Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Héloïse


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HÉLOÏSE, concubine et puis femme de Pierre Abélard, religieuse et puis prieure d’Argenteuil, et enfin abbesse du Paraclet, a trop fait parler d’elle pour ne mériter pas un article un peu étendu dans cet ouvrage. Elle avait un oncle maternel nommé Fulbert (A), qui était chanoine de Paris, et qui l’aimait tendrement. Il prit un soin extrême de la faire bien élever ; et comme elle avait beaucoup d’esprit, elle devint en peu de temps si habile, que sa réputation vola par tout le royaume (B). Elle était d’ailleurs assez belle (C). Il y avait en ce temps-là à Paris un fameux docteur, qui faisait des leçons publiques avec une réputation surprenante ; c’était Pierre Abélard, le plus subtil dialecticien de son siècle, et celui qui a commencé à mettre en vogue la philosophie et la théologie scolastiques. Il jouissait de tout l’éclat qu’un homme de sa profession pouvait souhaiter : il avait un nombre infini de disciples ; il passait pour un très-grand maître ; il gagnait beaucoup d’argent ; mais il ne faisait point l’amour : il crut que cela faisait une brêche considérable à sa fortune. Afin donc que rien ne manquât à son bonheur, il conclut qu’il deviendrait amoureux, et il choisit Héloïse pour sa maîtresse. Nous avons dit ailleurs[a] les raisons qui le portèrent à faire ce choix, et comment il se fourra chez le chanoine, sur le pied de précepteur domestique. Le bon homme Fulbert avait espéré que, sous un tel maître, Héloïse s’avancerait dans les sciences avec une merveilleuse rapidité, mais il se trouva qu’elle n’apprit qu’à faire l’amour. Sa docilité sur ce chapitre fut incomparable ; on lui fit faire tant de chemin en peu de temps, que son maître passa bientôt de la première faveur à la dernière ; et cela sans qu’on s’avisât de lui demander aucune promesse de mariage. Abélard s’en donna de telle sorte au cœur joie (D), qu’il se négligea dans ses leçons. Il avoue lui-même qu’il ne gardait aucune mesure et qu’il se plongeait dans ces plaisirs sans distinction de temps et de lieux (E), sans distinction de jours de fête et de jours ouvriers, de lieux saints et de lieux profanes ; qu’il n’inventait plus rien en philosophie, et que toutes les productions de son esprit se réduisaient à des vers d’amour (F). Ses écoliers allèrent bientôt au fait, en cherchant la cause du relâchement de ses leçons. La médisance courut promptement par toute la ville, et enfin elle parvint jusqu’aux oreilles de l’oncle (G), et le trouva d’abord incrédule, tant il avait compté sur la sagesse d’Abélard et sur celle d’Héloïse ; mais à force de revenir à la charge on dissipa l’incrédulité. Le prétendu précepteur sortit de chez le chanoine. Il en fit aussi sortir Héloïse quand il sut qu’elle était grosse ; et, la déguisant en nonne[b], il l’envoya en Bretagne chez une de ses sœurs, où elle accoucha d’un garçon. Fulbert conçut une furieuse colère contre Abélard, qui se tint sur ses gardes, non sans espérer qu’on n’oserait ni le tuer, ni lui couper quelque membre, pendant qu’on craindrait les représailles sur Héloïse. Pour se tirer de tout embarras, il promit à l’oncle d’épouser celle qu’il avait débauchée, pourvu que le mariage demeurât secret. Il eut toutes les peines du monde à y faire consentir Héloïse, qui lui allégua mille raisons pour le dégoûter du lien conjugal (H). Elle avait conçu un amour si chaud et si effréné, qu’il étouffa dans son âme tous les sentimens de l’honneur (I) ; et il jeta de si profondes racines, et démonta de telle sorte son esprit, qu’elle n’en guérit jamais (K). On eut beau mutiler le pauvre Abélard (L), elle eut beau prendre le voile, il lui resta toujours un grain de cette folie (M) : et ce n’est point par les Lettres Portugaises qu’on a commencé de connaître qu’il n’appartient qu’à des religieuses de parler d’amour. Il y avait long-temps que les lettres d’Héloïse étaient une preuve de cette vérité. Quoi qu’il en soit, cette amoureuse créature employa vainement tout son esprit, et toute son éloquence, à déconseiller le mariage à Abélard. On les épousa en secret ; mais elle nia toujours avec serment qu’elle fût sa femme[c]. Cette conduite la fit maltraiter par son oncle, qui, pour couvrir le déshonneur de sa famille, publiait en tous lieux le mariage, encore qu’il eût promis à Abélard de n’en rien dire. Les mauvais traitemens, à quoi Héloïse était exposée chez le chanoine Fulbert, firent prendre la résolution à son mari de la tirer de ce logis, et de l’envoyer chez les religieuses d’Argenteuil où elle avait été élevée. À ce second enlèvement toute patience échappa aux parens de cette femme : ils conçurent une manière de vengeance fort exquise, et l’exécutèrent en gagnant le valet de Pierre Abélard. Ce scélérat fit entrer de nuit, dans la chambre de son maître, ceux qui devaient faire le coup. Ils le surprirent endormi, et lui coupèrent les parties qu’on ne nomme pas[d]. Cette action fit un grand bruit (N) : on alla le lendemain matin comme en procession à la chambre d’Abélard. Les écoliers firent encore plus de lamentations que les autres. Les femmes se distinguèrent par leurs plaintes très-amères (O). On lui écrivit des lettres de consolation très-curieuses (P). La justice punit sévèrement cette action (Q) ; mais tout cela n’empêcha point qu’Abélard, accablé de honte et inconsolable, ne s’allât confiner dans le monastère de Saint-Denis, après avoir donné ordre qu’Héloïse se fît religieuse à Argenteuil. Nous avons dit ailleurs ce qu’il devint depuis qu’il se fut fait moine, et comment il fut condamné à jeter lui-même au feu un livre qu’il avait écrit, etc. La perte de cet ouvrage l’affligea encore plus que n’avait fait la perte de sa virilité (R) ; et néanmoins quand on perd un livre on en peut recouvrer un autre, ce qui n’a point lieu dans l’autre cas (S). Pour ce qui est d’Héloïse, elle devint prieure des religieuses d’Argenteuil : mais comme on se gouvernait très-mal dans ce monastère (T), l’abbé de Saint-Denis, qui prétendait en être le maître, chassa les religieuses, et alors Héloïse eut bon besoin de son mari. Il avait bâti un oratoire auprès de Troyes, auquel il avait donné le nom de Paraclet[e], et puis il avait accepté une abbaye en Bretagne. Ayant appris que son Héloïse n’avait ni feu ni lieu depuis qu’on l’avait chassée d’Argenteuil, il lui donna cet oratoire avec toutes ses dépendances ; donation qui fut confirmée par le pape Innocent II. La voilà donc première abbesse du Paraclet. Elle trouva tellement grâce devant tout le monde, qu’on la combla de biens en peu de temps. Les évêques l’aimèrent comme leur fille, les abbés comme leur sœur, et les gens du monde comme leur mère[f]. Cependant elle était très-mal satisfaite de la providence de Dieu[g], et murmurait beaucoup plus que Job. Elle entretint commerce de lettres avec Abélard (U), et lui demanda des règles pour ses religieuses, et la solution de divers problèmes. Il satisfit à tout cela. Je ne trouve point que l’espérance de le voir élevé à la prélature ait été la cause de l’envie qu’elle avait de ne le pas épouser (X). Lorsqu’il fut mort moine de Clugni, elle demanda son corps à l’abbé, et l’ayant obtenu, elle le fit enterrer au Paraclet, et voulut être enterrée dans le même tombeau[h]. On conte un miracle des plus surprenans arrivé, dit-on, lorsque l’on ouvrit le sépulcre pour mettre le corps d’Héloïse ; c’est qu’Abélard lui tendit les bras pour la recevoir, et qu’il embrassa étroitement (Y). Il y avait néanmoins plus de vingt bonnes années qu’il était mort ; mais ce n’est pas une affaire : on prétend avoir des exemples de pareilles choses (Z). Elle mourut le 19 de mai 1163. Les lettres qu’elle avait écrites à son mari se trouvent dans l’édition des ouvrages d’Abélard. Mais ce que M. Moréri avance n’est pas vrai ; savoir, qu’André Duchêne a fait des remarques sur ces lettres, et sur les réponses d’Abélard. Il n’en a fait que sur la lettre où Abélard fait l’histoire de ses malheurs à un ami. Jean de Meun avait traduit en français les lettres qu’Abélard et Héloïse s’étaient écrites [i]. Il paraît depuis quelque temps un petit livre[j] intitulé : Histoire d’Héloïse et d’Abélard, avec la lettre passionnée qu’elle lui écrivit, traduite du latin. Cette prétendue traduction n’est autre chose qu’un petit nombre d’endroits choisis comme on a voulu dans les lettres de cette femme, auxquels on a donné telle forme qu’on a jugé à propos, en supprimant ce qui n’accommodait pas, et en ajoutant ce que l’on trouvait de plus commode.

