Sous le masque
Méconnue
Je ne livrerai pas mon âme à cette foule
Qui ne comprendrait pas sa douceur et son mal ;
Je la laisse passer comme un flot qui s’écoule,
Sans rien lui dévoiler de mon secret vital.
Elle ne saura rien ; l’espoir et la tendresse,
Rien de ce qui frémit et brûla dans ma chair,
Elle ne saura rien surtout de ma faiblesse,
Des pleurs délicieux qui me furent si chers.
Allez, cortège obscur des êtres anonymes,
Visages froids, ainsi que des visages morts,
Vous ne verrez jamais la flamme qui m’anime.
Jamais le désespoir et jamais le remords,
Car les beautés du cœur, vous les changez en vices,
L’élan vers la chimère et l’élan vers le bien,
Vous dites que ce sont des calculs, que flétrissent
Vos esprits froids et secs qui jamais n’aiment rien.
Tous les rêves charmants, tous les rêves splendides,
Vite vous les couchez avec férocité
Sous le doute mauvais, et le rire stupide.
Sous l’implacable effort de votre obscurité.
Aussi, je garderai devant vous, le silence,
Je me contenterai de sourire, et de voir
Défiler vos troupeaux et ses reflux immenses
Qui font le ciel plus triste et le monde plus noir.
LEURS MASQUES
Leurs Masques
On dirait que leurs traits sont pétris dans la cire,
Tant ils sont froids, et durs, et faits de pureté ;
Rien ne pourrait troubler le calme du sourire,
Et la candeur, flottant dans leurs yeux sans clarté.
Elles n’ont que mépris, pour celles, que l’amour
De sa fièvre et de sa chaleur aura brûlées,
Elles ont l’air d’avoir la même horreur, toujours,
Des cœurs trop grands ouverts, des formes dévoilées.
Mais ces visages sont trop purs : ce sont des masques !
Et si l’on soulevait la cire, l’on verrait
Les désirs imprévus, les caprices fantasques,
La flamme des espoirs et des plaisirs secrets.
L’on y verrait le goût des lèvres étrangères,
Les désirs si profonds, qu’ils font plier les corps,
L’on y verrait la trahison et l’adultère,
Les baisers si puissants, qu’ils chassent les remords !
Alors, pourquoi jeter la pierre à vos semblables ?
À celles qui, sentant le parfum de la chair,
Qui les baigne et les prend comme une onde admirable,
S’en vont sur ce parfum, comme on va sur la mer.
Pourquoi tant de mensonge et tant d’hypocrisie ?
Quoi ! vous cachez ce dont il faut s’enorgueillir ;
Et quand vous possédez la richesse infinie
De l’amour, vous pouvez ainsi l’ensevelir !
Ah ! comme j’aime mieux celles qui se dévoilent !
Toute l’âme ! et qui vont tendant leur cœur blessé
Aux clartés du soleil, aux rayons des étoiles,
Avec un goût d’aimer qui n’est jamais lassé !
Elles ont plus d’orgueil que vous, plus de courage,
Ayant semé le grain à la face des deux !
Dans la prairie, elles récoltent davantage ;
Elles souffrent bien plus : elles aiment bien mieux !
COURTISANE
Courtisane
Mes bras se sont ouverts et se sont refermés,
J’ai bu tous les poisons aux coupes exaltantes,
Et si c’est un péché d’avoir beaucoup aimé,
Je veux le premier rang parmi les pénitentes !
Les plaisirs de la chair, se sont sur moi, posés,
La lèvre m’a meurtrie et la dent m’a blessée,
Je porte avec orgueil la trace des baisers,
Je n’ai rien désiré que d’être caressée.
Je ne regrette pas les beaux soirs innocents,
La calme pureté des cœurs de jeunes filles,
Moi qui ne peux calmer la fièvre de mon sang,
Ni l’éclair de mes yeux, quand la volupté brille.
De l’amour prodigué le long des jours passés,
Des baisers pénétrants, sur les lèvres que j’aime,
De ces morceaux de fleurs, entre mes doigts froissés,
J’ai fait un pur collier de perles et de gemmes.
Je porte fièrement ce mystique joyau,
Dont l’éternel éclat me brûle jusqu’à l’âme :
Moi, que l’amour aura manquée à mon berceau,
J’entraîne vers sa loi, le cortège des femmes.
REQUIESCAT IN PACE
Requiescat in Pace
mort au champ d’honneur (1914).
(Qu’il repose en paix !).
Où donc repose-t-il à présent, l’être cher ?
Dans le creux de quel arbre ou sous quelle colline ?
Quel oreiller soutient son beau visage clair ?
Sur quels draps argileux crispe-t-il ses mains fines ?
Autrefois, sur mon bras, il dormait tendre et fier ;
Je voyais son regard à travers ses paupières,
A-t-il pris, pour mourir, sa pose familière ?
Et ses yeux sans regards, peut-être, sont ouverts ?
Je n’écarterai plus ses cheveux sur sa tête,
Je ne le verrai plus sourire en s’éveillant,
Je ne connaîtrai plus la délicate fête
De prendre, en un baiser, la gaîté de ses dents.
Que n’ai-je pu du moins, charmer sa dernière heure !
Éclairer la douleur et l’ombre du chemin ;
Pour qu’il sente qu’une âme est près de lui, qui pleure,
Que je borde son lit de mes tremblantes mains.
Mais non ! le lit est fait de feuilles et de terre,
C’est un lit à la fois, étroit, vaste et glacé…
Sans couronnes de fleurs, sans cierges mortuaires,
Je ne sais où — là-bas — est mort le bien-aimé !
AUX MORTS INCONNUS
Aux morts Inconnus
Je ne sais pas leur nom : j’ignore leur visage
Avaient-ils des teints mats avec des cheveux d’or ?
Chérissaient-ils les arts, l’amour et les voyages ?
Je ne sais pas leur nom ; mais je sais qu’ils sont morts.
Que de bons compagnons qui turent leurs pensées,
Et que d’amis charmants que je n’ai pas connus :
Peut-être le destin pour eux, m’avait donné
Des rendez-vous, auxquels ils ne sont pas venus !
