Cours d’agriculture (Rozier)/FARCIN

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 435-439).
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FARCIN, Médecine vétérinaire. C’est une maladie cutanée, à laquelle les chevaux de rivière sont forts sujets. Elle se manifeste toujours par une éruption de boutons ; les uns se répandent indistinctement sur toutes les parties quelconques du corps du cheval ; d’autres n’occupent que le dessous du ventre, ou le dos, & ne sont répandus qu’en petit nombre sur l’encolure & sur la tête ; leur volume n’est pas considérable, ils abcèdent quelquefois ; les uns se dessèchent & s’évanouissent, d’autres se reproduisent & reparoissent ; il en est qui sont si rapprochés, qu’ils offrent des espèces de tumeurs prolongées, fortement adhérentes & immobiles, avec des éminences très-dures à leurs extrémités & dans leur milieu : lorsqu’elles suppurent, elles fournissent une matière blanchâtre & bourbeuse.

Souvent aussi ces mêmes tumeurs prolongées suivent & accompagnent exactement quelques-unes des principales ramifications veineuses, telles que les jugulaires, les axillaires, les maxillaires, les numérales, les céphaliques, les aurales, les saphènes ; & des sortes de nœuds qui coupent, d’espace en espace, ces espèces de cordes, dégénérant en ulcères, dont les bords calleux semblent se resserrer & se retenir, donnent un pus ichoreux, sanieux & fétide.

Il arrive encore que les ulcères farcineux tiennent de la nature des ulcères vermineux, des ulcères secs, des ulcères chancreux ; & c’est ce que nous remarquons principalement dans ceux qui résultent de l’éclat des boutons qui surviennent d’abord près du talon ou sur le derrière du boulet, dans les extrémités postérieures. Ces extrémités exhalent d’abord une odeur insupportable ; elles deviennent ordinairement d’un volume monstrueux, & sont en quel que façon éléphantiasées.

Enfin, les symptômes sont quelquefois unis à l’engorgement des glandes maxillaires & sublinguales, à un flux par les naseaux, d’une matière jaunâtre, verdâtre, sanguinolente, & très-différente de celle qui s’écoule par la même voie, à l’occasion de quelques boutons élevés dans les cavités nasales, & d’une légère inflammation dans la membrane pituitaire ; à une grande foiblesse, au marasme & à tous les signes qui indiquent un dépérissement total & prochain.

C’est, sans doute, à toutes ces variations & à toutes ces différences sensibles, que nous devons cette foule de noms imaginés pour désigner plusieurs sortes de farcin, tels que le volant, le cordé, le cul-de-poule, le chancreux, l’intérieur, le taupin, le bifurque, &c. ; elles ont aussi suggéré le pronostic que l’on a porté relativement au farcin qui attaque la tête, les épaules, le dos, le poitrail, & qui a paru très-facile à vaincre, tandis que celui qui occupe le train de derrière, qui présente un appareil d’ulcères sordides, a été déclaré très-rebelle, & même incurable, lorsqu’il est accompagné d’écoulement par les naseaux.

Les causes évidentes de cette maladie, sont des exercices trop violens dans les grandes chaleurs, une nourriture trop abondante donnée à des chevaux maigres & échauffés, ou qui ne font que très-peu d’exercice ; des alimens tels que le foin nouveau, l’avoine nouvelle, le foin rasé, une quantité considérable de grains, l’impression d’un air froid, humide, chargé de vapeurs nuisibles ; l’obstruction, le resserrement des pores cutanés, &c. tout ce qui peut accumuler dans les premières voies des crudités acides, salines & visqueuses, changer l’état du sang, y porter de nouvelles particules hétérogènes, peu propres à s’assimiler & à se dépurer dans les couloirs & dont l’abord continuel & successif augmentera de plus en plus l’épaississement, l’acrimonie & la dépravation des humeurs. Tout ce qui embarrassera la circulation, tout ce qui soulèvera la masse, tout ce qui influera sur le ton de la peau & s’opposera à l’excrétion de la matière respirable, sera donc capable de produire tous les phénomènes dont nous avons parlé, selon le degré d’épaississement & d’acrimonie ; ils seront plus ou moins effrayans. Des boutons simplement épars çà & là, ou rassemblés sur une partie des tumeurs prolongées qui ne s’étendront pas considérablement, une suppuration louable, caractériseront le farcin bénin ; mais des tumeurs suivies, résultantes du plus grand engorgement des canaux lymphatiques des duretés très-éminentes qui marqueront, pour ainsi dire, chacun des nœuds ou chacune des dilatations valvulaires de ces mêmes vaisseaux, & dont la terminaison annoncera des sucs extrêmement âcres, plus ou moins difficiles à délayer, à corriger, à emporter, désigneront un farcin dont la malignité est redoutable, & qui provoque, s’il n’est arrêté dans ses progrès, & si l’on ne remédie à la perversion primitive, la ténacité, la viscosité, la coagulation de toute la masse du sang & des humeurs, l’anéantissement du principe spiritueux, des sucs vitaux, l’impossibilité des sécrétions & des excrétions salutaires, & conduira inévitablement l’animal à la mort.

