Cours d’agriculture (Rozier)/FIÈVRE

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 595-619).


FIÈVRE, Médecine rurale. La fièvre, chez les romains, a été érigée en divinité. La régularité de sa marche avoit pu lui mériter cet honneur ; mais cependant il y a tout lieu de croire que c’est la peur qui en avoit fait un dieu. La fièvre doit être décrite & non définie ; il n’est pas possible de rassembler dans sa définition tous les symptômes qui peuvent la caractériser : il ne faut pas croire, comme Boerhaave, que la fièvre consiste dans un frisson auquel succède une augmentation de chaleur & de vîtesse dans le pouls, parce qu’il peut y avoir fièvre, quoiqu’il manque quelqu’un de ces symptômes. On doit plutôt dire qu’il y a fièvre, lorsqu’on trouve dans un malade un froid auquel succède un excès de chaleur physique, la rougeur du visage, des lassitudes spontanées, des inquiétudes, une lésion notable de la tête & de l’estomac, la difficulté de respirer, une diminution de toutes les sécrétions, qui fait observer la soif qui provient d’une diminution de l’humeur qui lubréfie la gorge, l’œsophage ; la sécheresse de toute l’habitude du corps, occasionnée par la diminution de la transpiration insensible, les urines rouges, &c. À cet état succède un relâchement, une détente générale dans laquelle toutes les sécrétions deviennent plus abondantes. C’est dans cette période qu’on observe les sueurs.

Pour déterminer si un malade a la fièvre, il ne faut pas seulement lui tâter le pouls, mais encore il faut l’examiner de la tête aux pieds, & si l’on trouve l’ensemble suffisant d’un nombre des symptômes dont nous avons déjà fait mention, on peut dire avec toute certitude que le malade a la fièvre. Pour envisager la fièvre sous un point de vue juste, il faut considérer deux choses : l’affection des solides & des fluides.

L’affection des solides peut se réduire à ce qu’ils éprouvent de l’impression immédiate des causes. Telle est l’impression que fait sur les poumons l’air chargé des miasmes varioleux : l’impression que fait sur eux la lésion des nerfs altérés par la cause morbifique, le désordre que produit l’impression des causes morbifiques dans la circulation, & la sympathie qu’il y a d’un organe lésé à un autre.

Quant à l’affection des fluides, je veux dire, à l’altération des humeurs, on ne doit pas faire attention seulement à l’influence réciproque des solides sur les fluides, mais encore à l’altération que le sang reçoit de la fièvre qui lui cause une fermentation nouvelle, différente de celle qui existe naturellement, & qui varie suivant la constitution de nos humeurs avant la fièvre.

Il faut considérer dans la fièvre, comme dans toute autre maladie, deux genres de causes ; les prédisponantes & les déterminantes.

Dans les premières, on comprend le tempérament sec, chaud, bilieux ; la pléthore, sur-tout lorsque les humeurs surabondantes ont acquis une certaine âcreté. Ce n’est pas qu’on doive croire que la bile soit la cause générale de la fièvre, mais comme dans la fièvre il se fait une dégénération bilieuse de nos humeurs, il est à présumer que les tempéramens bilieux qui ont plus de pente à cette dégénération, y sont plus sujets. L’âcreté des humeurs dispose à la fièvre ; L’habitude que contracte le principe vital, de subir les mouvemens fébriles, constitue encore une cause de ce genre.

Les causes déterminantes doivent être distinguées en trois classes, relativement aux parties sur lesquelles elles agissent : ou elles exercent leur action sur les solides seulement, ou sur les fluides ; ou sur les uns, ou sur les autres à la fois ; les inflammations locales, les plaies, les ulcères & autres vices locaux qui affectent sur-tout les parties nerveuses, tendineuses ou aponévrotiques, sont du nombre des premières ; dans le cas d’inflammation avec fièvre, on doit distinguer si la fièvre produit l’inflammation, ou si c’est l’inflammation qui produit la fièvre.

Les secondes, c’est-à-dire, celles qui agissent sur les fluides, sont les différens miasmes, comme varioleux, pestilentiels, qui sont portés dans la masse des humeurs, ou enfin tout ce qui peut déterminer la putréfaction des humeurs. Parmi les causes mixtes on doit compter les constitutions cachées épidémiques de l’atmosphère, les passions de l’ame, les violens & les longs jeunes, l’abstinence qui est propre à causer une dégénération bilieuse des humeurs. L’abus des nourritures & boissons échauffantes sont encore des causes déterminantes mixtes.

La fièvre est souvent un secours nécessaire pour guérir certaines maladies ; aussi faut-il quelquefois la produire par des moyens que l’art a imaginés, sur-tout dans les maladies chroniques. Torti a fort bien observé que dans celles-ci elle étoit un remède préférable à tous les évacuans & altérans qu’on pourroit donner ; mais qu’il falloit que le cours en fût complet & la crise parfaite, autrement le reste d’une crise imparfaite rendroit la maladie beaucoup plus dangereuse, sur quoi nous devons aussi observer que l’art ne vaut jamais la nature, & que la crise des fièvres produite par l’art, est toujours plus incomplète que celle de la nature.

S’il est quelquefois difficile & très-dangereux d’exciter la fièvre dans certains cas, il est aussi facile & plus sûr de la rappeler, lorsqu’elle n’est pas bien éteinte. Quand les accès de fièvre intermittente ont été supprimés mal-à-propos, ce qui peut occasionner des obstructions, des hydropisies, la nature montrant alors par des légers mouvemens fébriles, qu’elle veut éviter le danger, on peut l’aider en employant les amers, les sels neutres & autres fébrifuges à petite dose. Verloof a observé que le kina donné à petite dose, étoit employé avec succès : cela paroît singulier, mais il en est du principe viral comme des passions de l’ame. Lorsque les obstacles opposés ne sont pas assez forts pour en arrêter les obstacles, ils ne font que les augmenter en les irritant. De même le kina, qui, donné à haute dose, est un obstacle invincible au principe vital, donné à petite dose, ne fait que l’irriter & augmenter par-là le désordre de ses mouvemens. Les symptômes les plus généraux des fièvres, sont le frisson & la chaleur.

Dans le frisson, le pouls perd de sa force & de sa vélocité ; il est quelquefois très-rare. Dans cet état, il se fait une congestion de sang dans le cœur & les gros vaisseaux, de telle sorte que le cœur ne se vidant pas assez promptement, la circulation doit être nécessairement très-lente ; c’est cet engorgement de sang qui produit cette couleur livide & violette des extrémités, observée chez les malades qui sont dans le frisson.

Dans la chaleur, il faut distinguer avec soin le sentiment de chaleur intime du malade, d’avec la chaleur physique mesurable par le thermomètre ; le sentiment interne de chaleur forte & brûlante qu’éprouvent les malades dans certains cas, quoiqu’on ne la trouve point au tact, est encore une preuve de cette disproportion.

La fièvre a trois terminaisons ; la mort, ou la dégénération en une autre maladie, ou la santé. Le traitement de la fièvre en général, doit se rapporter, 1°. à la cause qui l’a produite ; 2°. aux forces du malade ; 3°. à corriger & en prévenir les effets fâcheux qui peuvent survenir ; 4°. à évacuer les cavités & les viscères qui peuvent être embourbées.

Si elle dépend d’une abondance du sang, la saignée sera très-appropriée ; la diète sévère & les rafraîchissans auront les plus heureux succès.

Mais si elle est l’effet de l’embarras putride dans les premières voies, on la combattra par l’usage des vomitifs aqueux & des purgatifs doux & acidulés ; on soutiendra les forces du malade par des alimens doux, aisés à digérer, qui résistent à la putréfaction, & opposés à la cause connue de la fièvre. Comme la fièvre n’est qu’un moyen salutaire dont la nature le sert pour se débarrasser de ce qui la surcharge, le médecin doit l’aider dans son travail ; il doit se plier & se prêter dans toutes les évacuations qu’elle excite ; il ne doit jamais la troubler dans ses fonctions, sur-tout lorsque les causes sont détruites, & que la fièvre se dispose à opérer une crise salutaire. Il est vrai que la fièvre emporte beaucoup de gens qui sont forts & vigoureux ; mais il faut aussi convenir que ce n’est que lorsque la malignité ou d’autres complications viennent troubler son mécanisme, en s’opposant à ses crises salutaires.

DIVISION DES FIÈVRES.
EN Simples. Continues sans accès sensible.
Continues avec redoublement.
Putrides. Sans signes d’inflammation.
Avec signes d’inflammation.
Intermittentes. Quotidienne.
Tierce.
Quarte.
Lentes

I. On appelle fièvre simple continue celle qui n’abandonne jamais le malade sans lui donner un redoublement sensible ; sa marche est toujours la même, & les symptômes qui l’accompagnent ne varient point depuis le commencement jusqu’à sa terminaison. Elle n’est pas dangereuse, & le traitement doit se rapporter aux causes qui la produisent : comme on n’y observe aucune inflammation, la saignée ne peut être employée ; les délayans, légèrement acidulés avec le jus de citron ou le vinaigre, & pris en assez grande quantité, seront suffisans pour la combattre avec succès : les purgatifs doux & acidulés, donnés sur la fin de cette fièvre, la feront disparoître ; le quinquina ne doit pas même être employé, parce qu’on n’a pas à craindre des récidives, sur-tout si, avant de permettre au malade l’usage des alimens solides, on a enlevé la cause putride qui surchargeoit l’estomac & les autres viscères du bas ventre : un bon régime de vie est seul capable de la guérir, si le malade est assez patient pour attendre les mouvemens salutaires de la nature. Pour l’ordinaire, cette fièvre se termine par quelque éruption de boutons au visage, qui sont toujours des preuves de ses bienfaits & de son attention à tout ce qui peut tendre au rétablissement de la santé. Si elle n’est pas toujours uniforme dans ses crises, c’est qu’on ne respecte point assez ses efforts, & qu’on cherche à l’accabler sous le poids des remèdes multipliés quelquefois très-inutilement.