Peut-être étions-nous faits pour si bien nous comprendre,
Que, si nous nous étions pressé la main, un jour,
Cela nous aurait fait une étreinte si tendre,
Que nous aurions gardé l’étreinte pour toujours.
Que de bonheurs perdus qu’à refusés la vie !
Que de divins hasards qui n’auront pas eu lieu !
Que d’ivresses d’amours qui nous seront ravies,
Sans que même la flamme en naisse au fond des yeux !
Amis, de vous savoir quelque part sur la terre,
Était mon espoir sûr et mon futur trésor,
Sans vous, comme je suis à présent solitaire !…
Qu’ils me sont doux et chers ! tous les Inconnus morts !
DÉSESPÉRANCE
Désespérance
Vous entr’ouvrez la porte et souriez de suite !
En disant « Ce n’est rien, vous allez être mieux ! »
Je sens mon sang courir, mon cœur battre plus vite.
Des pleurs légers et doux montent jusqu’à mes yeux.
Si longue fut la nuit de torpeur et de fièvre ! —
J’ai tellement tordu les draps entre mes doigts,
Avec le front si moite et la bouche si sèche.
Que je croyais souffrir pour la première fois !…
C’était un infini d’ombre, sans espérance,
Où l’astre de la lampe, immobile, était seul ;
Ivre de ma douleur, j’écoutais le silence,
Comme une morte, réveillée dans son linceul !
Mais vous m’apparaissez : et c’est toute l’aurore,
Mes cauchemars sont morts et je vous tends les bras !
Vous êtes la clarté du bien qui vient d’éclore,
Et le soleil humain qui me réchauffera !
Ah ! que la vie est loin ! ses dégoûts, ses outrages,
Devant cette bonté qui rayonne de vous,
Et comme vous donnez de force et de courage,
Avec votre regard si puissant et si doux !
IDÉAL
Idéal
On est las, on a mal, tout est si difficile !
On voudrait partir loin, mais où ? sur quelles mers ?
Toujours une vapeur cache les belles îles,
On a peur de l’adieu qui serait trop amer.
Je veux réaliser les songes impossibles,
Cueillir les fruits parfaits, des merveilleux jardins,
M’enivrer longuement de parfums indicibles,
Prendre le bleu des soirs dans mes petites mains.
Je veux fouler, là-bas, la vallée enchantée,
Vaincre les magiciens, voir les palais d’amour.
Blanche et seule, marcher dans les forêts hantées,
Porter la rose d’or au sommet de la tour.
Je veux m’en aller loin, sans retourner la tête,
Sans voir les vieux bonheurs qui me tendent les bras,
Sans entendre surtout cette chanson secrète,
Que chante le passé à ceux qui n’oublient pas
Et si je dois tomber dans la divine course,
Si la nuit doit voiler les clartés de mon corps,
Que du moins, j’aie bu l’eau, de la magique source,
D’où coulent le plaisir, la douleur et la mort.
LES PIPES
Les pipes
C’est ici le palais du jade et de l’ivoire
La maison du repos, du rêve et de l’oubli
La fumée en dansant tourne splendide et noire
Les coussins amassés enrichissent le lit.
Sur tes tables de laque et sur les étagères
Des pipes aux longs cols, aux fourneaux ciselés
Incrustés de saphirs aux volutes légères
Emprisonnent le vol des songes étoilés
L’une a deux yeux fermés, ainsi que la chimère
Et l’autre est une fresque et la troisième un arbre,
D’autres semblent rêver à des heures amères
Et la cinquième est pâle avec des tons de martre.
Ce bambou frêle vient d’une île orientale
Que balançait le fleuve et que berçait l’été
Et cette lourde pipe aux nuances d’opale
Fut teinte un soir du sang d’un roi décapité.
Cette petite est torse et semblable aux reptiles
Elle cache perfidement parmi ses sœurs
Une âme insatiable invisible et subtile
Qui mord comme un venin le fond même du cœur.
Avec un lotus d’or qui s’enroule à sa hampe
La plus belle est le sceptre étincelant des nuits
Elle ordonne au silence et commande à la lampe
De verser tous les songes à nos yeux éblouis.
Ô peuple des bambous, ô foule taciturne
Petit musée où s’est enclos l’immense espoir,
Donne-moi le parfum de l’ivresse nocturne
Et rends-moi la magie éternelle du soir
Car je suis de celles, qui courbées sur la terre
Cherchant du sombre amour les mystères secrets
Et préférant au jeu le rêve solitaire
Poursuivent le bonheur sans l’atteindre jamais.
MES SŒURS MÉLANCOLIQUES
Mes sœurs mélancoliques
Comme je vous comprends, mes sœurs mélancoliques
Et comme je vous aime en vous voyant pleurer,
Vous dont, le cœur se brise au souffle des musiques
Et pour qui tous les vents sont chargés de secrets.
Je vois Celle qui rêve au bord de la fenêtre
Celle qui se détourne et qui mord son mouchoir,
Celle qui dit « qui sait ? » celle qui dit « peut-être ? »
Celle qui ne dit rien et regarde le soir.
Je vois la délaissée et ses tresses défaites
Sa robe qu’une main chère n’ouvrira plus
Et tous les baisers morts sur sa lèvre muette
Et les baisers vivants, désormais superflus.
Je vois tous les chagrins qui traînent par la ville,
Les désespoirs assis le long des boulevards.
J’entends tous les sanglots des longues nuits stériles
Les sanglots étouffés dans les chambres épars.
Je souffre de l’attente et je souffre du doute
Je m’agenouille aussi, je verse tous les pleurs.
Vos peines, ô mes sœurs, je les éprouve toutes,
Vos chagrins mille fois m’ont traversé le cœur.
J’ai retrempé ma chair et retrempé mon âme
Au fleuve de douleur qui nous baigne toujours
Au feu vivifiant qui vous consume, ô femmes,
Ô mes sœurs qui portez le fardeau de l’amour !
LES COLOMBES
Les Colombes
Quand les colombes seront mortes
Dans le colombier du jardin,
Lorsque viendront les feuilles mortes
Et le vent parmi les sapins,
Ne manquez pas de me le dire :
Elles portaient au ciel profond
L’esprit de ce que je désire.
Lorsque les colombes mourront,
Ne manquez pas de me le dire.
