Jean Chrysostome/Discours sur la Genèse
DISCOURS SUR LA GENÈSE. (Année 386)
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Pourquoi Dieu a dit en parlant du soleil, et de lune, et du ciel, et des autres créatures : « Qu’il soit fait ; » et au contraire, en parlant de l’homme, « Faisons ; » et que signifie, « A notre image. ». (Gen. 1,3, 6, 26)
ANALYSE.
modifier- 1. La saison du jeûne est le printemps des âmes. Puisque nous entrons dans cet heureux temps, entreprenons de pénétrer les endroits les plus difficiles de l’Écriture : philosophons sur la création. Rien n’est plus utile que de savoir ce qu’est la créature, ce qu’est le Créateur. Les erreurs des Manichéens et des Grecs ne proviennent que de leur ignorance touchant la nature des choses. – 2. Dieu autrefois parlait aux hommes par lui-même : Il emploie maintenant le moyen des lettres, comme font les hommes eux-mêmes lorsqu’ils correspondent avec des gens éloignés. Moïse a réfuté les Manichéens longtemps à l’avance, par ces simples mots : Au : commencement, Dieu créa le ciel et la terre. – 3. La raison des choses naturelles nous échappe, combien plus celle des choses divines ; donc, rapportons-nous-en à ce qui nous a été révélé d’en haut. – 4. Exhortation à l’aumône mêlée à l’éloge de l’évêque Flavien.
1. Plein de charmes est le printemps, pour les matelots ; plein de charmes aussi, pour les agriculteurs ; mais, ni matelots ni agriculteurs ne trouvent autant de charmes au printemps, qu’en a, pour ceux qui veulent être sages, le temps du jeûne, spirituel printemps des – âmes, où l’esprit qui médite jouit de la vraie tranquillité. Le printemps charme les agriculteurs, parce qu’ils voient alors les fleurs qui couronnent la terre, le vêtement aux mille couleurs dont la recouvrent de toutes parts les plantes qui grandissent. Le printemps charme les matelots, voguant sans crainte sur les mers, quand les flots sont calmes, et que les dauphins, dans leurs jeux tranquilles, sautent près des flancs du navire. Pour nous, le printemps du jeûne nous charme, parce qu’il apaise les flots, non pas des flots liquides, mais les flots des passions insensées ; parce qu’il nous fait, non des couronnes de fleurs, mais des couronnes de grâces spirituelles. Tu recevras, dit le Sage, une couronne de grâces pour ta tête. (Prov. 1,6) L’apparition de l’hirondelle ne chasse pas les mauvais jours, comme l’apparition du jeûne chasse, loin de nos pensées, les passions mauvaises ; alors cesse la lutte de la chair contre l’âme, la révolte de la servante contre la maîtresse. Cette guerre du corps est terminée. Eh bien donc ! puisque nous avons la paix parfaite, la parfaite tranquillité, nous aussi, tirons au large le navire de la doctrine et, du port où nous sommes, lançons-le vers le port où l’appelle votre attention pleine de douceur. Allons, abordons sans crainte les pensées les plus subtiles de l’Écriture ; méditons sur le ciel, sur la terre, sur la mer, sur toute la création, car tel a été le sujet de la lecture d’aujourd’hui. Mais, me dira-t-on, que nous importe la création ? elle nous importe beaucoup, mes bien-aimés, car si la grandeur, si la beauté de la créature nous fait comprendre, par analogie, la nature du Créateur, plus nous nous attacherons à contempler la grandeur et la beauté de la créature, plus nous avancerons dans la connaissance du Créateur.
C’est un grand bien que de savoir ce qu’est la créature, ce qu’est le Créateur ; quel est l’ouvrage, quel est l’ouvrier. Si les ennemis de la vérité avaient su distinguer exactement ces choses, ils n’auraient pas tout confondu, tout bouleversé ; voyez, il ne leur a pas suffi de rabaisser les étoiles et le ciel, et d’exalter la terre, ils ont encore précipité le roi du ciel de son trône royal, ils l’ont confondu avec la créature, et ils ont décerné à la créature les honneurs de la divinité. Si les manichéens avaient su distinguer la vérité, au sujet de la création, ils n’auraient pas décerné à ce qui a été fait de rien, à ce qui est corruptible, sans consistance, toujours changeant, les honneurs qui ne conviennent qu’à L’Être incréé. Si les Grecs avaient su distinguer la vérité au sujet de la création, ils ne se seraient pas égarés, ils n’auraient pas honoré, adoré la créature, au lieu du Créateur. Si le ciel est beau, c’est pour que vous vous incliniez devant Celui qui l’a fait ; si le soleil est brillant, c’est pour que vous offriez votre culte à Celui qui a produit le soleil ; mais si vous ne voyez pas plus loin que les merveilles de la créature, si la beauté de l’ouvrage absorbe vos regards, la lumière alors devient pour vous l’obscurité, ou plutôt vous tirez de la lumière l’obscurité. Voyez-vous le grand avantage de comprendre les raisons de la création ? Ne négligez donc pas ce profit ; soyez attentifs à nos paroles ; nous ne vous parlerons pas seulement du ciel, et de la terre, et de la mer, mais encore de notre origine ; d’où vient la mort, d’où viennent les fatigues, et les découragements, et les soucis. Car Dieu, pour se justifier, en ce qui concerne ces questions et un grand nombre d’autres, nous a envoyé son livre ; car Dieu ne dédaigne pas de se défendre, mais il nous crie par son Prophète : Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. (Is. 1,18) Et non seulement il se défend et il plaide ; mais, de plus il nous enseigne à fuir notre condamnation. En effet, il ne dit pas seulement : Venez et soutenez votre cause contre moi. Il commence par nous apprendre ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire, ce n’est qu’ensuite qu’il nous traîne au tribunal. Écoutez donc la parole du Prophète, en reprenant le texte de plus haut : Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la malignité de vos pensées ; apprenez à faire le bien ; faites justice à l’orphelin ; défendez la veuve. (Id. 16) Et c’est alors qu’il ajoute : Venez et soutenez votre cause contre moi, dit le Seigneur. Je ne veux pas, nous dit-il, vous prendre au dépourvu, sans moyen de défense ; je vous veux au contraire munis de raisonnements et d’excuses, quand je vous appelle à rendre vos comptes. Car, si je veux discuter avec vous, ce n’est pas pour vous condamner, mais pour vous faire grâce. Aussi, dit-il dans un autre passage : Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié. (Is. 43,26) Tu as en moi un accusateur amer et cruel ; empresse-toi de le prévenir, parle, ferme-lui sa bouche impudente.
2. Au commencement du monde, Dieu s’entretenait par lui-même avec les hommes, leur parlant autant qu’il est possible aux hommes de l’entendre. C’est ainsi qu’il vint trouver Adam, c’est ainsi qu’il réprimanda Caïn ; c’est ainsi qu’il conversa avec Noé ; c’est ainsi qu’il se fit l’hôte d’Abraham. Mais, quand notre nature se fut inclinée au mal, et comme condamnée à un lointain exil, dès lors Dieu, nous traitant comme des voyageurs qui vont au loin, nous envoya des lettres, comme s’il voulait, par cette correspondance, renouveler avec nous son ancienne amitié. Ce sont des lettres de ce genre, envoyées de Dieu, qu’apporta Moïse. Que nous disent-elles : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ? Pourquoi ne nous parle-t-il ici ni des anges ni des archanges ? Si, en effet, le Créateur se montre dans les créatures, les anges peuvent beaucoup plus nous le faire voir ; la beauté du ciel n’égale pas la beauté de l’ange ; la splendeur du soleil n’égale pas la splendeur de l’archange. Pourquoi donc, négligeant la route plus élevée, nous conduit-il par la plus basse ? C’est qu’il converse avec les Juifs, peu intelligents, attachés aux choses des sens, revenus depuis peu de l’Égypte, où ils avaient vu des crocodiles, des chiens, des singes, honorés par les hommes, et on ne pouvait pas prendre le chemin le plus élevé, pour les conduire au Créateur. Sans doute, l’autre chemin est plus élevé, mais plus rude, escarpé, ardu pour les faibles. Voilà pourquoi Moïse conduit les Juifs par la route qui est plus facile, par le ciel, la terre, la mer et toutes les créatures visibles. Et ce qui prouve que je vous ai donné la vraie cause, c’est que, quand les Juifs eurent fait quelques progrès, le Prophète leur parle ainsi des vertus d’en haut : Louez le Seigneur, dit-il, ô vous qui êtes dans les cieux ; louez-le dans les plus hauts lieux ; louez-le, vous tous qui êtes ses anges ; louez-le, vous tous qui composez ses armées ; car il a parlé et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées ! (Ps. 148,1, 2, 5) Et qu’y a-t-il d’étonnant que l’Ancien Testament nous montre cette, manière d’enseignement puisque nous voyons dans le Nouveau Testament, à l’heure où la doctrine s’élève à une hauteur sublime, Paul, s’adressant aux Athéniens, suivre la même route que Moïse, instruisant les Juifs ? Et en effet, il ne leur parle ni d’anges, ni d’archanges ; c’est du ciel, et de la terre, et de la mer qu’il entretient le peuple assemblé : Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act. 17,24) Mais, lorsque Paul s’adressait aux Philippiens, il ne les conduisait pas par la même route ; il leur donnait l’enseignement plus élevé, dans ces paroles : Car tout a été créé par lui, dans le ciel et sur la terre, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. (Col. 1,16) C’est ainsi que Jean, qui avait des disciples plus avancés, a passé en revue toute la création. En effet, il ne dit pas : le ciel et la terre et la mer, mais : toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui (Jn. 1,3) ; aussi bien, dit-il, ce qui est visible, que ce qui est invisible. On sait ce qui se passe chez les maîtres d’écoles : l’un reçoit un jeune enfant des bras de sa mère, et lui apprend les premiers éléments ; un autre maître, ensuite, élève l’écolier à un plus haut enseignement ; c’est ce qui est arrivé à Moïse, à Paul, à Jean. Moïse nous a pris ignorants de tout, sevrés de la veille, et nous a enseigné les premiers éléments de la connaissance de Dieu ; Jean et Paul, qui ont reçu les hommes comme sortant de l’école de Moïse, les conduisent à des enseignements plus élevés, leur résumant toutefois les premières leçons en peu de mots. Avez-vous bien compris l’affinité des deux Testaments ? Avez-vous bien compris l’harmonie des enseignements ? Vous rappelez-vous, dans l’Ancien Testament les paroles de David sur la création des choses sensibles et des choses spirituelles : Car il a parlé et les choses ont été faites. (Ps. 32,9) C’est ainsi que dans le Nouveau Testament, après qu’il a été parlé des puissances invisibles, il est de plus fait mention des créatures sensibles. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; brève parole assurément, parole bien simple, il n’y a là qu’un seul mot, mais capable de renverser toutes les tours de nos adversaires ; faites attention.
Arrive un manichéen disant : La matière n’a pas été créée : répondez-lui : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; et vous avez renversé toute son arrogance en un instant. Mais il ne croit pas, dit-il, à la parole de l’Écriture. Eh bien ! pour cette raison ; écartez-le comme on écarte un fou, détournez-vous de lui : car, celui qui ne croit pas à Dieu, se révélant en toute lumière, et qui accuse de mensonge la vérité, comment ne serait-ce pas un fou manifeste, dont l’incrédulité prouve la folie ? Mais comment, me dit-on, de rien quelque chose peut-il être fait ? Eh bien ! vous, répondez-moi. Comment, de ce qui existe, quelque chose pourrait-il être fait ? car, que la terre ait été faite de ce qui n’était pas, moi je le crois, tandis que vous en doutez ; mais que, de la terre l’homme ait été fait, c’est ce que nous reconnaissons également. Répondez-moi donc sur ce que nous reconnaissons vous et moi, répondez à la question la plus facile. Comment, avec de la terre, de la chair a-t-elle été faite ? Car, c’est de la terre que vient la boue, la brique, l’argile des vases, les coquilles ; mais de la chair sortant de la terre, c’est ce que nul ne saurait voir. Comment donc la chair a-t-elle été faite ? Comment les os ont-ils été formés ? Comment les nerfs ? comment les veines ? comment les artères ? comment les membranes, la graisse, la peau, les ongles, les cheveux ; et toute cette diversité de substances, provenant d’une seule et même substance, la terre ? Ici, vous n’avez rien à dire. N’est-il pas absurde, à qui ne sait rien de ce qui est plus clair et plus facile à comprendre, de se consumer en efforts superflus, pour expliquer ce qui est difficile, ce qui est inaccessible ?
3. Voulez-vous que je vous conduise à des sujets plus faciles, que je vous propose des problèmes de tous les jours, que pourtant vous ne pourrez pas m’expliquer ? Nous mangeons du pain, tous les jours ; comment, répondez-moi, le pain se change-t-il en sang, en pituite, en bile, en toutes les autres humeurs ; car le pain, c’est bien quelque chose de solide et de dur ; le sang au contraire est mou et fluide ; le bon pain est blanc de la couleur du froment, le sang est rouge et noir ; passez en revue lés autres différences, vous trouverez que le pain et le sang sont loin de se ressembler ; expliquez donc ce fait,.répondez-moi, rendez-moi compte ; impossible à vous. Comment vous, qui ne pouvez rendre compte de votre nourriture, qui se change tous les jours en d’autres substances, vous me demanderez de vous rendre compte de la création opérée pat Dieu ! Eh ! n’est-ce pas le comble de la démence ? Si Dieu nous ressemble, demandez-lui compte de ce qu’il fait ; je me trompe, je retire cette concession. Il y a certes un grand nombre d’ouvrages humains que nous ne pouvons expliquer ; par exemple : comment, avec du minerai, fait-on de l’or ? comment le sable se change-t-il en un verre transparent ? Des produits de l’industrie humaine, c’est de beaucoup le plus grand nombre que nous ne pouvons expliquer. Pourtant, non : si Dieu nous ressemble, je veux bien que vous lui demandiez compte ; mais maintenant, si un immense intervalle le sépare de nous, s’il est, d’une manière incomparable, au-dessus de nous, n’est-ce pas le comble de la démence, pour ceux qui reconnaissent sa sagesse et sa puissance infinie, ce qu’il a de divin, d’incompréhensible, d’aller, comme s’il s’agissait de quelque industrie humaine, lui demander compte, en détail, de chacun de ses ouvrages ? Eh bien donc, laissant de côté ces raisonnements, revenons à notre pierre, à notre roc inébranlable. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Tenez-vous sur ce fondement solide afin de résister aux flots des pensées humaines. Les pensées des mortels sont timides, et incertaines leurs inventions. (Sag. 9,14) N’abandonnez donc pas ce qui est ferme, pour confier le salut de votre' âme à la faiblesse, à (erreur des raisonnements. Tenez-vous-en à ce que vous avez appris et que vous avez cru, et dites : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Si un Manichéen, si Marcion, si les malades que Valentin a faits, si tout autre se présente, jetez-lui à la face cette parole ; si vous le voyez rire, versez des larmes sur sa démence. Vous connaissez ces personnages au teint jaune, au sourcil abaissé ; ils ont des paroles modestes ; fuyez l’amorce, sachez découvrir, sous la peau de la brebis, le loup qui s’y cache ; détestez-le surtout parce qu’en même temps qu’il semble affable et doux envers vous, envers son compagnon, serviteur comme lui, il est, contre notre commun Maître, notre Seigneur à tous, plus furieux que le chien possédé par la rage. C’est une guerre implacable que fait au ciel cet irréconciliable ennemi, et il élève comme une puissance contraire qu’il oppose à Dieu. Fuyez le venin de l’iniquité, détestez les poisons mortels ; l’héritage que vous avez reçu de vos pères, gardez-le, conservez la foi, l’enseignement de la divine Écriture, avec une prudence que rien ne puisse surprendre. Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre. Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord le ciel, ensuite la terre ? D’abord le toit, ensuite le sol ? Dieu n’est pas subordonné à la nécessité de la nature ; les règles de l’art ne le tiennent pas asservi. Nature, art, toutes choses, la seule volonté de Dieu fait tout, dispose tout. La terre était invisible et sans forme. Pourquoi a-t-il donné au ciel, en le créant, la perfection ? tandis que, pour la terre, il l’a faite à plusieurs reprises, selon ce que raconte Moïse ? C’est, afin qu’ayant vu sa puissance, dans ce qu’il y a de meilleur, vous eussiez la certitude qu’il pouvait également donner à la terre la même perfection qu’au ciel ; c’est parce qu’il pensait à vous, à votre salut, qu’il a procédé pour la terre autrement que pour le ciel. Comment, me direz-vous, c’est parce qu’il pensait à moi, à mon salut ? La terre est notre table commune, notre patrie, notre nourrice, notre mère commune à tous, notre cité, notre tombe également commune, car nos corps viennent d’elle ; d’elle vient aussi l’aliment de nos corps ; c’est elle que nous habitons ; c’est en elle que nous demeurons ; c’est en elle, après la mort, que cous devons retourner. Il – ne fallait pas que, préoccupés de la nécessité satisfaite à chaque instant par elle, vous eussiez pour elle unes admiration exagérée ; il ne fallait pas que l’abondance de ces bienfaits fût pour vous une cause d’impiété et de chute, et il déclare que cette terre était d’abord informe, sans beauté, afin que la considération de ce qui lui manque élevât votre admiration vers Celui qui l’a faite, qui lui a donné toutes ses vertus, et vous portât à célébrer Celui qui a produit de si grandes choses pour notre usage. Or, maintenant, ce qu’il faut pour glorifier Dieu, ce n’est pas seulement la rectitude des opinions, mais l’excellence de la conduite. Que votre lumière, dit le Seigneur, luise devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient voire Père qui est dans les cieux. (Mt. 5,16)
4. Je voulais ajouter, à ce discours, des réflexions sur l’aumône, mais il me paraît superflu de vous l’enseigner par des paroles, quand vous avez, pour vous instruire, les actions et les exemples de celui qui est assis au milieu de nous[1], de notre commun père et docteur ; on dirait qu’il n’a reçu, de ses frères, son patrimoine que pour le consacrer aux soins de l’hospitalité, à ceux qu’on chasse dé toutes parts parce qu’ils confessent la vérité ; il les accueille et toutes, ses ressources, il les emploie à les réconforter, de sorte que l’on ne saurait dire si sa maison lui appartient ou s’il faut l’appeler la maison des étrangers. Je me trompe, ne faut-il pas dire que c’est sa maison, précisément parce que c’est la maison des étrangers ? En effet, nous sommes les maîtres de nos biens, surtout quand ce n’est pas pour nous, mais pour les pauvres, que nous les possédons, que nous les dépensons. Je m’explique : l’argent que vous déposez dans la main du pauvre, n’a plus à craindre, ni le calomniateur, ni les regards de l’envie, ni le voleur, ni le brigand qui perce les murailles, ni l’esclave qui le ravit et prend la fuite : la main du pauvre est un asile. Enfouir l’argent chez vous, c’est l’exposer au voleur, au brigand qui perce les murailles, à l’envieux, au calomniateur, à l’esclave, à tout ce qui le perd ; il arrive souvent qu’à force de portes et de verrous on préserve son argent des pertes du dehors ; mais on ne le préserve pas contre ceux qui le gardent dans la maison, et ceux à qui on l’a confié s’en emparent et prennent la fuite. Vous voyez bien maintenant que la vraie manière, pour nous, de nous rendre les maîtres de nos biens, c’est de les déposer dans les mains des pauvres, et ce n’est pas là seulement la garde la plus sûre, c’est aussi le meilleur moyen d’augmenter le profit et le revenu ; qui prête à un homme, reçoit un centième ; qui prête à Dieu, par le moyen du pauvre, ne reçoit pas le centième, mais le centuple : Si vous ensemencez un champ fertile, si la moisson est abondante, elle vous rend dix fois lai semence ; si vous ensemencez le ciel, après avoir reçu le centuple vous posséderez encore la vie éternelle, la vie qui ne connaît ni la vieillesse ni la mort. Et il faut prendre beaucoup de peine pour cultiver un champ ; celui qui ensemence le ciel, n’a besoin, ni de charrue, ni de bœufs, ni de culture pénible, ni de tant d’autres travaux, ni de tant de fatigues, et la semence pullule, et, ni les chaleurs, ni les pluies, ni les chenilles, ni la grêle, ni les sauterelles, ni les fleuves débordés, ni tous les fléaux de ce genre n’épouvantent le semeur. Les semences que l’on fait là-haut ne se perdent jamais. Eh bien donc ! puisqu’il n’y a ni travail, ni danger, ni inquiétude, ni perte possible ; puisqu’une fois qu’on a jeté la semence, il en sort une moisson, qui rend ; tant et tant de, fois la semence, tant de biens, tant de richesses qui pullulent, biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus, et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. (1Cor. 2,9) N’est-ce pas le comble de la négligence, de ne pas voir le bien le plus précieux et de poursuivre le moins considérable ; d’abandonner, le certain, pour aller à ce qui est incertain, plein de dangers, exposé aux malheurs sans nombre ? Quel droit pouvons-nous avoir au pardon ? Quelle peut être notre excuse ? Nous nous faisons un prétexte de la pauvreté ; mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve, qui, n’ayant que deux petites pièces de monnaie, les déposa dans le tronc des pauvres. (Lc. 21,2) Soyons donc jaloux des richesses de cette femme ; imitons sa munificence pour obtenir les biens qui lui sont réservés et puissions-nous, tous, les conquérir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
DEUXIÈME DISCOURS.
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Discours prononcé au commencement du carême sur ce verset : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Gen. 1,1) ; sur le jeûne et sur l’aumône.
ANALYSE.
modifier- 1. La prière de l’Église dirige la langue du Docteur chrétien. Pourquoi Dieu, en créant l’homme, ne dit pas : que l’homme soit fait, mais, faisons l’homme. Cette seule parole faisons, prouve le Fils unique de Dieu. – 2. Contre les Anthropomorphites.