La fièvre continue avec redoublement, s’appelle rémittente. C’est le seul caractère qu’on donne comme propre à cette fièvre. On y observe, de temps en temps, des concentrations du pouls bien marquées, une inégalité successive des mouvemens fébriles.

Lorsque la fièvre rémittente n’a pas commencé par une intermittente, il n’est pas facile de la reconnoître ; car, quoiqu’après avoir fait une saignée au commencement, on donne d’autres remèdes le premier jour, les symptômes diminuent le lendemain, on ne doit pas la déclarer telle, à moins qu’il ne règne alors une constitution épidémique de ces fièvres, ou que les urines ne déposent un sédiment.

Le vrai moyen d’appliquer à cette fièvre un traitement convenable, est de bien examiner si le caractère intermittent domine, parce qu’alors l’usage du kina est très-avantageux ; ou, si c’est le caractère continu qui l’emporte sur l’intermittent, dans ce cas, le kina est tout au moins inutile, & le plus souvent nuisible. Je dois faire observer qu’on ne doit point donner le kina lorsque les symptômes qui annoncent le redoublement, tiennent plus à la chaleur qu’au froid.

Du reste, le traitement des symptômes qu’on remarque dans cette seconde espèce de fièvre continue, est exactement le même que celui qui est indiqué pour ceux de la première ; je veux dire, qu’on emploie la saignée & autres moyens anti-phlogistiques, quand il y a inflammation, tendance d’humeurs vers la tête : il vaut toujours mieux la pratiquer dans le redoublement & dans le chaud. Les émétiques, les purgatifs seront aussi très-bien indiqués lorsqu’il faudra débarrasser l’estomac & le reste des premières voies, des matières bilieuses qui causent & entretiennent cette fièvre ; les tisannes acidulées sont d’autant plus recommandées, que la bile sera plus abondante & plus âcre : les lavemens d’eau pure, aiguisés avec le vinaigre, sont des bains intérieurs dont on ne sauroit assez recommander l’usage dans cette fièvre. Les bouillons d’herbes sont préférables à ceux de viande ; ceux-ci subissent une dégénération bilieuse, & ne font qu’augmenter la cause fébrile ; les crèmes de riz acidulées, & autres farineux, nourrissent le malade d’une manière plus analogue aux vues qu’on se propose.

II. Fièvres putrides. La fièvre putride, sans signes d’inflammation, s’annonce par les symptômes suivans : les malades ont la bouche mauvaise, pâteuse, & quelquefois amère ; ils éprouvent des envies de vomir ; leur estomac ne peut supporter aucune nourriture solide ; ils rendent des vents par la bouche ; ils ont des rapports qui ont le goût d’œufs couvés ; ils ressentent un malaise dans toute l’habitude du corps ; ils se plaignent de douleurs dans les articulations des parties inférieures : leur goût & leur appétit sont blasés ; le pouls est assez lent. Les malades, dans le principe de cette fièvre, dorment peu, & leurs forces, qui sont dans un état de gêne, ne se rétablissent que lorsque les matières putrides qui l’entretiennent sont en partie évacuées. Cette fièvre n’est point du tout dangereuse, & le traitement en est aisé & très-simple : l’émétique, donné dans le principe, produit toujours les effets les plus avantageux ; il est d’autant plus indiqué, qu’il n’y a aucun signe d’inflammation. Après l’émétique, les malades doivent user, pendant quelques jours, de tisannes acidulées avec le jus de citron, du verjus, ou du vinaigre ; ils ne doivent pas se presser de prendre des médecines ; ils ne seroient pas plus avancés d’en hâter sitôt l’usage ; la fièvre ne se terminerait pas plutôt. Il faut donner le temps, 1°. aux matières putrides, d’être délayées, &, conséquemment, d’être plus-propres à être évacuées : 2°. à la nature, d’exciter quelque crise favorable, ou bien, de pouvoir l’aider dans ses efforts.

Ce n’est qu’après la coction, qui a lieu dans presque toutes les maladies, qu’il faut employer les purgatifs ; il est prouvé, par l’expérience journalière, qu’un purgatif donné dans ce temps-là, agit avec plus d’efficacité que vingt autres qui auroient précédé dans le temps de crudité, c’est-à-dire, dans le commencement de la maladie. Les légers stomachiques, tels que le petit chêne ou germandrée, la chicorée, la petite absinthe en fusion, termineront le traitement de cette fièvre ; ils redonneront aux malades ce ton & cette force dont les organes digestifs ont un si grand besoin pour reprendre l’ordre de leurs fonctions.

La fièvre putride avec signes d’inflammation, se reconnoît à la dureté & à la tension du pouls, à une chaleur âcre sur toute l’habitude du corps ; les malades respirent avec quelque gêne ; ils se plaignent d’un grand mal de tête ; leurs yeux sont très-rouges ; ils se mouchent très-difficilement, ou du moins sans aucune excrétion de morve ; leurs urines sont rouges, & en petite quantité. Outre tous ces symptômes inflammatoires, on observe sur leur langue les signes qui annoncent une saburre abondante dans les premières voies : cette seconde espèce de fièvre est plus dangereuse que la première, aussi mérite-t-elle un traitement différent.

Les indications que l’on doit se proposer, pour la combattre avec succès, se réduisent 1°, à prévenir l’inflammation ; 2°. à débarrasser l’estomac, & le reste du tube intestinal, des sucs putrides qui les embourbent ; 3°. à redonner aux organes affoiblis, le ressort nécessaire pour reprendre leur parfait équilibre.

1°. Les saignées du bras & du pied doivent être employées & répétées selon le besoin ; mais je dois aussi avertir qu’il ne faut pas trop y insister, parce que l’inflammation n’est pas la cause dominante ; quand on a diminué le mode inflammatoire, ce qu’on connoît par le pouls qui est plus mol & ondulent, & par la diminution des autres symptômes, il faut alors saisir ce moment pour satisfaire satisfaire à la seconde indication, & faire vomir le malade, en lui donnant le tartre émétique dissous dans trois onces d’eau commune ; pour l’ordinaire, quand ce remède a été aidé par beaucoup d’eau tiède, il produit les effets les plus avantageux & abrège infiniment la maladie.

Cette fièvre se termine plus promptement que la précédente, & c’est peut-être à raison de la violence de ses symptômes primitifs.

Les acides végétaux, les tisanes nitrées, les crèmes de riz, d’orge, très-claires, & légèrement acidulées avec le jus de citron, soulagent beaucoup les malades ; aussi convient-il d’insister beaucoup sur leur usage ; les purgatifs les plus appropriés, comme les tamarins, la crème de tartre & autres semblables, ne trouveront leur place que sur la fin, à moins que dans le principe, la matière putride ne fût trop abondante ; alors il faut les employer, pour aider à la nature qui se trouve, pour ainsi dire, accablée par une trop grande surcharge. Mais aussi, si l’on s’apperçoit qu’elle opère quelque effet salutaire, on respectera son travail, & bien loin de s’opposer à ce qu’elle fait, on se prêtera toujours à les vues bienfaisantes.

3°. On remontera les organes affoiblis, en permettant aux malades l’usage d’une légère infusion de kina, celui de la rôtie au vin avec quelque peu de sucre ; l’exercice ensuite est le moyen le plus propre à leur rétablir les forces.

III. On appelle fièvre intermittente, celle dont les accès ont des retours périodiques, entre lesquels on apperçoit des intervalles où à peine reconnoît-on une altération du pouls.

Cette fièvre se divise en quotidienne, tierce, quarte, double tierce, double quarte. Les anciens connoissoient des doubles quotidiennes, des triples tierces, de triples quartes, & ils les distinguoient par la correspondance des accès. On a beaucoup recherché dans tous les temps, les causes des retours périodiques des accès de fièvre. On n’a eu encore que des probabilités, qui sont cependant précieuses.

Quelques-uns les ont attribuées à l’influence du soleil & de la lune. Cette influence a paru chimérique à certains modernes, parce que les anciens avoient à ce sujet bâti une science purement imaginaire.

Mais, sans aller chercher si loin les causes des fièvres intermittentes, disons qu’elles ont leur siège dans le bas ventre, & principalement dans les organes digestifs, qu’elles sont causées par un empâtement des viscères, par une trop grande sensibilité de l’estomac, une âcreté de la bile, des restes d’une mauvaise digestion, des vers contenus dans les premières voies.

