De l’esprit des lois (éd. Nourse)/Livre 21

De l’esprit des lois (éd. Nourse)
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Nourse (tome 1p. 430-484).


LIVRE XXI.

Des loix, dans le rapport qu’elles ont avec le commerce, considéré dans les révolutions qu’il a eues dans le monde.


CHAPITRE PREMIER.

Quelques considérations générales.


QUOIQUE le commerce soit sujet à de grandes révolutions, il peut arriver que de certaines causes physiques, la qualité du terrein ou du climat, fixent pour jamais sa nature.

Nous ne faisons aujourd’hui le commerce des Indes que par l’argent que nous y envoyons. Les Romains[1] y portoient toutes les années environ cinquante millions de sesterces. Cet argent, comme le nôtre aujourd’hui, étoit converti en marchandises qu’ils rapportoient en occident. Tous les peuples qui ont négocié aux Indes y ont toujours porté des métaux, & en ont rapporté des marchandises.

C’est la nature même qui produit cet effet. Les Indiens ont leurs arts, qui sont adaptés à leur maniere de vivre. Notre luxe ne sçauroit être le leur, ni nos besoins être leurs besoins. Leur climat ne leur demande, ni ne leur permet presque rien de ce qui vient de chez nous. Ils vont en grande partie nuds ; les vêtements qu’ils ont, le pays les leur fournit convenables ; & leur religion, qui a sur eux tant d’empire, leur donne de la répugnance pour les choses qui nous servent de nourriture. Ils n’ont donc besoin que de nos métaux qui sont les signes des valeurs, & pour lesquels ils donnent des marchandises, que leur frugalité & la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes, nous les dépeignent[2] telles que nous les voyons aujourd’hui, quant à la police, aux manieres & aux mœurs. Les Indes ont été ; les Indes seront ce qu’elles sont à présent ; &, dans tous les temps, ceux qui négocieront aux Inde y porteront de l’argent, & n’en rapporteront pas.


CHAPITRE II.

Des peuples d’Afrique.


LA plupart des peuples des côtes de l’Afrique sont sauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie ; ils n’ont point d’arts ; ils ont en abondance des métaux précieux qu’ils tiennent immédiatement des main de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage ; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, & en recevoir un très-grand prix.


CHAPITRE III.

Que les besoins des peuples du midi sont différens de ceux des peuples du nord.


IL y a, dans l’Europe, une espece de balancement entre les nations du midi & celles du nord. Les premieres ont toutes sortes de commodités pour la vie, & peu de besoins ; les secondes ont beaucoup de besoins, & peu de commodités pour la vie. Aux unes, la nature a donné beaucoup, & elles ne lui demandent que peu ; aux autres, la nature donne peu, & elles lui demandent beaucoup. L’équilibre se maintient par la paresse qu’elle a donné aux nations du midi, & par l’industrie & l’activité qu’elle a donnée à celles du nord. Ces dernieres sont obligées de travailler beaucoup ; sans quoi, elles manqueroient de tout, & deviendroient barbares. C’est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme il peuvent aisément se passer de richesses, ils peuvent encore mieux se passer de liberté. Mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans un état forcé, s’ils ne sont libres ou barbares : presque tous les peuples du midi sont, en quelque façon, dans un état violent, s’ils ne sont esclaves.


CHAPITRE IV.

Principale différence du commerce des anciens, d’avec celui d’aujourd’hui.


Le monde se met, de temps en temps, dans des situations qui changent le commerce. Aujourd’hui le commerce de l’Europe se fait principalement du nord au midi. Pour lors la différence des climats fait que les peuples ont un grand besoin des marchandises les uns des autres. Par exemple, les boissons du midi portées au nord forment une espece de commerce que les anciens n’avoient gueres. Aussi la capacité des vaisseaux, qui se mesuroit autrefois par muids de bled, se mesure-t-elle aujourd’hui par tonneaux de liqueurs.

Le commerce ancien que nous connoissons se faisant d’un port de la méditerranée à l’autre, étoit presque tout dans le midi. Or, les peuples du même climat ayant chez eux à peu près les mêmes choses, n’ont pas tant de besoin de commercer entre eux, que ceux d’un climat différent. Le commerce en Europe étoit donc autrefois moins étendu qu’il ne l’est à présent.

Ceci n’est point contradictoire avec ce que j’ai dit de notre commerce des Indes : la différence excessive du climat fait que les besoins relatifs sont nuls.


CHAPITRE V.

Autres différences.


LE commerce, tantôt détruit par les conquérans, tantôt gêné par les monarques, parcourt la terre, fuit d’où il est opprimé, se repose où on le laisse respirer : il regne aujourd’hui où l’on ne voyoit que des déserts, des mers & des rochers ; là où il regnoit, il n’y a que des déserts.

A voir aujourd’hui la Colchide, qui n’est plus qu’une vaste forêt, où le peuple, qui diminue tous les jours, ne défend sa liberté que pour se vendre en détail aux Turcs & aux Persans ; on ne diroit jamais que cette contrée eût été, du temps des Romains, pleine de villes où le commerce appelloit toutes les nations du monde. On n’en trouve aucun monument dans le pays ; il n’y en a de traces que dans Pline[3] & Strabon[4].

L’histoire du commerce est celle de la communication des peuples. Leurs destructions diverses, & de certains flux & reflux de populations & de dévastations, en forment les plus grands événemens.


CHAPITRE VI.

Du commerce des anciens.


LES trésors immenses de[5] Sémiramis, qui ne pouvoient avoir été acquis en un jour, nous font penser que les Assyriens avoient eux-mêmes pillé d’autres nations riches, comme les autres nations les pillerent après.

L’effet du commerce sont les richesses ; la fuite des richesses, le luxe ; celle du luxe, la perfection des arts. Les arts portés au point où on les trouve du temps de Sémiramis[6], nous marquent un grand commerce déja établi.

Il y avoit un grand commerce de luxe dans les empires d’Asie. Ce seroit une belle partie de l’histoire du commerce que l’histoire du luxe ; le luxe des Perses étoit celui des Medes, comme celui des Medes étoit celui des Assyriens.

Il est arrivé de grands changemens en Asie. La partie de la Perse qui est au nord-est, l’Hyrcanie, la Margiane, la Bactriane, &c. étoient autrefois pleines de villes florissantes[7] qui ne sont plus ; & le nord[8] de cet empire, c’est-à-dire, l’isthme qui sépare la mer Caspienne du Pont-Euxin, étoit couvert de villes & de nations, qui ne sont plus encore.

Eratosthene[9] & Aristobule tenoient de Patrocle[10], que les marchandises des Indes passoient par l’Oxus dans la mer du Pont. Marc Varron[11] nous dit que l’on apprit, du temps de Pompée dans la guerre contre Mithridate, que l’on alloit en sept jours de l’Inde dans le pays des Bactriens, & au fleuve Icarus qui se jette dans l’Oxus ; que par-là les marchandises de l’Inde pouvoient traverser la mer Caspienne, entrer de-là dans l’embouchure du Cyrus ; que, de ce fleuve, il ne falloit qu’un trajet par terre de cinq jours pour aller au Phase qui conduisoit dans le Pont-Euxin. C’est sans doute par les nations qui peuploient ces divers pays, que les grands empires des Assyriens, des Medes & des Perses, avoient une communication avec les parties de l’orient & de l’occident les plus reculées.

Cette communication n’est plus. Tous ces pays ont été dévastés par les Tartares[12], & cette nation destructrice les habite encore pour les infester. L’Oxus ne va plus à la mer Caspienne ; les Tartares l’ont détourné pour des raisons particulieres[13] ; il se perd dans des sables arides.

Le Jaxarte, qui formoit autrefois une barriere entre les nations policées & les nations barbares, a été tout de même détournée[14] par les Tartares, & ne va plus jusqu’à la mer.

Séleucus Nicator forma le projet[15] de joindre le Pont-Euxin à la mer Caspienne. Ce dessein, qui eût donné bien des facilités au commerce qui se faisoit dans ce temps-là, s’évanouit à sa mort[16]. On ne sçait s’il auroit pu l’exécuter dans l’isthme qui sépare les deux mers. Ce pays est aujourd’hui très-peu connu ; il est dépeuplé & plein de forêts. Les eaux n’y manquent pas, car une infinité de rivieres y descendent du mont Caucase : mais ce Caucase, qui forme le nord de l’isthme, & qui étend des especes de bras[17] au midi, auroit été un grand obstacle, sur-tout dans ces temps-là, où l’on n’avoit point l’art de faire des écluses.

On pourroit croire que Séleucus vouloit faire la jonction des deux mers dans le lieu même où le czar Pierre I l’a faite depuis, c’est-à-dire, dans cette langue de terre où le Tanaïs s’approche du Volga : mais le nord de la mer Caspienne n’étoit pas encore découvert.

Pendant que, dans les empires d’Asie, il y avoit un commerce de luxe ; les Tyriens faisoient par toute la terre un commerce d’économie. Bochard a employé le premier livre de son Chanaan à faire l’énumération des colonies qu’ils envoyerent dans tous les pays qui sont près de la mer ; ils passerent les colonnes d’Hercule, & firent des établissemens[18] sur les côtes de l’océan.

Dans ces temps-là, les navigateurs étoient obligés de suivre les côtes, qui étoient, pour ainsi dire, leur boussole. Les voyages étoient longs & pénibles. Les travaux de la navigation d’Ulysse ont été un sujet fertile pour le plus beau poëme du monde, après celui qui est le premier de tous.

Le peu de connoissance que la plupart des peuples avoient de ceux qui étoient éloignés d’eux, favorisoit les nations qui faisoient le commerce d’économie. Elles mettoient dans leur négoce les obscurités qu’elles vouloient : elles avoient tous les avantages que les nations intelligentes prennent sur les peuples ignorans.

L’Égypte éloignée, par la religion & par les mœurs, de toute communication avec les étrangers, ne faisoit gueres de commerce au-dehors : elle jouissoit d’un terrein fertile & d’une extrême abondance. C’étoit le Japon de ces temps-là : elle se suffisoit à elle-même.

Les Egyptiens furent si peu jaloux du commerce du dehors, qu’ils laisserent celui de la mer rouge à toutes les petites nations qui y eurent quelque port. Ils souffrirent que les Iduméens, les Juifs & les Syriens y eussent des flottes. Salomon[19] employa à cette navigation des Tyriens qui connoissoient ces mers.

Josephe[20] dit que sa nation, uniquement occupée de l’agriculture, connoissoit peu la mer : aussi ne fut-ce que par occasion que les Juifs négocierent dans la mer rouge. Ils conquirent, sur les Iduméens, Elath & Asiongaber qui leur donnerent ce commerce : ils perdirent ces deux villes, & perdirent ce commerce aussi.

Il n’en fut pas de même des Phéniciens : ils ne faisoient pas un commerce de luxe ; ils ne négocioient point par la conquête : leur frugalité, leur habileté, leur industrie, leurs périls, leurs fatigues, les rendoient nécessaires à toutes les nations du monde.

Les nations voisines de la mer rouge ne négocioient que dans cette mer & celle d’Afrique. L’étonnement de l’univers à la découverte de la mer des Indes, faite sous Alexandre, le prouve assez. Nous avons dit[21] qu’on porte toujours aux Indes des métaux précieux, & que l’on n’en rapporte point[22] : les flottes Juives, qui rapportoient par la mer rouge de l’or & de l’argent, revenoient d’Afrique, & non pas des Indes.

Je dis plus : cette navigation se faisoit sur la côte orientale de l’Afrique : & l’état où étoit la marine pour lors, prouve assez qu’on n’alloit pas dans des lieux bien reculés.

Je sçais que les flottes de Salomon & de Jozaphat ne revenoient que la troisieme année : mais je ne vois pas que la longueur du voyage prouve la grandeur de l’éloignement.

Pline & Strabon nous disent que le chemin qu’un navire des Indes & de la mer rouge, fabriqué de joncs, faisoit en vingt jours, un navire Grec ou Romain le faisoit en sept[23]. Dans cette proportion, un voyage d’un an pour les flottes Grecques & Romaines étoit à peu près de trois pour celles de Salomon.

Deux navires d’une vitesse inégale ne font pas leur voyage dans un temps proportionné à leur vitesse : la lenteur produit souvent une plus grande lenteur. Quand il s’agit de suivre les côtes, & qu’on se trouve sans cesse dans une différente position ; qu’il faut attendre un bon vent pour sortir d’un golfe, en avoir un autre pour aller en avant, un navire bon voilier profite de tous les temps favorables ; tandis que l’autre reste dans un endroit difficile, & attend plusieurs jours un autre changement.