Ce sera par un clair dimanche ;
Avec un bouquet, je viendrai,
Un grand bouquet de roses blanches
Sur le tombeau, j’effeuillerai
Un grand bouquet de roses blanches.
Et ce jour-là, dans l’air tranquille,
Toutes les cloches sonneront ;
Colombes blanches et graciles !
Des plus beaux jours de la saison,
Toutes les cloches sonneront.
Les jeunes filles du pays
Me feront signe de leur porte :
— Venez donc vous asseoir ici —
Mais sauront-elles mon souci
Et que les colombes sont mortes ?
Mes pleurs tomberont sur la terre.
Et la porte du colombier,
Désormais vide et solitaire,
Battra comme un cœur oublié :
Mes pleurs couleront sut la terre.
Et ce sera l’automne obscur
Et sa robe de feuilles mortes,
Et mon âme, qu’un rêve emporte ;
N’ira plus à travers l’azur —
Car les colombes seront mortes.
LA BLESSURE
La blessure
Je rêve, il fait nuit et le lit est froid,
Auprès du miroir, la veilleuse brille,
Et mon bien-aimé se penche vers moi
Et pique mon cœur, d’une longue aiguille.
J’ai beau regarder quand vient le matin,
Je ne trouve pas trace de blessure,
Pas de sang séché qui tache mon sein…
Mon cœur fut pourtant percé, j’en suis sûre.
Pour que j’aie si mal, dis-moi, qu’as-tu fait ?
Si mal à mon corps, si mal à mon âme,
Cette nuit, j’ai vu, quand tu te penchais,
Mon sein fut brûlé d’une grande flamme
Ah ! c’est donc cela que je souffre tant !
Tu n’as pas plongé dans mon sein sensible,
L’aiguille entrevue, la nuit, en rêvant.
Tu mis un baiser, c’était plus terrible.
LE LYS
Le Lys
Je vois, dans le jardin, sur le bord des étangs
Un grand lys, au milieu des roses tourmentées ;
Il a le même éclat, dans le même printemps,
Que les fleurs, comme lui, par le vent, agitées.
Mais il se courbe avec plus de noblesse qu’elles,
Comme s’il supportait un poids de souvenirs,
C’est une fleur plus pure, une fleur plus fidèle,
Ayant tant de fierté, qu’on n’ose la cueillir.
Avec tes cheveux blonds et ton regard tranquille,
Ton buste long et droit, la blancheur de tes mains,
Tu ressembles, ma fille, à ce lys immobile
Qui médite au milieu des roses du jardin.
Et moi, qui suis la fleur, que tous les vents tourmentent
Après l’orage, j’aime à m’appuyer sur toi,
Sur ton calice blanc et ta tige charmante,
Ma fille aux blonds cheveux, ô beau lis pur et froid.
L’ENFANT ABANDONNÉ
L’enfant abandonné
Ne pleure pas petit, je te prends dans mes bras
Et je te servirai de compagne et de mère,
Moi, je t’aimerai mieux, si l’on ne t’aime pas
Un enfant est plus beau quand il est solitaire
Sois sans crainte, une main te tiendra par la main
Te conduira plus loin et séchera tes larmes
Et, de la vie avec ses arides chemins
Te montrera l’ennui, l’amertume et le charme.
Tes vrais parents sont-ils les vrais ? ils t’ont quittés
Un enfant qui s’éveille est comme un feu qui brille.
Je veux t’apprendre à vivre avec de la beauté.
C’est le cœur qui choisit, qui se fait sa famille.
Lorsque tu seras grand, enfant, tu partiras.
Va, ne me dis pas non, c’est une loi très vieille,
Et sage cependant, qui fait qu’on est ingrat
Qui fait l’histoire des enfants toujours pareille.
Tu partiras, tu t’en iras, toi que j’aimais
Vers des baisers, vers des douleurs, des bien-aimées
Je ne t’en voudrai pas, rien n’arrête jamais
La force de la vie et de sa destinée.
LE SECRET
Le Secret
Avec des lys et des roses
Je veux, faire un gros bouquet
Sous leurs étamines closes
Je cacherai mon secret.
Je le cacherai si bien,
Que de ces fleurs qui t’embaument,
Tu respireras l’arôme
Mais que tu ne sauras rien.
Et puis les fleurs seront mortes,
Riant, tu les jetteras ;
Et le vent, devant ta porte,
Au loin, les dispersera.
Mon secret où sera-t-il ?
Dans la neige ou dans la bruine ?
Où sont le cœur des pistils ?
Et l’âme des étamines ?
Alors, tu te douteras
Peut-être, de quelque chose,
Et dans le soir, tu courras
Retrouver les vieilles roses.
Mais l’ombre sera passée
Et le vent sera venu,
Et les amours dispersées,
Le secret sera perdu.
LE PAGE
Le Page
Je vous vois au milieu des coussins, des étoffes,
Dans un palais bizarre et lourd ;
Vous maniez le luth et vous chantez des strophes
Et votre toque est en velours.
De grands lévriers blancs, sur les tapis s’allongent
Et vous mordent indolemment,
Et vous les caressez, en suivant, de vos songes,
Le cours incertain et charmant.
Je viens, derrière vous, page à la tête blonde,
Et mon bras saisit votre cou,
Pour mettre un long baiser, de mes lèvres profondes,
Sur votre bouche, tout à coup.
Le soleil, à travers, les vitraux en ogive,
Met les derniers rayons du soir
Et ses feux, par moments, jettent des lueurs vives
Sur votre pourpoint mauve et noir.
Alors, tout le luth que votre main effleure,
Et la strophe que vous disiez
S’envole au séjour bleu des poèmes qui meurent,
Pendant que s’en vont les lévriers.
Et le soir, des vitraux, continue à descendre.
L’air est embaumé de jasmin,
La lumière devient de la couleur des cendres,
Je distingue à peine vos mains.
Et nous restons, parmi les ombres des tentures
Le baiser est plus long toujours.
Je ne vois plus que l’or de votre chevelure,
Sous votre toque de velours…
II
Lorsque vous viendrez,
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HOLIDAYS
Holidays
Ce Jour-là, le soleil et le ciel seront doux.