Les urines sont rouges, ténues, enflammées dans la chaleur de l’accès, & dans le déclin elles deviennent épaisses, & déposent un sédiment briqueté. Cela vient de ce que les reins dans un état de spasme ne laissent passer que la partie la plus fluide, & la plus tenue, & retiennent les parties terreuses, qu’ils laissent échapper au moment de la détente générale. Le malade ne jouit pas dans l’intermission d’une santé parfaite. Son pouls pour l’ordinaire est plus fréquent que le naturel, & quelquefois plus lent, mais toujours plus foible. Les urines sont le plus souvent troubles, & il a une disposition habituelle aux frissons.

En général, dans toutes les fièvres intermittentes on ne doit donner aucune nourriture, ni boisson, que l’accès ne soit fini, ou ne soit à son déclin, & sur-tout pendant le frisson, parce qu’elle ne fait que surcharger les viscères & prolonger l’accès. Il faut se contenter de tromper la soif du malade par des gargarismes.

Quant au traitement pendant l’intermission, on doit observer que la diète végétale est à préférer aux sucs des viandes, & sur-tout qu’elle doit être austère. Si cependant on prévoit que la fièvre sera longue, ou bien, si elle est bénigne de sa nature, on pourra se relâcher sur cette rigidité de régime.

La fièvre quotidienne intermittente, prend & quitte le malade tous les jours. Elle est double ou triple, quand il y a deux ou trois accès en vingt-quatre heures.

Cette fièvre indique plus la saignée que les autres, parce qu’elle a plus de pente à devenir continue, & même inflammatoire ; les belles expériences de Lancrist prouvent que dans cette espèce, le sang est plus tenace & plus difficile à diviser, d’où il faut conclure, que les antiphlogistiques y sont plus appropriés.

Ceux qui abondent en humeurs, qui mènent une vie sédentaire & oisive, & qui se gorgent d’une grande quantité d’alimens, sont sujets à cette fièvre ; c’est pourquoi, elle est très-fréquente chez les enfans. Cette fièvre arrive ordinairement dans l’hiver, dans des temps & des lieux humides.

La fièvre tierce revient de deux jours l’un ; la tierce est double, lorsqu’elle revient tous les jours, comme la quotidienne, avec cette différence qu’elle a alternativement un accès plus fort que l’autre ; le troisième répondant au premier, le quatrième au second. Dans les accès de la fièvre tierce, la chaleur est âcre, rongeante & très-forte. Cette fièvre attaque les personnes qui ont un tempérament sec, chaud & bilieux. On l’observe très-fréquemment dans les pays chauds. Les jeûnes & les abstinences sont très-propres à la déterminer dans les sujets bilieux.

Non-seulement les indigestions dans les personnes bilieuses, mais encore le plus petit refroidissement externe de la région épigastrique, est une cause qui détermine le plus puissamment la production de la fièvre tierce dans les sujets qui y sont exposés.

L’expérience démontre chaque jour, que ceux qui habitent des pays-voisins des marais, ou lacs dont les eaux sont corrompues, sont attaqués très-souvent des fièvres tierces ; nous en avons un exemple dans le bas-Languedoc ; lorsque le canal de cette province est mis à sec, ou qu’on le recreuse dans certains endroits, tout le pays voisin est infecté des fièvres tierces, sur-tout si la fin de l’été est très-chaude.

La fièvre tierce régulière, traitée comme il faut, n’est point dangereuse ; mais, pour la guérir avec succès, il faut faire attention, dans son commencement, si la chaleur domine sur la quantité d’humeurs épaisses, ou si c’est le contraire. Dans le premier cas, on commencera le traitement par la saignée, après laquelle on donnera l’émétique ; & dans le second, l’émétique précédera toute évacuation sanguine.

Si jamais l’usage de l’eau froide doit être permis en maladie, c’est dans cette fièvre, lorsque la chaleur est bien développée : c’est alors qu’il faut la donner à grande dose, pour empêcher la dégénération bilieuse de nos humeurs. Alexandre de Trâles donnoit du melon, & par-dessus une grande quantité d’eau, une heure avant l’accès, ce qui lui produisoit des selles bilieuses très-avantageuses. J’ai guéri un curé attaqué de cette fièvre, en lui faisant manger beaucoup de pêches bien mûres, qui le purgeoient mieux que toutes les médecines qu’il auroit pu prendre.

Nous observons dans ce pays, que les gardes-vignes, qui ne se nourrissent que de raisins & de figues plusieurs mois de suite, jouissent ordinairement, pendant toute l’automne, d’une très-bonne santé ; saison cependant où l’on observe le plus souvent des fièvres quartes, & autres maladies épidémiques.

On ne sauroit assez recommander l’usage des boissons acidulées dans cette fièvre : les acides végétaux, tels que le vinaigre étendu dans de l’eau, les minéraux donnés à agréable acidité sont les vrais & les puissans correctifs de la bile, qui est pour l’ordinaire incendiaire dans la fièvre tierce.

Enfin, on termine le traitement de cette fièvre, en donnant du kina en substance, qui agit toujours plus efficacement, que donné sous toute autre forme ; mais son emploi ne peut avoir lieu que lorsque la cause fébrile est entièrement évacuée, que les fibres n’ont aucune espèce de roideur, & que la chaleur a presque disparu.

La fièvre quarte n’attaque que tous les quatre jours, & laisse deux bons jours de suite. Personne n’ignore que la fièvre quarte est la plus rebelle de toutes. Elle est souvent compliquée d’obstructions au bas ventre : lorsqu’elle dégénère en fièvre continue, elle est dangereuse. J’ai observé que cette fièvre étoit salutaire à la jeunesse ; elle corrige les vices du tempérament, & renouvelle, pour ainsi dire, la constitution. Elle a opéré sur moi ces mêmes effets.

Dans le commencement d’une fièvre quarte, le pouls est rare, relativement à son état naturel ; & quoiqu’il devienne plus fréquent dans le fort de l’accès, il est cependant plus lent que dans les autres fièvres intermittentes, & sa lenteur se continue dans les intervalles.

La saignée est, en général, contre-indiquée dans cette fièvre. Je ne veux pas dire que toute évacuation sanguine soit désavantageuse : celle des hémorroïdes procure des effets très-salutaires, & s’il paroissoit de ces tumeurs, on en détermineroit le flux, en y appliquant des sangsues.

La fièvre quarte, sur-tout lorsqu’elle est longue, est entretenue par des humeurs tenaces qui indiquent l’usage des apéritifs, des fondans & sels neutres digestifs, tels que les sucs de chicorée, de pissenlit, de fumeterre, combinés avec le sel de glauber & la terre foliée de tartre.

On doit donner le kina pour diminuer les mouvemens fébriles, mais avec beaucoup de précaution, & à une dose qui ne soit ni trop petite ni trop continuée, pour suspendre entièrement les accès.

L’observation ne prouve que trop que cette fièvre résiste au traitement le plus méthodique, & qu’on est forcé de l’abandonner. Il est de fait que les fièvres quartes qui surviennent en automne, guérissent très-difficilement : on les voit disparoître pour l’ordinaire au printemps, sans qu’on emploie le moindre remède. Il vaut mieux pour lors se conformer à cette marche, que d’accabler les malades de fébrifuges qui ne leur sont d’aucune utilité.

Toutes les précautions que l’on doit prendre se réduisent à empêcher qu’il ne se forme des obstructions dans le bas ventre ; ce qu’on prévient aisément en purgeant une fois tous les mois le malade, & en lui prescrivant l’usage de quelque tisanne apéritive.

La fièvre lente est très-longue, & se porte au delà du terme ordinaire des autres. Elle redouble tous les soirs, & ce redoublement est toujours précédé d’un frisson, sur-tout lorsqu’elle est symptôme d’un ulcère intérieur.

Cette fièvre reconnoît une infinité, de causes : elle dépend très-souvent des obstructions des viscères du bas ventre, & de leur engorgement. (Voyez Obstructions) Elle est souvent entretenue par un ulcère au poumon ; (voyez Phthisie) elle peut être aussi l’effet de longues maladies, d’un amas d’eau contenue dans la poitrine ou le bas ventre ; (voyez Hydropisie ascite & de poitrine) tout comme de la répercussion de quelque humeur qui avoit établi son siége sur la peau, telle que la gale. (Voy. ce mot) Les hémorragies trop abondantes la procurent quelquefois, en jetant ceux qui y sont sujets dans un état de sécheresse, de maigreur. (Voyez Marasme)

La fièvre maligne a toujours été l’écueil de la médecine & des médecins. Quelquefois sous le masque d’une maladie simple, elle cause les plus grands ravages, parce que son caractère est souvent très-difficile à être connu. On observe toujours pour premier signe caractéristique de la malignité, un abattement général des forces, très-disproportionné aux autres symptômes, & l’abattement de l’ame est égal à celui du corps. Il paroît ensuite des mouvemens convulsifs, tels que les soubresauts des tendons : l’ame est aussi dans un mouvement convulsif, caractérisé par un délire obscur ; le malade ne sent pas son état ; la respiration est légèrement gênée, mais néanmoins d’une manière sensible. Les symptômes les plus communs sont le hoquet & un penchant à vomir.

Il faut faire ici la guerre à l’œil, combattre ces symptômes à mesure qu’ils paroissent, parce qu’on a ensuite plus de facilité à remédier à ceux qui se présentent.

