DICTIONNAIRE


NATIONAL


ET ANECDOTIQUE.
DICTIONNAIRE


NATIONAL


ET ANECDOTIQUE,


Pour servir à l’intelligence des mots dont notre Langue s’est enrichie depuis la révolution, & à la nouvelle signification qu’ont reçue quelques anciens mots.


Enrichi d’une notice exacte & raisonnée des Journaux, Gazettes & Feuilletons antérieurs à cette époque.


Avec un appendice contenant les mots qui vont cesser d’être en usage, & qu’il est nécessaire d’insérer dans nos archives pour l’intelligence de nos Neveux.


Dédiée à MM. les Représentans de la Commune de Ris.


Par M. DE L’ÉPITHETE, élève de feu M. Beauzée, Académicien, mort de l’Académie Françoise.


À POLITICOPOLIS,
Chez les Marchands de Nouveautés.
1790.


ÉPITRE DÉDICATOIRE


À MESSIEURS


LES REPRÉSENTANS


DE


LA COMMUNE DE RIS.


Messieurs,

Si j’ai le bonheur inappréciable de vous offrir aujourd’hui le fruit de mes travaux, je le dois à l’illustre M. Beauzée dont vous n’avez pas lu la grammaire, parce que personne ne la lit ; à l’illustre M. Beauzée, qui a augmenté en volume les synonymes de l’abbé Girard, auxquels il n’auroit jamais dû toucher ; à l’illustre M. Beauzée enfin qui a enrichi l’Encyclopédie sans méthode d’une infinité d’articles que l’Encyclopédie avec méthode a trouvés très à propos de copier ; ce fut lui, Messieurs, qui, dans mes jeunes ans, me donna le conseil de m’appliquer à l’étude des mots qu’il appelloit l’étude des langues. Je déférai d’abord en jeune homme aux conseils du maître. En vain il chercha à me lier avec M. Chav.… qui, depuis trente ans, soutient qu’Adam parloit bas-Breton ; en vain il me mit dans les mains ces belles dissertations sur les langues Chinoise & Japonoise qui sont si nécessaires pour apprendre la nôtre, ces vocabulaires en langues negres dont M. de la Harpe a si utilement rempli son abrégé de l’Histoire générale des voyages, où l’on reconnoît la touche de l’auteur de Warwick. Je m’écartai du sentier qui m’étoit indiqué pour m’en frayer un nouveau, & je crus surprendre la nature, surprendre son procédé dans la contexture des langues en me livrant à la lecture des Charades, des Logogriphes & des Énigmes. Je fis des progrès, ou du moins je crus en faire, car je bâtissois sur le sable. Un Traité sur l’anagramme que je publiai quelque temps avant la révolution, & qui fut lu avec transport au Musée de Paris où on lit de si belles choses ; ce Traité, dis-je, alloit encore me jetter loin du vrai but, quand les choses changerent de face. Cette révolution fameuse qui vous rend aujourd’hui une des plus célebres de nos quarante-huit mille municipalités ; cette révolution, Messieurs, me ramena sur la bonne route ; je fus vivement frappé de voir notre langue s’enrichir chaque jour d’une foule de mots qui caractérisent un peuple libre. Je m’écriai : Je suis libre aussi, moi ! Alors l’idée d’être utile à la nation fut la seule qui s’empara de mes facultés. Énigmes, Logogriphes, Charades, Anagrammes.… je foulai tout aux pieds, & n’en lus plus que dans les Actes des Apôtres. Ce fut dans un de ces momens d’enthousiasme que je formai le dessein de travailler au Dictionnaire que j’ai l’honneur de vous présenter. J’ai tout sacrifié pour remplir cette tâche comme elle méritoit de l’être. J’ai éloigné de moi l’ambition qui m’appelloit dans les districts où je pouvois prétendre à l’honneur du commissariat. Assez de gens à talens sont capables de remplir ce poste éminent, me suis-je dit ; l’homme de Lettres doit servir l’État dans son cabinet, il y est mieux que dans un comité. Aussi-tôt plus de district ; je me suis sequestré, enterré dans les livres & livré à des recherches pénibles. Enfin, après un long travail d’un mois je suis parvenu à mon but, & j’en suis trop récompensé par l’hommage que je puis vous faire de ce Dictionnaire, qui vous sera de la plus grande utilité si vous n’en faites pas comme de la Grammaire du maître. Au reste, si j’ai cette petite mortification, j’aurai assez de modestie pour l’attribuer à vos importantes occupations, & n’en serai pas moins, avec tout le respect qui est dû à vos Seigneuries Municipes,


Messieurs,


Votre très-humble & très-
obéissant serviteur,


De l’Épithete.
DICTIONNAIRE


NATIONAL


ET ANECDOTIQUE,

Pour servir à l’intelligence des mots dont notre Langue s’est enrichie depuis la révolution, &c.


A.

ABBAYE : dans l’ancien régime, riche fief, possédé de droit divin, & sans aucune redevance, par de pieux cénobites qui en partageoient le revenu ; de manière qu’un d’entr’eux qu’on appelloit abbé, avoit tout, & les autres presque rien.

Abbaye : selon le nouveau régime, fief aliéné des domaines de la nation, & dans lequel elle vient d’ordonner qu’elle rentreroit.

Ce mot ne se trouvera bientôt plus que dans nos anciennes géographies ; & dans la prochaine édition de ce Dictionnaire, il sera placé dans l’appendice des mots à insérer dans nos archives pour l’intelligence des générations futures.

Voyez cet appendice à la fin de cet ouvrage.

ABBÉ : au propre, c’étoit, il y a mille ans le supérieur, ou plutôt le chapelain d’une communauté de cénobites, qui faisoient vœu de vivre en commun du fruit de leur travail. Ces cénobites s’appelloient moines ; le nom est resté, mais l’espece a changé.

Abbé : dans l’acception ci-dessus, prise au figuré, désigne depuis plusieurs siecles un homme qui vit aux dépens des moines sans leur être d’aucune utilité ; mais depuis qu’on a adopté l’expression d’abbé commendataire, que n’auroient pas entendu l’abbé Antoine, l’abbé Pacôme, l’abbé Hilarion, l’abbé Benoît même, qui est venu après eux, & a trouvé les choses bien changées ; depuis cette époque, dis-je, abbé, a singuliérement signifié un personnage illustre qui reçoit, parce que le prince l’a voulu ainsi, 10,000, 20,000, 30,000, & même 50,000 livres de rentes pour manger, boire & dormir ; qui mange, boit & dort ; & qui, lorsqu’il s’en tient à ces seules fonctions, est dit de mœurs irréprochables.

Abbé, comme nom appellatif, désigne un homme habillé de noir, allant avec jaquette ou sans jaquette. Ce mot est joint à des noms si differens entr’eux, que je défierois Klin ou Brisson de classer cette espece d’individus, sur-tout lorsqu’on réfléchit qu’on peut dire l’abbé Bernis & l’abbé Roi, l’abbé Grég… & l’abbé M.… ; d’où il résulte qu’il y a des abbés dans toutes les classes ; qu’on en trouve qui honorent ce nom, & d’autres qui en font l’opprobre. Malgré cela, il y a dans cette nombreuse famille des especes neutres qu’on ne pourroit placer ni dans la bonne ni dans la mauvaise classe, dans le cas où l’on entreprendroit la tâche immense & difficile de faire une bonne & une mauvaise classe.

C’est parmi les gens de lettres que l’essaim des abbés est innombrable. Ils ont embrassé tous les genres ; l’homélie & l’opéra comique, le mandement & la diatribe ; ils ont tonné contre les muses, & personne n’a mieux pincé qu’eux la lyre d’Apollon. Notre Virgile François est un abbé. Ils ont poussé l’art du rhéteur jusqu’à prêcher sur la liberté, & à se faire écouter. Jean-Jacques, qui avez écrit contre les lettres, & avez fait l’honneur des lettres, vous n’étiez pas capable d’un pareil effort de génie !

La seule branche de littérature dans laquelle Messieurs les abbés n’ont pas réussi, & à laquelle ils doivent renoncer, c’est à ces nombreux panégyriques qu’il leur a plu d’appeller histoires, où ils ont toujours compté la vérité pour rien[1]. La révolution a changé la forme & le fond de ces lourds panégyriques, & la liberté vient de confier les burins de l’histoire à cette auguste vérité restée muette & inactive depuis tant de siecles.

Nota. Depuis la révolution, l’esprit de civisme avoit porté quelques abbés à substituer le catogan à la calotte, & le frac gris au frac brun. Mais le chapeau à haute forme n’étant pas celui à larges bords, il passoit un bout d’oreille[2]. Le costume n’a pu avoir lieu.

Abbé, dans la signification figurée d’abbé commendataire, a un féminin qui est abbesse. Voyez ce mot.

ABBESSE : dame qualifiée, qui est à la tête d’un couvent de filles. Il n’y a pas de ville en France où il y ait plus de couvents de filles qu’à Paris. La plupart ne sont point dotés. Les vierges y vivent du travail de leurs mains ; elles cherchent ou font chercher de l’ouvrage : elles s’occupent encore à former d’autres demoiselles. La dame abbesse & les anciennes donnent leurs soins à cette précieuse institution.

Le nouveau régime paroît favorable aux couvents de filles, avec d’autant plus de raison, que dans l’ancien régime ces maisons étoient exposées aux visites de l’officialité qui n’ont plus lieu.

ABUS : il n’est point de mot auquel la révolution ait fait subir une plus étrange métamorphose ; & ce que les François libres appellent aujourd’hui abus, l’ancien régime le nommoit droit. C’étoit un droit, par exemple, de ne rien payer à l’état, parce qu’on portoit une jaquette, & qu’on lisoit ou ne lisoit point un livre latin qu’on entendoit à peine. C’étoit un droit de ne rien payer, parce qu’on possédoit un ou plusieurs arpens grevés des articles du, ou de la, &c. Une pension donnée à un mari pour les services de sa femme étoit une récompense ; un emprunt, une ressource, & un effort de génie, le discours qui le motivoit. Ce que le nouveau régime appelle abus de pouvoir, l’ancien le nommoit l’usage du pouvoir. Le nouveau régime dit aux parlementaires : Vous avez beau faire, vous n’êtes que des jugeurs ; & l’ancien leur crioit, & même un peu fort : Vous êtes les arbitres de la nation ; placez-vous entre le monarque & nous . . . . . . & les jugeurs se plaçoient, &c. &c. &c. &ç . . . . . . &c.

ACADÉMIE : dans son dictionnaire, l’académie Françoise avoir jadis oublié le mot pension. On a remarqué dans un journal quelquefois plaisant, que si les premiers avoient oublié le mot, nos contemporains sont à la veille d’oublier la chose.

ACCAPARER : dans l’ancien régime, commercer, acheter pour le compte du gouvernement : on accaparoit ordinairement le bled destiné pour la capitale ; les gens du plus haut parage ne dédaignoient pas ce commerce. C’étoit alors le moyen de faire fortune, c’est aujourd’hui celui de se faire pendre.

On dit au figuré, accaparer les voix ; cette expression est très-connue dans les districts.

C’est l’action d’un citoyen zélé qui, ne voulant pas que son zele soit inactif, donne son nom à celui qui est embarrassé d’en trouver un.

Il n’est point aussi dangereux d’accaparer les voix que le bled. On ne risque que de se faire huer ; le patriotisme ne s’effraie de rien.

ACCAPAREUR : celui qui accapare ou accaparoit.

Accapareurs d’argent : on les trouve rue Vivienne, ils ne se cachent point, ils sont plus hardis que ceux de bleds & aussi bons à pendre.

ACCAPAREMENT : l’action d’accaparer.

Les Anglois & les Hollandois sont les seuls peuples de l’Europe qui aient un mot qui réponde à celui d’accaparement. M. le Court de Gebelin, qui a écrit sur le mécanisme des langues & leur génie, a prétendu que les peuples se caractérisent dans leur langue ; cette assertion sembleroit se démentir ici, car les Anglois & les Hollandois n’ont jamais passé pour accapareurs, sur-tout les Hollandois dont on connoît le désintéressement.

ACCEPTER : terme adopté par l’assemblée nationale ; le Roi accepte un article constitutionnel qui recevra la sanction, avec le total de la constitution.

Ce mot accepter date de l’ere du veto suspensif.

ADHÉSION PATRIOTIQUE : c’est le titre que portent plusieurs adresses de provinces ou de villes de provinces, dans lesquelles elles adherent & jurent de se conformer aux décrets de l’assemblée nationale, & de les défendre jusqu’à la derniere goutte de leur sang. Les faux freres ne les entendent jamais lire sans pâlir, & les bons patriotes, sans tressaillir. Notre bonheur veut que les faux frères pâlissent souvent, ce qui leur est plus aisé que de rougir.

ADJOINT : Voyez Notables.

ADRESSE : on nous dit dans un dictionnaire raisonné, & très-longuement raisonné, qu’adresse est un mot anglois, ce qui est aussi vrai que le mot veto (sur lequel je viendrai,) est polonois, ainsi que l’assure le raisonneur que je viens de citer[3].

Adresse : depuis que nous avons une assemblée nationale, signifie mémoire adressé, dirigé à nosseigneurs les représentans de la nation ; les Anglois, qui ont emprunté ce mot de notre langue, s’en servent pour signifier un mémoire au roi.

AGIO, AGIOTAGE, AGIOTEUR : l’agio, dont nous ne connoissions guere que le nom, est ce qu’on appelle en beau le commerce qu’on fait sur la hausse & la baisse des effets royaux ou publics, «  Agiotage, dit M. l’Abbé Prévot, ne se prend qu’en mauvaise part, & signifie l’agio fait d’une maniere illicite & usuraire ». Agioteur est celui qui fait l’agio ou l’agiotage: il faut s’en tenir à ce dernier pour apprécier au juste l’agio actuel, c’est le seul commerce en activité. Depuis Law, qui fut le premier étranger qui introduisit l’agio en France, les agioteurs ont perfectionné cette branche d’industrie au-delà de toute expression ; elle ira encore loin. On remarque que les agioteurs forment une des corporations la plus considérable de cette capitale.

AJOURNER : ajourner une question, c’est, à l’assemblée nationale, la remettre à une autre séance : le substantif de ce verbe est ajournement. Il y a des auteurs qui ont soutenu qu’ajourner une question, c’étoit l’écarter, mais qu’il n’en falloit pas désespérer lorsqu’elle étoit ajournée à jour fixe. M. G… du journal, car je ne permettrai jamais de dire comme le Mercure, M. G… le journaliste ; M. G…, dis-je, dans une de ses feuilles du mois de décembre, a avancé qu’un ajournement indéfini équivaloit à rejetté pour toujours. L’événement a prouvé que M. G… parloit en connoissance de cause.

ALLER PRENDRE LES EAUX : dans le nouveau régime, des démagogues effrénés ont donné à cette expression une acception maligne : aller prendre les eaux, ont-ils dit, c’est déloger pour éviter la lanterne ; or se retirer vers ses commettans, auroit donc la même acception. Cette interprétation est insignifiante, d’autant plus que ce sont des gens du premier mérite & du plus haut rang, qui ont été prendre les eaux l’été dernier, lorsqu’on a fait ce mauvais calembour. Voici le fait, M. G… docteur en réputation, qui a écrit sur l’influence des climats, persuada vers la mi de juillet & dans les mois d’août & de septembre 1789, aux agens du ci-devant pouvoir ministériel, que l’air de Paris ne leur valoit rien. Docteur Marat leur tint le même langage, & leur assura que les eaux de Spa étoient nécessaires à leur santé délabrée. Les princes & seigneurs les crurent, & partirent par bandes.

M. de B… alla prendre les eaux.

M. Len… alla prendre les eaux.

M. de C… alla prendre les eaux.

M. de B… alla prendre les eaux.

M. le prince d’H… alla prendre les eaux, &c, &c. &c.

Des personnes que je viens de citer, M. de C… est celui qui en avoit le moins besoin ; il auroit dû envoyer à sa place son commis P…

Le prince d’H… a été trompé par son docteur. Ce n’étoit pas les eaux de Spa dont il avoit besoin ; ces eaux ne sont imprégnées que de soufre, & il faut un végétal plus actif pour M. le prince.

AMENDEMENT : au propre, diminutif, correctif, &c. À l’assemblée nationale, dans les districts, au café de Foy, c’est une condition, un mot qu’on ajoute à une motion, pour la modifier selon son opinion. Voyez Motion. Les gens qui ont de l’expérience disent que c’est par la voie des amendemens que l’on parvient à atténuer une motion, à la dénaturaliser, à la métamorphoser, à lui faire signifier toute autre chose que ce qu’elle signifioit. La plupart du temps, l’amendement est rejetté, lorsque la motion est accueillie avec les plus grands applaudissemens. Il y a un côté de la salle du Manége qu’on appelle le côté des amendemens : c’est delà que sont partis ces fameux amendemens qui ont eu lieu dans les décrets concernant la liberté de la presse, les protestans, le marc d’argent, &c. &c.

ANGLOIS : avant que nous nous fussions constitués libres, nous disions les anglois, nos rivaux. Libres comme eux, aujourd’hui nous disons, les anglois, nos voisins, nos freres. On s’écrit, on se répond à cette adresse, & les lettres parviennent.

En effet, les Anglois ont conçu de nous une idée bien différente de celle qu’ils en avoient avant la révolution, sur-tout depuis qu’ils voient que dans leurs objets d’importation en France, les mots constitutionnels forment un article considérable.

ARGENT, considéré comme monnoie. Parmi nos ancêtres, en 1787, 88 & 89, l’argent étoit le représentatif des denrées ; aujourd’hui il est denrée lui-même, on vend nos écus à Londres, on en exporte à Turin, en Allemagne. Ici on les emmagasine, on les enterre pour les conserver, comme si l’on craignoit que cette précieuse denrée ne subit quelqu’avarie pendant l’arriere-saison. On assure cependant qu’elle sera mise au grand air dans les premiers jours de juillet.

François ! nation libre ! mais qui n’avez pas le sou, que ces momens de pénurie dans lesquels vous allez vivre ne vous désesperent point ; ils vont vous faire pratiquer des vertus que vous n’aviez point, & qui sont nécessaires à un peuple qui se régénere. Vous connoîtrez la sobriété ; vous n’aurez plus de Laïs, & vous abandonnerez ce luxe qu’on vous reprochoit ; ce luxe qui n’est pas fait pour des hommes libres, & que vous laisserez à des Sybarites qui ont des rois & leur obéissent.

Nota. Comme on disoit autrefois marchand de grains, on dit aujourd’hui marchand d’argent.

Il y a dix-huit mois on vous disoit : M. l’intendant un tel est un marchand de grains ; aujourd’hui on crie à qui veut l’entendre, Messieurs les A… D. L. C., &c. sont des marchands d’argent. Est-ce calomnie ? Je le crois.

Négocians, négocians ! ce commerce fera tomber le vôtre.

ARISTOCRATE : il est le synonyme de mauvais citoyen, de pire encore, il désigne un fauteur de complots, un ennemi de la liberté ; c’est le haro qui ordonne, qui oblige, qui force tout bon François à courir sus, à s’emparer de l’individu quelconque taxé ou prévenu d’aristocratie. Ce dernier mot, qui est grec & François, signifie une forme de gouvernement, où le pouvoir est entre les mains des nobles ou des riches.

D’après cette définition, on a calomnié les représentans de la commune, quand on a dit qu’ils étoient aristocrates ; car la plupart sont roturiers, & quelques-uns sont si peu riches, qu’ils passent pour loger en chambres garnies.

Ce mot d’aristocrate enfin est devenu une injure que les gens du peuple même entre eux se prodiguent. Il n’y a pas long-temps qu’un cocher de fiacre traitoit d’aristocrate un cocher de remise. Les forts de la halle, en entrant au cabaret, demandent un demi-setier de vin aristocrate ; cela veut dire du vin à 15 s. Il est certain que parmi cette foule de législateurs dont les sociétés & les cafés abondent, celui-là tient pour aristocrate le législateur qui n’est point de son avis. Il n’est point de discussion dans les districts où le mot d’aristocrate ne se fasse entendre, sur-tout lorsqu’un homme sans uniforme s’avise d’être d’un avis contraire d’un uniformé.

ARRÊTÉ : c’est le résultat des délibérations d’un district.

Ce sont ordinairement les comités qui dressent les arrêtés & les redigent pour être lus aux honorables membres des districts convoqués en assemblée. D’après cette forme, qui n’est pas toujours observée, on affiche l’arrêté, signé par M. le président, par Messieurs les vice-présidens, Messieurs les commissaires, Messieurs les adjoints & M. le secrétaire. Il est dit dans l’affiche, que le présent arrêté sera communiqué aux 59 autres districts, qui souvent ne le lisent pas.

Il arrive souvent aussi que les districts rendent des arrêtés contradictoires ; mais ces contradictions ne rompent jamais la fraternité.

Il n’y a pas long-temps qu’il fut affiché une délibération ou arrêté d’un district, dont les signatures étoient :

Le T…, procureur au Châtelet, président.

M…, avocat au parlement, vice-président.

P…, greffier au Châtelet, adjoint.

M…, huissier à verge, secrétaire.

ASSEMBLÉE : dans l’ancien régime, le gouvernement ne vouloit pas d’assemblées. On ne connoissoit à Paris que l’assemblée du Clergé. Quelques prélats l’attendoient, quelques prélats la craignoient, aussi la craignoient les francs-penseurs. Mais les semi-prélats y péroroient & s’en trouvoient bien ; le conseil des finances désiroit aussi cette assemblée, quand elle avoit accordé ce qu’on lui avoit demandé, la cour insinuoit aux peres du saint-concile que leur présence étoit nécessaire dans leurs dioceses. C’est ce maudit mot accordé, qui, dit-on, a causé la ruine du clergé ; les peres de famille qui payoient, ont été choqués de voir le clergé qui accordoit, & qui faisoit sentir qu’il accordoit. Voyez Clergé.

Aujourd’hui tout est assemblée, & toute assemblée est légale ; les premieres se formerent au son du tocsin, & les subséquentes au con de la caisse.

Assemblée nationale : c’est sous cette dénomination que les représentans de la nation ont décrété qu’ils seroient désignés, lorsqu’il fut décidé qu’entre eux il n’y auroit plus d’ordre. C’est de cette auguste assemblée que dépendent nos destinées ; les générations futures trouveront leur bonheur dans ses invariables décrets, comme nous trouvons le nôtre dans la célérité de ses opérations. Voyez États généraux.

Assemblée de la Commune ; c’est ainsi qu’on désigne les députés des districts, à l’hôtel de ville, réunis en corps ou assemblés. Voyez Municipalité.

Nous devons sans doute la majeure partie de notre bien-être à l’assemblée de la commune de Paris ; elle s’est distinguée dans cette révolution par son civisme, (Voy ce mot) par son amour pour la liberté, par son zele infatigable à pourvoir à nos subsistances, par sa sagacité dans ses recherches sur les auteurs des complots, & par tous les soins que des freres doivent à des freres. On peut assurer enfin qu’ils ne respirent que pour notre bien. Sur-tout frere V…, frere F…, Frere Des…, Frere M…, &c. &c.

Assemblée des districts : elles est générale ou particuliere[4].

Générale, 1o. quand il s’agit d’élection de président, sous-président, vice-président, adjoint, commissaire, secrétaire, chirurgien-major, aumônier, trésorier, &c. &c. &c.

2o. Quand il faut discuter quelqu’affaire importante ou quelque point de législation, car les districts s’en occupent aussi.

3o. Générale enfin, quand il est question de quelque cottisation ou don patriotique, &c.

Particuliere, 1o. quand les citoyens enrôlés s’assemblent pour statuer sur quelqu’affaire de corps, comme boutons d’uniforme, épaulettes, cocarde nationale, &c. 2o. Quand il s’agit de quelques délibérations qu’il convient de ne pas ébruiter. 3o. Pour arrangement de fêtes, de messes de requiem, de repas de fraternité, (qui sont fréquens) de te deum, & d’allées & venues à Notre-Dame, ou à Sainte-Genevieve, &c. &c. &c.

L’ordre qui regne dans l’assemblée nationale est établi aussi dans les districts. Il y a un président, un secrétaire, des secrétaires. Le président pose la question comme à l’assemblée nationale, mais il opine, (ce que ne fait pas celui de l’assemblée nationale) & c’est presque toujours son opinion qui est adoptée ; cela n’est pas étonnant, dans les districts, c’est toujours le dernier qui parle qui a raison ; or, M. le président parle presque toujours, donc, &c. On donne son avis par assis & levé, mais il y a des honorables membres qui ne s’asseyent jamais, comme il y en a qui ne se lèvent point ; cependant la majorité n’est jamais équivoque ou douteuse.

Dans les districts on demande aussi la parole, on l’obtient quelquefois, & l’on s’en empare souvent. Cependant, pour s’en emparer, il faut que la nature vous ait doué de poumons vigoureux qui puissent étouffer la voix des co-parlans, & le patriotisme d’un zele imperturbable qui affronte les brouhahas. Si vous n’êtes point du comité, poumons & patriotisme deviennent souvent inutiles ; si à force de patience, vous parvenez enfin à pérorer une fois, deux fois, vous êtes sûr d’un commissariat pour la troisieme.

Pour avoir entrée dans l’assemblée du district, vous devez être muni d’une carte qui est empreinte du sceau du comité, & vous est délivrée sur votre quittance de capitation. Voyez Carte d’entrée.

B.

BANQUEROUTE : mot qui n’a plus d’acception que parmi le particulier : impropre lorsqu’il est appliqué à la dette nationale ou royale. Nos représentans ont déclaré que ce mot infame ne devoit plus être prononcé dans ce sens.

BATAILLON DU CENTRE : terme de tactique nationale. C’est ainsi qu’on appelle dans les divisions de la milice parisienne le bataillon soldé.

BILLETS : billets de la caisse d’escompte, ou simplement billets de caisse, il y a deux ans papier-monnoie, aujourd’hui papier à négocier, & dont la négociation devient plus difficile tous les jours. Il y a un quartier à Paris où l’on dit que cela ne durera pas, & un autre où l’on souhaite que cela dure.

Les boulangers prennent les billets de caisse de leurs pratiques ; les meûniers refusent de les prendre des boulangers. Un refus conduira à un autre refus, & les refus au mot infame… Ah ! ce n’est pas le tout que de faire des billets…

On assure que les filles ne veulent plus de billets de caisse. MM. les capitalistes, si cette nouvelle est vraie, il faudra bien que vous fassiez circuler votre argent.

BONS : bons d’état, bons sur les fermes, bons sur le trésor royal, &c. papiers très-connus dans l’ancien régime, & qui ont à présent une valeur telle quelle. Il y a une infinité d’honnêtes citoyens qui n’ont jamais vu de ces bons ; mais les prostituées, mais les chanteurs, mais les valets, mais les valets de ces valets en ont toujours regorgé. Ceux qu’on fera pour les nouvelles caisses seront sans doute présentés par des mains plus pures. Voyez Caisse nationale.

