Démêlés du Comte de Montaigu/Texte entier

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DÉMÊLÉS

DU
COMTE DE MONTAIGU

AMBASSADEUR À VENISE

et de son secrétaire

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

1743-1749


DÉMÊLÉS

DU
COMTE DE MONTAIGU

Ambassadeur à Venise

et de son secrétaire

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

1743-1749
PAR
AUGUSTE DE MONTAIGU

PARIS
Typographie plon-Nourrit et Cie
8, rue Garancière — 6e

1904


INTRODUCTION



Dans la deuxième partie de ses Confessions, et en l’année 1742, qui était la trentième de son âge, J.-J. Rousseau raconte que « la mauvaise fortune qui le poursuivait depuis longtemps déjà » le fit tomber comme secrétaire dans la maison d’un ambassadeur de France à Venise, le comte Pierre-François de Montaigu. Ce diplomate eut le tort de concevoir pour son subordonné les mêmes sentiments que les premiers protecteurs de Rousseau avaient ressentis à son égard, et il le chassa de sa maison, sans penser qu’un événement si banal dût un jour passer à la postérité. Telle ne fut pas l’idée du secrétaire, qui se chargea de donner à son maître une célébrité singulièrement erronée. Voici longtemps en effet que ces quelques pages ironiques et méchantes forment toute la biographie de notre ambassadeur. Ni lui, qui ignora naturellement les Confessions, ni ses enfants, hommes d’épée, peu au courant des querelles de plume, ne songèrent à discuter ces assertions.

Si cependant Pierre-François de Montaigu, fidèle serviteur de son pays, n’avait eu d’autres torts que de représenter une politique chimérique, absolument inapplicable en Italie, et d’être desservi par son secrétaire, philosophe peu indulgent ?…

Bien des accusations mal fondées avaient été déjà relevées dans les Confessions. C’est le désir de vérifier celles portées contre l’ambassadeur qui a conduit un de ses descendants directs à rechercher dans les sources officielles et dans les papiers de famille la preuve des allégations du secrétaire misanthrope : ces documents si abondants et si clairs prouvent surabondamment combien Jean-Jacques nous a induits en erreur.


Le texte des Confessions a été divisé en paragraphes correspondant aux diverses phases du récit des démêlés de Rousseau et du comte de Montaigu.

Toutefois, pour plus de clarté, son commentaire sera précédé :

1o De la bibliographie générale de la discussion ;

2o D’une biographie sommaire de l’ambassadeur avant sa nomination à Venise ;

3o Du texte complet du passage des Confessions qui le concerne. Ainsi le lecteur pourra juger d’abord et d’ensemble le témoignage de Jean-Jacques, et suivre plus aisément ensuite la critique détaillée.


BIBLIOGRAPHIE


I. — sources manuscrites

1. Archives du ministère des Affaires étrangères. Correspondance de Venise.

No 204 1743 Janvier-juillet.
— 205 1743 Août-décembre.
— 206 1744 Janvier-juin.
— 207 1744 Juillet-décembre.
— 208 1745 Janvier-août.
— 209 1745 Septembre-1746 avril.
— 210 1746 Mai-1747 avril.
— 211 1747 Mai-1748 juin.
— 212 1748 Juillet-1749 décembre.

2. Archives de Venise.

Archives du Sénat : Corti, 1743-1749, registres. Archives du Collège : Exposizioni principi, 1743-1749, registres et liasses.

3. Archives du Château de la Bretesche.

1o Les lettres adressées au comte de Montaigu par le cardinal de Fleury ; par Barjac, premier valet de chambre du cardinal ; par le chevalier de Montaigu, son frère ; par d’autres parents et quelques connaissances intimes.

2o Quelques lettres émanant des correspondants extraordinaires de l’ambassadeur ; des comptes, des mémoires ou des documents de même nature ayant trait à cet ouvrage.

3o Un inventaire complet de la correspondance de l’ambassadeur contenant 5,406 numéros, avec la date et l’énoncé sommaire de chaque pièce. Cet inventaire est divisé en cinq parties.

I. — Lettres et minutes de l’ambassadeur (1743-1749).

II. — Lettres adressées au comte de Montaigu par les ministres du roi (1743-1749).

III. — Lettres adressées au comte de Montaigu par les ambassadeurs et ministres du roi auprès des différentes cours étrangères (1743-1750).

a. Lettres de Berlin. — Marquis de Valory, ambassadeur.

b. — Bologne. — Comte Reroaldi, ambassadeur.

c. — Constantinople. — Comte de Castellane, ambassadeur.

d. — Florence. — Comte Lorenzi, ambassadeur.

e. — Francfort. — Comte de Lautrec, ambassadeur.

f. — Gènes. — M. de Joinville, ambassadeur.

h. — La Haye. — L’abbé de la Ville, ambassadeur.

i. — Lisbonne. — Marquis de Chavigny, ambassadeur.

j. — Madrid. — Vauréal, évêque de Rennes, ambassadeur.

k. — Moscou. — Marquis de la Chétardie, ambassadeur.

l. — Munich. — Marquis de Chavigny, M. Renaud, ambassadeur.

m. — Naples. — Marquis de L’Hôpital, ambassadeur.

n. — Rome. — Abbé de Canillac, archevêque de Bourges, ambassadeur.

o. — Sion. — M. de Chaignon, ambassadeur.

p. — Stockholm. — Marquis de Launay, ambassadeur.

q. — Turin. — Marquis de Senneterre, ambassadeur.

r. — Vienne. — M. Vincent, ambassadeur.

IV. — Lettres adressées à l’ambassadeur par divers correspondants (1742-1751).

V. — Bulletins de nouvelles politiques et militaires (1743-1748).

Signalons aussi comme faisant partie de cet inventaire une sixième catégorie dont plusieurs points ont rapport à cet ouvrage.

VI — Papiers et notes non classés dans les catégories précédentes :

a. Documents relatifs au procès que l’ambassadeur fut obligé de soutenir contre Henry et Cornet.

b. Comptes et mémoires des dépenses faites à Venise par le comte de Montaigu.

c. Papiers divers.

d. Minutes en double et en triple des lettres du comte de Montaigu.

e. Papiers laissés à Venise par le comte de Froullay, prédécesseur du comte de Montaigu[1].

II. — sources imprimées

1o Les Confessions de J.-J. Rousseau. 2e partie, livre II. 1742-1743-1744

2o Les ouvrages des auteurs ayant parlé de J.-J. Rousseau, soit comme critiques, soit comme historiens :

Bernardin de Saint-Pierre, Essai sur J.-J. Rousseau, t. XII, éd. Aimé Martin, 1818, page 120. — Musset-Pathay, Histoire de la vie et des ouvrages de J.-J. Rousseau, Paris, 1821, 2 vol. in-8oSaint-Marc-Girardin, Du séjour de J.-J. Rousseau à Venise, Journal des Débats, 22 janvier 1862. — Proper Faugère, J.-J. Rousseau à Venise, Correspondant, 10 et 25 juin 1888. — M. Céresole, J.-J. Rousseau à Venise, 1743-1744. Notes et documents recueillis par Victor Céresole, consul de la Confédération suisse à Venise, publiés par Théodore de Saussure. Paris et Genève (1885, 1 vol. in-8o).

3o Les auteurs qui se sont occupés de la diplomatie française en Italie sous le gouvernement du marquis d’Argenson.

a. Marquis d’Argesson, Journal et Mémoires, édition de la Société de l’Histoire de France.

b. Art. de Lacombe, La politique française en Italie pendant la guerre de la succession d’Autriche, Correspondant, 25 juillet 1872.

c. Zévort, Le marquis d’Argenson et le ministère des Affaires étrangères, Paris, 1880.

d. Joseph Reinach, Introduction au volume intitulé : Naples et Parme, dans le Recueil des instructions aux ambassadeurs français.

e. Mention, Le comte de Saint-Germain, 1884, in-8o.

f. Diedo, Histoire générale de Venise jusqu’en 1747.

INDEX DE LA THÈSE


Comment J.-J. Rousseau fit connaissance de l’ambassadeur de Venise et entra à son service
8
II. 
Comment il raconte son arrivée à Venise
16
Comment il décrit l’état de l’ambassade de Venise à son arrivée
19
IV. 
Comment il fut nommé secrétaire d’ambassade
24
V. 
Comment il apprécie les qualités de l’ambassadeur comme diplomate et comme homme privé
31
VI. 
Comment il apprécie les services rendus par lui-même aux Français et son existence à Venise
44
Comment il aurait rendu des services diplomatiques
48
Comment il dépeint l’intérieur et la vie de l’ambassade
65
IX. 
Comment il raconte sa brouille définitive et son renvoi
72
X. 
Comment il raconte ses derniers jours à Venise, son retour à Paris
76
XI. 
Comment il parle de son successeur auprès de l’ambassadeur et du rappel du comte de Montaigu
82


Le texte commenté est emprunté à l’édition de J.-J. Rousseau, les Confessions de J.-J. Rousseau, nouvelle édition, chez Garnier, à Paris.


1 Page
258 
lignes 20 à 36
2   —
258 
  — 36 à 42
3   —
260 
  — 18 à 28
4   —
260 
  — 28 à 40
5   —
261-262-263 
  — 10 à 25
6   —
264-265-266 
  — 3 à 15
7   —
267-268-269 
  — 36 à 20
8   —
269-270-271-272 
  — 21 à 16
9   —
272-273 
  — 17 à 31
10   —
273-274-283-284-285 
  — 32-41 à 26-36
11   —
286 
  — 10 à 36


Les divers paragraphes de cette thèse correspondent donc au texte de J.-J. Rousseau comme il est indiqué ci-dessus.

DÉMÊLÉS DU COMTE DE MONTAIGU
ET DE SON SECRÉTAIRE
JEAN-JACQUES ROUSSEAU

LE COMTE DE MONTAIGU JUSQU’À SA NOMINATION
À L’AMBASSADE DE VENISE


Pierre-François de Montaigu descendait des Montaigu d’Auvergne, auxquels appartenait Pierre-Guérin de Montaigu, grand maître des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1208[2]. Une branche s’était établie en Poitou[3]. Il ne saurait être question d’exposer ici l’origine ni l’histoire de cette famille. La filiation suivie de l’ambassadeur remonte à Guillaume de Montaigu, qui habitait le Saumurois vers la fin du quatorzième siècle, et s’y maria en 1428. Il portait le titre de seigneur de Saugré[4]. Soixante ans plus tard, son petit-fils Jean devenait, également à la suite d’un mariage, seigneur de Boisdavid en Saumurois[5]. Au seizième siècle, encore à l’occasion d’une union, la famille émigra d’Anjou en Poitou, René de Montaigu épousa, en 1587, Suzanne de la Noue, qui lui apporta en dot la terre de la Bosse[6]. C’est là que pendant près de deux siècles ses descendants menèrent une existence des plus tranquille.

En 1719, Charles de Montaigu marquis de Boisdavid, père de l’ambassadeur, impliqué dans la conspiration de Cellamare, fut arrêté dans son château de la Bosse, non sans avoir opposé une sérieuse résistance. Ses papiers furent saisis[7] et il fut enfermé à la Bastille pendant un an. Marié deux fois, Charles-François eut du second lit, en 1692, Pierre-François, le futur diplomate.

Pierre-François portait les titres de comte et marquis de Montaigu, seigneur de haute justice, marquis de Cirières et du Plessis, comte de la Chaise, marquis de Boisdavid, seigneur de la Bosse, Brétignolles, le Plessis-Bastard, Montigny, la Bobinière, l’Estang, etc.[8].

Après s’être illustré dans plusieurs campagnes dont nous parlerons plus loin, il se maria avec Mlle de la Chaise d’Aix, le 30 juin 1736[9].

Malgré sa fortune et quoiqu’il fût l’aîné des enfants du second lit, Pierre-François de Montaigu fut destiné de bonne heure au métier des armes[10]. En 1707, capitaine dans le régiment royal d’infanterie, il prit une part brillante aux campagnes des Pays-Bas et du Rhin ; en 1708, il était à Oudenarde ; l’année suivante, à Malplaquet ; en 1712, à Denain ; à Fribourg en 1713. Entré au régiment des gardes françaises[11] comme enseigne en 1714, il y passa lieutenant en 1720 ; sept ans après, il achetait au prix de cent mille livres une compagnie dans le même régiment ; le 1er janvier 1740[12], il fut nommé brigadier d’infanterie, et en 1741 capitaine de grenadiers[13]toujours aux gardes françaises.

Le service était cependant devenu si peu actif dans le régiment[14] et par suite si désagréable pour un vrai soldat comme le comte de Montaigu, qu’il sollicita la faveur de sortir de la carrière militaire. Le 25 janvier 1742, il écrivait au cardinal Fleury : « Que Votre Éminence ne trouve pas mauvais que j’ose me rappeler dans l’honneur de son souvenir pour la grâce sur laquelle elle m’a fait pressentir ; je puis avoir bien des concurrens qui ont sans doute… des ressources que je n’ai point. Comme il y a déjà du temps que Votre Éminence a eu la bonté de me faire pressentir, je tremble de n’estre pas le préféré. Ma situation m’y rendrait d’autant plus sensible ; je ne puis plus tenir où je suis ; Monseigneur, mon parti est pris de donner ma démission à Votre Éminence à mon retour ; et cela est au point qu’Elle me ferait Mareschal de France à condition de rester où je suis, que je n’y resterais pas[15]. »

Qu’on ne s’imagine pas que ce dégoût fût un sentiment personnel et peu partagé dans l’armée. La lettre du comte de Montaigu est justement confirmée par le témoignage bien formel d’un autre officier, M. de Saint-Georges, qui écrivait à son ancien camarade au commencement de l’année 1744 : » Vous me demandez la situation du régiment ; ma foi, il fait pitiez par le dégoust général quy y règne ; il n’y a pas un capitaine quy ne désire avoir la retraite… je suis charmé d’en estre dehors[16]. » Un pareil découragement est bien fait pour étonner de la part d’un jeune officier qui avait débuté dans la vie militaire par les campagnes de la succession d’Espagne et qui conservera toute sa vie le caractère et les défauts mêmes d’un soldat. Il s’explique cependant si l’on tient compte de la désorganisation, de l’anarchie profonde qui détruisirent nos forces militaires jusqu’aux réformes violentes du comte de Saint-Germain. [17].

TABLEAU GÉNÉALOGIQUE
de la famille de charles-françois de montaigu, père de l’ambassadeur[18]


Charles-François, comte et marquis de Montaigu,
marquis de Boisdavy,
épouse :
1e femme
Louise Gillier, en 1672.
2e femme
Marie-Roberte
Prévost du Chatelier-Porteau,
en 1691
|
| | | |
Marc-Antoine de Montaigu, tué à Nerwinden, en 1693. Marie-Anne de Montaigu, admise à St-Cyr, 1687-1699. Marguerite. Une fille morte en bas âge.
| | |
Pierre-François, comte et marquis de Montaigu, marquis de Cirières et du Plessis, compte de la Chaise, marquis de Boisdavy, seigneur de la Bosse, le Plessis-Bastard, l’Étang, etc., ambassadeur de France à Venise de 1743 à 1749. Né en 1692, mort en 1764, épouse en 1736 Anne-Françoise de la Chaise d’Aix. Louis-Gabriel-Christophle, chevalier de Montaigu, gentilhomme de la manche de Monseigr le Dauphin (4 fév. 1765), sous-lieutenant aux gardes (4 nov. 1724), commandant (27 juin 1729), colonel par commission (30 mars 1735), chevalier de Saint-Louis. Mort le 31 septembre 1753, enterré à Saint-Sulpice[19]. Charles-François, prétre, abbé, prieur du Pin et de la Chapelande, 1743.
| |
Louis-Marie-Toussaint de Montaigu, né le 1er novembre 1739, cheveau-léger de la garde du roi en 1755, mort sans alliance le 5 novembre 1789. Charles-Louis-François-Antoine-Geneviève, marquis de Montaigu, né le 9 août 1741, lieutenant-colonel en 1762, premier gentilhomme de la chambre du prince de Conti, épouse le 14 mai 1777 Louise-Françoise-Joséphine de Sailly. Mort en 1789, laissant deux fils qui continuent la descendance.

I.

COMMENT JEAN-JACQUES FIT CONNAISSANCE DE L’AMBASSADEUR DE VENISE ET ENTRA À SON SERVICE


M. le comte de Montaigu, capitaine aux gardes, venait d’être nommé ambassadeur à Venise.

C’était un ambassadeur de la façon de Barjac, auquel il faisait assidûment sa cour[20].

Rousseau a eu connaissance des relations du comte avec Barjac, valet de chambre du cardinal Fleury. Il existe en effet plusieurs lettres de Barjac au comte de Montaigu.

26 juin 1742. Elle se termine ainsi : « Du Parc, Monglas, les aumôniers et Menjard vous font leurs compliments. Soyez persuadé de mon respect et de mon attachement. » De Barjac.

5 juillet 1742. Il lui dit qu’il a transmis sa demande à S. E., mais qu’il a des concurrents : M. de Puignon, soutenu par le Dauphin, et M. le Premier (il s’agit d’une charge à vendre). Même fin.

Une autre sans date (lundy) où il lui dit de venir voir le cardinal à 7 heures. Même fin.

19 août 1742, où il annonce au comte de Montaigu que « Son Éminence m’a dit de vous faire bien des amitiés de sa part ».

22 septembre 1742.

13 novembre 1742.

5 avril 1744.

