Cours d’agriculture (Rozier)/PESTE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 600-615).
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PESTE, Médecine Rurale. Maladie épidémique très-contagieuse, qui devient mortelle, & enlève ceux qui en sont attaqués, vers le second ou le troisième jour.

On a regarde jusqu’ici la peste comme une fièvre très-aiguë, maligne. Ce sentiment paroît fondé si l’on fait attention que dans les fièvres malignes on observe les mêmes symptômes que dans la peste. Néanmoins il est bon d’observer que ces symptômes varient dans les différentes épidémies & dans les différens sujets attaqués de la même épidémie.

Elle s’annonce ordinairement par une grande prostration des forces, des anxiétés, des défaillances, par une soif extrême, un pouls vif & concentré, une chaleur très-forte, fixée sur quelque organe, par des hémorragies & autres flux symptomatiques, par un délire frénétique autres affections de la tête & des nerfs.

Quelquefois la chaleur est peu considérable, les urines & le pouls ne s’écartent point de l’état naturel. La langue est noire ou jaunâtre. Les malades rejettent les alimens & les boissons qu’ils prennent. Ils ont quelquefois des vomituritions, des inquiétudes, & des agitations perpétuelles. On apperçoit des soubresauts dans les tendons, & autres mouvemens convulsifs. Les uns sont abattus au commencement de la maladie, & quelquefois si consternés qu’ils prévoient leur mort prochaine. Les autres conservent leurs forces jusqu’à la mort. Il y a quelquefois aussi un frisson très-considérable auquel succède une chaleur extrême qui est bientôt suivie, comme l’a très-bien observé Wanswiesten, d’un engorgement gangréneux sur quelque viscère, & très-souvent d’une éruption de boutons gangréneux avec escarre.

Mais le symptôme le plus caractéristique est l’odeur que les malades exhalent dans la sueur, qui varie dans les différentes épidémies de peste, & qui tantôt est fétide, & tantôt est douceâtre, mais toujours désagréable ; elle infecte non-seulement les linges & les lits des malades, mais encore les chambres.

Quand la peste a duré un certain temps, il survient des pétéchies, des parotides, des bubons & des charbons qui ont la figure du clou, ou la forme des taches gangréneuses, pour l’ordinaire circulaires, avec une vessie aplatie sur le milieu, & bordées de taches miliaires. On y observe tout autour un emphysème qui n’est produit que par l’air qui se dégage des solides & des fluides, & qui pénètre le tissu cellulaire.

Les pétéchies de couleur noire & plombée, sont de très-mauvais augure, & annoncent un vrai sphacèle. Celles qui sont d’un rouge vif, sont beaucoup moins dangereuses. Les urines claires, ténues, ou épaisses & rares, annoncent encore que la corruption a fait beaucoup de progrès, & que la maladie n’a pas passé par cet état muqueux, qui auroit donné le temps de placer les remèdes les plus appropriés. Les hémorragies & les dévoiemens entrent aussi dans la classe des mauvais symptômes. Les charbons sont plus dangereux que les bubons. Les premiers sont des tumeurs gangréneuses, & les derniers des tumeurs inflammatoires. Geoffroi observa dans la dernière peste qui régna à Marseille, qu’un seul charbon étoit plus dangereux que plusieurs. Les bubons peuvent paroître plus tard, & être encore salutaires : Forestus a remarqué que les charbons étoient d’autant moins dangereux qu’ils paroissoient de meilleure heure dans les parties éloignées du cœur, de l’estomac & du cerveau. Cependant on a vu des charbons survenir aux extrémités, & être accompagnés de sueurs froides, & d’un picotement à l’épigastre, & devenir bientôt funestes. Hippocrate a vu survenir au doigt un dépôt qui fut bientôt suivi de la mort. C’est sans doute que ce dépôt étant trop resserré par les parties nerveuses qui l’environnoient, & ne pouvant pas s’étendre autant que la maladie le demandoit, une partie de l’humeur pestilentielle destinée à sortir par là, se jeta sur quelque viscère essentiel à la vie.

Les dissections des cadavres ne prouvent que trop l’existence de ces dépôts gangreneux internes. On a trouvé le sang concret à l’intérieur, tandis que celui qu’on avoit tiré par la saignée, avoit un caractère de dissolution bien marqué. On a aussi souvent trouvé la bile affectée, & gorgeant les canaux. Mais Lieutaud rapporte des cas, (& c’est même une chose digne de remarque) où l’ouverture des cadavres n’a offert aucune altération sensible.

On ne sait pas encore quelle est la nature du miasme pestilentiel qui éteint soudainement le principe vital dans nos humeurs, & y produit la putréfaction. Il est prouvé que ce miasme ne les infecte pas toutes. D’un côté on a vu la peste communiquée par les plaisirs de l’amour ; de l’autre, des nourrices pestiférées ne la pas communiquer à leurs nourrissons. Le miasme pestilentiel une fois reçu dans le corps, tend toujours à produire des affections à la peau, & l’engorgement des glandes.

L’approche des malades est plus dangereuse lorsqu’ils sont agonisans, & les cadavres augmentent beaucoup la contagion. On lit dans la description de la dernière peste de Marseille, que M. de Langeron qui commandoit dans cette ville, osa se mettre à la tête d’une compagnie de cent hommes, pour faire traîner les cadavres qui n’étoient point inhumés, sur un bûcher, où il les fit brûler ; & que la plupart de ceux qui y travaillèrent, furent dans peu de temps attaqués de la peste, & brûlés sur le même bûcher qu’ils avoient dressé pour les autres. Le commandant échappa presque seul à la contagion.

