Kalevala/trad. Léouzon le Duc (1867)/24

Traduction par Louis Léouzon le Duc.
A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie (p. 230-241).

VINGT-QUATRIÈME RUNO

sommaire.
On enseigne à Ilmarinen comment il doit traiter sa jeune épouse. — Un vieux mendiant intervient et raconte comment il a forcé sa femme à lui obéir. — Trouble et douleur de la vierge de Pohja. — Elle fait ses adieux à la maison paternelle. — Ilmarinen part avec elle et, après trois jours de marche, arrive à son village.

La fiancée est assez instruite, la jeune femme a entendu sa leçon. Je parlerai, maintenant, à mon frère, je m’adresserai au jeune époux[1].

« Ô fiancé, mon cher frère, fiancé plus cher que mon frère, plus aimé que l’enfant de ma mère, plus chéri que le fils de mon père, prête l’oreille à ma voix, écoute ce que je vais te dire touchant mon gracieux oiseau, ma blanche et pure colombe !

« Sache comprendre, ô fiancé, tout le bonheur qui t’est échu en partage ; sache apprécier le magnifique présent que tu as reçu ; et que ta reconnaissance soit sincère et éclatante ! Ton créateur t’avait fait de brillantes promesses ; il les a remplies, le Dieu clément ! Rends grâces au père, rends grâces encore plus à la mère, car c’est elle qui a donné le jour à une pareille fille, à une aussi remarquable fiancée !

« Tu as à tes côtés une vierge pure, tu as en ta puissance une vierge d’une blancheur lumineuse, tu as sur ton sein et dans tes bras, une épouse florissante et pleine de beauté. Elle est habile et diligente à battre le grain, adroite aux travaux des champs, elle est charmante en lavant le linge, élégante en lavant les vêtements ; elle file avec grâce, elle tisse avec activité.

« Sa navette chante comme chante le coucou sur une colline, elle court comme court l’hermine à travers une pile de bois, elle tourne comme tourne la pomme de pin dans la bouche de l’écureuil. Le village ne dort point lourdement, les habitants du château ne sommeillent point à cause du bruissement, à cause du murmure de la navette de la jeune fille[2].

« Ô charmant jeune homme, beau fiancé, mon cher frère, forge une faux au tranchant aigu, et arme-la d’un manche solide, d’un manche taillé près de la grille de l’enclos, travaillé sur un bloc de bois. Et quand se lèvera un jour de beau soleil, conduis la jeune fille dans le pré ; tu verras alors comment l’herbe, l’herbe dure, tombera, comment les algues et les autres plantes joncheront la terre, comment les mottes de gazon seront aplanies, comment les tiges des arbustes seront brisées.

« Et quand luira un autre jour, prépare une bonne navette, une rame et une ensouple irréprochables, un métier à tisser complet ; fais ensuite asseoir la jeune fille devant ce métier, mets-lui la navette entre les mains ; tu entendras alors, la navette bruire, et son bruissement retentira non-seulement dans le village, mais encore dans les régions d’alentour. Les femmes, les commères du pays penseront et demanderont : « Qui donc est occupé à tisser ? » Et il sera convenable que tu leur répondes : « C’est ma bien-aimée qui tisse, c’est la perle de mon cœur qui agite sa navette. Le tissu forme-t-il des bourrelets, le peigne voit-il s’ébrécher ses dents ? Non, le tissu ne forme pas de bourrelets, le peigne ne voit pas s’ébrécher ses dents. Le tissu est aussi beau que s’il sortait des mains de Kuutar[3], que s’il était fabriqué par Päivättär[4], par Otawatar[5] ou par Tähettär[6]. »

« Ô charmant jeune homme, beau fiancé, mon cher frère, lorsque tu te mettras en route, lorsque tu quitteras ces lieux avec ta belle jeune fille, ne conduis point ton joli passereau, ton blanc et gracieux oiseau de manière à le verser dans les ornières de la route, à le heurter contre l’angle des barrières[7], à le précipiter sur des troncs d’arbre ou sur des tas de pierres. Jamais, tandis qu’elle habitait la maison de son père, la demeure de sa douce mère, la jeune fille n’a été versée dans les ornières de la route, heurtée contre l’angle des barrières, précipitée sur des troncs d’arbre ou des tas de pierres.

