Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/JOURNAL

JOURNAL : dans l’ancien régime c’étoit une feuille périodique, qui parloit de la pluie & du beau temps, donnoit des extraits de catalogues de libraire, & quelques lettres de MM. les abonnés à M. le rédacteur, que dans les cafés on prenoit bonnement pour des lettres. Par la voie de ces feuilles ont étoit informé très-exactement du genre & du nombre de grimaces que telle ou telle actrice avoit faite dans une piece nouvelle, des angoisses de l’auteur sifflé, & de la jactance de celui qui avoit été appellé sur la scene. Cet article étoit sur-tout précieux par l’impartialité de la critique.

Mais que tout est changé ! Ces feuilles, autrefois la pâture de nos désœuvrés, sont à présent l’aliment de toutes les classes de citoyens. On court après, on se les arrache, on les dévore. Nos politiques y lisent la régénération de l’empire & y trouvent les hausses & les baisses de l’aristocratie. Les muses sont réduites au silence, le journaliste seul est en scene où il a le plus grand succès ; aussi les journaux pleuvent tous les matins comme manne du ciel, & 50 feuilles, ainsi que le soleil, viennent tous les jours éclairer l’horizon.

Dans une circonstance où les papiers nouvelles deviennent si intéressans, je crois servir la cause publique en insérant ce dictionnaire, qui va devenir le manuel ces politiques, une notice de ces papiers, que je vais distribuer en deux classes ; la premiere contiendra les journaux qui existoient avant la révolution, & dont le privilege est en réserve pour avoir lieu si le cas y échet. La seconde classe sera formée des journaux qui ont vu le jour depuis la révolution & sous la sauve-garde de la liberté de la presse, accordée à tout être pensant, par un des articles du droit de l’homme, sur lequel il y a déja eu beaucoup de commentaires, & qui en aura autant que le Coran quand il aura autant de Lunes[1].

Je n’ai point fait mention des Journaux ondoyés, c’est-à-dire, de ceux qui sont morts dès l’instant de leur naissance, ni des feuilletons nés pendant l’impression de ce dictionnaire. J’y reviendrai dans une autre édition.

Notice alphabétique & raisonnée des journaux politiques, politico-patriotiques & politico-littéraires, qui paroissent tous les jours, ou au moins, une fois par semaine.
§. Ier.
Anciens journaux, ou journaux qui existoient avant la révolution.

Affiches : petites affiches, connues & utiles ; elles resteront parce qu’on perd toujours quelque chose, & sur-tout aujourd’hui que le commerce se fait en billets de caisse.

Année Littéraire : il y a très-souvent des articles dignes de Freron. Le goût du moment ne s’accommode pas au costume de cette feuille.

Courier d’Avignon, Courier du Bas-Rhin : ils viennent à Paris, comme une autre denrée, parce qu’il n’y a point encore eu de contre-avis.

Courier de l’Europe : bon quoique ne traduisant pas toujours à la lettre ; mais plus textuel depuis la révolution.

Esprit des Journaux : utile à ceux qui sont à l’affût des livres à traduire. Il paroit tous les mois : c’est un livre comme beaucoup d’autres en font, quand ils ont du crayon & des copistes ; l’auteur en voit les épreuves.

Gazette de France : aussi intéressante qu’avant la révolution ; elle restera. C’est un papier-meuble, aussi nécessaire à un limonadier, qu’un verre à bavaroise qu’elle accompagne presque toujours.

Gazette des Deux-Ponts, de Leyde, d’Amsterdam, de Hollande ; bonnes à quelques peccadilles près ; leur germanisme est excusable.

Journal de Paris : restauré à temps, & bien. On y a des nouvelles de la premiere main ; & si la partie météorologique y est un peu négligée, c’est qu’on ne peut avoir l’œil vers le ciel & sur la terre en même temps[2].

Journal Général de France : il va ; la partie des spectacles sur-tout aide au rouage.

Journal Encyclopédique : très-bien fait, sur-tout les articles signés Awans.

Journal ecclésiastique : travaillé comme s’il devoit être lu.