1. Vous souvenez-vous des questions qui vous ont été proposées hier ? C’est que vous avez si bien encouragé notre arrogance et notre audace, que maintenant nous ne craignons pas d’attaquer toutes les questions, ou plutôt, ce n’est ni de l’audace, ni de l’arrogance. Car notre assurance ne nous vient pas dé notre force particulière, nous la fondons sur les prières des pontifes qui nous dirigent ; ce sont vos prières aussi qui nous ont excité à entrer dans la carrière. Voilà la puissance de la prière de l’Église ; fussions-nous plus muets que la pierre, elle rend notre langue plus agile que l’aile des oiseaux. Quand la brise enfle la voile, le navire fend l’onde, plus rapide qu’une flèche ; ainsi la prière de l’Église, comme un souffle plus puissant que le zéphir, emporte au loin l’orateur. Voilà pourquoi, chaque jour, nous nous préparons à la lutte avec confiance. En effet, si, dans les joûtes qui plaisent au monde, dix ou vingt amis seulement, dans ta foule immense, suffisent pour déterminer un lutteur à descendre fièrement dans l’arène, à bien plus forte raison nous, qui n’avons pas dix ou vingt amis seulement, qui nous regardent, mais tout un peuple, composé de frères et de pères, descendons-nous dans l’arène avec confiance. Toutefois, dans les luttes profanes, l’athlète n’attend pas grand secours du spectateur, qui ne peut que crier, l’admirer dans l’occasion, et de la place supérieure où il est assis, disputer avec ceux qui ne jugent pas comme lui. quant à descendre dans le stade, tendre la main au lutteur qu’on aime ou tirer le pied de son adversaire, ou faire quelque autre action de ce genre, c’est ce qui n’est pas permis. Ceux qui ont établi ces luttes, ont pris soin de planter des pieux autour de l’arène, et d’étendre des cordes qui l’entourent, pour tenir à distance les transports insensés des spectateurs. Étonnez-vous qu’on ne leur permette pas de descendre dans l’arène, quand il est commandé, même au gymnasiarque, de rester assis hors du stade, à peu de distance, et de donner, à ceux qui luttent loin de lui, les, secours de sa science, mais sans pouvoir les approcher. Avec nous, au contraire, il n’en est pas de même permis, et au Maître, et aux spectateurs, de descendre et de s’approcher de nous ; de nous assister de leur affection, de nous affermir par leurs prières. Eh bien ! donc, engageons notre lutte, à la manière des athlètes. Quand ils se sont pris l’un l’autre par le milieu du corps, quand l’ardeur de la lutte, l’espace étant, pour eux, trop, étroit, les a jetés presque sur la foule, qui les entoure au-dehors, ils se dégagent l’un de l’autre et retournent à la place où ils ont commencé le combat. Quand ils le renouvellent, ils ne reprennent pas l’attitude droite de la première posture, mais ils s’entrelacent dans la position où ils étaient quand ils se sont séparés. Faisons de même, nous aussi, et puisque l’espace nous a manqué pour achever notre discours, reprenons la lutte à la même place, et trouvons le dénouement que nous cherchons, dans ce qui nous a été lu aujourd’hui ; voyons ce que nous présente la lecture de ce jour : Et Dieu dit, faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.
Notre première recherche doit être, pourquoi quand Dieu faisait le ciel, on ne voit pas Faisons, mais que le ciel soit fait, que la lumière soit faite, et de même pour les créatures particulières ; pourquoi, quand il s’agit de l’homme, voit-on alors seulement ce Faisons, cette expression d’un conseil, d’une délibération avec un autre, quel qu’il soit, à qui l’on fait l’honneur de communiquer sa pensée ? Quel est donc enfin cet être à créer, qui jouit d’un tel honneur ? c’est l’homme, cet animal d’une admirable grandeur, la créature la plus excellente auprès de Dieu, pour qui le ciel et la terre et la mer, et tout l’ensemble de la création a été fait. L’homme dont le salut a été si cher à Dieu, qu’il n’a pas même fait grâce, à cause de lui, à son Fils unique. Et en effet, il n’a rien épargné pour l’élever, l’exalter, le placer à sa droite. C’est ce que crie la voix de Paul : Il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir dans le ciel en Jésus-Christ. (Eph. 2,6) Voilà pourquoi la délibération, et le conseil, et la communication de la pensée divine ; ce n’est pas que Dieu ait besoin de conseil, loin de nous de le croire, mais la figure de l’Écriture nous montre l’honneur déféré à celui qui va naître. Mais comment, me dira-t-on, si l’homme est plus excellent que l’univers, est-il créé après l’univers ? C’est justement par la raison qu’il est plus excellent que l’univers. Quand l’Empereur doit faire son entrée dans une ville, généraux, préfets, satellites, serviteurs de toute espèce, vont devant, ornent le palais, préparent tout afin de faire toute espèce d’honneur à celui qu’on appelle l’Empereur ; il en est de même ici ; l’Empereur va faire, pour ainsi dire, son entrée ; le soleil l’a précédé, le ciel a couru devant, la lumière a paru d’abord, toutes choses ont été créées, tout a été préparé, orné ; alors seulement paraît l’homme à qui on fait tous les honneurs.
Faisons l’homme à notre image. Écoutez, Juifs ; à qui Dieu dit-il, Faisons ? Ce sont les paroles écrites de Moïse. Ils prétendent croire en Moïse, ces menteurs ; ce qui prouve qu’ils mentent, et qu’ils ne croient pas en Moïse, c’est la parole du Christ qui les a convaincus de mensonge, écoutez : Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi. (Jn. 5,46) Certes, ils ont des livres, nous avons, nous, un trésor de livres ; à eux la lettre, à nous, et la lettre et la pensée.
À qui donc dit-il, Faisons l’homme ? C’est à un ange, me dit-on ; c’est tout simplement à un archange qu’il s’adresse. Quand des mauvais sujets, des esclaves, accusés par leur maître, sont à court de réponses, ils débitent tout ce qui leur vient à la bouche. C’est ainsi que vous faites, à un ange, n’est-ce pas ? à un archange ? Quel ange ? quel archange ? La fonction des anges n’est pas de créer, ni celle des archanges, d’opérer de telles choses. Ainsi, quand Dieu créait le ciel, il n’a rien dit, ni à un ange, ni à un archange. C’est par sa seule vertu qu’il fa produit ; et maintenant qu’il produit ce qui est plus excellent que le ciel, que le monde entier, l’être animé par excellence, l’homme, il fait venir ses serviteurs pour les associer à son œuvre créatrice ?
2. Non, mille fois non ; le propre des anges, c’est d’assister, non pas de créer ; le propre des archanges, c’est d’être ministres, et non des confidents et des conseillers. Écoutez la parole d’Isaïe sur les vertus des séraphins, lesquels sont supérieurs aux anges : Je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et les séraphins étaient autour du trône ; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils voilaient leur face (Is. 6,1, 2), pour se garantir les yeux, voyez-vous, parce qu’ils ne pouvaient supporter la lumière éclatante, jaillissant du trône. Que dites-vous ? les séraphins sont là, saisis de tant d’admiration et de stupeur, et de crainte, et cela quand ils voient la clémence de Dieu ; et vous voulez que les anges soient associés à ses pensées, prennent part à ses conseils ? c’est ce qui n’est nullement conforme à la raison. Mais enfin, à qui donc adresse-t-il ces paroles : Faisons l’homme ? C’est à l’admirable confident de ses conseils, à Celui qui partage sa puissance, au Dieu fort, au prince de la paix, au Père du siècle à venir (Is. 9,6) ; c’est lui-même, c’est le Fils unique de Dieu ; c’est donc à lui qu’il adresse cette parole : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Il ne dit pas : à ma ressemblance et à la tienne ; ou à ma ressemblance et à la vôtre, mais à notre image, montrant que l’image est une, que la ressemblance est une. Or, de Dieu et des anges, ni l’image n’est une, ni la ressemblance n’est une. Et comment, en effet, du Maître et des serviteurs l’image serait-elle une, ainsi que la ressemblance ? Vous voyez bien que votre faux raisonnement est confondu de toutes parts ; l’image proposée ici, c’est l’image de la domination comme la suite du texte le fait voir. Car après avoir dit : A notre image et ressemblance, il ajoute : Et dominez sur les poissons de la mer. Or, la domination de Dieu et celle des anges ne peuvent être une seule et même domination. Comment se pourrait-il faire, s’il y a d’un côté, les serviteurs, de l’autre le Maître ; d’un côté les ministres, de l’autre celui qui commande ?
Mais voici maintenant d’autres contradicteurs. Dieu a la même image que nous, disent-ils, parce qu’ils ne comprennent pas la parole. En effet, Dieu n’a pas entendu l’image de la substance, mais l’imagé de la domination, comme nous allons le montrer par la suite. Car ce qui fait voir que là forme humaine n’est pas la forme de la divinité, c’est ce que dit Paul : Pour ce qui est de l’homme, il ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu, au lieu que la femme est la gloire de l’homme. (1Cor. 11,7) C’est pourquoi, dit-il, elle doit avoir un voile sur la tête. (Id. 10) Il est évident que si, dans ce passage, Paul a exprimé, par le mot image, la parfaite et entière ressemblance de la forme humaine et de la forme de Dieu, s’il a dit que l’homme est l’image de Dieu, parce que Dieu a été représenté sous la forme humaine, selon les idées de ces juifs, il n’aurait pas dû dire, de l’homme seulement, qu’il avait été fait à l’image de Dieu ; il aurait dû le dire de la femme aussi. En effet, pour la femme et pour l’homme, la figure, la forme, la ressemblance est une. Pourquoi donc dit-il que l’homme est fait à l’image de Dieu ? Pourquoi n’en dit-il pas autant de la femme ? C’est qu’il n’entend pas l’image quant à la forme, mais quant 'à la domination, qui n’appartient qu’à l’homme seul, et non à la femme. L’homme, en effet, n’a pas de créature qui lui soit supérieure ; la femme est soumise à l’homme, selon la parole de Dieu : Vous vous tournerez vers votre mari et il vous dominera, (Gen. 3,16) Voilà pourquoi l’homme est l’image de Dieu c’est qu’il n’y a personne au-dessus de lui, de même qu’il n’est aucun être au-dessus de Dieu. La domination appartient à l’homme, quant à la femme, elle est la gloire de l’homme, parce qu’elle est soumise à l’homme. Autre preuve, ailleurs : Nous ne devons pas croire que la Divinité ressemble à de l’or, ou à de l’argent, ou, ci une pierre, ou à toute forme sculptée par l’art ou conçue par la pensée de l’homme. (Act. 2) Ce qui revient à dire, que non seulement la Divinité surpasse toutes les formes visibles, mais que la pensée humaine ne peut concevoir aucune forme qui ressemble à Dieu. Comment donc peut-il se faire que Dieu ait la figure de l’homme, lorsque Paul déclare que la pensée même ne peut concevoir la forme de l’essence de Dieu ? Quanti notre figure, notre pensée peut facilement se la représenter. Je m’étais encore proposé de vous parler de l’aumône ; mais le temps ne nous le permet pas. Nous nous arrêterons donc ici. Mais auparavant, nous voulons vous exhorter à garder – soigneusement le souvenir de tout ce que vous avez entendu ; à bien vous attacher à la sagesse, à la parfaite rectitude de la conduite, afin qu’il ne soit pas dit que nos collectes sont inutiles ici, et sans fruit pour vous. Nous aurions beau conserver les opinions droites ; si nous n’y ajoutons pas la vertu des bonnes œuvres, nous serons absolument déchus de la vie éternelle. Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas tous dans le royaume des cieux ; mais celui-là seulement y entrera, qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. (Mt. 7,21) Appliquons-nous donc ardemment à faire cette volonté de Dieu, ; afin que nous puissions entrer dans le ciel, et conquérir les biens préparés à ceux qui chérissent le Seigneur. Puissions-nous tous être admis à ce partage, par là grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
TROISIÈME DISCOURS.
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Sur ces mots : « À notre ressemblance (Gen. 1,26) ; » et pourquoi malgré ce que Dieu nous a dit d’exercer notre empire sur les animaux, nous n’avons pas cet empire, et qu’il y a là une preuve de la grande sollicitude de Dieu à notre égard.
ANALYSE.
modifier- 1. Ceux qui cherchent des perles descendent jusqu’au fond de la mer ; que les amateurs des perles spirituelles descendent donc aussi dans les profondeurs des saintes Écritures. – 2. Les Gentils nous objectent qu’il n’est pas vrai que l’homme domine sur les animaux. Mais nous répondons que l’homme exerce encore cette domination, et que d’ailleurs les choses ne sont plus aujourd’hui dans l’état où Dieu les avait mises au commencement.
1. De même que le semeur ne fait rien d’utile, s’il jette les semences à travers le chemin, de même celui qui parle, ne produira aucun fruit, si son discours n’arrive pas jusqu’à la pensée de l’auditeur ; le bruit de sa voix perdu dans l’air, ne sera, pour lui, d’aucune utilité. J’ai mes raisons de vous parler ainsi : je ne veux pas qu’il vous suffise de laisser vos oreilles ouvertes aux pensées faciles, mais je veux que vous attaquiez d’une manière active les pensées plus profondes. En effet, si nous ne nous empressons pas de descendre dans les profondeurs des Écritures, quand nos membres sont encore agiles pour la natation, quand notre vue est encore perçante, quand nous n’avons pas encore le vertige que cause le tourbillon des voluptés, quand le souffle de notre poitrine est assez puissant pour ne pas craindre de suffocation, quand donc y descendrons-nous ? est-ce quand nous serons alourdis par les plaisirs, la bonne chair, l’ivresse ; gorgés de nourriture ? mais alors, c’est tout au plus si nous pouvons nous mouvoir, tant le poids des voluptés est pour l’âme un pesant, fardeau. Ne voyez-vous pas que ceux qui sont jaloux de découvrir des pierres précieuses, ne s’amusent pas à rester assis sur le rivage, à compter les flots qui passent ? ils plongent dans les abîmes profonds, quelle que soit la fatigue d’une pareille recherche, quels qu’en soient les périls, et, quand on a trouvé ce qu’on voulait trouver, si mince que soit le profit. En effet, quelle grande utilité peut avoir, pour nous, cette découverte de pierres précieuses ? si encore ce n’était pas la cause de calamités sans nombre ! Rien, en effet, n’excite plus de bouleversement, plus de confusion, que la soif délirante des richesses ; mais enfin, ceux dont je parle, s’exposent, corps et âme, pour gagner leur vie de chaque jour, et se livrent courageusement aux flots. Ici, chez nous, il n’y a ni dangers ni grandes fatigues ; la fatigue est peu de chose, et on s’y soumet pour conserver précieusement ce qu’on a trouvé ; car ce qu’on trouve sans peine, semble au vulgaire avoir peu de valeur. Dans la mer de l’Écriture il n’y a pas de tempête ; il n’est pas de port qui soit plus calme que cette mer, et il n’est pas nécessaire de se précipiter dans les replis des abîmes obscurs, ni d’abandonner son salut à la violence des flots aveugles. Ici, au contraire, resplendit la pleine lumière, plus brillante, de beaucoup, que les rayons du soleil, la sérénité parfaite ; aucun orage à craindre, et tel est le prix de ce qu’on découvre, qu’aucune parole ne saurait l’exprimer. Donc, ne nous laissons pas abattre par la fatigue, et mettons-nous à notre recherche. Vous avez entendu que Dieu a créé l’homme à son image et nous vous avons dit que ces mots, à son image et ressemblance, n’exprimaient pas une comparaison de substances, mais la ressemblance de la domination. Allons plus loin maintenant : A notre ressemblance, cela veut dire : qu’il faut que l’homme ait la douceur et la mansuétude, qu’il se rende, par la vertu, dans la mesure de ses forces, semblable à Dieu, selon ce que dit le Christ : Soyez semblables à mon Père qui est dans les cieux. (Mt. 5,45) En effet, de même que, sur la vaste étendue de notre terre, il y a des animaux, les uns plus dépourvus d’intelligence, les autres plus féroces ; ainsi, dans les plaines de notre âme, se trouvent certaines pensées, les unes plus dépourvues de raison, les autres plus féroces et plus cruelles ; donc, il faut les soumettre, les dompter, donner à la raison la mission de les dominer. Mais, me dira-t-on, soumettre une pensée sauvage et féroce, est-ce possible ? Que demandez-vous, ô homme ? Nous soumettons des lions, nous apprivoisons leurs âmes, et vous ne savez pas s’il est possible d’adoucir la férocité de vos pensées ? Voyez donc : la férocité est naturelle au lion, la douceur est une exception contraire à sa nature ; tandis que, chez vous, la bonté est naturelle, c’est la férocité qui est contraire à votre nature. Eh bien ! vous qui chassez, de l’âme d’une bête, ce qui lui est naturel, pour y insérer ce qui est contraire à votre nature, vous ne pourrez pas dans votre âme, à vous, conserver ce qui est conforme à votre nature ? Comment ne pas voir là une honteuse indifférence ? Car, en ce qui concerne l’âme du lion, outre la difficulté que je viens de dire, il en est une autre. En effet l’âme de la bête n’est pas capable de raisonnement, et cependant vous avez vu souvent des lions, plus doux que des brebis ; conduits sur les places publiques ; on en voit un grand nombre dans les boutiques, compter de l’argent à leur gardien comme pour le payer de l’adresse, de l’habileté avec laquelle il a su apprivoiser un être dépourvu de raison. Mais, dans votre âme, il y a, et la raison, et la crainte de Dieu, et mille ressources d’un grand secours. Cessez donc d’opposer des prétextes et des excuses ; vous pouvez, si vous voulez, devenir doux et bons. Faisons l’homme à notre image et ressemblance et qu’il domine sur les animaux.
2. Ici, les Gentils nous attaquent, et prétendent que nous sommes dans l’erreur ; que nous ne commandons pas aux animaux, que ce sont eux qui nous commandent par l’épouvante qu’ils nous inspirent ; rien n’est plus contraire à la vérité. Il suffit à l’homme de montrer sa face aux animaux, pour leur faire prendre la fuite, tant est grande la terreur que nous leur inspirons. S’il arrive que, pour se venger, ou encore parce que la faim les presse, ou encore parce que nous les réduisons à quelque extrémité, parce que nous leur faisons violence, ils se jettent sur nous, on ne peut pas dire, en vérité, pour ces raisons, qu’ils nous dominent. Supposez un homme qui s’arme à la vue des brigands fondant sur lui, un homme qui s’apprête à se défendre, on n’appellera pas cela de la domination, mais le soin de sa propre défense. Cependant je ne tiens pas à cette observation, j’en veux une autre qu’il vous sera utile d’entendre. Nous craignons les animaux, ils nous épouvantent, et nous sommes déchus de notre domination ; je n’en disconviens pas ; je m’empresse, au contraire, de le reconnaître, Ce fait pourtant ne prouve pas que la loi de Dieu soit trompeuse. Les choses, en effet, ne se passaient pas, ainsi, dans le principe. Alors les animaux craignaient l’homme ; et tremblaient devant lui, et se soumettaient à lui, comme à leur maître ; mais, parce que nous avons perdu la confiance que l’innocence nous donnait, parce que nous sommes déchus, il nous est arrivé qu’aujourd’hui, nous redoutons les animaux. La preuve ? Dieu amena les animaux devant Adam, pour voir comment il les appellerait. (Gen. 2,19) Et Adam ne sauta pas en arrière comme effrayé, mais il donna, à tous les animaux, leur, nom, comme à des serviteurs rangés sous sa loi ; voilà la marque de la domination. C’est pourquoi Dieu, voulant manifester la dignité de l’homme, par cette prérogative, lui permit d’imposer les noms qu’il voudrait, et les noms imposés par Adam, leur sont restés depuis ces temps anciens. Et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. Voilà donc une première preuve, qui montre qu’au commencement, l’homme ne craignait pas les animaux. En voici une seconde, plus claire encore que la première, l’entretien de la femme avec le serpent. Si les animaux eussent paru redoutables au premier homme, la femme, à la vue du serpent, ne serait pas restée près de lui ; elle aurait pris la fuite ; elle n’aurait pas écouté son conseil ; elle n’aurait pas conversé si tranquillement avec lui ; tout de suite, épouvantée à son aspect, elle aurait pris la fuite. Au contraire, elle converse avec lui, et elle ne le craint pas, parce qu’il n’inspirait pas encore l’épouvante. Mais, quand le péché fut entré dans le monde, notre privilège nous fut enlevé ; de même que, parmi les serviteurs, les plus honnêtes, les plus distingués, sont redoutés de leurs compagnons, tandis que ceux qui ont offensé leur maître, craignent ces compagnons de leur domesticité ; de même, tant que l’homme conserva intacte la vertu qui faisait sa confiance auprès de Dieu, il fut terrible aux animaux ; mais dès qu’il eut offensé Dieu, il commença à redouter même le dernier de ses compagnons d’esclavage. S’il n’en est pas ainsi, montrez-moi donc, avant le péché, les animaux redoutés par l’homme ; impossible à vous.
Si la crainte est venue après le péché, c’est encore là une preuve de la sollicitude de Dieu pour nous ; car, si, après l’infraction à la loi de Dieu, l’homme eût conservé intact l’honneur que Dieu lui avait conféré, il ne lui aurait pas été facile de se relever de sa chute. Quand on voit la désobéissance et l’obéissance jouir des mêmes honneurs, la perversité s’accroît et l’on ne se corrige pas facilement de ses vices. Si les méchants, malgré leur terreur, les châtiments et les supplices imminents ; ne viennent pas à résipiscence, que serait-il, qu’arriverait-il s’ils n’avaient rien à souffrir pour leurs méfaits ? Ainsi, en nous enlevant notre domination, Dieu nous a montré, d’une manière particulière, sa sollicitude pour nous. Ce n’est pas tout. Voyez encore éclater ici son ineffable bonté ; Adam a violé tout à fait la défense, transgressé tout à fait la loi ; mais Dieu ne lui a pas enlevé tout à fait son privilège ; il ne lui a pas repris tout à fait son pouvoir ; il s’est contenté de supprimer son empire sur les animaux qui ne lui sont pas d’un grand secours pour les besoins de la vie. Quant à ceux qui nous sont nécessaires, utiles, qui nous rendent de grands services, Dieu a permis qu’ils nous fussent assujettis. Il nous a laissé les troupeaux de bœufs, pour tirer la charrue, pour creuser nos sillons, pour ensemencer la terre ; il nous a laissé ceux qu’on met sous le joug, pour porter avec nous nos fardeaux, et partager nos fatigues ; il nous a laissé les troupeaux de brebis, pour nous fournir nos vêtements à suffisance ; il nous a laissé d’autres espèces d’animaux, qui nous sont d’une grande utilité, pour différents besoins. Sans doute en punissant l’homme, Dieu avait dit : Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front (Gen. 3,19), mais Dieu n’a pas voulu que cette sueur, que la fatigue, que la peine fût insupportable ; et cette sueur importune, ce labeur pesant, il en adoucit le poids par la multitude des bêtes de somme qui travaillent avec nous, et partagent nos fatigues.