La preuve de la corruption putride des liqueurs se tire non-seulement de tous les ravages dont un farcin, sur-tout de ce genre & de ce caractère, nous rend les témoins, mais de sa fétidité & de la facilité avec laquelle il se répand d’un corps à l’autre, de proche en proche, par l’attouchement immédiat, & même quelquefois à une certaine distance ; aussi, le danger de cette communication fait qu’on le place au nombre des maladies épizootiques, toutes les fois qu’un certain nombre de chevaux d’un même endroit en sont attaqués en même temps, (voyez Épizootie) & qu’on éloigne le cheval qui est atteint d’un farcin qui a de la malignité, & qu’on le sépare de ceux qui sont sains ; & la crainte d’une reproduction continuelle du levain dans un cheval qui auroit la faculté de lécher lui-même la matière ichoreuse, sordide, sanieuse, corrosive, qui échappe de ces ulcères, nous oblige à profiter des moyens que nous offre le chapelet pour l’en priver. Nous appelons de ce nom, l’assemblage de plusieurs bâtons taillés en forme d’échelon, à peu-près également espacés, parallèles entr’eux dans le sens de la longueur de l’encolure & attachés à chacune de leurs extrémités, au moyen d’une corde & des encoches faites pour affermir la ligature ; nous les plaçons & les fixons sur le cou de l’animal, de manière qu’en contre-buttant du poitrail & des épaules à la mâchoire, il s’oppose aux mouvemens de flexion de cette partie.

Quant au traitement de cette maladie, dont on ne donne ici que des idées très-générales, on doit se proposer d’atténuer, d’inciser, de fondre les humeurs tenaces & visqueuses, de les délayer, de les évacuer, d’adoucir leurs sels, de corriger leur acrimonie, de faciliter la circulation des fluides dans les vaisseaux les plus déliés. &c. On débutera par la saignée, on tiendra l’animal à un régime très-doux, au son, à l’eau blanchie ; on lui administrera des lavemens émolliens, des breuvages purgatifs, dans lesquels on n’oubliera point de faire entrer l’aquila alba : quelques diaphorétiques, à l’usage desquels on le mettra, achèveront de dissiper les boutons & les tumeurs qui le montrent dans le farcin bénin, & d’amener à un dessèchement total ceux qui auront suppuré.

Le farcin invétéré & malin est infiniment plus opiniâtre ; il importe alors de multiplier les saignées, les lavemens émolliens ; de mêler à la boisson ordinaire de l’animal, quelques pintes d’une décoction de mauve, guimauve, pariétaire, & d’humecter le son qu’on lui donne, avec une tisane apéritive, rafraîchissante, faite avec les racines de patience, d’aunée, de scorsonère, de bardane, de fraisier, & de chicorée sauvahe ; de le maintenir longtemps à ce régime ; de ne pas recourir trop tôt à des évacuans capables d’irriter encore davantage les solides, d’agiter la masse, & d’augmenter l’âcreté ; de faire succéder aux purgatifs administrés, les délayans & les relâchans qui les auront précédés ; de ne pas réitérer coup sur coup ces purgatifs, d’ordonner avant de les prescrire, une saignée selon le besoin, ensuite de ces évacuations dont le nombre doit être fixé par les circonstances ; & après le régime humectant & rafraîchissant observé pendant un certain intervalle de temps, on prescrira la tisane des bois, & on en mouillera tous les matins le son que l’on donnera à l’animal : si les boutons ne s’éteignent point, si les tumeurs prolongées ont la même adhérence & la même immobilité, on recourra de nouveau à la saignée, aux lavemens, aux purgatifs, pour en revenir à propos à la même tisane, & pour passer de-là aux préparations mercurielles, telles que l’éthiops minéral, le cinabre, &c. dont l’énergie & la vertu sont sensibles dans toutes les maladies cutanées.

