Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/IVe Éclaircissement


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IVe. ÉCLAIRCISSEMENT.

Que s’il y a des obscénités dans ce livre, elles sont de celles qu’on ne peut censurer avec raison [* 1].


I. Quand-on dit qu’il y a des obscénités dans quelque livre, on peut entendre :

1°. Ou que l’auteur donne en vilains termes la description de ses débauches, qu’il s’en applaudit, qu’il s’en félicite, qu’il exhorte ses lecteurs à se plonger dans l’impureté, qu’il leur recommande cela comme le plus sûr moyen de bien jouir de la vie, et qu’il prétend qu’il faut se moquer du qu’en dira-t-on, et traiter de contes de vieilles les maximes des gens vertueux ;

2°. Ou que l’auteur raconte d’un style libre et enjoué quelques aventures amoureuses inventées à plaisir quant au fond même, ou pour le moins quant aux circonstances, et quant à la broderie ; et qu’il fait entrer dans ce récit plusieurs incidens impurs, sur quoi il verse tous les agrémens qu’il lui est possible, afin que ce soient des narrations divertissantes, et plus propres à faire naître l’envie d’une intrigue d’amour qu’à toute autre chose ;

3°. Ou que l’auteur, voulant se venger d’une maîtresse infidèle, ou excuser les transports de sa passion, ou faire des invectives contre une vieille courtisane, ou célébrer les noces de son ami, ou se divertir à débiter des pensées, donne l’essor à ses muses, et les fait servir à des épigrammes ou à des épithalames, etc., dont les expressions contiennent une infinité de saletés ;

4°. Ou que l’auteur fait des invectives contre l’impudicité, qui la décrivent trop nuement, trop vivement, trop grossièrement ;

5°. Ou que l’auteur, dans un Traité de physique, ou de médecine, ou de jurisprudence, s’est exprimé salement, ou sur la génération, ou sur les causes et sur les remèdes de la stérilité, ou sur les motifs du divorce, etc.

6°. Ou que l’auteur, voulant expliquer le texte latin de Catulle, ou de Pétrone, ou de Martial, a répandu beaucoup d’ordures dans son commentaire ;

7°. Ou que l’auteur, faisant l’histoire d’une secte ou d’une personne dont les actions étaient infâmes, a raconté bien naïvement quantité de choses qui blessent les chastes oreilles ;

8°. Ou que l’auteur, traitant des cas de conscience, et particularisant les différentes espèces du péché de la chair, a dit bien des choses que la pudeur ne digère pas facilement ;

9°. Ou enfin que l’auteur rapporte des faits historiques qui lui sont fournis par d’autres auteurs qu’il a soin de bien citer, lesquels faits sont sales et malhonnêtes ; qu’ajoutant un commentaire à ses narrations historiques pour les illustrer par des témoignages, et par des réflexions, et par des preuves, etc., il allègue quelquefois les paroles de quelques écrivains qui ont parlé librement, les uns comme médecins ou jurisconsultes, les autres comme cavaliers ou poëtes, mais qu’il ne dit jamais rien qui contienne ni explicitement ni même implicitement l’approbation de l’impureté ; qu’au contraire il prend à tâche en plusieurs rencontres de l’exposer à l’horreur, et de réfuter la morale relâchée.

Voilà, ce me semble, les principaux cas où se peuvent rencontrer les écrivains que l’on accuse d’avoir débité des obscénités.

Au premier cas ils sont dignes, non-seulement de toutes les peines les plus sévères du droit canon, mais ils doivent aussi être poursuivis par le magistrat comme des perturbateurs de l’honnêteté publique, et comme des ennemis déclarés de la vertu.

Quant à ceux du second cas, et du troisième, et du quatrième, et du cinquième, et du sixième, et du septième, et du huitième, chacun en jugera ce qu’il voudra : je n’y ai aucun intérêt, je ne me trouve que dans le neuvième cas, et il me suffit d’examiner ce qui concerne cette dernière espèce d’obscénités. Je ferai néanmoins deux ou trois considérations générales sur les autres.

II. Je dis en premier lieu, qu’il y a divers étages dans les sept classes d’écrivains que j’abandonne au jugement des lecteurs [1]. On s’y peut tenir dans certaines bornes, et on les peut passer ; cela varie prodigieusement les différences et les proportions ; et l’on serait fort injuste si l’on prononçait la même condamnation contre tous les écrivains qui appartiennent à la seconde classe. Les Cent Nouvelles nouvelles [2], celles de la reine de Navarre, le Décaméron de Boccace, les Contes de La Fontaine, ne méritent point la même rigueur que les Raggionamenti de l’Arétin, et que l’Aloisia Sigæa Toletana. Les auteurs de ces deux derniers ouvrages méritent d’être envoyés avec Ovide dans la première classe des auteurs obscènes.

Je remarque, en second lieu. que de tout temps une infinités de personnes se sont accordées à condamner les obscénités, et que cependant cela n’a jamais paru une décision qui eût l’autorité des choses jugées, et à quoi les poëtes, les commentateurs, etc., fussent obligés de se conformer à peine de perdre la qualité d’honnête homme. Les censeurs des obscénités semblent être d’autant plus capables de terminer la question par un arrêt définitif et exécutoire dans toute la république des lettres, qu’ils pourraient former un sénat composé de toutes sortes de conditions. On y verrait non-seulement des personnes vénérables par l’austérité de leur vie, et par leur caractère sacré, mais aussi des gens d’épée, et des galans de profession, et en un mot beaucoup de sujets dont la vie voluptueuse cause du scandale. Voilà un préjugé de grand poids ; car il faut bien que la liberté des vers lascifs soit une mauvaise chose, puisqu’elle est désapprouvée par ceux mêmes qui vivent impudiquement. Mais on a eu beau déclamer contre les écrits obscènes, on n’a jamais obtenu que désormais ils serviraient à discerner les honnêtes gens d’avec les malhonnêtes gens. Il s’est toujours conservé dans la république des lettres un droit ou une liberté de publier des écrits de cette nature. On n’a jamais laissé prescrire ce droit : plusieurs personnes de mérite en ont empêché la prescription par la liberté dont elles se sont servies pour cette sorte d’ouvrages, sans que cela leur ait attiré aucune note, ou les ait rendues moins dignes de jouir de tous les honneurs et de tous les priviléges de leur état, et de parvenir aux avancemens que leur fortune leur pouvait promettre [3].

On se ferait siffler si l’on prétendait convaincre Boccace de n’avoir pas été honnête homme, puisqu’il a fait le Décaméron ; ou si, sous prétexte que la reine de Navarre, sœur de François Ier., écrivit quelques Nouvelles galantes, on voulait conclure qu’elle n’a pas été une princesse d’une vertu admirable, et dont les éloges retentissaient de toutes parts. Antoine Panormita ne perdit rien, ni de sa fortune, ni de sa bonne réputation, pour avoir écrit fort salement le poëme de l’Hermaphrodite [4]. Disons-en autant de Benoît le Court et du célèbre André Tiraqueau. Celui-là, composant un commentaire sur les Arrêts d’Amour de Martial d’Auvergne, se donna beaucoup de licence : Nonnunquàm etiam, dit-il dans son Épître dédicatoire à un conseiller au parlement de Paris, quòd in amore jocatus sim lasciviente calamo : et personne n’ignore combien de sales recueils André Tiraqueau a fait entrer dans son commentaire sur les Lois Matrimoniales [5]. Scipion Dupleix chercha-t-il quelques détours ou quelques ménagemens dans l’ouvrage intitulé, La Curiosité naturelle rédigée en questions selon l’ordre alphabétique ? N’expliqua-t-il point les choses avec les termes les plus naturels du monde ? Que perdit-il par cet ouvrage ? rien du tout. On ne finirait jamais si l’on s’engageait à donner la liste de tous les jurisconsultes qui, dans des procès d’adultère ou d’impuissance, ont allégué bien des saletés, sans nul préjudice de leur réputation. J’en ai nommé trois ou quatre, Antoine Hotman, Sébastien Roulliard, Vincent Tagereau, et Anne Robert [6]. Cela suffit : nommons quelques personnes d’un autre ordre.

Les Hollandais jetteraient la pierre sur quiconque voudrait diffamer Secundus [* 2] sur le pied d’un scélérat, et d’un fripon, ou le rayer pour le moins du catalogue des honnêtes gens, sous prétexte qu’il a fait des vers lascifs jusques à l’excès [7]. Ramirez de Prado, qui a fait des notes sur Martial, imprimées à Paris avec privilége du roi, l’an 1607, et parsemées d’explications impudiques, n’a rien perdu pour cela ni de sa réputation ni de sa fortune, non plus que Gonzales de Salas pour son commentaire de même genre sur un écrivain impur [8]. Joubert, chancelier de l’université de Montpellier et médecin du roi de France et de celui de Navarre, quels honneurs, quels appointemens, quelles dignités perdit-il pour avoir mêlé des obscénités dans son livre des Erreurs populaires ? Est-il moins compté pour cela parmi les hommes illustres, et parmi les hommes de bien et d’honneur ? La Callipédie de Quillet l’empêcha-t-elle d’être gratifié d’une abbaye par le cardinal Mazarin [9] ? Feramus, avocat au parlement de Paris, n’éprouva pas que son mérite fût moins loué ni moins reconnu depuis qu’il eut fait des vers contre Montmaur, où il s’égaya sur des fictions bien obscènes. Et pour nous approcher davantage de notre temps, M. de La Fontaine, auteur d’une infinité de Contes lascifs, a-t-il cessé d’être chéri de tout le monde à la cour et à la ville ? Les grands seigneurs et les princes, les dames du plus haut rang, les personnes de robe les plus illustres l’ont toujours caressé et admiré. Ne fut-il pas admis à l’académie française ? et n’est-ce pas pour un homme de sa sorte ce qu’est aux hommes d’épée le bâton de maréchal ? Je ne doute point que M. de la Reinie ne se fût fait un plaisir de lui donner à dîner le jour même qu’il condamna ses nouveaux Contes [10] ; car dans cette espèce de livres les gens sages distinguent fort bien entre la personne de l’auteur et ce qu’il écrit.

III. Voyons si les protestans ont été plus rigoureux. Je ne pense pas que les consistoires se soient jamais avisés de censurer Ambroise Paré, dont les livres d’anatomie en langue vulgaire étaient remplis de choses sales. Il y a beaucoup d’obscénités dans les commentaires de Joseph Scaliger sur les Priapées et sur Catulle. Il y en a encore plus dans le commentaire de Janus Douza sur Pétrone. L’un de ces deux écrivains était professeur à Leyde, l’autre était l’un des curateurs de l’académie. Ils ne perdirent rien de leur autorité, ni de la considération où ils étaient ; on n’eut point d’égard au tocsin que Théodore de Bèze sonna contre eux dans une épître dédicatoire aux États Généraux [11]. Daniel Heinsius, professeur dans la même académie, a joui de tous les honneurs qu’il pouvait prétendre. Il fut l’un des secrétaires du synode de Dordrecht, et il reçut en cent occasions plusieurs témoignages de l’estime qu’on avait pour sa personne. Il est pourtant vrai qu’il publia des poésies qui ne sont rien moins que chastes : ce que lui et Scrivérius appelèrent Baudii Amores est un recueil bien gaillard ; et notez que Scrivérius était un homme de mérite, et fort distingué parmi les savans de Hollande. L’exhortation de Théodore de Béze n’empêcha point Théodore de Juges [12] ne donnât une édition de Pétrone avec des prolégomènes, où il tâche de justifier ceux qui expliquent les impuretés de ce Romain. Nous ne trouvons pas que ce Théodore de Juges ait souffert à cause de cela quelque dommage ni en sa réputation ni en sa fortune. Il était de la religion, et d’une famille qui a donné des conseillers à la chambre mi-partie de Castres, et il passa à Genève une bonne partie de sa vie. Goldast avait joui de la même impunité après son édition de Pétrone, accompagnée de prolégomènes, où il entreprit hautement de justifier la lecture d’un tel auteur, et répondit nommément aux réflexions de Théodore de Bèze. Alléguerai-je la considération insigne qu’on eut dans Genève pour le fameux d’Aubigné, quoique l’on n’ignorât pas les licences un peu trop cyniques de sa plume ? Dirai-je que le consistoire de Charenton ne songea jamais à se plaindre de M. Menjot, dont les écrits de médecine sont si parsemés de matières grasses ? Dirai-je qu’Isaac Vossius, étant chanoine de Windsor, quand il publia un ouvrage où il y a bien des ordures, son doyen et ses collègues ne s’assemblèrent point en chapitre afin de lui infliger pour le moins la plus légère de toutes les peines, qui est celle d’être admonesté ?

Ne nous étonnons donc point que la faction opposée à ceux qui condamnent les obscénités se soit toujours maintenue dans la république des lettres ; car outre qu’elle cite des raisons, elle se couvre de l’autorité de plusieurs exemples. Vous trouverez ces deux sortes de batteries dans les prolégomènes du Pétrone de Goldast. Tous ceux qui ont fait l’apologie des auteurs qui en qualité de physiciens, ou en qualité de casuistes, avancent des choses obscènes [13], ont opposé raisons à raisons, et autorités à autorités. Les grands noms, et les témoignages les plus graves, ne leur manquent pas,

......magnos se judice quisque tuetur [14].


Mais n’allez pas vous imaginer, je vous prie, que je veuille mettre de l’égalité entre leurs raisons et celles de leurs adversaires. J’ai assez déclaré en divers endroits que je condamne pleinement les impuretés de Catulle et celles de ses imitateurs, et les excès des casuistes ; et j’ajoute ici que les raisons de ceux qui plaident pour la liberté d’insérer des obscénités dans une épigramme me semblent très-faibles en comparaison des argumens qui les combattent [15]. J’ajoute aussi qu’une obscénité moins grossière, destinée seulement à plaisanter, me paraît plus condamnable qu’une invective très-obscène destinée à inspirer de l’horreur pour l’impureté. Et quant aux obscénités du théâtre, je serais fort d’avis que les magistrats les châtiassent rigoureusement. Elles ne peuvent être qu’une école de corruption, et appartiennent à la première classe plutôt qu’aux sept classes qui la suivent, et qui sont ici le sujet de mes remarques préliminaires. J’en ai encore une à proposer.

IV. Car je dis, en troisième lieu, que l’on sortirait de l’état de la question, si l’on alléguait aux écrivains de ces sept classes qu’ils feraient mieux de ne s’attacher qu’à des matières sérieuses, à les traiter avec toute la pudeur que l’Évangile demande. Cet avertissement, très-bon en lui-même, n’est pas ici à propos, puisque ces gens-là pourraient répondre qu’il ne s’agit pas de savoir s’ils ont choisi la bonne part, et si l’usage qu’ils ont fait de leur loisir et de leur plume est le meilleur qu’on en puisse faire, mais qu’il s’agit uniquement de savoir s’ils ont pris une liberté condamnée sous peine de flétrissure par les statuts de la république des lettres, par les règlemens de la police civile, et par les lois de l’état. Ils conviendraient sans peine qu’ils ne pourraient éviter la condamnation, s’ils étaient jugés selon les règles de l’Évangile ; mais ils soutiendraient que tous les auteurs se trouvent au même cas, les uns plus, les autres moins, vu qu’il n’y en a aucun à qui l’on ne puisse dire qu’il pouvait choisir une occupation plus chrétienne que celle qu’il s’est donnée ; car, par exemple, un théologien, qui a donné tout son temps à commenter l’Écriture, en aurait pu faire un usage plus chrétien. N’eût-il pas bien mieux valu qu’il eût partagé sa journée entre l’oraison mentale et les œuvres de charité ? Que n’employait-t-il une partie du jour à méditer les grandeurs de Dieu et les quatre fins dernières ? Que n’employait-t-il l’autre à courir d’hôpital en hôpital pour l’assistance des pauvres, et de maison en maison pour consoler les affligés, et pour instruire les petits enfans ? Puis donc que tous les hommes sans en excepter un seul, diraient ces gens-là, sont incapables de rendre un bon compte de leur temps au tribunal sévère de la justice divine, et qu’ils ont tous besoin de miséricorde sur une infinité d’inutilités, et sur l’erreur d’avoir choisi ce qui n’était pas le plus nécessaire, nous demandons une autre juridiction ; nous demandons que l’on examine si nous avons fait des choses qui, au jugement du public, ou au tribunal des magistrats, dégradent de la qualité d’honnête homme, et privent du rang et des priviléges dont jouissent les hommes d’honneur. Nous demandons une chose que l’on ne peut refuser à plusieurs honnêtes femmes qui vont à la comédie et au bal, qui aiment le jeu et les beaux habits, et qui ont assez de soin de leur beauté pour étudier avec beaucoup d’attention quels sont les ajustemens qui la font paraître avec plus d’éclat. Elles ne sont pas si aveugles qu’elles ne sachent que c’est être dans le désordre par rapport à l’Évangile ; mais pendant qu’elles ne font que cela, elles ont droit de prétendre au nom, à qualité, au rang, et aux priviléges des femmes d’honneur ! Elles méritent la censure de la chaire et celle des moralistes chrétiens : d’accord ; mais jusques à ce que le jugement du public ou celui des magistrats ait attaché une note d’infamie au train qu’elles mènent, on ne peut pas les qualifier malhonnêtes femmes, et quiconque l’entreprendrait serait condamné à leur en faire réparation authentiquement. Elles se peuvent fonder sur l’usage de tous les siècles, y ayant eu toujours bien des femmes vertueuses qui aimaient le jeu, le bal, le théâtre, et les pierreries ; et après tout elles ne choquent ni les lois civiles, ni les règles de l’honneur humain, et ne participent pas à une espèce de désordre qui ait été abandonnée aux femmes galantes, et qui en soit le propre et le caractère distinctif. Les poëtes qui dans une épithalame décrivent trop nuement une nuit de noces peuvent alléguer les mêmes moyens. Ils avoueront que leur muse pouvait s’employer plus louablement, et que la composition d’un sonnet chrétien était préférable à celle-là ; mais cette composition même n’était pas le meilleur travail qu’ils eussent pu entreprendre. Il eût mieux valu se plonger dans l’oraison, et n’en sortir que pour aller rendre du service aux malades dans les hôpitaux, etc. Il n’y a presque point d’occupation qui ne soit blâmable par l’argument que l’on en pouvait choisir une meilleure : et de toutes les occupations de la vie il n’y en a presque point de plus condamnable, si on la juge selon les règles de la religion, que celle qui est la plus ordinaire, je veux dire que celle des gens qui travaillent à gagner du bien, soit par le négoce, soit par d’autres voies honnêtes. Les moyens humainement parlant les plus légitimes de s’enrichir sont contraires, non-seulement à l’esprit de l’Évangile, mais aussi aux défenses littérales de Jésus-Christ et de ses apôtres. Il est donc de l’intérêt de tous les hommes que Dieu leur fasse miséricorde sur l’emploi du temps. Les poëtes dont je parle, ayant ce principe, ajoutent qu’ils n’ont fait que suivre les traces de plusieurs personnes illustres par leur vertu et par leur sagesse ; que la liberté qu’ils se sont donnée n’a jamais cessé parmi les honnêtes gens ; que si elle avait été abandonnée pendant quelques siècles afin de servir de proie et de caractère distinctif à la débauche, ils ne seraient pas excusables, et que l’on pourrait procéder contre eux par les fins de non-recevoir ; mais qu’il se trouvera que le droit de possession les favorise, et qu’une chose que tant de personnes d’honneur ont pratiquée s’est maintenue dans l’honnêteté [16]. Voilà une maxime de Pline sur la question présente. C’était l’un des plus beaux esprits, et l’un des plus honnêtes hommes de son siècle : il fit des vers que l’on trouva trop dévergondés [17] ; on l’en blâma : il se défendit par une foule de bons exemples ; et ne voulut point citer l’empereur Néron, quoique je sache, ajouta-t-il, que les choses ne deviennent point pires lorsque les méchans les font quelquefois, mais qu’elles demeurent honnêtes lorsque les gens de bien les font souvent [18].