Quand la fièvre est avancée, il survient quelquefois des taches pétéchiales, qui sont toujours symptômatiques dans la fièvre maligne simple, & non critiques. Le malade ressent souvent des douleurs fixes gravatives dans différentes parties du corps ; il éprouve des tiraillemens dans les extrémités, quelquefois un engourdissement, & même une paralysie. On y observe encore des fortes hémorragies. Ces symptômes se soutiennent dans une espèce de balancement, de telle sorte que les malades sont mieux un jour, & plus mal l’autre ; & aucun de ces deux états ne se soutient long-temps. Il ne faut pas perdre de vue le changement qui se fait dans le pouls & dans les urines : ce qu’on y observe est du plus méchant caractère.

Cette fièvre se termine par le délire ou par les convulsions, ou par un accès de prostration des forces. Dans le premier cas, le délire & l’abattement des forces sont plus fixes & plus concentrés : ces derniers gagnent des extrémités vers la tête ; & cette progression est si remarquable, que lorsqu’elle a atteint les parties voisines de l’origine des nerfs, la mort est prochaine. Dans le second cas, le pouls devient petit, lent, foible ; les selles se suppriment, & il survient des défaillances que le froid & la mort suivent de près. Si la maladie au contraire a une terminaison heureuse, la nature reprend peu à peu ses forces ; le délire cesse par intervalle ; le pouls devient plus grand & plus égal. Alors il survient des urines ou des sueurs critiques, selon que la maladie a plus d’affinité à l’affection inflammatoire ou putride.

La terminaison la plus fréquente se fait par les sueurs chaudes universelles, qu’il faut aider par des remèdes Alexipharmaques, (voyez ce mot) mais donnés avec beaucoup de modération. Quelquefois même il n’y a ni coction, ni évacuation apparente, & cependant la maladie se résout ; ces cures sont rares & incertaines. On doit favoriser ces résolutions spontanées, par des cordiaux, & autres remèdes appropriés. Lorsqu’il ne paroît pas d’agitation critique, bien manifeste, mais qu’au contraire le malade reste foible & calme aux jours critiques, sans que des évacuations salutaires aient précédé, c’est un mauvais signe, il faut alors réveiller & renforcer la nature.

Toutes ces indications peuvent être bien apperçues par les maîtres de l’art, mais il ne sera pas au pouvoir du cultivateur de les apprécier & d’en découvrir les nuances. Nous croyons qu’il est très-essentiel d’avoir recours à des médecins instruits pour combattre cette fièvre.

On peut néanmoins donner des acides qui ne nuisent jamais, en ce qu’ils s’opposent à la putréfaction & à la putridité, en attendant des conseils plus éclairés de la part des personnes de l’art : aussi nous n’insisterons plus sur cette fièvre ; nous nous contenterons d’en avoir donné les symptômes les plus caractéristiques, pour la faire bien connoître, & distinguer des autres fièvres. M. AM.

Addition du Rédacteur. Quoique je ne sois pas partisan des recettes, & que je regarde très-peu de remèdes comme spécifiques, je crois devoir publier de nouveau une recette extraite du Journal de Médecine, Mars 1766, p. 243 ; elle fut annoncée dans le temps comme un remède acheté par le Roi d’Espagne, & publié par son ordre. Depuis cette époque, je l’ai mise habituellement en pratique dans les campagnes, & elle a toujours été suivie du succès le plus décidé contre les fièvres intermittentes. Tout le remède consiste dans une demi-tasse de café, à laquelle on ajoute pareille quantité de jus de citron.

« Prenez du café torréfié & passé par le moulin ordinaire, la quantité suffisante pour deux tasses, c’est-à-dire, six drachmes que vous ferez bouillir dans une seule tasse d’eau commune jusqu’à la consomption de moitié. Laissez reposer… ; versez ensuite la décoction doucement & par inclinaison dans une tasse à café qui se trouvera à demi-pleine ; exprimez du jus de citron ou de limon jusqu’à ce que la tasse soit bien remplie ; mêlez le tout… ; faites la boire au malade, chaudement, le jour de l’intermission, le matin à jeun, si cela se peut, ou à une heure convenable, pour que le remède ne trouve pas l’estomac occupé à la digestion des alimens. Une heure après, le malade prend un bouillon, & demeure tranquille dans son lit le reste de la journée, & on observe une diète légère.

Les effets apparens de ce remède sont une abondante évacuation par les selles, mais sans tranchées, ou souvent une sueur très-abondante, pendant laquelle le pouls est élevé, & peu après devient ondulent.

Il faut observer que si l’on a fait précéder les remèdes généraux comme purgation, saignée, &c, le remède agit moins bien. »


Fièvre, Médecine vétérinaire. — De la fièvre en général. La fièvre est un effort continuel de la nature pour subjuguer & chasser les substances qui dérangent le juste équilibre des fonctions des animaux. Cet effort consistant dans les fréquentes contractions du cœur, & par conséquent dans les organes de la circulation, il ne faut pas être surpris de voir les forces vitales de l’animal qui en est atteint, s’accroître aux dépens des forces musculaires des autres parties du corps.

Des signes pour s’assurer de l’existence de la fièvre dans l’animal, & de l’accroissement des forces vitales. Pour connoître la fièvre & distinguer l’accroissement des forces vitales de l’animal, il faut s’attacher à connoître l’état du pouls propre à chaque animal jouissant d’une parfaite santé. On compte, par exemple, quarante-deux pulsations par minute dans le cheval fait & tranquille, soixante-cinq dans un poulain extrêmement jeune, cinquante-cinq dans un poulain de trois ans, quarante-huit dans un cheval de cinq à six ans, trente dans un cheval qui présente des marques évidentes de vieillesse, trente-quatre, & même jusqu’à trente-six dans une jument faite ; ce qui prouve que dans les femelles des animaux, le pouls est plus lent que dans les mâles. Le nombre des pulsations dans les artères du bœuf & de la vache, est à peu près le même que celui de la jument & du cheval. Le pouls du mouton bat soixante-cinq fois par minute ; & celui du chien, quatre-vingt-dix-sept fois. On doit bien comprendre que nous supposons toujours les animaux d’une taille ordinaire ; mais le pouls est toujours beaucoup plus fréquent, lorsqu’ils sont d’un tempérament vif & sanguin, que lorsqu’ils sont d’un tempérament lâche, & qu’ils sont élevés, sur-tout quant aux chevaux, dans des pays marécageux & humides.

Le nombre de pulsations dans les artères, étant supérieur à celles que nous venons de déterminer, la vélocité & la force des battemens feront donc juger chez les uns & les autres de ces animaux, de l’existence de la fièvre & de l’accroissement des forces vitales ; mais à ces signes particuliers, il faut y en ajouter de généraux, tels qu’une respiration plus ou moins laborieuse, plus ou moins difficile, plus ou moins fréquente ; une accélération plus ou moins considérable des mouvemens ordinaires du diaphragme, (voy. Diaphragme) & des muscles du bas ventre qu’on apperçoit dans les flancs, l’abattement, la tristesse, la tête basse, la rougeur des yeux, la sécheresse de la langue, le dégoût, la cessation de la rumination, le tremblement du pannicule charnu & la grande chaleur des tégumens.

Des temps que l’on remarque dans la fièvre. Dans tous les genres & espèces de fièvre, on distingue trois temps ; le commencement, l’accroissement & le déclin.

Dans le premier temps, les symptômes ont peu d’activité, le cheval perd l’appétit, le bœuf & le mouton ne ruminent point, par la raison que les matières contenues dans les estomacs, ne se digérant que d’une manière imparfaite, le chyle qui en résulte n’est pas assez élaboré, & qu’il se mêle avec le sang avant que d’avoir souffert la coction nécessaire pour le rendre de bonne qualité ; car plus les fonctions de l’estomac sont troublées, plus le chyle acquiert de mauvaises qualités, & plus le sang est altéré. On s’apperçoit aussi d’un tremblement dans le pannicule charnu & d’un froid fébrile.

Dans le second temps, le cœur, en se contractant avec plus de force & de vélocité que dans le premier, chasse le sang avec plus d’impétuosité ; la chaleur de l’animal augmente, & certaines humeurs, telles que la sueur & les urines, paroissent plus abondantes. Mais nous observons cependant que cette évacuation ne soulage point l’animal, la sueur ayant peu d’odeur, les urines étant pour l’ordinaire claires, légères, égales & peu troubles, & les matières fécales étant en général desséchées & retenues. C’est donc ici, c’est-à-dire, dans le second temps, que la nature fait tous ses efforts pour obtenir la coction de la matière fébrile ou morbifique ; & que, plus cette matière paroît se porter du côté du cerveau & menacer de détruire les forces vitales, plus les symptômes qui décèlent la fièvre, sont violens, ou se terminent promptement par l’expulsion de la nature hors du corps de l’animal, par les voies excrétoires, ou par la mort de l’animal.

Dans le déclin, ou le troisième temps, on n’apperçoit plus la même violence des symptômes puisque la crise se fait, ou est en partie faite, & que tout annonce dans l’animal un prompt rétablissement.

Des signes qui décèlent que la fièvre va se terminer par une évacuation sensible. La fièvre se termine, ou par les urines, ou par les sueurs, ou par les selles, ou par une expectoration nasale.

Dans le premier cas, les urines sont plus troubles & plus colorées que dans l’état naturel.

Dans le second, la sueur est copieuse, âcre & d’une odeur forte.

Dans le troisième, les matières fécales sont fluides, jaunes, muqueuses, & quelquefois sanguinolentes.