Journal des causes célebres : si l’auteur oublioit qu’il a fait des requêtes, son journal seroit laconique.

Journal de Médecine, de Santé, Général du Commerce : bons, quand ils parviennent à leur adresse.

Mercure : connu, froid & en péril de mort avant sa restauration ; depuis cette époque aussi vigoureux que véridique, sur-tout lorsqu’il assure en parlant de M. de Choiseul, que c’étoit un exemple de modestie. La partie politique est faite par un Suisse qui croit que l’article d’un journal se fait comme un rapport ministériel.

§. II.
Journaux nés depuis la révolution.

Les Actes des Apôtres : pamphlet antipatriotique, où l’astuce du serpent est mêlée au venin de la vipere. Les premiers numéros étoient des apôtres, non de ceux qui parloient comme Saint-Paul, mais comme Matthieu quand il étoit encore dans son premier métier. Depuis le numéro 7 jusqu’au numéro 18, ce ne sont point les apôtres qui tiennent la plume, mais leurs disciples, qui n’ayant point reçu l’esprit-saint qui a fait parler les premiers, ne bavardent que comme des caillettes. Les numéros de trente à trente-cinq sont du treizieme apôtre, qui n’aura jamais le courage d’Iscariote, dont il mérite le sort. Ce scribler que les modernes Augustins soudoient n'est pas heureus en épigraphes ; dans le tas de calembourgs qu’il nous donne pour des épigrammes, on distingue l’appel nominal, qui est digne du recueil qui se vend chez la veuve Lesclapart, où figurent si spirituellement M. l’abbé Tise, & Madame la comtesse Tation. Pelletier ! Pelletier ! as-tu donc tant besoin de dîner ?

L’Alambic, ou le Distillateur François : feuilleton propre aux opérations ultérieures de la pharmacie.

L’Ami du peuple : connu pour violent en société, & cité pour mauvaise langue par ceux qui prétendent, avec raison, qu’entre amis on ne se dit point d’injures, & qu’on ne fait point de caquets ; les proclameurs le regrettent[3]. Depuis quelque temps il valoit toujours deux sous, même le lendemain, avantage dont ne jouit aucun papier proclamé. L’ami du peuple n’étoit pas de la meute aboyante celui qui étoit le plus à craindre, & c’étoit à l’auteur des actes des apôtres que l’huissier, qui s’introduisit chez M. Marat, auroit dû porter le billet doux dont il étoit chargé. Voyez Actes des apôtres.

Annales de France : c’est un cours d’histoire, en donnant à ce mot l’acception qu’il doit avoir chez un peuple libre.

Annales universelles et méthodiques : l’auteur ne tient point compte de la premiere épithete de son titre, elle n’y est que pour la symmétrie. Il remplit assez bien la seconde.

Annales politiques et littéraires : par l’auteur de l’an deux mille. Si tous les feuilletons avoient un pareil passeport, ils ne craindroient point la chûte des feuilles.

Annales parisiennes, ou Lettres philosophiques, politiques & littéraires : tout cela peut entre dans le titre de ces lettres, où l’on parle de tout avec une volubilité qui est un vrai caquet écrit. Mais nous n’avons encore qu’un échantillon de ces annales ou lettres adressées à une dame de Chambéry, qui ne répond rien, & n’a le temps de rien répondre, puisqu’on l’accable toutes les semaines de sept mortelles lettres. Parmi les mille & un lieux communs sertis dans ces lettres, on distingue avec plaisir ces deux pensées : Nos histoires de France ne sont autre chose que celles des monarques & non de leurs sujets… La plupart des soi-disans historiens ressemblent à ces valets qui sont les seuls qui donnent du monseigneur à leurs maîtres… Mais on ne pardonne point à M. l’analyste Parisien d’avoir dit une médiocrité incurable… des insects inappercevables. Un journaliste qui a vécu à Chambéry, la ville où il est prouvé qu’on parle le mieux françois, eût dû dire des insectes imperceptibles.

Assemblée nationale : c’est le narré simple, vrai & non commenté de ce qui s’y passe, fait par un témoin oculaire, qui, comme beaucoup d’autres, s’en tient à ce rôle.