Au détour du chemin, me voyant apparaître,
Lorsque j’agiterai mon ombrelle vers vous
Vous sourirez de loin, et vous direz — « Peut-être ». —
Ce jour-là, le soleil et le ciel seront clairs…
Je serai près de vous, au fond de la voiture,
Nous irons, par les champs et par les bois déserts,
Vous me tiendrez la main et direz — « Je le jure ». —
Ce jour-là, le soleil et le ciel seront gris…
L’automne déclinant, bercera les allées,
(Les vacances toujours finissent sous la pluie),
Je dirai « Au revoir » — Vous direz « Bien-aimée ».
Ce jour-là, le soleil et le ciel seront doux…
Nous serons revenus un an après, à peine,
Dans la ville d’été des derniers rendez-vous,
Où chanteront pour moi, les paroles lointaines.
L’air vivra des parfums dont moi je me souviens…
Les fleurs continueront de pleuvoir sur les routes.
Au tournant du chemin, je vous verrai sans doute…
Mais qui sait ? Ce jour-là, vous ne me direz rien.
LES LETTRES
Les Lettres
Ô souvenirs dormant aux plis des vieilles lettres !
Vous êtes délicats, profonds doux et charmants.
L’une disait : « Toujours » — l’autre disait « Peut-être »
Vous portiez les espoirs et les enchantements
Dans les lettres d’amour, ô souvenirs dormants !
De vos feuillets jaunis, mon cœur d’autrefois monte
Vers mon cœur d’à présent, et qui n’a pas changé…
Mais en vous feuilletant, je m’attriste et j’ai honte,
Je viens d’écrire encor, le sens n’a pas changé
Et c’est le même amour toujours qui se raconte.
Dans les lettres d’antan, une lettre nouvelle
Est un étranger blanc qui porte un beau secret.
Ah ! voici la plus jeune et voici la plus belle,
Et pourtant votre tour viendra sûr et fidèle,
Et vous irez dormir aussi dans le coffret.
UN JOUR VIENDRA
Un jour viendra
Dire qu’un jour viendra, je ne t’aimerai plus ;
Dans l’éparpillement des rêves et des choses
Le beau feu s’éteindra, le livre sera lu,…
J’aurai laissé tomber le miroir et la rose.
Que toi, tu sois cruel avec moi, sans raison
Où que ton égoïsme ait trompé ma tendresse,
Où que j’apprenne un jour, même ta trahison,
Ah ! qu’importe, en moi seule, est la grande tristesse
Ne plus sentir ma main, sur la tienne, frémir,
N’avoir plus, me serrant contre toi, chaud à l’âme,
Perdre la faculté d’attendre et de souffrir,
Sentir l’indifférence emplir ma chair de femme !
Retrouver le trésor, que j’avais fait le tien,
Être riche soudain de toutes mes caresses,
Ne pouvoir rien donner ayant tant de richesses ;
Voilà le plus grand mal auquel on ne peut rien.
Dire qu’un jour viendra, dans un autre visage,
Je scruterai l’espoir, la crainte et le désir,
Je recommencerai le merveilleux voyage,
J’aurai la volupté charnelle de souffrir.
Je mordrai tendrement au pain que sont les lèvres,
Et je m’enfoncerai dans l’océan des yeux,
Si vaste et si profond et qui roule des fièvres
Des charmes, des douceurs et des soirs orageux.
J’aurai tous les frissons et toutes les angoisses,
Les baisers morts seront follement refleuris ;
Je serai le bouquet qu’on saisit et qu’on froisse ;
Et tout cela sera sans toi… que je chéris !
Se peut-il que la vie ait de telles puissances,
Que le bienfait, subtil et rare, soit perdu ?
Que le bonheur change de nom, et d’apparence ?
Se peut-il qu’un jour vienne, — où je ne t’aime plus ?
LES YEUX
Les Yeux
Je vois dans tes yeux clairs, l’innocence et le mal,
Tous deux me sont un vin puissant dont je suis grise,
Et j’aime également le bel éclair loyal
Et cette ruse par laquelle je suis prise.
J’ai beau connaître, au coin de ta lèvre, le pli
Qui donne tant de charme à ton moindre mensonge,
Je préfère ignorer ce que ta bouche dit,
Sur ta sincérité, échafauder mes songes.
Je vois, dans tes yeux clairs, la faiblesse et l’orgueil ;
Et l’orgueil est si haut, la faiblesse est si grande,
Et je fais à tous deux, pourtant le même accueil,
Et leur tends simplement mon amour en offrande.
Car je te sens si faible et si fort à la fois,
Qu’en même temps, j’éprouve et la crainte et l’envie,
De te serrer comme un enfant, tout contre moi
Ou de m’agenouiller pour te donner ma vie.
PLUS DE QUERELLES
Plus de querelles
Si nous nous retrouvions après, si las, si tristes,
Que nous ne pourrions plus, même tendre les bras,
Si le grand vent mauvais, à qui rien ne résiste,
Emportait des bonheurs que nous ne savons pas.
Rends-moi tes mains, rends-moi tes yeux, rends-moi tes lèvres,
Et laissons cette ardeur du mal dont nous souffrons,
Pour retrouver encor la langoureuse fièvre,
La volupté qui dort, au creux du lit profond.
Mais non, tu ne veux pas céder ; et moi, j’oublie
Les résolutions, le désir d’oublier…
Les deux chers ennemis, que le même amour lie,
Vont chercher, sans faiblir, à se faire pleurer.
Tu me déchireras avec des mots qui blessent,
Et je te ferai mal avec des souvenirs…
La cendre étouffera la flamme des caresses,
Nous verrons le bouquet délicat se ternir.
Sans arrêt, sans repos, de l’arme des paroles,
Nous frapperons tous deux, sur nos cœurs, tour à tour.
Avec les mots amers, terribles ou frivoles,
Nous aurons lapidé notre si bel amour.
FANTÔME
Fantôme
Une grande colère emplit mon cœur, parfois.