Ces lettres indiquent suffisamment la cordialité des relations de Barjac avec la famille de Montaigu. Il convient d’ajouter, ce que ne fait pas Rousseau, ou ce qu’il ne savait probablement pas, que le cardinal connaissait assez intimement la famille de Montaigu pour s’occuper de ses affaires intérieures. C’est ce qui ressort

1o D’une lettre datée d’Issy (1er mars 1731.) « Je connais toute cette famille par de bons endroits, dit le cardinal. Je serais bien aise aussi de pouvoir leur faire plaisir[21]. »

2o D’une autre lettre toute confidentielle et entièrement écrite par le cardinal à Mme de Montaigu, religieuse du Calvaire, au Marais[22].

3o Des notes tracées par le cardinal lui-même en tête des lettres que lui adressait le comte de Montaigu ; par exemple, celle écrite sur la minute de la lettre où le comte sollicitait du cardinal son passage dans la diplomatie : « Soiez tranquille, monsieur, car je ne vous oublie pas[23]. » D’où il suit que la nomination du comte de Montaigu ne venait pas uniquement de l’inspiration de Barjac.

Son frère le chevalier de Montaigu, gentilhomme de la manche de Monseigneur le Dauphin,

J.-J. Rousseau est plus exactement renseigné (vingt-neuf lettres du chevalier à son frère). Le chevalier de Montaigu, frère cadet de l’ambassadeur, capitaine au régiment des gardes françaises, brigadier d’infanterie, menin[24] de Mgr le Dauphin, alors enfant, ce qui n’empêchait pas le chevalier de lui parler souvent de son frère l’Ambassadeur : « J’aurai l’occasion de parler de toi, à Mgr le Dauphin qui me demande quelquefois de tes nouvelles, et se fortifie tous les jours, et en est à surprendre tout le monde. » (23 août 1743.)

était de la connaissance de ces deux dames, Mme de Broglie, Mme de Beuzenval, et de celle de l’abbé Alary.

Rousseau doit se tromper. Il existe dans les papiers de la famille des lettres de ce genre, mais aucune de ces deux dames.

Je demandai cinquante louis d’appointement ce qui était bien peu dans une place où l’on est obligé de figurer. Il ne voulut me donner que cent pistoles et que je fisse le voyage à mes frais.

Ce passage est complètement inexact. C’est l’abbé Alary qui avait directement traité la question des appointements avec Jean-Jacques lui-même, sans que l’ambassadeur ni sa famille s’en fussent mêlés. L’auteur avait du reste parfaitement accepté les conditions de l’abbé. En voici la preuve. Le chevalier de Montaigu écrivait, le 26 juin 1743, à son frère l’ambassadeur. « Je viens de voir dans le moment le sieur Rousseau que l’on t’avait proposé pour secrétaire, que M. l’abbé Alary a envoyé à me voir ; j’en ai bonne opinion sur sa physionomie et son maintien. Il me parait déterminé à t’aller trouver, cependant il demande trois ou quatre jours pour rendre une réponse précise, et quinze jours pour l’arrangement de ses affaires avant de partir… À l’égard des conditions, ma sœur luy a offert mille livres et un valet pour le servir, et il a eu de la peine à s’en contenter, en me disant cependant que M. l’abbé Allary avait fixé ses appointements à cette somme, lorsqu’il avait été question de luy la première fois[25]. » Quelques jours après, le chevalier doit revenir sur cette affaire : « Je crains, écrit-il, que tu n’aye pas reçu une lettre que je t’ai adressée il y a huit jours… par laquelle je t’apprends que nous avions vu le sieur Rousseau et qu’il était presque déterminé à t’aller trouver moyennant mille francs d’apointements et qu’il demande qu’on luy paye par quartier, et un valet entretenu ; il a demandé outre cela qu’on luy avançent 300 livres pour s’habiller, ce que nous luy avons promis ; et quant aux frais de son voyage… j’ai conseillé à ma sœur de s’en raporter à M. Coli[26]. Ma sœur m’écrit aujourd’hui et me mande qu’il part lundy 10 par la diligence, que M. Coli fait monter les frais de son voyage à 445 l. 10, sans les 300 livres d’avance qu’on luy a promis, et qu’elle luy a donné encore 30 livres dont il avait besoin ; j espère que tu en seras content[27]. »

Mme de Broglie me proposa…

Ce fut l’abbé Alary qui fit la proposition (voir ci-dessus).

M. de Montaigu partit, emmenant un autre secrétaire appelé M. Follau qu’on lui avait donné aux bureaux des affaires étrangères.

Il est vrai que le comte de Montaigu emmena Follau avec lui, mais il ne faut pas croire que ce secrétaire eût été fourni à l’ambassadeur par les affaires étrangères. Follau, en effet, avait été indiqué au comte de Montaigu par un de ses parents, M. du Parcq, familier du cardinal de Fleury et l’un de ses agents aux affaires étrangères ; du Parcq avait agi en ami particulier du cardinal, et non pas au nom des bureaux.

Deux lettres de du Parcq au comte de Montaigu l’attestent. La première, du 30 novembre 1742, datée d’Issy où il lui indique ce secrétaire ; la deuxième, d’Issy, le 10 décembre 1742, dans laquelle il le remercie d’avoir accepté son parent.

En outre, dans la correspondance de Venise au ministère des affaires étrangères il n’est nullement question de Follau ; il y aurait lieu de s’en étonner si ce personnage avait été indiqué par les bureaux. Ce n’est pas la dernière fois que Rousseau cherchera à donner à cette charge de secrétaire d’ambassadeur une importance qu’elle n’avait nullement au dix-huitième siècle.

À peine furent-ils arrivés à Venise qu’ils se brouillèrent. Follau, voyant qu’il avait affaire à un fou, le planta là.

Rousseau est dans l’erreur. Follau n’alla pas jusqu’à Venise. Plusieurs lettres du chevalier de Montaigu à son frère attestent qu’il fut renvoyé avant le terme du voyage.

Il fut congédié à Chambéry. Dans une lettre du 26 juin 1743, le chevalier de Montaigu écrivait à son frère : « Ma sœur m’apprends que tu as été obligé de renvoyer ton secrétaire ; cela ne laisse pas d’être désagréable et embarrassant pour toy, mais il vaut encore mieux qu’il n’ait pas été jusqu’à Venise. »

Peu de temps après, Follau, soupçonné de contrebande[28], était arrêté à Turin. Une autre lettre du chevalier de Montaigu prouve que son frère l’ambassadeur s’en était défait à Chambéry : « J’ay vu le beau-frère de Folleau (sic), qui est chez le roi, et à qui j’ay appris cette séparation avec les circonstances qui l’avoient occasionné, en luy promettant de n’en point parler ; il a été touché de cet événement, et des raisons que je luy ay donné, que je ne laisseray pas ignorer à M. Duparcq quand je le verray. Le sieur Folleau n’en a rien mandé à sa famille, qui ne saurait te rien imputer, et je te trouve heureux encore de t’en être défait à Chambéry[29]. »

En résumé, le comte de Montaigu avait accepté Follau parce que, sur la recommandation de du Parcq, il l’avait cru honnête homme. Il le congédia, dès qu’il vit qu’il s’était trompé ou plutôt qu’on l’avait trompé. La discrétion qu’il apporta dans cette affaire, afin de ménager du Parcq, explique l’ignorance de Jean-Jacques à cet égard.

II.

COMMENT JEAN-JACQUES RACONTE SON ARRIVÉE À VENISE


M. de Montaigu, n’ayant qu’un jeune abbé, M. de Binis, qui écrivait sous le secrétaire et n’était pas en état d’en remplir la place, eut recours à moi.

Rien de plus exact en ce qui concerne cet intérimaire. L’abbé de Binis était un jeune ecclésiastique qui allait en Italie continuer ses études et avait accompagné le comte de Montaigu. Celui-ci le chargea de la correspondance, entre le départ de Follau et l’arrivée de Rousseau. Il sera de nouveau question de lui dans la suite des Confessions.

J’eus vingt louis pour mon voyage et je partis.

On a déjà vu que les conditions de Rousseau étaient plus élevées. En plus des appointements, il sut se faire avancer par la comtesse de Montaigu 300 livres pour son habillement et 445 l. 10 s. pour son voyage. Il n’en parle nullement ici, mais la comtesse de Montaigu[30] se chargea de compléter ses Confessions dans une lettre à l’ambassadeur.

À Lyon, j’aurais bien voulu prendre la route du Mont-Cenis pour voir en passant ma pauvre maman.

L’oubli de quelques frais de voyage n’a rien qui étonne, mais les regrets que l’auteur croit devoir exprimer au moment de son passage à Lyon sont bien incompréhensibles. Comment ! Rousseau regrette de n’avoir pas pris la route du Mont-Cenis pour voir sa « pauvre maman » aux Charmettes ! Mais dans le compte de ses frais de route qu’il présenta plus tard à l’ambassadeur il a fait entrer le voyage de Lyon à Chambéry[31]. Il faut donc admettre de deux choses l’une : ou bien il n’est pas allé à Chambéry, et dans ce cas il a seulement tenté d’extorquer 30 livres à son maître ; ou il s’y est rendu, et la note des Confessions est hypocrisie pure, ou plutôt un petit artifice sentimental.

Puis je descendis le Rhône et fus m’embarquer à Toulon.

Il est vrai qu’il descendit le Rhône en passant par Lyon et Avignon, mais il s’embarqua à Marseille et non à Toulon[32].

M. de Montaigu ne pouvant se passer de moi, m’écrivait lettres sur lettres pour presser mon voyage.

Tout porte à croire que l’ambassadeur avait hâte de voir arriver son secrétaire. Cette correspondance paraît toutefois invraisemblable, puisque J.-J. Rousseau partit de Paris la veille du jour où son maître arrivait à Venise[33].

… si M. de Joinville, envoyé de France à qui je fis parvenir une lettre, n’eut fait abréger mon temps de huit jours.

Cette affirmation est en contradiction avec deux articles du compte que Rousseau présenta à l’ambassadeur. Ces articles mentionnent son séjour d’une semaine à l’auberge[34].

III

COMMENT JEAN-JACQUES DÉCRIT L’ÉTAT DE L’AMBASSADE DE VENISE À SON ARRIVÉE


Je trouvai des tas de dépêches, tant de la cour que des autres ambassadeurs, dont il n’avait pu lire ce qui était chiffré, quoiqu’il eût tous les chiffres nécessaires pour cela.

En admettant que le nouvel ambassadeur n’eût voulu ni déchiffrer ni faire déchiffrer sa correspondance, il est facile de constater l’exagération de Rousseau par les archives de Venise ou celles des affaires étrangères. Les dates seules (11 juillet – 4 septembre) suffisent déjà à nous indiquer qu’il ne pouvait y avoir beaucoup de dépêches.

Car, outre que l’ambassade est toujours oisive.

Cette note des Confessions veut-elle dire que la sérénissime république de Venise n’avait pas un rôle actif à jouer dans les grandes guerres du dix-huitième siècle, et en particulier dans la question de la succession d’Autriche ? Que la France se désintéressait de la diplomatie du Sénat et que le poste d’ambassadeur à Venise était plutôt une sinécure honorifique. La remarque tombe bien à faux de 1743 à 1747, c’est-à-dire en un temps où le marquis d’Argenson dirigeait la politique extérieure de la France. Chacun sait la place que les affaires d’Italie tenaient dans les projets du marquis. Il demandait à ses agents dans la péninsule une active propagande, pour ramener ou amener à l’alliance française tous les gouvernements italiens. Nulle part la tâche n’était plus difficile qu’à Venise, République voisine des États autrichiens, rattachée à la maison d’Autriche par les liens d’une amitié séculaire. L’active correspondance du marquis et de son ambassadeur (1re partie de l’Inventaire) suffirait à montrer que le dédain de J.-J. Rousseau pour la diplomatie de la République n’est pas justifié. Il faut signaler encore l’extrême importance de ce poste comme agence générale de renseignements pour l’Orient, la Turquie, la mer Noire et l’Égypte. Par suite de ses relations maritimes, Venise était devenue le rendez-vous des courriers que les gouvernements européens expédiaient à Constantinople ou au delà, et le passage le plus facile qu’il y eût pour en recevoir des nouvelles. Aussi, l’ambassade de France à Venise, en dehors de son œuvre diplomatique proprement dite, avait-elle pour tâche de centraliser les renseignements qui lui parvenaient de Constantinople, d’Alexandrie, de Perse, etc.

Informations militaires sur les armées engagées en Italie, informations diplomatiques très suivies sur les dispositions des gouvernements italiens à l’égard de la France, informations générales sur les affaires d’Orient, suffisaient à ne pas faire une sinécure du poste d’ambassadeur de Venise.

Ce qui donne une apparence de raison à Rousseau, c’est le texte même des instructions données à l’ambassadeur au moment de son départ : texte vraiment insignifiant.

Ce qui lui donne tort, c’est l’inventaire de la correspondance militaire et diplomatique de l’ambassadeur, du marquis d’Argenson, et de son successeur Puyzieulx. Enfin Rousseau aurait dû constater que la longue maladie du comte de Froullay, prédécesseur du comte de Montaigu, ne lui avait pas permis de soutenir comme il convenait les intérêts de la France.

Ne sachant ni dicter, ni écrire lisiblement

L’ambassadeur ne dictait pas couramment ; il avoue lui-même la difficulté qu’il éprouvait à trouver l’expression exacte de sa pensée, ce qui excitait la moquerie de son secrétaire[35]. Quant à l’écriture, les autographes, que nous avons de l’ambassadeur prouvent le contraire.

M. de Montaigu, jaloux qu’un autre fit son métier, prit en guignon le consul ; et sitôt que je fus arrivé, il lui ôta les fonctions de secrétaire d’ambassade pour me les donner.

Cette assertion de Rousseau est démentie par une lettre du comte de Montaigu à son frère, du 27 juillet 1743, et par la réponse de ce dernier du 17 août 1743 : « J’ai reçu, dit le chevalier, ta lettre du 27, mon cher frère, et… je te trouve bien heureux d’avoir la ressource de la maison de M. Le Blond et je ne suis point frappé à ce que j’en ai ouï dire de tout le bien que tu m’en mandes[36]. » Bien plus, M. de Montaigu avait une si grande confiance à l’égard de Le Blond qu’il accepta ses bons offices pour la location de son palais, l’installation de sa maison, le choix de ses gens ; qu’il fut longtemps son hôte, et qu’il paya, sans compter, les grandes dépenses engagées par Le Blond, ce dont son frère s’effraya et ne manqua pas de lui faire reproche. (Versailles, 2 décembre 1743.) Ils se brouillèrent quand l’ambassadeur s’aperçut qu’il avait été joué. Ce fut lorsqu’il dut payer les dépenses considérables dont Le Blond avait eu seul l’initiative, lorsqu’il dut chasser de sa maison la canaille dont Le Blond l’avait remplie, lorsqu’il vit la contrebande érigée en système par le consul, qu’il renonça à s’entendre avec lui. Jean-Jacques va nous signaler bientôt ce luxe de frais exorbitants, ce gaspillage, cette foule de coquins qui faillirent compromettre l’ambassadeur. Que n’ajoute-t-il que telle était l’œuvre de son bon ami Le Blond ! Ces faits contredisent singulièrement le portrait flatteur tracé par les historiens. À vrai dire, Le Blond était d’une intelligence peu commune, mais « plus que pratique », et il comptait exercer sur le comte de Montaigu l’influence subie de bon ou de mauvais gré par M. de Froullay. En cela, il se trompait et ses agissements excitèrent très promptement la défiance du nouvel ambassadeur[37].


IV

COMMENT JEAN-JACQUES AURAIT ÉTÉ SECRÉTAIRE D’AMBASSADE


Et sitôt que je fus arrivé il lui ôta les fonctions de secrétaire pour me les donner.

On se tromperait en donnant à ce titre de secrétaire d’ambassade la signification qu’il a aujourd’hui et l’importance que semble lui attribuer Jean-Jacques. Il n’y avait alors que des secrétaires particuliers, choisis et payés par l’ambassadeur et n’ayant rien d’officiel.

Dans une lettre du 5 janvier 1743, Le Blond, consul à Venise, très économe de ses services, demande « s’il ne méritait pas un cadeau de la république pour avoir rempli en plusieurs occasions les délicates fonctions de secrétaire d’ambassade[38] ». Amelot répondit que « ce présent appartient uniquement à celui de ses secrétaires (de l’ambassadeur) qui a auprès de lui la principale représentation et qui, comme tel, tient lieu de ce que vous nommez secrétaire d’ambassade ; c’est ainsi que cela s’observe dans toutes les cours[39] ».

N’aurions-nous pas cette observation ministérielle que le recrutement des secrétaires, leur situation, leurs contrats de gré à gré, le sort de Rousseau lui-même suffiraient amplement à nous démontrer que les secrétaires des ambassadeurs n’avaient en aucune façon la situation officielle de secrétaire d’ambassade, expression inconnue à Versailles dans le langage de la chancellerie.

Cela me rendit ma position assez agréable.

Sur ce point, tous les témoignages concordent : il paraît que Jean-Jacques fut heureux pendant ces quelques mois de sa vie. Le cas vaut la peine d’être signalé. Ainsi le 7 octobre 1743, l’abbé Alary écrivait : « Il me paroist par la lettre que j’ai reçue de luy (Rousseau) qu’il fera de son mieux pour répondre à la bonne idée que vous en avez déjà conçue[40]. »

D’autre part, on lit dans un billet du chevalier de Montaigu, du 25 octobre : « J’ai reçu une lettre du sieur Rousseau ; il me paroist content[41] ». Quelques mois après, le 22 février 1744, Rousseau s’exprimait ainsi dans un brouillon de lettre qu’il a laissé à Venise et qui a été conservé dans les papiers de l’ambassadeur. « L’air de Venise est si contraire à ma santé que, malgré toutes les bontés de M. l’ambassadeur, je ne suis que trop autorisé à regretter Paris[42]. » Le séjour de Venise faillit devenir fatal non pas à sa santé, mais à sa vertu.

