Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Article et pronom/Paragraphe 35

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 83-86).

CHAPITRE I : ARTICLE ET PRONOM.

§ 35. Article.

a L’article hébreu est un ancien démonstratif[1] et conserve encore, dans quelques cas, une valeur démonstrative faible (cf. § 137 f). Nous le rattachons donc au pronom démonstratif. Pour le sens, l’article hébreu répond à peu près à l’article défini le du français.

b La forme normale de l’article est הַ ּ, à savoir la consonne ה suivie de la voyelle brève laquelle fait pression sur la consonne suivante et tend à produire le redoublement, p. ex. הַסּוּס, hassūs « le cheval ». La forme primitive hébraïque du pronom est simplement ha (bref) faisant pression (comme le וַ du futur inverti וַיִּקְטֹל, § 47 a)[2].

La tendance de la voyelle de l’article à produire le redoublement de la consonne suivante, n’est pas toujours satisfaite.

c Une consonne non-gutturale suivie du shewa est souvent privée du redoublement (§ 18 m), p. ex. הַֽלְוִיִּים les Lévites (pour le meteg cf. § 14 c 6). On remarquera en particulier les deux cas suivants :

  1. 1) Dans יְ on omet généralement le dagesh, p. ex. הַיְלָדִים les enfants, הַיְשׁוּעָה le secours, la victoire (opp. הַתְּשׁוּעָה même sens) ; à moins que ne suive une gutturale ה ou ע, p. ex. הַיְּהוּדִים les Juifs, הַיְּעֵפִים les fatigués.
  2. 2) Dans מְ préformante du participe piel et pual, on omet le dagesh, p. ex. הַֽמְכַסֶּה LXX : τὸ κατακαλύπτον, le cachant (Lév 3, 3 ; on a la même forme Gn 18, 17 avec le ה interrogatif : num celans ? § 102 m). Devant ה, ע on a ordinairement le dagesh, p. ex. הַמְּעָרָה la caverne, הַמְּהוּמָה le désordre.

d Une consonne gutturale (et ר) ne peut pas avoir le redoublement fort, mais elle peut (sauf א et ר) avoir le redoublement virtuel ou faible. L’aptitude des gutturales au redoublement virtuel après l’article est, dans l’ordre décroissant, ח > ה > ע (cf. § 20 a). Après l’article א n’a jamais le redoublement virtuel, ni, bien entendu, ר (de même après מָה). Quand il y a redoublement virtuel la voyelle de l’article est ◌ַ ; mais cet ◌ַ se colore en ◌ֶ si la gutturale est suivie du qameṣ moyen ou du ḥaṭef qameṣ (§ 29 f).

ח a presque toujours le redoublement virtuel, p. ex. הַחֹ֫דֶשׁ le mois, הֶֽחֳדָשִׁים les mois ; הַֽחָכְמָה la sagesse, הֶֽחָכָם le sage ; הַחֶ֫רֶב l’épée, הֶחָ֑רֶב ; הַחַי le vivant (toujours ainsi, excepté Gn 6, 19 הָחַי sans raison apparente !).

ה a généralement le redoublement virtuel, p. ex. הַֽהֵיכָל le temple ; הַהוּא le même (on a la même forme Nb 23, 19 † avec le ה interrogatif : num ipse ?), הַהִיא la même ; הֶֽהָרִים les montagnes.

Exception remarquable : הָ֫ tonique ne peut avoir le redoublement virtuel, p. ex. הָהָר la montagne.

Autres exceptions : p. ex. הָהֵם les mêmes, et le doublet moins fréquent הָהֵ֫מָּה ; f. הָהֵ֫נָּה (1 S 17, 28 †)[3].

ע généralement n’a pas le redoublement virtuel, par exemple הָעָם le peuple, הָֽעַמִּים les peuples ; הָעִיר la ville ; הָעֶ֫רֶב le soir, הָעָ֑רֶב.

Exception remarquable : עָ◌֫ atone exige le redoublement virtuel, p. ex. הֶֽעָרִים les villes (peut-être à l’analogie du type הֶֽהָרִים).