BOUCLES : boucles d’argent : ornement superflu, qui désigne un aristocrate ou un égoïste au cœur de bronze. Un patriote calcula un jour que si tous les François se défaisoient de leurs boucles d’argent en faveur de la patrie, on procureroit six millions au trésor national. Cette idée vraiment patriotique fermenta quelques jours dans la tête de nos citoyens, & nos augustes représentans allerent d’un commun accord faire le sacrifice des leurs à la patrie. Cet exemple est imité dans les districts, qu’un zele civique anime en tous les temps, & les boucles abondent de toutes parts sur l’autel de la patrie. Du zele on passe à l’enthousiasme ; dans les rues, tous les citoyens embouclés de larges boucles à la d’Artois sont obligés au même sacrifice ; mais aux enthousiastes se joignent d’infames spoliateurs ; le désordre, la rapine s’en mêlent, & les femmes sont outragées, &c. &c. &c. C’est au milieu de ce désordre que parurent les boucles nationales ; elles sont de cuivre ; c’est un vil métal, mais il honore le pied patriotique qui le porte. François ! maintenez-vous libres, & vous serez bientôt de vertueux Spartiates. Recommandez cependant à vos femmes de ne point porter de chiffres d’or à leurs fichus… Des citoyennes petites-maîtresses… Eh ! sommes-nous donc encore en 1788 ?

BOURSE : dans l’ancien régime, place où l’on vendoit les effets-royaux. L’emplacement subsiste encore, il est rue Vivienne ; & contigu à celui où se tiennent aujourd’hui les marchands d’argent.

Bourse rue du Hurepoix : depuis le nouveau régime, place où s’assemblent à sept heures du matin, jours fériés ou non fériés, les agens des journalistes, pour y négocier les papiers publics. Cette négociation n’est point faite avec astuce comme dans la rue Vivienne. Le cours des effets de la rue du Hurepoix ne varie jamais, & est toujours le même pour tous. Le fameux ami du peuple que tout le monde veut encore avoir, quelquefois ne vaut pas plus que la séance dont personne ne se soucie. La négociation consiste dans l’assortiment : à l’heure de la bourse, vous entendez l’air reterie de qui veut de la Séance ? Qui veut du Courier Véridique ? Qu’est-ce qui a de l’Observateur, &c. Lorsque ces papiers parlent de M. de Mirabeau ou de M. l’abbé Maury, ils ont un débit affreux. On se les arrache quand ils parlent d’un complot ou de brigands. Industrie ! industrie ! la liberté est ta mere.

BRIGANDS : les aristocrates appellerent ainsi les incendiaires qui éclairerent leurs châteaux & les dévasterent[5], & les aristocrates n’eurent point tort. On appella à Paris brigands les malheureux qui pillerent Reveillon & les Lazaristes, & à Paris on n’eut point tort. Mais quand les aristocrates armés du Champ-de-Mars, des environs de Saint-Cloud, &c. &c. disoient à leurs soldats : nous allons combattre une ville populace, qui a osé arborer une cocarde qu’elle appelle nationale ; ces séditieux sont des brigands & ne méritent pas que vous les épargniez ; certes, ces aristocrates avoient tort. Quand, dans les petites villes autour de Paris, des fermiers prenoient des troupeaux de vaches pour des brigands, & qu’ils venoient répandre l’alarme, ils avoient tort, si des hommes qui ont peur peuvent avoir tort. Quand on prit le prétexte des brigands pour faire venir le régiment de Flandres à Versailles, un mangeur de saints que je ne nomme pas, avoit le plus grand tort, &c. &c.

BUREAUCRATIE : mot grœco-françois, qui signifie administration, où toute l’autorité est répartie entre les différents chefs de bureaux. Comme un comité est un bureau, si ce comité se permet de donner des ordres sans les avoir reçus de ses commettans, il y a bureaucratie. Il y a eu bureaucratie toutes les fois que la commune de Paris a adressé à l’assemblée nationale le projet d’un décret que cette commune n’avoir point communiqué aux districts ; il y a aussi maintes & maintes bureaucraties dans des districts. C’est un vice dans l’administration, qui se propage : observez qu’il est engendré par l’aristocratie, jugez du monstre !

C

CAHIERS : c’est le recueil des instructions dont chaque province a chargé ses députés aux états-généraux. Les circonstances imprévues, le zele, le patriotisme & la nuit mémorable du 4 août, ont obligé les représentans de l’assemblée nationale à déroger à leurs cahiers ; l’adhésion ultérieure des provinces a rendu ou rendra cette dérogation légale. Voyez Doléances.

CAISSE : autrefois c’étoit un coffre où l’on mettoit des especes, aujourd’hui c’est un carton où l’on met des billets.

Caisse d’escompte : établissement protégé par l’ancien régime et conservé provisoirement par le nouveau. Il a été de la plus grand utilité à l’état, c’est-à-dire, au trésor royal, qui alors signifioit la même chose. Il lui a prêté généreusement 70 millions, qu’on assure n’avoir pas été fournis en billets de caisse. Aujourd’hui que cet établissement n’a plus que des billets, il sert la nation (car on ne dit plus l’état) avec le même zele, & si la médaille civique ou nationale est due à quelqu’un, c’est bien aux actionnaires de cette association philantropique.

Ces arrêts de surséance qui flétrissent les particuliers qui les obtiennent, seront pour la caisse d’escompte des titres du civisme le plus glorieux qu’ils puissent insérer dans leurs archives. « C’est pour secourir l’état, c’est pour faire vivre les rentiers, nos peres, dirons nos enfans, que ces bons citoyens ont été en état de faillite. Après avoir donné leur or, il ne leur restoit plus que leur sang & leurs billets ; à l’époque de la révolution plusieurs ont été prêts à nous prodiguer ce sang comme ils prodiguent leurs billets ».

Caisse nationale : à établir en 1791 au plus tard. C’est dans cette caisse, qui réellement en sera une, que les 83 départements verseront leurs contributions ; ce sera la nation qui l’administrera elle-même ; & les bons qu’elle donnera pour y puiser seront de véritables bons. Ils seront ostensibles, ainsi que les motifs pour lesquels ils auront été délivrés, car cette caisse n’aura point de livre rouge.

Caisse de l’extraordinaire : déjà établie : elle est destinée à recevoir les contributions extraordinaires motivées par les circonstances & le patriotisme, telles que le quart des revenus, & les dons patriotiques. M. de Canteleu, représentant de la nation, avoit été nommé administrateur de cette caisse. On sait qu’il avoit accepté cet emploi sous le bon plaisir de l’assemblée nationale, & qu’il s’en est défait sans hésiter, lorsqu’il a été décrété que tout emploi étoit incompatible avec le titre à jamais honorable de représentant de la nation.

Nota. La commune de Paris vient, dit-on, d’ordonner que, pour le service des trois caisses, il sera créé un nouveau corps de pompiers.

CAPITALISTE : ce mot n’est connu qu’à Paris & dans quelques villes de France. Il désigne un monstre de fortune, un homme au cœur d’airain, qui n’a que des affections métalliques. Il n’a point de patrie, il est domicilié sans être citoyen ; & cet être isolé ne craint point que la fiscalité s’exerce sur son bien, qui est immense. Parle-t-on de l’impôt territorial, il s’en moque, il ne possede pas un pouce de terre. S’agit-il de l’impôt du quart, il s’en rit ; comment le taxera-t-on ? Du temps de l’ancien régime, ce bien chéri il le tenoit dans son porte-feuille ; depuis la révolution il l’a réalisé, & cette opération a fait disparoître le numéraire qu’on cherche par-tout. Ainsi que les Arabes du désert, qui viennent de piller une caravane, enterrent leur or de peur que d’autres brigands ne surviennent ; ainsi les capitalistes ont enfoui notre argent, oui, enfoui sans ressource, perdu, mort ; si vous en voulez d’autre, battez monnoie. Voyez Billets de caisse.

CARTE : carte d’entrée pour les assemblées de districts ; délivrée à tous citoyens sur leur quittance de capitation ; elle porte le nom du district, le numéro que le citoyen occupe dans le rôle de ce district, & est signée par trois commissaires. On a jugé que ce passeport étoit nécessaire pour écarter des assemblées toute espece d’intrus. Tout homme qui n’est par porteur d’un uniforme ou d’un costume imposant doit s’attendre à exhiber sa carte à l’instant même où il voit entrer avec lui des gens à qui on le la demande pas. Il ne doit point se formaliser dans le nouveau régime comme dans l’ancien, quoique l’habit ne fasse pas le moine, le moine est jugé par l’habit.

CITOYEN : dans l’ancien régime on ne savoit pas ce que c’étoit ; on se qualifioit simplement de bourgeois de Paris, & cette qualité vouloit dire qu’on n’en voit point. Dans le nouveau régime, citoyen est pris civilement & moralement ; c’est un membre de la société, qui, non-seulement acquitte les charges civiles, mais encore est rempli des sentimens qu’inspire l’heurese liberté dans laquelle nous vivons.

Citoyen actif : c’est à Paris celui qui paie directement l’impôt.

Citoyen éligible : c’est, dans la nouvelle constitution, c’est-à-dire dans la constitution à faire, celui qui paie en impôt à la nation la valeur d’un marc d’argent, ou celui qui lui en fait le don. Il pourra être nommé électeur par ses concitoyens dans les assemblées primaires, & d’élection en élection devenir représentant de la nation, qui est le comble de la gloire à laquelle puisse aspirer un citoyen.

Depuis que ceci a été imprimé, il a été décrété que l’éligibilité en raison du marc n’auroit lieu qu’à le seconde législature.

Citoyen qui brigue l’honneur d’être élu : les districts en sont pleins, & rien ne prouve mieux le civisme qui anime les braves Parisiens ; MM. les procureurs, MM. les avocats ne sont pas les seuls qui le manifestent ; il en est même des artistes, peres de familles, qui portent le dévouement patriotique jusqu’à quitter leur établi deux fois la semaine pour assister aux assemblées de districts ; ils n’y pérorent pas, à la vérité, mais ils donnent des idées aux co-assistans qui les entourent ; on remarque leur zele, ils sont nommés commissaires, & du commissariat au perron de l’hôtel-de-ville il n’y a qu’une enjambée ; il n’est aucun citoyen enthousiaste qui, arrivé à ce perron, ne puisse justement prétendre au Manege.

Citoyen qu’on doit élire : les aristocrates prétendent que c’est le propriétaire qui doit être préféré. Les avocats, qui ne sont sûrement pas des aristocrates, ont protesté contre cette prétention : les procureurs sont intervenus, & ont adhéré à la protestation des avocats. La partie des citoyens qui hantent les districts ont fait droit sur la demande : procureurs & avocats sont élus par préférence, ils le méritent ; ils font les affaires des districts comme celles de leurs cliens ; la génération future sera étonnée d’un civisme aussi rare ; elle regrettera de n’avoir plus d’avocats & de procureurs à élire.

Citoyen enrôlé : celui qui a pris du service dans la milice nationale (Voyez milice nationale.) De toutes les classes de citoyens celle-ci est la plus précieuse ; elle s’arrache à ses foyers pour défendre ceux de ses freres, à qui l’âge ou la santé ne permettent point de s’armer ; car il n’y a que l’âge & la santé qui puissent dispenser d’une obligation aussi sacrée.

Tout ce que nous avons de mieux dans Paris s’est empressé de s’enrôler. Qui auroit dit que cette jeunesse brillante qui, naguere donnoit tous ses soins aux beau-sexe, soit devenue tout-à-coup martiale, & insensible aux fatigues des camps ; je je dis des camps, parce que le service des premiers momens de la révolution a été aussi rude ; aussi périlleux que celui des camps.

C’est en vain que des aristocrates ont reproché à nos jeunes gens de ne s’être enrôlés que pour porter des épaulettes ; qu’ils vouloient tous être officiers ; & qu’après la nomination de ces derniers, une infinité d’entr’eux se sont fait rayer du rôle militaire ; qu’ils se font tirer l’oreille pour faire leur service ; qu’il faut commander vingt personnes de garde pour en avoir six, & que la plupart se font représenter dans les gardes par des va-nuds-pieds indignes de porter l’habit national.

On répond à ces détracteurs, jaloux de voir la révolution s’opérer par les bons offices de cette milice nationale qu’ils voudroient ridiculiser. On leur répond que les fautes de quelques inconsidérés ne doivent point être attribuées à tout un corps qui s’est montré tel qu’il étoit dans l’expédition du 6 octobre, & dans la capture importance faite aux Champs-Elisées ; que quand tout le monde montoit la garde, sans doute il y a eu des gens qui se sont fait remplacer comme ils ont pu. Mais depuis, combien tout a changé ! le service est devenu personnel & à honneur ; il s’est fait avec une ponctualité qu’on auroit à peine attendue de vieilles légions. Répondez, mauvais citoyens, dans ces premiers temps, comment vouliez-vous que les femmes qu’on commandoit de garde l’eussent montrée, si elles n’eussent point trouvé des citoyens de bonne volonté qui la montoient ? Braves soldats ! continuez à nous défendre, & laissez l’envie ronger son frein.

Citoyens, ou gens de couleur : dans nos îles, c’est ainsi qu’on appelle une classe d’hommes issus du commerce d’un blanc avec une négresse, ou d’une blanche avec un negre. La plupart des gens de couleur, au Cap, sont propriétaires. À ce titre, ils ont prétendu avoir le droit d’être représentés à l’assemblée nationale, ce que les blancs des îles ne vulent point, mais ce que les blancs du continent trouvent très-juste.

M. l’abbé Grégoire, qui avoit déja fait entendre les plaintes d’une caste infortunée, (les Juifs) a plaidé la cause des gens de couleur ; il a peint à sa maniere, c’est-à-dire, avec énergie & vérité, l’état d’humiliation dans lequel les blancs des îles tenoient leurs enfans ou leurs parens les gens de couleur.

« Il leur est défendu, dit-il, de prendre des noms européens, d’exerce la médecine & la chirurgie, à peine de 300 livres d’amende, ou de punition corporelle ; il leur est défendu de manger avec des blancs, d’user des mêmes étoffes, de se servir de voitures, de passer en France, de porter des armes, &c. &c.

» Il leur est ordonné de ne prendre d’autre qualification, que celle de mulâtres libres, &c.

» Quelles que soient les vertus des gens de couleur & leurs richesses, ils ne sont point admis aux assemblées paroissiales : dans les spectacles ils sont à l’écart… il sont à l’écart encore dans les temples où les religion rapproche tous les hommes, mais où le mépris des blancs ose encore poursuivre ces malheureux, &c. &c. »

M. l’abbé Grégoire raconte que dans un temps de détresse, en 1762, un juge de police du Cap eut la cruauté de rendre une ordonnance qui défendit aux boulangers de vendre du pain aux gens de couleur, même libres, sous peine de 500 livres d’amende. On auroit de la peine à croire une pareille atrocité, si elle n’étoit dénoncée par un apôtre de la vérité. L’impitoyable cadi du Cap prétendoit-il que ces infortunés se fissent anthropophages ? Ô nature ! combien de fois ces blancs que vous avez favorisés vous ont outragée !

CIVISME : c’est l’amour de la patrie intra muros, & patriotisme, cet amour extra muros[6] : un citoyen a du civisme, un soldat a du patriotisme.

L’auteur du dictionnaire raisonné, déja cité, a écrit douze mortelles pages pour définir le mot civisme ; il l’a fait d’une maniere lumineuse, & a conclu qu’esprit de corps est une branche du civisme. D’après cette définition, quel est donc l’homme d’assez mauvaise foi pour oser dire que les parlemens n’ont point de civisme, que le clergé n’a point de civisme, qu’une partie de la noblesse n’a point de civisme ? Que de citoyens vous réintégrez Monsieur le raisonneur !…

CLERGÉ : un des trois ci-devant ordres qui composoient la nation. C’étoit le premier ; & quand les ouailles l’oublioient, il savoit le leur rappeller, non par esprit d’orgueil, car les membres de cet ordre, à certains égards, ont toujours vécu comme les apôtres ; mais pour réclamer leurs droits, leurs immunités, leurs priviléges, & les concessions qui leur avoient été faites. Leur conscience leur disoit sans cesse : vos droits sont divins, vos immunités immémoriales, vos priviléges légitimes, & les concessions qui vous ont été faites sont sacrées : vous devez les soutenir. Les temps sont changés. Le nouveau régime a dit : 10,000 livres de rente de droit divin sont exorbitantes, les titres des immunités, surannés ; les priviléges, contraires aux droits de l’homme ; & les concessions, usurpées ou surprises. Le clergé, en adoptant les opinions du nouveau régime, va devenir un corps de citoyens désintéressés. Il va se reposer sur nous de son bien-être, il ne se mêlera plus des biens de cette terre qui n’est qu’un passage, & les seuls biens spirituels seront de son ressort ; il s’occupera à prier le ciel de nous les dispenser. Voyez Assemblée du clergé.

Haut clergé : cette dénomination désignoit les prélats, tels que les archevêques, évêques & abbés commendataires, &c. C’étoit cette partie du clergé qui accordoit les dons gratuits, & qui, pour en effectuer un de quatre millions, faisoit un emprunt de vingt millions pour distribuer en aumônes les 16 excédens. Le haut clergé administroit encore les décimes que se chargeoit de payer le bas clergé, classe qui comprenoit les curés & autres petits bénéficiers, qui, à raison de 6 à 700 liv. par tête, les uns dans les autres, faisoient la besogne des grands administrateurs. Cet article clergé haut & bas, dans la prochaine édition de ce dictionnaire, sera mis dans la classe des mots hors d’usage & à insérer dans l’appendice qu’on trouve à la fin de ce livre.

COALITION : ce terme a passé de la physique dans la politique ; je crois qu’on doit cette transmutation à M. de Mirabeau. En physique, c’est l’action de plusieurs parties réunies qui reçoivent une même nutrition, & ont une commune croissance ; au figuré, c’est-à-dire, en politique, c’étoit l’accord secret de plusieurs membres qui reçoivent aussi une même nutrition, & l’auteur du mot supposoit qu’il y avoit coalition entre les membres du clergé & quelques membres de la noblesse ; coalition entre la noblesse & les ministres, sur-tout lorsqu’il étoit question du veto.

Ce mot a fait quelque fortune.

COCARDE NATIONALE : c’est la livrée de notre liberté ; elle a eu lieu, on l’arbora le jour même que le prince Lambesc osa ensanglanter le palais de son roi ; elle devint le signal de la fraternité patriote, & distingua les bons citoyens des aristocrates qui tramoient notre perte.

Cette cocarde a varié ; elle a été verte 48 heures : mais on foula bientôt cette couleur aux pieds, quand on s’apperçut que les hussards qui poursuivoient nos citoyens dans la plaine de Mont-Rouge & du côté de Saint-Cloud portoient des habits verds, & qu’elle étoit la couleur de nos plus cruels ennemis. On prit celles de la ville de Paris, blanc, bleu & aurore ; à cette derniere on substitua la rouge ; mais à la promulgation de la loi martiale on reprit l’aurore que la couleur du feu a remplacée. Toutes ces cocardes se fabriquoient ordinairement à Paris. Cependant vers le mois d’Octobre, quelques militaires entreprirent d’en élever une manufacture à Versailles ; comme les couleurs n’étoient pas absolument patriotiques, les dames de Paris, non les marchandes de modes, mais les dames dites de la halle, allerent saisir la manufacture. Depuis, Paris est seul resté en possession de faire nos cocardes ; & nous prévenons les gens de provinces que ce sont les bonnes, que Versailles le titre à présent de Paris, parce que les manufacturiers sont parties pour l’étranger.

COMITÉ : depuis la révolution ce mot a remplacé celui de conseil, & même celui de bureau.

Il y a des comités à l’assemblée nationale, pour rédiger les plans de constitution, de finance, de jurisprudence, &c. Un politique a proposé d’organiser les comités de l’assemblée géographiquement, pour éviter, dit-il, l’esprit de parti, il n’y a eu lieu à délibérer. Ces comités proposent, font un travail sur tel ou tel objet, & le communiquent à l’assemblée nationale, pour décréter avec ou sans amendement.

Il n’en est pas ainsi de la commune de Paris, qui a des comités de subsistances, de police & militaires, &c. Le travail fait dans ces bureaux a le plus souvent force de loi, & comme la prudence & l’intégrité ont toujours guidé nos représentans de la commune, ces loix ont été des chefs-d’œuvre de sagesse ; il est même plusieurs de ces comités qui se sont faits à ce sujet une réputation distinguée, & c’est avec reconnoissance que je m’empresse de les citer.

Le comité des recherches, par exemple, a mis la plus grande sagacité à découvrir les conjurations formées & à former ; il a montré sur-tout son zele dans l’affaire de M. de Bezenval : le rapport qu’il en a fait est un modele de modération & de perspicacité.

Le comité de police a toujours été le plus ardent protecteur de la liberté de la presse, sur-tout quand il avoit dans son sein M. de Maissemi : il n’y avoit qu’une seule chose qu’il n’a jamais voulu permettre ; c’est la proclamation des journaux par les colporter. Voyez le mot proclamer.

Le comité des subsistances est celui qui a éprouvé les plus grandes difficultés, d’autant plus grandes sans doute que son administration commençoit ; cependant il a su se mettre au-dessus des circonstances : il a envoyé dans les campagnes des citoyens actifs qui ont découvert les accaparemens, & l’abondance a régné dans Paris ; on a écrit chez l’étranger, des grains ont abordé dans nos ports ; on assure même que le président de ce comité qui avoit des relations dans le Levant & les îles de l’Archipel, y a fait plusieurs demandes qui ont eu le plus grand succès, ce qui étoit beaucoup plus certain que d’attendre des grains de l’Amérique. D’ailleurs le Levant, sur-tout la Grece, est un pays à bled : elle en exporte beaucoup à Marseille.

Le comité militaire ; je parle ici de celui qui a fait le travail, qui a organisé notre milice. Ce travail a répondu à l’opinion qu’on en avoit conçue. En pouvoit-il être autrement ? Les coopérateurs étoient d’anciens officiers, dont quelques-uns avoient plus de trente ans de service fait à Paris, & qui, par conséquent, connoissoient parfaitement l’espece d’armes qui convenoit à la capitale ; quelques détracteurs cependant se sont récriés sur le grand nombre d’officiers de l’état-major qui sont tous soldés. Ils les ont trouvés même trop soldés. À quoi serviront, ont-ils dit, 10 aides de camps généraux ? Avons-nous quelques batailles à donner ? une armée où il y a cent mille combattans en compte à peine 4 ! Ces envieux, qui n’ont jamais fait la guerre que dans leurs cabinets, ignorent-ils le terrain qu’occupent nos 30000 citoyens soldats ou soldats citoyens ? Ont-ils conçu que, le jour d’une fête ou d’appareil, il faut de l’ensemble, & que pour l’établir, ce nombre d’aides de camps sera à peine suffisant lorsqu’il faudra parcourir Paris en même-temps & dans toutes ses dimensions.

Comité dans les districts : aussi divisés en comité civil & comité militaire, & organisés à-peu-près comme ceux de la commune. Cependant c’est absolument le sort qui y porte les sujets & non les talens. Dans les mois de septembre, octobre, le comité militaire du district de l’abbaye étoit composé d’un marchand faïancier, d’un moine de Saint-Benoît, d’un avocat aux conseils, &c. &c. Il y avoit cependant deux personnes qui auroient été capables de diriger parfaitement une expédition militaire ; l’une étoit un chirurgien, & l’autre un officier qui avoit été chargé pendant plus de 25 ans du complettement d’un régiment de dragons, emploi qu’il avoit rempli avec tant d’intelligence que S. M. l’avoit décoré de la croix. Il ne faut qu’une bonne tête dans un comité pour mener les choses à bien.

COMMISSAIRE : signifie toute autre chose que dans l’ancien régime où il désignoit, 1°. un agent du despotisme ; car il y a des gens qui n’oublieront jamais qu’un jugement pas commissaire & un assassinat étoient à-peu-près synonymes ; 2°. commissaire équivaloit à ce que chez les Turcs on appelle cadi ; la jurisprudence de ces deux officiers de justice étoit absolument la même. Le cadi françois, ou le commissaire, qui quelquefois étoit logé dans une allée, vous écrivoit de vous rendre à son hôtel pour affaire qui vous concernoit. Chez les gens un peu au fait, cette lettre restoit sans réponse ; mais adressée à un pauvre diable elle mettoit l’inquiétude dans sa famille, l’épouse se désespéroit, & les enfans croyoient déja voir leur pere dans les fers. M. le commissaire, ou plutôt son clerc, qui étoit aussi un personnage, amendoit arbitrairement & désamendoit de même. Rien n’étoit plus inique que ces amendes de police ; & de plus corsaire que le receveur. Ce mot se trouve dans l’appendice de mots à oublier. Fasse le ciel qu’à la premiere édition MM. les commissaires des districts ne me forcent point à la remettre dans le dictionnaire !

Aujourd’hui le mot de commissaire signifie toute autre chose : c’est un citoyen zélé qui n’a pas désemparé le district, & qui est membre d’un des comités où le civisme & l’équité font la loi.

Un commissaire de district traite d’égal à égal avec un citoyen déposant ou amené pardevant lui ; il n’a point la morgue de l’ancien commissaire, ni son astuce ; il fait écrire ou écrit ce qu’on dépose, & ne le commente point. Les commissaires de districts vivent entre’eux dans la plus grande union, & sont des freres unis à des freres, qui tous ne veulent que le bien du public. Un aristocrate qui verroit ces freres attablés se porter les santés de la nation, de notre maire & de M. de la Fayette ; cet aristocrate, dis-je, creveroit de dépit ; & cette scene désespérante, il n’est pas de semaine qu’il n’eût le désagrément de la voir se renouveller.

COMPLOT : entreprise tramée contre notre liberté. La providence qui veille sur cette liberté, n’a pas permis qu’aucun complot fût mis à exécution. Quand une de ces entreprises ténébreuses est formée par des gueux, on l’appelle un complot ; lorsque ce sont des aristocrates, ou des gens d’une certaine considération, elle prend le nom de conjuration. (Voyez ce mot.)

Nota. Il en a été de plusieurs complots comme des brigands ; ils n’existoient que dans la tête des folliculaires. Il y a entr’autres un de ces Messieurs qui a toujours un complot tout prêt ; c’est sa piece de remplissage, comme dans le journal de Paris étoient autrefois les articles signés P… Chaque fois que la feuille dont il est question insere un complot, on prévient la veille les comploteurs, ou vendeurs de papiers-nouvelles, que la feuille du lendemain parlera du complot. Aussi-tôt cet avis se propage, on va à la bourse, (Voyez ce mot) & l’imprimeur porte le tirage du chiffon à trois mille de plus.

COMMUNE : le dictionnaire raisonné dit que c’est le nom qu’on emprunte sans nécessité pour désigner ce qui, en France, a toujours été appellé le tiers-état, comme étant le troisieme après le clergé & la noblesse. Ce livre, qui a paru dans les premiers jours de janvier 1790, contient souvent des choses qui n’étoient bonnes à dire qu’à nos peres, & qui sont aujourd’hui d’une fausseté notoire. Le mot commune a un autre sens : la commune, ou la commune de Paris, désigne l’assemblée des représentans des districts de cette capitale. À la rigueur, il signifie tous les citoyens en corps. (Voyez Assemblée de la commune.)

CONJURATION : je l’ai définie au mot Complot. (Voyez ce mot.)

Parmi les trames infernales que le despotisme au désespoir a ourdies contre notre liberté, on pourroit distinguer plusieurs conjurations, si toutes elles n’étoient problématiques, ou du moins si l’on ne s’efforçoit pas de nous les rendre telles.

La plus fameuse (mais qui ne fut pas la premiere), est celle qui a donné lieu à la révolution, qui a déterminé un tas d’hommes illustres à voyager, & forcé un autre tas, qui n’avoit pas de goût pour les voyages, à paroître citoyens. Le bruit public donne à cette conjuration des chefs que je n’ose nommer… Lorsque je doute de leur crimes, & que je me plais à en douter, les circonstances qu’on me cite, les préjugés qu’on a contr’eux, approchent si fort de la conviction, que la plume me tombe des mains, & que le respect, non pour les coupables, mais pour le principal offensé à qui ils tiennent, me contient dans le silence.

