Cours d’agriculture (Rozier)/GANGRÈNE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 215-234).


GANGRÈNE, Médecine Vétérinaire. Comme cette maladie est des plus graves, & très souvent suivie de la mort, ceux qui n’ont pas fait les études nécessaires en médecine ne sauroient la traiter : il faut donc recourir promptement aux maîtres de l’art. Les maîtres de l’art en maréchalerie ou médecine vétérinaire habitant les campagnes, sont rarement très-instruits ; c’est pour eux particulièrement que l’article suivant est fait.

Son existence se manifeste par la mort de la partie qu’elle attaque, par son immobilité & par sa froideur ; lorsqu’elle est précédée d’une tumeur, on lui donne le nom de gangrène humide, & lorsqu’elle paroît sans tuméfaction, celui de gangrène sèche.

On connoît donc la présence de la gangrène humide, lorsqu’il se forme dans une des parties qui entrent dans la structure d’un animal quelconque, une tumeur tendue & très-dure, accompagnée d’une chaleur brûlante & quelquefois douce, que le tact indique dans la partie qui se gangrène, dont la consistance devient flasque, lacérable, & où le mouvement musculaire cesse ; quelquefois la pulsation de l’artère subsiste, quelquefois elle disparoît.

À ces signes succèdent la chute du poil qui garnit la partie gangrenée, la séparation de l’épiderme avec la peau, le déchirement de son tissu, le suintement d’une sérosité putréfiée ; &, enfin une couleur verdâtre ou livide & une puanteur cadavéreuse, annoncent sa mortification absolue.

Parmi les causes qui produisent les signes caractéristiques de la gangrène humide, l’une est prochaine & les autres sont éloignées.

La cause prochaine de la gangrène humide a lieu toutes les fois que le principe vital est anéanti dans les parties qu’elle afflige ; en conséquence de l’engorgement & de la surabondance des fluides, qui, en les surchargeant, croupissent & se putréfient d’autant plus promptement, qu’ils sont plus alcalescens & exposés à une chaleur plus âcre & à l’action de l’air ; de sorte que ce mouvement de putréfaction favorise le rapprochement des molécules sulphureuses, volatiles, & des sels alcali volatils, & leur combat mutuel établit la cause prochaine de la gangrène humide.

Les causes éloignées de cette sorte de gangrène sont les contusions, l’étranglement, l’infiltration, les inflammations, la brûlure, la morsure des bêtes venimeuses, & la pourriture.

1°. Dans les violentes contusions, les petits vaisseaux sont rompus, les fluides épanchés dans le tissu cellulaire s’y coagulent, d’autres fluides restent interceptés dans le tissu des vaisseaux : de-là l’origine de la putréfaction. Alors la nature voulant écarter ces obstacles, y pousse le sang avec plus de force ; de-là naissent la fluxion, l’engorgement, la phlogose & la douleur dans les parties affectées ; les nerfs qui ont été déchirés dans la contusion, suppurent ou se gangrènent promptement, par la chaleur qui est augmentée dans ces parties.

Il arrive souvent que la commotion des nerfs accompagne la contusion, ce qui produit leur stupeur ; l’irradiation vivifiante du fluide nerveux est interceptée ; par conséquent la partie se relâche davantage ; ce relâchement fournit un nouveau principe à la gangrène, principalement si la commotion s’étant transmise au cerveau par la charpente osseuse, elle a occasionné le délire ; car il arrive par-là que la nature est détournée de l’ouvrage de la résolution & de celui de la suppuration ; la stase, source de la putréfaction, est rendue plus considérable.

Mais s’il y a plaie, & par conséquent si l’air a accès dans la partie lésée ; si la plaie est profonde, si elle se creuse des sinus, d’où les fluides viciés sortent difficilement ; s’il y a beaucoup de vaisseaux détruits, & une grande acrimonie dans la partie ; toutes ces causes réunies donnent lieu à une gangrène qui fait de prompts ravages : la matière gangreneuse gagnant les vaisseaux voisins, déjà privés de vie, elle les insecte & les corrompt ; car rien n’est plus capable de dissoudre les chairs & de pourrir les fluides, à moins que la force vitale, qui s’efforce d’établir la suppuration, ne chasse cette matière & n’empêche l’effet de la contagion ; mais si elle n’en peut venir à bout, la chair sphacélée infecte du même vice celle qui lui est contiguë, les vaisseaux capillaires suçant, pour ainsi dire, la matière de la pourriture, à moins qu’ils ne soient remplis par les fluides qu’ils reçoivent par l’endroit opposé. Le tissu des chairs étant ainsi engorgé, privé d’action & de chaleur remarquable, bientôt la partie affectée devient verdâtre ou livide ; il se forme un cercle autour de la contusion, lequel s’étend insensiblement loin du centre de la partie, & désigne la gangrène humide causée par contusion.

2°. L’étranglement peut être aussi une des causes éloignées de la gangrène humide ; car si les veines, & particulièrement les artères sont rétrécies par les aponévroses, & les membranes, par des ligatures, par des compressions, par des blessures de nerfs, ou par une matière irritante quelconque, la circulation languit aussitôt entre l’obstacle & le cœur, & dans les rameaux des parties voisines.

Alors, si ce sont les veines qui éprouvent l’étranglement & l’enflure, avec une phlogose qui est passagère, cet état contre nature se termine par la gangrène, & produit la grande mollesse qu’on remarque dans le tissu des parties, après que l’inflammation s’est dissipée.

Mais si l’étranglement occupe les artères, quelquefois il ne paroît point de tumeur extérieurement, mais simplement une mollesse qui fait des progrès rapides ; d’autres fois il existe une tumeur inflammatoire ; elle est d’abord accompagnée de tension qui dégénère bientôt en œdème & ensuite en sphacèle, à cause de l’épanchement qui se fait du sang & de la lymphe dans le tissu cellulaire.

Mais si les ligatures étranglent seulement les veines, il en naît une grande tumeur, l’engorgement & la gangrène, & si elles compriment les artères, elles donnent souvent lieu à une gangrène sèche ; parce que la compression des veines détermine un grand gonflement, & celle des artères, l’atrophie & la gangrène sèche.

Et si les blessures faites par des clous, par des chicots, ou par un instrument tranchant quelconque, intéressent les nerfs ou les fibres, sans les couper transversalement, & si elles occasionnent l’irritation des aponévroses, il survient promptement une gangrène des parties voisines, dont la cause est l’étranglement, laquelle n’est accompagnée d’aucune enflure remarquable, & dont les progrès sont accélérés par l’application des remèdes spiritueux & aromatiques. On la traite avec plus de succès en faisant de profondes incisions, lesquelles relâchent & ôtent l’étranglement : les huiles appliquées chaudement calment les douleurs pour la même raison.

Mais s’il arrive que la gangrène ne se montre que plusieurs jours après la blessure, alors l’étranglement naît d’une cause physique, savoir, du fluide corrompu qui occupe le fond de la plaie & irrite les membranes ; & cet étranglement occasionne une gangrène qui s’étend au loin.

3°. L’infiltration est une des causes éloignées de la gangrène humide ; car toutes les fois que la lymphe, la sérosité, le pus, ou toute autre humeur putrescible prend la place de la graisse dans le tissu cellulaire, elle produit une tumeur molle, flasque, peu douloureuse. Les sources qui la produisent, sont le relâchement qui a précédé l’engorgement, la quantité du fluide qui est engorgé, l’obstruction des vaisseaux sanguins, & l’étranglement des veines, qui provient de la pression extérieure qu’elles souffrent, & du serrement spasmodique que leur cause l’irritation.

