Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Résumé et conclusions de l’ouvrage, ou sur une cause unique, extérieure et générale des monstruosités/§ III

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 508-541).
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Résumé et conclusions de l’ouvrage.

§ III. Des adhérences du fœtus avec ses enveloppes, considérées comme l’ordonnée et l’unique cause de la monstruosité.

C’est depuis peu que de nouvelles recherches et un plus judicieux emploi de l’investigation anatomique ont fait apprécier sous de nouveaux rapports l’origine de la monstruosité, et ont porté à attribuer ce phénomène à un défaut d’accroissement, qui a pris en particulier le nom de retardement de développement. On avait bien autrefois exprimé à peu près la même idée en distinguant les faits de monstruosités en deux classes, dites, l’une par défaut, et l’autre par excès. Une monstruosité par défaut de complément d’organisation et une monstruosité par retardement dans le développement de quelques parties organiques ne paraissent en effet qu’une même considération différemment exprimée. Cependant ce ne sont pas deux expressions absolument identiques ; elles sont susceptibles d’une distinction fondamentale.

On avait entendu autrefois, sous le nom de monstruosité par défaut, l’espèce caractérisée par l’absence d’un ou de plusieurs organes, que cette absence fût ou non originelle ; et au contraire on comprend aujourd’hui, sous le nom de monstruosité par retardement de développement, les cas invariablement réalisés par des obstacles intervenant à l’improviste et luttant contre la marche habituelle et progressive de l’organisation. Cette distinction, toute fondée qu’elle est sur une différence peu considérable, n’est cependant susceptible d’aucune équivoque : aussi, par elle, la chaîne de nos explications sur les monstruosités est-elle accrochée à un anneau déjà plus élevé.

Les choses en étant à ce point, il n’y a nul doute que, si nous parvenions à faire connaître quels obstacles remplissent de troubles la mystérieuse et inévitable élaboration des corps vivans qui s’organisent, nous aurions aussi nous-mêmes porté plus loin ces explications. Or c’est ce qui nous paraît pouvoir se faire, et ce qui résulte en effet de la considération d’adhérences avec ses enveloppes, que le fœtus contracte dans quelques cas bien rares à la vérité.

Long-temps avant d’être fixé sur ces idées, j’avais essayé d’imiter les procédés de la nature et tenté de soumettre à des perturbations méthodiques de grandes compositions organiques dans le moment de leurs métamorphoses, c’est-à-dire à l’époque de leurs premières formations. J’ai réussi à quelques égards, ayant fait, pouvant faire des monstres à volonté. Mais ce succès fut cependant renfermé dans des limites très-étroites, puisqu’il ne s’étendit point sur les monstres, dont le système de déformation formait l’actuel sujet de mes recherches, puisqu’il n’eut jamais pour résultat un fœtus chez lequel un organe était retardé dans son accroissement, et combiné sous cette forme avec toutes les autres parties de l’organisation ayant parcouru le cours des développemens ordinaires.

J’avais mis des œufs en expérience. Une chaleur modérée, comme chacun sait, en détermine l’incubation : l’évaporation leur fait perdre un cinquième de leur poids[1] ; de l’air, qui pénètre dans leurs coquilles, y va tenir la place de ce qui s’est évaporé ; plusieurs fluides impondérés, tels que la lumière, le calorique, etc., s’y répandent et y établissent un mode de circulation. Ce sont ces actions réciproques, ces mouvemens intestins, que j’ai voulu contrarier.

Pour cet effet, j’ai placé sous des poules couveuses des œufs dont j’avais changé la condition : les uns, pour les avoir renfermés, soit en totalité, soit seulement en partie, dans de la baudruche ; d’autres, pour les avoir vernissés en plusieurs places, et quelques autres, pour en avoir élargi les pores, entamant leur coquille par sciage, ou par usure, ou seulement par des piqûres. Les déviations de l’ordre commun, obtenues par ces moyens, ont été très-variées, mais peuvent toutefois être comprises sous les trois chefs suivans. Ou les liquides albumineux s’arrangeaient, et, je puis dire, s’organisaient sans donner de fœtus ; ou bien un embryon, provenant d’un premier travail d’organisation, s’arrêtait au tiers du volume d’un poulet naissant ; ou, tout au contraire, les fœtus grandissaient outre mesure, principalement vers les extrémités postérieures, et de manière, au moment d’entamer leur coquille, à gêner les mouvemens de la tête et la rétraction des membranes renfermant la matière du jaune. Je dois revoir ces faits avant d’en publier les détails et les définitives conséquences.

Enfin, dans l’espoir de me procurer des résultats encore plus décisifs, j’ai de plus agi sur les mères elles-mêmes. J’ai déjà fait connaître mes observations à cet égard ; ce travail, inséré dans les moires du Muséum d’Histoire naturelle, tome 9, page 1, y porte pour titre : Sur les organes sexuels et sur les produits de génération des poules, dont on a suspendu la ponte en fermant leur oviductus.

Ainsi se trouve démonstrativement établi que l’on peut agir sur le développement des germes. Il suffit en effet de quelques tâtonnemens pour connaître que telle sorte de causes perturbatrices engendre telle espèce de monstruosité.

Cependant, n’ayant jusqu’à présent procédé que par des moyens généraux, mes résultats ont été des monstruosités s’appliquant à toute l’organisation, et non des monstres dans l’acception particulière de ce mot. J’avais pesé à la fois et à peu près également sur toutes les parties organiques, et non séparément sur un seul organe. Ces essais, appliqués à des mammifères, eussent produit des môles (voyez la note de la page 206), c’est-à-dire une monstruosité qui eût affecté les premières membranes du fœtus, qui eût eu pour sujet le placenta lui-même.