Cette lenteur des navires des Indes qui, dans un temps égal, ne pouvoient faire que le tiers du chemin que faisoient les vaisseaux Grecs & Romains, peut s’expliquer par ce que nous voyons aujourd’hui dans notre marine. Les navires des Indes, qui étoient de joncs, tiroient moins d’eau que les vaisseaux Grecs & Romains, qui étoient de bois, & joints avec du fer.

On peut comparer ces navires des Indes à ceux de quelques nations d’aujourd’hui, dont les ports ont peu de fond : tels sont ceux de Venise, & même en général de l’Italie[24], de la mer Baltique, & de la province de Hollande[25]. Leurs navires, qui doivent en sortir & y rentrer, sont d’une fabrique ronde & large de fond ; au lieu que les navires d’autres nations qui ont de bons ports sont, par le bas, d’une forme qui les fait entrer profondément dans l’eau. Cette méchanique fait que ces derniers navires navigent plus près du vent, & que les premiers ne navigent presque que quand ils ont le vent en poupe. Un navire qui entre beaucoup dans l’eau navige vers le même côté à presque tous les vents : ce qui vient de la résistance que trouve dans l’eau le vaisseau poussé par le vent, qui fait un point d’appui ; & de la forme longue du vaisseau qui est présenté au vent par son côté, pendant que, par l’effet de la figure du gouvernail, on tourne la proue vers le côté que l’on se propose ; en sorte qu’on peut aller très-près du vent, c’est-à-dire, très-près du côté d’où vient le vent. Mais, quand le navire est d’une figure ronde & large de fond, & que par conséquent il enfonce peu dans l’eau, il n’y a plus de point d’appui ; le vent chasse le vaisseau, qui ne peut résister, ni gueres aller que du côté opposé au vent. D’où il suit que les vaisseaux d’une construction ronde de fond sont plus lents dans leurs voyages : 1°. ils perdent beaucoup de temps à attendre le vent, sur-tout s’ils sont obligés de changer souvent de direction ; 2°. ils vont plus lentement ; parce que, n’ayant pas de point d’appui, ils ne sçauroient porter autant de voiles que les autres. Que si, dans un temps où la marine s’est si fort perfectionnée ; dans un temps où les arts se communiquent ; dans un temps où l’on corrige, par l’art, & les défauts de la nature, & les défauts de l’art même, on sent ces différences, que devoit-ce être dans la marine des anciens ?

Je ne sçaurois quitter ce sujet. Les navires des Indes étoient petits, & ceux des Grecs & des Romains, si l’on en excepte ces machines que l’ostentation fit faire, étoient moins grands que les nôtres. Or, plus un navire est petit, plus il est en danger dans les gros temps. Telle tempête submerge un navire, qui ne seroit que le tourmenter, s’il étoit plus grand. Plus un corps en surpasse un autre en grandeur, plus sa surface est relativement petite : d’où il suit que, dans un petit navire, il y a une moindre raison, c’est-à-dire, une plus grande différence de la surface du navire au poids ou à la charge qu’il peut porter, que dans un grand. On sçait que, par une pratique à peu près générale, on met dans un navire une charge d’un poids égal à celui de la moitié, de l’eau qu’il pourroit contenir. Supposons qu’un navire tînt huit cens tonneaux d’eau, sa charge seroit de quatre cens tonneaux ; celle d’un navire qui ne tiendroit que quatre cens tonneaux d’eau seroit de deux cens tonneaux. Ainsi la grandeur du premier navire seroit, au poids qu’il porteroit, comme 8 est à 4 ; & celle du second, comme 4 est à 2. Supposons que la surface du grand soit, à la surface du petit, comme 8 est à 6 ; la surface[26] de celui-ci sera, à son poids, comme 6 est à 2 ; tandis que la surface de celui-là ne sera, à son poids, que comme 8 est à 4 ; & les vents & les flots n’agissant que sur la surface, le grand vaisseau résistera plus, par son poids, à leur impétuosité, que le petit.


CHAPITRE VII.

Du commerce des Grecs.


LES premiers Grecs étoient tous pirates. Minos, qui avoit eu l’empire de la mer, n’avoit eu peut-être que de plus grands succès dans les brigandages : son empire etoit borné aux environs de son isle. Mais, lorsque les Grecs devinrent un grand peuple, les Athéniens obtinrent le véritable empire de la mer ; parce que cette nation commerçante & victorieuse donna la loi au monarque[27] le plus puissant d’alors, & abbatit les forces maritimes de la Syrie, de l’isle de Chypre & de la Phénicie.

Il faut que je parle de cet empire de la mer qu’eut Athenes. "Athenes, dit Xénophon[28], a l’empire de la mer : mais, comme l’Attique tient à la terre, les ennemis la ravagent, tandis qu’elle fait ses expéditions au loin. Les principaux laissent détruire leurs terres, & mettent leurs biens en sûreté dans quelque isle : la populace, qui n’a point de terres, vit sans aucune inquiétude. Mais, si les Athéniens habitoient une isle, & avoient outre cela l’empire de la mer, ils auroient le pouvoir de nuire aux autres, sans qu’on pût leur nuire, tandis qu’ils seroient les maîtres de la mer." Vous diriez que Xénophon a voulu parler de l’Angleterre.

Athenes remplie de projets de gloire ; Athenes qui augmentoit la jalousie, au lieu d’augmenter l’influence ; plus attentive à éteindre son empire maritime, qu’à en jouir ; avec un tel gouvernement politique, que le bas-peuple se distribuoit les revenus publics, tandis que les riches étoient dans l’oppression ; ne fit point ce grand commerce que lui promettoient le travail des ses mines, la multitude de ses esclaves, le nombre de ses gens de mer, son autorité sur les villes Grecques, &, plus que tout cela, les belles institutions de Solon. Son négoce fut presque borné à la Grece & au Pont-Euxin, d’où elle tira sa subsistance.

Corinthe fut admirablement bien située : elle sépara deux mers, ouvrit & ferma le Péloponese, & ouvrit & ferma la Grece. Elle fut une ville de la plus grande importance, dans un temps où le peuple Grec étoit un monde, & les villes Grecques des nations. Elle fit un plus grand commerce qu’Athenes. Elle avoit un port pour recevoir les marchandises d’Asie ; elle en avoit un autre pour recevoir celles d’Italie : car, comme il y avoit de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents[29] opposés se rencontrent & causent des naufrages, on aimoit mieux aller à Corinthe, & l’on pouvoit même faire passer par terre les vaisseaux d’une mer à l’autre. Dans aucune ville on ne porta si loin les ouvrages de l’art. La religion acheva de corrompre ce que son opulence lui avoit laissé de mœurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées. C’est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célebres dont Athénée a osé écrire l’histoire.

Il paroît que, du temps d’Homere, l’opulence de la Grece étoit à Rhodes, à Corinthe & à Orcomene. "Jupiter, dit-il[30], aima les Rhodiens, & leur donna des grandes richesses." Il donne à Corinthe[31] l’épithete de riche.

De même, quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d’or, il cite Orcomene[32], qu’il joint à Thebes d’Égypte. Rhodes & Corinthe conserverent leur puissance, & Orcomene la perdit. La position d’Orcomene, près de l’Hellespont, de la Propontide & du Pont-Euxin, fait naturellement penser qu’elle tiroit ses richesses d’un commerce sur les côtes de ces mers, qui avoient donné lieu à la Bible de la toison d’or. Et effectivement le nom de Miniares est donné à Orcomene[33] & encore aux Argonautes. Mais, comme dans la suite ces mers devinrent plus connues ; que les Grecs y établirent un très-grand nombre de colonies ; que ces colonies négocierent avec les peuples barbares ; qu’elles communiquerent avec leur métropole ; Orcomene commença à décheoir, & elle rentra dans la foule des autres villes Grecques.

Les Grecs, avant Homere, n’avoient gueres négocié qu’entre eux, & chez quelque peuple barbare ; mais ils étendirent leur domination, à mesure qu’ils formerent de nouveaux peuples. La Grece étoit une grande péninsule dont les caps sembloient avoir fait reculer les mers, & les golfes s’ouvrir de tous côtés, comme pour les recevoir encore. Si l’on jette les yeux sur la Grece, on verra, dans un pays assez resserré, une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisoient une immense circonférence autour d’elle ; & elle y voyoit, pour ainsi dire, tout le monde qui n’étoit pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile & en Italie ? elle y forma des nations. Navigea-t-elle vers les mers du pont, vers les côtes de l’Asie mineure, vers celles d’Afrique ? elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité, à mesure qu’elles se trouverent près de nouveaux peuples. Et, ce qu’il y avoit d’admirable, des isles sans nombre, situées comme en premiere ligne, l’entouroient encore.

Quelles causes de prospérité pour la Grece, que des jeux qu’elle donnoit, pour ainsi dire, à l’univers ; des temples, où tous les rois envoyoient des offrandes ; des fêtes, où l’on s’assembloit de toutes parts ; des oracles, qui faisoient l’attention de toute la curiosité humaine ; enfin, le goût & les arts portés à un point, que de croire les surpasser, sera toujours ne les pas connoître ?


CHAPITRE VIII.

D’Alexandre. Sa conquête.


QUATRE événemens arrivés sous Alexandre firent, dans le commerce, une grande révolution ; la prise de Tyr, la conquête de l’Égypte, celle des Indes, & la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L’empire des Perses s’étendoit jusqu’à l’Indus[34]. Long-temps avant Alexandre, Darius[35] avoit envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve, & allerent jusqu’à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes ? Comment les Perses ne l’avoient-ils pas fait auparavant ? Que leur servoient des mers qui étoient si proches d’eux, des mers qui baignoient leur empire ? Il est vrai qu’Alexandre conquit les Indes : mais faut-il conquérir un pays pour y négocier ? J’examinerai ceci.

L’Ariane[36], qui s’étendoit depuis le golfe Persique jusqu’à l’Indus, & de la mer du midi jusqu’aux montagnes des Paropamisades, dépendoit bien en quelque façon de l’empire des Perses : mais, dans sa partie méridionale, elle étoit aride, brûlée, inculte & barbare. La tradition[37] portoit que les armées de Sémiramis & de Cyrus avoient péri dans ces déserts : & Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d’y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissoient toute la côte au pouvoir des Icthyophages[38], des Orittes, & autres peuples barbares. D’ailleurs, les Perses n’étoient pas navigateurs, & leur religion même leur ôtoit toute idée de commerce maritime[39]. La navigation que Darius fit faire sur l’Indus & la mer des Indes, fut plutôt une fantaisie d’un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d’un monarque qui veut l’employer. Elle n’eut de suite, ni pour le commerce, ni pour la marine ; &, si l’on sortit de l’ignorance, ce fut pour y retomber.

Il y a plus : il étoit reçu[40], avant l’expédition d’Alexandre, que la partie méridionale des Indes étoit inhabitable[41] : ce qui suivoit de la tradition que Sémiramis[42] n’en avoit ramené que vingt hommes, & Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein étoit de marcher vers l’orient : mais, ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes & de rivieres, il en tenta la conquête & la fit. Pour lors, il forma le dessein d’unir les Indes avec l’occident par un commerce maritime, comme il les avoit unies par des colonies qu’il avoit établies dans les terres.

Il fit conduire une flotte sur l’Hydaspe, descendit cette riviere, entra dans l’Indus, & navigea jusqu’à son embouchure. Il laissa son armée & sa flotte à Patale ; alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnoître la mer ; marqua les lieux où il voulut que l’on construisît des ports, des havres, des arcenaux. De retour à Patale il se sépara de sa flotte, & prit la route de terre, pour lui donner du secours, & en recevoir. La flotte suivi la côte depuis l’embouchure de l’Indus, le long du rivage des pays des Orittes, des Icthyophages, de la Caramanie & de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes ; il défendit aux Ichtyophages[43] de vivre de poisson ; il vouloit que les bords de cette mer fussent habités par des nations civilisées. Néarque & Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arriverent à Suse ; ils y trouverent Alexandre qui donnoit des fêtes à son armée.

Ce conquérant avoit fondé Alexandrie, dans la vue de s’assurer de l’Égypte : c’étoit une clef pour l’ouvrir, dans le lieu même où les rois ses prédécesseurs avoient une clef pour la fermer[44] : & il ne songeoit point à un commerce dont la découverte de la mer des Indes pouvoit seule lui faire naître la pensée.