Dans le quatrième, enfin, il découle du nez de l’animal une humeur blanchâtre, plus ou moins épaisse.

Mais à tous ces signes particuliers qui font connoître que la crise de la fièvre se fait par toutes ces évacuations, nous devons y joindre des signes avant-coureurs, confirmés par une expérience journalière. Par exemple, l’agitation continuelle de l’animal qui a la fièvre, la sécheresse des matières fécales, la tension du ventre, qu’on sent en y portant la main, la sécheresse de la peau, l’envie fréquente d’uriner, annoncée par l’attitude de l’animal, qui se campe, sont un indice que la crise va se faire du côté des urines.

Lorsque les tégumens paroissent se relâcher, s’échauffer, ce que l’on connoît en y portant la main dessus ; lorsque les épaules, les cuisses deviennent chaudes & moites ; lorsque le pouls, qu’on sent en portant le doigt indicateur sur la partie voisine de la tubérosité de la mâchoire postérieure, par où passe l’artère maxillaire, sous le muscle masseter, est plein & souple, on doit s’attendre à une sueur critique, sur-tout si l’on voit que les urines sont diminuées, & si le ventre est resserré.

Les borborygmes, la tuméfaction plus ou moins doloureuse du bas ventre, l’agitation continuelle du corps de l’animal annoncent que la crise de la fièvre doit avoir lieu par les selles.

Enfin, une respiration difficile & laborieuse, les yeux rouges, gros & enflammés, les expirations fortes & sonores, la toux avec ébrouement & expulsion des matières contenues dans les naseaux, sont autant de signes évidens de la crise par l’expectoration nasale ; c’est-à-dire, que la matière morbifique ou fébrile, passé par les branches pulmonaires, s’échappe par le larinx, & de là par le nez de l’animal.

Nous voyons néanmoins quelquefois la fièvre se terminer par des éruptions cutanées, par des exhanthèmes (voyez Exanthème) & par d’autres dépôts critiques, d’autant plus longs à guérir, que les symptômes se sont montrés avec violence. D’autres fois, les efforts de la fièvre sont si violens, l’inflammation est si vive, si considérable, que l’on voit la gangrène s’emparer facilement de la partie où siège la matière morbifique, comme, par exemple, dans les fièvres pestilentielles. (Voyez Peste)

Causes de la fièvre. Les causes qui produisent la fièvre dans les animaux, sont en général les mêmes que dans l’espèce humaine. La disposition inflammatoire du sang, son épaississement, sa stase ou son engorgement dans les vaisseaux capillaires, la dépravation des humeurs, voilà les causes générales. Les particulières sont toutes celles qui peuvent jeter le trouble dans l’individu de l’animal, troubler les fonctions, &, conséquemment obliger la nature à de plus grands efforts, afin d’éliminer sa matière morbifique ; tels sont un air contagieux & infecté, la mauvaise qualité du foin & des autres alimens que l’on donne aux animaux, des travaux forcés, une transpiration supprimée par le froid, ou par la pluie à laquelle l’animal aura été imprudemment exposé quand il étoit baigné de sueur ; quand on le laisse boire, sans s’être reposé, après de grandes fatigues, &c.

Traitement de la fièvre en général. Lorsqu’un jeune cheval, ou un bœuf à la fleur de son âge, est attaqué d’une fièvre violente, que le pouls, qu’on sent à l’endroit ci-dessus indiqué, est plein, que les vaisseaux extérieurs sont gonflés, que les yeux sont rouges Si enflammés, &c., il faut se hâter de saigner l’animal ; mais s’il est avancé en âge, s’il est foible, maigre, exténué de fatigues, épuisé ; s’il a la diarrhée ou la dyssenterie ; s’il sue beaucoup, s’il éprouve un froid général ; si la maladie est à son déclin, il faut bien se garder de pratiquer la saignée ; en un tout, avant que le maréchal se décide à saigner un animal quelconque attaqué de la fièvre, il doit faire attention à l’âge, au tempérament, à l’espèce, à la constitution de l’air, à l’espace de la durée de la fièvre, & au nombre de jours qu’il a été malade. L’expérience prouve que la saignée n’est avantageuse que les premiers jours de la maladie, & qu’elle devient nuisible le quatrième jour, en troublant les efforts de la nature, & en empêchant ou retardant la coction de la matière fébrile ou morbifique.

Si la saignée pratiquée dans les trois premiers jours de la maladie, ne favorise pas la résolution, on doit s’attendre à une crise, ou par les selles, ou par les urines, ou par la sueur, ou un flux par les naseaux.

L’état des urines indique toujours quel sera l’effet des sueurs. Sont-elles en petite quantité, rouges & troubles ? les sueurs feront avantageuses ; sont-elles, au contraire, abondantes, aqueuses & claires ? c’est une preuve que la crise, par cette voie, ne peut être qu’imparfaite. Dans le premier cas, il convient d’entretenir la sueur par des boissons mucilagineuses tièdes, telles que la décoction des racines de guimauve, &c. ; tandis que, dans le second, il faut l’exciter par des frictions sur les tégumens, avec des bouchons de paille, (voyez Bouchonner) ou par des couvertures, & en donnant quelque breuvage légèrement sudorifique, fait d’une infusion de quelque plante aromatique, telle que l’absinthe, la sauge, &c. dans le vin vieux, & en ajoutant, à chaque breuvage, une once d’extrait de genièvre, de thériaque, &c., suivant l’exigence des cas. Gardez-vous bien d’imiter certains maréchaux, qui, en pareille circonstance, ne craignent pas d’administrer les sudorifiques les plus actifs à très-haute dose. Quel doit être l’effet de ces remèdes, sur-tout au commencement de la fièvre, si ce n’est d’augmenter les symptômes de la maladie, de les rendre plus graves, de provoquer une sueur plus dangereuse qu’utile, & de faire périr l’animal le cinquième jour de la maladie ?

Dans les cas ou la nature détermine les matières de la fièvre du côté des voies urinaires, il s’agit alors de faire attention à la quantité & aux qualités de urines. Sont-elles copieuses, même dans le temps où la fièvre paroît vouloir se terminer ? cet état n’annonce jamais une crise heureuse. Il en est de même lorsqu’elles sont transparentes, aqueuses, privées de sédiment, & sans odeur. Pour espérer une bonne crise, il faut, au contraire, qu’elles soient troubles, colorées, de mauvaise odeur & chargées d’un sédiment muqueux ; pour lors il convient d’aider la nature par l’administration des breuvages diurétiques répétés, faits d’une infusion de feuilles de pariétaire, en ajoutant une once de sel de nitre pour chaque breuvage, sur-tout si le ventre est tendu, & les matières fécales desséchées ; on doit bien comprendre aussi que l’animal doit être tenu dans une écurie dont l’atmosphère soit tempérée.

On est assuré que la fièvre se termine par la voie des bronches pulmonaires, la trachée-artère, le larinx, & enfin par les naseaux, si l’on s’apperçoit de la difficulté de respirer, du battement des flancs, & particulièrement par la consistance de l’humeur qui flue jusqu’au moment où la fièvre paroît se terminer ; l’animal d’ailleurs paroît soulagé, à mesure que l’expectoration nasale se fait, & que l’humeur loin de participer des qualités des matières purulentes comme dans la pulmonie, (voyez Pulmonie) devient de plus en plus visqueuse, blanchâtre, jaune & rarement verdâtre. Ainsi, lorsque la fièvre se termine par cette voie, il suffit seulement de donner à l’animal quelques breuvages adoucissans & mielleux, c’est-à-dire, du miel commun dissous dans une décoction de racine de mauve, de guimauve, de fleurs de violettes, &c. & de l’exposer à la vapeur des plantes émollientes, (Voyez Fumigation) dans la vue de débarrasser les bronches des substances hétérogènes, & de conduire par-là la maladie à sa fin ; si la coction paroissoit lente à se faire, il faut avoir recours aux béchiques incisifs donnés en bol, & composés d’iris de Florence, de fleurs de soufre, de chaque une once ; de camphre, myrrhe, de chaque demi-once, dans suffisante quantité d’oxymel simple. Ces remèdes, en excitant le jeu des vaisseaux, sont le plus propres à favoriser la résolution & l’évacuation de la matière fébrile ou morbifique contenue dans les bronches, après l’avoir atténuée.

Enfin, dans les cas où la nature paroît incertaine sur la voie qu’elle doit se choisir pour terminer la fièvre, & qu’il y a à craindre pour la vie de l’animal, il est indispensable & même urgent d’appliquer sur les tégumens de l’animal, des remèdes capables d’y produire l’inflammation & la suppuration, & d’y attirer non-seulement l’humeur qui occasionne la fièvre, mais encore de la détourner du centre à la circonférence. L’expérience parle en faveur des vésicatoires. Ils produisent de bons effets, dit le célèbre médecin vétérinaire de Lyon, M. Vitet, soit en détournant l’impétuosité du sang du côté où ils agissent, soit en déterminant la matière fébrile vers les parties qu’ils ont enflammées, soit en excitant un nouveau changement dans toute la machine, par leur action particulière sur les solides & les fluides. Ce précepte est si bien confirmé par l’expérience, que nous avons plusieurs fois retiré des effets merveilleux de ces remèdes, dans une fièvre maligne avec éruption, que nous avions à combattre : lorsque les forces vitales paroissoient s’abattre entièrement, & que l’éruption tardoit à se montrer, on annonçoit une métastase.