Tous les animaux qui ont été attaqués de plusieurs hémorragies, de diarrhées, ou qui ont été trop saignés ; ceux qui sont affligés de maladies chroniques, accompagnées de fièvre putride, maligne, d’ulcères, &c., sont sujets à être attaqués de la gangrène causée par l’infiltration : car toutes les fois que le sang passe plus difficilement dans les veines, & est poussé par derrière, il s’arrête dans les extrémités artérielles sanguines, distend les lymphatiques & la lymphe dont il est chargé, entre en plus grande quantité dans le tissu cellulaire, d’où il a peine à revenir dans le torrent de la circulation ; parce que la graisse qui circule lentement dans le même tissu, n’est guère putrescible à cause de sa viscosité. Or, les humeurs séreuses qui sont en stagnation, relâchent les solides ; & si la chaleur & l’acrimonie surviennent, elles se corrompent, & déterminent la gangrène.

4°. Les inflammations peuvent être encore les causes éloignées de la gangrène humide, soit à raison de l’engorgement & de la tension qui les accompagnent, soit à raison de l’étranglement des vaisseaux, causé par l’irritation des nerfs & des aponévroses ; les simples & grandes inflammations qui sont traitées par des suppuratifs âcres, produisent le même effet.

Les inflammations malignes paroissent érysipélateuses au premier aspect, peu enflées, mais froides au toucher & comme dures, sans aucune élasticité ou tension.

Les inflammations caustiques, telles qu’on en observe dans l’anthrax, se guérissent quelquefois heureusement a la faveur de la suppuration qui survient, & procure la chute de l’escarre sèche & noire ; mais d’autres fois elles corrompent les chairs jusqu’aux os.

Les inflammations érysipélateuses âcres, produisent une autre sorte de gangrène ; car l’ardeur inflammatoire dépend, ou des principes méchaniques ; savoir, d’une forte attrition des artères & des humeurs, ou des principes physiques ; savoir, de l’âcreté caustique des humeurs, laquelle occasionne des phlyctènes qui accompagnent les érysipèles & une chaleur dévorante ; bientôt la partie affectée devient œdémateuse, & la gangrène se répand au loin.

Enfin, l’engorgement considérable, qui a lieu dans l’inflammation, produit une gangrène qui, quoi qu’elle soit accompagnée d’une grande tumeur qui devient livide & s’amollit, est distinguée de l’inflammation maligne. La gangrène est prochaine, si la tumeur diminue, si la chaleur s’éteint, si les chairs s’amollissent, s’affaissent, & si la douleur disparaît.

5°. La brûlure produit aussi la gangrène ; car une partie qui est profondément brûlée, est bientôt atteinte du sphacèle ou de la gangrène sèche : les chairs voisines, à cause de l’influx du sang & de l’inflammation accompagnée de tension, qui surviennent, sont attaquées de la gangrène humide.

6°. Tous les herbivores, les chiens de chasse, les chats, &c., sont exposés aux morsures des animaux venimeux ; la gangrène qui en résulte se manifeste par le grand abattement, les syncopes, les sueurs froides, les vomissemens dans les animaux non ruminans, & les coliques violentes qui accompagnent quelquefois la morsure de la vipère. Dans la partie blessée, il y a une douleur forte, vive : avec la douleur, la tension & l’inflammation qui dégénèrent en une mollesse œdémateuse ; le poil se hérisse, s’écarte & tombe par place ; il s’élève de grandes taches d’un rouge-noirâtre, qui annoncent la mortification prochaine.

Les désordres qui troublent toute l’économie animale dépendent de l’impression funeste du genre nerveux. Cette pernicieuse substance attaque directement le principe de la vie : aussi n’a-t-on pas cru qu’il y ait d’autre indication à remplir dans la cure de ces plaies, que de combattre la malignité du venin par des remèdes pris intérieurement.

Si les accidens sont l’effet de l’étranglement, les incisions aussi profondes que les piqûres faites par les dents de l’animal changeroient la nature de la plaie, & pourroient empêcher l’action du virus. Le cautère actuel ou potentiel concourroit peut-être à produire un changement qui affoibliroit ou détruirait la faculté délétère de ce même virus.

7°. Il arrive souvent que la pourriture est une des causes éloignées de la gangrène humide : mais avant que de parler des différentes espèces de pourriture qui causent la gangrène, nous observerons ;

1°. Que les solides & les fluides qui forment les individus qui composent les diverses espèces d’animaux, sont susceptibles de putréfaction, qu’ils y tendent continuellement, & qu’ils ne pourroient exister sans les efforts que fait la nature pour la prévenir, la retarder ou la détruire ;

2°. Que la disette des fourrages & leurs mauvaises qualités produisent fréquemment des maladies putrides & des gangrènes ; parce que le défaut du chyle, sa mauvaise qualité de sa putridité doivent nécessairement causer ou hâter celle du sang ;

3°. Qu’une trop grande quantité de bile peut, en accélérant le mouvement intestin d’animalisation, trop disposer le chyle à la putréfaction ;

4°. Que le mouvement trop ralenti des fluides fait languir les excrétions : ce que les fluides contiennent de putride, n’étant pas évacué, corrompt ce qui est sain ; & hâte la putréfaction de ce qui dégénère. Le mouvement progressif ne s’oppose plus, ou que foiblement, au développement de l’air fixe, & les humeurs abandonnées presqu’à elles-mêmes, dans un lieu chaud & humide, subissent le mouvement intestin dont elles sont susceptibles, celui de putréfaction. C’est ainsi que le défaut d’exercice produit des maladies putrides, que les violentes inflammations, les contusions, les extravasations des fluides causent la gangrène ;

5°. Que le mouvement trop accéléré des fluides tend à la désunion des parties qui les composent, à la dissipation de leur air fixe, & à une chaleur trop vive qui en hâtent la putréfaction. De-là un exercice trop violent peut de même produire des maladies putrides, & les maladies inflammatoires dégénèrent presque toujours en putrides & en gangrène ;

6°. Qu’un air humide diminue la transpiration insensible, & absorbe difficilement la matière de cette excrétion. Les vapeurs aqueuses de l’atmosphère pénètrent, remplissent les pores de la peau, affoiblissent le ressort & l’action des solides qui poussent au-dehors cette matière, la partie la plus volatile, & peut-être la plus proche de la putréfaction. Dès-lors il n’est pas étonnant qu’elle corrompe le sang, si elle y est retenue : d’ailleurs l’humidité de l’atmosphère, qui ne permet pas aux parties aqueuses de s’exhaler, laisse le passage libre à la partie aérienne des humeurs, & cause la putridité, & la putridité la gangrène ;

7°. Qu’un air chaud augmente la transpiration & la perte de l’air fixé par cette excrétion, & produit le mouvement intestin putréfactif, & la mortification ;

8°. Qu’un air chaud & humide, soufflant en même temps, occasionne & accélère la putréfaction ; & s’il dure trop long-temps, il en résulte des maladies putrides & épizootiques ;

9°. Qu’un air chargé d’exhalaisons putrides ne fait sentir que trop souvent les pernicieux effets des miasmes qu’il contient dans les lieux bas, humides, marécageux, on les végétaux se putréfient, dans tous les endroits où l’air n’est point renouvelé, dans les écuries, les étables & les bergeries qui sont trop remplies d’animaux, & dans celles qui sont mal-propres.