Tous ces remèdes intérieurs sont d’une merveilleuse efficacité, & opèrent le plus souvent la guérison de l’animal, lorsqu’ils sont administrés selon l’art & avec méthode ; on est néanmoins quelquefois obligé d’employer des médicamens externes ; les plus convenables, dans le cas de la dureté & de l’immobilité des tumeurs, sont d’abord l’onguent d’althéa ; &, s’il y a des boutons qui ne viennent point à suppuration & que l’animal ait été suffisamment évacué, on pourra, en usant de la plus grande circonspection, les frotter légèrement avec l’onguent napolitain.

Les lotions adoucissantes, faites avec les décoctions de plantes mucilagineuses, sont indiquées dans les circonstances d’une suppuration que l’on aidera par des remèdes onctueux & résineux, tels que l’onguent de basilicum & d’althéa, & l’on aura attention de s’abstenir de tous remèdes dessicatifs lorsqu’il y aura dureté, inflammation, & que la suppuration sera considérable : on pourra, quand la partie sera exactement dégorgée, laver les ulcères avec du vin chaud, dans lequel on délayera du miel commun.

Des ulcères du genre de ceux que nous nommons vermineux, demanderont un liniment fait avec de l’onguent napolitain, à la dose d’une once, le baume d’arceus à la dose de demi-once ; le staphisaigre & l’aloès succotrin, à la dose d’une drachme ; la myrrhe, à la dose d’une demi-drachme ; le tout dans suffisante quantité d’huile d’absinthe ; ce liniment est non-seulement capable de détruire les vers, mais de détergera : de fondre les callosités, & l’on y ajoutera le baume de Fioraventi, si l’ulcère est véritablement disposé à la corruption.

L’alun calciné, mêlé avec de l’ægyptiac, ou d’autres cathérétiques, seront mis en usage, s’il y a des ulcères qui tiennent du caractère des ulcères chanceux ; on pourra même employer le cautère actuel, mais avec prudence, & quant à l’écoulement par les naseaux, de quelque cause qu’il provienne, on poussera plusieurs fois par jour, dans les cavités nasales, une injection faite avec de l’eau commune, dans laquelle on aura fait bouillir légèrement de l’orge en grain & dissoudre du miel.

Il est encore très-utile de garantir les jambes éléphantiasées des impressions de l’air ; & l’on doit d’autant moins s’en dispenser, qu’il n’est pas difficile d’assujettir sur cette partie, un linge grossier propre à la couvrir.

J’ai observé très-souvent, au moment de la dissipation de tous les symptômes du farcin, une suppuration dans les pieds de l’animal & quelquefois dans les quatre pieds ensemble : on doit alors faire ouverture à l’endroit d’où elle semble partir, y jeter, lorsque le mal est à découverts de la teinture de myrrhe & d’aloès, & y placer des plumaceaux mouillés & baignés de cette même teinture. J’ai remarqué encore plusieurs fois dans l’intérieur de l’ongle, entre la sole & les parties qu’elle nous dérobe, un vide considérable annoncé par le son que rend le sabot, lorsqu’on le heurte ; j’ai rempli cette cavité, de l’existence de laquelle je me suis assuré, lorsqu’elle n’a pas été une suite de la suppuration, par le moyen du boutoir, avec des bourdon nets chargés d’un digestif, dans lequel j’ai fait entrer l’huile d’hypéricum, la térébenthine en résine, les jaunes d’œufs & une suffisante quantité d’eau-de-vie.

Personne n’ignore, au surplus, l’utilité de la poudre de vipère, par laquelle on doit terminer la cure de la maladie qui fait l’objet de cet article ; & comme on ne peut douter des salutaires effets d’un exercice modéré, il est impossible qu’on ne se rende pas à la nécessité d’y solliciter régulièrement l’animal pendant le traitement, & lorsque le virus montrera moins d’activité.

Il ne faut de plus mettre le cheval guéri du farcin à sa nourriture & à son régime ordinaire, que peu-à peu, & que dans la circonstance d’un rétablissement entier & parfait. M. BRA.