Augustin d’Hippone/Sermons sur les fêtes de l’année


SERMONS SUR LES FÊTES DE L’ANNÉE.
DIX-NEUVIÈME SERMON.

SUR L’AVÈNEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR. I[1] modifier

ANALYSE. —1. Le Christ est notre guide. —2. Parfait accomplissement des prophéties.—3. Prenons garde d’être surpris faute de précautions, comme les hommes du temps de Noé. —4. Ne nous attachons ni aux biens ni aux choses de la terre. —5. Pourtant, les riches peuvent se sauver. —6. Le pauvre méchant et le bon riche. —7. Personne ne doit murmurer des maux du temps. —8. Ils sont destinés à nous rendre meilleurs. —9. Dès lors que Dieu nous aura souvent avertis, nous ne serons plus admis à nous disculper. —10. Épilogue moral.

1. Mes frères, nous sommes chrétiens, et, tous, nous voulons fournir notre carrière ; lors même que nous ne le voudrions pas, nous marchons. Impossible, pour n’importe qui, de s’arrêter ici-bas et d’y rester. Quiconque vient en ce monde doit nécessairement passer, emporté par la rapidité du temps. Par conséquent, point de paresse. Marelle, si tu ne veux pas qu’on te traîne. Deux chemins s’ouvrent devant nous : à leur point d’intersection se présente un homme ; je me trompe, ce n’est pas un homme, mais c’est un Dieu qui s’est fait homme pour sauver les hommes ; et il nous dit : N’allez pas à gauche. La voie y semble facile, unie, plaisante à parcourir, frayée par une foule de voyageurs, extrêmement large, mais elle aboutit à des abîmes où l’on trouve la mort. Le chemin de droite impose des efforts et de la fatigue : on y rencontre des obstacles, des pièges, un terrain rocailleux ; non-seulement, on n’y goûte aucun plaisir, mais c’est à peine si la pauvre humanité suffit à en supporter les dégoûts, tant la marche y est difficile : néanmoins, l’épreuve est de courte durée, et quand vous en serez sortis, vous trouverez, au point culminant de votre course, des joies ineffables, et vous n’aurez plus à craindre ces piéger dangereux qu’il est presque impossible d’éviter.

2. Rappelons-nous les événements du passé, souvenons-nous aussi de ce qu’ont annoncé les Écritures. Cet homme est-il le Verbe de Dieu ? « Le Verbe » de Dieu « s’est-il fait chair » dans le temps, « et a-t-il habité parmi nous ? » Avant qu’il se fît chair et qu’il habitât parmi nous, ce Verbe a-t-il parlé par l’organe des Prophètes ? Évidemment, Dieu a parlé à Abraham par son Verbe ; il lui a prédit que ses descendants voyageraient sur une terre étrangère, et, pourtant, à ce moment-là, Abraham était avancé en âge, et Sara était vieille et stérile. Les deux vieillards crurent à cette prédiction, et elle s’accomplit. Leur race, c’est-à-dire le peuple issu d’eux selon la chair, devait rester comme esclave en Égypte pendant quatre cents ans : elle y est restée. Elle devait être délivrée de cette captivité elle en : a été délivrée. Elle devait entrer en jouissance de la terre promise : elle y est entrée. Des événements ont été prédits pour des temps singulièrement reculés et pour des époques peu lointaines ; ces événements se sont réalisés : nous voyons même, aujourd’hui, s’en opérer l’accomplissement. La parole du Seigneur s’est fait entendre par des prophètes. Elle a annoncé que la nation juive offenserait Dieu et qu’elle tomberait au pouvoir de ses ennemis en punition de ses crimes ; c’est ce qui est arrivé ; qu’elle serait emmenée captive à Babylone : cela s’est vérifié ; que le Christ-Roi sortirait de son sein ; or, le Christ est venu, et il est né ; rien d’étonnant en cela, puisque c’était la Parole elle-même qui avait annoncé d’avance son propre avènement. Il a été prédit que les Juifs crucifieraient le Christ : ils l’ont crucifié ; qu’il ressusciterait et serait glorifié : c’est fait, il est sorti vivant du tombeau, et monté au ciel ; que toute la terre croirait en son nom, et que les rois persécuteraient son Église : rien de plus réel ; que les princes croiraient aussi en lui : notre foi se trouve être déjà celle des rois, et nous élevons encore des doutes sur la foi chrétienne ? Il a été prédit que des hérétiques seraient retranchés de l’Église ; ne voyons-nous pas, de nos jours, des hérésies ? Ne gémissons-nous pas à les entendre hurler tout autour de nous ? Les Prophètes ont dit que les idoles disparaîtraient sous les efforts de l’Église et l’influence exercée par le nom du Christ ; qu’il y aurait, dans la société des fidèles, des scandales, de la zizanie, de la paille : n’est-ce pas là ce que nous voyons de nos yeux ? n’est-ce pas là ce que nous endurons avec le plus de courage possible, avec la force d’âme que nous communique le Seigneur ? En quoi as-tu été trompé par celui qui t’a prédit tous ces événements ? Fie-toi donc à sa parole, si tu es fidèle ; marche à droite. Avec les preuves convaincantes que me donne celui qui te parle, d’après la réalisation de ses paroles, j’apprends à le connaître, puisque c’est ainsi qu’il a daigné se faire connaître à moi. Si tout ce qu’il me dit est absolument vrai, il ne m’induit pas en erreur or, tous les événements qu’il me prédit, je les reconnais comme incontestables : il ne m’a imposé en rien : je le reconnais pour la Parole de Dieu. Quand il m’a parlé par la bouche de ses serviteurs, il ne m’a pas trompé, et lorsqu’il me parle par sa propre bouche, il me tromperait ? Pour celui qui ne connaît pas encore le Christ, et qui doute de lui, il doit se dire aussi : J’irai à droite, car, enfin, le monde tout entier croit déjà en lui, et il dit peut être la vérité.

3. Mes frères, il yen a beaucoup pour ne pas croire et ne pas écouter les oracles des saints Pères : il en sera d’eux comme de la multitude qui vivait au temps de Noé. Il n’y eut alors de sauvés que ceux qui se trouvèrent dans l’arche. Si les malheureux pécheurs avaient pris la peine de réfléchir, s’ils avaient abandonné leurs voies impies et s’étaient convertis à notre Dieu, s’ils avaient cherché à réparer leurs fautes et imploré sa miséricorde, il est sûr qu’ils n’auraient point péri. Dieu, en effet, ne s’est pas montré dur à l’égard des Ninivites ; il leur a suffi de trois jours pour obtenir leur pardon. Trois jours ne sont-ils pas bientôt écoulés ? Néanmoins, avec un laps de temps si court, ils n’ont pas désespéré de la bonté divine ; ils se sont bâtés de fléchir sa clémence. S’il a suffi d’un espace de trois jours à cette ville immense pour obtenir le pardon du Très-Haut, les hommes du temps du déluge n’auraient-ils pas eu assez de cent, deux cents et trois cents ans employés à la construction de l’arche ? Si, depuis que le Christ a commencé à couper, dans la forêt des nations, les bois incorruptibles qui devaient entrer dans l’édification de son Église, les hommes incrédules avaient changé de voie et de mœurs, s’ils avaient offert à Dieu le sacrifice propitiatoire d’un cœur contrit et humilié, ils auraient eu la certitude d’échapper, sains et saufs, aux coups de la colère divine. Que les hommes craignent donc qu’il en soit d’eux au dernier jour, comme il en a été des contemporains de Noé. Pour nous, mes frères, agissons de telle sorte, que nous quittions le chemin de l’iniquité et que nous amendions nos mœurs : profitons du temps qui nous est accordé ; c’est ainsi que le dernier jour nous trouvera prêts. Celui qui nous annonce son avènement futur n’a jamais proféré le mensonge ; ne reste pas dans le doute à cet égard : son avènement aura lieu. Aux jours de Noé, voici ce qui se passait : « Ils mangeaient et ils buvaient : les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris ; ils achetaient et ils vendaient, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et le déluge vint et perdit tous » ceux dont les espérances se bornaient à ce bas-monde, et qui désiraient y vivre tranquilles. Mais ce n’était pas dans le monde que se trouvait la sécurité ; aussi ceux-là seuls furent-ils sauvés, qui se trouvèrent dans l’arche.

4. Mais beaucoup se disent : On nous ordonne de nous préparer au dernier jour, de ne pas nous laisser surprendre par lui, comme ont été surpris hors de l’arche ceux que le déluge a jadis engloutis. La trompette de l’Évangile nous glace d’épouvante, le Verbe divin nous fait trembler. Que faire ? Je ne pourrai donc point prendre femme, dit un jeune homme ? Il ne m’est donc pas permis de boire et de manger, ajoute un adolescent ? Faudra-t-il toujours jeûner ? Ainsi raisonnent beaucoup de gens. D’autres, qui voulaient peut-être faire des acquisitions, se diront : Il ne faut rien acheter, pour ne pas être du nombre de ceux qui ont péri dans les eaux du déluge. Que faire donc, mes frères ? Gémir comme les Apôtres ont gémi sur le sort fait au genre humain, quand le Sauveur a dit en leur présence : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi ? »[2] Celui, à qui s’adressaient ces paroles, en devint chagrin et s’éloigna : quand il demandait au Christ comment il pourrait acquérir la vie éternelle, il ni donnait le nom de bon Maître ; mais Jésus ne fut à ses yeux un bon Maître que jusqu’au moment où, répondant à sa question, il lui dit ce que dessus. « Le Seigneur parla, et le riche devint triste[3]». Et comme il s’en allait, le chagrin dans le cœur, le Christ lui dit : « Qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux[4]» Comme si le royaume des cieux était fermé pour les riches. Que faire ? Il est fermé. Mais Jésus a dit : Frappez, et l’on vous ouvrira. Ah ! plaise à Dieu que ceux qui iront au feu éternel soient en aussi petit nombre que les riches ! Mais il est sûr que beaucoup d’entre les riches entreront dans le royaume des cieux, et que beaucoup d’entre les pauvres seront précipités en enfer, non pour avoir été réellement riches, mais pour avoir brûlé du désir de l’être.

5. Les Apôtres étaient donc contristés ; le Sauveur leur dit : « Ce qui est difficile pour des hommes est facile pour Dieu[5] ». La difficulté d’aller au ciel vous paraît insurmontable, parce que le Seigneur a parlé d’un chameau[6]. Si elle le veut, cette énorme bête qu’on appelle chameau entre ici dans le trou d’une aiguille. Il a daigné nous parler ainsi, et un riche peut entrer dans le royaume des cieux, parce qu’à cause de lui un chameau a passé par le trou d’une aiguille. Qu’est-ce à dire ! Voyons si nous pourrons le comprendre. Ce n’est évidemment pas sans motif que Jean. Baptiste, précurseur du Christ, portait une tunique faite de poils de chameau ; il semblait tenir son vêtement de ce Juge à venir auquel il rendait témoignage. Puisque le nom du chameau a été prononcé, voyons-y l’emblème de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Regardons cet animal si grand et si docile tout à la fois, que personne ne pourrait charger, s’il ne s’abaissait lui-même jusqu’à terre : c’est ainsi qu’a fait le Christ : « Il s’est humilié lui-même jusqu’à la mort[7]», « afin de détruire celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le démon[8]». Examinons encore le trou de l’aiguille, où ce Maître du monde a passé. L’aiguille qui perce l’étoffe symbolise les souffrances qu’il a endurées, et le trou de l’aiguille représente ses tourments. Par conséquent, un chameau a passé par le trou d’une aiguille ; d’où il suit que les riches ne doivent nullement désespérer de leur avenir, et qu’ils peuvent, sûrement, entrer dans le royaume des cieux.

6. Mais de quels riches parlons-nous ? C’est ce qu’il s’agit de savoir. Quelqu’un (je ne sais qui) se trouve n’avoir, pour vêtement, que des haillons ; quand il a entendu dire qu’un riche ne peut entrer dans le royaume des cieux, il a tressailli de joie, s’est mis à rire, et a dit : Moi, j’y entrerai ; mes haillons m’y donnent droit. Ils n’y entreront pas ces hommes qui nous font tort et nous pressurent. Oh1 sois-en sûr, de telles gens n’y seront pas admis. Mais, toi, qui es pauvre, vois si tu y auras toi-même une place. À quoi te servira ta pauvreté, si tu es cupide ? A quoi te servira d’être éprouvé par l’indigence, si tu brûles du feu de l’avarice ? Qui que tu sois, ô pauvre, si tu es indigent, c’est malgré toi ; et si tu n’es pas riche, c’est que tu n’as pu le devenir. Dieu ne regarde pas tant à tes facultés qu’à tes désirs. Si ta conduite est mauvaise, si tes mœurs sont dépravées, si tu es un blasphémateur, un adultère, un ivrogne, retire-toi, car tu n’es pas un pauvre de Dieu jamais on ne te verra parmi ceux dont il a été dit : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux[9] ». Mais voilà que je rencontre un riche ; en te comparant à lui, tu as cru que tu lui étais préférable, et tu n’as pas craint d’aspirer à son exclusion du royaume des cieux ! En lui je vois un pauvre d’esprit, c’est-à-dire un homme humble, pieux, de mœurs pures, ennemi du blasphème, soumis à la volonté de Dieu ; s’il vient à souffrir du dommage en quelqu’un des biens qu’il possède ici-bas, aussitôt il s’écrie : « Dieu a donné, Dieu a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles[10] ». Voilà donc un riche doux, humble, qui ne résiste point, qui ne murmure pas, qui observe les lois divines, et dont l’espérance d’entrer dans la terre des vivants fait tout le bonheur ; car, « bienheureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre[11] ». Pour toi, qui es pauvre, tu es peut-être non moins orgueilleux. Le riche qui est humble, je le loue ; est-ce que je ne : loue point le pauvre qui possède l’humilité ? Le pauvre n’a rien qui puisse lui inspirer de l’orgueil : le riche, au contraire, a mille sujets de lutter contre le mal ; celui-ci, oui, le riche entrera, plutôt que toi, dans le ciel, et le royaume céleste sera fermé pour toi, parce qu’il sera fermé pour les impies, pour les orgueilleux, pour les blasphémateurs, pour les adultères, pour les ivrognes, pour les avares. Quiconque croit aux promesses du Christ, possède les titres d’une solide créance. Le riche humble, humain, fidèle, a répondu ceci : Dieu sait que je ne suis pas orgueilleux ; s’il m’arrive de crier, de parler durement, Dieu connaît mes intentions ; je ne profère de tels discours que par nécessité et pour me faire obéir ; mais jamais je ne me croirai, pour cela, au-dessus des autres. Dieu voit ce que je pense et, aussi, ce que je fais. Car les riches amis des bonnes œuvres donnent facilement et partagent avec ceux qui n’ont pas. L’humilité se montre à être riche et humble en même temps. Tu te montres bon et charitable ; et, par là même, tu te prépares une fondation solide pour l’avenir, tu le ménages d’incontestables droits pour la vraie et heureuse vie ; si tels sont les riches, qu’ils soient tranquilles pour le temps où viendra le dernier jour. Qu’on les trouve dans l’arche, et ils entreront dans l’édifice de la Jérusalem céleste. Le déluge ne sera point pour eux ; que leur qualité de riches ne leur inspire aucune crainte. Si, maintenant, il est question d’un jeune homme qui ne se sente pas de force à garder la continence, il peut se marier ; mais parce que « le temps est court, il faut que ceux mêmes, qui ont des femmes, soient comme s’ils n’en avaient point ; ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point ; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point ; ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point ; car la figure de ce monde passe[12] ».

7. Mes frères, j’entends quelqu’un murmurer contre Dieu : Les mauvais moments, dit-il ! que les temps sont durs ! quelle époque difficile à traverser ! Hé quoi ! on donne des spectacles et l’on ose dire que les temps sont durs ! O homme qui ne te corriges point, n’es-tu pas mille fois plus dur que le temps où nous vivons ? Quelle aveugle folie entraîne encore au luxe ! Comme on soupire après la vanité ! Comme la cupidité reste toujours insatiable ! Aussi, que de maladies de l’âme sortent de tout cela ! Quel redoublement de luxure occasionné par les théâtres, la musique, les jeux de flûte, les danses des acteurs ! Tu veux faire un mauvais usage de ce que tu désires ? Alors, tu n’obtiendras rien. Écoute l’Apôtre, voici ce qu’il dit : « Vous désirez sans fin, et vous n’obtenez rien ; vous tuez et vous portez envie ; vous disputez, vous faites la guerre, vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, ne cherchant qu’à satisfaire vos passions[13] ». Guérissons-nous, mes frères, corrigeons-nous. Le juge viendra, et parce qu’il ne vient pas encore, on se moque de lui : il viendra, et alors il ne sera plus temps de s’en moquer. Mes frères bien-aimés, corrigeons-nous, car des temps meilleurs surviendront, mais ce ne sera point pour ceux qui vivent mal. Déjà le monde décline et tourne à la décrépitude. Reviendrons-nous à la jeunesse ? Qu’avons-nous à espérer maintenant ? Ne cherchons plus rien désormais. N’espérez plus d’autres temps que ceux dont nous parle l’Évangile. Ils ne sont point mauvais en raison de la venue du Christ ; mais parce qu’ils étaient durs et difficiles, le Christ est venu pour nous consoler.

8. Écoutez, mes frères : les temps devaient être nécessairement durs et mauvais : que ferions-nous donc, si le grand Consolateur n’était venu nous visiter ? Depuis Adam, le genre humain était gravement malade : il doit l’être jusqu’à la consommation des siècles. Du moment que nous sommes venus en ce monde et que nous avons été chassés du paradis, il y a évidemment maladie ici-bas ; mais à la fin, cette maladie devait empirer à tel point qu’elle pouvait amener une crise favorable pour les uns, et, pour plusieurs, se terminer par la mort. Le genre humain était donc malade, aussi le médecin par excellence s’est-il approché de lui et l’a-t-il trouvé couché dans un lit immense, c’est-à-dire dans le monde entier. Un homme de l’art, gui s’y entend, tonnait les diverses phases de la maladie ; il fait ses remarques, il prévoit ce qui arrivera, et, quand le mal n’en est encore qu’à son début, il se contente d’envoyer, auprès de l’infirme, ses serviteurs ; ainsi notre médecin a-t-il agi à notre égard : il a, d’abord, confié à ses Prophètes la mission de nous visiter. Ces hommes ont parlé, prêché, et, par leur intermédiaire, Dieu a porté remède à une partie de nos maux, et les a guéris. Les Prophètes ont prédit une recrudescence du mal, qui devait le porter à son comble, et une grande agitation du malade ; en conséquence, ils ont déclaré que la visite dit médecin lui-même était devenue indispensable, qu’il fallait le faire venir. C’est ce qui a eu lieu, car le Seigneur a dit : Celui qui croit en moi, je le rétablirai, je le sauverai, je le blesserai et le guérirai[14] ». Il est venu, il s’est fait homme, il est entré en partage de notre condition mortelle, afin que nous puissions devenir participants de son immortalité. Le malade est encore agité ; lorsque, dans les ardeurs de la fièvre, sa respiration devient courte, et qu’il brûle intérieurement, il s’écrie : C’est depuis que ce médecin est venu, que les accès de fièvre sont devenus plus violents ; je me sens plus cruellement tourmenté : c’est un feu intolérable. D’où m’est-il venu ? Il n’est pas entré pour mon bien dans ma maison. Ainsi parlent tous ceux qui sont attaqués de vanité. Pourquoi la vanité les rend-elle malades ? C’est qu’ils ne consentent pas à recevoir de la main du Christ la potion de la sobriété. Dieu a vu les hommes s’agiter misérablement sous l’étreinte de leurs désirs et dans les divers soins de ce monde qui tuent leur âme ; alors il s’est approché d’eux comme un médecin, pour apporter un remède à leurs maux ; et ils ne craignent pas de dire : C’est du moment où le Christ est venu, que nous avons eu de pareils maux à supporter ; c’est depuis qu’il y a des chrétiens, que le monde décline en toutes choses. Malade insensé ! Non, ce n’est pas à cause de la visite du médecin que ton mal a empiré ! Ce médecin est bon, charitable, juste, miséricordieux ; il a prévu ta maladie, mais il n’en est pas l’auteur. Il s’est approché de toi pour te consoler, pour te rendre vraiment sain. Que t’enlève-t-il ? Rien, que le superflu. Tu soupirais après des choses nuisibles : c’était là le seul objet de tes désirs. Tout ce que tu demandais ne pouvait qu’augmenter ta fièvre. Un médecin est-il cruel, pour arracher des mains d’un malade des fruits capables de lui faire du mal ! Qu’est-ce que le Christ t’a arraché ? La fausse sécurité que tu voulais prendre, rien de plus : corrige tes goûts dépravés. Ce qui te fait gémir et murmurer, voilà ce qu’il te destine comme remède à tes maux. Prends-y garde ; si tu ne veux pas qu’il te guérisse, tu souffriras malgré toi. Il faut que les temps soient durs : pourquoi ? Pour qu’on ne recherche pas le bonheur de ce monde. Il faut, et c’est là notre véritable remède, il faut que cette vie-ci soit agitée, pour qu’on s’attache à l’autre vie. Comment ? On se complaît encore si nonchalamment dans la possession des biens de la terre et dans la fréquentation de l’amphithéâtre ! Que serait-ce donc, si Dieu ne flagellait de pareils écarts ? Hé quoi ! tant d’amertumes empoisonnent notre existence, et le monde plaît encore si vivement !

9. Où se verront, au dernier jour, les sages de ce monde ? Où se verra l’avare ? l’adultère ? l’impie ? l’ivrogne ? le blasphémateur ? Que pourront alléguer, pour leur défense, tous ces malheureux ? Nous ne savions pas que vous étiez Dieu ; nous ne vous avons ni vu ni entendu ? Des prophètes ne sont point venus en votre nom ; vous n’avez pas donné de lois au monde ; nous n’avons rencontré aucun patriarche ; nul livre ne nous a fait connaître les exemples des saints ; votre Christ n’a point paru sur la terre ? Est-ce que Pierre a gardé le silence ? Paul a-t-il refusé de prêcher ? Il ne s’est présenté ni évangéliste pour nous instruire, ni martyrs pour nous servir de modèles ; personne ne nous a prédit le jugement à venir ; personne ne nous a commandé de vêtir celui qui est nu, de résister à nos passions, de lutter contre l’avarice ? Nous avons péché sans le savoir : pour tout ce que nous avons fait dans l’ignorance, nous obtiendrons indulgence et pardon ? Le juste Noé se lèvera alors contre eux du milieu de l’assemblée des saints ; il sera le premier à réclamer, et que dira-t-il ? Seigneur, je leur ai parlé de vous, pour les empêcher de périr dans les eaux du déluge à cause de leurs crimes, et afin qu’ils sussent bien que l’innocence les sauverait, mais que le péché serait la cause de leur perte. Après lui viendra Abraham : Je suis, dira-t-il, le père des nations ; tous les autres devaient prendre exemple sur moi ; eh bien ! Seigneur, je n’ai pas hésité un instant à vous offrir, comme victime, Isaac mon fils bien-aimé ; ils ont donc pu savoir qu’ils devaient vous offrir dévotement et volontiers leurs vœux. Sur votre ordre, Seigneur, j’ai quitté mon pays et ma famille pour leur servir de modèle et les porter ainsi à devenir étrangers aux méchancetés de ce monde, aux iniquités du siècle. Puis le bienheureux Moïse se présentera et dira Moi, j’ai dit : « Tu ne forniqueras point[15] », afin de faire disparaître le libertinage des fornicateurs. Moi, j’ai dit : « Tu ne convoiteras pas[16] », afin de mettre un frein à l’avarice. Moi, j’ai dit : « Tu aimeras ton prochain[17] », pour établir parmi eux le règne de la charité. Moi, j’ai dit : « Tu ne serviras que le Seigneur ton Dieu[18] », pour empêcher ces hommes d’offrir des sacrifices aux idoles. Moi, j’ai dit : « Que personne ne prononce un faux témoignage[19] », afin que leur bouche fût toujours fermée au mensonge. Ensuite, on, entendra David : Seigneur, je vous ai annonce par tous moyens : j’ai crié de tous côtés qu’il faut vous servir et ne servir que vous. J’ai dit : « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur[20]. Les saints se réjouiront dans le séjour de la gloire[21]. Les désirs des pécheurs s’évanouiront[22] ». N’auraient-ils pu s’instruire et cesser de commettre l’iniquité ? Bien que je fusse revêtu de la puissance royale, j’ai prié dans un lit, étendu sur la cendre et couvert d’un cilice : à mon exemple, ces pécheurs ne devaient-ils point pratiquer la mansuétude et l’humilité ? J’ai épargné les ennemis qui me persécutaient ; c’était leur enseigner à se montrer indulgents. À la suite de David paraîtra Isaïe, qui dira : Seigneur, vous leur avez parlé par ma bouche : « Malheur à vous, qui joignez toujours à votre maison une maison nouvelle, et qui étendez à vos champs sans mesure[23] ». Vous vouliez arrêter leur cupidité. Je, leur ai affirmé que leurs péchés attireraient sur eux votre colère : par là, j’espérais les détourner du mal, sinon par l’espoir des récompenses, du moins par la crainte des supplices. Enfin, ils entendront le Christ en personne : Je vous ai promis le royaume des cieux, leur dira-t-il ; je vous ai donné pour modèle l’un d’entre vous, car j’ai placé au paradis un larron qui m’a publiquement reconnu, une heure seulement avant de mourir : je vous l’ai donné comme exemple, afin que vous imitiez du moins cet homme, qui a mérité, par sa foi, la rémission de ses iniquités. J’ai enduré pour vous toutes les tortures de ma passion : après cela, auriez-vous dû hésiter de souffrir ce que votre Dieu avait souffert pour vous ? Votre foi devait se montrer inébranlable, puisque, après ma résurrection, je me suis fait voir à plusieurs. J’ai instruit les Juifs dans la personne de Pierre, et les Gentils dans celle de Paul. À quoi bon m’honorer des lèvres, si vous me reniez par votre conduite et vos œuvres[24] ? Après avoir subi tous ces reproches, ces malheureux s’entendront dire : « Allez au feu éternel et dans les ténèbres extérieures, où il y aura pleur et grincement de dents[25] ». Oh ! qu’ils sont à plaindre, ceux que n’épouvantent pas de pareilles choses, ceux qui se montrent d’autant plus orgueilleux ici-bas, qu’ils souffriront davantage en l’autre monde !

10. C’est pourquoi, mes frères, nous devons nous réjouir, bien que de telles gens se moquent de nous et disent honteusement que nous sommes des sots et des malheureux. Pour nous, ne rions pas même de leur propre folie : gémissons-en plutôt. Qu’ils se conduisent comme ils voudront ; nous, ayons soin de nous conserver purs. Aujourd’hui, ils se réjouissent de nos maux ; plus tard, nous nous réjouirons de leurs souffrances et de leurs peines. Je vous en conjure, bien-aimés frères, et je vous en avertis de plus en plus expressément ; ce qu’entendent les oreilles de votre corps, gardez-le soigneusement dans le sanctuaire de votre cœur, et mettez-le en pratique : soyons unis par les liens de la charité, célébrons avec dévotion l’anniversaire de l’avènement de notre Rédempteur ; ainsi mériterons-nous de pouvoir tranquillement solenniser le jour de sa naissance. Daigne nous accorder cette grâce celui qui vit et règne avec Dieu le Père, pendant les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !

VINGTIÈME SERMON. SUR L’AVÈNEMENT DU SAUVEUR. II modifier

ANALYSE. —1. Double avènement du Christ. —2. Réparation de l’homme par le Christ. —3. Préparons-nous à recevoir le Christ quand il viendra.


1. « Nous attendons le Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ[26] ». Bien-aimés frères, pour vous entretenir de la solennité qui est proche, je ne me servirai pas d’un exorde qui vienne de moi ; je n’emploierai point de paroles dictées par la sagesse humaine, mais je m’arrêterai aux paroles d’un célèbre prédicateur, m’efforçant de les faire bien comprendre à mes fidèles auditeurs et de leur montrer ce que le Docteur des nations prêche dans la foi et la vérité, ce qu’annonce cette trompette de Dieu, cette cymbale de Jésus-Christ. « Nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Or, comme l’ont entendu les oreilles catholiques sur le giron de l’Église, le Sauveur, que nous croyons être déjà venu pour restaurer le monde, reviendra encore, un jour, pour nous juger tous, et nous l’attendons : la foi en ce qui est arrivé doit, par la charité, nous affermir dans la pratique du bleu, comme l’attente de ce qui arrivera au moment de notre mort doit nous rendre vigilants et nous éloigner du mal. Nous devons croire, en effet, sans ombre de doute, que le Christ est venu, puisque « nous avons reçu sa miséricorde au milieu de son temple[27] ». D’ailleurs, « le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[28] ; il a abaissé les cieux, et il est descendu[29] ; car Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux[30] », et qui, à la fin des temps, redescendra du ciel. Il en est descendu pour nous arracher à la malédiction de la loi, et faire de nous les enfants adoptifs de Dieu[31]. Oui, le Fils de Dieu est descendu, il a pris notre nature, et il est devenu le Fils de l’homme, afin de communiquer sa gloire aux enfants des hommes et d’en faire les enfants de Dieu. Parce qu’il s’est abaissé jusqu’à notre niveau, nous avons tous été élevés jusqu’à lui. Il est aussi monté, afin d’envoyer du haut des cieux, à ses fidèles, le don du Saint-Esprit, et d’inspirer aux cœurs de ses disciples l’amour des choses célestes. Il est monté afin que le troupeau, qui se trouvait placé si bas, pût monter avec courage jusqu’au point culminant où l’a précédé le pasteur. Enfin, il descendra de nouveau, lorsqu’au dernier jour il viendra rendre à chacun selon ses œuvres : c’est ce que l’ange a dit aux disciples du Sauveur, lorsque, stupéfaits et étonnés, ils le voyaient monter au ciel. « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux ?[32] » Vous l’avez entendu, Celui que la foi catholique croit et confesse avoir déjà opéré un premier avènement, reviendra indubitablement à la fin des siècles. Il est venu, d’abord, dans un état d’humiliation, et pour être jugé : il reviendra, en second lieu, dans un appareil terrible, et il jugera les vivants et les morts. À son premier avènement, « il est venu chez lui, et les siens ne l’ont point connu[33] ». À son second avènement, « tout genou fléchira devant lui dans le ciel, sur la terre et dans les enfers[34] », pour lui rendre hommage. Voilà le redoutable et terrible Juge que nous attendons avec crainte et tremblement ; « il changera notre misérable corps[35]».

2. Par un bienfait tout gratuit de son divin Auteur, le premier homme a été formé et créé à la ressemblance du Très-Haut. Le Fils de Dieu est l’image du Père, la splendeur et la figure de sa substance[36]. Mais, préférablement à toutes les autres créatures, l’homme a été fait à l’image de Dieu, quant à son âme, pour qu’il fût capable de raisonner, charitable, juste, saint et innocent, pour qu’en lui, comme dans un miroir, se reflétassent les traits brillants de son Créateur. Il a conservé sa ressemblance avec Dieu tant que sa raison est restée dominante et que son cœur ne s’est laissé ni obscurcir ni aveugler par les ténèbres de l’iniquité ; mais, en cédant aux suggestions de son épouse, en mangeant du fruit défendu, il a affaibli et complètement effacé en lui les traits de l’image divine qui s’y trouvait empreinte ; alors la masse du genre humain a été viciée et corrompue en sa personne. En effet, le vice, dont la racine de l’arbre se trouvait infectée, s’est à tel point communiqué à la tige et aux branches, que tous les hommes, issus d’Adam par l’effet de la concupiscence charnelle, sont sujets à la loi du péché et à la mort. Paul l’affirme, car il dit : « En lui tous ont péché [37] », et : « par la désobéissance d’un seul, plusieurs sont devenus pécheurs.[38] ». Dans ces derniers temps est venu en ce monde le Fils du Dieu qui l’a tiré du néant ; descendant du trône de son Père, sans se dépouiller de sa splendeur, prenant notre nature sans perdre la sienne, il a uni notre humanité à sa divinité dans le sein d’une Vierge, sans que l’intégrité de cette Vierge ait souffert la moindre atteinte ; il est né de la chair, mais non par l’effet de la concupiscence ; il s’est fait homme, mais non par le concours de l’homme. Il était « saint, innocent, sans tache[39] », et étranger à toute convoitise charnelle. C’est ainsi que le Médiateur de Dieu et des hommes est devenu participant de notre nature, c’est ainsi qu’il nous a conféré sa grâce et merveilleusement reformé en nous les traits de ressemblance avec Dieu, qu’y avait effacés la gourmandise de notre premier père ; c’est ainsi, enfin, qu’il nous a ramenés à une condition singulièrement meilleure, puisqu’à la suite de la prévarication primitive, les hommes étaient forcément condamnés à mourir, et que par la résurrection finale ils deviendront immortels.

3. Mes très-chers frères, ce Juge si bon et si miséricordieux, qui « changera la misérable condition de notre corps[40] », nous devons donc l’attendre dans les sentiments d’une inquiétude et d’une crainte extrêmes. Changeons de vie, déplorons amèrement les péchés que nous avons commis, et puisque nous imprimons sans cesse à notre âme la tache e l’iniquité, purifions notre conscience par un nouveau baptême, celui de nos larmes. Comme nous le dit l’Apôtre:« Vivons avec sobriété, justice et piété en ce monde, en attendant le bonheur que nous espérons et l’avènement du grand Dieu[41] ». Que l’apparence trompeuse des biens passagers d’ici-bas ne nous induise point en une fausse sécurité ; que les charmes de la terre ne nous arrêtent pas dans l’accomplissement de l’œuvre de Dieu ; soupirons plutôt après les choses du ciel ; débarrassons-nous, parles gémissements de la pénitence, du fardeau de nos fautes ; puissent nos bonnes œuvres nous donner l’espérance des joies de l’éternité ! Alors nous attendrons avec crainte et tremblement le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’honneur, pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT ET UNIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. I modifier

ANALYSE. —1. Les deux naissances du Christ. —2. Il s’est abaissé pour nous relever. —3. Le Christ enfanté par une Vierge.'

1. Notre-Seigneur est né aujourd’hui, aussi le Prophète invite-t-il toutes les créatures à se réjouir ; il s’écrie : « Que les cieux soient dans la joie ! que la terre tressaille d’allégresse ! que la mer et tout ce qu’elle renferme bondisse de bonheur[42] » Par les cieux, il faut entendre aujourd’hui les chœurs des anges, qui sont assis dans le ciel, et qui, en ce jour, font entendre aux bergers attentifs ce beau cantique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[43] ». La terre est le symbole de la nature humaine. Quant à la mer, elle représente le monde entier, et, par tout ce qu’elle renferme, l’Écriture nous indique ceux pour qui ce jour de la nativité du Christ doit être la source d’une joie inexprimable. Le Christ est né d’une Vierge, afin que nous naissions de l’Esprit-Saint ; Celui qui a été engendré du Père avant tous les siècles est né aujourd’hui de la Vierge Marie. Sa Mère lui a donné le jour, mais il est resté dans le sein de son Père. Car si Celui qui est éternel est devenu ce qu’il n’était pas, il n’a pas cessé d’être ce qu’il était : il n’était pas homme, et il s’est fait homme, selon cette parole de l’Apôtre : « Il a été formé d’une femme, il s’est assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi[44] ». Mais il était Dieu, et il est resté ce qu’il était. Sa naissance selon la chair nous a été utile sans lui faire tort ; car elle nous a procuré la grâce de devenir les enfants adoptifs de Dieu, et il a continué à rester Dieu avec son Père.

2. Tout grand qu’il était, il s’est abaissé afin de nous relever ; car nous étions courbés vers la terre. Et de fait, avant l’avènement du Seigneur, la nature se trouvait courbée sous1ç fardeau de ses péchés qui l’écrasait. si elle s’était pliée jusqu’au niveau du péché, elle avait agi de son propre mouvement, mais elle était, par elle-même, incapable de se relever. L’homme ne supportait pas, sans gémir, les tristes inconvénients de cette courbature ; aussi le saint Prophète s’en plaignait-il avec amertume dans l’un de ses psaumes : « Je suis devenu malheureux », disait-il, « et courbé à l’excès ; je marche dans la douleur durant tout le jour[45] ». Durant tout le jour ; ces mots indiquent tout le temps qui s’est écoulé avant la venue du Christ : alors le genre humain marchait comme courbé, et il se désolait, car il n’y avait personne pour le redresser ; il était tombé dans l’abîme du péché, et personne n’était là pour lui tendre la main et l’en retirer. C’est pourquoi Notre-Seigneur est venu ; il a rencontré la femme que Satan forçait si bien, depuis dix-huit ans, à marcher courbée, qu’elle ne pouvait plus se redresser ; et, par l’effet de sa puissance divine, il a brisé ses entraves. Cette femme symbolisait la courbature du genre humain tout entier ; et, dans sa personne, notre Sauveur, qui est né aujourd’hui, a brisé les liens dans lesquels le démon nous retenait captifs ; de là nous est venu le pouvoir de regarder le ciel. Après avoir si longtemps marché dans la désolation et traînant dernière nous la chaîne de nos infortunes, recevons avec empressement le médecin qui vient aujourd’hui nous secourir, et tressaillons d’allégresse.

3. Oui, réjouissons-nous, frères[46].

VINGT-DEUXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. II modifier

ANALYSE. —1. Les anéantissements et les grandeurs du Christ Dieu et homme. —2. Le bienheureux docteur continue le développement de sa pensée. —3. De la trinité et de l’unité en Dieu. —5. Épilogue.

1. Tous les dialecticiens, à beaucoup près, ne considèrent pas les humiliations du Sauveur comme un motif de devenir hérétiques ; au contraire, ils y trouvent des causes qui les portent à rendre gloire à Dieu, car si le Christ s’est fait homme, s’il est né dans le temps de la Vierge Marie ; s’il a vêtu sur la terre avant tous les siècles, il était Dieu et il a été engendré de Dieu. Toute ton attention, ô hérétique, se porte donc sur les anéantissements du Sauveur, et ils t’empêchent d’apercevoir sa glorieuse divinité. Après avoir lu ces paroles : « Mon Père est plus grand que moi[47] », lis donc aussi ces autres : « Mon Père et moi, nous sommes un[48] », et alors tu reconnaîtras que son humanité est la cause de son infériorité, mais aussi tu comprendras qu’il est Dieu et égal à son Père. Tu vois en lui un nouveau-né enveloppé de langes, et tu n’aperçois pas les légions d’anges qui l’environnent ? Tu le vois petit enfant, fuyant en Égypte, et tu ne remarques pas que les anges lui préparent le chemin et préservent de tout péril son aller et son retour ? Devenu homme, il s’approche de Jean pour recevoir de sa main le baptême, tu vois cela et tu ne vois pas que les cieux s’ouvrent au-dessus de lui, et qu’au lieu de recevoir la grâce qui sanctifie, il la confère ? Enfin, le Père se fait entendre du haut des nues ; le Saint-Esprit descend corporellement sous la forme d’une colombe : ainsi la sainte Trinité tout entière vient consacrer le mystère du baptême, et le Père déclare lui-même que le Christ est vraiment son Fils.

2. En lui tu vois l’homme tenté par trois fois, et tu ne remarques pas le Dieu qui a triomphé des tentations du démon ? Tu vois l’homme qui a faim, et tu ne remarques pas les anges qui lui apportent à manger ? Tu le vois exposé aux tempêtes de la mer, et tu ne peux l’apercevoir quand il commande aux vents et qu’il marche à pieds secs sur les flots ? Tu le vois fatigué par la marche, et tu ne vois pas qu’il met fin aux fatigues des hommes ? Tu le vois assis sur le puits, ressentant la soif et demandant à boire, et tu ne prends pas la peine de remarquer la source d’eau vive qui s’échappe de lui ? Il est pauvre, il n’a à sa disposition que quelques pains ; aussi, le regardes-tu d’un œil de pitié, et tu n’aperçois pas en lui le Dieu riche qui rassasie tant de milliers d’hommes avec de si minces provisions ? Tu te moques de lui, quand tu le vois aller au tombeau de Lazare et pleurer la mort de son ami, et tu ne le reconnais pas comme Dieu à le voir ressusciter celui qu’il pleurait tout à l’heure ? Judas vend l’homme, tu le remarques : le Dieu rachète l’univers, et tu n’y prêtes pas attention ? Si le Christ est retenu captif entre les mains des hommes, tu ouvres les yeux ; et tu les fermes obstinément quand il délivre les hommes de l’esclavage du démon ? Tu ne vois que le Fils de l’homme dans les chaînes, et tu méconnais le Fils de Dieu qui brise les chaînes du genre humain ? Puisque tu contemples le Fils de l’homme lorsqu’il est bafoué ; pourquoi ne pas contempler le Fils de Dieu, lorsqu’il arrache les âmes humaines aux moqueries des démons ? Tu vois bien le bois de la croix ; pourquoi ne pas voir aussi l’arbre de la prévarication remplacé par celui de la passion ? Tu as pleuré, au sépulcre, sur son corps inanimé ; pourquoi ne pas te réjouir en voyant le Dieu', ressusciter et remonter dans les cieux ? Puisque tu remarques en lui toutes les apparences de l’esclavage ; pourquoi refuser d’y voir la nature divine ?

3. Nous n’adorons qu’un seul Dieu, mais nous reconnaissons trois personnes unies dans une même Divinité : Un Père qui n’a pas été engendré, un Fils unique engendré du Père, et un Saint-Esprit, qui procède du Père. Nous lisons cela dans l’Évangile. Aussi n’est-ce pas aux noms, mais « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit[49] », que nous sommes consacrés ; par le baptême, que nous acquérons le glorieux titre d’enfant de Dieu, et, que parla grâce, Dieu devient notre Père : cette grâce, c’est Jésus de Nazareth qui nous l’a méritée par sa naissance et en vertu de sa glorieuse origine ; car, s’il est homme et s’il est né d’une Vierge, il est aussi Fils de Dieu ; et s’il a été enfanté sur la terre par une femme, le Père l’avait auparavant engendré dans le ciel. Il en est donc de la Divinité en trois personnes comme d’une source de sagesse, d’où s’échappent à la fois le son, la parole et la raison de la parole, ou comme du lit d’une rivière où se trouvent l’eau qui coule, son goût, et sa fraîcheur ; ce sont là autant de choses personnellement distinctes et bien tranchées, et néanmoins elles ne forment qu’une seule et même substance qu’on ne peut ni partager ni diviser, dans laquelle ne se rencontre ni plus grand ni plus petit.


4. Tenons-nous-en donc à cette règle de foi catholique : Dans l’ordre des. personnes, tu ne dois en voir ni une plus grande, ni une moindre, et, en toutes, nous devons reconnaître une seule et même nature divine. Dieu, en effet, est toujours le même, et il demeure immuablement Dieu ; donc, dans l’ordre des personnes, il n’y eu a pas d’inférieure aux autres, et la première n’est ni plus grande ni plus ancienne que les autres : elles puisent toutes en elles-mêmes le principe de leur existence, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT-TROISIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. III modifier

ANALYSE. —1. Au sujet de l’éternité du verbe il faut choisir entre Jean et Arius. —2. Saint Paul affirme sa divinité. —3. Immuable en lui-même, Dieu se manifeste à ses serviteurs, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. —4. Il ne faut pas toujours entendre selon la lettre les paroles de l’Écriture. —5. Funestes conséquences d’une interprétation par trop littérale. —6. Les Ariens nous représentent le Père comme sujet au changement et à l’imperfection. —7. L’orgueilleux arien rencontre encore ici un adversaire dans l’apôtre Paul. —8. Le Verbe n’infirme nullement sa propre divinité en disant que le Père est plus grand que lui, et en se proclamant le Fils de l’homme.


1. Je vais attaquer Goliath, il me faut donc prendre ma houlette pastorale, et, comme le bienheureux David, choisir trois pierres dans le lit du torrent. Arien, que fais-tu ? Tu oses dire : Le Fils de Dieu n’était pas, et Dieu était ? Mais l’Évangéliste sacré te contredit, puisqu’il s’écrie : « Au commencement était le Verbe ». Après avoir dit : « Il était », il ajoute : « Il était ». Car voici la suite : « Et le Verbe était en Dieu ». Non content d’avoir proféré deux fois ce mot : « Il était », il le prononce une troisième fois, en disant : « Et le Verbe était Dieu[50] ». Et parce qu’aux quatre coins du monde on devait, par la prédication, opposer la vérité à l’erreur, l’Apôtre affirme une quatrième fois qu’ « il était », en ajoutant : « Il était au commencement en Dieu[51] ». Arius dit une seule fois : Il n’était pas ; mais Jean dit quatre fois : « Il était, Il était, Il était, « Il était ». Maintenant, que faire ? Il faut nécessairement nous ranger à la parole de l’un des deux, et répudier l’autre. Si nous croyons au dire d’Arius, nous encourons la colère de Jean, et si nous marchons sur les pas de Jean, Arius s’offensera de notre désertion. Toutefois, comme, pour nous tenir le langage qu’il nous tient, Jean a reçu les enseignements du Christ et qu’Arius a puisé son système dans les leçons d’Aristote, suivons tous le disciple du Christ et laissons là l’élève d’Aristote.


