Sous le masqueBibliothèque Internationale d'Édition, Edward Sansot (p. 41-43).


Les pipes


À Claude Farrère.


C’est ici le palais du jade et de l’ivoire
La maison du repos, du rêve et de l’oubli
La fumée en dansant tourne splendide et noire
Les coussins amassés enrichissent le lit.


Sur tes tables de laque et sur les étagères
Des pipes aux longs cols, aux fourneaux ciselés
Incrustés de saphirs aux volutes légères
Emprisonnent le vol des songes étoilés

L’une a deux yeux fermés, ainsi que la chimère
Et l’autre est une fresque et la troisième un arbre,
D’autres semblent rêver à des heures amères
Et la cinquième est pâle avec des tons de martre.

Ce bambou frêle vient d’une île orientale
Que balançait le fleuve et que berçait l’été
Et cette lourde pipe aux nuances d’opale
Fut teinte un soir du sang d’un roi décapité.

Cette petite est torse et semblable aux reptiles
Elle cache perfidement parmi ses sœurs
Une âme insatiable invisible et subtile
Qui mord comme un venin le fond même du cœur.


Avec un lotus d’or qui s’enroule à sa hampe
La plus belle est le sceptre étincelant des nuits
Elle ordonne au silence et commande à la lampe
De verser tous les songes à nos yeux éblouis.

Ô peuple des bambous, ô foule taciturne
Petit musée où s’est enclos l’immense espoir,
Donne-moi le parfum de l’ivresse nocturne
Et rends-moi la magie éternelle du soir

Car je suis de celles, qui courbées sur la terre
Cherchant du sombre amour les mystères secrets
Et préférant au jeu le rêve solitaire
Poursuivent le bonheur sans l’atteindre jamais.