La Bouche de fer : pamphlet périodique qui existe encore parce qu’il vient de naître : c’est un aristocrate qui macule du papier destiné sans doute à tout autre usage que celui de la bouche.

Bulletin de l’Assemblée nationale : au moment où s’imprimoit son article, le moniteur a attiré à lui ce journal, comme la Seine attire à elle la riviere des Gobelins. Voyez le Moniteur.

La Cocarde nationale : nos ancêtres n’auroient jamais deviné que Cocarde nationale eût pu devenir le titre d’un journal… mais que de choses nos ancêtres n’auroient pas devinées ! C’est une œuvre toute patriotique que le journal, dit la cocarde nationale, ce sont des soldats-citoyens qui y cooperent, & Buisson, soldats-citoyen, qui nagueres le vendoit ; il est rédigé par un fils littéraire de M. le Tourneur, qui n’y emploie pas le style des nuits d’Young, parce que le langage de l’épopée n’est pas celui d’un franc soldat. Il y a des anecdotes piquantes dans cette Cocarde ; j’aime, par exemple, celle où MM. de Cluni offrent de rendre une statue de marbre de Turenne ; mais j’applaudirois davantage au zele de ces MM. s’ils gardoient le Turenne, & nous donnoient cette belle vierge d’argent que je leur ai vue.

Le Courier de Provence : il a le plus grand débit : il est fait par un Prussien qui a tous les talens littéraires, & possede notre langue à un degré si éminent, qu’il ne nous donne pas un numéro où il n’y ait quelque mot nouveau dont les quarante ne se seroient jamais douté ; & ce, parce que les quarante n’ont que les idées des autres, & que le Prussien en a qui ne sont qu’à lui. Il est devenu néologue par nécessité ; & comment eût-il écrit sans néologisme ce traité sur le commerce des effets royaux, qui nous en a tant appris ? Voyez l’ag… dédié, ou fait pour être dédié à M. l’abbé d’Esp…

Le Courier de Paris : proclamé, digne de l’être : dès dix heures du matin, il vaut plus qu’un sou.

Le Courier de Paris dans les provinces : il va, & pourroit aller mieux en veillant à la main-d’œuvre. L’auteur donne toute son attention à un traité sur l’ostracisme auquel il travaille.

Le Courier de Madon : je n’en dis rien, je ne parle point mal des moribonds.

Le Courier national, politique et littéraire : national, je le veux bien ; politique, idem, puisque ces deux mots sont à la merci de qui veut s’en servir ; mais littéraire… je défie qu’on me dise pourquoi. Il n’y a pas de doute que quand on le restaurera, comme il a besoin de l’être & peut l’être, puisque l’auteur est une espece de restaurateur, on supprimera ce mot littéraire, dont les débitans, c’est-à-dire les colporteurs, ne se soucient gueres, & n’entendent point.

Le Courier François : il sue pour contenter ses abonnés & les colporteurs. Il ne ment que quand il est trompé, ce qui est très-probe de sa part ; s’il surnage, il se fera, & s’il se fait, il surnagera.

Le Courier de l’Escaut & le Courier de Brabant : s’ils n’ont point de réputation littéraire, ils acquerront au moins celle de véridiques, quand ils auront établi des correspondances dans les pays dont ils parlent. Les colporteurs se plaignent que le débit de ces papiers est dur, & qu’à cinq heures du soir ils ont éprouvé une baisse de 100 p. 100.

La Chronique de Paris : voyez le Modérateur, avec lequel on dit que ce journal va faire chambrée & cause commune. Ces feuilles associées, vivifiées & corroborées des facultés de leurs communs coopérateurs, ne peuvent manquer de réussir, parce que ce sont réellement des gens de mérite que ces coopérateurs ; mais il faut qu’ils évitent le travail en sous-œuvre, que le modérateur n’ait point des petites coleres, & que la chronique ou son auteur se persuade que le haut de la rue Saint-Jacques ne pense point comme le Palais-Royal.