Le comte de Bussi Rabutin avait traduit en français quelques lettres d’Abélard et d’Héloïse. On a inséré cette traduction au IIe. volume de ses lettres, publié après sa mort. Je n’ai jamais vu un plus beau latin, dit-il[k], surtout celui de la religieuse, ni plus d’amour et d’esprit qu’elle en a. S’il se fût aussi bien connu en style latin qu’en style français, il n’eût pas donné cet éloge à la latinité d’Héloïse.

  1. Dans l’article Abélard, tom. I, pag. 49.
  2. Nôsti etiam quando te gravidam in meam transmisi patriam, sacro te habitu indutam monialem te finxisse, et tali simulatione tuæ quam nunc habes religioni irreverenter illusisse. Abæl., epist. ad Hel., pag. 70.
  3. Avunculus ipsius atque domestici ejus ignominiæ suæ solatium quærentes, initum matrimonium divulgare et fidem mihi super hoc datum violare cæperunt. Illa autem è contra anathematizare et jurare quia falsissimum esset. Abælard., Histor. Calamitatum, pag. 17.
  4. Crudelissimâ et pudentissimâ ultione punierunt, et quàm summâ admiratione mundus excepit, eis videlicet corporis mei partibus amputatis, quibus id quod plangebant commiseram. Ibidem.
  5. Voyez l’article Paraclet, tom. XI.
  6. Tout ceci est tiré de la lettre d’Abélard, intitulée Historia Calamitatum, à la réserve d’un petit nombre de choses, dont je cite les preuves à part.
  7. Voyez l’article Foulques, rem. (K), tom. VI, pag. 535.
  8. Voyez la rem. (Y) de l’article Abélard, tom. I, pag. 63
  9. Voyez le president Fauchet, au chap. CXXVI des anciens poëtes français.
  10. Imprimé à la Haye, chez Jean Alberts, 1693.
  11. Bussi, lettre XV du IIe. tom., pag. 49, édit. de Hollande, 1697.

(A) Elle avait un oncle maternel nommé Fulbert. ] Je n’ai trouvé que cela de bien certain touchant la généalogie d’Héloïse ; ainsi je n’ai point dit qu’elle appartenait légitimement à l’ancienne maison de Montmorenci. Je l’ai bien lu dans la préface apologétique de François d’Amboise [1] ; mais comme il ne cite rien, et qu’André du Chêne[2] n’en fait aucune mention, je tiens cela pour suspect de fausseté ; et d’autant plus qu’Héloïse reconnaît dans ses lettres que sa famille avait reçu un grand honneur par son mariage avec Abélard, et que celui-ci s’était fort mésallié [3]. Papyre Masson[4] avance qu’Héloïse était fille naturelle d’un certain Jean, chanoine de Paris[* 1]. André du Chêne a raison de ne s’arrêter pas à cela, puisqu’on ne dit pas d’où l’on puise cette circonstance curieuse ; mais il n’a pas raison d’opposer à cet annaliste le Calendrier du Paraclet, où l’on trouve ces paroles : vii Cal. Januar. obiit Hubertus [5] canonicus Dominæ Heloïsæ avunculus ; car qu’y a-t-il de plus facile que de mettre d’accord ensemble Papyre Masson et ce Calendrier ? Une même fille ne peut-elle pas être bâtarde d’un chanoine, et nièce d’un autre chanoine ? Mais, encore un coup, pendant qu’on ne citera personne, on ne méritera point d’être écouté si l’on dit qu’Héloïse était fille naturelle d’un chanoine nommé Jean. Si l’on avait à soupçonner quelque chanoine là-dessus, ce devrait être plutôt Fulbert qu’aucun autre ; car la tendresse qu’Abélard lui donne pour Héloïse est si peu commune parmi les oncles[6], et ressemble si naïvement à l’affection des meilleurs pères, qu’il y aurait lieu de s’imaginer que Fulbert fit comme une infinité d’autres qui ne peuvent pas être pères selon les canons : ils cachent cette qualité sous celle d’oncle, ils élèvent leurs enfans sous le titre de neveux. Voilà ce qu’on pourrait soupçonner ; mais cela ne doit point régler le style, ni empêcher qu’on ne donne aux gens les qualités sous lesquelles le public les a connus. Fulbert, dans un livre, ne doit jamais être qu’oncle. Notez que, selon Papyre Masson, le chanoine qui fit élever Héloïse, et châtrer Pierre Abélard, s’appelait Jean. Cet historien ne prétend donc pas que cette fille ait été nièce d’un chanoine, et fille naturelle d’un autre chanoine. Il prétend que le chanoine que tous les auteurs nomment Fulbert, et qu’ils considèrent comme l’oncle d’Héloïse, était père d’Héloïse, et se nommait Jean[7].

(B) Elle devint......... si habile, que sa réputation vola par tout le royaume. ] Écoutons maître Abélard. Qui (Fulbertus) eam quantò ampliùs diligebat, tantò diligentiùs in omnem quam poterat scientiam litterarum promoveri studuerat. Quæ cùm per faciem non esset infima, per abundantiam litterarum erat suprema. Nam quo bonum hoc, litteratoriæ scilicet scientiæ, in mulieribus est rarius, eò ampliùs puellam commendabat, et in toto regno nominatissimam fecerat[8]. Dans ce siècle-là une jeune fille pouvait passer pour un miracle avec une très-médiocre érudition. C’est à quoi il faut prendre garde, si l’on ne veut pas outrer les idées qu’on se fait de notre Héloïse : et néanmoins il faut tenir pour certain qu’elle mérite une place glorieuse parmi les femmes bien savantes. Elle savait non-seulement la langue latine, mais aussi le grec et l’hébreu ; c’est encore Abélard qui le témoigne dans la lettre qu’il écrivit aux religieuses du Paraclet. Magisterium habetis in matre, quod ad omnia vobis sufficere tam ad exemplum scilicet virtutum, quàm ad doctrinam litterarum potest, quæ non solùm latinæ, verùm etiam tam hebraïcæ quàm græcæ non expers litteraturæ, sola hoc tempore illam trium linguarum adepta peritiam videtur, quæ ab omnibus in beato Hieronymo tanquam singularis gratia prædicatur[9]. Le sieur François d’Amboise raconte [10] qu’Héloïse contenta subtilement saint Bernard, qui lui demandait pourquoi on ne disait pas dans le monastère du Paraclet, en récitant l’oraison dominicale, panem nostrum quotidianum, mais panem nostrum supersubstantialem. Elle lui en donna une raison tirée des originaux, et lui dit qu’il fallait suivre la version grecque de l’évangile que saint Matthieu avait écrit en hébreu. Je ne sais pas si une telle réponse aurait plu à saint Bernard, mais je ne doute point qu’elle n’eût pu le dépayser, et lui faire quitter la partie ; et je voudrais de bon cœur que ce conte fût véritable : il nous apprendrait qu’une femme aurait bien embarrassé un grand auteur sur un point de controverse, en faisant apporter le texte grec. J’ai été donc bien fâché, je l’avoue, lorsqu’ayant consulté la lettre[11] citée par François d’Amboise, j’ai trouvé qu’Héloïse n’y a rien à voir, et que toute la remarque est d’Abélard, qui écrivit là-dessus à saint Bernard, après qu’il eut su d’Héloïse ce que l’on avait trouvé à reprendre au panem supersubstantialem. Cela soit dit sans préjudice de l’érudition de cette abbesse. Que si quelqu’un s’allait figurer qu’elle ne devint savante qu’après sa clôture, je le renverrais à une lettre de Pierre le vénérable, abbé de Clugni, laquelle témoigne qu’avant ce temps-là elle avait acquis de grandes lumières. Necdùm, lui dit-il[12], metas adolescentiæ excesseram, necdùm in juveniles annos evaseram, quando nomen non quidem adhuc religionis tuæ, sed honestorum tamen et laudabilium studiorum mihi fama innotuit. Audiebam tunc temporis mulierem, licet necdùm sæculi nexibus expeditam, litteratoriæ scientiæ et studio sæcularis sapientiæ summam operam dare, quo efferendo studio tuo et mulieres omnes evicisti, et penè viros universos superâsti. Le moine d’Auxerre assure qu’elle savait bien le latin et l’hébreu, et voici ce que dit d’elle le Calendrier du Paraclet, Héloïse, mère et première abbesse de céans, de doctrine et religion très-resplendissante [13].

