soleil passe par leur parallele ; mais dès qu’il s’en écarte, ils ont une ombre qui est ou septentrionale ou méridionale, selon qu’il avance vers l’un ou vers l’autre tropique ; c’est ce que veulent dire ces mots osciens & amphisciens.

Les peuples des zones tempérées n’ont qu’une ombre, qui est toujours ou septentrionale ou méridionale, comme nous l’avons expliqué ci dessus. Ainsi ils sont hétérosciens, & ne sauroient être asciens, parce que le soleil n’arrive jamais à leur parallele.

Les peuples des zones froides ont toujours durant six mois, le soleil qui tourne autour d’eux, & fait tourner leur ombre de même. Il coupe deux fois en vingt-quatre heures le méridien ; ainsi ils sont Périsciens, comme nous l’avons dit ci-dessus. (D. J.)

Ombre, Umbre, Maigre, Dainc, umbra, (Histoire naturelle, Ictiologie.) poisson de mer que l’on a nommé ombre parce qu’il a sur les côtés du corps des bandes transversales d’une couleur jaune, obscure & de différentes teintes ; ces bandes représentent des ombres par leur position ; il y a successivement depuis la tête jusqu’à la queue une bande de couleur foncée, & une autre d’une couleur plus claire. Ce poisson est plus grand que le corps, il a le même nombre de nageoires ; mais elles sont plus courtes & moins noires, principalement celles du ventre & du dos. Il est de couleur noirâtre, & il a un tubercule placé à l’extrémité de la mâchoire inférieure ; la tête est couverte de petites écailles. Il y a devant les yeux deux enfoncemens un peu grands, & plusieurs petits sur la mâchoire inférieure. Les mâchoires sont entierement dépourvûes de dents. L’ombre a la chair blanche séche, & d’un goût très-bon, mais elle est difficile à digérer. On sert ce poisson sur les meilleures tables. Rondelet, hist. des poissons I. part. liv. V. chap. jx. Voyez Poissons.

Ombre de riviere, umbra fluviatilis, poisson de riviere auquel on a donné le nom d’ombre, à cause de sa couleur brune ; il croît jusqu’à une coudée ; il a deux nageoires sur le dos, deux sur le ventre & une à chaque ouie : il ressemble à la truite, mais il a la tête plus longue & la bouche plus petite. Les mâchoires sont dépourvûes de dents, & moins pointues que dans la truite : les yeux sont fort ouverts, la queue est large & fourchue. Il y a sur les côtés du corps une ligne de couleur obscure, qui s’étend depuis les ouies jusqu’à la queue. La chair de ce poisson est blanche, seche & de bon goût. Rondelet, hist. des poissons, I. part. chap. iij. Voyez Poisson.

Ombre, terre d’(Hist. nat. Minéral. & Peint.) umbra, creta umbria. C’est une terre d’un brun plus ou moins foncé ; elle est légere & en poussiere ; elle a la proprieté de s’enflammer dans le feu, & de répandre une odeur fétide. Son nom paroît venir de l’Ombrie, pays d’Italie, d’où il vient sous ce nom une terre d’un brun clair. La terre de Cologne est une terre colorée plus foncée.

La propriété que la terre d’ombre a de s’enflammer & de répandre une odeur désagréable, fait voir qu’elle contient une substance bitumineuse de la nature du charbon de terre.

M. Emanuel Mendez d’Acosta, dans son hist. nat. des fossiles, p. 101. & ss. met la terre d’ombre au rang des ochres ; il parle d’une terre d’ombre trouvée en Angleterre qui produisit un phénomene très-curieux. Une personne ayant pulvérisé cette terre d’ombre & l’ayant mêlée avec de l’huile de lin, pour la broyer & s’en servir à peindre, en fit un tas, après quoi il sortit de sa chambre, & à son retour au bout de trois quart-d’heures, il trouva que ce tas s’étoit enflammé de lui-même, & répandoit une odeur insupportable. La même expérience a été réiterée à Londres avec le même succès. Cette terre d’ombre avoit été tirée d’une mine de plomb de la province de Derbyshire, à environ dix brasses de profondeur au-dessous de la surface de la terre ; on dit qu’il y en a une couche fort épaisse.

Il y auroit lieu de croire, que cette inflammation spontanée est venue de quelques portions d’alun, contenues dans cette terre, qui a fait avec l’huile de lin une espece de pyrophore. (—)

Ombre, (Littér.) umbra. Les latins appelloient ombres, ceux qu’un convié amenoit de son chef à un festin d’invitation. Plutarque a fait là-dessus un grand chapitre dans le septieme livre de ses propos de table. (D. J.)

Ombre, (Mythol.) dans le système de la théologie payenne, ce qu’on appelloit ombre, n’étoit ni le corps, ni l’ame, mais quelque chose qui tenoit le milieu entre le corps & l’ame, quelque chose qui avoit la figure & les qualités du corps de l’homme, & qui servoit comme d’enveloppe à l’ame, c’est ce que les Grecs appelloient idolon ou phantasma, & les latins umbra, simulachrum ; ce n’étoit donc ni le corps, ni l’ame qui descendoit dans les enfers, mais uniquement cette ombre. Ulysse voit l’ombre d’Hercule dans les champs élisés, pendant que ce héros est dans les cieux. Il n’étoit pas permis aux ombres de traverser le styx, avant que leurs corps eussent été mis dans un tombeau ; mais elles étoient errantes sur le rivage pendant cent ans, au bout desquels elles passoient enfin à cet autre bord si désiré. (D. J.)

Ombre, (terme de Blason.) ce mot se dit de l’image d’un corps qui est si déliée qu’on voit le champ de l’écu à travers. On nomme aussi ombre de soleil, ses représentations où on ne figure pas un nez, des yeux, une bouche, comme on fait ordinairement. Ménétrier.