Comme un maître clément et sage, après avoir flagellé son serviteur, prend soin d’adoucir la souffrance causée par les verges, ainsi, après que Dieu eut infligé à l’homme coupable son châtiment, il a voulu, par tous les moyens, rendre ce châtiment plus léger ; en nous condamnant pour toujours, à la sueur et au travail, il a pourvu à ce que notre travail fût soulagé par un grand nombre d’animaux. Pour toutes ces choses, bénissons le Seigneur. L’honneur qu’il nous a conféré, qu’il nous a enlevé plus tard, sans nous l’enlever tout entier, la frayeur qu’il nous a inspirée à l’égard des animaux, tout ce que Dieu a fait, révèle, à un esprit attentif, la grandeur de sa sagesse, la grandeur de sa sollicitude, la grandeur de sa clémente. Puissions-nous tous jouir éternellement, de cette clémence, pour la gloire du Dieu quia si bien fait toutes ces choses ! A lui la gloire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
QUATRIÈME DISCOURS.
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Que le péché a introduit trois espèces de servitude ; contre les auditeurs inattentifs, et ceux qui n’honorent pas leurs parents.
ANALYSE.
modifier- 1-2. Dieu honore l’homme même avant qu’il soit. Le péché a introduit la servitude. Devoir de la femme ; pourquoi elle a été assujettie à l’homme. – 3. Du devoir des enfants envers leurs parents : des récompenses qui attendent ceux qui honorent leurs pères et mères. Du châtiment des parricides. Pourquoi Dieu a voulu qu’ils fussent lapidés.
1. Hier, vous avez appris, comment d’une part, Dieu a institué l’homme roi, commandant aux animaux, de quelle manière, d’autre part, il lui a aussitôt repris cette royauté. Disons mieux, ce n’est pas Dieu, mais la désobéissance de l’homme, qui l’a détrôné. Que l’homme ait obtenu cette royauté, voilà ce qui n’appartient qu’à la Divine Bonté. Et ce n’est pas pour récompenser l’homme de ses vertus, c’est avant la naissance de l’homme, que Dieu l’a glorifié de cet honneur. N’allez pas dire, que l’homme, ayant reçu la naissance, fit un grand nombre de nobles actions, qui lui concilièrent la faveur de Dieu, au point de lui faire obtenir l’empire sur les animaux ; c’est au moment où Dieu allait créer l’homme, qu’il proclame son empire par ces paroles : Faisons l’homme à notre image et ressemblance, et qu’il commande aux animaux de la terre. L’honneur est donné avant la vie ; la couronne, avant que la création soit achevée ; l’homme n’est pas encore fait, et Dieu l’élève au trône royal. Que font les princes de la terre ? C’est quand leurs sujets sont arrivés à l’extrême vieillesse, ce n’est qu’après beaucoup de travaux, après leur avoir vu affronter des périls sans nombre, soit en temps de paix, soit en temps de guerre, qu’ils pensent enfin à leur conférer des honneurs. Dieu, au contraire, n’agit pas ainsi ; mais tout de suite, dès la naissance, il a élevé l’homme à son rang glorieux ; ce qui prouve qu’il n’y a pas là une récompense décernée à ses vertus, mais une faveur de la Divine Bonté, qui ne paye pas tine dette. Ainsi, que l’homme ait reçu le commandement, c’est l’effet, uniquement l’effet de la bonté de Dieu ; et maintenant, qu’il soit déchu de ce commandement, c’est l’effet de sa propre lâcheté. Les rois enlèvent le pouvoir à ceux qui violent leurs ordres ; c’est la conduite que Dieu a tenue envers l’homme, quand il lui a retiré son pouvoir. Or, il est utile aujourd’hui, de vous dire quel honneur insigne le péché lui a encore enlevé ; que d’espèces de servitudes il a introduites' dans le monde ; comme un tyran prodiguant l’esclavage sous des formes diverses, sous quelle diversité de dominations, il a enchaîné notre nature. La première de ces dominations, c’est la servitude qui met les femmes sous la puissance des hommes ; cette domination s’établit après le péché, car, avant la désobéissance, la femme était l’égale de l’homme. Dieu, en la créant, prononça les mêmes paroles qu’en créant l’homme ; de même donc qu’il dit, à son sujet : Faisons l’homme à notre image et ressemblance, et qu’il ne dit pas. Que l’homme soit fait ; de même, pour la femme, il n’a pas dit Que la femme soit faite, mais ici encore : Faisons-lui une aide, et il ne dit pas simplement ; une aide, mais semblable à lui. (Gen. 2,18), pour montrer encore l’égalité dans l’honneur. Les animaux sans raison nous sont, eux aussi, des aides fort utiles pour les nécessités de notre vie ; n’allez pas croire, par hagard, que la femme dût être mise au nombre des esclaves : voyez quel soin, dans le texte, pour l’en séparer très-distinctement. Il amena les animaux, dit le texte, devant Adam, et il ne se trouvait point d’aide pour Adam qui lui fût semblable. (Gen. 2,19-20) Quoi donc ! N’est-ce pas un aide, que le cheval, qui lui prête son secours dans les combats ? N’est-ce pas un aide que le bœuf, qui traîne la charrue, et, à l’époque des semences, travaille avec nous ? Ne sont-ce pas des aides, que l’âne et le mulet, qui nous aident à transporter nos fardeaux ? C’est pour prévenir cette observation, que l’Écriture prend soin de distinguer ici ; elle ne se contente pas de dire : Il ne se trouvait point d’aide pour lui, mais : Il ne se trouvait point d’aide qui lui fût semblable. Et de même, Dieu ne dit pas seulement : Faisons-lui une aide, mais : Faisons – lui une aide semblable à lui. Telles étaient les paroles avant le péché ; mais, après le péché, Vous vous tournerez vers votre mari, et il vous dominera. (Gen. 3,16) Je vous ai faite, dit-il, égale par l’honneur ; vous avez abusé de votre commandement ; descendez au rang de sujette ; vous n’avez pas supporté la liberté, acceptez la servitude ; vous n’avez pas su commander, vous l’avez montré par votre conduite, soyez au rang des créatures soumises, et reconnaissez l’homme pour votre maître : Vous vous tournerez vers votre mari, et il vous dominera. Mais voyez, ici, la bonté de Dieu. En entendant ces mots : il vous dominera, elle aurait pu imaginer une domination pesante ; Dieu a exprimé d’abord la sollicitude en disant : Vous vous tournerez vers votre mari, c’est-à-dire : il sera votre refuge, votre port, votre sécurité ; je vous le donne pour que, dans tous les maux qui vous affligeront, vous vous tourniez vers lui, vous cherchiez en lui votre refuge. Et, ce n’est pas tout ; il les a enchaînés l’un à l’autre par des lois naturelles, par une réciprocité de désirs qui forment, autour d’eux, d’indissolubles liens. Voyez-vous comme la sujétion est venue par le péché ; mais aussi, comme l’ingénieuse sagesse de Dieu a tout converti à notre utilité ? Écoutez ce que dit Paul, de cette sujétion, et vous comprendrez, une fois de plus, la concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament : Que les femmes se tiennent en silence et dans une entière soumission lorsqu’on les instruit. (1Tim. 2,11-12)
Voyez-vous que c’est Dieu lui-même qui a mis la femme sous la puissance de l’homme ? Mais attendez : vous allez en savoir la cause. Pourquoi : dans une entière soumission ? Je ne permets pas, dit-il, à la femme d’enseigner. Pourquoi ? c’est qu’elle s’est prise une fois à enseigner, et qu’elle a mal enseigné Adam. Ni de prendre autorité sur son mari. Pourquoi ? c’est qu’elle a pris une fois cette autorité, et ce fut un mal. Mais, je lui ordonne d’être dans le silence. J’attends la raison : Adam, dit-il, n’a point été séduit, mais la femme ayant été séduite est tombée dans la désobéissance. Voilà donc pourquoi il la fait descendre de la chaire où l’on enseigne. En effet, que celui qui ne sait pas enseigner, dit-il, s’instruise lui-même ; s’il ne veut pas s’instruire, s’il a la prétention d’enseigner, il se perdra lui-même, et ses disciples après lui : n’est ce qui est arrivé à la première femme. Voilà donc la vérité : elle a été assujettie à son mari, et c’est le péché qui l’a assujettie. Cette vérité est devenue évidente, mais c’est ce qui suit que je voudrais comprendre. Vous vous tournerez vers votre mari, et il vous dominera.
2. Je tiens à savoir ce que dit Paul de la sollicitude qui se montre ici, et comment il concilie la domination et la bienveillance. Dans quel passage ? Il écrit aux Corinthiens : Maris, aimez vos femmes. (Eph. 5,25) C’est le : Vous vous tournerez vers votre mari ; Que les femmes craignent leurs maris (Id. 33) : c’est le, et il vous dominera. Voyez-vous la douceur de cette domination ? C’est l’amant passionné qui commande à la femme devenue son esclave ; c’est la tendresse qui respire dans ce maître terrible. Voilà comment disparaît tout l’ennui de la servitude. Donc, la désobéissance a introduit une domination. Oubliez, en effet, que Dieu a tempéré comme il le fallait la servitude ; considérez uniquement ceci : que cette servitude a été établie par le péché. Eh bien ! il est encore une seconde espèce de servitude bien plus pesante que la première, et cette seconde servitude provient aussi du péché. Après le déluge de Noé, après ce commun naufrage, cette destruction de l’univers, Cham s’est rendu coupable envers son père ; il l’avait vu dans un état de nudité ; en l’accusant auprès de ses frères, il le mit encore plus à nu ; et, conséquence de sa faute, il est devenu l’esclave de ses frères. Sa volonté pervertie dégrada la noblesse de sa nature, et sa punition fut juste. L’Écriture, en effet, présente mille excuses en faveur du juste Noé. Noé, s’appliquant à l’agriculture, commença, dit le texte. (Gen. 9,20) Ce commença est pour l’ivresse une excuse considérable ; il ne savait pas encore la quantité de vin qu’on pouvait boire, ni de quelle manière on devait le boire ; pur ou mélangé d’eau ; ni quand on devait le boire, tout de suite, au sortir du pressoir, ou s’il fallait attendre quelque temps. C’est ainsi que l’Écriture excuse l’action de Noé ; mais maintenant, celui qui était un fils de Noé, qui lui devait sa conservation (en effet, c’est à cause du privilège accordé à son père, qu’il n’avait pas été exterminé avec les autres par la tempête universelle), sans aucun respect naturel, sans aucun souvenir du salut qui lui avait été accordé, surmontant la crainte qui aurait dû le ramener à de meilleurs sentiments ; et cela, quand il restait encore tant de preuves de la colère divine ; quand il voyait encore partout les traces d’une immense calamité ; quand l’horreur du sinistre récent était encore vivante, il n’a pas craint d’outrager son père. Un sage prévient ces fautes par l’avertissement qu’il donne ainsi : Ne vous glorifiez pas de l’outrage fait ci votre père, car ce n’est pas une gloire pour vous, que votre père soit outragé. (Eccl) Mais Cham ne connaissait pas cette parole, et il commit un péché qui ne mérite ni pardon ni excuse. En punition de son péché, il encourut la servitude ; il devint l’esclave de ses frères ; la prérogative d’honneur que la nature lui avait conférée, il la perdit par la perversité de son âme. Voilà la seconde espèce de servitude.
Voulez-vous en connaître maintenant une troisième, plus douloureuse, celle-ci, que les deux premières, et beaucoup plus redoutable ; car, ces deux servitudes n’ayant pas suffi à nous corriger, Dieu a rendu nos chaînes plus pesantes. Quelle est donc cette troisième servitude ? Celle qui nous assujettit à des princes, à des puissances ; elle ne ressemble pas à celle de la femme, à celle des esclaves ; elle est de beaucoup plus redoutable. Les yeux voient de toutes parts les glaives aiguisés, les bourreaux, les supplices, les tortures, les châtiments, un pouvoir de vie et de mort. Maintenant, pour vous faire comprendre que cette espèce de domination est aussi un résultat du péché, voici Paul qui vient lui-même ; écoutez ses réflexions sur ce sujet : Voulez-vous ne point craindre les puissances, faites le bien et elles vous en loueront ? Si vous faites le mal, craignez, car ce n’est pas en vain que le prince porte l’épée. (Rom. 13,3-4) Comprenez-vous que c’est contre les méchants qu’il y a des princes et des épées ? Écoutez cette parole, plus claire encore, car le prince punit, dit-il, celui qui fait le mal. L’Apôtre ne dit pas : Car ce n’est pas en vain qu’il est prince, mais, que dit-il ? Car ce n’est pas vain que le prince porte l’épée. C’est un juge armé que Dieu a mis au-dessus de toi. Un père qui aime ses enfants, quand il les voit négliger leurs devoirs, quand il voit que sa bonté paternelle lui attire leur mépris, les confie alors, n’écoutant encore que sa bonté, à des précepteurs qui inspirent plus de crainte ; c’est ainsi que Dieu, se voyant méprisé par nous, à cause de sa bonté, nous a livrés à ces pédagogues qu’on appelle les princes, pour corriger notre négligence. Si vous voulez, ouvrons l’Ancien Testament, nous y verrons que c’est notre perversité quia rendu nécessaire cette domination. Un prophète, enflammé de colère contre des hommes injustes, fait entendre ces paroles : Pourquoi demeurez-vous dans le silence pendant que l’impie dévore le juste ? Pourquoi traitez-vous les hommes comme des poissons de la mer, et comme des reptiles qui n’ont point de roi. (Hab. 1,13-14) Donc, si le roi existe, c’est pour que nous ne soyons pas comme des reptiles ; s’il y a un prince, c’est pour que nous ne nous dévorions pas mutuellement comme des poissons. Car, de même qu’on a inventé les médicaments à cause des maladies, de même, les supplices ont été institués en vue des fautes. L’homme vertueux n’a pas besoin d’un tel pouvoir au-dessus de lui ; voilà pourquoi vous avez entendu Paul vous dire : Voulez-vous ne point craindre les puissances, faites le bien, et elles vous en loueront. Votre juge, dit-il, vous regarde ; si vous faites le bien, non seulement il vous regarde, mais il vous décerne des éloges. Mais à quoi bon vous parler de la nécessité des princes, quand les sages sont au-dessus d’autres puissances de beaucoup plus hautes ? les princes eux-mêmes ont, pour princes, les lois. Eh bien ! il n’a pas besoin des lois, celui qui pratique la modération, la justice. Entendez Paul proclamant encore cette vérité. La loi n’est pas pour le juste. (1Tim. 1,9) S’il n’y a pas de loi pour lui, à bien plus forte raison, n’y a-t-il pas de prince ; voilà donc la troisième espèce de domination qui est encore une conséquence du péché et de la perversité.
3. Comment donc Paul a-t-il pu dire que toute puissance vient de Dieu ? (Rom. 13,2) C’est que Dieu a établi les puissances de manière à nous être utiles ; d’une part, le péché a rendu les puissances nécessaires, d’autre part Dieu les a converties à notre utilité. Et, de même que, si les blessures rendent les remèdes nécessaires, c’est la sagesse des médecins qui les applique ; de même, c’est le péché qui a fait de la servitude une nécessité, mais cette nécessité a subi la direction imprimée par la sagesse du Dieu qui l’a dompté. Voyons, soyez donc attentifs, et corrigez-vous donc de votre laisser aller. Je sais bien ce que je dis. Nous vous expliquons les Écritures, et vous voilà détournant, loirs de nous, vos regards sur les lampes et sur l’allumeur ! Vraiment, quelle légèreté, nous laisser là pour vous occuper de cet homme ! Et moi aussi, j’allume, je tire ma flamme dés Écritures, notre langue que ce feu brûle, est le flambeau dé la doctrine. Cette clarté-là brille plus, et vaut mieux que la sienne. Nous ne l’allumons pas, comme lui, avec de l’huile sur une mèche, nous trempons les âmes dans la piété, et nous les allumons ensuite, parce qu’elles s’embrasent du désir d’apprendre. Un jour, Paul conversait, dans une pièce, au haut d’une maison. (Act. 20,7-9) Je ne voudrais pas pourtant qu’on s’imaginât que j’aie la prétention de me comparer à Paul ; je ne suis pas assez insensé ; ce que je veux, c’est vous faire comprendre l’ardeur avec laquelle vous devez entendre la parole. Eh bien donc, Paul discourait dans une pièce au haut d’une maison et la nuit vint, comme en ce moment, et il y avait des lampes dans la chambre ; alors, Eutychus tomba d’une fenêtre, sans que cette chute dispersât la réunion ; il mourut, et l’assemblée ne se sépara pas. C’est que les auditeurs étaient si fortement attachés à la divine parole, qu’ils ne s’aperçurent en aucune façon de cette chute. Quant à vous, la chose la plus ordinaire, la moins étonnante, se passe sous vos yeux, c’est un homme qui vient faire son office de tous les jours, et tous vos regards se sont tournés sur lui. Cette légèreté est-elle pardonnable ? Il ne faut pas, mes bien-aimés, trouver la réprimande importune et sévère ; nous n’avons pas de haine, c’est notre sollicitude pour vous qui nous l’inspire. Les blessures que fait, celui qui aime valent mieux que les baisers qu’offrent d’eux-mêmes les ennemis. (Prov. 27,6)
Faites donc attention, je vous en prie, et laissant là ce feu, appliquez vos âmes à la lumière des saintes Écritures. J’ai, en effet, résolu dé vous parler d’une autre autorité, qui ne tire pas son origine du péché, mais de la nature même. Quelle est cette autorité ? Celle des parents sur leurs enfants. Le respect de cette autorité, c’est un juste retour en échange des douleurs de l’enfantement ; aussi un sage a dit : Sois soumis comme à des maîtres, à ceux qui t’ont engendré. (Eccl. 3,8 ; 7, 30) Il ajoute ensuite la cause en disant : Car, que rendrez-vous qui égale ce qu’ils ont fait pour vous? Cependant, qu’est-ce que le fils ne peut pas rendre à son père ? Le texte n’a donc rien voulu dire que ceci : Ils t’ont engendré, impossible à toi de les engendrer de même ; donc, puisqu’à cet égard nous restons au-dessous d’eux, cherchons d’autres moyens, surpassons-les par les honneurs que nous leur rendons ; ne suivons pas, en cela, seulement la loi de la nature, écoutons, avant la nature, la crainte de Dieu. C’est la volonté de Dieu, sa volonté expresse, que les parents soient honorés par les enfants. Qui remplit ce devoir, se prépare de grandes récompenses ; ceux, au contraire, qui enfreindraient la loi, seraient frappés par lui, de châtiments terribles. Que celui qui aura prononcé, dit la loi, une parole d’imprécation contre son père où contre sa mère, soit puni de mort. (Ex. 21,17) Quant à ceux qui honorent leurs parents, voici comme la loi les encourage : Honorez votre père et votre mère, afin que vous soyez heureux et pleins de jours sur la terre. (Ex. 20,12) Ce qui paraît le plus grand des biens, une belle et noble vieillesse, la longueur des jours, voilà le prix qu’on propose à ceux qui honorent leurs parents. Mais, ce qui semble le plus affreux malheur, la mort prématurée, voilà la menace, suspendue sur ceux qui les outragent. On arrache l’affection des uns par la gloire qu’on leur annonce ; les autres, on les détourne violemment des outrages qu’ils voudraient commettre, en leur faisant redouter le châtiment. Car, il n’est pas dit simplement, ni qu’on frappera de mort le parricide, ni que les bourreaux le traîneront hors du tribunal, à travers la place publique ; ni qu’on lui tranchera la tête en dehors de la cité ; c’est au milieu même de la cité, que le père outragé conduit son fils coupable, et sans rien qui ressemble à un plaidoyer, le père est sûr d’être cru ; et c’est avec raison, car celui qui prodiguerait volontiers tout ce qu’il possède, tout ce qu’il a de santé et de force, tout ce qui est à lui, pour son enfant, ne s’en ferait jamais l’accusateur, s’il n’avait reçu de lui un sanglant outrage. Donc le père le conduit au milieu de la cité ; il appelle tout le peuple ; il prononce l’accusation, et parmi tous ceux qui l’écoutent, chacun prend une pierre, et tous écrasent le parricide. Ce ne sont pas de simples spectateurs du châtiment, mais des ministres que la loi réclame, afin que, pour chacun d’eux, la simple inspection de cette main qui a jeté la pierre contre la tête du parricide, soit un avertissement suffisant, pour les tenir dans le devoir. Ce n’est pas tout : le législateur nous insinue encore une autre pensée : qui outrage ses parents, n’est pas coupable envers eux seuls, mais se rend coupable envers tous les hommes, et voilà pourquoi tous les hommes sont appelés à exécuter en commun le châtiment ; c’est qu’ils sont tous outragés ; le législateur convoque, à la fois, tout le peuple, la cité tout entière, enseignant par là que ceux qui n’ont, avec les parents outragés, rien de commun, ressentent cependant, tous ensembles, la même indignation contre ceux qui leur ont fait outrage, comme si l’outrage frappait la nature entière, et parce qu’un homme, ainsi dégradé, c’est une peste, un fléau public, qu’il ne suffit pas de bannir de la cité, qu’il faut encore faire disparaître de la lumière. Un tel homme, en effet, est un ennemi public, un ennemi particulier, un ennemi commun de tous les hommes, de Dieu, de la nature, des lois, de la société des vivants. Voilà pourquoi nous devons tous participer à l’extermination, afin de purifier la cité. Ah ! maintenant, que l’abondance des biens soit sur vous, parce que vous avez écouté avec tant de plaisir ce que nous venons de dire sur le parricide, et, qu’au lieu de prendre des pierres, c’est par vos cris que vous l’avez exterminé. Marque certaine de la grande affection que chacun de vous a pour son père ; car les lois que nous admirons le plus, ce sont les lois qui châtient les péchés que notre conscience ne nous reproche pas. Pour tous ces biens, rendons grâces au Dieu plein de bonté, qui veille sur nous, qui prend soin de nos parents, qui s’inquiète pour nos enfants, qui dispose tout pour notre salut. A lui la gloire, l’honneur et l’adoration, ainsi qu’au Père, qui n’a pas eu de commencement, ainsi qu’à l’Esprit-Saint, et maintenant, et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
CINQUIÈME DISCOURS.
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Que nous ne devons pas à Adam d’être punis, mais que nous lui devons des biens plus grands que les maux si nous voulons faire attention à notre salut : contre ceux qui négligent les pauvres.