Je voudrais le savoir malheureux, loin de moi,
Je voudrais qu’il m’appelle avec toute son âme,
Et qu’il soit dévoré de notre ancienne flamme…
Une grande pitié, parfois emplit mon cœur,
Je sens s’évanouir les regrets, les rancœurs,
Je le plains d’avoir méconnu notre tendresse,
D’avoir interrompu la chaîne des caresses,
D’avoir éparpillé les perles des espoirs ;
Je le plains d’être seul et de ne pas savoir…
— Parfois un grand désir à nouveau me possède :
Je songe à ce berceau charmant de ses bras tièdes,
Aux paroles d’amour, qu’il disait doucement,
Au vin de plaisir, bu, sur ses lèvres d’amant.
— Mon cœur s’emplit parfois d’une grande fatigue ;
De mes chers sentiments, je ne suis plus prodigue :
Un vent froid a passé sur moi, qui m’a glacée.
Quand je jette un regard sur les choses passées,
Je vois un champ semé de ronces et d’orties.
Où ne croît plus la fleur d’aucune poésie,
Et celui que j’aimais avec tout mon désir,
N’est plus qu’un souvenir parmi des souvenirs.
CE QUI MEURT
Ce qui meurt
Pourquoi faire du mal à nos chers souvenirs ?
Sur le bord du passé, ils fleurissaient encore ;
C’était comme un bouquet qui ne veut pas périr
Brillant des gouttes d’eau des anciennes aurores.
Pourquoi le froissez-vous, de vos mains, sans raison,
Ce printemps de l’hiver, ce bouquet de décembre,
Il me chauffait encor de ses exhalaisons…
C’était l’âme du soir qui vivait dans ma chambre.
Pourtant ces souvenirs, c’était un peu de vous,
N’étaient-ce pas vos soins qui les avaient fait naître ?
Vous les faisiez grandir, vous en étiez jaloux,
— Non, rien de tout cela, sans vous, ne pouvait être.
Alors ne tuez pas ces morts, encor vivants,
Qui furent vos bonheurs et vos espoirs, les nôtres,
Ils se lèvent la nuit, pour nous parler souvent,
Pour vous dire mon nom, et me dire le vôtre.
Laissez le souvenir reposer dans le lieu
Choisi par notre oubli et par notre détresse,
Et n’allez pas ternir la beauté de l’Adieu,
Et du passé, sous sa couronne de tristesse.
CHAMBRE D’HÔTEL
Chambre d’hôtel
Je vous aime, chambre d’Hôtel, porte banale
Grands murs muets et nus où l’on est si bien seul,
Des âmes d’inconnus, des meubles morts, s’exhalent.
La blancheur du plafond fait penser au linceul.
Des pas dans le couloir, comme les souvenirs
D’un esprit fatigué, résonnent quelquefois,
Et l’électricité est cruelle à mourir…
Derrière la cloison se répondent des voix.
Là nulle intimité n’atteste la tendresse,
Pas d’objets familiers, pas de portraits aimés,
Le canapé n’a pas d’empreinte de caresse
L’on peut ne pas penser, garder son cœur fermé.
Enfin ! Le rêve est doux, la solitude est belle !
Dans un cadre muet anonyme et commun
On entend plus chanter la musique éternelle
Des amours disparus et des baisers défunts.
On entend plus chanter les fausses espérances
Tout ce que le passé garde de décevant.
Je vous aime, chambre d’Hôtel, pour le silence
Et votre odeur d’ennui de cendre et de néant.
CE QUI REVIT
Ce qui revit
On a beau verser des larmes,
Le soleil luit aux carreaux.
Il a de si puissants charmes,
Qu’il fait des bonheurs nouveaux
Avec les anciennes larmes.
Ce qu’on croyait éternel
Disparaît en quelques heures.
Le clair matin nous effleure,
Avec un peu de son ciel…
Et plus rien n’est éternel.
Si l’on s’en va dans la rue,
Sous la splendeur de l’été,
Mille formes apparues,
Offrent leur diversité
Si l’on s’en va dans la rue,
On rencontre des visages
Qui vous paraissent très doux,
Et l’on voit des paysages
Pour de futurs rendez-vous
Charmer de nouveaux visages.
Quel mystère est dans les yeux ?
Que de baisers, que de songes !
Que de retours ; que d’adieux
Paraissent dans le mensonge
Et le mystère des yeux.
Que la vie est riche et belle,
Les matins ensoleillés,
Lorsque l’esprit a des ailes,
Lorsque l’on sait oublier !
Que la vie est riche et belle !
VENISE
Venise
Gondole qui jadis portas mon espérance
Entre les vieux palais et leurs Sveltes piliers,
Gondole des soirs bleus, gondole du silence
Où donc es-tu, gondole, avec ton gondolier ?
Tu promènes peut-être encore un autre couple,
Vers la place Saint-Marc et ses milliers d’oiseaux,
Elle aussi met sa main, parmi les cheveux souples
De son ami, serrés dans le même manteau.
Ô mirage du ciel, mourant dans les eaux mortes
Je revois la gondole où je reviens m’asseoir,
Le même glissement de la rame m’emporte :
Je défaille d’amour sur le petit banc noir.
Je revois défiler dans la ville des doges
Les seuils de marbre, où sont des visages sculptés
Et les patriciens, splendides, sous leurs toges,
Avec leurs mains de pierre, ont l’air de m’appeler.
Les dômes et les tours, parmi les eaux verdies,
Se reflètent ; les ponts ombrent les flots dormants,
Et les soleils couchants versent des incendies…
Et quelque chose, en moi, se consume ardemment.
Venise ! ô souvenirs ! soirs de feu, nuits de lune !
Sur la tour de Saint-Marc, ne volent plus d’oiseaux,
La gondole fantôme erre sur la lagune,
Et mon ancien amour se traîne sur les eaux.
RIVIERA
Riviera
Les matins sont si clairs et les nuits sont si chaudes,
L’odeur des mimosas souffle si tendrement
Et le bord de la mer qui sent le sable et l’iode
Avec tant de douceur meurt en les pins dormants.
L’air est si parfumé d’arômes et d’essences
Qu’un parfum délicat reste dans les cheveux,
Il semble qu’on entend, le soir, dans le silence,
Les forces du printemps, sortir des bouquets bleus.
La respiration des corps que l’amour trouble
Sort des robes qu’un vent tiède soulève un peu
Un vin mystérieux et doux bouillonne et coule
Et se répand du fond du ciel silencieux.