Les molécules putrides, répandues dans leur atmosphère, affoiblissent l’élasticité & l’électricité de l’air : absorbées par les pores de la peau & des poumons, les animaux les avalent avec leur salive & leurs alimens ; elles pénètrent par ces différentes voies, & se mêlent avec le fluide qu’elles corrompent, en y agissant comme ferment, & leur communiquant le mouvement intestin dont elles sont agitées.

10° Les animaux les plus sujets à contracter les maladies putrides, sont les tempéramens bilieux & les pléthoriques, ceux qu’on livre à des travaux excessifs, ou qu’on abandonne à un repos immodéré ; ceux qui mangent trop, ou ceux qui souffrent la faim ; ceux à qui on donne des fourrages d’une mauvaise qualité, ou à qui l’on en distribue qui sont corrompus ; ceux qui habitent des lieux bas, des pays chauds, des endroits humides, marécageux, & ceux, enfin, qui respirent un air putride.

11°. Nous observerons enfin que toutes ces causes de la putridité peuvent, dans le cheval ou dans le bœuf qui a des dispositions à la contracter, agir séparément ou plusieurs ensemble ; elles peuvent produire la pourriture dans toute leur machine, ou dans une partie seulement. Cette pourriture se bornera aux fluides, où elle s’étendra jusqu’aux solides : les effets qui en naîtront se manifesteront dans une partie externe, ou dans les premières voies, ou dans la masse du sang. Pour indiquer l’usage des remèdes dans ces différentes circonstances, on examinera d’abord quel est celui qu’on doit en faire :

1°. Dans les maladies produites par la putréfaction qui affecte une partie externe, & la gangrène ;

2°. Dans celles qui sont occasionnées par la putridité qui a son siège dans les premières voies, & qui y produisent la gangrène ;

3°. Dans celles où la masse du sang est elle-même dans un état putride, & qui causent la gangrène.

I. Avant que d’indiquer l’usage des remèdes dans les maladies produites par la putréfaction qui affecte une partie externe & la gangrène, il faut observer qu’elle ne parvient à l’état de gangrène, que lorsqu’une inflammation ou une contusion violente paroît ne se terminer ni par la résolution, ni par la suppuration ; lorsque le pus d’un ulcère dégénère, que les chairs deviennent molles, & que la suppuration diminue ou est plus abondante ; lorsque le sang de l’animal qui en est atteint, est âcre, putride ; lorsqu’il a souffert la faim, qu’il est mal-propre, qu’on l’a nourri de végétaux corrompus, qu’on l’a livré à des travaux excessifs ; lorsqu’il respire un air putride ; lorsque la douleur, la chaleur, la tension, qui accompagnent l’inflammation, diminuent ; que le poil se hérisse & tombe ; que la couleur de la peau change ; qu’il s’élève sur la surface de la partie enflammée de petites ampoules pleines d’une sérosité roussâtre ; lorsque la suppuration d’un ulcère devient fétide, que le pus est dissous, que la surface des chairs prend une couleur noirâtre, & que les bords s’enflamment, se gangrènent ; que le froid, la mollesse & l’insensibilité de la partie augmente ; & enfin lorsqu’elle exhale une odeur cadavéreuse, & que sa mortification est complète.

La pourriture est aussi une des causes éloignées de la gangrène, lorsqu’elle attaque une partie de l’animal vivant, soit parce que des sucs viciés y abordent, soit parce qu’ils s’y corrompent, soit parce que l’un & l’autre y concourent. Dans le premier cas, la cause sera générale ; dans le second, elle sera particulière ou locale ; & dans le troisième, elle sera mixte.

Dans la cause générale, toutes les humeurs sont putrides ou infectées par une matière âcre, particulière, qui les corrompt. Il n’est pas étonnant que dans les maladies qui en sont la suite, comme les fièvres putrides, malignes & pestilentielles, les fièvres purulentes, occasionnées par la résorption du pus, des suppurations internes, des ulcères externes, que dans toutes ces maladies on voye quelquefois subitement paroître des pourritures, des gangrènes, ou des dépôts qui en sont bientôt suivis.

Les fluides corrompus & putrides, en abordant dans une partie, y produisent plutôt la gangrène que dans une autre. Si elle est plus éloignée du centre de la circulation ; si elle est comprimée, engorgée, ulcérée ; enfin, si la circulation y est gênée, les gangrènes sèches se manifestent, & les tumeurs deviennent quelquefois tout-à-coup gangreneuses.

Dans la cause particulière, la masse totale des fluides n’est pas corrompue, & la putridité de la partie dépend uniquement de ce que les liqueurs y circulent difficilement, ou y croupissent. Enfin le vice peut être général & local en même temps ; & cette cause, que j’ai appelée mixte, peut, à bien plus forte raison, produire la putridité, & la putridité, les gangrènes dont j’ai fait mention.

Toutes ces causes ne font cependant que disposer à la putridité : la cause immédiate du mouvement intestin de putréfaction, dans une partie d’un animal vivant, est toujours la perte de l’air fixe, favorisée par l’action de l’air extérieur. Tant que la circulation subsiste dans l’ordre naturel, que les solides ont leur ressort, leur action, les fluides leurs qualités convenables, & que la peau n’est point altérée, la nature les défend des impressions de l’air extérieur, & s’oppose au trop grand développement, & conséquemment à la perte de l’air fixe que pourroient faire les substances animales.

Mais si des fluides séjournent longtemps hors des voies de la circulation, & qu’ils ne puissent pas y rentrer, comme dans les contusions considérables, dans quelques œdèmes, dans les abcès qu’on tarde trop à ouvrir, il s’excite à la longue un mouvement intestin de putréfaction, la peau s’altère, l’air fixe se dissipe ; & si le tissu de la peau vient alors à être totalement défense, si les matières qui ont séjourné long-temps se font jour d’elles-mêmes, ou que l’art en procure l’expulsion, la pourriture se manifeste bien plus vite, & fait des progrès rapides ; l’air extérieur exerce tout son pouvoir, & l’air fixe se dissipe en très-grande quantité.

La même chose arrive, si les solides sont trop & trop long-temps distendus à cause des obstacles qui s’opposent à la liberté de la circulation, & des efforts que fait la nature pour les enlever. C’est ce qui s’observe dans les inflammations violentes, qui sont occasionnées par quelques irritations, par quelqu’obstruction, par quelque compression constante, par une fracture ou une luxation, &c. Alors ces solides perdent leur ressort ; leur adhérence mutuelle est diminuée, le séjour, la chaleur de l’inflammation excitent dans les fluides un mouvement intestin qui, contenu dans de justes bornes, auroit produit la suppuration, mais qui, poussé trop loin, cause la putréfaction.

La perte du ressort des solides occasionne encore la putridité, lorsqu’une sérosité trop âcre, trop abondante pénètre leur tissu, & diminue le point du contact des fibrilles & de leurs élémens, lorsque des sucs nourriciers ne réparent point leurs pertes, ou que la foiblesse de la circulation favorise leur inertie.

Dans tous ces cas, les liqueurs séjournent & se corrompent. C’est ainsi que la pourriture & la gangrène se manifestent quelquefois dans l’hydropisie, dans les œdèmes des vieux animaux, & chez ceux qui sont épuisés par des travaux trop longs & trop pénibles, ou qu’on a alimentés avec des fourrages corrompus.

