Cours d’agriculture (Rozier)/OBSTRUCTION

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 125-128).
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OBSTRUCTION. Médecine RURALE. Rétrécissement des vaisseaux qui forme un obstacle à la circulation des fluides sains ou morbifique.

On distingue l’obstruction par ces différens degrés. On l’appelle congestion, lorsqu’il n’y a qu’un léger gonflement & un amas d’humeurs dans la partie. Mais quand l’embarras est plus considérable, & qu’il séjourne dans les vaisseaux une humeur qui s’y épaissit, on lui donne alors le nom d’obstruction.

On distingue encore les obstructions selon la nature de l’humeur qui les produit. Quand c’est le sang qui obstrue les vaisseaux, il se forme alors des obstructions sanguines, ou pour mieux dire, il excite une inflammation. (Voyez ce mot) Quand la lymphe est embarrassée dans ses vaisseaux, ce sont des obstructions lymphatiques. Enfin, on distingue différentes obstructions selon les différens viscères qui sont affectés ; telles sont les obstructions au foie, à la rate, aux poumons, &c.

Il n’est pas toujours aisé de reconnoître au tact les obstructions, à moins qu’elles ne soient d’un volume assez considérable. La main la plus habile & la plus exercée s’y trompe le plus souvent ; mais un gonflement & une tension à la partie obstruée, une douleur vive & lancinante, jointe à un sentiment de pesanteur & de plénitude, sont les signes les plus ordinaires qui peuvent faire reconnoître les obstructions. Ceux qui en sont attaqués, maigrissent de jour en jour ; ils sentent diminuer leurs forces ; ils éprouvent des lassitudes spontanées : pour l’ordinaire, leur visage est pâle & quelquefois bouffi ; leurs urines sont crues & mal élaborées ; ils sont tourmentés par des vents & des rapports très-fréquents, immédiatement après le repas ; ils perdent l’appétit, le dégoût survient, & leur estomac s’affoiblit & digère mal les alimens qu’il reçoit. Les malades vomissent des glaires ; leur respiration devient pénible & laborieuse, Sf ils ne tardent pas à éprouver des palpitations de cœur qui sont toujours l’annonce d’une hydropisie commençante. Les causes qui peuvent occasionner les obstructions, sont ou prochaines ou éloignées.

Dans les premières, on doit admettre cette disproportion qu’il y a entre le volume du liquide & le diamètre du vaisseau. Les obstructions peuvent donc être causées par l’étroite capacité des vaisseaux, ou par la grandeur de la masse qui doit y passer, ou par le concours de ces deux causes.

Un vaisseau se rétrécit quand il est extérieurement comprimé par sa propre contraction, ou par l’épaississement de ses membranes. La masse des molle cules s’augmente par la viscosité du fluide, par le vice du lieu où il coule, & par ces deux causes à la fois, lorsque les causes de l’un & de l’autre mal concourent ensemble. Dans les causes éloignées, on doit comprendre tout ce qui peut épaissir les humeurs & resserrer le diamètre des vaisseaux, de même que les vives passions de l’ame, les chagrins, l’abus des liqueurs échauffantes, un exercice trop pénible & fatigant, l’excès dans les plaisirs de l’amour, la suppression des évacuations périodiques, l’exposition au trop grand froid, l’usage des acides trop forts, celui des alimens grossiers, des tumeurs voisines de la partie obstruée, celles qui se forment dans les membranes des vaisseaux, l’habitude de tenir les enfans dans des corps baleinés, des ligatures trop fortes, des bandages trop serrés & portés trop long-temps.

L’augmentation de la masse des humeurs & leur épaississement excitent aussi des obstructions. D’après cette observation, les personnes qui vivent dans un air épais & lourd, & qui habitent des pays marécageux, qui se nourrissent d’alimens grossiers, qui font peu d’exercice, qui se livrent trop au sommeil, sont très-exposées à cette maladie. Il est encore bon d’observer que la colère & tout ce qui affecte notre ame d’une manière très-vive, dissipe la partie liquide du sang & l’épaissit. Le chagrin & la tristesse, en condensant les liquides, les obstruent, & les liqueurs spiritueuses dessèchent les fibres & coagulent les liquides. Il ne faut pas perdre de vue la nature dans le traitement des obstructions. On doit apporter tous les soins possibles pour faciliter les évacuations salutaires par lesquelles elle guérit quelquefois. Elle excite de temps en temps des fièvres qui résolvent la matière des obstructions. Il seroit facile de conduire & mener à bonne fin cette fièvre, si la marche en étoit régulière & avoit un caractère périodique inflammatoire. Mais il est rare que dans des sujets cacochymes & attaqués d’obstruction, cette fièvre soit bien marquée, & que les mouvemens fébriles en opèrent la solution ; ce qui fait que la conduite de la fièvre irrégulière qui paroît, est très-difficile. Cependant il faut avoir égard à la fièvre quelconque qui peut survenir, dont la terminaison heureuse produit l’évacuation d’une partie des humeurs viciées. Il faut alors tâcher d’obtenir une curation partielle en donnant des alimens propres à corriger ces humeurs.

Il faut de plus, analyser la cause de la maladie & employer des méthodes de traitement relatives, 1°. au traitement extérieur de la partie obstruée ; 2°. à l’administration des remèdes résolutifs que l’on doit donner intérieurement pour combattre l’obstruction ; 3°. à ce qu’il faut faire à l’atonie de toute la constitution qui a excité l’obstruction.