« Ô charmant jeune homme, beau fiancé, mon cher frère, garde-toi de reléguer ma fille, mon enfant bien-aimée dans le coin de la chambre ! Jamais, tandis qu’elle habitait la maison de son père, la demeure de sa douce mère, elle n’a occupé une pareille place ; elle siégeait toujours près de la fenêtre, elle travaillait au milieu de la chambre, le soir pour la joie de son père, le matin pour le bonheur de sa mère.

« Ô beau fiancé, garde-toi aussi d’attacher cette belle colombe au mortier de misère[8] afin qu’elle pile l’écorce de bouleau, qu’elle prépare le pain de paille, le gâteau de sapin. Jamais, tandis qu’elle habitait la maison de son père, la demeure de sa douce mère, la jeune fille n’a été attachée au mortier de misère, jamais elle n’a pilé l’écorce de bouleau, elle n’a préparé le pain de paille, le gâteau de sapin.

« Conduis-la, au contraire, dans un grenier bien approvisionné, afin qu’elle puise dans les coffres de froment et de seigle, dans les coffres d’orge, pour pétrir le pain, pour brasser la bière.

« Ô fiancé, mon cher frère, ne souffre pas que cette jeune colombe, que cette belle oie soit accablée par la douleur ! S’il survient un moment difficile, si la jeune fille s’ennuie, attèle aussitôt ton cheval brun ou ton blanc poulain, et ramène-la dans la maison de son père, dans la demeure de sa douce mère !

« Garde-toi aussi de la traiter en esclave, en servante mercenaire ! Ne l’empêche point de descendre à la cave, de fréquenter l’aitta[9] ! Jamais, tandis qu’elle habitait la maison de son père, la demeure de sa douce mère, on ne l’a traitée en esclave, en servante mercenaire, on ne l’a empêchée de descendre à la cave, de fréquenter l’aitta ; elle se coupait toujours des tranches de pain de froment, elle veillait sur les œufs des poules, sur les jattes de lait, les tonnes de bière, et, tous les matins et tous les soirs, elle allait aux provisions dans l’aitta.

« Ô charmant jeune homme, beau fiancé, mon cher frère, si tu traites la jeune fille avec bonté, on te fera un gracieux accueil lorsque tu viendras dans la maison de ton beau-père, lorsque tu visiteras ta belle-mère ; on te servira à manger et à boire ; on détellera ton cheval, on le conduira à l’écurie, on l’abreuvera, on lui donnera de l’orge en abondance.

« N’accuse jamais notre fille, notre blanche colombe d’être d’une naissance vulgaire, de n’avoir point de famille ! Notre fille, au contraire, est d’une naissance illustre et sa famille est nombreuse. Si l’on semait un boisseau de fèves on de graine de lin, une tige de chaque espèce s’élèverait pour chacun de ses parents[10]

« Ô cher fiancé, garde-toi de maltraiter Ia jeune fille, ne lui montre point son chemin avec le fouet de l’esclave ; ne la fais point gémir et pleurer sous les coups de verges ou de lanière ; ne la force point à se lamenter à l’ombre du hangar. Jamais, tandis qu’elle habitait la maison de son père, on n’a cherché à l’instruire avec le fouet de l’esclave, jamais on ne l’a fait gémir sous les coups de verges ou de lanières, on ne l’a forcée à se lamenter à l’ombre du hangar.