L’application des huileux sur la peau, sur-tout s’il y a inflammation ; celle des âcres emplastiques qui suppriment la transpiration, celles des astringens & des répercussion violens sur une partie enflammée produisent encore la putridité, en augmentant la chaleur de l’inflammation.

Si une partie d’un animal quelconque a été exposée à un froid excessif, la putridité ne tarde pas à se manifester, sur-tout si on la présente brusquement à un feu vif. Le froid avoit coagulé les humeurs, ralenti & même arrêté la circulation ; l’air fixe s’étoit développé, les solides étoient distendus, la chaleur y a excité un mouvement intestin qui a décidé la putridité. Le seul moyen de parer à un semblable accident est de frotter la partie gelée avec de la glace ou de la neige, & de ne la faire passer qu’insensiblement à un air plus doux. Par cette précaution, l’air fixe est de nouveau absorbé par les humeurs ; les principes ne sont point désunis, & les vaisseaux reprennent leur action.

Enfin, si la peau a été divisée, enlevée, détruite, comme dans une plaie, une brûlure, un ulcère ; les vaisseaux délicats altérés, les liqueurs extravasées étant à découvert, l’air extérieur agira sur ces substances, l’air fixe s’en dégagera, & sa dissipation produira dans cette partie la pourriture, & celle-ci la gangrène, sur-tout si cet air extérieur est putride : alors, en effet, son peu d’élasticité s’opposera moins au développement & à la dissipation de l’air fixe ; les molécules putrides dont il est chargé infecteront, corrompront les liqueurs & les gangrèneront.

Comme il est impossible de rappeler à la vie une partie qui est gangrenée, pour l’en préserver, il étoit essentiel de connoître les différens symptômes de la putridité qui la produit. Leur variété doit nécessairement faire varier les indications & les remèdes qu’on doit employer à cet effet. Si la partie est enflammée, on se servira des aqueux, des émolliens, &c. : si le sang ou quelques autres liqueurs se trouvent extravasées, & qu’elles ne puissent pas rentrer dans les voies de la circulation, on en procurera l’issue, le plutôt qu’il sera possible. Si la sérosité s’est épanchée dans le tissu cellulaire, si le ressort des solides est affoibli, si la circulation languit, on emploiera les stimulans, les toniques ; on fera usage des répercussion, si la partie est confuse ; on recourra aux vulnéraires, aux balsamiques, aux digestifs, si elle est blessée ou ulcérée.

Dans tous ces cas, il est quelquefois utile & nécessaire d’employer les saignées, les purgatifs, les diaphorétiques, les diurétiques, les cordiaux, & même les antiseptiques fébrifuges. Il n’est pas moins nécessaire de donner aux animaux malades de bons fourrages que l’on tirera principalement des antiseptiques diététiques, de les tenir très proprement. Il est aussi très-essentiel de mettre en usage tous les moyens possibles de purifier l’air, soit en diminuant, soit en chassant, soit en corrigeant les exhalaisons putrides qui, en donnant naissance à la pourriture, deviennent les causes médiates de la gangrène.

Pour diminuer la quantité des exhalaisons, il faut mettre peu d’animaux dans les écuries, dans les étables, dans les bergeries, &c., en éloigner avec le plus grand soin tout ce qui peut infecter, & veiller à la plus grande propreté. C’est en renouvelant l’air qu’on chassera les exhalaisons pernicieuses. Pour y réussir, on s’attachera à procurer une issue à l’air intérieur, & à donner entrée à l’extérieur. On ouvrira les portes & les fenêtres ; on corrigera les exhalaisons putrides, en faisant, plusieurs fois par jour, bouillir du vinaigre, brûler des aromates, & sur-tout enflammer du nitre sur des charbons ardens.

Si ces premiers secours sont insuffisans, & que l’air fixe ait commencé à se dissiper, & qu’il ait déjà excité un mouvement intestin de putréfaction dans les fluides, ceux-ci étant corrompus ont déjà affoibli le tissu, le ressort des solides, & altéré leur cohésion. Pour y remédier, il faut rendre l’air fixe, &, pour produire cet effet, recourir aux antiseptiques externes proprement dits. Ces remèdes sont tous tirés des substances résineuses ou gommo-résineuses, qui contiennent beaucoup d’air fixe, fermentent très-longtemps, lorsqu’elles sont mêlées avec des substances animales putrides, & par cette raison conviennent dans tous les cas où l’on observe un état putride dans une partie externe, quelle qu’en soit la cause. Aussi l’observation journalière apprend-t-elle que dans ces circonstances on se sert avec succès des décoctions ou infusions d’aristoloche, d’iris de Florence, de zédoaire, d’ailliaire, de scordium, d’abrotanum, d’absente, de menthe, de camomille, &c., avec lesquelles on fomente la partie malade ; que l’esprit de vin camphré, les teintures de myrrhe, d’aloès, &c. mêlées avec les infusions & les décoctions appropriées, sont encore très-efficaces, employées en fomentations ; mais que rien n’égale la vertu antiseptique de la décoction de quinquina. De simples fomentations seroient cependant insuffisantes dans les ulcères putrides : il faut les couvrir de plumaceaux chargés d’onguent de stirax, & trempés dans quelques-unes des liqueurs ou des décoctions désignées ci-dessus, & sur-tout dans la décoction de quinquina. Mais si l’état de putridité vient d’une cause interne, il est à propos d’employer en même temps les antiseptiques internes, proprement dits : ils sont même quelquefois très-utiles dans les putridités externes, de même que les purgatifs, sur-tout si les animaux malades respirent un mauvais air, & principalement s’ils y mangent, parce qu’ils avalent une grande quantité de miasmes putrides qui corrompent les sucs & les matières contenues dans les premières voies, & disposent à la gangrène.

Les remèdes antiseptiques ne sont pas toujours assez puissans pour rétablir dans un état sain une partie absolument putride : ils corrigent la putridité, ils en arrêtent les progrès, & rendent peu à peu aux vaisseaux leur force & leur mouvement oscillatoire, aux humeurs, leur consistance ; ils font naître autour de la partie putride une inflammation suivie d’une suppuration, à l’aide de laquelle tout ce qui ne peut pas être rétabli dans un état sain est séparé & défense. C’est ce qu’on observe journellement dans les états gangreneux.

Mais l’usage des antiseptiques n’est pas indifférent, sur-tout si on les employe avant que les fluides soient devenus putrides, & que les solides ayent perdu leur ressort ; car si l’on s’en servoit plutôt, on causeroit ce que l’on voudroit prévenir ; on produiroit une plus grande roideur dans les fibres déjà trop tendues, un épaississement & une luminosité plus considérables dans les humeurs ; on augmenteroit l’inflammation ; on la rendroit irrésoluble, & même incapable de se terminer par suppuration ; on y attireroit peut-être la pourriture & la gangrène. On ne doit donc s’en servir que lorsque la chaleur, la mollesse des chairs, la dissolution, la mauvaise qualité & la fétidité du pus indiquent un état putride dans les liqueurs, & un défaut d’action dans les fibres.