1°. L’obstruction peut être formée par une fluxion vive qui se fixe sur un organe, ou bien par une congestion lente d’humeurs. Dans le premier cas, la saignée doit être pratiquée. Dans le second, on doit faire usage des topiques résolutifs sans aucun mélange d’astringens ni de toniques, & les combiner avec les émolliens. Sans cette précaution, ils pourroient beaucoup nuire, parce qu’ils procureroient l’évaporation de la partie la plus ténue, & il ne resteroit qu’une matière crasse qui rendroit l’obstruction incurable. Les émolliens les plus appropriés sont les fomentations avec l’eau chaude, les cataplasmes de mie de pain & l’eau de sureau. Il n’est pas de meilleur remède pour résoudre les obstructions, que les frictions douces & sèches ; elles rappellent le mouvement tonique, & peu à peu elles suscitent la vie dans ces parties obstruées. Whytt a guéri par ce moyen des tumeurs enkystées.

2°. On combattra l’obstruction intérieurement, en donnant des remèdes résolutifs, tels que la crème de tartre dans le suc des plantes apéritives ; le sel ammoniac dissous dans l’eau de chaux ; les eaux de balaruc qui guérissent les fièvres intermittentes & les flux excessifs des règles & des hémorroïdes, s’ils sont entretenus par les obstructions des viscères du bas-ventre. Ruffel, dans son Traité de tabe glandulosâ, vante beaucoup l’eau de mer. Whytt a observé que la vertu de cette eau n’étoit due qu’à son effet purgatif, & qu’elle étoit contraire à ceux qui avoient une grande soif, la fièvre, ou une disposition à l’avoir.

On peut employer les acides minéraux comme résolutifs salins, mais ils réussissent moins que les acides végétaux, tels que le vinaigre, le citron, &c. L’utilité des acides minéraux ne dépend point de leur effet direct, qui est de produire la coagulation des humeurs, mais de leur effet indirect, qui est de stimuler, par leur qualité saline, la partie obstruée qui se débarrasse à son tour de la matière obstruant par le ton qu’elle recouvre.

Le sel de tartre est un des plus puissans résolutifs, mais il ne convient pas aux sujets irritables, ni quand il y a acrimonie des humeurs. Il est très-approprié lorsque la bile est sans force & sans activité comme dans les tempéramens pituiteux. Le savon blanc est encore un bon remède. On l’a vu résoudre des tumeurs glanduleuses, donné jusqu’à une once par jour. Il n’a pas l’inconvénient des fondans mercuriels qui font quelquefois dégénérer les obstructions en squirrhe ou en cancer. Les fruits bien mûrs sont de bons fondans par leur qualité savonneuse, pourvu qu’ils ne causent pas de vents, que l’estomac & les intestins ne soient point affaiblis.

3°. Dans les obstructions qui reconnoissent pour cause le trop grand exercice ou excès d’activité, on donnera des tempérans, des adoucissans, des bains. Dans l’engorgement des viscères du bas-ventre avec intempérie chaude, il faut employer des absorbans combinés avec les délayans. Alexandre de Trales a guéri des obstructions causées par chaleur, avec des bains d’huile. Dans les obstructions formées à la suite d’une vie languissante, on doit tâcher de remonter les organes à un degré nécessaire. Pour cet effet, on se servira des irritans & excitans, tels que la gomme ammoniac, la gomme arabique & le fer. Trales faisoit faire des onctions avec l’huile de nard, & donnoit des alimens bien assaisonnés. Baglivi vante les amers comme le meilleur remède dans le cas d’atonie, & sur-tout la rhubarbe avec l’anis, l’exercice & les martiaux, lorsque les viscères sont dans un bon état.

Tissot dit qu’une partie qui a été obstruée, reste toujours foible & dans un état d’atonie après la fusion des humeurs obstruantes, & que, si on ne la fortifie, l’obstruction se renouvelle. Il vaut donc mieux employer un régime tonique que des médicamens de cette même nature.

Souvent les obstructions sont si opiniâtres, qu’elles résistent à tous les résolutifs dont nous venons de parler ; alors il faut avoir recours aux remèdes que l’on regarde comme spécifiques. Bien plus, dans les sujets irritables, les résolutifs peuvent faire dégénérer l’obstruction en cancer : ce qui prouve qu’il faut s’en abstenir dans le squirrhe confirmé. Il faut alors prescrire les antispasmodiques vénéneux, tels que la ciguë. Linné vante beaucoup les baies dephytolacca, sur-tout dans les glandes de l’estomac & dans l’obstruction du pylore qui cause le vomissement continuel. Whytt l’a vu réussir en pareil cas : Foterguil veut qu’on donne la ciguë sous forme d’extrait, & à très-petite dose, sur-tout en commençant, parce qu’elle cause le vertige & un mouvement dans les yeux comme s’ils étoient poussés en dehors, & quelquefois une agitation & un tremblement dans tout le corps. Quand la ciguë fait pousser deux ou trois selles par jour en forme de dévoiement, il faut alors insister quelque temps sur la même dose, & ensuite l’augmenter peu à peu. Nous finirons par faire observer, sur l’usage des résolutifs en général, qu’on connoît leurs bons effets, lorsqu’ils causent une légère chaleur, des évacuations médiocres, une fonte légère des humeurs. Il faut alors aider le travail de la nature qui tend à la même fin, c’est-à-dire, rendre les humeurs mobiles ; mais il ne faut pas que l’usage des résolutifs soit poussé trop loin. Il est à craindre qu’ils n’enlèvent le mucus qui lubréfie la tunique interne des vaisseaux qui sont irrités par les humeurs, quoiqu’ils n’aient souffert aucune dégénération, ou bien qu’ils ne produisent une dégénération glaireuse de la masse des humeurs qui s’échappent par tous les couloirs. Et comme on ne peut pas prévoir les progrès de cette colliquation qui conduit à la consomption, il faut suspendre l’usage des résolutifs, ou les entremêler avec les toniques & les analeptiques, lorsqu’ils commencent à produire de pareils effets. M. AMI.