Ô terre du baiser, ô terre de l’étreinte
Parmi tes myrtes d’or, parmi tes orangers,
Je me dépouille du remords et de la crainte
Tu fais mon cœur plus pur et mon corps plus léger.
Ici je comprends mieux la parole des choses,
Ici je comprends mieux le sens de l’univers,
Ce qui dort de beauté dans un contour de rose,
Ce qui dort d’infini dans un rythme de vers.
L’amour éperdument s’exhale de la terre,
Il enveloppe au loin les pins et les coteaux,
Les villages ainsi que des bouquets de pierre
Il baigne les villas d’argent au bord des eaux.
Ici l’amour sur moi a bien plus de puissance,
Les effluves toujours viennent me caresser
J’y suis plongée ainsi que dans une onde immense
Et je marche à travers d’innombrables baisers.
LES POÈMES POUR ELLE
Le Loup de velours noir
C’était pendant l’éclat d’une redoute blanche
Où vivaient et mouraient, les orchestres tremblants,
Il semblait, qu’il avait, sur un bal de pervenches.
Neigé des arlequins et des dominos blancs.
Les clartés pâlissaient comme si c’était l’aube,
La musique versait plus de fièvre et d’amour,
L’on ne distinguait pas les formes sous les robes ;
Quels visages rêvaient sous les loups de velours ?
Et moi, parmi les cris, l’ivresse et la magie
Des bijoux, des satins, ruisselant de blancheur,
je n’avais jamais eu pareille nostalgie,
Jamais souffert de tant de solitude au cœur.
Je voyais défiler tous les groupes fantasques ;
Et les yeux, sous le noir, sous la poudre et le fard,
Mais pour moi, ce soir-là, quels qu’ils soient, tous les masques,
Avaient le même rire et le même regard.
Jusqu’à ce qu’ayant vu les yeux — les yeux uniques,
Les grands yeux d’eau de mer aux glauques profondeurs ;
Dans ces bleus verts sans fin, troubles, mélancoliques,
Je crus voir le reflet de toutes les douleurs.
La voix qui me parlait était étrange et douce,
L’être vêtu de blanc, me fixait sous son loup,
Comme l’eau sur le sable, ou les pas sur la mousse
Le mystère des mots flottait autour de nous.
Le mystère du charme et de la sympathie
Se dégageait pour moi de ses cheveux épais,
Du poignet délicat, et de la main pâlie
Que je rêvais de prendre et d’étreindre à jamais.
Et j’allais la saisir, cette main, où mon rêve
Mettait l’espoir de la tendresse et du plaisir,
Comme pour arrêter cette minute brève,
Ou pour éterniser ce souffle de désir,
Mais la musique retentit, des farandoles,
Parmi le bal, nous séparaient tout en dansant,
Je vis fuir le contour de la charmante épaule
Parmi les arlequins et les dominos blancs.
LE BALCON
Le Balcon
Au balcon de l’hôtel, nous étions accoudées,
Et nous avions au cœur, un tel recueillement,
Que la nuit et la mer, à nos pieds, déployées,
Semblaient venir à nous, silencieusement.
Le ciel était si proche, au fond de l’ombre immense,
Que nos gestes semblaient atteindre l’horizon,
Les vagues se taisaient et, dans le grand silence,
Tout ce que vous disiez prenait un sens profond.
Et voici que soudain, des voix mystérieuses
Se mirent à chanter sur la mer, devant nous,
Et les unes étaient tendres et douloureuses.
Et d’autres résonnaient comme un rire très doux.
Les voix disaient le charme et la mélancolie
De la belle rencontre et du divin hasard,
Les voix disaient l’histoire obscure de la vie,
L’angoisse des adieux, les larmes du départ.
Ah ! qui saura jamais, pourquoi sous ces étoiles,
Les êtres dans le soir, se seront pris la main,
Au lieu de s’en aller, comme s’en vont les voiles,
Sur les flots, vers des cieux différents et lointains.
J’ai senti contre moi, votre épaule plus chaude.
Le ciel, en pâlissant, faisait vos yeux plus clairs,
Et des parfums marins de sable, d’algue et d’iode,
Se mêlaient aux parfums qu’exhalait votre chair.
VERTIGE
Vertige
Un train qui va partir dans une gare triste,…
Sous la voilette épaisse un visage charmant
Et les yeux, les chers yeux de mer et d’améthyste,
Dont l’éclat m’avait poursuivie si longuement.
Ô cieux changeants du soir, où s’en vont les fumées,
Paysage aperçu derrière les carreaux,
Vous êtes moins fuyants, moins lointains et moins beaux
Que les yeux, les yeux aux prunelles bien-aimées.
Où nous emportera ce train, vers quels hôtels,
Vers quels lacs où les fleurs tombent en féerie,
Quels parterres où sont des terrasses fleuries,
Quels soirs pleins de douceur éclairés par quel ciel ?
Ah ! les lieux, où je vais désormais, que m’importe ?
Le manteau de la nuit peut tendre ses plis lourds
Et voiler à jamais la fenêtre ou la porte,
Qu’importe la maison où se blottit l’amour !
Le train peut bien rouler jusqu’au bout de la terre,
Je ne veux ni dormir, ni même m’arrêter,
Puisque tes yeux profonds me versent leur mystère,
Je pourrais voyager pendant l’éternité.
ÉLÉGIE
Élégie
I
L’allée est ténébreuse, et le ciel est mystique ;
L’aphrodita de marbre étend son beau corps nu,
Le gazon est humide et luisant, il a plu…
Sur le gravier s’allonge une ombre fantastique.
L’amour a, par moments, besoin de s’exiler ;
Et c’est pourquoi, ce soir, plaisir ou délivrance,
Nous allons à pas lents, baignés dans du silence,
Rechercher la tendresse au jardin isolé.
Douceur de vivre à deux, un soir de lassitude !
O vivre près de toi ! bonheur sans lendemain !
Tu m’aimes aujourd’hui — m’aimeras-tu demain ?
Et mon soupir a, seul, troublé la solitude.
Cependant on perçoit un long pas, qui nous suit,
Propice à conserver l'illusion divine,
Un pas léger, un pas flottant, que l’on devine :
C’est l’ombre de l’amour, dans l’ombre de la nuit.