Il prit sa bonne part des réjouissances du carnaval. « J’ai un peu dérangé ma philosophie pour me mettre comme les autres, de sorte que je cours la place et les spectacles en masque et en bahute tout aussi fièrement que si j’avais passé toute ma vie dans cet équipage…[43] », et il prit goût au jeu[44] ; il écrivit beaucoup de galanteries en vers et en prose. Sa place de secrétaire lui laissait de nombreux loisirs, qu’il aurait pu employer plus utilement. Un des brouillons qu’il abandonna nous permettra de publier une lettre inédite. L’écrivain a su y présenter une flatterie banale sous une forme agréable. Ce billet n’est pas daté et ne porte pas de suscription : il est probable qu’il était adressé à M. de Chavigny : « Aiant l’honneur d’écrire à Votre Excellence, au nom de M. le comte de Montaigu, voulez-vous bien agréer, Monsieur, que je vous donne aussi cette liberté au mien propre, ou du moins en celui d’une dame qui n’oubliera jamais les marques d’estime qu’elle a reçues de Votre Excellence à son passage à Saint-Jean de Morienne et à Chambéry ? Je veux parler de Mme la baronne de Warens, qui m’avait ordonné, pendant mon séjour à Paris, d’aller vous assurer, Monsieur, du souvenir respectueux qu’elle en conservera toute sa vie. Comme elle m’avait fait l’honneur de me proposer à Votre Excellence pour être son secrétaire, je me flattois aussi que sur cette ancienne recommandation vous voudrez bien recevoir favorablement mes respects, mais j’appris votre départ pour Francfort avant que d’avoir pu m’acquitter de ce devoir. Permettez, Monsieur, que j’y supplée aujourd’hui en ce qui dépend de moi, et qu’en remerciant Votre Excellence au nom d’une bienfaitrice et d’une mère (car elle me permet de lui donner ce nom), des bontés que vous avez eues particulière sur la paix dont jouit ma patrie par les soins bienfaisans de Votre Excellence. »

À cette lettre nous joindrons deux pièces de poésie composées à Venise par l’auteur des Confessions, et écrites de sa main. Rousseau semble avoir été plus heureux dans sa prose que dans ses vers.

Que ce penser est doux, et que j’ai de plaisir
Lorsque je m’entretiens des charmes de la belle :
Je maudis tout emploi qui m’ôte le loisir

De passer tout le jour à ne parler que d’elle :
Peut-on assez louer cet abord gracieux,
Cette taille, ce teint, cette bouche, ces yeux,
Cet esprit sans pareil, cette douceur extrême ?
Ah ! ma raison s’y perd et j’en suis tout charmé :
Dieux ! si tant de plaisirs suivent celui qui l’aime,
Que serait-ce d’en être aimé !

Voyez, adorable Aspasie,
Quels sont vos triomphes divers !
Vous soumettez tout l’univers :
France, Espagne, Suisse, Italie,
Tout s’empresse à porter vos fers.
Moi seul prétendois m’en défendre.
Mais hélas ! je sens trop qu’un même sort m’attend :
Qui peut rendre un Français constant
Pourra bien rendre un Suisse tendre.

Elle osa même la (sa part) réclamer sur les droits du secrétariat, qu’on appelait la chancellerie.

Aucune pièce ne prouve le contraire. Tous les détails qui suivent peuvent être exacts. Il faudrait en ce cas attribuer les tracasseries dont Jean-Jacques eut à se plaindre à la détresse financière de l’ambassadeur, non à son avarice. Jamais diplomate ne fut en effet aussi mal rémunéré que le comte de Montaigu à Venise pendant la guerre de succession d’Autriche. Il ne pouvait toucher un semestre de son traitement, même la première année de son ambassade[45]. On devait en tout temps au comte de Montaigu neuf à dix mois d’appointements, un semestre de ports de lettres, sans compter les dépenses secrètes, tant qu’elles lui furent permises : le total variait en moyenne entre quarante et cinquante mille livres.

La parcimonie de l’ambassadeur aurait donc pour cause essentielle l’extrême difficulté d’équilibrer son budget. Ajoutez que les procédés mesquins dont parle Rousseau cadrent peu avec le caractère du comte, qui était prodigue, dépensier, insouciant à effrayer sa famille[46].

Cela ne m’empêcha pas de faire une petite part du produit des passeports à l’abbé de Binis, bon garçon et bien éloigné de prétendre à rien de semblable. S’il était complaisant envers moi, je n’étais pas moins honnête envers lui, et nous avons toujours bien vécu ensemble.

Il est tout naturel que Jean-Jacques ait partagé avec ce jeune ecclésiastique, son auxiliaire, les bénéfices de sa charge, sauf évidemment les profits frauduleux dont il ne saurait être question dans les Confessions, mais dont il sera bientôt fait mention.

V

comment j.-j. rousseau apprécie les qualités de l’ambassadeur

… Pour un homme sans expérience auprès d’un ambassadeur qui n’en avait pas davantage, et dont, pour surcroît, l’ignorance et l’entêtement contrariaient comme à plaisir tout ce que le bon sens et quelques lumières m’inspiraient de bien pour son service et celui du roi. Ce qu’il fit de plus raisonnable fut de se lier avec le marquis de Mari, ambassadeur d’Espagne, homme adroit et fin, qui l’eût mené par le nez s’il l’eût voulu, mais qui, vu l’union d’intérêt des deux couronnes, le conseillait d’ordinaire assez bien, si l’autre n’eût gâté ses conseils en fourrant toujours du sien dans leur exécution. La seule chose qu’ils eussent à faire de concert était d’engager les Vénitiens à maintenir leur neutralité.

L’opinion de ses supérieurs, tels que d’Argenson, Amelot, et de ses collègues tels que M. de Seneterre, ambassadeur à Turin, MM. de Joinville, de l’Hôpital, de Castellane, prouve que le comte de Montaigu avait, à défaut d’expérience, un sens diplomatique juste et droit. Dès son entrée en fonctions il s’était fait une idée exacte des tendances de la république de Venise. Le 21 septembre 1743, il écrivait au ministre Amelot : « En général les inclinations nous sont contraires, et cela se voit par la froideur avec laquelle s’y débitent les nouvelles favorables[47], au lieu que les mauvaises s’y répandent et grossissent comme un torrent[48]. »

L’exemple venant d’en haut était suivi par le peuple, qui ne cachait pas ses opinions gallophobes. Plusieurs fois, les domestiques de l’ambassadeur furent insultés dans Venise[49] ; une scène incroyable se passa même dans le port de Malamocco ; on en douterait si le procès-verbal de l’incident n’avait été déposé à la chancellerie de notre consulat[50]. À Venise, où l’on n’aimait ni la France ni les Français[51], l’opinion générale entraînait les esprits vers l’Autriche. Le Sénat était en immense majorité inféodé à la politique de cette puissance : plusieurs de ses membres poussaient l’attachement jusqu’au fanatisme : tels Capello[52], ambassadeur à Londres ; Erizzo[53], ambassadeur à Vienne ; Tron, ambassadeur à Versailles. Cette affection n’était fondée que sur leurs craintes. Dans une pareille situation, ajoute Jean-Jacques, la seule tâche politique de l’ambassadeur était d’engager les Vénitiens à la neutralité. Malheureusement les ministres des affaires étrangères qui se succédèrent à Versailles de 1743 à 1748 ne partageaient pas ces vues ; ils auraient voulu une franche sympathie au lieu d’une simple indifférence, et ils refusaient de croire l’ambassadeur quand il parlait de cette neutralité[54].

Cependant les avis qu’il transmettait à Versailles n’avaient rien d’invraisemblable et concordaient avec ceux des diplomates qui connaissaient bien la République [55]. Cette défiance du ministère, blessante pour le comte de Montaigu, le mettait dans un singulier embarras ; il redoutait à chaque instant que le Sénat, devant les hésitations du roi de France, ne se jetât dans les bras de l’Autriche[56]. C’est justement pour avoir trop bien compris qu’il n’y avait rien à espérer de la République de Venise, sinon sa neutralité apparente, que le comte de Montaigu fut blamé par d’Argenson. Ainsi le reproche de Jean-Jacques tombe à faux.

Outre ces critiques d’ordre général, le ministre a pu en adresser d’autres d’une nature plus spéciale. Il est intéressant de les signaler, en même temps que les passages de la correspondance qui en forment le commentaire. Nos agents diplomatiques, on le sait, touchaient, en sus de leur traitement, des fonds secrets pour se procurer des renseignements confidentiels sur les puissances auprès desquelles ils étaient accrédités. Or le roi supprima ces fonds secrets. Cette question sera traitée à propos du rappel du comte de Montaigu.

Jean-Jacques le félicite d’autre part de s’être lié avec le marquis de Mari. Cette entente n’était point cependant indiquée à l’ambassadeur par ses instructions, bien au contraire. Le ministère semblait animé d’une sorte de défiance à l’égard de l’Espagne.

L’ambassadeur était prié d’user de la plus grande réserve vis-à-vis de l’infant don Philippe, dans le cas où il le rencontrerait à son passage en Savoie ; et si le prince lui adressait des questions indiscrètes au sujet de sa mission à Venise, il répondrait que là comme ailleurs le roi se préoccupait uniquement des intérêts de la famille royale.

Enfin le comte de Montaigu devait maintenir les Vénitiens dans la neutralité. Mais l’ambassadeur comprit vite qu’une action commune des représentants de la maison de Bourbon était nécessaire, ne fût-ce que pour faire croire au Sénat que l’entente des deux gouvernements et de leurs armées était complète.

Jean-Jacques aurait pu observer d’ailleurs que pour un ambassadeur inexpérimenté, aussi bien que pour un diplomate de carrière, il n’y avait pas alors d’autre moyen de prendre position[57].

Si les représentants des couronnes étaient, d’ordinaire, aimablement accueillis dans les cours européennes, à Venise, en revanche, on ne leur témoignait que de l’hostilité. On les honorait de fêtes brillantes[58], mais les nobles ne pouvaient avoir aucun commerce avec eux ; on ne les saluait pas[59], et pour les tenir à distance du siège du gouvernement on leur défendait de résider dans les environs de la place Saint-Marc. Voués ainsi à l’isolement, les ministres ignoraient à peu près toutes choses, et pour obtenir des nouvelles ils recouraient à des agents, quelquefois à des prêtres, moines ou religieux, sources d’informations très sujettes à caution.

Si encore il eût pu compter sur les Français établis à Venise ; mais c’étaient pour la plupart des gens douteux[60], émigrés, ayant eu maille à partir avec la justice. Le comte de Montaigu n’avait qu’un sage parti à prendre : se conformer aux instructions ministérielles et faire cause commune avec le marquis de Mari, qui était un parfait galant homme.

La liaison, aussi facile qu’agréable, permit aux deux diplomates d’unir leurs efforts pour exécuter les ordres de leurs cours.

Ceux-ci ne manquaient pas de protester de leur fidélité à l’observer, tandis qu’ils fournissaient publiquement des munitions aux troupes autrichiennes, et même des recrues, sous prétexte de désertion. M. de Montaigu qui, je crois, voulait plaire à la République, ne manquait pas aussi malgré mes représentations, de me faire assurer, dans toutes ses dépêches, qu’elle n’enfreindrait jamais la neutralité.

Rousseau vise ici directement les rapports de l’ambassadeur avec les secrétaires d’État aux affaires étrangères ou leurs administrations.

De 1743 à 1748, le comte de Montaigu eut successivement à correspondre avec trois ministres : Amelot, le marquis d’Argenson et le marquis de Puyzieulx. Avec Amelot, qui n’était que l’auxiliaire de Fleury, ses rapports furent plus que courtois, à en juger par la correspondance du chevalier de Montaigu, étonné lui-même de tant de bon vouloir chez un ministre. (Lettre du 30 novembre 1743, de Versailles.)

La correspondance officielle du marquis d’Argenson et de l’ambassadeur devait naturellement se ressentir de la divergence qui existait entre les vues du secrétaire d’État et celles de son agent. Les lettres du marquis à l’ambassadeur (8 décembre 1744, 6 et 16 mars 1745) ne cachent pas le dépit qu’il éprouve à ne rencontrer à Venise qu’une indifférence peu sympathique au lieu de l’alliance qu’il espérait. La déconvenue de d’Argenson n’était imputable qu’à lui-même. (Voir Le duc de Broglie et le marquis d’Argenson, I, 125.)

Au milieu de 1745, le comte de Montaigu signale à d’Argenson un changement d’attitude très notable de la part du Sénat de la République tendant à un rapprochement avec la France. Le ministre s’en étonne. Le comte lui fit observer que c’était le résultat de la bataille de Fontenoy ; que rien ne valait une belle victoire pour modifier la conduite du gouvernement vénitien (12 juin 1745). Le ministère affecta une sorte de dédain pour la diplomatie vénitienne (lettre du 30 mars 1745), et pour la politique italienne, qui ne lui réservait que des déboires (duc de Broglie, ouvrage cité, I, 189, etc.). D’ailleurs le désaccord entre le ministre et son agent ne portait que sur ces points. Leurs rapports ordinaires étaient des plus cordiaux. À la suite des fêtes superbes que le comte de Montaigu donna à Venise à l’occasion du mariage du dauphin, d’Argenson exprima toute sa satisfaction et montra au roi le compte rendu du Mercure (lettre de l’abbé Alarv, 12 juin 1744). Une autre lettre de l’abbé (7 mars 1745), et les lettres du marquis lui-même (26 janvier, 7 septembre 1745) dénotent la même sympathie et la même confiance.

D’Argenson montra encore une grande condescendance vis-à-vis du comte de Montaigu dans la forme où il lui adressa des reproches en 1745, pour avoir dépassé sa pensée dans un mémoire présenté au Sénat[61]. Le fait se renouvela la même année à propos de la note où le comte transmettait le total de ses dépenses secrètes pour le premier trimestre de 1745. Cette note avait été gravement majorée, à l’insu de l’ambassadeur, il est vrai, par son secrétaire, le successeur de Jean-Jacques ; aussi le comte de Montaigu, qui ignorait ses torts, s’emporta violemment. Il ne ménagea plus ses critiques à d’Argenson (lettre du 2 avril 1746) ; le marquis eut l’idée de relever de ses fonctions un envoyé si indépendant (19 avril), mais il réfléchit qu’on lui devait beaucoup d’argent, et, le 23, il le rassura par un avis rempli de bienveillance, disant qu’il n’avait jamais blâmé que la forme et non le fond de ses dépêches.

Évidemment Jean-Jacques n’a pas connu les relations du marquis d’Argenson et de son ambassadeur, ou, s’il les a connues, il ne les a pas présentées sous leur véritable jour. Il est inutile de parler des rapports du comte avec Puyzieulx : elles sont postérieures au départ de Jean-Jacques, qui n’a pu en avoir aucune connaissance : nous verrons d’ailleurs ce qu’il faut penser du passage des Confessions où il est question du rappel du comte de Montaigu.

L’entêtement et la stupidité de ce pauvre homme me faisaient écrire et faire à tout moment des extravagances dont j’étais bien forcé d’être l’agent, puisqu’il le voulait, mais qui me rendaient quelquefois mon métier insupportable et même presque impraticable.

Les lettres de Rousseau lui-même prouveraient le contraire. Comment concilier cette appréciation avec celle que Jean-Jacques portait sur son maître en 1744, les éloges qu’il lui décernait, et le bonheur qu’il éprouvait de se voir à Venise ? (Pages 24 et 199.)

Il voulait absolument que la plus grande partie des dépêches au roi et celle des ministres fût en chiffres, quoique l’une et l’autre ne contint absolument rien qui demandât cette précaution. Je lui représentai qu’entre le vendredi qu’arrivaient les dépêches de la cour et le samedi que partaient les nôtres il n’y avait pas assez de temps pour l’employer à tant de chiffres et à la forte correspondance dont j’étais chargé pour le même courrier.

Il trouva à cela un expédient admirable, ce fut de faire dès le jeudi la réponse aux dépêches qui devaient arriver le lendemain.

Cette idée lui parut même si heureusement trouvée, quoi que je pusse lui dire sur l’impossibilité, sur l’absurdité de son exécution, qu’il en fallut passer par là ; et tout le temps que j’ai demeuré chez lui, après avoir tenu note de quelques mots qu’il me disait dans la semaine à la volée, et de quelques nouvelles triviales que j’allais écumant par ci par là, muni de ces uniques matériaux, je ne manquais jamais le jeudi matin de lui porter le brouillon des dépêches qui devaient partir le samedi, sauf quelques additions ou corrections que je faisais à la hâte sur celles qui devaient venir le vendredi et auxquelles les nôtres servaient de réponses. Il avait un autre tic fort plaisant et qui donnait à sa correspondance un ridicule difficile à imaginer : c’était de renvoyer chaque nouvelle à sa source au lieu de lui faire suivre son cours.