Ce ne fut donc qu’après ces premières tentatives que je compris que, pour obtenir des monstres de la nature de ceux qui avaient jusqu’à ce jour occupé les anatomistes, c’est-à-dire des êtres dont la difformité fût restreinte à un seul organe, il fallait procéder sur des formations régulières dans le début, parvenir à l’improviste sur ces noyaux organiques, les blesser et sans doute dilacérer ou percer quelques enveloppes.

Ces vues devinrent pour moi un nouveau programme pour de nouvelles recherches, et je n’hésitai pas en effet à recommencer une autre série d’expériences. Il me parut qu’en secouant vivement, frappant d’une certaine façon, ou même perforant des œufs couvés depuis six, huit et dix jours, j’arriverais à procurer à leurs embryons un degré de lésion assez bien calculé pour que des êtres aussi fragiles fussent assez et point trop cependant atteints. C’est en variant de toutes les façons ces procédés que je pouvais espérer de me procurer des monstres, dans la rigoureuse acception de ce terme. J’ai commencé ces expériences trop tard, et je n’ai aucun résultat satisfaisant à citer. J’y reviendrai ; car que n’obtient-on point par une persévérance ardente et éclairée ?

Cependant ce que je venais de chercher péniblement et par voie d’expériences, je l’avais acquis déjà sans le moindre effort et par voie d’observations directes ; car ce que je souhaitais découvrir n’était autre chose que les brides placentaires que m’avait présentées l’hypérencéphale ; observation qui fut un trait de lumière pour mon esprit, et qui m’éclaira instantanément sur les conséquences d’un fait aussi important.

Le placenta est une portion vivante interposée entre deux êtres encore liés l’un à l’autre, mais cependant déjà distincts. Le sang que ce tout-puissant organe reçoit de l’utérus, il le distribuera, après une certaine élaboration, en dedans de ses vaisseaux, et l’appliquera au noyau qu’il renferme dans son sein. Il suit de là, par conséquent, que tous ces effets sont diversifiés et successifs comme leurs causes d’action, c’est-à-dire que les conditions de l’utérus, que nous font connaître sa capacité, ses parois et ses ramifications sanguines, deviennent une ordonnée pour ce placenta, de même que les conditions du placenta, manifestes dans ses orifices ou suçoirs, dans son plus ou moins d’épaisseur, dans l’inégale capacité de son parenchyme, dans l’ordre de distribution de ses vaisseaux et dans le plus ou le moins de longueur de son pédicule ou du cordon ombilical, deviennent à leur tour une ordonnée pour le fœtus.

Ce qu’en effet on ne doit pas perdre de vue, c’est qu’autant de placentas différens règlent les conditions d’existence et les formes de l’être parfait appartenant aux différens groupes de mammifères. Ainsi les carnassiers ont leur placenta annulaire et répandu tout autour du corps comme une large ceinture ; les taupes en ont le dos couvert comme d’un manteau ; il est au contraire rassemblé en un bouton ou en une sorte de gâteau arrondi au-devant de l’abdomen chez les rongeurs ; ou bien il est épanoui chez les ruminans, et terminé par une multitude de boulettes charnues ou de forts cotylédons. Cette position persévérante des placentas à l’égard des fœtus a sa cause dans la brièveté du cordon ombilical et dans la pénurie des eaux de l’amnios, mais seulement chez les animaux qui vivent en liberté. Serait-ce que la domesticité porte tout autre animal à absorber plus de nourriture que n’en réclament les fonctions assimilatrices, et que cette circonstance influe sur la production plus grande des eaux qui baignent le fœtus ? Ce n’est pas ici le lieu de développer davantage ces idées ; je me bornerai à remarquer que l’histoire comparative des placentas par âge et par espèce est toute à faire, et qu’elle est appelée à répandre un grand jour sur la composition primitive des animaux.

Les placentas se greffent vers l’un des points de l’utérus, et s’y attachent par des brides que leur fournit le tissu cellulaire. Il n’en est pas de même à leurs surfaces intérieures, où de semblables adhérences ne manqueraient pas non plus d’avoir lieu, sans un suintement et comme un versement continuel d’une partie des fluides dont sont nourris les fœtus, sans une interposition toujours subsistante des eaux de l’amnios, qui isolent l’embryon de ses enveloppes repoussées vers la circonférence. Même dans l’hypothèse que le fœtus se nourrit des eaux de l’amnios, cette interposition n’en serait pas moins d’une durée constante, puisque le sang de la mère viendrait remplacer ce qui de ces eaux disparaîtrait par la consommation.

Le sang de la mère venant approvisionner les vaisseaux du fœtus, et ceux-ci charriant ce fluide et le transportant à leurs ramuscules, c’est en effet une circulation qui favorise invariablement et dans des quantités toujours égales la production des eaux de l’amnios. Or de l’harmonie qui subsiste entre les quantités qui arrivent et celles qui se consomment résulte l’état de santé des fœtus, état très-difficilement altérable. On arrive ainsi à reconnaître que la marche habituelle de l’organisation prive nécessairement le placenta d’adhérer au fœtus.

C’est où nous conduit une théorie aussi certaine dans son principe qu’inattaquable dans ses conséquences ; et cependant nous avons vu que le fœtus n’est pas toujours efficacement protégé par les eaux de l’amnios : ce qui résulte effectivement des faits d’adhérences que nous avons remarqués, des brides placentaires que nous avons décrites en traitant de l’hypérencéphale, du podencéphale et du monstre bec de lièvre mentionné en la note de la page 487.

