Cours d’agriculture (Rozier)/ÉRÉSIPÈLE

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 314-318).


ÉRÉSIPÈLE, Médecine rurale. C’est une tumeur diffuse, avec rougeur très-vive, chaleur très-âcre & brûlante, qui change de couleur & qui pâlit quand on la presse, mais qui reparoît dès que la pression a cessé.

L’érésipèle est simple ou composé ; il est essentiel ou symptômatique ; il peut-être compliqué d’œdème, & participer du caractère du phlegmon, du squirre, du charbon ; & d’après ces complications, on le désigne sous les noms d’érésipèle phlegmoneux, œdémateux, squirreux, charbonneux.

Le siège de l’érésipèle est sur la peau & la membrane adipeuse ; il n’est pas toujours externe ; les viscères intérieurs n’en sont point exempts ; ils en sont très-souvent attaqués, ces affections sont alors appelées inflammations. L’érésipèle diffère du phlegmon, en ce que ce dernier est une tumeur circonscrite, & que l’érésipèle est une tumeur très-diffuse, & qui s’étend jusqu’au septième jour, à compter du jour de l’invasion.

L’érésipèle se termine ordinairement par la résolution simple ou excrétoire, ou par la suppuration ou par la gangrène.

Après avoir reconnu la nature & l’espèce de l’érésipèle, il faut en distinguer les causes, & savoir s’il vient de cause interne, c’est-à-dire du vice du sang & de l’humeur de la sueur, ou de cause externe purement accidentelle. Parmi les causes de l’érésipèle, on doit compter l’âcreté du sang & des autres humeurs, leur épaississement, une bile très-exaltée, un tempérament très-chaud, l’usage ou l’abus de liqueurs spiritueuses, les exercices immodérés, les grands chagrins, toutes les passions de l’ame, une trop grande contention d’esprit, un long usage des alimens salés, trop épicés & de haut goût, la suppression de différentes évacuations ; comme des menstrues, des lochies arrêtées, d’un flux hémorroïdal interrompu ; il faut encore admettre une disposition, sans laquelle toutes les causes, tant prochaines qu’éloignées, n’auroient que peu ou point d’action.

L’érésipèle sera d’autant moins dangereux, que son siège sera éloigné des viscères essentiels à la vie ; il sera moins dangereux à quelque extrémité qu’à la poitrine, qu’à la tête, qu’au cou ; par la raison que l’inflammation peut se communiquer à l’intérieur, & alors il se formeroit une complication qui pourroit faire craindre pour les jours du malade.

La résolution est la terminaison la plus heureuse que l’érésipèle puisse prendre ; d’après cela on doit mettre tout en œuvre pour le faire résoudre, tant par les remèdes internes, que par les topiques, & cela, avec d’autant plus de raison, que la matière morbifique y a plus de disposition que dans toute autre tumeur inflammatoire.

On doit prescrire aux malades attaqués d’une pareille inflammation, un régime très-sévère & très-délayant ; les saignées doivent être pratiquées le plutôt possible, & répétées plus ou moins, selon les progrès & le degré de l’inflammation.

Les saignées du pied feront toujours d’une plus grande utilité, sur-tout si l’érésipèle est à la tête ou au cou ; elles opéreront une révulsion plus grande & plus avantageuse.

L’érésipèle peut être quelquefois un symptôme de l’embarras des premières voies ; l’émétique est certainement le vrai spécifique ; on peut dire qu’il suffoque, pour ainsi dire, l’érésipèle : je l’ai toujours vu agir avec le plus grand succès, donné dans cette circonstance ; j’ai très-souvent observé que, le lendemain de ce remède, l’état inflammatoire avoit tout-à-fait disparu, & que la peau tomboit en écailles ; l’émétique n’emporte pas toujours toute la pourriture qui surcharge l’estomac & le reste des premières voies ; alors on a recours aux purgatifs doux & rafraîchissans, & quand ils ont trop irrité, on modère leur impression par quelque calmant ou par quelques verres d’eau de poulet nitrée.

On est assez dans l’usage d’imbiber des linges de certaines eaux résolutives, pour les appliquer sur les tumeurs érésipélateuses ; on ne fait pas mieux pour cela : ces sortes d’applications ne réussissent jamais, sur-tout lorsque le sang, par sa mauvaise disposition, les produit ; les corps gras & huileux sont très-dangereux & ne doivent jamais trouver leur place dans ces sortes de maladies ; ils bouchent les pores de la peau, & rendent l’érésipèle plus mauvais, & plus difficile à guérir.