Forestus rapporte qu’un vieux meuble qui avoit servi à un pestiféré, & qui avoit été mis dans un coin, fut bientôt couvert d’une toile d’araignées que tous ceux qui se trouvèrent exposés à l’action du miasme que la toile recouvroit, furent attaqués de la peste. Screibert raconte qu’un chirurgien, ouvrant le cadavre d’un pestiféré, & ayant porté imprudemment à la bouche le manche du scalpel, fut atteint de la peste. Un médecin de Vienne, ayant distillé la matière d’un bubon, & après avoir fait mettre le feu à ce qui s’en élevoit, fut si vivement frappé de cette vapeur, qu’elle lui causa un tremblement général qui faillit lui être funeste. Il osa encore mettre sur la langue le sel volatil qui s’étoit attaché aux parois du récipient ; il le trouva d’une âcreté & d’une causticité semblable à celle de l’eau forte.

Toutes ces observations tendent à prouver que la peste peut être communiquée, tant par le contact immédiat des personnes pestiférées & des meubles qui ont servi à leur usage, que par les exhalaisons & les miasmes dont l’air se charge. On peut se rappeler que la peste fut apportée il y a quelques années en Italie, par une corneille. Dans la dernière peste qui ravagea Marseille, les oiseaux quittèrent le pays, & ne revinrent qu’après qu’elle fut entièrement dissipée. C’est l’air qui en Égypte est comme le premier réceptacle, la première matrice où se dépose le virus pestilentiel, un des produits naturels de cette contrée mal-saine, & le veut en est le rapide messager, qui la transporte & la répand au loin sur tous les corps animés. La cause prochaine de la peste est donc l’action du venin sur les solides, le développement de la pourriture de ces humeurs & de ce venin, & enfin son action sur les nerfs. Ces actions produisent l’éréthisme du genre nerveux, c’est de là que vient la pourriture. Sans cette disposition vénéneuse, les exhalaisons n’auroient aucune action sur le corps ; elles y restent long temps cachées & comme assoupies ; à la fin elles transpirent & se dissipent sans produire aucun ravage.

On doit comprendre dans les causes éloignées de la peste, tout ce qui est relatif à une mauvaise nourriture, à l’usage des viandes gâtées, aux mauvaises qualités de l’air, à son altération & à son infection, aux excès dans tous les genres, à la malpropreté, aux vives passions de l’ame, à la famine & à tous les désordres qu’elle entraîne ; à l’adversité, aux malheurs, aux chagrins, à la douleur, à l’intempérance, à l’oisiveté & à l’abus des six choses non naturelles.

La peste n’attaque point indifféremment tous les habitans d’un pays. Elle respecte certains états, certains âges & certain sexe. Dans une épidémie elle fera main-basse sur les personnes riches ; dans une autre, elle exercera sa cruauté sur les pauvres, les femmes & les filles, sur les jeunes & les vieux.

Les personnes foibles, d’un tempérament lâche & humide, sont plus sujettes à la peste que celles qui sont robustes. Mais aussi elle est toujours funeste à ces dernières. On a vu des gens qui s’étoient exposés pendant très-long temps aux dangers de la contagion, sans en être attaqués ; la recevoir de certains autres qui leur ressembloient par le tempérament ou qui leur étoient liés par le sang.

Les vieillards contractent plus difficilement cette maladie, parce que le principe vital étant chez eux affoibli, n’est pas assez vivement frappé par le délétaire pestilentiel.

Le danger de la contagion est toujours en raison de l’irritabilité des solides & des nerfs.

La grande révolution que les maladies chroniques opèrent sur certains malades, les rendent beaucoup moins susceptibles des impressions du miasme pestilentiel. C’est ainsi que les hypocondriaques, les hydropiques, les goutteux, les galeux, les vérolés, ceux qui ont des cautères coulans aux jambes, sont exempts de la peste. Elle peut être même le remède de certaines maladies. On l’a vue guérir des écrouelles très-rebelles.

La peste est d’autant plus dangereuse, qu’elle se complique avec d’autres maladies épidémiques, causées par les variations de l’atmosphère ou par les exhalaisons des marais : cette remarque est digne de quelque exception ; & pour en donner une preuve, on n’a jamais observé cette maladie à Alexandrette, ville d’Égypte entourée de marais, quoique les environs en soient continuellement infectés.

On a vu une épidémie de peste à Lyon, ravager bien moins les quartiers dont les rues étoient pleines de boue ; & dans la peste qui ravagea Londres, sous le règne de Charles II, les médecins conseillèrent d’ouvrir tous les tombeaux, ce qui réussit très-bien.

Les guerres, les Longues maladies entraînent toujours après elles des maladies pestilentielles, ou du moins des fièvres malignes très-dangereuses. Il est encore moins surprenant de voir survenir une peste des plus affreuses après une famine extrême, où l’on a été forcé de déterrer les cadavres pour sucer la moelle de leurs os.

« Le prognostic de la peste est d’autant plus fâcheux que personne n’a encore donné ni la vraie cause, ni le remède de ce terrible mal, quoi qu’il existe un grand nombre de traités complets sur sa cause & la façon de le traiter. En effet, c’est de tous les maux le plus cruel. Tout frémit au seul nom de cette maladie. Plus funeste mille fois que la guerre, elle fait périr plus de monde que le fer & le feu. Ce n’est qu’avec horreur qu’on se représente les affreux ravages qu’elle cause. Elle moissonne des familles entières, elle n’épargne ni âge ni sexe. On voit périr également les vieillards, les hommes faits, les adultes, les enfans dans le berceau ; ceux même qui sont cachés dans les entrailles de leur mère, quoi qu’ils paroissent à l’abri de ses coups, subissent le même sort. Elle est même plus pernicieuse pour les femmes grosses ; & si l’enfant vient à naître, c’est moins pour vivre que pour mourir. L’air empesté leur devient fatal. La peste détruit le commerce entre les citoyens, la communication entre les parens. Elle rompt les liens les plus forts de la parenté & de la société. Parmi tant des calamités, les hommes sont continuellement prêts à tomber dans le désespoir.[1] »