Le placenta est donc un organe susceptible aussi pour son propre compte de lésions, de maladies temporaires. Quelques-unes de ses altérations ont déjà fixé l’attention des médecins. Ainsi il varie quelquefois de volume, de texture et de couleur ; et on en distingue de deux espèces, à parasol ou en raquette, suivant que le cordon ombilical naît du centre ou de la circonférence de l’organe. « Ce fut, dit Morgagni, sur son placenta que se porta la vive affection d’une femme, grosse de cinq mois, à la nouvelle de la mort de son mari : les vaisseaux du placenta cessèrent de transmettre le sang de l’utérus ; atrophie qui occasionna plus tard la mort du fœtus. » (Morgagni, lett. 48, § 18.) On a vu des placentas squirreux, cartilagineux, osseux même. Hufeland et Schreger ont traité de ces derniers. Il n’y avait d’ossifiée que la face utérine au placenta, de l’observation du docteur Garin (Journal de Médecineetc., publié par MM. Corvisart et Boyer, t. 3, p. 232), quand l’une et l’autre superficie l’étaient en partie chez le sujet du professeur Carestia ; observation rapportée et figurée au mot Placenta, dans le Dictionnaire des Sciences médicales. Cette susceptibilité des placentas, établie par ces faits de pathologie et par nos propres observations au sujet des monstres, n’est donc en aucune manière douteuse.

Poursuivons cette discussion, et jugeons-en les conséquences dans leur application aux faits et aux renseignemens dont nous n’avons voulu devoir l’information qu’à nous-mêmes.

La femme qui a mis au monde l’anencéphale décrit pages 125 et suivantes, avait son mari employé aux travaux du port de Bercy, village situé au-dessus de Paris, sur la rive droite de la Seine. Un incendie, le 31 juillet 1820, détruisit ce lieu d’une très-grande importance commerciale. On vint à Paris annoncer cet événement à la mère de notre anencéphale : Votre mari, ajouta-t-on… À ce mot, elle est saisie et tombe évanouie. Elle s’était faussement alarmée ; et cependant, le 2 mars suivant, c’est-à-dire sept mois et trois jours après, elle accoucha d’un monstre.

À juger sur le rapport de la sage-femme et d’après le volume de l’enfant qui est représenté, pl. IV, de grandeur naturelle, l’accouchement aurait été prématuré ; l’enfant serait venu à sept mois et demi ou huit mois d’âge fœtal. Je rapporte cette conclusion, quoique j’admette qu’il se pourrait qu’elle ne fût pas fondée : car, si les fonctions d’assimilation s’étendent chez le fœtus jusqu’aux eaux de l’amnios, on sent, à la quantité de ces eaux, qu’on trouve ordinairement déposées dans la poche dorsale, ou, ce qui revient au même, dans les méninges chez les anencéphales, que ceux-ci ne font pas tourner entièrement à leur profit tous les élémens alibiles qu’ils puisent à l’utérus. Cela posé, cet âge cherché reste donc un fait problématique ; mais, si l’on est privé de précision à cet égard, on peut, en s’accordant une certaine latitude, renfermer cet âge cherché dans des limites non équivoques, comme entre deux et six semaines. Or tout ici concorde admirablement avec cette supputation. L’œuf à cette époque aura obtenu assez de consistance pour partager les excitations du sac utérin, et il sera cependant assez nouvellement formé pour devenir le sujet d’une aussi grande et aussi profonde lésion : car nous ne devons pas oublier qu’afin que des désordres organiques puissent engendrer l’anencéphalie, il faut qu’ils viennent saisir l’embryon au moment où le système cérébrospinal rassemble ses élémens formateurs, et où il se dispose à en opérer la dernière métamorphose.

Me fondant sur ces observations, je ne puis douter qu’il n’y eût, à la grossesse insolite qui se termina par l’accouchement du 2 mars, d’autre cause que le récit fait sans ménagement de l’incendie de Bercy. Ce récit aura placé de suite la victime de cette imprudente communication dans la situation de l’Italienne observée par Morgagni. L’action nerveuse, troublée ou plutôt instantanément suspendue, aura fait de proche en proche refluer le sang vers sa source, ou, ce qui suffit déjà, en aura paralysé la marche et tout au moins suspendu la distribution (Théorie de M. le docteur Flourens). Dès lors plus de correspondance entre les pressions de la matrice et les réactions du noyau intérieur de l’œuf, et dès lors aussi refoulement avec violence du dedans en dehors des toiles recouvrant et liant les vaisseaux du placenta, membranes bien frêles à ces premières époques de formation.

Il n’en faut sans doute pas davantage alors pour que ces membranes[2] s’entr’ouvrent, se déchirent et se laissent traverser par les eaux de l’amnios. Or voyez : combien d’autres conséquences découlent de ces premières données ! La matrice ne cesse de peser de tout l’ascendant de ses contractions sur le noyau occupé à se développer en son sein. Mais, d’après ce qui vient d’être dit, les enveloppes fœtales ne sont plus ni écartées ni maintenues par les fluides dans lesquels le fœtus se trouve d’abord plongé : les contractions de l’utérus les ont contraintes à se replier, à s’affaisser et à retomber sur le fœtus. Enveloppant, touchant et pressant celui-ci de toutes parts, des adhérences d’elles à lui sont inévitables ; et cela marche d’autant plus vite et se répand sur d’autant plus de surface, qu’il est plus de perforations aux enveloppes fœtales, plus de points rompus et sanguinolens.

Mais cependant ces effets de vive excitation, ces obstacles à l’harmonie des fonctions de l’organisation, sont temporaires. L’action nerveuse reprend comme auparavant ; la circulation des fluides se rétablit, et cette circulation reproduit les eaux de l’amnios. Si le retour de ces eaux, en dedans des membranes fœtales reconstituées et refermées par les adhérences quelles ont contractées avec l’embryon, n’amène pas l’entière rupture de ces adhérences[3], ce qui est alors devient de plus en plus persévérant.