JALOUSIE
Jalousie
Tes yeux sont moins profonds lorsque tu me regardes
Et ta main est moins chaude en me pressant la main,
Ton sourire est moins doux sur ta lèvre que farde
Je ne sais quel secret qui se mêle au carmin.
La beauté d’un passant à l’attrait éternel
De la forme du corps unie à la pensée,
Je connais ce désir trop tendre et trop cruel.
Par le frisson de chair l’âme reste blessée.
Non, non éloigne-toi, je ne veux pas qu’il touche
Ces doigts longs que j’ai pris si souvent dans mes doigts
Je ne veux pas qu’il trouve aux chaleurs de ta bouche
Le souvenir perdu des baisers d’autrefois.
Il entendrait ma voix parler avec la tienne,
Il entendrait mon cœur qui battrait sous ton sein,
Toutes les voluptés de nos amours anciennes
Sortiraient pour vous deux, des jours déjà lointains.
Non, non écarte-toi, va-t’en vers d’autres lieux.
Seul nous séparera le vide de l’absence.
Seule l’ombre des nuits fait oublier les yeux,
Pour effacer l’amour seul est fort le silence.
CONSEIL
Conseil
N’écoute pas celui qui te parle à voix basse
L’éclat de tes bijoux plus que tout l’a grisé.
C’est ton nom et ton rang qu’il aime, non ta grâce
Il préfère leur vains éclats à ton baiser.
Il est ivre d’un vin de vanité vulgaire.
Il te ment. Ta beauté ne saurait le toucher,
Puisqu’une autre pensée en voile la lumière,
Puisque dans son désir son orgueil est caché.
N’écoute pas celui dont l’appel est farouche
Et qui te tend ses bras d’une sauvage ardeur,
Il n’en veut qu’au plaisir que donnera ta bouche
Et ne sait rien de la noblesse de ton cœur.
Et moi seule je sais te respirer, ô rose,
Moi seule sais ton rang dans la race des fleurs
Et moi seule je sais te boire ô coupe close
Qui me verse à la fois la joie et la douleur.
LE VASE MERVEILLEUX
Le Vase merveilleux
Je t'aime d'autant plus que je te sens plus frêle
Plus hésitante et plus à la merci de tous
O toi qu'un seul caprice en t'effleurant de l'aile
Te transformant soudain, t'emporte on ne sait où !
Le souffle d’un parfum te bouleverse,
Un seul regard suffit à troubler ton regard,
Pour un seul souvenir ton long corps se renverse
Et tu rêves sans cesse à de nouveaux départs.
Tu tends la main ouverte à toute main tendue.
Partout autour de toi rôde la fausseté,
Un geste d’amitié, une phrase entendue
Et tu donnes ton cœur charmant, sans hésiter.
Je t’aime d’autant plus que tu crois davantage
Que pour toi tout mensonge a son charme très doux,
Que tu vois un peu de beauté sur tous visages,
Un peu de vérité dans les mots les plus fous.
Je voudrais dans mes bras te serrer d’une étreinte
Si forte, qu’à jamais elle te garderait
Des flatteurs, des méchants, de l’espoir, de la crainte
De tout ce qui te tente et qui te mentirait.
Ta faiblesse m’irrite et me rend violente
Je suis comme un porteur d’un vase merveilleux
Qui s’avance en tremblant d’une marche très lente
Et qui sent sur ses mains se poser tous les yeux.
Mais parfois, élevant sur sa tête le vase
Plein d’or et de soleil, splendide et délicat
Tandis qu’autour de lui, la foule est en extase
Il rêve de briser le vase en mille éclats.
POUR LA GARDER
Pour la garder
Pour un mouchoir qui tombe, une rose perdue.
Voilà que tout mon sang bouillonne à mon cerveau.
Le mouchoir en tombant confirme une entrevue
Et la rose effeuillée est un signal nouveau.
Autour d’elle je sens passer les convoitises,
Palpiter l’espérance et rôder le désir,
Mais mon amour encor de ce danger s’attise,
Mes bras que j’ai fermés ne veulent pas s’ouvrir.
Oh ! Non, vous n’aurez pas mon amie au corps mince
La Sultane aux grands yeux des contes que je fais
Car pour avoir connu le baiser et l’étreinte
Je veux dormir encor dans ces cheveux défaits.
Je veux avoir encor son épaule, ses lèvres
Entendre sa colère et sentir sa douceur
Et faire succéder à son baiser de fièvre
La grande pureté de son baiser de sœur.
Vous pouvez l’appeler de vos voix suppliantes,
Ou lui dire des mots tentateurs et dorés.
Je presse le dessin de sa forme indolente,
Je le tiens contre moi et je le garderai.
ÉNIGME
Énigme
Au fond du souvenir, s’éveille une lumière.
Quelquefois il nous semble avoir vécu jadis,
Sous un autre soleil ou sur une autre terre,
Et ce que nous disons, nous l'avons déjà dit.
Il semble que nous ayons fait les mêmes gestes,
Connu le même espoir et la même douleur,
Redouté les soucis et les choses funestes,
Bercé le même rêve au fond du même cœur.
Sous quel ciel étions-nous priant quelles étoiles !
Les portes de quels seuils, s’ouvraient devant nos pas ?
Les mers que nous voyons, avaient-elles des voiles ?
Quelqu’un répondait-il quand nous tendions les bras ?
Mais dès que nous voulons dans le fond de notre âme
Préciser le contour et revoir la clarté,
Très loin dans une brume épaisse, meurt la flamme,
Nous sommes, à nouveau, baignées d’obscurité.
MYSTÈRE
Mystère
J'en suis sûre, pourtant, nous nous sommes connues,
Dans ces jours merveilleux, entrevus vaguement
Nous marchions quelque part au fond d’une avenue,
Et j'ai glissé mes doigts entre tes doigts charmants…
C’était un soir profond de tendresse et de rêve,
Dans un commencement d’automne, je crois bien,
Nous nous serrions, sentant que toute chose est brève…
Dans tes yeux d’aujourd’hui, je vois tes yeux anciens.
Aussi bleus, aussi grands et pleins de nostalgie,
Tes yeux me regardaient dans l’avenue en fleurs;
Sur nous, le soir obscur étendait sa magie,
Et le vent confondait nos robes sans couleurs.