Les Déjeuners, ou la vérité à bon marché : à bon marché !… point du tout, puisqu’on invite les gens, & qu’on les renvoie à jeûn. Si je voulois jouer sur les mots, ce qui ne m’arrive jamais, je dirois que les gens qui usent de ces déjeûners ne sont pas de ceux qui graissent le couteur ; car rien de plus maigre que ces chétifs déjeûners ; mais ils se vendront, ils sont aristocrates[4].

Nota. À l’instar de M. Galand, qui commençoit tous ses contes par ma sœur, si vous ne dormez point, &c. l’auteur des déjeûners commence les siens par mon bon peuple, &c.

La même cuisine a encore fourni de mauvais dîners, où les convives se battent en vain les flancs pour se faire rire, pour être plaisans, mais où ils ne sont que de plats rieurs. Vers la fin du repas, celui qui a rédigé ces dîners demande grace, avec raison, pour les insipides balivernes de ses compagnons de table, qui n’ont bavardé que comme des buveurs d’eau. Du Champagne, morbleu ! du Champagne, & l’on est patriote ! L’auteur, qui est comme Blaise, nous menace de ses quatre repas. Puisque les idées cuisinieres montent sa Minerve, je veux lui fournir un titre ; qu’il fasse l’indigestion politique. Cela viendra bien après ses repas.

Débats de l’assemblée nationale : c’est bien effectivement ce qui s’est débattu dans l’assemblée ; mais le journaliste rapporte les disputes comme un homme qui les a vues de loin. Il ne nous peint point le regard étincelant des contendans ; cette tension nerveuse de celui qui prépare son coup, la souplesse adroite de celui qui l’évite pour en porter un plus terrible peut-être. Je n’entends point le cliquetis des armes ; je n’entends point les huées qui honnissent le champion qui s’est mal défendu, ni les applaudissemens qui portent aux nues celui qui sort victorieux de l’arene. Ah ! je le vois ; les ils dirent, les ils répondirent ne parlent point à l’ame.

Diogene dans le tonneau : gai, mais peu connu ; son rire est quelquefois sardonnique.

Les fastes de la liberté : ce journal aura autant de succès que les fastes de la Grande-Bretagne. Même style, même maniere ; j’aime mieux cependant m’endormir en lisant les fastes de la liberté, que ceux de la Grande-Bretagne, parce que je rêve cocarde, district, municipalité, département, liberté de la presse, &c. &c. &c. Ce qu’il y a de singulier, c’est que je dois à l’avant-dernier numéro de ce journal d’avoir rêvé que j’étois maire ; je me réveillai même en disant : Marat je te pardonne.

Gazette de Paris : le nom du rédacteur de ce journal est inscrit dans l’Almanach des grands hommes, ouvrage dans lequel se trouve colligée, & inscrite, par une anticipation qui tient de la prophétie, la majeure partie de nos modernes Montesquieux.

Nota. Il ne faut pas confondre cette gazette de Paris avec celle de France, parce que toutes les deux elles s’appellent gazette, & que toutes les deux elles sont intéressantes ; mais l’une, la gazette de France, intéresse avec privilege & in-quarto, sans privilege & in-octavo. Voyez ce qu’on dit de la premiere, page 79. Il n’y aura bientôt plus rien dire de la derniere.

Gazette Nationale, &c. Voyez Moniteur.

Gazette nationale et étrangere. Ainsi que le journal des savans, elle n’imprime plus… Cette dénomination de gazette est-elle dont réprouvée ? car la gazette nationale étoit faite pour réussir ; la partie politique étoit d’un écrivain connu avantageusement par plusieurs ouvrages de poids. Sa théorie de l’éducation a balancé l’Emile, sur-tout par la fraîcheur des gravures & une dimension de dortoir qui est de main de maître. La partie littéraire étoit due à la plume qui a tracé cette fameuse lettre d’un capucin, qui a eu un rude succès dans son temps. L’auteur en outre a fait des esprits.

Gazette universelle ou de tous les jours… Elle va malgré son titre, & malgré son titre elle intéresse.