Dans la seconde conjuration, il n’y a eu que des bouteilles cassées ; c’étoit un complot de cabaret, que j’aurois inséré dans cet article, si le public ne lui donnoit encore des chefs illustres.

On donne un seul chef à la troisieme conjuration que le public nomme, & que terre étrangere contient. On pourroit dire ici ce qu’un des compagnons de Pizarre disoit à ce général, lorsque les Péruviens voulurent faire une contre-révolution : Quoi ! encore un Inca ! Et que nous importe que les Incas soient nos ennemis, réparti Pizarre, quand le soleil est pour nous ?[7]

Si la premiere conjuration étoit atroce, la troisieme ne fut qu’extravagante.

La quatrieme conjuration dont il est fort question, est celle dont on accuse le marquis de Favras, qui jure que c’est un conte, & n’est pas le seul qui le jure. Mais ce conte, tout aussi extravagant, tout aussi absurde que celui qui l’a précédé, prend un tour de probabilité qui pourra nuire à M. de Favras, qui, s’il a un démenti, auroit un vilain soufflet, avec d’autant plus de raison qu’il n’est réclamé par aucun canton.

Je ne mets point au nombre des conjurations, des voyages faits en Dauphiné, des coalitions réelles ou supposées, des assemblées tenues aux Augustins, & les projets d’enrôlement de la rue Mazarine, &c. &c. Je n’aurois jamais fini si je voulois mentionner tout ce qu’on a tramé, & tout ce qu’on n’a osé tramer. Au reste, M. Du … travaille à une histoire des conjurations qui fera une terrible histoire, si M. Des …, son ami, lui tient parole, & revoit le manuscrit. Ce dernier est comme Crébillon pere, il broie du sang.

Au reste, le lecteur qui est pressé de lire, & a le bon esprit de ne croire qu’un centieme de ce qui est écrit, peut s’en tenir, en attendant, aux révolutions-Tournon.

CONSIDÉRATION : prendre en considération, c’est s’occuper de quelque chose, ou simplement concevoir le projet de s’en occuper. Cette expression a été adoptée par l’assemblée nationale ; par les représentans de la commune, d’après l’assemblée nationale ; par les districts, à l’instar de la commune ; & enfin elle a été admise dans les cercles où ces protecteurs, que Gresset qualifie si bien, vous promettent de prendre en considération telle ou telle chose. Un clerc de notaire à qui l’on recommandoit l’expédition d’un acte, répondoit qu’il le prendroit en considération.

CONSTITUTION : l’auteur du dictionnaire raisonné est embarrassé de savoir si ce mot est étranger ou françois. Il étoit étranger avant la révolution ; l’assemblée nationale travaille à le rendre françois. La constitution formera le corps de loi qui convient à un peuple libre pour vivre sous un roi sans cesser d’être libre. Ce sera le pacte fait entre le pere & ses enfans : on remarque seulement que les enfans sont majeurs, & stipulent comme tels.

Abandonnons le mot pour ne penser qu’à la chose. Lorsque l’assemblée nationale, malgré vents & marées, sera parvenue à la confection de cette constitution, nos maux seront finis, & les beaux jours de la France commenceront. Nous n’avons point d’autres vœux à former, & l’assemblée point d’autre affaire qui doive l’occuper. Ce sera sur le frontispice de ce code fameux que les noms des représentans seront inscrits pour parvenir à la postérité, qui aura plus à se louer de la révolution que nous ; parce qu’une révolution ne se fait point sans que la machine ne s’en ressente un peu. Le cultivateur qui, exposé aux rayons du soleil, plante l’arbre qui doit ombrager ses enfans, est le type de notre situation.

L’édifice de la constitution s’éleve sur les démolitions du repaire où s’étoient réfugiés les abus ; & les vaines clameurs des hommes que ces abus faisoient subsister ne détourneront point l’attention des ouvriers qui travaillent à ce glorieux monument. Je plains les malheureux qui se trouveront pris sous les décombres de cette démolition, si c’est le poids des années qui les empêche de fuir ; mais je ne dois aucune commisération à celui qui, au lieu de se dégager, s’en tient au clabaudage. — Qu’avoit-il à faire ? — Se rendre utile dans le nouveau bâtiment. Avocats de greniers qui criez que tout est perdu, écoutez Louis XIV, dans son discours du 4 février, lorsqu’il vous dit : j’aurois bien des pertes à compter aussi moi, si, au milieu des plus grands intérêts de l’état, je m’arrêtois à des calculs personnels ; & ce prince qui trouve une pleine & entiere compensation dans l’accroissement du bonheur de la nation ; (dont vous ne vous souciez gueres) vous donne le seul conseil que vous ayez à suivre, au lieu de bavarder, c’est de cesser d’être malfaisans pour devenir utiles.

La démarche faite par le roi, démarche qui l’immortalise à jamais, vient de donner à la constitution un caractere sacré que sans doute elle avoit déja aux yeux des bons citoyens, mais que les aristocrates s’efforçoient de lui contester. Pour les confondre, le prince jure de défendre, de maintenir cette constitution, & d’élever son fils dans ces principes. Ennemis de vos freres, odieux libellistes, qui avez cherché à semer la division dans les provinces, en faisant accroire au peuple que le vœu de l’assemblée n’étoit pas celui du prince, écoutez, calomniateurs, écoutez votre arrêt prononcé par le monarque lui-même, lorsqu’il se plaint aux représentans de la nation des funestes résultats de vos menées incendiaires : « Vous qui pouvez influer par tant de moyens sur la confiance publique, leur dit ce prince, éclairez sur ses véritables intérêts le peuple qu’on égare… ce bon peuple qui m’est si cher, & dont on m’assure que je suis aimé quand on veut me consoler de mes peines. Ah ! s’il savoit à quel point je suis malheureux à la nouvelle d’un attentat contre les fortunes, ou d’un acte de violence contre les personnes, peut-être il m’épargneroit cette douloureuse amertume[8] » !

Ah sire ! s’il vous l’épargnera ! en pouvez-vous douter, quand vous venez de déchirer le voile que de vils démagogues avoient placé entre vous & ce peuple dont vous avez toujours été adoré ! Vous allez le voir tomber à vos pieds, fondre en larmes, & abjurer un moment d’erreur en maudissant les scélérats qui l’avoient égaré.

CONSTITUTIONNEL : un décret ou un article décrété est dit constitutionnel quand il doit faire partie de la constitution ; le prince l’accepte provisoirement. Voyez Accepter.

CONTRE-RÉVOLUTION : mot nouveau, il a vu le jour peu après celui de révolution. (Voyez ce mot.) Contre-révolution désigne le coup de main qui remettroit le despotisme ministériel sur ses pieds, & feroit passer les aristocrates du fond de cale sur le tillac ; on sait ce qu’ils ont tenté pour opérer cette manœuvre. En effet, par la contre-révolution, un corps fameux ou qui a été fameux, avoit l’espoir de recouvrer la suprématie & des minuties mondaines auxquelles il tient encore ; un autre corps non moins fameux, ressuscitoit ses privileges. Les aventuriers obtenoient des places[9], les scélérats avoient aussi l’espoir de faire quelques coups de mains, & les parlementaires de voir renaître les beaux jours. Les pensionnaires remontoient leur cuisine, & les capitalistes (c’est-à-dire, les usuriers ou les agioteurs), leur porte-feuille.

Mais les politiques du café de Foy, même avant le 4 février, regardoient une contre-révolution comme impossible. Les politiques du Luxembourg n’étoient pas de cet avis, & ceux de la terrasse des Feuillans croyoient que ceux du Luxembourg n’avoient pas tort. D’un autre côté, il n’étoit pas un bon citoyen qui ne fît des vœux pour que les politiques du café de Foy eussent raison. Depuis le discours du roi ceux-ci ont voulu doubler les enjeux, & leurs adversaires ont en vain essayé de retirer les leurs.

CONTRIBUTION PATRIOTIQUE : c’est celle qui n’est point due de rigueur, & que la nation n’obtient que des bonnes intentions, que du zele des patriotes ; cette contribution a été fixée au quart du revenu de chaque individu. Voyez le mot Quart.

Il est encore une autre contribution patriotique, c’est celle que paie ou paiera le citoyen qui voudra devenir éligible ; elle est fixée à un marc d’argent. Ce moyen de rendre un citoyen actif, trouvé par quelques membres de l’assemblée nationale contre le gré de quelques[10] autres membres, a été applaudi par toute la nation ; il deviendra sur-tout très-utile au trésor national.

CÔTÉ : dans la salle de l’assemblée nationale, c’est telle ou telle partie de cette salle : on a dit le côté de la noblesse, on dit encore le côté du clergé. On lit dans plusieurs journaux (sur-tout ceux qu’on proclame) « tel côté de la salle a crié bravo, & tel côté a hué ; tel côté étoit pour le veto absolu, tel côté pour le suspensif, & tel autre le rejettoit avec indignation[11] ».

Il faut observer que depuis qu’on est au manege, on ne distingue plus que deux côtés, le droit & le gauche ; mais il faut bien observer aussi que le côté droit n’est pas le côté gauche.

CLUB : qu’il est très-important de savoir qu’on prononce Clob, ainsi que quelques journaux nous en ont prévenus, vient de l’Anglois ; le dictionnaire raisonné a manqué une belle occasion lorsqu’il n’en a pas parlé ; mais cet ouvrage est loin d’être complet, & ne renferme que 18 mots qui, à la vérité sont savamment paraphrasés.

Club donc signifie société, coterie, lieu de rendez-vous ; c’est ce que nos Flamands appellent estaminette, excepté qu’au Club on ne joue point, & qu’on ne s’occupe que de politique.

Le nombre des Clubs est infini à Londres, & Paris s’empresse d’imiter Londres.

Dans la capitale des Bretons on connoît le Club de la révolution ; tout le monde a été pénétré de reconnoissance & d’enthousiasme à la lecture de l’adresse que ce Club a fait remettre à l’assemblée nationale. Et les Bretons ont trouvé la réponse des Francs digne d’un peuple libre. Voyez Anglois.

Nous avons ici le Club patriotique ; il est aussi distingué par ses sentimens que par ses membres.

On soupçonne un Club anti-patriotique ; ce dernier a ses agapes, & approche un peu plus de l’estaminette que les autres. Voyez Impartiaux.

Note : il y en a beaucoup qui ne different de la tabagie que par le nom.

Remarque : Club, par une bizarrerie de la langue Angloise, signifie aussi coup de bâton ; si nous l’adoptons jamais dans ce sens, alors il ne pourra plus recevoir l’épithete de patriotique. Cette remarque est d’un membre dy lycée qui n’est d’aucune académie.

CURÉ : avant ou après la révolution, il signifiera toujours un pasteur respectable, qui consacre son existence au bien-être des ouailles qui lui sont confiées. Les curés forment la partie apostolique du clergé, & ne sont pas mieux rentés que ne l’étoient les saint apôtres ; ils cultivent la vigne du seigneur de concert avec les prélats, c’est-à-dire, que ces derniers regardent & que les autres travaillent. Mais les prélats à qui appartient la denrée, ont soin de la mettre en réserve ou à profit.

L’assemblée nationale a décrété que les curés à l’avenir cultiveroient cette vigne pour leur compte, & que les vicaire auroient part à la vendange.

D.

DÉCRET : dans l’ancien régime ce mot se trouvoit quelquefois dans cette phrase mystique ; les décrets de la providence : mais on lisoit par-tout, décret de prise de corps, décret d’ajournement personnel, décret d’assigné pour être oui, &c. C’étoit des arrêts que rendoient les cours souveraines, ou comme juges ou comme parties ; le décrété étoit rarement entendu avant le décret qui le retranchoit de la société, ou l’obligeoit à fuir ; c’étoit sur un requisitoire du ministere public que se rendoient ces arrêts[12].

Dans le nouveau régime, décret a été & est employé au propre ; il signifie loi sanctionnée ou à sanctionner. (Voyez ces mots).

Les décrets de l’assemblée nationale sont provisoires ou constitutionnels.

Le décret, par exemple, qui accorde la liberté de la presse, est provisoire.

Celui qui établit le veto suspensif, est constitutionnel.

DÉCRETER : dans l’ancien régime c’étoit par les divans, qu’on appelloit en Europe cours souveraines, rendre les fetfa dont nous venons de parler, & qui souvent portoient la peine du cordon[13]. Jean-Jacques, dont l’auguste assemblée nationale invoque souvent le témoignage, Jean-Jacque, vous aussi fûtes décrété sur un requisitoire ; vous ne vouliez point fuir & vous aviez eu tort. 1°. Vous auriez déshonoté la cour qui vous eût fait prendre. 2°. Si vous eussiez été pendu, la lettre à Christophe n’eût point été écrite, la postérité eût eu un chef-d’œuvre de moins, & Christophe une leçon ; nous n’eussions point eu une définition rigoureuse du mot Mandement, car l’épigramme de Piron n’est pas une définition.

Décréter : dans le nouveau régime, c’est rendre un décret ; l’assemblée nationale a seule ce droit : cet axiome vient d’être adopté par la nation.

Les loix que font les représentans de la commune & les districts même, ne sont que des arrêtés ; aussi pour parler juste, on dire, l’assemblée nationale décret, & les districts arrêtent.

DÉFICIT : mot que nous avons emprunté des Latins, lorsque nous empruntions de l’argent aux Génois leurs voisins ; si notre langue continue à s’enrichir de pareils mots, nous seront infailliblement réduits à l’aumône. Déficit donc, signifie le vuide d’une caisse, occasionné par l’excès de la dépense sur la recette ; la progression d’un déficit d’une année à l’autre, n’est ni arithmétique ni géométrique, parce que les extrêmes ne sont point en proportion avec les Moyens. Article fourni par un des auteurs de l’Encyclopédie méthodique.

DÉLIBÉRER : employé dans cette phrase, il n’y a lieu à délibérer, c’est la formule qu’emploie l’assemblée nationale, pour rejetter une motion inconsidérée, ou qui n’est pas assez importante pour fixer son attention.

L’assemblée de la commune qui se fait un honneur de se modeler sur celle de la nation, a adopté aussi la formule en question.

Item. Les district : on y conclut qu’il n’y a lieu à délibérer, sur-tout quand le motionnaire est un intrus, ou qu’il est d’un avis différent de celui de M. le Président qui est toujours au courant, & a mille motifs pour avoir raison.

DÉMAGOGUE : fourbe qui en impose au peuple, & feint d’être son ami pour le tromper avec plus de perfidie. Docteur Marat n’étoit point un démagogue, comme quelques journalistes l’ont soutenu ; il en avoit le langage sans en avoir l’adresse ni l’intention. Docteur Marat vouloit vendre ses feuilles, & voilà ce qui le faisoit vociférer ; mais un adroit Sinon, dont les Dauphinois ont d’abord été la dupe, c’est ce Roumein né parmi le peuple, parlant le langage du peuple, & toujours au nom du peuple. Ses malheureux compatriotes, il eût fini par les faire égorger, si les fideles gardiens du troupeau n’eussent point crié au loup.

Chaque fois que je me sers du mot de démagogue, je le prends dans le sens où il signifie un aristocrate hypocrite qui cherche à étouffer son frere le démocrate en le serrant dans ses bras.

DÉMOCRATE : signifie le contraire d’aristocrate, dans l’acception que nous avons donnée à celui-ci.

Le démocrate croit & assure que les districts ont le pouvoir législatif, car l’exécutif personne n’en doute.

La commune aura beau dire, l’assemblée nationale beau faire, on ne persuadera jamais à un démocrate qu’il y ait une puissance au-dessus de son district, & que les districts n’ont été assemblés que pour procéder aux élections. L’honorable membre qui porteroit cette doctrine erronée dans le sein, seroit éconduit par le tambour d’ordre comme un franc aristocrate.

DÉPARTEMENT : dans l’ancien régime, on disoit département de la marine, département de la guerre, département des affaires étrangeres. Cette dénomination désignoit les bureaux & la besogne de chaque ministre ; c’est-à-dire, celle qu’il étoit convenu de faire faire. Il arrivoit souvent qu’un département empiétoit sur un autre, & delà il arrivoit pis encore. Les fermiers-généraux avoient aussi leurs départemens ; dans ce sens il signifioit division ; c’est l’acception qu’il a prise dans le nouveau régime, lorsqu’il a été décrété que la France seroit divisée par l’assemblée nationale. Elle l’a été effectivement, & je me dispenserai d’en rapporter les détails qui se lisent dans tous les journaux. J’ajouterai seulement que cette division ne s’est pas faite sans beaucoup de réclamations que la prudence de l’assemblée a satisfaites autant que le local le lui a permis ; car chaque ville vouloit être chef-lieu. Voyez Rayon.

Lorsque les départemens seront en activité, alors nous respirerons, & le café de Foy pourra mettre la main sur les enjeux. Voyez Contre-révolution.

DÉPUTÉ : quand la nation étoit assemblée sous le nom d’états-généraux, ses membres se qualifioient de députés ; sitôt qu’elle a été désignée par assemblée nationale, on a dit les représentans de la nation. Cependant, lorsqu’on parle d’un représentant individuellement, on dit c’est un député ; par exemple, on ne diroit pas bien ; c’est une représentant de la nation qui fait tel ou tel journal ; mais c’est un député qui rédige le courier de P…, le journal de l’As… N…, le P… du … j…, le V… g… r…, les Déb… de… l’As… N…, le M… de… g…, &c. &c.

DESPOTISME : avant la révolution ce mot ne se trouvoit que dans les relations de voyages ; après la révolution il a été plus usité, mais il a toujours eu pour adjectif le mot ministériel. On lit cependant dans certains écrits anti-patriotiques, scandaleux, ou incendiaires, (Voyez ce dernier mot), despotisme municipal, despotisme des districts, despotisme des patrouilles, &c. Ces mots ont sans doute été bien étonnés de se trouver ensemble ; les gens de lettre ont remarqué que c’étoit un abus de mots, & que ces abus étoit monstrueux ; si donc, l’on définissoit le mot despotisme d’après nos néologues, il voudroit dire l’autorité que le fort s’arroge sur le foible. Mais despotisme est l’action d’un homme public qui met sa volonté à la place de la loi.

Les jeunes gens qui, se destinant à l’étude de la politique, voudront avoir des idées justes de ce mot, doivent lire Montesquieu & Boulanger ; veulent-ils des idées absurdes, qu’ils ouvrent le président Hénaut, & pour des idées contradictoires Me. Linguet.

DETTE : dette nationale. Le publiciste Marat a soutenu qu’il falloit dire dette royale. Le publicisme a une autre locution que le civisme ; & celui-ci soutient que cette dette, soit royale ou non, qu’elle vienne ou ne vienne pas du fait des agens de la royauté, est nationale, si-tôt que les représentans de la nation ont bien voulu la reconnoître. Comment reconnoît-on, dit encore le publiciste, une dette qui n’est point constatée ou qu’on ne veut point constater ? — Quand on l’a reconnue, elle a été censée constatée ou devant l’être, & la preuve en est que les représentans de la nation ne cessent d’en demander un état. — Il en sera des registres où elle est insérée comme des livres sibyllins ; M. l’abbé Maury aura beau parler de la dette nationale, comme Caton de la ruine de Carthage, rien ne paroîtra.

DISTRICT : mot dont le peuple ignoroit l’existence, il y a un an, & qu’il écorche encore ; mot qu’on commençoit à balbutier quelques mois avant la révolution, & qui ne signifioit pas alors grand’chose ; mot que depuis la révolution on trouve par-tout & qui signifie tout. Il a d’abord été l’équivalent de division, il est devenu ensuite le synonyme de jurisdiction, de cour souverains, &c. &c. Là il représente un corps de législateurs, & plus loin un corps formidable de guerriers. Nous avons 60 districts, tous se disent freres, la même cause les anime tous ; mais ces freres n’ont point la vue également organisée ; quelquefois l’un voit noir ce que l’autre a cru blanc. Cependant ces nuances dans l’optique & les petits différends qui en résultent ne sont que des castilles de freres ; on se boude, mais l’on s’en aime davantage. Les districts ont un mot de ralliement, & quelles que soient les dispositions des esprits, ils se livrent à l’enthousiasme & s’embrassent tendrement aux noms chéris de Louis XVI & de la Fayette.

On doit des égards à la bonne intention, & tout bon citoyen s’abstient de déclamer contre les districts, sur-tout lorsqu’il réfléchit que notre liberté ne fait que commencer, que nous sommes comme l’enfant qui vient de briser ses lisieres, que nous nous essayons à marcher, & que dans cet apprentissage les faux pas sont excusables.

DOLÉANCES : il n’a point de singulier, & pour cause, ajoute M. Dumarsais, qui a traité savamment ce mot. Il est fort ancien & n’est usité qu’aux époques des états-généraux. On appelle doléances les griefs, les plaintes que les provinces inserent dans leurs cahiers, & qu’elles dirigent au pied du trône par la voie de leurs représentans. On a beaucoup vanté une brochure qui avoit pour titre Doléances sur les surcharges que les gens du peuple supportent en toute espece d’impôts, in-8o. de 244 pages, & qui auroit pu en avoir 1000. L’ordre de Malte, dit cet écrit patriotique que tout le monde n’a pas goûté, l’ordre de Malte qui possede en France des biens immenses, ne paie que 120,000 livres de vingtiemes, & s’il payoit en raison de ses revenus, sa contribution se monteroit à 1,320,000 livres. Ah ! Messieurs les chevaliers, quelle restitution vous avez à nous faire !

DON PATRIOTIQUE : c’est l’or, c’est l’argent qu’on porte de bon cœur sur l’autel de la patrie pour subvenir à ses besoins. Hélas ! les donateurs qui veulent, ne sont pas ceux qui peuvent ; aussi leurs dons en deviennent plus précieux ; ils n’avoient que leurs boucles, & l’autel en a été chargé ; mais qu’est-ce qu’un monceau de boucles en comparaison d’une Sainte-Claire, qui pese 229 marcs ? ah ! si les gens aux boucles eussent été les gens aux saints, auguste patrie, ton autel eût bientôt succombé sous leurs poids !

On a cependant vu, dans différens dons de vaisselle, des restitutions patriotiques, qui décelent un ferme propos de devenir citoyen.

DRAPEAU : enseigne militaire : les nations ont adopté différentes couleurs : les François ont le drapeau blanc avec des fleurs-de-lys, les Espagnols ont le drapeau blanc avec une croix de Saint-André ; les Barbaresque l’ont rouge[14].

DROIT : le droit public, le droit de l’homme, &c. Une des découvertes les plus récentes est celle qui nous a appris que c’est ce dernier qu’il faut dériver le premier. Dans l’ancien régime, les publicistes, qui n’alloient point chercher leurs principes chez l’étranger, ne se doutoient pas de l’existence du droit de l’homme. Les Anglo-Américains & la révolution les ont singuliérement redressés.

Quelques personnes ont été étonnées que les articles des droits de l’hommes, mis en avant par les représentans de la nation, se soient trouvés les mêmes, mot pour mot, que ceux qui sont insérés dans la constitution des Anglo-Américains. Ces personnes sans doute ignorent que la vérité est une, & que quand elle parle aux nations elle leur tient à toutes le même langage. Galilée a dit : c’est la terre qui tourne & non le soleil… Un Allemand qui ne connoissoit personne en Italie, s’est écrié de son côté : le soleil est immobile & c’est la terre qui tourne… Dans ce témoignage de la vérité, il n’y a pas eu de communication d’idée ; Galilée & l’Allemand étoient inspirés par cette sainte vérité, que le génie saisit tôt ou tard. C’est le pygmée qui souffle des boules de savon qui imite le pygmée.

DROITS : ce mot, pris en pluriel, a une infinité d’acceptions ; dans l’ancien régime où il y avoit des corps, ces corps avoient des droits… On s’arrogeoit d’abord tel ou tel droit qui, dans un laps de temps très-court, ne manquoit jamais de devenir incontestable, & delà à immémorial, on sait que c’est l’affaire de rien.

Droits : terme de Fin, ce qu’on paie aux barrieres pour l’entrée de telle ou telle denrée, d’après le tarif manuscrit que vous en présente le receveur.

Avant la révolution il n’y avoit que ce qu’on appeloit le petit peuple qui payoit les droits. MM. les secrétaires du roi, maison, couronne de FRance étoient privilégiés, l’université avoit ses privilégiés, les commensaux du Roi, qui étoient innombrables, étoient aussi privilégiés, & avec le certificat d’une main privilégiée qu’on exhiboit aux commis, on entroit sa bourriche en ne payant pas même le quart de ce qu’auroit payé le petit peuple pour pareille friandise ; M. le Duc, Madame la Duchesse, le Comte, le Marquis avoient soin de s’abonner, quand le privilége leur faisoit faux bon, & l’abonnement à certains égards valoit une exemption.

E.

ÉCLAIRER : expression figurée & incendiaire, insérée dans une lettre écrite à un représentant de la nation, & lue dans l’assemblée ; il étoit dit dans cette missive qu’on n’auroit pas dû lire, il étoit dit, si je m’en rappelle bien : prévenez vos nobles que leurs châteaux seront éclairés. Les nobles ont haussé les épaules & ont oublié le malheureux calembourg, dont je ne fais mentions, que parce que quelques journaux l’ont trouvé délicieux, sur-tout les journaux qu’on proclame. Voyez le mot Journal.

ÉGALITÉ : selon le nouveau régime, état respectif des Citoyens d’une nation libre, ordre qui les nivelle tous.

Égalité : (en matière d’impôt) répartition projettée par les représentans de la nation, que mille obstacles semblent vouloir écarter ou rendre chimérique. Si cependant, malgré les menées des Castes privilégiées, ce projet a lieu, la France sera la contrée la plus heureuse de l’Europe ; elle n’enviera point aux Espagnols ces mines qui cesseront bientôt d’être mines ; aux Italiens leurs indulgences qui n’en sont plus. Elle dira aux Allemands : nous rions de vos altesses : au Polonois : nous plaignons vos serfs, & vous, illustre Catherine, nous nous étonnons que vous en ayez encore !

ÉLECTEUR : ce ne sont pas des électeurs Germaniques dont il est question ici, mais de M. Josse, brave pere de famille, qui va à son district, & qui, par la voie du scrutin est nommé électeur ; c’est-à-dire, choisi pour aller à la ville y élire un député ou représentant, qui est pris dans les électeurs, & qui par conséquent peut être M. Josse.

Au moment de la révolution on entendoit par électeurs, de braves citoyens, qui, au péril de leur vie, n’ont point désemparé l’hôtel-de-ville, & ont été les chevilles ouvrieres de la révolution ; nous devrons tout sans doute à ces chevilles immortelles que d’autres chevilles ont voulu chasser, parce que nous avons un proverbe qui dit : qu’un clou chasse l’autre : mais en fait de municipalité il n’y a pas de proverbe qui tienne, & les anciens électeurs n’ont cédé la place que quand ils ont connu que la république n’étoit plus en danger.

ÉLIGIBLE : voyez Citoyen.

ÉLIRE : ce mot étoit à peine connu avant la révolution ; le peuple même l’estropioit dans les premieres élections qu’il a faites, & il étoit très-commun d’entendre d’honorables membres dire : on a éli M. tel pour président : il n’en est plus de même : ce mot est aussi bien prononcé que compris ; & nos citoyens sont perpétuellement en élection ; car, à l’exception de quelques heures indues, il n’en est point dans le jour où l’on n’élise dans quelque coin de district.

