Démêlés du Comte de Montaigu/Chapitre VII

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VII

comment jean-jacques aurait rendu des services diplomatiques


M. de Montaigu, livré sans réserve au marquis de Mari ; qui n’entrait pas dans les détails de ses devoirs, les négligeait à tel point que, sans moi, les Français qui étaient à Venise ne se seraient pas aperçus qu’il y eût un ambassadeur de leur nation. Toujours éconduits sans qu’il voulût les entendre lorsqu’ils avaient besoin de sa protection, ils se rebutèrent et l’on n’en voyait plus aucun ni à sa suite, ni à sa table, où il ne les invita jamais. Je fis souvent de mon chef ce qu’il aurait dû faire : je rendis aux Français qui avaient recours à lui ou à moi tous les services qui étaient en mon pouvoir. En tout autre pays j’aurais fait davantage ; mais ne pouvant voir personne en place à cause de la mienne, j’étais forcé de recourir souvent au consul, et le consul établi dans le pays où il avait sa famille avait des ménagements à garder, qui l’empêchaient de faire ce qu’il aurait voulu. Quelquefois cependant, le voyant mollir et n’oser parler, je m’aventurais à des démarches hasardeuses dont plusieurs m’ont réussi. Je m’en rappelle une dont le souvenir me fait encore rire. On ne se douterait guère que c’est à moi que les amateurs du spectacle à Paris ont dû Coralline et sa sœur Camille : rien cependant n’est plus vrai. Véronèse, leur père, s’était engagé avec ses enfants pour la troupe italienne, et après avoir reçu deux mille francs pour son voyage, au lieu de partir, il s’était mis à Venise au théâtre de Saint-Luc, où Coralline, tout enfant qu’elle était encore, attirait beaucoup de monde. M. le duc de Gesvres, connue premier gentilhomme de la chambre, écrivit à l’ambassadeur pour réclamer le père et la fille. M. de Montaigu, me donnant la lettre, me dit pour toute instruction : « Voyez cela. » J’allai chez M. Le Blond le prier de parler au patricien à qui appartenait le théâtre de Saint-Luc et qui était, je crois, un Zustiniani, afin qu’il renvoyât Véronèse, qui était engagé au service du roi. Le Blond, qui ne se souciait pas trop de la commission, la fit mal. Zustiniani battit la campagne, et Véronèse ne fut point renvoyé. J’étais piqué. L’on était au carnaval ; ayant pris la bahute et le masque, je me fis mener au palais Zustiniani. Tous ceux qui me virent entrer, ma gondole avec la livrée de l’ambassadeur furent frappés. Venise n’avait jamais vu pareille chose. J’entre, je me fais annoncer sous le nom d’una signora maschera. Sitôt que je fus introduit, j’ôte mon masque et je me nomme. Le sénateur pâlit et reste stupéfait : « Monsieur, lui dis-je en vénitien, c’est à regret que j’importune Votre Excellence de ma visite ; mais vous avez à votre théâtre de Saint-Luc un homme nommé Véronèse qui est engagé au service du roi et qu’on vous a fait demander inutilement : je viens le réclamer au nom de Sa Majesté. » Ma courte harangue fit effet. À peine étais-je parti que mon homme courut rendre compte de son aventure aux inquisiteurs de l’État, qui lui lavèrent la tête. Véronèse fut congédié le jour même ; je lui fis dire que s’il ne partait pas dans la huitaine, je le ferais arrêter, et il partit.


Il n’y a à retenir de ces allégations qu’un seul fait exact : c’est que les ambassadeurs étrangers et leur personnel n’avaient aucun rapport avec l’aristocratie vénitienne. C’était un préjugé très ancien, que ni le comte de Montaigu ni Rousseau ne pouvaient se flatter de faire disparaître. Il est matériellement faux que les intérêts français à Venise eussent été en souffrance sans l’initiative du secrétaire de l’ambassadeur.

À l’appui de son dire, Rousseau cite deux actes essentiels. C’est d’abord son heureuse intervention auprès de Véronèse. Dans l’exposition de cette affaire Jean-Jacques commet une légère erreur. Véronèse avait bien donné un acompte sur la somme totale, de telle façon qu’il ne lui était plus réclamé que 1,400 francs ; mais la question importante est de savoir si Rousseau, sans aucune instruction du comte de Montaigu, et de son autoritée privée, était allé trouver en bahute et en masque le noble Zustiniani, et l’avait tancé si vertement qu’au bout d’une semaine Véronèse eut quitté Venise. Les Giustiniani (Zustiniani, en dialecte vénitien) étaient propriétaires du théâtre de San Mosé, et non de celui de Saint-Samuel ou de Saint-Luc[1].