(C) Elle était assez belle. ] Je vois quantité d’auteurs qui lui donnent une beauté ravissante, mais sont-ils plus dignes de foi qu’Abélard, qui, ayant plus d’intérêt à grossir les choses qu’à les diminuer, se contente de dire qu’elle n’était pas la dernière de son sexe en beauté, mais qu’elle était la première en érudition, cùm per faciem non esset infima, per abundantiam litterarum erat suprema ? Est-ce ainsi que l’on parle d’une fille parfaitement belle ? Un amant, intéressé à justifier son choix et la force de sa passion, se sert-il d’une semblable figure de rhétorique ? Quelques-uns[14] marquent qu’Hléloise était âgée de dix-huit ans lorsqu’Abélard la débaucha : je n’ai point trouvé cette circonstance dans aucun ancien auteur. Il est vrai que le terme adolescentula, dont Abélard s’est servi[15], est fort compatible avec l’âge de dix-huit ans. Celui de juvencula dont elle se sert[16] s’accorde aussi avec le même âge ; mais une telle preuve ne conclut rien. C’est une chimère que de dire qu’Abélard, dans son roman de la Rose, a fait le portrait d’Héloïse sous le nom de Beauté[17]. Ce roman n’est venu au monde qu’après leur mort.

(D) Abélard s’en donna de telle sorte au cœur joie. ] Il faut l’entendre lui-même, pour ne rien perdre de la force de ses expressions : Nullus à cupidis intermissus est gradus amoris, et si quid insolitum amor excogitare potuit, est additum. Et quò minùs illa fueramus experti gaudia, ardentiùs illis insistebamus, et minùs in fastidium vertebantur[18]. Il se compare à ceux qui ont souffert une longue faim, et qui trouvent ensuite de quoi repaître largement. Un homme qui a été sage se jette plutôt dans l’excès avec son épouse, qu’un débauché.

(E) ...... Sans distinction de temps et de lieux. ] Il faut encore l’entendre lui-même, dans une lettre qu’il écrivit à Héloïse, long-temps après leur profession monastique. Il la fait un peu ressouvenir de leur conduite passée, et comment il la caressa dans un coin du réfectoire des religieuses d’Argenteuil, ne trouvant point d’autre endroit commode, et n’ayant aucun respect pour la Sainte Vierge à qui ce lieu était consacré. Nôsti post nostri confæderationem conjugii cùm Argenteoli cum sanctimonialibus in claustro conversabaris, me die quâdam privatim ad te visitandum venisse, et quid ibi tecum meæ libidinis egerit intemperantia in quâdam etiam parte ipsius refectorii, cùm quò aliàs diverteremus non haberemus. Nôsti, inquam, id impudentissimè tunc actum esse, in tam reverendo loco et summæ Virgini consecrato.... Quid pristinas fornicationes et impudentissimas referam pollutiones quæ conjugium præcesserunt[19] ? Un peu après il lui dit qu’elle sait bien que les fêtes les plus solennelles, ni le jour même de la Passion ne le détournaient pas de se plonger dans ce bourbier, et que si elle en voulait faire quelque scrupule, il employait les menaces et le fouet pour la porter à y consentir[20]. Voilà un homme bien dégagé des superstitions de ceux qui observaient les jours et les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats[21].

(F) Les productions de l’esprit d’Abélard se réduisaient à des vers d’amour. ] C’est lui-même qui nous l’apprend : Ita negligentem et tepidam lectio tunc habebat ut jam nihil ex ingenio, sed ex usu cuncta proferrem, nec jam nisi recitator pristinorum essem inventorum, et si qua invenire liceret, carmina essent amatoria, non philosophiæ secreta[22]. Il ajoute que ces vers étaient encore chantés en plusieurs provinces, et principalement parmi les personnes qui faisaient l’amour : Quorum etiam carminum pleraque adhuc in multis, sicut et ipsa nôsti, frequentantur et decantantur regionibus, ab his maximè quos vita similis oblectat. Héloïse nous en apprend davantage. Elle dit que son Abélard avait deux choses que les autre philosophes n’avaient pas, par où il pouvait gagner promptement le cœur de toutes les femmes, c’est qu’il écrivait bien et qu’il chantait bien ; il faisait des vers d’amour si jolis, et des chansons si agréables, tant pour les paroles que pour les airs, que tout le monde en était charmé, et ne parlait que de leur auteur. Les femmes ne se contentèrent pas d’être charmées des vers et des chansons d’Abélard, elles le furent aussi de sa personne, et l’aimèrent passionnément : et comme la plupart de ses vers ne parlaient que de ses amours pour Héloïse, le nom de cette maîtresse vola bientôt dans les provinces, et rendit jalouses de son bonheur une infinité de femmes. J’affaiblis beaucoup les expressions d’Héloïse, et je ne crois pas qu’il faille les prendre à la lettre. Comme elle aimait Abélard jusqu’à la fureur, elle s’imaginait qu’aucune femme ne le pouvait voir sans en devenir passionnée ; et c’est ce qui lui faisait dire qu’il n’y avait ni femme ni fille, qui en l’absence d’Abélard ne formât des désirs pour lui, et qui en sa présence ne fût tout embrasée d’amour ; et que les reines mêmes ou les grandes dames portaient envie aux plaisirs qu’elle goûtait auprès d’un tel homme[23]. Voici le latin qui en dit plus que mon français. Que conjugata, quæ virgo non concupiscebat absentem et non exardebat in præsentem ? Quæ regina vel præpotens femina gaudiis meis non invidebat vel thalamis ? Duo autem, fateor, tibi specialiter inerant quibus feminarum quarumlibet animos statim allicere poteras, dictandi videlicet et cantandi gratiâ, quæ cæteros minimè philosophos asseculos esse novimus. Quibus quidem quasi ludo quodam laborem exercitii recreans philosophici pleraque amatorio metro vel rithmo composita reliquisti carmina, quæ præ nimiâ suavitate tam dictaminis quàm cantils sæpiùs frequentata tuum in ore omnium nomen incessanter tenebant, ut etiam illiteratos melodiæ dulcedo tuî non sineret immemores esse. Atque hinc maximè in amorem tuî feminæ suspirabant. Et cùm horum pars maxima carminum nostros decantaret amores, multis me regionibus brevi tempore nunciavit [24], et multarum in me feminarum accendit invidiam. Si le roman de la Rose eût été l’ouvrage d’Abélard, et s’il y eût fait le portrait de son Héloïse sous le nom de Beauté, elle n’eût eu garde de s’en taire, et c’était ici le lieu de le dire : ainsi, quand nous ne saurions pas que ce roman fut composé cent ans après Abélard, nous pourrions apprendre du silence d’Héloïse, que l’on n’a point eu raison d’attribuer ce roman à Abélard dans le petit livre que j’ai cité plusieurs fois [25]. Encore moins a-t-on eu raison de faire débiter cela par Héloïse, dans la traduction de sa lettre. Mais reprenons notre sujet. On ne croirait pas, si l’on en jugeait sans l’expérience, que des vers, des lettres, des chansons, eussent la vertu de tant avancer les affaires d’un amant[26] ; mais voici un témoin là-dessus qui en vaut mille. Aujourd’hui les beaux esprits se plaignent que leurs drogues ne font plus le même effet que du temps de nos ancêtres. Les temps sont changés, je l’avoue, mais non pas entièrement. Voyez les nouvelles lettres contre le Calvinisme de Maimbourg[27]. Au reste, ce qu’Héloïse témoigne touchant la faiblesse des personnes de son sexe envers Abélard, est confirmé par un certain prieur, nommé Foulques, dont il faut voir l’article.