En feuilletant la correspondance de l’ambassadeur, on s’aperçoit que ces passages ne sont pas si nombreux ni si considérables. Ce n’est là qu’une mauvaise plaisanterie qui put trouver son origine dans l’obligation où, par ce temps de guerre, était l’ambassade de profiter de tous les courriers en partance. Comme les dépêches de Versailles parvenaient le plus souvent en retard, presque à la veille du départ du courrier, il était nécessaire de préparer avant leur arrivée des canevas de réponses, correspondant à des questions faciles à prévoir. Il en était de même pour la correspondance avec les États dont les communications étaient coupées par les belligérants. La condamnation de Rousseau ressort d’ailleurs de l’importance des renseignements communiqués par le comte de Montaigu, et des lettres échangées avec les autres ministres de France en Italie : à Gênes, M. de Joinville ; à Naples, le marquis de l’Hôpital ; à Rome, l’archevêque de Bourges et l’abbé de Canillac.

VI

comment jean-jacques apprécie les services rendus par lui-même aux français et son existence à venise


Je le laissai délirer à ses risques, content de lui parler avec franchise, et de remplir aux miens mon devoir auprès de lui.

Il était temps que je fusse une fois ce que le ciel qui m’avait doué d’un heureux naturel, ce que l’éducation que j’avais reçue de la meilleure des femmes, ce que celle que je m’étais donnée à moi-même, m’avait fait être, et je le fus. Livré à moi seul, sans ami, sans conseil, sans expérience, en pays étranger, servant une nation étrangère, au milieu d’une foule de fripons, qui pour leur intérêt et pour écarter le scandale du bon exemple m’excitaient à les imiter. Irréprochable dans un poste assez en vue, je méritais, j’obtins l’estime de la République, celle de tous les ambassadeurs avec qui nous étions en correspondance et l’affection de tous les Français établis à Venise sans en excepter le consul même, que je supplantais à regret dans les fonctions que je savais lui être dues et qui me donnaient plus d’embarras que de plaisir.

Nous avons déjà vu que la philosophie et la vertu de Jean-Jacques se trouvaient à Venise en périlleuse posture. Les éloges qu’il se décerne sont donc évidemment hyperboliques : c’est pour lui une occasion de parler de Mme de Warens. Dans un billet adressé à M. de Chavigny et resté dans les papiers de l’ambassadeur, Rousseau exprime les mêmes sentiments à regard de celle qu’il appelait sa mère[62]. Quant au milieu, au personnel de l’ambassade, il méritait ces qualificatifs ; mais c’était le consul Le Blond qui l’avait choisi, et l’ambassadeur, après avoir enduré trop longtemps les services de cette « canaille », s’en débarrassa.

Les éloges n’ont peut-être existé que dans l’imagination de Rousseau. En effet, les lettres de Gènes (M. de Joinville), de Naples (M. de l’Hôpital), de Constantinople (M. de Castellane), sont conservées dans les archives de la maison de Montaigu pour les années 1743 et suivantes, et il n’y a pas trace de ces témoignages d’estime. En revanche, la correspondance du comte de Montaigu relève des faits assez graves à la charge d’un secrétaire qui se disait irréprochable. En effet l’ambassadeur a directement accusé Rousseau d’avoir pratiqué la contrebande. Dans sa lettre du 3 juin 1747 au marquis de Puyzieulx, l’ambassadeur, annonçant qu’il vient de renvoyer son premier secrétaire (Henry, successeur immédiat de Rousseau), coupable d’une scandaleuse malversation, ajoute : « Voilà la seconde fois que j’essuie ce désagrément,[63]. » Il écrit encore dans un mémoire qui accompagne la lettre du 17 juin, au ministre : « Dans les commencements que je fus icy, j’eus un gentilhomme qui faisait de la contre bande… je le renvoyay… Quelque temps après mon secrétaire tomba dans la même faute. J’en usay avec luy comme j’avois fait avec le gentilhomme, et le gouvernement m’en sceut beaucoup de gré[64]. »

Une preuve irréfutable de cette indélicatesse consiste dans la pièce ci-jointe, pièce reproduite par la photographie[65] et au sujet de laquelle une explication s’impose. Les ministres étrangers étaient exempts de payer des droits pour les denrées destinées à leur usage. Elles devaient être, à leur entrée,

accompagnées simplement de deux certificats dont l’un portait la mention manuscrite duplicata et suivait les marchandises, tandis que l’autre restait aux mains de la douane et faisait foi de l’admission en franchise. En effaçant le mot duplicata on pouvait constituer un nouveau certificat original et doubler ainsi la quantité exempte des droits. Rousseau, qui avait les laissez-passer à sa disposition, ne résista pas à la tentation de grossir ses appointements en employant cette méthode aussi simple que peu scrupuleuse. Un examen attentif du document cité plus haut permet de remarquer que la falsification a été très habilement faite. Au lieu de gratter le mot duplicata, ce qui eût laissé une trace sur les vergeures et les pontuseaux, il a mouillé le papier, puis légèrement frotté la surface humide, pour n’enlever que les caractères de l’écriture. Cette particularité n’est pas nettement visible sur la photogravure, mais elle a été vérifiée[66] sur l’original, à Venise, où elle est très apparente. La pièce est accompagnée du procès-verbal de saisie adressé au Sénat et constatant la fraude. Naturellement, l’ambassadeur informa le ministre de cette affaire[67], et, afin de couper court à de nouvelles tentatives, il fit désormais imprimer le mot duplicata à côté de ses armes sur les certificats qui servaient à l’entrée des marchandises dans le port.

VII

comment jean-jacques aurait rendu des services diplomatiques


M. de Montaigu, livré sans réserve au marquis de Mari ; qui n’entrait pas dans les détails de ses devoirs, les négligeait à tel point que, sans moi, les Français qui étaient à Venise ne se seraient pas aperçus qu’il y eût un ambassadeur de leur nation. Toujours éconduits sans qu’il voulût les entendre lorsqu’ils avaient besoin de sa protection, ils se rebutèrent et l’on n’en voyait plus aucun ni à sa suite, ni à sa table, où il ne les invita jamais. Je fis souvent de mon chef ce qu’il aurait dû faire : je rendis aux Français qui avaient recours à lui ou à moi tous les services qui étaient en mon pouvoir. En tout autre pays j’aurais fait davantage ; mais ne pouvant voir personne en place à cause de la mienne, j’étais forcé de recourir souvent au consul, et le consul établi dans le pays où il avait sa famille avait des ménagements à garder, qui l’empêchaient de faire ce qu’il aurait voulu. Quelquefois cependant, le voyant mollir et n’oser parler, je m’aventurais à des démarches hasardeuses dont plusieurs m’ont réussi. Je m’en rappelle une dont le souvenir me fait encore rire. On ne se douterait guère que c’est à moi que les amateurs du spectacle à Paris ont dû Coralline et sa sœur Camille : rien cependant n’est plus vrai. Véronèse, leur père, s’était engagé avec ses enfants pour la troupe italienne, et après avoir reçu deux mille francs pour son voyage, au lieu de partir, il s’était mis à Venise au théâtre de Saint-Luc, où Coralline, tout enfant qu’elle était encore, attirait beaucoup de monde. M. le duc de Gesvres, connue premier gentilhomme de la chambre, écrivit à l’ambassadeur pour réclamer le père et la fille. M. de Montaigu, me donnant la lettre, me dit pour toute instruction : « Voyez cela. » J’allai chez M. Le Blond le prier de parler au patricien à qui appartenait le théâtre de Saint-Luc et qui était, je crois, un Zustiniani, afin qu’il renvoyât Véronèse, qui était engagé au service du roi. Le Blond, qui ne se souciait pas trop de la commission, la fit mal. Zustiniani battit la campagne, et Véronèse ne fut point renvoyé. J’étais piqué. L’on était au carnaval ; ayant pris la bahute et le masque, je me fis mener au palais Zustiniani. Tous ceux qui me virent entrer, ma gondole avec la livrée de l’ambassadeur furent frappés. Venise n’avait jamais vu pareille chose. J’entre, je me fais annoncer sous le nom d’una signora maschera. Sitôt que je fus introduit, j’ôte mon masque et je me nomme. Le sénateur pâlit et reste stupéfait : « Monsieur, lui dis-je en vénitien, c’est à regret que j’importune Votre Excellence de ma visite ; mais vous avez à votre théâtre de Saint-Luc un homme nommé Véronèse qui est engagé au service du roi et qu’on vous a fait demander inutilement : je viens le réclamer au nom de Sa Majesté. » Ma courte harangue fit effet. À peine étais-je parti que mon homme courut rendre compte de son aventure aux inquisiteurs de l’État, qui lui lavèrent la tête. Véronèse fut congédié le jour même ; je lui fis dire que s’il ne partait pas dans la huitaine, je le ferais arrêter, et il partit.


Il n’y a à retenir de ces allégations qu’un seul fait exact : c’est que les ambassadeurs étrangers et leur personnel n’avaient aucun rapport avec l’aristocratie vénitienne. C’était un préjugé très ancien, que ni le comte de Montaigu ni Rousseau ne pouvaient se flatter de faire disparaître. Il est matériellement faux que les intérêts français à Venise eussent été en souffrance sans l’initiative du secrétaire de l’ambassadeur.

À l’appui de son dire, Rousseau cite deux actes essentiels. C’est d’abord son heureuse intervention auprès de Véronèse. Dans l’exposition de cette affaire Jean-Jacques commet une légère erreur. Véronèse avait bien donné un acompte sur la somme totale, de telle façon qu’il ne lui était plus réclamé que 1,400 francs ; mais la question importante est de savoir si Rousseau, sans aucune instruction du comte de Montaigu, et de son autoritée privée, était allé trouver en bahute et en masque le noble Zustiniani, et l’avait tancé si vertement qu’au bout d’une semaine Véronèse eut quitté Venise. Les Giustiniani (Zustiniani, en dialecte vénitien) étaient propriétaires du théâtre de San Mosé, et non de celui de Saint-Samuel ou de Saint-Luc[68].

La correspondance de l’ambassadeur contient la minute de la réponse qu’il adresse lui-même au duc de Gesvres, le 7 décembre, au sujet de cette affaire. Le comte de Montaigu envoya Rousseau en masque, non pas chez le propriétaire du théâtre, mais chez l’impresario Michel Grimani[69]. « J’envoiai mon secrétaire en masque communiquer votre mémoire à M. Grimani. » Il envoya même par J.-J. Rousseau une note fort courtoise à M. Grimani : « Sua Excellenza, il Signor Ambasciator di Francia, non potendo fare se stesso la sua parte appresso sua Eccellenza il signor Michiele Grimani, a inviato il suo segretario per inchinarla, e per communicargli il memoriale qui adjunto, mandato dal signor Duca de Gesvres pregandola di voler prendere il contenuto in considerazione e ritinere nelle sue mani gli danari dovuti e da dovere al Carlo Veronese insino che siano pagate le millia quatro cento lire de Francia avanzate al detto Veronese dalla corte di Francia, in virtù dell’impegno ch’aveva preso di servire Sua Maesta nella Iruppa de suoi comediani italiani[70] ».

Le comte ajoute que l’affaire est assez compliquée, car Véronèse ne fait pas partie de la troupe de Grimani et ne joue que dans les cas extraordinaires ; il ne reçoit un paiement annuel que pour les gages de sa fille, qui tient les rôles de soubrette à Saint-Samuel. L’unique moyen d’arriver à une solution serait de menacer l’artiste d’une arrestation ; et c’est probablement ce qui se passa. Là encore Rousseau a voulu se substituer à son chef et s’attribuer tout l’honneur de la négociation. Il a inventé son algarade du palais Zustiniani, qui, pour être joliment exposée, n’en demeure pas moins invraisemblable. Dans une ville où les nobles n’entretenaient aucune relation avec les ambassadeurs, un simple secrétaire, fût-il masqué, n’aurait pas aussi aisément forcé les portes d’une demeure patricienne.

Dans une autre occasion, je tirai de peine un capitaine de vaisseau marchand, par moi seul et presque sans le secours de personne. Il s’appelait le capitaine Olivet, de Marseille, j’ai oublié le nom du vaisseau. Son équipage avait pris querelle avec des Esclavons au service de la République : il y avait eu des voies de fait, et le vaisseau avait été mis aux arrêts avec une telle sévérité que personne, excepté le seul capitaine, n’y pouvait aborder ni en sortir sans permission. Il eut recours à l’Ambassadeur qui l’envoya promener ; il fut au consul, qui lui dit que ce n’était pas une affaire de commerce et qu’il ne pouvait s’en mêler : ne sachant plus que faire, il revint à moi. Je représentai à M. de Montaigu qu’il devait me permettre de donner sur cette affaire un mémoire au Sénat. Je ne me rappelle pas s’il y consentit et si je présentai le mémoire ; mais je me rappelle bien que mes démarches n’aboutissant à rien, et l’embargo durant toujours, je pris un parti qui me réussit. J’insérai la relation de cette affaire dans une dépêche de M. de Maurepas et j’eus même assez de peine à faire consentir M. de Montaigu à passer cet article. Je savais que nos dépêches, sans valoir trop la peine d’être ouvertes, l’étaient à Venise. J’en avais la preuve dans les articles que j’en trouvais mot pour mot dans la gazette : infidélité dont j’avais inutilement voulu porter l’ambassadeur à se plaindre. Mon objet, en parlant de cette vexation dans la dépêche, était de tirer parti de leur curiosité pour leur faire peur et les engager à délivrer le vaisseau, car s’il eût fallu attendre pour cela la réponse de la cour, le capitaine était ruiné avant qu’elle fût venue. Je fis plus, je me rendis au vaisseau pour interroger l’équipage. Je pris avec moi l’abbé Patizel, chancelier du consulat, qui ne vint qu’à contre-cœur, tant tous ces pauvres gens craignaient de déplaire au Sénat. Ne pouvant monter à bord à cause de la défense, je restai dans ma gondole et j’y dressai mon verbal, interrogeant à haute voix et successivement tous les gens de l’équipage et dirigeant mes questions de manière à tirer des réponses qui leur fussent avantageuses. Je voulus engager Patizel à faire les interrogations et le verbal lui-même, ce qui en effet était plus de son métier que du mien. Il n’y voulut jamais consentir, ne dit pas un seul mot et voulut à peine signer le verbal après moi. Cette démarche un peu hardie eut cependant un heureux succès, et le vaisseau fut délivré avant la réponse du ministre. Le capitaine voulut me faire un présent. Sans me fâcher je lui dis en lui frappant sur l’épaule : « Capitaine Olivet, crois-tu que celui qui ne reçoit pas des Français un droit de passeport qu’il trouve établi soit homme à leur vendre la protection du roi ? »

Il voulut au moins me donner sur son bord un dîner que j’acceptai et où je menai le secrétaire d’ambassade d’Espagne, nommé Carrio, homme d’esprit et très aimable, qu’on a vu depuis secrétaire d’ambassade à Paris et chargé des affaires, avec lequel je m’étais intimement lié, à l’exemple de nos ambassadeurs.

La seconde intervention de Rousseau, en faveur d’un capitaine marchand de Marseille, serait plus méritoire.

Il y a deux versions sur le cas de ce capitaine.

Dans sa réponse à l’ambassadeur, le Sénat prétendit qu’une barque esclavone avait été mise en péril par une tempête. L’équipage du bateau français ne voulut pas secourir le navire en péril ; de là une dispute et des voies de fait.

La version contraire est celle que Rousseau mit dans son mémoire[71].

Plusieurs matelots français furent malmenés et blessés. D’après Jean-Jacques, le comte de Montaigu aurait dédaigné de donner suite à cet incident, ce qui est complètement faux. Le comte de Montaigu écrivit deux lettres explicatives, l’une à La Porte du Theil[72], l’autre au comte de Saint-Florentin[73], ministre de la marine par intérim. Rousseau prétend avoir fait observer à son chef qu’il était opportun de présenter un mémoire au Sénat, et il ne se rappelle pas qu’il y a été autorisé. On n’est guère habitué à rencontrer de telles précautions oratoires sous sa plume. Il a réellement rédigé ce mémoire sans faire de grands frais d’inspiration, car il s’est contenté de copier une note communiquée à l’ambassade par le capitaine Olivet et son second[74].

Les souvenirs de Jean-Jacques ne sont pas plus exacts au sujet du procès-verbal que l’ambassadeur fit dresser sur les lieux mêmes, à Chioggia.

Il prétend avoir réuni seul les éléments, et le chancelier du consulat, l’abbé Patizel, aurait refusé de lui prêter son concours effectif.

Rousseau n’avait pas prévu que le procès-verbal serait transcrit sur les registres de la chancellerie de France, et que le comte de Montaigu en communiquerait des copies au ministère. Une expédition authentique de ce document existe à sa date (6 juillet 1744) dans la correspondance de Venise aux archives des affaires étrangères : le nom de Rousseau n’y est pas mentionné ; c’est l’abbé Patizel qui, sur l’ordre de l’ambassadeur, a exclusivement procédé à tous les interrogatoires, et sa signature est la seule qui figure au bas de la pièce[75]. Pour quelle raison d’ailleurs Rousseau se serait-il rendu à Chioggia ?

Qu’y aurait-il fait ?

La réclamation énergique du représentant de la France eut un prompt résultat : quinze jours après la bagarre, le capitaine Olivet touchait un dédommagement convenable[76].

L’ambassadeur avait donc su se tirer d’affaire sans recourir à son secrétaire, et sans attendre les instructions ministérielles qui, cette fois, lui firent défaut. Car plusieurs mois s’étaient écoulés et la Sainte-Barbe avait levé l’ancre depuis longtemps, quand les bureaux répondirent au comte de Montaigu[77].