ANALYSE.
modifier- 1-2. Pourquoi le péché d’un seul attire-t-il le châtiment sur les autres ? Avec la vertu, la servitude n’est qu’un nom. L’exemple de Nabuchodonosor et des trois enfants prouve que celui qui pratique la vertu est libre et supérieur aux rois mêmes. – 3 – 4. Exhortation à l’aumône. Vie misérable des pauvres, et dureté des riches.
1. Vous croyez peut-être que nous n’avons plus rien à dire sur la domination, mais, moi, je vois encore un fruit précieux à recueillir. Ne vous fatiguez pas, je vous en prie, laissez-moi le temps d’achever ma vendange. Les agriculteurs laborieux qui voient une vigne chargée d’un épais feuillage, courbée sous l’abondance de ses fruits, ne se contentent pas de couper les grappes du dehors ; ils s’enfoncent dans l’intérieur du cep, ils brisent les branches ; ils écartent les sarments, de manière à récolter jusqu’au moindre grain caché sous les feuilles. Ne vous montrez donc pas plus négligents que les vendangeurs ; ne vous en allez pas, avant d’avoir tout cueilli ; considérez surtout que la peine est pour moi, le fruit pour vous.
Hier, nous avons accusé les femmes, c’est-à-dire non, nous n’avons pas accusé les femmes ; mais Eve, d’avoir, par le péché, introduit la servitude. Les femmes pourront me dire pourquoi ? c’est elle qui a commis la faute, et l’on nous condamne ? la chute d’une seule est devenue l’accusation du sexe tout entier ? Les esclaves, à leur tour, pourront me dire : eh quoi ! parce que Cham a outragé son père, toute une race d’hommes a été punie ? Et ceux qui tremblent devant les puissances, pourront m’objecter : pourquoi, quand ce sont les autres qui vivent dans le crime, subissons-nous, nous aussi, le joug de cette servitude ? Que répondrons-nous donc à toutes ces réclamations ? Une seule et même explication les fera tomber toutes. Les premiers pécheurs ont introduit la servitude par leur prévarication personnelle, mais les pécheurs qui sont venus après, ont confirmé cette servitude par les péchés qu’eux-mêmes ont commis. En effet, si ces derniers pouvaient toujours se montrer purs, peut-être paraîtraient-ils avoir raison de contredire ; mais, s’ils se sont exposés, eux aussi, à de nombreux châtiments, leur excuse n’est pas fondée. Moi, je ne vous ai pas dit que le péché d’aujourd’hui n’introduit pas la servitude, mais qu’à tout péché se joint nécessairement la servitude ; j’ai attribué la cause de la servitude à la nature du péché, et non seulement à la différence du péché ; de même que toutes les maladies incurables sont mortelles, sans être toutes cependant de la même nature, de même tous les péchés engendrent la servitude, sans être tous cependant de la même nature. Eve a péché en goûtant le fruit, et, pour cela, elle a été condamnée ; pour cette raison, vous, gardez-vous de commettre un autre péché, plus grave peut-être que cette première faute. Nous appliquerons la même observation, et aux esclaves, et à ceux qui subissent la domination des puissances ; les premières, c’est le péché qui les a introduites ; mais les hommes qui sont venus après, ont assuré la domination de ces puissances, par les fautes qu’ils ont commises. Je puis d’ailleurs me servir d’une autre justification, c’est qu’un grand nombre d’hommes, en retournant à la vertu, se sont affranchis de la domination. Et d’abord, s’il vous paraît à propos, parlons des femmes, afin de vous montrer, comment le bienheureux Paul, après leur avoir mis des liens, prend soin lui-même de rendre ces liens plus lâches : Si une femme, dit-il, a un mari du nombre des infidèles, et qu’il consente à demeurer avec elle, qu’elle ne se sépare point d’avec lui. (1Cor. 7,13) Pourquoi ? Car que savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez point votre mari ? (Id. 16) Et comment, me dira-t-on, la femme pourra-t-elle sauver son mari ? par ses enseignements, ses instructions, ses discours sur la religion. Mais vous disiez hier, bienheureux Paul : Je ne permets pas à la femme d’enseigner. (1Tim. 2,12) Comment donc se fait-il que vous l’employiez pour faire la leçon à son mari ? Je ne suis pas ici en contradiction avec moi-même, je suis, au contraire, en parfait accord. Écoutez, je vous en prie, comprenez pourquoi il la fait descendre de la chaire, et pourquoi il l’y fait remonter ; vous apprendrez ainsi quelle est la sagesse de Paul : C’est à l’homme à enseigner, dit-il. Pourquoi ? parce qu’il n’a pas été séduit. (1Tim. 2,14) En effet, dit-il, Adam n’a point été séduit. Que la femme écoute pour s’instruire, dit-il. Pourquoi ? parce qu’elle a été séduite. En effet ; la femme ayant été séduite est tombée dans la prévarication ; mais ici, nous voyons le contraire ; le mari, d’une part ; étant infidèle, d’autre part, la femme fidèle, que la femme enseigne, dit-il. Pourquoi ? c’est qu’elle n’a pas été séduite, puisqu’elle est fidèle. Donc, il faut que l’homme s’instruise ; parce qu’il a été séduit, puisqu’il est infidèle. Ce ne sont plus les mêmes qui enseignent ; par conséquent que ce ne soient plus les mêmes qui commandent. Voyez-vous, comme il fait voir, partout, que la servitude n’est pas une conséquence de la nature, mais de l’erreur et du péché ? Au commencement, l’erreur appartint à la femme, la sujétion a suivi l’erreur ; ensuite l’erreur a saisi l’homme et la sujétion s’est eu même temps que l’erreur, attachée à lui ; et, de même qu’au commencement, l’Écriture a confié le salut de la femme à l’homme, parce qu’il n’a pas été séduit, vous vous tournerez vers votre mari, et il vous dominera (Gen. 3,16) ; de même, ici, attendu que c’est une femme fidèle qui a un mari infidèle, le salut de l’homme est confié à la femme, par ces paroles : Car que savez-vous, ô femme, si vous ne sauverez point votre mari ? Est-il possible de démontrer plus clairement, que la servitude n’est pas une suite de la nature, mais du péché ? Nous pouvons appliquer aux esclaves les mêmes réflexions : Avez-vous été appelé esclave ? peu doit vous importer. (1Cor. 7,21) Voyez-vous comme il montre ici que la servitude n’est qu’un mot, quand la vertu l’accompagne ? Mais si vous pouvez devenir libre, faites plutôt un bon usage de la servitude, c’est-à-dire, demeurez plutôt dans la servitude. Pourquoi ? Car celui qui étant esclave, est appelé au service du Seigneur, devient affranchi du Seigneur. (Id. 22) Comprenez-vous que la servitude n’est qu’un mot, tandis que la liberté est réelle ? Maintenant pourquoi permet-il de rester esclave ? Pour vous faire comprendre l’excellence de la liberté ; car, de même qu’au lieu d’éteindre la fournaise où l’on avait jeté les trois jeunes hommes, il était beaucoup plus admirable de les y conserver intacts et sans atteinte, ainsi, au lieu de détruire la servitude, la conserver, montrer la liberté subsistant avec elle, voilà ce qui est plein de grandeur et digne de toute admiration. De là, ces paroles : Quand même vous pourriez devenir libre, faites plutôt usage de la servitude, c’est-à-dire, demeurez esclave, car vous possédez la plus vraie liberté.
2. Voulez-vous voir ces réflexions se confirmer, en ce qui concerne les puissances ? Il y eut un roi, Nabuchodonosor, qui embrasa une fournaise des feux les plus ardents, et fit amener trois jeunes hommes, bien jeunes, privés de tout secours, des captifs, des exilés. Or, que leur dit-il ? Est-il vrai, Sidrach, Misach, et Abdénago, que vous n’honorez point mes dieux et que vous n’adorez point la statue d’or que j’ai dressée ? (Dan. 3,14) Eh bien ! que répondirent-ils ? Voyez comme la vertu a rendu ces captifs plus rois que le roi lui-même, et a grandi, exalté leur fierté. En effet, ils n’avaient pas l’air de parler au roi, mais, comme s’ils eussent adressé la parole à quelque inférieur, ils tirent une réponse pleine de liberté : Il n’est pas besoin, dirent-ils, ô roi, que nous répondions à cette parole. (Dan. 3,16) Ce ne sont pas des paroles, mais les actions mêmes, qui feront notre démonstration. Il y a un Dieu dans le ciel, qui peut nous arracher de la fournaise. (Id. 1.7) Ils rappellent au roi le bienfait de Daniel dans les mêmes termes dont s’est servi le Prophète ; car que disait-il alors ? Les sages, les mages, les devins, et les augures ne peuvent découvrir au roi le mystère dont il est en peine, mais il y a un Dieu au ciel qui révèle les mystères. (Id. 2,27, 28) Ils lui rappellent donc cette parole, pour le rendre plus modeste ; ensuite, l’Écriture ajoute: Et s’il ne veut pas le faire, nous vous déclarons néanmoins, ô R. que nous n’honorons point vos dieux, et que nous n’adorons point la statue d’or que vous avez fait élever. (Id. 3,18) Voyez la sagesse de ces jeunes hommes. Ils ne veulent pas que le peuple qui les regarde, méconnaisse la puissance de Dieu, s’ils venaient à mourir après avoir été jetés dans la fournaise ; ils commencent donc par proclamer cette puissance, par ces paroles : Il y a un Dieu dans le ciel, qui peut nous arracher de la fournaise. Et maintenant, dans le cas où ils échapperaient aux flammes, pour qu’ils ne fussent pas soupçonnés d’avoir servi Dieu dans l’espérance d’un salaire et d’une récompense, ils ajoutent : Et s’il ne veut pas le faire, nous vous déclarons néanmoins, ô R. que nous n’honorons point vos dieux et que nous n’adorons point la statue d’or que vous avez fait élever. Par ces paroles, ils publient la puissance de Dieu, et, en même temps, ils montrent la noble confiance de leur âme, de manière qu’il soit impossible de renouveler contre eux, la calomnie intentée contre Job. par le démon. Que disait le démon ? Ce n’est pas sans intérêt que Job vous honore, car vous l’avez fortifié de toutes parts au dedans et au-dehors. (Job. 1,9-10) Donc, pour prévenir cette calomnie, ces jeunes hommes prennent leurs précautions d’avance et lui ferment sa bouche impudente.
Vous vous rappelez ce que je vous ai dit ; quoique prisonnier, quoique esclave, quoique étranger, quoique exilé, quiconque porte avec soi la vertu, est plus roi que tous les rois. Comprenez-vous que nous avons supprimé la servitude des femmes, la servitude des esclaves, la servitude qui assujettit aux puissances ? Eh bien ! maintenant, je veux vous montrer que c’en est fait aussi de la crainte inspirée par les bêtes féroces. Dans la même ville de Babylone, autrefois, Daniel fut jeté dans une fosse, mais les lions n’osaient le toucher, car ils voyaient briller en lui, l’ancienne image du roi de la nature ; ils reconnaissaient les nobles traits qu’ils avaient vus sur le visage d’Adam, avant le péché ; ils s’approchèrent de Daniel avec la même soumission qu’auprès d’Adam, lorsque le premier homme leur imposait leurs noms ; et, ce qui arriva à Daniel, arriva aussi au bienheureux Paul. Jeté dans une île barbare, assis auprès d’un grand feu, il se chauffait. (Act. 28) Voici que, s’élançant du bois sec, une vipère lui sauta à la main. Qu’arriva-t-il ? la bête aussitôt tomba morte ; car, comme elle ne trouva pas en lui de péché, il lui fut impossible même de le mordre. Mais, de même que, lorsque nous voulons gravir une hauteur dont la pente ne présente pas d’aspérités si nous ne trouvons rien que notre main puisse saisir, tout à coup nous tombons, soit dans la mer qui s’étend sous nos pieds, soit dans un précipice ; de même cette bête qui se trouvait au-dessus du foyer, n’ayant pu trouver le péché pour s’y attacher, pour y enfoncer ses dents, tomba dans le foyer et mourut. Voulez-vous encore une autre preuve à l’appui de nos réflexions ? La première, vous le savez, c’est qu’aux premiers pécheurs, il faut joindre ceux qui ont vu le jour après eux ; mais maintenant, une seconde preuve, c’est que les hommes vertueux, et cela même dans la vie présente, ont rendu leur servitude plus légère, disons mieux, se sont entièrement affranchis, comme nous l’avons montré, à propos des femmes, à propos de ceux qui subissent les puissances, à propos des bêtes féroces. Mais, à ces preuves, il en faut ajouter une troisième ; c’est que le Christ en venant au milieu de nous, nous a promis des biens plus grands que ceux dont nous a dépouillés la faute des premiers pécheurs. Eh bien ! je vous le demande, qu’avez-vous à pleurer ? est-ce parce que le péché d’Adam vous a chassés du paradis ? faites de bonnes œuvres, animez-vous d’un vertueux zèle, et ce n’est plus le paradis seulement, mais le ciel, que j’ouvre devant vous ; et je ne veux pas que, de la prévarication de votre premier père, il vous arrive aucun mal. Pourquoi vos pleurs ? Est-ce parce que vous êtes déchus de votre empire sur les bêtes féroces ? Voici que je vous soumets les démons eux-mêmes, si vous voulez vous appliquer au soin de votre âme. Foulez aux pieds, dit l’Évangéliste, les serpents et les scorpions et toute la puissance de l’ennemi (Lc. 10,19) ; et il ne dit pas : Dominez, comme quand il s’agissait des animaux, mais : Foulez aux pieds, marquant par là la souveraine domination.
3. Paul aussi, pour cette raison, ne se borne pas à dire : Dieu étendra Satan sous vos pieds ; mais, Dieu brisera Satan sous vos pieds. (Rom. 16,20) Il ne dit plus, comme auparavant : Il observera votre tête, et vous observerez son talon: mais la victoire est entière, le triomphe est parfait, l’ennemi est broyé, il n’en reste rien. Eve t’a soumise à ton mari, eh bien ! moi, je ne t’égale pas seulement à ton mari, mais aux anges eux-mêmes ; tu n’as qu’à vouloir ; elle t’a privée de la vie présente, eh bien ! moi, je t’accorde en don la vie future, qui ne connaît ni la vieillesse, ni la mort ; l’abondance inépuisable de tous les biens. Que personne donc ne se regarde comme atteint, dépouillé par la faute des premiers pécheurs. Si nous voulons obtenir tous-les biens que Dieu nous tient en réserve, nous verrons que les dons qui nous sont faits, dépassent de beaucoup les biens que nous avons perdus. Ce que nous avons déjà dit, suffira pour démontrer ce qui nous reste à dire. Adam a introduit dans la vie les labeurs et les fatigues ; le Christ nous a promis la vie, exempte de douleurs, de tristesse et de gémissements, et nous promet le royaume des cieux. Venez, dit-il, ô vous, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde, car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez logé avec vous ; j’étais nu et vous m’avez revêtit, j’étais en prison et vous êtes venus vers moi. (Mt. 25,31, 36)
Nous sera-t-il donné, à nous aussi, d’entendre cette invitation bienheureuse ? Je n’oserais pas l’affirmer trop fortement, car il est grand chez nous, le dédain des pauvres. C’est le temps du jeûne ; tant d’exhortations vous sont faites, tant de salutaires enseignements, des prières continuelles, des assemblées tous les jours, tant de soins que l’on prend de vous, à quoi cela sert-il ? A rien. Nous sortons d’ici, et nous voyons cette chaîne de pauvres alignés, à notre droite, à notre gauche ; et, comme si nos yeux, ne voyaient que des colonnes, et non des corps humains, sans compassion, sans pitié, vite, nous passons. Comme si nos regards ne tombaient que sur des statues sans âme, et non sur des hommes qui respirent, vite, nous rentrons dans nos maisons. Mais, c’est que j’ai faim, me répond-on ; eh bien ! si vous avez faim, restez. Sans doute, le proverbe a raison, ventre plein ne connaît pas la faim. Mais ceux qui ont faim connaissent, par leur propre douleur, même la douleur des : autres, ou plutôt, même dans cette circonstance, il n’est pas possible de bien connaître toutes ces douleurs. Votre table est toute préparée ; à vous, et vous y courez, et vous ne pouvez pas même attendre un moment ; le pauvre est là, jusqu’au soir, et il s’agite, et il se travaille, pour s’assurer le pain de chaque jour ; et, quand il voit que le jour est passé tout entier, mais qu’il n’a pas tout entière la somme qu’il lui faut tout juste pour acheter la nourriture du jour, il souffre alors, et il s’irrite, et il excède ses forces en insistant avec plus d’audace. Aussi, quand le soir arrive, les pauvres nous assaillent avec plus d’instance, jurant, conjurant, gémissant, pleurant, tendant les mains, n’ayant plus de pudeur, se livrant à mille tentatives, parce qu’ils y sont forcés ; c’est qu’ils ont peur, quand chacun se sera retiré dans sa maison, de se trouver au milieu de la ville, errant partout comme dans un désert. Et, comme les naufragés saisissent une planche, et s’empressent d’arriver au port, avant le soir, de peur qu’enveloppés par la nuit, loin du port, ils n’éprouvent un plus sinistre naufrage ; ainsi les pauvres, qui redoutent la faim comme un naufrage, se hâtent, avant que le soir arrive, de recueillir l’argent nécessaire pour leur nourriture, craignant qu’à l’heure où chacun se sera retiré chez soi, ils ne restent hors du port. Le port, pour les infortunés, c’est la main qui leur donne.
4. Mais nous, nous traversons la place publique, sans être touchés de leurs souffrances, et nous n’y pensons pas, quand nous sommes chez nous. Notre table est servie, souvent chargée de biens sans nombre (s’il faut appeler biens les mets que nous mangeons et qui accusent notre dureté) ; enfin souvent notre table est servie, et nous les entendons, au-dessous de nous, dans les ruelles, dans les carrefours, poussant des cris ; leur douleur éclate au sein des ténèbres, dans la solitude, où tous les abandonnent, et même alors nous restons insensibles. Une fois bien rassasiés, nous nous disposons à nous coucher, à dormir, et alors nous entendons de nouveaux cris, de longs cris de douleur, et, comme si ce n’était qu’un chien que la rage tourmente, comme si nous n’entendions pas une voix humaine, vite, nous allons dormir. Et ces douleurs, à cette heure, ne nous émeuvent pas ! ni cette circonstance, que pendant cette nuit si triste, tous dorment, excepté ce malheureux, qui seul se lamente ; ni ce fait qu’il demande bien peu de chose, qu’il ne réclame, de nous, qu’un peu de pain, ou un peu d’argent ; ni ce qu’il y a d’affreux dans son malheur, à savoir, qu’il lutte continuellement avec la faim ; ni la réserve de sa prière, ce malheureux que presse une nécessité si grande, qui n’ose pas approcher de notre porte, s’avancer trop près de nous, mais au-dessous de nous, laisse un long espace entre nous et sa voix suppliante, rien ne nous fait. Si on lui donne, il nous rend, en échange, des prières sans nombre ; si on ne lui donne pas, il ne laisse pas échapper, pour cela, une parole amère, il n’adresse ni reproche, ni outragé, à ceux qui pourraient lui donner, et ne lui donnent rien. Comme un malheureux que le bourreau conduit à un cruel supplice, conjure, implore vainement tous ceux qui passent, n’obtient aucun secours et se voit livré à d’horribles tortures, ainsi cet infortuné, que la faim, comme un bourreau, traîne aux douleurs de la nuit et des veilles insupportables, nous tend les mains, pousse vers nous des cris qui montent jusque dans nos demeures, il nous implore, il n’obtient de notre charité aucun secours, et, souffrant de notre cruauté, sans avoir pu fléchir notre pitié, il s’en va loin de nous. Rien cependant ne nous émeut. Et nous, qui sommes sans cœur, nous osons ensuite tendre les mains au ciel, discourir auprès de Dieu sur la miséricorde, et lui demander le pardon de nos fautes, et nous ne craignons pas que la foudre du ciel, terminant 461 une telle prière, ne punisse, en tombant sur nous, cette cruauté monstrueuse ! Comment se peut-il, je vous le demande, quand nous allons nous reposer, quand nous allons dormir, que nous ne craignions pas de voir en songe ce même pauvre avec ses vêtements misérables, couvert de ses haillons, d’une voix gémissante, lamentable, nous reprocher notre dureté ? J’ai entendu beaucoup de personnes me dire, que, quand elles avaient néglige, pendant le jour, de secourir les pauvres, il leur avait semblé, pendant la nuit, se voir garrottées, traînées par les indigents, tourmentées, accablées de maux sans nombre ; songe et vision que tout cela ; châtiment qui passe, qui n’a qu’un temps. Mais, n’avons-nous pas à craindre, je vous le demande, qu’un jour ce pauvre qui se lamente, qui crie et qui pleure, ne nous apparaisse dans le sein d’Abraham, comme Lazare autrefois parut aux yeux de ce riche que vous connaissez ? Pour les conséquences, je laisse à votre conscience le soin de les méditer, conséquences pleines d’amertume et d’insupportables douleurs : Comment il demanda de l’eau ; comment il n’en obtint pas une seule goutte ; comment sa langue fut tourmentée ; comment, après grand nombre de prières inutiles, il n’obtint aucun pardon ; comment il fut livré aux supplices éternels. Loin de nous le malheur de connaître cette vérité par notre expérience personnelle ! Qu’il nous suffise de l’apprendre, par ce récit. Évitons, par nos œuvres, les divines menaces ; rendons-nous dignes d’être reçus, avec amour et dilection, par notre père Abraham, et puissions-nous parvenir, auprès de lui, dans le sein de Dieu, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’honneur, l’empire, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
SIXIÈME DISCOURS.
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De l’arbre du paradis. Est-ce de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou, même avant de manger du fruit, était-il doué de la faculté de faire ce discernement ? Réflexions sur le jeûne ; il faut méditer à la maison, sur les paroles entendues dans l’église. (Gen. 2,17 et suiv)
ANALYSE.
modifier- 1. Combien il est plus utile d’assister aux assemblées de l’Église, qu’aux assemblées profanes. Nous avons promis de parler de l’arbre, dit de la science du bien et du mal ; nous dirons hardiment que le premier homme connaissait le bien et le mal avant de manger du fruit défendu. – 2. Épilogue moral.