(G) La médisance…. enfin... parvint jusqu’aux oreilles de l’oncle. ] Cet enfin paraît d’abord un peu étrange ; mais ceux qui savent le monde n’ignorent pas qu’en ces sortes d’occasions les plus intéressés à une nouvelle sont les derniers à l’apprendre. Abélard cite là-dessus un bon passage d’une lettre de saint Jerôme à Sabinien[28]. Solemus mala domûs nostræ scire novissimi, ac liberorum ac conjugum vitia vicinis canentibus ignorare. On chante dans le voisinage les désordres de nos femmes et de nos enfans lorsque nous ne savons rien encore de ces déréglemens ; mais nous les apprenons enfin, et il n’est pas possible qu’un seul ignore ce que tous les autres savent : Sed quod novissimè scitur, utique sciri [29] quandoque contingit, et quod omnes deprehendunt non est facile unum latere. Saint Jérôme, dans un autre lieu, a confirmé sa maxime par deux grands exemples : le premier est celui de Sylla, et le second celui de Pompée. On chantait dans Athènes les galanteries de Metella, femme de Sylla, avant que le mari eût rien su de ces désordres. Les injures des Athéniens à qui il faisait la guerre lui en apprirent le premier bruit. Les galanteries de Mucia, femme de Pompée, étaient si publiques, que chacun s’imaginait qu’il ne les ignorait pas. Il n’en savait rien néanmoins, lorsqu’un homme qui servait dans son armée lui en parla. L. Syllæ (felicis si non habuisset uxorem) Metella conjux palùm erat impudica, et (quia novissimi mala nostra discimus) id Athenis cantabatur et Sylla ignorabat, secretaque domûs suæ primum hostium convicio didicit. Cn. Pompeio Muciam uxorem impudicam quam Pontici spadones et Mithridaticæ ambiebant catervæ, cùm cum putarent cæteri scientem pati, indicavit in expeditione commilito, et victorem totius orbis tristi nuncio consternavit[30]. On pouvait ajouter pour troisième exemple l’empereur Claude, qui ne savait rien des infamies de Messaline[31], lorsque tout le monde savait qu’elle s’était prostituée dans les lieux publics, et qu’elle y avait mené plusieurs dames, et que, pour comble d’impudence elle avait épousé un autre homme. Notre siècle a fourni un de ces exemples en la personne du maréchal de la... On assure (j’ai encore quelque peine à le croire), qu’il ne savait point le commerce de sa femme avec le comte de... lorsque le fils qui en était provenu avait déjà été naturalisé en plein parlement. Les conditions médiocres ne sont pas exemptes de cette irrégularité : combien voyons-nous de gens qui savent toujours toutes les nouvelles de la ville, excepté celles qui blessent leur domestique ? Ils ressemblent à celui dont Martial se moque si plaisamment[32], et ils profitent peu de l’ancien proverbe,

Ædibus in nostris quæ prava aut recta gerantur[33].


Les gens d’étude, je parle de ceux qui se renferment trop dans leur cabinet, la tête toujours remplie de quelque composition, se trouvent quelquefois dans le cas dont il s’agit présentement. Instruits autant qu’on le peut être du malheur domestique de Sylla et de Pompée, qui sont morts depuis tant de siècles, ils ne savent pas qu’on leur joue le même tour assez près de leur cabinet. Ainsi va le monde.

Un écrivain du XVIe. siècle se sert d’un fameux exemple pour confirmer la maxime qu’il avait posée, que ceux qui ont le plus d’intérêt à être avertis d’une infortune domestique sont les derniers qui la savent, au lieu qu’ils sont les premiers qui apprennent les nouvelles de ce qui leur doit être le plus indifférent. Solet usuvenire, dit-il[34], ut domestica mala ultimi sint qui nôrint, quorum maximé interest ea non ignorare, iidem principes nôrint aliena, et quorum nullus ad eos pertineat sensus. Après avoir allégué quelques raisons de cette bizarrerie, il rapporte qu’il n’y avait pas long-temps qu’un fort grand roi avait puni du dernier supplice ceux qui avaient déshonoré sa couche nuptiale, et que la promptitude de la punition ayant été telle, qu’il ne se passa point une heure entre l’accusation des coupables et leur mort, c’est une preuve que le prince n’avait point ouï parler un peu plus tôt de ce désordre, dont néanmoins la nouvelle avait couru au long et au large dans les pays étrangers. Accidit hoc quidem, me puero, in magnâ atque illustri Europæ regiâ quominùs diù obscura res esse posset, ut in reginâ, læsi pudoris fama priùs apud exteras gentes longè latèque evagata emanaret, quàm is, cujus in eo erat læsu majestas, maculam regio nomini impositam, eorum sanguine quorum erat scelere violata, elueret. Satis quidem potuit indicio esse, postremum omnium rescisse, ita sumptum de reis supplicium, ut inter id, et delatum sontium nomen, ne horæ quidem momentum intercedere sit passus[35].

(H) Elle allégua mille raisons à Abélard pour le dégoûter du lien conjugal. ] Ces raisons se réduisaient à deux chefs, au péril et au déshonneur à quoi le mariage exposerait Abélard. Je connais mon oncle, lui disait-elle ; rien n’apaisera son ressentiment ; et puis, quelle gloire tirerai-je d’être votre femme, puisque je vous ruinerai de réputation ? Quelles malédictions n’ai-je pas à craindre, si je dérobe au monde une aussi grande lumière que vous êtes ? Quel tort ne ferai-je point à l’église ? Quels regrets ne causerai-je point aux philosophes ? Quelle honte et quel dommage ne sera-ce point, si vous, que la nature a créé pour le bien public, vous consacrez tout entier à une femme ? Songez à ces paroles de saint Paul, Es-tu délivré de femme, n’en cherche point ; et si le conseil de ce grand apôtre, ni les exhortations des saints pères, ne peuvent pas vous dégoûter de ce grand fardeau, considérez au moins ce qu’en ont dit les philosophes ; un Théophraste, qui a prouvé par tant de raisons que le sage ne doit point se marier ; un Cicéron, qui ayant répudié Térentia répondit à Hircius qui lui offrait en mariage sa sœur, qu’il ne pouvait pas accepter cette offre, parce qu’il ne pouvait pas partager ses soins entre la philosophie et une femme. D’ailleurs, quelle convenance y a-t-il entre des servantes et des écoliers, entre des écritoires et des berceaux, entre des livres et des quenouilles, entre des plumes et des fuseaux ? Comment supporter au milieu des méditations théologiques et philosophiques les pleurs des enfans, les chansons des nourrices, et le tracas d’un ménage ? Je ne dis rien des ordures et des puanteurs continuelles des petits enfans[36]. Les gens riches se peuvent mettre à couvert de ces incommodités dans leurs maisons à divers appartemens ; la dépense et les soucis de chaque jour ne sauraient les inquiéter ; mais il n’en est pas de même des philosophes ; et quiconque veut amasser du bien, et s’embarrasser des occupations mondaines, se rend incapable des fonctions de théologien et de philosophe. Prenez garde à la conduite des anciens sages, tant sous le paganisme, que parmi les juifs ; et si des païens et des laïques ont préféré le célibat au mariage, quelle honte ne serait-ce pas à un clerc et à un chanoine comme vous, de préférer les voluptés sensuelles aux divins offices ? Que si vous vous mettez peu en peine de la prérogative de votre cléricature, soutenez du moins le caractère et la dignité de philosophe. La conclusion de son sermon fut qu’il y aurait plus d’honneur pour lui, et plus de charmes pour elle, dans la qualité de galant que dans celle de mari : qu’elle voulait lui demeurer attachée, non par la nécessité du lien conjugal, mais par la seule tendresse de son cœur ; et que leurs plaisirs seraient infiniment plus sensibles, s’ils ne se voyaient que de temps en temps. Nous parlerons de cette dernière raison dans la remarque (U). En attendant, voici la pensée de Pasquier sur le discours d’Héloïse : Je ne vous représenterai point, dit-il[37], toutes les raisons dont elle le voulut gagner, bien vous dirai-je que je ne lus jamais en orateur tant de belles paroles et de sentences persuasives pour parvenir à son intention, que celles qu’elle y apporta. J’avertis mon lecteur que j’ai extrêmement abrégé la remontrance de cette fille, et que j’ai été surpris qu’elle n’ait pas emprunté quelque raison de ce que son amant était dans les ordres[38]. Cela ne semble-t-il pas prouver qu’on ne croyait point encore que la loi du célibat fût d’obligation pour les personnes ecclésiastiques[* 2] ?