2. Cependant, ô Arien, dis-nous quelle raison fa porté à prétendre que le Christ est une créature ? Parles-tu ainsi parce que, étant né d’une Vierge, on l’a vu sur la terre au milieu des hommes, ou parce que le Père nous le montre lui-même assis dans les cieux au rang des immortels ? Si c’est parce qu’il est le fils de la Vierge, je te dirai que Dieu ne peut s’appeler créature ; car il est le Créateur, et il s’est revêtu seulement de sa créature. En effet, s’il a apparu ici-bas, ce n’est point comme un véritable esclave au milieu de compagnons d’esclavage ; mais, étant Dieu, « il a pris la forme d’esclave », afin de pouvoir entrer en société avec des hommes réduits à l’état de servitude. Si. l’utilité de la république exige qu’il se cache dans la foule de ses sujets, l’empereur ne pourra le faire qu’en ôtant son diadème, en se dépouillant de son manteau de pourpre, en se revêtant de l’ordinaire livrée du peuple. Nous employons cette comparaison pour expliquer l’avènement passé de notre Roi. Voilà comment l’apôtre Paul, notre maître, continue à développer sa pensée : « parce qu’ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation que de s’égaler à Dieu[52] ». Qu’en dis-tu, Arien ? Cette phrase ajoutée par l’Apôtre casse les bras à ton Aristote. Paul dit le Verbe égal à Dieu ; suivant toi, il lui est inférieur. Au dire de Jean, « Il était » ; à t’entendre, Il n’était pas. Mais poursuivons notre tâche : « Il n’a pas cru[53] », dit Paul, « que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave[54] ». Nous, qui sommes catholiques, attachons-nous inviolablement à ces deux points de doctrine : ainsi pourrons nous répondre victorieusement à toutes les objections des hérétiques. « Il s’est anéanti lui-même », dit l’Apôtre, « en prenant la forme d’esclave ». Quel est celui qui s’est anéanti ? Évidemment, c’est celui « qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». En se revêtant de notre humanité, il n’a rien perdu de cette perfection qu’il partage à degré égal avec Dieu le Père : au contraire, il lui adonné un nouvel éclat ; car, dans sa divinité, il y a titre à des louanges toujours nouvelles, et quand elle s’adjoint quelque chose, elle ne s’expose point à encourir l’ombre même d’une critique. Or, en disant qu’en Dieu il y a titre à des louanges toujours nouvelles, nous prétendons que la créature pourra se rapprocher de plus en plus de lui, mais ne parviendra jamais à se confondre avec la nature divine.

3. En effet, Dieu n’acquiert aucun accroissement, comme il ne peut subir aucune diminution dans son essence ; seulement, d’après la nature de l’être créé dont il se revêt, il se montre aux uns avec les proportions de la grandeur, et aux autres avec celles de l’exiguïté. Nous en trouvons la raison et la preuve dans son infinie puissance. Quant à le voir en lui-même, et selon ce qu’il est dans sa nature, jamais aucune créature n’en sera capable. C’est pourquoi, lorsqu’il fit connaître sa volonté à Adam, il ne lui avait point apparu sous la même forme que quand il vint lui reprocher sa désobéissance. Le juste Abel et Caïn le prévaricateur ne l’aperçurent point sous des dehors pareils. Autre semblait-il être quand il enleva Enoch, autre quand il se montra à Noé, à l’heure du déluge, pour sauver le monde qui allait périr. Pour tenter Abraham relativement à son fils, il se montra à lui d’une manière, et il se manifesta d’une façon différente à Isaac pour le porter à servir de victime dans le sacrifice que son père allait offrir, à porter lui-même le bois destiné à le brûler, et à figurer ainsi le Christ chargé de sa propre croix. Jacob endormi et Moïse éveillé et gardant son troupeau ne l’ont point vu de la même manière. Quelle différence entre ce qu’il parut aux yeux des Égyptiens pendant qu’ils se noyaient, et ce qu’il parut aux enfants d’Israël en-les délivrant ! N’était-ce point une colonne de nuée durant le jour et une colonne de feu durant la nuit ? Ici, c’étaient des éclats de voix, des tonnerres et des éclairs ; ailleurs, l’air était pur et le ciel tranquille, lorsqu’il se manifestait sous les traits splendides d’un prophète. Tantôt il ouvrait les cieux et en faisait tomber la manne qui devait nourrir son peuple ; tantôt un rocher se fendait pour donner issue à une source d’eau vive qui devait le désaltérer. Il n’apparaissait pas le même. quand, sous le coup du bâton de Moïse, les eaux de la mer se séparaient pour favoriser la fuite des Israélites, que quand elles se réunirent, sous le coup du même bâton, pour détruire leurs. persécuteurs. Autre il se montra au passage du Jourdain, lorsque les eaux reprirent leurs cours interrompu ; autre il se fit voir, quand, au son des trompettes, les murailles ennemies s’écroulèrent. Manifestations bien diverses de la Divinité ! Sur un signe d’une prostituée, des hommes de mœurs pures échappent à la mort et sont protégés par des saints, et un homme commande au soleil de ne pas se coucher, et un homme défend aux nuées de donner de la pluie. Sur l’ordre d’un homme, le feu du ciel vient frapper d’autres hommes, et, à sa prière, le feu descend d’en haut pour consumer la victime d’un sacrifice ; l’attouchement de son manteau suffit à séparer les eaux du Jourdain, et cet homme est enlevé sur un char de feu, comme pour devenir le conducteur des chevaux de feu qui le traînent. Samuel, David, Salomon, ont aperçu Dieu sous des aspects très-différents : Daniel a mérité de le voir autrement que Nabuchodonosor ; d’innombrables Prophètes l’ont contemplé sous une forme, et les Apôtres sous une autre.

4. Va, hérétique, et toutes les fois que tu liras que le Verbe a apparu d’une façon ou d’une autre, représente-le-toi sous tant de traits, sous tant de couleurs, qu’il t’apparaisse ici sous la forme d’un buisson, là sous celle du feu, tantôt comme une nuée, tantôt comme un rocher, puis comme un bûcher, enfin comme une mâchoire d’âne ; dis-toi : Voilà le Fils de Dieu. Si, en effet, tu lis l’Écriture, et que tu la comprennes dans le sens obvie de la lettre, non-seulement tu nieras l’existence de. Dieu, mais encore tu embrouilleras les commandements de la loi elle-même. Car la loi ne défend-elle pas de refuser du pain aux faméliques, et un rafraîchissement à ceux que la soif dévore ? Toutefois, ne s’exprime-t-elle pas quelque part en ces termes : « Puise de l’eau à ta citerne, et ne laisse à personne le loisir d’en boire[55] ? ». Suivant la lettre, il y aura donc un précepte assez inhumain, assez cruel, pour nous interdire de donner même un verre d’eau à un homme consumé par la soif. Quiconque, en effet, ne fait attention qu’au sens littéral, s’expose au danger d’une condamnation au feu éternel ; car il est écrit « Allez, maudits, au feu. éternel, car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire[56] ».

5. A cela, ô Arien, tu pourras répondre ainsi : Vous m’avez dit, non-seulement de ne point donner à boire à celui qui aurait soif, mais même de refuser de l’eau de ma citerne à celui qui désirerait s’en désaltérer. Voilà à quoi s’expose l’homme qui s’arrête à considérer l’écorce des saintes Écritures. S’il lit, au sujet de Dieu, ces paroles : « J’ai vu l’Ancien des jours assis sur un trône[57] », il se figure que le Père est le plus vieux ; et si cet autre passage lui tombe sous les yeux : « Quel est ce jeune homme qui vient de Bozor ? Qu’il est beau ! Comme il marche avec force et majesté[58] ! » il s’imagine que le Fils de Dieu est la personnification de la jeunesse. C’est ainsi que, pour s’arrêter nonchalamment en route, il pense que la vieillesse s’avance d’une manière incessante au-devant de la jeunesse, et finit par l’atteindre. Dès lors, en effet, que tu supposes un plus grand et un plus petit, il faut nécessairement que tu les astreignes l’un et l’autre à l’indispensable obligation de croître, de devenir vieux, et, finalement, de cesser d’être.

6. Catholiques, je vous en prie, remarquez tous en quel abîme de blasphèmes se précipitent ceux qui, dans la lecture des saints Livres, se constituent leurs propres disciples et leurs propres docteurs : ils n’oseraient lire les vaines et ineptes fables des poètes, sans se mettre sous la direction d’un maître, et, pour les enseignements de « la sagesse du Christ cachée dans son mystère[59] », ils refusent d’accepter les leçons des hommes spirituels, ils forcent la parole sacrée de Dieu de se plier à leurs caprices. En prenant la défense de l’honneur de Dieu, tu le déshonores. Veux-tu que je t’en donne la preuve, ô Arien ? Prétendrais-tu me forcer à croire, d’après toi, qu’il y a eu un temps où le Fils n’existait pas ? Explique toi : dis-nous comment, dans ton système, le Père est immuable, puisqu’on ne peut appeler Dieu l’être que l’on supposerait capable de changer. Or, il est sûr que le Père est sujet à variation, s’il y a eu un temps où il n’avait pas de Fils ; car en soutenant que le Fils a commencé d’être ce qu’il n’était pas auparavant, tu seras, par là même, obligé de donner au Père ce nom qui n’était point précédemment conforme à sa nature. On verra donc le père nouveau d’un fils tout aussi nouveau, et. tu ne pourras nier que l’ancienneté vient atteindre la nouveauté ; et comme à la nouveauté tu feras succéder l’ancienneté, comme, d’après toi, la vieillesse prendra la place de l’ancienneté ; de même tu forceras la vieillesse à disparaître sous les coups de la mort. Ne vois-tu pas, je te le demande, en quel abîme de ténèbres tu es plongé ? Si, en effet, tu ne refuses pas de croire « que le Christ soit la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu[60] », et si, en même temps, tu soutiens qu’il y a eu un moment où le Fils n’était pas, il te faut deviner blasphémateur et dire que le Père a été sans force et sans sagesse, puisque tu cherches à démontrer qu’à un moment donné il n’avait pas ce Fils qui est sa force et sa sagesse. Or, être dépourvu de sagesse, c’est être fou, comme être privé de force, c’est la faiblesse ; nul doute à cet égard.

7. Que fais-tu, ô hérétique ? Pourquoi lever ton pied contre l’aiguillon ? Il en sera infailliblement blessé. À t’entendre, le Fils n’est qu’une simple créature. Paul contredit tes blasphèmes en ce passage : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde[61] ». Ne va point t’imaginer que cette parole de l’Apôtre soit la seule qui condamne ton système ; dès l’instant je te prouve à nouveau ton blasphème. Si, en effet, tu prétends que le Fils est une créature ; comme Paul a dit : « La créature est assujettie à la vanité[62] », il est évident que le Christ est assujetti à la vanité. Nous lisons encore ces autres paroles : « Toutes les créatures gémissent et sont dans les douleurs de l’enfantement[63] » ; donc, celui qui est venu délivrer le monde entier des gémissements et de la douleur gémit lui-même et se trouve dans les douleurs de l’enfantement. Enfin, l’Apôtre nous dit : « La créature sera affranchie de cet asservissement à la corruption[64] ». Donc, celui qui règne dans l’incorruptibilité au séjour céleste est asservi ici-bas à la corruption.

8. Mais, répliquent les Ariens, il faut, bon gré mal gré, te soumettre d’esprit et de cœur à la parole du Christ ; voici ce qu’il a dit de lui-même : « Le Père est plus grand que moi[65] ». N’avez-vous lu que cela ? On voit, ce me semble, dans les Évangiles, qu’il est le Fils de l’homme[66]. Faites-nous donc un crime de l’appeler Fils de Dieu. Dites-nous pourquoi vous lui donnez le nom de Fils de Dieu, puisqu’il se proclame lui-même Fils de l’homme ? Si tu travestis les motifs de son anéantissement, tu emploies' le remède à creuser tes plaies, et ce qui pourrait seul guérir tes blessures, tu t’en sers à porter la corruption jusque dans les parties saines. Pour nous, cherchons, dans la confession de la vraie foi, à conserver l’entière santé de nos âmes ; croyons, sans hésiter, que la Trinité tout entière réside dans l’unique substance d’une même Divinité : par là, nous pourrons devenir participants de la vie éternelle, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT-QUATRIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. ON Y EXPLIQUE CES PAROLES DU PSALMISTE : « IL DESCENDRA COMME LA PLUIE SUR L’HERBE DES CHAMPS ». (PS. 71, 6.) IV modifier

ANALYSE. —1. Humilité et grandeur du Christ naissant. —2. Son premier avènement a eu lieu dans les abaissements ; le second se fera dans tout l’éclat de la gloire.

1. On ne saurait en douter, mes très-chers frères, cette partie du psaume qu’on vient de lire est l’annonce de l’avènement corporel de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avènement qu’il a effectué aux yeux du monde, lorsqu’il est descendu du ciel pour opérer notre salut. Et parce qu’il devait être humble dans sa chair, parce que, comme Dieu, il ne devait y affecter aucune puissance, y manifester aucune grandeur, il s’est montré aux regards des hommes avec le prestige de la grandeur. En effet, si les témoins de sa naissance l’ont vu apparaître dans les abaissements et la pauvreté, ceux qui ont cru en lui l’ont reconnu pour un Dieu ; car si, dans son extérieur, il agissait comme homme, parce qu’il était intérieurement, il agissait en Dieu, tout en manifestant l’humanité dont il s’était revêtu, la condition corporelle et terrestre à laquelle il s’était soumis. Pauvre aux regards de ceux qui le considéraient seulement des yeux de la chair, il était plein de majesté et revêtu de la gloire céleste aux yeux de ses fidèles. Au moment de sa descente sur la terre, il fut humble, et, pareil à la pluie qui tombe sur l’herbe molle sans se faire entendre, il descendit du ciel sans annoncer son infinie puissance, sans faire aucun bruit, sans épouvanter les hommes par le fracas de sa venue ; rien, dans les humiliations de sa naissance, ne trahit sa grandeur. De fait, il ne venait point ici-bas pour y régner ; sa mission était de souffrir pour notre salut, de triompher des tentations, de souffrir, bien qu’immortel, les douleurs de la mort en faveur des mortels, et d’ouvrir devant tous ceux qui auraient recours à lui le chemin d’une nouvelle vie.

2. Il a donc effectué son premier avènement, son avènement selon la chair, comme la pluie qui tombe des nuées sur l’herbe ; c’est pourquoi il lui faudra opérer sa seconde venue au milieu du fracas et du bruit. Aussi, selon le langage de l’Écriture, « y aura-t-il des éclairs, des tonnerres, des tremblements de terre et de la grêle[67] ». « Un feu dévorant marchera devant lui, une effroyable tempête mugira autour de sa personne[68] ». Et, comme dit l’Apôtre, « la violence du feu dissoudra les cieux et fera fondre tous les éléments[69] ». « Un feu dévorant le précédera et consumera autour de lui ses ennemis[70] ». « Les montagnes se fondront comme la cire[71] ». « Mais ceux qui craignent le Seigneur et attendent sa venue seront enlevés sur les nuées pour aller, dans les airs, au-devant de Jésus-Christ, et ainsi seront-ils éternellement « avec le Seigneur[72] ». Tout cela a été écrit, afin que nous nous préparions à sortir au-devant de Notre-Seigneur : par là, et en nous humiliant ici-bas à l’exemple du Sauveur, nous mériterons de régner avec lui dans les splendeurs de la gloire céleste. Car voici ce qui aura lieu : Quiconque, sur la terre, aura répandu les larmes de l’humilité comme une pluie abondante, jouira, dans le ciel, des félicités éternelles, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

VINGT-CINQUIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. V modifier

ANALYSE. —1. À la naissance du Christ, les anges font entendre les plus douces mélodies. —2. Précieux martyre des Innocents. —3. Saint Augustin parle de la Nativité même aux petits enfants. —4. Epilogue.

1. Frères bien-aimés, Notre-Seigneur Jésus-Christ vient au monde pour le racheter tout entier et renouveler le genre humain. Le Christ naît dans une caverne, afin que le monde ne soit plus désormais enseveli dans le séjour de la mort. Il naît dans une caverne et il pleure, pour chasser de la caverne du péché les criminels voleurs qui s’y cachaient, et afin que, sous l’empire d’un nouvel enfant, tous les enfants devinssent innocents. C’est une Vierge qui lui donne la vie ; par là, Eve n’est plus obligée de se cacher sous le feuillage, la sainte Église s’élève sur la croix, et le monde chante les louanges de la Vierge Mère, comme la tourterelle chante du haut des arbres l’éloge de sa propre chasteté. Les Mages adorent le Christ ! que, devant lui, le genre humain tout entier fléchisse le genou t Celui qui brille avec éclat dans les cieux se fait adorer sous des langes : les chrétiens doivent donc l’adorer aussi maintenant qu’il est assis à la droite du Père non engendré. On l’adore dans une crèche ; nous devons donc l’adorer nous-mêmes aujourd’hui qu’il est sur l’autel éternel. La crèche est devenue un paradis, où se sont épanouies les fleurs des champs et les lis des vallées : aussi, puisque la tige du péché s’est flétrie, le genre humain doit-il fleurir sous le souffle du Christ. Auparavant, grâce à l’iniquité, les épines surabondaient parmi les hommes chez un très-petit nombre d’entre eux se montraient les fleurs de la justice ; les autres se desséchaient, comme des plantes dépourvues de sève. Un nouveau lis, le Christ, est descendu sur la terre, et il a commencé à y planter une pépinière d’anges. Du haut du ciel étaient venus à ce monde des plants nouveaux, étrangers à son sol : c’étaient des anges, et ils exécutaient de mélodieuses symphonies, et, comme les Prophètes ne se faisaient plus entendre, le genre humain était à même de contempler ces esprits célestes et de chanter avec eux : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix, sur la terre, aux « hommes de bonne volonté[73]». O louanges nouvelles exécutées par des instruments nouveaux ! O paix après le péché ! O vie après la peine de la géhenne ! O délices après les ronces ! O rose après les épines ! O cantique après le silence ! O musique des anges après les gémissements des captifs !

2. De nouvelles plantes, les anges, ont donc été apportées au paradis de l’Église, et lui ont donné un nouvel éclat par la beauté de leurs fleurs : et parce que ces jeunes pousses, emblèmes de la paix, étaient venues d’en haut, on vit bientôt germer celles du précieux martyre des innocents. O tendres tiges des petits enfants, vous êtes empourprées de votre sang ; le glaive des brigands a travaillé sur vous, et pourtant vous n’aviez pas commis le péché, et votre sang était pur ! Voilà que vient de naître le jardinier vigilant du paradis ; Adam, son négligent usufruitier, a donc le droit de se réjouir. Où est le serpent ? Il ne poussera plus désormais l’homme à fuir le regard du Seigneur. Voilà que le Christ, le Maître éternel, vient en ce monde pour s’y préparer un perpétuel exil et reconduire au ciel l’homme qui lui appartient. Le paradis a été replanté depuis que le voleur y est entré aussi le rusé adversaire du genre humain ne peut-il plus s’y cacher. La caverne ne peut plus servir d’habitation aux brigands, depuis qu’une caverne nouvelle abrite un Sauveur nouveau, dont la venue a été annoncée du haut des cieux par une étoile. Une Vierge Mère se voit en ce monde, l’Église sur le bois de la croix, le larron dans le paradis, le Seigneur dans le tombeau.

3. Lorsque, victime de ta ruse, l’homme est jadis devenu pécheur, une sentence de condamnation a été prononcée contre lui. Quelle a été cette sentence ? « Tu es poussière, et tu « retourneras en poussière[74] ». Aujourd’hui les plaintes et les larmes ont cessé. Tu n’as plus aucune accusation à porter contre l’homme, car celui qui humilie le pécheur est venu, et il demeurera avec le soleil. « Car, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, les enfants loueront le Seigneur[75] ». « Et toi, enfant, tu seras appelé le Prophète du Très-Haut[76] ». « Afin que les jeunes gens, les vierges, les enfants et les vieillards louent le nom du Seigneur[77] », « qui a délivré son peuple de ses péchés[78] ». Il a brisé les chaînes des pécheurs, ouvert les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, ressuscité les corps morts, mis un terme aux gémissements des captifs et rempli de joie le cœur des pasteurs. Que les brebis se réjouissent de brouter les lis de la chasteté ! Que les petits agneaux soient dans la joie d’avoir effeuillé les roses d’un précoce martyre, sans avoir commis de péché, sans ressentir encore les douleurs de la mort, sans verser inutilement leur sang, puisqu’ils souffraient pour le Fils du souverain Maître.

4. Aujourd’hui, les anges font entendre ce cantique à la louange du Christ : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux[79] » ; les Mages l’adorent en suppliants ; les pasteurs et les agneaux lui donnent leur amour. Aujourd’hui les chrétiens tempérants le bénissent ; les vivants et les morts fléchissent le genou devant ce Dieu qui est assis à la droite du Père et qui effacera les péchés du monde.

VINGT-SIXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. VI modifier

ANALYSE. —1. Jour de la nativité du Christ, jour de joie. —2. Salutation de l’Ange. —3. Incarnation du Verbe. —4. La vraie beauté, c’est la chasteté.

1. Frères bien-aimés, un saint et solennel jour vient de luire pour le monde ; réjouissons-nous donc et tressaillons d’allégresse. Aujourd’hui le soleil s’est levé sur l’univers ; aujourd’hui les ténèbres du siècle ont vu apparaître au milieu d’elles la seule vraie lumière ; aujourd’hui nos yeux sont éclairés d’un jour plus vif que celui du soleil ; car ce qu’attendaient les anges et les archanges, les chérubins et les séraphins, ce qu’ignoraient les serviteurs célestes du Très-Haut, s’est fait connaître de notre temps, afin que, nous aussi, nous pussions, avec justice, répéter ces paroles du prophète David : « Seigneur, vous avez fait briller à nos yeux la lumière de a votre visage ; vous avez inondé de joie notre cœur[80] ». Admirable lumière ! lumière véritable, s’il en fut, c’est elle qui « éclaire tout homme[81] ». Qu’est-ce que cette lumière, me diras-tu ? Je te réponds aussitôt : C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est la vraie lumière ; voilà le véritable soleil, la splendeur par essence. Le Prophète a dit de lui : « Le soleil de justice s’est levé pour nous[82] ». « Il était », ajoute l’Évangéliste, « il était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde[83] ». O la suave et douce lumière du visage de Dieu ! le peuple du Christ a obtenu la faveur d’en être éclairé. Qu’est-ce que le Christ ? le visage de la lumière, le visage de Dieu. Qu’est-ce que le Christ ? le visage et la sagesse de Dieu. Qu’est-ce que le Christ ? la lumière de l’ineffable lumière. O, mes frères ! quelle peut être cette lumière, puisqu’elle nous a engendré une pareille lumière !

2. Le saint prophète David a dit dans un cantique, ou plutôt, la voix du Père a dit par l’organe de ce prophète : « De mon cœur s’est échappée une bonne parole[84] ». Écoutez, mes frères, cette bonne parole qui s’échappe du cœur. Écoutez l’ange Gabriel ; voici ce qu’il dit à la Vierge Marie, au moment où il lui fait connaître les clauses du généreux contrat que Dieu va conclure avec elle. Écoutez, vous dis-je, le messager céleste, descendu des marches du trône de l’Éternel, pour annoncer le mystère de la bienheureuse conception et de la naissance du Roi suprême. « L’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une vierge qu’un homme, nommé Joseph, de la maison de David, avait épousée ; et le nom de cette vierge était Marie ». Il entra dans sa maison et lui dit : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni ». Et Marie fut troublée en le voyant s’approcher d’elle et en l’entendant lui adresser ces paroles de bénédiction. L’ange vit son trouble et ajouta : « Marie, ne craignez point, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voilà que vous concevrez dans votre sein, et que vous enfanterez un fils, et vous l’appellerez du nom d’Emmanuel, c’est-à-dire, Dieu avec nous. Il sera grand, et s’appellera le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin[85] ». Marie a entendu, elle a cru ; aussi a-t-elle conçu et enfanté. Elle a entendu la bonne parole, elle y a cru par la foi, elle a corporellement conçu, et, d’après la loi de la nature, elle a enfanté.

3. Aujourd’hui donc, Notre-Seigneur Jésus-Christ est né selon, la chair, mais non selon la divinité ; car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait[86] ». Il est venu en ce monde, pour que les hommes fussent à même de le contempler des yeux de leur corps, puisqu’ils ne pouvaient l’apercevoir des yeux de leur cœur. O homme ! ne te montre pas ingrat. Tu vois devant toi celui-là même. qui t’a créé à son image et à sa ressemblance. C’est à son sujet que le Psalmiste adressait aux hommes ce reproche : « Enfants des hommes, jusques à quand votre cœur restera-t-il appesanti ? Pourquoi poursuivez-vous la vanité et embrassez-vous le mensonge ? Sachez que le Seigneur a fait de son Christ l’objet de notre admiration[87] ». C’est le Fils de Dieu, c’est son Verbe, c’est l’arbitre et le maître de tous ses secrets ; car le Père lui a dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance[88] ». Il a disposé toutes choses et les a conduites à leur fin, et il est parfois impossible de connaître ce qu’on a dans le cœur, sans la lumière de la parole, selon ce qui est écrit : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur ». Aussi le Prophète annonce-t-il quelle a dû être dans Marie la chaste union de son cœur avec le Verbe c’est l’indissoluble lien de la charité. Car les intentions et les pensées qui naissent dans le cœur ne peuvent se laisser entrevoir qu’à l’aide d’une sorte de maître spirituel, c’est-à-dire d’une parole qui leur soit assortie ; d’autre part, que pourra dire la parole, si la sagesse, auteur de toutes choses, ne vient préalablement, dans le secret du cœur, suggérer des idées ? Rien, absolument rien. « Une bonne parole », dit le Prophète, « s’est échappée de mon cœur ». Où était cette parole ? dans le cœur. D’où s’est-elle échappée ? du cœur. Qu’est-ce que la parole ? le miroir du cœur. Il faut qu’il soit laid ou beau, et, par conséquent, digne de blâme ou de louange., C’est lui qui nous fait « bénir Dieu et maudire l’homme, qui a ôté créé à l’image et à la ressemblance de Dieu[89] ». « L’homme bon », dit l’Évangile, « tire de bonnes choses d’un bon trésor, et l’homme mauvais tire de mauvaises choses d’un mauvais trésor[90] ».

4. Voilà en quoi consistent la laideur du cœur, et aussi sa beauté. Place-toi du côté où brillent les rayons du soleil, où se trouve le Dieu de charité. Je ne veux. point que tu te complaises dans les agréments extérieurs dont la nature peut t’avoir doué. Que, sur ton visage, de vives couleurs se marient à la blancheur du teint, que la beauté de ta figure se trouve rehaussée par celle de tes yeux et que l’élégance de tes formes mette le comble à ta perfection, tu ne seras jamais qu’un être hi. deux, et tu seras toujours noté comme tel, si tu ne cherches point Dieu dans la simplicité de ton cœur. L’homme voit le visage, Dieu voit le cœur. Cherche donc à briller là où le Christ a bien voulu établir sa demeure. C’est pourquoi l’apôtre Paul a dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Or, si quelqu’un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra ; car le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple[91] ». « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur ». Et quelle est cette parole ? C’est ce chaste époux, fruit de la chasteté, qui doit sortir d’une chaste couche et conserver à une vierge sa chasteté. Il est sorti de son lit, il s’est approché de l’Ange, et par l’entremise de l’Ange, qui a parlé en son nom, il a communiqué à la vierge le don de chasteté. Nous trouvons donc ici un père chaste, un époux chaste, une mère chaste, un fils chaste et une chaste union contractée sous les auspices et par l’opération du Saint-Esprit. Par sa foi, Marie a donc mérité de rester ce qu’elle était auparavant ; le Seigneur lui a conservé ce privilège, même quand elle a conçu, et, à l’heure de l’enfantement, elle n’en a rien perdu : elle est restée vierge après la naissance du Sauveur ; car Celui qui règne avec le Père, dans les siècles des siècles, a donné à sa Mère le privilège de la fécondité quand elle l’a conçu, et ne lui a point enlevé la gloire de la virginité, quand il est né d’elle et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

VINGT-SEPTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. VII modifier

ANALYSE. —1. Le Christ est né d’une vierge. Analogies dans la vie de Samson. —2. Et dans celle de Sara.—3. Témoignage d’Isaïe. —4. Parallèle entre Ève et Marie.

1. Frères bien-aimés, je ne me servirai que d’exemples pour vous prouver le mystère de ce jour. Samson se distinguait par sa force et sa valeur guerrière : il était, comme le Christ, natif de Nazareth, et sa mère avait été stérile jusqu’à sa naissance ; un jour que, inspiré de Dieu, il avait mis en déroute l’armée ennemie, et qu’à défaut d’armes il ne pouvait pas achever sa victoire, il trouva par terre, au milieu du camp, une mâchoire d’âne. L’ayant prise dans ses mains, il tua une multitude d’ennemis avec ce nouvel instrument de combat. Ainsi s’en exprimait-il et s’en faisait-il gloire après l’action : « Je les ai défaits avec une mâchoire d’âne, j’ai tué mille hommes[92] ». À la suite de cette lutte vraiment gigantesque, Samson éprouva une soif qui lui brûlait les entrailles, et, toutefois, dans les environs, ne se trouvait aucune source où il fût à même de puiser et de se désaltérer. Il s’écria donc : « C’est vous, Seigneur, qui avez sauvé votre serviteur et qui lui avez donné cette grande victoire, et, maintenant, je meurs de soif[93] ». Alors Dieu entr’ouvrit les parois de la mâchoire et en fit couler de l’eau ; Samson la recueillit, et sa soif fut calmée. O mâchoire, tout à l’heure instrument sanglant de mort, et, maintenant, source de force et de vie ! Ici, elle a servi à répandre le sang des ennemis, là elle a produit une eau salutaire ! De la mâchoire d’un âne mort, et contrairement aux lois de la nature, a pu s’échapper une source d’eau vive ; jusqu’à ce jour, ce membre desséché d’un animal a pu s’appeler du nom de la mâchoire ; et la bienheureuse Marie, donnant le jour au Fils de Dieu, n’aurait pu rester vierge ni allaiter son enfant en dépit des lois de la nature ? Par l’effet de la puissance divine, une mâchoire a été capable de fournir ce que naturellement elle ne renfermait pas, et le même pouvoir céleste n’aurait pu permettre au corps de Marie de donner un lait qu’il possédait naturellement ? D’une mâchoire s’est échappée une fontaine ; le Sauveur est sorti du sein de Marie. La vertu d’en haut a fait couler de l’eau d’un ossement aride, et elle eût été impuissante à tirer un corps vivant du sein d’une femme vivante ? Que l’infidélité se taise donc, qu’elle cesse de murmurer. Le même pouvoir qui a rendu féconde la mâchoire d’un animal privé de vie a aussi fait des mamelles d’une vierge, devenue mère sans avoir contracté aucune souillure, une source de lait : ce prodige a été opéré par la vertu du Fils unique qu’elle a mis au monde.

2. Mais puisque tu veux circonscrire dans les bornes des lois de la nature l’enfantement et l’allaitement d’une vierge, dis-moi donc, oui, dis-moi en vertu de quelle loi la bienheureuse Sara a pu enfanter et allaiter à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Elle avait alors, pour deux causes, perdu la faculté de concevoir : elle était avancée en âge ; de plus, elle était stérile et ne pouvait avoir d’enfants ; car, dit l’Écriture, « Sara avait passé l’âge de la maternité[94] ». Néanmoins, au moment voulu par Dieu, elle a conçu et enfanté, et après avoir, en dépit de sa stérilité, mis au monde un fils, elle l’a allaité, bien qu’elle fût devenue vieille. Sara a obtenu de Dieu une telle faveur, et, pour devenir mère, la Vierge Marie n’aurait pu l’obtenir ? Ce que la vertu divine a accompli à l’égard d’une femme avancée en âge et débilitée, elle n’aurait pu l’accomplir à l’endroit d’une vierge ? Ou bien, celui qui a fécondé une mère décrépite n’aurait pu rendre féconde une vraie vierge, une mère toute jeune ?

3. Mais revenons-en au témoignage des prophéties. Isaïe s’exprime ainsi : « Voilà que le Seigneur est porté sur un léger nuage il entre en Égypte ; à sa présence, les idoles sont ébranlées et tous les cœurs sont dans l’effroi[95] ». « Le Seigneur est porté sur un léger nuage ». Ce passage a trait à l’humanité du Christ : elle portait le Seigneur et cachait en elle-même un Dieu qui se dérobait aux regards du monde, mais qui se manifestait par ses miracles. Le soleil, que nous voyons, ne se cache-t-il pas quelquefois derrière les nuages ? Alors, il ne luit plus à tes yeux, bien que pour lui-même il ne cesse d’être lumineux. Quant au soleil éternel, il se dérobait aux regards en se voilant du nuage de notre nature humaine, et pourtant il luisait pour lui-même et pour nous. « Sur un nuage léger » : expression bien juste, puisqu’il ne portait point le fardeau du péché qui écrase toute chair. En effet, comme l’eau alourdit les nuages, ainsi les péchés pèsent beaucoup sur l’homme. Car, si notre chair s’adonne à l’iniquité, elle nous entraîne dans la boue et jusque dans les enfers ; si, au contraire, elle est sainte, elle s’élève vers les régions éthérées et jusque dans les cieux. C’est avec justesse qu’Isaïe appelle « un nuage léger » l’humanité du Christ, puisqu’à aucun instant elle n’a été l’héritière de la prévarication originelle, et que même elle a purifié l’humanité entière de la tache du péché. Nous pouvons encore dire, sans aucun doute, que Marie, la bienheureuse Vierge, la sainte Mère de Dieu, a été « un léger nuage », puisque dans son corps et dans son âme, dans tout son être, elle a été douée de sainteté ; car le Seigneur n’a-t-il pas dit de ses saints, ou le Prophète n’a-t-il pas fait cette question « Qui sont ceux qui volent comme des nuées[96] ? » La vierge Marie, Mère du Sauveur, a été un nuage léger : en effet, elle a porté, suspendu à son cou ou couché sur ses bras, l’enfant divin ; elle a fui avec lui jusqu’en Égypte, où elle a demeuré, afin que s’accomplît cette parole de l’Écriture : « J’ai appelé mon Fils de l’Égypte[97] ».

4. Toutefois, mes frères, remarquez bien le changement opéré dans les choses par la nativité du Sauveur ; faites attention aux aperçus nouveaux que nous fait découvrir ce mystère. Une vierge a conçu, elle a enfanté et allaité, et elle est restée vierge. Un homme est né sans la coopération de l’homme. Nulle trace de corruption dans ce qui devait être le principe de la vertu. Le premier homme est tombé, cédant aux conseils d’une vierge ; le second Adam a triomphé, parce qu’une autre vierge a consenti aux volontés d’en haut. Le diable a introduit la mort dans le monde par l’intermédiaire d’une femme ; c’est aussi par l’intermédiaire d’une femme que le Sauveur y a ramené la vie. Un mauvais ange a jadis trompé Eve, un ange bon a exhorté Marie. Eve a cru, et elle a perdu son époux ; Marie a cru aussi, mais, par là, elle a préparé dans son sein au Fils de Dieu une habitation digne de lui ; elle a eu pour fils Celui qu’elle avait pour Maître. Une parole a causé la chute d’Eve ; Marie s’est également fiée à une autre parole, et elle a réparé ce qui avait été détruit. Par la pureté de sa foi, Marie a détruit le mal causé par la fausse confiance d’Eve. C’est d’une femme que date le péché, c’est à cause d’elle que nous mourons tous ; la foi aussi a commencé par une femme, et à cause d’elle nous avons retrouvé nos espérances de vie éternelle.

VINGT-HUITIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DU SAUVEUR. VIII modifier

ANALYSE. —1. Parallèle entre Eve et Marie. —2. La salutation angélique et l’obéissance de Marie. —3. Infinie bonté du Christ à notre égard.

1. Témoins des désirs qui animent votre dévotion, nous voulons vous découvrir le saint mystère de ce jour ; car si vous apprenez de notre bouche à bien connaître la secrète portée de la naissance du Christ, nous aurons pleinement satisfait des aspirations enrichies des perles de la foi. Aujourd’hui le Roi des anges a pris naissance au milieu des pécheurs, afin de leur accorder la condamnation de leurs fautes. « Que les cieux se réjouissent ! que la a terre tressaille d’allégresse[98] ! » car le véritable architecte est descendu des cieux pour relever le monde de ses ruines, et afin que, par Marie, fût réparé ce qu’Eve avait si malheureusement détruit. Autrefois une femme avait perdu l’univers, et voilà que Marie porte le ciel dans son sein : la première femme a goûté du fruit de l’arbre, elle en a donné à son époux, elle a introduit la mort ici-bas pour Marie, elle a mérité d’engendrer le Sauveur.

2. Vous le savez ; l’ange Gabriel s’approcha de la pudique Vierge de Nazareth et lui dit je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes « les femmes[99] » ; car votre sein est devenu la demeure du Fils de Dieu. Marie se troubla à la vue du messager céleste, elle entendit l’annonce du mystère, elle entra en négociation avec l’Ange. « Comment », lui dit-elle, « comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ?[100] » Ce que je vous dis là, je vous le dis d’après la manière dont les choses se passent en ce monde, mais je ne doute nullement de la puissance du Très-Haut. Votre parole me préoccupe, car j’ai résolu de rester vierge ; alors, et puisque je n’ai point de mari, comment pourrai-je engendrer un fils ? – Marie, les choses ne se passeront point comme vous le croyez ; vous n’enfanterez pas à la manière des autres femmes. Vous deviendrez mère, et, pourtant, vous ne perdrez jamais votre innocence ; car vous aurez le bonheur de porter dans vos entrailles la Divinité elle-même. « Le Sainte Esprit descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, en effet, votre sein est devenu le palais de l’Esprit-Saint.[101] » – Dès qu’elle eut entendu les conditions du céleste traité, elle prêta l’oreille aux propositions divines, et aussitôt elle mérita d’avoir le Seigneur pour habitant de son sein. « Voici », dit-elle, « la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon votre parole[102] ». Alors se trouvent occupées par le Très-Haut les entrailles de la Vierge ; la Majesté suprême tout entière se trouve renfermée dans les bornes étroites du corps d’une femme ; alors se forme en elle son fils, son protecteur, son hôte, son gardien. Enfin, arrive le temps de le mettre au monde : Marie donne le jour à son enfant, et néanmoins la porte de sa chasteté demeure close. On voit apparaître le rejeton d’une lignée toute céleste, sans que la pureté de sa mère se trouve souillée de la moindre tache. L’enfantement fut, pour elle, exempt de douleurs et de larmes, parce que son fruit lui était venu du ciel. En ce jour, l’armée des anges s’écrie, dans les transports de la joie : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes de bonne volonté sur la terre[103] », parce que le sein d’une vierge est devenu fécond.

3. Remarquez bien, mes frères, de quel éclat a brillé la miséricorde de Dieu à notre égard. il a daigné naître parmi les hommes, qu’il avait lui-même formés du limon de la terre. Par sa naissance, il a réparé leurs ruines ; il les a rachetés en mourant pour eux, et, après sa mort, il les a arrachés des abîmes profonds. Il a fallu qu’il nous aimât beaucoup pour prendre sur lui nos péchés, quoiqu’il fût juste, et pour se charger de nos crimes, malgré son innocence. Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous a délivrés des mains de nos ennemis, par cela même qu’il est descendu des cieux et que, après avoir subi les atteintes de la mort, il est sorti vivant et glorieux du tombeau, traînant à sa suite, dans son royal triomphe, tous les captifs dont il avait brisé les chaînes. Qu’à lui soient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

VINGT-NEUVIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. IX modifier

ANALYSE. —1. La naissance du Christ nous fait admirablement connaître l’amour de Dieu pour nous.—2. Cette naissance n’est pas sa première et éternelle naissance, mais la seconde et la temporelle. —3. Elle a été précédée de l’existence de la mère de Jésus, en qui la virginité et la fécondité se sont trouvées merveilleusement unies.—4. Dans la naissance du Christ se manifeste un ineffable mystère.—5. Le Christ, venant au monde, était un homme véritable car il voulait sauver les hommes ; et faire d’eux les enfants de Dieu. —6,. Les paroles par lesquelles on explique le mystère de l’incarnation semblent se contredire ; pourtant, il n’y a aucune contradiction dans l’enseignement de l’Église. —7. Il faut donc croire fermement à ce que là sainte Église croit et enseigne sur ce mystère, et, en particulier, sur les deux naissances du Christ : différences et rapports qui existent entre elles. —8. Considérons avec une vive reconnaissance quels admirables bienfaits nous ont procurés les mystères de l’incarnation et de la rédemption. —9. Il n’y a donc qu’un seul Christ, Dieu et homme tout ensemble, qui soit né et mort pour nous.

1. Frères bien-aimés, l’amour tout gratuit de Dieu pour nous trouve sa preuve dans la naissance temporelle, et selon la chair, du Fils de Dieu, notre Seigneur, dans cette naissance décidée avant tous les siècles, effectuée en ce monde, annoncée d’avance par les Prophètes, prêchée par les Apôtres, cachée, pendant l’ancienne alliance, sous des figures choisies, révélée, au temps de la nouvelle, par d’incontestables preuves, promise à nos Pères, manifestée à nos regards. En effet, Dieu nous a montré une affection entièrement bénévole, puisque, sans que nous l’ayons mérité, il nous a donné son Fils unique pour rédempteur. « Le Seigneur a envoyé un ré« dompteur à son peuple[104] ». Voici, au dire du bienheureux Paul, ce que nous devons penser du Christ : « Il nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption[105] ».

2. Nous célébrons aujourd’hui cette naissance du Fils de Dieu ; toutefois, en venant au monde, il est sorti, non point du sein de son Père, mais du sein de la Vierge, sa mère il a fait précéder cet événement du commencement du monde, et, ce qui est plus admirable encore, de la plénitude des temps[106]. Celui que le Père éternel a engendré en dehors de tous les temps a voulu naître ainsi, et, en naissant de la sorte, le Fils a daigné être envoyé par le Père, sans pouvoir, néanmoins, jamais se séparer de lui. Cette naissance n’est donc pas sa première, mais sa seconde.

3. Cette seconde naissance du Fils de Dieu a été précédée de l’existence en ce monde de celle qui lui à donné le jour ; mais jamais la divinité de son Père n’a préexisté relativement à sa première naissance. Celui qui est coéternel à son Père est donc né après sa mère. Voilà pourquoi nous célébrons aujourd’hui l’enfantement de la sainte Vierge, de cette vierge que nous proclamons aussi mère, en qui la gloire de la fécondité est venue accroître l’éclat de la virginité, et dont la fécondité s’est trouvée ennoblie par une virginité inaltérable. Cette vierge a donc eu le privilège de la fécondité, mais elle n’a jamais perdu celui de la virginité ; son enfantement a été de telle nature, que jamais elle n’eût été féconde si elle avait dû perdre l’intégrité de son innocence. Elle a donc été seule à recevoir cette grâce singulière d’un caractère tout divin ; à elle seule a été accordée cette faveur miséricordieuse de former, dans son sein et de son sang, le Créateur de toutes choses, et de concevoir, sans l’intermédiaire d’aucun homme, Celui qui a formé la femme, et, enfin, d’engendrer dans le temps le Dieu engendré de toute éternité.

4. En parlant de cette naissance du Fils de Dieu, qui s’est effectuée dans le temps, le Docteur des nations a dit : « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils à formé d’une femme, et assujéti à la toi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que nous devinssions ses enfants adoptifs[107] ». Par ces paroles le bienheureux Apôtre a attiré l’attention de nos esprits et leur a fait comprendre le mystère de notre rédemption. Il connaissait parfaitement les secrets divins, et, en interprète fidèle, il nous a présenté ce mystère sous l’aspect le plus aimable et le plus capable d’exciter notre admiration : Pourquoi ce mystère est-il si admirable ? Parce qu’il s’est ainsi accompli. Pourquoi est-il si aimable ? Parce qu’il s’est accompli en notre faveur. Pourquoi est-il digne de notre admiration ? C’est que celui qui est vrai Dieu de Dieu est aussi né vrai homme d’homme. Y a-t-il rien de comparable à cette merveille, que le vrai Dieu, naturellement né du Père, et, par droit de naissance, Maître de toutes choses, soit aussi né de la Vierge, dans la condition d’esclave ? que le Créateur de tous les temps ait été créé dans le temps ? Pourquoi ce mystère est-il si aimable ? C’est que le Fils unique, qui est dans le sein du Père[108], a daigné devenir vrai homme et naître de l’homme, pour nous faire naître de Dieu.