Dans ce cas, et dès ce moment, la monstruosité commence : car tous les développemens successifs continuant à avoir lieu conformément à deux ordonnées forcées de se faire de mutuelles concessions, savoir, la tendance à la formation normale et les exigences des brides placentaires, l’organe qui est le produit de ces mutuelles actions et concessions, cet organe mixte est cela même précisément dont nous exprimons la condition nouvelle ou l’anomalie sous le nom de monstruosité.

Aucune surprise, aucun événement funeste, aucune émotion subite, n’ont troublé la mère du podencéphale dans les premiers mois de sa grossesse : aussi ce sont d’autres faits de monstruosités dont j’ai eu précédemment à rendre compte. Cependant Joséphine m’aurait-elle procuré des renseignemens suffisamment exacts, pour que je me hasardasse à soulever le voile qui couvre d’aussi mystérieux phénomènes ? Je le crois : d’après les précautions que j’ai prises pour obtenir ce résultat, j’ai lieu de penser qu’elle m’a fait un récit véridique. Toutefois ce doute que j’ai provoqué moi-même établit que je ne m’abuse point sur la position difficile dans laquelle je me trouve. Effectivement il me faut choisir entre paraître agir avec témérité, si je donne une pareille base à des explications physiologiques ; ou montrer trop de pusillanimité, si je prive cet ouvrage de ses dernières et nécessaires déductions. Mais ma perplexité cesse, et je me rassure en pensant, 1o que j’ai été très-soigneux de séparer mes faits de mes raisonnemens ; le lecteur reste, par-là, le maître de philosopher les observations à sa manière et de rejeter les idées théoriques ; et 2o qu’en me plaçant sous la responsabilité des opinions que je vais émettre, je donne de cette manière au public une preuve de plus de mon dévouement pour lui.

L’enfant de Joséphine réunissait plus de conditions normales que l’anencéphale de la Seine[4]. Sa colonne épinière était construite comme à l’ordinaire ; l’une des extrémités du système médullaire, celle qui se divise en lobes et s’épanouit dans le crâne, était seule restée privée de développement. Tel est le fait d’après lequel je crois pouvoir conclure que c’est plus tard, du second au troisième mois de grossesse, que la monstruosité est venue envahir le fruit que Joséphine portait dans son sein.

Mais c’est moins par des supputations sur la quantité d’organisation du podencéphale à ce moment, que par des considérations propres à sa mère, que nous envisageons la présente question. Il nous faut en effet rechercher, en scrutant les récits de Joséphine, quels orages, lui étant devenus funestes, auront contrarié en elle le cours naturel et progressif des formations organiques. Or voici ce que nous savons des circonstances de sa grossesse ; elles se divisent en époques, comme il suit.

Avantageusement placée comme cuisinière, Joséphine s’estimait heureuse, quand elle devint enceinte : ce qui est ordinaire en pareil cas, elle ignora d’abord sa nouvelle situation, et, l’ayant connue plus tard, elle n’en prit aucun souci. Cependant, les cinq premières semaines de sa grossesse étant écoulées, on lui signifia que les fréquentations de Tilman avaient déplu, et qu’elle était remerciée. Joséphine se retira alors dans sa cellule, rue de la Savonnerie, où, pendant trois semaines, elle ne dut arriver plusieurs fois le jour que par escalade. L’entrée de cette demeure était fermée par une trappe, à laquelle conduisait une échelle située entière au-dessous et placée presque droite. J’ai par moi-même éprouvé qu’on ne parvenait à s’introduire dans la cellule de Joséphine qu’en manœuvrant et sautant avec dextérité. Grosse de deux mois, Joséphine trouva enfin à se replacer ; et ce fut alors (durant trois semaines) qu’on la surchargea de travaux à un degré tel, que chaque jour la plante des pieds lui paraissait brûlante.

Les circonstances de la grossesse de Joséphine que nous venons de rappeler se rapportent donc à trois principales époques.

Dans la première, qui embrasse une durée de cinq semaines, Joséphine est demeurée dans la situation habituelle aux femmes de sa condition ; et tout porte à croire que le germe qui se développait dans son sein s’y est paisiblement organisé sans entraves ni obstacles extraordinaires, qu’il fut pleinement abandonné à l’action du nisus formativus.

Mais, dans la seconde époque (de Noël 1820 au 15 janvier 1821), elle fut au contraire obligée à des manœuvres difficiles, dont tous ses organes, et particulièrement l’utérus, ont dû ressentir l’effet. Je ne puis douter que l’œuf n’ait eu, de cette manière, à souffrir des lésions légères, et qu’il ne s’en fût suivi de fréquentes adhérences. Sans doute que, dans le cas d’une ou seulement de deux secousses, du repos, ramenant le cours naturel des fonctions de l’utérus, aurait rappelé l’embryon et les membranes fœtales aux conditions normales : mais c’est ce qui ne sera sans doute pas ici arrivé. Joséphine, en remontant durant trois semaines plusieurs fois le jour dans sa cellule, aura été continuellement exposée aux mêmes troubles ; et, de cette manière, des lésions d’abord légères seront devenues des lésions invétérées et profondes. Ainsi les brides placentaires auront pris avec le temps assez de consistance pour devenir de puissantes ordonnées, pour entraîner la plupart des organes dans les plus grandes aberrations.

La troisième époque se compose du temps où Joséphine, ayant trouvé à se placer, a été surchargée de travaux. Ces fatigues occasionnèrent un état maladif, un gonflement du ventre qui dura de quinze à vingt jours. Quelle a pu être l’influence de cette crise ? Je l’ignore, et je ne me permettrai aucune supposition, si ce n’est celle pourtant de lui attribuer d’être pour quelque chose dans la pénurie des eaux de l’amnios. Il est constant que cette pénurie fut continuelle pendant toute la grossesse de Joséphine ; mais il suffirait peut-être de l’existence des brides placentaires pour l’avoir occasionnée.