(I) Son amour... étouffa dans son âme tous les sentimens de l’honneur. ] Il arrive très-souvent qu’une passion amoureuse étouffe ou surmonte les sentimens de la conscience ; mais il arrive très-rarement qu’elle supprime la sensibilité pour l’honneur : et à la réserve d’un petit nombre de personnes de basse naissance, qui la plupart du temps n’ont pas eu même l’éducation ordinaire, toutes les filles qui succombent mettent l’une ou l’autre de ces quatre cordes à leur arc. Elles espèrent, ou de ne pas concevoir, ou de faire sauter leur fruit par quelque drogue, ou d’accoucher à l’insu de tout le monde, ou de se faire épouser par le galant ; et cela montre que si l’amour est quelquefois le plus fort tyran qui les domine, c’est un tyran qui laisse l’honneur en possession de ses droits. Voyez le fameux sonnet de l’Avorton, où l’on a si bien représenté la force de l’honneur, et la force de l’amour alternativement vaincues et victorieuses. Notre Héloïse aimait si furieusement, qu’elle ne se souciait plus ni d’honneur, ni de réputation ; car en premier lieu elle fut ravie de se sentir grosse[39], et en second lieu elle fit tout ce qu’elle put pour n’être pas mariée avec celui qui lui avait fait l’enfant, deux choses qui non-seulement sont plus rares que les monstres les plus affreux, quand elles sont jointes ensemble, mais aussi dont la première toute seule ne se voit jamais que dans des cas où l’amour a peu de part, et où l’on ne cherche qu’à attraper un grand parti, que l’on désespérerait d’avoir si le fracas d’une grossesse ne s’en mêlait. Combien y a-t-il de filles qui aiment mieux se faire donner un mari contre son gré par arrêt du parlement, que de demeurer flétries ? Elles sont très-persuadées qu’il se vengera avec usure, et que l’arrêt leur coûtera bon ; mais n’importe, pourvu que le titre d’épouse répare la brèche faite à l’honneur. Notre Héloïse n’avait pas de cette sorte de délicatesse. Voyez la remarque suivante et surtout la remarque (U).

(K) .….. Elle n’en guérit jamais. ] Est-ce être guérie, que de dire plusieurs années après qu’on a renoncé au monde par la profession de la vie monastique, qu’on aimerait mieux être la putain de Pierre Abélard, que la femme légitime de l’empereur de toute la terre ? Or c’est ce qu’a dit notre Héloïse étant abbesse du Paraclet : c’est de quoi elle a bien voulu prendre Dieu à témoin. Deum testem invoco, si me Augustus universo præsidens mundo matrimonii honore dignaretur, totumque mihi orbem confirmaret in perpetuo præsidendum, carius mihi et dignius mihi videretur tua dici meretrix, quàm illius imperatrix[40]. Comment pourrait-on dire que sa passion l’avait quittée dans l’abbaye du Paraclet, puisqu’elle y écrit une confession ingénue du mauvais état de son âme, qui fait voir que le feu d’amour la rongeait jusques aux os ? Je n’oserais dire en français tout ce de quoi elle s’accuse. Elle confesse que les plaisirs qu’elle avait goûtés entre les bras d’Abélard lui avaient paru si doux qu’elle y songeait nuit et jour, éveillée et endormie, et durant même la célébration de la messe. Elle les regrettait éternellement, et en faisait répétition en idée, faute de mieux. Ceux qui entendent le latin vont voir avec quelle force d’éloquence elle savait exprimer ce qu’elle sentait. In tantum verò illæ quas pariter exercuimus amantium voluptates, dulces mihi fuerunt, ut nec displicere mihi, nec vix à memoriâ labi possint. Quocunque loco me vertam, semper se oculis meis cum suis ingerunt desideriis. Nec etiam dormienti suis illusionibus parcunt. Inter ipsa missaram solemnia ubi purior esse debet oratio, obscæna earum voluptatum fantasmata ita sibi penitùs miserrimam captivant animam, ut turpitudinibus illis magis quàm orationi vacem. Quæ cùm ingemiscere debeam de commissis, suspiro potiùs de amissis. Nec solùm quæ egimus, sed loca pariter et tempora in quibus hæc egimus ita tecum nostro infixa sunt animo, ut in ipsis omnia tecum agam, nec dormiens etiam ab his quiescam. Nonnunquàm et ipso motus corporis animi mei cogitationes deprehenduntur, nec à verbis temperant improvisis[41]. Cela l’obligea à s’écrier avec saint Paul[42] : Ah misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Plût à Dieu, poursuit-elle, que je pusse véritablement ajouter, la grâce de Dieu, par Jésus-Christ notre seigneur ! Cette grâce, dit-elle à son Abélard, vous a prévenu, mon cher, en vous délivrant de tous les aiguillons de la sensualité, par ce seul coup de couteau qui vous fit eunuque..…… Mais ma jeunesse et l’expérience du plaisir passé allument extrêmement ces feux dans mon âme, et plus ma nature est infirme, plus je succombe à ces violentes attaques. Hæc te gratia, carissime, prævenit, et ab his tibi stimulis una corporis plaga medendo multas in animâ sanavit.…. hos autem in me stimulos carnis, hæc incentiva libidinis, ipse juvenilis fervor ætatis et jucundissimarum experientia voluptatum plurimùm accendunt, et tantò ampliùs suâ me impugnatione opprimunt, quantò infirmior est natura quam oppugnant[43]. Enfin elle se recommande à ses prières avec d’autant plus de soin, que c’est le seul remède que son incontinence peut trouver en lui. Time, obsecro, semper de me potiùs quàm confidas, ut tuâ semper sollicitudine adjuver. Nunc verò præcipuè timendum est, ubi nullum incontinentiæ meæ superest in te remedium[44]. Ceux qui médirent des fréquens voyages d’Abélard au Paraclet[45], furent sans doute téméraires, puisqu’ils ignoraient les dispositions intérieures d’Héloïse : mais, s’ils les avaient sues, ils auraient dû solliciter l’interdiction de ces visites ; car ils auraient dû craindre qu’il ne fût inévitable, humainement parlant, que cette femme ne se portât à des actes d’impureté avec cet homme. Les saints pères ne se fiaient point aux mutilations : ils comparaient un eunuque à un bœuf auquel on coupe les cornes, qui ne laisse pas de donner des coups de tête. Voyez là-dessus un beau passage de saint Basile, dans nos remarques sur l’article Combabus[46]. Mais comme les apparences sont quelquefois trompeuses, je n’approuverais pas que ceux qui savent ce qu’Héloïse avait dans le cœur, s’imaginassent qu’elle sortait hors des règles, quand elle se retrouvait avec son mari, et qu’elle ait eu quelquefois sujet de lui écrire. Si libidinosa essem, quererer decepta, nunc etiam languori tuo gratias ago : in umbrâ voluptatis diutiùs lusi[47].

(L) On eut beau mutiler le pauvre Abélard. ] C’était un remède d’amour très-capable d’opérer, s’il en faut croire certains vers de Cyrano Bergerac[48]. Ils s’adressent à un homme qu’il avait apostrophé en cette manière :

J’entends que le diminutif
Qu’on fit de vrai trop excessif,
Sur votre flasque génitif
Vous prohibe le conjonctif.