Il me semble que la maison n’était pas haute,
Qu’une enfant, sur le seuil, nous présentait des fleurs,
Peut-être en ce temps-là, dormions-nous côte à côte,
Peut-être en ce temps-là, que nous étions des sœurs.
Je vois un puits de pierre, une cour, des dallages…
Nous sommes toutes deux, assises, sur un banc ;
Pourquoi ne puis-je pas retenir ces images,
Dont la douceur, pour nous, charmerait le présent ?
La porte aux souvenirs, est si vite fermée !
Plus rien…On cherche encor… mais tout s’est effacé…
J’en suis sûre, jadis, nous nous sommes aimées !
Et mon amour jaillit des sources du passé.
SÉRÉNITÉ
Sérénité
Si nous devons encor en d’autres existences,
Connaître le plaisir, la douleur et l’amour,
S’il me faut repartir pour le voyage immense,
S’il faut mourir sans cesse, et renaître toujours.
Ah ! donne-moi ta main et reste là, demeure,
Je ne veux plus ni m’éloigner, ni te quitter,
Pour plonger avec toi, dans l’infini des heures,
Et pouvoir, t’étreignant, vaincre l’éternité.
Les incarnations futures de mon âme
Ne m’effraient plus, si j’ai devant moi pour flambeaux
Tes yeux miraculeux avec leur verte flamme,
Tels qu’aucun océan n’a de reflets plus beaux.
Que m’importe mon sort, réservé sur la terre,
Quel destin, misérable et triste, m’est promis,
Que m’importe demain, avec son grand mystère,
Si nous ne faisons qu’un en entrant dans la nuit !
Ô MORT…
Ô mort…
Ô mort, un jour viendra où je devrai te suivre,
Tu n’auras pas besoin de m’appeler longtemps.
Je ne regretterai ni ce dont je fut ivre
Ni mon ancien amour ni le futur printemps.
Tu ne me verras pas hâtivement relire
Les lettres qui jadis faisaient battre mon cœur,
Chercher les souvenirs, compter les vieux sourires,
M’accrocher au passé et répandre des pleurs,
Je mettrai ma plus belle robe avec un voile
Fait d’un tissu d’argent léger et merveilleux
A mes doigts mes bijoux beaux comme des étoiles…
Une rose de sang fleurira mes cheveux…
Parmi l’ombre, j’irai souriante, ravie,
Ferme sera mon pas, chaude sera ma main.
J’éclairerai du feu d’un baiser le chemin,
Car j’aimerai la mort comme j’aimais la vie.
LE PASSAGE DE LA MORT
Le passage de la mort
J’ai souvent entendu son pas dans le couloir,
Elle est là, sans frapper elle passe la porte,
Elle est légère autant que les ombres du soir.
Fait moins de bruit que le frisson des feuilles mortes
Elle sourit un peu et marche avec douceur,
Elle vient près de moi lorsque je suis très lasse
On voudrait la nommer avec un nom de sœur
Et saisir dans sa main cette robe qui passe.
Elle dit : « c’est plus tard… c’est peut-être ce soir
Que tu vas t’en aller et que tu vas me suivre.
Regarde, la clarté s’éteint des vieux espoirs…
N’as-tu pas toujours eu la tristesse de vivre ?…
Où je vais t’emmener ? Tu verras, tu verras…
C’est un pays si beau, si profond et si sombre !
Sens comme doucement je te prends dans mes bras
Pour te bercer parmi les vertiges de l’ombre. »
Et puis, lorsqu’elle va m’emporter, que je crois
Avoir déjà quitté les draps où je repose,
Lorsque j’ai regardé pour la dernière fois,
La lumière qui meurt, le jardin et tes roses,
je m’aperçois que je suis seule et qu’elle a fui.
Tout auprès de mon lit je vois encore sa place.
Un bruit de pas lointain disparaît dans la nuit
Et je crois voir pâlir son ombre dans les glaces.
PAROLES A LA MORT
Paroles à la mort
Je disais à la mort avant de te connaître,
Ma sœur, quelque beau jour tu viendras me chercher,
J’ouvrirai sur le soir ma porte et ma fenêtre
Pour te voir approcher.
Le bruit sourd de tes pas, parmi les feuilles mortes
Me semblera plus doux que le plus tendre chant,
Et le vent jettera Jusqu’au seuil de ma porte
Les roses du couchant.
Ton voile ayant traîné pendant ce long voyage
Vers la demeure froide où mon cœur t’attendait.
Il me rapportera le parfum des rivages
Et l’odeur des forêts.
J’aurai tout préparé dans la maison de l’âme,
L’âtre paisible aura sa couronne de feu,
Tu chaufferas tes deux mains pâles à la flamme,
Nous parlerons de Dieu.
Puis calme, ayant éteint la lampe familière
Dédaigneuse du monde, indifférente au sort,
Je suivrai dans la nuit, ta forme de lumière
Ô merveilleuse mort !
Voici ce qu’avant toi je disais en mes rêves !
Mais à présent que j’ai pour charmer mon désir
Ta caresse infinie et cependant si brève.
Oui ! j’ai peur de mourir.
Je ne veux sur ma bouche où ta bouche se pose
Avec tant de langueur, de frissons et d’émoi,
Que ton baiser plus doux que le cœur de la rose,
Que ton baiser à toi.
Je ne veux dans mes mains que tes mains effilées,
Dont les ongles parfois me labourent le cœur,
Tes mains qui sur les draps de dentelle posées
L’ornent mieux que des fleurs.
Je ne veux que tes yeux aux profondes prunelles,
Si vastes que les miens ne sauraient les combler,
Que ta voix qui sachant murmurer comme une aile
Frémit comme les blés.
J’ai peur d’une autre voix, j’ai peur d’une autre bouche
Qu’on détourne de moi la mort que j’appelais,
Et j’ai fermé ce soir d’une grand geste farouche
Ma porte et mes volets.
Couvrant les sombres voix d’une clameur plus forte
Je veux vivre ! Viens sur mon cœur, tends-moi les bras
Et si jamais la mort frappe et crie à ma porte
Je ne répondrais pas !