Il paroît même qu’après cette découverte, il n’eut aucune vue nouvelle sur Alexandrie. Il avoit bien, en général, le projet d’établir un commerce entre les Indes & les parties occidentales de son empire : mais, pour le projet de faire le commerce par l’Égypte, il lui manquoit trop de connoissances pour pouvoir le former. Il avoit vu l’Indus, il avoit vu le Nil ; mais ne connoissoit point les mers d’Arabie, qui sont entre deux. A peine fut-il arrivé des Indes, qu’il fit construire de nouvelles flottes, navigea[45] sur l’Euléus, le Tigre, l’Euphrate & la mer : il ôta les cataractes que les Perses avoient mises sur ces fleuves : il découvrit que le sein Persique étoit un golfe de l’océan. Comme il alla reconnoître[46] cette mer, ainsi qu’il avoit reconnu celle des Indes ; comme il fit construire un port à Babylone pour mille vaisseaux, & des arcenaux ; comme il envoya cinq cens talens en Phénicie & en Syrie, pour en faire venir des nautoniers, qu’il vouloit placer dans les colonies qu’il répandoit sur les côtes ; comme enfin il fit des travaux immenses sur l’Euphrate les autres fleuves de l’Assyrie, on ne peut douter que son dessein ne fût de faire le commerce des Indes par Babylone & le golfe Persique.

Quelques gens, sous prétexte qu’Alexandre vouloit conquérir l’Arabie[47], ont dit qu’il avoit formé le dessein d’y mettre le siege de son empire : mais, comment auroit-il choisi un lieu qu’il ne connoissoit pas[48] ? D’ailleurs, c’étoit le pays du monde le plus incommode : il se seroit séparé de son empire. Les Califes, qui conquirent au loin, quitterent d’abord l’Arabie, pour s’établir ailleurs.


CHAPITRE IX.

Du commerce des rois Grecs, après Alexandre.


Lorsque Alexandre conquit l’Égypte, on connoissoit très-peu la mer Rouge, & rien de cette partie de l’océan qui se joint à cette mer, & qui baigne d’un côté la côte d’Afrique, & de l’autre celle de l’Arabie : on crut même depuis qu’il étoit impossible de faire le tour de la presqu’isle d’Arabie. Ceux qui l’avoient tenté de chaque côté, avoient abandonné leur entreprise. On disoit[49] : « comment seroit-il possible de naviguer au midi des côtes de l’Arabie, puisque l’armée de Cambyse, qui la traversa du côté du nord, périt presque toute ; & que celle de Ptolomée, fils de Lagus, envoya au secours de Séleucus Nicator à Babylone, souffrit de maux incroyables, &, à cause de la chaleur, ne put marcher que la nuit ? »

Les Perses n’avoient aucune sorte de navigation. Quand ils conquirent l’Égypte, ils y apporterent le même esprit qu’ils avoient eu de chez eux : & la négligence fut si extraordinaire, que les rois Grecs trouverent que non-seulement les navigations des Tyriens, des Iduméens & des Juifs dans l’océan étoient ignorées ; mais que celles même de la mer Rouge l’étoient. Je crois que la destruction de la premiere Tyr par Nabuchodonosor, & celle de plusieurs petites nations & villes voisines de la mer Rouge, firent perdre les connoissances que l’on avoit acquises.

L’Égypte, du temps des Perses, ne confrontoit point à la mer Rouge : elle ne contenoit[50] que cette lisiere de terre longue et étroite que le Nil couvre par ses inondations, & qui est resserrée des deux côtés par des chaînes de montagnes. Il fallut donc découvrir la mer Rouge une seconde fois, & l’océan une seconde fois ; & cette découverte appartint à la curiosité des rois Grecs.

On remonta le Nil ; on fit la chasse des éléphans dans les pays qui sont entre le Nil & la mer ; on découvrit les bords de cette mer par les terres : &, comme cette découverte se fit sous les Grecs, les noms en sont grecs, & les temples sont consacrés[51] à des divinités Grecques.

Les Grecs d’Égypte purent faire un commerce très-étendu : ils étoient maîtres des ports de la mer Rouge ; Tyr, rivale de toute nation commerçante, n’étoit plus ; ils n’étoient point gênés par les anciennes[52] superstitions du pays ; l’Égypte étoit devenue le centre de l’univers.

Les rois de Syrie laisserent à ceux d’Égypte le commerce méridional des Indes, & ne s’attacherent qu’à ce commerce septentrional qui se faisoit par l’Oxus & la mer Caspienne. On croyoit dans ces temps-là, que cette mer étoit une partie de l’océan septentrional[53] : & Alexandre, quelque temps avant sa mort, avoit fait construire[54] une flotte, pour découvrir si elle communiquoit à l’océan par le Pont-Euxin, ou par quelqu’autre mer orientale vers les Indes. Après lui, Séleucus & Antiochus eurent une attention particuliere à la reconnoître : ils y entretinrent des flottes[55]. Ce que Séleucus reconnut fut appellé mer Séleucide : ce qu’Antiochus découvrit fut appellé mer Antiochide. Attentifs aux projets qu’ils pouvoient avoir de ce côté-là, ils négligerent les mers du midi ; soit que les Ptolomée, par leurs flottes sur la mer Rouge, s’en fussent déja procuré l’empire ; soit qu’ils eussent découvert dans les Perses un éloignement invincible pour la marine. La côte du midi de la Perse ne fournissoit point de matelots ; on n’y en avoit vu que dans les derniers momens de la vie d’Alexandre. Mais les rois d’Égypte, maîtres de l’isle de Chypre, de la Phénicie, & d’un grand nombre de places sur les côtes de l’Asie mineure, avoient toutes sortes de moyens pour faire des entreprises de mer. Ils n’avoient point à contraindre le génie de leurs sujets ; ils n’avoient qu’à le suivre.

On a de la peine à comprendre l’obstination des anciens à croire que la mer Caspienne étoit une partie de l’océan. Les expéditions d’Alexandre, des rois de Syrie, des Parthes & des Romains, ne purent leur faire changer de pensée : c’est qu’on revient de ses erreurs le plus tard qu’on peut. D’abord on ne connut que le midi de la Caspienne ; on la prit pour l’océan : à mesure que l’on avança le long de ses bords, du côté du nord, on crut encore que c’étoit l’océan qui entroit dans les terres. En suivant les côtes, on n’avoit reconnu, du côté de l’est, que jusqu’au Jaxarte ; &, du côté de l’ouest, que jusqu’aux extrémités de l’Albanie. La mer, du côté du nord, étoit vaseuse[56], & par conséquent très-peu propre à la navigation. Tout cela fit que l’on ne vit jamais que l’océan.

L’armée d’Alexandre n’avoit été, du côté de l’orient, que jusqu’à l’Hypanis, qui est la derniere des rivieres qui se jettent dans l’Indus. Ainsi, le premier commerce que les Grecs eurent aux Indes se fit dans une très-petite partie du pays. Séleucus Nicator pénétra jusqu’au Gange[57] ; & par-là on découvrit la mer où ce fleuve se jette, c’est-à-dire, le golfe de Bengale. Aujourd’hui l’on découvre les terres par les voyages de mer ; autrefois on découvroit les mers par la conquête des terres.

Strabon[58], malgré le témoignage d’Apollodore, paroît douter que les rois[59] Grecs de Bactriane soient allés plus loin que Séleucus & Alexandre. Quand il seroit vrai qu’ils n’auroient pas été plus loin vers l’orient que Séleucus, ils allerent plus loin vers le midi : ils découvrirent[60] Siger & des ports dans le Malabar, qui donnerent lieu à la navigation dont je vais parler.

Pline[61] nous apprend qu’on prit successivement trois routes pour faire la navigation des Indes. D’abord, on alla, du promontoire de Siagre, à l’isle de Patalene, qui est à l’embouchure de l’Indus : on voit que c’étoit la route qu’avoit tenue la flotte d’Alexandre. On prit ensuite un chemin plus court[62] & plus sûr ; & on alla, du même promontoire, à Siger. Ce Siger ne peut être que le Royaume de Siger dont parle Strabon[63] que les rois Grecs de Bactriane découvrirent. Pline ne peut dire que ce chemin fût plus court, que parce qu’on le faisoit en moins de temps ; car Siger devoit être plus reculé que l’Indus, puisque les rois de Bactriane le découvrirent. Il falloit donc que l’on évitât par-là le détour de certaines côtes, & que l’on profitât de certains vents. Enfin, les marchands prirent une troisieme route : ils se rendoient a Canes ou a Océlis, ports situés à l’embouchure de la mer rouge, d’où, par un vent d’ouest, on arrivoit à Muziris, premiere étape des Indes, & de-là à d’autres ports. On voit qu’au lieu d’aller de l’embouchure de la mer Rouge jusqu’à Siagre en remontant la côte de l’Arabie-heureuse au nord-est, on alla directement de l’ouest à l’est, d’un côté à l’autre, par le moyen des mouçons, dont on decouvrit les changemens en navigeant dans ces parages. Les anciens ne quitterent les côtes, que quand ils se servirent des mouçons[64] & des vents alisés, qui étoient une espece de boussole pour eux. Pline[65] dit qu’on partoit pour les Indes au milieu de l’été, & qu’on en revenoit vers la fin de décembre & au commencement de janvier. Ceci est entiérement conforme aux journaux de nos navigateurs. Dans cette partie de la mer des Indes qui est entre la presqu’isle d’Afrique & celle de deçà le Gange, il y a deux mouçons : la premiere, pendant laquelle les vents vont de l’ouest à l’est, commence au mois d’août & de septembre ; la deuxieme, pendant laquelle les vents vont de l’est à l’ouest, commence en janvier. Ainsi, nous partons d’Afrique pour le Malabar dans le temps que partoient les flottes de Ptolomée, & nous en revenons dans le même temps.

La flotte d’Alexandre mit sept mois pour aller de Patale à Suze. Elle partit dans le mois de juillet, c’est-à-dire, dans un temps ou aujourd’hui aucun navire n’ose se mettre en mer pour revenir des Indes. Entre l’une & l’autre mouçon, il y a un intervalle de temps pendant lequel les vents varient ; & où un vent de nord, se mêlant avec les vents ordinaires, cause, sur-tout auprès des côtes, d’horribles tempêtes. Cela dure les mois de juin, de juillet & d’août. La flotte d’Alexandre, partant de Patale au mois de juillet, essuya bien des tempêtes, & le voyage fut long, parce qu’elle navigea dans une mouçon contraire.

Pline dit qu’on partoit pour les Indes à la fin de l’été : ainsi on employoit le temps de la variation de la mouçon à faire le trajet d’Alexandrie à la mer Rouge.

Voyez, je vous prie, comment on se perfectionna peu à peu dans la navigation. Celle que Darius fit faire, pour descendre l’Indus & aller a la mer Rouge, fut de deux ans & demi[66]. La flotte d’Alexandre[67], descendant l’Indus, arriva à Suze dix mois après, ayant navigé trois mois sur l’Indus, & sept sur la mer des Indes. Dans la suite, le trajet de la côte de Malabar à la mer Rouge se fit en quarante jours[68].

Strabon, qui rend raison de l’ignorance où l’on étoit des pays qui sont entre l’Hypanis & le Gange, dit que, parmi les navigateurs qui vont de l’Égypte aux Indes, il y en a peu qui aillent jusqu’au Gange. Effectivement, on voit que les flottes n’y alloient pas ; elles alloient, par les mouçons de l’ouest à l’est, de l’embouchure de la mer Rouge à la côte de Malabar. Elles s’arrêtoient dans les étapes qui y étoient, & n’alloient point faire le tour de la presqu’isle deçà le Gange par le cap de Comorin & de la côte de Coromandel. Le plan de la navigation des rois d’Égypte & des Romains étoit de revenir la même année[69].

Ainsi il s’en faut bien que le commerce des Grecs & des Romains aux Indes ait été aussi étendu que le nôtre ; nous qui connoissons des pays immenses qu’ils ne connoissoient pas ; nous qui faisons notre commerce avec toutes les nations Indiennes, & qui commerçons même pour elles & navigeons pour elles.

Mais ils faisoient ce commerce avec plus de facilité la côte du Guzarat & du Malabar ; & que, sans aller chercher les isles du midi, on se contentât des marchandises que les insulaires viendroient apporter, il faudroit préférer la route de l’Égypte à celle du cap de Bonne-Espérance. Strabon[70] dit que l’on négocioit ainsi avec les peuples de la Taprobane.


CHAPITRE X.

Du tour de l’Afrique.


ON trouve, dans l’histoire, qu’avant la découverte de la boussole, on tenta quatre fois de faire le tour de l’Afrique. Des Phéniciens envoyés par Nécho[71] & Eudoxe[72] fuyant la colere de Ptolomée Lature, partirent de la mer Rouge, & réussirent. Sataspe[73] sous Xercès, & Hannon qui fut envoyé par les Carthaginois, sortirent des colonnes d’Hercule, & ne réussirent pas.