ÉMIGRANTS : depuis le mois de juillet ce mot a reçu une nouvelle acception ; il signifioit avant, un pere de famille qui sortoit de son pays, pour aller s’établir en terre étrangere. Aujourd’hui nous appelons émigrants, les citoyens probes qui, voulant ne rien avoir à démêler avec le nouveau régime, ont fui en pays étranger, où ils sont désignés sous le nom de François fugitifs ; l’Allemagne, la Suisse ont été remplies de François fugitifs. À Turin ils égalent les indigenes ; à Londres on n’en sait que faire, & l’on assure qu’on les chasse de Madrid ; on écrit de Rome où sont les P…ac & les L…sc, qui ont si bien purgé la France, avant leur départ & par leur départ ; on écrit, dit-on, que depuis le dernier décret de l’assemblée nationale, concernant les pensions des émigrants, qui tous étoient pensionnés, le luxe de ces bandits n’est plus si insolent[15].

Parmi les émigrants il y a certainement des gens très-coupables, mais il y en a d’autres qui n’ont été que pusillanimes ; nous reverrons ces derniers avec indulgence, mais nous conjurons les autres comme les prêtres parmi nos ayeux conjuroient les sauterelles.

ÉTATS GÉNÉRAUX : ils se sont tenus sous plusieurs rois de France ; ils prenoient le nom d’états généraux, parce qu’ils étoient composés des députés des trois ordres, qui existoient encore en France le 23 juin 1789 : ces députés étoient aux états en nombre égal, d’où il résultoit que le tiers-état, qui n’a jamais eu que des intérêts opposés aux clergé & à la noblesse, étoit éconduit par ces deux ordres. Mais les ci-devant éconduits ont enfin pris leur revanche, & de passifs qu’ils étoient, ils sont devenus actifs ; graces en soient rendues à notre bon roi Louis XVI. Sire, lui a dit un ministre impartial, la France a 24 millions d’habitans, sur lesquels le clergé & la noblesse forment à peine un vingt-quatrieme ; il est juste que les députés soient en proportion ; le prince a accueilli la réflexion, & cette proportion, qui auroit dû être comme vingt-trois à un, n’a été cependant que comme un est à deux : toute incommensurable qu’elle soit, elle a eu son effet, & nous n’avons plus d’ordre. Voyez Assemblée nationale.

Nota. Nous devons aussi des remerciemens aux parlemens, car ce sont eux qui ont jetté les hauts cris pour avoir des états-généraux ; ces peres conscripts en sentoient la nécessité, ils connoissoient mieux que personne les abus énormes qui désoloient la France ; ils savoient de certaine science que les seuls états généraux pouvoient y remédier ; la conduite & le systême adopté par les états généraux, prouvent que les peres conscripts ne se sont point trompés.

ÉPAULETTES : elles désignoient le rang parmi les anciens militaires : dans les premiers mois de notre révolution tous les jeunes gens prirent l’épaulette ; & à force de distinguer elle ne distingua plus ; elle n’a aujourd’hui de valeur que dans le service.

Il faut avouer, cependant, qu’une superbe épaulette d’or alloit beaucoup mieux à un beau jeune homme qu’à l’épaule ronde d’un épais portier, que dans l’ancien régime on appelloit suisse.

ÉPREUVE : épreuve pas assis & levé ; après qu’une question a été suffisamment discutée dans l’assemblée nationale ou dans les districts, où l’on discute aussi, on va aux opinions pour l’admettre ou la rejetter ; le président pose cette question & dit : que ceux qui sont d’avis que telle chose ait lieu se levent ; alors, ceux qui sont pour l’affirmative se levent, & le parti contraire reste assis ; si tout le monde se leve, la question est dite admise à la pluralité, & cette premiere épreuve suffit. Si la plus grande partie s’est levée, la question a la majorité, mais elle n’est admise qu’après la seconde épreuve, à laquelle le président procede par cette formule : que ceux qui sont d’avis contraire se levent ; si la majorité a été évidente, il n’est rien de plus comique alors que de voir la maniere dont se leve la minorité (c’est ainsi qu’on appelle le partie le moins nombreux) ; elle leve d’abord le dos, puis les reins, puis la partie assise, mais la tête reste inclinée. Dans les districts, où il ne regne pas autant de gravité que dans l’assemblée nationale, la minorité est ordinairement huée. Quelquefois la majorité est douteuse ou crue telle ; on recommence l’épreuve qui, si elle ne réussit pas, nécessite l’appel nominal à l’assemblée nationale, & la voie du scrutin dans les districts. Voyez Scrutin.

Dans l’appel nominal chaque député appellé répond oui ou non ; & lorsque par équivoque (ce qui est arrivé quelquefois) il répond l’un & l’autre, la gaieté françoise ne prend point ses droits.

Dans les districts, où l’on ne procede au scrutin que quand il s’agit de matiere très-importante, telle que la nomination d’un président ou vice-président, il arrive que, dans l’épreuve par assis ou levé, il y a des gens qui la rendent douteuse, parce qu’ils ont la mal-adresse de se lever pour & contre ; elle vient cette mal-adresse de ce que les jeunes gens se levent trop vite, & qu’il est quelques bons citoyens qui ayant l’ouie dure & la compréhension lente, ne se levent que parce que leur voisin à droite s’est levé, & se levent encore parce que leur voison à gauche se leve aussi.

G.

GALERIES : Voyez Tribunes.

GUILLOTINE : mécanique ingénieuse, par le moyen de laquelle un criminel sera exécuté sans employer le ministere infame des bourreaux ; elle est appellée Guillotine, du nom de l’inventeur, qui est un sage qui connoît les hommes, & la tenacité de leurs préjugés & de leurs humeurs, qu’on attaque presque toujours en vain quand on n’emploie que des armes ordinaires. Or, la Guillotine n’est pas dans ce cas, elle est neuve, & sans doute elle eût triomphé de l’injuste préjugé qui fait réjaillir sur toute une famille l’opprobre du coupable livré aux bourreaux, si l’assemblée nationale n’eût pas porté elle-même le dernier coup à cette opinion, la plus absurde de toutes, & que nos philosophes ont toujours combattue unanimement & avec le plus de persévérance.

Mais philosophes & Guillotine, vous n’avez pas assené à ce préjugé un coup aussi mortel que celui que vient de lui porter le district de Saint-Honoré, en faisant officiers un frere & un cousin des Agasse. Je passerois l’eau sur le champ, pour aller m’établir sur votre département, si je ne croyois pas les autres districts capables d’en faire autant.

La motion de M. Guillotin a fait une telle révolution dans les esprits, elle y a porté l’enthousiasme à tel point, que les muses endormies depuis long-temps se sont réveillées pour chanter cette motion immortelle. L’apôtre Pelletier, qui est le treizieme de sa bande, a d’abord fait entendre sa voix : mais l’ami Dumoulin s’est fait écouter, il a rendu fidélement les termes de la motion par ces vers :

Messieurs, dans votre sagesse
Si vous avez décrété,
Pour toute humaine foiblesse,
La loi de l’égalité ;
Pour peu qu’on daigne m’entendre,
On sera convaincu
Que s’il est cruel de pendre,
Il est dur d’être pendu.
.......
.......
En rêvant à la sourdine,
Pour vous tirer d’embarras,
Je vais faire une machine
Qui met les têtes à bas.
.......
.......
C’est un coup que l’on reçoit
Avant qu’on s’en doute ;
À peine on s’en apperçoit.
.......
.......
Un certain ressort caché,
Tout-à-coup étant lâché,

Fait tomber,
Fait sauter,
Fait voler la tête,
C’est bien plus honnête.

Les Variétés, ajoute M. Dumoulin, avoient eu cette idée d’honnêteté avant M. Guillotin.

I.

IMPARTIAUX : mot très-nouvellement inventé, & très-justement appliqué à une association de zélés patriotes, qui viennent de se confédérer pour le bien public qu’ils desirent. Cette association est appellée le club des impartiaux ; elle est composée des honorables membres, déja célebres & célébrés sous le nom d’Augustins. Ils ont des principes invariables qu’ils ont exposés dans leurs invariables statuts, où ils annoncent qu’il est plus que temps, pour ramener la paix & sauver la France, de conserver au clergé un domaine territorial, & de mettre en vigueur le pouvoir exécutif suprême. M. de Malouet, si avantageusement connu par son civisme, est, dit-on, président-né de ce club. Ah ! que d’associations qui veulent notre bien !

IMPÔT TERRITORIAL : taxe immédiate à imposer sur les terres. Lorsqu’en 1787, il fut question d’asseoir cet impôt, MM. les possesseurs en du & en de, qui possédoient tout & ne payoient rien, persuaderent au peuple qui ne possédoit rien & payoit tout, que cet impôt étoit vaxatoire : nosseigneurs de parlement se joignirent aux MM. en du & en de, & le peuple trompé courut aux pierres. Nosseigneurs, dans cette circonstance, firent plusieurs arrêtés dans lesquels se manifestoit le patriotisme le plus franc, dont l’illustre d’Espréménil voulut absolument être le martyr ; la providence qui le destinoit à de plus hauts faits, n’en ordonna pas ainsi.

Comme toute change avec le temps ! l’impôt territorial est aujourd’hui le vœu public ; toute la richesse de la France, dit-on, est en terres, pourquoi ne pas imposé les terres, ces terres vierges sur-tout, qui n’ont encore rien payé.

Oui, sans doute, & le comité de constitution n’oubliera pas ces nombreux arpens enclos qu’on appelle parcs, & qui affament Paris ; elles seront imposées au double ces terres fainéantes, qui ne produisent depuis un siecle que des tulipes & des maronniers. Eh Parisiens si tout cela étoit en champs vous mangeriez le pain à huit sols !

IMPRIMEURS : dans l’ancien régime, il y en avoient trente-six qui travailloient comme cent, malgré les visites assidues que leur rendoit M. Henri : dans le nouveau régime où il n’y a pas encore de visites, où tout le monde a des presses, ces trente-six travaillent encore comme mille, & n’impriment point de libelles, ainsi que nous l’a assuré M. le Clere.

On nous dit cependant, que la littérature tombe, que la librairie ne va plus… où passent donc ces cent mille & une rames de papiers, qu’on macule tous les jours dans les imprimeries, avec privilege ou sans privilege ? — Interrogez les faiseurs de journaux, ils ont le mot de l’énigme.

Quoi qu’il en soit, si jamais les presses chambrelantes étoient supprimées, il faudroit augmenter les trente-six, ce nombre est trop congru, & n’est pas en proportion avec nos connoissances[16]. Vous aviez bien cent quatre-vingt censeurs royaux qui se plaignoient d’être trop occupés, pourquoi n’auriez-vous pas au moins soixante imprimeurs en titre.

INCENDIAIRE : mot nouveau, qui est quelquefois le synonyme d’aristocrate, & quelquefois signifie le contraire ; il a fait aussi une grande fortune. Il se construit ordinairement avec les mots propos & écrits. L’application de ce mot dépend des circonstances, des opinions et des lieux. Tel propos qui est incendiaire d’un côté de la Seine, est patriotique à l’autre rive ; il ne faut pas même passer l’eau pour cela. Prud. se brouille avec Tour. & Prud. dit à Tour. : votre écrit est incendiaire ; c’est le vôtre, répond Tour. qui est incendiaire, la Ville l’a dit. On propose dans un district, de faire rendre compte à certaines gens qui n’en ont point envie. Cette motion est incendiaire, s’écrie un des comptables, qui n’aime point les redditions de compte, d’où il résulte que ce mot s’envoie & se renvoie comme le volant qui passe d’une raquette à une autre.

Il est cependant des cas où l’inculpation d’incendiaire devient dangereuse. Nous en avons déja eu quelques exemples : c’est lorsque le cri est universel, que les deux raquettes se touchent, & qu’on frappe du bois.

INSURRECTION : si le dictionnaire raisonné eût parlé de ce mot, il eût dit qu’il étoit Hongrois, d’après M. l’abbé Prévot ; mois je dis d’après l’Encyclopédie, qui a dit d’après tant d’autres, qu’il est Crétois. Il désignoit le droit de soulevement accordé aux citoyens de Crete, lorsque la magistrature abusoit de sa puissance : quoique notre révolution ait été le droit Crétois, mis en exécution par les Parisiens, le mot insurrection se prend chez nous en mauvaise part, & nos journaux disoient & disent encore : telle puissance a formé un cordon pour empêcher que l’esprit d’insurrection qui regne en France, ne pénetre point dans ses états. Quelques anciens magistrats qui n’ont point adopté le nouveau régime, disent que telle ou telle province est encore en état d’insurrection. Ce qu’il y a de certain, c’est que quand l’insurrection est partielle, & que les insurgens au lieu de pendre sont pendus, il faut se servir pour parler exactement du mot de soulevement. Dans le cas contraire & pour éviter toute équivoque, on emploie le mot de révolution.

J.


JOURNAL : dans l’ancien régime c’étoit une feuille périodique, qui parloit de la pluie & du beau temps, donnoit des extraits de catalogues de libraire, & quelques lettres de MM. les abonnés à M. le rédacteur, que dans les cafés on prenoit bonnement pour des lettres. Par la voie de ces feuilles ont étoit informé très-exactement du genre & du nombre de grimaces que telle ou telle actrice avoit faite dans une piece nouvelle, des angoisses de l’auteur sifflé, & de la jactance de celui qui avoit été appellé sur la scene. Cet article étoit sur-tout précieux par l’impartialité de la critique.

Mais que tout est changé ! Ces feuilles, autrefois la pâture de nos désœuvrés, sont à présent l’aliment de toutes les classes de citoyens. On court après, on se les arrache, on les dévore. Nos politiques y lisent la régénération de l’empire & y trouvent les hausses & les baisses de l’aristocratie. Les muses sont réduites au silence, le journaliste seul est en scene où il a le plus grand succès ; aussi les journaux pleuvent tous les matins comme manne du ciel, & 50 feuilles, ainsi que le soleil, viennent tous les jours éclairer l’horizon.

Dans une circonstance où les papiers nouvelles deviennent si intéressans, je crois servir la cause publique en insérant ce dictionnaire, qui va devenir le manuel ces politiques, une notice de ces papiers, que je vais distribuer en deux classes ; la premiere contiendra les journaux qui existoient avant la révolution, & dont le privilege est en réserve pour avoir lieu si le cas y échet. La seconde classe sera formée des journaux qui ont vu le jour depuis la révolution & sous la sauve-garde de la liberté de la presse, accordée à tout être pensant, par un des articles du droit de l’homme, sur lequel il y a déja eu beaucoup de commentaires, & qui en aura autant que le Coran quand il aura autant de Lunes[17].

Je n’ai point fait mention des Journaux ondoyés, c’est-à-dire, de ceux qui sont morts dès l’instant de leur naissance, ni des feuilletons nés pendant l’impression de ce dictionnaire. J’y reviendrai dans une autre édition.

Notice alphabétique & raisonnée des journaux politiques, politico-patriotiques & politico-littéraires, qui paroissent tous les jours, ou au moins, une fois par semaine.
§. Ier.
Anciens journaux, ou journaux qui existoient avant la révolution.

Affiches : petites affiches, connues & utiles ; elles resteront parce qu’on perd toujours quelque chose, & sur-tout aujourd’hui que le commerce se fait en billets de caisse.

Année Littéraire : il y a très-souvent des articles dignes de Freron. Le goût du moment ne s’accommode pas au costume de cette feuille.

Courier d’Avignon, Courier du Bas-Rhin : ils viennent à Paris, comme une autre denrée, parce qu’il n’y a point encore eu de contre-avis.

Courier de l’Europe : bon quoique ne traduisant pas toujours à la lettre ; mais plus textuel depuis la révolution.

Esprit des Journaux : utile à ceux qui sont à l’affût des livres à traduire. Il paroit tous les mois : c’est un livre comme beaucoup d’autres en font, quand ils ont du crayon & des copistes ; l’auteur en voit les épreuves.

Gazette de France : aussi intéressante qu’avant la révolution ; elle restera. C’est un papier-meuble, aussi nécessaire à un limonadier, qu’un verre à bavaroise qu’elle accompagne presque toujours.

Gazette des Deux-Ponts, de Leyde, d’Amsterdam, de Hollande ; bonnes à quelques peccadilles près ; leur germanisme est excusable.

Journal de Paris : restauré à temps, & bien. On y a des nouvelles de la premiere main ; & si la partie météorologique y est un peu négligée, c’est qu’on ne peut avoir l’œil vers le ciel & sur la terre en même temps[18].

Journal Général de France : il va ; la partie des spectacles sur-tout aide au rouage.

Journal Encyclopédique : très-bien fait, sur-tout les articles signés Awans.

Journal ecclésiastique : travaillé comme s’il devoit être lu.

Journal des causes célebres : si l’auteur oublioit qu’il a fait des requêtes, son journal seroit laconique.

Journal de Médecine, de Santé, Général du Commerce : bons, quand ils parviennent à leur adresse.

Mercure : connu, froid & en péril de mort avant sa restauration ; depuis cette époque aussi vigoureux que véridique, sur-tout lorsqu’il assure en parlant de M. de Choiseul, que c’étoit un exemple de modestie. La partie politique est faite par un Suisse qui croit que l’article d’un journal se fait comme un rapport ministériel.

§. II.
Journaux nés depuis la révolution.

Les Actes des Apôtres : pamphlet antipatriotique, où l’astuce du serpent est mêlée au venin de la vipere. Les premiers numéros étoient des apôtres, non de ceux qui parloient comme Saint-Paul, mais comme Matthieu quand il étoit encore dans son premier métier. Depuis le numéro 7 jusqu’au numéro 18, ce ne sont point les apôtres qui tiennent la plume, mais leurs disciples, qui n’ayant point reçu l’esprit-saint qui a fait parler les premiers, ne bavardent que comme des caillettes. Les numéros de trente à trente-cinq sont du treizieme apôtre, qui n’aura jamais le courage d’Iscariote, dont il mérite le sort. Ce scribler que les modernes Augustins soudoient n'est pas heureus en épigraphes ; dans le tas de calembourgs qu’il nous donne pour des épigrammes, on distingue l’appel nominal, qui est digne du recueil qui se vend chez la veuve Lesclapart, où figurent si spirituellement M. l’abbé Tise, & Madame la comtesse Tation. Pelletier ! Pelletier ! as-tu donc tant besoin de dîner ?

L’Alambic, ou le Distillateur François : feuilleton propre aux opérations ultérieures de la pharmacie.

L’Ami du peuple : connu pour violent en société, & cité pour mauvaise langue par ceux qui prétendent, avec raison, qu’entre amis on ne se dit point d’injures, & qu’on ne fait point de caquets ; les proclameurs le regrettent[19]. Depuis quelque temps il valoit toujours deux sous, même le lendemain, avantage dont ne jouit aucun papier proclamé. L’ami du peuple n’étoit pas de la meute aboyante celui qui étoit le plus à craindre, & c’étoit à l’auteur des actes des apôtres que l’huissier, qui s’introduisit chez M. Marat, auroit dû porter le billet doux dont il étoit chargé. Voyez Actes des apôtres.

Annales de France : c’est un cours d’histoire, en donnant à ce mot l’acception qu’il doit avoir chez un peuple libre.

Annales universelles et méthodiques : l’auteur ne tient point compte de la premiere épithete de son titre, elle n’y est que pour la symmétrie. Il remplit assez bien la seconde.

Annales politiques et littéraires : par l’auteur de l’an deux mille. Si tous les feuilletons avoient un pareil passeport, ils ne craindroient point la chûte des feuilles.

Annales parisiennes, ou Lettres philosophiques, politiques & littéraires : tout cela peut entre dans le titre de ces lettres, où l’on parle de tout avec une volubilité qui est un vrai caquet écrit. Mais nous n’avons encore qu’un échantillon de ces annales ou lettres adressées à une dame de Chambéry, qui ne répond rien, & n’a le temps de rien répondre, puisqu’on l’accable toutes les semaines de sept mortelles lettres. Parmi les mille & un lieux communs sertis dans ces lettres, on distingue avec plaisir ces deux pensées : Nos histoires de France ne sont autre chose que celles des monarques & non de leurs sujets… La plupart des soi-disans historiens ressemblent à ces valets qui sont les seuls qui donnent du monseigneur à leurs maîtres… Mais on ne pardonne point à M. l’analyste Parisien d’avoir dit une médiocrité incurable… des insects inappercevables. Un journaliste qui a vécu à Chambéry, la ville où il est prouvé qu’on parle le mieux françois, eût dû dire des insectes imperceptibles.

Assemblée nationale : c’est le narré simple, vrai & non commenté de ce qui s’y passe, fait par un témoin oculaire, qui, comme beaucoup d’autres, s’en tient à ce rôle.

La Bouche de fer : pamphlet périodique qui existe encore parce qu’il vient de naître : c’est un aristocrate qui macule du papier destiné sans doute à tout autre usage que celui de la bouche.

Bulletin de l’Assemblée nationale : au moment où s’imprimoit son article, le moniteur a attiré à lui ce journal, comme la Seine attire à elle la riviere des Gobelins. Voyez le Moniteur.

La Cocarde nationale : nos ancêtres n’auroient jamais deviné que Cocarde nationale eût pu devenir le titre d’un journal… mais que de choses nos ancêtres n’auroient pas devinées ! C’est une œuvre toute patriotique que le journal, dit la cocarde nationale, ce sont des soldats-citoyens qui y cooperent, & Buisson, soldats-citoyen, qui nagueres le vendoit ; il est rédigé par un fils littéraire de M. le Tourneur, qui n’y emploie pas le style des nuits d’Young, parce que le langage de l’épopée n’est pas celui d’un franc soldat. Il y a des anecdotes piquantes dans cette Cocarde ; j’aime, par exemple, celle où MM. de Cluni offrent de rendre une statue de marbre de Turenne ; mais j’applaudirois davantage au zele de ces MM. s’ils gardoient le Turenne, & nous donnoient cette belle vierge d’argent que je leur ai vue.

Le Courier de Provence : il a le plus grand débit : il est fait par un Prussien qui a tous les talens littéraires, & possede notre langue à un degré si éminent, qu’il ne nous donne pas un numéro où il n’y ait quelque mot nouveau dont les quarante ne se seroient jamais douté ; & ce, parce que les quarante n’ont que les idées des autres, & que le Prussien en a qui ne sont qu’à lui. Il est devenu néologue par nécessité ; & comment eût-il écrit sans néologisme ce traité sur le commerce des effets royaux, qui nous en a tant appris ? Voyez l’ag… dédié, ou fait pour être dédié à M. l’abbé d’Esp…

Le Courier de Paris : proclamé, digne de l’être : dès dix heures du matin, il vaut plus qu’un sou.

Le Courier de Paris dans les provinces : il va, & pourroit aller mieux en veillant à la main-d’œuvre. L’auteur donne toute son attention à un traité sur l’ostracisme auquel il travaille.

Le Courier de Madon : je n’en dis rien, je ne parle point mal des moribonds.

Le Courier national, politique et littéraire : national, je le veux bien ; politique, idem, puisque ces deux mots sont à la merci de qui veut s’en servir ; mais littéraire… je défie qu’on me dise pourquoi. Il n’y a pas de doute que quand on le restaurera, comme il a besoin de l’être & peut l’être, puisque l’auteur est une espece de restaurateur, on supprimera ce mot littéraire, dont les débitans, c’est-à-dire les colporteurs, ne se soucient gueres, & n’entendent point.

Le Courier François : il sue pour contenter ses abonnés & les colporteurs. Il ne ment que quand il est trompé, ce qui est très-probe de sa part ; s’il surnage, il se fera, & s’il se fait, il surnagera.

Le Courier de l’Escaut & le Courier de Brabant : s’ils n’ont point de réputation littéraire, ils acquerront au moins celle de véridiques, quand ils auront établi des correspondances dans les pays dont ils parlent. Les colporteurs se plaignent que le débit de ces papiers est dur, & qu’à cinq heures du soir ils ont éprouvé une baisse de 100 p. 100.

La Chronique de Paris : voyez le Modérateur, avec lequel on dit que ce journal va faire chambrée & cause commune. Ces feuilles associées, vivifiées & corroborées des facultés de leurs communs coopérateurs, ne peuvent manquer de réussir, parce que ce sont réellement des gens de mérite que ces coopérateurs ; mais il faut qu’ils évitent le travail en sous-œuvre, que le modérateur n’ait point des petites coleres, & que la chronique ou son auteur se persuade que le haut de la rue Saint-Jacques ne pense point comme le Palais-Royal.

Les Déjeuners, ou la vérité à bon marché : à bon marché !… point du tout, puisqu’on invite les gens, & qu’on les renvoie à jeûn. Si je voulois jouer sur les mots, ce qui ne m’arrive jamais, je dirois que les gens qui usent de ces déjeûners ne sont pas de ceux qui graissent le couteur ; car rien de plus maigre que ces chétifs déjeûners ; mais ils se vendront, ils sont aristocrates[20].

Nota. À l’instar de M. Galand, qui commençoit tous ses contes par ma sœur, si vous ne dormez point, &c. l’auteur des déjeûners commence les siens par mon bon peuple, &c.

La même cuisine a encore fourni de mauvais dîners, où les convives se battent en vain les flancs pour se faire rire, pour être plaisans, mais où ils ne sont que de plats rieurs. Vers la fin du repas, celui qui a rédigé ces dîners demande grace, avec raison, pour les insipides balivernes de ses compagnons de table, qui n’ont bavardé que comme des buveurs d’eau. Du Champagne, morbleu ! du Champagne, & l’on est patriote ! L’auteur, qui est comme Blaise, nous menace de ses quatre repas. Puisque les idées cuisinieres montent sa Minerve, je veux lui fournir un titre ; qu’il fasse l’indigestion politique. Cela viendra bien après ses repas.

Débats de l’assemblée nationale : c’est bien effectivement ce qui s’est débattu dans l’assemblée ; mais le journaliste rapporte les disputes comme un homme qui les a vues de loin. Il ne nous peint point le regard étincelant des contendans ; cette tension nerveuse de celui qui prépare son coup, la souplesse adroite de celui qui l’évite pour en porter un plus terrible peut-être. Je n’entends point le cliquetis des armes ; je n’entends point les huées qui honnissent le champion qui s’est mal défendu, ni les applaudissemens qui portent aux nues celui qui sort victorieux de l’arene. Ah ! je le vois ; les ils dirent, les ils répondirent ne parlent point à l’ame.

Diogene dans le tonneau : gai, mais peu connu ; son rire est quelquefois sardonnique.

Les fastes de la liberté : ce journal aura autant de succès que les fastes de la Grande-Bretagne. Même style, même maniere ; j’aime mieux cependant m’endormir en lisant les fastes de la liberté, que ceux de la Grande-Bretagne, parce que je rêve cocarde, district, municipalité, département, liberté de la presse, &c. &c. &c. Ce qu’il y a de singulier, c’est que je dois à l’avant-dernier numéro de ce journal d’avoir rêvé que j’étois maire ; je me réveillai même en disant : Marat je te pardonne.

Gazette de Paris : le nom du rédacteur de ce journal est inscrit dans l’Almanach des grands hommes, ouvrage dans lequel se trouve colligée, & inscrite, par une anticipation qui tient de la prophétie, la majeure partie de nos modernes Montesquieux.