Ce n’est pas assez d’avoir considéré la fièvre en général dans ses symptômes, dans ses causes, dans sa crise, ni dans le traitement qui lui est le plus convenable ; la tâche que nous nous sommes imposée, nous oblige encore d’entrer dans le détail de toutes les espèces de fièvres auxquelles les animaux sont sujets : entrons en matière.

Section première.

De la Fièvre éphémère.

Le nom d’éphémère vient de ce que cette fièvre, ne dure dans l’animal ordinairement que vingt-quatre heures. Nous l’avons vue pourtant s’étendre un peu plus dans quelques jeunes chevaux. Ils y sont plus sujets que le bœuf & les autres animaux.

Signes. Le pouls qu’on sent à l’endroit ci-dessus indiqué, c’est-à-dire, aux artères maxillaires, est plein, libre ; on compte par minute dix-huit à vingt pulsations de plus que dans l’état naturel. L’animal sent un froid léger, il penche la tête, a l’air triste, est dégoûté, il bat un peu des flancs ; il se repose tantôt sur une jambe, tantôt sur une autre ; la bouche est chaude, & les oreilles froides, &c.

Les jeunes chevaux y sont plus exposés que les vieux. Les travaux excessifs, l’ardeur du soleil, le froid excessif en sont les principes ordinaires.

Curation. Cette espèce de fièvre cède aisément aux efforts de la nature, lorsqu’elle est aidée seulement de la diète simple, & de la privation des alimens solides pendant tout le temps de sa durée. Il est bon aussi quelquefois de donner de légers diaphorétiques en breuvage, tels que l’extrait de genièvre à la dose d’une once dans de l’eau bouillante, sur-tout si la transpiration vient à s’arrêter. On use encore assez souvent des boissons tempérantes, rafraîchissantes & nitreuses ; mais elles peuvent être nuisibles, lorsque l’animal a quelque disposition à suer. Il faut sur-tout avoir attention de tenir le ventre libre par quelques lavemens émolliens ; en un mot, nous ne craignons pas d’avancer, que cette espèce de fièvre n’a absolument rien de dangereux par elle-même ; si elle a quelquefois des suites fâcheuses, ce n’est que lorsque le maréchal vient à déranger l’ouvrage de la nature, par l’administration des purgatifs à forte dose, qu’il a coutume d’employer en pareil cas, ou par d’autres remèdes peu convenables.

Section II.

De la Fièvre simple.

Cette espèce de fièvre se manifeste par les signes suivans.

L’appétit de l’animal diminue, la rumination dans le bœuf & le mouton est presque suspendue, la respiration est plus fréquente qu’à l’ordinaire, les forces musculaires sont affoiblies, les yeux sont légèrement enflammés & tuméfiés, les oreilles, les cornes & les naseaux froids pendant un court espace de temps, le tremblement du pannicule charnu est médiocre, les forces vitales sont plus fortes que dans l’état naturel, les urines, au commencement de la maladie moins abondantes, la transpiration ordinairement considérable vers la fin, sur-tout lorsque les urines ne donnent pas en grande quantité ; la tête du cheval sur-tout est pesante, son ventre paresseux, les matières fécales noires & dures, sa démarche chancelante ; il ne se couche que rarement, il fait craqueter ses dents, ses testicules sont pendans & se relèvent vers la fin de la maladie.

C’est cette espèce de fièvre qu’on a coutume de confondre à la campagne avec le dégoût, (voyez Dégoût) maladies où les seules fonctions des premières voies sont dérangées ; aussi ne faut-il pas être surpris, si d’une fièvre simple, on en forme promptement une fièvre inflammatoire par les cordiaux, & autres remèdes de cette espèce, en augmentant la circulation du sang, & en irritant trop vivement le système nerveux.

Causes. Les principes les plus fréquens de la fièvre simple sont les exercices outrés, la grande quantité de nourriture, les alimens échauffans tels que l’avoine, la luzerne, l’esparcette ou sainfoin, le long séjour dans des écuries basses & mal-aérées, & la suppression de l’insensible transpiration & de la lueur.

Traitement. Lorsqu’un cheval ou un bœuf sont atteints de la fièvre simple, il faut mettre en usage la diète, la saignée, & les lavemens émolliens & mucilagineux ; la diète consiste en boisson blanche, & du son plus ou moins humecté ; s’il y a beaucoup de chaleur dans la bouche & dans l’intestin rectum, il faut y ajouter du sel de nitre. Cette pratique est bien opposée à celle qui est ordinairement prescrite, & suivie par les maréchaux de la campagne, c’est-à-dire, à l’usage du vin, de la thériaque, des pelottes d’assa-fœtida, autrement appelées pelotes puantes, des breuvages aromatiques, & des autres substances incendiaires.

M. de Garsault conseille de frotter les reins du cheval qui a la fièvre, avec de l’eau-de-vie ; il recommande encore de faire bouillir un demi-boisseau d’avoine dans de l’eau, que l’on jette cette eau, qu’on lui substitue du vinaigre, qu’ensuite on fricasse l’avoine dans le vinaigre pendant un instant, qu’on mette le tout dans un sac, & qu’on l’applique chaud sur les reins du cheval, quand l’avoine est froide, on remet du vinaigre chaud.

Sans doute que M. de Garsault prescrit ce topique, pour favoriser l’expulsion de la matière qui occasionne la fièvre par les urines. Mais les lavemens d’une décoction de racine de guimauve ne rempliroient-ils pas mieux l’objet désiré, en tenant le ventre libre, en calmant la chaleur & la vélocité du sang, & en favorisant l’expulsion de la matière ? Mais concluons ; la saignée a aussi ses avantages dans cette maladie, lorsqu’il y a une disposition inflammatoire. Les purgatifs, les sudorifiques, les diurétiques stimulans doivent être bannis, les forces vitales étant assez actives pour vaincre la résistance que lui oppose la matière fébrile, & étant d’ailleurs soutenues par le régime ci-dessus indiqué.

Section III.

De la Fièvre simple de la brebis.

Dans cette maladie l’appétit de la brebis est considérablement diminué, la rumination est suspendue ; elle se tient en peloton dans la bergerie, & ne sort qu’avec peine de l’étable. On observe un tremblement plus ou moins fort dans le pannicule charnu, les oreilles, le bout du nez, les épaules, les cuisses restent froids pendant quinze ou vingt heures ; ensuite tout le corps prend une chaleur modérée, jusqu’à la fin de la maladie, qui se termine pour l’ordinaire vers le neuvième jour.

Causes. Nous comptons parmi ces causes les boissons trop froides, le long séjour dans des bergeries basses & mal aérées, & le passage subit d’un air extrêmement chaud à un air extrêmement froid.

Curation. Parmi les bergers, les uns donnent tous les jours aux brebis atteintes de cette espèce de fièvre, des infusions faites avec parties égales de feuilles d’absinthe & de rue ; les autres coupent le bout de chaque oreille, ramassent le sang qui découle de la plaie, pour le mêler avec du sel & du cumin, & pour le donner à l’animal. On doit bien comprendre que le premier remède est trop échauffant pour être indiqué, sur-tout dans la fièvre qui reconnoît pour cause une excessive chaleur, & que le second est trop absurde pour ne pas le rejeter. N’est-il pas préférable, au contraire, de saigner la brebis à la veine de la mâchoire, de lui donner de l’eau blanche nitrée pour boisson, & de la purger avec du petit lait seulement ?

Section IV.

De la Fièvre maligne.

Le bœuf est plus exposé à cette espèce de fièvre que le cheval & le mouton.

Signes. Elle se manifeste par un affoiblissement subit des forces musculaires ; elles sont si affoiblies que l’animal qui en est atteint est obligé de se tenir couché. Les yeux sont tristes & larmoyans, le pouls presque dans son état naturel ; le poil est terne & hérissé, il s’arrache facilement ; l’animal plie sous lui, lorsqu’on lui passe la main sur les reins ; il refuse toute espèce d’alimens, la rumination est suspendue, les urines sont troubles, souvent claires & peu abondantes ; la peau est sèche, l’épine du dos douloureuse, la chaleur des tégumens naturelle, & très-rarement accompagnée de sueur ; la respiration grande & laborieuse, quelquefois petite, fréquente & avec soupir, la bouche sèche, la langue blanche, souvent tirant sur le noir, les matières fécales, tantôt fluides, tantôt desséchées, sans avoir rien de fétide.

Rien de plus commun aujourd’hui que de voir confondre cette maladie avec d’autres espèces de maladies aiguës. Nous entendons dire journellement à certains maréchaux, lorsqu’un cheval est attaqué d’une maladie grave, qu’il ne connoît pas qu’il est affecté de fièvre maligne. C’est bien-là le vrai moyen d’entretenir son crédit, en cas que l’animal vienne à périr. Il est vrai que presque toutes les fièvres sont souvent accompagnées des affections de la tête, qui rendent la maladie grave ; mais ces attestions ne sont que passagères & symptômatiques, tandis qu’elles sont essentielles à la fièvre maligne, & l’accompagnent dans tous ses temps, cette espèce de fièvre ayant sans contredit son principal siège dans les nerfs & le cerveau.

Causes. Les causes de la fièvre maligne sont tous les alimens corrompus, une constitution particulière de l’air, les grandes chaleurs de l’été, les eaux bourbeuses & fétides qui servent de boisson, & les travaux excessifs & outrés, sur-tout pendant les grandes chaleurs.