Puis il ajoute,

Ô visage ! ô portrait naïf !
Ô souverain expéditif
Pour guérir tout sexe lascif
D’amour naissant, ou effectif !
Genre neutre, genre metif,
Qui n’êtes homme qu’abstractif,
Grâce à votre copulatif,
Qu’a rendu fort imperfectif
Le cruel tranchant d’un canif.


Mais comme il n’y a point de règle si générale qui ne soufre quelque exception, l’amour d’Héloïse fut à l’épreuve de ce violent remède. Elle eut cela de commun avec la reine Stratonice, dont j’ai parlé ci-dessus[49].

(M) Il lui resta toujours un grain de cette folie. ] Cela paraît par les passages que j’ai cités dans la remarque (K). Ils prouvent, non-seulement que l’amour de concupiscence dominait la pauvre Héloïse, mais aussi qu’elle était un peu démontée ; car une personne bien sage n’aurait jamais parlé de la sorte. Il est apparent que l’étude avait commencé de la détraquer, et que l’amour fut un grand surcroît de désordre. On voit dans ses écrits beaucoup de marques d’une imagination déréglée, quelque chose de si outré, et tant de disparate, qu’elle est une preuve de la maxime de Sénèque : Nullum maguum ingenium sine mixturâ dementiæ [50].

(N) Cette action fit un grand bruit. ] Voyons ce qu’Abélard en raconte [51] : Mane autem facto tota ad me civitas congregata quantâ stuperet admiratione, quantâ se affligeret lamentatione, quanto me clamore vexarent, quanto planctu perturbarent, difficile imò impossibile est exprimi. Maximè verò clerici, ac præcipuè scholares nostri, intolerabilibus me lamentis et ejulatibus cruciabant. Voyez l’article auquel je renvoie dans la remarque suivante.

(O) Les femmes se distinguèrent par leurs plaintes très-amères.] C’est de quoi Abélard ne parle pas ; mais nous l’apprenons d’un de ses amis, qui lui écrivit une lettre de consolation. Voyez l’article Foulques[52].

(P) On écrivit à Abélard des lettres de consolation très-curieuses. ] Foulques, prieur de Deuil, lui en écrivit une qui a été insérée dans l’édition d’Abélard. Nous en parlons dans l’article de ce prieur, et nous renvoyons là plusieurs choses qui appartiennent à Héloïse et à son mari, et qui rendraient trop longs leurs articles, si elles n’en étaient pas détachées pour être mises ailleurs. Ceux qui disent qu’ils aimeraient mieux trouver tout au même lieu ne se sont pas bien consultés.

(Q) La justice punit sévèrement cette action. ] Voyez l’article de Foulques[53] auquel je renvoie pour les deux remarques précédentes.

(R) La perte de cet ouvrage l’affligea encore plus que la perte de sa virilité. ] On a bien raillé les auteurs sur la tendresse excessive qu’ils conçoivent pour leurs ouvrages, et l’on a cité entre autres exemples celui de l’évêque Héliodore, qui aima mieux renoncer à son évêché, que de condamner son roman de Théagène[54] ; On a cité ce que Sarasin fait dire à Voiture[55] ; mais je ne sache pas qu’on ait cité Abélard sur une telle matière : cependant il y a dans son exemple quelque chose de plus fort ; car enfin Job recouvra son bon état, et engendra fils et filles ; et il est sûr que Voiture aurait mieux aimé être comme Job pour quelque temps, que comme Abélard jusqu’au tombeau, et qu’il eût jeté tous ses livres et toutes ses muses à la voirie, s’il l’avait fallu, afin de conserver son fonds d’amourettes. Où sont les prélats à qui l’on ne fît signer la résignation de leur évêché, si on les menaçait le rasoir en main de..... en cas qu’ils ne la signassent. On aurait sans doute obtenu d’Héliodore la condamnation du roman, si on l’eût mis dans cette fâcheuse alternative. Mais voici un homme qui déclare qu’il compte pour peu de chose la perte de ses parties naturelles, en comparaison de la perte d’un écrit qu’on l’obligea de jeter au feu. Afin d’être parfaitement équitable, il ne faut pas attribuer toute la douleur d’Abélard aux sentimens paternels que son caractère d’auteur lui inspirait pour son livre. Il y avait là une autre chose qui le chagrinait encore plus ; c’est qu’en l’obligeant de jeter son livre au feu, on lui imprimait une note d’hérésie, peine qui répond à la marque du fer chaud. Ses murmures contre la providence de Dieu sont une autre marque de sa tendresse. Voici ses paroles ; je dois les rapporter, afin qu’on ne me soupçonne pas de grossir les choses pour divertir les lecteurs. Deus qui judicas æquitatem, quanto tunc animi felle, quantâ mentis amaritudine teipsum infamis arguebam, te furibundus accusabam, sæpiùs repetens illam beati Antonii [56] conquestionem, Jesu bone, ubi eras ? Quanto autem dolore æstuarem, quantâ erubescentiâ confunderer, quantâ desperatione perturbarer sentire tunc potui, proferre non possum. Conferebam cum his quæ in corpore passus olim fueram, quanta nunc sustinerem, et omnium me æstimabam miserrimum. Parvam illam ducebam proditionem in comparatione hujus injuriæ, et longè ampliùs famæ quàm corporis detrimentum plangebam[57].

(S) Ce qui n’a point lieu dans l’autre cas. ] Voyez encore l’article Foulques, à la remarque (F).

(T) On se gouvernait très-mal dans ce monastère. ] Suger, abbé de Saint-Denis, se prévalut de la vie déréglée des religieuses d’Argenteuil, pour rentrer en la possession de ce monastère. Il envoya ses pancartes à Rome, et en reçut une réponse favorable. Écoutons ce qu’il en dit dans l’histoire de sa vie, sous l’an 1127. Nuntios nostros et chartas antiquas fundationis et donationis, et confirmationum privilegia bonæ memoriæ papæ Honorio Romam delegavimus, postulantes ut justitiam nostram canonico investigaret et restitueret scrutinio. Qui, ut erat vir consilii et justitiæ tutor, tam pro nostrâ justitiâ quàm pro enormitate monacharum ibidem malè viventium, eundem nobis locum cum appendiciis suis, ut reformaretur ibi religionis ordo, restituit. Il dit la même chose dans la vie de Louis-le-Gros[58]. Ceux qui sont enclins à mal juger de leur prochain, ne liront pas cet endroit sans entrer dans de violens soupçons sur la vie d’Héloïse. Elle avoue qu’elle sentait vivement les brûlures de l’incontinence[59] ; et il est assez ordinaire que la supérieure d’un couvent ne se gouverne pas bien, lorsque la débauche fait du ravage dans la communauté[60]. De ces deux principes on tire aisément cette conséquence, lorsqu’on se plaît à médire, que la prieure d’Argenteuil ne valait pas mieux que ses religieuses. Mais pour moi, qui n’ai point lu qu’elle ait été nommément comprise dans le scandale que son monastère donna, je me garderai bien de lui porter la moindre atteinte. Il faut imiter Notre-Seigneur, et se servir de sa maxime[61], personne ne vous a-t-il condamnée ou accusée ? Je ne vous condamne point, ni ne vous accuse point aussi. Et il est bien vrai que les inférieurs imitent la mauvaise vie de leurs supérieurs, mais non pas la bonne vie. La cour de France sous Louis XIII n’était pas plus chaste que sous Henri IV.