Nota. Il ne faut pas confondre cette gazette de Paris avec celle de France, parce que toutes les deux elles s’appellent gazette, & que toutes les deux elles sont intéressantes ; mais l’une, la gazette de France, intéresse avec privilege & in-quarto, sans privilege & in-octavo. Voyez ce qu’on dit de la premiere, page 79. Il n’y aura bientôt plus rien dire de la derniere.

Gazette Nationale, &c. Voyez Moniteur.

Gazette nationale et étrangere. Ainsi que le journal des savans, elle n’imprime plus… Cette dénomination de gazette est-elle dont réprouvée ? car la gazette nationale étoit faite pour réussir ; la partie politique étoit d’un écrivain connu avantageusement par plusieurs ouvrages de poids. Sa théorie de l’éducation a balancé l’Emile, sur-tout par la fraîcheur des gravures & une dimension de dortoir qui est de main de maître. La partie littéraire étoit due à la plume qui a tracé cette fameuse lettre d’un capucin, qui a eu un rude succès dans son temps. L’auteur en outre a fait des esprits.

Gazette universelle ou de tous les jours… Elle va malgré son titre, & malgré son titre elle intéresse.

Journal universel, ou révolutions des Royaumes. Proclamé. L’article variétés est à la portée des proclamateurs. Le rédacteur, qui est citoyen-soldat, ce qui est sûrement la même chose que soldat-citoyen, possede à un degré peu commun l’art difficile de libeller le sommaire de son journal, ce qui épargne aux proclamateurs un travail d’esprit souvent pénible.

Journal général de la cour et de la ville, à l’usage des fauxbourgs. Les agens de change de la rue du Hurepoix[21] se chargent le moins possible de ce papier. Le rédacteur coopéroit ci-devant à une autre œuvre politique, qui étoit colportée avec autant de succès que les vaudevilles de M. Duchemin ; une rivalité de talens a mis de la zizanie entre M. G… & lui, & cette querelle nous a valu un journal de plus. Il n’y a pas un amateur de la belle littérature qui ne souhaite que MM. BB… & G… ne se réconcilient : nous aurions un journal de moins.

Journal de Versailles et de Paris. On le trouve au bureau des voitures de la cour.

Journal des réclamations. Aboyeur antipatriotique. Il se vend dans le Marais.

Journal des découvertes utiles. Il arrive souvent un peu tard. C’est dans la littérature ce qu’on appelle un ouvrage de fabrique. Ces sortes de livres se vendent ou plutôt se vendoient. La saison reviendra. Elle est même encore dans son beau pour les collections politiques[22].

Journal des constitutions : écrit en Gallois, par l’auteur des imprudences de la jeunesse, que Buisson croit avoir en François. Ce journal est extrait d’un excellent livre anglois qui lui-même est l’extrait d’un autre extrait.

Journal des établissements : utile jusqu’à présent à l’auteur & au public. Il restera.

Journal général de la police et des tribunaux : on y trouve d’excellents morceaux d’astronomie & un article de météorologie de M. de la Lande[23]. Je croyois que cet illustre savant, pour nous donner une idée de l’universalité de ses talens, s’en seroit tenu à ses neuf gros volumes de voyages en Italie, où sont inscrits avec exactitude les noms de toutes les auberges, & qu’il n’auroit point mis la main à la gazette dont il est question ici. D’après cette idée je présume encore que c’est le rédacteur qui emprunte le nom de cet homme célebre, comme il a emprunté celui d’un jeune académicien Basque, qui dans cette gazette dite de la police et & des tribunaux, donne des détails très-intéressans sur l’anneau de Saturne. Le public, assure-t-il, verra avec plaisir que l’espace VUIDE compris entre l’anneau & le globe de la planette est de 1,169,069,000 lieues quarrées.

Journal d’État et du citoyen : on n’en est encore qu’au prospectus de ce journal, malgré les prolixes numéros qu’en a publiés l’auteur, qui est déjà connue par des ouvrages de poids, elle s’empresse d’effacer ou d’égaler la réputation de la ci-devant fameuse madame Dacier, de soporifique mémoire.

Journal national, par M. Sabatier &c. Aussi national que véridique, aussi véridique qu’impartial ; il n’y a que cette derniere propriété qui lui soit commune avec les trois siecles que l’auteur a fait avec adjoint, comme il fait encore son journal. Sa plume qui est dans ses mains, ce qu’en Sicile est le stilet dans la main d’un bandito, travaille pour la clique aristocrate, & a des acheteurs, sur-tout depuis que les aristocrates, au lieu d’accaparer le bled, se sont emparé du numéraire. Ceux qui traitent directement & habituellement avec le Sabotier sont de cette famille nombreuse, dont j’ai déjà parlé dans un des premiers articles de ce dictionnaire.

Nota. L’auteur du journal national ne vit point au milieu de la nation. On assure qu’il est en terre étrangere, & fait bien. L’abbé Toi & lui, quels pendus cela auroit fait !

M. Desmoulins observe que le Sabotier est le seul scribler qui continue de braire contre l’assemblée nationale. Il n’y auroit qu’un moyen de le faire taire, je viens de l’indiquer.

Lettre à M. le Comte de B*** ; attribuées à M. de Luchet, pour faire piece à M. Duplain de Sainte-Albine ; elles se font lire.

Mémorial des États-Généraux : le titre est gothique ; ce journal est une petite feuille faite par un homme d’esprit, qui le réserve pour les intérêts de ses commettans.

Mémorial Politique et Littéraire : il n’est pas plus l’un qu’il n’est l’autre, & ne sera bientôt plus ni l’un ni l’autre. C’est un feuilleton qui n’est point manufacturé.

Le Modérateur : il remplit son titre, il est écrit dans le calme des passions, & le philosophe qui le rédige a plus que du sang froid : s’il se réunit à la chronique de Paris, ainsi que je l’ai dit, & qu’on me l’a assuré, ce journal ne perdra rien de ce sang froid. Le style ne sera pas absolument disparate, parce que l’auteur du Modérateur est un romancier, & que celui de la Chronique a envie de le devenir ; il y réussira s’il change de quartier & d’état. Voyez Chronique de Paris.

Le Moniteur : journal Patagon, il est plein & rempli, en prenant le premier mot au figuré & le second au propre. Feuilletons pigmées, semi-in-8°, comme ce journal vous couvre tous avec son in-folio, formidable ! comme il vous tu par son plein, quoiqu’il vous alimente par son rempli ! Vous ne serez plus quand il fera lui réellement, & s’il est une feuille qui survive à la foliomanie, ce sera le Moniteur. Les rédacteurs ont du talent & connoissent leur besogne ; l’entrepreneur qui les employe ne les tracasse point, il a même le bon esprit de ne mettre rien du sien dans son folio-carton, quoiqu’il soit homme de lettres.

Les nouvellistes du Palais Royal : par un garçon gaufrier, & à l’usage de son maître.

L’Observateur : je ne voudrois point qu’il fût proclamé, & cependant c’est le meilleur effet que les agens de change de la rue du Hurepoix négocient. Un aristocrate qui a mis la plume à la main, & n’y met jamais que la plume, a essayé en vain de rendre à l’Observateur une portion du ridicule que cet ami du peuple a versé & verse encore à pleines-mains sur la meute aristocratique.

Le fidele Observateur : titre parasite qui n’a réussi que dans les fauxbourgs ; les colporteurs ne se chargent de ce nouveau journal qu’à défaut de l’autre, & pour faire piece à leurs camarades. L’imprimeur-national qui fait gémir la presse pour ce feuilleton est donc bien affamé de maculatures !

Le Patriote François : rédigé par un patriote estimé qui joint à l’exactitude les graces du style.

Le Patriote incorruptible : la différence de celui-ci au précédent est, que le Patriote françois se vend à la douzaine, & le patriote incorruptible à la rame.

Le Point du Jour : il iroit, si l’aurore de ce beau jour n’arrivoit pas un peu tard, si l’auteur donnoit un peu plus de levain à sa pâte ; mais cet ouvrage n’est que secondaire, une besogne plus sérieuse appelle ailleurs M. B… de V…

Les Révolutions de Paris : dites Prud’homme. C’est le livre rouge où sont consignées toutes les manœuvre aristocratiques des différentes castes aristocrates, nées avant ou après l’ere de la révolution : cet ouvrage a un débit étonnant, & le mérite, même depui le fameux schisme.

Les Révolutions de Paris, dites Tournon : dans l’ancien régime, M. Tournon eût réveillé le procès de M. Luneau de Bois-Germain, que les libraires vouloient ruiner, mais à qui il a fait subir la peine du talion, par son cours d’histoire universelle. Dans le nouveau régime, M. Tournon s’est fait justice lui-même, & nous avons eu deux révolutions de Paris qui n’ont de commun que le costume, car la manufacture Tournon ne procede pas comme la manufacture Prud’homme ; cette dernier a conservé la priorité & la majorité.

Les Révolutions de France et de Brabant : ce journal prendra. M. Camille Desmoulins est un charmant démocrate, qui, il est vrai, appelle un chat un chat, & Favras un vil traître ; mais il a du ton, il a du feu ; il ne dit point de grosses injures, sur-tout quand il se sera défait de ce mot trivial de calotins qu’il supprimera sans doute, s’il se rappelle l’expression de M. l’abbé de Montesquiou qu’il cite en l’admirant, pag. 439, de son no 28. Il y a dans ce journal des plaisanteries vraiment originales, & j’ai fait vœu d’être un des fideles abonnés de M. Camille Desmoulins, à la lecture de ce vers :

La lanterne est en croupe & galope avec lui.

C’est lorsqu’il peint M. Mounier fuyant en Jockey la terrible lanterne, qui suit ce député jusqu’en Dauphiné. Nouvel Oreste, l’infortuné Mounier croit voir à chaque poste l’implacable falot prêt à le saisir.

Le Rodeur : il imite le Rambler[24], comme les Délassemens comiques les comédiens François.

Les Sottises de la Semaine : on a mis du luxe typographique dans cette feuille ; elle est la seule qui paroisse avec le portrait de l’auteur ; cependant, c’est une rapsodie aristocrate qui seroit dangereuse, si elle pouvoir soutenir la lecture. La plus grande sottise que puisse faire l’auteur rapsode de ce feuilleton est de le continuer.

Le Solitaire des Thuileries : bon pour ce jardin quand il y avoit des ifs.

Le Spectateur National : un pamphlet aristocrate a dit que ce n’étoit pas celui d’Adisson, & je dis, moi, qu’il est des numéros de ce journal qu’Adisson seroit bien-aise d’avoir faits.

La Veillée Villageoise : à l’usage des laitieres ; dédiées à celle des municipalités de Ris, qui restera en exercice ; l’auteur qu’on m’a dit être un agriculteur de nos fauxbourgs, a des vues & des principes ; il est toujours à la portée de ses lecteurs.

Le Vengeur : ce n’est pas celui qu’invoque Didon ; le redresseur de torts qui prend ce titre n’attaque que des moulins à vent, & les attaque en homme a peur. Quand on se proclame le vengeur des opprimés, il faut avoir du nerf pour les défendre, & celui dont il est question ici n’est qu’une caillette qui crie au secours.

Le Véridique : passable dans deux ou trois numéros, inlisible dans les autres.

L’Union : ce journal égale le Moniteur en format, dont ne connoît l’inconvénient qu’au toucher, & qui disparoît quand on les a lus. L’Union, comme le Moniteur, prendre de la consistance, & deviendra un papier qu’on recherchera bientôt avec empressement, mais il faut que l’Union donne des nouvelles de plus fraîches dates.

JOURNALISTE : on a reproché aux anciens journalistes & à quelques nouveaux d’être aristocrates : nous écrivons pour vendre nos papiers qui nous font vivre, ont répondu les foliographes ; or, nos abonnés & nos meilleures pratiques étant aristocrates, nous manufacturons en conséquence ; si la patrie veut nous nourrir, demain nous serons démocrates, parce que, s’il est beau de parler en homme libre, il n’est moins beau de dîner.

JUGES DE PAIX : ce sont, en Angleterre, des officiers nommés par le roi pour maintenir le bon ordre & la paix dans les bourgs & bourgades. Dans leurs assemblées de quartier ils jugent les causes civiles de leur district, & les criminelles lorsqu’elles ne sont point capitales. Un juge de paix a le pouvoir d’envoyer en prison celui qui, sur le serment de plusieurs personnes, s’est rendu coupable de quelque crime.

Lors de la nouvelle organisation du code judiciaire, nos bourgs & nos villages auront des juges de paix. Eh qu’ils nous viennent donc ces juges de paix dont nous avons tant besoin, disoit un aristocrate, le jour qu’on proposa ce plan ! s’ils eussent existé il y a un mois j’aurois encore mon château.

JURÉS : dans l’ancien régime, on entendoit par Jurés les officiers d’une communauté de marchands, qui couroient sus, ou saisissoient les malheureux chambrelans qui croyoient que, pour faite habit, veste & culotte, il ne s’agissoit que de prendre mesure & couper en conséquence ; mais qui, douloureusement trompés, perdoient par la saisie l’étoffe qui ne leur appartenoit pas, & à laquelle ils alloient faire prendre des formes plus proportionnés, peut-être, que n’auroient fait les saisissans. Cette tyrannie n’est plus, les gens à maîtrise qui ont payé des droits vont cesser d’en payer, parce qu’il n’y aura plus de maîtrise ; qui saura coudre, coudra ; qui chauffer, chauffera ; qui poudrer, poudrera ; le chaircuitier même, qui ne vendoit les œuvres de Car. que parce qu’elles enveloppoient son petit-salé, pourra les rendre à leur forme primitive, les vendre en livre, ou, en cas de non-débit, les rapporter à son petit-salé, & le gouvernement ne viendra pas contrarier toutes ses spéculations industrieuses.

Les jurés dont il est question dans le nouveau régime sont d’une espece toute différente ; ils seront aussi bien vu du peuple que les autres lui étoient en horreur ; ce seront des juges populaires dont les anglois nous ont donné l’idée. Chez eux on appelle jurés douze ou vingt-quatre hommes, qui s’engagent par serment à vérifier une accusation de fait, sur les preuves qu’on leur fournit. Le juré doit être du même rang que l’accusé ; si celui-ci est étranger, il peut demander que la moitié des jurés soient étranger & la moitié anglois. On en nomme alors trente-six, sur lesquels il en choisit douze à son gré, qui doivent unanimement le déclarer innocent ou coupable ; c’est d’après leur rapport que le juge prononce la sentence qui est réglée par la loi. bonnes gens qu’on traînoit de tribunaux en tribunaux, voilà les jurés que le nouveau code vous promet.

L.

LANTERNE : depuis la révolution & le jour même qu’elle s’opéra, ce mot reçut une acception donc nos ancêtre ne l’auroient jamais cru susceptible ; nous la connoissons tous trop bien pour la commenter. Je remarquerai seulement qu’on ne l’employer que dans ces façons de parler : mettre à la lanterne, digne de la lanterne, fuir la lanterne. Ainsi on dira bien, M. de Launay est le premier qui ait été mis à la lanterne. Le bonze Urima est digne de la lanterne, & Roumein fuit en vain la lanterne.

LANTERNER : verbe actif. C’est la même chose que mettre à la lanterne. Il n’est en usage que dans le haut style.

LÉGISLATION, LÉGISLATEURS, LÉGISLATURE : on appelle objets de législation ceux qui concernent l’organisation ou la confection des loix. Écrire sur la législation, c’est écrire sur ces matieres. Le dictionnaire de l’académie définit le mot de législation le droit de faire des loix ; & en ce sens, il dit : la législation en France n’appartient qu’au Souverain ; cette assertion gothique qui sent bien la pension, sera émendée par les académiciens impensionnés & patriotes, qui travailleront à la prochaine édition de ce dictionnaire, lors de la refonte universelle de presque tous nos livres.

Législateurs : sont ceux qui font les loix, & législature, désigne le temps, l’époque déterminée que le corps des législateurs reste en activité. Aussi l’on dit, la législature présente travaille à une constitution qui fera l’admiration des législatures qui viendront après elle. La législature présente : c’est notre assemblée nationale actuelle. Et les législatures qui admireront, les assemblées nationales qui doivent lui succéder.

LESE : usité seulement dans ces expressions : crime de lese-majesté, crime de lese-nation.

Avant la révolution, on ne connoissoit que le crime de lese-majesté, divine ou humaine.

De lese-majesté divine, quans on se rendoit criminel envers Dieu, soit en le blasphémant, soit en profanant les vases sacrées, &c.

De lese-majesté humaine, au premier chef, quand on attentoit à la vie du prince. De lese-majesté humaine, au second chef, quand on blasphêmoit contre les ministres, ou leur réputation, ou celle des Vestales qui leur étoient attachées. Ce dernier attentat étoit le plus souvent puni aussi rigoureusement que le crime de lese-majesté au premier chef. La différence n’étoit pas dans le supplice, mais dans le lieu & l’exécuteur. La Bastille étoit ce lieu, & de Launay, cet exécuteur.

Depuis que la nation s’est réhabilitée, on a connu du crime de lese-nation au premier & second chef.

On est criminel de lese-nation au premier chef, quand on trame contre cette nation quelque complot ou conjuration, ou qu’on se charge d’en être l’exécuteur. D’après cette définition, il est évident que le général Victor est criminel de lese-nation, que Lambesc est criminel de lese-nation, qu’on doit les punir comme tels, eux, leurs fauteurs & adhérens, donc, donc, &c. Mais pour parvenir à donner à la nation cette satisfaction, il falloit suivre d’autres erremens, & ne pas la forcer, pour ainsi dire, à recouric elle-même à la lanterne, ou de rester invengée. Il ne falloit pas aller demander à Pierre & à Guillot si tel ou tel ordre étoit émané du prince, parce que Pierre, ni Guillot n’approchoient pas même le dernier des dix corridors à traverser pour arriver à la salle du conseil. C’étoit au prince lui-même qui falloit s’adresser, il eût dit franchement la vérité, parce que franhise & vérité sont dans son caractere. D’après ce témoignage auguste, l’accusé qui eût été absous étoit réintégré dans l’opinion publique, qui est le tribunal souverain, qui connoît en dernier ressort des crimes de lese-nation.

On est criminel de lese-nation au second chef, quand on quitte un poste glorieux qu’on a obtenu, je ne sais comment ni pourquoi, pour aller semer la division dans les provinces & armer le frere contre le frere. Il y a encore felonie envers la nation quand on fait des motions insidieuses ou perfides, qui tendre à répandre l’esprit de discorde. Il y a encore felonie… Mais je n’aurois jamais fini, si je les articulois toutes. Que les aristo-félons mettent la main sur leur conscience, elle leur en fera l’énumération ; car la conscience des impartiaux est dans doute impartiale aussi.

LETTRE AU RÉDACTEUR : ruse de journaliste, que les nouveaux folliculaires ont usée à un tel point que personne n’en est plus la dupe. Un journaliste est-il à court de phrases pour combler la membrure de sa feuille ; aussi-tôt il fait intervenir un soporifique correspondant, qui vous le gratifie d’une lettre d’une mortelle page & quelquefois plus, quand ce journaliste est sans conscience. La lettre exige une réponse, souvent même plusieurs, & le journal se remplis, mais il est des abonnés difficiles qui veulent le plein & non le rempli ; & qui lorsque les lettres se multiplient, retirent ou cessent leur abonnement. L’expérience apprend que l’usage fréquent de lettre au rédacteur est dans un journal un symptôme évident de caducité.

LIBELLE : il vient de libellus, qui veut dire en latin petit livre, c’est presque toujours moins en françois. Dans l’ancien régime, l’homme assez ennemi de sa liberté pour coucher par écrit les turpitudes d’un ministre, d’un homme puissant ou de leurs maîtresses, étoit appellé un faiseur de libelles, & son œuvre une libelle séditieux, parce qu’alors on ne pensoit point encore au mot incendiaire, qui, chez les républicains, est le synonyme de séditieux. Auteur, imprimeur, libraire, colporteurs, tout ce qui avoit contribué à la publicité de l’œuvre inique, étoient jettés dans les cachots de la Bastille, d’où ils ne sortoient, en cas qu’ils sortissent, que quand l’homme aux turpitudes avoit enfin fait la culbute. L’ancien régime avoit tout exprès une meute, rue des Capucines, pour relancer les faiseurs de libelles & fauteurs d’iceux. Le capitaine d’équipage qui lâchoit cette meute étoit un certain d’H…, un vrai Nembrod, qui cependant faisoit grace aux libelles qui n’étoient que contre Dieu ou la révélation, moyennant quelques exemplaires qu’on vendoit à son profit : c’étoit ce qu’il appelloit la curée.

Dans le nouveau régime, le sens du mot libelle n’est pas aussi déterminé que dans l’ancien. Les aristocrates appellent libelles les Révolutions de Paris dites Prud’homme, les Révolutions de France de M. Camille du Moulin, l’Observateur, & quelques autres écrits en faveur de la liberté. Nous autres citoyens nous appellons libelles, les Actes des apôtres, l’écrit intitulé Ouvrez les yeux, les Déjeûners & les Dîners, qui ne méritent point cette qualification, parce qu’il n’est pas possible de les lire, &c. &c. Le Pacificrate dit : « il n’y a de vrai libelle que celui qui peut armer le frere contre le frere. Je lis de sang-froid tous ces chiffons, je ris rarement, je gémis souvent, & m’endors presque toujours ».

LIBERTÉ : dans l’ancien régime ce mot ne signifioit rien de ce qu’il signifie aujourd’hui qu’il est devenu le cri de la nation ; il désigne ce droit précieux que nature accorde à tous les hommes, quand nature ne trouve point sur son chemin des ministres qui ont des bastilles, & des bastilles qui ont des de Launay. Nous venons enfin de remplir le vœu de cette bonne nature que nous n’avions jamais si bien connu, & qui nous menera loin. Nous avons enfin conquis ce droit imprescriptible d’être libres[25]. Sachons le conserver, & pour en sentir le prix, ne confondons point la liberté avec la licence ; n’écoutons point ces démagogues qui nous crient qu’elle est la faculté de faire tout ce qu’on est en pouvoir de faire. La liberté qu’ils prêchent est celle d’un cannibale isolé. Un peuple libre est celui qui vit sous l’autorité des loix, bonnes ou convenables, qu’il s’est données lui-même ou par ses représentans. Où il n’y a point d’ordre, il n’y a point de liberté. C’est de l’obéissance aux loix que nous avons consenties qu’émane cet ordre qui seul peut ramener la confiance…, cette confiance que nous n’avons plus dans le moment même que nous nous traitons de freres, & que nous nous embrassons. Ah ! s’il en étoit autrement, nous embrasserions-nous armés d’un cimeterre & coiffés d’un énorme bonnet ? Non ; jettons au loin la hache & ceignons l’olivier de la paix. François qu’on nommoit avec distinction dans l’Europe lorsque vous étiez ministériés… soyez unis, & vous en serez le premier peuple…

LISTE CIVILE : cette expression nous vient de l’Anglois, peuple qui administre lui-même ses finances, & feroit la plus haute sottise de les confier à des mains ministérielles qui, à la dette nationale, déjà d’un rayon de chiffre assez honnête, ajouteroient encore celle de leur maître & les leurs, car les ministres ne s’oublient jamais. Liste civile donc, chez les anglois, désigne la somme qu’ils allouent au monarque pour l’entretien de sa maison.

Comme nous allons devenir aussi les administrateurs de nos finances, & qu’il est instant que nous les devenions pour n’avoir pas un rayon pareil à celui de nos freres les Anglois, les représentans de la nation ont assigné au roi 20 millions pour sa liste civile. Louis XVI, le bon roi Louis XVI a trouvé la somme trop forte. Dans les circonstances présentes, a dit ce prince digne de régner sur une nation libre, je n’ai d’autre désir que celui de voir mes peuples soulagés. Il n’en a pas été ainsi des innombrables commensaux de Sa Majesté, ils ont crié à la pénurie, ce n’a été qu’une voix. On a assuré même, ce que je n’assure pourtant pas, que MM. du vol avoient fait à ce sujet un mémoire rempli d’observations aussi judicieuses qu’économiques, & que le rédacteur de cet écrit étoit M. l’abbé … précepteur de la Vénerie.

LIVRE ROUGE : livre fameux & apochryphe qui, dit-on, contenoit du tems des anciens ministres les dépenses & les pensions faites pour des raisons qu’ils devoient taire. Livre que nos représentans ont la bonhommie de demander, & qu’on n’aura pas le front de leur communiquer. Que de gentillesses ils y verroient ! Dans les articles de dépenses par exemple on liroit tant pour 4 voyages faits en Angleterre à différentes époques, & si la vergogne n’empêchoit point d’en évidencier les motifs, on riroit aux larmes, sur-tout en entendant parler de celui qui a été fait par Figaro.

On y verroit aussi que les anciens ministres aimoient les lettres & achetoient des manuscrits, chez l’étrgner s’entend, parce qu’ils avoient une maniere à eux de se les procurer en France. Cet article se liroit à haute voir jusqu’à un certain point.

LOI MARTIALE : elle nous vient encore d’Angleterre : les Anglois l’ont puisée dans le code de Dracon. François, on l’a promulguée cette loi ! Vous la connoissez, je ne vous en parlerai pas ; puissiez-vous n’en entendre jamais parler ! & si vous vous méfiez des démagogues, mon vœu sera exaucé. L’esprit de sédition n’est pas le vôtre. Vous avez fait des vaudevilles pendant des siecles, & il ne vous est arrivé de lanterner que deux ou trois petites fois.

M.

MAJORITÉ : Voyez épreuve par assis & levé.

MAIRE : dans les premiers siecles de notre monarchie, il y eut des maires du Palais, qu’il ne faut pas confondre avec nos ci-devant maires de Ville. Le maire du palais étoit le ministre & le général-né de l’état ; il étoit le tuteur des rois, en bas-âge ou hors d’âge ; il finit par dépouiller son pupille & à se faire roi lui-même. Le maire de Ville, qu’on appelloit à Paris M. le prévôt des Marchands, étoit avant la révolution celui qui étoit à la tête des échevins ou officiers municipaux dont la fonction se bornoit alors, à peu de chose près, à ordonner les feux d’artifices, les illuminations, les processions, & les renditions de pain béni, &c. &c. &c. Le maire de Ville aujourd’hui est le premier magistrat d’une ville, il en a le gouvernement civil, & sa charge est aussi considérable que celle des ci-devant maires de ville l’étoit peu. La mairie est une dignité élective ici comme à Londres & chez tous les peuples libres, où l’on n’est point telle ou telle chose, parce qu’il est dit, dans l’extrait baptistaire du titulaire, que son pere étoit telle ou telle chose, & que le fils doit être ce que le pere étoit.

À Londres M. le maire est appellé Lord-maire ; je ne sais pourquoi nous n’empruntons point aussi cette dénomination des Anglois, puisque nous sommes en train de leur en emprunter tant d’autres ?

MÉDAILLE PATRIOTIQUE : elle est portée par les ci-devant gardes-françoises & les braves citoyens qui ont été leurs compagnons d’armes à la prise de la Bastille, & dans toutes les occasions périlleuses où cette milice intrépide s’est trouvée. Cet ordre, qui est vraiment l’ordre civique, est le seul en France qui ait des chevalieres. Les principales d’entre les héroïnes qui ont été à Versailles le 6 octobre, en ont été justement décorées. Le civisme parmi les François ne connoît pas de sexe.

MEMBRE : un honorable membre, l’honorable membre ; c’est ainsi qu’on désigne à l’assemblée nationale & dans les districts un membre de l’assemblée dont on parle ou à qui l’on parle. Le mot de vénérable s’emploie aussi avec le substantif membre, par les individus d’une nombreuse corporation qui est en possession immémoriale de jouir du titre de vénérable.