Quand on considère avec attention la nature des différentes causes qui produisent par elles-mêmes, ou qui concourent à produire cette constitution épaisse & atrabilaire de la masse du sang qui cause la peste, il est aisé de voir & de sentir les moyens & les indications que l’on peut prendre pour se garantir de cette cruelle maladie. Tout le monde sait que la meilleur préservatif est de fuir & de couper toute communication avec les pestiférés ; d’aller respirer un air plus pur & plus sain dans des Lieux secs, éloignés de tous marais, de toute espèce d’étang, d’eaux stagnantes, & où les habitans vivent d’une manière frugale.

Mais, indépendamment des liens du sang & de l’amitié qui peuvent retenir, la magistrature & la médecine sont deux états qui prohibent la fuite. On peut dire que les médecins contractent moins la peste, tant par la grande habitude qu’ils ont de voir souvent les malades pestiférés, que par leur courage pratique & non raisonné.

Mais comme les habitans d’une ville ne sont pas tous également fortunés, & que l’espèce des biens qui les fait vivre dans un pays, ne leur permet pas de s’en éloigner pour aller vivre ailleurs, il importe de leur indiquer les moyens propres à prévenir & à corriger les mauvaises impressions que l’air qu’ils ne peuvent éviter de respirer, doit produire sur leurs humeurs. Il n’est aucun agent dans, la nature, plus énergique pour mettre les parties de l’air en mouvement, & pour les faire choquer les unes contre les autres, ainsi que les molécules des exhalaisons grossières, que le feu. Il sera donc nécessaire d’en avoir & d’en entretenir dans la maison, d’allumer d’autres feux dans les rues au lever du jour, vers les deux ou trois heures après le soleil couché ; & pour les rendre plus salutaires on y fera brûler des fagots de plantes aromatiques. Hippocrate & Empédocle ont arrêté avec succès les progrès d’une épidémie de peste, l’un à Athènes & l’autre à Aggrigente, en faisant allumer des feux publics. Mais ce secours a échoué en France & en Angleterre. Ces différences tiennent sans doute au caractère de l’épidémie. Il faut croire que dans celles où les crises se font par les sueurs, ces moyens doivent être avantageux, & nuisibles dans les autres. En général, un feu modéré d’un bois odoriférant, tel que le romarin, le genévrier, le santal & celui d’aloès, est très-bon dans les appartemens, pourvu que ses ouvertures en soient ménagées de manière qu’il serve de ventilateur.

Comme il est très-difficile de rassurer les esprits & de les faire revenir de la terreur dans laquelle le préjugé de la contagion les a plongés, & que le commerce des gens prévenus entretient, ainsi que les relations surprenantes de l’arrivée de la peste dans certains lieux, par les voies de la contagion, auxquelles chacun prend plaisir d’ajouter quelque circonstance merveilleuse, il est absolument nécessaire de diminuer cette terreur & cette crainte. Quand le médecin ne le peut pas par de bons raisonnemens ni à la faveur de quelques remèdes préservatifs, dans la vue de rassurer & de distraire leur esprit de l’attention qu’ils donnent à l’objet terrible de leur crainte, il peut, & il doit même conseiller & commander plusieurs fois dans le jour l’usage de plusieurs sortes de parfums propres à corriger les mauvaises odeurs des rues & à les garantir des atteintes de la contagion, à l’approche, des personnes suspectes.

Mais ces parfums sont de deux espèces : les uns sont agréables, & les autres, au contraire, sont très-désagréables, mais très-utiles aux personnes du sexe que les odeurs douces jettent dans des vapeurs.

Les odeurs agréables se réduisent à faire brûler du vinaigre sur une pelle ardente, ou à faire brûler du thim, du romarin, du serpolet ou de la sauge dans un réchaud, au milieu d’une chambre ; ou à tenir une cassolette remplie d’eau de fleurs d’orange, de clous de giroffle avec quelques brins de bois d’aloès ou de santal, ou tout simplement de bon vinaigre, d’eau rose, d’eau de la Reine d’Hongrie ou d’eau de thim ; on peut encore faire brûler sur quelques charbons ardens quelques grains de storax ou de benjoin ; on obtiendra des odeurs plus fortes & plus désagréables en faisant brûler quelques grains d’assa-fœtida, d’opopanax ou de sagapénum ou de castor. On fera flairer très souvent dans le jour des liqueurs spiritueuses, telles que l’esprit de vinaigre distillé avec les feuilles de scordium ou de mélisse, l’eau de la Reine d’Hongrie, l’esprit de vin camphré ; & pour les femmes, la teinture de castor, mêlée avec parties, égales de sel ammoniac & de teinture de succin.

Mais avec tous ces secours on ne doit point oublier d’aller respirer l’air de bon matin, & de le faire renouveler dans les maisons avant le lever du soleil.

Le vinaigre est non-seulement un bon préservatif, mais encore il est très-utile dans le traitement de la peste. Personne n’ignore l’histoire des quatre voleurs qui donnèrent leur secret pour sauver leur vie, & qui par le secours d’une préparation de vinaigre, avoient volé la plupart des maisons de Marseille, sans être attaqués de la peste. Il ne faut pas cependant en boire avec excès. Silvius de l’Eboé en avaloit deux drachmes tous les matins avant d’aller voir les malades pestiférés. Le citron peut encore être utilement employé dans les mêmes vues.

