Démêlés du Comte de Montaigu/Chapitre II

II.

COMMENT JEAN-JACQUES RACONTE SON ARRIVÉE À VENISE


M. de Montaigu, n’ayant qu’un jeune abbé, M. de Binis, qui écrivait sous le secrétaire et n’était pas en état d’en remplir la place, eut recours à moi.

Rien de plus exact en ce qui concerne cet intérimaire. L’abbé de Binis était un jeune ecclésiastique qui allait en Italie continuer ses études et avait accompagné le comte de Montaigu. Celui-ci le chargea de la correspondance, entre le départ de Follau et l’arrivée de Rousseau. Il sera de nouveau question de lui dans la suite des Confessions.

J’eus vingt louis pour mon voyage et je partis.

On a déjà vu que les conditions de Rousseau étaient plus élevées. En plus des appointements, il sut se faire avancer par la comtesse de Montaigu 300 livres pour son habillement et 445 l. 10 s. pour son voyage. Il n’en parle nullement ici, mais la comtesse de Montaigu[1] se chargea de compléter ses Confessions dans une lettre à l’ambassadeur.

À Lyon, j’aurais bien voulu prendre la route du Mont-Cenis pour voir en passant ma pauvre maman.

L’oubli de quelques frais de voyage n’a rien qui étonne, mais les regrets que l’auteur croit devoir exprimer au moment de son passage à Lyon sont bien incompréhensibles. Comment ! Rousseau regrette de n’avoir pas pris la route du Mont-Cenis pour voir sa « pauvre maman » aux Charmettes ! Mais dans le compte de ses frais de route qu’il présenta plus tard à l’ambassadeur il a fait entrer le voyage de Lyon à Chambéry[2]. Il faut donc admettre de deux choses l’une : ou bien il n’est pas allé à Chambéry, et dans ce cas il a seulement tenté d’extorquer 30 livres à son maître ; ou il s’y est rendu, et la note des Confessions est hypocrisie pure, ou plutôt un petit artifice sentimental.

Puis je descendis le Rhône et fus m’embarquer à Toulon.

Il est vrai qu’il descendit le Rhône en passant par Lyon et Avignon, mais il s’embarqua à Marseille et non à Toulon[3].

M. de Montaigu ne pouvant se passer de moi, m’écrivait lettres sur lettres pour presser mon voyage.

Tout porte à croire que l’ambassadeur avait hâte de voir arriver son secrétaire. Cette correspondance paraît toutefois invraisemblable, puisque J.-J. Rousseau partit de Paris la veille du jour où son maître arrivait à Venise[4].

… si M. de Joinville, envoyé de France à qui je fis parvenir une lettre, n’eut fait abréger mon temps de huit jours.

Cette affirmation est en contradiction avec deux articles du compte que Rousseau présenta à l’ambassadeur. Ces articles mentionnent son séjour d’une semaine à l’auberge[5].

  1. Lettres de la comtesse de Montaigu. (Archives de la famille.)
  2. Archives de la famille.
  3. Ibid.
  4. Le comte de Montaigu arriva à Venise le 11 juillet 1742. — Rousseau, parti de Paris le 10 juillet, arriva à Venise le 4 septembre 1742.
  5. Les comptes de J.-J. Rousseau sont dans les archives de la famille.