D’où vient cette toute-puissance des brides placentaires, que de leur seule intervention dépendent tant de monstruosités diverses ?

Serait-ce que les eaux de l’amnios font partie des fluides assimilables comme ayant été suffisamment élaborés, et par conséquent comme se trouvant ainsi convertibles de suite en organes ? Des brides placentaires, dans ce système, étendues au-dessus de l’organe monstrueux et lui formant une sorte de coiffe, auraient donc cette influence, qu’elles s’opposeraient avec efficacité au retour, à l’existence d’une nouvelle accumulation des eaux de l’amnios ?

Ou bien serait-ce, parce que, émanées du placenta (organe déjà achevé quand l’embryon commence, organe plus exigeant et dominateur en raison de sa plus grande vitalité), elles dirigent et font arriver sur son principal foyer les bénéfices du système vasculaire, qui, dans la règle, eussent appartenu à l’organe monstrueux ? Il n’est point de bride ou de membrane étendue du placenta à l’embryon, point de ces liens de l’un à l’autre, que cette fusion n’opère l’anastomose de quelques parties de leur système sanguin. Qu’en raison de cette circonstance, il arrive à un rameau artériel émané de l’embryon de prolonger ses branches terminales sur le placenta, il est évident que la partie de celui-là, où auraient dû aboutir les extrémités de l’artère, ne croîtra pas. Ainsi cet organe deviendra monstrueux par retardement de développement.

Ou bien encore (car les brides placentaires ne sont pas toujours rangées circulairement, comme le sont les bords de la coiffe dont nous avons vu le cerveau de l’hypérencéphale recouvert : il en est d’étendues en ligne droite, comme la bride qui fut répandue, chez le même monstre, tout le long et sur le milieu du tronc) ; ou bien, dis-je, ce dernier cas arrivant, serait-ce que le poids du fœtus, donnant lieu à une action de tirage, effets dont nous avons suffisamment exposé la théorie, page 211, aurait, sur les vaisseaux qui viennent former et nourrir le derme, une influence capable d’en opérer l’oblitération ? Cette cause agissant, nous ferons la même remarque que tout à l’heure : cette cause donne effectivement naissance à un organe monstrueux, qui devient ou qui est devenu tel par retardement de développement.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas d’autres empêchemens au développement normal d’un fœtus que les adhérences qu’il contracte avec ses membranes ambiantes ; et dans ce moment de ma discussion, je puis donner à cette pensée une autre forme et la reproduire, en disant : Il n’existe de maladies capables d’altérer la santé du fœtus que celles que ses adhérences avec ses enveloppes rendent possibles. Le fœtus est, dans celles-ci, comme le poumon dans la plèvre. Sa peau sécrète-t-elle comme à l’ordinaire, ou, ce qui exprime la même idée, les vaisseaux qui s’épanouissent dans le derme continuent-ils à donner les eaux de l’amnios ? aucune adhérence n’est possible. N’est-il aucune sécrétion ? le contraire a lieu.

Il en est tout-à-fait de même à l’égard du poumon. Les sécrétions de la peau ne sont-elles point interrompues ? il reste libre au milieu du sac ambiant ; mais, si les sécrétions cessent, le poumon s’unit à la plèvre. En cas de lésions légères, il y a une maladie aigüe, laquelle se termine par le retour des choses à l’ancien état ; et dans le cas de lésions persévérantes, maladie plus grave, chronique, etc.

Il est tout simple que le fœtus soit susceptible de toutes les vicissitudes auxquelles se trouve nécessairement soumis le moindre des corps organisés, des mêmes phénomènes morbides temporaires ou durables. S’il ne contracte d’adhérences que pour un temps, sa mère ressent ce travail intra-utérin comme un malaise, dont il lui arrive plus tard d’être soulagée : et en effet, les incommodités de la grossesse tiennent principalement à cette cause. Tous ces événemens s’enchaînent : c’est un tirage qui est ressenti de proche en proche. Le fœtus tire à lui le placenta, le placenta l’utérus, et celui-ci, à son tour, agit de la même manière sur les nerfs qui s’y distribuent. L’adhérence est-elle au contraire persévérante ? nous l’avons dit plus haut ; cette perpétuité d’actions occasionne et produit la monstruosité sur le point et dans l’organe où elle s’exerce.

Cependant n’y aurait-il que ces cas d’adhérence pour constituer la monstruosité ? et, de plus, cet engagement prendrait il constamment son point d’appui à l’extérieur du fœtus ? est-ce bien le résultat que nous donnent plusieurs considérations sur les monstres ? Mais le podencéphale a plusieurs viscères renfermés atteints par des anomalies ; ce qui est vrai du nombre et de la forme de ses urétères, de son avant-dernière poche intestinale et de son rectum, privé d’issue particulière ou d’anus.

Nonobstant cet exemple et bien d’autres dont je pourrais le fortifier, je crois qu’il n’est qu’une cause unique, générale et extérieure de monstruosités, qu’il n’existe qu’un seul mode pour faire dévier les formations organiques de l’ordre commun ; c’est quand le fœtus contracte des adhérences avec ses membranes ambiantes.

Il est un âge où chaque viscère n’est point encore renfermé dans les tégumens généraux, et où par conséquent il peut pathologiquement prolonger les ramifications de son système vasculaire jusque sur le placenta : mais, de plus, il est aussi une époque de réaction et de lutte, un moment où les viscères, obéissant a d’autres tractions, essaient de se soustraire à ces primitives adhérences. Est-ce toujours que les brides placentaires retiennent les viscères hors de leurs cavités ordinaires ? cela donne une monstruosité pareille à celle de l’hypérencéphale, dans laquelle nous avons vu figurer en dehors le cœur, le foie et les intestins. La lutte profite-t-elle au contraire aux tractions intérieures et normales ? les brides pathologiques cèdent d’autant plus facilement, que les rapports du placenta et du fœtus changent dans les derniers mois de la grossesse. Ce n’est plus le placenta qui est une ordonnée toute-puissante à l’égard du fœtus ; le contraire a lieu ; le fœtus reçoit et croît davantage, et le placenta moins à proportion.