La correspondance de l’ambassadeur contient la minute de la réponse qu’il adresse lui-même au duc de Gesvres, le 7 décembre, au sujet de cette affaire. Le comte de Montaigu envoya Rousseau en masque, non pas chez le propriétaire du théâtre, mais chez l’impresario Michel Grimani[2]. « J’envoiai mon secrétaire en masque communiquer votre mémoire à M. Grimani. » Il envoya même par J.-J. Rousseau une note fort courtoise à M. Grimani : « Sua Excellenza, il Signor Ambasciator di Francia, non potendo fare se stesso la sua parte appresso sua Eccellenza il signor Michiele Grimani, a inviato il suo segretario per inchinarla, e per communicargli il memoriale qui adjunto, mandato dal signor Duca de Gesvres pregandola di voler prendere il contenuto in considerazione e ritinere nelle sue mani gli danari dovuti e da dovere al Carlo Veronese insino che siano pagate le millia quatro cento lire de Francia avanzate al detto Veronese dalla corte di Francia, in virtù dell’impegno ch’aveva preso di servire Sua Maesta nella Iruppa de suoi comediani italiani[3] ».

Le comte ajoute que l’affaire est assez compliquée, car Véronèse ne fait pas partie de la troupe de Grimani et ne joue que dans les cas extraordinaires ; il ne reçoit un paiement annuel que pour les gages de sa fille, qui tient les rôles de soubrette à Saint-Samuel. L’unique moyen d’arriver à une solution serait de menacer l’artiste d’une arrestation ; et c’est probablement ce qui se passa. Là encore Rousseau a voulu se substituer à son chef et s’attribuer tout l’honneur de la négociation. Il a inventé son algarade du palais Zustiniani, qui, pour être joliment exposée, n’en demeure pas moins invraisemblable. Dans une ville où les nobles n’entretenaient aucune relation avec les ambassadeurs, un simple secrétaire, fût-il masqué, n’aurait pas aussi aisément forcé les portes d’une demeure patricienne.

Dans une autre occasion, je tirai de peine un capitaine de vaisseau marchand, par moi seul et presque sans le secours de personne. Il s’appelait le capitaine Olivet, de Marseille, j’ai oublié le nom du vaisseau. Son équipage avait pris querelle avec des Esclavons au service de la République : il y avait eu des voies de fait, et le vaisseau avait été mis aux arrêts avec une telle sévérité que personne, excepté le seul capitaine, n’y pouvait aborder ni en sortir sans permission. Il eut recours à l’Ambassadeur qui l’envoya promener ; il fut au consul, qui lui dit que ce n’était pas une affaire de commerce et qu’il ne pouvait s’en mêler : ne sachant plus que faire, il revint à moi. Je représentai à M. de Montaigu qu’il devait me permettre de donner sur cette affaire un mémoire au Sénat. Je ne me rappelle pas s’il y consentit et si je présentai le mémoire ; mais je me rappelle bien que mes démarches n’aboutissant à rien, et l’embargo durant toujours, je pris un parti qui me réussit. J’insérai la relation de cette affaire dans une dépêche de M. de Maurepas et j’eus même assez de peine à faire consentir M. de Montaigu à passer cet article. Je savais que nos dépêches, sans valoir trop la peine d’être ouvertes, l’étaient à Venise. J’en avais la preuve dans les articles que j’en trouvais mot pour mot dans la gazette : infidélité dont j’avais inutilement voulu porter l’ambassadeur à se plaindre. Mon objet, en parlant de cette vexation dans la dépêche, était de tirer parti de leur curiosité pour leur faire peur et les engager à délivrer le vaisseau, car s’il eût fallu attendre pour cela la réponse de la cour, le capitaine était ruiné avant qu’elle fût venue. Je fis plus, je me rendis au vaisseau pour interroger l’équipage. Je pris avec moi l’abbé Patizel, chancelier du consulat, qui ne vint qu’à contre-cœur, tant tous ces pauvres gens craignaient de déplaire au Sénat. Ne pouvant monter à bord à cause de la défense, je restai dans ma gondole et j’y dressai mon verbal, interrogeant à haute voix et successivement tous les gens de l’équipage et dirigeant mes questions de manière à tirer des réponses qui leur fussent avantageuses. Je voulus engager Patizel à faire les interrogations et le verbal lui-même, ce qui en effet était plus de son métier que du mien. Il n’y voulut jamais consentir, ne dit pas un seul mot et voulut à peine signer le verbal après moi. Cette démarche un peu hardie eut cependant un heureux succès, et le vaisseau fut délivré avant la réponse du ministre. Le capitaine voulut me faire un présent. Sans me fâcher je lui dis en lui frappant sur l’épaule : « Capitaine Olivet, crois-tu que celui qui ne reçoit pas des Français un droit de passeport qu’il trouve établi soit homme à leur vendre la protection du roi ? »