La peur, la crainte de la contagion & d’une mort inévitable, sont des passions violentes qui troublent le sommeil & disposent beaucoup à contracter la peste.

Joannes Matheus rapporte que dans une auberge d’Allemagne, une servante ayant vu mourir un homme d’une maladie, crut que c’étoit de la peste : elle en eut une frayeur si forte, qu’elle en fut aussitôt attaquée & mourut, & ses habits la communiquèrent à ceux de ses parens qui s’en servirent. Le meilleur préservatif est le courage ; mais on a observé que lorsque les épidémies de peste sont longues, le peuple tombe de l’excès de la terreur dans l’extrémité opposée. L’ame se fait une habitude de la vue des mourans, de telle sorte qu’après un certain temps la mort n’imprime plus de terreur. D’ailleurs, il en est de la terreur comme des autres passions de l’ame, elle a des limites, & lorsqu’elle y est parvenue, elle cesse.

On doit distraire les malades de la crainte de la mort, & de toute autre idée désagréable qui peuvent les affecter. On doit aussi leur laisser ignorer celle de leurs parens, amis ou autres personnes, & leur épargner le récit des cas sinistres qui peuvent être arrivés, tels que celui des personnes ensevelies vivantes. À ces précautions il faut ajouter une dissipation continuelle pour croiser & combattre les idées affligeantes qui les occupent. On doit vivre très-sobrement, éviter toutes sortes d’excès dans le boire & le manger, se garantir des passions vives, ne pas boire de liqueurs spiritueuses, mais éviter aussi l’eau pure. Il faut aussi dormir peu, se faire frictionner le corps avec une flanelle le matin en se levant, & le soir en se couchant, & boire un peu de vin pur après le repas.

Comme la peste est apportée des pays Orientaux, on doit éviter la communication autant qu’on le peut ; & c’est aussi pour cette raison que les souverains ont voulu qu’on fît faire quarantaine à tous les vaisseaux qui arrivent des pays où cette maladie est habituelle. Mais ceux qui sont obligés par état de vivre parmi les pestiférés, doivent avoir l’attention de ne point avaler la salive, de se laver la bouche avec le vinaigre & le vin, de mâcher & de garder dans la bouche de la racine d’angélique confite, ou de l’écorce de citron : ils ne doivent jamais se présenter à jeun devant les malades, mais il doivent au contraire prendre quelque peu de nourriture, & boire par dessus un petit verre de vin d’Espagne ou du Rhin.

On a encore mis au rang des secours extérieurs, pour se garantir d’une épidémie pestilentielle, l’application des cautères. Fabrice de Hilden prit ce parti pour lui-même, & les enterreurs le suivent avec succès. Ces moyens peuvent être contraires aux personnes affaiblies ; & Vandermike, ainsi qu’un autre médecin allemand, rapportent plusieurs exemples de l’inutilité de ce secours.

Après avoir parlé des différens préservatifs de la peste, il convient de faire connoître les remèdes qui sont indiqués pour la guérir lorsqu’elle est présente.

S’il faut en croire Sydenham, les anciens saignoient jusqu’à défaillance dés l’invasion de la maladie, & réussissoient quelquefois : mais leur méthode n’est pas digne d’imitation. Il vaut mieux saigner à plusieurs reprises, & entremêler en même-temps l’usage des cordiaux. On doit se régler quant à ce moyen, sur la marche, le caractère inflammatoire & la rapidité de la maladie. Ce n’est pas l’état de pléthore qu’on a raison de soupçonner chez les personnes qui font bonne chère, qui vivent dans l’oisiveté ou qui éprouvent habituellement une suppression d’évacuation sanguine, & qui se sont accoutumées à se faire saigner, qui indique la saignée, mais c’est comme le dit fort bien Baillou, la nécessité d’épuiser une grande partie du sang & de diminuer par le pabulum, c’est-à-dire, l’aliment du feu de la peste, ou le développement funeste de la fièvre : la saignée peut être aussi contre indiquée par les désordres qu’elle peut faire naître en excitant la suppression des autres évacuations, par la grande consternation & l’extrême abattement des forces, ainsi que par les foiblesses qu’elle peut augmenter ; mais si malgré toutes, ces considérations elle est indispensable, il faut, au moins avant de la faire, rassurer les malades.

Willis veut qu’on donne l’émétique immédiatement après la saignée ; Diemerbroeck à observé que les effets en étoient pernicieux ; une contradiction aussi manifeste ne peut s’expliquer que par la différence & le caractère des épidémies. Mais en général, avant de le donner ou de le proscrire, il faut examiner si, dès son invasion le caractère de la peste porte un charbon ou toute autre marque d’inflammation plus ou moins complette à l’estomac, ce qu’on pourra connoître par l’ouverture des cadavres. Il faut encore ne pas perdre de vue dans la même épidémie les tempéramens des différens sujets, leurs dispositions particulières, comme facilité à vomir, &c. ; les uns ont les forces oppressées par la surcharge de l’estomac, les autres les ont totalement perdues ; enfin, chez, les uns ou les autres, la matière morbifique est plus ou moins mobile. Il faut examiner encore si cette matière est fixée ou non sur l’estomac, & si la pesanteur des hypocondres, qui n’est pas toujours un signe de saburre, sur-tout lorsqu’ils sont d’une grande sensibilité, ainsi que les nausées, les vomituritions & les anxiétés, ne viennent pas d’une irritation ou d’une inflammation complette de l’estomac, qui contre indiquent l’usage de l’émétique.

Les purgatifs conviennent rarement dans la peste ; jamais dans le commencement, parce qu’ils énervent beaucoup plus que les émétiques.