5. Afin de rendre plus claire et plus intelligible pour nos auditeurs la vérité que nous énonçons, il nous faut reprendre ce que nous avons tous entendu relativement à la naissance humaine du Fils unique de Dieu. « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme et assujéti à la loi ». Voilà comment le vrai Dieu est né vrai homme. Mais de quel bienfait cette naissance humaine de Dieu a-t-elle été pour nous la source ? L’Apôtre nous l’enseigne par ces paroles : « Pour racheter ceux qui étaient sous la loi, afin que nous devinssions ses enfants adoptifs[109] ». Voilà comment Dieu a agi : il est né vrai homme, afin que nous, qui sommes hommes, nous naissions de Dieu. En effet, nous sommes nés de Dieu lorsque, croyant en lui, nous avons été adoptés pour ses enfants. Le bienheureux Jean prouve en ces termes qu’il y a des hommes nés de Dieu : « Il a donné le droit d’être faits enfants de Dieu à tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, à ceux qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu même[110] ». Nous avons reçu, dans la personne du nouvel Adam, l’adoption de la grâce divine que nous avions perdue dans la personne du premier. Nous étions privés de la grâce, lorsqu’après avoir été conçus dans l’iniquité, nous sommes nés dans le péché ; car c’est un fait certain, que nous l’avions perdue même avant de naître corporellement. Tous ont perdu la grâce de l’adoption en celui « en qui tous ont péché[111] ». Dieu a donc fait éclater son amour pour nous, en ce que son Fils unique, par qui toutes choses ont été faites, a été fait au milieu de toutes choses, et qu’il a été fait dans la plénitude des temps, bien qu’il eût fait tous les temps.

6. Frères bien-aimés, il faut comprendre avec exactitude comment a pu être fait Celui par qui toutes choses ont été faites, ou comment l’on peut dire que celui qui a fait tous les temps a été fait dans la plénitude du temps. Les saints Prophètes et les Apôtres ont avancé ces deux assertions, et les disciples de la vérité même nous ont enseigné cela avec encore plus de vérité. Le Christ qui, après sa naissance, a député les Apôtres pour en être les témoins, avait déjà, avant de naître, député les Prophètes dans le même but. Les Prophètes et les Apôtres sont donc venus, envoyés qu’ils étaient par la vérité, et ils ont entendu à la même école ce qu’ils devaient nous enseigner à leur tour. Dans leurs paroles, rien de faux, rien de hasardé : tout y est manifestement vrai, tout y est véritablement manifeste. Voilà, mes très-chers frères, la doctrine des Prophètes et des Apôtres. Lorsqu’en parlant du Fils de Dieu, ils le désignent comme Créateur et créature, comme faisant et comme fait, comme tenant du temps et de l’éternité, il n’y a rien de discordant en leur manière de s’exprimer ; la fausseté ne vicie pas non plus leur enseignement, mais leur profession de foi sur l’une et l’autre naissance est l’expression vraie de la vraie foi, de la foi qui sauve. Il est, en effet, évident, que du Seigneur, Fils unique de Dieu, on peut toujours affirmer une double naissance, puisqu’en lui se trouvent réellement unies la substance divine et la substance humaine. Voilà pourquoi l’Église catholique reconnaît, sans hésiter, en un seul et même Fils de Dieu son créateur et son rédempteur ; son créateur, parce que, comme Dieu, il lui a donné l’existence ; son rédempteur, parce que, comme homme, il a été fait à cause d’elle. Cette chaste épouse reconnaît en lui, et sans l’ombre d’un doute, son époux ; car elle lui est unie dans la plénitude et la vérité des deux natures. Elle confesse qu’il est son chef et que ce chef non-seulement est du Père, demeure dans le Père, est l’Éternel et immuable Seigneur, mais est devenu, tout étant Dieu, un homme parfait, né, dans le temps, de la Vierge Marie. Elle sait qu’il a, avec le Père, une seule nature divine, et, comme sa mère, la nature humaine, c’est-à-dire un corps et une âme. Elle avoue qu’un seul et même Christ a commencé à exister, et n’a jamais eu de commencement ; car, l’Église catholique en fait profession, le Fils unique de Dieu est, tout à la fois, Dieu éternel de Dieu éternel, et homme temporel d’homme temporel. Aussi prêche-t-elle un seul et même Fils de Dieu, égal et inférieur au Père ; car elle sait qu’il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes[112], Jésus-Christ homme. En effet, Dieu le Fils nous a emprunté notre nature pour la sauver ; et Dieu, après nous l’avoir empruntée tout entière, l’a sauvée de même par l’effet d’une bonté toute gratuite. Ainsi est-il arrivé que Dieu le Père a accordé le salut à l’homme par les mérites de Dieu le Fils avec qui il partage la divinité : de là il résulte encore que l’homme a obtenu le salut de Dieu le Père, par l’entremise de Dieu le Fils, entré en participation de la nature humaine : d’où il suit, enfin, que, pour les fidèles, la vraie source du salut se trouve en un seul et même Fils de Dieu. Telle est donc la véritable règle de la foi catholique, voilà en quoi consiste la divine et saine doctrine : croire qu’il y a véritablement deux natures dans la personne du Fils de Dieu, et confesser, avec non moins d’assurance, la vérité des deux naissances d’un seul et même Fils de Dieu.

7. Mes frères, que ce point de foi soit donc bien certain pour nous ; que la croyance en soit bien affermie dans nos cœurs, appuyée sur la vérité de la foi et profondément enracinée dans la charité : Dieu, le Fils unique, par qui toutes choses ont été faites, est vraiment né une fois avant tous les temps, et une fois dans le temps ; une fois, sans avoir commencé, et une fois à une époque déterminée ; une fois de Dieu le Père, et une fois de la Vierge Marie ; de Dieu le Père sans avoir de mère ; de la Vierge Marie, non pas sans avoir de Père, mais sans avoir un homme pour père. En effet, Dieu le Fils a Dieu pour père, non-seulement entant qu’il est né de lui sans avoir commencé et qu’il est Dieu de Dieu le Père ; mais aussi en tant qu’il est né de la Vierge, dans le temps, et qu’étant Dieu il a été fait homme. Pour sa première naissance, le Verbe s’est échappé du cœur[113] de Dieu le Père ; dans la seconde le Verbe s’est fait chair dans le sein de la Vierge Mère, et Marie l’a enfanté. À sa première naissance, il a été engendré par le Père, et il est sorti de son sein, et c’était le Dieu Très-Haut, à sa seconde, le même Dieu, devenu un humble époux, est sorti d’un lit virginal ; par la première, il nous a faits, et par la seconde, il nous a donné une nouvelle vie ; par l’une, il nous a créés ; et par l’autre, il nous a rachetés ; par celle-là, nous sommes devenus hommes ; par celle-ci, nous avons été adoptés comme enfants de Dieu. Parla première, il est notre Créateur et nous sommes son ouvrage ; par la seconde, il est notre Rédempteur et nous sommes son héritage. Par l’une le Fils de Dieu nous a donné l’existence humaine ; par l’autre, il a daigné faire de nous ses héritiers ; c’est par l’effet de celle-là que tous les hommes viennent en ce monde, c’est par l’effet de celle-ci que tous les justes régneront dans le ciel. Comme conséquence de la première, nous sommes ses créatures et nous tenons de lui la vie ; comme conséquence de la seconde, ceux qu’il a rachetés entreront en possession de la béatitude éternelle.

8. O homme, remarque donc attentivement de quels bienfaits Dieu le Fils t’a comblé, quoique tu en fusses indigne ! Tu étais égaré, et il t’a cherché ; tu étais perdu, il t’a retrouvé ; tu t’étais vendu, il t’a racheté ; tu t’étais arraché la vie, il te l’a rendue. Voilà les faveurs qu’il t’a accordées en venant en ce monde, et il te les a accordées toutes d’une manière entièrement bénévole ; car il n’a trouvé en toi ni le mérite d’aucune bonne œuvre, ni même un commencement de bonne volonté. Quand nous songeons aux bienfaits de Dieu, nous n’en apercevons pas d’autre cause que la grâce d’en haut : nos bonnes œuvres y sont pour rien. En effet, mes très-chers frères, quel bien avions-nous fait pour mériter cette faveur singulière qu’un vrai Dieu se fit pour nous un vrai homme, que le Fils, par nature coéternel au Père, voulût naître d’une Vierge dans le temps, que le Très-Haut s’humiliât, que Celui qui nourrit incessamment les anges demandât sa nourriture aux mamelles d’une femme, que le Dieu infini fût placé dans une crèche étroite, que le Roi de tous les siècles fût abreuvé d’outrages, que Celui qui justifie subît une injuste condamnation, que Celui en qui ne se trouve aucun péché fût compté au nombre des pécheurs, que l’Auteur de la vie fût conduit à la mort avec des brigands, et qu’il mourût, non-seulement avec des scélérats, mais même pour des scélérats ? C’est pourtant un fait attesté par l’Apôtre, que « le Christ est mort pour des impies[114] ». Mais a-t-il pu naître pour des justes, Celui qui a daigné mourir pour des impies ?

9. Il n’y a donc qu’un seul et même Christ, qui réunit véritablement en lui les deux natures, vrai Dieu et vrai homme, vraiment né du Père et vraiment né d’une Mère, appartenant d’une manière incontestable à l’éternité et au temps, possédant indubitablement l’immortalité et subissant réellement les coups de la mort, vraiment privé de vie et ressuscité effectivement. Voilà le grand mystère de piété ! Dieu le Fils a été, selon la chair, livré pour nos péchés, et, selon la chair encore, il est ressuscité pour notre justification. Et parce que le même Fils de Dieu a commencé, en naissant, l’œuvre de notre rédemption qu’il a achevée en mourant pour nous, nous vous annonçons à tous, au jour où nous célébrons la nativité du Sauveur, celui de sa résurrection, tant Notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles avec le Père et l’Esprit-Saint, a eu hâte d’opérer notre salut ! Ainsi soit-il.

TRENTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR. X modifier

ANALYSE. —1. Étonnants mystères renfermés dans la naissance du Christ. —2. Un grand nombre de prodiges, sorte de prélude de ses miracles à venir, ont précédé la naissance du Sauveur. —3. Motifs pour lesquels les Mages ont recherché et adoré ce roi des Juifs préférablement à tous autres.

1. Le Christ vient au monde, aussi le cœur des hommes est-il inondé de joie. Le Créateur du genre humain sort du sein d’une jeune fille, et des entrailles, restées vierges de tout contact charnel, mettent au monde le Fils de l’homme, qui n’a pas eu d’homme pour père. Le temps voulu pour l’enfantement de Marie s’accomplit ; si grand que soit celui qu’elle engendre à la vie, rien n’est changé aux lois qui régissent la naissance des humains. Ainsi a dû naître celui quine devait point refuser de mourir pour nous délivrer. Le Christ vient au monde : comme Dieu, il est du Père ; en tant qu’homme, il vient d’une mère. Engendré par le Père, il est la source de la vie ; enfanté par Marie, il est le tombeau de la mort. En lui se rencontrent le Révélateur du Père et le Créateur de la mère, le Verbe né avant tous les temps, et l’homme né au temps opportun ; le Créateur du soleil, et la créature formée sous le soleil ; celui qui est de toute éternité avec le Père, et celui qui est né aujourd’hui de la mère ; celui sans lequel le Père n’a jamais existé, et celui sans lequel la mère n’aurait jamais été mère. Celle qui a enfanté est en même temps mère et vierge ; Celui qu’elle a enfanté est tout à la fois enfant et Verbe. Celui qui a fait l’homme s’est fait homme, il a été mis au monde par une mère qu’il avait lui-même créée, et il a sucé les mamelles qu’il avait lui-même remplies. Celui qui était Dieu est devenu homme, et, sans perdre ce qu’il était, il a voulu devenir sa propre créature. En effet, il a ajouté l’humanité à sa divinité ; mais en devenant homme, il n’a point cessé d’être Dieu ; pour s’être revêtu de membres humains, il n’a pas discontinué ses œuvres divines, et quand il s’est enfermé dans le sein d’une Vierge, il ne s’y est pas emprisonné au point de soustraire aux anges la sagesse qui fait leur nourriture et de nous empêcher de goûter combien le Seigneur est doux. Ah ! c’est à juste titre que les cieux ont parlé, que les Anges ont rendu grâces, que les bergers se sont réjouis, que les Mages sont devenus meilleurs, que les rois sont tombés dans le trouble, que les petits enfants ont été couronnés. O Mère, allaitez notre nourriture, allaitez le pain qui nous vient du haut des cieux, placez-le dans la crèche, comme s’il était destiné à être la pâture de pieux animaux. Allaitez celui qui vous a créée pour faire de vous sa mère, celui qui, avant de naître, a choisi le sein dans lequel il s’incarnerait et le jour où il viendrait au monde ; celui, enfin, qui a créé ce qu’il destinait à devenir « le lit nuptial d’où, nouvel époux, il sortirait un jour[115] », pour embrasser l’Église, son épouse.

2. Voyez quels prodiges ont précédé la naissance du Sauveur ! Longtemps auparavant les Prophètes annoncent que le Créateur du ciel et de la terre se fera adorer ici-bas ; l’Ange fait savoir qu’on verra venir dans la chair celui qui a tiré la chair du néant ; en. fermé dans le sein d’Elisabeth, Jean salue le Sauveur enfermé dans celui de Marie ; le vieux Siméon reconnaît un Dieu dans un petit enfant, et la veuve Anne, une Vierge dans la personne de sa mère. Seigneur notre Dieu, voilà quels témoins ont affirmé votre naissance, avant que vous marchiez sur les eaux, que la tempête s’apaisât sur votre parole, qu’à votre prière un mort sortît vivant du tombeau, que le soleil s’obscurcît tout à coup au moment de votre mort, qu’à l’heure de votre résurrection la terre tremblât sur ses bases, et que le ciel s’ouvrît à celle de votre ascension. Enfin, les Mages, partis des extrémités de l’Orient, sous la conduite d’une étoile, afin d’apporter au Christ les prémices de la foi, ont traversé d’immenses étendues de pays, pour venir à la recherche du Roi, pour courber devant lui leurs fronts.

3. Mais, ô Mages, si vous avez regardé le Christ comme étant vraiment roi des Juifs, quel motif vous a portés à l’adorer de préférence aux autres ? Depuis de longs siècles n’a-t-on pas vu naître un grand nombre de rois juifs ? N’y a-t-il pas eu, parmi eux, l’illustre monarque David, et Salomon, le plus puissant de tous ? Pourtant, vous n’êtes venus vous approcher ni de leur berceau, ni de leur trône. Ah, c’est qu’avant le Christ, le ciel n’a trahi la grandeur d’aucun d’entre eux t Mais, aujourd’hui, une étoile fait connaître le Roi des rois, et son Créateur : le ciel lui-même annonce qu’il est Dieu, et, d’après les signes qui s’y manifestent, il est impossible de révoquer en doute sa nature divine.

TRENTE ET UNIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XI modifier

ANALYSE. —1. La naissance du Christ, sujet d’une grande joie. —2. Que le peuple manifeste son allégresse en s’acquittant de ses devoirs.

1. Tous les passages de l’Écriture qu’on vient de nous lire, frères bien-aimés, doivent être pour chacun de nous un sujet d’allégresse : nous ne devons tous éprouver qu’un sentiment, celui de la joie. En effet, le Psalmiste dit : « Tressaillez de bonheur à la présente du Dieu qui est notre soutien[116] ». L’Apôtre ajoute : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur[117] ». « Je vous annonce », continue l’Évangéliste, « je vous annonce le sujet d’une grande joie[118] ». O l’heureux jour que celui-ci, puisque, d’après le témoignage des Écritures, nous y célébrons la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de concert avec le Psalmiste et l’Évangéliste, avec les Prophètes et les Apôtres.

2. Oui, elle est grande, en ce jour, la joie des chrétiens, cette joie dont les saintes Écritures lui ont donné l’exemple. Oui, notre allégresse est sans bornes, puisque dans l’ivresse de son bonheur le peuple a fait son devoir. Quelle serait la sainteté des membres de cette Église, s’ils accomplissaient toujours la volonté du Christ ! Je vous le demande donc instamment, mes très-chers frères, remplissez toujours les devoirs que le Seigneur vous impose ; ainsi mériterez-vous de vous réjouir éternellement les uns avec les autres. Le bonheur que nous éprouvons aujourd’hui à célébrer la naissance du Sauveur est, en effet, le prélude du bonheur que le serviteur fidèle de Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce monde goûtera dans le ciel, à y célébrer avec les anges les solennités à venir de l’éternité.

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XII modifier

ANALYSE. —1. Le Christ s’est incarné pour triompher du diable. —2. Que de merveilles à admirer dans la naissance du Sauveur ! —3. Marie mère et vierge.

1. Frères bien-aimés, c’est aujourd’hui le jour où le Christ a pris notre humanité dans le sein d’une Vierge. Il a voulu s’humilier jusqu’à se revêtir de notre pauvre nature pour délivrer nos âmes de leurs péchés. Par sa prévarication, le premier homme avait déçu le monde entier ; il n’y avait plus, dès lors, de remèdes à nos maux et de salut pour nous, que si le Christ descendait du ciel. Pour le serpent, il se réjouissait, dans l’excès de sa méchanceté, d’avoir inoculé son venin à l’homme nouvellement créé. Mais le Christ est descendu dans le sein d’une Vierge, afin d’y prendre un corps d’homme qui serait attaché à la croix, et dont la mort porterait le coup fatal à l’antique serpent. Le diable avait employé une ruse infernale : c’était de parler à la femme par l’entremise d’un serpent, et de déguiser ainsi sa propre personne. Efforts inutiles ! Le Christ est descendu des cieux, le Fils de Dieu lui-même a pris un corps d’homme, et, en se montrant au démon sous l’apparence d’un homme, il lui a tendu un piège mortel. Ainsi, en effet, le tentateur a-t-il cru n’avoir affaire qu’à un homme, et a-t-il complètement méconnu le Seigneur. Il voyait bien un homme devant lui, mais il était loin d’imaginer que ce fût le souverain Maître. La faiblesse s’étalait à ses regards, mais la divinité se dérobait à ses yeux ; aussi demeura-t-il tout confus, lorsque dans l’homme se montra le Dieu.

2. Le Christ est donc descendu ici-bas, envoyé par Dieu son Père ; toutefois, il ne s’en est jamais séparé : il était sur la terre, sans avoir un seul instant quitté le ciel. Il a lui-même dit à ce sujet : « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel[119] ». Sur la terre, il parlait aux hommes en tant qu’homme, et il déclarait être au ciel en tant que Dieu. En lui, néanmoins, la divinité n’a subi aucun amoindrissement de ce qu’il s’est revêtu de notre infirmité : il a pris ce qu’il n’était pas, et il reste ce qu’il était dès le commencement, c’est-à-dire Dieu. Pour s’être fait homme, il a travaillé à notre avantage, mais non à son détriment ; il est demeuré l’égal du Père, tout en anéantissant la plénitude de sa divinité et en prenant la forme d’esclave.

3. Seule parmi toutes les personnes de son sexe, une Vierge a paru, qui a eu le singulier mérite de concevoir dans ses entrailles le Fils de Dieu, et de posséder sa virginité entièrement intacte, même après l’avoir enfanté. « Je vous salue, Marie », lui dit l’Ange ; « vous êtes pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre toutes les femmes[120] ». Car « voilà que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus[121] ». « Il délivrera son peuple de ses péchés[122] ». Vous garderez tous les droits de la virginité, vous aurez un fils et vous ne perdrez pas le titre de vierge ; car la puissance divine est si grande, qu’elle donne la fécondité à la mère et conserve à la Vierge son intégrité, « Vous êtes bénie entre toutes les femmes », parce que vous concevrez du Saint-Esprit, et en cela agira, non pas un époux charnel, mais la grâce divine. L’enfant que vous allaiterez sera votre propre créateur. Vous, que Dieu nourrit de ses largesses, vous lui donnerez vos mamelles à sucer ; vous envelopperez de langes celui qui vous a accordé le vêtement de l’immortalité ; vous placerez dans une crèche le corps enfantin de celui qui vous a préparé une table céleste. Tous les soins qu’une femme doit à son nourrisson, vous les prodiguerez à celui qui vous a promis la faveur de posséder surabondamment les biens réservés par lui à ses saints. Que dire de plus ? O Vierge, réjouissez-vous de ces magnifiques promesses ! Alors s’éloigna le messager d’en haut : alors vint prendre possession du sein de Marie le Dieu qui vit et règne, avec le Père et l’Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIII modifier

ANALYSE. —1. Un aliment spirituel est indispensable à notre âme pour acquérir la vie éternelle : c’est pour nous la procurer que Dieu nous a donné la loi et les Prophètes, et que le Christ s’est fait homme. —2. Combien la venue du Christ était nécessaire à la délivrance de l’homme. —3. En s’incarnant, le Christ nous a apporté le salut. —4. Ce n’est pas sans un admirable mystère que nous connaissons la venue du Christ en ce monde.—5. Réfutation des objections faites par les infidèles contre l’incarnation de Dieu.

1. Mes très-chers frères, c’est avec raison et pour notre plus grand bien qu’on nous fait lecture des paroles divines, car elles sont l’aliment de notre âme. « Car l’homme chrétien ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu[123] ». Comme nous avons, chaque jour, besoin d’aliments matériels pour sustenter la vie de notre corps, ainsi nous faut-il une nourriture spirituelle pour parvenir à la vie éternelle. En effet, si tant de personnes affectionnent cette vie terrestre en dépit des dangers et des peines dont elle se trouve comme hérissée, combien plus vivement doit-on aimer la vie céleste et sans fin que nous partagerons plus tard avec les anges ; car le Sauveur a dit : « A la résurrection des morts, ils ne se marieront pas et ne prendront pas de femmes, mais ils seront semblables aux anges ?[124] » C’est en vue de cette vie éternelle due Dieu a donné sa loi et choisi les Patriarches, que les prêtres et les lévites ont reçu l’onction du chrême, que les Prophètes sont venus, que les anges ont été envoyés, qu’enfin le Seigneur, Fils de Dieu, est lui-même descendu des cieux sur la terre et a rétabli en nous son image. De là nous devons conclure quelle impérieuse nécessité il y avait pour nous que la souveraine Majesté se revêtît de notre chair mortelle.

2. Pouvait-il y avoir pour cela un motif plus pressant que celui de notre mort éternelle ? Pouvions-nous éprouver un châtiment plus cruel, que la servitude du péché ? Quel supplice plus insupportable que notre captivité éternelle ? Nous portions les entraves de la mort, nous étions plongés dans l’esclavage et la sujétion la plus dure. Où se trouve la preuve de notre mort éternelle ? Dans les paroles de l’Apôtre ; écoute-le : « Depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a régné sur ceux-là mêmes qui n’avaient point péché[125] ». Par quel moyen établir la preuve de notre captivité ? Par les plaintes des martyrs, qui s’exhalent jusque dans les psaumes : « Seigneur, comme le vent du midi rompt les glaces des torrents, ainsi brisez nos fers[126] ». La captivité imposée par des ennemis barbares est, certes, bien cruelle, bien féconde en amertumes ! Et, pourtant, on peut s’y soustraire par la fuite, s’y dérober par une somme d’argent ; en tout cas, la mort lui sert de terme. S’il en est ainsi d’elle, que sera-ce de la captivité éternelle, qui ne finira point par la mort, mais qui, au contraire, sera, dans les abîmes éternels, la source d’intolérables douleurs ?

3. Donc, mes frères, des motifs impérieux de tous genres exigeaient que Notre-Seigneur Jésus-Christ vînt dans le temps sur la terre. Aussi, en se revêtant de notre humanité, nous a-t-il arrachés à la mort pour nous rendre à la vie ; il nous a délivrés de la servitude et nous a rendu la liberté ; il â brisé les chaînes par lesquelles les démons nous retenaient captifs, et nous sommes rentrés en possession de l’adoption des enfants ; car, a dit le Prophète, « il est monté au plus haut des cieux, traînant après lui de nombreux captifs ; il a répandu ses dons sur les hommes[127] ». Le Seigneur Christ est donc venu, à proprement parler, pour opérer notre délivrance. Ce n’est ni un prince, ni un député, ni un ange qui nous sauvera ; ce sera le Seigneur lui-même par sa venue.

4. Étonnante merveille, mes frères ! Le Christ est venu en ce monde, et, pourtant, il était dans le monde dès le commencement, il y est encore, et il y reviendra un jour. Qu’il soit venu dans le monde, c’est un fait attesté par l’Apôtre en ce passage : « C’est une vérité certaine et digne d’être reçue avec une entière soumission, que Jésus-Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, parmi lesquels je suis le premier »[128]. Qu’il ait été dans le monde, l’Évangéliste l’affirme : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu[129] ». 2 est encore maintenant avec nous dans le monde, car il a dit à ses Apôtres : « Allez, instruisez toutes les nations ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles »[130]. Quant à sa venue future, l’Ange en parle ainsi aux Apôtres : « Comme vous voyez le Christ monter au ciel, ainsi l’en verrez-vous revenir[131] ». Précédemment déjà, le Prophète l’avait annoncé : « Il viendra manifestement, notre Dieu, et il ne se taira plus[132] ». Aussi, parce que le Seigneur Christ « était dans le monde, le monde », c’est-à-dire, le genre humain, « ne l’a point connu[133] ». Et chose surprenante ! il ne le croyait pas invisible. Grand mystère ! Étonnante merveille ! Par cela même que le Créateur du monde a voulu devenir une des créatures qui peuplent le monde, il a effacé les péchés du monde, suivant cette parole de l’Évangile : « Voilà l’Agneau de Dieu, voilà celui qui efface les péchés du monde[134] ».


5. Mes frères, nous croyons que le premier avènement du Seigneur Christ a déjà eu lieu, et nous lui en témoignons notre reconnaissance par notre adhésion à cette vérité ; mais il nous revient de tous côtés des objections faites par les Juifs endurcis, par les païens et les manichéens. – Qu’est-ce donc que sou. tiennent les chrétiens, s’écrient-ils ? Ils disent que le Dieu de gloire est venu en ce monde pour sauver le genre humain ? Pourquoi le prétendre ? N’y avait-il dans le ciel personne que Dieu pût envoyer à sa place ? N’avait-il pas à sa disposition un ange ou un autre représentant ? N’a-t-il pas, en effet, choisi Moïse et Aaron pour délivrer le peuple d’Israël de la captivité d’Égypte ? D’ailleurs, s’il a voulu venir en ce monde, pourquoi se servir de l’intermédiaire d’une femme ? Pourquoi passer par les membres obscènes d’une créature ? – Voici notre réponse. Nous disons : Dieu pouvait nous délivrer d’une autre manière, parce qu’il est tout-puissant. Mais il ne nous suffisait pas qu’en Dieu se trouvât seulement la puissance, il fallait aussi qu’à la puissance se joignît la justice. La puissance se manifeste dans l’action, et la justice dans la raison. Or, la raison exigeait que l’homme eût pour rédempteur le Créateur même du genre humain ; car nous lisons, dans la sainte Écriture, que Dieu le Père a dit à son Fils : « Faisons l’homme « à notre image et à notre ressemblance[135] ». Quant à la difficulté qu’ils tirent du passage du Christ par des membres soi-disant obscènes, rien de plus facile que d’en triompher. Je ne vois aucune obscénité là où se rencontre l’intégrité virginale ; on ne peut dire qu’il y ait des taches là où la nature a conservé une pureté parfaite. Les rayons du soleil traversent les marais et la fange, sans contracter aucune souillure, bien qu’ils soient corporels, puisqu’ils sont un composé de lumière et de chaleur ; à bien plus forte raison la divinité incorporelle du Christ n’a-t-elle pu se salir en s’incarnant dans le sein d’une Vierge. Une Vierge a conçu, une Vierge a enfanté, et elle est demeurée vierge. Ce qu’Eve nous avait fait perdre, la Vierge Marie nous l’a rendu. La vierge Eve nous avait donné la mort, la Vierge Marie nous a donné notre Sauveur. La saine et droite raison a donc voulu que le nouvel Adam fût sauvé par les mêmes voie ; que celles par lesquelles le premier homme avait péri. <nopwiki/>

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DU SAUVEUR. XIV modifier

ANALYSE. —1. La naissance du Christ n’a rien de charnel, puisqu’il est le Verbe de Dieu. —2. Marie saluée par l’ange. —3. Miraculeuse conception du Christ ; merveilleuse naissance du Sauveur ; les anges l’annoncent aux pasteurs. —4. Ce que nous ont valu le premier et le second Adam, la première et la seconde Eve.

1. D’après les ordres de celui qui vient de naître, ma langue audacieuse voudrait parler de la conception et de la naissance virginale de l’éternelle Divinité ; mais mon esprit se trouble et ne peut que s’épouvanter en face d’une pareille tâche. Pourrait-on, en effet, n’éprouver aucune terreur quand il s’agit de ra. conter des merveilles ? Je tremble donc, et avec raison, car celui dont je vais parler est présent devant moi. Personne d’entre vous, mes bien-aimés, ne doit s’imaginer que Notre, Seigneur et Sauveur ait commencé d’exister au moment de sa naissance charnelle ; car il a toujours été dans le Père, selon ce témoignage de l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui[136] ». Remarque attentivement et vois qui est celui qui était, où il était, quel il était, comment il était, ce qu’il faisait. « Au commencement était le Verbe ». D’après ces paroles, tu sais qui est-ce qui était. Écoute maintenant, voici où il était : « Et le Verbe était en Dieu ». Puisque tu as appris où il était, sache quel il était : « Et le Verbe était Dieu » ; et où il était : « Il était au commencement avec Dieu » ; et ce qu’il faisait : « Toutes choses ont été faites par lui » ; où il est venu : « Il est venu chez lui » ; pourquoi il est venu : Jean va nous l’apprendre : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde[137] ».

2. « Au commencement donc était le Verbe, etc. » Si toutes choses ont été faites par le principe…… Les anges chantent donc, pour l’annoncer, la naissance du Dieu éternel. Marie était Vierge avant d’enfanter, elle reste Vierge après l’enfantement, et ses entrailles seront la demeure où Dieu viendra se reposer en attendant qu’elle lui donne le jour. Voyez quel enfantement a annoncé l’ange Gabriel, à qui la parole d’en haut seule a donné un corps ; car il est écrit : L’Ange s’approcha de Marie et la salua en lui disant : « Le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni[138] ». O virginité digne de tous nos hommages ! O humilité digne d’être publiée partout ! L’Ange appelle Marie la Mère du Seigneur, et Marie s’en dit hautement la servante. Admirable prévoyance de Dieu1 Marie n’a point su d’avance sa maternité future, parce que, dans sa simplicité virginale, elle eût refusé même l’honneur de concevoir. Gabriel s’approche d’elle, apportant avec lui le messager de Dieu et Dieu lui-même ; il annonce à la jeune Vierge un mystère bien Papable de la jeter dans l’épouvante ; il lui annonce la visite du Dieu qui doit passer par elle. Marie est là, saisie de frayeur ; à la parole insinuante de l’Ange elle ne répond rien, tant son âme est troublée 50 Sa pudeur virginale paralyse son cœur ; toutes ses entrailles frémissent sous l’impression de la crainte, et elle déclare en tremblant tout ce qu’elle redoute. C’était à bon droit que le frisson de la peur avait saisi la partie de son corps destinée à devenir l’asile de la Divinité. On ne saurait qu’innocenter le pudique effroi causé en elle par la crainte de Dieu et de l’enfantement ; aussi, comme le saint Ange savait que cette âme de femme allait se troubler soit en le voyant s’approcher d’elle, soit en entendant son message, il s’adresse à ce cœur de jeune fille en commençant par lui parler de bénédiction, afin qu’elle se réjouisse de se voir plus privilégiée que son premier père. O double fruit d’une bénédiction ! Le Seigneur fait tout à la fois bénir et instruire sa mère.

3. A peine l’Ange lui a-t-il annoncé son enfantement, que les membres destinés au Verbe sont conçus en elle et commencent à se former. Dieu se renferme dans le sein d’une femme ; celui pour qui le monde est peu de chose se trouve porté dans les entrailles d’une Vierge ; et, renfermé dans les étroites limites d’un corps humain, la Grandeur divine s’incarne pour nous sauver ! Les entrailles fécondées de Marie se dilatent sous l’action du Verbe, et quand le nombre des mois est arrivé à son terme, elles mettent au jour l’homme céleste. À ce moment les anges publient, par leurs cantiques, la naissance du Sauveur. Or, en la même contrée, il y avait des bergers qui gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. Le Christ vient au monde ; les pasteurs ont commencé à veiller. La nuit, c’est le monde ; la lumière, c’est le Christ ; les pasteurs, ce sont les prêtres. L’Ange dit aux bergers : « Ne craignez point, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le monde le sujet d’une grande joie : c’est qu’il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur[139] ». C’est avec juste raison que la naissance du Christ est annoncée aux pasteurs, car les pasteurs doivent l’intimer aux incrédules. Heureuse fécondité d’une Mère1 Elle donne, pour nous, le jour à un Dieu fait homme. Heureuse virginité d’une Mère qui a su adorer son céleste Fils avant de le nourrir ! Nous aussi, adorons en ce nouveau-né notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

4. Écoutez, frères bien-aimés, si cela est possible, le mystère de la loi. Le premier Adam venait de la terre et du ciel ; le second venait du ciel et de la terre. Celui-ci venait du ciel et de la terre, parce qu’il était de Dieu et de Marie ; celui-là venait de la terre et du ciel, car il était un composé de terre et d’esprit. La mère de l’un et de l’autre était Vierge, et leur naissance n’était le fruit d’aucun commerce charnel ; Marie ne connaissait pas la corruption, la terre était intacte, car ni semence, ni soc de charrue, ni pluie ne l’avait encore touchée. Le premier Adam nous a ôté la vie ; avec elle, le second nous a donné la grâce. Les conseils d’une Vierge ont causé la chute du premier ; par l’enfantement d’une Vierge, le second a relevé les ruines qu’Eve avait faites. L’un a péché et nous a fait punir de mort ; le second a souffert et nous obtenu notre pardon. En raison de sa faute, le premier s’est vu chassé du Paradis ; à cause de sa bonté, le second a été attaché au bois de la croix. Donc, le mal s’est fait par une femme, mais une femme a bien plus puissamment opéré le bien. En effet, si nous sommes tombés par le fait d’Eve, c’est Marie qui nous a remis sur nos pieds ; si l’une nous a jetés par terre, l’autre nous a relevés ; si la première nous a condamnés à la servitude, la seconde a brisé nos chaînes ; celle-là nous a empêchés de vivre longtemps, celle-ci nous a rendu la vie éternelle. Entre les mains d’Eve le fruit de l’arbre a été la cause de notre condamnation ; Marie nous a absous par le fruit de l’arbre, car le Christ a été pendu à la croix comme un fruit. C’est donc un arbre qui nous a donné le coup de mort, et c’est un arbre qui nous a rendu la vie. L’arbre du péché a allumé en nous le feu des passions ; l’arbre de la science nous a procuré un vêtement qui calme notre ardeur pour le mal. Un arbre nous, a réduits à la nudité ; un arbre nous a donné ses feuilles pour nous couvrir d’indulgence. L’arbre de l’ignorance nous a produit des ronces et des épines ; l’arbre de la sagesse a été pour nous la source de l’espérance et du salut. Un arbre nous a apporté le travail et les sueurs ; un arbre nous a procuré le repos et la paix. Un arbre a ouvert les yeux du corps ; un autre les yeux du cœur. L’arbre du monde nous a inoculé l’astuce ; l’arbre de Dieu nous a enseigné la prudence. Un arbre nous a montré le mal ; un arbre nous a fait voir le bien. Mais je veux remonter au jour de la prévarication, et, avec la permission de Dieu, vous dire ce qu’il m’inspirera. Si Adam n’était point tombé corporellement, le Christ n’aurait pas eu à nous ressusciter spirituellement en cette vie. Je l’ai déjà dit : O profondeur insondable des secrets éternels ! O plan divin, caché à ceux qui n’ont pas la foi, et rayonnant de clarté pour ceux qui croient ! L’Immortel crée une mortelle, et une mortelle donne le jour à l’Immortel. Celui qui n’a pas de corps se renferme en terre, et celui qui a un corps devient habitant des cieux. Dieu se fait homme et il se relève. Le genre humain tout entier est souillé par Eve, et Marie le purifie. Eve est donc bienheureuse, puisqu’elle a donné l’occasion de tant de merveilles ; mais bien plus heureuse est Marie, car elle nous a guéris de tous nos maux ! Heureuse Eve ! elle est devenue la mère du genre humain ! bien plus heureuse est Marie ! elle a mis au monde le Christ. L’une est donc préférable à l’autre, mais toutes deux méritent nos louanges. En effet, si Eve, de qui descendait Marie, n’avait d’abord failli, le Christ n’aurait point rendu Marie heureuse ; et il ne se serait point abaissé jusqu’à nous, si Eve n’avait d’abord prévariqué ici-bas. L’une s’appelle la mère des hommes, l’autre la mère de la grâce ; l’une nous a formés, l’autre nous a fortifiés ; par Eve, nous grandissons, nous régnons par Marie. Celle-là nous a jetés à terre, celle-ci nous a élevés jusqu’au ciel. En deux mots, voici tout le mystère de la loi : Eve et Marie conspirent toutes deux au même but, comme tous les hommes s’en sont écartés. En Eve se trouvait originairement Marie, et c’est par Marie qu’Eve a été plus tard réhabilitée.


TRENTE-CINQUIÈME SERMON.
UNITÉ DANS LA TRINITÉ, ET INCARNATION DU SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. L’orateur pria le Christ de nous enseigner ce qu’il est. —2. Que le Christ soit Dieu ; c’est un point de foi prouvé par ses propres paroles. —3. parle témoignage du divin Paul. —4. par celui de saint Pierre. —5. par les paroles de saint Jean. —6. par le témoignage que le Père a rendu du Fils. —7. La Trinité est un seul Dieu. —8. Réfutation de l’hérésie. La verge du pasteur. —9. Nous devons tous imiter les exemples des saints.

1. Venez, Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur, qui partagez à degré égal, avec le Père, la souveraine puissance ; venez et écrasez la tête du grand dragon, et dites-nous ce que vous êtes ; car Arius nous enseigne autre chose que ce que vous êtes. Parlez ; oui, parlez, nous voulons entendre de votre bouche ce qui doit nous aider à confondre les hérétiques.

2. Écoutez, frères bien-aimés, ce que dit le Sauveur : « Je suis la voie, la vérité et la vie ; personne ne vient au Père si ce n’est par moi[140] ». En tant que Dieu, il est la vérité et la vie ; en tant qu’homme, il est la voie. Et toi, hérétique Arien, tu prétends que la vérité et la vie sont moindres que la divinité ; aussi, et par une conséquence naturelle, tu ne pourras jamais arriver jusqu’au Père. Mais, Seigneur Jésus, continuez à écraser la tête du dragon : dites-nous ce que vous êtes avec le Père ; nous voulons entendre vos leçons et non les blasphèmes de l’hérésie. Dites-nous qui vous êtes avec le Père : « Le et Père et moi, nous sommes un[141] ». Dites encore : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi[142] ». Puis : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père[143] ».

3. O hérétique, crois-tu déjà à une pareille autorité ? ou bien n’admets-tu pas le témoignage que le Sauveur lui-même rend de sa propre personne ? Tu veux d’autres témoins ? eh bien ! nous allons en citer contre toi, qui te convaincront d’erreur. Nous vous appelons comme témoin, seigneur Paul, vous qui avez résisté jusqu’au sang pour rendre ce témoignage, vous qui avez mieux aimé mourir que de céder à une fausse doctrine ; parlez donc, oui, parlez, afin que celui qui redoute d’être convaincu vous entende : « Que chacun de vous soit dans la disposition où a été Jésus-Christ ; lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu[144] ». Voilà bien : « Égal à Dieu. Nature de Dieu ». Et tu oses dire le Fils de Dieu inférieur à son Père !

4. Faisons venir un autre témoin, et que par deux ou trois témoins se confirme l’exacte vérité. Vous aussi, saint Pierre, prenez la parole : dites-nous « ce qui vous a été révélé, non par la chair et le sang, mais par le Père céleste[145] ». « Vous êtes le Fils du Dieu vivant[146] ». Il ajoute, dans sa seconde Epître aux Gentils : « Nous vous avons fait connaître la puissance, la prescience et la grandeur de Notre Seigneur Jésus-Christ[147] ». Hérétique, où vois-tu que le Christ ne soit pas aussi grand que le Père ?

5. Mais voici un troisième témoin : avec les deux autres, il rendra un même et véridique témoignage à la Trinité dans l’Unité, et à l’Unité dans la Trinité. Saint Jean, parlez à votre tour : vous avez reposé sur le cœur de Jésus, et par-dessus toutes les merveilles célestes vous avez aperçu le Verbe de Dieu. Dites-nous ce que vous avez alors appris du Fils de Dieu. Dites-nous ce qu’il est : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était, Dieu[148] ». Dans son Epître, nous lisons ces autres paroles : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné l’intelligence, afin que nous connaissions le vrai Dieu et que nous vivions en son vrai Fils. C’est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle[149] ». Puisque tu dis moindre le Fils qui est « le vrai Dieu », tu n’auras pas la vie éternelle.

6. Mais, pour achever de confondre ton opiniâtreté, le Père va lui-même rendre témoignage à son Fils : après cela, tu n’auras plus rien à chercher, tu n’auras plus autre chose à croire. Il dit donc par la bouche du Prophète : « Le principe sera avec vous au jour de votre puissance[150] ». Le Père est principe et aussi le Fils. Le Père et le Fils sont donc principe, sans commencement aucun. « Le principe sera avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints : « je vous ai engendré avant l’aurore[151] ». C’était dire, en d’autres termes : Vous êtes sorti de moi, pour éclairer les saints. Mes très-chers frères, si les noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit semblent eux-mêmes tout distincts l’un de l’autre, je n’en vois pas d’autre motif que celui-ci : instruire les hommes justes. Au reste, quel langage la substance même de la Trinité a-t-elle tenu à Moïse ? « Je suis celui qui suis ; et voici ce que tu diras : Celui qui est m’a envoyé[152] ». Le Fils a donc été engendré du Père dans les splendeurs des saints ; mais pour que tu n’attaches à cette génération aucune idée de matière ou de temps, écoute. Voici la manière dont le Père a engendré le Fils : « De mon cœur s’est échappée une bonne parole ». Que dit maintenant le témoin Jean ? « Au commencement était la Parole[153] ». De son côté, Dieu le Père a dit : « De mon cœur s’est échappée une bonne parole ». Puis Habacuc ajoute : « Le Verbe a marché[154] », c’est-à-dire, la Parole, et, « au commencement elle était en Dieu, et la Parole était Dieu ». J’entends la Trinité crier contre toi par la voix du monde entier ; et toi, Arien, semblable à un chien enragé, tu aboies contre tout le monde ?

7. Mais voici qui va te prouver, d’une manière encore plus convaincante, que la Trinité est un seul Dieu. Voici ce que le Père dit au Fils par l’entremise du Prophète : « Je vous ai engendré dans la splendeur des saints ». Il ajoute par l’organe d’Isaïe, au sujet du Saint-Esprit : « L’Esprit est sorti de moi[155] ». À son tour, le Fils parle dans l’Évangile, il montre que le Père est en lui, et qu’il est dans le Père : « Mon Père, qui demeure en moi, fait les œuvres que je fais[156] ». Il s’exprime aussi au sujet de l’Esprit-Saint, et il fait voir que cet Esprit procède de lui comme du Père. Ne dit-il pas, en effet, à ses disciples : « Recevez le Saint-Esprit ; si vous remettez à quelqu’un ses péchés, ils lui seront remis ?[157] ». Voilà pourquoi l’apôtre Paul a prononcé ces paroles : « Celui qui n’a pas l’Esprit de Jésus-Christ n’est point à lui[158] ». Si donc le Fils est dans le Père, et du Père ; si le Saint-Esprit est en même temps dans le Fils et dans le Père, il n’y a pas différentes parties dans la Trinité, puisqu’il y a là Unité parfaite, et, puisque la Trinité est un seul Dieu, que l’Arien s’en aille, il est convaincu d’erreur.

8. Mais, hérésie perverse, quand mes paroles te seront-elles profitables ? N’es-tu pas « l’aspic qui n’entend rien, qui se bouche les oreilles pour ne pas ouïr la voix de l’enchanteur ?[159] » Sache, néanmoins, que tu seras dévoré, par la verge du serpent[160], lorsque les brebis que tu retiens captives auront été conduites par le pasteur, dans son bercail, afin qu’il n’y ait plus qu’ « un seul troupeau et un seul pasteur[161] ». Mes bien-aimés, notre pasteur, qui fait paître et conduit avec une verge de fer[162], est, en même temps, notre pasteur, notre gouverneur, notre créateur et notre architecte. Seigneur Jésus, je vois en vous un pasteur admirable : vous faites paître vos brebis, vous courez à la recherche de celle qui s’égare, et quand vous l’avez retrouvée, vous la rapportez tout joyeux sur vos épaules, jusqu’à la bergerie. J’aperçois en vous un architecte vraiment grand : vous portez la verge, et avec elle vous opérez une foule de prodiges. J’ai peur, mes frères, je tremble de vous parler de la verge ; mais, en consultant les divers passages de nos livres saints, je vois que Marie est une verge, que le Christ en est encore une, comme aussi la croix ; avec cette verge de la croix, le divin Architecte, qui fait de si grandes et si admirables merveilles, a fait l’instrument de son supplice et les échelles célestes par lesquelles il a élevé jusqu’à son Père l’homme tombé. Tous les saints, et ceux qui ont vécu dans la continence, et ceux qui ont vécu dans l’état du mariage, tous les fidèles ont gagné le paradis au moyen de ces échelles ; ils les ont gravies, non comme on gravit une échelle ordinaire, mais par la sainteté de leurs mœurs.