… ni l’ambassadeur, ni personne n’eut jamais à me reprocher une seule négligence dans aucune de mes fonctions, ce qui est à noter pour un homme aussi négligent et aussi étourdi que moi. Je fis mes seuls plaisirs de mes devoirs…

La contrebande et la falsification des pièces de l’ambassadeur ne sont pas des négligences, à ce qu’il paraît, dans l’opinion de Rousseau ; les lettres mal copiées sur les minutes du comte, présentées à sa signature au dernier moment, quelques instants avant le départ du courrier[78], ne lui reviennent pas à l’esprit ; ni le carnaval, ni les masques, puisque les devoirs restent les plaisirs dont il nous parle.

TEXTE DU MÉMOIRE DE J.-J. ROUSSEAU.

Hier 6e de juillet, un coup de vent qui s’éleva sur les dix-neuf heures jetta une barque esclavonne portant pavillon de Saint Marc, laquelle est en quarantaine, sur le vaisseau français la Sainte-Barbe, capitaine Olivet, ancré à Poeggia, depuis deux mois et qui devait partir aujourd’hui : après que le vent eut cessé, le capitaine en second du dit vaisseau avertit les gens de cette barque de se tirer de l’avant, qu’ils endommageaient considérablement et qu’ils observassent qu’ils étaient en quarantaine. Les matelots de la barque coupèrent, pour toute réponse, une corde du dit vaisseau : sur quoi le dit officier leur remontrant qu’ils ne devaient pas couper ainsi les agrets de ce vaisseau, ils lui répondirent qu’ils le couperaient lui-même et son équipage, s’il parlait davantage ; et l’officier leur aiant répliqué qu’ils s’en garderoient bien, ils sautèrent au nombre de quinze à vingt dans le dit vaisseau, le sabre à la main. Quatre jeunes gens du vaisseau ne voiant d’autre moyen d’éviter la fureur de ces emportés se jettèrent à la mer ; les autres se cachèrent comme ils purent : un seul, qui est italien, fut atteint et sabré par eux, de manière qu’il eut le bras coupé et presque séparé du corps.

texte de la note[79] du capitaine olivet ou du second

« Environ sur les dix-neuf heures est arrivé un coup de vent qui a jetté une barque esclavonne avec pavillon de Venise sur un vaisseau français ancré à Poveglio, qui est en quarantaine depuis deux mois ; après que le vent a eu manqué, le capitaine en second a dit à ces gens de la dite barque de se tirer de l’avant, qu’ils leur faisoient du mal, et qu’ils observassent qu’ils étoient en quarantaine. Sur cette réponse, les dits équipages de la barque ont coupé une corde du vaisseau qu’on appelle sarabosse. Sur cela, l’officier du vaisseau a voulu dire d’où vient qu’ils coupoient les agrets de son vaisseau ; l’équipage de la dite barque leur a répondu qu’il les couperoit encore eux s’ils parloient davantage, sur quoi le dit officier du dit vaisseau leur a répondu qu’ils s’en garderoient bien. Sur le champ l’équipage de la dite barque, environ quinze à vingt sont sautés dans le dit vaisseau, le sabre à la main, où quatre jeunes enfans du dit vaisseau se sont jetés dans la mer et trois autres se sont cachés pour éviter d’être coupés ; s’en estant trouvé un par malheur qui n’a pas pu se cacher, lui ont donné un coup de sabre sur le bras, qu’il s’en faut peu qu’il ne soit séparé du corps. »

L’analogie est frappante. Rousseau s’est contenté de transformer en bon français le jargon de la note.


Comme la correspondance était fort étendue et qu’on était en guerre, je ne laissois pas d’être occupé raisonnablement.

En effet, il n’y avait qu’une voix sur mon compte, à commencer par celle de l’ambassadeur, qui se louait hautement de mon service, et qui ne s’en est jamais plaint et dont toute la fureur ne vint dans la suite que de ce que, m’étant plaint inutilement moi-même, je voulus enfin avoir mon congé. Les ambassadeurs et ministres du roi, avec qui nous étions en correspondance, lui faisaient sur le mérite de son secrétaire des compliments qui devaient le flatter, et qui, dans sa mauvaise tête, produisaient un effet tout contraire.

Il pouvait si peu se gêner que le samedi même, jour de presque tous les courriers, il ne pouvait attendre pour sortir que le travail fût achevé, et me talonnant sans cesse pour expédier les dépêches du roi et des ministres, il les signait en hâte, et puis courait je ne sais où, laissant la plupart des autres lettres sans signature : ce qui me forçait, quand ce n’était que des nouvelles, de les tourner en bulletin ; mais lorsqu’il s’agissait d’affaires qui regardaient le service du roi, il fallait bien que quelqu’un signât, et je signais. J’en usai ainsi pour un avis important que nous venions de recevoir de M. Vincent, chargé des affaires du roi à Vienne. C’était dans le temps que le prince de Lobkowitz marchait à Naples et que le comte de Gages fit cette mémorable retraite, la plus belle manœuvre de guerre de tout le siècle et dont l’Europe a trop peu parlé. L’avis portait qu’un homme dont M. Vincent nous envoyait le signalement partait de Vienne, et devait passer à Venise, allant furtivement dans l’Abbruzze, chargé d’y faire soulever le peuple à l’approche des Autrichiens. En l’absence de M. le comte de Montaigu, qui ne s’intéressait à rien, je fis passer à M. le marquis de l’Hôpital cet avis si à propos, que c’est peut-être à ce pauvre Jean-Jacques si bafoué que la maison de Bourbon doit la conservation du royaume de Naples.

Le marquis de l’Hôpital, en remerciant son collègue comme il était juste, lui parla de son secrétaire et du service qu’il venait de rendre à la cause commune… J’avais été dans le cas d’en user avec le comte de Castellane, ambassadeur à Constantinople, comme avec le marquis de l’Hôpital, quoique en chose moins importante. Comme il n’y avait point d’autre poste pour Constantinople que les courriers que le Sénat envoyait de temps en temps à son bayle, on donnait avis du départ de ces courriers à l’ambassadeur de France…

Cet avis venait d’ordinaire un jour ou deux à l’avance : mais on faisait si peu de cas de M. de Montaigu qu’on se contentait d’envoyer chez lui pour la forme, une heure ou deux avant le départ du courrier ; ce qui me mit plusieurs fois dans le cas de faire la dépêche en son absence.

Il est inutile d’insister sur les motifs du changement d’attitude du comte de Montaigu à l’égard de son secrétaire. Rousseau va les développer, quelques lignes plus tard avec humeur, et l’ambassadeur lui répondra à sa façon dans la correspondance avec l’abbé Alary.

La cause véritable de cette brouille apparaît clairement : c’est la mauvaise humeur du secrétaire provenant de sa profonde déception. Prétendre appartenir à la diplomatie et n’être en fait que le premier domestique d’un ambassadeur doit inspirer un vif dépit. C’est l’explication de toutes les récriminations de Rousseau contre son premier protecteur.

Il en est de même des absences et de la négligence que Jean-Jacques reproche ici pour la première fois à l’ambassadeur. Nous verrons plus tard ce qu’il y a de vrai dans ces attaques.

Dans les archives de la famille de Montaigu, et dans celles des affaires étrangères de Venise, il y a bien en effet des lettres du marquis de l’Hôpital, mais le nom de Rousseau n’y est pas mentionné. Cet épisode des Confessions avait été contesté même au siècle dernier et avait valu à Rousseau un démenti formel qu’il n’osa pas relever[80].

La correspondance de l’ambassadeur de Venise avec le comte de Castellane est des plus intéressantes. (Voir page 41, la preuve de la fausseté du récit de Jean-Jacques sur tout ce passage.) De plus, le comte de Montaigu était parfaitement averti deux jours à l’avance du départ du courrier ; mais malignement Rousseau ne lui présentait les dépêches à signer qu’à la dernière heure, « au moment du départ de la poste, par malignité et par paresse[81] ».

VIII

comment jean-jacques dépeint l’intérieur et la vie de l’ambassade

Sa maison se remplissait de canaille : les Français y étaient maltraités, les Italiens y prenaient l’ascendant ; et même parmi eux les bons serviteurs, attachés depuis longtemps à l’ambassade, furent tous malhonnêtement chassés, entre autres son premier gentilhomme qui l’avait été du comte de Froulay, qu’on appelait, je crois, le comte Peati ou d’un nom très approchant.

… Hors la seule chambre de l’ambassadeur, qui même n’était pas trop en règle, il n’y avait pas un seul coin dans la maison souffrable pour un honnête homme.


Ces serviteurs étaient de vrais bandits, ainsi que le premier gentilhomme, qui l’avait été aussi du temps de M. de Froulay. Dans sa lettre au marquis d’Argenson, du 18 septembre 1745, voici ce que dit le comte de Montaigu : « Je fus obligé de chasser un misérable qui avoit esté à M. de Froulay. » Le sens de cette phrase n’apparaît clairement que si on la rapproche du tableau que Jean-Jacques nous a fait de l’hôtel de l’ambassadeur. Dans ce repaire de « masquereaux », de « fripons » et de « débauchés » il n’y avait « qu’un seul refuge honnête », et encore n’était-il pas à l’abri de tout soupçon. Ce qui veut dire en bon français que les mœurs de l’ambassadeur laissaient à désirer. Cette accusation ne peut être qu’une plaisanterie de la part de Jean-Jacques. Il savait bien, il le dit dans ses Confessions, que l’ambassadeur vivait familièrement avec ses collègues étrangers et leur entourage[82] ; bien plus, avec le duc et les princesses de Modène : celles-ci eussent-elles admis dans leur cour un homme de mauvaises mœurs ? La correspondance de l’ambassadeur est toute en sa faveur[83]. Il y apparaît comme un excellent père ne désirant qu’une chose : se voir entourer de sa femme et de ses enfants[84].

Les vieilles traditions s’étaient d’autant mieux perpétuées dans la famille que les Boisdavid vivaient dans leur château, loin du monde et de la cour (ce n’est qu’en 1744 que la comtesse de Montaigu fut présentée à Versailles). Ils étaient restés profondément religieux : à Venise l’ambassadeur faisait régulièrement son carême ; une de ses sœurs, religieuse dans un couvent de Bressuire, lui adresse à cette occasion des reproches maternels (24 avril 1747) :

« Ma sœur, m’a mandez que vous faisiez le carême régulièrement ; je crains bien que votre santé en soit altérée. Vous aviez deux médecins à consulter, le corporel et le spirituel ; je suis persuadée que l’un et l’autre ne vous croient point engagées à faire meigre : Vous oriez pu compenser cette abstinance par d’autres bonnes œuvres, mais vous avez voulu faire le tout.

« Le Seigneur qui ne lesse rien sans récompense, saura bien vous le conter. »


Comme Son Excellence ne soupait pas, nous avions le soir les gentilshommes et moi une table particulière, où mangeaient aussi l’abbé de Binis et les pages.

Dans la plus vilaine gargotte, on est servi plus proprement, plus décemment, en linge moins sale et l’on a mieux à manger.


Voici enfin la liste des humiliations que Jean-Jacques eut à subir, ou plutôt des égards qu’il exigeait et qui ne lui furent pas tous rendus.

Disposer d’une gondole particulière[85] paraissait à Rousseau une chose indispensable ; s’asseoir sur une chaise à son bureau constituait pour lui un maintien peu décent. Prendre ses repas avec les gentilshommes et les pages de l’ambassade lui semblait une action déshonorante, et il se révoltait en ne voyant pas servir une volaille à son souper : un service d’étain qui avait coûté 239 francs (monnaie du temps) était pour lui de la vaisselle de cuisine. Peut-être se rappelait-il avec regret le temps où il pouvait détourner chez M. de Mably de ce petit vin d’Arbois dont il faisait ses délices, le soir, dans sa chambrette ! Enfin, malgré ses aspirations démocratiques, il n’aimait pas côtoyer le vulgaire, et quand le comte de Montaigu était en villégiature dans son palais de la Brenta et renonçait à se servir de son secrétaire, celui-ci estimait qu’il n’était pas convenable d’aller à Padoue en voiture publique, moyen de transport tout au plus bon pour les valets.

Forcé de dépenser beaucoup pour me tenir au pair avec mes confrères et convenablement à mon poste, je ne pouvais arracher un sou de mes appointements ; et quand je lui demandais de l’argent, il me parlait de son estime et de sa confiance, comme si elle eût dû remplir ma bourse et pourvoir à tout…


(Voir la lettre du comte de Montaigu à l’abbé Alary, page 73) Ajoutez que le comte ne pouvait pas donner à Rousseau ce qu’il n’avait pas, puisqu’on lui devait dix mois d’appointements et un semestre de ports de lettres, soit en tout de 40 à 50.000 francs[86]. Cette détresse était donc imputable au gouvernement français et non au comte de Montaigu[87].


Ces deux bandits finirent par faire tourner tout à fait la tête à leur maître, qui ne l’avait déjà pas droite, et le ruinaient dans un brocantage continuel par des marchés de dupe, qu’ils lui persuadaient être des marchés d’escroc. Ils lui firent louer sur la Brenta un palazzo le double de sa valeur, dont ils partagèrent le surplus avec le propriétaire.

Les appartements en étaient incrustés en mosaïque et garnis de colonnes et de pilastres de très beaux marbres à la mode du pays. M. de Montaigu fit superbement masquer tout cela d’une boiserie de sapin, par l’unique raison qu’à Paris les appartements sont ainsi boisés.

Rousseau veut parler évidemment du palais de l’ambassade, qui était situé sur le canal Regio, alimenté par les eaux de la Brenta. C’était, en effet, un fort beau palais, œuvre de l’architecte vénitien Longhena, résidence de Querini ; et c’est le consul Le Blond qui avait négocié, traité et conclu le bail de l’ambassadeur. Le Blond insista d’autant plus auprès du comte en faveur de ce palais que le propriétaire lui avait promis cent ducats si le marché était accepté. Là encore, le consul fit une excellente affaire, car le noble Querini, bien qu’ayant majoré d’autant le prix de la location, eut à supporter des réparations onéreuses, et de son côté l’ambassadeur ne put pas s’installer avant la fin d’août. Quant aux fautes de goût de l’ambassadeur, elles sont indiscutables. Mais dans un temps où l’on revêtait de marbre les piliers de Notre-Dame, on pouvait revêtir de boiserie les murailles du palais Querini : le crime était moins grand.

Voilà quel était l’homme qui, toujours par le même motif peut-être, me prit en grippe, uniquement sur ce que je le servais fidèlement. J’endurai patiemment ses dédains, sa brutalité, ses mauvais traitements, tant qu’en y voyant de l’humeur je crus n’y pas voir de la haine ; mais dès que je vis le dessein formé de me priver de l’honneur que je méritais par mon bon service, je résolus d’y renoncer.

La première marque que je reçus de sa mauvaise volonté fut à l’occasion d’un dîner qu’il devait donner à M. le duc de Modène et à sa famille, qui étaient à Venise et dans lequel il me signifia que je n’aurais pas place à sa table.

Il se servit de lui (l’abbé de Binis) pour écrire à M. de Maurepas une relation de l’affaire du capitaine Olivet ; loin de lui faire aucune mention de moi, qui seul m’en étais mêlé, il m’ôtait même l’honneur du verbal dont il lui envoyait un double, pour l’attribuer à Patizel, qui n’avait pas dit un seul mot.

Il ressort assez nettement de ce qui précède que dans tous les rapports du secrétaire avec son maître le dédain, l’humeur, le dessein formé d’être désagréable vinrent de la part du secrétaire ; et de l’ambassadeur, au contraire, la bonté, la patience et la confiance.

L’affaire du capitaine Olivet excite encore les regrets de Rousseau ; l’eût-on attribuée entièrement à Jean-Jacques qu’il ne lui en serait revenu ni honneur ni avantage.

IX

comment jean-jacques raconte sa brouille définitive et son renvoi

Il voulait donc me garder et me mater en me tenant loin de mon pays et du sien, sans argent pour y retourner : et il aurait réussi, peut-être s’il s’y fût pris modérément.

C’est une version dramatiquement exagérée, en tout cas incomplète, de ce qui se passa dans cette entrevue. Rousseau trouva moyen de pousser à bout son maître en lui soumettant la note de ses frais de voyage. Ce mémoire fut établi par Rousseau lui-même, et le comte de Montaigu l’examina avant de le payer ; il vérifia minutieusement le compte. Ce n’était pas fait pour plaire à Jean-Jacques qui avait des dettes à acquitter à Venise : dans son dépit, il hasarda des observations moqueuses ou déplacées.

De son côté, le comte de Montaigu exaspéré par tous les ennuis qu’il avait eu à supporter de la part des gens de sa maison, et de Rousseau en particulier, le traita brusquement, il est vrai, mais sans le menacer de voies de fait comme le prétend Jean-Jacques.

Sa lettre à l’abbé Alary, quoique moins bien écrite que le passage des Confessions où l’auteur se donne une fière attitude qu’il n’a jamais eue qu’en paroles, explique cependant mieux les choses. Il s’agit de deux entrevues au lieu d’une, de deux querelles successives séparées par une nouvelle insolence du secrétaire à l’égard de l’ambassadeur. Voici d’abord le récit de la première entrevue : « Je l’ay chassé (Rousseau) comme un mauvais valet, pour les insolences auxquelles il s’est porté ; je n’ay pas voulu prendre les choses d’une autre façon, quelques raisons que j’eusse de le regarder comme un espion, et ayant abusé de l’estat dans lequel je l’avois mis auprès de moy, par rapport à vous qui me l’aviez donné, et le désir que j’avois de le trouver comme il devoit être…

« Il y a environ deux mois et demi que ces insolences-là augmentant, me présentant souvent des lettres mal copiées sur mes minutes, et attendant de me les montrer à signer au moment du départ de la poste par malignité et par paresse, la patience m’échappa à la fin. Je luy signifiay que je le chasserois, en luy reprochant… les raisons que j’avois de me méfier de sa fidélité… et la nécessité où il m’avoit mis de luy donner mes chiffres pour mes dépêches,… me disant qu’il falloit qu’il fut seul pour pouvoir travailler.