Le point capital pour faire le tour de l’Afrique étoit de découvrir & de doubler le cap de Bonne-Espérance. Mais, si l’on partoit de la mer Rouge, on trouvoit ce cap de la moitié du chemin plus près qu’en partant de la méditerranée. La côte qui va de la mer Rouge au cap est plus saine que[74] celle qui va du cap aux colonnes d’Hercule. Pour que ceux qui partoient des colonnes d’Hercule aient pu découvrir le cap, il a fallu l’invention de la boussole, qui a fait que l’on a quitté la côte d’Afrique & qu’on a navigé dans le vaste océan[75] pour aller vers l’isle de sainte Hélene ou vers la côte du Brésil. Il étoit donc très-possible qu’on fût allé de la mer Rouge dans la méditerranée, sans qu’on fût revenu de la méditerranée à la mer Rouge.

Ainsi, sans faire ce grand circuit, après lequel on ne pouvoit plus revenir, il étoit plus naturel de faire le commerce de l’Afrique orientale par la mer Rouge, & celui de la côte occidentale par les colonnes d’Hercule.

Les rois Grecs d’Égypte découvrirent d’abord, dans la mer Rouge, la partie de la côte d’Afrique qui va depuis le fond du golfe où est la cité d’Heroum, jusqu’à Dira, c’est-à-dire, jusqu’au détroit appellé aujourd’hui de Babelmandel. De-là, jusqu’au promontoire des Aromates situé à l’entrée de la mer Rouge[76], la côte n’avoit point été reconnue par les navigateurs : & cela est clair par ce que nous dit Artémidore[77], que, l’on connoissoit les lieux de cette côte, mais qu’on en ignoroit les distances ; ce qui venoit de ce qu’on avoit successivement connu ces ports par les terres, & sans aller de l’un à l’autre.

Au-delà de ce promontoire ou commence la côte de l’océan, on ne connoissoit rien, comme nous[78] l’apprenons d’Eratosthene & d’Artémidore.

Telles étoient les connoissances que l’on avoit des côtes d’Afrique du temps de Strabon, c’est-à-dire, du temps d’Auguste. Mais, depuis Auguste, les Romains découvrirent le promontoire Raptum & le promontoire Prassum, dont Strabon ne parle pas, parce qu’ils n’étoient pas encore connus. On voit que ces deux noms sont Romains.

Ptolomée le géographe vivoit sous Adrien & Antonin Pie ; & l’auteur du Périple de la mer Erythrée, quel qu’il soit, vécut peu de temps après. Cependant le premier borne l’Afrique[79] connue au promontoire Prassum, qui est environ au quatorzieme degré de latitude sud : & l’auteur du Périple[80] au promontoire Raptum, qui est à peu près au dixieme degré de cette latitude. Il y a apparence que celui-ci prenoit pour limite un lieu où l’on alloit, & Ptolomée un lieu où l’on n’alloit plus.

Ce qui me confirme dans cette idée, c’est que les peuples autour du Prassum étoient antropophages[81]. Ptolomée, qui[82] nous parle d’un grand nombre de lieux entre le port des Aromates & le promontoire Raptum, laisse un vuide total depuis le Raptum jusqu’au Prassum. Les grands profits de la navigation des Indes durent faire négliger celle d’Afrique. Enfin les Romains n’eurent jamais sur cette côte de navigation réglée : ils avoient découvert ces ports par les terres, & par des navires jettés par la tempête : &, comme aujourd’hui on connoît assez bien les côtes de l’Afrique, & très-mal l’intérieur[83], les anciens connoissoient assez bien l’intérieur, & très-mal les côtes.

J’ai dit que des Phéniciens, envoyés par Nécho & Eudoxe sous Ptolomée Lazure, avoient fait le tour de l’Afrique : il faut bien que, du temps de Ptolomée le géographe, ces deux navigations fussent regardées comme fabuleuses, puisqu’il place[84], depuis le sinus magnus, qui est, je crois, le golfe de Siam, une terre inconnue, qui va d’Asie en Afrique, aboutir au promontoire Prassum ; de sorte que la mer des Indes n’auroit été qu’un lac. Les anciens, qui reconnurent les Indes par le nord, s’étant avancés vers l’orient, placerent vers le midi cette terre inconnue.


CHAPITRE XI.

Carthage & Marseille.


CARTHAGE avoit un singulier droit des gens ; elle faisoit noyer[85] tous les étrangers qui trafiquoient en Sardaigne & vers les colonnes d’Hercule. Son droit politique n’étoit pas moins extraordianaire ; elle défendit aux Sardes de cultiver la terre, sous peine de la vie. Elle accrut sa puissance par ses richesses, & ensuite ses richesses par sa puissance. Maîtresse des côtes d’Afrique que baigne la méditerranée, elle s’étendit le long de celle de l’océan. Hannon, par ordre du sénat de Carthage, répandit trente mille Carthaginois depuis les colonne d’Hercule jusqu’à Cerné. Il dit que ce lieu est aussi éloigné des colonnes d’Hercule, que les colonnes d’Hercules le sont de Carthage. Cette position est très-remarquable ; elle fait voir qu’Hannon borna ses établissemens au vingt-cinquième degré de latitude nord, c’est-à-dire, deux ou trois degrés au-delà des isles Canaries, vers le sud.

Hannon, étant à Cerné, fit une autre navigation, dont l’effet étoit de faire des découvertes plus avant vers le midi. Il ne prit presque aucune connoissance du continent. L’étendue des côtes qu’il suivit fut de vingt-six jours de navigation, & il fut obligé de revenir faute de vivres. Il paroît que les Carthaginois ne firent aucun usage de cette entreprise d’Hannon. Scylax[86] dit qu’au-delà de Cerné, la mer n’est pas navigeable[87], parce qu’elle y est basse, pleine de limon & d’herbes marines : effectivement il y en a beaucoup dans ces parages[88]. Les marchands Carthaginois dont parle Scylax, pouvoient trouver des obstacles qu’Hannon, qui avoit soixante navires de cinquante rames chacun, avoit vaincus. Les difficultés sont relatives ; & de plus, on ne doit pas confondre une entreprise qui a la hardiesse & la témérité pour objet, avec ce qui est l’effet d’une conduite ordinaire.

C’est un beau morceau de l’antiquité que la relation d’Hannon : le même homme, qui a exécuté, a écrit : il ne met aucune ostentation dans ses récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec simplicité, parce qu’ils sont plus glorieux de qu’ils ont fait, que de ce qu’ils ont dit.

Les choses sont comme le style. Il ne donne point dans le merveilleux : tout ce qu’il dit du climat, du terrein, des mœurs, des manières des habitans, se rapporte à ce qu’on voit aujourd’hui dans cette côte d’Afrique : il semble que c’est le journal d’un de nos navigateurs.

Hannon remarque sur sa flotte, que, le jour, il regnoit dans le continent un vaste silence ; que, la nuit, on entendoit les sons de divers instruments de musique ; & qu’on voyoit par-tout des feux, les uns plus grands, les autres moindres[89]. Nos relations confirment ceci : on y trouve que, le jour, ces sauvages, pour éviter l’ardeur du soleil, se retirent dans les forêts ; que, la nuit, ils font de grands feux, pour écarter les bêtes féroces ; & qu’ils aiment passionnément la danse & les instrumens de musique. Hannon nous décrit un volcan avec tous les phénomenes que fait voir aujourd’hui le Vésuve ; & le récit qu’il fait de ces deux femmes velues, qui se laisserent plutôt tuer que de suivre les Carthaginois, & dont il fit porter les peaux à Carthage, n’est pas, comme on l’a dit, hors de vraisemblance.

Cette relation est d’autant plus précieuse, qu’elle est un monument punique ; & c’est parce qu’elle est un monument punique, qu’elle a été regardée comme fabuleuse. Car les Romains conserverent leur haine contre les Carthaginois, même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s’il falloit dire la foi punique, ou la foi romaine.

Des modernes[90] ont suivi ce préjugé. Que sont devenues, disent-ils, les villes qu’Hannon nous décrit, & dont, même du temps de Pline, il ne restoit pas le moindre vestige ? Le merveilleux seroit qu’il en fût resté. Etoit-ce Corinthe ou Athenes, qu’Hannon alloit bâtir sur ces côtes ? Il laissoit, dans les endroits propres au commerce, des familles Carthaginoises ; &, à la hâte, il les mettoit en sûreté contre les hommes sauvages & les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent cesser la navigation d’Afrique ; il fallut bien que ces familles périssent, ou devinssent sauvages. Je dis plus : quand les ruines de ces villes subsisteroient encore, qui est-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois & dans les marais ? On trouve pourtant, dans Scylax & dans Polybe, que les Carthaginois avoient de grands établissemens sur ces côtes. Voilà les vestiges des villes d’Hannon ; il n’y en a point d’autres, parce qu’à peine y en a-t-il d’autres de Carthage même.

Les Carthaginois étoient sur le chemin des richesses : &, s’ils avoient été jusqu’au quatrieme degré de latitude nord, & au quinzieme de longitude, ils auroient découvert la côte d’Or & les côtes voisines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance que celui qu’on y fait aujourd’hui, que l’Amérique semble avoir avili les richesses de tous les autres pays : il y auroient trouvé des trésors qui ne pouvoient être enlevés par les Romains.

On a dit des choses bien surprenantes des richesses de l’Espagne. Si l’on en croit Aristote[91], les Phéniciens, qui aborderent à Tartese, y trouverent tant d’argent, que leur navires ne pouvoient le contenir ; & ils firent faire, de ce métal, leurs plus vils ustensiles. Les Carthaginois, au rapport de Diodore[92], trouverent tant d’or & d’argent dans les Pyrénées, qu’ils en mirent aux ancres de leurs navires. Il ne faut point faire de fond sur des récits populaires : voici des faits précis.

On voit, dans un fragment de Polype cité par Strabon[93], que les mines d’argent qui étoient à la source du Bétis, où quarante mille hommes étoient employés, donnoient au peuple Romain vingt-cinq mille dragmes par jour : cela peut faire environ cinq millions de livres par an, à cinquante francs le marc. On appelloit les montagnes où étoient ces mines, les montagnes d’argent[94] ; ce qui fait voir que c’étoit le Potosi de ces temps-là. Aujourd’hui les mines d’Hanover n’ont pas le quart des ouvriers qu’on employoit dans celles d’Espagne, & elles donnent plus : mais les Romains n’ayant gueres que des mines de cuivre, & peu de mines d’argent ; & les Grecs ne connoissant que les mines d’Attique très-peu riches, ils durent être étonnés de l’abondance de celles-là.

Dans la guerre pour la succession d’Espagne, un homme appellé le marquis de Rhodes, de qui on disoit qu’il s’étoit ruiné dans les mines d’or, & enrichi dans les hôpitaux[95], proposa à la cour de France d’ouvrir les mines des Pyrénées. Il cita les Tyriens, les Carthaginois & les Romains ; on lui permit de chercher : il chercha, il fouilla par-tout ; il citoit toujours, & ne trouvoit rien. Les Carthaginois, maîtres du commerce de l’or & de l’argent, voulurent l’être encore de celui du plomb & de l’étain. Ces métaux étoient voiturés par terre, depuis les ports de la Gaule sur l’océan, jusqu’à ceux de la méditerranée. Les Carthaginois voulurent les recevoir de la premiere main ; ils envoyerent Himilcon, pour former[96] des établissemens dans les isles Cassitérides, qu’on croit être celles de Silley.

Ces voyages, de la Bétique en Angleterre, ont fait penser à quelques gens que les Carthaginois avoient la boussole : mais il est clair qu’ils suivoient les côtes. Je n’en veux d’autre preuve que ce que dit Himilcon, qui demeura quatre mois à aller de l’embouchure du Bétis en Angleterre : outre que la fameuse histoire[97] de ce pilote Carthaginois, qui voyant venir un vaisseau Romain, se fit échouer pour ne lui pas apprendre la route d’Angleterre[98], fait voir que ces vaisseaux étoient très-près des côtes lorsqu’ils se rencontrerent.

Les anciens pourroient avoir fait des voyages de mer qui feroient penser qu’ils avoient la boussole, quoiqu’ils ne l’eussent pas. Si un pilote s’étoit éloigné des côtes, & que, pendant son voyage, il eût un temps serein ; que, la nuit, il eût toujours vu une étoile polaire, &, le jour, le lever & le coucher du soleil ; il est clair qu’il auroit pu se conduire comme on fait aujourd’hui par la boussole : mais ce seroit un cas fortuit, & non pas une navigation réglée.

On voit, dans le traité qui finit la premiere guerre punique, que Carthage fut principalement attentive à se conserver l’empire de la mer, & Rome à garder celui de la terre. Hannon[99], dans la négociation avec les Romains, déclara qu’il ne souffriroit pas seulement qu’ils se lavassent les mains dans les mers de Sicile ; il ne leur fut pas permis de naviger au-delà du beau Promontoire ; il leur fut défendu[100] de trafiquer en Sicile[101], en Sardaigne, en Afrique, excepté à Carthage : exception qui fait voir qu’on ne leur y préparoit pas un commerce avantageux.