Autres exceptions : p. ex. הַֽעִוְרִים les aveugles (le ו rafé § 18 m 4), הַעֹֽזְבִים qui abandonnent Pr 2, 13, הַֽעֹזֶ֫בֶת Pr 2, 17 ; etc.

Remarque. Dans le cas où les gutturales ה et ע ont ◌ָ, elles sont traitées d’une façon symétrique : הָ֫ et עָ֫ toniques ne peuvent avoir le redoublement virtuel, p. ex. הָהָר, הָעָם ; au contraire הָ◌֫ et עָ◌֫ atones exigent le redoublement virtuel, p. ex. הֶֽהָרִים, הֶֽעָרִים. En un mot הָ et עָ ne peuvent avoir à la fois le ton et le redoublement virtuel, mais ils ont l’un ou l’autre.

e La consonne ה de l’article est syncopée après les prépositions בְּ, כְּ, לְ, p. ex. לַמֶּ֫לֶךְ pour לְהַמֶּ֫לֶךְ* (cf. § 17 e) ; בַּיָּמִים הָהֵם en ces mêmes jours, בָּעֵת הַהִיא en ce même temps ; בַּחֶ֫רֶב par l’épée, בֶּחָ֑רֶב.

Dans le cas où la première consonne du nom a ḥaṭef, on a p. ex. כָּֽאֲרִי comme le lion (opp. כַּֽאֲרִי § 103 b, sans article, comme un lion). Il se rencontre deux cas où la graphie est matériellement la même avec l’article et sans article :

  1. 1) quand un ◌ֲ suit une gutturale qui prend le redoublement virtuel ; p. ex. בַֽחֲלוֹם peut être pour ba̦ḥ(ḥ)a̦lọ̄m « dans le songe » ou pour ba̦ḥlọ̄m « dans un songe » (cf. בַּֽחֲלוֹמִי).
  2. 2) avec ◌ֳ, p. ex. בָֽאֳנִיָּה peut être pour bå-ʾnii̯i̯åh « dans le navire » ou pour bo̦ʾnii̯i̯åh « dans un navire » (cf. § 6 n).

Remarque. Le ה quelquefois n’est pas syncopé, p. ex. לְהָעָם 2 Ch 10, 7 ; les exemples se trouvent surtout dans les livres postérieurs. On distingue כַּיּוֹם d’abord, p. ex. Gn 25, 31, et כְּהַיּוֹם à l’instant 1 S 9, 13 ; Néh 5, 11 † ; à côté de כַּיּוֹם הַזֶּה comme (cela est) aujourd’hui (encore) on a quelquefois כְּהַיּוֹם הַזֶּה avec le même sens.

f Noms dont la voyelle est modifiée sous l’influence de l’article. Sous l’influence du ◌ָ de l’article les quatre mots suivants à 1re gutturale prennent ◌ָ sous la gutturale : הַר, עַם (עָם avec accent disjonctif), אֲרוֹן arche (cf. إِران ʾirān), אֶ֫רֶץ deviennent הָהָר, הָעָם, הָֽאָרוֹן, הָאָ֫רֶץ. Le mot חַג fête devient חָג en pause même petite. Avec l’article on trouve toujours הֶחָג, en fait toujours en petite pause. Le mot פַּר (rarement פָּר) jeune taureau devient toujours הַפָּר avec l’article.

g Remarques : 1) Devant l’article, la forme du pronom interrogatif est מָה (§ 37 c).

2) Devant l’article, la forme de la préposition מִן reste généralement inaltérée (§ 103 d).

  1. De même l’article des langues romanes provient d’un pronom démonstratif latin, p. ex. français le du latin illum.
  2. Ce phénomène de pression (cf. le deḥīq § 18 i) existe notamment en italien : a punto devient appúnto, a lato > alláto, a fine > affíne ; a Roma prononcé arróma ; da vero > davvéro ; da mi > dámmi ; va te ne > vattene ; si signore > sissignóre ; en dialecte toscan a casa > accasa : cf. § 18 j N.
  3. Remarquer l’asymétrie : sing. הַהוּא, הַהִיא ; mais pl. הָהֵם etc.