« Cette première querelle n’eut pas de conclusion, mais voici l’épilogue.

« Quelques jours après, lui ayant daté un mémoire pour présenter au Sénat, il me l’apporta écrit de la main de mon second secrétaire : je luy demanday pour lors s’il estoit incommodé ;… il me répondit en ricanant que non, mais que cette main là estoit plus belle que la sienne. Ce fut là le terme de ma patience ; je le renvoyay fort doucement le récrire, luy fis présenter le mémoire l’après-midi et le fis venir dans mon cabinet ;… je luy signifiay qu’il n’estoit plus à mes gages… j’ordonnay à mon second secrétaire de faire avec lui l’inventaire de ma secrétairerie : … la chose faitte, je l’envoyay chercher pour luy donner ce que je luy devois. Son compte a été fait sur l’exposé écrit de sa propre main… et il ne me laissa pas luy donner les connoissances de ce compte-là ; en entrant dans mon cabinet, luy disant que j’allois faire son compte, il me dit qu’il seroit fort injuste, qu’il estoit fait selon ma volonté, et fort juste selon ses prétentions. À la vérité, ma tête s’échauffa à ce propos, et je luy dis qu’il auroit esté un temps qu’un insolent comme luy seroit sorti de mon cabinet par la fenêtre…, qu’il avoit toutes les mauvaises qualités d’un fort mauvais valet, et que je traiterois le compte qu’il m’avoit donné de son voyage sur ce pied-là… Il se porta à des insolences si grandes, en me disant qu’il ne recevoit point un compte de cette espèce, que je luy dis que, s’il ne finissoit pas ce ton là, en prenant le parti de quitter Venise, je luy ferois sentir jusqu’où s’étendoit mon autorité…, qu’il devoit à un marchand qui ne luy avoit fourni ce qu’il avoit pris que sous ma caution, que j’allois commencer par le payer sur ce que je luy devois. Il me dit qu’il estoit bon pour payer ses dettes, quand je luy aurois payé ce que je lui devois suivant ses prétentions. Je luy dis de sortir de ma maison sur-le-champ, parce que je ne voulois pas me porter personnellement à de certaines extrémités, que je luy enverrois son compte, tel que je lui faisois, l’après-midy, avec le marchand que je voulois qu’on payast sur-le-champ, sachant que c’était un escroc (Rousseau) qui devoit à tout le monde[88]. »

Ainsi de l’aveu du comte de Montaigu, il y aurait eu évidemment des paroles violentes. La menace du passage par la fenêtre est authentique, mais seulement dans un dernier entretien, après que l’ambassadeur eut été poussé à bout.

X

comment jean-jacques raconte les derniers jours passés à Venise ; son retour à Paris

J’allai droit chez M. Le Blond lui conter l’aventure. Il en fut peu surpris ; il connaissait l’homme. Il me retint à dîner… Le consul conta mon cas à la compagnie. À ce récit il n’y eut qu’un cri, qui ne fut pas en faveur de Son Excellence. Elle n’avait point réglé mon compte, ne m’avait pas donné un sou, et réduit pour toute ressource à quelques louis que j’avais sur moi, j’étais dans l’embarras pour mon retour. Toutes les bourses me furent ouvertes… et en attendant mon départ…

Fidèle à son système d’exagération, J.-J. Rousseau annonce qu’au sortir du palais de l’ambassade tous les bras s’ouvrirent pour le recevoir et toutes les bourses pour remplir la sienne. Que Le Blond ait hébergé son compère, passe encore ; il intriguait secrètement contre l’ambassadeur et était tout disposé à lui être désagréable en obligeant son ex-secrétaire. Mais le ministre d’Espagne, si intimement lié avec son collègue, au dire de Jean-Jacques lui-même, ne lui aurait pas fait l’injure de prodiguer ses amabilités à un agent exclu de l’ambassade de France. Rousseau n’y regarde pas de si près.

Je fus loger chez le chancelier du consulat, pour bien prouver au public que la nation n’était pas complice des injustices de l’ambassadeur. Celui-ci, furieux de me voir fêté dans mon infortune… s’oublia jusqu’à présenter un mémoire au Sénat pour me faire arrêter.

On croirait, à le lire, que le Sénat de Venise était son humble serviteur : n’insinue-t-il pas que le gouvernement eut la courtoisie de l’informer qu’il lui était permis de demeurer dans la ville autant qu’il voudrait ? Il y resta au plus quinze jours après son renvoi, et pendant ce temps il nargua de telle façon le comte de Montaigu que celui-ci présenta, le 31 août, un mémoire au Collège des inquisiteurs pour obtenir son expulsion. Les inquisiteurs d’État auraient accédé volontiers à la requête ; mais ils constatèrent que Rousseau n’était plus à Venise depuis le 28 août[89].

Les dix-huit mois que j’ai passés à Venise ne m’ont fourni de plus à dire qu’un simple projet tout au plus.

La date du départ de J.-J. Rousseau est exactement connue ; comme il était arrivé le 4 septembre 1743 il a passé à peine un an dans la ville des doges. Il se trompe donc de six mois dans l’évaluation de son séjour.

Mon plus court chemin n’était pas par Lyon : mais j’y voulus passer pour vérifier une friponnerie basse de M. de Montaigu.

L’itinéraire du retour est plus exact que celui de l’aller. Mais c’est qu’il s’agit ici de mettre en évidence une dernière friponnerie de son maître.

J’avais fait venir de Paris une caisse contenant une veste brodée en or, quelques paires de manchettes et six paires de bas de soie blancs ; rien de plus. Sur la proposition qu’il m’en fit lui-même, je fis ajouter cette caisse, ou plutôt cette boîte, à son bagage. Dans le mémoire d’apothicaire qu’il voulut me donner en payement de mes appointements et qu’il avait écrit de sa main, il avait mis que cette boîte, qu’il appelait ballot, pesait onze quintaux, et il m’en avait passé le port à un prix énorme. Par les soins de M. Boy de La Tour, auquel j’étais recommandé par M. Roguin, son oncle, il fut vérifié sur les registres des douanes de Lyon et de Marseille que le dit ballot ne pesait que quarante-cinq livres et n’avait payé le port qu’à raison de ce poids. Je joignis cet extrait authentique au mémoire de M. de Montaigu : et muni de ces pièces et de plusieurs autres de la même façon, je me rendis à Paris, très impatient d’en faire usage.

La caisse dont il s’agit était une caisse remplie d’objets de toilette, qu’il avait fait venir avec les bagages de l’ambassadeur. Il ajoute même que celui-ci aurait retenu, en réglant son compte, le port de la dite caisse, ainsi qu’il était juste, mais en lui attribuant un poids de onze quintaux, tandis qu’elle ne pesait que quarante-cinq livres, ce qui, assure-t-il, fut reconnu véritable sur les registres de douane de Lyon. Or, tout ceci est inexact : la caisse dont il s’agit n’est nullement celle dont Rousseau fait mention ; elle fut expédiée pour une série d’emplettes, à laquelle Rousseau fait allusion dans une lettre écrite par lui à la comtesse de Montaigu, et conservée dans les archives de la famille : « J’envoie à un ami un mémoire assez considérable de plusieurs emplettes à faire à Paris pour moi et pour mes amis de Venise. Son Excellence m’a promis, Madame, de vous prier de vouloir bien recevoir le tout et l’envoyer sur le même vaisseau et sous les mêmes passeports que votre équipage[90]. »

C’est de cette seconde caisse qu’il s’agit en réalité. Rousseau trouvait avantage à confondre les deux envois.

Le bruit de mon histoire m’avait devancé, et en arrivant je trouvai que dans les bureaux et dans le public tout le monde était scandalisé des folies de l’ambassadeur.

Malgré cela, malgré le cri public dans Venise, malgré les preuves sans réplique que j’exhibais, je ne pus obtenir aucune justice. Loin d’avoir ni satisfaction, ni réparation, je fus même laissé à la discrétion de l’ambassadeur pour mes appointements, et cela par l’unique raison que, n’étant pas Français, je n’avais pas droit à la protection nationale, et que c’était une affaire particulière entre lui et moi.

Rousseau arriva à Paris, persuadé que ses démêlés avec son ancien maître avaient fait beaucoup de bruit dans la capitale, et qu’il n’aurait qu’à exhiber ses preuves pour que tout le monde vint se ranger de son côté. Aussi, quelle ne fut pas sa désillusion quand il vit que, malgré son éloquence, il n’obtenait pas « justice » ! On se demande ce qu’il entendait par cette expression, car le comte de Montaigu ne lui avait causé aucun tort ; lui en eût-il causé, le public n’avait pas à intervenir dans une question d’ordre privé ; Jean-Jacques n’était pas un agent du roi, mais un commis du comte de Montaigu. Il ne rencontra qu’un accueil indifférent là où il s’attendait à tout autre chose. Désappointé, il partit de nouveau en guerre contre les hommes et « nos sottes institutions civiles ».

XI

comment jean-jacques parle de son successeur auprès de l’ambassadeur, et du rappel du comte de montaigu


Il suivit cet avis et me donna réellement pour successeur un vrai procureur qui, dans moins d’un an, lui vola vingt ou trente mille livres.


Après le départ de Rousseau, en avril 1744, le comte de Montaigu se préoccupa naturellement du choix de son remplaçant. Chercher un secrétaire à Venise, il n’y fallait pas songer. L’ambassadeur s’adressa à son banquier de Paris, Kolly, qui lui indiqua une personne « absolument sûre ». Kolly avait été mal informé, car ce soi-disant honnête homme, qui s’appelait Henry, n’était qu’un escroc[91]. Le comte, l’ayant tenu en surveillance pendant quelques semaines et le voyant irréprochable, lui confia, en janvier 1745, la direction de sa maison, ce qui permit à Henry d’exercer son ancien métier. Les lois de la République défendaient aux ministres étrangers de traiter directement avec les négociants pour leurs achats quotidiens : un prête-nom était donc indispensable. Henry s’aboucha avec un individu de son espèce, le marchand Cornet, Français naturalisé Vénitien, qui promit de fournir à l’ambassadeur tout ce qui lui manquerait pour la nourriture, l’entretien, etc. Le comte, pour le payer, lui remettait les lettres de change qu’il recevait de Paris[92]. Les deux complices avaient, par suite, intérêt à ce que l’ambassadeur dépensât plus que moins ; c’est ce qui amena Henry à grossir de moitié les mémoires dans lesquels le comte de Montaigu évaluait ses avances pour recevoir du ministère le remboursement de ses dépêches secrètes, et des ports de lettres[93] ; de plus, il se livrait à une contrebande effrénée. Son maître avait compté mensuellement avec lui pendant le premier trimestre de 1745 ; n’ayant rien remarqué d’anormal, il négligea cette précaution. Henry et Cornet abusèrent de sa confiance imprudente[94].

… qui lui vola de vingt à trente mille livres.

Dix-huit mois de suite, le secrétaire trompa indignement le comte de Montaigu. Il gaspilla les finances de l’ambassadeur et lui fit naturellement un tort considérable auprès du ministre.

… Il le chassa, le fit mettre en prison, chassa ses gentilshommes avec esclandre et scandale, se fit partout des querelles, reçut des affronts qu’un valet n’endurerait pas…

En janvier 1746, l’ambassadeur ordonna à Henry de préparer la justification de ses opérations

financières pour l’année écoulée ; mais Henry ne se conforma que lentement à cette injonction. Son maître, qui commençait à le soupçonner, le somma de s’exécuter ; mais il dut patienter jusqu’au mois d’août. À ce moment, Henry produisit un compte obscur dont le total atteignait le chiffre de 176, 720 livres vénitiennes, c’est-à-dire 88, 000 livres tournois, ce qui supposait un train de maison s’élevant annuellement à plus de 50, 000 livres. L’ambassadeur, en examinant sommairement cette pièce, fut surpris de nombreux articles qui y figuraient, et exigea pour chacune des fournitures une quittance séparée, à défaut de laquelle tous les commerçants affirmeraient eux-mêmes le règlement de leur créance. Henry, se doutant que ses rapines seraient prochainement découvertes, se disposa à la fuite. Il brûla les papiers les plus compromettants, en enleva d’autres (entre autres des dépêches de l’ambassadeur, des années 1745 à 1746) et, abusant de la liberté qu’on lui laissait, il emporta avec lui tous les meubles de sa chambre[95]. Son complice Cornet protégea sa retraite en lui retenant une place dans une voiture qui faisait le service entre Venise et Florence et appartenait au grand-duc de Toscane. Avant de s’en aller, il avait eu l’impudence de dénoncer au ministre l’ambassadeur comme l’auteur de la friponnerie dont lui Henri, aidé de Cornet, avait été l’audacieux inventeur[96]. Dans une lettre au cardinal de Tencin, le 25 novembre 1747, le comte de Montaigu dit : « Après m’estre deffait du fripon de secrétaire (Henry) que j’ai eu, j’en ai chassé seize (domestiques) tout à la fois qui étaient de sa clique, que j’ay gardé les uns deux ans, les autres trois, malgré leur friponnerie… dont je me défendois le mieux qui m’estoit possible[97]. »

Il le fit mettre en prison…

Ceci est exact. Henry fut arrêté à Monaco par ordre du maréchal de Belle-Isle et sur la prière du comte de Montaigu[98].

… il finit par se faire rappeler…

Ceci est faux. Le roi avait supprimé les fonds secrets pour Venise, mais sans pour cela liquider l’arriéré de ce qu’il devait à son représentant à l’étranger[99]. Le comte de Montaigu se résigna à regret, et avertit le ministre qu’il ne serait plus à même de fournir des renseignements exacts sur les événements d’Italie[100].

Quelques semaines après, il représentait au marquis d’Argenson qu’on pouvait désapprouver l’emploi qu’il avait fait des sommes qui lui étaient allouées, mais qu’il avait droit au paiement intégral des avances qui lui étaient dues depuis tant de mois[101]. Les réclamations de l’ambassadeur étaient tout à fait légitimes, et le ministre les eût volontiers admises si elles avaient été rédigées dans un style plus diplomatique. Pendant son séjour dans l’armée le comte de Montaigu s’était accoutumé à un franc-parler qui, admissible chez un officier, ne l’était plus chez un représentant du roi à l’étranger.

Cette indépendance de langage était de nature à lui nuire auprès du ministre, très formaliste d’ordinaire ; elle lui valut l’hostilité des bureaux, dont il avait involontairement blessé les susceptibilités. Si les commis du ministère jugeaient mal la République et n’étaient pas au courant des détails de sa politique, il aurait été plus habile de ne pas le leur dire. Peut-être eussent-ils mieux apprécié les lettres de l’ambassadeur en s’assimilant les utiles conseils qu’elles contenaient, tandis qu’ils n’y relevaient que les critiques qu’il avait l’air et non l’intention d’adresser à son chef hiérarchique. C’est bien sans arrière-pensée qu’il laissa figurer dans sa dépêche du 2 avril 1747 une phrase inspirée par une idée juste au fond, mais trop librement exprimée. Le ministre vit dans cette lettre un manque d’égards que l’ambassadeur était loin d’avoir voulu y mettre : ce fut sans doute sous l’empire de ce sentiment qu’il signifia au comte, le 19 avril, que le roi croyait répondre à ses désirs en le relevant de ses fonctions d’ambassadeur à Venise.

L’annonce de cette nouvelle causa au comte de Montaigu une véritable stupeur. Il avait si peu songé à s’écarter du respect dû à un supérieur qu’il avait inséré une phrase à peu près identique[102] dans sa lettre du même jour au maréchal de Belle-Isle, ministre d’État comme d’Argenson, qui n’en fut pas autrement choqué : en relations d’amitié avec l’ambassadeur, il était habitué à sa franchise.

À peine le comte eut-il connaissance de la décision royale qu’il écrivit au ministre, le 14 mai, une lettre pleine de dignité : il protestait contre la conclusion erronée qu’on avait tirée de ses paroles, et ajoutait qu’il ne consentirait à partir qu’après qu’on lui aurait soldé tout l’arriéré de ses appointements, ports de lettres, etc.

C’était là un argument auquel le ministre ne fut pas insensible ; son mécontentement avait d’ailleurs été exploité par les bureaux, et il entendait seulement donner un avertissement à l’ambassadeur. Dans ses dépêches suivantes, il ne lui parla plus de son rappel. Ce silence inquiéta le comte de Montaigu ; le bruit courait dans Venise qu’il était disgracié, et cette fausse situation lui était fort préjudiciable[103].

Il n’en continua pas moins à rendre service à l’armée gallispane, à laquelle il fournit dans un moment critique des vivres et de l’argent. Entre temps, il faisait agir ses amis auprès du marquis d’Argenson dont la rancune fut de courte durée. Le 23 août 1746, il rassurait l’ambassadeur par un billet extrêmement courtois, où il affirmait que le roi n’avait eu le dessein de le rappeler que parce qu’on le jugeait dégoûté de sa charge ; lui-même n’avait jamais blâmé que la forme et non le fond de ses dépêches.