Que cela suffise à l’égard des poëtes : disons en peu de mots que les auteurs des autres classes dont il s’agit ici peuvent employer les mêmes moyens. Il y en a même qui peuvent dire quelque chose de plus spécieux : un physicien, par exemple, et un médecin, peuvent soutenir qu’il est de leur charge d’expliquer ce qui concerne la génération, la stérilité, les pâles couleurs, et les accouchemens, et la fureur utérine, tout comme d’expliquer la fermentation, et ce qui concerne les maux de rate, la goutte, etc. Un casuiste prétendra qu’il n’est pas moins nécessaire d’instruire les confesseurs et les pénitens par rapport aux différentes manières dont on pèche contre la chasteté, que par rapport à toutes les sortes de fraudes qui se commettent dans les achats.

Au pis aller, on doit rendre à ces auteurs la justice qu’ils demandent, qu’on ne juge pas de leur vie par leurs écrits [19]. Il n’y a nulle conséquence nécessaire de l’une de ces deux choses à l’autre. Il y a des poëtes qui sont chastes et dans leurs vers et dans leurs mœurs : il y en a qui ne le sont ni dans leurs mœurs ni dans leurs vers : il y en a qui ne le sont que dans leurs vers : et il y en a qui ne le sont point dans leurs vers, et qui le sont dans leurs mœurs, et dont tout le feu est à la tête [20]. Toutes les licences lascives de leurs épigrammes sont des jeux d’esprit ; leurs Candides et leurs Lesbies sont des maîtresses de fiction. Les protestans réformés ne peuvent nier cela à l’égard de Théodore de Bèze, puisqu’il déclare qu’il vivait régulièrement lorsqu’il composait les poëmes intitulés Juvenilia, dont il eut tant de repentir [21].

V. Après ces remarques générales, examinons en particulier ce qui concerne ce Dictionnaire, et commençons par dire que si l’on refuse de les prendre pour de bons moyens de justification, cela ne me préjudicie point ; mais que si l’on les accepte sur ce pied-là, elles me servent beaucoup. Je me trouve dans un cas infiniment plus favorable que tous les auteurs dont j’ai parlé [22] ; car que l’on condamne Catulle, Lucrèce, Juvénal, et Suétone tant qu’on voudra, on ne pourra point condamner un écrivain qui les cite. Ce sont des auteurs exposés en vente chez tous les libraires ; ils ne peuvent pas faire plus de mal par les passages que l’on en rapporte que dans leur source ; et il y a une différence extrême entre les premiers auteurs d’une obscénité, et ceux qui ne la rapportent que comme la preuve d’un fait ou d’une raison que la matière qu’ils traitent les oblige de mettre en avant. Je veux que Joubert se soit exprimé d’une façon trop grossière, s’ensuit-il que je n’aie pu alléguer son témoignage, lorsqu’il a fallu que je fisse la critique d’une très-mauvaise raison que l’on avait alléguée contre ceux qui accusaient d’impudicité le médecin Herlicius ? Mais, quoi qu’il en soit, si les excuses qu’on peut alléguer en faveur de Suétone et de Joubert, etc., sont valables, tant mieux pour moi : que si elles ne sont point valables, cela ne me saurait nuire ; l’espèce de ma cause est différente de la leur, et beaucoup meilleure. Par l’argument du plus au moins, ce qui est bon pour eux l’est à plus forte raison pour moi, et ce qui ne pourrait pas l’être pour eux, le pourrait être pour moi. Vous n’avez qu’à comparer ensemble les neuf classes que j’ai articulées, vous trouverez que la dernière, qui est celle qui convient à mon ouvrage, est la moins exposée de toutes à une juste critique.

Cela paraîtra plus clairement si l’on joint à la description que j’ai donnée [23] de l’espèce de ma cause, cette considération-ci, que j’ai évité les trois choses dont il fallait s’abstenir pour ne pas s’exposer à des plaintes bien fondées.

En premier lieu, partout où j’ai parlé de mon chef, j’ai évité les mots et les expressions qui choquent la civilité et la bienséance commune. Cela suffit dans un ouvrage tel que celui-ci, mêlé d’histoire, et de discussions de toute espèce ; car de prétendre qu’une compilation où il doit entrer des matières de littérature, de physique, et de jurisprudence, selon les divers sujets que l’on a en main, doit être écrite conformément à l’étroite bienséance d’un sermon, ou d’un ouvrage de piété, ou d’une nouvelle galante, ce serait confondre les limites des choses, et ériger une tyrannie sur les esprits. Tel mot, qui semblerait trop grossier dans la bouche d’un prédicateur, et dans un petit roman destiné pour les ruelles, n’est point trop grossier dans le factum d’un avocat, ni dans le procès verbal d’un médecin, ni dans un ouvrage de physique, ni même dans un ouvrage de littérature, ou dans la version fidèle d’un livre latin, comme est par exemple la relation de l’infortune de Pierre Abélard. Il y a donc du haut et du bas dans la bienséance du style : les plus hauts degrés conviennent à un certain nombre d’écrivains, et non pas à tous. Si un bel esprit était prié par des dames de leur composer une historiette romanesque des actions de Jupiter ou d’Hercule, il ferait bien de ne se servir jamais des termes châtrer, dépuceler, engrosser, faire un enfant, coucher avec une nymphe, la forcer, la violer ; il devrait, ou mettre à l’écart toute occasion de présenter ces idées, ou les tenir en éloignement par des expressions suspendues, vagues, et énigmatiques. Mais si les auteurs d’un dictionnaire historique, où l’on attend la version exacte de ce que l’ancienne mythologie raconte des actions de Jupiter, se servaient de longs détours et de phrases recherchées, qui donneraient à deviner le destin de telles et de telles nymphes, ils seraient traités de précieux, et de précieux ridicules. Ils remplissent assez tous les devoirs de la bienséance, pourvu qu’ils se tiennent dans les bornes de la civilité ordinaire ; c’est-à-dire pourvu qu’ils n’emploient pas des mots abandonnés à la canaille, et dont même un débauché ne se sert pas dans une conversation sérieuse. Ils se doivent servir hardiment de tous les mots qui se trouvent dans le Dictionnaire de l’académie française, ou dans celui de Furetière, à moins que l’on n’y soit averti que ce sont des mots odieux, sales, et vilains. Voilà donc la première chose que j’ai observée ; je ne me suis point dispensé de la bienséance commune quand j’ai parlé de mon chef. On va voir comment je me suis conduit quant aux passages que j’ai cités des autres auteurs.

J’ai évité, en second lieu, d’exprimer en notre langue le sens d’une citation qui contenait quelque chose de trop grossier, et je ne l’ai rapportée qu’en latin. Je n’ai pris de Brantôme et de Montaigne que certains endroits qui n’étaient pas des plus choquans. J’ai usé de la même précaution à l’égard de d’Aubigné et des autres écrivains français un peu trop libres que j’ai appelés quelquefois en témoignage.

En troisième lieu, j’ai évité de faire mention, en quelque langue que ce fût, de ce qui pouvait avoir un caractère d’extravagance et d’énormité inconnue au vulgaire, et je n’ai rien rapporté de certains livres que presque personne ne connaît, et qu’il vaut mieux laisser ensevelis dans les ténèbres, que d’inspirer l’envie de les acheter à ceux qui en trouveraient ici quelque citation. Je n’ai cité en ce genre de matières que des auteurs qu’on trouve partout, et qu’on réimprime presque tous les ans. Je pourrais nommer un fort honnête homme, qui n’a jamais été débauché, qui écrivit de Londres à un de ses amis qu’il s’était attendu à toute autre chose en lisant mon Dictionnaire, après les déclamations de certaines gens. Je m’imaginais, écrivit-il, que l’on y trouvait des impuretés bien inconnues ; mais je n’y ai rien vu que moi et mes camarades ne sussions avant l’âge de dix-huit ans.

Il ne sera pas difficile désormais de bien connaître si mes censeurs ont raison ou s’ils ont tort. Toute l’affaire se réduit à ces deux points : 1°. si parce que je n’ai pas assez voilé sous des périphrases ambiguës les faits impurs que l’histoire m’a fournis, j’ai mérité quelque blâme : 2°. si parce que je n’ai point supprimé entièrement ces sortes de faits, j’ai mérité quelque censure.

VI. La première de ces deux questions n’est, à proprement parler, que du ressort des grammairiens : les mœurs n’y ont aucun intérêt : le tribunal du préteur ou de l’intendant de la police, n’a que faire là, nihil hæc ad edictum prætoris. Les moralistes ou les casuistes n’y ont rien à voir non plus : toute l’action qu’on pourrait permettre contre moi serait une action d’impolitesse de style, sur quoi je demanderais d’être renvoyé à l’académie française, le juge naturel et compétent de ces sortes de procès ; et je suis bien sûr qu’elle ne me condamnerait pas, car elle se condamnerait elle-même, puisque tous les termes dont je me suis servi se trouvent dans son Dictionnaire sans aucune note de déshonneur. Dès-là qu’elle ne marque point qu’un terme est obscène elle autorise tous les écrivains à s’en servir : je parle des termes dont elle donne la définition. Mais de plus je renoncerais sans peine à toute défense, et je me laisserais facilement condamner. Je n’aspire point à la politesse du style, j’ai déclaré dans ma préface que mon style est assez négligé, qu’il n’est pas exempt de termes impropres et qui vieillissent, ni peut-être même de barbarismes, et que je suis là-dessus presque sans scrupules. Pourquoi me piquerais-je d’une chose dont même de fort grands auteurs domiciliés à Paris [24], et membres de l’académie française, ne se sont pas souciés ? Pourquoi se gêner dans un ouvrage que l’on ne destine point aux mots, mais aux choses, et qui, étant un assemblage de toutes sortes de matières, les unes sérieuses, les autres risibles, demande nécessairement que l’on emploie plusieurs espèces d’expressions ? On n’est point obligé là aux mêmes égards que sur la chaire ; et si un prédicateur se doit abstenir de cette phrase, Ceux qui engrossent une fille doivent l’épouser ou la doter, il ne s’ensuit pas qu’il ne s’en puisse servir sans grossièreté dans une somme de cas de conscience. Tant est vrai que selon la nature des livres on peut s’exprimer ou non d’une certaine manière.

Mais si quelque chose peut rendre excusables les écrivains qui se mettent au-dessus de je ne sais quel raffinement de délicatesse qui s’augmente tous les jours, c’est qu’on ne voit point de fin là-dedans ; car si l’on veut être uniforme, il faut condamner d’obscénité un nombre infini de mots dont notre langue ne peut se passer, et l’on peut facilement réduire à l’absurde les écrivains qui se piquent d’une si grande chasteté et délicatesse d’oreille. On peut leur prouver que dans leurs principes il n’y a point de précieuses ridicules, et qu’au contraire les femmes qu’ils qualifient ainsi sont très-raisonnables ou très-habiles à raisonner conséquemment. Qu’ils me disent un peu pourquoi le verbe châtrer leur paraît obscène. N’est-ce point à cause qu’il met dans notre imagination un objet sale ? Mais par la même raison on ne saurait prononcer le mot d’adultère sans dire une obscénité encore plus forte. Voilà donc un mot qu’il faudra proscrire. Il faudra proscrire aussi les termes de mariage, de jour de noces, de lit de la mariée, et une infinité de semblables expressions, qui réveillent des idées tout-à-fait obscènes, et incomparablement plus choquantes que celle qui effrayait la précieuse de la comédie. Pour moi, mon oncle, c’est une précieuse ridicule qui parle, tout ce que je vous puis dire, c’est que je trouve le mariage une chose tout-à-fait choquante. Comment est-ce qu’on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu [25] ? Selon les principes de nos puristes rien ne serait plus raisonnable qu’un tel discours, et il n’y a point d’honnête fille qui ne dût chasser de sa chambre tous ceux qui lui viendraient dire qu’on a dessein de la marier. Elle serait en droit de se plaindre de ce qu’on ménage si peu sa pudeur, qu’on ne se sert d’aucun voile en lui présentant une obscénité affreuse. Demander à une femme mariée si elle a eu des enfans serait une horrible grossièreté ; la politesse voudrait que sur ces chapitres l’on employât des expressions figurées, et que par exemple l’on imitât la précieuse qui disait que sa compagne avait donné dans « l’amour permis (qui était le mariage) et qu’elle ne savait comment elle avait pu se résoudre à brutaliser avec un homme ; que c’était qu’elle voulait laisser des traces d’elle-même, c’est-à-dire des enfans [26]. »

Dans le purisme dont nous parlons ce serait être fort raisonnable que de crier contre l’École des femmes de Molière, avec tout l’emportement que Molière a si bien tourné en ridicule et qui est au fond une extravagance insensée. Il n’y a point de personne vertueuse qui ne dût dire les enfans par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable... Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l’agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarmes, et salit à tous momens l’imagination.….… Je mets en fait, qu’une honnête femme ne saurait voir cette comédie sans confusion, tant j’y ai découvert d’ordures et de saletés [27]... Toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert. Elles n’ont pas la moindre enveloppe qui les couvre ; et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité... Faut-il d’autre endroit que la scène de cette Agnès, lorsqu’elle dit ce qu’on lui a pris ?... Fi... [28]. Je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux... Quoi ! la pudeur n’est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l’endroit dont nous parlons [29] ? Si quelque Uranie osait répondre : « Non vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête : et si vous voulez entendre dessous quelque autre chose, c’est vous qui faites l’ordure, et non pas elle, puisqu’elle parle seulement d’un ruban qu’on lui a pris [30] ; » il serait de la sagesse de lui répliquer [31] : « Ah ! ruban, tant qu’il vous plaira ; mais ce le, où elle s’arrête, n’est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le d’étranges pensées. Ce le scandalise furieusement, et quoique vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l’insolence de ce le... Il a une obscénité qui n’est pas supportable [32]. » Autant que ce discours est rempli d’impertinences, autant serait-il honnête et juste, selon ce principe-ci : Il faut bannir comme des obscénités toutes les paroles qui salissent l’imagination, c’est-à-dire qui signifient un objet sale. Selon ce principe tous ceux qui ont quelque pudeur ressembleraient à la marquise Araminte, dont voici le caractère : « Elle la [33] publie partout pour épouvantable, et dit qu’elle n’a pu jamais souffrir les ordures dont elle est pleine....... Elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de l’âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu’elles voient qu’elles perdent, et prétendent que les grimaces d’une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l’affaire plus avant qu’aucune, et l’habileté de son scrupule découvre des saletés où jamais personne n’en avait vu. On tient qu’il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu’il n’y a point presque de mots, dont la sévérité de cette dame ne veuille retrancher ou la tête, ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu’elle y trouve [34]. »

J’ai lu quelque part, ce me semble, que la pruderie a été poussée jusques au point qu’on ne disait pas j’ai mangé des confitures, mais des fitures. On retrancherait par ce moyen plus de la moitié des mots du Dictionnaire de l’académie, après quoi les autres ne serviraient plus de rien, car ils manqueraient de liaison, et ainsi l’on serait réduit à ne s’expliquer que par des signes, ce qui ferait des obscénités encore plus scandaleuses et plus dangereuses que celles qui n’entrent que par les oreilles [35]. Voici un passage du Chevræana qui confirme admirablement ce que je soutiens. « Une dame qui a beaucoup d’esprit, mais qui tient trop de la précieuse, m’assurait un jour, qu’elle ne se servait jamais de mots qui pussent laisser une sale idée, et qu’elle disait avec les personnes qui savent vivre, un fond d’artichaut ; un fond de chapeau ; une rue qui n’a point de sortie, pour ce que l’on nomme un cul-de-sac. Je lui répondis qu’elle faisait bien, et qu’en cela je ne manquerais point de l’imiter. J’ajoutai qu’il y avait pourtant des occasions où l’on était souvent obligé de parler comme les autres. Elle me défia de lui en marquer fort honnêtement ; et je lui demandai comment elle appelait dans la conversation ordinaire, une pièce qui valait soixante sous ? Soixante sous, reprit-elle. Mais, madame, comment nommez-vous la lettre de l’alphabet qui suit le P ? Elle rougit ; et repartit dans le même temps : Ho ho ! monsieur, je ne pensais pas que vous dussiez me renvoyer à la croix de par Dieu [36]. » Vous voyez que M. Chevreau approuve que l’on ne se serve jamais de mots qui puissent laisser une sale idée. Vous voyez qu’en conséquence de ce principe il approuve que l’on ne dise jamais un cul-de-sac. Il lui faut donc abolir non-seulement plus de deux pages du Dictionnaire de Furetière [37], corrigé par l’un des plus polis écrivains de notre temps [38], mais aussi une infinité de mots dont la première syllabe laisse des idées encore plus malhonnêtes que la syllabe cul. Il faut qu’il bannisse aussi les mots adultère, fornication, incontinence, et cent mille autres ; mais quelque rigide qu’il soit sur le chapitre des mots obscènes, il n’a pas même voulu accorder sur un seul article tout ce que cette dame précieuse demandait. Il n’a donc point parlé selon ses principes (A). Pardonnons-lui cette inconséquence ; car les suites de sa thèse sont si ridicules, et si impossibles à pratiquer, qu’il n’est point coupable de les avoir abandonnées. Il n’est coupable que de n’avoir point connu la fausseté d’un principe dont les conséquences les plus nécessaires sont absurdes, et ne vont pas à moins qu’à ruiner entièrement l’usage de la parole. Vous remarquerez qu’il y a des dames aussi honnêtes que cette précieuse qui ne font point difficulté de prononcer cul d’artichaut et cul-de-sac. C’est ce qu’on verra dans un passage de M. Costar qui a un très-grand rapport avec la matière que je traite (B).

Je l’ai déja observé, on ne finit point avec les puristes que j’ai ici à combattre. Ils bâtissent sur un fondement qui leur fera condamner, quand il leur plaira, une infinité de mots qu’ils n’ont pas encore proscrits, et qui, selon leurs maximes, ne sont pas moins condamnables que ceux qu’ils ont déjà condamnés. Il est impossible d’échapper à leur censure. Racontez les choses avec des termes honnêtes, comme on l’a fait dans le second tome du Ménagiana, ils ne laisseront pas de dire qu’il y a des endroits qui blessent ouvertement la pudeur, et qui ne sauraient être lus sans horreur par d’honnêtes gens [39]. Le père Bouhours, qui, dans sa version française des Évangiles, s’est étudié avec un grand soin à éviter tous les termes qui n’écartaient pas exactement toutes les idées de grossièreté, a-t-il pu se mettre à couvert de la critique [40] ? M. Despréaux, que l’illustre président de Lamoignon avait loué plusieurs fois d’avoir purgé, pour ainsi dire, la poésie satirique de la saleté qui lui avait été jusqu’alors comme affectée [41], ne s’est-il pas vu accusé d’obscénités sous prétexte qu’il s’était servi [42] des mots embryon, voix luxurieuse, morale lubrique ? Si ces mots-là ne peuvent passer, comment mettrait-on des bornes à la censure ?