MILICE : milice nationale, corps illustre à qui nous devons notre liberté, & qui, dès les premiers momens de son institution, s’est montré ce qu’il étoit ; ce corps sera sans doute le plus formidable de l’univers, puisqu’il offre 600,000 citoyens armés & prêts à voler au secours de la patrie en danger, & contre l’ennemi assez téméraire pour oser attaquer nos foyers. L’aristocratie, dont la milice nationale a abattu les mille têtes, a cherché à jetter du ridicule sur le tour gauche, dit-elle, de ces soldats-bourgeois ; (car l’aristocrate ne dit jamais soldat-citoyen) eh bien ! ces soldats-bourgeois, qu’on ne tourne en ridicule qu’en secret ou de loin, ils ont su vous faire connoître leurs droits, ils sauront encore vous les faire respecter.

MINORITÉ. Voyez épreuve par assis & levé.

MODE : dans l’ancien régime, où l’on ne s’occupoit que de superfluités, c’étoit la mode, & les modes françoises étoient les modes de l’univers. On en raffoloit même à Vienne, à Berlin, à Madrid, à Naples, à Turin sur-tout, &c., &c. Aujourd’hui que nous avons brisé les pompons, & que sur les pots à rouge on lit végétal national, au lieu de la mode nous disons le mode, un mode de gouvernement, fixer un mode pour la perception de tel impôt, &c. Mode alors signifie systême, méthode ; il pourra prendre ici, mais on désespere de l’exporter, parce que Vienne qui veut la mode, ne se soucie point du mode ; que les princes Allemands ont tellement en horreur le mode françois, qu’ils ont formé différens cordons pour en empêcher l’introduction dans leurs pays ; qu’à Madrid l’inquisition a juré de le brûler ; qu’à Naples on prie Saint-Janvier de le conjurer, & qu’à Turin on s’est promis de le jetter par les fenêtres. À Londres seulement il est bien venu, & s’il parvient à Philadelphie, les modistes seront Cincinnatus.

MOTION : mot encore emprunté de l’Anglois. Il signifie une proposition faite par un honorable membre, soit à l’assemblée nationale, soit à celle de la commune ou dans les districts. Il y a aussi les fameuses motions du Palais, faites le plus souvent au céfé de Foy. Dans les premiers instans de la révolution, où l’on étoit enivré de liberté, on motionnoit jour & nuit dans ce forum républicain, d’où sont partis, pour s’armer & soutenir la bonne cause, des hommes courageux qui auroient pris la Bastille, quand elle auroit été vingt fois plus Bastille qu’elle n’étoit.

Faire une motion, c’est la mettre en avant pour être discutés, & ensuite admise ou rejettée. Il y a des motions qui ont été reçues avec transport, & d’autres qui ont été rejettées avec un improbation désespérante pour le motionnaire : cependant les gens qui hantent les tribunes remarquent dans ces occasions quel est le côté désapprobant, & sur ce, assoient leur jugement. Une motion porte le nom de celui qui l’a faite, & quand il y renonce ou qu’il s’en désiste, on dit : M. un tel a retiré sa motion.

Ajourner une motion. Voyez Ajourner.

On a remarqué qu’à l’assemblée nationale & dans les districts, ce sont presque toujours les mêmes honorables membres qui font les motions ; c’est que la nature les a organisés ad hoc, & qu’ils font usage des dons de la nature. Cependant ce ne sont pas ces orateurs-nés que nous devons le plus admirer, mais ceux qui courent la même carriere sans avoir reçu de la nature autre chose que des poulmons, & qui, modernes Démosthenes, ont vaincu cette marâtre & parlent malgré elle. Le patriotisme & la liberté, dont les efforts sont incalculables, ont fait aussi des miracles, & tel négociant, qui, sous l’ancien régime savoit à peine faire une facture ou parler à ses garçons, rédige aujourd’hui des adresses ; monte en chaire ou à la tribune, & pérore aussi longuement & avec autant d’aisance que le plus habile septheurier[26].

MUNICIPALITÉ : mot que nous avons fait depuis la révolution, sans le secours des Anglois ; il signifie & signifiera dans la nouvelle division de la France, le corps des magistrats élus par une ville pour veiller à ses intérêts & à sa police ; pour la gouverner enfin, même dans les plus petits détails. Municipalité, signifiera aussi la jurisdiction, l’exercice des magistrats municipaux ; ainsi l’on dira la municipalité ordonne ; tel ou tel village dépend de telle municipalité.

MUNICIPAUX : magistrats qui composent la municipalité. Voyez Maire.

N.

NATION : dans l’ancien régime c’étoit un terme de géographie ou de phrasier lorsqu’il travailloit en grand ; car il n’étoit jamais entré dans la tête d’un écrivain qui étoit au courant d’aller parler du bien de la nation, de l’intérêt de la nation, du service de la nation, du trésor de la nation, &c., &c. Et certes, avant le 17 juillet 1789, il n’y avoit jamais eu de Parisien qui se fût avisé de crier vive la nation en voyant passer les grands carrosses à huit chevaux, qui venoient de temps en temps au palais. Mais, comme je ne cesserai de le répéter avec M. le Court de Gebelin, les langues se modifient & prennent le caractere des peuples ; ainsi nation a signifié tout parmi nous, dès l’instant que nous avons été réellement une nation. Ces expressions vagues de bien de l’état, intérêt de l’état, servir l’état, ont été honnies ou abandonnées à certains gazetiers qui ont encore toutes les peines du monde à se faire à l’idiôme national.

NATIONAL : adjectif qui qualifie tout ce qui appartient à la nation, or, tout appartient à la nation, dont tout est national. Aussi depuis la révolution notre maniere d’être physique & morale est devenue entiérement nationale ; notre costume, depuis la cocarde jusqu’aux boucles, est national ; rien ne paroît sur la toilette de nos dames qui ne soit national ; chapeau national, ceinture nationale, jusqu’au rouge est national. Notre façon de penser, Dieu sait comme elle est nationale ! & nos écrits sont comme nos pensées, sur-tout depuis que nous pouvons transmettre celles-ci à l’impression telles qu’elles sortent de notre Minerve, sans l’intervention d’un juré-penseur, que l’ancien régime désignoit sous le nom de censeur-royal.

Notre législation est & sera toute nationale. C’est l’assemblée nationale qui va nommer la haute-cour nationale, &c.

Il est vrai que dans l’ancien régime on disoit troupes nationales ; mais ce n’étoit pas dans le même sens que nous disons milices nationales, j’en donne pour preuve l’emploi que cet ancien régime vouloit faire de ces troupes lorsqu’il les faisoit camper innationalement dans les environs de Saint-Cloud & de l’Orangerie.

NOBLESSE : la noblesse dans l’ancien régime avoit d’abord été le premier corps de l’état, elle en étoit devenu le second pour avoir humblement cédé la primauté au clergé, qui s’en accommodoit assez bien, quand cette maudite révolution est venue confondre les premiers avec les seconds, les seconds avec les premiers, & le tout avec ceux qu’ils ne comptoient pour rien. La noblesse s’estimoit une caste pure & distincte d’une autre caste qu’elle appelloit noblement les vilains ou roturiers. Cette pureté de linage, la noblesse l’établissoit malgré les entures frauduleuses de nombreux beaux vilains qui avoient osé élever leurs pensées vers leurs hautes & puissantes dames.

De cette souche auguste, greffée de tant de manieres, sortoient une multitude de branches dont les vieilles étoient les plus estimées ; mais il étoit facile de les confondre avec les jeunes, lorsque celles-ci étoient parvenues à se couvrir d’une écorce qui est souvent pareilles à celle des vieilles branches. La Roque, qui a écrit un épais volume sur ces branches, les nomme toutes avec une patience digne du temps où il écrivoit. « Il y a de ces branches, dit-il, qui n’ont que l’écorce, mais qui, toutes grêles qu’elles sont, n’en élevent pas moins leurs tiges à une hauteur incroyable. Les branches appellées gentilhommieres, continue cet auteur (qu’on va me permettre de copier pour un instant) ont une particularité singuliere, c’est que leur écorce ressemble parfaitement à du vieux parchemin, & que le blerau, qui est une espece de rat, en est très-friand. Au pied de la souche s’élevent de grosses branches fongueuses, qui tiennent du champignon & croissent de même. Les naturalistes ne sont point d’accord sur leur vrai nom. D’Hosier, qui a traité plus particuliérement de cette famille, la nomme noblesse-financiere. Feu M. Cherin, qui a laissé tous ses talens à M. Cherin fils, ne la désignoit pas autrement que par noblesse-vénale. Quoi qu’il en soit, cette branche parasite est très-charnue & attire à elle toute la seve de sa souche ; elle s’éleve même en froissant les branches gentilhommieres, & mêle ses tiges aux tiges desséchées des vieilles branches, &c., &c. »

Ce morceau d’histoire naturelle de la Roque est très-intéressant, & mériteroit d’être lu en entier dans l’auteur, si l’on n’étoit pas occupé entiérement par les 83 journaux qui paroissent tous les jours ou au moins deux fois par semaine.

En passant de l’histoire naturelle à l’histoire féodale, je remarque que dans l’ancien régime la noblesse avoit ce qu’on appelloit alors des privileges ; c’est-à-dire, que s’il y avoit des oiseaux dans les airs, c’étoit elle qui les mangeoit ; que s’il y avoit des poissons dans les eaux, c’étoit elle qui les mangeoit ; qu’elle mangeoit encore les nombreux quadrupedes qu’Adam avoit pris tant de peine à nommer, & le vilain qui osoit y toucher étoit livré à l’infamie & réduit au pain de douleur… Mais tout cela n’est plus ; aux vains noms dont la Roque qualifioit la noblesse, on a substitué celui de noblesse-citoyenne. Ce qu’elle mangeoit seule nous le mangerons avec elle, nous le partagerons en freres & nous lui offrirons même d’en jouir seule, si elle oublie les lentilles d’Esaü.

NOTABLES : on désigne par ce nom ceux qui, du ministere glorieux & pécunieux de M. de Calonne, furent choisis par ce ministre, non pour lui jouer le tour qu’ils lui ont joué, mais pour faire niche à certains corps dont je ne parlerai point, parce que M. de Montesquiou a dit qu’on devoit des ménagemens aux agonisans.

On a encore appellé notables ceux qui, avant la convocation des états-généraux, vinrent en essayer la répétion. Ces seconds notables s’en furent comme ils étoient venus, ainsi que le dit assez naïvement la chanson faite à leur sujet, sur l’air du povero Calpighi.

Notables-Adjoints : l’assemblée nationale ayant décrété que les juges qui instruiroient des crimes de leze-nation le seroient en présence de notables-adjoints, chaque district a élu deux citoyens qui remplissent cette fonction honorable au gré du public qui s’empresse aussi d’assister aux instructions criminelles, & manifeste souvent son opinion qu’on ne lui demande pas ; cependant vox populi, vox Dei.

NUMÉRAIRE : le numéraire : mot collectif, qui exprime le montant des especes d’or ou d’argent mises en circulation. Ce mot a été inséré dans ce dictionnaire, parce que les papiers publics l’ont mis en vogue dès l’instant que les aristocrates, au lieu d’accaparer le bled qu’on se procuroit malgré eux pour de l’argent, ont accaparé cet argent qui empêchera d’avoir du bled. Ce boulanger, que nagueres on forçoit de cuire, parce qu’on le payoit, va briser son four, parce que le fermier, d’une part, ne veut point de ses billets ; & que de l’autre, il ne peut vous donner son pain si vous ne le payez pas. Cet état est terrible… Je n’accuse personne… mais quel que soit l’accapareur de nos écus, il est pendable, ou nul scélérat ne le fut.

O.

OPINANT : c’est, à l’assemblée nationale, à la commune, dans les districts, au café de Foy, &c. &c. &c., celui qui, investi de la parole, expose son opinion ou une opinion quelconque qu’il donne pour sienne. Quand l’opinant est de l’avis du préopinant, c’est-à-dire, de celui qui a opiné avant lui, les choses vont le mieux du monde. Dans le cas contraire, le choc des opinions amene souvent quelques aménités oratoires qui font perdre la gravité aux tribunes. Quelquefois même ce choc est terrible ; c’est Entelle qui se saisit du gantelet pour combattre Darès ; opinant, préopinant, bientôt les voilà aux prises ; comme ils sont animés ! quel coup ils se portent ! ô patriotisme !… Ce ne sont plus des hommes… Qu’en as-tu fait ? ces géans de la fable qui se jettoient des montagnes à la tête !… Eh bien, ce n’étoient que des pygmées, vois ceux-ci ; ils se lancent des provinces… Comme elles se confondent dans leur chûte !… Chose incroyable, au milieu de ces fracas, un simple instrument rural, que le pacifique bélier porte au cou & agite en marchand, une sonnette rétablit le calme ! On dépose les gantelets, on s’entend ; & si-tôt qu’on s’entend, on s’embrasse. Les François n’ont point de fiel, & rarement ces coleres durent au-delà de la séance. Si cependant il arrivoit qu’il y eût de la rancune, & que l’opinant défiât le préopinant, ou celui-ci l’opinant, on en vient aux mains, mais la terre n’est point ensanglantée, & le génie de la France qui veille sur les opinans comme sur les préopinans, ne petmet que de légeres blessures. Voici quelles en sont les suites ; le Ferité[27] en est quitte pour garder son bonnet de nuit environ quarante-huit heures, pendant lesquelles les journaux ou ceux qui les vociferent lui font recevoir deux, trois, quatre coups d’épée, l’enterrent même ; on est inquiet d’abord, mais M. le président, qui est au courant, lâche un mot de fluxion sur l’œil ou vessicatoire. Il rassure, on se tranquillise, & le vessicatorié reparoît ; s’est est du côté droit, on l’embrasse, s’il est du côté gauche, on rit avec lui, & tout finit comme l’a dit ce drôle de Figaro.

OPINER : dire son avis, manifester son opinion dans une assemblée. Pour opiner avec succès, il s’agit moins d’avoir raison que d’être fortement empulmoné. Voyez Motion.

ORDRE : il se disoit autrefois des corps qui composoient l’état[28], depuis que l’état est la nation, celle-ci n’a plus qu’un ordre, celui de citoyen.

Le premier de nos citoyens, celui qui a voulu le bien & au nom duquel des incitoyens ont voulu faire tant de mal, Louis XVI a senti vivement combien cette différence d’ordre, ces hiérarchies privilégiées étoient nuisibles à la chose publique & à son rouage. « Un jour, dit-il dans son discours du 4, qu’on doit réciter comme l’oraison dominicale, un jour, j’aime à le croire, tous les François indistinctement reconnoîtront l’avantage de l’entiere suppression des différences d’ordres… Et chacun doit voir sans peine que, pour être appellé dorénavant à servir l’état de quelque maniere, il suffira de s’être rendu remarquable par ses talens ou ses vertus ». Eh ! sire, c’étoit justement ce que ne vouloit pas la caste à extrait baptisfere. La haute naissance supposoit les talens ; quant aux vertus… Ah ! sire, vous n’y pensez pas… elles venoient quand elles pouvoient.

Ordre du jour : c’est le travail que s’est proposé pour tel ou tel jour l’assemblée nationale ou celles des districts ; car ce que font les représentans de la nation, les portioncules de la nation le font aussi. C’est la derniere fois que je fais cette remarque.

À l’ordre, espèce d’interjection admonitive par laquell on impose silence à l’orateur inconsidéré ou despectueux. Elle sert encore à rappeller l’attention de l’auditoire, lorsque les co-parlans sont en trop grand nombre & obstruent les rayons auditifs de la salle.

ORGANISATION, ORGANISER : l’organisation d’un corps est la maniere dont il est organisé ; & l’organiser, c’est le former, le disposer de façon qu’il puise agir conformément aux vues que la puissance organisante s’est proposées. Le dictionnaire e l’académie, qui paroît écrit du temps de Colbert ou du pere la Chaise, avance au mot organiser, qu’il n’y a que l’auteur de la nature qui puisse organiser un corps. Les académiciens d’aujourd’hui, dont la plupart sont honorables membres, savent bien qu’il n’y a pas un district, même de fauxbourg, qui n’organise, ou ne contrinue par quelque puissante motion à l’organisation, soit d’un corps-de-garde, soit d’un comité ou de quelqu’institution patriotique, &c.

P.

PAPIER-MONNOIE : tout le monde sait ce que c’est ; nos peres nous l’ont appris ; quelques vieillards pleurent encore lorsqu’ils en parlent ; les Anglo-Américains ont eu un papier-monnoie dans leur guerre avec les Anglo-Européens, & ils donnoient pour un dollard le billet qui en valoit dix. Malgré ces petites leçons, nous avons des gens qui soupirent après le papier-monnoie. C’est le seul moyen, vous disent-ils, de sauver la France, de ranimer le commerce & de vivifier tout ce qui est dans un état de mort… Ces bonnes gens, qu’ils connoissent peu ce dont nos agioteurs sont capables !… Écoutez sur-tout ce pauvre diable de rentier qui n’a que 45 liv. à recevoir, & à qui l’on présente un billet de caisse de 200 liv. : Ah ! Monsieur, s’écrie-t-il d’une voix que les sanglots étouffent ; ah ! Monsieur, si j’avois eu à vous rendre, je ne me serois pas traîné jusqu’ici. Pourquoi n’avez-vous pas fait de petits billets ? Je vais mourir de faim contre les vôtres. — Eh ! mon ami, c’est le repentir d’en avoir fait des gros qui nous empêche d’en faire des petits. Nous étions perdus si nous eussions commis cette bévue, & ce peu de monnoie de cuivre que l’avidité de nos marchands d’argent dédaigne, ils nous l’auroient enlevé. Nous étions sans espoir, au lieu que bientôt — que m’importe ton bientôt, répond l’homme aux 45 liv., si quand il arrivera je ne serai plus. La situation de ce bon homme consterne toute ame qui n’est point celle d’un marchand d’argent, mais les circonstances qui l’ont produite pouvoient en amener de pire encore.

PAROLE : dans l’ancien régime, le don de la parole étoit le don des phrases. Il y avoit des paroliers en titre d’office comme il y avoit des perruquiers. Ces ceux communautés avoient leurs jurés & leur tableau. On n’étoit retranché de celui des perruquiers qu’en cas de vente ou de décès, mais on rayoit du tableau des paroliers celui qui étoit parvenu à se rendre digne d’y être inscrit. Ce statut étoit bizarre ; cette communauté en avoit de plus bizarres encore, ne fût-ce que celui de se qualifier de corps.

Dans le nouveau régime, le don de la parole sera comme chez tous les peuples libres, le moyen qui conduira à tous les moyens ; & les François qui perfectionnent tout & n’inventent rien, à ce que disent les Anglois qui n’inventent plus, les François pousseront l’art de parler en public beaucoup plus loin que ne l’ont fait les Démosthenes & les Cicéron. Non-seulement les assemblées nationales, les communes auront les leurs ; mais encore il ne sera point de petite municipalité, de district de fauxbourg qui n’ait le sien. Autrefois nos vaudevilles couroient l’Europe, désormais ce sera nos discours qu’on exportera. Ce sera peut-être l’un & l’autre, car il n’est pas impossible de faire un discours en vaudevilles[29].

Demander la parole, avoir la parole, &c. Voyez Assemblée, Motion, &c.

PATRIE : quel mot autrefois ! & quel mot aujourd’hui ! Quand on sortoit du college, & de lire les belles harangues de Tite-Live, on avoit alors sur ce mot patrie à-peu-près la même idée que nous en avons aujourd’hui. Mais au bout de 20 ans qu’on s’étoit livré aux affaires & aux hommes qui les font, on se souvenoit de la patrie comme des bottes de sept lieues de l’ogre dont on avoit lu l’histoire en même temps que celle des romains. D’où venoit donc cette indifférence ? — D’où ? de ce que le mot de patrie n’étoit alors qu’un vain son ; parce qu’il n’y a point de Patrie où il y a des courtisans & des mangeurs de pension ; qu’il n’y a point de Patrie où il y a des courtisans & des mangeurs de pension ; qu’il n’y a point de patrie où il y a des bastilles ; qu’il n’y a point de patrie où il y a des Pret…s & des Parl…ts ; qu’il n’y a point de patrie enfin où il n’y a point de patrie. Mais aujourd’hui que nos courtisans sont épars comme nos pigeons, que les bastilles ne sont plus, que les Pret…s seront ce qu’ils doivent être, & que les Parl…ts ne feront plus ce qu’ils font encore, il y aura une patrie ; elle sera tout pour nous, nous serons tout pour elle. L’éducation de nos enfans sera patriotique, devenus hommes, ils seront comme leurs peres de zélés patriotes, & le derniers comme que peres & fils prononceront sera ce mot sacré de patrie.

PATRIOTE, substantif masculin & féminin : celui ou celle qui aime sa patrie & cherche à lui être utile. Nous allons avoir autant de patriotes que nous avions d’impatriotes.

PATRIOTIQUE, adj. : ce qui est du patriote, ce qui qualifie les actions du patriote. Voyez don patriotique, contribution patriotique, &c. Nous avons aussi des journaux soi-disans patriotiques, parce qu’ils font bâiller les patriotes ; & d’autres qui sont anti-patriotiques, pour égayer les aristogustins.

PENSION : dans l’ancien régime ce mot étoit employé au propre & au figuré. Dans la premiere acception, il signifioit une rente viagere dont l’intrigue avoit fait les fonds ; elle étoit souvent reservible sur une ou plusieurs têtes, car point d’hydre qui ait eu autant de têtes que l’intrigue.

Au figuré, pension étoit une récompense pécuniaire accordés pour ce qu’on appeloit alors services rendus à l’état. Cette définition est d’autant plus vraie, que dans les différentes listes qui ont été publiées on lit : pour raison de services, à M. de Saint-Maurice, 64,000 liv. ; à sir Henri-Léonard Tibern, 69,000 liv. ; à la veuve du général Blanckart, 42,000 liv., &c., &c., &c., & l’univers entier sait quelle a été l’importance des services de ces illustres pensionnés, ou de leurs ayant-causes. J’aime, par exemple, les service du ganaral Victor, ce sont de rudes services que ceux-là ! sur-tout les derniers qu’il a voulu nous rendre.

Les services de Humenil sont de plaisans services, & ceux d’Algier des services plaisans. Ceux du Tonnelier sont d’étranges services ; ceux du général la Croix de petits services, ceux du mestre-de-camp d’Havreville des services de toute espece, & ceux du Dalécarlien des services d’ami.

Frantoque n’ose parler des siens, je défie qu’on parle de ceux du Prétorien du Castille, & qu’on devine ceux du fils de la marquise d’Amasage. L’édile Négroni rougit des siens, & ce n’étoit pas avec de l’argent qu’il falloit reconnaître ceux d’Alexandre Colonna ou d’Auguste Sabotier. Le prince de Saint-Just, Raymond-Pierre, Guillaume de Combelle, le chevalier de Sainte-Beaume, lord Erard, sir Blacme, &c. soutiennent qu’on a joué un tour quand on leur a imputé des services. On me l’a joué aussi, s’écrie de Vaumont, car je n’ai jamais rien fait de ma vie. La fille de Latone n’en dit pas autant, ses services ont fait époque en France ; ils ont hâté la révolution. Cette femme, qui est une vraie baleine, eût avalé le trésor royal, comme celle de l’écriture avala Jonas ; mais celle-ci rendit, & les visceres de l’autre ne rendent rien. Il faut avouer que le pouvoir rémunératif a sur-passé à son égard la générosité des Césars, qui donnoient des royaumes à leurs favoris.

Cette longue liste de serviteurs, dont je n’ai cité que les plus méritans, coûtoit plus de neuf millions à l’état ; & le ratelier où ils venoient ruminer de l’or, étoit celui de la cour qu’on remplissoit de préférence.

Dans le nouveau régime, sans doute on pensionnera ; mais les bienfaits de la nation ne se répandront que sur des citoyens qui s’en seront rendus dignes. Une prodigalité absurde ne décrétera point de brevet de 80,000 livres. Cette somme qu’un courtisan recevoit avec dédain pour la partager avec une prostituée, cette somme sera répartie sur plusieurs familles qui l’emploieront à élever des citoyens à cette patrie qui les aura nourris.

En effet, la postérité aura peine à croire qu’il ait jamais existé des pensions au-dessus de 20,000 livres, puisqu’une pension est une récompense pécuniaire dont on gratifier un particulier pour améliorer sa fortune, & que 20,000 livres sont plus que suffisantes pour quelque particulier que ce soit, & dans quelque classe de citoyens qu’on le prenne. Quiconque désire davantage a des caprices ou des fantaisies à satisfaire ; & l’homme aux fantaisies n’est plus celui que la nation doit pensionner. Avec les 30,000 livres de ce fameux Jules, on eût récompensé seize Harné, quatre Bailly & autant de la Fayette.

POSER UNE QUESTION : voyez Assemblée.

Un président, bon poseur de question, est un homme rare dans un district ; on ne devroit jamais l’envoyer au Perron.

PRÉOPINANT : voyez Opinant.

PRÉALABLE : voyez Question.

PRÉSIDENT : l’ancien régime avoit bien des chanceliers & des vice-chanceliers ; mais il n’eût point de vice-président : ce vice de plus eût encore hâté la révolution.

On parvenoit à la présidence à force de sacs d’argent, parce que le sac d’argent investissoit alors de toutes les charges, depuis le président jusqu’à l’huissier à verge. Mais la fortune qui avoit l’espiéglerie des aveugles, mettoit quelquefois l’ame d’un recors dans l’embrion destiné à la présidence, & celle du président dans l’embrion plébéien. Indè. La charge du premier-président, sur-tout celle du parlement de Paris, étoit la plus belle de la haute robe. Cette place étoit rarement vacante, quoique très-difficile à remplir[30].

Depuis la révolution, nous avons des présidens dans toutes nos assemblées nationales ou citoyennes. Ces places sont électives, & c’est presque toujours le mérite qui est élu.

La plus belle, la plus ambitionnée des présidences est celle de l’assemblée nationale. Les noms de ceux qui en ont été revêtus passeront à la postérité pour être prononcés avec autant de reconnoissance que de vénération. Ceux-là seuls à qui le fauteuil a été fatal, ceux-là seuls frémissent de l’immortalité qui sera pour eux le réveil des réprouvés.

Les aristocrates qui ont faits de vains efforts pour se tapir dans ce fauteuil, se sont vengés de ceux qui l’ont occupé ou l’occupent avec distinction en essayant de les ridiculiser. Pour être président, ont-ils dit, on fera désormais preuve de force de poignet, parce que la sonnette est lourde, & qu’elle en faut autant que celui qui l’agite. Eh ! messieurs les railleurs, le renard des murs fut toujours l’emblême d’un sot gascon, dont les gascons mêmes se moquent ; personne n’est plus renard que vous, sur-tout depuis cette petite catastrophe qui vous est commune avec cet autre renard pris dans le piege dont parle la Fontaine.

PROCLAMATEURS : c’est le nom que doivent porter les colporteurs quand les municipalités seront organisées. Le nombre en sera fixé. Ils ne proclameront que les papiers qui leur seront indiqués par le comité de police, & ils auront une médaille où seront gravés les attributs de la liberté.

Proclamer : depuis la révolution, signifie crier, publier quelque chose.

Anecdote qui définit ce mot.