1. J’aime la quarantaine du jeûne, parce que c’est la mère de la tempérance, la source de toute sagesse ; je l’aime encore à cause de vous, à cause de votre affection ; parce qu’elle me ramène votre sainte et vénérable réunion, parce qu’elle me donne de revoir vos visages bien-aimés ; parce qu’elle me permet de jouir, dans l’abondance de la joie, de cette belle et brillante assemblée, de cette heureuse fêté. Oui, brillante assemblée, heureuse fête, tous les noms les plus beaux et les plus doux conviennent à cette réunion qui vous ramène auprès de nous. Si un homme, sur la place publique, rencontrant un ami, un seul, oublie souvent tous ses chagrins, nous, qui ne vous rencontrons pas sur la place publique ; mais dans l’église, qui ne voyons pas ici, par hasard seulement, un ami, mais tant de frères et de pères, et quels pères, quels frères ! comment n’oublierions-nous pas tous nos chagrins ? comment ne goûterions-nous pas toutes les délices d’une vraie joie ? Ce n’est pas le grand nombre seulement qui rend cette assemblée meilleure que les réunions dans les places publiques, c’est aussi la nature de nos entretiens. En effet, dans les places publiques, on se trouve ensemble, on s’assied en cercle, et souvent la conversation s’engage sur des sujets frivoles, ce sont de froids entretiens, et le bruit des mots sur des affaires qui n’ont aucun intérêt ; car c’est assez souvent la coutume de s’occuper inutilement, de prendre un soin très-curieux, très-passionné, des affaires d’autrui. La pente est glissante, il est dangereux dé débiter, d’écouter des paroles de ce genre ; souvent il en est résulté des tempêtes dans les familles ; je n’insiste pas. Assurément, que ces conversations du monde soient inutiles et froides, qu’elles laissent peu de place à des entretiens spirituels, c’est ce que personne ne contestera. Il n’en est pas de même ici, c’est tout le contraire : tout entretien inutile est banni ; la doctrine, l’enseignement spirituel se montre seul au milieu de nous ; nous parlons ensemble de notre âme, des biens qui conviennent à notre âme, des couronnes mises en réserve dans le ciel, des hommes dont la vie a été, glorieuse, de la bonté de Dieu, de sa providence, qui s’étend sur toutes choses, enfin de tous les sujets qui nous intéressent le plus ; pourquoi sommes-nous venus en ce monde, et quelle sera, quand nous partirons d’ici-bas, notre condition ; en quel état serons-nous à ce moment ? Et cette réunion ne se compose pas de nous seulement, mais prophètes et apôtres y ont leurs places au milieu de nous ; et, ce qui dépasse tout ce qu’il y a de plus grand, le Seigneur même, le Maître du monde, se tient au milieu de nous, Jésus ! Il le dit lui-même : En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles. (Mt. 18,20) S’il est vrai que, par, tout où deux ou trois personnes sont réunies, Jésus se trouve au milieu d’elles, à bien plus forte raison se trouve-t-il où sont rassemblés tant d’hommes, tant de femmes, tant de pères, et d’apôtres et de prophètes.
C’est ce qui augmente notre zèle à vous parler ; voilà notre force, et, maintenant, il faut que nous vous payions notre dette. Nous vous avons promis de vous parler d’abord de l’arbre du paradis, si c’est de cet arbre qu’Adam a tiré la connaissance du bien et du mal, ou si, même avant de manger du fruit, il était doué de la faculté de faire ce discernement. Ayons confiance et disons, dès maintenant, sans hésiter, que, même avant de manger du fruit, Adam savait discerner le bien du mal. En effet, s’il n’avait pas su ce qui est bien, ce qui est mal, il aurait été plus dépourvu de raison que – les êtres sans raison ; le maître aurait eu moins d’intelligence que les esclaves. Voyez donc l’absurdité : des chèvres, des brebis savent quelle plante leur est utile, quelle autre leur est nuisible ; elles ne s’attachent pas indifféremment à toutes celles qu’elles voient, elles discernent, elles connaissent très-bien ce qui, d’une part, leur est nuisible, ce qui, d’autre part, leur est utile, et l’homme aurait été privé d’une faculté nécessaire à sa sûreté ? S’il n’en eût pas été doué, il n’aurait eu aucune valeur, il aurait été au-dessous de tous les animaux ; il aurait cent fois mieux valu pour lui vivre dans les ténèbres, aveugle, privé de la lumière, que de ne pas connaître ce qui est bien, ce qui est mal. Supprimez de notre vie, cette faculté, vous ruinez notre vie tout entière, ce n’est plus que bouleversement et confusion partout ; c’est là en effet ce qui nous distingue des animaux sans raison, c’est là ce qui nous rend supérieurs aux bêtes : connaître ce que c’est que le vice, ce que c’est que la vertu, reconnaître ce qui est mal, ne pas ignorer ce qui est bien. Si nous avons cette connaissance aujourd’hui, non pas nous seulement, mais et les Scythes et les barbares, certes, à plus forte raison, le premier homme la possédait avant le péché ; quand il était comblé de tous les honneurs qui conviennent à l’image et à la ressemblance de Dieu, quand il avait été enrichi de tant de bienfaits, il n’était pas privé du premier de tous les biens. La connaissance du bien et du mal n’a été refusée qu’à ceux à qui la nature n’a pas donné l’intelligence et la raison. Adam, au contraire, possédait l’abondance de la sagesse, et pouvait discerner l’opposition du bien et du mal ; ce qui prouve qu’il possédait l’abondance de la sagesse spirituelle, c’est l’Écriture ; écoutez la démonstration : Dieu amena, dit le texte, les animaux devant Adam afin qu’il vît comment il les appellerait, et le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable. (Gen. 2,19) Considérez de quelle sagesse était rempli celui qui, à tant d’espèces si variées, à tant de genres si divers, bêtes de somme, reptiles, oiseaux, a pu donner tous les noms, et les noms propres. Dieu approuva ces noms, sans réserve, au point qu’il ne les changea pas, même après le péché. Et le nom qu’Adam donna, dit le texte, à chacun des animaux, est son nom véritable.
2. Eh bien ! donc, ignorait-il ce que c’est que le bien, ce que c’est que le mal ? Qui pourrait le prétendre ? Autre preuve : Dieu conduisit la femme auprès de lui, et, tout de suite, à son aspect, il reconnut sa compagne, et que dit-il ? Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. (Id. 23) Peu d’instants auparavant, Dieu lui avait amené tous les animaux ; Adam veut montrer que la femme ne doit pas être confondue avec les autres êtres animés, il dit : Voilà maintenant l’os de mes os et la chair de ma chair. Il est vrai que quelques interprètes prétendent qu’Adam ne se borne pas ici à indiquer cette pensée, qu’il exprime, en outre, de quelle manière la femme a été créée ; qu’il veut faire entendre que la femme ne naîtra pas une seconde fois de la même manière ; que c’est pour cette raison qu’il dit : Voilà maintenant, parole qu’un autre interprète explique ainsi : Voilà pour cette fois, comme si Adam disait : Voilà maintenant, pour cette fois seulement, que la femme a été tirée de l’homme seul, mais dans la suite, il n’en sera pas de même, elle naîtra des deux. L’os de mes os et la chair de ma chair. En effet, Dieu ayant pris, de l’homme tout entier, un fragment, a formé la femme de cette manière, afin d’établir sa parfaite communauté avec son mari ; celle-ci s’appellera d’un nom qui marque l’homme, dit-il, parce qu’elle a été prise de l’homme. Voyez-vous de quel nom Adam l’appelle, afin que ce nom nous enseigne la communauté de nature, et que cet enseignement qui démontre la communauté de nature, et la manière dont la femme a été créée, soit le fondement d’une affection durable et le lien de la concorde ? Ensuite que dit-il ? C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera a sa femme. (Gen. 2,24) Il ne dit pas simplement s’unira, mais s’attachera, pour signifier l’union la plus étroite. Et ils seront deux dans une seule chair. Eh bien ! comment celui qui savait tant de choses, pouvait-il ignorer, répondez-moi, je vous en prie, ce qu’était le bien, ce qu’était le mal ? Qui pourra le prétendre avec une apparence de raison ? Si Adam ne distinguait pas le bien du mal, avant d’avoir mangé du fruit, si ce discernement ne lui est venu qu’après qu’il a eu mangé, il faut dire alors, que le péché a enseigné la sagesse au premier homme ; le serpent cesse d’être un séducteur ; il a été, pour lui un conseiller utile ; Adam était un animal dépourvu de raison, le serpent en a fait un homme. Loin de nous cette pensée ! Il n’en est pas ainsi, non. Si Adam ne connaissait pas ce que c’était que le bien, ce que c’était que le mal, comment a-t-il pu recevoir un ordre ? Jamais législateur ne fait de loi pour celui qui ne sait pas que c’est mal faire, que de transgresser la loi. Or, Dieu a porté la loi, a puni le transgresseur, et, certes, Dieu n’eût fait ni l’un ni l’autre, si, dès le principe, il ne lui eût attribué le discernement de la vertu et du vice. Vous voyez qu’il devient manifeste pour nous, parfaitement clair, que ce n’est pas seulement après avoir mangé, qu’Adam a connu et le bien et le mal, qu’il possédait auparavant cette science.
Conservons en nous, mes bien-aimés, toutes ces pensées, et, de retour dans nos maisons, dressons-nous deux tables, l’une, des mets du corps, l’autre des mets de la sainte Écriture, que le mari répète ce qui a été dit, que la femme s’instruise, que les enfants écoutent, et que les serviteurs ne soient pas frustrés de nos lectures ; faites, chacun de vous, de votre maison une église ; sachez qu’il vous faudra rendre compte du salut, et de vos enfants et de vos serviteurs. De même qu’on réclamera, de nous, des comptes, pour ce que nous aurons fait de vous, de même on réclamera, de chacun de vous, des comptes, pour ce qu’il aura fait de son serviteur, de sa femme, de son fils. Après des conversations de ce genre, les songes les plus agréables viendront nous charmer, sans aucune espèce de visions terribles ; ce que l’âme a coutume de méditer pendant le jour, ses songes le lui représentent pendant la nuit, et lui en fournissent l’image. Si les paroles prononcées chaque jour, se conservent dans vos mémoires, nous n’aurons pas besoin d’un grand travail ; le discours suivant sera pour vous plus clair, plus facile, et nous aurons moins d’efforts à faire pour vous instruire. Afin donc que nous puissions, vous et nous, avec quelque profit, nous, d’une part, vous donner l’enseignement, vous, d’autre part, écouter la parole, après la table pour le corps, dressez, de plus, chez vous, la table spirituelle, Ces pieux discours seront pour vous une sécurité, un ornement de votre vie. Dieu dirigera les affaires mêmes de la vie présente, d’une manière conforme à vos intérêts ; tout vous deviendra facile. Cherchez, dit-il, premièrement le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. (Mt. 6,33) Cherchons-le donc, mes bien-aimés, afin d’obtenir, et les biens d’ici-bas, et ceux de là-haut, parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et à l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.
SEPTIÈME DISCOURS.
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Pourquoi cet arbre est-il appelé arbre de la science du bien et du mal : et que signifie cette parole : « Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. » (Gen. 2,9 ; Lc. 23,43)
ANALYSE.
modifier- 1. C’est une grande obligation de mettre la parole de Dieu en pratique. – 2. Pourquoi l’arbre de la science du bien et du mai a été ainsi appelé. Nous connaissons tous le mal, même avant de le commettre ; mais nous en acquérons une connaissance plus approfondie en le commettant. – 3. À ce bois funeste qui fut l’occasion de la chute d’Adam, opposons ce bois de la croix qui a sauvé le monde et introduit le Larron dans le paradis. – 4. Réfutation d’une objection manichéenne touchant l’entrée du larron dans le paradis. – 5. Ce qu’il faut entendre par le paradis.
1. Je vous ai vivement exhortés hier, à garder le souvenir de nos paroles, à prendre soin, chez vous, de dresser le soir, deux tables, l’une, des mets du corps ; l’autre, des mets de l’Écriture. Eh bien, l’avez-vous fait ? les avez-vous dressées, ces deux tables ? Je sais que vous avez suivi nos conseils, que vous ne vous êtes pas assis seulement à la table du corps, mais que vous avez également pris votre part à l’autre ; il n’était pas possible, après vous être portés avec tant d’ardeur vers la moins délicate, de négliger la table dont les mets sont plus recherchés. Oui, la table dont je parle, est la meilleure : l’autre s’apprête par les mains des cuisiniers ; celle-ci, nous la devons à la langue des prophètes ; l’autre porte les productions de la terre, celle-ci les fruits de l’Esprit ; la nourriture de l’autre se corrompt bien vite, les mets de celle-ci sont incorruptibles ; l’autre conserve la vie présente ; celle-ci engendre pour nous, la vie future. Et je sais bien que la table spirituelle a été dressée chez vous avec l’autre ; je ne le sais pas pour avoir interrogé, soit le serviteur qui vous accompagne, toit le domestique qui vous sert ; celui qui me l’a dit, est un porteur de nouvelles, qui s’énonce plus clairement que tous ses serviteurs. Qui me l’a dit enfin ? Le bruit de vos mains applaudissant nos paroles, votre chaleureuse adhésion à nos enseignements. Hier, en effet, quand je vous ai dit : Que chacun de vous fasse de sa maison une église, vous avez tous poussé de grandes acclamations de plaisir. Celui qui a du plaisir à entendre les discours, montre qu’il est prêt à les confirmer par ses actions ; voilà pourquoi aujourd’hui je me suis préparé avec une ardeur nouvelle à vous instruire. Maintenant réveillez vos esprits ; car l’orateur n’est pas seul obligé de tenir son esprit en éveil ; l’auditeur aussi doit être attentif, et plus encore que l’orateur. En effet, nous qui parlons, nous n’avons qu’un souci à prendre, c’est de placer l’argent du Seigneur ; mais vous, vous avez plus de peine à vous donner d’abord pour bien recevoir le dépôt, ensuite pour le conserver en toute sûreté. Donc, lorsque vous aurez entendu la parole, mettez à vos portes, serrures et verroux ; que des pensées qui inspirent la terreur, soient comme des gardiens, placés de toutes parts autour de votre âme. Le voleur est impudent, toujours éveillé ; sans cesse il fait irruption ; quoiqu’il manque souvent ses coups il revient souvent à la charge. Ayez donc prés de vous des gardiens redoutables, et s’ils voient venir le démon, s’apprêtant à vous voler quelques parties du trésor que vous avez reçu en dépôt, qu’ils le chassent à grands cris ; si les inquiétudes du monde vous envahissent, qu’ils les repoussent ; si la faiblesse de la nature produit chez vous l’oubli et la confusion, que l’exercice réveille la mémoire. Ce n’est pas un médiocre danger que de perdre l’argent du Seigneur. Ceux qui ont dissipé l’argent reçu en dépôt, souvent sont punis de mort ; pour ceux qui auront reçu et perdu des biens beaucoup plus précieux, les paroles divines, de quels supplices rie seront-ils pas tourmentés ? Dans le monde, les dépositaires d’argent ne doivent compte que de la manière dont ils ont gardé le dépôt ; on n’exige d’eux rien autre chose ; ils ont reçu tant, ils doivent rendre tant, on ne leur réclame rien de plus ; mais ceux qui ont reçu la parole divine ne doivent pas rendre compte seulement du trésor gardé, on leur demandera compte aussi des gros intérêts qu’il a dû produire. En effet, il ne nous est pas prescrit seulement de rendre ce que nous avons reçu, mais d’offrir le double au Seigneur. Sans doute, ne nous fût-il commandé que de garder ce trésor, il serait encore nécessaire de nous y appliquer avec la plus ardente sollicitude ; mais quand le Seigneur nous a, de plus ; donné l’ordre de le faire fructifier, considérez combien nous, qui avons reçu cet argent, nous devons nous donner de fatigues et de soins. Voilà pourquoi le serviteur à qui l’on avait confié cinq talents, ne se borna pas à en offrir tout autant, mais en offrit le double. (Mt. 25,14 et suiv) Car les cinq talents confiés, marquaient la bonté de son maître, mais il fallait qu’à son tour le serviteur manifestât sa diligence ; de même,' celui à qui l’on avait confié deux talents, sut bénéficier deux autres talents, et, en récompense, son maître lui donna le même honneur qu’à l’autre. Au contraire, un troisième serviteur, à qui l’on n’avait confié qu’un seul talent, et qui le rendit tel qu’il l’avait reçu, sans l’avoir diminué, fut puni pour ne l’avoir pas fait fructifier, pour n’avoir pas présenté le double de la somme qu’on lui avait remise ; il subit le dernier supplice, et cela justement ; car, dit le maître, si je n’avais voulu que garder mon argent, et non en retirer du profit, je ne l’aurais pas livré aux mains de mes serviteurs. Quant à vous, considérez la bonté du Seigneur ; celui à qui on avait confié cinq talents, en offrit cinq autres ; celui qui en avait reçu deux, en rendit deux autres, et chacun des deux serviteurs obtint la même récompense. De même, en effet, que le maître répondit au premier : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en pela de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! de même il dit à celui qui lui avait présenté deux talents : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup d’autres ! (Id. 21-23) Le profit n’est pas le même, et la récompense est la même ; le maître jugea le second serviteur digne du même honneur que l’autre. Pourquoi ? C’est que Dieu ne s’occupait pas de la quantité qu’on lui offrait, mais de la vertu de ceux qui avaient fait valoir leur dépôt. En effet, l’un et l’autre de ces deux serviteurs avaient fait tout ce qui dépendait de chacun d’eux, les talents présentés n’étaient pas plus ou moins considérables ; en raison de la négligence de l’un ou de la diligence de l’autre, ruais en raison de la différence dans la quantité. Celui-ci avait reçu cinq talents, et il présenta cinq autres talents ; celui-là en avait reçu deux, et il en présenta deux ; quant au zèle qui l’animait, il n’était pas inférieur à l’autre. Il est évident que l’un, aussi bien que l’autre, gagna le double de ce qu’on lui avait confié. Mais celui qui n’avait reçu qu’un talent, ne présenta aussi qu’un talent ; pour cette raison, il subit le châtiment.
2. Avez-vous bien compris quel supplice est réservé à ceux qui ne savent pas faire valoir la fortune du Seigneur ? Donc, sachons conserver son argent, le négocier, en tirer un grand profit. Et que personne ne dise : Je ne suis qu’un ignorant, un disciple ; je n’ai pas la parole de l’enseignement ; je suis sans habileté, sans valeur aucune. Quand vous ne seriez qu’un ignorant, qu’un disciple, quand vous n’auriez reçu qu’un talent, faites le négoce avec ce qui vous a été confié ; vous recevrez une récompense égale à celle d’un docteur. Mais maintenant, je suis persuadé que vous gardez avec soin dans votre mémoire les paroles que vous avez entendues. Ne dépensons pas à ce propos tout ce que nous avons aujourd’hui à vous dire. Allons, continuons l’entretien d’hier ; joignons-y la suite ; nous voulons vous payer le salaire dû à ceux qui conservent la parole. En effet, celui qui a bien gardé un premier dépôt, mérite d’en recevoir un autre. Quel sujet d’entretien, hier, nous étions-nous donc proposé ? Nous parlions de l’arbre, et nous avons montré que l’homme, avant de manger du fruit de l’arbre, avait la connaissance du bien et du mal, qu’il était rempli de l’abondance de la sagesse ; nous en avons donné pour preuves : qu’il a imposé des noms aux animaux ; qu’il a reconnu sa compagne, qu’il a dit : Voilà maintenant l’os de mes os (Gen. 2,23) ; qu’il a parlé du mariage, de la procréation des enfants, de l’union conjugale, et du père et de la mère ; enfin qu’il a reçu un ordre de Dieu. En effet, on ne donne pas un ordre, une loi ; pour faire ou ne pas faire, à celui qui ne pourrait pas distinguer le bien du mal. Aujourd’hui, il serait utile de dire pourquoi, si l’homme n’a pas tiré de l’arbre la connaissance sui bien et du mal, cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Assurément il importe d’apprendre pourquoi cet arbre a été ainsi appelé. En effet, le démon dit : Aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s’ouvriront ; et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen. 3,5) Comment donc, m’objecte-t-on, dites-vous, qu’il n’a pas introduit la science du bien et du mal ? De qui me parlez-vous, je vous prie ? Qui, il a introduit ? Voulez-vous dire le démon ? Sans doute, me répond-on, puisqu’il a dit : Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal. Ainsi, toi qui me contredis, lu m’apportes le témoignage de l’ennemi qui nous tend des pièges. Mais le serpent a dit aussi : De plus vous serez des dieux. Eh bien ! sont-ils devenus, des dieux ? De même donc qu’ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n’ont pas non plus reçu alors la science du bien et du mal. Le démon, en effet, n’est qu’un menteur, et il ne dit rien de vrai, car, dit l’Évangéliste, la vérité n’est point en lui. (Jn. 8,44)
Gardons-nous donc de produire le témoignage de l’ennemi ; comprenons, par l’étude des choses considérées en elles-mêmes, pourquoi l’arbre est appelé, l’arbre de la science du bien et du mal. Et d’abord, s’il vous semble bon, qu’est-ce que le bien, qu’est-ce que le mal ? Méditons. Qu’est-ce que le bien ? l’obéissance ; qu’est-ce que le mal ? la désobéissance. Étudions, en nous inspirant de l’Écriture, autant qu’il sera nécessaire, pour ne pas nous tromper, sur la nature du bien et du mal. Ce qui prouve que le bien et que le mal sont ce que nous venons de vous dire, c’est la parole du prophète : Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le Seigneur Dieu demande de vous ? Dites-moi, qu’est-ce que le bien ? C’est que vous chérissiez le Seigneur votre Dieu. (Mic. 6,8) Voyez-vous que le bien, c’est l’obéissance, car l’obéissance vient de l’affection. Autre texte : Mon peuple a fait deux maux ; ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes usées qui ne peuvent contenir l’eau. (Jer. 2,13) Voyez-vous que le mal, c’est la désobéissance, et l’abandon de Dieu. Donc, en attendant, retenons ceci : que le bien, c’est l’obéissance ; que le mal, c’est la désobéissance, et par là, nous apprendrons ce que nous cherchons. En effet, l’arbre a été appelé, arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il fut l’occasion de l’ordre qui donnait matière à la désobéissance ou à l’obéissance. Adam, même avant sa faute, n’ignorait pas que le bien c’est l’obéissance, que le mal c’est la désobéissance ; mais il l’apprit plus tard, d’une manière plus évidente, par l’expérience même des choses. Caïn n’ignorait pas même avant d’égorger son frère, que le meurtre d’un frère était une action mauvaise ; ce qui prouve qu’il le savait bien, ce sont ses propres paroles, écoutez : Viens, sortons dans la campagne. (Gen. 4,8) Mais pourquoi attires-tu ton frère dans la campagne, après l’avoir arraché des bras de son père ? pourquoi l’emmènes-tu dans un lieu désert ? Pourquoi le conduis-tu loin de ceux qui veillent sur lui ? loin des yeux de son père ? pourquoi caches-tu ce que tu oses méditer, si tu ne crains pas le péché ? pourquoi encore, quand tu as fait le, meurtre, et que l’on t’interroge, t’indignes-tu, et prononces-tu un mensonge ? En effet, quand Dieu eut dit : Où est Abel, ton frère ? tu as répondu : Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? (Gen. 4,9) Ce qui prouve clairement qu’il avait la pleine connaissance de son crime. Donc, de même qu’il savait bien, même avant de pratiquer le meurtre, que le meurtre était une action mauvaise, mais que plus tard il le comprit d’une manière plus claire, quand il reçut son châtiment, quand il t’entendit ces paroles : Tu seras gémissant et tremblant sur la terre ; de même son père, avant de manger du fruit, possédait la connaissance du bien et du mal, quoiqu’elle ne fût pas aussi évidente pour lui, que quand il en eut mangé. Je m’explique : Nous connaissons tous tant que nous sommes, le mal, même avant de le commettre ; nous le comprenons mieux, après l’avoir commis, et, nous le comprenons, d’une manière beaucoup plus claire encore, quand vient le châtiment. Ainsi Caïn savait, avant de tuer son frère, que ce meurtre était une action mauvaise ; il le comprit ensuite plus clairement, quand il fut puni. Nous aussi, nous savons bien que la santé est une bonne chose, et que la maladie est importune, nous savons cela, avant l’expérience ; mais nous comprenons beaucoup mieux, quand nous sommes malades, la différente de la santé et de la maladie.