Je connais bien des personnes qui blâment M. de Mézerai d’avoir dit que certains galans, qui avaient commis adultère, furent mutilés des parties qui avaient péché [43]. Leur censure est fondée sur ces deux raisons : l’une, qu’il n’était point nécessaire de rapporter une circonstance qui applique à des objets si grossiers ; l’autre, qu’au pis aller, il fallait omettre toutes les paroles qui sont après mutilés, ce seul mot faisant assez clairement entendre la chose. Je prie tous ces censeurs de ne trouver pas mauvais que je croie que la circonstance qu’ils auraient voulu que l’on supprimât est de celles qu’un historien ne doit jamais oublier : car si la peine d’un malfaiteur contient quelque chose d’extraordinaire, c’est de cela principalement que l’on doit faire mention. La seconde remarque ne me paraît pas meilleure. Un arrêt de mort pourrait porter que l’on couperait les mains, le nez, les oreilles au criminel avant que de le faire mourir, et ainsi le mot mutiler ne marquerait pas suffisamment la circonstance dont M. de Mézerai nous devait instruire. Mais supposons que ce mot fût suffisant, s’ensuit-il qu’on soit blâmable d’avoir ajouté les autres ? Ne dit-on pas tous les jours, j’ai vu cela de mes propres yeux, j’ai entendu cela de mes oreilles ? Il y a bien du superflu dans ces expressions, et néanmoins personne ne les critique. Enfin je dis que les censeurs se contredisent : ils ne blâment l’addition qu’à cause qu’elle n’est pas nécessaire ; on eût assez entendu sans cela, disent-ils, de quoi il était question. Ils ne sont donc point fâchés que l’on imprime dans l’esprit une image sale, ils voudraient seulement que l’on épargnât aux oreilles deux ou trois sons. On aurait été édifié de leur zèle pour la pureté si l’on eût cru qu’ils voulaient absolument qu’un historien ne présentât point aux lecteurs une idée obscène : mais ils consentent ensuite à cela, pourvu qu’on le fasse sans employer des paroles inutiles. Ils détruisent donc dans la dernière remarque ce qui pouvait être d’édifiant dans la première. Voilà à quoi se réduit ordinairement le goût délicat de nos puristes. Ils condamnent une expression, et en approuvent une autre, quoiqu’elles excitent la même idée d’impureté dans l’âme des auditeurs ou des lecteurs. Les observations imprimées à Paris, l’an 1700, contre M. de Mézerai, plairont fort à ces critiques. Voyez la note [44]. On l’y blâme [45] de se servir ordinairement des termes de concubine, de bâtard et d’adultère, qui blessent la délicatesse de notre siècle. On ne condamnerait pas, je m’assure, les termes de favorite, d’enfant naturel, et d’infidélité conjugale, qui sont tout-à-fait de la même signification. Quelle inconséquence !

IX. On trouverait moins déraisonnables les caprices de la mode, qui, à ce qu’on m’a dit, commence de renvoyer parmi les termes obscènes le mot lavement [46] et médecine, et de substituer à la place le mot général remède. On avait banni le mot de clystère dès qu’on s’était aperçu qu’il renfermait trop de circonstances de l’opération. On avait substitué le mot lavement, dont la signification était plus générale. Mais parce que l’idée de lavement est devenue spécifique, et qu’elle s’est incorporée avec trop de circonstances, on va l’abandonner pour ne point salir et empuantir l’imagination, et l’on ne se servira plus que des phrases générales, j’étais dans les remèdes, un remède lui fut ordonné, etc. Cela ne détermine point à penser plutôt à un lavement ou à une médecine qu’à un paquet d’herbes pendu au cou. J’avoue que ces caprices sont bien étranges, et que, si l’on y était uniforme, ils ruineraient une infinité d’expressions à quoi tout le monde est accoutumé, et qui sont très-nécessaires aux convalescens et à ceux qui les visitent ; car autrement on soutiendrait assez mal la conversation dans leur chambre, et il faudrait recourir à tout le jargon des précieuses : mais, après tout, ces caprices-là sont mieux fondés que ceux des puristes qui veulent bien que toute l’image obscène s’imprime dans les esprits, pourvu que ce soit par tels et tels mots, et non point par d’autres.

Récapitulant ici le contenu de cette partie de mon éclaircissement, j’observe :

1°. Qu’il n’est point question d’un point de morale, mais que c’est ici un vrai procès de grammaire, qu’il faut porter devant les juges de la politesse du style ;

2°. Que j’avouerai ingénument que je ne me suis point proposé la gloire qu’une telle politesse peut procurer ;

3°. Qu’il ne me semble pas que tous les auteurs soient obligés de s’assujettir à la nouvelle idée de la politesse du style ; car si on la suivait ponctuellement, on n’aurait enfin besoin que du dictionnaire des précieuses ;

4°. Que le droit de cette nouvelle politesse n’est pas si bien établi qu’il doive avoir force de loi dans la république des lettres : l’ancien droit subsiste encore [47], et l’on s’en pourra servir jusqu’à l’ouverture de la prescription ;

5°. Que dans un livre comme celui-ci il suffit de ne pas choquer l’usage universellement reçu ; mais qu’en gardant ces mesures avec tout le soin que j’ai pris de les garder [48], il est fort permis d’y faire servir des expressions qui ne seraient pas du bel usage pour un sermonaire ni pour un écrivain dameret. C’est assez qu’elles soient autorisées de l’usage des livres d’anatomie, et des factums des avocats, et des conversations des gens de lettres [49].

X. Mais pour montrer plus évidemment que l’affaire dont il s’agit ne regarde point les mœurs, il faut prévenir une instance de mes critiques. Voyons s’ils se peuvent appuyer sur ce prétexte, que toute phrase qui blesse la pudeur est un attentat contre la bonne morale, puisque c’est faire du tort à la chasteté.

Je fais d’abord cette remarque, que ceux qui disent que certaines choses blessent la pudeur doivent entendre, ou qu’elles affaiblissent la chasteté, ou qu’elles irritent les personnes chastes. On leur peut soutenir qu’au premier sens leur proposition mérite d’être rejetée, et que si les femmes sont prises pour juges de la question, ils perdront leur procès infailliblement. Or sans doute les femmes sont les juges les plus compétens d’une telle affaire, puisque la pudeur et la modestie sont leur partage incomparablement plus que celui des hommes. Qu’elles nous disent donc, s’il leur plaît, ce qui se passe dans leur âme lorsqu’elles entendent ou lorsqu’elles lisent un discours grossier qui offense ou qui blesse la pudeur. Elles ne diront pas, je m’assure, que non-seulement il imprime des idées sales dans leur imagination, mais qu’il excite aussi dans leur cœur un désir lascif qu’elles ont bien de la peine à réprimer, et qu’en un mot elles se sentent exposées à des tentations qui font chanceler leur vertu, et qui la mènent jusqu’au bord du précipice. Soyons bien persuadés qu’au lieu de cela elles répondront que l’idée qui s’excite malgré elles dans leur imagination leur fait sentir en même temps ce que la honte, le dépit, et la colère ont de plus insupportable. Or il est sûr que rien n’est plus propre que cela à fortifier la chasteté, et à rompre l’influence contagieuse de l’objet obscène qui s’est imprimé dans l’imagination ; de sorte qu’au lieu de dire selon le premier sens que ce qui blesse la pudeur met en risque la chasteté, il faut soutenir au contraire que c’est un renfort, un préservatif, et un rempart pour cette vertu ; et par conséquent si nous entendons de la seconde manière cette phrase une telle chose blesse la pudeur, nous devrons penser que cette chose, bien loin d’affaiblir la chasteté, la fortifie, et la restaure.

Il sera toujours vrai que le procès qu’on peut faire à un auteur qui n’a pas suivi la politesse la plus raffinée du style est un procès de grammaire à quoi les mœurs n’ont point d’intérêt.

XI. Si l’on me réplique que c’est un procès de morale, vu que l’auteur s’est exprimé d’une manière qui chagrine les lecteurs, je répliquerai qu’on raisonne sur une fausse hypothèse, car il n’y a point d’écrivain qui puisse épargner à ses lecteurs le dépit, le chagrin, et la colère, en mille rencontres. Tout controversiste qui soutient subtilement sa cause fait enrager à toute heure les lecteurs zélés de l’autre parti. Tous ceux qui, dans une relation de voyage, ou dans l’histoire d’un peuple, rapportent des choses glorieuses à leur patrie et à leur religion, et honteuses aux étrangers et aux autres religions, chagrinent cruellement les lecteurs qui n’ont pas les mêmes préjugés qu’eux. La perfection d’une histoire est d’être désagréable à toutes les sectes et à toutes les nations ; car c’est une preuve que l’auteur ne flatte ni les unes ni les autres, et qu’il a dit à chacune ses vérités. Il y a beaucoup de lecteurs qui se fâchent à un tel point lorsqu’ils rencontrent certaines choses, qu’ils déchirent le feuillet, ou qu’ils écrivent en note, tu en as menti, coquin, et tu mériterais des étrivières [50]. Rien de tout cela [51] n’est une raison de dire que les auteurs sont justiciables au tribunal de la morale. Ils n’ont à répondre qu’au tribunal des critiques.

Il ne reste donc qu’à dire que la représentation des objets sales intéresse les mœurs, puisqu’elle est propre à exciter de mauvais désirs, et des pensées impures. Mais cette objection est infiniment moins valable contre moi que contre ceux qui se servent de ces enveloppes, et de ces détours, et de ces manières délicates que l’on se plaint que je n’ai pas employées ; car elles n’empêchent point que l’objet ne s’aille peindre dans l’imagination, et elles sont cause qu’il s’y peint sans exciter les mouvemens de la honte et du dépit. Ceux qui se servent de ces enveloppes ne prétendent point qu’ils seraient inintelligibles, ils savent bien que tout le monde entendra de quoi il s’agit, et il est fort vrai que l’on entend parfaitement ce qu’ils veulent dire. La délicatesse de leurs traits produit seulement ceci, que l’on s’approche de leurs peintures avec d’autant plus de hardiesse que l’on ne craint pas de rencontrer des nudités. La bienséance ne souffrirait pas que l’on y jetât les yeux, si c’étaient des saletés toutes nues ; mais quand elles sont habillées d’une étoffe transparente, on ne se fait point un scrupule de les parcourir de l’œil depuis les pieds jusques à la tête, toute honte mise à part, et sans se fâcher contre le peintre : et ainsi l’objet s’insinue dans l’imagination plus aisément, et verse jusques au cœur et au delà ses malignes influences avec plus de liberté que si l’âme était saisie et de honte et de colère ; car ce sont deux passions qui épuisent presque toute l’activité de l’âme, et qui la mettent dans un état de souffrance peu compatible avec d’autres sentimens. Il est pour le moins certain que l’impureté ne peut pas agir aussi fortement sur les âmes opprimées de honte et irritées que sur des âmes qui n’ont nulle confusion ni nul chagrin.

Pluribus intentus minor est ad singula sensus.


Ce que l’âme donne à une passion affaiblit d’autant ce qu’elle donne à une autre.

Joignez à cela que quand on ne marque qu’à demi une obscénité, mais de telle sorte que le supplément n’est pas malaisé à faire, ceux à qui l’on parle achèvent eux-mêmes le portrait qui salit l’imagination. Ils ont donc plus de part à la production de cette image que si l’on se fût expliqué plus rondement. Ils n’auraient été en ce dernier cas qu’un sujet passif, et par conséquent la réception de l’image obscène eût été très-innocente ; mais dans l’autre cas ils en sont l’un des principes actifs : ils ne sont donc pas si innocens, et ils ont bien plus à craindre les suites contagieuses de cet objet qui est en partie leur ouvrage. Ainsi ces prétendus ménagemens de la pudeur sont en effet un piége plus dangereux. Ils engagent à méditer sur une matière sale, afin de trouver le supplément de ce qui n’a pas été exprimé par des paroles précises. Est-ce une méditation qu’il faille imposer ? Ne vaut-il pas bien mieux faire en sorte que personne ne s’y arrête ?

XII. Ceci est encore plus fort contre les chercheurs de détours. S’ils s’étaient servis du premier mot que les dictionnaires leur présentaient, ils n’eussent fait que passer sur une matière sale, ils eussent gagné promptement pays ; mais les enveloppes qu’ils ont cherchées avec beaucoup d’art, et les périodes qu’ils ont corrigées et abrégées, jusques à ce qu’ils fussent contens de la finesse de leur pinceau, les ont retenus des heures entières sur l’obscénité. Ils l’ont tournée de toutes sortes de sens : ils ont serpenté autour comme s’ils eussent eu quelque regret de s’éloigner d’un lieu aimable (C). N’est-ce pas ad Sirenum scopulos consenescere, jeter l’ancre à la portée du chant des Sirènes ? n’est-ce pas le moyen de se gâter et de s’infecter le cœur ? Il est certain que, si l’on excepte les personnes véritablement dévotes, la plupart de nos autres puristes ne songent à rien moins qu’aux intérêts de la pudeur, quand ils évitent avec tant de soin les expressions de nos ancêtres : ce sont des galans de profession, qui courent de belle en belle, qui en content et à la blonde et à la brune, et qui ont assez souvent deux maîtresses, l’une qu’ils paient, l’autre qui les paie. Il sied bien à de telles gens de se récrier sur un mot qui offense la pudeur, et de tant faire les délicats dès qu’une chose n’est pas donnée à deviner ! Appliquons-leur ce que Molière disait d’une fausse prude. « Croyez-moi, celles qui font tant de façons n’en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse, et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde, contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu’il y peut avoir à redire ; et, pour tomber dans l’exemple, il y avait l’autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui par les mines qu’elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournemens de tête, et leurs cachemens de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que l’on n’aurait pas dites sans cela ; et quelqu’un même des laquais cria tout haut qu’elles étaient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps [52]. » Ceux dont je parle ne se proposent que de faire admirer la délicatesse de leur plume.

Les jansénistes passent pour les gens les plus capables dans la doctrine des mœurs. Or c’est sur eux que je me fonde quand je dis qu’une saleté grossière est moins dangereuse qu’une saleté exprimée délicatement. « Je sais bien » dit l’un d’eux [53], « qu’on n’appelle ordures que les paroles grossièrement sales, et qu’on nomme galanteries celles qui sont dites d’une manière fine, délicate, ingénieuse : mais des ordures, pour être couvertes d’une équivoque spirituelle comme d’un voile transparent, n’en sont pas moins des ordures, ne blessent pas moins les oreilles chrétiennes, ne salissent pas moins l’imagination, ne corrompent pas moins le cœur : un poison subtil et imperceptible donne aussi-bien la mort que le poison le plus violent. Il y a des éloges de la pudeur que la pudeur même ne peut souffrir : témoin celui du père le Moine [* 3]. Il s’en faut bien que les saletés grossières d’un charretier ou d’un crocheteur fassent autant de ravage dans une âme que les paroles ingénieuses d’un conteur de fleurettes. » Ce janséniste ayant rapporté quelques pensées galantes que le père Bouhours a débitées sous un personnage de dialogue, et qui sont conçues en termes fort délicats, poursuit ainsi [54] : Il n’y a point de parens, je dis même de ceux qui sont plus du monde, qui ne jugent que c’est gâter l’esprit, corrompre le cœur, inspirer le plus méchant caractère à la jeunesse, que de les remplir de ces pernicieuses sottises, PLUS DANGEREUSES que des ordures GROSSIÈRES [55]. On a pu voir ci-dessus [56] un passage de M. Nicolle où il est décidé, que les passions criminelles sont plus dangereuses lorsqu’on les couvre sous un voile d’honnêteté.

Cela doit passer pour incontestable. Les femmes mêmes qui ne seraient vertueuses qu’à demi, courraient moins de risque parmi des hommes brutaux qui se mettraient à chanter les chansons les plus malhonnêtes et parler grossièrement comme des soldats, que parmi des hommes civils qui ne s’expriment qu’avec des termes respectueux. Elles se croiraient indispensablement obligées à se fâcher contre ces brutaux, et à rompre toute partie, et à sortir de la chambre pleines de colère et d’indignation. Mais des complimens flatteurs et tendres, ou parsemés tout au plus de paroles ambiguës, et de quelques libertés délicatement exprimées, ne les cabreraient pas, elles y prêteraient l’oreille, et ainsi se glisserait le poison.

Un soupirant auprès d’une fille ruinerait du premier coup ses espérances, s’il proposait ses mauvais desseins grossièrement et salement. Il n’entend rien dans le métier, s’il ne ménage la pudeur par des paroles honnêtes.

Il n’y a point de père qui n’aimât mieux que ses filles fussent obligées de rougir de quelque conte que l’on ferait en leur présence, que si elles en riaient. Si elles en rougissent, les voilà sauvées [57], la honte rompt le coup de l’obscénité ; mais si elles en rient, le coup pénètre, rien ne le détourne. Or, qui doute que si elles en rient ce ne soit à cause que l’obscénité a été voilée adroitement et assaisonnée finement d’une honnêteté apparente ? Si elle eût été grossière, elle eût excité la honte, et il eût fallu se fâcher. Les farces d’aujourd’hui sont plus dangereuses que celles de nos ancêtres ; car celles-ci étaient d’une obscénité si dévoilée, que les honnêtes femmes n’osaient point y assister. Présentement elles y assistent sous prétexte que les saletés y sont voilées, mais non pas sous des enveloppes impénétrables. Y en a-t-il de telles ? on les percerait à jour, fussent-elles composées de sept cuirs comme le bouclier d’Ajax.

Si quelque chose a pu rendre très-pernicieux les contes de La Fontaine, c’est à l’égard des expressions : ils ne contiennent presque rien qui soit grossier.

Il y a des gens d’esprit qui aiment fort la débauche. Ils vous jureront que les satires de Juvénal sont cent fois plus propres à dégoûter de l’impureté que les discours les plus modestes et les plus chastes que l’on puisse faire contre ce vice. Ils vous jureront que Pétrone est incomparablement moins dangereux dans ses ordures grossières que dans les délicatesses dont le comte de Rabutin les a revêtues ; et qu’après avoir lu les Amours des Gaules on trouve la galanterie incomparablement plus aimable qu’après avoir lu Pétrone.

De tout ceci on aurait tort de conclure que le moindre mal serait de se servir des expressions des crocheteurs. Ce n’est point cela. Je sais bien que les stoïques se moquaient de la distinction des mots, et qu’ils soutenaient que chaque chose doit être nommée par son nom, et que n’y ayant rien de malhonnête dans le devoir conjugal, il ne pouvait point être signifié par aucun mot déshonnête, et qu’ainsi le mot dont les paysans se servent pour le désigner est aussi bon qu’aucun autre. Vous trouverez leurs sophismes dans une lettre de Cicéron [58]. Il serait peut-être malaisé de les réduire au silence par la voie de la dispute [59] ; mais ils ne méritent pas d’être admis à disputer là-dessus. Il faut que dans toutes les sociétés ce qui a passé de temps immémorial, et du consentement unanime du public, pour une règle de bienséance et de pudeur, soit un premier principe contre lequel il soit défendu d’ouvrir la bouche. Ainsi, dès que tout un peuple s’accorde à traiter de malhonnêtes certains mots, jusque-là que le crocheteur même qui s’en sert le plus souvent est persuadé de leur vilenie, et s’en abstient devant les personnes honorables, et serait scandalisé s’il les entendait prononcer dans une assemblée publique, il ne doit plus être permis aux particuliers de s’opposer à ce jugement. Tous ceux qui composent la société sont obligés de le respecter. Les cours de justice nous en donnent un bel exemple ; car elles ne permettent point aux avocats de prononcer de pareils mots, quand ils plaident pour demander le châtiment des personnes qui s’en sont servies en injuriant leur prochain. Elles veulent que dans l’audience on respecte la pudeur publique : mais lorsqu’elles jugent par rapport, non-seulement elles permettent au rapporteur de dire les propres termes de l’offensant, quelque sales qu’ils puissent être, mais aussi elles le lui ordonnent. C’est ce que j’ai su d’un conseiller au parlement de Paris, il n’y a que peu d’années : il m’assura qu’ayant voulu se servir de périphrase la première fois qu’il fut rapporteur d’un tel procès, le président l’avertit qu’il n’était point là question de ménager les chastes oreilles, qu’il s’agissait de juger de la qualité de l’offense, qu’il fallait donc dire le propre terme en quoi elle consistait. Je pense que l’inquisition en use à peu près de même (D).