Journal universel, ou révolutions des Royaumes. Proclamé. L’article variétés est à la portée des proclamateurs. Le rédacteur, qui est citoyen-soldat, ce qui est sûrement la même chose que soldat-citoyen, possede à un degré peu commun l’art difficile de libeller le sommaire de son journal, ce qui épargne aux proclamateurs un travail d’esprit souvent pénible.

Journal général de la cour et de la ville, à l’usage des fauxbourgs. Les agens de change de la rue du Hurepoix[5] se chargent le moins possible de ce papier. Le rédacteur coopéroit ci-devant à une autre œuvre politique, qui étoit colportée avec autant de succès que les vaudevilles de M. Duchemin ; une rivalité de talens a mis de la zizanie entre M. G… & lui, & cette querelle nous a valu un journal de plus. Il n’y a pas un amateur de la belle littérature qui ne souhaite que MM. BB… & G… ne se réconcilient : nous aurions un journal de moins.

Journal de Versailles et de Paris. On le trouve au bureau des voitures de la cour.

Journal des réclamations. Aboyeur antipatriotique. Il se vend dans le Marais.

Journal des découvertes utiles. Il arrive souvent un peu tard. C’est dans la littérature ce qu’on appelle un ouvrage de fabrique. Ces sortes de livres se vendent ou plutôt se vendoient. La saison reviendra. Elle est même encore dans son beau pour les collections politiques[6].

Journal des constitutions : écrit en Gallois, par l’auteur des imprudences de la jeunesse, que Buisson croit avoir en François. Ce journal est extrait d’un excellent livre anglois qui lui-même est l’extrait d’un autre extrait.

Journal des établissements : utile jusqu’à présent à l’auteur & au public. Il restera.

Journal général de la police et des tribunaux : on y trouve d’excellents morceaux d’astronomie & un article de météorologie de M. de la Lande[7]. Je croyois que cet illustre savant, pour nous donner une idée de l’universalité de ses talens, s’en seroit tenu à ses neuf gros volumes de voyages en Italie, où sont inscrits avec exactitude les noms de toutes les auberges, & qu’il n’auroit point mis la main à la gazette dont il est question ici. D’après cette idée je présume encore que c’est le rédacteur qui emprunte le nom de cet homme célebre, comme il a emprunté celui d’un jeune académicien Basque, qui dans cette gazette dite de la police et & des tribunaux, donne des détails très-intéressans sur l’anneau de Saturne. Le public, assure-t-il, verra avec plaisir que l’espace VUIDE compris entre l’anneau & le globe de la planette est de 1,169,069,000 lieues quarrées.

Journal d’État et du citoyen : on n’en est encore qu’au prospectus de ce journal, malgré les prolixes numéros qu’en a publiés l’auteur, qui est déjà connue par des ouvrages de poids, elle s’empresse d’effacer ou d’égaler la réputation de la ci-devant fameuse madame Dacier, de soporifique mémoire.

Journal national, par M. Sabatier &c. Aussi national que véridique, aussi véridique qu’impartial ; il n’y a que cette derniere propriété qui lui soit commune avec les trois siecles que l’auteur a fait avec adjoint, comme il fait encore son journal. Sa plume qui est dans ses mains, ce qu’en Sicile est le stilet dans la main d’un bandito, travaille pour la clique aristocrate, & a des acheteurs, sur-tout depuis que les aristocrates, au lieu d’accaparer le bled, se sont emparé du numéraire. Ceux qui traitent directement & habituellement avec le Sabotier sont de cette famille nombreuse, dont j’ai déjà parlé dans un des premiers articles de ce dictionnaire.

Nota. L’auteur du journal national ne vit point au milieu de la nation. On assure qu’il est en terre étrangere, & fait bien. L’abbé Toi & lui, quels pendus cela auroit fait !

M. Desmoulins observe que le Sabotier est le seul scribler qui continue de braire contre l’assemblée nationale. Il n’y auroit qu’un moyen de le faire taire, je viens de l’indiquer.

Lettre à M. le Comte de B*** ; attribuées à M. de Luchet, pour faire piece à M. Duplain de Sainte-Albine ; elles se font lire.