9. Que les bonnes mœurs s’implantent donc parmi nous, qu’on les rencontre en nous tous. Dans la foule des saints, chaque sexe et tous les âges peuvent trouver des exemples à imiter. Le modèle des vieillards, c’est Tobie malgré la cécité corporelle dont il était affligé, il montrait à son fils le chemin qui conduit à la vie ; il voyait des yeux de l’âme. Le fils donnait la main à son père et dirigeait ses pas à travers les écueils des chemins d’ici-bas, et le père, avec ses bons conseils, dirigeait son fils dans le sentier du ciel. Les jeunes gens ont sous les yeux les exemples de Joseph : c’était un saint de formes élégantes, mais plus remarquable encore par les qualités de l’esprit et du cœur ; sa chasteté était à tel point inébranlable, que ni les menaces de sa maîtresse, ni les suggestions de cette femme impudique ne purent faire aucune impression sur son corps, parce que Dieu était déjà le maître de son âme. Les vierges qui vivent saintement n’ont-elles point pour modèle Marie, la bienheureuse Mère de leur Sauveur ? Et les veuves, la religieuse Anne ? et les femmes mariées, la chaste Suzanne ? En effet, la vierge Marie, Mère du Christ, a parfaitement accompli les devoirs que le Seigneur lui avait imposés ; la veuve Anne a persévéré jusqu’à la fin dans les exercices de la prière et la pratique du jeûne ; Suzanne s’est exposée même au danger de mourir pour conserver sa pudeur conjugale. Épouses, remarquez bien quel exemple la sainte Écriture offre à votre imitation dans la personne de cette femme émérite. Elle ne vous dit point que Suzanne ait porté des pierreries, des colliers et des bracelets, de riches vêtements : c’étaient là des ornements extérieurs bien moins précieux que la pudique innocence qui embellissait son âme. Dieu a donné la vie à tous ceux qu’il a doués de bonnes mœurs. Et le motif pour lequel il a daigné se faire homme et naître d’une femme, c’est qu’il a voulu sauver les créatures des deux sexes. – Nous vous avons parlé longuement, frères bien-aimés, il y a eu de votre côté une attention singulièrement soutenue ; vous avez pris une large part à ce festin dominical que je vous ai servi : rendez-moi la pareille, non par vos instructions, mais par vos prières : ainsi pourrai-je moi-même prendre mon repas.
TRENTE-SIXIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. I

ANALYSE. —1. Le Christ, figuré par les signes donnés à Gédéon, a apparu aux Gentils. —2. Gloire de Marie qui a mis au monde l’Agneau sans tache.—3. En oignant la pierre, Jacob nous a tracé une figure du Christ. —4. Il nous a aussi symbolisé, la Trinité dans les branches qu’il a placées sous les yeux de ses brebis. —5. Unité du baptême et ses effets.—6. Combien notre temps est préférable à celui de Jacob. – 7. Conclusion en formé d’exhortation.

1. À proprement parler, le jour de l’Épiphanie, mes bien-aimés frères, a été fait pour nous, c’est-à-dire pour les Gentils. Le ciel lui-même nous l’a annoncé, suivant cette expression du dix-huitième psaume : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament annonce l’œuvre de ses mains[163] ». Voilà aussi pourquoi s’est accomplie pour la gentilité cette promesse du Prophète : « Le peuple des Gentils, qui marchait dans les ténèbres, a vu une grande lumière, et le jour s’est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort[164] ». En effet, le peuple des Gentils, c’est-à-dire notre peuple, plongé dans les ténèbres de ses iniquités, serait demeuré dans l’aveuglement de l’esprit, si la lumière de la grâce n’avait projeté d’en haut, sur ces ingrats, l’éclat de ses rayons. Partout et toujours, Dieu se montre admirable. Nos âmes étaient dépourvues de justice ; c’étaient, à vrai dire, des grains de poussière desséchés. Par un prodige renouvelé de Gédéon, le Seigneur a donc fait descendre son Verbe divin, comme une rosée céleste, sur la toison d’une brebis, dans le sein de la Vierge très-pure. Vous savez tous le miracle opéré sous les yeux de Gédéon : son aire était toute desséchée, et, néanmoins, une toison de brebis, étendue au milieu de cette aire, se trouva tellement humide qu’il en fit couler la rosée. Un prodige plus admirable s’est opéré en Marie, de son sein, comme d’une toison de laine, s’est échappé du lait, et pourtant son corps virginal, pareil à une aire desséchée, ne s’est jamais humecté au contact d’un homme.

2. Marie est donc unique parmi toutes les jeunes filles, elle est incomparable à toutes autres par son innocence. Pareille à une brebis, elle a engendré l’Agneau sans tache, et il est sorti de ses entrailles comme jadis la rosée est tombée de la toison de Gédéon ; c’est cet Agneau que les anges ont annoncé, que les bergers ont serré dans leurs bras, que l’étoile a montré ; et sa mère, la Vierge féconde, a fait trembler Hérode au milieu de ses richesses ; elle a reçu les adorations et les présents des Mages. Puisque nous avons comparé la chaste Marie à une sainte brebis, nous avons aussi donné à son Fils le nom d’Agneau sans tache ; l’Évangile de Jean nous y a d’ailleurs autorisé, car nous y lisons ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde[165] ».

3. C’est à vous, saint homme Jacob, c’est à vous que je vais m’adresser : à l’âge de vingt ans vous étiez un berger digne de louanges et vous êtes devenu pour nous l’image du Dieu pasteur, de l’Agneau sans tache que nous devons adorer. Saint Jacob, je vous en prie instamment, dites-nous, vous si petit et si grand tout à la fois, dites-nous pourquoi et comment vous avez aperçu en songe cette échelle mystérieuse qui allait jusqu’au ciel et au sommet de laquelle se trouvait couché l’Agneau virginal ? Pourquoi et comment vous avez reconnu cet Agneau ? Pourquoi et comment, à votre réveil, vous avez dressé et consacré la pierre sur laquelle votre tête avait reposé ? En tout cela, je le vois, vous nous avez annoncé le mystère de la croix ; car, au Sauveur mort en croix pour votre salut et le nôtre, s’appliquent ces paroles du psaume que l’on adresse aux nouveaux baptisés, surtout en raison du chrême : « Le Seigneur votre Dieu vous a sacré d’une onction de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager avec vous[166] » ; qui vous élève, non pas au même rang que ceux qui doivent la partager avec vous, mais au-dessus d’eux. L’apôtre Pierre explique ainsi ce passage : « Ce Jésus de Nazareth, que Dieu a rempli de l’onction de l’Esprit-Saint[167] ».

4. Je le sais, ô homme une fois et deux fois saint, trois fois et quatre fois heureux, je le sais, la charité était l’âme de vos œuvres ; la piété inspirait votre fuite, vous ne suiviez d’autre chemin que celui de la vérité ; votre repos était en Dieu, l’éternité devait être votre récompense. Que faisiez-vous donc en ces réservoirs d’eau[168], qui étaient votre mystique bergerie ? Quelles merveilles y opérait votre merveilleux savoir-faire ? Pourquoi mettre l’une sur l’autre, dans les auges des brebis, ces trois branches vertes, en enlever la couleur verte à certains endroits, leur donner une teinte très-blanche, les placer toutes trois au fond des canaux au moment de la conception, montrer en un sens prophétique ces branches, placées dans l’eau, aux brebis qui voulaient concevoir et boire, et disposer ainsi les mères à vous donner un nombreux troupeau d’agneaux blancs ? Écoutez le Patriarche, mes frères, il va vous apprendre de grandes choses, non pas sous l’influence d’une prudente charnelle, mais d’après l’inspiration toute-puissante du Saint-Esprit. Laissons-lui la parole : Quand je tenais les trois branches dans l’une de mes mains, je présentais le symbole de la Trinité catholique. Les trois branches étaient de bois, et chacune d’elles avait des qualités propres à elle seule ; ainsi en est-il de la Trinité : dans le Dieu vivant, chacune des trois personnes est distincte des autres, mais entre elles on ne saurait trouver aucune diversité de nature. La première branche était de storax, la seconde d’amandier et la troisième de platane. Comparons celle de storax au Père, celle d’amandier au Fils, et celle de platane à l’Esprit-Saint. Pourquoi comparons-nous la branche de storax à Dieu le Père ? Évidemment, parce que c’est des petits bourgeons de cet arbre que s’échappe la plus forte odeur qu’il puisse produire. Ainsi Dieu le Père a-t-il produit l’odoriférant Sauveur. Écoute l’Apôtre, voici ce qu’il dit : « Nous sommes devant Dieu la bonne odeur du Christ, en tous lieux, pour ceux qui se perdent et pour ceux qui se sauvent[169] ». Comment cela ? Parce que ceux qui se perdent et ceux qui se sauvent ont été oints du chrême odorant. Pourquoi encore comparons-nous la branche d’amandier à Dieu le Fils ? De même que la verge d’amandier, qui avait servi à Aaron, était redevenue verte et avait fleuri dans le temple, après avoir été longtemps desséchée ; ainsi le corps du Christ, revenant à la vie, a refleuri au sortir du tombeau. La verge desséchée est l’image du corps inanimé de Jésus ; la verge redevenue verte représente ce corps revenant à la vie ; la verge fleurie dans l’arche du Testament symbolise ce même corps s’échappant glorieux du sépulcre. Et c’est parce que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ a refleuri au moment de sa résurrection, que le Psalmiste, parlant de lui, a chanté ces paroles : « Ma chair a refleuri, et je le louerai de toute mon âme[170] ». Les branches du platane sont larges et touffues, comme s’il avait été planté sur la montagne sainte ; aussi, je comprends qu’il s’agit de la venue du Dieu Saint-Esprit dans ces paroles du Prophète : « Dieu viendra du Midi, et le Saint descendra de la sombre et ombrageuse montagne[171] ». Le platane est donc un arbre aux branches larges et touffues, et l’homme qui fuit les ardeurs du soleil trouve sous son ombre la fraîcheur et le repos. Aussi comparons-nous les branches du platane au Saint-Esprit et à son action rafraîchissante ; car l’Ange a dit à la Vierge, au moment de la conception : « Le Saint-Esprit descendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre[172] ». Quand Jacob enlevait, en certains endroits, l’écorce des trois branches, et mettait à découvert leur blancheur intérieure, voici ce dont il nous offrait l’emblème : l’unité de la divine Trinité ne peut être comprise même par les plus savants, tant qu’ils ne se sont point dépouillés de leurs pensées charnelles ; car le vrai et unique Dieu, le Dieu un en trois personnes, et l’unité de ces trois personnes, ne sont à la portée que des hommes spirituels ; elles dépassent, du tout au tout, les facultés des hommes charnels. En effet, l’homme charnel, que l’Apôtre appelle en d’autres termes l’homme animal, « ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu : l’inintelligence est son partage[173] ». La variété dans la couleur, et l’agréable aspect des trois branches est l’image de l’unité des trois personnes divines, qui, par la diversité de ses mystères et la différence dans la manière dont on les présente, s’offre, aux esprits désireux de la connaître, sous les aspects les plus divers et les plus beaux. Cette variété dans l’unité fait la joie de l’Église catholique, selon cette parole des saints cantiques : « Ses vêtements sont resplendissants d’or ; on y remarque une admirable variété[174] ».

6. Jacob plaçait les trois branches dans les canaux où les brebis du saint troupeau allaient s’abreuver, et pourtant la même eau servait à les désaltérer. Autre symbole. En effet, dans l’Église, dépositaire de la vérité, c’est au nom de la Trinité qu’on baptise, et l’on y prêche l’unité du baptême ; c’est ce que Paul disait formellement à ceux qu’il avait baptisés : « Il n’y a qu’un Seigneur, une foi et un baptême[175] ». En s’abreuvant aux courants d’eau, les brebis y puisaient une boisson vivifiante ; ainsi en est-il de tout fidèle : la piscine sacrée, où il reçoit le baptême, est pour lui la source d’un lait qui le fait croître, comme le lait maternel fait grandir le nouveau-né ; voilà pourquoi Pierre adressait ces paroles aux chrétiens nouvellement régénérés dans les eaux baptismales : « Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur, afin qu’il vous fasse croître pour le salut[176] ». Enfin, en se désaltérant au ruisseau, les brebis y avaient, à cause des trois branches, des visions singulières et qu’un, homme n’aurait jamais pu supposer : emblème de l’effet produit par le baptême des catholiques : quiconque s’y désaltère devient capable de contempler l’unité d’un seul Dieu en trois personnes, mystère dont la vue est réservée, non pas aux impies, mais aux cœurs purs. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu[177] ».

6. Illustre Jacob, Dieu lui-même a prononcé votre éloge en louant trois grands hommes « Je suis », a-t-il dit, « le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob[178] ». Je ne vous demande plus qu’une chose, c’est la dernière : je vous en prie, comparez patiemment avec moi le temps où vous viviez avec celui-ci : notre époque n’est-elle pas, plus que la vôtre, enrichie des faveurs de la grâce ? Il est positif que notre brebis, la vierge Marie, est préférable aux vôtres. Notre siècle surpasse donc votre siècle en bonté, car notre Vierge est devenue féconde sans le concours de l’homme ; et parce que cette Vierge sainte a miraculeusement enfanté, bien qu’elle n’eût eu de commerce charnel avec aucun homme, elle a été, en ce jour, honorée, dans la personne du Christ, des respects et des présents des Mages.

7. C’est pourquoi, mes très-chers frères, il faut nous réjouir aujourd’hui d’avoir reçu le don de la foi catholique, jadis symbolisée par les trois branches de Jacob. Réjouissons-nous aussi à la vue de l’étoile qui a projeté sur toute la terre le vif éclat de ses rayons. Réjouissons-nous encore à l’aspect des présents des Mages, emblème sensible de la Trinité que dans notre conduite se rencontrent les trois vertus désignées par ces présents ! Puisse la foi faire de notre cœur un cœur d’or ; que l’encens du repentir brûle sur l’autel de ce cœur en sacrifice d’agréable odeur ; qu’enfin la myrrhe de la charité à l’égard du prochain nous obtienne le pardon de nos fautes par Jésus-Christ notre Seigneur.
TRENTE-SEPTIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. II

ANALYSE. —1. Marie est désignée sous le nom d’étoile. —2. Elle a été également symbolisée par la tige sortie de la racine de Jessé, et par la verge fleurie d’Aaron. —3. À elle encore s’applique ce que Salomon dit de l’amandier, du câprier et de la sauterelle. —4. Conduits par l’étoile, les Mages adorent le Christ et retournent dans leur pays par un autre chemin. —5. Exhortation morale.

1. « Une étoile sortira de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël, et il frappera les chefs de Moab, et il détruira tous les enfants de Seth, et l’Idumée deviendra son héritage[179] ». D’après le récit de la sainte histoire du vieux Testament, Balach, roi des Médianites, appela près de lui le prophète Balaam, pour lui faire maudire le peuple de Dieu : à peine celui-ci eut-il aperçu au loin les campements et les tentes des Israélites, qu’il se sentit inspiré de l’Esprit-Saint : il prévit donc que de leur race et d’une Vierge immaculée naîtrait, un jour, le Fils de Dieu, et entre autres paroles prophétiques qu’il leur adressa pour leur annoncer l’avenir, il prononça tout à coup celles-ci et s’écria : « Une étoile sortira de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël ». Sous ce nom d’étoile, qu’est-ce qui est désigné, mes très-chers frères ? C’est évidemment la sainte mère de Dieu. Pareille à un astre du ciel, elle a brillé, plus que tous les fils et toutes les filles des hommes, par sa virginité et son humilité, elle en a projeté les éclatants rayons sur le monde entier ; car elle est cette étoile de la mer, cet astre du matin, qui a donné le Soleil de justice aux hommes assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort[180] » ; grâce à elle, la clarté de la lumière d’en haut est venue se répandre sur le genre humain, qu’enveloppaient les ténèbres d’une nuit profonde. C’est l’étoile radieuse que le nuage du péché n’a jamais obscurcie, qui a laissé échapper son rayon, sans connaître même l’ombre de la corruption, qui a enfanté son Fils sans éprouver le moindre dommage dans sa virginité ; c’est l’étoile illustre et toute belle, qui a brillé par ses mérites, qui nous a guidés par ses exemples, qui éclaire les aveugles et ranime les faibles. C’est dans cette étoile que s’est caché le vrai Soleil de justice, lorsqu’il a disparu derrière le nuage de notre humanité ; c’est d’elle qu’il est sorti, laissant entière et intacte son innocence. Balaam a dit que cette étoile sortirait de Jacob, parce qu’en effet la Vierge immaculée descendait, en ligne droite, de la race des patriarches.

2. Voilà pourquoi le Prophète a prononcé ces paroles : « Une tige sortira de la racine de Jessé, et une fleur s’élèvera de ses racines[181] ». Balaam avait désigné la vierge Marie sous le nom d’étoile qui sortira de Jacob, Isaïe l’appelle la tige qui sortira de la racine de Jessé : les noms d’étoile et de tige, que les deux Prophètes lui ont donnés, lui conviennent également bien. C’est une étoile, car, après avoir été éclairée de la lumière d’en haut, elle a brillé plus que tous les mortels et répandu sur la terre les splendides rayons de toutes les vertus. C’est une tige, parce qu’elle est demeurée ferme et inflexible dans la force et la perfection de ses vertus, et que, sans porter nulle atteinte à son innocence, elle a produit une fleur céleste, le Fils de Dieu. Aussi, et pour nous en donner d’avance un emblème, le bienheureux Moïse avait-il placé dans le tabernacle du témoignage douze verges au nombre desquelles se trouvait celle du grand-prêtre Aaron. Tandis que toutes les autres demeurèrent sèches et arides, la verge d’Aaron fut seule à produire des feuilles, des fleurs et des amandes. Elle fut le symbole de la bienheureuse Vierge. Comme, en effet, Marie avait été élevée sous l’empire de l’ancienne loi, et qu’elle avait pris part, avec ses parents, aux cérémonies légales, elle semblait avoir été placée avec les autres dans le tabernacle ; mais pendant que les Juifs demeuraient stériles sous le rapport de la foi et des bonnes œuvres notre tige d’Aaron, fécondée par l’Esprit-Saint, produisit les feuilles des bonnes œuvres et donna une fleur odoriférante, puis un fruit d’une saveur sans égale, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sans avoir été humectée par la rosée ou trempée par la pluie, sans rien perdre de sa substance, la verge d’Aaron a produit une amande : la royale Vierge, baignée de la rosée céleste, trempée de la pluie divine, et conservant intacte son innocence, a mis au monde le Fils de Dieu. La verge d’Aaron n’avait pas de racine, et elle a fleuri : Marie n’a pas connu d’homme, et elle a conçu en fleurissant. La verge d’Aaron n’a rien perdu de sa verdeur la Vierge n’a subi, en son intégrité, aucun dommage par son enfantement sacré.

3. Salomon avait encore en vue la vierge Marie, quand il a dit : « Quand l’amandier fleurira, le câprier sera détruit, la sauterelle deviendra pesante[182] ». Vous le savez, mes bien-aimés frères, de tous les arbres, l’amandier est le premier à fleurir, lorsque viennent les chaleurs du printemps, et il produit une fleur d’odeur singulièrement agréable : ainsi la Vierge Mère, sous la chaude influence de l’Esprit-Saint, a conçu de bonne heure ; puis elle a fleuri, et sa fleur a répandu dans le monde le plus suave parfum. Pour le câprier, d’une odeur peu agréable, amer au goût, il figurait le peuple juif, qui, tout imprégné de l’amertume et de la sévérité de la loi, n’a jamais montré aucune douceur d’esprit, ni obéi que dans l’amertume de la lettre au moment où l’amandier a fleuri, la lettre a disparu, parce que, la Vierge ayant enfanté le Fils de Dieu, les rites de la loi ont été abolis et ont cessé d’être, et le peuple juif, en punition de sa perfidie, a été détruit et dispersé dans tout l’univers. Y a-t-il le moindre avantage à ce que la sauterelle se reproduise ? Certainement non ; peut-on en faire usage ? Non encore. Vous ne pouvez la saisir, elle saute de 101 et de là ; elle fait entendre un cri strident : de quel autre peuple est-elle l’image, que du peuple des Gentils ? Ne donnant aucun fruit de justice, se laissant emporter à tout vent de doctrine[183], n’ayant de confiance que dans le grand nombre et la sonorité des paroles, étrangers à la personne divine du Verbe, pareils, enfin, à des sauterelles, les Gentils semblaient n’avoir ni sang ni fécondité. Mais sitôt qu’ils furent convertis et respirèrent le parfum répandu par les branches naissantes du jeune amandier, sitôt qu’ils eurent goûté du miel de ses fleurs, la pâleur et la maigreur, conséquences de leurs vices, disparurent pour faire place à l’embonpoint que donne la grâce céleste. C’est donc avec raison que le Prophète a dit : « Quand fleurira l’amandier, le câprier sera détruit et la sauterelle deviendra pesante » : En effet, lorsque notre virginal amandier a eu produit sa fleur délicieuse, Jésus-Christ, la nation juive a disparu en punition de sa perfidie, et le peuple des Gentils s’est converti, et l’abondance de l’Esprit-Saint, avec la graisse des bénédictions d’en haut, est venue lui donner une santé spirituelle florissante. C’est donc avec justesse qu’on l’a désignée la bienheureuse Vierge, sous les noms d’étoile, de verge et d’amandier ; car elle a brillé comme une étoile, projetant autour d’elle les rayons de ses vertus : pareille à une verge, elle a conservé, avec fermeté et d’une manière inflexible, la droiture de la justice ; puis, comme un amandier, elle a produit les belles et odorantes fleurs de toutes les perfections.

4. Toutefois, cette étoile virginale se trouvait enfermée dans les étroites limites d’une étable, avec le Soleil de justice qu’elle avait mis au monde ; aussi, et afin de la faire connaître, un astre d’un éclat nouveau apparaît-il en Orient ; par l’éclat inouï de sa lumière, il prévient les Gentils de l’apparition de l’étoile sortie de Jacob, et, marchant en avant des Mages pour leur indiquer leur chemin, il les amène jusqu’à Bethléem. C’est ainsi que le ciel fait connaître le ciel, qu’une étoile indique une étoile, que la lumière rend témoignage de la lumière, qu’un astre découvre un astre. Les Juifs sont là, tout près, et ils ne veulent reconnaître l’enfant Jésus ni d’après les oracles des Prophètes, ni sur l’attestation des Mages, et, sur un signe venu du ciel par le moyen d’une étoile qui raconte sa gloire, la gentilité, qui se trouve bien loin, le reconnaît pour son Dieu. Éclairés de la lumière céleste, arrivés à Bethléem sous la conduite de l’astre qui les précède, les Mages entrent dans la maison et y trouvent l’étoile et le soleil ; ils adorent comme un Dieu, vénèrent comme un roi, reconnaissent pour un homme l’auteur de notre salut, couché dans une crèche : par leur triple offrande, ils font l’aveu de ses deux natures, la divine et l’humaine, et ce qu’ils croient de cœur, ils l’affirment hautement par leurs dons. Ils sont trois, ils font à un seul hommage de trois sortes de présents ; par là, ils confessent publiquement l’unité de Dieu en trois personnes. Après avoir accompli, à l’égard de l’enfant Jésus, les devoirs d’une pieuse dévotion, mais prévenus par un ange, ils prennent un autre chemin et s’en retournent dans leur pays.

5. Pour vous, frères bien-aimés, vous savez qu’une étoile virginale est sortie de Jacob ; vous adorez Jésus, non comme pleurant encore sur la paille, mais comme régnant dans les cieux ; l’astre brillant de l’Évangile vous a envoyé, du haut du ciel, les rayons de son admirable lumière ; il vous précède et, vous dirige : marchez donc à sa suite par vos bonnes œuvres, courez jusqu’à Bethléem, jusqu’à la demeure du pain vivant, c’est-à-dire jusqu’à la sainte Église : vous y trouverez Marie et Jésus, et au lieu d’entendre ses gémissements enfantins, vous l’entendrez prêcher et instruire le peuple. Que les heureux Mages, prémices de votre foi et de votre conversion, deviennent vos modèles : quand Jésus était couché dans la crèche, ils l’ont vénéré, ils lui ont fait hommage de leurs présents pour vous, offrez-lui vos bonnes œuvres en signe d’adoration, maintenant qu’il règne dans le ciel. Offrez-lui en don, non des choses du temps, car elles finissent par périr, non des choses transitoires et visibles, mais des présents qui viennent de votre cœur, des louanges et des actions de grâces. Au lieu d’or, offrez-lui de la sagesse ; au lieu d’encens, de la dévotion ; au lieu de myrrhe, la mortification de vos sens ; puis, instruits par l’Évangile, quittez le chemin des œuvres mauvaises, qui vous a amenés de l’endroit où vous étiez, et retournez par une voie toute différente, celle des bonnes œuvres jusqu’à la patrie, au séjour de la lumière éternelle, où daigne vous faire entrer Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu, qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-HUITIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. III

ANALYSE. —1. Dans l’Épiphanie se célèbrent plusieurs mystères, mais spécialement la venue des Mages. —2. Ils sont venus, non par suite de calculs astrologiques, mais par esprit de religion.—3. L’opposition des Donatistes est condamnée par les Églises apostoliques. —4. et même par le monde entier ; car à peine sont-ils connus, même en Afrique. —5. L’Église catholique a trouvé dans les persécutions le principe de son développement : on ne peut en dire autant des sectes dissidentes.—6. L’orateur exhorte son auditoire à conserver l’unité.

1. Le nom d’Épiphanie a passé du grec dans le latin ; les interprètes de cette dernière langue le traduisent par le mot manifestation, parce qu’en ce jour le Christ a manifesté sa grandeur divine et l’a fait connaître au monde par certains faits miraculeux. Toutefois, l’Église célèbre aujourd’hui, dans tout l’univers, des mystères de plus d’une sorte ; d’abord, elle nous enseigne qu’une étoile plus brillante que les autres a montré à des Mages opulents l’humble demeure d’un grand Roi ; elle nous apprend aussi qu’à pareil jour il a, dit-on, opéré son premier miracle, en changeant subitement de l’eau en vin ; enfin, elle nous rappelle la croyance où l’on est qu’en ce jour encore, Jean a baptisé Jésus au moment où le Sauveur se trouvait dans le lit du Jourdain, Dieu le Père le reconnut hautement pour son Fils ; car, au rapport de l’Évangéliste, sitôt « qu’il sortit de l’eau on entendit une voix du ciel qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances : écoutez-le [184] ». Voilà, à ce que l’on croit, par quels indices publics a été aujourd’hui manifestée la puissance du Sauveur ; mais l’on s’accorde plus communément à reconnaître qu’à l’Épiphanie l’étoile a servi de flambeau aux Gentils pour leur montrer le chemin qui devait les conduire à ; travers les ténèbres jusqu’au Christ, et que, même au milieu de ses compatriotes, des Orientaux ont été les premiers à l’adorer. Car tel est le récit de l’Évangile : « Voilà que des Mages vinrent d’Orient à Jérusalem, et ils disaient : Où est celui qui est né roi des Juifs ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer[185] ». Mais les Donatistes, séparés de l’Orient, privés de la lumière, plongés dans les ténèbres de l’Occident, révoquent en doute la foi des Mages ; car ils supposent qu’ils se sont mis à la recherche du Dieu incarné, par calcul et non par esprit de religion. Or, serait-il possible qu’ils eussent parcouru de si vastes pays, qu’ils eussent offert au Sauveur de si précieux dons et se fussent prosternés à deux genoux pour adorer un enfant qu’ils voyaient enfermé en de si étroites limites et couvert de si pauvres baillons, s’ils n’avaient reconnu dans cet enfant le Roi du ciel, et remarqué en lui les traits de la grandeur divine ?

2. En effet, les astrologues, tremblants au milieu du monde sidéral, et poussés par la rage de la curiosité jusqu’à en devenir les habitants, les astrologues n’ont jamais su que Dieu dût un jour s’incarner. Ils ont eu beau, depuis le commencement du monde, s’occuper de la marche des corps célestes ; jamais ils n’ont connu les secrets desseins de l’Éternel ; car tous les nombres des étoiles sont impuissants à découvrir les pensées du Créateur du ciel. Puisque la création des astres a précédé celle de l’homme, comme toutes les plaines de l’air ont existé avant que les champs se soient parés de verdure et que les vastes prairies du firmament se soient émaillées d’étoiles d’or, il est certain que l’homme est postérieur en date aux destins qui l’ont précédé. Or, les astrologues raisonnent comme si les sorts avaient été faits les premiers, et jetés ensuite du haut du ciel sur les hommes, tandis que le destin ne date ni d’avant ni d’après l’homme, mais qu’il doit avoir commencé au moment même de sa conception. D’ailleurs, les astres ayant été répandus dans toute l’étendue des cieux, et ayant brillé deux jours avant la naissance du genre humain, comment donc, ô astrologue, dis-tu que le destin a passé par les astres pour aller jusqu’à l’homme, puisque l’existence de l’homme est de plus fraîche date que les astres ? Moi, mes frères, je vous dirai, oui, je vous dirai ce qui a porté les Mages à reconnaître, au moyen de l’étoile, le Roi des Juifs, ce Roi auquel ils ont rendu témoignage par des présents si bien appropriés à sa nature ; car ils lui ont offert de l’or, comme au grand Roi, de l’encens, comme à Dieu, de la myrrhe, comme à l’homme dont le petit corps devait mourir pour le salut du monde ; et alors s’est vérifié cet oracle du Prophète : « Tous viendront de Saba, apportant de l’or, de l’encens et de la myrrhe[186] » ; et, en l’offrant, ils ont fait connaître le don du Seigneur. Je vais donc vous dire pourquoi les Mages ont remarqué l’étoile, pourquoi ils ont suivi la voie lumineuse qu’elle leur indiquait. Le divin Balaam avait été appelé auprès du roi Balac, pour maudire les enfants d’Israël ; mais Dieu lui fit des menaces terribles et lui ordonna de bénir, au lieu de maudire, son peuple qui passait. Balaam annonça donc, malgré lui, aux Juifs, un grand nombre d’événements heureux pour lui et, entre autres promesses, il leur fit, en ces termes, celle de la venue future du Seigneur Christ : « Une étoile sortira de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël, et il broiera tous les chefs des étrangers, et tous les confins de la terre deviendront son bien[187] ». De tous les Mages et, de tous les devins de ce temps-là, Balaam passait pour le plus capable ; aussi sa prophétie, qu’il avait puisée en Dieu, et non dans les calculs de l’art astrologique, a-t-elle été soigneusement recueillie dans les livres des Mages et transmise, pour mémoire, à leur postérité. Les Mages avaient donc cet oracle présent à la pensée, lorsque l’astre royal vint ajouter son éclat à celui des autres astres et projeter ses rayons lumineux sur le pays des Juifs. À l’apparition de ce signe, ils coururent en toute hâte, et l’étoile, qui brillait ainsi au service du Christ, ne quitta ces hommes fidèles qu’après les avoir conduits à la pauvre maison de Marie, sous le toit de laquelle se cachait le Christ.

3. Orgueilleuse ignorance et téméraire incapacité des Donatistes, pourquoi attaquer ce que vous ne connaissez pas ? Pourquoi déchirer ces hommes dévots et nullement fatalistes, que vous voyez prosternés aux pieds du Roi des cieux, et lui offrant leurs dons ? Mais, je le sais, vous détestez, non pas l’astrologie, mais la foi ; ce ne sont point les astrologues que vous repoussez, c’est la foi de ces Orientaux qui vous fait peur. Supposé qu’ils se soient mis à la recherche du Roi Très-Haut par suite de calculs magiques, et non par sentiment de religion, ils mériteraient encore la louange plus que le blâme, parce qu’en réalité ils ont adoré le Dieu de l’étoile, et n’ont point rendu à l’étoile un culte idolâtrique. Les Mages ont donc vu l’astre nouveau, et, vite, ils sont venus avec des présents pour adorer Dieu. Et toi, ô donatiste, non-seulement tu ne cours pas à la suite de l’étoile, mais tu vas jusqu’à te séparer des Mages fidèles ; aussi tu marches en aveugle et tu te heurtes au milieu des ténèbres. Les Mages arrivent jusqu’auprès du Christ, et toi, tu deviens étranger pour lui. Le monde entier est avec eux aux pieds du Sauveur ; et toi, tu es resté en dehors de la crèche ; tu as repoussé la lumière qui éclaire le monde. Voilà donc l’Orient devenu adorateur de Jésus ! Au Septentrion, au Midi, et jusqu’aux extrémités de l’Occident, toutes les nations, réunies dans le sentiment d’une même foi, devenues en quelque sorte parentes par la conformité de leurs croyances religieuses, vénèrent un seul Dieu. Malheureuse erreur, où vas-tu te cacher ? Jusques à quand te réfugieras-tu sur une terre étrangère ? Partout les catholiques sont les maîtres, et ils te chassent de chez eux ; puisqu’ils sont entrés en possession de toutes les contrées du monde, n’ont-ils pas le droit d’éloigner de leurs terres tous ceux qui veulent y mettre le pied ? Tu ne trouves de refuge ni chez les Corinthiens, ni chez les Galates, ni chez les habitants d’Éphèse ; on te déteste à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, Philadelphie et à Laodicée ; car, par l’organe de l’apôtre Jean, Dieu rend témoignage à la foi de ces villes. Les Colossiens et les Thessaliens te condamnent, et de leur côté se range tout le pays d’Orient, d’où les Mages sont venus, comme les représentants de la foi de leur province, conclure avec le Christ un nouveau traité d’alliance. Qu’y a-t-il de commun entre toi et les Indes ? entre toi et les Perses ? entre toi et les Arméniens, les Éthiopiens et les Égyptiens ? La Bretagne est physiquement séparée du reste du monde, mais elle nous est unie par les liens de la religion si la mer nous en éloigne, la foi nous en rapproche. Tu es insupportable à l’Espagnol, au Gaulois, et à l’Italien ; car, avec le glaive spirituel, ils ont coupé le cou à ton archipirate.

4. À quoi bon énumérer toutes les parties de l’empire céleste des Patriarches, des Prophètes et des Apôtres, où la foi a pris naissance, où elle a été confirmée par la parole de Dieu et celle des anges ? Ne rougis-tu pas de vivre, après avoir mérité d’être exclu de l’héritage des saints ! Il serait superflu de nommer en détail tous les pays qui te sont opposés ; car tu es en contradiction avec les derniers pays du monde qu’éclaire le soleil ; tu es inconnu sur le vaste réseau des mers, et toutes les nations, tous les peuples de la terre te condamnent. Il y a même, en Afrique, des contrées qui ne savent point votre nom, et les campagnes où vous errez sont de mince étendue. Dès qu’elle vous a vus, elle vous a rejetés de son sein ; en vertu des lois divines, elle vous a chassés de ses propriétés. Écoutez-moi, s’il vous plaît – l’Afrique commence et finit aux confins de l’Égypte et de la ville d’Alexandrie, à l’endroit où Parétonie se trouve située et aux montagnes que les naturels du pays appellent Catabaahmon : voilà où elle commence ; de là, elle s’étend le long du désert d’Éthiopie, pour aller se terminer, en Occident, aux limites de l’Europe, c’est-à-dire au détroit de Cadix, où l’Océan se jette dans la mer de Toscane ; enfin, ses bornes les plus reculées et les plus extrêmes sont, dans le sens de la largeur, le mont Atlas et les îles auxquelles on donne le nom de Fortunées. L’Afrique a donc pour limites, à l’Orient, l’Égypte ; au Septentrion, la mer de Libye ; au Couchant les grandes Syrtes, et au Midi, le désert d’Éthiopie. O insensés, qui ignorez toutes choses, ne voyez-vous pas sur quelle immensité de terrain l’Église universelle règne, même en Afrique, et en quelles étroites limites vous êtes vous-mêmes renfermés ? Combien de fois la vérité vous a-t-elle déjà vaincus ? Que de fois vous vous êtes convertis ! Que de fois vous avez menti au Christ ! Aussi votre race s’est-elle éteinte petit à petit, et a-t-elle fini par se dessécher sous les atteintes du feu du ciel, comme un gazon dépourvu de racines. O hérétique, es-tu à Jérusalem pour adorer le tombeau ou la croix du Sauveur ? Es-tu à Bethléem pour vénérer, avec l’univers, la crèche qui a porté le Christ naissant ? Es-tu à Nazareth pour visiter respectueusement la chambre où l’ange a visité Marie, où il lui a annoncé que, sans cesser d’être vierge, elle donnerait le jour à Notre Seigneur et Sauveur ? Pourquoi briser les liens de parenté qui devraient t’unir aux petits enfants qui ont souffert pour Jésus-Christ ? Cesse-t-on d’entendre prononcer le nom des chrétiens à l’endroit où les premiers martyrs ont été mis à mort ? La foi chrétienne serait-elle assez malheureuse pour se trouver circonscrite dans l’étroit espace que tu occupes ? Le Christ ne te dit-il pas : J’ai tout racheté, j’ai versé mon sang pour le salut de tout le monde ; je ne connais pas de partage, j’exige que tous ne fassent qu’un, parce que ma propriété ne peut avoir deux maîtres ?

5. Ne va pas dire que si tu es réduit à des proportions si minimes, c’est le fait de la puissance romaine ; rappelle-toi ceci, oui, rappelle-toi ceci, et si tu ne peux te le rappeler, lis-en le récit dans l’histoire : Combien de fois nous avons, nous aussi, souffert de la part des Romains ? Combien de leurs princes ont tiré contre l’Église catholique le glaive sanglant de la persécution ! Pourtant leur cruauté barbare n’a point réussi à étouffer notre foi ; l’on peut même dire que plus le persécuteur abattait d’épis dans le champ de la religion, plus la moisson du Christ devenait abondante sous sa faux ; car l’homme ne peut l’emporter sur Dieu. Jamais on n’a pu faire mentir la prophétie d’après laquelle l’Église devait se répandre jusqu’aux extrémités de l’univers. Écoute l’antique présage relatif à la solennité de ce jour : « Les rois de la mer et des îles lointaines lui apporteront des présents ; les princes de l’Arabie et de Saba, des offrandes tous les rois de la terre l’adoreront, et toutes les nations lui seront soumises[188] ». Fais-tu chœur avec tous ces rois pour adorer le Christ, toi qui erres avec tous ceux du dehors ? Ecoute, voici comment le Prophète annonce les présents des rois, avant que ceux-ci les offrent : « Tous viendront de Saba, apportant avec eux de l’or, de l’encens et de la myrrhe » ; en les offrant, ils proclameront le salut de Dieu. Cherche maintenant à savoir à l’égard de quelle hérésie peuvent s’accomplir ces paroles : « Il dominera de la mer jusqu’à la mer, du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre. Devant lui se prosterneront les habitants du désert, et ses ennemis baiseront la poussière de ses pieds[189] ». Remarque bien à quelle Église peuvent s’appliquer ces paroles adressées au Christ par le Psalmiste : « Dispersez les nations qui veulent la guerre : les princes de l’Égypte accourront pour demander la paix ; l’Éthiopie étendra les mains vers le Seigneur. Rois de la terre, chantez le Seigneur, célébrez en chœur l’Éternel[190] ». O hérétique, reconnais ta solitude ; vois, tu es séparé des habitants des îles et des nations, tu n’as plus de part aux mérites sanglants du Christ. Tu es désormais incapable de t’étendre et d’atteindre aux frontières du monde ; car, tu le sais, dans un moment tu ne seras plus. Je te le demande, à quelle époque commenceras-tu à régner dans les îles ? Quand pourras-tu explorer les mers les plus lointaines ? Tu ne peux plus sortir nulle part sans y rencontrer l’Église, puisque le pouvoir royal s’exerce partout. Mais supposons que le Gaulois puisse aller en Numidie et l’Italien en Byzacène, sans y trouver l’Église ; il sera toujours vrai de dire qu’autre chose est de parcourir le monde en marchant, autre chose est d’adorer le Christ dans tous les pays de la terre, comme si l’on était au milieu de ses concitoyens.

5. Enfin, nous lisons dans le Prophète ce passage : « Et tous les habitants des îles, tous les peuples l’adoreront, chacun en sa place[191] ». Entends-tu : « En sa place ? » Pourquoi alors, gémis-tu dans la solitude d’une terre qui n’est pas la tienne ? Apprends, apprends à partager la foi de l’univers, et nulle part tu ne seras forcé d’errer comme en pays étranger. Sois l’ami de toute la terre, entre en participation de l’unité, deviens membre de cette Église qui règne partout, et, en aucun lieu, tu ne seras hors de ta patrie, parce que toutes les contrées de la terre seront pour toi le pays natal. Courbe tes épaules sous le joug céleste, et alors tu verras que tu es dans l’unité, suivant cette parole de l’Écriture : « Que tous invoquent le nom de Jéhovah et lui obéissent sous le même joug ; des confins des fleuves, l’Éthiopie offrira à Dieu ses présents[192] ». Tu portes un autre joug, et un autre hérétique en porte un qui lui est particulier ; mais, dans toutes les parties du monde, le catholique est soumis à un seul Dieu, et porte le même joug ; par conséquent, il ne saurait s’égarer. Mais, mes frères, pourquoi vous fatiguer si longtemps à vous démontrer une vérité parfaitement évidente ? C’est inutilement qu’on ose célébrer cette solennité, si l’on ne veut point partager la foi que professe le monde entier.

TRENTE-NEUVIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SAUVEUR. 4

ANALYSE. —1. Les Mages amenés aux pieds du Christ par une étoile nouvelle. —2. Le Christ n’est pas né sur l’ordre d’une étoile. —3. Les petits innocents, pierres précieuses incrustées dans la couronne du Christ ; c’est de l’or, et leurs mères sont les mines du sein desquelles on l’a tiré.

1. Une couronne a brillé aujourd’hui aux yeux du monde, car une étoile, qui la précédait, en a révélé la richesse ; et le précieux martyre des innocents est venu y attacher comme des pierres précieuses. Quand, de l’intérieur de son palais, un roi de la terre s’avance au milieu de la foule réunie pour l’acclamer, et qu’il étale aux yeux de tous les richesses de son diadème, quels cris d’admiration, au milieu des pierres éblouissantes qui en font l’ornement ! De quel éclat a paru environnée la couronne aujourd’hui exposée aux regards du monde, puisqu’elle est l’emblème d’une puissance qui s’exerce tout à la fois sur la terre et dans les cieux ! Les cieux l’ont aperçue ; aussi les Anges de Dieu sont-ils descendus ici-bas, afin de l’admirer. Ses rayons ont pénétré dans le chœur des étoiles ; ils ont porté le trouble dans leurs rangs, et, dans la vivacité de leur joie, elles se sont hâtées de lui obéir. Voici donc notre rédemption, puisqu’apparaît une étoile splendide, l’étoile du matin ; elle est splendide, à cause de l’Épiphanie, qui se manifeste aux Gentils ; c’est l’étoile du matin, car, en sortant du tombeau, à l’heure de l’aurore, le Christ a vidé les enfers ; dès le matin, il a fait sortir de leur sépulcre les corps des morts, après les avoir enveloppés de l’éclat de son aurore naissante, comme d’un manteau de pourpre. Les Mages ont vu cette couronne qui projetait dans le monde ses rayons brillants ; ils se sont bâtés de venir de l’Orient et de marcher à la suite de l’étoile. Le ciel s’étonna à la vue de cet astre extraordinaire, les légions des corps célestes le contemplèrent avec stupéfaction ; car, s’il était nouveau, il annonçait aussi un enfantement non moins nouveau. Cette étoile n’était point du nombre des autres étoiles : elle ne s’était levée que pour un temps ; les autres astres ne la connaissaient nullement, parce que le genre humain ne connaissait pas non plus le Christ.

2. Mais que personne ne dise que le Seigneur Christ est né forcément sous le destin fortuit de cette étoile, adoptant ainsi l’opinion soutenue par les païens et peut-être aussi par les hérétiques. Elle n’était point placée dans le ciel pour imposer des lois : ce n’était qu’une messagère envoyée pour annoncer un événement. Jésus n’était pas fatalement soumis à ses ordres, c’était elle qui obéissait en le faisant aussitôt connaître. L’existence du Christ n’a donc pas été la conséquence de l’apparition de l’étoile : au moment où il est né, et parce qu’il est né, elle a brillé dans le ciel ; mais le Sauveur n’est pas venu au monde à cause d’elle. Au-dessus de la couronne de gloire qui apportait la joie à toute la terre, on voyait donc voltiger et briller, au milieu des ténèbres, les mystérieuses et bleuâtres lueurs destinées à annoncer le Sauveur ; et, par la route de feu qu’elle traçait, avec un empressement joyeux, dans les airs, l’étoile amenait d’Orient les trois mages, comme trois pierres précieuses à ajouter à la couronne du Christ naissant dans l’innocence : ils devaient y être incrustés à titre de prémices et en fléchissant le genou.