(U) Elle entretint commerce de lettres avec Abélard. ] Ce commerce ne commença que sur le tard, et ce fut une rencontre fortuite qui en fournit l’ouverture. Abélard avait écrit à un ami une longue relation de ses malheurs, qui tomba entre les mains d’Héloïse, déjà abbesse du Paraclet. L’ayant lue, elle écrivit tout aussitôt à Abélard les réflexions qu’elle y avait faites ; et le supplia trés-ardemment de lui écrire, afin qu’elle ne fût plus privée de la consolation que ses lettres lui pouvaient donner en son absence. Elle lui représenta le désintéressement de son amour, et comment celle n’avait cherché ni l’honneur du mariage, ni les avantages du douaire, ni son plaisir, mais la seule satisfaction de lui, Abélard. Elle lui dit qu’encore que le nom de femme semble plus saint et de plus grand poids, elle avait toujours trouvé plus doux celui de sa maîtresse, ou de sa concubine, ou de sa garce : etsi uxoris nomen sanctius ac validius videtur, dulcius mihi semper extitit amicæ vocabulum, aut si non indigneris, concubinæ vel scorti[62]. Elle ajoute qu’il n’avait rapporté qu’une partie des raisons qu’elle lui avait représentées pour le détourner du mariage ; mais qu’il avait supprimé presque toutes celles qui étaient prises de la préférence qu’elle donnait, et à l’amour par-dessus le lien conjugal, et à la liberté par-dessus la nécessité[63]. Je ne sais comment cette fille l’entendait ; mais il y a là un des plus mystérieux raffinemens de l’amour. On croit depuis plusieurs siècles que le mariage fait perdre à cette sorte de sel sa principale saveur, et que depuis qu’on fait une chose par engagement, par devoir, par nécessité, comme une tâche et une corvée, on n’y trouve plus les agrémens naturels ; de sorte qu’au dire des fins connaisseurs, on prend une femme ad honores, et non pas ad delicias. « Le mariage a pour sa part l’utilité, la justice, l’honneur, et la constance, un plaisir plat, mais plus universel. L’amour se fonde au seul plaisir, et l’a de vrai plus chatouilleux, plus vif et plus aigu : un plaisir attisé par la difficulté, il y faut de la piqûre et de la cuisson : ce n’est plus amour, s’il est sans flèches et sans feu. La libéralité des dames est trop profuse au mariage, et émousse la pointe de l’affection et du désir[64]. » Patere me, disait un empereur romain [65] à sa femme, per alias exercere cupiditates meas, nam uxor nomen est dignitatis, non voluptatis [66]. On pourrait donc donner un fort mauvais tour au dessein qu’avait Héloïse de n’être jamais la femme de Pierre Abélard, mais toujours sa chère maîtresse ; on pourrait la soupçonner d’avoir eu peur que le mariage ne fût le tombeau de l’amour, et ne l’empêchât de goûter aussi délicieusement que de coutume les caresses de son ami. L’auteur qui a paraphrasé quelques morceaux des lettres de notre Héloïse[67], lui attribue dans le fond cet esprit et cette vue, quoique les termes soient délicatement ménagés. On lui fait dire [68] qu’elle ne trouvait rien que d’insipide dans tous ces engagemens publics, qui forment des nœuds que la mort seule peut rompre, et qui font une triste nécessité de la vie et de l’amour ; que ce[69] n’est pas aimer que de vouloir trouver du bien et des dignités, dans les tièdes embrassemens d’un mari indolent ; qu’elle ne croira jamais que l’on goûte ainsi les plaisirs sensibles d’une douce union, ni qu’on sente ces émotions secrètes et charmantes de deux cœurs qui se sont long-temps cherchés pour s’unir ; et qu’elle[70] est persuadée que s’il y a quelque apparence de félicité ici-bas, on ne la trouve que dans l’assemblage de deux personnes qui s’aiment avec liberté, qu’un secret penchant a jointes, et qu’un mérite réciproque a rendues satisfaites. Nous allons voir qu’on a supposé une autre cause au dessein qu’avait Héloïse de n’épouser pas Abélard.

(X) Je ne trouve point que l’espérance de le voir élevé à la prélature ait été la cause de l’envie qu’elle avait de ne le pas épouser. ] Le sieur d’Amboise[71] fait mention d’un ancien poëte français, qui après avoir exhorté les hommes à ne se point assujettir à la servitude du mariage, confirme son sentiment par celui de notre Héloïse, laquelle, dit-il, employa les prières les plus ardentes auprès de son amant, afin d’empêcher qu’il ne l’épousât ; elle trouvait mieux son compte à être aimée d’un homme à qui elle verrait un jour un bon évêché entre les mains : Satis esse dictitans si illa intimo pectoris amoren mutuum servans, illum videret mitrâ et infulis pontificalibus quibus dignus erat ornatum. Le sieur d’Amboise remarque, 1°. que ce poëte donne un autre tour à cela, savoir qu’Héloïse faisait connaître que les embrassemens des personnes mariées ne sont pas accompagnés d’un plaisir aussi délicieux que les embrassemens illégitimes[72] ; 2°. qu’il faut croire, non pas qu’Héloïse ait préféré la licence du concubinage à la condition d’épouse, mais que son amour et son respect pour son galant la portaient à aimer mieux se faire nonnain, que d’empêcher par son mariage qu’Abélard ne reçût les récompenses qui étaient dues à son esprit et à son érudition, comme vous diriez le chapeau de cardinal[73]. Je n’ai aperçu aucune trace de cela dans les lettres d’Héloïse ; c’est pourquoi j’en ai fait la 6e. faute de M. Moréri dans l’article d’Abélard. Ce qui donne lieu à ces sortes de mensonges est qu’un auteur se donne la liberté de prêter aux gens les pensées qui lui paraissent conformes à leurs intérêts. Il y a souvent plus de profit pour une femme à laisser courir son jeune galant aux dignités de l’église, qu’à ni en boucher le chemin en l’épousant. Mais est-il permis pour cela de supposer qu’Héloïse a eu de semblables vues ? Voici un conte assez connu : un homme qui avait une prébende la quitta pour se marier ; le lendemain des noces il dit à sa femme : Vois, n’amie, comme je t’aime, d’avoir laissé ma prébende pour t’avoir. Vous avez fait une grande folie, lui répondit-elle, vous deviez garder votre prébende, vous n’eussiez pas laissé de m’avoir[74].

(Y) On conte..... qu’Abélard lui tendit les bras et l’embrassa étroitement. ] Une chronique manuscrite de Tours[75] rapporte ce joli miracle. Hæc (Heloissa) sicut dicitur in ægritudine ultimâ posita præcepit ut mortua intra mariti tumulum poneretur, et sic eâdem defunctâ ad tumulum apertum deportatâ, maritus ejus qui multis diebus ante eam defunctus fuerat, elevatis brachiis illam recepit, et ita eam amplexatus brachia sua strinxit. Mais d’où vient donc qu’ils ne sont pas dans le même monument ? François d’Amboise, qui nous conte qu’il a vu au Paraclet le tombeau du fondateur et celui de la fondatrice l’un auprès de l’autre, contigua fundatoris et fundatricis sepulcra, devait soudre cette petite difficulté.

(Z) ..... On a des exemples de pareilles choses. ] Voyez ce que Grégoire de Tours rapporte[76] de deux personnes mariées qui demeurèrent toujours vierges, et que les habitans du pays[77] nommèrent les deux amans. La femme mourut la première ; le mari en l’enterrant se servit de cette oraison : Je vous remercie, ô mon Seigneur et mon Dieu, de ce que je vous rends ce trésor dans la même pureté qu’il vous avait plu de me le confier. La femme se mit à sourire, et pourquoi, lui dit-elle, parlez-vous d’une chose qu’on ne vous demande pas ? Le mari mourut peu après, et on l’enterra vis-à-vis de son épouse ; mais le lendemain on trouva les deux corps ensemble au même tombeau. Cette brusque interrogation pourrait faire croire à quelque profane, que l’épouse vierge n’aimait pas que le monde sût que son mari eût été si froid. Elle se borna au mérite de sa continence, sans vouloir être exposée aux opinions qu’on pourrait former au préjudice de ses agrémens. Ce n’est pas ainsi qu’on doit garder ce dépôt : ce n’est pas bien le restituer, que de le rendre tout tel qu’on l’a reçu ; ce n’est pas pour cela que Dieu a institué le mariage,

... non hos quæsitum munus in usus.


On peut donc n’être pas bien aise que le public puisse penser qu’on n’a pas assez plu au dépositaire. Mais l’historien remédiera à cet inconvénient, si vous consultez le chapitre XXXII de la Gloire des Confesseurs, où le discours de la défunte est un peu mieux tourné. Dix chapitres après il raconte qu’un sénateur de Dijon, nommé Hilaire[78], couché au sépulcre depuis un an, leva la main afin d’embrasser sa femme au cou, lorsqu’on la mettait au même tombeau.