Il y eut, dans les premiers temps, de grandes guerres entre Carthage & Marseille[102] au sujet de la pêche.

Après la paix, ils firent concurremment le commerce d’économie. Marseille fut d’autant plus jalouse, qu’égalant sa rivale en industrie, elle lui étoit devenue inférieure en puissance : voilà la raison de cette grande fidélité pour les Romains. La guerre que ceux-ci firent contre les Carthaginois en Espagne, fut une source de richesse pour Marseille, qui servoit d’entrepôt. La ruine de Carthage & de Corinthe augmenta encore la gloire de Marseille : &, sans les guerres civiles, où il falloit fermer les yeux, & prendre un parti, elle auroit été heureuse sous la protection des Romains, qui n’avoient aucune jalousie de son commerce.


CHAPITRE XII.

Isle de Délos. Mithridate.


CORINTHE ayant été détruite par les Romains, les marchands se retirerent à Délos. La religion & la vénération des peuples faisoient regarder cette isle comme un lieu de sûreté[103] : de plus elle étoit très-bien située pour le commerce de l’Italie & de l’Asie, qui, depuis l’anéantissement de la Grece, étoit devenu plus important.

Dès les premiers temps, les Grecs envoyerent, comme nous avons dit, des colonies sur la Propontide & le Pont-Euxin : elles conserverent, sous les Perses, leurs loix & leur liberté. Alexandre, qui n’étoit parti que contre les barbares, ne les attaqua pas[104]. Il ne paroît pas même que les rois de Pont, qui en occuperent plusieurs, leur eussent[105] ôté leur gouvernement politique.

La puissance[106] de ces rois augmenta, sitôt qu’ils les eurent soumises. Mithridate se trouva en état d’acheter par-tout des troupes ; de réparer[107] continuellement ses pertes ; d’avoir des ouvriers, des vaisseaux, des machines de guerre ; de se procurer des alliés ; de corrompre ceux des Romains & les Romains même ; de soudoyer[108] les barbares de l’Asie & de l’Europe ; de faire la guerre long-temps, &, par conséquent de discipliner ses troupes : il put les armer, & les instruire dans l’art militaire[109] des Romains, & former des corps considérables de leurs transfuges : enfin, il put faire de grandes pertes, & souffrir de grands échecs, sans périr : & il n’auroit point péri, si, dans les prospérités, le roi voluptueux & barbare n’avoit pas détruit ce que, dans la mauvaise fortune, avoit fait le grand prince.

C’est ainsi que, dans le temps que les Romains étoient, au comble de la grandeur, & qu’ils sembloient n’avoir à craindre qu’eux-mêmes, Mithridate remit en question ce que la prise de Carthage, les défaites de Philippe, d’Antiochus & de Persée, avoient décidé. Jamais guerre ne fut plus funeste : & les deux partis ayant une grande puissance & des avantages mutuels, les peuples de la Grece & de l’Asie furent détruits, ou comme amis de Mithridate, ou comme ses ennemis. Délos fut enveloppée dans le malheur commun. Le commerce tomba de toutes parts : il falloit bien qu’il fût détruit ; les peuples l’étoient.

Les Romains, suivant un systême dont j’ai parlé ailleurs[110], destructeurs pour ne pas paroître conquérans, ruinerent Carthage & Corinthe : &, par une telle pratique, ils se seroient peut-être perdus, s’ils n’avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont se rendirent maîtres des colonies Grecques du Pont-Euxin, ils n’eurent garde de détruire ce qui devoit être la cause leur grandeur.


CHAPITRE XIII.

Du génie des Romains pour la marine.


Les Romains ne faisoient cas que des troupes de terre, dont l’esprit étoit de rester toujours ferme, de combattre au même lieu, & d’y mourir. Ils ne pouvoient estimer la pratique des gens de mer, qui se présentent au combat, fuient, reviennent, évitent toujours le danger, emploient la ruse, rarement la force. Tout cela n’étoit point du génie des Grecs[111], & étoit encore moins de celui des Romains.

Ils ne destinoient donc à la marine que ceux qui n’étoient pas des citoyens assez considérables[112] pour avoir place dans les légions : les gens de mer étoient ordinairement des affranchis.

Nous n’avons aujourd’hui ni la même estime pour les troupes de terre, ni le même mépris pour celles des mer. Chez les premieres[113], l’art est diminué ; chez les secondes[114], il est augmenté : or, on estime les choses à proportion du degré de suffisance qui est requis pour les bien faire.


CHAPITRE XIV.

Du génie des Romains pour le commerce.


ON n’a jamais remarqué aux Romains de jalousie sur le commerce. Ce fut comme nation rivale, & non comme nation commerçante, qu’ils attaquerent Carthage. Ils favoriserent les villes qui faisoient le commerce, quoiqu’elles ne fussent pas sujettes : ainsi ils augmenterent, par la cession de plusieurs pays, la puissance de Marseille. Ils craignoient tout des barbares, & rien d’un peuple négociant. D’ailleurs, leur génie, leur gloire, leur éducation militaire, la forme de leur gouvernement, les éloignoient du commerce.

Dans la ville, on n’étoit occupé que de guerres, d’élections, de brigues & de procès ; à la campagne, que d’agriculture ; &, dans les provinces, un gouvernement dur & tyrannique étoit incompatible avec le commerce.

Que si leur constitution politique y étoit opposée, leur droit des gens n’y répugnoit pas moins. "les peuples, dit le jurisconsulte Pomponius[115], avec lesquels nous n’avons ni amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont point nos ennemis : cependant, si une chose qui nous appartient, tombe entre leurs mains, ils en sont propriétaires, les hommes libres deviennent leurs esclaves ; & ils sont dans les mêmes termes à notre égard."

Leur droit civil n’étoit pas moins accablant. La loi de Constantin, après avoir déclaré batards les enfans des personnes viles qui se sont mariées avec celles d’une condition relevée, confond les femmes qui ont une boutique[116] de marchandises avec les esclaves, les cabaretieres, les femmes de théâtre, les filles d’un homme qui tient un lieu de prostitution, ou qui a été condamné de combattre sur l’arêne : ceci descendoit des anciennes institutions des Romains.

Je sçais bien que des gens pleins de ces deux idées ; l’une, que le commerce est la chose du monde la plus utile à un état ; & l’autre, que les Romains avoient la meilleure police du monde, ont cru qu’ils avoient beaucoup encouragé & honoré le commerce : mais la vérité est qu’ils y ont rarement pensé.


CHAPITRE XV.

Commerce des Romains avec les barbares.


LES Romains avoient fait, de l’Europe, de l’Asie & de l’Afrique, un vaste empire : la foiblesse des peuples & la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immense. Pour lors, la politique Romaine fut de se séparer de toutes les nations qui n’avoient pas été assujetties : la crainte de leur porter l’art de vaincre, fit négliger l’art de s’enrichir. Ils firent des loix pour empêcher tout commerce avec les barbares. "Que personne, disent Valens & Gratien[117], n’envoie du vin, de l’huile ou d’autres liqueurs aux barbares, même pour en goûter. Qu’on ne leur porte point de l’or, ajoutent Gratien, Valentinien & Théodose[118] ; & que même ce qu’ils en ont, on le leur ôte avec finesse." Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie[119].

Domitien, prince timide, fit arracher les vignes dans la Gaule[120] ; de crainte, sans doute, que cette liqueur n’y attirât les barbares, comme elle les avoit autrefois attirés en Italie. Probus & Julien, qui ne les redouterent jamais, en rétablirent la plantation.

Je sçais bien que, dans la foiblesse de l’empire, les barbares obligerent les Romains d’établir des étapes[121], & de commercer avec eux. Mais cela même prouve que l’esprit des Romains étoit de ne pas commercer.


CHAPITRE XVI.

Du commerce des Romains avec l’Arabie & les Indes.


LE négoce de l’Arabie-heureuse & celui des Indes furent les deux branches, & presque les seules, du commerce extérieur. Les Arabes avoient de grandes richesses : ils les tiroient de leurs mers & de leurs forêts ; &, comme ils achetoient peu, & vendoient beaucoup, ils attiroient[122] à eux l’or & l’argent de leurs voisins. Auguste[123] connut leur opulence, & il résolut de les avoir pour amis, ou pour ennemis. Il fit passer Elius Gallus d’Égypte en Arabie. Celui-ci trouva des peuples oisifs, tranquilles & peu aguerris. Il donna des batailles, fit des sieges, & ne perdit que sept soldats : mais la perfidie de ses guides, les marches, le climat, la faim, la soif, les maladies, des mesures mal prises, lui firent perdre son armée.

Il fallut donc se contenter de négocier avec les Arabes, comme les autres peuples avoient fait, c’est-à-dire, de leur porter de l’or & de l’argent pour leurs marchandises. On commerce encore avec eux de la même maniere ; la caravane d’Alep & le vaisseau royal de Suez y portent des sommes immenses[124].

La nature avoit destiné les Arabes au commerce ; elle ne les avoit pas destinés à la guerre : mais, lorsque ces peuples tranquilles se trouverent sur les frontieres des Parthes & des Romains, ils devinrent auxiliaires des uns & des autres. Elius Gallus les avoit trouvés commerçans ; Mahomet les trouva guerriers : il leur donna de l’enthousiasme, & les voilà conquérans.

Le commerce des Romains aux Indes étoit considérable. Strabon[125] avoit appris en Égypte qu’ils y employoient cent vingt navires : ce commerce ne se soutenoit encore que par leur argent. Ils y envoyoient, tous les ans, cinquante millions de sesterces. Pline[126] dit que les marchandises qu’on en rapportoit se vendoient à Rome le centuple. Je crois qu’il parle trop généralement : ce profit, fait une fois, tout le monde aura voulu le faire ; &, dès ce moment, personne ne l’aura fait.

On peut mettre en question s’il fut avantageux aux Romains de faire le commerce de l’Arabie & des Indes. Il falloit qu’ils y envoyassent leur argent ; & ils n’avoient pas, comme nous, la ressource de l’Amérique, qui supplée à ce que nous envoyons. Je suis persuadé qu’une des raisons qui fit augmenter chez eux la valeur numéraire des monnoies, c’est-à-dire, établir le billon, fut la rareté de l’argent, causée par le transport continuel qui s’en faisoit aux Indes. Que si les marchandises de ce pays se vendoient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisoit sur les Romains mêmes, & n’enrichissoit point l’empire.

On pourra dire, d’un autre côté, que ce commerce procuroit aux Romains une grande navigation, c’est-à-dire, une grande puissance ; que des marchandises nouvelles augmentoient le commerce intérieur, favorisoient les arts, entretenoient l’industrie ; que le nombre des citoyens se multiplioit à proportion des nouveaux moyens qu’on avoit de vivre ; que ce nouveau commerce produisoit le luxe, que nous avons prouvé être aussi favorable au gouvernement d’un seul, que fatal à celui de plusieurs ; que cet établissement fut de même date que la chûte de leur république ; que le luxe à Rome étoit nécessaire ; & qu’il falloit bien qu’une ville qui attiroit à elle toutes les richesses de l’univers, les rendit par son luxe.

Strabon[127] dit que le commerce des Romains aux Indes étoit beaucoup plus considérable que celui des rois d’Égypte : & il est singulier que les Romains, qui connoissoient peu le commerce, aient eu, pour celui des Indes, plus d’attention que n’en eurent les rois d’Égypte, qui l’avoient, pour ainsi dire, sous les yeux. Il faut expliquer ceci.

Après la mort d’Alexandre, les rois d’Égypte établirent aux Indes un commerce maritime ; & les rois de Syrie, qui eurent les provinces les plus orientales de l’empire, & par conséquent les Indes, maintinrent ce commerce dont nous avons parlé au chapitre VI, qui se faisoit par les terres & par les fleuves, & qui avoit reçu de nouvelles facilités par l’établissement des colonies Macédoniennes : de sorte que l’Europe communiquoit avec les Indes, & par l’Égypte, & par le royaume de Syrie. Le démembrement qui se fit du royaume de Syrie, d’où se forma celui de Bactriane, ne fit aucun tort à ce commerce. Marin Tyrien, cité par Ptolomée[128], parle des découvertes faites aux Indes par le moyen de quelques marchands Macédoniens. Celles que les expéditions des rois n’avoient pas faites, les marchands les firent. Nous voyons, dans Ptolomée[129], qu’ils allerent depuis la tour de Pierre[130] jusqu’à Séra : & la découverte faite par les marchands d’une étape si reculée, située dans la partie orientale & septentrionale de la Chine, fut une espece de prodige. Ainsi, sous les rois de Syrie & de Bactriane, les marchandises du midi de l’Inde passoient, par l’Indus, l’Oxus & la mer Caspienne, en occident ; & celles des contrées plus orientales & plus septentrionales étoient portées, depuis Séra, la tour de Pierre, & autres étapes, jusqu’à l’Euphrate. Ces marchands faisoient leur route, tenant, à peu près, le quarantieme degré de latitude nord, par des pays qui sont au couchant de la Chine, plus policés qu’ils ne sont aujourd’hui, parce que les Tartares ne les avoient pas encore infestés.