3. Voilà donc que des milliers de pierres précieuses viennent s’attacher à la couronne de cet enfant qui naît pour rajeunir la vieillesse d’un monde devenu caduc. Avant d’être fixés à l’auréole du Sauveur, les diamants de Bethléem, les petits innocents avaient été arrachés des mamelles de leurs mères. Le glaive du cruel persécuteur ayant abattu ces précoces et tendres fleurs, celui qui distribue les couronnes en avait fait une couronne pour orner son diadème, et leurs tiges devaient d’autant mieux briller sur son front, qu’elles étaient de couleur pourpre. C’étaient des lis, en raison de leur innocence ; ils sont devenus des roses, parce qu’ils ont été teints dans leur sang. C’étaient des pépites d’or sorties des riches entrailles de leurs mères ; ils sont devenus des lingots aux mains des anges, en attendant l’heure de leur incrustation dans la couronne du Premier-né. Le sein maternel est la mine où on les a séparés d’avec la terre, pour en faire des martyrs précieux. Bienheureuses mères ! Elles ont acquis du prix, elles ont brillé comme des mines d’or, puisqu’elles ont enfanté au Christ des martyrs. De même que les mines d’or sont placées sous la sauvegarde du fisc, de même elles jouissent du repos, sous l’œil protecteur des anges : dès lors que leurs enfants ont subi le martyre, elles ont donné au Sauveur des pépites d’or ; aussi sont-elles placées sous la double sauvegarde de la grandeur de leurs fils et de leur propre sécurité. D’autre part, les hommes, condamnés à creuser les mines d’or, sont coupables, puisqu’ils sont condamnés ; c’est pourquoi les satellites d’Hérode sont déjà condamnés au jugement du Christ, il est, toutefois, bon de le remarquer : les criminels condamnés à l’extraction de l’or dans les mines sont seuls coupables ; ainsi en a-t-il été des serviteurs d’Hérode : ils fouillaient en quelque sorte des mines d’or, et en extrayaient des sortes de pépites qui étaient les innocents, et tandis que les bourreaux devenaient noirs, ces petits enfants brillaient d’un vif éclat ; car, sous le glaive, ils étaient purs de toute faute. À leur exemple, tous ceux qui rendent témoignage au Christ naissant et se manifestant ont tout espoir de recevoir dans le royaume des cieux la couronne immortelle.
QUARANTIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. Nom de l’Épiphanie et célébration de cette fête après celle de la Nativité du Seigneur. —2. L’eau est changée en vin par la toute-puissance du Christ. —3. Explication du sens mystique de ce changement. —4. Les Mages adorent le Christ et lui offrent des présents tout aussi mystiques. —5. D’après l’opinion de quelques-uns, le Christ a été, à pareil jour, baptisé, pour nous apprendre à puiser une nouvelle vie dans le baptême. —6. Un jour si grand mérite d’être honoré par nous d’une manière spéciale.

1. Nous devons connaître les motifs probables de célébrer cette grande fête. L’Épiphanie, que nous solennisons aujourd’hui, tire son nom d’un mot grec qui signifie, dans notre langue, manifestation ou apparition. Or, ce jour est appelé le jour de la manifestation ou de l’apparition, parce que le Christ, Notre-Seigneur, s’y est fait connaître par des signes évidents. En effet, nos auteurs attestent qu’en ce jour les Mages sont venus, sous la conduite de l’étoile, adorer Notre.- Seigneur Jésus-Christ, et aussi que, dans le pays de Galilée, le Sauveur a changé de l’eau en vin. Après avoir dernièrement célébré le jour où est né le Christ, nous solennisons aujourd’hui celui où il s’est manifesté.

2. Jésus s’est donc fait connaître lorsque, par un prodige admirable autant qu’inouï, il a changé de l’eau en vin. Comme c’est Dieu qui a établi les lois constitutives des êtres, il lui appartient également de les changer aussi, après avoir créé l’eau dans les conditions ordinaires, lui a-t-il donné une autre nature : il avait pu d’abord la tirer du néant ; ne lui était-il pas aussi facile de la changer en une substance différente ? On faisait donc une noce ; pendant le festin, nous dit l’Évangile, le vin fit défaut. Alors le Seigneur ordonna aux serviteurs de mettre de l’eau dans les vases et de les remplir, et quand ils furent remplis, il commanda d’y puiser. Admirable prodige ! Entre les mains, et sous les yeux des serviteurs, la puissance divine agit sans se laisser apercevoir. Le miracle s’accomplit, et néanmoins personne ne voit comment il s’opère. La cause reste inconnue, l’effet seul apparaît. Pourquoi cela ? Évidemment parce que Dieu fait tout ce qu’il veut ; parce qu’en lui pouvoir c’est vouloir. Pourquoi encore ? Le voici : sa puissance est tellement grande que, en face des harmonies de la création, le Prophète a pu dire de lui avec justice:« Il a dit, et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et toutes choses ont été créées[193] ». Quelle merveille ! Mais de toutes les œuvres que le Seigneur a placées sous nos yeux, y en a-t-il une seule qui ne soit digne de notre admiration ?

3. Mais cherchons à découvrir, en ce miracle, des enseignements plus élevés ; tâchons de connaître son sens mystique. Que représentaient ces noces à la célébration desquelles assistait le Sauveur ? Elles étaient certainement l’emblème de celles par lesquelles le Christ s’est uni à l’Église ; car, « pareil à un époux qui sort de sa couche nuptiale[194] », il s’est approché, en vertu du contrat d’alliance, de sa fiancée ; et alors il a changé son œuvre : avec de l’eau il a fait du vin, c’est-à-dire qu’avec des Gentils il a fait des fidèles. Il y a donc un changement de l’eau en vin, quand des infidèles deviennent chrétiens, que des avares se font généreux, que des orgueilleux se transforment en hommes humbles, des personnes colères en personnes pleines de douceur, des gens cruels en gens miséricordieux, des adultères en continents. Ainsi donc Jésus change de l’eau en vin, quand, par sa divine opération, un homme que son infidélité rendait vil devient précieux en raison de ses sentiments religieux. J’ose même le dire : de côté et d’autre c’est l’œuvre du Christ, sans doute ; mais il y a, de sa part, un miracle plus admirable, quand, avec un pécheur, il fait un juste, que quand, avec de l’eau, il fait du vin ; car, en pareille circonstance, plus l’homme devient précieux, plus ce changement l’emporte sur l’autre. Dans le premier cas, il n’exerce sa puissance que sur un élément sorti de ses mains, c’est-à-dire sur l’eau ; dans le second cas, il l’exerce sur l’homme, qui est son image ; ici, les apparences, la couleur et le goût de l’eau se transforment en vin ; là, chose vraiment plus étonnante ! c’est toujours le même homme, et, pourtant, il n’est plus le même : extérieurement c’est toujours lui ; il devient tout différent à l’intérieur. Le Seigneur a dit. « Moi, je tuerai, et moi, je ferai vivre[195] ». Comment Dieu peut-il faire vivre, s’il tue ? Il tue de la même manière qu’il fait vivre ; car, dans un seul et même homme, il tue l’impie et fait vivre l’innocent.

4. Comme nous l’avons dit précédemment, on croit donc que c’est en ce jour que le Christ a reçu les adorations des Mages. Une étoile extraordinaire avait brillé à leurs yeux : aussitôt ils se mirent sous sa conduite, et tandis que, sur terre, leurs pieds marchaient, leurs yeux suivaient, dans le ciel, sa trace de feu. Aussi, lorsqu’ils eurent trouvé Notre-Seigneur Jésus-Christ, « ils se prosternèrent pour l’adorer et lui offrirent, en présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe[196] ». Par la myrrhe, ils faisaient connaître sa condition mortelle ; par l’or, ils le proclamaient roi, et, par l’encens, ils l’adoraient comme Dieu : et, tout en lui offrant leurs présents, ils faisaient don d’eux-mêmes à la divinité. Alors s’accomplit ce qu’avait dit le Prophète : « Avant que l’enfant puisse nommer son père et sa mère, il recevra la puissance de Damas et les dépouilles de Samarie[197] ». Le peuple de Damas, possesseur d’immenses richesses, a vraiment donné sa puissance au Seigneur, lorsque les Mages ont offert au Christ l’or qui était le maître des Gentils. Les dépouilles de Samarie, c’est-à-dire, de la gentilité, car Samarie en était l’emblème, lui ont été données au moment où, par l’accession des Mages à la foi, la gentilité a paru dépouillée de tous ses biens. Dans leur personne, en effet, ont été dédiées au Sauveur les prémices des nations ; car ils ont annoncé, par leur exemple, ce qui s’est accompli dans la suite, c’est-à-dire, que les Gentils, amenés par la foi, viendraient un jour, à notre Seigneur et Sauveur, et que, des extrémités de la terre, des peuples accourraient, qui reconnaîtraient en Jésus-Christ leur Maître et leur Dieu. Il était bien loin du pays des Mages, et néanmoins ils sont venus à sa recherche : il était né chez les Juifs ; et les Juifs l’ont méprisé. Ceux-là l’ont adoré, bien que les pauvres langes dont il était enveloppé le rendissent encore méconnaissable ; ceux-ci l’ont attaché à une croix, malgré les prodiges éclatants qui dénotaient sa puissance. Les Prophètes d’abord, et ensuite les Mages, l’ont annoncé, afin de rendre inexcusable l’homme qui ne reconnaîtrait pas le Seigneur dans la personne du Christ. Les Juifs ne pouvaient donc avoir aucun motif d’excuse en ne le reconnaissant pas, puisque leurs Prophètes l’avaient prédit ; il devait en être de même pour les Gentils incrédules, puisque les Mages avaient cru.

5. Il en est dont l’opinion est que notre Seigneur et Sauveur aurait encore été baptisé en ce même jour ; si la chose était vraie, nous aurions tout motif de célébrer cette tête avec la plus grande solennité. En ce cas, notre Seigneur et Sauveur, après nous avoir déjà fait naître, nous enseignerait aujourd’hui qu’il nous faut aussi prendre une nouvelle vie ; après nous avoir accordé le bienfait d’une première naissance, il nous aurait encore gratifiés d’une seconde, en vue de laquelle, et tout en nous donnant un exemple salutaire, il aurait sanctifié l’eau où les hommes devaient puiser la grâce.

6. Aussi, mes très-chers frères, devons-nous célébrer avec respect le jour où le Seigneur a été honoré soit par d’admirables prodiges, soit par la visite des Mages. Nous avons solennisé sa naissance, solennisons de même sa manifestation : évidemment, la loi ne nous eût procuré aucun avantage, si, en vertu des hauts conseils de Dieu, le Christ n’était pas venu en ce monde ; par la même raison, les hommes auraient peu profité du bienfait de sa naissance, s’ils n’avaient pas cru en lui. C’est pourquoi, frères bien-aimés, craignons toujours, aimons incessamment, désirons avec ardeur notre Créateur, le Créateur de toutes choses ; non content de descendre jusqu’à nous, il a voulu encore nous fournir les motifs de croire en lui après sa naissance : en effet, il s’est fait annoncer comme Fils de Dieu par les Prophètes ; les Mages nous l’ont montré ; il nous en a prévenus par ses paroles et nous l’a prouvé par ses miracles. Cherchons-le sans fin pour notre salut, dirigeons vers lui nos regards et les désirs de nos cœurs. Celui que les Mages ont trouvé enveloppé de langes, cherchons-le dans le ciel ; celui qu’ils ont adoré bien qu’il fût encore caché et obscur, glorifions-le ; car il est assis sur le trône de la Majesté suprême.

QUARANTE ET UNIÈME SERMON, POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. Au jour de l’Épiphanie, le Christ s’est révélé, non-seulement aux Juifs, mais encore aux Gentils. —2. 2 est reconnu par les Mages, et son Père proclame lui-même sa grandeur. —3. Dans cette manifestation du Sauveur apparaît la Trinité. —4. Le changement miraculeux de l’eau en vin prouve encore la Divinité.

1. « Chantez », dit David, « chantez », dit le Prophète ; « chantez un cantique nouveau, car il a opéré des merveilles[198] ». Nous sommes réunis pour célébrer la fête insigne de l’Épiphanie : cette parole du psalmiste David s’accorde donc avec l’esprit de cette solennité, qui veut nous voir chanter des cantiques de joie, pour nous mettre à l’unisson de la fête. Ainsi, autre chose est ce que nous demande la solennité autre chose ce que nous demande le psaume ; car à la première nous devons de l’allégresse, au second, des cantiques de bonheur. Que lisons-nous ensuite dans le psaume ? « Jéhovah a manifesté son salut, il a révélé sa justice aux yeux des nations[199] ». Voyons David : quel parfait rapport y a-t-il entre la solennité de ce jour et la mention, que fait le Psalmiste, de la manifestation du Christ aux Gentils ? Ouvrons l’Évangile, et nous verrons non-seulement comment Dieu a révélé son salut aux Juifs, mais aussi, selon le psaume qu’on nous a lu, comment « il l’a révélé aux yeux des nations ». D’abord, remarquons ceci : aussitôt après la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les Mages viennent, avec des présents, auprès de l’humble enfant Jésus, pour l’adorer ; mais, à vrai dire, ce sont les peuples gentils qui viennent en leur personne : en effet, les Mages étaient les docteurs et les chefs de la superstition païenne, vu qu’ils tenaient le principat chez, les Gentils plongés dans l’erreur, et qu’ils servaient de modèle à la gentilité. Ensuite, l’étoile s’associe à eux ; elle s’arrête au-dessus de l’enfant, pour montrer que là se trouve réellement celui vers lequel elle accourait tout à l’heure, et pour indiquer, par son arrêt, aux Mages qu’elle a amenés, le but de leur voyage.

2. Les Mages pénètrent donc dans ta grotte où est né le saint enfant, ils s’approchent de la crèche, ils y aperçoivent un homme et y reconnaissent un Dieu ; alors ils se prosternent aux pieds de cet enfant, dont ils comprennent la grandeur, dont la puissance leur, inspire l’épouvante. Ils voient sa chair et adorent sa majesté : son humanité frappe leurs regards, et ils vénèrent sa divinité. Les choses étant ainsi, voyons comment, par cette conduite des Mages, s’est accomplie la prophétie de David qu’on nous a lue tout à l’heure ; elle est conçue en ces termes ; « Le Seigneur a manifesté son salut, il a révélé sa justice aux yeux des nations ». Par cela même qu’une étoile l’a fait connaître, l’humanité du Sauveur a été manifestée ainsi, « le Seigneur a manifesté son salut ». et comme il a été vu par les Gentils, le Seigneur a révélé sa justice aux yeux des nations ». Maintenant, puisque, au rapport de l’Écriture, le Père a déclaré, en ce jour et à l’occasion de son baptême, que le Christ était son Fils, cette parole du psalmiste a évidemment reçu son accomplissement : « Le Seigneur a manifesté son salut ». Car le Père pouvait-il mieux faire connaître son Sauveur qu’en le faisant connaître lui-même par ces paroles. « Celui-ci est mon Fils ? »

3. Autrefois, le Père s’était servi de Moïse et des Prophètes, il avait employé des emblèmes et des figures pour annoncer que son Fils s’incarnerait un jour ; au baptême, il a donné par lui-même et ouvertement la preuve que l’Incarnation était un fait accompli. La foule était là présente : le ciel et la terre, et tout ce qu’ils renferment, servaient de témoin : il faisait grand jour, les faits se montrèrent indéniables : on entendit une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances[200] ». Cette voix était très-forte ; mais, pour qu’elle ne fût pas seule à rendre témoignage à celui que le Père révélait de la sorte, le Saint-Esprit vint lui-même déclarer sa divinité : une colombe descendit donc sur sa tête, et la preuve qui résulta de cette apparition en faveur de la filiation divine du Christ précéda celle qui ressortait de la déclaration de son Père. Pour moi, je ne vois pas, en cela, seulement un témoignage en faveur du Christ, j’y aperçois encore un mystère relatif à la divinité : en effet, cette manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ mettait en relief le Fils, qui était alors désigné comme tel, le Saint-Esprit qui le faisait voir, et le Père, qui déclarait sa filiation ; ainsi donc, par le fait même que la divinité tout entière proclamait le Sauveur Fils unique de Dieu et Dieu lui-même, les personnes divines se manifestaient toutes les trois.

4. Mais arrivons enfin au passage de l’Évangile qu’on nous a lu tout à l’heure, et considérons avec le plus grand soin ce trait de la puissance divine : le changement de l’eau en vin, opéré au festin des noces et raconté dans ce passage de l’Écriture, est la preuve évidente que celui qui l’a accompli est Dieu ; oui, cette preuve est incontestable. L’action divine peut-elle, en effet, se manifester d’une manière plus convaincante qu’en bouleversant et en changeant la nature des choses ? À qui peut appartenir le pouvoir de changer en un clin d’œil les éléments ? À celui-là seul qui peut les créer : cela va de soi ; car donner un autre être à ce qui existe, et tirer du néant ce qui n’existe pas encore, c’est le fait de la même puissance. O l’admirable, ô l’inestimable force de notre Sauveur ! Les urnes se remplissent d’eau, et elles fournissent du vin aux convives : on y verse une chose, et l’on en tire une autre. Qui donc a communiqué à un élément assez d’obéissance pour le faire cesser d’être, et à un autre élément la substance nécessaire pour le faire exister ? Que des êtres pourvus d’oreilles pour entendre, et d’intelligence pour comprendre, sachent obéir, soit ; mais il est certain qu’ici ni l’eau ni le vin n’avaient des oreilles et de l’intelligence. Comment donc a-t-on pu rencontrer de la soumission en ce qui ne pouvait en avoir naturellement ? Quand des êtres entendent sans avoir d’oreilles, comprennent sans avoir d’intelligence, obéissent sans être pourvus du sentiment du devoir, l’omnipotente de la divinité s’affirme donc d’une manière palpable ; car il prouve qu’il est le Dieu de toutes les natures, celui qui donne une nature aux êtres dépourvus d’intelligence par nature. Il nous reste encore quelque chose à dire ; Dieu nous en fera plus tard la grâce. Pour aujourd’hui, prions, afin que la conversion de nos cœurs manifeste la grandeur et la puissance du Christ, comme les a déjà manifestées aujourd’hui le changement des éléments de la nature.
QUARANTE-DEUXIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR. 8

ANALYSE. —1. Le Christ se fait connaître aux Mages par l’entremise de l’étoile. —2. Les mages l’adorent et lui offrent des présents mystiques. —3. Cruauté d’Hérode ; il fait massacrer les petits enfants. —4. Épilogue.

1. Frères bien-aimés, portez vos regards sur l’astre nouveau ; c’est le signe, non pas de la fatalité, mais de la royauté. Voyez-le briller dans sa course rapide, conduire les Mages au berceau du Christ, et, du haut du ciel, témoin de son obéissance, appeler à la crèche le monde entier. Comme, après la nuit, le pôle nous apparaît sous les teintes brillantes de l’aurore, ainsi les premiers rayons de la lumière se montrent au genre humain assis dans les ténèbres et les ombres de la mort ; ainsi s’annonce le Fils de Dieu, jusqu’alors inconnu. Voici venir les Mages, ces esclaves de l’astrologie, ces admirateurs des étoiles. Un globe de feu, qu’ils n’ont pas encore vu, projette dans les cieux d’éclatants rayons ; d’un pas rapide, il trace devant eux un chemin enflammé ; ils le suivent et voient bientôt, enfermé dans l’étroite enveloppe d’un maillot, celui dont l’étoile lumineuse annonçait tout à l’heure, du haut des airs, la glorieuse puissance. Jamais torche ardente ne répandit autour d’elle une lueur semblable à celle de cet astre ; jamais l’aurore n’envoya à la terre de rayons plus nombreux et plus doux ; jamais d’une fournaise nouvellement allumée ne s’échappèrent de pareils torrents de flammes : il brillait si vivement, que, à la vue de cette lumière sans précédente, la terre se trouvait saisie d’épouvante. Comment ne pas reconnaître la majesté suprême en celui dont la grandeur se lisait dans l’écrin céleste ?

2. Les Mages, au cœur desquels naissait la foi, prélude de la nôtre, s’approchent donc du Christ ; ils lui offrent de l’or, lui donnent de l’encens, lui apportent de la myrrhe. Pauvre petit enfant, vous êtes devenu bientôt riche ! Au milieu de tous ces présents, il pleure ; et bien qu’il gémisse, on le redoute comme un Dieu : Ses clients lui apportent des cadeaux ; ils courbent devant lui leurs fronts et l’adorent. On lui offre de l’or, parce qu’on reconnaît en lui un grand Roi ; on lui sacrifie de l’encens, en témoignage de sa divinité ; on lui donne de la myrrhe, comme à la victime qui doit mourir pour le salut de tous.

3. Mais, à force de craindre, l’impie Hérode devient cruel ; il sévit avec d’autant plus de rage qu’il veut cacher mieux sa honte. Dès le premier abord, il feint de vouloir adorer celui dont la naissance le remplit d’épouvante. À mon avis, mes frères, si cet ennemi intime du Christ ne fait pas de mal aux Mages, c’est qu’il n’est pas assez fort ; s’il joue le rôle d’innocent, c’est qu’il ne peut donner libre cours à sa méchanceté. Plein d’anxiété au sujet de ce successeur, tourmenté par la crainte de perdre sa royauté, Hérode se couvre du masque de suppliant, tout en nourrissant dans son âme des sentiments hostiles. Mais pouvait-il prendre au piège celui qui était venu détruire toutes les malices de la duplicité ? Il temporisa donc, il attendit, mais inutilement : trompé dans ses espérances, il n’eut pas la patience de tenir plus longtemps cachées les secrètes pensées de son cœur. Aussi donna-t-il l’ordre de massacrer les innocents, de faire tomber sous le glaive et sous les pierres des membres non encore affermis et nouvellement sortis des entrailles maternelles. O cruel attentat ! O rage inouïe de ce monde ! Ce massacre était de telle nature, que le bourreau ne pouvait ni les tenir pour les tuer, ni les voir après leur avoir ôté la vie. On les arrachait tout tremblants des mamelles de leurs mères ; leur frêle existence s’éteignait, incapable de résister aux tiraillements simultanés de celles-ci et de leurs bourreaux ; de la sorte, on tuait moins des vivants qu’on n’égorgeait des morts. Alors ces pauvres mères sanglotaient et remplissaient l’air de leurs cris : on les voyait serrer leurs enfants dans leurs bras ; elles auraient voulu mourir avec eux, mais on ne leur donnait point le coup de grâce. Leurs entrailles se tordaient, non plus sous – l’effort des douleurs de l’enfantement, mais sous le poids du chagrin et du deuil : elles avaient beau pleurer et tendre vers les bourreaux des mains suppliantes, les cruels sicaires demeuraient insensibles ; dans leur fureur, ils brisaient ces petits membres à peine nés de la veille, et, malgré les prières des mères éplorées, ils étalaient à leurs yeux le hideux spectacle du sang de leur chère progéniture. Hérode, à quoi t’a servi cet acte de cruauté ? Pour atteindre un enfant, tu en fais mourir une multitude, et néanmoins tu ne parviens pas à frapper celui que tu cherches ; et ainsi, ta stérile méchanceté n’aboutit qu’à te donner à toi-même le coup de mort et à donner au Christ des martyrs de son âge !

4. Pour nous, mes frères, réjouissons-nous dans l’unité de la foi, « dans une charité sincère, dans la parole de vérité, dans la force de Dieu\x + xt 2Co. 6, 6]]</ref> ». Marchons de pair avec les Mages, suivons la brillante lumière de l’étoile, adorons le Christ dans sa crèche, offrons-lui l’hommage de nos vœux. Il est aujourd’hui couché devant la porte, enveloppé dans les langes de la pauvreté : les Mages lui offrent de l’or ; que des chrétiens ne refusent pas aux indigents une pièce de monnaie.

QUARANTE-TROISIÈME SERMON : POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR. 9

ANALYSE. —1. Saint Augustin rappelle au souvenir de ses auditeurs l’admirable Nativité du Christ. —2. Le miracle des cinq pains et des deux poissons était autrefois fêté le jour de l’Épiphanie. —3. Il en était de même du baptême du Christ, auquel se rapporte d’une manière mystique le miracle précité.

1. Nous vous l’avons précédemment expliqué : Notre-Seigneur Jésus-Christ a été engendré dans le sein d’une vierge, en dehors des règles de la condition humaine et de la nature ; il a donc eu pour signe distinctif d’opérer des prodiges dès le commencement d’une existence qu’il devait marquer plus tard par des miracles sans nombre : la puissance qu’il manifestait au moment de sa naissance devait disposer les hommes qui en étaient témoins, à croire plus facilement les opérations extraordinaires et merveilleuses dont le reste de sa vie serait rempli. Car, une fois venu à la vie, une fois devenu homme, que ne pouvait-il pas faire, quand, avant de naître, il avait pu conférer à sa mère le privilège de la virginité ? Marie t’a porté dans son sein avant de le mettre au monde ; après l’avoir enfanté, elle est demeurée vierge ; en elle se sont donc trouvées réunies la maternité et la virginité. Ne vous étonnez, nullement de m’entendre dire que, après l’enfantement, Marie est restée vierge : il y a, pour ses deux privilèges, une seule et même raison : car, la conception du Sauveur ayant eu lieu sans le concours de la chair…; Que le Seigneur ait pénétré en des lieux fermés sans en briser les portes, nous en avons un exemple. Voici, en effet, ce que nous lisons ans l’Évangile : Quand les Apôtres se tenaient enfermés dans le Cénacle, et que, par crainte des Juifs, ils en gardaient les portes closes, Jésus-Christ se trouva subitement au milieu d’eux, et, néanmoins, pour pénétrer dans la salle de leur réunion, il n’avait pas seulement entre-bâillé les portes. S’il a pénétré à travers une épaisse et solide charpente, sans même en ébranler l’ouverture, à bien plus forte raison a-t-il pu, en traversant la subtile nature d’un corps ouvert, entrer et sortir sans porter atteinte à l’intégrité des membres ?

2. Nous avons d’abord parlé du fait et des merveilles de la nativité du Seigneur ; puis, entre autres prodiges opérés par lui, nous vous avons signalé celui-ci, à savoir qu’avec cinq pains et deux poissons il a nourri plus de cinq mille personnes, et qu’après un repas copieux, il y a eu plus de restes qu’on n’avait apporté de provisions. Nous ne pouvons maintenant passer sous silence un autre fait que beaucoup supposent avoir eu lieu aujourd’hui-; nous voulons parler de la circonstance où le Sauveur a changé de l’eau en vin alors, l’odeur, le goût et la couleur d’une substance simple et commune se sont trouvés tout à coup métamorphosés. À cette vue le ministre du festin se perd au milieu de ses urnes, c’est-à-dire que, s’il les reconnaît, il ne reconnaît plus leur contenu. Il a puisé une chose à la fontaine, et dans ses vases il en trouve, une autre : de là, grand sujet d’étonnement pour lui. En versant le liquidé, il s’aperçoit que l’eau toute limpide a pris une teinte rouge ; il demeure interdit, stupéfait, et parée qu’Il verse à boire, il s’imagine que ses yeux le trompent. Pour écarter toute idée d’ivresse, il aime mieux croire que ses yeux le trompent, et il en appelle aux sens. Il en verse donc dans un verre et le porte à l’intendant ; celui-ci le goûte, appelle l’époux, lui adresse de vifs reproches, lui demande comment il se fait qu’on ait gardé si longtemps le bon vin, et qu’à l’encontre de l’usage adopté pour les festins, on ait bu d’abord le mauvais vin, pour boire le meilleur seulement à la fin. Le trouble se répand alors parmi tous les convives ; les servants ont perdu leur eau ; l’intendant ne connaît plus rien à son vin : l’un réclame ce qu’il a puisé à la fontaine, l’autre redemande ce qu’on a bu, ne comprenant pas que du vin improvisé par la bénédiction du Christ soit meilleur que du vin naturel. Voilà donc, suivant l’opinion commune, le prodige opéré en ce jour par le Sauveur ; selon la nôtre, le Sauveur a été baptisé aujourd’hui dans le Jourdain.

3. Remarquons-le néanmoins : ces deux opinions peuvent se concilier ensemble. Car, en un sens, il y a eu changement d’eau en vin, quand Peau du Jourdain a été sanctifiée, et, par là même, transformée ; quand de l’eau, jusqu’alors simplement naturelle, a gagné de la valeur à être bénite par le Christ, et acquis la propriété, non-seulement de laver les corps, mais aussi de purifier les âmes. Comme, en effet, le vin « réjouit le cœur de l’homme[201] », lorsqu’on le boit, et qu’il débarrasse de toute inquiétude ; de même la grâce du baptême réjouit la conscience de l’homme, quand on la reçoit, et elle la délivre de la crainte de n’importe quelle tentation. C’est de ce vin tout spécial que parlait le Prophète quand il disait : « Le vin a rempli de joie ses yeux ». Le changement de l’eau en vin s’opère donc lorsque les péchés font place à la justice. L’eau, dis-je, se change en vin, quand le baptême, où nous puisons l’immortalité, communique une autre couleur à l’eau froide du péché qui donne la mort, quand les vases de nos corps, auparavant hideux à voir ou remplis d’une odeur infecte, reçoivent un nouveau goût et une odeur nouvelle. Que dans les chrétiens se trouve une bonne odeur, l’Apôtre le dit expressément : « Nous sommes, devant Dieu, la bonne odeur de Jésus-Christ[202] », si, du moins, nous aimons le Seigneur.
QUARANTE-QUATRIÈME SERMON.
POUR L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR. 10

ANALYSE. —1. Les Mages viennent sous la conduite de l’étoile. —2. Comparaison entre eux et la reine de Saba, qui est allée visiter Salomon. —3 Extravagances d’Hérode. —4. Nous devons joyeusement accourir aux pieds du Christ avec les Mages.

1. Le jour solennel de la sainte Épiphanie vient de se lever sur l’univers : le monde entier doit donc le célébrer, car un astre a dissipé, par l’éclat de ses rayons, les ténèbres où il était plongé, une étoile nouvelle a brillé aux yeux des hommes. Sous la conduite de cette étoile, les Mages sont venus d’Orient à Jérusalem ; par le fait d’une révélation d’en haut, ils ont reconnu dans l’enfant celui dont ils attendaient leur salut, et ils l’ont adoré. Rien, pourtant, dans le Christ nouveau-né, ne prêtait à l’adulation : il n’était point assis sur un trône royal, il ne portait point de manteau de pourpre, sur son front ne brillait point de diadème, autour de lui, nul apparat de domestiques, point de gardes pour inspirer la crainte. Ce n’était pas non plus la gloire acquise en d’heureux combats qui avait pu attirer les Mages auprès du Christ ; s’ils ont suivi l’étoile, ç’a été uniquement sous l’influence d’un sentiment de religion et de piété. Et parce qu’un Sauveur était né pour les nations, ils lui ont apporté, des extrémités de la terre, trois sortes de présents, emblèmes magnifiques de la Trinité. Un enfant, nouvellement né, était couché dans une crèche, son corps était tout petit, sa pauvreté le rendait méprisable ; mais sous ces minces apparences se cachait quelque chose de grand ; et cet enfant, les Mages avaient appris à le connaître, non sur un signe venu de la terre, mais d’après le langage muet du ciel ; c’est pourquoi ils venaient de si loin pour lui offrir leurs hommages et le prier.

2. Une reine du Midi était venue des confins du monde ; elle voulait recevoir, de la bouche de Salomon, des leçons de sagesse. Ce n’était pas la gloire de son règne qu’elle désirait connaître, c’était la lumière de l’esprit, le radieux éclat de la sagesse, qu’elle souhaitait de contempler. La sagesse qui brillait en Salomon était si grande, que le bruit s’en était répandu à d’énormes distances, et que les esprits studieux s’étaient sentis enflammés du désir d’apprendre ; par conséquent, cette femme était venue à la recherche, non point d’un Dieu caché, mais d’un homme qui lui parlerait ; elle était venue, non pour adorer, mais pour écouter. Qui avait donné à Salomon cette admirable connaissance de toutes choses ? C’était le Christ, notre Seigneur et Sauveur, celui qui, revêtu de l’infirmité de notre chair, se cachait encore ici-bas sous les dehors d’un petit enfant, mais qui faisait déjà briller, dans le ciel, le signe radieux de son infinie majesté.

3. Le bruit de sa naissance se répand dans le ciel, parmi les étoiles, au milieu des anges ; il s’étend jusqu’aux bergers, aux scribes, aux pharisiens, aux nations, aux Mages ; et, par toutes ces routes à la fois, il arrive aux oreilles du roi Hérode. Celui-ci l’entend, l’épouvante le saisit. Hérode, que crains-tu ? Pourquoi ton âme méchante se trouble-t-elle ? Si tu veux arriver au salut, celui-là est né, qui pourra te mettre en possession du royaume de Dieu, mais qui ne saurait t’inspirer aucune jalousie parce qu’il n’est point un roi de la terre. Pourquoi te montrer cruel ? A quoi bon massacrer des enfants ? Pourquoi faire du mal à un âge qui n’en fait pas ? Le glaive de ce Roi qui vient de naître ne sera jamais l’instrument de la méchanceté et de la vengeance, mais celui de la miséricorde et de la liberté. Ce roi omnipotent sortira portant son glaive sur sa cuisse, mais ce glaive ne servira qu’à détruire l’emportement des passions ; il fera triompher la virginité et la chasteté. Hé quoi, Hérode, tu tombes dans le trouble parce qu’il est né un Roi des Juifs ! Et pourquoi ? Son royaume n’est pas de ce monde[203]. Il régnera, oui, sans doute, mais pas comme tu crains de le voir régner. Toi, tu finiras bientôt, mais « son règne », à lui, « n’aura pas de fin[204] ». Pourquoi trembler d’épouvante en présence d’un vivant ? Il n’y a rien à craindre ; le Roi des Juifs, qui est venu au monde, ne t’enlève point ta vaine royauté. Tu crains de la perdre, cette royauté, et tu ne redoutes pas de périr toi-même ! Le Christ régnera sur les Juifs, mais sur des Juifs à lui, sur des Juifs circoncis de cœur et non de corps, sur des Juifs en esprit, et non selon la lettre, sur des Juifs réels, et non fictifs. À des Juifs de ce caractère et dont il est le Roi, il prépare le royaume éternel des Juifs : tu peux arriver à posséder ce royaume, si tu le veux ; mais alors tu régneras, non point sur eux, mais avec eux ; tu régneras éternellement ; non pas à la place du Christ, mais conjointement avec lui. Aujourd’hui, par le massacre des innocents, tu désires retenir entre tes mains les rênes de la royauté ; ton crime ne t’empêchera pas de mourir, et la mort te forcera à les abandonner. Celui dont tu cherches à te débarrasser te survit en ce monde, et, quand il aura été mis à mort, il régnera sur tous les peuples. Va donc maintenant ; marche, précipite-toi dans le sang d’une multitude d’enfants, afin d’arriver presque à faire mourir le seul que tu cherches. Si tu y parviens, ah ! du moins tu le crois, tu régneras tranquillement. Ne crains rien, ne te trouble pas : cet enfant, que tu prétends livrer à la mort, est venu pour ravir la royauté à la mort, et pas à toi. Peut-être te dis-tu : Je le tuerai, par là même je pourrai vivre. Inutile précaution ! C’est là, au contraire, le moyen de mourir, ce n’est pas le moyen de s’assurer l’existence. Crois plutôt en lui, si tu veux vivre ; car il est la vie, celui que tu veux faire mourir. Les Mages, étant venus, cherchent le Seigneur ; Hérode le cherche aussi mais si ceux-là veulent vivre pour lui, celui-ci se propose de le faire passer de vie à trépas. L’amour guide les premiers jusqu’au berceau du Christ, et le leur fait adorer ; le second voudrait en finir avec lui, mais sa fureur est déjouée ; les uns, guidés par l’étoile, rencontrent le salut ; l’autre, aveuglé par sa méchanceté, trouve sa propre perte ; les Mages se réjouissent à voir Jésus-Christ, Hérode se consume à lui en vouloir.

4. Mes frères, prenons nous-mêmes part à la joie de tous les peuples gentils, dont les Mages ont été les prémices ; ainsi éviterons-nous de périr avec les Juifs, qui ont préféré, pour leur roi, Hérode au Christ. Sans doute, on ne saurait trop flétrir la folle cruauté du roi Hérode ; mais il faut s’étonner bien davantage encore de la sottise des Juifs. Ils ont découvert l’endroit où se trouvait le Christ ; suivant qu’ils l’avaient appris par les écrits des Prophètes, ils ont désigné Bethléem comme le lieu de sa naissance, et, par envie, ils ont refusé de croire au Sauveur naissant, se montrant ainsi plein de zèle pour lire et remplis de mauvaise volonté pour se soumettre à la foi. Laissons-les dans la vieillerie de la lettre ; préparons-nous tous les jours à adorer, conjointement avec les Mages, Notre-Seigneur Jésus-Christ ; célébrons, avec une sobriété exemplaire et saintement, cette grande solennité, afin que nous méritions, comme tous les saints, d’arriver jusqu’à notre Seigneur et Sauveur. Ainsi soit-il.
QUARANTE-CINQUIÈME SERMON.
POUR L’OCTAVE DE L’ÉPIPHANIE. SUR LE BAPTÊME DU CHRIST.

ANALYSE. —1. Le Christ se fait baptiser pour nous amener à la pénitence. —2. Humilité de Jean. —3. Il voit les cieux s’ouvrir et le Saint-Esprit en descendre : comment ? —4. Le mystère de la Trinité se dévoile dans son entier. —5. Exhortation au baptême.

1. Que Dieu se soit fait voir parmi nous ; que Notre-Seigneur Jésus-Christ ait été, en même temps, Dieu et homme, et qu’en lui aient manifestement paru les prérogatives de l’un et de l’autre, c’est un fait annoncé en bien des manières par les Prophètes, et affirmé par le saint Évangile d’aujourd’hui : de là nous devons conclure que, si Dieu a daigné se faire homme, c’était afin que l’homme, perdu par son péché, pût devenir Dieu. Après avoir accompli le mystère de l’Incarnation et pris sur lui les faiblesses de notre humaine mortalité, l’Homme-Dieu nous a appris la manière d’effacer nos fautes ; car il est venu demander à Jean-Baptiste le baptême de la pénitence, afin de nous procurer le salut par son propre baptême. Imitez donc et recevez le sacrement justificateur qu’a établi le Fils de Dieu. Il a fait pénitence, et, pourtant, aucune raisonne l’obligeait à la pénitence ; pleurez, vous, car vous avez tout motif de verser des larmes de douleur. Il a effacé les péchés de la chair ; c’est à vous de les déplorer. Il a purifié dans l’eau matérielle ce qui était sans taches ; pour vous, dont1a conscience est souillée, purifiez-la dans le torrent de vos larmes.

2. En voyant Dieu s’approcher du baptême de pénitence pour le recevoir, le vénérable Prophète fut saisi de stupeur ; le trouble et l’épouvante se répandirent dans tout son être en la présence du Rédempteur. « Seigneur », s’écria-t-il, « soyez-moi propice ! Ces eaux où se purifient les corps sont la piscine réservée aux pécheurs. Je baptise les serviteurs, mais je ne dois point baptiser le Maître. Je le sais, vous venez de la source des eaux célestes ; pourquoi donc entacher les choses divines au contact des choses de la terre ? En vous se trouvent des sources toutes pures, dont les eaux abondantes rafraîchissent les terres desséchées et communiquent la fécondité à celles qui sont stériles. O saint, si, seulement, vous m’ordonniez de m’approcher de ces eaux salutaires ! si, seulement, vous daigniez en verser sur moi de vos propres mains ! Purifié de mes souillures charnelles, je pourrais marcher dans le sentier du ciel, j’ignorerais les faiblesses coupables de la chair ! ». Néanmoins le Sauveur persiste dans son dessein ; puis, voilant pour un instant sa divinité, il dit à Jean : « Fais maintenant ce que je dis, car il nous faut  accomplir toute justice[205] ». Voyez, quelle céleste réponse ! Le Christ ne nie pas qu’il soit Dieu, mais parce qu’il est devenu homme, il veut accomplir tout ce qu’exigent les prescriptions de la loi. Car c’est justice qu’il reçoive ce qu’il doit donner, et qu’il imprime le sceau de la perfection à ce qu’il doit léguer à l’Église. Alors Jean le laissa : il ne se sépara point de lui, mais il l’abandonna à sa propre volonté, pour lui laisser faire ce qu’il désirait. Il voyait dès lors, en effet, que le baptême du Sauveur sanctifierait les eaux, et que ce bain serait, non plus celui de la pénitence, mais celui de la grâce.

3. « Aussitôt qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau, et les cieux s’ouvrirent[206] ». Emblème de la promptitude avec laquelle devait s’opérer l’œuvre de notre régénération, et de la facilité avec laquelle le vieil homme se changerait en homme nouveau. Jésus est baptisé, et tous les secrets mystères de l’homme se dévoilent. Les cieux s’ouvrent en présence de Jean, non pour rendre profanes les mystères célestes ; mais pour rendre accessible à l’homme l’entrée du paradis, fermée par nos fautes. Les cieux s’ouvrent, sans qu’il y ait scission dans les éléments, sans qu’on aperçoive la moindre déchirure, la plus petite anfractuosité dans les airs, ou que Dieu ait besoin d’en soutenir les parois… Cependant l’œil spirituel peut apercevoir ce que1'œil charnel ne saurait découvrir. Rempli de l’Esprit-Saint, Ézéchiel assure que les cieux se sont ouverts devant lui, et qu’il y a lu la mystérieuse signification des quatre animaux. De même en a-t-il été de saint Étienne, au moment où il a rendu un si beau témoignage à Jésus-Christ. Plein de l’Esprit-Saint, et portant ses regards vers le ciel, il a vu la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu, et il a dit : « Je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu[207] ». Il a donc vu les cieux ouverts, celui qui prophétisait en l’Esprit ; il a vu les cieux ouverts, celui qui confessait si ouvertement le Christ : « Et j’ai vu », dit le Précurseur, « l’Esprit de Dieu descendant du ciel comme une colombe et venant sur lui[208] », c’est-à-dire sur Notre-Seigneur Jésus-Christ. Rien d’étonnant à ce que Jean ait vu venir le Saint-Esprit, puisque, avant de naître, il a tressailli dans le sein d’Élisabeth, en présence de la mère du Sauveur, et que, dans le désert, il a ainsi annoncé le Christ : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers[209] ». Mais, dira peut-être quelqu’un, comment a-t-on pu voir l’Esprit de Dieu, puisqu’il est invisible, incompréhensible et répandu dans tous les éléments, un Esprit qui est évidemment Dieu ? Le Sauveur ne dit-il pas dans l’Évangile que « Dieu est esprit ?[210] » Ce qui voit l’esprit de Dieu, c’est le cœur pur, c’est toute intelligence dont l’Esprit-Saint daigne s’approcher. Par la toute-puissance de sa divinité, et selon son bon plaisir, il pénètre dans ce cœur, dans cette intelligence ; il s’y rend visible. « L’Esprit de Dieu souffle où il veut[211] » : il gouverne toutes choses, sans être gouverné par aucune ; le monde entier reçoit la vie de cette âme éternelle, qui donne la connaissance du ciel et la refuse, qui a développé l’étendue des mers, qui couvre toute la terre et qui, pénétrant dans le vaste corps du monde, communique libéralement la vie à toutes les semences. Car telle est la nature de la Divinité, que, partout où tu remarques le mouvement et la vie, tu dois y voir l’action de l’Esprit de Dieu.

4. Dans le baptême du Sauveur se manifestent, d’une part, le dessein secret et difficile à saisir du Saint-Esprit, et, d’autre part, le mystère tout entier de la Trinité. L’Esprit de Dieu connaissait le Verbe, et il l’avait vu se revêtir de notre humanité. Pour montrer aux hommes que sa puissance est égale à celle du Fils de Dieu, il prend donc la forme d’une colombe, bien qu’il soit d’une nature subtile et simple, que la sainteté lui appartienne en propre, et qu’il se trouve à l’abri de toute investigation. Et, pour que la Trinité apparaisse dans son entier, le Père, que personne n’a jamais vu, si ce n’est le Fils unique[212], se fait entendre et fait connaître, par son propre témoignage, le Christ que l’Esprit-Saint désigne déjà. Voici ses paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances[213] ». Admirable mystère de la puissance divine ! Que les voies de l’Esprit de Dieu sont impénétrables ! Il s’est revêtu des dehors d’un oiseau inoffensif ; puis il est descendu du haut des cieux sur Jésus-Christ, immédiatement après son baptême ; ainsi nous a-t-il montré que l’infusion du Saint-Esprit se fait dans l’âme au moment du baptême ; ainsi encore a-t-il réfuté d’avance l’erreur méchante qui consisterait à dire que les paroles de Dieu le Père s’adressaient à Jean, et non à Dieu le Fils.