D’Argenson confia également au cardinal de Tencin, son collègue dans le conseil, le soin de dire au chevalier de Montaigu que son frère pouvait demeurer tranquille dans sa place et regarder comme non avenu tout ce qui s’était passé[104].

Le semblant de rappel du comte de Montaigu n’aurait été qu’un incident sans importance si l’ambassadeur n’en avait été gravement affecté. On comprend du reste que ses lettres se ressentissent parfois des ennuis qu’il éprouvait. Il se voyait environné d′hommes indignes de sa confiance. Rousseau, outre ses malversations, espionnait son maître et altérait ses chiffres de correspondance[105]. Son successeur Henry imita ce triste exemple. (Quant au gouvernement vénitien, l’espionnage était son principal moyen d’action. Six mois après son arrivée à Venise, l’ambassadeur signalait à Amelot un fait singulier. Il avait présenté au Collège un mémoire dont il expédia un double à la cour, le jour où l’assemblée en délibérait ; la réponse ne lui fut notifiée que le lendemain, et cependant Cornaro, ministre vénitien à Versailles, eut en main une copie de cette réponse avant que le mémoire fût parvenu à Amelot[106]. Un an plus tard, le comte se plaignait de ce que le texte d’une de ses dépêches chiffrées eût été livré au chancelier de la reine de Hongrie, qui l’avait transmis mot pour mot à la République[107], et de ce que les ambassadeurs vénitiens surprenaient le secret de ses lettres et en communiquaient le contenu au Sénat[108].

D’Argenson ayant été surpris d’une telle indélicatesse, le comte précisa ses griefs : quatre de ses dépêches avaient occasionné un minutieux rapport de Diedo à son gouvernement[109]. Le ministre attribua cette coïncidence à ce que lui-même avait été amené, dans une conversation avec Diedo, à traiter la question en détail[110] ; mais l’ambassadeur insista en prouvant la duplicité du chargé d’affaires de Venise qui dévoilait à la cour de Vienne nos projets sur l’Italie[111].

Ces intrigues répugnaient à la loyauté du comte de Montaigu. Soupçonnant que ceux qui l’entouraient avaient des intelligences à la cour, il s’en ouvrit à deux reprises à d’Argenson. Dans sa première lettre, il semblait accuser quelque commis du ministère[112] ; d’Argenson s’empressa de disculper le personnel de ses bureaux[113]. Dans la dépêche suivante, l’ambassadeur déclara qu’il ne doutait pas de leur intégrité, et qu’il avait simplement observé qu’il y avait à Venise quelqu’un qui protégeait les espions et dont on ne se défendait pas assez à Versailles[114].

Le Blond, parti pour la France au mois d’avril 1748, avait employé son temps à cabaler contre l’ambassadeur et à soigner ses intérêts aux dépens des autres[115]. Son crédit était grand dans les bureaux[116] et il en usa secrètement pour amener la disgrâce de son adversaire.

Le marquis de Puyzieulx, qui venait de remplacer d’Argenson au secrétariat des affaires étrangères, avait été un peu déconcerté par une des dépêches du comte de Montaigu : il crut qu’à Venise on le considérait comme l’auteur de l’attestation de moralité donnée au misérable Henry et, quoique l’ambassadeur fût persuadé du contraire[117], la confusion lui fut nuisible. Il avait sollicité un congé pour venir en France rétablir sa santé gravement atteinte par toutes ses épreuves ; le 6 mai 1749, le roi le prévint qu’il allait être remplacé et lui expédia ses lettres.

Ce rappel n’était pas une disgrâce, puisque le marquis de Puyzieulx assura l’ambassadeur dans une de ses dépêches que le roi et lui-même n’avaient sur

son compte que des préventions très favorables[118]. Le comte de Montaigu désirait d’ailleurs atteindre le terme de son exil[119]. Il fit part au gouvernement vénitien de son changement, et le Sénat, qui ne doutait pas de la culpabilité de Cornet, mais n’avait pas voulu se compromettre en la proclamant, adressa en réponse à l’ambassadeur un mémoire où il lui exprimait très courtoisement les regrets les plus flatteurs[120].

Les divers préparatifs du départ exigèrent quelques semaines ; les bureaux des affaires étrangères s’en étonnèrent et traitèrent le comte de Montaigu comme son prédécesseur[121]. L’ambassadeur, quoique ses deux fils fussent malades à Venise, ne voulait pas qu’on l’accusât de résister aux ordres ministériels ; il quitta seul, le 8 septembre, le territoire de la République, sans prendre le temps de recevoir le présent du Sénat, qu’il avait refusé d’accepter en argent[122]. Mme de Montaigu et ses enfants le rejoignirent plus tard, le 15 décembre 1749[123]. Le comte de Montaigu eut son audience de congé du roi, qui lui assigna une pension de six mille livres sur le Trésor[124].

Il renonça à la vie publique et se voua exclusivement aux siens. Sa mort arriva le 23 novembre 1764 ; il était âgé de soixante-douze ans[125].

Si la publication des lettres du comte de Montaigu ne fait que compléter sur quelques points l’histoire générale du dix-huitième siècle, elle aura réparé une injustice en détruisant la légende qui depuis cent cinquante ans s’était substituée à la vérité. L’ambassadeur a été calomnié dans les Confessions : on le jugerait mal si l’on n’étudiait que les documents officiels du ministère des affaires étrangères ; il était indispensable de dépouiller sa correspondance privée pour se prononcer en connaissance de cause. Ce n’est pas à dire que le comte de Montaigu fut à l’abri de toute critique. Son style n’était pas celui d’un académicien ; sa négligence des questions de forme, l’excessive confiance qu’il avait dans son personnel, lui firent commettre des incorrections ou des imprudences : soldat austère plutôt que diplomate et homme de cour, peut-être ne mena-t-il pas toujours à bien, malgré l’expérience qu’il avait acquise de la République vénitienne, les affaires souvent délicates dont il assumait seul la responsabilité. Mais, au milieu de son déplorable entourage, il sut demeurer fidèle aux traditions d’honneur qu’il avait reçues de ses ancêtres et servir son pays en parfait honnête homme. Cela n’a-t-il aucun prix ? Et Jean-Jacques, philosophe et moraliste, ne devait-il pas le confesser ? Ces notes, tout en rendant justice à l’ambassadeur, permettront de constater que Rousseau n’a pas toujours dit le « bien et le mal avec la même franchise [126] », et que, contrairement au programme, il a exagéré le mal et dissimulé le bien.


Paris, novembre 1899.
Lo Bibliothèque

Université d’Ottawa Éclié«iic«  The Library University of Ottawa Dote due a 39003 002^428^1 Ubjt CE PC 2048 ,f^€Ht 1904 COO MONTAIGU, ACC# 1218126 At DEMELES DU C

    tu n’en viendras jamais à bout, quand tu ne voudras pas couper dans le vif, et dans l’état du fond de tes affaires, etc… »

  1. M. Souchon, archiviste de l’Aisne, a consulté ces registres et ces liasses ; c’est d’après ses notes que les archives de Venise seront citées.
  2. Dezobry et Bachelet, t. II, jj. 1831, édit. de 1880.
  3. Dans la collection Letellier, il existe en effet un contrat d’emprunt fait par deux Montaigu, à la fin du douzième siècle, qui porte la mention : Qui Pictaviensis et Arvernensis consanguines… D’autre part, dans les archives de la famille de l’ambassadeur se trouve une lettre du mois d’août 1266 adressée par Alphonse, fils du roi de France, comte de Poitiers et de Toulouse, au sénéchal de Poitou, pour faire mettre en liberté Garin de Montaigu, chevalier, que Guy d’Orfeuille et Aimery Maynard ont injustement fait prisonnier avec deux de ses écuyers sur les terres dudit comte de Poitiers.
  4. Commune de Doué-la-Fontaine, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Saumur (Maine-et-Loire). Cette seigneurie, relevant de celle de Trèves, appartenait à cette époque aux dauphins d’Auvergne. (Charte des archives privées de la Bretesche.)
  5. Commune de Saint-Georges-de-Sept-Voies, canton de Gennes, arrondissement de Saumur (Maine-et-Loire).
  6. Commune de Cyrières, canton de Cerizay, arrondissement de Bressuire (Deux-Sèvres).
  7. Les papiers ne lui furent pas tous rendus. La plupart furent gardés à la Bastille. Ils sont actuellement classés parmi les manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal.
  8. Aveu du 13 septembre 1738. (Manuscrit de France. — Cabinet de Beauchet-Filleau.)
  9. « Le fiancé apportait en dot plus de 20,000 livres de rentes en terres et environ 50,000 livres en biens meubles, le tout grevé de 4,000 livres de rentes viagères à servir annuellement ; quant à la future, elle avait de son côté à peu près 13,000 livres de rentes sans compter le mobilier, qui n’était pas sans valeur. L’argenterie était évaluée 8,000 livres à l’inventaire ; les diamants et les bijoux 6,400 livres. » (Pièces contenues dans les archives de la famille.) Ces chiffres indiquent une fortune notable, si l’on se rapporte surtout à l’année 1736 : au commencement du dix-huitième siècle la richesse publique avait subi un amoindrissement considérable. L’ambassadeur habitait la terre de la Bosse, qui lui venait de René de Montaigu, ainsi que nous l’avons dit.
  10. La chronologie militaire de Pinard (t. VIII, p. 386) nous dit bien que dès 1706 il était en possession d’un brevet de lieutenant au régiment du roi. La chose parait invraisemblable si l’on songe que le jeune Montaigu n’avait alors que quatorze ans, d’autant plus que les archives de la famille contiennent une nomination authentique à ce grade, mais à une date postérieure. Il serait cependant possible que le roi ait accordé au jeune homme, non pas le brevet de lieutenant, mais celui de sous-lieutenant, ce qui se faisait en cas de guerre.
  11. C’était le 1er régiment d’infanterie dans l’ancien régime. Il comprenait trente-deux compagnies : chacune portait le nom de son capitaine, excepté la compagnie dite colonelle. Le régiment des gardes françaises avait le premier rang sur tous les autres comme formant (avec les Suisses) la garde du prince. Jusqu’aux maréchaux de logis inclusivement, les grades avaient le privilège de committimus.
  12. Almanach royal, année 1742 et suivantes.
  13. L’ordonnance du 17 juillet 1777 fixait à 109 hommes la compagnie de grenadiers et à 176 hommes chacune des cinq autres, y compris les officiers.

    Lieutenants-colonels, majors, capitaines de grenadiers, fusiliers 
    80,000 livres.
    Capitaines en deuxième, aides-majors, lieutenants en premier 
    40,000
    Lieutenants en deuxième, sous-aides-majors 
    30,000
    Sous-lieutenants en deuxième 
    10,000
    Enseignes 
    6,000

    Les charges vacantes par mort restent à la disposition du roi. Comme la noblesse est exigée pour le grade d’enseigne, les bas officiers ne peuvent dépasser celui d’adjudant.

  14. Les gardes françaises résidaient à Paris, car elles avaient conservé le privilège de la garde de la famille royale. Le colonel continue à prendre les ordres du roi. Malheureusement, tout en conservant ses distinctions honorifiques, le régiment des gardes françaises, par sa constitution intérieure, par les détails du service et ses exercices, ne différait plus sensiblement des autres régiments d’infanterie. Ce régiment appartenait à la maison du roi.
  15. Archives de la famille.
  16. Archives de la famille.
  17. Les grands officiers étaient : comte de Saint-Germain, ministre de la guerre ; prince de Montbarey, adjoint ;
    Quinze maréchaux de France : (Gaspard) marquis de Clermont-Tonnerre, duc de Richelieu, duc de Biron, duc de Bercheny, duc de Conflans, marquis de Contades, prince de Soubise, duc de Broglie, duc de Brissac, duc d’Harcourt, duc de Noailles, duc de Nicolay (mort en 1777), duc de Fitz-James, duc de Mouchy, J.-B. de Durfort duc de Duras ;
    Trois colonels généraux : comte d’Artois, colonel général des Suisses et Grisons ; marquis de Béthune, colonel général de la cavalerie ; duc de Coigny, colonel général des dragons.
    Officiers généraux
    des divisions
    pour
    l’inspection des
    troupes
    22 lieutenants généraux commandants.
    46 maréchaux de camp commandants.
    145 lieutenants généraux des armées du roi.
    349 maréchaux de camp des armées du roi.
    258 brigadiers d’infanterie.
    138 brigdiers de cavalerie.
    34 brigdiers de dragons.

    Total des grands officiers : 1,012.

    Appointements et soldes : 1,232,000 livres.