Or, pendant que l’empire de Syrie étendoit si fort son commerce du côté des terres, l’Égypte n’augmenta pas beaucoup son commerce maritime.

Les Parthes parurent, & fonderent leur empire : &, lorsque l’Égypte tomba sous la puissance des Romains, cet empire étoit dans sa force, & avoit reçu son extension.

Les Romains & les Parthes furent deux puissances rivales, qui combattirent, non pas pour sçavoir qui devoit regner, mais exister. Entre les deux empires, il se forma des déserts ; entre les deux empires, on fut toujours sous les armes ; bien loin qu’il y eût de commerce, il n’y eut pas même de communication. L’ambition, la jalousie, la religion, la haine, les mœurs, séparent tout. Ainsi, le commerce entre l’occident & l’orient, qui avoit eu plusieurs routes, n’en eut plus qu’une ; & Alexandrie étant devenue la seule étape, cette étape grossit.

Je ne dirai qu’un mot du commerce intérieur. Sa branche principale fut celle des bleds qu’on faisoit venir pour la subsistance du peuple de Rome : ce qui étoit une matiere de police, plutôt qu’un objet de commerce. A cette occasion, les nautoniers reçurent quelques privileges[131], parce que le salut de l’empire dépendoit de leur vigilance.


CHAPITRE XVII.

Du commerce, après la destruction des Romains en occident.


L’EMPIRE Romain fut envahi ; & l’un des effets de la calamité générale, fut la destruction du commerce. Les barbares ne le regarderent d’abord que comme un objet de leurs brigandages ; &, quand ils furent établis, ils ne l’honorerent pas plus que l’agriculture & les autres professions du peuple vaincu.

Bientôt il n’y eut presque plus de commerce en Europe ; la noblesse qui regnoit par-tout, ne s’en mettoit point en peine.

La loi des Wisigoths[132] permettoit aux particuliers d’occuper la moitié du lit des grands fleuves, pourvu que l’autre restât libre pour les filets & pour les bateaux ; il falloit qu’il y eût bien peu de commerce dans les pays qu’ils avoient conquis.

Dans ces temps-là, s’établirent les droits insensés d’aubaine & de naufrage : les hommes penserent que les étrangers ne leur étant unis par aucune communication du droit civil, ils ne leur devoient, d’un côté, aucune sorte de justice ; &, de l’autre, aucune sorte de pitié.

Dans les bornes étroites où se trouvoient les peuples du nord, tout leur étoit étranger : dans leur pauvreté tout étoit pour eux un objet de richesses. Etablis avant leurs conquêtes sur les côtes d’une mer resserrée & pleine d’écueils, ils avoient tiré parti de ces écueils même.

Mais les Romains, qui faisoient des loix pour tout l’univers, en avoient fait de très-humaines sur les naufrages[133] : ils réprimerent, à cet égard, les brigandages de ceux qui habitoient les côtes, &, ce qui étoit plus encore, la rapacité de leur fisc[134].


CHAPITRE XVIII.

Réglement particulier.


LA loi des Wisigoths[135] fit pourtant une disposition favorable au commerce : elle ordonna que les marchands qui venoient de de-là la mer seroient jugés, dans les différends qui naissoient entre eux, par les loix & par des juges de leur nation. Ceci étoit fondé sur l’usage établi chez tous ces peuples mêlés, que chaque homme vécût sous sa propre loi ; chose dont je parlerai beaucoup dans la suite.


CHAPITRE XIX.

Du commerce, depuis l’affoiblissement des Romains en orient.


LES Mahométans parurent, conquirent, & se diviserent. L’Égypte eut ses souverains particuliers : elle continua de faire le commerce des Indes. Maîtresse des marchandises de ce pays, elle attira les richesses de tous les autres. Ses soudans furent les plus puissans princes de ces temps-là : on peut voir dans l’histoire comment, avec une force constante & bien ménagée, ils arrêterent l’ardeur, la fougue & l’impétuosité des croisés.


CHAPITRE XX.

Comment le commerce se fit jour en Europe, à travers la barbarie.


LA philosophie d’Aristote ayant été portée en occident, elle plut beaucoup aux esprits subtils, qui, dans les temps d’ignorance, sont les beaux esprits. Des scholastiques s’en infatuerent, & prirent de ce philosophe[136] bien des explications sur le prêt à intérêt, au lieu que la source en étoit si naturelle dans l’évangile ; ils le condamnerent indistinctement & dans tous les cas. Par-là, le commerce, qui n’étoit que la profession, des gens vils, devint encore celle des mal-honnêtes gens : car toutes les fois que l’on défend une chose naturellement permise ou nécessaire, on ne fait que rendre mal-honnêtes gens ceux qui la font.

Le commerce passa à une nation pour lors couverte d’infamie ; & bientôt il ne fut plus distingué des usures les plus affreuses, des monopoles, de la levée des subsides, & de tous les moyens mal-honnêtes d’acquérir de l’argent.

Les Juifs[137], enrichis par leurs exactions, étoient pillés par les princes avec la même tyrannie : chose qui consoloit les peuples, & ne les soulageoit pas.

Ce qui se passa en Angleterre donnera une idée de ce qu’on fit dans les autres pays. Le roi Jean[138] ayant fait emprisonner les Juifs pour avoir leur bien, il y en eut peu qui n’eussent au moins quelqu’œil crevé : ce roi faisoit ainsi sa chambre de justice. Un d’eux, à qui on arracha sept dents, une chaque jour, donna dix mille marcs d’argent à la huitieme. Henri III tira d’Aaron, juif d’York, quatorze mille marcs d’argent, & dix mille pour la reine. Dans ces temps-là, on faisoit violemment ce qu’on fait aujourd’hui en Pologne avec quelque mesure. Les rois, ne pouvant fouiller dans la bourse de leurs sujets à cause de leurs privileges, mettoient à la torture les Juifs, qu’on ne regardoit pas comme citoyens. Enfin, il s’introduisit une coutume, qui confisqua tous les biens des Juifs qui embrassoient le christianisme. Cette coutume si bizarre, nous la sçavons par la loi[139] qui l’abroge. On en a donné des raisons bien vaines ; on a dit qu’on vouloit les éprouver, & faire en sorte qu’il ne restât rien de l’esclavage du démon. Mais il est visible que cette confiscation étoit une espece de droit[140] d’amortissement, pour le prince ou pour les seigneurs, des taxes qu’ils levoient sur les Juifs, & dont ils étoient frustrés lorsque ceux-ci embrassoient le christianisme. Dans ces temps-là, on regardoit les hommes comme des terres. Et je remarquerai, en passant, combien on s’est joué de cette nation d’un siecle à l’autre. On confisquoit leurs biens lorsqu’ils vouloient être chrétiens ; &, bientôt après, on les fit brûler lorsqu’ils ne voulurent pas l’être.

Cependant on vit le commerce sortir du sein de la vexation & du désespoir. Les Juifs, proscrits tour-à-tour de chaque pays, trouverent le moyen de sauver leurs effets. Par-là ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes ; car tel prince, qui voudroit bien se défaire d’eux, ne seroit pas pour cela d’humeur à se défaire de leur argent.

Ils[141] inventerent les lettres de change : &, par ce moyen, le commerce put éluder la violence, & se maintenir par-tout ; le négociant le plus riche n’ayant que des biens invisibles, qui pouvoient être envoyés, par-tout, & ne laissoient de trace nulle part.

Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes ; & le commerce, qu’on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainsi dire, dans le sein de la probité.

Ainsi nous devons, aux spéculations des scholastiques, tous les malheurs[142] qui ont accompagné la destruction du commerce ; &, à l’avarice des princes, l’établissement d’une chose qui le met en quelque façon hors de leur pouvoir.

Il a fallu, depuis ce temps, que les princes se gouvernassent avec plus de sagesse qu’ils n’auroient eux-mêmes pensé : car, par l’événement, les grands coups d’autorité se sont trouvés si mal-adroits, que c’est une expérience reconnue, qu’il n’y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité.

On a commencé à se guérir du Machiavélisme, & on s’en guérira tous les jours. Il faut plus de modération dans les conseils : ce qu’on appelloit autrefois des coups d’état ne seroit aujourd’hui, indépendamment de l’horreur, que des imprudences.

Et il est heureux pour les hommes d’être dans une situation, où, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d’être méchans, ils ont pourtant intérêt de ne pas l’être.


CHAPITRE XXI.

Découverte de deux nouveaux mondes : état de l’Europe à cet égard.


LA boussole ouvrit, pour ainsi dire, l’univers. On trouva l’Asie & l’Afrique, dont on ne connoissoit que quelques bords ; & l’Amérique, dont on ne connoissoit rien du tout.

Les Portugais, navigeant sur l’Océan atlantique, découvrirent la pointe la plus méridionale de l’Afrique : ils virent une vaste mer ; elle les porta aux Indes orientales. Leurs périls sur cette mer, & la découverte de Mozambique, de Mélinde & de Calicut, ont été chantés par les Camoëns, dont le poëme fait sentir quelque chose des charmes de l’Odyssée & de la magnificence de l’Enéide.

Les Vénitiens avoient fait jusques-là le commerce des Indes par les pays des Turcs, & l’avoient poursuivi au milieu des avanies & des outrages. Par la découverte du cap de Bonne-Espérance, & celles qu’on fit quelque temps après, l’Italie ne fut plus au centre du monde commerçant ; elle fut, pour ainsi dire, dans un coin de l’univers, & elle y est encore. Le commerce même du levant dépendant aujourd’hui de celui que les grandes nations font aux deux Indes, l’Italie ne le fait plus qu’accessoirement.

Les Portugais trafiquerent aux Indes en conquérans. Les loix gênantes[143] que les Hollandois imposent aujourd’hui aux petits princes Indiens sur le commerce, les Portugais les avoient établies avant eux.

La fortune de la maison d’Autriche fut prodigieuse. Charles-Quint recueillit la succession de Bourgogne, de Castille & d’Arragon ; il parvint à l’empire ; &, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l’univers s’étendit, & l’on vit paroître un monde nouveau sous son obéissance.

Christophe Colomb découvrit l’Amérique ; &, quoi-que l’Espagne n’y envoyât point de forces qu’un petit prince de l’Europe n’eût pu y envoyer tout de même, elle fournit deux grands empires & d’autres grands états.

Pendant que les Espagnols découvroient & conquéroient du côté de l’occident, les Portugais poussoient leurs conquêtes & leurs découvertes du côté de l’orient : ces deux nations se rencontrerent ; elles eurent recours au pape Alexandre VI, qui fit la célebre ligne de démarquation, & jugea un grand procès.

Mais les autres nations de l’Europe ne les laisserent pas jouir tranquillement de leur partage : les Hollandois chasserent les Portugais de presque toutes les Indes orientales, & diverses nations firent en Amérique des établissemens.

Les Espagnols regarderent d’abord les terres découvertes comme des objets de conquête : des peuples plus rafinés qu’eux trouverent qu’elles étoient des objets de commerce, & c’est là-dessus qu’ils dirigerent leurs vues. Plusieurs peuples se sont conduits avec tant de sagesse, qu’ils ont donné l’empire à des compagnies de négocians, qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puissance accessoire, sans embarrasser l’état principal.

Les colonies qu’on y a formées sont sous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d’exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d’aujourd’hui relevent de l’état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet état.

L’objet de ces colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu’on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la métropole seule pourroit négocier dans la colonie ; & cela avec grande raison, parce que le but de l’établissement a été l’extention du commerce, non la fondation d’une ville ou d’un nouvel empire.

Ainsi, c’est encore une loi fondamentale de l’Europe, que tout commerce avec une colonie étrangere est regardé comme un pur monopole punissable par les loix du pays : & il ne faut pas juger de cela par les loix & les exemples des anciens[144] peuples qui n’y sont gueres applicables.

Il est encore reçu que le commerce établi entre les métropoles n’entraîne point une permission pour les colonies, qui restent toujours en état de prohibition.

Le désavantage des colonies, qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole[145], qui la défend par ses armes, ou la maintient par ses loix.

De-là suit une troisième loi de l’Europe, que, quand le commerce étranger est défendu avec la colonie, on peut naviger dans ses mers, que dans les cas établis par les traités.