Il est encore une autre cause de la rupture des brides placentaires : le fœtus devient très-lourd, et sa plus grande vitalité l’expose à des sursauts brusques et violens.

Il doit fréquemment arriver à des brides placentaires de se détacher par ces causes et dans ces momens d’agitation. Dès lors le fœtus est rendu à ses conditions normales ; il ne tarde pas à être entouré partout des eaux de l’amnios ; ses liens étant rompus à jamais, les tégumens communs se répandent sur les places qui en étaient dépourvues.

Mais cependant ce retour aux conditions normales ne produit son effet que pour les nouvelles couches dont les développemens progressifs viendront accroître l’organe monstrueux : comme celui-ci était dans l’origine, il se maintiendra, cependant avec plus ou moins de fixité. Ainsi se renferment dans l’intérieur de l’être des organes viciés qui cessent d’avoir des relations au dehors, et qui n’en persévèrent pas moins dans leurs primitives conditions d’organes déformés ; et ce qui nous prouve que c’est la seule explication naturelle de ce fait, c’est que nous avons très-nettement remarqué sur le corps du podencéphale des vestiges (une longue cicatrice) annonçant que deux bords de la peau s’étaient rapprochés et étaient venus s’unir et se confondre.

Depuis que j’ai mon attention éveillée sur cette circonstance, je ne trouve plus de monstruosités, qu’elles ne me laissent apercevoir à la peau quelques traces d’anciennes adhérences. Ainsi le monstre bec de lièvre figuré par M. Nicati avait encore le derme tout entr’ouvert, de l’angle droit de ses narines à l’œil du même côté.

Sur la formation du derme.

Si nous n’avions à citer que des faits comme ceux que nous donnent à connaître nos monstres anencéphale et hypérencéphale, je veux dire, des cas où quelques viscères thoraciques quittent leur cavité pour se maintenir avec une sorte de régularité sur la ligne médiane, comme ont fait, savoir, la bourse dorsale à l’égard du premier, et les viscères abdominaux par rapport au second, nous pourrions supposer que les artères vertébrales, qui envoient des rameaux et en arrière et en devant, donnent ainsi lieu à la production de la peau d’une manière nécessairement symétrique. Dans ce cas, la peau, à la formation de laquelle s’appliqueraient de chaque côté les dernières branches des artères vertébrales, proviendrait des flancs ; de façon que chaque côté arriverait à se réunir l’un à l’autre sur le milieu du thorax, soit en devant et soit en arrière.

Mais cette symétrie n’est pas ce qui existe chez tous les monstres. La longue cicatrice du bas de l’échine du podencéphale descendait des reins pour se porter sur les organes sexuels, un peu obliquement de gauche à droite.

Cette dernière considération force donc à rejeter l’idée à laquelle les remarques précédentes auraient pu conduire, savoir, que la peau se forme par une extension superficielle de parties et par une justaposition de leurs bords. Ce qui est au contraire conforme aux idées qu’en donne l’investigation anatomique, c’est qu’elle s’établit tout à la fois, arrivant de dedans en dehors, pour enceindre et pour retenir sur tous les points, par un égal effort, tous les organes intérieurs.

Mais, cela posé, comment expliquer que la peau se trouve toujours et partout en mesure de laisser et comme de ménager une issue aux brides placentaires, que nous avons vues le plus souvent irrégulièrement répandues ? Nous devons remonter plus haut, si nous voulons comprendre quelque chose à ces phénomènes. La production de la peau dépend en effet d’un conflit d’actions et de réactions, de causes et d’effets réciproques. Essayons d’en démêler le principe.

Il ne se fait pas de développemens organiques sans un allongement de parties, sans qu’il ne soit puisé dans les réservoirs du système nourricier, et par conséquent sans que cela ne se convertisse dans une action s’exerçant du centre à la circonférence.

N’admettez par hypothèse que cette unique action. Je m’explique : supposez un corps organisé qui soit appelé à se produire dans des espaces indéfinis ; qu’il n’y ait aucun obstacle pour nuire à sa source d’actions ou à la force d’impulsion de ses fluides nourriciers : une telle action, se propageant du centre à la circonférence, s’exercera nécessairement comme le voudra sa plus grande convenance, comme en ordonneront toutes les facilités qui lui seront laissées, c’est-à-dire qu’elle s’exercera en ligne droite. Puis, que cela soit répété plusieurs fois, à partir du centre : cette action, se renouvelant sans cesse, se propagera dans plusieurs sens. Le corps qui résultera de ce travail sera ce qu’est tout corps provenant de rayons émanés du centre et dirigés sur la circonférence ; sa forme sera un sphénoïde évidé entre les rayons rendus fixes. C’est ainsi que les arbres se couvrent d’une cime dont les rameaux sortent les uns des autres, et se prolongent en ligne droite.

Cet ordre est, en tous points, l’arrangement qui est primitivement suivi dans la formation d’un corps se développant au sein d’enveloppes fœtales. Le cœur se contracte pour lancer le sang au loin. Or, ce qui est évidemment à la convenance du cœur, ce serait qu’il agît avec le moins d’efforts possibles, ce serait qu’il lançât le sang en ligne droite. Mais ces facilités ne sont acquises qu’à la sève du végétal, contre l’impulsion de laquelle aucun obstacle ne s’élève extérieurement. L’action du cœur, s’exerçant au contraire dans un milieu fermé de toutes parts, se trouve, à petites distances, sinon paralysée, du moins modifiée par les membranes environnantes ; et observez que ce n’est pas seulement un obstacle qu’opposent les enveloppes ambiantes ; il est au delà une force qui vient réagir : telle est celle des contractions de la matrice.