Il y a deux temps pour donner les sudorifiques. Le premier est l’invasion de la maladie. Ils peuvent, on ne sait comment, suffoquer, pour ainsi dire, la cause pestilentielle. C’est dans cette vue que Forestus recommande de les donner avant qu’il se soit écoulé douze heures depuis l’invasion. Le second temps est lorsque la maladie est plus avancée & que la nature tend à la crise. Le meilleur sudorifique modéré, est le vinaigre distillé, si recommandé par Quesnai. On peut encore donner l’infusion de rhue, de scordium, de coquelicot, de racine de contrayerva, le rob & la fleur de sureau, la décoction de racine de scabieuse ou de bardane. Le camphre & le nitre peuvent être très-avantageux. Il faut accorder peu d’alimens à la fois aux malades ; mais leur en donner souvent, en se réglant toujours sur la durée & la rapidité de la maladie, sur la coction qu’il faut craindre de troubler & sur les excrétions salutaires qu’il faut soutenir. Il faut de plus forcer les malades à prendre de la nourriture, sur-tout s’ils ont de la répugnance à manger.

L’eau est en général nuisible dans la peste, ainsi que les fruits aqueux. Le vin est aussi dangereux dans le commencement, maïs ensuite il est très-avantageux, sur-tout s’il est léger, si le malade est foible & accoutumé à en boire.

L’éruption des bubons est toujours annoncée par la douleur de la partie. On la facilitera par l’application des animaux vivans, ouverts, ou des sachets émolliens. Si les bubons sont inflammatoires quand ils sont sortis, ils demandent celle des cataplasmes émolliens, combinés avec les résolutifs. S’ils sont molasses ou empâtés, on y excitera l’inflammation & on en augmentera la suppuration par des irritans, tels que la vieille thériaque, les gommes dissoutes dans le vinaigre scillitique.

Lorsque le bubon est formé, on doit l’ouvrir avant qu’il soit parvenu au degré de maturité parfaite, Le bistouri est préférable à la pierre à cautère, & on doit aussi panser soigneusement avec un digestif animé de quelque mercuriel, tel que le précipité rouge, le mercure doux ou la panacée.

Dans le traitement des charbons, on doit avoir en vue le détachement des escarres. Pour cet effet, on fera des mouchetures sur les parties voisines, afin d’y exciter l’action du principe vital. On évitera avec soin les taillades profondes, parce qu’elles sont nuisibles, tant par les douleurs qu’elles causent, que par l’épanchement des sucs qu’elles augmentent, & la putréfaction qu’elles facilitent. On scarifiera très-légèrement les sujets sensibles, & on fomentera ensuite la partie avec l’esprit de vin camphré. On peut encore procurer cette chute en touchant la pointe du charbon, en brûlant tout autour avec la pierre infernale, & en pansant ensuite avec un digestif animé, par dessus lequel on applique un cataplasme émollient. Mais lorsque la position du charbon fait craindre la répercussion de la matière sur les parties voisines du cœur, ou sur tout autre organe essentiel à la vie, il faut faire des scarifications profondes. Dans les sujets robustes, le cautère actuel est le meilleur moyen, parce qu’il agit mieux & plus promptement, & change d’une manière plus essentielle & plus avantageuse que les scarifications & la pierre a cautère, le mode inflammatoire gangréneux du principe vital.

Le quinquina ne doit point être oublié. On doit le combiner avec les acides. On l’a vu faire des miracles, lorsque les pétéchies avoient l’aspect le plus désespérant. Mais pour qu’il produise de bons effets, il faut non-seulement le prendre à grande dose, mais encore en continuer l’usage pendant long-temps. La meilleure manière de le prendre est en substance, & réduit en poudre très-fine.

On pourra donner, toutes les deux heures, deux cuillerées ordinaires de la mixture suivante, qu’on peut préparer en mêlant une once de quinquina avec un demi-setier d’eau & autant de vin rouge acidulé avec trente ou quarante goûtes d’élixir de vitriol, & en y ajoutant deux onces de sirop de limon. Si les malades sont dans le délire, on leur fomentera souvent les pieds & les mains avec une forte infusion de fleurs de camomille ou de quinquina. Ces fomentations, en dilatant les vaisseaux des extrémités, soulagent la tête & les parties qui passent dans le sang, par leur vertu anti-putride, & contribuent à détruire la putréfaction des humeurs. M. AMI.


Peste, Maladie pestilentielle. Médecine vétérinaire. On appelle de ce nom, en général, toute fièvre aiguë, subite, accompagnée de symptômes graves & très-dangereux, très-contagieuse & qui se répand sur plusieurs sujets en très-peu de temps.

Telle est à peu près l’idée que nous en a donné Hippocrate dans son traité de Flatibus, où il distingue deux sortes de fièvres ; l’une qui dépend d’une cause commune qui agit sur nous, & qu’il appelle peste (loymos) ; & l’autre, d’un mauvais régime, laquelle n’arrive qu’à ceux qui le suivent.

Depuis Hippocrate, on a ajouté les effets de la contagion, qu’il ne connoissoit pas. Malgré tout le respect qu’on a pour ce grand homme, on ne peut s’empêcher de dire que sa définition n’est pas exacte, parce qu’elle comprend une cause toujours fort incertaine : car une maladie de cette nature, peut exister & existe souvent sans la moindre altération dans l’air, les eaux ou les choses dont tout le monde fait usage ; enfin, sans cette influence générale ou cause commune qui paroît nécessaire pour constituer la peste, mais dépend la plupart du temps des progrès d’une contagion rapide, qui la transmet d’un pays à l’autre, sans qu’il existe pour cela la moindre altération dans les choses dont tous les animaux font usage.