Les nations, qui sont à l’égard de tout l’univers ce que les particuliers sont dans un état, se gouvernent, comme eux, par le droit naturel & par les loix qu’elles se sont faites. Un peuple peut céder à un autre la mer ; comme il peut céder la terre. Les Carthaginois exigerent[146] des Romains qu’ils ne navigeroient pas au-delà de certaines limites, comme les Grecs avoient exigé du roi de Perse qu’il se tiendroit toujours éloigné des côtes de la mer[147] de la carriere d’un cheval.

L’extrême éloignement de nos colonies n’est point un inconvénient pour leur sûreté : car, si la métropole est éloignée pour les défendre, les nations rivales de la métropole ne sont pas moins éloignées pour les conquérir.

De plus, cet éloignement fait que ceux qui vont s’y établir ne peuvent prendre la maniere de vivre d’un climat si différent ; ils sont obligés de tirer toutes les commodités de la vie du pays d’où ils sont venus. Les Carthaginois[148], pour rendre les Sardes & les Corses plus dépendans, leur avoient défendu, sous peine de la vie, de planter, de semer, & de rien faire de semblable ; ils leur envoyoient d’Afrique des vivres. Nous sommes parvenus au même point, sans faire des loix si dures. Nos colonies des isles Antilles sont admirables ; elles ont des objets de commerce que nous n’avons ni ne pouvons avoir ; elles manquent de ce qui fait l’objet du nôtre.

L’effet de la découverte de l’Amérique fut de lier à l’Europe l’Asie & l’Afrique. L’Amérique fournit à l’Europe la matiere de son commerce avec cette vaste partie de l’Asie, qu’on appella les Indes orientales. L’argent, ce métal si utile au commerce, comme signe, fut encore la base du plus grand commerce de l’univers, comme marchandise. Enfin, la navigation d’Afrique devint nécessaire ; elle fournissoit des hommes pour le travail des mines & des terres de l’Amérique.

L’Europe est parvenue à un si haut degré de puissance, que l’histoire n’a rien à comparer là-dessus ; si l’on considere l’immensité des dépenses, la grandeur des engagemens, le nombre des troupes, & la continuité de leur entretien, même lorsqu’elles sont le plus inutiles, & qu’on ne les a que pour l’ostentation.

Le pere du Halde[149] dit que le commerce intérieur de la Chine est plus grand que celui de toute l’Europe. Cela pourroit être, si notre commerce extérieur n’augmentoit pas l’intérieur. L’Europe fait le commerce & la navigation des trois autres parties du monde ; comme la France, l’Angleterre & la Hollande sont, à peu près, la navigation & le commerce de l’Europe.


CHAPITRE XXII.

Des richesses que l’Espagne tira de l’Amérique.


SI l’Europe[150] a trouvé tant d’avantages dans le commerce de l’Amérique, il seroit naturel de croire que l’Espagne en auroit reçu de plus grands. Elle tira du monde nouvellement découvert une quantité d’or & d’argent si prodigieuse, que ce que l’on en avoit eu jusqu’alors ne pouvoit y être comparé.

Mais (ce qu’on n’auroit jamais soupçonné) la misere la fit échouer presque par-tout. Philippe II, qui succéda à Charles-Quint, fut obligé de faire la célebre banqueroute que tout le monde sçait ; & il n’y a gueres jamais eu de prince qui ait plus souffert que lui les murmures de l’insolence & de la révolte de ses troupes toujours mal payées.

Depuis ce temps, la monarchie d’Espagne déclina sans cesse. C’est qu’il y avoit un vice intérieur & physique dans la nature de ces richesses, qui les rendoit vaines ; & ce vice augmenta tous les jours.

L’or & l’argent sont une richesse de fiction ou de signes. Ces signes sont très-durables & se détruisent peu, comme il convient à leur nature. Plus ils se multiplient, plus ils perdent de leur prix, parce qu’ils représentent moins de choses.

Lors de la conquête du Mexique & du Pérou, les Espagnols abandonnerent les richesses naturelles, pour avoir des richesses de signe qui s’avilissoient par elles-mêmes. L’or & l’argent étoient très-rares en Europe ; & l’Espagne, maitresse tout-à-coup d’une très-grande quantité de ces métaux, conçut des espérances qu’elle n’avoit jamais eues. Les richesses que l’on trouva dans les pays conquis, n’étoient pourtant pas proportionnées à celles de leurs mines. Les Indiens en cacherent une partie : &, de plus, ces peuples, qui ne faisoient servir l’or & l’argent qu’à la magnificence des temples des dieux & des palais des rois, ne les cherchoient pas avec la même avarice que nous : enfin, ils n’avoient pas le secret de tirer les métaux de toutes les mines, mais seulement de celles dans lesquelles la séparation se fait par le feu, ne connoissant pas la maniere d’employer le mercure, ni peut-être le mercure même.

Cependant l’argent ne laissa pas de doubler bientôt en Europe ; ce qui parut en ce que le prix de tout ce qui s’acheta fut environ du double.

Les Espagnols fouillerent les mines, creuserent les montagnes, inventerent des machines pour tirer les eaux, briser le minerai & le séparer ; &, comme ils se jouoient de la vie des Indiens, ils les firent travailler sans ménagement. L’argent doubla bientôt en Europe, & le profit diminua toujours de moitié pour l’Espagne, qui n’avoit, chaque année, que la même quantité d’un métal qui étoit devenu la moitié moins précieux.

Dans le double du temps, l’argent doubla encore ; & le profit diminua encore de la moitié.

Il diminua même de plus de la moitié : voici comment.

Pour tirer l’or des mines, pour lui donner les préparations requises, & le transporter en Europe, il falloit une dépense quelconque. Je suppose qu’elle fût comme 1 est à 64 : quand l’argent fut doublé une fois, & par conséquent la moitié moins précieux, la dépense fut comme 2 sont à 64. Ainsi les flottes qui porterent en Espagne la même quantité d’or, porterent une chose qui réellement valoit la moitié moins, & coûtoit la moitié plus.

Si l’on suit la chose de doublement en doublement ; on trouvera la progression de la cause de l’impuissance des richesses de l’Espagne.

Il y a environ deux cens ans que l’on travaille les mines des Indes. Je suppose que la quantité d’argent qui est à présent dans le monde qui commerce, soit, à celle qui étoit avant la découverte, comme 37 est à 1, c’est-à-dire, qu’elle ait doublé cinq fois : dans deux cens ans encore, la même quantité sera, à celle qui étoit avant la découverte, comme 64 est à 1, c’est-à-dire, qu’elle doublera encore. Or, à présent, cinquante[151] quintaux de minerai pour l’or, donnent quatre, cinq & six onces d’or ; &, quand il n’y en a que deux, le mineur ne retire que ses fraix. Dans deux cens ans, lorsqu’il n’y en aura que quatre, le mineur ne tirera aussi que ses fraix. Il y aura donc peu de profit à tirer sur l’or. Même raisonnement sur l’argent, excepté que le travail des mines d’argent est un peu plus avantageux que celui des mines or.

Que si l’on découvre des mines si abondantes qu’elles donnent plus de profit ; plus elles seront abondantes, plutôt le profit finira.

Les Portugais ont trouvé tant d’or dans le Brésil[152], qu’il faudra nécessairement que le profit des Espagnols diminue bientôt considérablement, & le leur aussi.

J’ai oui plusieurs fois déplorer l’aveuglement du conseil de François premier, qui rebuta Christophe Colomb qui lui proposoit les Indes. En vérité, on fit, peut-être par imprudence, une chose bien sage. L’Espagne a fait comme ce roi insensé qui demanda que tout ce qu’il toucheroit se convertît en or, & qui fut obligé de revenir aux dieux pour les prier de finir sa misere.

Les compagnies & les banques, que plusieurs nations établirent, acheverent d’avilir l’or & l’argent dans leur qualité de signe : car, par de nouvelles fictions, ils multiplierent tellement les signes des denrées, que l’or & l’argent ne firent plus cet office qu’en partie, & en devinrent moins précieux.

Ainsi le crédit public leur tint lieu de mines, & diminua encore le profit que les Espagnols tiroient des leurs.

Il est vrai que, par le commerce que les Hollandois firent dans les Indes orientales, ils donnerent quelque prix à la marchandise des Espagnols : car, comme ils porterent de l’argent pour troquer contre les marchandises de l’orient, ils soulagerent en Europe les Espagnols d’une partie de leurs denrées qui y abondoient trop.

Et ce commerce, qui ne semble regarder qu’indirectement l’Espagne, lui est avantageux comme aux nations mêmes qui le font.

Par tout ce qui vient d’être dit ; on peut juger des ordonnances du conseil d’Espagne, qui défendent d’employer l’or & l’argent en dorures & autres superfluités : décret pareil à celui que feroient les états de Hollande, s’ils défendoient la consommation de la cannelle.

Mon raisonnement ne porte pas sur toutes les mines : celles d’Allemagne & de Hongrie, d’où l’on ne retire que peu de chose au-delà des fraix, sont très-utiles. Elles se trouvent dans l’état principal ; elles y occupent plusieurs milliers d’hommes, qui y consomment les denrées surabondantes ; elles sont proprement une manufacture du pays.

Les mines d’Allemagne & de Hongrie font valoir la culture des terres ; & le travail de celles du Mexique & du Pérou la détruit.

Les Indes & l’Espagne sont deux puissances sous un même maître : mais les Indes sont le principal, l’Espagne n’est que l’accessoire. C’est en vain que la politique veut ramener le principal à l’accessoire ; les Indes attirent toujours l’Espagne à elles.

D’environ cinquante millions de marchandise qui vont toutes les années aux Indes, l’Espagne ne fournit que deux millions & demi : les Indes font donc un commerce de cinquante millions, & l’Espagne de deux millions & demi.

C’est une mauvaise espece de richesses qu’un tribut d’accident & qui ne dépend pas de l’industrie de la nation, du nombre de ses habitans, ni de la culture de ses terres. Le roi d’Espagne, qui reçoit de grandes sommes de sa douane de Cadix, n’est, à cet égard, qu’un particulier très-riche dans un état très-pauvre. Tout se passe des étrangers à lui, sans que ses sujets y prennent presque de part : ce commerce est indépendant de la bonne & de la mauvaise fortune de son royaume.

Si quelques provinces dans la Castille lui donnoient une somme pareille à celle de la douane de Cadix, sa puissance seroit bien plus grande : ses richesses ne pourroient être que l’effet de celles du pays ; ces provinces animeroient toutes les autres ; & elles seroient toutes ensemble plus en état de soutenir les charges respectives ; au lieu d’un grand trésor, on auroit un grand peuple.


CHAPITRE XXIII.

Problême.


CE n’est point à moi à prononcer sur la question, si l’Espagne ne pouvant faire le commerce des Indes par elle-même, il ne vaudrait pas mieux qu’elle le rendit libre aux étrangers. Je dirai seulement qu’il lui convient, de mettre à ce commerce le moins d’obstacles que sa politique pourra lui permettre. Quand les marchandises que les diverses nations portent aux Indes y sont cheres, les Indes donnent beaucoup de leur marchandise, qui est l’or & l’argent, pour peu de marchandises étrangeres : le contraire arrive lorsque celles-ci sont à vil prix. Il seroit peut-être utile que ces nations se nuisissent les unes les autres, afin que les marchandises qu’elles portent aux Indes y fussent toujours à bon marché. Voilà des principes qu’il faut examiner, sans les séparer pourtant des autres considérations ; la sûreté des Indes ; l’utilité d’une douane unique ; les dangers d’un grand changement ; les inconvéniens qu’on prévoit, & qui souvent sont moins dangereux que ceux qu’on ne peut pas prévoir.