5. Ici, mes frères, il convient de tourner toute notre indignation contre les impies, et d’en finir avec la mauvaise foi des Juifs, qui ne croient point à la venue du Messie, quand le ciel lui-même lui rend témoignage, qui refusent de reconnaître comme Dieu celui que le Père déclare être son Fils. Aussi, mes très-chers frères, réunissons-nous dans un même sentiment de foi, et soyons tous assez fermes pour confesser Dieu le Père, et son Fils Jésus, et le Saint-Esprit, et reconnaître, en même temps, qu’ils ne forment à eux trois qu’une seule et même substance. Quant à vous, frères bien-aimés, à qui nous procurons le bonheur d’entendre les leçons de l’Apôtre, hâtez-vous de recevoir aussi le baptême. Que rien, en lui, ne vous paraisse abject ; que rien, en lui, ne vous semble méprisable. Le Sauveur du monde a daigné entrer dans cette piscine ; hâtez-vous donc, « du temps qu’il fait jour, dans la crainte d’être surpris par les ténèbres[214] ». Si nombreuses que soient les blessures faites à vos cœurs par le péché, si hideuses que soient les taches imprimées à votre âme par vos fautes, nous les cicatriserons, nous les ferons disparaître avec l’eau vive du baptême : votre conscience y sera purifiée de toutes vos anciennes iniquités, une lumière toute spirituelle y sera répandue en vous ; c’est ainsi que, par mon ministère, s’accomplira parfaitement en votre personne le grand mystère de ce jour ; c’est ainsi que le ciel s’ouvrira pour vous, et que je vous ferai voir le Christ, Notre-Seigneur, à qui l’honneur, la puissance et la gloire appartiennent pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-SIXIÈME SERMON.
POUR LE CARÊME[215]. I
Mes bien-aimés, le Prophète, dont nous venons de lire les paroles, nous ordonne d’annoncer le jeûne, de prêcher la guérison. Il donne, mes très-chers frères, le nom de guérison au jeûne, c’est-à-dire au temps de la Quadragésime, dans lequel nous entrons. Voici donc venir le médecin ; que les malades qui veulent être guéris se préparent. Ce médecin, mes amis, est un véritable homme de l’art, et il ne ressemble en rien à ces hommes qui font de la médecine, qui peuvent bien donner leurs soins aux infirmes, mais qui né sauraient donner la santé. Que dit le Prophète ? « Annoncez le jeûne, prêchez la guérison[216] ». Au mot de prédication il joint celui de guérison, afin de donner le ferme espoir de la guérison à quiconque désire revenir à la santé. Cette guérison a Dieu pour auteur, mes très-chers frères ; car tous les médecins sont eux-mêmes des malades, s’ils n’ont pas encore récupéré la santé en prenant ce remède. Par conséquent, mes amis, il faut montrer à Dieu toutes ses plaies. Un mal renfermé devient dangereux : l’abcès qu’on n’ouvre pas fait doublement souffrir !
QUARANTE-SEPTIÈME SERMON.
POUR LE CARÊME[217]. II

ANALYSE. —1. Le jeûne a été établi d’après l’exemple du Christ : c’est par l’abstinence que l’homme peut recouvrer ce que lui a fait perdre l’intempérance. —2. L’exemple de Moïse lui donne un nouveau degré d’autorité. —3. Puissance du jeûne. —4. La vraie perfection du jeûne consiste à triompher intérieurement de la cupidité et à subvenir aux besoins des pauvres.

1. « Voici le temps favorable, voici les jours de salut[218] ». Mes frères, voici les jours où, par les macérations corporelles, nous opérons le salut de nos âmes. Sans doute, nous y mortifions l’homme extérieur, mais aussi nous y vivifions l’homme intérieur. Le jeûne est, en effet, comme la nourriture de notre âme ; car s’il nous impose des sacrifices, il profite d’autant à notre salut. Entre autres exemples de sanctification, notre Seigneur et Dieu, Jésus-Christ, nous a donné celui du jeûne et du carême ; il a même indiqué le nombre de jours qu’il doit durer, puisqu’il a jeûné pendant quarante jours. C’est donc lui qui est l’auteur de ton jeûne, comme il sera plus tard le rémunérateur de tes mortifications. Le Rédempteur a donc jeûné l’espace de quarante jours ; il est, néanmoins, de toute évidence, qu’il n’avait commis aucun péché et qu’il n’avait rien à craindre. Or, si le Dieu qui était à l’abri de toute erreur s’est dévoué à cet acte de pénitence, combien devient-il plus nécessaire à l’homme de s’y soumettre, puisqu’il est si exposé à se tromper ! Et si de telles macérations ont été imposées à un innocent, avec combien plus de justice ne peut-on pas les exiger d’un coupable ? En goûtant du fruit de l’arbre, en violant la loi du jeûne à laquelle il avait été soumis, Adam, le chef du genre humain, est devenu maître ès-péchés, après avoir été le maître du paradis, et, comme conséquence de sa prévarication, la mort a jeté jusque sur nous son aiguillon. Quiconque désire vivre, doit donc aimer l’abstinence ; car, vous le savez, c’est en convoitant des aliments que l’homme s’est condamné à mourir : et le rusé serpent, qui a séduit nos premiers parents en les excitant à la gourmandise, ne s’est-il pas approché du Sauveur, au moment de son jeûne, pour le tenter ? Est-ce qu’il n’ose pas tout, cet audacieux ? Mais en observant le jeûne, le Seigneur a confondu cet antique ennemi de l’homme, le nouvel Adam a repoussé le vainqueur du vieil Adam. O l’admirable pouvoir de l’abstinence ! Par le jeûne, elle triomphe du diable, à qui la gourmandise a donné jadis la victoire.

2. On dit que Moise a de même observé un jeûne de quarante jours avant de recevoir la loi de Dieu. C’est le jeûne qui obtient la faveur des commandements divins et la grâce de les observer. Moïse s’est privé d’entretiens avec Dieu, mais il a joui de sa présence ; le peuple, au contraire, en s’adonnant aux excès du boire et du manger ; s’est précipité dans le culte des faux dieux, et parce qu’il n’avait cherché qu’à se rassasier, il ne chercha plus qu’à pratiquer les superstitions des Gentils.

3. Nous venons de vous le démontrer, non-seulement Jésus-Christ, mais Moïse, mais plusieurs autres, nous ont donné l’exemple du jeûne ; voyons maintenant quels en sont les avantages et l’utilité. Le Sauveur parle du diable à ses disciples, et leur dit : « Ces démons et ne peuvent être chassés que par le jeûne et la prière[219] ». Ce possédé du diable, que les Apôtres ne pouvaient délivrer, Jésus déclare que le jeûne était capable de le rendre à lui-même ; c’est pour nous le seul moyen de nous grandir par la pratique des vertus. Voyez donc, ries frères, quelle force est celle du jeûne, quelles grâces précieuses il peut procurer aux hommes, puisqu’il peut même servir de remède à d’autres ! Voyez comme il sanctifie celui qui l’observe personnellement, puisqu’il est si propre à purifier ceux-là mêmes qui ne l’observent pas ! C’est chose vraiment admirable, mes frères, que les mortifications de l’un deviennent profitables à l’autre.

4. Toutefois, n’allez pas vous imaginer qu’en mettant en pratique le jeûne, auquel vous vous croyez maintenant obligés, vous n’en avez pas d’autre à accomplir. Il en est un autre, bien plus parfait : c’est celui qui s’observe dans le secret du cœur ; et il est d’autant plus agréable à Dieu, qu’il échappe davantage aux regards des hommes. Ce jeûne consiste à s’abstenir de toutes les convoitises que la chair soulève en nous contre l’esprit. C’est peu de nous priver d’aliments, si nous nous accordons les plaisirs du vice ; ce n’est pas assez de nous tenir en garde contre la gourmandise, il faut encore nous mettre à l’abri de l’avarice, en nous montrant généreux à l’égard des pauvres. À quoi bon nous montrer sévères en fait de nourriture, si nous nous laissons encore aller à des disputes et que nous soyons indulgents pour notre caractère emporté ? Par conséquent, mettons un frein à notre intempérance de paroles, comme nous en mettons à notre intempérance de bouche. Évitons avec soin les dissensions, les rixes, les iniquités, afin que ne s’applique pas à nous cette parole du Prophète : « Ce jeûne », dit le Seigneur, « n’est pas celui de mon choix : romps plutôt les liens de l’iniquité, détruis les titres d’échanges forcés, remets leurs dettes à ceux qui en sont écrasés, déchire tout contrat injuste. Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison celui qui n’a pas d’abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le et ne méprise point la chair dont tu es formé. Alors ta lumière brillera comme l’aurore, et je te rendrai aussitôt la santé, et ta justice marchera devant toi, et tu seras environné de la gloire du Seigneur. Alors tu invoqueras le Seigneur, et il t’exaucera ; à ton premier cri, le Seigneur répondra : Me voici[220] ». Vous le voyez, mes très-chers frères, voilà le jeûne que le Seigneur a choisi ; voilà la récompense promise par lui aux observateurs de ce jeûne. « Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison celui qui n’a pas d’abri ». Telle est donc la nature du jeûne qui plaît à Dieu : c’est que, pendant ces jours, tu donnes aux indigents ce que tu te retranches ; car il est digne d’une âme religieuse et croyante d’observer l’abstinence au profit, non pas de l’avarice, mais de la charité. Ne seras-tu pas largement récompensé de tes sacrifices, si ton jeûne sert à procurer à autrui la tranquillité ?
QUARANTE-HUITIÈME SERMON POUR LE CARÊME. III

ANALYSE. – Quel jeûne est désagréable à Dieu. —2. Quel jeûne est celui de son choix.

1. Puisque les jours de jeûne sont arrivés, mes très-chers frères, c’est avec ration que le Prophète, dont les paroles nous ont été lues, nous enseigne la manière de jeûner, d’autant plus que, suivant lui, tous les jeûnes ne sont pas agréables à Dieu. L’homme qui se propose d’observer la loi du carême doit donc prendre bien garde de ne pas rechercher en cela sa propre satisfaction, car alors ses mortifications ne feraient que déplaire au Très-Haut. En effet, qu’est-ce qu’a dit le Prophète ? Le voici : « Nous avons jeûné : pourquoi n’avez-vous pas daigné regarder nos jeûnes ? Nous nous sommes humiliés pourquoi l’avez-vous ignoré ?[221] » Au dire du Prophète, des hommes se plaignaient de ce que le Seigneur n’avait ni fait attention à leurs jeûnes, ni remarqué leurs humiliations comme si Dieu ignorait quelque chose ! N’est-il pas écrit de lui : « Il sait toutes choses, même avant qu’elles se fassent[222] ? » Pourrait-il ignorer ce qui est, quand il sait même ce qui n’est pas ? Mais non, mes bien-aimés ; Dieu ne sait pas tout, car il est dit qu’il ignore tout ce qui n’est pas digne d’être connu ; par conséquent, tout ce qui est mauvais et injuste, on dit que Dieu ne le sait point, parce que cela ne mérite pas qu’il le connaisse. C’est pourquoi le Prophète dit encore plus loin : « Vous suivez votre propre volonté dans les jours de jeûne, vous exigez durement ce qui vous est dû, vous suscitez des procès et à des querelles[223] ». Vous le voyez donc, mes bien-aimés : ce sont, non pas les jeûnes en eux-mêmes, mais les œuvres des jeûneurs qui déplaisent à Dieu. « Par vos jeûnes, vous suscitez des procès et des querelles ». O homme, à quoi bon jeûner, si les jeûnes ont lieu au milieu des procès, des discordes et des rixes ? Il te serait peu utile d’observer corporellement l’abstinence, si ton âme s’enivre d’iniquité. Pourquoi, dit le Prophète, exaspérer ceux qui dépendent de vous ? Pourquoi torturer les petits par des luttes incessantes ? Considérez, oui, considérez vous-mêmes, mes très-chers frères, quel est ce jeûne qui donne faim et n’empêche nullement de frapper, qui éprouve le corps par l’abstinence et laisse se perpétrer l’assassinat, qui refuse tout aliment à l’estomac et permet aux mains de se rougir dans le sang des autres. Aussi Dieu ajoute-t-il, avec un extrême à-propos, ces paroles : « Pourquoi jeûnez-vous pour moi ? » En d’autres termes : Pourquoi jeûner pour moi, et vous réserver des chicanes ? Pourquoi avoir l’air de me servir par vos mortifications, puisque vos discordes sont pour moi une injure ? Et de fait, mes amis, c’est peu d’offrir à Dieu ses macérations à titre d’hommage, si on lui fait injure en l’offensant. Comment ! j’insulte, moi qui ne dis rien ? Toute œuvre mauvaise est une injure jetée à la face de Dieu ; c’est pourquoi, comme vous l’avez entendu, le Seigneur s’exprime ainsi par la bouche de son Prophète : « Ce jeûne-là n’est pas de mon choix ; lors même que tu courberais ta tête comme un roseau fragile, jamais on ne pourra dire que ton jeûne m’est agréable[224] ». Que cette parole est juste ! car c’est peu de courber la tête, si l’esprit n’est pas humble. Homme orgueilleux, à quoi bon baisser la tête devant Dieu en signe d’adoration, quand tu te renfles pour jeter un regard plus hautain sur les petits et les indigents ? Ah ! tu te trompes ; oui, qui que tu sois, tu te trompes étrangement. Comment ? Tu crois honorer Dieu, quand, dans la personne de ton semblable, tu méprises son image ?

2. Ce n’est pas sans raison que le Seigneur a dit : « Ce jeûne-là n’est pas de mon choix ; « romps plutôt tous les liens de l’iniquité[225] ». Brise chez tes semblables tous les liens de l’iniquité. Il ordonne donc à l’homme de se délier lui-même, quand il lui commande de briser les liens de l’iniquité, parce que s’il resserre tous ces liens, il s’enchaîne le premier. Ainsi, je ne consens pas à ce que tu fasses plus de bien aux autres qu’à toi. Crois-moi : si tu ne délies pas autrui, tu seras toi-même enchaîné. « Déchire », dit l’Écriture, « les titres de ventes forcées ; détruis tout contrat injuste ». Ici, mes bien-aimés, il est question de l’avarice, c’est-à-dire de la cupidité : oui, il faut déchirer tout contrat de vente extorqué parla violence, toute hypothèque injustement prise ; il faut effacer toutes les lettres compromettantes pour le salut de l’homme. Mieux vaut qu’une hypothèque devienne nulle et qu’une âme ne devienne pas vicieuse. Mieux vaut apaiser Dieu par le jeûne, les aumônes et l’empressement à recevoir les étrangers. Personne, en effet, n’étant pur de toute faute, il est plus facile d’obtenir son pardon quand on a, pour prier avec soi, un grand nombre d’intercesseurs.
QUARANTE-NEUVIÈME SERMON.
POUR LES RAMEAUX. I

ANALYSE. —1. À l’approche de Pâques, il faut se débarrasser de tout sentiment de bain et purifier son cœur, afin de recevoir saintement Jésus-Christ. —2. Pourquoi l’on porte des rameaux à la main. —3. Le bien une fois entrepris ; on doit y persévérer courageusement.

1. Mes frères bien-aimés, toutes les fois que vous vous réunissez dans l’église, il est juste que nous fassions retentir à vos oreilles la parole de Dieu ; mais la nécessité de le faire est, en ces jours-ci, plus pressante que jamais. Oui, c’est pour nous un devoir de porter aujourd’hui la parole sainte et d’engager votre fraternité à se débarrasser de tous soins temporels, pour vaquer uniquement à l’accomplissement des préceptes du Seigneur. Nos livres sacrés nous disent, en effet, que vous devez solenniser les jours qui vont s’écouler : et voici de quelle manière il nous faudra les observer : nous aurons soin de n’avoir ni haine ni colère contre aucun de nos frères qui adorent avec nous un seul Dieu, dans la crainte de voir s’appliquer à nous ce passage de l’Écriture : « Quiconque hait son frère est un homicide[226] ». Et si, à la fête de Pâques, nous voulons recevoir le corps du Seigneur, nous tiendrons notre corps et notre âme à l’abri de toute avarice, de toute luxure, de toute colère, de toute haine, de tout discours honteux, de tout péché ; ainsi nous préparerons-nous à recevoir le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour notre profit et non à notre détriment ; car l’Apôtre a dit : « Quiconque mange indignement le corps du Seigneur et boit indignement son sang, boit et mange sa propre condamnation[227] ». Vous le savez, mes frères, si l’un d’entre vous devait aujourd’hui recevoir dans sa maison son supérieur temporel, avec quel empressement il se hâterait d’en faire disparaître toutes les saletés, toutes les ordures, toutes les choses inconvenantes, afin qu’à l’arrivée de ce supérieur tout y fût propre et décent. Or, si nous voulons faire à ce supérieur, qui ne peut nous nuire ou nous être utile que pour un temps, la réception digne et révérencieuse dont nous avons parlé, à bien plus forte raison devons-nous prendre de la peine et embellir notre corps et notre âme par la pratique constante des veilles, de la prière et de l’aumône, pour recevoir dans un cœur pur et un corps chaste le corps de Jésus-Christ, notre éternel Seigneur, qui peut, dans le siècle futur, nous être utile ou nuisible d’une manière inimaginable.

2. Enfin, il faut que vous sachiez tous d’où nous vient l’habitude de porter aujourd’hui à notre main des branches d’olivier et des palmes. Cette coutume date certainement des temps antiques. Quand un roi devait aller trouver un autre roi, lorsqu’un grand de la terre se proposait de visiter un puissant personnage, pour traiter avec lui, non de la guerre, mais de la paix, il ordonnait qu’on portât devant lui des, branches d’oliviers. Dans nos livres saints, on désigne cet arbre comme l’emblème de la paix : à la vue de ces branches, le roi ou le personnage puissant pouvait savoir d’avance que celui qui s’approchait ainsi précédé ne venait point dans des intentions hostiles, mais avec la volonté de faire la paix. Cette coutume avait, parfois encore, une autre cause. Si, après avoir déclaré la guerre à ses ennemis, et avec l’aide miséricordieux du Très-Haut, remporté sur eux la victoire, un roi revenait dans son pays, on portait des palmes devant lui, afin qu’à leur vue on pût comprendre qu’il avait triomphé de tous ses adversaires. C’est pour deux motifs semblables que nous portons aussi, dans nos mains, des rameaux d’oliviers et des palmes. Nous portons des rameaux d’oliviers pour montrer que nous avons la paix avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont nous nous préparons à recevoir bientôt le corps. Nous portons aussi des palmes, pour faire voir que nous avons triomphé du diable, à qui nous avons dû livrer une grande bataille pendant ce carême. Chacun de nous, frères bien-aimés, doit soigneusement s’examiner pour savoir s’il a réellement fait la paix avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, et s’il a vraiment remporté là victoire sur le démon, avec qui nous avons dû combattre sérieusement. Celui-là a fait sa paix avec le Sauveur et triomphé du diable, qui, après avoir offensé Dieu dans le cours de cette année, a effacé ses fautes pendant le carême, en priant, en se livrant fréquemment aux veilles, en mortifiant son corps par de longs jeûnes, en donnant aux pauvres les aliments dont il se privait lui-même. Évidemment, le jeûne devient inutile si, avec la valeur de la nourriture dont on se prive, on flatte son propre corps au lieu de subvenir aux besoins des indigents ; car il est de toute justice que les pauvres trouvent leur soulagement corporel dans les épargnes faites sur notre propre entretien. Mais quiconque a, pendant cette quarantaine, souillé son corps du péché de luxure, refusé de donner aux pauvres quelque chose de son bien, entretenu en son cœur le feu de l’envie, négligé de s’adonner aux veilles et à la prière, employé la fraude pour dérober ce qui appartient à autrui, celui-là n’a certainement pas la paix avec Dieu ; il n’a pas, non plus, triomphé du diable, parce qu’il n’a pas mis sa volonté à l’unisson de celle de Dieu et qu’il a, au contraire, courbé la tête en toute circonstance devant l’esprit malin.

3. Mes très-chers frères, si, dès le commencement de cette sainte quarantaine, vous vous êtes adonnés aux bonnes œuvres, je vous engage à vous y adonner aujourd’hui avec plus de zèle encore ; ingéniez-vous à obéir à Dieu en toutes choses, car personne ne peut lui plaire, après avoir bien commencé, qu’à la condition de persévérer jusqu’à la fin dans la voie de la vertu où il s’est une fois engagé. Mettez donc toute votre attention et tous vos soins, frères bien-aimés, à jeûner et à faire des aumônes, à vaquer à l’oraison et à toutes sortes de bonnes œuvres, à rendre bien vite au prochain ce que, dans un mauvais moment, vous auriez pu lui ravir, imitant en cela l’exemple de Zachée, qui, par amour pour Dieu, rendait au quadruple ce dont il pouvait avoir fait tort aux autres. Au temps voulu, donnez généreusement et de bon cœur la dîme et les prémices, et si quelqu’un vous a offensés, pardonnez-lui sa faute pour l’amour de Dieu ; en agissant ainsi, vous pourrez chanter l’oraison dominicale, non pour votre condamnation, mais pour votre salut. Montrez-vous, autant que possible, riches en toutes sortes de bonnes œuvres ; et, quand viendra la solennité de Pâques, votre corps sera pur, votre âme sera chaste pour recevoir le corps et le sang du Sauveur, et vous mériterez d’entrer dans la gloire éternelle, dont la fête de Pâques est l’emblème. Puissiez-vous recevoir cette grâce de celui qui vit et règne, avec le Père et le Saint Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
CINQUANTIÈME SERMON : POUR LES RAMEAUX. II

ANALYSE. —1. Les paroles des Prophètes sont celles de l’Esprit-Saint. – 2. Salomon, héraut du Christ. —3. Salomon, figure du Christ. —4. Entrée du Christ à Jérusalem. —5. Le Christ couronné d’un triple diadème. —6. il faut souffrir avec le Christ pour régner avec lui.

1. « Filles de Sion, sortez et regardez le roi Salomon sous le diadème dont sa mère l’a couronné au jour de son mariage, et au jour de la joie de son cœur[228] ». Ces paroles, mes bien-aimés, viennent, non pas de Salomon, mais de l’Esprit-Saint, qui a parlé par lui, comme par son organe propre : car « sa « langue est comme la plume de l’écrivain rapide[229] ». De même, en effet, que la plume de l’écrivain est, par elle-même, incapable de tracer, sur un parchemin, le moindre caractère, à moins que les doigts de cet écrivain ne la conduisent ; de même la langue des docteurs ne peut, par ses propres forces, proférer un discours utile, si la grâce du Saint-Esprit ne lui inspire intérieurement ce qu’elle doit dire. Tant qu’elle n’est pas mue par le maître à l’intérieur, la langue d’un docteur remue inutilement à l’extérieur.

2. Éclairé des lumières de l’Esprit, Salomon prévoyait que, pour racheter le genre humain, le Sauveur viendrait dans la chair aussi invitait-il la fille de Sion à aller à la rencontre d’un si grand et si généreux Rédempteur, et à considérer l’auteur de notre salut. « Sortez, filles de Sion ». Et moi, je vous dirai : Vous, qui pliez sous le poids de la loi, vous, qui êtes en Égypte et qui portez le joug de l’antique servitude imposée par Pharaon, sortez de la vieillerie de la lettre qui tue, pour vous renouveler dans l’Esprit qui donne la vie s. Sortez de l’esclavage de la loi ancienne, pour jouir de la liberté que procurent la loi nouvelle et la grâce. Sortez des ombres et des ténèbres du vieux Testament, pour venir à la vérité et à la lumière de l’Évangile.[230] Les symboles ont précédé pour faire place à la réalité, et l’accomplissement des prophéties a mis un terme à la mission des Prophètes. Tant que le nuage de la lettre vous couvrira de son ombre, tant que la nuit de vos péchés vous enveloppera, tant que vous habiterez l’Égypte, c’est-à-dire le pays des ténèbres et de la dissemblance avec Dieu, tant que vous serez occupés à travailler de la boue et à faire des briques, vous ne pourrez contempler le roi Salomon. Sortez donc, non par un mouvement du corps, mais par les affections de votre cœur ; non par la marche, mais par les sentiments de la foi ; sortez et voyez le roi Salomon, qui règne à Jérusalem.

3. Le roi de Jérusalem, Salomon, a préfiguré le Sauveur par sa dignité, par le lieu de sa résidence et par son nom. Notre Rédempteur est, en effet, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ; c’est le Roi de la justice, dont la génération est éternelle. « Par lui règnent les rois, par lui les princes pratiquent la justice[231] ». Il ne cesse de gouverner les sujets qu’il s’est créés, et il guide continuellement leurs pas à travers les orages et les tempêtes de ce monde ; c’est de lui que le Psalmiste a dit : « Seigneur, donnez au roi votre jugement, et au fils du roi votre justice[232] ». Il est aussi le vrai Salomon, c’est-à-dire, le roi pacifique ; car le mot Salomon veut dire : ami de la paix. En raison de la prévarication et du péché de nos premiers parents, nous nous sommes effectivement trouvés en discorde avec notre Créateur, et, en refusant de nous soumettre à son autorité, nous nous sommes grandement écartés de toute relation pacifique avec lui. Mais le Fils de Dieu s’est fait homme ; il est né d’une Vierge sans que la moindre atteinte fût portée à l’intégrité de Marie ; il a pris la forme d’esclave sans subir l’esclavage ; il est entré en participation de notre nature sans partager nos fautes : et ainsi nous a-t-il réconciliés avec Dieu son Père ; ainsi nous a-t-il rendu la paix que nous avait fait perdre le péché d’Adam : c’est par les mérites de son sang qu’il a opéré cette restauration de nous-mêmes, « pacifiant, par le sang de la croix, la terre et les cieux[233], apportant la paix à ceux qui étaient rapprochés et à ceux qui étaient éloignés[234] ». C’est pourquoi, en venant vers nous, il nous a apporté la paix, et nous l’a encore laissée en nous quittant. En effet, à l’heure même où notre Rédempteur venait au monde, des légions d’anges ont chanté ce cantique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix, sur la terre, aux hommes de bonne volonté[235] ». Puis, quand il fut sur le point de remonter au ciel, au moment où il apprenait à l’Église universelle à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix[236] », il donna à ses disciples l’ordre de garder la charité et la paix : « Je vous donne ma paix », leur dit-il ; « je vous laisse ma paix[237] ». Voilà comment Salomon a préfiguré le Sauveur par sa dignité et son nom ; voyons maintenant comment il en a été la figure par le lieu de sa résidence : prêtez-moi toute votre attention. Salomon n’a régné ni à Babylone, comme Nabuchodonosor, ni en Égypte, comme Pharaon : l’honneur et la gloire de régner sur le peuple d’Israël lui ont suffi. Notre vrai Salomon, Notre-Seigneur Jésus-Christ, n’a pas davantage exercé le pouvoir royal à Babylone, la ville de la confusion, où le langage de toutes les régions de la terre s’est trouvé confondu ; mais il a régné « sur la cité de notre Dieu et sur sa montagne sainte[238] ». Il n’a pas, non plus, été roi en Égypte, c’est-à-dire dans le pays des ténèbres, du péché et de la mort ; mais il a établi le siège inexpugnable de sa puissance dans la cité royale, dans Jérusalem ; car Jérusalem signifie : vision de la paix. Et notre Rédempteur exerce sa royauté, prend son repos et demeure au milieu de ceux qui méprisent les choses de la terre, qui dédaignent les choses transitoires et caduques de ce monde, qui se hâtent, par toutes les puissances de leur âme, de mériter la vision de la paix éternelle, et qui disent avec l’Apôtre : « Nous vivons déjà dans le ciel[239] ». Voilà pourquoi, au milieu de ses allées et venues parmi les hommes, le Sauveur retournait toujours de préférence à Jérusalem et dans le temple de son Père.

4. Aussi, quand approcha l’heure de sa passion et qu’il fut venu à Bethphagé, près de la montagne des Olives, il trouva, sur son chemin, une foule immense de Juifs et de Gentils : ces hommes portaient à leur main des bouquets, des fleurs et des branches d’olivier, symboles de son triomphe et de sa gloire à venir, et ils le reçurent avec tous les témoignages possibles d’honneur et de dévouement[240] : pour lui, afin de nous donner l’exemple de la patience et de l’humilité, il oublia la grandeur qu’il puise dans son égalité et sa ressemblance parfaites avec le Père, il s’assit sur le dos d’un vil ânon, et il entra ainsi plus que modestement, mais, par là même, avec gloire dans Jérusalem. O l’étonnante charité ! Merveilleuse bonté de notre Dieu ! Le Créateur de l’univers a daigné s’asseoir sur un ânon ! Il est assis sur un ânon, Celui qui tient le monde entier dans le creux de sa main, et c’est pour nous élever jusqu’au troisième ciel ! Que, pour s’environner ici-bas de prestige et de gloire, les rois et les princes de la terre montent sur des chars d’or, sur des chevaux richement caparaçonnés et couverts d’or, de soie et de pierres précieuses : notre Roi, lui, va livrer bataille au démon ; mais ses armes sont celles de l’humilité, sa monture de combat est un ânon. « Ceux-ci sur des chars, ceux-là sur des chevaux[241] ». Nous, nous triomphons avec notre Roi sur un humble ânon. C’est pourquoi le Prophète a dit de lui : « Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi vient à toi plein de douceur et assis sur le petit d’une ânesse[242] ».

5. Le Saint-Esprit nous invite donc à considérer ce Salomon si humble, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui « porte sur sa tête le diadème dont sa mère l’a couronné[243] ». Il a été couronné, non-seulement par sa mère, mais encore par son Père et par sa marâtre. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ a reçu trois couronnes : la couronne de la gloire, celle de la justice et celle des souffrances. Le Père lui a donné la couronne de la gloire lorsqu’ « il l’a oint d’une, onction d’allégresse et de joie plus abondante que celle de ceux qui devaient la partager avec lui[244] » ; comme il est écrit : « Seigneur, vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, vous lui avez donné l’empire sur les œuvres de vos mains[245] ». Sa mère immaculée, c’est-à-dire la Vierge Marie, lui a donné la couronne de la justice, en lui fournissant la substance d’une chair sans tache, et en l’engendrant, comme son Fils, dans la justice et l’innocence. Sa mère, ou, pour parler avec plus de justesse, sa marâtre, la synagogue, lui a donné la couronne de la souffrance ; car elle a placé sur sa tête une couronne d’épines, en même temps qu’elle couvrait ses épaules d’un manteau dérisoire, qu’elle l’accablait d’injures, de crachats, de coups, de malédictions et d’opprobres, et qu’enfin elle le condamnait à un supplice réputé infâme.

6. Mes très-chers frères, nous sommes les enfants d’une sainte mère, l’Église ; nous appartenons à une race toute pure ; l’Esprit de Dieu nous a lui-même instruits à l’école de la vérité ; entrons donc, animés des plus vifs sentiments de piété, dans ces jours de réparation et de salut, et associons-nous, autant que possible, aux souffrances de Jésus-Christ ; « car si nous souffrons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui[246] ; sortons donc aussi hors du camp pour aller à lui, portant sur notre corps l’ignominie de sa croix[247] ». À cette croix attachons nos membres, ainsi que leurs vices et leurs convoitises, avec les clous de l’amour de Dieu et ceux de la pénitence ainsi débarrassés, par notre repentir, du fardeau de nos fautes, sortons d’un cœur allègre et d’un pas léger, allons voir, non avec les yeux du corps, mais avec ceux d’une âme toute chrétienne, ce roi Salomon, couronné dans les cieux du diadème de l’immortalité et de la gloire, sous lequel il vit et règne, Dieu avec le Père, en union de l’Esprit-Saint, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE ET UNIÈME SERMON.
POUR LA CÈNE DU SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. Il faut recevoir saintement les saints mystères.—2. Frayeur des disciples et effronterie de Judas. —3. Chute de Pierre. —4. Son repentir.

1. Vous êtes venus en grand nombre pour prendre part au banquet de ce jour, pour assister à l’immolation de l’Agneau et faire la Pâque avec les disciples de Jésus-Christ or, je vous en conjure, apportez aux divins mystères des cœurs sincères et remplis de charité ; qu’il n’y ait dans vos âmes aucune duplicité, que le nuage de l’envie ne projette point son ombre sur votre homme intérieur ; puissiez-vous apporter à la manducation de l’Agneau une innocence d’agneau ! Puisse la brebis immaculée ne point former en vous des membres de loup ! Car celui qui s’assied à cette table et y participe indignement, n’arrivera pas avec Pierre au port du salut, mais il fera avec Judas un irrémédiable naufrage il subira la peine due à son crime, comme ce traître qui a reçu le bienfait du Seigneur avec une conscience coupable. Enfin Judas n’a apporté à la cène aucune franchise, il n’y a mis que de la dissimulation ; aussi, dès qu’il a eu reçu, de la main du Christ, le morceau de pain trempé, le diable est-il entré en lui.

2. Je veux, mes frères, examiner pieusement avec vous les premiers passages de la leçon que vous venez d’entendre : « Le Seigneur était à table avec ses douze disciples ; et, comme ils mangeaient, il leur dit : Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira ; et ils furent contristés, et chacun d’eux commença à lui dire : Est-ce moi, Seigneur [248]? » Heureux Apôtres ! vous vous chagrinez parce que vous êtes innocents, mais votre sort est plus digne d’envie que celui de Judas ; car si son audace l’empêche de rougir, elle sera exemplairement punie ; ne savez-vous pas, en effet, que jamais vous n’avez formé contre le Sauveur un pareil projet ? Vous vous tenez en garde contre votre propre fragilité, aussi vous devenez tristes et vous questionnez votre Maître sur une faute que votre conscience ne vous reproche pas. Mais vous en croyez plus à lui qu’à vous. Vous supposez que l’accusation portée an milieu de ce repas tombe sur vous, et Judas ne veut point sentir le trait qui vient de le frapper. Vous tombez dans l’épouvante, rien qu’à entendre cette accusation, et celui qui a conçu un tel crime demeure paisible. Consultez donc votre Seigneur, interrogez votre bon Maître. Il est la vérité même, il prévoit tout ; qu’il vous réponde. Oui, qu’il désigne l’abominable personnage, et que l’accusation ne pèse plus sur tous, qu’il vous indique celui que vous devez fuir. Qu’il nomme hautement le fils de perdition, afin que l’assemblée, malgré son innocence, ne reste pas sous le poids du soupçon. « Jésus », dit l’Évangile, « leur répondit : Celui qui porte la main vers le plat avec moi, me trahira[249] ». Voilà déjà quelque chose de plus clair ; cependant, je ne vois encore citer aucun nom propre. Les Apôtres s’arrêtent interdits, ils cessent de manger ; mais, avec la témérité et l’effronterie qui le distinguent, Judas avance la main vers le plat avec son Maître ; il veut, par son audace, simuler une bonne conscience. Il a entendu, sans rougir, ce que le Maître a dit de lui, et il continue à manger ; sa conscience vient d’être mise à nu, et il n’en porte pas moins encore la main au plat. Bien qu’averti une fois, deux fois, il ne recule pas devant la trahison ; au contraire, son impudence trouve un aliment dans la longanimité du Sauveur, et il se prépare un trésor de colère pour le jour de la colère[250]. Alors Jésus lui annonce la punition qui l’attend, afin que la prédiction du châtiment le ramène au bien, puisque des miracles n’ont pu le détourner du mal : « Le Fils de l’homme s’en va, selon ce qui est écrit de lui ; mais malheur à celui par qui le Fils de l’homme sera trahi ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût jamais né. » Judas, celui qui le trahissait, répondant, lui dit : « Maître, est-ce moi[251] ? » Judas, à qui dis-tu : Est-ce moi ? Dis plutôt : C’est moi. De toute éternité, il sait que c’est toi. S’il te parle ainsi maintenant, ce n’est, de sa part, ni oubli ni ignorance ; c’est bonté et pitié pour toi. Prévaricateur misérable et corrompu, si tu rentrais en toi-même, tu te rappellerais, parce que tu l’as appris, que ton Maître connaît l’avenir et que rien ne saurait lui être caché ; donc, encore une fois, s’il te parle ainsi, ce n’est point chez lui l’effet de l’ignorance ; il n’a d’autre but que de t’exciter au repentir. Mais comme la cupidité t’a fait perdre le sens, comme l’avarice a rendu ton cœur aveugle, tu fais semblant de demander si c’est toi qui aurais conçu le crime de trahison. Sa Divinité connaît toutes les pensées de ton âme ; mais malheur à toi, car tu as perdu tout sentiment d’humanité et tu ne sais plus que singer la charité !

3. « Après avoir récité un hymne, ils s’en allèrent à la montagne des Oliviers, et Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés, cette nuit, à cause de moi. Pierre, répondant, lui dit : Quand tous les autres seraient scandalisés à cause de vous, moi, je ne le serai jamais. Jésus lui dit : Je te le dis en vérité, cette nuit, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui dit : « Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas[252] ». Voilà donc une discussion engagée entre deux, entre le médecin et le malade ; celui-ci se croyait parfaitement sain, celui-là lui annonçait qu’il se chaufferait à l’âtre du feu du prétoire ; mais laissons cela de côté pour un instant, et jusqu’au dénouement de l’affaire. « Judas, qui le leur livrait, leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le[253] ». Qu’avez-vous entendu, mes frères ? Qui pourrait, sans frémir, penser à pareille chose ? Quelles oreilles seraient capables de supporter un tel langage ? Quel cœur ne se révolterait à l’entendre ? « Il leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le ». O signalement sacrilège ! O criminelle convention ! O contrat digne de tous les châtiments ! En vertu de cette entente, la guerre commence par un baiser ; le symbole de la paix sert à briser les liens sacrés de la concorde, et le profane Judas a voulu commencer les hostilités par ce que les nations emploient d’ordinaire pour les finir ! « Il leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le ». Judas, tu as donné ce signe ; ton mauvais génie n’a rien trouvé de mieux que cette convention d’après laquelle on enlèverait ton Maître pour le faire cruellement souffrir, au moment même où tu ferais la paix avec lui ! A cause de toi, beaucoup se sentiront glacés d’épouvante ; car ils craindront de n’avoir qu’une paix simulée avec leur prochain. Ce cou scélérat, que tu étends aujourd’hui pour embrasser le Christ, tu le relèveras demain, tu l’allongeras, pour te pendre. Tu as appris, pour ton malheur, à compter de l’argent ; car bientôt tu supputeras le poids de ton propre corps. Sur ces entrefaites, on saisit le Sauveur, pour le conduire chez le prince des prêtres. Tandis que les autres disciples s’esquivent honteusement, Pierre, le faiseur de belles promesses, s’écarte d’abord assez loin ; puis il arrive lui-même près de la maison du prince, et, dans l’attente du dénouement de l’affaire, il se met à regarder dans le porche. Comme il faut que s’accomplisse incessamment la prédiction relative à l’âtre de feu du prétoire, il s’approche pour s’y chauffer. Saisi de crainte, il renie le Christ pour qui il avait promis même de mourir ; il gît, brisé dans la torpeur de l’oubli comme dans un lit de douleur ; une vieille femme décrépite, comme une fièvre violente, a brisé ses forces ; un sommeil léthargique s’est emparé de lui ; mais voilà que tout à coup la voix matinale du crieur vient frapper ses oreilles.

4. Enfin il s’éveille, il entend le chant du coq, il se voit grièvement blessé. Pareilles à des messagers, ses larmes portent à son médecin l’expression de sa douleur, et aussitôt il reçoit le remède divin. C’est à lui que s’applique cette parole de l’Écriture : « Mes compagnons et mes proches se sont approchés de moi, et mes amis se sont tenus au loin[254] » ; et cette autre : « Les blessures d’un ami sont salutaires, les baisers d’un ennemi sont envenimés[255] ». De même que l’apôtre Judas est devenu traître, de même est-il devenu ennemi, d’ami qu’il était ; car il a été écrit de lui : « L’homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait à ma table, a levé le pied contre moi[256] ». Et encore : « Les ennemis de l’homme, ce seront ses serviteurs[257] ». C’est pourquoi, mes frères, nous devons tous éviter avec soin les discours trompeurs, afin de partager le bonheur éternel avec les saints. Conservons la véritable paix et la croyance à l’unité perpétuelle de la Trinité ; alors nous mériterons d’être admis dans le royaume des cieux et de rendre grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON.
SUR LA PASSION DU SAUVEUR ET LES DEUX LARRONS.

ANALYSE. —1. Paroles du larron au larron qui souffrait avec lui. —2. Sa prière au Christ. —3. Réponse du Christ. —4. Comment le larron a été baptisé.

1. Le Seigneur Jésus était attaché à la croix, les Juifs blasphémaient, les princes ricanaient, et bien que le sang des victimes tombées sous ses coups ne fût pas encore desséché, le larron lui rendait hommage ; d’autres secouaient la tête en disant : « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même[258] ». Jésus ne répondait pas, et, tout en gardant le silence, il punissait les méchants. Pour la honte des Juifs, le Sauveur ouvre la bouche à un homme qui doit plaider sa cause ; cet homme n’est autre qu’un larron crucifié comme lui ; car deux larrons avaient été crucifiés avec lui, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Au milieu d’eux se trouvait le Sauveur. C’était comme une balance parfaitement équilibrée, dont un plateau élevait le larron fidèle, dont l’autre abaissait le larron incrédule qui l’insultait à sa gauche. Celui de droite s’humilie profondément : il se reconnaît coupable au tribunal de sa conscience, il devient, sur la croix, son propre juge, et sa confession fait de lui un docteur. Voici sa première parole, elle s’adresse à l’autre brigand : « Ni toi, non plus, tu ne crains pas ![259] » Hé quoi, larron ? tout à l’heure tu volais, et maintenant tu reconnais Dieu ; tout à l’heure tu étais un assassin, et maintenant tu crois au Christ ! Dis-nous donc, oui, dis-nous ce que tu as fait de mal ; dis-nous ce que tu as vu faire de bien au Sauveur. Nous, nous avons tué des vivants, et, lui, il a rendu la vie aux morts ; nous, nous avons dérobé le bien d’autrui, et, lui, il a donné tous ses trésors à l’univers ; et il s’est fait pauvre pour me rendre riche. – Il discute avec l’autre larron : Jusqu’ici, dit-il, nous avons marché ensemble pour commettre le crime. Offre ta croix, on t’indiquera le chemin à suivre, si tu veux vivre avec moi. Après avoir été mon collègue dans la voie du crime, accompagne-moi jusqu’au séjour de la vie ; car cette croix, c’est l’arbre de vie. David a dit en l’un de ses psaumes : « Dieu connaît les sentiers du juste, et la voie de l’impie conduit à la mort[260] ».

2. Après sa confession, il se tourne vers Jésus : « Seigneur », lui dit-il, « souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé en votre royaume[261] ». Je ne savais comment dire au larron : Pour que le Christ se souvienne de toi, quel bien as-tu fait ? À quelles bonnes œuvres as-tu employé ton temps ? Tu n’as fait que du mal aux autres, tu as versé le sang de ton prochain, et tu oses dire « Souvenez-vous de moi ! » Larron, tu es devenu le compagnon de ton Maître, réponds donc : J’ai reconnu mon Maître, au milieu des ignominies de mon supplice ; aussi ai-je le droit d’attendre de lui une récompense. Qu’il soit cloué à une croix, peu m’importe ! je n’en crois pas moins que sa demeure, que le trône de sa justice est dans le ciel. « Seigneur », dit-il, « souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé en votre royaume ». Le Christ n’avait ouvert la bouche ni en présence de Pilate, ni devant les princes des prêtres : de ses lèvres si pures n’était tombé aucun mot de réponse à l’adresse de ses ennemis, parce que leurs questions n’étaient pas dictées par la droiture. Et voilà qu’il parle au larron sans se faire attendre, parce que celui-ci le prie avec simplicité : « En vérité, en vérité, je te le dis : aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis[262] ». Hé quoi, larron ? tu as demandé une faveur pour l’avenir, et tu l’as obtenue pour le jour même ! Tu dis : « Lorsque vous arriverez en votre royaume », et, pas plus tard qu’aujourd’hui, il te donne une place au paradis !

4. Mais comment expliquer ceci ? Le Christ promet la vie au larron, et le larron n’a pas encore reçu la grâce ? Le Seigneur dit en son saint Évangile : « Quiconque ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit-Saint ne peut entrer dans le royaume des cieux[263] ». Et le temps ne permet pas de baptiser le larron. Dans sa miséricorde, le Rédempteur imagine à cela un remède. Un soldat s’approche ; d’un coup de lance, il ouvre le côté du Christ, et de cette plaie « s’échappent du sang et de l’eau[264] » qui rejaillissent sur les membres du larron. L’apôtre Paul a dit ceci : « Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de l’aspersion de ce sang qui parle plus haut que celui d’Abel[265] ». Pourquoi le sang du Christ parle-t-il plus haut que celui d’Abel ? Parce que le sang d’Abel accuse un parricide, tandis que celui du Christ innocente l’homicide et accorde, pour les siècles des siècles, le pardon à ceux qui se repentent. Ainsi soit-il.
CINQUANTE-TROISIÈME SERMON.
POUR LA VEILLE DE PÂQUES.

ANALYSE. —1. Il faut célébrer solennellement la veille de Pâques. —2. Pourquoi doit-elle être pour nous un jour d’allégresse. —3. Passons avec le Christ, pour être sauvés.