Il voulut au moins me donner sur son bord un dîner que j’acceptai et où je menai le secrétaire d’ambassade d’Espagne, nommé Carrio, homme d’esprit et très aimable, qu’on a vu depuis secrétaire d’ambassade à Paris et chargé des affaires, avec lequel je m’étais intimement lié, à l’exemple de nos ambassadeurs.

La seconde intervention de Rousseau, en faveur d’un capitaine marchand de Marseille, serait plus méritoire.

Il y a deux versions sur le cas de ce capitaine.

Dans sa réponse à l’ambassadeur, le Sénat prétendit qu’une barque esclavone avait été mise en péril par une tempête. L’équipage du bateau français ne voulut pas secourir le navire en péril ; de là une dispute et des voies de fait.

La version contraire est celle que Rousseau mit dans son mémoire[4].

Plusieurs matelots français furent malmenés et blessés. D’après Jean-Jacques, le comte de Montaigu aurait dédaigné de donner suite à cet incident, ce qui est complètement faux. Le comte de Montaigu écrivit deux lettres explicatives, l’une à La Porte du Theil[5], l’autre au comte de Saint-Florentin[6], ministre de la marine par intérim. Rousseau prétend avoir fait observer à son chef qu’il était opportun de présenter un mémoire au Sénat, et il ne se rappelle pas qu’il y a été autorisé. On n’est guère habitué à rencontrer de telles précautions oratoires sous sa plume. Il a réellement rédigé ce mémoire sans faire de grands frais d’inspiration, car il s’est contenté de copier une note communiquée à l’ambassade par le capitaine Olivet et son second[7].

Les souvenirs de Jean-Jacques ne sont pas plus exacts au sujet du procès-verbal que l’ambassadeur fit dresser sur les lieux mêmes, à Chioggia.

Il prétend avoir réuni seul les éléments, et le chancelier du consulat, l’abbé Patizel, aurait refusé de lui prêter son concours effectif.

Rousseau n’avait pas prévu que le procès-verbal serait transcrit sur les registres de la chancellerie de France, et que le comte de Montaigu en communiquerait des copies au ministère. Une expédition authentique de ce document existe à sa date (6 juillet 1744) dans la correspondance de Venise aux archives des affaires étrangères : le nom de Rousseau n’y est pas mentionné ; c’est l’abbé Patizel qui, sur l’ordre de l’ambassadeur, a exclusivement procédé à tous les interrogatoires, et sa signature est la seule qui figure au bas de la pièce[8]. Pour quelle raison d’ailleurs Rousseau se serait-il rendu à Chioggia ?

Qu’y aurait-il fait ?

La réclamation énergique du représentant de la France eut un prompt résultat : quinze jours après la bagarre, le capitaine Olivet touchait un dédommagement convenable[9].

L’ambassadeur avait donc su se tirer d’affaire sans recourir à son secrétaire, et sans attendre les instructions ministérielles qui, cette fois, lui firent défaut. Car plusieurs mois s’étaient écoulés et la Sainte-Barbe avait levé l’ancre depuis longtemps, quand les bureaux répondirent au comte de Montaigu[10].

… ni l’ambassadeur, ni personne n’eut jamais à me reprocher une seule négligence dans aucune de mes fonctions, ce qui est à noter pour un homme aussi négligent et aussi étourdi que moi. Je fis mes seuls plaisirs de mes devoirs…

La contrebande et la falsification des pièces de l’ambassadeur ne sont pas des négligences, à ce qu’il paraît, dans l’opinion de Rousseau ; les lettres mal copiées sur les minutes du comte, présentées à sa signature au dernier moment, quelques instants avant le départ du courrier[11], ne lui reviennent pas à l’esprit ; ni le carnaval, ni les masques, puisque les devoirs restent les plaisirs dont il nous parle.