Les résolutifs, comme l’eau de sureau, l’eau rose, ne peuvent convenir qu’aux érésipèles de cause externe, qui ne dépendent d’aucun vice interne ; on s’en servira sous forme de fomentation.

Dans les érésipèles malins, il se forme quelquefois de petites vésicules remplies d’une sérosité âcre & corrosive, qui laisseroient les marques les plus désagréables, si on n’avoit l’attention de les percer pour en évacuer la matière quelles contiennent, & de les bassiner avec du lait tiède, seul, ou bien coupé avec l’eau d’orge ou la décoction de feuilles d’armoise. Quand l’érésipèle se termine par suppuration, il faut le panser au moins deux fois par jour, & y appliquer des suppuratifs appropriés, comme l’onguent de la mère, le basilicum, le cérat de Galien, &c. ; quand il se termine par la gangrène, il faut donner aux malades du quinquina, sous forme d’extrait, appliquer sur l’érésipèle, des emplâtres faits avec de l’onguent de stirax, trempés dans l’eau-de-vie camphrée, & autres remèdes dont le détail nous mèneroit trop loin, & dont nous parlerons au mot Gangrène. M. AM.


Érésipèle, Feu sacré. Médecine vétérinaire. Le cheval, le bœuf & le mouton sont quelquefois attaqués de l’érésipèle, mais le mouton en est plus souvent affecté. La nature suit, à l’égard de tous ces animaux, la même marche dans ses opérations, que dans l’homme.

Signes de l’érésipèle. Les signes qui caractérisent cette maladie, sont la douleur, la chaleur, la tuméfaction légère des tégumens, la fièvre qui accompagne presque toujours cette tumeur, & une rougeur vive que l’on apperçoit en écartant les poils du bœuf & du cheval, ou la laine du mouton.

L’érésipèle peut affecter toutes les parties du corps de l’animal ; le danger de cette tumeur est toujours relatif aux parties où elle siège, à l’activité des symptômes, à l’espèce, à l’âge & au tempérament de l’animal. Quand cette maladie, par exemple, attaque la tête, elle se manifeste ordinairement par la fièvre, le dégoût, la stupeur, par la tension, la douleur, la grande chaleur, le gonflement & la rougeur de la partie. Il est facile de distinguer ce dernier symptôme dans les chevaux dont le poil est clair & fin ; mais lorsque l’érésipèle affecte les extrémités, il est moins dangereux. Nous pouvons avancer, en général, que les jeunes sujets, & ceux qui sont bien nourris, le supportent mieux que les animaux avancés en âge, mal nourris ou exercés.

Cette tumeur inflammatoire change quelquefois de situation ; on peut dire alors qu’elle est rebelle, & s’en méfier, & il arrive assez souvent que sa rentrée dans l’intérieur cause la mort de l’animal. Nous pouvons tirer le même prognostic de l’érésipèle, qui, au lieu de se résoudre sans changer de situation, tend à la suppuration ou à la gangrène ; la matière contenue dans la tumeur, est toujours de mauvaise qualité & de nature à produire un ulcère, dont les chairs molles, baveuses, & incapables de se reproduire, dégénèrent promptement en gangrène difficile à arrêter, & qui par conséquent met rarement l’animal à l’abri de ses ravages.

Causes de l’érésipèle. Nous comptons parmi les principes les plus fréquens de l’érésipèle le partage subit d’une grande chaleur à un grand froid, la transpiration insensible & la sueur suspendues ou dépravées, la brûlure, la trop longue exposition aux rayons du soleil, la malpropreté des poils & de la laine, leur abondance, les remèdes onctueux si souvent employés par les maréchaux de la campagne, les courses violentes, les alimens trop-échauffans, la boisson des eaux impures, & les pâturages marécageux.