Enfin, si l’on ne peut ni prévenir, ni retarder, ni détruire les progrès de la pourriture, les solides perdent entièrement leur force, leur cohésion, leur mouvement ; les fluides tombent dans une dissolution totale ; ils restent ou desséchés, ou extravasés, ou corrompus ; l’organisation des uns & des autres est absolument détruite, il n’est plus possible de les rappeler à la vie. L’unique moyen qui reste à la nature, est d’empêcher que l’altération & la putridité ne se communiquent aux parties saines, & d’exciter une inflammation autour de la partie gangrenée, pour séparer & faire tomber ce qui est mort par le moyen de la suppuration. L’art pour seconder les vues de la nature, & décider une inflammation salutaire, doit mettre en usage des médicamens fort irritans, comme le sel ammoniac, l’eau phagédénique, les cendres gravelées, l’onguent égyptiac, la pierre à cautère & les autres escarotiques. On joint à l’usage de ces remèdes celui de quelques liqueurs convenables ; par exemple, des décoctions d’aristoloche, de scordium, d’absente, de sauge, de rhue, de quinquina, des baumes naturels, des teintures de myrrhe, d’aloès, de l’eau de vie camphrée, du vinaigre aromatisé, &c. dont on fomente la partie. On peut même approcher avec succès le cautère actuel de la partie malade, en la touchant légèrement : mais si la gangrène pénètre profondément, on fait des scarifications jusqu’au vif : elles ont deux avantages ; elles procurent une issue aux fluides putrides, & elles donnent lieu aux médicamens de pénétrer & de se faire sentir. On emploie les mêmes moyens dans l’ulcère gangreneux, lorsque la pourriture s’étend toujours, soit en profondeur, soit en surface, & que les bords enflammés se gangrènent : il convient encore en même temps de donner les antiseptiques internes, comme les décoctions de chicorée sauvage, de galanga, de gentiane, de camomille, de quinquina, d’absente, de petite centaurée, &c.

II. Les matières putrides qui sont contenues dans les premières voies du cheval, du bœuf ou de la brebis, &c, y causent souvent la gangrène. Elles se manifestent par une diminution de l’appétit, par un léger dégoût, par des envies fréquentes de boire, par une bouche pâteuse, par l’odeur un peu aigre & pourrie des vapeurs qui sortent des estomacs par la bouche. Le dégoût devient plus considérable, l’animal perd totalement l’appétit, les envies de boire sont plus pressantes, les vapeurs qui sortent des premières voies, plus putrides, les coliques & les diarrhées se manifestent ; l’animal se plaint, s’agite, le ventre se soulève, le météorise, s’enflamme, les excrémens sont très fétides. Enfin, l’animal est accablé, affaissé ; il ne désire plus rien ; la face interne des lèvres est jaunâtre, quelquefois d’un brun livide, noire. Le ventre reste soulevé, tendu & froid, les évacuations qui se font par l’anus, sans qu’il paroisse y contribuer, exhalent une odeur cadavéreuse. Ces derniers signes annoncent que les premières voies sont frappées de gangrène.

Pour rendre raison de ces phénomènes, il est à propos d’examiner ce qui se passe lors de la digestion. Cette fonction ne peut s’opérer que par un mouvement intestin qui s’excite entre les parties insensibles des alimens mêlés avec les sucs digestifs ; duquel mouvement il résulte une liqueur douce, homogène, blanche, que l’on appelle chyle. La chaleur du lieu, les restes du dernier repas, les liqueurs digestives, le mouvement péristaltique, celui du diaphragme & des muscles de la cavité de l’abdomen, & les battemens des gros vaisseaux voisins favorisent le mouvement intestin ; mais il doit être contenu dans de justes bornes : car s’il est continué trop long-temps, il passera à une fermentation acide, & de-là, si rien ne s’y oppose, à une fermentation putride. Les causes capables de produire ces effets, sont, 1°. le trop long séjour que font les matières alimentaires dans les premières voies, comme dans les animaux qui mangent trop, dans ceux dont on trouble les digestions par des travaux trop longs & trop pénibles, dans ceux qu’on n’exerce pas suffisamment, &c. ; 2°. la mauvaise qualité des alimens qui contiennent peu d’air fixe, & qui par conséquent n’en fournissent pas assez pour arrêter les progrès de la fermentation, du nombre desquels sont les foins, les pailles, les regains, les avoines, gâtés, &c. ; 3°. la dépravation putride des sucs digestifs, qui deviennent alors un puissant ferment putréfactif ; dépravation qui peut être occasionnée par un air putride, qui, en se mêlant avec la salive dans la bouche, la corrompt, & étant avalé avec elle, corrompt ensuite les sucs gastriques. Cette dépravation peut provenir aussi du défaut d’alimens, ou de leurs mauvaises qualités, ou de la corruption de la masse du sang, d’où il ne peut se séparer que des humeurs corrompues. On conclut donc de ce qui vient d’être dit, que toutes les causes qui sont capables de produire une fermentation putride dans les premières voies du cheval ou du bœuf, &c., peuvent aussi les gangrener.

Pour prévenir une terminaison aussi funeste à la vie des animaux, que redoutable à ceux qui exercent la médecine vétérinaire ;

1°. On empêchera que la quantité de matières putrides n’augmente dans les premières voies.

2°. On évacuera ces matières.

3°. On réparera le mal qu’elles auront causé, & on rétablira les parties & les fonctions dans l’état sain.

On satisfera à la première indication par la diète ; sans cette précaution, quel désordre ne produiroit-on pas ! puisque l’estomac du cheval, ou ceux du bœuf ou ceux des autres animaux ruminans sont remplis de matières putrescentes, que les alimens augmenteroient nécessairement. On pourra donc leur donner de temps en temps quelques poignées d’herbes fraîches qui contiennent beaucoup plus d’air fixe que les sèches, & on leur associera quelques plantes aromatiques ; on les soumettra à un exercice convenable, on les abreuvera d’eau froide ; on donnera aux animaux qui auront des renvois, les remèdes absorbans unis aux aromatiques, les acides, les amers, suivant que ces renvois seront aigres, nidoreux ou insipides. On fera vomir les chiens, & l’on purgera les animaux qui ne vomissent pas avec le séné, l’aloès, la rhubarbe, la casse, la manne, les tamarins, la crème de tartre, &c.

Mais si les matières putrescentes ne se bornent pas à l’estomac du cheval ou à ceux du bœuf qui en est atteint, & qu’elles occupent en même temps tout le canal intestinal, la nature pour les évacuer excite des renvois, des diarrhées, des borborygmes ; dans ce cas l’estomac est hors d’état de digérer des alimens solides : on ne doit donc en prescrire que sous forme fluide, tels que les décoctions d’orge, d’avoine, l’eau miellée à laquelle on peut ajouter un peu de vinaigre. On doit aussi recourir aux purgatifs ; mais il n’en faut employer que de doux, afin de ne pas produire d’irritation ; pour cela on donne la préférence à ceux qu’on tire du règne végétal, sur-tout à ceux qui sont les plus antiseptiques, soit par leur qualité gommo-résineuse, comme la rhubarbe, les follicules, les feuilles de séné, &c., soit par la qualité fermentescible de leur corps muqueux ou sucré : tels sont la casse, la manne, les tamarins, &c. Ceux-ci associés avec les précédens, diminuent & empêchent l’irritation qu’ils pourroient occasionner. On joint avec succès à ces médicamens des sels neutres, & sur-tout le nitre & la crème de tartre lorsqu’il y a beaucoup de chaleur. Il est aisé de voir que les purgatifs bien administrés peuvent non-seulement évacuer les matières putrides, mais encore les corriger.