Mémorial des États-Généraux : le titre est gothique ; ce journal est une petite feuille faite par un homme d’esprit, qui le réserve pour les intérêts de ses commettans.

Mémorial Politique et Littéraire : il n’est pas plus l’un qu’il n’est l’autre, & ne sera bientôt plus ni l’un ni l’autre. C’est un feuilleton qui n’est point manufacturé.

Le Modérateur : il remplit son titre, il est écrit dans le calme des passions, & le philosophe qui le rédige a plus que du sang froid : s’il se réunit à la chronique de Paris, ainsi que je l’ai dit, & qu’on me l’a assuré, ce journal ne perdra rien de ce sang froid. Le style ne sera pas absolument disparate, parce que l’auteur du Modérateur est un romancier, & que celui de la Chronique a envie de le devenir ; il y réussira s’il change de quartier & d’état. Voyez Chronique de Paris.

Le Moniteur : journal Patagon, il est plein & rempli, en prenant le premier mot au figuré & le second au propre. Feuilletons pigmées, semi-in-8°, comme ce journal vous couvre tous avec son in-folio, formidable ! comme il vous tu par son plein, quoiqu’il vous alimente par son rempli ! Vous ne serez plus quand il fera lui réellement, & s’il est une feuille qui survive à la foliomanie, ce sera le Moniteur. Les rédacteurs ont du talent & connoissent leur besogne ; l’entrepreneur qui les employe ne les tracasse point, il a même le bon esprit de ne mettre rien du sien dans son folio-carton, quoiqu’il soit homme de lettres.

Les nouvellistes du Palais Royal : par un garçon gaufrier, & à l’usage de son maître.

L’Observateur : je ne voudrois point qu’il fût proclamé, & cependant c’est le meilleur effet que les agens de change de la rue du Hurepoix négocient. Un aristocrate qui a mis la plume à la main, & n’y met jamais que la plume, a essayé en vain de rendre à l’Observateur une portion du ridicule que cet ami du peuple a versé & verse encore à pleines-mains sur la meute aristocratique.

Le fidele Observateur : titre parasite qui n’a réussi que dans les fauxbourgs ; les colporteurs ne se chargent de ce nouveau journal qu’à défaut de l’autre, & pour faire piece à leurs camarades. L’imprimeur-national qui fait gémir la presse pour ce feuilleton est donc bien affamé de maculatures !

Le Patriote François : rédigé par un patriote estimé qui joint à l’exactitude les graces du style.

Le Patriote incorruptible : la différence de celui-ci au précédent est, que le Patriote françois se vend à la douzaine, & le patriote incorruptible à la rame.

Le Point du Jour : il iroit, si l’aurore de ce beau jour n’arrivoit pas un peu tard, si l’auteur donnoit un peu plus de levain à sa pâte ; mais cet ouvrage n’est que secondaire, une besogne plus sérieuse appelle ailleurs M. B… de V…

Les Révolutions de Paris : dites Prud’homme. C’est le livre rouge où sont consignées toutes les manœuvre aristocratiques des différentes castes aristocrates, nées avant ou après l’ere de la révolution : cet ouvrage a un débit étonnant, & le mérite, même depui le fameux schisme.

Les Révolutions de Paris, dites Tournon : dans l’ancien régime, M. Tournon eût réveillé le procès de M. Luneau de Bois-Germain, que les libraires vouloient ruiner, mais à qui il a fait subir la peine du talion, par son cours d’histoire universelle. Dans le nouveau régime, M. Tournon s’est fait justice lui-même, & nous avons eu deux révolutions de Paris qui n’ont de commun que le costume, car la manufacture Tournon ne procede pas comme la manufacture Prud’homme ; cette dernier a conservé la priorité & la majorité.