TEXTE DU MÉMOIRE DE J.-J. ROUSSEAU.

Hier 6e de juillet, un coup de vent qui s’éleva sur les dix-neuf heures jetta une barque esclavonne portant pavillon de Saint Marc, laquelle est en quarantaine, sur le vaisseau français la Sainte-Barbe, capitaine Olivet, ancré à Poeggia, depuis deux mois et qui devait partir aujourd’hui : après que le vent eut cessé, le capitaine en second du dit vaisseau avertit les gens de cette barque de se tirer de l’avant, qu’ils endommageaient considérablement et qu’ils observassent qu’ils étaient en quarantaine. Les matelots de la barque coupèrent, pour toute réponse, une corde du dit vaisseau : sur quoi le dit officier leur remontrant qu’ils ne devaient pas couper ainsi les agrets de ce vaisseau, ils lui répondirent qu’ils le couperaient lui-même et son équipage, s’il parlait davantage ; et l’officier leur aiant répliqué qu’ils s’en garderoient bien, ils sautèrent au nombre de quinze à vingt dans le dit vaisseau, le sabre à la main. Quatre jeunes gens du vaisseau ne voiant d’autre moyen d’éviter la fureur de ces emportés se jettèrent à la mer ; les autres se cachèrent comme ils purent : un seul, qui est italien, fut atteint et sabré par eux, de manière qu’il eut le bras coupé et presque séparé du corps.

texte de la note[12] du capitaine olivet ou du second

« Environ sur les dix-neuf heures est arrivé un coup de vent qui a jetté une barque esclavonne avec pavillon de Venise sur un vaisseau français ancré à Poveglio, qui est en quarantaine depuis deux mois ; après que le vent a eu manqué, le capitaine en second a dit à ces gens de la dite barque de se tirer de l’avant, qu’ils leur faisoient du mal, et qu’ils observassent qu’ils étoient en quarantaine. Sur cette réponse, les dits équipages de la barque ont coupé une corde du vaisseau qu’on appelle sarabosse. Sur cela, l’officier du vaisseau a voulu dire d’où vient qu’ils coupoient les agrets de son vaisseau ; l’équipage de la dite barque leur a répondu qu’il les couperoit encore eux s’ils parloient davantage, sur quoi le dit officier du dit vaisseau leur a répondu qu’ils s’en garderoient bien. Sur le champ l’équipage de la dite barque, environ quinze à vingt sont sautés dans le dit vaisseau, le sabre à la main, où quatre jeunes enfans du dit vaisseau se sont jetés dans la mer et trois autres se sont cachés pour éviter d’être coupés ; s’en estant trouvé un par malheur qui n’a pas pu se cacher, lui ont donné un coup de sabre sur le bras, qu’il s’en faut peu qu’il ne soit séparé du corps. »

L’analogie est frappante. Rousseau s’est contenté de transformer en bon français le jargon de la note.


Comme la correspondance était fort étendue et qu’on était en guerre, je ne laissois pas d’être occupé raisonnablement.

En effet, il n’y avait qu’une voix sur mon compte, à commencer par celle de l’ambassadeur, qui se louait hautement de mon service, et qui ne s’en est jamais plaint et dont toute la fureur ne vint dans la suite que de ce que, m’étant plaint inutilement moi-même, je voulus enfin avoir mon congé. Les ambassadeurs et ministres du roi, avec qui nous étions en correspondance, lui faisaient sur le mérite de son secrétaire des compliments qui devaient le flatter, et qui, dans sa mauvaise tête, produisaient un effet tout contraire.