Les stoïques devaient avoir à peu près la même règle, et si dans leurs conférences particulières ils ne jugeaient pas à propos de préférer un mot à un autre, il fallait pour le moins que dans le public ils se conformassent au style commun. Le consentement unanime des peuples doit être en cela une barrière pour tous les particuliers.

Si donc le mot p....., dont nos pères se servaient dans les livres les plus graves [60], aussi franchement que les Latins de celui de meretrix, commence à tomber dans un décri général [* 4], il est juste que tous les auteurs commencent à s’en abstenir, et à lui substituer le terme de courtisane, puisqu’on le veut. C’est dans le fond par une délicatesse malentendue [61] ; car voici comme je raisonne. Ou le mot de courtisane excite une idée aussi forte que l’autre, ou une idée plus faible. Si c’est le premier on ne gagne rien, on n’épargne à personne l’horreur d’avoir dans l’esprit un objet infâme. Si c’est le second, on diminue la haine que le public doit avoir pour une prostituée. Mais est-ce une créature qui mérite ce ménagement ? Faut-il la représenter sous une idée favorable ? Ne vaudrait-il pas mieux aggraver la notion infâme du métier qu’elle professe ? Quoi ! vous craignez de la rendre trop odieuse ! vous lui cherchez un nom commode, et qui ne signifiait autrefois qu’une dame de la cour [62] ? On dirait que vous craignez de l’offenser, et que vous tâchez de radoucir les esprits en la désignant sous un nom de mignardise, Ce qui arriverait de tout cela si l’on agissait conséquemment serait que le terme de courtisane paraîtrait bientôt obscène, et qu’il en faudrait chercher un plus doux. Il faudrait dire une femme qui se gouverne mal, et puis une femme dont on cause, et puis une femme suspecte, et puis une femme qui ne se comporte pas saintement [63], et enfin prier les précieuses du plus haut vol d’inventer quelque périphrase.

Je m’aperçois tout présentement d’une nouvelle objection. C’est une incivilité, me dira-t-on, que de mettre dans un livre ce qui ne pourrait être dit en présence des honnêtes femmes : puis donc que l’incivilité est condamnable moralement parlant, le procès que l’on peut vous intenter n’est pas un procès de grammaire, c’est un vrai procès de morale.

Je réponds premièrement, que l’incivilité n’est mauvaise, moralement parlant, que lorsqu’elle vient d’orgueil, et d’une intention précise de témoigner du mépris à son prochain ; mais lorsque l’on manque de civilité, ou parce que l’on en ignore innocemment les manières, ou parce que l’on juge raisonnablement qu’on n’est point tenu de les suivre, on ne pèche pas. Croyez-vous qu’un vieux professeur de Sorbonne soit obligé de savoir tout ce que savent les jeunes abbés de cour dans l’art de marquer aux dames beaucoup de respect, avec une grande politesse ? Ce professeur a bien d’autres choses plus importantes à apprendre que celles-là ; et quand même il aurait ouï parler des manières de la civilité à la mode, il se dispenserait légitimement de s’y conformer. Son âge et son caractère ne demandent pas qu’il s’y conforme, et demandent au contraire qu’il ne s’y conforme pas. Disons aussi que les nouvelles civilités sont des servitudes que les grands imposent, ou que leurs flatteurs inventent au préjudice de l’ancienne liberté. Or s’il est permis à un chacun de renoncer à l’ancien usage, il est permis aussi de le retenir jusques à ce que tout le monde y ait renoncé ; et il y a des personnes à qui il est bienséant de ne changer de manières qu’avec un peu de lenteur. Il en va de cela comme des modes d’habit. Les mondains se hâtent de prendre les nouvelles modes, mais les gens sages se contentent de les prendre quand elles sont adultes, s’il m’est permis de parler ainsi. Il faut tenir un milieu dans ces choses-là : il ne faut être ni des premiers à s’en servir, ni le dernier à les quitter ; et l’on ne se rend ridicule en retenant les vieilles modes, que lorsqu’elles ont été tout-à-fait abandonnées.

Je réponds, en second lieu, qu’il n’est pas vrai qu’il faille bannir d’un livre tous les mots que l’on n’oserait prononcer en présence des honnêtes femmes. J’en prends à témoin un homme qui sait les manières de la cour. C’est M. de Saint-Olon. Il n’eût pas voulu dire devant des dames, en conversation sérieuse, ce qu’il a écrit des mariages des Africains [64].

La liberté que l’on peut prendre avec beaucoup plus d’étendue dans un livre que dans un discours de vive voix est fondée sur plusieurs raisons. Une obscénité, dite en face à d’honnêtes femmes en bonne compagnie, les embarrasse beaucoup. Elles ne peuvent se garantir de ce coup choquant ; il ne dépend point de nous d’entendre ou de ne pas entendre ce qu’on nous dit en langue vulgaire. La rencontre fortuite d’un homme nu ou d’un tableau impudent n’est pas sans remède, on peut promptement se détourner ou fermer les yeux ; mais on n’a pas les mêmes moyens de fermer la bouche à un discoureur. La honte qu’une idée obscène peut exciter est beaucoup plus forte quand on est environné de témoins qui observent notre contenance. La confusion et l’embarras où une honnête femme se trouve est un état incommode ; nature pâtit alors. Il s’élève aussi dans son âme un mouvement de colère, par la raison qu’on n’a pas accoutumé de parler ainsi à des femmes que l’on respecte, et que l’on croit vertueuses, mais à des femmes dont on a mauvaise opinion. Rien de tout cela n’a lieu par rapport à un ouvrage. Il ne tient qu’à vous de lire ou de ne pas lire ce qui n’est pas assez chaste à votre gré. Vous pouvez prévoir, par exemple, dans mon Dictionnaire, que l’article de la courtisane Laïs sera muni de citations qui contiennent des faits malhonnêtes : ne le lisez pas. Faites reconnaître les lieux par des personnes affidées, avant que de vous embarquer dans cette lecture ; dites-leur qu’elles vous indiquent par où il n’est pas bon de passer. Outre cela, une femme qui est seule quand elle lit un ouvrage, n’est point exposée à ces regards d’une compagnie, qui sont ce qui embarrasse et ce qui décontenance le plus [65] ; et, puisqu’un auteur ne s’adresse à qui que ce soit en particulier, elle ne se croit point méprisée ni offensée.

Mais enfin, me dira-t-on, vous ne pouviez pas ignorer qu’il y a présentement beaucoup de femmes qui lisent les livres de littérature. Vous ne deviez donc pas vous contenter de ce que vous appelez civilité ordinaire, il fallait monter jusqu’à la civilité la plus délicate et la plus rigide, afin que le beau sexe ne rencontrât rien qui pût salir l’imagination. Ma réponse est, que s’il eût été possible par l’observation de cette sévère civilité d’empêcher que l’on ne trouvât rien de semblable dans mon Dictionnaire, je me serais assujetti de très-bon cœur aux règlemens des puristes qui se sont le plus approchés du goût des précieuses ; mais j’ai connu évidemment que la plus fine délicatesse est incapable d’épargner à un lecteur aucune image d’objet obscène. C’est ce qu’on ne croirait pas facilement, si je n’en montrais la vérité avec la dernière évidence.

Je n’ai besoin pour cela que de la preuve de cette unique proposition : Les termes les plus grossiers, et les termes les plus honnêtes dont on se puisse servir pour désigner une chose sale, la peignent aussi vivement et aussi distinctement les uns que les autres dans l’imagination de l’auteur ou du lecteur. Cela semble d’abord un grand paradoxe, et néanmoins on le peut rendre sensible à tout le monde par un argument populaire. Figurons-nous une de ces aventures qui servent quelquefois d’entretien à toute une ville, un mariage prêt à être célébré, et suspendu tout d’un coup par l’opposition d’un tiers. Ce tiers est une fille qui se trouve enceinte, et qui demande que le mariage que son galant a contracté avec une autre soit déclaré nul. Supposons qu’une très-honnête femme, qui n’a ouï parler qu’en général de l’opposition, veuille savoir sur quoi se fonde cette fille. On pourrait lui répondre en cent manières différentes sans se servir des paroles qu’un crocheteur ou un débauché emploient dans de tels cas. On pourrait lui dire : elle a eu le malheur de devenir grosse ; il a joui d’elle ; il a eu sa compagnie ; ils se sont vus de près ; ils ont eu commerce ensemble ; il en a eu la dernière faveur ; elle lui a accordé ce qu’elle avait de plus précieux, les suites le témoignent ; on ne peut dire honnêtement ce qui s’est passé entre eux, les oreilles chastes en souffriraient ; elle est obligée à faire réparer son honneur. On pourrait trouver plusieurs autres phrases mieux enveloppées pour répondre à la question de l’honnête femme, mais elles iraient toutes peindre dans son imagination, aussi fortement que Michel Ange l’eût pu faire sur la toile, l’action sale et brutale qui a produit la grossesse de cette fille. Et si par hasard cette honnête femme eût entendue le mot de gueule dont un débauche se serait servi pour dire à l’oreille à un autre débauché ce que c’était, elle n’aurait pas une idée plus évidente de la chose. Aucune personne quelque chaste qu’elle soit ne peut nier sincèrement ce qu’on vient de dire, si elle veut prendre la peine d’examiner ce qui se passe dans son esprit. Il est donc certain que les termes les plus honnêtes et les termes les plus grossiers salissent également l’imagination, lorsque la chose signifiée est un objet sale.

Servez-vous tant qu’il vous plaira des expressions les plus chastes dont l’Écriture se soit servie, pour représenter ce que l’on nomme devoir conjugal, Adam connut Ève sa femme[66] ; Abraham vint vers Agar [67] ; je m’approchai de la prophétesse [68], vous ne pourrez jamais affaiblir l’image de cet objet : il s’imprime dans l’esprit tout comme si vous employiez le langage d’un vigneron. Disons la même chose touchant les phrases consommer le mariage, le mariage fut consommé, le mariage ne fut point consommé, qui sont, pour ainsi dire, des expressions consacrées, et dont on ne saurait se passer dans les relations les plus sérieuses, et dans les histoires les plus majestueuses [69] : ces mots-là excitent la même idée que les mots qu’un paysan emploierait. Voyez la note [70].

Mais d’où vient donc, me dira-t-on, qu’une honnête femme me s’offense pas des expressions enveloppées, et qu’elle se fâche d’un mot de gueule ? Je réponds que c’est à cause des idées accessoires qui accompagnent un tel mot, et qui n’accompagnent pas une phrase enveloppée. L’impudence que l’on observe dans les personnes qui s’expriment comme un crocheteur, et leur manque de respect, sont la véritable raison pourquoi l’on se fâche. On trouve trois idées dans leur expression, l’une est directe et principale, les deux autres sont indirectes et accessoires. L’idée directe représente la saleté de l’objet, et ne la représente pas plus distinctement que le peut faire l’idée d’un autre mot. Mais les idées indirectes et accessoires représentent la disposition de celui qui parle, sa brutalité, son mépris pour ceux qui l’écoutent, le dessein qu’il a de faire un affront à une femme d’honneur [71]. Voilà ce qui fâche. Ce n’est point en tant que pudique qu’elle se trouve offensée ; car sous cette notion-là rien ne la peut offenser que l’objet même qui salit l’imagination : or ce n’est pas de cet objet qu’elle s’offense, puisque, si elle en eût été imprimée par d’autres phrases aussi significatives réellement de l’obscénité que le mot de gueule, elle ne s’en serait pas fâchée ; c’est donc sous d’autres égards qu’elle se fâche, je veux dire à cause de l’incivilité que l’on a pour elle. Et de là vient que fort souvent les dames galantes s’’emportent plus fièrement qu’une honnête femme contre ceux qui leur disent des saletés : c’est qu’elles prennent cela pour une insulte, et pour un affront sanglant. Ce n’est point l’amour de la chasteté qui les anime, c’est l’orgueil et le désir de vengeance. Et pour ce qui est des femmes d’honneur qui s’irritent d’une obscénité grossière, elles le font par un amour-propre très-raisonnable ; car la raison veut qu’elles soient sensibles à une injure qui les attaque dans la possession du respect qui est rendu à leur sexe : la raison veut aussi qu’elles se maintiennent dans une bonne réputation, ce qu’elles ne feraient pas, si elles souffraient patiemment qu’on leur tînt les mêmes discours que l’on tient aux femmes de mauvaise vie.

Voilà comment je prouve qu’il n’eût pas été possible d’écarter de ce Dictionnaire toutes les choses qui salissent l’imagination. On la salit nécessairement, quelque tour que l’on veuille prendre pour signifier que Henri IV eut des enfans naturels [* 5].

Il est donc sûr qu’il me doit suffire de me tenir enfermé dans les limites de la civilité ordinaire. Une personne qui aurait un si grand amour pour la pureté, que non-seulement elle voudrait qu’il ne s’excitât jamais dans son âme aucun désir malhonnête, mais aussi que son imagination ne reçût jamais aucune idée d’obscénité, ne pourrait parvenir à son but à moins que de perdre et les yeux et les oreilles, et le souvenir d’une infinité de choses qu’elle n’a pu s’empêcher de voir et d’entendre. Il ne faut point aspirer à une telle perfection pendant qu’on peut voir et des hommes et des bêtes, et qu’on sait ce que signifient certains mots qui entrent nécessairement dans la langue du pays. Il ne dépend point de nous d’avoir certaines idées quand un tel ou un tel objet frappe nos sens ; elles s’impriment dans notre imagination bon gré mal gré que nous en ayons. Il n’y va point de la chasteté de les avoir, pourvu que le cœur s’en détache et les désapprouve. Si pour être chaste il fallait qu’aucune idée de souillure ne frappât l’imagination, il faudrait bien se garder d’aller aux temples, où l’on censure l’impureté, et où on lit tant de listes de promesses de mariage. Il ne faudrait jamais écouter la liturgie que l’on y lit devant tout le peuple le jour des noces. Il ne faudrait jamais lire l’Écriture sainte qui est le plus excellent de tous. les livres, et il faudrait fuir comme des lieux pestiférés toutes les conversations où l’on parle de grossesses, et d’accouchemens, et de baptêmes. L’imagination est une coureuse qui va de l’effet aux causes avec une extrême rapidité : elle trouve ce chemin si battu, qu’elle parvient d’un bout à l’autre avant que la raison ait eu le temps de la retenir.

Il y a une autre considération qui peut apprendre aux compilateurs de littérature qu’il leur suffit de se tenir dans les bornes de la bienséance ordinaire. C’est qu’ils ne doivent pas espérer qu’ils seront lus par des gens dont les oreilles et l’imagination soient si tendres, que le moindre objet obscène leur puisse causer des surprises dangereuses. Je ne sais pas si l’on supposait avec raison dans l’ancienne Rome, que les mots sales que l’on faisait dire à de petits enfans à la chambre des nouvelles mariées [72], étaient les premiers qu’elles eussent entendus ; mais je suis persuadé qu’aujourd’hui, de quelque sexe que l’on soit, on n’a pas plus tôt vu le monde quatre ou cinq ans, que l’on sait par ouï-dire une infinité de choses grasses [* 6]. Cela est principalement vrai dans tous les pays où la jalousie n’est pas tyrannique. On y vit dans une grande liberté. Les conversations enjouées, les parties de plaisir, les festins, les voyages à la campagne, y sont presque un pain quotidien. On n’y songe qu’à se divertir, et qu’à égayer l’esprit. La présence du beau sexe est bien cause que les obscénités n’y entrent pas à visage découvert, mais non pas qu’elles n’y aillent en masque. On les produit sous des enveloppes qui, comme je l’ai prouvé ci-dessus, n’empêchent pas que l’objet sale ne se peigne dans l’imagination tout comme si l’on se servait des termes d’un paysan. La crainte d’être raillées comme des prudes et des précieuses [73] fait que les femmes n’osent se fâcher pendant qu’on ménage les expressions [74]. C’est une pure question de nom, une vraie dispute de mots : la chose signifiée passe, mais non pas toutes les paroles qui la signifient. Ainsi un auteur doit croire qu’il ne prendra pas ses lecteurs au dépourvu, et que la coutume les aura fortifiés et endurcis.

Il est bien certain que les femmes qui lisent un livre de littérature ne commencent point par-là : elles ont déjà lu des romans, et des pièces de théâtre, et des poésies galantes. Les voilà donc bien aguerries. Il n’y a rien dans mon Dictionnaire que l’on ne puisse braver, après avoir combattu de tels ennemis. Si l’on s’est tiré heureusement d’aussi mauvais pas que le sont la musique luxurieuse [75] des opéras, la tendresse des tragédies, le libertinage des comédies, les descriptions passionnées des effets et des désordres de l’amour, on lira bien sans péril les articles d’Abélard et d’Héloïse. Si l’on trouve des endroits choquans, cette peine sera bientôt suivie du doux plaisir de s’être donné à soi-même de nouvelles preuves de la force de sa pudeur. Si l’on se plaît à ces endroits-là, et si l’on s’y gâte, ce ne sera point ma faute, il s’en faudra prendre à sa propre corruption. Ne sont-ce pas des choses que je fais voir comme criminelles ?

C’est ce que j’avais à dire sur la première des deux questions qu’il me fallait discuter. J’espère que l’on verra clairement toute la force de ma justification, et qu’on tombera d’accord que s’il y a dans mon dictionnaire quelque obscénité digne de censure, elle ne sort pas des expressions que j’emploie, quand je parle de mon chef. Voyons maintenant si elle consiste dans les choses mêmes ; soit que j’aie rapporté les propres paroles des autres auteurs, soit que je n’aie fait qu’en donner le sens. C’est la seconde question que j’ai entrepris de discuter.

On ne peut prendre l’affirmative sur cette question sans établir cette hypothèse : 1°. qu’un historien est obligé de supprimer toutes les actions impures qui se rencontrent, ou dans la vie des princes, ou dans la vie des particuliers ; 2°. qu’un moraliste qui condamne l’impureté ne doit jamais spécifier aucune chose qui offense la pudeur. Les puristes dont j’ai tant parlé ci-dessus doivent nécessairement embrasser cette hypothèse, et il est certain qu’on a vu toujours beaucoup de gens qui ont condamné les histoires et les invectives, où les désordres de l’impudicité paraissent sous des images affreuses.

Si nos puristes veulent éviter le blâme de raisonner inconséquemment, et de quitter aujourd’hui les maximes où ils reviendront dès demain, il faut qu’ils admettent toute l’hypothèse que j’ai marquée. Ils doivent dire, 1°. qu’un historien doit observer simplement que Charlemagne, et les deux Jeannes de Naples, et Henri quatrième ; n’ont pas été chastes ; 2°. qu’un prédicateur, et un directeur, et tout autre homme qui souhaite la réformation des mœurs, doit censurer simplement et en général les désordres impudiques. J’ai cité [76] un auteur qui condamne perpétuellement l’historien Mézerai d’avoir fait mention de certains faits particuliers qui blessent les chastes oreilles. Il le condamne nommément sur le chapitre de Marguerite de Valois, première femme de Henri le Grand.

Il y a eu de cette espèce de puristes dans tous les siècles ; mais toujours aussi il y a eu de très-grands auteurs qui se sont moqués ou des scrupules ou des fantaisies de ces gens-là, de sorte que la république des lettres a toujours été divisée en deux partis là-dessus : chacun a eu ses autorités et ses raisons ; chacun a répondu et chacun a objecté, et jamais aucun tribunal suprême n’a défini ce qu’il fallait suivre. C’est ce qui me dispense d’un long examen : je trouve là une voie courte de me tirer pleinement d’affaire. Car si ceux qui ont méprisé les maximes des puristes ont toujours fait un parti considérable dans la république des lettres, s’ils ont toujours maintenu leurs droits, s’il n’y a point eu de décision sur ce différent, il est permis à chaque particulier d’embrasser leur secte, et de croire que pour le moins il est probable qu’elle est bonne.