Les vaisseaux émanés du cœur ressentent donc une contrainte à leur extrémité ; il leur faut suivre les contours, les parois intérieures de la cellule dans laquelle ils se répandent : ils se recourbent par conséquent ; mais, comme en se renversant ils s’épanouissent dans tous les sens, ils marchent les uns au devant des autres, jusqu’à ce qu’enfin ils se joignent, se touchent et s’anastomosent.

Cependant ce n’est pas seulement d’une manière passive que les cloisons qui renferment le fœtus se contentent d’agir. S’il est nécessaire qu’à chaque systole elles soient forcées de pousser au large sur tous les points de la circonférence, pour admettre en plus, dans la cavité qu’elles circonscrivent, la quantité de fluide nourricier qui y est apportée, ce n’est pas sans qu’il leur soit fait violence ; ce qui amène durant la diastole une réaction des cloisons, tant sur le fœtus que sur le fluide porté au delà de l’extrémité de ses vaisseaux. Or, ce qui résulte de ces actions et réactions, c’est que les contractions du cœur cherchent à porter plus loin le sang, et celles de l’utérus à le repousser tout autant en sens inverse, et par conséquent hors des espaces qu’il était d’abord parvenu à développer et à remplir. Ces succès balancés et alternatifs donnent lieu à la formation d’aréoles ou petits espaces celluleux, qui finalement constituent le tissu cellulaire. Plusieurs couches de ce tissu cellulaire, rapprochées et rendues de plus en plus adhérentes par les pressions extérieures, sont ce qui, en dernière analise, constituent les tégumens du fœtus.

Ainsi chaque point du derme est un produit moléculaire arrivant du centre à la circonférence, et-dont le caractère de spécialité se conserve à toujours, se perpétuant en effet par l’isolement des poils et des écailles. Or la peau, n’étant pas formée partiellement et par petits contournemens, et n’ayant pas de bords dans la nécessité d’aller superficiellement gagner un autre bord à distance, peut indifféremment, s’il y a cause à cet effet, rester ouverte sur tous les points, en travers, en long ou obliquement. C’est ce que l’histoire des monstruosités et en particulier la cicatrice oblique du podencéphale nous avaient déjà révélé, et ce que j’ai voulu de plus faire comprendre sans sortir de la considération des formations normales.

Sur la respiration du fœtus.

Je viens de parler des contractions alternatives et du cœur du fœtus et de la matrice où il commence à être : c’est avoir montré celle-ci faisant durant l’âge fœtal, au profit de l’embryon, les fonctions du ventricule droit, que chacun sait sans usage durant cette époque. Mais si je n’avais point, dans ce cas, employé un langage de comparaisons et d’images ; si la matrice de la mère et le ventricule gauche du fœtus étaient deux agens se correspondant nécessairement et s’entendant pour ouvrager celui-ci ; si la matrice tenait, à tous égards, lieu du ventricule droit réservé pour agir plus tard ; si elle était la force de compression nécessaire à tout phénomène de respiration ; si elle poussait les eaux de l’amnios sur tous les points tégumentaires du fœtus, comme l’opercule et les autres organes employés dans la déglutition poussent le liquide ambiant sur les branchies du poisson ; si enfin le fœtus, par tous ses pores comme par autant de trachées, parvenait, comme les insectes aquatiques, à séparer l’air contenu dans ses eaux ambiantes, nous aurions la solution de cette grande question si long-temps cherchée et si souvent débattue, la respiration du fœtus. Celui-ci, en naissant, est privé d’un agent tout-puissant, ayant aidé à le former, l’utérus de la mère ; mais il en retrouve un autre lui correspondant et s’employant au même usage ; un autre, organe vierge et comme tenu en réserve pour ce moment. Je n’en puis dire aujourd’hui davantage sur ce point. Il faut d’abord que j’aie établi ce que sont essentiellement des trachées : ce que je ferai incessamment. Ces vues sont d’ailleurs à peu près étrangères à l’objet de cet ouvrage ; puis, elles demandent à être mûrement réfléchies.

Conclusion dernière.

En terminant ce livre, j’en repasse dans ma mémoire les principales circonstances.

Quand à mon début je fus frappé du spectacle de monstruosités si nombreuses et bizarres jusqu’au degré de l’extravagance, il me sembla que je contemplais l’Organisation dans ses jours de saturnales, fatiguée à ce moment d’avoir trop longtemps industrieusement produit et cherchant des délassemens en s’abandonnant à des caprices.

Cependant c’était cet excès même dans le déréglement des formes, qui m’avait excité à y donner la plus grande attention. Je venais d’imaginer une nouvelle méthode de détermination tant des organes que de leurs matériaux constitutifs, et il me parut que j’en connaîtrais mieux toute la valeur comme moyen d’investigation, si je parvenais à en faire l’essai sur ce qu’il y avait dans la nature de plus désordonné.

Mais mes idées m’ayant entraîné, sans que je restasse le maître de m’arrêter, je m’aperçois présentement (ce qui est surtout vrai des considérations de ce dernier mémoire) que je viens de donner une physiologie médicale, quant aux points traités dans cet ouvrage. Cependant qui m’aurait donné cette mission ? Je l’ai fait remarquer moi-même plus haut, simple naturaliste par mes précédens, que de raisons pour douter ?… que de voix pourront s’élever et prononcer : Un médecin n’eût pas fait un pareil ouvrage !

Toutefois, si j’ai soulevé des questions dont l’art du médecin pourra un jour tirer parti ; si j’ai planté quelques jalons sur une route qu’il ne faille plus qu’ouvrir sur de plus larges dimensions, ne devrai-je avoir qu’indiqué de fâcheux écueils à éviter, j’aurai obtenu la seule récompense que j’ambitionne. Je me flatte en effet qu’on voudra bien considérer et agréer ce travail comme utile.