Cette remarque a été faite heureusement en une infinité d’occasions semblables, & a conduit enfin les gouvernemens d’Europe à un système de précautions, au moyen desquelles on met les hommes & les animaux à l’abri de la contagion.

Quelques auteurs modernes n’ont accordé le caractère pestilentiel qu’aux maladies qui faisoient périr beaucoup d’individus en très-peu de temps ; & alors c’est la mortalité seule qui en fait la différence ; d’autres enfin n’ont donné le nom de peste qu’à un seul genre de maladie très-aiguë & très dangereuse, qui se manifeste principalement par des bubons, des charbons, des taches pourpreuses. Mais pour être d’accord avec toute l’antiquité, avec Hippocrate, avec tous les bons auteurs grecs, arabes & latins, nous nous en tiendrons à la définition qu’on vient d’en donner, en y ajoutant que ces sortes de maladies ont presque toujours des mouvemens critiques, qui se terminent en très-peu de jours, ou par la mort, ou par des sueurs très-considérables, ou par quelque évacuation de matière extrêmement putride ou sanguinolente, ou par la gangrène manifestée souvent par un emphysème général ou partiel dans les bestiaux, ou par des érésypèles malignes & gangreneuses, ou par des charbons, des bubons. des pustules ou taches pourpreuses ; (voyez tous ces mots) ou enfin par une éruption exanthématique quelconque, pour l’ordinaire d’un mauvais caractère : terminaisons qui peuvent servir à établir leurs différentes espèces.


1o. Des moyens préservatifs qu’on peut employer contre la peste.

Empêcher toute communication avec les bestiaux sains & tout ce qui les approche.

Le virus pestilentiel est un protée qui se masque sous différentes formes, & qui pour s’introduire prend mille routes différentes & souvent inconnues. Mais nous ne craignons pas d’avancer qu’il seroit presque impossible qu’une maladie pestilentielle fit des progrès, si chacun avoit le soin d’enfermer son bétail au premier bruit de la contagion. C’est par cette raison que dans les pestes publiques, parmi les hommes, il n’y a ordinairement que ceux qui sont renfermés qui en soient à l’abri. Dans la peste de Marseille, il n’y eut que les religieux bien cloîtrés, les prisonniers enfermés au fond des cachots, & ce fameux Garnier qui fit l’admiration & l’étonnement de tout Marteille, dont les demeures restèrent intactes ; cet horloger, aux premiers bruits de la peste, ayant muré sa porte & fait ses provisions, s’enferma avec une famille nombreuse. Tout son quartier devint désert par les ravages que causa la mortalité dans cette ville. Il voyoit passer, tous les jours sous sa fenêtre, des milliers de cadavres dans des tombereaux. Cela ne l’empêcha pas d’employer utilement son temps. De dix qu’ils étoient lorsqu’il se renferma, il s’en trouva onze à la fin de la maladie ; ce qui fait une aventure unique dans l’histoire des pestes.

MM. Duhamel du Monceau & Fougeroux, de l’académie royale des sciences, en suivant scrupuleusement ces indications, ont conservé les bestiaux de leurs fermiers, qu’une seule muraille séparoit du lieu infecté. M. le Marquis de Courtivron a vu, par des moyens semblables à ceux que nous indiquons, des bestiaux sains renfermés & préservés dans un parc environné de bêtes malades. Dans l’année 1713, les princes Pamphile & Borghèse conservèrent tous leurs bestiaux en interceptant toute communication. Nous avons devers nous des exemples qui doivent encourager les agriculteurs à suivre exactement ces avis. Si nous nous appuyons d’un aussi grand nombre d’autorités, c’est que nous croyons qu’il est, on ne peut pas plus important, de leur prouver combien l’on doit être en garde contre tout ce qui établit une communication immédiate entre les lieux sains & infectés, & qu’il ne faut pas négliger la plus petite circonstance à cet égard.

2o. Pratique des sétons.

Après ce premier soin de renfermer les bestiaux & d’éviter toute communication, ce qui est, sans contredit, le plus sûr de tous les préservatifs, on ne doit pas négliger un secours dont l’efficacité est reconnue, & dont on doit faire usage à tout événement, qui est de former un séton au col de l’animal ; nous ne saurions trop le recommander. Ici tous les médecins se réunissent pour donner le même avis. Rammazini dit que tous les bestiaux de M. Borromée moururent, excepté un auquel on avoit fait un séton. Lancisi fait un grand cas de ce moyen. Le médecin de Genève rapporte qu’un paysan perdit tous ses bœufs, excepté un, auquel on avoit fait des taillades en différentes parties du corps. M. Leclerc dit qu’il n’a vu périr aucun des bestiaux auxquels de bonne heure on avoit fait un séton. M. Drouin veut que l’on applique trois sétons & un vésicatoire ; nous nous sommes aussi convaincus par notre expérience, de l’utilité de ce moyen préservatif ; l’ouverture des cadavres prouve l’avantage des sétons. On observe bien souvent des échimoses sous la peau. Souvent la peste se termine par des boutons & par des dépôts dans le tissu cellulaire. Dans la dernière maladie épizootique qui ravagea les provinces méridionales de la France, lorsque quelques unes des bêtes attaquées avoit le bonheur de guérir, on observoit presque toujours ou des excoriations au frein de la langue & dans la bouche, ou des boutons à la peau ; & peut-être la maladie n’étoit elle aussi terrible que parce qu’ordinairement il ne se faisoit point d’éruption. En plaçant un séton, dit M. Vicq-d’Azyr, on ne fait donc que seconder la nature.


3°. Parfumer les êtables.