L’on ne peut contester ici raisonnablement à personne les priviléges du dogme de la probabilité. Ceux qui ont suivi la faction des anti-puristes [77] ne sont pas réduits à deux ou à trois auteurs graves : on les pourrait compter par centaines, et ils se peuvent fortifier de l’exemple décisif des écrivains inspirés de Dieu [78]. Si vous parcourez la Genèse, vous trouverez que Moïse nous raconte sans nul détour que deux filles, ayant enivré leur père, couchèrent avec lui, et en eurent des enfans [79] ; que Dina fille de Jacob fut violée [80] ; que Juda fils du même patriarche se souilla en plein chemin avec une femme qu’il prenait pour une prostituée, et qui était sa belle-fille, et qui le connaissait bien [81] ; qu’un fils de Juda.... [82] ; et que Ruben, frère aîné de Juda, commit inceste avec une femme de son propre père [83]. Le Lévitique contient plusieurs choses qu’on n’oserait faire lire dans les temples des protestans. Le livre des Juges raconte une action abominable [84]. Les prophètes se sont servis des expressions les plus fortes pour représenter la turpitude de l’impudicité. Voyez aussi dans l’Apocalypse la description de la Paillarde. Ils ont employé des comparaisons que les ministres n’ont pas osé rapporter tout entières (E). Tous les artisans parmi ceux de la religion en France savaient dire aux missionnaires, dans la dispute sur le mérite des œuvres, que toutes nos justices sont comme le drap souillé ; mais la suite du passage leur était inconnue, parce qu’on ne la mettait point dans les livres de controverse. Saint Paul dans son épître aux Romains [85] a-t-il les ménagemens que nos puristes demandent pour la chasteté des oreilles ? Ne décrit-il pas d’une manière aussi forte que naïve les plus abominables impuretés des païens ?

Si l’on m’objecte que les écrivains sacrés ont des priviléges particuliers, sunt superis sua jura, il faudra répondre que non-seulement les auteurs païens les plus graves, mais aussi les anciens pères de l’église ont écrit avec cette même liberté. Tite Live, quand il raconte si majestueusement et si gravement la proscription des Bacchanales [86], nous découvre des horreurs qui salissent et qui font frémir l’imagination. Sénèque, le plus grave et le plus rigide philosophe de l’ancienne Rome, a décrit avec la dernière naïveté les impuretés les plus infâmes [87]. Il les a condamnées avec toute la sévérité d’un censeur, mais en même temps il les a dépeinte toutes nues, ou peu s’en faut. Les pères de l’église lorsqu’ils parlent, ou des gnostiques, ou des manichéens, ou de telles autres sectes, racontent des choses qui salissent non-seulement l’imagination, mais qui soulèvent aussi l’estomac, et qui peuvent presque servir d’émétique. Arnobe dans ses invectives contre les païens ménage si peu les termes, qu’on peut assurer que M. de La Fontaine eût mieux voilé de pareilles choses et n’aurait osé égayer avec la même liberté ce qui concerne Priape. Saint Augustin en quelques rencontres s’est exprimé si naïvement et si salement que rien plus [88]. Saint Ambroise et saint Chrysostome l’ont fait aussi, et ce dernier même a soutenu qu’il le fallait faire si l’on voulait inspirer une véritable horreur des crimes que l’on dépeignait. Casaubon n’a point approuvé cette conduite (F) ; mais il nous permettra de croire que son sentiment sur des questions de morale ne peut pas être comparé à celui de ce grand saint.

Si l’on donnait une liste de tous les historiens depuis Suétone jusques à M. de Mézerai qui rapportent grossièrement les actions impures, l’on remplirait plusieurs pages. Et qu’on ne me dise pas que Suétone a été blâmé par de célèbres auteurs : cela ne sert de rien à mes adversaires, puisque ceux qui le justifient sont aussi illustres que ceux qui le désapprouvent (G).

Le nombre des écrivains moralistes, qui ont déploré la corruption de leur siècle, et particularisé fort naïvement ses excès et ses espèces, est infini [89]. Je ne prétends point excuser tous les casuistes, mais je puis bien mettre en fait que dans l’église romaine aucun d’eux ne saurait se dispenser de dire des choses qui offensent la pudeur. On sait que le père Noël Alexandre s’est déclaré pour la morale rigide, et qu’il a eu bien des querelles à soutenir sur ce sujet. Je parcourus l’autre jour dans ses Dogmes de morale ce qui concerne les péchés contre le septième commandement [90], et je n’y trouvai presque point de période qui ne contienne des saletés tout-à-fait grossières. Je crois pourtant qu’il est de ceux qui traitent un tel sujet avec la plus grande modestie. Mais enfin cette matière ne souffre pas que l’on ménage la pudeur, et qu’on mette l’imagination à couvert de l’obscénité. Disons-en autant des canonistes [91], et de ceux qui composent un livre d’anatomie ; et afin qu’on sache qu’encore aujourd’hui les esprits polis et de bon goût entrent dans la secte des anti-puristes, je rapporterai un passage du critique de M. de Saint-Évremond. Ne voit-on pas encore, dit-il [92], en théologie, dans le traité des actes humains, l’explication de tous les désordres tant en action qu’en pensée, que la concupiscence nous peut suggérer ? Il ne faut pas croire que ces explications scandalisent la pudeur, elles sont nécessaires à ceux que Dieu destine à la direction, et qui doivent s’appliquer à connaître les péchés dans toutes leurs circonstances, pour découvrir aux pécheurs l’état où ils sont, et afin de porter à la pénitence ceux qui veulent véritablement se convertir. Que si vous voulez toujours que ces traités scandalisent la pudeur, trouvez une science qui y soit plus opposée que l’anatomie, où toutes les parties du corps sont contemplées dans l’état de pure nature ; cependant y a-t-il quelque loi contre ceux qui s’en mêlent[93] ?

Le parti des anti-puristes serait beaucoup plus nombreux si la vanité ou si la malignité des esprits critiques n’engageait plusieurs écrivains à passer dans l’autre faction. Il ne paraît presque point de bon livre contre lequel on ne compose. On l’épluche de tous les côtés, et si l’on y trouve des pensées ou des expressions qui ne soient pas assez délicates par rapport à la passion impudique, on ne manque pas de faire éclater beaucoup de zèle pour les intérêts de la pudeur offensée[94]. On se jette à corps perdu sur ce lieu commun, et l’on fait bien des vacarmes. Rien n’est plus facile que cela, et rien n’est plus propre à prévenir le public. Un censeur, qui prend la chose sur ce ton-là, se fait louer des dévots et du beau monde ; on le regarde comme un protecteur de la pureté. Voilà ce qui le détermine à se déclarer pour les puristes. Il se donne du relief en deux manières ; car il se produit comme une personne qui travaille pour les bonnes mœurs, et qui fréquente le monde poli, et non pas les tabagies[95] où l’on contracte l’habitude de parler grossièrement, comme le remarque plus d’une fois le critique de Mézerai. Artifice et ruse d’auteur que tout cela : l’intérêt du bien honnête n’y est appelé que pour y former un beau dehors. Beaucoup de gens, qui ne critiquent les livres qu’en conversation, suivent les traces des critiques imprimées.

Combien croyez-vous qu’il y a eu de personnes qui ont crié contre le livre de Contactibus impudicis[96], et contre l’Histoire des Flagellans, parce que M. Boileau le docteur n’était pas de leur cabale dans la faculté de théologie ! S’ils eussent été contens de l’auteur qui est un homme célèbre par sa probité et par son savoir, ils eussent trouve fort bon qu’il eût fait connaître vivement les obscénités qu’il a censurées ; mais, à cause qu’ils ne l’aimaient pas, ils ont embrassé les maximes des puristes.

Mais quelque nombreuse que puisse être cette faction, ou par ces motifs, ou par d’autres plus honnêtes, il est sûr que l’autre parti est assez considérable pour faire que l’on disculpe ceux qui le suivent. Le poids et l’autorité des anciens pères de l’église qui l’ont embrassé à l’imitation des prophètes et des apôtres, lui donne un si haut degré de probabilisme, que si quelques-uns s’aheurtaient à soutenir que l’on ne peut pas s’y ranger en sûreté de conscience, ils ne mériteraient pas qu’on les écoutât.

S’ils se réduisaient à soutenir que l’autre parti est meilleur, on se pourrait croire obligé à nouer des conférences avec eux, pour comparer les unes avec les autres les raisons de ces deux sectes, quoiqu’à dire le vrai il paraisse bien étrange que des chrétiens mettent en doute s’il y a un meilleur chemin à suivre que celui des écrivains inspirés de Dieu. Mais enfin on pourrait se relâcher de ce grand droit, et entendre leurs difficultés, et leur proposer les siennes. Je n’ai nullement besoin de ces discussions. C’est assez pour moi que la conduite des historiens ou des censeurs, qui rapportent des obscénités, soit non-seulement de permission, et autorisée par un usage non interrompu, mais aussi fort bonne.

Car si ces auteurs-là ont pu écrire légitimement ce qu’ils ont écrit, je les ai pu imiter, et les citer légitimement. Cela me suffit. Examinera qui voudra si j’eusse mieux fait en me conduisant d’une manière toute différente.

Le droit qu’on a de citer ce que j’ai cité se fonde sur deux raisons : l’une, que s’il est permis à toute la terre de lire Catulle et Martial, etc., il est permis à un auteur de rapporter de ces poëtes les passages que bon lui semble : l’autre, que s’il est permis aux historiens de rapporter une action impure commise par Caligula il est permis à un auteur de rapporter une pensée ou une remarque obscène de Montaigne ou de Brantôme : car cette remarque n’est pas une action à beaucoup près aussi criminelle que les infamies de Caligula. Quiconque a droit sur le plus a droit sur le moins, et il serait contradictoire ou absurde de vouloir bien que Pétrone, et Suétone, et les poëtes les plus lascifs, soient imprimés et vendus publiquement avec des notes qui en expliquent les obscénités les plus brutales ; et de défendre à l’auteur d’un dictionnaire historique commenté de se servir d’un passage de ces écrivains pour confirmer ou pour éclaircir quelque chose.

Examinons ici trois objections qu’on fait ordinairement. On dit, 1°. Qu’un médecin et un casuiste sont contraints par la nature de leur sujet à remuer bien des ordures, mais que mon ouvrage ne demandait rien de semblable ; 2°. que ceux qui écrivent en latin peuvent prendre des libertés que notre langue ne souffre point ; 3°. que ce qui était permis dans les siècles précédens doit être interdit au nôtre, à cause de sa prodigieuse corruption.

La première de ces trois difficultés ne peut tomber que dans l’esprit des lecteurs qui n’ont nulle connaissance du caractère de mon livre. Ce n’est pas un livre de la nature de ceux que l’on intitule, Bouquet historial, Fleurs d’exemples, Parterre historique, Lemnisci historiarum, où l’on ne met que ce que l’on veut. C’est un dictionnaire historique commenté. Laïs y doit avoir sa place aussi-bien que Lucrèce ; et comme c’est un dictionnaire qui vient au monde après plusieurs autres, il doit principalement fournir ce que les autres ne rapportent pas. Il faut y donner non-seulement un récit des actions les plus connues, mais aussi un détail exact des actions les moins connues, et un recueil de ce qui est dispersé en divers endroits. Il faut apporter des preuves, les examiner, les confirmer, les éclaircir. C’est en un mot un ouvrage de compilation. Or personne ne doit ignorer qu’un compilateur qui narre et qui commente a tous les droits d’un médecin et d’un avocat, etc., selon l’occasion : il se peut servir de leurs verbaux, et des termes du métier. S’il rapporte le divorce de Lothaire et de Tetberge, il peut donner des extraits d’Hincmar archevêque de Reims, qui mit par écrit les impuretés que l’on avéra pendant le cours de la procédure [97]. Voilà ce que je disais dans mes Réflexions sur le prétendu Jugement du public l’an 1697. Je le répète avec cet autre passage : « Quand on m’aura fait connaître le secret de recueillir dans une compilation tout ce que les anciens disent de la courtisane Laïs, et de ne point rapporter pourtant des actions impures, je passerai condamnation. Il faut du moins qu’on me prouve qu’un commentateur n’est pas en droit de rassembler tout ce qui s’est dit d’Hélène ; mais comment le prouverait-on ? Où est le législateur qui ait dit aux compilateurs : Vous irez jusque-là, vous ne passerez point outre : vous ne citerez point Athénée, ni ce scoliaste, ni ce philosophe ? Ne sont-ils pas en possession de ne donner point d’autres bornes à leurs chapitres que celles de leur lecture [98] ? » Je pourrais nommer beaucoup de théologiens, qui, ayant choisi de gaieté de cœur une certaine matière, ont cité à droite et à gauche tout ce que bon leur a semblé, quoique ce fussent des choses qui salissent l’imagination. J’en nommerai seulement trois, M. [99] Lydius, M. Saldénus, et M. Loméier. Ils étaient ministres flamands, le premier à Dordrecht, le second à la Haye, et le troisième à Zutphen. On les estimait beaucoup, et à cause de leur érudition, et à cause de leur vertu. Qu’on lise les Dialogues du premier touchant les cérémonies nuptiales [100] ; les Dissertations du second de Canis pretio, et de Eunuchis[101] ; et la Dissertation du troisième sur les baisers[102] ; on y trouvera des obscénités affreuses, et des citations abominables.

On me répliquera que ces ouvrages sont en latin. C’est la seconde difficulté que j’ai à résoudre, et j’en ferai voir sans peine la nullité : car un objet sale ne blesse pas moins la pudeur quand il va se peindre en latin dans l’âme de ceux qui entendent cette langue, que lorsqu’il se peint en français dans l’âme de ceux qui entendent le français ; et si c’était une chose condamnable que d’imprimer des objets obscènes dans son imagination, et dans celles de ses lecteurs, on ne saurait disculper ces trois ministres. Ils entendaient ce qu’ils écrivaient, et ils l’ont rendu intelligible à tous leurs lecteurs, et par conséquent ils ont sali leur esprit, et ils salissent tous les jours l’imagination de ceux qui les lisent. Mais ne serait-on pas bien injuste si on leur faisait ce reproche ? il faut donc ne le point faire à ceux qui écrivent en français ; car ils ne vont pas plus loin que d’entendre ce qu’ils écrivent, et de le rendre intelligible à leurs lecteurs.

Je sais qu’on allèguera deux différences : l’une, que ceux qui entendent le latin ne sont pas en aussi grand nombre que ceux qui entendent le français : l’autre, que ceux qui entendent le latin se sont mieux fortifiés que les autres hommes contre l’influence maligne des objets sales… Voici trois réponses à cela. Je dis, en premier lieu, que le latin est intelligible à un si grand nombre de personnes par toute l’Europe, que la première différence ne pourrait jamais suffire à disculper ceux qui racontent ou qui citent des obscénités en cette langue ; le mal serait toujours grand, et même très-grand. Je dis, en second lieu, que l’étude ne communique des forces que peu à peu contre les objets qui salissent l’imagination ; et ainsi les obscénités latines seraient toujours fort à craindre par rapport aux écoliers. On ne voit guère, généralement parlant, qu’ils soient plus chastes et moins débauchés que les autres jeunes hommes. Enfin je dis que la plupart de mes lecteurs ont étudié ; car ceux qui n’ont point d’étude ne se plaisent guère à s’arrêter sur un livre entrecoupé comme celui-là de passages grecs et latins. En tout cas ils ne peuvent rien entendre aux principales obscénités, puisqu’elles sont en latin. Je conclus que s’il y a du bon dans les différences que l’on m’objecte, je suis en état de m’en prévaloir.

Passons à la troisième difficulté : elle porte sur la corruption extrême de notre temps. Nous avons perdu, dit-on, et l’honnêteté des mœurs, et celle des mots. Les termes qui étaient autrefois honnêtes, ne le sont plus : il en faut employer d’autres qui n’excitent que des idées de pudeur ; car sans cela on achèverait de perdre le peu de vertu qui s’est conservé. Je n’examine point si l’on a raison de prétendre que le temps présent soit plus corrompu que celui de nos ancêtres [103]. On a toujours fait les mêmes lamentations [104], et c’est ce qui nous en doit donner quelque défiance. J’ai bien de la peine à croire que la corruption de notre temps soit égale à celle du règne de Charles IX et de Henri III. Mais ne disputons point sur cela, employons le dato non concesso des logiciens, et supposons ce qu’on nous demande. J’en conclurai tout le contraire de ce que l’on en conclut ; car il n’est jamais aussi nécessaire de représenter fortement et vivement la laideur du crime, que lorsqu’il fait le plus de ravages (H) : et c’est un mauvais moyen d’arrêter le cours de l’impureté que de la décrier avec des paroles de soie, et que de n’oser donner un nom odieux aux femmes qui se prostituent. Outre cela, si la corruption est si grande de quoi a servi cette chasteté de mots introduite dans le français depuis soixante ans, selon le calcul de M. Chevreau [105] ? N’est-ce pas un signe que la proscription des idées prétendues grossières est un remède de néant ? Et qui vous a dit qu’il les faut proscrire de peur de ruiner entièrement la pudeur ? Avez-vous consulté les femmes, en faveur de qui principalement vous vous abstenez de ces termes-là ? Vous ont-elles avoué que ce sont des termes qui font courir un grand risque à leur honneur ? Ne vous diraient-elles pas plutôt que c’est les calomnier que de ne les pas croire à l’épreuve d’une idée et d’une parole ? Ne vous diraient-elles pas que si elles veulent un langage qui marque plus faiblement l’impureté, c’est afin que l’on se fasse une idée beaucoup plus juste de leur vertu, qui est plus sensible à la pudeur que celle de leurs aïeules ! Elles ne craignent donc pas comme une chose tentante les objets grossiers. Ils ne feraient que donner de nouvelles forces à leur pudeur. Elles ne s’en formalisent qu’à cause de l’impolitesse et de l’incivilité qu’elles trouvent dans certains mots. Ceux qui prétendent que vu la corruption infinie de notre temps il faut s’abstenir de tous les récits qu’ils nomment grossiers sont semblables à un voyageur, qui, pour empêcher que son manteau tout couvert de boue ne se salît, se garderait bien de le mettre dans une chambre où il fumerait. Si la dépravation du cœur est si grande que la lecture d’un vilain fait historique pourrait pousser dans l’adultère les jeunes gens, assurez vous que ce sont autant de pestiférés dont vous craignez d’empirer la condition en les mettant auprès d’un galeux. Un style poli, et des enveloppes délicates, ne guériront pas de telles gens, et ne les arrêteront pas sur les bords du précipice.

Sûrement on donne ici dans le sophisme, à non causâ pro causâ. Ce n’est pas de là que dépendent les destinées de la chasteté : vous n’allez point à l’origine du mal. Il demande de tout autres remèdes. On est déjà tout pénétré d’obscénités, et l’on a fait tout son cours de matières sales et d’ordures, en paroles pour le moins, avant que l’on ait lu Suétone. Les mauvaises conversations, inévitables à tout jeune garçon qui n’est point gardé à vue, font mille fois plus de mal que les histoires de l’impureté. Un très — habile homme a dit que le Plutarque d’Amyot est dangereux pour les mœurs, en ce qu’il peint les choses d’une manière trop libre et trop naïve, et qu’il s’y trouve quelques termes qui ont aujourd’hui une signification peu honnête [106]. Il me permettra de n’être pas de son sentiment. Les peintures et les phrases d’Amyot n’ont rien qui approche de celles que l’on voit et que l’on entend tous les jours dans le commerce du monde. Joignez à cela que si cette traduction de Plutarque était dangereuse pour les mœurs, toute autre version de Plutarque le serait aussi, à moins qu’on ne retranchât de l’original tous les endroits où les choses ont été peintes d’une manière trop libre et trop naïve.