3. C’est de la même manière, assurément, qu’Adam savait que l’obéissance est un bien, et, au contraire, la désobéissance un mal. Il le vit ensuite plus clairement, lorsqu’après avoir goûté du fruit, il fut chassé du paradis, et déchu de cette félicité parfaite. Quand il eut encouru le châtiment, pour avoir, malgré la défense de Dieu, goûté du fruit de l’arbre, l’expérience de la punition lui fit mieux comprendre tout ce qu’il y a de mal dans la désobéissance à Dieu, tout ce qu’il y a de bien dans l’obéissance. Voilà pourquoi cet arbre est appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Mais, si la connaissance du bien et du mal, n’a pas été le fruit même de l’arbre, si après que l’homme eut mangé le fruit, c’est le châtiment qui lui a manifesté cette connaissance, d’où vient que l’arbre a reçu le nom d’arbre de la science du bien et du mal ? Rien d’étonnant à cela ; c’est l’usage de l’Écriture de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des choses qui s’y sont produites. Pour être plus clair, je vais citer un exemple : Isaac creusa un puits que ses voisins entreprirent de combler ; de là des querelles, et Isaac, appela le puits, Inimitié. Ce n’était pas que le puits exerçât des inimitiés (Gen. 26,21), mais c’est que des inimitiés s’étaient élevées à propos de ce puits ; de même, cet arbre s’appelle l’arbre de la science du bien et du mal, non pas qu’il eut cette science en lui, mais parce qu’il avait été l’occasion qui avait fait reconnaître la science du bien et du mal. Abraham creusa encore un puits, et Abimélech prépara des embûches à Abraham ; ils se réconcilièrent, déposèrent leurs inimitiés, se prêtèrent un mutuel serment et appelèrent ce puits le Puits dit Serment. Comprenez-vous que le lieu n’est pas la cause de ce qui arrive, quoiqu’il tire son nom de ce qui est arrivé ? S’il faut, à toute force, des exemples, pour rendre plus manifeste ce que nous vous disons, voyez encore : Jacob vit des anges qui venaient au-devant de lui et le camp de Dieu ; alors il appela cet endroit le Camp. (Gen. 32,2) Ce lieu n’était pourtant pas un camp, quoiqu’il ait été appelé de ce nom ; mais. C’est que Jacob y avait vu un camp. Comprenez-vous comme un événement, arrivé dans un lieu, a donné, à ce lieu, son nom ? Il en est de même de l’arbre de la science du bien et du mal ; ce n’est pas que l’arbre eût en lui-même cette science, mais c’est qu’il fut le lieu, où la science se manifesta. Autre exemple encore : Jacob vit Dieu, autant qu’un homme peut le voir, et il appela le lieu la Face de Dieu. Pourquoi ? parce que j’ai vu Dieu, dit-il. (Gen. 32,30) Cependant le lieu n’était pas la face de Dieu, mais il a reçu son nom de l’événement qui s’y est passé. Voyez-vous combien d’endroits nous servent à montrer que l’habitude de l’Écriture est de donner aux lieux, les noms des choses qui y sont arrivées ? La même observation s’applique en ce qui concerne les temps. Mais, pour prévenir votre ennui, allons, quittons ce sujet aride, passons à des réflexions plus agréables. Je vois bien que vous êtes fatigués d’avoir séjourné au milieu de pensées trop subtiles. Aussi convient-il de vous récréer, en repaissant votre esprit de pensées plus simples et plus riantes.
Revenons donc à l’arbre salutaire de la croix ; car cet arbre a fait disparaître tous les maux que l’autre avait introduits. Disons mieux, ce n’est pas l’autre arbre qui avait introduit les maux, c’est l’homme seul, et, après lui, c’est le Christ qui les a tous fait disparaître, et nous a apporté des biens de beaucoup plus considérables. De là, ce que dit Paul ; Où il y a eu abondance de péchés, il y a eu ensuite surabondance de grâces (Rom. 5,20) ; c’est-à-dire le don est plus grand que le péché. Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché (Rom. 5,15) Dieu n’a pas mesuré à la grandeur du péché, la grandeur du don ; à la grandeur de la perte, la grandeur du gain ; à la valeur du bâtiment naufragé, la valeur des bénéfices ; mais les biens, ont surpassé les maux, et la raison en est évidente. En effet, c’est l’esclave qui a introduit les maux, ils étaient moindres ; mais les biens viennent de la grâce du Maître, ils ont été plus considérables. De là, cette parole : Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché. Paul explique ensuite la différence : Car nous avons été condamnés, par le jugement de Dieu, pour un seul, au lieu que nous sommes justifiés par la grâce, après un grand nombre de péchés. (Id. 16) Ce passage est un peu obscur ; une explication est nécessaire : Par le jugement, cela veut dire, la peine, le supplice, la mort ; pour un seul, c’est-à-dire, pour un seul péché, puisque c’est un seul péché qui a introduit un si grand mal ; mais la grâce n’a pas effacé ce péché seul, elle en a supprimé un grand nombre d’autres. C’est pourquoi Paul nous dit : Au lieu que nous sommes justifiés par la grâce après plusieurs péchés. C’est ainsi que Jean-Baptiste s’écriait : Voici l’Agneau de Dieu, non pas, qui enlève le péché d’Adam, mais : qui enlève les péchés du monde. (Jn. 1,29) Voyez-vous qu’il ne faut pas mesurer la grâce au péché ? Comprenez-vous que notre arbre nous a donné des biens plais considérables, que né l’étaient, les maux introduits au premier jour ?
4. Je vous ai adressé ces paroles, pour que vous ne croyiez pas avoir à vous, plaindre, de vos premiers parents. Le démon a chassé Adam du Paradis ; le Christ a introduit le larron dans le ciel. Et voyez la différence : le démon a chassé, du paradis, un homme qui n’était souillé d’aucun péché ; sa désobéissance fut sa seule tache ; le Christ e introduit, dans le paradis, le larron, qui portait le fardeau de péchés sans nombre. Mais, devons-nous admirer uniquement ce fait, qu’il a introduit le larron dans le paradis ? N’y a-t-il plus rien d’admirable encore ? On peut dire un prodige encore plus grand du Christ. non seulement, il a introduit le larron, mais il l’a introduit avant le monde entier, avant les apôtres, afin que nul,'après lui, ne pût désespérer d’y entrer, abandonner toute : espérance de, salut, quand on verrait ce criminel ; qui était souillé de tant de forfaits, devenu un habitant de la cour céleste. Mais, examinons ; est-ce que le larron lui a montré ses travaux, ses bonnes œuvres, des fruits de vertu ? personne ne saurait le dire ; un petit mot, rien qu’un acte de foi, et, devançant les apôtres, il a bondi dans le paradis ; c’est afin de vous faire comprendre, que ce n’est pas tant sa vertu, que la bonté du Seigneur, qui a tout opéré. Car enfin, qu’a dit le larron ? qu’a-t-il fait ? Est-ce qu’il a jeûné ? est-ce qu’il a pleuré ? est-ce qu’il s’est affligé ? A-t-il manifesté son repentir ? Nullement ; mais sur la croix même ; à peine eût-il, parlé, qu’il avait obtenu son salut. Voyez la rapidité de la croix ; dans le ciel ; de la condamnation, aie salut. Or, quelles sont ces paroles, qui eurent tant de puissance, qui procurèrent, à cet homme, des biens si précieux ? Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. (Luc. 23, 42) Qu’est-ce à dire ? Il s’est borné à demander le bonheur, il n’a rien mérité par ses actions ; mais le Christ, connaissant son cœur, ne s’est pas arrêté a ses paroles, il n’a considéré que la disposition de son âme. Ceux qui avaient reçu les enseignements des prophètes, qui avaient vu, les signes, contemplé les miracles, ceux-là disaient du Christ : Il est possédé dit démon, il séduit le peuple. (Mt. 11,18) Mais le larron, qui n’avait pas entendu les prophètes, qui n’avait pas vu les prodiges, qui ne l’avait vu que pendu à la croix, ne fait pas attention à son ignominie ; malgré son abaissement, il voit sa, divinité ; Souvenez-vous de moi, dit-il, dans votre royaume. Chose incroyable ! Tu vois une croix`; et tu parles de royaume ? Que vois-tu donc là qui ressemble à un royaume ? Un homme crucifié, souffleté, raillé, accusé, couvert de crachats, battu de verges ; ce sont là des marques de la royauté ? réponds-moi. Comprenez-vous, que ce larron a regardé le Christ avec les yeux de la foi, sans s’occuper de l’apparence ? Aussi Dieu, à son tour, ne s’est pas occupé de ce que pesaient ces paroles si minces ; mais, comme le larron avait vu dans sa divinité, Dieu, de même, a vu dans son cœur, et il lui a dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc. 23, 43)
Ici, attention, car voici une question qui n’est pas indifférente. Les Manichéens, ces chiens stupides et enragés, portent la modestie sur leur figure, ils recèlent au fond de leur cœur la ragé des chiens ; sous la peau de la brebis, se cache le loup. Ne vous tenez pas à l’apparence ; fouillez le dedans, mettez, le monstre à découvert ; donc, ce sont eux qui saisissent, ici, l’occasion. Le Christ a dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’ hui vous serez avec moi dans le paradis : donc la rétribution des biens est déjà faite, et la résurrection est superflue. Si, en effet, le larron a reçu les biens qu’il demandait autrefois, et cela, le jour même, et si, jusqu’à présent, son corps n’est pas ressuscité, il n’y aura pas de résurrection des corps. Avez-vous bien compris ce due nous venons de dire, où faut-il vous le répéter ? En vérité, en vérité, je vous le dis, aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis : donc, disent-ils, le larron est entré dans le paradis, sans son corps ; c’est évident, puisque son corps n’avait pas été enseveli, ne s’était pas décomposé, réduit en poussière, et il n’est dit nulle part que le Christ l’ait ressuscité. Si le Christ a introduit le larron dans le paradis, sans son corps, lui a donné ses biens en partage, il est manifeste qu’il n’y a pas de résurrection des corps ; car s’il y avait résurrection des corps, il ne lui aurait pas dit : Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis : mais il lui aurait fait attendre la consommation des temps, la résurrection des corps. S’il a introduit le larron, tout de suite ; si le corps de celui-ci est resté dehors, en proie à la corruption, il est bien évident qu’il n’y a pas de résurrection des corps. Voilà donc ce que disent les Manichéens. Écoutez, maintenant, ce que. nous leur disons, nous ; je me trompe, non pas nous, mais la divine Écriture, car ce ne sont pas nos pensées que nous exprimons, mais les pensées de l’Esprit-Saint. Voyons, que prétendez-vous ? La chair n’a pas sa part de couronnes ? Mais, elle a eu sa part des fatigues, et elle est privée des récompenses ? Quand il fallait combattre, elle versait le plus de sueurs, et, quand vient le temps des couronnes, l’âme seule est couronnée ? N’entendez-vous pas la voix de Paul : Nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun de nous rende compte des actions propres à son corps, soit qu’il ait fait le bien, soit qu’il ait fait le mal. (Rom. 14,10-12 ; 1Cor. 5,10) Ne l’entendez-vous pas encore proclamant : Il faut que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité, et que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité. (1Cor. 15,53 ;) Mortel ? Qu’est-ce à dire ? L’homme ou le corps ? Évidemment c’est le corps : puisque l’âme est immortelle de sa nature, tandis que le corps, de sa nature, est mortel. Mais ces hérétiques savent rogner les textes. Toutefois, il nous en reste assez pour saisir le sens de ce qui a été retranché. Le larron est entré dans le paradis, disent-ils. Eh bien ! après ? Sont-ce là les biens que Dieu nous promet ?
5. N’entendez-vous pas ce que Paul nous dit, de ces biens ? Que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus et que le cœur de l’homme n’a jamais conçus. (1Cor. 2,9) Eh bien ! quant au paradis, l’œil d’Adam l’a vu, et son oreille l’a entendu, et le cœur de l’homme l’a conçu. Voilà déjà un grand nombre de jours que nous en parlons. Comment donc le larron a-t-il reçu ces biens ? Ce n’est pas dans le paradis que Dieu promet, de nous introduire, c’est dans le ciel même, et ce n’est pas le royaume du paradis qu’il a prêché, mais le royaume des cieux. Jésus commença, dit l’évangéliste, à, prêcher en disant : faites pénitence, parce que le royaume approche, non pas le royaume du paradis, mais le royaume des cieux. (Mt. 4,17) Vous savez bien que vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a donné le ciel, pour vous montrer sa bonté, pour irriter la douleur du démon, pour prouver qu’il a beau tendre mille pièges à la race des hommes, il n’y gagnera rien, Dieu nous élevant toujours à un honneur plus haut. Donc vous avez perdu le paradis, et Dieu vous a ouvert le ciel ; vous avez été condamnés au travail, pour un temps, et glorifiés de la vie éternelle ; il a ordonné à la terre de produire les épines et les chardons, et votre âme à senti germer en elle le fruit de l’Esprit. (Gen. 3,18) Voyez-vous comme les ressources dépassent le châtiment ? comme votre trésor s’est grossi ? Exemple : Dieu a formé l’homme de terre et d’eau, et il l’a placé dans le paradis ; l’homme ainsi formé n’a pas gardé son innocence, il s’est perverti ; Eh bien ! dès lors, ce n’est plus de terre et d’eau que Dieu le recompose, mais d’eau et d’esprit ; il ne lui promet plus, dès lors, le paradis, mais le royaume des cieux. Comment ? Écoutez : Un sénateur des Juifs, Nicodème, étant venu furtivement trouver Jésus, s’informait, auprès de lui, de la naissance à cette vie, et lui disait, qu’il était impossible qu’un homme déjà vieux naquit une seconde fois. Voyez de quelle manière le Christ lui explique le mode de la naissance : Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. (Jn. 3,4-5) Donc si le Christ a promis le royaume des cieux, et s’il a introduit le larron dans le paradis, il ne lui a pas encore fait la rétribution.
Mais voici encore une autre objection : Le Christ, ici, n’a pas entendu le paradis, mais, par le nom de paradis, il désignait le royaume des cieux, attendu qu’il parlait à un larron, à un homme qui n’avait rien appris de nos dogmes sublimes ; quine connaissait rien des prophéties ; qui avait passé toute sa vie, dans les lieux déserts, à commettre des meurtres ; qui, jamais, n’était entré, même en passant, dans une église ; qui n’avait jamais entendu la parole divine ; qui enfin, n’avait aucune idée de ce que pouvait être le royaume, des cieux, le Christ lui dit : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Le Christ s’est servi de ce mot connu, familier, de paradis, pour exprimer le royaume des cieux ; c’est de ce royaume que le Christ entend lui parler. J’y consens. Eh bien ! donc, disent les contradicteurs, il, est entré dans le royaume des cieux. Qui le prouve ? les paroles prononcées : Aujourd’hui, vous serez avec moi, dans le paradis. Si cette solution paraît violente, nous en apporterons une autre plus claire. Quelle est-elle ? Le Christ a dit : Celui qui ne croit pas au Fils, est déjà condamné. (Jn. 3,18) Quoi donc ? est déjà condamné ; mais il n’y a encore ni résurrection, ni châtiment, ni supplice. Comment donc est-il déjà condamné ? par son péché. Autre parole : Celui qui croit au Fils, dit le Christ, est déjà passé de la mort à la vie. (Jn. 5,24) Il ne dit pas, passera, mais est déjà passé. Et, ici encore, c’est, pour l’un, la conséquence de sa foi, pour l’autre, la conséquence de son péché. Donc, de même que l’un est déjà condamné ; quoiqu’il n’ait pas encore été condamné, que l’autre soit déjà passé à la vie, quoiqu’il n’y soit pas encore passé ; que, pour l’un, c’est l’effet de sa foi, pour l’autre l’effet de son péché ; de même que Dieu parle, comme si les événements étaient accomplis, d’événements qui ne sont pas encore accomplis ; de même parlait le Christ, quand il s’adressait au larron. Les médecins voient un malade désespéré, il est perdu, disent-ils, il est mort, quoique le malade soit encore vivant ; mais, de même que ce malade, parce qu’il n’y a plus d’espoir de salut, est appelé, par les médecins, un homme mort, de même le, larron, parce qu’il avait échappé à toutes les chances de retomber dans la perdition, est entré dans le ciel. Du même genre sont les paroles qu’Adam entendit : Le jour que vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez. (Gen. 2,17) Quoi donc ? Est-il donc mort ce jour même ? Nullement. Il a vécu depuis plus de neuf cents ans. Pourquoi donc Dieu lui a-t-il dit : Ce jour même vous mourrez ? De droit, non de fait. C’est ainsi que le larron est entré dans le ciel. Écoutez ce que dit Paul, proclamant que personne n’a encore reçu la rétribution des biens. Il parlait des prophètes et des hommes justes, et il ajouta ces paroles : Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis ; mais les voyant, et comme les saluant de loin ; Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’ils ne reçussent qu’avec nous, l’accomplissement de leur bonheur. (Héb. 11,13, 40) Imprimez-en vous ces paroles, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendue : dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car, il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Ps. 118,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes, opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font de leur maison, un théâtre ; vous, au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera fâche, sans changer les murailles ; sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut des cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle et la tempérance et la gravité, et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de la vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table ; c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim et vous m’avez donné, à manger. (Mt. 25,35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur ; et votre table vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix, qui donne le pain à celui qui ! e mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître, en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint Esprit, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HUITIÈME DISCOURS.
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Sur le temps qui est à la pluie ; – sur les évêques qui se trouvent réunis ; – sur le précepte donné à Adam ; – la loi qu’il a reçue est un effet de la grande sollicitude de Dieu.
ANALYSE.
modifier- 1. Exorde tiré d’une circonstance de temps et de la personne de l’évêque Flavien. Résumé du dernier discours. Si la loi est la cause du péché. – 2. La loi est le plus grand bien que Dieu ait accordé à son peuple : Non fecit taliter omni nationi, et judicia sua non manifestavit eis. Confirmation de cette même vérité par plusieurs textes. Conclusion et exhortation.
1. Les nuages amoncelés ont attristé le jour, mais la présence de notre docteur[2] lui a rendu sa clarté. Le soleil, du haut de la voûte du ciel, nous envoie des rayons qui versent, sur nos corps, moins de lumière, que n’en répand sur nos âmes du haut de son trône rayonnant, le Père que nous aimons.
Il le sait bien lui-même ; aussi n’est-il pas venu seul ; il amène, avec lui, cette pléiade resplendissante, pour ajouter à l’éclat d’une si vive lumière. Aussi notre Église tressaille d’allégresse, le troupeau bondit, et notre confiance redouble en commençant notre discours. C’est qu’en effet, où les bergers se rassemblent, les brebis sont en sécurité ; de même les matelots se réjouissent quand ils voient un grand nombre de pilotes ; car, si la mer est tranquille, et le ciel serein, les pilotes, en manœuvrant le gouvernail, rendent plus léger le travail des rameurs ; et quand les tempêtes soulèvent les vagues, les pilotes combinant leur industrie et tous leurs efforts, apaisent le combat des flots. Voilà pourquoi, nous aussi, nous commençons plein d’une bonne espérance ce discours destiné à vous instruire, et nous confions le tout à leurs prières. Maintenant, pour que vous puissiez, plus facilement et mieux, comprendre ce que nous avons à vous dire, nous vous résumerons rapidement ce qu’hier vous avez entendu. J’ai dit : que, même avant de manger du fruit de l’arbre, l’homme avait le discernement du bien et du mal ; et que ce n’est pas seulement après avoir goûté du fruit de l’arbre, qu’il a reçu cette connaissance. J’ai dit pourquoi cet arbre a été appelé, l’arbre de la science du bien et du mal ; que c’est l’usage de l’Écriture, de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des événements qui s’y sont accomplis. Aujourd’hui, ce qui convient, c’est de vous lire le commandement même qui interdisait de manger du fruit de cet arbre. Quel est donc ce commandement ? Et le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement et lui dit : Mangez de tous les fruits des arbres du paradis. (Gen. 2,16) C’est la loi de Dieu, soyons attentifs. Si les hommes qui font la lecture des rescrits de l’empereur commandent à l’assemblée de se lever tout entière, à plus forte raison faut-il, quand nous allons faire la lecture, non pas des lois des hommes, mais de la loi de Dieu, nous 1enirdebout, par la pensée, et appliquer toute notre attention, aux paroles qui se font entendre.