Après que les matières putrides ont été suffisamment évacuées, on connoît que les fonctions digestives ne se rétablissent point, lorsque le dégoût, les renvois, les flatuosités, les coliques & les diarrhées séreuses subsistent. C’est dans ces circonstances que les antiseptiques fébrifuges font des prodiges, ils donnent aux solides leur ton, & aux sucs digestifs leur qualité naturelle. Ceux qu’on emploie le plus fréquemment, sont la menthe, la petite centaurée, la camomille, l’absinthe, les coins, les écorces de citrons & d’oranges, l’aunée, l’angélique, les baies de genièvre, la myrrhe, le cachou, la cascarille, le quinquina, &c. Il est bon de les associer avec quelques purgatifs, comme la rhubarbe, l’aloès, &c. par le moyen de ces médicamens tout ce qui reste de putride dans les premières voies, ou ce qui peut y être nouvellement déposé, ainsi que le résidu des premières digestions qui sont toujours mauvaises, sont expulsés & on prévient les rechutes.

Mais pour que les antiseptiques puissent occasionner quelques évacuations, il faut que le système des solides soit relâché ; que les matières à évacuer ayent acquis une fluidité convenable. Or, ce relâchement, cette fluidité n’existent que sur la fin de la maladie. Ces médicamens étant astringens, ils ne peuvent que donner du ton à des solides déjà trop distendus, & resserrer les orifices des vaisseaux excrétoires. De plus, en ne donnant point d’eau aux animaux malades, ils ne peuvent point délayer les matières & les disposer à être évacuées. Les antiseptiques placés dans le commencement de la maladie, ne pourroient donc que supprimer les évacuations que la nature produit, loin de les favoriser ; ils ne pourroient qu’occasionner des obstructions, des inflammations dans les viscères contenus dans la cavité de l’abdomen, & la gangrène.

Mais si tous ces secours sont insuffisans ; que les effets de la putridité se manifestent avec plus de force & de malignité ; que l’acrimonie irrite les solides ; que le mouvement intestin de putréfaction les attaque ; que les orifices des vaisseaux excrétoires se resserrent & se dessèchent ; que les liqueurs soient très-corrompues ; qu’il ne se fasse point d’évacuation ; ou que s’il s’en fait par les différens organes excréteurs, & que ce ne soient que des matières crues, des sérosités jaunâtres ou noirâtres, alors l’air fixe qui se dégage des matières putrides, reprend son élasticité, distend le canal intestinal, qui a beaucoup perdu de son ressort & de son action, le ventre se soulève. La nature troublée du danger qui la menace, dirige toutes ses forces vers les viscères de l’abdomen, elle y produit ou augmente les embarras, les engorgemens des vaisseaux ; de-là naissent les dispositions inflammatoires ; si l’inflammation est poussée trop loin, elle augmente la putréfaction, & elle peut se terminer par la gangrène.

Mais il est possible de prévenir quelquefois ces malheurs, en s’appliquant à corriger la putridité, en faisant avaler aux animaux qui en sont attaqués, les décoctions tièdes de riz, d’orge, d’avoine, adoucies avec le miel, la bière, le cidre récent, en leur donnant fréquemment & à petite dose le jus de citron avec le sel d’absinthe, & pour calmer l’acrimonie des matières putrides, on aura recours aux semences froides, aux doses répétées d’huile de lin, aux décoctions de mauve nitrées, aux vapeurs des décoctions des plantes émollientes, placées sous le ventre de l’animal, aux lavemens plus ou moins répétés, faits avec les mêmes décoctions auxquelles on ajoute du nitre, du vinaigre, &c. C’est à l’aide de ces médicamens internes & externes que le médecin vétérinaire pourra faciliter la coction & la séparation de ce qui a été altéré par la putréfaction, mais en ranimant en même temps ou soutenant les forces vitales, s’il est nécessaire, par les cordiaux aromatiques.

Lorsque la nature indiquera que la matière est cuite & prête à être évacuée ; lorsque la langue s’humectera, que le ventre s’affaissera, qu’il se fera des déjections de matières un peu plus liées, c’est alors que les purgatifs conviendront, & qu’en secondant les efforts de la nature, ils accéléreront la cure de la maladie ; mais si on les employoit avant le temps marqué par les signes qui viennent d’être décrits, loin d’obtenir ce que l’on désireroit, on irriteroit, on accéléreroit ou l’on augmenteroit l’inflammation. Il est cependant quelques purgatifs que l’on peut mettre en usage dans tous les temps de la maladie, qui loin d’irriter sont adoucissans, & qui peuvent même, en quelque manière, être regardés comme antiseptiques : tels sont l’huile de lin, la manne, la casse, les tamarins, le nitre, la crème de tartre, &c. Ces purgatifs conviennent sur-tout lorsqu’on a perdu les premiers jours de la maladie sans procurer des évacuations. Telles sont les attentions que l’on doit avoir pour remplir la seconde indication, qui consiste à évacuer les matières putrides.

On remplira la troisième indication, en réparant le mal que les matières putrides auront causé, en redonnant aux solides leur ton, aux fluides leurs qualités ; on y parviendra en administrant le quinquina, la petite centaurée, l’absinthe, la germandrée, la gentiane, la chicorée sauvage, la myrrhe, le camphre, la gomme-ammoniac, après avoir suffisamment évacué les matières putrides.

Si enfin, la putréfaction a tellement altéré les solides, que leur ressort soit perdu, s’ils sont devenus des instrumens inutiles, dont la nature ne puisse presque plus se servir ; si la machine tend à sa destruction ; si l’odeur des évacuations & de l’haleine des animaux malades annoncent que la putréfaction est portée su plus haut point. Dans cette fâcheuse extrémité, l’art a bien peu de ressources, parce que la nature lui en fournit peu. Réveiller & soutenir les forces par les stimulans, les vésicatoires, les cordiaux les plus puissans, sur-tout par les alexipharmaques & les aromatiques ; administrer les boissons froides, leur réunir les acides les plus puissans, sur-tout l’acide vitriolique, qui par sa qualité astringente est propre à suspendre le progrès & les effets de la putridité ; donner le quinquina à grandes doses & répétées plusieurs fois par jour, tels sont les secours que l’on peut tenter dans une extrémité aussi pressante ; s’ils ne sont suivis d’aucuns succès, la putridité contenue dans les premières voies, les gangrenne, & donne la mort au sujet qui en est atteint.

III. Les animaux ne sont que trop souvent les victimes de ces maladies où la masse du sang est elle-même dans un état de putridité qui donne lieu à la gangrène.

On ne peut douter de la vérité de cette proposition ; car si l’on tire du sang des animaux qui sont attaqués de quelques fièvres putrides, malignes, on reconnoît qu’il est non-seulement d’une odeur fétide, mais putride & dissous ; il est même quelquefois si puant, sur-tout dans les fièvres malignes, qu’à peine en peut-on supporter les exhalaisons. La corruption de toutes les sécrétions & de toutes les excrétions que l’on remarque dans la plupart des maladies épizootiques & enzootiques, par l’odeur fétide du sang nouvellement tiré, par la couleur tannée de sa sérosité, & par la dissolution du coagulum, prouve qu’il est réellement putride ; son état de pourriture peut provenir de la putréfaction des matières contenues dans les premières voies, de la suppression de la transpiration & de la contagion régnante. Les matières putrides qui dès les premières voies passent dans le sang, & celles que la suppression de la transpiration oblige à y refouler, corrompent nécessairement la masse du sang. La contagion la dissout & la corrompt très-promptement, elle affoiblit la force des solides, elle affecte même jusqu’aux nerfs.

S’il arrive que ces différentes causes qui corrompent la masse du sang, excitent une inflammation simple, mais violente, produite par un engorgement considérable, ou par une matière trop âcre pour que la nature en puisse faire la coction, la corruption devient bientôt la cause éloignée de la gangrène par laquelle elle se termine.