Il n’y a point ici de milieu : il faut, ou qu’un livre ne fasse aucune mention d’aucun fait impur, ou que nos censeurs avouent qu’il sera toujours dangereux quelque délicatement qu’il soit écrit. Une traduction sera plus polie que l’autre ; mais si elles sont fidèles, on y trouvera les images des impuretés que l’original rapporte.

Que M. Chevreau assure que faire des enfans est une expression grossière, et qu’il faut dire avoir des enfans. C’est ce qu’on pourra lui accorder ; mais si quelqu’un ajoutait que par la première de ces deux phrases on fait un grand tort aux mœurs, et que par la seconde on leur rend beaucoup de service, il le faudrait traiter de conteur de pauvretés et de fadaises.

Si l’on examine bien les choses, on trouvera que le mot paillard ne doit être rejeté que par la même raison qui fait rejeter les termes contaminer, vilipender, vitupérer, et une infinité d’autres du vieux gaulois. Cela veut dire qu’il n’a point d’autre défaut que d’avoir vieilli. Les oreilles délicates se plaindraient qu’on les écorche, si l’on se servait des mots que je viens de rapporter. Voilà ce qui fait aussi que l’on est choqué de paillard, de paillardise ; car si la chose signifiée était le sujet du dégoût, on ne pourrait pas souffrir le mot impudique, dont l’idée est aussi forte que celle de paillard.

J’ai encore deux observations à faire. La première est que nos puristes approuvent presque toujours dans l’hypothèse ce qu’ils condamnent dans la thèse. Qu’il me soit permis d’employer ici ces termes de rhétoriciens. Demandez à un catholique romain ennemi des quiétistes, s’il ne faut pas qu’un historien s’abstienne de toucher aux choses qui peuvent salir l’imagination ? Il vous répondra, C’est son devoir. Laissez passer quelques jours, et puis allez lui apprendre qu’il paraît une Relation du quiétisme [* 7] dans laquelle on voit un très-grand détail des abominables impuretés des sectateurs de Molinos. Témoignez-lui que la lecture d’un tel ouvrage vous a choqué, et que la pudeur ne saurait souffrir de telles choses ; il vous répondra qu’il est nécessaire de découvrir l’abomination de ces faux dévots, afin de désabuser beaucoup de personnes qui ont du penchant vers le quiétisme ; et qu’ainsi l’auteur de la relation est louable d’avoir fait connaître au monde les actions infâmes de cette secte. Vous trouverez cent autres personnes qui conviendront avec vous que l’on ne saurait avoir trop d’égards pour les oreilles pudiques, et qui déclameront avec un grand zèle contre Suétone, et contre Lampridius : mais demandez-leur quelques jours après, s’il faut excuser les historiens qui ont raconté tant de choses abominables des Albigeois, ou des Fratricelli, ou des Adamites, ou des Picards, ou des Lollards, ou des Turlupins, ils vous répondront que le caractère d’historien et de zélé catholique les engageait à faire savoir à toute la terre les obscénités de ces hérétiques précurseurs des luthériens.

Les papistes d’Angleterre, fugitifs en France ou en Espagne, ne choquaient point les chastes oreilles de leurs bons amis, lorsqu’ils publiaient des satires contre la reine Élisabeth, où ils la faisaient paraître comme un monstre d’impudicité. Les ligueurs ne blâmaient point les libelles où l’on voyait des descriptions impudentes de l’impureté de la cour de Henri III.

La même inégalité de conduite se remarque parmi les protestans. Ils ne se plaignaient point que ces libelles contre Henri III, leur persécuteur, ménageassent peu les chastes oreilles. Buchanan : qui publia un ouvrage sur les impudicités de Marie, reine d’Écosse [107], est un homme de bienheureuse mémoire parmi tous les presbytériens. Cependant c’était un ouvrage qui salissait horriblement l’imagination. Nicolas de Clémangis, Pélagius Alvarez, Baptiste Mantuan, et plusieurs autres qui ont fait une peinture si naïve et si sale des impuretés de la cour de Rome, sont regardés par les protestans comme des témoins de la vérité. Ils les citent encore aujourd’hui en toute occasion, et il y a peu de livres de controverse où ils n’en aient donné de fort longs passages. Vous en trouverez un grand nombre dans un ouvrage français du célèbre du Plessis Mornai [108]. Il n’y a pas long-temps que trois ministres [109], dont les deux premiers sont Suisses et l’autre Français, ont renouvelé ces citations. Henri Étienne, qui débite tant de contes sales dans son Apologie d’Hérodote, n’a point déplu à son parti : on a jugé que cet ouvrage était propre à tourner en ridicule l’église romaine ; on l’a trouvé bon sur ce pied-là ; il s’en est fait beaucoup d’éditions, et j’apprends qu’on vient de le réimprimer à la Haye. Peut-on voir un plus grand amas de turlupinades et de quolibets, et de mots bas et obscènes, que celui qu’on trouve dans quelques livres du sieur Sainte-Aldegonde qui néanmoins a été fort estimé et fort loué ? Le livre qu’un Allemand a fait annoncer dans le Nova Litteraria Maris Balthici, l’an 1690, et qui doit avoir pour titre, Sacra pontificiorum Priapeia, seu obscenæ papistarum in auricularibus confessionibus quæstiones quibus S. confessionarii innocentes puellas fœminasque ad lasciviam sollicitant, sera sans doute bien goûté et bien approuvé. Il fera néanmoins beaucoup de peine aux oreilles chastes, puisqu’il contiendra un recueil des questions obscènes des confesseurs. Et à propos de cela je me souviens de l’illustre Pierre du Moulin, qui a reproché aux catholiques romains les obscénités qui se lisent dans leurs ouvrages concernant la confession auriculaire. Il en a marqué [110] quelques-unes qui font horreur, et qui ne cèdent en rien à l’impureté dont Procope accuse l’impératrice Théodora. Plusieurs controversistes protestans [111] ont étalé les ordures des livres des confesseurs.

Pour parler d’une chose de plus fraîche date, je dis que les Aventures de la Madona et de François d’Assise, publiées [112], l’an 1701, sont un livre où à la vérité tous les termes sont fort honnêtes ; mais les idées que l’auteur [113] veut que l’on ait sont si infâmes, si horribles, et si monstrueuses, qu’il n’y a que Lucien et ses semblables qui en puissent soutenir l’énormité. Cela ne donne point de scandale aux protestans, ils ont jugé au contraire que l’auteur ayant eu pour but de faire sentir le ridicule du papisme sans aucune controverse, a rendu service à la bonne cause. On s’est plaint de quelque chose qu’il avait dite en faveur de Nestorius, mais non pas du reste, qui, comme je l’ai déjà dit, étonne, atterre, et fait frissonner le corps et l’âme [114]. M. de Meaux ayant été obligé d’insinuer un trait semblable, pour faire connaître les fureurs d’une visionnaire [115], a cru avoir contracté quelque souillure, et y a cherché du remède par cette oraison : « Mais passons ; et vous, ô Seigneur, si j’osais, je vous demanderais un de vos séraphins avec le plus brûlant de tous ses charbons, pour purifier mes lèvres souillées par ce récit, quoique nécessaire [116]. » Notez bien ce dernier mot : il porte beaucoup contre ceux qui disent qu’aux dépens mêmes de la vérité il faut ménager l’imagination du lecteur. Ce prélat, qui est au reste si ennemi des grossièretés du style qu’il n’ose employer le mot de paillarde sans en faire excuse [117], n’a point cru que les folies épouvantables et obscènes de la dame Guyon dussent être supprimées.

Je ne veux pas dire que généralement tous les protestans qui en ont usé de la manière que j’ai rapportée veuillent assujettir les historiens, les compilateurs et les commentateurs au joug des puristes. Je crois seulement que plusieurs d’entre eux le prétendent dans la thèse ; mais puisqu’ils approuvent ensuite dans l’hypothèse ce qu’ils avaient condamné, leur goût ni leur témoignage ne me sauraient nuire ; et je puis entièrement me prévaloir de l’opinion de tous les autres qui sont d’accord avec eux-mêmes et sur l’hypothèse et sur la thèse.

On ne peut point prétendre que pour le bien de l’église il faut souffrir qu’un auteur avance des choses qui salissent l’imagination, et qu’en un tel cas il est louable de le faire. Cela, dis-je, ne peut être allégué ; car si le débit des choses qui salissent l’imagination était mauvais en lui-même, on ne pourrait l’employer pour le profit de la bonne cause sans violer un commandement de Dieu qui porte qu’il ne faut point faire du mal afin qu’il en arrive du bien [118].

Voyons la seconde observation. N’ai-je pas contrevenu à ce beau précepte d’Isocrate : Croyez que tout ce qui est malhonnête à faire est malhonnête à dire [119] ? Et ce précepte ne doit-il point servir de loi à tous les chrétiens, puisque saint Paul veut que ce qui est sale ne soit pas même nommé entre eux [120] ? Je réponds que cet excellent axiome ne condamne que la mauvaise coutume (I), qui règne parmi les jeunes gens et parmi les hommes mariés, de parler à tout propos de leurs plaisirs impudiques, et de s’entretenir effrontément de tout ce qui appartient à cette espèce de volupté. Il est bien sûr pour le moins que ce grand apôtre n’a point prétendu défendre de parer sérieusement, honnêtement, historiquement, d’une action impure. Il n’a point ôté la liberté aux pères et aux mères d’interroger leurs enfans sur les histoires de la Bible, et de leur faire réciter qu’ils ont retenu que la fille de Jacob fut violée ; qu’un fils de David viola sa propre sœur [* 8], etc. Rien n’est plus malhonnête à faire que cette action du fils de David. Il n’est pourtant point malhonnête de la réciter, de la prêcher et de imprimer. Saint Paul eût-il pu défendre d’en faire mention ; eût-il voulu interdire la lecture de la Bible ? Ne voulait-il pas bien que ses lettres fussent lues, et que les enfans mêmes sussent ce qu’il écrivait aux Romains sur la vie abominable des gentils ? Il faudrait être fou pour s’imaginer que le précepte d’Isocrate signifie qu’un écolier ne devait jamais rendre compte de sa lecture de l’Iliade, ni à son pédagogue, ni à son père, touchant les endroits où il est parlé des adultères des dieux.

Si l’on voulait disputer à toute outrance, l’on alléguerait qu’il est malhonnête de dérober, de trahir, de mentir et de tuer, et qu’il n’est point malhonnête de faire mention de ces crimes ; mais comme il est évident que le précepte d’Isocrate ne concerne que les péchés opposés à la chasteté, on serait un pur chicaneur si on lui faisait cette objection. Les cyniques et les stoïques s’en servaient pour justifier leur dogme, qu’il n’y a nulle saleté dans aucun mot. Cicéron ne les réfute que par la supposition de la honte naturelle [121]. Il est temps de finir cette longue dissertation. C’est une matière plus difficile à traiter qu’on ne s’imagine. J’espère que ma justification paraîtra très-clairement, non pas à ceux qui ont trop de présomption pour pouvoir connaître qu’on les désabuse, mais à ceux qui s’étaient laissé entraîner à croire ou sur le témoignage d’autrui, ou sur des raisons mal approfondies. S’ils ont été excusables d’avoir été éblouis par des apparences spécieuses avant que j’eusse donné ces quatre éclaircissemens, ils ne peuvent pas espérer de l’être en cas qu’ils s’obstinent dans leur première illusion. Ils eussent bien fait de suivre les ordres de Jésus-Christ : Ne jugez point selon l’apparence, mais jugez d’un droit jugement [122]. Ils se sont fiés aux premières impressions des objets et n’ont pas attendu les raisons des deux parties. Cela est toujours nécessaire et surtout quand il s’agit de juger d’un écrivain qui ne suit pas les manières les plus communes. Il faut d’abord soupçonner qu’il a ses raisons, et qu’il ne ferait pas cette démarche si par un long examen de sa matière il n’en eût envisagé tous les côtés avec plus de soin que ne le font ceux qui se contentent de lire. Ce soupçon très-bien fondé devait inspirer beaucoup de lenteur et de patience, par rapport à la suspension de son jugement. Mais ce qui est fait est fait. On peut seulement espérer que les secondes pensées seront meilleures.

J’avertirai mes lecteurs qu’on trouve en divers endroits de ce Dictionnaire mon apologie [123] tout auprès des choses qui peuvent choquer les esprits tendres.

  1. * Joly, tom. II, pag. 714, trouve que Bayle a franchi les dernières bornes de la pudeur par une infâme apologie de toutes licences qu’il a prises.
  2. * Jean Second.
  3. (*) Lettre provinciale XI. Peintures morales du père le Moine, liv. VII.
  4. * Ce mot p.... avait été employé par Molière en 1669 dans Pourceaugnac, acte II, scène X. C’est sans doute par respect pour Molière que l’on prononce encore aujourd’hui sur la scène un mot que Bayle n’osait plus écrire qu’en abrégé en 1702. Bayle l’avait employé trois fois dans l’article Laïs de sa première édition en 1697 : en 1702, il y substitua le mot prostituée, qu’on lit aujourd’hui ; mais il y a laissé dans le même article le mot putanisme. Au reste, ce n’est qu’à la fin du dix-septième siècle, ou au commencement du dix-huitième, que, comme le dit Bayle, ce mot p.…. est tombé dans un décri général. Bayle dit que nos pères s’en servaient dans les livres les plus graves : on trouve en effet assez souvent cette expression dans la traduction de la Bible, édition de 1540, in-8o. Par exemple, lorsque Judas, fils de Jacob, après son aventure avec Thamar, veuve de son fils, lui envoie Odolamite pour lui offrir un chevreau au lieu des gages qu’il lui a laissés, Odolamite ne la trouvant point interroge les hommes du lieu, disant, « Où est ceste putain qui estoit en vue sur le chemin ? et ils respondirent, Il n’y a point eu cy de putain ; et il retourna à Judas, et dict : Je ne l’ai point trouvée, et aussi les hommes du lieu m’ont dit, Il n’y a point eu cy de putain. » (V. Genèse, chap. xxxviii, pag. 29 de l’édition de 1540.)
  5. * Avant la révolution, dans beaucoup de colléges, et depuis dans de beaucoup de pensionnats même de jeunes filles, on faisait apprendre de mémoire une instruction sur Histoire de France, par l’abbé Leragois, précepteur d’un bâtard du grand roi Louis XIV. Au chapitre de Henri IV, après avoir indiqué les noms de ses enfans légitimes, on adressait la demande suivante : — D. N’eut-il point d’enfans naturels ? À quoi on répondait : — R. Pardonnez-moi, il en reconnut onze : six de Gabrielle d’Estrées, deux de Henriette de Balsac, un de Jacqueline de Beuil et deux de Charlotte des Essarts ; il en eut plusieurs autres qu’il ne put ou ne voulut pas reconnaître.

    La première édition où à notre connaissance on ait supprimé cette demande et cette réponse est de 1806 ; mais je ne serais pas étonné qu’on les trouvât encore dans des éditions postérieures.

  6. * Le président Bouhier trouve que Bayle est ici en contradiction avec lui-même, puisqu’il a voulu tirer avantage de la plaisanterie d’un avocat. Voyez l’article Quellenec, remarque (A), tom. XII, pag. 376.
  7. * C’est de la Relation sur le quiétisme, par Bossuet, que Bayle parle ici.
  8. * Dans le Mystère du Viel Testament, représenté comme tant d’autres pièces de ce genre au XVIe. siècle, on allait plus loin qu’une récitation ; car l’action du fils de David était presque mise sous les yeux des spectateurs. Voyez une Dissertation sur les anciens jeux des mystères, par M. Berriat Saint-Prix, dans le tom. V des Mémoires de la Société royale des Antiquaires, p. 163 et suiv.
  1. Notez que je ne laisse pas de reconnaître pour bonnes les observations que j’ai faites en divers endroits, comme dans l’article du poëte Lucrèce, tom IX, pag. 507, dans l’article Quillet, t. XII, p. 393, etc.
  2. On les a réimprimées à Amsterdam en 1701, en 2 vol. in-12.
  3. On ne prétend point étendre cela sur des cas particuliers, excédant certaines bornes, ni sur des personnes qui d’ailleurs ont pu mériter l’infamie par leurs actions.
  4. Voyez ci-dessus la remarque (I) de l’article Panormita, tom. XI, pag. 351.
  5. Voyez ci-dessus, citation (14) de l’article Sanchez (Thomas), t. XIII, p. 81.
  6. Voyez les articles Quellenec, tom. tom. XII, pag. 373, et Robert, idem, pag. 546
  7. Voyez touchant Grotius, qui a fait des vers lascifs, Rivet., Oper. tom. III, p. 1112, 1224. Grot. in Discuss. Rivet. Apolog., p. 237.
  8. C’est Pétrone.
  9. Voyez ci-dessus les remarques (C) et (D) de l’art. Quillet, t. XII, p. 394 et 395.
  10. Ce fut le 5 d’avril 1675. Vous trouverez la sentence à la fin du IIIe. Factum de Furetière. Elle défend le débit du livre, et ordonne qu’il soit informé de l’impression, vente et débit. Ce que l’on a pu dans mes Réflexions sur le Jugement du Public, etc., pag. 14, (pag. 266 de ce volume, que les Contes de la Fontaine ont été condamnés au feu par sentence du Châtelet de Paris, m’avait été assuré par un homme qui venait de France. Je suis persuadé qu’il se trompait, et qu’il n’y a point eu d’autre sentence que celle de M. de la Reinie. J’aurais été plus circonspect si j’avais eu à mette cela dans ce Dictionnaire ; mais l’écrit que je faisais alors n’étant qu’en feuilles volantes, je n’eus pas tout le soin que je devais.
  11. Celle de ses Sermons sur la Résurrection de Jésus-Christ.
  12. M. Mentel, sous le nom de Joannes Caius Tilebomenus le nomme Thomas de Judicibus dans la préface du Judicium de Fragmento Traguriensi Petronii. Cette méprise sur le prénom est plus excusable que l’erreur de M. de Clavigny de Sainte-Honorine, qui a prétendu, pag. 25 du Traité des Livres suspects, que Théodore de Juges était dit Goldstaius. Il voulut signifier que Goldast et Théodore de Juges étaient le même auteur.
  13. Voyez ci-dessus la rem. (D) de l’article Albert le Grand, tom. I, pag. 360 ; et la rem. (C) de l’article Sanchez (Thomas), tom. XIII, pag. 70.
  14. Lucan. Phars., lib. I, vs. 127.
  15. On peut comparer ensemble les raisons du pour et du contre, si on lit le père Vavasseur, au livre de Epigrammate, chap. II, qui a pour titre : de Obscenitate in Epigrammate vitandâ.
  16. Je ne dis rien de la licence que M. de Voiture prend dans ses Poésies. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les poëtes se sont donné cette vicieuse liberté. Il y a long-temps qu’ils ont prostitué la chasteté des Muses ; ils se défendent par leur multitude. Il ne faut plus leur disputer une possession qu’ils ont prescrite depuis tant de siècles, par le consentement de toutes les nations. Girac, Réponse à la Défense de Voiture, pag. 74.
  17. Voyez la XIVe. lettre du 15e. livre de Pline, et la IIIe. du livre V.
  18. Neronem transeo, quamvis sciam non corrumpi in deterius, quæ aliquando etiam à malis, sed honesta manere que sapiùs à bonis fiunt. Plin., epist. III, lib. V, pag. m. 289.
  19. Voyez ci-dessus, rem. (D) de l’article Vayer, tom. XIV, pag. 289.
  20. Conférez avec ceci ce que le comte de Bussi Rabutin rapporte touchant madame de........ La chaleur de la plaisanterie l’emporte, et en cet état elle reçoit avec joie tout ce qu’on lui veut dire de libre, pourvu qu’il soit enveloppé : elle y répond même avec usure, croyant qu’il irait du sien, si elle n’allait pas au delà de ce qu’on lui a dit...... Elle est d’un tempérament froid, au moins si on en croit son mari : c’est en quoi il avait obligation à sa vertu, comme il disait, toute sa chaleur est à l’esprit, à la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament. Histoire Amoureuse des Gaules, pag. m. 174 et suiv.
  21. Voyez l’article Bèze, t. III, p. 410 et 411 rem. (V) et (X).
  22. C’est-à-dire les huit classes d’auteurs articulées ci-dessus.
  23. Ci-dessus, pag. 327, num. IX.
  24. M. le Laboureur, par exemple, (voyez la préface de ses Additions aux Mémoires de Castelnau) ; et M. de Mézerai, secrétaire de l’Académie française.
  25. Molière, Précieuses ridicules, sc. IV.
  26. Sorel, de la Connaissance des bons livres, pag. 470, édit. de Hollande.
  27. Molière, Critique de l’École des Femmes, sc. III.
  28. Là même.
  29. Là même.
  30. Là même.
  31. Là même.
  32. Notez que dans cet endroit de Molière il n’y a personne qui ne s’attende à voir dire à Agnès qu’on lui a pris son pucelage. Or c’est une idée d’une saleté horrible.
  33. C’est-à-dire la comédie de l’École des Femmes.
  34. Molière, là même, sc. V.
  35. Segniùs irritant animos demissa per aurem,
    Quàm quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
    Ipse sibi tradit spectator.
    Horat., de Arte Poët., vs. 180.