  1. * Joly, dans sa note sur la remarque (BB) de l’article Abélard, tom. I, pag. 65, tâche de prouver qu’il est impossible qu’Héloïse fût la fille d’un chanoine, et qu’elle n’en était réellement que la nièce.
  2. * Leclerc trouve la conclusion mal tirée, parce que Abélard n’était pas dans les ordres, et n’était que clerc.
  1. Ad Oper. Abælardi.
  2. Nolis ad Histor. Calamitat. Abælardi.
  3. Quantò ampliùs te pro nie humiliando satisfeceras, et me pariter et totum genus meum sublimaveras, tantò te minùs tam apud Deum, quàm apud illos proditores obnoxium pœnæ reddideras. Pag. 57.
  4. Annal., lib. III.
  5. Il faut Fubertus.
  6. Voyez les témoignages cités par Lambin, sur ces paroles de l’ode XII du IIIe. livre d’Horace,

    Metuentes patruœ verbera linguæ.

  7. Joannes Canonicus Parisinus Heloissam naturalem filiam habebat præstanti ingenio formâque. Papyr. Masso, Annal., lib. III, pag. m. 256.
  8. Abæl. Oper., pag. 10.
  9. Abæl. Oper., pag. 260.
  10. Præfat. apologet.
  11. C’est le Ve. du IIe. livre.
  12. Vide Oper. Abælardi, pag. 337.
  13. Voyez les Notes d’André du Chesne, sur la lettre d’Abélard, de Histor. Calamitat., pag. 1187.
  14. Histoire abrégée d’Héloïse et d’Abélard, à la Haye, 1693.
  15. Operum pag. 10.
  16. Ibidem, pag. 47.
  17. On le dit dans l’Histoire abrégée qu’on vient de citer.
  18. Pag. 11.
  19. Pag. 69.
  20. Nôsti quantis turpitudinibus immoderata mea libido corpora nostra addixerat, ut nulla honestatis vel Dei reverentia in ipsis etiam diebus Dominicæ passionis, vel quantarumcunque solemnitatum, ab hujus luti volutabro me revocaret. Sed et te nolentem et prout poteras reluctantem et dissuadentem quæ naturâ infirmior eras, sæpiùs minis ac flagellis ad consensum trahebam.
  21. Voyez l’Épître de saint Paul aux Coloss., chap. II, vs. 16.
  22. Pag. 12.
  23. Oper. Abælardi, pag. 46.
  24. Voici ce qu’elle dit dans la page 48. Cùm me ad temporales olim voluptates expeteres crebris me epistolis visitabas, frequenti carmine tuam in ore omnium Heloissam ponebas : me plateæ omnes, me domus singulæ resonabant.
  25. Histoire d’Héloïse et d’Abélard, imprimée à la Haye, en 1693.
  26. Voyez Ovide, de Arte amandi, lib. III, pag. 205.
  27. Pag. 590 et suiv., et pag. 746 et suiv.
  28. Ex tom. I, epist. XLVIII.
  29. Ces paroles sont citées dans l’édition d’Abélard, comme la suite de ce que j’ai déja cité de la lettre de saint Jérôme à Sabinien ; mais elles ne se trouvent point dans cette lettre.
  30. D. Hieronym., advers. Jovinian.
  31. Dio Cassius, lib. IX. Juvenal, sat. X, vs. 342, a dit là-dessus,

    Dedecus ille domus sciet ultimus.

  32. Epigr. IX, lib. VII.
  33. Ὄττι τοι ἐν Μεγάροισι κακῶν τ᾽ ἁγαθῶν τε τέτυκται. Homer., Odyss., lib. IV.
  34. Jo. Michaël Brutus, in Præceptis conjugalibus, pag. 798, edit. 1698.
  35. Jo. Michaël Brutus, in Præceptis conjugalibus, pag. 798, edit. 1698.
  36. Quis sacris vel philosophicis meditationibus intentus pueriles vagitus, nutricum quæ hos mitigant nœnias, tumultuosam familiæ tam in viris quàm in feminis turbam sustinere poterit ? Quis etiam inhonestas illis parvulorum sordes assiduas tolerare valebit ? Oper. Abælardi, pag. 14.
  37. De Recherches de la France, liv. VI, chap. XVII.
  38. Je veux dire qu’elle n’ait pas allégué que le mariage est interdit à ceux qui ont pris les ordres.
  39. Num multò autem pòst puella se concepisse comperit, et cum summâ exultatione mihi super hoc illicò scripsit, consulens quid de hoc ipse faciendum deliberarem. Abælard., pag. 13.
  40. Abælardus, pag. 45.
  41. Pag. 59.
  42. Aux Romains, chap. VII.
  43. Pag. 60.
  44. Pag. 61.
  45. Voyez l’article Abélard, remarque (T), tom. I, pag. 62.
  46. Citation (6), tom. V, pag. 256.
  47. Circe Polyæno, apud Petronium.
  48. Voyez la comédie du Pédant joué.
  49. Dans l’article Combabus, tom. V, pag. 253,
  50. Voyez, tom. IV, pag. 448, la citation (78) de l’article Cardan.
  51. Operum pag. 17.
  52. À la remarque (I), tom. VI, pag. 533.
  53. Remarque (M), tom. VI, pag. 537.
  54. Voyez, dans ce vol., remarque (B) de l’article Héliodore, ce qu’il en faut croire.
  55. Un auteur, qui dans son écrit,
    Comme moi reçoit une offense,
    Souffre plus que Job ne souffrit,
    Bien qu’il eût d’extrêmes souffrances.
    Sarasin, Poésies, pag. m. 37.

  56. Apud sanctum Hieronym., in ejus Vitâ.
  57. Abælardi Oper., pag. 25.
  58. Papa Honorius, vir gravis et severus, justitiam nostram de monasterio Argentoilensi puellarum miserrimâ conversatione infamato, etc.
  59. Voyez ci-dessus la remarque (K), citations (41) et (43).
  60. On aime à citer sur cela le

    Regis ad exemplum totus componitur orbis ;

    et le

    ....Sequitur leviter filia matris iter.

  61. Évang. de saint Jean, chap. VIII, vs. 10.
  62. Abælardi Opera, pag. 45.
  63. Rationes nonnullas quibus te à conjugio nostro infaustis thalamis revocare conabar exponere non es dedignatus, sed plerisque tacitis quibus amorem conjugio, libertatem vinculo præferebam.
  64. Montaigne, Essais, liv. III, chap. V, pag. m. 120.
  65. Ælius Verus, apud Spartian., in ejus Vitâ, pag. m. 235.
  66. Voyez plusieurs remarques de cette nature, dans la IXe. lettre de la Critique du Calvinisme de Maimbourg, et dans les lettres XXI et XXII de la suite de cette Critique.
  67. Voyez le livre intitulé : Histoire d’Héloïse et d’Abélard, imprimé à la Haye, en 1693.
  68. Pag. 51.
  69. Pag. 53.
  70. Pag. 54.
  71. Præfat. apologet, ad Oper. Abælardi.
  72. Sed poëta in alium sensum hoc detorquet, quasi illa innuere voluerit suaviores esse amantium, quàm legibus connubialibus nexorum amplexus. Ibid.
  73. Potiùs quàm obice et interventu suarum nuptiarum, impedimento esse ne Abælardus factus uxorius frustraretur præmio excellentis ingenii admirabilisque doctrinæ, putà purpurâ et galero. Ibidem.
  74. Voyez le livre intitulé : le Moyen de parvenir, fait par un chanoine de Tours, à ce que dit le Ménagiana, pag. 366 de la seconde édition de Hollande.
  75. Apud Andream Quercetanum, Notis ad Histor. Calamitat. Abæl., et apud Franc. Ambosium, Præfat. apologet.
  76. Histoire des Français, liv. I, ch. XLII.
  77. Clermont en Auvergne.
  78. Voyez les Notes de M. l’abbé de Marolle, sur Grégoire de Tours, tom. II, pag. 283.

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