Un colporteur arrêté pour avoir crié l’ami du peuple, est conduit à la ville ; interrogé par le comité de police pourquoi il a proclamé cet écrit ? A répondu ne pas entendre ce qu’on lui demande ; on lui explique que proclamer veut dire crier dans les rues. — Messieurs, replique le colporteur, depuis que la proclamation des vieux chapeaux & de l’almanach de Liege ne va plus, je proclame des amis du peuple.

Il est vrai que dans l’ancien régime proclamer ne signifioit pas ce qu’il signifie au Perron. Mais un colporteur aujourd’hui, qui est un homme public, & dont les discours influent sur les opinion ; un colporteur, dis-je, doit être un homme instruit, & messieurs du Perron ont fort bien fait de le tancer.

PROVISOIRE : ce qui se fait par provision ou en attendant mieux. Ce mot est très-souvent mis en usage, & presqu’aussi heureusement que dans l’ancien régime, où vous aviez des arrêts provisoires qui vous pulvérisoient le fond comme la foudre de frêles atomes.

POUVOIR : puissance, force.

Pouvoir législatif : c’est la puissance qui fait les loix ; elle n’est rien sans le pouvoir exécutif, qui est la force qui soutient les loix & les fait observer. Dans l’ancien régime le pouvoir législatif ou éditif étoit si étroivement lié au pouvoir exécutif, qu’ils ne faisoient qu’un. Ils étoient dans une seule main ou plutôt dans un seul bras, tellement organisé, que quand la loi parloit, le bras se levoit ; & dans le cas où le bras se fût levé avant que la loi n’eût parlé, il y avoit une espece de détente, que l’œil seul de l’artiste appercevoit, avec laquelle on mettoit la loi en mouvement pour la faire parler, en raison du geste ou des gestes qu’avoit fait le bras. Cet heureux mécanisme étoit dû au cardinal de Richelieu, à qui le fameux pere Joseph en avoit découvert tous les développemens. Nous avons eu depuis quelques ministres, amis des arts, qui en ont fait le plus grand cas & l’usage le plus fréquent, sur-tout l’archevêque de S…s, car les prélats aiment les ressorts à la Richelieu. Lam…g…n, dont on auroit pu faire aussi un cardinal plus aisément qu’on n’en eût fait un homme de bien, Lam…g…n, à force de se servir de la machine l’a détraquée ; la révolution qu’il a hâtée & qui n’aime point les ressorts, a fini par tout briser ; elle a détaché les deux pouvoirs qui n’auroient jamais dû être unis. Le pouvoir législatif a été rendu à la nation à qui il appartenoit de droit, & l’exécutif est resté entre les mains du prince. Séparés l’un de l’autre, ces deux agens ont d’abord eu mille peines à marche de concert ; ils n’y marcheroient pas encore si le monarque ne s’étoit pas chargé personnellement de mette en action celui qui lui étoit confié. L’habitude avoit tellement gâté des ministres qu’ils vouloient toujours du ressort, quoique leur maître leur criât sans cesse qu’il ne vouloit que de la justice. Voilà quels ont été les motifs de ces retard qui ont tant fait bavarder les politiques de nos cafés, lorsque les décrets de l’assemblée nationale de parvenoient point à leur adresse ou demeuroient à poste restante.

Je trouve dans le dictionnaire raisonne de M…, que dans l’église le pouvoir législatif appartenoit à Saint-Pierre, comme prince des apôtres ; l’assertion, toute ultra-mondaine qu’elle soit, est lumineuse, & le lexicographe qui a le tic de parler latin, cite à ce sujet un aperiens Petrus os suum dixit[31], qui est pittoresque ; on croit voir encore au bout de dix-huit siecles l’apôtre qui ouvre la bouche & reste dans cette attitude. Le génie a une touche qui est à lui.

POUVOIR CONSTITUANT : c’est celui qui s’occupe ou a le droit de s’occuper de la constitution, c’est notre assemblée nationale ; il n’y a pas long-temps qu’on distingue ce pouvoir du législatif, dont il semble faire partie, cette distinction & autres semblables n’appartiennent qu’à la haute politique.

Q.

QUESTION : on cite, on demande, on ajourne la question préalable. On entend par cette expression une question à agiter, à discuter préalablement ou avant la motion ou l’amendement qu’on vient de proposer pour en prouver l’utilité ou les écarter comme inconstitutionnels ; c’est une ruse d’aristogustins qui commence à être usée.

QUART : le quart du revenu, le quart de son revenu, c’est-à-dire le quart de ce qu’on retire chaque année de son avoir, soit en propriété, soit en industrie ou en capitaux, déduction faite des charges réelles. Telle est la contribution patriotique que chaque citoyen est obligé de fournir au trésor de la nation, en conséquence d’un décret de l’assemblée nationale, qui a ordonné cette subvention extraordinaire comme la seule capable de restaurer nos finances & de remplit le déficit. Si le patriotisme de ceux qui ont fait ce décret animoit les contribuables, sans doute, tout seroit restauré, & peu de déclarations seroient parjures. Mais il n’en est pas ainsi. D’abord l’aristocrate ne donnera rien, parce qu’il est aristocrate, & que la subvention des choses est son vœu. L’égoïste, qui n’est point aristocrate, mais qui est pire encore, ne donnera que ce qu’on lui arrachera. Je l’ai entendu parler, il prend le décret pour une plaisanterie, à l’expression de contribution patriotique pour une épigramme. Le capitaliste homme impatriote, & sur lequel il n’y a aucune prise, ne donnera presque rien, & ce rien, l’ame dure le regardera comme une aumône ou une folle dépense. Cependant quelques financiers glorieux donneront, mais déduction faite des charges, dans lesquelles ils feront entrer ce que leur coûtent les indigestions & les filles d’opéra. Le pensionné n’a plus rien à donner. Le commis est sur le pavé. Les gens de robes vivent sur les recouvremens. Quant au rentier & à l’homme aux doubles vingtiemes, ils ne sont point dans le cas de frauder, s’ils ne déclarent pas juste, il y a des pieces justificatives qui redresseront leurs fausses déclarations. Les commerçans, les uns sont sans industries, & les autres assurent que l’état de leurs affaires les empêche de faire aucune déclaration.

L’honnête homme seul au milieu de cette tourbe de non déclarans ou de faux déclarans dira : « voici ma bourse, tel est mon bien, j’ai tant ; vous m’en demandez le quart, je vous l’apporte ; j’en aurois volontiers donné la moitié si elle eût pu ramener la paix & la confiance qui sont encore plus nécessaires à l’état que mon quart ».

Mais l’homme qui agit ainsi étant aux hommes qui agissent autrement comme un est à sept, il arrivera que la contribution patriotique qui auroit dû produire douze cens millions, en donnera à peine trois cents. Oh vérité ! trop amere vérité, que je voudrois me tromper ! combien je bénirai mon erreur !

R.

RAYON : ligne droite menée du centre d’un cercle à la circonférence ; terme de géométrie dont tous les honorables membres soixante districts ont deviné à l’instant la signification, par cette seule force de lumiere qu’une nation libre a sur une nation ministériée ou esclave, ce qui est absolument la même chose. Si avant la révolution on eût appellé les braves citoyens du Pont-aux-choux & des environs, ou ceux qui habitent les piliers des halles & les rues adjacentes dans lesquelles il se trouve très-peu de géometres, sûrement ils n’auroient pas compris au premier mot ce que c’étoit qu’un rayon de deux ou trois lieues. Encore trente ans de liberté & nos neveux quitteront les ciseaux ou l’aune pour monter à la tribune aux harangues ; les Porcherons auront leurs orateurs comme le café de Foy a les siens.

Cependant malgré le faisceau de lumiere qu’a fait jaillir la révolution, il y a eu des commissaires de district qui ont voté pour un rayon de 18 lieues. Sur quelle immense surface vouloient-ils donc établir leurs patrouilles ? Je ne pardonne point cette folle prétention à des hommes qui, par le poste important qu’ils occupent, doivent encore être plus instruits que les honorables membres dont ils se chargent de guider les opinions. C’est avec raison que l’assemblée nationale, qui fait qu’un cercle est égal au produit de son rayon par la demi-circonférence, n’a point eu égard au thérorême de MM. les commissaires, & a décrété un département de deux lieues seulement.

RÉGIME : en politique, il équivaut à administration, à gouvernement. L’ancien régime, c’est l’ancienne administration, celle qui avoit lieu avant la révolution ; & le nouveau régime, celle qui a été adoptée depuis cette époque ; celle dont les vrais patriotes attendent leur bonheur ; mais qui désespere les insectes frêlons qui ne s’alimentoient que des abus que l’ancien régime autorisoit.

REPRÉSENTANS DE LA NATION : Voyez Députés.

Dans les adresses, mémoires ou placets qui leur sont présentés, ils sont ou doivent être qualifiés de Nosseigneurs ; c’est ce qui a donné lieu aux aristogustins de controuver une anecdote qui sans doute est sortie de la Minerve, de ce treizieme apôtre qui macule toujours quelque calomnie.

« On assure, dit le conteur, qu’on a vu une lettre d’un libraire de province adressée à son correspondant, libraire-député, dont la suscription étoit à Monseigneur, Monseigneur… libraire, &c. Le contenu de le lettre étoit en ces termes ».

Monseigneur,

J’ai l’honneur de vous remettre pour la présente année, vingt douzaines d’almanachs de Liege, & vous préviens que cet article, qui est un des plus forts de votre commerce, fera cette année l’objet d’une grande spéculation, parce qu’on y prédit que le roi de Prusse sera prince de Liege, & sire de Joinville prince de Brabant[32] ; que par l’intercession de Sainte-Gudule, les Brabançons vont désapprendre à lire, qu’alors un grand général qui a commandé autrefois dans le Paraguai doit de mettre à leur tête, & que, ce qui en adviendra, fera l’étonnement de l’université de Louvain, qui elle-même a toujours fait l’étonnement de toute l’Europe ; qu’il adviendra encore que cette université aura pour recteur un neveu du feu R. P. Malagrida. Le fameux Mathieu Lansberg, prédit aussi qu’un grand prince trompera une grande princesse, & qu’il s’assiera sur un trône où depuis plusieurs siecles on ne s’est assis qu’en pantoufles & en bonnet de nuit : que dans une région célebre de l’Europe, il y aura une quantité considérable des vieilles filles à marier, qu’elles seront recherchées par de vieux garçons qui en connoissent déjà tout le mérite ; que dans cette même région, la barbarie va une autre fois réduire les lettres & les sciences au berceau qu’elle environnera de ténebres, en dispersant ces hommes fameux qui faisoient de si belles chartres, & savoient si bien le plainchant ; que nos campagnes ne seront plus cultivées, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui entendissent l’agriculture ; que nos pauvres seront abandonnés, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui les secourussent, &c. &c. Ma lettre, monseigneur, seroit plus longue que celles qu’on écrit à votre auguste président, si je voulois vous rapporter toutes les merveilleuses prédictions que renferme l’almanach de Liege de cette année. La collection que je vous adresse vous mettre à même d’en juger.

J’ai l’honneur d’être avec respect, Monseigneur, &c.

Il est d’autant plus aisé de se convaincre que cette lettre est une fourbe de nos bons apôtres, que l’almanach de Liege de cette année ne comprend pas un mot des prétendues prédictions qu’on lui fait faire ici. M. l’abbé Syeyes avoit bien raison de s’élever contre les abus de la liberté de la presse, qui ne tendent pas moins qu’à la subversion des empires. Une bonne ordonnance à la Brabançonne, & que tous les bavards se taisent !

RESPONSABILITÉ : état de celui qui est responsable de ce qu’il fait ou sait faire. Ce mot ne se trouve point dans le dictionnaire de l’académie Françoise, & n’a garde de s’y trouve,r eût fait mettre les quarante à la Bastille, sur-tout s’ils s’étoient avisés de rapporter en exemple : la sûreté publique exige la responsabilité des ministres.

Ah ! sans doute elle l’exige, & cet axiôme du nouveau régime, que n’a-t-il un effet rétroactif ! il conduiroit à la Guillotine d’insignes brigands que, bien loin de punir nous allons pensionner encore. Mais l’assemblée nationale, dont les principes ne sont point si rigoureux, passe l’éponge sur le passé, en prenant des justes précautions pour l’avenir.

Cette responsabilité, qui sera le glaive suspendu sur la tête du prévaricateur, ne va placer au gouvernail que des pilotes instruits. Quand nous aurons la guerre, ce ne sera plus parce que des Belle-Isle ou leurs semblables auront voulu faire les importans. Dans le cas où elle sera indispensable, (car nous n’en aurons que d’indispensables,) le général qui commandera nos légions ne sera plus un courtisan musqué, à qui des caillettes auroient confié le bâton fameux du grand Condé. Il saura son métier, ou le fatal réverbere le punira de sa présomption. Nos vaisseaux…, oui… nos beaux vaisseaux…, ils ne sortiront plus de Brest ou de Toulon, pour aller mouiller honteusement à Postmouth… S’ils y vont, François, ce seront des Suffrens qui les y conduiront, & c’est armés de la foudre qu’ils y entreront.

RÉVOLUTION : je n’ai pas besoin d’expliquer le mot, je n’ai que des vœux à faire pour la chose. Voyez Contre-révolution.

Louis XIV, si dans le séjour des morts le ciel réserve quelques peines à ces monarques orgueilleux, qui dirent comme toi mes sujets, & comme roi les compterent pour rien, la plus sensible sans doute que tu puisses éprouver, sera celle d’entendre le récit de notre révolution. Mais il ne faut pas que tu souffres seul, seul tu ne fis pas le mal, tu feras partager ton tourment à ce superbe Richelieu, à ce vil Mazarin, qui préparerent ton regne & te rendirent despote. Tu appelleras l’implacable Louvois, pour qu’il entende parler de la responsabilité des ministres. Tu appelleras le cruel le Tellier & ton pere la Chaise, pour que le premier sache que les enfans de ces protestans qu’il égorgea, nous allons les embrasser, qu’ils vont devenir nos freres, qu’ils vont rentrer dans l’héritage dont il les avoit spoliés. Pour que ton Jésuite apprenne que ses Jésuites ne sont plus, ni les moines qui les haïssoient, & se réjouirent charitablement de leur chute ; pour qu’il apprenne, enfin, qu’il n’est plus de Bastille ni de lettres-de-cachet. Tu feras venir aussi ton d’Antin, qu’il sache qu’il eut un successeur, & que ce vil successeur fut obligé de se dérober honteusement à la haine publique. Tu rappelleras sur-tout ton petit-fils Louis XV, qu’il vienne & soit suivi de son vieux Fleuri qui le tint si long-temps en jaquette, du Bourbon qui n’auroit jamais dû jouer le rôle de ministre ; des Belle-Isle qui l’obérerent par leurs vains projets & le déshonorerent par leur inconséquence, du présomptueux Choiseul & des caillettes politiques qui essayerent avec lui de changer la face de l’Europe. Tu n’oublieras point de Philippe qui régenta si follement ; son Dubois si digne de la lanterne ; & son Law dont l’esprit semble nous animer encore.

Oh ! Louis le Grand, que Louis XVI rend si petit, que deviendront tes bottes & ton fouet quand tu apprendras les détails du 17 juillet 1789, & ceux de la séance du 4 février 1790 ; tu te croiras au pays des fables. Richelieu, Mazarin, Fleuri & la sequelle ministérielle qui sera accourue à ta voix, ainsi que cette nombreuse comitive de ducs dont tu remplis ta cour, tout cela fuira vers le Ténare au récit de ce qui se passa dans la nuit du 4 août 1789, & le 13 février 1790.

ROI DES FRANÇOIS : autrefois nos rois se qualifioient de roi de France & de Navarre par la grace de Dieu. Comme la Navarre n’est plus un royaume, mais bien une province dont les habitans sont François comme ceux de l’Isle de France, que le prince non-seulement regne par la grace de Dieu, mais encore du consentement de la nation Françoise, il a été décrété qu’à l’ancienne qualification on substitueroit celle de Louis, par la grace de Dieu & de la loi constitutionnelle de l’état, Roi des François, &c. Si pour le bonheur des peuples les successeurs de Louis XVI lui ressembloient, que de titres à ajouter à ce titre de roi des François ! Si déjà ceux de pere du peuple & de restaurateur de la liberté ont été décernés d’une voix unanime au monarque régnant ; quel titre lui proclameront nos cœurs pour la séance du 4 ? Dans cette séance où ce bon pere finit par dire à ses enfans : « puisse cette journée, où votre monarque vient s’unir à vous de la maniere la plus franche & la plus intime, être une époque mémorable dans l’histoire de cet empire !… » Oui, Sire, elle le sera, n’en doutez point, ou ces freres que vous venez exhorter à s’embrasser & n’avoir d’autre passion que celle du bien public, ou ces freres, dis-je, dont des monstres plus cruels encore que les féroces Atrides… Tigres qui détournez les levres de la coupe amicale…, écoutez votre roi « Que ceux qui s’éloigneroient encore d’un esprit de concorde, devenu si nécessaire, me fassent le sacrifice de tous les souvenirs amers qui les affligent, je les payerai par ma reconnoissance & mon affection » … Eh ! les barbares ils composent encore pour jurer !

S.

SAGESSE : ce mot est employé depuis la révolution dans nos assemblées citoyennes, où l’on dit à un honorable membre : vous peserez dans votre haute sagesse. Il répond à l’honorable assistance : je ne doute point que dans votre haute sagesse vous n’examiniez, &c. C’est enfin un combat de sagesse qui prouve que si l’on n’a point encore atteint à sa hauteur, on se le souhaite avec un urbanisme qui n’appartient qu’à la nation françoise.

Cependant je n’ai point été content d’entendre faire usage de cette expression avec ironie par un président du comité de police qui n’auroit point dû s’en permettre, parce qu’elle ne convient point à un homme public. Voici le fait : dans les premiers jours d’octobre de l’année passée ; un pauvre libraire étoit venu se plaindre de ce qu’on arrêtoit aux colporteurs une petite feuille, au bas de laquelle il avoit mis son nom, il représentoit qu’il étoit en regle… Monsieur, lui avoit répondu le président en le persistant, monsieur, vous auriez dû employer votre haute sagesse à nous donner des conseils ; mais dans ce moment c’étoit la haute sagesse de M. le président qui étoit en défaut. Il est vrai qu’il l’a réparé, car quelques jours après il ne s’amusa point à parler de haute sagesse à des dames qui lui rendirent une visite un peu bruyante. Sa haute prudence désempara & fit bien.

SANCTION : approbation légale que le prince a doit de donner ou de ne pas donner aux décrets constitutionnels de l’assemblée nationale. Cette sanction leur donne force de loi. Voyez veto.

SANCTIONNER : c’est l’acte de donner la sanction. On dit aussi tel article ou tel décret est sanctionné ; c’est-à-dire, qu’il a reçu l’approbation du prince & qu’il a force de loi.

SCRUTIN : billet plié & secret (jusqu’à un certain point), dont on se sert dans nos assemblées nationales ou citoyennes, pour procéder à l’élection des officiers qui doivent y présider ou former les différens comités attachés à ces corps politiques.

Lorsque le scrutin contient plusieurs noms il est dit scrutin de liste. C’est par ce scrutin qu’on procede, à l’assemblée nationale, à l’élection du président & des secrétaires. Le scrutin de liste a pareillement lieu dans des districts quand il s’agit d’élire des commissaires. Celui qui n’y connoît presque personne & se trouve par hasard à ces élections, seroit dans le dernier embarras pour remplir son scrutin ; si quelques honorables membres qui y connoissent beaucoup de monde ne lui indiquoient le nombre de noms nécessaires. Ces noms d’ailleurs sont faciles à retenir, parce que ce sont presque toujours les mêmes. On m’a assuré qu’il est des districts où il y a une nomenclature banale pour la commodité des électeurs.

Quand le scrutin est clos, il est déposé entre les mains des scrutateurs, qui sont deux ou plusieurs membres nommés par acclamation, pour procéder au dépouillement des scrutins. Cette opération est dans les districts l’affaire qui employe le plus de temps. Souvent elle se prolonge bien avant dans la nuit ; il n’y a alors qu’un civisme à l’épreuve qui retienne sur le lieu un petit nombre d’honorables membres, qui toutefois en sont récompensés par le choix de leurs concitoyens, que la parfait dépouillement des scrutins met en évidence.

SCRUTATEUR. Voyez scrutin.

SÉANCE : dans l’ancien régime, on ne disoit gueres que séance académique, pour exprimer le temps que trente ou quarante individus restoient à sommeiller dans un fauteuil, d’où ils ne se levoient la main ouverte que pour recevoir un ou plusieurs jettons qu’ils ne reçoivent plus au détriment de la belle littérature.

On entend aujourd’hui par séance le temps que les représentans de la nation restent assemblés sans désemparer la salle.

On dit que la séance s’ouvre, lorsqu’on la commence, & qu’elle se leve, lorsqu’on la termine. Beaucoup de séances ont été très-longues.

Une séance est tumultueuse, lorsqu’il y a plus que des bravo ou plus que des improbations.

Elle est orageuse, lorsqu’elle ressemble à celle du 13 février ; il y en a eu de périlleuses dans le mois de juin & premiers jours de juillet 1789 ; parce qu’on vouloit y introduire un quatrieme ordre qui opine du bras.

Jamais séance n’a été moins aristocrate que celle du soir du 5 octobre.

Une séance est intéressante lorsqu’il s’agit d’y réhabiliter une portion de la nation, qui n’a d’autre tort que celui de ne pas prier Dieu en latin.

Un séance est patriotique quand on la leve pour aller changer de boucles.

Elle est nationale, quand des prévaricateurs impatriotes y reçoivent le juste châtiment dû à leur rebellion.

Elle est mémorable enfin, quand Louis XVI l’honore de sa présence, & qu’il y paroît en pere qui visite ses enfans ; alors on se garde bien de la confondre avec celle du 23 juin, que la horde ministérielle, à l’agonie, appelloit impudemment séance royale.

SERMENT NATIONAL, SERMENT CIVIQUE : le premier est celui qu’on a fait prêter à tous les régimens, pour prévenir les civicides qu’on vouloit leur faire commettre. Quel spectacle d’entendre ces braves grenadiers sermenter de bonne foi, en maudissant ceux en qui ils s’étoient confiés, & qui les avoient si cruellement trompés ! Parisiens, vous ne connoissez pas la loyauté grenadiere de nos troupes françoises ; avant comme après le serment, soyez persuadés qu’ils eussent mis en pieces les aristocrates qui auroient osé leur commander de faire feu sur des François. On vous a donné une preuve de leurs sentimens par ces cohortes tudesques dont on a couvert votre Champ-de-mars.

Le second serment, le civique, est celui que prononce de cœur & de bouche tout bon citoyen, sans aucune interprétation préalable.

En voici la formule, qui doit nous être présente dans tous les temps & dans tous les lieux : Je jure d’être fidele à la nation, à la loi, au roi et à la constitution décrétée par l’assemblée nationale, et acceptée par le roi.

La prestation de ce serment, dont l’assemblée nationale a donné l’exemple, a été faite dans plusieurs districts, à la face du ciel, par les citoyens de tous les âges de l’un & de l’autre sexe. L’enthousiasme qui le prononçoit étoit le garant des sentimens qui le dictoient. Que de larmes ont coulé ! que cette scene étoit intéressante ! que les parjures étoient coupables !… Mais non… il n’en étoit point dans ces groupes civiques ; ils n’auroient osé s’y mêler, le front radieux du patriote eût contrasté trop visiblement avec le front morne & l’œil hagard de l’aristocrate.

La province s’empresse d’imiter la capitale ;& déjà, par une suite du serment, les libelles-Pelletier, les déjeûners, les dîners du vicomte, & autres feuilletons anti-patriotiques, restent aux bureaux des postes, où ils sont dédaignés même des garçons de bureaux.

Ô toi, douce concorde ! toi qui semblois fuir de nos contrées, obéis à la voix du monarque qui t’appelle ; viens entrelacer les bras de nos citoyens, & que, dans cette posture amicale, ils ne cessent de répéter les paroles de paix que ce prince a portées dans l’assemblée de nos représentans.

SOUS-AMENDEMENT : c’est un amendement à l’amendement. Voyez Amendement.

SUPPLÉANT : celui qui est envoyé par sa province pour suppléer ou remplacer un député en cas de morts ou de démission, ou même de défection ce qui n’est pas présumable.

Les suppléans assistent aux séances de l’assemblée dans une tribune qui leur est destinés. Ils y sont témoins oculaires & auriculaires, & rien de plus.

T.

TIERS-ÉTAT : lorsque la nation ou l’état, comme on le voudra dire, étoit composé de trois ordres, le troisieme ou dernier étoit le tiers-état. Il étoit formé de ce que les deux premiers ordre, le clergé & la noblesse, appelloient les vilains, & ces vilains c’étoit nous, ces vils enfans que Dieu avoit condamnés à manger le pain à la sueur de leur front, & à payer les violons à nosseigneurs toutes les fois que nosseigneurs l’ordonneroient ainsi. La volonté de Dieu s’est faite pendant une longue suite de siecles, jusqu’en 1789, époque à laquelle un oint du Seigneur a pris en considération les vingt-trois millions de vilains qui peuploient son royaume, & a dit : « Je n’aime point cette race parasite de nosseigneurs qui reste les bras croisé, tandis que les vilains travaillent. Il n’y aura désormais de monseigneur que celui qui sera utile au bien public ; plus de distinctions ; que un soit plus vingt-trois est une absurdité arithmétique dont je ne veux plus entendre parler ».

Ces paroles ont eu un effet magique, & soudain nosseigneurs & vilains, vilains & nosseigneurs, tout a été confondu ; il n’a plus été possible de rien distinguer ; les vilains avoient le dos courbé, & l’œil vers la terre, ils se sont redressés & ont pris le regard de nosseigneurs. Ceux-ci, en fins courtisans, & pour plaire à leur maître, se sont un peu voûtés à la maniere des vilains. Cette métamorphose, toutefois, ne s’est point faite sans bruit. Dans le premier ordre on a crié à l’anathême, & dans le second à l’anarchie. Cependant à force de se mêler on s’est rapproché, l’oint a paru, & l’on s’est embrassé ; il est vrai qu’il y a eu force baiser des Judas, mais ces petites rancunes passeront ; le François n’en sait pas conserver.

TRÉSOR-ROYAL : allez, levez les yeux ; voyez-vous sur la porte ces lettres d’or ? elles vous disent ce que ce trésor devoit être ; le déficit & les circonstances vous apprennent ce qu’il a été ; le nouveau régime & la constitution vous vont faire voir ce qu’il doit être, ce qu’il faut qu’il soit… Il sera le Trésor national, cette caisse générale où l’on versera fidélement un impôt réparti avec justice & égalité, perçu avec loyauté, & employé avec discernement.

Hommes aux talons de couleur, filles aux chars dorés, vous irez porter vos bons ailleurs ; ce n’est plus à cette caisse qu’on soldera les mémoires de vos maître-d’hôtel, ou de vos marchandes de modes.

TRIBUNES OU GALERIES de la salle de l’assemblée nationale : elles sont destinées pour le public qui est admis à assister aux séances des représentans de la nation, qui désireroient que le local pût contenir toute la nation elle-même ; car la non-publicité qui a été votée par quelques membres, a été rejettée avec indignation, sur-tout par ce côté loyal qui ne crie jamais au blasphême lorsqu’on n’est point de son avis.