  36. Chevræana, IIe. part., p. 101, 102 édit. de Hollande.
  37. Au commencement de la syllabe cul.
  38. M. Basnage de Beauval.
  39. Journal des Savans, du 21 février 1695, pag. 145, édit. de Hollande.
  40. Voyez la IIIe. lettre d’une dame savante à une autre dame de ses amies, p. 8.
  41. Voyez la préface des Œuvres de M. Despréaux.
  42. Dans la Xe. satire.
  43. C’est au IIe. tome de l’Abrégé chronologique, à l’ann. 1313, au sujet des belles-filles du roi Philippe le Bel.
  44. Sur ce que Mézerai dit qu’un prêtre fut déposé parce qu’on l’avait surpris avec une femme, et mutilé des parties qui sont inutiles à un bon ecclésiastique : l’auteur des Observations, pag. 64, le questionne de cette manière : « N’eût-il pas parlé avec bien plus de bienséance, s’il eût dit seulement qu’il fut mutilé ? n’eût-on pas bien entendu le reste ? En tout cas, il pouvait trouver une expression moins scandaleuse. »
  45. Pag. 18 et 19.
  46. Voyez l’Apologie de Garasse, pag. 107.
  47. Les amis de M. Ménage ont été accusés d’obscénité l’an 1695, pour un livre imprimé avec privilége.
  48. J’ai même observé le précepte de Quintilien à l’égard de certains mots que la corruption des lecteurs a fait devenir obscènes. Vel hoc vitium sit quod κακὸϕατον vocatur : sive malâ consuetudine in obscœnum intellectum sermo detortus est, ut Ductare exercitus, et Patrare bellum, apud Sallustium dicta sanctè et antiquè, ridentur à nobis, si diis placet ; quam culpam non scribentium quidem judico, sed legentium, tamen vitanda, quatenùs verba honesta moribus perdidimus, et evincentibus etiam vitiis cedendum est, sive junctura deformiter sonat. Quintil., lib. VIII, cap. III, pag. m. 367.
  49. Comme celles de la Mercuriale de M. Ménage.
  50. J’ai vu de telles choses écrites à la main à la marge de quelques livres.
  51. Bien entendu qu’on ne comprend point ici les hérésies qui ont pu causer du chagrin aux orthodoxes.
  52. Molière, Critique de l’École des Femmes, scène III.
  53. Réponse à l’Apologie du père Bouhours, pag. lxxiii et suiv. ; édit. de 1700. Voyez aussi les Lettres curieuses de l’abbé de Bellegarde, pag. 253, édit. de la Haye, 1702 ; et la rem. (C) de l’article Accords, tom. I, pag. 124.
  54. Là même, pag. lxxviii.
  55. Voyez Journal de Trévoux, février 1703, pag. 312, édition de France, au sujet du roman la Princesse de Porcien.
  56. Cit. (11) de l’art. Marets (Jean des), tom. X, pag. 239.
  57. Erubuit, salva res est. Terent.
  58. La XXIIe. du IXe. livre ad Familiares.
  59. Conférez ce que dessus, remarque (D) de l’article Hipparchia, tom. VIII, p. 142.
  60. Les traducteurs de la Bible de Genève s’en sont servis.
  61. Conférez la rem. de l’article Espence. [Je n’ai trouvé cet article dans aucune édition du Dict. de Bayle.]
  62. Voyez le Chevræana, part. II, p. 415.
  63. Notez que Sandoval, en parlant des abominables actions qui furent commises dans Rome par l’armée de Charles-Quint l’an 1527, se contente de dire que ce ne fut point une action sainte, obra no santa. Voyez La Mothe-le-Vayer, pag. 177 du deuxième tome de l’édition in-12.
  64. Dans sa Relation de Maroc, un prince à Paris l’an 1695.
  65. Les personnes les plus pudiques n’ont point de honte, quand elles sont seules, de l’état où elles sont en sortant du lit : mais elles en auraient honte si d’autres les y voyaient.
  66. Genèse, chap. II, vers. 1.
  67. Là même, chap. XVI, vers. 4.
  68. Ésaïe, chap. VIII, vers. 3.
  69. Comme celles où l’on traite du Divorce d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon.
  70. Cette expression-ci, les parties qu’on ne nomme pas, est censée fort modeste et fort chaste ; cependant elle est aussi significative qu’aucune autre ; c’est au fond nommer ce qu’on dit qu’on ne nomme pas ; c’est le caractériser de telle sorte, que personne ne peut être en doute de quai il s’agit.
  71. Conférez ce que dessus, citation (36) de l’article Bèze, t. III, p. 403, où je cite l’Art de Penser.
  72. Voyez ci-dessus, rem. (G) de l’article Lycurgue, tom. IX, pag. 227
  73. Voyez ci-dessus, cit. (52).
  74. Voyez ci-dessus, cit. (20).
  75. Cette épithète est de M. Despréaux, dans la Xe. satire.
  76. Voyez ci-dessus les cit. (44), (45).
  77. On appellera ainsi, pour abréger, ceux qui se moquent de la prétendue délicatesse des puristes.
  78. Voyez ci-dessus, tom. XIII, pag. 273, la citation (18) de l’article Sforce (Catherine.)
  79. Genèse, chap. XIX.
  80. Là même, chap. XXXIV.
  81. Là même, chap. XXXVIII.
  82. Là même. Je ne puis dire en français l’action que Moïse raconte.
  83. Là même, chap. XLIX, vers. IV.
  84. Au chap. XIX.
  85. Au chap. I.
  86. Titus Livius, lib. XXXIX, pag. m. 749 et seq. ; et notez qu’Antoine de la Faye dans sa traduction française de Tite-Live, n’a point affaibli l’original.
  87. Voyez l’Hexaméron rustique, journée II, pag. m. 45 et suiv.
  88. Là même, pag. 48 et suiv.
  89. Voyez entre autres Jean de Sarisbéri, évêque de Chartres, de Nugis Curialium, lib. III, cap XIII, où il s’excuse sur l’exemple de saint Paul.
  90. Ou le sixième, selon le calcul des catholiques romains.
  91. Lorsqu’ils expliquent le titre de frigidis, et d’autres sujets matrimoniaux.
  92. Dissertation sur les Œuvres de M. de Saint-Evremond, pag. 216, 217, édit. de Paris, 1698.
  93. M. Devaux, prévôt de la compagnie des maîtres chirurgiens de Paris, a publié un ouvrage dont parle le XXIe. Journal des Savans, 1703. Les journalistes, quoiqu’ils condamnent les grossièretés de l’auteur, en rapportent quelques-unes.
  94. Luther, dont les expressions n’étaient pas ménagées, critiqua Érasme. Voyez la Réponse de celui-ci, pag. 34, 35.
  95. Ce mot signifiant, ce me semble, les lieux où l’on va fumer, manque dans le Dictionnaire de Furetière.
  96. Qu’il y avait d’autres livres très-pernicieux, imprimés à Paris, composés par des docteurs, contre lesquels la sacré faculté devait fulminer anathème, où cependant elle était muette ; ce fut là qu’il nomma une suite de livres, entre lesquels celui de M. Boileau, des Attouchemens sales et impurs, eut sa place. Affaire de Marie d’Agreda, pag. 11.
  97. Ces paroles sont tirées de mes Réflexions sur un imprimé qui a pour titre : Jugement du Public, etc., pag. 4. [ci-dessus pag. 251. ]
  98. Là même, pag. 14. [ci-dessus p. 267.]
  99. Jacques.
  100. J’en ai donné le titre ci-dessus, rem. (B) de l’article Lydius, tom. IX, pag. 237.
  101. Dans l’ouvrage intitulé : Otia Theologica, imprimé l’an 1684.
  102. Dans le livre intitulé Dierum Genialium sive Dissertationum Philologicarum Decas I imprimé l’an 1694.
  103. Je veux même avouer que certains ordres de gens sont plus corrompus qu’autrefois ; et c’est ce que j’ai entendu par ces paroles de la page 3 de mes Réflexions sur le Jugement du Public : Nous voulons paraître plus sages que nos pères, et nous le sommes moins qu’eux.
  104. Voyez un bel endroit sur cela dans le IIIe. volume des Mélanges de Vigneul Marville.
  105. Voyez ci-après la cit. (l), pag. 367.
  106. Dacier, Préface de sa traduction de quelques Vies de Plutarque.
  107. Voyez ci-dessus, cit. (9) de l’article Buchanan, tom. IV, pag. 217.
  108. Intitulé le Mystère d’Iniquité.
  109. M. Heidegger, in Historiâ Papatùs, l’an 1684, in Magnâ Babylone, l’an 1687 ; M. Zuinger, in Tractatu de Festo Corporis Christi, l’an 1685 ; et M. Jurieu, dans ses Préjugés légitimes contre le Papisme, l’an 1685.
  110. Dans sa Nouveauté du Papisme.
  111. M. Jurieu, entre autres, dans son Apologie de la Réformation, tom. I, p. 150 et suiv., édition in-4o.
  112. À Amsterdam.
  113. M. Renoult, ci-devant cordelier, et à présent ministre du saint évangile à Londres.
  114. Voyez l’article Nestorius, t. XI, pag. 119, rem. (H).
  115. Mais qu’était-ce enfin que ce songe ? et qu’est-ce qu’y vit cette femme si pénétrée ? Une montagne, où elle fut reçue par Jésus-Christ, une chambre, où elle demande pour qui étaient les deux lits qu’elle y voyait : en voilà un pour ma mère, et l’autre pour vous, mon épouse. Et un peu après : je vous ai choisie pour être ici avec vous. M. de Meaux, Relation sur le Quiétisme, pag. 28, édit. de Bruxelles, 1698.
  116. Là même.
  117. Ce saint apôtre a bien pris garde de ne pas nommer la prostituée dont il parle une adultère, μοιχάδα, μοιχαίδα, mais une femme publique ; et, si l’on veut me permettre une seule fois ces noms odieux, une paillarde, une prostituée, πόρνης. M. de Meaux, préface sur l’Apocalypse, pag. 27, édit. de la Haye.
  118. Épître aux Rom., chap. III, vers. 8.
  119. Ἃ ποιεῖν αἰσχρὸν, ταῦτα νόμιζε μηδὲ λέγειν εἶναι καλόν. Quæ factu sunt turpia, ne dictu quidem decora esse puta. Isocrates ad Demonicum, pag. m. 6.
  120. Epître aux Ephés., chap. V, vers. 4.
  121. Nec verò audiendi sunt Cynici, aut si qui fuerunt Stoïci penè Cynici, qui reprehendunt, et irrident, quòd ea, quæ re turpia non sint, nominibus ac verbis flagitiosa ducamus : illa autem, quæ turpia sint, nominibus appellemus suis. Latrocinari, fraudare, adulterare re turpe est, sed dicitur non obscænè : liberis dare operam re honestum est, nomine obscænum : pluraque in eam sententiam ab eisdem contra verecundiam disputantur : Nos autem naturam sequamur, et omne quod abhorret oculorum auriumque approbatione fugiamus. Cicero, de Officiis, lib. I, cap. XXXV.
  122. Évangile de saint Jean, chap. VII, vers. 24.
  123. Principalement à l’égard des obscénités.

(A) Quelque rigide que soit M. Chevreau sur le chapitre des mots obscènes... il n’a point parlé selon ses principes. ] Immédiatement après avoir dit avec le maréchal de Bassompierre, que [a] tous les hommes portent la clef du trésor, c’est-à-dire de la virginité des dames, il assure que faire des enfans est une manière de parler obscène, [b] et que l’on ne doit jamais s’en servir devant les dames qui ont les oreilles délicates. Voilà deux observations qui n’étaient point propres à s’entretoucher. En voici une qui est un mensonge : Les Latins, continue-t-il, ont eu la même délicatesse pour liberis dare operam, ce qui a été remarqué dans la seizième lettre du livre neuvième de Cicéron à Papirius Pétus, où l’on pourra encore voir pourquoi on a dit plutôt nobiscum que cum nobis. Au lieu de la seizième lettre il fallait citer la vingt-deuxième ; mais cela n’eût remédié qu’au plus petit mal, puisqu’il est faux que Cicéron dise ce qu’on lui impute. Il ne dit rien ni de nobiscum ni de cum nobis [c], et il assure que liberis dare operam est une expression honnête [d]. M. Chevreau ajoute qu’il a ouï dire autrefois à une dame, C’est un homme qui n’a plus sa fortune en vue, et qui ne pense qu’à bâtir des enfans, dont le grand nombre le ruinera. Une dame, qui se sert de l’expression bâtir des enfans, ne pourrait pas trouver mauvais qu’on se servit devant elle de la phrase faire des enfans : et ainsi M. Chevreau travaille lui-même à sa réfutation. Il a trouvé des obscénités dans les poésies de Malherbe, à cause de quelques mots qui ont double sens [e], mais qui n’ont été pris par Malberbe qu’au sens honnête. M. Ménage a dit là-dessus, et sur ce que Saint-Amant trouvait sale cet hémistiche du même poëte, qu’on survit à sa mort, « qu’il faut avoir l’imagination étrangement gâtée, pour trouver dans les auteurs de semblables ordures. Quòd si recipias, nihil loqui tutum est, dit Quintilien, au sujet de celui qui trouvait une obscénité en ces mots de Virgile, Incipiunt agitata tumescere [f].… Mais, pour revenir à notre vers de Malherbe, Je veux bander, etc., ceux qui y trouvent quelque obscénité ont encore plus de raison que ceux qui en trouvaient dans Térence et dans Salluste, le mot d’aures et celui d’animos ôtant toute équivoque [g]. » M. Chevreau a répondu [h], qu’il faut être aveugle pour ne pas voir ces sortes de choses, et que quand on ne s’aperçoit pas de ces ordures, c’est un témoignage que l’on y est fort accoutumé... On ne cherche pas ces ordures dans les livres ; et l’on en rougit quand on les y trouve. Qu’aurait pu dire M. Ménage, si, après avoir approuvé dans ses changemens mon observation, il avait lu dans un petit livre que je viens de lire, Je suis convaincu qu’on examine aujourd’hui les choses, etc., et dans un autre, On vit dans le consistoire tout autrement ? S’il est honteux de faire voir ces obscénités, il est encore plus honteux de les écrire ; et pour les faire éviter, on est forcé de les découvrir. Peu après il blâme cette expression de Malherbe, elle était paraissante jusques au nombril : il prétend [i] que ce dernier mot est même de ceux que l’on ne peut plus écrire fort honnêtement... Ce mot, dans le sens propre, n’appartient qu’aux médecins et aux sages-femmes qui disent les choses par leur nom : et en ceci la bienséance et l’honnêteté ne nous permettent pas de les imiter [j]. Ne dirait-on pas qu’il veut ramener la vieille mode, qui ne souffrait pas que l’on prononçât les mots soulier, pied, lit, haut de chausses, sans ajouter sous correction, sauf respect, révérence parler. C’était un des principaux chapitres de la Civilité puérile, on reconnaissait à cela les enfans bien élevés : aujourd’hui tout cela passe pour des marguerites villageoises. Mais poursuivons. « On ne saurait éviter avec trop de soin les obscénités qui laissent toujours de sales idées dans l’esprit, et dont les oreilles les moins délicates sont offensées. C. Servilius Glaucia, questeur l’an six cent quarante-un de Rome bâtie, était regardé comme l’ordure et la boue des rues, pour toutes les bassesses de son âme. Cependant le plus éloquent de tous les Romains ne put souffrir qu’on l’eût appelé Curiæ stercus [* 1], ni que l’on eût dit, pour exagérer la grande perte que l’on avait faite dans la mort de Scipion, Respublica morte P. Scipionis Africani-castrata. M. de Balzac ne s’en tenait pas à la bienséance ni aux préceptes des anciens rhéteurs qu’il appelait bien souvent ses maîtres, quand il écrivait d’un certain homme, Qu’il était tout composé de parties honteuses. Notre langue, depuis soixante ans, est si discrète et si retenue, que l’on n’y dit plus fort sèchement les mots de p..... Meretrix, ni de b... lupanar, que les sermonaires prostituaient auparavant, sans aucun scrupule, dans leurs plus belles actions publiques [k]. »

Tous ces passages témoignent que M. Chevreau avait une théorie fort sévère ; mais sa pratique n’y répondait pas ; car si l’on ôtait de ses ouvrages tout ce qui salit l’imagination, on y laisserait une infinité de vides. Ne parlons que du Chevræana où il moralise si austèrement. Combien de choses n’y voit-on qui excitent des idées fort obscènes ? Quelques-uns de ces endroits viennent de lui par citation, et les autres immédiatement. Pourquoi se faire des règles qu’il est impossible d’observer, ni dans une histoire générale, ni dans un recueil de toutes sortes d’observations ?