On doit prendre des soins assidus pour entretenir la plus grande propreté dans les demeures des animaux qui seront menacés de la maladie pestilentielle. Elles seront parfumées chaque jour le matin & le soir, pendant que les bœufs y seront, avec des fumées de bayes de genièvre, & lorsque les bœufs seront sortis, avec des fumées de soufre brûlant. Dans les intervalles de ces fumigations, on tiendra ouvertes les portes & les fenêtres des étables, pour y renouveler l’air qui y croupit. On peut aussi y faire détonner un mélange de nitre pulvérisé avec parties égales de poudre de charbon, ou plus simplement le nitre seul & pulvérisé. Il s’en élève une vapeur que l’on dit être de l’air fixe, & qui est très-antiseptique. La poudre à canon remplit les mêmes indications. Le mélange d’eau-de-vie & de vinaigre est approuvé par M. Vitet. Quelques-uns conseillent de jeter de l’acide vitriolique sur une pelle rougie au feu : ils prétendent que les vapeurs qui s’élèvent, forment un sel ammoniacal avec l’alkali volatil de l’atmosphère ; on peut encore se servir, avec avantage, du procédé suivant : on met sur un réchaut une terrine remplie de sable ; & dans ce sable, on place un gobelet de verre rempli aux deux tiers de sel marin, sur lequel on verse de temps en temps quelques gouttes d’huile de vitriol ; les vapeurs de l’acide marin dégagées, se répandent dans l’air & s’élèvent à une assez grande hauteur. On a fait ces expériences en Bourgogne, & elles sont très-bien détaillées dans un Mémoire de M. de Montigny, de l’académie royale des sciences. Mais nous croyons devoir ajouter ici, d’après les médecins de Montpellier, qu’il n’est point des fumigations connues qui purifient par une vertu spécifique démontrée, l’air corrompu dans les maladies pestilentielles. Les émanations volatiles des diverses substances aromatiques & acides, comme elles corrigent la puanteur d’un air infect, peuvent modifier les impressions de cet air sur les nerfs. Cette faculté doit être reconnue par l’expérience, & non par le préjugé qui attribue des vertus résolutives & antiputrides, à des semblables émanations lorsqu’elles ont été reçues dans l’intérieur du corps de l’animal.


4o. Allumer des feux devant les étables.

L’usage des feux dans les temps de peste, est très-ancien. On sait quel parti Hippocrate en a tiré dans la fameuse peste d’Athènes. M. Vicq d’Azyr dit que le feu établit un courant d’air, & fait l’office de ventilateur. M. Barberet conseille l’usage du soufre & du salpêtre en fumigation. On peut aussi se servir des résines.

Voilà à peu près à quoi se réduisent les moyens préservatifs contre les maladies pestilentielles ; mais, nous le répétons, le premier soin est de renfermer les bestiaux, & d’empêcher toute communication. Sans cette précaution, tous les autres préservatifs sont, ou infidèles, ou trompeurs, ou insuffisans, ou dangereux. Telle est l’eau de chaux qu’on a donnée pour un bon préservatif, & dont l’usage continué deviendroit enfin plus dangereux même que la maladie. L’eau de chaux, ou plutôt le lait de chaux, n’est bon après avoir bien lavé les demeures, les ustensiles à l’eau bouillante, brûlé la paille, le fumier, la litière, &c. regratté les murs & le pavé, qu’à passer un enduit sur les murs, les crèches, &c. pour plus grande sureté ; enfin, chauler tout, s’il se peut. On ne doit pas non plus avoir une confiance entière aux eaux minérales ferrugineuses, comme préservatives : leur usage peut être de quelque utilité ; mais il est prouvé qu’un bœuf ainsi minéralisé, n’en contracte pas moins la maladie lorsqu’on l’expose sensiblement à ses attaques ; ainsi, comme nous l’avons déjà dit, tous les préservatifs contre la peste se réduisent au soin d’éloigner les animaux de tout ce qui est capable de les infecter ; presque tous les moyens de désinfection se réduisent aux acides évaporés, au feu, à l’eau, & au lait de chaux, pour plus grande sûreté.


Des moyens curatifs.

Le traitement doit varier à raison du caractère particulier de la maladie, de la constitution du sujet, & d’autres circonstances.

En supposant que la maladie pestilentielle soit d’un caractère malin & putride, on doit s’attendre qu’elle produira des inflammations internes, généralement & souvent avec une marche très-rapide. Sur ce principe, il faut avoir égard à l’inflammation, sans négliger la malignité & la putridité qui accompagnent les signes inflammatoires de cette maladie, pour combattre l’état inflammatoire, qui affecte les viscères dès le commencement. On doit regarder comme extrêmement avantageux de faire la révulsion la plus puissante, en excitant par des incisions, ou par des caustiques, des inflammations vives dans une très-grande étendue de la surface du corps ; c’est pourquoi, aussitôt après avoir saigné l’animal, on fera appliquer sur son corps vingt à trente boutons de feu, qu’on distribuera sur deux lignes parallèles de côté & d’autre de l’épine, dont elles seront éloignées d’environ quatre travers de doigt ; on appliquera aussi des boutons de feu à la partie postérieure & à la partie antérieure des oreilles, & on terminera l’opération au voisinage des naseaux, où l’on a vu une éruption galeuse, spontanée, procurer la guérison dans un veau ; on pourroit aussi appliquer utilement sur le dos, à l’opposé du cœur, quelques boutons de feu, assez près les uns des autres, pour que leurs escarres fussent embrasées par l’ouverture d’une ventouse, qui pourroit être renouvelée trois ou quatre fois consécutives. On aura lieu d’espérer les mêmes effets salutaires de la pratique suivante. Faites de chaque côté de l’épine, depuis l’épaule jusqu’à la queue, cinq ou six taillades dans le cuir, que vous détacherez du tissu adipeux, introduisez-y des brins de racines d’ellébore noir, ou de l’ail mêlé avec du sel & du vinaigre, afin d’attirer des fluxions d’humeurs abondantes sur ces plaies. (M. Malsac, habile médecin de Castres en Languedoc, a vu guérir par ce remède plus de 400 bœufs attaqués d’une maladie épizootique qui avoit beaucoup de rapport avec la maladie pestilentielle) Entretenez ouvertes pendant long-temps ces plaies qu’on aura formées par le cautère actuel, ou par des incisions, & pansez-les avec des suppuratifs qui soient animés convenablement.