En effet, les animaux qui depuis long-temps respirent dans les écuries, dans les étables, dans les bergeries où on les loge, un air humide, putride, ceux qui sont voisins des marais, das étangs, de la mer, ceux qu’on n’exerce pas suffisamment, ceux qu’on nourrit avec des végétaux corrompus, ou d’une mauvaise qualité, deviennent pesans, paresfeux, leur haleine est puante, leur poil se hérisse, leurs jambes se meuvent difficilement, leur respiration est laborieuse ; au moindre mouvement leur pouls est lent, inégal, ils éprouvent des coliques, des hémorragies dont le sang est dissous & noirâtre ; tous ces symptômes deviennent plus graves à mesure que l’âcreté de la matière putride contenue dans la masse du sang fait des progrès ; le sang que les hémorragies donnent, n’est plus qu’une sérosité rougeâtre ou noirâtre, la respiration est très-gênée, les animaux malades sont atrophiés ; leurs urines & leurs déjections par l’anus sont très-fétides & noires ; leur pouls est très-petit, foible, inégal, intermittent ; leurs corps exhale une odeur cadavéreuse ; la maladie se termine par la gangrène & par la mort des sujets qu’elle a attaqués.

Après la mort, les cadavres se corrompent promptement. Leurs ouvertures montrent dans différentes cavités, sur-tout dans l’abdomen, des épanchemens sanieux, plusieurs parties & plusieurs viscères gangrenés.

La corruption successive du sang & des humeurs décompose les globules qui composent ces fluides, laissent échapper l’air fixe qui entroit dans leur composition. Les fluides atténués s’extravasent, enfilent des vaisseaux qui dans l’ordre naturel leur sont fermés, ils circulent lentement & difficilement. Les sécrétions se sont imparfaitement, les liqueurs excrémentitielles qui en sont le produit, ne peuvent réparer les pertes que souffre le corps, les solides tombent dans un relâchement vicieux.

Ce qui est à faire dans cette circonstance consiste à rendre aux solides & aux fluides l’air fixe qu’ils ont perdu ; & pour suivre avec succès cette indication, on pourra avoir recours à toutes les substances végétales : en effet, quelles que soient leurs qualités sensibles, elles sont toutes capables de fournir de l’air fixe. On leur fera boire de la bonne eau ; on les tiendra proprement ; on renouvellera l’air de leurs demeures ; on les soumettra à un exercice modéré ; on les purgera avec des médicamens doux ; on les mettra à l’usage des sucs ou des infusions, de cresson de fontaine, de beccabunga, de moutarde, &c.

Mais dès que les symptômes de la gangrène se manifestent, & qu’ils font des progrès, on a recours au quinquina ; on joint à son usage celui des astringens, & sur-tout si les accidens sont pressans, celui de l’acide vitriolique, dont l’effet est prompt & sûr.

On conclura de ce qui vient d’être dit, que la pourriture est une des causes éloignées de la gangrène, soit qu’elle attaque les parties externes, soit qu’elle ait son siège dans les premières voies, ou dans la masse du sang. Dans ce dernier cas, les cadavres des animaux qui succombent à la putridité fébrile du sang, se corrompent en peu d’heures, ils enflent prodigieusement ; lorsqu’on en fait l’ouverture, ils répandent une infection qui est affreuse ; le sang contenu dans les gros vaisseaux, est dans un état de dissolution manifeste ; on trouve des épanchemens dans la tête, dans la poitrine & dans la cavité de l’abdomen ; plusieurs viscères sont couverts de taches gangréneuses, plusieurs se mettent en lambeaux sous les doigts ; les uns sont en suppuration, les autres sphacélés ; le cœur & le foie sont d’un volume extraordinaire, &c. Tel est le précis des funestes ravages qu’opère la putridité fébrile du sang, dès qu’elle est parvenue à son dernier degré.

Enfin, la cure des gangrènes humides produites par les contusions, l’étranglement, l’infiltration, les inflammations, la brûlure & la morsure des bêtes venimeuses, consiste à diminuer l’engorgement, 1°. par la diète, les boissons liquides résolutives, & par des saignées réitérées ; 2°. par des scarifications qui doivent pénétrer tantôt jusqu’au tissu cellulaire, tantôt jusqu’aux muscles engorgés, selon le siège du mal.

Alors le chirurgien vétérinaire doit opérer de manière à procurer l’évacuation totale des sucs corrompus, & à emporter les chairs qui ne sont pas en état de pouvoir être revivifiées. Il peut encore réduire les chairs en escarres par le feu, l’huile bouillante, l’huile de térébenthine, par les esprits acides concentrés seuls ou dulcifiés avec l’esprit de vin, & employer ensuite les antiseptiques, les résolutifs, & les suppuratifs si la partie est menacée d’une gangrène superficielle ; mais si elle est profonde & que la corruption des os & des membres soit si grande qu’il n’y ait point d’espérance de résoudre l’engorgement, ses soins resteront sans succès, à moins que le propriétaire n’aime mieux se conserver un animal inutile, ayant un membre ou une portion de membre de moins ; alors il auroit recours à l’amputation. J’en ai vu un exemple. Un faon apprivoisé, dont le boulet d’une des extrémités antérieures, fut attaqué d’une gangrène humide, en conséquence d’une violente luxation qu’il s’étoit faite ; les os qui formoient le boulet, n’étoient presque plus unis que par les ligamens, toutes les parties molles qui les couvroient, étoient non-seulement dépourvues de tout sentiment & de toutes actions organiques, mais la dissolution putride dont elles étoient attaquées, exhaloit une odeur vraiment cadavéreuse. La personne chargée de éducation du jeune faon, s’appercevant que les progrès rapides de la pourriture avoient mis à découvert l’union de l’os du paturon avec le canon, coupa les ligamens qui assujettissoient encore ces deux os, pansa l’extrémité inférieure du canon, & conserva la vie à son élève, que la gangrène lui auroit enlevée, si elle n’eut pas séparé les parties mortes des vivantes.

Dans les contusions, plus l’inflammation, la tension & la douleur sont grandes, plus elles sont périlleuses ; plus aussi les contusions entraînent de stupeur, à cause de la commotion qu’ont souffert les nerfs, plus elles menacent de danger.

Si la tumeur qui en résulte est peu élevée, la chaleur suffoque ; si la partie est lourde, privée d’action & de tension, ou si elle est insensible & molle comme de la pâte, on a à craindre l’étranglement des vaisseaux artériels ; mais si, à la suite d’une plaie, la tumeur est considérable, que le poil se hérisse & tombe, que la tumeur paroisse sous une couleur livide ou d’un rouge noir, cela indique l’étranglement des veines. Dans ce cas les aromatiques & les stimulans chauds sont pernicieux ; l’unique ressource consiste dans les incisions par lesquelles le chirurgien vétérinaire emporte les nerfs ou les tendons blessés, & qui mettent les aponévroses en liberté ; mais ces incisions doivent pénétrer plus loin que le tissu cellulaire, pour atteindre jusqu’à l’endroit des aponévroses.