Il ne sera pas inutile de donner ici un exemple de ce qu’il a dit des sermonaires du vieux temps. Voici donc quelques extraits d’un sermon de Jean de Monluc, évêque de Valence, l’un des plus célèbres prédicateurs du XVIe. siècle. « Celuy qui déflore et corrompt illicitement l’intégrité de la vierge commet fornication et stupre, duquel crime est parlé au Deut. au xxii. ch. Toutefois de notre temps l’on ne tient compte d’une infinité de stupres, qui se commettent tous les jours : tant de pauvres filles qui sont seduictes, subornées, et mises à perdition, et ceux qui les ont debauchées s’en glorifient, et estiment que ce leur est beaucoup d’honneur d’avoir peu vaincre et attirer à meschanceté celle qui avoit quelque temps resisté à l’amour folle et autres tentations de la chair. Mais si le monde ne les chastie, le seigneur Dieu qui est là hault, qui voit tout, leur demandera quelque jour compte de leur faute. Ils rendront compte du temps qu’ils y ont perdu, de l’argent qu’ils y ont employé, pour les macquereaux et macquerellages : et rendront compte des fautes que la fille aura faictes depuis qu’elle a esté seduicte, et de ce qu’elle aura esté delaissée, et n’aura trouvé party pour se marier. Et alors cognoistront-ils s’il y avoit de quoy se vanter et se glorifier d’un acte si execrable que cestuy-là [l]........ Contreviennent aussi à ce commandement ceux et celles qui contre l’ordre de nature abusent de leurs membres, et qui commettent ce vice énorme et detestable qu’on appelle Sodomie. Telle maniere de gens sont condamnez à mort par la loy de Dieu, ainsi que nous lisons au Levitique, xx. chap... [m]. Contreviennent à ce commandement ceux qui vivent ordinairement en delices et voluptez, en festins, banquetz et superfluitez de viandes, et nourrissent leur corps pour en faire un vaisseau de luxure et de paillardise. Lesquels ont esté depeints au vif par sainct Pierre en son epistre seconde, au second chap... [n]. Ils font grand’chere, et banquettent ensemble avecques vous : ils ont les yeux pleins d’adultere, et ne sçavent cesser de pécher, amorçans les ames inconstantes, c’est à dire, tout leur but, leur soing et leur intention ne tend à autre fin que d’amorçer les pauvres ames, et par leurs banquets et festins les attirer à commettre adultere, et toute espece d’ordure. Tellement que leur maison est un bordeau, un temple où se font les assemblées, où l’on dresse les parties, où les femmes sont seduictes : et (pour le dire en un mot) c’est la peste d’un pays. Et toutefois telle maniere de gens sont les plus estimez, et les plus honorez, et principalement ceux qui sont les chefs de bande, et comme coqz de la paroisse [o]. »

L’usage que l’on peut tirer des extraits de ce sermon est de connaître que la liberté de s’exprimer d’une façon si naïve n’est point mauvaise en elle-même ; car en ce cas-là elle n’eût pas pu être bonne au temps de Henri II. Or si elle était bonne en ce temps-là, un prédicateur qui s’en servirait aujourd’hui ne serait blâmable qu’à cause qu’il ne se conformerait pas à la mode. Mais si quelqu’un se hasardait aujourd’hui à porter la fraise ne choquerait-il point la mode ? Il ne pécherait pas pourtant.

(B) Un passage de M. Costar qui a un très-grand rapport avec la matière que je traite. ] Le poli Voiture, (qui le croirait ?) fut accusé d’obscénité [p], ce bel esprit qui savait si bien les manières du grand monde, et du beau monde : mais voyons ce que son apologiste répondit. « Il n’est guère de dame qui ne récite, et qui ne chante aux occasions, les vers que M. de Voiture a faits sur le derrière d’une demoiselle ; et je n’en sais pas une qui ne prononce hardiment un cul d’artichaut et un cul-de-sac [q] : » On allègue après cela entre autres choses le passage que j’ai rapporté ci-dessus [r], et puis on ajoute ces paroles remarquable, Écoutons notre ridicule grondeur [* 2]. On avait peur qu’il n’y eût pas suffisamment de ces bons-mots dans les lettres de M. de Voiture, et qu’il fût en cela inférieur à Plaute et à Aristophane. Il a été besoin d’ajouter en la dernière impression ces termes, qui manquaient à la lettre 178 : Je consens que l’on châtre Ulpien puisque vous le voulez, et même Papinien ; aussi-bien n’engendrent-ils que des procès. Cette pensée est la plus jolie du monde. Jusqu’ici j’avais toujours ouï dire à pleine bouche qu’un livre était châtré, pour exprimer qu’on en avait retranché quelque chose et qu’il n’était pas entier. Si notre adversaire avait du crédit à l’académie, il ferait ordonner qu’on abolirait cette façon de parler licencieuse, et qu’on mettrait cette honnête phrase en sa place, incommoder des livres et les faire eunuques. Les passages de Quintilien [* 3] qu’il cite dessus sont très-mal cités, et ce rhéteur soutient que si on trouvait sales quelques façons de parler de Salluste, ce n’était pas la faute de l’écrivain, que c’était celle des lecteurs. Et pour Celsus, qui s’imaginait quelque ordure dans un demi-vers de Virgile, ce même rhéteur le condamne et prononce hardiment que si on recevait de semblables délicatesses il n’y aurait plus de sûreté à parler, et qu’on serait réduit à se taire [s]. Vous remarquerez que Costar, qui me fournit ce passage, n’était point de ces savans qui ignorent le beau monde. Il le connaissait, il le fréquentait.

(C) Ils ont serpenté autour, comme s’ils eussent eu quelque regret de s’éloigner d’un lieu aimable. ] Cela me fait souvenir d’une inscription qui est gravée en lettres d’or sur un marbre noir au pont Notre-Dame de Paris.

Sequana cùm primùm reginæ allabitur urbi,
Tardat præcipites ambitiosus aquas.
Captus amore loci, cursum obliviscitur anceps
Quo fluat, et dulces nectit in urbe moras.
Hinc varios implens fluctu subeunte canales,
Fons fieri gaudet, qui modò flumen erat.
Anno M. DC. LXXVI. [t].


M. de Santeuil[* 4] a fait ces vers.

(D) Je pense que l’inquisition en usé à peu près de même. ] Je ne crois pas quelle fasse lire publiquement les abjurations qui contiennent des obscénités horribles ; mais pendant le cours du procès elle en salit les oreilles de ses assesseurs, et le papier de ses secrétaires, et enfin elle les fait lire à haute voix dans quelque lieu particulier. C’est ainsi qu’elle en usa l’an 1698 envers frère Pierre-Paul de saint Jean l’évangéliste, augustin déchaussé, convaincu de profanations, et d’impiétés, et d’impuretés abominables. J’ai une copie de l’Abjuration demi-publique, Abjura semipublica, qu’il fit dans une chapelle al Sacello di Casa Granisi ; et j’y ai lu qu’entre autres choses on lui déclara ceci :[u] Dicesti haver tu mostrato eo rimostrato alle tue sopradette devote con le quali tu prosequivi gl’ abbracciamenti in parte nascoste che tu per la dolcezza di quelli eri rapito in estasi, e sentivi un godimento infinito dell’ amor divino, e che ta t’infervoravi in quell’ estasi…. Hai detto haver bacciate alle tue donne le parti vergognose, e che doppo haverle cosi bacciate e toccate l’hai benedette e li hai aperti li meati, e pregavi Dio che li conservasse in tutto quello benedetto claustro verginale… Hai detto che alcune donne ti hanno lavato le parti basse tre volte, la prima per purgarsi dalle colpe mortali, la seconda dalle veniali, e la terza dalle imperfezzioni. Hai detto che alcune volte in godere delle donne tu sentivi specie di martirio.… che un giorno parimente l’hai fatte radunare e ad una per una invocare e bacciare il tuo membro genitale.

Il ne faut point douter que l’inquisition ne fît imprimer ces choses, s’il s’agissait de désabuser une cabale terrible, et une populace irritée, qui soutiendrait que pour de légères fautes on aurait puni rigoureusement un religieux. C’est ainsi que l’on se crut obligé de publier les informations faites contre les templiers : on aima mieux salir l’imagination, et faire horreur aux oreilles les moins chastes, que de laisser croire qu’on avait exterminé cet ordre sans un sujet légitime.

(E) Les prophètes ont employé des comparaisons que les ministres n’ont pas osé rapporter tout entières. ] Je commente ceci par un passage latin de M. Menjot. Hic obiter observabimus mulierem menstruatam dici ἀποκαθημένην à septuaginta…. veteris testamenti græcis interpretibus, ὡς ῥάκος ἀποκαθημένην πᾶσα ἡ οἰκαιοσύνη ἡμὼν[* 5], omnis nostra justitia est quasi pannus menstruatæ ; eò quod Israëliticæ fœminæ αἱς ἧν τὰ κατ᾽ ἐθισμὸν τῶν γυναικῶν,[* 6] ut alibi loquuntur idem interpretes, pendant leurs ordinaires, sedere consuevissent, ut constat ex historiâ Rachelis[* 7]Ità idem Esaïas anteà dixerat[* 8] λικμήσῃς ὡς ὕδωρ ἀποκαθημένης, ventilabis, hoc est disperges ea (de idolis loquitur) sicut immunditiam menstruatæ, ut fert textus vulgatæ lectionis[v].

(F) Casaubon n’a point approuvé cette conduite. ] C’est bien à lui à vouloir être plus sage que les anciens pères. S’il s’agissait de l’explication d’un passage de Polybe, ou de Suétone, ou d’Athénée, on aurait raison de préférer ses lumières. Mais qu’un homme, qui a fait sa principale occupation de l’étude des humanités, prétende faire la leçon sur les matières de conscience, aux plus saints pères de l’église, c’est ce qu’on ne saurait digérer. Reconnaissons néanmoins le caractère de sa candeur : il n’a pas eu l’artifice de dissimuler que sa censure du poëte Perse se peut réfuter par les maximes de saint Chrysostome ; il a cité fort ingénument les passages de ce père. Poëta alioquin gravissimus, et verecundiæ virginalis, ut testantur de illo veteres, à morib. suis heic discessit. Sic enim alienam impudicitiam castigat, ut sermonis licentia, etsi figuris obscurati, castas aures offendat meritò. Omninò satius erat verecundiam silentio vindicare. Sed nescio quomodò pervasit etiam sapientissimorum hominum mentes illa opinio, obscænitatem obscænitate aut liberiore saltem dictione esse castigandam. Quod quàm à rectâ ratione alienum ! et tamen summis viris ita olim placitum. Quis sine rubore quæ de speculo Hostii scripsit Seneca legat, paullò qui sit αἰδημονέςερος ? quid beatus Hieronymus, ille tantus castitatis et virginitatis buccinator ? nonne et ipse aliquando in turpia turpiculè invehitur ? sanè quidem : neque id uno loco. Sed caussam que viros graves compulit, ut ita sentirent, itaque scriberent, aperit Johannes Chrysostomus, plenum illud omni virtute et sanctimoniâ pectus. Ait ille homiliâ quartâ in Epistolam ad Romanos, eos quorum est scopus flagitia hominum nequam atque impudicorum reprehendere, cogi necessariò fœditatem illorum denudare, et quasi ob oculos spectandam proponere : quia parùm aliter profecturi sint. Ἂν μὲν γὰρ, inquit, σεμνως εἴπῃς, οὐ δυνήσῃ καθικέσθαι τοῦ ἀκούοντος· ἐὰν δε βουληθῆς κὰθάψασθαι σϕοδρῶς, ἀνάγκην ἔχεις ἀπογυμνῶσαι σαφέςερον τὸ λεγόμενον. Solet etiam in eam rem chirurgi exemplum afferre, qui ut tabo ac sanie manans ulcus sanet, non veretur sibi manus inquinare, atque in fœtidissimum pus immittere. Ὁ ἰατρὸς, inquit, in priorem ad Corinthios, σηπεδόνα ἐκϐαλεῖν βουλόμενος, οὐ σκοπεῖ πῶς καθαρὰς διατηρήσειε τὰς χεῖρας, ἀλλ᾽ ὅπως αὐτὸν ἀπαλλάξειε σηπεδόνος. Quam sententiam totidem ferè verbis sæpè repetit, idemque in eam ad Thessalonicenses distinguendum monet, utrùm dicantur ejusmodi sermones, ἐξ οἰκείου πάθους,
an ἀπὸ κηδεμονίας : ex loquentis affectu, an curandi voluntate [w]. Voyez la note [x].

(G) Ceux qui justifient Suétone sont aussi illustres que ceux qui le désapprouvent. ] Outre ce que j’ai cité ci-dessus [y], je rapporte ici un beau passage d’Henri Glaréan. De vitiis dissertio sive disputatio duplex est. Una, quâ ad vitia homines allicimus suasionibus, exhortationibus, ac lenociniis : ut qui amare docent nostrâ ætate, proh dolor ! etiam potare, qui amatoria ludunt, ut juvenum mentes veluti inebrient, quales impudici poëtæ. Ea dissertio vitiosa est ac detestanda, maximè homini christiano, plus etiam illis, qui juventuti ui magistri præsunt. Altera est dissertio de vitiis, ut ea detestemur ac execremur : imò quoties de eis fit mentio, ut ab iis dehortemur, ab iis abstineamus, et execremur. Hæc dissertio neutiquam reprehendenda est ; multi enim sancti viri ac doctores quemadmodum de virtutibus scripserunt, ita è regione de vitiis copiosè disseruerunt. Itaque Cæsarum refert vitia Suetonius : in odium illorum monstrorum id facit, ut ea scilicet fugiamus ac evitemus : imò cogitemus in quantâ cæcitate fuerunt perditi illi nebulones : et multò magis in quantâ stupiditate mundus, qui talia portenta dignatus est ullo honore, cum nihil illis tetrius ac magis abominabile fuerit [z].

(H) Il n’est jamais aussi nécessaire de représenter fortement et vivement la laideur du crime, que lorsqu’il fait le plus de ravages. ] Voyez ci-dessus [aa] ce qui porta Pierre Damien à écrire le Gomorrhæus, et considérez la résolution que prirent les dominicains de prêcher contre la sodomie quand ils eurent su ses débordemens. Comme la prédication leur était échue en partage, ils mirent en délibération s’il fallait tonner en chaire contre ce péché, ou n’en parler point du tout ; et ils conclurent qu’il fallait tonner, puisqu’il devenait si criant. Fratres Ordinis Prædicatorum, qui sum apud christianos locum invaserunt, quem olim apud Gentiles obtinuerant poëtæ et satyrici, in tractat. de Turcis : Quæsitum extitit de gravi infectione populi christiani, quoad prædicta vitia (Sodomitica) an videlicet tam gravis infectio ex negligentiâ officii prædicationis contingeret, dum ipsi prædicatores gravitatem hujus vitii fidelibus non proponerent ? Quæsitumque ulterius extitit, an propter simplices et innocentes expediret prædicatoribus sub silentio pertransire de hujusmodi vitiis disserendo ? Responsum fuit, quòd quia officium prædicationis est præcipuum in ecclesiâ ad extirpationem vitiorum et plantationem virtutum, si gravitas hujus vitii fidelibus ardenter proponeretur, ut quia videlicet pro vindictâ clamat ad cœlum, etc. Ad secundum quæsitum responsum fuit, quòd omninò sub silentio pertransire non expediret, etiam propter quoscunque innocentes, multiplici ratione. Primò, quia videmus quòd tales innocentes etiam ex diabolicâ suggestione continuè seducuntur absque auditione verbi Dei, et declaratione illorum vitiorum. Unde utriusque tam reis quàm innocentibus expedit talis declaratio verbi Dei. Secundò ad hoc nos admonet Scriptura, prout est illud, si non annunciaveris iniquo iniquitatem ejus, sanguinem ejus de manu tuâ requiram. Et iterùm : Clama, ne cesses : annuncia populo meo scelera eorum. Ratione etiam concludebatur. Nam apostolus Paulus expressissimè loquitur ad Roman. i. de hujusmodi vitiis, et sicut cuncta alia scripta ipsius necessariò prædicantur, ita et præsens bæc materia, cùm non sit data distinctio inter suas doctrinas, quare videlicet una magis debeat esse prædicabilis quèm altera. Ad hoc est Gregorius in Moralibus ; Sicut incauta locutio in errorem pertrahit, ita indiscretum silentium in errore relinquit [ab].

(I) Cet excellent axiome ne condamne que la mauvaise coutume. ] Voici la pensée d’un commentateur de ces paroles d’Isocrate, Prohibetur hîc omnis αἰσχρολογία καὶ ϐλασϕημία καὶ κακηγογία : quibus nihil est indocto vulgo jucundius aut usitatius, cùm nihil sit turpius et homine indignius.... Huc accersatur D. Pauli præceptum : πᾶσα ἀκαθαρσία ἐν ὑμῖν μήδ᾽ ὀνομαζέσθω. Christum etiam ματαίους λόγους ὑπευθύνους ἐποίησε. Sed nos parùm curamus, proh dolor ! reddendam Deo rationem de verbis. Nec mirum, cùm tam flagitiosa et conscelerata vitæ sit et morum licentia. Væ, væ nobis, nisi maturè resipuerimus [ac] !

  1. (*) Quintilianus, Institut. Orat., lib. VIII, cap. VI. De Tropis.
  2. (*) Pag. 72 et 73.
  3. (*) Pag. 73. Ductare exercitus ; et patrare bellum apud Sallustium dicta sanctè antiquè ridentur à nobis, si Diis placet : quam culpam non scribentium quidem judico, sed legentium Quintil., lib. 8, cap. 3. Si quidem Celsus cacophaton apud Virgilium putat, Incipiunt agitata tumescere ; quod si recipias, nihil loqui tutum est. Ibid.
  4. * Son nom est Santeul.
  5. (*) Esaïe, c. 64.
  6. (*) Genes. c. 31.
  7. (*) Loc. cit.
  8. (*) Ibid., c. 30.
  1. Chevræana, Ire. part., pag. 350.
  2. Conférez ce qu’a dit M. Arnauld dans la Défense de la traduction de Mons, lib. IV, chap. II, pag. 334.
  3. Notez que Quintilien, liv. VIII, chap. III, observe qu’au lieu de cum notis hominibus il fallait dire cum hominibus notis.
  4. Liberis dare operam quàm honestè dicitur, Cicero, epist. XXII, lib. IX, ad Famil., pag. 58, edit. Grævi.
  5. Chevræana, IIe. part., pag. 122.
  6. Ménage, Observ. sur Malherbe, p. 388.
  7. Là même, pag. 581.
  8. Chevræana, IIe. part., pag. 123.
  9. Là même, pag. 124. Notez que Girac. dans sa Réplique à Costar, sect. VIII, pag. m. 74, a trouvé trop lascive cette expression de Costar, la cuisse d’un jeune garçon si blanche et si bien formée.
  10. Là même, pag. 125.
  11. Chevræana, IIe. part., pag. 275, 276.
  12. Monluc, évêque de Valence, Sermons sur les dix commandemens de Dieu, pag. 504, édit. de Vascosan, 1558, in-8°.
  13. Monluc, évêque de Valence, Sermons sur les commandemens de Dieu, pag. 506.
  14. Là même, pag. 507.
  15. Là même, pag. 501.
  16. Voyez la section XI de la Réponse de Girac à la Défense de Voiture.
  17. Costar, suite de la Défense de Voiture, pag. 189.
  18. Cit. (113) de l’article Hospital (Michel de l’) tom. VIII, pag. 267.
  19. Costar, suite de la Défense de Voiture, pag. 191, 192.
  20. Description nouvelle de la ville de Paris, tom. II, pag. 206, édit. de Hollande, 1685.
  21. J’ai suivi l’orthographe de la copie manuscrite que M. Sylvestre me donna à son retour de Rome, l’an 1700.
  22. Antonius Menjotius, de Passione uterinà, pag. 4 et 5.
  23. Casaub., Comment. in Pers., Sat IV, pag. m. 344 et seq.
  24. Notez que saint Chrysostome et Casaubon regardent ceci comme un vrai point de morale : l’un veut que cela soit utile pour les mœurs, et l’autre que cela y soit contraire. C’est pourquoi j’ai pu dire que sur un cas de conscience et de morale les lumières de Casaubon ne doivent pas être préférées ; et je l’ai pu dire sans rien avancer qui soit opposé à ce que j’ai dit ci-dessus, que le procès qu’on me pourrait faire ne serait que de grammaire.
  25. Remarque (E) de l’art. Suétone, tom. XIII, pag. 551.
  26. Henricus Loritus Glareanus, Præfat. in Suetonium, apud Goldast, Prolegom. in Perrenium, cap. II, pag. m. 30.
  27. Remarque (B) de l’article Damien, tom. V, pag. 365.
  28. Goldast., in Prolegom. Petronii, cap. II, pag. m. 32, 33.
  29. Hieronym. Wolfius, Annotat. in Parænesin Isocratis, pag. 132.
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