« Dresse-toi devant elle comme un mur protecteur, comme une porte infranchissable ! Ne permets pont que ta mère la frappe, que ton père l’accable d’injures ! Ne souffre point qu’un étranger, qu’un habitant d’une autre maison se montre avec elle insolent et dur. Si les gens de ta famille t’excitent contre elle, ne les écoute point ; ne flagelle point ta bien-aimée, ne frappe point l’amie de ton cœur, celle après laquelle tu as soupiré pendant trois ans, celle que tu as recherchée avec tant de persévérance !

« Ô fiancé, mon cher frère, instruis la douce jeune fille, fais la leçon à ta gracieuse pomme, dans l’ombre du lit, derrière la porte, dans chaque endroit secret de la maison, la première année par la parole, la seconde année par le signe des yeux, la troisième année en lui marchant doucement sur le pied[11].

« Si elle se montre indocile, si elle résiste à tes leçons, prends une tige de roseau ou de prêle, une tige de carex, et sers-t’en pour l’avertir, pour l’inviter à s’amender, durant une quatrième année ; ne la frappe pas encore avec le fouet, ne la corrige point avec les verges !

« Si elle ne s’amende point, si elle persiste dans sa désobéissance, coupe une verge d’osier dans le bois, une branche de bouleau dans la vallée, et cache-la sous ta pelisse, de manière à ce qu’aucun étranger ne la voie. Montre-la à la jeune fille, mais borne-toi à la menacer. et abstiens-toi de la frapper !

« Si elle ne tient aucun compte de tes menaces, si elle s’obstine encore à méconnaître tes avertissements, alors corrige-la avec la verge d’osier, avec la branche de bouleau. Mais, donne-lui cette leçon entre les quatre murs de la chambre, dans l’intérieur de la maison, et non au milieu de la prairie, au milieu du champ, car le bruit, car les pleurs de la jeune fille pourraient être entendus des habitations voisines et jusqu’au fond des bois.

« Et tandis que tu la corrigeras, effleure-lui seulement les épaules, assouplis-lui le dos ; mais garde-toi de la frapper sur les yeux ou sur les oreilles, car une tumeur, une tache bleue y surgiraient ; et le beau-frère, et les laboureurs, et les jeunes filles du village la regarderaient avec étonnement, et diraient : « Est-elle donc allée à la guerre, s’est-elle donc trouvée au milieu d’une bataille ? Ou bien a-t-elle été mordue par le loup, déchirée par l’ours ? Ou bien encore, a-t-elle pour fiancé un loup, pour époux un ours ? »

Il était un vieillard sur la plate-forme de la cheminée, un pauvre vagabond dans la soupente du foyer[12] ; le vieillard dit, le pauvre vagabond murmura : « Non, à cher fiancé, tu ne dois, à aucun prix, te soumettre à la volonté de la jeune fille, écouter sa voix d’alouette, comme je l’ai fait moi, infortuné ! J’avais acheté de la viande, j’avais acheté du pain, du beurre et de la bière, des viandes de plusieurs sortes, des poissons de toute espèce ; j’avais acheté de la bière dans mon propre village, des provisions de froment dans les villages étrangers. Cependant, je n’ai pu trouver une femme vaillante et bonne. Lorsqu’elle entra dans ma maison, il me sembla qu’elle allait m’arracher les cheveux ; son visage avait l’aspect farouche, ses yeux s’injectaient de fiel ; sans cesse, elle écumait de colère, elle parlait d’un ton furieux ; elle m’appelait gros lourdaud, elle me traitait de vieille souche.

« Je changeai alors de plan de conduite, j’agis avec elle d’une autre manière. Quand je coupai une branche de bouleau, elle se rapprocha de moi et m’appela son cher oiseau ; quand je coupai un rameau de genévrier, elle s’humilia devant moi et m appela son bien-aimé ; quand je lui fis goûter la verge d’osier, elle se jeta tendrement à mon cou[13]. »

La pauvre jeune fille soupire douloureusement ; elle gémit, elle pleure et elle dit :[14] « Le moment du départ, l’heure des adieux approchent déjà pour les autres ; mais ils approchent bien plus encore pour moi, malgré la douleur que j’éprouve à me séparer de ce village renommé, à quitter cette belle maison où je suis née, où j’ai grandi si magnifiquement, où j’ai passé les années de ma florissante jeunesse, la douce enfance de ma vie.