  18. Tous ces documents sont contenus dans les archives de la famille de Montaigu, château de la Bretesche, par Misillac (Loire-Inférieure).
  19. Luynes le qualifie d’homme fort sage et fort sensé, et qui n’admettait pas les plaisanteries libres que M. d’Aven mit à la mode à la table du Dauphin. (Archives de la famille.)
  20. Le texte des Confessions est imprimé en caractères italiques.
  21. Archives de la Bretesche : adresse illisible. Issy, 1er mars 1731.
  22. Archives de la Bretesche ; Versailles, 21 janvier 1742.
  23. Archives de la Bretesche ; sans date, réponse à la lettre écrite de Lille le 25 janvier 1742.
  24. Gentilhomme de la manche.
  25. Lettre du 26 juin 1743, du chevalier de Montaigu à son frère, ambassadeur.
  26. Coli ou Kolly, banquier, homme d’affaires de l’ambassadeur à Paris.
  27. Lettre du chevalier de Montaigu à son frère, ambassadeur. Août 1743.
  28. Lettre du chevalier de Montaigu à son frère, 17 août 1743.
  29. Ibid., juillet 1743.
  30. Lettres de la comtesse de Montaigu. (Archives de la famille.)
  31. Archives de la famille.
  32. Ibid.
  33. Le comte de Montaigu arriva à Venise le 11 juillet 1742. — Rousseau, parti de Paris le 10 juillet, arriva à Venise le 4 septembre 1742.
  34. Les comptes de J.-J. Rousseau sont dans les archives de la famille.
  35. Lettre d’août 1744, du comte de Montaigu à l’abbé Alary : « Comptant que je ne pouvois me passer de luy (Rousseau) quand il écrivoit sous la dictée que je luy faisois, cherchant quelquefois le mot qui ne venoit pas, il prenoit ordinairement un livre et me regardoit en pitié. »
  36. Lettre du chevalier de Montaigu à son frère, 17 août 1743.
  37. Lettre du chevalier de Montaigu, Versailles, 2 décembre 1743.
  38. Lettre de Le Blond à Amelot, le 5 janvier 1743.
  39. Lettre d’Amelot à Le Blond, le 29 janvier 1743. (Archives du ministère des Affaires étrangères, correspondance de Venise, vol. 204)
  40. Lettre de l’abbé Alary au comte de Montaigu, le 7 octobre 1743.
  41. Lettre du chevalier de Montaigu au comte de Montaigu, le 25 octobre 1743.
  42. Brouillon de lettre écrit par J.-J. Rousseau, le 22 février 1744, et conservé dans les papiers de l’ambassadeur.
  43. Lettre publiée par Musset-Pathay (ouvr. cité, II, 476).
  44. Cf. la lettre déjà citée du comte de Montaigu à l’abbé Alary, août 1744.
  45. Voyez les lettres au chevalier son frère (30 novembre et 13 décembre 1743, 9 mai 1744, 25 septembre 1745, 3 septembre 1746, 22 avril 1747, etc., qui sont confirmées par d’autres documents. Barjac, valet de chambre du défunt cardinal de Fleury, écrivant, le 9 avril 1754, au comte de Montaigu, avoue que les dépenses de l’État sont excessives en ce moment ; la banqueroute de deux fameux notaires de Paris rend l’argent rare dans la capitale. À l’étranger l’impression était la même : le correspondant à Ratisbonne d’une gazette vénitienne rapporte que « li tesori reali si trovino intieramente esausti, impoveriti li sudditi, rovinati il commercio, et falliti percio li principali négocianti e banquierii di Parigi e Lione… » (Avvisi o Gazette di affari politici, 1744.) (Bibliothèque de Saint-Marc, à Venise. Mss. cl. VI, cod. {{sc[cccvi}}.) Le 27 septembre 1744, un agent anglais à Paris envoyant à lord Carteret une relation diplomatique dit que la guerre cause une perte de cent millions èi Marseille, Nantes et Bordeaux ; mais que les fonds seront prêts, grâce à l’habileté des financiers. (British Muséum. 22541. — Carteret papers, fol. 342.)
  46. Lettre du chevalier son frère, du 8 décembre 1746 : « Tu espères de ne pas te ruiner en demeurant où tu es : il y a longtemps que tu me promets la même chose, mais sans exécution, et
  47. Lettre de l’ambassadeur à Amelot, le 4 avril 1744.
  48. En effet, les Vénitiens apprirent avec plaisir, en avril 1744, la nouvelle, inexacte d’ailleurs, que la flotte française avait été battue dans la Méditerranée par l’amiral anglais. Notre succès à Fontenoy leur causa une sensible déconvenue (lettre du comte de Montaigu au marquis d’Argenson. 12 juin 1745 ; en juillet 1747, la défaite et la perte de l’escadre de M. de Jonquières furent accueillies par d’inconvenantes réjouissances (lettre de l’ambassadeur à M. de Puyzieulx, 15 juillet 1747).
  49. Le 19 octobre 1743, l’ambassadeur écrit à son collègue, le marquis de Mari, en le priant d’informer le procurateur Eino de l’insulte qui a été faite l’avant-veille « à un de mes valets de pied au port de Saint-Félix, par un gondolier du trajet nommé Pierre Fortuni, qui, refusant de le passer d’abord, le passa enfin, le traittant mal de paroles, me mettant et la nation en jeu dans ses discours insolens. Comme cela s’est passé publiquement, je désirerois une punition proportionnée à l’insulte. Je voudrois bien ne pas présenter au Sénat un mémoire pour une affaire de cette nature. Je l’ai vérifiée, mon domestique n’a pas tort, et vous savez que mon intention n’est pas d’avoir des insolens dans ma maison ».
  50. Ce procès-verbal a été envoyé avec une lettre du comte de Montaigu au marquis de Puyzieulx, le 22 décembre 1747.
  51. Il en était de même dans toute l’Italie. Notre chargé d’affaires à Bologne, Beroaidi, remercie, le 31 juillet, le comte de Montaigu des nouvelles consolantes qu’il lui a communiquées. « Opportunamente mi gingneranno sempre le nuove che Vostra Eccellenza mi graziera per consolare i Francesi che sono in Bologna abbatuti dalle solite loro milantarie. » À Rome la populace célébra l’élection du grand-duc de Toscane à l’empire par une manifestation antifrançaise. (Lettre de l’archevêque de Bourges à l’ambassadeur, 2 septembre 1745.)
  52. M. de Saint-Marc Girardin a fait de Capello un ambassadeur à Vienne ; l’erreur a été déjà relevée par M. Ceresole (ouvr. cité, p. 145.)
  53. M. de Castellane, notre ministre à Constantinople, raillait spirituellement le chevalier Erizzo dans une lettre à l’ambassadeur, du 15 novembre 1744 : «… Connoissant comme je fais son attachement pour la maison d’Autriche, il iroit à Vienne, je ne dis pas sans caractère, mais nud-pied s’il le falloit pour obliger cette puissance. »
  54. Lettres du marquis d’Argenson à l’ambassadeur, 8 décembre, 9 et 16 mars 1745, etc.
  55. Le 2 novembre 1743, le marquis de Mari écrivait au prince de Campo Florido, ambassadeur d’Espagne à Versailles : « À l’égard de la République, elle n’a jusqu’ici rien fait qui ne soit conforme à une exacte neutralité. » Le maréchal de Belle-Isle, dans une lettre au comte de Montaigu (21 novembre 1745), exprime la conviction que les Vénitiens resteront neutres. Notre ministre de Florence, Lorenzi, écrivant à l’ambassadeur le 15 janvier 1746, lui annonce que, d’après ce que lui a révélé un noble Vénitien, la République gardera la neutralité, mais qu’il en serait autrement si le Mantouan était attaqué.
  56. Lettre de l’ambassadeur au marquis d’Argenson, 17 avril 1743 — Lettres de l’ambassadeur au roi, 2 janvier et 13 août 1746.
  57. « Personne n’ayant plus envie de bien faire que moy, et de mériter vos bonnes grâces et votre protection. » (Lettre du comte de Montaigu à Amelot, 31 août 1743.)
  58. On aurait pu reproduire d’après un tableau de famille et une lettre de l’ambassadeur une de ces fêtes données au comte de Montaigu.
  59. « Pas un noble n’a de commerce avec les ambassadeurs ; cela est porté à un point qu’ils ne sont salués ni par les hommes ni par les femmes, et ne reçoivent nuls honneurs dans l’État de la République… » (Lettre sans date du comte de Montaigu à N.)
  60. « Il y a (à Venise, plusieurs Français qui y sont depuis longtemps, qui y vivent d’industrie, sortis de France pour éviter les châtiments que les différentes espèces de fautes qu’ils ont faites leur ont fait mériter… il y en a un… ici… qui, après s’être sauvé de France, s’est sauvé de la cour de Vienne, s’est mis ici sur le pied d’un espion de tout ce qui s’y passe et fait les gazettes. Comme il est Français, il se croit obligé de voir les ambassadeurs… je l’ai trouvé lié avec tous les fripons dont je vous parle, et en le traitant honnêtement, je luy ay fait sentir que le roi me donnant l’autorité d’en chasser tous les aventuriers de Français qui y viendroient, on pouvoit mériter ma protection en se rendant utile au service du roi par les avis qu’on pouvoit me donner. Cela a commencé à m’attirer quelque chose de sa part : aiez la bonté de me mander là-dessus si j ay bien fait ou non… » (Lettre à Amelot, 23 novembre 1743.)
  61. D’Argenson se complaisait en de subtiles distinctions que n’admettait pas la franchise un peu rude du comte de Montaigu. Ce dernier avait, sur l’ordre du ministre, remis le 28 juillet 1745 un mémoire au Collège pour annoncer que le roi était décidé à combattre la reine de Hongrie. Peut-être les expressions dépassent-elles sa pensée ; en tout cas, d’Argenson lui reproche d’avoir écrit (20 août 1745) que le roi avait en vue le renversement de la maison d’Autriche, alors qu’il ne pensait qu’à mettre des bornes à sa suprématie ; c’était épiloguer sur des mots.
  62. Voir le texte du billet p. 26.
  63. Lettre du comte de Montaigu au marquis de Puyzieulx 3 juin 1747. (Archives du ministère des affaires étrangères. Venise, 211.)
  64. Lettre du comte de Montaigu au ministre. 17 juin 1747. (Archives du ministère des affaires étrangères.)
  65. La pièce originale est à Venise. M. Souchon, archiviste de l’Aisne, au cours de son voyage à Venise, obtint la permission de la photographier.
  66. M. Souchon, archiviste de l’Aisne, l’a vérifié à son voyage à Venise.
  67. Lettre du comte de Montaigu à La Porte-Dutheil, 13 juin 1744.
  68. M. Ceserole, ouvrage cité, p. 135. — Ceserole avait déjà relevé le fait et contredit cette anecdote, ouvrage cité.
  69. Lettre du comte de Montaigu au duc de Gesvres, le 7 décembre.
  70. Texte du billet du comte de Montaigu à M. Grimani.
  71. Réponse du Sénat à l’ambassadeur.
  72. Lettre du comte de Montaigu à La Porte du Theil, le 11 juillet 1744.
  73. Lettre du comte de Montaigu au comte de Saint-Florentin, le 11 juillet 1744.
  74. Voir le texte de J.-J. Rousseau et le texte de la note du capitaine, p. 58, 59 et 60.
  75. Document existant aux affaires étrangères (6 juillet 1744).
  76. Lettre du comte de Montaigu à La Porte Du Theil (août 1744.)
  77. Les 2 et 16 août, 29 septembre 1744, et 7 mars 1745.
  78. Lettre du comte de Montaigu à l’abbé Alary.
  79. M. Ceresole, ouvrage cité.
  80. Cf. Ceresole, ouvr. cité : p. 7 ; et Faugère, dans le Correspondant ; endroit cité, p. 813, note 1.
  81. Lettre de l’ambassadeur à l’abbé Alary.
  82. Voir p. 30.
  83. L’ambassadeur n’était pas comme son secrétaire, qui n’avait guère de respect pour les femmes ; il a traité la fameuse Barbarine de légère mémoire avec une cérémonieuse gravité. Dans une lettre à Amelot, du 25 janvier 1744, il raconte qu’ayant promis ses bons offices à l’agent du roi de Prusse pour décider la danseuse à remplir son engagement, il l’a invitée à dîner, de même que l’ambassadeur d’Espagne, « pour donner plus de poids à nos discours ».
  84. M. de Montaigu, étant arrivé à Venise en octobre 1744, resta seul pendant environ quinze mois, ce qui lui parut long, comme le prouvent ses lettres.
  85. Le 19 novembre 1743, le comte de Montaigu écrivait plaisamment à son frère : « Je suis fâché de l’humeur du Sr Rousseau, et je souhaite que son clavessin et sa gondolle charment suffisamment ses ennuys. »
  86. Voir plus haut.
  87. Ibid.
  88. Il a paru suffisant de reproduire les fragments qui précèdent ; on lira le reste dans l’article de M. Faugère, à l’endroit cité.
  89. M. Ceresole (pp. 14-17) a publié la traduction de la réponse faite par les inquisiteurs d’État au mémoire de l’ambassadeur.
  90. Rousseau, toujours pratique dans ses affaires, chargea aussi la comtesse de Montaigu de payer la note !
  91. « Il m’a esté dit que toute sa vie il avoit fait le mestier d’un escrocq ; qu’il avoit esté employé à Grenoble et chassé de son employ pour malversations ; qu’il avoit occupé pendant quelque temps la place de procureur qu’avoit son père, et qu’avant ou après, ayant mangé tout son bien, il avoit esté chevau-léger ou gendarme. » (Lettre du comte de Montaigu à Kolly, 19 avril 1749.)
  92. Lettre de l’ambassadeur au marquis de Puyzieuls, 29 juillet 1747.
  93. Henry avouait lui-même dans une lettre à Cornet qu’un des articles de son compte, qui y estoit porté 4 559 liv. 54 d., ne s’élevait en réalité qu’à 2 000 livres.
  94. Cornet vola tant qu’il put l’ambassadeur avec l’aide de Henry. En octobre 1745, il avait procuré au comte de Montaigu une gondole du prix de 3,900 livres. Plusieurs marchands assurèrent qu’ils auraient livré la même gondole pour 800 livres de moins. Il acheta du vin à Miran sur le pied de 24 livres « le mastello » : le chancelier de Miran attesta que ce vin ne valait que 18 livres. L’ambassadeur avait désiré du marasquin de Zara ; Cornet le compta à 33 livres la bosse. L’homme qui le lui avait vendu certifia par un acte notarié que son tarif ordinaire n’était que de 27 livres la bosse. Sur les fournitures de farine, de café, Cornet pratiquait un courtage analogue. Le café venait du Caire et était négociable en piastres. Cornet évalua cette monnaie à raison de 6 livres de Venise, ce qui constituait une majoration de 22 pour 100 sur le change ; des commerçants du Caire affirmèrent le vol. Enfin, dans le mémoire de Henry était inscrit une somme de 32,800 livres ; cet argent, prétendit Cornet, aurait été avancé à Henry pour l’usage de l’ambassadeur. Celui-ci, qui n’avait jamais donné au secrétaire le moindre pouvoir écrit ou verbal pour quoi que ce fût, refusa d’admettre ce prêt imaginaire, et comme il ne se souciait pas de sacrifier les 32,000 livres, il les revendiqua par les moyens légaux.
  95. Tous ces détails et les suivants sont tirés d’un document de la correspondance, intitulé « Mémoire instructif sur les affaires entre Son excellence M. le comte de Montaigu et MM. Henry et Cornet ».
  96. Lettre de l’ambassadeur au comte de Maurepas, 17 février 1748.
  97. Lettre de l’ambassadeur au cardinal de Tencin, 25 novembre 1747.
  98. Lettre de l’ambassadeur au maréchal de Belle-Isle, 20 juillet 1748.
  99. À cette date, on devait à l’ambassadeur, sans parler des dépenses secrètes, neuf mois d’appointements, neuf mois de ports de lettres, et la gratification qu’on lui avait promise pour le mariage du dauphin.
  100. Lettre de l’ambassadeur au marquis d’Argenson, 29 janvier 1746.

    Citons aussi au sujet de l’emprisonnement d’Henry la lettre du chevalier de Montaigu (2 février 1747), où il dit à son frère que le marquis de Puyzieulx lui conseille de « retenir en prison le sieur Henry, que l’abbé de Broglie ne protège plus, comme je vous l’ay mandé ».

  101. Lettre de l’ambassadeur au marquis d’Argenson (19 mars 1746).
  102. « Le ministre a mal connu les vrayes intentions de la cour de Venise, par rapport à ce pays-cy, ayant préféré les avis qui luy en ont esté donnez à ceux dont j’ay fait part, qui auroient deub faire prévoir ce qui arrive aujourd’hui… » (Lettre du comte de Montaigu au maréchal de Belle-Isle, 2 avril 1746.)
  103. Lettre de l’ambassadeur au maréchal de Noailles, 30 juillet 1746.
  104. Le chevalier annonce à son frère, le 18 août 1746, qu’il a su par le cardinal de Tencin « que M. d’Argenson ne pouvoit pas vous escrire la lettre que vous me demandiez de sa part, mais que vous pouviez vous tenir tranquille et assuré dans votre place, et regarder ce qui s’est passé comme non avenu ».
  105. Lettres de l’ambassadeur à l’abbé Alary (août 1744). — Lettres de l’ambassadeur au marquis d’Argenson (14 août 1745).
  106. Lettre de l’ambassadeur à Amelot, 22 février 1744.
  107. Lettre du comte de Montaigu au marquis d’Argenson, 14 août 1745.
  108. (2) Lettre du comte de Montaigu au ministre, 1er janvier 1746.
  109. Le 18 septembre 1745 le comte de Montaigu écrivait au marquis d’Argenson : « Je ne fus pas longtemps à m’apercevoir qu’un vallet de pied qu’il m’avoit donné, de la plus grande confiance pour porter mes lettres, m’en rendoit de décachetées. Après que le prétexte de la peste, qui, pendant un temps obligeoit de les ouvrir touttes, fut passé, je fis suivre ce vallet. Je découvris non seulement qu’il ouvroit les lettres, mais que c’étoit un espion, qui alloit, à de certaines heures de la nuit, chés les inquisiteurs d’État leur rendre compte de ce qui se passoit chés moy… ayant dix ducats par mois de sallaire pour cela…
  110. Lettre du ministre à l’ambassadeur, 25 janvier 1746.
  111. Lettre de l’ambassadeur au ministre, 19 février 1746.
  112. Lettre de l’ambassadeur au marquis d’Argenson, 27 février 1745.
  113. Lettre du marquis d’Argenson à l’ambassadeur, 16 mars 1745.
  114. Lettre du comte de Montaigu au marquis d’Argenson, 10 avril 1745 : ce personnage était Le Blond, consul de France à Venise.
  115. Le ministre recevait parfois des plaintes sur les agissements de Le Blond. Un conseiller au parlement de Metz, Gomé de la Grange, était venu à Venise pour y chercher un héritage ; le 31 mai 1749, il écrit au marquis de Puyzieulx en l’assurant que cette succession n’est pas une chimère : « Malgré tout ce que Mr Le Blond pouroit vous avoir dit sur cette affaire, qu’il a voulu faire passer pour une vision pendant son séjour à Paris, parce qu’il a des raisons particulières… qui l’ont engagé de parler différemment de ce qu’il pensoit… » Et plus loin : « Dans cet estat, Monseigneur, j’ose vous représenter que Mr Le Blond m’est suspect, et avec raison. »
  116. Le 20 juin 1750, Joseph Key envoyait de Venise, au comte de Montaigu, un billet dont certains passages sont bien caractéristiques : « Il ne m’auroit pas esté difficile de former un mémoire tel que vous me le demandez contre Mr Le Blond, si par votre moyen on avoit pu obtenir du ministre une copie des fausses imputations qu’il a cy devant avancé contre moy : car en me justifiant, j’aurois fait voir en même tems toute sa noirceur et sa méchanceté, au lieu qu’en usant du droit de récrimination contre luy, je ne pourois guère être fondé à le faire, à moins que je n’eusse en main des pièces authentiques. C’est ce qui me manque, car il y a certaines circonstances qu’on peut bien montrer icy, au doigt et à l’œil, mais il est difficile de le montrer de loin de la même façon au ministre. Je crains même que mes lettres que Votre Excellence a laissé à Mr de Chavigny ne fassent pas tout l’effet qu’on pouroit en espérer, non que les faits qu’elles contiennent ne soient bien vrais, mais c’est que ce consul est si fort protégé que je tremble encore qu’on ne me fasse un crime d’avoir osé avancer la moindre chose contre luy… »
  117. Lettre du chevalier de Montaigu à son frère, 24 mai 1749.
  118. Lettre du marquis de Puyzieulx à l’ambassadeur.
  119. Dès le 30 décembre 1747, l’ambassadeur écrivait à son collègue de Rome : « Je désirerois voir la fin de mon exil ; je puis nommer ainsy la situation d’un ambassadeur de Venise, estant séquestré totalement du commerce de la bonne compagnie par les lois du pays. » Quand notre ambassadeur à Constantinople passa par Venise, pour rentrer en France, il lui fut interdit de voir la noblesse, à cause de son caractère (lettre du comte de Montaigu au marquis de Castellane, août 1748). Des amis du comte, le duc d’Agenois et le comte de Laumont, voyageant en Italie, s’arrêtèrent dans la ville des doges : l’ambassadeur ne put pas leur donner l’hospitalité sous peine de les compromettre (lettre de l’ambassadeur à l’abbé de Canillac, 11 janvier 1749). Même les généraux commandants des troupes étrangères n’avaient pas le droit de correspondre sans permission avec les nobles Vénitiens. (Lettre de l’ambassadeur au duc de Richelieu, 17 février 1748.)
  120. Lettre de l’ambassadeur à son frère, 24 mai 1749.
  121. « Le ministre me paroist fort impatient de mon départ… » (Lettre de l’ambassadeur au marquis de l’Hôpital, 9 août 1749.)
  122. Lettre du comte de Montaigu au marquis de Puyzieulx, 6 septembre 1749.
  123. À cette date, le gouvernement royal redevait plus de vingt mille livres au comte de Montaigu. (Lettre du chevalier au marquis de Puyzieulx, 29 décembre 1749.)
  124. Lettre des frères… de Marseille à l’ambassadeur, 16 mars 1750.
  125. Il habitait alors l’hôtel de Montaigu, rue Garancière, et fut enterré dans l’église Saint-Sulpice.
  126. Confessions, liv. Ier, p. 1.