1. Avec l’aide miséricordieuse de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, nous devons, frères bien-aimés, célébrer religieusement ce jour qui lui est solennellement consacré : qu’en cette fête, sa bonté ineffable à notre égard soit, pour nous, un sujet d’admiration ! En effet, il ne s’est point contenté de subir toutes sortes d’infirmités pour opérer l’œuvre de notre rédemption, il a voulu encore partager le culte que nous rendons à Dieu en différentes solennités, et faire de chacune d’elles une occasion précieuse de mériter l’éternel bonheur ; car, alors, notre sainte religion nous invite, par ses attraits, à sortir du long sommeil de notre inertie ; aussi, pour nous préparer à la célébration de ces grands jours, nous éveillons-nous, non point malgré nous, mais avec empressement et de bon cœur. Puisque nous avons entendu volontiers son appel, sortons donc de notre léthargie, passons, dans les élans de la joie, cette sainte nuit de Pâques, et célébrons cette grande solennité avec toute la dévotion dont notre âme est capable. Élevons-nous au-dessus de ce monde, pour échapper à la mort qui doit le ravager : par nos désirs, faisons descendre du ciel les rayons brillants de sa divinité, célébrons la Pâque, « non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l’iniquité, mais avec les, azymes de la sincérité et de la vérité[266] », c’est-à-dire, non dans l’amertume de la malice humaine, car tout ce qui ne vient que de l’homme n’est pas sincère ; mais dans la sincérité de la sainteté qui vient de Dieu. La sainteté qui vient de Dieu consiste dans la chasteté, l’humilité, la bonté, la miséricorde, l’humanité, la justice, la douceur, la patience, la vérité, la paix, la bénignité : tel est l’ensemble de la sainteté chrétienne, que corrompt le levain de la malice humaine ; or, ce levain n’est autre que l’impudicité, l’orgueil, l’envie, l’iniquité, l’avarice, l’intempérance, le mensonge, la discorde, la haine, la vaine gloire, toutes choses auxquelles l’apôtre saint Paul veut que nous restions étrangers ; car il nous dit : « Non avec le vieux levain de la malice ».

2. Que la Pâque du Christ devienne le sujet de notre joie ! C’est pour nous, en effet, qu’il naît, qu’il meurt dans les souffrances et qu’il ressuscite ; c’est afin que, par lui, nous renaissions à la vie au milieu des tribulations, et qu’avec lui nous ressuscitions dans la pratique de la vertu. N’a-t-il pas, dans cette nuit, opéré la restauration de toutes choses ? Il y est ressuscité en qualité de prémices, afin que nous ressuscitions tous après lui : il y brise les chaînes de notre esclavage, il nous rend la vie que nous avons perdue en Adam. Celui qui nous a formés à l’origine des temps, revient, après son voyage sur cette terre, à sa patrie, au paradis, de la porte duquel il a écarté le chérubin. À partir de cette nuit où s’est opérée la résurrection du Seigneur, le paradis est ouvert. Il n’est fermé que pour ceux qui se le ferment, mais il n’est ouvert que par la puissance du Christ. Qu’il revienne donc au ciel, et nous devons le croire ; qu’il revienne au ciel Celui qui ne l’a jamais quitté ! Qu’il monte à côté du Père, Celui qui y est toujours resté. De fait, ne croyons-nous pas que la vie est morte pour nous ? Et comment la vie est-elle morte ? Nous croyons que le Christ, qui est mort, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, n’a jamais, pour cela, quitté le Père et le Saint-Esprit.

3. Phase ou Pâque signifie : passage ou traversée. Consacrons-nous nous-mêmes en nous marquant du sang du Christ ; ainsi passera, sans nous nuire, celui qui ravage le monde ; ainsi la mort, qui doit faire tant de victimes, nous épargnera. Ceux-là sont épargnés par le démon, ceux-là échappent à ses coups, devant lesquels il ne s’arrête pas ; car le sang du Christ une fois placé sur une âme, les innombrables gouttes de pluie que le diable répand sur le monde ne peuvent ni humecter ni délecter cette âme. Puissions-nous donc nous trouver ainsi imbibés du sang du Christ, c’est-à-dire marqués du signe de sa mort ! Ce signe reste parfaitement imprimé sur nous, aussi longtemps que nous mourons et que nous vivons pour celui qui est mort pour nous. Le sang du Christ rejaillit, en quelque sorte, sur trous, quand nous portons sa mort en nous[267], de manière à ne jamais le laisser effacer par la pluie des passions humaines ou par l’eau torrentielle des persécutions du siècle. Que ce sang sèche donc sur nous, qu’il en devienne à jamais inséparable ; qu’il se répande sur nous et nous teigne : que non-seulement il nous teigne, mais nous purifie encore, après qu’il nous aura fait mourir au monde. Le Dieu qui a imprimé le signe de sa croix sur tous nos membres, peut les purifier toujours. C’est par là que nous pourrons nous réunir aux élus dans le ciel, moyennant le secours de celui qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CINQUANTE QUATRIÈME SERMON.
POUR PÂQUES[268].

ANALYSE. —1. Ce discours s’adresse à tous mais particulièrement à ceux qui sont nouvellement baptisés, pour les exciter à résister aux vices. —2. L’orateur attaque le péché de la chair. —3. Il faut s’en corriger au plus vite.

1. Je dois, sans doute, ma parole à tous ceux dont il me faut prendre soin en vertu de ma charge ; mais aujourd’hui que les saintes cérémonies du baptême sont terminées, elle s’adresse plus particulièrement à vous, jeunes arbustes nouvellement plantés dans le champ de la sainteté et régénérés dans l’eau et le Saint-Esprit, à vous, race pieuse, essaim, qui faites l’éclat de ma gloire, qui êtes le fruit béni de mes travaux, ma joie et ma couronne ; vous tous qui êtes maintenant dans la grâce du Seigneur, c’est à vous que je parle, pour vous dire comme l’Apôtre « La nuit est déjà avancée, et le jour s’approche. Quittez donc les œuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de lumière. Marchez dans la décence comme devant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair[269] ». « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ[270] », afin de mener la vie que vous avez puisée dans le sacrement. Si vous êtes les membres du Christ, si vous pensez à ce que vous êtes devenus, vous vous écrierez du fond de vos entrailles : « Seigneur, qui est-ce qui est semblable à vous ?[271] » Car, la faveur qu’il vous a faite surpasse toute pensée humaine. Tout discours, tout sentiment n’est-il pas, en effet, incapable de vous faire comprendre comment une grâce toute gratuite a pu se produire en – vous, sans aucun mérite antécédent de votre part ? Car on nomme ainsi la grâce, précisément parce qu’elle vous a été donnée par pure bonté. Et pourquoi vous a-t-elle été accordée ? Afin que vous deveniez les enfants de Dieu, les membres et les frères de son Fils unique, comme Jésus-Christ est le Fils unique du Père, et que, par là, vous soyez tous frères. Puisque vous êtes devenus les membres du Christ, je vous adresse mes conseils ; écoutez-moi, car, aujourd’hui, il faut que je vous instruise : Je crains pour vous, mais non pas tant de la part des païens, des juifs, des hérétiques, que de la part des mauvais chrétiens. Choisissez, dans les rangs du peuple de Dieu, ceux que vous devrez imiter. Pour ne pas se tromper et pouvoir suivre la voie étroite, il ne suffit pas d’imiter la masse des chrétiens : il faut arrêter son choix sur quelques-uns d’entre eux. Abstenez-vous de la rapine et du parjure, ne vous jetez point dans les abîmes de l’intempérance ; fuyez la fornication comme la mort même, non pas la mort qui sépare l’âme d’avec le corps, mais celle qui condamne l’âme à brûler éternellement avec le corps.

2. Mes frères, mes fils, mes filles, mes sœurs, sachez-le bien : le diable accomplit parfaitement son rôle, et ne cesse de parler au cœur de ceux qu’il ramène à son parti, en leur faisant abandonner celui de Dieu. Je ne l’ignore pas non plus : aux fornicateurs, aux adultères, qui ne se contentent pas de leurs épouses, l’esprit infernal dit intérieurement : Il n’y a pas grand mal à commettre le péché de la chair. À l’encontre de ses mensonges, nous devons prendre pour guides les oracles du Christ. Le démon prend les chrétiens aux appas du libertinage, en leur faisant considérer comme léger ce qui est grave, en leur déguisant la vérité et en leur débitant le mensonge. Mais quel profit y a-t-il à regarder, d’après les leçons de Satan, une faute comme peu grave, quand le Christ la déclare énorme ? Et si Dieu te dit que ce péché est mortel, que gagneras-tu à écouter le diable et à croire peu conséquente ta prévarication ? Au paradis terrestre, Satan a dit : « Vous ne mourrez pas de mort », tandis que le Seigneur avait fait cette menace formelle : « Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort[272] ». Nos premiers parents ont méprisé les avertissements de Dieu, et, pour avoir écouté le diable, ils sont tombés victimes de sa fourberie. L’ennemi est venu, qui leur a dit : « Vous ne mourrez pas de mort, mais vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux[273] ». Alors ils ont mis de côté la menace du Seigneur et prêté l’oreille aux promesses de Satan. De quoi a-t-il servi à la femme de dire : « Le serpent m’a séduite ?[274] » Son excuse a-t-elle été admise ? Sa condamnation n’a-t-elle pas suivi de près ? Aussi, je vous le dis : Vous, mes frères, qui avez des épouses, n’en connaissez pas d’autres ; vous qui n’en avez pas encore et qui voulez en avoir, conservez-vous purs pour elles, comme vous désirez qu’elles se conservent pures pour vous ; et vous, qui vous êtes engagés à garder la continence, ne portez pas vos yeux en arrière. Je vous ai dit ce que j’avais à vous dire, mon devoir est accompli. Le Seigneur m’a placé au milieu de vous pour vous exciter au bien, et non pour vous y forcer. Cependant, lorsque nous le pouvons, quand l’occasion s’en présente et que nous en avons la faculté, là où nous nous trouvons, nous reprenons, nous faisons des reproches, nous excommunions, nous anathématisons, mais nous n’avons pas le pouvoir de corriger, « Car celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose ; mais c’est Dieu qui donne l’accroissement[275] ». Sans doute, je vous parle en ce moment, je vous avertis de vos devoirs ; mais il faut aussi que Dieu m’exauce et qu’il agisse silencieusement sur vos cœurs : Je vous dis peu de mots, pour vous faire mes recommandations ; ce peu de mots suffira, toutefois, à vous inspirer une crainte salutaire si vous voulez rester fidèles, et à vous édifier. Vous êtes les membres du Christ : écoutez donc, non point mes propres paroles, mais celles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée ? Non [note 4 Ibid. VI, 15.] ». Mais, me dira quelqu’un, la femme que j’entretiens n’est pas une prostituée, c’est simplement une concubine. – Dis-tu vrai, en parlant de la sorte ? As-tu une épouse, toi qui tiens ce langage ? – Oui, me répondra-t-il, j’ai une épouse. – Alors, bon gré mal gré, la seconde femme est une véritable prostituée. Peut-être te reste-t-elle fidèle ; peut-être ne connaît-elle et ne veut-elle connaître que toi ? Mais, puisqu’elle est si chaste, pourquoi forniques-tu ? Si elle n’a d’homme que toi, pourquoi as-tu deux femmes ? Cela n’est pas permis. Tous ceux qui se conduisent ainsi vont droit à la géhenne ; ils brûleront dans le feu éternel.

3. Les gens qui se rendent coupables de pareils désordres doivent se corriger pendant qu’ils sont en vie. La mort arrive subitement, et, alors, comment revenir à meilleure conduite ? C’est impossible. Du reste, personne ne sait quand sonnera la dernière heure. Quand on me dit : Demain ! demain, il me semble entendre la voix du corbeau, et aussitôt arrive le suprême malheur ! La dernière heure sonne, et elle ne sonne qu’une fois. Prenez-y donc garde, ne jetez point de ces cris de corbeaux, pour ne pas être surpris et condamnés. Nouveaux baptisés, écoutez-moi : prêtez l’oreille à mes paroles, enfants régénérés dans le Christ. Je vous en prie, par le nom que j’ai invoqué sur vous, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par les sacrements que vous avez reçus, par le jugement à venir des vivants et des morts, je vous en supplie et vous en conjure par le nom du Christ, n’imitez point ceux que vous savez être en de pareilles dispositions : faites mieux qu’eux, et vous régnerez éternellement.

CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON.
POUR LE JOUR DE PÂQUES. I

ANALYSE. —1. Joies du jour de Pâques motivées parla résurrection des morts et par la nouvelle naissance de ceux qui ont reçu le baptême. Différents noms donnés à cette solennité. —2. On l’appelle le jour du Seigneur.—3. le jour du pain. —4. le jour de la lumière. —5. En le célébrant, il faut observer les règles de la tempérance.

1. Frères bien-aimés, que l’Église nous apparaît belle et gracieuse aujourd’hui ! L’éclat de ce jour surpasse de beaucoup l’éclat de tous les autres jours de l’année, non pas, sans doute, que les rayons du soleil soient plus brillants que d’habitude, mais parce que la résurrection de l’Agneau projette sur lui une lumière inaccoutumée. Aujourd’hui, en effet, le Soleil de justice, le Christ, s’est élevé dans les cieux, après avoir annoncé la bonne nouvelle aux âmes des saints, et en faisant sortir avec lui leurs corps du sein de la terre. Pareille à une assemblée d’astres spirituels, la Jérusalem céleste a brillé d’un nouvel éclat, quand ces morts, revenus à la vie, ont pénétré dans ses murs : l’Église se montre non moins radieuse, car tous ceux qui sont nés à la grâce répandent sur elle une vive lumière. Les morts ressuscités ont été témoins de la résurrection du Soleil de justice, comme le sont aussi ceux qui ont reçu le baptême dans l’eau et l’Esprit-Saint. Touchons donc de la harpe avec David, chantons avec lui : « C’est ici le jour que le Seigneur a fait ; réjouissons-nous en lui et tressaillons d’allégresse[276] ! » Voyons de quelle nuit est sorti ce beau jour. C’est une nuit dont l’éclat imite celui du ciel ; c’est une nuit où la terre, se voyant éclairée par des astres même plus nombreux que ceux du ciel, en ressent une indicible joie ; c’est une nuit où se sont accomplis un heureux enfantement et une sainte régénération. En elle je remarque un double sein, parce que j’y vois un double enfantement. Jadis ses entrailles ont été bouleversées, car elle a rendu la vie aux corps de ceux qui ont ressuscité avec le Christ ; aujourd’hui, elles le sont également, puisqu’elle a renouvelé les âmes en leur communiquant l’innocence. Il a été dit d’elle : « Et la nuit brillera comme le jour[277] ». Serait-ce le jour que le Seigneur a fait ? Les uns l’appellent le jour du Seigneur ; les autres, le jour du pain ; d’autres encore, le jour de la lumière : sur cette triple dénomination, embouchons la trompette et tirons-en des sons qui disent à tous notre joie.

2. C’est le jour du Seigneur, ou le jour du roi ; car notre chef est sorti, ce jour-là, du tombeau. Hier, dans l’espoir de recevoir notre roi, nous nous combattions ; aujourd’hui, nous le recevons, et sa venue nous remplit d’allégresse. C’est pourquoi le jour d’hier n’a pas été pour nous un vrai jour de jeûne. Aucun de vous a-t-il, à jeûner, ressenti la moindre fatigue ? Mais tous se préparaient un copieux repas en attendant l’arrivée du juge, comme, dans la cité, on s’en prépare un, quand on attend celui qui doit rendre la justice. Est-ce que les différents ordres de la cité, les hommes, les chefs ne s’éloignent pas, à chaque instant davantage, de ses portes, en s’avançant à la rencontre du juge et en préparant les chants par lesquels ils salueront sa venue ? Évidemment, pendant qu’ils l’attendent, ils jeûnent, et pendant qu’ils jeûnent, ils se préparent un repas. Ainsi, hier, nous attendions, en quelque sorte, notre juge, et tout en préparant notre réfection spirituelle, nous tombions de faiblesse, mais nous trouvions dans notre jeûne la source d’une grande joie. Nous avons reçu notre roi, et sa grâce répare nos forces épuisées.

3. C’est avec justesse qu’on donne encore à ce jour le nom de jour du pain, parce que nous y apprenons à connaître la résurrection spirituelle ; aujourd’hui, nous est venu en réalité le pain que les nuées de la prophétie laissaient tomber sous forme de glace. David ne s’écrie-t-il pas, en effet, dans l’un de ses psaumes : « Qui envoie la glace sur la terre comme des morceaux de pain[278] ? » De la bouche des Prophètes, comme du sein de saintes nuées, descendait sur des vallées couvertes de neige une glace spirituelle, et les morceaux de pain de la prophétie accomplie devaient produire dans son entier le pain précédemment symbolisé. La glace, tombée de la bouche des Prophètes, brillait d’un vif éclat, et la parole du salut, fruit de la fermentation opérée dans la glace de la prophétie, devenait, pour nous, du véritable pain. Cette glace de la prophétie a maintenant disparu : nous avons goûté du pain qui nous a été préparé, et, pour avoir goûté de ce pain, nous n’avons pas vu notre nudité comme Adam avait vu la sienne ; mais notre nudité a trouvé dans l’éclat de ce jour un voile sous lequel elle s’est dérobée.

4. On donne aussi, avec raison, à ce jour le nom de jour de la lumière, parce qu’avec lui ont disparu les ténèbres de l’aveuglement spirituel. On a entendu un grand cri, le cri de ceux qui, se trouvant plongés dans les ombres de la nuit, ont aperçu devant eux une vive lumière : « Le jour s’est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort[279] ». Que la terre se réjouisse ! elle a vu apparaître un nouvel astre. Que les anges se réjouissent, car Dieu a fait briller la lumière aux yeux des pécheurs. Les enfers ont tremblé sur leurs bases, car des rayons insolites sont venus s’abaisser jusque sur eux, et, en présence du Seigneur Christ, tout genou a fléchi dans le ciel, sur la terre et dans les enfers[280]. Aujourd’hui, toutes les créatures prennent donc part à notre allégresse. Les anges apparaissent et solennisent avec nous cette grande fête, et tandis que nous célébrons le mystère pascal, la joie règne parmi les chœurs des Anges, des Trônes, des Dominations, des Chérubins et des Séraphins. Parmi les anges, ce n’est plus le même éclat, je ne dis pas dans les vêtements, mais dans le chant des cantiques. Nous-mêmes, nous n’exécutons plus le même chant, puisque nous chantons l’alléluia : ainsi encore en est-il des anges, puisqu’ils font entendre des cantiques célestes que notre langue humaine ne saurait maintenant proférer.

5. « Que les cieux se réjouissent » donc, « et que la terre tressaille d’allégresse[281] ». Tressaillons dans le Seigneur, mais avec crainte, sans perdre néanmoins notre tranquillité ; car Jean, le bienheureux précurseur, a tressailli dans le sein de sa mère, mais ce précepteur de l’ange Gabriel n’a point bu de vin. Pour nous, qui sommes faibles, buvons avec mesure. Ne dépassons pas les bornes, afin que notre joie soit modérée, qu’elle ne ressente rien de l’influence des passions charnelles, et que nous entrions dans le port du salut par un ciel serein, celui de la sobriété. Nous portons en nos mains la palme du jeûne : ne perdons point les lauriers de cette fête. Daigne le Seigneur Christ nous les accorder par sa grâce ; car il a triomphé en nous par ses souffrances, afin que nous pussions chanter dignement l’hymne de la victoire et nous écrier : « La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon ? O mort, où est ta victoire ? » Parce que le Christ a emmenés avec lui ceux que tu retenais captifs, chantons tous alleluia, et, en ce beau jour de fête, tournons-nous vers le Sauveur   si bon, etc. [282]

CINQUANTE-SIXIÈME SERMON.
POUR LE JOUR DE PÂQUES. II

ANALYSE. —1. Joie qu’inspire la fête de Pâques. —2. Parallèle entre Judas, Pierre et le larron.

1. La résurrection du Seigneur a répandu l’allégresse dans le monde. Autant son éclat brille aux regards, autant ses bienfaits réchauffent le cœur : le vieil homme a disparu, l’homme nouveau a pris sa place : c’en est fini de la prévarication d’Adam ; elle a été pardonnée, grâce au Christ. Jadis, les âmes traînaient pitoyablement, derrière elles, la chaîne de l’erreur ; elles sont maintenant rachetées et vont au ciel conduites par les liens de la charité. Au milieu de ses fureurs, le diable est devenu honteux. Le Christ meurt, et, par sa mort, il délivre le monde du joug de l’erreur : il ressuscite et fait évanouir notre ennemi. Alors ont lieu des miracles et des prodiges, non pour confondre les hommes perfides, mais pour sauver ceux qui étaient perdus. Autant la synagogue juive se plaint et gémit, autant se réjouit l’Église chrétienne. Triomphons dans le Christ : dans sa miséricorde, il nous a donné un remède, celui de sa croix, et, par sa croix, il nous a apporté de glorieux trophées.

2. Judas a vendu son Seigneur, Pierre a renié son maître, le larron a confessé le Christ. Judas a désespéré, Pierre a chancelé, le larron a mérité le paradis. Dans la trahison de celui qui a vendu le sang du Christ, dans le reniement de Pierre et la confession du larron, nous trouvons la preuve de la salutaire mission du Rédempteur. Ce que le Seigneur Dieu vient de nous inspirer pour l’instruction de vos âmes doit suffire à votre charité.
CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON.
POUR LE JOUR DE PÂQUES. III

ANALYSE. —1. En raison de la difficulté du sujet, l’orateur s’épouvante de parler de la résurrection du Christ. —2. Par sa résurrection, le Christ nous confère le privilège de ressusciter comme lui. L’orateur le compare au phénix et au grain de froment. —3. En ressuscitant, le Christ, lion et lionceau, nous invite à ressusciter comme lui. —4. Élisée a préfiguré la résurrection du Christ, quand ses ossements ont rendu la vie à un mort. —5. Dans la circonstance où il a ressuscité le fils de la Sunamite, le même Prophète symbolisait le Christ, son bâton était l’emblème de la Loi, Giési représentait Moïse. —6. Il nous faut célébrer la fête de Pâques dans les élans d’une joie, non pas mondaine, mais toute sainte, et, surtout par le renouvellement de notre vie. —7. Le mode usité chez les Juifs, pour la célébration de la Pâque, était l’image de la manière dont les chrétiens doivent la solenniser. —8. En fêtant ainsi ce grand mystère, nous mériterons d’entrer dans le royaume des cieux.

1. Aujourd’hui, l’univers entier a vu se lever tout radieux le soleil de la vénérable solennité qui nous rappelle la résurrection du Sauveur ; pas n’est besoin du secours de nos paroles, pour que vous en compreniez la dignité et la grandeur, car les autres fêtes ne revêtent point le même caractère : ce n’est pas seulement en un lieu ou en quelques lieux du monde, ce n’est pas dans les sentiments d’une allégresse circonscrite en certaines bornes étroites, que celle-ci doit se célébrer ; je la vois s’étendre jusqu’aux limites les plus reculées ; elle comprend et elle embrasse tous les pays, et la joie qu’elle inspire devient commune au ciel, à la terre et aux enfers. Elle n’a donc, comme nous l’avons dit, aucun besoin d’être recommandée par une langue humaine, puisqu’elle se recommande d’elle-même par la puissance d’en haut, dont elle est la plus haute expression. Les esprits bienheureux l’exaltent dans leurs cantiques : devant sa grandeur, l’homme n’a donc qu’à se taire. Pourtant, nous ne voulons point priver de la parole divine cette sainte multitude ; sa dévotion, sa foi vive, son empressement nous font un devoir de la lui adresser : nous allons donc essayer de bégayer quelques mots au sujet de cette solennité ; car si nous sommes à même de nous extasier au spectacle de sa majestueuse dignité, il nous est impossible d’en rien dire qui soit digne d’elle.

2. Le Christ est ressuscité en ce jour : que le monde entier se réjouisse ! N’est-il pas juste, en effet, qu’après avoir gémi profondément de la mort de leur Créateur et fait retentir, de leurs cris de douleur tous les échos de l’univers, toutes les créatures se réjouissent de sa résurrection ? Celles qui, malgré leur chagrin, avaient dît assister aux funérailles du divin Crucifié, ne devaient-elles pas également assister à la joyeuse résurrection du Christ et à son triomphal retour des enfers ? La résurrection de l’humanité du Christ a détruit cette antique malédiction, cette déplorable sentence de mort, attirée par Adam sur toute sa race : « Tu es terre et tu retourneras en terre[283] ». Du milieu de ses cendres est sorti vivant le corps du Phénix que des mains pieuses avaient consumé avec le bois de cinnamome : le grain de froment, qui, après les souffrances de la croix, a été jeté en terre pour y mourir et y est demeuré seul, a porté beaucoup de fruit par sa résurrection[284]. Il a été seul pour mourir, mais il s’en faut de beaucoup qu’il ait été seul à ressusciter : car, en descendant aux enfers, il en a brisé les portes ; il a triomphé de celui qui avait l’empire de la mort ; tous les fidèles qu’il a trouvés dans les lieux souterrains, il les a ramenés en triomphe, et après avoir ainsi vidé cette ténébreuse prison, il est ressuscité avec la multitude des saints. Tous ceux dont les sépulcres se sont ouverts au moment de sa mort ont vu leurs corps sortir de la poussière du tombeau, à l’heure de sa résurrection. Il convenait qu’il fût le premier à revenir à la vie, et que les autres n’y revinssent qu’ensuite ; car, dit l’apôtre Paul : « Jésus est ressuscité d’entre les morts, comme les prémices de ceux qui dorment[285] ». Et comme ils ont ressuscité avec le Seigneur, ainsi sont-ils encore montés au ciel avec lui : c’est là notre croyance.

3. Les naturalistes prétendent que le lionceau dort pendant les trois jours qui suivent sa naissance, qu’après ces trois jours, la mère pousse un long rugissement, et qu’alors il s’éveille et se lève. Or, les divines Écritures donnent ordinairement au Christ le nom de lionceau : c’est sous cet emblème que le patriarche Jacob l’a désigné, quand il a prophétisé à son sujet : « Juda est comme un jeune lion. Mon fils, tu t’es élancé sur ta proie, et, dans ton repos, tu dors comme le lion et comme la lionne : qui osera l’éveiller ? » Pareil à un lion, le Christ s’est couché à l’heure de sa passion, et il s’est endormi dans la mort : son dernier combat a été marqué au coin de la vivacité, d’une invincible constance et d’une confiance sans limites ; car, s’il est mort, c’est qu’il l’a bien voulu. Les autres hommes meurent parce qu’il le faut ; mais lui, il est mort, parce qu’il y a librement consenti. On l’a donc enfermé dans un sépulcre, et, pendant trois jours, il y est resté, fort et impassible comme un lion ; car il était sûr d’en sortir bientôt plein de vie. Mais « qui osera l’éveiller ?[286] » Quel est le père qui, par un rugissement tout-puissant, l’a tiré du sommeil de la mort ? David nous apprend, dans un psaume, quel a été ce rugissement ; il apostrophe le Fils au lieu et place du Père, et lui dit : « Réveille-toi, ma gloire ; réveille-toi, ô ma harpe, ô ma lyre[287] ». O mon Fils, toi qui es ma gloire, réveille-toi, que ta harpe et ta lyre, c’est-à-dire le chœur de toutes les vertus, se réveillent avec toi ! Et le Fils lui répond aussitôt : « Je me lèverai dès l’aurore[288] ». En effet, le premier jour de la semaine, au matin, le Sauveur est ressuscité et nous a conféré, à nous qui sommes ses membres, l’espoir de ressusciter un jour à son exemple ; car tous les fidèles croient, appuyés sur la vérité même, qu’ils sont les membres du Christ, chef du corps de l’Église[289]. Or, puisque nous sommes les membres du Christ et que nous sommes morts avec lui, il est évident que nous avons dû ressusciter comme lui. L’Apôtre ne dit-il pas : « Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Jésus-Christ[290] » ; et encore : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel ?[291] » Après avoir subi le dernier supplice à cause des péchés de tous, il est ressuscité pour le salut de tous.

4. La résurrection du Christ est un miracle opéré en faveur de tous les hommes, et il a pris lui-même à tâche, dès le commencement du monde, de le préfigurer sous une foule d’emblèmes et de symboles, dans les différentes circonstances de la vie des saints. Citons-en un exemple entre mille, celui d’Élisée. Le Prophète était déjà mort ; son corps, renfermé dans le tombeau, a ressuscité un autre mort. « Il arriva que quelques hommes qui enterraient un mort virent des voleurs, et que, dans leur effroi, ils jetèrent le mort dans le sépulcre d’Élisée. Lorsque le corps eut touché les os d’Élisée, cet homme ressuscita et se leva sur ses pieds[292] ». Élisée veut dire : Dieu mon Sauveur ; or, dans cette circonstance, qui est-ce que représente Élisée ? Nul autre, évidemment, que le Seigneur et Sauveur Jésus, qui, par sa mort, a conféré au genre humain le privilège de la résurrection future et lui a préparé la vie, en s’enfermant dans le sépulcre.

6. Mais puisque nous avons déjà fait une fois mention du prophète Élisée, qu’est-ce qui nous empêche de citer encore de lui un fait, bien plus mystérieux que digne d’admiration ? Nous allons en parler brièvement. En l’absence d’Élisée, le fils de la femme sunamite était venir à mourir : cette mère désolée alla donc trouver le saint homme, et, par ses plaintes, elle se déchargea sur lui de toute l’amertume du chagrin que lui, avait causé cette séparation ; le Prophète envoya donc son serviteur Giézi avec son bâton, en lui recommandant de placer ce bâton sur le cadavre inanimé du défunt. Mais bientôt Giézi revint annoncer à l’homme de Dieu que l’enfant ne s’était point levé ; alors, Élisée vint lui-même, et quand il eut enlevé le bâton, il se coucha sur l’enfant, et la vie revint au cœur de celui-ci, et il se leva[293]. Dans cette occasion mémorable, Élisée a-t-il préfiguré autre chose que notre Dieu Sauveur ? Certainement non. Pour Giézi, il représentait Moïse a qui a été très-fidèle dans toute sa « maison[294] ». Quant au bâton, n’était-il pas le symbole de la loi ? Élisée envoya Giézi avec son bâton, Dieu a envoyé Moïse avec la loi : elle devait frapper de peines très-sévères ceux qui la violeraient ; mais le mort ne revint pas à la vie, parce que si la loi pouvait faire connaître le péché, elle était incapable d’y porter remède et d’en guérir. Élisée vint ensuite, enleva le bâton et se coucha sur le mort, parce que la majesté divine, l’ineffable gloire du Très-Haut, c’est-à-dire le Fils de Dieu, égal à son Père, est descendu en ce monde ; il a fait disparaître la servitude de la loi, il a procuré aux hommes repentants le bienfait gratuit du pardon, il a pris la forme d’esclave, il s’est rapetissé entièrement jusqu’au niveau de notre fragile nature, et, sans avoir commis aucun péché, il a subi les coups de la mort, que le péché avait amenée sur la terre. Mais, par sa mort, il a détruit la puissance de la mort, et, en ressuscitant le troisième jour, sa chair est sortie du tombeau, à jamais immortelle et incorruptible.

6. Mes frères, réjouissons-nous donc dans le Seigneur ; rendons grâces au triomphateur de la mort, dans les élans d’une joie toute spirituelle, de l’allégresse de tous nos sens ; car a il nous a appelés du sein des ténèbres à « son admirable lumière[295] », « et, après nous avoir arrachés à la puissance du démon, il nous a fait entrer dans le glorieux royaume de son Fils[296] ». Mais cette joie qu’il nous faut ressentir ne doit avoir rien de commun avec la joie mondaine ou séculière ; elle ne doit point se traduire, comme au milieu des festins, par des applaudissements qui sentent l’insanité et le libertinage, comme celle de la vile populace : « Car Jésus-Christ est notre Agneau pascal, qui a été immolé pour nous[297] ». Puisque le Christ est notre Agneau pascal, et que cet Agneau est saint et divin, notre joie, en lui rendant hommage, doit donc être sainte et surnaturelle. Le même Apôtre dit ailleurs : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel, et non celles d’ici-bas[298] ». Donc, « nous » aussi, « en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels[299], purifions-nous du vieux levain[300] », c’est-à-dire « dépouillons-nous du vieil homme avec ses œuvres et revêtons-nous de l’homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu dans une justice et une sainteté véritable[301] ». Méprisons donc le monde, dédaignons les choses d’ici-bas et tout ce qui tient à la terre : portons-nous vers les biens célestes ; que toute notre intention se dirige vers l’éternité et le paradis ; marchons d’un pas allègre sur le chemin qui conduit de cette terre d’exil au séjour des élus, à notre bienheureuse patrie, où nous aurons les anges pour concitoyens, où nous trouverons, pour entrer en participation et en jouissance de notre félicité, tous les saints. Le mot hébreu Pâques se traduit en latin par le mot passage. Donc, mes frères, passons des vices aux vertus, des choses du temps à celles de l’éternité, des biens caducs de cette terre aux biens permanents de l’autre vie. C’est ainsi que nous mériterons de porter le nom d’hébreux et de l’être en réalité ; car hébreu veut dire passage. Nous pourrons donc célébrer dignement la Pâque, si nous nous efforçons d’opérer en nous-mêmes ce passage.

7. La manière dont les Juifs devaient célébrer la Pâque se trouve parfaitement indiquée dans la loi de Moïse ; et si nous voulons entendre ses prescriptions dans un sens spirituel, nous y trouverons des indications suffisantes sur le mode à suivre pour solenniser nous-mêmes convenablement la vraie Pâque. Voici, entre autres choses, ce que nous lisons dans l’Exode : « Vous le mangerez ainsi (l’Agneau pascal, évidemment) : vous ceindrez vos reins, vous aurez vos chaussures à vos pieds et un bâton en vos mains ; et vous mangerez à la hâte[302] ». Par conséquent, celui qui veut faire dignement la Pâque doit ceindre ses reins, ou, en d’autres termes, maintenir, par le cordon de la chasteté, toutes les convoitises des passions charnelles. Qu’il ait des souliers à ses pieds, c’est-à-dire qu’il dirige les pas de ses œuvres dans le chemin tracé devant lui par l’exemple des saints Pères ; c’est ainsi qu’il surmontera tous les obstacles semés sur sa route ; c’est ainsi qu’il échappera, sans meurtrissure, aux épreuves dont il se verra assailli, comme un voyageur aux aspérités de sa route, et foulera aux pieds, sans crainte de se voir blessé par eux, les animaux venimeux qui cherchent à nous mordre au talon. Il tiendra aussi en sa main un bâton, c’est-à-dire, qu’avec une sollicitude toute pastorale, il s’efforcera de veiller sur lui-même et sur tous ceux dont il est chargé. Quant à ce qui suit : « Vous le mangerez en toute hâte », il faut le remarquer avec beaucoup plus de soin ; car il ne s’agit pas d’écouter les préceptes du Seigneur avec nonchalance, par manière d’acquit, et comme en passant ; il faut, au contraire, les confier à notre mémoire, avec un soin extrême et les accomplir pour le mieux et avec tout l’empressement possible ; car il est écrit : « Maudit soit celui qui fait négligemment l’œuvre de Dieu[303] ». Au sujet des Gentils convertis et de ceux qui cherchent très-avidement à goûter le pain du Verbe de Dieu, le Prophète dit ces paroles : « Ils ouvriront la bouche, comme le pauvre qui mange en secret[304] ».

8. Dès lors que nous célébrerons ainsi la pâque, notre Sauveur et Rédempteur se fera lui-même un vrai plaisir de prendre part à nos joies ; il daignera, pour notre plus grand bien, accorder à notre corps, c’est-à-dire à nous, son corps trois fois saint. Puisque nous sommes ici pour célébrer cette grande solennité de Pâques, prenons toutes les précautions précédemment indiquées : c’est par là que nous éviterons le malheur d’être privés des joies et des plaisirs du ciel. À quoi bon assister aux solennités de la terre, si, ce qu’à Dieu ne plaise, il nous arrivait d’être exclus des fêtes célébrées par les anges ? Tous les jours que nous fêtons ici-bas sont comme une image des réjouissances du ciel ; ils sont l’avant-goût du bonheur que les anges éprouvent dans l’éternité, non pas au retour annuel de certaines époques, mais continuellement, parce qu’ils sont établis pour toujours dans la condition d’un bonheur sans fin. Nous célébrons donc ici-bas la fête de Pâques et toutes les autres solennités, afin de tenir notre esprit en éveil et d’élever dès maintenant ses pensées vers les ineffables joies de la patrie éternelle : là, nous goûterons un bonheur plein et parfait, un bonheur que rien rie viendra troubler, parce qu’on n’y éprouve ni la crainte qui épouvante l’âme, ni les inquiétudes qui rongent le cœur ; le repos y est parfait, la sécurité y est entière, on y surabonde de délices. Là, nous dirons : Je vois notre Roi assis à la droite de la majesté de son Père. Alors nous pourrons avec confiance nous approcher du trône glorieux de Celui en la personne de qui nous verrons notre chair, désormais immortelle et déifiée, commander en maître aux vertus et aux puissances soumises à ses ordres. Car c’est Dieu lui-même, c’est le Fils de Dieu, c’est « Jésus-Christ homme, médiateur de Dieu et des hommes[305] », « qui est mort à cause de nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification[306] ». À lui avec le Père, dans l’unité de l’Esprit-Saint, appartiennent la louange et la bénédiction pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
CINQUANTE-HUITIÈME SERMON.
POUR LE JOUR DE PÂQUES. 4

ANALYSE. —1. Après la tristesse vient la joie. —2. Les nouveaux baptisés doivent conserver intact le trésor qu’ils ont reçu.

1. Réjouissons-nous, mes bien-aimés, et tressaillons d’allégresse dans le Seigneur. Aujourd’hui, il a fait briller à nos yeux la lumière du salut, selon cette parole que le Psalmiste ajoute aux précédentes : « Le Seigneur est le Dieu fort ; sa lumière s’est levée sur nous[307] ». Il dit ensuite : « Solennisez ce jour en vous réunissant jusqu’à l’angle de l’autel[308] ». Je le vois, cet oracle trouvé aujourd’hui son accomplissement dans l’Église de Dieu. Toutes les parties en sont remplies, jusqu’aux angles de l’autel, de la religieuse multitude qui se presse dans son enceinte : cette plénitude de la sainte Église est l’accomplissement de ces paroles de l’Écriture. Ce jour, mes très-chers frères, est le jour de la résurrection et de la vie. En rendant plus vifs les heureux tressaillements de notre foi, la sainte Quarantaine a donné pour nous plus de charmes à ce jour ; car à une époque que le souvenir de nos fautes avait imprégnée de tristesse a succédé l’époque du pardon ; notre patiente pénitence se trouve donc immédiatement suivie de sa récompense, selon qu’il est écrit : « Ceux qui sèment dans les larmes récolteront dans la joie[309] ». O vous tous qui avez semé dans les larmes, recueillez, comme votre récompense, les plaisirs de l’allégresse. Que chacun le sache ; plus abondante a été la semaille des larmes, plus abondante est aujourd’hui la moisson des joies. Dans le présent se rencontre donc pour nous une image des béatitudes à venir. De même, en effet, qu’aujourd’hui les adoucissements du pardon succèdent aux rigueurs de la pénitence ; de même, dans le ciel, le repos succédera au travail et à la peine.

2. C’est pourquoi je m’adresse à vous surtout, mes bien-aimés, qui avez puisé une nouvelle vie dans le sacrement de la régénération, et qui portez, à cause de cela, la robe blanche ; je vous en supplie avec toute l’Église, conservez pur et sans tache le trésor de grâces que vous avez reçu : montrez, dans toute votre conduite, l’innocence que symbolise la blancheur de vos vêtements : que vos cœurs soient aussi purs que vos habits sont nets de toute souillure. Vous l’avez entendu, l’Évangile vous l’a dit aujourd’hui. Tous ceux qui croient en Dieu sont ses enfants. « Car il a donné le droit de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu même[310] ». Vous non plus, vous n’êtes pas nés d’un commerce charnel ; car vous avez été engendrés de Dieu le Père. Il ne vous reste donc qu’une chose à faire : c’est, pour ne pas déchoir de votre céleste origine, de mener une vie sainte, une conduite parfaite. Voilà le conseil que vous donne l’Apôtre : « Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur qui vous fasse croître pour le salut[311] ». « Et que la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, garde vos cœurs et vos corps[312] », par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent l’honneur et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON.
POUR LE JOUR DE PÂQUES. 4

ANALYSE. —1. En apparaissant à ses disciples, le Christ affermit leur foi. —2. Triple profession d’amour faite par Pierre. —3. pour réparer son triple reniement.

1. Comme vient de nous l’apprendre le texte de la leçon de l’Évangile, qu’on nous a récitée tout à l’heure, c’est en cet endroit que Jésus-Christ est apparu pour la troisième fois à ses disciples, depuis le moment de sa résurrection. Pendant qu’il mangeait avec eux, il dit à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Celui-ci répondit : Seigneur, vous savez que je vous aime[313] ». La présence assidue de Notre-Seigneur Jésus-Christ au milieu de ses Apôtres, après sa résurrection, eut pour résultat d’affermir plus solidement leur foi en sa personne. Connaissant parfaitement l’infirmité humaine, et pour y porter remède, il a voulu se montrer souvent à eux, et c’est ainsi qu’il leur a ôté jusqu’à l’ombre du doute au sujet de sa résurrection. À voir à chaque instant le Sauveur devant eux, ils ont acquis, en effet, la pleine certitude de la vérité, et bien qu’une seule apparition de sa part ait dû être plus que suffisante pour asseoir leur foi, néanmoins le Sauveur s’est fréquemment montré aux yeux de ses Apôtres, afin de leur donner une preuve plus irrécusable de sa résurrection. Ce n’est pas une fois, et à la hâte, qu’il leur a accordé la faveur de le contempler ; il les a, à vrai dire, rassasiés du spectacle de sa présence : quand il mangeait avec eux, ce n’était pas, non plus, qu’il eût besoin de prendre des aliments, (car son corps ressuscité éprouvait-il la moindre nécessité ?) Non, il ne se proposait autre chose que de leur prouver clairement qu’il était ressuscité d’entre les morts en prenant de la nourriture, comme les hommes en prennent pour l’entretien de leur vie. Nous lisons, à ce sujet, dans les Actes des Apôtres : « Pendant quarante jours, après sa résurrection d’entre les morts, ils ont mangé avec lui : nous en sommes témoins[314] ». Comme conséquence de la constante et continuelle présence du Sauveur parmi ses disciples, après sa résurrection, la foi en lui s’est consolidée et l’incrédulité n’a plus eu de raison d’être.

2. Mais une circonstance qu’il ne faut, pour rien au monde, négliger, c’est que Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans tout ce passage de l’Évangile, a affecté de dire : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu[315] ? » Il a réitéré trois fois cette question. Pourquoi donc a-t-il voulu sonder jusqu’à trois fois les sentiments de Pierre ? C’est qu’il a voulu obtenir de lui une triple réponse. Ici, Jésus interroge l’Apôtre, comme s’il ne connaissait point les secrètes pensées de l’homme. Le Sauveur avait dit autrefois : « Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs[316] ? » En, un autre endroit, il a été dit de lui : « Jésus voyant les pensées de leurs cœurs[317] ». Alors, pour quel motif demande-t-il à Pierre s’il l’aime, puisqu’il est de l’essence de Dieu de savoir d’avance toutes choses ? Il est écrit que « Dieu sait ce qu’il y a dans l’homme[318] ». Le Seigneur dit encore ailleurs : « Je scrute les reins et les cœurs[319] ». Dans quel but, par conséquent, demander à Pierre s’il éprouve de l’affection pour Dieu ? Il était certainement impossible que, avec la preuve de la résurrection du Sauveur, Pierre ne le reconnût point pour un Dieu, lui qui l’avait, avant sa mort, reconnu pour le Christ et le Fils de Dieu. Ne lui avait-il pas dit, en effet : « Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant ?[320] » N’avait-il pas d’ailleurs donné à Jésus des preuves évidentes de son affection ? C’est précisément pour cela qu’il lui avait promis de le suivre jusqu’à la mort. Ici donc le Christ veut s’assurer de l’amitié dont son apôtre lui a déjà fourni des témoignages en grand nombre. Ce n’est pas sans raison que Jésus fait ses trois questions sur l’amour de Pierre à son égard ; ce n’est pas, non plus, sans cause que Pierre y répond par une triple protestation d’amour. Ce n’est ni pour savoir, ni parce qu’il ne sait pas, que le Sauveur réitère ainsi ses questions ; car rien n’est caché pour la sagesse divine, puisqu’elle a dit : « Avant de te former, je t’ai connu[321] ». L’Apôtre a lui-même écrit : « Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés ; ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a justifiés[322] ». C’est donc chose étonnante qu’il ait voulu avoir de Pierre une protestation verbale d’amour, quand il savait parfaitement que penser de ses sentiments intérieurs.

3. Il est sûr que le Christ n’a pas adressé cette triple question à son Apôtre pour la satisfaction de son amour-propre. Mais comme Pierre avait répondu à une première demande de Jésus par un triple reniement et s’était ainsi lié par un triple nœud, il était juste qu’après sa résurrection le Christ l’interrogeât trois fois et que Pierre proclamât par une triple confession ce qu’il avait nié trois fois au moment de la Passion. Il était juste qu’après d’être lié par une triple perfidie, il se déliât par un pareil nombre de professions d’amour. Le Sauveur avait dit : « Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père, qui est dans les cieux[323] ». Il a donc voulu que l’apôtre Pierre se corrigeât en confessant son divin nom, afin de pouvoir lui-même le confesser devant son Père et en présence de ses anges.

SOIXANTIÈME SERMON.
POUR LE LENDEMAIN DE PÂQUES.