On doit bien voir que, parmi toutes ces causes, les unes sont générales, & les autres particulières ; que les premières résident dans l’âcreté & l’impureté de la masse du sang, ou dans une matière saline, qui est mêlée avec les humeurs ; tandis que les secondes se bornent à l’acrimonie de la peau, Dans l’un & dans l’autre cas, l’humeur de la transpiration s’arrêtant ou séjournant dans les glandes des tégumens, s’y altère, devient âcre, corrode les tuyaux des glandes, y pratique des gerçures, des crevasses, des vessies pleines d’une sérosité âcre, qui, rongeant & coupant les extrémités des vaisseaux sanguins, y excite l’inflammation, & de-là l’érésipèle.

Traitement. La saignée est indiquée dans le commencement de l’érésipèle, & pour suivre les saines loix de la médecine vétérinaire, il convient même de la répéter plusieurs fois, & selon l’exigence du cas, dans l’espace de vingt-quatre heures. Les saignées doivent être proportionnées en raison de l’âge, du tempérament, & à l’espèce de l’individu. Quatre livres de sang, par exemple, suffisent au cheval de l’âge de quatre ou cinq ans, & d’une taille ordinaire ; huit livres au bœuf, & demi-livre au mouton de la plus grande espèce. On doit encore avoir égard au siège de la tumeur ; si elle occupe, par exemple, la tête ou le col, & l’endroit de la veine jugulaire, il ne faut pas craindre de la répéter, & de la faire même plus abondante : la résolution, il est vrai, sera plus tardive, mais il est certain qu’on sauvera la vie à l’animal. Le foin, l’avoine, & toutes les nourritures capables d’échauffer, seront interdites ; le son mouillé, les herbes fraîches & mucilagineuses serviront de nourriture, & l’eau blanche nitrée, de boisson : deux heures après la saignée, on administrera des breuvages adoucissans, délayans & tempérans ; si l’inflammation de la tumeur n’augmente pas, & si elle paroît vouloir tendre à la résolution, il faudra fomenter la tumeur avec une décoction de fleurs de sureau, aiguisée d’un peu d’eau-de-vie, & appliquer des compresses imbibées de cette liqueur sur la partie, dans l’intervalle des fomentations ; mais tant que la chaleur, la douleur, se soutiennent & sont vives, ce qu’il est aisé de connoître, en touchant la partie, & par l’inquiétude de l’animal, il faudra mélanger avec les fleurs de sureau, des fleurs de mauve & de guimauve, & supprimer l’eau-de-vie, jusqu’à ce que l’inflammation de la partie paroisse vouloir se résoudre : c’est le cas alors d’appliquer des plumaceaux imbibés d’une solution de sel de saturne, dans l’eau-de-vie. L’eau-de-vie camphrée, à laquelle on ajoute du sel ammoniac, produit de bons effets dans l’érésipèle qui est de nature à s’affaisser & à devenir œdémateux. Dans les tumeurs érésipélateuses, où la suppuration paroît vouloir s’établir, il faut se hâter d’employer des topiques capables d’en empêcher les progrès, tels que de fréquentes compresses imbibées d’esprit de vin camphré : si, malgré ces remèdes, la gangrène commence à paroître, il est urgent de séparer les parties mortes, des chairs vivantes, en se servant de l’instrument tranchant. M. T.


Érésipéle Contagieux, Médecine vétérinaire. Il est une autre espèce d’érésipèle qui se transmet aisément d’un animal à un autre, & qui par conséquent est contagieux. Le mouton y est plus exposé que les autres animaux.

Symptômes. La rougeur, la chaleur, la douleur, la tension occupent la plus grande partie de la peau de l’animal ; il est triste, dégoûté, inquiet, & a une forte fièvre, la laine tombe, & communément la tumeur devient gangreneuse.

Traitement. Lorsqu’un berger s’apperçoit que l’érésipèle contagieux, a attaqué son troupeau, il doit aussitôt séparer les moutons sains, des malades ; parfumer la bergerie avec des baies de genièvre macérées dans le vinaigre ; saigner les moutons malades à la veine de la mâchoire ou à la veine jugulaire, & pratiquer toujours la saignée en proportion de l’âge des moutons, & de l’intensité des symptômes ; leur faire avaler beaucoup de petit lait ; appliquer sur les tumeurs des plumaceaux d’esprit de vin camphré. Ces topiques sont-ils sans effet, il n’y a pas d’autre parti à prendre que d’assommer l’animal, & de l’enterrer très-profondément avec la peau & la laine. M. T.