On doit peu compter dans cette maladie sur le secours des vésicatoires ; l’observation a prouvé qu’ils produisoient peu d’effets dans les maladies pestilentielles des bêtes à cornes, ce qu’on croit venir de ce qu’ils attiroient trop peu les humeurs à l’extérieur du corps, & ce qui indique que l’irritation qu’ils causent, n’est ni profonde, ni durable. Les médecins de Montpellier conseillent la saignée au commencement de la maladie, & veulent qu’on la répète sur les bêtes jeunes & vigoureuses, suivant le degré de la force de la fièvre, & qu’encore on ouvre la veine aux flancs ou au col, si la poitrine ou la tête sont affectées ; mais ce qu’il importe le plus d’observer à l’égard de la saignée, c’est, disent-ils, qu’elle ne doit être pratiquée que dans les deux ou les trois premiers jours de la maladie, & peut-être seulement dans le premier jour.

Les mêmes médecins conseillent ensuite l’usage des lavemens composés avec une décoction émolliente, le miel, le nitre, l’huile de lin, & le vinaigre ; ils condamnent l’usage des vomitifs & des purgatifs violens ; mais on peut donner souvent & avec succès, un ou deux laxatifs, qu’on prépare avec le tamarin, la casse, le séné, le sel d’epsom, &c. ; les acides végétaux & le camphre conviennent encore ; on peut en faire usage les premiers jours de la maladie, en faisant prendre de quatre en quatre heures, un bol composé de dix grains de camphre, un gros de nitre purifié & suffisante quantité d’oximel : dans le même temps on donnera encore pour boisson ordinaire de l’eau vinaigrée, dans la proportion de seize onces de ce liquide sur un seau d’eau.

On doit exclure du régime, le foin, & les autres alimens secs, & leur substituer les herbes vertes, le son, la farine d’orge ou de seigle, mêlée avec de l’eau ; mais cette nourriture doit être modique, & il n’est permis de l’augmenter, que quand la maladie diminue : au quatrième jour, lorsqu’elle est le plus avancée, on doit substituer à la boisson d’eau vinaigrée, l’eau acidulée avec l’huile de vitriol, à la dose de quarante ou soixante gouttes par seau d’eau : les acides âpres & astringens conviennent le plus à cet état, sur-tout les fruits aigres & acerbes, comme les pommes sauvages. Dans cette même période, on continuera toujours l’usage du camphre & du nitre de quatre en quatre heures, & l’on fera prendre en même temps une demi-once de quinquina, dans de l’eau, ou le double d’écorce de saule blanc, de celle de frêne, ou enfin, de chêne.

L’excrétion de l’humeur muqueuse qui découle de la bouche &. des naseaux de la bête malade, peut être augmentée pour faire une révulsion heureuse : on l’excitera par divers moyens, en soufflant dans les naseaux avec un chalumeau, du tabac en poudre, ainsi que de la poudre d’asarum, d’ellébore blanc ; on tiendra pendant une heure, deux ou trois fois le jour, assujetti sous la langue, & fixé par une espèce de mords de bride, un nouet renfermant parties égales de nitre, de graines de moutarde, & de racines de pyrètre pilées grossièrement : s’il paroît utile de purger, soit pour remédier au flux dysentérique, (voyez Dyssenterie) soit pour augmenter l’excrétion imparfaite par les selles, on n’emploiera que des purgatifs médiocres, & pendant leur action, on fera boire copieusement des décoctions mucilagineuses de graines de lin, de racines de guimauve, &c. Si l’on juge, dans les temps avancés de la maladie, qu’il soit à propos d’exciter la sueur ou l’expectoration, on couvrira la bête malade avec des couvertures, de laine : on ajoutera du soufre ou du safran des métaux à chaque bol de camphre, & on fera prendre le quinquina, ou un autre astringent, qu’on doit donner sur les remèdes, dans une décoction chaude de salsepareille ; on pourra ajouter à chaque prise de cette décoction diaphorétique, de l’esprit de Mindererus, ou de la suie ; mais on ne fera point prendre des alkalis volatils dans l’intention de procurer la lueur. Les alkalis pourroient être placés dans des cas où l’abattement du pouls & des forces seroit extrême. Cependant il faudroit plutôt donner dans ces cas, d’autres cordiaux actifs, tels que le vin & la thériaque, l’usage de ces substances pouvant être gradué plus facilement, & pouvant se continuer avec moins de danger lorsqu’il cesse d’être indiqué.

On doit bien comprendre que tout ce que nous venons de dire sur le traitement de la peste, doit être pris en général : il est impossible d’établir une méthode fixe ; elle doit varier à raison des causes & des signes que notre sagacité découvre ; il faut que le médecin vétérinaire s’applique à examiner la force, le degré & la caractère de la maladie, pour pouvoir la traiter avec succès : ce n’est souvent qu’après des observations malheureuses, qu’il parvient à cette connoissance. (Voyez Contagion, Épizootie, Fièvre Pestilentielle.) M. T.


  1. Dictionnaire des Science, au mot Piste.