Il y a trois tribunes, ou la tribune est divisée en trois partie : l’une est destinée pour les seuls suppléans[33], il en est une autre où l’on est placé par billets, & une troisieme où l’on se place à force de bras. Dans l’une ou l’autre de ces tribunes il faut observer le plus grand silence, ne point se permettre d’applaudissemens, & encore moins d’exclamations improbantes. Mais cette injonction fût-elle encore plus prohibitive, il est des sensations qui ne peuvent rester muettes, & les tribunes transgressent malgré elles toutes les fois que les représentans ont fait retentir la voûte de la salle du cri de l’enthousiasme ou de l’indignation. Ce dernier, sur-tout, se manifeste quand l’aristo-côté se grouppe indécemment pour ébranler la base de la constitution, & il se grouppe souvent.

V.

VAISSELLE D’ARGENT : indispensable dans l’ancien régime, même pour un commis, même pour un procureur, même pour M. Samson, sur la table duquel on l’étaloit avec profusion dans ces fameux soupers où tant d’honorables chevaliers de St. Louis assistoient philosophiquement & en pressantant l’opinion actuelle du pouvoir constituant.

Dans le nouveau régime, la vaisselle d’argent est impatriotique. Les seuls aristocrates, qui se rient de nos maux & de la plaie profonde faite par le déficit, osent encore en faire étalage. Aussi les convices patriotes aimeroient mieux prendre vingt soupers chez M. Samson, que d’approcher de la table de ces pestes publiques.

Tout citoyen loyal a imité le monarque, il a porté ses plats à la monnoie. Ainsi les énormes sur-touts vont devenir de beaux écus sur lesquels on lira, Louis XVI, roi des François. Les gens qui s’impatientent de n’en point voir, parce qu’il y a quatre mois qu’on a fait les envois, ces gens, dis-je, ne raisonnent pas, ou ignorent que ce n’est pas à Paris, où la main-d’œuvre coûte trop, que ces écus se frappent, mais dans nos villes frontieres, telles que Limoges & autres ; qu’il faut du temps pour l’aller & le revenir ; qu’enfin on ne peut pas tarder à les voir arriver. Alors dans cette taverne si célebre où l’on vend l’argent au poids de l’or, les brocs reprendront la place des sacs ; par-tout, tout reprendra, se vivifiera par cette circulation de beaux écus. Il est vrai qu’il y a une forte demande pour l’Angleterre, qui nous envoie en échange une longue liste de mots constitutionnels ; mais nos nouvelles municipalités, qui tiendront plus à l’argent qu’aux mots, auront le plus grand soin que la demande ne soit point expédiée.

VETO : encore un mot latin qui ne vaut gueres mieux que celui de déficit. Un journaliste a observé que nous n’étions pas heureux en affaire avec les Latins lorsque nous leur empruntions , qu’un de ces trois mots unigenitus, déficit & veto eût été seul capable de bouleverser la France. L’unigenitus est mort il y a long-temps, & nous en rions. Il n’en est pas de même du déficit, il pourra nous jouer quelque mauvais tour. Quant au veto, graces aux patriotes qui lui ont fait tête, il n’est entré en France que sous condition.

Veto signifie je défends ; je m’oppose à ce que telle ou telle chose ait lieu. C’est par ce mot terrible de veto que chez les Romains, les tribuns, qui étoient des magistrats chargés de défendre les intérêts du peuple, infirmoient sans retour les décrets aristocratiques du sénat.

En Pologne, un simple gentilhomme, en prononçant ce veto, enchaîne les volontés unanimes de la nation. S’il le prononce dans une diete, il faut qu’elle se sépare ; il est vrai que souvent on reconduit à coups de plat de sabre l’homme au veto. Mais cette petite vengeance ne remédie pas au mal.

Lorsqu’il fut question chez nous de la sanction royale, MM. Mounier, Lalli de Tolendal, d’Esprémenil, de Virieux, Malouet, & une partie des lésés de la nuit du 4 août, voterent pour que le veto absolu fût accordé à Sa Majesté. Il n’y auroit eu aucun inconvénient, si toutes les Majestés qui doivent succéder à Louis XVI eussent dû lui ressembler ; mais comme il y a grandement lieu de présumer le contraire, les hommes désintéressés & amis de la liberté se sont opposés de toutes leurs force à l’avis des préopinans. Ils ont soutenu qu’accorder le veto absolu au pouvoir exécutif, c’étoit lui livrer le pouvoir législatif, que c’étoit ramener les abus d’autorité qu’on avoit voulu bannir ; que par le veto absolu le despotisme se relevoit avec de nouvelles forces & des matériaux suffisans pour réédifier la Bastille & la remplir ; que la responsabilité des ministres n’étoit plus qu’une épigramme & la constitution un vain protocole. L’avis des hommes libres & prévalu, & la liberté naissante, à la veille d’être étouffée dans son berceau, a dû son salut à ces généreux défenseurs. Il a été décrété que Sa Majesté auroit le veto suspensif ; c’est-à-dire, que dans le cas où elle refuseroit sa sanction à tel ou tel article, ce refus n’auroit de force que jusqu’à la troisieme législature, par laquelle l’article frappé du veto seroit soumis au jugement de la nation pour, par elle, être admis ou rejetté.

VICE-PRÉSIDENT : officier de district qui y préside en l’absence du président. Il en est le successeur présomptif ; on l’appelle quelquefois sous-président. On parvient à cette dignité quand on a montré du talent dans le commissariat.

VOYAGER : dans l’ancien régime on faisoit voyager les jeunes seigneurs pour les former ; les voyages faisoient partie de leur éducation. Un mentor les promenoit dans toutes les cours de l’Europe, où ces jeunes messieurs persistoient & étoient persifflés.

Dans le nouveau régime ce sont les peres qui voyagent au lieu des enfans ; loin d’aller s’instruire dans les cours étrangeres, ce sont eux qui vont instruire les cours. Ces missionnaire politiques qui n’aiment point les révolutions, y causent cependant quelqu’espèce de révolution. C’est à leur persuasion que la cour d’Espagne s’est réconciliée avec son inquisition pour frapper d’anathême nos écrits patriotiques qui feroient ressouvenir aux Arragonnois qu’ils disent à leurs rois : nosostros que somos mas que vos, nous qui sommes plus que vous. À Turin, c’est à l’instigation des illustres cosmopolites qu’il a été défendu aux porteurs du Mont-Cénis de lier aucune conversation avec les portés qui venoient de Lanebourg[34].

APPENDICE

Contenant les mots qui vont cesser d’être en usage, & qu’il est nécessaire d’insérer dans nos archives pour l’intelligence de nos neveux.

Nota. Les mots qui portent une ou plusieurs * sont ceux dont l’insertion est indispensable, & sur lesquels il y a des articles intéressans à faire ; deux ** désignent une insertion plus indispensable, & un plus grand intérêt qu’une seule ; & *** seront le terme indéfini de cette progression.

Dans le cas où nous formerions un dictionnaire de ces mots, déjà quelques littérateurs nous ont fourni ou promis plusieurs articles ; nous les nommerons par reconnoissance à ces articles.



A
Adjudication des fermes.
Aides : les aides & gabelles.
Amende de police.
Annates.
Appel au conseil *.
Approbation de M. le censeur *. Cet article sera extrait d’un discours sur l’approbation censurale, par M. Delourt, revu par M. le chevalier de Sugigne.
Archidiacre.
Archiprêtre.
Archi-prieuré.
Et la majeure partie des Archi.
Arrêt de surséance *. Article déjà fourni par M. Descompte, négociant retiré.
B.
Bailliage.
Ban.
Arriere-Ban.
Bastille.
Bénéfice.
Feuille des Bénéfices *. Article promis par Mademoiselle Guimard.
Bénéficier, &c.
Blason.
Bourgeois. Ce mot a été supplanté par celui de citoyen.
Braconnier.
Bu ; le trop bu, terme de maltôtier.
C.
Cadet de famille.
Canonicat.
Capitaine des chasses *.
Casuiste. Article promis par M. de Villebou.
Cens.
Censier.
Censitaire, &c.
Censeurs-royaux **. Article déjà rédigé par une société de gens-de-lettres.
Chambre syndicale ***. Article fait & tiré du traité des saisies & reventes.
Chambrelan.
Champart.
Chanoine.
Chapitre-noble. Article de feu M. Cherin.
Charge.
Traiter d’une charge.
Acheter une charge.
Charge de secrétaire du roi, maison, couronne de France *. Ce dernier article est déjà fourni par le directeur de la savonnerie.
Colonel en second.
Colonel, ou officier à la suite.
Jeune colonel, ou colonel-enfant *. Article fourni par les élèves de l’école militaire.
Colonel-propriétaire.
Commanderie.
Commandeur, &c.
Commis à 25,000 liv. de rente. Article tiré du dictionnaire de la fable.
Commission *.
Commissaire départi **.
Commissaire de police.
Congrégation.
Conseiller-honoraire, &c.
Corps : esprit de corps. Article fourni par M. l’abbé Mirau.
Coup d’autorité **.
Cour souveraine.
Courier du cabinet *.
Couvent ou moutier.
Créancier de l’état **. Article promis par un habitant de Saint-Germain-en-Laie.
Cul-de-basse-fosse.
Jetter dans un cul-de-basse-fosse : expression ministérielles de l’ancien régime.
D.
Décimateur, &c. * Article promis par Dom Pommier, bibliothécaire des peres de Sainte-Issi.
Déni de justice **.
Déprédation : cet article sera plus long qu’intéressant ; il y aura cependant des faits incroyables. Nous avons écrit à Londres à M. Alexandre pour avoir des renseignemens ultérieurs, qu’il a promis de nous faire parvenir par Madame Brunel.
Dévolutaire : nom d’une espece de chenille.
Dîme.
Directeur des domaines.
Droit d’aînesse.
Droits seigneuriaux.
E.
Édit : préambule d’édit ***. Article promis par les héritiers de feu M. Thomas.
Échevin : Article déjà fourni par M. Josse.
Enregistrement.
Enregistrer.
Enregistreurs **.
Ces trois articles nous viennent de Rennes ; M. de Menilprés a promis de les revoir.
Emploi : obtenir un emploi par le canal de Madame la duchesse de, ou de sa femme-de-chambre, &c. **
Obtenir un emploi par le canal de la une telle… **
Le premier article trouvé dans les papiers de feue Madame la duchesse de Montgran, & le second fourni par Mademoiselle d’Hervieux.
Emprunt : déjà inusité **. Article promis par un habitant du pays de Gex.
Épice, épicier, &c. termes de jurisprudence.
F.
Fauteuil : fauteuil académique *.
Faux-Faunier.
Féodal : droit féodal.
Fermes : les cinq grosses-fermes. Article posthume de M. Helvétius.
Fermier, général, &c.
Feudiste. M. Marat doit fournir cet article.
Fief, &c.
Fiscal.
For ecclésiastique. Article promis par le bibliothécaire de l’archevêché.
Froc.
Fournisseurs **. Article déjà fourni par M. Caulet d’Hauteville, lorsqu’il demeuroit rue du Roule, à l’image Saint-Nicolas.
G.
Gabelle.
Garde-chasse.
Garde-du-corps.
Glebe.
Généralité.
Gens.
Mes gens.
Les petites gens.
Les gens du peuple.
Les gens de robe.
Les gens de justice *.
Gouverneur de province.
Gouverneur de la Bastille ***.
Gouverneur de la Samaritaine *.
Grands : les grands.
H.
Haut & puissant seigneur. Article déjà rédigé par une société de seigneurs de paroisse, à la tête desquels on compte Messieurs Nicolet & Laruette.
Hérétique.
Historiographe. Article trouvé dans les papiers de feu M. Duclos, & revu par un des rédacteurs du Mercure.
Hommage : foi & hommage.
Homme : un homme de rien.
Un homme comme moi.
Un homme du peuple.
Un homme comme il faut. Article de feu M. de Favras.
Hôtel.
Huguenot.
I.
Inféoder.
Inspecteurs de police. Espece de muets, à l’instar de ceux du Grand-Seigneur.
Intendant de province ***. Cet article arrive de Londres : on assure qu’il est dû aux recherches de MM. de Calonne & de Barentin.
J.
Jetton : jettons académiques. Article promis par un inspecteur-général des monnoies, qui est très-versé dans cette partie numismatique.
Jugement prévôtal.
Jussions : lettres de jussion **.
L.
Lettres-de-cachet ***.
Livres : livres prohibés **. Extrait d’un essai historique, par M. Defauges.
M.
Maison de force, autorisée par le gouvernement **.
Maîtrise.
Maltôte.
Maltôtier, espece de frêlon.
Mense abbatiale.
Mésalliance.
Messire.
Moine.
Moinillon, &c.
Monacal.
Monachisme, &c.
Ces quatre articles seront tirés de la lettre sur la sécularisation des moines, par Dom Hâse, sous-bibliothécaire de l’abbaye de Saint-Vincent.
Mortier : président à mortier.
N.
Nonne.
Nonnain.
O.
Ode au ministre[35].
Officier de fortune *. Article fourni par un jeune colonel.
Ordre : ordre du roi ***.
Arrêter d’ordre du roi.
Par des ordres supérieurs.
Ces articles seront extraits d’un traité d’Ordologie, publié par M. le Negre.
Le tiers-ordre.
P.
Parlement **.
Parlementaire ***.
Articles promis par une société de patriotes Gallo-Bretons.
Pension reversible. Article promis par le secrétaire de Madame la duchesse de Polignac.
Peuple : petit peuple.
Pigeonnier. Article promis par un curé décimateur.
Plaisir : les plaisirs de monseigneur. Idem, par l’aumônier de M. le duc de Noailles.
Populace (la).
Portion congrue : Article qui sera extrait du dictionnaire des conciles.
Prérogative.
Préséance.
Prestolet. Article extrait des œuvres de M. l’abbé de Senonvoi.
Prieur.
Prieuré, &c.
Prisonnier d’état **. Article fourni par M. le baron de la Lude.
Privé : conseil privé.
Privilege.
Privileges exclusifs. **. Idem : par un commis de la compagnie des Indes.
Privilégiés.
Procureur. Article déjà fait & pris dans un excellent traité d’agriculture, où l’on indique un moyen infaillible de détruire les charançons.
Profés.
Protégé. Article à prendre dans Gresset.
Protégée *. Article plus difficile à faire qu’on ne pense. L’auteur prie les littérateurs de lui faire part de leurs recherches sur ce mot.
Protecteur : Idem à prendre dans Gresset.
Protectrice : Idem rédigé par deux dames de Versailles.
Province.
Provincial, adj. qui étoit de province.
Provincial, dignité claustrale chez le mendians.
Q.
Question, torture. Cet article fera fourni par celui qui la donnoit.
R.
Rapporteur : M. le rapporteur.
Receveurs généraux des finances *.
Recors.
Réquisitoire.
Robin.
Roturier.
S.
Semi-preuve. Article de feu M. Dupaty.
Sénéchaussée, &c.
Serf.
Servage, appellé par les Anglois villainage.
Suppôts de la police. De quelle classe de citoyens les tiroit-on ? Problême à résoudre avant de pouvoir faire l’article.
T.
Trésoriers de France.
Troupes étrangères : l’emploi qu’on en faisoit.
V.
Vassal : mes vassaux.
Vénal, vénalité, &c.
Vœu monastique.
Voitures de la cour.

P. S. On voit par l’exposé de cette nomenclature, qu’il y a déjà un grand nombre de ces articles faits ou promis. Nous hâterons la besogne si le dictionnaire national est accueilli du public. Nous en donnerons un second qui comprendra tous ces articles & ceux qui pourroient nous être fournis, sous le titre de Dictionnaire de nos Neveux.

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TABLE

DES ARTICLES

Contenus dans ce Dictionnaire.


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Abbaye page 9

Abbé : abbé commendataire, 10

Abbé : nom appellatif, ibid.

Abbesse, 12

Abus, ibid.

Académie, 13

Accaparer, 13

Accapareur 14

Accaparement, ibid.

Accepter, ibid.

Adhésion patriotique, ibid.

Adresse, 15

Agio, agiotage, agioteur, ibid.

Aiourner, 16

Aller prendre les eaux, ibid.

Amendement, 17

Anglois, 18

Argent, ibid.

Aristocrate, 19

Arrêté, 20

Assemblée : assemblée du clergé, 21

— Assemblée nationale, 22

— Assemblée de la commune, ibid.

— Assemblée des districts, ibid.

Banqueroute, 24

Bataillon du centre, ibid.

Billets, billets de la caisse d'escompte, 25

Bons : bons d'état, bons sur les fermes, &c, ibid.

Boucles : boucles d'argent, ibid.

Bourse : celle qui est rue Vivienne, 26

Bourse : celle qui se tient rue du Hurepoix, ibid.

Brigands, 27

Bureaucratie, 28

Cahiers, ibid.

Caisse : caisse d'escompte, 29

Caisse nationale, ibid.

Caisse de l’extraordinaire, 30

Capitaliste, ibid.

Carte d’encrée dans les districts, 31

Citoyen, ibid.

— Citoyen actif, 52

— Citoyen éligible, ibid.

— Citoyen qui brigue l’honneur d’être élu, ibid.

— Citoyen qu’on doit élire, 33

— Citoyen enrôlé, ibid.

— Citoyens, ou gens de couleur, 35

Civisme, 36

Clergé, 37

Haut-clergé, 38

Bas clergé, ibid.

Coalition, ibid.

Cocarde nationale, ibid.

Comité, 39

— Comité des recherches, 40

— Comité de police, ibid.

— Comité des substances, ibid.

— Comité militaire, 41

— Comités : dans les districts, 42

Commissaire, ibid.

Complot, 44

Commune, ibid.

Conjuration, 45

Considération : prendre en considéraiion, 49

Constitution, ibid.

Conftitntionnel, 50

Contre-révolution, ibid.

Contribution patriotique, 51


Coté, 52

Club. ibid.

Curé, 53

Décret, 54

Décréter, 55

Déficit, 56

Délibérer, il n’y a lieu à délibérer, ibid.

Démagogue, 57

Démocrate, ibid.

Département, 58

Député, ibid.

Despotisme, 59

Dette : dette nationale, ibid.

Districts, 60

Doléances, 61

Don patriotique, 62

Drapeau, ibid.

Droit, ibid.

Droits, 63

Droits : terme de finance, ibid.

Eclairer, 64

Égalité, ibid.

Électeur, 65

Éligible : Voyez Citoyen, 66

Élire, ibid.

Emigrans, ibid.

États généraux, 67

Épaulettes 68

Épreuve : épreuve par assis & levé, ibid.

Galeries : Voyez Tribunes, 70

Guillotine, ibid.

Impartiaux, 72

Impôt territorial, ibid.

Imprimeurs, 73

Incendiaire, 74

Insurrection, 75

Journal, 76

Notice alphabétique & raisonnée des journaux, 78

Journaux nés depuis la révolution, 80

Journaliste, 96

Juges de paix, ibid.

Jurés, 97

Lanterne, 98

Lanterner, 99

Législation, législateurs, législature, ibid.

Leze : leze-majesté, leze-nation, 100

Lettre au rédacteur, 101

Libelle, 102

Liberté, 103

Liste civile, 105

Livre rouge, 106

Loi martiale, ibid.

Majorité : Voy. épreuve par assis & levé, 107

Maire, ibid.

Médaille patriotique, 108

Membre : l’honorable membre, ibid.

Milice : milice nationale, ibid.

Minorité : Voyez épreuve par assis & levé, 109

Mode, ibid.

Motion, ibid.

Municipalité, 111

Municipaux, ibid.

Nation, 112

National, ibid.

Noblesse, 113

Notables, 115

— Notables adjoints, 116


Numéraire : le numéraire, ibid.

Opinant, 117

Opiner, 118

Ordre, ibid.

— Ordre du jour, 119

— A l'ordre, ibid.

Organisation, organiser, 120

Papier-monnoîe, ibid.

Parole, 121

Patrie, 122

Patriote, 123

Patriotique, ibid.

Pension, 124

Poser une question, 126

Préopinant : Voyez opinant, ibid.

Préalable : voyez question, ibid.

Président, ibid.

Proclamateurs, 128

Proclamer, ibid.

Provisoire, 129

Pouvoir : pouvoir législatif, pouvoir exécutif, ibid.

Pouvoir rémunératif : Voy. pension, ibid.

Pouvoir constituant, 131

Question : question préalable : ibid.

Quart : le quart du revenu, &c. ibid.

Rayon, 135

Régime, 134.

Représentans de la nation, ibid.

Responsabilité, 137

Révolution, 138

Roi des François, 139

Sagesse : dans votre haute sagesse, &c. 141

Sanction, sanctionner 142

Scrutin, ibid.

Scrutateur : Voyez scrutin 143

Séance, ibid.

Serment national, serment civique, 144


Sous-amendement, 146

Suppléant, ibid.

Tiers état, ibid.

Trésor royal, 147

Tribunes ou galeries, 148

Vaisselle d’argent, 149

Veto, 150

Vice président, 152

Voyager, ibid.




Fin de la Table des Articles.
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  1. Il faut en excepter les histoires qui sont sorties de la plumie des abbés Raynal, Millot & Des… ; aussi les caffards les ont-ils tancés d’importance. Note de l’éditeur.
  2. Voyez la fable de l’âne vêtu de la peau du lion.
  3. Voyez Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde, & ne présentent pas des idées bien nettes, tels que Roi, Loi, Liberté, Parlement, &c. Par M… au Palais-Royal, 1790.
  4. Je préviens que dans cet article il y aura beaucoup de mots nouveaux, mais ils seront tous en italique : il faudra les chercher à leur ordre alphabétique.
  5. Voyez le mot éclairer.
  6. Je n’explique point ces mots d’intrà & d’extrà muros. Ils ont frappé les oreilles de nos petites maîtresses lors de la nomination des députés qui devoient représenter le banlieue de Paris. M. Target est député de Paris pour les citoyens extrà muros.
  7. Les Incas se disoient enfans du soleil ; c’étoit une race royale.
  8. Ce morceau est extrait du discours du roi, prononcé le 4 février, jour à jamais fatal pour nos ennemis & les siens ; car les siens sont les nôtres.
  9. Il ne faut pas de contre-révolution pour cela.
  10. Je crois que ce dernier quelques est employés dans le sens de plusieurs ; & plusieurs signifie quelquefois beaucoup. Note de l’éditeur.
  11. À l’époque du veto on distinguoit encore trois côtés, comme à l’époque des pensions on en distinguoit quatre. Note de l’éditeur.
  12. L’auteur a sans doute pensé que nous n’étions pas encore assez avancés dans la révolution, pour avoir besoin qu’on nous rappellât l’explication des mots cours souveraines, requisitoire & ministese public, &c. mais il les a placés dans la nomenclature de ceux qui s’oublieront, & dont on doit l’interprétation à la génération future. Note de l’éditeur.
  13. L’auteur du dictionnaire national est un peu néologue, & nous aurions retranché le mot fetfa, qui signifie décret rendu par le grand-seigneur, si nous travaillons selon l’ancien régime des littérateurs, où faire l’édition d’un auteur étoit le défigurer. Note de l’éditeur.
  14. Ce commencement d’article est de feu M. d’Osier ; il est beaucoup plus étendu dans le manuscrit ; mais le texte est tellement endommagé, qu’il n’a pas été possible d’en déchiffrer autre chose que ces mots : en cas d’attroupement. Note de l’éditeur.
  15. Bandits est un mot que l’auteur, qui est un peu néologue, a emprunté de l’italien où il signifie banis. Note de l’éditeur.
  16. Congru est pris ici dans le sens de modique, comme on disoit autrefois une portion congrue, pour exprimer le revenu plus que modique assigné aux curés qui n’étoient pas décimateurs, & dont le nombre étoit incroyable. Note de l’éditeur.
  17. Le Coran, vulgairement connu sous le nom d’Alcoran, est le livre laissé par Mahomet à ses sectateurs ; il tient lieu de constitution aux Turcs & à tous les Musulmans. On compte vingt-deux mille commentaires sur ce livre sacré. Note de l’abbé Toderini, traduite par un écolier du college royal.
  18. On nomme dans les journaux article météorologique, celui qui annonce le vent qui a soufflé la veille, & le temps couvert ou serein. Il est fait par un homme de l’art.
  19. Voyez Proclameurs.
  20. Voyez le numéro 27 du Moniteur, qui apprécie cette feuille avec impartialité.
  21. Voyez Bourse.
  22. On appelle ouvrage de fabrique, en littérature, ce qu’on désignoit autrefois par compilations, mais qui se fait beaucoup plus vite, parce qu’on ne lit pas même les livres qu’on se propose de compiler ou de copier, ce qui revient au même. Voici comment cela se fait. Par le moyen de la table des matieres, on choisit ses articles, on les marque au crayon ; on a un appareilleur qui vérifie le crayonnage, & livre la besogne aux copistes, d’où elle passe à l’imprimeur, & de celui-ci au public, sous les titres, soit d’Encylopédie méthodique ou sans méthode, soit de Bibliotheque de…, soit d’Histoire universelle, &c. Les entrepreneurs qui appliquent bien le mot de collection ou de bibliotheque, font une affaire d’or. Cette note est de M. C… D… qui connoît beaucoup cette espece de Littérature.
  23. Voyez la note de la page 79.
  24. Journal anglois qui a beaucoup de succès.
  25. L’auteur dit conquis & non reconquis, parce qu’avant la révolution les François n’avoient jamais été libres, malgré ce qu’en disent certains phrasiers, qui nous crient d’un air fier : les Francs, nos peres, étoient libres. — Eh ! non, Messieurs ! les Francs, vos peres, qui faisoient des bottines, des casaques, des rondaches, & qui auroient fait des phrases comme vous, s’ils avoient su lire ; ces Francs, dis-je, étoient des cerfs qui vivoient sous je joug féodal de ces francs hommes d’armes dont se prétendent issus certains François qui, d’hui en un an, paieront taille & taillon comme vous. Note de l’éditeur.
  26. C’est le nom qu’on donne au palais aux avocats qui plaident à l’audience de sept heures. Il y a un de ces septheuriers qui jouit d’une grande réputation, & dont le genre d’éloquence a passé dans nos districts.

    Cette note a été fournie à l’imprimeur par un ancien lieutenant de la bazoche.

  27. Le blessé.
  28. Voyez Clergé, Noblesse, Tiers-état.
  29. L’auteur de ce dictionnaire a deviné nos talens ; car il vient de paroître un discours en vaudevilles sur la liberté, qu’on attribue à M. l’abbé Chaufet ; c’est la touche de Panard ; la musique est du virtuose M. l’abbé Multo. Note fournie par un des auteurs de l’Almanach des Muses.
  30. On divise les gens de robe en haute & basse robe. M. Roubaud, qui a fait quatre gros volumes de synonymes, qu’il travaille à réduire à un, a soutenu, dit-on, que pour parler conséquemment, il falloit dire votre hauteur, au lieu de votre grandeur, en parlant à la haute robe. Si la remarque étoit adoptée, il faudroit donc dire aussi votre bassesse, en parlant à la basse robe. C’est à l’usage, qui a l’empire des mots, à prononcer sur ces innovations.
  31. Pierre parla, on dit en ouvrant la bouche.
  32. Joinville est le nom sous lequel voyage un prince très-connu. Note de l’éditeur.
  33. Voyez ce mot.
  34. Les porteurs du Mont-Cénis sont des hommes vigoureux qui transportent les voyageurs sur leurs épaules d’un côté du Mont-Cénis à l’autre. Lanebourg est le village ou bourg situé au pied des Alpes du côté de la France.
  35. Inutile à insérer, parce qu’il n’en parviendra aucune à nos neveux. Note de l’éditeur.