Je n’ignore pas que certaines personnes accusent le législateur, en disant que la loi a été une occasion de chute ; c’est tout d’abord cette accusation que nous devons combattre, et nous montrerons, en nous appuyant sur la réalité même des faits, que ce n’est pas par haine pour l’homme, que ce n’est pas pour faire outrage à notre nature, mais par amour, par sollicitude pour nous, que Dieu nous a donné la loi. Voici qui va vous apprendre que cette loi nous a été donnée pour nous servir d’auxiliaire : écoutez Isaïe : Il nous a donné la loi pour nous servir de secours. (Is. 8,20) Celui qui déteste ne porte pas de secours. Autre passage du prophète s’écriant : Votre parole est une lanterne pour mes pieds, une lumière qui éclaire mes sentiers. (Ps. 118,105) Celui qui déteste ne porte pas la lanterne qui dissipe les ténèbres ; il ne conduit pas, avec une lumière, le voyageur errant. Écoutez maintenant Salomon : Le précepte de la loi c’est une lanterne, c’est la lumière et la vie, et le redressement, et l’enseignement. (Prov. 6,23) Voyez-vous que ce n’est plus seulement un secours ni une lanterne, mais de plus, et la lumière, et la vie ? Or, je ne vois pas là les preuves de la haine, la volonté de vous perdre, mais une main qui vous est tendue pour vous relever. Aussi, lorsque Paul s’emporte contre les Juifs, en leur montrant l’utilité de la loi, il leur dit, pour leur prouver que la loi ne nous est pas imposée comme un fardeau, qu’au contraire elle nous ranime : Mais vous, qui portez le nom de Juifs, qui vous glorifiez des faveurs de la loi. (Rom. 2,17) Voyez-vous que ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous ranimer que Dieu a donné la loi?. Voulez-vous comprendre maintenant que Dieu l’a donnée aussi, afin de nous faire honneur ? Nos preuves, jusqu’à présent, suffisaient pour montrer l’honneur qui nous a été fait, le soin que Dieu a pris de nous. Mais cela même, je veux le démontrer encore, par d’autres témoignages : Jérusalem, loue le Seigneur ; Sion, loue ton Dieu, car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants, au milieu de toi ; il a établi la paix, sur tes frontières, et il te rassasie du meilleur froment. (Ps. 147,12-14) Ensuite, après avoir rappelé les bienfaits qu’il nous a procurés par d’autres créatures, il y joint ce principal bienfait, plus considérable que tous les autres, il dit : Il annonce sa parole à. ses jugements et ses ordonnances à Israël, il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations et il ne leur a point manifesté ses préceptes. (Id. 19,20) Voyez quelle énumération de bienfaits ! La sécurité de la ville : Car il a fortifié, dit-il, les serrures de tes portes : les guerres écartées : Il a établi, dit-il, la paix sur tes frontières : l’abondance des vivres : Et il te rassasie du meilleur froment. Cependant il déclare que le présent qu’il fait de la loi, est le plus précieux de tous. Car, la sécurité, la paix, le bonheur de voir écarter la guerre, l’abondance heureuse des enfants, la fécondité des fruits de la terre, sont des biens beaucoup moins précieux, que d’avoir reçu la loi en présent ; que d’avoir appris les jugements du Seigneur ; et pour cette raison, le Prophète réserve ce don comme le dernier, après tant d’autres, et il ajoute : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations. De la sorte, qu’est-ce que cela veut dire ? Certes, la fécondité, l’abondance de la terre, les autres biens énumérés, ont été souvent le partage d’un grand nombre d’hommes, mais, dit le Prophète, je ne parle pas de ces biens-là, je parle de la loi, et Dieu, à cet égard, n’a pas agi de même avec toutes les autres nations ; voilà pourquoi il ajoute : Et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Vous voyez que de tous les biens énumérés, le plus précieux, c’est la loi.
2. Ce que Jérémie, à son tour, a manifesté quand il pleurait sur les tribus captives ; il disait : Pourquoi es-tu sur la terre des ennemis ? Tu as délaissé la source de la sagesse. (Bar. 3,10, 12) C’est la loi, qu’il appelle ainsi, Comme une source envoie de tous côtés, un grand nombre de ruisseaux, ainsi la loi verse de tous côtés, un grand nombre de préceptes, qui arrosent notre âme. Jérémie, montrant ensuite le principal honneur à nous conféré par la loi, disait : Cette sagesse n’a pas été entendue dans Chanaan ; elle n’a pas été vue dans Tehoeman, et les fils d’Agar, ces marchands et ces faiseurs de recherches, n’ont pas trouvé sa voie, et ils ne se sont pas souvenus de ses sentiers. (Id. 22, 23) Et, pour démontrer que cette loi est spirituelle et divine : Qui est monté, dit-il, dans le ciel et l’en a tirée. (Id. 29) Aussitôt il ajoute : C’est notre Dieu ; aucun autre ne ara estimé auprès de lui ; il a trouvé toutes les vies de la science, et il les a montrées à Jacob e enfant, et à Israël son bien-aimé. (Id. 36,37) C’est pour cela que David à son tour disait : Il n’a point traité de la sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Et Paul insinuait cette pensée, quand il disait : Quel est donc l’avantage des Juifs ; et quelle est l’utilité de la circoncision ? (Rom. 3,1) Voyez-vous comme ici les preuves abondent de mille manières ? D’abord c’est qu’ils n’ont pas cru aux paroles de Dieu. Voyez-vous de quelle manière Paul aussi a proclamé cette vérité : Il n’a point traité de ta sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes? En effet, si c’est l’avantage des Juifs qu’eux seuls ; parmi tant d’autres hommes, ont été honorés du don de la loi écrite, ce n’est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous faire honneur, que Dieu nous a donné la loi ; et l’honneur que Dieu nous a fait, ne consiste pas seulement en ce qu’il nous a donné la loi, mais encore en ce qu’il nous l’a donnée lui-même. Voilà, en effet, le plus grand honneur ; il n’a pas seulement répandu des biens, mais c’est par lui-même qu’il les a répandus. Voilà, certes, un grand don, écoutez Paul. Comme il voyait que les Juifs étaient enflés d’orgueil, parce que les prophètes étaient venus pour eux, Paul, voulant réprimer leur arrogance, et montrer que nous avons reçu un plus grand honneur, nous, à qui la doctrine n’a pas été donnée par un serviteur de Dieu, mais parle Seigneur même, voici ce qu’il écrit aux Hébreux : Dieu ayant parlé, autrefois, à nos pères, en divers temps, et en diverses manières, par les prophètes, nous, a enfin parlé, en ces derniers jours, par son Fils unique. (Héb. 1,1-2) Et ailleurs encore : Et non seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous glorifions même en, Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation. (Rom. 5,11) Voyez-vous comme il ne se glorifie pas seulement de la réconciliation, mais encore de la réconciliation obtenue par Jésus-Christ ? Et, dans un autre passage, quand il célèbre la résurrection, il dit : Le Seigneur lui-même descendra du ciel. (1Thes. 4,16) Comprenez qu’ici encore, tout se fait, s’accomplit par le Seigneur ; et ce n’est pas par l’entremise d’un serviteur quelconque, par un ange, par un archange, c’est lui-même de sa propre personne qui a donné le précepte à Adam, faisant à l’homme un double honneur : l’honneur de lui donner la loi, l’honneur de la donner lui-même. Comment donc l’homme est-il tombé ? A cause de sa négligence ; et c’est ce que fait voir le grand nombre de justes qui ont reçu la loi, et qui ne sont pas tombés, mais qui ont fait plus qu’il ne leur avait été commandé. Je vois que le temps nous presse ; nous renverrons ces réflexions à un autre entretien ; quant à vous, retenez les paroles que vous avez entendues, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendues dans l’église, sur la place publique, à la maison, qu’elles soient le sujet des méditations de chacun de vous ; car il n’est rien de plus doux que d’entendre la divine parole. Écoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge ! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Ps. 118,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l’Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte ? Ils font, de leur maison un théâtre ; vous au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera facile, sans changer les murailles, sans déranger les fondations ; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut dès cieux. Dieu ne rougit pas d’assister à de tels festins ; car c’est là que règnent la doctrine spirituelle, et la tempérance, et la gravité et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la, concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l’affection et de là vertu, là réside aussi le Christ ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l’âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l’aumône. À l’aspect d’un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s’assied à la table, c’est lui-même qui l’a dit : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. (Mt. XXV, 35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu’à vous, quand vous avez donné à l’indigent, une part quelconque des mets de votre table, c’est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur, et votre table, vous l’avez aussitôt comblée de toutes les bénédictions ; en offrant vos prémices, vous avez saisi l’occasion la plus favorable d’attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix et d’amour ; qui donne le pain à celui qui le mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence, fasse croître en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, en même temps qu’au Père, la gloire, l’honneur, la puissance, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
NEUVIÈME DISCOURS.
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De quelle manière il faut reprendre ses frères, et qu’il convient d’avoir soin de leur salut ; – et pourquoi Abram a été appelé Abraham. – Réflexions sur le nom de Noé : que les noms de ces hommes justes ne leur ont pas été donnés au hasard, mais par une disposition de la providence de Dieu.
AVERTISSEMENT & ANALYSE.
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Ce discours, quoique prononcé longtemps après les huit précédents, qui l’ont été en 386, a été placé ici à cause de la ressemblance des matières. Il fut fait la même année que les 32 premières homélies sur la Genèse, que les homélies sur le commencement des Actes et sur les changements de noms. Quelle est cette année ? c’est ce que nous n’avons pas encore pu découvrir ; nous savons seulement que cette année, quelle qu’elle soit, est postérieure à 387. Ce discours suivit immédiatement la seconde homélie sur les changements de noms. L’exorde, comme ceux des deux précédents, en ayant été très long, le peuple d’Antioche s’en plaignit, et ses plaintes furent l’occasion de l’homélie De ferendis reprehensionibus , qui figure parmi les homélies sur les changements de noms.
- 1. L’orateur se croit obligé de résumer sa dernière instruction en faveur de ceux qui ne l’ont pas entendue ; si ceux qui l’ont entendue s’en plaignent, qu’ils sachent que le zèle doit être tempéré par la miséricorde. L’homme spirituel est celui qui porte secours à son prochain. – 2. La mutuelle charité est le signe distinctif des chrétiens. – 3. Résumé de la deuxième homélie sur les changements de noms. Abraham fut aussi parfait que les disciples de Jésus-Christ. – 4. La foi d’Abraham trouva sa récompense dans l’accomplissement des promesses de Dieu, plus sûres que les réalités de ce monde. – 5. L’orateur résume la doctrine qu’il a déduite de l’histoire d’Abraham. Les fils ne sont pas coupables de l’iniquité de leurs pères : devoirs des fils envers leurs parents lorsque ceux-ci sont infidèles. Le libre arbitre. Interprétation du nom de Noé.
1. Si vous pouviez savoir, ce que nous avons dit précédemment, ce que nous avons laissé de côté, où s’est arrêté notre discours d’hier, par où il convient de commencer le discours d’aujourd’hui, nous rattacherions sans préambule nos premières paroles à celles que nous avons prononcées hier, en terminant. Mais, comme un grand nombre de nos auditeurs d’hier sont absents aujourd’hui, que, parmi ceux qui sont aujourd’hui présents, un grand nombre ne nous ont pas entendu hier, la diversité de nos auditeurs nous force de reprendre ce que nous avons expliqué. Il en résultera que ceux qui nous ont déjà entendu, conserveront mieux le souvenir de nos paroles ; que ceux qui furent absents hier, n’auront pas fout perdu, grâce à l’exposition qui leur résumera l’enseignement déjà donné. Peut-être ceux qui ne manquent jamais à nos réunions, prétendront-ils que nous ne devrions pas, en considération des absents, reprendre ce que nous avons déjà dit ; qu’il serait bon au contraire de corriger ceux qui ont dédaigné de venir, en leur laissant subir une perte qui les rendrait à l’avenir plus diligents.
Je vous félicite de vous montrer ainsi affligés de la négligence de vos frères, et j’admire votre zèle ; mais je veux que votre zèle soit tempéré par la charité. En effet ; un zèle qui ne pardonne pas, est plutôt de la colère que du zèle ; un avertissement sans douceur, est une espèce de haine. C’est pourquoi je vous prie de ne pas censurer avec amertume les péchés d’autrui ; car, de même que celui qui voit sans être ému de pitié, les blessures de ses frères, sera traité sans indulgence, quand il tombera lui-même dans le péché ; de même, l’homme miséricordieux que touche la pitié, quand le prochain succombe, trouvera lui-même, s’il vient à tomber, un grand nombre d’amis pour lui tendre la main. Et ce que je dis maintenant, ce n’est pas afin d’encourager la négligence de ceux qui se montrent rarement au milieu de nous ; mais c’est que je désire voir s’augmenter notre zèle pour eux, de telle sorte que notre sollicitude soit un tempérament de sagesse et d’affection. Je sais bien d’ailleurs, que nous aussi, ces jours passés, nous avons prononcé contre eux grand nombre de longs discours et nous avons dit qu’ils ne méritaient pas d’être appelés des hommes. Vous vous souvenez que nous avons suscité contre eux les prophètes, deux surtout, dont l’un dit ces paroles : Je suis venu, et il ne s’est point trouvé d’hommes ; j’ai appelé, et il ne s’est pas trouvé d’auditeur. (Is. 50,2) Un autre prophète s’écrie et dit : A qui adresserai-je ma parole et qui conjurerai-je de m’écouter ? Leurs oreilles sont incirconcises et ils ne peuvent entendre. (Jer. 6,10) Par ces paroles, nous les avons assez sévèrement traités ; mais à présent, nous prenons un autre langage et nous leur adressons des prières ; car, c’est Paul qui nous en donne le conseil : Reprenez, dit-il, réprimandez, suppliez. (2Tim. 4,2) Et en effet, il ne faut pas se borner toujours, soit à la réprimande soit à la prière qui supplie, mais il faut employer alternativement la réprimande et la prière, afin qu’il en résulte une plus grande utilité. Si nous ne faisions jamais que les réprimander, ils perdraient, de plus en plus, toute honte ; si nous ne faisions jamais que supplier, ils deviendraient de plus en plus relâchés. Les médecins le savent bien : ils ne se bornent pas à couper les chairs, mais ils pansent aussi les blessures ; ils ne prescrivent pas toujours des breuvages amers, mais parfois des potions agréables. Ces amers breuvages purifient lé sang ; les potions plus douces calment les douleurs, et voilà pourquoi, dans un autre endroit, Paul dit encore : Mes frères, si un homme est tombé par surprise en quelque péché, vous autres qui êtes spirituels, ayez soin de lé relever, dans un, esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion sur soi-même et craignant d’être tenté, aussi bien que lui. (Gal. 6,1) Avertissement excellent ; conseil parfait, qui montre les entrailles d’un père ; digne de sa grande sollicitude pour nous ; Mes frères : voilà le vrai langage de Paul, voilà un titre suffisant pour conquérir la bienveillance de l’auditeur. C’est comme s’il disait : Vous êtes sortis des mêmes flancs, vous devez la vie aux mêmes douleurs, vous avez eu même nourriture, même père, qui vous a enfantés, par le spirituel enfantement ; montrez cette parenté, cette fraternité, même quand vous corrigez les péchés du prochain. Si un homme est tombé, par surprise. Il ne dit pas : Si un homme a péché, mais il s’empresse de montrer un genre de péché qui mérite particulièrement l’indulgence. Si un homme est tombé par surprise, c’est-à-dire, a succombé à une tentation forte, s’est égaré ; il n’entend pas celui qui a péché de propos délibéré, mais celui qui, voulant bien faire, a été renversé, vaincu par le pouvoir du démon. Un tel homme mérite moins d’être accusé, que d’obtenir son pardon. Si un homme est tombé par surprise, un homme ; autre raison d’excusé, la faiblesse de la nature, qu’il s’est empressé d’indiquer par le mot homme. Donc, de même que cet homme d’un si grand cœur, Job, voulant se concilier la clémence de Dieu, disait : Qu’est-ce qui l’homme pour mériter que vous le regardiez comme quelque chose, et que vous observiez ses péchés ? de même, nous, à notre tour, hâtons-nous de dire, quand un homme est en cause pour ses péchés : c’est un homme, et tempérons, par la considération de la nature, l’excès de l’indignation. Voilà pourquoi Paul s’empresse d’indiquer l’infirmité de la nature, en disant : Si un homme est tombé, par surprise dans quelque péché. Il ne dit pas les grands péchés, qui ne méritent ni indulgence, ni pardon, mais les petits, où se font les faux pas. Vous qui êtes spirituels. Celui qui pèche, c’est l’homme ; mais ceux qui font les bonnes œuvres, il les nomme spirituels ; pour le pécheur, il emploie le terme qui marque la nature ; il applique aux autres le nom qui désigne la vertu.
Il y a une grande différence entre l’homme, et l’être spirituel. Vous qui êtes spirituels. Si tu es spirituel, montre-moi ta force, non pas en opérant ton salut, mais en opérant mon salut, mais en m’apportant ton secours, à moi qui suis tombé. C’est là, en effet, le propre de celui qui est spirituel ; il ne dédaigne pas ses membres en péril. Ayez soin de le relever. Faites, dit-il, qu’on ne puisse pas le prendre, qu’il ne se fatigue pas en combattant, que, dans sa lutte contre le démon, il ne succombe pas. Chacun de vous, faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté, aussi bien que lui.
2. Voilà le conseil par excellence, l’avertissement le plus puissant pour forcer la volonté. Fussiez-vous de pierre, quand vous entendez cette parole, elle suffit pour vous inspirer la terreur, pour vous exciter à secourir celui qui est tombé. Vous ne voulez pas, dit-il, avoir pitié, à titre de frères, vous ne voulez pas pardonner à ceux qui sont dés hommes ? Vous ne voulez pas, à titre d’êtres spirituels, tendre la main aux malheureux ? Considérez votre condition, et vous n’aurez pas besoin qu’on vous conseille ; de vous-mêmes, vous porterez secours à celui que vous voyez par terre, et vous irez le consoler. Comment ? et pourquoi ? Chacun de vous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté, aussi bien que lui. Il ne dit pas : Car, après tout, vous commettrez, vous aussi, des péchés ; cette parole eût été trop dure ; mais que dit-il ? Craignant d’être tenté, aussi bien que lui. Il peut se faire en effet que vous commettiez des péchés ; il peut se faire aussi, que vous ne péchiez pas ; et parce que l’avenir est incertain, préparez pour vous-mêmes la réserve de la miséricorde, par votre charité envers le prochain, et vous retrouverez, si vous venez à faillir, l’abondance de miséricorde misé par vous en réserve. Il ne dit pas : Craignant de pécher aussi soi-même, craignant de tomber aussi soi-même ; faites bien attention, considérez la mesure juste des expressions ; mais, craignant d’être tenté aussi bien que lui ; ce qui indique, et que nous avons un ennemi particulier qui nous tente, et que ce tentateur n’a pas un moment fixe et déterminé pour nous tendre ses pièges. En effet ; la plupart du temps, c’est quand nous dormons, quand nous né sommes pas sur nos gardes, qu’il nous attaque, et voilà pourquoi celui qui est tombé par surprise ; est digne de pardon, c’est qu’il a été pris par le tentateur. Le combat n’était pas ostensible ; le jour de la bataille n’avait pas été désigné ; l’attaque a eu lieu à l’improviste, et voilà pourquoi le démon a eu le dessus. Tels sont les sentiments des matelots qui voguent sur le grand espace des mers ; ils ont beau avoir pour eux les vents favorables ; ils ont beau jouir d’une parfaite sécurité ; cependant, s’ils voient, de loin, un naufrage, ils ne se bornent pas à considérer leur propre utilité, sans s’occuper du désastre qui tombe sur autrui ; ils arrêtent leur navire, jettent l’ancre, ferlent les voiles, jettent des câbles, lancent au loin des planches, afin que celui qui est submergé par les flots saisisse un de ces moyens de salut, et puisse ainsi échapper au naufrage. Imitez les matelots, vous qui portez le nom d’homme-, vous voguez vous aussi, sur une vaste mer, c’est la vie présente ; et cette mer renferme des monstres sans nombre, des pirates ; cette mer a des écueils, et des récifs ; cette mer est troublée par les flots et par les tempêtes ; et souvent dans cette mer s’engloutissent un grand nombre de naufragés. Quand donc il vous arrive de voir quelque passager, victime de la malice du démon, perdant la richesse du salut, emporté par le tourbillon, prêt à être submergé, arrêtez votre navire, n’ayez plus de pensées que pour le malheureux ; attachez-vous, avant toutes choses,.à son salut ; ne pensez plus à vous, car il ne peut pas attendre, il ne peut pas souffrir de délai, celui qui est sur le point de s’engloutir ; arrivez, arrivez vite, arrachez-le vivement du tourbillon ; saisissez-vous de tous les câbles, pour le retirer de l’abîme de la perdition ; eussiez-vous mille et mille affaires, vous entraînant ailleurs, que rien ne paraisse plus pressant pour vous, que le salut de celui qui est dans la détresse ; si peu que vous vouliez différer, vous le trahissez, vous l’abandonnez à la rage de la tempête. Dans de si grands périls ; il faut de la promptitude et du zèle. Voyez l’empressement de Paul à la vue d’un homme que l’abîme allait dévorer : Je vous prie, dit-il, dé lui donner des preuves effectives de votre charité, de peur, qu’il ne soit accablé par un excès de tristesse. (2Cor. 2,7-8) Il veut qu’aussitôt on lui tende la main, de peur, que pendant que nous différons, l’infortuné ne soit dévoré par l’abîme. Soyons donc pleins de soucis pour, les intérêts de ceux qui sont nos frères.