Quand l’amiral Nelson vint détruire l’escadre française embossée dans la rade d’Aboukir, il envoya un de ses vaisseaux se poser sur les récifs de la côte, pour montrer à son escadre les écueils quelle aurait à éviter. Je contemplai moi-même, de la plage égyptienne, avec quelle héroïque résolution cet ordre fut exécuté.

Le charme d’un pareil dévouement, je le conçois. C’est ce sentiment qui m’a toujours soutenu dans mes entreprises. Les recherches les plus pénibles, le danger de m’y livrer, les avertissemens de mes amis pour m’y soustraire, rien ne m’a arrêté. Que je puisse croire que j’aurai en effet préparé les voies à la moindre utilité, ne dût-elle donner de fruits que dans un lointain avenir, c’est assez pour ma satisfaction. Je ne vois que cette fin ; je m’y dévoue tout entier ;                      UTILITATI.

FIN.
  1. Je l’ai appris par une expérience directe. J’ai pesé six œufs de poule au commencement et vers la fin de l’incubation : je donne leur poids en milligrammes, ces œufs étant désignés par les six premières lettres de l’alphabet.
    Pesée des six œufs A B C D E F
    — première
    60812 58322 57450 56968 55440 54694
    — seconde
    48525 48137 49050 48470 41795 47452
    Perte
    12287 10185 8400 8498 13645 7242
  2. Si frêles, pourraient-elles résister, quand nous voyons l’organe le plus solidement constitué se briser sous le choc de causes morales ? « Qu’on sache, dit Corvisart dans le discours préliminaire de son ouvrage sur les maladies du cœur, qu’on sache qu’il suffit d’un accès de colère pour déchirer le cœur et pour causer une mort subite. »
  3. Je présume que beaucoup de malaises des premiers temps de la grossesse tiennent à de légères fissures des membranes fœtales, et, ce qui m’en paraît être la conséquence, à l’extravation des eaux de l’amnios et à l’existence de quelques brides placentaires : mais je suppose aussi que le retour à la santé chez la mère, ou l’harmonie reproduite de ses fonctions vitales, trouvant ces brides sans un grand degré de consistance, en opère facilement la rupture. Si tout au contraire une très-vive excitation nerveuse de l’œuf le blesse profondément, j’entends, occasionne de larges dilacérations dans ses membranes, cet événement tue le fœtus et en détermine la naissance bien avant terme.
  4. Cet anencéphale, comme nous l’avons vu précédemment, est né le 2 mars 1821. On m’en annonce un autre né dans la même année, le 27 septembre, au village de Cornieville, près de Commercy, département de la Meuse. Ainsi se trouvent par-là justifiées mes réflexions (voyez page 125) sur la fréquente apparition de ces monstres et sur la similitude de formes aussi singulières. Un médecin de Commercy, M. le docteur Dumont, a adressé à M. Lemaire de Lisancourt, membre correspondant de la Société philomatique, un récit très-circonstancié de cet événement de monstruosité. J’ai sous les yeux la lettre de M. Dumont, et j’en vais extraire quelques traits principaux, que je donnerai textuellement et sans réflexions.

    « L’anencéphale de Cornieville était du sexe féminin. Il était en tout semblable à l’anencéphale de l’Hôtel-Dieu décrit par M. le professeur Lallemand. De petites différences de l’un à l’autre, qui auraient servi à la distinction de ces deux espèces, n’ont pu être indiquées par M. Dumont, privé des moyens de faire un travail de comparaison. Ce monstre a vécu quelques instans ; il a même poussé quelques cris ; il eût peut-être respiré un peu plus long-temps, sans la négligence de la sage-femme, qui, toute à sa frayeur, oublia de nouer et de couper le cordon ombilical. Cet enfant difforme fut mis au monde par une femme veuve qui avait eu autrefois plusieurs enfans très-bien conformés : cette femme, d’une taille moyenne et d’un tempérament bilieux sanguin, fut effrayée de se voir grosse hors le mariage, et surtout de l’être devenue par les soins d’un Juif ; lequel, au surplus, était un homme grand, fort et bien constitué. Elle ne cessa, durant sa grossesse, d’être tourmentée par des visions de fantômes, de bêtes et de diables bien pourvus de cornes. Le jour, son esprit très-agité préparait par de continuelles préoccupations les rêveries fantastiques qui l’obsédaient la nuit durant son sommeil. Elle sentit l’enfant remuer dans son sein vers l’époque ordinaire, mais bien plus faiblement : il lui semblait que c’était une bête qui gravissait dans son corps ; du moins ce n’étaient ni les mêmes sauts ni les culbutes comme ordinairement ; L’accouchement a été précédé par l’épanchement d’une énorme quantité d’eau (les eaux de la poche dorsale), à tel point que le feu en a été éteint. Cet accouchement fut naturel : l’enfant présentant la tête, le travail n’a duré que trois heures. Mais, à la vue du monstre, la sage-femme et les femmes présentes prirent la fuite ; elles avaient cru voir le diable avec ses cornes : les oreilles leur parurent être celles d’un chien, et le dos, comme s’il était couvert de poils rouges. »

    La circonstance des deux cornes est un fait, mais un fait arrangé par la prévention et la frayeur. La poche dorsale se fend naturellement à la ligne médiane, et ses débris se renversent eu deux paquets vers l’occiput, où la poche est rendue plus épaisse et plus résistante par le cuir chevelu et par les cheveux. Les deux paquets, rejetés sur les yeux, figurent assez bien deux prolongemens frontaux, surtout vis-à-vis d’observateurs, dont la disposition d’esprit les porte à plutôt voir ce qui les occupe que ce qui est.