« Jamais, aux jours d’autrefois, je n’avais pensé, je n’avais cru qu’il viendrait un temps où je devrais quitter les alentours de ce château, les cimes de cette colline[15] ; et, maintenant, voilà que j’y pense, voilà que j’y crois, lorsque ce temps est déjà venu ! Oui, déjà, la coupe des adieux est vidée, la bière de la séparation est bue ; le traîneau, le beau traîneau m’attend, l’avant tourné vers la route, l’arrière vers la maison, l’un des côtés vers la vaste grange, l’autre vers l’étable.

« Et, en quittant cette maison, comment pourrai-je payer le lait de ma mère, la bonté de mon père, l’amitié de mon frère, la douce affection de ma sœur ?

« Merci, ô mon père, pour la nourriture que tu m’as donnée, pour tous les repas que tu m’as servis, pour les morceaux délicats que tu m’as fait goûter !

« Merci, ô ma mère, pour la vie que j’ai puisée dans ton sein, pour la tendresse dont tu as entouré mon enfance, pour les soins que tu as prodigués à ma jeunesse !

« Merci, ô mon frère, merci, ô ma sœur, merci aussi, à vous tous, ô mes parents, ô mes compagnons d’enfance, vous, au milieu desquels j’ai vécu mes plus beaux jours, mes années les plus florissantes !

« Garde-toi, ô mon bon père, garde-toi, ô ma douce mère, gardez-vous, ô mes parents, ô mes amis, de vous attrister, de gémir amèrement parce que je pars pour un autre pays, parce que je vais errer à travers le monde ! Le soleil de Jumala, la lune du Créateur, les astres et les étoiles du ciel brillent plus loin dans l’espace, ils éclairent encore d’autres terres, et non pas seulement la maison de mon père, le toit de mon enfance.

« Maintenant, je quitte, exilée, cette maison d’or, cette maison qu’a bâtie mon père et que ma mère a rendue célèbre pour son hospitalité ; j’abandonne mes champs et mes marais, mes prairies luxuriantes, mes lacs limpides, mes rivages sablonneux ; je les abandonne aux bains des femmes du village, aux courses errantes des bergers.

« Oui, je laisse les marais à ceux qui veulent les piétiner, les champs à ceux qui veulent les labourer, les bosquets à ceux qui veulent s’y reposer, les landes à ceux qui veulent les parcourir, les barrières des champs, les grilles de l’enclos à ceux qui veulent les franchir, les murs à ceux qui veulent s’y appuyer, le plancher de la chambre à ceux qui veulent le balayer ; je laisse les plaines au renne, les déserts à la loutre, les forêts défrichées à l’oie, les bois chargés de verdure aux oiseaux.

« Je quitte ces lieux, exilée, je m’en vais, en compagnie d’un autre, dans le sein d’une sombre nuit d’automne, sur le chemin glissant du printemps, en sorte qu’aucune trace de mes pas n’apparaîtra sur la glace, que le tissu de ma robe ne trempera point dans la poussière humide, que ses plis ne flotteront point dans la neige[16].

« Quand je reviendrai dans ces lieux, quand je reverrai cette maison, ma mère n’entendra peut-être point ma voix, mon père sera peut-être sourd à mes sanglots, lors même que je gémirais, que je pleurerais sur leur tombe, car déjà un frais gazon s’étalera, une tige de genevrier s’élèvera sur la chair de ma douce mère, sur les joues de ma chère nourrice[17].

« Quand je reviendrai dans ces lieux, quand je reverrai ce vaste domaine, deux choses seulement peut-être me reconnaîtront : le lien le plus bas de la palissade de l’enclos, la borne la plus extrême du champ, car je les ai fixés, je les ai plantés moi-même aux jours de ma jeunesse.

