Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/VETO

VETO : encore un mot latin qui ne vaut gueres mieux que celui de déficit. Un journaliste a observé que nous n’étions pas heureux en affaire avec les Latins lorsque nous leur empruntions , qu’un de ces trois mots unigenitus, déficit & veto eût été seul capable de bouleverser la France. L’unigenitus est mort il y a long-temps, & nous en rions. Il n’en est pas de même du déficit, il pourra nous jouer quelque mauvais tour. Quant au veto, graces aux patriotes qui lui ont fait tête, il n’est entré en France que sous condition.

Veto signifie je défends ; je m’oppose à ce que telle ou telle chose ait lieu. C’est par ce mot terrible de veto que chez les Romains, les tribuns, qui étoient des magistrats chargés de défendre les intérêts du peuple, infirmoient sans retour les décrets aristocratiques du sénat.

En Pologne, un simple gentilhomme, en prononçant ce veto, enchaîne les volontés unanimes de la nation. S’il le prononce dans une diete, il faut qu’elle se sépare ; il est vrai que souvent on reconduit à coups de plat de sabre l’homme au veto. Mais cette petite vengeance ne remédie pas au mal.

Lorsqu’il fut question chez nous de la sanction royale, MM. Mounier, Lalli de Tolendal, d’Esprémenil, de Virieux, Malouet, & une partie des lésés de la nuit du 4 août, voterent pour que le veto absolu fût accordé à Sa Majesté. Il n’y auroit eu aucun inconvénient, si toutes les Majestés qui doivent succéder à Louis XVI eussent dû lui ressembler ; mais comme il y a grandement lieu de présumer le contraire, les hommes désintéressés & amis de la liberté se sont opposés de toutes leurs force à l’avis des préopinans. Ils ont soutenu qu’accorder le veto absolu au pouvoir exécutif, c’étoit lui livrer le pouvoir législatif, que c’étoit ramener les abus d’autorité qu’on avoit voulu bannir ; que par le veto absolu le despotisme se relevoit avec de nouvelles forces & des matériaux suffisans pour réédifier la Bastille & la remplir ; que la responsabilité des ministres n’étoit plus qu’une épigramme & la constitution un vain protocole. L’avis des hommes libres & prévalu, & la liberté naissante, à la veille d’être étouffée dans son berceau, a dû son salut à ces généreux défenseurs. Il a été décrété que Sa Majesté auroit le veto suspensif ; c’est-à-dire, que dans le cas où elle refuseroit sa sanction à tel ou tel article, ce refus n’auroit de force que jusqu’à la troisieme législature, par laquelle l’article frappé du veto seroit soumis au jugement de la nation pour, par elle, être admis ou rejetté.