Les Révolutions de France et de Brabant : ce journal prendra. M. Camille Desmoulins est un charmant démocrate, qui, il est vrai, appelle un chat un chat, & Favras un vil traître ; mais il a du ton, il a du feu ; il ne dit point de grosses injures, sur-tout quand il se sera défait de ce mot trivial de calotins qu’il supprimera sans doute, s’il se rappelle l’expression de M. l’abbé de Montesquiou qu’il cite en l’admirant, pag. 439, de son no 28. Il y a dans ce journal des plaisanteries vraiment originales, & j’ai fait vœu d’être un des fideles abonnés de M. Camille Desmoulins, à la lecture de ce vers :

La lanterne est en croupe & galope avec lui.

C’est lorsqu’il peint M. Mounier fuyant en Jockey la terrible lanterne, qui suit ce député jusqu’en Dauphiné. Nouvel Oreste, l’infortuné Mounier croit voir à chaque poste l’implacable falot prêt à le saisir.

Le Rodeur : il imite le Rambler[8], comme les Délassemens comiques les comédiens François.

Les Sottises de la Semaine : on a mis du luxe typographique dans cette feuille ; elle est la seule qui paroisse avec le portrait de l’auteur ; cependant, c’est une rapsodie aristocrate qui seroit dangereuse, si elle pouvoir soutenir la lecture. La plus grande sottise que puisse faire l’auteur rapsode de ce feuilleton est de le continuer.

Le Solitaire des Thuileries : bon pour ce jardin quand il y avoit des ifs.

Le Spectateur National : un pamphlet aristocrate a dit que ce n’étoit pas celui d’Adisson, & je dis, moi, qu’il est des numéros de ce journal qu’Adisson seroit bien-aise d’avoir faits.

La Veillée Villageoise : à l’usage des laitieres ; dédiées à celle des municipalités de Ris, qui restera en exercice ; l’auteur qu’on m’a dit être un agriculteur de nos fauxbourgs, a des vues & des principes ; il est toujours à la portée de ses lecteurs.

Le Vengeur : ce n’est pas celui qu’invoque Didon ; le redresseur de torts qui prend ce titre n’attaque que des moulins à vent, & les attaque en homme a peur. Quand on se proclame le vengeur des opprimés, il faut avoir du nerf pour les défendre, & celui dont il est question ici n’est qu’une caillette qui crie au secours.

Le Véridique : passable dans deux ou trois numéros, inlisible dans les autres.

L’Union : ce journal égale le Moniteur en format, dont ne connoît l’inconvénient qu’au toucher, & qui disparoît quand on les a lus. L’Union, comme le Moniteur, prendre de la consistance, & deviendra un papier qu’on recherchera bientôt avec empressement, mais il faut que l’Union donne des nouvelles de plus fraîches dates.

  1. Le Coran, vulgairement connu sous le nom d’Alcoran, est le livre laissé par Mahomet à ses sectateurs ; il tient lieu de constitution aux Turcs & à tous les Musulmans. On compte vingt-deux mille commentaires sur ce livre sacré. Note de l’abbé Toderini, traduite par un écolier du college royal.
  2. On nomme dans les journaux article météorologique, celui qui annonce le vent qui a soufflé la veille, & le temps couvert ou serein. Il est fait par un homme de l’art.
  3. Voyez Proclameurs.
  4. Voyez le numéro 27 du Moniteur, qui apprécie cette feuille avec impartialité.
  5. Voyez Bourse.
  6. On appelle ouvrage de fabrique, en littérature, ce qu’on désignoit autrefois par compilations, mais qui se fait beaucoup plus vite, parce qu’on ne lit pas même les livres qu’on se propose de compiler ou de copier, ce qui revient au même. Voici comment cela se fait. Par le moyen de la table des matieres, on choisit ses articles, on les marque au crayon ; on a un appareilleur qui vérifie le crayonnage, & livre la besogne aux copistes, d’où elle passe à l’imprimeur, & de celui-ci au public, sous les titres, soit d’Encylopédie méthodique ou sans méthode, soit de Bibliotheque de…, soit d’Histoire universelle, &c. Les entrepreneurs qui appliquent bien le mot de collection ou de bibliotheque, font une affaire d’or. Cette note est de M. C… D… qui connoît beaucoup cette espece de Littérature.
  7. Voyez la note de la page 79.
  8. Journal anglois qui a beaucoup de succès.