Dans l’infiltration qui est causée par des hémorragies excessives, par des saignées trop multipliées, la gangrène est rarement à craindre de la part de cette cause. Les remèdes internes & les analeptiques sont indiqués dans ce cas ; mais si l’infiltration provient de la dissolution putride des humeurs, ou d’une fièvre maligne putride, ou de la suppuration d’un ulcère interne ; si après un long-temps l’une ou l’autre de ces causes excite une inflammation érysipélateuse, elle est suivie d’une gangrène incurable & mortelle. C’est en vain qu’on entreprend de la combattre par les diurétiques & les cathartiques : on ne fait par-là qu’abattre les forces ; les scarifications qu’on y pratique hâtent la mort, & tous les secours deviennent inutiles.

On peut traiter l’érétisme ou la crispation des aponévroses, par les relâchans, comme une diète humectant, des saignées répétées, des topiques émolliens ; si ces secours ne suffisent pas, il faut inciser assez profondément les aponévroses, en couper les brides, & si elles occupent les os, il faut que les incisions pénètrent jusqu’à eux. Il faut enfin ôter à la partie irritée sa trop grande sensibilité ; ce qui s’obtient par les caustiques, comme l’huile de térébenthine, d’œillets, de canelle, ou l’huile distillée de cette plante aromatique ; si ces remèdes sont insuffisans, il faut employer l’huile bouillante.

Dans les inflammations gangréneuses, ou elles dépendent d’une cause externe ou interne ; si elles dépendent d’une cause interne, les scarifications jusqu’au vif ne soulagent jamais. De plus, les inflammations qui viennent de cause interne, sont ou externes ou internes. Les internes dépendent d’un principe délétère mêlé avec les humeurs que les saignées ne peuvent ôter ; par conséquent les saignées y sont autrement praticables ; on n’a de ressource que dans les antidotes, les cordiaques, & les alexipharmaques ; mais ces inflammations internes, quand la douleur est assoupie, dégénèrent si rapidement en gangrène, qu’elles ne donnent pas le temps d’appliquer aucun remède.

Les inflammations gangréneuses externes, ne causent pas une mort si certaine ; car il est de ces gangrènes qui sont critiques, & celles qui ne le sont pas, ne s’étendent pas souvent au-delà de la partie enflammée, & même la suppuration survenant, la partie gangrenée se sépare spontanément des chairs vives.

Il faut cependant prendre garde que la matière putride qui s’engendre, ne gagne les parties voisines, ce qui est à craindre dans les inflammations gangréneuses causées par engorgement ; mais qui l’est beaucoup dans les gangrènes sèches ou dans les inflammations caustiques, telles que les érysipèles, les escarotiques, les anthrax, les croûtes gangreneuses, &c.

Pour procurer la suppuration dans les inflammations mortes, il faut administrer intérieurement & extérieurement des remèdes stimulans & qui augmentent la chaleur ; les résolutifs & les diaphorétiques actifs, sont des topiques très-convenables dans ce cas, de même que les sétons, les vésicatoires ; mais si la gangrène existe déjà, il y a lieu d’espérer, quand ses limites sont fixées & quand les bords de l’inflammation s’apprêtent à suppurer : dans ce cas on doit avec le scalpel couper ou emporter les parties mortes, sans toucher aux chairs vives ; mais si le progrès de la gangrène cessant, il ne paroît aucune marque de suppuration, on doit cautériser les parties mortes avec l’esprit de nitre, afin d’exciter la suppuration dans celles qui sont vivantes, & de détruire la matière putride.

Les érysipèles gangreneux, l’engorgement qu’ils produisent occupe une très-grande étendue, leur curation demande qu’on détruise l’engorgement des parties mortes ; qu’on préserve de la corruption les humeurs de ces parties, en empêchant le mouvement intestin d’agir ; qu’on irrite les chairs voisines pour les faire suppurer, & qu’on procure la séparation des chairs mortes par la suppuration.

Les anti-putrides qui conviennent dans ce cas, sont le vinaigre, l’esprit de sel & de soufre délayé dans de l’eau, les sels neutres, principalement le sel ammoniac, l’esprit de térébenthine, l’essence de rabel, l’esprit de nitre dulcifié par une égale quantité d’esprit de vin, le sel marin, le nitre, les résines & les baumes, la térébenthine, la myrrhe, le camphre, le stirax, la poix, le vin, l’eau-de-vie, l’esprit de vin ; les dessiccatifs balsamiques, comme la myrrhe, la colophane, l’aloès, la résine ; les caustiques ardens, comme l’huile bouillante, le fer chaud, la rouille, l’esprit de nitre chargé de mercure, l’eau phagédénique.

Dans la brûlure qui détruit seulement la peau sans pénétrer plus avant, la douleur est plus grande & plus opiniâtre que lorsque les chairs même sont brûlées ; car les tuyaux sécrétoires étant irrites, versent une sérosité âcre & copieuse, qui rend la maladie plus longue, si l’on y applique des onctueux. Il faut, avant que l’engorgement & la tumeur ne soient formés, attirer au dehors les parties ignées par la solution de vitriol, l’encre, le sperme de grenouille, le blanc-d’œuf ; la noix de galle, les vulnéraires & les herbes astringentes ; l’engorgement étant sur le point de se former, les émolliens, les relâchans, les adipeux, les onctueux, l’huile & le beurre sont indiqués. Si malgré ces remèdes l’inflammation survient, on doit faire des fomentations avec l’eau tiède, user de mucilages, de laitages & de farineux, auxquels on mêle les anodins quand l’inflammation est violente ; on met quelquefois en usage les anodins un peu volatils, tels que le camphre, les fleurs de sureau, les feuilles de tabac, de jusquiame, la fiente d’oiseaux ; si la chaleur n’est pas considérable, des oignons cuits ou triturés conviennent ; enfin, si la partie brûlée donne une suppuration putride, les antiseptiques sont indiqués, tels que le vin, l’eau-de-vie, le nitre, le sel marin, &c.

Ceux-là agissent prudemment, qui n’emploient que le vin pendant tout le temps que la sensibilité de la partie ne permet pas de mettre en usage l’eau-de-vie, qu’ils emploient ensuite pure jusqu’à l’entière guérison : il est souvent avantageux d’user des feuilles vertes de tabac ou de poirée, qu’on applique sur des plumaceaux trempés dans le vin, & qui par ce moyen ne s’attachent pas à la plaie.

La gangrène sèche est celle qui n’est point accompagnée d’engorgement, & qui est suivie d’un dessèchement qui empêche la partie morte de tomber en dissolution putride ; la partie commence à devenir froide ; la chaleur cesse avec le jeu des artères ; ces vaisseaux se resserrent par leur propre ressort ; les chairs mortifiées deviennent plus fermes, plus coriaces & plus difficiles à couper que les chairs vives. Les parties sont mortes bien avant qu’elles ne se dessèchent.

La cause matérielle de la gangrène sèche, est un sang très-visqueux, tenace, noirâtre, qui a perdu sa sérosité par la chaleur, les sueurs, & qui à cause de sa grande sécheresse ne peut pas se corrompre.

Il arrive souvent, dans les gangrènes externes dont les animaux sont attaqués, que la peau se dessèche, se racornit, & que la partie qui en est atteinte, au lieu de se corrompre, comme dans les gangrènes humides, se durcit. D’ailleurs, toutes les parties des animaux où la circulation est gênée, sont sujettes aux gangrènes sèches ; c’est ce que l’on observe dans les maladies qui proviennent de la putréfaction du sang.

L’indication générale qui se présente dans la cure de la gangrène sèche, consiste à prévenir le mal, à en arrêter les accidens, & à le guérir lorsqu’il est arrivé. On doit avoir recours aux médicamens indiqués pour le traitement des différentes maladies qui lui auroient donné naissance. M. BRA.