Il est des signes avant-coureurs dans cette maladie, qui décèlent que l’animal va périr. Tels sont, par exemple, la noirceur & la sécheresse de la langue, les excrémens secs & de couleur noire, les mouvemens convulsifs des extrémités, l’agitation continuelle de l’animal, la chaleur extrême des tégumens, leur sécheresse, la respiration laborieuse, les grands soupirs répétés, le grand battement des flancs, & sur-tout le pouls foible.

Traitement. C’est ici qu’il est urgent d’administrer les remèdes avec prudence, cette maladie étant presque toujours décidée avant le septième jour. Ainsi, l’animal est-il jeune, vigoureux, sanguin, saignez-le plusieurs fois à la veine jugulaire dans l’espace de vingt-quatre heures ; donnez-lui tous les jours des breuvages, ou bien des bols faits d’une once de sel de nitre, de trois drachmes de camphre, & de suffisante quantité de miel. Si la bouche est sèche, contentez-vous de l’abreuver, & de le soutenir avec de l’eau blanche nitrée seulement. Les forces vitales paroissent-elles diminuer ? empressez-vous d’appliquer de larges vésicatoires sur les deux fesses. Ne saignez jamais l’animal le troisième jour de la maladie, elle seroit mortelle : ne lui donnez pas non plus aucun breuvage sudorifique, à moins que vous ne soyez physiquement sûr de quelques signes qui annoncent une crise par les sueurs. La soif de l’animal est-elle extrême ? faites dissoudre dans l’eau blanche de la crème de tartre ; donnez-lui même du petit lait, si vous en avez. N’oubliez pas de lui faire sentir de temps en temps de l’esprit volatil de sel ammoniac, pour lui réveiller les forces vitales ; entretenez-les par des fréquentes fumigations dans l’étable, avec des baies de genièvre dans le vinaigre. Observez sur-tout de bouchonner de temps en temps l’animal, de le tenir dans une écurie propre, & dont l’atmosphère soit d’une chaleur tempérée.

Section V.

De la fièvre maligne des chiens.

C’est de l’excellent Ouvrage des Recherches Historiques & Physiques sur les Maladies épizootiques de M. Paulet, que nous tirons cet article. « Il y a plusieurs années, dit ce docteur célèbre, qu’on observe une fièvre maligne qui détruit les chiens, qu’on appelle la maladie des chiens. »

» Le premier jour, l’animal a une démangeaison au nez, les yeux ternes ; il éternue souvent, il est comme enchifrené. Le deuxième jour, il traîne le train de derrière, il est penché sur un des côtés, ne peut se soutenir sur ses jambes, de derrière sur-tout ; il est dans un état de stupeur. Le troisième, ces accidens continuent, & la stupeur augmente. Le quatrième, il coule du nez une mucosité épaisse, semblable à du blanc d’œuf, qui sort par filandres ; l’animal est constipé, quelquefois il rend des matières fort dures & teintes de sang : il a une fièvre très-considérable, accablement ; l’animal ne désire ni de manger ni de boire ; il est très-assoupi, sa langue est chargée ; tout son corps est très-sensible lorsqu’on le touche. Cet état se soutient pendant plusieurs jours, pendant lesquels il éprouve des alternatives de froid & de chaud, des tremblemens ; il est toujours assoupi. La foiblesse des reins, dans les uns, n’est qu’accidentelle, & revient par intervalles ; dans les autres, elle est continuelle. Lorsqu’elle n’est que passagère, on remarque que la connoissance vient à l’animal, lorsque cette foiblesse le quitte. Enfin, les excrémens, l’haleine & tout le corps deviennent très-puans ; le poil lui tombe ; l’accablement se soutient quelquefois plus de quarante jours, & cette maladie se termine ou par une éruption galeuse à la peau, ou par un dépôt sur les jambes, principalement aux articulations, ou par un engorgement des glandes parotides ; & si l’animal s’en relève, il perd ordinairement la finesse de quelqu’un de ses sens, & quelquefois l’ouïe & l’odorat entièrement. La plupart restent comme hébétés. »

» On en a réchappé plusieurs, en appliquant des trochisques de minium dans l’ouverture des abcès formés aux articulations. Cet escarrotique rend l’ouverture plus grande, en rongeant les chairs, & après la chute de l’escarre on observe qu’il s’y établit une bonne suppuration, qui est essentielle dans ce cas pour sauver la vie à l’animal. »

» Pour empêcher ces sortes de dépôts aux articulations, on a fait à plusieurs des incisions aux tégumens de la cuisse, dans lesquelles on introduisoit du mercure, ce qui n’a procuré aucun soulagement marqué, mais y a déterminé souvent le dépôts & en a préservé l’articulation. »

» Quant aux remèdes internes, ajoute M. Paulet, on a employé avec succès le soufre doré d’antimoine dans le beurre ordinaire. La dose, pour les petits chiens, est de deux grains, & de six pour les gros, tous les jours, de trois en trois heures, dans un bouillon léger, fait avec les têtes de mouton : cela les fait vomir & évacuer ; quelquefois, pour rendre ce remède plus actif, on y ajoute trois ou quatre grains de tartre émétique ; quelques personnes ont employé avec un pareil succès, les hydragogues, sur-tout le diagrède, à la dose de trois ou quatre grains par jour, ce qui les évacue très-bien. »

Une maladie à peu près semblable fit de grands ravages en Languedoc, en 1777, 1778, & 1779). Elle étoit épizootique & contagieuse. Les chiens courans, les chiens loups & les épagneuls en furent spécialement attaqués ; les uns devenoient aveugles, les autres recouvroient la vue un mois ou quarante jours après la fin de la maladie. Le tartre émétique donné au commencement, les infusions de coquelicot & de têtes de pavot, auxquelles on ajoutoit deux drachmes de sel de nitre pour chaque potion, &, pour les chiens les plus gros, les fumigations de cascarilles, qu’on faisoit sous le nez de ceux qui jetoient, produisirent des effets merveilleux.

Section VI.

De la Fièvre putride maligne.

Cette maladie est ordinairement épizootique & contagieuse. Elle s’annonce par la tristesse & la perte d’appétit ; lorsqu’elle est déclarée, il y a diminution de lait dans les vaches, dégoût absolu ; la rumination cesse entièrement ; l’animal est fort triste ; il porte la tête & les oreilles basses ; sa vue se trouble, & sa tristesse se change en véritable stupeur ; les yeux sont larmoyans, mais sans être, pour l’ordinaire, ni rouges, ni enflammés ; il découle des naseaux une mucosité gluante & jaunâtre ; les cornes & les oreilles deviennent froides ; bientôt après surviennent des frissons irréguliers, auxquels succède une chaleur fébrile de peu de durée ; les poils se hérissent & se détachent facilement de leur cuir, lorsqu’on les tire avec les doigts ; la respiration est gênée, le pouls a plus de plénitude que dans l’état de santé, sans être dur ni trop plein ; la langue est humide & blanchâtre ; les urines d’abord sont troubles, deviennent ensuite claires & limpides ; les matières fécales, dès le commencement, sont dures & peu abondantes, mais, le troisième jour, le dévoiement commence à se déclarer, & les matières fécales sont couvertes d’une espèce d’huile fétide ; on voit quelquefois paroître sur les animaux qui en sont attaqués, des tumeurs qui augmentent insensiblement, & qui fixent leur siége sur les tégumens ; les forces sont très-abattues, l’animal gémit, bat des flancs, est oppressé, pousse des soupirs ; les yeux se troublent, ils deviennent jaunes, & sont toujours larmoyans ; les convulsions paroissent, & sont bientôt suivies de la mort.

Traitement. D’après tous ces symptômes, les indications que la maladie présente, consistent d’abord à arrêter les progrès de l’inflammation, quoi qu’elle ne paroisse jamais bien vive, mais sur-tout ceux de la putridité & de la gangrène. On parvient à remplir cette première vue, en mettant l’animal à l’eau blanche, à laquelle on ajoute, sur environ un l’eau de cette eau, six onces de la liqueur antiseptique du célèbre Médecin vétérinaire de Lyon, qui est un mélange d’eau-de-vie camphrée & de vinaigre, à parties égales. Si les symptômes augmentent en intensité, il convient d’ajouter à quatre livres de cette eau blanche antiseptique, demi-livre de miel commun, quatre onces de quinquina, & autant de racine de gentiane, qu’on partage en quatre prises, pour un jour, & qu’on donne avec la corne. Les gens de la campagne peuvent substituer au quinquina, en cas qu’il soit trop cher, la même dose d’écorce de saule. La saignée, suivant M. Dufot, médecin pensionnaire de la ville de Soissons, qui observa cette maladie dans le Laonnois, en 1771, ne paroît point indiquée dans aucun temps de la maladie, par la raison que la plénitude du pouls n’est pas assez considérable, & que d’ailleurs cette plénitude est plutôt l’effet d’une raréfaction de sang, que celui d’une pléthore sanguine. (Voyez Pléthore) La saignée alors, bien loin de soulager l’animal, trouble les efforts de la nature, en diminuant les forces vitales. Les purgatifs sont indiqués au commencement & à la fin de la maladie. Ceux qu’on emploie avec succès, sont trois onces de séné & quatre onces de miel commun, sur lesquels on verse une livre d’eau bouillante, & d’heure en heure, on fait boire à l’animal, environ une livre d’eau blanche ; il est bon que les purgatifs soient secondés par quelques lavemens émoiliens. L’expérience prouve que les lavemens purgatifs, ni les breuvages de même nature, composés des drastiques les plus forts, tels que le jalap, l’aloès, ainsi que les préparations d’antimoine, administrées sur-tout à forte dose, ne produisent aucun bon effet. Ces remèdes, ainsi employés, augmentent constamment les battemens des flancs, causent de plus vives agitations dans l’intérieur de l’animal, sans cependant procurer plus d’évacuation.