  1. Pline, liv. VI, chap. XXIII.
  2. Voyez Pline, liv. VI, chap. XIX ; & Strabon, & liv. XV.
  3. Liv. VI.
  4. Liv. II.
  5. Diodore, liv. II.
  6. Ibid.
  7. Voyez Pline, liv. VI, chap. XVI ; & Strabon, liv. XI.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. L’autorité de Patrocle est considérable, comme il paroît par un récit de Strabon, livre II.
  11. Dans Pline, liv. VI, chap. XVII. Voyez aussi Strabon, liv. XI, sur le trajet des marchandises du Phase au Cyrus.
  12. Il faut que, depuis le temps de Ptolomée, qui nous décrit tant de rivieres qui se jettent dans la partie orientale de la mer Caspienne, il y ait eu de grands changemens dans ce pays. La carte du czar ne met, de ce côté-là, que la riviere d’Astrabat ; & celle de M. Bathalsi, rien du tout.
  13. Voyez la relation de Genkinson, dans le recueil des voyages du nord, tome IV.
  14. Je crois que delà s’est formé le lac Aral.
  15. Claude César, dans Pline, liv. VI, chap. II.
  16. Il fut tué par Ptolomée Céranus.
  17. Voyez Strabon, liv. XI.
  18. Ils fonderent Tartese, & s’établirent à Cadix.
  19. Liv. III des rois, chap. IX ; Paralip. liv. II, chap. VIII.
  20. Contre Appion.
  21. Au chap. I. de ce livre.
  22. La proportion établie en Europe entre l’or & l’argent peut quelquefois faire trouver du profit à prendre dans les Indes de l’or pour de l’argent ; mais c’est peu de chose.
  23. Voyez Pline, liv. VI, chap. XXII ; & Strabon, liv. XV.
  24. Elle n’a presque que des rades : mais la Sicile a de très-bons ports.
  25. Je dis de la province de Hollande ; car les ports de celle de Zélande sont assez profonds.
  26. C’est-à-dire, pour comparer les grandeurs de même genre ; l’action ou la prise du fluide sur le navire sera, à la résistance du même navire, comme, &c.
  27. Le roi de Perse.
  28. De republ. Athen.
  29. Voyez Strabon, liv. VIII.
  30. Iliade, liv. II.
  31. Ibid.
  32. Ibid. liv. I, vers. 381. Voyez Strabon, liv. IX, p. 414, édition de 1620.
  33. Strabon, liv. IX, p.414.
  34. Strabon, liv. XV.
  35. Hérodote, in Melpomene.
  36. Strabon, liv. XV.
  37. Ibid.
  38. Pline, liv. VI, ch. XXIII ; Strabon, liv. XV.
  39. Pour ne point souiller les élémens, ils ne navigeoient pas sur les fleuves. M. Hidde, religion des Perses. Encore aujourd’hui ils n’ont point de commerce maritime, & ils traitent d’athées ceux qui vont sur mer.
  40. Strabon, liv. XV.
  41. Hérodote, in Melpomene, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l’Ariane : encore ne fut-ce qu’une conquête en idée.
  42. Strabon, liv. XV.
  43. Ceci ne sçauroit s’entendre de tous les icthyophages, qui habitoient une côte de dix mille stades. Comment Alexandre auroit-il pu leur donner la subsistance ? Comment se seroit-il fait obéir ? Il ne peut être ici question que de quelques peuples particuliers. Néarque, dans le livre rerum indicarum, dit qu’à l’extrémité de cette côte, du côte de la Perse, il avoit trouvé les peuples moins icthyophages. Je croirois que l’ordre d’Alexandre regardoit cette contrée, ou quelque autre encore plus voisine de la Perse.
  44. Alexandrie fut fondée dans une plage appellée Racotis. Les anciens rois y tenoient une garnison, pour défendre l’entrée du pays aux étrangers, & surtout aux Grecs, qui étoient, comme on sçait, de grands pyrates. Voyez Pline, liv. VI, chap. X ; & Strabon, liv. XVIII.
  45. Arrien, de expeditione Alexandri, lib. VII.
  46. Ibid.
  47. Strabon, livre XVI, à la fin.
  48. Voyant la Babylonie inondée, il regardoit l’Arabie, qui en est proche, comme une isle. Aristobule, dans Strabon, liv. XVI.
  49. Voyez le livre rerum indicarum.
  50. Strabon, liv. XVI.
  51. Ibid.
  52. Elles leur donnoient de l’horreur pour les étrangers.
  53. Pline, liv. II, ch. LXVIII ; & livre VI, chap. IX & XII ; Strabon, livre XI ; Arrien, de l’expédition d’Alexandre ; livre III, page 74 ; & livre V, page 104.
  54. Arrien, de l’expédition d’Alexandre, liv. VII.
  55. Pline, liv. II, ch. LXIV.
  56. Voyez la carte du czar.
  57. Pline, liv. VI, ch. XVII.
  58. Liv. XV.
  59. Les Macédoniens de la Bactriane, des Indes & de l’Ariane, s’étant séparés du royaume de Syrie, formerent un grand état.
  60. Apollonius Adramittin, dans Strabon, liv. XI.
  61. Liv. VI. chap. XXIII.
  62. Pline, liv. VI, ch. XXIII.
  63. Liv. XI, Sigertidis regnum.
  64. Les mouçons soufflent une partie de l’année d’un côté, & une partie de l’année de l’autre ; & les vents alisés soufflent du même côté toute l’année.
  65. Liv. VI, chap. XXIII.
  66. Hérodote, in Melpomene.
  67. Pline, liv. VI, ch. XXIII.
  68. Ibid.
  69. Ibid.
  70. Liv. XV.
  71. Hérodote, liv. IV. Il vouloit conquérir.
  72. Pline, liv. II, chap. LXVII. Pomponius Mela, liv. III, ch. IX.
  73. Hérodote, in Melpomene.
  74. Joignez à ceci, ce que je dis au chap. XI de ce livre, sur la navigation d’Hannon.
  75. On trouve dans l’océan Atlantique, aux mois d’Octobre, novembre, décembre & janvier, un vent de nord-est. On passe la ligne ; &, pour éluder le vent général d’est, on dirige sa route vers le sud : ou bien on entre dans la zone torride, dans les lieux ou le vent souffle de l’ouest à l’est.
  76. Ce golfe, auquel nous donnons aujourd’hui ce nom, étoit appellé, par les anciens, le sein Arabique : ils appelloient mer Rouge la partie de l’océan voisine de ce golfe.
  77. Strabon, liv. XVI.
  78. Strabon, liv. XVI. Artémidore bornoit la côte connue au lieu appellé Austricornu ; & Eratosthene, ad Cinnamomferam.
  79. Liv. I, ch. VII ; liv. IV, chap. IX ; table IV de l’Afrique.
  80. On a attribué ce périple à Arrien.
  81. Ptolomée, livre IV, chapitre IX.
  82. Liv. IV, ch. VII & VIII.
  83. Voyez avec quelle exactitude Strabon & Ptolomée nous décrivent les diverses parties de l’Afrique. Ces connoissances venoient des diverses guerres que les deux plus puissantes nations du monde, les Carthaginois & les Romains, avoient eues avec les peuples d’Afrique, des alliances qu’ils avoient contractées, du commerce qu’ils avoient fait dans les terres.
  84. Liv. VII, chap. III.
  85. Eratosthene, dans Strabon, liv. XVII, pag. 802.
  86. Voyez son Périple, article de Carthage.
  87. Voyez Hérodote, in Melpomene, sur les obstacles que Sataspe trouva.
  88. Voyez les cartez & les relations, le premier volume des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, part. 1, pag. 201. Cette herbe couvre tellement la surface de la mer, qu’on a de la peine à voir l’eau, & les vaisseaux ne peuvent passer au travers que par un vent frais.
  89. Pline nous dit la même chose, en parlant du mont Atlas : Noctibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu timpanorumque sonitu strepere, neminem interdiù cerni.
  90. M. Dodwel ; voyez sa dissertation sur le Périple d’Hannon.
  91. Des choses merveilleuses.
  92. Liv. VI.
  93. Liv. III.
  94. Mons Argentarius.
  95. Il en avoit eu quelque part la direction.
  96. Voyez Festus Avienus.
  97. Strabon, liv. III, sur la fin.
  98. Il en fut récompensé par le sénat de Carthage.
  99. Tite-Live, supplément de Frenshemius, seconde décade, liv. VI.
  100. Polybe, lib. III.
  101. Dans le partie sujette aux Carthaginois.
  102. Justin, liv. XLIII, chapitre V.
  103. Voyez Strabon, liv. X.
  104. Il confirma la liberté de la ville d’Amise, colonie Athénienne, qui avoit joui de l’état populaire, même sous les rois de Perse. Lucullus, qui prit Synope & Amise, leur rendit la liberté, & rappella les habitans, qui s’étoient enfuis sur leurs vaisseaux.
  105. Voyez ce qu’écrit Appien sur les Phanagoréens, les Amisiens, les Synopiens, dans son livre de la guerre contre Mithridate.
  106. Voyez Appien, sur les trésors immenses que Mithridate employa dans ses guerres, ceux qu’il avoit cachés, ceux qu’il perdit si souvent par la trahison des siens, ceux qu’on trouva après sa mort.
  107. Il perdit une fois 170000 hommes, & de nouvelles armées reparurent d’abord.
  108. Voyez Appien, de la guerre contre Mithridate.
  109. Ibid.
  110. Dans les considérations sur les causes de la grandeur des Romains.
  111. Comme l’a remarqué Platon, liv. IV. des loix.
  112. Polybe, liv. V.
  113. Voyez les considérations sur les causes de la grandeur des Romains, &c.
  114. Ibid.
  115. Leg. 5, §. 2, ff. de captivis.
  116. Quæ mercimoniis publicè prœsuit. Leg. I. cod. de natural. liberis.
  117. Leg. ad Barbaricum, cod. quæe res exportari non debeant.
  118. Leg. 2, cod. de commerc. & mercator.
  119. Leg. 2, quæe res exportari non debeant.
  120. Procope, guerre des Perses, liv. I.
  121. Voyez les considérations sur les causes de la grandeur des Romains, & de leur décadence.
  122. Pline, liv. VII, chap. XXVIII ; & Strabon, liv. XVI.
  123. Ibid.
  124. Les caravanes d’Alep & de Suez y portent deux millions de notre monnoie, & il en passe autant en fraude ; le vaisseau royal de Suez y porte aussi deux millions.
  125. Liv. II, pag. 81.
  126. Liv. VI, chap. XXIII.
  127. Il dit, au liv. XII, que les Romains y employoient cent vingt navires ; &, au liv. XVII, que les rois Grecs y en envoyoient à peine vingt.
  128. Liv. I, chap. II.
  129. Liv. VI, chap. XIII.
  130. Nos meilleures cartes placent la tour de Pierre au centieme degré de longitude, & environ le quarantieme de latitude.
  131. Suet. in Claudio. Leg 7, cod. Théodos. de naviculariis.
  132. Liv. VIII, tit 4, §. 9.
  133. Toto titulo, ff. de incend. ruin. naufrag. & cod. de naufragiis ; & leg. 3, ff. de leg. Comel. de sicariis.
  134. Leg. I, cod. de naufragiis.
  135. Liv. XI, tit. III, §. 2.
  136. Voyez Aristote, polit. livre I, chap. IX & X.
  137. Voyez, dans Marca Hispanica, les constitutions d’Arragon, des années 1228 & 1231 ; &, dans Brussel, l’accord de l’année 1206, passé entre le roi, la comtesse de Champagne, & Gui de Dampierre.
  138. Slowe, in his survey of London, liv. III, page 54.
  139. Edit donné à Baville, le 4 avril 1392.
  140. En France, les juifs étoient serfs, main-mortables ; & les seigneurs leur succédoient. M. Brussel rapporte un accord de l’an 1206, entre le roi & Thibaut, comte de Champagne, par lequel il étoit convenu que les juifs de l’un, ne prêteroient point dans les terres de l’autre.
  141. On sçait que, sous Philippe auguste, & sous Philippe le long, les juifs, chassés de France, se refugierent en Lombardie ; & que, là, ils donnerent aux négociants étrangers & aux voyageurs des lettres secrettes sur ceux à qui ils avoient, confié leurs effets en France, qui furent acquittées.
  142. Voyez, dans le corps du droit, la quatre-vingt-troisieme novelle de Léon, qui révoque la loi de Basile, son pere. Cette loi de Basile est dans Herménopule, sous le nom de Léon, liv. III, tit. 7, §. 27.
  143. Voyez la relation de François Pyrard, deuxieme partie, chap. XV.
  144. Excepté les Carthaginois, comme on voit par le traité qui termina la premiere guerre punique.
  145. Métropole est, dans le langage des anciens, l’état qui a fondé la colonie.
  146. Polybe, liv. III.
  147. Le roi de Perse s’obligea, par un traité, de ne naviger avec aucun vaisseau de guerre au de-là des roches Scyanées, & des isles Chélidoniennes. Plutarque, vie de Cimon.
  148. Aristote, des choses merveilleuses. Tite Live, liv. VII de la seconde décade.
  149. Tome II, page 170.
  150. Ceci parut, il y a plus de vingt ans, dans un petit ouvrage manuscrit de l’auteur, qui a été presque fondu dans celui-ci.
  151. Voyez les voyages de Frezier.
  152. Suivant Mylord Anson, l’Europe reçoit du Brésil, tous les ans, pour deux millions sterling en or, que l’on trouve dans le sable au pied des montagnes, ou dans le lit des rivieres. Lorsque je fis le petit ouvrage dont j’ai parlé dans la premiere note de ce chapitre, il s’en falloit bien que les retours du Bresil fussent un objet aussi important qu’il l’est aujourd’hui.