« La vache de ma mère que j’ai abreuvée tant de fois tandis que j’étais jeune fille, que j’ai si bien soignée, tandis qu’elle grandissait encore, la vache de ma mère beuglera, impatiente, sur le fumier de l’enclos, sur le champ durci par l’hiver ; elle reconnaîtra, sans doute, en moi la fille de la maison.

« Le beau cheval de mon père que j’ai nourri de ma main, tandis que j’étais jeune fille, que j’ai si bien pansé tandis qu’il n’était encore qu’un faible poulain, le cheval de mon père piaffera, impatient, sur le fumier de l’enclos, sur le champ durci par l’hiver ; il reconnaîtra, sans doute, en moi la fille de la maison.

« Le chien vigilant de mon frère auquel j’ai donné à manger tandis que j’étais jeune fille, auquel j’ai donné des leçons tandis qu’il était encore tout petit, le chien de mon frère aboiera avec éclat sur le fumier de l’enclos, sur le champ durci par l’hiver ; il reconnaîtra, sans doute, en moi la fille de la maison.

« Quant aux autres, ils ne me reconnaîtront, peut-être, pas lorsque je reviendrai, bien que l’endroit où je débarquais, bien que ma première demeure et mon golfe riche en poisson, le golfe où je tendais mes filets n’aient point changé de place.

« Adieu donc, ô pirrti[18], avec ton toit de sapin ! Il sera doux de te revoir un jour, de te visiter une autre fois.

« Adieu, ô vestibule avec ton plancher de bois ! Il sera doux de te revoir un jour, de te visiter une autre fois.

« Adieu, ô cour de l’enclos, avec tes sorbiers ! Il sera doux de te revoir un jour, de te visiter une autre fois.

« Adieu, ô vous tous, lieux chéris que je quitte ! Adieu, champs ; adieu, bois avec vos baies sauvages ; bruyères avec vos tiges fleuries, lacs avec vos cent îles, golfe profond avec tes poissons, belles collines avec vos fleurs, vallées solitaires avec vos bouleaux ! »

Le forgeron Ilmarinen prit la jeune fille et la fit asseoir dans son traîneau ; puis il frappa son cheval de son fouet, et il prit la parole, et il dit : « Adieu, ô rives des lacs, Adieu, rives des lacs, lisières des champs, petits pins de la colline, grands sapins des bois ! Adieu, putiers plantés derrière la maison, genevriers qui croissez sur le chemin du puits ; baies des champs, tiges de gazon ! Adieu, jeunes osiers, racines de pins, branches d’aulnes, écorce de bouleau[19] !»

Et le forgeron Ilmarinen s’éloigna de la maison de Pohjola.

Une troupe d’enfants se trouvait réunie ; ils se mirent à babiller et à chanter : « Un oiseau noir est venu du fond du bois jusqu’à nous ; et il nous a enlevé une belle oie, il nous a pris une baie, il nous a ravi une pomme ; il s’est emparé de notre joli poisson, il a séduit avec la petite monnaie, il a fasciné avec ses pièces d’argent[20]. Qui, maintenant, nous mènera puiser l’eau, qui nous conduira vers le fleuve ? Les seaux demeureront vides à la maison, les anses des seaux resteront immobiles, le plancher ne sera plus balayé, il gardera toutes ses ordures ; les bords de l’écuelle se racorniront, l’anse du pot se moisira. »

Le forgeron Ilmarinen poursuit sa route avec sa jeune épouse ; il longe les rivages de Pohjola, le golfe de Sima, il franchit les collines sablonneuses. Les pierres bruissent, le sable grince, la route fuit, le traîneau, le pied, les supports du traîneau craquent, les chaînes de fer du joug résonnent, l’arc du collier oscille, les rênes frémissent, les clochettes de cuivre carillonnent, tandis que l’étalon, le vigoureux étalon bondit.