ANALYSE. —1. Les contradictions entre les évangélistes ne sont qu’apparentes. —2. Combien imparfaite était la foi des Apôtres. —3. Doutes des disciples d’Emmaüs opposés à la profession de foi de Pierre. —4. Foi vive du larron qui reconnaît le Christ en le voyant mourir. —5. Douleurs du Christ parvenu à l’âge de maturité : elles servent à expier les fautes de tous ses membres. —6. Le larron est le premier qui ait reçu la promesse d’entrer au Paradis. —7. Pourquoi cette grâce de choix lui a-t-elle été accordée?— 8. Conclusion.

1. Mes frères, votre charité ne l’ignore nullement : pendant les jours de la sainte fête de Pâques, on fait lecture solennelle du récit, selon tous les évangélistes, de la résurrection du Sauveur : ils ont, en effet, écrit cette histoire de telle manière que, parfois, ils racontent les mêmes faits, et que, parfois aussi, les uns omettent ce que disent les autres ; aucun d’eux, pourtant, ne se met en opposition avec la réalité des événements. Ils sont unanimes à rapporter que Jésus a été crucifié et enseveli, qu’il est ressuscité le troisième jour ; quant à la manière dont il a apparu à ses disciples, comme ses apparitions ont eu lieu bien des fois, ils ne s’accordent plus : ce que l’un omet, l’autre en fait mention ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le récit de chacun d’eux est conforme à la vérité.

2. Si vous vous en souvenez, pendant la nuit de la vigile de Pâques on nous a lu que le Sauveur apparut aux femmes après sa résurrection ; il les salua le premier par ces paroles : « Je vous salue. Or, elles s’approchèrent de lui et embrassèrent ses pieds et l’adorèrent[324] ». Aujourd’hui encore, on nous a lu le fait de son apparition à deux de ses disciples, pendant qu’ils faisaient route : « Ils marchaient avec lui et ne le reconnaissaient pas ; car leurs yeux étaient fermés, afin qu’ils ne pussent le reconnaître ». Il attendait, pour se manifester, à eux le moment de la fraction du pain. Car il marcha avec eux, et ils lui offrirent un gîte ; alors, il bénit le pain et le rompit, et ils le reconnurent. C’est ainsi que vous reconnaissez aussi le Christ, ô vous qui croyez en lui. Mais que votre charité remarque bien aussi quels hommes étaient tous les disciples du Sauveur avant la résurrection. Qu’ils me pardonnent : ils n’étaient pas encore fidèles. Plus tard, ils sont devenus grands ; mais alors ils ne nous valaient même pas. En effet, nous croyons que le Christ est ressuscité, et eux ne le croyaient pas encore ; mais, dans la suite, ils l’ont vu, ils l’ont touché et palpé avec leurs yeux et leurs mains ; c’est par là que la loi leur est venue et que les saintes Écritures ont affermi leurs cœurs. Ils ont bu à la source de la vérité ; aussi nous ont-ils donné de leur surabondance et nous en ont-ils remplis.

3. Les disciples s’entretenaient donc ensemble et se désolaient de la mort du Christ, comme s’il eût été un homme ordinaire : tout-à-coup, Jésus leur apparut, se joignant à eux comme troisième et leur demanda le sujet de leur conversation : « Tu es le seul étranger à Jérusalem », lui répondirent-ils, « pour ignorer ce qui vient de s’y passer en ces jours, et comme les princes des prêtres ont fait mourir Jésus qui était un grand Prophète ?[325] » O disciples, où était le Dieu ? N’était-ce déjà plus qu’un prophète ? Est-ce que le Christ n’était pas l’oracle qui a inspiré tous les Prophètes ? Voyez, mes frères, comme les disciples avaient cru d’abord, mais comme, par l’effet du découragement qu’ils avaient éprouvé en voyant mourir le Christ, ils en étaient revenus à parler de lui à la manière des gens qui ne le connaissaient pas. Vous vous en souvenez, mes très-chers frères, le Sauveur fit un jour cette question à ses disciples : « Que dit-on du Fils de l’homme ? « Qu’est-ce que les hommes pensent de moi[326] ? » Aussitôt, et sans faire mention de leur foi personnelle, ils lui citèrent les paroles et les opinions des autres : « Les uns disent : C’est Jean-Baptiste ; les autres ? Élie ; les autres, Jérémie ou l’un des Prophètes[327] ». Voilà où en sont revenus les disciples : ils ont perdu leur propre foi et se sont rangés à l’opinion des autres. « Il était un prophète ». En parlant de la sorte, ils, s’exprimaient comme des étrangers à l’égard du Christ. Et les Apôtres, qu’ont-ils dit ? A cette question du Sauveur : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre répondit : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. Et Jésus lui dit : Tu es bienheureux, fils de Jona, car la chair et le sang ne t’ont point révélé ceci[328] », comme cela a eu lieu pour ceux qui voient en moi un prophète, « mais mon Père, qui est dans les cieux. Et, moi, je te dirai : Tu es Pierre ». Tu m’as dit une chose, moi je t’en dirai une autre ; tu m’as rendu hommage en proclamant ce que je suis : écoute-moi, je vais te bénir. Le Sauveur avait parlé de la partie moindre de lui-même, et Pierre avait parlé de ce qui était plus grand en lui. En Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce qui était moindre, c’était sa qualité de Fils de l’homme ; et ce qui était plus grand, c’était sa qualité de Fils de Dieu. Celui qui s’est humilié a parlé de ce qui était moindre ; et celui qui a été honoré par le Christ a parlé de ce qui était plus grand. « Je bâtirai », dit le Sauveur, « mon Église sur cette pierre[329] », sur cette profession de foi, sur ces paroles que tu viens de prononcer : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle[330] ». Les portes de l’enfer avaient prévalu contre les disciples d’Emmaüs, mais elles avaient respecté Pierre ; elles étaient, devant lui, tombées en poussière. Seigneur, venez au secours de vos disciples ; rompez le pain, afin qu’ils puissent vous reconnaître. Si vous ne les recueillez point, c’en est fini d’eux. Comment les avez-vous interrogés ? Voilà que vos disciples disent que vous êtes un prophète !

4. Alors Jésus leur ouvrit le sens des Écritures, en raison de ce qu’ils lui avaient dit dans leur désolation : « Pour nous, nous espérions qu’il délivrerait Israël[331] ». O disciples, vous espériez, et vous n’espérez déjà plus ? Viens, larron, viens instruire les disciples du Christ. Pourquoi désespérez-vous ? Parce que vous l’avez vu crucifié, parce que vous l’avez vu attaché à l’instrument de son supplice, parce que vous l’avez cru impuissant. Cloué à une croix comme lui, le larron l’a aperçu dans son état de faiblesse : il partageait ses tortures, et, néanmoins, il, l’a aussitôt reconnu et il a cru en lui. Et vous, vous avez oublié qu’il est le maître de la vie ! O larron, crie du haut de ta croix. Ta conscience est chargée de crimes : n’importe ! Convaincs d’infidélité des saints. Que disent les uns ? « Pour nous, nous espérions qu’il rachèterait Israël ». Que dit l’autre ? « Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé dans votre royaume[332] ». Vous espériez donc qu’il rachèterait Israël. O disciples, s’il doit racheter Israël, vous avez faibli mais comme il vous a raffermis, il ne vous a pas abandonnés. Celui qui est devenu votre compagnon de route, s’est fait lui-même votre voie[333]. Mais alors n’était pas là cet apôtre Pierre qui a dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Il n’était pas avec eux. Avant la mort du Sauveur, il pensait que le Christ, n’importe où il fût, se trouvait avec ses Apôtres ; mais, au moment de la Passion, il le nia, puis il pleura quand Jésus eut jeté sur lui ses regards. Maintenant que le Christ a été crucifié et qu’il est mort… Peut-être le pensait-il encore, lorsque les Juifs l’insultaient et lui disaient : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de sa croix, et nous croyons en lui[334] ». Peut-être le pensait-il encore, lorsque les disciples lui disaient eux-mêmes ; non pour l’insulter, mais pour l’en conjurer, de descendre de sa croix. Mais quand il eut vu que le Christ, au lieu de descendre de sa croix, rendait l’esprit ; quand il l’eut vu mourir sur la croix comme meurent les autres hommes ; lorsque Jésus fut enveloppé dans un suaire et enseveli, et que ses disciples perdirent confiance, alors Pierre lui-même se découragea comme eux. Aussi l’évangéliste Marc dit-il qu’après sa résurrection le Sauveur « apparut aux femmes et leur dit : Allez annoncer aux disciples et à Pierre que je suis ressuscité d’entre les morts[335] ». En effet, il s’était déjà montré aux saintes femmes ; elles s’en retournèrent donc, et annoncèrent aux disciples que des anges leur étaient apparus et leur avaient dit : « Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts ? il n’est point ici, il est ressuscité[336] », et qu’en effet elles n’avaient point trouvé son corps dans le tombeau. Voilà ce que disaient des femmes, et des hommes n’y croyaient pas ; voilà ce qu’elles annonçaient à des Apôtres : elles annonçaient à des Apôtres ce qu’était le Christ. Lorsqu’il chassait des esprits errants, du corps des possédés, ces esprits se tordaient en quelque sorte, sous l’effort de la douleur, et ils s’écriaient : « Qu’y a-t-il entre toi et nous, Jésus, Fils de Dieu ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps ?[337] »

5. Le Christ s’est donc ainsi fait connaître pour le Fils de Dieu : nous en avons pour témoins les âges passés, et, par là, j’entends les âges que n’a point connus le premier Adam ; car, vous le savez, lorsque Dieu a créé le premier homme, celui-ci est sorti jeune homme d’entre ses mains ; sa vie n’a point commencé par l’enfance : au moment où il est venu à la vie, il était jeune homme, c’est-à-dire qu’il pouvait engendrer, puisque le Seigneur lui a dit : « Croissez et multipliez-vous remplissez la terre[338] ». Mais le Christ a parcouru l’âge de l’enfance avant d’arriver à l’âge mûr, où se trouvait Adam quand if fut créé : il est parvenu à cette époque de la vie ; et, dans le temps même du cinquième âge, où Adam se rendit coupable de prévarication et de désobéissance, il a commencé à subir les ignominies de sa passion. De même donc que, à l’instigation du diable, Adam avait criminellement porté la main sur le fruit de l’arbre défendu ; de même, par l’arbre de sa croix, le Sauveur, poussant la patience jusqu’à l’excès, devait effacer les souillures de toutes nos fautes. Enfin Jésus-Christ a, du haut de sa croix et par toutes les parties de son corps, prononcé la condamnation de tous les membres qui avaient servi d’instruments à Adam pour cueillir le fruit du pommier mis en interdit. Le premier homme avait fait usage de ses pieds pour s’approcher de cet arbre maudit, et de ses mains pour prendre la pomme défendue : pour leur condamnation, les pieds et les mains de Jésus ont été cloués à son gibet. La bouche d’Adam avait servi à goûter un aliment pernicieux à son âme celle du Christ a été abreuvée de fiel et de vinaigre. Chez Adam, l’estomac avait été le réceptacle où s’était engloutie cette nourriture : chez le Christ, l’estomac a été percé d’un coup de lance, et du sang et de l’eau en ont coulé pour le salut des croyants. Dieu avait imprimé la beauté et placé une chevelure sur la tête d’Adam ; celle du Christ a été dérisoirement couronnée d’épines. Sur le visage du premier homme venaient se peindre toutes les impressions subies par les différents membres chargés de pourvoir à tous ses besoins : celui du Christ a été couvert de sales crachats et de soufflets donnés à la sourdine. Le diable avait poussé Adam à l’adorer, et, par conséquent, à se soumettre à lui et à courber le dos devant son nouveau maître : Pilate a fait déchirer le dos du Christ à coups de verges. Le Sauveur n’a voulu laisser aucun de ses membres à l’abri des tortures de sa passion, parce que, sous l’influence du démon, ceux d’Adam ne s’étaient nourris que des coupables convoitises des passions. Notre premier père a traversé les délicieux ombrages de la forêt ; et notre Rédempteur, les cruelles tortures de sa passion. À tout cela qu’ajouterai-je ? Dans le Paradis, trois personnages, Adam, Eve, le démon ; sur le Calvaire, trois autres, le Christ et deux larrons élevés eu croix, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Adam représentait le Christ, Eve le larron converti, le diable le larron impénitent et damné. Le jardin est devenu le théâtre du premier péché ; c’est sur la croix qu’a été accordé le premier pardon. Le voleur, q ni a criminellement porté la main sur le fruit défendu, a été chassé du Paradis, et le voleur, qui a heureusement enlevé le pardon de Dieu, est entré dans son royaume. Celui-là est sorti du jardin, qui a fait d’un arbre un instrument de mort, et celui-là est entré au ciel, qui a fait d’un arbre l’instrument de son salut. Mais afin de parvenir au royaume des cieux, le larron a fait violence à la puissance divine il en a triomphé, non par sa force physique, mais par l’ardeur de sa foi. Le Sauveur lui-même dit effectivement dans l’Évangile : « Le royaume des cieux souffre violence : les violents seuls le ravissent[339]. » Y a-t-il rien de plus violent qu’un larron ?

6. O la précieuse mine de choses admirables ! Abraham lui-même n’a reçu aucune promesse verbale d’entrer au Paradis : sa foi ne lui a obtenu qu’un héritage terrestre : à aucun patriarche Dieu n’a dit qu’il obtiendrait le Paradis. Examine avec un soin tout particulier, tous les livres de la loi, et tu le verras personne, avant le larron, n’a mérité que le ciel lui fût promis ; non, personne : ni Abraham, ni Isaac, ni Jacob, ni Moïse, ni les Prophètes, ni les Apôtres ; plus privilégié qu’eux tous, le larron seul a obtenu cette faveur. Écoute cette parole dit Christ, qui n’est parvenue qu’à ses seules oreilles : « En vérité, en vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis[340] ». Pour Abraham, Dieu l’appela, disant : « Sors de ton pays et de ta famille[341] ». Mais au lieu de lui dire : Aujourd’hui tu auras en partage le Paradis, il s’exprima ainsi : « Tu viendras dans la contrée que je te montrerai[342] ». Isaac s’est montré obéissant à l’égard de son père jusqu’à s’offrir comme victime à ses coups : pour toute récompense, il est devenu la figure du Christ. Après avoir lutté contre un ange revêtu d’une forme humaine, Jacob a affirmé avoir vu Dieu : « J’ai vu », dit-il, « le Seigneur face à face, et mon âme a été sauvée[343] ». Quant à Moïse, il a reçu la loi avec la promesse d’hériter des biens ; de la terre ; mais jamais, avant le larron, la promesse du Paradis n’a été faite à personne.

7. Il est donc nécessaire de chercher à savoir pourquoi l’héritage du Paradis a été concédé au larron de préférence à tous ces autres personnages, pourtant si distingués par leur foi. Nous l’avons dit, « Abraham a cru à Dieu[344] » ; mais les conditions dans lesquelles il se trouvait, étaient bien différentes quand il a cru à Dieu, le Seigneur lui parlait du haut du ciel, lui communiquait ses ordres par le ministère des saints anges, et lui donnait, de sa propre personne, connaissance de sa volonté. Isaïe a cru à Dieu, mais Dieu lui apparaissait assis dans le ciel, comme il le dit lui-même : « Je vis Adonaï assis sur un trône haut et élevé[345] ». Ézéchiel a cru à Dieu, mais après l’avoir aperçu au-dessus des Chérubins[346]. Zacharie a cru à Dieu, et il « a dit ceci : Je vis le grand-prêtre Jésus se tenant au-dessus de l’autel du Seigneur[347] ». Les autres Prophètes ont aussi cru à Dieu, mais parce qu’autant qu’il est possible à un homme de voir Dieu, ils le voyaient tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, et qu’il leur parlait. Nous vous l’avons fait remarquer : Moïse lui-même a cru à Dieu, mais, ne l’oublions pas, le Seigneur faisait entendre sa voix au milieu des éclairs, des tonnerres, et des éclats de la trompette : il n’en eût pas fallu davantage pour amener à la foi même des infidèles. En vous parlant ainsi, je n’ai nullement l’intention de rabaisser ces grands et saints personnages ; je ne veux qu’exalter le mérite du larron, qui, par un seul acte de foi, est devenu digne d’entrer au Paradis. Quand le larron a vu le Dieu Sauveur, il s’en fallait de beaucoup que Jésus fût assis sur un trône royal ou adoré dans un temple : il ne parlait point du haut du ciel, il ne faisait exécuter aucun ordre par les anges ; non, ce n’est point de pareils prodiges qui se sont offerts aux regards du larron et l’ont aidé à croire à la réalité des choses. Le larron a vu le Christ partager le supplice de deux brigands ; voilà tout. Il l’a vu dans les tortures, et il l’a adoré comme s’il eût été au sein de la gloire. Il l’a vu attaché à la croix, et il l’a prié comme s’il eût été assis dans le ciel. Il l’a vu condamné et élevé en croix, et il l’a invoqué comme son roi. Il l’a vu, il a cru en lui, au moment où la, foi des Apôtres était ébranlée aussi a-t-il mérité que le Paradis lui fût promis. Pourtant, quand il a cru, qu’a-t-il dit ? « Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous serez arrivé dans votre royaume[348] ». O larron, à qui dis-tu : Votre royaume ? Hé quoi ! tu vois un crucifié, et tu le proclames roi ? Tu as sous les ; yeux le spectacle d’un homme attaché à une croix, et tes pensées se portent vers le royaume des cieux ? Est-ce que, sans faire trêve à. ton métier de brigand, tu as pris le temps de lire les Écritures ? Est-ce que, tout en commettant des homicides, tu as eu le temps d’écouter les Prophètes ? Tous les jours, tu étais occupé à verser le sang de tes semblables, et tu as eu le loisir de prêter l’oreille à la parole de Dieu ? Qui est-ce qui t’a appris à devenir ainsi philosophe ? C’est la croix, devenue l’instrument de ton supplice, qui te fait reconnaître et proclamer le triomphe du Christ. Bien qu’ils sachent la loi et qu’ils aient lu les Prophètes, les Juifs le crucifient ; et toi, qui ne connais rien ni à la loi ni aux Prophètes, tu vois le Christ condamné avec toi et tu le proclames Dieu ! Tu le vois crucifié, et tu l’adores ! Qui est-ce qui t’a appris les oracles relatifs à sa personne, pour que tu annonces hautement l’entrée prochaine, dans son royaume, de celui qui partage sous tes yeux tes douleurs ? – La loi, me répond-il, ne m’a rien appris, les Prophètes ne m’ont rien annoncé ; mais le Seigneur, qui était devant moi, m’a regardé, et son regard a percé jusqu’au fond de mon cœur. Oui, sans doute, je l’ai vu crucifié, mais, aussi, j’ai senti la terre trembler ; j’ai compris que les éléments se révoltaient contre le parricide des Juifs ; j’ai compris tout cela, et j’ai reconnu que le Christ était un roi descendu des cieux. En me considérant moi-même, en reportant mes souvenirs sur les actions de ma vie, j’ai bien vu toute la justice de la sentence de mort prononcée contre moi et exécutée alors sur la croix ; mais quand j’ai entendu mon compagnon en scélératesse s’écrier : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et sauve-nous avec toi[349] » ; quand j’ai entendu les blasphèmes de mon voisin, je me suis dit : Voilà le diable ! À l’heure de la tentation, il avait dit au Sauveur : « Du haut du pinacle du temple, jette-toi en bas[350] ». C’était donc encore lui qui s’écriait : « Descends du gibet de la croix ! » Je me suis alors opposé à lui autant que possible. Mais il ne savait pas ce que je sais ; sans cela, il aurait gardé le silence ce qu’il disait, le diable le poussait à le dire. J’ignorais moi-même qui était le Christ ; jamais parole divine ne m’avait instruit à cet égard ; je n’avais pas appris à le connaître pour être à même de le défendre ; mais le Seigneur se trouvait entre nous deux ; car « il a été compté parmi les scélérats[351] ». Comme un juste juge, il nous a entendus et jugés : du haut de sa croix, comme du haut d’un tribunal, il a rendu une sentence en vertu de laquelle son insulteur a été condamné et son adorateur absous.

8. Que les blasphémateurs de Jésus tremblent donc, et que ceux qui croient en lui se réjouissent ! Car, désormais, le Christ viendra dans sa gloire. Aussi, mes frères, croyons, nous aussi, en toute humilité de cœur, qu’il a souffert, qu’il a été crucifié et enseveli, et qu’il est ressuscité d’entre les morts, le troisième jour. Confessons notre foi, afin que nous méritions d’entrer dans le Paradis de Notre-Seigneur et Sauveur avec le larron fidèle.
SOIXANTE ET UNIÈME SERMON.
POUR LES JOURS D’APRÈS PÂQUES.

ANALYSE. —1. Entre saint Jean et saint Luc il n’y a aucune discordance par rapport à l’absence de Thomas. —2. Les doutes de Thomas ne font que confirmer notre foi. —3. Pourquoi le Christ a conservé la marque de ses plaies ? —4. Les choses qu’on ne voit passant l’objet de la foi. —5. Conclusion.

1. Thomas, l’un des douze, etc[352]. Ici se présente une difficulté : Pourquoi l’évangéliste Jean dit-il que Thomas n’était pas avec les autres disciples, le jour de la résurrection, quand le Seigneur leur apparut, tandis que, au rapport de Luc, les deux disciples de Jésus, en venant du bourg nommé Emmaüs, « trouvèrent les onze Apôtres assemblés, avec ceux qui les suivaient et les saintes femmes ? Tous disaient : Le Seigneur est véritablement ressuscité, et il a apparu à Simon. Et eux racontaient ce qui leur était arrivé en chemin, et comme ils l’avaient reconnu à la fraction du pain. Pendant qu’ils s’entretenaient ainsi, Jésus parut au milieu d’eux[353] ». Cette difficulté peut se résoudre ainsi : Quand ces deux disciples revinrent et trouvèrent les autres qui disaient : « Le Seigneur est ressuscité, et il apparu à Simon », au moment où ils racontaient ce qui leur était arrivé et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain, pendant qu’ils s’entretenaient ainsi, Thomas était peut-être sorti de l’assemblée pour quelque motif impérieux et pressant immédiatement après son départ, le Sauveur aurait apparu au milieu de ses disciples. Voilà pourquoi ceux qui étaient là lui dirent « Nous avons vu le Seigneur » ; et il leur répondit : « Si je ne vois, dans ses mains, la marque des clous, je ne croirai pas[354] ».

2. Il faut donc chercher à savoir pour quel motif le Seigneur a permis qu’un disciple, choisi par lui, élevât des doutes sur la réalité de sa résurrection. Cela n’a pas eu lieu sans raison, mais cela s’est accompli à cause de nous, qui sommes venus à la foi après l’ascension de Jésus-Christ. Les doutes de Thomas nous sont devenus plus utiles que la facilité avec laquelle Marie a cru ; en effet, quand nous lisons, dans le récit de l’Évangéliste, que Thomas n’a reconnu le Christ qu’après l’avoir palpé, il nous est impossible de conserver le moindre doute. Le Sauveur a voulu un disciple qui se montrerait incrédule au sujet de sa résurrection, sans persévérer néanmoins dans son incrédulité, comme il a voulu que sa mère eût un époux terrestre sans, toutefois, en être jamais connue d’une manière charnelle ; dans les deux cas, le motif a été le même : le bienheureux Joseph devait être un incorruptible gardien de la pureté sans tache de Marie, et son témoin fidèle envoyé par le ciel ; Thomas était aussi destiné à affirmer, d’une manière positive, le fait de sa résurrection.

3. « Porte ici ton doigt[355] », c’est-à-dire ; palpe les cicatrices de mes blessures. Les Gentils trouvent en cela une occasion de tourner les chrétiens en ridicule. Si votre Dieu, disent-ils, au lieu de faire disparaître les cicatrices de son corps, les a portées jusque dans le ciel, comme vous le prétendez, n’êtes-vous pas téméraires de croire qu’après votre mort il transformera vos corps ? Voici ce qu’il faut leur répondre : Celui qui a fait plus, suivant ce que nous avons dit, a remis à un autre temps pour faire moins. Le Sauveur a ainsi agi, d’abord, pour éclairer la foi de ses disciples et la nôtre, et nous la rendre salutaire : il a voulu aussi pouvoir, en entrant dans le ciel, montrer à Dieu son Père ce qu’il avait enduré pour nous de tortures, et le provoquer, par là, à se montrer miséricordieux à notre égard. Il en serait de même du soldat qu’un roi enverrait à la bataille pour tuer ses ennemis : supposé que ce soldat engageât la lutte et y reçût une multitude de blessures : quand il reviendrait triomphant, le roi le remercierait avec empressement et confierait le soin de le guérir aux plus habiles médecins ; mais si ces hommes de l’art lui disaient : Veux-tu que nous te guérissions de manière à laisser toujours paraître tes cicatrices ? il répondrait évidemment : Oui, je le veux ; car lorsque mes concitoyens me verront, ils me rendront grâces. Voilà, par comparaison, ce qu’il en est de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

4. « Et ne sois plus incrédule, mais fidèle[356] ». La foi consiste à croire ce que tu n’as pas vu. La divinité du Fils de Dieu est invisible ; aussi Jean dit-il : « Personne n’a jamais vu Dieu[357] ». Quand Moïse, l’ami de Dieu, voulut le voir, il lui dit : « Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vous, faites que je vous voie clairement et que je vous connaisse[358] ». « Le Seigneur lui répondit : L’homme ne me verra point sans mourir[359] ». C’est-à-dire, je suis invisible pour tout homme mortel. Au dire d’un docteur, les anges eux-mêmes, bien qu’ils se trouvent en présence de Dieu, ne voient sa divinité qu’autant que cela est nécessaire à leur salut. Et Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ![360] » Le bienheureux Thomas était un homme, et il voyait un Homme-Dieu : il a vu l’homme, et il a reconnu en lui un vrai Dieu. « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru[361] ». Nous voilà bien désignés dans ce passage, nous Gentils qui n’avons pas vu Notre-Seigneur Jésus-Christ incarné et mourant, et qui le reconnaissons, néanmoins, pour un vrai Dieu et un vrai homme. Pourquoi le Sauveur a-t-il employé le passé au lieu du futur ? Parce que ce qui est passé pour les hommes reste toujours présent devant Dieu. Voilà toujours comme s’exprime la sainte Écriture.

5. « Jésus a fait, en présence de ses disciples, plusieurs autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre[362] ». Par ce livre, nous pouvons entendre le livre des quatre Évangiles. Pourquoi tous ces miracles n’ont-ils pas été écrits ? Parce que, s’ils l’avaient été, ils auraient semblé incroyables aux hommes et dépassé les bornes de leur intelligence. « Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyez que Jésus est le Christ, Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom[363] ». Tout homme qui possède la vraie foi, et qui en rehausse l’éclat par ses bonnes œuvres a-t-il la vie ? Quelle est cette vie ? C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ ; car il a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[364] ». Daigne le Seigneur nous faire parvenir à la contemplation de cette vie.

SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON.
SUR L’ALLÉLUIA.

ANALYSE.—1. Le mot hébreu Alléluia a trois sens. Il signifie : —2. Premièrement : Chantez les louanges de Celui qu’est ; —3. Secondement : O Dieu, bénissez-nous tous ensemble comme ne faisant qu’un ; —4. Troisièmement : Louez le Seigneur.

1. Le mot hébreu qui retentit sans cesse dans l’Église, c’est-à-dire l’Alléluia, nous invite mes bien-aimés, à louer Dieu et à confesser la vraie foi. Dans notre langue, ce mot hébreu, Alléluia, signifie : Chantez les louanges de celui qui est ; ou bien : O Dieu, bénissez-nous tous ensemble comme ne faisant qu’un, ou plutôt. Louez le Seigneur. Autant de choses nécessaires à notre salut et à notre foi.

2. Nous devons chanter les louanges de celui qui est, ou parce que nous avons nous-mêmes chanté, ou parce que nos ancêtres ont longtemps chanté les louanges de ceux qui ne sont pas, c’est-à-dire des dieux des nations et des idoles. Mais puisque nous sommes venus à la foi et à la connaissance du vrai Dieu, nous avons commencé à louer celui qui est, ou, en d’autres termes, le Dieu tout-puissant, qui a créé le ciel et la terre, qui nous a tirés nous-mêmes du néant ; et qui a parlé à Moise en ces termes : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous[365] ». C’est le Dieu qui a toujours été, qui n’a jamais eu de commencement, qui demeure éternellement et n’aura jamais de fin. À lui appartient, de droit et en toute justice, l’expression de nos hommages ; car ce que nous sommes, notre vie même, est l’effet, non pas de notre volonté ou de notre puissance, mais de sa bonté toute miséricordieuse. Ce Dieu infini et bienfaisant, qui a été et qui est toujours, doit donc recevoir de nous des louanges dignes de lui et proportionnées à sa grandeur : oui, nous devons le proclamer éternel, tout-puissant, immense, auteur du monde, sauveur de l’univers ; oui, nous devons le dire hautement : il a tant aimé les hommes, qu’il est allé jusqu’à livrer son Fils pour leur salut ; car nous lisons ces paroles dans l’Évangile : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui ne périssent pas, mais qu’ils aient la vie éternelle[366] ».

3. Alléluia signifie donc : Chantez à celui qui est ; il signifie encore : Louez le Seigneur, ou bien : ô Dieu, bénissez-nous tous ensemble, comme ne faisant qu’un. Pour peu que nous y soyons attentifs, il nous est facile de remarquer combien ce sens est d’accord avec notre foi et notre salut. Nous prions, quand nous disons : Alléluia, que le Seigneur nous bénisse tous ensemble comme ne faisant qu’un. Si, tous ensemble, nous ne faisons qu’un par la foi, la paix, la concorde, l’unanimité de sentiments, nous pouvons louer le Seigneur d’une manière digne de lui ; nous méritons qu’il nous bénisse tous ensemble. Car voici ce qui est écrit : « Qu’il est bon, qu’il est doux, pour des frères, d’habiter ensemble[367] ». Et encore : « C’est lui qui fait habiter plusieurs dans une seule maison[368] ». Le Seigneur nous comble donc de ses bénédictions, si tous ensemble, nous ne faisons qu’un, c’est-à-dire si nous demeurons dans l’unité de foi, dans la concorde et la paix, dans les affectueux sentiments de la charité, selon le conseil et les avertissements de l’Apôtre : « Je vous en conjure », dit-il, « ayez tous une même manière de voir : ne souffrez point de divisions parmi vous, mais soyez tous parfaitement unis ensemble dans le même esprit et les mêmes sentiments[369] ». Si l’on rencontre parmi nous de la discorde, des déchirements, des dissensions, nous ne sommes pas dignes des bénédictions d’en haut ; et nous ne pouvons louer Dieu d’une manière digne de lui, tant que nous persévérons en d’aussi mauvais sentiments. Alors pouvons-nous répondre avec confiance, dans la langue de nos pères : Alléluia, c’est-à-dire, ô Dieu, bénissez-nous tous ensemble comme ne faisant qu’un ? Pouvons-nous mériter d’être bénis de Dieu tous ensemble et chanter dignement ses louanges ? Évidemment non. Le droit de répondre : Alléluia, n’appartient donc ni aux hérétiques, ni aux schismatiques, ni à aucun des adversaires de l’unité de l’Église, parce qu’ils ne se trouvent pas tous ensemble, comme ne faisant qu’un dans le sein de l’Église. Notre-Seigneur lui-même le déclare dans l’Évangile ; voici ses paroles « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; et celui qui n’amasse pas avec moi dissipe[370] ». Le propre du Christ est de former un seul tout ; celui du diable est de diviser et de disperser. Celui qui aune l’unité de l’Église suit le Christ, et celui qui se complaît dans la division marche sur les traces du diable, parce que le diable est l’auteur de la division ; c’est pourquoi Salomon a dit : « Il y a temps pour diviser et temps pour unir[371] ». Depuis longtemps le diable nous a divisés ; mais, plus tard, viendra le temps où le Christ nous réunira de nouveau. Aussi devons-nous éviter et fuir la discorde, puisque nous savons que le diable en est l’auteur, comme nous devons nous attacher à la paix et à l’unité de l’Église ; c’est ainsi que nous pourrons répondre dignement et avec justice, Alléluia, c’est-à-dire : Louez le Seigneur ; ou bien : ô Dieu, bénissez-nous tous comme ne faisant qu’un.

4. Voyez quelle grâce ce sens nous signale ! Chacun de nous répond en son particulier Alléluia ; par là nous sollicitons une bénédiction commune à tous, afin que chacun de nous ait sa part dans la bénédiction accordée à l’ensemble. Nous formons tous, en effet, un seul corps, le corps de l’Église ; c’est pourquoi nous devons tous n’avoir qu’une voix et qu’une âme : C’est-à-dire, nous devons tous nous unir dans la même foi, la même espérance, la même charité pour louer Dieu ; voilà aussi pourquoi Dieu daigne recevoir les hommages des justes et refuse ceux des impies et des pécheurs : il accepte ceux des catholiques et repousse ceux des hérétiques : il se montre sensible à ceux des fidèles, et insensible à ceux des infidèles. Agissons donc, conduisons-nous de manière à être dignes de louer Dieu et de voir s’appliquer à nous cette parole du Prophète : « Enfants, louez le Seigneur : louez son saint nom[372] ». Nous nous rendrons réellement à cette invitation, si nous obéissons avec fidélité, et en toutes choses, à la volonté de Dieu et à ses préceptes, moyennant la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l’honneur pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Traduction de MM. les abbés BARDOT et AUBERT. FIN DUTOME ONZIÈME.

  1. Luc. 17, 27
  2. Mat. 19, 21.
  3. Mat. 19, 22
  4. Id.23
  5. Id.26
  6. Id.24.
  7. Phi. 2, 8.
  8. Heb. 2, 14.
  9. Mat. 5, 2
  10. Job. 1, 21.
  11. Mat. 5, 4
  12. 1Co. 7, 29-31.
  13. Jac. 4, 2-3.
  14. Deu. 32, 39
  15. Exo. 20, 11
  16. Id.17.
  17. Lev. 19, 18.
  18. Deu. 6, 13.
  19. Exo. 20, 16.
  20. Psa. 111, 1.
  21. Id. 149, 5
  22. Psa 111, 10
  23. Isa. 5, 8.
  24. Mat. 25, 41.
  25. Id. 22, 13.
  26. Phi. 3, 20.
  27. Psa. 46, 10
  28. Jn. 1, 14.
  29. Psa. 17, 10.
  30. Eph. 4, 10.
  31. Id. 1, 5.
  32. Act. 1, 11
  33. Jn. 1, 11.
  34. Phi. 2, 11.
  35. Phi. 3, 21.
  36. Heb. 1, 3.
  37. Rom. 5, 12
  38. Id.19.
  39. Heb. 7, 26.
  40. Phi. 3, 21.
  41. Tit. 2, 13.
  42. Psa. 97, 7.
  43. Luc. 2, 14.
  44. Gal. 4, 4.
  45. Psa. 37, 7
  46. Voir la suite au tom. 7, page 131.
  47. Jn. 14, 28.
  48. Id. 10, 30.
  49. Mat. 28, 19.
  50. Jn. 1, 1
  51. Id. 2.
  52. Phi. 2, 7
  53. Id. 6
  54. Ibid, 7.
  55. Pro. 5, 15.
  56. Mat. 25, 41-42
  57. Dan. 7, 9
  58. Isa. 63, 1
  59. 1Co. 2, 7
  60. 1Co. 1, 24
  61. 2Co. 5, 19
  62. Rom. 8, 20
  63. Id. 22
  64. Rom. 8, 21
  65. Jn. 14, 28.
  66. Mat. 8, 20, etc.
  67. Apo. 8, 5.
  68. Psa. 49, 3
  69. 2Pi. 3, 12
  70. Psa. 96, 3
  71. Id. 5
  72. 1Th. 4, 11-18.
  73. Luc. 2, 14.
  74. Gen. 3, 19.
  75. Psa. 112, 1-3
  76. Luc. 1, 76.
  77. Psa. 148, 12.
  78. Mat. 1, 21
  79. Luc. 2, 14
  80. Psa. 4, 7
  81. Jn. 1,9.
  82. Mal. 4, 2
  83. Jn. 1, 9
  84. Psa. 44, 1
  85. Luc. 1, 26-33.
  86. Jn. 1,3.
  87. Psa. 4, 3-4
  88. Gen. 1, 26.
  89. Jac. 3, 9.
  90. Mat. 12, 35
  91. 1Co. 3, 16-17
  92. Jug. 15, 16
  93. Id. 18.
  94. Gen. 18, 11.
  95. Isa. 19, 1.
  96. Isa. 60, 8
  97. Ose. 11, 1.
  98. Psa. 95, 11
  99. Luc. 1, 28
  100. Id. 34
  101. Luc. 1, 35
  102. Id. 38.
  103. Id. 2, 14.
  104. Psa. 110, 9.
  105. 1Co. 1, 90
  106. Gal. 4, 4.
  107. Gal. 4, 4,5
  108. Jn. 1, 18.
  109. Gal. 4, 4-5
  110. Jn. 1, 12-13.
  111. Rom. 5, 12
  112. 1Ti. 2, 5.
  113. Psa. 44, 2.
  114. Rom. 5, 6.
  115. Psa. 8, 6.
  116. Psa. 80, 13
  117. Phi. 4, 4
  118. Luc. 2, 10.
  119. Jn. 3, 13
  120. Luc. 1,28
  121. Id. 31.
  122. Mat. 1, 21.
  123. Mat. 4, 4
  124. Luc. 20, 35.
  125. Rom. 5, 14.
  126. Psa. 125, 4.
  127. Psa. 67, 19 ; Eph. 4, 8
  128. 1Ti. 1, 15
  129. Jn. 1, 10.
  130. Mat. 28, 19-20
  131. Act. 1, 11
  132. Psa. 49, 3
  133. Jn. 1, 10
  134. Jn. 1, 29.
  135. Gen. 1, 26.
  136. Jn. 1, 1-3
  137. Id. 29.
  138. Luc. 1, 28.
  139. Luc. 2, 10-11.
  140. Jn. 14, 6
  141. Jn. 10, 30
  142. Id. 14, 10,11
  143. Id. 9
  144. Phi. 2, 6
  145. Mat. 16, 17
  146. Id. 16
  147. 2Pi. 1, 16
  148. Jn. 1, 1
  149. 1Jn. 5, 20
  150. Psa. 109, 3
  151. Id
  152. Exo. 3, 14
  153. Psa. 44, 2
  154. Hab. 3, 3
  155. Isa. 7, 16
  156. Jn. 14, 10
  157. Id
  158. Rom. 8, 9
  159. Psa. 57, 5
  160. Exo. 7, 12
  161. Jn. 10, 26
  162. Psa. 2, 9
  163. Psa. 18, 1
  164. Isa. 9, 2
  165. Jn. 1,29-36
  166. Psa. 43, 8
  167. Act. 10, 38
  168. Gen. 30, 37-43
  169. 2Co. 2, 15
  170. Psa. 27, X
  171. Hab. 3, 3
  172. Luc. 1, 35
  173. 1Co. 2, 14
  174. Psa. 44, 15
  175. Eph. 4, 5
  176. 1Pi. 2, 2
  177. Mat. 5, 8
  178. Exo. 3, 6
  179. Nom. 24, 17-18
  180. Luc. 1, 79
  181. Isa. 11, 1
  182. Ecc. 12, 5
  183. Eph. 4, 14
  184. Mat. 3, 16-17
  185. Id. 2, 1,2
  186. Isa. 60, 6
  187. Nom. 24, 17
  188. Psa. 71, 10-11
  189. Id. 8-9
  190. Id. 67, 31,33
  191. Sop. 2, 11
  192. Sop. 3, 9,10
  193. Psa. 32, 9
  194. Psa. 18, 6
  195. Deu. 32, 39
  196. Mat. 2, 2
  197. Isa. 8, 4
  198. Psa. 97, 1
  199. Id. 2
  200. Luc. 3, 22
  201. Psa. 103, 15
  202. 2Co. 2, 13
  203. Jn. 18, 36
  204. Luc. 1, 33
  205. Mat. 3, 15
  206. Id. 16
  207. Act. 7, 38
  208. Mat. 3, 16
  209. Id.3
  210. Jn. 2, 24
  211. Id. 3
  212. Jn. 1,18
  213. Mat. 3, 17
  214. Mat. 12, 35
  215. Voir le premier supplément, sermon LXV.
  216. Jol. 1, 14
  217. Ce discours est tout à fait digne de saint Augustin.
  218. 2Co. 6, 2
  219. Mrc. 9, 28
  220. Isa. 58, 6-9
  221. Isa. 58, 3
  222. Dan. 13, 42
  223. Isa. 58, 3,4
  224. Isa. 58, 5
  225. Id. 6
  226. Jn. 3, 15
  227. 1Co. 11, 29
  228. Can. 3, 11
  229. Psa. 44, 2
  230. 2Co. 3, 6
  231. Pro. 8, 15
  232. Psa. 71, 1
  233. Col. 1, 20
  234. Eph. 2, 17
  235. Luc. 2, 14
  236. Eph. 4, 3
  237. Jn. 14, 27
  238. Psa. 47, 2
  239. Phi. 3, 20
  240. Mat. 21, 1 et suiv.
  241. Psa. 19, 8
  242. Mat. 21, 5
  243. Can. 3, 11
  244. Psa. 44, 8
  245. Psa. 8, 6
  246. Rom. 8, 17
  247. Heb. 13, 17
  248. Mat. 21, 20-22
  249. Id. 23
  250. Rom. 2, 5
  251. Mat. 26, 24-25
  252. Id. 30-35
  253. Id. 48
  254. Psa. 37, 12
  255. Pro. 27, 6
  256. Psa. 40, 10 ; Jn. 13, 14
  257. Mic. 7, 6 ; Mat. 10, 38
  258. Mat. 27, 10
  259. Luc. 21, 1-3
  260. Psa. 1, 6
  261. Luc. 23, 42
  262. Luc. 23, 13
  263. Jn. 3, 5
  264. Id. 19, 31
  265. Heb. 12, 22-24
  266. 1Co. 5, 8
  267. 2Co. 4, 10
  268. Voir le sermon CCXXIV.
  269. Rom. 13, 12
  270. Gal. 3, 27
  271. Psa. 34, 10
  272. Gen. III, 4,5
  273. Gen. 3, 4,5
  274. Id. 5
  275. 1Co. 3, 7
  276. Psa. 117, 24
  277. Psa. 138, 12
  278. Psa. 147, 17
  279. Isa. 9, 2
  280. Phi. 2, 10
  281. Psa. 115, 11
  282. 1Co. 15, 51,55
  283. Gen. 3, 19
  284. Jn. 12, 24 et suiv
  285. 1Co. 15, 20
  286. Gen. 49, 9
  287. Psa. 56, 9
  288. Psa. 56, 9
  289. Col. 10, 18
  290. Rom. 6, 8
  291. Col. 3, 1
  292. 2Ro. 13, 21
  293. 2Ro. 4, 8 et suiv
  294. Heb. 3, 5
  295. 1Pi. 2, 9
  296. Eph. 1, 13
  297. 1Co. 5, 7
  298. Col. 3, 1
  299. 1Co. 2, 13
  300. Id. 5, 7
  301. Eph. 4, 22-24
  302. Exo. 12, 11
  303. Jer. 11, 8, 12
  304. Hab. 3, 14
  305. 1Ti. 2, 5
  306. Rom. 4, 25
  307. Psa. 117, 26
  308. Id. 27
  309. Id. 125, 5
  310. Jn. 1, 12
  311. 1Pi. 2, 2
  312. Phi. 4, 7
  313. Jn. 21, 17
  314. Act. 10, 39-41
  315. Jn. 21, 17
  316. Mat. 9, 4
  317. Luc. 9, 47
  318. 1Ro. 8, 39
  319. Psa. 7, 10
  320. Mat. 16, 16
  321. Jer. 1, 8
  322. Rom. 8, 29-30
  323. Mat. 10, 22
  324. Mat. 28,9
  325. Luc. 24, 18
  326. Mat. 16, 13
  327. Mat. 16, 14
  328. Id. 15-18
  329. Id
  330. Id
  331. Luc. 24, 21
  332. Luc. 23, 42
  333. Jn. 14, 6
  334. Mat. 27, 42
  335. Mrc. 16, 7 ; Mat. 28, 6
  336. Mat. 28, 6
  337. Mat. 8, 29
  338. Gen. 1, 28
  339. Mat. 11, 12
  340. Luc. 23, 13
  341. Gen. 12, 1
  342. Id
  343. Id. 32, 30
  344. Id. 15, 6
  345. Isa. 6, 1
  346. Eze. 10, 4
  347. Zac. 3, 1
  348. Luc. 23,
  349. Mat. 27, 40
  350. Luc. 4, 9
  351. Id. 22, 37
  352. Jn. 20, 34
  353. Luc. 24, 33-36
  354. Jn. 20, 25
  355. Jn. 20, 27
  356. Jn. 20, 27
  357. 1Jn. 4, 12
  358. Exo. 33, 12
  359. Id. 20
  360. Jn. 20, 28
  361. Jn. 20, 29
  362. Id. 30
  363. Id. 31
  364. Id. 14, 6
  365. Exo. 3, 14
  366. Jn. 3, 16
  367. Psa. 133, 1
  368. Psa. 67, 7
  369. 1Co. 1, 10
  370. Luc. 11, 23
  371. Ecc. 3, 5
  372. Psa. 112, 1