Voilà ce qu’il y a de principal, de principal dans notre conduite : ne pas considérer uniquement ces intérêts, mais corriger, fortifier ceux de nos membres que nous voyons pervertis. Voilà, de notre foi, la marque la plus éclatante ; c’est en cela, dit l’Évangile, que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jn. 13,35) La charité sincère ne se déclare pas par la communion à la même table ; par une courte parole ; par les flatteries des mots ; ce qui la prouve, c’est le zèle qui considère l’intérêt du prochain, qui relève celui qui a fait une chute ; qui tend la main à celui qui est par terre, sans plus penser à son propre salut ; qui recherche, avant son propre bien, le bien d’autrui. Voilà la vraie charité : car celui qui a la charité, ne regarde pas son intérêt propre ; il considère d’abord l’intérêt du prochain, et, par l’intérêt d’autrui, il assure son propre intérêt. (1Cor. 13, 5) Et moi-même, maintenant, que fais-je ? Ce n’est pas pour moi que je prolonge ces longs discours, c’est pour vous. Donc vous, à votre tour, ne les écoutez pas seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres, à qui vous devez de les instruire ; car c’est le bon agencement des membres qui entretient le corps de l’Église. De même qu’un membre qui retiendrait pour lui toute la nourriture, sans rien communiquer aux membres voisins, se ferait du tort à lui-même, et ruinerait le reste du corps : par exemple, si l’estomac tirait toute la nourriture à lui seul, le reste du corps se dessécherait par la faim, et l’estomac se ruinerait lui-même par le dérèglement de son appétit ; si au contraire, se contentant de la part qui lui suffit, il envoie aux autres membres ce qui doit leur revenir, il s’entretient lui-même en bonne santé, et avec lui tout le reste du corps : Eh bien ! de même pour vous maintenant ; si, après avoir écouté nos paroles, vos gardez tout pour vous, sans rien communiquer à un autre, vous faites du tort à cet autre, et vous vous ruinez vous-mêmes ; vous vous attirez les maladies les plus graves ; vous cultivez en vous la lâcheté et l’envie ; car, c’est ou par malice, ou par envie, ou par lâcheté, que nous ne partageons pas avec les autres ; de quelque nature que soit ce mal, il suffit pour perdre celui qui en est atteint. Si au contraire vous communiquez abondamment la nourriture aux autres, vous vous faites du bien à vous-mêmes et aux autres ; mais en voilà assez sur ce sujet.
3. Ce qu’il faut maintenant, c’est reprendre la suite de nos dernières réflexions. Quelles étaient donc ces réflexions ? Nous recherchions, au sujet des noms Saul et Paul, pourquoi on dit tantôt Saul et tantôt Paul, et delà nous, avons fait une longue digression sur certains noms propres.. Puisque nous voilà débarqués, il ne nous paraît pas convenable de négliger l’approvisionnement que nous pouvons faire en ce nouveau pays. Encore que ce soit le nom de Paul qui nous ait fourni l’occasion d’entreprendre cette étude, il ne manque pas d’autres noms que nous puissions explorer avec profit. Les marchands, qui traversent les mers, et s’en vont, pour quelques menues denrées, vers des parages lointains, arrivent parfois dans une petite ville, où ils voient en abondance des objets tout différents qui leur conviennent, et, outre les marchandises pour l’achat desquelles ils ont quitté leur pays, ils font des emplettes beaucoup plus considérables que celles qu’ils avaient projetées. Si on leur en faisait un reproche, ils diraient : nous avons fait un long voyage, essuyé mille tempêtes, affronté mille dangers, franchi les mers ; qui nous empêche de donner de l’extension à notre commerce ? Nous pouvons, certes, nous excuser à leur manière. – Nous faisions des recherches sur les noms de Paul et nous avons trouvé en même temps comme des magasins d’autres noms ; ainsi Pierre s’appelait d’abord Simon, et les fils de Zébédée, Jacques et Jean, se nommaient les fils du tonnerre. Nous avons trouvé, dans l’Ancien Testament, Abraham appelé auparavant Abram, et Jacob nommé Israël, et Sarra au lieu de Sara ; nous avons trouvé, en outre, d’autres personnages dont les noms sont demeurés tels qu’ils les reçurent dès le commencement ; ainsi Jean-Baptiste, Isaac et Adam. Donc, il serait absurde, et de la dernière négligence, quand nous avons dans les mains un si grand trésor, de le jeter. Car voilà la raison de ce long discours ; et, comme nous avons parlé dernièrement de ceux qui ont gardé leurs premiers noms, nous parlerons aujourd’hui de ceux qui ont eu deux noms, comme, par exemple, Abraham. Adam a toujours porté le même nom ; Isaac n’en a pas reçu d’autre ; depuis le commencement jusqu’à la fin, Isaac. Mais le père d’Isaac s’appelait d’abord Abram, plus tard seulement, Abraham. En effet, Dieu lui dit ; Vous ne vous appellerez plus Abram, mais Abraham. (Gen. 17,5) Son premier nom, c’était Abram ; ce nom n’est pas grec, il n’appartient pas à notre langue ; c’est un nom hébreu. Que signifie-t-il donc ? Un passant. Aram, en syrien, signifie au-delà, outre, ce que savent bien, ceux qui connaissent cette langue. Il y a une grande affinité entre le Syrien et l’Hébreu, mais, dites-vous, pourquoi l’a-t-on appelé, passant ? La Judée, c’est-à-dire toute la Palestine, depuis l’Égypte jusqu’à l’Euphrate est en face de la Babylonie, d’où était Abraham ; le fleuve passe entre les deux pays dont il forme la commune limite. Et, comme Abraham n’était pas de la Palestine, mais venait de la rive opposée, c’est-à-dire de la Babylonie, pour cette raison et de fait, il a reçu le nom de passant, parce qu’il avait passé le fleuve. Or, pourquoi a-t-il passé le fleuve ? parce que Dieu le lui avait ordonné ; pourquoi Dieu le lui a-t-il ordonné ? Pour faire paraître l’obéissance du juste. Et comment parut l’obéissance du juste ? en ce que par l’ordre de Dieu, il abandonna son propre pays, pour passer sur une terre étrangère. Voyez-vous quelle chaîne d’événements dans le nom de l’homme juste ? Ce nom nous a ouvert un océan de faits ; apprenez donc son premier nom, afin qu’en le voyant habiter la Palestine, vous vous souveniez, rien qu’en entendant ce nom, de sa première patrie, de ta cause qui la lui fit quitter, et qu’ainsi vous vous trouviez conduits à imiter le zèle de sa foi.
Voilà donc comment ce juste, avant la loi et sous l’empire de la loi, reçut la sagesse qui fut communiquée au temps de la grâce, et comment il accomplit, avant le temps de la grâce, ce que, plus tard, le Christ proposait à ses disciples : Quiconque aura quitté, pour mon nom, sa maison, ses frères, son père ou sa mère en recevra le centuple, et aura, pour héritage, la vie éternelle. (Mt. 19,28-29) Ce n’est pas là seulement ce qui montre la sagesse de ce juste, mais la promesse de, Dieu sert encore à la manifester ; venez en la terre que je vous montrerai. (Gen. 12,1) Sans doute la Chaldée et la Palestine étaient deux patries matérielles ; mais enfin, l’une était son pays, l’autre, une : patrie étrangère ; l’une, visible, l’autre invisible ; il avait l’une dans les mains, il n’avait l’autre qu’en espérance. Or, abandonnant le visible, le manifeste, ce qu’il avait dans la main, il s’empressa d’aller à l’inconnu, à l’invisible, dans un pays où il ne lui était pas permis de dominer. Conduite qui a pour but de nous apprendre, de nous convaincre, qu’il ne faut pas hésiter, lorsque Dieu nous commande, à laisser là ce qui est visible, à élever nos regards vers ce qui n’apparaît pas à nos yeux. Les biens que nous tenons dans nos mains ne sont pas aussi évidents que ceux qu’il faut espérer ; la vie présente n’est pas aussi manifeste que la vie à venir ; la première, nous la voyons des yeux du corps ; l’autre, nous la voyons des yeux de la foi ; la première, nous la voyons dans nos mains, celle-là, nous la voyons dans les promesses du Dieu qui nous la tient en réserve.
4. Or, les promesses de Dieu sont beaucoup plus puissantes que nos mains. Voulez-vous voir comment cette vie présente n’est tout entière qu’obscurité, tandis que cette vie à venir qui semble obscure a, plus que la vie présente, de solidité durable ? Recherchons, s’il vous plaît, ce qu’il y a d’éclatant dans la vie présente ; ce sont les richesses, c’est la gloire, la puissance, une grande considération auprès des hommes, et vous verrez que rien n’est plus confus que tout cela. En effet, quoi de plus infidèle que les richesses, qui souvent n’attendent pas le soir, pour nous quitter ; comme des ingrats, comme des transfuges, elles passent d’un maître à un autre maître, et, de celui-ci, à un troisième. Et de même pour la gloire : souvent qui avait un noble et illustre nom, se voit tout à coup sans considération et parfaitement inconnu. L’inverse a lieu aussi. Et, comme il est impossible de distinguer ; dans la roue, qui tourne toujours, la moindre partie de la circonférence, parce que la rapidité du mouvement porte, à chaque instant, en haut ce qui était en bas, en bas ce qui était en haut, de même l’impétuosité du mouvement qui nous emporte, qui change tout sans cesse, précipite au plus bas degré ce qui dominait sur le faîte ; vérité que rendent manifeste et l’inconstance des richesses, et l’inconstance du pouvoir, et de tout ce qui se pourrait nommer ; jamais de consistance, toujours l’instabilité ; ce sont des eaux courantes. Qu’y a-t-il donc de plus incertain que ce qui change si souvent de place, prend son vol loin de nous, avant de se montrer ; avant de nous approcher, s’échappe ? De là vient que le Prophète, parlant des voluptés, des richesses, de tout ce qui y ressemble, réprimande par ces paroles ceux qui s’y attachent comme à des biens durables : Ils ont regardé comme stable ce qui n’est que fugitif. (Amo. 6,5) Il ne dit point, ce qui n’est que passager, mais, d’une manière beaucoup plus expressive, ce qui n’est que fugitif. En effet, ces biens-là ne se retirent pas peu à peu, mais avec une étonnante rapidité. Notre patriarche, au contraire, n’a pas tenu cette conduite ; mais, abandonnant tout cela, il n’a vu que les promesses de Dieu ; il nous a préparé la voie dans la foi aux choses à venir ; c’est afin que vous aussi, à qui Dieu a promis les choses à venir, qui ne se voient pas, vous vous gardiez de dire : ces choses-là sont invisibles, ne se montrent pas. En effet, ces choses invisibles sont plus manifestés que les choses visibles, pour peu que nous ayons les yeux de la foi. Sans doute nous ne les voyons pas, mais Dieu nous les a annoncées, nous les a promises ; quand c’est Dieu qui annonce, il n’y a aucune variation possible dans les choses promises ; rien n’est plus durable, n’en doutons jamais, que ce qui est dans la main de Dieu ; car, dit l’Évangéliste, Personne ne peut le ravir de la main de Dieu. (Jn. 10,29) Le trésor que nul ne peut ravir de la main de Dieu, est donc ' éternellement assuré ; au contraire les choses présentes sont exposées à toute espèce de variations et de vicissitudes. Aussi, prenons-nous souvent beaucoup de peine, et le résultat frustre notre attente. Pour les biens qu’on espère, il n’en est pas de même : Celui qui a travaillé, obtient nécessairement couronnes et récompense, car l’espérance n’est point trompeuse(Rom. 5,5), parce que, c’est la promesse de Dieu, et que les dons promis participent de la nature de celui qui les a promis. Abandonnez donc ce qui est obscur, pour – vous saisir de ce qui est manifeste. Or, ce qui est manifeste, ce n’est pas le présent, mais l’avenir. Maintenant, si quelques personnes ne considèrent que le présent et méprisent l’avenir, elles ne le méprisent pas parce qu’il est obscur et incertain, mais parce qu’il est élevé, trop au-dessus de leur propre faiblesse. Considérez donc combien fut grande la vertu de notre homme juste. Dieu lui avait promis des biens matériels, et lui cherchait, de lui-même, des biens spirituels. Comment, me direz-vous, Dieu lui avait promis les biens matériels, et il cherchait, de lui-même, des biens spirituels ? Sortez, dit Dieu, de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai. (Gen. 12,1) La première contrée était chose matérielle, comme le pays qui lui était destiné ; eh bien ! qu’a-t-il fait ? Non, n’écoutons pas Abraham, mais écoutons Paul, qui nous parle de lui ; comprenons que, quoique Dieu lui eût promis cette terre, lui pourtant, laissant là les choses présentes, ne la regarda pas, mais s’empressa de se tourner vers les choses à venir. Quelles sont donc les paroles de Paul ? Tous ces saints sont morts dans la foi, ce qu’il dit d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de tous les justes, car non seulement Abraham, mais tous participaient à la même sagesse. Tous ces saints, morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant de loin. (Héb. 11,13, 14, 15, 16) Que dites-vous ? Abraham n’a pas reçu les biens promis ? il n’est pas venu dans la Palestine ? les paroles ont donc été trompeuses ? nullement, il est venu, certes, dans la Palestine, mais ce n’est pas cette Pales tine qu’il regardait ; il en désirait une autre, la patrie qui est dans le ciel. Vérité que Paul atteste en ajoutant : Et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. C’est un voyageur, celui quia reçu une si grande patrie, une contrée si considérable ? Parlez, je vous en prie. Assurément, dit Paul, car ce n’est pas cette patrie qu’il a considérée, mais le ciel. Car ceux qui parlent de la sorte font bien voir qu’ils cherchent une autre patrie, qui a Dieu pour fondateur et architecte, cette patrie, vous dis-je, qui est la Jérusalem céleste, la patrie d’en haut. Comprenez-vous comment Dieu lui a promis une patrie matérielle, tandis que lui-même a cherché la Jérusalem céleste ? Car ceux qui parlent de la sorte, dit Paul, font bien voir qu’ils cherchent une autre patrie. S’ils avaient eu dans l’esprit celle dont ils étaient sortis, ils avaient assez de temps pour y retourner ; mais ils en désiraient une meilleure, qui est la patrie céleste. Donc, la chose promise est matérielle, mais le désir du juste est spirituel. Quant à nous, nous faisons juste le contraire. A lui Dieu avait promis la Palestine, mais il regardait le ciel ; à nous, Dieu a promis le ciel, mais nous regardons la terre.
5. Voilà donc ce que nous avons gagné à méditer le nom d’Abraham ; nous avons appris pourquoi il fut ainsi appelé, pourquoi on l’a nommé un passant ; il abandonna son pays pour passer sur la terre étrangère ; il quitta le visible pour l’invisible ; il rejeta ce qu’il avait dans la main, pour les biens que concevait son espérance ; il reçut des biens qui tombent sous les sens, et il ne voulut voir que les biens spirituels, et cela avant la grâce, avant la loi, avant l’enseignement des prophètes. Par où il est évident qu’il n’eut personne pour l’instruire, qu’il lui suffit du langage de sa conscience ; que c’est ainsi qu’il trouva Dieu, le Créateur de l’univers ; voilà pourquoi il fut appelé Abram ; voilà pourquoi ses parents lui donnèrent ce nom. Mais peut-être, me dira-t-on, mensonge que tout cela ! est-ce que les parents d’Abraham étaient des justes ? est-ce qu’ils étaient agréables à Dieu ? est-ce qu’ils connaissaient les choses futures ? est-ce qu’ils prévoyaient la promesse que devait faire le Seigneur ? n’étaient ce pas des impies, des idolâtres, plus que des barbares ? Je ne l’ignore pas, je le sais bien, et, si je loue cet homme juste, c’est qu’avant de tels parents, il est lui-même devenu tel que nous le voyons. Voilà en effet ce qui est étrange, merveilleux ; d’une racine sauvage un fruit si doux ! Il ne faut pas faire de la malice des parents un sujet d’accusation contre les enfants qui vivent dans la piété ; mais s’il est permis de dire quelque chose qui étonne, au contraire c’est une gloire de plus pour ceux qui n’ont pas reçu la piété, comme un héritage de leurs pères, pour ceux qui n’ont pas eu de guides, pour ceux qui ont été comme des voyageurs dans un désert où nul chemin n’est tracé, d’avoir pu trouver la roule qui conduit au ciel.
Ce n’est donc pas un crime, un sujet d’accusation, d’avoir pour père un impie. Accusez celui qui reproduit l’impiété de son père ; accusons-nous surtout nous-mêmes ; non pas d’avoir des parents qui vivent dans l’abaissement, mais de ne pas prendre soin de nos parents, de ne pas faire tous nos efforts pour les retirer de leur impiété. Quand nous aurons, pour le salut de leur âme, fait tous les efforts dont nous sommes capables, s’ils persistent dans leur voie mauvaise, nous serons à l’abri de tout reproche, de toute accusation. Ces paroles, mon bien-aimé, c’est pour que vous ne vous troubliez pas, quand vous entendez dire, qu’Abrabam eut pour père un impie. Car Timothée lui-même eut pour père un impie. C’était le fils d’une femme : juive, fidèle, et d’un père gentil. (Act. 16,1) Que son père soit resté impie et ne se soit pas converti, c’est – ce qui ressort du passage où Paul, célébrant la foi de Timothée s’exprime ainsi : Me représentant cette foi sincère qui est en vous, qu’a eue premièrement Loïde, votre aïeule, et Eunice votre mère, et que je suis très-persuadé que vous avez aussi. (2Tim. 1,5) On ne trouve nulle part le nom de son père, et pourquoi ? C’est que persévérant dans l’impiété, cet homme ne méritait pas d’être nommé avec son fils. Que les apôtres aient eu aussi des parents égarés, c’est ce que le Christ a déclaré par ses paroles : Si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. (Mt. 12,27) Ne vous troublez pas, ne soyez pas scandalisés. Nous apprenons ici, que ce n’est pas la nature, que c’est la volonté qui constitue la vertu et le vice, En effet, s’il fallait s’en prendre à la nature, les méchants n’engendreraient jamais que des méchants, et les bons, que des bons. Mais, parce que c’est la volonté qui constitue, soit la vertu, soit le vice, il arrive souvent que des pères vicieux ont des enfants vertueux ; que des pères, solides dans la sagesse, ont eu pour fils des négligents, des lâches. Ce qui prouve que ce n’est pas la nature, mais toujours la volonté que nous devons accuser. Mais puisque les parents d’Abraham étaient, comme je l’ai dit, des impies, d’où vient qu’ils lui ont donné ce nom ? Ce fut l’œuvre de la divine sagesse ; elle se servit de la langue des incrédules, pour donner à un enfant un nom qui renfermait l’histoire à venir. Cette même puissance, le Seigneur l’a montrée à propos de Balaam, qu’il força à prédire l’avenir (Nb. 23), montrant par là, qu’il commande, non seulement à ceux qui lui appartiennent. mais qu’il est aussi le maître de ceux mêmes qui ne sont pas à lui. Et, pour vous apprendre que des parents sans piété, souvent, à leur insu ; donnent, à des justes, des noms qui renferment une grande indication des choses à venir, nous vous apporterons un autre exemple : Lamech fut le père de Noé ; de ce Noé qui vécut au temps du déluge ; ce Lamech n’était ni juste, ni agréable à Dieu, ni approuvé de Dieu ; car, s’il eût été juste, agréable à Dieu, approuvé de Dieu, l’Écriture ne dirait pas que Noé seul fut trouvé juste, au milieu des hommes de son temps. (Gen. 6,9) L’Écriture n’aurait pas omis de mentionner le père de l’homme juste, si ce père eût été juste lui-même. Eh bien ! que fit-il ? Il donna à son fils un nom qui renfermait une grande indication des choses à venir. Le nom donné au juste, était une prophétie. (Gen. 5,29) Ce nom, en effet, montrait le déluge qui allait venir. Comment le déluge qui allait venir, se montrait-il dans le nom de Noé ? Noé, en hébreu, signifie, celui qui fait reposer, car Nia, en syrien, signifie repos ; de même donc que, du mot Abar, qui signifie au-delà, on a fait Abraham ; de même que, de AEdem, qui signifie terre, on a fait Adam, qui signifie sorti de la terre ; de même ici, de Nia, qui signifie repos, on a fait Noé, qui signifie qui fait reposer. Ce dernier sens tient à l’altération du mot. En effet, il l’appela Noé en disant Celui-ci nous fera reposer. (Gen. 5,29) C’est le déluge qu’il appelle repos, car c’était du temps dé Noé que le déluge devait arriver ; or, le déluge fut une mort, mais la mort est un repos pour l’homme. (Job. 3, 23) Aussi appela-t-il l’homme qui fut contemporain du déluge, celui qui fait reposer.
6. Je ne tourmente pas l’Écriture, entendons l’Écriture elle-même : Lamech ayant vécu cent quatre-vingt-huit ans engendra un fils, qu’il nomma Noé, disant : Celui-ci nous fera reposer de nos travaux, et de nos douleurs, et des œuvres de nos mains, et nous consolera dans la terre que le Seigneur a maudite. (Gen. 5,28, 29) Que dites-vous, Nous fera reposer ? Pourquoi ne pas dire, celui-ci nous tuera, celui-ci suscitera le déluge ; pourquoi dire au contraire, Celui-ci nous fera reposer ? Toute la création est bouleversée, tous les abîmes s’entrouvrent, déchirés dans leurs profondeurs, des hauteurs du ciel, les cataractes épanchent tous leurs flots, plus rien partout, qu’une mer étonnante, stupéfiante, épouvantable ; dans la matière détrempée, devenue la fosse commune, la tombe de l’univers, se cachent à la fois les cadavres des hommes, les cadavres des chevaux, les cadavres des animaux sauvages, et ces affreux malheurs, cet affreux désastre, répondez-moi, c’est ce que vous appelez un repos ? Oui, assurément, dit le texte. Car les hommes vivaient dans la corruption : cette corruption, le déluge l’a retranchée ; ceux qui ont été affranchis de cette corruption, se sont enfin reposés. Un corps possédé de diverses maladies, qu’aucun remède ne peut guérir, quand la mort survient, a trouvé le repos ; telle était cette génération d’hommes, semblables à des corps atteints de maladies incurables sans aucun espoir de guérison ; le déluge qui les a surpris, les arrachant à leurs maux, leur a donné le repos. Car si la mort est un repos pour l’homme (Job. 3, 23), à bien plus forte raison, est-elle un repos pour ceux qui vivent dans une corruption incurable ; elle les affranchit de leurs maux, elle ne permet pas à l’ulcère de l’impiété de progresser indéfiniment, au fardeau des péchés d’excéder toute mesure, en pesant sur nous. Rien de plus insupportable, de plus accablant que le péché ; rien de plus misérable, de plus fécond, en douleurs, que la perversité et ses dérèglements. De là, les paroles du Christ, à ceux qui vivaient dans le péché, Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. (Mt. 11,28) Et voilà pourquoi Lamech a appelé le déluge un repos, c’est qu’il devait, en survenant, mettre un terme à la perversité. Je voulais prolonger ce discours ; beaucoup de réflexions ont été omises qui se rapportent au nom de Noé ; mais retenez dans votre mémoire, méditez ce que vous avez en tendu, faites-en part à nos frères absents ; épargnez-nous la nécessité de recourir encore à de longs préambules, pour montrer comment nos entretiens s’enchaînent ; terminons ce discours par des prières ; bénissons Dieu, qui nous a permis de vous faire entendre ces paroles ; à lui, la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. PORTELETTE.