Le forgeron Ilmarinen marcha un jour, marcha deux jours, marcha trois jours. D’une main, il tenait les rênes, de l’autre il caressait le sein de la jeune fille ; il avait un pied en dehors du traîneau, l’autre sous la couverture.

Le coursier vole comme la tempête et dévore la route. Enfin, le troisième jour, vers le coucher du soleil, la maison du forgeron, l’habitation d’Ilma[21] apparut au loin ; la fumée s’élevait du toit comme un ruban, comme une masse épaisse ; elle tourbillonnait et montait jusqu’aux nues.

  1. Les paroles qui vont suivre s’appellent paroles ou chant d’avertissement du fiancé : Sulhon väroitus virsi.
  2. « Niin sen piukki pirrau nääüni,
    « Kuin kaki maella kukkui,
    « Niin sen suihki sukkulainen,
    « Kuin on portimo pinossa,
    « Niin sen kaämi kaännähteli,
    « Kuin kapy oravan suussa,
    « Ei kyla sikein maannut,
    « Linnakunta uinaellut
    « Neien pirrau pirkeheltä,
    « Sukkulan surinehelta. »

  3. Voir Quatrième Runo, note 9.
  4. Voir Quatrième Runo, note 10.
  5. Fille d’Otawa. Voir Première Runo, note 23.
  6. Fille de l’Étoile, de Tähti, personnification de l’étoile.
  7. Les routes de Finlande sont encore aujourd’hui coupées par de nombreuses barrières qui marquent les limites des propriétés.
  8. Voir Vingt-troisième Runo, note 9.
  9. Voir Première Runo, note 12.
  10. « Ellös vainen neioistamme
    « Tatä liina-linnuistamme,
    « Sanoko su’uttomaksi,
    « Laatiko lajittomaksi !
    « Onpa tällä neiollamme
    « Suku suuri, laji laaja,
    « Kappa ois kylveä papuja,
    « Jyvä kullenki tulisi,
    « Kappa panna pellavaista,
    « Kuitu kullenki tulisi. ».

  11. Quoi de plus charmant que cette discrétion recommandée à l’époux lorsqu’il s’agit de reprendre et de corriger sa jeune femme ! Toute cette runo est remplie d’une exquise délicatesse.
  12. Voir Huitième Runo, note 9.
  13. « Jopa muistin uuen mutkan,
    « Toki toisen tien osasin :
    « Kun kolotin koivun oksan,
    « Jo likisti linnuksensa,
    « Kun karsin katajan latvan.
    « Jo kumarsi kullaksensa
    « Kun vielä panin pajuilla,
    « Jo kapusi kaulahani. »

  14. Ici commence le chant d’adieu de la fiancée : Morsiamen lähtövirsi.
  15. Voir Huitième Runo, note 8.
  16. C’est-à-dire qu’il ne restera aucune trace de la jeune fille sur la route qui va la séparer de la maison paternelle.
  17. Sur la tombe de ses parents.
  18. Voir Troisième Runo, note 29.
  19. Il règne, dans ces adieux d’Ilmarinen, une certaine ironie ; on dirait qu’il veut parodier ceux de la jeune fille. Il parait évident, d’ailleurs, que toutes ces lamentations l’impatientaient ; aussi les interrompt-il brusquement. Voici le texte de ses adieux :

    « Jää hyvästi jarven rannat,
    « Jarven rannat, pellon penkat,
    « Kaïkki mantyset maella,
    « Puut pitkät petajikossä,
    « Tuomikko tuvan takana,
    « Katajikko kaivotiellä,
    « Kaikki maassa marjan varret,
    « Marjan varret, heinän korret,
    « Pajupehkot, kuusen juuret,
    « Lepän lehvat, koivun kuoret ! »

  20. Il est superflu de faire remarquer que toutes ces expressions doivent être prises figurativement et s’appliquent à la jeune fille.
  21. Ilmarinen.