Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/CITOYEN

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CITOYEN : dans l’ancien régime on ne savoit pas ce que c’étoit ; on se qualifioit simplement de bourgeois de Paris, & cette qualité vouloit dire qu’on n’en voit point. Dans le nouveau régime, citoyen est pris civilement & moralement ; c’est un membre de la société, qui, non-seulement acquitte les charges civiles, mais encore est rempli des sentimens qu’inspire l’heurese liberté dans laquelle nous vivons.

Citoyen actif : c’est à Paris celui qui paie directement l’impôt.

Citoyen éligible : c’est, dans la nouvelle constitution, c’est-à-dire dans la constitution à faire, celui qui paie en impôt à la nation la valeur d’un marc d’argent, ou celui qui lui en fait le don. Il pourra être nommé électeur par ses concitoyens dans les assemblées primaires, & d’élection en élection devenir représentant de la nation, qui est le comble de la gloire à laquelle puisse aspirer un citoyen.

Depuis que ceci a été imprimé, il a été décrété que l’éligibilité en raison du marc n’auroit lieu qu’à le seconde législature.

Citoyen qui brigue l’honneur d’être élu : les districts en sont pleins, & rien ne prouve mieux le civisme qui anime les braves Parisiens ; MM. les procureurs, MM. les avocats ne sont pas les seuls qui le manifestent ; il en est même des artistes, peres de familles, qui portent le dévouement patriotique jusqu’à quitter leur établi deux fois la semaine pour assister aux assemblées de districts ; ils n’y pérorent pas, à la vérité, mais ils donnent des idées aux co-assistans qui les entourent ; on remarque leur zele, ils sont nommés commissaires, & du commissariat au perron de l’hôtel-de-ville il n’y a qu’une enjambée ; il n’est aucun citoyen enthousiaste qui, arrivé à ce perron, ne puisse justement prétendre au Manege.

Citoyen qu’on doit élire : les aristocrates prétendent que c’est le propriétaire qui doit être préféré. Les avocats, qui ne sont sûrement pas des aristocrates, ont protesté contre cette prétention : les procureurs sont intervenus, & ont adhéré à la protestation des avocats. La partie des citoyens qui hantent les districts ont fait droit sur la demande : procureurs & avocats sont élus par préférence, ils le méritent ; ils font les affaires des districts comme celles de leurs cliens ; la génération future sera étonnée d’un civisme aussi rare ; elle regrettera de n’avoir plus d’avocats & de procureurs à élire.

Citoyen enrôlé : celui qui a pris du service dans la milice nationale (Voyez milice nationale.) De toutes les classes de citoyens celle-ci est la plus précieuse ; elle s’arrache à ses foyers pour défendre ceux de ses freres, à qui l’âge ou la santé ne permettent point de s’armer ; car il n’y a que l’âge & la santé qui puissent dispenser d’une obligation aussi sacrée.

Tout ce que nous avons de mieux dans Paris s’est empressé de s’enrôler. Qui auroit dit que cette jeunesse brillante qui, naguere donnoit tous ses soins aux beau-sexe, soit devenue tout-à-coup martiale, & insensible aux fatigues des camps ; je je dis des camps, parce que le service des premiers momens de la révolution a été aussi rude ; aussi périlleux que celui des camps.

C’est en vain que des aristocrates ont reproché à nos jeunes gens de ne s’être enrôlés que pour porter des épaulettes ; qu’ils vouloient tous être officiers ; & qu’après la nomination de ces derniers, une infinité d’entr’eux se sont fait rayer du rôle militaire ; qu’ils se font tirer l’oreille pour faire leur service ; qu’il faut commander vingt personnes de garde pour en avoir six, & que la plupart se font représenter dans les gardes par des va-nuds-pieds indignes de porter l’habit national.

On répond à ces détracteurs, jaloux de voir la révolution s’opérer par les bons offices de cette milice nationale qu’ils voudroient ridiculiser. On leur répond que les fautes de quelques inconsidérés ne doivent point être attribuées à tout un corps qui s’est montré tel qu’il étoit dans l’expédition du 6 octobre, & dans la capture importance faite aux Champs-Elisées ; que quand tout le monde montoit la garde, sans doute il y a eu des gens qui se sont fait remplacer comme ils ont pu. Mais depuis, combien tout a changé ! le service est devenu personnel & à honneur ; il s’est fait avec une ponctualité qu’on auroit à peine attendue de vieilles légions. Répondez, mauvais citoyens, dans ces premiers temps, comment vouliez-vous que les femmes qu’on commandoit de garde l’eussent montrée, si elles n’eussent point trouvé des citoyens de bonne volonté qui la montoient ? Braves soldats ! continuez à nous défendre, & laissez l’envie ronger son frein.

Citoyens, ou gens de couleur : dans nos îles, c’est ainsi qu’on appelle une classe d’hommes issus du commerce d’un blanc avec une négresse, ou d’une blanche avec un negre. La plupart des gens de couleur, au Cap, sont propriétaires. À ce titre, ils ont prétendu avoir le droit d’être représentés à l’assemblée nationale, ce que les blancs des îles ne vulent point, mais ce que les blancs du continent trouvent très-juste.

M. l’abbé Grégoire, qui avoit déja fait entendre les plaintes d’une caste infortunée, (les Juifs) a plaidé la cause des gens de couleur ; il a peint à sa maniere, c’est-à-dire, avec énergie & vérité, l’état d’humiliation dans lequel les blancs des îles tenoient leurs enfans ou leurs parens les gens de couleur.

« Il leur est défendu, dit-il, de prendre des noms européens, d’exerce la médecine & la chirurgie, à peine de 300 livres d’amende, ou de punition corporelle ; il leur est défendu de manger avec des blancs, d’user des mêmes étoffes, de se servir de voitures, de passer en France, de porter des armes, &c. &c.

» Il leur est ordonné de ne prendre d’autre qualification, que celle de mulâtres libres, &c.

» Quelles que soient les vertus des gens de couleur & leurs richesses, ils ne sont point admis aux assemblées paroissiales : dans les spectacles ils sont à l’écart… il sont à l’écart encore dans les temples où les religion rapproche tous les hommes, mais où le mépris des blancs ose encore poursuivre ces malheureux, &c. &c. »

M. l’abbé Grégoire raconte que dans un temps de détresse, en 1762, un juge de police du Cap eut la cruauté de rendre une ordonnance qui défendit aux boulangers de vendre du pain aux gens de couleur, même libres, sous peine de 500 livres d’amende. On auroit de la peine à croire une pareille atrocité, si elle n’étoit dénoncée par un apôtre de la vérité. L’impitoyable cadi du Cap prétendoit-il que ces infortunés se fissent anthropophages ? Ô nature ! combien de fois ces blancs que vous avez favorisés vous ont outragée !