Il pouvait si peu se gêner que le samedi même, jour de presque tous les courriers, il ne pouvait attendre pour sortir que le travail fût achevé, et me talonnant sans cesse pour expédier les dépêches du roi et des ministres, il les signait en hâte, et puis courait je ne sais où, laissant la plupart des autres lettres sans signature : ce qui me forçait, quand ce n’était que des nouvelles, de les tourner en bulletin ; mais lorsqu’il s’agissait d’affaires qui regardaient le service du roi, il fallait bien que quelqu’un signât, et je signais. J’en usai ainsi pour un avis important que nous venions de recevoir de M. Vincent, chargé des affaires du roi à Vienne. C’était dans le temps que le prince de Lobkowitz marchait à Naples et que le comte de Gages fit cette mémorable retraite, la plus belle manœuvre de guerre de tout le siècle et dont l’Europe a trop peu parlé. L’avis portait qu’un homme dont M. Vincent nous envoyait le signalement partait de Vienne, et devait passer à Venise, allant furtivement dans l’Abbruzze, chargé d’y faire soulever le peuple à l’approche des Autrichiens. En l’absence de M. le comte de Montaigu, qui ne s’intéressait à rien, je fis passer à M. le marquis de l’Hôpital cet avis si à propos, que c’est peut-être à ce pauvre Jean-Jacques si bafoué que la maison de Bourbon doit la conservation du royaume de Naples.

Le marquis de l’Hôpital, en remerciant son collègue comme il était juste, lui parla de son secrétaire et du service qu’il venait de rendre à la cause commune… J’avais été dans le cas d’en user avec le comte de Castellane, ambassadeur à Constantinople, comme avec le marquis de l’Hôpital, quoique en chose moins importante. Comme il n’y avait point d’autre poste pour Constantinople que les courriers que le Sénat envoyait de temps en temps à son bayle, on donnait avis du départ de ces courriers à l’ambassadeur de France…

Cet avis venait d’ordinaire un jour ou deux à l’avance : mais on faisait si peu de cas de M. de Montaigu qu’on se contentait d’envoyer chez lui pour la forme, une heure ou deux avant le départ du courrier ; ce qui me mit plusieurs fois dans le cas de faire la dépêche en son absence.

Il est inutile d’insister sur les motifs du changement d’attitude du comte de Montaigu à l’égard de son secrétaire. Rousseau va les développer, quelques lignes plus tard avec humeur, et l’ambassadeur lui répondra à sa façon dans la correspondance avec l’abbé Alary.

La cause véritable de cette brouille apparaît clairement : c’est la mauvaise humeur du secrétaire provenant de sa profonde déception. Prétendre appartenir à la diplomatie et n’être en fait que le premier domestique d’un ambassadeur doit inspirer un vif dépit. C’est l’explication de toutes les récriminations de Rousseau contre son premier protecteur.

Il en est de même des absences et de la négligence que Jean-Jacques reproche ici pour la première fois à l’ambassadeur. Nous verrons plus tard ce qu’il y a de vrai dans ces attaques.

Dans les archives de la famille de Montaigu, et dans celles des affaires étrangères de Venise, il y a bien en effet des lettres du marquis de l’Hôpital, mais le nom de Rousseau n’y est pas mentionné. Cet épisode des Confessions avait été contesté même au siècle dernier et avait valu à Rousseau un démenti formel qu’il n’osa pas relever[13].

La correspondance de l’ambassadeur de Venise avec le comte de Castellane est des plus intéressantes. (Voir page 41, la preuve de la fausseté du récit de Jean-Jacques sur tout ce passage.) De plus, le comte de Montaigu était parfaitement averti deux jours à l’avance du départ du courrier ; mais malignement Rousseau ne lui présentait les dépêches à signer qu’à la dernière heure, « au moment du départ de la poste, par malignité et par paresse[14] ».

  1. M. Ceserole, ouvrage cité, p. 135. — Ceserole avait déjà relevé le fait et contredit cette anecdote, ouvrage cité.
  2. Lettre du comte de Montaigu au duc de Gesvres, le 7 décembre.
  3. Texte du billet du comte de Montaigu à M. Grimani.
  4. Réponse du Sénat à l’ambassadeur.
  5. Lettre du comte de Montaigu à La Porte du Theil, le 11 juillet 1744.
  6. Lettre du comte de Montaigu au comte de Saint-Florentin, le 11 juillet 1744.
  7. Voir le texte de J.-J. Rousseau et le texte de la note du capitaine, p. 58, 59 et 60.
  8. Document existant aux affaires étrangères (6 juillet 1744).
  9. Lettre du comte de Montaigu à La Porte Du Theil (août 1744.)
  10. Les 2 et 16 août, 29 septembre 1744, et 7 mars 1745.
  11. Lettre du comte de Montaigu à l’abbé Alary.
  12. M. Ceresole, ouvrage cité.
  13. Cf. Ceresole, ouvr. cité : p. 7 ; et Faugère, dans le Correspondant ; endroit cité, p. 813, note 1.
  14. Lettre de l’ambassadeur à l’abbé Alary.