Sous le masqueBibliothèque Internationale d'Édition, Edward Sansot (p. 125-127).
Riviera  ►


Venise


À Pierre Louÿs.


Gondole qui jadis portas mon espérance
Entre les vieux palais et leurs Sveltes piliers,
Gondole des soirs bleus, gondole du silence
Où donc es-tu, gondole, avec ton gondolier ?


Tu promènes peut-être encore un autre couple,
Vers la place Saint-Marc et ses milliers d’oiseaux,
Elle aussi met sa main, parmi les cheveux souples
De son ami, serrés dans le même manteau.

Ô mirage du ciel, mourant dans les eaux mortes
Je revois la gondole où je reviens m’asseoir,
Le même glissement de la rame m’emporte :
Je défaille d’amour sur le petit banc noir.

Je revois défiler dans la ville des doges
Les seuils de marbre, où sont des visages sculptés
Et les patriciens, splendides, sous leurs toges,
Avec leurs mains de pierre, ont l’air de m’appeler.

Les dômes et les tours, parmi les eaux verdies,
Se reflètent ; les ponts ombrent les flots dormants,
Et les soleils couchants versent des incendies…
Et quelque chose, en moi, se consume ardemment.


Venise ! ô souvenirs ! soirs de feu, nuits de lune !
Sur la tour de Saint-Marc, ne volent plus d’oiseaux,
La gondole fantôme erre sur la lagune,
Et mon ancien amour se traîne sur les eaux.