Quant au traitement des tumeurs qui paroissent quelquefois sous les tégumens, il faut les ouvrir, & les enlever avec l’instrument tranchant. L’extirpation faite, on laisse saigner la plaie, & on la panse avec l’onguent digestif, & non avec des caustiques, dont l’emploi est toujours nuisible en pareil cas, en ce qu’ils augmentent la douleur, troublent les crises salutaires que la nature cherche à former par ces dépôts.

Nous avons dit plus haut que cette maladie étoit contagieuse & épizootique ; elle exige donc des secours préservatifs ; on n’a qu’à consulter ceux qui sont indiqués & recommandés aux mots Contagion, Épizootie.

Section VII.

De la Fièvre inflammatoire.

Le bœuf y est beaucoup plus sujet que le cheval. Dès qu’il commence d’en être attaqué, les oreilles, les cornes & les tégumens sont froids ; le pannicule charnu tremble ; l’animal est inquiet, s’agite, se couche, se lève ; ses yeux deviennent rouges, enflammés & larmoyans ; les oreilles, les cornes & les tégumens prennent une chaleur considérable ; la langue & le palais sont secs & brûlans ; l’haleine est chaude, la tête est basse, & les oreilles pendantes ; il est dégoûté, il cesse de ruminer : la vache perd le lait ; les excrémens sont desséchés & de couleur noire ; tantôt l’animal fiente souvent & peu, tantôt il est constipé ; il urine quelquefois, mais rarement, & avec beaucoup de peine ; la couleur des urines est rougeâtre ; la respiration est, pour l’ordinaire, pénible ; l’animal pousse de longs soupirs ; les forces musculaires diminuent peu à peu, tandis que les forces vitales semblent s’accroître ; ordinairement l’animal est plus fatigué la nuit que le jour, & souvent l’inflammation attaque le troisième, ou le cinquième, ou le septième jour, une partie interne, telle que le poumon, le larinx, les intestins, &c. ; ce qui donne lieu à une péripneumonie, à une angine ou esquinancie, à la dyssenterie, (voyez ces mots) ou bien une partie externe sur laquelle paroissent des tumeurs extérieures, qui participent du bubon & du charbon. (Voyez Bubon & Charbon.)

On ne peut point exactement fixer la durée de cette espèce de fièvre ; mais il est d’observation que lorsque les symptômes ne paroissent pas graves, & qu’ils marchent avec lenteur, que la maladie se termine vers le onzième ou quatorzième jour, tandis que l’animal meurt le troisième, & plus souvent le cinquième jour, lorsque les symptômes se montrent avec violence.

Causes. Nous rangerons parmi les principes ordinaires de la fièvre inflammatoire, les violens exercices, les chaleurs excessives de l’été, la mauvaise qualité des eaux & des alimens, & la constitution particulière de l’air.

Cette maladie étant ordinairement épizootique & contagieuse, il est aisé de comprendre quel doit être le danger de la cohabitation d’un grand nombre de bœufs réunis dans la même étable ; il y a déjà long-temps que nous nous élevons contre cette prévoyance mal placée des beuviers, pour se procurer beaucoup d’engrais, & ils ne nous écoutent point. Jusques à quand préféreront-ils que la fécondité de la terre soit payée par le sacrifice de leurs bœufs, sans lesquels ils ne sauroient la fertiliser, plutôt que de renoncer à leurs cruelles habitudes ? Jusques à quand seront-ils aveuglés sur leur propre intérêt ? N’entendront-ils jamais la voix de la raison, en secouant les préjugés ruineux dont ils ont été tant de fois la victime ?

Traitement. Il s’agit de diminuer la quantité du sang, de modérer le mouvement du cœur, & de diminuer la disposition inflammatoire des humeurs, en saignant l’animal. Il est d’observation que la saignée est de tous les remèdes celui qui soulage le plus promptement, & que plus on la retarde, plus le sang devient couenneux ; mais la dose du sang à tirer, nous le répétons, doit être toujours proportionnée aux forces, à l’âge, à la taille, à l’espèce, & à l’intensité des symptômes qui accompagnent la maladie. On ne risque rien de répéter la saignée trois ou quatre fois dans l’espace de quarante-huit heures. Si, au commencement du troisième jour, les symptômes subsistent encore, on ne doit pas craindre même de la répéter. On doit administrer des boissons tempérantes & mucilagineuses, d’une décoction de mauve, de guimauve, &c. en y ajoutant du sel de nitre pour le cheval, & de la crème de tartre pour le bœuf. Qu’on se garde bien d’exciter l’excrétion des urines ou des sueurs, au commencement de la maladie, par l’usage des diurétiques & des diaphorétiques, & même vers la fin, avec les cordiaux, comme on le pratique journellement à la campagne ; ce seroit le vrai moyen de suspendre ou de retarder toutes les excrétions, parce que la fièvre étant plus violente, moins les sueurs, les urines & les autres excrétions doivent avoir lieu. Les lavemens émolliens sont aussi indiqués & d’une utilité essentielle dans cette maladie, par la vertu qu’ils ont d’entraîner les excrémens durs & arrêtés dans les petits intestins, de fomenter toutes les parties contenues dans le bas ventre, d’établir une dérivation du côté de cette même partie, de diminuer l’impétuosité du sang vers la tête, de détendre l’abdomen, & de favoriser, par conséquent, un flux d’urine plus abondant & plus facile. On peut rendre ces lavemens purgatifs, en y faisant dissoudre quatre onces de pulpe de casse ; mais ces lavemens ne sont indiqués qu’au commencement de la maladie, pour seconder l’effet des remèdes mucilagineux, & sur-tout pour n’avoir pas recours aux forts purgatifs, toujours dangereux dans la fièvre inflammatoire.

Mais, lorsque la matière fébrile au lieu de marquer, de se procurer une issue par les vaisseaux excrétoires, paroît au contraire menacer d’affecter le cerveau, il faut se hâter d’appliquer les vésicatoires de la manière déjà plusieurs fois indiquée dans cet Ouvrage, & en réitérer même l’application, jusqu’à ce qu’on soit assuré d’un changement.

S’il paroît au contraire des tumeurs sur les tégumens de l’animal, on doit espérer une bonne issue de la part des efforts de l’art ou de la nature ; ces efforts étant capables de produire un dépôt salutaire, dans quelque point de la superficie du corps, il faut donc diriger toutes ses vues de ce côté-là ; quò natura vergit eò ducendum. On parviendra à fixer l’humeur au-dehors, & à faire suppurer les tumeurs inflammatoires, par l’application réitérée des cataplasmes maturatifs faits de levain, de pulpe d’oignons de lys, & de mie de pain, ou d’onguent basilicum. Mais la tumeur paroît-elle avoir un caractère bien évident de malignité ? Paroît-elle participer de la nature du bubon ou du charbon ? il faudra alors se conduire suivant la méthode indiquée dans ces articles. (Voyez Bubon, Charbon)

Lorsque la matière fébrile se porte au poumon, au gosier, aux intestins, on doit traiter la maladie comme une péripneumonie, une esquinancie, une dyssenterie. &c. (Voyez tous ces mots)

Le septième jour passé, on peut donner à l’animal pour toute nourriture un peu de son humecté avec de l’eau miellée, & beaucoup d’eau blanchie avec la farine d’orge ou de froment, & l’on doit terminer la cure par un purgatif, afin d’achever d’entraîner en-dehors un reste d’humeur, qui pourroit avoir resté dans le sang.

Voici la formule de ce purgatif. Prenez feuilles de séné une once, versez dessus environ une livre d’eau bouillante, laissez infuser quatre heures, coulez avec expression, & ajoutez à la colature aloès succotrin une once, camphre trois drachmes, & donnez à jeun à l’animal avec la corne.

Section VIII.

De la Fièvre pestilentielle.

On appelle ainsi, toute fièvre aiguë, subite, accompagnée de symptômes graves & très-dangereux, très-contagieuse, & qui se répand sur plusieurs sujets en très-peu de temps. Quant aux signes, aux causes, & au traitement de cette terrible maladie, voyez Peste. Quant aux fièvres érysipélateuse & exantématique, (voyez Erysipèle & Exantème)

Section IX.

De la Fièvre lente.

Jusqu’à présent, nous n’avons observé aucune espèce de fièvre lente essentielle dans les animaux. Ce genre de fièvre est ordinairement le symptôme d’une maladie chronique, comme, par exemple, de la morve, de la pulmonie, des suppurations internes, du farcin, des obstructions du foie, de l’hydropisie, &c. (Voy. tous ces mots) On doit bien sentir, qu’on ne peut guérir ce genre de fièvre, qu’en combattant la maladie principale qui en est la cause. M. T.